N° 1248

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 avril 2025.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité,

 

 

 

Présidente

Mme Sandrine ROUSSEAU

 

Rapporteur

M. Erwan BALANANT

Députés

 

——

 

 

 

TOME I

RAPPORT

 

 

 Voir les numéros : 166 et 308.

 


La commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité, est composée de : Mme Sandrine Rousseau, présidente ; M. Erwan Balanant, rapporteur ; M. Pouria Amirshahi ; M. Raphaël Arnault ; Mme Brigitte Barèges ; Mme Marie-Noëlle Battistel ; Mme Aurore Bergé (jusqu’au 29 janvier 2025) ; M. Philippe Bonnecarrère ; Mme Soumya Bourouaha ; Mme Eléonore Caroit (à compter du 23 octobre 2024) ; Mme Nathalie ColinOesterlé ; Mme Virginie Duby-Muller ; M. Philippe Fait ; Mme Agnès Firmin Le Bodo ; M. Michel Herbillon ; Mme Fatiha Keloua Hachi ; M. Andy Kerbrat ; Mme Sarah Legrain ; Mme Claire Lejeune ; Mme Claire Marais-Beuil ; M. Stéphane Mazars ; M. Nicolas Meizonnet ; Mme Graziella Melchior ; M. Thierry Perez ; Mme Lisette Pollet ; Mme Josy Poueyto ; Mme Véronique Riotton (jusqu’au 23 octobre 2024) ; M. Emeric Salmon ; M. Emmanuel Taché de la Pagerie ; M. Michaël Taverne ; Mme Prisca Thévenot  compter du 29 janvier 2025) ; Mme Céline Thiébault-Martinez ; Mme Estelle Youssouffa.

 


—  1  —

 

SOMMAIRE

___

Pages

avant-propos de la prÉsidente

Principales recommandations du rapport

Introduction

Première partie : Les milieux artistiques, à l’image de l’ensemble de la sociÉtÉ, sont marquÉs par les violences

I. Un phénomène largement répandu, entretenu par une société sexiste et patriarcale

A. Une société marquée par la prévalence des violences, dont les femmes et les enfants sont les victimes privilégiées

B. L’héritage d’une culture patriarcale et sexiste, qui s’exprime pleinement dans la culture

1. L’invisibilisation des femmes, une histoire de la création

a. Des secteurs historiquement dominés par les hommes

b. Les pouvoirs publics à la recherche de la parité

c. Une situation qui reste néanmoins défavorable aux femmes

2. Le corps des femmes perçu comme un objet érotisé et « à disposition »

3. Le sexisme « ordinaire », terreau de la normalisation des violences

II. Une culture de la minimisation, voire du déni, qui entrave la libération de la parole des victimes

A. Un silence qui n’est pas absolu

B. « Ce n’est pas si grave » : les ressorts de la minimisation à outrance des violences, à la limite du déni

C. Des mécanismes de silenciation des victimes extrêmement puissants qui jouent à plein dans la culture

1. Entre le traumatisme, l’emprise et la honte : une autocensure très fréquente

2. Menaces, violences physiques et « procédures bâillons » : un large spectre de manœuvres de silenciation

3. Des stratégies d’« évitement » qui entretiennent l’impunité

III. Les conséquences de l’omerta : l’absence de statistiques fiables dans les secteurs visés

A. Les données collectées par les institutions apparaissent incomplètes et limitées

1. La cellule d’écoute du ministère de la culture ne concerne qu’un pan limité des secteurs visés

2. Les chiffres de l’inspection du travail reflètent le rôle assez faible que joue pour l’instant cette instance dans les secteurs visés

3. La cellule d’Audiens : une montée en puissance réelle mais qui ne permet pas non plus d’avoir une vue d’ensemble du phénomène

B. Les études produites par les collectifs et associations professionnelles font toutefois apparaître un phénomène systémique

1. Dans le secteur des musiques actuelles, des festivals et de la fête

2. Dans le secteur de la danse

3. Dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel

a. Parmi les scénaristes

b. Parmi les assistants-réalisateurs

c. Parmi les réalisateurs

d. L’étude menée auprès de 1 698 professionnels membres de vingt et une associations de techniciens et collectifs

C. La nécessité de conduire une enquête de victimation de vaste ampleur

Deuxième partie : Des secteurs particuliÈrement sujets aux violences : Anatomie de machines À broyer des talents

I. Des facteurs de risque supplémentaires par rapport aux autres milieux professionnels

A. Une précarité généralisée

1. Des professionnels dont la précarité est souvent le lot

a. Le recours massif à l’intermittence dans presque tous les secteurs visés

b. « Appropriation des corps, appropriation des textes » : la dure réalité du métier de scénariste

c. Le coût du podium : la précarité de nombreux mannequins

2. De très nombreuses structures employeuses, souvent de petite taille, et des professionnels peu organisés

a. Un éclatement des structures employeuses

b. Un faible taux de syndicalisation des salariés et des organisations professionnelles souvent de création récente

B. Des secteurs marqués par l’entre-soi et les relations de pouvoir

1. Des milieux très hiérarchisés

a. Dans le milieu du cinéma

b. Dans la musique et la danse classiques

2. De tout petits milieux, où le « réseau » est déterminant et où l’entre-soi domine, favorisant l’omerta

C. Des conditions de travail marquées par la promiscuité et où le corps occupe une place fondamentale

1. Des secteurs où l’on travaille avec son corps et son image

2. Des conditions de travail souvent difficiles et sources de fragilité

3. Le cas particulier des festivals et lieux festifs, qui rassemblent de très nombreuses personnes venues d’horizons très divers

D. Une confusion permanente entre vie personnelle et vie professionnelle

1. L’art et la vie : le risque de confusion des sentiments

2. Des conditions de vie nomades sur les tournages et pendant les tournées qui contribuent à effacer la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle et à fragiliser les personnes

3. La place importante des à-côtés : fêtes, « pots » après les spectacles et en coulisses

II. Culte du créateur tout-puissant et du « talent »

A. L’idéalisation de la figure du génie créateur dans la culture occidentale, terreau de l’abus de pouvoir et du sentiment d’impunité

1. À la source du pouvoir, l’image du créateur conçu comme un démiurge

2. La construction progressive de la figure idéalisée du réalisateur, « auteur » de l’œuvre cinématographique

3. L’alibi artistique

B. Le culte du talent et de la cÉlÉbritÉ, ferment de tous les abus

1. La survalorisation des « talents » dans le cinéma et le spectacle vivant

2. Célébrité et impunité : le cas des abuseurs médiatiques

C. Dans l’ombre des crÉateurs et des cÉlÉbritÉs, de nombreuses personnalitÉs puissantes

1. Producteurs, distributeurs et plateformes : le pouvoir de l’argent dans le cinéma et l’audiovisuel

2. Agents et directeurs de casting : des pièces maîtresses du système

a. Les agents, interface entre les talents et les productions

b. Le casting, lieu de tous les dangers

3. Critiques et responsables de festival : détenteurs du pouvoir de prescription et gardiens de l’entre-soi

4. Le cumul des situations de pouvoir parachève l’entre-soi

III. Enfants du spectacle, élèves des établissements d’enseignement, maîtrisiens : des situations À haut risque

A. Des abus de toute sorte dans le cinéma

1. Une absence fréquente de respect des conditions d’emploi des mineurs

2. De nombreux abus révélés par les professionnels du cinéma

B. Une participation des mineurs très circonscrite dans le spectacle vivant, où des fragilités structurelles doivent néanmoins être corrigées

1. La participation des mineurs au spectacle vivant apparaît assez restreinte et limitée à des domaines spécifiques

2. Les maîtrises et chœurs d’enfants : derrière les images d’Épinal, de nombreux abus

3. Accusations d’abus sexuels et de maltraitance à la maîtrise des Hauts-de-Seine : un gâchis humain et un désastre moral

4. Le poids important des structures associatives culturelles accueillant des mineurs constitue une fragilité structurelle, source d’abus potentiels

C. Mannequins sur catalogue : renforcer la protection des mineurs dans le milieu de la mode

D. Des abus qui s’enracinent dans les établissements d’enseignement artistique

1. Des violences qui concernent toutes les catégories d’établissement, tous les niveaux d’enseignement et toutes les disciplines

2. La relation pédagogique et le risque d’emprise

3. Le culte de l’excellence et la perpétuation de cultures professionnelles violentes, terreau des violences pédagogiques et des abus

4. Vers une meilleure formation des futurs professionnels de la culture

Troisième partie : Si la lutte contre les violences dans la culture a connu des avancÉes majeures, il demeure nÉcessaire de gÉNÉraliser les meilleures pratiques

I. un cadre juridique renforcé sous l’impact du mouvement MeToo, mais encore trop souvent mÉconnu des employeurs et des justiciables

A. Un renforcement des outils prÉvus par le droit pÉnal et une amÉlioration de la prise en charge des victimes

1. Une multiplication des infractions spécifiques pour prévenir et lutter contre la récidive

2. Un allongement des délais de prescription pour les infractions commises sur des mineurs

a. L’allongement général des délais de prescription de droit commun par la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale

b. L’aménagement des délais de prescription et de leur point de départ pour répondre au mouvement de libération de la parole des victimes

3. Une prise en charge des victimes par les services judiciaires en progrès mais encore insuffisante

a. Des difficultés persistantes malgré une meilleure formation des policiers et gendarmes au recueil de la parole

b. Une amélioration nécessaire du traitement judiciaire des affaires de VHSS

B. Une meilleure prise en compte des VHSS par le droit du travail, qui s’adapte progressivement aux spÉCIFICITÉs du secteur culturel

1. Une protection renforcée dans la fonction publique

a. Les obligations de prévention des employeurs publics

b. Une procédure d’enquête interne structurée permettant de mieux protéger les parties

2. Pour le secteur privé, un cadre juridique légal désormais robuste, complété par des avancées significatives permises par les conventions collectives

a. Une obligation légale de prévention et de protection des salariés en matière de violences morales et sexuelles

i. Une obligation légale de prévention à la charge de l’employeur

ii. L’obligation faite aux employeurs de traiter les cas de violences morales et sexuelles

iii. Des mécanismes de protection et de réparation pour les salariés victimes

b. Une prise en compte des VHSS par les conventions collectives dont la portée est amoindrie par la faiblesse des CCHSCT

i. Les conventions collectives du spectacle vivant complétées dès 2022 pour prendre en compte les VHSS

ii. Dans le cinéma, une convention collective enrichie depuis peu

iii. La convention collective de l’audiovisuel, en cours de modification pour mieux prendre en compte les VHSS

iv. La convention collective du mannequinat

3. Le développement du contrat et du droit souple comme moyen d’autorégulation du secteur

a. L’essor de la contractualisation pour prévenir les VHSS dans le cinéma et l’audiovisuel

b. Des initiatives d’autorégulation que se multiplient, mais dont l’efficacité est limitée

C. Un droit du travail mÉconnu, mal appliqué et peu contrôlé

a. Une méconnaissance alarmante du droit du travail par les employeurs du secteur culturel

b. La multiplication des infractions au droit du travail

c. Des CCHSCT au rôle et aux moyens trop limités pour mener une prévention efficace auprès des employeurs

d. Le manque de contrôle par l’inspection du travail

II. De nombreux dispositifs de prÉvention ont ÉTÉ mis en place et doivent Être Étendus et renforcés pour assurer une protection rÉelle de l’ensemble des acteurs du champ culturel, notamment des mineurs

A. Le pari de la formation sectorielle et de la conditionnalitÉ des financements publics

1. Le CNC, un acteur moteur dans la formation du secteur du cinéma

a. Depuis 2020, la formation obligatoire des employeurs du cinéma et de l’audiovisuel

b. Depuis quelques semaines, la formation obligatoire de l’ensemble des équipes de tournage

2. Vers une généralisation de la conditionnalité des aides publiques en matière de VSS

B. Un cadre encore insuffisamment dÉfini pour les rÉFÉrents VHSS

1. Un dispositif bien implanté dans le cinéma mais encore marginal dans les autres secteurs

2. Les défis liés au rôle et au statut de référent VHSS

C. Vers un encadrement accru des scÈnes d’intimitÉ

1. Les scènes d’intimité, des moments à risque

2. La nécessité d’un encadrement juridique accru

3. La coordination d’intimité, un recours indispensable

a. Une professionnalisation en cours

b. Des limites persistantes à l’intervention de coordinateurs d’intimité

D. La nécessité de réglementer à nouveau l’exercice de la profession d’agent

a. Une profession totalement dérégulée

b. La nécessité d’encadrer l’exercice de la profession d’agent

E. Des mécanismes spécifiques pour la protection des enfants

1. Un contrôle limité de la commission des enfants du spectacle

a. Un contrôle a priori des conditions d’emploi des mineures de 16 ans

b. La nécessité absolue de renforcer le contrôle des services de l’État

c. Une protection accrue des enfants de moins de 7 ans

2. Une supervision médicale dédiée aux enfants encore insuffisante

3. La présence obligatoire d’un responsable des enfants à généraliser à l’ensemble des productions culturelles

F. Une clause assurantielle pensée pour le cinéma qui pourrait Être améliorée et étendue à l’ensemble des productions culturelles

1. Une clause assurantielle visant à responsabiliser le producteur

2. Un mécanisme à l’efficacité limitée

3. Vers une généralisation de la clause VHSS pour l’ensemble des productions du secteur culturel

Conclusion

Liste des recommandations

EXAMEN EN COMMISSION

CONTRIBUTIONS DES MEMBRES DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

Contribution du groupe Rassemblement national

PERSONNES entendues PAR LA COMMISSION D’ENQUêTE ET LIEN VERS LES COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

déplacements de la commission d’enquête

ANNEXE : COMPTES RENDUS DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE DE LA XVIe Législature (du Mercredi 22 mai 2024 au Jeudi 6 juin 2024)

1. Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie Coquille-Chambel et Mme Séphora Haymann, membres du collectif #MeTooThéâtre, accompagnées de Me Anne Lassalle.

2. Audition, ouverte à la presse, de Mme Iris Brey, journaliste et autrice, membre du collectif 50/50.

3. Audition, ouverte à la presse, de Mme Emmanuelle Dancourt, présidente de l’association #MeTooMedia, et M. Florent Pommier, trésorier.

4. Audition, ouverte à la presse, de membres du Collectif 50/50 : Mme Fanny De Casimacker, déléguée générale, Mmes Clémentine Charlemaine et Sophie Lainé Diodovic, membres du conseil d’administration.

5. Audition, ouverte à la presse, de directeurs d’établissements formant aux métiers du spectacle vivant : M. Pierre Delavène, directeur du Cours Cochet-Delavène, Mme Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, Mme Simone Strickner, directrice du Cours Florent, et Mme Sandy Ouvrier, directrice du Conservatoire national supérieur d’art dramatique-PSL.

6. Audition, ouverte à la presse, de Mme Sophie Zeller, adjointe à la direction générale de la création artistique (DGCA) au ministère de la Culture.

7. Audition, ouverte à la presse, de Mme Anouk Lavaure, directrice adjointe au directeur général du travail, ministère du travail, de la santé et des solidarités, et Mme Christelle Chambarlhac, cheffe du bureau du pilotage du système d’inspection du travail.

8. Audition, ouverte à la presse, de coachs pour enfants : Mme Claire Chauchat, coach pour enfants et coordinatrice d’intimité ; Mme Delphine Labey, coach pour enfants et Mme Maryam Muradian, psychologue clinicienne, ancienne coach pour enfants et coordinatrice d’intimité.

9. Audition, ouverte à la presse, de coordinatrices d’intimité : Mme Monia Aït El Hadj, Mme Paloma Garcia Martens, Mme Najoua Ferréol et Mme Noëmy Soffys.

10. Audition, ouverte à la presse, de l’association des directeur.rice.s de casting (ARDA) : M. David Bertrand et Laurent Couraud, co-présidents ; Mmes Béatriz Coutrot, Julie David et Julie Gandossi, directrices de casting, et M. Emmanuel Thomas, directeur de casting.

11. Audition, ouverte à la presse, de Mme Noémie Kocher, actrice et scénariste.

12. Audition, ouverte à la presse, de M. Didier Huck, président de la fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia (Ficam) et M. Jean-Yves Mirski, délégué général ; M. Laurent Blois, délégué général du syndicat des professionnels des industries de l’audiovisuel et du cinéma (SPIAC-CGT) et Mme Salomé Gadafi, membre du conseil national du SPIAC-CGT, secrétaire générale adjointe de la fédération nationale des syndicats du spectacle (FNSAC-CGT).

13. Audition, ouverte à la presse, de Mme Estelle Simon et M. Elrik Lepercq, coprésidents de l’association professionnelle des actrices et acteurs de France associés (AAFA), Mme Alice de Lencquesaing et Mme Marie Lemarchand, membres du conseil d’administration de l’association des acteurs (ADA).

14. Audition, ouverte à la presse, de M. Gaëtan Rudant, directeur régional et interdépartemental à la direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d’Île-de- France, M. Jean-François Dalvai, directeur de l’unité départementale de Paris, Mme Sophie Bidon, responsable de la commission régionale des enfants du spectacle et agences de mannequins ; M. Jérôme Corniquet, directeur adjoint en charge du pôle travail à la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités des Bouches-du-Rhône ; M. Olivier Bavière, directeur départemental adjoint chargé du pôle travail à la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités du Nord.

15. Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Hazanavicius, président du conseil d’administration de l’école nationale supérieure des métiers de l’image et du son (FEMIS) et Mme Nathalie Coste Cerdan, directrice générale ; M. Vincent Lowy, directeur de l’école nationale supérieure Louis-Lumière ; M. Frédéric Tabet, directeur par intérim de l’école nationale supérieure de l’audiovisuel (ENSAV).

16. Audition, ouverte à la presse, de Mme Tiffany Coisnard, juriste chargée de mission à l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).

17. Audition, ouverte à la presse, d’associations du secteur de la mode : M. Pascal Morand, président exécutif de la fédération de la haute couture et de la mode (FHCM) et M. Frédéric Galinier directeur délégué, représentation professionnelle et institutionnelle ; M. Cyril Brulé, président du syndicat national des agences de mannequins (SYNAM), Mme Isabelle Saint-Félix, secrétaire générale et Mme Virginie Dambrine, membre du conseil d’administration ; Mme Nathalie Cros-Coitton, présidente de la fédération française des agences de mannequins (FFAM).

18. Audition, ouverte à la presse, de Mme Caroline Fontaine, déléguée générale de l’association des agences-conseils en communication (AACC).

19. Audition, ouverte à la presse, des associations et collectifs suivants : Mme Sarah Karlikow, représentante de l’assemblée collégiale de la fédération interrégionale du Mouvement HF+ et Mme Camille Pawlotsky, représentante d’HF+ Hauts-de-France ; Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes, et Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques ; Mme Muriel Réus, présidente de l’association Femmes Avec.

20. Audition, ouverte à la presse, de Mme Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL), M. Loïc Zion, délégué général et Mme Raphaëlle Danglard, élue au bureau.

21. Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), M. Vincent Villette, adjoint au directeur général délégué et Mme Leslie Thomas, secrétaire générale.

22. Audition, ouverte à la presse, de syndicats du spectacle, du cinéma et de l’audiovisuel : M. Philippe Gautier, membre de la commission exécutive de la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l’audiovisuel et de l’action culturelle (FNSAC-CGT) et Mme Karine Huet, membre du collectif Femmes ; M. Christophe Pauly, secrétaire national en charge des médias pour la fédération communication, conseil, culture (F3C-CDFT) ; M. Frank Laffitte, trésorier de la fédération des arts, du spectacle, de l’audiovisuel et de la presse (FASAP-FO).

23. Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Gaillard, directeur de casting, à l’origine du mouvement #MeTooActeur.

 


—  1  —

 

 

   avant-propos de la prÉsidente

Le talent : le monde du spectacle est organisé autour de cela. Le talent permet de construire des projets, financer des œuvres, embaucher des équipes, diriger des structures, recevoir des prix, intéresser, émouvoir et séduire des auditeurs, spectateurs, festivaliers, ... Au fond, le talent permet de faire fonctionner le secteur de la culture, de le façonner par ses choix et ses œuvres. Que de pouvoir ! Le talent est personnel. Il est propre à chacun, non reproductible, indifférentiable de la personne qui le possède et l’exerce. C’est précisément ce qui rend la personne derrière le talent si singulière. L’homme et l’artiste ne font donc qu’un. Est-ce au nom de ce talent que tant de réflexions s’imposent quand l’homme se comporte mal ? Nombreuses ont été les auditions durant lesquelles les personnes se sont interrogées sur la place de la justice, la condamnation et la réhabilitation. Et nous avec. Parfois, le cadre professionnel dans lequel les faits pouvaient s’être déroulés s’est presque effacé derrière ces questionnements sociaux, philosophiques et éthiques. Pourtant, c’est bien sur un cadre de travail que la commission a enquêté aussi bien que sur les à‑côtés de la relation de travail, les temps de déplacement, les recrutements, les promotions, les festivals, les cérémonies, les temps de convivialité, etc.

On s’interroge souvent sur la nécessité de séparer l’homme de l’artiste, la relation de travail de la création, le juste de la réhabilitation. On s’interroge moins sur celle de séparer la victime de l’artiste ; on efface aisément les deux dans un même mouvement. La cancel culture, tant décriée s’agissant des auteurs de violences, concerne pour l’heure essentiellement leurs victimes. Combien de victimes ont ainsi vu leur carrière arrêtée, ralentie, effacée, cassée, fissurée, réorientée ? Qu’elles s’appellent Maria Schneider, Adèle Haenel, Sara Forestier ou Judith Godrèche, toutes ont vécu de profonds changements à partir du moment où elles ont parlé. Et pourtant, dans aucune audition, cet effacement n’a véritablement été relevé. La violence sexiste et sexuelle prend peut-être là sa forme la plus insidieuse : l’effacement sans bruit ni fracas.

Alors que l’art est souvent appréhendé comme indissociable de la transgression, voire comme une transgression en lui-même, celles et ceux qui osent transgresser, par leurs mots, le silence institué autour des violences apprennent à leurs dépens que toutes les transgressions ne se valent pas.

Tout l’objet de la commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité créée le 9 octobre 2024, a été d’analyser les ressorts psychologiques, sociologiques, économiques et juridiques qui permettent à ces transgressions de se déployer – jusqu’à une période récente, en toute impunité – dans le monde de la culture, de recueillir avec bienveillance la parole des innombrables victimes, de confronter les professionnels du secteur à leurs responsabilités et de tirer un constat étayé servant possiblement de base à des évolutions juridiques, législatives ou non.

Après d’intenses semaines d’auditions, le constat que nous pouvons tirer des travaux de la commission d’enquête est hélas sans appel : les violences morales, sexistes et sexuelles dans le monde de la culture sont systémiques, endémiques et persistantes.

Ainsi, en dépit des nombreuses mesures mises en œuvre par l’État et ses opérateurs, comme par les collectivités territoriales et les partenaires sociaux, qui sont détaillées plus loin dans le rapport, les consciences peinent à véritablement évoluer. Si la parole tend à se libérer, notamment sous l’effet du mouvement MeToo et des prises de parole puissantes d’Adèle Haenel et de Judith Godrèche, les témoignages qui nous ont été apportés, que ce soit en audition ou par le biais des échanges que nous avons pu avoir avec des victimes, évoquent des faits, pour nombre d’entre eux, très récents.

De fait, les conditions de survenance des violences morales, sexistes ou sexuelles, mais aussi celles de l’existence de l’omerta qui pèse sur les victimes et témoins, qui caractérisent le cinéma, l’audiovisuel et le spectacle vivant depuis des décennies, n’ont guère évolué et se sont même parfois aggravées dans la période récente. Aussi le cycle prédation-silenciation qui s’y déploie depuis longtemps est-il toujours prégnant. En témoigne l’émergence récente de différents groupes informels, dans différentes professions, généralement exclusivement féminins ou presque, visant à échanger des informations sur les agresseurs habituels afin de mieux s’en protéger.

Les métiers du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant sont le plus souvent exercés par passion, qu’il s’agisse des comédiens, des danseurs, des musiciens, des réalisateurs, chorégraphes et metteurs en scène, comme des techniciens. Tous ont le sentiment d’obéir à un intérêt supérieur, celui de l’art, qu’ils placent souvent au‑dessus de toute autre considération. C’est au nom de l’art et de la création que les aspirants artistes sont prêts à tout sacrifier ; c’est aussi au nom de l’art et de la création que d’autres commettent les plus terribles violences.

L’entrée dans ces métiers apparaît du reste comme une faille majeure du point de vue des violences morales, sexistes et sexuelles. Dès l’école de théâtre, de radio ou de cinéma, on apprend aux jeunes – en particulier aux jeunes femmes –, ce qui les attend. On les y prépare d’ailleurs psychologiquement en perpétuant des techniques d’apprentissage dépassées, fondées sur une forme de maltraitance, morale ou physique dans le cas de la danse : c’est dans la douleur que l’on apprend. C’est aussi dans cette phase de mise en contact avec les professionnels qui interviennent dans ces écoles que l’on doit se mettre en avant pour faire partie des élus ; c’est aussi dans cette période que nombre d’agresseurs sexuels choisissent leurs victimes en leur faisant miroiter des emplois futurs en contrepartie de faveurs sexuelles.

L’étape du casting, dans le cinéma et l’audiovisuel, marque l’entrée dans la vie active de jeunes acteurs, souvent naïfs et pleins d’espoir. Là encore, trop nombreux sont les directeurs de casting et les agents artistiques à profiter de leur extrême vulnérabilité pour obtenir, de gré ou de force, des faveurs sexuelles, d’après les témoignages recueillis par la commission d’enquête. Là encore, l’exploitation de l’envie dévorante  et au demeurant compréhensible  d’exercer ces métiers peut conduire aux pires agissements de la part de ceux qui tiennent le système et peuvent en ouvrir les portes.

Le cinéma, la danse, le théâtre, le cirque sont également propices aux violences en ce qu’ils impliquent le corps des professionnels et nécessitent généralement une proximité physique forte. Or, cette intimité, lorsqu’elle est incontournable, peut constituer une occasion parfaite pour un agresseur de commettre des violences sans pouvoir être perçu comme coupable. À la faveur d’un prétendu malentendu, la cascade ou la scène de nudité au cinéma, la scène d’intimité au théâtre ou à l’opéra, la réalisation d’un porté en danse, celle d’une parade au cirque, la correction de la posture d’un musicien ou d’un danseur sont autant de prétextes possibles à la commission d’agressions sexuelles.

Ce sont aussi des métiers où l’émotion joue une place primordiale. On considère encore souvent comme nécessaire que l’artiste puise dans des éléments douloureux de sa vie pour véhiculer des émotions fortes à l’image ou à l’oreille. Le Dernier tango à Paris, film réalisé en 1972 par Bernardo Bertolucci et mettant en scène Maria Schneider, alors mineure, face à Marlon Brando, est en l’exemple le plus frappant. Comme l’a reconnu le réalisateur, la scène de viol devenue célèbre par la polémique qu’elle a suscitée à la sortie du film, si elle est simulée, n’en était pas moins absente du scénario ; elle a tourné sans le consentement de Maria Schneider, afin, avouera le réalisateur en 2013, de capter à la caméra la réaction de la « fille », et non de l’actrice, et de susciter un sentiment réel d’humiliation et de rage.

Notons d’ailleurs cette étonnante contradiction : alors que les auteurs sont souvent protégés au nom de leur talent, les victimes elles sont dépeintes comme manquant de ce dernier puisqu’il faut aller chercher leurs émotions, leurs corps à leur insu, utiliser leurs blessures, traumas ou mal-être, et non pas leur jeu, pour trouver la justesse de leur art.

Ces pratiques ont encore cours aujourd’hui. Comme l’a indiqué une actrice entendue par la commission d’enquête, « la violence fait partie du métier ; elle est même sublimée : on m’a convaincue que c’est parce que je souffre qu’un réalisateur est heureux. » Dans la culture, le trauma semble souvent érigé en dynamique de travail. Il est du reste frappant de constater que les victimes de violences sexuelles, dans ces métiers, sont souvent déjà des victimes en débutant leur carrière. L’actrice Anna Mouglalis, au cours de son audition, l’a expliqué en ces termes : « Souvent, les metteurs en scène cherchent chez les actrices ce que j’appelle une vulnérabilité charismatique. C’est une fragilité qui s’exprime même dans le silence. Elle est particulièrement sensible chez les survivantes – d’inceste, de viol. Cela explique que nous soyons très nombreuses à vivre ce continuum ». Les mêmes caractéristiques sont-elles recherchées chez les hommes ?

À l’évidence, la détention d’un pouvoir est également un ressort capital de ces abus, ou de leur invisibilisation, comme dans les autres sphères sociales d’ailleurs. Dans les secteurs ayant fait l’objet des investigations de la commission d’enquête, quelques figures en particulier sont détentrices de l’autorité : dans le cinéma et l’audiovisuel, le producteur, le réalisateur et, dans certains cas, le tenant du premier rôle ; dans la danse, le chorégraphe ou le professeur ; dans le théâtre, le metteur en scène, le directeur d’une structure ou l’enseignant ; à la télévision ou à la radio, l’animateur ou le présentateur star ; dans la musique, le producteur d’un festival, le dirigeant d’un label, le chef d’orchestre ou le chef de chœur. Or, comme l’a souligné le cinéaste et président de la Cinémathèque française Costa-Gavras lors de son audition, « le pouvoir est quelque chose qui ne se lâche pas facilement » ([1]). Qui dit pouvoir dit contrôle et responsabilité.

Leur figure tutélaire et patriarcale semble largement permise et entretenue par le mythe encore tenace du Pygmalion – ou de l’ogre ? –  tombant amoureux de sa création féminine et idéalisée. Plusieurs personnes entendues par la commission d’enquête ont d’ailleurs souligné la nécessité du « désir » dans le processus créatif, certains allant même jusqu’à évoquer la fatalité du « viol » – symbolique, mais parfois bien réel – des acteurs et actrices pour faire advenir la création. La culture du viol est peut-être cela : le banaliser mais surtout le magnifier pour développer l’idée qu’il a une utilité. Cette vision romantique du créateur innerve tous les arts, et singulièrement le cinéma depuis 1957, date à partir de laquelle le réalisateur gagne ses lettres de noblesse face au producteur comme auteur de l’œuvre cinématographique. Dès lors, comme la professeure Geneviève Sellier l’a souligné lors de son audition, « le réalisateur qui accède au statut d’auteur est autorisé à toutes les transgressions et à tous les abus, sous prétexte de donner libre cours à son inspiration. » ([2])

Un acteur dont nous avons reçu le témoignage écrit analyse d’ailleurs le recours à des acteurs non professionnels, sans formation, comme l’un des facteurs permettant d’entretenir ce culte de l’auteur : « L’usage des non-acteurs repose sur l’idée et l’esthétique (en grande partie héritée de la Nouvelle Vague) selon laquelle c’est uniquement le regard du réalisateur qui révèle aux yeux du monde et façonne une personnalité, qui n’est en fait qu’une nature, c’est-à-dire, une chose innée. Les actrices et acteurs ne sont donc que des objets (de désir), des réceptacles. » ([3]) Désir ou pouvoir ?

Au-delà du statut spécifique conféré au créateur, la très forte hiérarchisation de ces milieux professionnels accentue les risques de violence. Que l’on pense aux plateaux de cinéma, où le réalisateur recrute les chefs de poste qui recrutent à leur tour leurs assistants, ou à la musique classique, qui distingue le chef d’orchestre du soliste, du chef de rang et du tuttiste, ou encore à la danse classique et à ses étoiles, premiers danseurs, sujets, coryphées et quadrilles, il est clair que les différentes dynamiques de pouvoir à l’œuvre au sein de ces collectifs sont susceptibles de générer des abus et donc, des violences. Comme l’a rappelé avec justesse Me Anne Bouillon, « c’est l’idée même de construction sociale hiérarchisée qui porte en elle les germes de la violence » ([4]). Quand certains ou certaines dépendent de manière presque vitale pour leur revenu ou leur carrière d’un travail sur un plateau ou un concert, elles sont évidemment les cibles faciles de comportements inappropriés.

Par ailleurs, les conditions d’exercice de ces métiers apparaissent objectivement propices à la commission de violences physiques, morales, sexistes et sexuelles. En tournée ou sur un tournage, loin de son domicile, la frontière entre la vie professionnelle et la vie personnelle devient passablement floue. Le travail de nuit, les horaires contraints et étendus, la forte pression liée à l’exigence artistique, la nécessité de réussir sur un temps très court contribuent également au relâchement des limites morales et à l’instauration de liens très vite familiers au sein des équipes. Ne parle-t-on pas, d’ailleurs, de la « grande famille » du cinéma ou du théâtre ? Rappelons que le cercle familial est précisément l’un des lieux privilégiés de la commission des violences.

Pour autant, les violences ne se produisent pas toujours dans le strict cadre du travail. Elles prennent souvent place dans les interstices de ce dernier – les pots de fin de tournage, les nuits dans le bus de tournée ou à l’hôtel qui accueille les équipes délocalisées, etc. L’usage courant d’alcool et de stupéfiants dans ces moments où la pression appelle à être évacuée achève de créer un cadre favorisant la commission d’actes pénalement répréhensibles, bien que cet usage soit généralement analysé, par les auteurs, comme une circonstance atténuante à leur inconduite, à l’inverse de la loi. Elle est aussi souvent, pour les victimes, un facteur de culpabilité qui freine la prise de conscience et la dénonciation.

De façon générale, le caractère artisanal de chaque production, le sentiment de contribuer à une entreprise unique et exceptionnelle, le fait de ne pas considérer ces professions comme un « travail » au sens où on l’entend communément – le travail des comédiens serait une succession d’« états de grâce et pas […]  un métier » ([5]) –, semblent conduire les employeurs à faire parfois peu de cas de l’application stricte du droit du travail, notamment du respect des horaires, du paiement des heures dues, des règles minimales de sécurité et de la prévention des violences et harcèlement sexistes et sexuels.

En matière de sécurité, plusieurs exemples édifiants nous ont été fournis au cours de nos travaux, qu’il s’agisse de scène de noyade où l’actrice, lestée de plusieurs kilos, ne trouve aucun plongeur au fond de la piscine pour lui apporter de l’oxygène, d’une autre scène de noyade tournée dans une eau gelée et en l’absence des secours, d’une scène où, pour économiser une équipe de sécurité, l’actrice devait être perchée sur une branche à plusieurs mètres de hauteur, d’une scène tournée sans mesure de sécurité dans un bateau à quelques mètres de chutes d’eau, etc.

La structuration économique de ces secteurs d’activité joue également un rôle essentiel dans la majoration du risque de violences que nous avons observée, comme dans la silenciation des victimes et des témoins. En effet, la précarité propre aux intermittents du spectacle, faite de contrats courts, de rémunérations souvent faibles et d’employeurs multiples, comme celle des auteurs – qui ne sont pas rémunérés pendant la création de l’œuvre, qui peut pourtant durer des années – aggrave les risques de violences, comme la capacité des victimes à les endurer sans les dénoncer. Pour atteindre ses heures et maintenir son statut d’intermittent, pour voir les droits de son scénario achetés après des mois d’écriture et de négociations, on accepte l’inacceptable et on tait l’intolérable.

C’est aussi le recrutement par cooptation et la puissance d’un réseau où chacun se connaît qui conduit à cette situation : se taire et ne pas entraver la production, c’est préserver ses relations avec les employeurs directs et indirects, qu’ils soient, au cinéma, chefs de poste, réalisateur, directeur de production ou producteur ; dénoncer, c’est au contraire se priver à coup sûr d’un emploi futur. Le risque d’être banni à vie de la profession pour avoir osé parler est largement entretenu par cet entre-soi propre au microcosme culturel, mais également par la concentration des pouvoirs entre quelques mains puissantes, parfois dans la durée si l’on en juge par les mandats illimités dans le temps dont bénéficient certains.

Lorsque des violences surviennent au cinéma ou dans l’audiovisuel, l’arbitrage est donc aisé, notamment compte tenu du peu de temps qu’il reste souvent à « supporter », le cas échéant, un cadre toxique. Eu égard aux temps de tournages, au plus de quelques semaines, c’est souvent une question de jours avant de ne plus avoir affaire à son agresseur et de passer au tournage suivant. De la même façon, l’employeur peut concevoir que la situation tendra à se régler d’elle-même dès la fin des contrats et qu’une intervention n’est donc pas indispensable, puisqu’il ne sera bientôt plus l’employeur ni de la victime, ni de l’agresseur présumé. Ce dernier pourra donc repartir vers de nouveaux horizons professionnels sans jamais être inquiété, quand il n’est pas tout bonnement protégé par sa proximité avec l’employeur.

De fait, la responsabilité et la charge qui reposent sur les épaules de la victime ou des témoins est immense, car en cas de faits graves, cela signifie possiblement l’arrêt de la production en question, que le réalisateur ou le premier rôle soit directement mis en cause, ou que la réalisation d’une enquête administrative contraigne à un arrêt du tournage qui peut être financièrement fatal. « Rien ne doit arrêter la marche du film », comme nous l’avons entendu en audition.

C’est aussi le caractère passionnel de ces métiers qui entrave la possibilité, pour les victimes, de parler. Dénoncer, c’est prendre le risque pour les victimes de ne plus exercer ce métier qu’elles chérissent – et plusieurs de nos auditions ont révélé que ce risque n’est pas fantasmé – et qu’elles considèrent comme vital, pas uniquement au plan financier. Même lorsque l’on a acquis un certain pouvoir, le risque d’une déchéance fait obstacle à la libération de la parole. Ce n’est guère que lorsque l’agresseur est en fin de carrière, lui-même sur une pente descendante, ou lorsque la victime a tout perdu et quitté la profession que le recours à la justice apparaît possible.

Du reste, les carrières brisées ou les expatriations à l’étranger, permettant d’échapper à la mise au ban du microcosme français, semblent légion. Adèle Haenel, qui a renoncé à tourner, ou Judith Godrèche, qui a poursuivi sa carrière aux États-Unis avant de revenir sur le devant de la scène française, n’en sont que les exemples les plus médiatisés. Sara Forestier, Nadège Beausson-Diagne et Francis Renaud, que nous avons reçus en audition, sont aussi des exemples frappants de talents broyés par un système délétère. « Ce n’est pas un métier pour les faibles », comme l’a souligné une actrice lors de son audition.

Des témoignages résolument accablants nous sont parvenus, qui montrent tous ou presque le continuum de violences qu’ont subi les victimes, souvent dès leur formation, mais aussi le sexisme ambiant qui autorise toutes les dérives et qui s’accompagne, à l’égard des personnes perçues comme nonblanches, d’un racisme latent. Qu’il s’agisse de ce professeur en classe préparatoire Cinéma qui qualifie une scène de viol de « plus belle scène d’amour jamais vue » ; du directeur de production qui lance à un réalisateur, à propos d’une scripte : « tu peux l’engager elle, elle est pas chiante ! » ; du réalisateur qui indique à la scripte un matin : « je préférais comme t’étais habillée hier » ; du second assistant caméra qui répond à la scripte qui lui demande une information technique : « je te donne le nombre de gigas si tu me suces » ; du scénariste césarisé qui propose des conseils à une étudiante de la FÉMIS en échange d’une fellation ; du directeur de collection qui demande à un jeune scénariste « quand est-ce que tu me suces ? » ; du chef opérateur qui demande à la scripte ses positions sexuelles préférées ; de celui qui demande à une actrice racisée si elle « [couche] aussi avec des blancs » ; de la cheffe décoratrice qui répond à une régisseuse harcelée moralement que « le harcèlement, ça n’existe pas, c’est comme MeToo, c’est un effet de mode » ; du producteur qui refuse de recourir à un coiffeur formé pour un acteur racisé, qui devra donc s’occuper lui-même de ses cheveux pendant le tournage ; de cette maquilleuse qui proposera à cette actrice racisée un fond de teint qui doit lui aller puisque c’est « le même que celui de Firmine Richard » ; du critique de cinéma qui lance à sa jeune collègue « tu ressembles à une actrice porno […] assise comme ça au milieu de la pièce, tu pourrais te faire gangbang par tout le monde » ; du rôle principal qui plaque une stagiaire contre un mur et essaye de la toucher ; du réalisateur qui demande à une actrice de passer un casting en utilisant son vibromasseur ; du directeur de casting qui invite de jeunes comédiens au théâtre dans la perspective d’un possible rôle et leur touche par surprise le sexe pendant la pièce ; de celui qui met au défi une jeune actrice de se mettre un œuf dans le vagin, pour démontrer son talent ; du directeur d’un célèbre festival de musique qui demande à l’oreille d’une jeune artiste qui vient de se produire, sans lui avoir jamais parlé, en lui caressant la main, « tu as mouillé ta culotte avant de monter sur scène ? » ; du comédien qui embrasse par surprise une comédienne pendant une scène, puis regardera au « combo » la scène intime qu’elle tourne ensuite, alors qu’il n’a rien à faire à ce poste ; de la professeure de théâtre qui demande à une élève de mimer une fellation ; du réalisateur qui lance, à la cantonnade, que « tout le monde veut toucher [le] beau cul » de telle actrice ; de l’acteur principal d’un film qui n’interpelle une actrice qu’en faisant référence à ses seins ; du milliardaire qui, avec la complicité d’un réalisateur connu dont il finance les films, harcèle une jeune mannequin rêvant de devenir actrice ; de cet écrivain et réalisateur qui lance publiquement à l’actrice qui a refusé ses avances sexuelles plus qu’insistantes : « T’es une merde, une petite pute ; je les connais, les salopes dans ton genre qui veulent réussir ; tu ne t’approches plus de moi et de mes amis » ; de ce réalisateur qui invite une actrice à venir dessiner dans sa chambre, puis la harcèle ensuite pendant toute la durée du tournage, en lui enjoignant notamment, en public, d’aller se « laver la chatte » ; du professeur de flûte d’une école de musique qui incite une élève à jouer « un peu plus pute […] comme si de la confiture dégoulinait de [son] décolleté » ; du comédien qui convoque l’assistante à la réalisation sous de faux prétextes, et la reçoit dans sa loge le pantalon baissé ; de cet autre comédien qui a pour habitude de se promener nu sur le plateau ; de l’animateur star d’une matinale radio qui demande à sa coanimatrice si elle a « déjà mis ses gros doigts dans son gros cul » et si elle a la « chatte acide » ; de ce producteur qui harcèle une jeune technicienne en étant sous l’emprise de toxiques à un pot de tournage ; de ce réalisateur qui caste toutes les actrices de Paris sur une scène où il doit leur embrasser les seins, dont il insiste pour filmer l’aréole ; du réalisateur qui attrape les seins de « sa » scripte ; du comédien qui plaque une jeune assistante contre un mur dans un couloir désert pour l’embrasser de force ; du figurant qui profite d’une scène de danse maintes fois répétée pour toucher sa partenaire, qui ne le dénoncera pas de peur que la scène ne soit plus « raccord » ; du réalisateur qui filme la vulve d’une comédienne après son refus express, et utilise les images dans la bande-annonce du film ; du comédien qui soulève le haut d’une maquilleuse ; de ce professeur de danse qui lance des chaises sur ses élèves lorsque ses consignes ne sont pas appliquées ; du directeur de production qui continue d’embaucher son ami technicien suspecté de viol ; du comédien qui, sous couvert d’improvisation, met son pouce dans la bouche de l’actrice en la traitant de « salope » ; de cet acteur qui profite d’une scène d’intimité pour mettre le sein de l’actrice dans sa bouche ; de l’animateur radio qui mord jusqu’au sang les fesses d’une collègue au travers de ses habits ; de l’animateur télé qui mord jusqu’au sang la bouche de sa collègue ; du producteur d’une émission de radio qui, sous couvert d’incarner un satyre, se frotte lascivement, de force, contre une collaboratrice, sous le regard médusé de ses collègues ; de ce musicien qui tente de violer une fan dans le bus de tournée, celle-ci étant sauvée in extremis par le chauffeur qui la dépose sur une aire d’autoroute ; du réalisateur qui tente de violer une jeune stagiaire en lui faisant miroiter des essais avec un directeur de casting influent ; du producteur qui tente de violer l’assistante mise en scène dans les locaux de la production ; du machiniste qui s’introduit dans la chambre de l’assistantescripte et tente de la violer ; de l’acteur de théâtre qui viole une stagiaire en l’attirant à son domicile, où sa femme et ses enfants sont supposés l’attendre ; de l’assistant réalisateur qui prétexte un rendez-vous pour des essais et impose une fellation à un jeune acteur ; du chef opérateur qui viole la jeune technicienne qu’il héberge lors d’un tournage ; du journaliste qui viole le jeune pigiste qu’il héberge à son arrivée à Paris ; de l’acteur qui, lors d’une scène d’intimité sous un drap, viole sa partenaire ; de la jeune critique de cinéma violée par un critique d’âge mûr lors d’une soirée en marge du festival de Cannes ; etc. etc. etc. 

La situation des mineurs est également apparue particulièrement problématique, comme en témoignent les nombreux exemples dont la commission a été destinataire : celui du professeur de danse qui exige d’une enfant de 11 ans qu’elle « force » la cambrure de ses pieds, jusqu’à les briser sous une armoire ; de la réalisatrice qui baisse de force le pantalon d’un enfant qui refuse de tourner en sousvêtements ; de la réalisatrice qui empêche une enfant de dix ans de rencontrer avant la scène celui qui jouera son violeur ; de la même réalisatrice qui contraint la même enfant à se flageller toujours plus fort dans une mare, en pleine nuit, au point que son équipe l’arrêtera ; de cette réalisatrice qui rappelle à un enfant le décès de son père pour le mettre en condition avant une scène ; du directeur de casting qui demande à une enfant de 13 ans de retirer sa culotte pour la faire tournoyer dans les airs ; du régisseur qui déclare à une actrice de 15 ans qu’il veut « lui faire l’amour dans les fesses » ; de ce chef de chœur qui séquestre un mineur lors d’une tournée à l’étranger car il s’est moqué de sa compagne ; de ce même chef de chœur qui embrasse des jeunes filles de 14 ans dans le cou ; de ce même chef de chœur qui se cache la nuit dans les toilettes des chambres de l’hôtel où sont hébergés les enfants ; de cet acteur de théâtre qui tente de violer une stagiaire mineure en état d’ébriété ; etc.

L’adolescence est à ce titre une période charnière dont tirent profit les hommes de pouvoir du monde de la culture. Il n’y a qu’à écouter les témoignages de Judith Godrèche, Adèle Haenel, Vanessa Springora et Agathe Pujol pour s’en convaincre. Au cours de notre ultime audition, cette dernière a relaté en ces termes son expérience au sein d’un haut lieu du théâtre français, qui montre l’absence totale de préoccupation pour la protection des mineurs évoluant dans le milieu culturel : « Au théâtre du Soleil, j’ai appris les messes basses, les manipulations constantes, le masochisme suggéré, le “diviser pour mieux régner”, les addictions diverses, la sexualité imposée. Je n’en avais pas conscience en ces termes, mais plus je le fréquentais, plus ma dépression était présente et moins je pouvais défendre mes limites, dont je ne pouvais avoir connaissance puisque je débutais, mineure, dans un nouveau lieu “professionnel”. J’ai appris à fumer pour faire comme les autres et j’ai aussi appris à boire, car, si nous n’avions pas de salaire, le bar, lui, était ouvert à tous, sans surveillance ni limite d’âge. Les hommes qui travaillaient au Soleil nous apprenaient que le secret était excitant et favorisait leur désir et leur attirance. Ils faisaient peser sur nous une pression sexuelle constante que nous ne comprenions pas ou mal. Ils exacerbaient la rivalité entre nous, parlant de nos corps, comparant particulièrement nos poitrines et nous appelant “mon bébé”, “mon ange”, “ma chérie” » ([6]).

Cette liste, déjà longue, est hélas inépuisable et n’est qu’un échantillon des témoignages que la commission d’enquête a reçus. Cet échantillon lui-même ne représente vraisemblablement qu’une infime partie de la réalité, compte tenu de l’extrême réticence à parler que nous avons pu constater au cours de nos investigations. Beaucoup de victimes n’ont pas souhaité témoigner dans le cadre d’une audition, même à huis clos, même de façon totalement anonyme, tant les répercussions sur leur vie professionnelle pourraient s’avérer majeures, et nous livraient pourtant leur témoignage par téléphone ou par mail.

Comme le montre le rapport à partir des études réalisées par les organisations professionnelles, les violences morales, sexistes et sexuelles apparaissent extrêmement fréquentes dans ces secteurs. Une vaste enquête de victimation apparaît toutefois indispensable pour objectiver cette analyse ; c’est d’ailleurs l’une des propositions que formule le présent rapport, à laquelle la ministre de la culture a indiqué être favorable. Compte-tenu des facteurs de risque spécifiques décrits précédemment, on peut aisément imaginer que la prévalence de ces violences est supérieure à celle qui prévaut dans d’autres milieux professionnels, à l’exception probable des milieux politiques et hospitaliers, ou d’autres cercles de pouvoir qui en partagent certaines caractéristiques.

Pourtant, les auditions des représentants de ceux qui détiennent ce pouvoir dans le cinéma, l’audiovisuel, le spectacle vivant et la mode ont donné le sentiment d’une minimisation frappante de la réalité qu’il nous a été donnée de voir par ailleurs. Comment expliquer cette forme de déni collectif autrement que par un entre-soi cultivé de longue date, dont les pétitions récurrentes en faveur de tel ou tel mis en cause sont autant de manifestations ? Comme l’a souligné Mme Rachida Dati, ministre de la culture, lors de son audition, la culture a longtemps fermé les yeux sur ces violences, alors même que les agressions sexuelles et les viols sont pénalisés depuis des décennies.

De ce point de vue, la force du mouvement MeToo ne réside pas tant dans la libération de la parole que dans « l’ouverture des oreilles » qu’il permet. Le fait qu’il se construise initialement dans des milieux hautement médiatisés comme le cinéma est bien sûr lié à la notoriété des personnes mises en cause, à l’écart qui peut exister entre les valeurs qu’ils défendent à travers leurs œuvres et leurs comportements privés, et au retentissement que peut alors avoir une dénonciation ; mais les MeTooCinéma, MeTooThéâtre et autres MusicToo ont cela de positif qu’ils mettent également en demeure la culture de servir d’exemple à l’ensemble de la société.

Les œuvres sont porteuses de valeurs, les comportements des artistes sont scrutés par le public : le monde de la culture se doit dès lors d’être à l’avantgarde de cette évolution sociétale indispensable que constitue l’abolition des violences morales, sexistes et sexuelles.

Mais, quand, au plus haut sommet de l’État, on encense publiquement des comédiens mis en cause par de multiples victimes, on refuse de retirer ou même de suspendre les décorations accordées à des hommes qui portent publiquement atteinte à tout honneur, on maintient à la tête d’institutions culturelles des personnes mises en examen pour des faits de violences sexuelles, on emmène en voyage officiel des humoristes poursuivis pour menaces de mort et violences, quel message envoie-t-on aux victimes, et à la société dans son ensemble ?

On nous répondra que la présomption d’innocence s’oppose à ce que le mis en cause subisse les conséquences d’actes seulement présumés, tant que la justice n’est pas passée – et passée définitivement. C’est d’ailleurs le discours que tient obstinément le groupe Canal+ au fil des condamnations de Jean-Marc Morandini pour des faits relatifs à des mineurs, le directeur général de Canal+ France établissant même un lien entre l’application de ce principe au bénéfice de l’animateur et ses succès d’audience : « la présomption d’innocence s’applique à ce prestataire, qui en plus rencontre un énorme succès tous les matins – il n’y a aucun problème d’image pour la chaîne » ([7]).

Du reste, on s’émeut facilement des perturbations que les procédures judiciaires peuvent avoir sur la carrière des personnes mises en cause ; on n’évoque jamais spontanément la carrière des victimes, généralement mise à l’arrêt dès la commission de l’infraction, ni la victimisation secondaire que le parcours judiciaire, « aussi dévastateur qu’il [est] vital » ([8]), leur fait souvent subir.

Il importe de rappeler ici que le principe de présomption d’innocence, s’il constitue effectivement l’un des piliers de notre État de droit, n’en est pas moins cantonné à la sphère judiciaire et médiatique, dans l’optique d’assurer à l’accusé un procès équitable. Il ne saurait toutefois être invoqué par des employeurs pour se dédouaner de leurs responsabilités légales, issues du code du travail et de l’obligation générale qui leur est faite d’assurer la sécurité de leurs salariés et de protéger leur santé physique et mentale. Combien de fois a-t-on entendu au cours de nos auditions, par ignorance ou mauvaise foi, qu’un licenciement n’était pas envisageable, puisque la justice pénale n’avait pas encore été rendue ?

Depuis l’éclatement de l’affaire Weinstein, la puissance publique n’est pas restée inactive. Tous les ministres de la culture, depuis Franck Riester, ont eu à cœur d’élaborer puis de raffiner divers plans – dans le cinéma d’abord, le spectacle vivant et l’audiovisuel ensuite. Certaines conventions collectives applicables à ces secteurs ont été progressivement révisées pour inclure des mesures propres à prévenir les violences morales, sexistes et sexuelles, et de nombreuses chartes, malheureusement sans effet juridique, se multiplient un peu partout. Au cinéma, l’ensemble des équipes de tournage seront désormais formées, des référents sont obligatoirement nommés, des encadrants désignés pour protéger les enfants ; dans le spectacle vivant, des protocoles contraignants conditionnent le versement des aides publiques ; les intermittents ont tous accès à une ou plusieurs cellules d’écoute ; tous ont accès à la formation spécifique dispensée par l’AFDAS, l’opérateur de compétences du secteur culturel.

Néanmoins, les facteurs de risque objectifs exposés plus haut, associés au constat d’une forme de résistance persistante des consciences, doit pousser, à notre sens, à une vigilance accrue et à des mesures plus fermes encore. Notamment, il importe de changer de paradigme, et de considérer que la responsabilité de la lutte contre les violences ne peut pas reposer sur les victimes prises individuellement, mais relève de l’ordre public et donc de la société dans son ensemble. Les violences sexuelles ne sont pas des faits divers, mais des faits de société, et appellent dès lors une prise en charge collective.

Cela implique de responsabiliser l’ensemble des professionnels – ce à quoi s’attachent les formations rendues obligatoires dans le cinéma, et dans une moindre mesure dans les autres secteurs –, mais également les employeurs et, au-delà, tous ceux qui détiennent le pouvoir dans ces milieux. À tous, il faut rappeler que l’exception culturelle s’arrête là où le droit du travail commence et que l’art ou le talent ne pourront jamais excuser la commission de violences relevant du code pénal.

Dans toutes les écoles, quel que soit leur statut, il faut rompre définitivement avec la perpétuation des pratiques tyranniques et l’emprise psychologique du professeur, et acculturer au plus vite les élèves et étudiants à l’idée que leur passion ne devra jamais s’exercer autrement que dans le cadre du droit – droit du travail, droit d’auteur, droit pénal – et dans le strict respect de leur consentement.

L’annonce de la création, au sein du ministère de la culture, d’une direction transversale dédiée à l’enseignement, comme le déploiement de modules de formation spécifiques, dès la rentrée 2025, dans toutes les écoles relevant de sa tutelle, nous paraît aller dans le bon sens. Pour autant, il importera de trouver les moyens de mieux encadrer l’action des écoles relevant du secteur privé et associatif, en particulier lorsqu’elles accueillent des mineurs. Le présent rapport formule des propositions en ce sens, pour répondre notamment à la faille béante constatée dans le contrôle de la Maîtrise des Hauts-de-Seine.

Il nous apparaît essentiel, au-delà, de continuer à responsabiliser l’ensemble des parties prenantes pour que chaque maillon de la chaîne de la création puisse être mis en mesure de prévenir les violences et de réagir le plus efficacement possible en cas de commission d’actes répréhensibles. C’est, en tout état de cause, dans leur propre intérêt, quand on considère les dégâts financiers collatéraux qui adviennent lorsqu’une œuvre est « abîmée » par des faits survenus au cours de sa création ou du fait des agissements, passés ou présents, de ses protagonistes. L’ensemble des financeurs d’une œuvre ont donc intérêt à ce que tout soit mis en œuvre pour prévenir la survenue de violences, notamment sexuelles.

De fait, il nous semble que les diffuseurs d’œuvres audiovisuelles et cinématographiques devraient faire montre de plus d’exigences à l’égard des producteurs, pour se prémunir d’une pré-acquisition rendue inexploitable par la suite. Ainsi, les chaînes de télévision – en premier lieu, Canal+ et France Télévisions –, mais aussi les services de médias audiovisuels à la demande comme Netflix ou Prime Vidéo, devraient faire figurer à leurs contrats des clauses exigeant non seulement le respect de la loi en matière de lutte contre les violences morales, sexistes ou sexuelles, mais la mise en œuvre de mesures complémentaires – présence d’un référent extérieur, rapport de fin de tournage, enquête interne obligatoire en cas de signalement, permanences d’un psychologue ou d’un infirmier, recours à un coordonnateur d’intimité, recours à un préventeur en cas de scènes dangereuses, etc. –, en contrepartie desquelles ils s’engageraient par exemple, en cas de problème, à assumer une partie du coût associé, comme cela a du reste pu se produire par le passé. En cas de non-respect de ces clauses par le producteur, ils pourraient en revanche se retourner contre ce dernier en cas de préjudice financier. Le producteur sera ainsi rendu comptable de sa politique de prévention des violences auprès du diffuseur.

Les employeurs doivent également poursuivre leur montée en compétences sur ces sujets. Nous avons été maintes fois frappés, en audition, de constater que certains sont à mille lieues d’appréhender l’ensemble des responsabilités qui pèsent sur eux au regard du droit du travail. Il est vrai que, dans ces secteurs, beaucoup de structures sont d’une taille extrêmement réduite et ne comptent que quelques salariés permanents. Les organisations patronales jouent dans ce contexte un rôle fondamental de mise à disposition de l’information et d’assistance, y compris juridique. De la même façon, les comités centraux d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) qui existent dans la production cinématographique comme audiovisuelle doivent accroître les moyens dédiés à la prévention. Chacun ne dispose aujourd’hui que d’un ou deux préventeurs, ce qui limite fortement la capacité de ces organismes à accompagner les structures employeuses et à mener des enquêtes en cas de besoin. Le spectacle vivant privé, quant à lui, n’en comporte pas, ce qui nous apparaît particulièrement dommageable, nonobstant les efforts réalisés en ce sens par les organisations professionnelles du secteur.

Deux professions-clés appellent aussi à une plus grande régulation de leurs pratiques, au regard de leur positionnement central dans l’écosystème de la culture et dans l’accès aux emplois artistiques, en particulier du cinéma et de l’audiovisuel, mais aussi dans celui de la mode et de la musique : la distribution artistique et la représentation d’artistes.

Comme le présent rapport le montre, l’étape du casting apparaît particulièrement propice aux abus, notamment lorsqu’elle implique des artistes débutants et donc vulnérables. Parmi les témoignages recensés par la commission d’enquête, nombreux sont ceux qui décrivent des abus manifestes voire des violences caractérisées exercées par des directeurs de casting.

Aussi nous semble-t-il primordial d’encadrer a minima le déroulement des castings et de prohiber les castings sauvages. Les conditions de casting doivent être plus strictement définies : ils devraient avoir lieu uniquement en journée, dans des locaux professionnels, et non des chambres d’hôtels ou des appartements privés ; ils devraient faire l’objet d’une déclaration afin de permettre un contrôle de l’inspection du travail sur cette phase de recrutement ; les scènes d’intimité ou impliquant que les acteurs soient dénudés devraient évidemment y être prohibées en l’absence d’un coordinateur d’intimité. S’agissant de mineurs, des précautions supplémentaires, détaillées par le présent rapport, doivent impérativement être prises, afin d’en faire des lieux parfaitement sûrs pour les aspirants artistes.

L’activité d’agent artistique, dont le rôle est de placer et de représenter les talents, devrait également faire l’objet d’une attention accrue du législateur, compte tenu notamment de la capacité des agences à favoriser l’omerta ou au contraire à permettre la libération de la parole en cas de commission de violences, et du conflit d’intérêts manifeste dans lequel ces professionnels sont de facto placés. Refuser de placer un talent auprès d’un réalisateur ou au sein d’un casting problématique, faire interrompre un tournage pour préserver la santé psychologique ou physique d’un artiste, c’est aussi perdre une commission. Il convient de trouver le moyen juridique de réaligner les intérêts financiers des agences avec la protection des artistes qu’elles représentent, comme le présent rapport s’y emploie.

Un autre conflit d’intérêts majeur appelle à être résolu pour assurer une réelle prévention des violences morales, sexistes et sexuelles : celle de la position du référent sur les tournages. Si cette obligation constitue à n’en pas douter un progrès notable pour ce qui est du cinéma, le dispositif apparaît éminemment perfectible. Outre que la formation, le temps et la rémunération font souvent défaut – ce qui explique le faible engouement des professionnels à endosser cette responsabilité supplémentaire –, la relative inefficacité du dispositif réside dans le conflit d’intérêts dans lequel le référent est placé, notamment lorsqu’il occupe un poste à responsabilités. Là encore, faire remonter les signalements qu’il a pu recevoir, c’est, a minima, gêner la production, voire s’exposer à perdre son propre emploi si les faits impliquent un arrêt de l’activité. Dans les cas les plus extrêmes, des pressions ont pu s’exercer sur le référent par la production pour taire les faits. Plusieurs voies sont ainsi explorées par le présent rapport pour professionnaliser cette fonction et améliorer in fine l’efficacité du dispositif de signalement.

En effet, l’efficacité de la lutte contre les violences morales, sexistes et sexuelles repose en grande partie sur l’information : celle des employeurs, celle des partenaires économiques, celle de la justice. Comment protéger ses salariés, assurer la sanction de l’auteur et la réparation due à la victime lorsqu’on ignore tout des agissements de ce dernier ? Le morcellement des employeurs dans les milieux culturels constitue assurément un handicap majeur. La commission d’enquête a été informée de plusieurs cas dans lesquels un chef de chœur, un professeur, un comédien ou un technicien, a pu être embauché successivement – et sévir – dans le cadre de plusieurs structures, faute d’information.

L’insularisation des employeurs appelle donc à être contrebalancée par une meilleure circulation de l’information, rendue notamment possible par des remontées obligatoires des différents intervenants – des employeurs, mais aussi des référents et des encadrants d’enfants – ainsi que par un partage d’informations entre les différents acteurs impliqués – institutions publiques, cellules d’écoute, organisations syndicales –, dans les limites toutefois permises par la protection des données personnelles. À ce titre, il nous apparaît indispensable que le bulletin n° 2 du casier judiciaire puisse être, directement ou indirectement, consulté par les structures publiques, privées ou associatives, lorsque l’emploi implique un contact avec des mineurs.

Du reste, les conditions d’emploi des mineurs nous paraissent aujourd’hui trop laxistes pour leur assurer une protection réelle. Si le dispositif juridique existe, qui prévoit l’intervention des services de l’État et de ceux de la santé au travail, et, dans le secteur du cinéma, la présence obligatoire d’une personne dédiée à l’enfant, les marges de progrès apparaissent très importantes dans ce domaine.

Notamment, l’application stricte de la limitation des horaires laisse passablement à désirer compte tenu, d’une part, de caractère artisanal inhérent à certaines productions et, d’autre part, de l’insuffisance actuelle des effectifs de l’inspection du travail. Par ailleurs, la médecine du travail souffrant du même problème d’effectif, elle n’est pas en mesure d’assurer le suivi de ces enfants pendant et après leur prestation, de même que les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) qui délivrent pourtant un avis préalable.

Le présent rapport formule plusieurs propositions fortes dans ce domaine – relatives au statut du responsable enfant, à la médecine du travail, à l’âge maximal permettant l’application du statut des enfants du spectacle, aux conditions de castings, à l’information des parents, au partage d’information entre les différents professionnels, etc. – qui ne porteront toutefois leurs fruits qu’à la condition d’un renforcement volontariste des contrôles internes et externes du respect des règles d’emploi des mineurs.

Un volet majeur de l’action que nous appelons de nos vœux réside également dans la limitation des phénomènes d’omerta. Le présent rapport explore à cette fin plusieurs pistes qu’il appartiendra aux services de l’État de mettre en œuvre. L’assurance obligatoire des productions de tous ordres contre les conséquences des violences sexuelles, qu’il s’agisse du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, en particulier en cas d’emploi de mineurs, nous semble permettre d’alléger la pression financière qui pèse tant sur la victime que sur le producteur d’un film ou d’un spectacle.

Par ailleurs, la mise en place de dispositifs visant à faciliter la bonne conduite des enquêtes internes lorsqu’elles sont nécessaires – les petites structures étant souvent démunies lorsqu’un cas est révélé – pourra prendre la forme d’une ligne d’écoute, d’une labellisation des structures spécialisées intervenant dans le secteur culturel, voire d’un fonds de soutien pour les plus petits employeurs.

Surtout, le renforcement de l’accompagnement des victimes dans le processus judiciaire apparaît indispensable, afin qu’elles ne portent plus, seules, le poids de la lutte contre les violences. La cellule Audiens appelle à voir son action nettement renforcée sur ce point, notamment pour permettre l’assistance d’un avocat spécialisé dès le dépôt de la plainte. La ministre de la culture, lors de son audition, a d’ailleurs indiqué réfléchir à étendre les critères de l’intérêt à agir afin de permettre au ministère de se constituer partie civile aux côtés des artistes victimes de violences dans l’exercice de leur profession.

Si ces mesures constituent évidemment des progrès notables, il n’en demeure pas moins qu’une amélioration générale du traitement judiciaire des violences, notamment sexistes et sexuelles, intervenant dans un cadre professionnel doit être opérée. Deux mesures devraient en particulier retenir l’attention : la spécialisation des juridictions, comme cela a été fait en matière de violences intrafamiliales ; la réalisation d’actes obligatoires en cas de dépôt de plainte sur les faits de violences sexuelles d’une certaine gravité, comme l’ont proposé certaines avocates entendues par la commission d’enquête, pour remédier au constat, qui freine l’action de nombreuses victimes, d’une forme d’immobilisme de l’action judiciaire face à ce contentieux de masse, et dont témoigne d’ailleurs le très fort taux de classement sans suite des plaintes déposées dans ce domaine.

Bien sûr, le moyen le plus efficace pour ne pas en arriver à cette extrémité judiciaire réside assurément dans une plus juste représentation de celles et ceux qui sont aujourd’hui victimes de ces violences au sein de ces professions. Si le bonus Parité instauré par le CNC a permis de commencer à faire bouger les lignes, il apparaît nécessaire d’accroître la cadence, en le transformant en malus, et d’amorcer le même mouvement dans les autres secteurs culturels, à commencer par le secteur public et subventionné. Trop peu de femmes encore dirigent des centres chorégraphiques nationaux, des opéras, des scènes de musiques actuelles ou des orchestres subventionnés.

De la même façon, il faut impérativement donner toute leur place aux personnes aujourd’hui minorisées à raison de leurs origines, de leur sexe ou de leur handicap, en rendant les castings plus inclusifs et en imaginant les contours d’un bonus Diversité. Si l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique parvient à mesurer la représentation de la diversité dans les médias, il devrait être possible d’établir des critères permettant de mesurer la diversité d’un casting, par exemple, sans recourir à de quelconques statistiques ethniques incompatibles avec le droit français.

La politique d’égalité, de respect et de visibilité des personnes non blanches ne peut se réduire à l’usage de « tokens », c’est-à-dire de symboles. Les personnes racisées doivent pouvoir sortir de rôles ethnicisés ou sexualisés. Les mots de Nadège Beausson-Diagne et Abdelhakim Didane pointent les assignations quasi systématiques à des rôles secondaires et/ou stéréotypés, des carrières au cours desquelles ils sont souvent réduits à leur couleur de peau et à la fin, les barrages qui les empêchent d’accéder à l’universel de la culture. Qu’il s’agisse des jurys de financement des projets ou des castings, trop de discriminations perdurent et fragilisent les trajectoires artistiques et professionnelles des personnes perçues comme non blanches.

Des mesures complémentaires doivent également être mises en œuvre pour assurer l’accès des personnes en situation de handicap aux professions de la culture. L’absence d’aménagements destinés aux personnes à mobilité réduite (PMR), dans les écoles, dans les castings, sur les plateaux, l’absence de formation des professionnels au sujet des handicaps, les difficultés que peuvent représenter ces professions émotionnellement et physiquement exigeantes pour certaines personnes en situation de handicap, le régime de l’intermittence et son incompatibilité avec les prestations sociales destinées aux personnes en situation de handicap, sont autant d’obstacles à leur insertion professionnelle dans les secteurs culturels. De fait, comme l’ARCOM l’a montré, le handicap est fortement invisibilisé à l’écran, puisqu’entre 2013 et 2023, la part des personnes en situation de handicap a stagné autour de 0,7 % ([9]).

Au-delà de cette faible représentation, le contenu des rôles soulève également des questionnements. Comme pour les personnes racisées, les rôles de personnages en situation de handicap sont essentiellement stéréotypés, focalisés sur leur handicap. De fait, il n’est pas rare – mais problématique – de voir des personnages en situation de handicap incarnés par des acteurs valides, parfois – comble du cynisme – coachés par des acteurs ou actrices en situation de handicap… Ces derniers pâtissent du reste de micro‑agressions quotidiennes sur les plateaux : « surnoms condescendants, attitudes paternalistes, négation de leur professionnalisme », aide non sollicitée et imposée, comme un rappel permanent que « que les personnes handicapées ne sont pas perçues comme des personnes à part entière, capables de décider pour ellesmêmes », ainsi qu’en a témoigné une actrice en situation de handicap auprès de la commission. Sans parler des violences sexuelles dont on sait que les femmes en situation de handicap sont particulièrement victimes.

Plusieurs pistes méritent dès lors d’être examinées dans le cadre de la proposition de loi que le rapporteur et moi-même porterons dans les mois à venir : adaptation du régime de l’intermittence et articulation avec l’allocation adulte handicapé (AAH) ; reconnaissance du métier de coordinateur ou coordinatrice régie handicap et soutien des pouvoirs publics au financement de cette fonction sur les plateaux ; bonus Diversité du CNC pour ouvrir les rôles et les castings ; formation des professionnels de la culture ; etc.

Se pose enfin l’épineuse question de la réhabilitation des artistes condamnés ayant purgé leur peine. Si les auteurs de crimes et de délits doivent bien sûr se réinsérer socialement et professionnellement après avoir exécuté leur peine, les professions de la culture soulèvent un conflit éthique à l’égard de cette exigence démocratique. La culture met nécessairement en lumière ceux qui l’incarnent et, s’agissant d’auteurs de violences, cette mise en valeur s’exerce nécessairement au détriment de leurs victimes. Dès lors, les artistes condamnés pour des faits d’une certaine gravité devraient être invités à ne pas réintégrer leurs fonctions précédentes, a minima lorsqu’ils n’ont pas fait montre d’une volonté significative de s’amender. Du reste, lors de son audition, la ministre de la culture s’est d’ailleurs dite convaincue qu’un artiste dans cette situation devrait « renoncer à reprendre l’activité qui l’a exposé et l’a rendu connu mais qui a également constitué l’arme par destination de la commission d’actes délictueux » ([10]), analyse à laquelle votre présidente ne peut qu’adhérer.

La justice pénale nous pousse à toujours considérer l’auteur de faits avec humanité : humanité lors de la sentence ; humanité lors de l’aménagement de la peine ; humanité lors des permissions de sortir ; humanité lors de la libération conditionnelle ; humanité lors de la réinsertion sociale et professionnelle. C’est une philosophie nécessaire pour assurer le vivre-ensemble. Mais quelle humanité pour les victimes, brisées, silenciées, oubliées, bannies ? Quelle pensée, par exemple, ont eu Pascal Nègre et Wajdi Mouawad pour Marie Trintignant et Kristina Rady ? Au nom de l’argent, de l’art et du talent, on ne s’intéresse qu’à la prétendue « souffrance » de l’artiste maudit, à son « effondrement tragique » ([11]), à sa « chute phénoménale » ([12]). Cessons d’humaniser à outrance le regard que l’on porte aux auteurs de faits pénalement réprimés, mettons un terme à cette indécence ; cessons de déshumaniser les victimes, mettons en lumière leurs combats.

En conclusion, pour reprendre les mots forts de Mme Mélanie Gourvès, directrice de l’association Les Catherinettes, « si les victimes étaient crues et écoutées, si nous arrêtions de leur dire que, sans plainte, la violence dont elles témoignent n’existe pas, si elles avaient accès à une prise en charge par des personnes formées et expertes, si nous cessions de dire à une victime qu’elle l’a “bien cherché”, si la drogue et l’alcool n’étaient plus un moyen de minimiser les violences perpétrées, si les garçons n’étaient pas éduqués dans l’impunité, si le boys’ club n’existait pas, si le corps des femmes était moins réifié, si nous arrêtions de nous demander s’il faut “séparer l’homme de l’artiste”, si nous réduisions les jauges, si les artistes accusés de viol n’étaient plus programmés, si les personnes accusées de violences dans les équipes étaient suspendues, si les artistes appartenant aux minorités de genre étaient davantage représentés dans les programmations, si nous en finissions avec le mythe du critère artistique, si notre secteur était moins précaire, si les postes de direction étaient davantage occupés par des femmes, si les métiers de la technique et les métiers artistiques se féminisaient, si les directions et les équipes salariées de la culture n’étaient pas complètement démunies face à la gestion des situations de violence, si nous n’avions plus peur d’être exclus de nos réseaux professionnels après avoir dénoncé des violences subies, si les personnels de sécurité et de secours à la personne avaient le temps, la formation nécessaire et les moyens d’accueillir les victimes et de sanctionner les auteurs, si les forces de l’ordre ne refusaient pas les plaintes des victimes et si elles avaient des solutions pour sanctionner les auteurs, si la justice cessait de classer sans suite les plaintes des victimes, si les auteurs étaient condamnés, si nous assumions collectivement cette responsabilité, si nous réagissions ensemble lorsque nous sommes témoins et, surtout, si les hommes cessaient de nous agresser, de nous violenter, de nous harceler et de nous violer, nous pourrions dire que nous avons changé le monde » ([13]).

 

 

 


   Principales recommandations du rapport

En premier lieu, le rapport formule plusieurs recommandations visant à améliorer la protection des enfants du spectacle. Le rapporteur propose notamment :

– d’étendre le cadre juridique actuel aux mineurs âgés de 16 à 18 ans ;

– de prohiber la représentation sexualisée des mineurs à l’écran et dans les photographies de mode ;

– de soumettre les agences de mannequins qui emploient des mineurs à un agrément individuel ;

– d’étendre la présence obligatoire d’un responsable des enfants à toutes les productions artistiques, élargir ses missions – dès le casting et jusqu’aux opérations de promotion, le cas échéant – et professionnaliser son statut par une certification ;

– de prévoir un cadre plus protecteur pour les enfants de moins de 7 ans : en amont, assurer une plus ample information des services de l’État – évaluation psychologique de l’enfant et de ses parents, analyse du scénario par un préventeur, visite médicale obligatoire ; pendant l’exécution du contrat, prévoir un contrôle sur place systématique des services de l’État et des échanges réguliers entre le responsable des enfants et la médecine du travail ;

 de responsabiliser les parents et assurer leur pleine information : transmission du scénario par la production, module sur le cadre juridique applicable obligatoire ;

– de contrôler l’honorabilité de toutes les personnes amenées à encadrer des enfants dans le secteur culturel et rendre obligatoire un niveau de diplôme minimum pour l’encadrement des enfants.

En deuxième lieu, le rapporteur estime indispensable de professionnaliser la fonction de référent VHSS, récemment introduit sur les tournages, en rémunérant correctement cette fonction, en prévoyant une forme de certification par l’AFDAS, en interdisant l’accès à ces fonctions aux personnels appartenant à la direction, en favorisant la nomination d’un binôme paritaire sur les tournages et en créant un réseau de référents.

Afin de renforcer l’efficacité du dispositif, le rapporteur estime souhaitable que le référent rédige, à l’attention du CNC et du CCHSCT, un rapport de fin de tournage, faisant état de son déroulement, en parallèle d’une attestation établie par le producteur, dans laquelle celui-ci certifie qu’il a bien mis en œuvre toutes les mesures nécessaires pour protéger ses salariés.

Enfin, le rapporteur recommande d’étendre cette obligation aux productions du spectacle vivant, dès lors qu’elles rassemblent des collectifs temporaires de travail, et de permettre aux petites structures d’avoir des référents mutualisés au niveau local.

Il est également apparu indispensable de renforcer le contrôle de l’État et l’information des partenaires sociaux en matière de violences, en :

– assurant un réel contrôle de l’inspection du travail par le détachement d’un inspecteur auprès du CNC et du CNM et en rendant obligatoire la transmission des lieux de casting et de tournage dès le premier jour ;

– renforçant les moyens humains et financiers des CCHSCT du cinéma et de l’audiovisuel et leur niveau d’information par des échanges réguliers avec les autres acteurs de la prévention – le ministère, Thalie Santé, la cellule Audiens, etc. ;

L’amplification de la politique de formation des professionnels de la culture apparaît également nécessaire pour prévenir les violences et garantir un environnement de travail sain et respectueux. Pour aller plus loin, le rapporteur propose notamment :

 d’inclure obligatoirement une formation au droit du travail et à la prévention des violences en milieu professionnel, notamment morales, sexistes et sexuelles, dans le tronc commun de toutes les écoles du secteur culturel, assortie d’un examen ;

– d’étendre les obligations de formation applicables aux tournages de films de cinéma à l’audiovisuel et au spectacle vivant, mais aussi aux directeurs de casting et aux agents artistiques ;

– de former les agents de sécurité aux VHSS pour mieux protéger les festivals et autres lieux festifs.

Le rapporteur propose également des mesures visant à mieux protéger les professionnels, notamment les comédiens, dans les moments à risque de leur carrière. Il s’agit notamment :

 de réglementer l’organisation des castings en les organisant obligatoirement dans des locaux professionnels, pendant les heures ouvrables, en présence de deux personnes au moins et en interdisant les scènes d’intimité ou de nudité même partielle, à moins qu’un coordinateur d’intimité soit présent ;

 de réglementer à nouveau la profession d’agent, en mettant à leur charge une obligation d’aide et d’assistance vis-à-vis de leurs clients, assortie d’une sanction ;

 d’encadrer les scènes d’intimité des productions cinématographiques et audiovisuelles, en rendant obligatoires des clauses détaillées au contrat, en proposant obligatoirement aux acteurs la médiation d’un coordinateur d’intimité et en donnant un droit de regard aux comédiens sur le montage final, sous l’égide du CNC ;

– de mettre un terme aux pratiques d’endettement des mannequins en interdisant les retenues sur salaire aux agences qui les emploient.

En outre, il importe de limiter les phénomènes d’omerta et de mettre les employeurs du secteur culturel face à leurs responsabilités, notamment :

– en facilitant la réalisation des enquêtes internes – lesquelles devraient être obligatoires en cas de VHSS –, notamment par la certification des organismes susceptibles de les réaliser ;

– en rendant obligatoire la couverture assurantielle des risques VHSS des productions culturelles ;

– en obligeant les employeurs à signaler au procureur les faits de violences sexuelles dont ils ont connaissance.

Par ailleurs, le rapporteur formule des propositions plus générales ayant trait à la prise en charge judiciaire des victimes de violences morales, sexistes ou sexuelles dans un cadre professionnel. Il préconise en particulier :

– d’étendre aux violences intraprofessionnelles les juridictions spécialisées dans les violences intrafamiliales ;

– d’ouvrir le débat sur la prescription glissante des violences sexuelles commises à l’encontre de majeurs ;

– de rendre obligatoire le déclenchement d’une enquête et la réalisation d’actes d’investigation (audition de l’auteur présumé, saisie de ses ordinateurs et téléphones, etc.) en cas de dépôt de plainte pour VHSS ;

– de prévoir une aide juridictionnelle de plein droit pour accompagner les victimes lors du dépôt de la plainte ;

– d’ouvrir une réflexion sur un dépôt de plainte anonyme pour les victimes.

Enfin, le rapporteur souhaite faire de la culture un réel levier de changement sociétal. Pour cela, il recommande de conditionner les aides publiques au secteur culturel au respect de la parité, y compris les subventions versées à des associations comme la Cinémathèque française. Le bonus Parité deviendrait par ailleurs un malus et un dispositif similaire serait introduit en matière de diversité.

 

 


   Introduction

 

D’une commission d’enquête à l’autre : la réaffirmation de la nécessité de garantir la protection des mineurs et des majeurs dans des secteurs symboliques et exposés aux violences

Lors de sa séance du 9 octobre 2024, l’Assemblée nationale a décidé, à l’unanimité, de créer une commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ([14]). De manière significative, il s’agissait du premier vote intervenu en séance publique sous la XVIIe législature. Cette décision s’inscrivait dans la continuité de la volonté des députés de la XVIe législature de se saisir de la question : une première commission d’enquête ayant le même périmètre avait été créée le 2 mai 2024 ([15]), dont votre rapporteur était alors président, et la rapporteure, Mme Francesca Pasquini.

Les travaux de cette commission d’enquête avaient tout juste commencé lorsque le Président de la République décida de dissoudre l’Assemblée nationale, le 9 juin 2024. Compte tenu de l’importance de l’enjeu, le rapporteur déposa dès les premières semaines de la XVIIe législature une proposition de résolution visant à créer une nouvelle commission d’enquête ([16]). Grâce au soutien de nombreux parlementaires, à commencer par Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, et Mme Fatiha Keloua Hachi, présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, ce texte fut inscrit sans délai à l’ordre du jour des travaux de la commission puis de la séance publique, où il fut adopté par deux fois à l’unanimité, comme l’avait été quelques mois auparavant la proposition de résolution de Mme Francesca Pasquini. La constance de l’engagement des députés, tous groupes confondus, mérite d’être soulignée. Elle est révélatrice de l’importance de l’enjeu.

Point d’orgue de nombreuses révélations ayant eu lieu depuis des décennies, la prise de parole de l’actrice Judith Godrèche, à la fin de l’année 2023, a provoqué une nouvelle onde de choc dans le monde de la culture. Auditionnée en mars 2024 par la délégation aux droits des enfants et par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, elle a dénoncé la léthargie du monde du cinéma face à de multiples dérives qui ne cessent de se reproduire ([17]). La prise de parole publique de Judith Godrèche a permis une véritable prise de conscience de la situation des mineurs dans le milieu du cinéma. Elle est directement à l’origine du dépôt par Francesca Pasquini, Véronique Riotton, Perrine Goulet, le rapporteur et plusieurs de ses collègues de la proposition de résolution précitée. Preuve que leur préoccupation était largement partagée au sein de la représentation nationale, dix jours plus tard, ce texte avait été cosigné par plus de soixante-dix députés appartenant à neuf groupes différents et inscrit à l’ordre du jour par la conférence des présidents.

La version initiale du texte se concentrait sur la situation des mineurs dans les industries du cinéma, du spectacle vivant et de la mode. De fait, en dehors des événements relatés par Judith Godrèche, l’actualité du début de l’année 2024 avait été émaillée de révélations concernant, notamment, des situations problématiques impliquant des mineurs. Le quotidien Le Monde avait ainsi relaté les conditions préoccupantes dans lesquelles avait été organisé le casting de jeunes mineurs pour le film CE2 du réalisateur Jacques Doillon ([18]). Les images des essais réalisés lors de ces castings avaient été jugées suffisamment inquiétantes par les députés Perrine Goulet, Véronique Riotton et Erwan Balanant, membres des délégations aux droits des enfants ou aux droits des femmes, pour qu’ils effectuent un signalement auprès de la procureure de la République de Paris sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.

En l’espèce, les violences subies par les enfants n’étaient pas d’ordre physique ou sexuel mais pouvaient s’apparenter à des violences psychologiques. Lors d’un dialogue avec la directrice de casting mené en l’absence des parents ou des représentants légaux des enfants, ces derniers étaient fortement invités à évoquer les situations de harcèlement qu’ils avaient pu rencontrer dans leur vie scolaire, parfois malgré leur refus clairement exprimé de revenir sur le souvenir douloureux de ces violences subies. Le malaise profond exprimé par les jeunes aspirants comédiens n’apparaissait ainsi pas suffisant pour rendre impératif l’arrêt de la discussion, et devait même, selon l’article précité, fournir un matériau issu du vécu de ces jeunes au processus créatif d’écriture du film. De telles méthodes ne manquaient pas d’interroger quant à la considération attachée au bien-être de l’enfant au sein d’un secteur d’activité où le respect de l’œuvre avait parfois été le prétexte aux abus les plus variés.

En effet, des pratiques comme celles qui ont été décrites n’ont rien de nouveau, hélas. Certains cinéastes se sont d’ailleurs emparés de la question, décidant de montrer à l’écran les comportements déviants que peut susciter la fascination pour leur art. On pense notamment à Bellissima (1951), film de Luchino Visconti qui montre une fillette de 5 ans maltraitée par sa mère qui veut à toute force en faire une actrice. Paradoxalement, le même réalisateur se mua à son tour en bourreau, quoiqu’en partie inconsciemment, sans doute, pendant et après le tournage de Mort à Venise (1971) : le jeune interprète de Tadzio, Björn Andrésen, âgé de 15 ans au moment du tournage, en sortit complètement détruit et ne surmonta jamais cette expérience. Il vécut également très mal la starification – pour ne pas dire l’adulation – dont il fit l’objet.

En 2019, Adèle Haenel a révélé avoir été victime pendant son adolescence – elle avait entre 12 et 14 ans au moment des faits –, d’agressions sexuelles commises par le réalisateur Christophe Ruggia. Celui-ci a été condamné en première instance, le 3 février 2025, à quatre ans d’emprisonnement et à l’interdiction de travailler avec des mineurs pendant cinq ans ([19]). À la veille de la cérémonie des César 2024, le témoignage d’Aurélien Wiik, abusé par son agent durant son adolescence, a également été l’occasion de rappeler que les femmes ne sont pas les seules victimes des prédateurs, même si elles en sont les cibles principales.

De la même façon, le secteur du cinéma n’est pas seul en cause : en 2016, Flavie Flament avait dénoncé le viol qu’elle avait subi, alors qu’elle était âgée de 13 ans, de la part du photographe David Hamilton ([20]), dont la notoriété repose principalement sur ses clichés de très jeunes femmes.

Les violences de divers ordres subies par les personnes majeures justifiaient également l’élargissement du périmètre envisagé initialement. Le sort de Maria Schneider, victime d’un viol simulé – mais d’une agression sexuelle bien réelle 
– par Marlon Brando à l’instigation du réalisateur Bernardo Bertolucci lors du tournage du Dernier Tango à Paris, sorti en 1972, fut longtemps éclipsé par le scandale entourant plus globalement le film, celui-ci étant perçu comme une ode à la liberté sexuelle. Dès les années 1980, pourtant, elle parla de ce qui lui était arrivé et s’exprima sur la dureté du milieu du cinéma pour les femmes, ne rencontrant qu’une morne indifférence. Dans une interview télévisée diffusée sur Antenne 2 le 2 février 1983, par exemple, elle déclarait : « C’est un métier très, très dangereux. Je ne conseillerais à aucune jeune personne de le faire. » ([21])

Avant MeToo : quelques rais de lumière au milieu des ténèbres

En effet, dès les années 1970, les comportements délictueux de certaines personnalités du monde du cinéma avaient été dénoncés, sans susciter très longtemps l’émotion dans le public, sinon parfois pour soutenir les agresseurs.

En 1977, Roman Polanski fut arrêté, inculpé et incarcéré pour le viol d’une mineure alors âgée de 13 ans, Samantha Geimer (qui portait alors le nom de Gailey). L’« affaire Polanski » étant bien connue, il n’est pas nécessaire d’en retracer toutes les péripéties, sinon pour rappeler qu’en 2009, à la suite de l’arrestation du réalisateur en Suisse et de son assignation à résidence, la pétition signée en sa faveur par de nombreux artistes et intellectuels, français et étrangers, fit grand bruit ([22]). L’affaire connut plusieurs rebondissements récents, lorsque la Cinémathèque organisa une rétrospective en son honneur en 2017, puis en 2020, lorsque son film J’accuse fut récompensé au César, provoquant la réaction outrée d’Adèle Haenel et de plusieurs autres personnes présentes ([23]). Comme l’a relevé Mme Christine Beauchemin-Flot, directrice et programmatrice du cinéma Le Select, les conditions dans lesquelles le film fut projeté marquèrent un tournant : « pour la première fois, il y a eu de nombreuses réactions, des courriers, des manifestations devant les salles, témoignant, de façon parfois désordonnée, de la volonté de changement du public. Cela a contribué à une forme de remise en question de la profession. » ([24])

Le 4 février 1991, en pleine campagne pour les Oscars, et alors que Gérard Depardieu était pressenti pour la statuette du meilleur acteur pour sa performance dans Cyrano de Bergerac, paraît dans le magazine américain Time un long portrait du comédien, où sont repris certains éléments d’une interview datant de 1978, dans laquelle celui-ci prétendait avoir participé à des viols alors qu’il était âgé de 9 ans. Comme le relèvent Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld dans leur enquête publiée dans Le Monde en juillet 2023, « les réactions n’arrivent qu’un mois plus tard, le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes. Le New York Post, quotidien à gros tirage, reprend les citations de Depardieu dans Time, assorties de protestations de groupes luttant contre le viol et de la National Organization for Women, un influent mouvement féministe. Dès lors, la presse internationale s’empare de l’affaire, bientôt résumée par le titre d’un reportage à Châteauroux où le quotidien britannique Daily Mail a envoyé deux enquêteurs : “Est-ce le violeur le plus célèbre de France ?” » ([25]). Si la presse étrangère appelle à boycotter les films de Depardieu, scellant son sort aux Oscars et marquant la fin de sa carrière internationale, il est très largement soutenu en France, alors même que la profession était déjà parfaitement informée de son comportement sur les plateaux : « On n’attaque pas comme ça un acteur qui incarne Danton, Rodin et Cyrano réunis. Il n’est pas seulement la relève de Gabin ou de Delon. Il est la France. Tout le pays s’en mêle, comme si l’on avait insulté son plus prestigieux ambassadeur. Le ministre de la culture, Jack Lang, dénonce un coup bas contre l’un de nos plus grands acteurs”. Puis Jacques Attali, le conseiller du président Mitterrand, évoque une vile dénonciation”. À droite, Jacques Toubon s’insurge contre une “manœuvre pour priver d’un Oscar la France, à travers sa plus belle incarnation »([26])

En 2005, à la suite d’une plainte de Noémie Kocher déposée en 2001, le réalisateur Jean‑Claude Brisseau fut condamné pour harcèlement sexuel. Lors de son audition devant la première commission d’enquête, l’actrice a raconté le processus judiciaire et rappelé à quel point le regard porté sur une affaire telle que celle-là était différent à l’époque : « J’ai porté plainte contre Jean-Claude Brisseau en juin 2001 pour harcèlement sexuel et escroquerie. Nous étions deux plaignantes. Le chef d’escroquerie a été utilisé par notre avocate, Maître Claire Doubliez, pour attirer l’attention du doyen des juges sur notre plainte, car nous cumulions tous les tabous. Aujourd’hui, elle porterait plainte pour harcèlement sexuel et agression sexuelle. […] Rien ne nous a été épargné, ni la médiatisation violente et brutale en faveur de notre agresseur, soutenu par une certaine presse, ni la pétition du monde du cinéma. […] Dans les années 2000, la société n’était absolument pas prête à nous écouter. Pourtant, la justice nous a entendues. Aujourd’hui, à la lumière de tout ce que nous découvrons sur l’ampleur du phénomène des violences sexuelles et le faible nombre de condamnations en la matière – en 2020, 94 % des plaintes pour viol ont été classées sans suite – je réalise que cette condamnation relève presque du miracle. » ([27]) Cela n’empêcha pas le réalisateur de continuer à tourner et de bénéficier de subventions du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC).

L’affaire Weinstein, le mouvement MeToo et ses répliques dans le monde du cinéma

Début octobre 2017, deux articles parus dans le New York Times et le New Yorker firent état d’accusations de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles et de viols à l’encontre du producteur Harvey Weinstein, causant une déflagration dont nul, alors, ne pouvait imaginer les conséquences ([28]). Ce fut le début de « l’affaire Weinstein », qui fut immédiatement suivie par le lancement de deux hashtags : Sandra Muller lança en France le hashtag « BalanceTonPorc » le 13 octobre 2017, et Alyssa Milano le hashtag « MeToo » aux États-Unis deux jours après, reprenant le nom d’une association créée par Tarana Burke en 2006 qui luttait contre les violences sexuelles infligées aux petites filles noires issues de quartiers populaires.

Les premiers effets du hashtag MeToo, dont l’usage s’imposa rapidement, y compris dans les médias français ([29]), ne tardèrent pas à se faire sentir en France : dès novembre 2017, face à la polémique, la Cinémathèque française renonça à une rétrospective consacrée à Jean-Claude Brisseau, après celle organisée en l’honneur de Roman Polanski ([30]).

Les mises en accusation pour viols, harcèlement et violences sexuelles se succédèrent de grandes figures du cinéma. Après Luc Besson en 2018, Gérard Depardieu fut accusé et mis en examen en 2020 – d’autres accusations, ainsi que le reportage diffusé dans l’émission « Complément d’enquête », s’ajoutèrent en 2023 et 2024. En novembre 2019, Adèle Haenel accusa le réalisateur Christophe Ruggia d’attouchements et de harcèlement sexuel sur mineure ([31]). En 2024, Benoît Jacquot et Jacques Doillon furent à leur tour accusés de viols par plusieurs actrices. En 2024, le hashtag MeTooGarcons se diffusa sur les réseaux sociaux, poussé par les prises de parole de l’acteur Aurélien Wiik et du directeur de casting Stéphane Gaillard ([32]). Le 22 octobre 2024, en plein pendant les travaux de la commission d’enquête, l’acteur et réalisateur Nicolas Bedos fut condamné en première instance à un an de prison, dont six mois avec sursis, pour agression sexuelle ([33]) ; le 28 novembre 2024, le journal Politis se fit l’écho d’une dizaine de témoignages visant l’acteur Gérard Darmon ([34]) ; le 21 février 2025, Mediapart publia une enquête sur les agissements de Franck Gastambide à l’encontre de six femmes ([35]).

Des conséquences dans tous les secteurs de la culture, qui peinent néanmoins à faire émerger les causes structurelles des violences et à transformer les pratiques

Au fil du temps, de nombreuses révélations se firent jour dans les différents secteurs entrant dans le champ de la commission d’enquête, mais aussi au-delà du champ culturel.

Ce fut le cas du milieu du théâtre. En 2019, Jean-Pierre Baro dut quitter la direction du Théâtre des Quartiers d’Ivry après une accusation de viol, même si la plainte fut classée sans suite ([36]). En 2021, Wajdi Mouawad, directeur du théâtre de la Colline, suscita une polémique après avoir décidé de maintenir la programmation d’une pièce de Jean-Pierre Baro ; l’intéressé renonça de lui-même à présenter ce spectacle. La même année, Wajdi Mouawad refusa de déprogrammer Bertrand Cantat, condamné pour le meurtre de sa compagne Marie Trintignant en 2003, à qui il avait demandé de composer la musique d’un spectacle. En 2021, Michel Didym, metteur en scène et ancien directeur du théâtre de la Manufacture à Nancy, fut mis en examen à la suite d’une plainte pour viol ([37]). L’année 2024 sembla marquer une accélération : Francis Azéma, directeur du Théâtre du Pavé à Toulouse, quitta son poste à la suite d’accusations d’agressions sexuelles ; un spectacle d’Édouard Baer se vit déprogrammé du théâtre Antoine et du festival des Nuits de Fourvière ([38]) en raison des témoignages de six femmes relatés par Mediapart ([39]) ; trois salles de spectacle du Gard annulèrent un spectacle de Philippe Caubère après des accusations de viols sur mineur dont celui-ci avait fait l’objet ([40]). Depuis 2021, le collectif MeTooThéâtre accompagne les victimes ([41]). Le comédien Nâzim Boudjenah, pensionnaire de la Comédie française, condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis probatoire et une obligation de soins pour des menaces de mort, qui reste mis en examen pour viol et d’autres menaces de mort, a récemment été convoqué en vue de son licenciement ([42]).

Le monde de la musique et des festivals, extrêmement divers, ne fut pas plus épargné par les scandales successifs. En juillet 2020, le mouvement MusicTooFrance fut lancé sur Instagram ([43]) et recueillit plusieurs centaines de témoignages. D’autres furent ensuite créés, comme « Balance ta major », « D.I.V.A. » ou « Change de disque ». Des accusations visèrent dès lors plusieurs artistes, comme les rappeurs Moha La Squale ([44]), Retro X ([45]) bien d’autres encore ([46]).

Les festivals sont eux aussi bousculés : en août 2023, le festival des Plages électroniques à Cannes fut critiqué pour avoir maintenu la participation du rappeur Lomepal, en dépit de l’ouverture d’une enquête préliminaire pour viol quelques jours avant ([47]) ; l’Insane Festival, organisé à Apt, dut être écourté en août 2024 après deux plaintes pour viol ([48]). Le Hellfest a également été critiqué pour ses choix de programmation mettant en avant des artistes condamnés ou accusés pour des faits de violence : Johnny Depp, Tommy Lee, Tim Lambesis ([49]), ainsi que le chanteur de Rammstein, Till Lindemann, en 2025 ([50]).

Dans le milieu de la musique classique, les accusations se sont aussi multipliées, touchant notamment le chef d’orchestre François-Xavier Roth en mai 2024 ([51]), le flûtiste et chef d’orchestre Alexis Kossenko en novembre 2024, le directeur de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, Gaël Darchen, en juillet de la même année.

La vague MeToo a également affecté puissamment le monde de l’audiovisuel. En 2021, plusieurs femmes accusèrent Patrick Poivre d’Arvor de viols et d’agressions sexuelles. Depuis lors, des dizaines de témoignages se sont accumulés contre lui ([52]). Une partie de ces victimes créa l’association MeTooMedia, présidée par Emmanuelle Dancourt et dont le Syndicat national des journalistes (SNJ) est adhérent depuis 2023. D’autres figures furent ensuite mises en cause, comme Jean-Marc Morandini, condamné à 18 mois de prison avec sursis en appel pour harcèlement sexuel le 18 janvier 2025, puis pour corruption de mineur le 21 mars 2025, également en appel. Malgré ce nouveau revers judiciaire, la chaîne CNews a décidé de le maintenir à l’antenne, considérant qu’il est non pas même présumé innocent, mais bel et bien innocent ([53]). En 2021, un documentaire impliquant notamment Pierre Ménès – « Je ne suis pas une salope, je suis journaliste » – a reçu un certain écho, entraînant notamment une enquête interne chez Canal+ et le départ volontaire de cette personne. Les multiples dérapages de la chaîne C8 lui ont valu plusieurs condamnations de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), notamment pour des séquences impliquant des attouchements non consentis ([54]). En octobre 2023, l’animateur Vincent Cerutti fut mis en examen pour agression sexuelle sur l’une de ses collègues. En avril 2024, Libération publia une enquête sur l’animateur Emmanuel Levy, accusé de harcèlement moral et sexiste par des membres de son équipe ([55]). En mai 2024, Sébastien Cauet, qui officie à la radio depuis plusieurs décennies, fut mis en examen pour viols et agressions sexuelles sur quatre femmes, dont trois mineures au moment des faits reprochés. Stéphane Plaza, l’animateur star du groupe M6, a été condamné, en février 2025, à douze mois d’emprisonnement avec sursis pour des violences conjugales ; le groupe a annoncé cesser la diffusion de toutes ses émissions.

Cet inventaire succinct pourrait être complété par d’autres exemples pris dans l’ensemble des secteurs visés, notamment l’humour et le stand-up, avec les accusations visant Yassine Belattar. De nombreux dysfonctionnements ont également été révélés au sein des écoles formant aux différents métiers des domaines artistiques : leur cas sera abordé plus loin en détail.

Toutefois, comme l’a souligné la présidente Sandrine Rousseau durant les auditions, « les affaires MeToo […] sont considérées comme une somme de cas individuels qui ne remettent aucunement en question le système d’organisation. Chaque fois qu’une actrice ou un acteur parle – mais c’est plus souvent une actrice – et le fait très bien d’ailleurs, très fortement, très puissamment, tout le monde fait preuve d’empathie, mais cela finit par s’arrêter et on passe ensuite à un autre témoignage. » Ainsi se dessine ce qu’elle a justement appelé un « MeToo en pointillé » ([56]), condamnant les victimes à l’oubli une fois retombée l’indignation face à leur calvaire. Cette succession de secousses, si impressionnante soit-elle, souligne en creux l’épaisseur du silence qui règne dans les milieux faisant l’objet de l’enquête.

Au-delà de l’émotion suscitée par les témoignages concernant des personnes mineures au moment des faits et désignant le milieu du cinéma comme un secteur particulièrement à risque, il convenait donc, de toute évidence, d’élargir le champ de l’enquête et de chercher à analyser les mécanismes profonds qui permettent la survenue des violences et leur reproduction dans ces milieux.

Cette entreprise revêtait une dimension symbolique toute particulière car les milieux du spectacle, de la mode et des médias ont pour point commun de susciter la fascination et, par voie de conséquence, l’attraction. Le secteur du cinéma est particulièrement exposé : forme d’art à la fois totale et accessible à un public toujours plus large, il possède un pouvoir d’attraction considérable. On ne compte plus, d’ailleurs, le nombre de films ayant pris pour sujet la fascination que le cinéma exerce sur les spectateurs ou sur les jeunes artistes désireux d’entrer dans la caste des élus, de Cinema Paradiso (1988) au film The Fabelmans (2022), où Steven Spielberg relata sa vocation de cinéaste. Mais le prestige des artistes de la musique n’est pas moindre que celui des acteurs et réalisateurs vedettes ou, dans une moindre mesure, des créateurs de mode et des stars de la télévision.

Les secteurs, organismes et personnels faisant l’objet de l’enquête

Les secteurs visés par l’enquête sont clairement délimités par la résolution, mais il convient de préciser les entreprises, organismes, institutions et catégories de personnels visés.

 Les secteurs visés par l’enquête

Le cinéma, tout d’abord, recouvre non seulement l’activité des sociétés de production cinématographique et de leurs salariés – permanents, contractuels et intermittents (artistes et techniciens) – participant à la fabrication d’un film, mais aussi celle de l’ensemble des entreprises qui leur sont liées d’une façon ou d’une autre et constituent un écosystème extrêmement divers, en amont comme en aval du tournage d’un film : activités de création, post-production, distribution et projection de films, sans oublier les festivals. Le secteur emploie environ 82 000 salariés (dont 42 000 dans la production) représentant 21 500 équivalents temps pleins travaillés. En moyenne, chaque année, 300 films sont produits en France. Selon le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), 236 films d’initiative française ont été agréés en 2023, produits par 220 entreprises différentes. Le secteur de la production est peu concentré : 168 sociétés ont produit un seul film en 2023 ([57]).

La commission d’enquête n’a pas inclus dans son champ l’industrie pornographique. D’une part, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat a récemment consacré un rapport aux enjeux de cette activité. Ce document, très complet, intitulé « Porno : l’enfer du décor » ([58]), contient 23 recommandations visant à protéger aussi bien les acteurs et actrices victimes de violences dans un contexte de pornographie que les spectateurs de tels contenus, en particulier les mineurs. D’autre part, et comme le montre le rapport précité, l’industrie pornographique, à l’ère des plateformes numériques, est structurellement violente, surtout envers les femmes ; elle aurait mérité une mission à elle seule.

Le secteur de l’audiovisuel méritait lui aussi de figurer dans le champ de l’enquête, de manière à prendre en compte les téléfilms, séries et émissions de télévision, notamment celles dites de « téléréalité », qui ont été pointées pour de nombreux abus depuis leur apparition au début des années 2000. Quatre champs composent le secteur : la production, la radiodiffusion, la télédiffusion et la prestation technique pour l’image et le son. La commission d’enquête s’est principalement intéressée aux trois premiers champs, à savoir les sociétés de production, les télévisions et plateformes de diffusion de fictions et de documentaires, ainsi que les radios. Selon une étude menée en 2016 par l’AFDAS – l’opérateur de compétences des secteurs relevant de la commission d’enquête –, l’Observatoire des métiers de l’audiovisuel et la Commission paritaire nationale emploi formation de l’audiovisuel, le secteur employait plus de 150 000 salariés, dont plus de 70 % d’intermittents (hors production cinématographique).

Le volet le plus vaste et divers parmi les secteurs visés est celui qui concerne le spectacle vivant. Sans donner une définition précise d’un domaine par nature protéiforme, l’article L. 7122-1 du code du travail précise que les dispositions relatives aux « entrepreneurs de spectacles vivants » visent ceux « qui, en vue de la représentation en public d’une œuvre de l’esprit, s’assurent la présence physique d’au moins un artiste du spectacle percevant une rémunération ». Le préambule de la convention collective nationale des entreprises du secteur privé du spectacle vivant du 3 février 2012 (IDCC 3090) complète cette approche en indiquant : « Le spectacle vivant est caractérisé par le caractère unique de chaque représentation, unique par les deux critères fondamentaux que sont le lieu et le temps de chaque représentation. »

Le théâtre, la musique, la danse, le cirque, les arts de la rue, le stand-up – avec toutes les formes d’hybridation possible entre ces différentes activités – composent ce domaine riche qui joue un rôle essentiel dans la vie des territoires. La commission d’enquête s’est ainsi attachée à travailler sur les théâtres publics et privés, les compagnies de théâtre – y compris les structures sous statut associatif –, les opéras, les cirques, les salles de spectacle, les discothèques, les festivals, les entrepreneurs de tournées, mais aussi les orchestres et ensembles, chœurs et maîtrises, compagnies de danse, etc. Selon l’Observatoire prospectif des métiers, des qualifications et des compétences du spectacle vivant, ce secteur rassemblait, en 2023, 26 126 employeurs, auxquels il convient d’en ajouter 76 544 s’inscrivant dans la catégorie du spectacle occasionnel, c’est-à-dire n’ayant pas pour activité principale le spectacle vivant. Le statut associatif est largement majoritaire et concerne 80 % des employeurs. Le spectacle vivant comptait 251 385 salariés permanents et intermittents en 2023, dont 67 % employés en contrat à durée déterminée dits d’usage ([59]).

Enfin, des abus ont également été relatés dans les secteurs de la mode et de la publicité. En 2023, 11 617 mannequins salariés avaient été déclarés par les 92 agences françaises ([60]). Le secteur de la publicité, quant à lui, compte 7 850 entreprises employant 75 000 salariés, exerçant à 75 % à temps plein ([61]), ce qui constitue une singularité par rapport aux autres domaines visés. Des similarités avec les autres secteurs existent. La commission d’enquête a donc jugé bon d’examiner, en particulier, la situation des mannequins, des photographes et des agences de mode et de publicité. Faute de temps, ces deux domaines n’ont pas constitué le cœur des investigations, mais la commission d’enquête a pu se convaincre, au cours des auditions, que les mécanismes en jeu dans ces domaines étaient comparables à ceux observés par ailleurs.

 Les professionnels et autres personnes entrant dans le champ de la commission d’enquête

Même s’il n’est pas toujours nécessaire d’être titulaire d’un diplôme pour exercer certains des métiers entrant dans ce champ, la plupart sont d’une grande technicité : de très nombreuses écoles préparent à leur exercice ; elles entrent de plein droit dans le champ de l’enquête. À ce titre, il convient de mentionner les établissements, publics et privés, dispensant des enseignements relatifs au cinéma et à l’audiovisuel, les écoles d’art dramatique, les conservatoires de musique, danse et art dramatique à rayonnement communal ou intercommunal, départemental, régional et national. Au total, les établissements d’enseignement – tous niveaux et statuts confondus –, accueillent probablement plus de 800 000 élèves ([62]).

Dans leur ensemble, les secteurs concernés emploient donc plusieurs centaines de milliers de personnes exerçant des centaines de métiers différents ([63]).

S’agissant du cadre légal applicable aux secteurs, les artistes professionnels et techniciens du secteur privé ou employés par des établissements publics dans des conditions de droit privé sont couverts par des dispositions spécifiques du code du travail ([64]). Cela concerne, en particulier, l’activité d’entrepreneurs de spectacles vivants, strictement encadrée.

L’intermittence est un fait majeur dans les différents secteurs : en 2023, selon les données de France Travail, l’emploi des intermittents du spectacle a concerné 312 000 salariés et produit 3 milliards d’euros de masse salariale pour un total de 129 millions d’heures travaillées ([65]).

L’exercice d’activités artistiques rémunérées est autorisé pour les mineurs de moins de 16 ans, par dérogation au principe d’interdiction du travail des enfants, mais dans des conditions limitatives clairement définies ([66]).

Une part importante des professionnels des secteurs étudiés sont des artistes-auteurs. C’est le cas des scénaristes dans le cinéma et l’audiovisuel, des auteurs dramatiques, des réalisateurs – qui sont aussi salariés par le producteur au titre de leur travail de technicien –, des metteurs en scène de théâtre et d’opéra, des chorégraphes, des compositeurs, des auteurs de radio, des humoristes et des photographes, sans oublier les artistes de rue et les circassiens. En dépit de la protection attachée au droit d’auteur, des situations très difficiles ont été soulignées dans le cadre de l’enquête, en particulier pour les scénaristes : leur précarité juridique et financière en fait des cibles faciles pour les abus de toute sorte.

L’artiste-interprète jouit, par ailleurs, d’un statut particulier, consacré par le code de la propriété intellectuelle : « l’artiste-interprète ou exécutant est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre littéraire ou artistique, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes » ([67]) ; il « a le droit au respect de son nom, de sa qualité et de son interprétation. Ce droit inaliénable et imprescriptible est attaché à sa personne. Il est transmissible à ses héritiers pour la protection de l’interprétation et de la mémoire du défunt » ([68]).

Il convient également de signaler l’importance en France des artistes amateurs, dont la reconnaissance légale est relativement récente, puisqu’elle date de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Du reste, cette définition est en quelque sorte négative, puisqu’elle définit comme amateur celui qui n’exerce pas à titre professionnel : « Est artiste amateur dans le domaine de la création artistique toute personne qui pratique seule ou en groupe une activité artistique à titre non professionnel et qui n’en tire aucune rémunération. L’artiste amateur peut obtenir le remboursement des frais occasionnés par son activité sur présentation de justificatifs. » ([69])

Même si ce champ apparaît très vaste, une enquête globale était justifiée, d’abord, par la récurrence et la gravité des faits signalés dans l’ensemble de ces secteurs ; ensuite, par la porosité qui existe entre ces milieux ; enfin, parce que les phénomènes incriminés semblent relever de mécanismes assez proches. De nombreuses passerelles existent en effet entre les domaines visés. C’est le cas, en particulier, entre le cinéma et le spectacle vivant. On pense à de nombreux acteurs passant du premier au second, ou l’inverse, mais aussi à des réalisateurs qui sont aussi metteurs en scène au théâtre ou à l’opéra, voire cumulent en plus les fonctions d’auteur – tel Christophe Honoré –, quand ils ne dirigent pas de surcroît une institution culturelle et interviennent dans un centre d’art dramatique ou une école de cinéma…

Les faits entrant dans le champ de la commission d’enquête

Conformément aux termes de la résolution adoptée par l’Assemblée nationale, la commission d’enquête s’est attachée à documenter et analyser les « violences » concernant aussi bien les mineurs que les majeurs dans les secteurs visés.

Selon le Vocabulaire juridique publié en 1936 sous la direction d’Henri Capitan, la violence se définit, en droit civil, comme la « contrainte exercée sur un individu pour le déterminer à passer à un acte et viciant son consentement » ; en droit pénal, le terme renvoie au « fait d’agir sans le consentement de la personne intéressée », de « briser par la force la résistance opposée par une personne ou une chose » ([70]). Depuis lors, la caractérisation des faits de violence a évolué, de même que les infractions qui en découlent, mais cette définition conserve quelque chose de très juste et qui correspond parfaitement aux phénomènes mis au jour durant l’enquête : la violence est une atteinte physique et psychique à la personne visant à asseoir un peu plus une situation de pouvoir. La relation établie entre violence et consentement résonne également avec les débats juridiques et sociétaux qui se sont développés depuis plusieurs années, en particulier en matière de violences sexuelles.

Sur le plan juridique, les violences faisant l’objet de l’enquête sont, pour l’essentiel, celles qui sont constitutives des atteintes à la personne humaine, visées au titre II du livre II de la partie législative du code pénal (articles 222-1 à 228-1), et plus particulièrement :

– les atteintes à l’intégrité physique ou psychique de la personne (chapitre II, articles 222-1 à 222-67), qui recouvrent : les tortures et actes de barbarie ; les violences à strictement parler – « quelle que soit leur nature, y compris s’il s’agit de violences psychologiques », dispose l’article 222-14-3 ; les menaces ; le viol, l’inceste et les autres agressions sexuelles ; l’outrage sexiste et sexuel ; le harcèlement moral ; l’enregistrement et la diffusion d’images de violence ([71]) ;

– la mise en danger de la personne (chapitre III, articles 223-1 à 223-20) ;

– les atteintes à la dignité de la personne (chapitre V, articles 225-1 à 225‑26, notamment la section 1, qui concerne les discriminations) ;

– les atteintes à la personnalité (chapitre VI, articles 226-1 à 226-32, en particulier la section 1, relative à l’atteinte à la vie privée) ;

– les atteintes aux mineurs et à la famille (chapitre VII, articles 227-1 à 227-33, en particulier la section 5, consacrée à la mise en péril des mineurs).

Les dispositions du chapitre Ier du titre II sont quant à elles relatives aux atteintes à la vie de la personne : meurtre, assassinat et empoisonnement (section 1) ; atteinte à la vie résultant d’une intoxication volontaire (section 1 bis) ; homicide involontaire (section 2). Si, théoriquement, elles faisaient bien partie du champ de l’enquête, la commission n’a rencontré qu’un seul cas susceptible de relever de cet ensemble de dispositions, et la procédure est en cours ([72]).

Parallèlement au droit pénal, le code du travail protège les salariés contre les situations relevant des violences en milieu professionnel, du harcèlement moral, du harcèlement sexuel, des agissements sexistes et de la discrimination, et il en va de même pour les agents publics dans le cadre du code général de la fonction publique. D’une façon générale, il revient à tout employeur, public ou privé, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des personnes placées sous son autorité.

Les travailleurs et agents publics se voient garantir un droit de retrait dans toute situation de travail dont ils ont un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé, ou s’ils constatent un défaut des systèmes de protection.

En cas de danger avéré, l’employeur doit faire le nécessaire pour que la situation en question cesse, ce qui peut passer, le cas échéant, par une mesure conservatoire telle que la mise à l’écart d’un agresseur. Le droit de la fonction publique impose alors clairement une enquête administrative (article R. 135-1 du code de la fonction publique), tandis que l’article 4 de l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 précise qu’en cas de signalement « les plaintes doivent être suivies d’enquêtes et traitées sans retard ».

Ainsi, et contrairement à ce que pensent – ou feignent de penser – de nombreux employeurs, le respect de la présomption d’innocence, principe fondamental du droit pénal, ne fait en aucun cas obstacle au fait de prendre une mesure conservatoire ayant pour finalité d’assurer la sécurité des travailleurs, comme tout employeur en a l’impérieuse obligation.

Parmi les infractions entrant dans le champ de l’enquête, le continuum d’atteintes à la personne désigné depuis plusieurs années sous le vocable « violences et harcèlement sexistes et sexuels » (VHSS) s’est imposé comme central. Plusieurs raisons commandaient ce choix. D’abord, des faits nombreux et souvent graves ont été révélés publiquement depuis des années, et ce dans tous les secteurs visés. Ensuite, durant ses travaux, la commission d’enquête a été saisie de multiples témoignages dénonçant de tels faits : au fil des auditions, et même si la plupart des nombreuses victimes qui se sont manifestées spontanément ont demandé que leur contribution soit anonymisée, l’omerta très fortement ressentie au début des travaux a commencé à se fissurer. Le rapporteur souhaite y voir le signe d’une évolution des mentalités sans retour en arrière possible.

Même si l’accent a été mis sur les VHSS, la commission d’enquête n’en a pas moins documenté l’existence, dans les différents secteurs visés, de toutes les autres formes de violence, y compris les violences morales et les discriminations. L’appel à l’action lancé par les témoins, les organisations professionnelles et les collectifs a été entendu.

Parmi les phénomènes de violence, il convient de mentionner tout particulièrement l’emprise, « cette violence silencieuse dont on ne parlait absolument pas » jusqu’à récemment, comme l’a souligné l’actrice et scénariste Noémie Kocher ([73]). S’il ne s’agit pas d’une infraction pénale, ce n’en est pas moins une violence, insidieuse, qui découle souvent d’une relation asymétrique fondée sur l’abus d’une situation de pouvoir. En cela, l’emprise est tout à fait caractéristique des secteurs visés par l’enquête. Une réflexion est d’ailleurs en cours pour permettre sa prise en compte dans la définition légale du viol.

Enfin, s’agissant des établissements et institutions accueillant des mineurs ou de très jeunes adultes, il importe de souligner la prégnance de comportements relevant de la violence pédagogique, qui n’est rien d’autre que de la violence, physique et morale, commise à l’occasion de la dispensation d’un enseignement. Dans les secteurs considérés, ces survivances d’un temps cruel envers les élèves et étudiants s’appuient sur le prétexte du culte de l’excellence : pour maîtriser pleinement une pratique artistique, il serait inévitable de souffrir.

Quel que soit le type de violence incriminé, le phénomène apparaît massif. Le présent rapport ne saurait présenter autre chose qu’une synthèse imparfaite de tous les témoignages reçus. À cet égard, le recueil des comptes rendus des auditions des deux commissions d’enquête, qui constitue le tome II de nos travaux, représente une somme d’une ampleur sans équivalent sur la question. Nul ne pourra plus dire qu’il ne savait pas. Ces documents pourront servir de base aux travaux ultérieurs, notamment de nature législative, qui suivront inévitablement l’enquête.

Idéalisation de l’acte artistique, sentiment d’impunité, méconnaissance ou négation du droit du travail, omerta : les ressorts des violences et des abus

Au terme de l’enquête, plusieurs constats clairs s’imposent. Pendant longtemps, de nombreux professionnels des secteurs culturels ont porté un regard particulier sur leur activité, caractérisé par la certitude que la culture « c’est différent », que l’art n’est pas une activité professionnelle comme une autre. Aujourd’hui encore, certains créateurs se plaisent à considérer qu’ils ne sont pas dans une relation professionnelle avec les autres membres de leur équipe, que tous se rassemblent pour accomplir une œuvre qui touche au sacré. L’idéalisation de l’acte créateur et du génie artistique, qui remonte loin dans l’histoire de la civilisation européenne, joue pour beaucoup dans cette négation du caractère « professionnel » de la relation qui se noue entre les personnes participant à la fabrication d’un film ou d’un spectacle. Par ailleurs, la vénération dont bénéficient les artistes, combinée à une situation de pouvoir, nourrit le sentiment d’impunité de ceux qui se muent en agresseurs.

La négation de la relation de travail prend souvent une autre forme, complémentaire de la première car elle participe elle aussi à l’idée selon laquelle les activités artistiques sont « à part » : le mythe de la « grande famille » – du cinéma, du spectacle, de la musique, etc. Cette métaphore est porteuse de nombreux abus possibles dès lors que, comme l’ont montré de nombreux travaux de recherche, la famille est le lieu de tous les dangers en matière de violences physiques, psychologiques et sexuelles ([74]).

Or, n’en déplaise aux artistes et aux créateurs, les activités faisant l’objet de l’enquête ont bel et bien pour cadre un milieu professionnel – le plus souvent –, et les interactions entre les individus qui se produisent dans ce cadre sont régies par les règles et principes du droit du travail. À ce titre, les violences détaillées et analysées dans le présent rapport ressortissent pour l’essentiel au domaine des violences en milieu professionnel.

Sur ce point, on retrouve bien entendu, dans les secteurs visés, des traits communs avec les violences au travail observées dans l’ensemble du pays, car la culture n’est pas en dehors du monde. Toutefois, l’enquête a permis de mettre au jour un certain nombre de spécificités. D’une part, les facteurs de risque habituels identifiés dans les autres secteurs sont aggravés du fait de l’organisation du travail, des habitudes et des mentalités. D’autre part, des facteurs de risque supplémentaires interviennent et jouent un rôle majeur dans la production de violences : des métiers où la parité est encore imparfaite ; où l’on travaille avec son corps et où les corps sont en contact, ce à quoi s’ajoute une forte sexualisation du corps des femmes ; des milieux « fermés », au sens où il est difficile d’y entrer pour des personnes sans contacts dans la profession ; des hiérarchies très fortes, aussi bien sur le plan de l’organisation fonctionnelle que symbolique ; des équipes constituées pour un temps court autour de projets précis, travaillant en vase clos, loin du domicile et des cercles familiaux et amicaux ; l’effacement de la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle ; une précarité quasi institutionnalisée avec le recours au travail intermittent ; une méconnaissance généralisée du droit du travail, etc.

Du fait de l’omerta persistante et de la peur de représailles professionnelles, de nombreuses victimes ont marqué leurs réticences à témoigner à visage découvert, et il y a tout lieu de penser que certains des professionnels entendus par la commission ont sciemment tu les dérives dont ils étaient informés. Toutefois, après une sorte de « temps d’observation » des travaux de la première commission d’enquête puis de la seconde, la présidente et le rapporteur ont été destinataires de centaines de pages de témoignages spontanés et circonstanciés, concernant la totalité des domaines visés. À cet égard, le rapporteur tient à remercier celles et ceux qui ont participé à établir un constat étayé de la situation. Leur confiance oblige non seulement les membres de la commission d’enquête, mais aussi l’ensemble de la représentation nationale. La plupart de leurs auteurs ont demandé que leur anonymat soit préservé. Le souci de la protection des victimes imposait évidemment à la commission d’enquête de respecter leur demande.

Plusieurs organisations professionnelles des secteurs visés ont également pris l’initiative, dans la perspective de leur audition devant la commission, d’envoyer des appels à témoignage et de remplir des questionnaires pour asseoir l’analyse des phénomènes de violence. L’une de ces études, en particulier, réalisée sur l’initiative de l’Association française des assistants réalisateurs de fiction (AFAR), revêt une ampleur inédite : fondée sur les réponses de 1 698 personnes appartenant à dix-sept associations de techniciens et quatre collectifs, elle confirme le caractère massif des phénomènes de violence.

Dès lors, et même si la commission d’enquête s’est heurtée à l’impossibilité de recueillir des données statistiques précises, il y a tout lieu de penser que les secteurs visés sont encore plus touchés que la plupart des autres par les violences physiques, psychiques, sexistes et sexuelles. L’un des enjeux cruciaux de l’après-commission d’enquête sera précisément, pour les pouvoirs publics, en liaison avec l’ensemble de ces secteurs, de produire une véritable enquête de victimation permettant de quantifier l’ensemble des phénomènes mis en lumière par les travaux de la représentation nationale, de poursuivre la libération de la parole et d’engager avec détermination un plan d’action global.

La prise de conscience des dysfonctionnementS systémiques est réelle, mais un plan d’action ambitieux et global est nécessaire

À l’issue de 85 auditions et tables rondes, représentant plus de 118 heures d’échanges avec 350 professionnels des secteurs concernés, auxquelles s’ajoute le travail effectué dans le cadre de la première commission d’enquête, qui avait eu le temps de mener 23 auditions et tables rondes avant la dissolution, une évidence s’impose : les dysfonctionnements de ces différents secteurs sont bel et bien systémiques, ce qui ne veut pas dire généralisés. Ils sont systémiques au sens où l’organisation du travail, les pratiques professionnelles et les représentations qui les fondent favorisent l’apparition et le développement de pratiques violentes.

Une prise de conscience est en cours. Or l’évolution des mentalités est un élément clé pour modifier les comportements. Un mouvement de fond est engagé ; le Parlement se doit de l’accompagner. Les pouvoirs publics, les partenaires sociaux des différents secteurs, les organisations professionnelles et de nombreuses personnes concernées ont pris conscience de l’ampleur du problème et ont commencé à agir.

Le ministère de la culture a lancé, dès 2017, un vaste plan de lutte contre les VHSS, dont une actualisation pour la période 2025-2027 a été récemment présentée par la ministre de la culture. Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a instauré, en plusieurs étapes, une conditionnalité de ses aides à la création, et il en va de même pour le Centre national de la musique (CNM). Des avenants aux conventions collectives ont été signés pour y inclure des dispositions relatives aux VHSS et à la protection des mineurs. De nombreux professionnels se sont organisés au sein d’associations et de collectifs pour réfléchir à la manière de lutter plus efficacement contre les VHSS, en particulier. Il convient, à cet égard, de mentionner les 140 propositions pour une loi-cadre intégrale contre les violences sexuelles ([75]), émanant de la Coalition féministe loi intégrale, qui va bien au-delà des secteurs visés par la commission d’enquête. Un collectif de parlementaires, auquel le rapporteur s’est associé, s’est d’ailleurs formé pour étudier les propositions contenues dans ce document. Le présent rapport apportera, nous l’espérons, des éléments complétant la réflexion de ce collectif. La plupart des établissements d’enseignement artistique, des associations professionnelles et des entreprises entendues par la commission d’enquête se sont dotées de chartes destinées à prévenir et sanctionner les cas de VHSS. Le problème réside dans l’absence de caractère contraignant de ces documents.

De nombreux dysfonctionnements perdurent, dans tous les secteurs visés et à tous les niveaux. Le rapport en établit la liste et propose, pour enfin y mettre un terme, un plan d’action complet qui doit mobiliser l’ensemble des parties prenantes : le gouvernement, les parlementaires, les partenaires sociaux des secteurs concernés et, au-delà, l’ensemble des professionnels.

Pendant trop longtemps nous n’avons pas su, collectivement, écouter suffisamment les témoignages, prendre la mesure des violences sexistes et sexuelles dont ces personnes étaient victimes. Nous avons beau jeu, aujourd’hui, de dénoncer l’omerta qui existe – notamment – dans le monde du cinéma : nous avons tous notre part de responsabilité. Le temps est venu d’agir et de faire savoir à toutes les victimes de violences physiques, psychologiques, sexistes et sexuelles que nous les écoutons et que nous sommes prêts à travailler à offrir un monde plus sûr. Il y va de la protection des enfants, des acteurs, des techniciens, des auteurs, des danseurs, des journalistes, des mannequins ou encore des musiciens contre toutes les formes d’abus.

« Chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi » : la responsabilité particulière des artistes et des créateurs

L’art est, au moins en partie, le reflet de la société, mais il est aussi un prescripteur d’attitudes et de comportements susceptibles de contribuer en profondeur à transformer la société. En cela, les artistes et les auteurs ont une responsabilité majeure. Selon la formule de Jean-Paul Sartre, « l’écrivain est en situation dans son époque : chaque parole a des retentissements. Chaque silence aussi. » Il poursuivait : « la fonction de l’écrivain est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et que nul ne puisse s’en dire innocent » ([76]). Aux yeux du rapporteur, cette observation vaut tout autant pour les cinéastes, metteurs en scène, photographes ainsi que pour l’ensemble des artistes et des équipes participant à la fabrication des films, des spectacles ou encore des défilés.

Si les secteurs visés font partie du problème, ils peuvent aussi contribuer à fournir des solutions ; le rapporteur en est convaincu. Le cinéma, par son caractère extrêmement populaire, voire universel, contribue à forger les représentations et, ce faisant, à influer sur les mentalités. À cet égard, le rapporteur fait volontiers siens les propos tenus par le cinéaste Costa-Gavras lors de son audition : « Le cinéma doit poursuivre la mission qu’il accomplit depuis sa naissance : changer le monde. » ([77])

De façon plus générale, les arts peuvent être des vecteurs puissants d’épanouissement personnel et de rassemblement collectif, comme le démontre la vitalité du spectacle vivant. C’est la raison pour laquelle le rapporteur appelle l’ensemble des secteurs concernés à se mobiliser encore plus fortement pour contribuer au progrès collectif en matière de lutte contre les violences : au-delà de la protection due aux victimes, il y a là un enjeu civilisationnel majeur.


 

 

   Première partie :
Les milieux artistiques, à l’image de l’ensemble
de la sociÉtÉ, sont marquÉs par les violences

« J’ai longtemps cru que les violences et les dérives dont j’ai été témoin étaient réservées au show-business mais je me rends compte qu’il s’agit en réalité d’un véritable sujet de société et qu’on les retrouve partout où les situations d’emprise sont rendues possibles ». Ces propos, tenus à huis clos et sous couvert d’anonymat par l’une des victimes entendues par la commission d’enquête, illustrent le fait que les violences constatées dans les secteurs visés sont, au moins en partie, le reflet de celles qui ont cours dans la société : en la matière, il n’existe hélas pas d’« exception culturelle ».

Les statistiques disponibles concernant la prévalence des différents types de violence dans la population font apparaître le caractère massif de ce phénomène, tout particulièrement en milieu professionnel. Or il convient d’insister sur le fait que, dans les secteurs étudiés par la commission d’enquête, les interactions entre les personnes passent d’abord et surtout par des relations de travail. L’analyse des mécanismes qui sont à l’œuvre met en évidence certains ressorts qui ne sont pas spécifiques aux milieux artistiques, tout en pointant d’emblée certaines singularités qui en font vraisemblablement des secteurs surexposés au risque de violences, même si une étude de victimation exhaustive est nécessaire pour le confirmer.

I.   Un phénomène largement répandu, entretenu par une société sexiste et patriarcale

Comme le montrent les enquêtes de victimation relatives à la population générale, les violences, notamment sexistes et sexuelles, héritage d’une culture patriarcale, sont encore particulièrement prégnantes. Sans surprise, les milieux culturels ne sont pas épargnés.

A.   Une société marquée par la prévalence des violences, dont les femmes et les enfants sont les victimes privilégiées

● La dernière édition de l’enquête statistique nationale de grande ampleur intitulée « Vécu et ressenti en matière de sécurité » (VRS) du service statistique ministériel de la sécurité intérieure, qui porte sur 200 000 personnes âgées de 18 ans et plus, publiée le 14 novembre 2024, révèle que près de 1,5 million de personnes estiment avoir été victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS), hors cadre conjugal, durant l’année 2022 ([78]).

Outre la prévalence très forte des VSS, plusieurs résultats de cette étude sont particulièrement frappants, à commencer par le nombre de cas de harcèlement moral estimés : 1,6 million. Les faits de menaces et d’injures s’élèveraient à plus de 3 millions. Enfin, le nombre de cas de discriminations serait à un niveau équivalent à celui du harcèlement moral : près de 1,7 million. Le caractère massif de ces phénomènes, considérés dans leur ensemble, s’impose comme une évidence : les violences, qu’elles soient physiques, sexuelles, verbales ou symboliques sont un fait social majeur.

Dans le détail, en 2022, 54 000 femmes auraient été victimes de viol et 72 000 auraient été la cible d’une tentative de viol. Il convient d’ajouter à ce nombre 191 000 agressions sexuelles. Au total, 230 000 femmes auraient été victimes d’au moins une violence sexuelle physique durant l’année. En ce qui concerne les violences sexuelles non physiques – à savoir le harcèlement sexuel, l’exhibition sexuelle ou l’envoi d’images à caractère sexuel et non sollicitées –, on estime à 1 million le nombre de cas de harcèlement sexuel visant des femmes durant l’année, contre 158 000 cas visant des hommes.

En effet, les femmes sont nettement plus nombreuses que les hommes parmi les victimes de violences sexuelles, qu’elles soient physiques ou non physiques : respectivement 85 % et 86 % des victimes. Elles déclaraient également plus souvent avoir subi du harcèlement moral : 64 %. À caractéristiques comparables – qu’il s’agisse de l’âge, du niveau de vie et de diplôme ou encore de la situation familiale et professionnelle –, les femmes ont une probabilité près de cinq fois plus élevée de déclarer des violences sexuelles physiques et six fois plus importante de rapporter des violences sexuelles non physiques.

Un autre enseignement de l’enquête concerne le très faible nombre de plaintes déposées par les victimes : 3 % s’agissant des violences sexuelles, toutes catégories confondues, et 6 % dans les cas de harcèlement moral. L’« autocensure » des victimes est moins forte en ce qui concerne les violences physiques, même si, là encore, le taux de faits débouchant sur des plaintes est faible : 22 %.

Les causes avancées par les victimes pour expliquer ce choix sont extrêmement révélatrices de l’idée qu’elles se font de ce qui leur est arrivé, de l’accueil qui leur sera réservé dans les commissariats ou dans les gendarmeries ainsi que des suites qui seront données à leur démarche : en cas de violences sexuelles physiques, 23 % des victimes considéraient que les faits n’étaient pas assez graves pour porter plainte, 23 % pensaient que cela ne servait à rien et 15 % se disaient convaincues que leur témoignage ne serait pas pris au sérieux par les forces de l’ordre.

Enfin, il importe de noter que les jeunes femmes sont tout particulièrement la cible des violences sexuelles physiques : les femmes âgées de 18 à 34 ans représentent 67 % de l’ensemble des victimes de tels actes. Elles représentent également près de 90 % des victimes de violences sexuelles non physiques. Près de 29 % des femmes françaises appartenant à cette classe d’âge auraient subi des violences sexuelles non physiques durant l’année 2022.

Ces éléments entrent en résonance avec les estimations globales de plusieurs institutions internationales, notamment l’Organisation mondiale de la santé, selon laquelle, dans le monde, une femme sur trois aura été victime de violence physique et/ou sexuelle au cours de sa vie, la plupart du temps infligée par un partenaire intime ([79]).

● En 2015, l’Institut national d’études démographiques (INED) a réalisé une enquête sur les violences et rapports de genre, dite « Virage » ([80]), qui permet de mesurer une certaine continuité entre les années 2015 et 2022 s’agissant des phénomènes de violences. À cet égard, il serait très utile de prévoir une nouvelle édition de cette enquête.

Recommandation n° 1 : lancer une nouvelle édition de l’enquête Virage.

L’une des premières leçons de l’enquête de 2015 est que, lorsque les faits de violence physique sont répétés, ce sont plus souvent les femmes qui en sont victimes. De manière générale, les faits vécus souvent, presque toutes les semaines ou presque tous les jours, sont tous déclarés majoritairement par les femmes.

Il ressort également des témoignages que les violences physiques et sexuelles sont quasi systématiquement accompagnées d’autres formes de violences. Les femmes déclarent des violences de toute sorte, qu’elles soient psychologiques, physiques ou sexuelles. En outre, un continuum apparaît entre ces violences.

L’un des apports principaux de l’enquête Virage concerne les violences en milieu professionnel. Les auteurs de l’enquête indiquent ainsi : « Les difficultés dans les relations au travail, les violences et les discriminations subies au travail restent socialement méconnues, malgré les recherches qui se développent. Ces questions en effet sont abordées, soit dans le cadre d’enquêtes dont l’objet principal est le travail soit dans le cadre d’enquêtes dont l’objet est la santé, la sexualité, les conditions de vie, la sécurité, soit enfin dans des enquêtes spécifiquement consacrées aux violences interpersonnelles faites aux femmes ou violences de genre. » Cet angle mort des enquêtes statistiques et des travaux universitaires est l’une des raisons de la difficulté à laquelle s’est heurtée la commission d’enquête de recueillir des données précises s’agissant des secteurs visés.

Les auteurs ont dégagé « quatorze faits » subis au travail, classés en cinq catégories :

– insultes et pressions psychologiques (critiques injustifiées, insultes, intimidation) ;

– atteintes à l’activité de travail (modification abusive des conditions de travail, isolement, sabotage) ;

– violences physiques (brutalités, tentatives de meurtres) ;

– violences sexuelles sans contact (harcèlement sexuel, exhibition, voyeurisme) ;

– violences sexuelles avec contact (attouchements, rapports forcés et viols, autres violences sexuelles).

Selon les réponses enregistrées, près de 18 % des personnes interrogées déclaraient avoir subi au moins un fait de violence au moins une fois durant les douze derniers mois dans le cadre du travail. Sans surprise, les femmes sont plus touchées par les violences au travail que les hommes : 20,1 %, contre 15,5 %. Environ 10 % des femmes interrogées déclaraient avoir subi plusieurs faits au cours de l’année écoulée, contre 7,2 % des hommes.

L’étude établit le caractère systémique du risque de violence au travail : « En combinant le nombre de faits et la fréquence, près de 8 personnes sur 10, parmi celles déclarant au moins un fait de violence, se disent victimes de violences multiples et/ou plurielles, sans différence significative entre les hommes et les femmes. Les violences vécues au travail sont donc rarement uniques et isolées. Il ne s’agit donc pas d’un phénomène marginal, accidentel, lié au hasard, mais d’un véritable risque systémique dans la sphère professionnelle. » Selon l’étude, elle touche environ un cinquième de la population.

Les auteurs des violences appartiennent à l’une des quatre catégories suivantes : les supérieurs hiérarchiques, les collègues, les acteurs externes à l’entreprise – fournisseurs ou usagers –, mais aussi un ensemble plus flou de personnes appartenant à l’organisation ou circulant dans l’entreprise mais inconnues de la victime, ou encore des « contacts » professionnels sans lien fonctionnel ou commercial défini dans l’organisation. Les subordonnés sont rarement mis en cause, « ce qui inscrit bien la violence au travail comme une forme d’expression et de maintien des rapports de pouvoir ».

En ce qui concerne les violences sexuelles, les femmes désignent exclusivement des hommes comme agresseurs, et il en va de même, en majorité, pour les hommes victimes. « Les femmes ont à subir les violences sexuelles de toutes sortes d’hommes, le plus souvent du public mais dans des proportions importantes des collègues et de la hiérarchie », relèvent les auteurs de l’étude.

Répartition des auteurs de violences au travail
selon leur statut et leur sexe
en fonction du type de violences et du sexe de la victime ([81])

(en %)

C:\Users\bledrezen\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.Word\img-3 (1).jpg

Source : INED, Enquête Virage, 2015

S’agissant de la prévalence des différents types de violence, les insultes et pressions psychologiques apparaissent comme les faits de violence les plus répandus, pour les femmes comme pour les hommes : respectivement 74 % et 75 % des personnes déclarant au moins un fait de violence disent en avoir été victimes. Elles sont suivies par les atteintes à l’activité de travail – soit, pour rappel, des modifications abusives des conditions de travail, des manœuvres d’isolement ou le sabotage du travail de la personne –, à raison de 35 % pour les femmes et 42 % pour les hommes. Viennent ensuite les violences sexuelles sans contact, qui visent davantage les femmes (18 %) que les hommes (11 %). Les violences physiques concernent un peu plus les femmes (8 %) que les hommes (7 %). Enfin, les violences sexuelles avec contact sont les faits les moins souvent déclarés ; elles concernent 5 % environ des déclarantes, contre 3 % des hommes. L’analyse de ces résultats doit tenir compte du fait que les femmes subissent davantage de faits multiples et répétés que les hommes. Majoritairement, les violences en milieu professionnel sont commises sur les lieux habituels du travail, à 72 % pour les hommes et 90 % pour les femmes. En incluant les déplacements inhérents au travail – séminaires, formation ou fêtes –, on comptabilise 76 % et 91 % des violences et contraintes commises sur les lieux sous la responsabilité de l’employeur.

L’étude tend à montrer que le profil socio-professionnel des victimes au travail présente des particularités par rapport aux personnes ayant subi des violences dans un autre cadre : « elles sont plus jeunes, le taux de célibataires, de familles monoparentales y est plus important. Elles se considèrent en moins bonne santé et ont des difficultés financières plus marquées ». Les personnes précaires apparaissent ainsi surreprésentées parmi les victimes de violences au travail. En outre, l’étude établit que les violences subies ont des conséquences sur la santé des personnes et qu’elles accroissent le mal-être général des victimes : « La perméabilité entre les espaces de vie des individus se dessine clairement et les relations interpersonnelles extérieures à l’organisation se dégradent tout comme la santé et l’estime de soi ». Les violences en milieu professionnel tissent ainsi un « écheveau de mal-être et de violences ».

L’enquête Virage a permis d’établir une première évaluation des violences faites aux mineurs, mais elle se concentrait pour l’essentiel sur les violences intrafamiliales. Les auteurs de l’étude notaient à cet égard : « aborder la jeunesse sous l’angle de la victimation et d’une condition d’assujettissement reste difficile à penser dans la société ». Les enfants ne sont pas épargnés par les violences, comme l’a mis en évidence l’enquête Virage : 18 % à 22 % des femmes et 13 % à 18 % des hommes auraient subi des violences para- ou intrafamiliales débutées avant l’âge de 18 ans.

Fréquence des situations de violences para ou intrafamiliales débutées avant 18 ans selon le sexe, estimation restreinte et estimation large

(en %)

Enquête Virage

Source : INED, Enquête Virage, 2015

Il ressort de ces travaux, complétés par ceux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), dont le rapport a été publié fin 2023, que près de 160 000 enfants seraient violés ou agressés sexuellement chaque année en France, à 80 % dans leur foyer. Autrement dit, dans chaque classe, deux à trois enfants seraient victimes de ces violences.

L’expérience des violences concerne des mineurs issus de tous les milieux sociaux : les professions du père et de la mère n’ont pas d’influence sur la probabilité de déclarer des violences para- ou intrafamiliales avant 18 ans.

L’ensemble de ces données fait apparaître, notamment s’agissant des VHSS, la récurrence de certains profils. En particulier, « l’agresseur vient le plus souvent de l’entourage », a ainsi rappelé Mme Sophie Lascombes, membre du conseil d’administration et chargée de formation au sein du Collectif féministe contre le viol. Citant la présidente de cette structure, Mme Emmanuelle Piet, elle a évoqué le « tiercé perdant » formé par le père, l’employeur et le professeur ([82]).

Il ne sera que peu question du père dans ce rapport, dans la mesure où les violences visées se produisent dans le cadre professionnel. L’employeur – ou le collègue de travail –, en revanche, figure au premier rang des auteurs de violences, et il en va de même s’agissant du professeur dans le cadre des écoles artistiques, que les élèves soient mineurs ou majeurs. Ces phénomènes s’expliquent, en première analyse, comme l’un des éléments de l’héritage d’une culture sexiste fondée sur le patriarcat.

B.   L’héritage d’une culture patriarcale et sexiste, qui s’exprime pleinement dans la culture

La prévalence très forte des VHSS dans la société s’explique par la persistance d’une culture sexiste, qui invisibilise les femmes – notamment dans le milieu professionnel – et alimente l’idée selon laquelle le corps des femmes est à la disposition des hommes.

1.   L’invisibilisation des femmes, une histoire de la création

Le sexisme, les VHSS et le manque de parité sont intimement liés : l’expérience prouve que les secteurs plus paritaires sont moins imprégnés par les comportements sexistes et moins susceptibles de voir se produire des cas de violences et de harcèlement sexistes et sexuels. Or les secteurs visés par l’enquête se sont longtemps caractérisés par la place très limitée qui y était réservée aux femmes, souvent cantonnées à certaines fonctions, le plus souvent techniques ou d’assistanat et, en tout état de cause, éloignées des fonctions de création, c’est-à-dire celles qui sont considérées comme les plus nobles. Une évolution majeure des pratiques et des mentalités passe nécessairement par une meilleure représentation des femmes, dans les professions visées comme dans le reste de la société.

a.   Des secteurs historiquement dominés par les hommes

Pendant très longtemps, les femmes ont été écartées des activités créatives. Cette réalité a été illustrée par Virginia Woolf dans un texte célèbre, Une chambre à soi, dans lequel elle imagine la carrière qu’aurait pu avoir la sœur de Shakespeare si elle avait existé. Sa conclusion est sans appel : une femme, même si elle avait eu le même génie que Shakespeare, n’aurait tout simplement pas pu écrire et bénéficier d’une reconnaissance identique car l’organisation de la société aussi bien que les mentalités de l’époque l’interdisaient.

Récemment encore, la journaliste Aliette de Laleu a produit une démonstration similaire à partir du cas de la sœur de Mozart, bien réelle quant à elle ([83]) : Maria Anna Mozart était de cinq ans l’aînée du célèbre pianiste et compositeur. Elle fut la première de la fratrie à faire de la musique. Aussi brillante que son frère, elle participait aux tournées à travers l’Europe que leur père organisait, mais elle dut se marier et arrêter la musique.

La marginalisation des femmes compositrices est l’un des faits les plus frappants de l’histoire des activités créatives. Elle tient au fait que, s’il était bien vu dans les milieux bourgeois qu’une femme ait un loisir artistique, il n’était pas envisageable qu’elle puisse en faire son métier. La musicologue Florence Launay explique que les femmes compositrices ont été systématiquement invisibilisées dans l’histoire de la musique. Malgré leur talent et leur contribution, elles ont souvent été négligées par les institutions musicales et les historiens. Les normes patriarcales limitaient l’accès des femmes à l’éducation musicale professionnelle et aux opportunités de carrière. Les compositrices étaient souvent cantonnées à des genres considérés comme « mineurs » ou à des rôles secondaires. Certaines compositrices ont réussi à percer uniquement grâce à des réseaux de soutien, notamment au sein de leur famille, ou par le patronage d’artistes et de mécènes influents ([84]).

L’histoire du cinéma en dit en elle-même long sur la place accordée aux femmes, si l’on songe à Alice Guy, première réalisatrice de fiction et dirigeante d’un studio au monde, longtemps tombée dans l’oubli. Elle écrivit dans son Autobiographie d’une pionnière du cinéma, 1873-1968 : « Fille d’un éditeur, j’avais beaucoup lu, pas mal retenu. J’avais fait un peu de théâtre d’amateur, et je pensais qu’on pouvait faire mieux. M’armant de courage, je proposai timidement à Gaumont d’écrire une ou deux saynètes et de les faire jouer par des amis. Si on avait prévu le développement que prendrait l’affaire, je n’aurais jamais obtenu ce consentement. Ma jeunesse, mon inexpérience, mon sexe, tout conspirait contre moi. »

Ainsi, parmi les actions visant à favoriser la parité, l’élargissement du répertoire à travers des aides à la création en faveur des femmes et la redécouverte des créations féminines du passé apparaissent donc prioritaires.

Recommandation n° 2 : développer les actions de soutien à la création en direction des femmes.

Recommandation n° 3 : financer les travaux de recherche permettant de redécouvrir et représenter les œuvres créées par des femmes.

b.   Les pouvoirs publics à la recherche de la parité

Depuis 2017, sous l’impulsion des ministres de la culture successifs, les pouvoirs publics ont engagé une action volontariste afin de développer la parité dans les secteurs culturels. Dès 2017, Mme Françoise Nyssen a signé une feuille de route intitulée « Égalité 2022 », visant notamment à favoriser l’accès des femmes aux pratiques culturelles mais aussi aux responsabilités au sein des institutions culturelles.

Selon les résultats de l’édition 2024 de l’observatoire de l’égalité entre femmes et hommes dans la culture et la communication, il y avait, en 2023, 42 % de femmes à la tête des établissements publics de la culture (contre 40 % au 1er janvier 2020) ; 50 % de femmes directrices des affaires culturelles (DRAC), contre 25 % précédemment ; 65 % de femmes à la direction des 41 musées nationaux, contre 41 % en 2020 ; 60 % de femmes à la présidence des entreprises de l’audiovisuel public, contre 80 % ; 42 % de femmes à la tête des centres dramatiques nationaux, contre 29 % auparavant ; 62 % de femmes dans les commissariats des expositions d’intérêt national, contre 52 %.

Cette politique de nominations, qui constitue un levier d’action important, est complétée par plusieurs dispositifs visant à favoriser la parité dans les équipes artistiques, notamment à travers les mécanismes d’aide au cinéma et à la musique. Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et le Centre national de la musique (CNM) sont en pointe en la matière.

Dans le cadre des aides automatiques à la production, le CNC a mis en place, depuis le 1er janvier 2019, un « bonus parité ». Il s’agit d’un bonus de 14,21 % attribué aux équipes artistiques de tournage paritaires, c’est-à-dire comptant au moins autant de femmes que d’hommes aux postes clés de la production et de la création d’un film. L’objectif est de favoriser l’emploi des femmes aux postes clés de la production. Le CNC a procédé à quelques aménagements en 2022 pour élargir sa portée : le poste de compositrice et ceux liés à la post-production « son » – monteuse son et mixeuse – ont été intégrés dans le barème de calcul.

Le fonctionnement de l’aide est le suivant : le producteur d’un film éligible au bonus parité recevra du CNC, s’il mobilise 100 000 euros au titre du soutien automatique, un bonus de 14 210 euros sous forme de subvention. Depuis la création du dispositif, la part des films éligibles croît régulièrement : ils représentaient 12,1 % des films agréés en 2019, 25,5 % en 2020 et 35,2 % en 2023 et 36,4 % en 2024 ([85]).

Le mécanisme des aides à la production cinématographique du CNC

Conformément à l’article L. 111-2 du code du cinéma et de l’image animée, le Centre national du cinéma et de l’image animée a pour mission, notamment, de « contribuer, dans l’intérêt général, au financement et au développement du cinéma et des autres arts et industries de l’image animée et d’en faciliter l’adaptation à l’évolution des marchés et des technologies. À cette fin, il soutient, notamment par l’attribution d’aides financières […] la création, la production, la distribution, la diffusion et la promotion des œuvres cinématographiques et audiovisuelles et des œuvres multimédia, ainsi que la diversité des formes d’expression et de diffusion cinématographique, audiovisuelle et multimédia ».

Dans ce cadre, l’article L. 311-1 du même code dispose que ces aides « sont attribuées sous forme automatique ou sélective ». Les aides à la production cinématographique sont versées à la société de production et non au réalisateur. Elles sont financées par les taxes prélevées sur les entrées de cinéma, les distributeurs, les ventes de DVD et les recettes des chaînes de télévision et des plateformes.

Les aides automatiques sont attribuées en fonction des performances commerciales des œuvres. Elles visent à encourager la production continue et le réinvestissement dans de nouveaux projets. Le montant de l’aide est calculé selon les recettes réalisées par le film précédent du producteur. M. Olivier Henrard, alors président par intérim du CNC, a expliqué le mécanisme dans ces termes : « L’aide automatique repose sur le principe suivant : je suis le producteur d’une œuvre qui a été vue par 200 000 spectateurs et qui a rapporté 1,5 million d’euros de recettes et 150 000 euros au CNC sous la forme de taxes sur la billetterie ; ce producteur verra son compte de soutien au CNC crédité de 150 000 euros pour le film suivant. Ce mécanisme fait abstraction de la qualité de l’œuvre projetée. Il est destiné à permettre à nos entrepreneurs de se présenter devant les financeurs privés, les diffuseurs et toutes les composantes du tour de table en ayant une mise de fonds initiale. » (1)

Les aides sélectives, quant à elles, créées en 1959 par André Malraux, sont attribuées après évaluation par des commissions spécialisées qui examinent divers critères artistiques et économiques. Elles concernent des projets très variés, incluant les premières œuvres, les films à faible budget ou encore les projets innovants. Les projets sont sélectionnés sur la base de dossiers comprenant le scénario, indiquant l’équipe artistique et technique et le budget prévisionnel.

La plus importante de ces commissions, qui dispose d’un budget d’une trentaine de millions d’euros par an, traite de l’avance sur recettes. C’est la commission d’aide sélective pour les longs-métrages de cinéma. Les commissions d’avance sur recettes sont divisées en quatre collèges : premier film ; deuxième et troisième films ; tous les films après le troisième ; avance sur recettes après réalisation. Cette dernière catégorie s’adresse à ceux qui n’ont pas été sélectionnés en faisant leur pitch mais dont on constate que le film, une fois réalisé, est d’une qualité indéniable. Toutes ces commissions sont paritaires. Dans le cas de l’avance sur recette, chaque collège est même coprésidé par un homme et une femme.

(1)    Compte rendu n° 23 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425023_compte-rendu.

 

Le CNM, créé en 2020, prévoit pour sa part des « bonus parité » pour la plupart de ses aides, selon des modalités différenciées ([86]).

En ce qui concerne l’aide à la production et à la diffusion de spectacle vivant, le montant de l’aide est majoré de 5 % si au moins la moitié des critères suivants sont remplis :

– l’artiste principal est une femme ou une personne appartenant à une minorité de genre, ou les artistes principaux sont majoritairement des femmes ou des personnes appartenant à une minorité de genre ;

– au moins 30 % du plateau artistique est occupé par des femmes ou par des personnes appartenant à une minorité de genre ;

– au moins 30 % du plateau technique est occupé par des femmes ou par des personnes appartenant à une minorité de genre ;

– la direction technique ou régie générale est assurée par une femme ou une personne appartenant à une minorité de genre.

Pour l’aide aux promoteurs-diffuseurs, dont l’objectif est de soutenir la prise de risque en faveur d’artistes émergents ou en développement, ainsi que la présentation de nouveaux talents ou de spectacles dans les catégories esthétiques les moins exposées, le montant de l’aide est majoré de 5 % si le diffuseur propose au moins 30 % de femmes et personnes appartenant à une minorité de genre au niveau des leads et plateaux artistiques.

Une disposition comparable s’applique pour l’aide à l’activité de diffusion des salles de spectacles : son attribution tient compte des « dispositions prises afin de favoriser l’égalité femmes-hommes dans le projet ou au sein de l’entité sollicitant l’aide ». Par ailleurs, pour le volet diffusion, le montant de l’aide est majoré de 5 % si le lieu programme au moins 30 % de femmes ou personnes appartenant à une minorité de genre au niveau des artistes principaux et plateaux artistiques ; pour le volet accompagnement, le montant de l’aide est majoré de 5 % si au moins 30 % de femmes ou personnes appartenant à une minorité de genre participent à des résidences organisées par l’entité.

Les aides transversales visant notamment à favoriser le développement international des projets musicaux sont conditionnées à l’existence de dispositions en matière d’égalité femmes-hommes ainsi qu’à un niveau de rémunération égale entre femmes et hommes à poste équivalent.

L’attribution de l’aide à la création de salles de spectacles, quant à elle, tient compte des « dispositions prises en matière de place des femmes ». Le rapporteur estime qu’un mécanisme plus incitatif devrait être introduit.

Recommandation n° 4 : revoir le mécanisme de l’aide à la création de salles de spectacle du CNM pour le rendre plus incitatif en matière de parité.

S’agissant du spectacle vivant, l’attribution du label « centre dramatique national » est conditionnée notamment au respect par l’établissement, dans l’exercice de ses missions, « des objectifs de parité » ([87]).

L’attribution des aides déconcentrées du spectacle vivant se fait « en recherchant une égale attribution aux femmes et aux hommes », qu’il s’agisse des aides au projet ou du conventionnement, aux termes du décret n° 2015-641 du 8 juin 2015 relatif à l’attribution des aides déconcentrées au spectacle vivant, dans sa version résultant du décret n° 2021-1608 du 8 décembre 2021. Toutefois, les données rassemblées par le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC) concernant l’année 2022 mettent en évidence une profonde disparité entre les équipes artistiques à majorité masculine et celles à majorité féminine ou mixtes : si les équipes masculines représentaient 51 % des équipes bénéficiaires, elles se voyaient attribuer 60 % des crédits ([88]).

c.   Une situation qui reste néanmoins défavorable aux femmes

En dépit des mesures importantes qui ont été prises, la place accordée aux femmes dans les secteurs considérés reste insuffisante. C’est vrai, d’une manière générale, lorsque l’on observe leur part parmi les 312 000 salariés intermittents du spectacle : en 2023, 60,9 % étaient des hommes – même si, tendanciellement, les effectifs se féminisent (la part des femmes chez les plus jeunes est largement supérieure à celle relative aux plus âgés : 45,3 % chez les moins de 30 ans, contre 31,9 % chez les 50 ans ou plus) ([89]).

Recommandation n° 5 : rééquilibrer en faveur des équipes artistiques à majorité féminine ou mixtes les aides déconcentrées du spectacle vivant, en se fondant non seulement sur le nombre de projets soutenus, mais aussi sur le montant des crédits versés.

De façon générale, le rapporteur estime que ces dispositifs de bonus parité pourraient gagner en efficacité en devenant des malus, en relevant progressivement la pénalité afin d’accompagner la transformation, et en étant étendus à l’ensemble du champ culturel subventionné. Il serait également souhaitable que leur champ soit étendu à l’ensemble des subventions versées, notamment à des associations, comme la Cinémathèque française (cf. infra).

Recommandation n° 6 : transformer les « bonus parité » attribués dans le cadre des aides publiques à la création en malus et prévoir un relèvement graduel de la pénalité.

Recommandation n° 7 : créer un mécanisme comparable pour les aides aux secteurs artistiques qui n’en comportent pas encore.

 Dans le cinéma, selon les chiffres du Collectif 50/50, au cours des années 2013-2022, les réalisatrices restaient très largement minoritaires : elles ne représentaient que 27 % de l’ensemble des réalisateurs. Le domaine du documentaire est celui où le déséquilibre est le moins prononcé : elles comptaient pour 33 % des réalisateurs de cette catégorie de films. Même lorsqu’elles accédaient à la réalisation, elles tournaient moins que les hommes : si les femmes représentaient 29 % des réalisateurs ayant tourné un seul film sur la période, elles n’étaient que 11 % à en avoir réalisé cinq ou plus. Sur 2 876 films réalisés entre 2013 et 2022, moins d’un quart l’a été par des femmes : 23,6 %. Plus significatif encore, les femmes sont cantonnées aux films à petit budget. Si le bonus parité du CNC fonctionne, il convient de noter qu’il est surtout attribué à des réalisatrices ([90]).

Du reste, la reconnaissance des institutions envers les réalisatrices ne paraît pas tout à fait acquise, si l’en juge par le nombre de César de la meilleure réalisation attribués au cours des dernières décennies à des femmes. Depuis la création du prix en 1976, seules deux femmes ont obtenu le César de la meilleure réalisation : Tonie Marshall pour Venus beauté (Institut) en 2000 et Justine Triet pour Anatomie d’une chute en 2024.

Répartition des films d’initiative française
éligibles au bonus parité du CNC
selon le genre du réalisateur

Source : Collectif 50/50, à partir de la base de données « Production cinématographique – liste des films agréés » – CNC

Le déséquilibre entre femmes et hommes dans le cinéma se retrouve dans la proportion de chefs de poste : elles ne représentaient que 34 % des premiers assistant-réalisateur sur les films sortis en salle en 2023, et les films sur lesquels elles ont travaillé avaient un budget inférieur de 15 % en moyenne à celui des films pour lesquels les hommes occupaient le même poste. Certains métiers restent réservés aux femmes : celles-ci représentaient 93 % des cheffes costumières. En dehors des postes de directeur de casting, occupés à 75 % par des femmes, l’ensemble des fonctions considérées comme « essentielles » d’un film sont exercées en majorité par des hommes : 59 % pour les chefs décorateurs, 82 % pour les directeurs de la photographie, 65 % des directeurs de production, 88 % des chefs effets spéciaux, 86 % des ingénieurs du son, 92 % des auteurs de musique, ou encore 65 % des scénaristes. De plus, encore et toujours, les femmes exerçant ces responsabilités sont cantonnées aux plus petites productions ([91]).

● Dans le spectacle vivant public, durant la saison 2023-2024, 43 % des spectacles étaient mis en scène par une femme – même s’il importe de noter que les centres dramatiques nationaux ont atteint la parité. L’indicateur le plus faible, s’agissant de la parité, est celui qui porte sur la proportion de textes écrits par une femme : 34 % seulement. De la même façon, seuls 45 % des artistes sur les plateaux sont des femmes. Le potentiel de public pour les femmes programmées ne pèse par ailleurs que pour 40 % de l’ensemble ([92]).

Évolution de la part des femmes par saison entre 2019 et 2024
selon la fonction occupée et la catégorie de spectacle

Source : SYNDEAC, « Les égalités dans le spectacle public – 2019-2024 »

S’il importe de souligner une tendance favorable aux femmes dans l’ensemble des catégories par rapport à il y a cinq ans, on ne saurait manquer d’observer que cinq des six indicateurs pour lesquels la parité est atteinte voire dépassée se situent dans des champs traditionnellement réservés aux femmes : le jeune public et les marionnettes…

Si la situation des femmes connaît une embellie relative dans le spectacle vivant public, ce qui démontre que le volontarisme manifesté par les pouvoirs publics en matière de parité a eu un effet certain, il y a tout lieu de penser qu’il n’en est pas de même dans le secteur privé, comme tend à le montrer une étude réalisée par l’Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP) en 2024 ([93]). Il apparaît que les femmes n’occupent que 36 % des postes correspondant à des CDD d’usage dans le théâtre privé, c’est-à-dire pour les artistes et les techniciens. La proportion de représentations dans lesquelles elles sont impliquées n’a pas évolué par rapport à la saison 2018-2019 : 38,1 %. Si elles s’occupent à près de 87 % des costumes, elles sont beaucoup moins impliquées dans la gestion des structures théâtrales (43 %) et dans les activités directement artistiques et de création : elles comptent pour 47 % des metteurs en scène mais seulement pour 40 % des artistes interprètes et moins de 26 % des auteurs.

Selon les données d’ARTCENA, en 2023, dans l’ensemble du spectacle vivant, la répartition en genre demeurait au bénéfice des hommes : 52 %. Les hommes sont, en outre, surreprésentés dans les métiers techniques (73 %) et majoritaires (60 %) dans les activités artistiques. Les postes administratifs sont, à l’inverse, davantage l’apanage des femmes (63 %).

2.   Le corps des femmes perçu comme un objet érotisé et « à disposition »

La structure patriarcale de la société a pour correspondance, dans les secteurs artistiques, la prédominance du « regard masculin » : l’histoire du cinéma, mais aussi celles du théâtre, de l’opéra ou encore de la photographie, ont été très largement celles de la manière dont les hommes voyaient le monde et, inéluctablement, les femmes et leur corps.

C’est si vrai que François Truffaut a pu proposer du cinéma la définition suivante : « Le cinéma est un art de la femme, c’est-à-dire de l’actrice. Le travail du metteur en scène consiste à faire faire de jolies choses à de jolies femmes et pour moi les grands moments du cinéma sont la coïncidence entre les dons d’un metteur en scène et ceux d’une comédienne dirigée par lui » ([94]). Lors de son audition, M. Frédéric Bonnaud, directeur général de la Cinémathèque, a parlé d’une « boutade » de François Truffaut ([95]). Tout au contraire, cette phrase révèle ce qui constitue la vérité profonde du rapport au cinéma de certains réalisateurs.

Or, lorsque les femmes sont filmées, mises en scène ou photographiées, l’érotisation est quasiment la règle. C’est l’une des principales caractéristiques de ce que la critique et réalisatrice Laura Mulvey a appelé le « male gaze » ([96]). La réalisatrice et universitaire Iris Brey a résumé ainsi cette théorie : « la caméra, œil du réalisateur, filme les femmes comme des objets en morcelant leur corps, et nous, spectateurs et spectatrices, nous identifions au regard de la caméra, donc du héros. Nous sommes ainsi positionnés à la place du héros qui prend du plaisir en regardant le corps des femmes “morcellisées”, parcellées, objectifiées. » ([97]) Elle concluait : « En tant que spectateur, on a appris à être excité quand on regarde une scène montrée comme érotique. Le problème n’est pas que cela existe, mais que c’est partout et tout le temps. »

Certains réalisateurs se sont fait une spécialité de filmer avec complaisance de très jeunes femmes. Mme Iris Brey a noté, à cet égard, l’importance du film Lolita (1962) de Stanley Kubrick, qui a représenté un tournant, « un changement de paradigme et un changement sociétal. Contrairement au livre de Nabokov, où Lolita est une fille violée par son beau-père, l’adaptation de Kubrick montre une jeune fille responsable du fait que son beau-père est excité par elle. La responsabilité lui en incombe et le mot “lolita” va être utilisé dans le langage commun pour dire que ce sont les jeunes filles qui sont responsables de l’excitation que ressentent les hommes, les pères et les beaux-pères face à elles. »

Sans surprise, plusieurs des artistes cultivant un tel regard sur les très jeunes femmes ont également été accusés d’agressions sexuelles. C’est le cas, notamment, de Christophe Ruggia, dont le film intitulé Les Diables, sorti en salles en 2002, montre l’amour incestueux entre un frère et une sœur orphelins ; la jeune fille y est incarnée par Adèle Haenel. Il en va de même pour les réalisateurs Jacques Doillon, auteur de La Fille de quinze ans (1989), et Benoît Jacquot, qui réalisa La Désenchantée (1990). Ces deux films mettent d’ailleurs en scène la même jeune actrice, devenue l’égérie de la défense des mineurs, et plus largement des femmes, dans le milieu du cinéma : Judith Godrèche.

Du reste, s’agissant du réalisateur Jacques Doillon, la commission d’enquête a recueilli le témoignage d’une victime de faits d’une extrême gravité, commis alors qu’elle était stagiaire : « J’ai subi une tentative de viol, de Jacques Doillon, en 1998. J’étais stagiaire bénévole sur le tournage de Petits Frères. Il m’a proposé un rendezvous dans un café. Une demi-heure avant, il a changé l’adresse pour celle de sa maison, où je me suis rendue en pensant que Jane Birkin y serait. Elle n’y était pas. Il m’a reçue seul. Du rez-de-chaussée nous sommes passés au premier étage, il m’a servi de l’alcool et une pizza et m’a fait miroiter des essais avec Stéphane Foenkinos, pour me faire démarrer dans le métier. J’ai environ 20 ans, c’est mon premier tournage. Il me dit qu’Isabelle Huppert, Béatrice Dalle et Juliette Binoche ont suivi ce parcours, qu’elles sont toutes passées par lui pour commencer. Au milieu du repas, il a ouvert une porte qui mène dans un grenier au deuxième étage. Là, il y avait une chambre, où j’ai été piégée. Il s’est allongé sur le lit. J’ai tiré un fauteuil pour lui tenir tête. Il m’a attrapé le bras pour me tirer vers le lit. Je me suis débattue. J’ai réussi à m’extraire » ([98]).

Le secteur de la photographie n’est pas épargné par le phénomène. On songe, bien entendu, à David Hamilton, devenu célèbre pour ses clichés esthétisant et érotisant le corps des jeunes mannequins, accusé d’avoir commis plusieurs viols au cours de sa carrière. Plus récemment, en 2022, une campagne publicitaire de la marque Balenciaga a suscité la polémique : elle mettait en scène de très jeunes enfants dans des univers faisant référence à des pratiques sexuelles sadomasochistes (ours en peluche affublés de harnais cloutés, laisses, colliers étrangleurs, etc.) et à la consommation d’alcool.

La sexualisation du corps des enfants, des jeunes femmes et des jeunes hommes entretient l’idée qu’il est licite de porter un regard chargé de désir sur des mineurs. À cet égard, une prise de conscience des milieux artistiques est nécessaire quant aux conséquences de telles représentations. Le rapporteur estime indispensable de poser le principe d’une interdiction de ces représentations sexualisées à l’écran et dans les photos de mode, par exemple en les montrant en sous-vêtements, en prévoyant certaines exceptions, mais très clairement définies.

Recommandation n° 8 : poser le principe d’une interdiction de la sexualisation des mineurs à l’écran et dans les photos de mode, et définir une liste d’exceptions très limitatives.

De nombreux artistes ont franchi un palier supplémentaire en représentant des relations sexuelles non consenties comme des moments érotiques, c’est-à-dire comme des situations désirables. Pire encore, cette manière de montrer le viol est très loin d’être isolée, comme l’a souligné Mme Iris Brey : « la majorité des scènes de viol sont filmées du point de vue non de la victime, mais de l’agresseur » ; « les codes visuels vont nous mettre dans la position du voyeur ou du violeur et nous inviter à prendre du plaisir en regardant une femme qui se fait violer. » ([99])

Durant les auditions, la commission d’enquête a eu l’occasion de constater à quel point restait profondément enracinée l’idée selon laquelle les hommes – puisque ces derniers composent la plus grande partie des agresseurs – peuvent s’approprier le corps de l’autre, en particulier celui des femmes.

Les exemples abondent dans tous les secteurs entrant dans le champ de l’enquête. Comme le soulignait une metteuse en scène membre du collectif MeTooThéâtre, « c’est un cliché qui nous colle à la peau, celui de l’actrice dont le corps appartient au metteur en scène » ([100]). Cette conception s’explique en partie par la manière dont, pendant très longtemps – et aujourd’hui encore, hélas –, les femmes ont été perçues par les hommes : des corps offerts au désir, des objets dont il est loisible de s’emparer, que l’on peut non seulement contempler mais aussi manipuler à son aise.

Le collectif « Balance ta scène » a rassemblé des témoignages édifiants qui confirment le caractère massif de ce phénomène dans les milieux visés par l’enquête. Une jeune femme relate dans les termes suivants la manière dont a réagi un musicien, membre d’un groupe de musique actuelle, lorsqu’elle a refusé d’avoir des relations sexuelles avec lui lors d’un after : « il s’approche de moi pour me demander ouvertement de coucher avec lui. Je refuse et il me répond “ben tu fous quoi là alors ??” (car apparemment, une fille en after ou backstage n’a qu’une seule fonction…) » ([101]).

Une actrice installée dans le métier depuis plusieurs années a raconté lors de son audition une agression dont elle avait été victime récemment de la part de l’un de ses partenaires : « Tout à coup, durant une scène d’amour, il a pris mon sein dans sa bouche alors que nous n’en avions pas parlé auparavant. »

Un ancien mannequin a pour sa part décrit ainsi la désinvolture avec laquelle elle était manipulée constamment au sein de son agence : « je suis pesée et mesurée constamment. Je pèse quarante-huit kilos pour un mètre soixante-seize. On me palpe très souvent, à l’agence, pour me faire comprendre où j’ai trop de graisse ».

Le consentement de la personne visée n’entre ainsi jamais en ligne de compte. Cette propension à réifier le corps de la femme, profondément inscrite dans la société, est accentuée par certaines cultures professionnelles, notamment dans les secteurs faisant l’objet de l’enquête. Comme l’a déclaré à huis clos une actrice passée il y a quelques années par l’une des plus célèbres écoles d’acteur de la capitale, « on nous apprend au cours Florent qu’il faut tout donner, y compris son corps ». Elle poursuivait, évoquant la suite de sa carrière : « J’ai ainsi fait vraiment beaucoup de scènes de nu dont je ne suis même pas sûre qu’elles m’aient traumatisée, car j’étais en dissociation complète. Cela me paraissait normal. Mon corps n’était plus à moi. » Ce phénomène d’aliénation de son propre corps est souvent relaté par les victimes d’agressions, quels que soient leur milieu social et professionnel et leur âge.

3.   Le sexisme « ordinaire », terreau de la normalisation des violences

L’une des principales révolutions sociétales en cours ces dernières années est liée à la prise en compte du fait que les comportements sexistes ne sont ni normaux ni acceptables. En effet, pendant trop longtemps, les violences, en particulier sexistes et sexuelles visant les femmes, tellement répandues, étaient par voie de conséquence considérées comme inévitables, voire normales.

Comme l’a souligné M. Jean Loup Chirol, membre du comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) de la production cinématographique, « la question n’est pas tant de savoir comment on en est arrivé là que de savoir comment sortir d’une situation immémoriale » ([102]). Évoquant les jeunes techniciennes sur les plateaux de tournage dans les années 1980, il a également déclaré : « Elles me rapportaient subir des remarques sexistes absolument insupportables sur les tournages. » Ces violences n’étaient pas prises en compte car elles étaient banales. Mme Laure Adler a témoigné en ces termes de ses débuts à Radio France : « Les violences sexuelles étaient le lot quotidien des débutantes. Je dois dire, à ma grande honte, qu’elles étaient acceptées y compris par nous, les filles. » ([103])

Or, si la situation est de moins en moins considérée comme normale, le constat tiré par la commission d’enquête est sans appel : les comportements sexistes restent omniprésents dans les milieux visés, au point qu’il serait impossible de citer tous les exemples de comportements sexistes dont la présidente et le rapporteur ont été saisis, durant les auditions comme dans les témoignages reçus par écrit, tant ils sont nombreux, allant, pour ce qui est du cinéma et de l’audiovisuel, de la remarque sexiste adressée à la jeune décoratrice qui utilise une visseuse, au chef qui indique à son assistante qu’elle est plus belle quand elle détache ses cheveux et que c’est ainsi qu’elle devra se coiffer pour travailler avec lui, à l’acteur qui annonce à la technicienne : « toi, je ne vais pas te lâcher de la soirée » à une fête de tournage, en passant par l’acteur qui critique la comédienne « incapable d’être belle après deux heures de maquillage », ou encore le concours, entre le réalisateur et le rôle principal, de celui qui obtiendra le plus de numéros de figurantes, l’envoi de dick pic, le comédien qui fouette le postérieur d’une technicienne avec sa cravate, le chef de poste qui intime à la doublure lumière de se dévêtir pour préparer une scène d’intimité en la faisant acclamer par son équipe d’un « à poil ! », etc.

Mme Laura Marret, cheffe machiniste représentant le collectif Femmes à la caméra, qui regroupe des techniciennes, des directrices de la photographie, des cadreuses, des assistantes caméra, des digital imaging technicians (DIT), des électriciennes, des machinistes et des étudiantes en cinéma en section image, a fait état « de blagues grivoises, de propos de nature sexuelle et de plaisanteries ou de commentaires par rapport au physique, que ce soit sur le plateau ou en dehors de celui-ci. Cela va de gestes et propos déplacés à la promesse d’être retenue lors d’un autre projet – sous réserve d’échange de bons procédés, comme ils disent. Nous avons de nombreux exemples et cela ne s’arrête jamais. » ([104])

Le secteur du cinéma n’est pas seul en cause : à propos de son enquête menée sur les musiques actuelles, le journaliste Donatien Huet a déclaré sans ambages avoir « découvert une situation très similaire à celle de l’industrie du cinéma : un sexisme banalisé et généralisé » ([105]). Ce constat repose sur le caractère prétendument subversif de certaines musiques actuelles – on pense, par exemple, à la culture métal, qui aime d’ailleurs à se présenter comme une contre-culture, un milieu très masculin ayant ses propres règles allant à l’encontre des règles communes, notamment la common decency, qui suppose de respecter l’autre sexe.

C’est ce que s’est attachée à souligner Mme Rose Lamy, cofondatrice de @MusicTooFrance : « C’est ce qu’eux appellent être subversif, alternatif : il faut briser les règles, l’ordre établi, les codes moraux… Sex, drug and rock’n’roll : telle est la religion du secteur des musiques actuelles. Ébriété, consommation et transgression de la frontière entre public et privé sont les éléments de cette culture singulière. » ([106]) Lors de son témoignage, elle a rapporté les nombreux propos sexistes auxquels elle avait eu droit tout au long de son parcours dans ce milieu : « Les femmes ne deviennent jamais directrices artistiques » ; « Tu n’as pas aimé ce concert. Tu as tes règles ou quoi ? » ; « C’est sûr, elle a dû passer sous le bureau pour avoir ce poste », à propos d’une femme qui avait obtenu une promotion, sans oublier les commentaires sexistes sur les chanteuses et les musiciennes.

Le milieu de la musique classique, quoique plus policé en apparence, n’est pas moins concerné. Le rapporteur en veut pour preuve les dizaines de témoignages concernant Gaël Darchen, directeur de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, faisant état de multiples remarques sexistes visant les jeunes femmes à des fins d’humiliation, dans le cadre de la mise en place d’une stratégie d’emprise. Pour ne retenir que quelques-uns des exemples émanant des témoignages transmis au rapporteur, les remarques humiliantes relatives aux tenues vestimentaires ou à l’apparence des jeunes adolescentes apparaissent fréquentes au sein de la maîtrise : « Il y a plusieurs années, M. Darchen avait fait une remarque à l’une de mes amies sur sa tenue, son tee-shirt jugé trop court et son jean trop taille basse (nous avions 14 ans à peu près). Évidemment ces codes vestimentaires à respecter ne s’appliquent pas à tous. Plus récemment, M. Darchen a critiqué une autre fille devant tout le monde car elle s’était fait une couleur de cheveux rose. Il disait que c’était de très mauvais goût », indique une ancienne maîtrisienne. « Elle avait l’habitude de porter du maquillage, ce qui, un jour, a conduit à une scène encore plus humiliante. Après une visite, alors que nous remontions dans le bus, Mme Lépinay et M. Darchen l’ont prise à part et l’ont fait s’asseoir. Ils ont attendu qu’un accompagnateur leur apporte des lingettes démaquillantes, puis ils l’ont démaquillée devant tout le groupe. La scène a duré une dizaine de minutes », relate une autre à propos de sa camarade. M. Darchen aurait par ailleurs fait remarquer à des parents que leur fille de 15 ans avait une apparence physique « plus mature que son âge », et déclaré à une jeune fille : « Je sais qu’on dit que les filles mûrissent plus vite que les garçons, mais méfiez-vous, vous savez ce qu’il arrive quand on mûrit trop vite… on pourrit ». Au-delà de la volonté d’humilier ces jeunes filles, la teneur des propos rapportés est révélatrice d’un rapport aux maîtrisiennes extrêmement sexualisé.

Le domaine des danses urbaines est souvent marqué par un sexisme décomplexé. Dans le cadre d’une mission à Rennes, le rapporteur a rencontré plusieurs représentantes du collectif de hip-hop Fair-e, qui dirige le Centre chorégraphique national de Bretagne. Bien que ce collectif soit exemplaire par la place qu’il accorde aux femmes et aux actions de sensibilisation à la parité ainsi qu’à la lutte contre toutes les formes de discrimination, ses membres ont convenu que le respect des femmes n’allait pas forcément de soi dans ce milieu.

De nombreux professionnels du théâtre ont eux aussi saisi la commission d’enquête d’exemples de comportements et propos sexistes. La comédienne Elsa de Belilovsky, a évoqué en ces termes sa collaboration avec l’humoriste Yassine Belattar au sein du théâtre de Dix Heures : « Le surnom de notre compagnie, Les Improvocantes, était “les Improputes”, et l’on entendait : “Ah, les petites salopes arrivent !” Cela faisait rire tout le monde, et nous riions aussi, mais une fois dans les loges nous nous disions que c’était lourd. En fait, dans le milieu de l’humour, nous sommes habituées à être considérées comme des petites pépettes et à devoir en rire » ([107]). Parmi les témoignages écrits reçus par la commission d’enquête, celui d’une autre metteuse en scène de théâtre, signalant des agissements violents de la part de cadres de la compagnie entraînant des arrêts maladies et des démissions de plusieurs femmes, s’entend répondre : « Toi, t’as un problème avec les hommes ! »

Mme Anne Ricaud, membre du Syndicat des scénaristes, a quant à elle rapporté à la commission d’enquête une anecdote très révélatrice de la façon dont les femmes sont perçues dans le milieu du théâtre : « À la fin de la deuxième saison, lors du pot de clôture, le directeur de la communication du théâtre, qui avait eu mille fois mon nom devant les yeux sur ses supports, m’a dit : “Cela fait deux saisons que je vous vois venir tous les jours. Êtes-vous la compagne du comédien ?” Il ne lui a pas traversé l’esprit que j’étais l’autrice et la metteuse en scène. » ([108]) Dans le même ordre d’idées, une metteuse en scène a évoqué la scène suivante au Syndicat nationale des metteuses et metteurs en scène (SNMS) :

« Il dit :

 On va peut-être attendre que le metteur en scène arrive pour parler de la technique.

Elle répond :

 Mais c’est moi la metteure en scène !

Il reprend :

 Attendons le régisseur alors. »

Le milieu de la radio apparaît à cet égard particulièrement permissif. Mme Émilie Castelain, ancienne animatrice de radio dont le témoignage a été lu à la commission par Mme Emmanuelle Dancourt, a relaté en détail les propos et agissements sexistes dont elle a été victime, fondés sur des préjugés permettant la perpétuation de la domination masculine : « Je suis la première femme à avoir eu son émission sur NRJ en 2005. Pourquoi si tard ? Parce que, et ce sont les hommes qui me l’ont bien expliqué, les femmes détestent entendre d’autres femmes. Elles seraient jalouses, critiques et puis on perdrait de l’audience. Elles iraient écouter la voix suave et réconfortante du beau mâle de la station voisine. En radio, une voix d’homme, c’est une voix neutre. C’est littéralement ce qu’on nous apprend quand on veut faire nos métiers, animatrices ou journalistes radio. […] Il faut être cool, ouverte et savoir parler aussi de la couleur de sa petite culotte, comme me l’a dit le directeur d’antenne à cette époque » ([109]).

Mme Caroline Barel, ancienne animatrice radio, ne décrit pas autre chose quand elle évoque ses débuts à la radio : « [Des] sondages indiqueraient que les auditrices n’aiment pas entendre les voix d’autres femmes à la radio, jugées trop stridentes ou suscitant la jalousie et l’agacement. Pour ma part, ayant une voix grave, on me destinait aux émissions de nuit, soi-disant pour exciter les hommes. Chaque fois que j’ai intégré une radio – NRJ, Chérie FM, Ado, et Voltage –, la direction me rappelait ces fameux sondages. Vingt ans plus tard, je suis toujours à leur recherche. J’ai débuté chez NRJ dans l’émission “Sans interdit”, diffusée de vingt et une heures à minuit, entourée de quatre hommes, où ma mission consistait, à partir de vingt-deux heures – l’heure à laquelle on peut parler de sexe à la radio – à faire deviner des positions sexuelles aux auditeurs avec une voix de téléphone rose. En dehors de cela, j’étais standardiste et devais rire bêtement aux blagues des intervenants. » ([110])

Elle a ensuite décrit à la commission d’enquête l’ambiance de travail, en 2014, au sein de la matinale de la radio Chérie FM : « Le producteur imposait des humiliations constantes à l’équipe, telles que le port, une journée entière, de pancartes indiquant “Je suis vilaine” ou des changements de prénoms des stagiaires – pratique qui existe sur plusieurs antennes du groupe, et encore tous les matins sur NRJ. Il existait également un panneau couvert de citations à caractère sexuel, et c’était pour tous un honneur que d’y figurer. » C’est précisément ce type de harcèlement d’ambiance qui facilite la commission, en public, d’infractions d’une grande gravité, comme l’expérience de Mme Caroline Barel, mordue par deux fois au postérieur par l’animateur star, l’a montré.

Deux autres femmes ayant travaillé sur des chaînes de radio musicales ont accepté d’être entendues par la commission d’enquête, à huis clos compte tenu des procédures judiciaires en cours. Leurs témoignages sont sans appel et décrivent un sexisme totalement décomplexé au sein de la radio musicale, NRJ, qui les employaient : « Pendant les cinq ans au cours desquels j’ai travaillé avec Emmanuel Levy, il faisait des réflexions récurrentes sur ma poitrine et s’amusait du fait que je sois ménopausée. Entre les musiques diffusées à l’antenne, il m’imitait, prenant une voix de mémère : “J’ai pas 40 ans, j’en ai 50, j’ai la chatte toute fripée.” “Ah, c’est l’automne, c’est la saison des poireaux qu’elle se met dans la chatte” ; “T’as déjà mis tes gros doigts dans ton gros cul ?” ; “En boudin de porc, tu serais super” ; “Elle doit avoir la chatte acide” – et ce n’est qu’un dixième de ce que j’ai pu entendre. Pour lui, comme pour beaucoup d’animateurs d’ailleurs, c’est rigolo, c’est de l’humour. » ([111])

Là encore, l’extrême permissivité – pour ne pas dire la complicité – de la direction de la station a conduit à des faits plus graves encore, en 2022, commis envers une autre femme par le producteur de l’émission, avec le soutien hilare du même animateur, et sous les yeux médusés de l’équipe : sous couvert d’incarner un satyre nommé Stan, ledit producteur a agrippé une femme membre de l’équipe, puis l’a plaquée contre un mur avant de frotter lascivement ses parties génitales contre son entrejambe, en agrémentant son geste obscène de bruits de coït.

Si les mentalités et les pratiques ont commencé à évoluer, au moins dans une certaine mesure, la commission a été alertée sur une tendance sournoise risquant de renforcer les représentations sexistes en les ancrant dès le plus jeune âge dans l’esprit de celles qui en sont pourtant les victimes. Ainsi, Mme Laure Adler a souligné la force d’un nouveau canal de transmission des idées sexistes : les réseaux sociaux. Évoquant les travaux de Françoise Héritier, elle a détaillé les mécanismes suivants : « Selon elle, la différence sexuelle continue de structurer nos sociétés, y compris en Occident. Les nouvelles technologies, la vitesse de propagation des informations et la sexualisation de plus en plus précoce du corps des jeunes filles font que le désir de celles-ci, véhiculé par leurs frères, leurs petits amis ou leurs proches, est de ressembler à ce que les réseaux sociaux présentent comme le pinacle d’une sexualité épanouie et même conquérante. La dialectique est à ce point vénéneuse qu’on fait croire aux jeunes filles qu’elles seront maîtresses de leur sort et de leur image en étant la bimbo girl, la fille impubère, celle qui a une taille de guêpe, de grosses fesses et une poitrine et qui ressemble aux modèles les plus archaïques des déesses de la fertilité. » ([112])

Un autre phénomène sexiste, et qui constitue une forme de discrimination – donc de violence – touche particulièrement les femmes d’une manière générale, mais de façon exacerbée dans les secteurs artistiques, à savoir la difficulté pour les femmes, passé un certain âge, de poursuivre leur activité professionnelle. Le terme « âgisme » s’est imposé depuis quelques années à ce propos. Mme Charlotte Cegarra, membre de la Guilde des artistes de la musique (GAM), a ainsi expliqué : « comme toutes mes consœurs, je suis confrontée à un mal inéluctable, qui ne devrait pas en être un : l’avancée en âge, qui a de nombreuses répercussions sur la vie des artistes femmes » ([113]). Ce phénomène est bien connu pour les actrices, mannequins, présentatrices de télévision, et même les chanteuses : à partir de 50 ans, les engagements se font de plus en plus rares. La journaliste Juliette Soudarin a même pu s’interroger de la manière suivante : « Industrie musicale : peut-on encore percer après 30 ans ? » ([114])

Les femmes racisées subissent assurément, dans ce domaine, une inacceptable forme de double peine, comme l’a montré, sous une forme poétique et poignante, la comédienne Nadège Beausson-Diagne lors de son audition, évoquant la « misogynoire » qu’elle a subie tout au long de sa carrière : « Femme noire survivante du néant morte tellement de fois fantôme vivante devant vous suisje vraiment là ? » ([115]). Les exemples qu’elle a livrés à la commission sont, hélas, particulièrement éloquents :

« – Je savais pas qu’on n’avait pas le droit de toucher les cheveux des noires ! Ben ouais, moi j’ai pas beaucoup de cheveux, donc quand je vois ta grosse touffe, ça me donne envie d’y mettre les mains ! »

« – Ta voix grave, ça fait vraiment travelo ! Tu peux pas la changer ? Sinon, tu parles africain ? »

« – Vous, les Sénégalaises, c’est dingue comme vous adorez vraiment les chaussures ! »

« – Wouah, ce cul ! Ben, t’étonnes pas que les mecs aient envie d’y mettre les doigts ! »

« – Ma tigresse, tu dois être bien chaude au lit, toi ! »

« – On t’aurait bien donné le premier prix, mais t’es noire, donc tu feras pas carrière ! »

« – Tu couches aussi avec des blancs ? »

« – Quand tu seras Beyoncé, tu pourras avoir des exigences ! »

« – Comment ça, le fond de teint ça va pas ? Ben, c’est celui pour Firmine Richard ! C’est quoi le problème ? »

Bien sûr, le racisme associé à des tentatives d’obtenir des faveurs sexuelles concerne également les hommes évoluant dans le milieu du cinéma et de l’audiovisuel, comme le montre le témoignage écrit d’un comédien : « En tant qu’acteur noir, bien souvent j’ai senti ma marge de manœuvre très restreinte. Pour parler, agir. Déjà pour me battre pour ma propre condition… J’ai très peu d’espoir pour ce milieu. […] Il y a eu ce directeur de casting qui était l’ami de la directrice de casting du film. Il m’avait invité au théâtre, je trouvais ça étrange. J’ai refusé. J’ai appris des années plus tard, que pendant la pièce de théâtre, il tentait de toucher les parties génitales des acteurs qui l’accompagnaient. […] Alors que j’étais à l’étranger, un directeur de casting français m’a envoyé chez une directrice de casting américaine, très connue, pour des essais sur une série policière. Puis lorsque lui et moi nous avons eu un appel vidéo, il m’a flashé son téton. J’ai repoussé ses avances. Je me souviendrai toujours de la réaction de mon agent (une femme) quand je lui ai dit, elle m’a demandé si j’avais fait quelque chose pour qu’il se permette ça… J’ai appris plusieurs années après, en parlant avec un réalisateur, que tout le monde était au courant du comportement de ce directeur de casting […] Il y a eu aussi ce réalisateur, j’avais répondu à une petite annonce et pour se rencontrer il m’avait invité à déjeuner. Et moi, jeune comédien désargenté, j’ai accepté la rencontre et le déjeuner. Et au milieu de mon plat, il met sa main sur la mienne et il me dit que je l’avais chamboulé. J’ai enlevé ma main et suis parti quelques minutes après. Deux ans après, il était à Cannes. Il n’y avait que des jeunes dans son film. J’ai croisé les doigts pour qu’ils aient échappé à ce que moi j’avais entrevu. »

Le comédien et metteur en scène Abdelhakim Didane a lui aussi témoigné du racisme latent des milieux culturels : « J’ai intégré le conservatoire de théâtre de Toulouse, où j’ai vécu une expérience intense et enrichissante. Mais rapidement, j’ai compris que mon identité de noir et arabe allait faire face à des murs invisibles, faits de stéréotypes, de racisme et d’invisibilisation. […] Dans ma carrière, j’ai souvent été réduit à ma couleur de peau, à mes origines, comme si c’était le seul prisme à travers lequel on pouvait me voir. On me proposait des rôles stéréotypés de noir ou d’arabe et chaque rencontre semblait ramener cette idée que je n’étais rien de plus qu’un corps sans intellect. Le message était clair : ma présence artistique n’était pas suffisante. On me disait que, pour avancer, il me fallait un partenaire blanc pour légitimer mon travail. […] Le théâtre et le cinéma comme certains médias ont joué un rôle dans [la situation politique actuelle], en invisibilisant les parcours des citoyens issus de la diversité et en se focalisant sur des parcours négatifs. L’autre frustration majeure est l’essentialisation que l’on fait de notre identité. Être noir ou arabe signifie-t-il nécessairement que je dois jouer les rôles d’Aimé Césaire ou de Kateb Yacine ? On nous conseille souvent des films, des livres, des pièces de théâtre qui parlent de nous sans nous, avec une victimisation et une vision réductrice. Pourquoi ces auteurs sont-ils les seuls représentants de mon identité ? À force, je n’aime plus Aimé Césaire, je n’aime plus Kateb Yacine. D’ailleurs, dans la rue, on m’arrête souvent et on me dit que je ressemble à Fabrice Éboué ou à Kamini, ce qui montre à quel point être noir et avoir des cheveux longs est synonyme d’une appartenance. Ce manque de diversité dans le milieu du théâtre et de la culture réduit l’imaginaire collectif. On me voit comme rigolo, danseur, rappeur, conteur, mais jamais comme comédien, metteur en scène, écrivain. » ([116])

S’il convient d’utiliser avec précaution la notion de « continuum des violences », car une mauvaise plaisanterie à caractère sexiste ne conduit pas nécessairement au viol, force est de constater que le fait d’entretenir une atmosphère chargée de sous-entendus sexuels peut faciliter certains passages à l’acte. Du reste, l’instauration d’une telle atmosphère fait partie intégrante de la stratégie de certains prédateurs. Mme Christine Berrou, comédienne, auteure et humoriste a relaté précisément la manière dont un agresseur peut commencer par créer une atmosphère sexualisée, d’ailleurs susceptible de passer, au départ, pour « romantique », avant d’en venir aux agressions physiques et/ou verbales.

Parmi bien d’autres témoignages, le sien a marqué la commission. Elle a relaté dans les termes suivants la stratégie de l’humoriste Yassine Bellatar. Les faits se seraient déroulés à France 4 entre septembre 2009 et juin 2010. « Au début, c’était merveilleux. Il m’encensait tout en instaurant un climat de flirt. J’avais 27 ans, j’étais très naïve. Quand il m’a embrassée la première fois, j’ai cru bêtement que c’était le début d’une relation sentimentale. Mais, après ce premier baiser, il a fait comme si de rien n’était et a commencé à me dire que j’étais nulle, puis à m’appeler “la grosse” ou “la moche”. Si je m’en plaignais, il disait que je n’avais pas d’humour. Puis un jour, Yassine Belattar m’a convoquée dans son bureau, il m’a plaquée contre le mur, m’a embrassée avec violence et quand je l’ai repoussée, il m’a mordu la lèvre. Je suis sortie du bureau la bouche en sang » ([117]). S’ensuivent, pendant des mois, d’autres vexations et agressions.

II.   Une culture de la minimisation, voire du déni, qui entrave la libération de la parole des victimes

Depuis le début du mouvement MeToo, il est d’usage de parler de « culture » ou de « loi du silence », d’« omerta » ; le rapporteur lui-même a employé fréquemment ces termes durant les auditions, mais avec la conviction que le silence en question était souvent provoqué par l’incapacité de la société à entendre les victimes.

Il convient, par ailleurs, de rappeler que parler n’a pas nécessairement pour corollaire le fait d’engager une procédure judiciaire, comme le montrent les taux de plainte extrêmement bas, qui tiennent pour partie aux dysfonctionnements de la réponse pénale, malgré la volonté des gouvernements successifs d’améliorer le traitement judiciaire des infractions sexuelles notamment. Ces dysfonctionnements seront analysés dans la troisième partie de ce rapport.

 

A.   Un silence qui n’est pas absolu

Mme Alice Cambournac, présidente de l’Association française des costumiers du cinéma et de l’audiovisuel (AFCCA), a relaté les confessions que les costumières et habilleuses sont souvent amenées à recueillir : « Un nombre incalculable de fois, nous avons vu des comédiens ou des techniciens pleurer, parce qu’ils ont été maltraités par le metteur en scène, parce qu’ils sont très malheureux ou mal à l’aise. Jusqu’à présent, nous avons fait office de cellule psychologique. Nous sommes les amis, les confidents et essayons de réconforter. » ([118])

De fait, contrairement à une idée encore largement répandue, très souvent les victimes parlent. Quand elles le font, l’enjeu pour elles est plutôt de trouver une oreille disposée à les écouter. À cet égard, il convient de souligner que si de nombreuses victimes se sont tues ou ont mis longtemps à parler, elles ont été encouragées au silence à la fois par l’occultation dont leur histoire a fait l’objet et par le fait que les oreilles ont mis du temps à se déboucher ([119]). Établissant un parallèle avec la difficulté pour la société d’accepter la réalité de l’inceste, Mme Sophie Lascombes, lors de son audition, a évoqué un film de 1988, La Conspiration des oreilles bouchées ([120]) et le documentaire plus récent d’Emmanuelle Béart, diffusé en septembre 2023 sur M6 : Un silence si bruyant. Elle prononça également ces paroles fortes et justes : « Nous ne disons pas que la parole se libère, mais que les oreilles se débouchent. Il y a longtemps que les personnes parlent. » Plus encore que le silence des victimes, ce sont bien le refus ou l’incapacité à entendre celles-ci qui doivent être mis en cause dans la perpétuation des violences.

Les enquêtes de victimation montrent que le silence supposé des victimes dépend en réalité de plusieurs facteurs, à commencer par le type de violence, la sphère dans laquelle les faits se sont produits et le sexe de la victime. L’enquête Virage de l’INED, par exemple, montre que la rapidité de la prise de parole varie selon le type de violence subie. Les victimes mettent ainsi plus longtemps, en règle générale, à parler des violences sexuelles : « la temporalité de la révélation des faits est aussi dépendante du type de violence vécue. Près de la moitié des femmes et des hommes qui se sont confiés au sujet des violences sexuelles subies dans l’enfance, l’ont fait au bout de dix ans ou plus après leur survenue, alors qu’en cas de violences psychologiques ou physiques, les femmes et hommes se livrent beaucoup plus tôt, souvent le jour même. » ([121]) C’est un constat qui alerte, car plus le temps passe, plus la capacité de la justice à enquêter et à sanctionner se trouve altérée. Il faut donc favoriser le dépôt de plainte et l’accompagnement des plaignants tout au long du parcours judiciaire (cf. les propositions sur ce point dans la troisième partie du présent rapport). La difficulté de ce parcours, sa longueur, ses aléas parfois, ne sont pas assez expliqués aux victimes.

En ce qui concerne les violences en milieu professionnel, les personnes qui en sont victimes trouvent le plus souvent le moyen de les dénoncer et la personne auprès de qui le faire : « Les liens auteur-victime sont porteurs de moins d’affects et d’enjeux au-delà de la sphère professionnelle ; les personnes sont susceptibles de trouver des soutiens, de rompre l’isolement, voire de modifier le rapport de force, au moins dans les organisations d’une certaine taille ; la violence peut davantage être envisagée “inacceptable”, comme ne faisant pas partie de la norme du travail et donc être dénoncée », soulignaient les auteurs de l’enquête Virage. Comme nous le verrons, les secteurs visés par la commission d’enquête semblent présenter, sur ce point, une spécificité très marquée : alors qu’il est en général plus facile de s’ouvrir des violences que l’on subit au travail que de celles subies dans la sphère privée, les milieux culturels se caractérisent au contraire par l’omerta qui les entourent.

Selon les résultats de l’enquête Virage, près de 93 % des personnes ayant subi des violences en milieu professionnel en ont parlé. Il est donc permis de considérer que « la violence au travail n’est pas taboue » d’une manière générale. Il convient toutefois d’indiquer, d’une part, que les hommes en parlent moins que les femmes (respectivement 89 % et 93,5 %) et, d’autre part, que la parole des femmes tend à se libérer, car une précédente enquête, datant de 2003, faisait apparaître qu’elles n’étaient que 77 % à parler des violences qu’elles subissaient en milieu professionnel. Parmi les violences en milieu professionnel dénoncées, les violences physiques sont surreprésentées : « Il n’y a pas de banalisation sociale des atteintes physiques ». En revanche, sans surprise, « la différence de déclaration des violences sexuelles entre les hommes et les femmes est significative : ce sont des violences genrées », souligne l’enquête Virage.

En ce qui concerne les personnes auxquelles se confient le plus volontiers les victimes de violences en milieu professionnel, il importe d’abord de constater qu’elles sont, statistiquement, assez nombreuses : 4,3 personnes en moyenne, sans différence entre les sexes, « si ce n’est pour les violences physiques où les femmes déclarent en moyenne 5,1 confidents contre 4,2 pour les hommes ». Parmi les « confidents » privilégiés, les collègues sont cités en premier, puis le cercle familial ou amical et le conjoint, la hiérarchie n’arrivant qu’en quatrième position.

En dépit du fait que, dans une grande majorité des cas, les personnes subissant des violences en parlent autour d’elles, des mécanismes de minimisation sont à l’œuvre. À cet égard, la dénonciation d’une agression ne va pas nécessairement de pair avec une juste appréciation de sa gravité. En outre, on observe des mécanismes de silenciation des victimes, déployés aussi bien par l’entourage personnel et professionnel que par la société, et qui tiennent en partie à la manière dont cette dernière perçoit les faits incriminés.

B.   « Ce n’est pas si grave » : les ressorts de la minimisation à outrance des violences, à la limite du déni

Mme Alice de Lencquesaing, membre du conseil d’administration de l’Association des acteurs (ADA), entendue par la première commission d’enquête, a rappelé que des « mécanismes sociétaux » puissants intervenaient, non seulement dans le cinéma, le spectacle vivant et les autres secteurs visés, mais plus largement dans la société : « toute victime qui s’exprime est exposée à la mise en doute de sa parole, et de nombreux agresseurs restent impunis. Lorsqu’une victime a le courage de parler, ses propos sont souvent minimisés. » ([122]) À cet égard, il importe de rappeler que toutes les violences ne sont pas concernées de la même manière : comme l’a souligné Mme Sarah Karlikow, représentante du Mouvement HF+, « on accorde une grande attention aux blessures physiques, mais les agressions sexuelles sont minimisées, probablement en raison de notre société patriarcale. » ([123])

Si les pouvoirs publics ont beaucoup tardé à se saisir vraiment du problème des violences sexistes et sexuelles, c’est parce qu’elles ont été longtemps renvoyées à la sphère privée, voire intime, l’intervention de l’État étant censée s’arrêter à la porte de la chambre à coucher. Les agressions sexuelles et les viols étaient des sujets dont il était indécent de parler en public, ce qui excluait, à plus forte raison, d’en faire un objet de débat public et, par voie de conséquence, de politique publique. De la même manière, l’histoire de la pénalisation des violences sexistes et sexuelles fait apparaître une prise de conscience relativement récente. Ainsi, il a fallu attendre la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux mœurs pour que le viol soit considéré comme un crime et que sa définition soit élargie de manière à intégrer d’autres formes de violences sexuelles que celles commises par voie vaginale par un homme sur une femme. La législation pénale en matière de VHSS a été complétée progressivement, au gré des progrès de la prise de conscience de la spécificité de ces violences et des formes multiples qu’elles peuvent adopter (cf. infra, troisième partie).

La tendance des victimes elles-mêmes à minimiser les violences qu’elles ont subies est une réalité établie. Ce phénomène peut procéder d’une forme d’emprise que possède l’agresseur sur elle, ou encore d’une accoutumance à la violence. Aux yeux du rapporteur, elle relève surtout d’une construction sociale, c’est-à-dire, en l’espèce, d’une certaine tolérance de la société à l’égard des violences.

Dans le cadre de l’étude Virage, précédemment citée, les victimes de violences en milieu professionnel ont été interrogées sur le regard qu’elles portaient sur ce qui leur était arrivé. À cet égard, des différences importantes apparaissent entre les hommes et les femmes. Les résultats sont par ailleurs révélateurs de la manière dont la société perçoit la gravité des divers types de violence.

Taux de prévalence et déclaration de non gravité
selon le type de violence au travail et le sexe de la victime

(en %)

C:\Users\bledrezen\Downloads\img-4.jpg

Source : INED, Enquête Virage, 2015.

Il apparaît ainsi que les hommes victimes de violences sexuelles, avec ou sans contact, sont une écrasante majorité à déclarer que ces atteintes ne sont « pas graves » : 75 % pour les violences sexuelles sans contact et 88 % pour celles avec contact. Le ressenti des femmes est très différent, mais il est frappant de constater qu’elles considèrent elles aussi, en majorité, que les violences sexuelles qu’elles subissent ne sont pas graves : 63 % pour les violences sexuelles sans contact et 52 % pour celles avec contact, comme si ces violences étaient considérées comme plus acceptables socialement, ou faisant partie des risques de n’importe quel métier. Ces résultats révèlent, toutefois, qu’elles minorent moins que les hommes la gravité des violences sexuelles avec contact par rapport à celles sans contact. Pour les hommes comme pour les femmes, les violences physiques sont considérées comme les plus graves. Là encore, ce résultat est révélateur : notre société continue à percevoir plus négativement les violences physiques que les violences sexistes et sexuelles, et les victimes elles-mêmes en arrivent à adopter ce point de vue.

« On nous a tellement dit que ce n’était pas grave ! », a témoigné une actrice à propos des agressions « ordinaires » dont le quotidien d’une femme est fait. De fait, la commission d’enquête a recueilli de nombreux propos reflétant ce mécanisme d’accoutumance à l’idée de l’innocuité des propos sexistes, des baisers forcés ou des gestes déplacés, voire d’agressions encore plus sévères. Très souvent, le premier mouvement de la victime est de considérer qu’elle a « de la chance » d’être « seulement » agressée et non pas violée. De la même manière, Mme Lucie Augeai, trésorière de l’association Chorégraphes associé.e.s, commentant les résultats d’une enquête commandée par son organisation sur les VHSS dans le milieu de la danse, a fait état du témoignage d’une personne qui avait répondu ne pas avoir été agressée sexuellement, tout en ajoutant le commentaire suivant : « Je suis consciente que j’ai la chance de ne pas avoir été victime d’une situation de VHSS, si l’on exclut des insinuations à caractère sexiste que les danseurs ont appris à supporter. Heureusement, je n’ai jamais subi d’agression physique. »

Mme Garance Smith-Vaniz, scénariste, a exposé à la commission d’enquête les pratiques douteuses des professeurs au sein d’une classe préparatoire aux grandes écoles de cinéma, multipliant les questions intrusives, poussant leurs étudiants à laisser ressurgir leurs traumatismes et leur montrant des scènes de films à contenu sexuel, parfois même des viols. Il s’est révélé que l’un de ces professeurs avait agressé certaines de ses élèves. Soulagée de ne pas avoir été l’une d’entre elles, Mme Smith-Vaniz a commenté ce sentiment dans les termes suivants : « Je me sens presque chanceuse de m’en être sortie sans être physiquement victime, mais étaitce de la chance de sortir de cette prépa en burn-out et en dépression, au point d’arrêter mes études pendant deux ans ? Était-ce de la chance d’être dégoûtée du cinéma au point de vouloir le quitter ? Il ne me semble pas anodin que, sur les quinze femmes et personnes sexisées, passionnées et sélectionnées dans toute la France pour intégrer cette école, cinq ont, à ma connaissance, quitté le milieu – elles seraient six si je n’y étais pas moi-même revenue. » ([124])

Lors d’une audition à huis clos, une ancienne animatrice radio a raconté le long chemin qu’il lui avait fallu accomplir avant de mettre les mots exacts sur ce qu’elle avait vécu : « J’ai attendu presque deux ans avant de me décider à déposer plainte au commissariat. Je me disais que ce que j’avais vécu n’était pas si grave, que des femmes vivaient des choses bien pires et qu’on n’allait pas porter plainte juste pour une agression sexuelle. »

Il convient également d’insister sur le rôle de l’entourage. Une actrice, témoignant à huis clos, a ainsi raconté une tentative de viol dont elle avait été victime au début de sa carrière de la part d’un photographe. Son petit ami, furieux, était allé s’expliquer avec l’auteur des faits. À son retour, non seulement il était calmé mais il lui avait déclaré : « Il s’est excusé, c’est bon. Passons à autre chose. Ce n’est pas si grave. »

Bien souvent, une femme se plaignant de propos ou de blagues sexistes, de discrimination, de gestes ou de comportements déplacés est facilement accusée d’être une rabat-joie, une « chieuse », selon l’expression imagée de M. Bruno Gaccio ([125]). Dans le milieu de l’humour, en particulier, « dire quelque chose, c’est casser l’ambiance, c’est ne plus être drôle, c’est être une chienne de féministe » ([126]), a souligné Elsa de Belilovsky. « Tu ne vas pas faire partie de ce genre de filles ! », s’est entendu répondre une actrice qui avait eu le malheur de se plaindre auprès de son partenaire des propos sexistes qu’il lui avait assénés pendant toute la durée d’un tournage.

Mme Marine Turchi, journaliste à Mediapart, a expliqué que la « banalisation » des faits « par les témoins ou les confidents » était « un obstacle récurrent à la dénonciation des faits par les victimes ». Elle a ajouté : « les gens ne peuvent pas dénoncer ce qu’ils ne considèrent pas comme problématique » ([127]). S’agissant des multiples agressions reprochées à Gérard Depardieu sur les tournages, elle a expliqué que la plupart des témoins rigolaient. « Le “oh, ça va, c’est Gérard”, je l’ai tellement entendu pendant mon enquête que cela aurait pu être le titre de mon article. » Le même phénomène accompagnait Gérard Miller lorsqu’il accostait des jeunes femmes dans le public des émissions de télévision auxquelles il participait : « plusieurs témoignages font état des railleries dont les autres chroniqueurs ont accompagné ses manœuvres d’approche de très jeunes femmes, parfois mineures, à la fin des émissions de Laurent Ruquier ou d’autres, sous un prétexte professionnel selon elles ».

À cet égard, le manque de compréhension de certains phénomènes de violences sexistes et sexuelles doit être souligné. Là encore, le regard qui a été longtemps porté sur ces agissements explique la difficulté à mettre des mots précis sur les phénomènes. Mme Marine Turchi a ainsi évoqué le cas d’une directrice de la photographie qui avait passé des heures avec un réalisateur accusé d’agressions par de nombreuses femmes mais qui affirmait, lorsque la journaliste l’interrogeait, « qu’elle n’avait rien vu d’inapproprié ». « Elle était formelle. Mais quand je lui ai demandé si le réalisateur avait pu mettre sa main sur sa poitrine ou sur sa cuisse, ou tenter de l’embrasser, elle m’a répondu que c’était arrivé plusieurs fois. Donc à mes questions générales, elle répond qu’elle n’a rien vu de problématique, mais quand je lui demande si une chose précise est arrivée, elle répond que oui, bien sûr, mais qu’elle le repoussait. »

Mme A, témoignant à huis clos du viol qu’elle avait subi de la part d’un musicien, a expliqué qu’il lui avait fallu porter plainte et entendre le policier qualifier de viol ce qui lui était arrivé pour qu’elle prenne conscience de la gravité de l’agression qu’elle avait subie : « Je suis tombée de haut, je n’arrivais pas à accepter d’avoir été victime d’un prédateur sexuel. J’avais cru en une histoire d’amour unique, passionnelle, peut-être trop violente sur le plan physique – c’est tout le problème de l’ambivalence que l’on peut ressentir quand l’agresseur est une personne que l’on connaît. »

Cette minimisation à outrance, intériorisée par les victimes, peut conduire à une forme de déni collectif des violences et de l’omerta qui les accompagne. Mais le déni est une autre manière d’entretenir la loi du silence, surtout quand il émane de certaines personnes bien installées et très influentes dans le métier. De ce point de vue, l’audition du président du conseil d’administration de l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son (FÉMIS), M. Michel Hazanavicius, par ailleurs réalisateur oscarisé, était significative. Ses premiers mots, durant son audition, ont été pour mettre en doute la notion d’omerta s’agissant du cinéma : « Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette idée d’omerta. J’ai l’impression que c’est une interprétation quelque peu abusive de certains silences. Ce n’est pas un silence d’omerta, mais un silence très complexe. Quand on me dit que cela ne va pas assez vite, je ne suis pas d’accord. Je pense que les choses avancent au seul rythme acceptable, celui des victimes et de leur parole. » ([128]) Il a insisté en affirmant qu’on ne pouvait pas être exclu du métier au motif que l’on avait dénoncé les agissements d’une personne : « C’est une idée absurde. C’est un métier où tout le monde s’exprime librement et personne n’est grillé dans le métier. Il faut être très exposé et avoir commis quelque chose de très grave pour cela. Aujourd’hui, Depardieu est grillé dans le métier, certes, mais ce n’est pas un stagiaire qui va l’être. Je pense que nous sommes face à des fantasmes. » Malheureusement, cette affirmation est contredite par des dizaines de témoignages reçus.

La journaliste Marine Turchi a ainsi insisté sur le manque de soutien dans leur milieu des personnes acceptant de parler : « Souvent, les personnes qui se disent victimes parlent, font part d’un malaise, d’un problème ; le message est envoyé, mais pas reçu. Dans le cas d’Adèle Haenel, qui avait 12 ans, combien n’ont pas vu les signaux qui clignotaient partout, les tentatives de la part de l’actrice de parler au fil des années ? La Société des réalisateurs de films n’a pas voulu saisir la petite perche qu’elle tendait. Mon enquête était imbibée de la culpabilité des gens de n’avoir pas agi, pas davantage écouté, pas saisi la perche. » ([129])

Judith Godrèche, en dépit de quelques soutiens publics, émanant pour la plupart de personnes extérieures au milieu du cinéma, a eu l’occasion d’interpeller ses pairs lors de la cérémonie des César 2024 pour dénoncer leur silence persistant : « Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas, ou à peine. Où êtes-vous ? Que dites-vous ? Un chuchotement. Un demi-mot. » ([130])

L’un des objectifs de la commission d’enquête, partiellement atteint, était de mettre un terme à cet aveuglement. La quasi-totalité des organisations professionnelles a affirmé sa détermination à lutter contre les violences sous toutes leurs formes, y compris certaines structures dont des témoignages postérieurs ont souligné les carences. La parole délivrée publiquement dans le cadre de la commission d’enquête les engage, non seulement devant l’ensemble du secteur dont elles sont parties prenantes, mais aussi devant l’histoire, car leur responsabilité est immense.

En ce qui concerne les victimes, certaines de celles que la commission d’enquête a entendues, ou dont elle a reçu le témoignage, s’exprimaient pour la première fois sur ce qu’elles avaient subi. Nombre d’entre elles ont remercié la présidente et le rapporteur de leur avoir permis de le faire.

C.   Des mécanismes de silenciation des victimes extrêmement puissants qui jouent à plein dans la culture

À côté des ressorts conduisant à minimiser voire à occulter certaines violences, de nombreux mécanismes peuvent conduire une personne victime à ne pas dénoncer ce qu’elle a vécu. En effet, tous les silences n’ont pas la même signification : de la honte au traumatisme en passant par des processus de silenciation imposée, des phénomènes très différents peuvent être à l’œuvre dans la société.

1.   Entre le traumatisme, l’emprise et la honte : une autocensure très fréquente

 L’une des explications les plus fréquentes données par les victimes à leur silence est le sentiment de honte, là encore lié au fait que la société a longtemps posé un interdit sur la dénonciation publique de faits relevant de la sphère privée : la décence commandait de ne pas en parler. À cela s’ajoute, bien entendu, l’idée selon laquelle la victime d’une agression sexuelle était « dégradée », voire « souillée » par ce qu’elle avait subi. C’est ce qui explique que la honte s’accompagne d’un fort sentiment de culpabilité. Mme Laure Adler a décrit ce phénomène psychologique très présent parmi les femmes de sa génération, mais qui reste largement partagé : « il était quasiment impossible pour moi, et pour certaines de mes amies, de dire que nous subissions si souvent des agressions sexuelles. Nous avions intériorisé le discours selon lequel, si l’on subit une agression en raison de son sexe, c’est parce qu’on l’a bien voulu, peut-être même parce qu’on l’a cherché » ([131]). Hélas, ce sentiment de culpabilité que de nombreuses victimes éprouvent est entretenu par certains discours qui perdurent encore, comme l’attestent les propos tenus par M. Dominique Besnehard devant la commission d’enquête : « lorsque j’étais agent, j’ai vu des actrices dépasser les bornes. On ne va pas dans un hôtel avec un metteur en scène » ([132]).

M. Francis Renaud, acteur, réalisateur et scénariste, a raconté de manière poignante le sentiment de honte qui l’avait contraint au silence après avoir été violé par un assistant-réalisateur : « Un jour, après avoir consommé une boisson, je vais me retrouver dans sa chambre ou sur son lit. Je ferme les yeux, je pense à autre chose. Il me fera une fellation et je partirai écœuré. Il me donnera un billet de 500 francs, un Pascal, que je filerai à un SDF. La honte m’emporte, le silence aussi. » Violé une nouvelle fois par le même individu, il se rhabille et s’en va après l’agression : « Je vais me laver et ne rien dire » – sauf bien des années plus tard, au moment de porter plainte par solidarité avec le mouvement MeToo ([133]).

Une animatrice radio témoignant à huis clos a raconté la manière dont elle avait réagi après avoir été victime, devant des témoins, d’une agression sexuelle sur son lieu de travail : « Lorsqu’il m’a enfin relâchée, plus aucun son ne sortait de ma bouche. Je me suis contentée de quitter le studio, les yeux baissés, rouge de honte et de colère. Je me suis réfugiée au bout du couloir, à l’abri des regards, et j’ai pleuré. Je me sentais salie, j’avais mal à la poitrine. J’essayais de reprendre rapidement mes esprits, car j’avais beaucoup de travail. J’ai donc séché mes larmes et rejoint nos bureaux, où se trouvait le reste de l’équipe. »

Mme Noémie Kocher, même après avoir réussi à faire condamner le réalisateur Jean-Claude Brisseau en 2005, n’a pas été libérée du poids de la honte découlant de l’agression et, dans son cas, de la médiatisation de l’affaire : « Après 2005, j’ai enfoui cette histoire, refusant d’en parler, par honte. […] En octobre 2017, je me trouvais dans un train en partance pour l’Allemagne afin d’y rencontrer un agent, lorsque tout a ressurgi. J’ai pris conscience que je n’avais pas encore surmonté ces événements. La condamnation n’a pas suffi pour me réparer ou me guérir. Les violences sexuelles, comme toutes les grandes douleurs de la vie, laissent des cicatrices indélébiles. On apprend à vivre avec, mais on ne s’en remet jamais complètement. La honte était immense et toutes les victimes vous le diront. » ([134])

● À la honte ressentie face à l’agression et à l’idée qu’elle soit étalée dans tous les médias s’ajoute bien souvent, chez la victime, la peur de ne pas être crue et même de voir sa parole mise en doute. Les auditions ont mis en évidence le fait que le mensonge faisait partie intégrante de la stratégie de l’agresseur pour se protéger, ce qui passe par le recrutement d’« alliés ». Mme Sophie Lascombes, par exemple, a expliqué que le Collectif féministe contre le viol s’attachait à accompagner les victimes lors des procès pour contrer cette stratégie : « La priorité d’un agresseur sera de recruter des alliés et plus généralement de bénéficier d’un entourage fort et acquis à sa cause. » ([135]) Ces alliés sont toujours présents aux procès, tandis que les victimes sont seules. C’est la raison pour laquelle les bénévoles de certaines associations d’aide aux victimes viennent remplir les bancs derrière ces dernières, pour faire contrepoids aux agresseurs qui, eux, sont souvent accompagnés par nombreux soutiens.

À la peur de ne pas être crue se rattache un phénomène qui a été mis en avant à plusieurs reprises durant les auditions : la nécessité que ressentent les personnes qui s’apprêtent à parler ou à déposer plainte d’être une « bonne victime », précisément pour que l’on accorde du crédit à leur parole, sous peine de subir, du fait du déni, une forme de victimation secondaire. C’est une pression supplémentaire qui pèse ainsi sur les victimes. Mme Sara Forestier a décrit en détail l’examen de conscience qui est ainsi imposé aux victimes : « Pendant la descente aux enfers, on vous somme de faire un examen de vos propres comportements, pour vérifier que vous n’avez pas fait d’erreurs. Parce que si vous n’êtes pas une victime parfaite, on n’accepte pas que vous soyez une victime. Mais c’est un piège, car la victime parfaite n’existe pas. On vous somme de reconnaître toutes vos erreurs, comme si on vous faisait manger votre tartine de merde jusqu’au bout – pardonnez-moi l’expression. Vous devez faire votre examen de conscience pour qu’on daigne reconnaître que vous avez été victime. » ([136]) L’analyse de Mme Christine Berrou est extrêmement proche. Dans son cas, elle craignait que le fait d’avoir accepté dans un premier temps de flirter avec la personne qui l’avait ensuite agressée était de nature à fragiliser son témoignage ; d’où son choix de se taire pendant très longtemps : « on n’est pas toujours, entre guillemets, la victime idéale. Ce qui m’a souvent empêchée de parler, c’est le fait d’avoir accepté un climat de flirt ». ([137])

Or certains traumatismes ont précisément pour effet d’altérer le comportement de la victime, compromettant par la même occasion leur crédibilité : son récit peut être incohérent, elle peut paraître entièrement détachée alors qu’elle raconte une agression épouvantable, etc. Les traumatismes résultant des agressions, selon leur profondeur, participent en outre à la silenciation des victimes. Le témoignage de Mme Sophie Lascombes a parfaitement mis en lumière le fait que le traumatisme subi contribuait à rendre difficile la parole des victimes : « On constate que les récits des victimes sont parcellaires parce qu’elles ont des problèmes de mémoire, et non parce que leurs souvenirs manquent de justesse : certaines pièces du puzzle peuvent faire défaut mais celles qui sont là sont claires. Les plaignantes reconnaissent que des moments peuvent leur échapper, comme le déroulement de certaines actions, à cause de la sidération. » ([138]) Ces processus psychiques peuvent aller jusqu’à l’impossibilité de parler, voire l’amnésie.

● Les mécanismes de l’amnésie traumatique ont été étudiés en détail depuis plusieurs années. Le phénomène est désormais documenté, en dépit du scepticisme qui accompagne parfois la prise de parole de certaines victimes qui disent ne se souvenir de l’agression qu’elles ont subie que des années, parfois même des décennies après.

La docteure Muriel Salmona a décrit en détail les mécanismes qui sont à l’œuvre. Selon elle, l’amnésie traumatique concernerait « près de 50 % des victimes d’inceste et 40 % des victimes de violences sexuelles dans l’enfance » ([139]). « L’amnésie traumatique se définit […] cliniquement par l’incapacité de se souvenir en totalité ou en partie d’éléments importants d’un événement traumatisant. » Elle estime également que « plus les événements traumatiques sont graves et de nature criminelle (meurtres, tentatives de meurtres, viols), plus les victimes sont jeunes, plus les amnésies traumatiques sont fréquemment retrouvées, encore plus souvent quand les violences sont perpétrées par un membre de la famille. Elles sont particulièrement fréquentes chez les victimes de violences sexuelles dans l’enfance. » ([140]) Les amnésies traumatiques sont un facteur de sous-évaluation des violences sexuelles et de perte de chance pour les victimes, car les enquêteurs ne trouvent pas le récit suffisamment cohérent. « Ils interprètent les troubles dissociatifs comme des éléments mettant en cause la crédibilité de la victime, ou comme la preuve, puisque la victime dissociée semble indifférente, que les violences alléguées n’ont pas traumatisé la victime (alors que c’est l’inverse) ».

M. Florent Pommier, trésorier de l’association MeTooMedia, victime d’un viol alors qu’il travaillait pour une antenne locale d’une des stations de Radio France, a relaté la manière dont un traumatisme pouvait être ainsi occulté pendant des années – dix ans, en l’occurrence –, et a insisté sur le caractère dévastateur du retour du souvenir : « Juste après les faits, quand j’ai quitté la radio, j’étais convaincu que ce secteur n’était pas pour moi, mais sans saisir pourquoi, à cause d’une amnésie qui a duré dix ans – et qui m’a sauvé. […] Les attentats de 2015 ont été un choc important pour moi, comme pour beaucoup de Parisiens. Il m’a conduit à entamer une psychothérapie, sans vraiment savoir pourquoi. Les faits ne sont remontés que deux ans plus tard, à l’automne 2017, au moment où le #MeToo américain a éclaté. J’ai alors compris que l’angoisse que j’éprouvais n’était pas liée aux attentats, mais au viol que j’avais subi et occulté. Cette prise de conscience m’a fait chuter dans une profonde dépression. J’ai tenté de me suicider. » ([141])

Mme Aurélie Le Roc’h, actrice et scénariste, a certifié avoir elle aussi subi une amnésie traumatique de quinze ans après avoir été violée lors d’une soirée par un acteur ; « j’en ai retrouvé le souvenir lorsque je suis tombée enceinte de mon fils » ([142]), a-t-elle expliqué.

La CIIVISE a rappelé, dans son rapport, que « l’amnésie traumatique peut durer durant des années, voire des dizaines d’années après les violences. Elle dure entre 1 et 5 ans pour 42 % des victimes, entre 6 à 20 ans pour 29 % d’entre elles, entre 21 à 40 ans pour 11 % d’entre elles, et plus de 40 ans pour 1 % des cas. » ([143])

● « Il n’y a rien de plus compliqué à expliquer qu’une relation d’emprise » : c’est en ces termes que s’était exprimée Mme Noémie Kocher devant la première commission d’enquête, à propos de sa relation avec le réalisateur Jean-Claude Brisseau ([144]). Depuis plusieurs années, la lumière du débat public s’est posée sur le phénomène d’emprise. Pourtant, celui-ci a été ignoré longtemps, ainsi que l’a expliqué Mme Noémie Kocher, utilisant l’expression suivante : « cette violence silencieuse dont on ne parlait absolument pas à l’époque » où elle a porté son affaire devant la justice, soit au début des années 2000.

Comme l’indique le Trésor de la langue française, le terme désigne l’« ascendant intellectuel ou moral exercé par quelqu’un ou quelque chose sur un individu ». La notion n’a été inscrite que récemment dans la loi : il a fallu attendre pour cela la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, dont l’article 51 mentionne « les mécanismes d’emprise psychologique », sans d’ailleurs les définir, et vise la formation initiale et continue d’un certain nombre de professionnels qui doit prendre en compte cette catégorie de violence ([145]). Comme l’ont souligné des magistrats entendus par les autrices d’un rapport récent consacré aux violences en situation d’autorité, « le législateur n’en a jamais fait une infraction pénale » ([146]).

De fait, la notion d’emprise n’est inscrite que dans le code civil, là encore sans la définir, et en visant des situations de violence conjugale. L’article 255 du code civil, par exemple, dans sa rédaction issue de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, dispose que le juge peut proposer aux époux une mesure de médiation, « sauf emprise manifeste de l’un des époux sur son conjoint ». D’où la nécessité d’élaborer une définition pénale de l’emprise. L’Assemblée nationale s’y est attachée récemment en adoptant en première lecture, le 28 janvier 2025, une proposition de loi visant à inscrire dans le code pénal la notion de « contrôle coercitif », constitué par « des propos ou des comportements, répétés ou multiples, portant atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la victime ou instaurant chez elle un état de peur ou de contrainte dû à la crainte d’actes exercés directement ou indirectement sur elle-même ou sur autrui, que ces actes soient physiques, psychologiques, économiques, judiciaires, sociaux, administratifs, numériques ou de toute autre nature » ([147]).

Les auditions de la commission d’enquête ont mis en évidence le fait que des relations d’emprise pouvaient se nouer également dans le cadre de relations professionnelles ou pédagogiques, qu’il s’agisse du rapport du créateur à sa « muse » ou du « maître » à son « élève » – il en sera question plus avant dans ce rapport. L’emprise se caractérise ainsi par l’utilisation d’une situation de pouvoir hiérarchique ou symbolique aux fins de manipulation d’une autre personne. Mme Agathe Pujol, comédienne, a souligné que l’emprise psychique précède parfois la prise de possession physique par l’agresseur : « On viole d’abord le cerveau avant le corps. » ([148]) Ce mécanisme, amplement documenté par l’enquête, est un puissant facteur de déstabilisation voire de silenciation de la victime.

Le mécanisme est au cœur du récit autobiographique publié au début de l’année 2020 par Vanessa Springora, Le Consentement ([149]). L’autrice y relate son expérience avec l’écrivain Gabriel Matzneff. Elle décrit comment, âgée de 14 ans, elle fut séduite par cet homme de 50 ans, qui était alors une figure littéraire respectée. L’agresseur, usant de son charisme et de sa notoriété, s’est immiscé dans la vie de Vanessa Springora, exploitant son désir d’attention et de reconnaissance. L’autrice décrit le processus insidieux selon lequel l’abuseur tisse lentement un filet autour de sa victime, brouillant les notions de consentement et d’abus.

Ce processus d’isolement progressif passe par l’établissement d’un lien intense et exclusif entre l’abuseur et sa victime ; celui-ci exploite l’immaturité émotionnelle de la jeune femme et l’admiration qu’elle lui voue. Il se présente comme le seul à vraiment la comprendre, la poussant à se détourner de ceux qui pourraient remettre en question cette relation. Ce processus d’isolement est crucial car il réduit les possibilités pour la victime de chercher du soutien ou de remettre en question la nature de la relation.

Il utilise également son talent littéraire et son statut pour justifier et normaliser ses comportements auprès de la victime, de leur entourage et même du public. Il inverse les rôles, la présentant comme une jeune fille consentante, voire instigatrice, et lui-même comme une victime d’une société puritaine. Un enfermement psychologique résulte du sentiment de culpabilité et de confusion qui est ainsi suscité chez la victime.

L’autrice décrit également le rôle des adultes et des institutions qui, par leur silence ou leur complicité, ont permis à cette relation de se poursuivre. Les éditeurs, les journalistes et même les parents de la victime étaient fascinés par Gabriel Matzneff, ce qui renforçait le pouvoir de celui-ci et isolait davantage Vanessa Springora dans sa souffrance : ces complicités objectives avec l’agresseur renforcent l’isolement de la jeune fille, car elle se sent incomprise et trahie par ceux qui devraient la protéger. Le livre a eu le mérite de mettre en lumière les conséquences psychologiques durables de l’emprise : perte de confiance en soi, sentiment de culpabilité et difficulté à établir des relations saines et stables par la suite.

Ainsi, tenir compte des mécanismes d’emprise est nécessaire pour appréhender la situation de la victime et comprendre ce qui peut apparaître comme des incohérences de son comportement, telles que le souhait exprimé de retirer une plainte ou une position modérée à l’égard de son agresseur. La personne subissant l’emprise peut apparaître comme une « mauvaise victime ». Or, comme le soulignaient les magistrats entendus dans le cadre du rapport précité, « inaction, minimisation et aller-retour sont caractéristiques de l’emprise. Elles ne doivent pas être considérées par le juge comme ambivalence et paradoxe, mais bien comme l’incapacité à exercer une autonomie ou un choix, dans le cadre d’une emprise qui maintient un lien. » ([150])

Mme Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris, a souligné elle aussi la force de l’emprise, en particulier dans le cadre très particulier que constitue la relation pédagogique, notamment dans le monde de la musique : « il est très compliqué d’apporter la preuve d’une violence faite à une personne sous emprise, puisqu’il n’y a pas de trace de menace, de contrainte ou de surprise lors de relations sexuelles qui sont souvent imposées, voire lors de relations vécues sans se cacher. L’enseignement musical repose sur une admiration entre un disciple et un maître. L’enseignement a parfois commencé dès la prime enfance, avec des stages les week-ends et l’été, avec un professeur dans l’enseignement initial que l’on retrouve ensuite dans l’enseignement supérieur, et qui peut devenir le collègue ou le pourvoyeur d’emploi » ([151]).

Mme Clémence Faber, membre du collectif Chœurs brisés Agir, a montré à quel point ce mécanisme était central dans la relation susceptible de se nouer entre les jeunes chanteurs et le chef de chœur dans une maîtrise, en visant tout particulièrement les agissements de M. Denis Dupays dans plusieurs institutions, notamment la Maîtrise de Radio-France, et de M. Gaël Darchen à la Maîtrise des Hauts-de-Seine. « Cette toile de fond de l’abus, c’est l’emprise. S’il devait exister une recette, une notice d’utilisation pour les chœurs d’enfants, je crois cela ressemblerait un peu à ça. Vous prenez un choriste, vous le portez aux nues, vous l’inondez de solos et un jour, sans prévenir, pour un détail, une broutille, vous l’humiliez devant ses camarades, vous lui retirez tout, vous le remplacez le jour d’un concert seulement une heure avant. Il ou elle n’est plus rien jusqu’à ce que vous le récupériez pour le replacer à nouveau en haut de la chaîne alimentaire, toujours publiquement et au détriment d’un autre. Vous recommencez le processus autant de fois que nécessaire : vous entrez sans prévenir en répétition, vous arrêtez tout, vous lancez des auditions surprises. Résultat : dès que vous entrez dans une pièce, tout le monde se pétrifie. Vous faites en sorte que personne ne sache quand ça va lui tomber dessus. Les décisions n’ont aucun sens, ni les récompenses ni les punitions. C’est le but : il faut que rien n’ait de sens.

« L’objectif est que, peu à peu, l’estime que les enfants ont d’eux-mêmes ne s’indexe que sur votre comportement à leur égard. Vous veillez à défaire les amitiés qui pourraient se mettre en travers de votre chemin alors que votre emprise sur chacun grandit. Rien de plus simple : vous prenez deux amies, vous leur faites travailler le même rôle et vous les auditionnez l’une contre l’autre. Vous faites en sorte d’être en permanence au cœur des conversations. Vous vous montrez parfois tendre comme un père, mais seulement avec certains. Vous en choisissez parmi les plus âgés pour surveiller vos tournées et parfois devenir votre bras armé. Vous poursuivez ce petit jeu et, au bout de trois ans, quand l’enjeu est une tournée au Japon ou des solos à l’Opéra de Paris, les jeunes, dans un état de qui-vive permanent, sont prêts à faire n’importe quoi pour avoir votre approbation. Et c’est là, dans ce chaos, dans ce flou total, que l’abus peut avoir lieu. » ([152])

Les témoignages rassemblés contre M. Darchen correspondent parfaitement à ce mode opératoire : un homme installé, auréolé de sa réputation et en situation de pouvoir, distribue ses faveurs pour les retirer de manière arbitraire, de façon à asseoir son pouvoir sur des enfants ou de très jeunes adultes. Il recueille des informations très personnelles sur les élèves et s’en sert contre eux le moment venu pour les fragiliser et les rendre encore plus dépendants de lui. C’est le sens du témoignage d’une ancienne maîtrisienne : « La grande perversion de M. Darchen s’est également déployée dans sa capacité à nous faire nous livrer auprès de lui, sans que nous soyons à l’origine d’accord, puis à employer les faiblesses que nous avions admises en entretien individuel pour exercer une forme de chantage ou de contrôle sur nous. » Une ancienne maîtrisienne a également apporté le témoignage suivant : « Au fil de ses questions, j’ai admis toutes les difficultés que je rencontrais à cette époque, à l’école, avec ma famille… Puis il m’a demandé si j’avais un petit copain, ce qui a achevé de me surprendre et de me déprimer car désormais il savait tout. Je me suis alors effondrée devant lui, chose que je n’avais jamais faite auparavant. Deux mois après avoir montré que j’étais faible, M. Darchen m’a changée de chœur sans explication, pour me mettre dans un chœur réputé “mauvais” au sein de la maîtrise. J’ai alors perdu toute confiance en moi. En discutant avec d’autres maîtrisiennes postérieurement, j’ai appris que nous étions beaucoup dans ce cas, à s’être senties dégradées par M. Darchen, sans raison. »

Si l’on en croit le témoignage de la mère d’un ancien maîtrisien, envoyé par courriel à la commission d’enquête, le directeur de la Maîtrise des Hauts-de-Seine allait jusqu’à revendiquer l’emprise qu’il exerçait sur les élèves : lors d’une conversation qui se serait tenue dans son bureau, il aurait déclaré : « Bien sûr que j’exerce une emprise, tous les chefs de chœur exercent une emprise. La question, c’est de savoir ce que j’en fais. »

2.   Menaces, violences physiques et « procédures bâillons » : un large spectre de manœuvres de silenciation

Parmi les moyens utilisés pour obtenir le silence des victimes et des témoins, ou leur rétraction quand ils ont commencé à s’exprimer, le plus fréquent consiste dans les menaces de représailles – physiques, personnelles et professionnelles –, parfois suivies d’effets. Le poison instillé par de tels agissements va bien au-delà des dommages psychologiques et physiques causés directement aux personnes qu’ils visent, car ils découragent aussi celles qui seraient tentées de s’exprimer, par peur des conséquences.

● La peur d’être bannie d’un secteur professionnel entier pèse énormément dans la balance des victimes. Mme Rose Lamy, cofondatrice du collectif @MusicTooFrance, blacklistée pour avoir joué les lanceuses d’alerte en témoigne en ces termes : « Voilà ce qui vous arrivera si vous parlez » ([153]). C’est la leçon que, selon elle, les personnes tentées de faire comme elle avaient sans aucun doute tiré de ce qui lui était arrivé à la suite de la dénonciation d’un musicien qui se plaisait à prendre des photos de l’entrejambe des femmes dans les transports en commun.

Informé du fait que Mme Christine Berrou s’était plainte des violences qu’il lui avait infligées, Yassine Belattar aurait réagi en lui disant aussitôt que, si elle se plaignait encore, il allait la « griller », qu’elle ne travaillerait plus jamais ([154]). Comme le montre le rapport, dans le monde de la culture, ces pressions professionnelles sont d’autant plus faciles à exercer que ces secteurs fonctionnement essentiellement sur la base du réseau et de l’entre-soi.

 Les menaces ne s’arrêtent pas toujours à la sphère professionnelle, s’étendant à la vie privée. Mme Judith Godrèche a fait part à la commission d’enquête des conséquences de sa prise de parole : tags sur les murs de sa maison, lettres de menaces, ou encore e-mails dans lesquels on la menace d’enlever sa fille ([155]).

M. Francis Renaud estime pour sa part avoir été la cible de plusieurs tentatives d’intimidation liées à sa dénonciation des pratiques de figures majeures du cinéma français. Certaines de ces manœuvres sont même allées, selon lui, jusqu’à provoquer un accident qui aurait pu être mortel : « J’ai reçu des menaces de mort. J’ai été suivi par une Berline jusque chez moi dans le Vexin. J’ai retrouvé son conducteur et son passager lors de ma première dédicace à la librairie Delamain, dans le 1er arrondissement de Paris. Ils sont rentrés à l’intérieur, l’un est venu se mettre en face de moi et l’autre a fait le tour de cette boutique. J’ai eu un accident de voiture en allant au Festival de Cognac pour une autre dédicace. Je roulais à 130 kilomètres/heure lorsque j’ai perdu le contrôle de mon volant et des freins, qui ne fonctionnaient plus. Par chance, j’ai pu m’arrêter sur la bande d’arrêt d’urgence sans provoquer un accident. Ce véhicule a été en atelier une fois par an pour un entretien complet, comme il se doit. » ([156])

M. Pierre Calmelet ne décrit pas autre chose lorsqu’il évoque les menaces à peine voilées proférées à son encontre par Gaël Darchen alors qu’il souhaite quitter la Maîtrise dans Hauts-de-Seine : « j’ai eu le sentiment qu’il cherchait à m’intimider en me racontant des histoires inquiétantes : celle d’un homme politique dissident qui s’était noyé tout seul dans sa baignoire – dans cinq centimètres d’eau a-t-il cru bon de préciser –, ou encore celle d’un cycliste qu’il avait doublé la nuit précédente et qui avait mystérieusement disparu – sachant que je rentrais toujours à vélo après les répétitions, y compris de nuit. J’ai donc vécu les semaines suivantes dans la peur. Je prenais garde à ne pas être suivi, j’éteignais mon téléphone pour ne pas être localisable, etc. C’était sans doute ridicule de ma part, mais je ne pouvais pas m’empêcher de penser qu’un accident de vélo était vite arrivé… » ([157]) Tentatives d’intimidation encore, quoique moins appuyées, les courriers envoyés à la commission d’enquête par M. Michel Haas, président du conseil d’administration de la maîtrise, par Mme Anne Leprince-Ringuet, ancienne présidente, et surtout le communiqué des avocates de M. Darchen dénonçant des atteintes à la présomption d’innocence à la suite des auditions consacrées à la situation de l’association.

Mme Sara Forestier, lors de son audition par la commission d’enquête, a elle aussi témoigné des diverses pressions subies de la part de la réalisatrice comme de la production pour ne pas porter plainte contre l’acteur qui l’avait frappée : « Pendant que j’attends dans le hall du commissariat pour déposer plainte, la réalisatrice vient me voir et me fait du chantage. Elle me fait culpabiliser : si je porte plainte, je vais détruire son film. Elle minimise la violence de la gifle – il m’aurait à peine effleurée – et n’a aucun mot de compassion. Cette fois encore, il faudrait que ce soit un nonévénement. Choquée par ses propos, je reste sans voix et finis par la chasser ; elle n’a rien à faire là. Par la baie vitrée, je vois qu’une partie de l’équipe est là, avec l’acteur qui m’a giflée, pour qu’il s’excuse. On me demande d’accepter ses excuses, pour pouvoir mettre la poussière sous le tapis et passer à autre chose. […] Deux jours après cette discussion, un article paraît dans la presse people, renversant complètement les faits : c’est moi qui suis accusée d’avoir giflé l’acteur ! » ([158]) Il convient de noter que, pour mieux se défendre, l’auteur présumé de l’agression décrite par Mme Sara Forestier, a déposé plainte contre elle pour menaces.

 De fait, parmi les tentatives d’intimidation, il convient de mentionner également la menace de plaintes, notamment en diffamation, qui se traduit parfois, effectivement, par le recours à ce qu’il est désormais convenu d’appeler des « procédures bâillons ». Mme Lénaïg Bredoux a rappelé que les menaces de poursuites constituaient le lot ordinaire des victimes et des témoins, ainsi que des journalistes travaillant sur les affaires de violences, en particulier lorsqu’elles sont commises dans des secteurs exposés comme le sont ceux qui entrent dans le champ de la commission d’enquête : « Elles existent dans tous les milieux, pas seulement dans les industries culturelles. Par exemple, des avocats nous menacent de plaintes ; un climat d’intimidation est créé pour dissuader les personnes qui nous ont confié leur récit d’en accepter la publication ; on suscite la peur du procès en diffamation avant même la parution, ce qui incite certains témoins à se rétracter. » ([159])

M. Jean-Michel Aubry Journet, co-fondateur du collectif @MusicTooFrance, a raconté son expérience en la matière : après avoir rassemblé et publié 300 témoignages, il a « eu le déplaisir d’être mis en examen en juillet 2022 pour diffamation », en tant que directeur de publication du compte Instagram qu’il avait créé à cette fin. « Cette procédure sans aucun fond a duré plusieurs mois, générant de grands doutes sur mon engagement et me faisant craindre un suicide social et professionnel – sans compter les remarques de mes collègues ou amis déclinant le fameux “tu l’as bien cherché”. […] Dix autres personnes et trois médias sont également poursuivis dans la même affaire devant cinq tribunaux différents. Nous sommes nombreux à subir ce harcèlement judiciaire. Les procès bâillons sont encore trop systématiques et entament nos forces et notre stabilité psychologique et financière. Ils sont bien plus rapidement mis à l’agenda que les procès portant sur les faits dénoncés et les plaintes en diffamation ne donnent jamais lieu à un classement sans suite. » ([160])

Mme Rose Lamy, après avoir rendu publique l’affaire précédemment citée, a été la cible de la personne qu’elle avait mise en cause : « Cet homme m’affiche à son tour sur ses réseaux sociaux en me traitant de menteuse, d’hystérique et me menace d’une plainte en diffamation. On connaît la chanson… Cette séquence me rend malade. » ([161])

Les procédures-bâillons deviennent une véritable stratégie de défense pour les personnes mises en cause, comme l’illustre le cas de Patrick Poivre d’Arvor. En 2021, l’ex-présentateur du journal télévisé de TF1 a porté plainte pour diffamation contre Le Parisien, puis contre Libération en 2022. Il a finalement retiré ses plaintes peu de temps avant le procès. En 2022, il a également déposé plainte contre seize femmes pour dénonciations calomnieuses – toutes avaient témoigné de violences sexistes et sexuelles qu’il aurait commises. Cette stratégie systématique, consistant à poursuivre en justice chaque femme prenant la parole contre lui, est analysée par certains comme un moyen de dissuader d’autres témoignages et de freiner la libération de la parole des victimes.

Le fait de s’ingénier à entretenir le silence est d’autant plus grave que le silence entretient les abus en garantissant une quasi-impunité aux agresseurs. Les exemples précédemment cités font apparaître que ces mécanismes sont à l’œuvre dans les secteurs visés par la commission d’enquête. Les auditions et les témoignages reçus ont mis en évidence le fait qu’ils y étaient même très puissants, contribuant à rendre l’omerta encore plus pesante. On comprend dès lors qu’il soit facile de considérer, à l’image de M. Francis Renaud, que « tout le monde sait, personne ne dit rien » ([162]).

● Les conséquences matérielles et financières des actions en justice pour les victimes constituent également un frein considérable à la parole s’agissant d’auteurs dont la notoriété est importante. La victime d’un célèbre animateur radio a ainsi témoigné par écrit : « Jusqu’à présent, j’ai vécu dans la crainte des représailles et j’ai longtemps été dissuadée de parler, me faisant croire que je perdrais tout si je le faisais. Malheureusement, cela s’est avéré vrai : j’ai perdu mon logement, mon travail, et je rencontre de grandes difficultés pour me reconstruire socialement. La médiatisation de cette affaire a rendu mon nom associé uniquement à ces événements, ce qui m’a conduit à envisager de changer de nom de famille, d’autant plus que mon nom a été rendu public dans la presse. » Mme Florence Porcel a également dressé un constat terrible des conséquences de sa plainte pour viol aggravé contre Patrick Poivre d’Arvor : « La réputation numérique qui se dessine lorsqu’on entre mon nom dans un moteur de recherche ne correspond plus du tout à ce que veulent les employeurs et les clients. Quant à mon image, rares sont les personnes, les sociétés et les institutions qui acceptent désormais de l’associer à la leur. Je remercie chaleureusement celles et ceux qui m’ont renouvelé leur confiance depuis mon dépôt de plainte, même si ce n’est malheureusement pas suffisant pour vivre. Ma vie d’après n’est donc qu’un écho moribond de ma vie d’avant, une accumulation de contrats alimentaires pour exercer des métiers qui ne sont pas les miens et d’allocations chômage très insuffisantes les mois où je n’ai rien trouvé d’autre. Je parle de quatre longues années de traversée du désert. Cela ne pouvant plus durer, je vais devoir me reconvertir. » ([163])

3.   Des stratégies d’« évitement » qui entretiennent l’impunité

Les nombreuses auditions menées ont permis de conforter l’idée selon laquelle les pratiques d’« évitement » des agresseurs avérés ou potentiels étaient très répandues, et ce dans tous les secteurs visés. L’expérience venant, on finit par savoir qu’il vaut mieux éviter de travailler avec Untel ou Unetelle en raison de son comportement, mais en se gardant de diffuser trop largement l’information pour éviter d’être soi-même « effacé » professionnellement.

Grâce au réseau professionnel et amical, une solidarité se tisse tout de même à bas bruit : « Dans le milieu, on se parle et on “blackliste” des personnes, ainsi que des productions qui ne sont pas assez à l’écoute et ne nous donnent pas les moyens de travailler sereinement. Il arrive donc, en effet, que nous nous privions de travail pour ne pas nous exposer à des situations qui nous rendent trop malheureux au travail » ([164]).

C’est à la fois la preuve que la parole circule un peu dans le milieu culturel, et le signe que, dans la très grande majorité des cas, elle reste cantonnée à des cercles très restreint, nourrissant l’impunité des agresseurs. En outre, la conséquence de cette pratique, parfois salvatrice sur le plan individuel, est que les nouveaux entrants dans le système paient le prix de leur ignorance : « Les jeunes qui entrent dans la profession ne se rendent pas tout de suite compte de ce qui se passe » ([165]), a souligné Mme Ollé. Il en va de même pour les plus précaires – dont font aussi partie les jeunes –, qui n’ont pas d’autre choix que d’accepter de travailler avec des personnes toxiques compte tenu de la nécessité de « faire leurs heures ».

Cette situation a été dénoncée non seulement par des témoins parlant en leur nom propre, mais aussi par des associations professionnelles et des syndicats. À cet égard, même si des nombreuses associations professionnelles se sont constituées au cours des dernières années, leur capacité d’action pour résoudre les problèmes rencontrés individuellement reste encore limitée, tant la crainte du risque personnel pris par les membres de ces organisations eux-mêmes sont perçus comme importants. « Au fond, la seule façon de protéger véritablement quelqu’un, c’est de lui donner un autre travail. Si on participe au même projet, on peut être présent et agir lorsque cette personne est confrontée à une équipe toxique ; sinon, la temporalité d’un tournage fait qu’on n’aura aucune prise sur la situation – à moins de lui dire de laisser tomber le film parce qu’on peut lui en proposer un autre sur le tournage duquel on sait que les gens sont corrects. Comme association, nous n’avons pas de vrai pouvoir sur les productions ni sur les tournages. Et si nous nous impliquons, nous aurons le même problème que le technicien en question : nous ne serons plus rappelés, individuellement », a indiqué M. Omid Gharakhanian du Collectif des assistants décorateurs de cinéma et de l’audiovisuel (AADAC) ([166]).

Pourtant, certains exemples montrent que la mobilisation du groupe est susceptible de porter ses fruits. Mme Chloé Simoes, membre de l’Association française des accessoiristes de plateau (AFAP), a rapporté l’anecdote suivante : « Un chef accessoiriste avait eu des propos extrêmement violents à mon égard, aux yeux de tous – c’était une humiliation publique. Dans ma détresse, j’ai appelé un des accessoiristes de l’AFAP, qui a décidé de contacter le président de l’association, lequel a téléphoné au chef accessoiriste en question pour lui dire : “Qu’est-ce qui se passe, là ? Ça ne va pas bien ? Vous ne pouvez pas agir comme ça envers elle.” Et il lui a donné un avertissement : au prochain comportement de ce type, il serait définitivement exclu de l’association. » ([167]) La remontrance a fonctionné, cette fois au bénéfice de la victime.

La culture du silence, caractéristique de la réaction de la société face aux VHSS, est donc particulièrement ancrée dans les secteurs visés. Cette situation explique en partie le manque de données précises concernant ces violences.

III.   Les conséquences de l’omerta : l’absence de statistiques fiables dans les secteurs visés

Dès le début des travaux de la première commission d’enquête, un constat s’est imposé : en dépit de la conscience claire du problème qu’avaient les professionnels des secteurs visés et du grand nombre de témoignages de victimes, aucune enquête globale portant spécifiquement sur les violences dans ces milieux ne permettait de mesurer le phénomène. Comme l’a reconnu M. Christopher Miles, directeur général de la création artistique au ministère de la culture, « les premiers chiffres dont nous disposons sont notoirement insuffisants » ([168]).

A.   Les données collectées par les institutions apparaissent incomplètes et limitées

1.   La cellule d’écoute du ministère de la culture ne concerne qu’un pan limité des secteurs visés

En 2017, le ministère de la culture a créé une cellule d’écoute double, dénommée dans un premier temps « Allodiscrim Allosexism », dans le cadre de la feuille de route « Égalité 2022 », signée la même année, qui articule son action autour de la prévention, de la sensibilisation et de la formation. Ces priorités ont été reprises depuis lors dans les « axes de travail égalité 2023-2027 ».

La cellule d’écoute, externalisée, a été confiée au cabinet Concept RSE ([169]). Elle est destinée aux agents du ministère et de ses établissements sous tutelle, couvrant à ce titre 30 000 personnes. À cela s’ajoutent les 37 000 étudiants d’écoles d’art nationales ou territoriales. Elle couvre le champ des actes de violence, de discrimination, de harcèlement moral ou sexuel et des agissements sexistes.

En 2023, 232 signalements avaient été reçus. Ils concernaient à 87 % des agents et 5 % des étudiants. Le harcèlement moral représentait 40 % des signalements, les discriminations 13 %, les violences sexuelles et sexistes 11 % et le harcèlement sexuel 5 %.

Rapportés au nombre de personnes potentiellement concernées, ces chiffres paraissent étonnamment bas. Comme l’a souligné Mme Sophie Zeller, adjointe à la direction générale de la création artistique (DGCA), « peut-être le premier signe de l’efficacité est-il la remontée de signalements là où, par le passé, ils ne remontaient pas. » ([170]) La commission d’enquête ne pouvait toutefois se contenter d’éléments factuels aussi limités.

Par ailleurs, comme l’a souligné la DGCA dans ses réponses écrites au rapporteur, « le ministère de la culture intervient dans le secteur en tant qu’employeur, parfois, ou en tant que tutelle ou soutien d’établissements financés par lui. En revanche, il n’a pas de connaissance ni de responsabilité globale sur l’ensemble des structures du secteur dès lors qu’elles ne sont pas soutenues. Cette connaissance relève du ministère du travail, dans le cadre du droit commun. »

2.   Les chiffres de l’inspection du travail reflètent le rôle assez faible que joue pour l’instant cette instance dans les secteurs visés

Mme Anouk Lavaure, directrice adjointe au directeur général du travail, entendue par la première commission d’enquête, a donné elle aussi des chiffres très limités : « Pour les années 2023 et 2024, [parmi] environ 400 sollicitations concernent l’item violence au travail […] Nous en comptons 6 (4 pour le spectacle vivant et 2 pour les entreprises artistiques et culturelles) pour les secteurs d’activité qui vous intéressent. » ([171])

Les données concernant l’ensemble des inspections réalisées dans les secteurs entrant dans le champ de la commission d’enquête confortent l’idée d’un contrôle très restreint : « Tous secteurs confondus, nous enregistrons environ un million d’interventions de l’inspection du travail de 2020 à 2024. Pour les secteurs de la production de films, nous comptons 1 793 interventions sur la période concernée. Pour la programmation et la diffusion, ce chiffre s’élève à 588. Les activités créatives, artistiques et de spectacles enregistrent 3 458 interventions. En ce qui concerne la publicité et les études de marché, nous en dénombrons 3 209. Les autres interventions concernent principalement les activités liées à l’emploi et aux agences de travail temporaire, ce qui rend difficile une sectorisation précise. »

En ce qui concerne le harcèlement, les données sont là encore si restreintes qu’elles sont dépourvues du moindre caractère signifiant : « Nous avons recensé 4 288 interventions tous secteurs confondus, toujours sur la période 2020-2024, en lien avec la réglementation sur le harcèlement : 6 dans le secteur de la production de films ou de programmes de télévision, 4 dans la programmation et la diffusion, 9 dans les activités créatives, artistiques et de spectacles, et 19 dans la publicité et l’étude de marché. »

S’agissant du travail des mineurs dans les secteurs visés, l’inspection du travail a recensé un seul cas, entre 2020 et 2024, en lien avec les dispositions permettant de retirer un jeune d’une situation de travail dangereuse, sur un total de 157 décisions. La décision en question était intervenue en 2021.

3.   La cellule d’Audiens : une montée en puissance réelle mais qui ne permet pas non plus d’avoir une vue d’ensemble du phénomène

Depuis 2020, le groupe Audiens, organisme de protection sociale des secteurs visés par la commission d’enquête, opère une cellule d’écoute psychologique et juridique. Créée en plein cœur de la crise sanitaire, cette cellule a rapidement acquis une place importante en matière d’orientation des victimes de violences sexistes et sexuelles.


Le groupe Audiens et sa cellule d’écoute psychologique et juridique

Audiens est un groupe de protection sociale (GPS) créé en 2003 et régi par les dispositions des articles L. 931-2-1 et suivants du code de la sécurité sociale. C’est « l’un des rares groupes à avoir choisi de rester affinitaire, c’est-à-dire concentré sur des professions spécifiques : en l’occurrence celles de la création, de l’information et des loisirs », comme l’a souligné son directeur général, M. Frédéric Olivennes (1). Il couvre 45 000 structures, pour l’essentiel de petite taille – moins de 10 salariés –, ainsi que des indépendants. Il assure la protection d’un million de personnes environ (en comptant les familles des assurés) appartenant aux secteurs de la culture, des médias, de l’édition et des loisirs, y compris les journalistes pigistes et les artistes et techniciens intermittents. Il associe, d’une part, une retraite complémentaire, dans le cadre du régime Agirc-Arrco, et, d’autre part, une assurance santé et une activité de prévoyance complémentaire collective.

Du fait de sa connaissance des secteurs culturels, l’État et les partenaires sociaux lui ont confié au fil du temps la mise en œuvre de certaines politiques sociales, notamment la gestion du fonds de professionnalisation et de solidarité des artistes et techniciens du spectacle, qui vise à sécuriser les parcours professionnels, ou encore la cellule d’écoute psychologique et juridique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes pour les professionnels de la culture.

Cette cellule, dont la création avait été annoncée en 2019 par Franck Riester, alors ministre de la culture, est issue du mouvement MeToo. Elle a été fondée sur l’initiative des organisations patronales et syndicales du secteur de l’audiovisuel, du cinéma, de la musique et du spectacle vivant, à commencer par la Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (FESAC). Son cahier des charges a été co-construit avec le ministère de la culture, lequel contribue à son financement, à hauteur de 82 000 euros en 2024 sur un budget total de 141 000 euros (la FESAC apportant pour sa part 29 000 euros).

La cellule s’adressait initialement aux seuls salariés permanents du spectacle vivant et enregistré, ainsi qu’aux artistes et techniciens intermittents. En 2022, elle a été élargie aux auteurs et professionnels des arts visuels ; en 2023, ce fut au tour de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) et de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) d’entrer dans son périmètre. Le secteur de la presse vient d’intégrer le dispositif.

Elle est composée de trois types d’intervenants. D’abord, huit conseillères en action sociale, spécialisées dans le traitement des situations de fragilité et formées aux enjeux liés aux violences sexuelles et sexistes, écoutent et orientent les victimes et les témoins en fonction de leurs besoins. Ensuite, le cas échéant, des psychologues cliniciens interviennent. Initialement, trois entretiens avec un psychologue étaient prévus, mais compte tenu des retours d’expérience, depuis 2024, ils sont au nombre de cinq. Enfin, deux avocats, spécialisés en droit pénal et en droit social, choisis par les partenaires sociaux et le ministère de la culture, peuvent également prendre en charge les personnes. Selon le bilan complet pour l’année 2024 communiqué à la commission d’enquête, 59 personnes ont été mises en relation avec un psychologue et 94 avec un avocat.

La cellule est joignable par téléphone : 01.87.20.30.90. Ses opérateurs sont joignables du lundi au vendredi de neuf heures à treize heures et de quatorze heures à dix-huit heures. Elle peut également être contactée par mail (violences-sexuelles-culture@audiens.org), toute personne devant être recontactée au plus tard le jour ouvré suivant la demande (2).

(1)    Compte rendu  3 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425003_compte-rendu.

(2)    https://www.audiens.org/actu/cellule-ecoute-psychologique-et-juridique.html.

Année après année, le dispositif monte en puissance. Depuis son lancement, la plateforme a reçu 2 931 appels et 254 courriels. Entre 2020 et 2022, il y a eu 877 appels, dont 364 pendant les horaires d’ouverture ; pour la seule année 2023, il y en a eu 812, dont 546 durant les horaires d’ouverture.

Au total, 1 669 appels et e-mails ont été traités dans les horaires d’ouverture. Tous n’entraient pas dans le périmètre de la cellule : celle-ci est destinée aux seules violences sexistes et sexuelles commises dans les milieux professionnels pour lesquels Audiens est compétent. Les opératrices se chargent de rediriger toutes les demandes qu’elles ne peuvent pas traiter vers les autres structures dédiées, comme la cellule externe du ministère de la culture. En définitive, Audiens a pris en charge 514 personnes entrant dans son champ d’action. Au 31 décembre 2024, Audiens avait comptabilisé, pour l’année 2024, 205 entretiens entrant dans le périmètre de la cellule, contre 122 en 2023, soit une augmentation de 68 %.

Dans le détail, 50 % des sollicitations reçues émanaient de victimes, 15 % de témoins, les autres étant des demandes d’informations de la part de référents d’entreprise ou d’associations œuvrant dans le domaine des violences sexistes et sexuelles. Un nombre important de sollicitations (26 %) concernaient d’autres demandes, telles que des renseignements quant au fonctionnement de la cellule afin de relayer l’information, des demandes de conseils sur des situations de VHSS dans des entreprises, ou encore des appels d’étudiants ou de professionnels administratifs d’écoles dépendant du ministère de la culture, réorientés vers Concept RSE, notamment pour des situations de harcèlement entre étudiants et professeurs.

Au 31 décembre 2024, 170 personnes avaient été orientées vers les psychologues de la cellule depuis la création de cette dernière, et 225 vers les avocats mandatés par Audiens dans le cadre de ce dispositif. Les demandes de soutien psychologique et juridique progressent régulièrement : ils ont crû respectivement de 62 % et de 40 % entre 2022 et 2023 et encore de 50 % et 77 % entre 2023 et 2024. Selon Audiens, « si davantage de personnes sont orientées vers un avocat que vers un psychologue, c’est parce qu’un nombre assez important de victimes bénéficient déjà d’un suivi psychologique. » ([172])

Les victimes et les témoins accompagnés sont à 83 % des femmes. Même si les données dont dispose Audiens en ce qui concerne l’âge des personnes contactant la cellule sont peu fiables, dans la mesure où 50 % de ces personnes ne souhaitent pas le communiquer et qu’elles ne sont pas obligées de le faire, il semble que seul 1 % aurait moins de 25 ans, ce qui révèle une difficulté à toucher les salariés les plus jeunes. Pour le reste, 24 % auraient moins de 35 ans, 17 % entre 35 et 45 ans et 12 % plus de 45 ans.

Les salariés du spectacle vivant représentent 66 % des personnes accompagnées. Alors qu’ils étaient majoritaires en 2020 et 2021, les professionnels du spectacle enregistré ne représentent plus qu’environ un tiers des personnes prises en charge. Les auteurs, quant à eux, comptent pour 2 % des personnes soutenues.

S’agissant de la date de survenance des faits rapportés, ces derniers auraient eu lieu, dans 58 % des cas, il y a moins d’un an, alors qu’au départ les appels concernaient davantage des faits commis plus de cinq ans avant. Cela montre que les personnes qui contactent la cellule, même si elles sont relativement peu nombreuses, se décident plus rapidement à parler. Dans 26 % des cas encore, tout de même, les faits remontent à plus d’un an.

Quant à la qualification juridique, 49 % des dossiers concernent des agressions physiques pouvant aller jusqu’au viol et 51 % ont trait à des comportements ou des propos sexistes et sexuels. Au total, dans 54 % des cas, les faits auraient été commis par un supérieur hiérarchique. Ces deux éléments dessinent des spécificités intéressantes des secteurs par rapport aux données générales se rapportant aux VHSS, en particulier la forte prévalence des violences commises dans un contexte d’autorité hiérarchique.

L’augmentation du nombre de personnes orientées vers un avocat est constante : 11 en 2020 (6 victimes, 3 témoins et 2 demandes d’informations juridiques) ; 29 en 2021 (24 victimes, 4 témoins et 1 référent VHSS) ; 38 en 2022 (31 victimes, 6 témoins et 1 personne membre de la famille d’une victime pour obtenir des conseils juridiques) ; 53 orientations en 2023 (41 victimes, 11 témoins et 1 référent VHSS) ; au 30 septembre 2024, 70 orientations (51 victimes, 11 témoins et 8 référents VHSS).

En ce qui concerne les suites judiciaires données par les personnes, 40 ont déposé des plaintes devant une juridiction pénale, dont 24 recensées en 2024 ; 3 ont déposé des mains courantes ; 5 ont entamé une procédure prud’homale, dont 4 en 2024 ; 17 ont exprimé l’intention d’intenter une action, dont 3 ont déclaré avoir engagé un avocat ; 8 mises en demeure ont été adressées aux employeurs, dont 5 recensées en 2024.

Les résultats de la cellule d’écoute, pour modestes qu’ils soient, tendent à montrer que le dispositif monte en puissance au fur et à mesure que les professionnels des secteurs apprennent son existence. Il ressort des témoignages reçus que la commission d’enquête a elle-même contribué à faire connaître plus largement cet outil, ce dont le rapporteur se félicite. Pour accroître l’efficacité de la cellule d’écoute, une publicité beaucoup plus large doit être faite. Le rapporteur appelle l’ensemble des institutions culturelles concernées à se mobiliser fortement. Des campagnes d’information de grande ampleur dans les médias, notamment, seraient les bienvenues. Il est à ce titre extrêmement regrettable – et difficilement compréhensible au regard de l’intérêt général qui s’attache au sujet – que les César n’aient pas diffusé, cette année, le clip d’information de la cellule Audiens, comme cela avait le cas l’année dernière.

Recommandation n° 9 : faire davantage connaître la cellule Audiens, notamment par des campagnes d’information dans les médias et par des affichages systématiques dans tous les lieux de passage ainsi que dans les loges, les vestiaires, les cantines, etc.

La ministre de la culture, Mme Rachida Dati, a déjà pris la mesure de la nécessité d’une plus grande publicité faite à la cellule. Elle a en effet annoncé le 7 mars 2025, dans le cadre du nouveau plan d’action 2025-2027 contre les VSS dans la culture, vouloir favoriser l’affichage du numéro d’appel sur les lieux de tournage, les festivals, les salles et pendant les tournées, et inciter à l’inscription du numéro d’appel sur les feuilles de service et les contrats de travail. Sur ce dernier point, le rapporteur estime qu’une telle inscription devrait même être obligatoire. Par ailleurs, dans le cadre de ce nouveau plan d’action contre les VSS, les festivals, les évènements médiatiques, les salons et les publications spécialisées sont appelés à multiplier les opérations de communication à titre gracieux pour faire connaître la cellule.

Sur le fond, il importe également d’accroître les moyens de la cellule pour élargir son périmètre afin qu’elle prenne en charge la totalité des violences, y compris les violences morales, et qu’elle puisse assouplir ses horaires pour permettre à des victimes de trouver une oreille attentive le soir et le week-end. À cet égard, la ministre de la culture a également annoncé travailler avec les partenaires sociaux pour élargir les horaires de la cellule de deux heures par jour, pour permettre des appels entre neuf heures et vingt heures chaque jour, ce dont le rapporteur ne peut que se satisfaire.

Le rapporteur est également très favorable à ce que la cellule voie ses missions renforcées et élargies, notamment en ce qui concerne l’aide juridique, qui devrait à tout le moins concerner le dépôt de plainte, et l’aide psychologique, qui devrait s’inscrire dans un temps plus long. En ce qui concerne l’aide juridique, la ministre de la culture a annoncé travailler avec les partenaires sociaux pour permettre l’accompagnement d’un avocat dans la rédaction d’une plainte auprès du procureur de la République, et la mise en place d’une aide forfaitaire pour financer l’assistance d’un avocat lors du dépôt de plainte et de la confrontation avec l’agresseur présumé.

Recommandation n° 10 : accroître les moyens de la cellule Audiens pour élargir son périmètre afin qu’elle prenne en charge la totalité des violences, y compris les violences morales, élargir ses horaires et renforcer ses missions d’aide juridique et psychologique.

Les auditions ont permis à la commission d’enquête de recueillir certaines informations palliant en partie le manque de données. Ces données laissent entrevoir un phénomène systémique, touchant toutes les catégories de personnel et tous les secteurs.

 

B.   Les études produites par les collectifs et associations professionnelles font toutefois apparaître un phénomène systémique

De nombreux collectifs et organisations professionnelles ont, dans la perspective de leur audition par la commission d’enquête, interrogé leurs membres, permettant ainsi à la commission d’enquête d’avoir un aperçu édifiant des violences commises dans les secteurs visés, même si, sur le plan méthodologique, la démarche est probablement perfectible.

1.   Dans le secteur des musiques actuelles, des festivals et de la fête

M. Jean-Michel Aubry Journet, après avoir relaté l’origine de son initiative, a communiqué à la commission d’enquête les résultats suivants : « Entre juillet et septembre 2020, nous avons reçu environ 300 témoignages – nous n’avons pas souhaité prolonger la période de recueil de ces témoignages pour préserver notre santé mentale. » Selon lui, 52 % de ces témoignages décrivaient des agressions sexuelles et des viols (67 récits de viol au total), dix hommes récidivistes étant d’ailleurs mis en cause dans 52 témoignages. Au total, « 98 % des agressions ont été commises par des hommes, dont 96 % sur des femmes ; 60 % des récits présentent une situation de subordination ou de supériorité » ([173]).

Mme Domitille Raveau, co-fondatrice de l’association Consentis, qui sensibilise les professionnels et les publics des lieux festifs aux VSS, a réalisé une enquête en 2018. Selon ses résultats, 60 % des femmes déclarent se sentir en insécurité dans les lieux festifs, contre 10 % des hommes. Les premières expliquent ce sentiment par la peur d’être victimes de violences sexuelles ou d’être droguées à leur insu, les seconds craignent des violences physiques. Par ailleurs, 57 % des femmes et 10 % des hommes déclarent avoir été victimes de violences sexuelles en milieu festif ([174]).

2.   Dans le secteur de la danse

Mme Lucie Augeai, trésorière de l’association Chorégraphes associé.e.s, qui regroupe une centaine d’adhérents – à 80 % des femmes – a communiqué à la commission d’enquête les résultats issus d’un questionnaire qu’elle avait envoyé à ses adhérents dans la perspective de son audition ([175]). Le taux de réponse de 70 % en quatre jours témoigne de l’écho que l’initiative a rencontré. Il en ressort que 30 % des personnes ont déclaré avoir été victimes de VSS dans le cadre de leur formation ; plus de 43 % dans un cadre professionnel et 34 % dans un cadre extraprofessionnel. Le nombre de témoins d’agressions est lui aussi considérable : 31 % des personnes ont déclaré avoir été témoins de VSS dans le cadre de leur formation, 43 % dans un cadre professionnel et 35,8 % dans un cadre extraprofessionnel. C’est dire si le secteur de la danse est porteur de risques. S’ajoutent environ 10 % de personnes qui « ne savent pas », réponse qui laisse supposer que les personnes ayant choisi cette option se sont, à tout le moins, retrouvées dans des zones grises, à la frontière de l’agression. Mme Lucie Augeai a commenté les résultats en ces termes : « Nous avons reçu des témoignages édifiants de personnes racontant les propositions indécentes qu’on leur avait faites, les brimades et les agressions sexuelles qu’elles avaient subies. Une personne a été victime d’un viol. »

3.   Dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel

a.   Parmi les scénaristes

Dans la perspective de son audition ([176]), l’association Scénaristes de cinéma associés a envoyé en octobre 2024 un questionnaire à la totalité de ses 250 adhérents ; la moitié a répondu. Les questions étaient regroupées en rubriques correspondant aux différents types de violences – harcèlement moral, harcèlement sexuel, agressions sexuelles, viols – en vue de dresser un état des lieux précis et chiffré des violences auxquelles les scénaristes peuvent être confrontés. En outre, une rubrique liminaire portait sur le cadre et les conditions de travail, dessinant en creux une forme de violence économique notable et prégnante.

Les résultats sont les suivants : 70 % des personnes ayant répondu se sont déclarées victimes et/ou témoins de harcèlement moral ; 50 % ont été victimes et/ou témoins d’agissements et d’outrages sexistes, dont les trois quarts plusieurs fois ; 20 % ont été victimes et/ou témoins de harcèlement sexuel, dont la moitié plus de deux fois ; 11 % ont été victimes et/ou témoins d’agressions sexuelles ; 1,6 % ont été victimes de viol.

Quel que soit le type de violence, les victimes ou les témoins en ont parlé dans la très grande majorité des cas, mais leur intervention n’a eu aucune conséquence, ou des conséquences professionnelles négatives. Le questionnaire a également mis en lumière la difficulté de s’engager dans autre chose qu’un processus de dépôt de plainte. En outre, 77 % des personnes répondantes se sont dit mal ou pas informées sur les recours possibles en cas de harcèlement ou de VSS. Seules 2 % d’entre elles ont fait appel à la cellule Audiens.

Selon M. Maxime Besenval, chercheur, auteur d’un rapport sur les scénaristes ([177]), 41 % des personnes qu’il avait interrogées avaient déclaré avoir subi du harcèlement moral, dont 60 % plus d’une fois, mais seuls trois cas avaient été portés en justice. En effet, 65 % des membres du panel considéraient qu’une plainte ne servirait à rien ; les autres avaient peur du blacklisting.

b.   Parmi les assistants-réalisateurs

L’Association française des assistants-réalisateurs de fiction (AFAR) a elle aussi lancé une enquête auprès de ses adhérents. Sur ses 152 membres de l’AFAR, qui sont en majorité des premiers assistants-réalisateurs, 102 ont répondu, « soit une proportion assez exceptionnelle de 67 % », comme l’a exposé Mme Thomine de Pins, assistante réalisatrice ([178]). Parmi eux, 53 hommes et 49 femmes, « ce qui montre que tout le monde peut se sentir concerné par la question ». Elle notait également que les membres les plus âgés avaient le plus répondu : « même si on a l’impression que ce sont les jeunes qui font avancer les choses, les plus vieux se sentent aussi investis et sont heureux du changement. »

Il ressort des témoignages que tous les postes sont exposés de manière égale : les troisièmes assistants-réalisateurs, pourtant situés à un échelon inférieur dans la hiérarchie, ne sont pas davantage touchés par des cas de VHSS. En revanche, ceux qui abusent disposent toujours d’un pouvoir ou d’une autorité sur les victimes, que l’agresseur soit un réalisateur, un producteur, un comédien, ou un technicien.

En ce qui concerne les discriminations, 54 % des répondants ont affirmé en avoir été victimes. Cela concerne 34 femmes et 22 hommes.

Les agissements sexistes ont concerné 64,7 % des personnes au cours de leur vie professionnelle.

S’agissant ensuite du harcèlement sexuel, 47 personnes ont affirmé en avoir été victimes. « Les circonstances dans lesquelles les faits surviennent sont d’ailleurs les mêmes que pour les agissements et les agressions sexuels. La victime débute dans le métier ou se trouve dans une position hiérarchique inférieure. Elle se trouve seule avec l’auteur des faits, que ce soit dans les loges, dans une voiture, lorsqu’elle accompagne un comédien de la loge au plateau ou lors d’un point avec le réalisateur. Souvent, aussi, les faits surviennent quand le tournage connaît une situation d’urgence ou de pression ; la victime n’a alors pas le temps de réagir : je pense à ces moments fébriles, hors de la réalité, avant que le mot “action” ou “coupez” ne résonne, lors desquels certaines personnes peuvent se permettre des choses, comme un attouchement. Et il y a bien sûr également les occasions sociales ou festives. »

Quant aux agressions sexuelles, 10 femmes et 7 hommes ont déclaré en avoir subi, soit 11 % des personnes qui ont répondu – une statistique similaire à celle des victimes d’agressions sexuelles dans la société. Parmi ces femmes, deux ont déclaré avoir été victimes de viol ou de tentative de viol.

Par ailleurs, seules 50 % des personnes qui ont déclaré avoir subi une agression ou fait l’objet d’un harcèlement n’en ont pas parlé en raison de la banalité de ces agissements qui relèvent du passé.

c.   Parmi les réalisateurs

Au début de l’année 2024, la Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF), qui compte 450 à 500 adhérents, dont 45 % de femmes, a lancé une enquête interne consacrée à la lutte contre les VHSS. Lors de l’audition de cette association, Mme Myriam Gharbi a souligné les apports de cette enquête : elle leur « a permis de constater une prise de conscience générale et une envie de prise de parole ».

La moitié des répondants auraient été victimes de discrimination, presque autant disent avoir été victimes de harcèlement moral ou sexuel ou d’agression sexuelle dans le cadre professionnel.

Par ailleurs, 68,5 % estiment que les espaces de création, de l’écriture à la post-production, sont à améliorer pour qu’ils deviennent sécurisés et sécurisants ; 53 % jugent que MeToo et les récentes prises de parole ont changé leur façon de travailler ; 91,4 % se disent plus vigilants ; 86 % estiment que la désignation d’un référent harcèlement est utile ; 54,3 % jugent la présence d’un coordinateur d’intimité nécessaire.

d.   L’étude menée auprès de 1 698 professionnels membres de vingt et une associations de techniciens et collectifs

L’un des premiers effets tangibles produits par la commission d’enquête est la réalisation, sous l’égide de l’Association française des assistant-réalisateur de fiction (AFAR), d’une enquête d’une ampleur inédite dans le cinéma et l’audiovisuel. En amont de son audition, l’organisation avait élaboré un questionnaire qu’elle avait soumis à ses adhérents. Celui-ci a ensuite été adressé aux associations professionnelles membres de la Commission supérieure technique de l’image et du son (CST), afin de recueillir anonymement les témoignages de leurs membres sur les violences et harcèlements qu’ils ont subis au travail tout au long de leur carrière. Au total, dix-sept associations professionnelles ont accepté de participer à cette étude, auxquelles se sont ajoutés quatre collectifs ([179]).

« Bien que le questionnaire ait été spécifiquement consacré aux VHSS, de nombreux témoignages libres ont également mis en lumière des situations de harcèlement moral, de violences psychologiques et de management toxique » : ces initiatives montrent, une fois encore, l’impact considérable des autres types de violences, lesquelles semblent particulièrement répandues dans les secteurs visés.

Les auteurs de l’enquête ont pris soin de souligner eux-mêmes les failles de leur étude : « l’échantillon interrogé ne saurait être représentatif de l’ensemble (des métiers) du secteur. Il concerne en effet un groupe d’individus spécifique (biais d’échantillonnage) : des techniciennes et techniciens très majoritairement expérimentés et bien implantés, membres de leurs associations professionnelles, et disposant ainsi, en théorie, d’une sensibilisation aux VHSS et au droit du travail plus élevée que la moyenne (biais de sélection). Il peut également exister un biais de genre et un biais de non-réponse à l’échelle de chaque association. De plus, de nombreux faits rapportés étant anciens, il n’est pas possible de les analyser au regard des postes actuellement occupés par les victimes ». Ajoutons, au regard du périmètre de la commission d’enquête, que ce document ne concerne qu’un domaine extrêmement limité, y compris dans le champ du cinéma et de l’audiovisuel. Il n’en demeure pas moins extrêmement précieux. En outre, il témoigne de la mobilisation croissante du secteur, ce qui est très encourageant. Le rapporteur appelle de ses vœux une amplification de ce mouvement, qui est de nature à encourager à la libération de la parole.

Les résultats sont particulièrement édifiants : 59 % des répondants disent avoir « personnellement subi un ou plusieurs agissements sexistes au cours de leur carrière, principalement des remarques et blagues sexistes et des interpellations familières ». C’est le cas de 85 % des femmes et – plus surprenant – 25 % des hommes.

Le harcèlement sexuel apparaît tout aussi massif : une femme sur deux déclare en avoir été victime, mais aussi un homme sur cinq.

Si l’on monte d’un cran dans la gravité des actes, les agressions sexuelles ont concerné 11 % des personnes durant leur carrière, principalement des baisers forcés et des mains aux fesses, mais 15 % des femmes, pour seulement 5 % des hommes.

Enfin, 25 personnes ont relaté avoir subi un viol ou une tentative de viol. Comme on pouvait s’y attendre, sur ce total, 23 des victimes étaient des femmes.

Il ressort de cette étude que la prévalence des VHSS dans le cinéma et l’audiovisuel est plus forte que dans les autres situations professionnelles (cf. supra). Par ailleurs, le sentiment d’une omerta persistante apparaît très fort : 82 % des femmes et 65 % des hommes estiment qu’elle est toujours présente dans leur milieu. Toutefois, un motif d’espoir tient au fait qu’une écrasante majorité des répondants, hommes et femmes confondus – plus de 80 % –, estime que la situation s’est améliorée depuis le début de leur carrière.

C.   La nécessité de conduire une enquête de victimation de vaste ampleur

Compte tenu du caractère très partiel des données disponibles, il apparaît fondamental de mener un travail statistique de grande ampleur dans l’ensemble des secteurs visés. Le ministère de la culture semble le plus à même d’engager cette enquête de victimation, à travers les relais institutionnels et territoriaux, mais aussi le service de statistiques, dont il dispose. Une telle enquête prendra nécessairement du temps, mais elle permettra seule d’établir un constat clair et, par voie de conséquence, de dessiner un plan d’action adapté. Elle pourra ensuite être reconduite périodiquement.

Par ailleurs, un baromètre annuel devrait être mis en place dans chaque secteur, qui aborderait notamment la situation des mineurs, véritable angle mort de toutes les données recueillies, en agrégeant les enquêtes menées au sein des différentes professions et en collectant les données Audiens.

Au-delà de ce travail de centralisation des données, une analyse de la situation par des chercheurs permettrait également de mieux comprendre les mécanismes qui sont à l’œuvre. Durant les auditions, il est apparu, en effet, que peu de travaux de recherche portaient sur ce domaine, contrairement – par exemple – aux gender studies, qui se sont multipliées durant les vingt dernières années. C’était déjà le constat que dressaient les auteurs de l’enquête Virage en 2015 : « Alors que le champ des recherches sur le genre s’est progressivement institutionnalisé et que certains domaines ont été largement explorés (inégalités professionnelles, scolaires, sexualité, etc.), la question des violences contre les femmes est restée un domaine marginal » ([180]). La chercheuse Marie Buscatto s’est également interrogée en ces termes lors de son audition : « Pourquoi personne ne veut toucher aux violences sexistes et sexuelles dans les institutions publiques ou dans des tables rondes sinon des collectifs de bénévoles et, maintenant, l’Assemblée nationale ? Je m’interroge. C’est brûlant – cela doit être de cet ordre-là, mais je ne peux pas l’expliquer, car je ne suis pas dans la tête des personnes qui n’ont pas envie de lancer des appels à projets scientifiques ou de financer des enquêtes collectives à ce sujet. » ([181])

Un tel manque est très préjudiciable, car les résultats de la recherche sont l’une des conditions d’une appréhension fine des phénomènes, permettant de faire émerger des solutions à la fois innovantes et efficaces.

Recommandation n° 11 : financer des travaux de recherche universitaires sur les VHSS.

Recommandation n° 12 : organiser, dans l’ensemble des secteurs visés, sous l’égide du ministère de la culture, une enquête de victimation exhaustive portant sur les différents types de violences afin d’objectiver le phénomène, en incluant la situation des mineurs, et élaborer chaque année un baromètre des violences.

En dépit de la difficulté à détruire le mur du silence et du manque de données précises, les auditions, les témoignages et les enquêtes de victimation partielles réalisées par les organisations professionnelles accréditent l’hypothèse selon laquelle les risques de violences physiques, morales et sexuelles sont plus élevés que la moyenne dans les secteurs visés.

Cet état de fait s’explique par la combinaison de deux facteurs : d’une part, des conditions d’exercice qui aggravent les facteurs de risque existant dans les autres secteurs et, d’autre part, des spécificités qui sont elles aussi source de violences, créant ainsi de véritables machines à broyer les talents.

 


   Deuxième partie :
Des secteurs particuliÈrement sujets aux violences :
Anatomie de machines À broyer des talents

« La fabrique du rêve ne doit plus être une machine à broyer », écrivait le 9 février 2024, Mme Valérie Hurier, directrice de la rédaction de Télérama, dans un éditorial inspiré par les révélations de Judith Godrèche ([182]). Cette observation faite à propos du cinéma s’applique malheureusement à l’ensemble des secteurs visés par l’enquête, qui se caractérisent tout autant par la fascination qu’ils exercent que par leur capacité à abîmer les corps, les âmes et les talents.

I.   Des facteurs de risque supplémentaires par rapport aux autres milieux professionnels

A.   Une précarité généralisée

Les violences se produisent souvent dans le cadre de relations de pouvoir : comme l’a montré le rapport précédemment cité consacré aux violences sexistes et sexuelles sous relation d’autorité ou de pouvoir, l’abus sexuel est d’abord un abus de pouvoir ([183]). Le pouvoir économique exercé sur une personne est d’autant plus fort que l’emploi de celle-ci est précaire. Or c’est précisément la situation dans les secteurs visés, qui sont tous caractérisés par des hiérarchies marquées, sur fond de précarité systémique.

1.   Des professionnels dont la précarité est souvent le lot

a.   Le recours massif à l’intermittence dans presque tous les secteurs visés

En 2023, France Travail a recensé 312 000 salariés intermittents du spectacle ([184]). Les métiers du cinéma, de l’audiovisuel et du spectacle vivant sont caractérisés par un recours massif à cette forme d’emploi. Comme l’a souligné Mme Noémie Kocher devant la première commission d’enquête, « le public ne voit que les stars, mais il ignore à quel point chaque année est incertaine en termes de revenus pour la grande majorité. Nous exerçons des métiers de passion, mais des métiers extrêmement précaires. Perdre un emploi peut entraîner des conséquences financières considérables pour chacun d’entre nous. » ([185])

Dans le secteur de la production cinématographique, 72 % des équipes artistiques des films – techniciens, acteurs, réalisateurs – avaient bénéficié, en 2023, du statut d’intermittent du spectacle. Comme l’a souligné le CNC, « les professionnels intervenant sur les tournages sont tous “précaires” au sens où ils sont recrutés dans le cadre de CDDU, c’est-à-dire à la tâche. » ([186])

Le secteur du spectacle vivant, dans toute sa diversité, comptait pour sa part, en 2023, 251 385 salariés permanents et intermittents, dont 67 % employés en contrat à durée déterminée dits d’usage et 18 % en CDD ([187]).

Corollaire de cette forme d’emploi : les contrats de courte durée y sont la norme. Certains intermittents sont ainsi amenés à effectuer de très nombreux contrats au cours d’une année : France Travail a ainsi établi qu’en 2023, 7,6 % des salariés avaient réalisé 50 contrats ou plus dans l’année. À l’inverse, un nombre très important de personnes – près d’un quart – n’en signent qu’un seul. En revanche, ces contrats très nombreux ne représentent qu’une part infime de la masse salariale totale – 2,8 % –, signe du niveau très faible des rémunérations associées.

RÉPARTITION DES SALARIÉS INTERMITTENTS DU SPECTACLE
ET DES MASSES SALARIALES SELON LE NOMBRE DE CONTRATS RÉALISÉS EN 2023

Source : France Travail, « L’emploi intermittent dans le spectacle au cours de l’année 2023 »

Un quart ou presque des intermittents signent au moins vingt-cinq contrats dans l’année, ce qui montre à quel point ils en dépendent pour vivre. Pour bénéficier du régime d’indemnisation chômage des intermittents, il faut avoir travaillé au moins 507 heures de travail au cours des 304 jours qui précèdent la fin du contrat de travail pour les techniciens – 319 jours pour les artistes. Le régime des intermittents est certes protecteur par rapport à ce que l’on observe dans de très nombreux autres pays, mais il est tout de même synonyme d’incertitude, de course aux heures de travail et parfois aussi de précarité.

Qui plus est, la concurrence est rude. Mme Mélodie Molinaro, fondatrice et présidente de l’association Derrière le Rideau, a souligné la pression pesant sur une personne qui serait tentée de dénoncer des abus : « Qu’il s’agisse d’intermittents ou de salariés en contrats courts ne change rien : on nous répète à longueur de journée qu’on peut être remplacé si on n’accepte pas tout ce qu’on nous demande. Dans ce milieu, la précarité joue un rôle très important » ([188]).

L’emploi intermittent dans le spectacle : un phénomène massif participant de l’exception culturelle française

Les intermittents du spectacle sont des artistes, ouvriers ou techniciens du spectacle qui sont embauchés en contrat de travail à durée déterminée (CDD) ou en contrat de travail à durée déterminée d’usage (CDDU). En 2023, selon les données de France Travail, l’emploi des intermittents du spectacle a concerné 312 000 salariés et produit 3 milliards d’euros de masse salariale, pour un total de 129 millions d’heures travaillées. Les salariés intermittents du spectacle, majoritairement des hommes (à 60,9 %), résident principalement en Île-de-France (38,4 %) et occupent un emploi principal de type artistique (64,7 %). Un quart d’entre eux réalise un seul contrat au cours de l’année (1).

Pour tenir compte de la précarité intrinsèque de leurs métiers, caractérisés par une certaine irrégularité et des contrats de travail courts, un régime d’assurance chômage spécifique leur est applicable. C’est l’objet des annexes VIII et X au règlement d’assurance chômage, créées respectivement en 1964 et 1967, qui ont fait suite à un premier régime spécifique, destiné aux techniciens et cadres du cinéma, créé en 1936.

L’annexe VIII concerne les ouvriers et techniciens, et l’annexe X les artistes. Les textes en vigueur ont été modifiés pour la dernière fois par le décret n° 2016-961 du 13 juillet 2016 relatif au régime d’assurance chômage des travailleurs involontairement privés d’emploi. Les secteurs concernés sont ceux de l’édition d’enregistrement sonore, de la production cinématographique et audiovisuelle, de la radio, de la diffusion et du spectacle.

Selon les termes de l’article 3 du décret précité, « les salariés privés d’emploi doivent justifier d’une période d’affiliation d’au moins 507 heures de travail au cours des 304 jours qui précèdent la fin du contrat de travail » pour bénéficier d’une indemnisation (la durée de référence est de 319 jours pour les artistes), alors que le droit commun prévoit 130 jours de travail ou 910 heures au cours des 24 derniers mois. Les périodes de suspension du contrat de travail sont retenues à raison de 5 heures de travail par journée de suspension. Pour les réalisateurs, lorsque le bulletin de salaire comporte une rémunération au cachet ou au forfait, les cachets ou les forfaits journaliers sont retenus à raison de 8 heures par cachet ou forfait groupé ou 12 heures par cachet ou forfait isolé. L’article 5 précise en outre : « En cas de fin de contrat de travail pour fermeture définitive d’un établissement ou pour interruption du tournage d’un film par l’entreprise, la durée non exécutée du contrat de travail de l’intéressé est prise en compte comme durée de travail effective pour l’appréciation de la condition d’affiliation ».

La durée de l’indemnisation est de 243 jours – contre 182 jours minimum, soit 6 mois, dans le régime de droit commun. En ce qui concerne le montant de l’indemnisation, l’allocation journalière ne peut être inférieure à un montant plancher de 38 euros pour l’annexe VIII et de 44 euros pour l’annexe X. Fin 2020, 120 000 allocataires étaient indemnisés au titre de ces deux annexes, représentant 4 % de l’ensemble des allocataires indemnisés. Environ 95 % des allocataires cumulent salaires et indemnisation, cette dernière représentant en moyenne 42 % du revenu total perçu.

Entre 2006 et 2016 les dépenses d’indemnisation au titre des deux annexes ont été de l’ordre de 1,2 milliard d’euros par an (pour des recettes évaluées à 200 millions d’euros), puis ont atteint 1,4 milliard d’euros en 2019, pour 400 millions d’euros de recettes. Régulièrement critiqué pour son coût, ce régime particulier n’en participe pas moins au soutien de la collectivité aux activités artistiques. Comme le rappelait de manière incidente la Cour des comptes dans un rapport récent consacré au soutien de l’État au spectacle vivant, il s’agit d’« un élément indispensable de l’écosystème » (3).

(1)    France Travail, « L’emploi intermittent dans le spectacle au cours de l’année 2023 ».

(2)    Unedic, « L’indemnisation des intermittents du spectacle », janvier 2022.

(3)    Cour des Comptes, « Le soutien du ministère de la culture au spectacle vivant », rapport public thématique, mai 2022.

Les secteurs visés sont donc caractérisés par une forte précarité : des contrats courts impliquant des équipes à géométrie variable, constituées autour d’un projet mais qui ne seront pas forcément reconduites. La précarité est « un accélérateur d’agression car elle empêche les plaintes », a jugé Mme Ghislaine Pujol, vice-présidente de la Guilde des scénaristes ([189]). Le fait de passer d’un contrat court à un autre, qui plus est en intégrant de nouvelles équipes, voire en passant d’un poste à l’autre, suppose de devoir faire ses preuves en permanence, ce qui peut se révéler source d’un profond mal-être psychologique : « On est tout le temps mis à l’essai », a ainsi souligné Mme Chloé Cambournac, cheffe décoratrice. L’exemple que donnait celle-ci, à savoir celui des équipes de décoration dans le cinéma, vaut pour de nombreux métiers des secteurs visés : « les équipes de décoration, dans le cinéma, présentent la particularité d’être montées pour un film donné. Il en découle une certaine précarité et une relative fragilité, car on ne sait pas si on va retravailler avec les mêmes équipes par la suite. On doit construire, en très peu de temps, une relation professionnelle fondée sur la confiance. » ([190])

Cette structure du travail recèle d’autres conséquences lorsqu’il s’agit de dénoncer des abus. D’une part, la crainte est forte, notamment pour les jeunes débutant dans le métier, de témoigner contre des personnes susceptibles de continuer à les faire travailler, ou de se créer la réputation de « faire des histoires ». D’autre part, compte tenu du temps nécessaire pour surmonter un traumatisme, et parfois même pour prendre pleinement conscience qu’on en a subi un et mettre des mots dessus, l’équipe du film, de la production audiovisuelle ou théâtrale peut s’être déjà dissoute. Mme Ghislaine Pujol, vice-présidente de la Guilde française des scénaristes, a souligné l’importance de cet élément dans la silenciation des victimes : « nos métiers sont caractérisés par un nomadisme professionnel qui rend difficile le traitement des plaintes, parce que les gens changent fréquemment de studio ou de chaîne » ([191]). L’absence de cadre d’emploi stable rend difficile la libération de la parole et la conduite d’enquêtes internes.

Dans cette précarité généralisée, certains métiers apparaissent plus précaires encore. Les représentantes de l’Association des maquilleuses et maquilleurs du cinéma (AMC) ont ainsi relaté une réalité difficile à la commission d’enquête, insistant sur la dégradation progressive de la situation socio-économique de leur profession, qui va de pair avec son manque de reconnaissance : « C’est en effet l’un des rares métiers où ni le mérite ni l’expérience ne comptent : que vous soyez un jeune maquilleur qui démarre ou un chef maquilleur avec trente-cinq ans de carrière et le plus beau CV du monde, le tarif est le même. Il n’y a aucune valorisation de nos qualifications, quelles qu’elles soient. » ([192])

Les jeunes sont particulièrement sujets aux abus en tout genre, car ils font partie des personnes les plus précaires, ayant beaucoup à perdre s’ils refusent les propositions indécentes ou dénoncent les agressions qu’ils subissent. C’est le cas notamment pour les jeunes comédiens. Un témoin entendu à huis clos a ainsi expliqué : « Ces agissements sont omniprésents, surtout envers les comédiens et comédiennes qui débutent. Pour ces gens, nous ne sommes rien ».

Pour les journalistes de l’audiovisuel, l’emploi précaire prend la forme de la pige, comme l’illustre le témoignage de M. Florent Pommier, violé par un producteur d’une radio locale de Radio France alors qu’il débutait dans le métier comme pigiste : « quand on démarre dans ce métier, on est la plupart du temps pigiste et donc rémunéré à la tâche. Ce qui m’est arrivé est essentiellement dû à la précarité. » ([193]) Il détaillait : « J’avais 22 ans et la personne qui m’a violé a profité de ma situation de fragilité, à la fois financière, puisque je n’avais pas de contrat, et géographique puisqu’on nous dit qu’il faut bouger, faire des contrats à droite, à gauche alors qu’il est difficile de se loger à moindre prix. »

Le milieu des critiques de cinéma ne fait hélas pas exception à cette règle, comme en témoigne le terrible récit que Mme Noémie Luciani a livré à la commission : « Pendant une quinzaine d’années, j’ai été critique de cinéma. Comme la plupart de mes collègues, je n’avais pas de contrat, je multipliais les piges pour plusieurs médias. En 2021, j’étais à Cannes où je n’avais pas prévu de me rendre, ayant toujours trouvé là-bas la cinéphilie en berne, l’exercice social nauséabond et les nez trop poudrés de cocaïne. L’un de mes rédacteurs en chef avait beaucoup insisté pour que j’y aille. Il s’apprêtait à m’embaucher en septembre pour ce qui devait être mon premier contrat. C’est si rare qu’après des années de piges, précédées d’années de textes bénévoles, je voulais encore prouver que je méritais sa confiance. À la fin du festival, la revue a donné une soirée dans l’appartement qu’elle louait et le directeur général d’un média partenaire m’a abordée. Je l’avais déjà croisé, il m’avait fait une vilaine impression. Comme ce partenariat comptait beaucoup pour ma revue, je me suis mise en demeure de faire bonne figure pour honorer la confiance de mon rédacteur en chef, mais aussi parce que dans ce métier, il faut être bien vu des chefs et des partenaires pour bénéficier de bons sujets, de bons emplacements dans la maquette, de possibilités d’interviews. L’homme était cultivé. Je me suis prise au jeu d’une conversation d’esthètes comme on aime à en avoir entre gens du métier, pleine de grands mots, peut-être pédante. Nous avons parlé de poésie, de l’écriture qui nous sauve et qui nous tient debout contre les tempêtes, de théâtre. Il m’a dit cette phrase que je n’oublierai jamais : “Il faut absolument que je te raconte une représentation de Bertolt Brecht à la Comédie-Française”. La soirée finissait et nous étions seuls sur un balcon. Dans la chambre, derrière les voilages, mon rédacteur en chef s’était couché. Sous son regard, que pouvait-il se passer ? L’homme cultivé ne m’a jamais parlé de Bertolt Brecht. Il s’est tu. Et prise d’une peur que je ne pouvais pas expliquer, je me suis mise à parler d’une représentation de Cyrano de Bergerac à la Comédie-Française. J’ai tout décrit, la voix des acteurs, leur jeu, les costumes, le moindre élément de décor dont je me souvenais comme un barrage invisible jusqu’à ce que le souffle me manque mais, avant que je puisse reprendre de l’air, il a éteint ma bouche en plaquant contre elle la sienne, immobile et glacée. Et j’ai pensé : voilà à quoi cela doit ressembler d’embrasser un cadavre. J’ai pensé “non” mais ses lèvres fermaient les miennes alors j’ai tenté de m’enfuir et il m’a rattrapée. Le silence me faisait mal, j’ai essayé de parler ; ses mains me faisaient mal. Le silence s’est cogné sur le son des volets roulants que mon rédacteur en chef, sans doute incommodé par le spectacle, a baissés. Je suis restée enfermée sur le balcon avec l’homme cultivé et mes mots pour seule arme ne m’ont pas sauvée. » ([194])

b.   « Appropriation des corps, appropriation des textes » : la dure réalité du métier de scénariste

Parmi les métiers du cinéma, l’un est apparu particulièrement fragile durant les auditions de la commission d’enquête : celui de scénariste. « Nous sommes majoritairement des indépendantes et des indépendants, sans contrat stable ni sécurité de l’emploi » ([195]), a indiqué par exemple Mme Anne Ricaud, membre du Syndicat des scénaristes. De fait, cette fonction est tout aussi nécessaire et prisée par les jeunes gens souhaitant entrer dans les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel que déconsidérée et fragilisée par les pratiques ayant cours dans ces domaines.

Le rapport de la mission dirigée par Bruno Racine, remis en janvier 2020 au ministre de la culture de l’époque, Franck Riester, avait insisté de manière générale sur les difficultés que rencontraient les artistes-auteurs ([196]). Or parmi eux, la situation des scénaristes paraît encore plus complexe. En effet, nombre d’entre eux ne signent aucun contrat avant que le projet ne soit confirmé. Comme l’a souligné Mme Caroline Torelli, membre du Syndicat des scénaristes, « l’écriture est une période de travail complètement sous-financée, ce qui accentue le hors-cadre. Le travail avant contractualisation est fréquent et offre autant de possibilités de prédation » ([197]). Il importe, à cet égard, de rappeler que près de 20 % des projets de film sont abandonnés avant le tournage, et dans près de 70 % des cas cette annulation intervient au stade de l’écriture des dialogues, soit une étape assez avancée du développement. En outre, selon une étude conjointe du CNC et de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) publiée en 2019, près d’un tiers des paiements aux auteurs est effectué après la fin du travail d’écriture, c’est-à-dire au moment de la mise en production, du tournage ou du montage ([198]).

Le travail préparatoire, qui représente une partie considérable de l’activité d’écriture, n’est couvert par aucune protection, ce qui augmente les risques d’appropriation des histoires, voire des textes, par des personnes indélicates, mais aussi de chantage au blacklisting et au paiement. Mme Élodie Namer a témoigné de ces pratiques : « Plusieurs d’entre nous ont été victimes de la réappropriation de leur travail : après avoir travaillé avec des réalisateurs qui n’écrivaient pas une seule ligne de scénario, non seulement nous avons constaté qu’ils étaient mieux payés que nous pour ce travail, mais nous avons vu leur nom crédité en premier au générique. » ([199])

Mme Ghislaine Pujol, vice-présidente de la Guilde des scénaristes, a analysé la situation de façon très claire : « Les scénaristes sont uniquement rémunérés en droits d’auteur et ne sont pas protégés par le code du travail. Le gros de la rémunération ne nous parvient que quand le texte final est livré et l’œuvre exploitée, diffusée, projetée. Un scénariste peut donc être tenté de rester le plus longtemps possible à un endroit afin de toucher pleinement sa rémunération, puisqu’en cas de départ, il devra partager ses droits d’auteur avec celui qui aura repris le texte. Si je me plains, que ma plainte n’est pas entendue et que je me fais éjecter – ce qui est possible, puisque nous ne sommes pas protégés –, je serai remplacée et il me faudra partager ma rémunération, peut-être même avec mon agresseur. La plupart des personnes que j’ai entendues s’efforcent donc de tenir et restent, en serrant les dents, parce qu’elles ont besoin d’argent pour vivre. Cela est d’autant plus fort dans ce type de “métier désir” où l’on a envie de faire sa place, et où l’on est donc prêt à accepter la maltraitance. En débutant, on nous prévient : ces métiers sont très difficiles, il faut avoir les épaules pour tenir et apprendre à avaler des couleuvres. Nous supportons d’autant plus facilement la maltraitance qu’elle nous a été présentée comme allant de soi. » ([200])

Mme Caroline Torelli, membre du Syndicat des scénaristes, a complété cette analyse en soulignant le fait que la situation des scénaristes est souvent ignorée, notamment par les pouvoirs publics, et que le cadre légal qui s’applique à l’activité des scénaristes les prive de la protection qui s’attache au statut de salarié : « Avec le droit d’auteur comme seul cadre, le travail de création constitue un grand impensé. Le terme “travail” n’est d’ailleurs pas utilisé dans notre profession. Nous ne sommes pas rémunérés pour notre travail, mais pour le droit d’exploiter une œuvre : le droit d’auteur protège l’œuvre, pas les auteurs et les autrices qui la créent. Nous sommes ainsi considérés comme des propriétaires, relevant du code de la propriété intellectuelle. » ([201]) En outre, en fonction de la réputation et de l’ancienneté des scénaristes qui peuvent être amenés à collaborer pour écrire une œuvre – film ou série –, une hiérarchie, source d’abus potentiels, peut s’établir : « La rémunération de l’écriture consiste en une enveloppe à partager, ce qui emporte des rapports de pouvoir entre des binômes d’auteurs qui n’ont pas forcément la même réputation. Ainsi, une jeune autrice proposant un excellent projet pourra se voir adjoindre un coauteur beaucoup plus puissant. La rémunération dépend de cette collaboration. »

Le rapport de M. Maxime Besenval ([202]), présenté en septembre 2023 à l’occasion du Festival de la Fiction de La Rochelle, cite ainsi des exemples de clauses contractuelles permettant de « silencier » les scénaristes, même si ce n’est pas leur vocation première. L’une d’entre elles précise ainsi que le producteur peut « décider de poursuivre le projet sans la collaboration de l’Auteur, sous réserve de pouvoir justifier de l’arrêt définitif ou temporaire du projet, ou de conditions incompatibles avec la bonne fin du projet (telles que toute mésentente grave et persistante entre les coauteurs, retards répétés et préjudiciables dans la remise des différents travaux d’écriture, divergences artistiques persistantes, etc.) ou d’absence d’acceptation des travaux d’écriture par le Producteur » ; « Il est entendu que la citation au générique de l’œuvre pourra être modifiée d’un commun accord entre les parties en fonction de la participation réelle de l’auteur au scénario définitif ».

La situation des femmes scénaristes apparaît doublement précaire en raison du sexisme qui reste très enraciné dans cette profession : « Dans notre secteur, le seul acte créatif pleinement toléré pour les femmes est celui qui passe par le corps – le rôle d’actrice, par exemple. En dehors de cela, les femmes scénaristes se battent pour faire reconnaître leur travail, souvent perçu comme une ébauche, une base de départ ou de la matière première, comme si ce que nous produisons n’avait de valeur que si un homme s’en empare. Appropriation des corps, appropriation des textes : tel est notre quotidien. » ([203])

c.   Le coût du podium : la précarité de nombreux mannequins

Les métiers de la mode font l’objet d’un encadrement législatif fort. Par ailleurs, les groupes LVMH et Kering, deux géants du luxe et de la mode, ont élaboré en 2017 une charte qui a produit des effets indéniables ([204]). Toutefois, lors des auditions, la commission d’enquête a été alertée sur la persistance de certaines pratiques contribuant à fragiliser les mannequins.

En particulier, certaines agences « endetteraient » les jeunes femmes audelà de la limite de 10 % du salaire qu’autorise le code du travail pour la plupart des salariés ([205]). Il s’agirait d’une pratique courante dans l’industrie de la mode, souvent utilisée par les agences pour maintenir un contrôle économique et juridique. Cette stratégie repose sur la facturation aux mannequins des frais liés à leur déplacement, hébergement et obtention de visa, sous couvert d’un investissement initial censé être remboursé grâce aux opportunités professionnelles futures.

Selon Mme Ekaterina Ozhiganova, fondatrice de l’association Model Law, « Les agences, qu’elles soient françaises ou étrangères, endettent systématiquement des mannequins. […] L’agence leur fait miroiter du travail et les rassure en leur disant qu’elle prendra en charge l’ensemble des frais. Mais, en réalité, le mannequin n’est pas payé, parfois pendant plusieurs années, alors qu’il travaille, rapporte de l’argent à l’agence et accroît son capital symbolique, notamment en posant pour des magazines. Je précise, du reste – mais c’est un autre sujet – que ce travail-là n’est pas rémunéré. » ([206])

Durant la même audition, Me Juliette Halbout a décrit cette pratique à partir d’un cas concret : « Dans l’un des dossiers que nous avons eu à connaître, un mannequin s’est entendu dire, à son retour des États-Unis, où on l’avait envoyée travailler, qu’elle avait contracté une dette correspondant au montant du loyer de son logement sur place et au prix de ses billets d’avion, de sorte qu’elle n’a perçu aucune rémunération pour le travail qu’elle avait effectué. Beaucoup d’agences produisent un document, qu’on appelle le statement, qui détaille l’ensemble des frais engagés par l’agence qui seront déduits du salaire du mannequin. »

Me Michael Indjeyan Sicakyuz, confirmant l’existence de telles situations, a expliqué que les jeunes femmes originaires d’Afrique faisaient partie des victimes privilégiées : « On a fait venir un mannequin d’Afrique ; on lui a fait signer un contrat de travail, et elle est devenue un des top models phares de l’agence, à laquelle elle a rapporté beaucoup d’argent. Elle était nourrie, logée et blanchie, comme c’est souvent le cas, mais elle n’a pas perçu un seul centime. Et, au bout de deux ans et demi, on l’a remerciée pour son travail et on lui a demandé de libérer l’appartement qu’elle occupait. » Cette anecdote fait écho au scandale, révélé en 2024, du recrutement de mannequins dans des camps de réfugiés en Afrique. Mme Ekaterina Ozhiganova l’a décrite en ces termes « Entre 2021 et 2023, une affaire a éclaté à propos de recrutements dans des camps de réfugiés à Kakuma : il peut être positif qu’une grande agence parisienne découvre des personnes et que ces dernières changent de vie et parviennent à travailler, mais ces recrutements se déroulaient dans des conditions plus ou moins correctes. Les agences dépêchaient des recruteurs sur place, même si elles envoyaient parfois leurs propres salariés pour évaluer les nouvelles recrues. Plusieurs jeunes personnes étaient sélectionnées, recevaient un visa, puis venaient en France. Le problème est que les recruteurs, locaux comme européens, leur faisaient croire que le voyage valait engagement, alors que rien n’était garanti. Certaines personnes ne sont ainsi restées en France qu’une semaine et ont été renvoyées dans le camp, lestées d’une dette. Celle-ci est censée correspondre au transport, au visa et à l’hébergement. »

Cette dette ne se limite pas aux recrutements en zone de précarité : elle concerne aussi des mannequins ayant signé un mandat civil de représentation avec une agence. Nombre d’entre eux découvrent, après plusieurs mois ou années de travail, qu’ils sont endettés, car leur rémunération est absorbée par des frais injustifiés.

Cette pratique contestable repose sur la convention collective applicable aux mannequins, qui indique, dans son annexe III, que « les frais d’hébergement et les défraiements avancés par l’agence sont remboursables par les mannequins dans la limite de ce qu’ils ont gagné » ([207]). Ainsi, l’intégralité de leurs salaires peut être retenue par l’agence qui les emploie, les agences justifiant ces sommes via des documents appelés statements, qui détaillent les frais à rembourser avant tout versement de salaire.

L’article L. 3251-4 du code du travail a précisément vocation à proscrire de telles pratiques. Il dispose en effet qu’il est interdit à un employeur « d’imposer aux salariés des versements d’argent ou d’opérer des retenues d’argent sous la dénomination de frais ou sous toute autre dénomination pour quelque objet que ce soit, à l’occasion de l’exercice normal de leur travail ». Cependant, le périmètre de cette disposition est très limitatif : elle ne s’applique qu’aux établissements du secteur de l’hôtellerie et de la restauration, aux entreprises de spectacle, aux cercles et casinos ainsi qu’aux entreprises de transport. Compte tenu de la gravité des faits rapportés à la commission d’enquête, il paraît indispensable d’étendre cette mesure de protection aux agences de mannequins.

Recommandation n° 13 : inclure les agences de mannequins dans le champ de l’article L. 32514 du code du travail pour mettre un terme à la pratique de l’endettement des mannequins.

En outre, comme l’a souligné M. Frank Laffitte, trésorier de la Fédération des arts, du spectacle, de l’audiovisuel et de la presse (FASAP-FO), « de nombreux défilés de mannequins sauvages échappent à tout contrôle. Dans ces défilés, les mannequins ne sont parfois pas rémunérés, et il arrive même que des mannequins mineurs, parfois âgés de moins de quinze ans, y participent sans aucune surveillance. Les risques de harcèlement et de violences sexistes sont alors considérables. » ([208])

2.   De très nombreuses structures employeuses, souvent de petite taille, et des professionnels peu organisés

a.   Un éclatement des structures employeuses

Si les secteurs visés emploient de nombreuses personnes, la part des salariés permanents y est très limitée, comme le montre le recours très important à l’intermittence, et les structures sont souvent de petite taille : des équipes nombreuses peuvent être constituées pour un projet, mais elles ne s’intègrent pas à une structure employeuse stable : les personnes se rassemblent pour quelques semaines seulement. Un tel éclatement des structures employeuses est inévitablement associé à une moindre protection des salariés temporaires.

 S’agissant du cinéma, le CNC a ainsi souligné dans ses réponses écrites au rapporteur qu’il s’agit d’« un secteur marqué par des TPE (producteurs, équipes artistiques), disposant de très peu de salariés permanents (parfois même aucun), d’une absence d’expertise en interne (pas de service RH, ni juridique) ». Les sociétés sont mobilisées presque exclusivement pour construire et réaliser des projets.

En outre, le secteur de la production cinématographique français n’est pas très dense : en 2023, le CNC avait recensé 220 entreprises de production différentes, ayant produit 236 films d’initiative française. Parmi ces sociétés, 168 sociétés avaient produit un seul film. Agat Films & Cie, la plus active en 2023, en avait produit sept ; venaient ensuite la société Gaumont, avec six films, les sociétés Atelier de Production, Cinéfrance Studios et LFP-Les Films Pelléas ayant produit cinq films chacune.

Le secteur de l’audiovisuel est plus hétérogène, mais à côté des quelques grands groupes, on y trouve également beaucoup d’entreprises petites ou de taille moyenne. Comme l’a souligné M. Vincent Gisbert, délégué général du Syndicat des producteurs et créateurs d’émissions de télévision (SPECT), « la taille et la structure des sociétés varient beaucoup, puisque de très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME), que l’on pourrait qualifier de familiales, côtoient des groupes de taille intermédiaire, souvent constitués autour d’un producteur » ([209]).

● Selon un bilan établi en 2023 par ARTCENA, le Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre, l’effectif moyen de salariés par employeur était de 23. Quel que soit le contrat de travail, 15 % des employeurs déclarent un seul salarié, 60 % moins de 11 salariés et 40 % 11 salariés ou plus ; 94 % des employeurs emploient moins de 11 salariés permanents (CDI et CDD), et 57 % emploient uniquement des salariés intermittents. Le secteur était composé de 26 126 employeurs, auxquels il convient d’en ajouter 76 544 s’inscrivant dans la catégorie du spectacle occasionnel, c’est-à-dire n’ayant pas pour activité principale le spectacle vivant.

Un autre élément de fragilité structurelle s’attache au secteur du spectacle vivant : le statut associatif y est largement majoritaire. Il est celui de 80 % des employeurs.

Ces chiffres confirment l’analyse proposée par Mme Malika Séguineau, directrice générale d’Ekhoscènes, premier syndicat professionnel du spectacle vivant privé, qui décrivait en ces termes le profil des adhérents de l’organisme : « Nous comptons plus de 500 entreprises membres, dont 84 % sont des PME et 53 % peuvent même être considérées comme des microentreprises. Tout l’enjeu pour nous, en tant que syndicat, est de réussir à accompagner au mieux ces très petites structures, qui ne bénéficient pas toujours, en interne, des ressources adaptées. » ([210])

b.   Un faible taux de syndicalisation des salariés et des organisations professionnelles souvent de création récente

Un faible taux de syndicalisation est une limite au dialogue social ainsi qu’à la défense des salariés. D’une manière générale, les salariés français sont peu syndiqués : 10,3 % en 2019, tous secteurs confondus, selon une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail ([211]), en repli de près de 1 point par rapport à 2013. Dans le détail, 18,4 % des salariés du public étaient syndiqués, et 7,8 % de ceux du privé. Or, dans les domaines visés, ce taux est encore plus réduit : comme l’a souligné Mme Alexandra Laval, « seuls 6 % des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel sont syndiqués, face à des producteurs qui le sont à plus de 80 % » ([212]). Dans le secteur de la danse, Mme Léa Poiré relevait récemment qu’il y avait « environ 350 danseurs au SFA-CGT (aujourd’hui majoritaire) soit à peu près 7 % de toute la profession répertoriée par France Travail et le ministère de la Culture » ([213]).

La structure très morcelée de l’emploi dans les secteurs concernés est un frein à la syndicalisation. En effet, la plupart des professionnels sont employés sur des contrats courts, d’une durée allant de quelques jours à quelques mois. Or, comme le soulignait l’étude précitée de la DARES, « la stabilité de l’emploi et l’insertion régulière dans un collectif de travail sont des facteurs favorables à l’adhésion syndicale. Ainsi, tous secteurs confondus, les salariés qui travaillent à temps complet sont nettement plus syndiqués que ceux à temps partiel ; il en est de même pour les salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) ou ceux titulaires de la fonction publique, comparativement à ceux en contrats à durée limitée. » ([214])

À cela s’ajoute, selon certains des professionnels entendus dans le cadre de la commission d’enquête, un autre frein, tenant au fait que les personnes syndiquées sont mal vues dans ces secteurs : « Un technicien syndiqué a peur que cela se sache et d’être blacklisté. Nous avons un problème dans nos équipes : les gens n’arrivent pas à se fédérer ; ils ont trop peur de ne plus avoir de travail ou d’être harcelés. » ([215])

La plupart des professionnels du secteur ont mis du temps à s’organiser en associations visant à défendre leurs intérêts moraux et matériels. Parmi les organisations reçues par la commission d’enquête, l’Association française des assistants réalisateurs de fiction (AFAR), par exemple, a été créée en 1998 ; l’Association française des régisseuses et de régisseurs du cinéma et de l’audiovisuel (AFR) a vu le jour en 2006 ; l’Association française des costumiers du cinéma et de l’audiovisuel (Afcca), en 2009 ; la Guilde des scénaristes en 2010 ; l’association Scénaristes de cinéma associés (SCA) en 2017, de même que Model Law, première association française de défense des droits des mannequins ; lAssociation des maquilleuses et maquilleurs du cinéma (AMC) en 2022 ([216]) ; le Syndicat des scénaristes en 2023. Il en va de même pour les associations de défense des victimes des différents secteurs visés : MeTooMedia a été créé en 2021, de même que MeTooThéâtre, Derrière le rideau en 2022, etc.

Le rapporteur ne saurait d’ailleurs manquer de voir dans cette floraison d’associations et de collectifs le signe d’une prise de conscience très large de la nécessité pour l’ensemble des professionnels d’agir ensemble afin de se protéger mutuellement et de faire évoluer les pratiques. Il espère qu’il en sera de même en matière d’engagement syndical des différents professionnels, y compris des acteurs. À cet égard, Mme Anna Mouglalis a déclaré devant la commission d’enquête : « Très peu d’acteurs sont syndiqués. Je le suis depuis peu. Je crois beaucoup à la force du syndicat. » Puissent de nombreux acteurs suivre son exemple.

B.   Des secteurs marqués par l’entre-soi et les relations de pouvoir

1.   Des milieux très hiérarchisés

Dans les « familles du spectacle », tous les membres ne sont pas logés à la même enseigne. Au-dessus des « petits », des « obscurs », des « sans-grade » – pour paraphraser Edmond Rostand –, il y a les détenteurs du pouvoir, dont la position détermine directement la possibilité, pour les victimes d’abus, de les mettre en cause. En effet, les organisations pyramidales sont propices à l’établissement de relations de pouvoir délétères.

En outre, dans les secteurs visés, il peut arriver que deux hiérarchies pouvant entrer partiellement en concurrence coexistent : celle qui est dessinée par la place dans la structure et celle qui découle du prestige particulier dont jouissent certaines personnes : « une hiérarchie se crée, basée sur la réputation, donnant à certaines personnes le pouvoir de nuire, de harceler moralement et sexuellement » ([217]). Mme Ghislaine Pujol, vice-présidente de la Guilde française des scénaristes, a ainsi déclaré durant son audition : « La réputation d’une personne dans la chaîne alimentaire d’une production a une énorme importance. Elle conditionne la capacité des gens à se plaindre ou à entendre des plaintes. » ([218])

Les exemples du cinéma et de la musique classique permettent de donner une image précise des mécanismes de pouvoir qui sont à l’œuvre.

a.   Dans le milieu du cinéma

La répartition des rôles sur un plateau de tournage obéit à une hiérarchie stricte, au moins sur le plan du droit : le producteur, employeur de l’ensemble de l’équipe, qui en occupe le sommet, est représenté par le directeur de production. Vient ensuite le réalisateur, dirigeant l’ensemble de l’équipe technique et des acteurs, assisté d’un ou plusieurs assistants réalisateurs. Dans l’équipe technique, les « chefs de poste » dirigent leur propre équipe. Entre les chefs de poste euxmêmes se dessine une hiérarchie subtile définie par la convention collective nationale de la production cinématographique. En effet, la fabrication d’un film suppose un découpage de l’équipe en différentes « branches » – branche réalisation, branche administration, branche régie, etc. –, avec à l’intérieur de chacune des cadres et des non-cadres, et entre les cadres eux-mêmes une différence entre ceux qui sont reconnus « collaborateurs de création » et les autres. Les collaborateurs de création sont : le directeur de production, le directeur de la photographie, le chef opérateur de son, le créateur de costumes, le chef décorateur, le chef monteur image, le chef monteur son et le mixeur et bruiteur. On notera ainsi que le chef constructeur de décors n’en fait pas partie.

La réalisatrice et universitaire Iris Brey a confirmé cette analyse : « ce que j’ai découvert en étant à la place de la réalisatrice, c’est un système très pyramidal : un producteur ou une productrice tout en haut, le réalisateur ou la réalisatrice à côté ou juste en dessous. Les rapports de pouvoir s’exercent à plusieurs endroits entre la productrice ou le producteur, le réalisateur ou la réalisatrice et toute l’équipe des techniciens et techniciennes ainsi que les comédiens et les comédiennes. » ([219])

La hiérarchie rigide va de pair avec la survalorisation de certaines fonctions, notamment celle du réalisateur, et la dévalorisation d’autres, par exemple les maquilleuses. Or, comme l’a rappelé Mme Nathalie Tissier, membre de l’Association des maquilleuses et maquilleurs du cinéma, « notre activité ne se limite pas à mettre de la poudre sur la joue des gens ! Dès que nous recevons le scénario, nous décryptons l’œuvre et identifions le travail qui nous revient, que le film soit contemporain, d’époque, ou encore futuriste. Nous mobilisons nos connaissances, nous faisons des recherches historiques, nous créons des mood boards des planches de tendance –, de sorte à apporter le plus de richesse artistique possible à la construction de l’œuvre commune. » ([220])

L’image de la pyramide est revenue régulièrement durant les auditions pour désigner l’organisation des secteurs visés, en particulier à propos du cinéma. La productrice Valérie Lépine-Karnik a confirmé cet état de fait lors de son audition : « Les postes sont très hiérarchisés sur un plateau : chaque chef de poste est en quelque sorte chargé de ses troupes. » ([221]) Le cas de la décoration au cinéma est édifiant. Lors d’une des tables rondes consacrées aux métiers du cinéma, M. Riton Dupire-Clément, chef décorateur, a décrit son domaine de la manière suivante : « la décoration fait appel à une multitude de métiers, qui connaissent chacun une situation spécifique. Dans le cadre de notre hiérarchie pyramidale, on trouve un chef d’orchestre, des assistants puis les personnes travaillant au sein des sous-départements, qui ont des compétences spécifiques, que ce soit en tapisserie, en menuiserie, en réalisation de plans, etc. Pour ma part, je suis chef décorateur mais je serais tout à fait incapable d’exercer nombre de ces métiers. Il existe une hiérarchie de métiers et une hiérarchie au sein de chaque équipe. » ([222]) Une organisation aussi hiérarchisée est un terreau rendant possibles des rapports de force et de domination, par conséquent des abus.

Les figurants, quant à eux, sont cantonnés tout en bas de la chaîne alimentaire, comme l’a relevé Mme Nathalie de Médrano, présidente de l’Association des chargés de figuration et de distribution artistique (ACFDA) : « Les figurants représentent un peu le plus bas niveau sur un tournage. On ne les connaît pas. Ils n’ont parfois pas le temps de se rendre compte des violences qu’ils ont pu subir ou ils n’ont pas envie d’en parler. Quand ils nous alertent, c’est souvent en fin de journée, au moment de partir. » « La violence envers des figurants peut venir des figurants eux-mêmes, des équipes techniques ou des comédiens, de plusieurs niveaux. […] Je me souviens d’une séquence d’un film d’époque avec des jeunes de 20 ans. Une petite était venue me trouver pour me dire que le garçon avec lequel elle avait dansé un slow pendant la moitié de la journée n’avait pas arrêté de la tripoter. Elle n’avait pas osé intervenir parce qu’elle était raccord et devait reprendre la danse avec la même personne. » ([223])

Cette hiérarchie est toutefois compliquée par le fait que certaines personnes puissantes viennent introduire des mécanismes de domination supplémentaires, eux aussi sources d’abus. C’est le cas, en particulier, de certains réalisateurs auréolés de leur prestige de créateur, qui se révèlent plus puissants que ne l’est leur employeur, à savoir le producteur, et que celui-ci peine à contrôler. Il en va de même pour certains acteurs stars, parfois plus influents que le réalisateur et le producteur, car c’est leur popularité qui a permis de monter le film sur leur seul nom.

b.   Dans la musique et la danse classiques

Dans le domaine de la musique classique, on observe une organisation tout aussi rigide, fondée sur la discipline de groupe : les choristes sont « dressés » pour obéir au geste le plus imperceptible du chef de chœur.

Dans les orchestres, la position hégémonique du chef d’orchestre est tellement évidente que l’expression « mener à la baguette », même si elle trouve son origine dans le vocabulaire militaire, en est venue à être identifiée avec cette fonction ([224]).

En contrebas du chef, mais juste à côté de lui, est installé le soliste, jouissant lui aussi d’un statut à part, auquel est associé un pouvoir symbolique considérable. De la même façon qu’un film se fait parfois sur le nom d’un acteur célèbre, un concert s’organise sur la réputation d’un musicien considéré comme exceptionnel, parfois plus que sur celle du chef d’orchestre.

Certains orchestres nomment un « super soliste », ayant un contrat spécial. Il joue les parties de soliste pendant le concert. Symboliquement, c’est à lui que l’on octroie la fonction d’accorder l’orchestre avant l’exécution de l’œuvre. Il serre la main du chef lorsque celui-ci arrive dans la salle et après l’exécution, parfois même pendant les répétitions.

Le premier violon solo, dénommé symboliquement « leader » ou « principal player » en anglais, « Konzertmeister » en allemand – soit, littéralement, maître de concert –, joue quant à lui un rôle clé dans l’orchestre : si celui-ci ne dispose pas d’un super soliste, il est le musicien le plus important pendant les répétitions et les concerts. Outre son rôle de soliste, il veille sur son pupitre, peut décider des coups d’archet sur une partition ([225]) et exerce une autorité morale, faisant le lien entre les musiciens et le chef, notamment en cas de conflit. C’est en quelque sorte le représentant de l’orchestre.

Dans la hiérarchie, viennent ensuite dans chaque pupitre les premier, deuxième, troisième ou quatrième solistes. Le soliste désigné joue les parties solos de la partition. Si le premier soliste est empêché, le deuxième prend sa place et ainsi de suite. On parle plus traditionnellement de « chef de pupitre ». Ces musiciens ont aussi un rôle de porte-parole entre le chef et le pupitre sur des aspects musicaux, mais aussi humains, comme lors du recrutement d’un nouveau musicien au sein d’un pupitre. Parmi les seconds violons, sont désignés des « chefs d’attaque », eux aussi hiérarchisés. Ils peuvent décider des coups d’archet pour les parties de seconds violons.

Le reste des musiciens est constitué par les « tuttistes », anciennement désignés de manière assez péjorative – et, à ce titre, significative – par l’expression « musiciens du rang » ([226]).

La danse classique connaît également une forte hiérarchie au sein du corps de ballet, la progression au sein des cinq échelons – quadrille, coryphée, sujet, premier danseur et étoile – s’effectuant, à l’Opéra de Paris, par le biais d’un concours interne, tandis que la sélection est opérée, pour chaque pièce ou ballet, par son chorégraphe, à l’issue d’une compétition parfois difficile à vivre pour les danseurs.

2.   De tout petits milieux, où le « réseau » est déterminant et où l’entre-soi domine, favorisant l’omerta

Les milieux visés par l’enquête sont non seulement hiérarchisés mais aussi fermés, marqués par l’entre-soi. La difficulté d’y entrer accrédite l’idée, en particulier chez les jeunes personnes aspirant à faire carrière, que les abus en tout genre sont en quelque sorte le « prix à payer », le ticket d’entrée dans la profession.

Durant les auditions, de nombreux témoignages ont mis en évidence le fait que le travail se trouvait souvent par le bouche-à-oreille. Mme Anne Ricaud, par exemple, a évoqué « un système fondé sur les relations interpersonnelles et l’entresoi » ([227]). Mme Alice Cambournac, présidente de l’Association française des costumiers du cinéma et de l’audiovisuel (AFCCA), a mentionné son propre parcours pour illustrer cette idée : « Un professionnel est embauché par le boucheàoreille grâce à sa réputation – en vingt-cinq ans, j’ai dû transmettre six fois mon CV. » ([228])

Il en va de même pour les scénaristes : « Chaque scénariste se construit un réseau professionnel, comme le font d’ailleurs les acteurs, les journalistes et n’importe quel intermittent du spectacle. Ce réseau se crée par affinité, par amitié. Se plaindre d’une agression, c’est potentiellement se couper de ce réseau, donc endommager sa carrière ou, du moins, son engagement professionnel du moment. » ([229])

Mme Élisabeth Tanner, présidente du Syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL), a expliqué que la constitution du réseau était la première étape – et la plus importante – dans l’apprentissage du métier d’agent : « Notre profession repose sur l’acquisition de compétences et de réseaux, un processus qui s’établit avec le temps. Lorsqu’un assistant a travaillé pendant quatre ou cinq ans avec un agent, il connaît les personnes avec lesquelles il devra collaborer une fois devenu agent. » ([230])

Un témoin entendu à huis clos a beaucoup insisté lui aussi sur l’importance des réseaux de fidélité qui se constituent au fil des années dans le métier, que ce soit au théâtre ou au cinéma : certains metteurs en scène construisent autour d’eux des groupes d’acteur avec lesquels ils travaillent de façon préférentielle, et c’est également vrai des équipes techniques. Se créent ainsi des réflexes de fidélité professionnelle qui ne sont pas nécessairement gages de violences mais qui, en cas de survenue d’événements graves, nourrissent le réflexe consistant à protéger le groupe et à en exclure l’élément perturbateur – en l’espèce, la victime osant prendre la parole plutôt que l’agresseur, si celui-ci fait partie du cercle des habitués.

Si le bouche-à-oreille fonctionne dans un sens pour repérer les personnes travaillant bien, il peut aussi opérer en sens inverse, pour écarter les trouble-fêtes, les personnes qui « font des histoires ». À propos du théâtre, l’actrice, metteuse en scène et autrice Séphora Haymann a déclaré devant la première commission d’enquête : « Nous sommes un tout petit milieu, où tout le monde se connaît : perdre du travail, ça va très vite. » ([231])

De fait, cette crainte est accréditée par le sort réservé à certains lanceurs d’alerte dans le métier, comme M. Stéphane Gaillard et M. Francis Renaud, qui ont témoigné devant la commission d’enquête. Le premier a ainsi raconté la manière dont il avait été « éliminé » du jour au lendemain par le métier à partir du moment où il avait contribué à lancer le mouvement MeTooGarçons : « La loi du silence est là : si tu parles, tu payes, tu es éjecté. C’est une réalité dont je suis la preuve vivante. Après vingt-huit ans de métier, mon téléphone a cessé de sonner instantanément. Le corps du cinéma, comme un organisme, réagit de manière organique dans son ensemble. Par mimétisme, même des personnes formidables qui n’ont rien à se reprocher me considèrent comme radioactif. On me dit que je suis infréquentable, dangereux, qu’il faut me débrancher, que je suis fou, etc. Je suis seul. » ([232]) L’acteur Francis Renaud a relaté une expérience comparable : « les lanceurs d’alerte sont toujours mis au ban. Nous faisons un métier magnifique, mais lorsque nous parlons, ce métier ferme les rideaux et c’est fini pour nous » ([233]), a-t-il expliqué. Mme Sara Forestier, après avoir refusé de se taire quant à la gifle infligée par l’un de ses partenaires et s’être vue accuser en retour de l’avoir frappé à travers une fuite organisée dans la presse, connaît elle aussi des déconvenues professionnelles liées à la réputation qui lui a été faite : « Quelques mois plus tard, je devais tourner dans une série. Après la publication de l’article, qui m’a fabriqué cette réputation, j’apprends que je suis virée et que deux autres projets sont annulés. Par conséquent, je n’avais plus de revenus, je ne pouvais plus payer mon loyer et je me suis endettée, d’autant que je comptais sur le tournage interrompu pour tenir financièrement pendant un moment – les revenus des acteurs sont irréguliers. » ([234])

C.   Des conditions de travail marquées par la promiscuité et où le corps occupe une place fondamentale

1.   Des secteurs où l’on travaille avec son corps et son image

Les secteurs visés par l’enquête ont tous en commun la place primordiale qui y est accordée au corps. C’est particulièrement évident s’agissant des acteurs, que ce soit au théâtre ou au cinéma, mais le corps occupe également une place centrale dans un art comme la danse et dans des activités comme le cirque et le mannequinat. Il en va de même pour la musique, même si celle-ci est souvent considérée comme le plus immatériel des arts : les instrumentistes et les chanteurs travaillent avec leurs corps, et se côtoient sur scène, en coulisses et pendant les répétitions. Au cinéma et au théâtre, les habilleuses et les habilleurs, en particulier, se trouvent directement exposés à l’intimité des acteurs.

L’acteur donne son corps au réalisateur et au metteur en scène. Une actrice a considéré que cette dimension du travail était incontournable : « Je respecte l’argument d’André Téchiné selon lequel il faut filmer les corps. Nous ne sommes pas que des intellectuels qui récitons un texte. J’ai été éduquée dans l’idée qu’il fallait savoir se donner physiquement, dans une certaine limite : pas de langue, pas de relation sexuelle, etc. »

Mme Gwénola David, directrice générale du Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre, a souligné cette dimension durant son audition, notamment à propos du cirque : « Le cirque est un art du corps, du dépassement des limites. Il partage certaines caractéristiques avec le théâtre […]. La singularité du rapport au corps tient aussi à la parade, qui consiste à rattraper une personne au cours de sa chute. Ce faisant, on peut toucher, par mégarde ou volontairement, certaines parties du corps. » ([235])

S’agissant de la danse, la journaliste Lola Bertet a pu écrire : « La danse, telle qu’elle est majoritairement enseignée et pratiquée, est un processus de dépossession de son propre corps qui rend les personnes extrêmement vulnérables » ([236]). La chorégraphe Lola Rudrauf souligne elle aussi le risque de silenciation qui découle d’une pratique professionnelle souvent réduite à l’expression corporelle ([237]) : « Puisque le corps est notre outil de travail et qu’on y est réduites, nous n’avons pas le droit à la parole. Cela crée un problème de légitimité quand il s’agit de dénoncer ».

Le corps est également la matière première qu’offrent les mannequins. Un ancien mannequin a témoigné en ces termes : « On sourit – ou pas, c’est parfois plus stylé de ne pas sourire –, on se montre. Parfois, on nous met juste des robes transparentes pour qu’on voie notre corps. On nous regarde de haut en bas. On entend les adultes critiquer notre corps devant nous, comme si nous n’étions pas là, comme si nous étions des morceaux de viande ou des objets inanimés. »

Pendant des années, le mannequinat a été la cible de nombreuses critiques en raison des contraintes – voire de la maltraitance – qu’il imposait au corps des jeunes femmes et des jeunes hommes. Les représentants des agences entendues par la commission d’enquête ont nié la persistance des pratiques consistant à forcer les mannequins à maigrir, arguant du fait que des personnes ayant un mode de vie malsain perdraient leur beauté, ce qui, par définition, serait contre-productif. De telles pratiques avaient effectivement cours il y a quelques années, ce qu’a reflété le témoignage de M. Cyril Brulé : « j’étais mannequin au début des années 1980. La profession a énormément changé depuis. À cette époque, les mannequins étaient traités comme des animaux » ([238]). La charte cosignée en septembre 2017 par les groupes LVMH et Kering a posé des règles de bonne conduite pour les relations entre les mannequins et les agences. Force est pourtant de constater que de nombreux mannequins continuent à souffrir des contraintes pesant sur leur corps, même si certains ont tellement intériorisé ces contraintes qu’ils s’infligent à eux-mêmes des régimes alimentaires et des modes de vie aberrants. À cet égard, le documentaire réalisé récemment par Lazard Timsit, Mannequin : disponible ([239]), est révélateur en ce que la mannequin parle librement au spectateur de son stress et de sa dépression : on y apprend notamment que les mannequins boivent beaucoup de café car cette boisson est à la fois diurétique et coupe-faim. De là aussi une forte consommation de tabac, car lui aussi a des propriétés anorexigènes. Plus grave encore, de nombreux mannequins consommeraient des médicaments prescrits pour traiter le diabète de type 2 et l’obésité, en particulier de l’Ozempic ([240]).

2.   Des conditions de travail souvent difficiles et sources de fragilité

« Ce n’est pas un métier pour les faibles », a déclaré à huis clos une actrice. Or ce n’est pas une question de personnes « faibles » ou « fortes » : l’organisation du travail et les pratiques tendent à fragiliser les corps et les esprits.

La pression se fait en effet ressentir dans des conditions de travail difficiles. De nombreux témoignages, émanant notamment de techniciens, ont fait état d’une pression croissante sur les équipes de tournage pour tourner vite et moins cher, entraînant une dégradation des conditions de travail, source de stress et donc de violences morales, psychologiques, voire physiques. Le coût élevé de chaque journée de tournage – plus de 100 000 euros en moyenne – explique cette tentation de réduire les coûts. Selon les données communiquées par le CNC, la part du tournage dans les coûts de production d’un film reste globalement stable (aux alentours de 30 %), contrairement aux dépenses liées au matériel technique, qui ont fortement diminué en raison de la numérisation.

Principaux postes de coût de production des filmS

(en %)

Source : CNC, réponses au questionnaire du rapporteur.

La question du coût du tournage s’avère cruciale dans le cas des petites productions : de l’aveu général des personnes entendues, ce sont elles qui donnent le plus souvent lieu à des dérapages en matière de conditions de travail.

Le manque de dialogue entre la production et les équipes de tournage est également pointé du doigt. Ainsi, M. Omid Gharakhanian, membre de l’AADAC, a expliqué durant son audition : « Les tournages où les questions de la violence et des conditions de travail sont abordées très tôt par l’employeur et prises en compte par les chefs de poste se déroulent généralement de façon très saine. Il faut rappeler l’importance du temps de préparation d’un film. Quand on peut prendre le temps d’aborder les problèmes financiers, considérer les variables, rediscuter de l’aspect artistique avec le metteur en scène et des conditions financières avec la production, cela crée un climat propice à la prévention des violences. Sur les quelques tournages que j’ai vécus – il y en a eu pas mal ces dernières années, malgré tout – où le chef décorateur et la production étaient à la fois très professionnels et très humains, le climat était beaucoup plus apaisé, et la parole libérée, parce que les techniciens se sentaient en confiance. » ([241])

Le documentaire intitulé Mannequin : disponible, précédemment cité, a mis en évidence les conditions de travail très difficiles qui persistent pour de nombreux mannequins, obligés d’attendre pour des castings ou des défilés sous la pluie et dans le froid. Le film montre également les conditions de vie dans les « appartements de mannequins » que possèdent ou louent les agences, où les jeunes femmes sont obligées de vivre à trois ou quatre pour 1 500 euros par mois, frais avancés par l’agence puis déduits de leur rémunération. Un ancien mannequin a témoigné à huis clos des conditions dans lesquelles les jeunes femmes comme elle passaient des castings il y a de cela quelques années : « Je passe plein de castings pour lesquels il faut attendre des heures dans les cages d’escalier, sans eau et sans toilettes. »

3.   Le cas particulier des festivals et lieux festifs, qui rassemblent de très nombreuses personnes venues d’horizons très divers

La promiscuité et les risques qui l’accompagnent sont particulièrement sensibles dans des lieux indissociables du spectacle vivant, qu’il s’agisse du théâtre ou de la musique. L’exemple le plus flagrant est celui des festivals. La France est une terre d’accueil privilégiée pour ces événements rassemblant un grand nombre de personnes pendant un temps assez court et dans des espaces parfois réduits. Selon une estimation du ministère de la culture, environ 6 000 festivals sont organisés chaque année dans notre pays, dont 4 000 pour la musique sous toutes ses formes. En 2018, près de 20 % des Français déclaraient avoir participé au moins une fois dans l’année à l’un de ces événements ([242]). Entre les festivaliers, les artistes invités et le personnel mobilisé pour l’accueil de ces personnes – notamment les agents de sécurité et les forces de l’ordre –, des foules immenses se trouvent rassemblées à l’occasion de ces événements.

Mme Anna Batogé, cofondatrice de l’association Les Catherinettes, qui mène des actions de sensibilisation aux VHSS dans des festivals de musiques actuelles, a fait part de son expérience en la matière : « L’idée de créer notre association nous est venue progressivement. En tant que chargée de production dans les festivals de musiques actuelles – métier que j’exerce depuis que j’ai 20 ans –, j’ai été témoin et victime d’agissements sexistes, de harcèlement moral et sexuel, d’agressions et de viols, dans un environnement souvent alcoolisé et dominé par un boys’ club où l’omerta est de règle. » ([243])

Le rapport de la mission de lutte contre le sexisme dans les musiques actuelles en Bretagne, dite mission Stourm, publié en septembre 2024, a mis en évidence les risques de violences sexistes et sexuelles qui s’attachent aux festivals ([244]) : « Les caractéristiques propres aux festivals, telles que la consommation d’alcool et de drogues […], la promiscuité et l’anonymat, contribuent aux comportements agressifs et aux pratiques discriminatoires massives », notent ses auteurs. Ils relèvent ainsi « des agressions massives et banalisées dans les milieux festifs et des auteurs de violences difficiles à identifier », liées à « l’hédonisme », au « sentiment de liberté », au rassemblement de « foules denses et échauffées ». Ce sont autant « de facteurs favorisant la création d’une atmosphère culturelle où se matérialise la violence ».

L’organisation de ces événements suppose très généralement une concertation préalable avec les collectivités concernées ainsi qu’avec la préfecture. Le développement d’actions efficaces de prévention des VHSS suppose d’intégrer cette dimension dans les concertations préalables. Par ailleurs, l’ensemble des agents de sécurité amenés à être au contact du public doit être formé au risque de VHSS.

Recommandation n° 14 : prévoir systématiquement un plan de prévention et de traitement des VHSS dans les concertations préalables entre les organisateurs et les préfectures.

Recommandation n° 15 : former l’ensemble des agents de sécurité placés au contact du public au risque de VHSS.


D.   Une confusion permanente entre vie personnelle et vie professionnelle

Une autre des spécificités fortes des secteurs visés tient à la confusion qui s’y opère entre les sphères personnelle et professionnelle.

1.   L’art et la vie : le risque de confusion des sentiments

Le premier facteur de brouillage entre la vie personnelle et la vie professionnelle tient à l’importance que joue l’implication émotionnelle dans l’exercice des professions artistiques. De nombreuses personnes auditionnées ont insisté sur le caractère de « passion » de ces métiers, au risque d’estomper la frontière entre le travail et la vie.

L’actrice Nina Meurisse a ainsi expliqué : « pour moi, ce métier est sacré. Ce n’est pas un métier comme les autres : l’affectif y est au centre, notre sensibilité en est le terreau, et c’est pour cela qu’il doit être regardé par ce prisme. Il faut préserver cette magie qui, utilisée avec bienveillance, est un terrain de jeu et d’épanouissement éblouissant. C’est un endroit où le collectif est possible, où la magie fait briller le soleil même quand il n’y en a pas. Dans ces moments-là, c’est tellement beau : cela a du sens. Et plus encore aujourd’hui, là où le collectif est mis à mal, c’est un endroit à préserver. Voir ceux qui entachent, qui éclaboussent notre métier et nos corps de leur violence écrasante me brûle. » ([245])

Pour les comédiens, cette part laissée à l’affectif et à la sensibilité implique aussi une confusion possible entre les sentiments joués et ceux qui sont réellement ressentis – certains agresseurs ayant beau jeu de contribuer à cet effacement des limites entre les uns et les autres, et certains réalisateurs abusifs essayant de chercher la « vérité » chez leur acteur en provoquant des souffrances réelles, à l’image de Bernardo Bertolucci demandant à Marlon Brando de mimer un viol sans prévenir Maria Schneider sur le tournage du Dernier Tango à Paris.

Cette quête de la « vérité », opposée à la mobilisation de la « technique » de l’acteur, renvoie à un débat très ancien sur la nature de l’art du comédien, illustrée par Diderot dans le Paradoxe sur le comédien. Dans ce texte fameux, Diderot démontre que le grand acteur n’est pas celui qui « ressent » le mieux les émotions que suppose son rôle mais celui qui les mime avec le plus d’art, sans pour autant se laisser emporter. Comme l’écrit Diderot, « ce n’est pas l’homme violent qui est hors de lui-même qui dispose de nous ; c’est un avantage réservé à l’homme qui se possède ». Par opposition à cette conception « techniciste » du métier de comédien, il y a celle promue par Stanislavski, qui repose sur l’authenticité émotionnelle fondée sur une exploration de ses propres sentiments. Cette conception jouit encore d’une popularité certaine, y compris en France : un acteur entendu à huis clos a expliqué que ce que les cinéastes ou les metteurs en scène demandent aux acteurs, c’est de « mettre leurs tripes sur la table, d’aller chercher des choses en eux pour éveiller des émotions fortes en nous ». Cette conception de l’art est porteuse de violence potentielle – envers le comédien lui-même, et envers les autres personnes présentes sur le plateau, avec également le risque que les sentiments extrêmes débordent dans la vie une fois le tournage terminé. Or, comme l’a souligné l’acteur Pio Marmaï, « le cinéma et l’art en général doivent rester joyeux et ludiques » ([246]).

Dans les fonctions créatives, tout particulièrement, les professionnels puisent dans leurs émotions pour alimenter leur travail. M. Thomas Evanno, scénariste, a raconté les pratiques d’un « directeur d’écriture » – fonction plus communément désignée sous l’intitulé de « directeur de collection » : « il cherche des auteurs juniors et même débutants, prêts à s’investir corps et âme pour ce projet, qui pourrait être un tremplin professionnel. Il me demande si je suis prêt à sacrifier des soirées et des week-ends. […] Ce directeur d’écriture dirige de façon à la fois verticale et horizontale. Il veut être à la fois l’ami et le chef des auteurs qu’il a recrutés. Il nous invite à boire des verres après le travail, se livre sur sa vie personnelle, familiale, amoureuse, sexuelle et nous invite à faire de même, au motif que, quand on écrit, il faut parfois puiser dans ses expériences personnelles et les partager. » ([247]) De fait, les conditions d’exercice de nombreuses professions artistiques favorisent l’effacement de la frontière entre vie privée et vie professionnelle.

2.   Des conditions de vie nomades sur les tournages et pendant les tournées qui contribuent à effacer la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle et à fragiliser les personnes

Mme Florence Borelly, productrice, a témoigné de la spécificité des tournages de cinéma, qui se déroulent souvent en dehors de la région où résident les artistes : « Le travail dans le cinéma mêle des aspects affectifs et professionnels : lors d’un tournage, les gens sont loin de leur famille et ils constituent une collectivité, que je qualifie parfois de colonie de vacances, dans laquelle on oublie vite la frontière entre le domaine professionnel et la sphère privée. » ([248]) « Lorsque l’on tourne dans une région différente de celle où l’on réside habituellement, cela peut ressembler à une grande colonie de travail, où chacun œuvre dans une bulle, au service d’un projet commun » ([249]), a souligné la productrice Mme Clémentine Charlemaine, membre du conseil d’administration du Collectif 50/50. Loin d’être des colonies de vacances, les tournages de cinéma, en conduisant des équipes nombreuses loin de leur domicile, de leur famille, de leur conjoint et de leurs amis, c’est-à-dire d’autant de personnes susceptibles de faire obstacle aux agressions, produisent de l’isolement et de la fragilité. La même situation se retrouve s’agissant des tournées de théâtre ou de danse, et surtout dans la musique, qu’elle soit classique ou actuelle.

À cela s’ajoute l’intensité du rythme et la promiscuité : « Nous travaillons énormément dans de courts laps de temps, avec une très grande intensité et dans un cadre de familiarité – ou de fausse familiarité. On se tutoie et pour peu que le tournage ait lieu en province, nous logeons dans les mêmes hôtels » ([250]), a expliqué par exemple Mme Alice Cambournac, présidente de l’Association française des costumiers du cinéma et de l’audiovisuel (AFCCA). Toutefois, le fait de vivre ainsi en vase clos pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, est également source de tensions et de risques. Le même phénomène se produit dans le cadre des tournées théâtrales ou celles organisées pour des musiciens.

3.   La place importante des à-côtés : fêtes, « pots » après les spectacles et en coulisses

La plupart des témoins ont décrit la fréquence des moments festifs dans les secteurs visés. Le milieu du cinéma est particulièrement friand des fêtes, en particulier sur les tournages, avec les institutions qu’ont longtemps été les « pots » de fin de semaine et la fête de fin de tournage. Ces événements sont l’occasion pour les participants de consommer de l’alcool et des substances psychoactives. L’association du cadre festif, de l’absorption de divers produits et de la décompression à la suite d’un stress intense forme un cocktail particulièrement propice à la survenue d’agressions et de dérapages en tous genres. De nombreuses victimes ont indiqué avoir été agressées à l’occasion d’événements de ce type.

« Les risques sont démultipliés lors des festivals », a souligné Mme Aude Hesbert, directrice du festival du film américain de Deauville : « Avant chaque festival, nous rappelons aux équipes qu’elles restent dans un cadre professionnel dans lequel le droit du travail s’applique, y compris lors des fêtes et des soirées, que l’alcool n’est pas une circonstance atténuante ». Conscient du problème que constituent ces moments, M. François Desrousseaux, secrétaire général du Festival de Cannes, a rappelé que « la majorité des fêtes organisées à Cannes sont le fait de professionnels » et ne dépendent pas directement du festival, ce qui limite les moyens d’action. Durant le festival de Cannes, en particulier, des fêtes sont organisées à l’issue de la présentation des films. Le milieu de la mode est également habitué à de tels événements, à l’issue des défilés. Si les fêtes sont particulièrement prisées, c’est aussi parce qu’elles participent de la sociabilité nécessaire pour construire et entretenir les réseaux professionnels dans ces milieux.

Dans le secteur de la musique, les pots organisés en coulisses à l’issue du concert sont fréquents durant les tournées. C’est à l’occasion d’un de ces événements que le chanteur Slimane aurait agressé deux des techniciens travaillant sur sa dernière tournée. Les faits se seraient produits en décembre 2023, après un concert au Zénith de Saint-Étienne : il participait avec l’équipe artistique à une fête en coulisses pour marquer la fin de la première partie du « Cupidon Tour », avant la pause de Noël. Un premier plaignant, qui travaillait pour une entreprise sous-traitante, raconte avoir été plaqué contre un mur par Slimane et celui-ci lui aurait demandé d’avoir un rapport sexuel avec lui. Le chanteur aurait ensuite poursuivi ses avances, le même soir, en lui envoyant pendant la nuit des messages et vidéos à caractère sexuel voire pornographique. L’homme a décidé de quitter la tournée le lendemain avec un collègue de son entreprise, laquelle a d’ailleurs soutenu son salarié et s’est retirée de la tournée. Le second technicien était, selon ses dires, en train de danser lorsque Slimane est passé derrière lui et lui a susurré à l’oreille : « Dis donc t’es bonne toi. » « Je suis bonne, mais que le dimanche », lui aurait répondu en plaisantant le technicien. « Je m’en fous, on est samedi soir », aurait poursuivi l’artiste, tout en le saisissant par la taille. Le chanteur aurait alors placé son sexe en érection entre les fesses du technicien et se serait apprêté à mettre la main sur le sexe de celui-ci lorsque le frère de Slimane lui aurait saisi la main pour l’arrêter ([251]).

Les acteurs entendus par la commission d’enquête ont souligné l’importance de ces moments pour la vie collective sur un tournage. M. Gilles Lellouche, notamment, a déclaré : « En ce qui concerne les débordements dans les fêtes, je suis assez partagé. Faut-il interdire les fêtes ? Doivent-elles être organisées indépendamment d’un film, de façon totalement autonome ? Faut-il autoriser ou non ? Quand les gens ont envie de se voir, ils se verront : a-t-on intérêt à fixer un cadre ? […] En tout cas, d’après mon expérience et si j’essaie de dégager le côté positif de ces moments, je trouve que les fêtes sont aussi des occasions de partage, de mixité : tous les corps de métiers se rencontrent, parlent, échangent. C’est quand même un métier qui repose sur l’humain, c’est une sorte de troupe de théâtre, et il est très difficile d’imaginer que les membres d’une troupe n’aillent pas dîner ensemble après une représentation. Il ne faut donc pas les interdire, mais il faut vraiment les surveiller, les encadrer. C’est probablement la responsabilité de la production de prévoir que, dans une fête, deux ou trois personnes sont là pour vérifier les bonnes mœurs et les comportements. » ([252])

M. Pio Marmaï a exprimé une position proche, tout en soulignant que les moments de convivialité ne sont pas nécessairement synonymes de débordements et de violence : « un tournage est un travail collectif, qui s’apparente à celui d’une troupe de théâtre, et après un tournage comme après une pièce de théâtre, on a envie d’un moment festif. Mais une fête, ça peut être juste un dîner, un verre, s’amuser, comme ça peut partir dans tous les sens. » M. Hugo Sélignac, producteur, a insisté lui aussi sur l’importance de la sociabilité qui se noue lors des fêtes ou « pots » de fin de semaine, y voyant même une sorte de rite d’introduction dans la profession pour les plus jeunes : « Il faut aussi voir le bon côté de ces fêtes, qui permettent une mixité sociale. Il ne s’agit pas de les promouvoir mais j’ai vu des stagiaires parler de cinéma pendant une heure trente avec de grandes comédiennes ou de grands comédiens lors de ces fêtes. » ([253]) Il est permis de penser qu’un tel discours relève de l’idéalisation, compte tenu, par ailleurs, de la hiérarchie qui prévaut sur les plateaux de cinéma.

D’une façon générale, il semble que les productions passent de plus en plus la consigne d’éviter autant que possible les débordements lors des à-côtés des tournages. Parmi les producteurs entendus par la commission d’enquête, certains les interdisent – de même que la consommation d’alcool à la pause méridienne –, quand d’autres les limitent au strict minimum, en les organisant au sein de la société de production ou en prévoyant des solutions de covoiturage à l’issue.

M. François Kraus, producteur, a ainsi fait état d’une évolution récente des mentalités, liée à un début de prise de conscience des risques liés à la consommation d’alcool et de drogue lors de ces événements : « Cela a beaucoup changé. Il y a un an et demi, deux ans, j’ai spontanément proposé une fête de fin de tournage et le réalisateur m’a dit : “Non, on n’en fait pas.” J’ai trouvé cela plutôt bien et j’en ai parlé avec l’équipe, qui a compris. C’est vrai que nous n’en faisons plus. Nous organisons maintenant des pots de début de tournage et des pots de fin de tournage dans nos bureaux ; moi ou mon associé sommes présents, quoi qu’il arrive, jusqu’au bout, et on ferme la porte. Nos métiers étaient réputés festifs même en dehors des festivals : il y avait une tradition du pot de fin de semaine de tournage, le pot de l’équipe, le pot de l’équipe déco, le pot de l’acteur, le pot de fin de tournage. Cela a largement diminué chez moi mais également de manière générale, parce qu’on sait que la plupart des agressions sexistes, et des actes de harcèlement sexuel ont lieu soit dans les fêtes, soit dans les déplacements en province. Les producteurs, dont je suis, et les réalisateurs veulent limiter les fêtes parce que le risque est trop important, pour les victimes, évidemment, mais aussi pour les films. Cela a donc très largement diminué. » ([254]) M. Olivier Delbosc a marqué lui aussi un engagement fort contre la consommation de stupéfiants, sur le plateau ou dans le cadre d’événements festifs périphériques : « Je suis comme mes collègues : zéro tolérance pour l’alcool et la drogue. Pour moi, la drogue sur un tournage est même une cause de licenciement. Si un metteur en scène ou un talent en prenait, j’irais jusqu’au bout pour le virer du plateau. Les enjeux sont économiques mais pas seulement : je ne pense pas qu’on puisse créer sous drogue ou sous alcool. Il s’agit de métiers créatifs mais avec beaucoup d’enjeux. Ce sont aussi des métiers collectifs : comme au foot ou au rugby, vous engagez toute une équipe autour de vous. Si un seul se drogue ou boit, toute la chaîne s’écroule. » ([255]) Le rapporteur confirme l’opportunité de prendre des mesures radicales et immédiates en cas de consommation d’alcool et de stupéfiants, car la responsabilité de l’employeur est directement engagée : en cas d’accident, si un manquement à l’obligation d’évaluer les risques est établi, une faute inexcusable peut être retenue contre lui par la justice. Par ailleurs, même quand la consommation de ces substances a lieu en dehors du temps de travail du salarié, la jurisprudence a clairement établi qu’un licenciement pour faute grave était possible dès lors que la sécurité des autres salariés était en jeu ([256]).

Des pratiques dangereuses n’en subsistent pas moins, comme l’a reconnu M. Hugo Sélignac. Celui-ci a ainsi déclaré : « J’assume totalement que l’on mette à disposition de l’alcool dans les soirées. Les fêtes de fin de tournage sont prises en charge par ma société : c’est nous qui les organisons. Les fêtes de semaine, je ne les interdis pas. Chaque semaine, sur un tournage, il y a la fête de l’équipe costume, la fête des régisseurs… […] C’est totalement une mise en risque. […] Aujourd’hui, nous cherchons à encadrer, à améliorer et à sécuriser au maximum les fêtes plutôt qu’à les interdire. » ([257])

II.   Culte du créateur tout-puissant et du « talent »

Les facteurs de risque supplémentaires identifiés précédemment, combinés à ceux qui existent dans l’ensemble de la société, sont encore accrus par un élément qui constitue l’une des caractéristiques majeures des secteurs visés : il s’agit d’environnements où se constituent et se maintiennent des situations de pouvoir, celui-ci étant aussi bien d’ordre financier que symbolique – lié à la célébrité et à l’aura artistique.

Le culte rendu à l’art, tout particulièrement en France, conduit à « tout passer » aux artistes, voire à les « couvrir ». Non seulement l’art est susceptible d’excuser tous les abus, mais certains professionnels ont pu cultiver l’idée selon laquelle, pour atteindre l’excellence artistique, il fallait savoir supporter les pires souffrances et humiliations, celles-ci étant même parfois considérées comme une condition de l’acte artistique car elles permettent d’accéder à la « vérité ».

Se constituent ainsi des personnalités intouchables, que l’on peut ranger dans trois catégories : les créateurs géniaux, les « talents » et les hommes puissants gravitant autour d’eux – producteurs, agents ou encore directeurs de casting.

A.   L’idéalisation de la figure du génie créateur dans la culture occidentale, terreau de l’abus de pouvoir et du sentiment d’impunité

La culture occidentale a beaucoup célébré le génie artistique comme une figure unique, touchant au divin à travers l’inspiration. Cette conception, que l’on retrouve dès les origines de notre culture, a connu son apogée à l’époque romantique et perdure de nos jours.

1.   À la source du pouvoir, l’image du créateur conçu comme un démiurge

L’acte fondateur de la culture occidentale consiste à associer l’art au divin, comme en témoigne la fameuse apostrophe ouvrant l’Iliade : « Chante, ô Muse, la colère d’Achille… » ([258]). Dès l’origine se trouve illustrée l’idée selon laquelle les artistes sont en quelque sorte des canaux privilégiés d’expression pour les dieux : d’où la personnification de l’inspiration à travers les Muses, au nombre de neuf, chacune étant attachée à un art ou à une science – Calliope, figure tutélaire de la poésie épique, Clio celle de l’histoire, Erato celle de la poésie lyrique et érotique, Euterpe celle de la musique, Melpomène celle de la tragédie, Polymnie celle de la rhétorique et des chants sacrés, Terpsichore celle de la danse, Thalie celle de la comédie et Uranie celle de l’astronomie.

La culture occidentale a été profondément marquée par cette idée soigneusement transmise de génération en génération par les artistes eux-mêmes. C’est là qu’il faut chercher l’origine de la place privilégiée accordée à l’art dans de nombreux pays, dont la France.

Le XIXe siècle a marqué le point culminant de cette conception à travers la construction de ce que Paul Bénichou a appelé la figure du « mage romantique », dont le représentant le plus marquant et célébré est Victor Hugo. Si Delacroix a peint La liberté guidant le peuple, selon Hugo c’est surtout au poète que revient ce rôle :

« Peuples ! Écoutez le poète !

Écoutez le rêveur sacré !

Dans votre nuit, sans lui complète,

Lui seul a le front éclairé. » ([259])

Dans Le Temps des prophètes, Paul Bénichou a montré comment, après la Révolution française, les artistes – particulièrement les écrivains – ont cherché à remplir le vide laissé par l’effondrement des structures religieuses et monarchiques traditionnelles. Il a analysé la manière dont ils ont endossé le rôle de guides moraux et spirituels, devenant les « prophètes » d’une nouvelle ère. De là découle l’idée selon laquelle l’inspiration du génie créateur est sacrée : tout doit céder devant elle.

Cette dernière idée possède une face sombre : à la même époque s’est opéré un rapprochement, voire une identification entre la création et la souffrance, fondé sur la célébration de la sensibilité particulière de l’artiste, laquelle est souvent exacerbée par la souffrance – la sienne et celle des autres. Cette conception a contribué à propager l’idée selon laquelle la douleur est une composante essentielle d’une créativité exceptionnelle. Plus encore, le « romantisme noir », selon l’expression de Mario Praz ([260]), s’est donné pour rôle l’exploration de la mort, de la destruction et de la souffrance – en un mot du mal, avec la mise en avant de la figure du créateur maudit et de la proximité entre le génie et la folie, ce qu’atteste par exemple Le Chef-d’œuvre inconnu de Balzac.

Le XXe siècle, tout en prétendant rompre avec le romantisme, a prolongé le régime d’exception dont bénéficient les artistes en leur assignant pour fonction l’exploration des profondeurs de la psyché humaine, y compris dans ses pulsions les plus sombres et inavouables ; c’était toute l’ambition du surréalisme. Dans ce cadre commença la redécouverte et la promotion de Sade, progressivement érigé en héros de la liberté totale de l’esprit, pourfendeur de toutes les normes et précurseur de la libération sexuelle. Comme l’a souligné l’écrivain et universitaire Éric Marty, cette évolution a été facilitée par le caractère tragique de l’histoire du siècle : « Si Sade a pu si facilement triompher au XXe siècle, c’est que le Bien était désormais hors course, passé dans les poubelles de l’histoire » ([261]). Après les surréalistes, les plus éminents penseurs français du XXe siècle se sont en effet penchés sur l’œuvre de Sade : Georges Bataille par exemple, auteur de La Littérature et le Mal (1957), a vu dans son œuvre une exploration radicale des désirs humains et de la transgression. Se créent ainsi tout un imaginaire et un terreau culturel idéalisant le grand créateur, mais aussi ouvrant la voie à la justification, au nom de l’art, de la transgression des règles, y compris celles de la morale ordinaire.

2.   La construction progressive de la figure idéalisée du réalisateur, « auteur » de l’œuvre cinématographique

L’histoire de l’art au XXe siècle est en grande partie celle de l’émergence du cinéma, qui s’impose progressivement comme le grand art populaire moderne, et même comme un art majeur. Or, comme l’a souligné Mme Anne Ricaud, membre du Syndicat des scénaristes, le cinéma est « un système où les dynamiques de pouvoir sont profondément déséquilibrées. Les violences trouvent en partie leur origine dans la concentration des pouvoirs. L’œuvre audiovisuelle est collective, mais cet aspect a été occulté au profit de la vision d’une seule personne : le réalisateur. Ce culte de l’auteur, amplifié par la Nouvelle Vague, a concentré un pouvoir démesuré entre les mains de quelques-uns, créant un terrain favorable aux abus » ([262]).

Aux yeux du public, l’attribution de la paternité d’une œuvre cinématographique à son réalisateur ne fait guère de doute. Or cette perception est le résultat d’une construction historique : ce n’est que de manière progressive que le réalisateur s’est imposé dans les esprits comme l’« auteur » d’un film, au terme d’une bataille pour la reconnaissance symbolique et institutionnelle.

Il convient d’ailleurs de rappeler que le code de la propriété intellectuelle établit clairement le caractère d’« œuvre de collaboration » du film de cinéma, au même titre d’ailleurs que n’importe quelle autre « œuvre audiovisuelle » ([263]), selon les termes de l’article L. 113-7 de ce code.

Il importe, en effet, de distinguer les œuvres « de collaboration » des œuvres « collectives » et des œuvres « composites ». La première de ces catégories désigne une « œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ». La seconde, quant à elle, renvoie à une « œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé » ([264]). Quant à l’œuvre composite, il s’agit d’une œuvre « à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière » ([265]).

Une œuvre de collaboration « est la propriété commune des coauteurs », précise l’article L. 113-3. Les coauteurs « doivent exercer leurs droits d’un commun accord. […] Lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l’exploitation de l’œuvre commune. »

En l’occurrence, s’agissant des œuvres cinématographiques, la loi énumère la liste limitative des personnes pouvant prétendre à la qualité de coauteur. Il s’agit, dans l’ordre suivant, de l’auteur du scénario, de l’auteur de l’adaptation, de l’auteur du texte parlé, de l’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’œuvre et du réalisateur ([266]).

À cet égard, la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique a constitué un tournant en excluant le producteur de la liste des auteurs présumés de l’œuvre cinématographique. Au contraire, comme le rappelle le chercheur Jérôme Pacouret, « le copyright américain ne définit pas précisément les auteurs de cinéma, mais dispose qu’une œuvre réalisée par un salarié dans le cadre de son emploi est présumée appartenir à son employeur. Dès lors, le statut juridique d’auteur et de propriétaire revient le plus souvent aux sociétés de production. » ([267])

Le réalisateur d’un film de cinéma signe deux contrats distincts : l’un pour son travail « technique » de réalisation, l’autre au titre de sa qualité d’auteur. Cette situation juridique renforce encore la position du réalisateur, car celui-ci apparaît plus difficilement remplaçable que n’importe quel « technicien du rang » intervenant sur un film. Or il importe d’insister sur le caractère distinct de ces deux régimes juridiques concurrents. Il est parfaitement possible de mettre un terme au contrat « technique » en cas de manquement grave, moyennant par exemple l’inclusion de clauses relatives aux VHSS.

En ce qui concerne le droit d’auteur, la question est plus complexe. En effet, l’article L. 111-2 du code de la propriété intellectuelle dispose : « L’œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l’auteur. » Il semble donc impossible de « déchoir » un réalisateur expulsé d’un plateau de la partie de ses droits d’auteur correspondant aux scènes tournées.

La Nouvelle Vague joua un rôle majeur dans la consécration symbolique du réalisateur, à travers la promotion de ce que l’on a appelé « La politique des auteurs », selon le titre d’un article de François Truffaut paru en 1955 dans Les Cahiers du cinéma ([268]). Dès 1948, Alexandre Astruc, dans L’Écran français, avait comparé « la subtilité nouvelle du cinéma à une écriture et le réalisateur de films à un auteur à part entière composant son œuvre avec la toute-puissance d’un écrivain ». S’impose alors l’idée selon laquelle le sujet d’une œuvre est avant tout sa mise en scène : ce n’est que d’elle que le critique doit parler. La « politique des auteurs » se construit sur « la volonté d’intimité avec un créateur dont on défend tous les films, même ceux méprisés pour leur genre ou leurs défauts : lorsqu’il aime un auteur, le critique voit partout sa griffe », selon le critique Antoine de Baecque ([269]).

Aujourd’hui encore, cependant, la prééminence accordée aux réalisateurs est contestée par certains professionnels participant à la fabrication des films. Comme le soulignait par exemple le sociologue Yann Darré, pour les équipes techniques, les réalisateurs constituent un « groupe professionnel survalorisé » ([270]). En effet, la fabrication d’un film suppose l’association de compétences techniques très diverses que les réalisateurs seuls ne possèdent pas. Ainsi, la convention collective nationale de la production cinématographique reconnaît à un certain nombre de professionnels participant à la fabrication d’un film le statut de « collaborateurs de création », sans pour autant qu’ils soient considérés comme coauteurs (cf. supra).

Il n’en demeure pas moins que la sacralisation de l’art est toujours d’actualité, comme le démontre l’éditorial des Cahiers du cinéma de mars 2014, signé par Stéphane Delorme, lequel déplorait la « professionnalisation » du milieu et dénonçait le fait que les écoles de cinéma elles-mêmes nourrissaient « une méfiance envers l’art » : « “Cinéaste” devient un métier comme un autre. Or cette idéologie est en contradiction avec ce que le cinéma français a de meilleur, à savoir sa subjectivité effrénée. » Ce déni de la relation de travail et du caractère collectif de l’œuvre cinématographique trouve sa source dans l’exaltation de la figure du cinéaste-auteur par la Nouvelle Vague. Jean-Luc Godard, par exemple, rendant hommage à Ingmar Bergman, écrivait en 1958 dans Les Cahiers du cinéma : « Hé bien, non ! le cinéma n’est pas un métier. C’est un art. Ce n’est pas une équipe. On est toujours seul ; sur le plateau comme devant la page blanche. » ([271])

3.   L’alibi artistique

La valorisation du cinéaste-auteur lui confère la toute-puissance sur un plateau. Comme l’a indiqué M. Simon Tric, membre de l’Association française des accessoiristes de plateau, « un tournage s’articule autour d’un réalisateur, qui exerce quasiment une autorité de droit divin : nous sommes tous là pour répondre à ses désirs artistiques » ([272]). Le même champ lexical est revenu dans les propos de M. Gilles Lellouche : « on n’ose pas affronter le réalisateur, qui est le grand dieu du plateau » ([273]).

Cette image largement fantasmée du créateur permet à certains réalisateurs – mais la remarque vaut également pour certains metteurs en scène de théâtre – de se constituer un véritable « alibi artistique » permettant tous les abus : sous couvert d’art, il serait permis de faire n’importe quoi. Ce serait même l’art en tant que tel qui, aux yeux de certains, appellerait le sacrifice des corps et des carrières. C’est l’idée qui sous-tend la déclaration de Jean-Claude Brisseau durant son procès, le 3 novembre 2005, que Mme Noémie Kocher a dévoilée lors de son audition devant la première commission d’enquête : « Je suis conscient d’avoir fait beaucoup de mal et je regrette toute cette souffrance. C’est le cinéma, quelque part, qui veut ça ». L’avocate des plaignantes lui avait rétorqué : « L’art n’est pas dérogatoire aux dispositions du code pénal » ([274]).

De là également l’idée que, si les artistes avec lesquels le réalisateur travaille sont déjà abîmés, fêlés, c’est encore mieux, car cette blessure constitue un point d’entrée, une porte ouverte vers quelque chose d’authentique. Mme Anna Mouglalis a ainsi évoqué la « vulnérabilité charismatique » que les réalisateurs cherchent souvent chez leurs actrices ([275]). Ce faisant, les abuseurs empruntent en réalité le même chemin que la plupart des agresseurs : selon l’analyse du docteur Salmona, « les prédateurs vont cibler de préférence une personne déjà dissociée par des violences précédemment subies, le plus souvent dans l’enfance, ce qui leur garantit à la fois une impunité et la possibilité d’exercer quasiment sans limite les pires sévices. » ([276])

Cette manière d’exploiter les failles des personnes travaillant sous leur autorité est le ressort de l’emprise que certains réalisateurs acquièrent sur leur équipe. En effet, les actrices ne sont pas les seules cibles potentielles : « Comme les actrices, les acteurs peuvent faire l’objet d’une manipulation par un réalisateur, mais ils en parlent moins. Les premiers jours d’un tournage, ils sont très fragiles et il est très facile pour un metteur en scène de les emmener là où ils ne veulent pas forcément aller » ([277]), a fait observer M. Jean Dujardin.

La réputation artistique est précisément ce qui a permis à un réalisateur comme Benoît Jacquot d’établir « un système de prédation sous couvert de cinéma », selon le titre d’un article paru dans Le Monde en février 2024 ([278]). Benoît Jacquot reprenait en effet à son compte l’idée de François Truffaut selon laquelle le cinéma est un art de la femme, afin de justifier ses propres pratiques. De manière significative, le magazine Les Inrockuptibles intitulait un portrait extrêmement complaisant du réalisateur, publié en 2006 ([279]), « Benoît Jacquot : l’homme qui aimait les actrices », faisant ainsi référence de manière transparente à un film fameux de François Truffaut, L’Homme qui aimait les femmes (1977).

Dans cette interview, Benoît Jacquot associait clairement son cinéma à l’image de la jeune fille, et celle-ci au désir : « pour moi, l’indice de vérité quant au monde, c’est la jeune fille. On a tous des fenêtres qui nous permettent d’envisager la réalité, sinon d’y accéder. Moi, c’est vrai que ce sont les femmes à ce moment-là de leur existence. Après, le geste est plus ou moins amoureux, plus ou moins érotique selon les films. » À propos de La Désenchantée, il prétend que c’est Judith Godrèche qui l’a poussé à faire le film, déclarant : « le film est fait sur mon désir de son désir » – rappelons qu’il s’agissait d’une jeune fille de 17 ans et demi, et elle avait 14 ans et demi lors du tournage du précédent film du réalisateur, Les Mendiants. Il justifiait ensuite la nécessité d’être amoureux pour filmer les actrices en l’inscrivant dans un geste cinéphilique : « Truffaut faisait du cinéma pour être amoureux, ou pour avoir un accès plus simple à ce qui l’intéressait, à savoir les femmes. J’ai été très marqué par ça. » « Le cinéma pour moi a été marqué par ça, qui était un des paramètres catégoriques de la Nouvelle Vague, Godard étant celui qui est allé le plus loin dans cette direction. La rencontre de Godard et Karina sur Le Petit Soldat (1963), pour moi c’est un mythe fondateur. Mais aussi Bergman et Rossellini, et même des liens plus secrets, comme Fritz Lang et Joan Bennett ». Il concluait : « Mon préféré, c’est Mizoguchi. Il vivait lui aussi avec son actrice principale. C’est quelque chose qui court derrière toute ma cinéphilie. »

Lors de son audition devant la commission d’enquête, la journaliste Guillemette Odicino, critique à Télérama, a confirmé la persistance de cet alibi artistique : « Dans le milieu du cinéma, une expression est encore omniprésente : “le cinéma, c’est une question de désir”. Quand on entend cela, tous les clignotants sont au rouge ! C’est sûr, tout est bien plus commode quand le cinéaste désire son actrice – et c’est encore mieux si elle est sous son emprise… » ([280]) M. Gilles Lellouche, pourtant réalisateur lui-même, a tenu à souligner une forme d’hypocrisie : « Les rapports du réalisateur avec son actrice, considérée comme sa muse, son inspiratrice, relèvent d’une forme de séduction particulière qui, à mon sens, n’existe pas dans les autres métiers, ou y est moins présente. On s’en sert avec une certaine hypocrisie, en disant que c’est un moteur créatif » ([281]).

B.   Le culte du talent et de la cÉlÉbritÉ, ferment de tous les abus

1.   La survalorisation des « talents » dans le cinéma et le spectacle vivant

Au-dessous ou à côté du réalisateur, une autre catégorie de personnes jouit d’un prestige lié à l’aura artistique qui les entoure : les acteurs, que le milieu du cinéma et du spectacle appelle les « talents »  comme si les autres membres d’une équipe de tournage ou celle participant à la fabrication d’un spectacle étaient de purs exécutants dépourvus de toute capacité artistique. Le regard d’un chef opérateur et la qualité de l’image qu’il va créer avec toute l’équipe est aussi l’expression du talent de l’ensemble et des gestes artistiques ou techniques constituant la réalisation d’un film, et la même logique vaut pour les techniciens qui façonnent une pièce de théâtre ou un concert.

Certains « talents » combinent aura artistique et pouvoir économique au fil des succès publics, ce qui les rend encore plus incontournables et irremplaçables sur un plateau, nourrissant ainsi le sentiment d’impunité de ceux qui seraient tentés de se livrer à des abus. C’est cette mécanique qui explique la trajectoire d’un Gérard Depardieu, qui a fait vivre tout le cinéma français pendant des années avant de dépasser toute mesure et d’être finalement « lâché » par la plupart.

Le prestige artistique, l’admiration qu’ils suscitent, est également ce qui nourrit le sentiment d’impunité des stars appartenant à d’autres champs culturels comme la musique, quel que soit le style. Une jeune femme abusée par le chanteur d’un groupe de métal, mineure au moment des faits, a raconté son expérience de la manière suivante : « À chaque fois que je croisais V, la séduction continuait. Il passait des heures à me regarder, que sa copine du moment soit à côté de nous ou pas, me sautait dessus dès qu’il le pouvait pour m’embrasser, me tripoter, me déshabiller, et me demandait de repartir avec lui – ou avec lui et une autre fille. J’étais la plupart du temps complètement ivre, mais j’étais (selon moi) parfaitement consentante, incapable de croire que quelqu’un d’aussi cool et brillant que lui puisse s’intéresser à moi. » Du reste, ce témoignage montre qu’une redéfinition du viol qui ne s’appuierait que sur le consentement ne serait pas opérationnelle. S’il y a un changement à faire, c’est bien autour d’une définition pénale du « contrôle coercitif », qui permet une véritable appréhension des phénomènes d’emprise.

Dans le domaine de la musique classique, les chefs d’orchestre François‑Xavier Roth et Alexis Kossenko ont été récemment mis en cause, respectivement, pour des envois de messages à caractère sexuel et des agressions sexuelles, mais les abus ne se limitent pas à cela : durant l’été 2023, dans le cadre du festival Berlioz à la Côte-Saint-André, le chef britannique John Eliot Gardiner avait frappé un chanteur lors d’une répétition. Il s’était mis immédiatement en retrait de ses fonctions. Depuis lors, il a été écarté définitivement de la direction de l’orchestre et du chœur qu’il avait fondés. Gaël Darchen, directeur de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, visé par des accusations de viol et d’agression sexuelle, n’avait été que partiellement mis en retrait par le président du conseil d’administration, avant de se voir interdit d’accéder aux locaux de l’institution – étonnamment, à la suite de l’audition du président du conseil départemental des Hauts-de-Seine, principal financeur de la maîtrise.

2.   Célébrité et impunité : le cas des abuseurs médiatiques

Au-delà des cercles artistiques, la célébrité et le pouvoir médiatique que se sont construits certaines personnalités du monde de la télévision et de la radio constituent une protection les mettant durablement à l’abri des révélations, à l’image de Patrick Poivre d’Arvor, Jean-Marc Morandini ou encore Stéphane Plaza, sans oublier, à un moindre degré, les « célébrités » accédant à un court moment de gloire dans le cadre d’émissions de téléréalité.

Mme Emmanuelle Dancourt a décrit le mode opératoire de PPDA dans ces termes : « l’impunité démarre très tôt : ces hommes perdent le sens des réalités parce que personne n’ose rien leur dire. PPDA rassemblait 10 millions de téléspectateurs au moment où il a quitté l’antenne en 2008. Il s’agit en quelque sorte d’une prise de pouvoir : les violences sexistes et sexuelles, avant de parler de sexe, parlent de pouvoir et de domination d’un corps sur un autre. C’est ce que j’ai senti dans le bureau de PPDA lorsqu’il m’a agressée. Il a pris possession de mon corps, mais pas de mon esprit, puisque je n’étais pas du tout sous son emprise. La réputation et la notoriété des auteurs font que les gens n’osent rien dire et ne comprennent pas ce qu’il leur arrive. » ([282])

Les témoignages recueillis par la commission d’enquête relatifs à des humoristes ou animateurs star de radio – Yassine Belattar, Emmanuel Lévy, Vincent Cerutti notamment – vont également dans ce sens. Dans les cas exposés, les atteintes à l’intégrité physique par le biais de morsures, les agressions sexuelles, le harcèlement sexuel et moral ont été rendus possible par le climat de permissivité dans lequel leur célébrité leur permettait d’évoluer.

C.   Dans l’ombre des crÉateurs et des cÉlÉbritÉs, de nombreuses personnalitÉs puissantes

1.   Producteurs, distributeurs et plateformes : le pouvoir de l’argent dans le cinéma et l’audiovisuel

Les secteurs visés par l’enquête possèdent un poids économique considérable en France. Mme Ghislaine Pujol, par exemple, a ainsi pu souligner les « enjeux phénoménaux – artistiques pour notre métier, financiers pour les producteurs et les chaînes de télévision – autour de l’œuvre, du programme, du projet » ([283]). En 2021, l’audiovisuel figurait au premier rang : 30,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires, pour une valeur ajoutée de 12,4 milliards d’euros. En comparaison, le spectacle vivant apparaît comme un secteur beaucoup moins capitalistique, surtout au regard du nombre de structures concernées : 11,1 milliards de chiffre d’affaires au total en 2021, pour une valeur ajoutée de 6,6 milliards ([284]).

Le secteur du cinéma, si l’on rassemble les activités de création, production, post-production, distribution et projection de films, a réalisé en 2021, selon le CNC, un chiffre d’affaires global de 10,8 milliards d’euros. En 2023, le coût moyen d’un film était de 4,09 millions d’euros, en progression de 8,7 % par rapport à 2022 – entre 2017 et 2019, soit avant la pandémie de covid 19, le niveau moyen constaté était de 4,73 millions d’euros. Toutefois, ce chiffre global recouvre une situation très hétérogène : huit productions nationales ont bénéficié d’un budget supérieur à 20 millions d’euros ([285]), le plus important étant Le Comte de Monte-Cristo de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, dont la fabrication a nécessité 42,9 millions d’euros. À raison de 33 jours de tournage en moyenne en France pour un long-métrage, on peut estimer le coût d’une journée de tournage à plus de 100 000 euros en moyenne.

Dans ce secteur brassant des sommes très importantes, le rôle des producteurs apparaît majeur : leur part dans le financement d’un film est en moyenne de 38,8 %, juste devant les diffuseurs.

La structure de financement des films en France

En 2023, d’après les données du CNC, la part des soutiens publics dans le financement des films s’élevait à 8,3 % (contre 7,9 % en 2022 et 8,8 % en moyenne entre 2017 et 2019). Dans cette catégorie entrent les aides automatiques, les aides sélectives et les aides régionales.

La part des producteurs demeurait la première source de financement des films, avec un apport de 38,8 % (contre 39,5 % en 2022). Il convient de noter qu’une partie de cet engagement financier est couverte ultérieurement par le crédit d’impôt créé par la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 au profit des producteurs délégués, au titre des dépenses effectuées en France pour la production de films ayant accès aux aides financières automatiques à la production de films de long-métrage. Ce crédit d’impôt se traduit par une baisse de l’impôt sur les sociétés ou par le versement de la différence entre le montant de l’impôt sur les sociétés et celui du crédit d’impôt calculé si ce dernier est plus élevé. Le crédit d’impôt est égal à 30 % du montant total des dépenses éligibles, qui ne peuvent représenter plus de 80 % du budget de production et, en cas de coproduction internationale, plus de 80 % de la part française. Son montant est plafonné à 30 millions d’euros.

Les diffuseurs sont des partenaires majeurs du financement des films : ils y contribuent à hauteur de 34 % des devis (contre 29,7 % en 2022). Leurs investissements s’élevaient ainsi à 383,9 millions d’euros en 2023. Canal+ est toujours le premier financeur parmi les diffuseurs (plus de 40 % des apports totaux), avec 154,1 millions engagés en 2023, et France 2 est le premier parmi les chaînes gratuites (12,6 % des apports, avec 48,3 millions d’euros). Les plateformes étrangères (Netflix, Disney+, Prime Video, HBOMax) ont participé au financement de 39 films en 2023 pour un montant global de 48 millions d’euros, soit plus du double en un an (17 films et 23 millions d’euros en 2022).

Source : CNC : « La production cinématographique en 2023 », « Le crédit d’impôt cinéma » et réponses au questionnaire du rapporteur.

Si les producteurs n’occupent pas le premier rôle aux yeux du public, leur importance est cependant considérable. Elle peut jouer lorsque certains d’entre eux commettent des abus et bénéficient d’une impunité due à leur statut, ou encore quand ils essaient de dissimuler les agissements de tel ou tel réalisateur ou acteur jouant dans l’une de leurs productions.

Certains abus de pouvoir sont des péchés véniels, tel celui commis par ce producteur, peu présent auparavant, décidant de se rendre sur le plateau d’un film précisément le jour où l’actrice interprétant le rôle principal doit être filmée nue : « Il voulait entrer sur le plateau et regarder le combo. Je lui ai dit qu’il était hors de question qu’il entre et j’ai demandé que l’on coupe le combo. Cette demande a été respectée, ce qui n’avait pas toujours été le cas auparavant. » ([286]) Un témoin a raconté une conversation qu’il avait eue avec une de ses collègues : « Une actrice me révèle qu’un comédien l’a agressée dans sa chambre d’hôtel pendant un tournage ; la production lui a demandé de ne rien dire et le tournage a continué. » ([287]) Plus graves, plusieurs cas de harcèlements et d’agressions sexuelles de la part de producteurs ont été rapportés à la commission.

2.   Agents et directeurs de casting : des pièces maîtresses du système

Les agents artistiques et les directeurs de casting apparaissent comme deux autres catégories de personnalités particulièrement influentes dans le milieu du cinéma et, à ce titre, susceptibles de jouer un rôle majeur dans la prévention des abus – ou au contraire dans leur silenciation et leur perpétuation.

a.   Les agents, interface entre les talents et les productions

Lors de son audition, M. Grégory Weill, agent artistique, a reconnu posséder une forme de pouvoir, en l’occurrence à l’égard de ses clients dont il désapprouve le comportement : « Il m’est déjà arrivé de mettre fin à des mandats de représentation. J’ai ainsi mis fin du jour au lendemain au contrat conclu avec une personne qui tenait des propos idéologiques avec lesquels j’étais en complet désaccord. Jusqu’à présent, je n’ai pas mis fin à ma collaboration avec des personnes ayant fait l’objet d’accusations de VSS, mais c’est presque tout comme, car la relation est comme en sommeil, entre parenthèses. » ([288]) M. Dominique Besnehard a lui aussi affirmé avoir mis fin au mandat qui le liait au réalisateur Jean‑Claude Brisseau pour des comportements inacceptables sur le tournage du film Choses secrètes. Si de telles décisions méritent d’être saluées, on imagine cependant sans peine que le même traitement pourrait être réservé par des agents moins scrupuleux à une victime qui aurait souhaité parler. De fait, la commission a reçu plusieurs témoignages impliquant des agents qui, informés de violences morales ou sexuelles, auraient conseillé à leur client de continuer à tourner afin de ne pas mettre en danger leur carrière.

Par ailleurs, comme d’autres professionnels du secteur culturel, certains agents abuseraient de leurs fonctions pour obtenir, de gré ou de force, des faveurs sexuelles. Un agent en particulier a fait l’objet de deux témoignages devant la commission. Le premier, adressé par écrit, concerne un jeune comédien qui s’est innocemment rendu au domicile du réalisateur André Téchiné, à qui il avait confié ses coordonnées quelque temps auparavant, à l’invitation d’un agent artistique connu. Il y a été reçu par cet homme, accompagné d’un autre, et invité à patienter dans le salon pendant que les deux hommes s’éclipsaient en cuisine. « Ils reviennent ensuite avec chacun leur sexe dans une assiette avec de la chantilly autour, hilares », et lui lancent : « alors tu veux faire du cinéma il paraît ? ». Plus grave, le témoignage de M. Valentin Senez concernant ce même agent, contre lequel il a porté plainte : « il m’a proposé de venir à Paris et de séjourner dans une chambre qu’il prêtait à des amis. Il m’a dit qu’il me ferait rencontrer des gens importants du cinéma. J’ai accepté sa proposition et il m’a envoyé, par La Poste, de l’argent pour que je prenne le train. […] Lorsque je me suis retrouvé seul avec lui, il m’a dit qu’il avait une surprise, à savoir un dîner avec une célébrité. Je me suis alors dit que j’étais le plus chanceux des hommes. Moi, le petit jeune du Nord, comment avais-je fait pour me retrouver là ? […] j’ai compris que ce que je croyais être un bureau d’agent était en réalité plus que cela. Il m’a montré une porte ouvrant sur un couloir au bout duquel se trouvaient une salle de bains, des toilettes et une chambre. Nous sommes ensuite partis au restaurant où nous avons dîné avec Yves Lecoq et son ami. […] Lorsque nous sommes rentrés au bureau, l’agent m’a dit que la chambre que je devais occuper n’était pas disponible car ses amis n’étaient pas encore partis. Derrière la porte, les chiens aboyaient et je lui ai dit que le canapé ferait l’affaire. Il m’a répondu qu’il n’était pas confortable et qu’un rendez-vous était prévu tôt le lendemain matin dans la pièce. Il m’a alors montré la chambre en me disant que chacun aurait son côté du lit. Fatigué par la soirée, j’ai fini par accepter de me coucher dans ce grand lit. Les choses ont commencé à déraper en plein milieu de la nuit » ([289]).

La puissance des agents est d’autant grande que la libéralisation du marché a eu l’effet contraire de celui qui était escompté : en quelques années, le secteur de la représentation artistique a connu une concentration. Désormais, une poignée d’agences, en l’occurrence Adéquat et UBBA, et dans une moindre mesure AS Talents et Artmedia – dont Adéquat posséderait des parts ([290]) –, concentrent la plupart des « talents » qui comptent dans le cinéma français. Il suffit pour s’en convaincre d’étudier le casting de quelques-unes des principales productions françaises, par exemple Le Comte de Monte-Cristo et L’Amour ouf. Une telle concentration multiplie les risques de conflit d’intérêts, par exemple dans les cas où deux « talents » de la même agence seraient opposés dans une affaire de violences : la tentation est grande d’inciter fortement la victime à se taire. Celle-ci, par crainte d’être chassée d’une des principales agences de la place – ou de ne jamais y être admise – et de voir ainsi sa carrière compromise, peut d’ailleurs être encline à se taire.

b.   Le casting, lieu de tous les dangers

De nombreuses personnes entendues par la commission ont identifié le casting comme un moment particulièrement risqué en amont des tournages ou des spectacles. Comme l’a indiqué un témoin entendu à huis clos, « le casting est un moment crucial où se jouent, comme lors d’un entretien d’embauche, beaucoup de choses humaines – et donc un peu inhumaines aussi – et au cours duquel s’exerce une relation de pouvoir. Il peut faire basculer totalement votre vie ».

Cette relation de pouvoir est propice à des demandes absolument inappropriées de la part des directeurs de casting ou des réalisateurs, qui vont bien au-delà de ce qui est exigible des candidats en pareil cas de figure et qui relèvent assurément d’une forme de violences sexuelles d’une particulière gravité compte tenu de la position de vulnérabilité dans laquelle l’aspirant comédien est placé. Une actrice entendue à huis clos a ainsi raconté comment un réalisateur lui avait demandé de venir à un casting avec un vibromasseur « pour jouir réellement devant la caméra » ; une autre comment un réalisateur lui a « demandé un jour de [s]’insérer un œuf dans le vagin en [lui] laissant entendre que, si [elle] étai[t] une vraie actrice, [elle] serai[t] capable de le faire » ([291]) ; il est arrivé à une autre, encore, « de trouver des portants uniquement remplis d’accessoires tout droit venus d’un sex-shop » ou de voir le réalisateur, de trente ans son aîné, « [enfoncer] sa tête dans [s]on bas-ventre en [la] tenant par les hanches » ([292]), etc. Une directrice de casting entendue à huis clos a fait part à la commission d’enquête des pratiques d’un réalisateur alors au faîte de sa carrière : « il a essayé de voir toutes les actrices de Paris. Les scènes de casting choisies étant des scènes assez intimes, très tactiles, il en a profité pour tripoter allègrement toutes les comédiennes, les embrasser dans le cou, leur embrasser les seins ».

Au-delà des réalisateurs, les directeurs de casting, qui peuvent décider souverainement de présenter ou pas un « talent » au producteur et au réalisateur dans le cadre d’un projet, possèdent dans les faits un droit de vie ou de mort sur la carrière des acteurs et actrices, en particulier les plus jeunes et les plus fragiles. Ils sont, comme les agents, à l’interface entre les comédiens et les productions. Leur responsabilité est donc immense, et les contrôles qui pèsent sur eux sont quasiment inexistants. Les directeurs de casting entendus par la commission d’enquête ont vigoureusement récusé toute pratique déviante, se déclarant même choqués par l’idée. La présidente et le rapporteur n’en ont pas moins reçu de nombreux témoignages – certains les concernant du reste personnellement – accréditant l’idée que certains de ces professionnels utilisent leur position dominante pour exiger des faveurs sexuelles de la part des comédiens, ou exploitent ce contexte pour perpétrer des agressions sexuelles, voire des viols.

De nombreux acteurs, hommes et femmes, ont par ailleurs relaté des agressions dans des locaux à usage non professionnel tels que des chambres d’hôtel, le soir, ou bien au domicile même de directeurs de casting. Un professionnel désormais identifié par les associations professionnelles comme un agresseur sexuel patenté, déploie du reste une stratégie bien rodée pour abuser de ses victimes : s’assurer que la jeune actrice n’a pas d’agent, lui faire jouer des scènes d’intimité avec lui, l’inviter à son domicile pour visionner les essais – au motif que c’est une pratique courante dans le métier – ou la faire répéter, annuler successivement des rendez-vous avant une ultime proposition en fin de journée à son domicile – il n’a pas de temps en journée –, la harceler téléphoniquement jusqu’à obtenir un rendez-vous en tête-à-tête, etc. Plusieurs témoignages de faits s’apparentant à des agressions sexuelles et à des tentatives de viol ont été transmis à la commission.

Témoigne également de cet abus de pouvoir le récit que M. Francis Renaud a fait devant la commission. Un directeur de casting lui proposa quelques silhouettes et petits rôles, puis l’invita un soir au théâtre, où une agression eut lieu : « Il me fera du genou tout au long de cette pièce. Je serai pétrifié, assis dans ce fauteuil. Je sentirai sa main, entre mes cuisses, me toucher le sexe. Je ne saurai pas réagir, tétanisé, voulant fuir ce lieu devenu glauque. La pièce s’achève, je n’ose pas le regarder. Il m’invite à saluer les acteurs dans leurs loges en sa compagnie. Il est tard, plus de métro. Je préfère partir. Il me raccompagnera en voiture, insistant. Me parlant d’un projet de film, La sorcière de Marco Bellocchio. Gérard Moulévrier me propose d’être son assistant, en plus d’un rôle dans ce film. Nous sommes arrivés en bas de chez moi. Il est lourd et pédant, il se rapproche et me prend par le cou et me dira ceci : “Le droit de cuissage, ça existe. Pour réussir, il faut coucher. » ([293])

M. Dominique Besnehard, lors de son audition, critiquant les actrices et acteurs qui se mettraient sciemment en danger en acceptant les propositions de personnes influentes, a finalement décrit le même processus : « Lorsque Harvey Weinstein venait à Cannes, certaines actrices allaient dans sa chambre pour faire, peut-être, une carrière américaine. Je l’ai vu. Même des actrices dont je m’occupais y sont allées. Ce n’est pas une histoire de talent : c’est qu’elles veulent réussir. » ([294]) Les membres de la commission d’enquête ont alors tenu à souligner le caractère inacceptable de tels propos qui reviennent à faire porter la responsabilité de l’agression sur la victime.

Que les relations sexuelles soient ou non consenties, de tels abus de pouvoir demeurent intolérables et appellent à un encadrement légal bien plus important. Sur le plan juridique, les directeurs de casting sont salariés par la production, comme le reste de l’équipe d’un film. Autrement dit, leur responsabilité en tant qu’employeur est engagée en cas d’agissements répréhensibles. Fort heureusement, certains producteurs prennent la question au sérieux. M. Dimitri Rassam a ainsi déclaré : « Nous avons la même responsabilité pour les directeurs de casting que pour les autres personnes salariées sur un film, que ce soit pendant la phase de préparation, de tournage ou de post-production. Certes, sur le tournage, nous sommes plus directement en contact avec l’équipe que lors des semaines de casting. Pour encadrer au mieux cette phase, on s’assure d’une exigence dans le choix des lieux des auditions (pas de lieux privés, mise à disposition de lieux dans les bureaux de la production…). On s’assure également de la présence d’au moins deux personnes en sus des comédiens. » ([295])

Le rapporteur estime indispensable d’étendre ces bonnes pratiques à l’ensemble des castings, notamment pour prévenir les dérives possiblement associées aux castings de rue ou « castings sauvage ». Il recommande donc de rendre obligatoire, éventuellement après un premier contact informel, la poursuite d’un entretien dans des locaux professionnels dédiés à cet usage – par exemple ceux de la production –, pendant les heures ouvrables, en prévoyant la présence de deux personnes au moins et en interdisant de demander aux comédiens de se dénuder pour vérifier leur physionomie et de leur faire réaliser des essais sur la base de scènes d’intimité ou à caractère sexuel, à moins qu’un coordinateur d’intimité n’assiste à l’essai et ait vérifié leur consentement. L’utilisation d’une caméra grand angle, filmant un champ plus large, ou le rappel aux comédiens de leur droit à interrompre à tout moment la scène, apparaissent également des outils intéressants pour limiter le risque de dérives. Un encadrement légal ou réglementaire du casting permettrait d’éliminer toutes les pratiques qui favorisent la commission d’actes délictuels ou criminels. La déclaration des dates et lieux de casting apparaît également indispensable pour assurer un contrôle des pouvoirs publics, notamment de l’inspection du travail.

Recommandation n° 16 : encadrer les castings en rendant obligatoire, le cas échéant après un contact informel (« casting sauvage »), leur organisation dans des locaux professionnels, pendant les heures ouvrables, en présence de deux personnes au moins, avec interdiction de demander aux comédiens de se dénuder et de leur faire réaliser des essais sur la base de scènes d’intimité ou à caractère sexuel (à moins qu’un coordinateur d’intimité n’assiste à l’essai), et déclarer obligatoirement l’ensemble des castings organisés auprès des pouvoirs publics.

3.   Critiques et responsables de festival : détenteurs du pouvoir de prescription et gardiens de l’entre-soi

● Durant les auditions, s’est imposée l’évidence d’une connivence existant entre certains critiques de cinéma, de théâtre et d’art en général, et les réalisateurs, metteurs en scène, « talents » dont ils sont censés analyser les œuvres, empêchant ainsi de faire la lumière sur certaines pratiques déviantes.

Si la présidente et le rapporteur ont beaucoup entendu dire que « tout le monde savait », cette assertion vaut aussi pour les critiques les plus éminents, dont la complaisance envers des artistes maltraitants est largement documentée : Les Cahiers du cinéma, Les Inrockuptibles, Le Monde, Télérama ont encensé pendant des années les films de Jean-Claude Brisseau, Christophe Ruggia, Jacques Doillon et Benoît Jacquot. Ils ont célébré les prestations de Gérard Depardieu, passé sous silence les éclats de violences de Jean-Pierre Melville et Maurice Pialat sur leurs tournages, etc. Comme l’a souligné l’universitaire Geneviève Sellier, en France, « les critiques sont des prêtres qui rendent un culte aux dieux. Quand on dit qu’il faut faire attention, c’est totalement déplacé » ([296]). Elle a également souligné la proximité entre les critiques et les cinéastes, voire l’identification des premiers aux seconds : « Depuis la Nouvelle Vague, le critique est réduit à un rôle de “passeur” – pour reprendre le terme théorisé par Serge Daney – entre l’auteur et le public, ce qui entraîne des rapports de connivence et d’identification contradictoires avec un regard critique sur les œuvres. »

Mme Guillemette Odicino, journaliste, critique et cheffe de la rubrique cinéma à Télérama a indiqué durant son audition : « Tous les journalistes savent qu’un plateau de tournage est un lieu de pouvoir soumis à une hiérarchie. Les critiques ne sont pas pour autant au courant des abus, en raison de cette omerta qui règne. On a beau croiser les actrices et les acteurs dans les festivals, eux-mêmes ne nous racontent pas ce qu’ils ont vécu sur les tournages, par peur de tout perdre. L’engrenage du silence est très puissant. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour le casser, et quand la parole advient, évidemment nous la relayons. Nous, nous ne nous taisons pas mais souvent certains se taisent alors qu’ils auraient l’opportunité de nous parler. » ([297])

Il n’en demeure pas moins que certains critiques taisent sciemment certains abus dont ils sont informés. M. Donatien Huet et Mme Lénaïg Bredoux, journalistes à Mediapart, ont souligné le fait que ce silence s’explique notamment par la crainte de mesures de rétorsion, par exemple ne plus être invités aux avant-premières, ne plus avoir accès aux acteurs et aux réalisateurs les plus en vue, ne plus décrocher l’interview que tous les journalistes ont envie de réaliser : « Mediapart a très peu de journalistes culture et n’entretient donc pas avec ses sources la proximité que l’on reproche parfois à la presse culturelle » ; « d’autres journaux ont davantage besoin que nous de ne pas être blacklistés lors d’une projection ou de la promotion d’un livre. Ces mesures de rétorsion ont plus d’effet sur les journalistes des magazines culturels. […] Nous sommes donc dans une situation moins difficile qu’eux, qui vivent des mesures de rétorsion – ne pas être prévenu, ne pas être invité à une avant-première… » ([298])

Pendant un certain temps, la connivence s’est également nourrie de l’existence de passerelles entre la critique et le cinéma, voire d’autres positions de pouvoir dans le milieu. Le fait est connu : Jean-Luc Godard et François Truffaut ont débuté comme critiques avant de devenir réalisateurs. Le parcours de M. Serge Toubiana, tel qu’il l’a lui-même retracé lors de son audition, est lui aussi exemplaire de cette porosité entre les diverses positions de pouvoir dans le milieu du cinéma : « Entré très jeune aux Cahiers du cinéma, j’y suis resté jusqu’en l’an 2000, époque à laquelle j’ai rejoint Marin Karmitz, le fondateur de MK2, pour l’aider à promouvoir le catalogue de films de François Truffaut, qu’il venait d’acquérir. De 2003 jusqu’à février 2016, j’ai dirigé la Cinémathèque française. En juin 2017, j’ai été élu président d’Unifrance, poste que j’ai occupé jusqu’en juin 2023 » ([299]). Par ailleurs, M. Toubiana a réalisé et écrit des films.

Il a d’ailleurs révélé, tout en prétendant démontrer le contraire, la proximité qu’il entretenait avec certains cinéastes : « À sa naissance, la Nouvelle Vague était une bande, formée de gens qui s’étaient connus à la Cinémathèque française. Je les ai tous rencontrés, tous interviewés. J’ai eu une familiarité avec François Truffaut, sur lequel j’ai écrit une biographie, des films, etc. J’ai bien connu tous ces cinéastes dont vous avez cité les noms. » ([300]) Cela ne l’a pas empêché d’affirmer par ailleurs : « Pour ma part, je ne me rends pas dans les chambres d’hôtel à Cannes pour voir comment cela se passe entre l’actrice, son attachée de presse, le metteur en scène et le producteur. Ce n’est pas notre job. »

En ce qui concerne la relation entre Benoît Jacquot et Judith Godrèche, alors adolescente, il a concédé en avoir eu connaissance, mais sans être en mesure d’entrer dans les détails. Poussé dans ses retranchements, il a tout de même déclaré : « Je ne peux pas aller plus loin dans la description de leur relation intime parce que je ne la connais pas et que cela n’entre pas dans mon champ d’investigation. Bien sûr que je connaissais leur relation, ils sont venus dîner chez moi. C’était il y a très longtemps. C’était un dîner privé, avec ma femme Emmanuèle Bernheim, Benoît Jacquot, Judith Godrèche et Serge Daney. » Et de conclure : « En 1990, on ne jugeait pas les relations privées. Cela ne nous regardait pas. »

Or Judith Godrèche, entendue le lendemain de ces déclarations, a révélé la véritable nature des relations entretenues entre M. Toubiana et M. Jacquot : « Benoît Jacquot était l’un de ses meilleurs amis. Je venais donc parfois dîner avec eux chez Serge Toubiana. Il savait. Tout le monde savait, lui mieux que quiconque. Si la critique de cinéma n’a rien à voir avec la vie des cinéastes et des actrices, alors pourquoi les critiques les fréquentent-ils dans la vraie vie ? » L’actrice et réalisatrice a fustigé sa tentative de « séparer le critique de l’homme » : « Il dit : “En tant qu’homme privé, je suis au courant de tout mais, en tant que critique, je ne suis au courant de rien.” » ([301])

M. Toubiana, comme d’autres, apparaît donc, à bien des égards, comme le parangon de « l’aveuglement des élites cultivées quant à la domination masculine dans les milieux artistiques, du mythe de la séduction à la française et de la sacralisation des artistes » ([302]) dont a parlé Mme Geneviève Sellier.

La Cinémathèque française, dernière « bastille » du monde d’avant MeToo ?

La Cinémathèque française, institution emblématique du patrimoine cinématographique, a été créée en 1936 grâce à Henri Langlois, passionné de cinéma. Ses missions sont multiples : la collecte et la conservation de films – ses collections en comptent plus de 50 000 –, d’archives (affiches, photos, documents), ou encore la restauration de pellicules dégradées. Elle assure également la diffusion du cinéma à travers des projections – 1 500 à 2 000 chaque année –, des publications, des colloques et des conférences, contribuant ainsi à l’éducation du public et à la recherche cinématographique.

Constituée sous la forme d’une association, elle est soutenue financièrement par l’État depuis 1963 et est désormais un opérateur de l’État. La subvention qui lui est versée par le CNC représente 75 % de son budget.

Depuis 2017, la Cinémathèque a été au centre de plusieurs polémiques. En 2017, elle avait consacré une rétrospective à Roman Polanski et celui-ci avait été invité à y assister, alors que de nouvelles accusations s’étaient déjà fait jour contre lui et qu’il avait été empêché de présider la cérémonie des César. Une pétition avait recueilli plusieurs dizaines de milliers de signatures et des manifestations avaient eu lieu devant la Cinémathèque. M. Costa-Gavras avait alors affirmé l’indépendance de la Cinémathèque et déclaré que celle-ci n’entendait « se substituer à aucune justice » et refusé de céder à ce qu’il appelait une « censure pure et simple ». Quelques mois plus tard, en janvier 2018, une rétrospective autour de l’œuvre de Jean-Claude Brisseau, condamné pour harcèlement sexuel en 2005, était prévue. Sous la pression, la Cinémathèque avait dû reculer.

En décembre 2024, c’est une tentative de programmation par la Cinémathèque, sans aucune forme de médiation, du film Le Dernier Tango à Paris, de Bernardo Bertolucci, qui a fait scandale. Le texte de présentation était conçu dans ces termes : « Un objet de scandale, considéré par Bertolucci comme le reflet de la révolution sexuelle vécue en mai 68. Cinquante ans après sa sortie, le film conserve la même odeur de soufre tandis que la passion dévastatrice d’un couple d’inconnus interroge les rapports entre le sexe et la société ». La journaliste et autrice Chloé Thibaud a répondu au texte de présentation précédemment cité : « cinquante après sa sortie, ce film n’a qu’une seule et même odeur : la culture du viol. » Après avoir envisagé d’organiser un débat avant la projection, la Cinémathèque renonça purement et simplement à la diffusion du film, invoquant les « risques sécuritaires encourus », et déclarant que « la sécurité » du public passait « avant toute autre considération ».

On ne peut manquer d’observer que la Cinémathèque française est présidée par un homme, dirigée par un homme, et que sa programmation est aussi le fait d’un homme. Le bureau du conseil d’administration ne compte qu’une femme sur cinq membres. Eu égard à l’importance des financements publics qu’elle reçoit, le respect de la parité devrait s’imposer.

M. Frédéric Bonnaud, directeur général, s’est par ailleurs signalé par certaines déclarations fracassantes. En voici une : « Au risque de déplaire, le changement de paradigme de la Cinémathèque française ne passera pas par moi. Je veux bien rester comme celui qui a fait une exposition sur Louis de Funès. Mais je ne resterai pas dans l’histoire de cette maison comme celui qui y a fait entrer tous les délires sociétaux. » (1)

Il en va de même de M. Jean-François Rauger, programmateur de la Cinémathèque depuis trente-deux ans, qui faisait mine de s’interroger, en novembre 2024, dans une émission diffusée sur le site d’entretiens Hors-Série : « Est-ce qu’on peut faire un film sans violer les acteurs ? Sans leur voler quelque chose ? »

Par ailleurs, un article de Politis s’est fait l’écho, au mois de janvier, de dysfonctionnements internes pour le moins inquiétants. Une ancienne salariée y décrit par exemple « une violence généralisée et banalisée, qui permet à ces gens d’exister et d’exercer en parfaite impunité » (2).

Lors de l’audition des responsables de la Cinémathèque devant la commission d’enquête, M. Costa-Gavras a reconnu une erreur d’appréciation concernant Le Dernier Tango à Paris : « Alors que la scène de viol était bien évoquée dans l’article de présentation de la rétrospective, je regrette, nous regrettons profondément de ne pas avoir accompagné la projection de ce film avec le concours d’une ou d’un spécialiste extérieur à la Cinémathèque, aux côtés d’un spécialiste de la Cinémathèque. Je prends ma responsabilité dans ce refus. C’est une leçon pour l’avenir. » (3) Cet épisode montre en effet la nécessité de se livrer systématiquement, désormais, à un exercice de remise en contexte de ce que l’on pourrait appeler les « œuvres maudites ». Il en va de même pour les autres œuvres de créateurs mis en cause, à l’image de Roman Polanski ou Woody Allen.

M. Jean-François Rauger, pour sa part, a tenu à souligner l’importance du mouvement MeToo et l’intérêt de la Cinémathèque : « MeToo est au centre de la plupart des discussions qui portent sur les films programmés. C’est un mouvement qui nous a également touchés et que nous avons intégré dans notre travail d’accompagnement. »

M. Frédéric Bonnaud a mis en avant l’évolution de la programmation de la Cinémathèque : « Les cinéastes femmes représentent aujourd’hui près de 20 % de la programmation de la Cinémathèque. Certes, c’est insuffisant, mais cela reflète la réalité du passé, de l’histoire du cinéma. Heureusement, les choses changent. La programmation reflète de plus en plus l’augmentation du nombre de réalisatrices au cours des quarante dernières années, notamment dans le cadre du programme “Aujourd’hui le cinéma”, un rendez-vous hebdomadaire consacré aux jeunes cinéastes où la parité est enfin respectée. Les choses évoluent dans le bon sens, même si l’on peut regretter qu’elles ne progressent pas assez vite. » Dont acte. Ces bonnes intentions devront être confirmées dans le temps.

Surtout, il paraît inévitable qu’elles se traduisent par un changement de gouvernance, que la Cour des comptes a d’ailleurs appelé de ses vœux dans un rapport publié en février 2025. Les magistrats ont ainsi fait observer qu’un renforcement de la tutelle de l’État sur l’association serait pleinement justifié au regard des liens étroits qui les unit, notamment sur le plan financier : « son statut associatif doit être au minimum actualisé, voire revu. La solution d’une fondation reconnue d’utilité publique serait sans doute plus pertinente pour assurer le développement de la Cinémathèque française. En fin de compte, un adossement renforcé au CNC, voire une intégration au CNC, en laissant demeurer à ses côtés une association des amis de la Cinémathèque, lui permettrait de mener une stratégie de long terme plus adaptée à ses ambitions. » (4) Le rapporteur préconise lui aussi un renforcement de la tutelle de l’État sur la Cinémathèque.

(1) Le Monde, 15 janvier 2025.

(2) Politis, janvier 2025.

(3) Compte rendu  29 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425029_compte-rendu.

(4) Cour des comptes, « La Cinémathèque française », observations définitives délibérées le 20 novembre 2024.


M. Marcos Uzal, rédacteur en chef des Cahiers du cinéma, a reconnu certaines erreurs des critiques : « au-delà de la sacralisation de l’auteur, certains gestes ont également été sacralisés : on a considéré que, pour obtenir un meilleur plan, tout était permis, y compris l’humiliation des acteurs. L’histoire du cinéma est jalonnée de ces actes cruels qui ne sont pas majoritaires, mais dont la critique avait connaissance et qu’elle considérait comme nécessaires à la création. Le mouvement MeToo a changé fondamentalement ma façon de percevoir des situations qui, lorsque j’étais jeune cinéphile, me paraissaient naturelles et que, tout comme les jeunes générations, je considère aujourd’hui comme odieuses. » ([303])

La directrice de la rédaction de Télérama, Valérie Hurier, était quant à elle allée beaucoup plus loin dans un éditorial publié en février 2024, reconnaissant « un système dont les médias ont parfois été complices par leurs éloges, “Télérama” compris » ([304]). Du fait de leur pouvoir prescripteur, les critiques ont une responsabilité particulière. Il leur appartient désormais de l’exercer pleinement.

● Les festivals, par la mise en lumière des œuvres et de leurs auteurs qu’ils permettent, sont également un élément fondamental de l’écosystème. Eux aussi possèdent un pouvoir prescripteur dont ils n’ont pas toujours usé avec discernement au cours des dernières décennies, et même dans un passé récent. Que penser, par exemple, de l’omerta qui a longtemps régné à Cannes à propos des habitudes de certains producteurs qui se faisaient « livrer » des jeunes femmes dans leur chambre d’hôtel pendant le festival ? Certes, la direction du festival n’est pas directement responsable de ces pratiques, mais dans la mesure où celles-ci étaient très largement connues, continuer à inviter les personnes se comportant de la sorte revient à cautionner leurs actes.

M. Thierry Frémaux, délégué général du festival, a manifesté au fil des années une fidélité indéfectible à certains réalisateurs notoirement maltraitants comme Abdellatif Kechiche ou Lars von Trier. En 2023, il a invité sur la Croisette l’acteur américain Johnny Depp, accusé de violences conjugales. Interrogé par les journalistes à ce propos, il a déclaré ne pas savoir que l’acteur avait désormais une mauvaise image aux États-Unis et tout ignorer du fond du procès très médiatisé qui l’avait opposé à sa femme, arguant que cela ne l’intéressait pas ([305]). Venant d’une personne aussi informée de l’actualité du monde du cinéma, une telle déclaration n’a pas manqué de surprendre. Interrogé par le magazine Variety, en mars 2023, non seulement il n’avait pas écarté la possibilité d’inviter de nouveau à Cannes des réalisateurs comme Roman Polanski et Woody Allen, mais il a donné l’impression de considérer que leur absence était surtout due au fait que leur prochain film ne serait pas terminé à temps, et concluait par ces mots : « Nous nous prononcerons en fonction de la situation » ([306]). Le 3 avril 2024, dans Variety, il déclara : « nous ne recherchons jamais la provocation – en dehors de ce qui est à l’écran » ([307]), laissant entendre qu’il était possible, voire souhaitable, de chercher le scandale à l’écran.

C’est ce que confirme le choix de programmer, c’est-à-dire de donner une visibilité internationale à certains films montrant des violences insoutenables, tel le film Irrésistible de Gaspar Noé, en 2002, où l’on voyait une scène de viol durant une quinzaine de minutes, ainsi qu’une scène de meurtre tout aussi crue et détaillée. Lars von Trier, pour sa part, a été mis en lumière à Cannes de manière répétée pour des œuvres à tout le moins dérangeantes : dans Antichrist, en 2009, étaient montrées des scènes de sexe non simulées et des mutilations sexuelles (notamment une excision au moyen de ciseaux). En 2011, lors de la conférence de presse de présentation de son film Melancholia, en compétition officielle, il a fait scandale en déclarant : « je voulais vraiment être juif, mais j’ai découvert que j’étais un nazi », puis : « je comprends Hitler », « je compatis un peu avec lui ». La direction du festival l’a alors exclu, tout en maintenant le film dans la sélection, et le communiqué publié était pour le moins léger : « Le cinéaste précise qu’il s’est laissé entraîner à une provocation » ; « la direction du Festival en prend acte et transmet les excuses de Lars von Trier. Elle tient à réaffirmer qu’elle n’admettra jamais que la manifestation puisse être le théâtre, sur de tels sujets, de semblables déclarations ». Cela n’empêcha pas Thierry Frémaux de déclarer en novembre 2013 : « Est-ce que nous rêvons que Lars von Trier soit de retour à Cannes ? Oui, nous en rêvons », tout en indiquant que le réalisateur était « un ami » ([308]).

4.   Le cumul des situations de pouvoir parachève l’entre-soi

Non seulement les différentes catégories de position de pouvoir analysées précédemment se soutiennent mutuellement, mais une des caractéristiques frappantes du milieu du cinéma – entre autres – réside dans le cumul des fonctions, qui finit de clore le système sur lui-même et de garantir le maintien de l’entresoi. En effet, nombreux sont les « talents » à cumuler les casquettes – réalisateur et scénariste, acteur et producteur, réalisateur et acteur, producteur et réalisateur, etc. –, quand d’autres exercent successivement différentes fonctions de pouvoir : directeur de casting, agent puis producteur, comme Dominique Besnehard ou directeur de casting puis metteur en scène, comme Stéphane Foenkinos. Le phénomène tend même à s’accentuer ces dernières années : on ne compte plus les acteurs-scénaristes-réalisateurs, à l’image de Guillaume Canet, Gilles Lellouche, Albert Dupontel, Mathieu Kassovitz, Yvan Attal, Mélanie Laurent, Julie Delpy, Valérie Lemercier, Maïwenn, etc.

III.   Enfants du spectacle, élèves des établissements d’enseignement, maîtrisiens : des situations À haut risque

La situation des mineurs dans les secteurs visés était la motivation première de la demande de création d’une commission d’enquête sous la précédente législature. De fait, leur protection est une impérieuse nécessité, et des lacunes sont apparues au fil de l’enquête dans tous les secteurs visés.

A.   Des abus de toute sorte dans le cinéma

Selon les chiffres de la Direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) fournis par le CNC, en 2023, 4 270 enfants avaient été engagés dans une production cinématographique dans la seule région Île-de-France, étant entendu que, comme l’indique le CNC, « les demandes sont très concentrées en région parisienne du fait de la domiciliation des sociétés de production » ([309]). Ces enfants avaient été engagés sur 312 films par 287 sociétés de production. Le temps de travail des enfants sur ces productions est très variable, d’une heure à plusieurs jours, voire plusieurs semaines, selon l’importance du rôle.

1.   Une absence fréquente de respect des conditions d’emploi des mineurs

Durant les auditions, il est apparu que les abus commis envers les mineurs dans le secteur du cinéma, nombreux, concernaient d’abord le respect des conditions d’emploi des enfants de moins de 16 ans ([310]). Le premier facteur d’abus concerne les horaires de travail. La présidente et le rapporteur ont ainsi reçu le témoignage d’une personne exerçant comme scripte dans le cinéma et l’audiovisuel depuis plusieurs années, qui a relaté dans les termes suivants certaines des pratiques qu’elle a observées au fil du temps : « En tant que scripte, je dois rendre chaque jour à la production plusieurs rapports qui attestent de différents paramètres relatifs à la journée, et notamment des horaires effectués. Ces rapports sont censés faire preuve en cas de problème. » Or, souligne-t-elle, « sur la quasi-totalité des tournages avec des enfants, on m’a demandé de tricher sur les horaires, car on les dépasse systématiquement. Au début de ma carrière, on m’a présenté ça comme une évidence, je ne m’étais même pas questionnée. Avec le temps, j’en ai parlé à des collègues qui m’ont témoigné avoir reçu les mêmes demandes. »

Ce témoignage rejoint celui de M. Emmanuel Thomas, directeur de casting, devant la première commission d’enquête. Celui-ci a alerté la représentation nationale à propos d’une pratique qui semble très répandue dans le cinéma : les feuilles de service établies en double. Ce document, censé retracer précisément le plan de travail d’une équipe de tournage pour la journée, est établi la veille de chaque journée de tournage, en général par le deuxième assistant-réalisateur. La feuille de service indique les lieux, heures et modalités d’intervention de chacune des personnes présentes sur le plateau de tournage et au-delà – on y trouve également consignée l’heure à laquelle les chauffeurs de la production doivent passer prendre le personnel, par exemple. Or un certain nombre de productions falsifient ces documents avant de les envoyer à la DRIEETS : « Sur la plupart des tournages, des feuilles de service sont envoyées à la DRIEETS, mais celles-ci ne correspondent pas toujours aux feuilles reçues par les techniciens. Il arrive même que la DRIEETS ne les reçoive pas » ([311]).

Plusieurs témoignages reçus accréditent l’idée d’un dépassement régulier du temps de travail légal pour les enfants. Une personne entendue à huis clos a ainsi évoqué le cas d’un enfant de 4 ans engagé sur un court-métrage dans lequel il tenait le premier rôle, qui était « censé travailler huit jours à raison de six heures par jour, en violation de la réglementation – la production s’est mise d’accord avec sa maman ».

La scripte dont le témoignage était cité précédemment a souligné l’absence totale de contrôle. Pourtant, indique-t-elle, les outils numériques désormais en usage permettraient de confronter aisément les chiffres communiqués par la production avec la réalité : « Les vrais horaires seraient faciles à vérifier puisque l’heure apparaît dans les métadonnées de chaque prise enregistrée ». Une telle possibilité apparaît suffisamment sérieuse au rapporteur pour être explorée par les pouvoirs publics, même si, par ailleurs, elle ne réglerait pas l’ensemble du problème car les caméras n’indiqueront ni le temps total passé sur le plateau ni le temps de préparation.

Recommandation n° 17 : organiser régulièrement des contrôles des productions employant des enfants pour vérifier le respect des règles légales en matière de temps et de conditions de travail.

2.   De nombreux abus révélés par les professionnels du cinéma

Mmes Adèle Haenel et Judith Godrèche ont très largement raconté les abus sexuels que des réalisateurs leur avaient fait subir. Le discours de Judith Godrèche aux César 2024 était particulièrement poignant à cet égard, notamment quand elle a évoqué les « quarante-cinq prises, avec deux mains dégueulasses sur mes seins de 15 ans » ([312]).

Durant son audition devant la commission d’enquête, elle a également raconté sa participation aux festivals : « Quand j’avais 15 ans, lors de la réception de clôture du festival de Locarno, je me suis retrouvée à une table avec Melvil Poupaud, Chantal Poupaud et Benoît Jacquot, qui me servait du vin, alors que je n’avais encore jamais bu d’alcool. J’ai vomi sur tout le monde, notamment sur Serge Daney, et je me suis évanouie. J’avais 15 ans, c’était dans un festival international de cinéma et cela n’a posé de problème à personne. Personne ne m’en a jamais parlé ensuite, sauf Melvil Poupaud. » ([313])

Même si les mineurs de moins de 16 ans ne sont nullement à l’abri d’agressions sexuelles, comme le démontrent malheureusement les exemples d’Adèle Haenel et Judith Godrèche, la situation des mineurs âgés de 16 à 18 ans est particulièrement à risque de ce point de vue, comme l’a souligné Mme Nathalie Tissier, membre de l’Association des maquilleuses et maquilleurs du cinéma : « Les équipes de production considèrent souvent qu’un jeune de 16 ans n’est plus vraiment un mineur et qu’il n’a pas besoin de chaperon. Or c’est souvent entre 16 et 18 ans que les atteintes sexuelles ont lieu. La présence d’un chaperon devrait être obligatoire ; la loi le prévoit peut-être, mais elle n’est pas appliquée. Un enfant ne peut pas affronter un tournage seul – je le dis en tant que mère. Il se trouve que mon fils a été repéré lors d’un casting sauvage à la sortie de l’école. J’ai d’abord refusé, prétextant qu’il ne savait pas jouer, mais on m’a répondu que c’était justement ce qui était recherché : on pourrait en faire ce qu’on voudrait. Il a été retenu. Le scénario était difficile : il devait incarner un enfant isolé et maltraité. Quand je m’en suis inquiétée, on m’a expliqué qu’il découvrirait ces émotions sur le tas – en d’autres termes, l’équipe était prête à le maltraiter pendant trois mois pour obtenir des réactions réalistes. Elle m’a appris que le film serait tourné à l’étranger et que les parents avaient l’interdiction d’accompagner leurs enfants. C’est inimaginable ! Inutile de dire que j’ai opposé une fin de non-recevoir ; et rassurez-vous, le film n’a pas pu se faire. » ([314])

En l’absence de professionnels spécialisés dans la prise en charge de très jeunes enfants sur les tournages, certaines des conditions de travail liées à la fabrication d’un film sont susceptibles d’induire des traumatismes profonds. Le même témoin a relaté la manière dont un enfant de 4 ans avait été exposé à des violences sous couvert de « réalisme », sans que la moindre précaution soit prise : personne ne lui avait rien expliqué et l’équipe n’avait pas prévu d’accompagnateur. « Tout fiers que leur rejeton fasse du cinéma, ses parents n’assistaient pas aux prises et prenaient un café dans le couloir. Au nom du réalisme et de la spontanéité, ce petit a été filmé alors qu’il était caché sous une table, dissimulé par une nappe, et que les acteurs interprétaient une violente querelle, avec moult coups sur le mobilier. Il était terrorisé, en état de sidération, au point qu’une partie de l’équipe a demandé qu’on arrête la scène. Un technicien a prévenu les parents : “Ce n’est pas si grave, ont-ils répondu, nous lui expliquerons quand il sera plus grand. » Dans ces exemples, comme dans bien d’autres histoires d’abus commis envers des enfants dans les secteurs visés, l’incurie et l’inconscience des parents plaçant délibérément leurs enfants dans des situations de danger méritent bien évidemment d’être soulignées.

Dans de trop nombreux cas, il apparaît que des mineurs sont placés dans des situations à risque, notamment dans des scènes sexualisées. À cet égard, la commission s’est penchée sur le cas du film de Catherine Corsini intitulé Le Retour (cf. encadré infra) : durant le tournage, la réalisatrice a décidé de rétablir une scène, qui avait été retirée du scénario, dans laquelle une jeune fille de moins de 16 ans est censée masturber un jeune homme plus âgé ([315]).

L’actrice Nina Meurisse a raconté dans les termes suivants l’expérience traumatisante qu’a constituée son premier tournage, alors qu’elle avait tout juste 10 ans : « Dans ce film, il y a une scène de viol. Je demande qui va jouer l’homme, et on me répond que la réalisatrice ne veut pas que je le rencontre avant. Je ne comprends pas pourquoi, mais apparemment ce sera mieux pour la scène… On m’explique que je dois marcher et qu’il me collera contre un arbre ; ce sera très simple. Silence, moteur, ça tourne ! Je vois arriver en courant un jeune acteur, qui me saute dessus, qui me prend la poitrine et qui essaie de me soulever la robe. On refera la scène plusieurs fois. J’ai donc 10 ans, je n’ai même jamais embrassé un garçon, je suis tétanisée. À la fin de la scène, la jeune fille qui s’occupe de nous depuis le début du tournage m’emmène voir les poussins nés dans la ferme voisine pour me changer les idées, et du haut de mes 10 ans, je sais déjà qu’il y a quelque chose qui cloche. Comme si c’était hier, je me souviens de me dire : “Tu crois que tu vas me faire oublier ça avec des poussins ?” Cet été, j’ai croisé l’autre acteur, que je n’avais pas revu depuis. La première chose dont nous avons parlé fut cette scène. Lui et moi étions encore sous le choc. »

Les périls pour les enfants ne se limitent pas au tournage : ils peuvent survenir dès les castings. L’expérience qu’a partagée l’actrice Sara Forestier le montre très bien : « J’ai débuté très jeune dans le cinéma, à 13 ans, en passant des castings. Et j’ai commencé ma carrière en disant “non” lors du premier d’entre eux, quand on m’a demandé de retirer ma culotte et de la faire tournoyer dans les airs pour qu’elle atterrisse dans l’assiette d’un autre personnage, dans une scène soi-disant comique d’un court-métrage. J’ai dit non et les responsables du casting étaient outrés. » ([316]) Un témoin entendu à huis clos a relaté quant à lui le cas d’un enfant de 4 ans « casté à la va-vite dans son jardin » après que sa mère avait répondu à une annonce.

Du reste, Sara Forestier, tournant son premier film à l’âge de 15 ans avec Abdellatif Kechiche, a raconté les nombreux incidents – et même les agressions – qu’elle y avait subis ([317]) : « Sur le plateau, entre deux scènes, l’un des régisseurs me dit : “J’ai envie de te faire l’amour dans les fesses”. Il a 30 ans et j’en ai 15 ; je suis choquée. Heureusement, un autre régisseur l’arrête immédiatement et lui dit : “T’abuses, elle est trop jeune ! » Sur le même tournage, un acteur qui devait l’embrasser « s’amusait à cracher par terre pour [l]’humilier » ; « Je me sentais mal et j’en ai parlé au réalisateur, qui m’a simplement dit de l’ignorer, que c’était un petit con. » Toujours sur le même film, le réalisateur n’hésite pas à tirer profit d’un accident survenu pour surprendre l’un de ces moments de vérité dont certains cinéastes sont particulièrement friands : « Pour une autre scène, on avait les mains sur le capot d’une voiture, dont la portière était ouverte. Quelqu’un, sans le faire exprès, a claqué la portière sur mon doigt, qui est devenu violet et s’est tordu. L’équipe a arrêté de filmer et a appelé les pompiers. Pendant qu’on les attendait, le réalisateur est venu me dire : “Sara, ce serait formidable si on pouvait utiliser l’état dans lequel tu es  j’étais blême  pour tourner une scène dans la voiture : ce serait fort.” Je suis retournée dans la voiture, dans cet état, et nous avons tourné la scène. »

Un témoin entendu à huis clos a raconté le désarroi d’un enfant de 4 ans, qui n’avait pas envie de tourner le film sur lequel ses parents l’avaient fait engager et qui s’est retrouvé forcé, qui plus est, de tourner une scène en sous-vêtements : « la réalisatrice le manipule et baisse son jogging sans le prévenir. » L’enfant « pleure à plusieurs reprises ; il se cache, fuit le plateau ; il essaie de casser du matériel et tache volontairement ses costumes. Il est malgré tout contraint de poursuivre le tournage, mobilisé désormais huit à neuf heures par jour. » Lors d’une scène, pour le forcer à courir, « la seconde assistante fabrique une canne à pêche à laquelle elle suspend le doudou de l’enfant ». À la fin du tournage, les producteurs, interpellés sur les conditions de tournage, répondirent : « Il y a maltraitance et maltraitance, et le consentement à 4 ans, ça n’existe pas. »

B.   Une participation des mineurs très circonscrite dans le spectacle vivant, où des fragilités structurelles doivent néanmoins être corrigées

1.   La participation des mineurs au spectacle vivant apparaît assez restreinte et limitée à des domaines spécifiques

Comme l’a souligné la direction générale de la création artistique (DGCA) du ministère de la culture, « si les enfants sont très présents au cinéma, ils le sont beaucoup moins dans le spectacle vivant, compte tenu du fait que l’organisation de leur présence y est bien plus compliquée : contrairement au cinéma, où l’enfant peut être mobilisé sur un temps court, il est nécessaire de le mobiliser pour les répétitions, mais aussi pour toutes les représentations, dans le cadre de tournées. Les enfants sont donc le plus souvent représentés sans présence physique au plateau (marionnette, image vidéo, ombre chinoise, etc.) ou bien joués par des adultes quand ce sont des rôles importants. Quand des enfants sont présents, ils le sont souvent dans le cadre d’un collectif (chœur par exemple) ou ne jouent que de très petits rôles qui ne demandent pas de répétition. Ce sont souvent des amateurs qui sont mobilisés sur chaque lieu de diffusion. » ([318]) Il apparaît néanmoins, si l’on se réfère aux chiffres de fournis par la DRIEETS, qu’un peu moins de 6 000 autorisations individuelles sont délivrées en Île-de-France chaque année pour des mineurs de moins de 16 ans, pour l’ensemble des activités relevant du spectacle vivant ([319]). Sur ce nombre, les chœurs d’enfants représentent un contingent très important.

Si les mineurs participent peu à des spectacles en tant qu’artistes, leur protection en tant que membres du public mérite d’être étudiée avec soin : de nombreux témoignages concernant particulièrement le milieu des musiques actuelles font état de jeunes filles mineures servant de proie à des artistes lors des afters. Une personne a ainsi relaté que l’ancien chanteur du groupe Punish yourself avait l’habitude de chasser « comme des proies » « des filles mineures ou tout juste majeures » ([320]).

Mme Agathe Pujol, comédienne, lors de son audition, a quant à elle appelé l’attention de la commission d’enquête sur des pratiques qui auraient cours au Théâtre du soleil : pendant deux ans, à partir de 16 ans, elle y aurait travaillé gratuitement, attirée là-bas par un homme de 39 ans, tandis qu’on lui faisait miroiter une place sur scène : « On incitait ceux qui “aident” à accomplir un travail acharné et très bien fait à ceux qui, sous peine d’être écartés. J’ai assisté au renvoi de “bénévoles” qui attendaient désespérément une place fixe et rémunérée qui n’arrivait pas. […] J’étais mineure et j’y ai passé près de deux ans. J’ai travaillé gratuitement au service de la restauration, à la cuisine, à la plonge et pour des spectacles plus confidentiels de vieux acteurs du Soleil. […] On me disait qu’il me fallait faire mes preuves, qu’à un moment quelqu’un manquerait peut-être et qu’on aurait besoin de moi sur scène. Il me fallait rester alerte car cela pouvait se produire à tout moment. À 16 ans, on est passionnée et naïve. On croit tout ce qu’on nous dit. » ([321]) Or, selon elle, elle n’était pas la seule mineure « employée » dans ces conditions à l’époque : « J’ai découvert dès la première semaine passée dans les cuisines du Soleil que je n’étais pas la seule mineure “bénévole” et que l’homme de 39 ans charmait d’autres jeunes filles. Il y en avait quatre dont je me souviens très bien et d’autres que j’ai oubliées. L’une d’elles était plus jeune que moi ; elle était dans le même lycée et beaucoup de rumeurs couraient dans les couloirs sur elle et l’acteur de 39 ans. » Outre les risques liés au fait de côtoyer des adultes, les enfants y auraient librement accès au bar : « J’ai appris à fumer pour faire comme les autres et j’ai aussi appris à boire, car, si nous n’avions pas de salaire, le bar, lui, était ouvert à tous, sans surveillance ni limite d’âge. » La présidente et le rapporteur, extrêmement préoccupés par ces accusations, n’ont pas manqué de les signaler au procureur de la République, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale.

2.   Les maîtrises et chœurs d’enfants : derrière les images d’Épinal, de nombreux abus

Les « manécanteries », selon la terminologie officielle ([322]), sont des univers relativement méconnus, fonctionnant en vase clos et peu contrôlés, comme la commission d’enquête a eu l’occasion de s’en convaincre en entendant le collectif Chœurs brisés agir et en étudiant le cas de la Maîtrise des Hauts-de-Seine.

Selon un recensement effectué en 2018 par l’Institut français d’art choral, il existait alors en France 55 structures enseignant le chant choral à des mineurs selon différentes modalités : maîtrises, classes à horaires aménagés musique (CHAM) à orientation vocale et filières voix dans les conservatoires ([323]). Les maîtrises constituaient la plus grande partie d’entre elles : 35, contre 17 ensembles constitués au sein de conservatoires et 3 relevant du domaine scolaire. Si l’on en croit le répertoire des maîtrises consultable sur le site internet de la Philharmonie de Paris, ce nombre n’a pas évolué de manière significative depuis lors ([324]). La moitié de ces structures étaient constituées sous forme associative, près de 40 % étaient rattachées à des collectivités, il n’y avait qu’une seule entreprise et trois ensembles dépendant d’institutions religieuses. Les deux tiers comptaient moins de cent enfants. Une grande majorité – 60 % – ne rémunérait pas les enfants chantant en leur sein. Vingt structures possédaient au moins l’une des trois licences d’entrepreneur de spectacle ([325]). Selon certaines estimations, en 2022, les enfants chantant dans des maîtrises ne représentaient que 3 % environ de l’ensemble des élèves suivant une formation musicale dans les écoles de musique et dans les conservatoires ([326]). Même en retenant cette hypothèse basse, plusieurs milliers d’enfants seraient ainsi concernés chaque année.

En 2023, à la suite de l’enquête approfondie menée par Le Parisien, l’émission « Envoyé spécial » a consacré un sujet à l’ancien chef de chœur de la Maîtrise de Radio-France, M. Denis Dupays, qui devrait être jugé prochainement pour viol sur mineur. L’individu a sévi dans plusieurs institutions au fil des années, sans que ses employeurs successifs aient été informés de sa réputation et de ses agissements. Comme l’a souligné Mme Clémence Faber, membre du collectif Chœurs brisés agir, « peu de chœurs d’enfants sont à l’abri des dérives et des violences que nous allons évoquer. Il y a un mois, à l’Opéra de Paris, une demi-heure avant d’entrer en scène pour l’une des représentations de La Flûte enchantée, nous évoquions avec six collègues chanteuses notre passé maîtrisien. Cinq d’entre nous avaient fait partie d’une maîtrise pendant leur enfance et si nous n’avons pas toutes été témoins ou victimes d’abus, nous sommes toutes capables d’en décrire la toile de fond » ([327]), à savoir celle de l’emprise ([328]).

3.   Accusations d’abus sexuels et de maltraitance à la maîtrise des Hauts-de-Seine : un gâchis humain et un désastre moral

La commission d’enquête a été amenée à consacrer pas moins de six auditions à la situation dans la Maîtrise des Hauts-de-Seine, ce qui n’était absolument pas prévu dans son programme de travail initial. À la suite de la révélation par la presse, en juillet 2024, des accusations d’agressions sexuelles portées par cinq personnes contre le directeur de cette institution, Gaël Darchen, et après que la commission d’enquête a entendu le collectif Chœurs brisés agir, le rapporteur a reçu de nombreux témoignages de maîtrisiens ou d’anciens maîtrisiens, ainsi que des sollicitations de parents d’élèves inquiets. S’il ne revient pas à la commission d’enquête de se substituer à la justice, la confiance manifestée à ses membres par les témoins commandait d’étudier la situation en détail, surtout dans la mesure où il serait possible d’en tirer des enseignements de portée plus générale sur les établissements ayant un profil ou une organisation similaires.

La Maîtrise des Hauts-de-Seine a été créée en 1985 sous la forme d’un chœur de garçons. Depuis 1995, elle participe aux productions de l’Opéra national de Paris. Elle accueille environ 470 chanteurs âgés de 5 à 30 ans, y compris des enfants à besoins spéciaux – certains d’entre eux souffrant, par exemple, de troubles du spectre autistique –, répartis dans douze chœurs.

La forme juridique de la structure est celle d’une association loi de 1901, liée au conseil départemental des Hauts-de-Seine par une convention. La maîtrise est très largement financée par cette collectivité : 1,6 million d’euros en 2023, le montant total des subventions et concours publics dont bénéficie la maîtrise s’élevant à 1,7 million d’euros, pour un budget de l’ordre de 2,8 millions d’euros. Le conseil départemental, propriétaire de la Seine musicale, située sur l’île Seguin, y héberge la maîtrise depuis 2017. La Maîtrise des Hauts-de-Seine est une étrange association, dont les conditions d’adhésion semblent opaques car la plupart de ses usagers n’en sont pas membres et n’ont donc aucune visibilité sur la gestion par le conseil d’administration, lequel pratique l’entre-soi.

L’institution est dirigée depuis 1999 par Gaël Darchen, qui y a imposé ce que le président actuel de la maîtrise, M. Michel Haas, a qualifié lui-même de « pédagogie non conventionnelle » ([329]), en l’occurrence une absence totale d’apprentissage du solfège, ce qui paraît en effet singulier pour une structure dont l’objet d’étude principal est constitué par le répertoire de la musique savante occidentale, laquelle est presque exclusivement de tradition écrite. Selon plusieurs témoignages reçus, notamment celui de M. Pierre Calmelet, ancien directeur musical de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, cette orientation pédagogique s’expliquerait surtout par le fait que M. Darchen n’est titulaire d’aucun diplôme en éducation musicale et ne possède qu’« un maigre bagage musical compensé par de grandes ambitions, un opportunisme certain et de puissants soutiens au sein du conseil général » ([330]). Comme l’a indiqué M. Haas lors de son audition, la maîtrise « emploie neuf salariés : un directeur, une directrice administrative et financière, un responsable d’administration, un responsable de l’encadrement des maîtrisiens, un chef de chœur ainsi que quatre chefs de chant ».

En juillet 2024, Le Canard enchaîné a révélé que M. Darchen était visé par cinq plaintes pour viol et agression sexuelle ainsi que par vingt-cinq témoignages. Il était alors en tournée en Grèce avec un groupe de maîtrisiens. Le président du conseil d’administration de la maîtrise lui a alors demandé de rentrer. L’Opéra de Paris, partenaire le plus prestigieux de la structure, a suspendu sa collaboration avec elle. À partir du mois de septembre, M. Darchen n’a plus été en contact avec les maîtrisiens mais a conservé son accès aux locaux, continuant d’exercer ses fonctions depuis un étage supérieur. Un audit a été lancé par M. Haas, mais il a été confié à un cabinet qui n’a aucune expertise particulière dans le domaine des VHSS. Du reste, la question ne figure nullement dans le périmètre de l’audit : celui-ci est un simple questionnaire de satisfaction, ce qui fait craindre à certains parents que cette démarche ne soit qu’une manière de détourner l’attention.

La révélation des plaintes a également permis une libération de la parole au sein de l’établissement, mettant au jour un système autoritaire reposant non seulement sur M. Darchen mais aussi sur son épouse, Mme Lépinay, le couple faisant apparemment l’objet d’un surnom évocateur, celui de « Thénardier ». Les nombreux témoignages collectés par les journalistes et reçus par la commission d’enquête font apparaître des comportements pour le moins problématiques : instauration d’une relation avec certains maîtrisiens pouvant être assimilée à de l’emprise, violences verbales et brimades envers les enfants, notamment lors des tournées, sans oublier un rapport extrêmement sexualisé à plusieurs très jeunes femmes chantant au sein de la maîtrise (cf. supra, première partie). Les tournées, en particulier, semblent concentrer les pratiques contestables : les mineurs ont interdiction d’utiliser leur téléphone portable, ce qui les empêche de communiquer avec leur famille, mais aussi celle de réaliser de menus achats – de magazines ou de bouteilles d’eau ; la présence médicale est assurée par un médecin généraliste, lui-même ancien maîtrisien et ami de M. Darchen – parfois accompagné de son épouse, sans justification particulière ; le chef de chœur compose lui-même les chambrées, impose des dîners en silence à certains comme mesure de rétorsion, punit les maîtrisiens en les enfermant dans un bus ou en le leur faisant nettoyer, et, semble-t-il, ne s’interdit pas des intrusions nocturnes dans les chambres des maîtrisiens, les incitant dans certains cas à sortir de leur douche dans leur plus simple appareil.

Selon certains témoignages reçus, l’un des moyens de progresser au sein de la maîtrise, et de décrocher des solos rémunérés, serait d’avoir une relation intime avec le directeur. Une jeune femme d’une vingtaine d’années serait ainsi arrivée à la rentrée 2021 et aurait directement intégré le chœur Unikanti sans passer d’audition, en entrant en relation avec M. Darchen par mail : « La relation de M. Darchen avec X nous a tous tout de suite surpris, car il s’adressait à elle comme à ses plus proches favoris, de manière séductrice donc, alors qu’elle était nouvelle. Rapidement, X a obtenu tous les solos d’alto, alors qu’elle chantait faux, ce qui était très étonnant. Nous avons progressivement constaté, par sa proximité affichée avec M. Darchen, qu’ils entretenaient une relation. Alors tout a changé, car ce qui était caché auparavant, jamais admis, a soudain été affiché sans aucune gêne : coucher avec M. Darchen était un ticket d’or pour participer à toutes les productions. » Cet épisode aurait « par ailleurs amplifié un phénomène déjà prégnant de compétition et de favoritisme très injuste. M. Darchen a créé un tout petit chœur, “Sublim’Unikanti”, au-dessus de la masse, dont les participants obtiennent tous les solos, sans jamais laisser la chance aux autres choristes ».

L’audition de M. Michel Haas et de celle qui se présente comme la directrice adjointe de la structure, Mme Anne-Sophie Lépinay, a fait apparaître de nombreuses approximations ainsi qu’un double discours pour le moins préoccupant, notamment au regard du fait que cette institution est financée sur des fonds publics et accueille des centaines de mineurs et de jeunes adultes.

M. Haas a ainsi déclaré sous serment – comme toutes les personnes témoignant devant une commission d’enquête parlementaire – avoir « appris l’existence de plaintes concernant [le] directeur le 9 juillet » 2024 ([331]), soit le jour de la publication de l’article du Canard enchaîné révélant les accusations. Après que le rapporteur s’est étonné de cette affirmation, relevant que Le Canard enchaîné lui avait envoyé un courriel dès le 6 juillet, il a de nouveau affirmé : « Le 9 juillet, à la lecture du Canard enchaîné et de la version web de France Musique, je suis officiellement informé du dépôt de plaintes ». Or M. Georges Siffredi, président du conseil départemental des Hauts-de-Seine, a révélé avoir « saisi par courrier le président de l’association le 2 juillet en lui demandant de prendre toute mesure utile » ([332]). Par ailleurs, le directeur de cabinet de M. Siffredi avait reçu l’une des plaignantes le 21 juin. Comment, dans ces conditions, peut-on imaginer que M. Haas ait appris l’affaire en lisant la presse ?

Le flou entretenu autour de l’intitulé et du périmètre exact des fonctions de Mme Lépinay est troublant. Dans tous les documents de communication interne, elle est présentée et se présente elle-même comme « directrice adjointe ». Or, lors de son audition, elle a refusé ce titre avec véhémence, tenant à se présenter comme « directrice administrative et financière » et réfutant s’occuper, à ce titre, de « la façon dont la Maîtrise des Hauts-de-Seine prévient les violences morales, sexistes et sexuelles », sujets exclus à l’en croire de son champ de responsabilité, tout en affirmant immédiatement après que ces sujets avaient « toujours été au cœur de [s]es préoccupations ». Mme Céline Gateau-Leblanc, directrice générale adjointe du conseil des Hauts-de-Seine, et Mme Élise de Blanzy-Longuet, directrice de la culture du département, ont pour leur part confirmé que Mme Lépinay se présentait bien comme directrice adjointe de la structure, avant de se raviser.

Plus préoccupant est le double discours développé par les responsables de la structure. Dans un courrier adressé à la présidente de la commission daté du 11 février 2025, M. Haas affirme qu’« il a été fait interdiction à Monsieur Gaël Darchen de se présenter physiquement dans les locaux de la Maîtrise ». Or cette manière de présenter la mesure diffère sensiblement de celle qui figure dans une lettre adressée aux parents le 8 février 2025, où il écrivait que cette mise à l’écart avait pour objectif de permettre à M. Darchen d’organiser sa défense, ce qui revenait à lui réaffirmer sa confiance : « afin de lui permettre de préparer au mieux les conditions de sa défense, j’ai pris la décision de maintenir la mise en retrait de Monsieur Darchen et de lui demander de ne plus être présent dans les locaux. Les deux avocates qui assurent sa défense ont diffusé ce jour le communiqué de presse que nous vous transmettons en pièce jointe. » En choisissant de transmettre aux parents un courrier des avocates de M. Darchen, M. Haas se fait clairement le porte-voix de l’agresseur présumé. À cet égard, le rapporteur a noté avec stupéfaction qu’aucun mot dans ce courrier ne concernait les victimes présumées des agressions et des maltraitances alléguées au sein de la maîtrise, comme c’était déjà le cas, du reste, lors d’un premier courrier adressé aux parents au moment de la révélation des accusations. Cette persistance dans le déni est extrêmement inquiétante, d’autant plus qu’elle émane d’une personne dont le métier est celui de directeur des ressources humaines d’un grand groupe français. Les accusations visant M. Darchen sont d’emblée disqualifiées dans ce document, où M. Haas affirme que « la Maîtrise fait l’objet depuis de nombreuses semaines d’attaques violentes et malhonnêtes ». La situation dans laquelle se trouve l’institution, qu’il a contribué à créer par ses actes et ses déclarations, y est qualifiée d’« injuste et inacceptable ».

En ce qui concerne la mise à l’écart de M. Darchen, celle-ci n’était pas complète jusqu’au mois de février. Là encore, la différence est frappante entre ce que M. Haas a déclaré à la commission d’enquête et ce qu’il écrivait aux parents de l’institution : « Monsieur Darchen n’avait depuis juillet plus aucun contact avec les maîtrisiens, à l’exception de ceux qui le sollicitaient directement », écrivait-il aux parents le 8 février 2025. Le 19 décembre 2024, lors de son audition, il avait déclaré sous serment que M. Darchen n’avait plus « aucune interaction avec les maîtrisiens », et que ceci était garanti par le fait que les locaux administratifs de l’institution, auxquels il était cantonné, se situaient au troisième étage et n’étaient accessibles que par badge, quand les maîtrisiens étaient reçus au premier étage. Le 11 février 2025, il répétait, dans un courrier adressé à la commission d’enquête qu’il « n’était déjà depuis le mois de juillet dernier plus en contact avec les élèves de la Maîtrise ». À l’évidence, il y a là plus qu’une nuance : ce double discours ne peut que susciter l’inquiétude quant à l’intention de M. Haas de traiter l’affaire avec sérieux et objectivité, mais aussi de respecter les obligations auxquelles il est soumis en tant qu’employeur.

D’une part, un employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la sécurité de ses salariés et prévenir l’ensemble des risques auxquels ils peuvent être exposés. Il est d’usage, lorsqu’une enquête administrative est menée, de suspendre la personne concernée, de manière qu’elle n’ait plus de contact avec ses collègues. En l’occurrence, on imagine sans peine le trouble qui devait être celui des collègues de M. Darchen contraints de continuer à côtoyer jour après jour une personne visée par cinq plaintes pour viol et agression sexuelle.

D’autre part, les éléments du dossier montrent que M. Darchen avait encore, jusqu’à une date récente, la possibilité de rencontrer des maîtrisiens si ces derniers le demandaient, et que les élèves le croisaient devant les locaux de la maîtrise. Or, compte tenu du système d’emprise qu’il avait créé, on peut légitimement penser que certains maîtrisiens ont pris l’initiative de tels contacts, permettant potentiellement à l’agresseur de continuer à agir.

Dans son courrier aux parents précité, le président évoque « l’ouverture de lignes d’écoute en septembre 2024 », alors que la maîtrise s’est contentée de communiquer aux parents le numéro du service national d’écoute téléphonique pour l’enfance en danger – le 119 – et celui de la cellule d’Audiens, laquelle, renseignements pris, n’a enregistré aucune sollicitation émanant des responsables de la maîtrise et a confirmé qu’elle n’était pas compétente pour prendre en charge la structure, car elle s’adresse aux professionnels salariés et majeurs des secteurs culturels… La seule action réelle entreprise par la maîtrise concerne la mise en place d’une formation aux VHSS pour les salariés de la structure, intervenue au mois de février, alors que le scandale a éclaté en juillet de l’année dernière.

Enfin, le rapporteur est profondément troublé par le fait que le site internet de la Maîtrise des Hauts-de-Seine propose toujours une page encensant M. Darchen. On y apprend notamment que celui-ci a pris « la tête de la Maîtrise des Hauts-de-Seine alors qu’il n’a que 29 ans et, en quelques années, la transforme pour en faire la maîtrise la plus attractive de France. Reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes des voix d’enfants, le projet éducatif et musical qu’il a conçu pour la Maîtrise des Hauts-de-Seine est incontestablement une réussite » ; qu’il « collabore avec les plus grands chefs » et « participe à des projets éclectiques avec Jean-François Zygel, Roland Petit, Philippe Jaroussky, Bernard Soustrot mais aussi Roger Waters, Céline Dion, Antoine Hervé ou Patrick Bruel » ; qu’il dirige non seulement dans toute la France, mais aussi dans le monde entier – « à la Basilique Saint-Pierre de Rome », « au Palais de l’Escurial », « au Théâtre de la Cité interdite à Pékin » ; que « le Ministre de la Culture le décore personnellement et l’élève au titre de chevalier des Arts et des Lettres en 2012 » ([333]). Ne serait-ce que par respect pour la parole des victimes, la moindre des choses aurait été de supprimer cette hagiographie.

Pis encore, la page consacrée à la maîtrise sur le site internet du conseil départemental ignore elle aussi les événements et affiche impudemment une photo de M. Darchen en majesté. On ne saurait manifester plus clairement le mépris à l’égard des plaignantes et la négation des événements en cours.

La Maîtrise des Hauts-de-Seine : un système opaque laissant entrevoir une gestion calamiteuse des deniers publics participant au phénomène d’emprise

Entre la fin de l’année 2021 et le début de l’année 2022, les services du département des Hauts-de-Seine ont réalisé un audit de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, en application de l’article L. 1611-4 du code général des collectivités territoriales. Celui-ci dispose : « Toute association, œuvre ou entreprise ayant reçu une subvention peut être soumise au contrôle des délégués de la collectivité qui l’a accordée. » En tant que principal financeur de l’association, le conseil départemental des Hauts-de-Seine se doit en effet de contrôler le bon usage des fonds publics qu’il verse. Durant son audition, M. Georges Siffredi, président du conseil départemental, a déclaré avoir demandé un « contrôle » en 2021. Selon lui, « lors de ce contrôle, des contacts ont été établis avec des maîtrisiens et des enseignants sans qu’aucun problème entrant dans le champ de votre enquête ne soit signalé » (1).

Cela est exact. Toutefois, le document, communiqué à la commission d’enquête à la demande du rapporteur, fait apparaître d’autres dysfonctionnements, graves et nombreux, étayant l’idée d’une gestion non seulement autoritaire mais opaque, prioritairement orientée au bénéfice de M. Darchen et de sa femme, Mme Lépinay. L’absence de réaction du conseil départemental est d’autant plus surprenante que les auteurs de l’audit relèvent à de nombreuses reprises que certains des dysfonctionnements graves étaient déjà avérés lors de l’audit précédent, lequel remontait à 2009. Le rapporteur estime de son devoir d’éclairer à la fois les usagers de la maîtrise et les contribuables des Hauts-de-Seine sur le système qui apparaît clairement à la lecture du rapport d’audit. Les manquements sont flagrants et concernent toutes les dimensions de la gestion de l’association : sécurité, administration, gestion financière et sociale, respect de la législation et de la réglementation, etc.

Les auteurs indiquent clairement que « l’organisation budgétaire, comptable et financière ne permet pas d’avoir une tenue des comptes rigoureuse », que « le système de contrôle interne est fragile faute de séparation des tâches. La Directrice adjointe effectue la quasi-totalité des opérations (traitement des pièces comptables, saisie des écritures comptables et mise en paiement des factures) ». « Aucune procédure de contrôle, ni de liste de contrôle n’ont été formalisées et transmises à l’équipe d’audit. » Plusieurs salariés, dont le directeur et la directrice adjointe, sont amenés à utiliser les moyens de paiement de l’association, sans qu’aucune délégation n’ait été formalisée pour chacun d’entre eux.

Pour les années 2017 et 2019, deux versions de comptes certifiés ont été transmises au département, sans qu’aucune explication soit fournie. Des écarts de montants entre les différents documents comptables (compte de résultat, grand livre et balance) ont été constatés. Le rapport fait également état de pièces comptables distinctes ayant le même numéro, quand d’autres n’en ont pas. Il évoque également, de façon pudique, des « pièces comptables ayant une validité contestable », autrement dit de simples tickets de carte bancaire, sans la moindre justification. Les auteurs font état de plusieurs achats de linge de lit livrés directement à l’adresse personnelle des Darchen, ou encore d’une facture, adressée à une société, pour la réservation d’une salle censée avoir été occupée en pleine période de confinement total, en 2020. Le document mentionne aussi des frais de taxi pour des déplacements personnels facturés à l’association, de même que des contraventions payées avec les fonds de l’association.

Le rapport souligne l’absence de respect des règles de la commande publique, auxquelles la maîtrise est soumise. Les contrats de travail des salariés intermittents adultes ne comportent pas l’ensemble des mentions obligatoires. Les fiches de poste ne sont pas formalisées. Les contrats ne comportent pas de précisions sur les tâches prévues. Concernant les enfants intermittents, notent les auteurs, « sur un échantillon de 10 contrats de travail de l’année 2017 consultés, 1 enfant n’a pas été enregistré, la date d’entrée de 4 enfants ne correspond pas à la date d’embauche figurant dans leur contrat de travail et la date de sortie de 5 enfants ne correspond pas à la date de fin de contrat. »

Le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) existe mais sa tenue n’est pas conforme : sa dernière mise à jour datait de juin 2018, alors qu’il est censé être actualisé chaque année. Par ailleurs, ce document ne mentionne pas certains types de risques identifiés par l’équipe d’audit, notamment l’« ingestion par des enfants de produits toxiques », la « surcharge de travail de salariés » « ou encore ceux pouvant être liés aux déplacements en France et à l’étranger ».

Il n’existe pas de délégation de pouvoir formalisée précisant le périmètre des responsabilités du directeur et indiquant les modalités de contrôle de ses actes. Or, dans le même temps, le rapport souligne que « la plupart des responsabilités associées aux activités de la Maîtrise des Hauts-de-Seine sont exclusivement assumées par le directeur. » Le taux de rotation de l’équipe musicale est anormalement élevé : près des trois quarts de l’effectif ont été renouvelés entre 2017 et 2022.

La même incurie prévaut dans l’accomplissement de tous les actes de la vie de l’association : non-respect du délai d’envoi des convocations aux réunions du conseil d’administration et de l’assemblée générale, absence de signatures sur plusieurs procès-verbaux – voire absence totale de ces derniers –, des réunions du conseil d’administration pour le moins épisodiques (une seule réunion annuelle en 2020 et 2021), proposant ainsi un contrôle minimaliste de l’action du couple Darchen.

En ce qui concerne le suivi de l’activité de la structure, les dysfonctionnements apparaissent tout aussi systémiques. Le rapport déplore ainsi « une absence de dispositif de pilotage au sein de la Maîtrise des Hauts-de-Seine assurant un suivi consolidé et fiable des données d’activité. » La « vision stratégique de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, c’est-à-dire la définition des grandes orientations données à ses activités, combinée à la formulation d’objectifs chiffrés dans une perspective pluriannuelle, ne fait l’objet d’aucune formalisation de la part de l’association », est-il écrit. Le nombre de spectateurs et le nombre de maîtrisiens impliqués dans les projets ne sont pas toujours précisés. Certaines données présentées dans le rapport de gestion 2019 sont incohérentes avec les données du rapport d’activité de la même année (nombre total d’heures de formation et de représentations). Certaines activités réalisées par la Maîtrise des Hauts-de-Seine ne sont pas mentionnées dans les rapports d’activité, en particulier les représentations de comédie musicale ou encore les activités de sous-location des locaux.

La subvention du département couvre la totalité de l’activité non lucrative de l’association, ce qui tombe sous le sens, mais aussi une partie de l’activité lucrative, c’est-à-dire, notamment, le coût des tournées à l’étranger – à hauteur de 22 % en 2017 et 12 % en 2019.

Les résultats financiers de ce système sont pour le moins médiocres : « Le résultat d’exploitation a été divisé par trois de 2017 à 2020. Il devient déficitaire à partir de 2018 ». Le rapport d’audit pointe la diminution des ressources liées aux productions. Or, compte tenu des événements récents, il est à craindre que cette ressource ne se trouve largement amputée. Dans le même temps, le rapport souligne « une progression sensible et continue de la rémunération moyenne des hauts cadres dirigeants salariés sur la période d’audit. Elle passe en effet de 92 366 euros en 2017 à 119 725 euros en 2020 (+ 29,6 %). » En 2020, le couple Darchen percevait ainsi une rémunération brute annuelle de 240 000 euros.

Quant à l’attractivité supposée de la structure, le rapport pointe le fait qu’entre 2017 et 2021, le nombre de maîtrisiens participant aux formations a chuté de 29 %. « La baisse des effectifs sur cette période pose question sachant que l’accessibilité de la Maîtrise s’est améliorée avec l’installation sur l’Île Seguin ». La maîtrise comptait 650 membres en 2017, et seulement 466 en 2021. Si l’on en croit un récent appel aux dons pour le renouvellement des uniformes, l’effectif serait de 470 en 2025.

Au total, il est frappant de constater que les auteurs de l’audit peignent un tableau correspondant parfaitement à la situation qui a été décrite durant les auditions, à savoir l’emprise et la mainmise sur la structure d’un couple jouissant d’une impunité totale. Pour qui voulait vraiment comprendre, au sein du conseil départemental, ce qui se jouait dans cette association, tous les éléments étaient rassemblés.

Source : Audit de l’association « Maîtrise des Hauts-de-Seine », direction de l’audit, du contrôle et de l’évaluation des politiques publiques, conseil départemental des Hauts-de-Seine

(1)   Compte rendu  38 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425038_compte-rendu.

Les témoignages recueillis par le rapporteur durant les derniers mois font apparaître un climat interne fortement dégradé, y compris entre parents d’élèves, polarisés entre défenseurs de M. Darchen et opposants. Alors qu’il n’existait plus d’association de parents de la Maîtrise des Hauts-de-Seine depuis plusieurs années, deux se sont créées récemment, s’opposant sur la conduite à tenir vis-à-vis de M. Darchen.

L’Opéra de Paris, dans le cadre des réponses écrites transmises au rapporteur, a exprimé très clairement sa position vis-à-vis de la maîtrise : « En juillet 2024, nous avons appris l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Nanterre faisant suite à des plaintes pour des faits présumés de harcèlement sexuel et moral visant le directeur de la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Dans ce contexte, pour la sérénité de chacun et dans l’attente d’informations complémentaires, l’Opéra a suspendu à titre conservatoire sa collaboration avec la maîtrise des Hauts-de-Seine, qui utilise encore à ce jour l’appellation “chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris”, engageant ainsi sa réputation. En novembre 2024, le président du Conseil d’administration de la Maîtrise des Hauts-de-Seine a présenté à la direction de l’Opéra une restitution orale et partielle de l’audit interne en cours à la Maîtrise des Hauts-de-Seine. La direction de l’Opéra a considéré que les éléments présentés n’apportaient pas d’éclairage sur certains points très sensibles faisant l’objet des témoignages rendus publics et mettant en cause le directeur de la maîtrise. En l’absence de traitement approprié et spécifique de cette dimension individuelle, sans préjudice de la présomption d’innocence, la direction de l’Opéra a décidé qu’il n’était pas possible de reprendre la collaboration suspendue au début de l’été. Les éléments qui pourraient être de nature à rassurer la direction de l’Opéra pourraient prendre la forme d’une enquête sur les aspects individuels de l’affaire évoqués, confiée à un cabinet d’expert offrant toutes les garanties de compétence et d’indépendance, et dont les conclusions seraient positives et/ou déboucheraient sur des recommandations à suivre. Faute de démarche offrant des garanties suffisantes, l’Opéra de Paris ne pourra reprendre ce partenariat et devra rechercher de nouveaux chœurs d’enfants. »

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le rapporteur considère que le représentant de l’État dans le département doit diligenter au plus vite une enquête sur le fonctionnement de l’association.

Les responsables actuels de la Maîtrise des Hauts-de-Seine doivent tirer les conséquences de leurs erreurs d’appréciation. Aux yeux du rapporteur, et compte tenu des nombreux témoignages qui lui sont parvenus, les démissions conjointes de M. Haas, M. Darchen et Mme Lépinay seraient de nature à permettre de reconstruire sereinement la relation avec les enfants, les parents et les partenaires de l’institution. L’objectif, en effet, n’est pas de faire disparaître la Maîtrise des Hauts-de-Seine, mais au contraire de lui permettre de rayonner de nouveau, et à ses maîtrisiens d’évoluer dans un environnement sain et épanouissant. La structure devra alors se doter d’une équipe professionnelle, aussi bien en ce qui concerne les enseignants et les encadrants que les gestionnaires, autour d’un projet musical repensé, fondé sur un apprentissage réel de la musique. Par ailleurs, pour une structure comme la Maîtrise des Hauts-de-Seine, dont une partie non négligeable de l’activité est de nature commerciale, le statut associatif ne paraît guère adapté.

Il appartient également au conseil départemental des Hauts-de-Seine de prendre ses responsabilités en utilisant les leviers à sa disposition pour obtenir un changement radical de la gouvernance de la structure, sur les plans institutionnel, administratif et pédagogique.

Après l’Opéra de Paris, le Théâtre des Champs-Élysées, l’Opéra-Comique et l’ensemble des établissements collaborant avec la Maîtrise des Hauts-de-Seine ou l’accueillant doivent suspendre immédiatement leurs partenariats avec la structure afin de permettre un changement complet de gouvernance. Le processus de désengagement des partenaires semble d’ailleurs se poursuivre, car il n’est plus question de la Maîtrise des Hauts-de-Seine dans la brochure de présentation de la saison 2025-2026 du Théâtre des Champs-Élysées.

Recommandation n° 18 : diligenter une enquête du représentant de l’État dans le département sur le fonctionnement de la Maîtrise des Hauts-de-Seine et lancer un contrôle par la chambre régionale des comptes.

Recommandation n° 19 : suspendre, à titre conservatoire, l’intégralité des partenariats entre la Maîtrise des Hauts-de-Seine et les lieux et établissements où se produisent ses chanteurs.

Recommandation n° 20 : revoir en profondeur la gouvernance, l’organisation interne et l’orientation pédagogique de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, le cas échéant en transformant la forme juridique de l’établissement, de façon à le faire passer sous la tutelle du conseil départemental des Hauts-de-Seine, voire directement du ministère de la culture.

Recommandation n° 21 : à défaut de modifier la forme juridique de la structure, inscrire dans la convention liant la Maîtrise des Hauts-de-Seine au conseil départemental des engagements en matière de bien-être des maîtrisiens et de lutte contre les VHSS et conditionner clairement le financement public au respect de ces engagements.

4.   Le poids important des structures associatives culturelles accueillant des mineurs constitue une fragilité structurelle, source d’abus potentiels

Le cas de la Maîtrise des Hauts-de-Seine pose la question du contrôle des activités des maîtrises, des écoles de musique sous statut associatif ainsi que des associations de musique, mais aussi, plus largement, celui des structures associatives dispensant des enseignements artistiques aux mineurs : aucun diplôme n’est requis pour prodiguer un enseignement dans ces structures et il n’existe aucun contrôle de l’honorabilité des intervenants et des bénévoles.

Dès lors que des mineurs fréquentent de manière régulière un établissement, doivent s’y trouver des professionnels formés pour les encadrer, y compris dans un cadre associatif. Outre les enseignants, les animateurs doivent être formés. À cet égard, le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (BAFA) est nécessaire, mais il ne saurait suffire. Il convient en effet de rappeler qu’il ne s’agit ni d’un diplôme ni d’un certificat professionnel : il est destiné à exercer des fonctions d’animateur volontaire et non professionnel.

Les associations sportives sont étroitement contrôlées, de même que les accueils collectifs de mineurs dans le cadre des activités extra- ou périscolaires. Dès lors, il n’est pas concevable que les écoles associatives culturelles ne le soient pas. La situation est d’autant plus étrange que les séjours artistiques et culturels organisés par les associations sont visés par l’article R. 227-1 du code de l’action sociale et des familles, qui régit les accueils collectifs de mineurs avec et sans hébergement.

L’une des pistes d’évolution possibles pour accroître la protection des mineurs accueillis dans des structures de type associatif pour y recevoir des enseignements artistiques et culturels consisterait à inclure ces établissements dans le champ de cet article. Les intervenants et les bénévoles de ces établissements seraient alors soumis au contrôle de l’honorabilité prévu à l’article L. 133-6 du code de l’action sociale et des familles. Cet article énumère un certain nombre de motifs de condamnation frappant d’incapacité les personnes qui les ont reçues, qu’il s’agisse d’intervenants rémunérés ou de bénévoles ; parmi ces motifs figurent la plupart des faits de violence et d’agressions sexuelles. L’article visé présente aussi l’intérêt de permettre au directeur d’un établissement de « prononcer à l’encontre de la personne concernée une mesure de suspension temporaire d’activité » même lorsque la condamnation n’est pas définitive.

En outre, l’exemple de la Maîtrise des Hauts-de-Seine est révélateur des dérives qui peuvent se produire lorsque les parents sont tenus à l’écart de la gouvernance des structures. Il convient donc pour l’ensemble des associations concernées de prévoir dans leurs statuts que les parents des élèves soient représentés au conseil d’administration.

Par ailleurs, de nombreuses associations apparaissent insuffisamment informées des mesures à prendre pour lutter contre les VHSS, notamment celles visant les mineurs. Il pourrait donc être opportun d’inclure l’information sur les VHSS et la marche à suivre en cas de signalement dans les missions assignées par la loi au réseau national de soutien à la vie associative dénommé Guid’Asso ([334]).

Recommandation n° 22 : dans les associations proposant des activités et enseignements artistiques à des mineurs, faire en sorte que les parents soient systématiquement représentés au conseil d’administration.

Recommandation n° 23 : inclure les structures proposant des activités et enseignements artistiques dans le champ des accueils collectifs de mineurs sans hébergement, défini à l’article R. 227-1 du code de l’action sociale et des familles, pour soumettre ces établissements au contrôle de l’honorabilité prévu à l’article L. 133-6 du même code.

Recommandation n° 24 : modifier l’article 11 de la loi du 15 avril 2024 visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative en inscrivant, au nombre des missions assignées au réseau Guid’Asso, l’information en matière de VHSS, afin d’accompagner davantage les associations dans ce domaine.

C.   Mannequins sur catalogue : renforcer la protection des mineurs dans le milieu de la mode

Par dérogation au principe d’autorisation individuelle de travail des mineurs de moins de 16 ans, les agences de mannequin peuvent solliciter un agrément annuel régi par les articles R. 7124-8 et suivants du code du travail.

Une agence de mannequins agréée peut ainsi constituer un catalogue de mannequins mineurs, sans aucun contrôle individuel, alors que lors de la délivrance d’un agrément pour un enfant dans le domaine du cinéma, le rôle, les situations de tournage, les horaires et même la personnalité de l’enfant sont évalués. Cet agrément annuel permet à une agence de mannequinat agréée de réaliser des photographies sans spécifier si elles sont prises de jour ou de nuit, ni dans quels lieux ou espaces. En conséquence, l’inspection du travail n’a pas la possibilité d’exercer un quelconque contrôle.

Le rapporteur considère donc qu’il importe de mettre un terme à l’agrément annuel délivré aux agences de mode pour leur permettre de faire travailler des mannequins mineurs et de rétablir un système d’autorisation individuelle en rendant celle-ci annuelle et en l’assortissant d’une information de la DRIEETS avant chaque prestation.

Recommandation n° 25 : mettre un terme à l’agrément annuel délivré aux agences de mode pour leur permettre de faire travailler des mannequins mineurs et rétablir un système d’autorisation individuelle.

D.   Des abus qui s’enracinent dans les établissements d’enseignement artistique

Le terme « établissement d’enseignement », utilisé par commodité, recouvre des réalités très diverses : conservatoires à rayonnement municipal, départemental et régional, conservatoires nationaux supérieurs de musique et de danse (CNSMD), cours privés, établissements d’enseignement supérieur, etc. Certains sont sous la tutelle directe du ministère de la culture, d’autres relèvent de la gestion de collectivités territoriales, d’autres encore appartiennent au champ de l’enseignement supérieur privé à but lucratif. De nombreuses structures sont constituées sous forme d’associations, comme indiqué précédemment. Certains établissements sont accessibles à tous ou presque sans limite d’âge, comme certains conservatoires municipaux, d’autres sont accessibles à partir du baccalauréat, l’accès à certains des plus prestigieux se faisant exclusivement sur concours.

L’actualité récente a mis en évidence, une fois encore, le fait que la relation pédagogique entre des adultes et des mineurs – ou de jeunes adultes – pouvait être source de violences ; certains abuseurs trouvent même dans l’enseignement ou l’encadrement des jeunes un prétexte pour leur infliger des violences. Il serait faux de dire que les faits de violence sont généralisés dans les établissements visés, car l’écrasante majorité des personnes qui y exercent sont profondément attachées au bien-être de leurs élèves et étudiants. Toutefois, un grand nombre de ces établissements a enregistré des faits de violences, plus ou moins graves et plus ou moins anciens. En soi, ce constat est significatif. Il appelle, notamment, à s’interroger sur la persistance de certains facteurs propices à la survenue de violences, telles que les relations d’emprise et une certaine culture de l’excellence, susceptible de basculer dans la violence pédagogique. Surtout, ces mécanismes témoignent d’une continuité entre les lieux d’apprentissage des métiers artistiques et l’exercice de ces professions.

1.   Des violences qui concernent toutes les catégories d’établissement, tous les niveaux d’enseignement et toutes les disciplines

L’enquête a révélé qu’un très grand nombre d’établissements étaient concernés par des violences de tous ordres, quels que soient la discipline, le niveau d’enseignement, la catégorie d’établissement et son statut juridique.

Plusieurs affaires ont émaillé l’actualité au cours des dernières années. On pense par exemple à celle impliquant Jérôme Pernoo, professeur au CNSMD de Paris, suspendu en mars 2021 à la suite d’accusations d’agression sexuelle et licencié au terme d’un véritable feuilleton administratif et judiciaire que Mme Roselyne Bachelot, qui était ministre de la culture au moment du déclenchement de l’affaire, a relaté lors de son audition ([335]). En septembre 2023, il a été condamné à un an de prison avec sursis, avec interdiction de contact professionnel avec des mineurs pendant dix ans et inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV). Pourtant, comme l’a souligné Mme Bachelot, certains parents ont activement soutenu le professeur mis en cause.

En mars 2021, l’École de danse de l’Opéra de Paris a été le théâtre d’une agression sexuelle commise par un surveillant de nuit de l’internat contre un élève de 18 ans. L’homme lui aurait demandé de pratiquer une fellation. La direction de l’école a réagi instantanément : l’inspection académique a été informée, de même que la direction de l’Opéra et la police. Le surveillant a été suspendu immédiatement. L’Opéra l’a ensuite licencié pour faute grave. Dès le lendemain de l’agression, une psychologue a été invitée à rencontrer les enfants qui le souhaitaient. Depuis lors, un partenariat a été établi entre l’école et l’association Colosse aux pieds d’argile. Il ressort des échanges avec la direction de l’école que la mère d’un autre élève avait été informée par son fils d’une tentative d’agression deux ans auparavant et qu’elle l’avait encouragé à ne rien dire.

Au conservatoire Pierre-Barbizet de Marseille, une professeure de chant a été visée par trois plaintes pour agression sexuelle. L’enseignante a été suspendue le temps de mener une enquête interne. Selon la directrice de l’établissement, l’affaire aurait été classée sans suite. Elle a cependant fait état de « plusieurs cas d’humiliations, de brimades, de violences verbales et psychologiques, provenant autant d’hommes que de femmes et exercées essentiellement dans la relation professeur-élève, mais aussi entre agents » ([336]).

Le conservatoire à rayonnement régional de Rennes a également eu à déplorer le comportement d’un de ses enseignants, dans la section théâtre. L’homme a été accusé de violences et d’agressions sexuelles. Une première série d’accusations avait émergé en 2019, mais elles n’avaient débouché sur aucune sanction, faute d’une volonté des personnes concernées d’aller plus loin. L’affaire a rebondi en 2020, avec cette fois un dépôt de plaintes, conduisant à la suspension de l’enseignant. En 2021, son employeur, à savoir la ville de Rennes, a prononcé son licenciement, mais la décision a été annulée par le tribunal administratif, qui a ordonné sa réintégration. Depuis lors, l’homme en question n’est plus au contact avec les élèves, mais sa situation n’a toujours pas été définitivement tranchée : il est toujours employé par la structure, mais il reste chez lui…

Dans les écoles de cinéma et de théâtre, c’est aussi dans le cadre de l’organisation d’ateliers ou de masterclass avec des professionnels que les abus surviennent : demande de faveurs sexuelles en échange de conseils, agressions sexuelles, voire viols. La commission d’enquête a également reçu un signalement, fait par plusieurs associations professionnelles, relatif à un directeur de casting suspecté de harcèlement sexuel, d’agressions sexuelles et de tentative de viol, qui intervient régulièrement au sein d’écoles privées d’acteurs. Grâce à la mobilisation de ces associations professionnelles, plusieurs de ses interventions ont pu être annulées.

Durant l’enquête, des témoignages ont fait état de comportements inappropriés de la part d’enseignants, dans le cadre de cours d’art dramatique ou d’enseignements musicaux, mais aussi, bien entendu, entre les élèves eux-mêmes.

2.   La relation pédagogique et le risque d’emprise

De nombreux témoins ont insisté sur le fait que la relation entre le maître et l’élève était susceptible de conduire à des situations d’emprise, selon des mécanismes désormais bien connus et que le présent rapport a déjà mis en évidence.

Mmes Émilie Delorme, directrice du CNSMD de Paris, et Aude Portalier, directrice du conservatoire Pierre Barbizet de Marseille, ont exposé les particularités de l’enseignement artistique : celui-ci « engage des émotions et, souvent, un travail sur l’intime ainsi qu’un rapport au corps parfois complexe », comme l’a expliqué la première. La seconde, pour sa part, a pointé comme éléments fondamentaux « le tête-à-tête pédagogique, le travail sur la sensibilité, l’enseignement de l’émotion » ([337]). Ces éléments sont propices au développement de l’emprise de l’enseignant sur ses élèves. À cela s’ajoute « la forte concentration des structures d’enseignement, un enseignant peut exercer dans l’enseignement initial et dans l’enseignement supérieur. Il arrive donc qu’un même enseignant accompagne un étudiant de son plus jeune âge au Conservatoire supérieur, et soit de surcroît placé en situation d’employeur lorsqu’il dirige des ensembles ou des festivals. Cette situation est propice à l’exercice d’une influence, voire d’une emprise, tout au long d’une carrière artistique » ([338]), selon l’analyse de Mme Delorme.

La « confusion des sentiments » qui s’instaure dans un tel contexte explique le basculement qui peut avoir lieu vers une relation intime. M. Mathieu Ferey, directeur du CNSMD de Lyon, a expliqué que de telles relations étaient clairement prohibées dans son établissement – « mais si elle se produit », a-t-il ajouté « car c’est quelque chose qui nous échappe, il est très clair que la relation pédagogique doit s’arrêter. Nous avions imaginé des dispositifs dans lesquels il incombait à la direction d’y mettre fin, mais nous nous sommes aperçus que l’esprit de la déontologie à la française consistait plutôt à ce que ce soit l’agent lui-même qui, en accord avec sa propre déontologie, prenne cette décision. Considérant qu’on peut avoir besoin d’aide pour éclairer une telle décision, nous avons créé le collège de déontologie de la relation pédagogique, destiné à répondre à toutes les interrogations que les enseignants, mais pas seulement eux, peuvent avoir devant certaines zones grises. Nous avons décidé qu’il le ferait sous forme d’avis, mais en précisant clairement qu’en pareil cas, la relation pédagogique doit de toute façon s’arrêter » ([339]). Mme Émilie Delorme a confirmé l’existence de tels liens entre enseignants et étudiants, assez fréquents selon elle : « À mon entrée en fonction, j’ai reçu de très nombreux témoignages d’étudiantes qui avaient vécu une relation qu’elles avaient pensé être une relation amoureuse mais qui s’était révélée destructrice et qu’elles qualifiaient désormais de relation sous emprise, relation s’étant en outre reproduite avec d’autres étudiantes. Ces jeunes filles éprouvent une culpabilité d’avoir accepté cette relation, que nous ne savons pas traiter juridiquement. » ([340])

De nombreux établissements ont désormais pris conscience du risque d’emprise. L’instauration de relations dénuées d’ambiguïté suppose d’abord de mettre les bons mots sur la situation des uns et des autres, comme l’a souligné Mme Émilie Delorme : « nous n’employons plus la terminologie “maître-élève” : à la demande des étudiants en conseil pédagogique, il a été décidé voilà quelques années de les désigner comme tels, ce qui n’allait pas de soi. Nous parlons donc désormais de relations entre étudiants et enseignants, ce qui est symboliquement important. » ([341]) M. Mathieu Ferey, directeur du CNSMD de Lyon, a rappelé que son établissement s’était doté d’une « charte de la relation pédagogique » qui énonce « notamment que nos étudiants et étudiantes sont à la fois vulnérables dans leur développement artistique et dans leur développement personnel ». Les enseignants sont ainsi explicitement invités à prendre en compte la fragilité qui s’attache souvent à la relation pédagogique.

3.   Le culte de l’excellence et la perpétuation de cultures professionnelles violentes, terreau des violences pédagogiques et des abus

La fragilité des élèves et étudiants est accentuée par deux facteurs de risque spécifiques aux établissements entrant dans le champ de la commission d’enquête, et qui sont d’ailleurs étroitement liés : le culte de l’excellence, qui peut verser dans la violence pédagogique, et la transmission, dans les lieux d’enseignement, de cultures professionnelles marquées du sceau de la violence, au nom de l’idée selon laquelle il serait nécessaire de souffrir pour tirer de soi-même des émotions fortes et authentiques. « L’excellence est trop souvent invoquée pour justifier des formes de violence et d’humiliation exposant les enfants à de fortes pressions psychologiques » ([342]), a souligné à juste titre M. Nicolas Simeha, membre fondateur du collectif Chœurs brisés agir.

Parmi les secteurs étudiés, les milieux de la danse et de la musique insistent particulièrement sur l’exigence de la formation, gage de l’excellence. L’exigence passe par une pratique quotidienne et intensive, source de maux physiques – tendinites, troubles musculo-squelettiques, voire entorses et même fractures pour les danseurs – mais aussi de souffrances psychologiques. L’École de danse de l’Opéra de Paris accueille environ 130 élèves âgés de 9 à 18 ans, vivant pour la plupart en internat, dans des chambres confortables mais simples, dans lesquelles les possibilités de décorations personnelles sont réglementées. Leur quotidien est fait de travail et de dépassement de soi : école le matin et danse l’après-midi. Certains, en particulier les élèves étrangers – l’école recrute des élèves dans le monde entier –, ne voient que rarement leur famille. La formation des danseurs, comme du reste celle des instrumentistes qui souhaitent en faire leur métier, s’apparente à celle d’athlètes de haut niveau.

L’institution, qui a pu être pointée du doigt par le passé, a engagé un renouvellement profond de ses pratiques : si les maîtres de ballet sont toujours stricts, ils étaient auparavant réputés pour leur dureté, en vertu de l’idée largement répandue selon laquelle, pour atteindre l’excellence, il faut briser la résistance du corps et de l’esprit. Claude Gelly, précédente directrice de l’établissement, a été mise en cause pour cette conception extrêmement rigoriste de la formation des danseurs. Comme l’a souligné Mme Élisabeth Platel, directrice de l’École de danse, durant la visite de l’école, « la prise en compte de la psychologie du danseur est quelque chose de nouveau ». Mme Platel a expliqué que, dans un contexte marqué par une compétition internationale acharnée entre les écoles de danse, son établissement réfléchit quotidiennement à la manière de conserver le niveau d’excellence de l’École de danse de l’Opéra de Paris tout en étant dans la bienveillance envers les élèves. Une telle évolution est d’autant plus nécessaire que la compétition est extrêmement vive en raison du nombre de places limité au sein du ballet de l’Opéra, qui constitue le débouché naturel pour la plupart des élèves.

Si la formation des danseurs de l’Opéra produit une certaine souffrance du fait de l’exigence, du travail acharné et de la compétition, celle des acteurs est, pour sa part, imprégnée de l’idée selon laquelle une souffrance et/ou une fragilité psychologique permettrait d’atteindre l’authenticité, une sorte de vérité artistique, ce qui renvoie aux analyses précédentes concernant la valorisation de la souffrance dans le processus de création artistique. Comme l’a souligné une actrice entendue à huis clos, « nous l’avons d’ailleurs appris en cours : plus on est malmené, meilleur on est sur le plateau ». La même personne ajoutait : « Depuis que je suis petite, la violence fait partie du métier ; elle est même sublimée : on m’a convaincue que c’est parce que je souffre qu’un réalisateur est heureux. » La comédienne Agathe Pujol a confirmé cette analyse en déclarant : « Les actrices […] sont poussées à bout dans la vraie vie pour être les plus aptes à travailler l’expérience “sacrée” du théâtre. » ([343]) « L’élève doit avoir tellement envie de travailler qu’il ou elle doit tout accepter, y compris la souffrance, comme si ne pas souffrir signifiait ne pas se donner suffisamment », avait exposé Mme Camille Pawlotsky, représentante de HF+ Hauts-de-France, devant la première commission d’enquête ([344]).

Compte tenu de la persistance de pratiques déviantes dans certains établissements, il convient de lancer un vaste plan de lutte contre les violences pédagogiques. L’enjeu dépasse évidemment les lieux d’enseignement visés par la commission d’enquête : un tel plan doit concerner l’ensemble des établissements, y compris les écoles, collèges et lycées, mais il importera de porter une attention particulière à l’enseignement des disciplines artistiques.

Recommandation n° 26 : lancer un vaste plan de lutte contre les violences pédagogiques incluant tous les établissements et toutes les disciplines.

Par ailleurs, très généralement, on observe une absence de suivi psychologique des élèves et étudiants dans les établissements dispensant des formations d’excellence. Dans la mesure où ces jeunes sont soumis à un stress particulier en raison de la compétition très vive qui prévaut dans ces milieux, il semble essentiel de développer des dispositifs de prise en charge psychologique. Au-delà, et de façon plus générale, un suivi médical renforcé est également nécessaire.

Recommandation n° 27 : organiser et rendre obligatoires dans tous les établissements des protocoles de prise en charge médicale et psychologique des enfants.

Contre l’attachement archaïque à la souffrance qui reste trop répandu, il importe de faire la promotion de la bienveillance dans les pratiques pédagogiques. Comme l’a souligné Mme Camille Pawlotsky, il faut réhabiliter la notion de plaisir dans l’apprentissage. « Le plaisir de jouer, de découvrir un milieu, d’acquérir des outils, tout ce qui est joyeux dans l’apprentissage, n’est pas valorisé. Les compétences sont perçues comme des outils à acquérir dans un travail » ([345]). De toute évidence, cette approche est particulièrement marquée en ce qui concerne les pratiques artistiques.

Une telle évolution est d’autant plus indispensable que, par ailleurs, de nombreuses études scientifiques ont mis en évidence le caractère bénéfique de la pratique artistique pour le développement physique, intellectuel et émotionnel des enfants. Briser les jeunes gens dans le cadre de pratiques artistiques représente un gâchis collectif inacceptable.

En outre, il importe de ne pas opposer pratique artistique et réussite scolaire, comme le montrent les excellents résultats d’un établissement comme le collège Rognoni, que la commission d’enquête a eu à cœur d’entendre dans le cadre de ses travaux.

Le collège Rognoni, « école des enfants du spectacle »

L’école des enfants du spectacle a été créée en 1924 par Raymond Rognoni, pensionnaire de la Comédie française, qui s’était ému du sort « des enfants comédiens qui se couchaient tard le soir, assistaient aux répétitions dans la journée, et n’avaient pas le temps d’acquérir une instruction dans une école normale. Ces enfants étaient pratiquement illettrés. Il réussit, à force de démarches, à obtenir l’ouverture d’une école pour ces petits comédiens, dans les locaux abandonnés d’une école communale de la rue du Cardinal Lemoine » (1). Initialement, l’école proposait des cours l’après-midi et offrait un accompagnement en danse et théâtre. Elle assurait ainsi une certaine protection aux enfants artistes. Créée sous la forme d’une association, elle est rapidement devenue publique : elle dépend aujourd’hui de l’Éducation nationale. L’établissement s’est élargi au collège dans les années 1960. Il réunit désormais le collège Rognoni et l’école Cardinal-Lemoine, offrant aux élèves artistes et sportifs de haut niveau un aménagement des horaires à mi-temps qui leur permet de pratiquer une activité intensive en dehors du temps scolaire.

Les enfants sont accueillis dans l’établissement à partir du CM1 et jusqu’à la fin de la troisième. L’école Cardinal-Lemoine est constituée de deux classes de CM1-CM2 à double niveau, comprenant 48 élèves au total. Le collège est composé de huit divisions allant de la sixième à la troisième, à raison de 26 élèves par classe, et d’une unité localisée d’inclusion scolaire (ULIS) troubles du spectre autistique, composée de 10 élèves. En dehors de ceux de l’ULIS, tous les élèves pratiquent une activité artistique ou sportive en dehors des heures scolaires telle que théâtre, comédie, cirque, musique, danse, GRS, patinage artistique, gymnastique, natation, équitation, escrime, tennis, tennis de table, échecs ou arts plastiques, au sein de plus de 80 structures différentes. Cette activité occupe au minimum douze heures en moyenne de leur emploi du temps par semaine, en plus du temps scolaire.

Les deux entités sont intimement liées dans leur fonctionnement, la responsabilité de l’école élémentaire étant déléguée au chef d’établissement du collège, constituant ainsi un modèle unique dans l’enseignement public. L’école et le collège sont hors secteur : tout élève habitant en Île-de-France peut se porter candidat du moment que le temps de transport reste raisonnable (une heure trente de trajet tout au plus, soit trois heures quotidiennes).

Les emplois du temps des classes sont conçus selon deux modalités de « mi-temps », avec des « classes du matin » et des « classes de l’après-midi ». Les horaires aménagés ne permettent pas de respecter les horaires réglementaires de l’école ni du collège. Les écoliers travaillent sur une plage horaire de 21 heures 15 au lieu de 24 heures, et l’emploi du temps des collégiens permet de placer au maximum 25 séances d’une durée de 50 minutes, au lieu des 26 heures hebdomadaires. Pour autant, la réussite des élèves de l’établissement est exemplaire, ce qui démontre qu’il est tout à fait possible de concilier enseignement scolaire et enseignement artistique.

Le modèle de cet établissement unique en France gagnerait à être proposé dans tous les départements.

(1)    Marie-Thérèse Naudon, L’École des enfants du spectacle. Historique de la réalisation d’une utopie, 2002.


Les enseignants du collège Rognoni sont particulièrement attentifs à la question de la continuité de la scolarité des enfants lors des tournages ou des tournées, tout en reconnaissant que l’accompagnement des élèves dans ces circonstances laisse à désirer. On imagine donc sans peine ce qu’il en est dans les établissements « ordinaires ». Il importe donc de renforcer le contrôle de la scolarité des élèves pendant les tournages.

4.   Vers une meilleure formation des futurs professionnels de la culture

M. Gilles Lellouche, lors de la table ronde d’acteurs réunis à huis clos, évoquant l’absence de formation au risque de VHSS, a formulé un constat qui vaut encore très largement : « À mon époque, non seulement il n’y avait pas de formation, mais il n’était pas même fait allusion à ce qui allait arriver dans nos vies d’actrices et d’acteurs. Les professeurs ne nous mettaient pas du tout en garde, peut-être parce que les professeurs de théâtre n’ont pas forcément l’expérience du terrain – certains en restent plutôt à la théorie. Jamais on ne nous a alertés sur les dangers qui surviennent lors des castings ou dans le quotidien d’un tournage qui dure dix jours ou deux mois. Il y a quelque chose à faire dans le cadre de la formation, qu’elle soit publique ou privée. » ([346])

Mme Rima Abdul Malak, ancienne ministre de la culture, en réponse à une sollicitation du rapporteur, a souligné elle aussi « l’utilité qu’aurait un module d’initiation au droit du travail dans toutes les formations » ([347]) : « les étudiants ne doivent pas être formés seulement à jouer des scènes de théâtre. Un jour, ils seront confrontés à des castings, ils joueront dans des films et ils doivent connaître suffisamment leurs droits. De plus, s’ils créent une compagnie, ils peuvent se trouver eux-mêmes employeurs d’intermittents du spectacle, et ils doivent avoir un minimum de connaissances du droit du travail dans cette optique-là aussi. »

Les formations au droit du travail et aux VHSS dans les écoles du secteur de la culture sont un enjeu majeur pour la sensibilisation et la protection des futurs professionnels. Pourtant, ces formations restent balbutiantes, dans le secteur public comme privé.

Dans les écoles publiques relevant du ministère de la culture ou de l’Éducation nationale, la formation au droit du travail est souvent absente des cursus obligatoires. Lorsque des modules de formation existent, ils restent limités en volume horaire et en profondeur. Par exemple, l’École de danse de l’Opéra de Paris ne propose aucune formation en droit du travail à destination des futurs danseurs en fin de cursus scolaire. La FEMIS, quant à elle, commence à intégrer des modules sur l’environnement juridique du travail, notamment pour le cursus « Production ». Toutefois, lors du déplacement de la commission d’enquête dans ses locaux, les étudiants ont estimé ne pas être suffisamment informés sur leurs droits en tant que futurs professionnels.

La sensibilisation aux violences sexistes et sexuelles apparaît plus répandue, notamment au sein des conservatoires ou encore de l’Orchestre français des jeunes, où la rentrée constitue l’occasion d’effectuer certains rappels à cet égard.

Dans les écoles privées, certaines grandes écoles ou établissements liés à des fédérations professionnelles commencent à intégrer des modules de sensibilisation, mais beaucoup restent très en retard sur ces questions. Par exemple, le Cours Cochet-Delavène et le Cours Florent ne dispensent aucune formation obligatoire sur le droit du travail ou les VHSS. Néanmoins le Cours Florent dispose d’un bureau casting, qui intervient en première année pour faire de la prévention et mettre en garde les élèves vis-à-vis des annonces sauvages sur internet.

Des interrogations sur l’enseignement supérieur privé dans l’art

Le groupe Galileo, dont BPI France détient 10 % du capital, regroupe 60 écoles accueillant 85 000 étudiants en France. Parmi elles figurent plusieurs établissements d’art renommés, tels que le Cours Florent ou Penninghen.

Ce groupe est mis en cause (1) pour sa recherche de rentabilité, qui se traduit par une augmentation du nombre d’élèves, une baisse du niveau de sélection des enseignants, une hausse des frais d’inscription et une réduction des heures d’enseignement. Ces pratiques entraînent une détérioration de la qualité pédagogique et des conditions de travail, soulevant des inquiétudes quant à de possibles violences pédagogiques.

(1) Claire Marchal, Le Cube, Flammarion, 2025.

L’absence de formation structurée sur le droit du travail et les VHSS dans les écoles de la culture expose les étudiants à des risques importants une fois entrés dans le milieu professionnel. Face à ce constat, la ministre de la culture, Mme Rachida Dati, a indiqué vouloir « renforcer la connaissance du droit du travail avec des modules obligatoires sur la santé et la sécurité au travail. Dans le cas des écoles supérieures qui dépendent du ministère de la culture, je demanderai que des modules soient ouverts dès la rentrée 2025. Dans un ministère où il y a peu d’apprentissage et d’alternance, j’ai souhaité créer une direction de l’enseignement et de la formation. » ([348]) Ce faisant, elle reprenait l’une des propositions formulées dès la première commission d’enquête.

Le plan de lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels dans la culture 2025-2027 prévoit ainsi la mise en place de modules consacrés au droit du travail en matière de santé et de sécurité dans les écoles nationales supérieures de la culture. Quant à la direction générale de la formation et de l’enseignement, elle devrait être opérationnelle d’ici à l’été 2025 ; elle constituera un lieu de ressources et permettra de coordonner l’action des écoles en matière de formation à la santé et à la sécurité au travail.

Au regard de ces éléments, le rapporteur partage la nécessité d’instaurer une formation obligatoire et systématique au droit du travail et aux VHSS, sanctionnée par un examen, dans toutes les écoles, publiques comme privées. Le développement de formations plus systématiques permettrait de mieux préparer les étudiants aux réalités du secteur et de renforcer la prévention des abus, en assurant un environnement de travail plus sûr et plus respectueux des droits de chacun. À cette fin, il apparaît nécessaire de créer un cadre réglementaire imposant ces formations comme une condition d’accréditation des établissements d’enseignement artistique et culturel.

Recommandation n° 28 : inclure un module de formation, sanctionné par un examen, dédié au droit du travail et à la prévention des violences morales, sexistes et sexuelles dans le tronc commun de toutes les écoles, privées et publiques, du secteur culturel.

 


   Troisième partie :
Si la lutte contre les violences dans la culture a connu des avancÉes majeures, il demeure nÉcessaire de gÉNÉraliser les meilleures pratiques

I.   un cadre juridique renforcé sous l’impact du mouvement MeToo, mais encore trop souvent mÉconnu des employeurs et des justiciables

« La justice nous ignore, on ignore la justice. » ([349])

Les propos de l’actrice Adèle Haenel dépassent sa propre histoire et font indéniablement écho à de nombreux témoignages oraux et écrits reçus par la commission d’enquête. Lorsqu’il s’agit d’affaires de violences sexuelles, les mots des victimes traduisent très souvent une perte de confiance envers l’institution judiciaire, qui explique pour une large part leur silence.

A.   Un renforcement des outils prÉvus par le droit pÉnal et une amÉlioration de la prise en charge des victimes

Au-delà du mouvement MeToo dans le monde du cinéma, du spectacle vivant, de la musique et du mannequinat, une prise de conscience générale s’est opérée dans la société. Depuis 2018, le législateur a adopté plusieurs lois visant à élargir le champ des infractions sexuelles réprimées par le code pénal, afin de mieux prévenir ces agissements et de lutter contre la récidive. Il a également allongé les délais de prescription applicables aux infractions sexuelles et consacré des moyens inédits pour améliorer la prise en charge des victimes de violences sexistes et sexuelles par les services judiciaires.

1.   Une multiplication des infractions spécifiques pour prévenir et lutter contre la récidive

En réponse à la prise de conscience du faible niveau de répression des violences sexistes et sexuelles, le législateur a précisé les infractions existantes et créé de nouvelles infractions sexuelles.

● L’article 222-23 du code pénal définit le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». L’élément matériel du viol se compose d’un acte de pénétration sexuelle et de l’emploi de violence, contrainte physique ou morale, menace ou surprise.

Afin d’encourager les juridictions à retenir la qualification de viol s’agissant de relations sexuelles imposées à des mineurs, la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a souhaité faciliter la démonstration de la contrainte ou de la surprise, en précisant qu’elles peuvent résulter d’une différence d’âge significative entre l’auteur et la victime mineure voire, pour les mineurs de 15 ans, être caractérisées « par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes » ([350]).

Par la suite, aux termes de l’article 222-23-1, introduit par la loi n° 2021‑478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de 15 ans ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins 5 ans. Les rapports sexuels entre un mineur de 15 ans et un majeur d’au moins cinq ans son aîné ([351]) sont depuis cette date pénalement réprimés en tant que tels, sans que la preuve d’une violence, d’une contrainte, d’une menace ou d’une surprise doive être apportée. La question du consentement ne se pose donc plus pour les mineurs de 15 ans.

Contrairement à la législation d’autres pays, comme la Suède ou le Canada, le code pénal français ne mentionne pas explicitement l’absence de consentement dans la définition légale du viol. Depuis plusieurs années, cette question est soulevée à la fois par les parlementaires et la doctrine. Différents arguments et modèles sont avancés.

Une première proposition vise à introduire le concept de consentement dans la définition du viol, sans modifier les textes actuels. Cette évolution présenterait au moins trois avantages. Premièrement, elle serait potentiellement moins sous‑inclusive que la définition actuelle, en invitant le juge à reconnaître l’existence d’un viol même en l’absence de violence, contrainte, menace ou surprise. Deuxièmement, elle alignerait la loi sur la jurisprudence et la représentation commune du viol, et répondrait également à certaines exigences internationales ([352]). Troisièmement, dans un souci de pédagogie, elle contribuerait à mettre au centre l’enjeu du consentement de la personne.

Toutefois, plusieurs auteurs soulignent que cette évolution serait insuffisante. Premièrement, si la loi ne définit pas plus précisément les critères du consentement, cette définition risque de demeurer sous-inclusive. En effet, si les juges considèrent qu’un refus, voire une résistance, est nécessaire pour signaler l’absence de consentement, l’évolution ne sera guère marquée par rapport à la situation actuelle. L’introduction du consentement pourrait donc poser des problèmes d’interprétation et de preuve, notamment en cas de doute quant à l’absence explicite de consentement.

Deuxièmement, en mettant l’accent sur le comportement de la victime, cette définition risque de déresponsabiliser les auteurs. Il leur sera en effet toujours loisible de plaider, s’agissant de l’élément moral de l’infraction, qu’ils n’étaient pas conscients de l’absence de consentement de la victime. In fine, cela risque de faire peser sur la victime la charge de la preuve de l’absence de consentement.

Troisièmement, mettre au centre le consentement de la victime risque de détourner le regard des conditions structurellement inégalitaires dans lesquelles ce consentement est donné. De la même manière qu’en droit du travail le consentement du salarié n’est pas la seule pierre de touche de son contrat – en raison de l’inégalité entre employés et employeurs, le droit prévoit qu’il est certaines clauses auxquelles le salarié ne saurait consentir – on ne saurait conclure, du fait des inégalités entre les hommes et les femmes, qu’un viol n’a pas eu lieu simplement en raison de l’absence d’un « non ».

Lors des auditions, plusieurs victimes ont du reste témoigné en ce sens, comme cette personne entendue à huis clos : « On met en avant que “non, c’est non”. Mais parfois, on n’arrive pas à dire non ; et pourtant, notre corps exprime le refus, ça se sent. Nous sommes des êtres doués d’intelligence sensorielle, nous sentons qu’un tout petit oui murmuré du bout des lèvres, c’est un non. Quand quelqu’un n’a pas envie, c’est évident. »

Une seconde proposition, défendue par Mme Catherine Le Magueresse, juriste, consiste à définir le viol par l’absence de consentement positif. Il s’agit de créer une obligation pour les parties de s’enquérir du consentement de l’autre. L’accusé ne pourra pas simplement arguer qu’il n’était pas conscient du manque de consentement de la victime : il devra avoir pris des « mesures raisonnables » pour s’assurer de ce consentement.

Cette approche, souligne Catherine Le Magueresse ([353]), présente trois avantages. Premièrement, elle est bien plus inclusive que la définition actuelle. Deuxièmement, s’agissant de l’élément matériel de l’infraction, elle élimine la tentation d’exiger que la victime ait résisté pour pouvoir caractériser le viol. Son partenaire devra vérifier qu’il y a consentement, ce ne sera pas à la victime de manifester qu’il n’y en a pas. Troisièmement, s’agissant de l’élément moral de l’infraction, cette définition rend plus difficile d’alléguer que l’accusé n’avait pas compris que la victime n’était pas consentante. Enfin, cette définition présente des vertus pédagogiques. En encourageant les partenaires à s’assurer du consentement de l’autre, elle diffuse des comportements intimes plus respectueux au-delà des cas de poursuites pénales.

Différentes critiques ont néanmoins été adressées à cette conception. Dans la pratique, peu de gens s’assurent explicitement et régulièrement du consentement d’autrui pendant une relation sexuelle. La définition par le consentement positif risque donc d’être sur-inclusive, en qualifiant de viols des relations où, de fait, rares sont ceux qui auraient considéré que la victime n’était pas consentante. Le risque d’écart entre la prescription légale et les pratiques réelles rendrait très floue la frontière entre viol et non-viol, et ferait peser sur les rapports sexuels un risque constant de poursuite pénale.

Par ailleurs, une telle définition risquerait d’ouvrir la voie à des débats interminables devant les juridictions de jugement, portant de nouveau non plus sur l’élément intentionnel de l’auteur mais sur le comportement de la victime, ce qu’elle a fait ou non. C’est déjà trop souvent le cas. Il ne faut pas aggraver cette situation. Or si l’on en vient à définir un crime par l’attitude et le comportement de la victime, on prend encore plus le risque de faire son procès en lieu et place de celui du mis en cause. Il ne faut pas oublier que le droit pénal consiste d’abord à définir une infraction avant de définir le comportement de la victime.

Toutefois, le rapporteur est conscient de la vertu pédagogique et symbolique du droit pénal. Partant, il ne s’oppose pas à l’inscription dans la définition pénale des agressions sexuelles de la notion de non-consentement. Il estime néanmoins que cela doit se faire avec prudence, afin d’éviter tout effet de bord néfaste aux victimes. Il faut en tout état de cause éviter la tentation de définir trop largement la notion de consentement à l’article 222-22 du code pénal. Une rédaction trop exhaustive peut prêter en défense à des interprétations a contrario, préjudiciables aux victimes. Une définition simple nous évite de tomber dans cet écueil et permet une meilleure appréhension de la loi.

La consommation de substances psychoactives lors de fêtes

Les auditions menées par la commission d’enquête ont mis en lumière la consommation banalisée de substances psychoactives lors d’événements festifs et sur le temps de travail dans le secteur culturel.

Lors de son audition, Mme Flore Benguigui a ainsi indiqué : « L’alcool est un vrai problème dans ce milieu. Les musiciens en consomment systématiquement, quelle que soit l’heure du concert. Mes anciens collègues, par exemple, insistaient pour avoir une bouteille d’alcool fort dans leur loge, même lorsque nous jouions à quatorze heures trente. Un environnement alcoolisé, masculin, où l’on travaille la nuit, avec des gens qui se croient tout permis, qui n’ont pas l’habitude qu’on leur pose des limites, parce qu’ils sont “des artistes”, est un terrain favorable aux agressions. » (1)

De fait, il a souvent été question, au cours des auditions, de faits de harcèlement et d’agressions sexuelles sous l’emprise d’alcool et de stupéfiants, cette circonstance étant d’ailleurs considérée comme atténuante par les auteurs des faits. Elle contribue également, lorsque les victimes sont concernées par la prise de produits toxiques, à freiner la libération de la parole compte tenu d’une forme de culpabilité à l’égard de ce qui est perçu rétrospectivement comme une mise en danger volontaire.

Si l’usage de stupéfiants est interdit en France, même à titre personnel, depuis la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, il n’est plus possible de se prévaloir d’une altération de son discernement – et donc de prétendre à une atténuation de la peine – si la prise de produits psychoactifs, illicite ou manifestement excessive, est volontaire (article 122-1-2 du code pénal).

Par ailleurs, l’article 222-30-1 du code pénal punit de cinq ans d’emprisonnement « le fait d’administrer à une personne, à son insu, une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes afin de commettre à son égard un viol ou une agression sexuelle ». Cette disposition vise à réprimer spécifiquement les actes dits de « soumission chimique », où une substance est administrée à une victime sans son consentement, dans le but de faciliter une agression sexuelle ou un viol.

(1) Compte rendu  31 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425031_compte-rendu.

● Les agressions sexuelles à proprement parler sont quant à elles définies en creux par l’article 222-27 du code pénal : ce sont des atteintes sexuelles commises avec violence, contrainte, menace ou surprise qui ne reposent pas sur l’acte de pénétration sexuelle. Depuis 2021, l’article 222‑29-2 précise également, s’agissant de mineurs de 15 ans, que l’agression sexuelle est constituée dès lors que la différence d’âge est d’au moins cinq ans, sans qu’il soit nécessaire d’établir la preuve d’une violence, contrainte, menace ou surprise.

C’est pour de tels faits que le réalisateur Christophe Ruggia a récemment été condamné à quatre ans d’emprisonnement. Il a été déclaré coupable par le tribunal correctionnel, en première instance, d’agressions sexuelles sur l’actrice Adèle Haenel, qui tenait le premier rôle de son film Les Diables, tourné en 2001, alors qu’elle était âgée de 12 à 14 ans. Il a fait appel de cette décision.

● L’article 222-32 du code pénal punit « l’exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible au regard du public ». De tels faits ont hélas été relatés à plusieurs reprises devant la commission d’enquête s’agissant d’acteurs qui, sous couvert de scènes d’intimité ou de nudité à tourner, restaient nus sur le plateau durant un laps de temps bien supérieur à ce qui était requis par le tournage de ladite scène.

● Enfin, le harcèlement sexuel est défini par l’article 222-33 du code pénal comme « le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

Est par ailleurs assimilé à du harcèlement sexuel « le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

En 2001 et 2003, le réalisateur Jean-Claude Brisseau a été accusé par quatre actrices de faits de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle. Lors de son procès, en 2005, certaines personnes se sont indignées de ce qu’elles percevaient comme un procès fait au cinéma d’auteur, alors que Jean-Claude Brisseau était pour eux un « artiste blessé » et un « innocent fondamental ». Une vingtaine de jeunes femmes, dont certaines mineures au moment des faits, ont été entendues au cours du procès, qui s’est conclu par une condamnation, en première instance, à un an d’emprisonnement.

● Depuis 2018, l’outrage sexiste ([354]), constitué par le fait « d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante », est puni d’une contravention de 3 750 euros, notamment lorsqu’il a été commis par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ou sur un mineur. À la différence du harcèlement sexuel, la répétition des faits n’est pas exigée. Là encore, les exemples dont dispose la commission sont légion.

Le retrait de la Légion d’honneur

À la suite des propos tenus par l’acteur Gérard Depardieu lors d’une visite en Corée, et aux déclarations politiques relatives au retrait de sa Légion d’honneur, la commission d’enquête a souhaité clarifier les cas dans lesquels cette distinction pouvait être retirée.

Le retrait de la Légion d’honneur, de l’ordre national du Mérite ou de la Médaille militaire peut intervenir sur deux fondements. D’une part, le code de la Légion d’honneur prévoit une exclusion automatique dès lors qu’un individu est condamné par la justice pour un crime, ou bien à une peine d’au moins un an d’emprisonnement ferme, même pour un simple délit. Dans ces situations, aucune étude approfondie du comportement n’est requise : la décision d’exclusion est immédiate (article R. 91 du même code).

D’autre part, en l’absence de condamnation, une procédure disciplinaire peut être engagée à l’initiative du grand chancelier de l’ordre lorsque l’on considère qu’une personne a manqué à l’honneur ou s’est rendue coupable d’un comportement scandaleux. Cette procédure, à caractère discrétionnaire, débute par l’envoi d’un courrier à la personne concernée, qui dispose d’un délai d’un mois pour faire valoir ses observations. Le dossier est ensuite examiné par le conseil de l’ordre, instance collégiale composée de seize membres. Le conseil, présidé par le grand chancelier, peut proposer une censure, une suspension temporaire ou une exclusion définitive de l’ordre. La décision finale revient au grand maître de l’ordre, c’est-à-dire au Président de la République. L’ensemble de la procédure est mené dans la plus stricte confidentialité, et ce n’est qu’une fois la sanction prononcée que celle-ci peut éventuellement être publiée au Journal officiel.

Lorsque les faits sont prescrits ou classés sans suite, aucune procédure disciplinaire n’est engagée, à moins que la personne concernée ne reconnaisse publiquement sa responsabilité. En revanche, si une affaire est en cours devant la justice, la grande chancellerie s’interdit d’intervenir tant qu’aucune décision définitive n’a été rendue. Ce principe a pour effet paradoxal de rendre certains individus momentanément protégés, alors même que d’autres faits sont avérés. Le rapporteur estime souhaitable que la mise en examen conduise à une suspension automatique et temporaire de l’ordre.

2.   Un allongement des délais de prescription pour les infractions commises sur des mineurs

En matière de procédure pénale, les délais de prescription ont été allongés pour l’ensemble des infractions, sans que cela ne concerne en particulier les violences sexistes et sexuelles. Le législateur a par ailleurs défini un cadre de prescription spécifique pour les mineurs, en particulier s’agissant des infractions à caractère sexuel.

a.   L’allongement général des délais de prescription de droit commun par la loi du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale

La prescription permet d’instituer un délai au terme duquel l’action publique est éteinte, les faits perdant leur caractère infractionnel. La prescription de l’action publique repose sur des fondements variés : moral – lié à l’écoulement du temps et à l’oubli –, procédural – une sanction de l’inaction des personnes habilitées à agir – et probatoire – crainte d’un dépérissement des preuves.

La loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale est le fruit d’une initiative parlementaire transpartisane des députés Alain Tourret et Georges Fenech. Elle partait du constat que le droit de la prescription, largement hérité du code d’instruction criminelle de 1808, était devenu complexe, inadapté à l’exigence de répression des infractions, notamment criminelles, et insuffisamment respectueux du principe de sécurité juridique.

Elle est venue doubler le délai de prescription de droit commun en matière criminelle et délictuelle. Désormais, aux termes des articles 7 à 9 du code de procédure pénale, les contraventions se prescrivent par un an, les délits par six ans et les crimes par vingt ans – ou trente ans dans certains cas limitativement énumérés : terrorisme, trafic de stupéfiants, prolifération d’armes de destruction massive, eugénisme, disparition forcée, etc.

Le code de procédure pénale prévoit un certain nombre de cas permettant l’interruption des délais de prescription. L’article 9-2 prévoit ainsi que la prescription est interrompue par différents actes d’enquête et de jugement. L’article 9-3, résultant de la loi du 27 février 2017 précitée, prévoit quant à lui que : « Tout obstacle de droit, prévu par la loi, ou tout obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure, qui rend impossible la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique, suspend la prescription ». La question a pu se poser de savoir si la chambre criminelle de la Cour de cassation allait se saisir de cet article pour suspendre la prescription de l’action publique en présence d’une victime ayant souffert d’une amnésie traumatique l’ayant empêchée de déposer plainte dans le délai légal. Cette solution a toutefois été écartée par la Cour de cassation sous l’empire des dispositions législatives antérieures ([355]), et cette lecture a été confirmée par un arrêt de 2018 ([356]). Le rapporteur est favorable à un débat sur la prise en compte de l’amnésie traumatique.

b.   L’aménagement des délais de prescription et de leur point de départ pour répondre au mouvement de libération de la parole des victimes

En matière de prescription des infractions sexuelles, le législateur a été conduit à définir un cadre juridique particulier, doublement dérogatoire : l’allongement des délais et le principe de prescription glissante.

● Les délais de prescription applicables aux crimes sexuels commis sur un mineur ont été régulièrement allongés au cours des dernières années :

– jusqu’en juillet 1989, le délai de prescription de l’action publique était de dix ans à compter des faits, conformément au droit commun ;

– la loi n° 89-487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance a prévu qu’en cas de crime sur un mineur commis par un ascendant ou par une personne ayant autorité, le délai de prescription de dix ans est rouvert ou court à nouveau pour la même durée à compter de la majorité du mineur ;

– la loi n° 98‑468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs a élargi à toutes les infractions sexuelles commises sur des mineurs, quel qu’en soit l’auteur, la règle selon laquelle le délai de prescription court à compter de la majorité de la victime ;

– la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité a allongé le délai de prescription de dix à vingt ans à compter de la majorité de la victime. Elle a également modifié le régime d’application dans le temps des règles de prescription, qui sont désormais rétroactives même si elles ont pour conséquence d’aggraver la situation de l’auteur ;

– enfin, la loi du 3 août 2018 précitée a allongé le délai de prescription en matière de crimes sexuels sur mineurs, le portant à trente années à compter de la majorité de la victime.

● Par ailleurs, pour mieux protéger les enfants, la loi du 21 avril 2021 précitée a introduit un principe de prescription glissante, principe jusque-là inédit en matière de prescription.

L’article 7 du code de procédure pénale dispose désormais que, s’agissant d’un viol, en cas de commission sur un autre mineur par la même personne avant l’expiration de ce délai d’un nouveau viol, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle, le délai de prescription est prolongé, le cas échéant, jusqu’à la date de prescription de la nouvelle infraction. L’article 8 du même code prévoit le même principe s’agissant d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle commise sur un mineur. Le rapporteur estimerait souhaitable d’ouvrir le débat sur la possibilité d’étendre à tout le moins cette prescription glissante aux crimes sexuels commis à l’encontre de personnes majeures.

 

Recommandation n° 29 : ouvrir le débat sur la possibilité d’appliquer la prescription glissante aux crimes sexuels commis à l’encontre de personnes majeures.

La consultation du casier judiciaire et du FIJAISV

En France, la consultation du casier judiciaire est strictement réglementée afin de protéger la vie privée. Il existe trois types de bulletin au sein d’un même casier judiciaire :

– Le bulletin n° 1 est un relevé intégral des condamnations, y compris celles effacées après les délais prévus par la loi. Sa consultation est réservée aux autorités judiciaires (1) ;

– Le bulletin n° 2 est un relevé partiel des condamnations correspondant à des crimes et des délits. Toutefois, il ne comporte pas les condamnations bénéficiant d’une réhabilitation judiciaire ou de plein droit, celles prononcées à l’encontre des mineurs, celles prononcées pour contraventions de police ou encore celles prononcées avec sursis. Sa consultation est réservée à certaines administrations et organismes publics, principalement dans le cadre d’un recrutement. Les dirigeants de personnes morales de droit public ou privé exerçant auprès des mineurs une activité culturelle peuvent obtenir la délivrance du bulletin n° 2 du casier judiciaire pour le recrutement d’une personne, à condition qu’il ne mentionne aucune condamnation (2) ;

– Le bulletin n° 3 est un relevé très partiel du casier judiciaire, comportant les condamnations les plus graves pour crimes et délits supérieures à deux ans d’emprisonnement, qui ne peut être délivré qu’à la personne concernée (3).

En complément du casier judiciaire, le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) a été créé par un amendement à la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II (4). Ce fichier s’inscrit dans le développement de nouveaux moyens informatiques pour lutter contre la délinquance sexuelle. Son objectif est préventif, mais il peut également servir à l’identification des auteurs des infractions donnant lieu à inscription.

À l’origine, ce fichier ne recensait que les auteurs d’infractions sexuelles sur mineurs prévues par l’article 706-47 du code de procédure pénale. Son périmètre a été étendu par la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, pour inclure les auteurs de certains crimes particulièrement graves. Les personnes pouvant être inscrites sont non seulement des personnes condamnées, mais également celles dont la situation a donné lieu à une composition pénale, à un ajournement de peine et même à un non-lieu, lorsque le juge d’instruction le décide, ou encore à une simple mise en examen avec placement sous contrôle judiciaire.

L’accès au FIJAISV est très restreint : seuls les autorités judiciaires, les officiers de police judiciaire, les préfets et les agents habilités de certaines administrations publiques peuvent le consulter (5). Les articles 20 et 21 de la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants ont généralisé la vérification des antécédents des personnes en contact avec des mineurs. En revanche, les particuliers et les employeurs privés n’ont pas accès à ce fichier.

(1) Article 774 du code de procédure pénale.

(2) Article 776 du code de procédure pénale.

(3) Article 777 du code de procédure pénale.

(4) Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004.

(5) Article 706-53-7 du code de procédure pénale.

3.   Une prise en charge des victimes par les services judiciaires en progrès mais encore insuffisante

a.   Des difficultés persistantes malgré une meilleure formation des policiers et gendarmes au recueil de la parole

● Le traitement des affaires de violences sexistes et sexuelles par les services de police et de gendarmerie a indéniablement connu des évolutions positives ces dernières années.

S’agissant de la formation des forces de l’ordre, la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ([357]) modifie l’article 21 de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes ([358]) pour instaurer une obligation de formation initiale et continue sur les violences faites aux femmes et sur les mécanismes d’emprise psychologique pour le personnel de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale.

Depuis plusieurs années, les forces de l’ordre bénéficient de dispositifs destinés à améliorer la prise en charge et l’accueil des victimes. Parmi ces dispositifs, les kits de formation « Anna » (sur les violences au sein du couple) et « Elisa » (sur les violences sexuelles) sont utilisés. Conçus par la mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et de lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), ces kits comprennent un court-métrage, un livret d’accompagnement et une fiche réflexe pour aider à l’audition des victimes.

S’agissant de l’accompagnement des victimes, des brigades spécialisées et des référents dédiés ont été mis en place. Selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes ([359]), on recense :

 3 référents nationaux sur les violences au sein du couple et intrafamiliales ;

– 624 dans les territoires, dont 20 dans les outre-mer ;

– 460 intervenants sociaux en commissariats et/ou en gendarmerie ;

– 74 pôles psycho-sociaux et 81 psychologues en commissariat ;

– 144 permanences d’associations d’aide aux victimes ;

– 101 maisons de protection des familles.

L’accompagnement numérique a également été renforcé grâce à la plateforme de signalement des atteintes aux personnes et d’accompagnement des victimes (PNAV). Ce service de messagerie instantanée, accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, permet d’échanger avec des policiers et des gendarmes formés en matière de violences sexistes et sexuelles, de violences conjugales, de discriminations et de cyberharcèlement. En 2023, 11 561 conversations liées aux violences sexistes et sexuelles ont été traitées par les services de police. Parmi elles, 40 % concernaient des faits de violences hors du couple. Au total, 9 511 signalements ont été transmis aux services de police, de gendarmerie ou aux pôles psycho-sociaux pour un suivi.

Enfin, la prise en charge médico-légale des victimes de violences sexistes et sexuelles est un élément central dans la prise en charge des victimes. Le réseau de médecine légale du vivant comprend 47 unités médico-judiciaires (UMJ), qui prennent en charge les victimes majeures et mineures et assurent la recherche et la conservation des preuves. Les victimes peuvent être accueillies en UMJ sur réquisition judiciaire ou dans le cadre d’un recueil de preuves sans dépôt de plainte. Ce service est gratuit et confidentiel. Chaque examen donne lieu à la rédaction d’un certificat médical, décrivant les lésions physiques et/ou le retentissement psychologique, avec une évaluation de l’incapacité totale de travail (ITT) au sens pénal. En 2023, selon l’Observatoire national des violences faites aux femmes, 64 997 victimes de violences sexistes et sexuelles ont été prises en charge dans une UMJ. Toutefois, la répartition inégale des UMJ sur le territoire et la surcharge de travail de ces structures peuvent nuire à la qualité de l’accueil des victimes.

L’actrice Adèle Haenel a témoigné de la qualité du traitement policier qui lui a été réservé : « J’ai eu face à moi des policiers tout à fait dévoués à leur travail, minutieux, dans la compréhension sans être partisans. Ils écoutaient, prenaient le temps, n’abrégeaient pas et cherchaient à établir les faits de manière respectueuse. On m’a consacré du temps, des moyens. Si je reste à mon niveau, la qualité du traitement est exceptionnelle, et ce devrait être le cas pour tout le monde. » ([360])

● Néanmoins, la commission a reçu plusieurs témoignages – dont il faut souligner qu’ils concernaient souvent des plaintes déposées il y a plusieurs années – laissant penser que des progrès sont encore possibles, notamment pour prendre en compte la spécificité des VSS dans le monde de la culture.

Comme l’a souligné Mme Mélodie Molinaro, « il faudrait également former les officiers de police aux spécificités du spectacle. J’ai reçu le témoignage d’une actrice : elle expliquait dans sa plainte s’être mise nue lors d’un casting, pour une scène qui exigeait qu’on soit à l’aise avec son corps ; le policier lui a affirmé que si elle s’était mise toute nue, elle était une pute. » ([361]) Les témoignages et les informations transmises par les associations spécialisées dans l’accompagnement des victimes font état d’une tendance persistante à parfois considérer la parole des victimes de violences sexuelles avec circonspection. Cette défiance se manifeste notamment par une minimisation des témoignages, par l’expression de doutes dès le dépôt de plainte, par un refus d’enregistrer celle-ci, par l’exigence de niveaux de preuve ou de justification disproportionnés, ce qui contribue à dissuader les victimes de porter plainte.

Cette culture du doute s’exprime également à travers le stéréotype de la « bonne victime », déjà évoqué dans la première partie du présent rapport. La police peut ainsi se méprendre sur la crédibilité de la victime si elle ne manifeste pas une détresse émotionnelle apparente, si elle continue à avoir une vie sociale, si elle a une vie sexuelle habituellement active ou si elle connaissait son agresseur, insinuant ainsi une responsabilité partagée.

L’expérience de Mme Christine Berrou illustre ce mécanisme : « J’ai listé pendant deux heures toutes les violences physiques et morales que j’avais subies de la part de Yassine Belattar. Quand j’ai évoqué l’agression sexuelle, le policier m’a dit que, comme il y avait déjà eu un baiser consenti quelques semaines plus tôt, cela allait être compliqué de me faire entendre sur ce terrain. Il m’a convaincue, probablement parce que j’avais extrêmement honte. Je n’ai donc pas porté cette agression à l’attention de la justice et je le regrette amèrement aujourd’hui. » ([362])

Face à ce constat, Mme Anne Bouillon, avocate, rappelle que « plusieurs pays ont décidé d’adopter une mesure simple : l’interdiction d’investiguer sur la sexualité. Les femmes peuvent avoir peur que leur passé amoureux et sexuel fasse l’objet d’une investigation et qu’il leur soit ensuite opposé. » ([363]) À l’instar des restrictions imposées sur l’enquête du passé sexuel des victimes au Canada ([364]), au Royaume-Uni ([365]) ou encore en Nouvelle-Zélande ([366]), le rapporteur estime souhaitable d’analyser cette proposition de façon approfondie, pour que les investigations sur le passé sexuel des plaignantes ne puissent plus être utilisées pour les discréditer.

Recommandation n° 30 : étudier la possibilité d’encadrer les investigations sur le passé sexuel des plaignants dans le cadre des enquêtes de police relatives à une plainte pour violences sexuelles.

De plus, afin de renforcer la protection des victimes contre toute forme de représailles, le rapporteur souhaite ouvrir une réflexion sur la possibilité de permettre le dépôt de plainte anonyme pour les victimes de violences sexistes et sexuelles.

Recommandation n° 31 : ouvrir une réflexion sur la possibilité de permettre le dépôt de plainte anonyme pour les victimes de violences sexistes et sexuelles.


Au total, seules 2 % des femmes victimes de harcèlement sexuel, d’exhibition sexuelle et/ou d’envoi d’images à caractère sexuel non sollicité ont déposé une plainte auprès des forces de l’ordre. Parmi les victimes n’ayant pas signalé les faits :

        36 % pensaient que cela ne servirait à rien ;

        20 % estimaient que ce n’était pas assez grave ;

        10 % craignaient que leur témoignage ne soit pas pris au sérieux ;

        2 % préféraient éviter tout contact avec la police ou la gendarmerie ;

        2 % ont mentionné une mauvaise expérience lors d’une déclaration passée.

Au total, 50 % des femmes victimes n’ayant pas fait de déclaration exprimaient un manque de confiance ou une méfiance quant à l’efficacité des procédures judiciaires. Par ailleurs, 2 % estimaient que déposer plainte aurait représenté une épreuve supplémentaire ([367]).

Parmi les femmes victimes de violences sexuelles, seulement 6 % se sont rendues au commissariat ou à la gendarmerie pour déposer plainte. Parmi celles qui ne l’ont pas fait :

– 38 % disaient manquer de confiance dans l’efficacité des procédures ;

– 23 % pensaient que « cela n’aurait servi à rien » ;

– 15 % craignaient que leur témoignage ne soit pas pris au sérieux ;

– 23 % estimaient que « ce n’était pas assez grave » ([368]).

Ce constat plaide en faveur d’une amélioration encore plus poussée du traitement judiciaire des faits de violences sexuelles.

b.   Une amélioration nécessaire du traitement judiciaire des affaires de VHSS

● M. Éric Dupond-Moretti, alors garde des sceaux, a rappelé au Sénat, le 1er février 2024, que la répression des violences sexuelles progressait en France et que les peines prononcées étaient sévères : « Le nombre de condamnations de majeurs pour viol a augmenté de 30 % depuis 2017, passant de 960 en 2017 à 1 260 en 2022. Le nombre de condamnations de majeurs pour agression sexuelle est passé de 5 617 en 2017, à 7 485 en 2022. […] Le quantum des peines prononcées en matière de viol, qui est de onze ans en moyenne, est l’un des quantums les plus élevés en Europe. […] Ces chiffres démontrent que l’on ne saurait conclure à l’inaction de la justice ou à une quelconque impunité. Je veux donc mettre en garde tous ceux qui tiennent publiquement ce discours dont l’effet délétère et dévastateur est susceptible de décourager bon nombre de victimes. » ([369])

Le traitement judiciaire par les procureurs généraux et les procureurs de la République, tant au stade de l’enquête qu’à celui des poursuites et du jugement, a effectivement fait l’objet de plusieurs directives visant à garantir un meilleur traitement des affaires de violences sexistes et sexuelles.

La circulaire du 25 novembre 2017, relative au traitement des plaintes déposées pour des infractions sexuelles, demande aux parquets de veiller à la qualité du recueil de la plainte de la victime, d’instaurer un circuit de traitement identifié et un suivi attentif des plaintes. Elle insiste également sur la nécessité d’un accompagnement des victimes de ces infractions en sollicitant la mise en œuvre d’une évaluation personnalisée, conformément à l’article 10-5 du code de procédure pénale. Par ailleurs, la dépêche du 26 février 2021, relative au traitement judiciaire des infractions sexuelles susceptibles d’être prescrites, encourage les procureurs à diligenter systématiquement des enquêtes lorsqu’ils sont informés de faits anciens pouvant être frappés par la prescription.

Enfin, la prise en compte des intérêts des victimes au cours de la procédure pénale a motivé la publication du décret n° 2022-656 du 25 avril 2022. L’article D. 1-10 du code de procédure pénale confie notamment l’évaluation des besoins de la victime de violences sexuelles, requise ou ordonnée par le procureur de la République ou le magistrat instructeur, à une association d’aide aux victimes dont les professionnels ont été spécifiquement formés à la prise en charge des victimes. Par ailleurs, l’article D. 15-3-2 du code de procédure pénale prévoit désormais que le procureur qui classe sans suite une procédure en application de l’article 40-2 du code de procédure pénale doit dorénavant informer la victime qu’elle peut demander une copie du dossier.

Enfin, il convient de noter que le budget alloué à l’aide aux victimes a été porté à 47 millions d’euros en 2024, contre 26 millions d’euros en 2017.

● Malgré les améliorations soulignées par le garde des sceaux lors de son audition par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat précitée, les auditions menées dans le cadre de la commission d’enquête montrent que le traitement judiciaire des faits de violences sexistes et sexuelles doit encore être largement amélioré.

Lors de son audition, Mme Violaine De Filippis-Abate, avocate, dresse le constat suivant : « Les enquêtes sont trop lacunaires et les actes d’investigation sont trop peu nombreux. Mes confrères et mes consœurs ne comprennent pas le niveau élevé du taux de classements sans suite : l’une des raisons est que le manque d’éléments empêche la tenue d’une audience. Les avocats et les magistrats ne voient pas toujours l’origine du problème : tant qu’il n’y aura pas d’enquête, il n’y aura pas d’audience. » ([370])

Pour remédier à l’absence d’enquête, elle propose « d’établir un principe simple : quand une femme dépose plainte, on ne condamne certes pas l’accusé sur parole mais on ouvre une enquête. Cela nous permettra de dire à ces femmes que le téléphone et l’ordinateur seront saisis et que l’accusé sera auditionné comme cinq à six personnes de l’entourage : actuellement, il nous est impossible d’expliquer cela à nos clientes car ces enquêtes n’ont pas lieu. Les plaintes sont souvent classées sans qu’aucune recherche ait été conduite. » ([371])

Le rapporteur partage ce constat et regrette le très faible nombre d’actes d’enquête concernant les violences sexistes et sexuelles. Il apparaît indispensable, à tout le moins, que des investigations soient systématiquement diligentées pour ces infractions.

Recommandation n° 32 : rendre systématique le déclenchement d’une enquête et la réalisation d’actes d’investigation en cas de dépôt de plainte pour des faits de VHSS.

En outre, le manque d’information des victimes pendant le temps de l’enquête constitue une difficulté majeure. Trop nombreuses sont celles qui, après avoir déposé plainte, restent sans nouvelles de l’avancement de leur dossier pendant plusieurs années. De nombreuses femmes entendues par la commission d’enquête ont témoigné de cette absence d’informations concernant les suites de leur affaire : « Il n’a jamais été convoqué par la police. J’ai ensuite appris dans la presse que mon témoignage allait être mis de côté. » ([372])

Ce manque d’informations affecte également les établissements où se sont produits des faits de violences. Lors du déplacement de la commission d’enquête dans les locaux de l’École de danse de l’Opéra de Paris, sa directrice, Mme Élisabeth Platel, a exprimé son regret de ne disposer d’aucune information concernant le dépôt de plainte effectué en mars 2021 contre un surveillant, mis en examen pour des faits de violences sexuelles sur mineur au sein de l’école.

Par ailleurs, afin d’améliorer la prise en charge des victimes de VHSS, la création de pôles spécialisés au sein de tous les tribunaux apparaît essentielle. Les pôles dédiés à la lutte contre les violences intrafamiliales annoncés en mai 2023 pourraient être étendus aux violences morales, sexistes et sexuelles intervenant dans le cadre professionnel, pour permettre une meilleure réactivité et une coordination plus efficace des acteurs de la chaîne judiciaire, garantissant ainsi un accompagnement adapté et une instruction plus rapide des affaires.

Recommandation n° 33 : étendre les pôles judiciaires spécialisés dans les violences intrafamiliales aux violences morales, sexistes et sexuelles intervenant dans le cadre professionnel.

Enfin, il est essentiel d’améliorer l’accès à la justice pour les plaignantes. Au-delà du coût personnel et psychologique de la dénonciation des violences sexuelles, cette démarche représente également une charge économique lourde pour les victimes. Lors de son audition, Mme Elsa de Belilovsky a rappelé que le dépôt d’une plainte n’était pas anodin : « Porter plainte, c’est tout un cheminement ; cela prend du temps et cela coûte cher » ([373]).

Le recours aux services d’un avocat constitue une dépense importante, en particulier lorsque la victime n’est pas éligible à l’aide juridictionnelle. Or l’assistance d’un professionnel du droit dès le début de la procédure, c’est-à-dire dès le dépôt de plainte, est primordiale pour garantir un suivi judiciaire efficace de l’affaire, comme l’a souligné Me Violaine De Filippis-Abate : « On demande aux femmes de tenir un discours clair, cohérent et argumenté, mais elles ne peuvent y arriver seules tant elles sont submergées par la mémoire traumatique, le stress post-traumatique voire le déni – d’où l’importance de la présence d’un avocat lors du dépôt de plainte. Un discours incohérent chez une femme victime d’agression sexuelle est la preuve qu’elle a été agressée ! » ([374])

La ministre de la culture a parfaitement conscience de ces difficultés, puisque, prenant en compte nos auditions, elle préconise, dans son nouveau plan de lutte contre les VSS 2025-2027, de renforcer l’accompagnement de la cellule Audiens auprès des victimes, notamment en finançant l’assistance d’un avocat pour la rédaction d’une plainte auprès du procureur de la République, mais aussi en mettant en place une aide forfaitaire pour financer l’assistance d’un avocat lors du dépôt de plainte lui-même et de la confrontation avec l’agresseur présumé. Si le rapporteur est bien sûr favorable à ces mesures, il estime souhaitable d’aller plus loin en prévoyant une aide juridictionnelle sans condition de ressources au moment du dépôt de plainte, et ce pour toutes les victimes de violences sexuelles.

Recommandation n° 34 : prévoir une aide juridictionnelle de plein droit pour le dépôt de plainte, pour toutes les victimes de VHSS.

B.   Une meilleure prise en compte des VHSS par le droit du travail, qui s’adapte progressivement aux spÉCIFICITÉs du secteur culturel

1.   Une protection renforcée dans la fonction publique

Le droit de la fonction publique encadre strictement les faits de violences sexistes et sexuelles sur le lieu de travail en imposant des obligations précises visant à protéger les agents et à sanctionner les auteurs.

a.   Les obligations de prévention des employeurs publics

L’article L. 133-1 du code général de la fonction publique (CGFP) définit le harcèlement sexuel comme : « des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à [la dignité de l’agent public] en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Il assimile également au harcèlement sexuel « toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

Conformément à l’article L. 136-1 du CGFP, l’employeur public est tenu de prendre toutes les dispositions appropriées pour garantir aux agents des conditions de travail préservant leur santé et leur intégrité physique. La formation constitue le principal levier de prévention contre ces violences. Les actions de formation ont pour objectifs de sensibiliser et informer les agents sur ce que sont les violences sexuelles, et de clarifier le cadre légal et les sanctions encourues afin de permettre aux victimes d’identifier les comportements inappropriés.

Au-delà de la formation de tous les agents publics, le Défenseur des droits ([375]) recommande de former plus spécifiquement :

-         les membres des instances représentatives à l’identification, à la qualification et au traitement des différents types de situations de violences sexistes et sexuelles, ainsi qu’à l’écoute et à l’accompagnement des agents victimes ;

-         les enquêteurs internes, en particulier sur la définition du harcèlement sexuel et sur le principe de l’aménagement de la charge de la preuve et plus généralement les violences sexistes et sexuelles ;

-         les membres des commissions administratives paritaires et des instances disciplinaires, afin de garantir une application rigoureuse du cadre juridique en matière de harcèlement sexuel ;

-         les encadrants, agents publics et titulaires de mandats électifs, afin de leur permettre de prévenir ces situations et d’agir efficacement en cas de signalement.

b.   Une procédure d’enquête interne structurée permettant de mieux protéger les parties

Au-delà de la prévention, l’article L. 135-6 du CGFP impose à toutes les administrations de mettre en place des dispositifs de signalement, de traitement et de suivi des violences sexuelles et sexistes ainsi que des discriminations. Les articles R. 135-1 à R. 135-10 du CGFP détaillent précisément les modalités de ces dispositifs, qui doivent comporter :

1° une procédure de recueil des signalements, garantissant la confidentialité et la protection de l’identité des victimes et des témoins ;

2° une procédure d’orientation des victimes, permettant leur prise en charge par des services spécialisés (accompagnement psychologique, soutien juridique, etc.) ;

3° une procédure d’orientation vers les autorités compétentes, pour assurer la protection fonctionnelle et le traitement des faits signalés (enquête administrative, mesures conservatoires, éventuelles sanctions).

L’acte mettant en place ces procédures doit préciser :

– les modalités de dépôt d’un signalement, les éléments de preuve requis et les interlocuteurs dédiés ;

– les obligations d’information de l’administration envers l’auteur du signalement sur l’avancement de sa demande ;

– les mesures garantissant la stricte confidentialité des signalements, tant pour les victimes que pour les témoins et les mis en cause.

En pratique, les dispositifs de signalement peuvent être internalisés, externalisés ou hybrides. Tout signalement doit obligatoirement être traité, une carence de l’administration constituant une faute. Les précisions prévues par le droit de la fonction publique assurent une meilleure protection des victimes de VHSS que le droit commun : la procédure de traitement garantit le respect des droits de chacun.

Lorsqu’un fait susceptible de constituer une violence sexiste ou sexuelle est signalé, l’autorité disciplinaire doit diligenter une enquête administrative dans les plus brefs délais pour établir la matérialité des faits reprochés. Le Défenseur des droits ([376]) insiste sur l’importance de garantir l’impartialité et la compétence des enquêteurs.

De plus, l’article L. 134-6 du CGFP prévoit que si l’administration est informée d’un risque manifeste d’atteinte grave à l’intégrité physique d’un agent, elle doit prendre sans délai des mesures conservatoires pour faire cesser le risque et prévenir l’aggravation des dommages. Ces mesures doivent être proportionnées et limitées dans le temps.

En l’absence de preuves, seule l’enquête administrative permettra d’établir la matérialité des faits reprochés. Lorsque ces derniers présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité, des mesures dans l’intérêt du service peuvent être engagées, telles que l’octroi de la protection fonctionnelle à titre conservatoire ou la mise à l’écart temporaire de l’auteur des faits au moyen de la suspension en cas de faute grave présentant un caractère vraisemblable pour une durée maximale de quatre mois ([377]). Le changement d’affectation de la personne mise en cause peut aussi être mis en œuvre à condition d’être en mesure de le justifier par l’intérêt du service et non par une volonté de sanctionner.

Cette durée a toutefois été jugée insuffisante par plusieurs personnes entendues. Cette limitation peut entraver la protection des victimes et le bon déroulement des enquêtes en cas de violences et harcèlements sexistes et sexuels. Mme Émilie Delorme, directrice du CNSMD de Paris, témoigne que « ce délai ne nous permet pas de faire notre travail correctement, compte tenu notamment des congés scolaires. J’insiste sur ce point : quatre mois, ce n’est pas assez pour informer de l’ouverture d’une enquête, constituer une cellule, lancer des invitations, auditionner tout le monde – on sait que la parole est lente à se libérer – et, si besoin, réunir une commission consultative paritaire (CCP) en formation disciplinaire. On se retrouve donc à réintégrer les individus quatre mois après leur exclusion sans que l’affaire ait été traitée dans son entier. […] Le temps que la parole se libère complètement peut être très long – cela se compte parfois en années. On fait de premiers entretiens, puis des demandes complémentaires arrivent progressivement : même si on a planifié une enquête un peu rapide avec des moyens importants, on se rend compte alors qu’on n’y arrivera jamais. Par ailleurs, la vraie difficulté d’une CCP interne est de se retrouver à juger des collègues. Souvent, le quorum n’est pas atteint et il faut donc reconvoquer la commission, ce qui peut prendre beaucoup de temps. » ([378])

M. Mathieu Ferey, directeur du CNSMD de Lyon, a précisé : « Certes il faut le temps de mener l’enquête, mais lorsque l’on envisage de prendre des sanctions lourdes – et une exclusion de plusieurs mois en fait partie – il faut aussi réunir une commission consultative paritaire et suivre un formalisme très précis. Il doit falloir au moins un mois pour rassembler les pièces, les communiquer et réunir la commission. Nous avons fait une fois tenir l’ensemble en quatre mois, c’est-à-dire l’enquête et la réunion de la commission : non seulement ce n’est pas idéal, mais cela peut conduire à faire des erreurs. » ([379])

Les responsables du conservatoire à rayonnement régional de Rennes et M. Benoît Careil, adjoint au maire de Rennes chargé de la culture, se sont heurtés à la même difficulté lorsqu’ils ont dû traiter le cas du professeur de théâtre visé par des accusations d’agression sexuelle : au bout de quatre mois, la personne en question a été réintégrée, ce qui a suscité l’émoi des élèves et des autres enseignants.

Il apparaît donc nécessaire de permettre le renouvellement de cette période afin d’adapter la durée de la mise à l’écart à la complexité des situations et à l’avancement des procédures disciplinaires.

Recommandation n° 35 : permettre le renouvellement de la mise à l’écart temporaire d’un agent public en cas d’enquête administrative relative à des VHSS.

Si, à l’issue de l’enquête, une faute disciplinaire est reconnue, l’article L. 530-1 du CGFP dispose que « toute faute commise par un fonctionnaire [ou un agent contractuel] dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale ». Les sanctions possibles sont détaillées dans l’article L. 533-1 du même code et varient selon la gravité des faits (avertissement, blâme, exclusion temporaire, révocation, etc.).

Les faits susceptibles de constituer une faute se prescrivent par trois ans à compter du jour où l’administration a eu connaissance des faits. Il convient de rappeler que l’engagement d’une procédure pénale ne fait pas obstacle au déclenchement d’une procédure disciplinaire. Inversement, une sanction disciplinaire peut être prononcée sans qu’une infraction pénale ait été constatée.

2.   Pour le secteur privé, un cadre juridique légal désormais robuste, complété par des avancées significatives permises par les conventions collectives

À titre liminaire, il convient de rappeler que l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en application de l’article L. 4121-1 du code du travail. Le harcèlement sexuel ou moral est considéré comme une forme de violence au travail. À titre préventif, le droit du travail édicte des obligations pour l’employeur ; à titre curatif, plusieurs mécanismes visant à protéger le salarié sont également prévus.

a.   Une obligation légale de prévention et de protection des salariés en matière de violences morales et sexuelles

i.   Une obligation légale de prévention à la charge de l’employeur

● L’article L. 1152-1 du code du travail proscrit le harcèlement moral constitué par des agissements répétés sur un salarié « qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Très récemment, la chambre criminelle de la Cour de cassation a reconnu, à l’occasion de l’affaire des suicides de France Télécom, le « harcèlement moral institutionnel » qui résulte « d’une politique d’entreprise conduisant en toute connaissance de cause, à la dégradation des conditions de travail des salariés » ([380]).

Quels que soient la taille ou le secteur d’activité de l’entreprise, l’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir ou faire cesser les agissements de harcèlement moral ([381]).

● L’article L. 1153-1 du code du travail interdit le harcèlement sexuel d’un salarié. Celui-ci est de deux sortes :

– les propos ou comportements à connotation sexuelle non désirés et répétés « qui soit portent atteinte à [la dignité du salarié] en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante », qu’ils soient le fait d’une personne ou de plusieurs ayant agi de façon unique ;

– la pression grave dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle (dit « harcèlement sexuel assimilé ») : « toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

Les agissements de harcèlement peuvent émaner de toute personne, l’auteur des faits et la victime n’étant pas nécessairement placés dans un rapport hiérarchique.

L’évolution de la définition juridique du harcèlement sexuel

La définition du harcèlement sexuel a connu plusieurs évolutions majeures en France. Jusqu’en 2012, l’article L. 1153-1 du code du travail définissait le harcèlement sexuel comme « les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers », une formulation quasi identique à celle du code pénal. Toutefois, cette définition était jugée trop imprécise, rendant son application incertaine et contestable.

C’est dans ce contexte que le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a censuré l’article 222-33 du code pénal (1). Cette décision a été motivée par la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, ainsi que par l’absence de clarté, de précision et de sécurité juridique. Cette censure a provoqué un vide juridique immédiat en matière pénale. Néanmoins, les dispositions du code du travail, non concernées par la QPC, sont restées en vigueur, créant ainsi une incohérence législative.

Face à cette situation, le législateur est intervenu rapidement pour combler ce vide et apporter une définition plus précise du harcèlement sexuel. La loi n° 2012-954 du 6 août 2012 a modifié l’article 222-33 du code pénal, en définissant plus clairement le harcèlement sexuel. Cette réforme a aussi conduit à l’alignement du code du travail sur cette nouvelle définition pénale.

Quelques années plus tard, la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 est venue renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes en modifiant de nouveau l’article 222-33 du code pénal, sans toutefois modifier le code du travail, maintenant ainsi une disparité dans les définitions juridiques. Cette incohérence a été corrigée par la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021, qui a harmonisé la définition du harcèlement sexuel dans le code du travail avec celle du code pénal.

(1)    Cons. const., 4 mai 2012, n° 2012-240 QPC.

La chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu que des faits commis à l’extérieur de l’entreprise peuvent être pris en compte dès lors qu’ils ne sont pas étrangers à la relation de travail ([382]) (cf. encadré infra). Enfin, la jurisprudence ([383]) affirme que le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes ou vulgaires qui lui deviennent insupportables. En l’espèce, il s’agissait d’une rédactrice dans un journal qui invoquait un environnement de travail ponctué de blagues salaces, de propos insultants et de photographies à connotation sexuelle sur les murs de l’open space et les fonds d’écran d’ordinateurs.

La responsabilité de l’employeur hors du lieu et du temps de travail

Le harcèlement sexuel ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise et peut engager la responsabilité de l’employeur même lorsque les faits se déroulent en dehors du temps et du lieu de travail, dès lors qu’ils ont un lien avec l’activité professionnelle. La jurisprudence a ainsi progressivement précisé les conditions dans lesquelles l’employeur peut être tenu responsable et les situations où sa responsabilité est écartée.

Dès 2011, la Cour de cassation a validé le licenciement pour faute grave d’un salarié qui avait adressé des propos à caractère sexuel à deux collègues par messages électroniques et lors de soirées organisées après le travail. La Cour a estimé que ces agissements, bien que commis en dehors du cadre professionnel, ne relevaient pas de la vie personnelle du salarié, dans la mesure où ils concernaient des personnes avec lesquelles il était en contact en raison de son travail (1).

De même, la Cour de cassation a jugé que l’abus de pouvoir hiérarchique dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles constitue un harcèlement sexuel, même lorsque les faits ont eu lieu en dehors du temps et du lieu de travail (2). Cette décision souligne que la relation de travail peut suffire à établir un lien entre l’employeur et les agissements fautifs d’un salarié, indépendamment du cadre dans lequel ils ont eu lieu.

(1)    Cass. soc., 19 octobre 2011, n° 09-72.672.

(2)    Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-12.930.

L’employeur, tenu de prendre « toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner » ([384]), est ainsi soumis à des obligations spécifiques en matière de prévention du harcèlement sexuel :

informer et former les salariés, stagiaires et candidats sur la thématique du harcèlement sexuel ([385]) ;

désigner un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes pour les entreprises de plus de 250 salariés ([386]) ;

– mentionner dans le règlement intérieur de l’entreprise les dispositions du code du travail relatives au harcèlement sexuel ainsi qu’aux agissements sexistes ([387]) ;

– élaborer une procédure interne de signalement et de traitement de faits de harcèlement sexuel ([388]).

Si le cadre juridique encadrant le harcèlement sexuel et moral au travail est clairement établi par le code du travail et consolidé par la jurisprudence, sa connaissance effective par les employés et les employeurs demeure un enjeu majeur. En pratique, nombre de salariés ignorent les contours précis des infractions, les recours possibles ou encore l’étendue des responsabilités des employeurs en la matière. Ainsi, l’efficacité des dispositifs légaux ne repose pas uniquement sur leur existence, mais également sur leur appropriation par les salariés et leur mise en œuvre effective au sein des entreprises.

ii.   L’obligation faite aux employeurs de traiter les cas de violences morales et sexuelles

● En cas de signalement, l’employeur est tenu de le traiter par le déclenchement d’une enquête. L’enquête interne menée par l’employeur en cas de signalement de harcèlement est prévue par l’article 4 de l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 relatif au harcèlement et à la violence au travail, qui dispose que toute plainte doit être suivie d’une enquête et traitée sans retard. Toutefois, dans un arrêt du 12 juin 2024 ([389]), la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé qu’il n’existe pas d’obligation légale pour l’employeur de diligenter une enquête interne dès lors qu’il a pris des mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité du salarié.

De plus, le code du travail ne précise pas les modalités de cette enquête, laissant ainsi la jurisprudence en définir progressivement les contours. L’évolution de la jurisprudence montre un renforcement de l’obligation pesant sur l’employeur en matière d’enquête interne sur les faits de harcèlement sexuel. L’absence d’enquête ou une enquête insuffisante est sanctionnée, et des garanties procédurales encadrent désormais la manière dont l’enquête doit être menée (cf. encadré ci-après).

Les règles jurisprudentielles applicables à l’enquête interne

La jurisprudence a progressivement défini les conditions dans lesquelles doit se dérouler une enquête interne. Dès 2011, la Cour de cassation a établi que l’employeur a l’obligation d’effectuer des investigations approfondies lorsqu’il a connaissance d’un éventuel harcèlement sexuel ou moral (1). Son abstention est considérée comme une faute engageant sa responsabilité, ce qui signifie que l’absence d’enquête, ou une enquête insuffisante, peut exposer l’employeur à des sanctions.

Cette position est réaffirmée en 2014, lorsque la Cour de cassation juge qu’un employeur manque à son obligation de protection de la santé et de la sécurité des salariés s’il n’a pas diligenté une enquête sérieuse en dépit de signalements (2). En 2019, les juges vont plus loin en affirmant que le défaut d’enquête interne constitue une violation de l’obligation de prévention des risques professionnels, entraînant un préjudice pour le salarié, même si aucun harcèlement n’est finalement établi (3).

L’enquête interne doit également respecter certaines garanties procédurales. La Cour de cassation rappelle en 2020 que l’employeur n’est pas tenu d’auditionner l’ensemble des collaborateurs du service concerné, pourvu que l’enquête soit menée de manière impartiale et exhaustive (4). De plus, en 2022, la Cour précise que le salarié mis en cause n’a pas de droit automatique à être informé de l’enquête ni à accéder aux pièces recueillies. Le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire intervient plus tard, devant les juridictions compétentes en cas de contentieux (5).

Concernant la loyauté des preuves, la Cour de cassation a précisé en 2021 que l’enquête interne menée à la suite d’un signalement de harcèlement sexuel n’est pas soumise aux règles de l’article L. 1222-4 du code du travail, qui encadre la collecte d’informations sur les salariés. Ainsi, une enquête confiée à un organisme extérieur ne constitue pas une preuve déloyale (6).

Le comité central d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) de la production cinématographique propose une application concrète de ces principes jurisprudentiels : il a élaboré un kit de prévention détaillé, qui fournit des outils pratiques pour accompagner l’employeur dans la mise en œuvre d’une enquête interne. Ce document comprend notamment des fiches explicatives précisant le déroulement des entretiens avec la victime présumée, l’auteur du signalement et la personne mise en cause. (6)

Enfin, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle qu’une enquête interne concluant à l’absence de harcèlement ne lie pas le juge pénal. Si ce dernier constate que l’employeur a abusé de son pouvoir de direction au détriment de la santé d’un subordonné, il peut retenir l’existence d’un harcèlement, indépendamment des conclusions de l’enquête (7).

(1) Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-70.902.

(2) Cass. soc., 9 juillet 2014, n° 13-16.797.

(3) Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 18-10.551.

(4) Cass. soc., 8 janvier 2020, n° 18-20.151.

(5) Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20‐22.220.

(6) CCHSCT, Kit de prévention VHSS.

(7) Cass. crim., 8 juin 2010, n° 10-80.570.

Afin de clarifier le cadre législatif applicable, le rapporteur préconise d’inscrire dans le code du travail l’obligation pour l’employeur de diligenter une enquête interne en cas de VHSS et d’y inscrire également les principes, dégagés par la jurisprudence, encadrant la conduite d’une enquête interne.

Recommandation n° 36 : inscrire dans le code du travail l’obligation de diligenter une enquête interne et les principes jurisprudentiels régissant le déroulement d’une enquête interne.

Par ailleurs, l’une des particularités du milieu culturel réside dans le fait que les signalements de VHSS interviennent fréquemment après la fin d’un tournage ou d’une représentation. Dans ces situations, les employeurs estiment souvent qu’ils ne sont pas tenus de mener une enquête interne, au motif que la relation de travail est terminée. Or il est essentiel que chaque signalement fasse l’objet d’une enquête interne, indépendamment de la temporalité des faits ou de la fin du contrat de travail. Cette démarche permettrait d’établir les responsabilités et de prévenir la répétition des comportements inappropriés.

Recommandation n° 37 : rendre obligatoire la conduite d’enquêtes internes en cas de signalement de VHSS, y compris lorsque la relation de travail a pris fin.

● Lors des auditions, le rapporteur a en outre constaté que les structures confrontées à des faits de harcèlement diligentant des enquêtes internes recouraient parfois à des cabinets externes ou à des avocats spécialisés dans ces questions.

Toutefois, ce recours à la sous-traitance pour la gestion des enquêtes relatives aux violences au travail soulève plusieurs préoccupations. D’une part, ces enquêtes représentent un coût économique élevé, estimé entre 10 000 et 15 000 euros, une charge particulièrement lourde pour les petites structures du secteur culturel.

Mme Marie Becker, fondatrice du cabinet Aequality, indique que le coût de la réalisation d’une enquête « varie en fonction de sa complexité, de son périmètre, du nombre de personnes à auditionner, des conditions dans lesquelles elle va se dérouler et surtout de la capacité financière de l’employeur. S’il s’agit d’une petite association, il est évident que nous ferons un effort, mais notre temps, notre expertise et notre méthodologie ont nécessairement un coût. À cet égard, il est vrai que la question du protocole est très importante, car il existe des enquêtes qui ne sont absolument pas sérieuses. […] Ainsi, pour un dossier “facile”, par exemple si des éléments de preuve matériels ont déjà été compilés, le coût d’une enquête pourra être inférieur à 10 000 euros. Cela étant, pour une enquête rigoureuse de deux mois, et suivant les circonstances et notre capacité à nous mobiliser rapidement, le prix moyen sera plutôt de 15 000 euros. » ([390]) M. Enrique Thérain, délégué général de l’orchestre Les Siècles, a même indiqué avoir dépensé près de 150 000 euros pour une enquête interne.

Les petites structures ne disposant pas toujours des ressources nécessaires pour mener une enquête interne, le rapporteur recommande la création, au sein du ministère de la culture, d’un service d’enquête dédié aux organismes placés sous sa tutelle.

Recommandation n° 38 : créer un service d’enquête au sein du ministère de la culture pour les organismes placés sous sa tutelle.

D’autre part, l’absence de réglementation encadrant ces prestataires pose un problème : aucune exigence en matière de qualification, de méthodologie ou de fiabilité ne leur est imposée. À ce jour, il n’existe ni cadre légal strict définissant les compétences requises pour mener ces enquêtes, ni certification garantissant la fiabilité des acteurs privés qui en ont la charge. De plus, ces organismes ne présentent pas de réelles garanties d’indépendance dans la mesure où les employeurs sont à l’origine de la commande et du financement de l’enquête, ce qui peut soulever des interrogations quant à l’impartialité des conclusions rendues.

Face à ces difficultés, il est nécessaire d’instaurer une certification obligatoire pour les entités spécialisées dans la conduite d’enquêtes en droit du travail, garantissant ainsi leur sérieux et leur compétence. Le rapporteur partage en cela la position de la ministre de la culture. Il serait en outre utile que les acteurs culturels puissent se tourner vers des structures identifiées, connaisseuses des spécificités du fonctionnement de leurs secteurs.

Recommandation n° 39 : créer une certification pour les structures assurant des enquêtes internes et labelliser les structures spécialisées dans la culture.

 Concomitamment au déclenchement de l’enquête, l’employeur peut prendre des mesures conservatoires supplémentaires visant à assurer la sécurité de ses salariés et à faire cesser le trouble, dans l’attente d’une sanction définitive. Ces mesures, qui ne constituent pas des sanctions disciplinaires, ont pour objectif de prévenir tout risque de récidive ou de pression sur la victime et les témoins.

Comme l’indique le kit VHSS mis à disposition des employeurs du spectacle vivant par le SYNDEAC : « Il est possible de mettre en place des mesures transitoires pour s’assurer des bonnes conditions de travail de chacun·e·s au cours de l’enquête interne, et sa bonne tenue impartiale. Notamment, il peut être donné comme consignes aux personnes impliquées de ne pas rentrer en contact les un·e·s avec les autres. De plus, les personnes impliquées peuvent être séparées au jour le jour, à travers une réaffectation temporaire de l’une des deux personnes avec l’accord de la victime présumée, ou encore des aménagements du travail, comme des mesures de télétravail, des horaires décalés, etc. Dans le cas d’une réaffectation impossible au vu de la nature du travail de l’entreprise (personnels artistiques essentiels à la tenue d’une représentation par exemple), des mesures d’éloignement et de baisse de contact entre les deux personnes peuvent être envisagées, par exemple à travers leur séparation dans les zones de repos. Enfin, il est possible de prononcer une mise à pied conservatoire, qui permet de suspendre temporairement l’activité de la personne mise en cause dans l’entreprise. » ([391])

Lors de son audition, la productrice Caroline Bonmarchand a indiqué avoir pris une mesure conservatoire à l’encontre d’un réalisateur accusé de viol lors d’un tournage : « Nous avons décidé collectivement que le réalisateur – qui a accepté ce mode de fonctionnement – continuerait à diriger le film pendant les trois semaines de tournage restantes, mais qu’il serait mis à l’écart de l’équipe. Le fait que le film se déroule dans un décor unique a rendu cette organisation possible. Nous avons défini un protocole très précis pour encadrer l’arrivée du réalisateur sur le plateau, la configuration de la pièce de travail dans laquelle il serait confiné, les personnes avec qui il interagirait, etc. Le tournage s’est ainsi achevé sans que l’équipe soit contrainte de se trouver en relation directe avec le réalisateur. » ([392])

● En cas de faute du salarié, l’employeur peut également engager des sanctions disciplinaires à son encontre. Il dispose ainsi d’un délai de deux mois à compter du jour où il a eu une connaissance exacte et complète des faits pour engager des poursuites disciplinaires ([393]). En cas de faute du salarié, le panel des sanctions possibles est assez large, allant de l’avertissement et du rappel à l’ordre au licenciement pour faute, en passant par la mise à pied disciplinaire, la mutation ou encore la rétrogradation de la position hiérarchique du salarié.

iii.   Des mécanismes de protection et de réparation pour les salariés victimes

Les salariés ou stagiaires victimes de harcèlement moral ou sexuel font l’objet d’une protection particulière : ils ne peuvent être sanctionnés, licenciés ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire. Tout acte contraire est frappé de nullité ([394]). Une telle disposition a du sens dans le cas de contrats à durée indéterminée, mais il est plus difficile de la faire respecter s’agissant d’emplois précaires et par nature limités dans le temps comme ceux des intermittents du spectacle, qui passent d’un employeur à l’autre. C’est encore plus vrai s’agissant des artistes-auteurs, qui n’ont pas de lien de subordination avec le producteur.

Par ailleurs, en matière de harcèlement sexuel, la jurisprudence a admis le droit de retrait dès lors que le salarié peut raisonnablement estimer être exposé à un danger grave et imminent pour sa santé. La jurisprudence a ainsi validé l’exercice du droit de retrait d’une salariée victime de harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique ([395]). Dans cette affaire, l’employeur, qui était l’épouse du harceleur, n’offrait aucun recours interne à la victime, ce qui renforçait l’état de contrainte pesant sur elle. La Cour a considéré que la salariée pouvait légitimement percevoir un danger immédiat pour sa santé, compte tenu du comportement réitéré, menaçant, humiliant et traumatisant de son supérieur.

Pour obtenir la reconnaissance et la réparation du harcèlement moral ou sexuel, le salarié peut s’engager dans une procédure de médiation avec l’employeur. Le salarié peut également engager une action devant le conseil des prud’hommes pendant cinq ans à compter du jour où le dernier fait constitutif de harcèlement a été commis. La victime peut agir à la fois contre l’employeur et le harceleur dans le but d’obtenir la réparation pour manquement de l’employeur à ses obligations en matière de lutte contre le harcèlement, l’annulation du licenciement ou de toute autre mesure défavorable, et la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.

Enfin, le salarié, stagiaire ou candidat à un emploi qui s’estime victime d’un harcèlement bénéficie d’un régime de la preuve favorable. Il n’a pas à établir devant le juge des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement, mais seulement à présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ([396]). Il incombe ensuite à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Ces règles ne sont applicables que devant le conseil des prud’hommes.

b.   Une prise en compte des VHSS par les conventions collectives dont la portée est amoindrie par la faiblesse des CCHSCT

Les conventions collectives des secteurs ayant fait l’objet de la présente enquête ont récemment évolué – certaines, tout au moins – pour améliorer la prévention et la prise en charge des violences morales et sexuelles perpétrées dans un cadre professionnel.

La hiérarchie des normes en droit du travail depuis 2017

Une convention collective est un accord écrit conclu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations ou groupements d’employeurs afin de fixer des règles spécifiques en matière de conditions de travail, d’emploi et de garanties sociales dans un secteur d’activité donné. La convention collective a une force obligatoire pour les employeurs et les salariés des entreprises relevant de son champ d’application. Elle s’impose à eux dès lors que l’entreprise est adhérente à une organisation patronale signataire de la convention ou que la convention a été étendue par arrêté ministériel, ce qui la rend applicable à toutes les entreprises du secteur concerné. Les stipulations d’une convention collective prévalent sur les clauses du contrat de travail, sauf s’il contient des dispositions plus favorables pour le salarié.

Depuis les ordonnances du 22 septembre 2017 (1), la hiérarchie des normes en droit du travail a été profondément remaniée afin d’accorder une plus grande place aux accords collectifs et à la négociation d’entreprise. Cette réforme a renforcé la primauté des accords conclus au plus près des réalités économiques et sociales des entreprises, tout en maintenant certaines garanties protectrices pour les salariés.

Désormais, la hiérarchie des normes s’organise autour de trois niveaux :

– les principes d’ordre public sont fixés par la loi et constituent des dispositions impératives auxquelles aucune convention ou accord ne peut déroger. Ils garantissent les droits fondamentaux des salariés, tels que le salaire minimum, l’égalité professionnelle ou la durée légale du travail ;

– le champ de la négociation collective dans lequel trois blocs ont été définis :

1) dans le premier bloc, l’accord de branche prime obligatoirement sur l’accord d’entreprise (par exemple les minima salariaux, les classifications, l’égalité professionnelle entre femmes et hommes) ;

2) dans le deuxième bloc, l’accord d’entreprise peut déroger à l’accord de branche, sauf si ce dernier interdit expressément toute dérogation (par exemple les primes, la majoration des heures supplémentaires) ;

3) dans le troisième bloc, la primauté de l’accord d’entreprise est systématique, même si la branche en dispose autrement (par exemple les primes d’ancienneté, la durée du contrat de travail) ;

– les dispositions supplétives, qui s’appliquent en l’absence d’accord collectif et servent de référence lorsque ni l’entreprise ni la branche n’ont prévu de règles spécifiques.

Cette refonte de la hiérarchie des normes vise à renforcer la flexibilité du droit du travail tout en préservant un socle de garanties fondamentales.

(1) Ordonnances n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, n° 2017-1388 du 22 septembre 2017 portant diverses mesures relatives au cadre de la négociation collective et ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017 relative à la prévention et à la prise en compte des effets de l’exposition à certains facteurs de risques professionnels et au compte professionnel de prévention.

i.   Les conventions collectives du spectacle vivant complétées dès 2022 pour prendre en compte les VHSS

 La convention collective nationale des entreprises artistiques et culturelles (IDCC 1285), applicable aux entreprises du secteur public du spectacle vivant, de droit privé ou de droit public, telles que les opéras, les centres dramatiques nationaux et autres établissements culturels publics ([397]), a été enrichie par un accord signé le 27 septembre 2022 ([398]), visant à renforcer la prévention et la lutte contre les VHSS au sein des entreprises du secteur. Cet accord introduit des mesures spécifiques, notamment la désignation d’un référent pour les entreprises de plus de 50 salariés, l’information obligatoire des salariés et des précisions sur le déroulement de l’enquête interne.

 S’agissant du secteur privé, un accord signé le 22 novembre 2023 a introduit au sein de la convention collective nationale des entreprises du secteur privé du spectacle vivant (IDCC 3090), qui concerne les entreprises ou associations de droit privé qui créent, produisent, diffusent ou accueillent des spectacles vivants, des mesures spécifiques pour prévenir et traiter ces situations.

L’accord prévoit la communication d’une fiche d’information à tous les salariés lors de la transmission du contrat de travail. Par ailleurs, une fiche informative sur les violences sexuelles et les agissements sexistes au travail sera examinée chaque année par les partenaires sociaux. L’accord précise également le déroulement de l’enquête interne (article 4.2.1) en reprenant les principes établis par la jurisprudence et donne compétence au comité d’hygiène, de sécurité, des conditions de travail et de l’environnement de branche (CHSCTE) en matière de VHSS. Enfin, l’accord prévoit les modalités de traitement d’un cas de VHSS pour des entreprises en co-activité (article 5.2).

Cet accord n’ayant pas encore été étendu, il n’est applicable qu’aux signataires. Le rapporteur suggère donc de l’étendre afin de le rendre applicable à tous les acteurs du secteur.

Recommandation n° 40 : étendre l’accord du 22 novembre 2023 relatif à la prévention des violences sexuelles et des agissements sexistes.

  1.   Dans le cinéma, une convention collective enrichie depuis peu

Le secteur du cinéma est régi par plusieurs conventions collectives, dont l’une a été récemment enrichie pour améliorer la lutte contre les VHSS, notamment à l’égard des mineurs.

La convention collective nationale de la production cinématographique (IDCC 3097), signée le 19 janvier 2012, s’applique aux entreprises françaises et étrangères de production de films cinématographiques de long-métrage, de court-métrage et de films publicitaires et couvre les salariés des équipes techniques, artistiques et administratives impliqués dans la réalisation de ces œuvres. Elle a été enrichie par deux avenants signés le 17 mai 2024 ([399]), visant à renforcer la prévention et le traitement des VHSS, ainsi qu’à préciser les conditions d’emploi des mineurs dans le secteur.

L’avenant relatif aux violences sexistes et sexuelles est à l’origine de plusieurs avancées :

– l’intégration des violences sexistes et sexuelles dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) ;

– l’obligation de mentionner dans le contrat de travail des salariés « une clause dédiée à la prévention des VHSS rappelant notamment les coordonnées des interlocuteurs internes et externes à l’entreprise » à contacter s’ils sont victimes ou témoins. Le texte propose une clause type ;

– la création de la fonction de référent VHSS du film, indemnisé à hauteur de 30 euros par semaine. Ce référent est choisi par l’employeur sur la base du volontariat, il doit recueillir les signalements des salariés et les transmettre en respectant le principe d’impartialité ;

– l’obligation faite à l’entreprise de production d’organiser sa procédure de traitement des signalements, en respectant au minimum les étapes suivantes : accuser réception du signalement, avoir un premier échange avec son auteur et la victime présumée, réaliser une enquête interne pour établir la matérialité des faits, conclure l’enquête et y donner des suites.

Par ailleurs, la convention collective formule plusieurs recommandations. S’agissant de l’organisation des castings, l’accord préconise d’informer les candidats qu’ils peuvent se faire accompagner, les avertir si le scénario impose des scènes d’intimité, de nudité ou à caractère sexuel. Les castings doivent se dérouler dans des lieux adaptés : « Aucun rendez-vous de casting, qui sont des temps professionnels, ne doit avoir lieu dans une chambre d’hôtel ou un appartement privé d’une personne de l’équipe ». En outre, les enfants doivent y être accompagnés par un adulte référent.

Les scènes d’intimité doivent être préparées en amont et recueillir le consentement des acteurs par écrit. L’avenant suggère aux productions d’engager un coordinateur d’intimité et de limiter les personnes présentes sur le plateau.

Concernant l’emploi des mineurs de moins de 16 ans, l’avenant du 17 mai 2024 impose l’embauche d’un responsable des enfants, défini comme « une personne qualifiée qui justifie d’un diplôme ou d’une expérience significative pour l’exercice de ses fonctions, qui sont préalablement vérifiées par l’employeur ». L’employeur doit s’assurer que la personne en question n’a fait l’objet d’aucune condamnation judiciaire incompatible avec l’exercice de cette fonction en lui demandant de fournir le bulletin n° 3 de son casier judiciaire.

Les autres conventions collectives applicables au cinéma, à savoir la convention collective nationale des acteurs et acteurs de complément de la production cinématographique (IDCC 435), la convention collective nationale de la distribution cinématographique (IDCC 892) et la convention collective nationale de l’exploitation cinématographique (IDCC 1307), ne comportent pas de dispositions spécifiques concernant les violences et le harcèlement sexistes et sexuels.

L’application du droit français sur les tournages de films à l’étranger

Le droit français s’applique aux entreprises françaises de production de films cinématographiques, de long ou de court-métrage, ainsi qu’aux films publicitaires, quels que soient les lieux d’exécution du contrat de travail, que ce soit sur le territoire français, y compris les départements d’outre-mer, ou à l’étranger pour les tournages ou parties de tournages qui s’y déroulent, sous réserve des règles locales d’ordre public applicables, qui peuvent prévaloir sur certaines stipulations de la convention collective.

iii.   La convention collective de l’audiovisuel, en cours de modification pour mieux prendre en compte les VHSS

La convention collective nationale de la production audiovisuelle du 13 décembre 2006 (IDCC 2642), qui régit les relations de travail entre employeurs et salariés des entreprises dont l’activité principale est la production audiovisuelle, ne comporte à ce jour aucune disposition relative aux VHSS.

Néanmoins, des négociations sont en cours afin de mieux prendre en compte la nécessité de lutter contre les VHSS et d’améliorer l’encadrement du travail des enfants dans l’audiovisuel. Le délégué aux affaires sociales de l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA), M. François Caillé, a précisé lors de son audition ([400]) que deux accords étaient en cours de négociation. Le premier, consacré à la lutte contre les VHSS, vise à rendre obligatoire la présence d’un référent VHSS ainsi que d’un coordinateur d’intimité sur les tournages ; le second, dédié à la protection des mineurs, prévoit l’obligation de désigner un responsable dès qu’un mineur de moins de 16 ans participe à un tournage, afin d’assurer sa sécurité et son bien-être.

iv.   La convention collective du mannequinat

La convention collective nationale des mannequins adultes et des mannequins enfants de moins de 16 ans employés par les agences de mannequins du 22 juin 2004 (IDCC 2397), qui s’applique aux mannequins, majeurs et mineurs, exerçant une activité professionnelle sous contrat avec une agence de mannequins et aux agences de mannequins qui emploient ces mannequins, ne contient pas de dispositions spécifiques concernant les violences sexistes et sexuelles.

Néanmoins, la convention prévoit des mesures particulières pour les mannequins de moins de 16 ans. Elle fixe des pourcentages minimaux de rémunération, le salaire brut perçu par un mannequin enfant de moins de 16 ans ne pouvant être inférieur à 31 % des sommes versées par l’utilisateur à l’agence de mannequins pour la prestation concernée. Cependant, ce pourcentage ne doit pas conduire à une rémunération inférieure aux salaires bruts minimums conventionnels prévus pour chaque catégorie de prestations et de classifications (article 5).

L’annexe II de la convention encadre le temps de présence des enfants. Les durées maximales d’emploi, journalières et hebdomadaires, sont déterminées en fonction de l’âge de l’enfant et de sa situation scolaire. De manière générale, il est ainsi interdit d’organiser des castings ou de faire travailler un enfant de moins de 16 ans les dimanches et sur le temps scolaire.

3.   Le développement du contrat et du droit souple comme moyen d’autorégulation du secteur

En parallèle des évolutions législatives et réglementaires précédemment évoquées, un mouvement de contractualisation destiné à prévenir les VHSS se développe progressivement dans les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel.

a.   L’essor de la contractualisation pour prévenir les VHSS dans le cinéma et l’audiovisuel

Certaines grandes sociétés de production et de financement de films, telles que StudioCanal, ont mis en place des clauses de moralité. Lors de son audition ([401]), StudioCanal a indiqué inclure dans ses contrats avec les producteurs une clause visant à garantir « la plus grande moralité de notre partenaire dans le traitement de ces sujets très sensibles ». Cette disposition permet au financeur de vérifier si le producteur a bien rempli ses obligations en matière de prévention des VHSS et, en cas de manquement, de prendre différentes mesures : mettre immédiatement fin aux comportements incriminés, retirer du générique le nom des personnes mises en cause, ou encore engager des poursuites contre le producteur. Bien que ce type de clause soit de plus en plus répandu chez les financeurs, les personnes auditionnées ont souligné qu’elle n’a, à ce jour, jamais été activée pour sanctionner une défaillance dans la gestion d’un cas de VHSS.

Les grandes chaînes de télévision ont quant à elles développé des clauses « image et réputation » intégrées aux contrats des animateurs et personnalités médiatiques. Par exemple, le groupe TF1 prévoit dans ses contrats que « tout agissement, comportement ou propos contraire à la loi, aux bonnes mœurs et aux engagements du groupe, notamment en matière de harcèlement moral ou sexuel, de discrimination ou d’atteinte à la dignité, peut donner lieu à des mesures correctives, à un réaménagement contractuel ou à une résiliation du contrat assortie de dommages et intérêts » ([402]). Depuis 2019, une clause similaire a été introduite dans les contrats des éditorialistes et chroniqueurs de LCI.

Ces clauses permettent aux employeurs de protéger leur image et de justifier juridiquement une rupture contractuelle en cas de manquement. Elles ont également une fonction préventive et dissuasive, en prévoyant des sanctions juridiques et financières en cas de VHSS. Toutefois, pour être valides, ces clauses doivent être clairement définies, justifiées et proportionnées, afin de respecter l’équilibre entre la protection de la réputation de l’employeur et les libertés individuelles des salariés.

Le rapporteur estime souhaitable que de telles clauses, qui ont une vertu pédagogique et de dissuasion certaine, soient systématiquement incluses dans les contrats de toutes les personnes impliquées dans la confection d’un film, d’une émission ou d’un spectacle qui bénéficie de subventions publiques.

Recommandation n° 41 : prévoir systématiquement des clauses relatives aux VHSS dans les contrats de toutes les personnes impliquées dans la confection d’un film, d’une émission ou d’un spectacle qui bénéficie de subventions publiques.

Par ailleurs, les employés victimes de VHSS redoutent souvent des répercussions économiques, notamment le non-paiement des jours déjà travaillés ou l’obligation de dédommager les productions pour les jours non effectués en raison de l’arrêt du projet suite à des faits de VHSS. Mme Sara Forestier a témoigné en ce sens devant la commission, indiquant qu’un producteur refusait de lui verser le salaire correspondant aux trois jours de tournage qu’elle avait déjà effectués avant d’être agressée sur ce même tournage, se réservant même le droit de réclamer la réparation du préjudice subi par la société, estimé à 150 000 euros au minimum, correspondant au tournage, avec une autre actrice, des scènes déjà tournées.

Afin de remédier à cette situation, le rapporteur recommande d’inscrire dans tous les contrats de travail une clause interdisant toute sanction financière, retenue sur salaire ou demande de dommages et intérêts en cas de signalement de faits de VHSS.

Recommandation n° 42 : inscrire dans tous les contrats de travail une clause interdisant toute sanction financière, retenue sur salaire ou demande de dommages et intérêts en cas de signalement de faits de VHSS.

b.   Des initiatives d’autorégulation que se multiplient, mais dont l’efficacité est limitée

Dans le cadre de la prévention des violences et du harcèlement sexistes et sexuels, le droit souple joue un rôle majeur pour compléter et renforcer les mécanismes juridiques traditionnels, en incitant les employeurs et les organisations à adopter des pratiques exemplaires. De nombreuses entreprises et institutions du secteur culturel, entendues par la commission d’enquête ont ainsi mis en place des chartes de bonne conduite, kits de sensibilisation, dispositifs ou encore des engagements éthiques pour lutter contre les VHSS.

Les grandes entreprises audiovisuelles et les plateformes se sont engagées dans cette démarche en signant ou en étant à l’initiative de chartes visant à lutter contre les VHSS. C’est le cas notamment de NRJ, TF1, RMC, Radio France, Canal+, Arte France, Amazon France et Disney+. Les salles de spectacle ont elles aussi adopté des chartes similaires, parmi lesquelles celles de La Nouvelle Seine, de l’Opéra national de Paris, de la Filature de Mulhouse et du Centre national de la danse. Les festivals et cérémonies utilisent également ces outils : Unifrance et le Festival de Cannes disposent de chartes dédiées, tandis que l’Académie des César envisage d’exiger de ses membres la signature d’un engagement contre les violences. Le rapporteur les encourage fortement dans cette voie. Du côté des entreprises de production, plusieurs acteurs majeurs, tels qu’Endemol France et B‑Prod, ont rejoint ce mouvement en adoptant des engagements spécifiques en matière de prévention des VHSS. Enfin, les établissements de formation intègrent généralement ces enjeux dans leur cadre pédagogique. C’est notamment le cas du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, du Conservatoire Pierre-Barbizet de Marseille, de la FEMIS et de l’Orchestre français des jeunes.

Néanmoins, lors de son audition, Mme Caroline Bonmarchand résume ainsi leur utilité : « elles ont le mérite d’exister mais en restent aux bonnes intentions » ([403]). Par exemple, la ville de Paris a élaboré une charte en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes et de lutte contre les violences et harcèlements sexistes et sexuels dans le cadre de l’accueil des tournages à Paris. Cette charte conditionne l’autorisation de tournage dans la ville à la mise en œuvre d’un plan de lutte contre les VHSS. Le rapporteur regrette toutefois qu’aucun mécanisme de contrôle ni de sanction ne soit prévu, ce qui limite fortement son impact.

Ainsi, bien que le droit souple soit particulièrement adapté à la question des VHSS en entreprise en raison de sa flexibilité et son adaptabilité, il présente également des limites qui peuvent réduire son efficacité. D’une part, les recommandations et engagements volontaires ne créent pas d’obligations contraignantes. En cas de manquement, aucune sanction légale ne peut être imposée, sauf si l’engagement est intégré dans une obligation contractuelle ou qu’il est annexé au règlement intérieur. D’autre part, on peut craindre que certaines entreprises adoptent des chartes ou des codes éthiques sans réelle application, pratiquant ainsi une forme d’ethics washing.

Mme Marie Buscatto, professeure de sociologie à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a dressé le constat suivant, non sans déplorer la situation : « On fait des protocoles, qui sont avant tout le moyen de cocher une case. On a des chartes. Toutefois, fondamentalement, les VSS perdurent et sont très peu dénoncées, parce qu’il reste, encore aujourd’hui, très difficile de dénoncer une violence sexiste et une violence sexuelle, même légalement répréhensibles. » ([404])

Lors de son audition, le directeur général de Wart a indiqué qu’à la suite des révélations sur le musicien Arnaud Rebotini, mis en cause pour des faits de violences sexuelles, et aux accusations dont l’entreprise elle-même a fait l’objet s’agissant d’une volonté de protéger les artistes incriminés, celle-ci avait souhaité « renforcer ses engagements » en élaborant une charte interne « instaurant une politique de tolérance zéro face aux violences ». Si le rapporteur salue ici aussi cette initiative, il déplore encore une fois que cette charte ne soit qu’informative, sans mécanisme de suivi ou de sanction, ce qui limite là encore son efficacité.

Face au nombre croissant de chartes, le groupe de travail RESPECT – Réactivité, éthique, sécurité, professionnalisme, efficacité, confiance, transparence –, réunissant des professionnels du cinéma, propose une charte et une certification communes à l’ensemble du secteur du cinéma. La charte RESPECT, première étape du dispositif, doit être signée par toute personne travaillant sur un film (agences artistiques, équipes de tournage, sociétés de production, festivals, etc.). Elle vise à sensibiliser et responsabiliser les professionnels à toutes les étapes de la production et de la diffusion. Chaque métier peut adapter la charte avec des engagements spécifiques en concertation avec les syndicats et associations.

La certification RESPECT a pour objectif d’évaluer et d’encadrer les actions mises en place contre les VHSS tout au long du processus de fabrication, de distribution et d’exploitation d’un film. Elle repose sur une obligation de moyens, imposant aux productions de mettre en place des outils de prévention et des procédures de gestion des incidents (formation des équipes, procédures de signalement, médiation). Son obtention est conditionnée à un barème de points, attribués en fonction des actions mises en place. Toutefois, elle n’est à ce jour ni exigée par les assureurs ni par le CNC, ce qui limite considérablement sa portée. Le CNC a indiqué « être extrêmement réservé à l’égard d’une conditionnalité de ses aides fondées sur une certification RESPECT » ([405]).

Ainsi, le recours au droit souple dans la lutte contre VHSS a permis de développer une culture de prévention et de sensibilisation au sein du secteur culturel. Ces dispositifs ont le mérite de poser un cadre de référence, d’inciter à l’adoption de bonnes pratiques et de favoriser une prise de conscience collective. Toutefois, leur efficacité réelle demeure limitée. Sans obligation juridique contraignante ni suivi rigoureux, ces initiatives peuvent rester à l’état de déclarations d’intention, sans impact concret sur les comportements et les pratiques. Dès lors, la question se pose de la pertinence de multiplier ces dispositifs sans s’assurer de leur réelle portée. Ils ne sauraient donc de substituer à des règles impératives et à des obligations légales.

C.   Un droit du travail mÉconnu, mal appliqué et peu contrôlé

a.   Une méconnaissance alarmante du droit du travail par les employeurs du secteur culturel

● Malgré l’existence d’un droit du travail fourni et d’évolutions récentes en faveur d’une protection accrue contre les VHSS, les obligations à la charge des employeurs comme les outils juridiques à leur disposition demeurent très largement méconnus d’une partie de la profession.

Lorsqu’ils sont confrontés à des situations de VHSS, les employeurs sont souvent démunis. La productrice Caroline Bonmarchand a été confrontée au signalement par le réalisateur lui-même d’une accusation de viol le concernant de la part d’un technicien lors du tournage du film Je le jure. Elle a témoigné ainsi de son expérience : « Alice Girard et moi avons décidé de nous autosaisir de cette question après nous être senties très seules et avoir vécu une forme de traumatisme. […] Nous avons dû prendre, seules et dans un temps très court, des décisions ayant des incidences très importantes en termes financiers et en termes de réputation, sur fond de relations très tendues avec nos partenaires et avec les équipes. Nous avons vécu toutes les deux des situations complexes, auxquelles nous avons aussi réagi d’après notre culture féministe. » ([406])

Mme Florence Borelly a également témoigné avoir découvert l’étendue de sa responsabilité en tant que productrice à la suite d’une formation suivie auprès du CNC : « Nous avons été surpris par l’étendue du champ de notre responsabilité. Tout le monde savait que l’employeur était responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés ayant signé un contrat de travail, mais nous avons compris que notre responsabilité était également en jeu dans les moments hors travail, lorsque des équipes étaient en déplacement pour une mission effectuée à notre demande. » ([407])

Un producteur entendu à huis clos a formulé le même constat : « Quand la formation a été imposée, la profession s’est sentie stigmatisée. Dans les petites structures, les gens ont découvert que les producteurs étaient des dirigeants d’entreprise et qu’ils avaient à ce titre une responsabilité, au-delà des VHSS. L’immense majorité d’entre eux n’ont pas d’investisseurs, ne publient pas d’informations, gèrent de la trésorerie et ne dirigent pas leur société comme des hommes d’affaires. Notre métier exige un bilinguisme en affaires et en création, mais une grande partie ne connaît que le second pilier, qui les anime d’ailleurs sincèrement. »

Mme Marie Becker, formatrice en matière de lutte contre les VHSS auprès du CNC, a constaté le faible niveau de connaissance des producteurs quant à leurs obligations : « Même si la situation s’est nettement améliorée et si les personnes formées reçoivent positivement les informations que nous leur communiquons, leur méconnaissance du droit du travail est notoire. Les producteurs jugent souvent qu’ils ne sont pas des employeurs comme les autres. Pendant les formations, ils semblent découvrir leurs obligations en matière de santé et de sécurité. Cette réaction, étonnante de prime abord, s’explique par leur éloignement des lieux de tournage et la forte hiérarchisation à l’intérieur des cellules constituées autour de chaque chef de poste. Elle complique la situation des victimes de violence. » ([408])

Pour illustrer ces difficultés, Mme Marilyn Baldeck, elle aussi formatrice auprès du CNC, a témoigné : « Après une demi-heure à exposer le cadre réglementaire relatif au harcèlement sexuel au travail, le réalisateur m’a coupé la parole et m’a demandé comment allait ma libido dans un tel carcan réglementaire ! Le problème n’est pas tant ce que cette personne a dit et qui illustre bien ce qu’on peut entendre, y compris en formation, mais l’absence totale de réaction du producteur, qui était présent. Sur l’instant, je me suis dit que ce serait un excellent cas concret dont nous pourrions discuter et que la production allait mettre le holà et donner le la pour le tournage qui démarrait la semaine suivante, mais il ne s’est rien passé. À la pause, la moitié des membres de l’équipe, parmi lesquels de très jeunes comédiens, sont venus me communiquer leur insécurité. Le constat était clair : si le producteur ne réagit pas même quand il est présent, il ne sera pas possible de s’opposer au réalisateur en cas de problème. » ([409])

Si la situation s’explique d’abord par la persistance du regard particulier porté sur la création artistique, dont on a tendance à considérer qu’elle obéit à des règles sui generis, il convient également de rappeler qu’un certain nombre des métiers dans les secteurs visés ne requièrent aucune formation ni diplôme particuliers, en dehors des métiers supposant des compétences techniques précises. C’est le cas, en particulier, des métiers de producteur, agent, directeur de casting, réalisateur, metteur en scène, et à plus forte raison acteur. En outre, la structure des entreprises des secteurs visés, rappelée précédemment, ne facilite pas la maîtrise du droit du travail : les TPE-PME ont souvent des lacunes en interne dans ce domaine, à moins qu’elles ne fassent appel à des juristes spécialisés. C’est ce qu’a rappelé Mme Marilyn Baldeck, fondatrice de la société Essaimer, formatrice au CNC : « La plupart des sociétés de production ne comptent qu’un seul producteur ou une seule productrice, qui ne disposent pas forcément d’un assistant de production ou d’autres salariés. » ([410])

 Le rapporteur a également noté une large confusion autour de la présomption d’innocence. La présomption d’innocence est un principe fondamental du droit pénal qui garantit que toute personne poursuivie pour une infraction est considérée comme innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie par une décision de justice définitive ([411]). Une personne condamnée en première instance reste présumée innocente tant que les voies de recours ne sont pas épuisées.

Néanmoins, ce principe ne s’applique que vis-à-vis d’une personne suspectée, mise en examen, prévenue ou accusée dans une procédure pénale. Il ne concerne pas les relations de travail et ne fait pas obstacle au pouvoir disciplinaire de l’employeur. Dans le cadre d’une relation de travail, l’employeur est tenu d’assurer la santé et la sécurité de ses salariés. Il peut donc prendre des mesures conservatoires immédiates, même si les faits en cause sont extérieurs à l’entreprise et font l’objet d’une procédure pénale en parallèle.

Au cours de leurs travaux, les membres de la commission d’enquête ont observé, chez certains employeurs, la volonté d’entretenir une confusion entre la présomption d’innocence dont bénéficie un « talent » dans le cadre d’une procédure pénale et leurs propres droits et obligations en tant qu’employeurs. Cette confusion est utilisée comme justification à l’absence de décision.

Par exemple, lors de son audition le directeur général de Canal+ France, M. Gérald‑Brice Viret, a déclaré : « Jean-Marc Morandini est un collaborateur extérieur dont l’émission est diffusée tous les jours sur CNews. Puisqu’il a fait appel des condamnations prononcées contre lui, il bénéficie de la présomption d’innocence. Nous l’avons déjà dit dans la presse : pour nous, il est innocent. Nous ne sommes pas juges, nous ne jugerons pas Jean-Marc Morandini à la place de la justice » ([412]). Cet animateur a pourtant été condamné en première et seconde instances pour harcèlement sexuel ([413]). Il a également été condamné en première instance pour corruption de mineur. À la suite de la condamnation en seconde instance de l’animateur, qui a annoncé se pourvoir en cassation, le directeur général de CNews, M. Serge Nedjar, a justifié comme suit sa décision de maintenir sa collaboration professionnelle : « Je considère que Jean-Marc n’est pas condamné, ça s’appelle la présomption d’innocence » ([414]). Il convient de noter que ce dernier a également été condamné en seconde instance pour les faits de corruption de mineur qui lui étaient reprochés, sans que cela n’induise une quelconque réponse publique de la part du groupe Canal+.

Ces déclarations sont d’autant plus troublantes que, dans le même temps, le directeur de la production de StudioCanal, M. François Mergier, a indiqué avoir mis fin à sa collaboration avec un réalisateur condamné en première instance pour agression sexuelle : « Nous avons reçu il y a dix jours un scénario dont il était l’auteur. Nous l’avons refusé. Nous ne nous sommes même pas posé la question d’une éventuelle rentabilité. Nous avons un rôle à jouer ; nous n’allons évidemment pas mettre en lumière des gens qui viennent d’être condamnés – ce n’est pas une position que nous avons envie de défendre. » ([415])

En dehors de Canal +, le conseil départemental des Hauts-de-Seine, la Maîtrise des Hauts-de-Seine, le groupe TF1, le groupe M6 ([416]) ont également justifié, devant la commission d’enquête, le maintien d’une relation de travail au motif de la présomption d’innocence. Or invoquer ce principe, exclusivement applicable au procès pénal, pour justifier le maintien d’un collaborateur semble être un prétexte permettant d’éviter toute décision et de se soustraire à ses responsabilités en tant qu’employeur.

Au regard de ces éléments, il apparaît nécessaire de renforcer la responsabilité des employeurs en intégrant au code de procédure pénale une obligation, pour les employeurs, de signaler au procureur de la République tout fait de VHSS porté à leur connaissance.

Recommandation n° 43 : inscrire dans le code de procédure pénale une obligation pour les employeurs de signaler les faits de VHSS portés à leur connaissance.

b.   La multiplication des infractions au droit du travail

Cette lacune commence parfois par un manque de conscience du fait que les personnes rassemblées pour un tournage ou la confection d’un spectacle entretiennent une relation de travail. À cet égard, il convient de noter la persistance de l’idée tenace selon laquelle l’art n’aurait rien à voir avec le travail, qu’il obéirait à des règles différentes. Le rapporteur, s’il est convaincu que l’exercice des professions artistiques ne se résume pas, tant s’en faut, au respect du droit du travail, n’en insiste pas moins sur la nécessité de considérer celui-ci comme un préalable indispensable.

● Sur un tournage, l’employeur est le producteur. C’est donc lui qui est responsable des incidents en tous genres et des agressions qui s’y déroulent. Comme l’a souligné M. Olivier Henrard, directeur général délégué du CNC, devant la première commission d’enquête, « le producteur est le bénéficiaire des aides [du CNC], il est donc logique qu’il assume la responsabilité de ce qui se passe dans son exploitation. Il a une obligation globale, que ce soit pour une personne ou dix personnes, de respecter cette obligation de suivi. C’est la responsabilité du producteur, en tant que chef d’entreprise. Les chefs d’entreprise sont habitués à gérer diverses obligations, notamment en matière de respect du droit du travail et de santé au travail. Cela n’a rien d’exorbitant par rapport à ce que l’on attend normalement d’eux. » ([417])

Pourtant, M. Laurent Blois, délégué général du syndicat des professionnels des industries de l’audiovisuel et du cinéma (SPIAC-CGT), a indiqué à la première commission d’enquête : « Il y a quelques années, lorsque nous avons négocié la convention collective de la production cinématographique, le CNC avait mandaté à notre demande une enquête sur la durée du travail dans ce secteur. Le rapport n’avait même pas été publié, tant les pratiques relevées enfreignaient le code du travail. » ([418]) De fait, il a été souvent rapporté à la commission des infractions relatives au dépassement du temps de travail légal, s’agissant de majeurs comme de mineurs, au non-paiement des heures dues, au non-paiement des heures supplémentaires au tarif idoine – parfois différencié en fonction des salariés, etc.

Dans les faits, les producteurs ne sont que des employeurs temporaires, et n’ont qu’un lien distant avec la plupart des salariés. « Cette spécificité du secteur constitue un facteur de risque : alors que les producteurs ont le statut d’employeur des travailleurs temporaires, ils ne les recrutent pas eux-mêmes – c’est le réalisateur ou la réalisatrice qui recrute les chefs de poste, lesquels recrutent à leur tour leur équipe. » C’est ce qui explique, notamment, le sentiment assez largement partagé des équipes de tournage selon lequel le producteur serait un employeur évanescent. Mme Marilyn Baldeck a ainsi expliqué lors de son audition : « les rapports de l’équipe de tournage avec les producteurs sont distants, même si ces derniers peuvent être représentés sur le tournage par un directeur ou une directrice de production. Les producteurs n’ayant qu’une présence évanescente sur le tournage, ils oublient souvent qu’ils sont des employeurs » ([419]).

Du côté des réalisateurs demeure encore parfois l’idée selon laquelle l’improvisation serait l’idéal vers lequel il faudrait tendre car c’est elle qui permet au génie de se manifester pleinement. Cette conception héritée de la Nouvelle Vague ne peut que conduire à une application malléable du code du travail. Toutes choses égales par ailleurs, le rapporteur a perçu des réminiscences de cette propension dans les propos de Mme Catherine Corsini quand elle s’est déclarée réticente envers tout ce qui pouvait « contraindre » sa liberté de créatrice, en l’occurrence la capacité à saisir la magie de l’instant ([420]).

Dans un entretien récent au magazine Télérama, le réalisateur et metteur en scène Christophe Honoré a quant à lui fait part sans ambages de ses aspirations en la matière : « Si j’en avais la possibilité, j’adorerais faire au cinéma ce que je fais au théâtre : arriver sur le plateau sans la moindre ligne de dialogue. Mon idéal serait de réfléchir à un film, à un thème, à des situations, de choisir des décors, d’enrôler des comédiens et d’inventer avec eux, au fur et à mesure, des intrigues et des personnages. L’économie d’un film ne le permet pas : il faut montrer ses papiers pour entrer et le seul passeport valable, c’est le scénario. Un texte qui doit répondre à d’innombrables attentes, notamment celles des commissions de financement, qui obéissent souvent aux normes du moment. […] Mes scénarios, je les écris d’ordinaire très vite et je ne les considère que comme des documents de travail […] Le scénario n’a pour but que de convaincre les investisseurs et de signer un pacte avec les comédiens qui acceptent de s’engager dans le film. Une fois qu’ils sont là, je réécris les dialogues […] Ma méfiance du scénario ne signifie pas qu’il n’y a pas d’écriture du film. Mais celle-ci est plus vaste et se nourrit d’échange d’idées, de références visuelles, d’extraits de lectures. Je refuse que le scénario soit une partition dont le tournage serait simplement l’exécution avec l’orchestre au complet. Une des raisons pour lesquelles Marcello mio a été une grande frustration, c’est que le film était très écrit. J’avais le sentiment d’avoir rêvé à des scènes et de ne pas retrouver ces songes sur le tournage, car le scénario les avait déjà asséchés en voulant trop les préciser. » ([421])

Au théâtre, au contraire, il s’autorise la « créativité » spontanée : « j’ai adopté le principe de l’écriture de plateau, qui fait des acteurs des créateurs à mes côtés. […] Je leur fournis ma documentation, le fruit de mes réflexions, ils réfléchissent à leur tour et inventent leurs personnages. Le processus est très long. Nous improvisons pendant des journées entières, tout est enregistré, j’écris le soir à partir des idées du jour, le travail reprend sur ce nouveau canevas… »

La limite de cette approche réside dans le risque d’exposer les acteurs à certains dangers au nom de la recherche de la meilleure image possible, du cadre parfait, de la situation la plus proche de la « vérité ». De fait, durant les auditions, plusieurs acteurs ont raconté comment ils étaient passés tout près d’accidents très graves au nom de cette liberté du réalisateur.

Mme Juliette Binoche, par exemple, a raconté une situation dangereuse dans laquelle elle s’était trouvée à la fin du tournage des Amants du Pont-Neuf de Leos Carax : « Sur les Amants du Pont-Neuf, un événement fatidique est survenu. Lestée de douze kilos autour de la taille pour pouvoir descendre cinq mètres sous l’eau, d’une perruque, d’un lourd manteau, de bottes, j’ai échappé d’un cheveu à la noyade. Denis Lavant et moi étions censés être en sécurité, sous le regard de deux plongeurs professionnels. Il était convenu qu’on fasse le mouvement de la main des plongeurs si on manquait d’oxygène. Quand je suis arrivée au fond de l’eau, je n’avais plus du tout d’air. J’ai fait le signe. En vain. J’ai été obligée de batailler de toutes mes forces en apnée, sans qu’aucun secours ne me soit apporté, pour parvenir à la surface malgré mon barda et les cinq mètres d’eau au-dessus de moi. Au moment de la remontée, qui m’a paru si longue, j’ai pris une décision : “Maintenant, c’est la vie ! Rien que la vie !” Le premier assistant me voit bouleversée en train de reprendre mon souffle difficilement : “On y retourne. – Sans moi.” Non seulement personne ne m’a présenté d’excuses ou a paru comprendre à quoi je venais de réchapper, mais quand je suis allée voir le plongeur responsable de ma vie, il m’a expliqué qu’il avait ordre d’attendre que le metteur en scène lui donne l’autorisation pour venir à mon secours. […] Était-ce imputable à la mauvaise organisation du premier assistant ? Était-ce autre chose ? Je ne le saurai jamais mais ce jour-là, mes limites encore mal définies jusqu’alors sont devenues brusquement nettes. » ([422]) Lorsqu’une autre prise fut effectuée avec la « doublure », cette personne eut le tympan crevé.

Ce manque de professionnalisme affecte, à plus forte raison encore, la gestion des figurants, qui relève en principe des prérogatives du deuxième assistant‑réalisateur. En l’espèce, le sentiment inavoué que les figurants sont quantité négligeable entre peut-être en ligne de compte.

Un figurant a fait parvenir à la commission d’enquête un témoignage montrant le peu de considération de certaines équipes de tournage pour ces acteurs : « nous tournions de nuit près d’un lac au mois d’octobre. La température était à peu près de 5 degrés et nous devions simuler un 14 juillet, donc nous étions en habits d’été lorsque nous tournions. D’autre part il fallait descendre une pente très raide d’à peu près 600 mètres, à partir des loges figuration (qui étaient chauffées) au plateau qui se trouvait au niveau du lac. Nous ne disposions pas vraiment de lieu chauffé sur le plateau contrairement aux comédiens principaux. Après deux nuits de tournage assez éprouvantes, un figurant âgé d’à peu près de 55 ans a fait un arrêt cardiaque après avoir monté la pente et commencé à se changer dans les loges figuration vers six heures du matin. Il est décédé dans les loges lorsque les pompiers sont arrivés. Je ne cherche absolument pas à blâmer qui que ce soit pour ce fait mais il est clair qu’une navette qui nous aurait descendus au lieu de tournage, au moins pour les personnes les plus fragiles (certains figurants avaient entre 60 et 70 ans) et un lieu chauffé où nous aurions pu nous reposer, auraient été nécessaires pour ce tournage ».

Si le rapport de l’inspection du travail n’a relevé aucune infraction, il est tout de même loisible de s’interroger sur de telles conditions de travail, qui semblent être assez fréquentes s’agissant des figurants. La commission a ainsi eu connaissance de cas d’évanouissements et de vomissements de figurants liés à des conditions de tournage totalement inadaptées.

● Par ailleurs, les victimes de VHSS méconnaissent souvent leurs droits, ce qui constitue un obstacle majeur à leur capacité de signalement et à l’engagement de démarches juridiques. Les auditions menées par la commission d’enquête ont révélé des témoignages de personnes se sentant démunies, prises au piège et très isolées, face à une situation qu’elles ne savent pas comment gérer.

Cette méconnaissance porte sur plusieurs aspects. Le plus souvent, elle concerne les procédures de signalement : beaucoup de victimes ignorent à qui s’adresser en premier lieu – référent VHSS, inspection du travail, médecine du travail, CCHSCT, syndicats, producteur – et hésitent sur la marche à suivre.

Par ailleurs, de nombreuses victimes ignorent que l’employeur a l’obligation légale de prévenir les VHSS et de mettre en place des dispositifs de signalement. Elles ignorent également les moyens de protection existants, comme le droit de retrait ou la rupture du contrat de travail en cas de harcèlement reconnu.

Enfin, elles ignorent souvent les recours possibles. Le droit pénal, civil et social offre plusieurs voies d’action – plainte, saisine des prud’hommes, médiation –, mais la complexité et l’opacité des dispositifs dissuadent de nombreuses victimes d’agir.

Face à ces lacunes, un besoin crucial d’accompagnement juridique et psychologique se fait sentir, qui peut passer, notamment, par le renforcement des moyens de la cellule Audiens et le développement des procédures de médiation (voir supra).

c.   Des CCHSCT au rôle et aux moyens trop limités pour mener une prévention efficace auprès des employeurs

● Le secteur du cinéma dispose, depuis 1936, d’une instance paritaire dédiée à la prévention des risques professionnels et à l’amélioration des conditions de travail des salariés du secteur : le comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) de la production cinématographique.

Son existence découle d’une prise de conscience progressive des entreprises de la branche quant aux spécificités des tournages, marqués par des conditions de travail itinérantes et des équipes nombreuses, mobilisées pour des projets à durée limitée mais avec des budgets importants.

Le CCHSCT de la production cinématographique et publicitaire est financé par les employeurs à hauteur de 0,04 % des salaires des intermittents engagés sur les tournages. Ce taux semble extrêmement faible ; il pourrait être relevé pour permettre au CCHSCT de renforcer ses actions de prévention.

Le CCHSCT est un intervenant extérieur, comme le rappelle M. Jean-Loup Chirol, membre du CCHSCT cinéma : « La seule chose que le CCHSCT peut faire est de mettre le producteur face à ses responsabilités en lui rappelant les règles. On lui parle de la situation et on lui demande de suivre les recommandations en matière de sécurité. Le CCHSCT n’a pas de pouvoir de coercition, mais à partir du moment où il émet un avis, il renvoie le producteur à son devoir, qui est de garantir la sécurité de ses salariés. » ([423])

Ainsi, bien qu’il ne dispose pas de pouvoirs coercitifs, il joue un rôle crucial en émettant des recommandations permettant aux employeurs d’assumer leurs responsabilités en matière de santé et de sécurité au travail, notamment en matière de lutte contre les VHSS.

● Pour le secteur de la production audiovisuelle, il existe également un CCHSCT, créé en février 2010 dans le but de renforcer la prévention des risques professionnels et d’améliorer les conditions de travail au sein du secteur audiovisuel. Il repose également sur une gouvernance paritaire, avec une représentation équilibrée entre employeurs et salariés, répartie en quatre organisations syndicales de salariés et quatre collèges employeurs.

Le comité se réunit quatre fois par an en séance plénière, en complément des dix à vingt réunions de travail organisées en fonction de l’actualité. Ces réunions associent régulièrement Thalie Santé et l’inspection du travail. Depuis 2016, le comité dispose d’une conseillère en prévention des risques professionnels, qui réalise environ 120 visites de tournage par an, fournissant ainsi des retours concrets sur l’évolution des conditions de travail dans la branche. Le CCHSCT intervient auprès d’environ 6 000 sociétés de production, couvrant un large spectre d’activités : documentaires, magazines, divertissements, fictions et captations de spectacles.

Ses missions s’articulent autour de trois axes principaux :

 informer et conseiller les entreprises et les salariés en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail, notamment par l’accompagnement à la rédaction du document unique d’évaluation des risques et de prévention (DUERP) et le développement de formations dédiées ;

 promouvoir et diffuser les bonnes pratiques en matière de prévention des risques, en publiant des guides et recommandations adaptés aux évolutions du secteur. À titre d’exemple, le comité a élaboré un kit de prévention des violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) ;

 mettre à disposition des ressources documentaires sur les risques professionnels et la sécurité, incluant un outil interactif d’évaluation des risques, conçu en partenariat avec l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), disponible sur le site du comité.

Le CCHSCT de la production audiovisuelle bénéficie d’un budget annuel d’environ 300 000 euros, financé par les cotisations des employeurs du secteur, et administré par l’association pour le paritarisme de la branche. Le budget du CCHSCT audiovisuel apparaît également insuffisant pour mener efficacement ses actions de prévention à l’échelle de toute la branche. Le rapporteur encourage les employeurs à revaloriser ce montant.

Recommandation n° 44 : relever le taux de financement des CCHSCT cinéma et audiovisuel par les employeurs.

● Lors de l’audition des membres des CCHSCT cinéma et audiovisuel, plusieurs difficultés sont apparues.

D’une part, les CCHSCT manquent de visibilité auprès des professionnels du spectacle, les modalités de saisine étant souvent méconnues des employeurs et des salariés, comme l’a indiqué Mme Louise Lebecq, membre du collège Employeur, lors de son audition : « Elles le sont en partie, mais sûrement pas assez. Les deux CCHSCT pourraient encore gagner en visibilité pour les professionnels, aussi bien les entreprises que les salariés. » ([424])

D’autre part, pour les cas de VHSS, les comités sont souvent prévenus tardivement, alors que la situation est déjà en cours de traitement. Mme Valérie Lépine-Karnik, déléguée générale de l’Association des producteurs indépendants, souligne ainsi que « bien souvent, les comités d’hygiène et de sécurité sont prévenus alors que la situation est déjà compliquée – elle peut même avoir commencé à être traitée. Il faut accompagner, ce qui est difficile, les personnes concernées, qui sont très souvent en grande souffrance, et toute l’équipe, qui est également en souffrance dans ce type de cas. » ([425])

De plus, il convient de préciser que le référent VHSS n’a pas l’obligation de faire remonter les signalements au comité. Selon Mme Louise Lebecq, « le référent n’est pas tenu de faire remonter les informations aux CCHSCT. Cette possibilité pourrait être abordée dans le cadre du bilan de l’accord collectif que nous comptons réaliser chaque année pour identifier les axes de développement ou les modifications à envisager. Ces données nourriraient en effet les instances et leur permettraient sans doute de mieux accompagner les référents dans leurs missions, en intervenant directement dans les entreprises. » ([426]) Le rapporteur estime souhaitable que le CCHSCT soit destinataire d’informations de la part des référents, dont le rôle est abordé plus avant dans le rapport.

Enfin, le casting demeure un moment de particulière vulnérabilité sur lesquels le CCHSCT peut difficilement intervenir car il n’a pas connaissance des lieux de casting. À ce sujet, Mme Louise Lebecq concède que « le casting et les émissions de divertissement restent un angle mort. Peut-être faudrait-il prévoir que le CCHSCT soit informé des lieux de casting. » Pour y remédier, elle propose de « faire évoluer la convention collective qui définit les prérogatives de notre instance. En tout état de cause, l’obligation de déclarer les lieux de casting n’est pas prévue par le droit en vigueur. » ([427])

Recommandation n° 45 : rendre obligatoire la déclaration des lieux de casting et des émissions de divertissement au CCHSCT.

Enfin, il n’existe pas de CCHSCT de branche pour le spectacle vivant et le mannequinat, ce qui constitue une lacune en matière de prévention des risques professionnels dans ces secteurs. Cette absence limite la mise en place d’une politique de santé, de sécurité et de conditions de travail adaptée aux spécificités de ces professions. Il apparaît donc nécessaire d’instaurer pour chaque secteur un CCHSCT dédié, permettant une meilleure régulation et un suivi renforcé des conditions de travail des professionnels concernés.

Recommandation n° 46 : inciter les partenaires sociaux à créer des CCHSCT pour le spectacle vivant et le mannequinat afin d’améliorer la prévention des risques professionnels et la protection des travailleurs.

d.   Le manque de contrôle par l’inspection du travail

L’inspection du travail est un service public chargé de garantir l’application du droit du travail dans tous les secteurs professionnels du privé, y compris celui de la culture. Dans ces secteurs, caractérisés par la précarité de l’emploi, la mobilité des travailleurs et des conditions de travail spécifiques, son rôle est d’autant plus crucial pour assurer la protection des salariés, qu’ils soient intermittents, artistes, techniciens ou mineurs. Dans le cadre de ses missions, l’inspection du travail intervient selon trois axes principaux : le contrôle de l’application du droit du travail, la prévention et l’accompagnement des entreprises et des salariés, et l’enquête en cas de manquement ou d’infraction.

La première mission de l’inspection du travail consiste à s’assurer du respect de la réglementation sur les lieux de travail. Dans le secteur culturel, cela implique la vérification des conditions de travail sur les plateaux de tournage, dans les salles de spectacle, les ateliers de création et les studios d’enregistrement. Elle veille à ce que les employeurs respectent les normes en matière de santé et de sécurité, notamment concernant la prévention des risques liés aux horaires atypiques, aux charges de travail excessives et aux conditions techniques parfois dangereuses.

L’inspection du travail dispose de plusieurs prérogatives légales lui permettant de mener à bien ses missions dans le secteur culturel. Elle possède un droit d’entrée dans tous les établissements professionnels, ce qui inclut les salles de spectacle, les studios de tournage et les agences de mannequins. Les inspecteurs du travail ont également un droit d’accès aux documents administratifs et comptables des entreprises. Ils peuvent consulter les contrats de travail, les registres du personnel, les feuilles de service, les fiches de paie et les horaires de travail afin de vérifier leur conformité avec la loi. Ils ont aussi la possibilité d’auditionner les salariés et les employeurs, ce qui leur permet de recueillir des témoignages en cas de litige ou d’infraction présumée.

Lorsque des infractions ou des manquements sont signalés, l’inspection du travail intervient pour enquêter et sanctionner les responsables. En cas de harcèlement moral ou sexuel, de travail dissimulé ou de mise en danger des travailleurs, elle peut constater des infractions et transmettre un rapport au procureur de la République. En cas de situation dangereuse ou de violation avérée du code du travail, l’inspection du travail peut du reste exiger de l’employeur qu’il corrige immédiatement la situation sous peine de sanctions. Lorsqu’il s’agit de la protection des mineurs, elle peut ordonner la suspension immédiate d’un contrat de travail si un risque grave est identifié.

Toutefois, contrairement à d’autres autorités, elle ne dispose pas du pouvoir de suspendre un tournage dans son ensemble, ce qui peut limiter l’efficacité de son intervention en cas d’urgence. Le rapporteur considère que l’inspection du travail devrait pouvoir interrompre un tournage ou une série de représentations en cas de manquement avéré ou de risques pour la sécurité ou la santé des salariés.

Recommandation n° 47 : donner à l’inspection du travail le pouvoir d’interrompre un tournage ou une série de représentations en cas de risques pour la sécurité et la santé des salariés.

En outre, le manque d’effectifs de l’inspection se ressent nécessairement sur sa capacité à contrôler l’ensemble des secteurs économiques, dont celui de la culture. De fait, en termes quantitatifs, peu de contrôles sont en réalité réalisés par l’inspection dans les secteurs culturels. Comme indiqué précédemment, sur la période 2020-2024 ([428]), l’inspection du travail a effectué en tout et pour tout 6 interventions dans le secteur de la production de films ou de programmes de télévision, 4 dans la programmation et la diffusion, 9 dans les activités créatives, artistiques et de spectacles, et 19 dans la publicité et l’étude de marché. Par ailleurs, sur la même période, une seule décision a été prise pour retirer un mineur d’une situation de travail dangereuse dans le secteur de la culture.

La baisse des effectifs et de l’attractivité de l’inspection du travail

La cinquième chambre de la Cour des comptes a publié un rapport en novembre 2023 portant sur la gestion des ressources humaines du ministère du travail, de l’emploi et de l’insertion, analysant sur la période 2015-2022 l’évolution des ressources humaines du ministère, sa politique en la matière et sa gestion des effectifs.

Entre 2015 et 2021, l’inspection du travail a connu une baisse importante de ses effectifs, enregistrant une perte de 16 %, soit près de 740 équivalents temps plein annuels travaillés (ETPT).

Parallèlement, l’attractivité du métier d’inspecteur du travail s’est dégradée : en 2022, il n’y avait que 400 candidats au concours d’inspecteur du travail, alors que le ministère avait ouvert près de 200 postes. Ces chiffres confirment une dynamique en baisse entre 2015 et 2019, avec une diminution du nombre de candidats présents aux épreuves de 47 % sur cette période. Cette situation a conduit à un taux inédit de vacance, compromettant ainsi l’efficacité de cette institution essentielle au respect du droit du travail.

Cependant, des efforts récents ont été accomplis, afin notamment de valoriser le métier d’inspecteur du travail, et ils semblent porter leurs fruits : en 2024, l’inspection du travail a enregistré une augmentation de ses effectifs, comptant 1 867 agents de contrôle, contre 1 758 fin 2023.

Source : Cour des Comptes, « La gestion des ressources humaines du ministère du travail », 2023.

Par ailleurs, malgré son importance, l’action de l’inspection du travail rencontre plusieurs difficultés spécifiques au secteur culturel.

La première limite concerne l’absence de lieux de travail fixes, qui rend les contrôles plus complexes. Contrairement aux entreprises classiques, où l’inspection peut être planifiée, les lieux de tournage changent fréquemment et ne sont pas toujours déclarés à l’avance. L’article R. 8113-1 du code du travail prévoit que les entreprises doivent informer par écrit l’inspection du travail de l’ouverture de tout chantier ou autre lieu de travail employant dix salariés au moins et durant plus d’une semaine. La déclaration remplie doit être adressée sept jours au moins avant le commencement. Ainsi, les informations concernant lieux, périodes, dates et horaires de tournage ne sont pas systématiquement communiquées à l’inspection du travail, les productions de courte durée en étant exclues. De plus, le champ de compétence territoriale de chaque inspecteur est circonscrit. Cette situation complique les contrôles inopinés et la réactivité en cas de signalement.

Pour y remédier, l’inspection du travail doit pouvoir accéder facilement aux dates et lieux de tournage afin d’exercer efficacement son rôle de contrôle. Ces informations, déjà transmises à la commission des enfants du spectacle et au CCHSCT ([429]), devraient être également mises à disposition des inspecteurs du travail pour leur permettre d’intervenir de manière plus réactive en cas de besoin.

Recommandation n° 48 : rendre facilement accessibles à l’inspection du travail toutes les informations relatives aux lieux et dates de tournage.

Une autre limite concerne la courte durée des productions. Un tournage peut ne durer que quelques semaines, ce qui réduit le délai d’intervention des inspecteurs lorsqu’un signalement est reçu tardivement. En l’absence d’un suivi systématique des productions en cours, il est parfois difficile d’intervenir avant la fin du projet.

Le nombre de signalements reçus par l’inspection du travail dans le secteur culturel est très faible, ce qui limite encore davantage son action. Selon la direction générale du travail ([430]), pour 2023-2024, environ 400 sollicitations concernaient des faits de violence au travail, et seules 6 concernaient le champ de la commission d’enquête, dont 4 pour le spectacle vivant et 2 pour les entreprises artistiques et culturelles. Lorsque des faits de harcèlement sont signalés, l’inspection doit d’abord obtenir l’accord de la victime pour lever la confidentialité avant de commencer un contrôle qui expose la victime, ce qui peut compliquer l’enquête.

Enfin, le manque de coordination entre les différents acteurs du secteur culturel et l’inspection du travail constitue un autre frein. À ce jour, les signalements reçus par les cellules, notamment celle d’Audiens, ne sont pas systématiquement transmis aux inspecteurs du travail, ce qui réduit sa capacité à intervenir efficacement. Sur ce point, le rapporteur estime nécessaire que l’ensemble des acteurs de la prévention et de la lutte contre les VSS dans la culture – ministère de la culture, cellule Audiens, CCHSCT, inspection du travail, etc. – échangent à intervalles réguliers sur les tendances et les entreprises particulièrement sujettes à signalement.

Recommandation n° 49 : favoriser les échanges entre l’ensemble des acteurs de la prévention et de la lutte contre les VSS dans la culture, notamment le ministère de la culture, la cellule Audiens, le CCHSCT et l’inspection du travail.

Enfin, au regard des spécificités des secteurs du cinéma et de la musique, et afin de s’assurer de la bonne application du droit du travail par les employeurs de ces domaines, il serait pertinent de détacher un inspecteur du travail auprès du CNC et du CNM, avec un statut déterritorialisé, afin qu’il puisse intervenir sur n’importe quel lieu de tournage ou de représentation.

Recommandation n° 50 : expérimenter le détachement d’un inspecteur du travail déterritorialisé auprès du CNC et du CNM.

 

II.   De nombreux dispositifs de prÉvention ont ÉTÉ mis en place et doivent Être Étendus et renforcés pour assurer une protection rÉelle de l’ensemble des acteurs du champ culturel, notamment des mineurs

Au-delà de la loi, les pouvoirs publics et les partenaires sociaux ont mis en place de nombreuses mesures visant à encourager une prise de conscience collective et un engagement accru des acteurs en faveur de la lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels. Cette dynamique, engagée par le cinéma et qui s’étend à l’ensemble des secteurs de la culture, traduit une volonté d’adopter de nouvelles pratiques. Les meilleures d’entre elles méritent d’être généralisées à l’ensemble des secteurs culturels, étape clé vers une transformation profonde des usages et des responsabilités au sein des industries culturelles.

A.   Le pari de la formation sectorielle et de la conditionnalitÉ des financements publics

Compte tenu des spécificités énoncées précédemment, le CNC a souhaité faire de la formation un axe fort de sa politique de lutte contre les VHSS. Progressivement, la formation devient une condition pour bénéficier de financements publics et s’étend à tous les secteurs de la culture, tels que la musique ou l’audiovisuel.

1.   Le CNC, un acteur moteur dans la formation du secteur du cinéma

Le CNC, établissement public placé sous la tutelle du ministère de la culture, a pour mission principale de réguler, soutenir et promouvoir les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel et des nouveaux médias en France. À travers différents dispositifs, dont plusieurs ont été détaillés précédemment, le CNC accompagne la création, la production, la distribution et la diffusion des œuvres cinématographiques et audiovisuelles, en garantissant un financement adapté et en veillant à la diversité culturelle du paysage audiovisuel français.

Le CNC s’est impliqué dans la lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels dans le cinéma en exigeant la formation des professionnels de ce secteur et en conditionnant l’ensemble de ses financements au respect des obligations légales en matière de lutte contre les VHSS.

a.   Depuis 2020, la formation obligatoire des employeurs du cinéma et de l’audiovisuel

Depuis 2020, le CNC propose une formation, sur la base du volontariat, aux producteurs. Depuis le 1er janvier 2022, il a rendu obligatoire une formation spécifique pour les dirigeants d’entreprises du cinéma et de l’audiovisuel, qu’il s’agisse de producteurs, de distributeurs ou de vendeurs internationaux. Cette obligation, indispensable pour bénéficier des aides du CNC, a été étendue le 1er janvier 2023 aux exploitants de salle de cinéma.

La formation, intégralement financée par l’établissement public, repose sur un parcours en deux étapes, composé d’une session en présentiel de trois heures et demie, animée par une formatrice spécialisée – initialement l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) pour la période 2020-2024, remplacée par le groupement ESSAIMER pour 2024-2028 –, puis d’une session en distanciel, avec un questionnaire de validation des connaissances. Un certificat attestant du suivi de la formation est délivré à l’issue, qui doit être obligatoirement présenté lors des demandes d’aide financière.

Selon le CNC, à la fin 2024, 6 484 professionnels avaient suivi cette formation obligatoire, incluant 1 387 exploitants de salles et 5 097 producteurs (cinéma, audiovisuel, animation, jeux vidéo).

Lors de son audition, Mme Florence Borelly, membre du Syndicat des producteurs indépendants, a témoigné : « Malgré la brièveté de la formation, son lancement fut une initiative formidable. Nos structures sont petites, si bien que le producteur est souvent le gérant ou le président de la société ; je suis moi-même productrice et présidente d’une société, donc j’ai suivi cette formation de trois heures. […] Essentielle, cette première formation a été l’occasion d’une prise de conscience. » ([431])

Le CNC a également proposé trois sessions de formation aux agents artistiques, bien que leur participation demeure facultative. En 2024, 78 agents, appartenant à 46 agences différentes, ont ainsi suivi cette formation.

Au regard des éléments précédemment évoqués sur le pouvoir et le rôle crucial des agents, le rapporteur estime indispensable de rendre une formation similaire obligatoire pour tous les agents artistiques, en y intégrant, pour l’adapter à la spécificité de ce métier, des modules sur le droit du travail ainsi que sur le recueil de la parole des victimes et des personnes mises en cause. La formation obligatoire permettrait de garantir les compétences et le sérieux de l’ensemble de la profession. La formation des agents représentant des talents participant à un film doit ainsi devenir une condition préalable à l’octroi des aides du CNC.

Recommandation n° 51 : rendre obligatoire la formation des agents artistiques aux VHSS et en faire une condition pour bénéficier des aides du CNC.

b.   Depuis quelques semaines, la formation obligatoire de l’ensemble des équipes de tournage

En 2024, le CNC a franchi une nouvelle étape en étendant l’obligation de formation aux équipes de tournage, afin de sensibiliser l’ensemble des professionnels exposés aux risques de VHSS, qu’ils soient réalisateurs, comédiens ou techniciens.

Depuis le 1er janvier 2025, chaque production est tenue d’organiser une formation obligatoire pour l’ensemble des équipes de tournage de films de cinéma, dont le suivi conditionne l’octroi des aides financières du CNC ([432]) , et qui est prise en charge à 100 % par l’AFDAS, l’opérateur de compétences du secteur du spectacle vivant, de l’audiovisuel et du cinéma. Ce nouveau dispositif repose là encore sur un double parcours de formation, composé d’une session en distanciel, validée par un justificatif de suivi dématérialisé, puis d’une session en présentiel, organisée peu avant le démarrage du tournage, avec feuille d’émargement délivrée par un organisme de formation accrédité. Les producteurs devront attester du suivi effectif de la formation en fournissant les justificatifs au moment de l’agrément de production.

Cette réforme est une véritable évolution dans le secteur, car les intermittents se forment généralement sur leur temps indemnisé et non sur leur temps de travail. Désormais, les formations ont lieu sur un temps de travail rémunéré, ce qui constitue une avancée majeure pour ancrer la prévention des VHSS dans les pratiques professionnelles. Plus encore, les comédiens, les réalisateurs et les techniciens recevront, de fait, la formation en présentiel autant de fois qu’ils ont des projets dans l’année, permettant ainsi des rappels très réguliers du droit existant.

La présidente et le rapporteur de la commission d’enquête ont assisté, le lundi 10 février, à l’une de ces formations. Elle s’articule autour de cas pratiques, mettant en scène des situations concrètes rencontrées lors d’un tournage. Le rapporteur a pu constater l’intérêt manifeste des équipes, qui se sont montrées curieuses et attentives, ainsi que l’utilité concrète de la formation, notamment face à la méconnaissance du producteur, qui avait pourtant suivi la formation obligatoire des mandataires sociaux, quant à certaines dispositions du droit du travail applicables en matière de VHSS.

Une extension aux tournages audiovisuels est actuellement envisagée par le CNC, les premières concertations avec le secteur à ce sujet ayant débuté en décembre 2024. Le rapporteur ne peut que souscrire à l’extension de cette formation aux tournages audiovisuels, et estime souhaitable d’envisager son extension aux productions du spectacle vivant.

Recommandation n° 52 : étendre la formation obligatoire aux tournages audiovisuels et aux productions du spectacle vivant.

 

2.   Vers une généralisation de la conditionnalité des aides publiques en matière de VSS

● Depuis le 1er janvier 2021, l’accès aux aides financières du CNC est conditionné au respect des obligations légales en matière de lutte et de prévention des VHSS et à la formation des mandataires sociaux. Ce dispositif de conditionnalité s’applique aux producteurs, exploitants de salles et autres bénéficiaires d’aides publiques du CNC.

Par ailleurs, l’article L. 311-3 du code du cinéma et de l’image animée prévoit que le CNC « s’assure du respect par les bénéficiaires des aides financières de leurs obligations sociales. En cas de non-respect de ces obligations, le Centre national du cinéma et de l’image animée peut refuser d’attribuer les aides demandées ou retirer les aides indûment attribuées. »

La productrice du film Le Retour sanctionnée par le CNC

Sur le fondement de l’article L. 311-3 du code du cinéma et de l’image animée, le CNC a imposé une sanction financière au film Le Retour réalisé par Mme Catherine Corsini et produit par Mme Élisabeth Perez.

Lors du tournage, une scène à caractère sexuel impliquant deux adolescents (une jeune actrice de 15 ans et 9 mois et un jeune acteur de 17 ans) a été ajoutée sans autorisation préalable de la DRIEETS.

Bien que la directrice de production ait alerté l’équipe quant à la nécessité d’une autorisation spécifique, la productrice et la réalisatrice ont décidé de tourner la scène sans déposer une demande auprès de la commission des enfants du spectacle.

En conséquence, le CNC a infligé une sanction financière inédite, décidant de retirer 700 000 euros de financement à la production pour non-respect de ces obligations – après discussion, la somme a été ramenée à 330 000 euros.

Cette décision, vécue comme « inédite et disproportionnée » (1) par la réalisatrice, démontre la volonté du CNC de faire évoluer les pratiques et respecter le droit en vigueur sur les tournages en responsabilisant les productions.

(1)    Compte rendu n° 36 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425036_compte-rendu.

L’article 6 de la proposition de loi n° 935 du Sénat visant à conforter la filière cinématographique en France, dans la version adoptée le 14 février 2024 par la Haute Assemblée, propose même de retirer à la production cinématographique ou audiovisuelle les aides dont elle aurait bénéficié lorsque le non-respect de ses obligations résultant du code du travail en matière de harcèlement sexuel a conduit à la commission d’une infraction sexuelle sanctionnée par une condamnation pénale. Le rapporteur ne peut qu’y être favorable, tout en redoutant une mise en œuvre difficile.

● Le CNM est un établissement public créé en 2020 pour soutenir et accompagner le secteur musical et ses professionnels. Il a pour mission de favoriser la diversité, la création, la production et la diffusion des œuvres musicales, tout en veillant au développement économique du secteur. Le CNM regroupe et coordonne plusieurs dispositifs d’aide et d’accompagnement.

Depuis le 1er janvier 2021, le CNM conditionne l’octroi de ses aides au respect du Protocole de prévention des violences et du harcèlement sexiste et sexuel ([433]) destiné aux employeurs. Cette démarche vise à renforcer la prévention et la responsabilisation des bénéficiaires de ces financements publics.

Le CNM impose aux cadres des structures bénéficiaires d’aides de suivre une formation obligatoire sur la prévention et la lutte contre les VHSS. Cette formation, similaire à celle mise en place par le CNC, permet d’informer et de sensibiliser les responsables d’entreprises culturelles sur les obligations légales et les bonnes pratiques en matière de lutte contre ces violences.

Outre la formation des dirigeants, toute entreprise sollicitant une aide du CNM ou son affiliation doit :

 attester du respect des obligations légales en matière de VHSS, notamment en intégrant des dispositifs de prévention et de signalement des violences dans leur organisation.

– s’engager à mettre en place des actions concrètes en faveur de la prévention des VHSS, comme la nomination d’un référent dédié, la mise en œuvre de formations internes, l’instauration d’un dispositif de signalement efficace ou encore la diffusion d’un guide de bonnes pratiques.

Le non-respect des engagements en matière de lutte contre les VHSS entraîne un refus d’attribution des aides pour les entreprises ne respectant pas ces obligations ou un retrait des financements accordés, en cas de manquement constaté après l’octroi de l’aide. À ce titre, le CNM a indiqué contrôler aléatoirement les déclarations faites par les entreprises et vouloir systématiser le comité d’alerte pour les cas de VHSS dans les structures adhérentes.

 L’Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP), qui participe au financement du spectacle vivant à travers le mécanisme d’aides remboursables, s’est également engagée dans cette voie. En 2023, l’ASTP a modifié son règlement intérieur pour conditionner ses aides au respect d’un protocole de lutte contre les VHSS. Au-delà du respect des obligations légales de l’employeur, ce protocole impose au représentant légal de suivre une formation d’une durée minimale de 7 heures et d’adopter un plan d’action pour lutter contre les VHSS ([434]) comprenant notamment une information et une sensibilisation de l’ensemble de ses équipes à la prévention des VSS et la mise en place d’un dispositif de signalement.

Une réflexion est également en cours afin d’étendre le champ des formations, de généraliser les clauses de bonne conduite, notamment dans les contrats de travail, et de renforcer le conditionnement des aides notamment à l’amélioration de la place des femmes dans les équipes et à la visibilité des femmes créatrices ([435]) – enjeu crucial, comme le présent rapport l’a démontré précédemment.

Le mécanisme conditionnant l’octroi des aides publiques au respect d’engagements en matière de lutte contre les VHSS s’est révélé efficace et incitatif. Son application a permis de renforcer la prévention et la responsabilisation des acteurs du secteur. Il apparaît donc pertinent de généraliser cette conditionnalité à l’ensemble des secteurs culturels bénéficiant de financements publics, afin d’assurer une cohérence et une égalité de traitement dans la mise en œuvre des mesures de protection et de prévention.

Recommandation n° 53 : étendre la conditionnalité des aides publiques à l’ensemble du secteur culturel, en exigeant la formation des équipes, la mise en place d’un protocole de signalement et de traitement ainsi qu’un bilan annuel par la structure des actions engagées.

De manière générale, toutes les collectivités finançant une association ou un projet devraient systématiquement inclure une clause spécifique sur la lutte contre les VHSS dans leurs conventions de financement. Cette clause doit établir des engagements clairs en matière de prévention et de traitement des VHSS et prévoir des sanctions, notamment le retrait des aides publiques en cas de non-respect des obligations souscrites.

Recommandation n° 54 : inscrire systématiquement une clause relative à la lutte contre les VHSS dans les conventions de financement entre les collectivités et les associations culturelles, incluant la possibilité de retrait des aides en cas de manquement.

B.   Un cadre encore insuffisamment dÉfini pour les rÉFÉrents VHSS

1.   Un dispositif bien implanté dans le cinéma mais encore marginal dans les autres secteurs

Dans le secteur du cinéma, l’avenant du 17 mai 2024 à la convention collective de la production cinématographique prévoit la présence d’un référent VHSS sur chaque tournage.

Ce référent est désigné sur la base du volontariat et doit obligatoirement avoir suivi une formation sur les VHSS. Ses missions sont clairement définies :

– informer et orienter les salariés vers les ressources utiles ;

– participer aux actions de sensibilisation et de prévention des VHSS, en liaison avec l’employeur ;

– communiquer sur la procédure de signalement interne à l’entreprise, en liaison avec l’employeur ;

– recueillir les signalements des salariés ;

– transmettre par écrit les signalements recueillis à l’employeur et ses représentants ;

– être informé du suivi et de la clôture de la procédure de traitement des signalements, le cas échéant.

Cependant, la convention collective précise que le référent VHSS n’a pas vocation à se substituer à l’employeur dans ses obligations en matière de prévention et de traitement des signalements. Il ne peut être tenu pour responsable des manquements de l’employeur ni des éventuelles défaillances dans la gestion des situations de VHSS. Par ailleurs, la convention collective reconnaît au référent le statut de lanceur d’alerte.

Le président de l’Association française des réalisateurs de fiction, M. Jérémie Steib, résume ainsi la fonction : « Le référent est formé pour recueillir la parole des victimes et pour les conseiller sur les démarches à effectuer. Il transmet les signalements à l’employeur ; c’est un passeur d’informations. » ([436])

En l’absence d’un cadre légal strict, le référent VHSS peut, de sa propre initiative, signaler des faits au CNC. Toutefois, le CNC ne disposant pas de pouvoir d’enquête, il saisira les autorités compétentes en fonction des éléments recueillis, à savoir l’inspection du travail ou le procureur de la République. De même, le référent peut informer le CCHSCT afin d’orienter les actions de prévention dans la branche.

Si la présence de référents VHSS est désormais bien établie dans le secteur du cinéma, la situation est différente dans d’autres domaines culturels. Dans l’audiovisuel, bien que des négociations soient en cours, la convention collective n’impose pas la désignation d’un référent VHSS sur chaque production. Le rapporteur encourage les partenaires sociaux à intégrer cette exigence dans la convention collective afin d’harmoniser leurs pratiques avec celles du cinéma. Par ailleurs, pour les productions d’envergure, le rapporteur encourage les employeurs à désigner un binôme paritaire en tant que référent.

Recommandation n° 55 : rendre obligatoire la désignation d’un ou plusieurs référents VHSS sur les tournages audiovisuels.

Dans le spectacle vivant, la majorité des compagnies de danse et de théâtre étant constituées sous forme d’association et de très petite taille, elles ne disposent ni d’un référent au sein du CSE ni d’un référent VHSS au sens de l’article L. 1153‑5-1 du code du travail.

Dans le mannequinat, la convention collective ne prévoit aucune disposition spécifique concernant les référents VHSS. Seules les grandes agences, mieux structurées, ont mis en place de tels dispositifs en leur sein.

Il apparaît donc nécessaire de généraliser l’instauration de référents VHSS à l’ensemble des secteurs culturels, y compris pour les petites structures, en intégrant cette exigence dans les conventions collectives et en imposant des formations obligatoires adaptées aux spécificités de chaque métier. Pour ces dernières, il semble souhaitable de permettre une mutualisation entre structures proches.

Recommandation n° 56 : systématiser la désignation d’un référent VHSS dans toutes les entreprises du secteur culturel, éventuellement mutualisé pour les plus petites structures.

2.   Les défis liés au rôle et au statut de référent VHSS

L’expérience du cinéma met en évidence plusieurs difficultés structurelles dans la mise en place des référents VHSS.

● Premièrement, la question de l’indépendance du référent est cruciale. En effet, cette indépendance peut être mise en doute lorsqu’il est désigné parmi les salariés de la société de production. M. Erwan Doré, coprésident de l’Association française des régisseuses et régisseurs du cinéma et de l’audiovisuel (AFR), met en garde contre de possibles pressions émanant de la hiérarchie : « Il est compliqué que cette fonction soit exercée par un salarié de la société de production. En cas de harcèlement ou de violences sexuelles, signaler un incident pourrait mettre en danger son propre emploi, d’autant plus si le tournage risque d’être suspendu. » ([437])

Par ailleurs, la désignation d’un référent interne dans les petites structures soulève une difficulté majeure quant à sa capacité à recevoir et traiter un signalement impliquant une personne en position de pouvoir. Cette question est encore plus délicate dans des organisations de taille réduite, où les relations hiérarchiques et professionnelles sont souvent plus imbriquées.

Inversement, le référent peut être une personne en situation de pouvoir, comme le directeur de production ou le réalisateur. Dans ce cas-là, il est extrêmement difficile pour un salarié victime de VHSS de venir lui en parler. Mme Mélodie Molinaro, fondatrice de l’association Derrière le Rideau, souligne cette difficulté : « les référents VHSS occupent souvent des postes à responsabilités, en particulier dans les petites structures. Si un producteur ou un metteur en scène est aussi le référent VHSS, comment faire et vers qui me tourner lorsqu’il m’agresse, moi qui suis comédienne ? » ([438])

La commission d’enquête a reçu plusieurs témoignages dénonçant des propos sexistes et des agressions sexuelles répétés de la part d’un ancien directeur du festival des Francofolies ([439]). Une professionnelle a ainsi relaté à la commission l’épisode suivant, qui se serait déroulé alors qu’elle se trouvait au bar VIP : « Gérard Pont s’approche derrière moi et me met les deux mains sur les seins. » Interrogée sur ces allégations, Mme Haude Hellio, directrice des relations institutionnelles et référente VHSS du festival, a assuré : « Si des témoignages devaient nous parvenir, nous avons un protocole que nous appliquerions, même si un salarié n’est plus membre des Francofolies. Nous accompagnerions les personnes qui portent ces témoignages » ([440]). Force est de constater, à l’en croire, que ces accusations ne lui étaient pas parvenues avant l’audition.

M. Alexis Leclère, co-secrétaire des Assistant.es Opérateur.trices Associé.es, confirme cette difficulté : « Nous sommes tous d’accord dans l’association pour dire que les référents harcèlement, dans leur format actuel, ne devraient jamais être des directeurs ou directrices de production, ou des gens ayant beaucoup de pouvoir, comme des réalisateurs ou des réalisatrices. Ces fonctions doivent être exercées par un technicien ou une technicienne. » ([441]) Le rapporteur ne peut que partager cette analyse, le directeur de production étant de surcroît la personne en charge des ressources humaines d’un tournage et ayant, de facto, déjà la fonction de référent. De façon générale, le référent ne devrait jamais appartenir à la direction.

Pour remédier à la difficulté, Mme Nathalie Tissier propose de s’inspirer de la pratique américaine, en nommant des référents extérieurs : « Après le mouvement #MeToo, les États-Unis ont adopté une position radicale qui frôle certes la surveillance généralisée, mais qui présente des aspects positifs : non seulement des référents harcèlement sont présents sur le plateau, mais il existe aussi un référent extérieur – et cela change la donne. Il peut être compliqué de traiter un problème en interne ; le recours à un référent extérieur lève de nombreux freins. » ([442])

Le rapporteur estime donc souhaitable qu’un référent extérieur puisse être également nommé. Sa présence sur le plateau n’aurait pas besoin d’être continue, mais il devrait être rapidement mobilisable par une victime en cas de besoin, si le référent interne ne lui paraît pas être la personne appropriée. De façon générale, il importe de multiplier les voies de signalement si l’on veut espérer libérer la parole.

Recommandation n° 57 : prohiber le cumul de la fonction de référent avec une fonction de direction et désigner un référent extérieur en complément du référent interne à la structure.

S’agissant du ou des référents internes – les structures sont en effet de plus en plus nombreuses à en désigner deux, souvent à parité –, une façon de résoudre le possible conflit d’intérêts dans lequel il serait placé vis-à-vis de la production, et afin d’assurer une remontée de l’information adéquate, le rapporteur estime souhaitable que deux documents soient établis indépendamment l’un de l’autre à l’issue de chaque production :

– d’une part, une attestation du producteur indiquant qu’il a mis en œuvre ses obligations légales et qu’il a traité, le cas échéant, tous les signalements reçus ;

– d’autre part, un rapport de fin de tournage adressé indépendamment par le référent au CNC, à Thalie Santé et au CCHSCT, faisant état des conditions de tournage et des signalements reçus.

Une telle pratique permettrait de mettre les producteurs face à leurs responsabilités et d’assurer le contrôle du respect des obligations légales par le CNC, comme la prévention des VSS au niveau de l’ensemble du secteur par le CCHSCT.

Recommandation n° 58 : conditionner le versement des aides du CNC à la rédaction d’un rapport de fin de tournage par les référents VSS ainsi qu’à la fourniture, par le producteur, d’une attestation de traitement des signalements reçus.

● Deuxièmement, bien que la formation des référents VHSS soit théoriquement obligatoire, plusieurs personnes auditionnées ont souligné un manque de formation réelle sur ces sujets. Mme Mélodie Molinaro, fondatrice de l’association Derrière le Rideau, a alerté la commission à ce propos : « Sur le principe, c’est très bien, mais nombre de ces référents se sont autodéclarés, sans avoir suivi de formation ni être certifiés. Ils n’ont donc pas forcément les clés pour recueillir la parole des victimes et leur apporter l’aide nécessaire après une agression ou des faits de harcèlement. » ([443])

En réponse à ce manque de professionnalisme, le directeur général de l’AFDAS, M. Thierry Teboul, a indiqué que l’organisme de formation envisage de « délivrer des open badges que les participants pourront ajouter à leur CV, augmentant ainsi leur employabilité, ce qui permet de contourner la perception d’inutilité de ces formations. » ([444]) Afin d’accompagner les référents VHSS dans leurs missions, il semble nécessaire d’établir un réseau qui regroupe tous les référents VHSS du secteur culturel. Ce réseau pourra être mobilisé lorsqu’un référent est confronté à une situation inédite ou pour échanger sur les bonnes pratiques.

Recommandation n° 59 : créer un réseau pour les référents VHSS du secteur culturel.

Au-delà d’une formation spécifiquement dédiée aux VHSS, il serait pertinent d’y intégrer un volet sur les premiers secours et la santé mentale, notamment en ce qui concerne les mécanismes post-traumatiques. Cette approche permettrait aux référents VHSS d’accompagner plus efficacement les victimes et de mieux repérer les signes de détresse psychologique.

Recommandation n° 60 : compléter la formation des référents VHSS par un module dédié aux premiers secours et à la santé mentale.

● Troisièmement, la désignation des référents VHSS n’est pas soumise à une vérification de leurs antécédents judiciaires. Mme Sophie Lascombes, membre du conseil d’administration du Collectif féministe contre le viol, souligne un risque préoccupant : « La nomination d’un référent VHSS n’est pas conditionnée à une vérification du fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes. C’est peut-être une piste d’amélioration. À l’université, nous avons vu des agresseurs se porter volontaires comme référents VHSS après avoir été mis à l’écart pendant un temps. » ([445])

Recommandation n° 61 : instaurer un contrôle d’honorabilité pour les référents VHSS.

 Enfin, s’agissant du cinéma, le référent VHSS n’intervient qu’à partir du tournage, ce qui exclut certains corps de métier. M. Omid Gharakhanian, membre du Collectif des assistant.e.s décorateur.ice.s de cinéma et de l’audiovisuel, explique : « Lorsque nous commençons à travailler – bien avant le début du tournage –, le référent VHSS n’a souvent pas encore été désigné. Ensuite, lors du tournage, nous sommes éloignés géographiquement et avons notre propre temporalité. L’équipe ignore souvent qui est le référent, même si son nom figure sur les documents de la production, tels que les mails et la feuille de service. » ([446]) Il serait donc pertinent de désigner plusieurs référents, intervenant à tous les stades de la fabrication d’un film, de la création des décors à la post-production.

C.   Vers un encadrement accru des scÈnes d’intimitÉ

1.   Les scènes d’intimité, des moments à risque

Les scènes d’amour ou d’intimité, au cinéma, au théâtre et même à l’opéra, sont des moments à risque. Or de l’aveu de nombreux acteurs, ces moments particuliers, que la plupart trouvent désagréables à jouer, sont assez souvent les plus mal préparées. Jean Dujardin a raconté son expérience avec des réalisateurs qui évitent soigneusement le sujet avant le jour de la prise, et qui, au pied du mur, attendent que les comédiens leur fassent des propositions ([447]). Là encore, de telles stratégies d’évitement signent un manque de professionnalisme coupable, car propice à tous les dérapages.

Mme Alice Cambournac, présidente de l’Association française des costumiers du cinéma et de l’audiovisuel, a relaté les improvisations auxquelles donnent lieu les scènes de sexe, qui mettent souvent mal à l’aise les réalisateurs eux-mêmes : « La situation s’est améliorée, mais il y a encore quinze ans, il y avait des situations folles. Le metteur en scène n’en parlait pas en amont avec les comédiens et comédiennes, ne savait pas forcément lui-même comment il allait tourner la scène et, à l’approche du jour J, je finissais par demander s’il fallait prévoir des cache-sexes et quelles protections étaient envisageables, c’est-à-dire des éléments purement factuels. J’apprenais alors quelles parties du corps devaient apparaître à l’image et donc quels sous-vêtements – un string, par exemple – je pouvais éventuellement fournir aux actrices et aux acteurs qui, eux, étaient dans une insécurité et une angoisse totales […] on doit tout à la fois rassurer le comédien ou la comédienne et essayer de glaner des informations auprès du réalisateur ou de la réalisatrice » ([448])

La commission a reçu de nombreux témoignages d’abus permis par ce contexte particulier. La comédienne Anna Mouglalis a notamment relaté l’une de ses expériences en ces termes : « à peine majeure, je dois faire une scène de représentation sexuelle avec un homme de l’âge de mon père. […] La scène est réglée, on sait ce qu’on va faire. Il doit m’appeler dans la salle de bains et me dire de me mettre à genoux pour lui faire une fellation. Moi, je dois hésiter, alors il doit me donner une baffe. On tourne la scène, mais il se met à improviser. Il me met les mains sur les épaules et m’écrase au sol avec une grande force. Je me fais très mal au genou. Il enfonce son pouce dans ma bouche. J’ai la tête en arrière et de son autre main, il me donne plein de baffes en me disant : “T’aimes ça, salope !” Je me mets à pleurer, je suis tétanisée. Il me donne une autre baffe, violente, et je m’écrase au sol. Coupez ! Le réalisateur et les techniciens trouvent cette scène bouleversante, alors on la refera, parce que ce sera beau pour le film. » ([449])

Mme Francine Cathelain, membre de l’association LSA, a également fait part à la commission d’un viol commis dans un tel contexte : « J’ai ainsi assisté au viol d’une actrice lors d’une scène d’amour sans savoir que c’était de cela qu’il s’agissait. La scène se déroulait sous des draps et on ne voyait pas ce qui se passait. Puis, à l’issue de la séquence, l’actrice est partie dans sa loge car elle n’avait plus de plan à tourner. En fin de journée, elle est revenue voir le réalisateur et j’ai constaté qu’elle était en larmes pendant qu’ils parlaient. On a appris le lendemain que cet acteur avait été au-delà de ce qu’il fallait faire. Je crois qu’il n’y a eu aucune suite. Le réalisateur, qui m’avait d’ailleurs agressée sexuellement en mettant ses deux mains sur mes seins, n’a rien fait. » ([450])

2.   La nécessité d’un encadrement juridique accru

Il était fréquent, il y a encore peu de temps, que les scènes d’intimité ne soient que peu décrites par le scénario. Or le scénario étant directement lié au contrat de travail de l’interprète, l’acteur est tenu de jouer les scènes et de réciter les dialogues prévus. Un tel flou juridique laisse nécessairement la place à des interprétations ou à des modifications en cours de tournage, que les comédiens peuvent se sentir contraints à accepter.

Le rapporteur estime indispensable de rendre obligatoire un certain niveau de détail s’agissant de scènes qui doivent faire l’objet d’un accord contractuel éclairé. Il est donc essentiel que les contrats des acteurs incluent des clauses explicites et détaillées concernant les scènes d’intimité et les parties que le comédien accepte de voir montrées ou touchées, garantissant ainsi le respect du consentement et des conditions de travail de l’interprète. Les acteurs Jean‑Paul Rouve et Gilles Lellouche ont ainsi proposé la réalisation obligatoire d’un storyboard illustrant les plans et les axes avant le tournage de la scène, ce qui pourrait utilement compléter les dispositions contractuelles et devrait être encouragé par les partenaires sociaux. D’autres mesures sont envisageables, comme le tournage en équipe réduite ou l’extinction du combo, qui devraient faire partie de la panoplie des dispositifs à proposer systématiquement par la production pour assurer le confort des acteurs.

Recommandation n° 62 : rendre obligatoire des clauses précises et détaillées relatives aux scènes d’intimité dans les contrats des interprètes.

Les agents artistiques auditionnés ont également mis en lumière l’importance d’un droit de regard sur le montage, qui permettrait aux acteurs de s’assurer que leur image n’est pas utilisée de manière abusive et éviterait les situations du type de celle dans laquelle l’actrice Anna Mouglalis s’est retrouvée : « Lors de cette scène, je devais me relever pour m’allonger sur l’homme, mais j’ai dit au metteur en scène que je ne pouvais pas faire ça, car l’angle de la caméra se retrouverait littéralement sur mon sexe. On m’a alors répondu de ne pas m’inquiéter, parce que la caméra allait remonter sur mon dos et accompagner mon mouvement, si bien qu’il n’y aurait pas de problème. La confiance un peu entamée, je tourne la scène, puis je vérifie la prise. C’était un plan par-derrière où on voyait tout, jusqu’à mes lèvres. Je dis alors à la scripte que je refuse le plan. Je le signale aussi à mon agent et j’exige, devant témoins, que l’axe du lit soit changé. Non seulement le plan initial a été conservé au montage, mais il a aussi été repris dans la bande-annonce » ([451])

Actuellement, ce droit n’est pas systématique et dépend du pouvoir de négociation de chaque artiste, qui n’ose pas toujours le demander, comme en a témoigné M. Pio Marmaï : « je ne me rends pas compte de ce que sera le résultat. Je ne sais pas exactement ce qui sera gardé. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à définir ma place d’interprète. Comme les comédiennes avec qui j’ai travaillé, j’éprouve encore des difficultés à dire au cinéaste ou à la cinéaste que j’aimerais voir le résultat : parce que je ne suis pas cinéaste, que je suis un simple exécutant, je n’oserais pas trop le faire. » ([452])

Comme l’a souligné l’un des agents auditionnés, « il conviendrait de rendre ce droit obligatoire, car il était plus facile, par le passé, de l’obtenir pour certains talents que pour d’autres, en fonction de leur pouvoir respectif. Ainsi, les droits de regard ne nous auraient jamais été octroyés pour les talents les moins importants. » ([453]) Le rapporteur estime indispensable que les acteurs bénéficient d’un droit de regard sur le montage dès lors que leurs parties intimes sont potentiellement exposées. Par ailleurs, le rapporteur estime nécessaire, à ce stade de la production, qu’un éventuel différend entre le comédien et la production sur le respect des stipulations de son contrat puisse être porté devant un médiateur, par exemple rattaché au CNC, afin de proposer une solution en cas de contentieux.

Recommandation n° 63 : donner obligatoirement aux talents un droit de regard sur le montage des scènes faisant apparaître leurs parties intimes et prévoir une médiation du CNC en cas de désaccord.

3.   La coordination d’intimité, un recours indispensable

Afin de prévenir les risques, les interprètes sollicitent de plus en plus souvent la présence d’un coordinateur d’intimité, dont l’intervention peut être expressément prévue dans leur contrat de travail. Ce coordinateur joue un rôle essentiel dans la mise en place d’un cadre de tournage sécurisé et respectueux, en veillant à ce que les acteurs se sentent à l’aise et que les scènes soient tournées dans des conditions adaptées.

a.   Une professionnalisation en cours

En France, le métier de coordinateur d’intimité se développe progressivement, en particulier dans le secteur du cinéma, où sa présence est désormais encouragée. Ce professionnel joue un rôle clé lors de la préparation, du tournage et de la post-production de scènes dites d’intimité, c’est-à-dire celles impliquant de la nudité, des actes et des violences sexuels simulés, des baisers ou des caresses des parties intimes. Sa mission principale est de garantir un environnement de travail sécurisé et respectueux pour tous les intervenants, tout en permettant à la narration artistique de se déployer pleinement. En janvier 2025, seules cinq coordinatrices d’intimité environ étaient recensées sur le territoire.

La notion d’intimité sur un tournage

« La notion d’intimité est assez subjective et varie selon chaque individu, chaque projet, la nationalité des comédiens et comédiennes, ainsi que la mise en scène.

« Il existe néanmoins des standards internationaux incluant la nudité, qu’elle soit partielle, totale ou en transparence, les actes de sexualité simulée, les contacts physiques et d’autres interactions entre adultes et enfants qui ne relèvent pas de la sexualité, comme un câlin, un toucher ou une mère allaitant son bébé.

« L’intimité peut également concerner une personne ayant des cicatrices ou une personne portant un voile et devant travailler cheveux découverts. Nous nous adaptons à la manière dont chaque comédien ou comédienne perçoit son intimité. Travailler l’intimité sur un projet français diffère d’un projet japonais ou africain. »

Source : audition de Mme Monia Aït El Hadj, compte rendu n° 5 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324005_compte-rendu.

Le coordinateur d’intimité intervient ainsi à plusieurs étapes clés d’une production cinématographique :

– lors de la préparation du tournage, il analyse et organise des scènes d’intimité en étroite collaboration avec les équipes créatives et techniques (comédiens, réalisateurs, producteurs, techniciens) ;

– pendant le tournage, il veille au respect des protocoles établis, s’assure du consentement des parties prenantes et signale tout manquement aux responsables de la production ;

– après le tournage, il contrôle la conformité des rushs des scènes d’intimité et rédige des rapports destinés à la production. Il peut également offrir un accompagnement aux comédiens en post-production.

M. Romain Cogitore, cinéaste, a eu recours à une coordinatrice d’intimité pour le film Une zone à défendre et en a souligné l’intérêt devant les membres de la commission : « nous en avons parlé avec les interprètes comme d’une cascade à réaliser. Pour moi, il était particulièrement important d’être certain du consentement de mes interprètes. Cette certitude était confortée par la présence d’une médiation, qui donnait à l’interprète la possibilité d’opposer un refus à quelqu’un qui n’était pas le réalisateur. Les scènes qui suggéraient l’acte sexuel étaient très précisément écrites dans le scénario. Pour que l’interprète sache d’emblée que le propos du film n’était pas d’être frontal, je décrivais ce qui resterait hors champ, indiquant par exemple : “dans telle scène, on ne voit pas en dessous du buste”. Cette attention au détail et à la description visait à sécuriser l’interprète. En dépit de mes efforts, je me suis rendu compte que je n’avais pas tout prévu dans le scénario : lors de la préparation d’une scène de fête avec des personnages secondaires, j’ai pensé qu’il fallait que deux femmes s’embrassent pour faire comprendre qu’elles formaient un couple. J’ai alors utilisé la médiation de la coordinatrice d’intimité, sans complètement renoncer à ma responsabilité d’auteur et de cinéaste. J’ai appelé chacune des deux actrices pour leur exposer ma demande, en leur disant de rendre leur réponse à la coordinatrice, qui leur reformulerait la demande. L’une des deux actrices, âgée de 35 ans, a tenu à me répondre tout de suite qu’elle était d’accord pour tourner cette scène et que cela ne lui posait aucun problème. L’autre, qui avait 25 ans, m’a dit qu’elle était contente de ma démarche et des précautions prises ; elle est passée par la coordinatrice d’intimité pour accepter la demande. » ([454])

Aux États-Unis, le métier de coordinateur d’intimité est bien plus développé et structuré qu’en France. Il a été officialisé dès 2018 avec la série The Deuce, en réponse au mouvement MeToo et aux préoccupations croissantes concernant la sécurité et le bien-être des acteurs lors de scènes d’intimité. Des grandes productions ont rapidement adopté cette pratique, rendant obligatoire la présence d’un coordinateur d’intimité sur tous les plateaux impliquant des scènes de nudité ou de sexualité simulée. Les États-Unis disposent de programmes de certification spécifiques à travers des organismes tels que l’Intimacy Professionals Association (IPA) et Intimacy Directors and Coordinators (IDC), auxquels les professionnels français doivent aujourd’hui recourir faute de formation certifiante en France.

Pour répondre à la demande de professionnalisation de ces intervenants, l’AFDAS élabore les contours d’un certificat de qualification professionnelle (CQP) – un diplôme de branche – pour ce métier, qui sera déposé au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et bientôt éligible à ses financements. Le déploiement effectif de cette formation devrait avoir lieu au cours du premier semestre de l’année 2025. Cette démarche, que le rapporteur salue, devrait permettre d’accroître le nombre de professionnels compétents dans ce domaine.

b.   Des limites persistantes à l’intervention de coordinateurs d’intimité

Malgré son importance, le métier de coordinateur d’intimité reste confronté à plusieurs défis majeurs. Le recours à l’un de ces professionnels représente en premier lieu un coût financier supplémentaire pour les productions cinématographiques. La rémunération journalière se situe entre 450 et 650 euros brut. Ce professionnel est généralement financé par la production en tant que salarié ou indépendant, sans possibilité pour le producteur de se décharger de ses obligations VHSS en externalisant entièrement cette fonction.

La réticence de certains réalisateurs face à ce qu’ils perçoivent comme une intrusion dans leurs prérogatives artistiques explique également que le recours à la coordination d’intimité ne soit pas encore un réflexe ancré. Mme Paloma Garcia Martens, coordinatrice d’intimité, clarifie ainsi ses attributions : « Il est important de comprendre que notre rôle ne consiste pas à modifier un scénario. Nous coordonnons l’information et partageons avec la production les limites des comédiens et des comédiennes, et elle décide ensuite de les prendre en compte ou non. Nous proposons des solutions, mais nous ne signons pas les scénarios. Nous ne détenons pas de pouvoir décisionnel. Notre seul pouvoir réside dans nos recommandations. Nous ne sommes pas productrices et nous n’avons pas la capacité d’arrêter un tournage ou d’empêcher un comédien ou une comédienne de montrer une partie de son corps qu’il ou elle avait initialement décidé de ne pas exposer. Ainsi, notre seul pouvoir actuel est de quitter un projet si nous ne pouvons plus garantir un minimum de sécurité, même si la sécurité absolue n’existe pas. » ([455])

Une actrice a également témoigné devant la commission de ses réticences quant à l’intervention d’un coordinateur d’intimité : « La fonction de coordinateur d’intimité me gêne beaucoup : j’ai l’impression qu’elle rapporte tout au plan physique, à un niveau qui n’est pas artistique, et que tout devient un problème, tout devient conscient. Quand je l’ai vue apparaître, je me suis dit : “C’est quoi, cette histoire ? Encore un truc anglo-saxon !” En tant que Française, j’ai l’habitude de gérer et même d’inventer les scènes d’amour, car les réalisateurs sont souvent gênés, eux aussi, de les tourner : il arrive qu’un acteur ou une actrice prenne les devants, fasse des propositions. Je préfère discuter directement avec le metteur en scène et avoir la possibilité contractuelle de refuser une scène ou un plan. Cela préserve la liberté artistique. Je ne souhaite pas faire la police sur un tournage en contestant le moindre angle de vue imprévu. Quand c’est trop contrôlé, c’est l’enfer ! ».

Lors de son audition, Mme Monia Aït El Hadj, coordinatrice d’intimité, témoigne : « Après avoir terminé une école de cinéma, j’ai découvert ce métier aux États-Unis en 2018-2019 et j’ai décidé de m’y former. Comme ce n’était pas possible en France, je me suis formée auprès d’un organisme américain. J’ai été la première à exercer cette profession en France et j’ai dû convaincre les productions françaises de son utilité, mais j’ai rencontré beaucoup de réticences, car ceux qui connaissaient ce métier le considéraient comme typiquement américain. On me disait souvent : “Nous n’avons pas cette mentalité anglo-saxonne, un peu puritaine. Nous n’avons pas les mêmes problèmes, le corps et l’intimité ne sont pas des tabous pour nous.” J’ai donc ressenti beaucoup de réticences au départ. » ([456])

De fait, si le métier tend à se développer, il reste encore très peu répandu en France et limité à quelques productions cinématographiques. En ce qui concerne l’audiovisuel, seules les plateformes américaines semblent y avoir très fréquemment recours : Netflix indique que la présence d’un coordinateur d’intimité est aujourd’hui quasi automatique, Amazon y recourt systématiquement, de même qu’Apple TV+, y compris lors des castings pour ce dernier.

Dans le spectacle vivant, le recours à un coordinateur d’intimité est très rare, même si l’Opéra de Paris a indiqué avoir fait appel à l’un d’entre eux pour sa dernière production de Salomé de Richard Strauss.

M. Éric Ruf, administrateur général de la Comédie française, a également témoigné de la réticence de sa troupe à recourir à un coordinateur d’intimité : « Nous ne le faisons pas depuis longtemps. Nous avons évidemment conscience que le secret des répétitions peut être source de danger – les représentations étant plus cadrées et se déroulant devant des centaines de spectateurs. Nous avons parlé, au sein de la troupe, de ce nouveau métier qu’est le coordinateur d’intimité – la plupart des actrices et des acteurs du Français faisant également du cinéma. Les huit référentes et référents pensionnaires et sociétaires de la maison, qui représentent la troupe et l’activité artistique, ont décidé de mettre en œuvre des principes de protection. Je peux comprendre qu’un coordinateur d’intimité vienne sur un plateau de cinéma puisque, la plupart du temps, les acteurs, qui sont amenés à vivre des situations qui peuvent déraper, ne se connaissent pas. À la Comédie française, il y a toujours des nouveaux arrivants, mais le cœur de la troupe se connaît depuis des années : les comédiens estiment qu’ils peuvent avoir une conscience collective et exercer ensemble une surveillance qui s’ajoute à l’action des référentes et des référents. » ([457])

Bien que la profession de coordinateur d’intimité réponde à un besoin essentiel dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel en France, elle doit encore surmonter plusieurs obstacles pour s’imposer durablement. S’inspirer des bonnes pratiques américaines, notamment en matière de formation et de structuration professionnelle, pourrait permettre d’accélérer cette dynamique et d’améliorer les conditions de travail sur les plateaux de tournage français. Toutefois, il est important de ne pas se contenter d’importer le modèle américain, car les cultures professionnelles des deux pays sont très différentes : il convient de développer un modèle français de la coordination d’intimité.

Au regard de ces éléments, le rapporteur encourage les branches professionnelles à soutenir l’essor du métier de coordinateur d’intimité et à inscrire, dans toutes les conventions collectives, l’obligation de proposer aux talents l’intervention d’un coordinateur d’intimité en cas de scènes d’intimité. Si l’un des talents souhaitait recourir à un coordinateur d’intimité, alors sa présence deviendrait obligatoire. Cette mesure permettrait de garantir un cadre de travail respectueux, en particulier pour les scènes impliquant de la nudité ou des interactions intimes, tout en protégeant les artistes et techniciens concernés.

Recommandation n° 64 : proposer obligatoirement l’intervention d’un coordinateur d’intimité pour le cinéma, l’audiovisuel et le spectacle vivant.

Si, pour les comédiens adultes, le rapporteur estime qu’il est possible d’en rester à la proposition, il considère que le traitement de scènes d’intimité impliquant un mineur, même sans contact physique réel, doit conduire à faire obligatoirement appel à une coordination d’intimité. Sa présence constituerait une garantie supplémentaire pour assurer la protection des enfants et veiller au respect de leur bien-être tout au long du tournage ou de la représentation.

Recommandation n° 65 : rendre obligatoire la présence d’un coordinateur d’intimité pour tout mineur dès lors qu’il existe une mise en scène de l’intimité.

D.   La nécessité de réglementer à nouveau l’exercice de la profession d’agent

a.   Une profession totalement dérégulée

Si de nombreuses dispositions du droit du travail assurent la sécurité des salariés – pour peu qu’il soit connu et appliqué –, force est de constater que, s’agissant des secteurs visés, en particulier le cinéma et le spectacle vivant, certains manques se sont révélés au fil de l’enquête. Le premier concerne la profession d’agent artistique, qui faisait l’objet de règles juridiques précises et contraignantes jusqu’à la transposition en droit interne de la directive Services, dite « directive Bolkestein » ([458]). À partir de 2010, la profession a été presque entièrement dérégulée, car elle entre dans la catégorie des activités commerciales de fourniture de services – en l’occurrence, un service de « placement », selon le terme quelque peu suranné qui subsiste dans le code du travail ([459]). Selon les chiffres du Syndicat français des agents artistiques et littéraires, communiqués à la première commission d’enquête, il existe 96 agences et environ 175 agents en France ([460]).

Comme l’a rappelé Mme Élisabeth Tanner, présidente du SFAAL, lors de son audition devant la première commission d’enquête, le métier d’agent « est relativement récent, apparu en France vers 1946, juste après la guerre. Avant cette période, on parlait d’imprésario » ([461]). En 1973 avait été instaurée l’obligation de posséder une licence annuelle d’agent artistique, délivrée par une commission qui devait notamment s’assurer de « la moralité de l’agent artistique » ([462]), à quoi s’ajoutait l’inscription sur un registre national. Pour s’établir en tant qu’agent, il fallait avoir reçu mandat d’au moins deux artistes.

La loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010 a abrogé la licence, rendant caduque la commission d’attribution, laquelle a été supprimée par la suite. En 2020, le registre national des agents artistiques, sur lequel les agents avaient obligation de s’inscrire pour pouvoir exercer, ce qui permettait à tout le moins de vérifier qui s’identifiait comme agent, a lui aussi été abrogé, sous couvert de simplification, par le décret n° 2020-733 du 15 juin 2020 ([463]).

Seuls trois éléments subsistent dans le code du travail s’agissant de la profession d’agent : sa définition légale, une incompatibilité et plusieurs dispositions concernant les modalités de rémunération.

L’article L. 7121-9 du code du travail dispose : « L’activité d’agent artistique, qu’elle soit exercée sous l’appellation d’imprésario, de manager ou sous toute autre dénomination, consiste à recevoir mandat à titre onéreux d’un ou de plusieurs artistes du spectacle aux fins de placement et de représentation de leurs intérêts professionnels. »

Le même article prévoit que l’exercice de cette profession est incompatible avec celle de producteur : « Un agent artistique ne peut exercer, directement ou par personne interposée, l’activité de producteur d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles. » ([464]) En revanche, l’article L. 7121-12 du code du travail permet à un agent artistique de produire un spectacle vivant lorsqu’il est titulaire d’une licence d’entrepreneur de spectacles vivants, à ceci près que, dans ce cas, il ne peut percevoir de commission sur l’ensemble des artistes composant la distribution du spectacle. Autrement dit, un agent ne peut à la fois représenter un artiste et l’employer.

Les agents ont, par ailleurs, l’obligation de recevoir un mandat. Celui‑ci doit être établi selon les règles communes définies aux articles 1984 à 2010 du code civil. Il doit au minimum comporter les précisions suivantes :

– la ou les missions confiées et les modalités du compte rendu périodique de leur exécution ;

– les conditions de rémunération ;

– le terme du mandat ou les modalités par lesquelles il prend fin ([465]).

L’article L. 7121-13 du code du travail précise que « les sommes que les agents artistiques peuvent percevoir en rémunération de leurs services et notamment du placement se calculent en pourcentage sur l’ensemble des rémunérations de l’artiste », et l’article D. 7121-7 limite la commission des agents au fameux taux de 10 %, qui s’applique sur le montant brut des rémunérations, fixes ou proportionnelles à l’exploitation, perçues par l’artiste. Aux termes des articles L. 7121-17 et R. 7121-52 du même code, le fait pour un agent artistique de percevoir des sommes au titre du contrat de travail de l’artiste qui ne soient pas calculées en pourcentage sur l’ensemble des rémunérations de l’artiste est puni d’une amende de 1 500 euros. En cas de récidive, la peine prévue est au maximum de six mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.

Mme Élisabeth Tanner, durant son audition devant la première commission d’enquête, a critiqué sévèrement la dérégulation de la profession : « Nous avons été laissés sans outils par une société entière, et nous en sommes collectivement responsables » ([466]). Elle ajoutait : « Si le législateur nous permet de réintégrer certaines règles, je serai la personne la plus ravie du monde, et nous serons nombreux à en bénéficier. » Durant sa seconde audition, elle a toutefois ajouté : « Il faut cependant reconnaître que l’existence de la licence n’a pas empêché les violences ni les autres dérèglements comportementaux ». De fait, les abus dont souffrent les artistes ne sont pas apparus en 2010. Il n’en demeure pas moins que l’impossibilité dans laquelle se trouvent les pouvoirs publics de contrôler les compétences et la moralité d’une personne décidant de se déclarer agent d’artiste pose problème.

Une grande partie des agents eux-mêmes, conscients du préjudice réputationnel que peuvent causer les pratiques d’individus peu scrupuleux, souhaite le rétablissement de certaines règles. C’est le cas de Mme Élisabeth Tanner, mais aussi de M. Dominique Besnehard, qui fut pendant longtemps l’agent de certaines des plus grandes stars du cinéma français ([467]). Le SFAAL s’est ainsi doté d’un code de bonne conduite, mais l’adhésion au syndicat est facultative. Mme Élisabeth Tanner a appelé de ses vœux l’introduction de la possibilité de vérifier l’extrait de casier judiciaire de la personne exerçant comme agent et un « passage par l’assistanat chez un agent » ([468]), autrement dit une sorte d’apprentissage par le compagnonnage avec un agent expérimenté.

b.   La nécessité d’encadrer l’exercice de la profession d’agent

Le rapporteur considère que la meilleure solution serait de réintroduire des mesures de nature législative concernant la profession d’agent. Toutefois, cela suppose au préalable de faire évoluer le périmètre de la directive Services. Compte tenu des enjeux majeurs de protection des personnes qui s’attachent à l’exercice de la profession d’agent artistique, le combat mérite d’être mené : les agents ont la charge de carrières, mais aussi de corps et d’âmes.

Dans l’attente du rétablissement d’une législation stricte, il convient d’organiser la montée en puissance des organisations professionnelles d’agents artistiques et de les encourager à conditionner l’adhésion à la signature d’une charte éthique comportant des engagements précis en matière de VHSS et de pratiques professionnelles.

Par ailleurs, compte tenu des exigences du métier d’agent, il paraît indispensable de créer une certification professionnelle, qui reposerait notamment sur des compétences en droit des contrats mais aussi en droit du travail et sur une formation au recueil de la parole et aux violences morales, sexistes et sexuelles, pour mieux protéger les artistes. En outre, afin de limiter les abus liés à l’usurpation du statut d’agent, il pourrait alors être utile de rétablir le registre national des agents artistiques, en faisant en sorte qu’il soit facilement consultable et qu’y soit consignée la détention d’une certification professionnelle. En outre, le rapporteur juge pertinent de conditionner le versement des aides publiques du CNC et du spectacle vivant à la vérification par les productions qu’ils emploient des acteurs dont les agents sont détenteurs d’une certification professionnelle.

Enfin, de nombreux acteurs ont fait état de l’absence de soutien qu’ils avaient rencontré auprès de leurs agents après des agressions, qui peut aisément s’expliquer par le conflit d’intérêts dans lequel les agents se trouvent de facto placés : l’arrêt d’un tournage par un comédien entraînant une baisse voire une suppression de sa rémunération, il en va de même de la commission de son agent. Dès lors, il peut être tentant d’inciter les talents à passer outre certains comportements dommageables, comme cela a été rapporté à plusieurs reprises à la commission. Le manque de temps est aussi en cause : un producteur entendu à huis clos a admis que « les agents ne [remplissaient] pas toujours leur fonction […] Les agents ont de très nombreux clients et ils n’ont pas le temps de s’occuper de chacun d’entre eux, alors même que certains acteurs ont besoin d’être accompagnés en permanence ». Il paraît donc souhaitable de créer une obligation d’assistance juridique et morale des agents envers leurs talents et de prévoir la perte de leur commission en cas de manquement grave et avéré.

Recommandation n° 66 : faire monter en puissance les organisations professionnelles d’agents artistiques et les encourager à conditionner l’adhésion à la signature d’une charte éthique comportant des engagements précis en matière de VHSS et de pratiques professionnelles

Recommandation n° 67 : créer une certification professionnelle d’agent artistique et rétablir un registre national des agents artistiques

Recommandation n° 68 : conditionner le versement des aides publiques du CNC et du spectacle vivant à la vérification par les productions qu’ils emploient des acteurs dont les agents sont détenteurs d’une certification professionnelle

Recommandation n° 69 : créer une obligation d’assistance juridique et morale des agents envers leurs talents et prévoir la perte de leur commission en cas de manquement grave et avéré

E.   Des mécanismes spécifiques pour la protection des enfants

Au regard de leur particulière vulnérabilité, les mineurs font l’objet de règles spécifiques visant à garantir une protection renforcée. Néanmoins, les travaux de la commission d’enquête ont mis en lumière des faits graves et inacceptables – constat qui appelle un renforcement du cadre existant.

1.   Un contrôle limité de la commission des enfants du spectacle

La législation française encadre strictement le travail des mineurs dans le secteur culturel, notamment dans le cinéma, l’audiovisuel, le spectacle et le théâtre. En principe, le travail d’un enfant de moins de 16 ans est interdit. Toutefois, une dérogation peut être obtenue, l’article L. 7124-1 du code du travail précisant qu’une autorisation administrative préalable peut être délivrée après avis conforme de la commission des enfants du spectacle.

La procédure d’autorisation administrative préalable

L’autorisation est individuelle et nominative, valable pour la durée de la prestation. La demande doit être adressée à la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités territorialement compétente (en Île-de-France, les services sont mutualisés au sein de la direction interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités – la DRIEETS). La demande, une fois déposée, est instruite par un service dédié, avant d’être soumise à l’avis conforme de la commission des enfants du spectacle, sur la base duquel l’autorité administrative prend sa décision. Si la demande concerne un mineur de plus de 13 ans, celui-ci doit donner son consentement par écrit.

Un régime d’autorisation différent régit le secteur du mannequinat : l’autorisation correspond à un agrément annuel renouvelable et non nominatif délivré aux seules agences de mannequins titulaires d’une licence, qui sont alors autorisées à embaucher des enfants durant la période de validité de l’agrément. En 2023, sur 11 617 mannequins salariés, 3 568 avaient moins de 16 ans.

Source : Thalie Santé

a.   Un contrôle a priori des conditions d’emploi des mineures de 16 ans

Les commissions des enfants ([469]) du spectacle jouent un rôle clé dans la réglementation du travail des mineurs de moins de 16 ans dans le domaine du spectacle en France. Ces instances départementales, rattachées aux préfectures, ont pour mission d’examiner les demandes d’autorisation de travail pour les mineurs engagés dans le spectacle. Elles vérifient que les conditions de travail sont compatibles avec la santé et la scolarité de l’enfant et analysent les scénarios et les scripts afin d’identifier d’éventuels risques physiques ou psychologiques. À l’issue de cet examen, elles délivrent un avis de conformité ou de non-conformité qui permet au préfet de délivrer, ou non, l’autorisation de travail.

Concrètement, les employeurs doivent soumettre leur demande par l’intermédiaire d’une plateforme dématérialisée en fournissant plusieurs documents obligatoires, notamment le livret de famille, une autorisation parentale, un contrat de travail, un certificat de scolarité ainsi qu’une autorisation du chef d’établissement si le tournage dépasse quatre jours. Ils doivent également préciser les conditions de travail, telles que le lieu, les horaires, la rémunération et l’accompagnement de l’enfant. Un scénario et un script détaillés doivent être inclus afin que l’instructeur puisse évaluer la nature du rôle et les éventuels risques encourus par l’enfant. Chaque dossier est lu et analysé par le service d’instruction, qui échange avec la production pour éventuellement demander les adaptations nécessaires. De ce fait, les refus sont extrêmement rares. En cas de doute sur la sécurité psychologique de l’enfant, un psychologue spécialisé peut être consulté.

En Île-de-France, environ 1 000 dossiers sont traités chaque année, représentant près de 10 000 autorisations individuelles. Dans le département des Bouches-du-Rhône, environ 30 à 40 dossiers sont examinés chaque année, concernant 200 à 250 enfants. Dans le département du Nord, environ 70 demandes sont déposées annuellement, avec un taux de refus extrêmement faible – en moyenne 2 dossiers par an.

Le rapporteur émet quelques inquiétudes face à la surcharge administrative dont sont victimes ces services, notamment en Île-de-France où les effectifs sont insuffisants face au volume élevé de dossiers à traiter. Le service des enfants du spectacle d’Île-de-France ne compte que huit agents, quand celui des Bouches-du-Rhône n’en compte qu’un seul, qui plus est à temps partiel.

b.   La nécessité absolue de renforcer le contrôle des services de l’État

Le contrôle effectué par les services préfectoraux ne s’effectue qu’a priori, ce qui constitue un facteur majeur d’abus. En effet, une fois l’autorisation accordée, aucun dispositif systématique ne permet de contrôler la réalité des conditions de tournage. Or plusieurs personnes auditionnées ont signalé une dissonance entre le dossier validé par la commission et la réalité du temps et des conditions de travail des enfants sur le tournage. Comme nous l’avons vu précédemment, il semble fréquent que les feuilles de service ne reflètent pas le travail réel des enfants : les heures travaillées sont minorées et les horaires modifiés pour donner l’apparence d’un respect du cadre légal et réglementaire.

Sans chercher à excuser les productions, le cadre quelque peu rigide de l’autorisation – parfois délivrée très en amont du tournage – ne permet pas toujours à l’employeur de respecter à la lettre les horaires ou les conditions de tournage ayant fondé l’avis de la commission. Le caractère artisanal des productions cinématographiques, comme les exigences artistiques, peuvent conduire à devoir modifier les conditions de tournage du mineur, sans pouvoir s’enquérir au préalable auprès de la commission de leur légalité.

Afin de répondre aux aléas d’un tournage ou d’une représentation, le rapporteur préconise la mise en place d’une procédure accélérée auprès de la commission des enfants du spectacle pour les modifications intervenant en cours de production. Cette nouvelle procédure garantira à la fois le respect des exigences légales et la flexibilité nécessaire à la bonne conduite des projets, tout en évitant des retards préjudiciables à leur équilibre financier.

Recommandation n° 70 : prévoir une procédure accélérée auprès de la commission des enfants du spectacle pour les modifications intervenant en cours de tournage ou de représentation.

Par ailleurs, le rapporteur estime que les métiers du spectacle présentent des particularités, exposées précédemment, qui exposent les enfants et adolescents de tous âges à des risques inacceptables dans un cadre professionnel. Compte tenu de ces risques, il considère indispensable de requérir une autorisation préfectorale, y compris pour les mineurs de 16 à 18 ans, qui sont peut-être les plus exposés aux risques de violences sexuelles, comme les auditions l’ont laissé entrevoir.

Recommandation n° 71 : étendre les règles spécifiques encadrant le travail des enfants du spectacle jusqu’à l’âge de 18 ans.

c.   Une protection accrue des enfants de moins de 7 ans

Par ailleurs, s’agissant d’enfants en bas âge, le rapporteur estime indispensable qu’un contrôle accru des services de l’État est nécessaire.

En premier lieu, s’agissant des enfants de moins de 7 ans, un regard supplémentaire sur le scénario, le rôle à interpréter et les conditions de tournage, serait nécessaire en matière de prévention des risques pour la santé des enfants. Le recours à un préventeur spécialisé, par exemple ceux des CCHSCT, apparaît indispensable. Cet avis pourrait être transmis à la DRIEETS dans la perspective de l’examen du dossier. De la même façon, la consultation d’un psychologue spécialisé devrait être rendue obligatoire pour les enfants de moins de 7 ans.

Recommandation n° 72 : recueillir obligatoirement l’avis de la personne chargée de la prévention au CCHSCT et d’un psychologue spécialisé lors de l’embauche d’un enfant de moins de 7 ans.

En deuxième lieu, il apparaît indispensable de contrôler systématiquement les conditions de tournage des enfants de moins de 7 ans. Ce contrôle, qui interviendrait pendant la période d’exécution du contrat, sur le lieu de tournage ou de représentation, devrait être mené à la fois par Thalie Santé et les services de l’État. Afin de financer ces visites de contrôle, le rapporteur propose d’augmenter le prix de la visite médicale payée par les producteurs.

Recommandation n° 73 : contrôler systématiquement les tournages et les représentations employant des enfants de moins de 7 ans.

Enfin, le rapporteur estime, s’agissant d’enfants en bas âge qui ne sont pas en capacité d’exprimer un consentement éclairé, que l’implication des parents devrait être largement accrue. D’une part, la bonne information des parents quant aux conditions d’emploi de leur enfant devrait être mieux garantie, à la fois par le contrat, qui doit détailler avec exactitude les rôles à jouer, les scènes à tourner et les conditions de travail, mais aussi par le biais de la procédure d’examen du dossier par la DRIEETS. En effet, la plateforme n’est actuellement pas accessible aux parents, alors qu’il est essentiel qu’ils puissent consulter les conditions de travail de leurs enfants et suivre les démarches administratives les concernant. Elle pourrait également leur délivrer une information générale sur le cadre légal et réglementaire, sanctionnée par un test en ligne, nécessaire pour valider le dossier.

Recommandation n° 74 : assurer une meilleure information des parents en amont de la délivrance de l’autorisation préfectorale.

D’autre part, la présence continue d’un responsable légal devrait être requise pour les enfants de moins de 7 ans, de la phase de pré-embauche – castings ou auditions – au tournage ou à la représentation elle-même. Cette présence garantirait non seulement le bien-être de l’enfant, mais aussi une vigilance accrue quant aux conditions de travail et aux éventuelles exigences de la production.

Recommandation n° 75 : rendre obligatoire la présence du représentant légal d’un enfant de moins de 7 ans lors d’un casting, d’un tournage ou d’une représentation.

2.   Une supervision médicale dédiée aux enfants encore insuffisante

Thalie Santé est une association, agréée par le ministère du travail, spécialisée dans la prévention et la santé au travail des salariés des industries culturelles et créatives. Son action couvre le spectacle vivant et enregistré, les médias, la publicité, ainsi que les professions intermittentes comme les pigistes, mannequins et artistes du spectacle. En tant qu’acteur clé de la santé au travail, Thalie Santé assure le suivi périodique de la santé des professionnels. Lors des visites médicales, la question des violences peut être abordée et les médecins sont formés à détecter les signaux faibles.

Le pôle enfance de Thalie Santé, créé en 1989, assure un suivi spécifique des mineurs engagés dans les industries culturelles. Depuis 2009, l’association a développé un accord étendu pour la surveillance de la santé au travail des enfants de moins de 16 ans en Île-de-France, avec une compétence nationale de coordination. En moyenne, 1 800 enfants sont suivis chaque année dans les locaux de Thalie Santé, sous la supervision de quatre médecins et deux assistantes.

L’intervention de Thalie Santé commence après la sélection de l’enfant pour un projet, lorsque la production soumet un dossier nominatif sur la plateforme des enfants du spectacle. La première mission des médecins du pôle enfance consiste en une évaluation des risques liés au rôle et aux conditions de travail. Les scénarios sont analysés pour identifier d’éventuels dangers, et des recommandations sont formulées aux productions. Dans 25 % à 30 % des cas, des ajustements sont demandés, pouvant aller jusqu’à la suppression du rôle si celui-ci ne peut être adapté à l’enfant.

Les médecins de Thalie Santé interviennent de manière totalement indépendante, sans lien de subordination avec les productions. Ils assurent également un rôle de conseil auprès des enfants et de leurs parents, en matière de santé physique, émotionnelle et psychologique. Avant le début du travail, l’enfant et ses parents bénéficient d’une consultation médicale. Selon la situation, le médecin peut prévoir plusieurs visites, y compris en cours de tournage. En cas de complexité particulière, une évaluation psychologique complémentaire peut être demandée.

Néanmoins, il convient de préciser que Thalie Santé n’intervient que lorsqu’il y a un contrat de travail de plus de trois jours. Ainsi, pour les contrats courts ou les prestations non rémunérées – par exemple au sein d’une association, comme une maîtrise – l’organisme de prévention ne peut intervenir. Là encore, le rapporteur estime que l’embauche d’un enfant de moins de 7 ans, y compris pour moins de trois jours, devrait donner lieu à une consultation médicale obligatoire.

Recommandation n° 76 : rendre obligatoire la visite médicale auprès de Thalie Santé pour les enfants de moins de 7 ans dès le premier jour de contrat.

3.   La présence obligatoire d’un responsable des enfants à généraliser à l’ensemble des productions culturelles

● Le rôle de responsable des enfants sur les tournages de films de cinéma représente une avancée majeure dans la protection des mineurs de moins de 16 ans sur les plateaux. Il remplit plusieurs missions clés durant la préparation et le tournage d’un film dans lequel un mineur intervient :

– surveillance et encadrement des mineurs : il assure une vigilance permanente sur les enfants, garantissant leur sécurité physique et émotionnelle. Il veille à ce qu’un environnement de travail sécurisant soit maintenu pendant toute la durée de la production ;

– assurer le confort et le bien-être : il veille à ce que les enfants bénéficient d’un confort adéquat lors des phases de préparation du film ainsi que pendant le tournage, ce qui inclut l’organisation des espaces de repos et des pauses ;

– assurer le suivi scolaire : le responsable enfant assure un suivi de leur parcours scolaire pendant la durée du tournage afin de minimiser l’impact de leur activité professionnelle sur leur scolarité ;

– intervention en cas de difficultés : en cas de problèmes ou de situations conflictuelles, il a la possibilité de saisir l’inspection du travail, les syndicats ou le préventeur santé et sécurité au travail relevant du CCHSCT, afin de garantir une intervention rapide et appropriée.

Le responsable des enfants est embauché et rémunéré par le producteur de la production cinématographique ou audiovisuelle. La convention collective fixe un salaire minimum conventionnel de 1 047,37 euros pour 39 heures hebdomadaires. Grâce à l’avenant signé le 17 mai 2024, la convention collective de la production cinématographique impose désormais que le responsable enfant soit présent sur le tournage dès qu’un mineur de moins de 16 ans est impliqué, et ce depuis le 1er juin 2024. Le rapporteur souhaite que sa présence soit obligatoire dès lors qu’un mineur de moins de 18 ans est impliqué.

Recommandation n° 77 : rendre obligatoire la présence d’un responsable enfant pour les mineurs de moins de 18 ans, et ce dès le casting.

Cette obligation s’accompagne d’un mécanisme de contrôle et de conditionnalité concernant les aides du CNC. Lors de la demande d’aide (agrément des investissements), le producteur doit déclarer en amont qu’un responsable enfant sera affecté au projet pour pouvoir bénéficier des aides du CNC. Une fois le film achevé, le producteur doit fournir, lors de l’agrément de la production, les fiches de paie attestant de la présence et de la rémunération du responsable enfant.

● Le responsable des enfants doit posséder les compétences nécessaires pour répondre aux exigences du poste, tant en matière d’accompagnement des mineurs que de connaissance du secteur. Il doit démontrer une aptitude à accompagner les enfants, comprendre leurs besoins spécifiques et être capable de gérer les situations d’urgence ou de difficulté. Par ailleurs, il doit avoir une bonne compréhension des modalités de fonctionnement des tournages, des contraintes propres aux productions cinématographiques et audiovisuelles, ainsi que des enjeux liés à la sécurité sur les plateaux. Enfin, le responsable enfant doit justifier d’un diplôme pertinent ou d’une expérience significative dans ce domaine.

Pour l’instant, il n’existe pas de consensus entre les partenaires sociaux sur la définition précise des qualifications, certains souhaitant éviter de limiter l’accès à cette fonction aux professionnels déjà en activité. De même, aucune recommandation spécifique du ministère du travail n’a été formulée, la fonction n’étant pas réglementée. Face à ce constat, le rapporteur encourage vivement les partenaires sociaux à préciser les compétences et à harmoniser les qualifications requises pour ce poste.

Recommandation n° 78 : définir les compétences et les qualifications pour le poste de responsable enfant.

● Au-delà, le responsable enfant est soumis à une vérification du bulletin n° 3 de son casier judiciaire lors de l’embauche. Néanmoins, le rapporteur estime souhaitable qu’il soit soumis à un contrôle d’honorabilité plus large, permettant notamment une consultation du bulletin n° 2 et du FIJAISV par les pouvoirs publics à la demande des employeurs.

Il en irait de même des autres personnes susceptibles d’accompagner l’enfant dans le cadre de son emploi, tel le coach de jeu, ce professionnel spécialisé dans l’accompagnement artistique des jeunes interprètes dont la mission principale est de préparer l’enfant à son rôle, de développer ses compétences en interprétation et de l’aider à gérer ses émotions et son stress sur le plateau. Il opère sans réglementation ni certification, et cette absence de cadre a pu conduire à des accusations de violences à l’encontre de certains coachs.

Il est donc essentiel de mettre en place un contrôle d’honorabilité pour les responsables enfants et les coachs afin de garantir la sécurité et le bien-être des jeunes concernés.

Recommandation n° 79 : instaurer un contrôle d’honorabilité pour les personnes intervenant auprès d’enfants sur les productions cinématographiques et audiovisuelles.

● Le rôle du responsable des enfants devrait être quelque peu renforcé. En effet, il importe de noter que le responsable des enfants n’est généralement pas présent lors du casting, alors même que cette étape est particulièrement propice aux violences, comme la deuxième partie du présent rapport l’a montré. En effet, l’enfant n’est pas encore sous contrat de travail et demeure sous la responsabilité exclusive de ses parents à ce stade. Bien que les professionnels du casting travaillent à la rédaction d’une charte éthique complémentaire aux recommandations de la convention collective de la production cinématographique, le rapporteur estime que le responsable enfant devait être présent dès l’étape du casting.

Recommandation n° 80 : rendre obligatoire la présence d’un responsable enfant au moment du casting pour tous les mineurs.

En outre, afin de renforcer la légitimité et les attributions du responsable enfant, il serait pertinent qu’il soit chargé de la constitution du dossier auprès de la DRIEETS, mais qu’il rédige également un rapport de fin de tournage, détaillant les conditions de travail des mineurs et les éventuels incidents survenus. Ce rapport devra être transmis au CNC ainsi qu’au CCHSCT du cinéma afin d’assurer un suivi et un contrôle renforcés. Il devrait également avoir un lien plus fort avec la médecine du travail, et être en contact régulier avec Thalie Santé dès le processus de recrutement puis tout au long du tournage. Par ailleurs, le suivi d’un enfant ne doit pas s’arrêter à la période du tournage : un suivi adapté devra être prévu si l’enfant assure la promotion du film.

Recommandation n° 81 : rendre obligatoire la rédaction d’un rapport de fin de tournage par le responsable enfant, avec transmission au CNC et au CCHSCT.

Recommandation n° 82 : assurer des échanges réguliers entre les responsables enfants et Thalie Santé.

Enfin, la présence d’un responsable des enfants est plus développée dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel que dans le spectacle vivant et le mannequinat. Le rapporteur recommande d’étendre l’obligation de présence d’un responsable enfant aux secteurs du spectacle vivant et du mannequinat afin de mieux encadrer les mineurs dans ces domaines.

Recommandation n° 83 : étendre l’obligation de présence d’un responsable enfant au spectacle vivant et au mannequinat.

F.   Une clause assurantielle pensée pour le cinéma qui pourrait Être améliorée et étendue à l’ensemble des productions culturelles

1.   Une clause assurantielle visant à responsabiliser le producteur

Depuis le 1er janvier 2021, en réponse à une demande du CNC, les assureurs mutualistes MAIF et Aréas Assurances ont créé une clause assurantielle couvrant les violences sexistes et sexuelles sur les tournages. L’objectif principal de cette clause est de libérer la parole des victimes et d’inciter les productions à prendre des mesures immédiates face aux situations de VHSS.

Cette clause permet théoriquement aux productions d’arrêter un tournage en cas de fait avéré de VHSS, tout en assurant une couverture financière pour les pertes induites. La clause permet de couvrir jusqu’à 500 000 euros de frais liés à une interruption de tournage, dans la limite de cinq jours d’arrêt. Cette assurance couvre la période de fabrication d’un film, incluant la préparation, le tournage et le montage. Elle a été introduite sans coût supplémentaire pour les producteurs assurés, y compris pour les contrats en cours.

La clause assurantielle harcèlement et agression sexuelle

« En complément des conditions générales et spécifiques, la garantie frais supplémentaires est étendue aux conséquences financières d’un arrêt, d’un ajournement ou d’un report du tournage suite à un préjudice moral suite à une agression sexuelle ou un harcèlement sexuel causé par un préposé de l’assuré nommé aux Conditions Particulières sous la garantie indisponibilité et portant atteinte à l’intégrité d’une personne participante au tournage ;

« Cette extension est conditionnée à un dépôt de plainte auprès de la Police avec dénomination de l’agresseur de la part de la victime de ce préjudice moral et à la rédaction d’un signalement au procureur de la République de la part de l’employeur.

« La limite contractuelle d’indemnité est fixée à 500 000 euros (maximum) sans pouvoir dépasser 5 jours de tournage. »

Source : Aréas Assurances

Son application est toutefois soumise à trois conditions cumulatives :

– L’infraction est causée par un employé de l’assuré nommé aux conditions particulières : il s’agit de personnes essentielles et « irremplaçables » comme les acteurs principaux ou le réalisateur – cela comprend généralement entre 5 et 15 personnes ;

– Un signalement du producteur auprès du procureur de la République ;

– Un dépôt de plainte par la victime.

Le directeur général du groupe Aréas Assurances, M. Sylvain Mortera, a insisté sur l’importance de ces conditions en affirmant qu’il est nécessaire que « la victime porte plainte et que le producteur fasse un signalement auprès du procureur de la République, parce que c’est sa responsabilité pleine et entière de chef d’entreprise. Nous considérons que la personne coupable n’est pas celle qui porte plainte mais le délinquant responsable des violences et du harcèlement. Nous œuvrons pour libérer la parole : on subit une violence, on porte plainte. » ([470])

2.   Un mécanisme à l’efficacité limitée

Bien que cette clause marque une avancée significative, plusieurs limites compromettent son efficacité. À ce jour, aucune production n’a eu recours à cette couverture, ce qui met en évidence des freins structurels dans son application.

Notamment, l’exigence cumulative d’un dépôt de plainte et d’un signalement au procureur de la République constitue un obstacle majeur à la mise en œuvre effective de cette clause. Dans de nombreux cas, les victimes ne souhaitent pas porter plainte, souvent par crainte des répercussions sur leur carrière et de la précarité de leur statut. Rappelons que seulement 6 % des femmes victimes de violences sexuelles portent plainte ([471]).

Afin de rendre cette clause plus efficace et réellement protectrice, plusieurs évolutions sont envisageables.

Lors de leur audition, les assureurs ont indiqué qu’ils ne souhaitaient pas modifier les conditions d’activation de la clause. Ils entendent maintenir l’obligation de dépôt de plainte et de signalement au procureur de la République, qui constitue, selon eux, « un élément factuel qui permet d’éviter les discussions sur le déclenchement de la garantie, mais cela peut également contribuer à banaliser le dépôt de plainte dans ce type de circonstances. La victime n’est pas coupable, la peur doit changer de camp » ([472]).

Conscients du frein que constitue le dépôt de plainte, les assureurs envisagent néanmoins de renforcer l’accompagnement des victimes. Ils travaillent sur deux mécanismes qui permettraient de concilier responsabilité et financement :

– la mise en place d’une assistance psychologique et juridique financée par les assureurs ;

– la création d’une ligne d’écoute anonyme et confidentielle, dispensant des conseils juridiques.

Au-delà des dispositifs d’accompagnement envisagés, le rapporteur estime nécessaire de faire évoluer la condition de dépôt de plainte en permettant à un témoin de déposer une main courante. Cette solution alternative au dépôt de plainte de la victime permettrait de préserver l’esprit initial de la clause tout en allégeant la pression pesant sur la victime, qui est souvent en état de choc après une agression.

Recommandation n° 84 : assouplir la condition de dépôt de plainte de la victime en autorisant le déclenchement de la clause par la main courante d’un témoin.

3.   Vers une généralisation de la clause VHSS pour l’ensemble des productions du secteur culturel

Seule la moitié des contrats d’assurance pour la fabrication d’un film inclut cette clause, laissant de nombreux tournages sans protection contre les VHSS. En effet, les autres assureurs français ne proposent pas cette clause et de nombreuses productions préfèrent souscrire une assurance en Belgique pour bénéficier du tax shelter qui inclut les frais d’assurance, contrairement à la France.

Cette situation constitue un frein à la mise en place d’une couverture efficace sur le territoire national. Le directeur courtage du groupe Aréas, M. David Sultan, souligne que « pour améliorer la situation maintenant, il faudrait que le niveau général des contrats monte, afin qu’il n’y ait pas une distorsion trop importante entre ceux qui font et ceux qui ne font pas. » ([473])

Le rapporteur partage ce constat et recommande d’inscrire les VHSS parmi les risques obligatoires dans les contrats d’assurance relatifs à la fabrication d’une œuvre.

Recommandation n° 85 : exiger que les VHSS soient inscrites parmi les risques couverts par les contrats d’assurance pour bénéficier des aides du CNC.

Le mécanisme assurantiel mis en place pour le cinéma constitue une première expérimentation prometteuse. Il permet de responsabiliser et de protéger le producteur en l’assurant contre les conséquences financières d’un arrêt de tournage, sous réserve du respect des engagements en matière de VHSS. Il encourage également les victimes à s’exprimer et à porter plainte sans qu’elles aient à endosser la responsabilité de l’arrêt d’un film. Pour ces raisons, il apparaît pertinent de généraliser ce dispositif, afin d’indemniser les pertes financières liées à l’arrêt d’un tournage ou d’une série de représentations, à la suite de faits de VHSS, dans l’ensemble des secteurs relevant du champ de la commission d’enquête.

Recommandation n° 86 : étendre la clause assurantielle visant à indemniser les pertes financières suite à des faits de VHSS à l’ensemble des productions relevant de l’audiovisuel et du spectacle vivant.


 

   Conclusion

La commission d’enquête a permis de faire l’anatomie d’un secteur essentiel au rayonnement de notre pays. L’immense réussite des différentes cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris 2024 en témoigne et ces dernières ont permis de célébrer le modèle culturel français. Pourtant, le secteur culturel est trop souvent une machine à broyer les talents. L’« exception culturelle », mais à quel prix ?

Ce modèle français de création artistique doit être assaini et sécurisé afin de permettre à tous d’exprimer leur travail et leur talent.

Pendant trop longtemps nous n’avons pas su prendre la mesure des violences et du harcèlement sexistes et sexuels ainsi que des abus dont ces personnes – enfants, acteurs, techniciens, auteurs, danseurs, journalistes, mannequins, musiciens et tant d’autres – étaient victimes.

Sept ans après le début du mouvement MeToo aux États-Unis, cette commission d’enquête aura permis – le rapporteur l’appelle en tout cas de ses vœux –, de lever enfin le voile sur les insécurités et dérives ayant trop souvent cours dans le monde de la culture en France. Si ce n’est pas encore totalement le cas, elle aura au moins donné l’occasion à de nombreuses victimes de venir témoigner, souvent pour la première fois. Cet espace d’écoute bienveillant que nous leur avons offert les aura, pour beaucoup, libérées d’un poids. S’il fallait encore le démontrer, cela illustre bien la nécessité de notre commission d’enquête.

Le rapporteur reconnaît avoir dû poser dans son rapport certains constats parfois sévères mais nécessaires au regard des dysfonctionnements systémiques de l’ensemble des secteurs relevant du champ de la commission d’enquête. Cela ne veut certes pas dire qu’ils sont généralisés ; ils sont toutefois trop prégnants pour être passés sous silence.

Le rapport démontre en effet que ces secteurs sont facteurs de risques supplémentaires par rapport aux autres milieux professionnels et ont trop souvent tendance à ériger un culte du créateur et du « talent » tout-puissants, au détriment des règles de prévention et de sécurité les plus élémentaires, pourtant obligatoires au regard du droit du travail et du droit pénal. La société ne peut plus tolérer que certains bafouent nos règles au nom de l’art et de la création.

Le rapporteur reconnaît toutefois qu’une prise de conscience est en cours et que certaines pratiques professionnelles sont d’ores et déjà en train d’évoluer, souvent à l’initiative même des secteurs concernés. Il est donc désormais de notre devoir d’accompagner ce mouvement de fond.

Les propositions formulées dans ce rapport sont une première étape. Il nous faut désormais prendre le temps de les assimiler, de les méditer collectivement et le rapporteur engage toutes les filières à les appréhender et les expertiser. Ce recul est nécessaire et il nous faudra désormais prendre le temps de rédiger une proposition de loi claire et cohérente traduisant en matière législative une partie des propositions. Il nous faudra aussi encourager les secteurs concernés, mais plus encore la société dans son ensemble, à s’en saisir afin d’agir. Le rapporteur souhaite par ailleurs que de nouvelles propositions puissent être formulées dans les mois à venir à l’aune de ce rapport et des recommandations qu’il contient.

Nous nous étions engagés à écouter toutes ces victimes et à travailler à offrir un monde plus sûr. C’est chose faite : désormais, nul ne pourra dire qu’il ne savait pas, nul ne pourra refuser d’aller de l’avant et d’agir. Fermer les yeux revient à être complice.


   Liste des recommandations

Recommandation n° 1 : lancer une nouvelle édition de l’enquête Virage.

Recommandation n° 2 : développer les actions de soutien à la création en direction des femmes.

Recommandation n° 3 : financer les travaux de recherche permettant de redécouvrir et représenter les œuvres créées par des femmes.

Recommandation n° 4 : revoir le mécanisme de l’aide à la création de salles de spectacle du CNM pour le rendre plus incitatif en matière de parité.

Recommandation n° 5 : rééquilibrer en faveur des équipes artistiques à majorité féminine ou mixtes les aides déconcentrées du spectacle vivant, en se fondant non seulement sur le nombre de projets soutenus, mais aussi sur le montant des crédits versés.

Recommandation n° 6 : transformer les « bonus parité » attribués dans le cadre des aides publiques à la création en malus et prévoir un relèvement graduel de la pénalité.

Recommandation n° 7 : créer un mécanisme comparable pour les aides aux secteurs artistiques qui n’en comportent pas encore.

Recommandation n° 8 : poser le principe d’une interdiction de la sexualisation des mineurs à l’écran et dans les photos de mode, et définir une liste d’exceptions très limitatives.

Recommandation n° 9 : faire davantage connaître la cellule Audiens, notamment par des campagnes d’information dans les médias et par des affichages systématiques dans tous les lieux de passage ainsi que dans les loges, les vestiaires, les cantines, etc.

Recommandation n° 10 : accroître les moyens de la cellule Audiens pour élargir son périmètre afin qu’elle prenne en charge la totalité des violences, y compris les violences morales, élargir ses horaires et renforcer ses missions d’aide juridique et psychologique.

Recommandation n° 11 : financer des travaux de recherche universitaires sur les VHSS.

Recommandation n° 12 : organiser, dans l’ensemble des secteurs visés, sous l’égide du ministère de la culture, une enquête de victimation exhaustive portant sur les différents types de violences afin d’objectiver le phénomène, en incluant la situation des mineurs, et élaborer chaque année un baromètre des violences.

Recommandation n° 13 : inclure les agences de mannequins dans le champ de l’article L. 3251-4 du code du travail pour mettre un terme à la pratique de l’endettement des mannequins.

Recommandation n° 14 : prévoir systématiquement un plan de prévention et de traitement des VHSS dans les concertations préalables entre les organisateurs et les préfectures.

Recommandation n° 15 : former l’ensemble des agents de sécurité placés au contact du public au risque de VHSS.

Recommandation n° 16 : encadrer les castings en rendant obligatoire, le cas échéant après un contact informel (« casting sauvage »), leur organisation dans des locaux professionnels, pendant les heures ouvrables, en présence de deux personnes au moins, avec interdiction de demander aux comédiens de se dénuder et de leur faire réaliser des essais sur la base de scènes d’intimité ou à caractère sexuel (à moins qu’un coordinateur d’intimité n’assiste à l’essai), et déclarer obligatoirement l’ensemble des castings organisés auprès des pouvoirs publics.

Recommandation n° 17 : organiser régulièrement des contrôles des productions employant des enfants pour vérifier le respect des règles légales en matière de temps et de conditions de travail.

Recommandation n° 18 : diligenter une enquête du représentant de l’État dans le département sur le fonctionnement de la Maîtrise des Hauts-de-Seine et lancer un contrôle par la chambre régionale des comptes.

Recommandation n° 19 : suspendre, à titre conservatoire, l’intégralité des partenariats entre la Maîtrise des Hauts-de-Seine et les lieux et établissements où se produisent ses chanteurs.

Recommandation  20 : revoir en profondeur la gouvernance, l’organisation interne et l’orientation pédagogique de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, le cas échéant en transformant la forme juridique de l’établissement, de façon à le faire passer sous la tutelle du conseil départemental des Hauts-de-Seine, voire directement du ministère de la culture.

Recommandation n° 21 : à défaut de modifier la forme juridique de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, inscrire dans la convention liant l’association au conseil départemental des engagements en matière de bien-être des maîtrisiens et de lutte contre les VHSS et conditionner clairement le financement public au respect de ces engagements.

Recommandation n° 22 : dans les associations proposant des activités et enseignements artistiques à des mineurs, faire en sorte que les parents soient systématiquement représentés au conseil d’administration.

Recommandation n° 23 : inclure les structures proposant des activités et enseignements artistiques dans le champ des accueils collectifs de mineurs sans hébergement, défini à l’article R. 227-1 du code de l’action sociale et des familles, pour soumettre ces établissements au contrôle de l’honorabilité prévu à l’article L. 133-6 du même code.

Recommandation n° 24 : modifier l’article 11 de la loi du 15 avril 2024 visant à soutenir l’engagement bénévole et à simplifier la vie associative en inscrivant, au nombre des missions assignées au réseau Guid’Asso, l’information en matière de VHSS, afin d’accompagner davantage les associations dans ce domaine.

Recommandation n° 25 : mettre un terme à l’agrément annuel délivré aux agences de mode pour leur permettre de faire travailler des mannequins mineurs et rétablir un système d’autorisation individuelle.

Recommandation n° 26 : lancer un vaste plan de lutte contre les violences pédagogiques incluant tous les établissements et toutes les disciplines.

Recommandation n° 27 : organiser et rendre obligatoires dans tous les établissements des protocoles de prise en charge médicale et psychologique des enfants.

Recommandation n° 28 : inclure un module de formation, sanctionné par un examen, dédié au droit du travail et à la prévention des violences morales, sexistes et sexuelles dans le tronc commun de toutes les écoles, privées et publiques, du secteur culturel.

Recommandation n° 29 : ouvrir le débat sur la possibilité d’appliquer la prescription glissante aux crimes sexuels commis à l’encontre de personnes majeures.

Recommandation  30 : étudier la possibilité d’encadrer les investigations sur le passé sexuel des plaignants dans le cadre des enquêtes de police relatives à une plainte pour violences sexuelles.

Recommandation  31 : ouvrir une réflexion sur la possibilité de permettre le dépôt de plainte anonyme pour les victimes de violences sexistes et sexuelles.

Recommandation n° 32 : rendre systématique le déclenchement d’une enquête et la réalisation d’actes d’investigation en cas de dépôt de plainte pour des faits de VHSS.

Recommandation n° 33 : étendre les pôles judiciaires spécialisés dans les violences intrafamiliales aux violences morales, sexistes et sexuelles intervenant dans le cadre professionnel.

Recommandation n° 34 : prévoir une aide juridictionnelle de plein droit pour le dépôt de plainte, pour toutes les victimes de VHSS.

Recommandation n° 35 : permettre le renouvellement de la mise à l’écart temporaire d’un agent public en cas d’enquête administrative relative à des VHSS.

Recommandation n° 36 : inscrire dans le code du travail l’obligation de diligenter une enquête interne et les principes jurisprudentiels régissant le déroulement d’une enquête interne.

Recommandation n° 37 : rendre obligatoire la conduite d’enquêtes internes en cas de signalement de VHSS, y compris lorsque la relation de travail a pris fin.

Recommandation n° 38 : créer un service d’enquête au sein du ministère de la culture pour les organismes placés sous sa tutelle.

Recommandation n° 39 : créer une certification pour les structures assurant des enquêtes internes et labelliser les structures spécialisées dans la culture.

Recommandation n° 40 : étendre l’accord du 22 novembre 2023 relatif à la prévention des violences sexuelles et des agissements sexistes.

Recommandation n° 41 : prévoir systématiquement des clauses relatives aux VHSS dans les contrats de toutes les personnes impliquées dans la confection d’un film, d’une émission ou d’un spectacle qui bénéficie de subventions publiques.

Recommandation n° 42 : inscrire dans tous les contrats de travail une clause interdisant toute sanction financière, retenue sur salaire ou demande de dommages et intérêts en cas de signalement de faits de VHSS.

Recommandation n° 43 : inscrire dans le code de procédure pénale une obligation pour les employeurs de signaler les faits de VHSS portés à leur connaissance.

Recommandation n° 44 : relever le taux de financement des CCHSCT cinéma et audiovisuel par les employeurs.

Recommandation n° 45 : rendre obligatoire la déclaration des lieux de casting et des émissions de divertissement au CCHSCT.

Recommandation n° 46 : inciter les partenaires sociaux à créer des CCHSCT pour le spectacle vivant et le mannequinat afin d’améliorer la prévention des risques professionnels et la protection des travailleurs.

Recommandation n° 47 : donner à l’inspection du travail le pouvoir d’interrompre un tournage ou une série de représentations en cas de risques pour la sécurité et la santé des salariés.

Recommandation n° 48 : rendre facilement accessibles à l’inspection du travail toutes les informations relatives aux lieux et dates de tournage.

Recommandation n° 49 : favoriser les échanges entre l’ensemble des acteurs de la prévention et de la lutte contre les VSS dans la culture, notamment le ministère de la culture, la cellule Audiens, le CCHSCT et l’inspection du travail.

Recommandation n° 50 : expérimenter le détachement d’un inspecteur du travail déterritorialisé auprès du CNC et du CNM.

Recommandation n° 51 : rendre obligatoire la formation des agents artistiques aux VHSS et en faire une condition pour bénéficier des aides du CNC.

Recommandation n° 52 : étendre la formation obligatoire aux tournages audiovisuels et aux productions du spectacle vivant.

Recommandation n° 53 : étendre la conditionnalité des aides publiques à l’ensemble du secteur culturel, en exigeant la formation des équipes, la mise en place d’un protocole de signalement et de traitement ainsi qu’un bilan annuel par la structure des actions engagées.

Recommandation n° 54 : inscrire systématiquement une clause relative à la lutte contre les VHSS dans les conventions de financement entre les collectivités et les associations culturelles, incluant la possibilité de retrait des aides en cas de manquement.

Recommandation  55 : rendre obligatoire la désignation d’un ou plusieurs référents VHSS sur les tournages audiovisuels.

Recommandation n° 56 : systématiser la désignation d’un référent VHSS dans toutes les entreprises du secteur culturel, éventuellement mutualisé pour les plus petites structures.

Recommandation n° 57 : prohiber le cumul de la fonction de référent avec une fonction de direction et désigner un référent extérieur en complément du référent interne à la structure.

Recommandation n° 58 : conditionner le versement des aides du CNC à la rédaction d’un rapport de fin de tournage par les référents VSS ainsi qu’à la fourniture, par le producteur, d’une attestation de traitement des signalements reçus.

Recommandation n° 59 : créer un réseau pour les référents VHSS du secteur culturel.

Recommandation n° 60 : compléter la formation des référents VHSS par un module dédié aux premiers secours et à la santé mentale.

Recommandation n° 61 : instaurer un contrôle d’honorabilité pour les référents VHSS.

Recommandation n° 62 : rendre obligatoire des clauses précises et détaillées relatives aux scènes d’intimité dans les contrats des interprètes.

Recommandation n° 63 : donner obligatoirement aux talents un droit de regard sur le montage des scènes faisant apparaître leurs parties intimes et prévoir une médiation du CNC en cas de désaccord.

Recommandation n° 64 : proposer obligatoirement l’intervention d’un coordinateur d’intimité pour le cinéma, l’audiovisuel et le spectacle vivant.

Recommandation n° 65 : rendre obligatoire la présence d’un coordinateur d’intimité pour tout mineur dès lors qu’il existe une mise en scène de l’intimité.

Recommandation n° 66 : faire monter en puissance les organisations professionnelles d’agents artistiques et les encourager à conditionner l’adhésion à la signature d’une charte éthique comportant des engagements précis en matière de VHSS et de pratiques professionnelles

Recommandation n° 67 : créer une certification professionnelle d’agent artistique et rétablir un registre national des agents artistiques

Recommandation n° 68 : conditionner le versement des aides publiques du CNC et du spectacle vivant à la vérification par les productions qu’ils emploient des acteurs dont les agents sont détenteurs d’une certification professionnelle

Recommandation n° 69 : créer une obligation d’assistance juridique et morale des agents envers leurs talents et prévoir la perte de leur commission en cas de manquement grave et avéré

Recommandation n° 70 : prévoir une procédure accélérée auprès de la commission des enfants du spectacle pour les modifications intervenant en cours de tournage ou de représentation.

Recommandation n° 71 : étendre les règles spécifiques encadrant le travail des enfants du spectacle jusqu’à l’âge de 18 ans.

Recommandation n° 72 : recueillir obligatoirement l’avis de la personne chargée de la prévention au CCHSCT et d’un psychologue spécialisé lors de l’embauche d’un enfant de moins de 7 ans.

Recommandation n° 73 : contrôler systématiquement les tournages et les représentations employant des enfants de moins de 7 ans.

Recommandation n° 74 : assurer une meilleure information des parents en amont de la délivrance de l’autorisation préfectorale.

Recommandation n° 75 : rendre obligatoire la présence du représentant légal d’un enfant de moins de 7 ans lors d’un casting, d’un tournage ou d’une représentation.

Recommandation n° 76 : rendre obligatoire la visite médicale auprès de Thalie Santé pour les enfants de moins de 7 ans dès le premier jour de contrat.

Recommandation n° 77 : rendre obligatoire la présence d’un responsable enfant pour les mineurs de moins de 18 ans, et ce dès le casting.

Recommandation n° 78 : définir les compétences et les qualifications pour le poste de responsable enfant.

Recommandation n° 79 : instaurer un contrôle d’honorabilité pour les personnes intervenant auprès d’enfants sur les productions cinématographiques et audiovisuelles.

Recommandation n° 80 : rendre obligatoire la présence d’un responsable enfant au moment du casting pour tous les mineurs.

Recommandation n° 81 : rendre obligatoire la rédaction d’un rapport de fin de tournage par le responsable enfant, avec transmission au CNC et au CCHSCT.

Recommandation  82 : assurer des échanges réguliers entre les responsables enfants et Thalie Santé.

Recommandation  83 : étendre l’obligation de présence d’un responsable enfant au spectacle vivant et au mannequinat.

Recommandation n° 84 : assouplir la condition de dépôt de plainte de la victime en autorisant le déclenchement de la clause par la main courante d’un témoin.

Recommandation n° 85 : exiger que les VHSS soient inscrites parmi les risques couverts par les contrats d’assurance pour bénéficier des aides du CNC.

Recommandation  86 : étendre la clause assurantielle visant à indemniser les pertes financières suite à des faits de VHSS à l’ensemble des productions relevant de l’audiovisuel et du spectacle vivant.

 

 

 


   EXAMEN EN COMMISSION

 

Au cours de sa réunion du 2 avril 2025, la commission a procédé, à huis clos, à l’examen du projet de rapport.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. La dernière réunion de notre commission d’enquête est consacrée à l’examen du projet de rapport et au vote sur son adoption. Elle n’est pas retransmise, ni ouverte à la presse.

Permettez que mes premiers mots aillent à Judith Godrèche, qui par sa parole a inspiré la création de cette commission d’enquête, ainsi qu’à Francesca Pasquini, qui a repris au vol la proposition formulée par Judith Godrèche. Nos travaux ont largement dépassé le stade des témoignages individuels : nous nous sommes interrogés sur des systèmes qui mettent en danger les personnes et les exposent à des violences répétées, et qui ne les protègent pas une fois leur parole posée.

Après six mois de travaux, 85 auditions et 350 personnes entendues, sans compter les quelques semaines pendant lesquelles la première commission d’enquête a eu le temps de travailler avant la dissolution de l’Assemblée nationale, je crains que le constat ne soit que trop clair : les violences dans les secteurs étudiés – principalement le cinéma, l’audiovisuel, le théâtre, la danse, la musique – sont persistantes, endémiques et donc systémiques. Elles sont de toute nature : morales, sexistes et sexuelles, économiques aussi, physiques parfois. Il vous aura suffi d’assister à quelques-unes des auditions de témoins pour vous en convaincre.

La question à laquelle nous avons souhaité répondre était la suivante : en quoi ces violences sont-elles particulières au monde de la culture ? Ces professions sont-elles surexposées au risque de violences par rapport à d’autres milieux professionnels ?

Je ne ferai pas ici le rappel de nos auditions, mais la réponse est nécessairement positive compte tenu des facteurs de risque très particuliers qui se rencontrent dans ces secteurs : des métiers passion à l’aune de laquelle tous les sacrifices semblent possibles ; la pression du temps et de l’argent ; la familiarité et la promiscuité lors des tournages ou des tournées ; un sentiment d’appartenance à une grande « famille », celui de ne pas être dans une relation de travail ; un intérêt supérieur à servir, celui de la création ; la précarité économique qui domine ; une forte hiérarchisation ; un recrutement qui s’opère quasi exclusivement par le biais des réseaux professionnels et un fort entre-soi ; enfin, un culte absolu de l’auteur qui autorise toutes les dérives et entretient l’omerta.

Je vous épargnerai la litanie des violences qui figure dans mon avant-propos et qui innerve le rapport. Elle illustre, hélas, combien ces violences sont en réalité continues et s’exercent tout au long de la carrière de femmes et d’hommes, comme de nombreux témoignages, tant devant la commission que par écrit, l’ont montré. Nous en avons reçu énormément, y compris ces dernières heures, comme si la commission d’enquête était le seul lieu de parole possible.

C’est bien là que réside le problème : la police, la justice n’apparaissent pas comme des lieux de recueil possibles de la parole des victimes. Or c’est bien là que ces violences doivent être traitées in fine. D’ailleurs, le rapporteur consacre à raison une grande partie du rapport à la procédure judiciaire en général. Les pistes qu’il propose, qui concernent toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles, sont très justes.

L’autre constat que nous avons fait est celui d’une forme d’incurie des employeurs du secteur, en tout cas de la plupart d’entre eux. La création passe avant tout, y compris avant le droit du travail ; l’argent passe avant tout, y compris avant le droit pénal. Je pense notamment à la constance avec laquelle Canal+ défend encore Jean-Marc Morandini et se réfugie, malgré quatre condamnations, derrière la présomption d’innocence pour justifier son maintien à l’antenne, tout en avouant à demi-mot en commission la véritable raison de cette décision : il fait de très bonnes audiences.

Où sont les victimes dans cette histoire ? On ne les voit pas, on ne les écoute pas. Beaucoup l’ont reconnu : « On n’a pas voulu voir. » Il est temps d’ouvrir grand les yeux et les oreilles, de cesser de réserver son humanité aux seuls auteurs de violences, et de traiter les victimes avec le respect et la bienveillance qui leur sont dus.

Alors, merci à toutes les victimes qui ont osé parler, qui nous ont permis d’avancer et de formuler des propositions fortes auxquelles je m’associe pleinement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Les statistiques qui viennent d’être rappelées le prouvent : nous avons beaucoup travaillé, non seulement depuis le mois de novembre dernier, mais, pour certains d’entre nous, depuis quasiment un an. C’est le fruit de ce travail que nous vous présentons.

Nous avons fait œuvre utile. J’en veux pour preuve les nombreux remerciements que les témoins nous ont adressés pendant et après les auditions, sans oublier les nombreux mots d’encouragement que nous avons reçus.

Nous avons également mesuré à quel point notre démarche suscitait de l’espoir, tant le silence avait été lourd – et le demeure trop souvent – dans les secteurs visés. Certaines des personnes dont nous avons reçu le témoignage s’exprimaient pour la première fois sur ce qu’elles avaient vécu. Je le dis avec gravité : rien ne serait pire que de décevoir ces espoirs en donnant l’impression aux victimes – et, par la même occasion, aux agresseurs – que tout peut continuer comme avant.

C’est pourquoi l’achèvement de ce travail d’enquête ne saurait marquer la fin de notre action. Tout au contraire, une nouvelle phase doit s’engager, de manière complémentaire au plan annoncé il y a quelques semaines par la ministre de la culture, Mme Rachida Dati, dont les services se sont, de toute évidence, inspirés de nos travaux.

Je ne m’attarderai pas sur le constat établi au fil des auditions : il est décrit en détail dans le projet de rapport, dont vous avez pu prendre connaissance – la présidente vient d’en présenter les éléments principaux. Je me contenterai de rappeler, d’une part, qu’au-delà des manquements individuels, ce sont bien des défaillances systémiques qu’il convient d’incriminer dans l’ensemble des secteurs visés. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que tous les films, les spectacles, les tournées, les défilés de mode sont l’occasion de violences, mais que l’organisation du travail, les pratiques professionnelles et les représentations qui les sous‑tendent favorisent l’apparition et le développement de pratiques violentes.

Les ressorts des abus sont apparus clairement au fil de l’enquête ; ils dessinent ce que j’ai appelé une anatomie de machines à broyer des talents. Ces facteurs de risque spécifiques viennent s’ajouter à ceux qui sont déjà trop répandus dans notre société sexiste et patriarcale.

Une prise de conscience de ces dysfonctionnements a manifestement débuté. Nous l’avons perçue clairement chez les opérateurs : la politique de conditionnalité des aides développée depuis 2020 par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et le Centre national de la musique (CNM) et la formation aux risques de violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) qui y est associée commencent à porter leurs fruits.

La prise de conscience des professionnels eux-mêmes me semble réelle désormais. J’en veux pour preuve le fait que, parmi les centaines de personnes entendues, pas une seule n’a manqué de saluer le mouvement de libération de la parole qui s’est engagé depuis 2017 et a connu une nouvelle impulsion avec les révélations de Judith Godrèche, à la fin de l’année 2023. Cela étant, certaines personnes ont pu être ambiguës.

Par ailleurs, j’ai la conviction que nos travaux ont, eux aussi, puissamment contribué à accélérer la prise de conscience ainsi que la libération de la parole. En témoigne l’augmentation progressive, au fil des semaines, du nombre de sollicitations que nous recevions, comme si, constatant le sérieux de notre démarche, un nombre croissant de professionnels avaient décidé de nous faire confiance et de témoigner – la plupart du temps, en nous demandant de ne pas lever leur anonymat, tant la peur des représailles reste vive.

Au total, le constat que nous avons dressé me semble à la fois largement partagé et étayé par les très nombreux témoignages que nous avons reçus. Le diagnostic est parfois sévère. Ce n’est pas de gaieté de cœur que nous avons relayé des accusations, voire révélé certains faits. Il se trouvera des personnes pour nous reprocher de l’avoir fait, voire pour essayer de nous intimider, comme cela s’est déjà produit durant les derniers mois, mais il en est toujours ainsi lorsque des positions de pouvoir bien établies et des intérêts – y compris financiers, ne nous le cachons pas – se trouvent menacés. Je vous appelle, chers collègues, à ne pas vous y tromper.

Les dysfonctionnements qui perdurent dans ces secteurs, malgré les mesures d’ores et déjà engagées, requièrent une action forte. C’est la raison pour laquelle nous appelons à un plan global, incluant les professionnels des secteurs, qui pourrait s’appuyer sur les quatre-vingt-six recommandations que nous avons formulées. Je ne présenterai ici que les principales.

En premier lieu, nous devons nous attacher à améliorer la protection des enfants du spectacle. Je propose ainsi d’étendre le cadre juridique actuel, qui se limite aux moins de 16 ans, aux mineurs âgés de 16 à 18 ans.

Compte tenu des dérives fréquemment observées – y compris récemment, comme en témoigne la campagne de Balenciaga en 2022 –, il est indispensable de prohiber la représentation sexualisée des mineurs à l’écran et dans les photographies de mode.

Je propose également de mettre un terme à l’agrément annuel donné aux agences de mannequins qui emploient des mineurs, au profit d’une autorisation fondée sur une appréciation de la situation de chaque mannequin mineur. Cette autorisation pourrait être délivrée pour une durée d’un an et assortie d’une simple information de la commission des enfants du spectacle avant chaque prestation.

La présence d’un responsable des enfants sur les tournages de cinéma est une avancée importante. Il convient de l’étendre à toutes les productions artistiques, d’élargir ses missions en le faisant intervenir dès le casting et jusqu’aux opérations de promotion, et de professionnaliser son statut en créant une certification.

Il est indispensable de prévoir un cadre plus protecteur pour les enfants de moins de 7 ans. En amont de la prestation artistique, il convient d’assurer une plus ample information des services de l’État par une évaluation psychologique de l’enfant et de ses parents, de faire procéder à une analyse du scénario par un préventeur et de rendre obligatoire une visite médicale dès le premier jour de tournage. Pendant l’exécution du contrat, il faut prévoir un contrôle sur place systématique des services de l’État et des échanges réguliers entre le responsable des enfants et la médecine du travail.

Les parents doivent être davantage responsabilisés ; il faut aussi assurer leur pleine information. Pour ce faire, je propose d’imposer une transmission du scénario par la production et de créer, sur la plateforme de la commission des enfants du spectacle, un module, dont la validation par les parents serait obligatoire, rappelant le cadre juridique applicable.

Enfin – c’est une des recommandations les plus fortes du rapport –, je propose de contrôler l’honorabilité de toutes les personnes amenées à encadrer des enfants dans le secteur culturel et de rendre obligatoire un niveau de qualification minimale pour les encadrer, à l’image de ce qui existe déjà dans les clubs sportifs et dans les accueils collectifs de mineurs. Non seulement l’exception culturelle ne se justifie pas dans ce domaine, mais elle peut également conduire à des dérives.

L’exemple de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, dont la commission a puissamment contribué à révéler les dysfonctionnements, montre que les structures associatives sont insuffisamment encadrées et accompagnées pour prendre en charge des mineurs et de jeunes adultes. Faire évoluer cette situation est pour moi une priorité absolue.

Je vous soumets également une série de mesures visant à mieux protéger l’ensemble des professionnels des secteurs concernés.

La profession d’agent, touchée par une vague de dérégulation et de simplification, doit être de nouveau encadrée. À ce titre, je propose de mettre à la charge des agents une obligation d’aide et d’assistance vis-à-vis de leurs clients, assortie d’une sanction en cas de non-respect.

De la même manière, il faut mettre de l’ordre dans les castings, identifiés comme des moments à risque. Un casting doit avoir lieu exclusivement dans des locaux professionnels, pendant les heures ouvrables, en présence de deux personnes au moins et en interdisant les scènes d’intimité ou de nudité, même partielle, à moins qu’un coordinateur d’intimité ne soit présent. Lorsqu’un enfant est concerné, celui-ci doit être accompagné de ses parents ou d’un représentant légal – les scènes d’intimité ou de nudité sont déjà interdites.

Dans les productions cinématographiques et audiovisuelles, les scènes d’intimité doivent être encadrées en rendant obligatoires des clauses détaillées dans le contrat. De même, la médiation d’un coordinateur d’intimité doit être systématiquement proposée aux acteurs. Enfin, ces derniers doivent avoir un droit de regard sur le montage final de ce type de scène, pour vérifier le plein respect des termes du contrat qu’ils ont signé.

Il convient de mettre un terme aux pratiques d’endettement des mannequins en interdisant les retenues sur salaire – qui peuvent étonnamment aller jusqu’à 100 % de ce dernier – aux agences qui les emploient.

En outre, il importe de limiter les phénomènes d’omerta et de mettre les employeurs du secteur culturel face à leurs responsabilités, notamment en facilitant la réalisation des enquêtes internes, lesquelles devraient être obligatoires en cas de VHSS. Afin de garantir le sérieux de ces enquêtes, j’appelle de mes vœux la certification des organismes susceptibles de les réaliser.

Je souhaite également rendre obligatoire, pour tous les employeurs, le signalement au procureur des faits de violences sexuelles dont ils ont connaissance.

Afin de ne plus faire peser sur la victime la responsabilité de l’arrêt d’une production, notamment dans le milieu du cinéma, il est essentiel de rendre obligatoire la couverture assurantielle des risques VHSS.

S’agissant du recueil de la parole des victimes, la fonction de référent VHSS, récemment introduite sur les tournages, est une avancée intéressante, mais il convient de la professionnaliser. Ceux qui l’exercent doivent être mieux rémunérés et formés. Pour ce faire, une certification par l’opérateur de compétences du secteur, l’AFDAS (Assurance formation des activités du spectacle), doit être instaurée à terme. Surtout, il est essentiel de rompre l’isolement des référents en favorisant, d’une part, la nomination de binômes paritaires sur les tournages et, d’autre part, la création d’un réseau de référents. Il faut interdire aux personnes appartenant à la direction d’exercer ces fonctions afin de préserver l’indépendance et donc la crédibilité des référents. Enfin, je recommande d’étendre cette obligation aux productions du spectacle vivant, dès lors qu’elles rassemblent des collectifs temporaires de travail, et de permettre aux petites structures d’avoir des référents internes mutualisés au niveau local.

Le contrôle de l’État et l’information des partenaires sociaux en matière de violences doivent être renforcés. Cela passe, avant tout, par un accroissement des moyens de l’inspection du travail et une revalorisation du métier d’inspecteur. À titre expérimental, un inspecteur pourrait être détaché auprès du CNC et du CNM. En fonction des résultats, le dispositif pourrait être pérennisé et étendu. Dans le même temps, il faut rendre obligatoire la transmission des lieux de casting et de tournage, dès le premier jour.

Les moyens humains et financiers alloués aux comités centraux d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) du cinéma et de l’audiovisuel doivent être accrus. Leur niveau d’information doit être amélioré par des échanges réguliers avec les autres acteurs de la prévention – le ministère, Thalie Santé, la cellule Audiens, etc. Créer une structure comparable, respectivement dans le spectacle vivant et le mannequinat, est indispensable.

L’amplification de la politique de formation des professionnels de la culture est nécessaire pour prévenir les violences et garantir un environnement de travail sain et respectueux. À cette fin, je propose d’inclure obligatoirement une formation au droit du travail et à la prévention des violences en milieu professionnel, notamment morales, sexistes et sexuelles, dans le tronc commun de toutes les écoles du secteur culturel, assortie d’un examen – cette recommandation me tient particulièrement à cœur.

Les obligations de formation applicables aux tournages de films de cinéma doivent être étendues aux directeurs de casting et aux agents artistiques, puis à d’autres domaines, tels l’audiovisuel et le spectacle vivant. La formation des agents doit également comprendre des modules consacrés au droit du travail et au recueil de la parole.

Les violences constatées dans les secteurs culturels s’inscrivent dans une tendance affectant la société dans son ensemble. Je formule des propositions plus générales ayant trait à la prise en charge judiciaire des victimes de violences morales, sexistes ou sexuelles dans un cadre professionnel.

Je préconise ainsi d’étendre aux violences professionnelles les juridictions spécialisées dans les violences intrafamiliales ; d’ouvrir le débat sur la prescription glissante des violences sexuelles commises à l’encontre des majeurs, à l’image de ce que le législateur a déjà voté pour les victimes mineures ; de rendre obligatoire le déclenchement d’une enquête et la réalisation d’actes d’investigation – audition de l’auteur présumé, saisie de ses ordinateurs et téléphones, et ainsi de suite – en cas de dépôt de plainte pour VHSS ; de prévoir une aide juridictionnelle de plein droit pour accompagner les victimes lors du dépôt de la plainte ; d’ouvrir une réflexion sur un dépôt de plainte anonyme pour les victimes.

Parce que je suis convaincu que la culture peut être un levier de changement sociétal, je recommande de conditionner les aides publiques dans le secteur culturel au respect de la parité, y compris les subventions versées à des associations comme la Cinémathèque française. Le bonus parité deviendrait par ailleurs un malus et un dispositif similaire serait introduit en matière de diversité.

Ces propositions ne sont qu’une première étape. Il faut désormais prendre le temps de les assimiler et de les méditer collectivement. J’engage d’ailleurs toutes les filières concernées à s’en emparer, à les expertiser et à formuler en retour de nouvelles propositions dans les mois à venir. Ensuite, viendra le temps de rédiger une proposition de loi claire et cohérente qui traduira une partie des recommandations. J’inviterai alors tous ceux d’entre vous qui le souhaitent à s’y associer, afin de parachever notre œuvre commune.

Enfin, j’espère que vous autoriserez la publication du rapport.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. C’est avec un peu d’émotion que nous présentons ce rapport. Cette commission d’enquête a été éprouvante. Nous avons recueilli de nombreux témoignages tant lors des auditions qu’en dehors ; je ne pouvais plus décrocher mon téléphone sans craindre ce que j’allais entendre.

M. Emeric Salmon (RN). Je remercie Mme la présidente et M. le rapporteur pour la qualité des débats au cours desquels l’ensemble des groupes ont pu poser des questions ; nous avons ainsi travaillé sereinement. Certaines auditions ont été pesantes, des faits graves y ont été révélés.

Malgré quelques réserves, qui figureront au compte rendu annexé au rapport, nous voterons pour la publication de celui-ci. En effet, ce travail important et l’ensemble des auditions, y compris celles organisées à huis clos – sous réserve des précautions d’usage –, doivent être rendus publics.

Nous sommes particulièrement favorables aux recommandations relatives aux mineurs, aux castings – qui sont, par nature, des moments à risque – et au mannequinat. Par ailleurs, le séquencement précis des scènes d’intimité est une recommandation qui va dans le bon sens.

J’ai assisté à certaines auditions relatives à la Maîtrise des Hauts-de-Seine. Je suis surpris que les recommandations nos 18, 19, 20 et 21 ciblent spécifiquement cette structure ; vous auriez pu formuler des propositions d’ordre général.

Nous avons des désaccords sur certaines recommandations. Nous sommes favorables à la promotion de la parité. Cela étant, la création artistique ne doit pas être bridée. En formulant des recommandations spécifiques au milieu artistique, vous tirez à côté de la cible. Par exemple, il n’y a que des hommes à l’écran au cours des trente premières minutes du film Il faut sauver le soldat Ryan car c’est un film sur le Débarquement. Dans certains films, seules des femmes jouent – Huit femmes, par exemple. Ce film doit-il pour autant percevoir davantage de subventions en raison d’un casting exclusivement féminin ?

Nous sommes également en désaccord sur la recommandation relative à l’obligation de déclencher une enquête et de réaliser des actes d’investigation, tels que la saisie des moyens informatiques, en cas de dépôt d’une plainte pour VHSS. L’officier de police judiciaire doit rester libre de lancer l’enquête selon la nature des faits. Des plaintes pourraient en effet être déposées pour assouvir une vengeance.

Enfin, vous préconisez d’introduire dans les contrats de travail une clause interdisant toute retenue sur salaire en cas de signalement d’une VHSS. Elle pourrait être limitée à la durée de l’action judiciaire, au cas où la plainte ne serait pas fondée.

M. Stéphane Mazars (EPR). Vous apportez des réponses à des problèmes qui se posent dans des secteurs qui présentent des spécificités. Ma crainte est de créer un droit dérogatoire au droit commun s’agissant des mesures visant à lutter contre les violences faites aux femmes.

M. Philippe Fait (EPR). Je souscris aux propos de M. Mazars et vous remercie pour ce formidable rapport, très riche.

Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain : nous avons aussi entendu, lors des auditions, des professionnels tout à fait respectueux. Il ne faut pas généraliser les dysfonctionnements constatés mais, au contraire, valoriser les bonnes pratiques.

Lors d’une audition, j’ai évoqué les métiers de la restauration, qui peuvent aussi être artistiques, et les écoles spécialisées qui y forment. Il est important qu’à côté de l’éducation à la sexualité, l’école diffuse largement les bonnes pratiques du monde du travail, afin que les jeunes qui arrivent sur le marché du travail puissent échapper aux abus de pouvoir et aux violences qui y ont parfois cours.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Nous avons relevé, dans le rapport, la bonne volonté manifestée par certains acteurs du monde de la culture. Plusieurs institutions très importantes ont effectivement fait montre d’une réelle volonté de lutter contre les violences.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Il est vrai que les recommandations nos 18 à 21 concernent précisément la Maîtrise des Hauts-de-Seine, dont nous tenons à pointer les dysfonctionnements, mais nous en tirons aussi des propositions d’ordre général. Bien que cet aspect sorte un peu du champ de notre commission d’enquête, certaines choses, dans les comptes de cette association, ne nous ont pas paru tout à fait claires. Ce n’est toutefois pas à nous d’en juger, d’autant que le département des Hauts-de-Seine semble n’y trouver rien à redire : aussi préconisons-nous un contrôle de la chambre régionale des comptes, qui est l’institution la plus à même de se pencher sur la question.

De l’analyse du fonctionnement de la Maîtrise des Hauts-de-Seine et des auditions que nous avons menées, nous avons tiré des propositions fortes, telles que l’obligation de contrôler l’honorabilité des personnes qui travaillent avec des enfants. Le secteur de la culture ne peut pas se soustraire à une telle mesure, déjà appliquée dans le monde du sport.

J’en viens à la remarque de M. Salmon concernant la parité. Il ne s’agit évidemment pas de modifier le scénario d’un film consacré à la guerre, où tous les protagonistes sont des hommes, pour y mettre des femmes. Nous aimerions en revanche que chaque production promeuve la parité au sein de ses équipes techniques, par exemple parmi les chefs de poste. Certaines productions parviennent dorénavant à atteindre cet objectif. Plus les équipes seront inclusives, que ce soit en matière de parité ou d’origine sociale, plus elles seront respectueuses des uns et des autres. À terme, les bonus accordés aux structures vertueuses devraient d’ailleurs être remplacés par des malus infligés à celles qui ne le sont pas, car il paraît aberrant de récompenser le respect des obligations de parité fixées par la loi.

Monsieur Mazars, il n’est pas question de créer un droit spécifique. Tous les plaignants et plaignantes – car il s’agit essentiellement de femmes – nous ont raconté un parcours judiciaire très difficile. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi tant de victimes renoncent à porter plainte. Une fois la plainte déposée, on peut se heurter à des incompréhensions, notamment devant la longueur des procédures, et à des déceptions, par exemple si l’affaire est classée sans suite ou se solde par un non-lieu. Aussi convient-il d’accompagner les victimes, d’une façon ou d’une autre, dans le cadre de l’aide juridictionnelle. Cette dernière devrait être proposée à toutes les victimes, qu’elles aient été agressées par un producteur ou qu’elles exercent un métier plus classique.

Je propose de permettre un dépôt de plainte anonyme. Une telle mesure peut paraître contradictoire : il s’agit d’une piste de réflexion, qu’il faudra expertiser. Quoi qu’il en soit, nous devons trouver une solution pour que les personnes qui ont peur, notamment en raison de leur métier, puissent être accompagnées par une association ou un avocat.

M. Stéphane Mazars (EPR). L’aide juridictionnelle est de droit pour les victimes de violences sexuelles.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Elle dépend du montant des revenus de l’année précédente, ce qui peut poser un problème aux victimes, compte tenu des arrêts de carrière qu’elles ont parfois subis.

Mme Céline Thiébault-Martinez (SOC). Je remercie la présidente et le rapporteur pour le travail réalisé et les auditions organisées, parfois à la dernière minute et à la demande de victimes. Certains moments ont été particulièrement éprouvants pour les personnes qui venaient témoigner : ces auditions étaient très importantes pour elles, et vous avez fait preuve d’une formidable capacité d’écoute.

Je n’ai pas pu consulter le rapport avant cette réunion. Je viens d’en parcourir les recommandations : à première vue, je me satisfais de l’approche très large que vous avez retenue.

En tant que féministe, j’accorde beaucoup d’importance à la recommandation n° 1, qui consiste à renouveler l’enquête Virage (Violences et rapports de genre) réalisée par l’Institut national d’études démographiques (Ined). Les données disponibles sont en effet anciennes et ne correspondent plus à la réalité de la société. Un témoignage, aussi puissant soit-il, ne peut être généralisé, même s’il nous pousse à agir. Je salue donc cette recommandation, qui pourrait d’ailleurs recueillir des soutiens bien au-delà de notre commission d’enquête.

Je salue également l’exhaustivité des cibles – hommes et femmes, adultes et enfants – de vos recommandations.

Je me réjouis par ailleurs que vous proposiez la généralisation de nombreuses nouvelles pratiques qui nous ont été présentées lors des auditions. J’ai retenu notamment la création de CCHSCT, car c’est un outil fondamental. Soit dit en passant, les CHSCT font cruellement défaut : il faudrait les rétablir dans tous les secteurs. Je veux également citer la généralisation des référents VHSS.

Je lirai tout particulièrement le passage du rapport relatif aux aides du CNC, car ce sujet, qui n’est pas simple, m’a interrogée pendant les auditions. Il en est de même du rôle des assureurs dès lors qu’une agression sexuelle est suspectée durant un tournage. Je me félicite que vous ayez traité ces sujets épineux.

Les propositions que vous faites concernant l’inspection du travail me semblent particulièrement pertinentes. Au-delà du contrôle qu’exerce cette institution et des sanctions qu’elle peut prononcer, le fait de dédier certains agents au milieu du cinéma permettrait d’avoir des interlocuteurs au fait des enjeux de ce secteur. Or on a vu, au cours des auditions, que la connaissance insuffisante des pratiques spécifiques aux tournages et des conditions de travail très particulières qu’elles impliquent – je pense notamment à la délocalisation de l’activité dans des endroits où les personnes peuvent se retrouver sans ressources pour réagir à une situation inhabituelle – était une lacune.

M. Thierry Perez (RN). Je crains que le dépôt de plainte anonyme soit une fausse bonne idée. En tout cas, cela mérite réflexion.

Supposons que, sur un plateau de tournage où travaillent vingt à trente personnes, quelqu’un porte plainte pour des faits délictuels. La police va enquêter et, forcément, se tourner vers l’auteur supposé du délit. Si ce dernier a réellement commis une infraction, il saura qui a porté plainte, ce qui ne posera pas de problème, mais dans le cas contraire, cette plainte jettera l’opprobre sur l’ensemble du plateau. On imagine l’ambiance…

Par ailleurs, en la matière, l’anonymat ne dure jamais longtemps, car il arrive toujours un moment où l’auteur supposé du délit doit être confronté au plaignant. C’est souvent l’affaire de quelques jours.

Ainsi, votre idée est bonne, dans la mesure où elle permettrait à la victime de se positionner juridiquement en tant que telle et en toute sécurité, sans craindre des représailles, mais je ne vois pas ce qu’elle pourrait apporter à long terme.

Mme Eléonore Caroit (EPR). Je m’associe aux remerciements et aux félicitations qui vous ont été adressés. Je n’ai pu assister qu’à quelques auditions, mais j’ai eu connaissance de la liste des personnes que vous avez auditionnées : vous avez réalisé un travail colossal. Certaines auditions ont été très difficiles. Le fait que vos travaux n’aient pas été autant médiatisés que je l’escomptais a été une bonne chose : cela a permis aux témoins de vous apporter des réponses très sincères.

Veuillez m’excuser de ne pas pouvoir faire de commentaires très détaillés, car je n’ai pas eu la possibilité de venir consulter le rapport avant cette réunion. Je souscris aux recommandations relatives aux mineurs, car ces enjeux sont assez fréquemment ressortis des auditions. Je vous rejoins également sur la nécessité d’un encadrement renforcé de certaines professions, comme celles d’agent ou de directeur de casting. Je suis en revanche plus réservée s’agissant de la prescription glissante, mais je sais que vous ne proposez que d’ouvrir un débat sur cette question. En tant que juriste, je considère en effet que la notion de prescription constitue une garantie dans un État de droit. Je serais ravie d’en savoir un peu plus.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je m’associe à tous les remerciements qui vous ont été adressés pour la qualité des débats et des auditions. Je souhaite que ce rapport fasse date, car il marque une étape fondamentale en posant le premier acte formel, objectivé et documenté, depuis la révolution MeToo. Nous nous associerons volontiers à sa présentation.

Je rejoins les remarques de Mme Caroit. En tant que commissaire aux lois, je considère que les propositions d’instaurer une prescription glissante et de permettre l’anonymat des dépôts de plainte méritent une réflexion sérieuse. Vous percevrez chez moi une forme d’appréhension ou de réticence car, quand on lance des idées dans le débat, on ne peut jamais être sûr qu’elles atterriront du bon côté.

J’aimerais insister sur la nécessité de protéger les mineurs et de faire appliquer le droit commun, notamment en matière de droit du travail. C’est aussi ce qui permet de donner des garanties collectives aux victimes.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Madame Thiébault-Martinez, il faut effectivement demander la réalisation d’une nouvelle étude Virage. Celle que l’Ined a réalisée date de 2015 ; or, depuis dix ans, les violences sexistes et sexuelles ont évolué dans notre pays.

Monsieur Perez, je ne sais pas si le dépôt de plainte anonyme est une fausse bonne idée, mais je considère qu’il est de notre rôle de parlementaires d’inscrire des propositions à l’agenda et de creuser certaines pistes. Ayant été commissaire aux lois pendant huit ans, je connais bien la Chancellerie, et je sais que cette administration est très conservatrice. Si nous n’émettons pas parfois des idées un peu disruptives en matière de droit pénal, les choses ne changeront pas beaucoup. Dans la situation que vous imaginez, la victime d’une agression doit aller voir le référent ; ce dernier a alors l’obligation de saisir le producteur. Il se trouve qu’une personne ayant subi des violences n’ose pas toujours déposer plainte ; elle peut cependant rencontrer un réseau de victimes, échanger avec elles et se rendre compte que toutes ont été agressées par le même individu. Dans ce genre de situation, l’anonymat du dépôt de plainte pourrait sécuriser les victimes et leur permettre de faire bloc. Il est évident que la plainte ne restera pas éternellement anonyme. L’un des principes de la procédure pénale est toutefois le secret de l’instruction : normalement, un dépôt de plainte n’est pas public et peut rester confidentiel très longtemps. Il arrive même que des personnes mises en cause soient informées une année après que la plainte a été déposée.

Pour ma part, étant opposé à la suppression de la prescription tout court, je considère que l’instauration d’une prescription glissante est une idée intéressante. Lorsqu’une victime porte plainte, une action judiciaire est engagée et aboutit, le cas échéant, à une condamnation. Il arrive alors que plusieurs individus se rendent compte qu’ils ont été victimes de la même personne. L’une de ces victimes peut cependant se heurter au principe de prescription, car les faits qui la concernent sont plus anciens. Cette impossibilité d’agir est alors difficile à vivre pour la personne, alors qu’un faisceau d’indices, incluant par exemple un mode opératoire similaire, aurait pu permettre de qualifier le crime qu’elle a subi. Ainsi, une prescription glissante a déjà été instaurée pour les violences subies par les mineurs. Je conçois que ces derniers aient droit à une protection supérieure, mais il me semble que tout plaignant devrait pouvoir bénéficier de cette même protection. Ce n’est qu’une réflexion, une piste à creuser, mais je trouve qu’il n’y a rien de plus injuste, pour une victime, que de savoir qu’une procédure est en cours ou que son agresseur a été condamné pour d’autres infractions, mais que, pour ce qui la concerne, les faits sont prescrits. C’est terrible !

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Ces victimes peuvent être témoins dans les autres procédures, mais j’admets que ce n’est pas la même chose.

Le rapporteur a été très exhaustif : je ne reviendrai donc que sur des éléments connexes.

Vous avez bien compris que nous ne voulions pas imposer l’égalité femmes-hommes dans l’écriture des scénarios. L’idée n’est pas de tourner un film qui s’appellerait Blanc-Glacier et les sept naines ! C’est l’équipe de production et les institutions que nous voulons rendre paritaires.

La saisie des biens matériels peut se justifier par la disparition de nombreuses preuves après l’annonce d’un dépôt de plainte. Vous connaissez comme nous les difficultés auxquelles peuvent se trouver confrontés les policiers, qui ont beaucoup d’enquêtes à mener, et la justice, qui est rendue dans des délais bien longs.

Il m’est arrivé de signaler au procureur, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, un fait dont j’avais eu connaissance sans mentionner le nom de la victime. Ma démarche a permis de préserver au maximum, pendant l’enquête de police, l’anonymat et la sécurité de la personne qui avait subi un préjudice. L’anonymat n’a été levé que lorsque le parquet a décidé de ne pas classer la plainte, mais de l’instruire. Cela a laissé à la victime le temps de s’organiser et de se protéger. Voilà pourquoi je considère que l’idée d’un dépôt de plainte anonyme n’est pas complètement inintéressante. Au vu des pressions que subissent certaines victimes, cette procédure aurait même une certaine utilité.

M. Pouria Amirshahi (EcoS). La recommandation n° 16 consiste à détailler ce qui peut être autorisé ou non pendant un tournage. Vous proposez ainsi d’interdire les scènes où les acteurs se dénudent…

M. Erwan Balanant, rapporteur. La proposition ne vise que les castings ! Mais si cette interdiction concernait le tournage d’un film, quelle serait votre question ?

M. Pouria Amirshahi (EcoS). Je conçois que le tournage de scènes de nudité puisse être interdit sans la présence d’un coordinateur d’intimité, sans le consentement des comédiens, s’il n’était pas prévu ou s’il n’a pas de lien avec le sujet du film. En revanche, un acteur doit pouvoir se dénuder pour plonger dans l’eau, par exemple. Cette interdiction me paraît trop stricte sur un plateau, mais si elle ne concerne que les castings, je la comprends parfaitement.

M. Erwan Balanant, rapporteur. Le fait de se déshabiller pour plonger dans l’eau est une scène d’intimité. Dès lors que le réalisateur souhaite tourner de telles scènes, je souhaite qu’elles soient écrites et contractualisées. Il ne doit pas être possible de les demander au dernier moment. Un coordinateur d’intimité doit être systématiquement proposé ; si l’ensemble des acteurs concernés estiment que son intervention n’est pas nécessaire, on peut s’en passer, mais il suffit qu’une seule personne en ressente le besoin pour que sa présence soit de droit.

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Je vais à présent mettre aux voix, à main levée, le rapport que vous avez pu consulter il y a quelques jours.

La commission adopte le rapport à l’unanimité et autorise sa publication.

 

Mme la présidente Sandrine Rousseau. Le dépôt du rapport sera publié au Journal officiel de demain, mais compte tenu du délai de cinq jours francs imposé par l’article 144-2 du règlement pour permettre la constitution de l’Assemblée nationale en comité secret à l’effet de décider, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport, ce dernier ne pourra être publié que le mercredi 9 avril. Dans l’intervalle, aucune communication ne peut être faite de son contenu. Il vous sera donc demandé de remettre vos exemplaires au secrétariat de la commission à l’issue de cette réunion.

Des contributions individuelles ou au titre d’un groupe pourront figurer en annexe du rapport. Elles doivent être adressées au secrétariat avant vendredi 4 avril, à quatorze heures.

Par ailleurs, je vous informe que la commission a engagé cinq actions en parjure, contre M. Serge Toubiana, contre M. Michel Haas et Mme Anne-Sophie Lépinay, président et directrice adjointe de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, et contre M. Gaël Sanquer et Mme Caroline Vasseure, président et directrice des ressources humaines du groupe NRJ. Dans les jours qui viennent, elle va également intenter des actions en parjure à l’encontre de M. David Baranes et M. Gérard Moulévrier, et procéder à deux signalements au titre de l’article 40 du code de procédure pénale concernant la Maîtrise des Hauts-de-Seine, le Théâtre du Soleil ainsi que plusieurs de ses comédiens ou anciens comédiens.

Avant que nous nous quittions, et comme je l’ai indiqué dans la convocation, je souhaite soumettre à votre approbation une saisine de l’Autorité de la concurrence. En effet, notre enquête a mis au jour certaines pratiques des agences artistiques qui nous paraissent poser problème et méritent, à notre sens, d’être examinées par le régulateur. Il semble que le secteur s’est concentré au cours des dernières années, ce qui a conduit une agence, en particulier, à prendre une place très importante dans ce marché. Or cette concentration a un lien direct avec les sujets qui nous ont occupés, dans la mesure où elle pourrait favoriser la silenciation des victimes et la protection des auteurs de violences. Par conséquent, je propose que la commission saisisse l’Autorité de la concurrence, en application de l’article L. 462-1 du code de commerce, et qu’elle formule une demande d’avis sur le fonctionnement du secteur de la représentation artistique.

Il en est ainsi décidé.

 

 

 


   CONTRIBUTIONS DES MEMBRES DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

Contribution du groupe Rassemblement national

 


   PERSONNES entendues PAR LA COMMISSION D’ENQUêTE ET LIEN VERS LES COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Les comptes rendus des auditions sont consultables à l’adresse suivante :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/organes/autres-commissions/commissions-enquete/ce-violences-cinema-audiovisuel-spectacle-mode-publicite/documents’typeDocument=crc

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des réunions de la commission d’enquête.

Mardi 5 novembre 2024

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Mélodie Molinaro, fondatrice et présidente de l’association Derrière le Rideau

 - Mme Emmanuelle Truan Dancourt, présidente de l’association MeTooMedia et M. Florent Pommier, trésorier

 - Mme Françoise Bellot, trésorière du Collectif féministe contre le viol (CFCV) et Mme Sophie Lascombes, membre du conseil d’administration et chargée de formation

Jeudi 7 novembre 2024

– M. Frédéric Olivennes, directeur général d’Audiens *, Mme Caroline Rogard, directrice de la communication et Mme Carla Ballivian, responsable des actions sociales

– M. Robert Namias, ancien directeur de l’information de TF1 *

– M. Gérald-Brice Viret, directeur général de Canal+ France *, en charge des programmes et des antennes, Mme Sylvie Cavalié, directrice des affaires sociales, M. Laurent Hassid, directeur des acquisitions Cinéma, M. François Mergier, directeur de la production de Studiocanal et Mme Marine Schenfele, directrice de la RSE du groupe Canal+

– Mme Sara Forestier, actrice et réalisatrice

Jeudi 14 novembre 2024

– Mme Caroline Bonmarchand, Mme Alice Girard et Mme Fabienne Silvestre, fondatrices du groupe de travail RESPECT

– Mme Delphine Ernotte-Cunci, présidente-directrice générale de France Télévisions *, et Mme Livia Saurin, secrétaire générale adjointe

– M. Frédéric Béreyziat, directeur général chargé des ressources d’ARTE France *, Mme Agnès Lanöé, directrice prospective et développement transverse, M. Boris Razon, directeur éditorial, M. Olivier Père, directeur de l’unité cinéma, Mme Soumaya Benghabrit, directrice des ressources humaines, et Mme Céline Chevalier, directrice de la communication

– M. Mathieu Ripka, délégué général de la Société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs (ARP), Mme Joyce Dardanne, déléguée générale adjointe, M. Quentin Delcourt et M. Jérôme Enrico, cinéastes membres de l’ARP

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Barbara Rousseil, directrice associations, collectivités et entreprises à la MAIF

 - M. Sylvain Mortera, directeur général du groupe Aréas Assurances et M. David Sultan, directeur courtage

 - M. Hugo Rubini, courtier

Lundi 18 novembre 2024

– Mme Anaïs Ascaride, Mme Clotilde Martin, M. Daniel Delume, M. Sébastien Autret et M. Benjamin Lanlard, membres de l’Association des directrices et directeurs de production (ADP)

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Julie Larher et Mme Nathalie Tissier, membres de l’Association des maquilleuses et maquilleurs de cinéma (AMC)

 - Mme Alice Cambournac, présidente de l’Association française des costumiers du cinéma et de l’audiovisuel (AFCCA) et Mme Julie Miel, vice-présidente

 - M. Jérémie Steib, président de l’Association française des assistants réalisateurs de fiction (AFAR) et Mme Thomine de Pins, secrétaire adjointe chargée des VHSS

 - Mme Noémie Lance, co-présidente de l’Association française des régisseuses et régisseurs du cinéma et de l’audiovisuel (AFR) et M. Erwan Doré, co-président

Jeudi 21 novembre 2024

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Louise Lebecq, déléguée aux affaires sociales au sein du Syndicat des producteurs indépendants (SPI) *, et Mme Florence Borelly, membre du bureau long-métrage

 - Mme Laëtitia Galitzine, membre du conseil de direction de l’Union des producteurs de cinéma (UPC) *, Mme Valérie Lépine-Karnik, déléguée générale et Mme Nadia Mathern, déléguée aux affaires sociales

 - Mme Hortense de Labriffe, déléguée générale de l’Association des producteurs indépendants (API)

– Audition commune, ouverte à la presse, de :

 - Mme Valérie Lépine-Karnik, présidente du comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) de la production cinématographique et publicitaire, M. Didier Carton, délégué à l’hygiène et la sécurité et M. Jean Loup Chirol (SNTPCT), membre

 - M. Laurent Jullien, président du comité central d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) de la production audiovisuelle, M. Jimmy Shuman, membre du collège salariés et Mme Louise Lebecq, membre du collège employeurs

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Constance Vilanova, journaliste

 - Mme Raphaëlle Bacqué, journaliste

 - Mme Laure Adler, journaliste

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Ghislaine Pujol, vice-présidente animation au sein de La Guilde française des scénaristes *

 - Mmes Anne Ricaud et Caroline Torelli, membres du syndicat des scénaristes (SDS)

 - Mmes Violette Garcia et Valérie Leroy, scénaristes et élues du conseil d’administration de l’association Scénaristes de cinéma associés (SCA)

Lundi 2 décembre 2024

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Iris Knobloch, présidente du Festival de Cannes, M. Thierry Frémaux, délégué général et M. François Desrousseaux, secrétaire général

 - Mme Aude Hesbert, directrice générale de Public Système Cinéma pour le Festival du cinéma américain de Deauville

 - M. Patrick Sobelman, président de l’Académie des César et Mme Ariane Toscan du Plantier, vice-présidente

 - M. Jean-Marc Dumontet, président de l’Académie des Molières

 - Mme Daniela Elstner, directrice générale d’UniFrance

– M. Romain Cogitore, co-président de la Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF), Mme Rosalie Brun, déléguée générale et Mme Myriam Gharbi, cinéaste, membre du conseil d’administration

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - M. Riton Dupire-Clément et Mme Chloé Cambournac, membres de l’Association des chef.fe.fs décorateur.ice.s de cinéma (ADC)

 - Mme Sandrine Jarron et M. Omid Gharakhanian, membres du Collectif des assistant.e.s décorateur.ice.s de cinéma et de l’audiovisuel (AADAC)

 - Mmes Sabine Chevrier et Alexandra Laval, membres de l’Association des métiers associés du décor (MAD)

 - Mme Chloé Simoes et M. Simon Tric, membres de l’Association française des accessoiristes de plateau (AFAP)

 - Mmes Emmanuelle Ollé et Maelys Deschard, membres du Collectif des ensemblier.ère.s et régisseur.euse.s d’extérieurs français (CERF)

 - M. Sébastien Chauvat, membre du Collectif des chef.fe.fs constructeur.rice.s (CCC)

Jeudi 5 décembre 2024

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Alexandra Clément, membre du bureau du Syndicat des producteurs et créateurs de programmes audiovisuels (SPECT) *, M. Vincent Gisbert, délégué général, et Mme Audrey Ellouk Barda, déléguée générale adjointe

 - Mme Amanda Borghino, déléguée générale adjointe de l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA) *, M. François Caillé, délégué aux affaires sociales, et Mme Aline Panel, membre du conseil syndical de l’USPA

 - Mme Nora Melhli, présidente du collège audiovisuel du Syndicat des producteurs indépendants (SPI) *, et Mme Louise Lebecq, déléguée aux affaires sociales

 - M. Jean-François Besse, vice-président de l’Association française des producteurs de films et de programmes audiovisuels (AFPF)

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Alexandra Henochsberg, directrice de la distribution d’Ad Vitam Distribution

 - Mme Christine Beauchemin-Flot, directrice et programmatrice du cinéma Le Select

 - Mme Nathalie Cieutat, directrice générale adjointe distribution de Pathé Films

 - M. Henri Ernst, directeur de la programmation des salles de cinéma UGC et M. Mathieu Debusschère, directeur des affaires publiques et de la communication institutionnelle

– Audition, ouverte à la presse, des représentants du groupe M6 * :

 - Mme Karine Blouët, membre du directoire en charge des affaires publiques, secrétaire générale

 - M. Guillaume Charles, membre du directoire en charge des antennes et des contenus

 - M. Christophe Foglio, directeur des ressources humaines

 - Mme Marie-Anne Hurier, directrice juridique adjointe en charge de la Société nouvelle de distribution (SND)

 - Mme Marie Loisel, directrice des antennes et contenus, coordinatrice des programmes

Lundi 9 décembre 2024

– Audition, ouverte à la presse, des représentants du groupe TF1 * :

 - Mme Julie Burguburu, secrétaire générale

 - Mme Laure Bezault, secrétaire générale de l’information

 - Mme Valérie Languille, directrice générale adjointe des relations humaines et RSE

 - M. Fabrice Bailly, directeur des programmes et acquisitions du groupe TF1 et président de TF1 Production

 - Mme Nathalie Toulza-Madar, directrice générale de TF1 Film Production

 - M. Julien Godin, cofondateur du Label PlayTwo, filiale musicale du groupe TF1

– Audition, à huis clos, réunissant :

 - Mme Élisabeth Tanner, fondatrice de l’agence Time Art

 - M. Grégory Weill, associé de l’agence Adéquat

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - M. Gaël Sanquer, président de NRJ *, et Mme Caroline Vasseure, directrice des ressources humaines de NRJ Group

 - M. Frédéric Antelme, directeur délégué de Radio Nova et Mme Rozenn Calle, directrice juridique du groupe Combat

 - M. Karim Nedjari, directeur général de RMC Sport et M. Jules Neutre, directeur des ressources humaines de RMC BFM *

 - M. Patrick Roger, directeur général de Sud Radio et Mme Laetitia Gualino, manager RH Fiducial en charge des médias

Mercredi 11 décembre 2024

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Union syndicale des employeurs publics du spectacle vivant (USEPSV) : Mme Aurélie Foucher, membre du Profedim, M. Sébastien Justine et Mme Gaëlle Le Dantec, membres des Forces Musicales, Mme Laurence Raoul, membre du Syndicat national des scènes publiques (SNSP)

 - M. Vincent Moisselin et Mme Anne Monfort, membres du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC) *

 - M. Jean-Yves Mirski, président de la Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (FESAC) * et Mme Astrid Reymond, secrétaire générale

 - M. Denis Declerck, délégué général de la Scène indépendante, Mme Jessie Varin, directrice de La Nouvelle Scène et Mme Chrystèle Jongenelen, responsable communication et relations extérieures de la Scène indépendante

Jeudi 12 décembre 2024

– M. Thierry Teboul, directeur général de l’AFDAS, opérateur de compétences (OPCO) des secteurs de la culture, des industries créatives, des médias, de la communication, des télécommunications, du sport, du tourisme, des loisirs et du divertissement

– M. Francis Renaud, acteur, réalisateur et scénariste

– Mme Lénaïg Bredoux, M. Donatien Huet et Mme Marine Turchi, journalistes à Mediapart

 

Lundi 16 décembre 2024

– Mme Suzanne Combeaud, artiste et déléguée générale de la Guilde des artistes de la musique (GAM), Mme Charlotte Cegarra, autrice compositrice interprète, membre de la GAM, et Mme Emily Gonneau, fondatrice et directrice du label Unicum Music, co-fondatrice de Change de disque et créatrice #MusicToo

– M. Nicolas Simeha, membre fondateur du collectif Chœurs brisés Agir, Mme Leïla Zlassi, Mme Élise Beckers, Mme Clémence Faber et M. Gildas Bernard, membres du collectif


– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Marie-Laure Daridan, directrice des affaires publiques France et Italie de Netflix *, et M. Victor Roulière, responsable des relations institutionnelles de Netflix France

 - M. Yohann Bénard, directeur des affaires publiques d’Amazon France * pour l’Europe du Sud et Mme Philippine Colrat, responsable des affaires publiques

 - M. Philippe Coen, directeur des affaires juridiques et publiques de The Walt Disney Company * pour l’Europe et M. Thomas Spiller, vice-président global public policies de The Walt Disney Company Europe, Moyen-Orient et Afrique

 - M. Guillaume Adam, directeur en charge des activités vidéos chez Apple TV *, Mme Georgeta Curavale, directrice en charge des productions originales françaises pour Apple TV+, et M. Bruno Bernard, directeur des relations gouvernementales France et Benelux

– M. le général François Lecointre, grand chancelier de la Légion d’honneur

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Geneviève Sellier, professeure des universités, professeure émérite en études cinématographiques à l’université Bordeaux Montaigne

 - Mme Marie Buscatto, professeure des universités en sociologie du travail, du genre et des arts à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne

 - Mme Hélène Marquié, chorégraphe, professeure des universités à l’université de Paris 8, responsable du département d’études de genre

– Mme Anna Mouglalis et Mme Nina Meurisse, actrices

– Table ronde, à huis clos, réunissant Mmes Juliette Binoche, Virginie Efira, Anna Mouglalis et Nina Meurisse, actrices et Mme Noémie Merlant, actrice et réalisatrice

Mardi 17 décembre 2024

– Audition, ouverte à la presse, de la mission interministérielle sur les violences sexistes et sexuelles dans les relations de pouvoir ou d’autorité :

 - Mme Christine Abrossimov, administratrice de l’État

 - Mme Bariza Khiari, ancienne sénatrice de Paris et vice-présidente du Sénat

 - Mme Marie-France Olieric, gynécologue obstétricienne, cheffe du pôle femme‑mère‑enfant du centre hospitalier régional (CHR) de Metz-Thionville

 - Mme Rachel-Flore Pardo, avocate au barreau de Paris

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Guillemette Odicino, journaliste, cheffe de la rubrique cinéma de Télérama

 - M. Serge Toubiana, écrivain, ancien directeur des Cahiers du cinéma, ancien directeur général de la Cinémathèque française et ancien président d’UniFrance

 - M. Marcos Uzal, rédacteur en chef des Cahiers du cinéma


Mercredi 18 décembre 2024

– Mme Judith Godrèche, actrice et réalisatrice

– M. Olivier Henrard, directeur général délégué et président (par intérim) du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), Mme Leslie Thomas, secrétaire générale et M. Vincent Villette, directeur général adjoint et directeur financier et juridique

– Mme Laurence Pécaut-Rivolier, conseillère à la Cour de cassation, membre du collège de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), présidente du groupe de travail « Protection des publics et diversité de la société française », et Mme Pauline Combredet-Blassel, directrice générale adjointe

Jeudi 19 décembre 2024

– M. Michel Haas, président de la Maîtrise des Hauts-de-Seine et Mme Anne-Sophie Lépinay, directrice administrative et financière

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Aude Portalier, directrice du conservatoire Pierre-Barbizet de Marseille

 - Mme Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris

 - M. Mathieu Ferey, directeur du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon

 - M. Alexandre Jung, directeur du conservatoire-académie supérieure de musique de Strasbourg

– M. Wajdi Mouawad, directeur du Théâtre de la Colline

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - M. Jean-Louis Blot, président d’Endemol France et M. Jean-François Rubinstein, directeur général

 - M. Frédéric Lussato, président d’Adventure Line Productions et M. Julien Magne, directeur général

 - Mme Florence Fayard, présidente de B-Prod

 - M. Antoine Henriquet, président de Ah ! Production

 - Mme Florence Duhayot, directrice générale de Studio 89 Productions et Mme Florence Morlière, directrice juridique adjointe en charge de la production

Lundi 13 janvier 2025

– Mme Ève Lombart, administratrice générale du Festival d’Avignon

– M. Alexander Neef, directeur général de l’Opéra national de Paris, M. Martin Ajdari, directeur général adjoint, M. José Martinez, directeur de la danse, Mme Myriam Mazouzi, directrice de l’académie, Mme Élisabeth Platel, directrice de l’école de danse, Mme Ariane Muraour, directrice des ressources humaines, et M. Olivier Aldeano, administrateur des formations musicales

– M. Éric Ruf, administrateur général de la Comédie française et M. Michel Roseau, directeur général

Mercredi 15 janvier 2025

– Mme Sibyle Veil, présidente-directrice générale de Radio France * et M. Charles‑Emmanuel Bon, secrétaire général

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - M. David Roussel, président de l’Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP) *, et Mme Anne-Claire Gourbier, déléguée générale

 - Mme Malika Séguineau, directrice générale d’Ekhoscènes *, et Mme Pauline Auberger, directrice juridique

 - M. Benoit André, directeur de la Filature de Mulhouse, membre de l’Association des scènes nationales (ASN) et Mme Fabienne Loir, secrétaire générale de l’ASN

Jeudi 16 janvier 2025

– Audition commune, ouverte à la presse, de Mme Christine Berrou, Mme Éponine Bégéja, Mme Elsa de Belilovski, M. Bruno Gaccio et M. Kevin Brotfeld

– Audition commune, ouverte à la presse, réunissant : Mme Flore Benguigui, Mme Amandine Lach, Mme Aurélie Le Roc’h, Mme Noémie Luciani, Mme Florence Porcel et Mme Sophie Tissier

– M. Costa-Gavras, président de la Cinémathèque française, M. Frédéric Bonnaud, directeur général, Mme Peggy Hannon, directrice générale adjointe, et M. Jean-François Rauger, programmateur

 Audition commune, ouverte à la presse, de Mme Anne Bouillon, avocate au barreau de Nantes, et Mmes Violaine de Filippis-Abate et Mme Isabelle Steyer, avocates au barreau de Paris

– Audition commune, ouverte à la presse, de Mme Myriam Sidikou, scénariste, Mme Garance Smith-Vaniz, scénariste, Mme Saskia Waledisch, scénariste, M. Thomas Evanno, scénariste, Mme Sabrina B. Karine, cofondatrice du collectif Paroles de scénaristes

Lundi 20 janvier 2025

– Audition commune, ouverte à la presse, de Mme Marilyn Baldeck, fondatrice d’Essaimer, et Mme Marie Becker, fondatrice d’Aequality

– Audition commune, ouverte à la presse, de Mme Marine Longuet, assistante réalisatrice, membre du conseil d’administration du collectif 50/50, du Dr Catherine Agbokou, responsable du pôle enfant de Thalie Santé, et de Mme Isabelle Ecckhout, directrice générale de Thalie Santé

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - M. Olivier Mantei, directeur général de la Cité de la musique-Philharmonie de Paris, et Mme Sarah Koné, directrice déléguée auprès de la direction générale, chargée notamment de la responsabilité sociétale

 - M. Guillaume Lamas, directeur général de l’Orchestre national des Pays de la Loire

 - M. Enrique Thérain, délégué général de l’orchestre Les Siècles

 - Mme Charlotte Ginot-Slacik, directrice de l’Orchestre français des Jeunes

 - M. Pierre Brouchoud, directeur général de l’Orchestre national d’Île-de-France

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Estelle Bault, co-présidente de l’association Les Scriptes associé.e.s (LSA), Mmes Francine Cathelain et Angèle Pignon, membres

 - Mme Nathalie de Médrano, présidente de l’Association des chargés de figurants et de distribution artistique (ACFDA), et M. Cédric Meusburger, membre du conseil d’administration

 - M. Alexis Leclère, co-secrétaire des Assistant.es opérateur.trices associé.es (AOA), Mme Aurélie Temmerman, membre de la cellule VHSS, et M. François Valin, 1er assistant opérateur prise de vues

 - Mmes Salomé Gadafi et Laura Marret, adhérentes du Collectif Femmes à la caméra

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Anaïs Condado, présidente de l’association Réinventer la nuit, Mme Paloma Colombe, directrice de l’association, et Mme Laure Togola, membre

 - Mme Mélanie Gourvès, directrice des Catherinettes et Mme Anna Batogé, co‑fondatrice

 - Mme Domitille Raveau, co-fondatrice de l’association Consentis, Mme Clémentine Roul, coordinatrice des actions de prévention au sein de l’association, et Mme Julie Lalloué, co-coordinatrice et formatrice au sein de l’association

 - M. Jean-Michel Aubry Journet et Mme Rose Lamy, co-fondateurs de @MusicTooFrance

 - Mme Flore Benguigui, membre du collectif Cherchez la femme

Mercredi 22 janvier 2025

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - M. Christopher Miles, directeur général de la création artistique (DGCA) du ministère de la culture

 - Mme Catherine Tsekenis, directrice générale du Centre national de la danse (CND)

 - M. Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique (CNM), et Mme Corinne Sadki, directrice chargée de l’égalité et de l’inclusion

 - Mme Gwénola David, directrice générale du Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre (ARTCENA)

 - Mme Irène Basilis, haute fonctionnaire à l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations, auprès du secrétaire général du ministère de la culture

Jeudi 23 janvier 2025

– Table ronde, à huis clos, de victimes de violences

– Audition, à huis clos, de membres d’un collectif de professionnels de l’audiovisuel et du cinéma


– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Nadège MacLeay, co‑présidente de l’association Chorégraphes associé.e.s et Mme Lucie Augeai, trésorière

 - Mme Lola Bertet, journaliste, et Mme Lola Rudrauf, danseuse, productrices du podcast À corps perdus

– Audition commune, ouverte à la presse, de Mme Nadège Beausson-Diagne, actrice, et de M. Abdelhakim Didane, comédien et metteur en scène

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - Mme Ekaterina Ozhiganova, présidente de l’association Model Law, et Mme Juliette Halbout, avocate au barreau de Paris

 - M. James Chabert, président de l’association Casting info service, M. Michael Indjeyan Sicakyuz, avocat et M. Valentin Senez, membre de la commission jeunes de l’association

Lundi 27 janvier 2025

– Audition commune, ouverte à la presse, de Mmes Rima Abdul Malak et Roselyne Bachelot, anciennes ministres

– Mme Catherine Corsini, réalisatrice, et Mme Élisabeth Perez, productrice

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - M. Mohamed Bahnas, président de Hellfest productions, Mme Cindy Pajot, responsable RSO (responsabilité sociétale des organisations), et M. Éric Perrin, responsable de la communication

 - Mme Émilie Yakich, co-directrice en charge du projet du festival Les Francofolies, M. Dimitri Gavenc, co-directeur en charge de l’administration, et Mme Haude Hellio, référente VHSS, directrice des relations institutionnelles

 - Mme Allegra Trichard, directrice d’Allover Prodution, société organisatrice du festival Les Plages électroniques

 - M. Eddy Pierres, directeur général de Wart, association organisatrice du festival Panoramas, et M. Louis Bouchardeau, assistant de direction et de coordination

– Mme Emmanuelle Dancourt, présidente, et Mme Caroline Barel, ambassadrice de l’association MeTooMedia

– Audition, à huis clos, de Mme Isabelle Giami, Mme Aude Fraineau, et M. Pierre Vignal, avocat au barreau de Paris

– Audition commune, ouverte à la presse, de M. Thibaut Derathé, ancien élève de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, et M. Pierre Calmelet, ancien directeur musical de la maîtrise

– M. Georges Siffredi, président du conseil départemental des Hauts-de-Seine, Mme Céline Gateau-Leblanc, directrice générale adjointe du pôle évaluation, accompagnement et audit, et Mme Élise de Blanzy-Longuet, directrice de la culture

– Mme Virginie Bray, principale du Collège Rognoni, et M. Olivier Lestang, conseiller principal d’éducation


Mercredi 12 février 2025

– Mme Rachida Dati, ministre de la culture, M. Christopher Miles, directeur général de la création artistique, Mme Irène Basilis, haute fonctionnaire à l’égalité, la diversité et la prévention des discriminations, et M. Olivier Henrard, directeur général délégué du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC)

Lundi 10 mars 2025

– Table ronde, à huis clos, réunissant :

 - M. Jean Dujardin, acteur, réalisateur et producteur

 - M. Gilles Lellouche, acteur et réalisateur

 - M. Pio Marmaï, acteur

 - M. Jean-Paul Rouve, acteur et réalisateur

Jeudi 13 mars 2025

– Audition, à huis clos, de M. Z, acteur

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - M. Olivier Delbosc, producteur (Curiosa Films)

 - M. François Kraus, producteur (Les Films du Kiosque)

 - M. Dimitri Rassam, producteur (Chapter 2)

 - M. Ardavan Safaee, président de Pathé Films

 - M. Hugo Sélignac, président de Chi-Fou-Mi Productions

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant :

 - M. Matteo Puglisi (Select Model Management Paris)

 - M. Thierry Bonneau, vice-président business operations de IMG Models

 - M. Éric Dubois et Mme Ana Frazao (Silent Models Paris)

 - M. Gilles Proust, président de The Claw Models

– M. Dominique Besnehard, producteur, acteur et ancien agent artistique et directeur de casting

– Audition, à huis clos, de Mme X, choriste

Lundi 17 mars 2025

– Audition, à huis clos, de M. Stéphane Foenkinos, directeur de casting

– Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des directeurs de casting :

 - M. David Baranes

 - M. Gérard Moulévrier

 - M. Nicolas Ronchi

– Mme Laëtitia Filjak-El-Azzi, Mme Bénédicte Lenne-Menault, M. Nicolas de Cerner, et M. Grégoire François-Dainville, membres du conseil de gouvernance de l’association Passerelle-MHS

Lundi 24 mars 2025

– Mme Béatrice Cattelain, M. Pierre Colliou et M. Damien Poirot, représentants du Collectif « La Voix des parents de la Maîtrise des Hauts-de-Seine »

– Mme Agathe Pujol, comédienne

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 

 


   déplacements de la commission d’enquête

 

Lundi 9 décembre 2024

Nanterre

– École de danse de l’Opéra de Paris : Mmes Élisabeth Platel, directrice, Christelle Lavelle, adjointe de la directrice des ressources humaines de l’Opéra national de Paris, et Vanessa Hurteloup-Devera, administratrice de l’école, MM. Stéphane Huot, directeur du service scolaire, et Thomas Brulé, surveillant général de l’école

 

Lundi 13 janvier 2025

Paris

– École nationale supérieure des métiers de l’image et du son (FEMIS) : Mmes Nathalie Coste Cerdan, directrice générale, et Marine Multier, responsable prévention VHSS, Mmes Katell Djan et Donatienne de Gorostarzu, directrices des départements image et scripte, Mmes Diane Vitoux et Hanna Trabelsi, étudiantes et personnes ressources, M. Nicolas Lasnibat, directeur des études, Mme Laurence Berreur, directrice adjointe des études, Mme Bénédicte Couvreur, directrice du département production, M. Pierre-Yves Jourdain, responsable de production, Mmes Caroline San Martin et Teresa Faucon, directrices du département cours de culture cinématographique, M. Lionel Baier, directeur du département réalisation, Mme Giulia Richard (réalisation) et M. Baptiste de Lavenere Lussan (décor), Mme Élisabeth Ledanois, directrice administrative et financière

 

Vendredi 24 janvier 2025

Rennes

– Association Trans Musicales : M. Erwan Gouadec, directeur délégué

– Opéra de Rennes : M. Matthieu Rietzler, directeur, M. Benoît Careil, adjoint au maire de Rennes chargé de la culture et Mme Nathalie Ribet, responsable du service soutien aux projets culturels à la direction de la culture Rennes ville et métropole

– Conservatoire à rayonnement régional de Rennes : Mme Marie Richardot, représentante du comité de direction intérimaire, Mme Mathilde Rivière, responsable des ressources humaines à la direction de la culture Rennes ville et métropole, et une représentante des élèves du conservatoire

– Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne : Mme Marion Poupinet, membre du collectif Fair-e et Mme Fatima Rojas, responsable de la communication


 

Lundi 10 février 2025

Paris

– Pitchipoï Productions : participation à une formation aux VHSS dans les locaux de la société, en amont du tournage du film À pied d’œuvre de Mme Valérie Donzelli

 

 

 


—  1  —

   ANNEXE :
COMPTES RENDUS DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
DE LA XVIe Législature
(du Mercredi 22 mai 2024 au Jeudi 6 juin 2024)

 

 

 

 


Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la commission d’enquête.

Les enregistrements vidéo des auditions ouvertes à la presse sont disponibles en ligne à l’adresse suivante : https://videos.assemblee-nationale.fr/commissions.violences-commises-dans-les-secteurs-artistiques-et-mediatiques-ce

 

 


—  1  —

1.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie Coquille-Chambel et Mme Séphora Haymann, membres du collectif #MeTooThéâtre, accompagnées de Me Anne Lassalle.

M. le président Erwan Balanant. Mes chers collègues, nous entamons cet après-midi les travaux de notre commission d’enquête. Ils dureront six mois et suivront quatre axes : évaluer la situation des mineurs évoluant dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ; faire un état des lieux des violences commises sur des majeurs dans ces mêmes secteurs ; identifier les mécanismes et les défaillances qui permettent ces violences et établir les responsabilités de chacun ; formuler des propositions concrètes pour combattre ces fléaux.

Comme cette audition est la première, je tiens à indiquer avec force que nous ne sommes pas un tribunal. Notre commission devra veiller, et j’en serai le garant, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire. Notre mission est d’informer sur les systèmes en place permettant les abus et les violences et de proposer des pistes pour y remédier.

Nous auditionnons Mmes Marie Coquille-Chambel et Séphora Haymann ainsi que Maître Anne Lassalle, auxquelles je souhaite la bienvenue et que je remercie de s’être rendues disponibles rapidement.

Mesdames, nous avons souhaité vous auditionner, en tant que membres du collectif #MeTooThéâtre, pour connaître votre perception des sujets qui nous occupent dans le secteur du théâtre et du spectacle vivant. Dans un premier temps, vous pourrez exposer brièvement les raisons pour lesquelles votre collectif a été fondé et en décrire les actions. Dans un second temps, la rapporteure Francesca Pasquini, puis les autres membres de la commission vous poseront des questions. J’invite nos collègues à faire preuve de concision. Je considère qu’une minute suffit largement à formuler une question de façon précise.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Marie Coquille-Chambel, Séphora Haymann et Anne Lassalle prêtent successivement serment.)

Mme Marie Coquille-Chambel, membre du collectif #MeTooThéâtre. Nous avons créé le collectif #MeTooThéâtre en octobre 2021, à la suite de la publication dans Libération d’une enquête de Cassandre Leray faisant état de faits de violences sexuelles qu’aurait commis Michel Didym, qui, en tant que directeur d’un centre dramatique national (CDN) et d’un festival d’écriture, était une personne importante dans le milieu du théâtre. Pourtant, lorsque l’enquête est parue, presque personne dans ledit milieu ne l’a diffusée. Personne ne s’est posé la question de savoir ce que signifie le témoignage de dix-huit femmes relatant des faits de violence allant du harcèlement sexuel au viol. J’ai alors écrit un texte, que j’ai publié sur les réseaux sociaux, indiquant que nous sommes sexuellement agressées et violées dans l’impunité et surtout l’indifférence générales des médias et du milieu du théâtre.

J’ai ensuite été contactée par l’autrice Julie Ménard, que j’ai rencontrée avec d’autres femmes du milieu du théâtre pour discuter de la façon de rendre visibles ces violences, dans la mesure où la médiatisation ne fonctionnait pas – le milieu du théâtre ne voulait pas vraiment les relayer et les médias ne s’intéressent pas aux accusés inconnus du grand public.

Nous avons décidé de lancer un hashtag. Les réseaux sociaux sont une façon plutôt simple d’avoir accès à une parole et de témoigner sans nommer les personnes mises en cause. Il s’agissait de dresser un état des lieux des violences que nous subissons, ce qui nous distingue d’autres hashtags du mouvement MeToo, tels que #BalanceTonPorc. Notre hashtag a rassemblé plus de 5 000 témoignages.

Nous avons ensuite décidé d’organiser un rassemblement devant le ministère de la culture. Plusieurs personnalités du théâtre et du monde politique s’y trouvaient. Nous avons demandé à des autrices et à des auteurs de nous écrire des textes pour dire ce qui se passait dans le milieu théâtral, afin d’aller au-delà des tweets de 240 caractères. Nous en avons tiré un livre, que je vous invite à lire. Il rassemble des témoignages intéressants sur ce qui se passe en coulisses et sur les plateaux.

À présent, notre ambition est de réunir des états généraux du théâtre pour que nous puissions nous poser des questions, en concertation avec des directions. Nous devons savoir comment faire si un comédien ou un metteur en scène est accusé. Nous devons établir un protocole clair, dont nous avons pris conscience, au fil des témoignages que nous avons recueillis et transmis aux institutions concernées, qu’il n’existe pas. Nous voulons désindividualiser au maximum ces choses-là pour assurer la protection de tous et de toutes.

Mme Séphora Haymann, membre du collectif #MeTooThéâtre. Au fur et à mesure, nous nous sommes organisées. Nous nous sommes fédérées sur le tas. Le collectif #MeTooThéâtre n’est pas notre travail. Nous ne sommes pas rémunérées ; nous n’avons demandé aucune subvention. Nous sommes un groupe de personnes unies par notre révolte.

De plus en plus visibles, nous sommes devenues des personnes-ressources. Nous recevons énormément de témoignages, que nous avons décidés, petit à petit, de transmettre aux directions de compagnies et de théâtres concernées, pour les informer de cas et les laisser maîtresses de leur décision.

Nous ne nous substituons pas à la justice. Comme toute association, nous avons fini par nous spécialiser, ce qui a abouti à une situation délétère : la dénonciation des insuffisances d’un système repose sur le travail gratuit de personnes précaires, de plus en plus précarisées et parfois mises en danger – dans la mesure où nous sommes un collectif nominatif, chacun peut savoir qui nous sommes, ce qui nous expose au risque de poursuites judiciaires. Maître Lassalle, qui nous accompagne dans cette audition, est chargée de nous en protéger.

Nous avons pris conscience, de façon claire et prégnante, au fur et à mesure de notre travail, que nous faisons face à une forme de nébuleuse qui laisse l’appréciation individuelle prendre la place de protocoles clairs, déresponsabilisant les individus en charge.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Pouvez-vous faire le point sur le nombre de témoignages que vous avez reçus, sur le genre, le milieu professionnel et la catégorie d’emploi des personnes concernées, et sur la nature des violences subies ? Quelles sont les spécificités des violences sexistes et sexuelles (VSS) commises dans le milieu du spectacle vivant et plus précisément du théâtre, par comparaison avec les autres milieux professionnels entrant dans le périmètre de notre commission d’enquête ?

Mme Marie Coquille-Chambel. Le nombre de témoignages que nous recevons est difficilement quantifiable. Nous en recevons chaque jour. Certains sont des témoignages directs de personnes qui nous contactent dans le cadre de notre collectif ou individuellement. Ils portent sur des faits qui peuvent remonter à trente ans comme à une semaine, soit un champ assez large. D’autres sont des témoignages indirects : à chaque cas, en parlant avec nos interlocuteurs et nos interlocutrices, nous prenons conscience qu’il est possible d’établir une chronologie des faits, ce qui ouvre la boîte de Pandore.

Les violences subies vont du harcèlement au viol. Elles incluent des violences conjugales et psychologiques. Leur champ est très large.

Les personnes accusées font le plus souvent partie de l’une de ces deux catégories : des personnes sur le point de partir en retraite – il est plus facile de porter plainte contre quelqu’un qui n’est plus à son acmé professionnel ; des personnes dont la carrière décolle.

Mme Séphora Haymann. En ce qui concerne le genre des victimes, il s’agit de femmes à une écrasante majorité. Nous avons peu d’hommes. Au demeurant, le genre des victimes est moins pertinent que celui des agresseurs, qui sont toujours des hommes. Seuls deux des témoignages que nous avons reçus incriminent des femmes, dans le cadre d’écoles. Leur proportion est donc infinitésimale.

Tous les milieux professionnels sont concernés. Ce qui compte, c’est que les agressions s’inscrivent toujours dans le cadre de rapports hiérarchiques. Beaucoup d’étudiants et d’étudiantes en sont victimes. Il y a de nombreux problèmes dans les écoles. Cela ne faiblit pas. Nous recevons des témoignages depuis deux ans et demi.

Nous sommes toujours effarées de constater à quel point les systèmes de domination et de violence perdurent, alors même que le degré général de conscience du problème a augmenté et que le sujet est désormais au premier plan du débat public. Le phénomène existe dans les professions techniques, artistiques et administratives, à tout âge et dans toutes les temporalités.

Mme Anne Lassalle, avocate. Le mouvement #MeTooThéâtre est né en 2021. Sans en faire partie, étant avocate, j’y ai d’emblée été associée.

En janvier 2018, j’avais été contactée par une metteuse en scène pour défendre de très jeunes personnes préparant un diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques (Deust) à Besançon, au sein de l’université de Franche-Comté. Des parents avaient témoigné anonymement car leur fille, qui n’avait pas été victime de violences, était horrifiée par des pratiques dont elle avait été témoin. L’affaire est définitivement jugée. Une dizaine de personnes ont été reconnues victimes, d’un professeur de l’université, ce qui était passablement choquant. Celui-ci a été condamné en 2020 à une peine de quatre ans d’emprisonnement, dont deux ans avec sursis probatoire. Cette peine a été confirmée en appel en 2021 et assortie de deux peines complémentaires : une interdiction d’enseigner, classique, et une interdiction de mettre en scène, inédite.

Depuis lors, mon numéro de téléphone portable circule de main en main entre de très jeunes personnes qui, souvent, n’ont pas accès à un avocat ou n’ont pas les moyens de s’offrir ses services. J’ai donc été amenée à traiter un nombre croissant d’affaires similaires : à l’heure actuelle, j’ai une vingtaine de dossiers relatifs à #MeTooThéâtre. Initialement, il s’agissait uniquement de dénonciations de faits à caractère sexuel. De plus en plus, des faits de nature distincte mais non moins répréhensibles sont dénoncés, notamment dans les écoles.

J’appelle l’attention de la commission d’enquête sur cette situation. Je traite des faits de violence physique, de violence morale, de dévoiement de la passion de jeunes gens pour le théâtre afin de les contraindre à des actes tout à fait dégradants, de travail dissimulé et de dérives sectaires. Les problèmes révélés par #MeTooThéâtre ne se limitent pas à la sphère sexuelle, où ils ont été initialement identifiés. Ils relèvent de comportements non moins problématiques dans d’autres domaines.

M. le président Erwan Balanant. Nous auditionnerons la semaine prochaine des responsables d’institutions de formation. La présente commission d’enquête a notamment pour objet de protéger les mineurs et en général les gens qui ont la passion de leur art, pour qu’ils puissent le pratiquer en toute sécurité.

Mme Séphora Haymann. Nous avons constaté que, entre les institutions de formation, la circulation de l’information est défectueuse. L’opacité règne. Il n’est pas rare qu’un enseignant ou un intervenant extérieur faisant l’objet d’une plainte exerce quelques semaines ou quelques mois plus tard dans une autre école.

La circulation de l’information entre écoles est déterminée par leur financement. Certaines sont financées par le ministère, d’autres par telle ou telle collectivité territoriale ; entre elles, l’information ne circule pas. Il manque une direction globale permettant de diffuser une information claire et un protocole précis. À défaut, les élèves s’autofédèrent dans le cadre de groupes informels et les informations circulent sous le manteau.

Adopter des protocoles de référence permettrait aussi de décharger de leur responsabilité les personnes qui doivent prendre des décisions lorsque surviennent les problèmes, dans la mesure où elles ne sont pas nécessairement formées pour ce faire. Être nommé à la tête d’une institution culturelle n’exige pas d’être formé à la détection des violences sexistes, sexuelles et homophobes (VSSH), ni d’être avocat ou psychologue familier des chocs traumatiques provoqués par l’état de sidération.

Nous sommes effarées de constater à quel point le système D règne. Nous y suppléons tant bien que mal, mais nous n’avons pas même une raison sociale. Nous ne sommes que des personnes devenues référentes, censées être partout alors même que l’information dont nous disposons est parcellaire. Cette situation est délétère.

La spécificité des VSS subies dans le milieu du théâtre est de deux ordres.

La première découle de la structuration verticale des institutions théâtrales. La façon dont les œuvres sont produites, les compagnies financées et les conventionnements attribués en dépend. Les VSS sont liées aux représentations, donc à la parité. Depuis plusieurs années, des associations telles que HF font des comptages pour établir un état des lieux en matière de parité et de financement.

Certes, la parité progresse ; toutefois, si 46 % des CDN sont dirigés par des femmes, ils ne représentent qu’un tiers des moyens de production. Le pouvoir et la violence s’exercent en raison de la précarité des personnes appartenant à une minorité. Les femmes en font partie, même si elles ne sont pas en minorité. Ouvrir les plateaux et les imaginaires à d’autres corps, à d’autres histoires et à d’autres origines est une façon de réduire et de combattre la violence. Une chaîne globale mène à la violence et lui permet de s’exercer.

Lorsque j’ai commencé le théâtre, il y a quelques années, les œuvres travaillées dans les écoles, indépendamment de leur qualité, avaient pour point commun de réduire les femmes au statut d’adjuvante ou à celui d’ornement. Il est rare, sur les plateaux, que les femmes soient maîtresse de l’action. Elles en sont l’objet, au mieux sujet passif. Elles sont instrumentalisées et utilisées. Sur les plateaux, le seul espace ménagé aux femmes pour exister est la sexualisation du corps.

Moi-même, j’ai longtemps désiré cette place, la seule possible pour moi. Nous avons intégré la culture du viol, qui est un problème à tiroirs et qui sévit dans d’autres sphères de la société que le milieu artistique. De surcroît, je suis une femme non blanche, ce qui me place à la croisée de plusieurs biais de violence, notamment la sexualisation par l’exotisation, qui est une forme de fétichisation raciale.

Les questions qu’il faut se poser sont les suivantes : qui façonne le monde ? Comment ? Les violences du monde ont-elles leur place sur scène ou faut-il les déjouer ? Comment les déjouer ? La violence du monde n’est-elle pas façonnée au contraire par la scène et par la culture en général ? L’œuf ou la poule ?

J’en suis arrivée à la conclusion que la violence et la stigmatisation que je subis au quotidien dans l’espace public sont celles que je vis sur les plateaux. Bien souvent, ce monde qui aimerait se penser comme une conscience humaniste ne fait que reproduire les violences contre lesquelles il prétend lutter.

La seconde spécificité est la fameuse zone grise, qui sert à légitimer toutes sortes de violences. Les choses sont pourtant simples : la zone grise n’existe pas. Il est simple de demander à un individu son consentement afin de déterminer ce qu’il ou elle est capable de produire sur scène.

On raconte volontiers que la confusion entre le personnage joué par l’acteur et l’individu qu’il est possible, mais ce n’est pas parce que nous travaillons avec nos corps que nos corps sont à disposition. Il n’y a aucune zone floue. Travailler dans des conditions de sécurité pour tous les individus composant les équipes n’a rien de compliqué. Il faut dissiper ce fantasme et le conscientiser de façon globale. Il n’y a pas de zone grise ; travailler dans des conditions de sécurité sans nuire à la créativité des individus est facile.

Mme Marie Coquille-Chambel. Les VSS subies dans le milieu du théâtre présentent une troisième spécificité : la valorisation du désir comme moteur de la création artistique. Il peut en résulter une confusion entre désir de travail et désir sexuel, au point d’excuser des comportements violents au nom de l’art. Les femmes s’en trouvent précarisées et leur compétitivité amoindrie.

S’interroger sur la façon dont est enseignée la pratique théâtrale sera particulièrement instructif pour votre commission d’enquête. Par exemple, la plupart des personnes travaillant dans le cinéma ont été formées dans les écoles de théâtre. Les faits de violence commis sur les plateaux prennent racine dans la notion de désir du professeur ou du metteur en scène, qui est encore enseignée de nos jours.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Quelle est la situation des mineurs dans le milieu du théâtre ? Quelles sont leurs conditions de travail, s’agissant notamment de leurs horaires de travail, de l’accompagnement lors des castings et des violences dont vous auriez peut-être eu connaissance ?

Quels mécanismes et dispositifs les institutions, notamment les théâtres, les compagnies, les associations professionnelles, les syndicats, le ministère de la culture et le Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre (ARTCENA), ont-elles adopté pour prévenir les VSS ? Comment accompagnent-elles les éventuelles victimes ? Les mesures prises vous semblent-elles suffisantes ? Avez-vous connaissance de défaillances ou au contraire de bonnes pratiques ? Quelles améliorations sont selon vous souhaitables ?

D’après vos expériences respectives et votre expérience au sein du collectif #MeTooThéâtre, quelles démarches un employeur devrait-il entreprendre, lorsqu’une plainte est déposée, pour protéger les victimes présumées et les autres personnes qui travaillent dans le même milieu ou sur la même œuvre ?

Vous dites qu’une proportion significative des témoignages que vous avez reçus est issue des écoles. Existe-t-il dans les écoles des dispositifs de prévention et de signalement des VSS particuliers ? Les autorités compétentes prévoient-elles un accompagnement ? Si oui, vous semble-t-il efficace ? Avez-vous des exemples de bonnes pratiques ou des recommandations pour apporter des améliorations ?

Mme Séphora Haymann. Le problème auquel nous sommes régulièrement confrontées relève du droit du travail et non du droit pénal : le dépôt d’une plainte n’est pas nécessaire pour protéger les salariés, dont les directions sont censées préserver la santé et la sécurité. La pénalisation des VSS dans le milieu du théâtre est donc problématique. Il manque un simple principe de précaution. Souvent, les directions méconnaissent le droit du travail et pensent relever du droit pénal. Aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est nous, bénévoles d’une association, qui formons au droit du travail des directions de CDN.

La zone grise est là, dans ce cadre nébuleux : les personnes en charge n’ont aucun protocole auquel se référer. Je pose une question, sans aucune malice : pourquoi la suspension de la personne mise en cause le temps de l’enquête n’est-elle pas systématisée ? Tel a récemment été le cas à l’issue d’une enquête administrative sur le Centquatre. Pourquoi le ministre de l’intérieur, par exemple, ne serait-il pas suspendu le temps d’une enquête ?

De même que le classement sans suite d’une plainte ne vaut pas innocence, une suspension n’est pas une reconnaissance de culpabilité. Je ne comprends pas pourquoi la décision est laissée à la libre appréciation des personnes en charge, en l’absence d’un protocole clair. C’est absurde. Faire reposer les décisions sur l’appréciation individuelle et sur une approche pénale des faits défausse les individus des responsabilités qui leur incombent au titre du droit du travail.

S’agissant des mineurs, leur présence dans le milieu théâtral est marginale. Il est rare qu’il y ait des enfants sur les plateaux. Les cas de VSS sont à l’avenant. Le problème se pose dans les écoles. Une grande tolérance enveloppe les relations entre professeurs et élèves, au motif qu’on ne peut pas empêcher les gens de s’aimer, comme on l’a récemment entendu dire.

Une législation semblable à celle applicable à l’éducation nationale serait utile. Les dérives tiennent à la question du désir entre mineurs et majeurs en position d’autorité, ainsi qu’à des pratiques délétères d’enseignement parfois brandies comme un mal nécessaire.

S’agissant des signalements, l’opacité règne. Nous faisons des signalements au ministère lorsque nous avons connaissance de cas, mais nous n’avons aucune visibilité sur la suite qui leur est donnée. Nous ne savons pas comment et à qui ils sont diffusés.

Mme Marie Coquille-Chambel. S’agissant des référents en matière de VSS, la spécificité des compagnies de théâtre est de fonctionner en résidence. Contrairement aux acteurs de cinéma, nous ne partons pas plusieurs mois dans un lieu de tournage au sein d’une équipe inchangée. Nous passons une semaine à Brest, une semaine à Rouen et ainsi de suite : à chaque fois, nous repartons de zéro en matière de relations professionnelles.

On ne nous présente jamais une personne référente en matière de VSS – alors même que certaines équipes administratives en ont une – que nous pourrions contacter s’il se passe quelque chose au sein du théâtre ou de la compagnie. Nous aimerions que les livrets d’accueil de résidence mentionnent des noms de personnes à contacter.

Surtout, la subordination des personnes référentes à une direction pose problème si, par exemple, un directeur est accusé de harcèlement sexuel. Nous aimerions que des personnes ressources extérieures aux théâtres soient présentes – à vous de décider à quelle échelle, du théâtre ou de l’arrondissement – pour éviter tout conflit d’intérêts.

Faire dépendre les subventions du suivi d’une formation sur les VSS est une idée énoncée par Roselyne Bachelot lorsque nous avons créé notre collectif. Toutefois, les petites compagnies ne sont pas concernées et une simple déclaration, qui ne fait l’objet d’aucun contrôle, suffit.

Lorsque des violences surviennent au sein d’une compagnie, si par exemple un metteur en scène ou un comédien est accusé de violences sexuelles, les directions sont bloquées, parce qu’il y a de l’argent en jeu. Nous aimerions que les contrats de travail comportent une clause permettant d’exclure une personne visée par une plainte et prévoyant un dédommagement par les assurances. Les personnes d’une compagnie qui parlent s’exposent à une précarisation. Si un spectacle est annulé, les comédiens perdent de l’argent. Pour parler et saisir la justice, il nous faut une sécurité financière.

Mme Anne Lassalle. De façon générale, la place du droit dans le monde du théâtre est assez obscure. Sa spécificité, au sein du monde culturel, est la précarité des intermittents et des étudiants. Parce qu’ils doivent travailler 507 heures par an pour obtenir un statut qui n’a rien de mirobolant, ils acceptent des situations d’où le droit, de façon générale, est absent. La précarité a également des conséquences judiciaires.

Si tout ne doit pas être appréhendé sous l’angle judiciaire et pénal – nous tenons à rappeler la nécessité de tenir compte de contraintes telles que la protection due à ses salariés par un employeur et à ses étudiants par un directeur d’école –, il n’en reste pas moins que, pour la victime, le processus judiciaire, dès le dépôt de plainte, est complexe et incertain. À l’échelle de la société, 1 % des viols font l’objet d’une condamnation.

En tant qu’avocate, je traite ces dossiers pro bono ou au titre de l’aide juridictionnelle, s’agissant d’étudiants ou d’intermittents du spectacle dont les revenus modiques ne permettent pas d’engager des frais. Le dossier précité concernant un professeur de Besançon m’a demandé trois ans de travail.

L’aide juridictionnelle, qui est formidable, tient compte uniquement de l’audience, soit huit unités de valeur (UV) ou 288 euros, soumis à 50 % de charges. Cela signifie que tout repose sur les épaules d’avocats acceptant de travailler dans de telles conditions pour rétablir une forme de justice. L’État devrait prendre en charge ces dossiers, la précarité constituant un obstacle au dépôt d’une plainte.

Mme Émilie Chandler (RE). En tant qu’avocate, je poserai une question purement juridique. Le théâtre est un art vivant, qui s’inscrit souvent dans le champ de l’intime et du corporel. Le droit du travail inclut la notion de lien de subordination. Comment est-elle appréhendée dans le milieu du théâtre, dans la mesure où elle offre un terrain propice aux phénomènes d’emprise, d’agression et de violences ?

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Madame Lassalle, vous avez dit que vous traitez des dossiers de dérives sectaires, sur lesquelles nous avons récemment légiféré à ce sujet. Pouvez-vous les qualifier ? Avez-vous pris contact avec la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ?

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). S’agissant de la représentation de la violence et de la sexualisation des artistes, qui sont intrinsèques à l’activité théâtrale, vous suggérez que le contexte artistique permet de tout excuser. Doit-on légiférer ? Comment ? La limite de l’exercice est de savoir ce qui relève de la loi. Dans cette limite, faut-il organiser un débat au sein de votre secteur d’activité ? L’État doit-il en être l’instigateur ? Qu’attendez-vous de nous en la matière ?

Mme Emmanuelle Anthoine (LR). Comment le collectif #MeTooThéâtre est-il structuré ? Comment intervenez-vous dans les territoires, notamment ruraux ?

Vous jouez un rôle d’accompagnement en matière de prévention et de signalement des faits au ministère de la culture. Pouvez-vous nous dire combien vous en avez transmis ?

Êtes-vous toujours présentes auprès des victimes tout au long de la procédure ?

Mme Séphora Haymann. S’agissant du lien de subordination des acteurs et des actrices au metteur en scène, le mouvement #MeToo, de façon générale, est un mouvement de conscientisation globale. Nous faisons émerger la violence et la légitimation du lien de subordination comme le lieu d’une violence possible et légitime dès lors que nous mettons notre corps, notre voix et notre énergie au service d’une œuvre qui n’est pas uniquement la nôtre. Cela s’inscrit dans la structuration verticale donnant au metteur en scène une place hégémonique, ébranlée, depuis plusieurs années, par l’émergence de collectifs qui créent et font du théâtre de façon plus horizontalisée, dont on peut toutefois déplorer qu’elle ne trouve pas de correspondance dans la structuration financière des compagnies.

La question qui se pose est globale : que sommes-nous en mesure d’accepter collectivement au nom de quelque chose et sur quels actes sommes-nous censés fermer les yeux au nom de la liberté d’expression et de création des individus ? Longtemps, on nous a raconté – cela fait partie de la culture du viol – que créer, enseigner et travailler avec notre corps était forcément humiliant et violent, et que tel était le prix à payer pour devenir une ou un grand artiste. Nous contestons cette façon de penser. Nous considérons – il ne s’agit pas d’une naïveté, mais d’une pensée politique – que l’amour, la bienveillance et le care peuvent être une façon de créer à l’égal des autres.

Faut-il légiférer ? Ici, il faut poser la question collective et citoyenne de savoir comment nous voulons vivre les uns avec les autres, et ce que nous acceptons que certains individus subissent sous nos yeux. La loi est claire : on n’a le droit ni de violer ni d’agresser des gens. Le problème est l’application de la loi.

Le débat sur la notion de consentement vous appartient à vous plus qu’à moi. Ce que je constate à mon endroit, c’est que la tolérance, l’omerta et le silence ont régné pendant des années, sous les yeux de chacun. Que des individus soient violentés au profit d’autres a été accepté, en raison de la structuration financière du secteur, de la précarité et de la précarisation des artistes, et de nos imaginaires, des histoires que l’on raconte et de la façon de les raconter.

Les individus puissants ont toujours eu plus de voix que les individus moins puissants. Ils ont toujours raconté les mêmes histoires, de la même façon, au sein des mêmes systèmes de violence, qui se reproduisent donc avec le consentement passif de la majorité des individus. C’est cela qu’il faut remettre en cause.

Il s’agit d’une question philosophique, éthique, morale et citoyenne. Faut-il y répondre par une loi ? Il faut surtout ne pas tolérer la violence. Tout ce que nous demandons, c’est de pouvoir faire notre travail en sécurité, sans être violées, agressées sexuellement ou harcelées. Cela a suffi à provoquer un tollé, et à faire de nous des cibles de violences et d’accusations – la presse nous décrit comme des inquisitrices.

Nous n’avons pas vocation à nous substituer à la justice. Nous n’incitons les victimes qui nous contactent à aucune action en particulier. Elles disent ce qu’elles ont envie de faire, en connaissance de cause, et nous les informons.

Les personnes bénévoles et militantes travaillent gratuitement et sont amenées à se spécialiser en droit, en psychologie et dans de nombreux autres domaines. Elles colmatent les insuffisances de l’État mais ne peuvent pas, en aidant quelques personnes, entraver le fonctionnement du système. Ce que nous voulons, c’est que l’attention se porte sur la façon non d’aider les victimes une fois les faits commis, mais de faire en sorte que plus personne n’en soit victime et doive en parler.

Mme Marie Coquille-Chambel. Que des comportements violents soient tolérés au nom de l’art ou du génie n’exige pas de procéder à une modification législative. Les comportements qui nous sont rapportés sont caractérisés : il s’agit de violences physiques ou sexuelles.

Quant à la représentation de la violence au théâtre, nous ne travaillons pas dessus. Nous travaillons sur le ressenti de personnes au travail et non sur les images véhiculées à cette occasion. Il est tout à fait possible de représenter une scène violente au théâtre, en faisant appel à des personnes ayant travaillé pour ce faire lors de répétitions, pleinement conscientes de ce qu’elles font.

Nous travaillons sur le fait que des personnes détruisent des loges, du matériel et des personnes sans en subir les conséquences parce qu’elles sont célèbres dans le milieu du théâtre, qui de surcroît est un milieu restreint, où nous nous connaissons tous et toutes. On peut y être connu en étant inconnu ailleurs. Comment dénoncer quelqu’un qui était au conservatoire il y a trente ans avec d’autres personnes aussi influentes que lui ? Tel est le domaine dans lequel la législation doit progresser.

Mme Anne Lassalle. S’agissant des dérives sectaires dont j’ai à connaître, je ne peux en évoquer le détail, car l’affaire est en cours d’instruction.

Le milieu du théâtre présente la spécificité que la mégalomanie y est mieux représentée que dans d’autres – je pourrais certes en dire autant du milieu des avocats. Certains professeurs se font gourous.

Par ailleurs, la consommation d’alcool et de stupéfiants, au cours des fêtes fréquentes, facilite la désinhibition et le mélange des genres. Des professeurs boivent des verres jusqu’à point d’heure, d’autres ne boivent pas mais font boire de tout jeunes majeurs, vulnérables à la suggestion. Ils leur font croire qu’ils sont tout-puissants. Or les places sont rares dans les écoles supérieures d’art dramatique – la sélection y est encore plus drastique qu’à l’École nationale d’administration.

Le professeur dont j’ai parlé disait aux jeunes filles que se masturber pendant les cours du soir leur permettrait de comprendre ce que signifie être comédienne et d’intégrer une grande école. Voilà, prosaïquement, ce qui se passe ! Tel autre professeur a dit à un étudiant : « Puisque tu n’as pas de sous et que tes parents ne sont pas aisés, tu vas faire le ménage chez moi. » Voilà comment tout se mélange et comment s’amorcent les dérives sectaires !

Mme Séphora Haymann. Nous ne sommes pas structurés, nous sommes six ou sept individus qui colmatent les défaillances de l’État. La confidentialité des affaires constitue également une difficulté ; nous sommes exposés, ce qui nous met en danger. Pour faire ce travail publiquement, il faut être suffisamment bien installé – ce n’est pas anodin.

Nous accompagnons les victimes. Nous écoutons beaucoup, nous proposons de les mettre en relation, parfois nous enquêtons, même si ce n’est pas de notre ressort. Nous informons les directions des faits objectivés, et nous leur rappelons leurs obligations en matière de droit du travail. Nous faisons les signalements.

Mme Marie Coquille-Chambel. Il est compliqué de dénombrer les signalements : on peut en recevoir un qui reste isolé pendant un an, puis d’autres cas liés se présentent et très rapidement, on arrive à onze. Qu’entend-on par signalement ? Il s’agit des personnes qui viennent nous voir et de directions qui nous contactent. Nous avons énormément de cas : trois cette semaine, par exemple, avec plusieurs victimes à chaque fois. C’est comme ça toutes les semaines. Il est d’autant plus difficile de répondre à votre question que nous ne faisons pas de listes. D’abord parce qu’il serait illégal de dresser une liste de personnes accusées, ensuite parce que la confidentialité est nécessaire. Nous ne pouvons pas créer un document informatique qui recense toutes nos activités : nous avons besoin de nous protéger, parce que notre travail est attaquable. Nous informons les structures concernées et nous menons une mission médiatique et juridique : chaque fois qu’une victime s’adresse à nous, nous la mettons en relation avec Maître Anne Lassalle ou avec une enquêtrice spécialisée dans les violences sexuelles dans le théâtre. Tout dépend de ce que souhaite la victime. Parfois, elle refuse de médiatiser son cas. De manière générale, nous médiatisons peu. Ce que nous voulons maintenant, c’est responsabiliser les directions ; cela implique de leur parler pour qu’elles prennent en charge la situation avant qu’une médiatisation n’intervienne. De cette manière, on ne peut pas nous opposer la présomption d’innocence, ni exprimer les reproches qui suivent toute médiatisation.

Mme Séphora Haymann. Encore une fois, le protocole est flou. Des directeurs d’école ont organisé des confrontations entre une victime et un agresseur présumé. Au nom de quoi peut-on s’autoriser à agir ainsi ? Certains mettent en danger les victimes, transmettent leur plainte à l’agresseur : même si ce n’est pas toujours mal intentionné, c’est dramatique. Or de telles pratiques sont possibles parce qu’il manque un cadre. Nous pallions cette absence comme nous pouvons, en tâchant d’accomplir le travail de vigie, en faisant remonter les informations, qui ne circulent pas, à cause de l’opacité du système. Les grandes compagnies sont structurées, parce qu’elles sont soumises à des obligations liées aux financements qu’elles reçoivent ; elles doivent par exemple nommer un référent ou une référente. Mais ce n’est pas le cas dans les petites compagnies. Parfois, un directeur nous appelle pour nous demander conseil parce qu’il rencontre un problème avec un acteur et une technicienne ; il nous demande comment faire, vers qui se tourner, qui va payer s’il doit annuler sa tournée : cinquante dates sont prévues, il emploie vingt personnes qui seraient au chômage et craint la précarisation. Le flou oblige à choisir entre la morale et l’éthique, l’éthique et la loi, sans savoir comment trancher. Or ces choix ne devraient pas relever de la responsabilité individuelle. Ce vide permet aux violences de perdurer impunément.

M. Emeric Salmon (RN). Dans votre propos liminaire, vous avez indiqué que tous les âges étaient concernés : parliez-vous des victimes ou des mis en cause ?

Mme Séphora Haymann. Je parlais des deux.

M. Emeric Salmon (RN). Vous avez évoqué de nombreux cas de violences et vous avez dénoncé l’excuse du génie. Selon vous, les mis en cause ont-ils conscience du caractère illégal ou illicite de leurs actes ?

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Je vais d’abord lire le témoignage d’une actrice qui indique que : « C’est un cliché qui nous colle à la peau, celui de l’actrice dont le corps appartient au metteur en scène ». Ce témoignage édifiant pose la question du caractère systémique des violences dans le monde du théâtre.

Selon vous, #MeTooThéâtre et l’amorce d’une évolution de la société ont-ils permis de réels changements dans votre milieu ? Ou l’omerta est-elle si forte qu’elle s’oppose à l’ouverture de discussions saines et libres, à une vraie libération de la parole ?

Le statut d’intermittent du spectacle peut entraîner une précarité constante et fragilise les professionnels, obligés de faire leur nombre d’heures à tout prix – au sens fort. Quelles solutions pourrions-nous envisager pour diminuer la précarité des jeunes concernés ou qu’ils puissent au moins, en cas de violences, engager une procédure, porter plainte, sans que ça leur coûte financièrement ?

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Vos témoignages confortent les réflexions que nous avons menées au début de la commission d’enquête, sur l’importance d’inclure le spectacle vivant dans son champ, ainsi que les institutions publiques et les lieux de formation. Vous avez expliqué que le caractère systémique des violences était lié au croisement de différentes formes de domination – j’y suis très sensible.

Vous insistez beaucoup sur la notion de protocole. Souvent, face à l’omerta, la parole se libère, puis il faut des règles, et, au bout du processus, des décisions, et des lieux de décision. À quel niveau faut-il prendre les décisions ? J’ai très bien compris vos propos sur le rapport à la justice et, indépendamment, sur le code du travail – on peut notamment prendre des décisions de précaution. Les décisions doivent-elles revenir au ministère, à une direction, aux directeurs de compagnie ? Au festival de Cannes, il y a deux jours, j’ai rencontré des membres de la cellule d’écoute Audiens, qui travaille avec le ministère de la culture. Je leur ai demandé ce qui se passe après leur intervention : j’ai eu l’impression que c’était assez opaque. Recevez-vous des informations sur les suites du signalement ? C’est bien de conseiller aux gens de parler, à condition de pouvoir leur montrer que le témoignage a une incidence.

Mme Anne Lassalle. Il me semble évident que les auteurs ont conscience du caractère illégal de leurs actes. C’est vrai en particulier dans les écoles, où le même système se répète d’année en année. On est stupéfait par le nombre de fois où les hommes mis en cause dans ces dossiers ont dit à leurs élèves qu’un jour ils se feraient prendre, qu’ils le savaient ; par le nombre de fois où ils ont donné à la jeune fille des éléments de nature à les accabler. Ils ont très nettement conscience de ce qu’ils font. Le reste dépend de mécanismes psychiques qui ne relèvent pas de mes compétences.

Vous connaissez tous l’article 40 du code de procédure pénale, qui impose à toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire de dénoncer les crimes ou délits dont il a acquis connaissance dans l’exercice de ses fonctions. On pourrait élargir ou préciser la définition de l’autorité constituée, qui n’est pas claire. Cela rassurerait les personnes concernées. De plus, en les contraignant à saisir le parquet, on augmenterait le nombre des signalements.

Mme Séphora Haymann. On constate beaucoup de relativisme, donc une grande tolérance envers les actes violents commis par des responsables dans le milieu du théâtre. Malheureusement, c’est vrai dans toute la société : la hiérarchie implique la violence. Le relativisme mène à mettre en doute la caractérisation, ce qui soulève la question de la zone grise. Il est essentiel de définir les choses, de nommer précisément, et de dissiper le flou qui entoure la nature de la violence et le lieu où elle s’exerce. La responsabilité en est collective : nous sommes tous conscients et conscientes de ce qui est tolérable ou non. On minore la conscience des agresseurs, on les défausse de leur responsabilité, avec la figure du créateur qui travaille à partir de son désir – on floute les choses. Or rien n’est flou : je suis une actrice, je travaille avec mon corps, ma limite est claire. Quand on est très jeune et qu’on ne sait pas encore ce qu’on est en mesure d’accepter, on doit être accompagné par les enseignants pour déterminer ses limites et pour savoir où on peut travailler en sécurité – pour que soient en sécurité ceux qui sont sur le plateau comme les spectateurs dans la salle. Ce milieu suscite beaucoup de fantasmes ; le métier de comédien étant public, on imagine que pour en arriver aux paillettes, il faut passer par la souffrance, l’humiliation et la douleur. C’est faux, il est important de le dire.

Oui, les violences sont systémiques. Le corps des femmes et des personnes appartenant à des minorités est à disposition d’individus qui jouent aux marionnettes. L’histoire du théâtre montre comment le metteur en scène est devenu tout-puissant. Il est aussi le chargé de projet, celui qui va chercher l’argent, le destinataire des financements, ce qui ajoute un rapport de hiérarchie et de précarité propre à permettre l’exercice de violences. Évidemment, les violences sont structurelles. C’est aussi lié aux modes de financement. Il faut assainir – même si le mot ne me plaît pas – la conception des métiers du théâtre, en les objectivant et en les débarrassant des fantasmes qu’ils font naître, car ceux-ci peuvent mener à tolérer des faits inacceptables ou à relativiser leur gravité. Nous sommes tous et toutes en mesure de distinguer ce qui est acceptable de ce qui ne l’est pas – ce n’est pas flou.

L’omerta existe. Le problème, c’est qu’on parle de libération de la parole alors que les victimes ont toujours parlé. Pendant des années, le credo des féministes était « on te croit », parce que même si les victimes ne parlaient pas toujours publiquement, la vraie question était de savoir qui voulait bien les entendre, et surtout quelles actions s’ensuivaient. Dans les faits, leur parole n’est pas suivie d’actions. Vous disiez, monsieur le président, que nous ne sommes pas là pour juger la justice, mais qu’en est-il ? Moins de 1 % des violeurs sont condamnés, selon le ministère lui-même. Peut-on décemment conseiller à des femmes de porter plainte, alors qu’on sait comment la suite se déroulera, combien cela leur coûtera, en argent et en santé physique et mentale, et quelle sera la conclusion – la plupart du temps, il ne se passe rien ? Quand des condamnations sont prononcées, les personnes concernées reviennent sur les plateaux. Dans quel cas se passe-t-il quelque chose ?

La question de la liberté d’expression est essentielle, et ce n’est pas à moi d’y répondre. En revanche, je constate que si je veux exercer mon travail dans un cadre sécurisé, je suis toujours confrontée à des bémols, à de bonnes raisons d’admettre qu’il est normal de se faire un peu agresser. Mais ce problème n’est pas seulement le mien, c’est un problème collectif, global. Donc, il faut cesser de parler de libération de la parole : il faut faire en sorte que les femmes n’aient plus rien à dire.

Mme Marie Coquille-Chambel. C’est à cause de l’omerta que nous nous sommes rassemblées en un collectif, parce que presque personne dans le milieu théâtral ne relayait l’enquête de Cassandre Leray sur Michel Didym. Récemment, deux personnes ont été mises en examen pour viol sur mineur ; je ne les citerai pas, mais personne dans le milieu ne l’a relayé, alors qu’il s’agit d’une première décision de justice et non de rumeurs sans fondement. Sur la libération de la parole, je suis d’accord avec Séphora Haymann : tout le monde se prévient toujours, et parfois on attend le moment où une enquête sera publiée. Peut-on décemment attendre des enquêtes médiatiques pour agir dans un milieu donné ?

Il y a une omerta parce que personne ne relaie les informations : la peur de s’exprimer est très forte dans le théâtre. Combien de personnes ont témoigné à visage découvert de violences subies ? Nous ne sommes pas nombreuses. Toutes les enquêtes sont anonymisées, parce que tout le monde a peur. S’il n’y avait plus d’omerta, si on pouvait assumer d’avoir été victime, on ne connaîtrait pas ce niveau de confidentialité.

Mme Séphora Haymann. Nous sommes un tout petit milieu, où tout le monde se connaît : perdre du travail, ça va très vite.

Vous nous avez interrogées sur les écoles et les moyens de protéger les étudiants et les étudiantes. La majorité des écoles ont rédigé une charte, mais quelle est la valeur juridique d’une charte ? Il y a beaucoup de symboles, mais aucun résultat.

Mme Graziella Melchior (RE). Je participe à la mission d’inspection sur les violences sexuelles au sein des forces militaires, lancée à la suite du #MeToo des armées. Je suis stupéfaite des similitudes entre les deux milieux.

Dans les armées aussi, on constate que c’est pendant la formation à l’école que naissent certains comportements. Il faut donc s’interroger sur la manière de sensibiliser et de former les enseignants et les étudiants pour qu’ils sachent ce qui est acceptable ou pas et pour qu’ils détectent les personnes en souffrance.

M. François Cormier-Bouligeon (RE). Nous avons reçu la semaine dernière l’actrice Vahine Giocante, qui a écrit À corps ouvert. Elle nous a expliqué que les metteurs en scène peuvent rajouter, en cours de répétition ou de tournage, des scènes impliquant le corps des actrices. Elle a mis en avant l’importance des coordonnateurs d’intimité. Pourraient-ils remplir au théâtre la même mission qu’au cinéma ? Vous avez évoqué les violences qui ont lieu hors plateau, mais comment éviter les violences sur le plateau ?

Par ailleurs, sur le plan juridique, recommanderiez-vous que les productions, les metteurs en scène et les acteurs soient liés par des contrats stipulant le consentement ou le refus des acteurs de jouer des scènes engageant leur intimité ?

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). J’ai participé à la commission d’enquête relative à l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu’elles ont délégation de service public. Le milieu du sport aussi connaît des relations de pouvoir qui rendent la situation complexe et favorisent l’omerta.

Vous avez dit que le ministère de la culture ne vous informe pas des suites des affaires que vous avez signalées. Dispose-t-il, comme le ministère des sports et des Jeux olympiques et paralympiques, d’une plateforme dédiée aux affaires de violences ?

Mme Josy Poueyto (Dem). Comme Mme Graziella Melchior, je participe à la mission d’enquête sur les violences sexuelles dans les armées ; les problèmes sont les mêmes. Y a-t-il aussi des victimes parmi les jeunes étudiants ou les acteurs ? Si oui, existe-t-il une entente, ou un combat commun ?

Mme Séphora Haymann. Avec tout le respect que je vous dois, madame, la question n’est pas le genre des victimes, mais celui des agresseurs. Quelques hommes ont été agressés, mais le problème est de savoir comment la violence s’exerce, et qui l’exerce – non qui la subit. On nous demande souvent s’il y a des femmes agresseuses et des hommes victimes, pour équilibrer la situation et arrêter de stigmatiser. Or la stigmatisation existe dans les faits : la majorité des victimes sont des femmes et la quasi-totalité des agresseurs sont des hommes. En revanche, il existe clairement une entente, et aucune opposition. Surtout, il ne faut pas dévier la question, aussi la ramenons-nous toujours à l’exercice de la violence et à ses auteurs.

Mme Anne Lassalle. Très majoritairement, les victimes sont des femmes ; les auteurs sont quasi exclusivement des hommes. Il faut néanmoins souligner une évolution : parce que les femmes ont eu le courage de parler et la détermination d’agir, #MeTooGarçons est sorti et les hommes se sentent peut-être plus autorisés à parler. Ils se sont d’ailleurs adressés à des associations féministes pour les soutenir – ce qu’elles ont fait.

Mme Marie Coquille-Chambel. Nos propos sont souvent caricaturés ; on entend qu’on ne pourrait plus jouer de scènes de sexe, que les étudiants ne pourraient plus s’embrasser sur un plateau, qu’on ne pourrait plus toucher une comédienne sur la scène. Ce n’est évidemment pas ce que nous disons. Nous parlons d’agressions sexuelles caractérisées.

Les enseignants posent un autre problème, qu’ont illustré les récentes mises en examen : les relations longues avec des étudiantes, assorties de phénomènes d’emprise. Cela me met en colère. J’enseigne maintenant les études théâtrales à l’université ; à 25 ans, je vois bien comment les étudiants et les étudiantes me perçoivent et l’importance qu’a ma parole pour eux et pour elles. Pour répondre à votre question sur la sensibilisation, on perçoit le moment où on va trop loin. Nous voulons donc empêcher ces relations entre enseignants et étudiants qui sont des relations d’emprise, de violence et d’abus. Quand on est sur le plateau avec quelqu’un, on peut très bien lui demander s’il accepte qu’on le touche, qu’on le déplace. Cela peut suffire. Il ne s’agit pas de prévoir comment on jouera telle scène. Nous parlons de viols commis dans les coulisses. Les cas que nous avons rencontrés ne nécessitent pas de légiférer ; nous parlons de jeunes femmes de 18 ans à qui des hommes de 50 ans promettent des rôles.

Mme Séphora Haymann. Le milieu théâtral a évidemment des spécificités, comme ceux du cinéma et de l’armée, mais globalement, on retrouve le même système à tous les niveaux de la société : des hiérarchies, des violences systémiques, le corps des femmes dont on peut disposer, comme on l’a toujours fait. Heureusement, de nombreuses ressources expliquent désormais ces phénomènes sur les plans sociologique, historique, éthique et politique. Il est intéressant de s’y référer pour comprendre qu’il ne s’agit pas de petites chapelles en opposition : elles se complètent et permettent de mieux établir l’ampleur du problème auquel nous sommes confrontés.

C’est devenu un sujet de réflexion dans les écoles, comme dans le débat public de manière générale, ce qui entraîne des évolutions. Il n’y a pas moins de violence, mais les étudiants ont conscience que ce qu’ils sont en train de vivre n’est pas acceptable. Or ce n’était pas le cas à mon époque. Les choses changent, parce que quand les élèves font face à des comportements déviants – violence verbale et humiliation comme violences sexuelles –, ils disent non. Ils se fédèrent. Parfois, ils le font avec leur direction, mais souvent face à elle, comme s’ils étaient responsables de leur propre sécurité. Ce n’est pas normal. Dans ce domaine, nous avons besoin de relais.

Les coordonnateurs d’intimité peuvent être utiles, comme tout ce qui peut faire barrage à la violence, tout ce qui peut objectiver des pratiques et les rendre officielles. Souvent, on dévoie nos paroles, en affirmant qu’on ne peut plus rien faire, qu’on ne peut plus rien dire, qu’on ne pourra plus créer. En fait, si on organise des conditions de travail sécurisées, bienfaisantes pour tous, tout le monde s’y retrouvera et les œuvres s’en porteront mieux.

Mme Anne Lassalle. Faire appel à un coordonnateur d’intimité est une très bonne initiative, mais il faut trouver l’argent nécessaire. Les créations sont exsangues. Elles sont de moins en moins nombreuses parce qu’il y a de moins en moins d’argent dans le théâtre, comme dans la culture en général.

Je finis en évoquant les élèves, parce que ce sujet est essentiel. Ils se préviennent entre eux de l’arrivée d’untel, d’école à école, en créant des groupes WhatsApp de prévention : c’est la honte !

Mme Séphora Haymann. L’idée de prévoir un contrat en amont est très bonne également. Évidemment, on peut changer d’avis : une scène d’amour ou de nudité, qui n’était pas prévue, peut se justifier dans la mise en scène. Mais il sera alors possible de demander son consentement à l’actrice ou à l’acteur a posteriori et de se mettre d’accord. C’est une question de bon sens. Tant qu’on n’use pas de violence, d’emprise, ni de verticalité dans son rapport à l’art et à autrui, tout peut très bien se passer.

Il existe bien au ministère de la culture une cellule d’écoute, avec laquelle nous sommes en relation ; nous leur transmettons des informations. Nous avons rencontré plusieurs fois Mme Agnès Saal, haute-fonctionnaire chargée de l’égalité des droits, et d’autres personnes. En revanche, si nous recevons un accusé de réception de nos signalements, nous ne sommes pas informées des suites. Maintenant, nous prévenons les directions en même temps que le ministère, comme ça tout le monde sait qui a connaissance du problème.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Savez-vous combien de personnes travaillent sur ce sujet au ministère ?

Mme Séphora Haymann. Elles sont peu nombreuses.

M. le président Erwan Balanant. Nous arrivons malheureusement au bout de l’audition. Je vous remercie sincèrement pour ce que vous faites pour le monde du théâtre et pour votre témoignage. Vous avez ouvert nos auditions et vous nous avez donné plusieurs pistes de réflexion.

*

*     *

 

2.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Iris Brey, journaliste et autrice, membre du collectif 50/50.

M. le président Erwan Balanant. Madame Brey, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie de vous être rendue disponible aussi rapidement.

Notre commission d’enquête, qui entame cet après-midi ses travaux, a pour objet l’évaluation de la situation des mineurs évoluant dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ; l’état des lieux des violences commises sur des majeurs dans ces mêmes secteurs ; l’identification des mécanismes et des défaillances qui permettent ces violences et la définition des responsabilités de chaque acteur en la matière ; la formulation de recommandations sur les réponses à apporter.

Nous avons souhaité vous auditionner pour connaître votre perception de ces thématiques, vous qui avez été qualifiée d’« empêcheuse de l’omerta du cinéma français » dans un article du Monde et qui êtes spécialiste de la représentation du genre et des sexualités au cinéma. Vos ouvrages, vos publications, votre série apportent beaucoup d’éléments de réflexion et, surtout, changent le regard sur le cinéma et sur le spectacle en général.

On dit souvent que le cinéma est le miroir de notre société – mais quel est le miroir et quel est le reflet ? Vous avez en tout cas montré qu’en la matière, nous manquons des grilles de lecture permettant de reconnaître les agressions sexuelles à l’image, et qu’en cela, le cinéma est un des endroits où se fabrique la culture du viol ; mais peut-être peut-il dès lors aussi nous donner de nouveaux codes pour notre société.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous nous exposiez brièvement les raisons pour lesquelles vous estimiez en 2019 et encore récemment qu’en France, nous n’avions « pas voulu avoir de conversation post-#MeToo » et que le système avait voulu « protéger les artistes […] et les œuvres », voire qu’il avait « mis en place un système d’impunité pour protéger ses “géniesˮ ». Vous avez indiqué que ce qu’il fallait regarder, ce n’était pas un individu en particulier – en l’espèce, vous parliez de M. Gérard Depardieu –, mais « une société, ainsi que des systèmes judiciaire et médiatique qui banalisent les violentes faites aux femmes et qui ne les croient pas ».

Dans un second temps, la rapporteure, mes collègues et moi-même vous poserons des questions.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Iris Brey prête serment.)

Mme Iris Brey, autrice et réalisatrice. Je me suis rendu compte de l’étendue des violences dès octobre 2017.

À l’époque, j’étais critique aux Inrocks, un journal culturel. J’ai fait une première enquête avec deux autres journalistes à la suite du #MeToo américain. J’étais déjà en contact avec plusieurs comédiennes que j’avais pu approcher en tant que critique et journaliste. Nous avons commencé une espèce d’enquête, avec les moyens du bord puisque Les Inrocks ne me proposaient pas – ils ne le font d’ailleurs toujours pas – de mener de vraies enquêtes sur ces sujets.

J’ai rencontré plusieurs comédiennes à ce moment-là ; elles ont mentionné plusieurs noms, qui se recoupaient. Nous étions donc en octobre 2017 et l’un de ces noms est sorti dans la presse la semaine dernière. Cela fait cinq ans que j’attends que ces noms sortent. Nous ne les avions pas publiés parce que les comédiennes ne le voulaient pas et que je ne m’en sentais pas les épaules, n’ayant aucune formation pour en parler en tant que journaliste et ne me sentant pas protégée par mon média – il faut rappeler que Les Inrocks, la semaine d’après, mettaient Bertrand Cantat en couverture ; en outre, j’étais pigiste.

Mais parler à ces comédiennes m’a permis de me rendre compte de l’étendue du problème, de comparer ce qui se passait en France et aux États-Unis et de comprendre que les comédiennes ne se sentaient pas protégées en France, notamment parce qu’elles n’y ont jamais accès au titre de productrice. Aux États-Unis, le fait qu’elles puissent avoir un pouvoir au sein de l’industrie leur donne un autre accès à la parole. J’ai aussi compris que les agents et agentes ne les protégeaient pas, les producteurs et productrices non plus. J’ai surtout compris qu’elles ne se parlaient pas entre elles.

Je suis entrée dans le collectif 50/50, qui s’appelait à l’origine Le Deuxième Regard et pour lequel j’écrivais des critiques tous les mois. Je m’intéressais notamment à la représentation des femmes dans le cinéma, à l’occasion des sorties hebdomadaires, mais aussi aux femmes de l’industrie qui essayaient de changer les choses. À la suite de cela et de tout ce qui s’est passé dans ce collectif, j’ai opté pour une autre manière de faire : j’ai organisé de manière informelle des dîners chez moi pour que les comédiennes se parlent. C’était très émouvant : elles se rencontraient, se parlaient, échangeaient des expériences similaires.

Au moment où je suis devenue réalisatrice, je me suis dit que ces dîners ne pouvaient plus avoir lieu en ma présence et chez moi. L’ADA, l’Association des acteur.ices, s’est alors constituée, ces réunions ont continué sans moi et l’association a grandi. Ce qui était essentiel était que les comédiennes partagent leurs expériences entre elles et se sentent moins isolées, pour comprendre le système et comprendre que ce n’était pas de leur faute.

Pendant ces dîners, j’ai entendu beaucoup de témoignages de harcèlement, d’agressions sexuelles, parfois de viols. Ils n’étaient pas toujours présentés avec ces mots-là. C’est l’un des problèmes, qui nous ramène à la culture du viol : comment reconnaître ce qui nous arrive quand le harcèlement, les agressions et les viols ne sont pas représentés comme tels dans nos fictions ? Comment mettre des mots sur ce qui nous arrive quand on n’est pas exactement sûre de la nature des violences ?

Là où les choses s’imbriquent, c’est qu’en tant qu’universitaire et théoricienne – en parallèle de mes activités de critique et de militante, je suis docteure en cinéma –, j’ai commencé à étudier la représentation des sexualités féminines dans les séries télévisées américaines. Il me semblait en effet qu’il y avait eu dans les années 2010, avec l’accession de femmes à des postes de pouvoir, un tournant qui permettait de nouvelles narrations et représentations de ce que peut être une sexualité, et que l’objet sériel, comme forme longue, était susceptible de nous montrer que la sexualité n’est pas forcément figée, mais peut évoluer avec la protagoniste ou l’héroïne.

Dans mon deuxième ouvrage, Le Regard féminin, je me suis intéressée à la manière dont le corps de la femme était majoritairement filmé comme un objet de désir et dont, par ce que j’ai proposé de nommer le regard féminin, on pouvait accéder à d’autres narrations.

Dans le troisième ouvrage, La Culture de l’inceste, que j’ai codirigé avec Juliet Drouar, j’ai écrit un chapitre sur la manière dont le cinéma participe à la culture de l’inceste.

Majoritairement, la manière dont les viols et les agressions sexuelles sont filmés dans nos fictions en fait des moments érotiques. L’exemple sur lequel je me suis beaucoup fondée est la série Game of Thrones, qui a été vue par des millions de personnes. Les viols des héroïnes – parce qu’elles sont toutes violées – y sont filmés comme des moments érotiques. C’est-à-dire que les codes visuels vont nous mettre dans la position du voyeur ou du violeur et nous inviter à prendre du plaisir en regardant une femme qui se fait violer.

Certaines de ces scènes jouent aussi de la confusion au sujet de ce qu’un viol. Je vais spoiler pour celles et ceux qui n’ont pas vu la série – mais ne la regardez pas, il y en a beaucoup d’autres plus intéressantes. Cersei Lannister est amoureuse de son frère jumeau avec qui elle a eu un enfant – donc, déjà, c’est de l’inceste – qui est mort. Devant l’enfant mort, Cersei pleure et Jaime Lannister a une soudaine envie de coucher avec sa sœur. Au début de l’acte, on entend Cersei qui dit « non, non », et à la fin de l’acte, elle dit « oui, oui ». Dans les interviews du réalisateur et du comédien qui joue Jaime Lannister, quand on leur demande si c’est une scène de viol, ils répondent « oui et non ». C’est là toute l’ambiguïté et c’est aussi ce qui est problématique.

En tant que spectateur, on a appris à être excité quand on regarde une scène montrée comme érotique. Le problème n’est pas que cela existe, mais que c’est partout et tout le temps. Le livre Watching Rape, qui ne porte que sur les productions états-uniennes, montre que la majorité des scènes de viol sont filmées du point de vue non de la victime, mais de l’agresseur.

Voici pourquoi cela participe à la culture du viol. Dans nos productions cinématographiques, les viols sont présentés soit comme extrêmement violents – un homme arrive dans une ruelle tard le soir et vous viole, ce qui peut arriver mais ne représente pas la majorité des cas –, soit, quand ils arrivent au sein de la famille ou de la part de quelqu’un que l’on connaît – ce qui, statistiquement, est le cas le plus fréquent –, non comme une violence mais comme un acte érotique. Ces codes visuels brouillent la distinction entre ce que l’on peut reconnaître comme agression et ce que l’on peut reconnaître comme rapport consenti et consentant.

Quant à la culture de l’inceste, en faisant des recherches sur la manière dont le corps des enfants et des jeunes filles était érotisé dans le cinéma, je me suis aperçue que le film Lolita de Kubrick représentait un vrai tournant, qui a opéré un changement de paradigme et un changement sociétal. Contrairement au livre de Nabokov, où Lolita est une fille violée par son beau-père, l’adaptation de Kubrick montre une jeune fille responsable du fait que son beau-père est excité par elle. La responsabilité lui en incombe et le mot « lolita » va être utilisé dans le langage commun pour dire que ce sont les jeunes filles qui sont responsables de l’excitation que ressentent les hommes, les pères et les beaux-pères face à elles.

Cela va créer un autre imaginaire cinématographique où le corps de très jeunes filles est filmé et sexualisé par des mouvements de caméra. C’est ce que Laura Mulvey appelle le male gaze dans un article de 1975 où elle utilise l’appareil théorique de la psychanalyse pour parler d’identification. Pour simplifier, la caméra, œil du réalisateur, filme les femmes comme des objets en morcelant leur corps, et nous, spectateurs et spectatrices, nous identifions au regard de la caméra, donc du héros. Nous sommes ainsi positionnés à la place du héros qui prend du plaisir en regardant le corps des femmes « morcellisées », parcellées, objectifiées.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Dans une tribune publiée récemment, vous écrivez que « [le] cinéma a mis en place un système d’impunité pour protéger ses “génies” ». En quoi, selon vous, le cinéma présente-t-il de ce point de vue une spécificité par rapport aux autres secteurs qui entrent dans le périmètre de cette commission d’enquête, voire d’autres domaines de l’activité humaine, notamment le sport, la politique ou le milieu professionnel en général ?

Il y a beaucoup de personnes présentes sur un lieu de tournage et qui participent à celui-ci. Selon vous, certaines catégories de personnes ou de professionnels sont-elles plus particulièrement sujettes à certaines formes de violence ? Si oui, pourquoi ?

Mme Iris Brey. Je pense que tous les hommes puissants sont protégés – je ne vais pas vous l’apprendre –, dans tous les milieux, y compris la politique. Ce qui est différent dans le cinéma, et plus généralement dans l’art, c’est qu’à partir du moment où on porte la casquette de l’artiste, on a le droit de faire du mal au nom de l’art. On est dans une culture où il est permis de se comporter n’importe comment au nom de l’art et de la liberté d’expression dans les œuvres.

J’ai eu ma première expérience de réalisation tardivement : j’ai réalisé une première série il y a deux ans. À l’université, on est tout le temps seul, et quand on présente des idées, on nous dit tout le temps que c’est nul. Quand on soutient sa thèse, alors qu’on a passé dix ans à réfléchir à un sujet, on reste confronté à des regards méprisants. On est tout le temps seul, seul avec nos idées, et le principe est que ce que l’on fait n’est pas forcément très bon. On est éduqué ainsi : il faut devenir excellent, mais on est tout le temps renvoyé au fait qu’on peut être meilleur. Mais quand vous êtes réalisateur ou réalisatrice, tout le monde vous demande votre vision et tout le monde est là pour que cette vision advienne.

J’en ai été extrêmement émue. Je pense que ç’a été la chose la plus émouvante de ma vie : tout d’un coup, une équipe s’emploie à faire des images que l’on a dans sa tête quelque chose que tout le monde va pouvoir voir. C’est un acte de générosité extrême. En revanche, quand on est dans une position où on abuse de ce pouvoir, il peut y avoir beaucoup de débordements.

En effet, ce que j’ai découvert en étant à la place de la réalisatrice, c’est un système très pyramidal : un producteur ou une productrice tout en haut, le réalisateur ou la réalisatrice à côté ou juste en dessous. Les rapports de pouvoir s’exercent à plusieurs endroits entre la productrice ou le producteur, le réalisateur ou la réalisatrice et toute l’équipe des techniciens et techniciennes ainsi que les comédiens et les comédiennes. On vous apprend que tout le monde est là pour votre vision d’artiste et vous met dans une position de pouvoir. Or, à partir du moment où les gens sont là pour vous faire plaisir, beaucoup de débordements peuvent survenir.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Qu’en est-il des catégories de personnes qui seraient susceptibles d’être plus vulnérables sur un tournage ? Tout le monde est-il sur un pied d’égalité face à ce pouvoir de la création dont certains pourraient être tentés d’abuser ?

Mme Iris Brey. Je ne sais pas si tout le monde est à égalité. Tout dépend de l’ancienneté des techniciens et techniciennes, du stade auquel les comédiens et comédiennes se trouvent dans leur carrière ou de leur statut. La question est aussi de savoir qui dispose du plus grand pouvoir économique, c’est-à-dire qui gagne le plus d’argent sur le plateau – non seulement entre les comédiens et comédiennes et le réalisateur ou la réalisatrice, mais aussi entre les comédiens et comédiennes eux-mêmes. En organisant des réunions de comédiennes chez moi, je me suis ainsi rendu compte qu’elles étaient beaucoup moins bien payées que les comédiens, même représentées par les mêmes agents.

Tout cela crée des hiérarchies. Partout où il y a du pouvoir, notamment économique, ceux qui en sont dépourvus peuvent être écrasés. Il y a aussi, chez les comédiennes, cette peur bien réelle et malheureusement justifiée de ne jamais plus tourner.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Vous avez évoqué la série que vous avez réalisée, Split. Pour tourner les scènes de sexe, vous avez fait appel à une coordinatrice d’intimité, Paloma García Martens. Quels ont été son rôle et son apport sur le tournage ? Cette figure mériterait-elle d’être généralisée, y compris pour d’autres types de scènes ? Forte de votre expérience, avez-vous décelé des pistes d’amélioration dans la manière de solliciter ces professionnels ? Le monde du cinéma français pourrait-il, sur cette question comme sur d’autres, s’inspirer de bonnes pratiques en vigueur à l’étranger ?

Enfin, pouvez-vous dresser un état des lieux des initiatives prises par les professionnels du cinéma et les institutions pour améliorer la situation et, le cas échéant, nous faire part de vos suggestions ?

Mme Iris Brey. Mon expérience de la coordination d’intimité a été très positive, puisqu’elle a eu lieu à mon initiative. Ce métier est apparu aux États-Unis après la naissance du mouvement #MeToo. J’avais commencé un travail de recherche en vue d’y consacrer un documentaire mais, ce projet ne s’étant pas concrétisé du fait du covid, j’ai proposé à une autre réalisatrice, Édith Chapin, de le reprendre à son compte. Elle m’a ainsi suivie pendant la préparation de la série et en a tiré le documentaire Sex Is Comedy, disponible sur France TV Slash.

Les scènes de cascade de Split ont été préparées avec un régleur cascades. Parce qu’une comédienne peut, alors qu’elle s’estimait capable de réaliser une cascade à un moment donné, ne pas être en assez bonne forme physique lors du tournage, elle travaille avec une cascadeuse. Le régleur cascades est alors présent pour indiquer si une scène peut être réalisée comme prévu ou si elle est trop dangereuse. J’ai par exemple le souvenir d’une journée pendant laquelle, parce qu’il pleuvait, il m’a expliqué qu’on ne pouvait pas faire la cascade : le corps de la cascadeuse était en danger parce qu’elle aurait pu glisser. Je n’ai pas remis en cause sa parole.

Le même raisonnement vaut pour la coordination d’intimité : sachant que mon scénario prévoyait des scènes de sexe entre deux femmes, je voulais m’assurer que les comédiennes avaient envie de les jouer et que nous étions toutes d’accord sur la manière de les cadrer. Paloma García Martens a réalisé des entretiens préliminaires avec moi ainsi qu’avec les comédiennes seules, pour établir leurs limites – qu’il s’agisse de nudité, d’actes qu’elles souhaitaient ou non effectuer ou de tout autre aspect susceptible d’affecter la manière dont nous pourrions créer ces scènes. J’ai ensuite travaillé avec la cheffe opératrice, la première assistante, les comédiennes et la coordinatrice d’intimité pour définir la chorégraphie des scènes, que les comédiennes ont répétées habillées, pour savoir comment se positionneraient les corps et la caméra et pour qu’elles puissent me dire si le point de vue et les angles retenus leur convenaient ou si elles souhaitaient les rectifier. Le jour J, je redemandais ensuite aux comédiennes si elles étaient toujours d’accord avec la chorégraphie ainsi définie.

Un jour, une des comédiennes m’a indiqué ne plus vouloir faire un geste qui était prévu pendant un plan-séquence. Dans un tel moment, si je n’avais pas travaillé la scène en amont, toute ma vision se serait effondrée. Mais, parce que j’avais fait appel à une coordinatrice d’intimité, que j’y avais réfléchi par avance et que toute l’équipe savait où nous allions, nous avons pu nous asseoir autour d’une table et trouver comment découper la scène autrement pour que la comédienne n’ait plus à faire ce geste.

Les comédiennes participent au film et leur ressenti est celui d’un être humain : ce ne sont pas des objets dont je peux faire ce que je veux. Je dois donc évidemment les écouter si elles m’expliquent ne plus se sentir capables de tourner une scène ou à l’aise pour le faire. La coordinatrice d’intimité est là pour s’assurer que je respecte ce que les comédiennes me disent et pour leur permettre d’évoluer dans un cadre qui facilite la parole. Je ne mesurais pas, avant d’en faire l’expérience, à quel point il est difficile d’arrêter un tournage et de faire savoir à une équipe qu’on n’a plus envie de jouer une scène. Sur un projet à petit budget – ce qui était le cas du mien, puisque je n’avais que seize jours pour réaliser cent minutes de série –, une heure de tournage représente un enjeu important. De ce fait, dès que quelque chose déraille, tout le monde se tend. Le fait de travailler en amont permet alors de rebondir.

Les comédiennes avaient en outre un droit de regard sur le montage – ce qui est très rare –, car je ne souhaitais pas qu’elles découvrent les scènes de sexe sur un grand écran, dans un festival, devant des centaines de personnes. Je voulais qu’elles m’aient confirmé, en amont, être à l’aise avec l’ensemble de ces scènes.

À aucun moment de cette démarche artistique, je n’ai eu le sentiment que la coordination d’intimité constituait une censure. En revanche, elle demande du travail. Je sais que les réalisateurs ou les réalisatrices qui veulent pouvoir improviser craignent que la coordination d’intimité enlève de la vie et de la spontanéité aux scènes de sexe. Peut-être. Mais pourquoi attendrait-on des scènes de sexe qu’elles soient spontanées ? Exactement comme une cascade, elles doivent être chorégraphiées. Le sexe au cinéma n’est pas la vraie vie : c’est une mise en scène, qui demande donc du travail. Ce travail devrait passionner tous les metteurs en scène. La coordination d’intimité ne limite en rien notre capacité créative. Elle garantit simplement que chacun est consentant sur un plateau.

M. le président Erwan Balanant. À vous écouter, j’ai le sentiment que ce dispositif, que vous avez été une des premières à expérimenter en France, peut même nourrir le processus créatif : le fait d’instaurer une relation de confiance avec les comédiennes permet aussi d’imaginer, en cas de blocage, des solutions que vous n’auriez pas pu envisager si vous n’aviez pas réalisé ce travail en amont.

Mme Iris Brey. En effet, mais pourquoi personne ne le fait-il en France ? Parce que cette manière de procéder donne plus de pouvoir aux comédiennes : tout à coup, elles ont voix au chapitre sur la manière dont elles peuvent agir avec leur corps. En leur donnant la possibilité de dire non, je leur donne du pouvoir.

La coordination d’intimité n’est, selon moi, rien d’autre qu’une réflexion sur le pouvoir. Elle ne met nullement en danger les comédiens et comédiennes. Je pense souvent à Maria Schneider sur le tournage du Dernier Tango à Paris : que se passe-t-il dans la tête d’un réalisateur pour qu’il décide, un matin, en beurrant sa tartine, d’utiliser du beurre dans une scène sans en avertir la comédienne ? On sait combien le fait d’être considéré comme un objet, que ce soit dans la vie réelle ou sur un plateau, a des conséquences psychiques sur une vie entière. C’est d’ailleurs la définition du viol : ne plus considérer la personne en face de soi comme un être humain, mais comme un objet qu’on peut prendre.

Sur un plateau, on est face à des personnes vulnérables, qui se mettent au service d’un travail artistique. Il faut donc se rendre compte qu’elles sont des êtres humains et non des objets qu’on peut utiliser à sa guise, selon ses désirs. Dès lors que les comédiennes estiment se mettre en danger, que ce soit physiquement ou mentalement, il est de notre devoir et de notre responsabilité de prendre en compte leur ressenti et de créer des espaces où elles peuvent travailler sereinement – parce qu’il s’agit bien de travail, et non de la vraie vie, où de telles scènes ne devraient de toute façon pas arriver non plus.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Comment sont formées les coordinatrices d’intimité ? Un cursus spécifique existe-t-il ou est-il en cours d’élaboration ?

Mme Iris Brey. J’ai décidé de travailler avec Paloma García Martens notamment parce qu’elle avait été formée aux États-Unis – à ma connaissance, aucune formation n’existe en France.

Il faut comprendre que la préparation de ces scènes avec les comédiennes demande beaucoup de temps, donc d’argent. Or aucune aide supplémentaire n’est versée aux réalisateurs ou aux réalisatrices qui décident de travailler avec une coordinatrice ou un coordinateur d’intimité. La dimension économique est donc cruciale. À titre personnel, j’ai dû, en concertation avec les techniciennes et la première assistante, sacrifier des scènes pour donner sa place à la coordination d’intimité – ce que je ne regrette pas, car j’y vois un enjeu éthique.

J’ai sollicité le CNC – Centre national du cinéma et de l’image animée – pour savoir si un bonus pourrait être créé au titre de la coordination d’intimité. On m’a répondu qu’une telle mesure n’était même pas envisageable dans l’immédiat, puisqu’on est encore à étendre le bonus parité à l’industrie télévisuelle. Pour revenir à une de vos précédentes questions, le bonus pour la parité dans le cinéma fait partie des avancées obtenues par le collectif 50/50 : un film dont les équipes sont majoritairement composées de femmes bénéficie d’un financement plus élevé. Ce mécanisme semble avoir un effet positif, même s’il ne concerne pas encore le milieu sériel.

Toutes ces aides sont le commencement de quelque chose. Certaines fonctionnent, d’autres moins. On a ainsi constaté récemment que le fait de désigner un référent harcèlement pour un tournage ne peut pas marcher si la personne nommée est la productrice du film, qui se trouve aussi être la compagne de la réalisatrice. Il faut donc continuer de penser ces questions.

Je n’ai pas envie de préconiser une généralisation de la coordination d’intimité, même si cette expérience a été très bénéfique pour moi. Sur le tournage de Split, j’ai travaillé avec la comédienne franco-américaine Pauline Chalamet, qui a joué dans de grosses séries produites par HBO, où la présence d’un coordinateur ou d’une coordinatrice d’intimité est obligatoire. Elle m’a expliqué qu’elle pouvait très bien décider de ne pas recourir à la coordinatrice pour toutes les scènes. La présence de la coordinatrice n’est pas automatique : elle doit être considérée comme un outil auquel on peut avoir accès si on en ressent le besoin. En revanche, la production étant censée protéger les personnes qui travaillent pour elle, le recours à ces professionnels devrait être vu comme bénéfique pour tout le monde, puisqu’il empêche des accidents : c’est un outil de prévention.

Cela étant dit, chaque réalisateur ou réalisatrice peut décider de la place qu’il ou elle souhaite accorder à la coordination d’intimité. Tous les projets ne le nécessitent pas. Effectuer ce travail soulève d’ailleurs la question de la définition de l’intimité, qui est vertigineuse. Quand Paloma García Martens a lu mon scénario pour la première fois, elle a estimé qu’il contenait une multitude de scènes d’intimité : au-delà des seules scènes de sexe, la série inclut des scènes de fausse couche, d’avortement ou encore d’agression homophobe qui peuvent réveiller des traumas et résonner intimement chez chacun ou chacune. J’ai décidé de concentrer son périmètre de travail sur les scènes de sexe parce que c’étaient celles qui me semblaient susceptibles d’entraîner une mise en danger, mais elle a envoyé un mail aux comédiennes ainsi qu’aux techniciens et techniciennes pour leur faire savoir qu’ils pouvaient faire appel à elle en cas de problème dans toute autre scène. Les personnes concernées m’ont fait savoir qu’elles s’en étaient senties considérées.

Quand on tourne des séquences qui touchent à nos intimités et qui sont par ailleurs très peu représentées dans les séries et au cinéma, des émotions très fortes peuvent évidemment survenir. Chacun ou chacune doit alors pouvoir décider s’il a besoin d’un cadre spécifique pour travailler.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Un argument souvent opposé à ceux qui veulent lutter contre les violences au cinéma ou dans l’art en général est celui de toutes ces carrières de génies brisées – je le reprends avec beaucoup d’ironie, car on constate que ces carrières brisées sont finalement assez rares –, cette idée que l’art y perdrait. J’aimerais donc vous entendre sur le female gaze et sur tout ce que l’art pourrait gagner si des femmes qui, aujourd’hui, ne percent pas ou renoncent à une vocation en raison des violences qu’elles subissent ou risquent de subir trouvaient enfin leur place dans un monde culturel qui renouerait avec sa vocation émancipatrice.

Mme Iris Brey. Dans le cadre des cours de cinéma que j’ai donnés à New York University et à l’université de Californie, j’ai indiqué publiquement ne plus vouloir enseigner les œuvres d’hommes accusés de viol, ce qui, je le sais, choque beaucoup en France. Pourtant, enseigner, c’est sélectionner un corpus de dix à quinze films qu’on mettra au programme pendant un semestre : c’est choisir qui mettre à l’honneur. Or, dès lors qu’on s’éloigne du canon et qu’on se demande comment il a été formé et par qui, on découvre des centaines de réalisatrices et de films extraordinaires. Quand on se détourne des agresseurs, on trouve simplement des voix qui ont été ignorées, invisibilisées, parce qu’elles émanaient de femmes ou de personnes minorisées.

Notre culture gagnerait évidemment à être enrichie par la mise en lumière de ces voix-là, par la programmation de ces films-là, par la mise en avant de toutes ces réalisatrices oubliées. J’ai écrit Le Regard féminin en 2020 ; depuis, j’ai découvert d’autres films, d’autres textes théoriques qui n’ont pas été traduits, voire pas publiés.

Je pense par exemple aux textes théoriques de Germaine Dulac, qui a travaillé la question « qu’est-ce que le cinéma ? » dans les années 1920 – alors qu’on l’attribue à André Bazin, qui écrivait dans les années 1950 – et qui a aussi réalisé le premier film surréaliste, avant Buñuel. Le nom d’Alice Guy commence à émerger, grâce à d’autres féministes et au prix Alice-Guy, mais c’est fou que son nom ne soit pas connu de tous et de toutes, alors que celui des frères Lumière et de Méliès l’est.

Ce moment où on commence à comprendre l’invisibilisation de ces femmes – à des fins qu’on peut dire politiques puisqu’il s’agit simplement de mettre des hommes en avant – est à la fois dévastateur et émancipateur : il nous donne envie d’aller vers d’autres récits, qui eux nous racontent. On pense que #MeToo est un mouvement contemporain. Mais ces questions sont déjà au début du cinéma ! Les rapports entre hommes et femmes sont à la base de la fiction. Alice Guy entre en cinéma pour demander – avec son premier film, La Fée aux choux – ce que c’est qu’une femme, pour parler des conséquences du féminisme en 1906. Dès 1920, les films de Germaine Dulac racontent l’hétérosexualité comme régime social et politique. En 1927, un film russe d’Olga Preobrajenskaïa montre les conséquences d’un viol : une jeune femme se suicide après avoir été violée par son beau-père. Tout est déjà là ! Ces images existent ; elles ont simplement été occultées, ou moins mises en valeur que d’autres.

Ne vous inquiétez pas pour ces hommes, ces « génies » accusés de viol : jusqu’à aujourd’hui, aucune carrière n’a jamais été brisée – j’ai appris que Depardieu reprenait un tournage bientôt. Et regardez du côté des femmes.

M. Emeric Salmon (RN). Pourriez-vous revenir sur l’absence de productrices en France ? Je suppose qu’il s’agit d’un état de fait et non d’une règle.

En vous entendant parler de l’érotisation du viol dans les séries, j’ai pensé au film Irréversible, qui à l’inverse comporte une scène de viol insoutenable. Faut-il à votre sens interdire totalement les scènes de viol au cinéma ? Faut-il les interdire lorsqu’elles sont présentées de façon positive, comme vous le décriviez à propos de Game of Thrones ? Faut-il au contraire laisser montrer ces scènes, celle de Game of Thrones comme celle d’Irréversible ?

Mme Iris Brey. L’absence de productrices est culturelle : les comédiennes ne sont pas invitées à mettre les mains dans l’argent, à comprendre d’où vient l’argent. C’est la même chose pour les réalisateurs et réalisatrices : dans notre culture, être artiste, ça ne va pas avec la compréhension d’un budget. C’est la France ! Je ne sais pas pourquoi on en est encore là, mais c’est un fait : très peu de comédiennes et très peu de réalisatrices ont des boîtes de production, alors qu’aux États-Unis, les femmes sont nombreuses à être productrices, et donc à mettre de l’argent pour défendre des projets. On peut citer Reese Witherspoon, qui a créé une boîte de production pour qu’on voie plus de récits du point de vue des femmes, ou Jessica Chastain.

Quant à la question du viol au cinéma, je pense qu’il ne faut rien interdire. L’exemple d’Irréversible est intéressant : dans la scène à laquelle vous faites référence, la caméra ne décide pas où elle a envie d’être ; elle reste dans le tunnel et ne nous montre jamais le point de vue de la femme. Il existe à l’inverse des séries qui montrent le point de vue de la personne victime : I May Destroy You, de Michaela Coel ou le film allemand Comme si de rien n’était nous permettent d’accéder à l’expérience du viol non pas comme à une agression très violente un soir dans un tunnel, mais comme à ce qui se passe quand un collègue de travail un peu bourré vous force la main ou quand votre petit ami vous pénètre tout à coup alors que vous êtes endormie. Ce sont ces scènes-là qui manquent, alors qu’elles constituent le quotidien de très nombreuses femmes – une sur trois en France, on peut le rappeler, comme on peut rappeler qu’une personne sur dix est victime d’inceste. Ce sont des expériences que beaucoup d’hommes et de femmes connaissent dans leur chair et qui ne sont pas représentées comme ce qui se passe dans la vraie vie.

Dans Irréversible, il y a un côté sensationnel : on n’arrive pas à regarder la scène. Ce qui serait important, ce serait au contraire d’arriver à la regarder, et à la regarder du point de vue de la victime, pour comprendre ce que ça fait d’être violée.

C’est pourquoi il ne me semble pas qu’il faille interdire certaines œuvres. En revanche, il faut comprendre que le point de vue majoritaire est celui de l’agresseur qui regarde la femme comme un bout de viande. Il est temps que d’autres points de vue sur ces récits émergent.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Charlize Theron a dit s’être sentie en danger pendant le tournage de Mad Max : Fury Road et avoir même demandé à être physiquement protégée de son collègue acteur. Comment comprenez-vous ce phénomène de pouvoir sur un tournage récent, puisque le film est sorti en 2015 ?

L’industrie du cinéma a à peine plus d’un siècle. Vivons-nous l’évolution historique d’un secteur, où les femmes demandent une place autour de la table et changent ainsi le travail qui s’y accomplit, ou bien voyons-nous le résultat d’une influence extérieure ? J’aimerais comprendre comment, en tant que théoricienne, vous percevez l’irruption de l’intimité comme question posée à l’industrie du cinéma. Comment sortir de la logique artisanale et artistique qui semble tout permettre et tout justifier ? Quel rôle le législateur pourrait-il jouer ?

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). J’ai commencé mes études avec une double licence de cinéma et de lettres : à aucun moment, on ne m’a parlé du spectateur – homme ou femme – ni de son point de vue. Aujourd’hui, les jeunes femmes qui veulent travailler dans le domaine du cinéma sont souvent radicales, et rentrent notamment dans le collectif 50/50 auquel vous participez.

Au cinéma, la femme est rarement autre chose qu’un objet pour le regard de l’homme, qu’un objet de désirs et de pulsions. Je crois à la formation, à la sensibilisation, à l’éducation : il me paraît indispensable de travailler sur le regard, féminin et masculin. Il me paraît aussi indispensable de former le public, qui croit regarder naïvement alors qu’il est manipulé, utilisé. Il faudrait une formation pour voir un film ! Je ne sais pas comment faire, mais vous allez sûrement nous donner des pistes.

Mme Iris Brey. Les déclarations de Charlize Theron ne sont pas surprenantes ; on a entendu récemment Juliette Binoche raconter comme elle avait frôlé la noyade pendant le tournage des Amants du Pont-Neuf ou Uma Thurman expliquer les conséquences, qu’elle subira à vie, d’un accident de voiture survenu pendant le tournage de Kill Bill – il existe des vidéos qui n’ont jamais été montrées. Le corps des femmes est régulièrement mis en danger sur les plateaux de cinéma.

On peut parler d’un continuum des violences : de manière générale, le corps des femmes n’est pas considéré comme ayant de la valeur ; on peut le traiter comme un objet, le manipuler, voire le briser, sans penser aux conséquences de ces gestes sur la psyché et sur le corps.

Comment se sortir de là ? Je ne sais pas. Il faudrait que les producteurs, les productrices, les réalisateurs et réalisatrices considèrent les personnes avec qui ils travaillent non pas comme de la matière, mais comme des humains. La prise de risque devrait rester mesurée : le métier des régleurs et régleuses cascades comme des coordinateurs et coordinatrices d’intimité est précisément de mesurer le risque en amont, et de s’assurer au moment du tournage – pas seulement pendant certaines scènes – que les personnes sont protégées. Si de telles choses peuvent arriver à Uma Thurman, à Juliette Binoche ou à Charlize Theron, vous imaginez ce qui arrive aux autres : elles arrêtent de travailler. C’est un métier fondé sur le désir du corps féminin et qui maltraite le corps des comédiennes : je ne sais pas comment répondre à votre question sur les moyens de faire cesser cela.

Il faudrait sans doute réfléchir au patriarcat. Nous avons très peu parlé d’inceste, mais c’est là le berceau des dominations. Il faut savoir que les agressions sont commises à 98 % par des hommes, et se demander pourquoi les hommes pensent qu’ils peuvent violer le corps des enfants, puis des femmes. Tout cela, ce sont les mêmes réflexions.

Quant à l’éducation, j’ai moi aussi l’impression qu’une nouvelle génération pose, dans les écoles de cinéma, la question du corpus, qu’elle interroge cette notion de génie masculin, et qu’elle éprouve un vrai désir d’autres récits, d’autres voix, d’autres représentations.

S’agissant des spectateurs et des spectatrices, il me semble qu’il faut faire confiance à l’intelligence des personnes face à une œuvre d’art. Il me semble aussi qu’il faut mettre en valeur ce qu’on ressent face à un film. Dans la culture française, on met toujours l’intellect au-dessus du corps : on se dit qu’il est important de comprendre les références à la Nouvelle Vague tout en méprisant le fait de pleurer ou de s’évanouir dans un cinéma. Quand j’ai voulu écrire Le Regard féminin, je venais d’avoir mon doctorat et, venant de l’université, j’avais l’impression de devoir sans cesse prouver aux hommes que je connaissais le canon et que j’avais compris le cinéma. Mais je me suis débarrassée de cette logique et j’ai décidé de partir de tout autre chose : mon corps. Je me suis demandé ce qu’il ressentait devant une image : du malaise, de l’excitation, une envie de vomir, une envie de s’évanouir, une envie de fondre en larmes… Il faut interroger les hiérarchies du savoir, se demander quels savoirs la société met en valeur.

Il faut aussi réfléchir au savoir situé : il faut savoir d’où je parle et pourquoi je fais cela. C’est quelque chose qui est mis en valeur dans les textes des théoriciennes aux États-Unis, beaucoup moins en France ; il me semble pourtant crucial de comprendre que notre savoir est situé, que nous parlons d’un point de vue, et que cela influence la façon dont nous théorisons. Si j’avais été un homme blanc hétérosexuel, je n’aurais pas écrit Le Regard féminin ; j’ai écrit ce livre parce que je suis une femme, lesbienne, violée dans l’enfance, qui a envie de voir autre chose. Il faut réfléchir aux représentations qui arrivent jusqu’à nous, aux images auxquelles on a accès et auxquelles on peut s’identifier, aux images que l’on peut ressentir.

Il est aussi important que les hommes arrêtent de dire qu’ils ne peuvent pas s’identifier aux héroïnes – nous nous sommes identifiées aux hommes pendant des siècles ! Il est important qu’ils puissent comprendre et partager nos expériences, car c’est peut-être là la seule solution pour limiter les violences : les mettre à notre place le temps d’un film ou d’une série, afin qu’ils comprennent les cicatrices, les sentiments qui nous traversent, ce que nous n’avons pas envie de reproduire.

Quand je parle aux comédiennes qui me disent que c’est une urgence pour elles, un problème de santé, je le comprends profondément. Je remercie Judith Godrèche et toutes les autres qui nous alertent sur cette profession. Pour revenir au début de notre discussion, on a l’impression que le cinéma est un secteur coupé du monde, mais ce n’est pas le cas : c’est le miroir de notre société. Nous devons nous demander pourquoi nous sommes si nombreux et si nombreuses à entrer en sexualité par la domination et par la violence, et donc réfléchir à des modèles qui seraient plus joyeux et où le consentement pourrait faire partie de notre apprentissage et de notre quotidien.

M. le président Erwan Balanant. Merci infiniment. Votre témoignage ouvre des pistes multiples pour nos réflexions et j’invite tous les membres de la commission d’enquête à lire vos ouvrages. J’avoue pour ma part avoir ressenti beaucoup d’empathie pour Marie Adler dans la série Unbelievable ; j’ai tenté de me mettre à sa place, tout en étant un homme.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Merci pour tout ce que vous nous avez livré avec pudeur et conviction : votre expérience professionnelle, mais aussi votre expérience de vie.

*

*     *

 

3.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Emmanuelle Dancourt, présidente de l’association #MeTooMedia, et M. Florent Pommier, trésorier.

M. le président Erwan Balanant. Nous accueillons maintenant les représentants de l’association #MeTooMedia : Mme Emmanuelle Dancourt, sa présidente, et M. Florent Pommier, son trésorier. Madame, monsieur, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendus disponibles.

Notre commission d’enquête s’articule autour de quatre axes : l’évaluation de la situation des mineurs évoluant dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ; l’état des lieux des violences commises sur des majeurs dans ces mêmes secteurs ; l’identification des mécanismes et des défaillances qui permettent ces violences et la définition des responsabilités de chacun ; enfin, la formulation de recommandations.

Nous ne sommes pas un tribunal : notre commission devra veiller à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire. Notre mission n’est pas de révéler des faits individuels mais d’informer sur les systèmes en place permettant des abus et des violences et de proposer des pistes pour y remédier.

Nous avons souhaité vous auditionner pour connaître votre perception des thématiques entrant dans le champ de notre commission, en particulier dans les différents secteurs des médias. Dans un premier temps, je vous invite à exposer brièvement votre analyse des violences commises dans le domaine des médias et de la chaîne de responsabilités qui rend possible la perpétuation de ces violences, ainsi que les raisons pour lesquelles votre association a été fondée et les actions qu’elle mène. Dans un second temps, la rapporteure, mes collègues et moi-même aurons des questions plus précises.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est transmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Emmanuelle Dancourt et M. Florent Pommier prêtent successivement serment.)

Mme Emmanuelle Dancourt, présidente de l’association #MeTooMedia. Je vous remercie d’avoir créé cette commission. C’est un honneur pour nous de pouvoir vous aider dans vos travaux.

#MeTooMedia est née le 11 novembre 2021. Sa création est directement liée à l’affaire PPDA, puisque toutes ses cofondatrices sont victimes de Patrick Poivre d’Arvor – viol, agression sexuelle, harcèlement. À l’époque de la première enquête préliminaire dans le cadre de cette affaire, nous étions quasiment toutes journalistes, ce qui n’est bien sûr pas le cas de toutes les victimes de Patrick Poivre d’Arvor. #MeToo était alors encore assez récent et ne signifiait pas grand-chose pour le grand public et encore moins pour nos confrères et consœurs journalistes. Si nous, journalistes, n’apportions pas notre contribution, qui allait le faire ? Nous avions les réseaux et nous avons fait ce qu’il fallait, à commencer par la fameuse une de Libération le 9 novembre 2021, à laquelle j’ai participé, avec des sœurs de plainte. Nous nous doutions alors que de nombreuses victimes allaient nous contacter et c’est ce qui est arrivé : des victimes dans le cadre de l’affaire PPDA, mais pas seulement.

#MeTooMedia travaille sur trois axes majeurs.

Le premier est la victime. Nous avons monté l’association autour d’elle : nous sommes là pour l’accueillir, l’écouter, lui demander où elle en est, de quoi elle a besoin. Nous n’imposons rien. Parmi les nombreuses victimes qui arrivent, certaines ont porté plainte, d’autres pas. Si elles n’ont pas porté plainte, nous les rassurons, nous les équipons, nous leur présentons des avocats et nous payons une partie de leurs honoraires grâce à une subvention du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Pour le reste, nous négocions du mécénat de compétences ou du pro bono. Nous les accompagnons jusqu’au bout de la chaîne judiciaire. Nous commençons toujours par la justice. Ensuite, si c’est possible, parce que la victime ou le mis en cause est connu, et que la victime le souhaite, nous pouvons l’accompagner dans la médiatisation. Nous avons des rendez-vous mensuels à Paris, des visios mensuelles de soutien à la victime et des fils sur Signal en perpétuel mouvement.

M. Florent Pommier, trésorier de l’association #MeTooMedia. Le deuxième axe concerne la formation. Nous en avons conçu à l’intention des étudiants et des étudiantes des écoles de journalisme, reconnues par la profession ou pas, mais également à l’intention des personnels des écoles de journalisme et des rédactions. Ces formations ont vu le jour notamment grâce à la subvention du ministère de l’égalité femmes-hommes. Elles sont prêtes et nous allons les déployer dans les écoles et les médias qui nous en font la demande.

L’association a beaucoup grossi en deux ans et compte aujourd’hui un peu moins de 200 adhérents, dont 14 % d’hommes, ce qui n’est déjà pas mal pour une association de lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS), mais nous pouvons mieux faire. Nous tenons à ce que notre association compte des hommes parmi ses adhérents, ma présence l’atteste, mais nous ne sommes pas à parité. Au départ, il y avait beaucoup de victimes mais nous nous rendons compte qu’aujourd’hui, il y a pas mal d’adhésions d’alliés, c’est-à-dire de personnes qui ne sont pas victimes. La moitié de nos adhérents sont des victimes directes de personnalités du monde des médias et de la culture ou d’anonymes.

Mme Emmanuelle Dancourt. Initialement, #MeTooMedia a été créée par des victimes du monde des médias au sens restrictif du terme, c’est-à-dire télévision, radio, presse écrite et web. Charlotte Arnould, la victime de Depardieu, nous a ensuite rejoints. La première année, nous l’appelions « la belle exception » avant d’apprendre que, au sens juridique du terme, le cinéma, le théâtre, la chorale, le stand-up, tous ces métiers de la culture, sont également des médias. L’association a donc élargi son objet et s’occupe aujourd’hui de victimes du monde des médias mais également de celui de la culture en général. À ce titre, nous avons lancé un #MeTooPhoto sur les réseaux sociaux et, dans deux jours, dans un média. Nous travaillons à un #MeTooMusiqueClassique. Nous ne dénonçons pas seulement des gens connus, mais également des systèmes.

Le troisième axe de notre association est l’amélioration de la loi française. Nous avons mené la semaine dernière, avec la Fondation des femmes, une opération dans le journal Le Monde qui a rassemblé 100 personnes de différents #MeToo. Ce rassemblement est important et nous avons demandé une loi intégrale, dont nous aurons peut-être l’occasion de reparler.

Nous devons passer de #MeToo à #WeToo. C’est un de nos credos. #MeToo, c’est moi aussi, je suis victime, je libère ma parole, je porte plainte, je témoigne, j’aide d’autres victimes. #WeToo, cela peut être vous. Vous n’êtes pas victime, mais, statistiquement, il est certain que vous connaissez autour de vous une victime de viol, d’agression sexuelle ou de harcèlement. Si seules les victimes traitent de ce fait de société, qui n’est pas un fait divers, nous n’y arriverons pas. En revanche, si nous embarquons toute la société, les hommes, les femmes, les victimes, les non-victimes, alors nous aurons peut-être une chance d’arriver à faire changer les mentalités.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Merci beaucoup pour votre présence ce soir. Votre association compte 200 adhérents. Pouvez-vous nous donner une idée du nombre de témoignages que vous recevez, du type de personnes concernées et des violences qu’elles peuvent subir ? Quelles sont les spécificités, si elles existent, des violences sexistes et sexuelles au sein des médias ? Existe-t-il des spécificités par rapport au théâtre et au cinéma ?

Des affaires sortent tous les jours. Quels mécanismes et quels dispositifs les chaînes de télévision, les stations de radio, les studios, les sociétés de production mettent-ils en place pour prévenir ces violences ? Comment accompagnent-ils les victimes ? Quel est votre regard sur ces mesures ? Vous semblent-elles suffisantes ? Pouvez-vous partager des exemples de bonnes et de mauvaises pratiques ?

Mme Emmanuelle Dancourt. Des personnes de tout type frappent à la porte de notre association. Elles sont nombreuses à ne pas correspondre à l’objet de notre association et à nous écrire à l’adresse de contact qui se trouve sur notre site internet. Nous ne les laissons pas tomber : la commission victimes leur répond à chaque fois pour les envoyer au bon endroit, qui peut, par exemple, être la plateforme d’Audiens, un de nos partenaires, ou d’autres associations dont l’objet est plus en phase avec le milieu ou avec ce que dénonce la victime, comme la question des mineurs ou celle de la politique, que nous ne traitons pas car nous n’avons pas d’expertise.

Certaines victimes que nous accompagnons se sont déjà constituées partie civile – il arrive même que leur affaire ait déjà fait l’objet d’un jugement – et se trouvent donc à un stade avancé de la procédure. Ces victimes tiennent à peu près debout, parce qu’elles ont déjà réalisé ce parcours judiciaire. Tu en sais d’ailleurs quelque chose, Florent. Elles connaissent donc le chemin et nombreuses sont celles qui nous rejoignent dans notre combat. Elles aident alors d’autres victimes, notamment au sein de nos commissions.

Certaines victimes sont plutôt en début de chemin. Elles se trouvent souvent dans un état de fragilité auquel il faut faire attention. Nous prenons alors le temps de les accueillir, de les entourer et de les conseiller, mais nous n’imposons rien. Nous allons les amener tranquillement à la plainte et essayer de restaurer leur confiance dans la justice, ce qui n’est pas toujours évident, vu le nombre de classements sans suite. Nous les accompagnons une fois qu’elles sont prêtes, après avoir discuté et repassé la chronologie des faits. Nous pouvons les aider à rédiger leur plainte avant de l’envoyer directement au procureur ou de la déposer au commissariat avec la victime. Nous disposons d’avocates et de conseils, qui interviennent à un moment ou un autre. Nous couvrons tout le spectre.

Nous nous concentrons sur les milieux de la culture et nous cherchons le ruissellement, qui est plus facile lorsque le prédateur est connu, car cela parle aux journalistes et aux instances auprès desquelles la plainte est déposée. Si le prédateur n’est pas un acteur, un animateur de télévision ou un musicien connu, c’est plus compliqué. On nous reproche d’utiliser les médias comme tribunal, mais ce n’est pas vrai : 90 % des affaires que nous traitons ne sont pas médiatisées et elles nous demandent autant de travail, du côté des victimes comme du côté de l’association, que les affaires médiatisées, comme celle de Jean-Jacques Bourdin, la première que nous ayons sorti, de Stéphane Plaza, de Gérard Depardieu, de Vincent Cerutti ou de Manu Levy, que nous avons sortie avec Libération. Je rappelle que nous sommes tous bénévoles.

M. Florent Pommier. Les affaires qui ne sont pas médiatisées représentent en effet la majorité des affaires que nous suivons. Dans certains cas, les victimes refusent la médiatisation et nous respectons, bien évidemment, leur calendrier, leur état émotionnel et leur état de santé. Nous les accompagnons financièrement, nous les écoutons, ce qui est déjà énorme, et, si elles décident un jour de médiatiser, nous sommes également à leur côté.

Mme Emmanuelle Dancourt. J’en viens à votre deuxième question : dans ces métiers, les corps sont très engagés et les ego sont exacerbés. Je le vois dans le milieu de la télévision, que je connais bien puisque je suis journaliste de télévision, mais je pense que cela vaut pour le cinéma ou le théâtre. Patrick Poivre d’Arvor comme Gérard Depardieu sont des hommes qui ont du pouvoir et de l’argent, auxquels on a tout passé très rapidement. Dans ces affaires, que nous connaissons bien, nous constatons que l’impunité démarre très tôt : ces hommes perdent le sens des réalités parce que personne n’ose rien leur dire. PPDA rassemblait 10 millions de téléspectateurs au moment où il a quitté l’antenne en 2008. Il s’agit en quelque sorte d’une prise de pouvoir : les violences sexistes et sexuelles, avant de parler de sexe, parlent de pouvoir et de domination d’un corps sur un autre. C’est ce que j’ai senti dans le bureau de PPDA lorsqu’il m’a agressée. Il a pris possession de mon corps, mais pas de mon esprit, puisque je n’étais pas du tout sous son emprise. La réputation et la notoriété des auteurs font que les gens n’osent rien dire et ne comprennent pas ce qu’il leur arrive. Je n’avais pas compris que j’avais été sexuellement agressée par PPDA. Il a fallu qu’on me le dise pour que je porte plainte. Il y a donc ce rapport au corps, à l’argent, au pouvoir. Je ne sais pas si c’était le genre de réponse que vous attendiez, mais c’est ce qui me vient spontanément.

Quant aux ego exacerbés, vous comprendrez ce que je veux dire si vous regardez le numéro de l’émission « V.I.P. » de la chaîne KTO – où j’ai reçu plus de 600 personnalités en quinze ans – consacrés à PPDA. Il ne parle que de lui. Certes, c’est le principe de l’émission, mais il y a plusieurs manières de parler de soi. Il a brodé sa légende, dans une insincérité totale. Nous nous sommes d’ailleurs rendu compte plus tard qu’il a beaucoup utilisé le mot « jouir ». C’était une prise de possession alors que l’antenne était calme et posée et que des valeurs devaient ressortir. C’est l’émission la plus ratée de ma carrière. La prise de possession peut se faire à l’antenne, elle peut aussi se faire par exemple au théâtre, par le public qui applaudit.

M. Florent Pommier. J’aimerais parler de l’influence au sein des médias ou dans le milieu de la culture, cette influence qu’un acteur ou un journaliste pense avoir du fait qu’il exerce un métier de « prestige ». Dans les écoles de journalisme – j’ai moi-même été dans une de ces écoles –, on nous dit que c’est un métier de privilégié et qu’il est dur d’y accéder. Les études supérieures et les concours sont très sélectifs. On ressent la pression très tôt. La réalité qu’on découvre après est beaucoup moins rose. C’est peut-être moins vrai à la télé, mais quand on démarre dans ce métier, on est la plupart du temps pigiste et donc rémunéré à la tâche. Ce qui m’est arrivé est essentiellement dû à la précarité.

Dans ces conditions en effet, il est inévitable que certaines personnes cherchent à en mettre d’autres sous leur coupe. Elles trouveront très facilement de jeunes femmes ou de jeunes hommes. J’avais 22 ans et la personne qui m’a violé a profité de ma situation de fragilité, à la fois financière, puisque je n’avais pas de contrat, et géographique puisqu’on nous dit qu’il faut bouger, faire des contrats à droite, à gauche alors qu’il est difficile de se loger à moindre prix. Cette situation de vulnérabilité fait qu’il est potentiellement plus facile de se retrouver sous emprise. Mon cas importe peu, je ne suis pas venu pour cela, mais il est important de comprendre que la plupart des jeunes qui démarrent dans le journalisme sont en situation de précarité et c’est de pire en pire. Les jeunes restent en moyenne sept ans dans le métier – cette information provient d’un livre dont la référence m’échappe pour le moment. Ils sont donc nombreux à quitter le métier assez rapidement. Les postes pour les nouvelles promotions qui sortent chaque année sont assez peu nombreux si bien que – et cela fait partie du système – les hommes agresseurs disposent d’un vivier de jeunes femmes et de jeunes hommes en alternance, en CDD, en pige, en stage dans lequel ils font leur marché. Le cas de Lionel Sanchez à Radio France est extrêmement particulier. C’est dans la presse, nous pouvons donc en parler. Il a pu sévir pendant des années – on a d’ailleurs retrouvé des vidéos pédocriminelles sur son ordinateur – avant d’être licencié. Ce cas n’est sans doute pas spécifique aux médias, mais, dans ce milieu, certaines circonstances aggravent les choses.

Mme Emmanuelle Dancourt. Nous avons donné une formation sur le tournage d’une grosse série télévisée aux 130 personnes y travaillant – acteurs, techniciens, production. Les intermittents ont levé la main pour dire : « Protégez-nous ! ». Quand ils dénoncent une agression sexuelle, ils sont virés et cela se passe toujours ainsi : on vire le problème et pas l’agresseur, qui peut être un acteur connu ou le producteur. Les intermittents du spectacle que nous rencontrons dans le cadre de nos activités connaissent la même situation de vulnérabilité financière et professionnelle que les pigistes.

Les référents VSS sur ce tournage sont venus nous voir pour nous dire qu’ils n’avaient suivi qu’une journée de formation et qu’ils souhaitaient la compléter avec nous. Ils estimaient ne pas avoir assez été formés et que, en conséquence, ils se retrouvaient face à des cas de conscience sans savoir comment accompagner les personnes.

Je vous invite à réfléchir sur le statut de lanceur d’alerte. Il est mal connu et ceux qui le connaissent ne savent pas dans quelle mesure ils sont protégés. Il existe de nombreuses idées reçues sur ce statut. J’ai moi-même voulu être lanceuse d’alerte dans un média où j’ai travaillé, mais mon avocat me l’a déconseillé en me disant que cela risquait de se retourner contre moi.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Vous évoquez la fragilité et la précarité des jeunes. Ils constituent des proies faciles pour les prédateurs. Souvent, en effet, les jeunes ne restent pas longtemps dans le métier ; ils constituent donc un vivier qui se renouvelle rapidement.

Tout à l’heure, les membres du collectif #MeTooThéâtre ont longuement évoqué les écoles. Vous arrive-t-il d’être sollicités par les écoles de journalisme, pour dispenser des formations aux élèves ou des conseils aux jeunes diplômés ?

Par ailleurs, êtes-vous en contact avec les mouvements #MeToo d’autres secteurs ? Vous disposez d’une subvention du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, afin notamment de régler une partie des frais d’avocats. Ce n’est apparemment pas le cas du collectif #MeTooThéâtre. Peut-être des échanges de bonnes pratiques entre vous seraient-ils utiles ?

Les agressions affectent souvent des victimes jeunes, qui découvrent un secteur qui les passionne et où elles comptent faire carrière. Vous avez tous les deux été victimes de violences sexuelles dans votre milieu professionnel. Accepteriez-vous d’évoquer le processus de reconstruction ? Quels obstacles avez-vous rencontrés et de quels soutiens avez-vous bénéficié, après avoir accusé vos agresseurs ?

M. le président Erwan Balanant. Je souhaiterais également savoir ce qui, selon vous, donne la force de dénoncer son agresseur.

M. Florent Pommier. Commençons par le moins personnel, les écoles. Lors de la première pause d’une formation de deux jours que nous dispensions au CFJ – le Centre de formation des journalistes, une école dite reconnue du secteur –, un groupe d’étudiants est venu nous interroger sur ces questions, et leur intérêt nous a frappés. Nous avons gardé contact et avons créé une commission pour les étudiants et étudiantes au sein de l’association.

Les besoins sont importants, car tout reste à construire dans les écoles. Peut-être faudrait-il désigner dans chaque école – de journalisme, mais aussi de théâtre, par exemple – des élèves référents en matière de violences sexistes et sexuelles, car les élèves sont mieux à même que les membres de l’équipe enseignante de collecter les informations et de recevoir les alertes.

Mme Emmanuelle Dancourt. Nous n’avions pas envisagé initialement de créer une commission dédiée aux étudiants, mais ce sont eux qui nous l’ont demandé. Au mois de février, nous avons également dispensé une formation dans le cadre du master de journalisme de Dijon. Pendant deux jours, de nombreux étudiantes et étudiants nous ont approchés pour témoigner, par exemple de problèmes survenus lors de stages dans un grand quotidien régional. Les étudiants affectés se sentent seuls. Nous travaillons donc à combler un manque. Les trois ambassadrices bénévoles de #MeTooMedia vont commencer à organiser leurs propres événements.

Les étudiants de différentes écoles nous ont également fait part d’agressions sexuelles lors d’une manifestation sportive entre plusieurs écoles. Et au sein même des établissements, des problèmes subsistent, comme nous l’ont rapporté certains membres de leur direction. Nous déployons cette activité bénévole comme nous le pouvons, selon nos moyens.

J’en viens à la subvention de 75 000 euros, attribuée par le ministère délégué chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, quand Isabelle Rome était à sa tête. Nous avons également reçu 5 000 euros de la Fondation des femmes. Ces sommes nous servent à payer les frais de justice des victimes, à monter des formations et à acquérir un peu de matériel. Nous demandons de nouvelles subventions, parce que notre champ d’action s’élargit aux mouvements #MeToo d’autres secteurs.

Nous sommes en contact avec les collectifs 50/50, #MeTooThéâtre et l’association ADA – l’Association des acteur.ices. Nous avons en outre de très bons échanges avec les membres de l’association Femmes journalistes de sport. J’espère que vous les recevrez, car elles ont beaucoup à dire – quand la rédaction d’un grand quotidien sportif ne compte que 13 femmes pour 180 pigistes, cela ne se passe pas forcément très bien. D’ailleurs, notre association, le collectif #MeTooThéâtre et l’association Femmes journalistes de sport ont été montés le même mois. Enfin, sur l’application Signal, nous échangeons avec les mouvements #MeToo d’autres secteurs.

Actuellement, notre association doit changer d’échelle ; ses effectifs sont clairement insuffisants. En effet, d’autres associations #MeToo en lien avec le théâtre, le cinéma, le stand-up, et ainsi de suite, nous ont sollicités, parce qu’elles préfèrent se concentrer sur l’égalité entre femmes et hommes, plutôt que sur la défense de victimes individuelles. Elles nous confient donc les victimes qui les contactent. Malgré la subvention du ministère – d’un montant important, d’autant plus qu’elle a été versée alors que nous venions de fonder l’association – nous risquons donc d’être bientôt à court de moyens.

M. Florent Pommier. Venons-en aux entreprises. Les plus importantes sont dans l’obligation de nommer des référents harcèlement sexuel. Ceux-ci font ce qu’ils peuvent, souvent avec beaucoup de bonne volonté et de motivation, mais sans forcément rencontrer beaucoup de répondant.

Certaines accusations de harcèlement sont déléguées à des entreprises extérieures de conseil, qui déterminent si les faits visés relèvent du harcèlement sexiste, du harcèlement d’ambiance, du harcèlement direct ou d’une agression. C’est souvent pour les entreprises une façon de se débarrasser de la patate chaude. De tels audits ne débouchent sur rien, dans la majorité des cas.

Dans les cas les plus extrêmes, quand le problème est trop évident, des licenciements sont prononcés. Radio France a ainsi licencié quelques personnes pour ce type de motifs ces dernières années – j’ai déjà cité le cas de M. Lionel Sanchez. Mais ces cas ne représentent que la partie émergée de l’iceberg.

En outre, puisque les violences physiques ou sexuelles sont souvent traitées comme des fautes simples, les licenciements qu’elles motivent donnent lieu à d’importantes indemnités, conformément au droit du travail. Encore récemment, un salarié licencié pour agression a ainsi touché 200 000 euros d’indemnités, parce qu’il avait quinze ans d’ancienneté dans l’entreprise, ce qui a choqué la victime. C’est seulement en cas de faute lourde que le versement de toute indemnité est exclu. Il faudrait donc faciliter les licenciements pour faute lourde ou pour faute grave en cas de violence physique ou sexuelle.

Dans la majorité des cas, les agresseurs sont maintenus dans l’entreprise, parfois à des postes plus élevés, parfois dans des placards. Une réflexion doit être menée sur ces situations. Je n’ai pas de solution à vous apporter sur un plateau ; c’est vous qui légiférez.

Revenons-en aux référents chargés de lutter contre le harcèlement sexuel. Dans les cas que nous connaissons, le référent élu du personnel et celui nommé par la direction parviennent à s’entendre, à organiser une médiation. Mais quel sens peut avoir une telle médiation, quand il s’agit d’une agression ou d’un viol ? Il faudrait que les référents harcèlement sexuel aient davantage de poids. En outre, il faudrait imposer la désignation de tels référents dans toutes les entreprises – actuellement, elle n’est obligatoire que dans les plus grandes.

Enfin, la désignation comme référent élu du personnel – un poste réservé à un membre du comité social et économique de l’entreprise – devrait s’accompagner d’une obligation de formation et de l’octroi d’heures de délégation. Actuellement, ce n’est pas le cas.

M. le président Erwan Balanant. Selon vous, qu’est-ce qui donne la force de dénoncer, et comment se reconstruit-on ensuite ?

Mme Emmanuelle Dancourt. Pendant dix ans, j’ai parlé des agissements de Patrick Poivre d’Arvor – PPDA – à tout le monde. Personne ne m’a conseillé de porter plainte, car à l’époque, cela ne se faisait pas. Pour autant, personne n’a remis en cause ma parole.

Quant à la reconstruction, elle est propre à chaque victime. Il est en tout cas certain que le collectif donne de la force et qu’il est important pour les victimes de savoir qu’elles sont crues.

Il faut croire les victimes, tout d’abord parce qu’elles ont tout à perdre à se déclarer telles. Parmi les victimes que nous aidons, nombreuses sont celles qui n’ont pas été crues par leur famille, par leur petit ami, ou qui ont perdu leur job.

Les victimes perdent également leur dignité. Quand Charlotte Arnould a dénoncé Gérard Depardieu pour deux viols digitaux non prescrits, elle avait 22 ans, elle était danseuse, une carrière d’actrice s’ouvrait à elle. Mais tout s’est fini lorsqu’elle a fait face à Gérard Depardieu. Florence Porcel était quant à elle spécialisée dans la vulgarisation scientifique liée au domaine spatial ; elle passait à l’antenne sur France Inter et dans de nombreuses émissions ; sa chaîne Youtube marchait très bien. Tout s’est arrêté d’un seul coup, car c’est elle qui a dû porter le poids de la honte. J’espère que vous entendrez ces deux femmes.

Il semble que seulement 2 % des personnes qui se déclarent victimes mentent, d’après la seule étude sur le sujet, qui est américaine et date un peu. C’est évidemment trop, mais cela reste une infime minorité. Il faut donc partir du principe que la victime dit vrai.

Enfin, toutes les victimes ne se reconstruisent pas. L’affaire PPDA a donné lieu à des suicides, par exemple.

M. Florent Pommier. En matière de reconstruction, il n’existe pas de recette. Pour ma part, les faits ont eu lieu alors que je travaillais à la radio, média dans lequel je m’étais spécialisé pendant ma scolarité. J’ai dû quitter ce secteur du jour au lendemain et il a été douloureux de constater que je m’étais spécialisé en vain.

Néanmoins, j’ai rebondi. J’ai travaillé dans la presse écrite. Actuellement, je travaille davantage comme journaliste photographe que comme rédacteur. Je suis également devenu formateur dans des écoles de journalisme. D’autres ne s’en sortent pas aussi bien et quittent le métier.

Juste après les faits, quand j’ai quitté la radio, j’étais convaincu que ce secteur n’était pas pour moi, mais sans saisir pourquoi, à cause d’une d’amnésie qui a duré dix ans – et qui m’a sauvé. Ce type de blocage du cerveau est désormais documenté par la science.

Les attentats de 2015 ont été un choc important pour moi, comme pour beaucoup de Parisiens. Il m’a conduit à entamer une psychothérapie, sans vraiment savoir pourquoi. Les faits ne sont remontés que deux ans plus tard, à l’automne 2017, au moment où le #MeToo américain a éclaté. J’ai alors compris que l’angoisse que j’éprouvais n’était pas liée aux attentats, mais au viol que j’avais subi et occulté. Cette prise de conscience m’a fait chuter dans une profonde dépression. J’ai tenté de me suicider. C’est grâce à la naissance de ma nièce – qui découvrira peut-être un jour cette audition – que je suis là aujourd’hui.

La psychothérapie m’a aidé. En outre, mes proches ont été à l’écoute, attentifs, aimants. C’est aussi grâce à eux que je suis là. Il faut donc parler et bien s’entourer. C’est plus difficile avec certaines familles. Mais si l’on ne peut pas choisir sa famille, du moins peut-on choisir ses amis, ou son association. J’ai également bénéficié de séances d’hypnose, entre autres soins non pris en charge. Heureusement que je dispose de quelques revenus – guère mirobolants – pour les financer.

Enfin, la procédure judiciaire m’a aidé à me reconstruire – ce n’est pas le cas pour tout le monde. J’ai porté plainte en 2019, alors que les faits n’étaient pas prescrits ; je l’aurais fait même s’ils l’avaient été. L’enquête a été classée sans suite, trois ans après le dépôt de la plainte, en 2022. J’ai eu accès au dossier ; il est pauvre.

Surtout, j’ai découvert que l’enquête s’était concentrée sur moi. Les policiers ont auditionné de nombreuses personnes de mon entourage, y compris d’anciens collègues qui ne me connaissent pas ; ils y ont consacré un temps important. Paradoxalement, ils ont très peu enquêté sur mon agresseur, se contentant de l’auditionner à l’issue de l’enquête et de vérifier qu’il n’était pas inscrit sur le fichier des délinquants sexuels. Ni son entourage professionnel, ni ses proches, ni sa famille n’ont été entendus. Pour une victime, c’est insupportable. Pourquoi n’imposerait-on pas un minimum d’enquête sur la personne mise en cause ?

En réalité, je n’attendais rien de cette enquête, sinon de me sentir pris en compte, considéré. Je l’ai été. Les policiers ont été admirables et j’ai eu affaire à des agents extrêmement bien formés, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

Je tenais à être confronté à mon agresseur. Ce fut une situation difficile, que je ne conseille pas à tout le monde. Je ne regrette pourtant pas la confrontation, qui m’a aidé à rebondir, à renoncer à ma colère, à clore le dossier, à faire la paix avec moi-même. Je continue désormais à me reconstruire en militant, car je me sens bien dans cet exercice.

Mme Clémentine Autain (LFI-NUPES). Votre témoignage est très émouvant. En tant que sœur de plainte, je vous remercie.

Vous avez évoqué tout à l’heure un point fondamental, celui de votre précarité au moment des faits et plus généralement de la précarité dans le secteur des médias. C’est un élément important des rapports de domination, qui s’ancrent malgré tout dans l’histoire d’une domination d’un sexe sur l’autre.

Je souhaite qu’au cours de nos auditions, nous disposions d’éléments sur la part des personnes précaires parmi les victimes.

Mme Estelle Youssouffa (LIOT). Je vous remercie pour votre témoignage, dont la sincérité démontre un grand courage.

J’ai travaillé comme journaliste au sein du groupe LCI, dans le même bâtiment que PPDA. Je connais certaines de ses victimes et j’ai été témoin du silence de la rédaction et de la complicité de la direction. Certains feignent aujourd’hui de découvrir le problème, alors qu’il était notoire. Même si nous n’imaginions pas que des viols avaient lieu, nous savions qu’une femme ne devait jamais se retrouver seule avec PPDA.

J’ai commencé à travailler à LCI alors que j’avais 19 ans. Vous décrivez très bien la précarité des jeunes de ce secteur, où il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus, comme dans le secteur artistique. Cela donne aux jeunes le sentiment de devoir tout accepter pour garder leur place. Il faudrait demander à la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels quelle est la proportion des pigistes parmi les détenteurs de la carte de presse. En tout cas, le salaire moyen des détenteurs cette carte est inférieur au Smic mensuel. Le prestige du métier de journaliste ne protège pas de la précarité.

Vous avez également évoqué le nomadisme, très important lors des reportages. Pour ma part, j’ai voyagé dans toute la France pour Radio France et France 3. Le travail s’effectuait à l’extérieur de la rédaction, au sein d’une équipe isolée, où les rapports hiérarchiques étaient très forts. Quelles solutions imaginez-vous pour de telles situations ?

Quant aux agressions qui surviennent au sein des rédactions, je rappelle que la non-assistance à personne en danger est punie par la loi. Quelles solutions imaginez-vous ?

Enfin, au cours des dernières années, avez-vous constaté un changement au sein des rédactions ?

Mme Graziella Melchior (RE). Je vous remercie pour ce témoignage très émouvant, qui demande du courage.

Les similitudes sont grandes avec le mouvement #MeToo dans les armées. De fait, malgré les différences entre vos deux milieux, les agissements et les manières de les cacher y sont les mêmes.

Vous accompagnez les victimes du mieux que vous pouvez. Grâce à votre engagement associatif, elles peuvent s’en sortir et c’est très bien, mais quid des auteurs des faits ? Ils répètent souvent leurs agissements. Pour que les choses changent, ne faudrait-il pas que des associations s’intéressent également à eux ? Vous évoquez un suivi judiciaire et disciplinaire, mais certains considèrent que les hommes qui commettent des agressions ont souvent eux-mêmes été abusés dans leur enfance, et qu’ils reproduisent ainsi un schéma qu’ils connaissent. Quel est votre avis sur ces questions ?

Mme Emmanuelle Anthoine (LR). Je vous remercie pour vos témoignages, qui m’ont beaucoup touchée. L’association s’est construite autour des victimes, ce que je trouve fondamental. Vous avez dit que c’est le collectif qui donne de la force et, à ce titre, il est intéressant de noter que les victimes ne comptent que pour 50 % des adhérents. Vos liens avec les autres mouvements #MeToo contribuent également à vous donner une véritable force d’action. Et vous avez pour particularité de dispenser des formations, d’accompagner les victimes tout au long des procédures, notamment en prenant en charge leurs frais. Pour avoir été avocate pendant trente ans et avoir accompagné des victimes, je sais combien cette étape peut être difficile.

Alors que votre association existe depuis maintenant deux ans, sentez-vous qu’elle a un impact ? Diriez-vous que votre collectif contribue à une certaine inversion des situations ? Par ailleurs, avez-vous eu des retours des formations que vous avez organisées ? Vous avez dit que des étudiantes étaient venues à vous, avec l’envie de participer à votre travail. Pourriez-vous nous en dire plus ?

M. Emeric Salmon (RN). Je vous remercie également pour votre présence et vos témoignages. J’aurai deux questions.

Premièrement, vous avez inclus le web dans votre définition des médias. J’aimerais donc savoir si vous vous occupez de cas ayant trait aux réseaux sociaux – cas qui, j’imagine, sont nombreux ?

Deuxièmement, êtes-vous sollicités par des personnes concernées par des faits prescrits légalement ? Si oui, comment aidez-vous les victimes qui se trouvent dans cette situation ?

Mme Emmanuelle Dancourt. Pour répondre d’abord à Mme Youssouffa, je ne suis allée qu’une fois dans les locaux de TF1 : le soir de mon agression. Je ne comprends toujours pas pourquoi je n’ai pas été protégée, alors que le droit du travail oblige une entreprise à protéger ses salariés, ses stagiaires, ses sous-traitants, ses visiteurs. Et je ne suis pas la seule, loin de là ! Le fameux « coup du plateau », PPDA l’a fait à de nombreuses personnes. Je continue donc de me demander pourquoi TF1 n’a pas lancé d’enquête interne, car de nombreuses personnes ayant connu Patrick Poivre d’Arvor y travaillent encore. Beaucoup ont dit ne pas savoir qu’il commettait des viols, alors que tous les soirs, il faisait venir une nouvelle femme sur le plateau. Ils auraient donc pu se poser des questions, d’autant que la direction savait : Muriel Reus avait alerté Patrick Le Lay.

S’agissant des reportages, pour en avoir fait pendant dix ans pour France 3, il est vrai que l’on se trouve complètement satellisé hors de la station, avec une équipe réduite ; c’est le principe. S’il avait dû m’arriver quelque chose, je ne sais pas ce que j’aurais fait ; c’est une bonne question ! Les directions des ressources humaines (DRH) disent souvent que personne n’est venu les voir, mais c’est bien le dernier endroit auquel je penserais, compte tenu de leurs liens avec la direction. Nous voyons bien que les enquêtes internes menées par de grands groupes télévisuels souffrent de biais. Quant aux syndicats, encore faut-il savoir qu’ils sont formés à la question et qu’ils s’en emparent. Les cellules sont-elles assez visibles et les référents assez formés ? Florent Pommier en parlait plus tôt.

Il faudrait donc certainement que les différentes associations – et pas seulement la nôtre – soient davantage présentes, et donc qu’elles aient davantage de moyens pour se professionnaliser et pour embaucher. À cet égard, le changement d’échelle qu’est en train de connaître #MeTooMedia n’est pas sans enjeux. Pour l’heure, nous sommes tous bénévoles et nous sommes exténués !

M. Florent Pommier. En ce qui concerne les reportages, de petites choses ont été réalisées par des grands groupes, comme Radio France, notamment pour les pigistes réguliers. Nous pourrions néanmoins réfléchir à un dispositif national, qui consisterait en un numéro unique pour la presse, les arts, la culture, et qui serait accessible par n’importe qui, à n’importe quelle heure, même la nuit si possible, en cas d’agression ou de viol lors d’un reportage, d’une mission, d’un tournage. Nous pourrions nous inspirer de la cellule d’écoute de la mutuelle Audiens, avec laquelle nous travaillons, ou encore du 3919.

J’ajoute qu’il serait préférable d’éviter, voire d’interdire que des professionnels se logent mutuellement. Il est évidemment plus cher de payer un hôtel ou une auberge de jeunesse à quelqu’un qui se déplace, mais l’hébergement gratuit peut donner au bénéficiaire l’impression d’être redevable. Je ne vous fais pas un dessin : la personne accueillie est invitée à aller sur le canapé ou dans le lit de celui chez qui elle se trouve.

Mme Emmanuelle Dancourt. Comment changer les choses, demandait ensuite Mme Melchior. La première réponse qui me vient spontanément est d’inclure davantage de femmes dans les instances de direction. Non que les femmes soient parfaites, mais nous revenons toujours à cette question. C’est un problème que vous connaissez par cœur. Dans l’armée, que je connais bien également, les choses sont tout à fait flagrantes. Où sont les femmes ? Où sont-elles chez Altice Media, groupe pour lequel je travaille ? Où sont-elles à TF1 ? Certes, Catherine Nay en a fait partie, mais encore faut-il que les femmes soient « déconstruites » pour utiliser le terme consacré, et qu’elles soient très au fait de ce sujet.

Les personnes en postes sont également insuffisamment formées. C’est pourquoi nous proposons des formations aux rédactions, aux sociétés de production, aux écoles de journalisme, avec un programme très intense de deux jours. Nous montrons comment traiter les violences sexistes et sexuelles, aussi bien au sein des structures que dans les articles ou les reportages. Nous expliquons comment interviewer une personne mise en cause, une victime, les mots qui sont à utiliser, comment éviter d’être attaqué en diffamation, etc.

Cependant, ces formations devraient aussi concerner les instances dirigeantes. Quand nous sommes allés sur le tournage de cette grande série télévisée, nous avons passé trois heures avec les managers pour leur rappeler leurs devoirs. Par exemple, nous leur avons demandé ce qu’ils doivent faire si une victime d’agression ou de viol vient les trouver. Ils ont répondu qu’ils devaient l’extraire du tournage, alors que c’est exactement le contraire ! C’est bien l’agresseur présumé qui doit être sorti, par des mesures conservatoires. Or ils ne sont même pas au courant, car ils ne sont pas formés.

M. Florent Pommier. Au-delà de la formation, c’est de sensibilisation dont nous avons besoin, car une fois formé, il faut appliquer ce qu’on a appris. Si on est sensibilisé, on sait que ce n’est pas la victime qu’il faut écarter. D’ailleurs, le réalisateur d’un film vient d’être contraint par la production de rester chez lui pour une affaire de ce genre. Comme quoi, les choses changent ! Voilà ce qu’il faut systématiser.

Mme Emmanuelle Dancourt. Il va faire le montage à distance !

Ensuite, Mme Anthoine nous a demandés quel était l’impact de notre collectif. Il est énorme ! Je ne sais pas si nous sommes efficaces, mais il est certain que nous sommes féconds. Vous avez d’ailleurs devant vous le premier adhérent de #MeTooMedia. Florent Pommier postulait déjà que l’association n’était pas encore créée. Je l’ai vu se reconstruire petit à petit, pouvant compter sur nous quand ça n’allait pas. Et maintenant, chose admirable, c’est lui qui est là pour les autres.

Nous avons vu beaucoup de victimes se remettre debout. Dans deux jours, un article va sortir au sujet d’une personne aidée par #MeTooPhoto. Si vous saviez dans quel état elle se trouvait en octobre ; aujourd’hui, c’est une guerrière ! Elle a trouvé des gens pour la rassurer, du soutien, de l’aide très concrète.

Nous ne croyons qu’aux actes ; les longs discours, nous les laissons à d’autres. Tous nos collectifs, au-delà du seul #MeTooMedia, sont organisés autour des victimes, et notre impact, je le redis, est énorme ! Il semblerait d’ailleurs que l’implication de l’association dans une affaire permettrait d’accélérer l’instruction du dossier. Nous en sommes très heureux.

Quant à l’inversion des situations, elle progresse, car les victimes osent davantage s’exprimer. Elles nous voient libérer nos propres paroles, si bien que le silence dont nous parlions est en train d’exploser. Souvent, les victimes nous disent que nous avons fait éclater leur bulle de solitude et que, désormais, elles parlent.

M. Florent Pommier. Parler – pas forcément publiquement, ni tout le temps, partout – est extrêmement important, car c’est la première porte que l’on ouvre pour soi-même. Rappelons d’ailleurs que le silence, l’omerta, est l’allié des agresseurs. Le simple fait de parler, que ce soit à des gens de confiance ou à des associations de victimes, ouvre un champ de reconstruction majeur. C’est un pas immense que franchit la personne.

Le législateur gagnerait d’ailleurs à accompagner ce phénomène, en donnant des moyens aux associations d’écoute, ou encore en sanctuarisant ceux du 3919, de sorte que la structure ne se retrouve pas dans des situations comme celle qu’elle a connue il y a quelques mois. Il ne faut pas s’y tromper : ce sujet doit être pris à bras-le-corps et bénéficier de budgets sanctuarisés.

Mme Emmanuelle Dancourt. Mme Anthoine nous interrogeait également sur l’impact des formations que nous dispensons. Au bout de deux jours avec nous, les étudiants sont rincés ! Nous leur faisons refaire de nombreux reportages, de nombreuses interviews problématiques, de nombreux articles. Le second après-midi, nous les plaçons devant un cas réel, en leur faisant jouer chaque rôle : le journaliste, le syndicaliste, la défense de la victime, etc. Mais à la fin, ils sont incapables de partir.

Lors de la dernière formation à laquelle j’ai participé, à Dijon, ils ne voulaient plus sortir de la salle et sont restés une heure de plus – surtout les garçons d’ailleurs – à discuter. Jamais personne ne leur avait parlé aussi crûment de la chose. Nous sommes très directs. Et il s’agit de la seule formation assurée par des personnes qui sont à la fois journalistes et victimes. Nous commençons le programme comme des professionnels, puis, si nous le sentons, le deuxième jour, une fois qu’ils se sont attachés à nous, nous leur parlons de nos histoires. Nous leur disons qu’ils ne peuvent rien faire pour nous, car nous allons bien, mais qu’un jour, ils pourront aider quelqu’un de leur entourage et qu’en tant que journalistes, ils seront nécessairement confrontés à une victime et qu’il faudra savoir réagir. Ainsi, au-delà de la commission étudiante que nous avons créée, nous voyons que nos formations ont une grande incidence.

M. le président Erwan Balanant. En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas encore rincés ! Cela étant, une fois que vous aurez répondu à M. Salmon, nous prendrons les deux dernières questions, de Mme Poueyto et de Mme la rapporteure.

Mme Emmanuelle Dancourt. Pour répondre à M. Salmon, des cas liés aux réseaux sociaux, nous n’en avons pas. Cela ne nous est pas encore tombé dessus !

Quant aux affaires prescrites, nous les considérons de la même manière que celles qui ne le sont pas, car il est tout de même possible de déposer une plainte. De plus, ce sont souvent les victimes de faits prescrits qui font émerger la parole des autres, car elles sont exposées à des conséquences moins importantes. Non que ces personnes servent de paratonnerre, mais elles ont bien conscience qu’elles peuvent libérer la parole, ce qui est très important.

M. Florent Pommier. À ce propos, j’estime que c’est le moment de faire évoluer la loi, afin d’établir une prescription glissante. Pour un même auteur présumé, une victime de faits non prescrits doit permettre de rouvrir tous les dossiers qui le seraient. En effet, je ne vois pas pourquoi certains faits seraient disqualifiés au motif qu’ils sont trop anciens quand d’autres, similaires, ne le sont pas. Tous les dossiers doivent peser à charge contre les agresseurs, même s’il revient évidemment ensuite au magistrat de se prononcer en toute indépendance.

M. le président Erwan Balanant. Je précise que le principe de la prescription glissante a été voté uniquement en ce qui concerne les actes à caractère sexuel commis à l’encontre de mineurs. L’extension de ce principe aux personnes majeures est une piste de réflexion.

Mme Emmanuelle Dancourt. Oui, introduire une prescription glissante pour de telles affaires serait très important, d’autant que cela existe déjà pour les mineurs. Avec une telle mesure, des affaires comme celle qui concerne Patrick Poivre d’Arvor prendraient une autre dimension.

Mme Josy Poueyto (Dem). Je reviens au tournage de la grande série sur lequel vous vous êtes rendus. Comment décidez-vous de vous déplacer ? Est-ce parce que des faits vous sont signalés ?

Par ailleurs, que pensez-vous du boycott des séries ou des films dont le tournage aurait été le lieu de faits répréhensibles ? Les sociétés de production ont besoin de spectateurs. Une mauvaise publicité, notamment sur les réseaux sociaux, où il est facile de le faire, pourrait peut-être avoir un impact. Je suis même prête à m’y mettre ! Pourquoi, en effet, ne pas faire appel à ceux qui se trouvent de l’autre côté de l’écran et qui, comme moi, ne se posent pas la question. S’agissant du mouvement #MeToo des armées, nous étions déjà sensibilisés à la question. Mais là, le secteur a trait au ludique, au plaisir. Il faut des auditions comme celle-ci pour réfléchir ne serait-ce qu’à la manière dont les scènes sont tournées.

Mme Emmanuelle Dancourt. Nous avons été appelés pour faire de la prévention. Cela a commencé par une journée de formation au siège de l’entreprise, puis nous sommes allés sur le tournage de la série. Il n’y a pas eu de signalement préalable mais, comme toujours, une fois que nous avons été sur place, des cas sont remontés, certains ayant déjà été communiqués aux référents du tournage, et d’autres non. Peut-être, d’ailleurs, est-ce parce que nous sommes des acteurs extérieurs que des personnes sont venues nous rapporter des faits et nous demander conseil. Nous avons d’ailleurs suggéré à certains de porter plainte, leur proposant de les accompagner. Je précise que nous allons être rappelés par cette entreprise, qui veut répéter cette formation. Ses dirigeants avaient entendu parler de nous dans les médias.

Par ailleurs, il est vrai que quand on regarde un film ou une série, on ne pense pas aux conditions de tournage. Nous sommes tous effarés de découvrir ce qui s’y passe. Des organismes comme l’Association des acteur.ices (ADA) ou comme le collectif 50/50 sont très à l’avant-garde du combat pour la présence de véritables référents, qui soient indépendants des producteurs et formés en conséquence. Nous comptons sur vous pour généraliser ce fonctionnement.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Vous avez dit que le silence est l’allié des agresseurs. À cet égard, j’ai cru comprendre que vous étiez partisans de l’élargissement aux majeurs du principe de prescription glissante que nous avons introduit s’agissant des viols et des agressions sexuelles commis contre des mineurs. En ce qui me concerne, je vais encore plus loin en plaidant, dans le cadre d’une proposition de loi, pour l’imprescriptibilité de ces crimes sexuels commis contre les mineurs.

Nous savons que les poursuites judiciaires aident les victimes à se reconstruire : ce fut votre cas. La question de la prescription revient-elle souvent chez celles que vous accompagnez depuis maintenant trois ans ?

M. Florent Pommier. Je ne donnerai évidemment pas de nom, mais j’ai l’exemple d’une personne qui a connu une amnésie de quarante ans. À l’âge de 55 ans, tout est remonté, quand son fils a atteint l’âge où il avait été violé. Or il fait face à un mur sur le plan judiciaire.

Nous sommes assez nombreux et nombreuses, au sein des associations de lutte contre les violences sexuelles, à souhaiter porter le délai de prescription à cinquante, soixante ou soixante-dix ans après la majorité, afin de rendre les faits imprescriptibles en pratique.

Mme Emmanuelle Dancourt. C’est un sujet dont nous parlons tout le temps. Lors de l’affaire PPDA, j’ai beaucoup regretté d’être concernée par la prescription, car si cela n’avait pas été le cas, j’aurais eu un impact bien plus important. Beaucoup d’avocats ne veulent pas toucher à ce principe, arguant que la prescription est utile à de nombreuses victimes pour se réparer. Au sein de l’association, tout le monde rêverait plutôt d’une imprescriptibilité des viols. S’agissant des mineurs, cela nous paraît une évidence, mais pour les majeurs également, car on met du temps à se réveiller. Tous les travaux sur la mémoire traumatique l’indiquent, la moyenne étant de trente ans pour prendre conscience de ce qu’on a vécu. S’agissant du viol et des agressions sexuelles, la moyenne s’élève respectivement à vingt ans et à six ans. Pour ma part, j’ai mis douze ans à me réveiller. Tant pis si nous fâchons nos avocats, mais nous sommes du côté des victimes.

M. le président Erwan Balanant. Je vous remercie pour cette audition. Ajoutée aux deux précédentes de l’après-midi, elle montre l’étendue de nos travaux à venir, ainsi que des réflexions que nous allons avoir afin de proposer des solutions concrètes. Vos témoignages nous fournissent des pistes importantes, et je rappelle que vous pouvez les compléter par des contributions écrites.

*

*     *

 

4.   Audition, ouverte à la presse, de membres du Collectif 50/50 : Mme Fanny De Casimacker, déléguée générale, Mmes Clémentine Charlemaine et Sophie Lainé Diodovic, membres du conseil d’administration.

M. le président Erwan Balanant. Chers collègues, je rappelle que les travaux de notre commission s’articulent autour de plusieurs axes et d’une ambition. Les axes incluent l’évaluation de la situation des mineurs et des majeurs dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. Nous devons identifier les mécanismes et les responsabilités permettant la perpétration et la perpétuation des violences et définir la responsabilité de chacun en la matière. Notre ambition est de formuler des recommandations pour améliorer la situation dans ces secteurs.

Mesdames, nous souhaiterions que vous présentiez, dans un court propos introductif, la genèse de votre collectif, ainsi que les nombreuses actions qu’il mène en lien avec les sujets de la commission d’enquête dans le secteur du cinéma. Nous aimerions également que vous expliquiez pourquoi, selon vous, la prise de parole en matière de lutte contre les violences est si difficile dans le cinéma français.

Dans un deuxième temps, notre rapporteure, Francesca Pasquini, vous posera un certain nombre de questions, ainsi que mes collègues.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Sophie Lainé Diodovic, Mme Clémentine Charlemaine et Mme Fanny De Casimacker prêtent successivement serment.)

Mme Fanny De Casimacker, déléguée générale du Collectif 50/50. Notre association, régie par la loi de 1901 et d’intérêt général, a été fondée en 2018. Je souhaite commencer par lire la déclaration d’intention des signataires, lors de sa création, en février 2018.

« Depuis quelques mois, nous nous demandons, collectivement, à l’initiative du Deuxième Regard, l’association qui préexistait au Collectif 50/50, comment transformer un moment en mouvement. Alors que le cinéma français n’a pas été ébranlé par l’onde de choc de l’affaire Weinstein, il nous semble essentiel d’avancer sur des mesures concrètes, qui dépassent le seul sujet des violences sexuelles. Nous pensons que la parité réduit les rapports de force. Nous pensons que la diversité change en profondeur les représentations. Nous pensons qu’il faut saisir cette opportunité de travailler à l’égalité et à la diversité, parce que nous avons la certitude qu’ouvrir le champ du pouvoir favorisera, en profondeur, le renouvellement de la création. Nous pensons qu’il faut questionner la répartition du pouvoir. Comment faire ? En challengeant nos institutions culturelles afin qu’en 2020, leurs conseils d’administration soient paritaires. Nous pensons aux institutions publiques, mais aussi aux groupes privés, aux syndicats professionnels, aux festivals, aux jurys, aux écoles de cinéma. Nous attendons des décisionnaires au cœur de ces instances une prise de conscience visant à la parité, la jeunesse, la diversité, que la pluralité réelle de notre pays soit davantage représentée. »

J’ai lu un extrait de cette déclaration pour illustrer le positionnement du collectif. Depuis quelques années, la lutte et la prévention contre les violences sexistes et sexuelles ont pris une place plus importante dans le débat public par rapport au combat global pour l’égalité et l’inclusion. Cependant, pour nous, il s’agit d’une même lutte, car il est impossible de dissocier notre combat quotidien pour une industrie plus égalitaire et inclusive de celui contre les violences. Aujourd’hui, le Collectif 50/50 rassemble environ mille adhérents, représentant toute la diversité des métiers de l’industrie, de la production à la distribution, en passant par les comédiens, les agents, les directeurs de casting. Notre association couvre l’ensemble de la filière du cinéma et de l’audiovisuel.

Nous comptons quatorze membres dans notre conseil d’administration, ainsi qu’une équipe permanente de trois salariés. Nos actions se divisent en quatre axes principaux. Premièrement, nous produisons des études chiffrées pour objectiver les perceptions et fournir un levier concret et non subjectif à l’ensemble de la profession et aux pouvoirs publics. Chaque année, nous publions plusieurs études chiffrées sur les questions de parité, de diversité et de représentation. Cela nous permet de dialoguer avec l’ensemble des acteurs de l’industrie et, à partir de ces constats, d’élaborer des mesures concrètes avec les pouvoirs publics. Par exemple, la première mesure créée par le Collectif 50/50 est le bonus parité, mis en place en 2019, pour inciter les équipes de production à un recrutement plus égalitaire au niveau des chefs de poste.

Deuxièmement, nous menons un travail de sensibilisation et d’accompagnement de toute l’industrie, des festivals aux syndicats, en passant par les écoles et les institutions. Nous créons des outils concrets pour accélérer le changement. Parmi ces outils, l’annuaire inclusif, la bible 50-50 permet de référencer des professionnels sous-représentés dans l’industrie et de les mettre en lien avec des recruteurs désireux d’adopter une démarche plus inclusive et paritaire dans leur recrutement.

Troisièmement, nous avons mis en place un programme de mentorat, qui permet de mettre en relation des jeunes intéressés par les métiers du cinéma et de l’audiovisuel avec des professionnels expérimentés. Cette mise en relation est essentielle, car nos métiers reposent sur des réseaux, avec des processus de recrutement peu classiques, reposant sur des codes et un fonctionnement souvent opaques, pour ceux qui ne font pas partie de la grande famille du cinéma.

Sur le sujet précis des violences sexistes et sexuelles, nous avons organisé, dès 2020, les premiers états généraux de prévention et de lutte contre ces violences, réunissant syndicats, associations féministes et institutions. À la suite de cette première édition, nous avons entrepris la rédaction du Livre blanc de lutte et de prévention contre les violences sexistes et sexuelles, conçu comme un guide pour les professionnels, qui, dès 2019-2020, se trouvaient complètement désemparés face à ces situations de violence. En 2022, ce Livre blanc a donné naissance à un kit de prévention, élaboré conjointement avec les Comités centraux d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CCHSCT) des secteurs du cinéma et de l’audiovisuel, comprenant des fiches pratiques pour aider les professionnels à agir et lutter contre ces violences.

Nous sommes fréquemment sollicités par les professionnels sur des questions de parité, d’égalité, d’inclusion, mais aussi de prévention des violences. En tant qu’association ressource, nous accompagnons l’ensemble de la filière sur ces divers sujets. Nous œuvrons également à la mise en place de formations sur les violences sexistes et sexuelles. Depuis plusieurs années, nous avons assisté le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) dans l’instauration de formations obligatoires pour les dirigeants d’entreprises de production, de distribution et d’exploitation. Actuellement, nous les accompagnons dans la mise en place de formations obligatoires pour l’ensemble de la profession, incluant non seulement les dirigeants, mais aussi les intermittents et les intermittentes, les salariés et tous les acteurs des secteurs du cinéma et de l’audiovisuel.

M. le président Erwan Balanant. Pourquoi, selon vous, la prise de parole en matière de dénonciation des violences est-elle si difficile en France. Les violences y sont-elles peut-être moins traitées que dans d’autres pays ?

Mme Clémentine Charlemaine, membre du conseil d’administration du Collectif 50/50. Le cinéma, bien que spécifique, n’est pas le seul domaine concerné par les questions traitées dans cette commission d’enquête. En effet, ce qui est acceptable ou non au nom de l’art est une problématique très particulière. Cependant, les violences sexistes et sexuelles ne sont pas exclusives à un secteur. Il en va de même des violences morales. Vous comprenez certainement de quoi il s’agit. Le cinéma ne se situe pas en dehors de la société.

La production de films, en particulier dans l’industrie que nous connaissons, passe par différentes étapes. Certaines de ces étapes entraînent un certain isolement, comme l’écriture de scénarios ou, parfois, la post-production, où les personnes impliquées travaillent en petit nombre et souvent seules. D’autres moments, comme les tournages, sont des périodes de travail en groupe. Lorsque l’on tourne dans une région différente de celle où l’on réside habituellement, cela peut ressembler à une grande colonie de travail, où chacun œuvre dans une bulle, au service d’un projet commun.

Le système de production cinématographique est très hiérarchisé et pyramidal, avec des amplitudes horaires importantes, parfois des horaires décalés. En discutant avec des psychologues du travail, nous avons constaté que tous les facteurs de risque sont réunis dans le milieu du cinéma. Ces facteurs incluent des horaires décalés, une certaine précarité due au statut d’intermittent, où chaque tournage peut influencer la carrière future de chaque membre de l’équipe. Cet isolement des proches et la réalité quotidienne du travail sont également des éléments à prendre en compte.

La majorité des travailleurs et travailleuses du secteur cinématographique sont initialement engagés par passion. Cet engagement impliquerait souvent une implication totale. Si vous assistez, un jour, au premier jour d’un tournage, vous constaterez que c’est fascinant, voire émouvant, de voir toute une équipe se mettre en place, chacun connaissant bien son poste. Le cinéma fonctionne avec une hiérarchie stricte et des codes spécifiques, et lorsque chacun connaît son travail, tout le monde sait exactement où se placer et, surtout, se met collectivement au service d’une œuvre. Dans le cinéma d’auteur, l’objectif est de donner vie à la vision du réalisateur ou de la réalisatrice, et toute l’équipe se concentre sur cet objectif.

Donc, au nom de l’art, on tend à excuser des désagréments, des comportements abusifs, voire violents, comme si c’était le prix à payer. J’ai très souvent entendu des réalisateurs discuter de tournages compliqués et conclure par : « Oui, mais, de toute façon, à la fin, il n’y a que les films qui restent ». Ces dernières années, je n’ai plus entendu ce propos, peut-être en raison de mon engagement personnel. Cependant, il est indéniable que cette réponse a longtemps été une manière de justifier des périodes de travail violentes, en les minimisant comme de simples mois de tournage. Or, ces quelques mois peuvent suffire à briser des vies. Et il est sidérant de penser que, sous prétexte que le film reste, les souffrances endurées seraient négligeables.

Les films qui demeurent sont souvent perçus à une grande échelle, vue de l’extérieur. Cependant, lorsqu’on se trouve à l’intérieur, on peut se retrouver victime ou complice de comportements abusifs, simplement parce que l’on ne sait pas comment réagir ou que l’on en est spectateur. Il est difficile de savoir comment agir face à ces comportements. Il semble insensé de nos jours de laisser ces situations perdurer en se disant simplement que les films resteront. Il existe une véritable confusion entre la liberté de création et la liberté d’agir sans limites, au détriment de celles et ceux qui travaillent au service de l’œuvre. Il ne faut pas oublier que la passion reste un moteur essentiel, c’est ce qui pousse chacun à continuer. Néanmoins, il est impératif de respecter les limites de chaque individu.

Par ailleurs, certaines spécificités du milieu cinématographique incluent des figures emblématiques d’acteurs, d’actrices, de réalisateurs et de réalisatrices, qui sont souvent considérées comme intouchables. Légalement, les chefs de tournage sont les producteurs ou les productrices. Cependant, dans la pratique, la plupart des personnes engagées sur un tournage estiment travailler au service du réalisateur ou de la réalisatrice. En réalité, ce climat, avec une personne qui est une icône, contribue à renforcer un système de protection des auteurs de violences, au détriment de la protection des victimes. Parce que ces individus, bien que responsables de violences, sont également adulés par ailleurs.

Il est essentiel de comprendre que les amis des uns peuvent être les abuseurs et les abuseuses des autres. Une personne n’est jamais abusive à 100 % du temps, cela n’existe pas. La plupart des individus abusifs sont également très sympathiques avec d’autres. Dans le domaine du cinéma, on entend souvent « je le connais » ou « je la connais », et cette personne est très agréable avec vous. Cela peut être dû à votre position, qui ne vous expose pas à une vulnérabilité susceptible de conduire à des abus.

Un autre point concerne la relativité des comportements abusifs. Dans le cinéma, les rapports de domination attirent de nombreuses personnes occupant des positions de pouvoir parfois abusives. Et la plupart des professionnels doivent leur carrière à des personnes qui, même si elles n’ont pas été abusives envers eux, l’ont été envers d’autres. Cela rend donc difficile de se positionner publiquement contre une personne qui nous a aidés, même si l’on sait qu’elle a détruit une autre personne. Je parle ici des violences dans leur ensemble, car cela s’applique à toutes les formes de violences.

Mme Sophie Lainé Diodovic, membre du conseil d’administration du Collectif 50/50. Il est important de préciser que notre travail se déroule sur une période courte. En effet, lorsque l’on travaille sous un contrat de huit semaines, cela favorise les abus, puisqu’il suffit de se taire pendant ces huit semaines, puis de reprendre notre vie normale. Cette durée brève est spécifique à nos métiers. Le lien de subordination est immense, car notre abuseur peut être notre supérieur direct. Nous sommes tous des assistants de quelqu’un, ce qui ouvre la porte à de nombreux abus.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Un point m’intéresse particulièrement, car nous avons entamé les auditions la semaine dernière et nous avons rencontré des difficultés à obtenir des chiffres. Il est intéressant que les études chiffrées fassent partie de votre travail.

Pourriez-vous nous indiquer si, au cours de vos années d’activité, vous avez collecté des témoignages de victimes de violences sexistes et sexuelles ? Si oui, avez-vous des chiffres concernant le nombre de témoignages recueillis ? J’aimerais, également, en savoir plus sur le profil des personnes concernées ? S’agit-il principalement d’actrices et d’acteurs, ou de personnes travaillant sur les tournages ? Parmi ces dernières, y a-t-il des catégories de personnel plus touchées que d’autres ? De plus, quel type de violences ces personnes subissent-elles, puisque notre commission d’enquête couvre tous les types de violences ?

Également, quelles sont les spécificités de ces violences dans les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel. Vous avez mentionné brièvement que certains moments des tournages, où les équipes sont en petits groupes seraient particulièrement propices aux violences ? Vos travaux et les témoignages que vous avez recueillis suggèrent-ils d’autres moments de vulnérabilité à signaler ?

Par ailleurs, proposez-vous un accompagnement psychologique et judiciaire aux victimes qui témoignent auprès de vous ? Si tel est le cas, pouvez-vous nous éclairer sur les difficultés auxquelles ces victimes sont confrontées, tant dans le domaine judiciaire que dans leur environnement professionnel ?

Madame Diodovic, vous êtes également directrice de casting, ce qui nous intéresse particulièrement. Pouvez-vous nous indiquer s’il existe des défaillances spécifiques à ce moment précis, notamment en ce qui concerne l’organisation et le manque de clarté, étant donné l’absence de contrat signé entre les candidats aux castings et la production ? Quelles améliorations préconiseriez-vous ?

Enfin, pourriez-vous décrire la situation des mineurs dans le monde du cinéma, un aspect également couvert par notre commission d’enquête ? Quels sont leurs conditions de travail, leurs horaires et les accompagnements prévus lors des castings et des tournages ? Avez-vous aussi eu connaissance de violences spécifiques commises à leur encontre ?

Mme Sophie Lainé Diodovic. En ce qui concerne l’accompagnement et les témoignages que nous recevons, il est important de préciser que le collectif n’est pas une cellule d’écoute. Nous ne recueillons donc pas de témoignages et ne réalisons pas de statistiques à ce sujet. Cependant, la cellule d’écoute d’Audiens, que je vous recommande d’auditionner, dispose de chiffres. Depuis que Judith Godrèche s’est exprimée en février, les appels ont augmenté de 75 %. C’est le seul chiffre que je peux vous fournir aujourd’hui.

Notre objectif, et c’est la raison pour laquelle nous avons créé des outils, est d’orienter les victimes ou les témoins vers les personnes compétentes, car ce n’est pas notre rôle. Bien que nous ayons tous reçu une formation sur les violences sexistes et sexuelles (VSS) nous ne sommes ni psychologues, ni juristes, ni avocats. Nous renvoyons donc toujours les personnes concernées vers la cellule d’écoute d’Audiens pour les conseils psychologiques et juridiques, vers le CCHSCT ou encore vers les syndicats, car comme vous l’avez mentionné, les violences peuvent être morales et prises en charge par ces derniers. Notre travail au sein du collectif consiste à orienter les victimes ou les témoins vers les personnes compétentes.

Nous ne proposons donc pas d’accompagnement spécifique, hormis les outils déjà existants dans nos métiers, que nous espérons voir s’améliorer. Par exemple, il manque encore de personnels pour la cellule d’Audiens, ce qui la rend moins efficace.

En tant que référente VSS au sein du Collectif 50/50, je suis souvent sollicitée par des appels ou des courriels. Les témoignages que je reçois proviennent souvent de personnes vulnérables dans nos postes professionnels, comme les comédiennes ou comédiens jouant des petits rôles ou des seconds rôles dans le cinéma, ainsi que de jeunes techniciennes qui sont assistantes ou stagiaires. Je travaille avec de nombreux stagiaires, car le secteur du cinéma emploie massivement des stagiaires à tous les postes. Ces jeunes professionnels sont souvent ceux qui se manifestent en tant que victimes, se plaignant fréquemment de leur supérieur hiérarchique. Il ne s’agit pas uniquement des producteurs ou réalisateurs, mais aussi des chefs de poste techniciens. Quand j’évoque les violences en général et le rôle des syndicats dans la lutte contre les violences morales, j’encourage les victimes à se tourner vers les syndicats, car ils offrent une protection de nos droits.

En tant que directrice de casting, le casting est un moment particulièrement isolé et intime, étant un lieu de recrutement où l’on se retrouve seul avec un comédien ou une comédienne. Les sociétés de production ne nous fournissent pas toujours un cadre adéquat, parfois en raison de moyens financiers limités, ce qui nous place parfois dans des environnements isolés. Cette situation peut faciliter les abus, car un environnement mal encadré permet les comportements maltraitants.

Je fais partie de l’association ARDA, que vous allez auditionner prochainement. Nous avons élaboré une charte de déontologie, en collaboration avec les syndicats. Et grâce à un nouvel avenant signé récemment, désormais, certaines pratiques sont interdites lors des castings, comme demander aux comédiennes de se dénuder, ce qui pouvait exister pour recruter. Bien que je me sois toujours opposée à ces pratiques, je n’ai pas toujours réussi à les empêcher. J’ai été témoin de situations où un réalisateur demandait à une actrice de se dénuder sans l’avoir prévenue, ni moi-même, d’ailleurs. Ces pratiques ne devraient plus être possibles dorénavant, à condition que les producteurs veillent au respect de ces nouvelles règles, afin de garantir un cadre plus sécurisé pour nous tous. Il s’agit souvent d’une question de financement, louer des bureaux adéquats, s’assurer d’un comportement approprié, ne jamais être seul avec les comédiens et garantir leur droit d’être accompagnés. Ce dernier droit a été inscrit dans l’avenant à la convention collective.

En ce qui concerne les mineurs, je travaille également beaucoup avec des enfants. Actuellement, je mène un casting pour des enfants de 6 à 11 ans. Je laisse la porte ouverte lorsque je fais passer des auditions à des enfants, afin que les parents puissent entendre ce qui se passe dans la salle de casting. Je ne les fais pas entrer dans la salle, car les enfants n’aiment pas jouer devant leurs parents, ce que je comprends parfaitement. Toutefois, je tiens à ce que les parents puissent entendre toutes les interactions, car il arrive que des enfants de cet âge pleurent soudainement par peur ou par manque d’envie. Il est important que les parents en soient conscients, car ils ne réalisent pas toujours que l’enthousiasme manifesté à la maison peut disparaître face à une inconnue et son assistante. Je souhaite que les parents ne forcent pas leurs enfants en leur rappelant qu’ils étaient moins timides à la maison.

Mme Clémentine Charlemaine. Concernant les caractéristiques et les conditions dans lesquelles se déroulent les tournages, il est important de préciser plusieurs éléments. Tout d’abord, comme Sophie l’a décrit pour les castings, il existe une forte territorialisation sur les lieux de tournage. Chaque espace est dédié à un corps de métier spécifique, les loges, les camions, les stocks, etc. Cela crée un rapport très territorial au travail, avec un petit côté : « c’est mon espace, c’est ma loi ». Nous militons constamment pour une meilleure prévention, mais cette territorialisation est tellement ancrée culturellement dans la manière de se déplacer sur les tournages qu’elle est omise, la plupart du temps. En cas d’abus, la chorégraphie quotidienne de la gestion des espaces rend difficile pour les victimes d’éviter les lieux problématiques. Les routines des tournages sont très établies, ce qui complique leur modification.

Enfin, il ne faut pas oublier que le cinéma, tout comme le théâtre ou l’industrie de la mode, est associé à une certaine culture de la fête. Les membres de ces communautés partagent souvent un état d’esprit similaire, ce qui crée une bonne ambiance générale et une envie de se détendre après une journée ou une semaine de travail intense. La culture de la fête est profondément enracinée dans le monde du cinéma. Cette ambiance festive est bien acceptée, mais elle masque un tabou majeur autour de la consommation de substances psychoactives. Cela va de la consommation d’antidépresseurs, utilisés par des personnes en souffrance et épuisées par leur travail, ou d’anxiolytiques, jusqu’à l’usage régulier d’alcool et de drogues plus ou moins dures.

On évoque souvent les violences, mais rarement cette question de la consommation de drogues, d’alcool et de médicaments, pourtant généralement périphérique à de nombreux débordements. Presque chaque fois qu’un comportement problématique nous est rapporté, la personne accusée était sous l’emprise d’une substance. Ce tabou persiste et, avec le Collectif 50/50, nous avons commencé à travailler sur cette question, parce que, lors des assises de décembre 2023, nous avons constaté que ce sujet préoccupait de nombreuses personnes. Il existe une sorte de camaraderie qui rend difficile de se couper de cette culture de la fête. On craint de devenir celui ou celle qui gâche la fête en dénonçant des comportements inappropriés. Ces questions sont omniprésentes, mais rarement abordées lors des festivals, en faisant de la prévention.

Il est essentiel de rappeler que, dans le cadre d’un tournage, la responsabilité juridique des comportements déviants incombe aux producteurs. Ces comportements ont un impact sur notre travail collectif. Depuis quelques années, ces questions émergent, notamment dans le contexte des tournages. Cependant, l’industrie du cinéma englobe tout, de l’écriture à la diffusion, et les festivals ne font pas exception. Nous avons fortement incité le Festival de Cannes, notamment, à renforcer son affichage. En effet, la prévention doit concerner non seulement les potentielles victimes, mais aussi les potentiels agresseurs. Cela peut sembler simple, mais afficher derrière chaque porte de toilette des messages tels que « comportement correct exigé », « tolérance zéro pour les abus » ou encore « si vous êtes victime de telle violence, contactez telle cellule, disponible de telle heure à telle heure », permet à certaines personnes de se sentir protégées. Parallèlement, cela rappelle à ceux qui pourraient avoir des comportements inappropriés qu’ils doivent se modérer.

Mme Sophie Lainé Diodovic. Effectivement, dans les spécificités évoquées précédemment, il est important de noter que nous travaillons souvent en région, en dehors de notre lieu de domiciliation. Le soir, en semaine, ces déplacements sont propices à des comportements violents, car on oublie que l’on reste dans un cadre professionnel. Ces moments sont souvent plus festifs et l’on ressent le besoin de boire un verre pour se détendre. Ce besoin de consommer de l’alcool dans nos métiers est préoccupant, car l’alcool sert justement à la décontraction pour faire face au stress et à la fatigue. Ce qui soulève la question de savoir pourquoi nous avons autant besoin de nous détendre après la journée de travail. Cela reflète la dureté de notre métier. Bien que ce métier fasse rêver et soit souvent fantasmé, on oublie que les petites mains de ce secteur, que l’on appelle les ouvriers, travaillent dur. Ce travail est physiquement très fatigant et épuisant.

M. le président Erwan Balanant. J’ai relevé un paradoxe intéressant dans nos débats. Vous évoquez la chorégraphie, ce qui implique une codification, et il apparaît qu’il existe une codification informelle dans ce milieu. Je connais quelque peu ce domaine et, comme vous l’avez mentionné, chacun y déclare « c’est mon espace, c’est ma loi ». Et on a l’impression que la loi de la République qui existe, en l’occurrence le code du travail, n’est pas du tout appliquée. Aujourd’hui, sur un tournage, le chef n’est pas le responsable légal. En effet, dans le modèle français, le réalisateur est le chef sur le plateau, mais le producteur est le responsable au regard du droit du travail.

J’aimerais connaître votre avis sur ces deux sujets. Pensez-vous que le code du travail actuel est suffisant ? Ne devrait-il pas être adapté à certains métiers, comme cela se fait parfois, dans le cinéma et le champ de notre étude ?

Mme Sophie Lainé Diodovic. Notre convention collective pallie parfois les lacunes du code du travail, plus général. Cependant, la réalité est qu’il y a une multitude de chefs. Le réalisateur est considéré comme un chef, alors qu’il n’en est pas un. Je faisais référence aux chefs de poste, au chef opérateur, à l’ingénieur du son. En tant que directrice de casting, j’ai une assistante. Donc, le problème réside dans le fait que nous sommes chefs, avec un lien de subordination, mais sans aucune responsabilité réelle. Cela peut effectivement poser problème.

Concernant les territoires, par exemple, les loges sont des lieux où l’abus peut être très fort. Par exemple, si un acteur souhaite se comporter de manière exhibitionniste ou importuner sa maquilleuse pendant qu’elle le maquille, il le fait sans difficulté, car c’est perçu comme son espace de détente. Le HMC (Habillage, Maquillage, Coiffure) est l’endroit où se trouvent tous les autres acteurs, à l’exception des acteurs et actrices très connus qui ont accès aux loges. Les autres acteurs, ainsi que les figurants, sont regroupés dans un coin, sans considération pour leurs conditions de travail. Tout cela fonctionne mal.

Les producteurs et productrices de notre secteur ont oublié qu’ils sont des chefs d’entreprise. Aujourd’hui, on est en train de leur rappeler cette réalité. En tant que membre d’un syndicat, j’ai l’occasion de leur expliquer qu’ils ne sont pas de simples collaborateurs, mais bien nos employeurs. Il est essentiel de rappeler aux producteurs et productrices le contenu du code du travail. Ce dernier est suffisant pour encadrer leurs responsabilités en tant qu’employeurs. En choisissant cette profession, ils assument de grandes responsabilités. Souvent, ils semblent avoir opté pour ce métier, comme tout autre métier du cinéma, sans pleinement mesurer l’importance de leur rôle d’employeur. J’ai souvent observé que les producteurs et productrices se souviennent de leur statut d’employeurs principalement lorsqu’ils rencontrent des problèmes. Lorsqu’il s’agit de discuter des salaires, ils se rappellent soudainement qu’ils sont employeurs. Je pense que la plupart d’entre eux réalisent progressivement qu’ils dirigent une petite entreprise et que cela implique de nombreuses responsabilités.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je souhaite revenir sur le processus de casting, en particulier celui concernant les enfants. Si je comprends bien, il n’existe pas de formation spécifique pour encadrer les auditions des enfants. Pensez-vous que ce soit un point important à travailler ? La manière de s’adresser à un enfant est différente de celle employée avec un adulte. Par exemple, si un enfant exprime son désir de ne plus participer à un casting, il est essentiel de respecter sa volonté et ce qu’il peut exprimer, sans insister. D’ailleurs, je m’interroge sur le parcours pour devenir directeur ou directrice de casting. Existe-t-il une formation spécifique pour ce métier ?

En ce qui concerne la société de production, qui détient la responsabilité légale, mais qui n’est pas toujours présente sur les tournages, pensez-vous qu’une présence accrue de la production serait bénéfique ? Cela permettrait de superviser le déroulement des événements, d’être à l’écoute des employés et de réagir rapidement en cas de problèmes, notamment, en cas de violences. Une telle présence pourrait faciliter la mise en place rapide de systèmes d’alerte efficaces.

Mme Sophie Lainé Diodovic. Il n’y a effectivement pas de formation spécifique ou de certification pour le métier de directeur de casting. C’est parce que l’on a été formé à d’autres postes que l’on devient directeur ou directrice de casting. Pour la part, j’ai un bachelor en réalisation et j’ai toujours fait du théâtre, ce qui a rendu cette transition assez naturelle pour moi. J’ai commencé comme assistante de mise en scène, ce qui m’a permis de découvrir le plateau. Cependant, en tant que jeune femme de 24-25 ans, je n’ai pas apprécié cette expérience. Passionnée par les comédiens et les comédiennes, je suis venue au cinéma par ce biais, ayant à la fois joué et dirigé des acteurs. C’est ainsi que je me suis orientée vers le casting.

L’ARDA tente de pallier ce manque. On ne peut pas intégrer cette association professionnelle sans un certain parcours. L’ARDA cherche à créer une forme de labellisation qui compense l’absence de certification officielle, en exigeant un CV solide. Notre expérience professionnelle remplace en quelque sorte le diplôme. Sans cette expérience professionnelle, on ne peut pas rentrer à l’ARDA. Cette association a pour but de garantir que ses membres respectent une charte de déontologie et possèdent les compétences nécessaires pour exercer leur métier.

Au sein de l’ARDA, nous travaillons également sur une charte concernant le travail des mineurs, notamment sur la manière de les accueillir lors des castings et sur les plateaux de tournage. Nous avons mis en place de nombreuses mesures à ce sujet. Par exemple, je suis titulaire du brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (Bafa), mais je ne dispose pas d’un certificat spécifique pour caster les enfants. Si je devais suivre une formation d’une semaine avec l’AFDAS (Assurance formation des activités du spectacle) pour continuer à travailler avec des enfants, je n’hésiterais pas à la suivre, parce que je souhaite poursuivre dans le domaine du casting d’enfants. Ce travail diffère grandement de celui avec des acteurs professionnels adultes. Une grande part de psychologie est nécessaire.

Grâce à mon parcours, j’ai acquis ces compétences, mais je suis consciente que ce n’est pas le cas de toutes les personnes exerçant ce métier. Je trouve surprenant qu’il ne soit pas au moins nécessaire d’être titulaire du Bafa pour encadrer des enfants, surtout sur un tournage où la présence d’un responsable enfant est normalement obligatoire. Or, ce responsable n’est pas toujours présent et, lorsqu’il l’est, il n’est pas toujours expérimenté. Il s’agit d’un véritable manque, bien que des améliorations soient en cours. Cependant, il reste encore beaucoup à faire avec la commission des enfants du spectacle, qui ne prend peut-être pas suffisamment en charge ces aspects. Il ne s’agit pas seulement des heures de travail d’un enfant. J’ai constaté que la maltraitance ne réside pas dans le fait qu’un enfant travaille cinq heures au lieu de quatre. Lorsqu’il s’agit de manipuler un enfant dans le cadre d’un casting, il est essentiel de respecter son consentement.

Dès leur entrée dans mon bureau, je leur explique les différentes étapes du processus, ce qui leur permet de prendre le temps de réfléchir et de changer d’avis si nécessaire. Je leur rappelle constamment qu’ils ont le droit de revenir sur leur décision. Récemment, une petite fille m’a serrée dans ses bras à la fin de notre séance, car elle ne souhaitait plus participer au casting. Elle s’est mise à pleurer, et je lui ai immédiatement proposé d’arrêter. Je lui ai assuré qu’elle avait le droit de changer d’avis et que si elle souhaitait revenir la semaine suivante, elle serait la bienvenue. Si elle ne voulait plus jamais revenir, elle en avait également le droit. En agissant ainsi, j’ai simplement accompli mon devoir. Cette enfant m’a remerciée chaleureusement d’avoir respecté son consentement et reconnu son droit de ne plus vouloir participer, tout en lui laissant la possibilité de changer d’avis ultérieurement. Le fait qu’elle m’ait pris dans ses bras pour exprimer sa gratitude montre à quel point les enfants sont rarement écoutés. Lorsqu’on leur accorde le droit de dire non, cela a un impact profond sur eux.

Mme Clémentine Charlemaine. Je souhaite apporter une précision concernant les formations. En réalité, la majorité des professionnels de ce secteur ont acquis leurs compétences de manière empirique. Cela s’applique également aux producteurs. Bien qu’il existe des formations spécifiques à la production, la plupart des producteurs n’ont pas nécessairement étudié le droit avant d’exercer leur métier. Il existe une véritable méconnaissance du droit du travail dans ce domaine. Lorsque vous évoquiez l’insuffisance du droit du travail, en réalité, ce qui fait défaut, c’est la connaissance que le secteur en a.

M. le président Erwan Balanant. J’entends vos explications, mais lorsque vous êtes chef d’entreprise, dans toutes sortes métiers, vous n’avez pas nécessairement cette connaissance. Or, vous devez respecter des obligations légales en tant qu’employeur. C’est peut-être sur ce point qu’il serait pertinent de travailler.

Nous venons d’évoquer les certifications et l’éventualité d’obtenir des diplômes. Aujourd’hui, de nombreux métiers exigent un diplôme spécifique pour être exercés, y compris par la voie de la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE). Seriez-vous favorables à ce que, pour devenir directeur de casting, il soit nécessaire d’obtenir une validation des acquis, un diplôme ou une formation diplômante ? Cette exigence devrait-elle également s’appliquer aux coachs pour enfants et à ceux qui accompagnent les enfants de manière générale ? Selon vous, ces professions devraient-elles être mieux encadrées ?

Mme Sophie Lainé Diodovic. J’aurais adoré que, durant ma formation en école de cinéma, une formation de directrice de casting me soit proposée, parce que je pense que je l’aurais suivie. Aujourd’hui, mon diplôme réside dans mes vingt ans de métier. J’espère que cette longue expérience est reconnue comme une forme de certification. Mais pour ceux qui débutent, je suis favorable, a minima, à l’idée de certifications. Comme l’a mentionné Clémentine, nous sommes nombreux à être autodidactes et à commencer par des stages. Dans nos métiers, la formation passe par le stage. Mon assistante actuelle a débuté en tant que stagiaire. Je lui ai enseigné les rouages du casting durant son stage de plus d’un mois. Après quoi, je l’ai embauchée comme assistante. Depuis trois ans, elle travaille à mes côtés, évoluant de stagiaire à assistante, et elle a appris le métier de casting sous ma tutelle. J’ai été sa formatrice, en réalité. Mon propre parcours a suivi un schéma similaire, j’ai été formée par ma directrice de casting lorsque j’étais assistante.

Travailler avec des professionnels compétents est essentiel. Cependant, certains de mes collègues ont eu des expériences difficiles avec leurs directeurs de casting, subissant parfois des maltraitances morales. Cette dynamique peut malheureusement conduire à reproduire ces comportements maltraitants, une fois que l’on atteint un poste de responsabilité. Cela constitue un véritable problème dans notre profession. Je suis favorable à la création d’un poste de responsable enfants, ou même un directeur de casting spécialisé pour les enfants. Tout comme j’aimerais qu’il y ait un référent anti-harcèlement, un poste à part entière et non une mission bénévole effectuée par des techniciens et techniciennes. Cette personne devrait être formée et présente dans tous nos métiers, à chaque étape.

La fabrication d’un film se déroule en trois phases, la préparation ou le développement, le tournage et la post-production, même si on ne parle généralement que du tournage. En préparation, je suis parfois impliquée dès la phase de développement, notamment pour le casting, car je recherche des acteurs connus pour financer le projet. En tout cas, cette phase est effectivement très complexe et s’effectue parfois sans contrat formel. Mais tout cela reste très flou, car il n’existe pas de règle établie dans la convention collective. C’est effectivement là où il y a encore des manques.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Je suis très heureuse que cette commission d’enquête existe et qu’elle permette d’approfondir ces sujets. Vous avez bien mis en lumière tous les paramètres qui se cumulent comme autant de facteurs de risque pour les violences, que ce soit la pression, la précarité des conditions de travail, etc. La dimension à la fois très hiérarchique, potentiellement informelle et festive, a également été évoquée. Nous avons beaucoup discuté des éléments de prévention et de vos préconisations en la matière.

Je souhaite revenir spécifiquement sur les constats que vous faites et les recommandations que vous proposez en matière de procédures lorsqu’un signalement survient. En d’autres termes, lorsque la prévention n’a pas fonctionné et qu’une violence a eu lieu, on se focalise souvent sur le plan judiciaire, avec un prisme pénal.

Ensuite, il y a la dimension du code du travail, que mon collègue Balanant a soulignée. Je reviens sur les mêmes questions, mais du point de vue du code du travail, on sait que l’employeur a une obligation de sécurité vis-à-vis de ses employés. Vous semblez indiquer que cette question n’est pas bien connue. Cependant, identifie-t-on correctement, lors d’un tournage, ainsi que dans la préparation et la post-production, qui est le responsable légal en matière de code du travail ? Il pourrait y avoir un problème de formation, mais aussi une difficulté à identifier les responsabilités.

Et au-delà de la question judiciaire, quelles bonnes pratiques constatez-vous et que préconisez-vous en matière de mesures de précaution ? Je parle ici de mesures à prendre avant et hors de toute décision de justice ou administrative. Je sais qu’il y a eu, récemment, des exemples de tournages où un protocole de confinement a été appliqué à un réalisateur accusé de violence. Est-ce une démarche que vous recommandez ? Cela pourrait-il être, au moins, intégré dans des chartes éthiques. Cela pourrait-il même être inscrit dans la loi ? Même s’il ne s’agit pas de déclarer quelqu’un coupable, mais pour établir qu’en cas d’accusations, un protocole doit être suivi, afin de protéger les éventuelles victimes et éviter que les violences se renouvellent.

M. Emeric Salmon (RN). Je vous remercie, mesdames, pour votre présence et vos éclaircissements. J’ai deux questions à poser. La première concerne la place des parents dans le cinéma, plus précisément lors des tournages. Vous avez beaucoup évoqué la partie casting, mais j’aimerais obtenir des précisions sur la présence des parents lorsque de jeunes enfants sont acteurs. Sont-ils présents sur les tournages ?

Ma deuxième question porte sur l’augmentation récente du nombre de dévoilements d’affaires. Pensez-vous que cela reflète une évolution de la société ? Vous avez mentionné la culture de la fête dans le cinéma. Observez-vous des changements dans ce milieu, depuis plusieurs années ? Je pense qu’il y a eu des modifications, donc j’aimerais connaître votre avis sur ce point. Est-ce lié à une évolution propre au cinéma ou un phénomène récent ?

Mme Clémentine Charlemaine. Je vais clarifier les mesures déjà en place, quelles formations existent ou non, car il est essentiel de comprendre ce qui est dit par chacun. Affirmer que cela ne suffit pas est une chose, mais il est important de savoir ce qui manque précisément.

En écoutant les précédentes auditions, j’ai constaté que certains points n’ont pas été abordés. En effet, la cellule d’écoute d’Audiens recueille les témoignages de manière anonyme et peut proposer un accompagnement juridique et psychologique. Une formation obligatoire de trois heures est prévue pour les gérants d’entreprises de production, de distribution et d’exploitation. Cette formation constitue un rappel du droit positif. Des formations sont également accessibles à tous les salariés de l’audiovisuel et du cinéma. Elles sont remboursables à 100 %, sans période de carence pour les intermittents. Ces formations durent une journée pour les fondamentaux et trois jours pour ceux qui souhaitent devenir référents ou référentes en matière de harcèlement. Actuellement, ces formations sont facultatives, c’est-à-dire que seules les personnes intéressées les suivent. Depuis décembre 2023, l’extension de l’obligation des formations à l’ensemble des participants et participantes au tournage de films a été annoncée. Pour l’instant, cela ne concerne ni les personnes en préparation ni celles en post-production. Seules les personnes participant au tournage suivront deux heures et demie de formation à distance et deux heures et demie sur le plateau, portant sur les questions de violences sexistes et sexuelles.

Dans la mesure où tout le monde n’est pas forcément présent dès le premier jour, nous ignorons donc encore si tous seront effectivement présents aux formations.

Mme Sophie Lainé Diodovic. Ce sont d’abord les chefs de poste qui vont être sensibilisés.

M. le président Erwan Balanant. Il s’agit bien des formations qui conditionnent l’obtention des aides du CNC ?

Mme Clémentine Charlemaine. La conditionnalité était jusqu’à présent limitée aux trois heures de formation suivie par les producteurs. Désormais, elle s’étendra à tout le monde. Cependant, l’objectif actuel est de former l’ensemble des personnes concernées, avec la possibilité de suivre la formation plusieurs fois. Étant donné l’état de notre industrie, je considère que le fait qu’elle puisse être suivie à plusieurs reprises n’est pas inopportun. Mais pour l’instant, la conditionnalité n’est pas encore totalement mise en place, car il est impossible de garantir une mise en œuvre à 100 %. Nous avons rencontré des difficultés pour que cela se concrétise, car c’est une demande de longue date. C’est toutefois une avancée remarquable. Je pense qu’il nous faudra environ six mois pour évaluer avec plus de recul l’efficacité de cette mesure. Nous pourrons alors déterminer si elle est suffisante ou non. Bien que cela ne soit jamais totalement suffisant, nous pourrons au moins vérifier si cela fonctionne bien et si tout le monde est prêt à se former.

Mme Sophie Lainé Diodovic. La formation se compose de deux modules. Le premier, dispensé à distance, est accessible à tous. En revanche, le second module, représentant la moitié de la formation, est réservé aux participants présents sur le tournage. Cette restriction exclut effectivement une grande partie des intéressés. Cependant, la sensibilisation des trois heures, dont ont bénéficié les employeurs, sera accessible à tous. Cela signifie que le rappel de la loi ne sera pas exclusivement destiné aux employeurs et employeuses. Cette mesure vise à rétablir un certain équilibre, car le savoir ne doit pas être l’apanage de quelques-uns. Il est essentiel que chacun ait accès à ce savoir pour renforcer ses compétences.

Mme Clémentine Charlemaine. Dans les dossiers de demande d’agrément des investissements pour la production d’un film, il est nécessaire de déposer un dossier avant le tournage. À la fin du tournage, un dossier d’agrément de production doit être soumis, listant notamment les participants au tournage et le nom du référent harcèlement. En sachant que, jusqu’à présent du moins, ces personnes ne sont pas obligatoirement formées aux formations de trois jours. Il peut donc arriver que des personnes désignées à ce poste ne soient ni formées ni capables de susciter la confiance, en raison de leur position.

Nous estimons qu’il est impératif de légiférer sur ce point, pour déterminer clairement qui peut être référent ou référente harcèlement. Il ne devrait pas y avoir qu’une seule personne désignée, car il existe souvent une séparation notable entre la production et les techniciens. Il est essentiel que des référents soient issus de tous les métiers, pour favoriser un meilleur travail collectif. Nous œuvrons pour que les choses s’améliorent, malgré les dysfonctionnements que nous pointons. Nous constatons une bonne volonté générale, mais il est indéniable qu’un référent ou une référente harcèlement assume un rôle très lourd. En cas de situation grave, comme un viol, ces personnes ne sont pas nécessairement aptes à recueillir de tels témoignages. De plus, le référent est censé mener une enquête, ce qui est disproportionné par rapport à ses responsabilités, d’autant plus qu’il n’est ni rémunéré ni formé pour cela. Ce point mérite une attention particulière et doit absolument être soulevé.

Par ailleurs, de nombreuses personnes ne sont pas formées, et ce qui était perçu comme une simple blague peut en réalité constituer un agissement sexiste. Avec une meilleure formation, cela ne rendra pas les choses moins drôles, mais cela permettra à certains de cesser de rire au détriment des autres.

Les dispositifs actuels doivent donc impérativement être renforcés. Il en va de même pour les clauses assurantielles, déjà existantes, qui nécessitent un renforcement significatif.

Mme Fanny De Casimacker. Depuis quelques années, une clause assurantielle a été créée pour permettre l’interruption des tournages en cas de signalement, afin de gérer les situations de violences sexistes et sexuelles. Cependant, cette clause n’a jamais été mobilisée par les productions, ce qui constitue un problème majeur. Les motifs de déclenchement de cette clause ne sont pas adaptés à la réalité des situations rencontrées par les productions. Il est donc impératif de revoir ces clauses assurantielles pour qu’elles puissent être effectivement utilisées. Il est essentiel de pouvoir arrêter un tournage pour engager une structure externe capable de mener une enquête. Actuellement, les tournages sont souvent maintenus jusqu’à leur terme, malgré les signalements, en raison de la durée limitée des tournages. Pour agir efficacement, il est nécessaire de disposer de dispositifs assurantiels adaptés.

Par ailleurs, nous recommandons fortement le recours à une structure externe pour mener les enquêtes. En effet, les formations conseillent aux productions de mener ces enquêtes en interne, mais nous constatons une grande défiance de la part des équipes techniques envers la production. Cette défiance entraîne la formation de clans et empêche la bonne conduite des enquêtes. Faire appel à un organisme externe est donc une étape obligatoire pour garantir l’impartialité et l’efficacité des investigations. Le travail sur la révision des clauses assurantielles est en cours, mais il est crucial d’accélérer ce processus. C’est indispensable pour améliorer la gestion des violences sexistes et sexuelles dans l’industrie du cinéma.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Vous dites que, selon vous, la clause n’a pas été correctement élaborée, ce qui pourrait expliquer qu’elle n’ait jamais été mise en œuvre jusqu’à présent. Pourriez-vous nous fournir un exemple concret illustrant en quoi cette clause manque de précision ou n’est pas applicable dans la réalité des faits ?

Mme Sophie Lainé Diodovic. Il est particulièrement complexe d’interrompre un tournage pendant cinq jours pour mener une enquête. En effet, cela nécessite, soit un signalement au procureur de la République, soit, à une époque, la combinaison d’une plainte et d’un signalement au procureur. La difficulté réside dans la nature de nos métiers. Je n’ai encore jamais rencontré un producteur ou une productrice capable de signaler au procureur de la République des faits de violence commis par son réalisateur ou sa réalisatrice. Les relations professionnelles sont souvent aussi des relations amicales de longue date, parfois de vingt ans. Ces personnes ont souvent lutté ensemble pour construire leurs films. Signaler au procureur revient presque à déclarer « tu es coupable », ce qui rend la décision très difficile pour un employeur.

Ainsi, il serait pertinent que n’importe qui puisse signaler au procureur afin qu’un contrat d’assurance puisse fonctionner et qu’il ne soit pas nécessaire de passer par une plainte pour enquêter sur des faits de violence. C’est cette procédure qui empêche souvent d’agir. Je pense, par exemple, au cas que vous avez mentionné, où, sur un tournage, on a dû confiner son réalisateur pour le terminer. La productrice a dû dépenser beaucoup d’argent de sa poche pour pallier de nombreuses difficultés, car elle n’a pas pu mettre en place la clause dédiée son contrat d’assurance.

En résumé, la complexité de la procédure actuelle empêche souvent de prendre les mesures nécessaires pour enquêter sur des faits de violence, et cela met les producteurs et productrices dans des situations extrêmement délicates. L’enquête doit être menée dans un délai limité, ne dépassant pas un mois après la fin du tournage. Nous savons que les plaintes ne sont pas toujours déposées immédiatement après le tournage. Par exemple, dans le cas de ce tournage spécifique, la plainte n’a pas été déposée pendant le tournage. De ce fait, le contrat d’assurance n’aurait pas été applicable, car il est bien connu que les victimes ne portent pas plainte dans les quarante-huit heures ou même dans les deux semaines suivant l’incident. Il leur faut d’abord prendre conscience qu’elles ont été victimes, ce qui demande du temps.

C’est pourquoi j’évoquais plus tôt les spécificités de notre métier. En tant qu’intermittents, nous travaillons sur des périodes très courtes, presque comme des intérimaires. Cette situation complique considérablement les procédures et la conduite d’enquêtes rigoureuses.

Mme Clémentine Charlemaine. Étant donné que nous avons juré de dire toute la vérité, je tiens à préciser, en toute transparence, qu’il existe un film ayant fait l’objet d’une interruption de tournage de trois jours. Il s’agit d’un seul film, sur les centaines de films réalisés chaque année. Cet exemple est particulièrement révélateur de l’incapacité en question, car une plainte avait effectivement été déposée dans les vingt-quatre heures suivant l’incident.

M. le président Erwan Balanant. Nous reviendrons sur ces questions. J’ai indiqué que, pour l’instant, nous n’avions pas nécessairement prévu de rencontrer les assureurs. Cependant, je pense qu’il serait pertinent d’auditionner également les assureurs spécialisés dans ces domaines. Cela nous apportera certainement des éclairages instructifs.

Mme Sophie Lainé Diodovic. En ce qui concerne les parents et leur rôle sur les tournages, il existe une obligation pour l’employeur de désigner un responsable enfant. Ce dernier doit posséder une certification attestant de ses compétences pour exercer cette mission. Il doit accompagner l’enfant non seulement durant le tournage, mais également jusqu’à la promotion du film. Cependant, il arrive que ce responsable n’ait pas les compétences requises, notamment en raison des budgets variés des films. Parfois, les moyens financiers ne permettent pas d’employer un responsable enfant et l’on confie cette tâche à un stagiaire ou à un assistant, qui doit alors s’occuper de l’enfant, en plus de ses autres responsabilités. On parle souvent de nounous dans ce contexte.

Il est essentiel d’impliquer les parents en permanence. Ils sont souvent aussi ignorants que leurs enfants concernant notre métier. C’est pourquoi j’aime laisser la porte ouverte lors de mes castings, afin que les parents puissent comprendre ce que nous faisons. Sur un tournage, la situation est similaire. Toutefois, leur présence ne doit pas être excessive, car notre métier est unique en ce qu’il fait travailler des enfants. Cette responsabilité est immense et je pense que peu de personnes en ont réellement conscience. Nos producteurs et productrices ne réalisent pas toujours qu’ils sont des employeurs. Il est important de rappeler que la mode, le cinéma et d’autres secteurs sont parmi les rares à faire travailler des mineurs. C’est une énorme responsabilité que nous avons peut-être prise un peu trop à la légère.

Bien que la considération accordée aux enfants sur les tournages se soit améliorée au cours des quarante dernières années, il est impératif de trouver un juste milieu. Les parents ne peuvent pas devenir les nounous sur un tournage. Parfois, les parents ne peuvent participer aux tournages et l’enfant est pris en charge par l’ensemble de l’équipe sans avoir un référent particulier. Ensuite, il retourne auprès de ses parents, qui ne savent pas ce qui s’est passé durant la journée. Un responsable enfant fait le lien entre le plateau et les parents. Cette personne est dédiée à l’enfant et peut être à l’écoute de son consentement à chaque étape du film.

Ce poste est vraiment très important. Il ne suffit pas de le rendre obligatoire, il faut également s’assurer qu’il soit effectivement mis en œuvre. C’est pour cela que je mentionnais la Drieets, car, parfois, on a l’impression que son action se limite à examiner le plan de travail d’un film et le nombre d’heures de tournage d’un enfant. Souvent, il est moins fatigant pour un enfant de tourner que d’aller à l’école car un enfant y passe sept heures contre quatre sur un tournage. Mais ces quatre heures peuvent être consécutives, ce qui n’est pas forcément mieux. Donc, je trouve qu’il n’y a pas de mesures efficaces pour garantir le bien-être de l’enfant.

Parfois, les enfants sont traités comme des enfants-rois, d’autres fois, ils peuvent être maltraités. Il n’y a pas de juste milieu. Pour moi, le responsable enfant est essentiel et doit être présent dès la validation d’un enfant jusqu’à la fin, y compris lors de la promotion du film, pour détecter d’éventuels problèmes. Dans la charte que l’ARDA, il y a aussi l’idée cruciale d’assurer un suivi psychologique. La médecine du travail se limite à un rendez-vous avec un médecin généraliste qui vérifie si l’enfant est apte à tourner. Un suivi psychologique avant, pendant et après le tournage serait indispensable pour s’assurer que tout se passe bien. J’ai observé des enfants qui, après avoir été très choyés durant le tournage, retournent dans une précarité familiale. Cette transition est extrêmement violente et engendre des dysfonctionnements chez l’enfant. Bien que des améliorations et des obligations existent, elles ne sont pas encore correctement mises en place, principalement en raison de contraintes budgétaires.

M. Jean-François Coulomme (LFI-NUPES). Merci pour vos témoignages qui sont très éclairants dans de nombreux domaines. J’avais initialement une question à poser, mais elle a déjà été abordée et vous y avez répondu. Il s’agissait de savoir ce qui singularise l’industrie du cinéma par rapport aux autres secteurs d’activité. Vous avez mentionné les horaires et les lieux décalés, l’isolement, la hiérarchie, l’entre-soi, la cooptation, l’emprise, l’ambiguïté des situations et l’ambiance festive.

Cependant, la question qui se pose ensuite est que la loi est la même pour tous. Même si chacun n’est pas censé connaître le code du travail en détail, tout le monde dans notre société a intégré les tabous et les composantes des violences sexistes et sexuelles, y compris dans le domaine du cinéma. On a l’impression que ceux qui se rendent coupables de ces actes, et qui sont censés en connaître le caractère délictuel, voire criminel, semblent bénéficier d’une sorte d’immunité ou d’impunité. Ils semblent affranchis des conséquences pénales de leurs actes, qui sont pourtant les mêmes pour tous les citoyens et citoyennes de notre pays. Qu’est-ce qui explique cette apparente exemption des conséquences de ces actes répréhensibles ?

Mme Clémentine Charlemaine. Le pouvoir, avant tout, parce que, si vous observez le mouvement actuel #MeToo dans les hôpitaux, on lit des choses absolument choquantes. Jusqu’à présent, je n’ai lu aucun témoignage d’aide-soignant très abusif à l’égard de chefs de service. Il s’agit donc, vraiment, de questions de pouvoir et de domination. En réalité, cela concerne toute la société. Certes, le cinéma a ses spécificités, notamment, celle d’être sous les feux des projecteurs et de faire rêver les gens. Il me semble toujours incroyable que le Festival de Cannes continue de faire rêver, alors que les gens n’ont même pas vu les films. Ce fantasme qu’il peut véhiculer est assez étonnant. Néanmoins, les questions de pouvoir et de domination y sont également présentes. En politique, vous avez tous et toutes fait l’expérience de ces dynamiques. Je ne connais personne évoluant dans des domaines où le pouvoir est en jeu qui puisse affirmer : « Non, je n’ai jamais rien vu de déplacé. »

Mme Fanny De Casimacker. J’ai l’impression, après plusieurs années de travail sur ces questions, que nous ne sommes pas tous au même niveau en termes de connaissances sur les violences sexistes et sexuelles. Lors des nombreuses formations que nous avons organisées, nous avons constaté qu’un certain nombre de personnes avaient à peine conscience des différentes caractérisations des violences, que ce soit selon le droit du travail ou le droit pénal. À plusieurs reprises, on a adressé des quiz à des professionnels pour mieux cerner leur capacité à caractériser ces violences et l’ensemble de l’industrie se révélait assez peu performante.

Nous ne disons pas que les personnes qui perpétuent ces violences ne sont pas au courant de leurs actes. Notre objectif principal est de souligner l’importance de la responsabilisation de chacun. Lorsque l’on est témoin de comportements que l’on sait caractériser, on est plus enclin à créer un environnement de travail qui ne tolère pas ces violences et à réagir face à des actes inacceptables. C’est pourquoi la formation est indispensable. Je ne crois pas que les gens, que ce soit dans l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel ou dans la société en général, soient actuellement capables de bien caractériser ces violences. On entend encore parler de drague lourde ou de gestes déplacés, alors qu’il faudrait parler d’agissements sexistes, de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle.

Mme Sophie Lainé Diodovic. C’est la culture du viol, la société et la justice sont des problématiques interconnectées. Lorsqu’on ne parle pas, c’est parce qu’on sait que personne n’est jamais condamné. L’impunité existe uniquement parce que l’on sent qu’il n’y aura pas de sanction. En réalité, cela dépasse nos métiers du cinéma et de la mode, c’est un problème sociétal. On ne condamne pas les auteurs de violences, ce qui dissuade les victimes de les dénoncer, sachant qu’il n’y aura pas de condamnation. La majorité des actrices ayant témoigné publiquement n’ont pas porté plainte. Elles partagent leurs expériences personnelles, mais ne se tournent pas vers la justice, convaincues que l’impunité règne au sein du système judiciaire.

Nous devons donc envisager des réformes judiciaires, telles que la possibilité de porter des plaintes collectives, lorsqu’il y a une répétition des comportements. Cela dépasse le cadre du cinéma. Cela pourrait nous aider dans nos métiers, mais il s’agit avant tout d’une réforme de la justice. Il y a de nombreuses mesures à mettre en place. Par exemple, la désignation d’un référent anti-harcèlement externe à l’équipe serait aussi une avancée considérable.

M. le président Erwan Balanant. Je précise que si vous voulez compléter vos propos, vous pouvez nous envoyer des propositions et une contribution écrite.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Souhaitez-vous partager des éléments de réflexion, que l’on n’aurait pas abordés lors de nos questions ?

Mme Fanny De Casimacker. Pour répondre à la question posée précédemment sur l’évolution actuelle liée à ce que l’on pourrait appeler la libération de la parole, il est important de nuancer. En effet, cela fait longtemps que les femmes et les victimes s’expriment. Aujourd’hui, ce dont nous avons besoin, c’est d’une écoute attentive. Il est vrai que nous avons l’impression d’obtenir un peu plus d’écoute chaque jour, chaque semaine, chaque mois. Il est essentiel de continuer dans cette direction. Cependant, si 94 % des plaintes pour viol sont classées sans suite, l’écoute seule ne suffira pas. On n’encouragera pas les femmes à porter plainte et l’on n’incitera pas les auteurs potentiels de violences à cesser. Il est donc urgent de réformer notre système juridique.

Nous soutenons pleinement la position de la Fondation des femmes, qui propose une loi intégrale pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Cette loi inclut la question des différentes plaintes pour viol et notamment, la possibilité d’une prescription glissante, permettant de rouvrir la prescription lorsque plusieurs victimes sont identifiées pour un même agresseur. De plus, cette réforme doit être accompagnée d’un budget adéquat. Actuellement, l’État dépense seulement 12 millions d’euros pour les victimes de violences sexistes et sexuelles, alors qu’il faudrait en réalité au minimum 360 millions d’euros pour répondre aux besoins des seules victimes qui portent plainte. Il est crucial de rappeler que seulement 6 % des victimes de violences portent plainte, ce qui montre l’ampleur du problème et la nécessité d’une réponse plus substantielle.

Je cite ces éléments, mais il nous faut également créer de meilleures conditions pour porter plainte, faciliter la collecte des preuves et mieux protéger les victimes ayant porté plainte. Il est impératif de permettre aussi aux victimes de faire appel d’une décision de relaxe et de leur offrir un meilleur accès aux soins spécialisés, notamment en remboursant les soins de prise en charge psychologique. Bien que le cinéma et l’audiovisuel aient leurs spécificités, ils ne se situent pas en dehors de la société. Si notre justice n’est pas efficace pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, nous n’irons pas bien loin. C’est un point que nous souhaitions souligner. Nous constatons une augmentation de 164 % des plaintes pour viol depuis #MeToo. Il est donc essentiel de pouvoir répondre à ces plaintes de manière adéquate.

Mme Sophie Lainé Diodovic. Il faut que les ministères, comme le ministère de la culture, créent des budgets VSS. Si le CNC ou les Drieets ne disposent pas des financements et des moyens humains pour mettre en place tous les outils que l’on a créés, la situation ne changera pas. L’argent, c’est le nerf de la guerre. Tout le monde dit : « oui, il faut arrêter, il faut arrêter », mais personne ne met de l’argent sur la table pour que cela s’arrête.

M. le président Erwan Balanant. Nous l’avons noté. Nous sommes ici pour vous écouter et pour formuler des propositions, avec la rapporteure et nos collègues. Il est quand même important de noter que le budget de la justice a été augmenté de 40 % ces dernières années. Bien que cela ne soit certainement pas suffisant, il convient de souligner que des efforts sont réalisés dans ce sens. Il est impératif de poursuivre ces efforts et d’aller plus loin, comme vous l’avez justement indiqué.

Nous vous remercions pour vos témoignages, vous pouvez nous fournir des compléments d’information si besoin.

*

*     *

 

5.   Audition, ouverte à la presse, de directeurs d’établissements formant aux métiers du spectacle vivant : M. Pierre Delavène, directeur du Cours Cochet-Delavène, Mme Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, Mme Simone Strickner, directrice du Cours Florent, et Mme Sandy Ouvrier, directrice du Conservatoire national supérieur d’art dramatique-PSL.

M. le président Erwan Balanant. Nous reprenons nos travaux en accueillant les représentants des écoles de formation aux métiers du spectacle vivant, lesquelles peuvent jouer un rôle important dans la création de mécanismes susceptibles de conduire à des abus, mais aussi, de façon plus positive, dans la formation des élèves – c’est-à-dire des futurs professionnels – aux bonnes pratiques.

Je propose à chacun des intervenants de commencer par un propos liminaire pour présenter son école et les actions qu’elle mène sur les thématiques qui font l’objet des travaux de la commission d’enquête. Dans un second temps, Mme la rapporteure, mes collègues et moi-même poserons des questions plus précises.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Sandy Ouvrier, Mme Simone Strickner, Mme Émilie Delorme et M. Pierre Delavène prêtent successivement serment.)

Mme Sandy Ouvrier, directrice du Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) - Paris sciences et lettres (PSL). Le CNSAD, que je dirige depuis quelques mois, a entamé un travail sur ces questions depuis quelques années, sous l’impulsion de la précédente directrice, Claire Lasne Darcueil, à qui je tiens à rendre hommage. La première action, d’ordre symbolique, a consisté en la rédaction d’une charte dont la signature s’impose à toute personne travaillant au conservatoire, qu’il s’agisse des élèves, des personnels administratifs, techniques ou pédagogiques, ou encore des intervenantes et intervenants extérieurs. J’estime toutefois que cette simple signature ne suffit plus et qu’il faut l’assortir d’un temps d’échange pour les personnes appelées à intervenir nouvellement au conservatoire ou d’une lecture commune pour les élèves.

Nous avons par ailleurs reçu, il y a deux ans, la certification de l’Association française de normalisation (Afnor) pour les labels Égalité professionnelle et Diversité. Une telle reconnaissance, si elle nous inspire et témoigne du travail déjà réalisé, nous engage surtout à aller plus loin. Nous serons d’ailleurs auditionnés à mi-parcours, c’est-à-dire en novembre prochain, pour évaluer les progrès réalisés.

Plusieurs procédures de recueil de la parole ont également été instaurées. Des référents ont ainsi été désignés, pour chaque cycle d’enseignement et pour chaque année du premier cycle. Pour que leur travail soit pertinent, ils seront obligatoirement formés, à partir de juin pour les référents issus du personnel pédagogique et administratif et à partir de septembre pour ceux désignés parmi les élèves.

En tant que composante de l’université PSL, nous avons par ailleurs la chance de bénéficier de sa cellule d’écoute ainsi que de celle du ministère de culture. Les élèves désireux de témoigner peuvent ainsi s’adresser à des personnes extérieures à l’école, leurs signalements étant ensuite susceptibles de donner lieu à des enquêtes internes, qu’ils impliquent des intervenants extérieurs, des professeurs ou des élèves.

J’ajoute que le conservatoire, qui délivre une formation supérieure, compte peu d’élèves mineurs : nos étudiants sont, pour la plupart, âgés de 18 à 26 ans.

Mme Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris. Le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, qui opère sous le statut d’établissement public administratif, est un des deux seuls établissements français à délivrer des diplômes de second cycle en musique et en danse, avec le CNSMD de Lyon, qui compte environ moitié moins d’élèves. Fondé en 1795, il est un des plus anciens et des plus prestigieux conservatoires au monde, dispensant des enseignements de haut niveau dans diverses disciplines musicales et chorégraphiques et formant aux diplômes de professeur et de directeur de conservatoire. Les professeurs, qui sont très souvent des artistes de renommée internationale, ne bénéficient pas du statut d’enseignant – le corps ayant été mis en extinction – et exercent en tant que contractuels. Le conservatoire compte environ 400 enseignants, 200 agents et 1 400 étudiants, dont 1 200 en musique et 200 en danse. Parmi eux se trouvent quatre-vingt-quatorze mineurs, dont quarante-deux accueillis en internat, qui suivent presque tous en parallèle un autre cursus au sein de l’éducation nationale. Environ un quart de nos étudiants sont étrangers ; la moitié d’entre eux viennent d’Asie.

J’ai été nommée directrice de l’établissement en début d’année 2020. Parce que j’avais auparavant produit un travail remarqué sur la question de l’égalité et de la diversité dans le milieu musical lorsque j’étais à la tête de l’Académie européenne de musique du festival d’Aix-en-Provence, ma nomination semble avoir été perçue comme un signe d’ouverture, si bien que, dès mon entrée en fonction, d’anciennes étudiantes ont tenu à me faire part de leur expérience. Je les ai reçues sans avoir idée des drames qu’elles avaient vécus, de l’ampleur de leurs traumatismes et surtout de l’impérieuse nécessité que constituait pour elles le fait d’être entendues.

Quelques mois après mon arrivée, l’établissement a reçu les résultats d’une enquête de perception des violences sexistes et sexuelles (VSS) dans l’enseignement supérieur artistique et culturel commandée par le ministère de la Culture. Les résultats étaient effarants : sur un peu plus de 300 participants, vingt-cinq femmes déclaraient avoir été victimes d’agressions sexuelles dans le cadre de leur activité au conservatoire et dix personnes témoignaient d’un viol subi dans ce même cadre – des chiffres supérieurs aux statistiques nationales.

Nous avons donc fait de cette question une priorité. Dès la rentrée 2020, une formation obligatoire a été dispensée aux étudiants, aux agents et aux enseignants, assortie d’actions de sensibilisation et de communication et d’une procédure de signalement adossée à une cellule de traitement des cas. Dès l’installation de ce dispositif, des signalements nous sont parvenus. Ils ont conduit à une procédure très médiatisée, qui s’est conclue par un licenciement et une condamnation pénale. Cette médiatisation a eu deux conséquences.

D’une part, j’ai fait l’objet de pressions, émanant à la fois de professeurs ou de musiciens extérieurs m’exhortant à interrompre la procédure par crainte que je perde mon poste, et de journalistes, dont certains m’ont menacée. Une fois le processus mené à son terme, j’ai été félicitée pour mon courage, ce qui m’interpelle fortement : signaler une agression sexuelle ou protéger de jeunes adultes contre des prédateurs ne devrait pas être considéré comme un acte de bravoure.

D’autre part, bon nombre de musiciennes ou de musiciens m’ont fait part de cas ne présentant aucun lien avec le conservatoire. Aucun équivalent du mouvement #MeTooThéâtre n’existant dans le domaine de la musique classique, beaucoup de personnes ne savent pas à qui s’adresser si elles n’envisagent pas de se rendre directement au commissariat. Même si, neuf fois sur dix, je conseille aux victimes de porter plainte, je constate que peu franchissent le pas, d’abord parce qu’elles sous-estiment très fortement la gravité des faits, ensuite parce qu’elles sont souvent convaincues qu’ils sont prescrits, enfin parce qu’elles doutent que le fait de porter plainte puisse mener à une condamnation.

Mme Simone Strickner, directrice du Cours Florent. J’ai conscience de la responsabilité qui nous incombe, en tant qu’institutions accueillant des jeunes personnes désireuses d’intégrer le monde du spectacle vivant ou du cinéma : nous devons nous saisir de ces questions et les traiter en faisant preuve d’une vigilance permanente et en menant une action continue.

Le Cours Florent a été fondé en 1967 par François Florent. Je le dirige pour la deuxième saison, après y avoir enseigné pendant quelques années et y avoir étudié à l’issue de ma formation au Conservatoire national autrichien.

L’école a institué un règlement intérieur et une charte déontologique très stricts. Il importe en effet de définir clairement des lignes rouges : on ne peut pas se contenter de parler de zones grises ou d’un flou lorsqu’il s’agit de protéger l’intégrité physique et psychique des élèves et des collaboratrices ou collaborateurs.

Ces documents s’accompagnent de procédures bien définies, dans le cadre desquelles nous appliquons le droit du travail, sans attendre une éventuelle décision pénale – même si l’un n’exclut pas l’autre. De ce fait, certains cas se soldent par une décision aux prud’hommes ou une saisine de l’inspection du travail lorsqu’ils concernent un salarié protégé. La sécurité de chacun est à ce prix. Nous pouvons également être amenés à prononcer des suspensions à titre préventif, avant de procéder à une enquête interne, que les personnes concernées soient des collaborateurs de l’école ou des élèves.

Nous avons aussi institué un dispositif d’écoute externe, à savoir une ligne que chacun peut joindre à toute heure, sans qu’une qualification préalable des faits soit nécessaire. J’insiste sur ce point : les appels peuvent concerner aussi bien des enjeux privés ou un besoin d’assistance psychologique que des faits en lien avec l’école. Des psychologues formés à recueillir les témoignages peuvent ainsi aider les personnes à sortir de l’anonymat et à procéder à un signalement.

Une référente Écoute, respect, égalité est également présente à plein temps dans l’établissement pour recueillir la parole. Afin de garantir sa neutralité et son indépendance, elle n’appartient pas à l’équipe pédagogique.

Enfin, nous menons des actions de prévention dans les classes, en présentant ces mécanismes d’écoute et d’alerte en début de saison puis en organisant des séances de prévention pour aider à repérer les violences ou les discriminations. Une campagne d’affichage et de vidéo, intitulée « Non, c’est non », est également déployée à l’intention des élèves et de l’équipe.

M. Pierre Delavène, directeur du Cours Cochet-Delavène. L’école de théâtre Cochet-Delavène accueille environ 200 étudiants à Paris, dont très peu sont mineurs : les admissions commencent généralement à 18 ans et peuvent s’échelonner tout au long de la vie, puisque nous dispensons aussi des cours semi-professionnels. Elle a été créée en 1965 par Jean-Laurent Cochet et a formé des générations de comédiens et de comédiennes.

Depuis l’émergence du mouvement #MeToo, une révolution s’est opérée et la parole s’est beaucoup libérée, notamment parmi les jeunes femmes. Si nous sommes très sensibles à ces questions, nous n’avons pas nommé de personne référente. Les élèves peuvent s’adresser à l’équipe enseignante, constituée de cinq professeurs. Ils connaissent mon implication dans ce domaine et plusieurs se sont confiés à moi. Ils savent que nous les accompagnons, que nous les écoutons et que nous n’hésitons pas à prendre les mesures qui s’imposent.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Mme Delorme a fait référence à l’affaire Pernoo et à son traitement par le CNSMD, qui, en prenant notamment des mesures à titre conservatoire, a offert un bon exemple de la façon dont un établissement doit agir face à un cas de VSS. Ce constat m’amène à m’interroger sur le Cours Florent et le Cours Cochet-Delavène : nos travaux préparatoires et les auditions que nous avons menées jusqu’à présent révèlent que ce type d’établissements fait, depuis des décennies, l’objet de témoignages de femmes dénonçant des abus – le phénomène est plus récent pour les hommes. Pourquoi, selon vous, a-t-il fallu attendre si longtemps pour y instituer des procédures d’écoute et de prise en charge des élèves ?

Madame Strickner, à quelle époque le règlement intérieur et la charte en vigueur au Cours Florent ont-ils été rédigés ? Qui gère la structure externe d’écoute à laquelle vous avez fait référence ? Ces deux dispositifs vous semblent-ils constituer une réponse complète aux besoins ? Des articles relayaient encore, en 2021, des accusations d’inaction, voire de tentatives d’étouffement de cas de VSS au Cours Florent, mais peut-être ces procédures ont-elles été instituées depuis.

Monsieur Delavène, comment traitez-vous ces questions auxquelles vous indiquez être particulièrement sensible ? Je crois comprendre que vous agissez comme référent auprès de vos élèves. Assumez-vous seul ce rôle ? Y avez-vous été formé ? En l’absence de charte, de formation spécifique ou de mesure de sensibilisation destinée aux enseignants, estimez-vous être en mesure d’apporter une réponse suffisante à vos quelque 200 élèves ?

M. le président Erwan Balanant. Les établissements rattachés aux ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et de la recherche sont tenus, par la circulaire du 25 novembre 2015 sur la prévention et le traitement du harcèlement sexuel dans les établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche, de présenter les procédures à suivre en cas de harcèlement sexuel. En tant qu’établissements publics administratifs dispensant un enseignement supérieur, les conservatoires sont-ils concernés par cette circulaire, même s’ils sont rattachés au ministère de la culture ?

La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a par ailleurs rendu obligatoire l’instauration, par les employeurs publics, de dispositifs de signalement et de suivi des violences sexistes ou sexuelles, de harcèlement moral et de discrimination. Avez-vous, au sein des conservatoires, institué de tels dispositifs, au-delà des diverses démarches que vous avez évoquées ?

Mme Simone Strickner. Le dispositif d’écoute instauré au Cours Florent, intitulé HuCare, est géré par le cabinet Empreinte humaine. Nous avons décidé d’y avoir recours pendant le confinement, pour prêter assistance à tout moment à nos élèves en détresse. Le fait de ne pas les contraindre à caractériser la raison du signalement nous a paru constituer un gage d’efficacité.

Je ne sais pas si notre système de prévention est suffisant, mais je sais que nous devons faire preuve d’une vigilance permanente et avoir à cœur de l’améliorer en continu. L’articulation entre un dispositif d’écoute externe et la présence à plein temps d’une référente interne à l’établissement mais indépendante de la direction me semble aussi très importante.

Nous avons commencé à proposer ce dispositif à nos élèves lorsque j’ai pris mes fonctions, il y a deux saisons. Auparavant, le principal problème, c’est que les élèves ne voulaient pas trop se confier à des personnes qui étaient certes des référents, mais qui faisaient partie du corps professoral. Il m’a donc paru essentiel qu’ils puissent s’adresser à une personne qui n’avait pas de fonction pédagogique et qui ne venait pas voir les spectacles.

Ce que j’essaie de faire – et c’est vraiment un travail de fond, un changement de culture –, c’est de combattre avec fermeté les représentations mentales selon lesquelles il est normal, pour avoir du succès au théâtre ou au cinéma, de passer par la souffrance, d’accepter tout et n’importe quoi sous prétexte que l’on fait de l’art, ou de faire tout ce que demande un professeur. Ce n’est pas le cas et il est très important de le formuler tel quel.

Je crois vraiment qu’il faut commencer par changer en profondeur ces représentations et les stéréotypes qui entourent les métiers de la culture si l’on veut que les outils dont on se dote – chartes, dispositifs de prévention et de signalement – soient efficaces. À mon arrivée en France, j’ai été très surprise de la lecture, à mon sens totalement erronée, que l’on y fait de Constantin Stanislavski, selon laquelle il faudrait appuyer sur des traumatismes. Il n’a jamais dit cela et ce n’est pas ce qu’il faut véhiculer. Ce qui peut expliquer qu’il y ait eu si peu de témoignages par le passé, c’est ce mécanisme, qui fait que les personnes concernées se disaient qu’il était normal d’en passer par là pour réussir. Ce que nous essayons de faire, c’est de mettre des mots là-dessus et de dire que non, ce n’est pas normal.

Nous avions déjà une charte par le passé : je vous fournirai tous les documents qui peuvent vous être utiles. Nous veillons à maintenir une frontière stricte entre le cadre privé et ce qui se passe à l’école et à définir très clairement les règles déontologiques qui nous guident. Même si tout cela existait déjà avant, nous l’avons vraiment explicité il y a deux ans. Je crois qu’il faut expliquer les choses très clairement. Comme je l’ai dit dans mon intervention liminaire, ce n’est pas parce qu’on fait de l’art que l’on peut accepter des zones grises : il y a une ligne rouge à ne pas franchir.

M. Pierre Delavène. Notre école ne s’est pas dotée d’une charte et je ne suis pas certain qu’elle soit rattachée au ministère de l’éducation nationale, mais je vais m’en enquérir dès la fin de cette audition.

Je souscris aux propos de Mme Strickner : les chartes sont une chose, mais il importe surtout d’avoir un discours très clair. Nous veillons nous aussi à ce que la ligne rouge ne soit jamais franchie. Je ne suis pas le centralisateur des informations ; les élèves parlent entre eux et aux différents professeurs, mais je suis à l’écoute et j’interviens s’il y a une décision à prendre.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Pourriez-vous tous, comme Mme Strickner l’a proposé, nous envoyer votre charte, si vous en avez une ?

J’aimerais savoir, pour ceux qui en ont, comment sont formés vos référents, et comment les choses se passent, concrètement, lorsqu’un élève vient dénoncer quelqu’un. Comment se fait, au Cours Florent, l’articulation entre le cabinet extérieur et la référente qui se trouve sur place ?

M. le président Erwan Balanant. Pourriez-vous également répondre à ma question relative à la circulaire de 2015 ?

Mme Émilie Delorme. Comme nous délivrons des diplômes de deuxième cycle, nous sommes aussi accrédités par le ministère de l’enseignement supérieur, et une des sous-directions du ministère de la culture décline les circulaires de l’enseignement supérieur dans les établissements qui lui sont rattachés. Nous y sommes donc soumis.

Mme Sandy Ouvrier. C’est la même chose pour nous.

Mme Simone Strickner. Concernant la formation, nous travaillons avec différentes associations et structures. Nos professeurs sont tous formés par un organisme extérieur qui fait de la prévention en matière de violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) et de la sensibilisation contre tout agissement sexiste et déontologiquement contraire à nos valeurs. Notre référente se forme régulièrement, auprès d’Empreinte humaine, mais aussi d’un cabinet d’avocats, car il est important qu’elle puisse à la fois assurer un accompagnement psychologique, en utilisant toutes les nouvelles ressources en matière de prévention, et avoir une compétence juridique. Nous organisons aussi beaucoup de conférences au sein du Cours Florent, auxquelles assistent nos permanents et notre référente. J’ai invité plusieurs collectifs pour qu’ils nous fassent part de leur expérience et qu’ils nous transmettent les bonnes pratiques qu’ils mettent au point dans leur recherche quotidienne. La formation est effectivement un élément clé et il importe de la mettre à jour en permanence.

M. le président Erwan Balanant. Le Cours Florent et le Cours Cochet-Delavène sont des cours privés. Avez-vous des agréments délivrés par le ministère de la culture ou un autre ministère ? Quoi qu’il en soit, la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire oblige chaque établissement, qu’il soit privé ou public, sous contrat ou hors contrat, de l’école maternelle jusqu’à l’enseignement supérieur, à avoir un plan de prévention et un protocole de résolution. La loi étant assez récente, je comprendrais que vous n’en ayez pas encore, mais je voudrais savoir si vous avez connaissance de cette disposition et quand vous comptez l’appliquer.

Mme Simone Strickner. Dès qu’un employé du Cours Florent est impliqué dans un signalement quelconque, le service des ressources humaines entre en action et applique notre protocole d’enquête interne, que je vous ferai parvenir. C’est un document de quinze pages, qui décrit très précisément, étape par étape, les règles à respecter. Nous avons eu, à deux reprises, des cas complexes à traiter et avons décidé de confier l’enquête à un organisme externe, qui nous a rendu ses conclusions après avoir entendu tous les témoins. Il nous a paru important de confier cette démarche à des personnes neutres et éloignées de la maison, dont c’est le métier. Nous avons effectivement des protocoles et il est très important pour nous de les appliquer méthodiquement, en procédant toujours de la même façon.

S’agissant des élèves, notre devoir est aussi, comme vous l’avez dit en introduction, de former les personnes qui feront le théâtre et le cinéma de demain. C’est pourquoi nous leur demandons, dans le règlement intérieur, de se conformer à des valeurs essentielles et de respecter toutes les personnes qu’ils fréquentent au sein de notre école. En cas de problème entre des élèves, nous avons aussi des protocoles très stricts, que je vous transmettrai également, qui prévoient une enquête, puis un conseil de discipline et, le cas échéant, des mesures disciplinaires.

Nos élèves nous signalent souvent, et je le regrette, des violences dont ils sont victimes en dehors du Cours Florent, dans leur vie privée. Ils se confient à nous et il est très important que nous puissions leur prêter assistance, aussi bien sur le plan psychologique que juridique.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Pourriez-vous exposer quelques cas concrets où vous avez pu prendre des mesures à titre conservatoire, qu’il s’agisse d’une interdiction d’accès aux locaux ou de toute autre mesure disciplinaire ? Pouvez-vous nous expliquer quel est le cheminement de l’élève, à partir du moment où il décide de témoigner et de dénoncer quelqu’un, jusqu’à la fin de la procédure en interne, et avant que ne commence la procédure judiciaire ?

Mme Émilie Delorme. Les mesures conservatoires peuvent concerner les étudiants et les agents et nous en avons pris à plusieurs reprises contre des enseignants. Le problème, c’est que la durée maximale de suspension est de quatre mois dans la fonction publique : c’est un délai très court pour faire une enquête, lancer une procédure disciplinaire et réunir une commission consultative paritaire (CCP) – s’il s’agit d’un agent. Pour peu que les quatre mois incluent les vacances d’été, cela devient très compliqué. Il nous est arrivé de prendre une mesure conservatoire quand nous avons estimé qu’il y avait un danger immédiat pour les étudiants, mais la brièveté du délai est vraiment un problème. On peut par exemple se retrouver dans une situation paradoxale si une procédure pénale commence alors que le délai de suspension est terminé.

Par ailleurs, les artistes ne peuvent pas être reclassés dans un autre emploi : on ne peut pas demander à un professeur de danse, de musique ou de théâtre de travailler à la comptabilité s’il ne peut plus être au contact des étudiants. Il importe donc de bien réfléchir avant de prendre une mesure conservatoire, et ce délai de quatre mois crée vraiment une difficulté, surtout lorsque la procédure pénale s’ajoute à la procédure administrative.

M. le président Erwan Balanant. Juridiquement, rien ne s’oppose à ce qu’une procédure administrative ait lieu en même temps qu’une procédure pénale, mais je comprends le problème que vous soulevez.

Mme Émilie Delorme. Il est vrai que les deux peuvent se dérouler parallèlement, mais l’enquête administrative porte sur la dignité et la probité de l’agent, ce qui n’est pas une qualification pénale, et nous sommes obligés d’agir vite, du fait de ce délai de quatre mois. Nous agissons souvent avant le déclenchement de la procédure pénale et on nous demande, pour des faits d’agression sexuelle, de faire une enquête dans des délais contraints, alors que nous n’avons ni les moyens, ni la légitimité de la police. Il est donc très difficile pour nous de traiter correctement les signalements.

Mme Sandy Ouvrier. Il n’y a eu ni suspension, ni exclusion d’artistes intervenant au CNSAD. Avant que je devienne directrice, il est toutefois arrivé que les élèves alertent la direction au sujet d’un intervenant qui avait déjà travaillé au conservatoire et qui devait y revenir : ce sont des étudiants d’une autre école qui les avaient mis en garde. Or, s’il est très précieux que les élèves de différentes écoles communiquent entre elles et eux, ce n’est pas leur rôle de gérer ce genre de situation. Nos étudiantes et étudiants viennent d’écoles privées, de conservatoires d’arrondissement, de conservatoires régionaux, de classes égalité des chances : certains de ces établissements font ce qu’il faut, mais ce n’est pas le cas dans tout le territoire, loin de là. Or je trouve très violent que ce soit aux élèves de faire ce travail, qui consiste à prendre soin des autres. L’année dernière, nous avons su après-coup qu’un élève qui avait été reçu au concours posait un problème. Nous avons été alertés par une école, mais tardivement ; cet élève n’est pas entré au conservatoire.

Vous nous interrogiez tout à l’heure sur les raisons du silence terrible qui a dominé pendant des décennies. Je suis actrice, j’ai été une jeune élève de cours de théâtre, puis j’ai moi-même été élève au conservatoire ; je pense qu’il y a un gros travail à faire sur le répertoire. Il ne s’agit pas de ne plus le jouer, mais il faut le questionner, car il induit un rapport entre les hommes et les femmes qui est un peu vertigineux. Il n’a jamais été dégenré mais il commence à l’être et je crois que cela constitue une ouverture énorme, aussi bien au sein de l’école que sur les plateaux de théâtre. Il y a des années, alors que je jouais une pièce de Shakespeare dans un théâtre qui avait mis cet auteur à l’honneur, j’ai voulu calculer combien de femmes – actrices, intermittentes – allaient travailler dans ce théâtre pendant un an : j’en ai compté quinze, pour une centaine d’hommes. Cela fragilisait indéniablement les femmes.

Les choses sont en train de changer. Au conservatoire, nous travaillons par exemple à mettre en avant le matrimoine, tout le répertoire invisibilisé. Les récits sont fondamentaux : faire la part belle aux autrices, c’est changer notre vision du monde.

M. le président Erwan Balanant. Avez-vous introduit dans votre programmation pédagogique des objectifs de rattrapage, des quotas ?

Mme Sandy Ouvrier. Oui. Nous avons créé un laboratoire de recherche, avec l’aide d’Aurore Évain, pour travailler sur le matrimoine, sur les autrices de l’Ancien Régime qui ont été invisibilisées. Nous avons aussi mené un travail intitulé « Déconstruire les regards », sur les coordinatrices d’intimité. Cette question pose aussi celle des moyens : il faut avoir les moyens financiers de faire intervenir des coordinatrices d’intimité, lorsque c’est nécessaire, pour faire en sorte que l’acte de création soit apaisé.

Mme Simone Strickner. Nous avons aussi, au Cours Florent, des listes de lecture paritaires. Faire connaître les créatrices féminines est effectivement une nécessité absolue. Nous organisons, une fois par mois, des conférences qui les mettent à l’honneur et qui permettent à toute la maison de les découvrir. Aurore Évain intervient également chez nous, comme formatrice auprès du corps professoral. Il convient de créer un nouveau vocabulaire, pour que la parole puisse se libérer de façon durable et que les choses changent.

Pour vous donner un exemple de signalement, une élève a dénoncé le non-respect du consentement par un professeur au cours d’une répétition. Alors que notre charte proscrit tout acte qui consiste, sous couvert de répétition, à entrer dans l’intimité d’un ou d’une élève, cette étudiante a expliqué que l’enseignant avait eu, devant toute la classe, un geste violent à son égard. Le jour même, il a été mis à pied, puis l’enquête a commencé. Notre référente a entendu tous les élèves qui avaient été témoins de la scène et les ressources humaines ont convoqué le professeur dans les délais légaux pour procéder à son licenciement, parce que son geste était absolument contraire à notre règlement intérieur et à notre charte déontologique.

M. le président Erwan Balanant. Avez-vous fait un signalement auprès du procureur de la République – mais peut-être n’était-ce pas justifié ? Y a-t-il eu un dépôt de plainte ?

Mme Simone Strickner. Dans ce cas précis, oui. Il nous arrive aussi de signaler au procureur de la République des violences subies par des élèves à l’extérieur du cours ou des violences commises entre élèves. Je pourrai vous fournir tous les documents ; cela fait partie de notre procédure.

M. Pierre Delavène. Il n’y a pas eu d’affaires au sein de notre cours entre enseignants et élèves.

Les seuls faits qui m’ont été rapportés ces dernières années concernaient un cas de harcèlement entre élèves : un homme d’une cinquantaine d’années harcelait une femme d’une trentaine d’années, qui s’est rapprochée de nous. Il est très difficile d’agir lorsqu’on n’a pas de preuves mais elle a heureusement pu nous montrer une série de mails sexistes et l’homme a été exclu de l’école.

Je peux donner un autre exemple, qui montre que la parole se libère. Il y a six mois, une jeune femme m’a demandé durant un cours si elle pouvait monter sur scène pour faire une confidence. Elle a dit devant une trentaine d’élèves qu’elle avait été violée un an plus tôt. Cela ne s’est pas produit dans le monde du spectacle ou du cinéma, mais le fait qu’une élève prenne la parole de cette manière dit quelque chose de l’état d’esprit du moment. Cela a été difficile à gérer ; nous avons dit à cette jeune femme qu’il fallait qu’elle se protège et qu’elle porte plainte.

S’agissant du consentement, cela fait plusieurs années qu’un professeur ne peut toucher ne serait-ce que l’épaule d’un élève sans lui avoir demandé préalablement s’il était d’accord. Au début, cela faisait sourire les élèves mais, en réalité, c’est une très bonne chose car nous avons tous un rapport différent au corps et cela permet de mettre des barrières.

Il se passe certainement des choses au sein des écoles, mais je crois qu’il faut surtout sensibiliser les élèves à ce qui arrive après. Nous ne représentons que quatre écoles, mais il y en a beaucoup d’autres, et sur les quelque 10 000 comédiens qui sont formés chaque année, seul un petit nombre sera appelé à faire ce métier. La compétition est terrible et il faut sans doute un changement d’état d’esprit.

M. le président Erwan Balanant. Si j’ai bien compris – mais j’aimerais que vous me le confirmiez –, vous abordez tous, dans votre programme pédagogique, la question de la vie d’après l’école, de la dureté du métier et de la difficulté d’y accéder. Est-ce que vous expliquez aussi à vos élèves, qui sont de futurs comédiens, musiciens et danseurs, comment se protéger plus tard ? Avez-vous un cours dédié à cette question ?

Mme Sandy Ouvrier. Au CNSAD, il n’y a pas de cours dédié à cela, mais il y a des formations communes aux professeurs, aux membres du personnel et aux élèves – qu’ils ne suivent pas forcément ensemble, pour que la parole soit plus libre.

Ces formations, qui existent depuis un certain temps, sont importantes mais ne suffisent pas. Il me paraît important que, pendant la semaine de formation qui aura lieu à la rentrée, l’Association des acteur.ices, qui réunit de jeunes actrices dont certaines sont sorties du conservatoire et œuvrent pour recueillir la parole, puisse témoigner. Il faut également travailler en collaboration avec les professeurs et les intervenants : chez nous aussi, cela fait des années que l’on demande aux élèves s’ils sont d’accord avant de les toucher. Enfin, je crois utile de faire venir des intervenantes qui ont mis ces questions au cœur de leur travail, comme Penda Diouf, Eva Doumbia ou Rébecca Chaillon. C’est aussi par la communion artistique que les choses peuvent avancer. Pour résumer, tout cela fait effectivement partie de notre programme.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Dans les années à venir, vos élèves seront susceptibles de travailler ensemble, sur les mêmes tournages ou sur les mêmes scènes. Pensez-vous qu’il serait utile d’avoir entre vous un temps d’échange sur les pratiques que vous mettez en œuvre, afin de bâtir un socle commun à tous ? On constate en effet qu’il y a des manières de fonctionner très différentes : il serait peut-être intéressant que les élèves soient sensibilisés de la même façon, reçoivent les mêmes enseignements et sachent réagir de la même façon aux signaux d’alerte.

Mme Simone Strickner. L’idée de bénéficier des best practices, des bonnes méthodes des collègues me semble extrêmement précieuse dans la mesure où nous formons tous nos élèves aux mêmes métiers.

Pour répondre à votre question sur la façon dont nous préparons les élèves à leur futur métier, le Cours Florent dispose d’un bureau casting, qui intervient en première année pour faire de la prévention et expliquer à nos élèves qu’il ne faut pas répondre à n’importe quelle annonce sauvage sur internet. Le bureau est à leur disposition pour les accompagner et pour voir qui se cache derrière une annonce. Je suis tout à fait favorable à des échanges approfondis dans ce domaine, comme dans d’autres également, qui méritent une réflexion – on a évoqué les coordinateurs d’intimité ; nous avons fait un pilote cette saison avec une personne qui a le diplôme permettant de dispenser ce type de formation.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Je vous remercie pour vos réponses, qui témoignent que le monde du spectacle vivant, notamment de la formation, est en train de se saisir de ces enjeux.

S’agissant de la prévention, qui est un sujet fondamental, je souhaite revenir sur vos procédures en cas d’alertes, certains dispositifs me paraissant encore assez flous. J’aimerais m’assurer tout d’abord que la pratique de porter plainte contre les personnes dénonçant des violences a pris fin. En effet, par le passé, le Cours Florent a déposé des plaintes en diffamation contre des collectifs qui l’accusaient de ne pas prêter attention aux accusations d’agressions sexuelles et de viol. J’espère que cette page est tournée car si nous voulons que la parole se libère, les intimidations doivent cesser.

Par ailleurs, je voulais vous inviter à nous détailler quels types de plaintes vous aviez pu être amenés à déposer.

Enfin, je souhaite aborder la question de l’emprise, qui nécessite d’approfondir la réflexion sur la notion de consentement. Dans certains cas, le consentement est en réalité présumé absent. Vous avez indiqué qu’il fallait poser une frontière entre la vie privée et ce qui se passe en cours. Est-il très clair, dans vos établissements, que toute relation entre un professeur et un ou une élève est proscrite ? Quelles sont vos procédures quand vous apprenez l’existence d’une relation, même consentie ou amoureuse, entre professeur et élève ?

Mme Émilie Delorme. En 2023, quinze signalements ont été traités par la cellule. Celle-ci recueille des signalements soit en direct, soit par le biais des personnes qui ont été formées à l’écoute. Une fois qu’il y a un signalement, deux personnes, sur les sept qui ont été formées à cela au sein de la cellule, organisent un premier entretien, qui donne lieu à un compte rendu signé pendant l’entretien. Ensuite, l’ensemble de la cellule se réunit pour décider de la marche à suivre : enquête, suspension, traitement pédagogique, signalement au procureur sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale. La cellule me présente ses propositions, sur lesquelles nous prenons une décision. Elle mène l’essentiel des enquêtes – quatorze sur les quinze signalements recensés en 2023, dont trois assez significatives – mais il nous arrive aussi d’en externaliser à des cabinets d’avocats, surtout quand elles sont très importantes. Une enquête est très chronophage – quatre-vingts heures de travail en moyenne – et nécessite des moyens, notamment pour en suivre les aspects juridiques.

Sur ces quinze signalements, cinq ont donné lieu à un signalement au procureur en 2023. Dans le passé, nous avons prononcé un licenciement et deux exclusions temporaires d’enseignants, ainsi que des exclusions définitives d’étudiants.

La question de l’emprise est centrale. Cette qualification existe dans le code pénal pour les violences conjugales uniquement ; nous n’avons pour notre part aucune base juridique. Une personne sous emprise n’a plus les moyens de consentir ou de s’opposer, et il est très compliqué d’apporter la preuve d’une violence faite à une personne sous emprise, puisqu’il n’y a pas de trace de menace, de contrainte ou de surprise lors de relations sexuelles qui sont souvent imposées, voire lors de relations vécues sans se cacher.

L’enseignement musical repose sur une admiration entre un disciple et un maître. L’enseignement a parfois commencé dès la prime enfance, avec des stages les week-ends et l’été, avec un professeur dans l’enseignement initial que l’on retrouve ensuite dans l’enseignement supérieur, et qui peut devenir le collègue ou le pourvoyeur d’emploi. On sait de plus que les familles investissent dans cet enseignement depuis l’enfance de l’élève, dans des instruments, dans du matériel, et vont jusqu’à déménager pour ses études. L’élève sait qu’une parole peut détruire quinze ans de travail et d’investissement.

Nous devons parvenir à trouver un cadre juridique pour gérer les situations d’emprise. C’est très difficile parce que beaucoup de faits sont dénoncés une fois que l’étudiant est majeur, ce qui nous prive d’un cadre juridique pour agir.

M. le président Erwan Balanant. Les relations entre un élève et un professeur sont-elles proscrites dans vos établissements ?

Mme Simone Strickner. Je vous répondrai très clairement : oui, elles le sont. C’est dans notre charte déontologique. C’est comme chez le psy : en raison de l’ascendance du professeur sur son élève, il n’est pas déontologiquement possible d’enseigner et d’avoir une relation intime à l’extérieur. Nous faisons donc de la prévention auprès du corps professoral, que nous formons à cette question, et nous proscrivons totalement toute relation, même amoureuse, à l’extérieur des cours. Si nous découvrons une entorse à notre règlement, nous sanctionnons fermement.

Par ailleurs, et je serai également très claire sur ce point, nous ne déposons aucune plainte contre les victimes. Il y a eu, sous l’ancienne direction du Cours Florent, une situation un peu confuse, la direction ne sachant pas qui était derrière les communications faites sur ce sujet. Lorsque cette question a été résolue et qu’il est apparu que c’étaient bien d’anciens élèves du Cours Florent qui en étaient à l’origine, la plainte a été levée. Mais je suis d’accord avec vous : il est hors de question de porter plainte contre des victimes.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Sur le plan juridique, vous devez respecter les enquêtes menées sur des faits qui relèvent du pénal ou qui contreviennent à l’obligation de protection des élèves par les structures de formation. Cela soulève par conséquent la question de la force de votre règlement intérieur : est-ce que le fait de proscrire certains comportements dans une charte signée par tous les enseignants vous donne des marges de manœuvre ? Si vous suspendez ou licenciez un professeur parce qu’il a enfreint la charte et que celui-ci exerce un recours, vous pourriez faire valoir qu’il n’a pas respecté ses engagements. Cela vous éviterait d’avoir à prouver un délit, qui relève de la justice, tout en vous permettant d’agir en cas d’infraction à telle ou telle disposition de votre règlement. Pensez-vous que cela soit possible ou bien cela reste-t-il compliqué ?

Mme Sandy Ouvrier. Tout est très clairement détaillé dans la charte et dans le règlement, de la définition des comportements prohibés – paroles sexistes, gestes déplacés – aux sanctions encourues, qui peuvent aller jusqu’à la suspension et à l’exclusion.

Mme Simone Strickner. Nous appliquons vraiment notre charte déontologique et notre règlement intérieur. Ces documents sont systématiquement signés en même temps que le contrat de travail lorsqu’un professeur prend ses fonctions chez nous. Nous pouvons donc toujours invoquer le fait que les choses étaient claires et qu’on s’est entendu sur le cadre de ses fonctions dans notre maison.

Mme Émilie Delorme. Nous avons une charte concernant l’égalité mais nous n’avons pas de charte déontologique ou de charte de la relation pédagogique. C’est un travail que nous sommes en train d’initier, afin de renforcer notre position juridique.

M. Pierre Delavène. Nous n’avons pas de charte mais nous respectons la déontologie.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Vous avez évoqué l’investissement important des familles dans les études de leur enfant – coûts, conséquence sur la vie familiale avec des déménagements, etc. On peut imaginer la pression qui pèse sur les enfants ou sur les jeunes. Ma question s’adresse donc plus particulièrement à ceux d’entre vous qui accueillent des mineurs : que pensez-vous de l’influence des parents qui, parfois, transfèrent leurs propres aspirations sur leurs enfants ? Serait-il pertinent de sensibiliser les parents également aux dangers de la profession ? Faudrait-il leur faire signer une charte ou un engagement ? On ne parle pas souvent du rôle des parents, qui restent un peu dans l’ombre, mais certains peuvent exercer une réelle pression sur vos élèves.

M. le président Erwan Balanant. Je poserai la question de manière encore plus directe : avez-vous déjà rencontré des parents qui mettent la pression sur leurs enfants ? Est-il arrivé que des enfants développent des comportements particuliers ou des vulnérabilités en réponse à cette pression ?

Mme Émilie Delorme. Oui. Nous avons par exemple reçu un courrier de parents nous reprochant la suspension d’un enseignant compte tenu de l’investissement qu’ils avaient mis dans les études. Il peut arriver également que les discussions soient très compliquées avec des parents qui poussent l’étudiant alors que celui-ci ne va pas bien. Mais ce n’est heureusement pas général.

À l’inverse, nous devons aussi parfois encourager les familles à accepter l’idée que leur enfant fasse une carrière artistique, parce que cela n’est pas forcément bien admis. Nous le faisons de façon très précautionneuse, particulièrement lorsque nous cherchons à avoir plus de diversité sociale ou territoriale.

Enfin, la plupart des élèves mineurs étant scolarisés, nous dialoguons avec leur établissement scolaire. Cela accroît les possibilités d’alertes et permet un meilleur suivi lorsqu’il existe des problèmes familiaux.

M. le président Erwan Balanant. Pourquoi, en dépit de tous les efforts que vous déployez, ces phénomènes perdurent-ils ? Cela fait un moment que des protocoles existent, que les écoles adoptent des bonnes pratiques ; cela fait longtemps également que des personnes dénoncent des faits. Or les violences continuent et, régulièrement, de nouvelles victimes se font connaître. Pourquoi est-ce que cela continue ?

Mme Simone Strickner. C’est malheureusement encore une question de représentation de ce que requièrent ces métiers. Nous devons collectivement prendre position pour expliquer très clairement que l’art n’est pas une excuse pour de tels comportements : l’excellence ne nécessite pas la souffrance. Nous devons vraiment formuler à grande échelle que c’est absolument inacceptable et même anormal, sinon cela risque de rester un peu obscur.

Je constate d’ailleurs que même certains élèves souhaitent que leurs professeurs fassent preuve d’un peu plus de brutalité. Je leur réponds que ce n’est pas du tout ainsi que cela doit se passer. Je crois qu’il y a une profonde confusion : l’excellence ne nécessite absolument aucune forme de violence. Cette idée est malheureusement très ancrée dans l’imaginaire collectif concernant le spectacle et le cinéma.

Mme Sandy Ouvrier. L’emprise est très peu éloignée de l’admiration absolue. Imaginer telle actrice dans tel rôle est très proche du fantasme, du désir. Il faut vraiment changer ce mode de représentation : un acte puissant et magnifique au plateau, ce n’est pas forcément un acte violent. La violence doit être traitée comme une bagarre au théâtre : on prend soin de l’autre. Je ne vois pas comment on peut ne pas prendre soin d’autrui lorsqu’il est question d’aspects psychologiques ou intimes.

Cela existe encore parce que c’est toujours très complexe dans la société. Aujourd’hui, à 56 ans, je m’émerveille à l’idée que les jeunes actrices n’auront pas à vivre et à penser le monde tel que j’ai cru qu’il était, en me disant que c’était ainsi et qu’il fallait faire avec. Cela traverse toute la société, et tant mieux si cela sort maintenant : nous veillerons à faire en sorte que créer soit sûr.

Mme Émilie Delorme. S’il ne s’agissait que d’empêcher une poignée de personnes de nuire, on aurait déjà résolu la question. Or le problème est systémique et met en jeu les mêmes mécanismes que ceux existant dans le cinéma ou la littérature, qui imposent le silence – le fameux « tout le monde le sait et rien ne se passe » – et protègent les agresseurs, à qui on continue de remettre des médailles et de rendre les plus grands hommages. Les femmes développent des stratégies de contournement ; ce que nos professeurs enseignent aux élèves, malheureusement, ce sont les listes des personnes avec qui ne pas monter dans un ascenseur, avec qui ne pas aller boire un verre ou à qui ne pas répondre quand on reçoit un SMS.

Nous en sommes là parce que le système est ultra-sélectif. L’enseignement supérieur de la musique, en France, est concentré dans deux CNSMD, alors qu’il y a vingt-trois écoles supérieures de musique en Allemagne et six en Belgique. Avec seulement deux établissements, le système français est extrêmement sélectif : il faut être prêt à tous les sacrifices pour arriver en haut – c’est du moins l’image qu’en ont les étudiants. De plus, le monde professionnel se caractérise par une précarité encore plus importante en raison du mode de fonctionnement des ensembles et des compagnies. Un directeur artistique est en mesure de procurer des emplois aux artistes. Cela fragilise beaucoup ces derniers et empêche que la parole se libère.

Par ailleurs, dans le domaine artistique, on travaille sur les émotions, sur l’intime, sur le corps. Cela peut créer de la confusion chez certains et mener à des dérives graves. Dans certaines disciplines, les classes sont mixtes, par exemple dans les conservatoires. Or, sur scène, les femmes disparaissent. J’ai reçu plusieurs témoignages de vies brisées par ces violences au moment des études ou au début de l’insertion professionnelle. Il faut donc agir, et nous plaçons beaucoup d’espoirs dans votre travail.

M. Pierre Delavène. Je ne répéterai pas tout ce qui vient d’être dit, de façon très juste. Pour apporter une note d’espoir, il me semble que le monde des anciens, marqué par la loi du silence, est en voie de disparaître au profit du monde des nouvelles générations, qui poussent pour en sortir.

Les comédiens sont des êtres fragiles, sensibles, à qui on demande non seulement d’être des artistes, mais aussi des commerciaux : il faut se vendre. Les préjugés – il faut naître dans le désir d’un réalisateur ou d’un producteur, voire coucher pour réussir – n’ont pas encore disparu mais à force de le dire, de le répéter, de les aider, le monde finit par avancer.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Ces défaillances systémiques, qui reposent sur un imaginaire induisant que l’acte puissant est un acte violent, sont-elles propres à la France ? Madame Strickner, vous êtes autrichienne ; madame Delorme, vous recevez dans votre conservatoire des élèves étrangers : pensez-vous que c’est une spécificité française ?

Mme Émilie Delorme. On ne peut faire que des hypothèses mais, dans notre pays, qui est l’un des plus centralisés, le fonctionnement en pyramide induit ce type de représentation. J’en ai discuté avec des Allemands qui me disaient que c’était vraiment culturel en France, où la vision de l’art est plus romantisée. C’est très difficile pour moi de l’objectiver mais je constate en discutant avec des homologues étrangers qu’ils sont plus avancés que nous sur la question.

Mme Simone Strickner. Je pense en effet qu’il y a une idéalisation du génie créateur, qui justifie tous les sacrifices pour aller vers l’accomplissement absolu dans l’art. Si l’on compare avec d’autres pays, c’est assez prononcé en France, où l’on trouve historiquement normal qu’un metteur en scène, un professeur ou une personne exerçant une ascendance donne libre cours à sa cause, et que les acteurs se mettent à tout prix au service du but élevé, c’est-à-dire la création. Tant que cette idée planera dans l’inconscient collectif, il sera compliqué de faire respecter des paramètres très objectifs et absolument pas flous.

M. le président Erwan Balanant. Je vous remercie pour les pistes de réflexion que vous nous avez apportées concernant l’encadrement des écoles et la diffusion des bonnes pratiques. Vous avez un rôle important à jouer puisque vous formez les auteurs, les réalisateurs et le monde du spectacle de demain.

*

*     *


6.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Sophie Zeller, adjointe à la direction générale de la création artistique (DGCA) au ministère de la Culture.

M. le président Erwan Balanant. Madame Sophie Zeller, je vous souhaite la bienvenue. Comme vous le savez sans doute, les travaux de notre commission d’enquête s’articulent autour des axes suivants : l’évaluation de la situation des mineurs d’une part et des majeurs d’autre part dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ; l’identification des mécanismes et des défaillances qui permettent des violences dans ces secteurs et la définition des responsabilités de chacun ; la formulation de recommandations.

La direction générale de la création artistique (DGCA) du ministère de la culture, où vous exercez les fonctions d’adjointe au directeur général, a pour mission de définir, coordonner et évaluer la politique de l’État relative au spectacle vivant, au cœur donc des préoccupations de notre commission.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez nous présenter, dans un court propos introductif qui ne devra pas excéder dix minutes, les actions mises en œuvre par la DGCA dans le champ de la commission d’enquête, et plus particulièrement en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Dans un second temps, la rapporteure et mes collègues vous poseront des questions plus précises.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, qui dureront environ une heure, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Sophie Zeller prête serment.)

Mme Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le président, le champ de compétence de la direction générale de la création artistique est la création artistique et, pour ce qui nous occupe, le spectacle vivant. Je pourrai être amenée à parler du cinéma, domaine dans lequel certaines nouveautés pourraient être transposées au nôtre, mais les questions liées au cinéma sont plutôt pilotées par le Centre national du cinéma et de l’image animée, le CNC, que vous aurez sans doute l’occasion d’auditionner.

Pour la DGCA, les politiques publiques visant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles, reposent sur quatre piliers.

Le premier est celui de la libération de la parole, de l’écoute et de l’accompagnement, qui a commencé à être formalisé et renforcé – ce qui ne signifie évidemment pas qu’on ne faisait rien auparavant – à partir de 2017, avec la mise en place de cellules d’écoute. Deux cellules de ce type ont été créées : l’une s’adresse aux agents du ministère de la culture et de ses établissements publics, soit 30 000 agents et 37 000 étudiants d’écoles d’art nationales ou territoriales ; l’autre, mise en place par Audiens en 2020 et destinée aux victimes et témoins des VHSS (violences et harcèlement sexistes et sexuels) dans le secteur du spectacle vivant et enregistré, a été créée par les partenaires sociaux et financée par le ministère de la culture pour toutes les personnes du secteur qui ne sont pas agents du ministère.

La politique de libération de la parole comporte également des actions de prévention, de sensibilisation et de formation. Le secteur professionnel est aujourd’hui de plus en plus mobilisé pour faire remonter les difficultés et les signalements.

Le deuxième pilier fondamental de la politique du ministère de la culture est la conditionnalité des aides. Le cinéma a été le premier secteur à se doter d’outils dédiés, à la suite de l’apparition du mouvement #MeToo, en 2019. Dès 2020 a été instaurée la conditionnalité des aides du CNC et, en octobre 2020, la formation des dirigeants est devenue obligatoire, de telle sorte que l’on compte déjà dans le cinéma 6 000 professionnels formés. À compter de juillet 2024, l’ensemble du collectif de travail devra obligatoirement être formé. Dans le champ de la création, les choses ont été un peu décalées dans le temps : le plan d’action a été mis en place fin 2021 et s’est appliqué à compter du début 2022.

La conditionnalité des aides fonctionne de la façon suivante : toute structure recevant une aide du ministère de la culture, y compris pour un simple projet, doit respecter cinq engagements. Le premier consiste à se mettre en conformité avec les obligations légales en matière de santé, de sécurité et de harcèlement sexuel – c’est une évidence, mais nous le rappelons, pour mémoire. Le deuxième engagement consiste à former la direction, les encadrants, les responsables de ressources humaines (RH) et les personnes désignées comme référentes au recueil de la parole et à la gestion des situations de violence. Le troisième engagement consiste à sensibiliser les équipes et à organiser la prévention des risques. Le quatrième, à créer un dispositif de signalement efficace et à traiter chaque signalement reçu. Le cinquième, à engager un suivi et une évaluation des actions en matière de VHSS.

La conditionnalité des aides permet un contrôle effectif. Concrètement, dès la demande de subvention, mais aussi au moment du bilan, les demandeurs doivent obligatoirement remplir un formulaire dans lequel ils fournissent diverses informations, dont un plan d’action, qui est une étape nécessaire pour laisser aux structures le temps de former leurs dirigeants. Dans ce cadre, les structures ont déclaré avoir formé 1 472 dirigeants et plus de 5 000 salariés à la fin de 2023. Pour la saison 2023-2024, elles s’engagent à former 10 420 encadrants et plus de 15 000 membres de leurs équipes. La généralisation de cette conditionnalité produit donc un effet de masse.

Les difficultés qui demeurent consistent souvent en un besoin d’accompagnement concret qui se manifeste chez les très petites entreprises en cas de VHSS. Peut-être reviendrons-nous sur cette spécificité de ce milieu professionnel.

Le troisième pilier est celui de la mise en place d’outils et de ressources en appui aux professionnels, par exemple la construction, avec l’AFDAS (Assurance formation des activités du spectacle), principal opérateur de compétence du secteur, d’une offre de formation adaptée. En effet, si on demande aux entreprises de former l’ensemble de leurs salariés, et en priorité les équipes dirigeantes, elles doivent avoir rapidement accès à une offre de formation adaptée. Des partenariats sont en outre menés avec, notamment, Uniformation, un deuxième Opco (opérateur de compétences), pour que les salariés dépendant d’une formation puissent aussi avoir accès aux formations de l’AFDAS.

En termes d’outils et de ressources en appui aux professionnels, la profession est aujourd’hui très mobilisée et des avenants aux conventions collectives sont régulièrement signés. Ainsi, pour la convention collective nationale des entreprises artistiques et culturelles – donc pour tout le secteur subventionné – un avenant signé en septembre 2022 prévoit des mesures allant au-delà du code du travail et, pour la convention collective nationale du secteur privé, un accord conclu en novembre 2003 pour renforcer l’information des équipes va au-delà des obligations.

Quant au quatrième pilier, il concerne le renforcement des dispositifs de lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels dans l’enseignement supérieur – secteur dont vous venez d’auditionner des représentants. Il consiste notamment à accroître les campagnes de sensibilisation au consentement au sein des établissements de l’enseignement supérieur culture, de mener des opérations de communication au sein de ces établissements et d’accompagner les écoles dans la déclinaison à leur échelle des dispositifs ministériels.

Voilà pour les grandes lignes des quatre piliers principaux de notre action. Je pourrai, bien sûr, préciser tous les éléments qui vous sembleront nécessaires.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Merci, madame, d’avoir accepté de répondre à nos questions.

Vous nous avez décrit des politiques publiques qui visent à lutter contre ces formes de violence relevant du périmètre de notre commission d’enquête. Pouvez-vous déjà dresser un bilan de l’efficacité de ces politiques ? On peut se demander si ces formations suffisent, car des cas de violence sont toujours signalés à tous les niveaux et on n’y répond pas de la bonne manière.

Disposez-vous de chiffres relatifs aux remontées de ces violences ? Le développement de la formation se traduit-il par une augmentation du nombre de ces remontées ?

Quels sont, par ailleurs, les mécanismes de vérification de la conditionnalité des aides publiques que vous venez d’évoquer ? Quel est, notamment, votre regard sur l’application effective des cinq engagements pris au titre du formulaire que vous avez mentionné ?

Enfin, quel bilan pouvez-vous tirer de la cellule mise en place par le ministère de la culture ? Comment sont formés les membres de cette cellule et quel est en le budget ?

Mme Sophie Zeller. Peut-être le premier signe de l’efficacité est-il la remontée de signalements là où, par le passé, ils ne remontaient pas. Depuis la mise en place des cellules d’écoute, on a observé une libération de la parole, dont on ne peut pas mesurer si elle est totale, mais qui est au moins réelle.

La cellule mise en place par le ministère de la culture dispose d’un budget global de 80 000 euros financé à 100 % par le ministère, dans le cadre d’un marché avec la société Concept RSE, retenue en octobre 2022. Un autre prestataire, Allodiscrim, proposait précédemment une offre intitulée Allosexism. La cellule est composée d’avocats et de psychologues, car elle a pour rôle d’orienter les personnes et de leur apporter un conseil juridique et psychologique.

La cellule Audiens, quant à elle, dispose d’un budget global de 130 000 euros, dont le ministère couvre 65 % des dépenses, soit aussi 80 000 euros environ, le reste étant financé par les secteurs professionnels bénéficiaires. Elle est composée de psychologues cliniciennes d’Audiens, auxquelles s’ajoutent les services d’un cabinet d’avocats spécialisé pour la partie juridique.

Les chiffres des remontées permettent un tout petit diagnostic de l’évolution de ces signalements. Pour la cellule du ministère de la culture, 232 signalements ont été reçus en 2023, concernant à 87 % des agents et à 5 % des étudiants. Pour faire une typologie rapide des cas constatés, 40 % concernent du harcèlement moral, 13 % des discriminations, 11 % des VHSS et 5 % du harcèlement sexuel. La cellule portée par Audiens, anonyme et gratuite, a reçu, de sa création à la fin 2020, 975 appels téléphoniques, dont 546 en 2023, ce qui témoigne d’une réelle montée en puissance, même si elle est liée à une meilleure information de la cellule ou à la libération de la parole, avec 65 % des appelants issus du spectacle vivant, 29 % du spectacle enregistré, 4 % des artistes auteurs et 2 % des arts visuels.

Les 975 appels ne concernent pas toujours des plaignants : il peut aussi s’agir d’appels de témoins ou de demandes d’informations sur la plateforme. Deux cent quarante-deux accompagnements ont été proposés. Les victimes sont à 86 % des femmes ; 52 % des signalements concernent des agressions physiques et 48 % des attitudes ou propos sexistes et sexuels.

Pour ce qui est des autres cellules d’écoute, nous n’avons pas de visibilité sur celles qui ont été créées par les collectivités territoriales ou les universités, mais les chiffres qui remontent font apparaître, là aussi, une montée en puissance.

Pour le reste, nous n’avons pas de chiffres globaux, à la fois parce que ce n’est pas la compétence du ministère de la culture et parce que nous n’avons de visibilité que sur les structures que nous accompagnons ou sur les personnes qui se manifestent spontanément auprès des cellules d’écoute.

M. le président Erwan Balanant. Quels sont les numéros de téléphone de ces cellules ?

Mme Sophie Zeller. Je ne les connais pas.

M. le président Erwan Balanant. Et voilà ! Ce n’était pas un piège – je ne les connais pas non plus. C’est une constatation. Ne pourrait-on pas imaginer un numéro simple, comme ceux qui sont mis en place pour la lutte contre le harcèlement scolaire ou la protection de l’enfance ?

Mme Sophie Zeller. Aujourd’hui, on ne connaît plus aucun numéro de téléphone – à peine le sien. En revanche, nous avons beaucoup travaillé sur l’affichage et la communication à propos de ces cellules, et cela fait partie des engagements que nous demandons à chacun de respecter. Nous demandons en effet à toutes les entreprises d’afficher les numéros de la cellule d’écoute et les coordonnées du référent VHSS. L’information est donc globale. Il est toutefois évident qu’une simplification pourrait faciliter les choses, mais j’ignore dans quelle mesure c’est possible. Nous avons plutôt axé notre action sur la communication. À défaut de connaître le numéro je sais où le trouver et je peux l’indiquer aux personnes qui me le demandent. Il est, du reste, accessible assez facilement sur internet.

Les conditions d’attribution des aides publiques permettent un contrôle effectif. Toutes les demandes de subvention sont aujourd’hui dématérialisées dans un outil intitulé « Démarches simplifiées » et ne sont pas recevables avant qu’ait été rempli et déposé le formulaire. L’instructeur de la demande examine ensuite si les engagements pris sont conformes aux cinq obligations requises ; ces engagements sont ensuite retranscrits dans la convention de subvention. Cette procédure ne concerne évidemment que les structures qui auront un soutien de ministère de la culture, mais les engagements sont traduits dans la convention financière.

En outre, tout versement d’une aide impose l’obligation de déposer un bilan et nous demandons, à cette fin, la fourniture de documents justificatifs, par exemple si le demandeur déclare qu’une personne a été formée ou qu’une procédure a été rédigée. Ces éléments sont déterminants, notamment en cas de renouvellement de la subvention. Nous sommes cependant encore au début de la démarche – qui a commencé, je le rappelle, en 2022 – et nous fonctionnons beaucoup avec des conventions de trois ans, de telle sorte qu’une montée en puissance devrait intervenir en 2024.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Vous nous dites que des engagements doivent être pris pour les cinq axes et qu’il faut disposer de documents attestant le respect de ces engagements. Or l’un des cinq axes exige que chaque signalement soit traité. Si l’aide du CNC n’est pas renouvelée en cas de non-respect d’un engagement, un contrôle a posteriori est-il prévu, par exemple après un tournage ? De la même manière, comment s’exerce le suivi des actions de lutte contre les violences ?

Mme Sophie Zeller. J’ai plus particulièrement évoqué les aides relevant du champ du spectacle vivant, mais les choses ne sont pas fondamentalement différentes pour les aides du CNC. Pour ce qui est du traitement des signalements, nous ne pouvons imposer qu’une obligation de moyens : nous demandons aux candidats de présenter l’ensemble des démarches prévues pour permettre la remontée des signalements, comme la désignation des référents, les procédures et l’information mise à la disposition de chaque salarié. Pour le reste, nous n’avons aucune possibilité de connaître le résultat, puisque nous ne connaissons pas l’ensemble des infractions qui ont pu être commises ni des plaintes qui ont pu être déposées par les salariés, qui ne sont nullement tenus de nous en informer.

Nous avons, je le répète, une obligation de moyens, et non pas de résultats. Nous contrôlons ce que nous pouvons contrôler – en l’occurrence, la mise en place d’une procédure de référents et de tout ce qui permet d’accompagner les salariés –, mais nous ne sommes pas en mesure de vérifier que tout signalement a bien pu être traité, puisque nous n’en avons pas connaissance.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Une même équipe présentant deux projets différents pourrait donc, même si l’un des cinq engagements n’a pas été tenu, obtenir encore des aides.

Mme Sophie Zeller. Nous considérons que l’engagement est respecté lorsqu’une procédure a été prévue. Au demeurant, nous n’avons aucun moyen de contrôler autre chose. Pour répondre à votre question : non, on ne peut pas obtenir de nouvelles subventions si la démarche n’est pas mise en œuvre. En revanche, notre contrôle reste limité aux moyens déployés pour y parvenir, et ne porte pas sur les résultats.

M. le président Erwan Balanant. Les productions ne sont pas toujours informées de leurs obligations au regard du droit du travail. Vous avez dit que la profession était très mobilisée et allait parfois plus loin que ne le prévoyaient certaines obligations du code du travail. Nous serions donc intéressés par ces avenants aux collections collectives.

Par ailleurs, pensez-vous que les prérequis de compétences des référents harcèlement devraient être mieux encadrés ? Ne pourrait-on pas même imaginer une sorte de certification de ces référents, qui ne pourraient plus être un membre du groupe du tournage qui serait volontaire pour assumer bénévolement ce rôle ? Cela poserait évidemment la question des moyens financiers, car une grande production française aurait assurément les moyens de financer ce référent, mais ce ne serait sans doute pas le cas d’un petit producteur pour un petit film ou un petit spectacle.

Mme Sophie Zeller. À ce stade, peut-être est-il utile d’évoquer les facteurs de risque spécifiques à ces métiers, qui rendent plus difficiles les actions de prévention. Quand je dis que le secteur professionnel est mobilisé, je pense globalement aux partenaires sociaux et à toutes les institutions qui structurent ce secteur, caractérisé – qu’il s’agisse du cinéma ou du spectacle vivant – par une myriade de toutes petites structures, parfois même sans salariés permanents, ce qui est souvent le cas des compagnies de spectacle vivant, et par un statut de l’emploi marqué par des durées de travail très courtes et une très grande précarité des salariés – c’est le cas des intermittents du spectacle. La prévention est beaucoup plus facile à mettre en place dans de grandes structures.

Il ne s’agit évidemment pas de dresser un panorama tout rose mais, au contraire, de bien désigner les difficultés afin de pouvoir y faire face. Dans ce secteur, la difficulté à parler peut être très grande, en fonction de la notoriété de l’auteur des violences et de la crainte que peuvent avoir les victimes de perdre leur emploi ou d’être blacklistées. Ces métiers présentent une très grande porosité entre le travail et les moments de sociabilité en marge de ce travail – on pense notamment aux dîners et aux pots de première, et aussi, bien sûr, à tout ce qui est lié à l’itinérance, au fait d’être éloigné de sa famille et de dormir à l’hôtel.

C’est en outre un métier où les acteurs sont amenés à être nus, à se toucher et à simuler des rapports sexuels, ce qui n’est pas commun dans le monde du travail. Nous nous efforçons de répondre au mieux à ces difficultés.

Nous avons demandé la présence de référents harcèlement dans toutes les petites structures salariées. Pour celles notamment qui sont trop petites pour avoir leur propre référent, les avenants aux conventions collectives prévoient la possibilité de s’adresser au syndicat signataire. Cependant, le référent harcèlement, lorsqu’il existe, est l’un des salariés qui assure cette fonction en plus de ses autres fonctions, qu’il soit salarié permanent en CDI – ce qui est le plus souvent le cas – ou un administrateur de compagnie intermittent du spectacle.

Je pense que votre question se réfère plutôt à un autre type de référent : le responsable enfant, dont la présence est prévue pour le cinéma, mais pas, à ma connaissance, dans le secteur spectacle vivant –  du moins ce rôle n’y est-il pas du tout structuré. Le responsable enfant, présent sur le tournage dès qu’un enfant y intervient, est financé par la production. Cette fonction a donc un coût, mais le montant de cette dépense n’est pas impossible à financer sur le budget d’une production de cinéma.

Il existe une fiche de poste de responsable enfant, ou du moins son existence est-elle prévue par la convention collective. L’une des avancées récentes dans le secteur du cinéma, actée par un avenant signé le 17 mai dernier à Cannes, consiste à rendre cette fonction obligatoire pour les adhérents à la convention collective. La ministre a annoncé la conditionnalité des aides du CNC pour tout tournage sur lequel un mineur est présent, à compter du 1er juillet. Voilà pour le cinéma.

Il n’y a pas de formation type : seuls un diplôme et une expérience significative dans l’accompagnement des enfants sont requis. Des professionnels de l’enfance peuvent donc se porter candidats.

Le spectacle vivant ne dispose cependant pas de responsables enfants. Je ne dis pas que cela n’est pas nécessaire mais je constate que les problèmes concernant les enfants sont moins fréquents dans ce secteur car ces derniers sont beaucoup moins nombreux.

En effet, si des enfants peuvent participer à un tournage de quelques semaines pendant les vacances, il est plus difficile qu’ils assistent à toutes les répétitions d’une production théâtrale, a fortiori qu’ils participent à une tournée. Les pièces que créent les auteurs ne comprennent en général pas d’enfants ; dans le cas contraire, ils sont souvent joués par des adultes. Les metteurs en scène recourent aussi à des subtilités – vidéos, ombres chinoises, marionnettes – pour éviter que des enfants ne soient présents sur le plateau. Lorsqu’ils doivent l’être, il s’agit souvent d’une pratique collective, afin que des enfants différents soient mobilisés dans chaque lieu de diffusion du spectacle.

Peu de difficultés remontent donc. La présence de responsables enfants n’étant pas répandue dans le spectacle vivant, elle n’est pas prévue par la convention collective.

La dernière catégorie de référents est celle des coordinateurs d’intimité – ils ne sont que cinq en France. La commission paritaire nationale emploi et formation (CPNEF) de l’audiovisuel a lancé un marché pour trouver un organisme capable d’élaborer des formations, afin de les proposer dès le début de l’année 2025. Une démarche de certification est entamée pour faire face à une demande qui augmentera certainement.

Dans le spectacle vivant, la pratique des coordinateurs d’intimité n’est pas généralisée, ce qui ne signifie pas qu’elle ne soit pas utile ou nécessaire. Aujourd’hui, en tout cas, elle n’est pas ressentie comme un besoin essentiel peut-être parce que beaucoup est simulé, non montré.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Le 17 mai, la ministre de la Culture a annoncé qu’un responsable enfants devrait obligatoirement être présent sur chaque tournage dès cet été : il reste peu de temps pour appliquer le dispositif, qui paraît être une bonne mesure, mais qui suscite des interrogations. Combien coûte un responsable enfants sur un tournage ?

S’agissant de la formation, sans remettre en question le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (Bafa), une expérience professionnelle avec les enfants ne suffit probablement pas pour devenir responsable enfants. D’autres compétences sont nécessaires, notamment de connaître les rouages d’un tournage.

Le responsable enfants sera-t-il présent en amont, pendant le casting ; après le tournage, pour accompagner l’enfant dans son retour à la vie de tous les jours ; ainsi que pendant les périodes, plus ou moins longues, de promotion du film ?

Comment évaluer et contrôler ce qu’a vécu l’enfant et si les missions confiées au responsable ont été respectées ?

Mme Sophie Zeller. Même si nous échangeons avec nos collègues, la DGCA ne couvre pas le champ du cinéma, c’est pourquoi je vous invite à approfondir ces questions avec la secrétaire générale du CNC, Leslie Thomas. Je n’ai étudié la fonction de responsable enfants que pour cerner dans quelle mesure il était intéressant de la transposer au spectacle vivant – en particulier, j’ignore quel est son coût, quand celui d’un coordinateur d’intimité est de 800 euros par jour.

Le métier de responsable enfants étant nouveau, les personnes qui l’exerceront ne seront d’abord ni formées ni expérimentées ; la profession se construira progressivement. Le Bafa ne suffira certainement pas : le futur responsable enfants devra justifier d’une expérience en direction des enfants tout en connaissant parfaitement les rouages d’un tournage. Des personnes issues des métiers de la production cinématographique, qui suivront des formations complémentaires, seront plus indiquées qu’un instituteur ou que le titulaire d’un Bafa. Il est probable que des modules de formation seront créés, comme cela a été le cas pour les coordinateurs d’intimité.

Les responsables enfants interviennent lors des tournages, dès qu’un contrat est signé avec la production, et dans les périodes de promotion ; ils ne couvrent pas les castings où l’enfant est placé sous la responsabilité de ses parents. Les directeurs de casting sont toutefois en train de se doter d’une charte éthique et des bonnes pratiques, ce qui montre qu’ils ont été sensibilisés à ces questions.

Puisque les subventions du CNC concernent 95 % des films, la conditionnalité des aides s’applique à la quasi-totalité des films produits en France. Le contrôle s’exerce d’abord a priori : le producteur doit effectuer une déclaration préalable lors de la demande d’aide. Dans cette étape dite d’agrément des investissements, celui-ci mentionne entre autres son nom et le budget de la production.

Le CNC réalise aussi un contrôle a posteriori, lorsque les aides sont versées. Sans cet agrément de la production, où les fiches de paie sont exigées, le film ne peut pas sortir. Même si les responsables enfants sont payés par la production, ils sont libres de faire remonter des signalements auprès des syndicats, des responsables sécurité santé au travail, des cellules d’écoute et de l’ensemble des professionnels, ainsi que de l’inspection du travail dont les contrôles sont fréquents sur les lieux de tournage ou de spectacle vivant qui incluent des enfants. Jusqu’à présent, il n’a été remonté aucun cas d’autocensure, où le responsable enfants n’aurait pas transmis une information qu’il aurait constatée. Le contrôle qui s’exerce à l’heure actuelle est donc relativement fort, ce qui n’était pas le cas il y a trente ans.

M. le président Erwan Balanant. Le droit encadre-t-il suffisamment le « travail » des enfants, qui n’en est pas un ?

Pour le dire de manière un peu caricaturale, si le référent enfants est le beau-frère du producteur, sa présence ne suffira pas. Réfléchissez-vous à un agrément et à un cadre légal pour ces référents ?

Sur un plateau, les chefs électriciens doivent justifier de certains diplômes afin d’assurer la sécurité des membres de l’équipe et la manutention. De la même manière, pour garantir que les enfants soient en sécurité, les organismes de formation de l’État proposeront-ils des formations ou des certifications ? La question est nouvelle, bien que les enfants soient présents sur les tournages depuis un certain temps.

Combien de tournages ont lieu avec des enfants chaque année en France ? Selon leur nombre, le métier de responsable enfants ne sera pas le même et l’on pourra isoler ou protéger la profession.

Mme Sophie Zeller. Mes collègues du CNC sauront répondre à cette question, et partager avec vous leur réflexion sur l’agrément et la formation.

Vous l’avez dit, le travail des mineurs bénéficie d’un cadre dérogatoire. La commission des enfants du spectacle, qui existe depuis longtemps, bien avant l’instauration des responsables enfants, joue un rôle précis : aucun spectacle ne peut avoir lieu sans son autorisation. Le non-respect de la saisine de la commission ou de ses prérogatives entraîne des poursuites au pénal. La commission exerce un contrôle strict des répercussions de la production sur la santé et la moralité de l’enfant. Parfois, les équipes artistiques ne comprennent pas les raisons de son refus. Elle définit précisément les conditions d’emploi des enfants notamment le nombre d’heures d’étude par jour, afin de leur permettre de poursuivre leur scolarité.

Quant aux contrôles de l’inspection du travail, ils sont stricts et fréquents : mes collègues vous préciseront le nombre d’infractions constatées.

M. le président Erwan Balanant. De ce volume pourront dépendre nos préconisations : si les spectacles et les films qui font appel à des enfants sont peu nombreux, les référents enfants pourraient être des membres de la commission, financés par un fonds dédié, qu’alimenteraient le CNC ou les producteurs.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Les castings pour le spectacle vivant, le cinéma, la publicité ou la mode sont toujours un moment délicat, comme l’a montré une directrice de casting du Collectif 50/50, que nous avons auditionnée cet après-midi. Votre direction générale envisage-t-elle que des personnes soient formées pour accompagner les enfants dans ces moments ?

Après les articles parus dans la presse ou les propos de Judith Godrèche, notamment devant les parlementaires, quelles réflexions vous inspire la situation des mineurs ?

M. le président Erwan Balanant. Si nous sommes sensibles à la question des mineurs, nous nous préoccupons aussi des castings des adultes.

Nous avons l’impression que, pendant très longtemps, ces castings ont permis au réalisateur ou au directeur du casting d’être dans une situation de toute puissance face à une personne qui était parfois contrainte de dire ou de faire des choses alors qu’elle ne le souhaitait pas.

Le droit du travail prévoit qu’un certain nombre de règles s’appliquent lors d’un entretien d’embauche. Qu’en est-il pour les castings, qu’il s’agisse du cinéma mais aussi du théâtre ? Je suppose que les conventions collectives prévoient déjà des mesures à cet égard. Au moment du casting, il n’y a pas encore de lien de subordination, puisque le candidat n’a pas été embauché. Mais on pourrait tout de même mettre en place des règles – lesquelles protégeraient d’ailleurs les deux protagonistes.

Pensez-vous qu’il faille faire évoluer notre droit sur ce point ?

Mme Sophie Zeller. Aucune réflexion n’est en cours sur ce sujet au sein de la DGCA. Mais je rappelle qu’il y a très peu de castings dans le spectacle vivant. La sélection en amont du recrutement effectif s’opère pour l’essentiel par cooptation. Un metteur en scène ou un chorégraphe a en général l’habitude de travailler avec un noyau d’interprètes qu’il connaît et il le complétera en recrutant des comédiens ou des danseurs qu’il a vus dans un autre spectacle.

Au passage, la rareté des castings est dénoncée par la CGT, qui reproche aux metteurs en scène ou aux chorégraphes de toujours travailler avec les mêmes interprètes, ce qui limite la diversité sur scène.

M. le président Erwan Balanant. La cooptation, ce n’est pas nécessairement mieux…

Mme Sophie Zeller. Je constate simplement que cela marche comme ça.

M. le président Erwan Balanant. J’ai bien compris que ce n’était pas un jugement de valeur.

Mme Sophie Zeller. Un metteur en scène a une idée du rôle et il a vu jouer untel dans un autre spectacle, ou bien il l’a rencontré lorsqu’il est intervenu dans une école d’enseignement supérieure, par le biais de stages ou d’ateliers. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles ces écoles sollicitent des professionnels qui exercent : cela contribue à l’insertion professionnelle des étudiants. Pour l’essentiel, cela se passe ainsi et les castings sont assez peu nombreux.

Et, une fois encore, aucune réflexion n’est à ce stade menée sur cette question au sein de la DGCA. Nous avons eu beaucoup de signalements à la suite du mouvement #MeToo Théâtre, mais aucun n’était lié aux castings.

M. le président Erwan Balanant. La DGCA est responsable des écoles et des lieux de formation des futurs comédiens, auteurs, danseurs et réalisateurs – on sait que ces derniers ont souvent eu un parcours de comédien, ou ont souhaité l’être à un moment donné.

Nous avons entendu précédemment les représentants d’écoles qui forment aux métiers des arts vivants. Elles font un travail remarquable mais n’ont pas intégré dans leur tronc commun un enseignement portant sur la question des violences sexistes et sexuelles. Quand on sait combien le rapport au corps est important dans ces métiers, de même que le rapport entre le réalisateur ou la réalisatrice et les comédiens ou les comédiennes, former sur ces questions pourrait être un apport intéressant.

Mme Sophie Zeller. En effet.

Nous connaissons des cas de violences sexistes et sexuelles dans ces établissements. Elles peuvent intervenir entre professionnels sans concerner les étudiants, mais aussi entre étudiants ou entre professeurs et étudiants. Quand des signalements sont réalisés, ils nous sont transmis et nous disposons de données chiffrées.

La formation est évidemment fondamentale. Elle permettrait aux nouvelles générations d’étudiants d’avoir des idées un peu plus précises. Il y a certes eu une libération de la parole, mais elle est allée assez loin. Dans certains cas, les faits à l’origine d’un signalement relèvent seulement de relations interpersonnelles entre étudiants, sans que cela constitue une violence ou un harcèlement sexiste et sexuel.

Dans le cadre du plan de lutte du ministère, des formations sur ces violences sont effectuées par les opérateurs nationaux de l’enseignement supérieur culturel, à la suite d’incitations et sur la base du volontariat. Ces formations ne sont pas intégrées de manière obligatoire dans le schéma pédagogique global.

On pourrait sans doute avancer de manière beaucoup plus concrète en exigeant que cela soit le cas et en définissant de manière précise le nombre d’heures prévues dans la maquette pédagogique de nos établissements.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Pourriez-vous nous transmettre les données chiffrées dont dispose la DGCA s’agissant de ces signalements ?

Arrivez-vous à obtenir les informations qui permettent de suivre les enseignants qui font l’objet d’un signalement puis changent d’établissement ?

Mme Sophie Zeller. Nous avions réalisé un bilan pour le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche artistiques et culturels (Cneserac) en février dernier et je vous le transmettrai de manière formelle.

En 2023, trente-huit signalements nous ont été communiqués.

Les faits concernaient pour 37 % des professionnels entre eux, sans que des étudiants soient impliqués – c’est un peu contre-intuitif, mais il y a quand même beaucoup d’affaires de ce type.

Les faits entre étudiants représentaient 16 % des cas tandis que 42 % de ces derniers concernaient des faits entre enseignants et étudiants.

Sur les vingt-quatre cas qui ont impliqué des étudiants, onze étaient en cours de traitement en février – j’espère que cela a évolué –, quatre ont donné lieu à sanction et neuf ont été clôturés sans sanction mais avec rappel à l’ordre.

Même si c’est toujours trop, vingt-quatre signalements sur un total de 36 700 étudiants, ce n’est pas énorme. Il s’agit dans 42 % des cas d’agissements sexistes et dans 58 % de violences sexuelles.

Je sais que vous avez entendu des membres du collectif #MeToo Théâtre et qu’ils souhaiteraient que le ministère de la culture soit chargé de prévenir les autres structures dans lesquelles un individu signalé pourrait être amené à intervenir. Mais nous n’en avons pas le droit, y compris lorsqu’il y a dépôt de plainte ou condamnation.

M. le président Erwan Balanant. Quel est l’obstacle juridique ? Le Parlement peut modifier la loi, mais nous devons savoir quelle est la disposition qui empêche le ministère d’agir. Je comprendrais que vous n’ayez pas immédiatement la réponse. Ce n’est pas un piège.

Mme Sophie Zeller. Je ne prends aucune question comme un piège.

Nous sommes tenus de respecter la présomption d’innocence pendant toute une première phase…

M. le président Erwan Balanant. Et lorsqu’une condamnation est intervenue ?

Mme Sophie Zeller. Nous ne le savons souvent pas. Au demeurant, il y a très peu de condamnations.

M. le président Erwan Balanant. Elles sont mentionnées dans le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV).

Mme Sophie Zeller. L’administration centrale du ministère de la culture n’y a pas accès, ce qui est un vrai sujet. Elle a demandé à pouvoir le consulter et cette demande est en cours d’étude. Actuellement, les directions régionales des affaires culturelles (Drac) ont accès à ce fichier par le biais des préfets.

Cela étant dit, dans la majorité des cas, les signalements concernent des personnes qui n’ont pas été condamnées.

M. le président Erwan Balanant. La présomption d’innocence doit alors bien sûr être respectée.

Mme Sophie Zeller. Nous avons beaucoup recours à des enseignants pour des prestations très ponctuelles, telles que des master class ou des ateliers.

M. le président Erwan Balanant. Ces intervenants sont des professionnels qui n’ont pas toujours une formation complète d’enseignant, ce qui rend les choses plus complexes.

Mme Sophie Zeller. Exactement : ce sont des collaborateurs occasionnels.

Il est plus difficile d’organiser des formations obligatoires pour eux. Ils ne sont pas toujours très au point. Ils peuvent parfois oublier le cadre pédagogique et qu’ils ne sont pas là pour aller boire un verre ensuite avec les étudiants…

Nous ne pouvons pas partager avec d’autres les signalements que nous avons reçus. En revanche, nous demandons le plus possible aux établissements qui recrutent ces intervenants de se renseigner auprès des autres structures qui les ont employés. Ce contrôle d’honorabilité relève de l’employeur, mais notre administration n’a pas le droit d’y procéder.

M. le président Erwan Balanant. Nous vous remercions d’avoir participé à nos travaux et vous demandons de nous transmettre les données chiffrées dont vous disposez sur Audiens et sur la cellule d’écoute et d’alerte du ministère, ainsi que celles portant sur les établissements d’enseignement. Il est particulièrement important que notre commission puisse objectiver les choses.

*

*     *

 

7.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Anouk Lavaure, directrice adjointe au directeur général du travail, ministère du travail, de la santé et des solidarités, et Mme Christelle Chambarlhac, cheffe du bureau du pilotage du système d’inspection du travail.

M. le président Erwan Balanant. Les travaux de notre commission s’articulent autour de plusieurs axes et d’une ambition. Les axes, que vous connaissez déjà, sont les suivants : l’évaluation de la situation des mineurs et des majeurs dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ; l’identification des mécanismes et des défaillances permettant des violences dans ces secteurs ; et la définition des responsabilités de chacun. Notre ambition est de formuler des recommandations pour améliorer ces situations.

Les questions relatives au droit du travail, à sa mise en œuvre effective et au contrôle de son respect, notamment sur les plateaux de tournage, sont cruciales pour notre commission d’enquête. Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous présentiez, dans un court propos introductif, la manière dont est élaborée la programmation en matière de contrôle des entreprises dans les secteurs qui intéressent la commission d’enquête, en précisant si ces secteurs présentent des spécificités du point de vue de la Direction générale du travail. Dans un second temps, la rapporteure et mes collègues vous poseront des questions plus précises. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mmes Anouk Lavaure, Sophie Fleurance et Christelle Chambarlhac prêtent successivement serment.)

Mme Anouk Lavaure, directrice adjointe au directeur général du travail, ministère du travail, de la santé et des solidarités. À titre liminaire, rappelons que la direction générale du travail, dans le cadre de ses différentes fonctions, prépare, anime et coordonne la politique du travail. Elle élabore également les textes législatifs et réglementaires relatifs aux relations individuelles et collectives de travail, aux conditions de travail, ainsi qu’à la protection de la santé et de la sécurité au travail. Elle développe des actions visant à encourager le dialogue social et assure le rôle d’autorité centrale du système d’inspection du travail. À ce titre, elle pilote et anime les services déconcentrés dans la mise en œuvre de la politique du travail, fournissant une expertise et un appui juridique et méthodologique aux services déconcentrés. La direction générale du travail détermine le cadre d’exercice des missions du système d’inspection du travail et est chargée de l’application de la convention internationale n° 81 de l’OIT.

Cette convention définit les prérogatives et le cadre spécifique d’intervention de l’inspection du travail. Conformément à ses dispositions, le système d’inspection du travail veille principalement à l’application des dispositions légales relatives aux conditions de travail et à la protection des travailleurs. Il fournit également des informations et des conseils techniques aux employeurs et aux travailleurs. Les agents du système d’inspection du travail peuvent décider de donner des avertissements ou des conseils plutôt que d’engager des poursuites, ce qui se traduit en droit interne par le principe de libre décision.

Le système d’inspection du travail se compose de la direction générale du travail et des directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets). Ces directions régionales accueillent un pôle travail pilotant la politique du travail et l’action d’inspection du travail dans l’ensemble de la région. Elles disposent également de services spécialisés de contrôle, notamment en matière de travail illégal. Le niveau départemental accueille la majorité des agents de contrôle, au sein des unités de contrôle des directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités (Ddets), et, le cas échéant, de la protection des populations.

La compétence du système d’inspection du travail s’étend à environ deux millions d’établissements de toutes tailles et de tous secteurs d’activité, employant environ 20 millions de travailleurs. Le principal secteur en termes d’emploi est le secteur tertiaire. Le service de l’inspection du travail est compétent pour l’ensemble des établissements du secteur privé, à l’exception de l’administration publique. Hormis quelques secteurs spécialisés, pour lesquels l’inspection est confiée à d’autres ministères ou autorités de tutelle, l’inspection du travail est responsable de l’application de la réglementation du travail dans l’ensemble des secteurs d’activité.

Il est également important de souligner que, en raison de ce périmètre étendu, mais également parce qu’elle est compétente sur l’ensemble des normes juridiques d’ordre législatif, réglementaire et conventionnel, sans nécessairement disposer d’un pouvoir de sanction, l’inspection du travail intervient sur l’ensemble des relations de travail, qu’elles soient individuelles ou collectives, ainsi que sur les conditions de travail, d’emploi, de santé et de sécurité au travail. L’inspection du travail dispose d’une compétence d’investigation pour toutes les situations de relations de travail afin de garantir l’application des textes.

En termes d’organisation, la compétence de l’agent de contrôle est principalement géographique, dans le cadre de sections d’inspection du travail, et s’étend à tous les établissements situés dans ce périmètre. Nous comptons environ 2 000 sections d’inspection du travail à l’échelle nationale et un peu moins de 1 800 agents de contrôle présents dans ces sections. À cela s’ajoutent environ 450 agents des services de renseignement, qui fournissent information et conseil aux usagers.

L’inspection du travail dispose d’un droit d’entrée dans tous les établissements où s’appliquent ces règles, à l’exception notable des domiciles privés des personnes.

M. le président Erwan Balanant. La direction du travail ne peut-elle donc pas intervenir lorsqu’un tournage se déroule dans un domicile privé, ou bien le lieu perd-il, dans ce cas, son caractère privé ? En effet, des appartements, des maisons, voire des terrains privés sont fréquemment loués pour les tournages. Cette situation limite-t-elle votre champ d’action ?

Mme Anouk Lavaure. Le domicile privé, en tant qu’espace habité, ne peut être investi qu’avec l’autorisation de l’occupant des lieux, nous n’avons pas la possibilité d’intervenir systématiquement.

La question de l’habitation est déterminante. Si le domicile est transformé en lieu de tournage, il devient un lieu de travail. Jusqu’à présent, cette question ne s’est pas posée. Dans le cadre d’un chantier de rénovation chez un propriétaire privé, si nous constatons une situation de travail depuis la rue, nous devons obtenir l’autorisation de l’occupant des lieux pour pénétrer dans le domicile privé.

L’inspection du travail peut intervenir de sa propre initiative, mais aussi en réponse à des situations signalées, notamment en ce qui concerne les violences. L’inspection du travail agit dans le cadre du plan national d’action pluriannuel du système d’inspection du travail. Ce plan vise à mobiliser de manière coordonnée l’ensemble des services et agents sur des actions prioritaires, afin de faire évoluer significativement les conditions de travail et de garantir les droits fondamentaux des travailleurs sur des sujets identifiés comme incontournables. Le plan national d’action 2023-2025 identifie quatre sujets nécessitant la mobilisation de l’inspection du travail.

Le premier concerne la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, impliquant une forte présence sur les lieux de travail et les chantiers, afin d’intervenir sur toutes les expositions à des risques physiques, chimiques et biologiques. Le deuxième axe est la lutte contre les fraudes, prenant en compte les enjeux liés à l’irrégularité de certaines situations de travail, notamment la lutte contre le travail illégal, la traite des êtres humains, l’emploi d’étrangers sans titre de séjour ou les manquements aux obligations de détachement de travailleurs. Un troisième axe porte sur la réduction des inégalités, avec une attention particulière à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Cela inclut également, les questions de harcèlement sexuel et moral au travail. Enfin, un dernier axe concerne la protection des travailleurs les plus vulnérables, en particulier les travailleurs précaires et les jeunes travailleurs, notamment les apprentis.

Pour répondre à votre question, en dehors du cadre précis de pilotage des actions de l’inspection du travail sur ces priorités, il n’existe pas aujourd’hui d’axe dédié à la prévention des violences dans le secteur du spectacle. La question de la présence sur les lieux de travail se heurte en effet à l’absence d’établissements fixes, puisque les activités sont souvent itinérantes, ponctuelles, avec un collectif de travail composé principalement d’intermittents. Nous ne connaissons pas l’ensemble des lieux où se déroulent ces activités, notamment les lieux de tournage. L’essentiel de notre activité consiste à intervenir sur signalement et, le cas échéant, sur plainte, dans le cadre de situations de harcèlement sexuel ou moral au travail. Les inspecteurs du travail disposent d’un droit de communication étendu pour constater ces faits à travers tout document ou élément d’information dont ils disposent. Ils ont compétence pour constater ces infractions par procès-verbal. Ils peuvent également être saisis de faits relevant d’incriminations du code pénal et, à ce titre, intervenir sous la forme d’un signalement au procureur de la République, permettant à ce dernier de diligenter l’enquête nécessaire.

L’inspection du travail peut également être alertée sur une situation dangereuse en vertu des principes généraux de prévention que l’employeur doit respecter pour assurer la sécurité physique et mentale des travailleurs. À ce titre, elle peut solliciter le directeur régional de la Dreets pour une mise en demeure visant à faire cesser cette situation dangereuse. Cela est possible lorsqu’une situation de souffrance au travail ne peut pas être qualifiée pénalement de harcèlement moral ou sexuel.

S’agissant de la sécurité des mineurs, l’agent de contrôle de l’inspection du travail constatant un risque sérieux pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique ou morale d’un travailleur de moins de 16 ans peut demander au directeur régional la suspension de son contrat de travail. Le directeur régional dispose alors de quinze jours à compter des constatations pour autoriser ou refuser la reprise de la relation de travail. Il importe de rappeler que le code du travail interdit de confier à des mineurs de moins de 16 ans des activités dangereuses, notamment pour leur moralité. En cas de violation des dispositions relatives à l’emploi des enfants, ou d’emploi d’un enfant sans autorisation de la commission des enfants du spectacle des sanctions pénales sont prévues dans le code du travail.

Il existe certaines limites à l’intervention des agents dans ce secteur. Les faits relatifs à un éventuel harcèlement sexuel sont souvent portés à la connaissance des agents par le biais de plaintes ou d’alertes émanant d’autres acteurs institutionnels. Dans le cadre d’une plainte, le principe de confidentialité absolue impose à l’agent de contrôle d’obtenir la levée de cette confidentialité avant de pouvoir engager une démarche qui n’expose pas la victime ou l’auteur du signalement. Nous rencontrons souvent des difficultés à établir des constats spécifiques de la situation individuelle lors des contrôles. L’enquête repose principalement sur la démonstration d’éléments matériels de l’infraction et se base souvent sur le recueil de témoignages et, éventuellement, de faits matériels complémentaires, tels que des écrits. Ces éléments sont ensuite transmis au procureur de la République par procès-verbal ou, lorsque la matérialité de l’infraction ne peut être démontrée, par un signalement en vertu de l’article 40. Ces procédures sont généralement longues et complexes et il est parfois impossible de produire tout témoignage.

L’inspecteur du travail est également chargé de contrôler l’application des dispositions conventionnelles, mais peut se heurter à l’impossibilité de sanctionner des manquements, faute de sanctions pénales ou administratives autres que celles prévues par le code du travail. Face à cette situation, les services déconcentrés ont engagé et développé, notamment depuis le lancement du quatrième plan santé au travail (PST4) en 2023, des actions visant à la prévention et à la sensibilisation des acteurs en matière de violences sexistes et sexuelles au travail. Ces actions ne visent pas toujours spécifiquement un secteur d’activité donné, mais il nous sera possible de rappeler les initiatives prises par la région Auvergne-Rhône-Alpes, notamment pour le secteur du spectacle.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Dans vos propos liminaires, madame, vous évoquez des procédures d’enquête longues et complexes, applicables dans tous les milieux où l’inspection du travail peut être sollicitée. Cette commission d’enquête possède un périmètre particulier, celui du monde du spectacle et de la culture, qui présente des contraintes et des temporalités spécifiques. Comment organisez-vous vos enquêtes pour les tournages ne durant que quelques mois, imposant d’agir rapidement en cas de signalements ? De plus, comment intervenez-vous dans le cadre de spectacles itinérants ? Quelle branche de votre service est compétente dans ces situations ? Existe-t-il une transmission centralisée des informations, notamment pour les tournées d’acteurs ? Je voudrais également comprendre le cadre applicable lors des castings, où aucun contrat de travail n’est encore signé

Vous avez évoqué des statistiques concernant les cas de violences sexistes, sexuelles et psychologiques, tant pour les majeurs que pour les mineurs. Ces statistiques sont-elles disponibles secteur par secteur, et observez-vous une augmentation d’une année sur l’autre ?

Pourriez-vous nous fournir un exemple concret de signalement de dysfonctionnement sur un plateau de tournage ? Comment se déroule votre intervention sur place et quels sont les délais d’intervention ?

Par ailleurs, avez-vous identifié des améliorations qui pourraient être apportées au cadre législatif actuel ?

Enfin, lors de ces auditions, il a été beaucoup question des événements se déroulant lors des tournages. Quid des faits survenant en dehors des heures de travail, lors des soirées où circulent alcool et substances illicites, rendant les acteurs et techniciens plus vulnérables à d’éventuelles violences ? Ces situations relèvent-elles également de votre contrôle ?

Mme Anouk Lavaure. Nous ne disposons pas, au sein des services d’inspection du travail, d’informations relatives aux lieux, périodes, dates et horaires de tournage. Nous pouvons en être informés de manière incidente, notamment lorsque l’inspection du travail est saisie de demandes de dérogation au titre, par exemple, de la durée du travail pour un mineur ou de dérogations en matière de repos. Cependant, ces informations ne nous sont pas systématiquement communiquées. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’inspection du travail intervient sur l’ensemble des lieux de travail, sans cibler particulièrement le secteur des tournages par rapport aux autres secteurs d’activité. De plus, une venue aléatoire ne nous permettrait pas nécessairement de constater des manquements. C’est principalement en cas de signalement que nous intervenons, à condition que l’activité de travail soit encore en cours, ce qui nous permet alors d’entendre les personnes présentes et les éventuels témoins.

M. le président Erwan Balanant. Un employeur possédant une usine ou des locaux doit déclarer ces installations et l’inspection du travail connaît les emplacements ainsi que les normes de repos et de sécurité applicables. Lorsqu’un film se prépare, le producteur est-il tenu de vous fournir la liste des lieux de tournage et leurs spécificités ? Dans ce cas, autorisez-vous des inspections spontanées, ou annoncées mais de manière aléatoire ?

Pourriez-vous également nous fournir des statistiques précises sur le nombre d’inspections du travail effectuées dans les milieux qui nous préoccupent ?

Mme Christelle Chambarlhac, cheffe du bureau du pilotage du système d’inspection du travail. La problématique des interventions dans des lieux non fixes n’est pas propre au seul secteur du spectacle. S’agissant des obligations de l’employeur, une entreprise de cinématographie ne se doit de fournir à l’inspection du travail les informations sur le tournage que si l’inspecteur le demande. Cela n’est pas systématique, mais si l’inspecteur suspecte un problème, l’inspecteur du travail du siège de l’entreprise peut demander à l’employeur des détails sur les lieux de tournage, le film, et les conditions de réalisation. Dans le cadre d’une dérogation pour le travail de nuit des mineurs, par exemple, l’inspecteur du travail, saisi d’une demande, peut exiger de l’employeur des informations sur le lieu et les conditions du tournage avant de rendre sa décision. Il peut ensuite communiquer ces informations aux inspecteurs du travail compétents pour les différents lieux de tournage, qui peuvent être répartis sur plusieurs régions ou départements. En cas de doute, l’inspecteur compétent territorialement peut être sollicité pour effectuer une inspection. Nos interventions sont toutefois nécessairement priorisées, et les inspections ne sont pas systématiques en l’absence de plainte ou suspicion. Les moyens existent pour l’inspecteur du travail d’obtenir ces informations, mais il faut les solliciter.

Concernant les statistiques, nous n’avons pas de données exhaustives de tous les incidents. Comme l’a souligné madame Lavaure, les violences ne surviennent pas nécessairement lors des contrôles. Sans information préalable sur des dysfonctionnements, un contrôle ne sera donc pas utile, car rien ne sera constaté. Nous disposons de moyens d’action, mais pour cela, il est impératif que nous obtenions des informations, afin de poser les bonnes questions aux bonnes personnes. Il est également essentiel que les victimes, d’une manière générale, se sentent en confiance pour se tourner vers l’inspection du travail afin de dénoncer des faits, ce qui nous permet de déclencher des enquêtes. Il n’existe aucune réticence de notre part et la direction générale du travail n’a pas besoin d’autoriser des contrôles pour ce type d’événement, puisque les inspecteurs du travail peuvent s’autosaisir pour effectuer des contrôles de manière inopinée. Cependant, pour cela, il est indispensable que nous disposions d’éléments de plainte.

M. le président Erwan Balanant. Les signalements effectués par un acteur ou une actrice auprès de la cellule mise en place par le ministère de la culture vous sont-ils transmis ?

Mme Christelle Chambarlhac. Je n’ai pas connaissance de cet élément à ce stade.

M. le président Erwan Balanant. C’est bien ce qu’il me semblait. C’est une lacune : une connexion semble nécessaire, ce sera peut-être l’une de nos préconisations.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Pour revenir sur l’une de mes questions initiales, quel est le délai de réponse en cas de signalement ? Lorsqu’un acteur ou un technicien vous adresse un signalement, sous combien de temps est-il pris en compte ? Imaginons qu’un tournage dure un mois, avez-vous la capacité d’intervenir durant cette période ? Si l’alerte est urgente, compromettant l’intégrité et la santé des travailleurs sur une période déterminée et courte, avez-vous le temps de réagir ? Vous est-il possible de suspendre le tournage le temps nécessaire à une enquête ou à une action corrective, ou le tournage risque-t-il de se poursuivre, faute de mesure prise à temps ?

Mme Christelle Chambarlhac. Nous n’avons pas le pouvoir de suspendre un tournage. Nous pouvons suspendre le contrat de travail d’un mineur si nous constatons un danger, afin d’extraire le mineur de cette situation dangereuse. En revanche, nous n’avons pas l’autorité pour arrêter un tournage.

Concernant le temps de réaction, il s’agit véritablement d’une question de diligence de l’inspecteur. Le code du travail et le code de déontologie des inspecteurs du travail stipulent qu’ils doivent agir avec la diligence normale attendue de tout fonctionnaire. Si une situation grave mettant en cause la santé physique ou mentale d’un salarié est signalée, et si cela est matériellement possible, une intervention peut être organisée dans un délai d’un mois. En revanche, si le tournage a lieu le lendemain et que le signalement intervient à 17 heures, il n’est pas forcément possible d’intervenir matériellement. En tout état de cause, il n’existe pas de délai minimum en dessous duquel nous n’interviendrions pas. Les inspecteurs du travail priorisent les demandes en fonction des personnes présentes et des obligations de chacun, sachant qu’une situation de danger d’un salarié constitue une priorité. Il est donc possible d’intervenir, en rappelant toutefois que le lieu de tournage n’est pas forcément celui de l’entreprise, ce qui nécessite de mettre en relation des inspecteurs du travail sur l’ensemble du territoire français.

Mme Anouk Lavaure. Nous disposons d’un système d’information dans lequel les agents en charge des services de renseignement en droit du travail renseignent de manière non nominative la typologie des questions et des sujets dont ils sont saisis. Pour les années 2023 et 2024, environ 400 sollicitations concernent l’item violence au travail. Nous en comptons 6 (4 pour le spectacle vivant et 2 pour les entreprises artistiques et culturelles) pour les secteurs d’activité qui vous intéressent.

Tous secteurs confondus, nous enregistrons environ un million d’interventions de l’inspection du travail de 2020 à 2024. Pour les secteurs de la production de films, nous comptons 1 793 interventions sur la période concernée. Pour la programmation et la diffusion, ce chiffre s’élève à 588. Les activités créatives, artistiques et de spectacles enregistrent 3 458 interventions. En ce qui concerne la publicité et les études de marché, nous en dénombrons 3 209. Les autres interventions concernent principalement les activités liées à l’emploi et aux agences de travail temporaire, ce qui rend difficile une sectorisation précise. Ces interventions représentent entre 0,2 % et 0,3 % du total des interventions de l’inspection du travail, en ligne avec le poids de ces secteurs (entre 0,1 % et 0,6 %).

En ce qui concerne les suites données par les agents de contrôle en matière de harcèlement moral et sexuel, il est essentiel de préciser que notre système d’information se base sur le nombre de fois où l’article traitant du harcèlement a été invoqué dans les interventions de l’inspection du travail. Nous avons recensé 4 288 interventions tous secteurs confondus, toujours sur la période 2020-2024, en lien avec la réglementation sur le harcèlement : 6 dans le secteur de la production de films ou de programmes de télévision, 4 dans la programmation et la diffusion, 9 dans les activités créatives, artistiques et de spectacles, et 19 dans la publicité et l’étude de marché. Enfin, nous recensons un total de 157 décisions entre 2020 et 2024 en lien avec les dispositions permettant de retirer un jeune d’une situation de travail dangereuse. Parmi ces 157 décisions, une seule, en 2021, concerne les secteurs visés par votre enquête.

M. le président Erwan Balanant. Je reviens sur la question concernant le statut juridique des castings. Comment ces derniers s’inscrivent-ils dans le droit du travail, sachant que les participants ne sont pas encore employés ? Quel dispositif légal encadre les castings ? Sont-ils assimilables à un entretien d’embauche ? Par ailleurs, pourriez-vous préciser les règles régissant la relation entre un futur employeur et un futur salarié lors d’un entretien d’embauche ?

Mme Sophie Fleurance, adjointe au chef des relations individuelles de travail. Les castings sortent effectivement du cadre d’une relation de travail. Ils peuvent être assimilés à un entretien d’embauche, mais avec des spécificités propres, ce qui complexifie la comparaison. L’entretien d’embauche est régi par certaines règles de droit commun, notamment relatives au principe de non-discrimination. Cependant, pour un casting, des critères déterminants tels que l’âge peuvent entrer en jeu, très spécifiques à ce domaine. En tout état de cause, les castings ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une relation de travail. À titre d’exemple, les enfants ne sont pas soumis aux autorisations de la commission des enfants du spectacle.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Ne conviendrait-il pas, selon vous, de faire évoluer cette situation, surtout pour les mineurs, puisque le casting reste un moment flou où ils ne sont pas protégés ?

Mme Anouk Lavaure. Dès lors que nous ne sommes pas dans le cadre du travail, cela n’a pas vocation à relever de la compétence de l’inspection du travail. En revanche, il nous semble important d’encourager des dispositions conventionnelles permettant aux acteurs du secteur et aux employeurs de définir un cadre d’organisation du travail et des relations, afin d’approfondir la question de la prévention. De ce point de vue, toutes les démarches visant à rendre systématique la présence d’un référent pour les enfants, y compris pendant les périodes de casting, peuvent s’avérer pertinentes. Cependant, la présence systématique et préventive de l’inspection du travail lors des castings est difficile à envisager.

Madame la rapporteure, vous avez souhaité que nous exposions plusieurs illustrations de cas. Nous pouvons vous en fournir quelques-uns, bien que notre système de remontée ne nous fournisse pas des informations exhaustives et précises. Si vous souhaitez davantage de détails, nous pourrons compléter ces premières réponses dans le cadre du questionnaire que vous nous avez transmis.

Comme nous vous l’avons indiqué, nous recevons peu de signalements. À titre d’exemple, nous pouvons mentionner un cas en région parisienne dans le secteur de la mode et du spectacle. Le signalement a été reçu par le service dédié de la Ddets, concernant une agression sexuelle envers une comédienne de 15 ans engagée pour le tournage d’un film. Une scène à connotation sexuelle a été tournée sous la contrainte, qui ne correspondait pas à la version initiale du scénario et n’avait pas été présentée dans le cadre de la demande d’autorisation de travail pour mineurs de moins de 16 ans. Après vérification des informations, le service a établi un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale à destination du parquet de Paris.

Un deuxième exemple, toujours en région parisienne, concerne une décision d’opposition à l’engagement d’un apprenti prise à l’encontre d’une société de production. Cette décision a été motivée par l’absence de maître d’apprentissage, l’absence de formations pratiques permettant d’exécuter des opérations conformes à une progression dans le cadre de l’apprentissage, ainsi que par un signalement de propos et de comportements à connotation sexuelle à l’égard d’une apprentie.

Le troisième exemple vise le secteur du divertissement et de la mode à la Réunion, autour de l’organisation d’un concours de beauté avec des miss. L’agence faisait défiler des enfants de moins de 16 ans lors du show, en l’absence de toute autorisation administrative préalable, l’emploi de ces derniers n’étant pas déclaré au motif qu’il s’agissait de bénévoles. La clé d’entrée a été le contrôle de la réalité du statut et de la relation de travail entre ces jeunes et l’employeur.

M. le président Erwan Balanant. Nous constatons que peu de signalements vous parviennent. Pourtant, l’existence même de cette commission d’enquête témoigne de l’ampleur et de la gravité du phénomène, parfois inquiétant. La conclusion est claire, vous n’êtes pas le canal privilégié pour les signalements et les démarches habituelles des responsables de tournage, souvent les producteurs.

Le droit du travail est clair, l’employeur doit assurer la sécurité et la santé du travailleur. Cela leur est-il suffisamment signifié ? Des formations obligatoires sur les violences sexistes et sexuelles sont délivrées par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Cependant, les règles du code du travail sont-elles également rappelées ? Si ce n’est pas le cas, serait-ce souhaitable ? Il est en effet surprenant que vous receviez si peu de signalements. Il ne s’agit pas de vous mettre en cause, mais peut-être de mieux articuler les responsabilités et les procédures en place.

Mme Anouk Lavaure. Comme l’a indiqué madame Christelle Chambarlhac, il est pertinent de réfléchir aux modalités permettant de sensibiliser les professionnels du secteur, les témoins ou les victimes potentielles au rôle de l’inspection du travail. Cette sensibilisation vise à développer la confiance envers nos services, afin de faciliter les signalements. Nous avons élaboré plusieurs guides destinés au grand public, mais également aux représentants du personnel et aux employeurs. Ces guides rappellent les obligations de prévention incombant à l’employeur dans l’évaluation des risques, ainsi que les démarches d’alerte disponibles pour les représentants du personnel. Ces actions de prévention s’inspirent de l’accord national interprofessionnel, qui propose des mesures d’organisation concrètes pour prévenir de telles situations. Il s’avère donc nécessaire de poursuivre les efforts de sensibilisation et de communication autour de ces enjeux.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je m’interroge quant à l’adaptation du cadre législatif concernant les mineurs. Concrètement, lorsqu’un mineur travaille sur un tournage de cinéma, une autorisation individuelle et nominative est requise. En revanche, dans le domaine du mannequinat et de la mode, qui relève également de cette commission d’enquête, il est possible de solliciter soit une autorisation individuelle et nominative, soit un agrément annuel renouvelable délivré aux agences titulaires d’une licence, leur permettant d’embaucher des mineurs. Pourquoi cette disparité ? Est-elle justifiée ? Le cadre législatif applicable aux mineurs est-il, selon vous, adapté et suffisant pour assurer leur sécurité dans le cadre du travail ?

La période de pré-tournage, notamment celle des castings, n’est pas couverte par ces dispositions. Un référent est prévu, mais il n’est pas présent pas durant les castings. Par la suite, un référent est présent durant le tournage, mais uniquement pour cette période, et non pour celle qui suit. Quel regard portez-vous sur cette situation, en particulier concernant les mineurs ? Pensez-vous que cela soit adapté ? Existe-t-il d’autres disparités selon les différents périmètres de notre commission d’enquête ?

Ne faudrait-il pas davantage d’égalité dans le cadre légal appliqué aux mineurs, ainsi qu’un contrôle accru des personnes chargées de les protéger, notamment en ce qui concerne leur formation pour assister les enfants dans le cadre de cette activité professionnelle ?

Mme Émilie Chandler (RE). Ma première question concerne le lien de subordination. Comment envisagez-vous l’amélioration de la notion de lien de subordination lorsqu’il s’agit d’un mineur dans le cadre des missions que vous avez décrites ? Comment peut-on affiner les contours de ce lien de subordination pour éviter les dysfonctionnements observés ? Mon second point, plus spécifique, tient à la notion de contrôle coercitif. Ce concept se rapproche de l’emprise, mais il change de paradigme en se focalisant sur l’auteur. Il s’intéresse à la stratégie de l’auteur qui, tout en mettant la victime en confiance, l’isole progressivement, socialement et mentalement, que ce soit une personne majeure ou mineure. Auriez-vous des éclairages concernant cette notion ?

Mme Anouk Lavaure. La première question porte sur la distinction entre l’attribution des autorisations individuelles ou générales dans le domaine du mannequinat. Cette distinction dépend de la détention d’une licence par l’agence de mannequins. La commission peut émettre un avis défavorable et le préfet retirer l’agrément dès lors que des signalements remettent en cause les conditions de sécurité, notamment morale, du jeune.

En ce qui concerne la formation du référent enfant, il ne s’agit pas d’une disposition relevant du code du travail. À ce titre, nous n’avons pas de responsabilité sur la qualité et les compétences de ce référent. Cependant, dans le cadre d’une évolution réglementaire, la commission des enfants du spectacle pourrait se pencher sur la compétence, le diplôme ou l’expérience de ce référent, ainsi que sur sa présence systématique, ce qui n’est prévu actuellement ni par la commission des enfants du spectacle ni par les conventions collectives, sauf exception.

M. le président Erwan Balanant. L’agrément annuel correspond à la structure, mais pas à la jeune femme de 14 ans à qui l’on donne l’autorisation de travailler en photo durant un an.

Mme Sophie Fleurance. Il s’agit d’un agrément annuel non nominatif, renouvelable sur demande. Cet agrément est attribué à l’agence de mannequins, laquelle doit justifier d’une licence et démontrer des conditions spécifiques. Cet agrément concerne l’emploi direct de l’enfant en tant que mannequin. Les agences de mannequins doivent effectuer une demande de renouvellement, qui peut être acceptée ou non. En cas de signalements concernant l’agence et son activité, il reste possible de suspendre cet agrément ultérieurement.

M. le président Erwan Balanant. En résumé, une agence de mannequins agréée peut constituer un catalogue de mannequins mineurs, sans aucun contrôle individuel alors que lors de la délivrance d’un agrément pour un enfant dans le domaine du cinéma, le rôle, les situations de tournage, les horaires et peut-être même la personnalité de l’enfant, sont évalués.

Mme Sophie Fleurance. En effet, la situation est différente pour les agréments de mannequin.

M. le président Erwan Balanant. Cet agrément annuel permet à une agence de mannequinat agréée de réaliser des photographies sans spécifier si elles sont prises de jour ou de nuit, ni dans quels lieux ou espaces. En conséquence, vous n’avez pas la possibilité d’exercer un quelconque contrôle, ou du moins une idée générale de l’activité.

Mme Sophie Fleurance. En cas d’urgence, lorsqu’un signalement met en cause la santé ou la moralité de l’enfant, l’autorité administrative, représentée par le préfet, intervient sur délégation de la commission. Le préfet détient alors la compétence pour retirer l’agrément, permettant ainsi de suspendre l’activité concernée.

M. le président Erwan Balanant. Il n’existe pas d’agrément pour les agences de casting pour les enfants dans le cinéma et l’audiovisuel, ce qui signifie que tout un chacun peut décider de devenir directeur de casting du jour au lendemain.

Mme Anouk Lavaure. La réglementation du travail ne prévoit pas de cadre particulier d’exercice de cette profession.

Mme Anouk Lavaure. Nous apporterons des précisions dans le cadre des réponses écrites, car la question du lien de subordination renvoie à une définition précise, placée sous le contrôle du juge dans le cadre de la jurisprudence.

S’agissant de la question de Mme Chandler, la notion de contrôle coercitif ne m’est pas familière mais elle peut probablement se rattacher, dans certaines circonstances, à la question du harcèlement, surtout lorsque les contraintes et les intimidations sont exercées par une personne en position d’autorité.

M. le président Erwan Balanant. Nous vous remercions pour ces éléments. Dès lundi, nous auditionnerons la commission des enfants du spectacle, ce qui nous permettra d’obtenir des informations plus précises. Nous vous remercions sincèrement pour ces éclairages. Pourriez-vous nous transmettre les statistiques que vous avez évoquées lors de votre intervention ainsi que tout élément que vous jugerez utile ?

*

*     *

8.   Audition, ouverte à la presse, de coachs pour enfants : Mme Claire Chauchat, coach pour enfants et coordinatrice d’intimité ; Mme Delphine Labey, coach pour enfants et Mme Maryam Muradian, psychologue clinicienne, ancienne coach pour enfants et coordinatrice d’intimité.

M. le président Erwan Balanant. Les travaux de notre commission d’enquête visent à évaluer la situation des mineurs dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. Une question primordiale dans ce contexte est l’accompagnement des enfants sur les tournages. À cet égard, nous saluons l’annonce de la ministre de la culture, madame Rachida Dati, rendant obligatoire la présence d’un responsable d’enfants pour chaque tournage employant des mineurs, condition nécessaire pour être éligible aux aides publiques. Il restera à mettre en place et à définir les modalités de cette mesure, ce qui nécessitera un travail conséquent.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que chacune d’entre vous nous présente rapidement les contours du métier de coach pour enfants et les difficultés que vous rencontrez, dans vos relations avec les parents et les employeurs, ainsi que des problèmes potentiels d’ordre juridique liés à des lacunes ou des vides juridiques. Ensuite, madame la rapporteure Francesca Pasquini vous posera une série de questions plus précises.

Avant de vous laisser la parole, je rappelle que ces auditions sont diffusées sur le site de l’Assemblée nationale et qu’elles sont ouvertes à la presse.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mmes Claire Chauchat, Delphine Labey et Maryam Muradian prêtent successivement serment.)

Mme Claire Chauchat, coach pour enfants et coordinatrice d’intimité. J’ai 39 ans et je suis coach pour acteurs enfants et adultes. J’exerce ce métier depuis dix ans. Mon parcours a débuté en tant que comédienne, après une école de théâtre. En parallèle, j’ai obtenu une licence de psychologie, ainsi que le brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (Bafa), ce qui m’a permis d’accompagner des enfants et d’animer des ateliers de jeux en milieu scolaire, hospitalier ou associatif. Il y a neuf ans, j’ai commencé le coaching pour enfants avec Maryam Muradian, qui m’a formée. Depuis deux ans, j’encadre également des acteurs adultes sur des tournages, notamment en coordination d’intimité.

Le rôle d’un coach est fondamental à nos yeux. Le travail d’un coach pour enfants consiste à collaborer avec les réalisateurs, l’équipe de mise en scène, la production et les familles afin de fournir aux enfants acteurs les outils nécessaires pour interpréter des rôles.

Le travail préparatoire est primordial, car la protection des enfants sur les tournages nécessite de leur fournir les outils adéquats et de mettre en place de nombreuses mesures en amont des tournages. Il est délicat d’arriver directement sur le tournage sans connaître l’enfant ni le scénario ou le rôle qu’il doit interpréter. Lorsque le cadre est posé et que l’on a pris le temps de se préparer en amont, l’enfant est mieux protégé. Celui-ci peut alors être autonome et comprendre ce qu’il va faire. Ainsi, nous le protégeons des violences qu’il pourrait subir.

Mme Delphine Labey, coach pour enfants. Je travaille en coaching avec des enfants et des adolescents depuis près de vingt ans. J’ai été comédienne pendant quinze ans avant de me diriger vers d’autres domaines de création artistique, mais j’ai toujours apprécié le travail de construction d’histoires, les processus créatifs et le jeu. Parallèlement, j’ai travaillé avec des enfants, principalement en petite enfance. J’ai suivi des entraînements réguliers, notamment la méthode Meisner avec Pico Berkowitch, qui met l’accent sur le plaisir du jeu par l’autonomie et la proposition. Bien que ces entraînements visaient principalement les comédiens adultes, j’y ai trouvé de nombreux outils et ressources pour travailler avec les enfants et les adolescents. En parallèle, j’ai suivi une formation en médiation artistique et en art-thérapie, utile pour comprendre différents aspects du jeu et des émotions. Le travail avec les enfants, surtout les plus jeunes, peut se faire par la parole, mais aussi par le corps et d’autres moyens d’expression.

Un plateau est un univers particulier, les enfants n’étant en principe pas habilités à travailler. Ils y sont autorisés par dérogation dans les domaines du cinéma, de la publicité, du théâtre et de la télévision, mais ne possèdent pas les codes que les adultes maîtrisent. Il est donc crucial de les accompagner, pour qu’ils puissent vivre cette expérience de tournage de manière sereine et plaisante. Ils doivent apprendre les règles, explorer et s’amuser. C’est là que l’accompagnement professionnel devient indispensable pour eux sur un plateau de tournage.

Les parents ont beaucoup à apporter à leurs enfants et les accompagnent dans la vie. Cependant, à l’école, ce ne sont pas eux qui les mettent en apprentissage, mais les instituteurs, les professeurs. Chacun a son rôle auprès de l’enfant. Il en va de même sur un tournage, ce qui nécessite de prévoir une personne dédiée à l’accompagnement de l’enfant sur le plateau. Nous travaillons tous de concert. Le coach pour enfants est le référent principal sur le plateau. Il prépare l’enfant et met en place un cadre de travail adapté à l’enfant, en collaboration avec les équipes, le réalisateur, les parents, et la production.

Tout cela se met en place autour de l’enfant, car cette expérience est avant tout pour l’enfant. En tant qu’adultes, nous sommes là pour les accompagner : c’est à nous de nous adapter. Être sur un plateau expose les enfants à certains dangers, c’est aux adultes de les protéger et c’est aussi le rôle du coach pour enfants.

Ce métier, en pleine expansion, n’est pas encore vraiment reconnu. Nous sommes de plus en plus sollicités, sans pour autant être obligatoires. Nous pouvons sembler accessoires, mais notre présence est appréciée. Il semble donc nécessaire d’officialiser et de professionnaliser ce métier. Cela rejoint les propos de madame la ministre concernant la présence obligatoire de responsable des enfants sur chaque tournage. Quel sera leur rôle exact, combien seront-ils ? Pour conclure, notre métier implique un peu de tout cela. Il sera donc nécessaire de clarifier ces aspects.

Mme Maryam Muradian, psychologue clinicienne, ancienne coach pour enfants et coordinatrice d’intimité. Je suis psychologue clinicienne depuis deux ans, après avoir exercé le métier de coach de 2004 à 2022 de coordinatrice d’intimité à la fin de cette période.

Le métier de coach se présente souvent en deuxième partie de carrière. Nous ne devenons pas coachs immédiatement ; nous devons d’abord découvrir le métier d’acteur, les plateaux de théâtre ou de cinéma par d’autres biais. Pour ma part, j’ai passé un baccalauréat en théâtre et je souhaitais devenir comédienne. Cependant, une expérience m’a fait sentir que je risquais d’être manipulée, et j’ai préféré me tourner vers l’écriture et la direction d’acteur. Cela m’a conduit à débuter comme assistante-réalisatrice dans le cinéma. Par hasard, on m’a proposé de coacher un adolescent sur un téléfilm. Cette expérience a été déterminante. Les conditions étaient optimales puisque le réalisateur souhaitait la présence d’un coach, l’adolescent avait 14 ans et avait déjà tourné auparavant. Cela a facilité une collaboration immédiate avec l’équipe, le réalisateur et les parents, qui étaient eux-mêmes techniciens du cinéma. Cette première expérience s’est déroulée très naturellement et a suscité en moi le désir de mieux comprendre et définir cette profession. Ce métier requiert une réflexion permanente, une formation continue, et une adaptation constante aux besoins spécifiques des enfants. Il s’agit de les faire exister en tant que sujets dans cette expérience, pour laquelle ils sont rémunérés, avec une obligation de résultat non négligeable. Nous faisons notre possible pour que cette expérience soit agréable et enrichissante, mais il ne faut pas oublier que cela reste un travail.

Les difficultés sont nombreuses. J’évoquerai tout d’abord la question des parents. Au début, j’étais assez critique, considérant qu’ils exploitaient leurs enfants. Finalement, avec le temps, j’ai compris que les parents ne sont pas mal intentionnés, mais souhaitent offrir à leurs enfants une expérience exceptionnelle, une manière unique d’apprendre la vie et de déployer leurs talents, encadrés par des professionnels compétents. J’en suis arrivée à la conclusion que la relation avec les parents était également une collaboration, sur le modèle de l’école. Les parents confient leurs enfants aux professeurs, formés et reconnus pour cette tâche.

Le coach sert de vecteur entre le foyer et l’espace de travail. Symboliquement, nous accompagnons les enfants sur les plateaux, les suivant de leur loge jusqu’au plateau, avant de nous mettre en retrait, une fois toutes les protections en place, afin de laisser place à leur créativité, à leur liberté et à une collaboration saine avec les réalisateurs, chefs opérateurs, etc. Nous catalysons de nombreuses demandes, car les acteurs sont très sollicités. Les enfants veulent tout comprendre et voir, nous nous efforçons de canaliser cette excitation pour permettre à leurs talents naturels et à leur créativité de s’exprimer pleinement.

Nous devons également expliquer aux parents chaque étape du processus et leur permettre de rester parents, ce qui est essentiel pour les enfants. Lorsqu’ils rentrent chez eux, les enfants peuvent avoir besoin de se décharger, de raconter un événement. Si les parents sont absorbés par l’enjeu professionnel, ils peuvent avoir tendance à dire à leurs enfants de bien obéir et de rester sages, tandis que de notre côté, nous passons notre temps à leur dire d’être libres et de faire ce qu’ils veulent, tant que cela se passe bien. Notre objectif commun est que lorsque l’enfant regardera ce film dans dix, vingt ou trente ans, il soit fier de son travail. Il se souviendra des bons moments et sera fier du résultat, sans en avoir honte.

Concernant l’employeur, une des grandes difficultés pour les enfants acteurs est qu’ils se retrouvent à travailler dans une entreprise où chaque minute de tournage a un coût. Or les enfants sont des êtres très vivants, parfois incontrôlables. L’enfant ne doit pas faire perdre de temps et savoir se soumettre au désir d’un ou de plusieurs adultes inconnus. Tous les enfants ne possèdent pas cette capacité, souvent filtrée lors des castings. C’est un métier, et ce n’est précisément pas un jeu d’enfant. Ce prérequis peut ouvrir la porte à des violences et maltraitances, souvent non nommées. Notre présence empêche les violences flagrantes, car nous protégeons l’enfant, en lien avec les parents, le réalisateur, la production et l’équipe en général. Ces alliances interdisent le jeu de la séduction ou de la tendresse. Nous représentons la valeur travail des enfants à ce moment-là.

Une des lacunes réside dans la question du statut. Le rôle de responsable d’enfant ne figure pas dans la grille de salaire. Nous sommes qualifiées de « répétitrices », terme féminisé. Cela introduit un aspect sexiste, car nous devons souvent faire comprendre que nous ne sommes pas des nounous, malgré tout le respect que j’ai pour cette profession. Très souvent, nous sommes secondées par une autre personne pour la partie hors plateau. Autour du plateau gravitent de nombreuses personnes qui participent à la création et à la recherche, ainsi que toutes les activités périphériques (préparation, loge, etc.). Nous sommes les vecteurs, les accompagnateurs, les guides. Nous discutons avec les enfants des sujets qui les préoccupent : comment pleurer pour une scène, l’endroit où ils vont dormir ce soir, etc. Nous essayons de répondre à leurs questions, parfois inattendues de notre point de vue d’adulte. Cette lacune juridique mérite vraiment d’être travaillée.

Nous sommes qualifiées de répétitrices, mais l’apprentissage arrive généralement en tout dernier lieu. Nous travaillons d’abord sur la posture, les enjeux du métier d’acteur, les difficultés, les besoins. Les enfants ressentent une pression énorme, nous devons la faire redescendre. Nous valorisons leurs compétences et leur intégrité. Cette reconnaissance narcissique contribue à réduire les risques d’abus de confiance, car les enfants s’interrogeront davantage avant de se conformer à des demandes douteuses sous prétexte que cela leur est demandé par une figure d’autorité. Imaginez qu’un acteur ou une actrice célèbre, déjà vue dans de nombreux films, se comporte de manière étrange ; cela pourrait les inciter à imiter ces comportements, pensant que c’est acceptable. Ce sont des enfants que je risque de retrouver quelques années plus tard dans mon cabinet de psychologue, complètement effondrés ou atteints narcissiquement. Je digresse, mais il est indéniable qu’il existe des lacunes juridiques. Le terme de « responsable enfant » ne signifie pas la même chose que « coach ». « Coach » est un anglicisme que je trouve particulièrement laid, mais il englobe la notion d’accompagnement. Être « responsable enfant » ne se limite pas à veiller à ce que les enfants dorment bien et mangent correctement, même si c’est la base et qu’il n’est pas toujours nécessaire d’aller plus loin, lorsque tout se passe bien.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je comprends qu’il existe un socle de formation commun, mais que la formation peut ensuite varier selon les coachs. Vous avez ajouté que les méthodes de travail pouvaient différer. Pensez-vous que la profession soit suffisamment encadrée ou jugez-vous nécessaire une reconnaissance officielle de ce métier ?

Vous avez indiqué être rémunérées par la production. Pourriez-vous nous préciser le coût de l’accompagnement d’un coach pour enfants ? Vous avez également mentionné une augmentation des sollicitations. Pouvez-vous nous communiquer une estimation du nombre de coachs en France et une idée du nombre de tournages impliquant des enfants, car cette information est souvent difficile à obtenir ?

Ma troisième question concerne les référents enfants. Si j’ai bien compris, vous êtes présentes avant le tournage pour faire connaissance avec l’enfant et sa famille. Peut-être les accompagnez-vous également au casting. Vous êtes donc présentes avant, pendant et après le tournage, lorsque le tournage se termine et que l’enfant doit revenir à une vie normale. Pouvez-vous confirmer ce point ? Dans le cadre de la future présence obligatoire des responsables enfants, j’imagine que certains coachs pourront endosser ce rôle. A-t-on sollicité votre avis en tant que coach d’enfant, au vu de votre expérience de plus de dix ans sur les tournages ? Il serait peut-être pertinent de considérer que cette présence obligatoire auprès des enfants ne se limite pas au tournage, puisqu’il existe des besoins avant et après celui-ci.

M. le président Erwan Balanant. Il est essentiel de définir clairement les responsabilités de chacun, en distinguant les personnes s’occupant du jeu de l’enfant de celles en charge de sa sécurité, tant affective que physique. Est-ce le même poste pour ces deux aspects ? Par ailleurs, comment gérez-vous les tournages impliquant plusieurs enfants ? Enfin, quid de la scolarité des enfants lors des tournages prolongés. En avez-vous la charge ?

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Êtes-vous toujours physiquement présentes avec l’enfant ?

M. le président Erwan Balanant. Avez-vous toujours un contact visuel avec l’enfant ou êtes-vous exclues du cœur du plateau ?

Mme Claire Chauchat. Actuellement, il n’existe pas de reconnaissance officielle du métier de coach pour enfants acteurs. Je juge primordial d’agir en ce sens, afin de légitimer la place des coachs. L’exercice de ce métier requiert des compétences variées et solides, car nous sommes constamment en interaction avec l’enfant sur le plateau. Il est essentiel d’être suffisamment expérimenté pour savoir dire stop lorsque cela ne va pas. Le plateau de tournage est souvent très exigu, mais le coach doit savoir s’imposer, car il est évident qu’il faut être constamment aux côtés de l’enfant sur le tournage. À ce titre, il est pertinent de se questionner sur la formation des coachs, car de nombreux enfants tournent et les coachs correctement formés ne sont peut-être pas suffisants. De notre côté, mes collègues et moi possédons des notions de psychologie et comprenons le fonctionnement des enfants. Il est également très important de posséder des connaissances artistiques pour fournir à l’enfant des outils et des références cinématographiques. Par exemple, pour une scène violente, au lieu de filmer directement, il est envisageable de filmer en contrechamp afin que l’enfant ne voie rien de choquant. Il s’agit de réfléchir en amont à différents subterfuges techniques pour garantir que tout reste fictif, car c’est là que cela peut devenir dangereux. Il est inapproprié de demander à un enfant de penser à un parent décédé pour faire semblant de pleurer. Or, ce type de méthode est trop souvent employé. Il est pourtant possible de proposer des moyens ludiques, que nous connaissons en tant que metteurs en scène d’acteurs, pour les préserver et leur permettre de tenir durant un tournage, parfois très long et éprouvant.

Il est donc essentiel de posséder ces connaissances. Une formation est probablement nécessaire, mais comment la concevoir ? Et quels en seraient les prérequis ?

Mme Delphine Labey. Vaste programme. La lacune juridique est indéniable et la profession n’est effectivement pas suffisamment encadrée.

Pour répondre à votre demande de données chiffrées concernant les enfants impliqués dans les tournages, j’ai cherché des éléments, mais n’ai rien trouvé, à l’exception d’un article d’Alexandre Bouyé paru dans le journal Libération en avril dernier. Cet article révèle que 4 000 enfants et adolescents travaillent chaque année sur les tournages de cinéma ou de télévision.

S’agissant du nombre de coachs, nous commençons à nous rassembler et à prendre contact les uns avec les autres. D’après mon expérience, j’estime que nous sommes entre vingt et trente personnes, réparties partout en France.

Par ailleurs, le coût d’un coach dépend de la nature de la mission, de la durée du tournage et du nombre d’enfants impliqués. Nous n’avons pas de grille tarifaire attribuée et devons négocier avec la production.

Le référent enfant est présent avant, pendant et après le tournage. Les frontières sur un tournage, qu’il s’agisse d’un film, d’une série ou d’une fiction, sont très ténues. En tant que coach, nous pouvons accompagner les comédiens adultes, mais ces derniers possèdent des armes pour se protéger que les enfants n’ont pas. Un coach pour enfants ne se contente pas de travailler sur le jeu, l’histoire ou les émotions, il aborde également la manière dont se déroule un tournage, les personnes avec qui l’enfant va collaborer, la relation avec les adultes. L’objectif est de le mettre en confiance et de créer un lien avec lui. Il est essentiel que l’enfant comprenne son rôle et ne soit pas surpris par ce qu’il va découvrir.

L’enfant doit comprendre qu’il est un sujet actif, capable de faire des propositions aux réalisateurs et réalisatrices. Il fait partie intégrante de l’équipe et n’est pas simplement un enfant talentueux qui exécute des tâches. Il a besoin d’être préparé et protégé, c’est le rôle du coach. Lorsque plusieurs enfants sont accompagnés, les coachs ont besoin d’une assistance, car il est impossible d’être à la fois en loge et sur le plateau. Ce relais est toutefois coordonné par le coach.

Par ailleurs, le suivi scolaire est indispensable et obligatoire, comme stipulé dans le guide de la commission des enfants du spectacle de la direction régionale interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets). Nous ne pouvons pas assumer cette responsabilité seuls. L’enfant a besoin d’un suivi scolaire approprié lors des tournages supérieurs à trois ou quatre jours pendant les périodes scolaires. Il est impératif de collaborer avec le chef d’établissement, les parents et les enfants pour garantir ce suivi, qui est non négociable. Nous coordonnons cet aspect, mais ne le menons pas directement puisqu’il est assuré par des instituteurs ou des précepteurs.

M. le président Erwan Balanant. L’accompagnement obligatoire des enfants devra répondre à un certain nombre de règles. Vous êtes actuellement formées sur le terrain, en l’absence de certification. Selon vous, comment pourrait s’organiser la validation des acquis et de l’expérience dans votre domaine ?  Quelles formations pourraient être proposées et par quel type d’organisme ? Si nous légiférons en imposant cette obligation et en imposant des critères précis, il faudra que les diplômes, les compétences et les capacités soient en adéquation.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. J’ai constaté que certaines d’entre vous occupaient également le rôle de coordinatrices d’intimité en parallèle. Intervenez-vous aussi sur les scénarios, comme le font certaines coordinatrices d’intimité, en adaptant l’écriture aux rôles impliquant des enfants ? Cela nécessite de commencer à travailler bien en amont de l’arrivée de l’enfant sur le tournage.

Par ailleurs, existe-t-il une charte ou un outil similaire décrivant la marche à suivre en cas d’incident ? Si vous constatez des infractions sur un tournage, chacun d’entre vous peut-il réagir différemment ou existe-t-il un processus concerté auquel vous vous conformez ?

Vous avez indiqué être rémunérées par les productions. J’ai une question simple mais importante. Imaginons une journée de tournage significative, avec un déplacement et des enjeux économiques considérables, lié à la présence de nombreuses personnes. Supposons que ce jour-là, l’enfant que vous suivez vous informe qu’il est fatigué et qu’il ne souhaite pas tourner. Comment gérez-vous cette situation ?

Mme Maryam Muradian. J’ai personnellement suivi une formation auprès de coachs d’acteurs professionnels. J’ai ainsi pu mobiliser mes compétences de comédienne et acquérir diverses méthodes et approches. Cela m’a été très bénéfique, car il ne s’agissait plus simplement d’être comédien dans un rapport de séduction. En réalité, nous sommes des instruments, comme des instruments de musique, et cela nécessite un travail rigoureux et des méthodes spécifiques. En parallèle, j’ai suivi une formation traditionnelle de coaching en entreprise. Le coaching a émergé en France dans les années 1980 et la question de la certification a été largement explorée. Il existe des organismes de formation très reconnus dans le coaching traditionnel qui pourraient prendre en charge une partie de la formation des coachs d’acteurs. Cela permettrait de réglementer et de structurer les pratiques.

Je pense notamment à la question du contrat tripartite. Le coach intervient pour permettre à la personne coachée d’optimiser ses capacités afin de remplir une mission qui lui est confiée. Cela concerne tous les types de coaching. Parfois, des conflits peuvent survenir avec l’employeur ou le supérieur, entravant le développement des compétences de la personne coachée. Cet employeur est souvent celui qui rémunère le coach pour débloquer la situation. Ce contrat tripartite peut s’avérer complexe. En tant que coach d’enfants, nous pouvons nous retrouver dans une situation similaire. Nous sommes rémunérés par l’employeur, qui, consciemment ou non, ne favorise pas nécessairement l’intérêt de l’enfant. Dans notre formation de coaching, nous apprenons à clarifier nos besoins et notre capacité à dire non à un employeur, même s’il nous rémunère. Nous apprenons également à l’enfant, voire aux parents, à dire non.

Ces compétences sont abordées dans les formations de coaching en entreprise que j’ai suivies et adaptées aux enfants. Cette méthode permet de faire émerger la demande du sujet coaché. Les certificateurs et formateurs en coaching actuels doivent être sollicités. Les coachs présents ce jour, ainsi que d’autres, peuvent animer un module ou participer à un jury composé de plusieurs personnes.

En tout état de cause, il est essentiel de maintenir cette idée de seconde instance, car les coachs ayant effectué une première partie de carrière dans le monde de l’audiovisuel comprennent mieux les enjeux auxquels sont confrontées les personnes qu’ils accompagnent.

Pour ce qui est de la rémunération, ma référence était les assistants-réalisateurs puisque, comme eux, nous collaborons avec le réalisateur sur la partie direction d’acteur. Lorsque j’étais plus jeune, ma référence était le poste de second assistant-réalisateur. Avec l’expérience, c’est devenu premier assistant-réalisateur. Je vous parle toutefois de ma propre perception. Il est important de légiférer sur ce point, afin de ne plus avoir à systématiquement négocier et justifier nos compétences, notre expérience. Combien de fois ai-je dû revenir sur mon parcours : « Cela fait 15 ans que je fais ce métier, j’ai réalisé telle et telle activité, je paie des superviseurs, je suis une psychothérapie, je suis des formations en permanence, etc. » Lorsque j’interviens auprès de plusieurs enfants, en tant que coach, j’ai pu être rémunérée comme première assistante-réalisatrice et mon assistant comme second assistant-réalisateur. Nous définissons le nombre d’assistants nécessaires, afin que l’enfant soit en permanence accompagné. C’est fondamental. Si nous ne sommes pas présents, il est essentiel de lui indiquer avec qui il doit être, à qui il doit s’adresser et à qui se référer. Je me rappelle de journées interminables où mon travail n’était pas terminé tant que l’enfant n’était pas rentré chez lui avec son parent. Notre responsabilité s’étend du départ du domicile jusqu’au retour.

Quand les enfants sont loin de chez eux, il est impératif de distinguer la vie quotidienne du travail. Nous jouons le rôle de coordinateur unique, ce qui est important pour l’enfant mais également facilitateur pour l’ensemble de l’équipe, qui sait à qui s’adresser. En l’occurrence, une personne choisie par le coach est dédiée à la vie quotidienne de l’enfant. Cet assistant-coach joue un rôle crucial, surtout quand l’enfant est fatigué ou démotivé. Pour éviter cela, nous commençons à travailler sur ces aspects deux mois à l’avance, en rappelant aux parents de rester dans leur rôle de parent, de veiller à ce que l’enfant mange et dorme bien, sans lui mettre de pression. Nous instaurons des relais pour que les repères de l’enfant ne changent pas trop, avec un tuteur ou quelques professeurs. Un nombre d’heures leur est attribué chaque semaine, en fonction du planning de travail, pour éviter qu’ils ne soient surchargés. Nous gérons cela en coordination avec les parents ou la personne responsable de leur vie quotidienne lorsque les enfants ne sont pas chez eux.

Je vais vous donner un exemple des micro-violences que nous évitons. J’accompagnais une petite fille de dix ans qui avait le premier rôle d’un téléfilm, nécessitant vingt et un jours de tournage dans une autre ville que celle où elle réside. Je m’enquiers de son logement auprès du directeur de production, qui me répond en toute naïveté qu’elle sera bien logée et qu’il sera dans la chambre voisine, de même que le réalisateur. Évidemment, j’ai refusé cette solution, en expliquant que deux options s’offraient à nous : la présence d’un membre de sa famille ou d’un assistant de vie quotidienne.

S’agissant du travail sur le scénario, nous sommes une sorte d’exosquelette pour les jeunes acteurs. Un acteur adulte lit le scénario, soit seul, soit en groupe, et pose des questions. La configuration idéale est un réalisateur qui prend le temps de lire le scénario avec nous, en reprenant toutes les scènes impliquant l’enfant. Nous analysons chaque scène en posant des questions sur le sens de chaque scène : « Souhaites-tu vraiment qu’il pleure ? », « Souhaites-tu vraiment qu’ils s’embrassent sur la bouche ? ». Ainsi, nous résolvons certains problèmes. Si le réalisateur est moins coopératif, cela se fait de manière plus improvisée, soit en amont, soit quelques jours avant une scène. Le coach doit s’adapter à l’espace qui lui est donné ou non.

La question de la lecture est essentielle. Nous avons évoqué tout à l’heure l’inclusion des coachs. Au niveau technique, c’est relativement simple, nous pouvons facilement nous adresser à n’importe quel membre de l’équipe, par exemple pour leur demander de s’adresser à nous plutôt qu’à l’enfant. C’est plus délicat avec les acteurs et les actrices, qui sont les partenaires de jeu privilégiés des enfants. Certains sont très connus et relativement inaccessibles. Nous ne rencontrons pas les acteurs et ne sommes pas perçus comme des collaborateurs à part entière.

S’agissant de la certification, il existe des intervisions, lors desquelles les coachs partagent leurs expériences et leurs questionnements. Cela contribue à l’intelligence collective de cette profession.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Vous nous expliquez que vous préparez tout en amont, en veillant au planning de l’enfant et en maintenant un cadre de vie sain. C’est la préoccupation de tous les parents. Cependant, malgré la préparation, il peut arriver qu’un enfant soit fatigué ou qu’il n’ait pas envie de tourner. C’est un problème majeur auquel il faut faire face. Dans ce cas, vous devez trouver des stratégies pour convaincre l’enfant de tourner la scène prévue. N’est-ce pas une forme de violence ? Vous le comprenez et lui promettez qu’il se reposera plus tard, mais cherchez tout de même à lui faire accepter de travailler. Disposez-vous d’un moyen pour gérer une situation où un enfant refuse catégoriquement de participer à une scène ?

Par ailleurs, les moments de casting sont des étapes cruciales. J’imagine que vous avez un point de vue sur ces moments non encadrés, auxquels vous ne participez pas et qui ne sont pas régis par le droit du travail. Selon vous, quelles mesures devraient être mises en place pour garantir la sécurité de l’enfant durant ces phases de casting ?

Mme Claire Chauchat. Il s’agit d’un sujet que nous abordons en amont. Nous examinons le plan de travail, nous expliquons à l’enfant ce qui l’attend et évoquons la durée du tournage. Nous discutons ouvertement du fait que certains jours, il n’aura pas envie de tourner, qu’il sera fatigué et qu’il préférera rejoindre ses amis. Nous expliquons à l’enfant qu’il sera comme un sportif de haut niveau courant un marathon, que ce sera long et parfois difficile. Nous vérifions avec lui sa motivation et lui rappelons qu’il aura le droit de dire non, ce qui est très important. Si un jour, un enfant déclare ne pas vouloir tourner, nous en informons la mise en scène et ne le forçons pas à tourner. Ces situations sont anticipées, nous en discutons. En général, un enfant s’amuse les dix premiers jours, puis souhaite faire autre chose. C’est la réalité, il ne faut pas se leurrer. Nous en parlons avec lui, il en est conscient, il sait que c’est ainsi dans la vie, même chez les adultes. C’est un sujet abordé librement et assumé pleinement.

J’ai eu l’occasion de travailler avec une petite fille de six ans. À un certain moment, j’ai perçu qu’elle commençait à se lasser. J’ai alors pris l’initiative de solliciter l’équipe de mise en scène pour leur demander de réduire le temps de tournage, d’introduire davantage de pauses et de réfléchir à diverses solutions pour la laisser davantage respirer et passer plus de temps avec sa famille. La production a mis un certain temps à s’adapter, car il est toujours délicat de réorganiser le planning. Je leur ai toutefois expliqué qu’ils perdraient moins de temps avec une enfant motivée qu’avec une enfant fatiguée ou définitivement bloquée. Nous avons également discuté avec les parents et la production, en soulignant que l’enfant ne serait jamais contrainte de se rendre sur le plateau contre son gré.

Mme Delphine Labey. Il est essentiel de ne pas dramatiser et de reconnaître l’état de l’enfant. Il peut exprimer son mécontentement en pensant à ses copains en vacances, il peut être fatigué, peut-être appréhende-t-il certaines choses. Il faut prendre le temps de comprendre la cause de cette baisse de motivation, pour mieux l’accompagner.

M. le président Erwan Balanant. La question du casting est importante, car se déploient des dynamiques de « séduction », pour reprendre les termes de l’ancienne école, entre le réalisateur tout-puissant et l’actrice ou l’acteur. Estimez-vous nécessaire la présence d’un responsable enfant lors du casting ? Devrait-on la rendre obligatoire ?

Par ailleurs, avez-vous déjà été confrontées, au cours de vos carrières, à une situation où vous rencontrez un enfant et comprenez tout de suite que cet enfant ne pourra pas supporter le tournage, pour diverses raisons ? Cette situation vous est-elle déjà arrivée et comment cela se passe-t-il avec l’équipe de production dans ces cas-là ?

Nous vous serions reconnaissants de répondre précisément sur la question du casting, car il s’agit pour nous d’une préoccupation majeure.

Mme Maryam Muradian. Nous intervenons, au mieux, au moment du call-back, lorsqu’il reste deux enfants en lice et que le réalisateur ou la production hésitent. Nous sommes alors sollicités pour donner notre avis. Nous pouvons être appelés à jouer un rôle d’observateur, ou parfois à mener des séances de travail individuelles, à l’issue desquelles nous livrons nos impressions. Nous constatons parfois que certains enfants, bien que talentueux, ne sont pas capables de tenir la longueur sur un film. Tous les enfants ne peuvent pas devenir acteurs, il n’est pas acquis de parvenir à s’amuser tout en s’adaptant aux demandes du réalisateur. Parfois, cette capacité est mal évaluée lors du casting initial.

Concernant la nécessité de la présence d’un responsable enfant lors des castings, je ne trouverais pas cela déraisonnable, peut-être pas dès le début, mais en cours du processus. Je précise qu’il existe des directrices et directeurs de casting spécialisés dans le travail avec les enfants.

M. le président Erwan Balanant. La présence d’un tiers dans un casting vous semblerait légitime, afin que le réalisateur ne soit pas seul avec un enfant ?

Mme Maryam Muradian. Cette fonction est remplie par le directeur ou la directrice de casting, souvent accompagné d’un assistant ou d’une assistante. Ces deux personnes sont normalement présentes avec le réalisateur.

M. le président Erwan Balanant. Pourrait-on imaginer la présence d’un tiers de confiance, choisi par la famille par exemple ?

Mme Maryam Muradian. Il faut maintenir la dynamique de la production, avec un coach professionnel, de préférence le même que sur le tournage, mais ce n’est pas obligatoire. En revanche, il serait délicat de solliciter la famille dans ce contexte, car cela peut créer de la confusion. Le parent ou référent familial peut se trouver de l’autre côté de la porte, mais il faut que l’espace de travail reste professionnel afin que l’enfant puisse donner le meilleur de lui-même.

M. le président Erwan Balanant. Le problème est qu’il n’existe aucun lien de subordination avant la signature du contrat. Le code du travail, qui assure ensuite la protection du travailleur, n’est pas applicable tant que le contrat n’est pas signé. Durant la période de casting, tout se déroule de manière informelle.

Je comprends mieux votre métier grâce à vos explications. Les coachs ne sont donc pas les personnes à mobiliser dès le début du processus, qui peut être long, mais il est essentiel de prévoir la présence d’un tiers. Nous réfléchissons à la possibilité que seuls les directeurs ou directrices de casting agréés pour travailler avec des enfants puissent organiser les castings d’enfants. C’est une proposition.

Avant de conclure, j’aimerais savoir si beaucoup de films sont encore tournés sans la présence de responsables d’enfants.

Mme Maryam Muradian. Oui.

M. le président Erwan Balanant. Pouvez-vous fournir des exemples de films où des responsables d’enfants étaient présents et où des problèmes ont été rencontrés ? Cet encadrement permet-il d’éviter toute violence ?

Mme Delphine Labey. Je n’ai pas connaissance de problèmes majeurs en termes de violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) impliquant des enfants. Notre présence agit comme un garde-fou, modifiant ainsi certaines expressions de violence.

Cependant, au-delà des VHSS, il existe des situations potentiellement violentes pour les enfants, car ce milieu n’est pas adapté pour eux. Ils sont confrontés à des scènes délicates. Par exemple, un petit garçon de 9 ans assiste à une séquence où sa sœur se noie. La comédienne jouant la mère arrive, repêche sa fille, morte, et explose en larmes. Le garçon est témoin de cette scène terrifiante. De la même manière, il se peut qu’une enfant de trois ans doive assister à une fusillade. Ces situations peuvent avoir un impact violent et fort sur les enfants. Pour y remédier, nous collaborons avec les réalisateurs afin que les enfants ne soient pas exposés directement à ces scènes, grâce à divers subterfuges et techniques. Cependant, même avec ces précautions, l’enfant qui joue le garçon de neuf ans voyant sa sœur se noyer et la réaction terrifiante de la mère, peut être profondément affecté. Malgré toutes les préparations en amont du tournage, nous ne pouvons pas prédire la réaction de l’enfant lors de la scène. Les jeunes comédiens, notamment la petite fille jouant le rôle de la noyée, ou son frère, s’investissent pleinement dans leurs rôles et sont totalement immergés dans l’action. Nous pouvons alors assister à l’émergence d’une émotion très intense, comme ce fut le cas pour le petit garçon. Si personne n’est présent pour le contenir, l’apaiser et le ramener au caractère fictif de la scène qu’il vient de jouer, il risque de perdre pied. La petite fille inanimée dans les bras de l’actrice donnait l’illusion d’être décédée. Si nous ne ramenons pas l’enfant au contexte ludique, il peut se détacher de la réalité.

Il est également possible que l’enfant, par désir de plaire au réalisateur et à l’équipe, n’ose pas exprimer son malaise ou son refus. Nous veillons constamment à repositionner les choses, mais certaines séquences peuvent s’avérer très éprouvantes. Nous prenons toutes les précautions nécessaires, en posant un cadre clair et en prévenant des difficultés potentielles.

Mme Claire Chauchat. Nous avons abordé les phases de pré-tournage et de casting, mais il serait pertinent de réfléchir à l’après-tournage.

M. le président Erwan Balanant. C’était ma dernière question. Je voulais savoir comment vous accompagnez les jeunes comédiens après un tournage. Un film comprend plusieurs étapes. J’imagine que les enfants sont moins impliqués dans le montage, mais il faut penser à la promotion, ainsi qu’au retour à la vraie vie, avec des interactions réelles. Proposez-vous un accompagnement ?

Prenons l’exemple d’un enfant de 7 ans ayant participé à un film comportant des scènes de violence. Vous réussissez, grâce à des techniques de champs et contre-champs, à éviter que l’enfant soit témoin de cette violence. Lorsqu’il visionnera le film à 9 ans, cela peut s’avérer assez violent pour lui. Comment gérez-vous cet accompagnement, notamment la reprise de la scolarité et le retour à une certaine normalité ? J’imagine que ces enfants peuvent parfois prendre la grosse tête lorsqu’un film a du succès, ce qui est compréhensible. Comment accompagnez-vous ces jeunes dans ces situations, car cela peut représenter des violences particulières ?

Mme Claire Chauchat. Concernant les subterfuges, nous réfléchissons en amont avec les familles. Lorsque le scénario comporte des scènes de violence, un suicide, une maladie ou la mort, les sujets sont abordés avec leurs enfants et ce sont les parents qui décident de la manière dont ils souhaitent en parler. Si une situation est cachée à l’enfant, c’est le choix de la famille, qui abordera le sujet lorsque l’enfant grandira. Ce n’est pas une décision que nous prenons. De mon point de vue, les enfants peuvent comprendre beaucoup plus de choses qu’on ne le pense et il est toujours préférable de les informer plutôt que de leur cacher des éléments.

En ce qui concerne la suite du tournage, une fois celui-ci terminé, je ne suis plus employée. Un lien se crée toutefois avec l’enfant et les familles, qui savent qu’elles peuvent me contacter. Nous nous revoyons lors de la projection, mais en réalité, nous n’avons plus de contrôle et la distance rend parfois difficile toute intervention. C’est un axe de réflexion.

Récemment, j’ai eu l’impression que certains enfants tournaient sans grande envie. Ce sont des aspects difficiles à identifier lors du casting, mais pendant le tournage, il devient parfois évident que l’enfant est surtout là pour faire plaisir à ses parents. Il serait pertinent de créer un lien entre les coachs et la Drieets pour communiquer et réaliser un bilan après chaque tournage. Cela permettrait de réagir si, après un, deux ou trois tournages, les coachs signalent systématiquement un manque d’envie de la part de l’enfant. Il serait vraiment intéressant de créer une connexion.

Mme Delphine Labey. Concernant le casting, il me semble pertinent de désigner une personne référente pour établir un lien, anticiper certaines situations et dialoguer avec les parents ou la personne accompagnant les enfants. Elle pourrait évaluer les envies des enfants et détecter des signaux éventuels pouvant être révélateurs d’une absence de motivation personnelle.

S’agissant de l’accompagnement après le tournage, il est essentiel de maintenir un ancrage constant dans la réalité, après la journée de travail, même s’il vit une expérience extraordinaire. Le retour à la maison et à la vie quotidienne ne doit pas être négligé. Il est donc important de préserver ses rituels du soir de l’enfant, qu’il soit chez lui ou ailleurs : devoirs, douche, dîner, histoire et coucher. Il est impératif que l’enfant ne reste pas mentalement dans son film après le tournage, mais qu’il retrouve ses repères habituels, pour maintenir un équilibre.

Après le tournage, j’assure un suivi. Cette démarche est fondamentale, car les enfants ont vécu une expérience intense au sein d’une équipe où ils étaient au centre de l’attention. Une fois le tournage terminé, les adultes passent à autre chose, même si l’expérience a été formidable, mais les enfants peuvent subir un contrecoup bien plus sévère. Certains peuvent décompenser, imploser, perdre leurs repères, malgré toute l’attention qui leur est portée. Cela est inacceptable. Je ne suis plus engagée par la production, mais je m’organise en incluant ce suivi dans mon forfait de jours de préparation. Il est impératif de prévoir ce temps pour les enfants et leurs parents, jusqu’à la promotion du film. Il faut cadrer cet accompagnement, qui est indispensable.

Mme Emmanuelle Anthoine (LR). La découverte de ce nouveau métier de coach et de votre engagement est très intéressante. Lorsque vous constatez de véritables dysfonctionnements, susceptibles de compromettre la santé et l’épanouissement de l’enfant, les avez-vous signalés, au-delà de votre employeur, en saisissant un juge ?

Mme Maryam Muradian. Je n’ai jamais été confrontée à une telle situation. Les productions et réalisateurs qui nous emploient ou nous sollicitent ont globalement conscience de leurs responsabilités vis-à-vis des enfants. Une situation exceptionnelle pourrait survenir si un membre de l’équipe avait des tendances pédophiles, par exemple. Cependant, notre présence constante, que ce soit celle des assistants ou d’autres membres de l’équipe, réduit considérablement les risques de telles occurrences.

En tout état de cause, nous ne permettons pas l’existence de situations mettant en danger la santé de l’enfant, c’est le premier enjeu de notre fonction, avant même de considérer les aspects de comédie. Cette protection est essentielle pour faciliter ses capacités de création et de collaboration. Si nous constatons un enchaînement de jours ou d’heures de tournage, de scènes trop intenses ou très choquantes, nous intervenons. Je me souviens d’une petite fille de quatre ans que je coachais. Elle devait jouer une scène où elle était mise dans les bras de son père pour laisser sa mère partir, ce qui la faisait entrer dans une crise de nerfs. Avant d’accepter des postes de coach sur ce genre de tournage, nous discutons longuement avec le réalisateur pour nous assurer qu’il respectera notre approche du « comme si », qui est fondamental à mes yeux. Nous jouons la scène en imaginant les événements, et commençons par la répéter tranquillement, hors du plateau. Nous abordons également la question du contact physique, puisque la petite fille en question passera potentiellement vingt fois de suite de bras en bras, avec des personnes qu’elle ne connaît pas, pour simuler que sa maman la quitte. Nous essayons de minimiser l’événement et de collaborer avec le réalisateur et le chef opérateur. Si nous y parvenons, l’enfant aura simplement trouvé un bon moment pour se défouler, et l’aura bien vécu. Cela nécessite toutefois une réflexion approfondie, et beaucoup de travail et de répétition. En effet, nous évoluons dans une culture où le talent est souvent perçu comme un don sacré. Les réalisateurs rechignent souvent à engager des coachs, par crainte de dénaturer le talent et la spontanéité de l’enfance, refusant de parler de travail. Je ne critique pas ces réalisateurs ou réalisatrices, car la direction d’acteurs, même adultes, peut être intimidante. Personnellement, j’ai déjà rencontré un réalisateur qui m’a avoué prendre des coachs parce qu’il ne savait pas diriger les acteurs.

Un tournage ne repose jamais sur des prises uniques miraculeusement réussies. Cela peut arriver, mais pas sur 42 jours de tournage. En réalité, il faut répéter et travailler en amont, ce qui réduit significativement les risques de voir un enfant refuser de tourner. J’ai déjà été appelée en urgence parce qu’un enfant de 5 ans refusait de coopérer. Cinquante adultes étaient bloqués face à ce refus. Ils avaient tenté de jouer à cache-cache pour distraire l’enfant, fait venir sa mère pour le rassurer, ce qui faisait que l’enfant ne voulait plus la quitter. Il a fallu déguiser la mère en figurante pour qu’elle reste près de l’enfant et que celui-ci termine la journée. Le directeur de production m’a appelée en attendant un miracle de ma part. J’ai tout repris depuis le début : je suis allée observer sur le plateau pour comprendre la situation. Je me suis présentée à la petite fille, j’ai joué avec elle, je l’ai accompagnée sur le plateau, j’ai demandé à la mère et à l’enfant s’ils étaient d’accord pour que je vienne chez eux. J’ai tout repris depuis le départ, en lui expliquant qu’elle avait le choix d’abandonner le tournage si cela ne lui convenait plus, ou qu’elle pouvait décider de continuer, mais que cela imposait un engagement de sa part. Les enfants comprennent très bien, ce n’est pas une violence mais un choix de s’engager, comme lorsque l’on s’inscrit à un cours de danse. C’est l’enfant, acteur, qui décide.

M. le président Erwan Balanant. Jusqu’à quel âge estimez-vous qu’un enfant doive être sous la responsabilité d’un adulte ? Pour moi, l’enfance s’étend jusqu’à la majorité. Cependant, votre travail diffère considérablement selon qu’il s’agit d’une petite fille de 4 ans ou d’un adolescent de 17 ans. Dans le cadre de la future obligation d’accompagnement, quelle limite pensez-vous que nous devrions fixer ?

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Pensez-vous que votre profession pourrait s’étendre à d’autres secteurs relevant de notre commission d’enquête, tels que la mode ? Par ailleurs, estimez-vous qu’il existe des scènes qu’il ne faudrait jamais faire jouer à des enfants, par exemple des scènes d’intimité particulière ? L’intimité peut revêtir un caractère assez large et personnel. Avez-vous des exemples de scènes qu’il serait impératif d’éviter, ou bien cela dépend-il des enfants et de l’accompagnement ?

Mme Claire Chauchat. Je vais répondre à la première question. J’exerce en tant que coach pour enfants de 0 à 18 ans. Récemment, j’ai également coaché une comédienne de 20 ans pour des séquences intimes, mais elle aurait vraiment eu besoin d’un accompagnement approfondi, car son rôle était très complexe. En effet, certains adultes nécessitent un soutien pour certaines séquences, pas uniquement intimes.

À l’inverse, j’ai coaché des adolescents de 17 ans qui avaient déjà beaucoup d’expérience et pouvaient travailler de manière autonome. Notre présence était surtout préventive. Il est donc difficile de dire qu’à partir de 18 ans, l’accompagnement n’est plus nécessaire.

Mme Maryam Muradian. Il est essentiel de distinguer notre fonction d’accompagnement, qui inclut une dimension de protection, et la présence d’un référent. Ce référent peut être suffisant pour certains grands adolescents, s’il est bien informé. Il veillera à l’intégrité de cet adolescent, comme il pourrait le faire pour d’autres acteurs. Néanmoins, il serait pertinent de rendre obligatoire la proposition d’un accompagnement jusqu’à 20 ans, 22 ans, voire 25 ans. C’est peut-être ambitieux, mais il devrait y avoir une proposition systématique au moins jusqu’à 18 ans. La tranche d’âge de 15 à 18 ans est délicate : une présence est-elle toujours nécessaire ? Certains peuvent la considérer humiliante ou superflue. Il serait donc préférable de le concevoir comme une proposition.

En ce qui concerne les scènes interdites, je voudrais partager une expérience personnelle. Lors du tournage impliquant la petite fille de quatre ans, la première lecture du scénario m’avait fait hésiter. Cependant, après avoir rencontré le réalisateur, j’ai découvert qu’il souhaitait aborder le sujet comme un conte, avec des références au méchant loup, etc. Il s’agissait de créer une narration pour l’enfant, de jouer et de collaborer étroitement avec le réalisateur et le chef opérateur.

Je pense au film « Les Chatouilles », qui aborde de manière significative la question de l’intimité jouée par un enfant. J’ai participé à une projection du film en présence d’Andréa Bescon et d’Éric Métayer, où ils ont indiqué n’avoir pas fait appel à un coach, bien qu’ils aient travaillé en duo. Ce tandem est bien connu des enfants, avec une dynamique de « good cop, bad cop ». Un spectateur les a interrogés sur leur méthode de travail, et ils ont expliqué qu’ils avaient fait du cinéma. Une scène marquante du film est un gros plan sur Andréa Bescon, suggérant que l’agresseur est en train de commettre des attouchements. Cette scène, bien que délicate, a été filmée avec une grande précision. Ils ont énormément travaillé en amont avec la jeune actrice, choisie en pleine conscience de l’importance de ce qu’elle allait interpréter.

Ils ont insisté sur l’importance de cette préparation, surtout avec des enfants plus jeunes, qui pourraient ne pas être pleinement conscients des enjeux. Rien n’est interdit, mais il existe de nombreuses astuces pour aborder ces sujets sensibles. Avec un réalisateur et une production prêts à investir du temps et des moyens, il est possible de mettre en scène ces situations de manière appropriée.

Il est également toujours possible de remettre en question certaines scènes. J’ai moi-même travaillé sur la coordination d’intimité et dû intervenir sur des scènes mal écrites, qui s’apparentaient à un viol alors que ce n’était pas la volonté du réalisateur.

M. le président Erwan Balanant. Je reviens sur la question relative aux autres métiers. Serait-il envisageable de décliner vos compétences dans d’autres domaines ?

Mme Claire Chauchat. À partir du moment où un enfant doit comprendre son rôle, se préparer et réfléchir à ses actions, cela devient utile, offre un gain de temps et permet de protéger l’enfant. Ainsi, d’autres secteurs pourraient effectivement bénéficier de cette approche.

Mme Delphine Labey. Une personne dédiée aux enfants sur les plateaux de shooting photo, de publicité ou autres apporterait un cadre structurant au travail. Les enfants sont souvent sur-stimulés pour poser de manière idéale, mais on ne se demande pas pourquoi ils le font. Un accompagnement leur apporte la conscience de leur travail, et leur permet de comprendre qu’ils ne sont pas obligés de participer s’ils ne le souhaitent pas.

Mme Maryam Muradian. En tant que psychologue, je pense que l’accompagnement post-événement pourrait être assuré par un psychologue indépendant de la production. Il serait pertinent de prévoir, dès la négociation du contrat, un budget dédié à cet accompagnement, éventuellement mis à disposition des parents, afin de garantir un suivi psychologique à la demande, avec un minimum de trois à cinq séances. Le psychologue pourrait à l’issue de ces quelques séances se prononcer sur l’opportunité ou non de poursuivre l’accompagnement.

M. le président Erwan Balanant. Merci pour votre éclairage précieux. Vos interventions nous ont inspiré quelques idées pour formuler des préconisations et nous seront utiles pour les auditions à venir.

*

*     *

 

9.   Audition, ouverte à la presse, de coordinatrices d’intimité : Mme Monia Aït El Hadj, Mme Paloma Garcia Martens, Mme Najoua Ferréol et Mme Noëmy Soffys.

M. le président Erwan Balanant. Notre commission d’enquête a pour objectif de faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle, de l’audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons à identifier les responsabilités de chacun et à proposer des solutions pour remédier à cette situation que nous déplorons tous. L’un des aspects majeurs de cette commission concerne l’accompagnement des scènes touchant à l’intimité sur les tournages.

Dans un premier temps, nous allons vous laisser vous exprimer sur un propos liminaire. Ensuite, la rapporteure Francesca Pasquini et moi-même poserons une série de questions, suivies éventuellement par celles de nos collègues. Nous nous donnons environ une heure pour cette discussion.

Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste votre métier, comment vous l’imaginez, comment vous le vivez et quelles difficultés cette jeune profession peut rencontrer ?

Cette audition est ouverte à la presse et est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues dans une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité Je vais vous inviter, une par une, à activer votre micro et à lever la main droite en disant : « Je le jure. »

(Mme Monia Aït Hadj, Mme Paloma Garcia Martens, Mme Najoua Ferréol et Mme Noëmy Soffys prêtent serment.)

Mme Noëmy Soffys, coordinatrice d’intimité. Je suis coordinatrice d’intimité depuis environ un an et demi. Cependant, ce n’est pas mon premier métier. Initialement, j’étais directrice de casting, profession que j’exerce depuis 2012 en région Auvergne-Rhône-Alpes. Je travaillais également sur les plateaux de cinéma en tant que chargée de figuration depuis cette même année. Ce nouveau métier de coordinatrice d’intimité m’est apparu en 2023 grâce à une série de Netflix qui a sollicité mes services en raison de mon expérience auprès des comédiens, acquise sur près de quinze ans. Mon parcours inclut aussi du coaching, notamment en sophrologie, discipline dans laquelle je me suis formée. Après cette première collaboration avec Netflix, les événements se sont assez enchaînés rapidement, mais j’ai pris le temps de me former sur les questions de violence dans le cinéma. Je suis également devenue secouriste en santé mentale et, grâce à des formations américaines, j’ai appris les processus et protocoles nécessaires aux bonnes pratiques de ce métier. Toutefois, j’observe des différences notables entre la pratique à l’étranger et celle qui prévaut en France.

Mme Najoua Ferréol, coordinatrice d’intimité. Je suis coordinatrice d’intimité depuis plus de deux ans. À l’origine comédienne et réalisatrice, j’ai beaucoup travaillé dans le théâtre et à la réalisation de courts-métrages et d’un documentaire. Mon parcours vers la coordination d’intimité a débuté par hasard. Alors que je préparais un film, le réalisateur m’a demandé d’assumer cette responsabilité en raison de mon expérience en tant que coach d’acteurs et que metteur en scène. J’ai ainsi été amenée à préparer des jeunes femmes pour une scène de rapprochement intime entre femmes. À l’issue de cette expérience, on m’a vivement conseillé de me diriger vers cette profession. J’ai commencé par suivre de petits modules de formation aux États-Unis, puis j’ai obtenu une certification avec IDC Professional. Principalement dispensée par des comédiens, comédiennes, maîtres d’armes et autres professionnels du métier, elle m’a permis d’acquérir des compétences spécifiques. Cependant, je tiens à souligner que ce que j’ai appris n’est pas entièrement adapté au contexte du cinéma français. En effet, bien que de nombreux aspects soient similaires, l’approche américaine est davantage axée sur la dimension juridique, dimension moins présente en France. Je pense que notre travail repose avant tout sur la nuance et l’écoute, et se rapproche davantage du coaching et de l’approche de l’humain.

Mme Paloma Garcia Martens, coordinatrice d’intimité. Je travaille dans le milieu du cinéma depuis 2009. J’ai occupé divers postes, notamment dans l’habillage, le costume, et j’ai également été comédienne. Entre 2021 et 2022, je me suis formée à la coordination d’intimité auprès de plusieurs organismes anglo-saxons. Ce rôle présente de nombreux défis en France, en raison d’une méconnaissance généralisée et d’une minimisation des risques associés aux scènes de sexe. Un tabou persiste autour de la vulnérabilité des acteurs dans ces scènes.

De plus, un vide réglementaire et juridique entoure l’encadrement de celles-ci en France. Dans les pays où des protocoles ont été instaurés, ces derniers sont soutenus par des syndicats puissants, qu’il s’agisse de syndicats d’interprètes ou du secteur cinématographique. Ils possèdent une puissance suffisante pour interrompre des tournages en cas de problème. Ils mettent à disposition des hotlines, des lignes d’écoute spécifiques pour les interprètes, permettant ainsi de suspendre les tournages, si nécessaire. Ce levier est extrêmement important. En France et en Belgique, en revanche, aucun syndicat ne dispose d’un tel pouvoir. Le fonctionnement des productions est entièrement différent, tout comme l’économie du secteur, en raison d’un apport significatif de fonds publics. Contrairement à l’industrie anglo-saxonne, l’économie du cinéma en France repose sur des mécanismes distincts, et les leviers de pouvoir se situent à des endroits différents, ce qui engendre des défis spécifiques. La perception du risque est autre également, car la francophonie n’aborde pas cette notion de la même manière que les Anglo-Saxons. Qu’il s’agisse de risques financiers, de réputation ou même physiques sur un plateau, les Anglo-Saxons, avec leur culture juridique, sont plus enclins à engager des poursuites pour mauvaise pratique ou pour mise en danger. Ils sont beaucoup plus protocolaires et mettent en avant ces aspects en raison des impacts potentiels sur leur réputation, leur capital, les pertes financières ou les assurances. En France, au contraire, nous considérons le métier du cinéma plus comme un artisanat que comme une industrie, avec de nombreuses spécificités qui nous permettent de dépasser les lois de protection des travailleuses et des travailleurs. Il existe une véritable culture informelle du travail dans ce secteur, que ce soit sur les scènes ou dans la manière dont nous traitons les corps des personnes vulnérables. Il y a un déni de cette vulnérabilité et, comme nous n’avons ni la culture ni le problème des Anglo-Saxons, aucune réglementation ne nous incite à résoudre cette question. C’est ainsi que j’interprète le problème actuel.

Mme Monia Aït El Hadj, coordinatrice d’intimité. Je suis coordinatrice d’intimité depuis quatre ans. J’ai d’abord exercé comme juriste avant de me réorienter vers le cinéma. Après avoir terminé une école de cinéma, j’ai découvert ce métier aux États-Unis en 2018-2019 et j’ai décidé de m’y former. Comme ce n’était pas possible en France, je me suis formée auprès d’un organisme américain. J’ai été la première à exercer cette profession en France et j’ai dû convaincre les productions françaises de son utilité, mais j’ai rencontré beaucoup de réticences, car ceux qui connaissaient ce métier le considéraient comme typiquement américain. On me disait souvent : « Nous n’avons pas cette mentalité anglo-saxonne, un peu puritaine. Nous n’avons pas les mêmes problèmes, le corps et l’intimité ne sont pas des tabous pour nous. » J’ai donc ressenti beaucoup de réticences au départ. Les premiers à me faire confiance ont été Netflix, car ils connaissaient déjà ce métier aux États-Unis et utilisaient déjà des coordinateurs et des coordinatrices d’intimité. Grâce à eux, j’ai pu développer mon réseau et commencer à travailler.

Au début, je travaillais principalement pour des productions étrangères en France. Aujourd’hui, la situation commence à s’inverser. Les difficultés que j’ai rencontrées en France ne sont pas liées à l’adaptation de pratiques anglo-saxonnes, car avec l’arrivée des plateformes et le développement des séries, les méthodes de travail techniques tendent à se ressembler. Le véritable obstacle réside dans la mentalité. En France, l’auteur-réalisateur détient les pleins pouvoirs et il est très compliqué de négocier certaines demandes ou le refus de certaines scènes. Il est même compliqué de solliciter la présence d’une coordinatrice ou d’un coordinateur d’intimité. On part du principe que, comme chacun possède son intimité propre, il est simple de la reproduire sur un plateau de tournage. Les comédiens, souvent vulnérables, souhaitent travailler et, si vous refusez, d’autres accepteront de réaliser ce que vous ne voulez pas faire. Il est donc difficile de poser des limites dans notre secteur, surtout lorsque le réalisateur a les pleins pouvoirs. Refuser peut entraîner une mise à l’écart ou un remplacement par quelqu’un d’autre. Cependant, je constate une différence entre mes débuts et aujourd’hui. Il est vrai que notre métier reste largement méconnu, malgré l’adoption, lors du dernier festival de Cannes, d’un texte par les partenaires sociaux du cinéma. Ce texte prévoit l’intervention d’un ou d’une coordinatrice d’intimité pour toutes les scènes intimes. Néanmoins, nous rencontrons encore de nombreux techniciens qui ne connaissent pas notre métier.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Ce métier est relativement récent. Pourriez-vous nous expliquer brièvement son origine et comment il est arrivé en France ? En effet, vous avez des pratiques qui sont encore récentes. J’ai également compris qu’il n’existe pas de formation spécifique à ce métier en France et que vous vous êtes tournées vers les pays anglo-saxons pour vous former. Existe-t-il une formation commune dans ces pays anglo-saxons ?

Vous avez évoqué la différence de pratiques entre la France et l’étranger. Il est intéressant de comprendre que cette différence découle du fait que, dans les pays anglo-saxons, elles s’inscrivent dans un cadre juridique bien établi, avec des contrats, ce qui n’est pas le cas en France. Vous offrez plutôt un accompagnement aux acteurs et aux actrices. Concrètement, je voudrais savoir comment cela se passe lorsque vous arrivez sur un plateau de tournage. Qui demande votre présence ? Les acteurs et les actrices engagés, la production ou les réalisateurs ? Par exemple, Madame Garcia Martens, vous avez travaillé avec Iris Brey sur Split, et c’était à sa demande que vous étiez présente. Lorsque vous intervenez sur un tournage, êtes-vous présente depuis la lecture du scénario jusqu’à la fin du tournage ?

De plus, comme nous avons pu le comprendre à travers vos interventions, ce métier est-il perçu comme dérangeant en France ? En effet, vous avez un droit de regard et pouvez demander des modifications de certaines scènes en fonction des échanges avec les personnes impliquées. Est-il facile pour vous de travailler dans ce contexte ? Les réalisateurs et metteurs en scène, qui ont souvent le plein pouvoir, acceptent-ils toujours votre présence sur un tournage ?

Mme Monia Aït El Hadj. Il y a beaucoup de questions.

M. le président Erwan Balanant. Je vous propose de commencer par y répondre. Il est possible que nous nous réservions le droit de vous relancer et de vous demander des précisions. J’ai déjà des questions sur les aspects juridiques, mais je les poserai au fur et à mesure, en fonction des cas concrets.

Mme Monia Aït El Hadj. Vous mentionnez un accompagnement orienté vers les comédiens. Ce n’est pas tout à fait exact, car il existe une différence entre le coaching et la coordination. Nous ne sommes pas des coachs d’acteurs. Chacun peut avoir sa propre méthode, mais notre objectif est de développer cette profession en tant que coordination. Nous soutenons aussi bien la mise en scène que les comédiens et les comédiennes, en coordonnant avec tous les départements d’un projet les aspects d’intimité ou de nudité. Il ne s’agit pas simplement de coacher les comédiens et de leur indiquer comment jouer des scènes d’intimité. C’est un point que je considère comme assez important.

Concernant la genèse de ce métier, il est vrai qu’il a été officiellement créé en 2018 dans les studios HBO aux États-Unis. Le système de production américain diffère complètement du système français. Aux États-Unis, toutes les productions sont réalisées par de grands studios, tandis qu’en France, il existe une multitude de petites sociétés de production, ce qui modifie considérablement le rapport de force. Ce métier a été créé officiellement pour la deuxième saison de la série The Deuce, où l’actrice principale ne souhaitait plus être en relation directe avec son metteur en scène pour les scènes d’intimité. Par la suite, il a bénéficié de la visibilité apportée par le mouvement #MeToo et l’affaire Weinstein. Il existait déjà auparavant, mais pas sous une forme officielle. Ce que nous faisons aujourd’hui était auparavant réparti entre différents départements, comme les costumes ou la mise en scène, chacun essayant de se débrouiller comme il pouvait.

Mme Paloma Garcia Martens. Le recours à nos services dépend de la raison pour laquelle on fait appel à nous. Le projet avec Iris Brey illustre une volonté politique et artistique très claire de travailler avec la coordination d’intimité. Dans ce cadre, c’est la réalisatrice ou le réalisateur qui sollicite notre intervention auprès de sa production et prend contact avec nous. Dans ce cas, nous sommes souvent appelés dès l’écriture du scénario pour apporter notre regard sur certaines scènes en tant que consultants. Il est important de comprendre que notre rôle ne consiste pas à modifier un scénario. Nous coordonnons l’information et partageons avec la production les limites des comédiens et des comédiennes, et elle décide ensuite de les prendre en compte ou non. Nous proposons des solutions, mais nous ne signons pas les scénarios. Nous ne détenons pas de pouvoir décisionnel. Notre seul pouvoir réside dans nos recommandations. Nous ne sommes pas productrices et nous n’avons pas la capacité d’arrêter un tournage ou d’empêcher un comédien ou une comédienne de montrer une partie de son corps qu’il ou elle avait initialement décidé de ne pas exposer. Ainsi, notre seul pouvoir actuel est de quitter un projet si nous ne pouvons plus garantir un minimum de sécurité, même si la sécurité absolue n’existe pas. Nous intervenons en tant que conseillères.

M. le président Erwan Balanant. Qui vous emploie ? Est-ce le comédien, la comédienne ou la production ? Le droit français est explicite : en tant qu’employeur, on doit garantir la protection, la sécurité et la santé de son employé. Si c’est la comédienne ou le comédien qui vous emploie, un problème se pose, car il n’existe pas de lien de subordination entre la production et l’employé de la production, à savoir le comédien ou la comédienne. En revanche, si vous êtes employé par la production, vous êtes en situation de subordination avec une délégation de tâches du producteur. Comment cela se passe-t-il concrètement ? C’est une question importante, puisque notre objectif, en tant que législateurs, est de créer un cadre légal adapté à la réalité des tournages français, car nous savons bien que la structuration de l’économie et de l’industrie cinématographique française diffère de celle des États-Unis.

Mme Francesca Pasquini, rappporteure. Qui vous rémunère ? Aux États-Unis, les scènes sont encadrées en amont par des contrats. Cela confère-t-il davantage de pouvoir et cela permet-il, contrairement à la France, de refuser non seulement de quitter le lieu de tournage, mais aussi d’imposer que le tournage ne se déroule pas de cette manière ?

Mme Noémy Soffys. Dans un monde idéal, le scénario est écrit, les scènes sont détaillées, et on peut anticiper ce qui sera tourné. Cela permet de discuter en amont dans un but de sécurisation des scènes. Je travaille dans le milieu du cinéma depuis presque quinze ans et, depuis de nombreuses années, notamment après la période Covid, j’observe une augmentation des tournages qui commencent sans scénario abouti. Même en casting, je rencontre fréquemment des scénarios où nous devons présenter des comédiens en essai pour des scènes non dialoguées. Ce problème s’étend également à la contractualisation des scènes d’intimité, où il est essentiel de définir très clairement ce qui sera tourné.

M. le président Erwan Balanant. Je comprends bien, mais qui vous emploie aujourd’hui ?

Mme Monia Aït El Hadj. Notre lien de subordination est avec le producteur, car il existe une distinction entre celui qui souhaite notre présence sur un plateau et celui qui établit notre contrat de travail. Or, dans 100 % des cas, le contrat de travail est conclu entre nous et le producteur. Même si la demande d’intervention d’une coordinatrice d’intimité émane d’une comédienne ou d’un réalisateur, c’est toujours le producteur qui nous rémunère. En France, le milieu artistique a du mal à comprendre que le producteur est l’employeur, y compris pour les comédiens et comédiennes, et qu’il a une obligation de sécurité envers tous, ce qui inclut notre métier. Nous ne sommes jamais employés par un comédien, une comédienne ou toute autre personne.

M. le président Erwan Balanant. On pourrait aussi imaginer qu’une comédienne ou un comédien ayant une certaine notoriété, engagé sur un tournage important, puisse bénéficier de l’accompagnement d’un coach travaillant en collaboration avec vous.

Mme Monia Aït El Hadj. En effet, et souvent, les comédiens et comédiennes disposent de répétiteurs ou de coachs. Cependant, ces professionnels interviennent généralement en amont, lors de la préparation, et ne sont pas fréquemment présents dans l’intimité du tournage. En tout cas, je n’ai jamais croisé quelqu’un qui faisait cela.

M. le président Erwan Balanant. Avez-vous déjà travaillé sur la réécriture de contrats pour intégrer explicitement les scènes d’intimité et établir un consentement écrit, avec des scènes précisément décrites ? Vos contrats incluent-ils des descriptions détaillées comme : « scène I, intérieur jour, baiser » ?

Mme Monia Aït El Hadj. Non, et aux États-Unis, il n’en va pas non plus ainsi car les clauses liées à la nudité ne se trouvent pas dans le contrat, mais dans un autre document, appelé nudity rider, qui est une annexe au contrat principal. Il est donc erroné de penser qu’aux États-Unis, lorsqu’un comédien signe son contrat, toutes les clauses d’intimité sont déjà incluses. Cela ne fonctionne pas de cette manière.

M. le président Erwan Balanant. D’accord, mais il existe une clause avec la description.

Mme Monia Aït El Hadj. Non, l’annexe en question n’est pas incluse au moment de la signature du contrat. Elle intervient ultérieurement. Les syndicats ont obtenu que cet avenant soit obligatoirement signé au moins quarante-huit heures avant le tournage de la scène d’intimité. Cela change tout. Vous pouvez signer votre contrat de comédien aujourd’hui et, si la scène d’intimité est prévue dans trois mois, vous n’avez pas besoin d’avoir dès maintenant tous les détails de cette scène dans le contrat initial. Cela figurera dans le nudity rider.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Quand un acteur reçoit le scénario, quel est le détail aux États-Unis des scènes d’intimité qu’il devra jouer dans le film ? Qu’est-il indiqué ?

M. le président Erwan Balanant. Supposons que je sois embauché pour un film et que je découvre ensuite une scène dans laquelle je doive être violé. Dans ce cas, je n’aurais peut-être pas signé le contrat.

Mme Monia Aït El Hadj. Selon les scénarios, certaines scènes d’intimité sont très détaillées, tandis que d’autres le sont moins. Il est seulement indiqué : « Ils font l’amour passionnément. » Or cette expression ne signifie rien de précis en termes de nudité ou de position. Nous devons donc détailler ces aspects. Cela fait souvent partie de nos discussions, et c’est pour cette raison que nous sommes ici. Nous demandons à la mise en scène de préciser ce qu’elle entend par cette scène.

Mme Noëmy Soffys. Une comédienne dont je ne mentionnerai pas le nom a une clause de non-nudité dans chacun de ses contrats. Cette clause est respectée pour chaque production qu’elle entreprend, ce qui ne l’empêche pas de participer à des scènes d’intimité, tant que cette condition est respectée. Cependant, même avec cette clause de non-nudité inscrite dès le départ, des tensions peuvent surgir sur le tournage. Au nom de la création, certaines situations peuvent se produire, et cette comédienne a été perçue comme une diva lorsqu’elle a affirmé que, selon les termes de son contrat, elle ne montrerait pas sa poitrine. Le réalisateur a bien compris la situation et n’a pas insisté sur le moment. Toutefois, pour les besoins du film, il a pris des plans où elle apparaissait poitrine dénudée, en lui garantissant de ne pas les utiliser dans le montage final. Or il s’est avéré qu’elle s’est retrouvée par hasard en salle de montage avec la chef-monteuse et a constaté que ces rushs allaient être montés. Elle a dû se battre une seconde fois en personne face à la chef-monteuse – j’insiste sur le fait qu’il s’agissait d’une femme et non d’un homme. À ce moment, elle a été littéralement insultée. La chef-monteuse soutenait que ces rushs étaient indispensables à la qualité du film. Ainsi, même si une clause est inscrite dans le contrat, la question se pose : que peut faire une jeune comédienne lorsqu’elle intervient en salle de montage pour dire qu’elle ne veut pas que ce soit monté ? Quelle sera la conséquence sur sa carrière ? C’est toute la question et tout l’enjeu.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. J’aimerais comprendre la différence de pratiques entre un ou une coordinatrice d’intimité aux États-Unis et en France. Cette question me semble importante, car certaines mesures appliquées aux États-Unis ne peuvent être mises en place ici, alors qu’elles le sont aux États-Unis. Cependant, même là, il existe des limites, car les scènes ne sont pas toujours décrites en profondeur. Quels sont vos souhaits pour améliorer l’exercice de cette profession en France ? Exprimez-vous librement. Partagez vos observations sur les tournages, en indiquant ce qui, selon vous, mérite d’être amélioré. Donnez-nous des exemples concrets de bonnes et de mauvaises pratiques pour que nous puissions mieux comprendre la situation.

Mme Paloma Garcia Martens. La différence entre les pratiques aux États-Unis, au Canada et en France réside principalement dans l’attention portée aux nudity riders qui doivent être signés quarante-huit heures à l’avance. Aux États-Unis, nous sommes en contact permanent avec les agents et les protocoles de plateau fermé sont bien mieux respectés qu’en France, en raison d’un rapport différent aux protocoles et à l’autorité. Dans cette structure hiérarchique, nous nous situons en dessous de la productrice exécutive ; nous jouons un rôle satellite, mais clairement identifié comme tel. Nous avons également plus de latitude pour dire à un réalisateur ou une réalisatrice : « Écoute, les limites du rider ne sont pas respectées, il faut changer. » Parfois, nous disposons de plus de temps pour des pratiques de l’ordre du coaching, bien que cela dépende des situations. En France, je travaille personnellement avec des preuves écrites. Nous n’avons pas d’annexes de contrat, sauf exception comme avec Split, en raison de la volonté d’Iris Brey, mais ce n’était pas légalement nécessaire. En revanche, j’écris en amont les limites des comédiens et comédiennes de manière très claire. Je mets en copie le réalisateur, les producteurs, les assistants à la mise en scène et les départements concernés, afin qu’il existe une preuve écrite des accords établis et que tout le monde soit en phase sur ce que l’on fait ou pas. Cela ne signifie pas qu’il ne peut pas y avoir de flexibilité en fonction du consentement de la personne. J’insiste sur le fait que le consentement peut être modifié jusqu’au moment du tournage. Nous trouvons des solutions, car un contrat sexuel est de toute façon illégal. Il est essentiel de comprendre qu’une annexe de nudité signée ne constitue pas une obligation de tourner la scène. Elle sert avant tout de protection pour les interprètes, leur évitant ainsi l’ajout de scènes imprévues à la dernière minute. Elle protège également la production, en leur permettant d’utiliser une doublure pour les actes que l’interprète, bien qu’ayant initialement accepté, ne souhaite plus réaliser. Toutefois, il ne s’agit en aucun cas d’une obligation d’achat. Je le rappelle aux producteurs et aux productrices : cette mesure vise à protéger les interprètes.

M. le président Erwan Balanant. C’est aussi pour protéger la production : si les choses sont cadrées, on ne perd pas de temps, il n’y a pas d’accident de tournage, etc.

Mme Paloma Garcia Martens. Il existe une grande différence entre cette clause de nudité non respectée et d’autres aspects. Le problème principal réside dans l’absence de pratique du consentement sur les plateaux de cinéma, et plus largement dans la société. Sur un plateau, la responsabilité se dilue. On nous convoque et on nous attribue toutes les responsabilités, alors qu’il ne m’appartient pas d’éduquer tout le monde à la bienveillance et à la bienséance. Nous nous retrouvons souvent dans des situations où il est nécessaire de rappeler à une personne en position de pouvoir que son statut empêche ses subordonnés d’exprimer clairement leurs limites. Or je ne suis pas moi-même en position de pouvoir dans ce contexte.

Il n’existe pas de solution miracle, mais plusieurs mesures peuvent être envisagées. Premièrement, il est essentiel d’éduquer sur la nature réelle de notre rôle. Deuxièmement, il faut établir des règles claires concernant les modalités et le cadre de notre engagement. Troisièmement, une éducation permanente sur la résolution des conflits sur un plateau est indispensable, ainsi que sur la manière de prendre soin de son bien-être, y compris psychologique. Le burn-out, les problèmes d’addiction et les horaires intenables sont des réalités dans le milieu du cinéma, rendant difficile le maintien d’une vie de famille saine. La santé mentale en souffre considérablement. Les comédiens et comédiennes présentent une santé mentale cinq à dix fois pire que la population générale. Et cela ne concerne pas que les acteurs ; les techniciens et techniciennes sont également touchés. Nous évoluons dans une bonbonnière où les problèmes sont niés et minimisés, et où la responsabilité est diluée. Je suis heureuse de constater que ce problème est pris à bras le corps, mais les solutions actuelles demeurent insuffisantes. Nous n’éduquons pas les personnes sur les plateaux et nous ne leur fournissons pas d’outils concrets pour résoudre les conflits et respecter leurs limites. Nous déléguons constamment la responsabilité. La hiérarchie est extrêmement forte et puissante, et les conséquences en sont dramatiques. Les listes noires existent bel et bien. Des comédiens et comédiennes m’ont confié que leurs agents leur ont demandé de taire les violences qu’ils avaient subies. Ces agents, pourtant censés les représenter et soutenir leurs intérêts, leur demandent de se taire pour le bien du film, mais en réalité pour préserver leur propre portefeuille et garantir que leurs clients puissent être réengagés. J’ai eu des témoignages de comédiennes me rapportant que certains comédiens les ont menacées de viol sur le plateau, devant tout le monde. Lorsqu’elles ont contacté leurs agents, ceux-ci leur ont répondu de garder cela pour elles, de passer à autre chose et d’aller boire un café. Voilà où nous en sommes.

M. le président Erwan Balanant. Cela explique peut-être le peu d’entrain qu’ont suscité chez les victimes un certain nombre de nos convocations.

M. Michaël Taverne (RN). Dans les pays anglo-saxons, il existe un véritable encadrement des pratiques. On ne fait pas ce que l’on veut. Je reprends vos propos : en France, il y a un déni de vulnérabilité. L’auteur-réalisateur détient tous les pouvoirs. Pensez-vous qu’il soit nécessaire de valoriser davantage votre fonction, qui semble méconnue, et de mettre en place un cadre juridique pour mieux protéger les acteurs ? Actuellement, la situation est assez anarchique. Aux États-Unis, par exemple, les scènes intimes sont détaillées et il existe une obligation de prévenir quarante-huit heures à l’avance, ce qui n’est pas le cas en France. Pensez-vous qu’une évolution du cadre juridique serait bénéfique pour mieux protéger les acteurs et éviter des situations problématiques ? La carrière est une chose, mais le choc psychologique est, à mon avis, bien plus important. Estimez-vous qu’il faille encadrer juridiquement ces dispositifs de manière plus stricte ?

M. Emeric Salmon (RN). Si j’ai bien compris, vous vous êtes formées de manière autodidacte, en vous inspirant des pratiques observées aux États-Unis. Je ne sais pas si vous avez effectué un séjour là-bas pour étudier ces méthodes. Ne serait-il pas pertinent de mettre en place des formations en France pour développer davantage votre métier ? Avez-vous des suggestions à ce sujet, peut-être par le biais de syndicats professionnels ou par vous-mêmes, étant donné votre expérience dans ce domaine ?

Vous avez mentionné la différence de judiciarisation entre les États-Unis et la France. Aux États-Unis, dès qu’un problème survient, il y a un procès, ce qui peut parfois sembler excessif à nos yeux. Pourriez-vous approfondir l’intérêt de cette judiciarisation ? En France, comme vous l’avez souligné, la situation semble plus permissive et moins judiciarisée.

M. le président Erwan Balanant. Si vous avez des exemples de procès aux États-Unis sur ces sujets, cela peut être intéressant.

Mme Graziella Melchior (RE). Vous êtes peu nombreuses en France, probablement en raison de l’absence de formations spécifiques. Je partage la préoccupation de mon collègue à ce sujet. Je pense également que, dans un budget de production cinématographique, le financement de votre travail reste relativement modeste. Cela ne devrait donc pas dissuader un producteur de faire appel à vos services. Les conséquences d’un manque d’accompagnement étant considérables, il est crucial de souligner l’importance de votre rôle. Nous avons compris que vous intervenez en amont du projet, notamment sur le scénario. Cependant, vous avez également évoqué la post-production. Vous sembliez indiquer que vous n’étiez pas toujours impliquées dans le montage final. Votre contrat est-il strictement limité à la période de tournage ou est-il prévu que vous interveniez au-delà ?

Mme Najoua Ferréol. Notre métier n’est pas reconnu dans la convention collective. Lorsque nous sommes sollicitées, c’est souvent par la production et nous avons le statut de conseillers techniques à la mise en scène. Nous intervenons uniquement pour les scènes spécifiques, bien que nous soyons parfois consultées au préalable sur le scénario et les scènes en question. En ce qui me concerne, on me fournit les scènes et on me demande de les analyser. Mon rôle consiste à identifier les moments qui n’ont pas été suffisamment étudiés. Par exemple, des scènes impliquant des contacts physiques, comme embrasser un enfant, ne sont pas toujours considérées comme relevant de l’intimité. Je mets ces éléments en exergue. Je rencontre ensuite la production et le réalisateur. Selon les moyens de la production, nous discutons longuement de notre rémunération, ce qui peut ressembler à une négociation commerciale. Par la suite, je suis présente uniquement lorsque la préparation de la scène nécessite une chorégraphie que nous élaborons avec les comédiens. Nous travaillons en laboratoire sur la manière de réaliser la scène. Il ne nous appartient pas de dicter la manière de jouer la scène, mais nous proposons des exercices qui permettent aux comédiens de découvrir par eux-mêmes des techniques et des ressorts pour ces scènes. Enfin, je suis présente le jour du tournage de la scène, généralement en retrait.

Je sais que notre position est délicate et parfois mal perçue. Je me présente donc toujours en amont pour que l’on sache que je ne suis pas une pièce rapportée. Je me définis comme un filet de sécurité, intervenant uniquement en cas de problème. Ce n’est pas à moi d’interrompre les scènes, mais aux comédiens de signaler un souci, qu’il s’agisse d’une pause nécessaire pour respirer, boire un verre, rediscuter la scène ou en raison d’un geste non conforme aux protocoles établis. J’ai également demandé à être présente lors des montages. Certains réalisateurs ont accepté, mais je n’étais pas rémunérée pour cela, c’était presque à titre amical. En revanche, pour les grosses productions sur lesquelles j’ai travaillé, on m’a simplement refusé l’accès, estimant que je n’avais pas à intervenir.

Mme Paloma Garcia Martens. En ce qui concerne la judiciarisation, je ne suis pas convaincue qu’il faille adopter un modèle américain. Toutefois, il est impératif qu’il y ait des conséquences et des répercussions en cas de débordements. Une forme de réparation collective est également nécessaire. Est-ce que cela doit passer par une procédure judiciaire ? Je n’en suis pas certaine. En revanche, disposer de règlements et d’outils à utiliser en collectivité me semble plus utile car, entre la loi et la pratique, le fossé est souvent important. Il est donc préférable de se concentrer sur ce qui aura un impact direct sur le terrain.

En ce qui concerne les contrats, les nudity riders et la spécificité des scénarios, je pense qu’il s’agit d’une fausse bonne idée. Je suis favorable aux avenants aux contrats, car il est essentiel d’établir des limites en amont, comme un cadre. Cependant, exiger qu’un scénario soit extrêmement détaillé avant le tournage me semble irréaliste. Un scénario est un texte de travail qui évolue de manière organique, ce qui est tout à fait normal. Imposer une telle exigence risquerait de nous mettre toute l’industrie à dos et de nous décrédibiliser. Il serait plus utile de faire signer des avenants et de garantir la présence d’une coordinatrice ou d’un coordinateur d’intimité, qui pourrait s’entretenir individuellement avec chaque comédien. Si une scène n’est pas très détaillée, la coordinatrice d’intimité pourrait demander des précisions en amont indiquant les limites générales de chaque comédien. Il est également important de reconnaître que ces limites peuvent évoluer le jour même du tournage. La présence de la coordinatrice d’intimité est essentielle pour veiller au respect de ces limites. Pour moi, l’essentiel réside dans la pratique. La présence d’une coordinatrice d’intimité est primordiale. Il est nécessaire de signer des documents, mais ceux-ci devraient être plus généraux pour ne pas entraver les metteurs en scène ou les comédiens et comédiennes. À la fin, ces derniers doivent pouvoir dire : « Je suis tout à fait à l’aise avec cela », et nous devons pouvoir nous adapter en cas de besoin.

Concernant les formations, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Il est essentiel de créer une formation française, francophone, car il est prohibitif de se former aux États-Unis. J’ai déboursé dix mille euros pour ma formation, et je n’ai plus un sou. Je continue à me former, cela ne s’arrête jamais. Cependant, ces formations sont en anglais, ce qui exclut les personnes ne maîtrisant pas parfaitement cette langue. À quoi bon former des personnes qui n’auront pas de travail ou qui se disputeront des miettes, faute de réglementation incitant les productions à les engager ? Nous risquons de nous retrouver avec des coordinatrices d’intimité prêtes à tout pour conserver leur emploi. Cela signifie une perte d’impartialité, car elles feront ce qu’on leur demande, y compris de la mise en scène. C’est un grand danger, car elles risquent de faire n’importe quoi. Il faut d’abord instaurer des réglementations et une formation, éventuellement une certification, qui prennent en compte les acquis et les compétences. Nous devons éviter un système élitiste où seules les personnes ayant les moyens financiers pourraient accéder à ces formations. La première étape est donc la réglementation et l’éducation.

M. le président Erwan Balanant. Sur ce sujet, nous partageons une vision commune. Hier, nous avons constaté que les responsables des enfants adoptent une démarche similaire à la vôtre. L’idée est que cette obligation va devenir impérative. Cependant, notre rôle consiste également à encadrer cette obligation. Vous avez mentionné la distinction entre la loi et la pratique, mais la réglementation est une forme de loi et il est nécessaire de la structurer. En réalité, un écosystème doit se créer autour de cette question. Concernant le rôle de coordinatrice d’intimité, il est évident que vous ne pouvez pas être perçues comme les méchantes sorcières sur le tournage, qui empêchent le tournage de se dérouler. Tout cela doit s’articuler avec les autres métiers impliqués dans la sécurité et la santé de l’ensemble de l’écosystème.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Il est évident que ce métier présente de nombreuses difficultés. Un élément m’a particulièrement marquée, madame Ferréol, lorsque vous avez pris la parole. Vous préparez les scènes avec les comédiens en amont et, lors du tournage, si le niveau de consentement initialement convenu et travaillé avec vous n’est plus respecté, c’est au comédien ou à la comédienne de signaler qu’il ou elle n’est plus d’accord. Par ailleurs, quelle est votre relation avec les référents harcèlement qui sont présents sur les tournages ?

Mme Najoua Ferréol. Le moment du tournage est particulièrement délicat. En tant que comédienne, je peux en témoigner. C’est une période où les exigences sont nombreuses, et le temps, étant de l’argent, impose une grande rapidité d’exécution. Parfois, des incidents, voire des accidents peuvent survenir. Dans le feu de l’action, la mise en scène peut décider d’ajouter des éléments imprévus, ce qui peut dévier du plan initialement convenu. Je suis consciente de ces imprévus et j’essaie de les gérer en intervenant directement avec le réalisateur lorsque cela est possible. Cependant, cette intervention est toujours complexe. Notre position est délicate, nécessitant nuance et discrétion. Lors de mon travail préalable avec les comédiens et comédiennes, je leur rappelle qu’ils ont la liberté, au moment de jouer, de signaler si quelque chose ne leur convient pas. Généralement, cela se traduit par un geste pour arrêter la scène et en discuter. Discuter sur le plateau est toujours difficile, car le temps est compté. Nous évoluons dans un univers où la diplomatie est essentielle. Les comédiens ont ce droit, car nous préparons les scènes à l’avance, en les considérant comme des chorégraphies.

En tant que comédienne, je suis profondément ancrée dans le mouvement et le corps. Mon expérience dans le sport et les nombreuses connaissances que j’ai acquises sur le corps et le mouvement m’ont appris que la préparation des scènes nécessite de nombreux exercices. Ceux-ci sont ensuite stylisés et, par le mouvement, désexualisés. Dans mes séances, j’essaie d’apprendre aux comédiens et comédiennes à se toucher, notamment lorsque le toucher est nécessaire. Cela implique une série d’exercices variés. Je m’adapte constamment, car ce qui fonctionne pour une personne peut ne pas fonctionner pour une autre. Nous restons toujours dans le domaine de l’humain. C’est pourquoi j’attends avec impatience ces journées de travail autour des scènes. Nous travaillons toujours à partir de la scène, et mon approche se concentre exclusivement sur le physique. Mon rôle consiste à protéger l’émotionnel tout en me focalisant sur le physique.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Ce qui m’intéresse, c’est la possibilité pour un comédien de refuser une scène, qu’elle soit convenue ou non. Vous êtes sur le tournage en tant que coordinatrice d’intimité, vous avez discuté de cette scène et vous connaissez les limites des comédiens. Cependant, il arrive que, malgré les accords initiaux, un comédien ne souhaite plus tourner la scène comme prévu. Quel pouvoir a un comédien ou une comédienne de dire non ? Et quel rôle joue le coordinateur ou la coordinatrice d’intimité pour soutenir ce refus, même si la scène avait été convenue auparavant ?

Mme Monia Aït El Hadj. Personnellement, je ne cherche pas à être discrète sur un plateau, bien au contraire. J’ai de nombreuses conversations préalables avec les comédiens et comédiennes, ce qui me permet de connaître leurs limites, même si celles-ci peuvent évoluer. Le jour J, des modifications peuvent survenir. Par exemple, si une modification intervient et que je sais déjà que mon comédien m’a exprimé une limite précise, je dois être capable d’aller voir le réalisateur pour rééquilibrer cette relation déséquilibrée. Si un comédien éprouve des difficultés à dire non et que je n’interviens pas, je perds mon utilité. Je peux alors dire au réalisateur : « Écoute, il m’avait dit qu’il ne voulait pas montrer ses fesses, trouvons un plan B ou un plan C, discutons d’une alternative. » Jusqu’à présent, je n’ai jamais rencontré de réalisateur insistant pour voir les fesses d’un comédien, mais cela pourrait arriver. Il est donc essentiel que je sois capable de rappeler les limites exprimées par les comédiens. Bien entendu, je n’ai pas le pouvoir d’interdire ou d’arrêter une scène. Cependant, j’ai l’obligation d’informer la production, le premier assistant et d’autres personnes disposant de ce pouvoir, afin qu’ils puissent dire au réalisateur : « Voilà les limites, comment procédons-nous ? »

M. le président Erwan Balanant. Là, dans la chaîne de hiérarchie du cinéma, vous allez voir le premier assistant ?

Mme Monia Aït El Hadj. Non, parce qu’il y a une différence entre le plateau et après, dans la hiérarchie, bien entendu, c’est le producteur.

M. le président Erwan Balanant. Vous allez voir le producteur, si jamais ça tourne mal.

Mme Monia Aït El Hadj. Bien sûr, mais sur un plateau, il n’est pas présent tous les jours. Donc, il a un représentant qui est le directeur de production.

M. le président Erwan Balanant. Ma question portait sur le rôle du premier assistant réalisateur. Vous avez mentionné qu’il restait, mais ce n’est pas la production, ce n’est pas la même chose.

Madame Paloma Garcia Martens. Le premier assistant ou la première assistante est responsable de la sécurité sur le plateau. C’est pourquoi nous avons pour mission d’intervenir dès que nous constatons un problème. Bien que nous n’ayons pas l’autorité d’un producteur ou d’une productrice pour arrêter le tournage, nous pouvons nous adresser au metteur en scène ou à la metteuse en scène et, si nécessaire, au premier assistant ou à la première assistante.

Il est important de souligner que la formation est essentielle dans notre métier. Bien que le mouvement et l’aspect physique occupent une partie de notre travail, 80 % de notre rôle concerne la communication, la diplomatie et la pédagogie. Il s’agit de savoir comment aborder un metteur en scène ou une metteuse en scène qui se bat depuis cinq ans pour réaliser son film avec des moyens limités et pour qui chaque scène est d’une importance capitale. Dans ce contexte, il est crucial de gérer des situations où le tournage coûte trois cent mille euros par jour et de dire que quelque chose ne va pas. Nous devons également être formées à la gestion des conflits et à la reconnaissance du consentement non verbal. Il est essentiel de détecter si une personne n’est pas en mesure de donner son consentement, ce qui nécessite une formation spécifique. Bien que nous n’ayons pas le pouvoir d’un producteur ou d’une productrice, nous possédons des compétences et une expertise qui nous permettent, si nécessaire, de quitter le plateau.

M. le président Erwan Balanant. Si vous quittez le plateau, c’est toujours un peu compliqué, parce que c’est un échec.

Mme Paloma Garcia Martens. Lorsqu’on travaille en tant que régleur de cascades, il est impératif de garantir la sécurité des acteurs et des cascadeurs. Prenons l’exemple d’une séquence où un personnage doit tomber d’une voiture et rouler au sol. Après une analyse de risque, il est convenu qu’il faut installer un matelas au sol, ainsi que des genouillères et des jambières pour protéger les participants. Tout le monde est d’accord sur ces mesures de sécurité. Cependant, une fois sur le plateau, la production peut décider de les ignorer, estimant que les protections ne sont pas nécessaires pour le plan. Dans ce cas, la santé physique du cascadeur, de la cascadeuse ou même du comédien est mise en danger. En tant que régleur de cascades, je symbolise la sécurité sur le plateau. Si je ne peux pas garantir cette sécurité, je refuse de faire semblant. Il est essentiel de montrer à la production que je ne suis pas là pour simplement obtenir un label de sécurité sans substance. Si mes recommandations ne sont pas respectées, je préfère quitter le projet, car la responsabilité incombe alors à la production. Il est impossible de résoudre tous les problèmes de sécurité sur tous les projets. Je refuse de travailler sur des projets où mes recommandations ne sont pas prises en compte, car cela met en danger les participants. Ma réputation et mon poste sont en jeu. On se demandera à quoi sert une coordinatrice d’intimité si elle ne peut pas protéger les personnes vulnérables. Le seul pouvoir que nous avons est de partir lorsque les conditions de sécurité ne sont pas respectées.

M. le président Erwan Balanant. Vous avez été formées et avez visionné de nombreux films comportant des scènes d’intimité. Pourriez-vous citer des exemples de films ? Évidemment, celui de Marlon Brando et de Maria Schneider est bien connu, illustrant un abus extrême. Quelles autres scènes de cinéma impliquant de la nudité sont connues pour s’être déroulées dans des conditions désastreuses pour les acteurs et l’équipe de tournage ? Il y en a plusieurs, mais qu’en est-il récemment ? Cette question est un peu dérangeante, mais elle est importante pour que chacun prenne conscience que certaines scènes, que l’on imagine comme étant d’une beauté absolue et de grandes réussites cinématographiques, sont en réalité des sources de souffrance terrible pour les acteurs et les actrices.

Mme Paloma Garcia Martens. On peut déjà citer La Vie d’Adèle. J’étais présente sur le tournage en tant qu’habilleuse costumière. Je ne parlerai pas à la place des comédiennes, mais elles ont déjà exprimé que cela avait été douloureux et difficile. Cependant, certains éléments sont intéressants, comme dans les années 1960, avec le film Roméo et Juliette où deux comédiens de 14 ans ont été trompés. On leur a dit qu’ils devaient se dénuder, mais que ce ne serait visible qu’en transparence, en contre-jour. Finalement, leurs corps nus ont été exposés et ils ont porté l’affaire devant les tribunaux, sans obtenir gain de cause. Il s’agissait de mineurs dans les années 1960. De plus, il y a l’exemple de Sharon Stone dans Basic Instinct. Le réalisateur lui avait fait croire qu’elle devait enlever sa culotte car celle-ci reflétait la lumière et que ce serait mieux sans. Elle a donné son consentement, mais celui-ci était vicié, car elle ignorait la véritable raison de cette demande. Elle l’a très mal vécu, au point de presque perdre, voire de perdre la garde de son enfant, car cela avait été perçu comme posant un problème de moralité. Ces incidents ne sont pas isolés. Il est important de comprendre que les comédiens et comédiennes parlent très rarement de ces expériences. Par exemple, pour La Vie d’Adèle, les révélations sont intervenues des années après. La majorité des comédiens avec qui je travaille ont des histoires d’horreur à raconter, mais ce sont des récits qui ne peuvent être partagés ici.

Mme Noëmy Soffys. Au-delà de mentionner des films célèbres qui attirent l’attention de tous, il est important de souligner que de nombreuses violences ordinaires ne se situent pas forcément là où on les imagine. Dans les récits que je peux entendre, il existe également beaucoup de violences émotionnelles et psychologiques, qui ne sont pas nécessairement liées à la nudité. Bon nombre de comédiens m’ont raconté que la violence se manifestait aussi par des jouissances simulées, par exemple sur les tournages, où on leur demande de produire des sons, d’imiter des situations intimes, de reproduire des comportements qu’ils ont avec leurs conjoints. Ces situations, bien que ne relevant pas de la nudité, sont extrêmement traumatisantes et peuvent sérieusement pénaliser leur carrière professionnelle par la suite. Il est vrai que l’attention se porte souvent sur les grandes stars dont tout le monde parle, mais il existe également des violences ordinaires sur tous les plateaux de tournage. Ces abus résultent souvent de maladresses, en raison d’un manque de préparation ou d’une méconnaissance de la manière de gérer ces scènes. Les réalisateurs peuvent être mal à l’aise avec ces situations, ce qui ne signifie pas qu’ils sont malveillants. Il est important de noter qu’il existe beaucoup de bonne volonté et un désir de bien faire, mais simplement une absence de savoir-faire. L’industrie n’est pas entièrement mauvaise ; il y a vraiment de bonnes personnes qui tentent de mettre en place des conditions correctes pour toute l’équipe.

M. le président Erwan Balanant. Nous n’en doutons pas, bien évidemment. Nous cherchons simplement à pointer certains aspects, mais nous sommes des amoureux du septième art et nous savons qu’il recèle de très belles choses, de très belles histoires.

Mme Noëmy Soffys. Pour que nous soyons acceptés en tant que coordinateurs d’intimité sur un plateau de tournage, il est essentiel d’obtenir l’adhésion de toute l’équipe. À cet effet, il faut tenir compte des conditions de tournage extrêmement difficiles dans lesquelles nous évoluons. Nous faisons face à une surcharge d’heures supplémentaires, une pression psychologique intense et une fatigue considérable. Les heures supplémentaires ne sont pas toujours rémunérées et les tournages démarrent parfois sans scénario, plaçant les équipes sous une pression constante. Pour obtenir l’adhésion de l’ensemble des équipes, que ce soit sur les questions des violences sexistes et sexuelles, la protection des acteurs ou les enjeux écologiques, il est impératif de repenser le travail et le travailleur sur le plateau.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Comment définiriez-vous l’intimité ? Et comment cette notion est-elle préservée dans un scénario et lors d’un tournage ? Jusqu’à présent, nous avons surtout évoqué des tournages impliquant des adultes. Cependant, votre définition de l’intimité pourrait également suggérer que votre présence est nécessaire sur des tournages avec des mineurs.

Mme Monia Aït El Hadj. La notion d’intimité est assez subjective et varie selon chaque individu, chaque projet, la nationalité des comédiens et comédiennes, ainsi que la mise en scène. Il existe néanmoins des standards internationaux incluant la nudité, qu’elle soit partielle, totale ou en transparence, les actes de sexualité simulée, les contacts physiques et d’autres interactions entre adultes et enfants qui ne relèvent pas de la sexualité, comme un câlin, un toucher ou une mère allaitant son bébé. L’intimité peut également concerner une personne ayant des cicatrices ou une personne portant un voile et devant travailler cheveux découverts. Nous nous adaptons à la manière dont chaque comédien ou comédienne perçoit son intimité. Travailler l’intimité sur un projet français diffère d’un projet japonais ou africain. En ce qui concerne les mineurs, il existe un vide juridique. Bien que le travail des mineurs soit soumis à une commission de la DRIEETS, celle des enfants du spectacle, aucune réglementation spécifique ne traite de l’intimité. Nous devons souvent négocier avec la mise en scène pour déterminer ce que les mineurs peuvent ou non faire. Les producteurs sont tenus de soumettre un dossier à cette commission lorsqu’ils font appel à des mineurs, mais il arrive fréquemment que ce ne soit pas la version finale du scénario qui soit soumise. La commission doit statuer sur la moralité du rôle, mais la moralité en termes d’intimité reste très vague et dépend largement de la commission. Cette dernière est souvent débordée, notamment en région parisienne, et ne dispose pas toujours des dernières versions des scripts. Rien n’est précisé concernant ce que les mineurs peuvent jouer en termes d’intimité et de nudité. C’est à nous qu’il revient de fixer des limites, bien que ce ne soit pas à la coordination d’intimité de le faire. Et ce serait beaucoup plus simple si un texte disait : en dessous de 16 ans, pas de sexualité simulée, pas de nudité de telle partie et telle partie. Ce serait vraiment plus simple.

Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR). Nous évoquons des notions, non des définitions précises. Ce qui m’a conduit à cette réflexion, c’est votre intervention. Si nous disposions d’une définition claire de ce que pourrait être l’intimité, en fonction des âges et des publics, peut-être le lien entre maladresse et intention serait-il plus facile à établir.

Mme Noémy Soffys. La définition de l’intimité restera toujours relativement large et il est essentiel, comme dans tous les métiers, de s’adapter au projet. Par exemple, j’ai récemment été sollicitée pour encadrer une comédienne qui, selon le scénario, aura 15 ans, mais qui en réalité en a 18. Elle devra jouer des difficultés émotionnelles importantes. La productrice m’a clairement indiqué que nous serons dans une notion d’intimité bien plus vaste que sa simple intimité personnelle. L’engagement et l’implication dans le rôle nécessitent également la présence d’une coordinatrice ou d’un coordinateur d’intimité dans des contextes inattendus. Il est nécessaire de faire preuve d’intelligence collective lors de la lecture d’un projet. Par exemple, une accolade entre frères et sœurs ne nécessite pas forcément de la coordination d’intimité, même s’il y a un contact physique. En revanche, une scène avec une forte implication émotionnelle, même sans nudité ou contact physique, peut nécessiter une telle coordination. J’appelle donc au bon sens. Il est crucial d’encadrer les choses, car les personnes ont besoin de directives claires. Cependant, il ne faut pas oublier que le bon sens est la base d’un travail collectif sain dès le départ.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Avez-vous l’habitude de travailler également dans le spectacle vivant, la mode, la publicité ?

Mme Monia Aït El Hadj. J’ai travaillé pour l’Opéra national de Paris et l’Opéra comique. Notre profession doit absolument se développer dans le monde du spectacle vivant. Les discussions que j’ai souvent avec ces productions révèlent que les théâtres nationaux, étant subventionnés, disposent des moyens nécessaires. Cependant, il existe une différence notable entre l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel et celle du spectacle vivant. Nous, nous évoluons dans une véritable industrie. En matière de budget, notre secteur dispose de ressources financières importantes. Ainsi, lorsque les producteurs abordent ce sujet avec moi, je ne considère pas que ce soit un problème. Certes, il s’agit d’une ligne budgétaire supplémentaire, mais le cinéma et l’audiovisuel bénéficient d’un soutien significatif.

M. le président Erwan Balanant. Pour le spectacle vivant, c’est un peu plus compliqué.

Mme Monia Aït El Hadj. C’est beaucoup plus compliqué et le système de subvention n’est pas aussi étendu que pour le cinéma, via le CNC.

M. le président Erwan Balanant. Mme Rachida Dati, ministre de la Culture, a annoncé l’obligation de l’accompagnement des enfants sur les tournages. Pensez-vous qu’il faille également rendre obligatoire la présence de votre profession sur les tournages dès que des scènes de nudité figurent dans le scénario ? Je reconnais qu’un scénario peut évoluer et qu’il est possible d’en imaginer un initialement sans scène de nudité. Toutefois, lorsque tout le monde est d’accord et que ces scènes sont finalement intégrées, la question de votre présence ne se pose pas. On pourrait envisager de rendre obligatoire l’accompagnement par votre métier pour chaque film comportant une scène d’intimité.

Mme Paloma Garcia Martens. Je suis convaincue que la carotte est préférable au bâton. En effet, il serait pertinent d’imposer une obligation pour les scènes de sexe simulé, avec une forte présence de nudité. Cependant, si nous commençons à imposer notre présence sur les plateaux alors que tout le monde est déjà à bout, nous risquons de saboter notre travail. Personne ne voudra nous fournir les informations nécessaires. Il s’agit plutôt d’apporter une aide lors des scènes d’intimité. L’obligation devrait se situer en amont, avec une lecture de scénario par un coordinateur ou une coordinatrice d’intimité, qui pourrait ensuite identifier les passages nécessitant un accord préalable.

Récemment, j’ai travaillé sur un projet comportant des scènes avec des figurantes dans une maison close à la fin du XIXe siècle. Bien que ces figurantes soient habituées à travailler avec la nudité, il était tout de même utile de définir un cadre. Le lendemain, nous avons travaillé avec une comédienne dans une équipe très réduite. Elle était très à l’aise et, finalement, il y a eu moins de nudité que prévu. Ma présence sur le tournage n’était pas indispensable. En revanche, en amont, j’ai discuté avec l’équipe costume et le metteur en scène pour proposer plusieurs options. Une scène s’est même tournée sans moi, mais tous les outils étaient en place et j’avais parlé avec la comédienne pour clarifier les choses.

Je ne souhaite pas que nous nous tirions une balle dans le pied dans une industrie déjà très réticente à notre venue. Cependant, des recommandations, des financements ou des incitations seraient bénéfiques. Il serait toutefois pertinent de fixer un seuil pour la sexualité simulée explicite. Définir ce qu’est une scène explicite, c’est-à-dire si des parties intimes apparaissent à l’écran, pourrait justifier notre présence. Cela ne concerne pas seulement le confort et le bien-être des comédiens et comédiennes, mais aussi le consentement de l’équipe technique. Il se peut que les comédiens et comédiennes travaillent ensemble depuis vingt ans et que le fait de tourner une séquence d’agression sexuelle simulée leur semble anodin, mais, pour une équipe technique, subir pendant trois heures des hurlements et observer cette violence répétée est énorme. Il est donc essentiel de prévoir un accompagnement à ce niveau, de savoir précisément ce qui est tourné, à quel moment, et ce qui est prévu au découpage. Cela permet à chacun de prendre soin de soi dans ce contexte. Il ne s’agit pas seulement des limites et des besoins des comédiens et comédiennes, mais aussi de l’impact de ce type de séquence sur une équipe technique présente sur le plateau. Par exemple, la femme à la perche, située à deux centimètres des hurlements ou même de la nudité, est directement concernée. Parfois, je dois rappeler aux comédiens et comédiennes de se rhabiller entre les prises. Ils peuvent répondre qu’ils sont très à l’aise, ce qui est compréhensible. Cependant, il est important de rappeler que nous sommes sur un lieu de travail. Bien que l’absence de pudeur puisse être positive, il faut considérer que des personnes qui travaillent n’ont pas nécessairement envie de voir une poitrine exposée. Il est donc crucial de repositionner le curseur et de maintenir un cadre respectueux pour tous.

Mme Monia Aït El Hadj. On compare souvent notre métier à la coordination de cascades. Actuellement, la coordination de cascades n’est obligatoire dans aucun texte de loi. Cependant, aucun producteur ou metteur en scène ne songerait à chorégraphier une scène de bagarre sans faire appel à un régisseur de cascades. Alors, pourquoi, lorsqu’il s’agit de scènes d’intimité, cela suscite-t-il autant de questions ?

Mme Najoua Ferréol. Je souhaite revenir sur la question abordée précédemment concernant les référents violences, harcèlements sexuels et sexistes (VHSS). Il est vrai que nous sommes souvent confondues avec eux, mais notre rôle diffère significativement, car nous intervenons de manière épisodique sur les plateaux, tandis que les référents VHSS ont des responsabilités spécifiques et continues. Nous avons reçu une formation approfondie sur le consentement et diverses pratiques, notamment la communication non violente. Cependant, lorsque je suis sur un plateau, il est fréquent que l’on vienne rapidement me solliciter ou me parler. Nous sommes à l’écoute et pouvons rediriger les personnes en détresse vers la cellule d’écoute Audiens ou encore vers les référents VHSS. Néanmoins, nous nous trouvons souvent dans une position délicate, entre deux feux, sans savoir exactement où nous situer par rapport à ces responsabilités.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Pensez que votre présence pourrait être souhaitable aussi au moment du casting ?

Mme Monia Aït El Hadj. L’étape du casting soulève de nombreuses questions, car elle peut donner lieu à des pratiques complètement aberrantes. Actuellement, nous intervenons en soutien au département costume, notamment pour les aider à rédiger des annonces de casting qui soient un peu moins sexualisées, par exemple. Nous pourrions également intervenir directement lors des castings, bien que nous préconisions de limiter au maximum les demandes relatives à la nudité ou à la sexualité. En effet, il est inutile de demander aux candidats de se dénuder ou de simuler des actes lors des castings.

Mme Noémy Soffys. J’ai acquis une perspective unique au cours de cette dernière année, avec des contrats à la fois dans le casting et dans l’intimité. Une anecdote que je relate fréquemment illustre à quel point cette problématique est systémique. J’ai dû « caster » des jeunes femmes pour un rôle nécessitant de la nudité. Je tiens à préciser que je ne demande jamais de nudité en présentiel lors des castings. Jamais, en tout cas, je n’ai reçu de demandes de producteurs ou de réalisateurs pour obtenir de telles images. Deux comédiennes, ne pouvant se rendre en présentiel, ont été invitées à m’envoyer ce que l’on appelle des tapes, c’est-à-dire des vidéos d’essais qu’elles filment elles-mêmes ou par l’intermédiaire d’une tierce personne. Dans mon courriel, j’avais spécifié qu’il fallait jouer la scène de telle manière, dans telles conditions, et qu’à aucun moment, je ne souhaitais de nudité dans cette scène. À ma grande surprise, et sous le choc, en ouvrant les deux vidéos, j’ai constaté que les deux femmes en question apparaissaient seins nus. Elles avaient précisé dans leur courriel : « J’ai bien compris qu’il ne fallait pas de nudité, mais comme cela ne me pose aucun problème, je te l’envoie quand même sous cette forme. » J’ai alors pris conscience que le problème ne résidait pas uniquement dans la demande, mais qu’il venait également des comédiens et des comédiennes, qui pensent encore aujourd’hui qu’il est nécessaire de se dénuder pour obtenir un rôle, au sens propre du terme. Il me semble donc indispensable de mener une pédagogie générale à ce sujet. Il est crucial que tous les réalisateurs s’accordent pour affirmer qu’en casting, ils ne veulent pas de nudité et que cela ne donnera pas davantage de chances d’obtenir un rôle.

Mme Paloma Garcia Martens. Nous intervenons dans une hiérarchie et un rapport de pouvoir profondément déséquilibrés. Le moment du casting représente l’étape la plus déséquilibrée et la plus dangereuse du processus. C’est à ce moment précis qu’il devient extrêmement difficile pour une personne de donner son consentement de manière éclairée et libre. En coordination d’intimité, nous préconisons donc l’absence totale de nudité et de sexualité simulée. Pour les call-backs, c’est-à-dire les rappels après une première audition, nous pouvons éventuellement envisager une scène de danse avec un partenaire. Cependant, le casting demeure le pire moment pour garantir le respect du consentement. Je tenais à souligner cet aspect crucial.

M. Denis Masséglia (RE). Serait-il possible de légiférer pour interdire la nudité à ce moment ?

Mme Paloma Garcia Martens. Oui, absolument.

M. le président Erwan Balanant. Cela nous fournit une magnifique transition pour les personnes qui nous regardent, car c’est le sujet de notre prochaine audition. Avant de conclure et de suspendre la séance, je tiens à vous remercier sincèrement pour les informations précieuses que vous nous avez fournies. Nous sommes disposés à recevoir des contributions écrites si vous souhaitez compléter vos propos. Il est évident que des questions de réglementation peuvent être abordées par le biais de conventions collectives et que des aspects doivent être améliorés. En tout cas, notre démarche ne vise pas à adopter une attitude puritaine en interdisant ou en légiférant systématiquement, mais plutôt à sécuriser l’écosystème pour les techniciens, la production, ainsi que pour les comédiens et les comédiennes.

*

*     *

 

10.   Audition, ouverte à la presse, de l’association des directeur.rice.s de casting (ARDA) : M. David Bertrand et Laurent Couraud, co-présidents ; Mmes Béatriz Coutrot, Julie David et Julie Gandossi, directrices de casting, et M. Emmanuel Thomas, directeur de casting.

M. le président Erwan Balanant. Notre commission d’enquête a pour objectif de faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs, non seulement dans le cinéma, mais également dans le spectacle vivant et la mode. Nous cherchons à identifier les responsabilités de chacun et à proposer des solutions pour remédier aux situations que nous déplorons tous. Un aspect délicat de notre enquête concerne le temps du casting. Nous avons déjà constaté que c’est un moment critique. Lors de l’audition des coordinateurs d’intimité, une personne a qualifié ce moment de moment de tous les dangers. En effet, il s’agit d’une relation non contractuelle au début du casting, où plusieurs personnes cherchent des rôles et sont en demande. Dans un premier temps, nous souhaitons que vous présentiez votre association. Expliquez-nous en quoi consiste précisément votre métier, car il s’agit d’une profession comportant des responsabilités spécifiques et des pratiques que vous avez en partie encadrées vous-mêmes.

Nous allons également aborder la question spécifique des castings impliquant des enfants et des adolescents. Notre rapporteure posera une série de questions après votre exposé introductif, ainsi que des questions plus détaillées. Je vous remercie pour les documents que vous nous avez transmis et que nous avons étudiés hier soir. Ils nous permettront de rebondir et de vous interroger de manière très précise.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’une délégation italienne, intéressée par ce sujet, est également présente. Je les remercie pour l’intérêt qu’ils portent à nos travaux. L’audition est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et de commencer nos échanges, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. David Bertrand, M. Laurent Couraud, Mme Béatriz Coutrot, Mme Julie David, Mme Julie Gandossi et M. Emmanuel Thomas prêtent successivement serment.)

M. David Bertrand, co-président de l’association des directeur.rice.s de casting (Arda). Pour comprendre l’histoire du casting en France, il est essentiel de commencer par évoquer une pionnière, Margot Capelier, surnommée la reine du casting. Elle a révélé de nombreux talents, dont Isabelle Huppert et Juliette Binoche. On faisait appel à son regard pertinent, à sa curiosité et à son amour des comédiens, trois qualités essentielles pour notre métier. Dès 1966, elle a travaillé sur des films comme La Grande Vadrouille de Gérard Oury. Son nom est officiellement associé au métier de casting dans des génériques de films tels que Trois couleurs de Krysztof Kieslowski en 1993 et La Reine Margot de Patrice Chéreau. De nombreuses directrices de casting actuelles ont été ses assistantes, car c’est la seule formation établie pour exercer ce métier. Le 25 octobre 2001, Stéphane Foenkinos, alors directeur de casting, a déposé en préfecture les premiers statuts de l’Association française des responsables de distribution artistique (Arda) et neuf membres fondateurs ont posé les bases de cette association pour revendiquer un statut à part entière dans le cinéma français, à une époque où cette profession n’était reconnue dans aucune convention collective. Une première charte a vu le jour pour respecter une déontologie nécessaire à leur fonction. Le 19 janvier 2012, nous sommes enfin apparus dans la convention collective nationale de la production cinématographique en tant que cadres premiers assistants à la distribution des rôles, ce que nous sommes encore aujourd’hui. Dans cette convention, nous sommes définis en fonction du scénario et en collaboration avec le producteur et le réalisateur. Nous sommes chargés de rechercher et de proposer des interprètes correspondant aux différents rôles. À ce titre, nous déterminons avec la production les moyens techniques et humains nécessaires à l’accomplissement de nos missions et pouvons être engagés pour des études préalables. L’Arda se propose aujourd’hui de définir et de promouvoir le métier de directeur de casting en France afin de défendre et d’améliorer les conditions techniques, artistiques et déontologiques dans lesquelles nous exerçons nos compétences.

Ce lundi 27 mai, sous l’impulsion de Judith Godrèche et suite aux récentes révélations concernant le casting de mineurs dans certains films, l’association a adopté, lors de son assemblée générale annuelle, une seconde charte déontologique spécifique au casting de mineurs. Votée à l’unanimité des membres présents, elle impose désormais une formation aux violences et harcèlement sexuels et sexistes (VHSS) pour devenir ou rester adhérent. Lors d’une première rencontre avec la délégation générale du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), nous avons discuté de l’élaboration d’un cahier des charges pour la mise en œuvre d’une formation. Cette dernière permettrait de réfléchir à la validation d’une certification de qualification professionnelle (CQP) ou des compétences acquises. L’une des réflexions porte sur la commission paritaire nationale emploi et formation (CPNEF) de l’audiovisuel, qui pourrait gérer cette formation sur la base d’un corpus commun, en s’appuyant sur les fiches métiers disponibles sur le site de cette commission. Par ailleurs, un groupe de travail au sein de l’association, en collaboration avec les syndicats, élabore notre demande d’intégration dans la convention collective en tant que directeurs et directrices de casting. Cette définition a été obtenue au sein de l’Académie des arts et des techniques du cinéma et de l’Académie César, et la branche direction de casting est effective à partir de cette année. Afin que cette profession obtienne un cadre définitif et soit reconnue pour ses qualifications professionnelles, tant artistiques que techniques, en tant que chefs de poste à part entière dans les conventions collectives, nous sollicitons aujourd’hui, par votre intermédiaire, un échange avec les ministères du travail et de la culture.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Quelles sont les règles encadrant l’organisation d’un casting ? Quelles différences existent entre les castings dans le cinéma, l’audiovisuel, le spectacle, la mode et la publicité, qui sont les périmètres de notre commission d’enquête ? En ce qui concerne le cadre, existe-t-il des règles spécifiques en termes de lieu et d’horaire ? Nous avons constaté que certains castings posaient problème, car ils se déroulent en dehors d’un cadre de travail normal. Existe-t-il un flou juridique à ce stade, étant donné que les comédiens ne sont pas encore engagés mais simplement candidats pour un film ? Quel est ce cadre précis ? Lorsqu’ils se présentent pour un casting, à quel endroit doivent-ils se rendre ? Cette information est-elle déterminée dans la fiche qu’ils reçoivent lors de la demande de poste ? Est-il fréquent que le cadre indiqué sur cette fiche soit finalement modifié ?

M. Laurent Couraud, co-président de l’association des directeur.rice.s de casting (Arda). En termes de cadre, nous avons mis en place un système avec les productions, qui sont nos employeurs. Nous disposons d’un lieu dédié qui peut se situer au sein de la production ou ailleurs, par exemple dans un bureau de préparation. Ce cadre prévoit l’envoi de convocations aux comédiens et comédiennes via leurs agents ou directement, s’ils n’en ont pas, avec les textes à apprendre, le lieu et l’horaire du rendez-vous. Ce processus est normalement bien établi et assez encadré. Nous pouvons changer de lieu en fonction des productions, étant donné que nous sommes intermittents et que nous travaillons avec plusieurs productions. Certains d’entre nous disposent également de studios de casting, ce qui leur permet de travailler toujours au même endroit. J’ai l’impression que les différences entre le cinéma, la télévision et le théâtre ne sont pas significatives. Les auditions de théâtre se déroulent généralement sur un plateau de théâtre, mais elles suivent également des horaires précis et des convocations claires, sans débordement. Pour les castings d’enfants, les auditions se tiennent en dehors des heures de cours, principalement le mercredi après-midi et le samedi.

M. le président Erwan Balanant. À qui êtes-vous liés contractuellement ? À la production ?

M. Laurent Couraud. Nous sommes embauchés par la production pour un travail donné sur une période donnée.

M. le président Erwan Balanant. Embauchés par la production, vous avez un lien de subordination direct avec elle. La production demande ce casting et le lien de subordination est direct avec vous. Cependant, une question importante se pose car il n’y a aucun contrat au moment du casting. La comédienne qui se présente n’a ni contrat ni garantie. Comment encadrer cet aspect ? Faut-il établir des règles et des chartes éthiques pour votre profession ? Vous nous avez transmis un document récent à propos duquel je me suis demandé s’il nous était parvenu à cause de l’audition d’aujourd’hui et si vous l’aviez rédigé pour cette occasion, ou bien s’il s’agit d’un travail que vous avez mis en place et sur lequel vous réfléchissez depuis un certain temps.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Si j’ai bien compris, cette charte déontologique est une deuxième version de celle qui existait au préalable.

M. David Bertrand. Cette réflexion découle directement des révélations concernant certains films et la manière dont se déroulaient les castings pour enfants. La prise de parole de Judith Godrèche nous aussi a incité à agir. Nous devons la remercier pour son courage, car c’est grâce à elle que nous sommes ici aujourd’hui. En apprenant ce qui avait été révélé, notre urgence était d’établir un cadre qui, manifestement, faisait défaut pour certains castings. Certains se prétendent directeurs de casting, mais on ne sait qui ils sont. En réponse à cette parole forte, nous avons travaillé à consulter nos partenaires et à élaborer une deuxième charte déontologique dédiée aux castings de mineurs. Cette nouvelle charte ne remplace pas celle de l’Arda, sur laquelle elle s’appuie et qu’elle mentionne en préambule. Julie Gandossi, Julie David et Béatriz Coutrot ont coordonné les opérations, consulté les agents et tous nos partenaires pour aboutir à ce résultat. L’assemblée générale (AG) extraordinaire s’est tenue le lundi 27 mai dernier et nous avons voté cette charte à l’unanimité. Concernant la temporalité, c’est bien l’AG qui a déterminé notre réaction, et c’est la parole de Judith Godrèche et ses révélations qui ont été le déclencheur. Pour ce qui est des castings, nous ne prétendons pas être des directeurs de ressources humaines (DRH). Cependant, lors d’un entretien, que ce soit avec un CV ou dans toute situation d’emploi, il n’y a pas de déclaration préalable. De même, lorsqu’un candidat se présente devant un recruteur, il n’est pas déclaré.

M. le président Erwan Balanant. Un vrai problème se pose. Lorsqu’un directeur des ressources humaines conduit un entretien d’embauche, il doit respecter des règles strictes, notamment en matière de non-discrimination. Ces règles peuvent parfois sembler contradictoires avec les exigences de certains métiers. Par exemple, dans le domaine artistique, il peut exister des discriminations naturelles lorsqu’on recherche un comédien ou une comédienne.

J’ai pris connaissance de votre charte. Sur votre document, il est indiqué « documents de travail, ne pas diffuser ». Je ne l’ai donc pas encore transmis à nos collègues parlementaires. Est-il possible de le diffuser à nos collègues parlementaires ?

M. David Bertrand. Oui.

M. le président Erwan Balanant. Je précise donc aux membres de la commission que nous transmettrons ces documents, car ils me semblent pertinents.

Cette charte s’applique aux mineurs de 0 à 18 ans. Pour vous, qu’est-ce qu’un local adapté à un casting ?

Mme Béatriz Coutrot, directrice de casting. Pour les castings d’enfants, il est impératif de prévoir une salle d’attente pour accueillir les familles, ce qui n’est pas systématiquement le cas. Cette nécessité s’applique également aux castings d’adultes, car il est essentiel de disposer d’un espace où les candidats peuvent patienter. Idéalement, une salle d’attente attenante à la salle de casting permet de les avoir à proximité. Ainsi, si un enfant ressent le besoin de rejoindre ses parents pour une raison quelconque, il peut le faire en toute sécurité. De plus, cela offre la possibilité aux parents de visiter le studio ou la salle où se déroulera le casting, afin qu’ils se familiarisent avec les lieux et se sentent à l’aise.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Quelles sont, selon vous, les spécificités d’un casting réalisé auprès d’enfants ? Je lis dans votre charte que vous préconisez la présence de deux personnes en salle de casting, ainsi que d’un référent enfant à l’extérieur. J’aimerais connaître votre avis sur ce point. À mon sens, et d’après ce que nous avons entendu lors des auditions précédentes, il est essentiel d’avoir des personnes spécifiquement formées pour accompagner les enfants. En effet, il n’existe pas de socle de formation commun en France pour les coachs d’enfants. Ceux-ci se forment certes à la psychologie, mais il n’existe pas de formation spécifique ni de réglementation pour ce métier. Il me semble donc nécessaire que les deux personnes présentes en salle soient formées pour travailler avec des enfants et que ce ne soient pas des individus quelconques. Il en va de même pour la personne située à l’extérieur. Quelles réflexions vous ont conduits à décider que le référent enfant serait à l’extérieur de la salle de casting et non à l’intérieur ? Il me semble que les deux personnes présentes à l’intérieur sont le référent enfant et une autre personne. Pourriez-vous clarifier qui sont ces personnes préconisées dans la charte ?

Mme Béatriz Coutrot. Le responsable enfant est celui qui intervient sur le tournage. La ministre de la Culture a annoncé que la présence d’un responsable enfant devenait obligatoire dès lors qu’un enfant était prévu sur le plateau de tournage. Selon nous, la spécificité du casting enfant réside dans le fait que nous avons affaire à un non-professionnel. L’enfant n’est pas un comédien de métier, il n’a pas de formation professionnelle, il ne possède pas la technique de jeu ni les outils nécessaires, il n’a pas appris à jouer, c’est un enfant. Or on ne s’adresse pas de la même manière à un enfant qu’à un adulte. Il nous arrive de réaliser des castings d’adultes non-professionnels. Dans ce cas, notre approche diffère également, mais face à un enfant, il nous semble primordial de toujours revenir à lui, à son désir d’être présent, à son consentement et de nous assurer qu’il comprend bien ce qu’il est en train de faire. Il est essentiel qu’il comprenne ce que nous lui disons, que nous nous mettions à son niveau, à sa hauteur, et que nous revenions constamment à son envie d’être là. Il est impératif qu’il se sente en sécurité, libre et en aucun cas obligé de faire quoi que ce soit. Évidemment, cela vaut aussi pour les comédiens adultes, mais ces derniers connaissent mieux ce cadre dans la plupart des cas. Les adultes ont été formés à cela, et il nous paraît important de toujours revenir à l’enfant et à sa non-professionnalisation. Il est présent en tant qu’enfant, indépendamment de son expérience, même si certains ont déjà de l’expérience.

M. le président Erwan Balanant. Dans votre charte, à la page 3 de la fiche outil VHSS, vous stipulez : « Aucune nudité ou semi-nudité ne doit être permise en aucun cas et à aucune étape du casting. Aucune photo de l’artiste nu ou montrant l’artiste engagé dans un acte sexuel ne doit lui être demandée. Aucune simulation d’acte sexuel, aucun acte sexuel ou geste portant atteinte à l’intimité ne doit être demandé ou subi lors d’une audition. » Cette règle s’applique aux mineurs. Pensez-vous qu’elle devrait également s’appliquer aux majeurs ?

Mme Julie David, directrice de casting. Nous nous sommes appuyés sur la fiche outil VHSS pour le casting en général. Ces documents, destinés également aux adultes, nous ont été transmis suite à la publication du kit édité par le collectif 50/50 il y a déjà plus d’un an.

M. le président Erwan Balanant. Vous suggérez donc qu’il n’existe actuellement aucune interdiction légale concernant la nudité dans les castings, que ce soit pour des adultes ou des mineurs. Pensez-vous qu’il serait envisageable de l’interdire et de l’inscrire dans la loi d’une manière ou d’une autre ?

Mme Julie David. Absolument.

M. le président Erwan Balanant. C’est un engagement fort, surtout quand on sait ce qui a pu se passer pendant de longues années. Cependant, je constate que, dans votre protocole, peut-être en raison d’une écriture encore jeune, il est mentionné que, lors d’un casting, un comédien ou une comédienne ne doit pas être obligée de se déshabiller en partie ou totalement, sauf en cas d’accord entre les parties et sous réserve de la présence d’une tierce personne connue des deux parties. Cela me semble contradictoire. Je pense qu’il est possible d’imaginer une solution pour régler cette question.

Mme Julie Gandossi, directrice de casting. Ce que vous citez fait partie de la charte que nous avions avant de travailler sur la charte pour les mineurs. Actuellement, nous sommes en train de revoir ensemble la charte que nous avions à l’époque.

M. le président Erwan Balanant. Il s’agit donc bien d’un document de travail.

Mme Julie Gandossi. Oui, et ayez en tête qu’il est en train d’être modifié.

M. le président Erwan Balanant. C’est notre métier de législateurs que de lire les textes et de les écrire. En relisant celui-ci, j’ai tout de suite senti une contradiction forte sur ce point.

Mme Julie Gandossi. À l’époque, il était nécessaire d’obtenir l’accord de plusieurs parties pour accéder à ce type de démarche en casting. Cela n’était ni imposé ni découvert le jour de l’arrivée. En tant que membres de l’Arda, nous avons tous signé cette charte et nous nous engagions à communiquer un maximum d’informations lorsque nous devions montrer certaines choses.

M. le président Erwan Balanant. Actuellement, pour se proclamer directeur de casting, est-il nécessaire d’être obligatoirement adhérent à votre association ? Quelles sont les règles pour exercer en tant que directeur de casting ? Nous avons entendu, lors de l’audition de Judith Godrèche par la délégation aux droits des enfants et par la délégation aux droits des femmes, qu’aujourd’hui, n’importe qui peut se déclarer directeur ou directrice de casting. M. Emmanuel Thomas, quel est votre avis sur cette situation ?

M. Emmanuel Thomas, directeur de casting. Je souhaite prendre la parole pour illustrer concrètement l’absence de formation spécifique dans notre domaine. Mon parcours en est un exemple significatif : j’ai une formation de base en tant qu’aide-soignant en réanimation et en urgence. J’ai intégré le milieu du casting grâce à ma détermination, après avoir étudié les arts du spectacle et travaillé comme professeur de théâtre. Ainsi, il n’existe pas de formation formelle pour ce métier.

Je tiens également à aborder la question du casting dans son ensemble. Nous parlons souvent des castings pour les premiers rôles, mais il est important de considérer également les seconds rôles, les petits rôles, les silhouettes parlantes, les silhouettes muettes et la figuration. En tant que directeur de casting associé en région Auvergne-Rhône-Alpes, ma mission au sein de l’Arda consiste à rechercher ces différents profils. Il existe une différence notable, tant sur le plan salarial que sur celui de l’apparition à l’écran et de l’identification au scénario. La règle concernant la nudité ne doit pas s’appliquer uniquement aux premiers rôles, mais à l’ensemble des personnes visibles à l’écran.

M. le président Erwan Balanant. Cela me semblait assez logique. Demain matin, à la fin de mon mandat, si, passionné de cinéma, je décide d’être directeur de casting, je peux l’être ?

M. Laurent Couraud. Effectivement, chacun peut se prétendre directeur de casting ou agent artistique, car il n’existe plus de législation en la matière. Cependant, il est impératif de souligner que nous avons tous été assistants et que nous avons tous appris ce métier et ses codes. Si quelqu’un arrive sans aucune connaissance de ces codes, ce sera problématique, mais tout le monde ne peut pas adhérer à l’Arda. Nous recevons des demandes et, en fonction des profils, nous les acceptons ou non. Il existe en effet des moutons noirs au sein de notre congrégation et ceux-ci n’ont pas leur place à l’Arda.

M. le président Erwan Balanant. Vous fonctionnez un peu comme dans le système américain, où les chefs opérateurs ont un syndicat et procèdent par cooptation.

M. Laurent Couraud. Exactement, il y a cooptation.

M. le président Erwan Balanant. Souhaiteriez-vous qu’une certification soit mise en place pour votre profession et qu’elle soit particulière pour les mineurs ?

M. David Bertrand. Nous réfléchissons avec le CNC sur une certification ou une reconnaissance des compétences acquises. Lorsque j’ai proposé ma candidature à la présidence de cette association, j’ai insisté auprès des membres sur l’importance d’une formation spécifique pour notre métier, afin que nous soyons reconnus à notre juste valeur. Il est essentiel que ceux qui souhaitent exercer cette profession puissent accéder directement à ces formations, et non par défaut.

Ce métier naît souvent d’une passion et d’un désir profond. Il est également lié au monde du théâtre et du jeu, notamment pour les comédiens. Beaucoup d’entre nous ont fréquenté des écoles de théâtre et suivi des formations qui nous permettent de comprendre de l’intérieur ce que signifie passer un casting. Il est crucial d’être vigilants à cet égard. Dans ma salle de casting, je pense toujours à ce que ressent un acteur qui sort de chez lui, ayant appris un texte sans connaître grand-chose du film, et qui se demande ce qu’on attend de lui ce jour-là. Il est souvent stressé, il cherche du travail et une reconnaissance, et il est désireux de s’exprimer. Il est donc fondamental de prendre en compte ces éléments lorsqu’on les reçoit. Le cinéma, et peut-être d’autres types de castings, nous permettent, avec le temps et les ressources disponibles, d’organiser des rendez-vous d’environ quarante minutes. Cela nous donne le temps d’exposer nos attentes, de recevoir les acteurs et de travailler ensemble pour développer un échange fructueux, afin de pouvoir ensuite répondre aux attentes du réalisateur ou de la réalisatrice. Notre objectif est de ne pas laisser les actrices et acteurs quitter notre salle de casting frustrés, car ce métier, déjà très difficile, est source de frustration permanente. Ce travail est intime et chacun se découvre à travers lui. Il y a des aventuriers, mais par exemple je ne sais pas si des formations spécifiques existent pour devenir député. Dans notre métier, l’apprentissage se fait souvent par l’assistanat, sans formation formelle, mais avec un fort rapport culturel. Nous possédons une formation spécifique, que ce soit dans le jeu ou la réalisation, et c’est pour notre point de vue particulier que l’on fait appel à nous. Nous sommes consultés sur de nombreux aspects. À l’Arda, nous nous efforçons de filtrer les candidatures, car beaucoup de personnes, après avoir réalisé deux films, souhaitent intégrer notre association en tant que directeur ou directrice de casting. Cependant, cela ne fonctionne pas ainsi. Le processus est trop rapide pour mener une enquête approfondie auprès des professionnels et des agents sur le comportement des candidats lors des castings et des essais. Nous devons également interroger les comédiens sur leur expérience et la reconnaissance qu’ils obtiennent. Notre métier est à la fois technique et profondément humain, avec des enjeux artistiques importants. En tant qu’assistants, nous improvisons souvent, mais nous devenons confirmés lorsque les comédiens, les agents, les producteurs et les réalisateurs reconnaissent notre travail. Cela engendre parfois des frustrations au sein de l’association, mais nous devons maintenir notre exigence de qualité. Nous encourageons les aspirants à continuer de travailler et de s’exercer, car leurs compétences seront un jour reconnues, leur permettant ainsi d’intégrer l’Arda.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je ne suis pas du métier, ayant été enseignante avant de devenir députée. Comme vous l’avez mentionné, il n’existe pas de formation spécifique pour devenir député. Nous nous formons souvent sur le terrain, avec les difficultés que cela implique. Si notre commission d’enquête existe aujourd’hui, c’est précisément en raison des dysfonctionnements constatés, notamment lors du processus de sélection. Ce moment, souvent qualifié de flou, est revenu à plusieurs reprises : on ne sait pas toujours ce qui se passe et les personnes chargées d’accueillir notamment des enfants ne sont pas toujours formées de manière adéquante. Des faits récents nous ont été rapportés à ce sujet. Si nous vous recevons aujourd’hui, c’est parce que certains aspects ne fonctionnent pas correctement. Cela ne signifie pas que vous manquez de bonne volonté pour changer les choses, la charte du 27 mai en témoigne. Vous êtes dans le métier depuis bien avant cette date, et les faits rapportés par Judith Godrèche aux parlementaires montrent que, malgré les discussions, les problèmes persistent. Tout le monde était au courant de ce qui se passait. Vous avez mentionné que certaines personnes sollicitent leur adhésion à l’Arda et que vous refusez celles qui ne répondent pas aux critères de votre congrégation. Cela montre que vous êtes conscients des dysfonctionnements et que des personnes sont inaptes à remplir les exigences de votre charte.

Nous devons éviter de tourner autour du pot, car notre objectif est de comprendre les dysfonctionnements et de déterminer les actions nécessaires pour aller dans la bonne direction, tant pour les majeurs que pour les mineurs. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi et à qui vous refusez l’entrée dans votre association ? Est-ce en raison de rumeurs selon lesquelles, lors de castings pour adultes ou mineurs, les choses ne se passent pas bien ? Ou avez-vous des preuves concrètes de ces dysfonctionnements ou de certains faits ? Si oui, sont-ils pénalement répréhensibles et constituent-ils une des raisons pour lesquelles vous leur refusez l’entrée à l’Arda ?

M. David Bertrand. Nous identifions des signaux faibles dans tous les corps de métiers et collaborons avec les deux principales associations d’acteurs en France, à savoir l’ADA et l’AAFA. Ces associations possèdent des pôles dédiés au harcèlement, aux agressions et aux viols, chargés de recueillir des témoignages. Dès que plusieurs témoignages convergent à propos d’une personne, ils nous en informent. La difficulté réside dans le fait que nous ne disposons pas d’outils pour communiquer ces informations, car nous n’avons pas le droit de rendre justice nous-mêmes sans preuve. Cependant, comme nous l’apprenons en formation VHSS, nous pouvons mener des enquêtes de rumeur, c’est-à-dire vérifier auprès des personnes concernées ce qui se passe. Nous apprenons à repérer ces signaux faibles grâce aux formations, et j’espère qu’aujourd’hui tout le monde est capable de les identifier. Ces signaux peuvent être de petits détails, parfois de simples pressions, comme l’abus de pouvoir inhérent à ce genre de situation. Par exemple, proposer un rôle en échange de faveurs, ce qui se produit malheureusement dans tous les domaines. Nous suivons ces petits signaux dès le départ et avertissons les associations concernées. Cela nous permet parfois d’obtenir des résultats concrets. Nous sommes ainsi amenés, par exemple, à écrire nous-mêmes et à utiliser l’article 40 du code de procédure pénale pour envoyer des signalements à la DRIEETS ou au procureur de la République. Nous menons nos enquêtes, mais nous manquons d’un outil pour communiquer entre nous et prévenir que quelqu’un dans ce milieu présente des signaux faibles, même s’il n’a encore rien fait. Or ces signaux faibles se confirment généralement.

Dans le cas de l’Arda, certaines personnes présentent des signaux faibles qui nous incitent à rester en communication avec nos partenaires, comme le SFAAL, l’ADA, l’AAFA et le collectif 50/50. Dans le cas de personnes qui ont rejoint l’Arda il y a longtemps et qui, en chemin, ont pu dévier ou faire l’objet d’enquêtes, nous leur demandons de partir. Les statuts de l’association précisent clairement que l’on peut être radié pour diverses raisons. Nous pouvons vous communiquer ces statuts. Dès que plusieurs acteurs ou actrices nous signalent qu’ils ne participent plus à certains castings, nous devons nous poser des questions et agir rapidement. La foi en ce que nous faisons de bien est notre seul cadre car, en général, tout se passe bien. Cependant, il existe des cas à éviter. C’est justement pour prévenir ces situations que nous avons sollicité notre participation à cette commission. Nous avons en effet besoin d’un cadre légal et juridique pour empêcher les rares déviations qui rendent la situation intenable.

Par ailleurs, les problèmes systémiques vis-à-vis des femmes ne relèvent pas du casting ni du cinéma. Ils sont profondément ancrés dans nos sociétés et résistent encore aujourd’hui au mouvement de parole des femmes. Remettre en cause nos structures politiques et sociales est un acte féministe et politique. Nous parlons de notre métier car nous avons une parole publique grâce à certains acteurs et actrices. Cependant, un travail profond doit être mené dans toute la société, en commençant par les familles. La culture du viol existe et imprègne tous les domaines de compétence de notre pays et probablement de la planète entière.

M. le président Erwan Balanant. Vous avez évoqué l’article 40 du code de procédure pénale. N’étant pas une autorité constituée, vous n’avez pas la possibilité de mettre en œuvre cet article. Comment procédez-vous actuellement ? Lorsque vous disposez de faits, de signaux faibles et parfois de signaux faibles qui deviennent flagrants, quelle est votre démarche ? Existe-t-il une lacune juridique ?

M.  Laurent Couraud. Nous agissons de manière très claire dès qu’un problème survient. Dès que nous recevons des informations, nous contactons le comité central d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT), en la personne de Didier Carton, qui a la possibilité de contacter les productions et de les alerter en cas de problème. Nous ne pouvons que passer le relais. Il est également important de noter que, si un acteur ou une actrice ne dépose pas plainte, aucune action n’est possible. Cela rend la situation très complexe pour les acteurs et actrices qui hésitent à porter plainte, par crainte de répercussions sur leur carrière, comme le risque d’être blacklistés sans raison valable. Cette situation reflète les modes de fonctionnement du passé.

M. Emmanuel Thomas. C’est également vrai pour les techniciens et les techniciennes, car la production exerce une relation de subordination avec nous. Par exemple, les vidéos que nous utilisons pour les castings appartiennent à la production. Nous avons un contrat de travail qui nous lie à eux et qui stipule qu’elles ne peuvent être fournies ailleurs. Ainsi, nous nous référons au CCHSCT et au syndicat. Nous pouvons également nous adresser à la DRIEETS, qui peut déposer un article 40 du code de procédure pénale.

Mme Julie Gandossi. L’intervention de Julie Godrèche a permis de libérer la parole des enfants dans les salles de casting. Nous avons ainsi été contactés par de nombreux parents qui, bien qu’ils n’aient pas souhaité porter plainte pour préserver la carrière de leurs enfants, ont partagé de nombreux témoignages. Avec l’aide de Didier Carton, un dossier a été constitué et nous avons déposé un article 40. Les choses évoluent. Il est important de comprendre que la parole des enfants dans les castings devait être libérée. Ce ne sont pas seulement les techniciens ou les comédiens adultes qui sont concernés, mais aussi les comédiens mineurs qui ont des choses à dire. Nous avons joué un rôle d’écoute et d’orientation, ce qui a conduit à la création de cette charte et de notre pôle casting mineur, qui agit désormais comme référent sur certaines questions.

M. le président Erwan Balanant. La question de la carrière et du lien de vulnérabilité est omniprésente dans ce milieu, mais elle ne se limite pas à la sphère de notre commission d’enquête. Le cinéma est le miroir de la société. Notre collègue Graziella Melchior travaille sur #MeToo armée et l’initiative #MeToo santé a fait l’actualité hier. Aujourd’hui, il n’existe pas de statut pour les lanceurs d’alerte. Je vais être direct : j’ai déposé un article 40 du code de procédure pénale concernant les images que j’ai vues du casting du film de Jacques Doillon. En tant qu’auteur du texte sur le harcèlement scolaire, j’ai été effaré par ces images. Comment peut-on demander de continuer à un enfant qui dit non une fois et qui se met à pleurer ? Comment est-ce possible ? M. Thomas, votre parole nous intéresse, car j’ai cru comprendre d’après votre CV que vous aviez participé à ce film. Peut-être pas sur ces castings-là, je l’espère.

M. Emmanuel Thomas. En tant que directeur de casting associé au sein de l’Arda, je me conforme à une charte déontologique stricte. En revanche, la directrice ou le directeur de casting à Paris ne l’a pas respectée et n’était pas adhérente de l’Arda. Par ailleurs, il serait également nécessaire de considérer la parole des hommes.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Mme Gandossi, vous affirmez que, récemment, à la suite des déclarations de Judith Godrèche, la parole s’est libérée parmi les enfants ayant participé à des castings. Ces enfants auraient notamment subi des violences, car si la parole se libère, ce n’est pas pour dire que tout s’est bien passé. Certains parents se sont adressés à vous, confirmant que leur enfant avait été victime de violences sur un tournage, mais ils refusent de porter plainte par crainte pour la carrière de leur enfant. Lorsqu’un adulte choisit de ne pas porter plainte, c’est une décision personnelle. Cependant, pour un enfant, j’espère que tous les signalements que vous avez reçus ont conduit à des dépôts de plainte de votre part.

Mme Julie Gandossi. Nous avons mis en place de nombreuses mesures et nous avons été bien entourés, car nous avons pris ce problème très au sérieux au sein de l’Arda. Nous avons cherché à comprendre ce que nous pouvions ou ne pouvions pas faire. Le problème ne réside pas dans le tournage, mais concerne un agent non représenté par le SFAAL. À ce jour, je ne sais pas encore ce que je peux dire, car l’enquête est en cours. Je resterai donc très vigilante pour protéger tout le monde. Il me semble cependant essentiel d’avoir une licence pour les agents artistiques, notamment ceux qui travaillent avec des enfants. Actuellement, n’importe qui peut devenir directeur de casting et, de la même manière, n’importe qui peut devenir agent d’enfants. Or un agent d’enfants passe beaucoup plus de temps avec un enfant qu’un directeur de casting, dont l’intervention est ponctuelle et en amont des projets, sur une très courte durée. Dans notre salle de casting, nous voyons de nombreux enfants, que ce soit dans le cadre de castings sauvages ou en agence. Lors des castings sauvages, les parents n’ont souvent aucun repère et ne savent pas comment cela va se dérouler, hormis les paillettes et l’attrait du milieu. Le déroulement d’un casting peut donc varier considérablement en fonction de la personne avec qui l’enfant arrive et de la salle où il se trouve.

Nous avons élaboré une charte pour les enfants, accompagnée de notices destinées aux familles et aux producteurs, afin de clarifier les règles fondamentales d’un casting. Il est essentiel que les enfants comprennent leurs droits dans ce contexte. Un enfant a le droit de refuser de participer à un casting, de venir avec l’envie de réussir et même de perdre ses moyens devant nous, sans que cela le pénalise à vie. S’il ne réussit pas aujourd’hui, cela ne signifie pas qu’il est définitivement écarté. Il peut se tromper une fois et revenir plus tard avec une nouvelle motivation. L’important est que la parole de l’enfant soit respectée. La représentation des enfants par des agents est également une étape cruciale, notamment pour les tournages. Un agent compétent peut offrir des conseils précieux et assurer la protection de l’enfant. Cependant, il est nécessaire de distinguer un bon agent d’un agent lambda. Autrefois, il existait une licence pour les agents, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.

M. le président Erwan Balanant. Je lis à la première page de votre notice famille « Le bien-être de votre enfant reste au centre du casting. À tout moment, il a le droit de dire : stop, je n’ai plus envie, je n’aime pas être filmé, je ne veux pas répondre, recommencer, etc. Le/la directeur/directrice de casting se doit de le respecter. » Vous êtes clairs à ce sujet, et c’est très bien. Nous transmettrons également les notices à l’attention des familles et des producteurs que nous avons reçues. Pour ma part, et je pense que madame la rapporteure partage cet avis, je trouve que ces engagements sont forts et clairs.

M. Emeric Salmon (RN). Tout d’abord, concernant votre profession, lorsque vous êtes contacté par une production, avez-vous une obligation de résultat ou de moyen ? En d’autres termes, avez-vous le droit de dire que vous ne trouvez personne correspondant à la demande ? Quelles contraintes s’ensuivent dans votre métier ? Ensuite, en lien avec le sujet que nous venons d’aborder, lors de l’audition du collectif 50/50 lundi, une personne a mentionné qu’elle organisait des castings pour enfants en utilisant la méthode de la porte ouverte, permettant ainsi aux parents d’entendre ce qui se dit. Est-ce une pratique que vous recommandez ou que vous souhaitez rendre obligatoire ? Enfin, lors de l’audition précédente, nous avons évoqué des situations où des comédiens ou comédiennes adoptent des pratiques contraires aux bonnes mœurs pour tenter de réussir un casting. Un exemple cité concernait un casting réalisé par cassette, où il avait été expressément demandé de ne pas inclure de scènes de nudité. Toutefois, une personne avait montré sa poitrine. Comment réagiriez-vous face à ce type de comportement ? Disposez-vous de protocoles spécifiques pour gérer de telles situations ?

Mme Graziella Melchior (RE). Je comprends bien que votre association est vertueuse et que vous avez modifié votre charte avec une réelle volonté de progresser. Si j’étais parent d’un enfant, je ne saurais pas si le casteur fait partie de votre association ou non ; je ne saurais donc pas à qui j’ai affaire. Je suppose qu’un enfant passe par plusieurs castings et entre différentes mains. Lorsque vous recevez un enfant ou une famille, et cela peut aussi s’appliquer aux adultes, les prévenez-vous que tout le monde ne respecte pas forcément votre charte ? Les mettez-vous en garde en leur conseillant de demander à voir la charte lorsqu’ils vont à un autre casting ? Jouez-vous un rôle de prévention à ce sujet ? Ensuite, puisque je comprends que tout le monde peut devenir directeur de casting, même monsieur Erwan Balanant, ma question est la suivante : quelqu’un vérifie-t-il à un moment donné si les casiers judiciaires des directeurs de casting sont vierges d’infractions sexuelles ou autres ?

Mme Julie David. Sophie Lainé Diodovic nous a récemment parlé de sa méthode de porte ouverte, qui, selon elle, provient des États-Unis. Elle commence à la tester. Pour ma part, je ne l’ai jamais pratiquée. Il arrive parfois que des enfants souhaitent arrêter. Dans ce cas, il est très simple de leur dire : « C’est toi qui choisis : si tu veux qu’on arrête, on retourne voir maman, si cela te rassure. Tu reviendras après, etc. » Jusqu’à présent, je n’ai jamais rencontré de problème et j’ai toujours reçu de bons retours des parents.

Concernant la nudité, je n’ai jamais reçu ce que l’on appelle des tapes, des vidéos. Malheureusement, lorsque nous publions des annonces pour rechercher des enfants, il arrive que des adolescentes ou même des parents nous envoient des photos d’enfants mineurs dans des poses quelque peu suggestives. En tant que mères, nous prenons immédiatement notre clavier pour envoyer des messages à caractère préventif, en disant : « Vous ne savez jamais qui est derrière. Ne faites jamais cela sans l’accord de vos parents et surtout ne le faites jamais. » Même les photos en maillot de bain sur la plage, nous n’en voulons pas, même si elles montrent les enfants en train de jouer ou de construire un château de sable. La photo en maillot de bain est inutile. Nous n’en voulons pas. Ce n’est pas ainsi que l’on met en valeur l’enfant. Une jolie petite photo lorsqu’il souffle ses bougies ou les photos de classe nous conviennent parfaitement. Nous essayons autant que possible de sensibiliser les parents et nous avons ajouté dans la notice aux familles qu’il est impératif de ne pas le faire.

M. Laurent Couraud. Dans nos contrats, nous avons également une charte. Il n’existe pas d’obligation de résultat, ce qui signifie que si, à un moment donné, nous ne parvenons pas à trouver ce que nous cherchons, ils feront appel à une autre personne pour reprendre le casting. Il n’y a donc pas d’obligation stricte. Par ailleurs, nous sommes engagés pour une période déterminée avec un cahier des charges stipulant que nous devons identifier un certain nombre de rôles.

Mme Julie Gandossi. Nous sommes embauchés à la semaine, avec des contrats hebdomadaires et un tarif spécifique. Il est essentiel que vous compreniez que nous sommes embauchés et licenciés chaque semaine, selon un tarif hebdomadaire. Nous signons pour un certain nombre de semaines et, en fonction de cela, les semaines peuvent être déroulées ou anticipées. Nous n’avons pas d’objectif de résultat précis. Si nous ne l’atteignons pas, quelqu’un d’autre prendra notre place. Il est important de noter que le casting des enfants dépend énormément du calendrier de la DRIEETS. En effet, le travail des enfants étant interdit, nous devons obtenir des dérogations pour le casting des enfants via la DRIEETS. Cette dérogation nécessite un dossier qui est traité pendant un mois. Il y a une date de dépôt et une date de commission, avec des documents spécifiques à fournir dans ce dossier. Une fois étudié, un retour est possible. En tant que directeurs de casting pour enfants, nous sommes souvent contraints par ces dates. On joue également sur ces délais pour nous rémunérer moins. Plus nous nous rapprochons de la date, moins nous avons de temps. C’est important car les commissions se tiennent souvent en amont par rapport aux dates de tournage, ce qui impose une exigence de temps.

M. Emmanuel Thomas. Ce dossier qui doit être déposé à la DRIEETS avec tous les documents concerne non seulement les rôles principaux mais aussi les figurants. Il nous arrive aussi de signer nos contrats de travail après avoir commencé à travailler. Il est essentiel de rappeler aux productions le cadre légal spécifique, notamment l’article L. 4121-1 du code du travail. Il impose à l’employeur, en l’occurrence la production, de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Bien que cette obligation ait été particulièrement mise en avant durant la période de la Covid, elle s’applique également en dehors de cette période. Il ne faut pas oublier que les productions, en tant qu’employeurs et chefs d’entreprise, doivent respecter cet article.

Mme Béatriz Coutrot. Nous évoquions précédemment les personnes dont nous percevons des signaux faibles et les actions possibles à entreprendre. Selon moi, il incombe également aux producteurs, qui emploient ces personnes, de prêter attention à ces signaux. Si nous les entendons, ils doivent les percevoir également et décider s’ils souhaitent ou non faire appel à ces individus pour travailler. Il est essentiel de les responsabiliser à ce sujet.

Mme Julie Gandossi. Nous pouvons refuser un projet parce que nous ne sommes pas en accord avec ce qui sera mis en place, notamment en l’absence de précepteur sur le tournage, alors qu’un enfant est déscolarisé pendant trente ou quarante jours et envoyé à l’étranger sans encadrement adéquat. Au début du casting, il est essentiel de garantir un encadrement rigoureux. Ce qui est particulièrement préoccupant, c’est que, lorsque nous refusons un projet en raison d’un manque d’encadrement pour l’enfant, nous savons pertinemment que quelqu’un d’autre acceptera ce projet par la suite. Comment encadrer cette situation ? Si nous refusons un projet pour des raisons déontologiques, comment assurer que la suite soit correctement encadrée ? Si ce n’est pas nous, il y aura toujours quelqu’un qui acceptera le projet, souvent par nécessité de cumuler des heures, de maintenir son statut d’intermittent ou simplement de travailler. Cette personne ne sera pas forcément compétente, passionnée ou respectueuse de la charte déontologique.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Comment se déroule le processus de sélection des scènes lors d’un casting ? En tant que directeur de casting, avez-vous votre mot à dire sur les lieux où se déroulent ces castings ? Dans certaines situations dysfonctionnelles, des castings ont été organisés la nuit ou dans des chambres d’hôtel. Cela s’est produit, il faut le reconnaître, aussi bien pour des mineurs que des majeurs. Dans ces circonstances, où se trouvaient les directeurs de casting ? Étaient-ils informés de ce qui se passait ? Quelle est leur part de responsabilité lorsque les choses dérapent ?

Mme Béatriz Coutrot. Les scènes de casting sont choisies avec le réalisateur ou la réalisatrice.

M. le président Erwan Balanant. Pas avec le producteur ?

Mme Béatriz Coutrot. Rarement. Certains producteurs s’investissent dans l’aspect artistique. Cependant, nous n’avons jamais discuté des scènes d’essai avec eux. Cela se fait lors de la phase préparatoire du casting, en lien direct avec le réalisateur ou la réalisatrice. À la première étape du casting, nous ne plongeons pas dans le cœur du sujet du film. Nous en restons à des scènes plutôt quotidiennes et légères, ce qui nous permet déjà d’avoir une idée du profil de l’enfant que nous avons en face de nous. Si des sujets sensibles doivent être abordés, nous les présentons en amont aux parents et aux agents. En cas de scène difficile dans le scénario, nous nous engageons, au sein de l’Arda, à en parler en amont, à assurer une transparence totale, à faire lire les scènes concernées si elles existent, et à fournir des informations aux parents et agents sur la mise en scène de ces scènes, ce que l’enfant vivra réellement, ce qu’il verra, etc.

Lors de la phase de call-back, deuxième étape du casting où intervient le réalisateur ou la réalisatrice, il peut arriver que nous changions la scène parce qu’il ou elle a besoin de voir d’autres aspects qui n’ont pas été observés lors de la première étape. Cela se fait toujours en concertation avec nous, les directeurs de casting, et parfois avec l’intervention du coach, qui apporte son expertise et peut proposer des exercices en lien avec l’approche du personnage.

La responsabilité du directeur de casting est engagée lorsqu’un casting n’a pas lieu dans une salle dédiée. S’il est prévenu, il est responsable. S’il sait que le casting se déroule dans une chambre d’hôtel, ce qui nous paraît aujourd’hui inconcevable, il doit intervenir. Si vous avez des exemples récents, c’est très alarmant. Cela fait partie de la notice VHSS : il est interdit aujourd’hui de réaliser un casting dans un lieu non dédié, que ce soit une chambre d’hôtel ou un appartement. Le lieu doit être spécifiquement destiné à cet usage.

M. David Bertrand. Si ces pratiques persistent, c’est que personne n’a réellement compris. Il est donc impératif d’adopter un discours plus ferme. Si des castings se déroulent encore le soir dans des chambres d’hôtel, il faut envoyer un message clair ou financer des encarts publicitaires. C’est interdit et cela ne devrait pas exister. Les castings doivent se dérouler dans un lieu professionnel, généralement en production. On ne peut pas organiser des castings chez soi. Ces pratiques ont souvent eu lieu dans l’improvisation, l’urgence et par loyauté envers diverses obligations. Vous savez de quoi il est question. Parfois, ces pratiques dépassent nos valeurs. Si nous continuons à en parler aujourd’hui, cela signifie que certaines personnes ne veulent pas entendre.

Comment leur faire comprendre ? Lorsqu’il y a une mise en garde, c’est très important. Nous n’avons pas suffisamment répondu à vos questions sur la mise en garde et le casier judiciaire. À une époque, pour être agent, il fallait une licence et la vérification du casier judiciaire était une condition. Cette exigence a été supprimée sous la présidence de M. Sarkozy, lorsque la réglementation s’est alignée sur une norme européenne. Nous étions les seuls en Europe à exiger cette licence incluant le casier judiciaire. La mise en garde à l’attention des parents est essentielle. Comment communiquer sur le fait que, lorsqu’un enfant attend dans une salle de casting parce que sa grand-mère est partie se garer pendant quarante-cinq minutes, je ne le reçois pas si je suis seul ? Ces situations surviennent parce que les parents ou les grands-parents, qui souvent agissent pour les parents qui travaillent en journée, font confiance aveuglément à notre autorité. Cette autorité n’a pas lieu d’être ; ce sont eux les référents, pas nous. Je pratique la politique de la porte ouverte. Bien que je ne fasse plus de castings d’enfants, j’insiste pour que cette pratique soit respectée sur mes films. Cela fonctionne très bien. On se sent mieux, car en cas de problème, l’enfant n’est pas seul sous pression. Un casting est en effet une situation stressante pour un enfant. Cette mise en garde à l’attention des parents est donc capitale : ne faites pas n’importe quoi avec vos enfants.

Souvent, des paroles fortes sont évoquées concernant les conséquences des dysfonctionnements familiaux. Nous ne pouvons évidemment pas les réparer, mais nous devons nous en tenir strictement à ce qui est écrit dans la charte. Si vous ne le voyez pas, nous en sommes conscients, et il est donc impératif de cesser de nous accorder une confiance excessive. Vous êtes les référents de vos propres enfants. Ce message doit désormais être transmis en permanence. C’est pourquoi la fiche est très importante. Lors de chaque convocation pour un casting d’enfants, il est essentiel d’envoyer une fiche à l’attention des parents, leur indiquant de ne pas faire n’importe quoi, notamment en évitant toute nudité.

Nous sommes constamment confrontés à des situations où nos noms sont utilisés sur les réseaux sociaux pour obtenir des photos d’enfants, de jeunes femmes ou de jeunes hommes dénudés. Comment réagir ? Nous avons des réseaux et nous communiquons avec l’Arda pour dire de ne pas répondre. Chaque annonce de casting devrait comporter le nom du responsable du casting et peut-être même un numéro de téléphone pour vérifier l’authenticité de la personne, car nous recevons parfois des mails prétendument envoyés par nous-mêmes pour des castings que nous ne réalisons pas. De nombreuses personnes malveillantes gravitent autour des castings, car elles savent que certains sont prêts à tout, en l’absence de diplôme. La compétition pour être le premier ou la première à réussir est intense, et c’est sur cette base que se manifestent ces dysfonctionnements.

M. Laurent Couraud. La charte ne concerne que les personnes de l’Arda. Il existe aussi des directeurs et directrices de casting qui travaillent très bien et qui, eux, ne souhaitent pas être membre de l’Arda. C’est un peu compliqué.

M. Emmanuel Thomas. Dans notre charte, en tant que membres de l’Arda, il est stipulé très précisément que « nous devons être vigilants quant au pouvoir que confère notre métier. Par conséquent, nous ne saurions tolérer ni ambiguïté ni pression psychologique ou physique de la part de l’un d’entre nous ». Aujourd’hui, autour de cette table, nous sommes six personnes qui, chaque matin, se réjouissent d’exercer notre profession. Il est important de souligner les dysfonctionnements, mais il faut également reconnaître que, dans de nombreux cas, tout se passe bien.

M. le président Erwan Balanant. Dans les sociétés, on se souvient surtout des dysfonctionnements. On rédige alors des textes, des règlements et on décide de politiques publiques pour remédier à ces problèmes. Cependant, il est important de reconnaître que de nombreuses choses fonctionnent bien.

M. Francesca Pasquini, rapporteure. Je voulais recueillir votre avis sur le fait que des coordinatrices d’intimité et des référents enfants puissent être présents dans les moments de casting.

Mme Julie David. Il me semble que la présence d’un responsable enfant sur les tournages revêt une grande importance, car il assure la sécurité et le bien-être de l’enfant sur une période significative. Nos castings, en général, ne durent qu’une demi-heure. Les parents sont présents dans la salle adjacente, ce qui n’est pas toujours le cas lors des tournages, car ils ont leurs propres obligations professionnelles. Pour ce qui est du responsable enfant pendant les castings, je ne vois pas l’utilité de sa présence sur une période aussi courte. Ayant également été coach sur les tournages, je souligne l’importance de la présence du responsable enfant pour rappeler les consignes et maintenir un rythme adapté. Un enfant n’est pas un adulte et n’a pas la même capacité de concentration.

Les enfants sont habitués à maintenir leur concentration et à bénéficier de récréations à l’école. Ce rythme scolaire demeure essentiel pour eux. Par exemple, un goûter le matin et un autre à quatre heures et demie sont indispensables. Si mes filles manquent ces moments, elles ne se sentent pas bien. Le responsable des enfants sur le tournage doit constamment rappeler à tous que nous travaillons avec des enfants. Nos rendez-vous dépassent rarement une heure. Même lors des call-backs, nous faisons des pauses, car nous connaissons notre métier et comprenons les besoins des enfants. Les rendez-vous durent généralement une demi-heure.

M. le président Erwan Balanant. L’idée, telle qu’exprimée dans votre charte, est qu’il y ait toujours un référent présent. Votre collègue nous a expliqué qu’elle préférait organiser des portes ouvertes en l’absence des parents. Elle a justifié cette préférence par des raisons qui semblent valables, notamment la pression que les parents peuvent exercer sur leurs enfants. En effet, si un enfant subit une pression parentale et que, dans les faits, il n’est pas réellement intéressé par une activité, un film ou même une carrière, il ne l’exprimera pas en présence de ses parents. En revanche, en leur absence, il pourrait se sentir libre de le dire. Cette approche semble donc tout à fait pertinente.

Mme Julie Gandossi. Dans la charte, la proposition de Sophie Lainé Diodovic concernant la porte ouverte est entendue. Ce que nous proposons, c’est d’être toujours deux dans la salle de casting en plus de l’enfant. Ces deux personnes ne doivent pas nécessairement être un responsable ou un référent ; il peut s’agir d’un assistant. En fait, ce que nous disions aux productions, ce que nous demandions, c’est d’avoir deux personnes dans la salle de casting, que ce soit un assistant ou un stagiaire, afin que l’enfant ne se sente pas obligé. La présence de deux personnes permet une parole plus efficace et rassure l’enfant, évitant ainsi un face-à-face intimidant. Cela nous permet également de recueillir plusieurs éléments en cas de problème. Dans notre charte, nous demandons la présence de deux personnes en plus de l’enfant dans la salle. La question de la porte ouverte ou fermée dépend des enfants, car certains ne se sentent pas à l’aise si les parents entendent. Pour moi, il est important de fermer la porte lors du travail avec l’enfant, car certains n’ont pas envie de faire le casting. Il m’arrive de dessiner avec eux pendant quinze ou vingt minutes et de leur dire de ne rien dire à leurs parents. Ensuite, j’appelle l’agent pour informer que cet enfant, s’il n’était pas représenté par un agent et n’avait pas envie de faire un casting, ne sera pas rappelé. Nous savons alors qu’il n’est pas intéressé, mais que ses parents peuvent le forcer. Il nous est arrivé à toutes de dessiner ou de manger des bonbons dans la salle de casting sans auditionner l’enfant lorsqu’il ne le souhaite pas.

J’ai été très choquée au début de ma carrière en casting avec des enfants. J’ai observé une mère et son enfant qui refusait de participer. Elle lui a dit : « Mais si, tu vas y aller, tu l’as très bien fait. » Puis, elle lui a donné une claque en ajoutant : « Et maintenant, tu viens. » À ce moment-là, j’ai immédiatement pris l’enfant et je lui ai dit : « Ne t’inquiète pas, nous allons faire des dessins, ce sera un moment formidable et tu ne repasseras plus jamais de casting. Je ferai tout mon possible pour que cela se passe ainsi pour toi. » Ensuite, j’ai contacté l’agent et j’ai dénoncé la situation.

M. Laurent Couraud. J’estime que la présence de coordinatrices d’intimité lors des castings n’est pas justifiée, car leur rôle intervient une fois que les comédiens et comédiennes ont été sélectionnés. En effet, aucune scène d’intimité n’est réalisée pendant un casting, ce qui rend leur intervention superflue à ce moment précis.

M. le président Erwan Balanant. Nous allons aborder une série de questions délicates, notamment concernant des films mentionnés dans le cadre de procédures judiciaires. Lorsqu’une commission d’enquête est constituée, nous adressons une demande au garde des Sceaux, qui nous informe de l’existence de procédures en cours sur les faits concernés. M. Thomas, vous avez travaillé sur le film de Catherine Corsini, lequel a été marqué par des dysfonctionnements, et vous avez démissionné.

M. Emmanuel Thomas. Je tiens à préciser que je n’ai pas démissionné. Un accord a été trouvé entre la production et moi. C’est également sur ce point que je considère que les productions doivent faire preuve de bienveillance. En tant que technicien et intermittent du spectacle, si vous démissionnez, votre attestation employeur mensuelle (AEM) est barrée, ce qui vous fait perdre vos droits. C’est là que la situation devient problématique, car la production exerce un véritable pouvoir sur les techniciens. Je suis à votre écoute et j’essaierai de répondre à vos questions, mais je suis conscient que nous sommes à la limite de ce qui est acceptable.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. M. Thomas, vous avez demandé à être auditionné par cette commission d’enquête concernant des faits dont vous avez été témoin, mais que nous ne pouvons évoquer en détail en raison de procédures en cours. Pouvez-vous néanmoins nous exposer les types de violences ou de dysfonctionnements affectant tant les majeurs que les mineurs lors du casting ? Plusieurs collègues souhaitent également intervenir sur ce sujet et souhaitent apporter à cette commission d’enquête des éléments sur des dysfonctionnements potentiellement systémiques, que vous observez fréquemment. Ces informations pourraient nous aider à élaborer, en complément de votre charte, un cadre plus sécurisant pour tous.

M. Emmanuel Thomas. J’ai des exemples précis de dysfonctionnements que je souhaite évoquer. Il ne s’agit pas seulement du film de Catherine Corsini. J’ai participé à une trentaine de films et, en tant que technicien sur le plateau, j’ai été témoin de nombreux incidents. Cela commence dès la figuration et la cantine. Par exemple, un figurant ne reçoit pas le même repas qu’un technicien ou qu’un acteur. Or il est stipulé que nous devons avoir un traitement égal. Pour vous parler de certains dysfonctionnements, je suis désolé, cela me touche profondément, car j’estime avoir vécu des situations que je n’aurais pas dû vivre sur certains tournages. Par exemple, sur un autre film, une directrice de production a accepté qu’un enfant mineur dorme chez le réalisateur. C’était un dysfonctionnement. Il y a aussi les fausses feuilles d’émargement concernant les horaires des enfants. Lorsqu’un enfant arrive, il doit signer une feuille d’émargement. Combien de fois m’a-t-on demandé de mentir sur les horaires et de signer cette feuille d’émargement ? En tant que technicien non-cadre, j’obéis à une directrice de production qui elle-même obéit à la production. Il est impératif de sensibiliser les productions sur leur responsabilité légale. Par exemple, lorsque la directrice de production ou la productrice est référente en matière de harcèlement, comment voulez-vous dénoncer des faits, sachant que c’est votre employeur ? J’ai également été témoin d’une scène de sexe entre une mineure et un adulte non déclarée à la brigade de protection des mineurs et à la DRIEETS. Cela se produit régulièrement, avec deux feuilles de service différentes. Ces exemples illustrent des dysfonctionnements graves qui nécessitent une prise de conscience et des actions concrètes pour garantir le respect des lois et la protection des personnes impliquées dans les productions cinématographiques.

Une feuille de service est un document envoyé la veille à toute l’équipe de tournage pour déterminer les horaires d’arrivée des différentes équipes, telles que l’habillage, le maquillage, la coiffure, ainsi que l’équipe machino. Cette décision est prise la veille, généralement au moment du repas, par le second assistant réalisateur, qui consulte chaque département pour fixer les horaires d’arrivée et estimer le temps de préparation nécessaire le matin. Sur la plupart des tournages, des feuilles de service sont envoyées à la DRIEETS, mais celles-ci ne correspondent pas toujours aux feuilles reçues par les techniciens. Il arrive même que la DRIEETS ne les reçoive pas.

Pour apporter une véritable solution, il est essentiel de reconnaître que le cinéma, c’est du temps et de l’argent. Si nous souhaitons changer les choses, il est impératif d’investir dans la justice. La Cour des comptes a précisé dans un rapport de 2022 qu’il y avait eu une baisse de 15 % des effectifs des inspecteurs du travail et un taux de vacances de 22 % en 2023. J’ai entendu parler d’une inspectrice qui, lors de sa première visite sur un plateau de tournage, a passé une journée entière à comprendre le fonctionnement d’un tel environnement. Il est nécessaire de les former, de les éduquer et de sanctionner les manquements. Si nous voulons que les choses évoluent, il faut que les productions soient tenues responsables. Je suis conscient que cette position peut me rendre impopulaire et potentiellement réduire mes opportunités de travail, mais je préfère travailler avec des personnes bienveillantes. Il est crucial de s’attaquer au nerf de la guerre, à savoir l’argent. Des inspections régulières sur les plateaux de tournage doivent être effectuées et des sanctions doivent être appliquées en cas de non-respect des règles.

M. le président Erwan Balanant. Nous devons impérativement mettre en place des mesures de contrôle tout en veillant à une régulation efficace. Il est inacceptable de tolérer certaines pratiques bien documentées et connues, qui ne devraient en aucun cas exister. La réalité ne peut pas être ainsi déformée.

M. Emmanuel Thomas. Ce qui se passe actuellement est inacceptable : une équipe est présente, observe et laisse faire. Cela s’est produit et j’espère que cela ne se reproduira plus. Le film Maria de Jessica Palud, qui a été projeté à Cannes, en est un exemple frappant.

M. David Bertrand. Pour votre commission, il est essentiel de consulter les associations des directeurs de production, les producteurs, ainsi que l’association des premiers et premières assistantes. Ce sont elles qui gèrent nos castings. Par ailleurs, il est impératif d’inclure le SFAAL, car certaines actrices représentées par des agents ne se sentent ni en sécurité ni protégées. En effet, au sein des listes de certains agents, on retrouve des agresseurs ou des individus faisant l’objet de suspicions. Dès lors, ces actrices ne peuvent plus se sentir protégées par leur agent. Les agents doivent prendre conscience que, même en l’absence de plainte avérée, une rumeur persistante doit entraîner le retrait temporaire des personnes concernées de leurs listes. Cela permettrait aux actrices et acteurs agressés de se sentir en sécurité au sein de leurs agences. Sinon, la confiance est rompue. Il est donc nécessaire d’interroger le SFAAL et tous les agents en France sur cette question. La loyauté qui nous unit sur un plateau de tournage est primordiale. Nous devons agir rapidement et éviter toute vulnérabilité, car le temps perdu compromet la qualité et l’ambition artistique du film. Les premiers assistants, les premières assistantes et la direction de production jouent aussi un rôle crucial. En cas de problème sur le plateau, nous nous tournons vers un directeur ou une directrice de production, qui, avec la délégation du producteur, assume la responsabilité de nombreux aspects, y compris les heures supplémentaires et le déroulement général des opérations. Ce sont eux et elles qui observent ce qui se passe sur le plateau et qui peuvent également choisir de ne pas voir, car il est nécessaire d’avancer.

Lorsqu’un incident survient sur le plateau, que faire en l’absence de plainte ? Cache-t-on quelqu’un dans un placard, en continuant à donner des directives à des techniciens qui se retrouvent sur le plateau comme des zombies, répondant à des instructions qu’ils ne souhaitent pas suivre parce que le réalisateur ou la réalisatrice est caché dans un placard et qu’on ne veut pas le voir ? Subir ces situations relève du harcèlement. Outre-Atlantique, on arrêterait ce tournage. Combien de temps allons-nous supporter ce film ? Allons-nous le monter ? Le proposer en festival ? Crier dans les festivals « Non aux agresseurs » ? C’est toute une chaîne qu’il faut interrompre. Aux États-Unis, le réalisateur ou la réalisatrice peut être remplacé au pied levé, car le cinéma y est plus axé sur le divertissement et moins sur la notion d’auteur. En France, la toute-puissance de l’auteur pose un problème de remplacement, mais nous devrions être capables de remplacer un réalisateur de grand talent par un collègue de la même ligne. Pourquoi cela ne pourrait-il pas se faire ? Il est inacceptable de faire subir à une équipe loyale, qui a besoin de travailler, la présence d’un agresseur sur le plateau. C’est le début du harcèlement.

Les conditions financières jouent également un rôle. Nous pouvons déjà anticiper, au vu de la somme allouée au casting, que cela se passera mal sur l’ensemble du tournage. Si des directeurs et directrices de production mésestiment notre fonction, ils risquent de faire de même avec de nombreuses autres fonctions également. Cela peut marquer le début du harcèlement, notamment lorsque nous sommes sous-payés ou pressurisés par manque de temps. Nous souhaitons accomplir notre travail par passion artistique ou par fidélité envers les auteurs. Les productions et la direction de production revêtent une importance capitale. Il est essentiel qu’elles soient entendues pour envisager des modes de fonctionnement différents.

M. le président Erwan Balanant. Je vous rassure, toutes les personnes que vous avez citées seront entendues.

M. David Bertrand. Il existe une sorte de fantasme autour du pouvoir d’un directeur de casting. Autrefois, il n’y en avait qu’un, puis cinq. La carrière d’un comédien pouvait alors dépendre de ces cinq personnes et il était crucial de ne pas se les aliéner. Actuellement, nous sommes plus de cent vingt, ce qui réduit considérablement la pression. Nous avons moins ce pouvoir sur la carrière de quelqu’un. Notre statut devient plus sain, car dès lors que le cinéma et l’audiovisuel sont devenus une industrie par choix politique, il a fallu mobiliser beaucoup plus de personnes pour exercer ce métier. Cela a diminué le pouvoir individuel et assaini les relations professionnelles. Cependant, les conditions de travail se dégradent régulièrement. Un film qui se réalisait en neuf ou dix semaines se tourne désormais en six. Il est impératif de revenir à des conditions normales, car la pression actuelle risque de nous pousser à harceler d’autres personnes, ce qui n’est pas conforme à nos valeurs. La chaîne de production, composée de centaines de personnes sur un plateau, pourrait finir par être contaminée par ce système.

On nous dit parfois « Oh, je trouverai bien quelqu’un qui fera cela pour 500 ou 1 000 euros. » Pour quinze rôles dans une série, la directrice de production finit par demander à sa sœur ou à sa fille de publier des annonces sur Internet, cherchant quelqu’un qui soit capable de monter à cheval pour un rôle important. Nous ne sommes pas respectés dans cette fonction. Dès lors, selon qu’on nous parle d’argent ou d’envie artistique, nous savons si cela se passera bien ou non. C’est véritablement une question de reconnaissance.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Combien d’adhérents compte Arda ?

M. Laurent Couraud. Quatre-vingt-sept.

M. le président Erwan Balanant. Nous allons rencontrer le CNC très prochainement pour obtenir des chiffres précis. Il est en effet essentiel que nous connaissions le nombre de films produits en France, car notre industrie cinématographique repose sur un modèle particulier, fortement financé par des fonds publics et privés. Nous interrogerons également les financeurs et les investisseurs des films, cela nous semble primordial.

Un problème économique se pose-t-il dans le cinéma français ? Ce n’est pas un jugement de valeur sur la qualité des films, car il y a de nombreux bons films, mais peut-être une surproduction. J’ai l’impression que beaucoup plus de films se tournent qu’auparavant et que nous en consommons également davantage. L’économie du cinéma français n’est peut-être pas complètement adaptée à cette réalité. Il faut aussi considérer l’économie des plateformes, qui suivent souvent des modèles américains avec des productions différentes. En France, le réalisateur est le patron sur le plateau, tandis qu’aux États-Unis, la production a plus de pouvoir et peut décider de changer de réalisateur à tout moment, sans problème. Cette différence dans la structuration économique du milieu cinématographique pourrait-elle mener à la précarité ? Les techniciens, auteurs, réalisateurs, comédiens et comédiennes sont-ils de plus en plus précaires ? La précarité conduit à la vulnérabilité, nous le savons bien.

M. Laurent Couraud. Votre analyse est pertinente. La précarité dans ce secteur est en augmentation. Par ailleurs, le nombre de films est en croissance exponentielle si l’on prend en compte le cinéma, les plateformes de streaming, la télévision et les web-séries. Tous ces médias se sont multipliés et les réseaux sociaux jouent également un rôle important en diffusant du contenu.

M. David Bertrand. Personnellement, je souscris pleinement à la proposition du collectif 50/50 d’externaliser certains postes, si nécessaire. Nous devons observer l’évolution des rôles de référent et de responsable enfant. Si les résultats ne sont pas convaincants, il serait pertinent de reconsidérer l’allocation des ressources financières, notamment en envisageant l’externalisation du poste de référent harcèlement, qui pourrait être confié, par exemple, au CCHSCT. De même, pour le poste de responsable enfant, une externalisation pourrait être envisagée, à condition qu’elle ne dépende pas de la production, mais vienne peut-être de la DRIEETS. Il serait judicieux de revenir sur le CPNEF pour former ces personnes, afin qu’elles ne soient pas uniquement des référents régisseurs, casting ou chefs de file. Il est surtout impératif que le rôle de référent ne soit plus attribué aux producteurs ou productrices, car leur engagement est trop important. Il est devenu impossible pour eux d’assumer cette fonction sans compromettre leur impartialité, ce qui a conduit à des situations de protection excessives, dépassant la simple loyauté, et cela vaut également pour les directeurs de production.

M. le président Erwan Balanant. Je vous entends, mais le producteur est l’employeur et, dans notre pays, l’employeur, comme le dispose l’article L. 4121-1 du code du travail, est le garant de la sécurité et de la santé de ses employés. Nous le répétons et continuerons à le répéter. À ce titre, si certains producteurs ou certaines productions sont défaillants sur ce point, il est essentiel de les nommer. Je suis désolé de lancer ce pavé dans la mare, mais si vous avez des noms, il faut les citer.

M. Emeric Salmon (RN). M. Bertrand, vous avez conclu votre propos liminaire en formulant une demande auprès du ministère. Pourriez-vous clarifier ce point, car je n’ai pas saisi précisément ce que vous demandiez ?

M. David Bertrand. Sur les conventions collectives, les discussions sont souvent très longues. Nous passons beaucoup de temps à parler de nos métiers, à faire en sorte que les syndicats puissent appuyer nos demandes, et ensuite, les décisions se prennent entre partenaires sociaux, éventuellement dans le cadre des nouvelles conventions collectives. Par exemple, nous avions un rendez-vous en mai qui a été reporté parce que d’autres corporations passent avant nous. Nous ne voulons pas attendre sept ans. Je suis prêt à le faire pour ceux qui viendront après nous, mais puisqu’il s’agit d’une urgence, il faut que les politiques nous soutiennent également. Nous dépendons autant du ministère de la culture que du ministère du travail. Si vous pouviez nous aider, mais que nous travaillions ou non ensemble sur ces sujets, nous avons besoin des syndicats, des partenaires sociaux, mais aussi de vous, car vous êtes à notre écoute et nous entendons ce sur quoi vous travaillez. Si ces structures ne sont mises en place que dans sept ou huit ans, nous ne nous en sortirons pas. Il s’agit de questions urgentes. Judith Godrèche a exprimé une urgence, et nous devons également veiller à ce que des effets rapides se manifestent. Nous pouvons continuer à franchir ces étapes et nous y travaillons, mais votre intervention serait vraiment appréciée.

M. le président Erwan Balanant. Nous partageons votre volonté d’avancer rapidement. Judith Godrèche a accompli un acte courageux en dénonçant plusieurs faits ici même. Pour autant, cela fait vingt ans que des dénonciations sont formulées. La législation sur le droit du travail existe et peut certainement être améliorée, notamment en ce qui concerne la réponse pénale et la définition de l’outrage sexiste jusqu’au viol. C’est précisément pour cela que nous sommes ici, afin que les pouvoirs publics mettent en place des politiques publiques adéquates. Il est également essentiel que le système se transforme et prenne conscience de certains dysfonctionnements, car en vous écoutant, il apparaît clairement que, si nous passions l’après-midi avec vous, nous continuerions à découvrir de nouveaux éléments. Nous sommes au début de ces auditions et nous allons les poursuivre avec détermination. Vous pouvez compter sur nous, ainsi que sur tous les parlementaires de cette commission d’enquête, pour avancer, aller jusqu’au bout et formuler des propositions fortes afin que les choses changent. Et il faut qu’elles changent.

M. Laurent Couraud. Nous sommes prêts et nous n’avions rien à nous reprocher. Allez taper au bon endroit.

M. David Bertrand. Même si nous avions des choses à nous reprocher, il est essentiel que chacun d’entre nous procède à une remise en question. Cette démarche est aujourd’hui largement souhaitée par tous, en raison du débat actuel qui nous touche et des questions qui nous traversent. Si auparavant nous avons perçu certains problèmes sans réagir, faute de moyens intellectuels ou de présence d’esprit, aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous permettre cette inaction. Il est impératif que cette prise de conscience se diffuse non seulement dans le monde du cinéma, mais également dans toutes les strates de la société.

*

*     *

 

11.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Noémie Kocher, actrice et scénariste.

M. le président Erwan Balanant. Madame, comme vous le savez, notre commission d’enquête vise à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans divers secteurs tels que le cinéma, le spectacle vivant, la mode, l’audiovisuel et la publicité. Elle doit permettre d’identifier les responsabilités de chacun et de proposer des solutions pour remédier à cette situation que nous déplorons tous.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez éclairer la commission d’enquête sur le parcours des victimes qui décident de parler et se battent pour obtenir la condamnation de leur agresseur. Nous aimerions comprendre ce que cela peut leur coûter et les étapes qui vous ont personnellement conduite à vous exprimer sur ce que vous avez vécu, à porter plainte, puis à traverser la procédure judiciaire. Je rappelle pour ceux qui nous regardent que vous avez dénoncé des faits, il y a très longtemps, en 2001. Aujourd’hui, on parle beaucoup de la libération de la parole et du mouvement #MeToo après l’affaire Weinstein. Suite aux révélations de Judith Godrèche, nous faisons face à de nouvelles révélations et à la prise de conscience de certains problèmes. Ce qui me frappe, et c’est pourquoi votre présence est importante, est la chose suivante : cela fait plus de 20 ans que vous avez dénoncé ces faits, et, depuis, il ne s’est pas passé grand-chose. Avant vous, d’autres faits avaient été révélés. Je pense notamment à Maria Schneider, dont la personne, le parcours et la vie m’émeuvent particulièrement, et qui avait dénoncé des faits analogues. Il est essentiel pour nous de souligner que vous représentez des modèles exemplaires sur cette question.

Après votre propos liminaire, Madame la rapporteure Francesca Pasquini vous posera des questions sur votre parcours et votre histoire. Je tiens à rappeler que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relatif au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment. Vous devez donc dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite à lever la main droite et à déclarer « Je le jure. »

(Mme Noémie Kocher prête serment.)

Mme Noémie Kocher, actrice. C’est un honneur pour moi d’être ici aujourd’hui. C’est également une forme de victoire, une reconnaissance de ce que j’ai vécu. Je souhaite vous lire une phrase prononcée par Jean-Claude Brisseau lors de son procès, le 3 novembre 2005 : « Je suis conscient d’avoir fait beaucoup de mal et je regrette toute cette souffrance. C’est le cinéma, quelque part, qui veut ça ». Notre avocate a rétorqué : « L’art n’est pas dérogatoire aux dispositions du code pénal ». J’ai porté plainte contre Jean-Claude Brisseau en juin 2001 pour harcèlement sexuel et escroquerie. Nous étions deux plaignantes. Le chef d’escroquerie a été utilisé par notre avocate, Maître Claire Doubliez, pour attirer l’attention du doyen des juges sur notre plainte, car nous cumulions tous les tabous. Aujourd’hui, elle porterait plainte pour harcèlement sexuel et agression sexuelle.

En 2003, deux autres plaignantes nous ont rejointes. La procédure a duré quatre ans et demi. Rien ne nous a été épargné, ni la médiatisation violente et brutale en faveur de notre agresseur, soutenue par une certaine presse, ni la pétition du monde du cinéma. Malgré cela, Jean-Claude Brisseau a été condamné pour harcèlement sexuel en 2005, sur ma personne et celle de ma co-plaignante. Les deux autres plaignantes ont été déboutées. L’une d’elles, Julie Quéré, a eu le courage de faire appel de cette décision. Jean-Claude Brisseau a été condamné en 2006 au tribunal civil pour agression sexuelle.

J’éprouve une infinie reconnaissance envers la justice, malgré la violence inhérente à une telle procédure. Dans les années 2000, la société n’était absolument pas prête à nous écouter. Pourtant, la justice nous a entendues. Aujourd’hui, à la lumière de tout ce que nous découvrons sur l’ampleur du phénomène des violences sexuelles et le faible nombre de condamnations en la matière - en 2020, 94 % des plaintes pour viol ont été classées sans suite - je réalise que cette condamnation relève presque du miracle. Est-ce parce que notre avocate a, pour la première fois, démontré à une cour ce qu’est le phénomène d’emprise, cette violence silencieuse dont on ne parlait absolument pas à l’époque ? Est-ce parce lié à notre juge, Madame Corinne Goetzmann, qui allait d’ailleurs devenir une grande juge ? Est-ce parce que les gendarmes, notamment un gendarme dont le nom m’échappe malheureusement, ont mené une enquête longue, minutieuse et approfondie, dévoilant un véritable système de prédation ? Peut-être étions-nous tout simplement crédibles, nous quatre, les plaignantes, ainsi que les 17 femmes et jeunes femmes qui ont accepté de témoigner dans cette affaire et que j’ai contactées une à une. Étions-nous crédibles parce que nous racontions toutes la même chose ? Ce que je sais, c’est qu’un combat en justice demande une énergie folle. Je crois avoir atteint mes limites. Cela n’aurait pas été possible sans le soutien et l’entourage de mes proches, de mes amis et de ma famille. Après 2005, j’ai enfoui cette histoire, refusant d’en parler, par honte. Il aura fallu attendre 2017 avec l’affaire Weinstein puis 2019 avec la prise de parole courageuse et très solitaire d’Adèle Haenel, et maintenant cette vague de témoignages depuis décembre 2023‑2024, incluant celui de Judith Godrèche. Il aura fallu tout ce temps pour que je prenne conscience de l’importance de notre action, pour que je ne craigne plus de m’exprimer devant la presse ou devant vous, sans crainte de voir ma parole décrédibilisée ou niée. Il aura fallu 23 ans pour que je me reconstruise.

Ce que nous avons vécu, je l’ai qualifié de « triple peine ». La première peine, ce sont les violences sexuelles elles-mêmes. La seconde peine, c’est la violence générée par la procédure judiciaire. La troisième peine, c’est le traitement médiatique de notre affaire. Je ne souhaite à personne cette triple peine. Il est grand temps que notre société change et cesse de broyer les corps des femmes, des enfants et des hommes en toute impunité.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je tiens à vous assurer que nous prenons la mesure de ces triples peines que vous avez évoquées et du courage nécessaire pour surmonter ces épreuves. Souvent, on préfère taire ces expériences par honte ou par désir de tourner la page. Cependant, entendre d’autres victimes et d’autres affaires peut raviver notre détermination à soutenir ces femmes et ces hommes qui continuent de dénoncer les violences.

Je souhaiterais connaître votre point de vue sur la persistance de ces systèmes de violence au fil du temps. Vous avez décrit votre procédure comme une sorte d’alignement des étoiles, où il vous est difficile de savoir si c’est votre crédibilité qui a joué un rôle ou si vous avez eu la chance de rencontrer des personnes compétentes qui ont su recueillir votre parole et avancer dans le bon sens. Comment percevez-vous le fait que, près de 25 ans plus tard, les mêmes problèmes continuent d’être dénoncés ? L’industrie du cinéma affirme qu’elle était au courant, mais personne n’a agi. Ce paradoxe est également visible dans cette commission d’enquête, où des chartes émergent, peut-être grâce à cette commission d’enquête ou grâce à des prises de parole courageuses comme celle de Judith Godrèche. Il est paradoxal de constater que, malgré des décennies d’expérience dans ce milieu, il faut encore un nombre incalculable de victimes pour que tout le monde prenne enfin ses responsabilités et que l’on témoigne. Il est impératif de ne plus faire peser la charge de la preuve sur les victimes.

Mme Noémie Kocher. Votre question est très vaste. Je vais aborder le sujet des chartes. L’association professionnelles des actrices et acteurs de France associés (AAFA) dont je fais partie a élaboré un code de conduite en 2018-2019 et nous tentons depuis de le faire signer par les différentes associations et syndicats sans y parvenir. Nous découvrons que ce qui se passe dans le milieu du cinéma et dans les milieux artistiques est peut-être plus exacerbé que dans d’autres secteurs. Cependant, nous faisons face aujourd’hui à un changement de paradigme sociétal, une réflexion de fond. Nos milieux sont représentatifs du monde dans lequel nous vivons, de notre société, qui accepte de broyer les corps des femmes, des enfants et des hommes en toute impunité.

On dit souvent que la parole s’est libérée, mais je crains que ce ne soit pas tout à fait le cas. Je pense que la société n’était pas prête à nous entendre. On ne voulait pas entendre. Vous avez cité Maria Schneider, mais plusieurs femmes et actrices ont témoigné sans que leurs paroles soient prises en considération. Pire encore, elles ont été blacklistées ! À ce phénomène s’est ajoutée la peur de s’exprimer. Nous travaillons dans des métiers où la précarité est énorme. Le public ne voit que les stars, mais il ignore à quel point chaque année est incertaine en termes de revenus pour la grande majorité. Nous exerçons des métiers de passion, mais des métiers extrêmement précaires. Perdre un emploi peut entraîner des conséquences financières considérables pour chacun d’entre nous.

Il existe un système de subordination et de domination extrême. Toutes les formes de violences, qu’elles soient psychologiques, sexuelles, physiques, administratives, économiques ou gynécologiques, suivent le même schéma. Elles commencent par la séduction et aboutissent à l’impunité, en passant par l’inversion de la culpabilité, ce qui pousse les victimes à se sentir fautives et à se taire. Ce qui me frappe le plus, c’est l’ampleur du phénomène et sa prévalence dans toutes les couches de la société. Les violences y sont systémiques. Nous sommes confrontés à un changement profond qui doit s’opérer.

Il y a 25 ans, ou même 23 ans, lorsque j’ai porté plainte, je ne sais pas exactement ce qui m’a poussée à le faire. Plusieurs éléments ont joué un rôle. Une chose m’a aidée : j’avais obtenu ce rôle à jouer, je devais tourner. Mon contrat avait été négocié, et nous étions clairement dans un cas de licenciement abusif. Immédiatement, des agents ont réagi et nous avons saisi le conseil de prud’hommes. Par la suite, j’ai rejoint une association extraordinaire, l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT), qui était la seule de ce type à l’époque. Mes interlocutrices ont nommé ce qui m’était arrivé. J’ai raconté mon histoire et elles m’ont dit qu’il s’agissait d’un délit, que cela s’appelait le harcèlement sexuel.

J’ai éprouvé une immense révolte et un profond sentiment d’injustice. Ma foi en l’être humain et en la justice, bien que peut-être naïve, m’a poussée à agir. Lorsque j’ai découvert que nous étions plusieurs à partager cette expérience, cela a renforcé ma détermination. De nombreuses victimes le confirment : parler permet de prévenir d’autres souffrances. Cette responsabilité m’a incitée à porter plainte. Cependant, il est essentiel d’être solidement épaulé par ses proches. Sans le soutien de ma famille, de mon mari de l’époque et de mes amis, j’aurais été anéantie. Le fait d’être deux à porter plainte, chacune avec des compagnons eux aussi très affectés, a grandement facilité notre démarche.

M. le président Erwan Balanant. On constate que le soutien apporté, le rôle des associations, ainsi que la sororité vous ont donné la force nécessaire pour avancer. Toutefois, je suis très surpris par le fait que vous nous avez indiqué avoir ressenti de la honte en 2005, après le jugement. On pourrait penser qu’une femme, après avoir gagné, éprouverait de la fierté. Pouvez-vous nous expliquer cela ? Cela pourrait nous aider à comprendre pourquoi nous éprouvons tant de peur.

Mme Noémie Kocher. La presse a commencé à s’emparer de l’affaire au moment de la garde à vue de Jean-Claude Brisseau. Notre avocate a alors conseillé à ma co-plaignante et moi-même de faire entendre notre voix, car des informations erronées circulaient.

Nous avons rencontré une journaliste du Monde qui avait promis de ne pas révéler nos noms, mais elle n’a pas tenu parole. Heureusement, le nom d’actrice de ma co-plaignante n’est pas son nom civil, donc personne n’a su qui elle était. En revanche, mon nom a été exposé et traîné dans la boue. Des écrits abjects, à caractère sexuel et scabreux, ont été publiés. C’était absolument horrible. Je me souviens d’avoir craint que des personnes de mon entourage lisent ces articles dans Le Monde. Je voulais simplement passer à autre chose et ne plus en parler.

Nous n’avons même pas vraiment réalisé que nous avions gagné. Il fallait tourner la page et oublier tout cela. En octobre 2017, je me trouvais dans un train en partance pour l’Allemagne afin d’y rencontrer un agent, lorsque tout a ressurgi. J’ai pris conscience que je n’avais pas encore surmonté ces événements. La condamnation n’a pas suffi pour me réparer ou me guérir. Les violences sexuelles, comme toutes les grandes douleurs de la vie, laissent des cicatrices indélébiles. On apprend à vivre avec, mais on ne s’en remet jamais complètement. La honte était immense et toutes les victimes vous le diront.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Pourquoi les personnes travaillant dans ce milieu, souvent précaires, trouvent-elles difficile de dénoncer les abus ? La peur d’être blacklisté est un facteur majeur, comme vous l’avez mentionné. Cependant, lorsqu’une victime prend la parole, on pourrait s’attendre à ce que ceux qui craignent des représailles choisissent de ne pas parler, de ne pas soutenir, de ne pas traîner dans la boue. Pourtant, dans votre cas, nous avons observé des tribunes en soutien à Jean-Claude Brisseau, et plus récemment une tribune en soutien à Gérard Depardieu. Pourquoi, au lieu de rester silencieux par peur, certains prennent-ils l’initiative de rédiger des tribunes de soutien ? Est-ce une spécificité française de considérer les auteurs de tels actes comme intouchables, au point de compromettre la lucidité des personnes ?

Mme Noémie Kocher. Je pense que nous touchons à une spécificité très française. Bien que je vienne de Suisse et du Canada, et que je vive en France depuis 30 ans, j’ai constaté que l’artiste en France est surprotégé. Nous l’avons observé dans l’affaire Gabriel Matzneff à la télévision. Jean-Claude Brisseau disait : « C’est le cinéma qui veut ça, au nom de la création, on peut détruire. » Il existe une forme de corporatisme et une toute-puissance du réalisateur ou de la réalisatrice dans le cinéma français. Dans le milieu de l’audiovisuel, le pouvoir est plus horizontal, donc les choses sont différentes.

Pourquoi les soutiennent-ils ? Parce que nous sommes dans la thématique classique qui consiste à s’interroger sur la séparation de l’artiste et de l’œuvre. Personnellement, je ne peux pas séparer l’artiste de son œuvre. Je pense que l’on est son œuvre, mais chacun devrait pouvoir décider pour lui-même. Il est important que chacun puisse avoir son avis. Je réalise que les actrices, dans l’imaginaire collectif, ne sont souvent pas très respectables lorsqu’elles n’ont pas de pouvoir. On associe beaucoup de choses négatives aux actrices très connues, notamment celles qui sont bankable.

M. le président Erwan Balanant. En 2017, vous avez écrit être passée d’objet à sujet, ce qui est une évolution significative. Pouvez-vous nous rappeler où vous en étiez dans votre carrière au moment des faits ? Comment les événements se sont-ils déroulés entre 2001 et 2005, puis après 2005 ? Ce n’était pas votre premier film avec M. Brisseau, mais le deuxième.

Mme Noémie Kocher. À l’âge de 30 ans, j’étais en pleine ascension professionnelle. J’obtenais des premiers rôles à la télévision et au cinéma, ce qui signifiait que ma carrière démarrait véritablement. La procureure avait déclaré que Jean-Claude Brisseau nous avait « brisé les ailes », et c’est exactement ce que j’ai ressenti. J’étais en plein essor, puis tout s’est effondré et il a fallu rebondir.

À partir du moment où Jean-Claude Brisseau a quitté ma vie, en juin 2001, j’ai commencé à travailler énormément. Cette période a été marquée par une emprise psychologique intense. Il est essentiel de comprendre ce qu’est l’emprise. J’avais des migraines, j’avais énormément maigri, je ne dormais plus et je souffrais d’aménorrhée depuis quatre mois. La violence psychologique exercée par les prédateurs ou les agresseurs est dévastatrice. En pleine ascension, j’ai fini par chuter. Cependant, durant la procédure, je me suis mise à écrire, redevenant ainsi pleinement actrice de ma parole. Je suis devenue mère et cette procédure a représenté une forme de renaissance, malgré la honte persistante.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Le périmètre de notre commission d’enquête couvre à la fois les personnes majeures et les personnes mineures. À ce sujet, quelle est votre position sur l’annonce récente de la présence obligatoire d’un référent enfant ainsi que sur le rôle de coordinateur d’intimité ? Selon vous, ces dispositifs, tels qu’ils sont actuellement conçus ou en place, permettront-ils de réguler et de pallier les situations que vous avez pu rencontrer ? Ce matin, nous avons auditionné l’Association des Responsables de Distribution Artistique (ARDA). Pensez-vous que le moment du casting représente une période de vulnérabilité particulière, étant donné la situation intermédiaire dans laquelle on se trouve alors ? Pensez-vous qu’il soit nécessaire d’aller plus loin ou de réfléchir à d’autres solutions ?

Mme Noémie Kocher. Hier, j’ai échangé avec des délégués de l’Union Syndicale de la Production Audiovisuelle (USPA). Nous avons abordé la question de l’encadrant enfant, dispositif qui est déjà en vigueur dans le secteur du cinéma mais qui n’est pas encore obligatoire à la télévision. Ce sujet les préoccupe et je partage leur point de vue, il est nécessaire que cette obligation soit étendue à la télévision.

M. le président Erwan Balanant. C’est une annonce très récente de la ministre de la culture à Cannes. Jusqu’à aujourd’hui, ça n’était pas obligatoire, y compris dans le cinéma.

Mme Noémie Kocher. Dans le cinéma, il est impératif que la coordination d’intimité devienne obligatoire également. L’acteur sur un plateau est très vulnérable, car ce que l’on attend de lui, ce sont ses émotions et sa vulnérabilité. Tout ce qui peut encadrer le plateau est donc essentiel. Nous avons des maîtres d’armes, des régleurs de cascades et des spécialistes des combats pour les scènes de violence. De même, il est absolument nécessaire que l’intimité, la nudité et les scènes d’amour soient gérées par un professionnel dédié. Cela ne nuirait pas à la créativité du réalisateur, bien au contraire. La gestion de ces scènes est chorégraphique et n’est pas particulièrement agréable à tourner. Lorsque j’enseigne à de jeunes réalisateurs et comédiens, je consacre beaucoup de temps à leur expliquer comment aborder ces scènes, car il n’existe actuellement aucune formation spécifique pour protéger les acteurs. Je cherche à mettre en place une formation de coordinatrice d’intimité, car cela n’existe pas en France pour le moment. Je sais que l’ARDA travaille sur ce sujet depuis 18 mois. Il est fondamental que ce rôle soit encadré de manière rigoureuse et qu’il ne soit pas confié à n’importe qui. Il faut une véritable compréhension de la situation des acteurs et avoir une expérience de jeu pour saisir pleinement les enjeux. Tout le monde dans l’industrie cinématographique devrait suivre un stage pour comprendre ce que signifie être acteur ou actrice, y compris les réalisateurs et les scénaristes. Je crois qu’il y a beaucoup de craintes concernant la définition d’un acteur ou d’une actrice, ainsi que les fantasmes associés.

La question du casting est primordiale, notamment pour les enfants. Habituellement, ils viennent accompagnés de leurs parents, mais ils passent le casting seuls, car la présence des parents peut perturber l’enfant. Il serait nécessaire que la production veille à ce qu’une personne de référence soit présente lors des castings d’enfants, afin de garantir leur bien-être. S’agissant des adultes, comme cela a probablement été évoqué avec l’ARDA il existe des mesures simples à mettre en place, telle que l’interdiction de castings dans des lieux non appropriés, comme des appartements, sauf exceptions.

M. le président Erwan Balanant. Dans la charte de l’ARDA, il est désormais stipulé qu’un local adapté est nécessaire. Cela semble relever du bon sens.

Mme Noémie Kocher. Je viens du Québec, où tout est déjà réglementé. Le casting y est extrêmement encadré. Par exemple, il est interdit de demander de la nudité lors du premier casting. Personnellement, on ne m’a jamais demandé de nudité dans un casting et je n’ai pas connaissance de telles pratiques dans le secteur de l’audiovisuel ou du cinéma. Pour des publicités de soutien-gorge, que j’ai refusées, il est courant de demander aux participants d’être en maillot de bain ou en petite tenue. Au Québec, il est permis de demander de la nudité, partielle ou totale, lors du call-back, mais je ne comprends pas l’intérêt de cette pratique.

M. le président Erwan Balanant. Les représentants de l’ARDA nous ont affirmé qu’ils n’étaient pas opposés à l’interdiction de la nudité pour les mineurs, mais également pour les adultes. Leur charte stipule clairement que la nudité est totalement interdite pour les mineurs. Pour les adultes, elle est interdite sans le consentement des parties concernées. Nous leur avons demandé s’ils soutiendraient une interdiction totale. Ils ont répondu que cela leur semblait aller dans la bonne direction.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Vous êtes enseignante désormais. Nous avons également auditionné des représentants d’écoles de cinéma et de théâtre. Préparez-vous vos élèves aux dangers auxquels ils peuvent être exposés ? Par exemple, les sensibilisez-vous à ce qu’il faut accepter ou refuser lors d’un casting ? Leur apprenez-vous à connaître leurs propres limites et à dire non lorsque celles-ci sont dépassées, surtout lorsqu’ils se retrouvent seuls, sans l’accompagnement d’un coordinateur ou d’une coordinatrice d’intimité ?

En tant qu’enseignante, j’éprouve des difficultés à séparer l’œuvre de l’artiste, surtout lorsque l’artiste est impliqué dans des faits criminels ou délictueux ayant causé du tort à autrui. Faut-il enseigner les œuvres en tenant compte des actions de leurs auteurs ?

Mme Noémie Kocher. J’enseigne la scène d’amour, la scène de nudité. Il est intéressant de noter que, très souvent, dans les scénarios, il est simplement écrit : « ils font l’amour », ce qui ne signifie strictement rien. Il faudrait scénariser ces scènes, qui doivent exister uniquement lorsqu’elles ont un sens narratif. Je fais partie d’une génération d’actrices qui ont été souvent dénudées sans véritable raison narrative, probablement pour satisfaire le réalisateur en premier lieu. Les actrices de ma génération, celles qui m’ont précédée et même celles un peu plus jeunes, étaient systématiquement dénudées.

J’enseigne donc les limites et tout ce que je peux pour que les futures actrices et acteurs puissent se protéger des violences sexuelle et psychologique. On ne mesure pas toujours l’impact de la violence psychologique sur un plateau de tournage, comme lorsque l’on pousse quelqu’un à pleurer ou à crier avec brutalité. Ce n’est pourtant pas nécessaire pour accomplir notre travail. Il est très facile de prendre le pouvoir sur de jeunes actrices et acteurs désireux de bien faire et d’être aimés, surtout si l’on est pervers. Il existe un réel danger, et je pense que les écoles devraient inclure un module de prévention. Nous souhaitions créer un tel module et le proposer dans toutes les écoles, y compris les écoles privées. Vous avez mentionné la possibilité de dire non, comme le soulignait l’ARDA, en parlant du consentement. Or, lorsqu’on se trouve en position de casting, il est fréquent qu’on nous demande de nous montrer sous un certain jour. Cette situation est particulièrement délicate pour les actrices et acteurs, surtout en début de carrière. Cela nous place dans des positions d’extrême vulnérabilité.

S’agissant des œuvres de Jean-Claude Brisseau, nous n’avons jamais cherché à le censurer. Notre objectif était qu’il cesse ses pratiques tout en continuant à réaliser des films. J’ai même initié une contre-pétition pour exprimer cette position. Deux films de Jean-Claude Brisseau, Choses secrètes et Les Anges exterminateurs, nécessitent que les spectateurs soient informés. Ce qui est à l’écran n’est pas de la fiction, mais bien notre souffrance à l’état pur. Je me suis reconnue dans ces films, ainsi que d’autres personnes. Jean-Claude Brisseau a utilisé la matière de notre souffrance pour réaliser deux films financés par le Centre National du Cinéma et de l’image animée (CNC). Il se vantait de réaliser ses films uniquement avec l’argent du CNC. J’avais alerté le CNC à l’époque, mais personne ne m’avait répondu. Ces faits sont extrêmement graves et méritent d’être connus.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Votre témoignage est extrêmement précieux pour nous. Ma question porte sur l’utilisation des œuvres d’un artiste comme justification de la défense de sa personne. Je souhaite revenir sur le cas de Jean-Claude Brisseau et de son film Les Anges exterminateurs. J’ai consulté la page Wikipédia, où il est décrit que ce film répond aux accusations portées contre lui. Ce film inclut une scène où le réalisateur demande à des femmes de se masturber devant lui. Mon questionnement porte sur la manière de traiter ce type d’œuvre. Quelle approche peut-on envisager ? La question de la censure se pose également. Quel type de contextualisation pourrait être mis en place ? Si une rétrospective Brisseau était organisée par une structure soucieuse de lutter contre les violences faites aux femmes, quel type de contextualisation permettrait de reprendre le pouvoir sur ce récit et de montrer ces œuvres sous le prisme de l’impunité que l’art peut conférer ?

Certaines œuvres de Jean-Claude Brisseau ont pu m’émouvoir profondément. Cependant, la question de la séduction y est omniprésente, et j’ai du mal à la dissocier de ce que l’on sait des pratiques de ce cinéaste dans sa manière même de créer. Il est essentiel enfin de considérer la question de la protection des personnes citées, comme c’est le cas pour Gabriel Matzneff, où des vies intimes sont dévoilées. Quels seraient alors les moyens pour empêcher cela, si la personne concernée ne le demande pas explicitement ?

Mme Noémie Kocher. C’est un devoir d’information, il ne s’agit pas de censurer les films de Jean-Claude Brisseau. La première occurrence de ses agissements a eu lieu sur le tournage de Noces Blanches, film qui l’a rendu très célèbre. La mère de Vanessa Paradis a témoigné dans cette affaire. Il est important de savoir qu’il n’a jamais cessé ses pratiques, malgré les condamnations. J’ai reçu des témoignages de femmes ayant subi ces violences bien après sa condamnation. Il a donc continué jusqu’à sa mort. Une des deux jeunes femmes a porté plainte en 2007, pour viol. Il y a eu un vice de procédure, et Jean-Claude Brisseau a été entendu en tant que témoin assisté. Il a continué ses agissements, et cela s’est poursuivi sur d’autres tournages également.

C’est une question extrêmement complexe. Par exemple, a-t-on le droit de s’emparer de la vie de quelqu’un et d’en faire une fiction ? Comment réguler cela sans censurer la fiction ? C’est un vrai débat à mener. Je n’ai pas la réponse, mais je peux réagir aux œuvres existantes de grands cinéastes comme Roman Polanski, même si je ne souhaite pas m’exprimer sur cette affaire. Il est de notre devoir d’informer sur ce que ces hommes ont fait au nom de leur art. Ce devoir d’information est immense et devrait également être pris en charge par les institutions du cinéma, comme les cinémathèques. Il ne s’agit pas nécessairement de juger, mais d’informer et de requestionner la place de l’art dans nos sociétés. Il est difficile d’aimer des artistes et de découvrir les hommes qu’ils sont. Ce n’est pas simple, mais nous devons le dire et le savoir.

M. Emeric Salmon (RN). Je vous remercie pour vos propos qui rejoignent largement les préoccupations de notre commission d’enquête. Ce matin, lors des deux auditions que nous avons menées, nous avons entendu des remarques similaires. J’ai une question assez simple pour mieux comprendre votre métier. Dès lors qu’un acteur ou qu’une actrice a atteint un certain niveau de notoriété, doit-il ou doit-elle encore passer des auditions ou cela dépend-il du rôle, du film, des producteurs ?

Mme Noémie Kocher. Les mots revêtent une importance capitale. Dans nos métiers, on parle « d’avoir un nom ». Ceux qui détiennent le pouvoir sont ceux qui ont un nom. Cela signifie que les autres n’ont pas de nom, ce qui est assez violent en réalité ! On dit que ceux qui ont des noms ne passent plus d’auditions. À mon stade, par exemple, je peux me voir offrir un rôle de dix jours sur France Télévisions sans passer de casting, et six mois plus tard, devoir auditionner pour un rôle de deux jours. Cela dépend de nombreux facteurs.

Je rappelle toutefois que notre métier consiste à passer des castings et des auditions. Cependant, en principe, plus on est connu, moins on passe de castings. On nous propose directement des rôles, et ce sont les acteurs et actrices qui décident s’ils acceptent ou non. Le rapport de pouvoir s’inverse alors.

M. le président Erwan Balanant. Certains films sont même produits précisément parce qu’on a convaincu certains acteurs d’y jouer.

Mme Noémie Kocher. Absolument. Cela est vrai aussi des pièces de théâtre.

Mme Juliette Vilgrain. Avec l’émergence des mouvements #MeToo ces dernières années, avez-vous observé un changement d’attitude de la part de la nouvelle génération, notamment des réalisateurs ou des personnes en position de pouvoir ?

Mme Noémie Kocher. Je constate effectivement un changement, et ce n’est pas une question de génération. Ce changement est perceptible également chez les cinquantenaires et les sexagénaires. Dans le secteur audiovisuel, il existe désormais une préoccupation de ne pas blesser les acteurs, de faire preuve de vigilance. Nous assistons à un véritable changement de paradigme.

Mon seul espoir est que cette réflexion soit sincère et non motivée par la peur. J’espère que la standing ovation reçue par Judith Godrèche était authentique et non un simple phénomène de mode. Ce processus prendra du temps. Face à tout changement sociétal, de nombreuses personnes vont se remettre en question et réfléchir aux rapports entre hommes et femmes, ainsi qu’aux rapports de domination. Cependant, je constate un changement palpable depuis quelques mois qui conduit à mieux encadrer les castings et la coordination d’intimité.

Mme Graziella Melchior (RE). Merci pour votre témoignage. Nous avons abordé la question de la formation tout à l’heure et je souhaiterais savoir si une prise en charge psychologique est prévue durant cette formation, pendant le tournage, et même au-delà des scènes de violence ou d’intimité. Vous avez précisé qu’il est nécessaire d’être vulnérable et de laisser passer les émotions, ce qui implique une certaine fragilité, quel que soit le rôle joué.

Par ailleurs, au cours de votre carrière, avez-vous identifié des profils types d’agresseurs ou de victimes ? Est-ce une question de personnalité ou de domination ?

Enfin, vous avez évoqué le travail collectif sur les plateaux. La responsabilité des événements qui s’y déroulent est donc collective. Avez-vous rencontré des témoins de ces situations ? Quelle a été leur réaction, et quelle a été la vôtre face à leur réaction - ou à leur absence de réaction ?

Mme Noémie Kocher. Des élèves m’ont également posé cette question À ma connaissance, il n’existe pas d’aide psychologique spécifique. Cependant, c’est un métier que l’on choisit, et nous acceptons de jouer avec nos émotions. Peter Brooke a une très belle phrase : « jouer est un jeu ». Cela fait partie de notre travail de ne pas se laisser emporter par nos propres émotions. C’est difficile, la ligne est ténue entre le fait de rester dans la lumière et le fait de basculer dans la noirceur. Si l’on est bien encadré dans les scènes difficiles d’intimité ou de violence, cela constitue déjà de bons garde-fous. Il faut apprendre à se connaître, comprendre ses limites, et chercher un suivi psychologique si nécessaire. Dans une équipe soudée, ces sujets sont partagés entre acteurs et avec la réalisation. La violence psychologique existe sur les plateaux, elle est silencieuse et invisible. Il y a peut-être une piste de réflexion à explorer.

Ai-je constaté un profil type d’agresseur ? Il s’agit d’hommes ayant du pouvoir et une certaine aura. Parmi les réalisateurs ? Oui. Parmi les producteurs ? Je n’ai pas personnellement vécu ce genre de situations avec des producteurs, mais je sais que d’autres les ont vécues. Dès qu’il y a une relation de subordination, des abus peuvent survenir, par exemple dans les équipes techniques, avec les chefs de poste.

Votre troisième question portait sur le déroulement des événements. J’ai été renvoyée du film de Jean-Claude Brisseau dix jours avant le tournage parce que j’avais refusé une agression sexuelle. Je n’en ai pas parlé à l’équipe du film et j’ai perdu tout contact avec eux. J’ai pu en discuter avec la comédienne qui allait participer au film, mais tout s’est arrêté là. J’en ai parlé à des personnes travaillant dans l’audiovisuel et je me souviens avoir été très écoutée par quelques personnes à qui j’ai confié mon histoire : un réalisateur, un auteur et une actrice très connue à la télévision. Tous m’ont dit que ce n’était pas normal et m’ont encouragée à agir. Je vais nommer une personne qui m’a apporté un soutien immense. Sa participation et son audition chez les gendarmes ont été déterminantes pour le verdict. Il s’agit de Bertrand Tavernier, un ami à qui j’ai tout raconté. Il m’avait conseillé de saisir conseil de prud’hommes, d’engager une procédure en droit d’auteur, et de porter plainte au pénal. Les personnes à qui j’en ai parlé m’ont immédiatement crue et soutenue. Cependant, il s’agissait de mes proches, de personnes qui me connaissaient et avec qui je travaillais. Tous ont accepté de rédiger des attestations et de témoigner.

M. le président Erwan Balanant. Vous êtes, d’une certaine manière, un modèle. Quel message pourriez-vous adresser à vos consœurs du théâtre et du cinéma pour les encourager à porter plainte ? Nous constatons de nombreuses condamnations, dans la presse, ainsi que des faits relatés, mais peu de dépôts de plainte. Est-ce parce que les plaintes aboutissent peu ?

Mme Noémie Kocher. Je ne peux pas imaginer que ces femmes, ces hommes, ces enfants ne soient pas habités par la même révolte. Je peux leur dire que le silence tue, pas la parole. En outre, il faudrait simplifier les procédures judiciaires. Quatre ans et demi de procédure, c’est beaucoup, beaucoup trop long. Certains aspects devraient être modifiés, comme le délai de prescription. Pour les agressions et le harcèlement, il est de six ans, ce qui est extrêmement court. Pour le viol, il ne devrait pas y avoir de délai de prescription, car une victime peut avoir besoin de beaucoup de temps pour réaliser ce qui s’est passé. Personnellement, j’ai rapidement compris ce qui m’était arrivé grâce aux femmes de l’AVFT, car j’ai rencontré deux jeunes femmes qui racontaient des expériences similaires. Si j’ai compris que j’avais vécu un harcèlement sexuel, cela m’a pris des années pour réaliser que j’avais subi une agression sexuelle.

De nombreuses associations existent aujourd’hui, comme l’AAFA, #MeTooMedia, et l’ARDA. Elles sont là pour écouter et pour aider. J’ai encore aidé quelqu’un aujourd’hui, mais il doit se passer quelque chose au niveau de la justice. La loi sur le harcèlement sexuel a changé en 2012. À notre époque, la répétition des faits était un critère déterminant. C’est pour cette raison que les deux premières plaignantes ont été déboutées, car quatre ou cinq occurrences ne suffisaient pas… Aujourd’hui, une seule suffit. À l’inverse, une étape supplémentaire a été ajoutée, prétendument pour désengorger la justice. Si dans mon affaire, nous avons pu saisir immédiatement le procureur avec une plainte avec constitution de partie civile, aujourd’hui, il faut d’abord être auditionnée par la police.

Recevoir la parole des victimes n’est pas une tâche simple. Il serait judicieux de former deux ou trois policiers par commissariat, spécialisés dans la réception de la parole des victimes, après qu’ils auront suivi des formations longues et approfondies. Personnellement, je reçois ces témoignages, mais je ne suis pas formée pour cela et parfois, je craque car il est difficile d’accueillir la violence des autres. C’est une piste à explorer, au sein des commissariats.

M. le président Erwan Balanant. C’est déjà le cas.

Mme Noémie Kocher. Alors c’est formidable !

Il faut questionner le consentement du point de vue de l’introduction du consentement positif. Plutôt que de vérifier s’il y a eu menace, violence, contrainte ou surprise pour la victime, assurons-nous que l’agresseur a obtenu le consentement de la victime. Il s’agit de changer de paradigme et de se concentrer davantage sur l’agresseur et sa personnalité plutôt que sur celle de la victime. La tribune du journal Le Monde détaille parfaitement tous les points sur lesquels nous souhaitons que la justice évolue afin de faciliter le dépôt de plainte.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Vous avez soulevé, Monsieur le Président, la question de ce que l’on peut dire aux femmes pour les encourager à porter plainte. Nous savons la difficulté actuelle à faire aboutir une plainte. Vous avez également souligné, madame, qu’un homme condamné peut fort bien être accusé, recevoir d’autres plaintes en justice, et continuer à être produit et financé par le CNC.

Dans le cadre de cette commission, notamment, nous réfléchissons à l’introduction de la notion de consentement dans la définition pénale du viol. Concernant la régulation dans le monde du cinéma, seriez-vous favorable à ce que le CNC conditionne ses aides c’est-à-dire adopte des règles qui lui seraient propres et donc indépendantes du cadre judiciaire, permettant ainsi un engagement fort en la matière ? Pourrait-on envisager de ne plus financer les films d’une personne déjà condamnée pour ce type d’actes dans le cadre de sa pratique professionnelle ?

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. La question que je souhaite poser est en lien avec l’intervention de ma collègue Sarah Legrain. Vous avez dit avoir alerté le CNC. Si je vous ai bien entendue, Jean-Claude Brisseau a poursuivi ses activités jusqu’à la fin de sa vie. Le CNC a-t-il continué à financer ses films malgré cette alerte ? Et quelle réponse avez-vous reçue, le cas échéant, après avoir signalé ces faits ?

Mme Noémie Kocher. J’avais adressé une lettre, que je conserve encore, au CNC ainsi qu’au ministère du Travail. Aucun des deux n’a répondu, mais j’ai gardé toutes les correspondances. Le film Les Anges exterminateurs a été réalisé avec les fonds du CNC. Quant aux films suivants, je ne sais pas. Ce serait intéressant de se renseigner à ce sujet.

À cette époque, la société ne se préoccupait pas des violences sexuelles, surtout dans le milieu du cinéma. Nous n’étions pas dans une période où la dénonciation de la violence était prise en compte.

J’ai également contacté le CNC pendant la procédure, mais il n’y a eu aucune répercussion. Je pense simplement que ce n’était pas une question d’actualité. Aujourd’hui, cela devient un sujet, car les aides sont désormais conditionnées, même si la situation au CNC envoie un mauvais signal avec un président impliqué dans une affaire de violence sexuelle et qui continue d’exercer ses fonctions.

M. le président Erwan Balanant. Je tiens, au nom de tous mes collègues, à vous remercier sincèrement pour le courage que vous avez eu en 2001 et celui que vous avez encore aujourd’hui.

Mme Noémie Kocher. Laissez-moi apporter une ultime précision. Il serait souhaitable que les référents sur les plateaux soient des personnalités indépendantes, sans lien avec la production.

M. le président Erwan Balanant. Sur un plateau de cinéma, le producteur est l’employeur. À ce titre, il est le garant, aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, du respect de la sécurité et de la santé de ses employés.

Nous avons identifié au cours de nos auditions des pistes d’amélioration ainsi que des vides juridiques, qui nécessitent une prise en compte de la société et du milieu professionnel concerné. Il est possible que les procédures soient longues, mais si les tribunaux croulent sous ces questions, cela signifie que certaines pratiques doivent évoluer.

*

*     *

12.   Audition, ouverte à la presse, de M. Didier Huck, président de la fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia (Ficam) et M. Jean-Yves Mirski, délégué général ; M. Laurent Blois, délégué général du syndicat des professionnels des industries de l’audiovisuel et du cinéma (SPIAC-CGT) et Mme Salomé Gadafi, membre du conseil national du SPIAC-CGT, secrétaire générale adjointe de la fédération nationale des syndicats du spectacle (FNSAC-CGT).

M. le président Erwan Balanant. Mesdames et messieurs, je vous souhaite la bienvenue.

Comme vous le savez, notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le cinéma, le spectacle vivant, l’audiovisuel, la mode et la publicité. Ces auditions visent à dégager des préconisations pour remédier à ces situations que nous déplorons tous.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez nous présenter votre fédération et votre syndicat. Dans un second temps, Mme la rapporteure, mes collègues et moi-même vous ferons part de nos questions.

Cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Enfin, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Salomé Gadafi et MM. Laurent Blois, Didier Huck et Jean-Yves Mirski prêtent successivement serment.)

M. Didier Huck, président de la fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia (Ficam). La Ficam réunit l’ensemble des prestataires techniques intervenant dans les productions cinématographiques et audiovisuelles ou dans le domaine de la publicité. La filière comprend plus de 700 entreprises et génère 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Notre fédération compte près de 120 adhérents, qui représentent environ 70 % de la valeur de la filière et opèrent dans les secteurs suivants : les équipements et locaux pour les tournages, les locaux et activités de postproduction d’images, les effets visuels, les postproductions son et postsynchronisations, les doublages et sous-titrages, les préparations en vue de la diffusion dans les salles ou dans les médias, la restauration des copies de films, la sauvegarde et la conservation. La chaîne est assez longue, et couvre des cycles allant de 8-10 mois à 14-16 mois. Dans le domaine des effets visuels, la Fédération intègre aussi des entreprises de services de production en animation, qui ne font pas partie stricto sensu des producteurs.

Notre fédération représente donc des métiers très divers, avec une proportion de femmes et d’hommes variable selon les secteurs. Certains métiers mobilisent des effectifs nombreux, tandis que d’autres – la postproduction son ou image, par exemple – se déroulent en petits groupes. Ainsi, les conditions d’exercice sont très disparates.

Notre secteur n’est pas atypique par rapport aux autres types d’activité. Historiquement, la proportion d’hommes dans les métiers techniques était plus importante qu’ailleurs, car ces activités exigeaient le port de charges lourdes. Le déséquilibre s’atténue progressivement. Aujourd’hui, les femmes représentent 30 % des effectifs, et leur part s’accroît peu à peu. Dans certains secteurs tels que l’animation, la proportion de femmes est quasiment identique à celle des hommes. En raison de la surreprésentation des hommes, les remarques sexistes étaient fréquentes. Toutefois, les comportements s’améliorent.

La particularité de notre secteur tient au fait que le client est le producteur. Un studio de tournage met à disposition du producteur les locaux et les équipes fournissant le matériel, mais le tournage est géré par la production. En postproduction ou dans l’étalonnage, la salle est louée au réalisateur, qui vient avec son propre personnel. De ce fait, nos employés sont souvent moins nombreux dans nos locaux que les personnels extérieurs.

Les agissements répréhensibles sont en nombre limité, et nos entreprises, qui appliquent la tolérance zéro envers ces pratiques, n’hésitent pas à mener des actions vigoureuses pour y mettre fin, dans la limite de leurs pouvoirs. Elles font tout leur possible pour encourager les victimes à se signaler et pour les protéger.

Au sein de la Ficam, une commission sociale traite de ce sujet.

Nous sommes confrontés à deux catégories d’agissements : des faits internes, d’une part, et des faits commis par des personnels des clients sur nos employés – ou réciproquement –, d’autre part. Nous entretenons des relations permanentes avec nos clients, en milieu ouvert ou fermé.

Les agressions sexuelles sont ponctuelles et très variées. Elles sont plutôt morales et peuvent consister en plaisanteries à caractère discriminatoire, en propos à caractère sexiste, raciste, homophobe ou transphobe ou en propositions inappropriées à connotation sexuelle.

Une autre question concerne les agissements se déroulant à l’extérieur des locaux, mais en lien avec le travail. Je pense en particulier aux tournages, mais aussi aux pots conviviaux. Au regard des dispositions légales, ces faits sont identiques.

Dans notre industrie, les remontées les plus courantes concernent des propos déplacés ou agressifs, parfois difficiles à qualifier. Selon le résultat des investigations effectuées, les entreprises procèdent à des licenciements, lorsque les actes sont avérés, ou bien à des avertissements et à des déplacements de postes, lorsque les preuves sont difficiles à réunir.

Il est plus difficile d’agir envers des clients ayant des comportements déplacés. Dans ce cas, la réponse apportée à ces faits dépend de la taille de l’entreprise en question. Soit la société de production possède une organisation suffisante pour traiter ce type de situation, soit sa taille ne lui permet pas de disposer d’un service de ressources humaines efficient. Dans ce cas, la relation avec le fournisseur peut devenir compliquée. Ces événements sont difficilement quantifiables, mais existent.

Dans les milieux ouverts, les risques de dérapage de la part de nos employés sont relativement limités. Dans la postproduction son et image, la situation peut être différente, car deux ou trois employés partagent un studio, où la luminosité est souvent faible. Pour autant, nous n’avons pas eu connaissance de cas graves de passage à l’acte. Les signalements concernent essentiellement des attaques verbales, qui sont inadmissibles et qui sont sanctionnées.

Il conviendrait de s’assurer que tous les opérationnels sont formés, et de réunir l’ensemble des équipes des prestataires et des clients au début de chaque tournage pour un point de sensibilisation.

De plus en plus de participants suivent les formations du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), qu’il s’agisse des mandataires ou des personnes exerçant une responsabilité sur les prestataires en production et les prestataires techniques. De fait, nous sommes soumis à cette obligation depuis un an. Cette action porte ses fruits, mais il faudrait étendre ces formations à toutes les personnes assumant un rôle d’encadrement ou de supervision. Il est essentiel de savoir comment réagir à une agression, mais aussi comment répondre à un signalement d’agression.

Tout dépend de la taille de l’entreprise en question. 40 % des adhérents de la Ficam comptent moins de dix salariés, et seuls cinq membres ont plus de 50 salariés.

Il me paraît tout aussi déterminant de former les dirigeants, gestionnaires et managers au traitement des signalements que d’informer les salariés sur la réaction à adopter face à une agression.

Des actions sont menées au sein de notre branche depuis plusieurs années. Ainsi, un accord sur l’égalité entre les femmes et les hommes a été signé en juillet 2018. L’accord étendu, en date de 2020, inclut expressément la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Cette cause est reprise par la cellule interprofessionnelle initiée par la Fédération des entreprises du spectacle vivant (Fesac), dont M. Mirski est président.

En 2019, le ministère de la culture a lancé un plan de lutte contre le harcèlement. Dans ce cadre, des assises ont été organisées par le CNC.

Par ailleurs, les partenaires sociaux ont créé une cellule d’écoute gratuite et anonyme, à destination des victimes et témoins de violences sexuelles. Elle est désormais active depuis quatre ans, et opérée par Audiens. La Ficam participe à cette initiative.

Nous travaillons aussi avec Audiens en vue de constituer une cellule à même d’informer les responsables d’entreprise ou d’unité ayant eu connaissance de faits à caractère sexiste ou sexuel. De fait, les chefs d’entreprise peuvent se sentir désemparés face à ce type de situation, même s’ils en mesurent la gravité.

M. Laurent Blois, délégué général du syndicat des professionnels des industries de l’audiovisuel et du cinéma (SPIAC-CGT). Notre syndicat intervient dans un cadre plus large que celui du collège des employeurs, représenté ici par la Ficam. Notre périmètre englobe les conventions collectives des productions cinématographique, audiovisuelle et de films d’animation, les industries techniques et les éditions phonographiques.

Pour l’essentiel, les salariés relevant de notre syndicat sont des intermittents et nous regroupons l’ensemble des techniciens du secteur, depuis l’habillement jusqu’à la direction photographique.

Nous avons engagé un travail de grande ampleur dès la survenue de la covid, qui nous a directement touchés. Il existe deux comités centraux d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) dans la branche, pour les productions audiovisuelle et cinématographique. Je suis d’ailleurs le vice-président du CCHSCT production audiovisuelle, et j’interviens aussi dans le second en tant que délégué général.

Dans ces deux instances siègent des salariés qui interviennent sur les tournages, et qui ont pu être avertis de cas de violence sexiste ou sexuelle. La précarité de notre secteur nous complique beaucoup la tâche. Hormis le champ de la prestation technique, 95 % de nos adhérents travaillent dans des entreprises de moins de 10 salariés, où les dispositions légales de représentativité syndicale ne sont pas appliquées.

Depuis 1936, avec l’apparition des premières organisations syndicales dans la production cinématographique, les partenaires sociaux (producteurs et représentants des salariés) ont construit des dispositifs permettant de répondre à la précarité de certains métiers.

La précarité n’aide pas à rompre le silence, et ce constat vaut aussi pour les quelques cas particulièrement difficiles auxquels nous avons eu affaire récemment, en production cinématographique. Le secteur du film d’animation est encore mal couvert, parce qu’il est petit et que ses salariés, très jeunes, connaissent mal le code du travail.

Mme Salomé Gadafi, membre du conseil national du SPIAC-CGT, secrétaire générale adjointe de la fédération du spectacle FNSAC-CGT. La FNSAC réunit des syndicats professionnels du spectacle vivant, des artistes plasticiens et des professionnels de l’action culturelle. Certains salariés travaillent dans des environnements isolés, propices aux comportements violents. D’ailleurs, il n’existe pas de comité hygiène et sécurité dans les branches du spectacle vivant et des arts plastiques.

M. le président Erwan Balanant. Vos explications mettent en évidence la problématique des liens de subordination, notamment lorsque les personnels d’un prestataire travaillent dans les mêmes locaux que les équipes d’une société de production.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Parmi les activités couvertes par cette commission d’enquête, quelles sont, d’après vous, les catégories de métiers les plus exposées à des formes de violence ?

M. Huck, vous avez évoqué la tolérance zéro appliquée par les entreprises membres de votre fédération. Pouvez-vous nous indiquer le nombre de cas de violences à caractère sexiste ou sexuel identifiés, et nous exposer les actions mises en œuvre pour remédier à ces problèmes ? D’autre part, toutes les catégories de personnel impliquées dans un tournage ou dans la réalisation d’un spectacle ont-elles accès à un référent harcèlement ? Enfin, estimez-vous que ces référents sont suffisamment formés ?

M. Didier Huck. Nous ne disposons pas de statistiques à ce sujet, car nos adhérents ne nous transmettent pas de données chiffrées. Les pratiques en cause seraient surtout des propos déplacés ou des invitations, sans passage à l’acte. Quant aux sanctions, elles sont appliquées par les entreprises adhérentes dans le respect du code du travail. Il peut s’agir d’un déplacement de poste, d’une mise à pied, voire d’un licenciement. La première mesure consiste à isoler la victime. Une enquête est ensuite menée, et des sanctions sont prises en fonction des conclusions de cette démarche.

Les grandes entreprises ont l’habitude de publier leurs chiffres dans leurs reportings annuels, au titre de leur politique de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Mais les petites entreprises ne peuvent faire de même.

À mon sens, ces faits se retrouvent dans tous les types de métiers et d’activités : artistes, studios d’animation, personnels administratifs, équipes de manutention, etc.

Dans l’industrie technique, deux tiers des emplois sont occupés par des intermittents, et un tiers par des salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) ou déterminée (CDD). À ma connaissance, les intermittents, dans notre secteur, ne sont pas plus victimes que les salariés permanents.

Au cours des dernières années, les personnels de l’industrie technique n’ont pas vraiment connu de précarité puisque nous faisons face à une pénurie de main-d’œuvre.

M. Laurent Blois. Il existe des métiers en tension car l’activité est extrêmement dense, marquée par le développement des plateformes. Nous connaissons donc une période de plein emploi relatif.

Mme Salomé Gadafi. Je voudrais insister sur la violence des propos et comportements sexistes récurrents, subis tout au long d’une carrière. Cette violence est très forte et ne saurait être sous-estimée. De nombreuses personnes ne signalent pas les faits de violence dont elles sont victimes, parce qu’elles ne l’osent pas ou ne le souhaitent pas. Ces agissements sont aggravés par d’autres formes de violence, comme le fait d’être pénalisé dans son salaire ou dans sa progression de carrière parce qu’on est une femme.

En ce qui concerne la formation des référents, des mesures vertueuses ont été mises en place. À titre d’exemple, un salarié peut suivre une formation de référent tout en conservant le bénéfice de ses droits pour des formations professionnelles. Il n’en reste pas moins que nombre de référents ne sont pas formés. La signature de l’avenant sur les violences et harcèlements sexistes et sexuels (VHSS) dans la convention cinéma devrait contribuer à améliorer la situation. Nous espérons que des avenants de ce type seront intégrés dans les autres conventions.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Il est difficile d’appréhender les faits qui vous sont remontés, M. Huck, car vous parlez de propos déplacés et d’invitations. Vous affirmez que les entreprises adhérentes appliquent la tolérance zéro envers ces faits. Pouvez-vous nous confirmer que chaque situation est traitée ?

Vos adhérents font-ils appel aux syndicats lorsqu’ils ont connaissance de problèmes dans les tournages ou lors des préparations de spectacles ?

Parmi les sanctions évoquées, vous avez fait état de « déplacement de poste ». Faut-il en conclure qu’une personne ayant tenu des propos inadaptés peut être simplement déplacée sur un autre tournage, sans recevoir de réelle sanction ? Cette action ne revient-elle pas à déplacer le problème ?

M. Didier Huck. La sanction est prise en fonction de la gravité des faits, sur la base des éléments disponibles. Si les agissements sont avérés, leur auteur est mis à pied ou licencié. En revanche, lorsque les allégations n’ont pas pu être prouvées et ne sont pas corroborées par d’autres témoignages, la victime et l’agresseur présumé sont séparés. Si ce dernier est de nouveau dénoncé pour des agissements analogues, il est immédiatement licencié.

M. Laurent Blois. Il ne faut pas oublier que cette problématique est relativement nouvelle, puisqu’elle a surtout émergé avec le mouvement MeToo. Je voudrais préciser que le traitement de ces situations dépend aussi du socle social élaboré par les partenaires sociaux, notamment en se dotant d’une convention collective.

L’exercice du droit syndical est très compliqué dans le petit secteur de l’animation. De mon point de vue, le travail que nous menons avec les producteurs de films d’animation est moins performant qu’en production audiovisuelle ou cinématographique.

Au cours des deux dernières années, nous avons été confrontés à trois cas graves, qui ont nécessité l’intervention du CCHSCT. Nous avons même évoqué la possibilité de mandater une commission d’enquête sur quelques tournages, au nom du CCHSCT. Toutefois, nous nous heurtons à une limite : ces dossiers sont éprouvants à traiter. Nous ne sommes pas formés à cette écoute, y compris lorsque nous sommes élus de CCHSCT. Nous avons le sentiment d’être dans une position de voyeurs, mais nous avons impérativement besoin d’informations. Il me semble que ce nous accomplissons de mieux en mieux ce travail, avec l’aide de personnes compétentes.

En production audiovisuelle et cinématographique, je constate une même volonté, parmi les représentants patronaux, de faire cesser les tracasseries tout en traitant les cas les plus lourds. Il subsiste malgré tout des interrogations prégnantes. Que faire lorsqu’aucune plainte n’est déposée par la victime, alors qu’elle a subi des actes apparentés à des viols ; devons-nous saisir la justice ?

Nous pouvons compter sur le soutien du CNC, qui travaille avec nous sur ces sujets. Ainsi, il serait judicieux d’élargir le dispositif sur la conditionnalité des aides dans le cinéma, à la production audiovisuelle.

Nous développons peu à peu des instruments de prévention qui contribuent à libérer la parole des femmes et des hommes concernés.

Le secteur de la prestation technique est très hiérarchisé, ce qui peut entraîner des dérives entre salariés, en raison des liens de subordination.

M. le président Erwan Balanant. Je précise que les « tracasseries » auxquelles vous faites référence s’appellent désormais « outrage sexiste », et sont réprimées comme telles par le code pénal.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Conformément aux dispositions du code du travail, l’employeur est tenu d’assurer la santé et la sécurité des salariés. M. Huck, j’observe que vous n’avez pas vraiment détaillé le déroulement des enquêtes. Vous avez notamment mentionné la question des preuves, dont l’appréciation est pour le moins complexe. J’ajoute qu’il n’est pas demandé à l’employeur d’établir la matérialité des faits ou la culpabilité de l’agresseur présumé, mais de réunir un faisceau de signes incitant à prendre des précautions. Ce sont deux mesures distinctes.

Vous sentez-vous suffisamment armés sur ce sujet ? Lorsqu’il faut lancer une enquête, êtes-vous en mesure de faire appel à des personnes compétentes pour cette démarche, en interne ou en externe ?

M. Didier Huck. Je vous confirme que c’est bien un faisceau de présomptions qui permet à l’entreprise d’agir et de prendre des mesures de précaution. Toutefois, comme je l’ai précisé, la réponse apportée dépend de la taille de l’entreprise : plus la structure est importante, et plus elle dispose de services formés pour traiter ce type d’événements. Dans mon entreprise, les ressources humaines sont référents, et la quasi-totalité des membres du comité social et économique (CSE) a été formée. Tous sont donc à même de recevoir et traiter les plaintes, de mener les entretiens avec les différentes parties prenantes. Dans une grande entreprise, il est relativement facile de construire un dispositif de ce type.

Nous avons engagé un travail avec Audiens pour créer une cellule à même d’aider les entreprises à traiter une plainte, constatant que les petites structures se trouvent souvent démunies. Même si le mandataire social se doit de protéger la santé et la sécurité de ses employés, le traitement de ces situations ne s’improvise pas. Le simple fait de parler à la victime n’est pas une compétence innée, mais requiert une formation et un accompagnement. Il me paraît donc souhaitable que les entreprises puissent recourir à un support externe.

Je préside le comité d’éthique mondial du Groupe Technicolor Creative Studios. À ce titre, j’ai été amené à mener plusieurs investigations. Les premières enquêtes n’ont pas été aisées. De ce point de vue, la cellule d’accompagnement sur laquelle nous travaillons représenterait une grande avancée. Dans une toute petite entreprise, chacun se connaît, et les équipes sont souvent dépourvues, sans que ce soit une question de mauvaise volonté.

M. le président Erwan Balanant. Votre entreprise est un groupe international, avec un directeur des ressources humaines et des salariés.

Dans une production, le producteur fait appel à des prestataires pour prendre en charge différentes activités. Certains de ces prestataires emploient des intermittents, qui sont subordonnés à l’entreprise sous-traitante, mais travaillent pour une production. Cette imbrication pose-t-elle des difficultés dans l’application du droit du travail ou dans la continuité du lien hiérarchique ?

Prenons un exemple concret. Certains techniciens travaillent sur le plateau en tant qu’intermittents, mais ils peuvent être embauchés par une société prestataire. Comment sont traités les potentiels différends survenant entre ces personnels sous-traitants et les personnels de la société de production ?

M. Jean-Yves Mirski. En règle générale, ces situations sont plutôt traitées par le producteur.

M. Didier Huck. Pour ce qui est de la location de l’enlèvement des caméras et autres équipements, les chauffeurs de camion du prestataire font partie de la production. En revanche, tous les personnels peuvent se retrouver dans les locaux du prestataire. Je ne crois pas que la question du lien de subordination soit en cause ici. La problématique porte plutôt sur la promiscuité de ces personnes dans les mêmes locaux, a fortiori lors des tournages en studio.

M. Laurent Blois. Le secteur de la production cinématographique est relativement encadré, puisque les aides du CNC sont conditionnées au recrutement direct des techniciennes et techniciens par le producteur. Par conséquent, le problème que vous soulevez ne se pose pas, a priori. Cela n’empêche pas des pratiques de détournement apparentées à du prêt illégal de main-d’œuvre, contre lesquelles nous nous battons. Pour dégager quelques économies, certaines entreprises peu scrupuleuses ont tendance à employer du personnel au nom de sociétés relevant de conventions collectives moins-disantes au lieu de les recruter en propre.

En production cinématographique ou audiovisuelle, c’est le réalisateur qui donne le la du film ou de la fiction en cours de réalisation. Il est lui-même en lien de subordination avec le producteur.

Le tournage en studio constitue un cas particulier, car il s’accompagne souvent de mise à disposition de matériel (grues, drones, etc.). Il peut aussi y avoir des croisements plus compliqués dans l’événementiel et la production de programmes pour la télévision.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. M. Mirski, vous avez signé en 2018 l’accord de branche sur l’égalité femmes-hommes, au nom de la Ficam. Vous avez également signé, en 2020, le plan d’action pour l’égalité et contre les violences sexuelles et sexistes, au nom de la Fesac. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point et nous dresser un bilan de ces actions ?

M. Jean-Yves Mirski. Puisque je serai auditionné prochainement en tant que président de la Fesac, je centrerai aujourd’hui mon propos sur les actions menées par la Ficam.

À la Ficam, nous avons commencé à appliquer le plan d’action pour l’égalité, en nous appuyant sur la cellule dédiée. Celle-ci est d’ailleurs mentionnée dans l’accord signé avec les organisations syndicales. Nous menons actuellement des négociations avec les organisations syndicales, qui portant notamment sur les violences sexistes et sexuelles.

Mme Graziella Melchior (RE). Les salariés ont-ils bénéficié d’une sensibilisation ou d’une formation sur la réaction à adopter en présence de situations de ce type ? Par ailleurs, en tant qu’employeur, avez-vous un regard sur les éventuelles infractions inscrites au casier judiciaire des salariés ?

Mme Salomé Gadafi. L’information au début de chaque projet est désormais obligatoire. Elle peut être assurée par les référents. Cette obligation doit être spécifiée dans chaque contrat. Nous avons demandé qu’elle soit intégrée à la feuille de service, qui est souvent lue plus attentivement que le contrat. L’information doit être diffusée auprès des permanents et des intermittents. Cette mesure est prise en compte dans les accords complétant les conventions collectives et elle est de mieux en mieux respectée.

J’ajoute que les loueurs affichent plus d’informations, à la fois sur les faits de violence et sur les personnes à contacter en cas de problème.

M. Jean-Yves Mirski. Notre convention collective des industries techniques prévoit un mécanisme paritaire de certification sociale, qui valide l’accès des industries techniques au fameux contrat à durée déterminée d’usage (CDDU), qui est indispensable à l’emploi des intermittents. Cette certification sociale impose aux entreprises d’observer un certain nombre de normes, en particulier la législation du travail.

Depuis plusieurs mois, les entreprises souhaitant bénéficier de la certification sociale sont invitées à remplir un questionnaire, auquel vient d’être ajoutée la question suivante : « Avez-vous effectué la formation VHSS ? ». Lors des échanges tenus au moment où l’entreprise dépose son dossier, ce point fait l’objet d’une attention particulière.

La commission de certification sociale ambitionne de mener une démarche pédagogique à ce sujet auprès de toutes les entreprises intéressées par la certification. Il pourrait être intéressant de renforcer cette sensibilisation de toutes les entreprises du secteur. Il appartiendra aux partenaires sociaux d’en décider.

M. le président Erwan Balanant. Je comprends que les prestataires souhaitant employer des intermittents du spectacle sont tenus d’obtenir cette certification sociale.

M. Jean-Yves Mirski. En effet. Notre convention collective prévoit une telle disposition. C’est une spécificité de notre secteur. La certification sociale est nécessaire pour employer des intermittents.

M. Laurent Blois. Sans être hostiles au principe de cette certification sociale, nous pensons qu’elle ne doit pas être présentée comme la solution miraculeuse à tous les problèmes. Nous préférerions que soit renforcée la présence des inspecteurs du travail dans nos secteurs et la cellule de lutte contre le travail illégal, et que l’État se dote d’instruments de contrôle efficients. Les discussions entre partenaires sociaux, dans le spectacle enregistré, sont relativement apaisées, même si les intérêts des différentes parties ne convergent pas toujours. En revanche, nous avons besoin que l’État nous permette d’appliquer les conventions collectives et les dispositions du code du travail car une partie des violences dont nous parlons trouvent leur origine dans des conditions de travail très éprouvantes, avec un rythme extrêmement lourd.

M. le président Erwan Balanant. Je suis d’accord sur le fait qu’il est difficile de réguler la situation sans contrôles.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Ce matin, nous avons été informés de feuilles de service fausses, ou doubles. Avez-vous déjà reçu des remontées en ce sens ?

M. le président Erwan Balanant. Mme la rapporteure fait référence à une pratique consistant à remettre aux équipes une feuille de service différente de celle adressée à la direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets). Avez-vous constaté ce type d’agissements ?

M. Laurent Blois. Les contrats sont remis aux salariés trop longtemps après la prise de poste. Il existe donc des irrégularités sur les feuilles de service, à l’instar des faits que vous rapportez.

Il y a quelques années, lorsque nous avons négocié la convention collective de la production cinématographique, le CNC avait mandaté à notre demande une enquête sur la durée du travail dans ce secteur. Le rapport n’avait même pas été publié, tant les pratiques relevées enfreignaient le code du travail.

Il me paraît essentiel que la puissance publique s’empare du sujet et engage des mesures pour s’assurer que les normes soient respectées.

M. Didier Huck. Aux États-Unis, certains états tels que la Californie se sont dotés de programmes structurants en vue de combattre les violences sexuelles et sexistes. Ils ont notamment déployé des formations obligatoires pour toute personne ayant un rôle d’encadrement ou de supervision, quel que soit son lieu d’exercice. La formation se déroule en ligne, sur une durée minimum de deux heures, et fait l’objet d’un contrôle et d’une attestation de suivi, adressée à l’inspection du travail.

Sur ce modèle, il me semble indispensable de systématiser les formations, tant auprès des salariés que des employeurs. Personne ne doit pouvoir affirmer qu’il n’était pas informé. Ces formations sont également nécessaires pour pouvoir prononcer des sanctions.

M. le président Erwan Balanant. Je vous remercie pour ces informations. N’hésitez pas à nous envoyer des éléments complémentaires, le cas échéant.

*

*     *


13.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Estelle Simon et M. Elrik Lepercq, coprésidents de l’association professionnelle des actrices et acteurs de France associés (AAFA), Mme Alice de Lencquesaing et Mme Marie Lemarchand, membres du conseil d’administration de l’association des acteurs (ADA).

M. le président Erwan Balanant. Notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, de la mode, de la publicité et du spectacle vivant. Nous nous efforçons d’identifier les responsabilités de chacun des acteurs, d’évaluer l’étendue des situations et de proposer des solutions pour remédier à cette situation que nous déplorons tous.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez nous présenter chacune votre association, dans un court propos introductif. Dans un second temps, Mme la rapporteure, mes collègues et moi-même vous ferons part de nos questions.

Cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Enfin, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

 (Mmes Estelle Simon, Alice de Lencquesaing, Marie Lemarchand et M. Elrik  Lepercq prêtent serment.)

Mme Estelle Simon, co-présidente de l’AAFA. L’AAFA est une association de comédiennes et comédiens professionnels. Elle est née en 2014, du constat qu’il n’existait pas de structure dédiée aux actrices et aux acteurs, contrairement à un grand nombre de nos partenaires (scénaristes, réalisateurs, etc.). Cette situation accentuait notre isolement, car notre métier est un métier solitaire.

L’un des objectifs de notre association consiste à repositionner les actrices et acteurs à leur juste place, tant pour la réflexion que pour la création, et à créer du lien avec nos partenaires.

M. Elrik Lepercq, co-président de l’AAFA. L’AAFA défend des valeurs égalitaires et paritaires et s’engage à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes et la représentation de toutes les diversités.

Notre fonctionnement repose en grande partie sur nos commissions, qui sont l’ADN de notre association. Leur création est soumise au vote du conseil d’administration, mais à l’initiative des adhérents. Nos adhérents ont donc la possibilité de créer des commissions, d’en intégrer, ou simplement de profiter de ce que nous leur proposons.

L’AAFA dispose de trois types de commissions. Tout d’abord, les commissions artistiques, axées sur la création, les échanges artistiques, les ateliers et les rencontres, permettent aux acteurs de travailler avec des réalisateurs, des scénaristes, des directeurs de casting, des coachs, etc.

Mme Estelle Simon. Nous avons aussi créé des commissions ressources, comme « AAFA Émergence ». Cette structure réunit de jeunes acteurs ayant fait le constat qu’ils avaient besoin de clés en sortant de leur école. Ils ont donc élaboré un guide à destination des comédiens émergents, qui est présenté dans les écoles. Ce guide comprend d’ailleurs un volet important sur les violences et le harcèlement sexistes et sexuels (VHSS).

M. Elrik Lepercq. Enfin, l’AAFA comprend aussi des commissions sociétales, à l’instar de « AAFA Tunnel de la comédienne des 50 ans ». Celle-ci a mis en avant la disparition des femmes sur les écrans à partir de cinquante ans. Je citerai également la commission « AAFA Soutien ».

Mme Estelle Simon. Cette dernière commission a été créée immédiatement après MeToo car il nous est apparu que nous ne pouvions pas représenter les actrices et acteurs sans leur proposer un espace d’échange au sein de notre association.

Cette commission intervient dans tous les cas d’intimidation, harcèlement, agression sexuelle et abus de pouvoir. Elle recueille les témoignages du passé et du présent, afin d’orienter et d’accompagner dans la limite de ses compétences. Les informations recueillies restent bien évidemment confidentielles. Elle bénéficie du dispositif d’appui juridique de la Fondation des Femmes, ce qui permet aux victimes d’être assistées par des avocats. Depuis peu, nous avons également un partenariat avec l’association Derrière le rideau, qui nous donne accès à une aide juridique.

Parmi les autres actions de cette commission figurent la rédaction et la diffusion d’un code de conduite, destiné à être adopté généralement et annexé à tout contrat de travail. Bien que nous ayons été reçus à plusieurs reprises au ministère de la culture, aucune suite n’a été donnée à cette proposition.

M. Elrik Lepercq. Ce code de conduite a pour but d’inscrire noir sur blanc les agissements appropriés et ceux qui ne le sont pas. Nous pensons que dans une société où les limites du consentement ne sont pas acquises, il convient de faire évoluer les comportements et en créer de nouveaux.

Si nous commencions chaque tournage et chaque projet artistique en expliquant ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, si nous faisions signer ce document – et les valeurs qu’il défend – à toute l’équipe, tout le monde serait concerné. Ce serait également un message fort pour les potentielles victimes, qui se placerait du côté des agressés et non des agresseurs.

Mme Estelle Simon. Une question récurrente soulevée dans cette commission d’enquête concerne les statistiques. Nous ne possédons pas de données quantitatives, considérant qu’un raisonnement par chiffres a un impact négatif. Réduire des vies endommagées à des faits mathématiques contribue, selon nous, à invisibiliser les victimes. Nous savons que 160 000 enfants, soit un sur cinq, sont victimes de violences sexuelles chaque année. Les féminicides sont également comptabilisés tout au long de l’année. Les associations et les autorités se livrent une bataille sur le nombre exact de féminicides en 2023. Ces polémiques occultent l’essentiel, à savoir le viol d’enfants et l’assassinat de femmes. La reconnaissance des chiffres prend le pas sur la souffrance et sur les vies brisées.

Cette analyse s’applique aussi aux VHSS dans notre métier. Nous n’avons plus besoin de chiffres, mais de prendre conscience que, comme dans le reste de la société, les femmes et les enfants sont sous la domination du patriarcat. Tant que cette problématique sociétale ne sera pas résolue, elle sera réduite à des statistiques déshumanisées.

M. Elrik Lepercq. Contrairement à l’ADA ou à Derrière le rideau, notre association n’a pas été créée aux seules fins de lutter contre les violences sexistes et sexuelles.

Le nombre exact de victimes importe peu. En revanche, il est intéressant que le nombre de témoignages varie en fonction de l’actualité. Lorsqu’une personne célèbre prend la parole à ce sujet, ses déclarations donnent du courage aux autres victimes et contribuent à libérer la parole.

En créant la commission « Soutien », notre objectif était de prendre le temps d’accompagner chaque personne dans la direction de son choix. Comme l’affirmait le collectif MeTooThéâtre, nous ne sommes pas formés à cela. Nous pallions le manque d’un système. Les personnes qui se confient ont besoin d’être crues et comprises. En se confiant à d’autres actrices ou acteurs, elles savent que nous parlons la même langue. Même sans avoir été violés, nous avons subi des attouchements et des violences psychologiques.

Les témoignages que nous avons reçus proviennent essentiellement d’actrices, et très minoritairement d’acteurs, et concernent particulièrement le théâtre ou les écoles de théâtre.

Mme Estelle Simon. Je voudrais préciser que nous n’avons pas reçu, pour l’instant, de témoignages sur le doublage. Cela ne me surprend pas vraiment, car ce milieu est très refermé sur lui-même. C’est un microcosme dans lequel les violences psychologiques et sexuelles sont des pratiques courantes sur certains plateaux.

M. Elrik Lepercq. En dressant un état des lieux de la situation, pour préparer l’audition, une évidence nous saute aux yeux : les outils légaux – qu’il s’agisse du code du travail ou du code pénal – existent pour traiter la plupart de ces situations. Ils sont supplémentés par un travail considérable de la société civile, généralement assuré de manière bénévole. Je pense à l’AAFA, à l’ADA, au collectif 50/50, au syndicat français des artistes interprètes (SFA), au Mouvement HF ou encore à la Fondation des femmes, et j’en oublie beaucoup.

Les outils légaux ne sont généralement pas employés, souvent par manque de moyens, c’est-à-dire par manque de volonté politique. En tant qu’acteurs de la société civile, nous voulons vous soumettre nos propositions.

Mme Estelle Simon. Ces propositions sont les suivantes : la création d’un organisme VHSS indépendant, pour éviter les conflits d’intérêts ; la création d’un code de conduite, à joindre à tous les contrats et à afficher sur les lieux de travail.

M. Elrik Lepercq. L’obligation légale de coordinatrice et coordinateur d’intimité sur les plateaux de tournage.

Mme Estelle Simon. La suspension des personnes impliquées le temps d’une enquête pour VHSS.

M. Elrik Lepercq. La création d’une assurance VHSS pour les plaignantes, qui permettrait de reconnaître le risque endémique des VHSS, au même titre que la maladie et l’accident ; l’extension de l’obligation d’une référence aux VHSS dans toutes les strates de l’enseignement actoriel, qu’il s’agisse d’écoles publiques ou privées.

Mme Estelle Simon. Dans un contexte de déficit et de réduction du budget du ministère de la culture, toutes ces actions peuvent paraître coûteuses. Mais la prévention à moyen terme coûte toujours moins cher que la guérison et la gestion de crise.

Mme Marie Lemarchand, membre du conseil d’administration de l’ADA. Merci de nous recevoir, même si nous aurions préféré ne pas avoir besoin d’être présentes ici.

Ce matin même, j’ai reçu un appel concernant une demande de mise en relation avec une comédienne qui a été violée par un réalisateur. Nous recevons quasi quotidiennement des messages de ce type, qui sont aussi à l’origine de la création de l’ADA.

Comme l’a rappelé Iris Brey ici même, l’ADA a été constituée autour des questions de représentation et de tournage des scènes d’intimité parce que de nombreuses comédiennes se trouvent en danger sur les plateaux. Il est urgent de remédier à cette situation.

Les comédiennes ont commencé à parler de leur expérience, ce qui constitue en soi un acte très fort. En effet, quelle que soit notre génération, nous avons appris à nous méfier les unes des autres, voire à nous détester. Ce phénomène de mise en concurrence nous isole, de sorte que nous ignorons que d’autres ont pu subir ce que nous avons nous-mêmes vécu : harcèlement, agressions sexuelles, viol, viol aggravé… Cette omerta est extrêmement puissante. C’est pourquoi le simple fait de se parler est à la fois douloureux et jovial, car cela nous aide à reprendre du pouvoir sur nos propres vies, sur notre métier et sur le lien qui nous unit. Ces questions traversent notre métier et les différentes filières qui le composent.

Grâce à ce lien, nous sommes beaucoup plus fortes, ensemble. L’une de nous disait récemment : « Si l’on passe autant de temps à nous diviser, c’est parce qu’ensemble, nous sommes plus fortes ». En nous parlant, nous comprenons mieux les mécanismes en action, qui font partie d’un système bien rodé, dans lequel la concurrence est sciemment organisée et entretenue précisément pour que ces abus puissent se perpétuer.

La création de notre association a été motivée par le besoin de se réapproprier nos corps, nos récits, notre métier, nos vies, et d’interroger les rapports de pouvoir, les conditions de travail, la verticalité – ce système pyramidal dans lequel, jusqu’à présent, nous avions très peu notre mot à dire.

Ces réunions entre actrices ont débuté à la fin de l’année 2021. En mai 2022 a été publiée une tribune dénonçant ces violences, ainsi que les discriminations, au sein de notre industrie. Cette tribune affirmait que « le cinéma français a intégré un système dysfonctionnel qui broie et anéantit depuis des générations ». Elle a trouvé un écho chez nombre d’actrices qui avaient subi silencieusement des violences et qui ont rejoint l’association.

Aujourd’hui, nous sommes entre soixante-quinze et quatre-vingts membres au sein de l’ADA. Le conseil d’administration, qui fonctionne de manière horizontale, compte dix-sept membres.

Face au nombre, à l’ampleur et à la gravité des récits, nous ne pouvons absolument pas considérer que les faits évoqués relèvent d’un autre monde ou d’un autre temps. Il s’agit de situations récurrentes et répétées, et c’est pourquoi nous nous comprenons les unes les autres.

Les victimes n’ont pas d’âge, les agresseurs non plus. Les violences sont de nature différente : sexiste, sexuelle, raciste, homophobe, transphobe… Elles sont aussi liées au physique, à l’âge, à l’état de santé, à la classe sociale, et peuvent être d’ordre économique.

À l’ADA, nous avons commencé par créer un espace de parole, pour sortir de l’isolement mais aussi de la honte, et pour s’allier de manière à faire front. À côté de cet espace de dialogue, pensé comme un rempart, nous avons voulu ouvrir un espace de questionnement sur les représentations : qui est représenté, et comment ? Qui n’est pas représenté ?

Nous estimons que les représentations livrées ne peuvent pas être dissociées de leurs conditions de production : l’œuvre de fiction ne peut pas être séparée de ses conditions de fabrication.

Cet espace de parole et de sécurité est confidentiel, et non mixte. C’est aussi un espace de réflexions interprofessionnelles. Nous travaillons avec d’autres professionnels du secteur : réalisateurs, directeurs de casting, scénaristes, etc. Nous sommes aussi en dialogue avec les institutions.

Cet espace a aussi une vocation de politisation et de professionnalisation, pour rappeler que nous exerçons un métier. Cette réalité est beaucoup trop souvent oubliée, y compris par nous-mêmes. Nous nous sommes donc syndiquées, car notre méconnaissance du droit du travail nous est extrêmement préjudiciable et nous rend très vulnérables. De manière générale, le droit du travail est facilement laissé de côté dans notre profession.

Mme Alice de Lencquesaing, membre du conseil d’administration de l’ADA. Je suppose que vous imaginez de quel ordre peuvent être les pseudo-mises en concurrence entre interprètes, tant masculins que féminins. Lorsque nous nous retrouvons ensemble, il apparaît de manière flagrante que ces mises en concurrence sont un mensonge.

Ce mensonge est alimenté par une forme de mystère qui prévaut dans notre industrie, et peut-être plus particulièrement dans le métier d’interprète. Nous ne sommes que très rarement informés de nos droits tels que prévus par le code du travail.

Les agences artistiques ont leur propre fonctionnement entrepreneurial : les agentes et agents artistiques ne sont payés ni par la production, ni par les interprètes qu’ils représentent. Ils ont un statut indépendant. Le métier d’agent artistique est très mystérieux, et il est difficile de savoir ce qu’ils font précisément.

Cette pseudo-concurrence est alimentée par une forme de mystère sur le métier d’actrice : nous ne devrions pas savoir qui sont les autres actrices passant le casting, ou pour quelles raisons nous ne sommes pas retenues. Ces raisons sont rarement liées aux capacités professionnelles, mais ont plus souvent trait à des aspects physiques.

Les réalisateurs et réalisatrices ne sont pas les seuls à détenir ce pouvoir de décision sur les personnes qu’ils choisissent d’embaucher pour incarner leurs rôles. Les producteurs, les distributeurs et les financeurs donnent aussi leur avis, sans parler des plateformes et des chaînes.

Je souhaiterais aussi préciser qu’à l’ADA, notre rôle consiste à participer aux discussions et réflexions sur les conditions de travail dans notre industrie. Nous organisons des réunions régulières sur ces thématiques. Il nous est apparu indispensable d’inclure nos collègues hommes dans ces travaux.

Il nous est arrivé de proposer des réunions mixtes, en vue d’échanger sur les discriminations raciales, homophobes, transphobes et autres. Mais rapidement, les questions ayant trait aux violences sexistes et sexuelles ont été au centre des réflexions. J’ai été surprise de constater cela, car j’inclinais plutôt à penser que ces questions étaient dépassées. Mais le fait est que la plupart des personnes qui participent à nos réunions ont moins de 35 ans, et toutes ont besoin de parler des violences sexistes et sexuelles subies quotidiennement, sur tous les projets pour lesquels elles sont employées, à toutes les étapes : casting, préparation, répétition ou tournage.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Vous avez déclaré que ces violences sont facilitées par une méconnaissance du droit du travail et des limites qui ne devraient pas être franchies.

Il est certain que les reconversions professionnelles vers les métiers du cinéma ou du spectacle vivant sont rares. Ces métiers sont souvent choisis sous l’effet d’une passion éprouvée depuis le plus jeune âge, avant d’avoir connu d’autres expériences professionnelles qui auraient permis d’acquérir des rudiments de droit du travail.

À plusieurs reprises, il nous a d’ailleurs été indiqué que les contrats sont souvent remis une fois le travail accompli, que les fiches de service ne sont pas exactes, et que les heures supplémentaires ne sont pas toujours rémunérées. Ces dérives peuvent aussi être considérées comme des violences, au sens large.

Pensez-vous qu’il faudrait demander aux écoles d’intégrer à leurs parcours une formation obligatoire sur le code du travail et les dispositions réglementaires relatives aux VHSS ?

Je voudrais aussi revenir sur la question des chiffres, que nous abordons à chaque réunion de cette commission. Il ne s’agit évidemment pas d’oublier les victimes en se concentrant sur des chiffres déshumanisants. En tant que membre de la délégation aux droits des enfants, il m’arrive fréquemment de mentionner les 160 000 enfants victimes de violences sexuelles chaque année. Ce chiffre permet de rendre compte de l’ampleur du phénomène, même si nous sommes pleinement conscients qu’une seule victime et une vie brisée sont de trop.

Mme Estelle Simon. L’opinion finit par s’habituer à n’importe quel chiffre, aussi élevé fût-il. Il ne faut donc pas oublier de parler de chaque histoire, qui est importante et qui est différente.

M. Elrik Lepercq. Pour ce qui est de la formation dans les écoles, il manque indéniablement un parcours d’insertion professionnelle dans toutes les écoles dramatiques. Ce parcours existe pourtant dans les écoles supérieures de tous les autres métiers. Il serait donc judicieux d’ouvrir le cursus de première année par une formation sur les VHSS, et de prévoir un rappel au début de chaque année suivante.

S’agissant de la méconnaissance du droit du travail, je dirais qu’elle est propre à notre milieu. Par contraste, les conditions de travail des musiciens classiques sont beaucoup plus encadrées. J’ajoute que la situation est aussi très différente d’un pays à l’autre. Il n’existe quasiment aucune formation au code du travail pour les acteurs. J’ignore ce qu’il en est dans les écoles de réalisation ou de production. Il serait effectivement opportun d’introduire une formation sur cette thématique.

D’ailleurs, les comédiens issus des écoles supérieures ne représentent qu’une fraction des professionnels actifs sur ce marché. Une grande partie des personnes exerçant ce métier ne viennent pas de l’une des treize écoles supérieures d’art dramatique. Elles viennent d’écoles publiques (conservatoires régionaux, départementaux ou municipaux) ou privées, et il faut aussi mener des actions en direction de ces établissements. De fait, les lieux de formation peuvent parfois être à l’origine de certains mécanismes de violence : on y forme des bourreaux, des victimes, mais aussi – et ce point est essentiel – des témoins passifs. C’est d’eux que dépend l’acceptabilité des violences dont il est question ici.

Ces violences sont multiples et diverses. Il peut s’agir d’agressions sexuelles ou d’incitations au viol, mais aussi de coups : certains considèrent qu’il est normal d’asséner des gifles à un acteur.

Nous exerçons un métier, qui suppose une vocation et un engagement, mais aussi des compétences techniques. Traiter ses partenaires avec respect et s’assurer que tous vont bien lors d’une représentation est indispensable. Ceux qui nous incitent à nous faire mal ou à faire mal à nos partenaires sont au mieux des incompétents, et au pire des pervers.

Mme Alice de Lencquesaing. S’il y a peu de reconversions professionnelles dans notre métier, c’est en grande partie à cause du tunnel de la femme de plus de cinquante ans ! Pour pouvoir exercer ce métier, il faut percer avant vingt-cinq ans, comme chez les sportifs de haut niveau.

Pour ce qui est de la diffusion de l’information sur le droit du travail, il me semble que la responsabilité incombe largement aux agences artistiques. Un grand nombre de jeunes actrices et acteurs entrent très tôt chez des agents, sans avoir connaissance de leurs droits et devoirs. À l’époque des imprésarios, des mandats étaient signés entre artistes et agents artistiques. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les contrats sont signés trop tard, sans aucun avenant. J’ignore si vous avez prévu d’auditionner des agences artistiques, mais il me paraît nécessaire d’entendre leur avis à ce propos car ces agences ne respectent pas toujours les dispositions légales. Il leur arrive même d’intimer le silence aux victimes. Ainsi, certaines victimes signalent à leur agent les agressions qu’elles ont subies, et ce dernier leur conseille de ne rien dire.

J’ajoute que notre métier s’exerce dans une temporalité très particulière, très courte et très intense. Pendant les tournages, nous nous retrouvons nombreux pour travailler sur un même projet, concentré sur un bref intervalle de temps et mobilisant des sommes considérables. Dans de telles conditions, il semble inconcevable de pouvoir traiter ce type de problèmes.

Mais une expérience professionnelle se construit sur le long terme. Nous pouvons être amenés à participer à plusieurs projets en l’espace d’une année, et il est donc habituel de revoir plusieurs fois les mêmes personnes au cours de sa carrière.

M. le président Erwan Balanant. Nous avons déjà auditionné les écoles, qui nous ont indiqué que des actions étaient engagées. Nous les avons interrogées sur la mise en place d’un tronc obligatoire concernant les droits et responsabilités des acteurs et des réalisateurs, mais aussi les VHSS.

Mme Lemarchand, j’ai été très sensible à vos propos sur l’omerta dominant le système en place. Vous avez déclaré que ce système était « bien rodé » et organisé pour perdurer ainsi. Pourriez-vous nous décrire le fonctionnement de ce système ? Comment expliquer que ces violences et ces abus puissent se perpétuer ?

Mme Marie Lemarchand. Il y a plusieurs éléments de réponse à votre question.

Vous avez rappelé que 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles chaque année. Parmi les témoignages que nous recevons, de nombreuses personnes ont été victimes de violences sexuelles dans l’enfance. Nous savons aujourd’hui que les violences subies en tant qu’enfant créent un terrain propice à d’autres violences, car les frontières ne sont pas en place. Il existe un continuum entre la « culture de l’inceste » et la « culture du viol ».

Le cinéma est souvent présenté comme une grande famille. Or, toute famille présente des cas d’omerta et de silence. Le système de l’inceste est régi par la loi du silence.

De ce fait, les victimes se retrouvent dans un environnement dont elles connaissent instinctivement les codes, et ne sont pas en mesure d’identifier les actions relevant de la séduction ou de la prédation. Elles peuvent aussi avoir besoin de se sentir spéciales, différentes et uniques.

Pour comprendre l’ampleur des violences sexuelles dans le milieu du cinéma, et dans la société de manière générale, il faut regarder en face la question de l’inceste, et la pédocriminalité au sens large. D’après moi, pour être en mesure de légiférer sur les violences sexuelles, il faudra commencer par examiner les violences sexuelles sur les enfants.

Quant au parcours des jeunes actrices, il est très souvent lié à une situation de précarité. Une jeune comédienne doit en effet se contenter de journées de tournage très ponctuelles, même s’il peut arriver qu’elle se voie confier des rôles plus importants. C’est pourquoi l’attribution d’un rôle autorise certains comportements de la part de l’agresseur.

M. le président Erwan Balanant. La plupart des agressions dénoncées à votre association ont-elles lieu en dehors du tournage, au moment où la comédienne ou le comédien cherchent un rôle ? La vulnérabilité est-elle plus importante à cet instant ? Ou bien les violences se déroulent-elles tout au long du processus de création du film, y compris pendant la phase de la promotion ?

Nous avons auditionné Noémie Kocher. Elle nous a expliqué que si elle avait eu la force de dénoncer les violences subies, c’est parce qu’elle avait obtenu le rôle souhaité.

Mme Alice de Lencquesaing. Les violences morales et les discriminations d’ordre physique surviennent à toutes les étapes, et plus particulièrement en casting ou en préparation. Il est coutumier de juger des aspects physiques de l’interprète pressentie, de lui demander de mincir ou de lui imposer d’autres exigences.

Les violences sexistes et sexuelles interviennent à toutes les étapes du travail. Noémie Kocher est une victorieuse, et il est précieux d’avoir pu entendre sa parole. Cependant, notre association reçoit aussi de nombreux témoignages d’actrices choisies pour un rôle principal, qui ont supporté des violences en serrant les dents, tout en pensant qu’elles trouveraient peut-être la force de réagir plus tard.

Si ce système est si bien rodé, c’est parce que les agresseurs peuvent continuer d’agir en toute impunité, même si leurs comportements sont connus de tous.

Mme Marie Lemarchand. Plusieurs mois ou années peuvent être nécessaires pour qu’une victime prenne conscience qu’elle a subi une agression sexuelle. Mais le système est aussi conçu de manière à « silencier » la parole de celles et ceux qui sont en capacité de parler. Les producteurs et les agents peuvent leur demander de se taire, pour les besoins du film. Ces comportements sont encore courants, et contribuent à maintenir l’impunité des agresseurs.

S’y ajoute aussi la peur de la précarité : certaines victimes n’osent pas parler par crainte de ne plus pouvoir travailler, et cette menace est tout à fait réelle.

M. le président Erwan Balanant. Comment le silence est-il imposé aux victimes : par des menaces sur la suite de leur carrière, ou d’autres actes plus graves ?

Mme Alice de Lencquesaing. Une réalisatrice ou un réalisateur jouissant d’une grande aura artistique peut être très convaincant, même sans être l’employeuse ou l’employeur. Cette hiérarchie double aggrave les difficultés propres à notre industrie. Aujourd’hui, peu de réalisateurs sont coproducteurs du projet. Ils n’ont donc pas de responsabilité légale envers les actrices ou acteurs, mais exercent pourtant une forte responsabilité morale. D’ailleurs, certains producteurs sont « à la botte » des cinéastes, dont ils excusent toutes les demandes, qu’elles soient légales ou non.

Mais le système est plus pernicieux, car il repose sur des mécanismes sociétaux : toute victime qui s’exprime est exposée à la mise en doute de sa parole, et de nombreux agresseurs restent impunis. Lorsqu’une victime a le courage de parler, ses propos sont souvent minimisés. Bien souvent, les agresseurs possèdent du pouvoir, et leur parole pèse plus que celle de la victime.

Mme Estelle Simon. Ces propos montrent combien il est important de créer un organe indépendant pour les victimes de VHSS. Il est très délicat d’aller trouver un producteur pour dénoncer des violences, surtout lorsqu’on tient un petit rôle. Cela reviendrait à être juge et partie.

M. le président Erwan Balanant. En réalité, le code du travail est clair, simple et précis sur ce point : l’article L. 4121-1 dispose que l’employeur est le garant de la sécurité et de la santé de l’employé. À ce titre, il porte une grande responsabilité. Or cette disposition est appliquée en dehors de votre secteur. Peut-être conviendrait-il de réfléchir à d’autres mesures, plus adaptées aux spécificités de votre métier : temporalité très resserrée, intimité, concentration d’hommes et de femmes dans le même lieu et le même espace ?

Mme Estelle Simon. Si le système actuel ne fonctionne pas, n’y a-t-il pas lieu de le modifier ?

M. Elrik Lepercq. Pouvez-vous nous confirmer que les inspecteurs du travail sont un organe indépendant en charge de la protection des personnes, et qu’ils peuvent intervenir dans ce cadre sur des violences sexuelles et sexistes ?

M. le président Erwan Balanant. Certainement. Les inspecteurs du travail ont le pouvoir d’effectuer des contrôles.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Au fil des auditions, nous constatons que les politiques publiques sont insuffisantes pour garantir la sécurité des actrices et des acteurs et leur permettre de dénoncer les violences subies. J’ai le sentiment que personne n’est prêt à dénoncer des faits à un référent harcèlement lors d’un tournage, car l’impartialité et la capacité d’action de ce référent sont mises en doute. Finalement, il semble plus efficace de se tourner vers des associations comme celles que vous représentez plutôt que d’utiliser des instruments jugés insuffisants ou d’alerter la médecine du travail ou l’inspection du travail.

Vous avez affirmé que bien souvent, les victimes ne sont pas crues lorsqu’elles ont le courage de dénoncer les violences subies. Comment faudrait-il procéder, d’après vous, pour inverser cette tendance ? D’ailleurs, les victimes qui prennent la parole s’exposent aussi au risque de perdre leur travail.

Quel est votre avis sur les politiques mises en œuvre jusqu’à présent ? Quelles seraient vos propositions pour remédier à la situation ? Enfin, d’un point de vue plus philosophique, comment pouvons-nous inverser la tendance ? Les écoles peuvent-elles servir de levier pour former de nouvelles générations d’actrices et d’acteurs prêts à secouer le système ?

Mme Marie Lemarchand. Comme vous l’avez rappelé, en tant que comédiennes et comédiens, nous ne sommes pas formés sur ces sujets psychologiques et juridiques. Nous avons dû nous informer seuls. Nous ne prétendons pas être spécialistes de ces questions.

En revanche, nous avons recueilli diverses informations, que nous partageons avec nos collègues. Je pense par exemple à l’existence de la cellule Audiens, au rôle de la CCHSCT, à la possibilité de faire appel aux organisations syndicales et de nous syndiquer, à la présence des référents harcèlement sur les plateaux et des délégués du personnel.

Cependant, étant tous bénévoles, nous ne sommes pas en capacité de prendre en charge l’ensemble de ces responsabilités, qui exigent un travail colossal.

Pour ce qui est des politiques publiques mises en place, elles sont défaillantes, comme dans le reste de la société. Le taux de dossiers classés sans suite s’élève à 86 % pour les violences sexuelles, ce qui est effarant, et atteint 94 % pour les viols. En outre, sur les 6 % de viols jugés, moins de 1 % sont condamnés.

Une proposition de loi intégrale a été formulée récemment. Nous y sommes tout à fait favorables, car nous estimons qu’une réforme de la justice est nécessaire pour une réelle prise en compte des violences sexistes et sexuelles.

J’ai récemment eu l’occasion d’échanger avec un réalisateur et producteur, qui a suivi la formation dispensée par le CNC, mise en place en 2021. Pour bénéficier des aides du CNC, les productrices et producteurs ont l’obligation de suivre une demi-journée de sensibilisation. Celle-ci consiste essentiellement en rappels à la loi sur les risques encourus suite aux violences commises sur les tournages. Ce réalisateur m’a confié qu’il était réticent à l’idée de participer à cette formation, mais qu’il y a appris beaucoup de choses.

Si les employeurs eux-mêmes ne connaissent pas leurs propres obligations, et les conséquences de certains agissements, il paraît difficile de pouvoir agir. C’est pourquoi ces sensibilisations sont très précieuses. À partir de juillet 2024, elles vont être étendues à l’ensemble des équipes de tournage. C’est une décision judicieuse, car tous les professionnels présents sur les plateaux doivent être sensibilisés sur les questions de violences sexistes et sexuelles, de harcèlement et de discrimination.

Au-delà de la prévention et de la sensibilisation, je constate que certains producteurs ne savent pas toujours comme réagir face à ce type d’agissements. Ils n’ont pas toujours défini de protocole. Récemment, une productrice me rapportait qu’une comédienne avait été agressée par un comédien, mais ne souhaitait pas que les faits soient révélés. Or, en tant qu’employeur, cette productrice était dans l’obligation d’agir. Il n’est pas acceptable que le traitement de ces situations soit laissé à l’appréciation de chaque société de production. La loi doit s’appliquer à toutes et tous.

Mais les sociétés de production ne sont pas vraiment des entreprises comme les autres. Les interlocuteurs à contacter en cas de problème sont mal identifiés. À mon sens, un travail doit être mené pour intégrer les spécificités des sociétés de production dans la législation et instaurer un protocole unique pour tous.

En outre, les producteurs ne doivent plus pouvoir s’abriter derrière les dispositions du code pénal, en invoquant la présomption d’innocence. Ce principe demeure évidemment applicable, mais il n’empêche pas les mesures disciplinaires ni les enquêtes internes. Renvoyer le sujet à la justice pénale, c’est faire porter aux victimes la charge de porter plainte, alors qu’il est très éprouvant et long de prendre la parole. Certaines personnes nous rapportent des faits survenus il y a trente ans, et d’autres en viennent à se demander s’il vaut la peine de dénoncer les violences subies. Or, il n’est pas nécessaire qu’une plainte soit déposée pour pouvoir diligenter une enquête interne.

Je constate également que la CCHSCT est très peu connue des comédiennes et comédiens. De mémoire, la victime peut signaler des faits à cette instance dans un délai d’un mois ou un mois et demi. C’est beaucoup trop court, puisqu’il faut parfois plusieurs années pour qu’une victime prenne conscience de la gravité de ce qu’elle a vécu. Il serait donc judicieux de prévoir une information sur l’existence et le rôle de ces structures, et sur la temporalité des procédures.

Mme Alice de Lencquesaing. Des armées conscientes et solides se constituent progressivement dans les écoles, et je m’en réjouis. Cependant, les responsabilités doivent être partagées.

De nombreux outils ont été créés ces dernières années, notamment avec l’aide du collectif 50/50, que vous avez déjà auditionné, mais je n’ai jamais vu le livret blanc ou le guide de prévention imprimé et mis à disposition des personnels sur un plateau de tournage ou dans un bureau de production. Il n’y a pas non plus d’affichage sur les interlocuteurs à contacter en cas de harcèlement ou de violences. Le nom du référent harcèlement est inscrit sur une feuille de service, sachant que ce dernier n’est pas toujours présent physiquement sur le plateau. D’ailleurs, je ne crois pas qu’il soit possible, pour toute personne travaillant sur un film, d’être en plus référent harcèlement.

Je ne suis pas opposée au fait que ce référent soit payé par la production, puisque ce système fonctionne dans les entreprises des autres secteurs. Mais il doit s’agir d’un poste dédié, et le référent doit avoir la possibilité de relayer l’information à un organe externe – la CCHSCT ou la cellule Audiens. De plus, il est essentiel que ce référent soit formé convenablement.

Mme Estelle Simon. Comment inverser la tendance ? C’est une vaste question. Nous sommes convaincus que notre code de conduite permettrait d’identifier les comportements inappropriés. Consacrer deux heures à la lecture de ce document, au début d’un tournage, contribuerait à faire changer les mentalités. Il existe certes des pervers, mais certaines personnes sont simplement maladroites, et il est plus facile d’agir sur ces attitudes. Il est primordial d’essayer d’ouvrir cette discussion et de faire évoluer les mentalités.

M. Elrik Lepercq. J’ajouterai que la formation dans les écoles doit être dispensée dès l’arrivée dans l’établissement, à la fois pour les élèves et pour les professeurs. Certains sont âgés, et n’ont pas toujours conscience que les violences qu’ils ont subies et qu’ils reproduisent ou tolèrent sont illégales.

Il faut aussi expliquer que toutes ces mesures ne visent pas à brider la création, mais à garantir la liberté et la sécurité de tous ceux qui participent à ce travail.

Par ailleurs, les résultats de sondages récents, chez les jeunes hommes en particulier, sont assez inquiétants quant à la conception de l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous devons nous attacher à leur montrer que ces mesures peuvent les aider et les protéger eux-mêmes de comportements violents. Car il existe aussi des victimes parmi les jeunes hommes dans les écoles.

S’agissant des effets destructeurs de ces violences sur la carrière des victimes, je me permettrai de rappeler une réalité comptable essentielle : le coût de l’enseignement supérieur en école dramatique est très élevé. Il semble donc inconcevable que la société finance un dispositif éducatif aussi coûteux en sachant que la carrière d’une partie des jeunes acteurs sera brisée par ces violences.

Mme Marie Lemarchand. Sur le plan sociologique, il est nécessaire d’engager une réflexion sur la « culture du viol » dans nos métiers, à savoir une valorisation érotique de la violence. Nous devons aussi combattre l’idée courante selon laquelle un acteur ou une actrice peut tout faire, sans limites. Dans cette « culture du viol », le consentement, mais aussi la sécurité physique et psychique des interprètes, n’ont pas leur place.

Un jeune étudiant arrivant dans une école ne connaît pas bien ses limites et peut tomber sous l’influence d’un enseignant ayant une forte aura, capable de le propulser dans le métier. Il est parfaitement normal de vouloir obtenir des rôles intéressants.

Cependant, il est indispensable d’avoir conscience des limites physiques ou psychiques à ne pas dépasser, à commencer par les actes violents sur soi-même ou sur ses partenaires. Représenter la violence n’implique pas de la subir ou de l’exercer sur d’autres. De même, le fait d’utiliser le vécu traumatique des interprètes pour nourrir leur jeu est une pratique très dangereuse. Cette pénétration de l’intimité psychique d’autres personnes est extrêmement pernicieuse, car elle donne à la victime le sentiment qu’elle a été comprise par un autre dans une zone de vulnérabilité. Ces pratiques, relativement répandues, créent des relations d’emprise et de domination, au point de subjuguer toutes les personnes présentes sur le plateau.

Le respect de l’intimité physique est bien entendu primordial, mais il faut aussi préserver l’intimité émotionnelle. L’une des membres de notre association insistait ainsi sur la différence entre l’intériorité et l’intimité.

M. Elrik Lepercq. À ce propos, une camarade m’a rapporté s’être présentée à une audition dans laquelle la metteuse en scène avait demandé aux jeunes comédiennes et comédiens d’improviser une scène tirée d’un traumatisme. Cette audition était pourtant subventionnée par un organisme public. À ma connaissance, ce type de situation est rare, mais existe.

Pour ce qui est de la coordination d’intimité, la meilleure métaphore serait celle d’une chorégraphie de combat dans laquelle les acteurs se battraient pour de vrai.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Merci beaucoup pour vos interventions, qui sont très précieuses pour notre commission d’enquête.

Vous avez pointé les défaillances de la justice. Je partage entièrement cette analyse.

En ce qui concerne les protocoles à mettre en œuvre, les cellules d’écoute et les formations sont en cours de déploiement. Mais le cadre de l’enquête disciplinaire appelle de nombreuses interrogations. Au fil de nos auditions, nous constatons que la désignation de la personne en charge de l’enquête est particulièrement floue. J’ai posé la question à Audiens. Estimez-vous que les enquêtes devraient être réalisées par des organismes extérieurs, ou que des intervenants soient formés pour prendre en charge cette démarche ?

Se pose également la question de la prise de décision : à qui appartient-elle ? Comme vous l’avez rappelé, l’employeur n’a pas besoin d’une décision de justice pour rendre une sanction disciplinaire ou mettre en œuvre des mesures de précaution. L’impunité des agresseurs repose en grande partie sur le fait que la victime ou les témoins ont tout à perdre en dénonçant les violences. Il faut donc que la peur change de camp. Quelles dispositions faut-il prendre pour briser l’impunité et faciliter la dénonciation des violences ?

Vous avez soulevé une autre problématique importante, à savoir la temporalité de l’alerte. Je sais que certains tournages ont mis en place des protocoles de confinement. Est-il envisageable de suspendre le tournage sans causer de préjudice à l’ensemble de l’équipe ? L’objectif serait d’inverser la charge financière de la situation.

Mme Alice de Lencquesaing. Vous avez fait état de protocoles de confinement déployés suite à des enquêtes. À ma connaissance, il n’y a eu qu’une seule mesure de ce type. En l’occurrence, la société de production a agi comme elle a cru bon de le faire, mais s’est retrouvée très démunie. Son témoignage est passionnant à entendre.

Je n’ai jamais eu connaissance des résultats d’une enquête, ni même du lancement d’une enquête.

Il faudrait échanger avec les syndicats de producteurs, qui s’efforcent d’obtenir des compagnies d’assurances une prise en charge des coûts de l’arrêt des tournages en cas d’enquête. Le fait est qu’une journée de tournage est extrêmement coûteuse.

Il faut aussi savoir si l’enquête est demandée directement par l’employeur, ou si les faits ont été relatés à une instance supérieure.

Quant aux actions à mettre en œuvre pour que la peur change de camp et que la dénonciation des faits ne soit plus coûteuse pour la victime, mais pour l’agresseur, il s’agit avant tout de lever l’impunité. J’ai commencé à tourner dans des films mineurs, et je n’ai pas été éduquée à l’écoute ou la circulation de la parole. Aucun agent ne m’a jamais informée de l’existence du code de conduite rédigé par l’AAFA ou du kit de prévention du collectif 50/50. Tout est très nébuleux.

Je note aussi qu’il n’est jamais question d’équipe d’interprètes, alors qu’on parle d’équipe image, d’équipe régie, d’équipe son ou d’équipe mise en scène. Le metteur en scène n’est pas seul : il travaille avec des assistants, un script, qui font partie de son département. À l’inverse, les interprètes ne forment pas une équipe. D’ailleurs, ils sont très peu syndiqués, contrairement aux techniciens.

Autant certains sujets tels que les salaires, les normes de sécurité ou les conditions de travail génèrent des différends entre organisations patronales et représentants des salariés, autant les questions des discriminations et violences sexistes et sexuelles demeurent taboues et vouées au silence. Mais à force, ce silence pèse et les victimes parlent.

Mme Estelle Simon. Il me semble que si un tournage devait être arrêté en raison de violences, cette situation aurait un effet radical : les producteurs et réalisateurs feraient tout pour éviter un tel scénario. Comme vous le disiez, il faut que la peur change de camp.

À l’occasion d’une table ronde que nous avons organisée, des agents nous ont expliqué que les actrices devaient rester un fantasme dans l’inconscient collectif, un objet séduisant. Il faut savoir qu’un agent protège surtout les comédiens qui lui rapportent le plus d’argent.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Vous avez cité le cas d’une metteuse en scène ayant demandé aux candidates et candidats, lors d’une audition, de rejouer un traumatisme. Je présume qu’une directrice ou un directeur de casting était également présent. Votre camarade a fait le choix de partir, mais les faits ont-ils été signalés ?

Dans une audition précédente, Noémie Kocher nous a fait part de son expérience. Elle nous a indiqué avoir rédigé un courrier au CNC et un autre au ministère de la culture, pour dénoncer les violences qu’elle avait subies. Or ces courriers sont restés sans réponse. D’autre part, Jean-Claude Brisseau a été condamné, mais cela ne l’a pas empêché de continuer à réaliser des films. Avez-vous connaissance d’autres cas d’acteurs ou de techniciens qui ont dénoncé les agissements de réalisateurs au CNC sans être écoutés ? Faut-il comprendre que les financements publics continuent de profiter à des réalisateurs ou réalisatrices dont les pratiques sont inacceptables ?

M. Elrik Lepercq. Dans les auditions de théâtre, la présence d’un directeur de casting est extrêmement rare. En l’occurrence, ma camarade a réagi en racontant l’incident à un ami sur le ton de la plaisanterie, car ces pratiques ne sont pas surprenantes. Il est certain que de nombreux comportements inappropriés ne sont pas rapportés lorsqu’ils sont le fait d’hommes puissants, et les comédiens se passent le mot.

Mme Marie Lemarchand. L’impunité pénale se double d’une impunité sociale. En règle générale, une personne mise en cause, voire condamnée, continue à travailler. Cette impunité sociale est dramatique, car elle montre qu’il est inutile de parler.

Par ailleurs, j’observe qu’il règne une grande confusion entre l’exemplarité et l’impunité. Rien n’empêche de ne pas valoriser des personnes mises en cause, quand bien même les dossiers sont classés sans suite ou se concluent par des non-lieux. Ce ne sont pas des preuves d’innocence, et il vaut la peine de le souligner.

Je confirme que nous devons « nous passer le mot », c’est-à-dire assurer nous-mêmes notre protection, et cette charge est très lourde à porter. En tant qu’association, nous ne savons pas comment agir. Nous accueillons des personnes victimes de violences, parfois très dures. Nous organisons une réunion chaque mois, et nous recevons en moyenne dix témoignages par séance, sans compter ceux qui nous sont rapportés indirectement ou par Instagram.

J’ajoute que dans la plupart des cas, un agresseur s’en prend à plusieurs victimes. Face à ces situations, nous ignorons comment agir. Il faudrait donc envisager de conférer aux associations un statut particulier de lanceur d’alerte. L’absence d’un cadre met en danger physique et psychique les vies d’un nombre considérable de personnes. La proposition de loi intégrale préconise d’ailleurs de prendre en compte la sérialité des violences car les cas isolés sont très rares.

Concernant la protection des interprètes, la coordination d’intimité est une exigence de santé publique, nécessaire pour assurer la protection physique des interprètes mais aussi des équipes techniques. Le rôle de la coordination d’intimité consiste à garantir le consentement de toutes les personnes impliquées dans la fabrication des images. Sans elle, les interprètes peuvent être mis en danger : ils se trouvent livrés à eux-mêmes ou au bon vouloir de la personne dirigeant la scène. En réalité, ces violences sont souvent des violences sexuelles ou des agressions.

Un certain nombre d’actrices nous ont rapporté qu’il était arrivé à plusieurs reprises que leurs parties intimes soient en contact avec celles de leurs partenaires, sans aucune protection.

La coordinatrice d’intimité s’assure du consentement de chacun, examine le scénario pour identifier les scènes nécessitant son intervention et régule les rapports de pouvoir (notamment entre une jeune interprète et un partenaire beaucoup plus âgé). Un beau rôle, la présence de l’équipe de tournage et l’envie de faire plaisir au réalisateur sont autant d’éléments susceptibles d’entraîner une situation traumatisante.

M. le président Erwan Balanant. Nous avons auditionné les coordinatrices d’intimité. De notre point de vue, il serait souhaitable de rendre leur présence obligatoire à chaque scène de nudité. Seriez-vous favorables à cette proposition ?

Mme Alice de Lencquesaing. Je voudrais préciser que nous ne sommes pas toutes et tous d’accord sur le fait de rendre cette disposition obligatoire. En outre, certaines scènes ne sont pas écrites ni pensées comme des scènes d’intimité. C’est pourquoi la coordination d’intimité doit intervenir bien en amont de la préparation du tournage, sur le modèle des dépouillements pour la décoration ou la figuration.

Nous considérons que la coordination d’intimité a une réelle valeur ajoutée sur le plan artistique : elle valorise la réflexion et le travail artistique de la fabrication d’un objet.

D’après moi, la coordination d’intimité ne doit pas être rendue obligatoire, mais doit être obligatoirement proposée. Libre aux équipes d’estimer si elle est nécessaire ou pas. Le simple fait de savoir qu’une coordinatrice d’intimité est présente sur un tournage donne à chacun le sentiment que sa parole sera mieux prise en compte, si le besoin se présente.

M. le président Erwan Balanant. Nous avons bien compris le cercle vicieux qui est en place : en tant que victime, vous préférez ne pas dénoncer les violences subies, car vous devez continuer à travailler.

Dans la fonction publique, l’article 40 du code de procédure pénale oblige une autorité constituée à signaler au procureur de la République des faits inappropriés qui lui ont été rapportés. Quelles mesures pouvons-nous envisager pour protéger les victimes, qui prennent des risques en dénonçant leur agresseur ?

Vous avez proposé de conférer un statut particulier aux associations, pour leur permettre de dénoncer ces agissements. Qu’en pensez-vous ?

Mme Alice de Lencquesaing. Les victimes ont besoin de pouvoir s’adresser à des alliés, qui soient des personnalités humaines.

Mme Estelle Simon. Sur ce point, je pense qu’il faudrait aussi que nous puissions bénéficier de formations. Recueillir la parole s’apprend, mais c’est aussi très lourd sur le plan psychologique. D’ailleurs, les deux premiers coréférents qui ont créé la commission AAFA Soutien ont éprouvé le besoin d’une pause, tant leur charge était lourde à porter.

Il est certain que les comédiennes sont plus enclines à s’exprimer auprès de collègues exerçant le même métier.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Vous avez parlé de formation à l’écoute. Je mentionnerai aussi l’importance de la supervision : les écoutantes doivent disposer d’un lieu pour faire un point sur leur propre situation avant de se trouver en difficulté.

S’il est précieux de recueillir la parole des victimes, il faut aussi pouvoir engager des actions concrètes. Bien souvent, les victimes sont réticentes à l’idée de saisir la justice. Dans ces conditions, il paraît difficile de prendre la responsabilité de déclencher l’article 40 du code de procédure pénale. Ce sujet est d’autant plus délicat que ces personnes ont déjà vu leur consentement bafoué.

Pour contourner cet obstacle, certains proposent d’instaurer des procédures internes permettant de signaler des faits et de prendre des mesures de précaution sans forcément engager d’action en justice. Ainsi, une enquête interne peut être lancée, de manière à recueillir des témoignages et à lancer des actions. À mon sens, il appartient au CNC de se doter de dispositifs de ce type.

M. Elrik Lepercq. Jusqu’à présent, nous n’avons pas encore étudié la question du financement de la supervision, mais nous commençons à y réfléchir. Nous construisons des partenariats et nous efforçons de répartir le travail d’écoute, mais il est évident que les personnes écoutant une victime qui prend la parole pour la première fois ne peuvent pas renvoyer celle-ci à un autre écoutant.

Les dispositifs légaux et associatifs sont complémentaires. Certaines personnes préfèrent s’adresser à une autorité officielle reconnue, tandis que d’autres font plus facilement confiance à une association de la société civile.

Pour ce qui est du coût, il me semble judicieux de recruter des personnes parmi les associations qui ont déjà formé des intervenants et développé une expertise sur ces actions. C’est une bonne solution pour limiter les coûts de formation. Les coûts de recueil des témoignages sont certes élevés, mais ils restent inférieurs à ceux qu’il faudrait supporter si rien n’était fait. J’en suis convaincu.

Mme Alice de Lencquesaing. Si la parole circule beaucoup, elle se heurte à des obstacles administratifs, de sorte que fréquemment, les signalements effectués ne font l’objet d’aucun retour.

Mme Marie Lemarchand. J’aurais du mal à répondre à votre question sur le statut, car je n’en maîtrise pas tous les tenants et aboutissants. J’ignore si le statut d’autorité constituée est envisageable. Se pose aussi, comme vous l’expliquiez, la difficulté du consentement des personnes concernées. Mais pouvons-nous accepter de prendre le risque que d’autres vies soient mises en danger ?

Nous ne sommes pas des professionnelles du recueil de la parole, et je ne crois pas que nous ayons vocation à l’être. Nous nous attachons donc à rediriger au mieux les personnes écoutées vers des structures spécialisées, vers des associations telles que le Collectif féministe contre le viol (CFCV) ou vers Audiens.

Le coût de la prise en charge est extrêmement élevé pour les victimes : quand bien même celles-ci ne seraient pas blacklistées, elles ne sont pas toujours en mesure d’aller travailler. La procédure pénale est aussi coûteuse, exige beaucoup de temps et peut durer plusieurs années. Sur le plan psychologique, elle est très éprouvante.

Le fait de rencontrer d’autres victimes du même agresseur donne beaucoup de force et permet de se constituer partie civile contre le même individu. Mais ces solutions restent à la charge des victimes.

Il est urgent de légiférer sur ces questions.

M. Elrik Lepercq. Nous n’avons pas encore abordé les discriminations liées à l’isolement géographique. Je pense ici davantage au milieu du théâtre qu’au cinéma.

Les scènes de théâtre conventionnées et les scènes nationales sont parfois situées dans des lieux isolés, où le fait de prendre la parole conduit à se priver de son unique employeur potentiel sur le territoire concerné. Dans ces lieux isolés, il peut être nécessaire d’effectuer un long trajet à ses propres frais pour pouvoir témoigner en direct. Cette problématique m’a été relatée par une écoutante. La situation reste donc plus facile dans les grandes agglomérations. Je tenais à mettre en avant cette difficulté supplémentaire, à la demande de cette personne.

Mme Alice de Lencquesaing. En tant qu’interprètes, nous rencontrons régulièrement la médecine du travail. Nous pensons qu’il faudrait prévoir, lors de ces entretiens médicaux, des questions plus précises et systématiques sur les violences physiques et psychologiques et les discriminations.

Il faut savoir que les interprètes dans le cinéma et l’audiovisuel, au-delà de trois jours de travail consécutifs, sont reçus par un médecin des assurances, qui est presque toujours la même personne. Ces consultations sont très rapides, et se limitent à valider les aptitudes physiques et psychiques de l’interprète, afin qu’il soit couvert en cas d’accident. De notre point de vue, les médecins des assurances devraient être associés aux mesures de libération de la parole.

Par ailleurs, je voudrais appeler votre attention sur les violences auxquelles sont exposées les personnes de l’habillage, du maquillage et de la coiffure. Elles commencent leur travail très tôt, parfois avant l’arrivée des équipes, dans des lieux clos. Elles sont souvent en face-à-face avec des interprètes, et se trouvent très exposées aux violences.

M. Elrik Lepercq. Il serait aussi judicieux d’entendre les syndicats des cascadeurs et cascadeuses.

Mme Marie Lemarchand. Il existe une pratique consistant à extraire des images d’actrices nues dans les films et à les mettre en ligne sur les sites internet. Nous avons très peu de moyens d’action pour mettre fin à ces agissements.

M. le président Erwan Balanant. Il existe des dispositions réglementaires sur l’extorsion et l’utilisation des nus, et elles ont d’ailleurs évolué récemment.

En conclusion, je vous remercie pour vos témoignages. Merci également pour votre implication et votre énergie dans ce travail associatif. Merci pour toutes les victimes et pour tous les autres. Votre travail est très précieux.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je voudrais vous remercier à mon tour. Votre vision est importante, de même que vos témoignages sur l’expérience des actrices et des artistes. Nous entendons aussi que d’autres métiers sont très exposés, du fait de l’amplitude horaire ou de la coactivité dans des lieux clos. Nous avons aussi été alertés sur le déroulement des repas.

*

*     *

 

14.   Audition, ouverte à la presse, de M. Gaëtan Rudant, directeur régional et interdépartemental à la direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d’Île-de- France, M. Jean-François Dalvai, directeur de l’unité départementale de Paris, Mme Sophie Bidon, responsable de la commission régionale des enfants du spectacle et agences de mannequins ; M. Jérôme Corniquet, directeur adjoint en charge du pôle travail à la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités des Bouches-du-Rhône ; M. Olivier Bavière, directeur départemental adjoint chargé du pôle travail à la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités du Nord.

M. le président Erwan Balanant. Notre commission d’enquête vise à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l’audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons à identifier les responsabilités de chacun et à proposer des solutions pour que tous puissent évoluer dans ces secteurs sans crainte pour leur intégrité physique et mentale.

La commission des enfants du spectacle joue un rôle central dans la protection des mineurs, leur encadrement et leur accompagnement dans leur travail, bien qu’il ne s’agisse pas d’un travail au sens strict, car il constitue une dérogation au code du travail. Nous souhaiterions que vous nous présentiez les missions exactes de cette commission, l’étendue de ses pouvoirs ainsi que des chiffres concernant cette activité, tels que le nombre de dossiers reçus, de demandes acceptées ou refusées, ainsi que l’âge des personnes concernées.

Ensuite, Mme la rapporteure, et éventuellement d’autres collègues qui nous rejoindront, auront des questions plus précises à vous poser.

Je rappelle également que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Olivier Barrière, Jean-François Dalvai, Jérôme Corniquet, Gaëtan Rudant et Mme Sophie Bidon prêtent successivement serment.)

M. Gaëtan Rudant, directeur régional et interdépartemental à la direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités d’Île-de-France. Je vous remercie de l’intérêt que vous portez à l’exercice de ces missions au sein des services déconcentrés de l’État. Vous avez entendu la semaine dernière la directrice adjointe de la direction générale du travail, qui vous a exposé un certain nombre d’éléments que nous éviterons de répéter aujourd’hui.

Pour commencer, je vais présenter les services déconcentrés et l’étendue de leurs responsabilités. Les services déconcentrés des ministères sociaux et des ministères économiques et financiers sont organisés à deux niveaux : au niveau régional, ils sont représentés par les directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets ou DRIEETS en Île-de-France) et au niveau départemental par les directions départementales de l’emploi, du travail et des solidarités (DEETS). Mes deux collègues du Nord et des Bouches-du-Rhône pourront illustrer des réalités très différentes en fonction de l’importance du monde du spectacle et des demandes que nous devons analyser.

Les Dreets et les DEETS portent une série de politiques publiques, globalement réparties en trois catégories. La première concerne les enjeux de consommation, de concurrence et de répression des fraudes, assez éloignés des préoccupations qui nous rassemblent aujourd’hui. La deuxième est centrée sur la protection des personnes les plus vulnérables, notamment leur insertion professionnelle, et sur le développement des activités économiques. Enfin, la troisième est relative au travail et comprend la promotion du dialogue social, le renseignement en matière de droit du travail et le contrôle des politiques de travail.

Selon les organisations, la commission des enfants du spectacle intervient dans le champ du travail, en tant qu’application du code du travail, ou dans le champ de la protection des publics vulnérables, selon l’angle sous lequel le sujet est abordé. En réalité, les missions sont exercées avec les mêmes prérogatives et dans les mêmes conditions. La commission des enfants du spectacle est une commission départementale présidée par un juge des enfants. Nos services y représentent notamment le préfet, aux côtés du directeur académique des services de l’éducation nationale, d’un représentant du ministère de la culture et d’un médecin.

Il est important, à ce stade, de fournir des points de comparaison. En Île-de-France, nous avons choisi de regrouper l’ensemble des équipes qui instruisent ces dossiers au sein d’un même service. Cette décision résulte du constat que la majorité des dossiers concerne Paris, les Hauts-de-Seine et, plus marginalement, la Seine-Saint-Denis, tandis qu’une part infime provient des autres départements. Ce service, dirigé par Mme Bidon, qui m’accompagne aujourd’hui, instruit environ 1 000 dossiers par an, soit environ 10 000 autorisations individuelles pour des jeunes de moins de 16 ans, amenés à travailler de manière dérogatoire au code du travail. Les réalités dont peuvent témoigner mes collègues sont probablement quelque peu différentes.

M. le président Erwan Balanant. Lorsque vous parlez de regroupement, faites-vous référence à Paris et à l’Île-de-France ?

M. Gaëtan Rudant. Nous avons regroupé l’ensemble des services d’Île-de-France, non pas les commissions qui, conformément au code du travail, demeurent des commissions départementales présidées par un magistrat. En revanche, les forces d’instruction, c’est-à-dire les personnes dont nous avons souhaité qu’elles développent le meilleur professionnalisme, sont désormais réunies au sein d’une même équipe.

M. le président Erwan Balanant. Les tournages sont souvent d’origine parisienne, mais ils sont délocalisés. Quel est le fonctionnement dans les autres régions ?

M. Jérôme Corniquet, directeur adjoint en charge du pôle travail à la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités des Bouches-du-Rhône. Pour la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), nous avons un fonctionnement strictement départemental. Chaque département possède sa propre commission. Nos dossiers sont très différents, en nature et en volume, de ceux de l’Île-de-France. Dans les Bouches-du-Rhône, par exemple, nous traitons environ trente à quarante dossiers par an, selon les années, ce qui concerne environ 200 à 250 enfants par an.

M. le président Erwan Balanant. Serait-il possible de nous transmettre des chiffres nationaux ?

M. Gaëtan Rudant. Cela devrait être possible, sous l’autorité de la direction générale du travail, car je n’ai pas de légitimité à représenter l’ensemble des directions régionales.

M. Olivier Bavière, directeur départemental adjoint chargé du pôle travail à la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités du Nord. Nous fonctionnons selon un modèle départementalisé. Chaque département traite exclusivement ses propres demandes. En termes de volume, nos chiffres sont sans commune mesure avec ceux de l’Île-de-France. Pour le département du Nord, sur les trois dernières années, de 2021 à 2023, la moyenne des demandes d’autorisation s’élève à soixante-dix par an, pour environ une cinquantaine de dossiers traités annuellement. Le taux de refus est extrêmement faible. En effet, seulement deux dossiers par an, en moyenne, font l’objet d’un refus, de manière explicite ou implicite.

Mme Francesca Pasquini. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de type de dossiers refusés ?

M. Olivier Bavière. Oui, de façon exhaustive au vu des volumes. En 2023, nous avons prononcé deux refus explicites et deux rejets implicites. Deux dossiers, pour lesquels des compléments avaient été demandés, ont été rejetés du fait de l’absence de suivi de la part des demandeurs. Nous notifions tout de même ces rejets pour éviter tout malentendu juridique et empêcher la mise en œuvre des projets. Les deux refus explicites portaient sur un spectacle d’acrobatie dans lequel les conditions de sécurité pour les enfants ne semblaient pas satisfaisantes. Le producteur du spectacle n’a pas souhaité apporter les modifications demandées. Par conséquent, le spectacle n’a pas été autorisé.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Cela s’est-il produit au moment de l’instruction ou lorsque la commission s’est réunie ?

M. Olivier Bavière. Au moment de l’instruction, néanmoins nous avons saisi la commission sur ce motif et celle-ci a rendu un avis défavorable.

M. Gaëtan Rudant. Ce que vient d’indiquer mon collègue est vraiment important. La pratique des services vise avant tout à garantir la meilleure sécurité possible. Nous nous efforçons de faire en sorte que les scénarios, les scripts, les scènes et les conditions de travail soient modifiés et intégrés comme tels, par les différentes parties, et particulièrement par les producteurs.

En Île-de-France, nous ne constatons pas de rejet, car l’autorité de la commission est peu contestée et les demandes de modification sont donc prises en compte en amont. Toutefois, les adaptations souhaitées nécessitent parfois le report du début des tournages. Ces ajustements concernent notamment les conditions d’exposition à des facteurs de risque pour les jeunes et les enfants amenés à travailler, ainsi que l’intensité du travail attendue de leur part dans le déroulement des tournages.

M. le président Erwan Balanant. Mme Bidon, vous traitez environ 1 000 dossiers par an, ce qui représente la majorité des dossiers en France. Pouvez-vous nous rappeler la composition d’une commission, la fréquence de ses réunions, et le déroulement de ses travaux ?

Pouvez-vous également nous indiquer la manière dont les dossiers vous parviennent et comment ils sont traités, étape par étape, les moyens humains dont vous disposez et s’il existe une procédure de suivi une fois les autorisations accordées ?

Mme Sophie Bidon, responsable du service des enfants du spectacle de la DRIEETS d’Île-de-France. Le service des enfants du spectacle se compose de huit agents, moi y compris. Nous travaillons tous sur la même plateforme, qui est également utilisée par la médecine du travail pour organiser les rendez-vous avec les enfants. Les productions y déposent également leurs dossiers.

M. le président Erwan Balanant. Est-ce une plateforme dématérialisée ?

Mme Sophie Bidon. Tout à fait. La commission est présidée par un juge pour enfants et elle est en outre composée d’un médecin, d’un représentant du rectorat et d’un représentant du ministère de la culture.

M. le président Erwan Balanant. S’agit-il toujours des mêmes personnes ?

Mme Sophie Bidon. Oui.

M. le président Erwan Balanant. Ils acquièrent donc une certaine expérience sur le sujet.

Mme Sophie Bidon. Exactement, sauf les médecins qui se relaient. Les commissions se réunissent tous les mois à l’exception du mois d’août.

M. le président Erwan Balanant. Un producteur qui a un projet le dépose sur la plateforme. Quels sont les éléments demandés ?

Mme Sophie Bidon. Tout d’abord, nous constituons le dossier administratif et demandons le livret de famille, l’autorisation des représentants légaux, le contrat de travail et le certificat de scolarité. Si le tournage dépasse quatre jours, il est nécessaire de fournir l’autorisation du chef d’établissement de l’enfant. Une section est également disponible pour les situations particulières, notamment pour les enfants sans autorisation parentale d’un ou des deux parents, ou ceux ne résidant pas au domicile parental. Les conditions d’emploi de l’enfant sont également requises : le lieu de tournage, les horaires, l’accompagnement et la rémunération.

Mes agents lisent les scénarios et les scripts intégralement. Une note de sécurité est rédigée lors du dépôt. Toutefois, si l’instructeur estime qu’il existe un danger pour l’intégrité physique ou psychologique de l’enfant, il peut demander une deuxième note de sécurité plus détaillée. Celle-ci peut inclure des précisions sur le tournage de la scène ou même exiger une modification du texte.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Avez-vous parfois des échanges à l’oral ou les échanges se déroulent-ils au moment de la transmission du dossier ?

Mme Sophie Bidon. De nombreux échanges s’effectuent oralement, puisque mes agents accompagnent les productions pour leurs dossiers.

M. le président Erwan Balanant. Quelle est la formation de vos agents ? Sont-ils issus du milieu cinématographique ou ont-ils acquis leur expérience en lisant des scénarios ? Lorsqu’on connaît les scénarios, on peut imaginer le nombre de jours nécessaires, les moyens alloués au film. On peut juger que le projet n’est pas tenable ou irréalisable. Disposez-vous des moyens pour prévoir ces éléments, voire les expertiser ?

Mme Sophie Bidon. Mes agents possèdent une solide expérience. Nous collaborons avec des contrôleurs du travail, qui maîtrisent parfaitement le droit, et également avec le rectorat et la médecine du travail. Nos échanges portent notamment sur la scolarité, les conditions de tournage et les voyages, car certains enfants doivent se rendre à l’étranger pour tourner.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. La seule personne qui voit l’enfant est le médecin, n’est-ce pas ? L’enfant ne se présente jamais devant la commission, ce qui signifie que seul le médecin peut lui demander son avis sur le tournage. Or vous avez mentionné que les médecins changent en permanence.

M. Gaëtan Rudant. Il convient de distinguer deux types de médecins : le médecin membre de la commission qui examine le dossier et l’instruction réalisée par les équipes du service des enfants du spectacle, et les médecins du service de médecine du travail de Thalie Santé, spécialisé dans l’univers du spectacle en Île-de-France, qui rencontrent effectivement les enfants. Ce sont ces médecins qui émettent l’avis médical qui permet à la commission de statuer.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Quelles questions sont posées à l’enfant lors de cette visite médicale ? Existe-t-il une charte préétablie reprenant toujours les mêmes questions, notamment concernant son consentement ?

Mme Sophie Bidon. Le service de santé au travail, Thalie Santé, examine tous les scénarios, tout comme notre service et le rectorat. Les scénarios sont ainsi lus au moins deux fois et également par le rectorat. Le contenu de ces entretiens reste confidentiel, mais le médecin interroge généralement l’enfant sur ses motivations et s’assure qu’il a bien compris le scénario. Pendant cette procédure, l’enfant est accompagné de ses parents.

M. le président Erwan Balanant. Combien de temps la visite du médecin dure-t-elle, approximativement ? S’agit-il d’une visite rapide ou approfondie ?

Mme Sophie Bidon. Non, les questions sont approfondies. Nous cherchons à savoir si l’enfant est motivé, s’il a bien compris le scénario et les enjeux. Certaines questions peuvent également être posées par rapport à la scolarité.

M. le président Erwan Balanant. Dans un cas où un scénario difficile vous est présenté, dans lequel le personnage joué par l’enfant est amené à souffrir, faites-vous appel à un psychologue pour évaluer la capacité du mineur à supporter le rôle ? Autrement dit, certains dossiers exigent-ils un travail beaucoup plus approfondi que d’autres ? Si oui, sur quels critères objectifs vous basez-vous pour prendre la décision de mener une étude plus poussée ?

Mme Sophie Bidon. Oui, lorsque le médecin décèle des risques psychologiques, il fait appel à un psychologue qui est spécialisé dans les activités artistiques.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je reviens sur le fait qu’il y ait deux médecins dans le processus, un présent au sein de la commission qui ne voit pas l’enfant et l’autre médecin qui le rencontre en personne et peut lui poser des questions. Je souhaiterais savoir si tous les éléments du dossier sont transmis d’un médecin à l’autre. Par exemple, le médecin qui interroge l’enfant connaît-il le scénario ou obtient-il ces informations uniquement de la part de l’enfant ?

Mme Sophie Bidon. Pour toute l’Île-de-France, seuls quatre médecins reçoivent les enfants.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Les enfants ne sont pas vus quatre fois, mais une seule fois.

Mme Sophie Bidon. Oui, mais comme les enfants concernés sont nombreux, ils sont répartis entre quatre médecins au total. Ils n’ont pas quatre rendez-vous médicaux, mais quatre médecins travaillent pour la commission.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Ma question ne portait pas sur le nombre de médecins, mais sur la disponibilité des informations concernant le scénario pour le médecin qui examine l’enfant. Le médecin chargé de déterminer si l’enfant comprend bien tous les enjeux de l’histoire qu’il doit raconter connaît-il le scénario afin de poser des questions pertinentes à l’enfant ?

M. Gaëtan Rudant. Il y a bien une transmission d’informations à ces deux niveaux. Tout d’abord, le médecin du service de santé au travail, qui reçoit l’enfant, a une connaissance précise du scénario. Ensuite, celui qui est en commission dispose d’un accès complet au dossier médical de l’enfant, y compris l’avis ou les préconisations formulées par le médecin initial.

M. Olivier Bavière. Il arrive parfois que le médecin chargé d’évaluer l’aptitude et la capacité de l’enfant à occuper un emploi se prononce de manière générale, sans prendre en compte les spécificités de l’emploi en question et du rôle demandé. Ainsi, dans le département du Nord, lorsque la commission départementale reçoit cet avis général, elle le renvoie systématiquement. Elle considère que l’avis fourni n’est pas conforme à la réglementation en vigueur. Par conséquent, elle revient vers le médecin pour lui demander de se prononcer par rapport au cas d’espèce spécifique.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Fonctionnez-vous tous de la même manière ? Procédez-vous, tout comme dans le Nord, au renvoi du dossier si le médecin qui a examiné l’enfant ne dispose pas d’informations spécifiques à la situation ou bien s’agit-il d’un fonctionnement local ?

M. Jérôme Corniquet. Dans les Bouches-du-Rhône, nous avons un fonctionnement similaire.

M. le président Erwan Balanant. Je comprends qu’en Île-de-France, l’avis du médecin est toujours circonstancié en fonction du scénario.

À présent, je souhaiterais savoir si vous refusez fréquemment des dossiers. Avez-vous des exemples de cas de fraude dans lesquels le tournage du film a eu lieu malgré le refus ? Ensuite, nous aborderons les dossiers retravaillés à la suite de votre refus.

M. Gaëtan Rudant. Je prolonge la réponse de mon collègue. La pratique des services consiste à assurer la meilleure sécurisation en veillant à ce que les scénarios, les conditions de tournage et le recours éventuel à des alternatives n’impliquant pas le fait de filmer des enfants soient explorés en amont. De ce fait, en Île-de-France, la commission ne prononce jamais de refus, car les producteurs procèdent aux adaptations nécessaires.

Dans de rares cas, nous constatons a posteriori que les adaptations ou les propositions d’origine n’ont pas été respectées, sous réserve que nous ayons reçu un signalement à ce sujet. Nous avons à l’esprit deux exemples dans lesquels nous avons été informés de pratiques ne correspondant pas aux éléments du dossier qui ont permis à la commission de se prononcer. Dans ces deux situations, nous avons évidemment signalé les faits au parquet compétent.

M. le président Erwan Balanant. Que s’est-il passé concrètement ? Cela me semble assez grave.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Dans ces deux cas, qui vous a informés de ces dysfonctionnements ?

M. Gaëtan Rudant. Dans les deux cas, il semblerait que les faits aient été dénoncés par des directeurs de casting. Dans le premier, une mineure a été exposée, contre son consentement, à un tournage de scènes à caractère sexuel non prévues dans les fiches de script. Dans le deuxième, il s’agit d’une suspicion de harcèlement sexuel sur mineur. Le jugement n’a pas encore été rendu.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Dans de telles situations, que faites-vous si le même réalisateur ou la même société vous sollicite à nouveau pour une autorisation, tant que le jugement n’est pas prononcé ?

M. Gaëtan Rudant. D’une part, lorsqu’il subsiste des doutes quant à la véracité ou la dangerosité de certaines pratiques, nous pouvons solliciter l’intervention des inspecteurs du travail compétents. À plusieurs reprises, les services de Mme Bidon ont ainsi demandé à l’inspecteur du travail de procéder à des vérifications sur les conditions de travail des mineurs concernés. D’autre part, il n’existe effectivement pas dans le code du travail de disposition interdisant la possibilité d’obtenir une nouvelle autorisation dès lors qu’un certain type de procédure est engagé.

M. le président Erwan Balanant. Quel est le nombre de refus par an ? Les 1 000 dossiers par an évoqués sont-ils tous acceptés ?

Mme Sophie Bidon. Il s’agit de 1 000 dossiers instruits. Les refus sont rares, car lorsqu’un dossier n’est pas satisfaisant, le tournage est reporté.

M. le président Erwan Balanant. Oui, mais si vous considérez que le projet d’un producteur ne peut pas obtenir d’autorisation, j’imagine que vous pouvez prononcer un refus ferme.

Mme Sophie Bidon. Nous disposons d’un mois pour instruire le dossier, pendant lequel l’instructeur accompagne les productions. Nous sommes donc alertés en amont lorsqu’un dossier n’est pas satisfaisant. Dans ce cas, les producteurs sont invités à reporter leur tournage et à modifier le scénario si ce dernier pose problème ou à compléter le dossier s’il n’est pas complet.

M. le président Erwan Balanant. D’accord, mais rencontrez-vous des cas de refus implicites, comme l’a mentionné M. Bavière, où les personnes concernées n’ont pas complété leur dossier ou effectué les adaptations nécessaires ? Dans de tels cas, ne refusez-vous pas simplement le dossier plutôt que de demander un report du tournage ?

Mme Sophie Bidon. Il est arrivé en commission que nous informions la production que le dossier n’était pas satisfaisant. Elle pouvait alors se représenter plus tard, après avoir effectué les modifications demandées.

M. le président Erwan Balanant. Mais est-ce que vous avez prononcé des refus définitifs ?

Mme Sophie Bidon. Non.

M. le président Erwan Balanant. Serait-il possible d’obtenir le nombre de refus par an ?

Mme Sophie Bidon. Je vérifierai. Mais je pense en avoir eu un ou deux, pas plus. Les reports se produisent plus fréquemment. Je ne dispose pas des chiffres ici, mais je me renseignerai.

M. le président Erwan Balanant. D’accord.

M. Gaëtan Rudant. Il faut bien comprendre que la notion de décalage temporel ne se limite pas simplement à différer un événement. Il s’agit de prendre le temps d’adapter le scénario ou les conditions de tournage. De ce fait, rares sont les dossiers qui n’ont pas été modifiés avant d’être présentés à la commission, outre un ou deux cas spécifiques où la production insiste pour suivre la méthode initialement prévue.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Si je comprends bien, la société de production est tenue de déposer son dossier sur le lieu de son siège social. Elle ne peut donc pas obtenir un refus quelque part et déposer le dossier ailleurs par un moyen détourné.

Lors de nos auditions, la semaine dernière, on nous a indiqué que parfois les scénarios présentés ou certaines scènes peuvent ne pas être totalement aboutis, et que ces imprécisions peuvent subsister jusqu’au début du tournage. Dans de tels cas, vous demandez des informations supplémentaires et suspendez la décision. Mais, effectuez-vous également des contrôles pendant le tournage ? Par exemple, dans des situations où vous ne parvenez pas à obtenir des informations supplémentaires et où le processus n’est pas aussi fluide que souhaité.

Mme Sophie Bidon. Parfois, le scénario d’un projet évolue en un mois. En cas de doute, nous sollicitons un contrôle de l’inspection du travail. Comme l’a évoqué M. Rudant, nous avons appliqué l’article 40 du code de procédure pénale, car une scène manquait dans le scénario présenté à notre service.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je tiens à insister sur ce point qui me semble essentiel dans le cadre de cette commission. Lorsque vous dénoncez des faits comme ceux que vous avez mentionnés, la commission n’a aucun moyen, malgré ses doutes quant à cette société, de l’empêcher de déposer une nouvelle demande ou de lui interdire d’employer à nouveau des enfants, n’est-ce pas ?

M. Gaëtan Rudant. Aujourd’hui, le code du travail ne prévoit aucune disposition juridique permettant d’interdire, de manière temporaire ou définitive, à une société de production de proposer de nouveaux tournages. La commission examine chaque cas individuellement, en tenant compte des antécédents. Il est évident que les situations que j’ai mentionnées font l’objet d’une attention particulière. Cependant, il n’existe actuellement aucun cadre juridique permettant d’interdire ces tournages.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Est-ce que cette situation, d’un point de vue juridique, est liée au fait que la commission relève de la DRIEETS ou de la DEETS ? Si elle était indépendante, aurait-elle pu refuser le tournage de cette société du fait qu’elle n’aurait pas examiné le dossier uniquement sous l’angle du droit du travail ?

M. Gaëtan Rudant. Il nous manque véritablement l’outil juridique nécessaire pour restreindre une liberté d’activité constitutionnellement protégée. Actuellement, les dispositions législatives et réglementaires ne nous permettent pas de prendre une telle décision. Ce n’est donc pas lié à la nature de la commission qui, je le rappelle, est présidée par un juge des enfants. Elle ne fait pas partie de la DRIEETS ou des DEETS qui en assurent le secrétariat.

M. le président Erwan Balanant. Le droit en vigueur dispose que toute production impliquant des enfants nécessite une autorisation préalable de votre part. Une fois le tournage commencé, vous avez la possibilité d’effectuer des contrôles. En dehors des cas où des doutes subsistent, quels critères vous poussent à demander un contrôle ? Combien de contrôles sont-ils demandés annuellement, et disposez-vous des moyens suffisants pour les mener à bien ? Ce système d’autorisation préalable, sans certification spécifique, vous impose un travail de filtrage long et peut-être inefficace pour cibler les contrôles. On pourrait envisager la mise en place d’une certification et d’un cahier des charges garantissant que seules les productions ayant la capacité d’embaucher des enfants puissent le faire. Ce cahier des charges pourrait inclure, par exemple, l’accompagnement obligatoire des enfants par un « responsable enfants » ou un agent certifié, et des castings réalisés par des personnes formées. Actuellement, le système est centralisé autour de votre commission et de son travail. Ne serait-il pas pertinent d’instaurer un filtre en amont pour déterminer qui a le droit de tourner avec des enfants ?

M. Gaëtan Rudant. Sur le nombre des demandes de contrôle, je vais me concentrer sur l’Île-de-France. Pour l’année 2023 et le début de l’année 2024, le service instructeur a déposé treize demandes de contrôle auprès des agents de l’inspection du travail.

M. le président Erwan Balanant. Donc, treize sur mille dossiers qui ont obtenu une autorisation. C’est peu.

Mme Sophie Bidon. Il faut savoir que nous manquons parfois de temps pour pouvoir effectuer un contrôle. Les délais sont très courts et le lieu du tournage peut également poser problème.

M. Gaëtan Rudant. Une des difficultés majeures réside dans la coordination entre le lieu de la demande d’autorisation et les lieux de tournage. La demande d’autorisation présentée sur le lieu du siège social présente l’avantage d’offrir une vision unique pour le producteur, mais les tournages peuvent se dérouler sur l’ensemble du territoire national. La directrice adjointe de la direction générale du travail a souligné cette problématique la semaine dernière. En effet, un constat de pratique déviante, s’il n’est pas anticipé, ne peut être réalisé que sur le lieu du tournage, ce qui pose problème quand, par exemple, une autorisation est accordée à Marseille pour un tournage en Centre-Val de Loire.

M. le président Erwan Balanant. Avez-vous des préconisations quant à une éventuelle réorganisation ? L’organisation actuelle présente à la fois des avantages et des inconvénients. Comme l’a souligné Mme la rapporteure, un producteur est tenu de déposer sa demande sur le lieu où son entreprise est enregistrée, ce qui l’empêche de déposer une autre demande à un autre endroit. C’est positif. Cependant, dans le cas où, par exemple, un producteur basé à Paris souhaite tourner à Brest, cela devient problématique. Comment se coordonnent alors les différentes commissions ? Disposez-vous d’un service ou d’un fichier national répertoriant tous les tournages en cours impliquant des enfants ? Ou bien les contrôles sont-ils conduits de manière spontanée ?

M. Gaëtan Rudant. Le contrôle spontané sur un tournage n’est pas un exercice simple, car l’inspecteur territorialement compétent n’est pas informé au préalable des tournages en cours. Par conséquent, le contrôle spontané de la propre initiative d’un inspecteur du travail est relativement rare et difficile à réaliser. Les contrôles de l’inspection du travail se produisent généralement à la demande de la commission des enfants du spectacle lorsqu’elle reçoit des signalements. Dans le cas que j’évoquais précédemment, à savoir le signalement au parquet, et en l’absence d’outils nationalement organisés, nos services ont naturellement pris contact avec l’inspecteur du travail compétent pour le lieu du tournage afin qu’il puisse procéder à des contrôles.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Lorsque vous délivrez des autorisations, savez-vous précisément à quel moment et où l’enfant participera au tournage, et qui sera présent ? L’objectif est d’identifier les personnes amenées à côtoyer l’enfant pour pouvoir les contrôler.

M. Jérôme Corniquet. Parallèlement au dépôt de la demande devant la commission, il est possible qu’une demande de dérogation soit adressée simultanément à l’inspecteur du travail. Dans notre département, le service traitant la commission coopère avec l’inspection du travail. C’est souvent à ce moment-là que des contrôles sont effectués. Les contrôles résultent ainsi d’un échange d’informations suggérant un problème potentiel dans cette production ou ce spectacle vivant.

Les contrôles qui ont eu lieu jusqu’à présent se sont déroulés dans les Bouches-du-Rhône. Autrement dit, nous n’avons jamais signalé une difficulté particulière à un inspecteur d’une autre région, car ce serait difficile à anticiper.

Il arrive que les contrôles soient conjoints, car l’agent chargé de la commission n’est pas juridiquement compétent pour réaliser des contrôles. Il peut examiner les dossiers et participer à la prise de décision, mais ne peut mener des contrôles. Dans nos services, seuls les agents de contrôle de l’inspection du travail sont aptes juridiquement à effectuer des contrôles. C’est également au cours de ces deux études simultanées du dossier qu’un décalage peut être constaté entre les informations déclarées initialement dans le dossier et la réalité.

M. le président Erwan Balanant. Je viens de réaliser que deux entités interviennent : la commission des enfants du spectacle et l’inspection du travail. Je pensais que la commission des enfants traitait simultanément la question de la dérogation aux droits communs du travail, c’est-à-dire l’interdiction du travail des mineurs de moins de 16 ans.

M. Jérôme Corniquet. Il s’agit bien de deux dossiers et de deux autorités juridiques compétentes différentes. J’insiste sur cette notion d’autorité compétente, car, pour schématiser, vous vous êtes adressé à nous en disant : « Vous, la commission », mais c’est faux. Nous préparons les décisions, ou nous les signons en fonction de la délégation accordée par le préfet, mais toujours sur avis conforme de la commission. De ce fait, en tant qu’agent de la DEETS, si je reçois un dossier qui me semble problématique, ma crainte est que la commission l’autorise ou ne s’y oppose pas, malgré mes réserves. Je rejoins ainsi l’avis de ma collègue : tout le travail en amont doit viser à ce que la commission ne se prononce que sur des dossiers parfaitement balisés et satisfaisants. À défaut, nous n’avons aucun moyen, hormis la persuasion, de refuser un dossier qui ne nous satisfait pas en matière de droit du travail ou de conditions de travail.

M. le président Erwan Balanant. Serait-il envisageable qu’une seule autorité gère l’ensemble du dossier ? Peut-être est-ce préférable ainsi ? Nous avons réellement besoin de vos éclaircissements sur ce point. J’étais convaincu que le circuit de la commission des enfants du spectacle concernait la dérogation au droit du travail pour les mineurs.

M. Jérôme Corniquet. Je confirme qu’il s’agit bien de deux circuits administratifs et de deux autorités compétentes différentes. Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas d’échanges entre elles. Dans nos services, seul l’inspecteur du travail détient le pouvoir de contrôle. Dans les Bouches-du-Rhône, l’agent de la commission participe au contrôle, mais uniquement en tant qu’accompagnant de l’inspecteur du travail.

M. le président Erwan Balanant. Ce qui est normal.

M. Olivier Bavière. Le champ de contrôle ou d’investigation de la commission départementale et celui de l’inspection du travail sont distincts, mais complémentaires.

Pour mémoire, l’inspecteur du travail agit de manière autonome. Il est indépendant dans ses décisions et interventions, notamment concernant les suites qu’il souhaite y donner. Son rôle s’avère cependant complémentaire à celui de la commission. En effet, aucune autorisation n’est accordée de manière irrévocable. Si les conditions initialement prévues ne sont plus respectées, l’inspecteur du travail peut le constater et retirer ou suspendre cette autorisation.

Dans le Nord, nous avons suspendu l’agrément d’une demande d’autorisation individuelle, parce que l’inspecteur du travail avait constaté que la réalité ne correspondait pas au dossier initialement présenté. Dans ce cadre, nous avons suspendu l’autorisation et demandé au producteur de revenir aux conditions initiales.

En outre, l’inspecteur du travail n’intervient généralement que si des informations lui ont été transmises, et non de manière systématique ou proactive. D’ailleurs, les dossiers acceptés par la commission ne lui sont pas automatiquement transférés pour qu’il effectue un contrôle. Une telle démarche serait envisageable dans les petits départements où les demandes sont peu nombreuses. Toutefois, sa mise en place serait problématique dans les autres départements, notamment en termes de mobilisation de ressources, particulièrement à Paris et en région parisienne.

Dans le Nord, l’inspecteur du travail intervient dans une politique plus globale et ne se concentre pas sur la moralité du spectacle. Il examine uniquement les conditions de travail. En revanche, la commission départementale se prononce de manière plus générale. Elle ne se focalise pas nécessairement sur les conditions de travail, qui ne font pas partie de son champ de compétences. Pour conclure, je pense qu’une complémentarité existe entre ces deux autorités dans le cadre du contrôle.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je reviens donc à ma question précédente. Quelqu’un dispose-t-il des informations précises concernant la date et les horaires de tournage de l’enfant ainsi que les personnes qu’il côtoiera ? Dans le cadre de l’éducation nationale, les parents sont toujours censés savoir où se trouve leur enfant. Lorsqu’il y a une sortie scolaire, le jour et les horaires sont clairement précisés. En revanche, pour un tournage, une autorisation est accordée pour un scénario avec une société de production, mais nous ignorons où se trouve l’enfant. Le rôle de l’intervenant de l’éducation nationale ne me semble donc pas clair. Je pensais que cette personne était informée du fait que l’enfant ne serait pas présent à l’école pendant une certaine durée. Mais si je comprends bien, le jour et les horaires précis de l’absence ne sont pas connus. De plus, nous ignorons où il se trouve et avec qui. Il serait pourtant essentiel de le savoir, notamment pour vérifier si des personnes figurant au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) ne sont pas présentes sur le tournage afin de garantir qu’elles ne côtoieront pas l’enfant.

M. Gaëtan Rudant. En Île-de-France, il est courant de recueillir ces informations. Par ailleurs, le rôle du représentant de l’éducation nationale consiste notamment à s’assurer que le niveau de sollicitation attendu d’un enfant est compatible avec son parcours scolaire.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Lorsqu’une société de production dépose une demande d’autorisation, elle le fait toujours à l’endroit où se trouve son siège social. Cependant, un enfant peut participer à des tournages dans différentes régions de France. Avez-vous la possibilité de savoir combien de fois cet enfant a été sollicité ou non ?

M. Jérôme Corniquet. Lorsqu’il s’agit d’une tournée ou d’un spectacle itinérant, le dossier mentionne l’itinéraire, le calendrier et les différentes dates. Nous savons, par exemple, qu’un enfant sera absent pendant trois ou quatre jours et qu’il se trouvera à tel endroit. Cependant, nous ne connaissons pas le détail de la journée ni sa localisation précise. Au titre de la commission, nous vérifions la présence des parents, d’un accompagnateur ou de toute autre personne mentionnée selon ce qui est inscrit au dossier. Toutefois, au fil du temps et au jour le jour, des variations peuvent survenir. Nous avons déjà constaté, lors d’un contrôle, qu’une personne qui devait accompagner l’enfant en permanence était absente. Elle se trouvait sur le lieu du spectacle, mais pas avec l’enfant.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Mon propos ne portait pas sur un spectacle itinérant, mais plutôt sur une situation dans laquelle un enfant participe à plusieurs films. Par exemple, s’il effectue quatre tournages dans l’année, mais à des endroits différents, et donc dont les autorisations ont été délivrées par des DEETS distinctes. Pouvez-vous savoir si cet enfant a été sollicité de manière excessive au cours de l’année ? Peut-être serait-il judicieux de ne pas lui accorder une nouvelle dérogation, ne serait-ce que vis-à-vis de l’éducation nationale.

M. Gaëtan Rudant. Aujourd’hui, il n’existe pas de transmission systématique de l’information sur l’ensemble du parcours antérieur des enfants qui sont amenés à travailler.

M. le président Erwan Balanant. Cela signifie qu’il n’existe pas non plus de limitation de jours de tournage à l’année pour un enfant. On peut imaginer un enfant qui tourne autant qu’un adulte.

M. Gaëtan Rudant. Dans les faits, en Île-de-France, où se concentre une grande partie des dossiers, nous pouvons constater une récurrence notable dans les identités des enfants sollicités. Cette situation est prise en compte par les instructeurs qui préparent les délibérations de la commission des enfants du spectacle. Il est important de souligner que l’accès à certaines informations, notamment celles relatives à la rémunération des enfants, consignée auprès de la Caisse des dépôts, pourrait fournir un éclairage supplémentaire lors de la préparation des décisions, sans que cela dépende des conditions de fait et d’organisation.

M. le président Erwan Balanant. Avant d’aborder la question du régime des sanctions post-contrôle et de la manière dont tout peut s’articuler, il est important de clarifier certains points. Dans le secteur du cinéma, les autorisations sont délivrées individuellement, film par film, production par production. En revanche, dans le secteur du mannequinat, les autorisations peuvent être individuelles et nominatives, mais elles sont souvent accordées à l’année. Dans ce cas, l’agence de mannequins reçoit une autorisation annuelle, mais il n’y a pas de contrôle spécifique sur les enfants impliqués. On fait confiance à l’agence pour qu’elle respecte les bonnes pratiques.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Nous souhaiterions savoir ce qui justifie cette différence de traitement entre le mannequinat et le cinéma, par exemple.

M. Gaëtan Rudant. Nous n’avons pas eu l’opportunité de revenir sur les débats parlementaires qui ont mené à ces approches différentes. Cependant, il est vrai que les conditions d’exposition des jeunes enfants lors de la diffusion d’un film peuvent parfois être encore plus préoccupantes et difficiles. Voilà pourquoi une analyse au cas par cas est nécessaire. Mais, vous avez raison, en ce qui concerne les agences de mannequins, l’agrément est accordé, de manière rigoureuse, sur la base de références demandées à l’entreprise. Cet agrément est délivré annuellement, sans qu’il soit fait mention de l’identité et de la situation de chaque enfant concerné.

M. le président Erwan Balanant. La question est préoccupante. Quelle est la différence entre une semaine de tournage et une semaine de Fashion Week pour un enfant ? Il me semble que cela nécessite une analyse individuelle de chaque mannequin, de ses capacités, de son parcours, de sa maturité, et surtout de son lien avec les personnes avec qui elle va travailler. La Fashion Week est une période de grande intensité. Imaginer qu’une mineure de 16 ans puisse obtenir une autorisation pour une semaine entière, et que cela dépende du bon vouloir de l’agence de mannequins, soulève des interrogations. Nous serons amenés à les questionner à ce sujet.

M. Olivier Bavière. Contrairement aux autres secteurs, dans le domaine du mannequinat, le processus est divisé en trois étapes. La première concerne la constitution du book de l’agence. Si le mannequinat fonctionnait sur la base d’autorisations individuelles, il conviendrait donc, à ce stade, d’en obtenir une.

M. le président Erwan Balanant. C’est la même chose pour un enfant qui constitue un book.

M. Olivier Bavière. Oui, mais un casting est effectué par la suite. Enfin, la troisième étape concerne la prestation de service proprement dite. La question que vous soulevez en entraîne une autre : pour quelle durée doit-on délivrer les autorisations ? Toutes ces étapes s’inscrivent dans une durée incertaine. Lors de la première étape, il est impossible de déterminer précisément le temps qui s’écoulera entre la deuxième et la troisième étape. Ce mode de fonctionnement diffère de celui d’autres secteurs.

M. le président Erwan Balanant. Nous approfondirons ce sujet ultérieurement. Pour l’instant, j’aimerais que nous abordions la question des outils de sanction. Ce sont ceux prévus par le code du travail, notamment en cas de non-respect des règles qui y sont relatives. À ce jour, il n’existe pas d’autres sanctions : ni sanctions administratives, comme celles observées dans d’autres domaines, en cas de non-respect d’un cahier des charges que vous auriez instauré ; ni suspension ordonnée par la commission ou un autre organisme ; ni sanction prononcée par un juge administratif interdisant à une maison de production de faire travailler des enfants pendant une période déterminée. Confirmez-vous que cela n’existe pas ?

M. Jean-François Dalvai, directeur de l’unité départementale de Paris à la direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités d’Île-de-France. Il n’existe pas de sanctions de ce type. Encore une fois, tout repose sur l’articulation entre la commission et l’inspection du travail. D’une part, la commission transmettra, le cas échéant, des informations à l’inspection du travail. D’autre part, l’inspection du travail se rendra elle-même sur les lieux d’un tournage, d’une Fashion Week ou d’un autre événement, pour constater des infractions à la réglementation du travail. Elle mettra alors en œuvre les outils à sa disposition, y compris des sanctions administratives, pour punir ces infractions, par exemple en cas d’absence de décompte des horaires. Mais des sanctions pénales peuvent également être initiées par l’établissement d’un procès-verbal qui sera transmis au parquet pour d’éventuelles suites.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. La semaine dernière, nous avons auditionné des coachs d’enfants qui sont souvent présents sur les tournages. La possibilité a été évoquée que ces coachs vous fassent un retour sur le déroulement du tournage, en se concentrant spécifiquement sur la sphère de l’enfant. Il s’agirait de déterminer si l’enfant a participé volontairement au tournage, s’il en avait réellement envie et s’il est apte à participer à un autre tournage. Quelle est votre opinion sur cette proposition ?

M. Gaëtan Rudant. Plusieurs réflexions s’imposent. Premièrement, il est essentiel de définir clairement les métiers de coach ou de responsable, et leurs prérogatives. Ces définitions seront déterminantes. Si une possibilité de retour existait, elle enrichirait l’instruction réalisée par les commissions des enfants du spectacle. Il faudrait également tirer les conséquences organisationnelles et pratiques de cette politique. Concrètement, si chaque tournage autorisé impliquait un retour vers la commission, cela augmenterait considérablement sa charge de travail. Nous n’avons pas encore évoqué les moyens mobilisés pour accompagner ces demandes d’autorisation, en dehors des moyens de contrôle, qui interviennent à l’initiative ou sur sollicitation des inspecteurs. Pour l’Île-de-France, cela représente sept personnes plus un chef de service. Une illustration de la part de mes collègues serait également intéressante.

M. Jérôme Corniquet. Cela permettra de mesurer l’écart entre Paris, l’Île-de-France et les autres régions. De notre côté, un seul agent est mobilisé sur la commission. Il partage son temps entre plusieurs activités dans un service qui a perdu un tiers de ses effectifs depuis le début de l’année. En termes d’inspection du travail, nous disposons d’un ratio national reconnu, avec environ 20 % de postes vacants. Au vu de nos moyens limités, et face à d’autres enjeux également importants en matière de santé, de sécurité et de travail illégal, quelles que soient les modalités administratives, il ne sera pas possible de multiplier les contrôles sur site. Nous pourrions sans doute augmenter leur nombre et améliorer leur efficacité, mais il est clair que nous ne pourrons pas les multiplier indéfiniment, du moins en ce qui nous concerne.

M. le président Erwan Balanant. Compte tenu du déséquilibre entre les dossiers parisiens et ceux en région, ne pourrait-on pas envisager une seule commission nationale centralisée, qui pourrait être localisée ailleurs qu’à Paris ? Il ne s’agit pas d’une volonté d’économiser des moyens, mais plutôt de gagner en efficacité sur les sujets mentionnés. Une centralisation des dossiers permettrait d’améliorer les contrôles, sachant que tout serait instruit par une seule commission. Cela faciliterait les inspections en lien avec les services déconcentrés de l’État. Cette solution ne serait-elle pas plus pertinente ? Peut-être que non, n’hésitez pas à faire part de votre avis.

M. Gaëtan Rudant. En Île-de-France, nous avons déjà pris la décision de regrouper l’ensemble des équipes d’instruction. Cependant, notre capacité à aller plus loin était limitée par l’état actuel du droit et du cadre législatif, qui dispose que la commission est départementale. Ainsi, il n’existe en réalité pas une, mais huit commissions distinctes pour l’ensemble du territoire de l’Île-de-France. Le regroupement des équipes peut entraîner une optimisation et une acquisition de compétences, mais il risque également d’éloigner le lieu de prise de décision des sociétés de production. Il est donc nécessaire de trouver un équilibre entre ces enjeux, en particulier pour l’Île-de-France. Par ailleurs, la possibilité d’établir une commission régionale représenterait une amélioration en termes d’homogénéité de la doctrine et simplifierait les conditions de traitement des demandes.

M. Jérôme Corniquet. L’approche professionnelle est différente dans notre département, car les collègues ne traitent pas le même nombre de dossiers et ne sont pas confrontés aux mêmes situations. Cependant, je perçois également un risque à éloigner la commission du contrôle a posteriori.

M. le président Erwan Balanant. C’est une piste de réflexion.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Concernant la rémunération des enfants, à temps de travail égal, où se situe-t-elle par rapport à celle des adultes ?

Mme Sophie Bidon. Tout dépend des conventions collectives. Nous consultons une grille, mise à jour régulièrement qui reprend la rémunération selon le type d’emploi et la catégorie de l’activité.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. La grille ne tient pas compte de l’âge, mais plutôt du temps passé sur le tournage.

Je souhaiterais également savoir comment sont délivrées les autorisations pour les enfants en situation de handicap. Le fonctionnement est-il le même ou prenez-vous davantage de précautions, notamment en ce qui concerne le consentement ?

Mme Sophie Bidon. Cela nous est déjà arrivé. La médecine du travail enquête plus en profondeur et entre en contact avec les éducateurs, et éventuellement le centre, si l’enfant fait partie d’un centre.

M. le président Erwan Balanant. La ministre de la Culture, Mme Rachida Dati, a annoncé au Festival de Cannes la systématisation des « responsables enfants ». Comment envisagez-vous votre collaboration avec eux ? Il n’existe pas actuellement de formation pour les responsables enfants et cela ne changera pas dans l’immédiat. Il s’agit de personnes qui ont acquis des compétences précieuses au fil de leur expérience et de leur parcours de vie. Imaginez-vous qu’il puisse se créer un lien significatif avec vous, et même une certification délivrée par la commission des enfants au vu de votre expérience ? Êtes-vous en mesure de proposer des pistes de réflexion sur le sujet ?

M. Gaëtan Rudant. Il est nécessaire de prendre un certain temps pour analyser les conditions de mise en œuvre de cette annonce et le meilleur parti à en tirer pour la sécurité des enfants. À ce jour, la notion de responsable enfants n’existe pas de jure dans le code du travail. Cependant, elle est présente dans deux conventions collectives : celle de la production audiovisuelle du 13 décembre 2006, qui l’a rendue obligatoire par un avenant qui n’est pas encore étendu ; et celle de la production cinématographique n’en fait pas une condition requise. Si cette fonction est généralisée, il conviendra de définir son cadre, notamment les prérogatives du responsable, les conditions de sa désignation et les qualifications demandées. Nous pourrons tirer de nombreux enseignements en termes de retour d’expérience pour la commission et pour l’évaluation à réaliser. Ces éléments seront d’autant plus utiles qu’ils permettront d’alimenter la commission. Cette dernière aura la faculté de valider, de rejeter ou de moduler certaines décisions en fonction des informations rapportées par ces responsables enfants.

M. le président Erwan Balanant. Dans vos échanges, proposez-vous des recommandations pour l’accompagnement des enfants, et, si oui, pourraient-elles devenir obligatoires ? En outre, pensez-vous qu’un suivi post-tournage pourrait être envisagé, notamment avec des obligations d’accompagnement pour certains films qui présentent des difficultés particulières ?

M. Jérôme Corniquet. Pourriez-vous préciser la notion d’accompagnement ?

M. le président Erwan Balanant. Je fais référence à votre accompagnement dans le dialogue avec la société de production. Je souhaiterais également comprendre si l’autorisation correspond à un quitus, ou plutôt à un cahier des charges à respecter. Dans le cas d’un cahier des charges, pourrait-il être différent selon le type de film, par exemple, entre un rôle de quasi-figuration et un rôle principal confronté à la violence ?

M. Jérôme Corniquet. Dans le fonctionnement actuel, tout est préparé en amont du tournage, de la tournée ou du spectacle. Nous disposons ainsi d’un document très précis qui décrit le script, le scénario, etc. Ensuite, nous intervenons avec le producteur pour déterminer si le mineur sera confronté à des scènes dérangeantes. Nous avons notamment rencontré un cas comprenant des scènes d’horreur dans lequel le producteur nous a décrit les mesures prises pour que le jeune ne soit pas exposé, même si le résultat visible pour le spectateur sera différent. Nous sommes dans une logique de cahier des charges, car, sauf exception, nous ne sommes pas présents sur place pour vérifier ce qui est mis en œuvre. Ce cahier des charges est présenté par le producteur, puis discuté avec la commission ou son secrétariat. Généralement, il évolue et aboutit souvent à une autorisation.

M. le président Erwan Balanant. Pourriez-vous nous fournir des exemples d’autorisations pour voir comment elles se présentent ? Les détails du tournage, comme la date, les horaires, le cadre, les précautions à prendre, etc., sont-ils précisés sur le document ? Je suis d’accord sur le fait que nous ne pourrons pas effectuer des contrôles en permanence. Une relation de confiance doit pouvoir se construire. Comme dans de nombreux métiers, la direction du travail établit une relation de confiance avec certaines entreprises. Tout cela me semble possible.

M. Jérôme Corniquet. Concrètement et juridiquement, la décision reste relativement simplifiée, mais elle fait référence à la version finale d’un document, qui a pu évoluer au fur et à mesure des échanges.

M. Gaëtan Rudant. La réflexion mérite sans doute d’être approfondie, notamment en ce qui concerne la modulation de la forme de la décision de la commission. Il serait pertinent que cette dernière puisse, dans certains cas, aller au-delà de la simple réponse affirmative ou négative et mentionner, en fonction des conditions détaillées et discutées en amont, la nécessité de dispositions de protection particulières, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Pensez-vous qu’il serait adéquat d’ajouter une évaluation psychologique de l’enfant ? Il pourrait être envisagé de délivrer une attestation valable pour une durée limitée de plus ou moins un an. De plus, disposez-vous d’une grille d’évaluation commune à tous, sur laquelle vous vous basez pour accorder les autorisations ?

M. Gaëtan Rudant. Tout d’abord, concernant la seconde question, il n’existe pas de grille méthodologique à suivre, mais nous partageons certains principes. De ce fait, sans qu’un tel cadrage n’existe, nos pratiques restent similaires. L’absence d’une telle grille s’explique par le fait que la commission, qui émet un avis conforme devant être suivi par l’autorité décisionnaire, dispose d’un pouvoir d’appréciation pour chaque cas particulier. Actuellement, aucune grille ne permet donc d’orienter systématiquement tel ou tel type de cas. Au contraire, nous privilégions l’analyse in concreto.

En ce qui concerne l’amélioration du suivi psychologique des enfants, dans le cadre du bilan de santé initial ou de son suivi, il pourrait s’avérer utile dans un certain nombre de situations pour renforcer leur sécurité. Cela semble particulièrement approprié pour les enfants qui s’engagent ou semblent s’engager dans un parcours professionnel et qui multiplient les participations.

M. le président Erwan Balanant. Pour conclure, vous pouvez nous faire part d’éléments que vous identifiez objectivement comme pouvant être améliorés. Nous les acceptons volontiers par écrit pour plus de précision.

M. Jérôme Corniquet. Nos services sont habitués à traiter divers risques professionnels, qu’ils soient chimiques, liés aux chutes dans le bâtiment ou au harcèlement sexuel. Nous ne parlons pas ici du secteur du spectacle, mais de sujets généraux. Ce qui constitue la trame de notre réglementation, c’est l’évaluation des risques par l’employeur. J’ai le sentiment que cette notion n’est pas totalement prise en compte dans ce contexte.

Il existe un comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail de la production audiovisuelle, qui a collaboré à une évaluation des risques. Une quinzaine de risques types y sont évalués. La démarche est commune à d’autres branches professionnelles. Toutefois, un risque majeur n’y est absolument pas pris en compte : celui du harcèlement. On y trouve le risque de chute, le risque électrique, et tous les autres risques possibles, mais pas celui-là. Si la profession ne prend pas en compte un risque donné, ni la commission ni l’inspection du travail ne pourront réagir seules. Cette réflexion s’appliquerait de la même manière à une commission sur les risques dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP).

M. le président Erwan Balanant. Cette réflexion va dans le sens de nos premières auditions. En effet, plusieurs raisons expliquent pourquoi l’idée selon laquelle l’employeur doit garantir la sécurité et la santé de ses employés n’est pas complètement intégrée. Premièrement, l’organisation du travail sur des périodes courtes, avec des équipes qui ne collaborent pas toujours, entraîne une absence de culture du travail collectif et des risques évidents. De plus, la délégation de pouvoir n’est pas toujours claire dans le milieu, et un technicien peut ignorer que son employeur est en réalité le producteur du film et non le réalisateur. Ces difficultés, que vous avez bien résumées dans votre propos, expliquent également un certain nombre de problèmes rencontrés.

M. Gaëtan Rudant. Il existe effectivement un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail national pour chacune des deux branches concernées. Ces comités essentiels sont tous deux dotés de permanents.

Cette approche des enjeux de risque porte sur la question du jour, mais elle met également en lumière certaines conditions de travail comme les risques de chute, d’exposition au bruit ou à des produits chimiques qui mériteraient une prise de conscience de la responsabilité de l’employeur envers la santé et la sécurité des salariés qu’il emploie.

M. le président Erwan Balanant. Je vous remercie pour ces éléments. N’hésitez pas à nous transmettre les informations nécessaires. Tout d’abord, il nous faut impérativement des chiffres, notamment le nombre de dossiers au niveau national. Si ces données ne sont pas compilées nationalement, ce point fera partie de nos préconisations. Ensuite, nous avons besoin d’exemples de vos autorisations, que vous pouvez anonymiser. Par ailleurs, un exemple de dossier serait également utile, idéalement un dossier révélateur, avec des risques, un tournage difficile, et un scénario complexe. Enfin, nous attendons également vos préconisations à la suite de notre audition. Je vous remercie.

*

*     *

 

15.   Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Hazanavicius, président du conseil d’administration de l’école nationale supérieure des métiers de l’image et du son (FEMIS) et Mme Nathalie Coste Cerdan, directrice générale ; M. Vincent Lowy, directeur de l’école nationale supérieure Louis-Lumière ; M. Frédéric Tabet, directeur par intérim de l’école nationale supérieure de l’audiovisuel (ENSAV).

M. le président Erwan Balanant. Notre commission d’enquête vise à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le cinéma, le spectacle vivant, l’audiovisuel, la mode et la publicité. Nous cherchons à identifier les responsabilités de chacun et à proposer des solutions pour que tous puissent évoluer dans ces secteurs sans crainte pour leur intégrité physique et mentale. La formation aux métiers de l’audiovisuel et du cinéma, sujet de notre réunion aujourd’hui, revêt une importance capitale. C’est pourquoi nous avons souhaité vous entendre. Il nous semble évident que ce que vous enseignez permettra de former des personnes capables de détecter et de prévenir des comportements inappropriés. Dans un premier temps, nous vous demandons de présenter brièvement vos écoles respectives. Quelles actions menez-vous dans le cadre de la commission d’enquête ? Par exemple, proposez-vous des modules spécifiques sur la prévention des risques sexistes et sexuels ? Disposez-vous d’une charte de bonne conduite applicable tant au sein de l’école que dans la vie professionnelle future ? Ensuite, la rapporteure, Francesca Pasquini, posera des questions plus précises. Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale.

Avant de commencer nos échanges, je tiens à rappeler que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Michel Hazanavicius, Vincent Lowy, Frédéric Tabet et Mme Nathalie Coste Cerdan prêtent serment.)

M. Michel Hazanavicius, président du conseil d’administration de l’école nationale supérieure des métiers de l’image et du son (FÉMIS). J’ai été invité à cette audition en tant que président du conseil d’administration de la FÉMIS. Mon rôle implique une certaine distance par rapport aux événements. Je suis bien conscient de l’existence d’une charte destinée à prévenir ce type de comportements, ainsi que d’un protocole à suivre en cas de manquement à cette charte. Nous disposons d’un mode opératoire pour les actions à entreprendre avant et après un incident. Cependant, pour des informations plus détaillées, je vais laisser la parole à Nathalie Coste Cerdan, directrice de l’école, qui pourra apporter des précisions plus complètes que moi.

Mme Nathalie Coste Cerdan, directrice générale du FÉMIS. L’établissement que j’ai l’honneur de diriger sous la présidence de Michel Hazanavicius, l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son (FÉMIS), forme aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel, couvrant un très large spectre d’environ dix métiers essentiels à la fabrication du cinéma, à l’exception des acteurs. La FÉMIS se distingue par son excellence en tant qu’établissement d’enseignement supérieur artistique, avec une vocation également industrialisante. La FÉMIS est un établissement de petite taille, accueillant environ 200 étudiants par an pour un cursus général de quatre ans. Parallèlement, elle propose une formation continue qui accueille également environ 200 stagiaires par an.

La pédagogie de cette école accorde une place prépondérante à la pratique. En effet, la fabrication du cinéma en plateau, en situation réelle, est au cœur de l’enseignement, avec plus de 200 exercices filmiques par an. Ces exercices impliquent non seulement les étudiants, chacun dans leur spécialité, mais aussi de nombreux intervenants extérieurs qui partagent leur vision et leur expertise. La FÉMIS compte vingt-deux directeurs et directrices de départements, ainsi qu’un millier d’intervenants annuels, qui contribuent de quelques heures à plusieurs mois à la formation des étudiants. Leur savoir-faire enrichit considérablement l’apprentissage. De plus, un millier de bénévoles participent à la réalisation de ces exercices filmiques, apportant un soutien indispensable. Il est essentiel d’assurer un encadrement inspiré des pratiques professionnelles pour que les étudiants se sentent en sécurité dans leurs activités de fabrication. Cet encadrement vise également à les préparer à assumer plus tard des responsabilités dans leurs futurs postes au sein de l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel.

Depuis ses débuts, l’école s’est montrée particulièrement attentive aux questions de parité et à la place des femmes dans le cinéma. À titre d’exemple, la première promotion de la FÉMIS en 1986 comptait déjà deux tiers de femmes, ce qui était alors assez improbable. Dès mon arrivée en 2017, nous avons rapidement pris conscience de l’importance de ces questions dans notre pédagogie. Dès 2018, nous avons travaillé à l’élaboration d’une charte comportant plusieurs volets garantissant que ces questions seraient toujours prises en considération par un corps enseignant paritaire. Je pense que la mixité permet d’aborder ces questions avec plus de sérénité. La charte inclut un aspect paritaire et un guide de prévention des violences sexistes et sexuelles, sur lequel nous reviendrons peut-être plus tard. Elle aborde également des questions relatives à la représentation, car nous fabriquons des films mais aussi des récits et des imaginaires. Il est donc essentiel de sensibiliser tous nos étudiants et étudiantes à ces sujets. Enfin, la charte comporte des volets relatifs à la communication. En 2018, nous étions très fiers d’être pionniers dans ce domaine, répondant ainsi à la demande du ministère de la culture, qui avait commencé à prodiguer des actions à mener par les établissements que nous représentons.

Nous avons constaté, après deux ans, que bien que notre dispositif ait le mérite d’être formalisé, il restait insuffisant. Les étudiants nous avaient notamment signalé que, malgré nos efforts, de nombreux points demeuraient trop vagues. Après un an de collaboration, de discussions et d’échanges avec eux, nous avons élaboré une seconde charte en 2020. Celle-ci inclut un guide des préventions sexistes et sexuelles, qui, comme vous l’avez souligné, vise à former l’ensemble des membres de notre institution. Former tout le monde signifie que chaque nouvel étudiant, dès la première année et même dès la première semaine de son arrivée, bénéficie d’une demi-journée de formation pratique sur ces questions. Cette formation couvre tout ce qu’il faut savoir pour exercer ces professions en toute sécurité et pour identifier ce qui constitue une infraction à la réglementation ou à la loi. Ce programme est désormais systématique pour tous les étudiants chaque année. Récemment, nous avons décidé, à la demande du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), de revenir en quatrième année pour expliquer les dispositifs prévus par l’évolution récente de la réglementation, en particulier ceux du CNC, concernant l’ensemble des tournages. Nous voulons que les étudiants, au moment de leur entrée dans la vie active, aient un rappel de toutes les procédures qu’ils devront mettre en œuvre, notamment les futurs producteurs.

M. le président Erwan Balanant. Nous allons aborder en détail chacun des points que vous avez soulevés. La question du droit revêt une importance particulière pour nous. De même, la construction du récit, le regard porté sur les films et leur analyse filmique sont des aspects essentiels. À ce sujet, les sensibilités ont-elles évolué ?

M. Vincent Lowy, directeur de l’école nationale supérieure Louis-Lumière. L’École nationale supérieure Louis-Lumière est placée sous la tutelle du ministère de l’enseignement supérieur. Fondée en 1926, elle célèbre bientôt son centenaire. Initialement un lycée technique, elle a intégré l’enseignement supérieur dans les années 1990, il y a environ trente ans. Cette école propose trois masters spécialisés : un master en cinéma, qui couvre les métiers de la lumière, de la caméra et de l’image ; un master en photographie, qui prépare aux divers aspects de ce domaine ; et un master en son, qui forme aux métiers du son, notamment dans le cinéma. Les masters en cinéma et en son fournissent une grande partie des professionnels et techniciens présents sur les plateaux de tournage. Dans le contexte actuel, notre responsabilité est particulièrement importante, car ces métiers techniques sont majoritairement masculins. Contrairement à la FÉMIS, où la parité est ancienne et non problématique, notre école affiche des chiffres trop stables de 67 % de garçons contre 33 % de filles parmi nos étudiants. Chaque année, nous accueillons 16 étudiants par master, soit 48 étudiants par promotion, pour des masters d’une durée de trois ans. Cette proportion se reflète également lors des concours d’entrée, où l’on observe deux tiers de candidats masculins pour un tiers de candidates. Cette asymétrie se maintient chaque année dans nos promotions.

Nous faisons face à un véritable enjeu de renouvellement. Les arguments avancés autour de moi indiquent que la dimension scientifique de notre école est beaucoup plus marquée que celle de la FÉMIS, où l’orientation est plus artistique et axée sur l’auteur. En revanche, nos cours sont majoritairement de nature scientifique ou technique, avec peu de place pour des matières telles que l’écriture, le scénario, le montage ou même la production, qui traitent du récit. Cette explication ne me semble pas suffisante. Je pense qu’il y a une auto-assignation des filles pour éviter les matières scientifiques dès leur scolarité, et nous en héritons. Par exemple, le master qui compte aujourd’hui le plus d’étudiantes est le master photo, le moins scientifique et avec une forte coloration artistique. Cela crée une asymétrie très marquée dans notre école. En 2017, à mon arrivée, j’ai tenté de corriger cette situation en créant immédiatement une mission égalité femmes-hommes en septembre. À l’époque, cette mission ne portait pas sur les questions de violences sexuelles, aujourd’hui souvent rassemblées sous cette problématique. Elle se concentrait plutôt sur les disparités salariales entre hommes et femmes, la faible présence des femmes dans les métiers du cinéma au sens large, et les représentations systématiquement dépréciatives ou hétéronormées des femmes dans les films.

Un mois après l’émergence du mouvement #MeToo, tout a changé de manière significative et nous n’en sommes jamais vraiment sortis. Ce mouvement a eu un impact profond, notamment dans les écoles de cinéma. Il a fait remonter à la surface de nombreuses problématiques. Dans notre école, qui se distingue par une forte tradition de compagnonnage et de transmission dans les métiers techniques, des pratiques paternalistes et des rapports problématiques avec les apprenants sont apparus. Ces pratiques, rapidement devenues insupportables pour la nouvelle génération étudiante, ont mis en lumière une intransigeance totale sur ces questions. Aujourd’hui, nous faisons face à une dissonance entre les usages du passé et les attentes actuelles. Notre école compte une trentaine d’enseignants permanents et environ 200 vacataires, souvent des techniciens en activité. Ces derniers ne possèdent pas toujours les nouveaux codes ou usages en vigueur, ce qui engendre des difficultés. Les problèmes rencontrés sont principalement liés à des agissements sexistes. Bien qu’il ne s’agisse pas d’outrages sexistes ou aggravés, ces comportements sont systématiquement sanctionnés. Lorsqu’il s’agit de vacataires, nous mettons fin à leur mission et leur expliquons que certains propos ou comportements ne sont plus acceptables.

M. le président Erwan Balanant. Vous avez souligné la spécificité de votre école, qui forme principalement des techniciens. Existe-t-il un module d’état du droit concernant le droit du travail et le harcèlement moral ? Disposez-vous d’un corpus d’heures de cours dédié à ce sujet, ou bien est-il abordé de manière ponctuelle au gré des différents cours ?

M. Vincent Lowy. Nous avons effectivement mis du temps, car le chemin parcouru a été long et semé de nombreuses difficultés. Cependant, nous avons rapidement mis en place un groupe de travail sur les violences sexistes et sexuelles. Nous avons produit une charte intitulée « VSS discrimination », qui s’impose et est affichée partout. Elle est portée à la connaissance des nouveaux étudiants ainsi que des professionnels intervenants. Cette charte est parfaitement claire sur les notions importantes. De plus, j’ai tenté d’introduire des changements progressifs, car il est évident que l’on ne peut pas avancer rapidement dans des établissements anciens. Il faut prendre le temps nécessaire. À partir de la prochaine rentrée, tous les nouveaux étudiants auront une journée et demie dédiée aux problématiques de violences sexistes et sexuelles dans leur emploi du temps. Les nouveaux enseignants, recrutés pour des contrats à durée déterminée, devront également suivre ce type de formation. Par ailleurs, nous avons intégré dans les contrats de vacations une clause rappelant les grands principes, obligeant ainsi les vacataires à en prendre connaissance.

M. Frédéric Tabet, directeur par intérim de l’école nationale supérieure de l’audiovisuel (ENSAV). Je suis actuellement directeur par intérim de l’École nationale supérieure d’audiovisuel (ENSAV), en attente de ma nomination officielle par le ministère. Ancien élève de Louis-Lumière, je tiens à souligner que l’ENSAV est une école publique de cinéma, la première à avoir été établie en région en 1979. Nous proposons deux parcours de licence, sept parcours de master et un diplôme universitaire, accueillant au total 270 étudiants. Notre particularité réside dans notre approche par compétences, nous demandons à nos étudiants de nous soumettre des créations, sur lesquelles nous évaluons leur travail en matière de son, d’image et d’écriture. Les deux premières années sont généralistes, suivies de deux années de spécialisation dans les sept parcours de master. Notre credo est de faire et penser le cinéma, ce qui implique que nos étudiants sont rapidement amenés à réaliser des créations.

Nous comptons douze enseignants-chercheurs, dix personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques (BIATSS) et une trentaine d’intervenants professionnels qui animent les différents cours. Nous nous impliquons fortement dans la création de nos étudiants, tant au niveau de l’écriture que de la réalisation des exercices. Nous sommes particulièrement attentifs à identifier et à éliminer toute forme de sexisme dans les scénarios, les exercices courts ou longs, et les situations de tournage. Aucun film n’est réalisé sans avoir été lu par un ou deux enseignants, et la plupart des tournages se déroulent sous leur supervision.

Depuis le début, nous avons régulièrement maintenu la parité au sein des quarante-six promotions de l’école. En tant qu’enseignant, j’ai veillé à préserver cette parité dans les interventions et parmi les personnels vacataires qui participent aux parcours de nos étudiants. Il y a deux ans, nous avons instauré une cellule d’écoute pour nous positionner sur ces questions. Nous dépendons de l’enseignement supérieur et de l’université de Toulouse 2 Jean-Jaurès. Un dispositif est en place au sein de l’université, auquel les étudiants peuvent se référer. En interne, nous avons mis en place une cellule d’écoute pour orienter nos étudiants face aux situations qu’ils rencontrent. Bien que nous n’ayons pas de module spécifique dédié aux violences sexuelles et sexistes (VSS), nous avons programmé une journée à la rentrée pour aborder ce sujet. Cette journée vise à informer sur les dispositifs disponibles au sein de l’université, à discuter du comportement attendu sur les tournages à l’école et à prévenir les VSS en dehors de l’école. Nous nous trouvons à l’interface entre notre dépendance à une université et nos fonctionnements internes, et notre objectif de préparer nos étudiants au monde du travail extérieur.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. À l’École nationale supérieure d’audiovisuel, il n’existe pas à proprement parler de charte, mais plutôt un module de formation qui sera mis en place à la rentrée prochaine. Vous disposez cependant d’une cellule d’écoute. Existe-t-il également une cellule d’écoute à la FÉMIS et à Louis-Lumière ? Si oui, de qui est-elle composée et comment sont formées les personnes qui en font partie ?

M. Frédéric Tabet. Effectivement, au moment où on a créé la cellule d’écoute, on voulait coécrire avec les étudiants une charte et on n’a pas réussi à la porter et elle est toujours en cours et en réflexion, mais effectivement, on n’a pas de charte.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Oui, parce qu’en plus, c’est obligatoire.

Mme Nathalie Coste Cerdan. Nous utilisons la cellule d’écoute en collaboration avec Concept RSE, une structure mise en place par le ministère de la culture. Auparavant, nous faisions appel à Allodiscrim, mais nous avons suivi les recommandations du ministère dans ce domaine. Cet outil est employé par la référente égalité. Il est essentiel que ces questions aient conduit à la responsabilisation d’une personne dédiée. Cette personne-ressource, présente dans chaque communauté, joue un rôle clé. En effet, l’un des objectifs de la charte était de sensibiliser toutes les communautés à cette question en désignant une personne-ressource par communauté. Cette personne est celle à qui une victime d’agissements peut s’adresser plus facilement qu’à la direction de l’école. Cette médiation s’avère très importante car elle facilite le traitement des dossiers. Les personnes-ressources consultent souvent la cellule d’écoute. De plus, les étudiants sont parfois encouragés à la consulter pour des questions juridiques ou pratiques. Ce dispositif semble fonctionner relativement bien.

M. le président Erwan Balanant. Nous avons observé, au regard de vos effectifs, que ce milieu est relativement restreint. Dès nos premières auditions, il est apparu qu’une certaine omerta y règne. Cette perception s’est confirmée au fil de nos travaux, révélant la difficulté persistante à libérer la parole. Sensibilisez-vous vos élèves à cette problématique ? Au-delà de leur enseigner que certains comportements sont inacceptables, les encouragez-vous à s’exprimer et à briser cette omerta, tant au sein de l’école que dans leur futur environnement professionnel ? M. Hazanavicius, en tant que président du conseil d’administration et réalisateur, quelle est votre perception de ce phénomène d’omerta qui semble de plus en plus prégnant dans ce milieu ? L’école a un rôle essentiel à jouer pour apprendre aux étudiants à s’exprimer, à verbaliser leurs expériences et à libérer leur parole.

M. Michel Hazanavicius. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette idée d’omerta. J’ai l’impression que c’est une interprétation quelque peu abusive de certains silences. Ce n’est pas un silence d’omerta, mais un silence très complexe. Quand on me dit que cela ne va pas assez vite, je ne suis pas d’accord. Je pense que les choses avancent au seul rythme acceptable, celui des victimes et de leur parole. Plus les victimes s’expriment, plus leur parole trouve une place légitime au sein de la société, et mieux elle est écoutée. Cependant, il est impossible de demander à ceux qui ne sont pas victimes de s’exprimer. J’ai entendu des propos comme untel a dit ceci, untel a fait cela, mais cela n’a aucun sens pour moi. D’abord, où pourrais-je prendre la parole ? Je n’ai pas de réseaux sociaux, et même si j’en avais, cela n’aurait aucun sens. Cette parole n’a pas de valeur juridique non plus ; je ne peux pas porter plainte pour des choses dont j’ai entendu parler de manière vague et imprécise. Je crois vraiment que ce n’est pas tant une question d’omerta qu’une question du rythme de la parole des victimes qui se met en place. Les choses avancent à leur rythme, et pas si lentement que cela. Nous constatons des avancées spectaculaires et bénéfiques. Par exemple, la prise de parole d’Adèle Haenel a soudainement fait évoluer les choses. Elle a montré qu’il existe une autre voie que celle de la justice traditionnelle, souvent en échec pour ce type d’affaires. Il y a un autre moyen de lutter contre l’impunité des prédateurs et des coupables.

Je ne suis pas tout à fait à l’aise avec l’idée de l’omerta, car honnêtement, ce n’est pas quelque chose que j’ai pu ressentir ou observer. Au contraire, de nombreuses personnes soutiennent et se réjouissent que cette parole existe. Pour revenir à l’école, il nous est arrivé une fois d’être confronté à une telle situation, où j’avais l’impression d’un cliché. On dit souvent que c’est un petit monde, etc. Nous avions une situation avec un intervenant, ce qui est très compliqué à gérer. Avec autant d’intervenants, il est difficile de tout prévoir. Des incidents peuvent survenir. Nous avions organisé une réunion avec tous les étudiants et les membres du corps enseignant qui le souhaitaient. Comme je l’ai mentionné, je suis président, donc je suis un peu éloigné du quotidien. J’étais présent et je ne comprenais pas la difficulté que cette jeune fille rencontrait pour s’exprimer. Même au sein du corps enseignant, certains disaient : « Mais enfin, tu sais très bien qu’elles ont peur d’être grillées dans le métier. » C’est une idée absurde. C’est un métier où tout le monde s’exprime librement et personne n’est grillé dans le métier. Il faut être très exposé et avoir commis quelque chose de très grave pour cela. Aujourd’hui, Depardieu est grillé dans le métier, certes, mais ce n’est pas un stagiaire qui va l’être. Je pense que nous sommes face à des fantasmes. Cependant, il est de notre devoir de leur dire Vous ne serez pas grillés dans le métier.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je suis indignée par vos propos, M. Hazanavicius. Vous affirmez qu’il est difficile de s’exprimer lorsqu’on n’est pas victime, mais il est parfois tout aussi important de témoigner. En tant que témoin, il est de notre devoir de dénoncer les faits observés. Pour cela, il existe des commissariats ; il n’est nul besoin de recourir aux réseaux sociaux ou de posséder un compte Twitter pour signaler des faits. Quant à l’omerta que vous prétendez ne pas percevoir, elle est pourtant bien réelle. Les victimes s’expriment depuis longtemps, et si leurs paroles avaient été prises en compte dès le début, nous ne serions pas dans cette situation aujourd’hui. Je suis scandalisée d’entendre que vous ne comprenez pas la peur et l’appréhension des victimes à s’exprimer. Cette crainte est une réalité, notamment dans ce métier où l’on risque d’être ostracisé. Les violences dont nous traitons dans cette commission d’enquête ne se limitent pas à de simples disputes ; il s’agit de violences au sens large, incluant parfois des crimes. Vous avez également évoqué le cas de Gérard Depardieu. J’ai effectué quelques recherches avant cette audition et j’ai constaté que récemment vous l’aviez choisi pour doubler un personnage dans l’un de vos films d’animation, en 2023. Je souhaitais vous interroger sur ce choix, à la lumière des informations déjà disponibles à l’époque. Pourquoi avoir retenu Gérard Depardieu pour ce rôle de doublage dans l’un de vos films d’animation ?

M. le président Erwan Balanant. Avant de répondre à cette question, nous reviendrons également sur les écoles. En réaction, après quinze jours de travaux de cette commission d’enquête, dite cinéma, j’ai parfois l’impression de mener une commission d’enquête Camorra. Je comprends que vous ayez une vision différente, mais nous ressentons une omerta. Je vais être clair, nous constatons que certaines victimes hésitent, voire ont peur, de venir témoigner devant cette commission. Cela soulève un véritable problème. Nous pensons que cet entre-soi est en partie fantasmé, car ce milieu ne favorise pas la réussite de personnes extérieures. Toutefois, il est évident qu’un certain nombre de silences sont entretenus. Plus nous avançons dans nos travaux, plus nous le constatons. Je vous laisse maintenant répondre à la question de madame la rapporteure.

M. Michel Hazanavicius. Je tiens à clarifier certains points concernant mes précédentes déclarations, car il semble que je me sois mal exprimé. Tout d’abord, en ce qui concerne Gérard Depardieu, il apparaît que vous avez été mal informée. En effet, j’ai mis fin à ma collaboration avec Gérard Depardieu en 2023. Cependant, il est important de préciser qu’il n’a pas été casté en 2023, mais en 2019. Bien que cela puisse sembler anecdotique, cette précision est essentielle.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Il me semble que les accusations de Charlotte Arnould sont antécédentes à 2019 et que vous aviez pris la parole, notamment dans un WeToo souhaitant porter votre soutien aux victimes. Ce choix se révèle donc assez étrange.

M. Michel Hazanavicius. Je reconnais pleinement avoir en moi des éléments qui peuvent sembler contradictoires. Ce n’est ni mon rôle de défendre ni de condamner Gérard Depardieu. J’ai effectivement choisi de collaborer avec un acteur avec lequel je suis en désaccord sur de nombreux points, qu’ils soient politiques ou comportementaux. On peut contester ce choix, mais je ne crois pas qu’il soit immoral. En 2023, je me suis séparé de Gérard Depardieu. Je ne l’ai pas casté cette année-là, et sa situation avait évolué.

Pour revenir à la question de l’omerta, pour exprimer ce que j’ai tenté de faire comprendre, je vous partage une petite anecdote. La première fois que j’ai travaillé, j’étais stagiaire sur un court-métrage et j’ai commis une énorme erreur. On m’a demandé de transporter les rushs, et je les ai ouverts pour y insérer un papier, tout fier de moi. Quand j’ai réalisé mon erreur, je me suis dit que ma carrière dans le cinéma était terminée. C’était une vision très autocentrée, car je me suis rendu compte que personne ne se souciait vraiment de l’erreur d’un stagiaire. Ce que j’ai voulu transmettre à ces étudiants, c’est de ne pas se raconter que leurs actions d’aujourd’hui les condamneront à jamais. L’époque est avec eux, tout le monde les soutient. Personne ne pourra leur reprocher ouvertement d’avoir pris la parole dans le cadre de la FÉMIS contre un intervenant ayant mal agi. Ce n’est pas cela qui les empêchera de réussir dans le métier. J’assume complètement mes propos, même si je me suis peut-être mal exprimé.

Concernant l’omerta, si vous êtes témoin de quelque chose, vous pouvez effectivement porter plainte et dénoncer les faits. Cependant, il est primordial de respecter la volonté de la victime : souhaite-t-elle s’exprimer ? Vous avez raison en théorie, mais je vous assure que c’est difficile. Personnellement, je n’ai pas été témoin d’agissements qui auraient mérité une dénonciation. J’ai eu la chance de devenir réalisateur très tôt et, n’étant pas du tout impliqué dans ce genre de comportements, cela n’a jamais été l’état d’esprit de mes tournages. Cependant, j’ai un exemple précis d’une personne qui a été témoin et qui m’a appelé en pleurant, en me disant « Je ne sais pas quoi faire ». Cette personne ne savait pas comment réagir parce qu’elle ne pouvait pas se substituer à la victime. Je comprends que, ramenée à une échelle humaine, la situation devient plus complexe. Personnellement, et j’en parle souvent avec ma compagne Bérénice Béjo, qui est actrice, nous avons été extrêmement protégés. Je n’ai pas été témoin direct ni victime de ce genre d’agissements. Bérénice non plus. Je ne sais pas comment j’aurais réagi si j’avais été témoin de quelque chose de grave. Si je me fie à tout ce qui s’est passé ces dernières années, je ne peux pas garantir que j’aurais bien agi. Je n’y ai pas été confronté. L’explication systématique de l’omerta dans le cinéma me semble quelque peu abusive et fantasmée. Je ne vous fais part que de mon ressenti.

M. le président Erwan Balanant. Notre position est claire et éclaire d’ailleurs le reste de nos travaux, nous respectons la parole des victimes et refusons de contraindre celles-ci à exprimer des propos pouvant les mettre en difficulté. Le véritable enjeu réside dans le fait que nous ressentons que certaines personnes pourraient se trouver en difficulté en raison de leur prise de parole.

M. Michel Hazanavicius. Ce que j’essaye de dire, c’est qu’on est en train de vivre une révolution majeure.

M. le président Erwan Balanant. Et vous l’avez signalé sur la façon dont vous avez présenté l’école et votre message que le président dise : « Vous pouvez parler, vous devez parler. » Cela va effectivement plutôt dans le très bon sens.

M. Michel Hazanavicius. Cette révolution est absolument majeure. Elle remet en question plus de deux mille ans de rapports hommes-femmes. Non seulement elle progresse à un rythme qui ne me semble pas du tout lent, mais en plus elle se déroule quasiment sans violence ni répression. Nous ne sommes pas dans la terreur, mais dans un processus que je trouve très adulte, intelligent et remarquable. Autour de moi, j’observe que l’accompagnement et la libération de la parole des victimes sont en pleine évolution. Peut-être est-ce lié au type de cinéma dans lequel j’évolue, mais je n’entends pas de personnes s’opposer fermement aux témoignages des femmes ou crier systématiquement à l’injustice. Ce n’est pas ce que je perçois.

M. le président Erwan Balanant. Nous sommes également présents et désireux de progresser, mais nous constatons que certaines violences persistent. Je rappelle que nous restons dans ce siècle. Noémie Kocher, jusqu’à aujourd’hui, c’est vingt ans. Aujourd’hui, vingt ans plus tard, nous observons encore de nombreuses dénonciations. C’est un véritable sujet. Notre ressenti, ce sont des jeunes hommes et des jeunes femmes, qu’ils soient techniciens, comédiens ou peut-être aussi réalisateurs, premiers assistants, qui, à certains moments, subissent des violences allant de l’outrage sexiste aux viols. Nous avons tout le continuum, et ces personnes rencontrent visiblement des difficultés lorsque les faits surviennent, par crainte de ne pas pouvoir continuer à exercer leur carrière. Certains ne souhaitent plus exercer leur carrière, et cela est le plus blessant dans ce domaine. Des jeunes femmes et des jeunes hommes, désireux de devenir acteurs ou réalisateurs, abandonnent après avoir subi des souffrances.

M. Michel Hazanavicius. Vous avez tout à fait raison dans votre analyse des faits. Il serait pertinent de comparer cette situation à d’autres corps de métier, y compris le vôtre, pour évaluer si la parole se libère plus aisément. Il est indéniable que partout où le pouvoir est détenu par des hommes, ce type de problème survient. La difficulté à s’exprimer n’est pas nécessairement liée au fonctionnement du cinéma. Selon mes lectures et ma compréhension, il est ardu de s’exprimer, de se présenter et d’être perçu comme une victime. Cette difficulté peut être appréhendée de manière quelque peu indépendante de l’environnement professionnel. C’est l’essentiel de mon propos.

M. le président Erwan Balanant. Vous étiez présent en tant que président du conseil d’administration de la FÉMIS, mais également en tant que réalisateur. Cette parole revêt une grande importance. Revenons sur la FÉMIS et les autres établissements, notamment sur le corpus d’enseignement. Il existe un corpus technique très précis qui évolue constamment. Par exemple, pour l’école Louis-Lumière, la chimie ne constitue probablement plus une grande partie du programme, contrairement à il y a quelques années. Concernant la FÉMIS, un travail considérable est consacré à l’écriture et à la réalisation. Avez-vous modifié, dans votre enseignement et à travers les intervenants que vous sollicitez, le regard et l’analyse des films de l’histoire du cinéma ? Nous avons auditionné Iris Brey, que vous connaissez sans doute, qui propose une vision sur le regard masculin et le regard féminin. Ces sujets font-ils désormais partie intégrante du corpus académique de vos écoles, pour les trois établissements ?

Mme Nathalie Coste Cerdan. Il y a deux aspects différents à votre question. D’une part, l’écriture, et d’autre part, la revisite de l’histoire du cinéma.

Concernant l’écriture, je constate que les efforts déployés par la FÉMIS ces dernières années pour parvenir à une structure paritaire de ses intervenants obligent chaque comité de présentation des scénarios à réfléchir sur les rôles, l’assignation de certains rôles aux femmes, et les situations d’exercice de la violence. À ce niveau, un dialogue s’instaure entre l’étudiant porteur du projet et ces intervenants directs. Bien que ce sujet ne soit jamais épuisé, il existe un dialogue. Ce dernier est essentiel, et il est également bénéfique d’avoir un encadrement paritaire afin parfois de changer les perspectives.

En ce qui concerne l’histoire du cinéma, il est vrai que l’analyse de film n’est plus aussi prépondérante qu’à l’époque de Jean Douchet. Nous entrons dans un nouveau cycle où nous allons réorganiser l’ensemble de ces enseignements. L’objectif n’est pas de condamner sans autre forme de procès, mais d’accompagner les étudiants dans de nouvelles lectures d’une partie de l’histoire du cinéma qu’il ne faut pas complètement récuser, mais qu’il faut examiner avec eux. Pour cela, il est nécessaire d’avoir des professeurs formés à cet effet, désireux d’échanger avec les étudiants.

Il est peut-être injuste de critiquer Michel Hazanavicius, car il a véritablement cherché à établir un dialogue avec les nouvelles générations. Ces dernières, qu’on le veuille ou non, nous poussent à évoluer et refusent de prendre pour argent comptant les fondements de l’enseignement du cinéma tel qu’il était auparavant. Nous sommes engagés dans des processus de transformation qui ne sont pas encore achevés. Je pense que nous pouvons encore progresser dans ce domaine, mais cela reste central. Il est essentiel d’avoir parmi les directeurs encadrant le scénario ou la réalisation des personnes aux profils divers. Cette diversité permet d’apporter une nouvelle lecture de la manière dont nous racontons le monde aujourd’hui, ce qui correspond aux attentes de modernité des étudiants.

M. Michel Hazanavicius. En ce qui concerne la FÉMIS, vous avez employé le terme « enfant » tout à l’heure. En réalité, il s’agit de jeunes adultes qui nous éduquent autant que nous essayons de les éduquer. Sur ces questions, cette génération est extrêmement affûtée et ne laisse rien passer. Suivre et maintenir un dialogue permanent sur ces sujets est donc essentiel.

M. le président Erwan Balanant. La deuxième partie de ma question portait sur l’évolution du corpus et de la pédagogie en lien avec les enseignants, ainsi que sur la demande et la pression exercées par les nouveaux étudiants. Vous avez déjà répondu à cette question.

M. Vincent Lowy. Je vais répondre à la question précédente concernant les signalements et les cellules d’écoute. À partir de 2021, après la crise sanitaire, nous avons mis en place un dispositif externalisé, fortement soutenu par le ministère de l’enseignement supérieur, qui a joué un rôle moteur dans la professionnalisation et l’implantation d’un réseau déconcentré de conseillers et de chargés de mission dans les rectorats. Initialement, j’avais évoqué la mission d’égalité femmes-hommes. Cependant, nous avons constaté que, étant une petite école, les signalements directement adressés à l’institution, même via des enseignants ou des administratifs formés, ne fonctionnaient pas. La nouvelle génération entretient un rapport complexe avec les institutions, marquée par une forte défiance, malgré les efforts de protection.

Nous avons donc externalisé ce dispositif et identifié des problèmes non remontés. Aujourd’hui, une association nationale, France Victimes, intervient dans tous les départements. Nos étudiants disposent d’un numéro d’appel SOS Victimes 93 en cas de problème. De plus, nous avons une cellule d’écoute psychologique au sein de notre école. Un interne reçoit les étudiants sur rendez-vous deux fois par mois, sans aucune relation avec l’institution, garantissant ainsi un encadrement adéquat.

En ce qui concerne la question de l’omerta, je dirais que nous ressentons fortement ce phénomène. Nous nous trouvons à l’intersection de deux mondes complexes, le cinéma et l’enseignement supérieur. Ces deux domaines sont connus pour leurs traditions paternalistes et de domination masculine. Chez nous, ces traditions se croisent avec une dimension de réforme et de rénovation très lente. Lorsqu’il y a des problèmes, il ne s’agit pas d’omerta à proprement parler, mais plutôt de pesanteur et de peur. Cet argument selon lequel nous risquons d’être marginalisés dans notre métier est systématique. On peut dire ce que l’on veut, mais dans le contexte actuel, comme le mentionnait Michel Hazanavicius, tout le monde sait qu’il existe une dynamique très forte en faveur des victimes. Nous avons tous intégré l’idée qu’il n’y a pas ou très peu d’affabulations dans ce type d’affaires. La situation est très compliquée dans un établissement d’enseignement supérieur aujourd’hui. Cependant, nous bénéficions d’un accompagnement important de la part du ministère, avec de nombreuses aides disponibles. Nous avons des correspondants très compétents et présents, ce qui permet de progresser.

Concernant les corpus, nous avons des enseignants permanents et des enseignants-chercheurs. Ces derniers sont libres de leur contenu. Il y a eu une évolution notable. À mon arrivée, il y avait encore des comportements inappropriés, avec des professeurs posant des questions déplacées. Un changement générationnel s’est opéré, avec des départs à la retraite. En poste depuis sept ans, j’ai pu observer cette transformation. La nouvelle génération a intégré toutes ces notions. Nous nous efforçons également de recruter des femmes. Dans notre école, la proportion d’enseignantes est d’un tiers, comparable à d’autres institutions. Dans le domaine du son, par exemple, nous avons une équipe d’enseignants 100 % masculine, une situation bien connue en France.

Tous les professionnels du son, à quelques exceptions près, sont des hommes. Par exemple, Mélissa Petitjean, une excellente mixeuse, siège au sein de notre conseil d’administration au titre du collectif 50/50, que nous avons sollicité. Cependant, en dehors de ce cas, nous constatons une prédominance masculine dans ces professions. Cate Blanchett a récemment déclaré : « J’arrive sur un plateau, il y a cinquante personnes et trois femmes. » Cette situation se répète quotidiennement. Nous tentons de lutter contre cette inégalité, mais nos moyens sont limités et nous rencontrons des difficultés à faire progresser les choses. Toutefois, dans le domaine de l’image, des améliorations notables sont perceptibles. Nous observons une augmentation significative du nombre de professionnelles à la caméra, au cadre, à la lumière, etc. En revanche, le secteur du son demeure particulièrement difficile à féminiser.

M. le président Erwan Balanant. Concernant la parité, vous avez mentionné que vous aviez presque atteint l’équilibre entre les élèves dans votre école. Est-ce une parité observée dans tous les corps de métier ? Traditionnellement, nous savons que les réalisateurs étaient majoritairement des hommes et les monteuses des femmes. Je simplifie, mais cette répartition paritaire est-elle équilibrée au sein des différents métiers de la profession que vous enseignez ?

Mme Nathalie Coste Cerdan. La réponse est affirmative. Par exemple, lors du concours de l’année dernière, dans le département de production, six femmes ont participé. De plus, dans les départements son et images, nous avons observé une augmentation progressive du nombre de jeunes candidates. Cela revêt une grande importance pour nous, car, comme mes collègues l’ont souligné, dans les métiers techniques, il existe toujours une perception d’infériorité relative et un sentiment de ne pas maîtriser toutes les dimensions techniques sur lesquelles nos enseignants sont très engagés. Des équipes de plus en plus paritaires, notamment avec une directrice de département son qui est également monteuse son, revêtent une grande importance. Nous espérons que cette situation évoluera, car nous nous efforçons de faire progresser les différents directeurs et directrices de département, précisément pour ces questions, afin de changer les perspectives. La situation est relativement équilibrée, bien que nous accusions encore un certain retard dans les métiers techniques.

M. Frédéric Tabet. Sur la question de l’omerta au sein de l’école, nous avons mis en place un système fondé sur une approche par compétences et par exercice. Ce dispositif implique de nombreux intervenants dès la phase de création, avec des responsables d’exercice, des responsables d’année, une direction des études et le directeur. Toutes ces personnes peuvent être amenées à discuter des productions et de la manière dont les étudiants travaillent. Nous comptons 270 étudiants, dont je connais tous les prénoms par cœur, et nous les accompagnons durant les quatre années passées à l’école. Nous nous efforçons de maintenir une transparence et une présence constante auprès de nos étudiants, bien que cela soit très exigeant à mettre en place. Nous offrons beaucoup d’accompagnements personnalisés et les étudiants peuvent échanger de manière informelle avec l’ensemble de mes collègues et moi-même.

Je me pose une véritable question sur la capacité que nous pouvons donner à nos étudiants pour qu’ils osent s’exprimer et identifier les situations problématiques, car souvent, ils ne les appréhendent pas. Par exemple, j’ai rappelé une étudiante par hasard au sujet d’un stage où elle avait été confrontée à un accident sans que personne ne l’oriente. Elle était sortie de l’école et je lui ai expliqué que cette absence de prise en charge était inacceptable. Assurer un suivi et détecter le silence de nos étudiants est une véritable problématique, car ils ne sont souvent pas conscients des situations. J’ai moi-même travaillé longtemps comme stagiaire sur des tournages après être sorti de Louis-Lumière. On nous demandait souvent de faire des heures supplémentaires, ce qui soulève la question du consentement et de l’écoute, surtout pour un stagiaire, souvent rappelé à sa position hiérarchique inférieure. Pour moi, il est central que nos étudiants se sentent protégés par une équipe et qu’ils aient conscience de pouvoir s’exprimer. Certaines situations ne sont tout simplement pas acceptables.

J’ai eu l’opportunité de travailler avec des équipes où mes supérieures étaient exclusivement des femmes, même en tant qu’assistant caméra. Elles m’ont protégé des pressions exercées par les producteurs et d’autres personnes, même en tant que stagiaire. Ce métier est souvent soumis à de fortes pressions et les jeunes en formation ne sont pas toujours préparés à y faire face. Ils manquent parfois de la force de conviction nécessaire pour se dire qu’ils seront protégés et que certaines situations ne sont tout simplement pas normales.

En ce qui concerne le corpus, je soutiens pleinement les initiatives de la FÉMIS. Il est préférable de préserver les espaces de discussion et de pouvoir, plutôt que de censurer ou de supprimer des pans de l’histoire du cinéma ou des créations de nos étudiants. Il est primordial de maintenir ces espaces de dialogue sur les sujets et les films. Il m’importe d’encourager les perspectives croisées plutôt que de céder à cette tendance de la cancel culture qui prône la censure. Il est difficile de commencer à établir des listes ou de se demander comment nos collègues vont s’approprier certains éléments.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je souhaite apporter une précision concernant mon intervention précédente, ce ne sont pas les chartes qui sont obligatoires, mais les référents égalité. Par ailleurs, je partage l’avis selon lequel les nouvelles générations se montrent particulièrement vigilantes et ne laissent rien passer. Elles insufflent un vent de fraîcheur aux situations mises en lumière par cette commission d’enquête. En ce qui concerne ces nouvelles générations, nous avons auditionné la semaine dernière l’association MeTooMedia. Ils interviennent dans les écoles préparant aux métiers concernés et nous ont fait part de leurs observations. Ils constatent que, même après la fin des formations, les étudiants ressentent le besoin de s’exprimer longuement sur les formations reçues et les questions abordées. Cela révèle une certaine forme de stress ou de crainte face à la précarité qui les pousse parfois à accepter l’inacceptable. Ils se retrouvent souvent dans des situations de verticalité totale, soumis à des décisions arbitraires sur lesquelles ils n’ont aucun contrôle.

À ce sujet, Mme Coste Cerdan, vous avez mentionné les formations que vous proposez aux élèves, notamment ceux en charge de la production. Nous nous sommes interrogés sur la formation au droit du travail pour ces futurs directeurs de production, responsables du respect du code du travail sur les plateaux de tournage. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce type de formation ?

De plus, lorsque des élèves dénoncent des situations dans vos écoles, comment se déroule la procédure ? Avez-vous déjà eu à gérer des procédures disciplinaires, indépendantes des procédures pénales ?

Mme Nathalie Coste Cerdan. Concernant les violences sexistes et sexuelles, nous avons récemment introduit des mesures avant tous les tournages de troisième année, puis les avons étendues à la première année. Cela représente environ une cinquantaine de tournages. Ce texte précise les modalités de prévention sur le tournage, en responsabilisant les étudiants producteurs et productrices pour les placer dans des conditions proches de la vie réelle. Nous accompagnons cette démarche, à l’instar du CNC, en conditionnant une partie de nos aides à la mise en place de formations pour l’ensemble de l’équipe de production. Nous avons pu mettre en œuvre ces mesures grâce à l’arrivée d’une productrice à la direction du département production, pleinement consciente de ces enjeux et désireuse de prévenir plutôt que de réagir.

Ces dispositifs sont très précis. Ils définissent, par exemple, le rôle de la référente égalité, la cellule d’écoute mobilisable, l’identification des situations de violence, les propos et gestes déplacés, les SMS, les violences verbales, etc. Ils précisent également la procédure pour recueillir la parole pendant le tournage. C’est très concret. L’idée est de commencer chaque fois par une situation type et de généraliser ensuite ces mesures à l’ensemble des tournages. Je pense que c’est la bonne approche. Nous avons la chance de collaborer avec des professionnels en activité, pleinement conscients des problèmes qui surviennent sur les tournages. Ces problèmes sont présents, même s’ils ne sont pas nécessairement de plus en plus fréquents. Notre responsabilité est de faire en sorte que nos étudiants soient pleinement responsables pour les traiter.

La deuxième question concerne la procédure d’hospitalisation. Depuis quatre ou cinq ans, nous avons environ un cas par an qui nous mobilise fortement. La situation commence par l’expression d’un problème, qui est directement porté aux personnes-ressources identifiées dans chaque communauté, ou directement auprès de la référente égalité. Un examen du cas est alors effectué, en prenant en compte la parole de la victime, afin de déterminer les suites à donner. Il s’agit de décider s’il est opportun de déployer une enquête interne, toujours en toute confidentialité. À ce stade, l’enjeu est de mener une enquête la plus objective et complète possible, en recueillant non seulement les témoignages des protagonistes, mais aussi ceux de témoins éventuels. Nous recherchons donc des témoins et, selon l’ampleur du cas, nous pouvons soit mener l’enquête en interne, ce qui mobilise beaucoup de temps, soit solliciter une structure externe pour nous accompagner dans cette démarche. En fonction de la gravité du cas, nous pouvons également invoquer l’article 40 du code de procédure pénale. Si le cas est moins grave, l’objectif est au moins d’en faire un compte rendu et, le cas échéant, de déboucher sur des actions concrètes. Nous encourageons aussi les victimes, lorsque cela semble nécessaire, à déposer plainte. Après cinq ans, ce processus commence à être bien établi, même si l’on ne peut jamais dire qu’il est parfaitement rodé. En tout cas, il ne nous effraie plus, car des procédures ont été écrites et nous savons comment naviguer à travers ces différentes étapes lorsque ces situations se présentent.

Nous avons parfois à traiter des cas qui peuvent mener à des commissions disciplinaires, bien que cela soit rare. Récemment, nous avons eu un cas, et parfois cela nous amène à modifier les modalités de fonctionnement des enseignements. Par exemple, en 2021, une jeune femme a perçu que l’enseignant chargé de l’apprentissage de l’utilisation de la perche avait un contact physique trop proche. Nous avons longuement réfléchi à cette situation et en avons discuté avec l’intervenant, car il est essentiel de ne pas agir isolément. Plus les actions sont partagées, plus nous avons de chances de les changer fondamentalement. À partir de cette réflexion, nous avons élaboré un guide spécifique pour les tournages techniques. Ce guide prévoit d’informer l’étudiant ou l’étudiante à l’avance des gestes à venir afin qu’il ne soit pas surpris. Cet exemple concret montre comment une situation peut mener à une enquête sans qu’il soit nécessaire de renvoyer immédiatement l’intervenant. En revanche, cela nous permet de prendre conscience d’une manière différente de former, plus en phase avec la sensibilité actuelle des jeunes générations. Une fois ces bonnes pratiques intégrées, elles deviennent des réflexes et nous n’avons plus besoin de nous poser la question. L’objectif est d’atteindre un point où, grâce à des procédures bien établies et à un dialogue constant, nous n’avons plus à nous interroger sur ces aspects.

M. le président Erwan Balanant. Avant de passer la parole, j’aimerais poser une question importante concernant les deux écoles, l’ENSAV et l’École nationale supérieure Louis-Lumière. Je pense avoir quelques éléments de réponse, car vous délivrez des masters et, par conséquent, vous avez des critères de notation. Pourriez-vous préciser quels sont ces critères et comment le diplôme est délivré ? Cela m’intéresse particulièrement en comparaison avec la FÉMIS. Quels éléments sont pris en compte pour l’obtention du diplôme ? Quelle est la part accordée à la pratique par rapport à un tronc commun plus généraliste et théorique ? Existe-t-il également une part plus subjective liée au respect des pratiques professionnelles ? Par exemple, dans le cas d’un réalisateur ou d’une réalisatrice, le rapport avec les comédiens, les comédiennes, et l’équipe technique est-il un critère d’évaluation ?

M. Vincent Lowy. Pour répondre à une partie de la question précédente concernant les référents, nous disposons en interne d’un conseiller de prévention et d’une responsable des ressources humaines, qui sont des personnes-ressources. Notre administration compte une trentaine d’agents, dont une douzaine a suivi, au cours des deux dernières années, des modules de formation dispensés par le ministère sur les violences sexistes et sexuelles. Le maître mot est véritablement la professionnalisation et la formation des agents et des enseignants. Certains enseignants ont également entrepris cette démarche, bien que cela soit plus complexe en raison de la hiérarchie stricte au sein de l’administration, différente de celle des équipes pédagogiques. Nous avons également des référents pour les masters, qui sont des enseignants permanents. Nous conditionnons leur rôle de référent à une formation spécifique de ce type. Ces référents, neutres et dignes de confiance, sont généralement sollicités par les étudiants en cas de problème. Nous avons rencontré environ un problème par an, souvent lié à des comportements sexistes. Un seul cas plus grave a nécessité une enquête interne et l’application de l’article 40 du code de procédure pénale. Nous avons d’abord constitué une section disciplinaire au sein de l’établissement, une obligation souvent non respectée dans de nombreux établissements d’enseignement supérieur. Cette section disciplinaire, distincte pour les usagers (étudiants) et les enseignants, a été installée pour les étudiants. Nous avons ensuite demandé le dépaysement au recteur, et l’université de Nanterre a traité le cas, aboutissant à une sanction. Cet incident, unique en sept ans, a été difficile à gérer, mais il a renforcé la dynamique collective au sein de l’établissement.

Pour répondre à votre question concernant l’évaluation, nous délivrons un grade de master qui suit les mêmes logiques de notation et d’évaluation que dans l’ensemble de l’enseignement supérieur. Cela inclut des crédits ECTS, et les étudiants sont évalués en conséquence. Il est vrai que la notation peut s’avérer complexe, notamment lorsqu’un professionnel doit évaluer huit personnes sur un plateau. Nous travaillons sur cette question, car en général, les étudiants réussissent et les échecs sont rares. Nous nous efforçons de garantir à nos étudiants la plus grande équité, la meilleure qualité de formation et un environnement harmonieux. Cependant, nous ne pouvons pas surveiller chaque enseignant à tout moment. C’est pourquoi nous avons introduit des référents, non seulement sur les tournages, à la demande également des étudiants. Ces référents VSS, désignés parmi les étudiants, sont présents lors des tournages et des fêtes de fin de tournage, moments où surgissent le plus de problèmes. Ces contextes de décompression peuvent effectivement engendrer des soucis.

M. le président Erwan Balanant. Vous n’avez pas de classement à la sortie ?

M. Vincent Lowy. Nous avons des mentions à nos diplômes, mais pas de classement.

M. Frédéric Tabet. Nous avons un référent mission égalité à l’université de Toulouse 2. En tant qu’école interne dépendant de cette université, nous n’avons pas l’autorité pour lancer des procédures disciplinaires. Notre cellule d’écoute transmet les informations au dispositif de signalement et au dispositif mis en place au niveau de l’université de Toulouse 2. Ensuite, les procédures suivent leur cours en interne. Nommé il y a dix ans à Toulouse, j’ai observé des ajustements dans les exercices et les méthodes d’enseignement pour des cas spécifiques, en réorganisant des groupes ou en modifiant certaines modalités de déroulement des exercices. Je partage l’avis de mes collègues sur la dynamique collective et de nombreux autres aspects.

Nous évaluons nos étudiants par exercice et par configuration de création. Nous évaluons les films ainsi que les modalités de leur réalisation, avec une évaluation technique et une évaluation du film lui-même. Nous prenons en compte le respect des contraintes initiales et la manière dont les tournages se sont déroulés.

Mme Nathalie Coste Cerdan. La FÉMIS dispose également d’une homologation de master. À cet égard, nous ne sommes pas si différents des autres institutions. Le diplôme final repose sur l’évaluation d’un film et généralement d’un mémoire, l’étudiant produisant un bilan de ses quatre années de formation. Au cours des différentes années, des commissions de passage évaluent la scolarité de chaque étudiant. Chaque intervenant fournit une évaluation individuelle. Dans ce cadre, des comportements dysfonctionnels peuvent être repérés assez tôt et faire l’objet de recadrages, si nécessaire. Nous nous efforçons d’être attentifs à cela, même si nous n’attribuons pas de notes. En effet, nous n’avons pas de notes et pas d’éléments comportementaux, ce qui pourrait être un point de réflexion pour l’avenir, mais ce n’est pas encore le cas.

Cependant, dans l’évaluation des films, nous jugeons clairement la version finale du film sous divers aspects esthétique, intrinsèque, narratif, etc. Nous prenons également en compte le déroulement du projet. Les étudiants sont invités à travailler en équipe et à partager leur expérience. Il est vrai que des problématiques peuvent survenir, et bien qu’elles ne soient pas toujours exprimées, je pense que cette culture générale du cadre dont nous parlions permettra progressivement d’identifier les problèmes en cours de route.

M. le président Erwan Balanant. Est-ce que, comme toute une série de masters, vous avez des notes qui sont des devoirs sur table avec, par exemple, une note sur le droit du travail ? Vous n’avez pas cela ?

Mme Nathalie Coste Cerdan. Nous ne disposons pas de note spécifique. Nous avons des crédits ECTS, ce qui implique la nécessité d’avoir suivi un enseignement particulier. En quatrième année, cela concerne principalement la réglementation et la profession envisagée, notamment le droit social et le droit applicable aux producteurs. Cependant, il n’y a pas de note attribuée.

M. le président Erwan Balanant. Il y a un tronc commun. C’est différent, suivant que ce soit producteur, réalisateur. Ce ne sont pas les mêmes cours.

Mme Nathalie Coste Cerdan. Nous, en première année, nous avons un tronc commun. Après, c’est très vite la spécialisation.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). M. Hazanavicius, en tant que président du conseil d’administration de la FÉMIS, j’aimerais clarifier certains points de votre intervention. Je suis arrivée en cours de route et j’ai entendu vos propos concernant l’omerta dans le monde du cinéma. Vous avez mentionné que les explications étaient abusives et fantasmées. J’aimerais que vous explicitiez cette position. D’un côté, vous affirmez accompagner la libération de la parole. De l’autre, vous estimez que le rythme est adéquat et qu’il n’y a pas réellement d’omerta, car les nouvelles générations s’expriment.

Personnellement, je trouve ce rythme extrêmement lent. En tant que féministe et membre d’associations féministes, je constate que les jeunes femmes, notamment les actrices, me confient depuis vingt ans leur précarité dans ce métier. Elles me disent qu’elles n’osent parler des abus qu’elles subissent de la part des réalisateurs, de peur de perdre leur emploi. Il y a vingt ans, cela existait déjà et c’était très tabou. Aujourd’hui, c’est un peu moins le cas, mais cela persiste. J’aimerais entendre de votre part que les choses ne sont pas encore réglées et qu’il y a toujours de l’omerta.

Vous comparez ce métier à d’autres professions, mais ce n’est pas le cas. En tant que députée, je sais que des violences sexuelles existent dans mon milieu. Cependant, le réalisateur est perçu sur un plateau comme un dieu, un génie qui modèle les acteurs et crée. Ce pouvoir quasi divin rend ce métier particulier. J’aimerais que vous clarifiiez vos propos, car peut-être ai-je mal compris. Cela me rassurerait d’entendre une position plus claire.

M. le président Erwan Balanant. Je me permets. Je crois qu’il y a eu une réponse. Elle était claire.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Oui, mais c’était sur Depardieu. Je ne parle pas de Depardieu. Je parle au président du conseil d’administration de la FÉMIS. C’est important.

M. le président Erwan Balanant. J’invite M. Hazanavicius à répondre, mais très brièvement, parce que j’ai l’impression quand même qu’il a répondu assez clairement tout à l’heure. Il peut compléter.

M. Michel Hazanavicius. Vous avez tout à fait raison concernant les événements survenus il y a vingt ans. Depuis que ce processus a été enclenché, il progresse bien. Cela ne signifie pas que les problèmes sont résolus ou qu’ils ont disparu. Je me suis probablement mal exprimé, car je ne me reconnais pas dans vos propos. Je n’ai jamais affirmé que tout allait bien. Ce qui était vrai il y a vingt ans l’est encore aujourd’hui, mais un processus s’est mis en place. Il me semble que le rythme de ce processus dicté par la parole des victimes s’accélère de manière exponentielle. Plus les victimes s’expriment, moins cette parole est honteuse ou dangereuse comme elle a pu l’être par le passé. Cette parole est de plus en plus respectée. Ce rythme naturel est dû au courage des victimes, et non à ceux qui les entourent. Nous ne pouvons que les accompagner. C’est tout ce que j’ai tenté de dire. Je crois sincèrement que le type de comportement dont vous parlez diminue et continuera de diminuer pour une raison très simple. Le message d’Adèle Haenel a été clair concernant le défaut de la justice, son échec pour ce genre d’affaires. Désormais, une autre méthode existe, différente de celle employée par la justice depuis très longtemps, mais elle fonctionne, il s’agit de la prise de parole publique.

J’ai trouvé cette initiative brillante, car elle a atteint un objectif essentiel porter atteinte au sentiment d’impunité des personnes ayant de telles pratiques. Ce sentiment d’impunité a été significativement ébranlé. Plus les victimes s’expriment, plus ce sentiment s’estompe. Je suis convaincu que les jeunes générations n’ont plus du tout ce sentiment d’impunité, cette impression de toute-puissance divine dont vous parliez, qui a pu exister par le passé. Je crois sincèrement qu’il est en train de disparaître, et je m’en réjouis. Cependant, je ne suis pas naïf au point de penser que tout va bien et qu’il n’existe aucun problème dans ce domaine. Permettez-moi d’aller droit au but.

Vous savez sans doute que le CNC propose une formation pour les producteurs, que j’ai suivie en tant que producteur moi-même. Cette formation est extrêmement bien conçue et explique en détail les responsabilités en matière de droit du travail et devant les prud’hommes. La responsabilité des producteurs est immense. Pour les victimes d’agissements survenant dans le milieu professionnel, la justice pénale, qui vise à punir les coupables, est souvent en échec. En revanche, la justice du travail, qui vise à indemniser les victimes, repose sur une logique différente et fonctionne très bien. Dans ce cadre, les employeurs, les producteurs, sont les responsables. Cette formation est édifiante et constitue un élément très important et efficace, car elle oblige les producteurs à assumer leurs responsabilités en amont, compte tenu des risques pénaux encourus pour leur entreprise.

M. le président Erwan Balanant. Très bien. Nous allons auditionner le CNC. J’ai examiné le contenu pédagogique de ces formations. C’est satisfaisant, mais je pense qu’il serait encore plus bénéfique de l’enseigner à l’école. Je vous encourage, toutes les écoles, à intégrer la formation au droit pour les étudiants et étudiantes. Cela permettra non seulement de gagner en compétence, mais aussi de mettre à niveau et de sensibiliser différemment. Je suis convaincu que cela va dans la bonne direction.

M. Michel Hazanavicius. Les écoles accompagnent un mouvement de société. Je vous le dis sans aucune agressivité, mais d’entendre des mots comme « omerta » ou « Camorra », c’est assez violent quand on essaye vraiment de ne pas aller dans ce sens-là. C’est un peu difficile à entendre.

M. le président Erwan Balanant. Et nous avons entendu et observé des violences perçues par un certain nombre de victimes également très graves. En tant que président, mon rôle consiste à veiller à ce que ces auditions se déroulent dans de bonnes conditions. Pour cela, il est essentiel que les personnes puissent s’exprimer librement. C’est pourquoi j’ai mentionné, de manière quelque peu provocante, que j’avais parfois l’impression de participer non pas à une commission de cinéma, mais à une commission Camorra. Cette comparaison est certes brutale, mais comme dans le cinéma, la caricature peut parfois aider à faire passer des messages. Ce qui fonctionne au cinéma peut également être efficace en politique.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Je souhaite poser une question aux directions des trois écoles prestigieuses, où peu d’élus sont admis. Ma question est la suivante : mettez-vous en place des modules sur le consentement et sur le cadre juridique protégeant les acteurs ou, plus largement, les artistes ? Je viens de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Par exemple, dans la formation des enseignants, nous incluons des modules de sensibilisation au harcèlement scolaire, absolument essentiels pour un professeur. Il serait peut-être pertinent qu’un réalisateur suive un module sur le consentement et sur la gestion des équipes d’acteurs. Ma question est donc simple en proposez-vous dans vos établissements ?

Mme Nathalie Coste Cerdan. Quand je parlais de la première demi-journée dans laquelle sont présentés ces sujets à l’ensemble des étudiants, il y a un module sur le consentement. Cette parole est entendue. Peut-être faudrait-il y revenir plus tard, mais ça figure parmi les choses qui sont dites.

M. Vincent Lowy. Dès 2018, nous avons instauré une conférence introductive destinée à tous les étudiants, abordant la question des représentations et visant à les sensibiliser. Cette conférence, inscrite dans l’emploi du temps, était animée par une spécialiste de l’enseignement supérieur, axée sur la communication non stéréotypée. Nous avons cherché à sensibiliser les étudiants tant dans leurs pratiques que dans les représentations qu’ils allaient ensuite intégrer dans leurs récits. Par ailleurs, nous avons invité les deux animatrices du Tumblr « Paye ton tournage ». Anciennes étudiantes d’une école de cinéma belge, elles étaient très appréciées des étudiants et sont intervenues à plusieurs reprises. Ce Tumblr recense quotidiennement les remarques sexistes entendues sur les plateaux de tournage ainsi que dans les écoles de cinéma. En examinant ces témoignages, on ressent une profonde nausée face à la réalité décrite. Ensuite, nous avons mis en place une journée et demie de formation dispensée par l’organisme Egaé, spécialisé dans la formation de divers publics et agréé par le ministère de la justice. Nous nous efforçons, avec un volontarisme certain, d’appliquer toutes les bonnes pratiques nécessaires pour garantir à nos étudiants un environnement de travail optimal. Nous souhaitons surtout leur fournir, pour leur avenir professionnel, des repères solides et des grilles de lecture pertinentes.

M. Frédéric Tabet. À l’École nationale supérieure des arts visuels, nous n’avions pas de module spécifique sur les violences sexuelles et sexistes. À la rentrée prochaine, nous organiserons une journée d’accueil dédiée à ces questions, ainsi qu’au consentement, à ce moment charnière de la vie universitaire. Cette journée permettra d’aborder ce qui est déjà en place et ce qui existe à l’université, ainsi que les règles qui régiront la vie de nos étudiants à l’école. Nous traiterons également de ce qu’implique un tournage consenti et de la prévention et de l’identification des situations à risque au sein de l’école. Nous établirons un lien avec le monde du travail pour sensibiliser nos étudiants aux violences auxquelles ils pourraient être exposés après leur parcours scolaire. Cette journée de formation nous la rendrons obligatoire chaque année pour toutes les promotions.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Est-ce que vous prévoyez dans le futur de former des coordinateurs, coordinatrices d’intimité et des responsables enfants, puisqu’il n’existe pas de formation à l’heure actuelle en France ?

M. le président Erwan Balanant. Sachant que par exemple pour les responsables enfants, elles considèrent que leur poste est du niveau du premier assistant réalisateur dans leur responsabilité et dans l’attention qu’elles doivent avoir du tournage.

Mme Nathalie Coste Cerdan. Pour notre part, nous ne formons pas spécifiquement autrement que pour devenir chefs de poste. En revanche, nous avons déjà mobilisé une coordinatrice d’intimité sur les tournages lorsque le sujet ou le thème le justifiait. Concernant les enfants, nous avons récemment pris conscience de l’importance de cette question. Il est nécessaire d’être plus attentifs à la manière d’encadrer les tournages impliquant des enfants. Cependant, former des personnes à ces sujets spécifiques est comparable à la formation d’assistants réalisateurs que nous ne formons pas spécifiquement, et d’autres écoles seraient peut-être plus aptes à le faire.

M. Vincent Lowy. Nous sommes une école avec une tradition ancienne dans les trois spécialités que j’ai mentionnées. Nous ne développons pas de nouvelles filières de formation, sauf pour des formations courtes, qui relèveraient alors de la formation professionnelle. Il est important de noter que nous produisons beaucoup moins de films que la FÉMIS, par exemple. En effet, bien que nous réalisions entre soixante et quatre-vingts films chaque année, la FÉMIS en produit beaucoup plus, environ deux cent. Par conséquent, nos besoins sont moindres. Lorsqu’un problème se pose, comme cela s’est produit une fois, nous consultons les parents si un enfant est impliqué. Nous demandons parfois la présence d’un psychologue ou d’un professionnel, surtout si le tournage concerne un scénario délicat impliquant un enfant. Nous avons suivi de près cette situation et tout s’est bien déroulé.

M. Frédéric Tabet. Nous n’avons pas prévu de formation spécifique pour ces métiers, car nous disposons d’un vivier d’une quinzaine d’étudiants qui se spécialisent généralement en réalisation. Refaire des sous-sections semble complexe dans l’économie de l’école. Cependant, les réalisateurs bénéficient d’interventions de la part des directeurs de casting et de cours sur la direction d’acteurs, où ces questions sont abordées de manière spécifique. Nos étudiants, je suppose, se sous-spécialisent eux-mêmes et montrent une sensibilité particulière à ces sujets. Par exemple, certaines étudiantes, après avoir terminé leur cursus, ont été spécifiquement affectées à l’accompagnement d’acteurs enfants sur des tournages, dans le cadre de stages, manifestant ainsi un intérêt marqué pour ces questions.

M. le président Erwan Balanant. Je vais conclure cette intervention en vous remerciant sincèrement pour la franchise de vos réponses et pour le travail accompli dans vos établissements. Il est évident que ces sujets sont abordés avec sérieux dans vos écoles. La difficulté de notre exercice réside dans la nécessité d’explorer des sujets complexes. Si parfois nos questions peuvent sembler virulentes, c’est parce que nous devons faire émerger certaines vérités. Nous avons cependant veillé à rester dans la délicatesse et la politesse, ce qui me semble être la moindre des choses. Nous ressentons, et je tiens à le souligner, qu’il existe des blocages et des violences latentes. Plus nous avançons, plus ces tensions deviennent perceptibles, ce qui nous pousse à nous interroger davantage. Nous rencontrons de nombreux professionnels qui, lors des auditions, restent évasifs, mais expriment ensuite le désir d’aller plus loin. Nous nous trouvons donc dans une position délicate, quitte à mettre en cause certaines personnes. Je tiens à rappeler que notre rôle n’est pas celui de juge d’instruction ou de procureur, et que nous ne sommes pas ici pour mener un tribunal. C’est également un appel à ceux qui ont des informations à partager de le faire sans hésitation. Merci pour le travail accompli dans vos écoles. Nous constatons qu’elles évoluent avec la société, sous la triple pression sociétale, celle des enseignants, qui suivent les évolutions de leur temps, et celle des étudiants, qui vous poussent également au changement.

*

*     *

16.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Tiffany Coisnard, juriste chargée de mission à l’association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).

M. le président Erwan Balanant. Madame, je vous souhaite la bienvenue. Notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l’audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous souhaitons identifier les responsabilités de chacun et proposer des solutions pour évoluer dans ces secteurs sans crainte pour son intégrité physique et mentale. Pourriez-vous, dans un propos liminaire, nous exposer les actions que vous menez ? Nous avons constaté qu’elles sont nombreuses. Nous avons lu un chiffre alarmant dans Mediapart, datant de 2017, selon lequel 95 % des femmes dénonçant des faits d’agressions ou de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail perdent leur emploi. Ce chiffre, fourni par votre association, l’AVFT, nous interpelle et soulève de nombreuses questions. Est-il toujours d’actualité ? Ensuite, Mme la rapporteure, ma collègue et moi-même aurons plusieurs autres questions à vous poser. Je rappelle que toutes ces auditions sont ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Tiffany Coisnard prête serment.)

Mme Tiffany Coisnard, juriste chargée de mission à l’AVFT. L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) a été fondée en 1985 par trois femmes, dont l’une subissait du harcèlement sexuel à l’époque. Cette association a vu le jour à une période où le code pénal ne prévoyait aucune infraction pour sanctionner le harcèlement sexuel. Le premier combat de l’AVFT a été de faire reconnaître ce délit dans le débat public. Par la suite, elle a joué un rôle déterminant dans la réécriture des lois relatives au harcèlement sexuel, abrogées en 2012. L’association se structure autour de plusieurs volets. Le premier consiste en l’accompagnement des victimes. Nous sommes sollicités principalement par le biais d’un accueil téléphonique, dont l’objectif est de fournir des premiers outils aux victimes qui nous contactent. En moyenne, entre 2021 et 2023, nous avons enregistré environ 250 nouvelles saisines par an. Il est important de préciser que ce chiffre ne représente que les nouvelles victimes qui nous contactent chaque année, en plus des dossiers déjà en cours d’accompagnement. Dans les secteurs concernés par cette commission, nous avons recensé en moyenne huit saisines par an entre 2021 et 2023, avec un pic en 2021. Cette augmentation n’est pas surprenante, car cette année a suivi le lancement du marché public avec le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), sur lequel je reviendrai plus tard. Cette période a donc été marquée par une plus grande visibilité de l’association et du sujet en particulier dans ces secteurs. Notre champ de compétences en matière d’accompagnement des victimes couvre toutes les formes de discriminations, y compris les agissements sexistes, le harcèlement sexuel, l’exhibition sexuelle, les agressions sexuelles et les viols. Les termes que nous utilisons, qui sont des qualifications juridiques, s’inscrivent dans la catégorie des violences sexistes et sexuelles et relèvent de la discrimination. Nous sommes donc également compétents en matière de discrimination.

En ce qui concerne les chiffres relatifs à l’accompagnement des victimes, 67,7 % des saisines que nous recevons proviennent du secteur privé, tandis que 32,3 % concernent le secteur public. On constate ici une surreprésentation des fonctionnaires dans nos saisines, puisque parmi l’ensemble des travailleurs et travailleuses, 20 % sont fonctionnaires. Si 20 % des travailleurs et travailleuses sont fonctionnaires, mais que 32 % de nos saisines les concernent, il y a une surreprésentation notable des fonctionnaires dans les saisines. Je vous invite à me poser toutes les questions que vous souhaitez sur notre accompagnement.

Je vais maintenant aborder le volet formation, un autre domaine sur lequel l’AVFT travaille. Concernant spécifiquement les secteurs d’intérêt de votre commission, nous avons obtenu un marché public auprès du CNC. Nous en avons deux, le premier, qui concerne les producteurs et productrices, a débuté fin 2020 et est encore en cours aujourd’hui. Il prévoit environ une centaine de sensibilisations. Ces sensibilisations portent sur les facteurs de risque, la qualification juridique, la compréhension des mécanismes permettant de commettre des violences sexistes et sexuelles, ainsi que la compréhension du contexte social, économique et culturel qui préexiste à ces violences. Cette formation porte sur les obligations des employeurs afin de transmettre tous les outils nécessaires aux victimes présentes, ainsi qu’aux encadrants.

Nous avons également un deuxième marché public avec le CNC, concernant les exploitants de salles, qui a débuté un peu plus tard et s’étend de 2022 à 2026. Je vous présente quelques chiffres relatifs à ces formations. Au total, soixante-huit sessions ont été organisées par le CNC pour les producteurs, touchant 4 162 personnes. Pour les exploitants de salles, vingt-six sessions ont été réalisées, touchant 1 357 personnes.

Nous avons également mis en place un programme de formation auprès du Syndeac, dans le secteur du spectacle vivant. En plus du Syndeac, de nombreux organismes et structures de travail affiliés à ce secteur ont bénéficié de cette commission. Une grande diversité de structures a été touchée par ces actions de formation, des écoles de cinéma, des syndicats, des compagnies de théâtre, de danse, de cirque, des sociétés de production de jeux vidéo, de publicité, de clips vidéo, de courts-métrages, de longs-métrages, de fiction, de documentaires, ainsi que des studios d’animation. Des centres dramatiques nationaux et des scènes nationales ont également été concernés. Le public visé est donc très varié dans ces secteurs.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Madame, étant membre d’une association européenne, quel regard portez-vous sur le traitement des violences faites aux femmes au travail d’un point de vue européen ? Dans le cadre de cette commission d’enquête, nous nous concentrons sur une spécificité française, que nous avons identifiée au fil des auditions, la manière dont le cinéma et le rôle d’un réalisateur sur les acteurs et les personnes présentes sur un tournage confèrent une autorité particulière. En France, ce pouvoir de création semble tout permettre au nom de l’art. Observez-vous également des spécificités dans le traitement des violences faites aux femmes dans le monde du travail en France par rapport aux autres pays européens, que ce soit en termes de bonnes pratiques ou d’approches différentes ?

Mme Tiffany Coisnard. Dans le cadre des procédures judiciaires, nous mobilisons le droit européen, ce qui nous permet, par exemple, de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne. En ce sens, nous nous définissons comme une association européenne. Nous pratiquons également le droit comparé, en étudiant les pratiques d’autres pays pour les confronter à celles de la France. Nous cherchons ainsi à identifier des mesures mises en œuvre ailleurs qui, selon nous, devraient être adoptées en France. Nous aurons peut-être l’occasion de discuter de la définition du viol, un sujet important, dans le cadre du droit comparé. En revanche, concernant le fonctionnement des milieux du cinéma, de la mode et du spectacle vivant dans d’autres pays européens, nous ne disposons pas de suffisamment de retours pour vous fournir une réponse satisfaisante.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Peut-être avez-vous abordé la question, étant donné que vous pratiquez le droit comparé, concernant la définition du consentement ainsi que le régime de preuve en matière de harcèlement sexuel. Pourriez-vous nous préciser les observations que vous avez faites sur ces deux points dans le cadre du droit comparé ?

Mme Tiffany Coisnard. Plusieurs pays de l’Union européenne ont choisi d’introduire le terme consentement ou absence de consentement dans leur législation définissant le viol. En France, cette question est actuellement débattue, notamment sur les conséquences de l’introduction d’un tel terme dans notre législation. Par exemple, la Suède a déjà adopté cette approche. La convention d’Istanbul précise également la nécessité d’introduire la notion de volonté libre et éclairée, en tenant compte des circonstances entourant l’acte de viol, afin de déterminer dans quelles conditions le consentement a été donné ou non. En France, nous ne procédons pas ainsi actuellement. La définition du viol en France repose sur le mode opératoire, c’est-à-dire la recherche de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise. Ces quatre termes définissent les conditions dans lesquelles l’acte a été commis. Ainsi, les actes sexuels commis sans violence, menace, contrainte ou surprise ne sont pas considérés comme des viols selon notre législation. Cela implique une présomption de consentement, présumant d’abord que les femmes sont consentantes, ce qui pose un premier problème.

Ensuite, le terme « contrainte » recouvre plusieurs aspects, contrainte morale et contrainte physique. Dans les dossiers traités par l’AVFT, la contrainte physique est rarement mobilisée. En revanche, la contrainte économique, souvent liée au contrat de travail, est prédominante. Lorsqu’une victime subit des violences sexuelles sur son lieu de travail, la contrainte économique est forte, car le contrat de travail est en jeu. Parfois, la contrainte administrative intervient également, notamment lorsque le titre de séjour de la victime dépend de son emploi. Cette situation crée une pression intense pour la victime, qui ne peut se permettre de perdre son emploi. Dans certains secteurs, perdre son emploi signifie aussi perdre son métier, ce qui constitue une contrainte supplémentaire. Dans certains secteurs, il sera impossible de continuer à exercer ce métier, car les mêmes problèmes et acteurs se retrouvent ailleurs. Cela nous contraint à une réorientation complète, entraînant une véritable perte de carrière.

Dans les secteurs concernés par cette commission, on observe beaucoup de réseautage et de relations familières. Dénoncer les faits peut parfois signifier perdre ses amis. Cet environnement crée la contrainte, non pas le violeur lui-même. Il n’a pas besoin de générer cette contrainte, il se contente de s’appuyer sur celle déjà présente dans le contexte de travail. Ce texte pose un réel problème de définition, car il entrave la qualification des viols. On nous indique, par exemple dans des ordonnances de non-lieu, que les violeurs n’ont pas mobilisé la contrainte. Or, ils n’ont pas à le faire, puisque la contrainte découle du contrat de travail et d’un environnement coercitif. Le violeur n’a donc pas besoin de mobiliser cette contrainte. Nous faisons face à une définition qui ne correspond pas à la réalité des violences sexuelles et qui empêche les victimes d’être reconnues et d’obtenir réparation. Il est crucial d’ouvrir des débats en France sur la définition du viol.

Concernant la deuxième question sur la preuve, je ne peux pas répondre spécifiquement en matière de droit européen. Cependant, je peux évoquer la directive de 1997 relative à la charge de la preuve, qui a introduit le principe d’aménagement de la charge de la preuve en France, et qui demeure le régime actuel. Dans les procédures sociales, le régime de la preuve est aménagé de manière à partager la charge de la preuve. La victime doit apporter des éléments qui, sans établir de manière définitive qu’elle a été victime, laissent présumer qu’elle a subi du harcèlement sexuel ou d’autres violences sexuelles. Ensuite, il incombe à l’employeur de répondre à ce faisceau d’indices en démontrant qu’il s’agit d’autre chose que du harcèlement sexuel, et donc de fournir des éléments prouvant cette autre réalité.

Cet aménagement est favorable et nécessaire en France pour adapter le régime de la preuve à la réalité des violences sexuelles. En effet, en matière de violences sexuelles, comme le reconnaissent plusieurs jurisprudences, la preuve résulte souvent d’un faisceau d’indices. Cependant, cette preuve peut être difficile à obtenir, car les violences sexuelles sont souvent commises dans des contextes d’isolement, rendant les témoignages directs rares. Il est donc essentiel que l’analyse de la preuve et les attentes en matière de preuve reflètent cette réalité. L’aménagement de la charge de la preuve répond précisément à cette nécessité. Malgré l’antériorité de ce régime, nous faisons régulièrement face à des conseillers prud’homaux qui ignorent cet aménagement et refusent de l’appliquer. Cela constitue un nouvel obstacle pour les victimes.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Si nous nous recentrons sur notre périmètre d’action, vous êtes chargé d’assurer les formations prévues dans le cadre des obligations de lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS), ainsi que des aides publiques du CNC. Pouvez-vous nous indiquer qui sont les personnes que vous formez, comment ces formations sont accueillies, et nous fournir un bilan de ces sessions ? À votre avis, y aurait-il des aménagements à apporter ? Enfin, comment ces formations se traduisent-elles dans la pratique, notamment en ce qui concerne les notions diffusées ?

Mme Tiffany Coisnard. Sur le public formé, je mentionnais précédemment que les structures sont assez variées écoles de cinéma, compagnies de danse, de théâtre, etc. À l’intérieur de ces structures, les publics formés incluent des salariés, des personnes encadrantes, des directeurs et directrices de théâtre, des exploitants et exploitantes de salles, ainsi que des producteurs et productrices. Les formations du CNC sont également concernées. Depuis 2020, date à laquelle nous avons lancé le premier marché public auprès des producteurs et productrices, nous avons observé certaines évolutions. La première concerne les comportements et propos sexistes. Par exemple, certains stéréotypes reposant sur les victimes, comme l’idée qu’il faut apprendre aux femmes à dire non plus facilement, traduisent une incompréhension de la situation au moment où les violences sont commises. Accuser les formateurs de parti pris en ne parlant que des femmes victimes, sans mentionner les hommes victimes, est un autre exemple. Aujourd’hui, ces remarques sont moins fréquentes en formation. Cette évolution peut être attribuée à la visibilité accrue des violences sexistes et sexuelles au travail, notamment dans les secteurs du cinéma. Plus ces sujets sont présents dans le débat public, plus ils deviennent visibles, réduisant ainsi le sentiment d’impunité. Les stagiaires, par exemple, se sentent moins enclins à tenir des propos sexistes ou décomplexés.

M. le président Erwan Balanant. Pourriez-vous nous fournir des statistiques concernant vos formations, notamment les taux de présence ? Cela nous serait très utile. J’aimerais également poser une question complémentaire à celle de Mme la rapporteure, en lien avec vos propos. Premièrement, percevez-vous une évolution notable dans ce domaine ? Vous avez mentionné une partie de cela. Cette évolution est-elle rapide selon vous ? Pensez-vous qu’elle résulte autant de la pression sociétale que des bénéfices tangibles des formations, qui commencent à se diffuser par capillarité dans l’ensemble de la profession ? Ensuite, j’aurais quelques interrogations concernant la situation des victimes, notamment leur relation avec leur employeur et la chaîne de décision, particulièrement dans le secteur du cinéma.

Mme Tiffany Coisnard. Sur l’évolution observée en matière de formation, il convient de relativiser les avancées par rapport à ce que j’expliquais précédemment. En effet, l’impact des formations dépend largement de la place accordée à ce sujet dans le débat public. Ce ne sont pas les formations en elles-mêmes qui garantissent des changements, mais le fait de les organiser met le sujet sur la table. Cela peut être un déclencheur pour les victimes, les incitant à dénoncer les faits, notamment si elles ont assisté à ces formations. Cependant, cette évolution reste relative. On continue de constater des comportements sexistes en formation, notamment à l’égard des formatrices de la part des stagiaires.

Un autre point préoccupant est le cynisme de certains employeurs, dont les priorités sont orientées vers la rentabilité. Ils évaluent ce qui leur coûtera le moins cher : interrompre un tournage ou subir une saisine des prud’hommes. La réponse est souvent claire pour eux, et cette logique ne les incite pas à agir. Dans la balance également, c’est le rôle des personnes impliquées. Si la victime est une stagiaire et que l’agresseur occupe une fonction difficile à remplacer sur le tournage, certains employeurs, de manière décomplexée, affirment qu’ils ne renverront pas quelqu’un dont ils ont besoin pour une stagiaire. Ces propos cyniques sont parfois entendus lors des formations.

M. le président Erwan Balanant. J’avais noté un chiffre, pertinent à mon sens, 20 %. Il y a une surreprésentation des saisines des fonctionnaires, ce qui pourrait laisser penser qu’il y a davantage de violences sexistes et sexuelles dans la fonction publique. Cependant, ne serait-ce pas plutôt parce que les fonctionnaires bénéficient d’une protection particulière et ne se retrouvent pas en situation de précarité totale après avoir dénoncé ces violences ? Cela pourrait expliquer pourquoi il y a plus de saisines dans ce secteur. En réalité, nous observons que, d’un côté, vous avez évoqué l’exemple de la stagiaire face au réalisateur. Bien que caricatural, ce cas de figure existe bel et bien. La stagiaire se trouve en situation de précarité totale par rapport à l’autre personne. Ne serait-ce pas une explication de ce chiffre et une piste de réflexion sur le lien hiérarchique dans le monde du cinéma, ainsi que sur la précarité de certaines personnalités y travaillant ?

Mme Tiffany Coisnard. Je ne saurais expliquer cette surreprésentation. Il est important de relativiser les protections spécifiques au secteur public, car le dispositif de protection fonctionnelle est très méconnu par de nombreux fonctionnaires. Ceux qui nous saisissent ne sont pas toujours informés. Il est fréquent que l’AVFT doive fournir toutes les informations sur la protection fonctionnelle, car les victimes n’en ont pas connaissance. Il faut relativiser l’idée selon laquelle elles seraient mieux protégées, car encore faut-il avoir toutes les informations nécessaires.

Concernant la précarité, les différences de statut et les rapports de pouvoir, nous sommes au cœur des violences sexistes et sexuelles. La précarité constitue un facteur de risque. De nombreux facteurs de risque existent dans les secteurs concernés par cette commission, notamment la cooptation et le réseautage. Ces éléments peuvent freiner les dénonciations et, selon la classe sociale de la victime, accentuer sa dépendance à une personne. Par exemple, si elle n’a pas fréquenté une école de cinéma ou n’a pas développé son réseau, elle dépendra plus facilement d’une seule personne. Une forte dépendance augmente les risques de violences sexuelles de la part des agresseurs. Souhaitez-vous que je continue sur les facteurs de risque ? L’AVFT a pu, par le biais des saisines dans ce secteur et à travers les formations, recueillir des témoignages. Voulez-vous que je fasse un point sur ces facteurs ?

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Oui, bien sûr, c’est intéressant pour nous et aussi savoir de qui ils proviennent en priorité ces témoignages.

M. le président Erwan Balanant. Si vous pouvez nous transmettre ces éléments, nous sommes preneurs, ainsi que tous les chiffres et statistiques dont votre association dispose.

Mme Tiffany Coisnard. Nous préparons un rapport détaillé, incluant des chiffres, sur les facteurs de risque dans ces secteurs. Nous identifierons des éléments communs ainsi que des spécificités propres à chaque secteur concerné. Un aspect central de ces métiers est le brouillage entre la sphère privée et professionnelle, qui se manifeste de plusieurs manières. Dès l’entrée dans ce milieu, par le biais des écoles, les directeurs organisent des soirées chez eux, invitant étudiants et étudiantes. Ces moments informels, tels que les soirées, les « after work » après les tournages, perdurent tout au long de la formation et même après, dans le cadre de ces emplois. Les soirées de fin de tournage, par exemple, sont propices aux violences sexuelles en raison de ce brouillage entre vie privée et vie professionnelle. Les rapports de pouvoir sont souvent gommés, avec des supérieurs hiérarchiques adoptant une attitude informelle, brouillant ainsi les fonctions de chacun. Cette proximité entre les individus engendre une tolérance accrue aux rapports de pouvoir, créant des familiarités qui favorisent l’omniprésence des affects. Dans le secteur de la création, les professionnels insistent sur l’importance de travailler les émotions et de laisser libre cours à celles-ci. Cela mélange ce qui devrait relever de la vie personnelle avec les exigences professionnelles. On entend souvent, dans le cinéma, que ce milieu fonctionne comme une grande famille, avec des schémas similaires à ceux observés dans les violences incestueuses, où une chape de plomb pèse sur les victimes. Cette même chape de plomb se retrouve dans la grande famille du cinéma.

L’absence de sanction entraîne une analyse erronée des violences, souvent perçues comme des conflits interpersonnels. Or, les violences sexuelles ne sont ni des conflits, ni des désagréments, ni des violences ordinaires. Les considérer sous l’angle du conflit interpersonnel brouille les pistes et empêche de lutter efficacement contre elles. Par ailleurs, une empathie excessive envers l’agresseur peut se développer, surtout s’il fait partie de la famille. Ce stéréotype du « non, il ne peut pas faire ça parce que je le connais, il est trop sympa » illustre bien ce phénomène. Dans les facteurs de risque, l’éloignement de l’employeur est également notable. En formation, de nombreuses personnes nous ont rapporté ne pas savoir qui est leur employeur sur place, notamment dans le spectacle vivant et le cinéma. Elles ne savent pas vers qui se tourner. Cette situation rend impossible pour l’employeur de contrôler les conditions et le temps de travail, les facteurs de risque et de les identifier. De plus, cela complique la tâche des travailleuses qui ne savent pas vers qui se tourner pour dénoncer les faits.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Sur ce constat, je suis en accord avec M. le président. Nous avons pu identifier les facteurs de risque que vous avez mentionnés. Pouvez-vous nous faire part de vos recommandations aujourd’hui, afin qu’elles puissent être intégrées dans le rapport de cette commission d’enquête ?

Mme Tiffany Coisnard. La première recommandation peut sembler évidente, mais il est essentiel de respecter le code du travail. Dans certains secteurs, on observe un exotisme du code du travail, avec l’idée que les artistes sont différents, que les choses ne se passent pas de la même manière dans le cinéma ou le spectacle vivant. Cette notion est souvent évoquée en formation, mais elle est présente dans tous les secteurs. Par exemple, dans la boulangerie, on ne dira pas nous sommes des artistes, mais nous nous levons à quatre heures du matin. Dans la marine marchande, on invoquera les traditions des marins. Chaque secteur possède ses spécificités, mais cela ne peut en aucun cas exonérer l’employeur de ses obligations. Sinon, nous aurions un code du travail qui exclurait certains secteurs, ce qui est inconcevable. La première recommandation consiste donc à respecter le code du travail. Ce dernier impose à l’employeur d’identifier les facteurs de risque et de les atténuer, voire de les supprimer lorsque c’est possible. Cette identification est une composante essentielle du travail de prévention. Or, on constate un manque de prévention suffisante de la part des employeurs, notamment dans les secteurs évoqués. Il est donc recommandé de s’intéresser spécifiquement à ces facteurs de risque, de les identifier et de répondre aux particularités qu’ils engendrent.

En effet, des spécificités existent, comme les contrats très courts avec des horaires décalés, parfois de quelques jours seulement, sur des petits tournages, etc. Nous devons impérativement répondre à ce problème. Une solution possible réside dans les accords interprofessionnels, comme cela a été mis en place dans le secteur du spectacle vivant. Par exemple, un système de coresponsabilité entre les différentes structures a été instauré. Lorsqu’une personne travaille dans une structure mais que son contrat de travail est avec une autre, ce qui est fréquent dans ce milieu, un accord interprofessionnel consacre cette idée de coresponsabilité pour mener les enquêtes nécessaires. Ce modèle pourrait être étendu et développé dans d’autres secteurs.

M. le président Erwan Balanant. La question de la coresponsabilité est intéressante, notamment dans le cadre des accords professionnels. Il est essentiel que ces accords soient respectés. En effet, lorsque deux personnes partagent une responsabilité, il arrive parfois qu’aucune ne l’assume pleinement. Comment pourrions-nous encadrer cette situation ? Il est important de rappeler que, même en présence d’un accord, le droit du travail prévaut. La norme supérieure s’applique, et si les deux coresponsables manquent à leurs obligations, la responsabilité ultime revient à l’employeur, celui qui établit les fiches de paie. La véritable question est de savoir si le code du travail est adapté au secteur du cinéma, du spectacle vivant et de l’audiovisuel, où des délégations de responsabilité sont fréquentes. Est-il suffisant de rappeler aux producteurs, en tant qu’employeurs, leurs responsabilités ? Ou bien est-il nécessaire que la représentation nationale et l’exécutif envisagent une évolution du droit du travail sur ces questions, que ce soit par la loi ou par le règlement ?

Mme Tiffany Coisnard. La question de la coresponsabilité ne se limite pas à certains secteurs spécifiques, mais peut également s’appliquer à d’autres domaines. Par exemple, dans les secteurs du ménage et du transport, où la sous-traitance est très répandue, la coresponsabilité revêt une importance particulière. Nous observons en effet, fréquemment dans nos dossiers, que chaque partie tente de se décharger de ses responsabilités sur l’autre. Ainsi, comme vous l’avez mentionné, nous avons souvent affaire à deux structures qui ne respectent pas leurs obligations et se renvoient la balle mutuellement. Il est donc nécessaire de réfléchir à une évolution pour mieux répondre à cette problématique.

Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC). Mme Coisnard, votre intervention est particulièrement intéressante car elle replace les violences dans le contexte du droit du travail. Ma question sera à la fois simple et complexe. Actuellement, nous travaillons au sein de la délégation des droits des femmes sur la nouvelle définition du viol, en intégrant la notion de consentement. Aujourd’hui, la définition légale du viol repose sur la présence de violence, menace, surprise et contrainte. Je souhaite m’arrêter un instant sur la notion de contrainte.

En 2019, on dénombre environ 62 000 victimes de viols en France, et 32 000 victimes de tentatives de viol, soit un total d’environ 100 000 victimes, dont seulement 10 % portent plainte. Parmi ces plaintes, quel est le pourcentage de viols survenant dans un milieu professionnel, c’est-à-dire sur le lieu de travail ? La raison pour laquelle j’aborde ce point est la suivante : lorsqu’une victime doit prouver à la justice que le présumé auteur a commis un viol en raison de la subordination de la victime, qui n’a pas consenti mais s’est parfois laissée faire, c’est à la victime ou au procureur de fournir cette preuve. Ce qui pourrait être intéressant à l’avenir, c’est d’introduire la notion de consentement, en plaçant l’auteur des faits au centre du processus, en lui demandant s’il a effectivement perçu un consentement libre de la part de la victime. Il semble que nous n’avançons pas rapidement sur ce sujet. En effet, la convention d’Istanbul de 2011, ou peut-être la version de 2014, stipule clairement que le consentement doit être éclairé et libre, c’est-à-dire sans aucune contrainte, y compris hiérarchique. Ma question est donc la suivante disposez-vous de statistiques sur le pourcentage de victimes de viol dans le milieu professionnel ?

M. le président Erwan Balanant. La délégation relative aux droits des femmes a une mission importante, menée conjointement par la présidente Véronique Riotton et la députée Marie-Charlotte Garin. Nous n’aborderons pas immédiatement la question des viols, car bien que ce sujet soit lié à notre audition, il pourrait nous entraîner dans une discussion prolongée. Toutefois, il est essentiel de connaître les statistiques, notamment le nombre de viols et de tentatives de viol dans le monde du travail.

Mme Tiffany Coisnard. Je vais vous fournir une réponse très condensée. En termes de chiffres, je n’ai malheureusement pas apporté de données précises avec moi. Toutefois, je peux vous parler des violences sexuelles au travail, y compris les viols. Le mouvement #MeToo, bien que majoritairement centré sur le milieu professionnel, à part #Metoo inceste. On a ainsi vu émerger des déclinaisons telles que #MeToo stand-up, #MeTooThéâtre, et #MeToo avocat, qui concernent toutes des secteurs professionnels. #MeToo a révélé la visibilité des violences sexuelles spécifiquement dans le cadre du travail. Même en l’absence de chiffres précis, il est évident que ces violences ont une ampleur significative. Le milieu professionnel est peut-être, après la famille, l’un des espaces les plus propices aux violences sexistes et sexuelles. C’est un sujet largement ignoré aujourd’hui, comme en témoignent la réponse du gouvernement aux associations féministes et l’organisation de son plan de lutte contre les violences faites aux femmes. Les violences sexistes et sexuelles au travail ne semblent pas être une priorité pour le gouvernement actuel.

Je souhaite clarifier la définition du viol, car je pense que cela vous intéressera. L’AVFT travaille actuellement sur cette définition et prévoit de publier prochainement des articles et de la documentation à ce sujet. Ces publications devraient répondre à vos interrogations.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Pour recentrer sur le périmètre de notre commission d’enquête, quel est votre avis sur la cellule d’écoute créée par le ministère de la culture et gérée par le groupe Audiens ? Au fil des auditions, nous avons peut-être eu l’impression qu’elle n’était pas très connue. Nous ignorons si ce réflexe de faire appel à cette cellule est effectivement présent. Lors des formations, vous a-t-on parlé de cette cellule ? Avez-vous eu des retours sur les personnes vers qui les victimes peuvent se tourner ? Qu’est-ce qui manque pour que l’on puisse identifier un interlocuteur privilégié ? En effet, les tournages sont souvent très courts, et les intervenants y participent parfois de manière très ponctuelle. Ils ne savent pas toujours à qui s’adresser ni, en réalité, qui est leur employeur.

Mme Tiffany Coisnard. Avoir un interlocuteur privilégié par le biais d’une cellule d’écoute est important. Cependant, il m’est difficile de répondre précisément à cette question. En effet, tout ce que l’AVFT exprime, que ce soit dans ce cadre ou lors des formations, provient directement de notre travail de terrain. Or, nous n’avons pas recueilli beaucoup d’informations sur Audiens dans ce contexte. Nous ne disposons pas d’une vision suffisante du travail effectué par Audiens pour pouvoir vous répondre de manière exhaustive. Je peux néanmoins partager une information, bien que celle-ci doive être prise avec précaution. Dans nos dossiers, nous avons constaté que certaines victimes avaient d’abord contacté Audiens avant de se tourner vers nous. Ces dernières n’ont pas toujours été correctement orientées ni informées de manière adéquate. Parfois, elles ont été dirigées vers des avocats spécialisés en défense pénale, habitués à défendre des agresseurs. À l’AVFT, nous estimons que ces avocats sont incompétents pour défendre les intérêts des victimes. Les défendre nécessite que leurs intérêts soient la priorité absolue. Un avocat habitué à analyser des indices pour défendre un agresseur ne les analysera pas de la même manière lorsqu’il s’agit de défendre une victime. Ainsi, ce choix d’accompagnement n’est pas approprié. Toutefois, comme je l’ai mentionné, cette information nous a été remontée de manière sporadique et doit donc être interprétée avec prudence.

M. le président Erwan Balanant. Les avocats sont soumis à un cadre déontologique strict. Ils savent défendre aussi bien une victime qu’un auteur. Parfois, avoir défendu l’un peut aider à défendre l’autre. Cela peut sembler cruel, mais leur priorité est de s’occuper de leurs clients. Si le client est une victime, ils s’en chargeront ou refuseront le dossier. Si vous pensez qu’il est impossible d’avoir des avocats spécialisés en droit pénal pour les auteurs et d’autres pour les victimes, je ne crois pas que cela soit envisageable.

Mme Tiffany Coisnard. Je me permets de répondre car nous l’observons en réalité. Parfois, des victimes nous contactent alors qu’elles ont déjà un avocat ou une avocate avec qui elles ont entamé des démarches. Ces victimes sont souvent mal conseillées, notamment lorsque leur avocat a une expérience en défense pénale. En effet, lorsque l’on a l’habitude de mobiliser des arguments pour défendre des agresseurs, on tend à utiliser les mêmes arguments et à véhiculer les mêmes stéréotypes, même lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts des victimes. Cela pose un véritable problème.

En matière de déontologie, les avocats jouissent d’une grande liberté quant au choix des personnes qu’ils représentent. Ils peuvent décider de se consacrer exclusivement à la défense des victimes ou, au contraire, à celle des accusés. Cette liberté ne pose pas de problème déontologique particulier. Toutefois, cela nécessite de constituer un réseau d’avocats avec lesquels collaborer. C’est précisément ce que réalise l’AVFT. Nous disposons d’un réseau de professionnels spécialisés dans la défense des intérêts des victimes. Cette spécialisation permet, entre autres, de créer un lien de confiance avec les victimes que nous accompagnons. En effet, avoir des avocats spécialisés dans cet accompagnement et dans la compréhension des traumatismes subis par les victimes est essentiel. Il est donc primordial de choisir avec soin la personne qui représentera la victime.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Est-ce que vous pouvez nous faire, en conclusion, votre bilan sur la conditionnalité des aides.

Mme Tiffany Coisnard. La conditionnalité des aides publiques à la formation sur les violences sexistes et sexuelles est effectivement une initiative louable. Il était nécessaire de la mettre en place, et il est positif qu’elle soit désormais en vigueur. Cependant, cette mesure demeure insuffisante. Il est crucial de comprendre qu’une formation ne constitue pas une garantie absolue. À l’issue de celle-ci, rien n’assure que toutes les actions nécessaires pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles seront effectivement mises en œuvre. Bien que ce soit une avancée, cela reste limité. De plus, cette situation peut nous placer dans une position de caution. Il est essentiel de garder cela à l’esprit, car nous pouvons être sollicités par des personnes qui nous contactent pour des formations en raison des subventions et des aides publiques imminentes. Elles nous demandent d’intervenir avant une certaine date pour bénéficier de ces aides. Or, ce n’est pas la bonne motivation pour suivre une formation sur les violences sexistes et sexuelles.

M. le président Erwan Balanant. En Californie, une formation obligatoire est en place, partiellement validée par un examen sous forme de quiz. Actuellement, nos formations ne comportent pas d’examen ; elles consistent simplement en une session de formation, à l’issue de laquelle on obtient une attestation. En Californie, il semble que cette formation se déroule en visioconférence, suivie d’un examen assez long, nécessitant de répondre à un certain nombre de questions. À ce jour, nous n’avons pas mis en place un tel système.

Mme Tiffany Coisnard. On n’a pas cela et on n’a pas vocation à le faire. L’exemple que vous prenez quand vous parlez de formation en visio, c’est du e-learning. Nous, on estime que les violences sexuelles, ce n’est pas une compétence.

M. le président Erwan Balanant. Aux États-Unis, il y a une formation physique dans l’État de Californie. Ensuite, il y a une formation de validation de la bonne compréhension de la formation via du e-learning.

Mme Tiffany Coisnard. Lutter contre les violences sexuelles ne relève pas d’une compétence que l’on pourrait acquérir comme on apprendrait à utiliser un logiciel tel que Microsoft. Contrairement à des formations techniques permettant de développer des compétences spécifiques, il n’existe pas de montée en compétences pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Il est erroné de penser que l’on peut répondre à cette problématique par un simple quiz certifiant la capacité d’une personne à lutter contre ces violences. En réalité, il s’agit avant tout d’une responsabilité collective. On ne peut donc pas répondre à une responsabilité collective par une montée en compétences individuelle.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Le référent harcèlement, bien qu’il soit censé être la première personne vers laquelle les victimes se tournent, n’est souvent pas sollicité. Cette situation découle principalement de son manque de formation et de son absence d’indépendance. Quelles sont vos recommandations à ce sujet ?

Mme Tiffany Coisnard. Le rôle de référent ou référente en matière de harcèlement sexuel pose un premier problème, il repose sur un individu une responsabilité qui devrait être collective. Plutôt que de former l’ensemble du collectif de travail à identifier les violences sexuelles et à mobiliser les outils adéquats pour les combattre, on forme une seule personne, quand elle l’est effectivement. Cela réduit les possibilités pour les victimes de dénoncer les faits et d’accéder aux informations et aux outils nécessaires. Il est également important de noter que, dans ces secteurs, la personne nommée référente peut avoir des liens préexistants avec les autres membres du personnel. Par exemple, dans des secteurs où les frontières entre vie privée et vie professionnelle sont floues, cette familiarité peut dissuader les victimes de se tourner vers le référent ou la référente.

De plus, le référent en matière de harcèlement sexuel peut être un homme, ce qui peut poser un véritable problème pour les victimes. Elles peuvent éprouver des difficultés à se confier à un homme, et cela peut même être utilisé comme une stratégie par les agresseurs. En effet, être nommé référent en matière de harcèlement sexuel peut offrir une couverture parfaite pour commettre des violences sexuelles ou s’en protéger. L’étiquette de référent permettrait à un agresseur potentiel de déclarer : « Je n’ai pas pu commettre ces violences, je suis référent en matière de harcèlement sexuel. » Lorsqu’il ne s’agit pas directement d’agresseurs nommés référents au harcèlement sexuel, ce sont parfois des complices, des hommes partageant la même idéologie et ayant tout intérêt à maintenir le statu quo, empêchant ainsi la dénonciation des victimes.

La conclusion concernant le rôle de référent au harcèlement sexuel est que le rendre obligatoire était effectivement une bonne initiative. Toutefois, il est inacceptable que cette fonction soit assurée par une seule personne. Il est impératif de multiplier le nombre de référents au harcèlement sexuel. Au lieu d’avoir un seul référent ou une seule référente, il faudrait en avoir quatre ou cinq, autant que possible, afin de diversifier les voix des victimes et leur offrir plusieurs possibilités pour dénoncer les violences. Il est essentiel que cette possibilité soit accessible dans tous les lieux où les victimes doivent dénoncer des violences.

M. le président Erwan Balanant. Je comprends votre préoccupation concernant les situations où une personne, qu’elle soit homme ou femme, pourrait être agressée. Bien que les cas d’agression envers les hommes soient moins fréquents, ils existent néanmoins. Dans ce contexte, recommanderiez-vous la présence d’un binôme homme-femme pour chaque situation ? Ou bien estimez-vous qu’un binôme ne suffirait pas à garantir une prise en charge adéquate ?

Mme Tiffany Coisnard. Un binôme ne répondrait pas à ce que j’expliquais sur l’individualisation. Il est essentiel de multiplier les possibilités pour les victimes de saisir plusieurs personnes. C’est vraiment important. Concernant l’inversion que vous avez mentionnée, je ne peux pas vous rejoindre sur ce point. En effet, ce n’est pas ce que nous observons. Nous sommes saisis de manière écrasante par des victimes femmes. Les hommes victimes de violences sexistes et sexuelles existent, mais ils restent une minorité. Nous ne pouvons donc pas élaborer toutes les dispositions en réponse à cette réalité en nous fondant sur cette exception. Ensuite, même lorsque des hommes subissent des violences sexistes et sexuelles, le fait que ce soit un homme ou une femme qui recueille leur récit et leur fournisse des outils ne présente évidemment pas les mêmes obstacles.

M. le président Erwan Balanant. Je comprends parfaitement que pour une femme victime, aborder ces sujets avec un homme peut s’avérer extrêmement difficile, voire généralement impossible, à moins qu’elle n’ait une confiance totale en cette personne pour une autre raison. La question des références est également pertinente. Les tiers de confiance, en étant plus nombreux, peuvent certainement aider. Je partage entièrement votre avis sur la complexité de la situation. En effet, dans les faits, le phénomène miroir est réel et peut poser des difficultés. Il est vrai que les violences faites aux hommes sont moins fréquentes, mais elles existent et ne doivent pas être négligées. C’est pourquoi je tenais à le signaler. Il serait inapproprié de n’avoir que des référentes féminines dans ces cas-là, mais je ne crois pas que ce soit ce que vous avez suggéré.

Mme Tiffany Coisnard. Je ne vous rejoins pas là-dessus.

M. le président Erwan Balanant. Vous pensez qu’on ne pourrait avoir que des référentes femmes ?

Mme Tiffany Coisnard. Non, pardon, je ne rejoins pas sur l’analyse que vous faites sur l’effet miroir que ça pourrait avoir.

M. le président Erwan Balanant. C’est-à-dire que pour un homme qui aurait été victime, même s’ils sont peu nombreux, vous pensez que pour un homme, ça n’a pas de difficulté d’aller voir un référent qui serait une femme ?

Mme Tiffany Coisnard. Je ne crois pas que ce soit pertinent, mais cela reste une hypothèse, car, comme je vous l’ai dit, nous avons si peu de saisines par des hommes que je ne vois pas l’intérêt de l’AVFT de chercher une réponse à cette question aussi précise, alors qu’elle est anecdotique dans la manière dont nous percevons les violences, en fait de ce que nous constatons dans nos dossiers. J’aimerais également fournir des précisions sur les référents en matière de harcèlement sexuel.

Je parlais de l’individualisation de ce problème. Il existe également un véritable problème de formation chez les personnes-ressources, c’est-à-dire toutes celles que les victimes vont rencontrer dans le cadre de leurs démarches. Cela inclut l’inspection du travail, la médecine du travail, les syndicats. En réalité, il y a un problème sérieux de formation. Par exemple, de la part de la médecine du travail, on observe une réticence importante à qualifier les faits, et la détection des violences n’est pas systématique. Ce que je dis à propos de la médecine du travail s’étend d’ailleurs à l’ensemble du personnel soignant. Concernant l’inspection du travail, on constate un manque de moyens qui entraîne parfois l’absence d’enquête, ou des enquêtes où les faits ne sont pas qualifiés. Parfois, l’interprétation des indices est biaisée parce qu’il n’y en a pas une compréhension adéquate, tant du point de vue du droit du travail que de l’analyse nécessaire. De plus, il existe des biais sexistes, car les inspecteurs et inspectrices du travail évoluent dans la même société que nous, avec les mêmes préjugés sexistes que nous tous. Il est évident que la manière dont les faits sont observés et analysés dépend fortement de la formation reçue. Actuellement, nous constatons que l’inspection du travail n’est pas spécifiquement formée sur ces sujets.

Je fais référence aux personnes-ressources, car leur formation multiplie les possibilités pour les victimes. En cas de défaillance du référent ou de la référente harcèlement sexuel, les victimes peuvent se tourner vers d’autres outils. Cependant, si l’inspection du travail et la médecine du travail ne répondent pas à ces besoins, les victimes se retrouvent sans soutien. Il est impératif de répondre à ce besoin crucial de formation des personnes-ressources. L’AVFT est tout à fait disposée à s’engager dans ce domaine. Nous souhaitons que cette formation soit intégrée au cursus des professionnels de la médecine du travail et de l’inspection du travail.

M. le président Erwan Balanant. Je vous remercie pour cette proposition intéressante. Il est essentiel que tous les jeunes hommes et femmes qui travaillent dans le cinéma reçoivent une formation dès leur cursus universitaire ou leur école. Cela nous semblerait encore plus bénéfique qu’une formation en rattrapage durant leur vie professionnelle. Cependant, les deux approches étant complémentaires, il est impératif d’assurer au moins la première. Je pense que nous avons couvert l’ensemble de vos questions. Nous attendons avec intérêt le rapport dont vous nous avez parlé, ainsi que les statistiques disponibles et également des propositions concrètes que vous pourriez formuler. J’imagine que votre rapport sera riche en contenu. Je tiens à vous remercier sincèrement pour vos propos et pour le travail remarquable que votre association accomplit depuis de nombreuses années.

Mme Tiffany Coisnard. Je souhaite aborder la situation des associations féministes de terrain, notamment celles qui accompagnent les victimes de violences faites aux femmes, qu’elles soient sexuelles ou non. Ce travail d’accompagnement repose principalement sur nous, car les politiques publiques actuelles ne répondent pas à la réalité des violences sexuelles. Nous rencontrons des obstacles constants pour obtenir des subventions, dont l’accès devient de plus en plus difficile. Beaucoup de financements fonctionnent par appels à projets, alors que nous avons besoin de fonds pour notre fonctionnement. Il est impossible de se contenter d’appels à projets pour l’accompagnement des victimes. Les failles observées dans le système et les difficultés rencontrées par les victimes ne trouvent de réponse aujourd’hui que grâce aux associations féministes, qui manquent cruellement de moyens financiers. Il est impératif de fournir les ressources nécessaires à ces associations pour qu’elles puissent continuer leur travail. Je prends l’exemple de l’association AVFT, où je travaille. Nous recevons un nombre croissant de saisines. En 2024, nous avons enregistré onze nouvelles saisines par semaine, tous domaines professionnels et secteurs confondus. Nous avons également des dossiers en cours, avec des procédures qui durent parfois depuis des années. Pour soutenir cette charge de travail, des financements sont indispensables. Actuellement, nous sommes une équipe de six personnes, et il est impossible de répondre à ce nombre de saisines nationales sans un soutien financier adéquat. Les subventions aux associations féministes sont essentielles pour le travail que nous accomplissons.

M. le président Erwan Balanant. Le message est transmis. J’espère que vous nous le réécrirez dans vos propositions. Merci beaucoup.

*

*     *

17.   Audition, ouverte à la presse, d’associations du secteur de la mode : M. Pascal Morand, président exécutif de la fédération de la haute couture et de la mode (FHCM) et M. Frédéric Galinier directeur délégué, représentation professionnelle et institutionnelle ; M. Cyril Brulé, président du syndicat national des agences de mannequins (SYNAM), Mme Isabelle Saint-Félix, secrétaire générale et Mme Virginie Dambrine, membre du conseil d’administration ; Mme Nathalie Cros-Coitton, présidente de la fédération française des agences de mannequins (FFAM).

M. le président Erwan Balanant. Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Comme vous le savez, notre commission d’enquête vise à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l’audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons à identifier les responsabilités de chacun et, surtout, à proposer des solutions pour que tous puissent évoluer dans ces secteurs sans craindre pour leur intégrité physique et mentale. Avec la rapporteure, nous nous réjouissons de votre présence. Nous avons commencé les auditions, il y a une semaine, et n’avons pas encore abordé la question de la mode, secteur que vous représentez. Je vous propose, dans un premier temps, de nous présenter vos syndicats et fédérations respectifs. Ensuite, Mme la rapporteure vous posera des questions plus précises. Je rappelle que l’audition est ouverte à la presse et diffusée sur le site de l’Assemblée nationale. Conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes entendues par une commission d’enquête doivent prêter serment de dire la vérité, rien que la vérité.

(MM. Pascal Morand, Frédéric Galinier, Cyril Brulé et Mmes Isabelle Saint-Félix, Virginie Dambrine, Nathalie Cros-Coitton prêtent serment.)

M. Pascal Morand, président exécutif de la fédération de la haute couture et de la mode (FHCM). Permettez-moi de commencer par vous présenter brièvement l’écosystème et le rôle de notre fédération. Le secteur de la mode, comme vous le savez, est un pilier majeur de l’économie française. Il s’agit d’un secteur composite, englobant divers modèles économiques et catégories de marché, allant de la consommation de masse aux marques de créateurs de luxe, qui rayonnent sur la scène mondiale. Cela implique la présence de nombreuses représentations professionnelles et fédérations, dont la nôtre fait partie. Toutes ces fédérations et organisations collaborent au sein d’un comité stratégique de filière, le comité stratégique de filière Mode et Luxe.

Notre fédération est sélective et compte une centaine de membres. Parmi eux, deux tiers sont implantés en France et sont des membres actifs, tandis qu’un tiers, non implantés en France, sont des membres associés. La caractéristique commune de ces membres est une activité centrée sur la création. Ces maisons sont généralement dirigées par un binôme composé d’un manager et d’un créateur, souvent appelé directeur artistique. Les plus jeunes de nos membres viennent directement de la création et s’entourent d’un manager à mesure de leur développement. Nous avons deux types d’activités.

Premièrement, nous sommes une organisation professionnelle classique, offrant divers services à nos membres et les représentant. Cela inclut une commission juridique, une commission sociale, une commission collective, une commission paritaire, ainsi qu’une commission innovation et développement durable. Nous apportons une expertise dédiée et travaillons en étroite relation avec nos membres. Par exemple, nous sommes très impliqués dans les dossiers relatifs au développement durable.

Notre seconde activité, qui a été le point de départ de la fédération lors de sa création en 1974, consiste à organiser des événements. À cette époque, les couturiers et créateurs de mode ont décidé de conjuguer leurs efforts pour présenter ensemble leurs collections. C’est pourquoi la fédération s’est longtemps appelée Fédération française de la couture, des couturiers et des créateurs de mode. Nous organisons la Paris Fashion Week ainsi que la Semaine de la haute couture. Notre rôle consiste principalement à coordonner le calendrier officiel et celui des événements. Nous ne nous impliquons pas directement dans l’organisation des shows, des défilés ou des présentations.

Ces événements se déroulent plusieurs fois par an deux Fashion Week pour la mode féminine en février/mars et fin septembre/début octobre, deux Fashion Week pour la mode masculine en janvier et en juin, ainsi que deux Semaine de la haute couture qui suivent les Fashion Week masculines. Pour illustrer, la mode féminine compte environ soixante-cinq défilés par saison et quarante présentations. Les défilés se déroulent sur un podium, tandis que les présentations offrent une marge scénographique plus large. Pour la mode masculine, nous avons environ cinquante défilés et trente présentations par Fashion Week. Quant à la Semaine de la haute couture, elle comprend une trentaine de défilés. Les marques qui défilent dans le calendrier officiel sont soit membres de la Fédération, soit invitées par un comité de sélection.

Ce comité inclut deux ou trois journalistes internationaux et deux ou trois acheteurs internationaux, renouvelés chaque saison pour éviter toute bureaucratie et garantir une objectivité dans le processus de sélection des invités.

M. Cyril Brulé, président du syndicat national des agences de mannequins (Synam). Pour ma part, j’ai exercé la profession de mannequin pendant trois ans avant de devenir agent de mannequins. Depuis trente-six ans, je dirige l’agence Viva Model Management. En 2009, j’ai pris la présidence du syndicat national des agences de mannequins (Synam).

Mme Isabelle Saint-Félix, secrétaire générale du Synam. Le Synam a été créé en 2009, résultant de la fusion de deux syndicats préexistants le Syndicat des agences de mannequins (SAM), fondé en 1972, et l’Union nationale des agences de mannequins (Unam), établi en 1992. Au sein de notre syndicat, nous comptons vingt-huit adhérents. Notre conseil d’administration se compose de neuf membres élus en assemblée générale pour des mandats de deux ans renouvelables. Un bureau, formé par trois membres du conseil d’administration, à savoir le président, le trésorier et le secrétaire général, supervise nos activités. Nous organisons entre trois et quatre conseils d’administration par an, ainsi qu’une assemblée générale ordinaire annuelle.

Nos ressources proviennent des cotisations annuelles des adhérents et de la quote-part du paritarisme de branche. En termes de moyens humains, nous disposons du secrétaire général et bénéficions de la contribution de certains membres du conseil d’administration selon la spécificité des dossiers traités. Nous faisons également appel à un pool d’avocats en fonction des besoins de conseil juridique.

Concernant l’ensemble de la profession, on dénombre actuellement quatre-vingt-douze agences de mannequins en France, dont dix-sept en région et trois à l’île de la Réunion. Toutes ces agences possèdent une licence. Si cela vous intéresse, je pourrais vous fournir des données supplémentaires, telles que le nombre de mannequins salariés en 2023, avec une répartition détaillée selon les tranches d’âge (moins de seize ans, plus de seize ans) et le genre (hommes, femmes).

Les chiffres, obtenus auprès de la caisse Audiens, où toutes les agences de mannequins déposent leurs déclarations sociales nominatives (DSN), révèlent que, en 2023, 11 617 mannequins salariés ont été déclarés par les agences. Parmi eux, 8 049 sont âgés de plus de seize ans et 3 568 ont moins de seize ans. Chez les premiers, on dénombre 4 910 femmes et 3 139 hommes. Toujours dans cette tranche d’âge, 5 293 mannequins sont français ou résident en France, 932 sont nés à l’étranger mais résident en France, 1 572 sont nés à l’étranger et vivent à l’étranger, et 202 sont nés en France mais vivent à l’étranger. Ces chiffres concernent des mannequins salariés. Par ailleurs, des mannequins européens peuvent venir exercer en France en tant que travailleurs indépendants, mais ils ne sont pas inclus dans ces statistiques.

Mme Virginie Dambrine, membre du conseil d’administration du Synam. Je fais partie du conseil d’administration du Synam et j’interviens en tant que conseil pour les mannequins enfants qui interviennent dans la publicité de moins de seize ans. Je suis dans la profession depuis environ trente-cinq-trente-six ans et je dirige mon agence depuis trente-trois ans.

Mme Nathalie Cros-Coitton, présidente de la fédération française des agences de mannequins (FFAM). Je suis présidente de la Fédération française des agences de mannequins (FFAM) depuis 2018. Cette fédération, fondée en 2004, regroupe actuellement seize agences, génère un chiffre d’affaires de 120 millions d’euros et emploie environ 1 200 salariés permanents. Le nombre de mannequins que nous représentons peut varier, et je vous expliquerai plus tard les raisons de cette fluctuation. Notre mission est similaire à celle du Synam, nous défendons les droits et les intérêts collectifs de notre profession et diffusons des informations sur les bonnes pratiques. À cette fin, nous avons instauré des chartes de bonne conduite. En parallèle de mes fonctions à la FFAM, je dirige également l’agence de mannequins Women Management, la plus grande à Paris. Cette agence emploie 45 salariés permanents et compte 650 mannequins.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je souhaite aborder la question de l’articulation des métiers et des relations qui existent entre les agences, les marques et les photographes, notamment en ce qui concerne les contrats et les responsabilités juridiques. Pourriez-vous nous éclairer sur ce sujet ? Par exemple, une question qui me vient à l’esprit en vous écoutant concerne la Fashion Week. Sous quelles responsabilités se trouvent les mannequins du point de vue du code du travail durant cette période ?

Mme Isabelle Saint-Félix. La loi de 1990 a clairement défini l’articulation entre les mannequins, les agences et les utilisateurs des prestations, qu’il s’agisse de défilés, de séances de prise de vue ou de films publicitaires. Cette relation est tripartite. L’agence de mannequins est l’employeur et les met à disposition d’un tiers pour une période déterminée, pouvant aller d’une heure à plusieurs jours. Un contrat de mise à disposition est donc établi avant la prestation par l’agence de mannequins, qui le communique au tiers utilisateur. Dans les quarante-huit heures suivant la prestation, un contrat de travail doit être signé par le mannequin. Le mannequin prend connaissance du contrat de mise à disposition et en reçoit un double avant de commencer à travailler, puis signe son contrat de travail après la prestation. La signature après coup s’explique par la nature imprévisible de la durée du contrat du mannequin. En effet, le tiers utilisateur peut prévoir une prise de vue de quatre heures qui, pour diverses raisons, peut s’étendre à six ou sept heures. Le contrat de travail respecte scrupuleusement les dispositions du code du travail, où tout est précisément détaillé.

M. le président Erwan Balanant. La question sous-jacente de Mme la rapporteure était importante. Quand un mannequin va défiler pour une marque dans la Fashion Week, son employeur est toujours l’agence ?

Mme Isabelle Saint-Félix. Oui, mais il y a un article du code du travail qui dit que pendant la durée de la prestation, l’utilisateur de la prestation du mannequin est responsable des conditions d’exécution de la prestation.

M. le président Erwan Balanant. Il devient donc le responsable d’un des articles du code, c’est lui qui, par délégation, reçoit l’article du code du travail qui dit que l’employeur doit sécurité et santé à son salarié. C’est écrit dans le code.

Mme Isabelle Saint-Félix. Oui, c’est dans le code, mais pendant la durée de la prestation, l’utilisateur du mannequin, le bénéficiaire, est responsable des conditions de son exécution.

M. le président Erwan Balanant. Il existe une légère différence avec les comédiens par rapport à nos premières auditions. Mme Cros-Coitton, vous avez mentionné l’existence de chartes. Je vous pose donc la question, ainsi qu’aux autres intervenants, en pensant particulièrement aux organisateurs de la Fashion Week et à votre relation avec les marques, car celles-ci n’ont pas toujours les mêmes pratiques. Disposez-vous de chartes précises concernant la sensibilisation aux violences sexuelles et sexistes (VSS) et autres sujets connexes ?

Mme Nathalie Cros-Coitton. Au sein de la fédération, nous avons instauré une charte qui aborde spécifiquement le harcèlement moral et le harcèlement sexuel, avec des référents désignés à cet effet. Sur le site de notre agence, un texte explicatif est disponible, accompagné d’une adresse e-mail pour signaler tout incident. Nous diffusons régulièrement ces chartes aux agents et aux managers de nos mannequins. Lors de l’enregistrement des mannequins à l’agence, nous leur remettons cette charte, et je pourrais vous la transmettre si nécessaire. Grâce au travail exceptionnel de Cyril Brulé, une charte a été élaborée en collaboration avec Kering et LVMH. Cette charte porte sur le poids des mannequins et le respect général à leur égard. Ces principes sont intégrés dans nos chartes depuis environ une décennie et ont été renforcés par le mouvement #MeToo, commencé dans le secteur du cinéma avec l’affaire Harvey Weinstein.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. J’ai deux questions concernant les chartes. Premièrement, travaillez-vous uniquement avec des marques possédant des chartes ou des codes similaires aux vôtres ? Lorsqu’un mannequin intègre votre agence, il prend connaissance de votre charte. Ensuite, pendant la durée de son contrat avec une marque, veillez-vous à ce que cette marque dispose d’une charte équivalente ?

Deuxièmement, je souhaite aborder la charte de 2017 de LVMH et Kering, dont vous êtes à l’initiative, M. Brulé. J’ai lu que vous regrettiez que cette charte ne soit qu’un outil de communication. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

De plus, vous déplorez que, depuis quelques années, la grande maigreur des mannequins soit revenue. Pouvez-vous préciser qui impose cette tendance ?

M. Cyril Brulé. Vous faites référence à une interview que j’avais accordée au Figaro, l’année dernière. À cette époque, je sollicitais Kering et LVMH pour obtenir un compte rendu car, les années précédentes, nous nous réunissions pour réévaluer la charte, déterminer ce qui devait être modifié, ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas. Malheureusement, ces réunions étaient devenues lettre morte. J’avais alors provoqué en affirmant que cette charte n’était qu’un outil de communication. Je tiens cependant à saluer le travail accompli par notre syndicat et le groupe Kering et LVMH. Comme vous le savez, ces deux entités n’avaient jamais réussi à s’accorder sur quoi que ce soit auparavant. C’est la première fois qu’elles parviennent à un consensus.

Pour contextualiser, j’étais mannequin au début des années 1980. La profession a énormément changé depuis. À cette époque, les mannequins étaient traités comme des animaux. Bien que des améliorations aient eu lieu, une dérive s’est manifestée vers 2015, avec des mannequins de quatorze ou quinze ans défilant sur les podiums. À mon sens, ces jeunes n’ont pas leur place dans ce milieu, surtout avec des maisons de couture exigeant une maigreur extrême. Cela a conduit à des problèmes d’anorexie et à des mannequins gravement malades.

C’est alors que j’ai décidé de contacter François-Henri Pinault et Antoine Arnault pour trouver ensemble une solution respectueuse des mannequins. Nous avons instauré des espaces privatifs pour qu’elles puissent se changer à l’abri des regards, car auparavant, elles se déshabillaient devant tout le monde, y compris des photographes et des personnes n’ayant rien à faire en coulisses. Il y avait également de l’alcool, et pas de nourriture, dans les coulisses dès six heures du matin. La liste des problèmes était interminable.

Lors de ces assises entre Kering et LVMH, nous avons fait témoigner des mannequins, hommes et femmes, sur leurs conditions de travail déplorables. Les marques ont alors pris conscience de l’ampleur du problème, qu’elles ignoraient jusque-là. Depuis, la charte a essaimé non seulement à Paris, mais aussi dans le reste de l’Europe et aux États-Unis. D’autres marques, bien qu’elles n’aient pas rejoint Kering et LVMH, se sont inspirées d’elle, reconnaissant la nécessité d’agir.

Cette avancée, que je qualifie d’extrêmement importante, a véritablement modifié les mentalités. Toutefois, il reste encore beaucoup à accomplir. Récemment, j’ai eu des discussions avec deux personnes qui m’ont souligné l’importance de faire un bilan sur l’application actuelle de la charte et d’identifier ce qu’il reste à faire.

M. le président Erwan Balanant. Mme la rapporteure a posé une question précise cette charte est-elle aujourd’hui bien appliquée et respectée par toutes les marques ?

M. Cyril Brulé. En ce qui concerne les marques de Kering et LVMH, nous effectuons systématiquement un compte rendu après chaque Fashion Week pour vérifier que tout se passe bien pour les mannequins. Des psychologues sont présents en coulisses pour accompagner les mannequins, et je m’entretiens avec eux. J’ai moi-même été confronté à une situation délicate l’année dernière avec une mannequin anorexique. J’ai sollicité l’aide d’une psychothérapeute pour savoir comment aborder et gérer cette situation complexe. Oui, la charte est appliquée, et chaque maison dispose de référents qui veillent à son respect.

Cependant, certaines marques avec lesquelles nous collaborons n’ont pas de charte et n’appliquent pas celle de Kering et LVMH. En tant qu’agence, il nous incombe de surveiller et de nous assurer que ces marques respectent les mêmes règles. Si elles ne le font pas, nous refusons de travailler avec elles et leur demandons de se conformer à la charte lorsque nous en sommes informés.

M. le président Erwan Balanant. Aujourd’hui, on me parle d’une charte. Existe-t-il des projets de conventions collectives ? Vous représentez les agences de mannequins, ce qui signifie que vos intérêts ne sont pas exactement les mêmes que ceux des mannequins eux-mêmes. Existe-t-il aujourd’hui des syndicats de mannequins ? Sont-ils structurés ? Y a-t-il des projets de conventions collectives pour réguler ces questions ? Nous reconnaissons les efforts accomplis et constatons des améliorations, mais les chiffres que vous nous avez fournis montrent une proportion significative de très jeunes mannequins. À seize ans, on est encore très jeune, et en dessous de seize ans, c’est encore plus délicat. Cela nécessite des encadrements et des suivis appropriés.

L’un des sujets de notre commission d’enquête est de comprendre comment encadrer, accompagner et prévenir les risques pour ces jeunes hommes et femmes dans un environnement de travail souvent complexe et fatigant. Une Fashion Week, pour un mannequin, n’est pas une sinécure. Il faut donc réfléchir à la manière de les protéger contre les risques sexistes et sexuels, ainsi que contre les risques sociaux et traditionnels liés au droit du travail.

Une convention collective serait-elle une solution envisageable ? Je comprends que cette convention collective existe.

M. Cyril Brulé. Depuis l’adoption de la charte, le groupe Kering n’emploie plus de mannequins de moins de dix-huit ans. Je suis constamment en négociation avec LVMH pour qu’ils adoptent également cette limite d’âge. Cependant, de nombreuses autres marques refusent encore de travailler avec des mannequins de dix-huit ans. Au sein de nos agences, le nombre de mannequins âgés de seize à dix-huit ans diminue, car, comme vous l’avez mentionné, ces situations sont complexes. Elles nécessitent la présence d’un chaperon pour les accompagner, ce qui complique les choses. Je maintiens que les moins de dix-huit ans n’ont pas leur place sur un podium de défilé de mode.

Mme Isabelle Saint-Félix. La convention collective, en vigueur depuis 2004 et étendue en avril 2005, a toujours été extrêmement dynamique. Entre 2006 et 2020, dix annexes et plusieurs avenants ont été négociés et signés. Chaque année, nous procédons à une négociation annuelle obligatoire (NAO) concernant la rémunération des moins et des plus de seize ans. Actuellement, nous renégocions cette convention collective en raison d’une fusion avec un autre groupe. En 2016, tous les syndicats ne comptant pas au moins 5 000 salariés devaient se rapprocher d’une autre organisation patronale pour ne former qu’une seule entité. Le problème résidait dans le fait que le calcul du nombre de salariés se faisait en décembre, période durant laquelle les mannequins ne travaillaient pas, ce qui nous plaçait en deçà des 5 000 salariés requis.

Nous négocions actuellement avec le Syndicat national des professionnels de l’audiovisuel, du spectacle et de l’évènement (Synpase) une convention collective pour les salariés permanents, qui étaient jusque-là couverts par le code du travail. Nous avons modernisé et amélioré la convention collective, laquelle a connu plusieurs avenants au fil des années. Des versions consolidées ont été élaborées, et cette convention révisée sera déposée à la direction générale du travail (DGT) en juillet, avec l’espoir qu’elle soit étendue avant le 1er juillet 2025, qui est la date limite des anciennes conventions collectives et l’entrée en vigueur des nouvelles.

M. Pascal Morand. Je tiens à rappeler deux éléments essentiels. Le directeur délégué prolongera ensuite mon propos. Premièrement, M. le président, vous avez évoqué la réglementation. Nous diffusons des circulaires en amont de chaque fonctionnalité relative à la réglementation applicable à l’emploi de mannequins. Nous reviendrons sur ce point.

Concernant les chartes et les membres, nous avons effectivement plus de membres que de chartes. Nous parlons ici des comptes d’entreprise et des groupes. La charte qui a relevé la prestation proactive est un vecteur de progrès. Les groupes ont manifesté une volonté ferme d’avancer depuis 2017. Je ne reviendrai pas sur ce point, mais je souhaite souligner que les autres grandes maisons, telles qu’Hermès et Chanel, disposent de leurs propres dispositifs. De ce point de vue, il existe une convergence.

M. Frédéric Galinier, directeur délégué, représentation professionnelle et institutionnelle de la FHCM. Effectivement, ce processus a été lancé par cette charte, qui a attiré une attention particulière et a réussi à réunir deux groupes majeurs autour d’un objectif commun. Cet objectif était essentiel pour aborder les questions de bien-être des mannequins et, en même temps, traiter le sujet qui nous réunit aujourd’hui. La charte met en place des garde-fous en termes de nudité et de chaperon, avec un ensemble de standards appliqués. Cette charte a également été signée par une agence de publicité et par les médias.

Il est important de souligner que, dans le paysage médiatique, Condé Nast a mis en place en 2018 une charte dont certaines dispositions sont similaires à celles encadrant les mannequins, notamment lors des prises de vues. Comme le disait Pascal Morand, d’autres maisons ont leurs propres dispositifs. De manière générale, lorsqu’on défile à Paris, il y a une spécificité notable. Paris, sous le contrôle des représentants d’agences de mannequins, offre une réglementation particulière, notamment avec un contrat de travail pour les mannequins, ce qui est inédit par rapport à d’autres pays. Ce qui est intéressant, c’est que ces chartes ont une portée internationale. Aujourd’hui, lorsqu’une maison relevant d’une charte défile à Shanghai, Séoul ou ailleurs, les mêmes standards sont appliqués. Cela est important pour notre fédération internationale, qui accueille des marques internationales. Il est crucial d’avoir des standards uniformes.

Je peux également développer les actions de la fédération. Pascal Morand mentionnait les circulaires que nous adressons aux marques qui défilent, aux membres et aux maisons. Ces circulaires, mises à jour régulièrement, rappellent toutes les règles essentielles du droit du travail des mannequins. Nous rappelons précisément à chaque maison que, pendant le temps de mise à disposition, elle est responsable des conditions d’emploi, notamment de la santé et de la sécurité des mannequins. C’est extrêmement important.

Enfin, nous avons des contacts réguliers avec l’inspection du travail. Nous organisons des réunions de bilan avec des membres, non pas tous les deux ans, mais de manière régulière. Nous avons mis en place un protocole d’accueil pour les inspections du travail lors des défilés. En effet, il peut être compliqué pour un inspecteur de se présenter une heure ou trente minutes avant le début d’un événement, compte tenu de la tension qui peut régner à ce moment-là. Pour éviter tout dysfonctionnement, nous avons validé un protocole avec l’inspection du travail. Ce protocole explique aux maisons comment accueillir un inspecteur, comment ne pas entraver son travail, et comment lui permettre de rencontrer toute personne qu’il souhaite voir dans le temps imparti. Nous veillons également à respecter la confidentialité des mannequins lorsqu’ils sont en situation d’habillage. Nous adressons systématiquement la liste de tous les défilés du calendrier officiel, avec leurs dates et lieux, à l’inspection du travail une semaine avant chaque Fashion Week. Cela garantit une transparence totale vis-à-vis de cette institution.

Par ailleurs, nous avons lancé un travail similaire avec Thalie Santé, qui se penche sur les conditions d’exercice du métier de mannequin lors des défilés de mode. Nous avons accueilli les médecins de Thalie Santé au sein de deux défilés. Ils peuvent venir quand ils le souhaitent, ce qui doit aboutir à un rapport contenant des bonnes pratiques à diffuser, notamment au sein des maisons.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Nous portons une attention particulière à la situation des mineurs dans toutes les industries relevant de notre commission d’enquête. Selon les chiffres que vous avez mentionnés, Mme Saint-Félix, il semblerait qu’au moins un tiers des mannequins salariés soient des mineurs. Nous avons constaté que la dérogation de travail pour les mineurs diffère dans le secteur de la mode par rapport à celui du cinéma. Dans le domaine de la mode, il existe deux types de dérogations une autorisation individuelle et nominative pour une prestation déterminée, ou un agrément annuel renouvelable, non nominatif, accordé aux agences titulaires d’une licence d’agence de mannequins. Est-ce exact jusqu’ici ? Mme Dambrine possède en effet une agence avec des mannequins bébés, enfants et adolescents.

Mme Virginie Dambrine. Une agence de mannequins, pour pouvoir exercer, doit impérativement être titulaire d’une licence. De plus, lorsqu’elle souhaite employer des mannequins de moins de seize ans, elle doit obtenir un agrément spécifique, délivré pour une durée d’un an.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Elle peut choisir entre l’un des deux moyens de fonctionner ?

Mme Virginie Dambrine. Non, elle ne peut pas choisir, car la législation est ainsi établie. L’activité même de l’agence de mannequins consiste à mettre à disposition des mannequins. C’est notre activité principale. C’est pourquoi nous disposons d’une autorisation nous permettant d’exercer notre métier de manière normale pendant un an.

Mme Isabelle Saint-Félix. L’autorisation individuelle n’est pas destinée aux agences de mannequins, mais à un utilisateur souhaitant employer un mineur de moins de seize ans pour une prestation spécifique. Dans ce cas, il doit solliciter une autorisation individuelle ponctuelle, en précisant les conditions et les raisons de cette demande. Une agence de mannequins, disposant d’un agrément annuel, peut mettre à disposition des mannequins de moins de seize ans. L’autorisation individuelle est extrêmement rare, car engager directement un mannequin est complexe et exige la rédaction d’un contrat de travail. Les marques, souvent non habilitées à rédiger de tels contrats, doivent connaître les temps de travail autorisés pour les mineurs. Selon les services de l’inspection du travail, les demandes d’autorisation individuelle sont rarissimes. Dans le secteur du mannequinat, on privilégie le recours à une agence disposant d’un agrément.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. On a vu qu’avec la commission des enfants du spectacle, à chaque fois qu’il y avait une demande de dérogation, il y avait une visite médicale pour les enfants. Cela veut dire qu’il n’y a pas de visite médicale récurrente, en tout cas pour les enfants.

Mme Isabelle Saint-Félix. Dans le code du travail, les articles R. 7123 et suivants détaillent notamment le rythme des visites médicales. Il y a trente ans, une liste de pédiatres était établie par la préfecture. Cette liste s’est révélée inefficace, car en cas d’épidémie de pharyngite ou de gastro-entérite, les pédiatres déclaraient ne pas avoir le temps de recevoir des enfants. De plus, certains pédiatres prenaient leur retraite sans que leurs successeurs soient inscrits sur cette liste, ou fermaient leur cabinet, ce qui compliquait la situation. Il y a environ vingt-cinq ans, nous avons réussi à faire en sorte que les enfants soient suivis soit par leur médecin de famille, soit par un pédiatre, mais aux frais de l’agence. Par ailleurs, nous avons veillé à respecter scrupuleusement les rythmes de visite indiqués dans le code du travail.

Mme Virginie Dambrine. Une agence de mannequins ne peut en aucun cas mettre un mannequin à disposition sans qu’il soit en possession d’un certificat médical d’aptitude. Ce certificat doit clairement indiquer que l’activité de mannequin ne compromet ni la santé ni le développement de l’enfant. Cette exigence est prévue par les textes et fait l’objet de contrôles par l’inspection du travail ainsi que lors des renouvellements d’agréments. Il est donc impossible d’y déroger. Le certificat médical doit être renouvelé en fonction de l’âge de l’enfant. Il existe trois catégories, tous les trois mois pour les enfants de moins de trois ans, tous les six mois pour ceux âgés de trois à six ans, et chaque année pour les enfants de plus de six ans.

M. le président Erwan Balanant. Ces dispositions sont bien respectées ?

Mme Virginie Dambrine. Il incombe à l’agence de mannequins de s’assurer que le mannequin mis à disposition d’un client dispose d’un certificat médical d’aptitude conforme aux délais légaux. Lors des renouvellements d’agréments, les membres de la direction du travail, chargés d’instruire ces renouvellements, exigent l’accès à un document obligatoire, le registre spécial. Ce registre, tel que défini par le code du travail, doit consigner toutes les prestations effectuées par les enfants mannequins. Ce document, signé trimestriellement par les parents, garantit une transparence totale. Lors des renouvellements d’agréments, l’inspection du travail demande la communication de ce registre et choisit le nombre de dossiers à contrôler.

Que ce soit dix ou cent dossiers, chaque dossier doit inclure plusieurs documents, la déclaration d’embauche auprès de l’Urssaf, le contrat de mise à disposition entre l’agence et le client, le contrat de travail, la facture correspondante, le certificat médical d’aptitude du mannequin, le bulletin de salaire, le numéro de compte requis par la Caisse des dépôts et consignations pour déposer la rémunération du mannequin, ainsi que les bordereaux prouvant le dépôt de l’argent à la Caisse des dépôts et consignations. Ainsi, lors des renouvellements d’agréments, nous devons fournir une quantité considérable de documents en fonction des demandes de l’inspection du travail.

M. le président Erwan Balanant. Vos renouvellements d’agréments sont annuels ?

Mme Virginie Dambrine. Oui.

M. le président Erwan Balanant. Ils effectuent tous ces contrôles, examinent ce registre, et que demandent-ils de plus ? Exigent-ils un agrément avec une visite éventuelle de vos locaux, ou s’agit-il simplement d’un dossier administratif à fournir ? Comment devient-on une agence de mannequins aujourd’hui, et comment cette procédure se renouvelle-t-elle chaque année ?

Mme Virginie Dambrine. Les deux éléments que vous avez mentionnés correspondent au mode de fonctionnement. En effet, nous devons fournir un dossier administratif, incluant notre casier judiciaire. Nous fournissons le bulletin n° 3 (B3) en tant que dirigeants et associés, mais l’administration a le pouvoir de se faire communiquer le bulletin n° 2 (B2). J’ai également appris par des contrôleurs, qui m’ont expliqué de manière transparente qu’ils peuvent diligenter une enquête de moralité concernant le dirigeant de l’agence et les associés.

On nous demande également nos comptes financiers pour vérifier notre solvabilité. Cela est essentiel, car les mannequins enfants sont salariés, et tous les salaires sont versés le sept du mois suivant la prestation, ainsi que les charges patronales. Nous devons avancer ces sommes, car nos clients nous règlent à soixante jours, voire quatre-vingt-dix jours. La section de contrôle s’assure donc que l’agence est en bonne santé financière.

De plus, nous devons produire tous les documents légaux avec lesquels nous travaillons, notamment le mandat civil de représentation par lequel les parents nous autorisent à représenter leurs enfants, nos matrices de contrats de mise à disposition, nos matrices de contrats de travail, et nos matrices de bordereaux de cession de droits à l’image.

Il y a également un document obligatoire prévu par le code du travail, appelé notices explicatives. Nous devons obligatoirement remettre aux parents, contre récépissé, un document les informant de toute la réglementation relative au travail des mannequins enfants. Ce document répertorie les durées maximales d’emploi d’un enfant en fonction de son âge, en précisant que plus l’enfant est jeune, plus le temps de travail est réduit. Il indique les durées maximales d’emploi journalières, continues et hebdomadaires. Ces durées sont définies graduellement en fonction de l’âge de l’enfant, y compris pendant les congés scolaires, sachant qu’un enfant ne peut travailler, même en vacances, plus de la moitié de ses vacances. Je précise également que nous avons l’obligation de ne jamais employer un enfant le dimanche, les jours fériés et la nuit.

La loi en vigueur est très protectrice pour le mannequinat. Je tiens à souligner le rôle de l’agence de mannequins, qui constitue le lien entre les utilisateurs et les parents. Notre mission consiste à encadrer les prestations demandées par les clients utilisateurs. Nous imposons à ces derniers de respecter la réglementation relative à l’exécution des prestations. En somme, notre rôle est de protéger les mannequins et d’informer tant les parents que les clients de toutes les obligations à respecter, ainsi que des interdictions à observer.

M. le président Erwan Balanant. Nous savons que dans les contrats entre un producteur et les parents d’un enfant participant à un tournage, il existe des obligations de scolarisation lorsque la durée dépasse plusieurs jours. Disposez-vous de cette obligation, sachant que, si j’ai bien compris, pour les mannequins, la durée de travail ne peut excéder deux jours consécutifs ? Est-ce correct selon le texte de la loi ? Je vois juste que l’article L. 71-24-7 du code du travail dispose que : « L’emploi et la sélection d’un enfant non scolarisé exerçant l’activité de mannequin ne peuvent être autorisés que deux jours par semaine à l’exclusion du dimanche. »

Mme Virginie Dambrine. Un enfant non scolarisé, c’est-à-dire n’étant pas en âge de scolarité obligatoire et ayant moins de trois ans, ne peut travailler plus de deux jours par semaine. De plus, dès lors qu’un enfant mannequin atteint l’âge de la scolarité obligatoire, il lui est strictement interdit de travailler pendant les heures d’école.

M. le président Erwan Balanant. Ici, il existe quelque chose de différent des comédiens, plus protecteur.

Mme Virginie Dambrine. En tant que détenteurs d’un agrément, nous avons la responsabilité de garantir la stricte application des textes législatifs. Dans notre quotidien, nous consacrons une grande partie de notre temps à éduquer nos clients. Nous leur envoyons les textes et des tableaux explicatifs car, sans notre intervention, les utilisateurs dans les secteurs de la publicité et de la mode seraient désorientés. Nous passons donc nos journées à leur fournir des explications détaillées.

L’obtention d’un agrément signifie qu’aucune dérogation n’est possible pour faire travailler un enfant pendant les heures scolaires. Par exemple, une agence de mannequins ne peut pas solliciter une dérogation pour permettre à une petite fille de huit ans de travailler un mardi matin, même si un client comme Jacadi le souhaite. Cette demande est inacceptable. Nous devons systématiquement refuser de telles requêtes, car elles ne sont pas négociables.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Si je comprends bien, vous bénéficiez d’un agrément renouvelé annuellement, ce qui implique que vous êtes soumis à des contrôles plus fréquents qu’une société de production cinématographique. En effet, chaque année, vous devez fournir à nouveau toutes les pièces justificatives que vous avez mentionnées.

En revanche, dans le secteur du cinéma, chaque fois qu’un enfant signe un contrat pour un nouveau tournage, son dossier est réexaminé par la commission des enfants du spectacle. Cette commission inclut une visite médicale au cours de laquelle le médecin connaît le scénario. Il est demandé à l’enfant s’il comprend ce qu’il va faire et s’il consent à participer au tournage.

En ce qui vous concerne, pour les enfants de plus de six ans – qui constituent probablement la majorité des mineurs travaillant dans l’industrie de la mode –, ces derniers ne sont vus qu’une fois par an. Un certificat médical d’aptitude est délivré annuellement pour les enfants de plus de six ans.

Mme Virginie Dambrine. Oui, actuellement, c’est ce qui est prévu par le code du travail. Cependant, il est essentiel de distinguer les enfants acteurs de cinéma ou de fictions des enfants mannequins engagés pour des prestations publicitaires. Contrairement aux enfants acteurs, les enfants mannequins ne manquent pas l’école. De plus, leurs engagements ne s’étendent pas sur plusieurs semaines ou mois. Dans le mannequinat, les missions sont ponctuelles et de courte durée, en moyenne de deux à trois heures sur une journée. Ce contexte est fondamentalement différent. Lors d’une séance photo pour une marque de vêtements, de jouets ou alimentaire, il n’existe pas de scénario potentiellement perturbant sur le plan physique ou psychologique pour l’enfant, contrairement à ce qui peut se produire dans le cinéma. Ces activités sont davantage ludiques.

Il est également important de noter que, étant donné la durée limitée des missions, il est aisé pour un parent de se libérer pour accompagner son enfant. Le parent, qu’il s’agisse du père ou de la mère, est toujours présent. En cas d’impossibilité, un autre membre de la famille, comme une tante, un oncle, une grand-mère ou un grand-père, peut être mandaté. L’enfant mannequin n’est jamais laissé seul. La situation est donc totalement différente.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Ma question ne portait pas exactement sur cela, mais plutôt sur la manière dont le consentement de l’enfant peut être recueilli. En effet, si l’enfant voit un médecin une fois par an, choisi par sa famille, il est possible que ce soit simplement pour obtenir un certificat d’aptitude via une visite en visioconférence. Dans ce cas, l’enfant n’est pas forcément vu physiquement par le médecin. Vous n’avez donc pas de contrôle sur le médecin qui délivre ce certificat et qui pose la question à l’enfant de savoir s’il souhaite réellement participer à un shooting photos ou à une publicité. À quel moment son consentement est-il véritablement pris en compte ? Même s’il est accompagné par un parent, il me semble que, dans la vie d’un enfant, une année est une période extrêmement longue et que sa volonté peut évoluer.

De plus, bien que les durées de prise de vues soient relativement courtes, il y a tout de même des moments de casting. Les enfants participent à plusieurs castings avant de peut-être aboutir à un shooting quelque part. Cela représente un investissement de temps non négligeable en dehors de l’école, ce qui peut être significatif.

Mme Virginie Dambrine. Actuellement, la loi dispose que le mineur doit fournir son consentement écrit à partir de l’âge de treize ans. C’est la rédaction de la législation en vigueur. Toutefois, dans la pratique, il arrive rarement, mais cela peut se produire, qu’un enfant soit sélectionné pour une prestation et, après trois quarts d’heure de présence, le client nous contacte pour nous informer que cela ne sera pas possible, car l’enfant ne souhaite pas continuer. Dans ces situations, nous répondons : « D’accord, vous pouvez le libérer. » Ensuite, nous en discutons avec les parents, en leur expliquant que le client nous a immédiatement informés de la situation. Nous cherchons alors un remplaçant et nous parlons avec les parents de l’enfant concerné, en leur précisant que, bien évidemment, si l’enfant ne souhaite pas poursuivre, nous arrêtons immédiatement l’activité. Il n’y a aucun sens à contraindre l’enfant.

Mme Isabelle Saint-Félix. Je pense qu’il n’y a pas de certificat médical de complaisance de la part d’un médecin. Un enfant de six ans consulte un médecin plusieurs fois par an en raison des épidémies, etc. À ce moment-là, la question peut être posée. Par ailleurs, je considère que la loi sur les mannequins est bien plus protectrice que celle concernant les enfants influenceurs. En effet, il est notoire que les enfants influenceurs ont des parents susceptibles de les pousser à réaliser des vidéos rapidement, par exemple avant le petit-déjeuner ou entre le petit-déjeuner et le départ à l’école. Je pense que la loi sur les mannequins a prévu toutes les mesures nécessaires pour garantir que les agences s’occupant d’enfants mineurs respectent scrupuleusement la réglementation. De plus, ces agences n’ont aucun intérêt à contraindre ni les parents ni les enfants. Il existe une triple interaction entre l’utilisateur, l’agence et les parents, tout cela autour de l’enfant, ce qui n’est pas le cas pour les influenceurs.

M. le président Erwan Balanant. Je comprends de vos propos que la question des photos de jeunes est relativement bien encadrée. Cependant, il subsiste des risques, et nous n’hésiterons pas à proposer des modifications si nécessaire. C’est un point important. Nous avons évoqué les défilés, et maintenant nous parlons des photos.

J’aimerais aborder un aspect que nous avons quelque peu éludé, les photos des jeunes femmes et des jeunes hommes âgés de quatorze à dix-huit ans. Est-ce que tout cela est suffisamment encadré aujourd’hui ? Vous avez bien expliqué la différence entre un plateau de grande marque avec des coulisses où il y a beaucoup de monde et où tout est encadré. Désormais, il existe des vestiaires individuels, où les jeunes sont seuls, ou chaperonnés lorsqu’ils ont atteint l’âge de seize ans, si j’ai bien compris. Cela semble bien encadré.

Cependant, qu’en est-il des photos prises lors de voyages ou d’hébergements loin du domicile familial, avec des équipes techniques ou des adultes en présence d’enfants âgés de seize à dix-huit ans, voire moins ? Je constate encore des marques où les jeunes femmes photographiées ne semblent pas avoir dix-huit ans. Comment cela se passe-t-il actuellement pour les photos ? Nous aborderons ensuite la question des acteurs de la publicité.

M. Cyril Brulé. Aujourd’hui, de nombreux aspects ont évolué, notamment en ce qui concerne la nudité, qui est un véritable sujet. Je constate régulièrement que des marques nous envoient des courriels, surtout pendant les périodes de Fashion Week, où la transparence et la nudité peuvent être présentes. Elles nous demandent alors si tel ou tel mannequin est d’accord et se sent à l’aise avec cela, et si c’est le cas, de le confirmer par écrit. C’est une avancée majeure qui n’existait pas auparavant. Auparavant, le mannequin se retrouvait face à un designer qui lui imposait un vêtement, et elle devait choisir entre accepter pour participer au défilé ou refuser et risquer de perdre une opportunité au profit d’un autre mannequin. Aujourd’hui, cette pratique est en train de changer. J’ai récemment observé que les marques envoient désormais des courriels pour obtenir cette confirmation.

Concernant les mannequins âgés de seize à dix-huit ans, ceux qui ont moins de dix-huit ans et partent en voyage doivent être accompagnés d’un chaperon. Elles ne peuvent pas voyager seules et doivent être encadrées. Cependant, de plus en plus de marques préfèrent travailler avec des mannequins de dix-huit ans pour éviter l’obligation d’avoir un chaperon, les coûts supplémentaires et pour se sentir plus à l’aise. Il est évident que les marques sont aujourd’hui extrêmement sensibles et très attentives à ces problématiques.

Mme Nathalie Cros-Coitton. Je précise que, dans nos contrats, nous stipulons généralement que les mannequins ne peuvent pas apparaître nus ou dénudés, ni porter des vêtements transparents. Toute situation de nudité doit être soumise à l’approbation préalable de l’agence. De plus, la nudité est strictement interdite pour les mineurs. Ces règles sont clairement définies dans les contrats que nous établissons avec nos clients.

En ce qui concerne les castings, c’est une autre histoire. Lors des séances photo, nous avons des discussions approfondies avec les clients. Par exemple, si un client prévoit un voyage, notre contrat spécifie qu’il n’y aura aucune nudité, conformément aux accords préalables entre l’agence et le mannequin. C’est ainsi que nous procédons.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Est-ce que la nudité pour les moins de dix-huit ans est toujours exclue ?

Mme Nathalie Cros-Coitton. Évidemment qu’on l’exclue.

M. le président Erwan Balanant. Oui, justement, mais c’est un peu le sujet. C’est-à-dire que vous l’excluez, mais on peut en avoir.

Mme Nathalie Cros-Coitton. Lorsqu’il s’agit de publicité pour une crème, il arrive que la mannequin soit nue. Cela nécessite évidemment un accord préalable. Toutefois, ces accords ne concernent pas uniquement la nudité. Par exemple, une mannequin peut refuser de porter de la fourrure. De plus, il existe des considérations religieuses ou personnelles, telles que le refus de poser en maillot de bain ou en lingerie. Tout cela est prévu.

M. le président Erwan Balanant. Sur la question des castings, il est essentiel de souligner que ce moment est particulièrement significatif, notamment dans le domaine du cinéma. En effet, il s’agit d’une phase où aucun contrat de travail n’a encore été signé. Cette situation place le mannequin, homme ou femme, dans une grande vulnérabilité. Les directeurs de casting nous ont exprimé leur avis, indiquant qu’ils ne s’opposeraient pas à une interdiction de la nudité et de la demande de nudité lors des castings. Partagez-vous également cette position ?

Mme Nathalie Cros-Coitton. Nous sommes bien entendu d’accord. Lors d’un défilé, il peut arriver qu’un vêtement soit transparent. En général, les mannequins essayent les vêtements avant de défiler. Si elles ne sont pas satisfaites ou ne souhaitent pas porter un vêtement transparent, elles nous en informent. Nous contactons alors le client pour lui signaler que cette mannequin refuse de porter le vêtement en question, mais qu’une autre mannequin pourrait l’accepter.

M. Cyril Brulé. Je souhaite aborder la question des directeurs de casting, mais dans le contexte de la mode, contrairement à ce qui a été évoqué pour le cinéma. Cette profession, bien que nouvelle dans le domaine de la mode, a toujours existé pour le cinéma. Traditionnellement, les directeurs de casting étaient sollicités pour des films publicitaires, où ils étaient chargés de trouver des mannequins et de leur faire passer des castings vidéo, nécessitant un studio et une caméra. Aujourd’hui, Chanel, par exemple, est l’une des rares maisons à continuer cette pratique en interne. La majorité des autres marques font appel à des directeurs de casting, souvent étrangers, qui ne maîtrisent pas nécessairement la législation française. Ces professionnels, américains, anglais ou européens, exercent une influence considérable dans le secteur de la mode.

Lors d’un entretien d’embauche, si la rencontre se passe mal, le candidat peut refuser de travailler pour l’entreprise ou alerter l’inspection du travail. En revanche, un mannequin mal reçu par une maison de mode ou une agence de publicité n’a pas cette liberté. S’il exprime son mécontentement, il risque de perdre son emploi. Mon expérience personnelle en tant que mannequin à Paris m’a montré que certains professionnels du secteur manquent cruellement de courtoisie. Ils ne saluent pas, parlent à peine et se contentent d’un regard rapide sur le book avant de conclure abruptement l’entretien. Lorsque je suis arrivé à New York, j’ai découvert un autre monde, celui anglo-saxon. Les gens me disaient : « Vous venez de Paris, vous êtes français. » Ils étaient très sympathiques. Bien que sans emploi, j’étais respecté et on me parlait normalement. Aujourd’hui, les directeurs de casting subissent souvent la pression des stylistes et des maisons de mode. Ils sont stressés et peinent à gérer cette pression. En conséquence, soit les mannequins sont mal reçus, soit leurs agents sont insultés.

Actuellement, nous faisons face à une situation où la profession de directeur de casting est nouvelle, non régulée et non encadrée. Parfois, ces directeurs reçoivent les budgets des clients pour rémunérer les mannequins, mais ils ne les rémunèrent pas toujours et gardent le budget pour eux. Les mannequins sont alors payés six mois, neuf mois, voire un an plus tard. Le problème des directeurs de casting est devenu un véritable enjeu dans notre profession. Ils travaillent pour plusieurs marques simultanément. Ainsi, un mannequin qui refuse de travailler ou de défiler pour un directeur de casting se voit menacé de ne pas être retenu pour les prochains travaux. Le directeur de casting lui fait comprendre : « Si tu ne fais pas ce travail, tu ne feras pas le prochain. »

M. le président Erwan Balanant. Là, vous êtes quand même en train de nous dire à bas mots qu’il y a sans doute quelques petits sujets sur le casting dans le monde du mannequinat.

M. Cyril Brulé. Absolument.

Mme Isabelle Saint-Félix. Il n’y a pas que ça. Depuis 2020, la réorganisation de l’inspection du travail a bouleversé notre fonctionnement. Auparavant, nous bénéficions d’une cellule dédiée aux agences de mannequins, facilement joignable. Dès qu’un cas de travail illégal était signalé, comme un photographe outrepassant ses fonctions en se comportant comme une agence de mannequins, nous pouvions alerter les trois personnes de ce bureau spécialisé. Depuis 2020, la situation est devenue extrêmement compliquée. Il est nécessaire d’identifier en amont le lieu suspecté de travail illégal et de passer par une personne qui, bien qu’elle n’ait plus le droit de le faire, continue par gentillesse. Elle informe alors son collègue qu’il faut contrôler une prestation ou un photographe dépassant ses fonctions.

Le problème réside dans la rapidité requise entre le moment où l’information est reçue et celui où la prestation a lieu, il faut agir très vite, parfois le soir ou le samedi. La direction régionale interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets) doit déléguer des contrôleurs motivés pour intervenir rapidement. Le travail illégal est omniprésent car il est facile de contourner les règles. Il existe quatre-vingt-douze agences de mannequins licenciées, dont certaines ont leur agrément, situées à Paris. Celles-ci sont faciles à contrôler.

Cependant, de nombreux intermédiaires illégaux émergent. Un jour, quelqu’un décide de devenir agent de mannequins, le lendemain agence mère, et le troisième jour directeur de casting, tout en dépassant ses attributions. Cette situation permet à des agences européennes de travailler en France sans respecter les règles. L’ouverture du droit européen devait être temporaire et occasionnelle, avec une demande d’autorisation préalable auprès d’un bureau de la Drieets. Par exemple, une agence de Barcelone devait déclarer à l’avance qu’elle venait tel jour pour telle marque avec tel mannequin. Le bureau pouvait alors effectuer des contrôles. Aujourd’hui, il n’y a plus personne pour traiter ces déclarations, et aucune agence étrangère ne se conforme à cette obligation.

Les pays frontaliers, notamment la Belgique et l’Espagne, agissent sans aucune gêne. Pour illustrer cela, il y a trois semaines, une agence française avait demandé un visa pour une mannequin ukrainienne, dont elle se sentait pleinement responsable. La mannequin ukrainienne se rend en Espagne, dans l’espace Schengen, où elle rencontre une agence de Barcelone. Une séance photo doit avoir lieu à Paris avec un photographe français pour la marque Zara. L’agence française découvre alors que sa mannequin ukrainienne va travailler à Paris sous l’égide de l’agence espagnole, elle n’est alors plus salariée. En réalité, toutes les exigences imposées à l’agence française disparaissent. Cette situation se produit également avec des enfants en Belgique. On traverse la frontière, et dans le nord de la France, avec des marques comme Quechua, Yves Rocher, etc., des enfants belges ou français, dont les parents souhaitent qu’ils travaillent du lundi au vendredi, passent par la Belgique pour travailler en France. Il n’y a plus aucune direction départementale.

Il y a quelques années, je pouvais téléphoner à Lille, à Béziers, ou ailleurs, pour signaler une prestation à venir. Aujourd’hui, personne ne répond. Il est donc impératif de recréer une cellule dédiée aux agences de mannequins à la Drieets de Paris, capable de servir d’intermédiaire entre les contrôleurs locaux correspondant à tel arrondissement ou telle ville. Sinon, nous, syndicats, ne pourrons pas nous en sortir.

M. Pascal Morand. Je souhaite aborder la question des directeurs de casting. Mon intention n’est pas de les défendre, mais de préciser certains aspects. Tout d’abord, il existe un nombre significatif de directeurs de casting qui jouent un rôle essentiel dans cet écosystème et accomplissent leur tâche avec professionnalisme, respectant les conditions humaines nécessaires.

Cependant, il est important de noter que ce métier est relativement récent. Il y a une vingtaine d’années, on ne comptait que quatre ou cinq directeurs de casting, tous connus. Aujourd’hui, leur nombre a considérablement augmenté, atteignant une cinquantaine. Bien que ce ne soit pas un métier entièrement nouveau, son développement rapide a facilité l’autoproclamation en tant que directeur de casting. Cette situation soulève des enjeux de régulation.

Il serait pertinent d’envisager la mise en place d’un bureau de représentation à Paris ou d’un système de licences pour encadrer cette profession. L’ensemble des parties prenantes de cet écosystème complexe doit trouver un équilibre entre la liberté d’entreprendre et la nécessité de régulation. Une telle régulation permettrait d’optimiser le fonctionnement global de cet écosystème.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Est-ce que vous pouvez nous en dire un peu plus sur cette figure du chaperon ?

Mme Nathalie Cros-Coitton. Il y a très peu de mannequins de moins de dix-huit ans qui travaillent depuis l’instauration de la charte Kering-LVMH. Concernant les chaperons, je parle de ceux qui accompagnent les mannequins de seize ans et plus, pas en dessous. En général, il s’agit soit d’un parent, soit d’une personne de l’agence. Nous envoyons souvent un de nos salariés pour accompagner le mannequin lors d’une prise de vues ou d’un voyage. Les clients prennent généralement en charge les frais du chaperon, incluant l’hôtel et l’avion. Cependant, il n’existe pas de convention spécifique concernant le chaperon. Ce n’est pas un baby-sitter. Qu’est-ce qu’un chaperon, au juste ? Je me suis posé cette question lorsque l’on nous a demandé d’en prévoir un.

M. le président Erwan Balanant. Vous avez mentionné un point intéressant et important, le chaperon n’est pas obligatoire, c’est simplement une pratique courante. Cela change tout. Cependant, je tiens à souligner que la présence d’un chaperon n’est pas anodine. En effet, un chaperon devrait être une personne ayant suivi un certain nombre de formations et possédant des compétences spécifiques pour travailler avec des jeunes mineurs. À seize ans, on reste très jeune, je le rappelle.

Mme Nathalie Cros-Coitton. Nos agents sont formés directement par notre entreprise. Nous les préparons en collaboration avec des psychologues spécialisés pour aborder les problématiques de harcèlement, entre autres. Nous les coachons également pour la rédaction de rapports. Cependant, toutes ces formations et accompagnements sont réalisés en interne, sans recours à des organismes extérieurs.

M. le président Erwan Balanant. La question de la rapporteure me semble essentielle quelle est cette figure, émergente également au cinéma ? Donc pour un jeune mannequin dans un défilé, il y a souvent un chaperon. Est-ce que cette présence est obligatoire ou non ? Je tiens à souligner que des jeunes femmes et des jeunes hommes de seize ans demeurent très jeunes, fragiles et vulnérables. Il est essentiel qu’ils soient bien encadrés. Visiblement, c’est le cas, et nous nous en réjouissons.

M. Cyril Brulé. Lors d’un défilé, pour le groupe LVMH, la présence de chaperons est obligatoire. En revanche, chez Kering, aucun mannequin de moins de dix-huit ans n’est autorisé à défiler. Pour LVMH, il reste possible d’avoir des mannequins de moins de dix-huit ans, mais ils doivent être accompagnés de chaperons. Ces derniers se trouvent dans les coulisses avec les mannequins et les accompagnent tout au long de l’événement. En général, c’est la mère du mannequin qui se trouve sur place pour l’accompagner. Si une agence compte dix mannequins âgés de seize à dix-huit ans, elle devrait prévoir dix chaperons pour les accompagner, ce qui pourrait s’avérer complexe. En règle générale, ce sont les mères qui accompagnent leur enfant âgé de seize à dix-huit ans.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Si je comprends bien, le chaperon est obligatoire. Parfois, il peut s’agir de l’un de vos salariés. Dans d’autres cas, si vous avez trop de mineurs en activité simultanément, le parent de l’un des mineurs peut également remplir ce rôle. Cela soulève une question sur la responsabilité de l’enfant. En effet, si le chaperon est le parent, ce dernier n’est pas un de vos salariés. Dans ce contexte, le mannequin est en période d’activité et sous la responsabilité de la marque, et non de l’agence. Quelle est alors la responsabilité du chaperon lorsqu’il s’agit de votre salarié, et quelle est-elle lorsque le chaperon est le parent de l’enfant ?

Mme Nathalie Cros-Coitton. Nous sommes responsables de notre mannequin en toutes circonstances. Notre priorité est de garantir que la personne qui l’accompagne soit de confiance. Nous ne choisissons pas un chaperon au hasard. Il s’agit soit d’une personne qui travaille avec le mannequin depuis le début et qui le connaît bien, soit d’un parent, soit parfois d’un représentant de l’agence. Par exemple, si le mannequin est ukrainien, son agence d’origine, qui lui a assigné un manager ou un agent, peut également l’accompagner. Notre rôle consiste à vérifier qu’il y a toujours quelqu’un pour accompagner le mannequin. Vous mentionnez la notion de responsabilité, mais pourriez-vous préciser ce que vous entendez par là ? Quand vous parlez de responsabilité, cela reste vague. Que souhaitez-vous exprimer exactement par ce terme ?

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je constate qu’il existe une multitude de figures qui créent une sorte de nébuleuse les managers, les agences, les chaperons, les clients, les directeurs de casting. Dans ce système, je remarque que, dans la majorité des cas, vous êtes attentifs et prenez toutes les précautions pour que tout se déroule bien.

Cependant, en cas de problème, quelle est la responsabilité de chacun ? Par exemple, le manager suit la carrière d’un mannequin et l’inscrit à une agence. Où se situe la figure du directeur de casting dans ce contexte ? J’avais compris que c’était vous qui présentiez les mannequins aux marques. Quel est donc le rôle exact du directeur de casting ? Le système est très fragmenté, plus encore que dans le cinéma. Par conséquent, il est très facile, dans ce système ultra-morcelé, de se renvoyer la balle en cas de problème.

Mme Nathalie Cros-Coitton. Je ne renvoie pas la balle. Ce que je souhaite vous expliquer, c’est que nous employons ces mannequins, car elles sont salariées. La France est le seul pays au monde où les mannequins bénéficient de ce statut. Nous avons donc une responsabilité en tant qu’employeur. Ensuite, il est important de préciser que nous parlons des mannequins âgées de seize à dix-huit ans, et non des mannequins adultes. Lorsqu’une mannequin de cette tranche d’âge se présente, elle est toujours accompagnée par quelqu’un pour garantir que tout se déroule correctement. Le processus est comparable à celui des intérimaires. Elles rencontrent des directeurs de casting qui les évaluent pour déterminer si elles sont aptes à un travail.

Maintenant, lorsque vous mentionnez que si ça se passe mal, que voulez-vous dire exactement ? Parlez-vous d’un problème particulier ? J’aimerais que vous précisiez votre pensée. Excusez-moi, mais pourriez-vous me fournir un exemple concret ?

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Un mannequin se rend à un casting, accompagné par un chaperon. Ce casting a été identifié par votre agence. Le mannequin se présente où un directeur de casting, probablement rémunéré par la marque, est présent. Lors de ce casting, des agressions sexuelles se produisent. Qui est responsable ? Nous sommes dans une situation où aucun contrat n’a été signé au moment du casting. Instinctivement, je pense que c’est vous qui êtes responsable, car c’est vous qui avez envoyé le mannequin. Qui l’est réellement ?

Mme Nathalie Cros-Coitton. Si nous accompagnons un mannequin et qu’elle se trouve face à un directeur de casting prédateur, nous ne sommes pas responsables des actions de cette personne. En revanche, notre responsabilité est engagée si l’accompagnant ne réagit pas en présence d’un comportement inapproprié. Je me sens particulièrement légitime pour en parler, ayant moi-même été victime à quinze ans d’un prédateur sexuel dans le milieu de la mode. J’ai été violée à cet âge, et je comprends parfaitement la gravité de la situation. C’est pour cette raison que je suis restée dans ce secteur, afin de veiller à la protection des mannequins. Je peux vous assurer que les scandales des années 1980 ont en grande partie disparu.

Nous respectons scrupuleusement les lois. En 1990, une législation a été instaurée exigeant que les agences de mannequins possèdent des licences. Nous faisons tout notre possible pour protéger nos mannequins, car notre responsabilité morale est engagée. Cependant, nous ne pouvons pas être tenus responsables des actes criminels d’autrui. Vous comprenez ce que je veux dire ? C’est une situation terrible. Je me rends compte que je n’ai peut-être pas directement répondu à la question posée. Nous sommes tous ici des passionnés, il est indéniable que c’est un drame lorsque de tels incidents se produisent.

M. le président Erwan Balanant. Un mannequin qui se rend à un casting accompagné d’un parent, ce n’est pas un chaperon, c’est son parent. Il est important de noter une distinction. C’était le premier point.

Il y a un autre sujet qui sort du cadre de notre commission d’enquête sur la responsabilité. À partir du moment où un parent est présent avec un enfant mineur, c’est le parent qui en assume la responsabilité. Ainsi, si un incident survient, par exemple, si l’enfant renverse accidentellement un objet, le parent est tenu responsable. La situation diffère lorsqu’il s’agit d’un accompagnateur dans un cadre professionnel. Cette distinction est essentielle, car elle touche à la responsabilité civile des parents et peut également représenter un risque pour l’employeur, qui pourrait préférer un accompagnateur professionnel à un parent. La question soulevée par Mme la rapporteure n’était donc pas anodine et revêt une importance particulière.

Nous devons malheureusement conclure cette séance, car nous avons déjà dépassé le temps imparti. Je tiens à exprimer ma gratitude pour les informations partagées et pour les efforts déployés par la profession.

Ayant côtoyé ce milieu dans les années 1990, je mesure l’ampleur du travail accompli. Cependant, il est crucial de maintenir ces efforts, car de nouvelles problématiques émergent constamment. Vous avez évoqué les directeurs de casting étrangers et les agences étrangères, un sujet que nous avons bien noté et sur lequel nous devrons rester vigilants.

Nous avons également quelques documents à vous demander la circulaire Fashion Week, un exemple de contrat de travail pour enfant et adulte (anonymisé si nécessaire), ainsi qu’un exemple de contrat de mise à disposition pour enfant et adulte. Si vous pouvez les transmettre aux secrétariats de la commission et aux administrateurs, ce serait idéal. Nous vous remercions pour ces échanges enrichissants. Je suspends la séance.

*

*     *

 

18.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Caroline Fontaine, déléguée générale de l’association des agences-conseils en communication (AACC).

M. le président Erwan Balanant. Madame, je vous souhaite la bienvenue. Comme vous le savez, notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les majeurs et les mineurs dans le cinéma, le spectacle vivant, l’audiovisuel, la mode et la publicité. Nous visons à identifier les responsabilités de chacun en la matière et à proposer des solutions pour faire évoluer les pratiques dans ces secteurs, afin que chacun puisse exercer son activité dans les meilleures conditions, sans craindre pour son intégrité physique et mentale. Nous nous réjouissons de votre présence parmi nous ce soir, car il s’agit de la première audition relative au secteur de la publicité. Nous étions tout à l’heure sur le secteur de la mode, et nous avons beaucoup de questions à vous poser.

Nous vous proposons, dans un premier temps, de vous exprimer dans un propos liminaire pour nous présenter les actions en lien avec notre commission d’enquête. Ensuite, madame la rapporteure et mes collègues présents auront également des questions. Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est diffusée sur le site de l’Assemblée nationale. Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Caroline Fontaine prête serment.)

Mme Caroline Fontaine, déléguée générale de l’Association des agences-conseils en communication (AACC). Je suis vice-présidente déléguée générale de l’AACC, l’Association des agences-conseils en communication, qui est un syndicat patronal et qui représente environ 140 agences de publicité, essentiellement mais pas uniquement, de tailles variées, allant de petites structures de cinq personnes à des géants nationaux et internationaux.

Les principales missions de notre syndicat sont d’ordre institutionnel. Nous négocions les accords de branche, un sujet qui pourrait mériter une discussion approfondie. Nous animons également les travaux des agences, en fédérant la communauté autour de grands enjeux tels que la rentabilité et la transformation, mais aussi des questions plus spécifiques que nous aborderons aujourd’hui.

Dans le cadre institutionnel, il est pertinent de mentionner que je siège au conseil d’administration de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), qui régule le secteur publicitaire en termes de contenu. Ce point pourrait susciter votre intérêt. Je suis également membre du Medef, bien que cela soit moins pertinent pour notre discussion actuelle.

En réponse aux questions qui m’ont été adressées, je propose de distinguer trois grands secteurs. Le premier concerne les contenus publicitaires, régulés en partie par l’ARPP, qui touchent aux enjeux de représentation, notamment l’hypersexualisation, un sujet largement travaillé depuis 1975. Ce secteur concerne plus généralement l’image et le respect de la personne.

Il y a un second secteur qui concerne les conditions de travail au sein des agences. Je ne sais pas si cela vous intéresse, mais nous pourrons en discuter. L’AACC a évidemment vocation à accompagner ce sujet, notamment dans le cadre de sa représentation patronale avec les organisations syndicales avec lesquelles elle collabore quotidiennement. Elle travaille sur les conditions de travail et les potentielles violences au sein des agences.

Enfin, il y a un troisième secteur, qui est peut-être le cœur de votre travail, et qui concerne la production. Ce domaine nous concerne un peu moins, puisque la plupart des agences n’ont pas de production intégrée et collaborent donc avec des prestataires. Cela soulève des questions sur l’emploi des mannequins, des enfants pour les tournages, etc.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Une première question par rapport au fait de savoir si le syndicat est en mesure d’être partie prenante dans une mise en place de charte de lutte contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) et quelle est la situation auprès des agences qui font partie de votre syndicat ?

Mme Caroline Fontaine. Votre question se concentre principalement sur le deuxième secteur que j’ai mentionné, à savoir les agences elles-mêmes. Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet depuis 1997, et c’est un travail au long cours et permanent. En 2018, une prise de conscience des problématiques de harcèlement, principalement moral plutôt que sexiste ou sexuel, a émergé, qui a conduit à la mise en place des premiers outils à disposition des agences. Nous avons développé une méthodologie et un cadre, incluant des baromètres pour mesurer l’efficacité des actions proposées. Ces baromètres sont essentiels pour faire évoluer les choses. À ma connaissance, notre secteur est le premier à avoir mis en place un tel baromètre pour affronter la réalité des situations et évaluer l’efficacité des outils proposés.

En tant que syndicat patronal, nous avons décidé de conclure un accord-cadre avec les représentants syndicaux de notre secteur. Les discussions sur cet accord, commencées en juin 2020, ont abouti en 2021. Cet accord-cadre vise à réguler et à proposer, en collaboration avec les représentations syndicales, des outils d’explication sur ce qu’est le harcèlement, d’information, d’accompagnement, ainsi qu’un cadre de propositions qui reste à la discrétion des agences, incluant des sanctions et des enquêtes internes.

Nous avons également mis en place un label intitulé « label RSE Agences actives » en partenariat avec l’Afnor. Initialement destiné à nos agences adhérentes, nous l’avons ensuite ouvert plus largement. Ce label intègre la responsabilité sociale et environnementale (RSE) dans son sens véritable, englobant les enjeux environnementaux auxquels nous sommes très attachés, ainsi que les aspects sociétaux. Il inclut la mise en place de diverses propositions d’accompagnement managérial, mais aussi pour les salariés des agences. Dans ce cadre, de nombreuses formations sont proposées, à la fois par l’AACC et par l’ARPP sur certains sujets.

M. le président Erwan Balanant. Notre champ d’enquête est vaste et vous y êtes impliqués à plusieurs titres, notamment en ce qui concerne la gestion des tournages et des prises de vues publicitaires. Vous nous avez indiqué que, la plupart du temps, ce ne sont pas directement les agences qui traitent ces aspects. Dans vos relations avec les directions de production, disposez-vous d’un label de bonnes pratiques ou d’une charte que vous partagez avec elles ? Votre organisation possède-t-elle une charte RSE définissant les critères à respecter pour collaborer avec vous ? Par exemple, une production ne respectant pas le droit du travail serait-elle exclue de vos collaborations ? Avez-vous des critères précis et objectivés concernant le choix des sociétés de production avec lesquelles vous travaillez, en fonction des exigences de vos commanditaires ?

Dans le cinéma, le producteur est l’employeur de toutes les équipes. En revanche, dans la publicité, l’agence se situe au-dessus de la production. Comment gérez-vous cette situation et quels sont vos critères de sélection pour les productions avec lesquelles vous collaborez ?

Mme Caroline Fontaine. L’agence peut avoir une production intégrée, auquel cas les chartes que j’ai exposées s’appliquent évidemment. Elle peut également collaborer avec un prestataire, comme vous l’avez mentionné, pour lequel nous, l’AACC, n’avons pas de charte spécifique. Cependant, je tiens à souligner que, généralement, les tournages publicitaires sont bien moins exposés. Cela s’explique par leur durée beaucoup plus courte. Lorsque les agences sélectionnent une production, elles ont une obligation légale, voire pénale dans certains cas, de faire appel à une production respectant scrupuleusement le code du travail.

Par exemple, dans le domaine du mannequinat ou lorsqu’il s’agit d’enfants, une agence n’est jamais directement employeur. Elle passera systématiquement par une agence de mannequins, laquelle est soumise à une réglementation très stricte. De plus, aucune agence ne prendrait le risque de ternir sa réputation. Le respect du code du travail représente déjà un risque majeur pour elles. À ma connaissance, il n’est jamais arrivé qu’une agence prenne une production non réglementaire.

M. le président Erwan Balanant. Deuxième question concernant les chartes. Dans vos agences de publicité, prohibez-vous l’utilisation de mannequins féminins ou masculins trop jeunes ? Par exemple, il a été mentionné que Kering a décidé de ne plus employer de mannequins de moins de dix-huit ans. Avez-vous réfléchi à cette idée, spécifiquement dans le domaine de la publicité, d’utiliser uniquement des mannequins âgés de dix-huit ans et plus ?

Mme Caroline Fontaine. Nous réfléchissons en permanence à ces questions, bien que nous n’ayons pas encore abouti sur ce sujet précis. Toutefois, le corpus réglementaire et le droit souple applicables à l’ARPP sont extrêmement vigilants concernant les représentations et l’utilisation des enfants. En publicité, des besoins spécifiques peuvent se manifester en fonction de l’audience visée. Prenons un exemple si l’on réalise une publicité pour une compote destinée aux enfants, il est évident qu’un enfant sera nécessairement utilisé. En revanche, le domaine de la mode soulève d’autres problématiques distinctes.

M. le président Erwan Balanant. Évidemment, nous sommes d’accord. Si vous faites une publicité pour des jouets, ou d’autres produits similaires, on pourrait se poser la question de la nécessité de la représentation de l’enfant. Les agences pourraient également se demander si elles sont obligées de le faire. C’est une question légitime. Personnellement, je n’ai pas d’avis tranché sur le sujet, mais il mérite d’être discuté.

En revanche, pour certains produits spécifiques, comme les maillots ou certains produits de beauté, il est bien connu que pendant longtemps, plus les modèles étaient jeunes, plus cela semblait vendeur. Ressentez-vous une évolution à ce sujet ? Y a-t-il une volonté au sein de la profession de modifier ces pratiques ? Il me semble que la société dans son ensemble aspire à ce changement.

Mme Caroline Fontaine. Oui, absolument. Concernant la représentation et l’hypersexualisation, il s’agit de pratiques strictement réglementées. Bien que je ne puisse pas garantir qu’aucune personne de moins de dix-huit ans ne soit jamais utilisée, il est possible que cela concerne des individus de dix-sept ans. Nous nous imposons des règles strictes en raison de notre responsabilité sociétale en matière de publicité. Il existe très peu de cas d’ambiguïté à ce sujet. L’hypersexualisation a été bannie de la publicité depuis 2002 et a fait l’objet d’un rapport parlementaire en 2012, le rapport Jouanneau, qui a conclu que le corpus réglementaire était globalement suffisant. Nous pouvons toujours nous améliorer, et c’est dans cet esprit que nous participons à vos travaux. Nous devons constamment évoluer et interroger nos pratiques. À ce stade, nous n’avons pas rencontré de cas particuliers signalés, car l’ARPP, par le biais de son jury, peut être saisie par n’importe quel citoyen concernant une publicité. Elle est alors tenue de répondre sur la validité de l’avis formulé.

En examinant le rapport de 2023 en préparation de cette audition, j’ai constaté un cas unique impliquant un enfant, où l’avis a été jugé fondé. Il s’agissait d’une publicité non réalisée par une agence. Certaines marques continuent parfois à travailler sans agence. En réalité, les agences protègent plutôt les marques. Dans cet écosystème, le donneur d’ordre est la marque, le client de l’agence, qui protège en validant la plupart des communications et productions, dans le sens créatif, par l’ARPP. Nous avons reçu très peu de plaintes sur ces sujets, ce qui me laisse penser que le travail accompli est raisonnable.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je souhaite revenir sur les chartes VSS et les formations. Pouvez-vous préciser si ces chartes sont simplement des recommandations adressées aux agences partenaires ou si elles impliquent un engagement formel de leur part ? En ce qui concerne le baromètre que vous avez mentionné, quels sont exactement les indicateurs qu’il mesure, à qui est-il envoyé, et qui est responsable de son évaluation ? Si les résultats de ce baromètre ne sont pas satisfaisants, quelles en sont les conséquences concrètes ?

Mme Caroline Fontaine. Je tiens à préciser que l’AACC n’est pas un ordre, et par conséquent, nous ne pouvons pas révoquer des agences qui ne respecteraient pas certains principes. Cependant, nous avons intégré dans nos statuts et notre règlement intérieur une mention d’engagement des agences sur les sujets de RSE et de harcèlement.

Concernant le baromètre, nous avons choisi de ne pas être juge et partie, car cela nous semble toujours une mauvaise idée. Nous avons donc collaboré avec une association militante, Les Lionnes, qui a travaillé avec OpinionWay, un institut d’enquête et de sondage. Ils ont proposé un baromètre qui n’est pas un sondage de représentativité précise. Nous avons obtenu environ mille répondants, ce qui commence à offrir une certaine puissance et une réelle visibilité ainsi qu’une compréhension de l’audience. Les questions posées portaient sur plusieurs points : « Avez-vous été vous-même victime ? Ou avez-vous assisté à des situations de harcèlement sexuel, sexiste ou moral ? Avez-vous été victime d’agression ? » Ce qui est évidemment encore plus grave et relève du pénal.

Les chiffres montrent une baisse notable, le taux de personnes ayant été victimes de harcèlement au cours de leur carrière a diminué de quatre à deux points en deux ans. Cette statistique ne se limite pas à la dernière année, mais couvre l’ensemble de la carrière des individus concernés. Cela signifie que la progression est en réalité plus marquée, avec une baisse de quatre à deux points. Je pourrais évidemment vous transmettre les documents écrits pour plus de détails, car je pense que cela est pertinent, mais je ne vais pas tout détailler ici. Lorsque nous constatons une amélioration des résultats, bien que ceux-ci ne soient pas encore pleinement satisfaisants, nous continuons à insister sur plusieurs points. D’abord, nous mettons l’accent sur l’information et la diffusion des formations. Ensuite, nous soulignons fortement la nécessité d’adopter les bonnes pratiques, notamment en matière de management.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Est-ce que vous pouvez nous dire à quelle date a commencé ce partenariat avec Les Lionnes ?

Mme Caroline Fontaine. Le premier baromètre a eu lieu en avril 2021 et le second a eu lieu deux ans plus tard, donc en 2023.

M. le président Erwan Balanant. Le baromètre aborde un sujet qui nous préoccupe particulièrement, les conditions de travail au sein des agences. Nous savons que ces lieux peuvent parfois être tendus. En effet, il est fréquent d’y travailler tard le soir, de répondre à des appels d’offres de clients, ce qui crée une atmosphère parfois extrêmement tendue. Est-ce que ce milieu s’est régulé sur cet aspect grâce au baromètre et au travail de toute la filière, ou bien sommes-nous encore confrontés à des situations de travail tendu ?

Un autre sujet spécifique aux agences de publicité concerne le recours à des prestataires et à des indépendants, souvent des graphistes inscrits à la Maison des artistes. Comment cette situation s’est-elle régulée ? Votre charte inclut-elle des mesures pour améliorer toutes ces conditions de travail ?

Mme Caroline Fontaine. Le secteur en question a des clients et, comme tous les secteurs travaillant avec des clients et sur des enjeux réputationnels, il peut être soumis à une forme de pression. Cependant, est-il plus particulièrement sujet à ces problématiques graves ? C’est un constat que nous voulons voir changer. Est-il plus affecté que d’autres secteurs ? Je ne saurais le dire, car, comme je l’ai mentionné, je ne connais pas d’autre secteur ayant travaillé sur une objectivation de ces enjeux avec le sérieux que nous avons souhaité y mettre.

En tout cas, les pratiques d’il y a une dizaine ou une vingtaine d’années dans le domaine des méthodes de travail – très documentées et racontées, avec des temps de travail très longs, des soirées, etc. – tendent à disparaître. La raison en est assez simple, nous avons des enjeux d’attractivité du secteur. Pour attirer des talents, puisque leurs outils de production sont l’intelligence des personnes avec lesquelles elles travaillent, ces comportements ne sont absolument pas tolérés. Ainsi, nous observons une double avancée, d’une part, une prise de conscience avec la mise en place d’actions très concrètes, déterminées et engagées ; d’autre part, la pression liée aux sujets de recrutement, qui contribue à une amélioration notable de la situation.

Mme Emmanuelle Anthoine (LR). Je souhaite revenir sur vos propos. Bien que la situation semble s’améliorer, il n’y a pas si longtemps, des femmes ont courageusement dénoncé les pratiques qu’elles subissaient dans leur profession. Nous avons notamment eu le cas des Lionnes avec leur association. Pourriez-vous nous en dire davantage sur leur intervention, leurs actions et les évolutions que ces dénonciations, relativement récentes, ont pu entraîner depuis la création de leur association ?

Mme Caroline Fontaine. Je ne prétends pas que tout va bien dans le secteur, ce serait impossible à affirmer. Il s’agit d’un travail constant et permanent. Les événements que vous mentionnez remontent, selon moi, à l’année 2020. Le mouvement que vous avez décrit date effectivement de cette période. Pour le secteur concerné, cela a constitué un véritable électrochoc. L’intervention des parties prenantes, des associations et l’engagement dans un discours ont eu pour vocation de faire évoluer les choses. Je suis à l’aise pour affirmer que ces entités ont accompli leur mission et nous ont aidés à progresser.

Mme Emmanuelle Anthoine (LR). Vous avez mentionné que vous travaillez sur ce sujet depuis 1997 et qu’en 2018, il y a eu une prise de conscience concernant le harcèlement moral. Cependant, j’avais presque l’impression que vous ne faisiez pas référence à 2020, année marquée par un mouvement révélant l’ampleur de la situation et ce que les femmes pouvaient endurer. Peut-être que je n’ai pas suffisamment prêté attention à vos propos, mais il me semblait que cela était quelque peu contradictoire.

Mme Caroline Fontaine. Depuis 1997, nous avons entrepris des travaux sur ce sujet. À un certain moment, une prise de conscience s’est opérée, ce qui a conduit à la mise en place d’un accord-cadre avec les représentants syndicaux. Cet accord nous a permis de progresser et d’accélérer les changements nécessaires.

M. le président Erwan Balanant. Il existe encore des dénonciations dans votre secteur, et des faits remontent régulièrement. Il est donc légitime de s’interroger. Mettre en place des chartes est une initiative louable et témoigne d’une volonté certaine. Cependant, cela ne résout pas tout, nous en sommes conscients, et c’est également pour cette raison que nous sommes présents aujourd’hui.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Lors de vos propos liminaires, vous avez évoqué une réflexion sur l’hypersexualisation. À ce sujet, je souhaite attirer votre attention sur une page Twitter bien connue, intitulée « Pépites sexistes », qui recense quotidiennement des publicités sexistes ou des photographies utilisées pour vendre des sacs à main, où les femmes apparaissent nues, ou encore des publicités pour la fête des mères mettant en avant des promotions sur les aspirateurs et les produits ménagers. Quelle réflexion est engagée au sein des agences publicitaires face à ces exemples précis ?

Mme Caroline Fontaine. Je reconnais que je ne connaissais pas cette page, mais il s’agit de Twitter, et je vais la consulter. Je tiens à préciser, bien que je me répète, qu’une publicité me vient à l’esprit. Je ne citerai pas la marque, mais il me semble que c’est celle que vous mentionnez, avec une femme nue et un sac. Si c’est bien celle à laquelle je pense, cette publicité n’a pas été créée par les agences. Nous ne produisons pas non plus tous les contenus. Bien entendu, il subsiste encore des erreurs et parfois des clichés, car il peut y avoir une confusion entre le public visé et la manière dont on s’adresse à lui.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est la réflexion. La majorité de ces publicités sont directement réalisées par les marques, sans passer par des agences. Cependant, je reviens à ce que M. le président mentionnait plus tôt la réflexion en cours. Par exemple, pour vendre des couches, est-il nécessaire de présenter un bébé dans la publicité ou sur le shooting photos ?

Mme Caroline Fontaine. Cette réflexion est principalement menée au niveau de l’ARPP car, en amont des réglementations, il est essentiel de définir le rôle de la publicité. Quelle est sa fonction ? Quelle est sa responsabilité ? Si je ne me trompe pas, ce comité de réflexion est dirigé par Dominique Wolton. Jusqu’où la publicité peut-elle aller sans dépasser certaines limites de représentation ? Elle a pour vocation de s’adresser à une audience, de communiquer un message. Toutefois, il est nécessaire que cette audience puisse se reconnaître, même un peu, dans ce qui est présenté.

M. le président Erwan Balanant. Lorsqu’on vend des couches, il est rare que ce soit le bébé qui les achète. On s’adresse aux parents, et il est donc pertinent que la publicité leur soit destinée. Les publicitaires tentent de répondre à cette exigence. Est-il nécessaire d’inclure un enfant dans la publicité ? Ce n’est pas certain. C’est ce type de questions que je soulève. Certaines publicités réussissent à vendre un produit en dénonçant des pratiques anciennes, et elles sont souvent très efficaces. La publicité, comme le cinéma, reflète l’air du temps et peut jouer un rôle dans l’évolution de la société. C’est pourquoi il est intéressant de s’efforcer de le faire. Il est tout à fait possible de vendre certains produits avec subtilité. Bien que je n’aie pas d’exemples précis en tête, il est évident que certaines grandes publicités ont parfois changé notre perception. Les publicités d’Always, par exemple, illustrent le rôle modèle des femmes. Il y a quelques années, une publicité remarquable a mis en avant la capacité des femmes à être fortes, même pendant leurs règles. Ce type de publicité est attendu et apprécié, et je pense que cela reflète vos réflexions. Il est important de souligner qu’elles jouent un rôle significatif.

Ensuite, abordons le travail en agence. Vous connaissez sans doute l’Instagram #Balance ton agence, qui révèle divers incidents au sein des agences. Ces faits peuvent être complexes, mais cela se retrouve dans tous les milieux. Vous l’avez mentionné, la spécificité des agences réside dans l’emploi de nombreuses personnes indépendantes, souvent en situation de vulnérabilité car elles ne bénéficient pas des mêmes contrats de travail que les salariés de l’agence. Ces personnes sont parfois sujettes à des abus sexistes, sexuels ou liés à une domination hiérarchique compliquée.

Mme Caroline Fontaine. C’est une question intéressante que vous soulevez, bien que je n’aie pas les chiffres exacts. Je vais me pencher sur la recherche du nombre de free-lances en agence. Il y a une forte présence de permanents en agence, car la rétention des talents est un enjeu majeur. La majorité des salariés en agence sont, à mon avis, des employés permanents. Cependant, je ne prétendrai jamais que tout est parfait en agence, ce serait faux. Il est indéniable que ce secteur est très exposé publiquement. C’est l’un des domaines les plus discutés, notamment sur les réseaux sociaux. Je n’ai rien à redire à ce sujet, chacun a le droit de s’exprimer. Ce secteur est en pleine mutation et a accompli de nombreux efforts pour améliorer les conditions de travail de ses salariés.

Pour revenir à votre point sur la publicité, elle joue un rôle clé dans l’accompagnement des nouveaux récits. En comparant les publicités d’il y a vingt ans à celles d’aujourd’hui, on constate qu’elles anticipent et reflètent les transformations sociales, sociétales et même les évolutions des produits. Par exemple, la promotion de la voiture électrique a précédé son adoption courante par les consommateurs. Cependant, la publicité ne peut pas être trop en avance sur son temps, au risque de perdre le lien avec la société qu’elle doit maintenir.

M. le président Erwan Balanant. Je suis surpris par vos propos concernant les agences, car la situation a évolué depuis 2017, année de mon élection. À cette époque, j’ai cessé mon activité précédente, qui consistait souvent à collaborer avec des agences. Ce secteur était alors dominé par la sous-traitance. Nous étions des travailleurs indépendants, œuvrant pour une agence, laquelle travaillait elle-même pour une autre agence, parfois même pour une troisième, avant d’atteindre le client final, qui pouvait souvent être L’Oréal, en raison de leur large part de marché de la diversité de leurs produits. Bien que des changements soient intervenus, je doute que la situation ait totalement évolué, car ces chaînes de sous-traitance persistent.

Mme Caroline Fontaine. Je vais vérifier le chiffre et vous le communiquerai.

M. le président Erwan Balanant. Je n’ai pas affirmé que nous étions opposés à cette proposition. Il est simplement nécessaire que chacun puisse travailler dans des conditions satisfaisantes. Avez-vous des éléments à ajouter concernant votre activité ou des facteurs de risque spécifiques à votre filière ? Nous sommes également intéressés par les textes de votre baromètre. Si vous pouvez nous les transmettre ou nous indiquer les liens, nous serions très favorables à les recevoir.

Mme Caroline Fontaine. Je vous remercie pour votre attention et je suivrai avec grand intérêt les conclusions de cette commission. Nous sommes indéniablement plus forts ensemble, et nous prendrons en compte toutes les recommandations dans le cadre de notre travail. J’ai bien noté le dernier point abordé et je vous transmettrai les documents par écrit dès demain.

M. le président Erwan Balanant. Je vous remercie et lève la séance.

*

*     *

 

19.   Audition, ouverte à la presse, des associations et collectifs suivants : Mme Sarah Karlikow, représentante de l’assemblée collégiale de la fédération interrégionale du Mouvement HF+ et Mme Camille Pawlotsky, représentante d’HF+ Hauts-de-France ; Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes, et Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques ; Mme Muriel Réus, présidente de l’association Femmes Avec.

M. le président Erwan Balanant. Notre commission d’enquête a pour objectif de faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l’audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons également à identifier les responsabilités de chacun dans ces domaines. Notre principale préoccupation est de proposer des solutions pour que chacun puisse évoluer dans ces secteurs sans craindre pour son intégrité physique et mentale.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous présentiez chacune votre association, les actions que vous menez dans le cadre de notre commission d’enquête, ainsi que vos initiatives plus larges pour la Fondation des Femmes. Ensuite, madame la rapporteure et mes collègues, que je salue, poseront des questions plus précises.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et diffusée sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues pour une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Sarah Karlikow, Camille Pawlotsky, Anne-Cécile Mailfert, Floriane Volt et Muriel Réus prêtent successivement serment.)

Mme Sarah Karlikow, représentante de l’assemblée collégiale de la fédération interrégionale du Mouvement HF+. Je vais vous présenter le mouvement HF+, qui a ajouté un « plus » à son nom il y a presque un an pour inclure les personnes non binaires et toutes les formes de domination subies par diverses catégories de personnes. Ce mouvement est né suite à un rapport rédigé par une inspectrice du ministère de la culture, Reine Prat, en 2006. Ce rapport a été fondateur dans la prise de conscience des énormes inégalités dans notre secteur. Il a révélé que 80 à 90 % des théâtres et des lieux de spectacle étaient dirigés par des hommes, que 80 à 90 % des spectacles étaient réalisés par des hommes, et que les budgets étaient très inégalement répartis. À théâtre égal, les budgets pour les femmes étaient inférieurs de 30 %. Ce rapport a mis en lumière l’énorme inégalité de la situation et les difficultés rencontrées par les femmes dans ce secteur.

C’est à cette époque, il y a plus de quinze ans, que les premiers collectifs se sont formés en région. Le dernier collectif a été créé l’année dernière, et la Fédération du mouvement HF réunit désormais onze collectifs régionaux. Depuis cette époque, nous militons pour l’égalité dans les arts et la culture, notamment dans le secteur du spectacle vivant, mais aussi dans l’audiovisuel, le livre, les arts visuels, les musées, etc.

Nos premières actions se sont organisées autour de trois axes, que nous continuons à suivre depuis quinze ans. Le premier axe consiste à mettre en lumière les inégalités. Pour cela, plusieurs collectifs continuent régulièrement à produire des données chiffrées sur la situation et la place des femmes et des personnes minorisées de genre dans leur région. Le deuxième axe vise à décrypter et à comprendre les raisons de ces inégalités, ainsi que les mécanismes qui les perpétuent. Enfin, un axe fort a toujours été de travailler avec les collectivités pour impulser des politiques en faveur de l’égalité, notamment sur les questions de l’éga-conditionnalité, ces dernières années.

Notre objectif est d’assurer une meilleure représentativité des femmes dans le secteur du spectacle, notamment dans les postes à responsabilité. Il est essentiel que l’économie de ce secteur, largement public, soit équitablement répartie entre les femmes et les hommes. Nous devons également intégrer le matrimoine dans notre culture collective, afin que l’héritage culturel des mères soit aussi valorisé que celui des pères. Il est primordial que l’histoire de l’art ne soit pas uniquement racontée par les hommes et que notre vision du monde ne soit pas exclusivement masculine. Pour nous, agir pour l’égalité réelle est fondamental, mais il est tout aussi important de travailler sur les représentations, surtout dans le domaine de la culture, qui joue un rôle symbolique majeur dans notre perception du monde.

Depuis 2017, et avec l’émergence du mouvement #MeToo, notre secteur a été profondément bouleversé. Nous recevons de nombreuses sollicitations pour des conseils, des accompagnements et des témoignages, car les violences sexistes et sexuelles y sont particulièrement répandues. En réponse à cette situation, nous avons lancé une initiative appelée « Alliées » dans deux régions. Il s’agit de permanences d’écoute pour les personnes qui souhaitent partager leurs expériences, obtenir des conseils et poser des questions. Nous nous efforçons de changer les mentalités et les perceptions du monde. Cela fait quinze ans que nous réfléchissons et agissons dans ce sens, et nous continuons à nous remettre en question en fonction des évolutions et des événements.

Avec le mouvement #MeToo, les questions de violences sexistes et sexuelles ont pris une importance prégnante, non seulement en raison des souffrances subies par les individus, mais aussi à travers la relecture des stéréotypes et des menaces d’exclusion. Nous tentons d’aborder ces problématiques de manière globale, en combinant protection et changement des mentalités. Dans un secteur dominé par les hommes, tant numériquement que symboliquement et économiquement, il est extrêmement difficile pour les femmes et les personnes minorisées de genre de trouver leur légitimité. C’est pourquoi nous pensons qu’il est essentiel de travailler sur la parité dans les postes à responsabilité dans les spectacles. Pour cela, l’éga-conditionnalité et les budgets sensibles aux genres sont des outils très utiles. Nous croyons fermement en la diversification des récits, ce qui explique notre engagement sur les questions du matrimoine et du « female gaze », dont vous avez entendu parler ici même.

Il est également impératif de renforcer les réponses juridiques et réglementaires face aux violences sexistes et sexuelles. Cependant, il s’agit aussi de questions de formation, car il est nécessaire de faire évoluer les mentalités, les pratiques et les savoir-faire. Cela concerne aussi bien les enseignements artistiques supérieurs, souvent catastrophiques en matière de violences et d’exclusion des femmes de carrière, que les structures culturelles et les institutions.

Mme Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes. La Fondation des Femmes est la référence en France pour les droits des femmes et la lutte contre les violences dont elles sont victimes. Depuis sa création, il y a huit ans, elle a financé plus de 600 initiatives à hauteur de 10 millions d’euros grâce aux dons reçus. En plus de ce soutien financier, nous offrons un soutien juridique et matériel. Le soutien juridique est assuré par un réseau de plus de 400 avocates et avocats pro bono, qui accompagnent les associations dans leurs problématiques structurelles et leur plaidoyer. Ensemble, nous réfléchissons aux solutions que le secteur féministe peut proposer aux pouvoirs publics.

Par exemple, en 2022, lors de la campagne présidentielle, nous avons rédigé un pacte d’urgence pour l’égalité entre les femmes et les hommes, soutenu par plus de 250 associations. Actuellement, nous travaillons collectivement à une loi intégrale contre les violences sexistes et sexuelles. Le soutien matériel que nous apportons aux associations complète les soutiens financiers et juridiques, grâce aux actions de la Fondation des Femmes sur l’ensemble du territoire et sur tous les sujets. Cela nous permet d’avoir une vision large des problématiques que vivent les femmes en France et de pouvoir en témoigner lors de nos auditions.

Je souhaite aborder quelques points avant de passer aux questions concernant le secteur du cinéma. Ce que je vais vous exposer résulte de travaux menés avec certaines associations que vous avez déjà auditionnées, et je vous en remercie, ainsi qu’avec d’autres associations que vous n’avez pas encore entendues. Je vous recommande vivement de les auditionner, notamment le Collectif féministe contre le viol, qui écoute les femmes, les enfants, et les hommes victimes de violences sexuelles depuis le début des années 1980. Grâce à leur travail et à cette écoute, elles ont réussi à formaliser, comprendre et nous transmettre la stratégie des agresseurs. Je vous invite vraiment à les entendre ici, car leurs témoignages sont passionnants.

Ces secteurs ne sont pas fondamentalement différents de la société. Les violences sexuelles et sexistes existent malheureusement partout. Néanmoins, certains environnements favorisent la commission de ces violences en facilitant la stratégie des agresseurs sur quatre points en particulier.

Premièrement, dans le cinéma, le pouvoir est majoritairement masculin, tant dans la production que dans les instances et la réalisation. Cela entraîne une survalorisation des figures masculines, souvent élevées au rang de génies, presque « surhumains ». On ne peut pas les traiter comme des humains ordinaires, ni penser qu’ils doivent rendre des comptes de la même manière. Cette survalorisation favorise les agresseurs.

Deuxièmement, ces milieux sont marqués par une grande précarité, et la précarité engendre une vulnérabilité face aux agresseurs. Le statut d’intermittent, par exemple, est précaire. Sur un tournage, on négocie déjà son futur emploi et travaille son réseau pour assurer sa carrière. Dénoncer des violences peut avoir des répercussions sur toute une carrière, pas seulement sur l’emploi actuel.

Troisièmement, le caractère artistique de ces milieux joue également un rôle. Le caractère artistique peut justifier des comportements absolument injustifiables ailleurs. À l’instar du sport, où l’on peut affirmer qu’il faut souffrir pour se dépasser et faire émerger des émotions, il est souvent dit qu’il faut savoir se mettre en danger, y compris psychiquement, pour créer des œuvres sublimes. Cependant, ces secteurs reposent avant tout sur des compétences spécifiques, qui peuvent être acquises et développées, et non uniquement sur la souffrance et l’émotion. En tant qu’acteur, on joue un rôle grâce à des compétences apprises dans des écoles spécialisées. Pourtant, le caractère artistique est parfois invoqué pour justifier l’injustifiable. Par exemple, certains metteurs en scène affirment qu’ils doivent donner de véritables gifles à une actrice pour obtenir une réaction authentique à l’écran, ou qu’ils doivent réellement l’agresser pour voir ce qui en ressortira.

Les conditions matérielles des tournages, notamment dans le cinéma, mais aussi lors des tournées artistiques, peuvent également poser problème. À l’étranger, on peut se retrouver dans des lieux où le droit applicable est méconnu, où la langue est différente, et où l’on est isolé de son réseau familial ou amical. La création d’un groupe de travail, où l’on dort, mange et travaille ensemble, renforce cet isolement. On partage les mêmes transports. Qui monte dans la voiture avec le chef ? Qui mange à la même table ? Et tout cela se déroule en vase clos. Ces dynamiques de petits groupes génèrent des phénomènes similaires à ceux observés dans les familles. Comme dans les familles, il est extrêmement difficile de dénoncer les violences sexuelles dans ces contextes resserrés, car l’exclusion coûte cher et les représailles sont fréquentes.

Les spécificités des conditions matérielles des tournages créent un isolement. C’est la première phase de la stratégie de l’agresseur. Ensuite, la précarité et la vulnérabilité permettent à l’agresseur de cibler des victimes. Le caractère artistique légitime également une agression. Par exemple, un agresseur pourrait dire : « Je t’ai agressé pour que tu deviennes une artiste incroyable. » Enfin, le rapport d’autorité humilie et réduit au silence, renforçant la survalorisation des figures masculines. Dans le secteur artistique, et plus particulièrement en cinéma, ces dynamiques existent ailleurs mais sont exacerbées.

Concernant les enfants, cette commission s’intéresse également à eux. Les tournages sont des lieux d’adultes, et les enfants y participent sans que ces lieux soient adaptés. Par exemple, si un enfant est encadré par ses parents, comment réagir si l’un des parents est un agresseur ? Sur un tournage, il est difficile de repérer de telles situations, alors que dans un cadre scolaire, des adultes tiers peuvent identifier ces problèmes. Les tournages ne sont pas nécessairement adaptés pour gérer la violence. Les enfants peuvent être exposés à des scènes qu’ils ne comprennent pas, et il est essentiel de leur expliquer que ces scènes sont fictives. Prend-on toujours le temps de leur expliquer que la dame n’est pas réellement giflée ou frappée ? Ces environnements peuvent être traumatisants pour un enfant, qui pourrait croire que des actes normalement interdits sont ici autorisés ou tolérés. Ce travail de clarification est nécessaire, même si ces scènes ne relèvent pas spécifiquement de la violence sexuelle. Elles créent un contexte où l’enfant est confronté à des situations choquantes et traumatisantes, perçues comme normales par les adultes présents.

La question des scénarios est également primordiale, notamment ceux impliquant des violences sexuelles explicites. Les enfants peuvent être envoyés sur des lieux de tournage où ils sont soit témoins, soit victimes de telles violences. Ces éléments expliquent pourquoi le mouvement #MeToo a eu un impact particulièrement fort dans le milieu du cinéma et artistique. Nous espérons que ces secteurs, en montrant l’exemple, pourront aider la société à progresser. Nous plaidons pour une loi intégrale contre la violence sexuelle et sexiste, non seulement ciblée sur le monde du cinéma, mais applicable à l’ensemble de la société française. Il reste beaucoup à faire pour lutter contre l’impunité.

Nous constatons un manque d’exemples de condamnations pour violences sexuelles et sexistes dans le cinéma, malgré de nombreux témoignages. Cela reflète une tendance générale en France, où les taux de classement sans suite pour les plaintes pour viol étaient de 94 % en 2021. Le classement sans suite signifie qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments pour poursuivre une affaire. Cela implique que des victimes ne pourront jamais se présenter devant les tribunaux, et que des agresseurs ou des potentiels agresseurs ne seront jamais condamnés pour leurs actes. Parallèlement, on observe une augmentation de 164 % des plaintes pour violences sexuelles depuis le mouvement #MeToo. Malheureusement, cette hausse des plaintes s’accompagne d’une augmentation des classements sans suite. Il est donc évident qu’un problème doit être résolu, de plus en plus de personnes cherchent à obtenir justice, mais de moins en moins y parviennent. Cette situation est non seulement injuste pour les victimes, qui n’ont pas l’opportunité de faire valoir ce qu’elles ont vécu devant un tribunal, mais elle constitue également un élément stratégique pour les agresseurs. L’impunité est aujourd’hui un argument de plus en plus utilisé dans les discours antiféministes et dans le cadre du backlash. On entend dire que les femmes exagèrent, car la justice ne condamne pas, et que leurs plaintes sont infondées puisqu’elles sont classées sans suite. Je tiens à alerter fortement sur ce point. Les changements sociétaux que nous espérons doivent également avoir un impact sur le milieu du cinéma et artistique en général.

Pour conclure, il est important de rappeler que de nombreuses mesures ont déjà été prises dans le milieu du cinéma. Nous en discuterons peut-être plus en détail ultérieurement. Dans le milieu du cinéma, à l’instar de la société, on observe souvent des constats pertinents – j’espère que cette commission en formulera également – et plutôt de bonnes recommandations. Cependant, l’effectivité de la mise en place de ces recommandations laisse souvent à désirer. On ne se penche pas suffisamment sur leur mise en œuvre concrète. Par exemple, est-ce que cette mesure est réellement bien appliquée ? Les coordinateurs d’intimité sont-ils bien formés et volontaires ? Sont-ils présents là où il le faut ? On en arrive souvent à la conclusion que, malgré tous les efforts déployés, rien ne fonctionne. Certains affirment que les violences sexuelles sont un état de fait. Or, je pense que ce n’est pas une fatalité.

Nous pouvons réellement progresser et réduire les violences sexistes et sexuelles, mais cela nécessite des moyens financiers adéquats. Actuellement, le budget alloué à la lutte contre les violences sexuelles est dérisoire. Pour la lutte contre les violences faites aux femmes, il s’élève à un peu moins de 13 millions d’euros, ce qui est ridicule. Il est crucial de disposer de moyens financiers suffisants, mais aussi de moyens en termes de suivi et d’évaluation des mesures mises en place. Il ne s’agit pas seulement de faire des incantations, mais d’avoir un impact concret pour réduire ces violences sexistes et sexuelles.

Mme Muriel Réus, présidente de l’association Femmes avec. Je suis la fondatrice de l’association Femmes avec, créée en décembre 2017, à un moment charnière pour la prise en compte de la parole des femmes, après trente ans de carrière dans les métiers de la communication, de la publicité et des médias. Femmes avec défend les droits des femmes au sens large, luttant contre toutes les formes d’inégalités et de stéréotypes. Nous proposons de nombreuses formations en entreprise, car je considère que les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans la lutte contre les violences. L’État ne peut pas tout faire, il est nécessaire d’impliquer l’ensemble de la société. Notre association est particulièrement investie dans la lutte contre les violences de toute nature, principalement faites majoritairement aux femmes et aux enfants.

Pourquoi parler de violences de toute nature ? Parce que les violences forment un continuum, elles peuvent être sexuelles, physiques, psychologiques, mais aussi sexistes. Souvent, les récits des victimes que nous accompagnons montrent que la gradation des violences commence par une non-prise en compte des premiers signes. Lorsqu’une organisation, une entreprise ou un entourage ferme les yeux sur des propos sexistes, ces violences peuvent évoluer en actes délictuels, agressions et crimes. Cette compréhension est essentielle, car elle reflète ce que nous vivons dans les récits des personnes que nous accueillons et accompagnons.

Comme l’a mentionné Anne-Cécile Mailfert, ces comportements sont identiques dans tous les secteurs d’activité. Les mouvements #MeToo sont présents partout, dans tous les secteurs. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de l’opération que nous avons montée avec la Fondation des Femmes, que vous avez sûrement vue, cette quadruple page dans Le Monde où nous avons réuni tous les #MeToo de France, notamment #MeToo armée, #MeToo cinéma, #MeToo stand-up, #MeToo hôpitaux, etc. Les violences sont structurelles et omniprésentes dans la société française.

Depuis la création de l’association Femmes avec, nous avons accompagné environ 200 victimes. Cet accompagnement ne se limite pas à l’écoute et au soutien de leur parole. Nous avons rapidement ressenti la nécessité de mettre en place un soutien juridique et psychologique, compte tenu de l’impact considérable de ces violences sur la vie personnelle et professionnelle des victimes. Une des particularités de notre association est de s’entourer d’experts et de proposer une aide financière pouvant atteindre 1 200 euros par victime pour les premiers frais juridiques. En effet, sans avocat à leurs côtés, il est extrêmement difficile pour les victimes de progresser et de faire entendre leur voix de manière claire et construite, surtout face aux nombreux classements sans suite. Nous avons également instauré un accompagnement psychologique, prenant en charge jusqu’à dix séances avec des experts formés aux violences. Nous avons constaté que le retour à une vie plus équilibrée, notamment la réinsertion professionnelle est un défi majeur pour ces personnes. Ainsi, nous souhaitons aujourd’hui mettre en place un accompagnement avec des coachs professionnels pour aider les victimes à retrouver une vie professionnelle plus sereine.

Il est important de préciser que tous ces services sont entièrement gratuits pour les victimes. Nous n’avons aucun soutien de l’État ni des ministères, ce qui complique grandement notre situation, car nous sommes tous bénévoles. Nous avons choisi, peut-être que cela changera après cette commission, de chercher des ressources auprès des entreprises, de plus en plus investies sur ces questions.

Je souhaite également revenir sur ces métiers particuliers de l’image, des médias et de la culture au sens large. Dans ces domaines où le pouvoir, la notoriété et les forces économiques sont prépondérants, j’observe trois dynamiques en jeu. Premièrement, un mode opératoire se met souvent en place qui, sans être freiné par l’entourage, l’organisation ou l’entreprise qui emploie la personne mise en cause ou l’agresseur, crée une martingale, un processus qui permet à l’agresseur de continuer ses actes impunément, car il n’est pas arrêté et ne subit aucune conséquence. À titre d’exemple, je suis moi-même plaignante dans l’affaire Patrick Poivre d’Arvor (PPDA). À l’époque, après ce que les victimes appellent « le coup du plateau », que j’ai moi-même vécu, j’ai informé Patrick Le Lay, alors président de TF1, mais aucune mesure n’a été prise. Cela soulève des questions, car si une stratégie d’alerte et de correction avait été mise en place, peut-être que d’autres victimes n’auraient pas subi des viols.

Deuxièmement, la dissymétrie des relations est un élément très important. Lorsqu’une personne détient le pouvoir d’octroyer un emploi ou de faire ou défaire une carrière, et que, en face, une autre personne est en demande, notamment dans des métiers où la précarité est très forte, cela génère des peurs et des situations inconcevables aujourd’hui. Parler au nom d’une victime est extrêmement difficile, car cela nécessite d’abord de se reconnaître comme telle. Cela demande un long travail d’introspection et d’acceptation du changement de regard des autres. De plus, il y a la crainte absolue de perdre son emploi.

Le silence de l’entourage est également un facteur omniprésent, particulièrement lié au pouvoir économique de ces secteurs. Si Patrick Poivre d’Arvor n’avait pas été l’homme qui avait construit l’économie de TF1, avec ses 7 millions d’auditeurs et les ressources publicitaires colossales qui en découlaient, les choses auraient peut-être été différentes. Il existe une peur économique au sein des structures employant ces agresseurs, mais aussi des relations de solidarité de genre et d’entre-soi. Des stratégies de résistance se mettent en place car les emplois sont difficiles à obtenir et à conserver, notamment dans les médias.

Le déni est également présent. Un grand réalisateur, auditionné il y a quelque temps, a exprimé un déni très fort concernant les violences dans ce milieu, minimisant leur gravité. Pourtant, il est crucial de reconnaître qu’un acte sexiste peut devenir une violence demain. Il est impératif de faire de la pédagogie sur ce sujet et d’embarquer toute la société, y compris les hommes. Ceux-ci occupent majoritairement des postes de pouvoir et ont un rôle important à jouer aux côtés des femmes pour lutter contre les violences. Ils doivent mettre en place des structures, des moyens et une organisation qui ne permettent plus aux femmes de se sentir en danger.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure Ma première question s’adresse peut-être plutôt au mouvement HF+. Nous sommes d’accord avec vous sur la question du déséquilibre et de la représentation de la femme dans le monde de la culture, et notamment dans le périmètre de cette commission d’enquête, qui contribue à invisibiliser ces œuvres. Est-ce que vous pouvez peut-être nous dire comment, selon vous, cette invisibilisation a aussi contribué aux violences que l’on connaît actuellement dans le monde du cinéma et du spectacle, et dont les femmes sont encore victimes aujourd’hui ?

Où nous en sommes aujourd’hui en termes d’égalité, de parité, dans le monde du spectacle vivant que vous représentez particulièrement, et aussi de la musique, mais dans tout le périmètre de votre mouvement.

Je voulais revenir rapidement sur les propos de Mme Mailfert. Je suis tout à fait d’accord avec vous sur le fait qu’effectivement aujourd’hui on a beaucoup d’associations, beaucoup d’institutions, des écoles aussi qui se dotent de chartes. On l’a vu quasiment dans toutes nos auditions, il y avait la présence de chartes et je pense qu’à la fin de cette commission d’enquête on pourra peut-être les lister ou les compter mais on en aura une infinité. Je commence à ressentir que ces chartes servent en réalité de paravent. On se contente de dire : « Nous avons établi une charte », mais en pratique, les problèmes persistent. Par exemple, des chartes nous ont été présentées le 31 mai, alors qu’elles avaient été votées le 27 mai. Il semble également que cette commission d’enquête joue un rôle moteur dans la création de chartes pour ceux qui n’en avaient pas encore. Ce qui m’interpelle particulièrement, c’est l’absence de bilan et de contrôle de l’application de ces chartes. Les réponses à ces questions restent très vagues. On constate qu’elles sont simplement votées, puis mises de côté sans véritable suivi. J’aimerais connaître votre avis sur cette question et savoir ce que vous avez pu observer en termes d’application concrète de ces chartes.

M. le président Erwan Balanant. La rapporteure a mentionné les chartes et vous avez évoqué les écoles, en soulignant que leur fonctionnement était visiblement défaillant. J’aimerais obtenir des précisions à ce sujet, car nous avons auditionné les responsables. Nous avons constaté qu’ils disposaient de chartes et de diverses bonnes pratiques affichées. Cependant, il semble que vous possédiez des informations contradictoires sur ce point, et nous souhaiterions les connaître.

Mme Camille Pawlotsky, représentante de HF+ Hauts-de-France. Je vais aborder la question de l’invisibilisation, qui engendre des violences à plusieurs niveaux. Invisibiliser un groupe de personnes, des individus ou des groupes, et valoriser la force représentative des dominants a une conséquence directe sur la répartition des pouvoirs. Comme l’ont souligné les autres intervenantes, les pouvoirs se concentrent entre les mains d’un nombre restreint de personnes, qu’il s’agisse du pouvoir budgétaire, de la représentation historique, ou de l’histoire de l’art. Cette concentration crée un langage unique détenu par certains. Lorsque l’on invisibilise les autres, ils deviennent des personnages secondaires, des personnes jugées indignes d’être valorisées, vues ou mises en lumière. Si leur valeur est perçue comme mineure, elles deviennent des objets de possession, de violence, de manipulation, et subissent une répartition inégale des pouvoirs. L’invisibilisation, par définition, consiste à renier et à mettre dans l’ombre. En tant que femmes et personnes minorisées, cela se manifeste par exemple lors des journées du patrimoine où seules des œuvres d’hommes sont exposées, ou lorsque les plaques de rue ne reflètent pas notre existence. Cela signifie que nous ne pourrons jamais faire partie de ce groupe dominant. C’est un écrasement de nos ambitions et de nos dynamiques dès le départ. Nous considérons cette forme de violence comme l’une des premières à être acceptée tacitement.

Concernant les récits, il est évident que l’invisibilisation appauvrit notre patrimoine culturel. Lorsque les récits sont toujours narrés par les mêmes personnes, ils finissent par se ressembler. Par exemple, depuis plusieurs années, les salles de théâtre se vident, et il devient de plus en plus difficile d’attirer le public. Cette désaffection s’explique en partie par le fait que les spectacles et les œuvres ne représentent pas l’ensemble de la population. Cela génère une forme d’exclusion, privant certaines personnes des lieux de représentation, de fête et de célébration.

Comme cela a été souligné, il existe un continuum entre ces violences et les violences sexistes et sexuelles. Si je suis perçu comme secondaire, si je ne compte pas, alors l’autre peut légitimement exercer une forme de violence à mon encontre.

Mme Sarah Karlikow. Je souhaite rebondir sur les propos de Camille Pawlotsky concernant l’absence de modèles féminins sur scène. Cette absence oblige les femmes qui souhaitent s’impliquer à jouer un rôle de pionnières, nécessitant une énergie et un engagement bien supérieurs à ceux des hommes, qui sont facilement acceptés. Endosser ce rôle constitue déjà un risque, et il est essentiel de souligner l’importance du terme « risque » dans ce contexte. Les femmes prennent constamment des risques, et le fait de devoir être pionnière en ajoute encore davantage. L’invisibilisation constitue également une forme de violence. Lorsqu’une femme crée une œuvre, réalise ou co-met en scène, et que seules les contributions masculines sont mises en avant dans les communications, c’est une violence en soi.

Sur la question du continuum théorisé par Liz Kelly, il est crucial de comprendre que ce concept implique l’absence de hiérarchie des violences. Bien qu’il existe une hiérarchie dans le domaine pénal et dans les réponses apportées, les violences ne se limitent pas aux violences physiques. Une petite violence peut être la goutte d’eau qui fait déborder le vase, surtout après une accumulation de violences antérieures, et peut avoir un impact aussi significatif qu’une agression physique sur la vie des femmes.

Pour répondre à la question des chiffres actuels, HF+ Bretagne, dont je fais partie, publie des statistiques tous les deux ans. Nous avons observé une évolution notable, il y a dix ans, seulement 17 % des femmes étaient présentes sur scène dans le domaine théâtral, aujourd’hui elles représentent 38 % des effectifs, ce qui signifie qu’il y a 62 % d’hommes. Cette tendance se retrouve également dans toutes les formes de musique, qu’il s’agisse de musiques actuelles, traditionnelles ou classiques. Les femmes sont globalement moins présentes dans ces domaines.

On observe que le nombre de femmes est inversement proportionnel à la notoriété et aux moyens disponibles. Plus les salles sont grandes ou plus il y a de représentations, plus la présence masculine est marquée. De même, plus les budgets sont importants, plus les hommes sont nombreux, tandis que les femmes sont moins représentées. Cette disparité se manifeste également dans les lieux de grande notoriété. Il est pertinent d’examiner les chiffres en détail. Par exemple, un festival peut annoncer une parité de 50/50 entre femmes et hommes, mais en réalité, 90 % des hommes se retrouvent dans une salle de 2 000 places, tandis que 80 % des femmes se trouvent dans une salle de 50 places. Cette inégalité de représentation demeure flagrante.

En ce qui concerne les métiers, le déséquilibre est aussi notable. Dans les métiers techniques, les hommes représentent 80 à 90 % des effectifs. En revanche, les métiers de la médiation et de la communication sont majoritairement occupés par des femmes. Quant aux métiers de couturière, ils sont également dominés par les femmes. Enfin, je suis disposée à discuter des chartes, mais cela viendra en complément.

Mme Muriel Réus. Pour répondre à votre question sur les chartes, qui me semble extrêmement importante, cela soulève toute la problématique des outils que nous mettons en place. Vous avez raison, et je partage votre sentiment. De nombreuses chartes sont signées par des entreprises, parfois même lancées par des associations, et elles comportent un nombre impressionnant d’entreprises signataires. Cependant, en l’absence d’outil d’évaluation, on peut légitimement se demander à quoi elles servent. J’ai entendu de nombreux témoignages personnels de ces associations indiquant qu’elles n’étaient pas là pour se substituer aux entreprises. Une fois que ces dernières ont signé la charte, elles ont manifesté un engagement, et il n’est pas du ressort des associations de vérifier ce qui se passe ensuite. C’est une réalité.

Toutefois, cela pose la question de l’utilité de cette signature. À quoi sert-il d’afficher notre intention de lutter contre les violences sexuelles et sexistes s’il n’existe aucun indicateur de résultat ni d’expertise précise sur les actions mises en place ou non ? Je ne suis pas certaine que la commission parvienne à résoudre ce problème. Il s’agit d’un enjeu majeur, et nous ne pouvons pas remplacer un règlement intérieur ni des outils d’analyse. À mon sens, cela relève un peu du washing, je signe une charte pour me donner bonne conscience, et lorsque je suis interpellée, je réponds : « Non, mais j’ai signé une charte, c’est totalement insuffisant. »

Ce qui me semble plus efficace, ce sont les formations que nous pouvons instaurer. Par exemple, Femme avec organise des formations. En tant que cofondatrice de #MeTooMedia, nous avons conçu une formation destinée aux écoles de journalisme. Lorsque nous passons une journée, deux jours, avec des étudiants, ou lorsque nous consacrons deux jours entiers de formation avec des équipes sur le terrain, nous avons réellement le temps de travailler en profondeur, de poser des questions, de répondre et d’analyser. Ainsi, les formations me paraissent bien plus efficaces qu’une simple signature au bas d’un document que l’on va afficher sur les murs de l’entreprise.

M. le président Erwan Balanant. Nous allons aborder la question des formations, un sujet qui suscite de nombreuses réflexions. De nombreuses formations sont dispensées après l’obtention du diplôme, ce qui soulève certaines problématiques. Lorsqu’on interroge les écoles sur l’enseignement du droit à leurs étudiants, il apparaît clairement que ce n’est pas une priorité. Cela constitue un véritable enjeu. La formation professionnelle, qu’elle soit initiale ou continue, devrait inclure les bases du droit en vigueur, notamment le droit positif pertinent au domaine concerné. Actuellement, il semble y avoir une carence à ce niveau. Les formations dispensées aux producteurs, par exemple, devraient inclure des connaissances approfondies en droit du travail dès le cursus initial. Cela éviterait de devoir combler ces lacunes par des formations complémentaires après coup, qui devraient plutôt servir d’accompagnement. Il est essentiel de souligner ce manque.

Mme Sarah Karlikow. Je vais donner un exemple encore en Bretagne s’agissant de la question sur les chartes. Excusez-moi de ce tropisme, mais c’est là que je vis et que je travaille. Nous avons constaté les limites des chartes et les avons remplacées par des pactes. Dans le milieu des musiques actuelles, au lieu de signer une charte qui finit souvent dans un tiroir, nous avons élaboré un pacte inspiré des pactes pour la transition écologique. Ce pacte propose un menu d’actions concrètes parmi lesquelles chacun peut choisir en s’engageant à les réaliser. Cependant, ce pacte doit être animé et non seulement évalué.

Nous avons rédigé ce pacte en 2017, et il circule comme un outil pédagogique avec des idées pour le secteur des musiques actuelles. Lorsque nous avons réussi à créer un poste à temps plein pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles dans ce secteur en Bretagne, grâce au financement du Centre national de la musique et d’autres collectivités, la personne occupant ce poste a pu animer ce pacte. Signer le pacte implique donc de désigner une personne relais au sein de chaque structure, de participer à des groupes d’analyse de pratiques et d’échange de pratiques. Cette animation nécessite un poste, et un poste demande des financements.

Mme Camille Pawlotsky. Sur les enseignements, nous constatons, au début des carrières, une zone de flou entre ce que signifie être un artiste et ce que signifie être un pédagogue. Lorsqu’on évoque la formation, il est essentiel, selon nous, que si un artiste est invité à enseigner son savoir avec différentes modalités, il soit informé des principes de la pédagogie, des outils pédagogiques et des limites, notamment le cadre très clair du droit du travail, ce qui, à notre sens, n’est pas du tout respecté. L’artiste est censé apporter ses connaissances et ses affections artistiques, ce qui ne signifie absolument rien en matière de pédagogie. Évidemment, le fait que cet artiste, ce pédagogue, en tout cas cet enseignant, attribue des rôles au sein même des lieux d’enseignement, où les interprètes sont déjà sur le plateau, pose question. Cet enseignant va attribuer les rôles, déterminer à qui revient le rôle le plus important, le plus valorisant, et susciter ce fameux mot, sacralisé de manière étrange, du désir. Cela commence par le désir sexuel avec une demande de réciprocité dans cette relation, ce qui est absolument inepte en ce qui concerne l’apprentissage, et évidemment inacceptable lorsqu’il ne s’agit pas d’une relation consentie.

Le désir en termes d’engagement dans le travail est également problématique. L’élève doit avoir tellement envie de travailler qu’il ou elle doit tout accepter, y compris la souffrance, comme si ne pas souffrir signifiait ne pas se donner suffisamment. Le désir est sacralisé, tandis que le plaisir ne l’est pas du tout. Le plaisir de jouer, de découvrir un milieu, d’acquérir des outils, tout ce qui est joyeux dans l’apprentissage, n’est pas valorisé. Les compétences sont perçues comme des outils à acquérir dans un travail. Nous parlons ici des interprètes.

Je souhaite intégrer tous les postes, que ce soit sur les plateaux de cinéma, de théâtre, sur les scènes de musique, et autres. Tous les postes sont concernés, bien évidemment. Il existe des écoles, comme vous le savez, non seulement pour les interprètes, mais pour tous les métiers. Ce qui nous semble extrêmement important, une personne invitée à enseigner dans une école doit, a minima, être informée sur le cadre de cet enseignement et sur la philosophie qui l’accompagne. En effet, dans les domaines artistiques, le terme philosophie n’est pas un gros mot. On peut avoir une philosophie d’apprentissage et une philosophie de pensée qui s’appliquent.

Mme Sarah Karlikow. Nous intervenons dans des secteurs où le corps constitue l’instrument de travail, que ce soit dans la danse, le théâtre ou même la musique. Dans les lieux d’enseignement, nous travaillons avec le corps des étudiantes et des étudiants, leur apprenant le lâcher-prise, une notion que vous avez pu aborder avec les coordinatrices d’intimité. Si une formation pour ces coordinatrices est mise en place, elle leur permettra de comprendre les notions de limite et de consentement, ainsi que le travail corporel avec des enfants, des adolescents et des adultes, qui sont évidemment des approches différentes. Ces aspects, bien que relevant des sciences de l’éducation, sont spécifiques et devraient absolument faire partie de la formation des enseignants. Il n’est pas acceptable que des enseignants travaillent avec le corps des élèves sans avoir reçu une formation initiale sur ces sujets.

Pour répondre à votre question, nous recevons de nombreux témoignages de personnes en formation dans des établissements d’enseignement supérieur, relatant les violences qu’elles subissent. Ces violences s’accompagnent de phénomènes de silenciation et de carrières brisées dès le début. Beaucoup abandonnent leurs études, ce qui entraîne un taux élevé d’abandons et de carrières interrompues prématurément.

Mme Muriel Réus. Sur la question des formations dispensées en entreprise ou dans les écoles, il est essentiel de considérer toutes les institutions éducatives, qu’il s’agisse des écoles de comédiens, des écoles de publicité, des écoles de journalisme ou des grandes écoles. En effet, même dans une école d’ingénieurs, rien ne garantit qu’un étudiant ne choisira pas de se tourner vers un métier artistique à l’avenir. Plus nous cloisonnons les choses, moins nous reconnaissons que la société entière est concernée.

Je constate que, lors des formations, ni les enseignants ni les élèves ne font de distinction claire entre un outrage sexiste, une agression sexuelle, une agression morale, un viol et le cadre du consentement. Lorsque l’on interroge les personnes concernées, qu’il s’agisse de l’encadrement ou des élèves, ces derniers peuvent être excusés de leur méconnaissance, mais il est préoccupant que l’encadrement ne fasse pas cette différence. Il est donc impératif de détailler ces notions, ce que nous faisons bien entendu, en introduisant les concepts juridiques mentionnés précédemment, qui me semblent absolument indispensables. Sur ces sujets, il est impensable de débuter une formation sans expliquer précisément le cadre de ces agressions et les sanctions qu’elles impliquent. Il est donc essentiel d’inclure ces notions dans les formations, car c’est en comprenant ces situations que l’on peut se positionner. Sans ce cadre de réflexion et d’analyse, il est impossible de réagir adéquatement.

M. le président Erwan Balanant. Merci. Je partage complètement votre analyse.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Mme Réus, vous avez mentionné précédemment que vous faites partie des femmes ayant accusé Patrick Poivre d’Arvor de violences sexuelles et, plus précisément dans votre cas, d’agression. Cette commission d’enquête peut examiner votre situation car l’affaire a été classée sans suite pour prescription. Dans une interview de 2021, vous aviez alerté le PDG de TF1, Patrick Le Lay, le lendemain de cette agression. Vous avez cité M. Le Lay qui aurait répondu : « Ah non, il n’a quand même pas osé avec toi aussi », indiquant ainsi qu’il était au courant et qu’il allait s’en occuper. M. Le Lay étant décédé en 2020, il ne pourra pas être auditionné par cette commission d’enquête. Vous avez confirmé qu’aucune action n’avait été entreprise par M. Le Lay, bien qu’il fût informé.

Première question d’autres personnes chez TF1 étaient-elles au courant de ce que vous aviez dénoncé à M. Le Lay ou des agissements de Patrick Poivre d’Arvor ? Ensuite, avec les années écoulées et l’expérience acquise avec votre association Femmes avec, où vous avez entendu et accompagné d’autres femmes victimes, avez-vous une explication sur ce qui permet à ces hommes d’agir ainsi envers les femmes en toute impunité ? Nous avons abordé plusieurs failles, telles que l’omerta, la protection, le pouvoir et l’argent. Existe-t-il des éléments récurrents qui leur permettent une telle liberté d’action sans conséquences ?

Mme Muriel Réus. Sur mon cas personnel, j’ai bien sûr alerté Patrick Le Lay. À l’époque, je dirigeais une filiale du groupe TF1 et du groupe M6, puisqu’il s’agissait d’une filiale commune à ces deux entités. Je dois dire que je n’étais pas dans la cible des victimes de PPDA. D’abord, j’étais beaucoup plus âgée que celles qui ont dénoncé par la suite ce qui s’était passé. En réalité, je ne comprends pas bien les raisons de cette agression, si ce n’est que je pense que chez ces hommes, rien ne les arrête. Comme je l’ai mentionné précédemment, il y a un côté hors-sol. On se trouve dans une situation de pouvoir absolu. Pendant des années, personne ne leur a jamais dit que ce qu’ils faisaient était intolérable et inacceptable. Au contraire, on a toujours valorisé cette attitude en la considérant comme une forme de séduction. C’est assez schizophrène, j’imagine, car je ne suis pas dans leur tête, de s’entendre dire que l’on est à la fois un agresseur et séduisant, et que toutes les femmes souhaitent avoir une relation avec vous, tout en étant accusé d’agression. D’ailleurs, si vous avez écouté « Quotidien », il exprime très bien cela. Il dit à un moment donné : « Je n’ai jamais eu une relation sexuelle avec une femme qui m’aurait dit non. » C’est comme s’il avait donné l’autorisation aux femmes d’avoir une relation avec lui. Vous voyez, il y a une inversion à la fois de la séduction et de la culpabilité qui est complètement psychanalytique, quelque part. Comme je ne suis pas psychanalyste, je laisserai aux spécialistes le soin d’analyser cette personnalité en détail.

Je crois que ce que j’ai dit précédemment est assez similaire dans l’affaire Miller, dans l’affaire Cauet, et dans toutes ces affaires. Si vous les examinez toutes, il y a toujours une similitude. Il y a une similitude de pouvoir, de toute-puissance, d’un entourage qui ne vous contredit pas, qui accompagne et qui considère que les actes commis sont mineurs. On peut parler d’hommes, mais l’agresseur se retrouve dans des situations de toute-puissance absolue.

Quant à votre deuxième question, s’il y avait d’autres personnes qui étaient au courant, en plus de Patrick Lelay, je pense que personne, honnêtement, n’était au courant des viols. Personne n’a imaginé que dans ce bureau, il pouvait y avoir des agressions allant jusqu’aux viols. Nous avons plus de treize plaintes pour viols. Cinquante femmes ont témoigné devant la justice aujourd’hui dans cette affaire. Nous comptons environ quatre-vingts témoignages, c’est-à-dire que cinquante femmes ont rencontré des enquêteurs et ont témoigné. La majorité d’entre elles ont porté plainte, tandis que d’autres n’ont pas franchi ce pas.

Cependant, personne dans cette entreprise ne s’est interrogé sur le fait que, tous les soirs, après le journal télévisé, à vingt et une heure, au moment où il n’y avait plus personne dans la rédaction située au premier étage, il y avait un seul bureau fermé où se produisaient ces actes. Personne ne s’est posé cette question, et même la sécurité, dans « Complément d’enquête », a affirmé que ces femmes ne sortaient pas en pleurant, elles ne venaient pas la voir et elles n’ont pas manifesté le fait qu’elles avaient été agressées, donc personne ne s’en est mêlé. Dans cette affaire particulière, il y a eu une acceptation d’une situation complètement intolérable. Une entreprise doit assurer la protection non seulement de ses salariés, mais aussi de toute personne présente dans ses locaux. Les conditions de sécurité n’ont pas été respectées, et pire encore, elles n’ont même pas été remises en question. Est-ce qu’aujourd’hui, cela pourrait se reproduire de la même façon ? J’espère que non.

Mme Virginie Lanlo (RE). Ce qui m’interpelle dans vos interventions est ce que vous décrivez dans le milieu de l’art et de la culture, qui semble se retrouver dans de nombreux autres secteurs. En effet, ces dynamiques de pouvoir et de domination apparaissent souvent d’abord au sein des familles, puis se reproduisent dans différents milieux professionnels. Cela soulève pour moi une question essentielle : comment pouvons-nous proposer ou recommander des actions pour contrer ces comportements ? Je suis convaincue que la formation et la sensibilisation à ces problématiques doivent débuter dès le plus jeune âge, à l’école. Nous nous efforçons déjà de le faire, notamment en ce qui concerne le harcèlement, mais il est crucial d’élargir cette sensibilisation. Lorsqu’on atteint les années collège et lycée, période où les jeunes commencent à envisager leur orientation professionnelle, il est primordial de renforcer cette sensibilisation. J’aimerais connaître votre avis sur cette proposition.

Par ailleurs, vous avez évoqué la répartition genrée des métiers dans le secteur de l’art et de la culture. Il est évident que notre société attribue certaines professions davantage aux femmes qu’aux hommes. Il est donc impératif, dès le collège et le lycée, d’informer les élèves que ces métiers sont accessibles à tous, indépendamment du genre. L’instauration de stages et d’interventions en milieu scolaire pour présenter ces métiers pourrait être une piste à explorer afin de rééquilibrer cette répartition.

La question de l’omerta dans le domaine de l’art et de la culture, se retrouve également dans de nombreux autres secteurs, notamment en ce qui concerne la concentration des pouvoirs. Dans plusieurs domaines, nous avons légiféré pour imposer la parité dans les instances de décision. Ne devrions-nous pas également imposer la parité dans ces instances dans le domaine de l’art et de la culture pour rééquilibrer les pouvoirs ?

Ensuite, vous avez évoqué la situation des enfants dans le cadre de cette commission d’enquête. Ne faudrait-il pas, chaque fois que des enfants sont présents sur des tournages, des tournées ou autres, garantir la présence d’un psychologue ? Cela permettrait non seulement de leur offrir un soutien, mais aussi de détecter d’éventuels signes de domination parentale. Vous avez très bien souligné que l’on peut déceler si un parent exerce une domination sur l’enfant. L’instauration de l’obligation de la présence d’un psychologue ou d’un personnel de santé avec une formation spécifique sur ces tournages pourrait ainsi accompagner l’enfant dans son parcours artistique. Nous avons des talents dès le plus jeune âge, et il est absolument inadmissible que ces parcours se brisent.

Dans toutes les entreprises qui embauchent, il est essentiel de désigner des référents extérieurs, potentiellement issus d’autres entreprises, pour traiter les violences sexistes et sexuelles ainsi que toutes autres formes de violences. Il est également primordial de mettre en place une ligne d’écoute dédiée à ces problématiques. Nous devons instaurer de manière systématique la présence de référents en matière de harcèlement ou autres violences, que ce soit dans les entreprises ou les collectivités.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Nous constatons, au fil des auditions, que des tendances claires émergent, notamment en ce qui concerne la culture du viol et les problématiques systémiques. Une question précise s’impose pour éviter que les chartes ne restent lettre morte, celle des moyens. Les associations féministes nous interpellent souvent à ce sujet. Lorsqu’on examine le budget, à quel moment et à quel endroit allouons-nous davantage de ressources pour la justice et l’éducation à la sexualité ? En effet, bien qu’une loi prévoie trois séances par an, les moyens nécessaires pour garantir leur mise en œuvre pour tous les élèves ne sont pas disponibles.

Concernant les métiers des arts et de la culture, je sais que vous n’avez pas nécessairement de chiffrage précis, mais pourriez-vous nous éclairer sur les coûts spécifiques ? Par exemple, la formation, les postes de référents, et les cellules d’écoute déjà existantes. Un tournage, par exemple, est très onéreux. Si des heures de tournage sont perdues, cela engendre des coûts considérables. Comment évaluer ces coûts liés aux violences sexuelles et sexistes (VSS) et déterminer qui doit les assumer ? Les postes de coordonnateurs d’intimité ont été mentionnés. J’aimerais également aborder le chiffrage du coût des sanctions des auteurs et de la protection des victimes.

Cela m’amène à une deuxième question concernant les procédures. Imaginons qu’un tournage soit suspendu, qu’une personne soit mise à l’écart ou suspendue de ses fonctions et doive être remplacée. En même temps, cette personne peut encore percevoir son salaire. Toutes ces situations doivent être chiffrées et mises en avant. Sans cela, les chartes risquent de rester sans effet concret en l’absence de procédures claires et financées.

Je souhaite aborder la question des procédures, car bien que nous disposions déjà d’une cellule d’écoute et de cadres de formation, de prévention et d’écoute de plus en plus nombreux, il est nécessaire de se pencher sur les types de procédures et de décisions que nous pouvons promouvoir. En effet, il ne faut pas attendre des décisions de justice, souvent rares et hypothétiques. Il est crucial de déterminer quelles mesures de précaution peuvent être prises dans un cadre signataire de chartes féministes, sans attendre une condamnation judiciaire. Il serait utile de disposer d’une liste des sanctions ou mesures de protection à adopter pour éviter de se limiter à la prévention sans savoir comment agir concrètement. L’un des vecteurs de la prévention repose sur la mise en place d’actions concrètes lorsque des accusations sont portées.

Mme Emmanuelle Anthoine (LR). Mme Réus, je souhaite revenir sur vos propos concernant les formations. J’ai été particulièrement touchée par votre insistance sur l’importance de rappeler le cadre juridique et légal dès le début des formations. Vous avez souligné que ni les encadrants ni les élèves ne distinguent la gravité des différentes agressions. Cela m’interpelle profondément. Selon vous, est-ce un problème d’éducation initiale au sein des familles, un dysfonctionnement au niveau de l’éducation nationale, ou bien le reflet d’une tolérance généralisée dans notre société ? En fin de compte, cela questionne la manière dont notre société perçoit et traite la condition féminine.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Le sujet est d’une importance capitale. Je souhaite d’abord souligner les propos de Mme Réus, des #MeToo, il y en a partout, dans tous les domaines. Il est impératif que notre société s’attaque rapidement à ce problème systémique. « Ça suffit, il faut agir » est d’ailleurs l’un des slogans des associations féministes. La Fondation des Femmes a récemment publié un rapport, dont la date m’échappe, sur le sexisme chez les jeunes de dix-huit à trente-cinq ans. Un quart de ces jeunes considèrent qu’il est normal d’être violent envers leur compagne, ce que je trouve extrêmement grave. Mes collègues l’ont déjà mentionné il s’agit avant tout d’une question d’éducation. Il est également nécessaire de doter l’éducation nationale de moyens adéquats, car les enseignants ne sont pas toujours formés à ces questions. Cela me semble indispensable, comme dans toutes les professions et dans toute la société.

Je souhaite poser une question concernant l’organisme externe chargé de traiter les violences sexistes et sexuelles ainsi que les agressions. J’ai participé à la commission d’enquête sur les fédérations sportives, où nous avons auditionné plusieurs victimes. La création d’un organisme externe pour recueillir la parole et accompagner les victimes me paraît essentielle. En effet, lorsque l’on doit prendre position face à des membres de notre propre famille, en l’occurrence la famille de la culture, cela peut être compliqué. L’une des recommandations de cette commission d’enquête sur les fédérations sportives était de créer un organisme externe pour gérer ces situations. Le ministère des sports, et par extension le ministère de la culture, sont-ils les organismes les plus appropriés pour traiter ces cas ?

Mme Muriel Réus. Sur la question de la formation, la seule manière de progresser au sein d’une organisation réside, selon moi, dans la décision de la présidence ou de la direction générale d’adopter une tolérance zéro. Récemment, j’ai participé à une formation dans une grande entreprise de médias, préparée en collaboration avec le président, qui a clairement affirmé que la tolérance devait être nulle. Lorsqu’un tel dialogue est instauré avec le management et que l’on descend dans les structures pour s’adresser à l’ensemble des participants aux formations, y compris ceux qui sont en situation de précarité et qui peuvent éprouver de la peur, le message de tolérance zéro contribue à améliorer le climat de confiance et la prise de rôle.

J’aborde également la question des référents en entreprise. Il est impératif qu’il y ait des référents et qu’ils soient correctement formés. La principale difficulté réside dans la confiance. Un référent ne doit pas occuper une position hiérarchique, car une victime pourrait se sentir mal à l’aise de se confier à quelqu’un qui pourrait influencer son avenir professionnel. La question des référents en entreprise soulève fondamentalement celle de la confiance. Il ne suffit pas d’en avoir, il faut aussi les accompagner avec des structures externes. En interne, il est extrêmement complexe de prendre des décisions et d’accompagner des victimes, surtout lorsque les référents eux-mêmes sont soumis aux mêmes conditions de précarité.

Madame, je comprends votre surprise face à la situation des personnes formées, notamment les étudiants, qui se retrouvent dans des contextes très complexes. La distinction entre le harcèlement moral et le harcèlement sexuel comporte des subtilités juridiques extrêmement complexes qu’il est nécessaire d’expliquer. Il suffit de consulter le dernier rapport du Haut Conseil à l’égalité (HCE) pour constater l’ampleur des inégalités, notamment en matière de sexualité et de pornographie. Ce rapport révèle que plus de deux millions de jeunes enfants visionnent des contenus pornographiques avant l’âge de onze ans. De plus, 40 % des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans estiment qu’un acte sexuel doit être violent pour qu’une femme puisse y prendre du plaisir. Ces chiffres soulèvent des questions fondamentales sur la sexualité, le rapport à l’autre et le consentement.

Cette violence omniprésente dans notre société se manifeste également dans les écoles, où l’on observe une ultra-violence chez les jeunes. Cette situation se reflète profondément dans les interactions entre hommes et femmes, marquées par des actes de violence qu’il est impératif de corriger. C’est pourquoi nous, ainsi que toutes les associations concernées, œuvrons intensivement à la prévention, à la lutte contre les stéréotypes et à l’éducation. Il est essentiel d’instaurer dès le plus jeune âge des sessions de formation sur le consentement dans les écoles, les collèges et les lycées. Il me semble évident de vous le rappeler aujourd’hui dans cette assemblée, vous qui détenez une partie du pouvoir législatif. Nous nous interrogeons sur l’absence de certaines mesures. Pourquoi ne sont-elles pas mises en place ? Par exemple, pourquoi les formations à la vie sexuelle dans les écoles ne sont-elles pas appliquées ? Cette question nous interpelle profondément. En tant qu’associations, nous ressentons une vive préoccupation.

Les familles, censées être le premier lieu de protection, ne remplissent pas toujours ce rôle. Nous savons que 160 000 enfants subissent des violences au sein de leur propre famille. De plus, sur les 96 000 viols recensés, 89 % des victimes connaissent leur agresseur. Les chiffres sont clairs et les analyses précises. Nous disposons aujourd’hui d’une analyse détaillée des constats. Les chiffres sont là, les analyses existent. Il est temps d’agir, car les constats sont établis. Il manque, à mon sens, une véritable volonté politique. Une volonté politique forte, accompagnée de moyens adéquats, permettrait de réaliser des progrès significatifs dans la lutte contre les violences en France.

Mme Anne-Cécile Mailfert. Je vais répondre à plusieurs questions en même temps. Ce qui m’interroge dans notre approche des violences sexistes et sexuelles, c’est que nous semblons ignorer ou refuser de voir leur ampleur. Les violences sexuelles, en particulier, sont massives dans notre pays. Plus de 95 000 femmes adultes sont victimes de viols ou de tentatives de viols chaque année, sans compter les enfants. C’est un risque majeur pour les femmes et les enfants tout au long de leur vie. Pourtant, nous ne percevons pas ces violences de cette manière. Si nous faisions face à un risque majeur d’incendie, nous ne nous contenterions pas d’établir une charte. Nous investirions, nous engagerions du personnel dédié présent sur chaque site, prêt à intervenir en cas d’incendie, et nous les rémunérerions. Si, malgré toutes les précautions, un incendie survenait, les assurances feraient payer très cher la production qui n’aurait pas pris les mesures nécessaires.

De la même manière, nous devrions considérer les violences sexuelles comme des risques à gérer de manière proactive. Une charte, aussi bien intentionnée soit-elle, ne suffira pas à résoudre le problème. Il n’existe pas de charte magique qui ferait disparaître les violences sexuelles. Même avec une sensibilisation accrue, il est essentiel d’expliquer à tous ce que sont les violences sexuelles et les stratégies des agresseurs pour mieux s’en prémunir. Malheureusement, tant que la culture du viol et le patriarcat ne seront pas éradiqués, il y aura toujours des agresseurs. Ces derniers ne sont pas ignorants. Ils exploitent les failles de notre tolérance et de nos dispositifs. Il ne suffit donc pas de rédiger une charte et de sensibiliser. Les agresseurs doivent comprendre qu’ils ne peuvent plus agir impunément. Ils savent très bien ce qu’ils font ; ce n’est pas une question de malentendu sur le consentement. Ils choisissent délibérément des personnes vulnérables qui ne peuvent pas refuser. Ils ciblent des personnes qui ne peuvent pas refuser ce qui se passe. Pour ces agresseurs, il est impératif de rester constamment vigilants. Malgré les chartes, les formations et la sensibilisation, les violeurs continueront d’agir.

Il doit devenir plus coûteux d’être tolérant que vigilant. Je comprends les préoccupations concernant les coûts liés à la présence systématique de psychologues ou de référents sur les tournages. Oui, cela engendre des coûts. Cependant, si demain, il devient plus coûteux d’être tolérant que vigilant, cela relève d’un rapport de coûts. Il serait pertinent d’examiner également le rôle des assurances. Elles pourraient refuser de rembourser les frais de tournage en l’absence de mesures adéquates ou en cas de violences sexuelles.

Ensuite, la question de sanctionner sans passer par la justice a été évoquée. Personnellement, je ne vois pas de problème avec une justice qui fonctionne correctement. Ce serait bénéfique pour notre pays. Toutefois, si des mesures complémentaires peuvent être prises, rappelons que le droit du travail s’applique sur les tournages. L’employeur a un devoir de sécurité, comme l’a souligné Muriel Réus, non seulement envers les personnes sous contrat, mais aussi envers toutes les autres présentes sur les lieux. L’employeur peut mener des enquêtes et imposer des sanctions. Même si la justice classe l’affaire, cela n’empêche pas l’employeur, dans son devoir de précaution et de protection, d’écarter des individus jugés potentiellement dangereux.

La question de l’intervention de référents extérieurs est essentielle. Par exemple, pour les coordinateurs d’intimité, il est impératif d’évaluer leur efficacité réelle. Hier soir, en discutant avec le Collectif féministe contre le viol (CFCV), j’ai appris que parfois, faute de coordinatrice, on désigne l’habilleuse pour ce rôle sous prétexte qu’elle s’occupe déjà des vêtements. Cela ne peut pas fonctionner ainsi. Une personne non volontaire ou non formée ne peut être assignée à cette tâche, même si elle s’en sort bien. Cela reviendrait à faire semblant de se conformer aux exigences sans véritablement s’assurer du bon déroulement des choses.

Il est également crucial de vérifier que toute personne encadrant des mineurs ait été contrôlée dans le fichier des agresseurs sexuels. Actuellement, ce contrôle n’est pas systématique, même pour des acteurs et actrices majeurs accompagnés de leurs jeunes enfants. Souvent, ces artistes, arrivant dans une nouvelle ville, publient des annonces urgentes sur Facebook pour trouver un baby-sitter. Cette pratique peut mettre en danger les mineurs.

Pour conclure, je souhaite revenir sur les violences et l’émergence du mouvement #MeToo en 2017. À mon avis, #MeToo a émergé dans le milieu du cinéma grâce aux combats féministes menés depuis des années. Ces luttes ont progressivement permis à de plus en plus de femmes d’accéder à des positions de pouvoir et de responsabilité, rendant possible l’expression de leurs témoignages. Les réseaux sociaux ont joué un rôle, mais ils ne sont pas le seul facteur. Dans le cinéma, les actrices disposent d’une certaine visibilité, ce qui leur confère un pouvoir limité mais significatif pour faire entendre leurs voix. Les femmes s’expriment à l’extérieur du cinéma, sur les réseaux sociaux et dans la presse, car elles ont de plus en plus de pouvoir. Il est essentiel de continuer dans cette voie.

Les inégalités entre les femmes et les hommes sont à la fois la cause et la conséquence des violences sexuelles. Ce sont les hommes, majoritairement, qui commettent ces violences en raison de leur position de pouvoir. Le viol est un crime de pouvoir et d’inégalité, ce qui le rend plus facile à commettre pour les hommes et plus difficile à dénoncer pour les femmes. Les victimes de violences sexuelles subissent des carrières brisées, ne progressent pas dans la hiérarchie et ne reçoivent pas la reconnaissance méritée pour leurs talents et compétences. Les inégalités entre les sexes sont intrinsèquement liées aux violences sexuelles, et c’est pourquoi la lutte contre ces violences dérange autant. Certains hommes trouvent pratique d’écraser les femmes par le viol.

Il est impératif de lutter contre les inégalités entre les sexes et l’impunité judiciaire. Dans un système fonctionnel, il est inacceptable que la justice ne s’applique pas aux violences sexuelles. Il ne s’agit pas nécessairement d’incarcérer tous les coupables, mais de reconnaître les faits pour que la justice assure une reconnaissance sociale de ce qui est acceptable ou non. Il est crucial de s’attaquer à cette impunité judiciaire et à la culture du viol, notamment auprès des jeunes générations. Pour prévenir les violences sexuelles à l’avenir, il faut davantage de femmes en position de responsabilité et instaurer la parité partout et tout le temps. Les préconisations vont dans ce sens. On ne peut aborder les violences sexuelles sans évoquer les rapports de pouvoir et, par conséquent, la parité jusqu’au plus haut niveau.

Il est également impératif de discuter de la culture du viol, qui malheureusement se diffuse et se répand. Récemment, nous avons appris que le réseau social Twitter autorise désormais les contenus pornocriminels, de la violence en plus de celle déjà présente dans la pornographie. Cette culture du viol, selon moi, contribue à la fabrication de violeurs qui chercheront à commettre des agressions sexuelles. De notre côté, nous tenterons de contenir ce phénomène, mais il est essentiel d’avoir une réflexion plus générale sur ce qui rend ces hommes, car il s’agit majoritairement d’hommes, violents. Je suis convaincu que ce n’est pas génétique, qu’il n’existe pas de gène du violeur, mais que c’est un phénomène social. Il est donc nécessaire de s’atteler à cette problématique, et cela ne passe pas uniquement par la sensibilisation, bien que celle-ci soit un préalable indispensable.

Mme Floriane Volt, directrice des affaires publiques et juridiques de la Fondation des Femmes. Je souhaite rebondir sur le témoignage de Muriel Réus, qui s’inscrit dans une réflexion plus globale sur les parcours judiciaires. Cela met en lumière l’impérieuse nécessité d’introduire la notion de prescriptions glissantes dans les cas de viols en série. Il est essentiel qu’un agresseur soit jugé pour l’ensemble de ses actes.

Par ailleurs, ce témoignage nous incite à réfléchir sur les pièges du consentement, un sujet largement débattu aujourd’hui dans les médias et au sein de cette assemblée. En prenant l’exemple du témoignage de Muriel Réus, il est pertinent de se demander s’il est judicieux de questionner les quatre-vingts victimes sur leur consentement, alors que cela révèle une stratégie délibérée de l’agresseur. Ces agresseurs ne sont pas des cas isolés. Nous avons évoqué l’affaire PPDA, ainsi que d’autres affaires en cours, qui démontrent que les violeurs persistent dans leurs actes.

Mme Sarah Karlikow. Concernant la parité dans les instances, il existe déjà des lois et des réglementations sur ce sujet. Je souhaite aborder spécifiquement le spectacle vivant, notamment le théâtre, qui est majoritairement financé par des fonds publics. La question de l’éga-conditionnalité, c’est-à-dire le fait de conditionner l’octroi de subventions à l’atteinte de certains objectifs de parité, montre des résultats positifs. Par exemple, le Centre national de la musique (CNM) et le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) ont mis en place des conditions pour l’attribution de subventions. Le CNM exige que les directions des structures bénéficiaires suivent une formation, même si celle-ci ne dure qu’une demi-journée. Dans le domaine du théâtre, où cette formation n’est pas obligatoire pour les scènes non labellisées, seulement 20 % des lieux organisent une formation. En revanche, dans le cinéma ou la musique, ce chiffre atteint 80 à 100 %. L’éga-conditionnalité fonctionne, et nous demandons depuis longtemps son application pour la parité sur scène. Il est possible de demander aux structures d’augmenter de 5, 10 ou 20 % la représentation des femmes dans leur programmation pour l’année suivante. Cela implique également une budgétisation sensible au genre. Nous avons été auditionnés par vos collègues en février 2023 sur cette question, et un rapport a été rédigé à ce sujet. À l’époque, M. Attal, alors ministre du budget, a affirmé son intention de mettre en place ces mesures. Il est essentiel que les gens se posent la question des indicateurs et des critères permettant de constater ces inégalités. Je tiens à insister sur ce point.

Ensuite, concernant les montants, le coût et les moyens, comme l’ont souligné Anne-Cécile Mailfert mais aussi Lucile Peytavin dans Le coût de la virilité, il est évident que la virilité représente des dizaines de milliards d’euros. En réalité, il est plus coûteux de ne pas agir, même au niveau social et sociétal, que de prendre des mesures. Dans le secteur du spectacle vivant, notamment le théâtre, nous sommes confrontés à de très petites entreprises. Je souhaite revenir sur les termes « entreprises, organisations et droits du travail ». Lorsqu’une entreprise de trois personnes doit désigner un référent égalité, un référent handicap et un référent transition écologique, cela est considéré comme un fardeau supplémentaire. Les professionnels de ce secteur expriment souvent leur désarroi : « Ce n’est pas notre rôle, comment pouvons-nous gérer cela ? Nous n’y arrivons plus. » Tant que ces responsabilités seront perçues comme des tâches additionnelles, qu’il s’agisse de la transition écologique ou des droits des femmes, et qu’elles ne seront pas intégrées au fonctionnement et au budget normaux, la situation restera complexe. En outre, il est difficile pour une petite équipe de désigner un référent sans créer de relations hiérarchiques ou affectives. La solution pourrait résider dans l’intervention d’une personne externe ou dans l’échange de référents entre structures. Il est crucial que chaque organisation dispose de référents, et certaines tentent déjà de mettre cela en place, ou envisagent de mutualiser leurs référents. Ces démarches sont tout à fait envisageables. Il est également important de souligner l’accompagnement des victimes.

La cellule Audiens, qui assure une écoute, un soutien psychologique et un accompagnement juridique, fonctionne dans ce cadre. Nous constatons que le fonctionnement des alliés en région, notamment au niveau local et en face-à-face, permet d’écouter non seulement des victimes, mais aussi des témoins et des personnes impliquées dans des organisations qui ne savent pas toujours comment agir. Il est essentiel de les soutenir, d’autant plus que ces associations sont majoritairement composées de bénévoles, et que le bénévolat s’épuise, surtout lorsque la réponse juridique est à 95 % une non-réponse. Il est donc nécessaire de soutenir ces structures qui possèdent un savoir-faire et des compétences, dans le domaine de la formation et de la capacité de travail.

Par ailleurs, la question du droit du travail est primordiale. Il faut fournir aux employeurs les moyens d’assurer leurs obligations en matière de droit du travail. Les enquêtes internes sont cruciales, particulièrement dans le secteur du spectacle vivant, où agresseurs et agressés peuvent avoir des employeurs différents. Sur un même plateau de théâtre, il peut y avoir une compagnie de théâtre, des employés du lieu, et plusieurs employeurs différents. Il est impératif d’assurer une réactivité rapide, notamment en suspendant la personne incriminée durant l’enquête interne. Les employeurs doivent comprendre la différence entre droit pénal et droit du travail. Souvent, ils se réfugient derrière le droit pénal en affirmant qu’ils ne peuvent rien faire en l’absence de plainte. En réalité, en tant qu’employeurs, ils ont la responsabilité de protéger, de prévenir et d’assurer la sécurité des personnes concernées. Il est essentiel de souligner que les petites structures du spectacle vivant n’ont souvent pas les ressources nécessaires pour mener des enquêtes internes. Pourtant, des procédures existent et doivent impérativement être largement diffusées.

Il est crucial de développer des clauses contractuelles entre producteurs, diffuseurs et organisateurs, permettant de suspendre ou déprogrammer un spectacle, ou de suspendre une personne, sans que cela ait des répercussions trop lourdes. Lorsqu’une personne se casse la jambe, surtout si elle joue un rôle principal, on prend des mesures immédiates. De la même manière, il est indispensable de traiter les violences sexuelles comme de véritables risques, portant atteinte à l’intégrité physique et mentale des individus. Malheureusement, ces violences sont souvent perçues différemment, comme si elles n’étaient pas aussi graves. Les coordinatrices d’intimité ont d’ailleurs établi un parallèle avec les cascades. On accorde une grande attention aux blessures physiques, mais les agressions sexuelles sont minimisées, probablement en raison de notre société patriarcale. Il est donc fondamental de former les employeurs, non seulement sur la nature des agressions sexuelles, mais aussi sur leurs responsabilités en tant qu’employeurs.

Mme Camille Pawlotsky. Je souhaite réagir à la question de la formation dès le plus jeune âge que vous avez évoquée précédemment. En effet, cette initiative peut s’avérer intéressante, notamment pour lancer une discussion sur les rapports de domination. Toutefois, il ne faut pas oublier que, lorsqu’on s’adresse aux plus jeunes, on parle potentiellement déjà à des victimes. Cela signifie que, selon moi, il est essentiel de considérer cet aspect. Par exemple, au sein de l’association HF+, nous proposons des cours et des ateliers d’autodéfense dispensés par des formatrices qualifiées. Il est assez frappant de constater que ce sont les potentielles victimes, ou celles qui le sont déjà, qui apprennent à se défendre. Pour ce qui est des formations destinées aux plus jeunes, il me semble indispensable d’impliquer également les parents et la famille, comme nous en avons discuté. Les rapports de domination, dont les violences sexistes et sexuelles sont une conséquence directe, doivent être abordés de manière globale. Sinon, on risque de remettre la responsabilité entre les mains des victimes potentielles et des personnes dominées.

En ce qui concerne l’ouverture d’une formation sur les métiers du spectacle pour les lycéens, il est crucial de recentrer l’attention sur le savoir-faire. Ces métiers sont souvent perçus comme des métiers de paillettes, ce qui tend à minimiser la notion de compétence. Or, le savoir-faire confère une certaine autorité, c’est-à-dire qu’une expérience et des compétences avérées permettent d’accéder à des postes où l’on peut exercer une autorité sur les personnes qui nous entourent, sans pour autant confondre cette autorité avec la notion de pouvoir. Dès le plus jeune âge, il est essentiel de comprendre qu’une autorité peut être remise en question si une personne perd sa crédibilité, si elle ne travaille pas correctement, notamment en ne respectant pas ses collègues. Une autorité peut être contestée, alors qu’un pouvoir est quelque chose de diffus contre lequel on ne peut rien faire, dont on est forcément victime.

Pour aborder les moyens, je reprends ce qu’a dit Iris Brey. En tant que réalisatrice, elle a choisi d’allouer une partie de son budget à une coordinatrice d’intimité, plutôt que de tourner certaines séquences. C’est une logique similaire à celle des assurances. De nombreuses personnes nous disent : « Je ne vais pas parler parce que je vais compromettre le tournage et mettre au chômage toutes ces personnes. » Si les employeurs mettent en place des mesures pour évaluer et compenser les risques, et éviter les agressions, l’assurance doit pouvoir couvrir les annulations. Il y a une peur profonde de mettre ses collègues au chômage temporairement. Je fais partie d’une génération qui, pendant les quinze premières années de sa vie professionnelle, serre les dents, baisse la tête et avance, en se disant : « Ce n’est pas grave, dans deux semaines ou deux mois, ce sera fini ». Cette temporalité nous pousse à nous taire et à être des guerrières, des « warriors », comme on dit, et nous en étions même fiers car cela n’impactait pas les autres.

Mme Muriel Réus. Cette notion des femmes qui baissent la tête m’a rappelé une déclaration de Karine Lacombe lors d’une interview, où elle affirmait que « les femmes dans le milieu de l’hôpital baissent la tête à l’avance, tête baissée ». Cette affirmation m’avait profondément choquée. Je souhaite attirer l’attention des parlementaires sur une demande portée par Isabelle Rome lorsqu’elle était en fonction. Selon mes informations, cette demande est toujours sur le bureau du ministre de la justice depuis plus d’un an, voire un an et demi. Il s’agit de la question des viols en série, c’est-à-dire des viols commis par un même agresseur sur plusieurs personnes. Il me semble extrêmement important que vous vous penchiez sur cette question. J’aimerais qu’un d’entre vous puisse la prendre en charge et la présenter devant l’Assemblée nationale.

Nous demandons une prescription glissante, similaire à ce qui a été instauré pour les mineurs. Il est impératif que ce délai de prescription puisse être prolongé pour toutes les affaires en cours. Cela nous paraît extrêmement important, notamment dans l’affaire précitée de PPDA. Un deuxième élément concerne l’acte interruptif de prescription. Vous connaissez le concept de connexité, c’est-à-dire que le temps d’audition ou le temps de la procédure, qui peut parfois durer deux ou trois ans, puisse permettre de suspendre la durée de la prescription sur l’affaire en cours, ainsi que sur les affaires précitées. C’est ma demande du jour, et j’espère qu’un d’entre vous l’entendra.

M. le président Erwan Balanant. Nous allons évidemment réfléchir avec madame la rapporteure. Nous avons déjà abordé plusieurs sujets à ce propos et il est essentiel de continuer cette réflexion. Si nous avons mis en place des mesures pour les mineurs, il n’y a aucune raison de ne pas les étendre aux majeurs. La prescription glissante pourrait, à mon sens, résoudre de nombreux problèmes liés à l’imprescriptibilité. Elle permettrait de trancher cette question de manière définitive, peut-être en révisant certains seuils. Il est impératif de progresser sur ce point, même si ce n’est pas le sujet principal de notre commission d’enquête. Toutefois, nous nous en rapprochons, Mme Mailfert, et je pense que nous serons en mesure de formuler des propositions concrètes à ce sujet.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Ma dernière question portait sur le délai de prescription. Je suis favorable à l’imprescriptibilité. J’ai déposé une proposition de loi visant l’imprescriptibilité pour les mineurs et également pour les majeurs. En effet, la prescription glissante ne répond pas aux cas de viols commis par un unique agresseur sur une victime. J’aimerais connaître rapidement votre avis sur l’imprescriptibilité, car nous avons dépassé notre temps. À mon sens, cette question relève du champ d’investigation de cette commission d’enquête.

M. le président Erwan Balanant. C’est une question qui ne peut pas se trancher rapidement.

Mme Muriel Réus. C’est une question complexe, c’est une question que toutes les associations se posent. Lorsqu’on partage nos réflexions, il apparaît que nous manquons de ligne directrice sur ce sujet. Des arguments existent tant en faveur qu’en défaveur. La question du recueil des preuves est essentielle, plus la prescription est longue, plus le recueil des preuves devient problématique. C’est pourquoi la prescription glissante en cas de viols sériels nous semble fondamentale. De plus, la mémoire traumatique est aujourd’hui un élément extrêmement important, analysé et documenté. Il est reconnu que les victimes ont besoin de temps. Certaines dénoncent des faits vingt ou trente ans après les avoir vécus. Personnellement, je n’ai pas d’opinion tranchée à ce sujet. Mon combat se concentre actuellement sur le viol sériel, peut-être parce que je le vis à travers les victimes que nous défendons. Concernant l’imprescriptibilité totale, je n’ai pas de position arrêtée à ce jour.

Mme Anne-Cécile Mailfert. Ce que je peux rapporter, c’est la demande des associations les plus expertes sur ce sujet, notamment le Collectif féministe contre le viol, qui prône l’imprescriptibilité. De toute façon, la prescription de trente ans pour les mineurs conduit déjà à une forme d’imprescriptibilité. Cependant, ce n’est pas l’objectif final que nous visons. J’ai du mal à croire au viol unique commis par un agresseur unique, qui n’agirait qu’une seule fois dans sa vie avec une seule victime. Je pense donc qu’il est essentiel de demander une loi intégrale contre les violences sexuelles. Si nous disposions de davantage de moyens d’enquête, nous pourrions, lors des enquêtes centrées sur l’agresseur et non sur la victime, découvrir que même des affaires prescrites pourraient révéler d’autres infractions non prescrites. Cela nécessiterait toutefois des moyens d’enquête suffisants. Aujourd’hui, avec la forte augmentation du nombre de plaintes, il est absolument impossible de mener correctement toutes les enquêtes sur les plaintes pour viol.

Mme Muriel Réus. Je voudrais juste ajouter que l’imprescriptibilité sur les mineurs me paraît extrêmement importante.

M. le président Erwan Balanant. Je souhaite conclure en rebondissant sur les propos d’Anne-Cécile Mailfert, que je partage entièrement. Il me semble que nous pouvons changer de paradigme assez facilement et rapidement. Je suis surpris de constater que, dans les procédures, une enquête de personnalité est réalisée sur la victime, mais pas sur l’auteur. C’est un véritable sujet, et je pense que ce n’est pas tant une question de moyens, mais plutôt de changement de paradigme.

Bien sûr, des moyens supplémentaires seront nécessaires. Nous en avons déjà ajouté, et je rappelle que le budget de la justice a été augmenté de 40 %, ces dernières années. Il faut continuer dans cette voie, car nous avions accumulé beaucoup de retard. Sur tous ces sujets, il est impératif de multiplier les formations.

Nous avons une définition juridique depuis la création de l’outrage sexiste, élargie à l’outrage sexuel jusqu’au viol. Nous avons maintenant défini le continuum, et il est temps de le décliner et de l’appliquer.

Surtout, il est essentiel que les mentalités évoluent. C’est ma conviction en tant qu’homme et père. C’est également pour cette raison que nous avons souhaité porter cette commission d’enquête.

*

*     *

 

20.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL), M. Loïc Zion, délégué général et Mme Raphaëlle Danglard, élue au bureau.

M. le président Erwan Balanant. Comme vous le savez, notre commission d’enquête a commencé ses travaux il y a quinze jours. Notre objectif est de faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du spectacle vivant, de l’audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons à identifier les responsabilités de chacun dans ces domaines et, bien entendu, à proposer des solutions pour que chaque personne y travaillant puisse évoluer sans crainte pour son intégrité physique et mentale. À la lumière des premières auditions et des intuitions que nous avions avant de commencer, le rôle et la place des agents sont des sujets récurrents qui nécessitent un approfondissement. C’est pourquoi nous vous recevons aujourd’hui.

Dans un premier temps, vous allez nous présenter vos actions et votre métier. Ensuite, nous aurons une série de questions de madame la rapporteure, de mes collègues et de moi-même.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant d’entamer nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mmes Raphaëlle Danglard et Élisabeth Tanner ainsi que M. Zion prêtent successivement serment.)

Mme Élisabeth Tanner, présidente du syndicat français des agents artistiques et littéraires (SFAAL). Sur l’évolution du métier d’agent, ce dernier est relativement récent, apparu en France vers 1946, juste après la guerre. Avant cette période, on parlait d’impresario. À partir de 1946-1947, la profession a commencé à se structurer. Pourquoi cette structuration ? À l’époque, il existait un monopole d’État sur le travail et l’emploi. Les agents étaient considérés comme des placiers, dérogeant ainsi à ce monopole. Pour exercer ce métier, il fallait obtenir une licence octroyée par une commission au sein du ministère du travail. Cette commission, composée de membres des ministères de l’intérieur, du travail, de la culture, décidait de l’attribution de la licence. Les candidats étaient interrogés sur plusieurs points. Premièrement, la moralité il fallait fournir un extrait de casier judiciaire. Ensuite, il fallait attester de connaissances techniques, par exemple sur la convention collective du cinéma ou du théâtre, pour vérifier la capacité à passer des contrats de manière opportune et correcte. Une fois la licence accordée, l’agent pouvait travailler avec divers talents, auteurs, acteurs, scénaristes, etc. Le taux de commission était régulé à 10 %. Le lien entre l’agent et le talent reposait sur un mandat de droit civil, détaillant les fonctions de l’agent et les obligations du talent.

Cette régulation a perduré jusqu’à l’arrivée de la directive Bolkestein, qui a entraîné une dérégulation totale. Nous nous sommes alors retrouvés en confrontation avec la profession d’avocat, qui pouvait également représenter des talents dans le cadre de leurs fonctions. Nous avons ainsi perdu toute régulation. J’ai attiré l’attention à plusieurs reprises sur le fait que, lorsqu’il y avait des agents s’occupant d’enfants, je trouvais incroyable que nul ne fasse le lien entre une personne ayant peut-être des antécédents de pédophilie à l’autre bout de la France et sa représentation d’enfants à Paris.

En France, il y a 96 agences et 175 agents. Notre syndicat regroupe environ 63 agences et 127 agents, auxquels s’ajoute l’Alliance des agents littéraires français, qui nous a rejoints pour renforcer notre position et notre connexion sur divers sujets. Beaucoup d’agents représentent également des auteurs, ce qui crée un lien naturel avec le monde de l’édition. En termes de chiffre d’affaires, nous représentons environ 85 à 90 % du marché. Notre syndicat, en place depuis plusieurs années, dispose d’un bureau et d’un fonctionnement normalisé, répondant aux demandes et problématiques des agents.

Ces demandes sont variées. Les jeunes agents, par exemple, sollicitent des conseils sur leur installation, des conseils juridiques sur la forme de leur exercice professionnel, le type de contrats à passer, ou encore sur la formation nécessaire pour établir des contrats en bonne et due forme. Le domaine juridique s’étant considérablement complexifié ces dernières années, notre rôle est d’autant plus crucial. Nous intervenons également sur des dysfonctionnements signalés par les agents. Bien que nous ne soyons pas obligés de le faire, nous prenons parfois des renseignements sur les agents souhaitant nous rejoindre. Il nous arrive fréquemment de refuser des candidatures, soit parce que l’agent n’a pas encore commencé son activité et ne peut donc être recommandé, soit parce que nous avons connaissance de dysfonctionnements chez cet agent.

Je souhaite maintenant aborder plus spécifiquement le métier d’agent. Comme tous les métiers, il comporte ses particularités. J’ai inspiré un des personnages de la série Dix pour cent, bien que de manière très romancée. Cette série a eu le mérite de montrer certains aspects de notre profession, même si elle reste quelque peu fantasque. Pour la série, ont été intégrés des éléments de dramaturgie afin de l’enrichir. Cependant, un aspect fondamental qui émerge est le lien entre le talent et son agent. Ce lien est extrêmement fort et personnel, véritablement un lien d’homme à homme, de femme à homme, ou toute autre configuration. Ce lien constitue l’essence même de notre travail. Lorsque ce lien dysfonctionne, le talent se retire. Ce dysfonctionnement n’est pas nécessairement lié à des violences sexuelles ou autres, mais peut simplement survenir lorsque le talent ne se sent plus protégé, que ce soit sur le plan professionnel ou personnel. Si le talent estime que vous n’êtes pas suffisamment efficace ou que sa carrière n’avance pas, il peut vous quitter du jour au lendemain. Cette liberté de quitter l’agent est essentielle. De plus, la relation personnelle varie en fonction de la durée de la représentation. Une confiance se construit au fil du temps. En tant qu’agent, nous sommes souvent les premiers récipiendaires des confidences de nos talents. Fort de mes quarante-quatre ans d’expérience dans ce métier, je peux témoigner de l’impact significatif de la parole de Judith Godrèche. Son intervention a été considérable et nous en sommes tous très heureux. J’ai soutenu Judith Godrèche sans hésitation ni réserve.

À titre personnel, j’ai reçu des témoignages avant. Face à des agents, les personnes expriment une peur légitime : « Je ne veux pas qu’on en parle, je ne veux pas que ça se sache. » Nous devons en tirer les conséquences pour la personne incriminée, mais il est essentiel de comprendre que cette peur est omniprésente. Certains agents craignent d’être « grillés » et de ne plus pouvoir travailler. Pourquoi est-ce important ? Parce que, parfois, on pointe du doigt les agents, mais il est crucial de reconnaître notre responsabilité collective. Hier, aujourd’hui et probablement demain, le problème majeur réside dans le pouvoir. Ceux qui détiennent beaucoup de pouvoir se protègent efficacement, tandis que ceux qui en ont peu sont moins bien protégés. Ce problème de pouvoir se répercute dans tous les domaines, que ce soit dans les syndicats de la cuisine ou ailleurs. Nous sommes constamment dans une dynamique où le pouvoir est un enjeu à tous les niveaux. Nous évoluons dans une structure pyramidale. Si le metteur en scène est très puissant, certains n’abusent pas de leur pouvoir, tandis que d’autres en abusent. Il est important de noter que notre activité est souvent entourée de fantasmes concernant notre surpuissance. Cependant, je tiens à souligner que nous sommes confrontés à un problème qui touche l’ensemble de la société. C’est une responsabilité collective que nous devons tous assumer. Heureusement, depuis quelque temps, nous disposons d’outils qui nous permettent de mieux répondre à ces problématiques.

M. le président Erwan Balanant. Je souhaite aborder une question plus technique et juridique. Aujourd’hui, si certaines professions ont été dérégulées, c’est en raison d’un choix politique effectué dans les années 2010, en lien avec la directive Bolkestein. Cependant, certaines professions n’ont pas suivi cette voie et n’ont pas opté pour cette directive. Par exemple, le métier d’agent de mannequin nécessite encore aujourd’hui un agrément.

Mme Élisabeth Tanner. Je vais vous répondre immédiatement, car la question est très simple. À l’époque, l’une des problématiques concernait les agences de mannequins. C’est pourquoi j’ai mentionné que le lien qui nous unit est un mandat. En effet, nous ne sommes pas les employeurs des personnes que nous représentons. Les agences de mannequins, quant à elles, sont les employeurs. De ce fait, en collaboration avec le ministère du travail, nous avons maintenu un ensemble de règles spécifiques. Étant les employeurs, les agences ont pu conserver une réglementation adéquate.

M. le président Erwan Balanant. Mais est-ce qu’il s’agit d’une obligation européenne ou pourrait-on imaginer réguler de nouveau ce milieu, s’il y avait un choix qui pouvait être fait par la profession et par le législateur ?

Mme Élisabeth Tanner. A priori, étant des prestataires de services, on ne peut pas de nouveau réguler. C’est ce qui nous a été opposé juridiquement.

M. le président Erwan Balanant. Je pense avoir la réponse à cette question. Vous, en tant qu’agents, préférez-vous être régulés ? Autrement dit, au sein de votre majorité et de votre syndicat, si nous, législateurs, vous proposions demain de réguler à nouveau ce métier, y seriez-vous favorables ?

Mme Élisabeth Tanner. Je suis d’autant plus favorable à cette proposition que nous l’avons déjà demandée pour tous les agents en charge des enfants et des mineurs. Je pense qu’il est essentiel de porter une véritable attention à cette question. En tant que syndicat, disposer d’une licence pour exercer nous permet de contrôler la qualité des personnes qui se présentent pour devenir agents.

M. le président Erwan Balanant. Aujourd’hui, n’importe qui peut être agent sans prérequis de formation, sans prérequis de validation des acquis.

Mme Élisabeth Tanner. Dans notre métier, il n’existe aucune validation formelle. Heureusement, une tradition s’est installée depuis longtemps, les anciens assistants deviennent souvent agents. Ces derniers ont ainsi bénéficié d’une formation préalable. Il existe des formations spécifiques et des formes de cooptation. Par exemple, des personnes ayant suivi des études de droit peuvent ouvrir un bureau d’agents et recruter des talents. Cependant, ces nouveaux agents manquent parfois de visibilité dans le métier. Comment peuvent-ils vendre des talents à des castings sans connaître les castings, ni les talents ni les agents ? Notre profession repose sur l’acquisition de compétences et de réseaux, un processus qui s’établit avec le temps. Lorsqu’un assistant a travaillé pendant quatre ou cinq ans avec un agent, il connaît les personnes avec lesquelles il devra collaborer une fois devenu agent. En revanche, certains ouvrent leur agence sans connaître personne. Certes, certains réussissent, mais beaucoup se retrouvent avec des talents qu’ils ne parviennent pas à valoriser.

M. Loïc Zion, délégué général du SFAAL. Pour compléter ce que disait Élisabeth Tanner, il est important de noter que le seul prérequis pour devenir agent artistique aujourd’hui est de signer un mandat avec deux talents. En d’autres termes, n’importe qui peut sortir dans la rue, faire signer un mandat à deux personnes, et ainsi devenir agent artistique.

En ce qui concerne la série Dix pour cent, puisqu’Élisabeth Tanner a abordé le sujet, j’ai observé un phénomène très net. À chaque diffusion d’une nouvelle saison de Dix pour cent, pendant plusieurs mois, je recevais des dizaines d’appels par semaine de personnes intéressées par ce métier. Elles me disaient : « Cela semble passionnant comme profession, je souhaite me lancer, que dois-je faire ? » Il est donc évident que la série a suscité un engouement considérable pour le métier d’agent artistique, et ce, sans aucune condition préalable.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je souhaiterais vous poser une question d’ordre général concernant les dysfonctionnements observés chez certains agents au fil du temps. Continuez-vous à constater les mêmes problèmes ou la situation s’améliore-t-elle ? Comment cela se passe-t-il concrètement ? Vous êtes comparables aux directeurs de casting qui, lors de leur audition ici, ont expliqué qu’ils forment une congrégation. Ils acceptent les personnes expérimentées et sans problème, tandis que ceux dont les comportements posent problème sont exclus. Si je comprends bien, le SFAAL fonctionne de manière similaire vous êtes attentifs aux profils des membres de votre syndicat et, dès que des dysfonctionnements sont signalés, vous empêchez ces individus d’intégrer votre cercle. Cela implique qu’il existe encore des dysfonctionnements dont vous avez connaissance. Vous êtes en mesure de décider qui peut ou non rejoindre le SFAAL grâce à des échos corroborés par des faits réels et des preuves tangibles qui justifient vos décisions.

Nous sommes confrontés, lors des auditions de cette commission d’enquête, à ce que vous mentionnez, en connaissance de certains faits, il est difficile d’en parler pour diverses raisons. En effet, une omerta factuelle persiste, alimentée par la peur de ne pas pouvoir continuer dans le métier, la précarité, et d’autres facteurs. Pouvez-vous nous indiquer quels sont, à l’heure actuelle, les cas problématiques qui empêchent certains agents de faire partie du SFAAL ? Quelles sont les remontées dont vous disposez ? Les problèmes actuels sont-ils similaires à ceux qui existaient il y a vingt ou trente ans ? Ou bien êtes-vous confronté à des situations inédites, peut-être dues à la dérégulation récente ?

Mme Élisabeth Tanner. Il est très compliqué de savoir, pour être très honnête, car j’ai récemment découvert des dysfonctionnements du passé. Ces dysfonctionnements sont de plusieurs types. Par exemple, tout à l’heure, j’évoquais un dysfonctionnement qui n’a aucun lien avec les violences sexistes et sexuelles. Il s’agissait simplement d’un individu qui monnayait ses compétences en demandant 70 euros par an. Nous avons appris l’existence de ce problème par le biais d’un talent. Évidemment, nous sommes intervenus immédiatement en précisant que cette pratique est illégale et que, s’il persistait, il serait exclu du SFAAL.

M. le président Erwan Balanant. En quoi c’est illégal ?

Mme Élisabeth Tanner. Nous devons être rémunérés uniquement sur les contrats que nous concluons. Notre métier repose sur le principe de la commission si nous échouons, nous ne percevons rien ; si nous réussissons, nous sommes payés en conséquence. Ainsi, nous n’avons jamais demandé 1 euro à un talent.

M. le président Erwan Balanant. Donc, ça veut quand même dire que la profession n’est pas complètement dérégulée. Qu’il y a quand même des règles qui continuent.

Mme Élisabeth Tanner. Depuis quarante-quatre ans que j’exerce ce métier, je constate que les violences sexuelles et sexistes ont toujours existé et continuent malheureusement d’exister. Cependant, aujourd’hui, la parole se libère davantage. Les victimes sont prêtes à aller plus loin, mais il faut leur laisser le temps nécessaire. Ce que nous observons actuellement, c’est le délai entre la prise de parole et le dépôt éventuel de plainte, lorsque celle-ci est encore possible, car parfois il y a prescription. Il y a toujours un temps de maturation avant que les talents ne rapportent des dysfonctionnements avec un directeur de casting, un producteur ou un metteur en scène. On ne peut pas leur demander de réagir immédiatement en leur disant : « fais ceci ou cela ». Ce temps de maturation est essentiel pour qu’une prise de parole, qu’elle soit judiciaire ou journalistique, puisse se faire de manière adéquate. Chaque jour, nous découvrons encore des comportements inappropriés, ce qui est étonnant car nous devrions être plus vigilants. Malheureusement, dans chaque métier, il y a des individus qui se comportent mal. Aujourd’hui, on peut affirmer que tout le monde est beaucoup plus vigilant qu’auparavant.

En ce qui concerne les relations entre agents et talents, je n’ai pas eu de remontées négatives concernant les membres du SFAAL. Nous nous connaissons tous très bien depuis longtemps et je n’ai pas eu connaissance de dysfonctionnements où un talent aurait accusé son agent de l’avoir harcelé ou coincé dans un coin. Nous sommes au cœur de cette chaîne de pouvoir où l’on découvre qu’un talent a été malmené au cours d’un casting, ou qu’une situation s’est mal déroulée avec un metteur en scène. Parfois, quelqu’un revient plusieurs fois attendre devant la porte d’une chambre d’hôtel, ce qui est évidemment stressant et angoissant.

Ce genre de situations nous est rapporté, et c’est à nous de les traiter. Lorsque les personnes sont prêtes à s’exprimer, nous les orientons vers la cellule d’Audiens. Nous ne nous en débarrassons pas, je précise. Nous les orientons car nous savons qu’ils seront pris en charge par des avocats, des psychologues, etc., ce qui permet de résoudre définitivement le problème. Il est important de comprendre que nous entretenons des relations avec les talents et que nous sommes au centre d’un processus qui nous met en contact direct avec les castings, les producteurs, et parfois les réalisateurs. Soit ce sont nos talents, soit nous collaborons avec eux pour assurer leur emploi. Nous sommes donc au cœur de cette nébuleuse, qui n’est pas si nébuleuse que cela, mais plutôt claire, nous sommes des intermédiaires. Avec de nombreuses années d’expérience, nous avons autant de relations avec nos talents qu’avec l’extérieur, ce qui renforce la « puissance de l’agent ».

Il y a toujours eu et il y aura toujours des problèmes de cet ordre. C’est aussi une question de patriarcat. Lorsque j’étais agent, ce métier était majoritairement féminin, mais dans le secteur des producteurs, il n’y avait que quatre productrices. Aujourd’hui, leur nombre a considérablement augmenté. Cela ne signifie pas qu’elles se comporteront mieux que les hommes, mais il y a tout de même un changement de ton, même si ce n’est pas encore une parité totale. Une jeune génération arrive, bien plus informée sur ces questions, beaucoup plus combative, désireuse de rapports sécurisés et clairs. Cela modifie les équilibres. Plus nous travaillerons, plus notre métier deviendra sûr. Et lorsque ce ne sera pas le cas, les sanctions seront extrêmement sévères.

Nous disposons d’outils que nous n’avions pas auparavant. Premièrement, nous pouvons désormais décrypter certains comportements. Par exemple, il y a trente ans, je ne connaissais pas le terme « pervers narcissique ». Depuis une dizaine d’années, ces sujets sont abordés à la télévision, ce qui nous permet de mieux comprendre les méthodes de manipulation mentale. Deuxièmement, les travaux récents du SFAAL, en collaboration avec des associations comme l’Association d’acteur.ices féministe et antiraciste (ADA), et le Collectif 50/50, ont été enrichissants. Mon expérience aux Césars nous a permis de beaucoup travailler sur les problèmes de violences sexuelles et sexistes. Aujourd’hui, tout le monde s’engage dans cette voie. Je suis donc très optimiste quant à l’avenir. Bien que je ne sois pas confiant sur tous les sujets, je pense que sur celui-ci, nous pouvons avoir un peu d’espoir.

M. le président Erwan Balanant. Je vais être un peu provocant, mais gentiment. Vous possédez un talent et vous êtes rémunéré par un pourcentage des gains de la personne que vous représentez. Par définition, plus cette personne travaille et décroche des rôles lucratifs, plus votre rémunération augmente, en tenant compte des frais divers. C’est ainsi que fonctionne ce système. Nous avons bien compris ce mécanisme, même si la série Dix pour cent en offre une version caricaturale. Si je pousse le raisonnement, et à vous entendre, j’imagine que ce n’est pas votre état d’esprit, mais cela pourrait être celui d’autres agents ; supposons que je sois agent et que j’ai une comédienne qui a été victime de violences sur un grand rôle. Lorsqu’elle vient me consulter, l’agent pourrait avoir le réflexe de lui conseiller de ne rien dire, de courber l’échine, en espérant que cela passe, afin qu’elle puisse interpréter le rôle et que sa carrière décolle.

Mme Élisabeth Tanner. Si la vie était aussi simple, je peux vous dire que ce serait formidable.

M. le président Erwan Balanant. J’ai conscience que ma remarque peut sembler provocatrice, mais il est essentiel d’analyser les schémas pour identifier les dysfonctionnements. Par exemple, certains agents, notamment ceux qui débutent et possèdent des talents nouveaux, pourraient avoir tendance à éviter de faire des vagues ou de créer des remous.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je vais illustrer la question de M. le président avec deux exemples concrets concernant des personnes dont vous êtes ou avez été l’agent. Premièrement, le cas d’Ophélie Bau, qui, lors du tournage du film Mektoub, My Love, a invoqué une violation de son contrat. En effet, une scène de sexe de treize minutes a été tournée sans son accord préalable et a ensuite été coupée en raison de nombreuses polémiques. Deuxièmement, le cas de Catherine Corsini, pour le film Le Retour, où une scène non prévue dans le scénario initial a été tournée. Cette scène impliquait une relation sexuelle entre un majeur et un mineur, dont la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Drieets) n’était pas informée, car elle ne figurait pas dans le scénario. Ces deux exemples illustrent des dysfonctionnements impliquant des personnes dont vous étiez l’agent. Dans ces situations, quelle a été votre réaction ?

Lorsque vous constatez un dysfonctionnement, prenez-vous l’initiative de conseiller à vos talents de ne plus collaborer avec certains réalisateurs qui agissent de manière déloyale en diffusant des scènes non approuvées par les acteurs ? Recommandez-vous aux agents du SFAAL de ne plus travailler avec Catherine Corsini, notamment en raison de la scène de sexe non prévue dans le scénario et sans l’accord de la Drieets ?

Mme Élisabeth Tanner. Pour illustrer davantage, Ophélie Bau m’a consultée après avoir tourné son premier film avec Abdelatif Kechiche, intitulé Canto uno. Je suis allée voir le film et j’ai trouvé l’actrice absolument formidable. Je lui ai donc proposé de la représenter, ce dont elle était très contente. Ensuite, il a été question de tourner Canto due. À ce moment-là, Ophélie m’a informé que M. Kechiche avait demandé que les contrats du deuxième film ne passent pas par les agents que les acteurs avaient trouvés. Il souhaitait refaire les mêmes contrats que pour Canto uno. Je lui ai répondu : « Si tu veux, je peux contrôler ton contrat, mais si tu ne veux pas, ce n’est pas un problème. En tout cas, je ne prendrai pas de commission dessus. » J’ai alors commencé à travailler avec Ophélie. Elle est partie tourner et nous nous sommes vus environ deux fois. Pendant le tournage, je l’ai appelée et elle m’a assuré que tout allait bien. Le film a ensuite été sélectionné pour Cannes. À cette époque, la projection de presse avait lieu le matin et la projection publique le soir. Je n’avais pas lu le scénario, je n’avais aucun retour sur le tournage, je ne savais rien.

Deux personnes m’ont alors appelé depuis la salle de projection pour me demander si j’étais au courant de la scène de cunnilingus de treize minutes. J’étais stupéfaite et en colère. Je suis allée voir Ophélie et je lui ai demandé s’il n’y avait pas quelque chose qu’elle devait me dire. Je l’ai vue se fragiliser en deux minutes et demie. Elle m’a avoué que Kechiche ne lui avait pas permis de voir le montage. J’étais sidérée et très en colère. Je ne pouvais pas laisser une jeune actrice découvrir une telle scène dans la salle de Cannes. Pour moi, c’était inacceptable.

Il se trouve qu’elle avait un petit contrat avec un bijoutier et comptait sur cet argent. Je ne pouvais pas dire : « Tu ne montes pas les marches, je te mets à l’abri. » J’ai consulté Jérôme Seydoux, le producteur du film, et je lui ai expliqué : « Jérôme, il y a un problème, cette jeune fille a été complètement manipulée, certaines scènes lui sont inconnues. » Jérôme m’a immédiatement répondu : « Je vous comprends, Élisabeth, il n’y a aucun problème. » Elle a donc monté les marches, mais je l’ai fait passer sur le côté. Ce qui est intéressant, c’est qu’Abdelatif Kechiche ne s’est pas rendu compte de son absence à la projection. Je l’ai retrouvée en bas, nous avons passé un long moment ensemble où elle a pu s’exprimer, puis je l’ai mise dans une voiture pour qu’elle retourne à Montpellier, où elle résidait.

Par la suite, nous nous sommes revus plusieurs fois, et je lui ai vivement recommandé de consulter un psychologue. Cela a pris beaucoup de temps, et elle a été très mal pendant presque deux ans. J’ai eu une confrontation journalistique avec Abdelatif Kechiche, incluant des lettres ouvertes où il s’était engagé à montrer le film sans ces scènes si le film sortait. Un bruit a couru selon lequel le film pourrait être présenté à Cannes cette année, ce qui a de nouveau perturbé Ophélie Bau. J’ai donc vérifié que ce film ne serait pas projeté à Cannes. J’ai vérifié qu’il n’en était pas question, je l’ai rassurée. Aujourd’hui, Ophélie Bau est mère d’une petite fille en bonne santé, bien que toujours fragile à cause de cette histoire. Voilà comment j’ai traité ce cas.

Concernant Catherine Corsini, la situation est tout à fait différente. Catherine Corsini est effectivement ma cliente. Elle a réalisé un film avec une productrice qui, en plus, est sa compagne. Mon rôle dans ce projet est limité, même si je connais Catherine Corsini depuis très longtemps. Je ne suis pas impliqué dans les dossiers soumis à la Drieets, au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) ou ailleurs. Catherine Corsini a été sévèrement sanctionnée. C’est une véritable sanction, pas une mesure légère. Je pense qu’elle ne réitérera pas. Catherine Corsini est connue pour son tempérament fort. Des acteurs adultes et majeurs, ayant déjà travaillé avec elle, souhaitent continuer à le faire en raison de son talent. Ils continueront de collaborer avec elle pour ses futurs projets. Pour les jeunes débutants, il est possible de leur dire qu’elle peut être parfois difficile, mais qu’elle est une bonne personne, ce qui est vrai. Sincèrement, ce n’est pas quelqu’un de méchant. Cependant, on ne peut empêcher un talent de vouloir travailler avec une réalisatrice. Cela rejoint ce que vous disiez plus tôt. Lorsqu’un talent est chez vous, il souhaite travailler.

En réponse aux questions sur les commissions, nous ne sommes pas des acharnés de la commission. Si je devais comptabiliser tous les contrats que j’ai refusés dans ma carrière, ils seraient plus nombreux que ceux que j’ai acceptés. Gérer une carrière implique une vision à long terme, et non une consommation immédiate dictée par le chiffre d’affaires ou les impératifs financiers mensuels. En tant que chef d’entreprise, vous avez la responsabilité de gérer une carrière. Si vous échouez, vous perdez vos talents, et cela se sait rapidement. Entre les talents, les informations circulent rapidement, et vous êtes sanctionnés pour ne pas avoir fait le bon choix ou aidé à le faire.

Par exemple, lorsque quelqu’un exprime le désir de tourner avec un réalisateur controversé comme Woody Allen, qui est interdit aux États-Unis mais a tourné en France, certains talents refusent catégoriquement, tandis que d’autres souhaitent travailler avec lui en raison de sa renommée. En tant qu’agent, vous ne pouvez pas imposer vos décisions, les talents ne sont pas sous tutelle. Ils exercent leur libre arbitre, surtout quand il s’agit d’acteurs majeurs. Personnellement, je n’ai plus voulu m’occuper de mineurs après une expérience unique avec une actrice mineure il y a très longtemps. Les talents prennent leurs décisions, et nous pouvons les orienter ou les conseiller, mais la décision finale leur appartient. Il arrive que des talents désirent collaborer avec certains acteurs ou réalisateurs, même si cela peut s’avérer complexe. Dans ces situations, ils fixent leurs propres limites, et nous rappelons les règles si le scénario semble trop compliqué. Aujourd’hui, nous avons des réponses très simples à ces questions.

Les scènes de sexe nécessitent la présence de coordinateurs d’intimité, dont l’importance est primordiale pour moi. Leur rôle est essentiel dans la relation entre le metteur en scène et les acteurs, car ils agissent comme une tierce personne qui s’interpose. Cela permet d’éviter des dérives ou des débordements. Un coordinateur d’intimité dicte précisément comment les scènes doivent être filmées, ce qui représente un soulagement pour de nombreuses scènes. Cet outil, que nous ne possédions pas il y a quelques années, est désormais indispensable.

Lors de la lecture d’un scénario, on peut identifier des tensions potentielles ou des situations inquiétantes. Les réalisateurs ont des méthodes de travail très variées. Par ailleurs, il ne faut pas négliger la question du harcèlement moral. Aujourd’hui, on pourrait qualifier les méthodes de Maurice Pialat de harcèlement moral. De nos jours, il est difficile pour un réalisateur de fonctionner de cette manière sans subir des sanctions immédiates. Les équipes peuvent décider de ne plus travailler avec un réalisateur et arrêter le tournage. Un exemple récent illustre cette situation hier soir, sur une série télévisée.

M. le président Erwan Balanant. Je souhaite partager une réflexion et poser deux questions complémentaires. Nous sommes particulièrement intéressés par cet exemple concret. Vous avez mentionné Mme Corsini, soulignant son tempérament fort et sa tendance à rudoyer. Je regrette de devoir le dire, mais indépendamment du talent, il existe des règles dans le code du travail. Selon ce code, ce comportement est inacceptable. Ce n’est pas parce que l’on évolue dans le milieu du cinéma ou de l’art que l’on peut se permettre de maltraiter verbalement les autres. Je souligne cet enjeu central de notre réflexion et de nos travaux. Il est crucial de comprendre que le talent ou la nature artistique d’une personne ne justifie en aucun cas un comportement irrespectueux.

Mme Élisabeth Tanner. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Ce qui est vrai, c’est qu’il y a eu toute une culture de cela pendant des décennies.

M. le président Erwan Balanant. Cette culture, nous l’avons observée dans d’autres milieux, et elle n’est pas acceptable. Il est possible de posséder du talent tout en s’adressant correctement aux gens. Je crois même que bien parler aux gens est un talent en soi.

Concernant les coordinatrices et coordinateurs d’intimité, imposez-vous désormais leur présence dans les contrats ? Est-ce une mesure que vous êtes en mesure de mettre en œuvre ?

Mme Élisabeth Tanner. Si le talent le souhaite, oui.

M. le président Erwan Balanant. Si le talent le souhaite, en discutez-vous ? Le préconisez-vous ?

Mme Élisabeth Tanner. Pendant des années, certaines actrices affirmaient : « Je tourne des scènes intimes avec un partenaire, mais je ne sais pas comment la scène sera réalisée. » À cette époque, les coordinateurs d’intimité n’existaient pas encore, mais nous insistions déjà pour obtenir des explications du réalisateur et un découpage précis des scènes. Par exemple, des contrats stipulaient que, lors des scènes de sexe ou de nuit, le plateau devait être fermé, c’est-à-dire accessible uniquement à une équipe restreinte, comprenant notamment le chef opérateur. Nous exigions cela et l’inscrivions dans les contrats. Aujourd’hui, si un acteur ou une actrice exprime une appréhension concernant une scène, nous sollicitons un coordinateur d’intimité et incluons cette demande dans le contrat. Cela devient alors une obligation contractuelle, et personne ne peut y déroger.

M. le président Erwan Balanant. Vous avez mentionné le talent, en incluant à la fois les réalisateurs et les comédiens. Cependant, il est évident que vous pouvez parfois être l’agent d’un réalisateur et simultanément celui d’un comédien. Cela pose un problème de loyauté entre les deux parties. Comment gérez-vous cette situation ? Ne serait-il pas envisageable, par exemple, qu’au sein d’un même projet cinématographique, vous ne puissiez pas représenter à la fois le réalisateur et le comédien ou la comédienne ?

Mme Élisabeth Tanner. Bien sûr, cela arrive souvent.

M. le président Erwan Balanant. Mais est-ce qu’on ne pourrait pas imaginer que ce serait une impossibilité ? C’est-à-dire que je suis avocat, je ne peux pas être avocat de la victime et de l’auteur en même temps. Oui, cela s’appelle un conflit d’intérêts, un conflit de loyauté plutôt.

Mme Élisabeth Tanner. Vous oubliez une chose, c’est que le réalisateur a un contrat de travail avec un producteur.

M. le président Erwan Balanant. On n’oublie pas, on a bien cela en tête.

Mme Élisabeth Tanner. Lorsqu’un problème survient, il existe toujours un juge de paix, le producteur. Dans ma carrière, j’ai rencontré des conflits, non pas de nature sexuelle, mais concernant les méthodes de travail. Le producteur rappelle alors le réalisateur à ses obligations. Il est essentiel de respecter certaines règles sur un plateau, il n’est pas acceptable de subir des cris, des comportements hystériques ou des humiliations. Le producteur intervient pour ramener le réalisateur à la raison, et nous faisons de même. Nous avons la responsabilité de protéger les talents, car une fois engagés dans un film, ils doivent le mener à terme. Il est impossible d’interrompre un tournage en cours pour reprendre plus tard. Nous agissons comme des médiateurs.

Bien que cela puisse sembler empirique, ce n’est pas une législation qui nous protège, mais bien le producteur qui rappelle les obligations au réalisateur. Nous veillons à ce que le talent se sente en sécurité et serein. Les collègues de l’acteur jouent également un rôle de soutien, car personne ne souhaite voir un acteur en difficulté sur un plateau. La gestion de ces situations repose davantage sur l’humain et l’expérience que sur une réglementation stricte.

Les agents interviennent souvent dans des conflits, parfois perçus comme des conflits de loyauté, mais nous avons une vision claire des problèmes, souvent déjà rencontrés et résolus par le passé. Je ne prétends pas que cela est simple, mais en dialoguant, en exposant les problèmes, en confrontant les personnes, et en présentant des excuses, on peut avancer. Les excuses sont essentielles. Par exemple, lorsqu’un réalisateur reconnaît ses torts en disant : « J’ai complètement perdu le contrôle, je m’excuse, tu es une personne de valeur et un acteur remarquable », cela peut apaiser beaucoup de tensions. Nous avons eu des situations où des conflits ont éclaté, mais par la suite, les personnes concernées ont collaboré sur quatre films ensemble. Nous travaillons avec des êtres humains.

M. le président Erwan Balanant. Les excuses parfois, quand ça a été trop loin, ne suffisent pas. Je pense que vous êtes d’accord sur cette question aussi.

Mme Raphaëlle Danglard, élue au bureau du SFAAL. Je souhaite témoigner de l’évolution d’une génération, car je suis agent depuis cinq ans et dans ce milieu depuis une dizaine d’années. Je tiens à souligner la libération de la parole chez les nouveaux acteurs et actrices. Ils communiquent entre eux, ce qui n’était pas le cas auparavant. Je représente principalement des jeunes d’une vingtaine d’années, nés dans les années 2000. Ces jeunes n’hésitent pas à s’exprimer, que ce soit entre eux ou avec moi. Lorsque je rencontre des situations où un acteur ou une actrice se retrouve face à un réalisateur ou une réalisatrice utilisant des méthodes de travail inappropriées, nous n’hésitons pas à les confronter. J’ai déjà eu des expériences négatives sur des plateaux, mais aujourd’hui, les acteurs n’ont plus peur de parler et de se confronter aux réalisateurs. Bien que des progrès restent à faire, mon expérience, bien que récente, montre que ces jeunes n’hésitent pas à me parler. Cela est essentiel, car nous jouons un rôle de juge de paix, capable de rééquilibrer les forces en présence. Le fait que ces jeunes n’aient pas peur de nous parler et que nous puissions déclencher cette confrontation apporte beaucoup.

En ce qui concerne les méthodes de travail sur les tournages, je rejoins ce que vous disiez, M. Balanant. Il s’agit d’un débat important entre acteurs et actrices. Aujourd’hui, une majorité de cette génération affirme qu’il n’est pas nécessaire de se hurler dessus pour bien jouer. Ils sont unanimes sur ce point. Il existe des méthodes permettant d’atteindre des émotions telles que la tristesse ou la colère sans recourir à des émotions trop personnelles. Il est important de le rappeler.

Je conseille les personnes lorsque je constate qu’un réalisateur a une mauvaise réputation. Je les en informe, mais la décision finale leur appartient. Je ne suis pas leur directeur de conscience. Par exemple, si demain ils souhaitent travailler avec Woody Allen, c’est leur choix. En revanche, je les mets en garde contre une réalisatrice connue pour être très colérique sur un plateau. Je les informe, et ensuite, ils sont libres de décider s’ils veulent tourner ou non avec cette personne.

Mme Élisabeth Tanner. Les talents ne sont pas sous curatelle. C’est une notion très importante car nous représentons un contre-pouvoir. Un agent qui fait partie d’une agence influente, comme Raphaëlle Danglard, devient un contre-pouvoir. Nous devons être très vigilants. Nous connaissons les réputations des personnes. Une nouvelle génération arrive, à qui il faut expliquer que certaines situations peuvent être difficiles. Aujourd’hui, les producteurs ont suivi des formations et savent qu’il est inacceptable de tolérer certains comportements sur les plateaux. C’est essentiel. Les obligations des producteurs leur ont été rappelées récemment. Désormais, ils ne prennent plus à la légère les dysfonctionnements des réalisateurs ou réalisatrices.

À partir de ce constat, toute la chaîne de production, qui pouvait parfois sembler complexe, est en train de se clarifier. Les producteurs sont conscients de leurs responsabilités vis-à-vis des plateaux et des tournages. Des référents y sont désormais engagés, ce qui encourage la prise de parole. Nous observons un processus vertueux en cours. Bien que tout ne puisse pas être résolu instantanément, nous sommes sur la bonne voie.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Il me semble que vous n’avez pas répondu à une question que j’avais posée. Que fait le SFAAL lorsqu’il est informé de comportements problématiques de la part de producteurs ou de réalisateurs ? Par exemple, vous avez mentionné précédemment que vous avez refusé plus de contrats que vous n’en avez acceptés. Refusez-vous un contrat si, par exemple, une actrice ou un talent insiste pour travailler avec un réalisateur que vous savez problématique ? Vous avez la possibilité de refuser le contrat grâce à votre expérience. C’était ma première question.

La deuxième question concerne les exemples de Kechiche et Corsini que j’ai évoqués plus tôt. Ce sont des cas de violence et d’infractions au code du travail. J’aimerais savoir, car j’ai cru comprendre que vous ne lisez pas les scénarios, quel est votre regard en tant qu’agent tout au long d’un tournage. Avez-vous des échanges avec les acteurs pour identifier les dysfonctionnements ou en êtes-vous informé après coup ? Dans le cas de Corsini, le scénario a changé en cours de route.

Enfin, une observation, nous avons déjà réalisé de nombreuses auditions et nous sommes loin d’avoir terminé. Je ne suis pas d’accord avec vous lorsque vous affirmez que parfois les réalisateurs demandent pardon et les acteurs et actrices l’acceptent. Les cas de violence dont nous traitons dans cette commission d’enquête sont parfois des crimes. Je ne suis pas certaine que l’on puisse simplement demander pardon dans ce cas précis et continuer comme si de rien n’était, ou continuer à recevoir des financements du CNC après avoir été condamné pénalement. Nous dépassons ici la simple question du pardon dans le cadre de cette commission d’enquête.

Par ailleurs, je partage votre avis sur le fait qu’une nouvelle génération émerge, très attentive à ce qui se passe, et qui a la force de témoigner et de dénoncer les abus. Cependant, il est essentiel de rappeler à quel prix cette nouvelle génération peut s’exprimer aujourd’hui, c’est au prix des souffrances et du silence qu’ont dû endurer toutes les victimes avant eux. Il me semble important de souligner que cette prise de parole de la nouvelle génération n’est pas un phénomène de société spontané, mais résulte de l’exception française et de tout ce qui a été accepté et occulté par les professionnels de ce secteur pendant de nombreuses années. Pour conclure, vous avez mentionné un exemple de tournage qui a été interrompu hier, ce qui nous intéresse particulièrement, car il est rare que des tournages soient stoppés en cours de route. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce cas précis ?

Mme Élisabeth Tanner. Il me semblait avoir déjà répondu à la première question. Lorsque j’affirme : « Je refuse plus de contrats que je n’en accepte. », c’est dans le cadre du choix que vous faites en guidant une carrière. Parfois, notamment au début d’une carrière, de nombreuses propositions affluent et il est nécessaire de trier. Certaines propositions peuvent être extrêmement intéressantes financièrement, mais désastreuses en termes d’image. Dans ces cas-là, nous décidons de ne pas les accepter. Nous sommes des accompagnateurs, nous avons des points de vue, mais le choix définitif revient toujours au talent. Certains talents nous écoutent de manière vertueuse, tandis que d’autres peuvent vouloir faire un film qui leur rapportera beaucoup d’argent pour des raisons personnelles. Cependant, ce n’est jamais nous qui prenons la décision finale. Cela rejoint ce que nous disions précédemment. Lorsqu’un talent nous dit : « je sais que ce n’est pas idéal, mais j’ai quand même envie d’y aller », nous pouvons discuter des problématiques. Nous ne parlons pas toujours de situations extrêmes comme des crimes, mais plutôt de complications potentielles. Par exemple, nous pouvons dire : « attention, cela risque d’être compliqué, es-tu sûr de vouloir t’engager pendant deux mois ? » et le talent peut répondre : « Oui, mais j’aime bien le projet. » En fin de compte, c’est toujours la personne qui choisit. Si des problèmes surviennent, nous leur rappelons que nous les avions avertis, mais ils doivent assumer leurs choix.

Concernant le scénario, nous suivons un tournage en collaboration avec les réalisateurs. Il arrive que nous lisions plusieurs versions du scénario, le traitement initial, puis la première version, etc. Le scénario évolue constamment, jusqu’à la veille du tournage, et parfois même pendant celui-ci, en raison des réécritures de dialogues par les acteurs. Nous lisons un scénario et on nous raconte une histoire. Ensuite, un casting est réalisé. Nous proposons des talents et un casting définitif est choisi. Je travaille avec des réalisateurs et parfois, je n’ai aucun acteur ou actrice à gérer, car cela se passe ainsi. Vous ne faites plus rien. C’est-à-dire que vous vous occupez de la facturation, du contrat, etc. Vous passez des coups de fil pour vérifier que tout se déroule bien. Parfois, on vous informe que le tournage a été retardé de deux heures à cause du mauvais temps. Ce sont à peu près les conversations que nous avons.

Cela dépend des réalisateurs. Certains préfèrent vous montrer le film une fois terminé, c’est-à-dire monté, mixé, vraiment la copie définitive. D’autres aiment vous montrer le film après un premier ou un deuxième montage, car ils souhaitent avoir votre avis et que vous leur signaliez ce qui ne va pas. Concernant Catherine Corsini, honnêtement, vu le nombre de scénarios que je lis chaque semaine et chaque jour, je suis incapable de me souvenir si la version qu’elle m’a fait lire incluait cette scène ou non. Je vous assure, sous serment, que je ne peux pas m’en souvenir. Nous lisons tellement de scénarios que parfois, je ne suis même plus sûre de les avoir lus. Nous n’avons pas ce contrôle. Peut-être que dans le cas de Catherine, cela a dysfonctionné parce que la productrice est aussi son amie, ce qui compliquait la situation. Il est difficile d’imposer des décisions dans ce contexte. Je n’ai été informée de cette affaire que lorsque le problème s’est posé. Je ne l’avais pas anticipé, je ne pouvais pas le prévoir. Voilà la nature de notre relation. Parfois, vous êtes dans votre bureau, tout se passe bien sur le tournage, et soudain, un problème surgit et on nous appelle pour signaler un problème sur le plateau.

Il est évident que les excuses ne suffisent pas. Quand je parle d’excuses, je fais référence à une mésentente sur le plateau, non à un crime. Les excuses sont inutiles dans ces cas-là. Il est nécessaire d’aller plus loin et de ne pas simplement se dire pardon. Il s’agit de rétablir un climat de bonne volonté pour mener le film à terme. Un film est comme un bateau qui part, et chacun a intérêt à ce qu’il arrive à destination. Parfois, des excuses permettent de calmer les esprits, de rappeler à chacun de faire attention, et de permettre aux acteurs de se sentir à l’aise pour continuer à travailler jusqu’au bout.

Concernant l’arrêt du film ou de la série télévisée d’hier, il s’agit d’une réalisatrice externe à mon équipe qui a complètement dysfonctionné. Elle a littéralement pété un câble, pour reprendre l’expression. Toute l’équipe a alors déclaré qu’elle ne pouvait plus continuer, et le producteur a décidé d’arrêter immédiatement. Elle sera remplacée lundi. Je ne mentionne pas les noms pour des raisons de confidentialité.

Mme Raphaëlle Danglard. Je souhaite intervenir concernant les propos précédemment tenus. Je ne me réfère pas spécifiquement au cas Corsini, bien que je souhaite ajouter une précision sur ce tournage, l’absence de coordinateur d’intimité constitue, selon moi, une faille majeure. Le débat de fond réside précisément dans cette absence. En tant qu’agent, et également agent de réalisateur, nous pouvons lire les scénarios et nous informer, mais nous ne sommes pas présents sur le plateau quotidiennement pour observer les évolutions possibles. Je referme cette parenthèse.

En revanche, je souhaite aborder la question du statut des actrices et des acteurs, car il arrive fréquemment que les scénarios évoluent en cours de tournage. Cela m’est déjà arrivé. Dans ces situations, mes actrices et mes acteurs ont le réflexe, que je les encourage à adopter, de me contacter. Il m’est déjà arrivé qu’ils m’informent d’une décision d’ajouter une scène de nudité ou une scène intime. Dans ce cas, j’appelle la production pour en discuter ensemble. Nous vérifions si l’actrice ou l’acteur est d’accord et si un coordinateur d’intimité est présent. Si ce n’est pas déjà prévu, j’ajoute une clause contractuelle encadrant cette scène, si elle n’est pas déjà incluse dans le contrat initial. Aujourd’hui, j’intègre systématiquement cette clause dans les contrats. Si ce n’était pas le cas, un avenant est rédigé pour encadrer cette situation.

M. le président Erwan Balanant. Si un talent sur un tournage vient vous voir en affirmant avoir été agressé sexuellement par un technicien, un réalisateur ou une autre personne présente sur le plateau, quelle serait votre réaction ? En tant que législateur, je m’interroge sur ce point.

Mme Élisabeth Tanner. La réponse est extrêmement simple. J’appelle le producteur et je dis : « Il faut prendre une décision. » Pour moi, il n’y a même pas de débat.

M. le président Erwan Balanant. Est-ce que vous avez des exemples d’agents qui, sachant que des faits graves ont été faits sur un plateau, puissent laisser couler, laisser passer, minorer, dire à une victime : « écoute, ce n’est pas si grave ».

Mme Élisabeth Tanner. Franchement, je ne vois pas aujourd’hui qui que ce soit dire à un talent : « écoute, allez, fais-le ». D’abord, pour des raisons éthiques, c’est inacceptable. Ensuite, même en étant cynique, je dirais que cela représente un risque énorme pour sa propre réputation et donc pour l’avenir de sa carrière. Éthiquement parlant, je ne vois pas un agent conseiller à quelqu’un de passer outre un abus en disant : « ce n’est pas très grave ». Cela ne peut pas arriver. Lorsqu’un cas aussi clair de quelqu’un affirmant avoir été abusé par un réalisateur se présente, la réaction immédiate doit être d’alerter le producteur et de prendre des mesures. Il est impératif de sécuriser le plateau, ce qui implique de retirer le réalisateur en question. C’est ce qui se passe dans de telles situations.

Mme Raphaëlle Danglard. En fonction de la nature de ce qui est en jeu, qu’il s’agisse d’une parole ou d’un acte, le choix revient à l’actrice ou à l’acteur de décider de s’adresser au réalisateur. J’ai déjà rencontré une situation où une actrice m’a confié, dans un contexte où il s’agissait d’une parole et non d’une agression sexuelle, qu’elle prenait la responsabilité de m’en parler car elle avait besoin d’un soutien moral et psychologique. Cependant, elle souhaitait être celle qui entreprendrait la démarche de parler au réalisateur. Elle ne voulait pas interrompre le tournage, mais estimait nécessaire de se confronter elle-même au réalisateur, tout en bénéficiant de notre soutien moral. En revanche, lorsqu’il s’agit d’une agression sexuelle, il n’y a même pas de débat.

M. le président Erwan Balanant. Vous les invitez à porter plainte ?

Mme Raphaëlle Danglard. Bien sûr, nous leur rappelons leurs droits et leur offrons la possibilité de les exercer. Non seulement nous leur expliquons qu’ils peuvent le faire, mais nous les accompagnons également dans cette démarche. Personnellement, je n’ai pas eu à le faire, mais j’ai des collègues agents qui ont été confrontés à cette situation et qui ont accompagné les personnes concernées pour porter plainte.

Mme Élisabeth Tanner. Aujourd’hui, nous bénéficions d’outils qui n’existaient pas auparavant. Lorsqu’une agression sexuelle est signalée, il est possible de dialoguer directement avec la victime. Souvent, il existe un moment d’incertitude où la personne hésite à porter plainte. C’est à ce stade que nous intervenons, en collaboration avec des associations, le groupe Audiens. Nous savons que, progressivement, la victime suivra son propre chemin, qui aboutira fréquemment à une plainte. Ce processus peut être très long. Je me souviens d’une actrice, qui n’était pas sous ma responsabilité, mais pour laquelle j’ai dû intervenir. Elle refusait de porter plainte malgré le fait que tout le monde était au courant, le producteur, l’acteur, tous savaient. Elle demandait du temps pour réfléchir. Nous l’avons orientée vers un psychologue afin de l’accompagner dans ce cheminement. Ainsi, nous nous retrouvons dans une situation particulière où tout le monde est informé, mais où il est nécessaire de respecter le temps de la victime. Le tournage étant terminé, chacun savait ce qui s’était passé, mais nous devions attendre que la victime soit prête à entamer les démarches judiciaires.

Mme Virginie Lanlo (RE). Vous avez mentionné en début d’audition que n’importe qui pouvait potentiellement devenir agent, simplement en signant deux mandats. Ne serait-il pas pertinent d’exiger qu’une personne soit au minimum assistante dans une agence pendant une durée déterminée, par exemple six mois ou un an, afin d’acquérir les bons réflexes nécessaires ? Vous semblez approuver cette idée, ce qui est encourageant.

Concernant votre rôle d’agent, vous veillez à ce que vos talents travaillent dans de bonnes conditions. J’ai deux questions à ce sujet. Premièrement, ne serait-il pas judicieux d’imposer dans les contrats des mesures de protection systématiques, telles que la présence de coordinateurs d’intimité ou de psychologues, notamment pour les films comportant des scènes potentiellement violentes ? Cela permettrait d’encadrer et d’accompagner vos talents de manière adéquate.

De plus, il serait utile que vous soyez informé des évolutions des scénarios, surtout lorsqu’ils incluent des scènes susceptibles de poser problème. Enfin, que faites-vous lorsque vous savez qu’un acteur ou un réalisateur est soupçonné de violences sexuelles et sexistes, même s’il n’a pas été officiellement incriminé, et que l’un de vos talents est sollicité pour travailler avec cette personne ?

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Je souhaite poursuivre la question de ma collègue en abordant les responsabilités à tous les niveaux. J’ai l’impression d’entendre beaucoup de propos déresponsabilisants. On dit souvent que les adultes sont consentants et que nous les accompagnons. Cependant, face à l’ampleur des violences dans le monde du cinéma, il est crucial de se pencher sur les chaînes de responsabilité, y compris celles qui ne sont pas encore inscrites dans la loi et qu’il faudrait peut-être envisager d’inscrire. Je voulais poser une question similaire à celle du président Balanant concernant vos actions lorsque quelqu’un vient vous voir pour dire j’ai été agressée. J’imagine que ce n’est pas toujours formulé de manière aussi explicite. Vous avez utilisé des expressions comme péter un câble, engueuler, être hystérique.

En matière de violences sexistes et sexuelles, ces termes peuvent parfois minimiser des violences. Je ne dis pas que c’était votre intention, mais ce sont des éléments d’alerte que je perçois. Je comprends parfaitement la question du respect du consentement de la personne. De nombreuses victimes préfèrent ne pas porter plainte ou faire de signalement, souhaitant régler elles-mêmes la situation en parlant à leur agresseur. Cela peut malheureusement perpétuer les violences, car au final, une personne qui parle cherche à savoir si elle sera entendue. Si la réponse est : « tu m’as dit cela, mais tu ne veux pas aller plus loin », elle peut poser problème. Je pose donc des questions en termes de formalisation, de processus, de protocoles.

Il est essentiel de comprendre que même si une personne exprime son malaise sans utiliser des mots précis, il est de notre devoir de nous interroger sur la formation reçue. Estimez-vous que votre formation est suffisante ? Soutenez-vous l’idée d’une formation obligatoire dans ce domaine pour garantir l’utilisation des termes appropriés ? Ensuite, envisageons la mise en place de mécanismes de signalement systématiques. Par exemple, informer une personne qu’il existe une cellule d’écoute et l’y orienter. Informer également le responsable, tel que le producteur, de l’orientation vers la cellule d’écoute. Cela permettrait d’établir des chaînes de responsabilité. Nous devons reconnaître que nous avons affaire à des adultes consentants. Cependant, il est crucial de ne pas sous-estimer l’emprise potentielle et les conditions matérielles qui peuvent dissuader une victime de s’exprimer ou de chercher réparation.

M. le président Erwan Balanant. Juste avant de répondre à Mme Danglard concernant le fait que parfois la victime exprime le souhait de confronter son agresseur, je tiens à rappeler l’histoire de Charlotte Arnould. Cette dernière a été violée et a voulu affronter son agresseur seule. Malheureusement, elle a été violée une seconde fois.

J’insiste sur l’importance de l’accompagnement pour les victimes. Il est impératif de ne jamais laisser une victime affronter seule son agresseur. Mme Legrain souligne également cette nécessité en affirmant qu’il est essentiel de dire à la victime : « C’est grave, il faut que tu sois accompagnée, n’y va pas seule. » Je suis convaincue que vous en êtes consciente, étant donné votre expérience.

Mme Élisabeth Tanner. Je voudrais préciser que j’ai l’impression que nous travaillons chacun de notre côté. Vous mentionnez que des formations seront mises en place avec le SFAAL et le CNC pour tous les agents et assistants. De mon côté, je constate que nous commençons à disposer des outils nécessaires. Il est évident que, pendant certaines périodes, les outils n’étaient pas disponibles, tant pour les victimes que pour ceux qui les accompagnaient. Les victimes ne voulaient pas parler, par peur. Je tiens à partager une expérience personnelle pour illustrer mes propos. J’ai été jeune actrice et j’ai rencontré des problèmes avec des seconds assistants à la Société française de production (SFP). Dans des bureaux exigus, ils me disaient clairement : « Soit tu acceptes, soit tu n’auras pas de contrat. » À l’époque, je n’avais ni agent ni soutien et j’ai subi ces pressions.

Même au cours de théâtre, j’ai vécu des situations similaires. Un jour, en entrant dans le bureau d’un agent, j’ai compris que j’allais être un contre-pouvoir. C’est ce que je défends aujourd’hui. Nous avons été laissés sans outils par une société entière, et nous en sommes collectivement responsables. Lorsque vous parlez de déresponsabilisation, j’assume pleinement mes responsabilités, tout comme les agents. Nous sommes confrontés à des victimes et parfois à des personnes accusées d’agression. Comment gérer cela avec notre intégrité et les outils actuels ? Je fais une distinction entre une parole, un acte, un comportement inapproprié et un viol. Il existe une gradation dans ces comportements, bien que tous soient condamnables. Nous sommes tous d’accord sur ce point.

Cependant, il est un peu plus simple de résoudre un problème de parole que de traiter un cas de viol ou de harcèlement. Il est évident que nous ne sommes pas au même degré de gravité. Lorsque nous abordons ces questions, nous pouvons parfois les traiter seuls, mais nous savons aujourd’hui que l’amnésie post-traumatique existe, ce qui est une connaissance relativement récente. Ainsi, une personne peut affirmer qu’elle ne dira rien, qu’elle va bien, que ce n’est pas grave et que cela passera. Mais non, cela ne passera pas. Nous le constatons. Lorsqu’une actrice refuse de parler ou hésite à s’exprimer, nous restons à ses côtés, observons son comportement et détectons des signes de défense ou de perturbation. Nous revenons alors vers elle pour discuter à nouveau.

Accompagner signifie qu’à un moment donné, il faut passer le relais à un psychologue. Je ne suis pas psychologue et ne le serai jamais. Nous orientons ces personnes vers des professionnels. Si elles n’ont pas les moyens de payer un avocat, nous les rassurons en leur indiquant que des associations prendront en charge ces frais. Nous nous trouvons dans une situation inhabituelle et assumons nos responsabilités. Chaque jour, nous questionnons notre relation avec les talents, notre propre position et les interactions avec l’extérieur. Nous nous demandons si tout se passe bien ou s’il y a des frictions. Certaines femmes que j’ai revues m’ont confié des événements survenus il y a vingt ans. Nous discutons alors de leurs souhaits, veulent-elles en parler, rendre cela public, porter plainte ? Certaines personnes expriment leur perturbation face à cette prise de parole et se questionnent sur leur responsabilité. Elles se demandent si elles doivent apporter leur contribution, ayant souffert de situations similaires. Je les accompagne dans cette réflexion. À un moment donné, quelqu’un peut dire : « Non, en fait, maintenant, je suis vraiment passée à autre chose. Je me suis reconstruite – Est-ce que tu es sûre ? – Ne t’inquiète pas, je consulte un psychologue et je suis suivie. » Nous sommes dans une relation à deux, et il est impossible, même pour moi, de brusquer quelqu’un. J’ai parfois cette angoisse, étant assez directe. Un psychologue m’a conseillé de ne jamais brusquer, mais d’écouter, de suivre le rythme de l’autre et de l’accompagner. Nous effectuons ce travail sans nous déresponsabiliser. Mettez-vous à notre place on nous accuse de nous déresponsabiliser, de régler les choses à notre manière. Ce n’est pas le cas. Je suis d’accord pour suivre certains processus. Je n’ai aucun problème avec cela.

Si le législateur nous permet de réintégrer certaines règles, je serai la personne la plus ravie du monde, et nous serons nombreux à en bénéficier. Cela nous faciliterait la tâche, car nous ne serions plus constamment obligés de batailler. Ce que vous ne réalisez peut-être pas de notre métier, c’est que signer un contrat implique une négociation préalable, notamment sur les conditions de travail. Actuellement, j’ai un problème, les films se réalisaient auparavant en huit ou neuf semaines, alors qu’aujourd’hui, ils se font en six ou sept semaines. Comment cela est-il possible ? Grâce à quatre ou cinq heures supplémentaires par jour. Les acteurs sont épuisés, mais on leur dit que sans cela, nous ne pourrions pas tourner ce que nous souhaitons. Aujourd’hui, il existe des problèmes de violence, et celui-ci en est un. Certains pensent que les acteurs ne font rien. Pourtant, je peux vous assurer que passer plus de douze ou quatorze heures sur un plateau, en répétition, pendant plusieurs semaines, pose un problème de santé. Ils ne sont pas protégés. Même si nos contrats stipulent que la journée commence du point d’accueil technique (PAT) au retour à domicile, rien n’est respecté. Je parle à de nombreux acteurs qui affirment vouloir se mobiliser collectivement, car la situation est devenue intenable. Nous devons constamment appeler les producteurs pour leur dire que trois ou quatre heures supplémentaires chaque jour, ce n’est pas possible. Nous intervenons sans cesse pour le confort des talents, à tous les niveaux, en insistant sur le besoin de loges pour qu’ils puissent se reposer entre deux prises de vues. Aujourd’hui, obtenir des loges est devenu compliqué et coûteux. Nous ne leur demandons pas de nous offrir un espace de premier choix, mais simplement de trouver un endroit isolé, comme précisé dans les contrats, où ils peuvent fermer à clé et laisser leurs affaires en sécurité.

Nos contrats sont aussi détaillés que cela. Aujourd’hui, cela représente une véritable bataille. J’aime ce métier, je le trouve extrêmement enrichissant sur le plan humain, car rien n’est jamais tout à fait pareil, rien n’est totalement dans les clous, c’est complexe et très riche. Cependant, je refuse qu’on me reproche, à l’issue de cette discussion, d’avoir cherché à me décharger de la responsabilité. Depuis le début de cet entretien, je n’ai jamais rejeté la responsabilité sur les autres. Il existe une réalité, nous sommes constamment en lien avec notre talent, dans ses pensées, ses actions, ses réussites et ses échecs, ses problèmes financiers ou personnels. Nous sommes au courant de tout. Nous traversons l’intimité de nos talents, ce qui nous enrichit et nous permet parfois de gérer des situations délicates.

Néanmoins, il arrive un moment où nous sommes mis à distance. Dans le processus de fabrication d’un film, même en tant qu’agent du réalisateur, nous ne sommes pas au centre, car cela serait matériellement impossible. Nous n’avons pas le temps d’être aussi proches de la réalité d’un film. Nous sommes des personnes à qui l’on s’adresse. Nous recevons des informations, parfois excellentes, parfois terribles, et nous les gérons. Aujourd’hui, il est indéniable que nous avons besoin de coordinateurs d’intimité. Je peux en témoigner personnellement, j’ai une actrice très militante, donc bien informée. Lors d’une scène, elle arrive sur le plateau et soudain, l’acteur déclare : « J’en ai assez des scènes toujours pareilles, nous sommes dans le lit. Tu sais quoi ? Je vais te faire un cunnilingus. » Elle lui répond alors « Je n’ai absolument pas envie que tu passes quatre heures entre mes cuisses. Ce n’est pas envisageable. » Cela a provoqué une grande agitation, et je suis intervenue pour que la scène ne se déroule pas ainsi. Pourtant, j’aurais pu ne pas être au courant, mais elle me l’a dit. Et cela a attiré mon attention sur le fait que certaines scènes sont souvent expédiées rapidement, comme les baisers. Certains acteurs et actrices expriment leur ras-le-bol : « Je ne veux plus embrasser quelqu’un à l’écran. » Et je les comprends parfaitement, je trouve cela insupportable. Une actrice m’a dit : « Attention, il faudrait trouver une autre manière de faire, mais il n’y aura pas ces scènes parfois vraiment désagréables à voir. » En effet, dans la vie, cela peut être intéressant, mais à l’écran, ce n’est pas captivant. Mais c’est vrai, aujourd’hui, des acteurs affirment ; « Je n’ai pas envie d’embrasser ma partenaire. »

M. le président Erwan Balanant. Sur la question des coordinateurs d’intimité, nous les avons auditionnés. Il est préférable que ce travail soit effectué en amont. Lorsque je vous ai demandé de préciser votre position sur les coordinateurs d’intimité, vous avez exprimé le souhait de les imposer dès le début. Cela permettrait de garantir une discussion préalable et un travail approfondi de lecture du scénario.

Mme Élisabeth Tanner. Lorsque les coordinateurs d’intimité n’étaient pas présents pour les scènes de sexe, nous encouragions nos talents à discuter directement avec le réalisateur ou la réalisatrice. Ils devaient aborder des questions telles que : « Comment vas-tu tourner cette scène ? » ou « Comment vas-tu la découper ? ». Nous procédions ainsi, surtout lorsqu’il y avait des problématiques spécifiques. Cependant, la présence d’un coordinateur d’intimité est véritablement bénéfique, car elle permet de clarifier des points essentiels.

M. le président Erwan Balanant. Tout à l’heure, j’ai évoqué rapidement le cas de Charlotte Arnould et Gérard Depardieu. Évidemment, le procès n’ayant pas eu lieu, Gérard Depardieu bénéficie de la présomption d’innocence. Cela étant dit, je souhaite conclure sur un sujet qui me tient à cœur, car il est évident qu’il existe un problème de régulation. Disposez-vous d’un code de déontologie commun et partagé ? Nous savons que les avocats possèdent un code de déontologie avec des règles très strictes. Pourrait-on envisager que vous travailliez dans cette direction ? Juridiquement, une idée me vient à l’esprit, bien qu’elle puisse sembler quelque peu destructrice, il s’agirait d’un ordre ou d’une guilde, à l’image de ce que les Américains savent faire dans ce domaine, souvent de manière extralégale, mais avec une force de frappe significative qui permet de trouver des moyens de régulation. Est-ce que cela pourrait constituer une piste de réflexion ou est-ce déjà une réflexion en cours ?

Mme Élisabeth Tanner. Nous nous sommes interrogés pour une raison simple, à l’époque des licences, la question de la moralité se posait. C’était un des éléments qui pouvait réellement entraîner la révocation d’une licence si quelqu’un manquait à l’ordre moral. Nous disposons d’une charte, mais celle-ci concerne principalement la répartition des commissions lorsqu’un talent quitte un agent. Cependant, depuis plusieurs années, nous réfléchissons à l’élaboration d’une charte déontologique. Le problème réside ensuite dans la sanction. Vous mentionnez les guildes aux États-Unis, extrêmement puissantes à tous les niveaux, nous ne disposons pas de cette puissance de feu ni des moyens nécessaires pour aborder nos difficultés, notamment en ce qui concerne les frais de fonctionnement. Tout le monde est bénévole, à l’exception de Loïc Zion, qui est délégué général. Personne ne perçoit de rémunération. Nous ne générons pas de frais superflus et nous sommes très vertueux à ce sujet. Cependant, établir un ordre signifierait que nous pourrions sanctionner en déclarant : « Tu n’appartiens plus au SFAAL. » La question se pose alors de savoir si, vis-à-vis du grand public, cela constitue une véritable sanction. Nous nous sommes interrogés et nous continuons de nous interroger sur ce point.

M. le président Erwan Balanant. Si nous reconstruisons l’écosystème, les assureurs de films pourraient décider d’assurer uniquement les films réalisés par des agents membres du syndicat, de la même manière que les directeurs de casting. Par exemple, lorsqu’un directeur de casting est jugé farfelu, le producteur pourrait choisir de ne pas travailler avec lui, car l’assureur refuserait d’assurer un projet réalisé avec des éléments jugés peu fiables. Cela pourrait constituer une piste de restructuration de l’ensemble de l’écosystème, en tenant compte du fait qu’il est déjà partiellement organisé.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Pour aller au bout de mon raisonnement, de quels leviers et de quelle marge de manœuvre disposons-nous pour faire respecter les règles à notre niveau ? Par exemple, vous avez mentionné que vous vous battez pour faire respecter des contrats et que vous avez évoqué les conditions de travail. L’inspection du travail existe-t-elle ? Est-ce un recours envisageable ou est-il illusoire de penser pouvoir y avoir recours lorsque vous constatez des violations des conditions de travail par rapport au contrat ? Nous avons parlé de l’ordre comme levier vis-à-vis des personnes dysfonctionnelles par rapport à la déontologie de l’agent. Vous pointez des dysfonctionnements, mais quels sont vos leviers ? En incluant vos propres contrats, si vous apprenez qu’une personne avec qui vous avez un contrat est accusée, peut-on imaginer que vos contrats comportent des clauses permettant de vous dégager de certains engagements en raison de faits avérés ? Si une personne fait l’objet d’un signalement et n’a pas respecté certaines obligations, cela peut-il vous donner la marge de manœuvre nécessaire pour mettre fin à un contrat en cours sans subir de préjudices, parce que vous considérez qu’il y a eu un manquement au respect mutuel ? Dans cette relation que vous décrivez, vous avez mentionné l’aide apportée, mais si vous êtes confronté à une personne qui enfreint les règles, quelle marge de manœuvre avez-vous pour vous en séparer également ?

Mme Raphaëlle Danglard. En tant que représentants, nous avons la possibilité de mettre fin à un mandat à tout moment, sans délai ni préavis. Notre sécurité repose avant tout sur le contrat. Si demain ce contrat n’est pas respecté, cela peut constituer une cause de résiliation. C’est notre principal outil et notre force.

Quant à l’inspection du travail, il incombe plutôt à la production de mettre en place les moyens nécessaires. Aujourd’hui, le contrat demeure notre principal levier.

M. le président Erwan Balanant. Nous allons conclure, mais il est essentiel de souligner l’importance de la notion de contrat. C’est ici que se manifeste votre rôle primordial. Rédiger des contrats de manière précise, anticiper les éventualités, prévoir en amont, voilà des outils efficaces pour protéger les comédiens et parfois aussi les réalisateurs lors des tournages.

*

*     *

 

21.   Audition, ouverte à la presse, de M. Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), M. Vincent Villette, adjoint au directeur général délégué et Mme Leslie Thomas, secrétaire générale.

M. le président Erwan Balanant. Notre commission d’enquête vise à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l’audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons également à identifier les responsabilités de chacun dans ces domaines. Notre objectif est de proposer des solutions pour que chacun puisse évoluer dans ces secteurs sans craindre pour son intégrité physique et mentale. Cette audition est particulièrement attendue. Vous êtes au centre de l’industrie cinématographique par vos missions. Vous intervenez à tous les niveaux de la filière cinématographique, mais aussi dans le multimédia. Il est important de le rappeler. Vous êtes impliqués dans l’écriture, le développement, la production, l’exploitation et l’exportation des films et des projets audiovisuels. Votre audition va nous fournir de nombreux éléments et nous permettre d’approfondir les informations recueillies lors des auditions précédentes. Je vous propose de commencer par un propos liminaire, exhaustif mais succinct, afin que nous puissions ensuite vous poser les nombreuses questions que nous avons préparées.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, les personnes entendues par une commission d’enquête doivent prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Leslie Thomas ainsi que MM. Olivier Henrard et Vincent Villette prêtent successivement serment.)

M. Olivier Henrard, directeur général délégué du centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). La question de la prévention et de la lutte contre les violences concerne le cinéma, comme tous les autres secteurs de l’économie. Cependant, la notoriété des personnes impliquées dans ce domaine crée un effet de loupe. Le cinéma demeure la pratique culturelle la plus répandue parmi les Français, avec deux tiers d’entre eux fréquentant les salles chaque année, et 85 % des jeunes. Cet élément doit nous guider, car les jeunes sont particulièrement sensibles aux aspects que nous allons aborder aujourd’hui. Les conditions de production des films, le traitement des collaborateurs, ainsi que l’impact carbone, constituent désormais des critères de choix importants pour les jeunes lorsqu’ils sélectionnent un programme. Cette attention accrue envers la filière cinématographique peut parfois être perçue comme inéquitable par les milliers d’entreprises et de salariés qui travaillent de manière impeccable. Néanmoins, il est essentiel que le secteur en tienne compte, tout comme les pouvoirs publics.

L’action collective que nous, au centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), cherchons à mener doit non seulement mettre fin à certains abus, mais également viser un niveau d’ambition extrêmement élevé, transformant ainsi la filière en un modèle en la matière. Le CNC s’engage pleinement dans cette démarche. Il est important de souligner que nous avons commencé ce travail il y a cinq ans, conformément à notre rôle. Le CNC, établissement sous l’autorité directe du ministère de la culture, a pour mission d’assurer le développement économique et artistique de la filière, notamment par l’octroi de subventions. Cependant, ce rôle ne comprend pas la modification ou le contrôle du droit du travail, qui relève de l’administration du travail. Le CNC n’est pas l’inspection du travail du cinéma ; il existe une seule inspection du travail pour toutes les entreprises en France, et le cinéma ne fait pas exception. Ainsi, il est crucial de comprendre que le CNC ne dispose d’aucune prérogative en matière de droit du travail. L’aspiration que nous percevons est une aspiration à la normalisation de la situation, et non à la création de dispositifs particuliers en la matière.

Pour autant, le CNC dispose d’outils d’incitation extrêmement puissants pour influencer les comportements des entreprises et de leurs collaborateurs. Nous utilisons deux types d’outils, d’une part, les aides financières que nous attribuons. En conditionnant l’attribution de ces aides, nous avons obtenu, depuis plusieurs années, des modifications significatives dans les comportements. D’autre part, le CNC, bien qu’étant une administration de l’État, entretient des liens étroits avec tous les acteurs de la filière. Cela nous permet de jouer le rôle de maison commune du cinéma, de l’audiovisuel et du jeu vidéo, et d’être un lieu d’échange, d’orientation et de débat sur tous les sujets de la filière, y compris ceux sur lesquels nous n’avons pas nécessairement une prise directe au sens juridique. Sans nous substituer aux partenaires sociaux, qui sont les seuls responsables de la relation de travail, le CNC peut considérablement faciliter et accompagner leurs discussions, ce que nous avons effectivement fait.

Pour revenir aux mesures mises en œuvre depuis cinq ans, celles-ci se divisent en deux séries, toutes deux fondées sur le droit du travail. Comme dans tous les secteurs d’activité, les entreprises de la filière, notamment les entreprises de production, sont tenues par le code du travail de prévenir ou de mettre fin aux violences sexistes et sexuelles. L’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir le harcèlement sexuel, y mettre un terme et le sanctionner, conformément à l’article L. 1153-5 du code du travail. Afin de renforcer l’effectivité de cette obligation préexistante, nous avons adopté deux séries de dispositions exemplaires.

Depuis le 1er janvier 2021, l’accès à l’ensemble de nos aides est conditionné au respect de l’obligation inscrite dans le code du travail par l’employeur, qu’il soit producteur, exploitant de salle ou distributeur. En anticipation de cette échéance, et malgré l’année de la covid, nous avons imposé à tous les responsables d’entreprise et mandataires sociaux du secteur de suivre une formation préventive et de lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS), sous peine de perdre l’accès aux aides du CNC. À ce jour, nous avons formé 5 000 producteurs de cinéma, d’audiovisuel, de jeu vidéo et 1 200 exploitants de salle, atteignant presque 100 % de la profession. Des feuilles de présence attestent le suivi de cette formation, contrôlée lors de l’examen de chaque demande d’aide.

Pour renforcer juridiquement notre pratique de retrait des aides en cas de non-respect du droit du travail en matière de lutte contre les VSS, le gouvernement a récemment approuvé un amendement à la proposition de loi dite « cinéma » adoptée le 14 février dernier au Sénat. Cet amendement prévoit que, lorsqu’une agression sexuelle survenue lors de la production d’un film a conduit à une condamnation pénale, le CNC retire l’aide à l’entreprise de production fautive. La ministre de la culture soutient vivement cette disposition et souhaite son inscription rapide à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, si la représentation nationale le décide.

Deux étapes supplémentaires seront franchies dès cet été. Premièrement, nous imposerons la formation des équipes de tournage dans leur ensemble, sous peine de retrait de nos aides. Actuellement, seule la formation du chef d’entreprise est exigée. Pour créer des réflexes à tous les niveaux, nous imposerons cette formation à l’ensemble de l’équipe dès le début du tournage. Ainsi, nous toucherons toutes les personnes potentiellement concernées, qu’il s’agisse des réalisateurs, des comédiens ou des techniciens. La mise en œuvre effective de cette formation sera une condition d’accès aux aides du CNC. Avant le tournage, le producteur, lorsqu’il dépose sa demande de soutien, doit s’engager à mettre en œuvre la formation. Si l’exécution de cette formation n’est pas constatée, l’aide pourra être retirée.

Nous venons de terminer la concertation avec les partenaires sociaux pour définir le contenu et les modalités d’exécution de la formation. Le marché est sur le point d’être notifié, et les formations seront opérationnelles pour tous les tournages démarrant à compter du 1er septembre prochain. La conditionnalité s’appliquera dès ce moment. Cette formation, financée intégralement par l’AFDAS, notre partenaire dans ce dossier, sera gratuite, tout comme celle que nous dispensons aux chefs d’entreprise depuis 2020.

La deuxième étape que nous franchirons cet été concerne spécifiquement la protection des mineurs sur les tournages, car cette question revêt une importance particulière. Actuellement, pour le travail des mineurs de moins de seize ans sur les tournages, le producteur doit obtenir une autorisation particulière de l’autorité préfectorale. Le préfet statue après consultation d’une commission présidée par un juge des enfants et composée, entre autres, d’un médecin, d’un représentant de la direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS), ainsi que de la direction régionale des Affaires culturelles (Drac). Cette commission examine l’ensemble des intérêts matériels et moraux de l’enfant, y compris les conditions de respect de l’obligation de suivi scolaire. Elle ne se limite pas aux conditions de travail sur le lieu de tournage, mais adopte une approche globale. Pour renforcer encore la protection des mineurs, le 27 juin prochain, le conseil d’administration du CNC votera l’obligation de recourir à un responsable enfant sur tous les tournages comme nouvelle condition d’accès aux aides du CNC, avec effet immédiat. Dès que cette délibération deviendra exécutoire, soit un mois après le vote, la conditionnalité des aides entrera en vigueur.

Comme je le rappelais, les aides constituent un levier indirect très puissant dont dispose le CNC. Cependant, l’essentiel demeure la négociation entre les partenaires sociaux, auxquels nous ne pouvons nous substituer. Nous nous sommes néanmoins fortement engagés au CNC pour les encourager et les accompagner de notre expertise. Cela a permis, en un temps record, de trois ou quatre mois, d’aboutir le 19 mai dernier à Cannes à la signature de deux avenants à la convention collective nationale de l’industrie cinématographique. Je suppose que vous allez auditionner les partenaires sociaux, ou que vous l’avez déjà fait, car ils sont les mieux placés pour présenter eux-mêmes le contenu des avancées. Si je me borne à énumérer les points figurant dans ces avenants, on est assez impressionnés par les progrès réalisés.

Ces avenants concernent à la fois la situation des enfants et deux situations particulièrement sensibles : les castings et les scènes d’intimité. Désormais, le droit du travail impose le recours à des responsables enfants. Ce n’est plus seulement une condition d’accès aux aides du CNC, mais une obligation légale. Cette obligation est entrée en vigueur le 1er juin, et le poste de responsable des enfants a vu ses missions et qualifications précisées par l’avenant à la convention collective. Le recours à un coordinateur d’intimité, qui devra justifier d’une certification professionnelle, est fortement encouragé par la convention collective. Celle-ci contient une clause type insérée dans les contrats de travail des artistes amenés à jouer des scènes d’intimité, afin de prévoir une protection globale. Lors des castings, les mineurs devront obligatoirement être accompagnés par un adulte référent. De manière plus générale, tous les castings, y compris ceux impliquant des adultes, seront beaucoup plus strictement encadrés quant aux lieux où ils se déroulent. Certains lieux seront interdits, notamment les lieux privés, et certaines scènes seront proscrites lors des castings, telles que les scènes d’intimité et les scènes à caractère sexuel, désormais totalement prohibées.

L’association des directeurs de casting travaille actuellement à l’élaboration d’une charte de bonnes pratiques, en cohérence avec les principes que j’ai évoqués. Par ailleurs, le métier de coordinateur d’intimité, dont nous avons constaté le manque de professionnels disponibles, fait désormais l’objet d’une fiche métier incluse dans la convention élaborée par les partenaires sociaux. Cette fiche servira de base pour mettre en place, espérons-le, une certification d’ici l’année 2025. Ainsi, nous pourrons engager le processus d’augmentation du nombre de coordinateurs disponibles.

En conclusion, ce travail a débuté il y a plusieurs années sous l’égide du CNC, avec les outils dont nous disposions à l’époque. Cependant, il a pris de l’ampleur récemment grâce à la complémentarité des actions que nous avons instaurées avec les partenaires sociaux, l’organisme de formation et l’organisme mutualiste du secteur, à savoir l’AFDAS et Audiens, ainsi que les associations professionnelles avec lesquelles nous avons été en contact permanent. Le caractère collectif de ce travail témoigne de la profondeur de la prise de conscience de l’ensemble de la filière.

Lors du Festival de Cannes, nous réunissons chaque année les trente-six CNC des pays membres du Conseil de l’Europe. Sur les quarante-sept pays du Conseil de l’Europe, trente-six disposent d’un CNC. Nous avons eu un tour de table extrêmement intéressant sur ce sujet et avons constaté que ce que nous avons réalisé en France n’a aucun équivalent, tant par l’étendue des mesures que par leur caractère contraignant, dans aucun autre pays du Conseil de l’Europe, et a fortiori dans des pays moins réglementés que le nôtre.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Vous avez effectivement mentionné plusieurs avancées significatives. Je suis particulièrement frappée par vos remarques concernant les réactions positives des autres CNC du Conseil de l’Europe, qui soulignent que ce qui se fait actuellement en France n’a pas été entrepris ailleurs. Il est également important de noter que le cinéma français, dans le cadre des violences examinées par cette commission d’enquête, se distingue de manière notable. Peut-être commençons-nous à prendre la mesure du travail nécessaire, ce qui explique pourquoi nous tentons désormais de progresser rapidement pour combler le retard en matière de protection des personnes travaillant dans ces métiers. Cela étant dit, j’aimerais poser une première question concernant les formations. À mon avis, elles revêtent une importance bien supérieure à celle des chartes, car nous avons constaté, au cours de cette commission d’enquête, que de nombreuses chartes sont souvent élaborées mais rarement respectées. Je m’interroge donc sur la manière dont vous allez vérifier que toutes ces formations seront effectivement dispensées à partir de cet été à l’ensemble des personnes intervenant sur les plateaux.

M. le président Erwan Balanant. Ces sujets étant nouveaux, il est normal que nous rattrapions en formation continue le rappel de certaines règles du droit du travail. Que penseriez-vous de rendre ces formations obligatoires dans le cursus diplômant ou reconnaissant le métier de producteur ? Actuellement, sauf erreur de ma part, ce n’est pas un métier nécessitant un diplôme. Il existe des professions où un diplôme est indispensable. Je pense par exemple aux architectes ou aux coiffeurs. On ne peut pas exercer ces métiers sans diplôme. Pourquoi ne pas envisager que, pour certaines professions, dont celle de producteur, un diplôme soit requis ? Ce diplôme inclurait évidemment une formation solide en droit, permettant aux producteurs de bien connaître le droit du travail et leurs obligations. Cela compléterait la première question de Mme la rapporteure.

M. Olivier Henrard. Je vais partir de votre point d’arrivée, à savoir l’intégration de ces questions dans la formation des professionnels. Actuellement, le paysage des écoles est assez contrasté. En effet, il existe une école publique, la FÉMIS, et plusieurs écoles privées. La FÉMIS propose une spécialité en production, mais comme vous l’avez souligné, ce n’est pas une profession réglementée. Il est évident qu’il faut intégrer cette dimension dans les cursus des écoles existantes. Cependant, comme vous l’avez mentionné, cela ne constitue qu’un aspect du droit du travail. Nous parlons ici de réglementer la relation de travail pour prévenir certains types de risques, à l’instar d’autres risques. Il s’agit simplement d’approfondir la formation juridique des producteurs dans le domaine du droit du travail. Il me semble que l’effort demandé aux établissements d’enseignement supérieur qui dispensent ce type de formation n’est pas considérable. Lorsque ces écoles existent, il est tout à fait souhaitable et nécessaire d’inclure cette dimension dans leur cursus. D’ailleurs, à la FÉMIS, je me tourne vers Leslie Thomas, mais je suis presque certain que la formation, en particulier dans la spécialité production, aborde déjà cette question.

Mme Leslie Thomas, secrétaire générale du CNC. La formation au sein de la FÉMIS comporte une sensibilisation à la question des VSS. Pas plus tard qu’hier, il m’a été demandé d’intervenir à la FÉMIS sur ce sujet-là.

M. Olivier Henrard. La vérification est essentielle, d’autant plus que l’accès à nos aides en dépend. Concernant la formation des mandataires sociaux des entreprises, le cahier des charges a été entièrement rédigé par le CNC. Nous n’avons pas laissé les organismes de formation dans le flou, et nous maîtrisons totalement le financement, ce qui nous permet de contrôler étroitement le contenu. La formation se déroule en deux étapes. D’abord, une session en présentiel obligatoire, soit au CNC, soit lors de formations déconcentrées dans les grands pôles régionaux de l’industrie. Nous avons dispensé ces formations dans chacun de ces pôles. Les feuilles de présence sont exigées, ce qui facilite la vérification de la participation. Ensuite, une session en distanciel se termine par un questionnaire validant les connaissances acquises. Sur la base de ce questionnaire, nous délivrons un certificat que le mandataire social doit fournir au CNC lors de la demande d’aide. Il n’est donc pas possible de déposer une demande d’aide sans ce certificat. Cette formation est la plus ancienne et la plus éprouvée.

Pour la formation à venir, destinée à l’ensemble des équipes de tournage, elle se déroulera également en deux étapes. Tout d’abord, une partie de la formation se déroulera à distance, ce qui nécessitera un justificatif de suivi dématérialisé. Ensuite, une session en présentiel aura lieu au début du tournage, avec une feuille d’émargement. Celle-ci sera sous la responsabilité de l’organisme de formation, qui est extérieur à l’entreprise. Les justificatifs de suivi de la formation devront être fournis au CNC lors de la délivrance de l’agrément de la production par le producteur. Par ailleurs, une clause de modification des contenus de la formation est prévue. Cet engagement a été pris par les partenaires sociaux afin de pouvoir ajuster, si nécessaire, le contenu des enseignements et les modalités. Cela permet de s’assurer qu’ils sont parfaitement adaptés au phénomène qu’il s’agit de prévenir et de réprimer.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Et en cas de non-respect par une seule personne, qu’advient-il des aides ?

M. Olivier Henrard. Le producteur est le bénéficiaire des aides, il est donc logique qu’il assume la responsabilité de ce qui se passe dans son exploitation. Il a une obligation globale, que ce soit pour une personne ou dix personnes, de respecter cette obligation de suivi. C’est la responsabilité du producteur, en tant que chef d’entreprise. Les chefs d’entreprise sont habitués à gérer diverses obligations, notamment en matière de respect du droit du travail et de santé au travail. Cela n’a rien d’exorbitant par rapport à ce que l’on attend normalement d’eux.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Pour revenir sur le périmètre de notre commission d’enquête, et notamment sur les violences sur les tournages, je souhaiterais savoir si vous avez établi un protocole à destination des professionnels du cinéma. Êtes-vous informé des sollicitations et des signalements concernant les violences rapportées, notamment sur la plateforme Audiens ? Dans ce cas, quelles mesures prenez-vous ?

Je mentionne cela car, la semaine dernière, nous avons auditionné l’actrice Noémie Kocher. En 2005, suite à son dépôt de plainte, elle a obtenu la condamnation de Jean-Claude Brisseau. À cette époque, parallèlement à son dépôt de plainte, elle avait également informé et le CNC et le ministère du travail des faits de harcèlement sexuel. Elle a conservé des copies de ces courriers, qu’elle met à disposition de cette commission d’enquête, et elle nous a indiqué n’avoir jamais reçu de réponse du CNC.

Je souhaite comprendre ce qui se passe lorsque des victimes, ayant eu le courage de dénoncer des violences et obtenu la condamnation de leurs agresseurs, signalent des faits. Est-il habituel de ne pas apporter de réponse, ou cela a-t-il changé ? Jean-Claude Brisseau est décédé en 2019, mais entre 2005, date de sa condamnation, et 2019, il a continué à réaliser des films, dont Les Anges exterminateurs, qui fait allusion à cette condamnation. Le CNC a-t-il financé ce film ? Les films réalisés par Brisseau entre 2005 et 2019 ont-ils été financés par le CNC ? Quelle est votre politique de financement concernant les réalisateurs condamnés ?

M. Olivier Henrard. Nous allons d’abord aborder la question du protocole. Au CNC, nous n’avons pas élaboré de protocole spécifique. Cependant, un protocole a été défini en collaboration avec les partenaires sociaux, les associations et le CNC, et nous pouvons vous en informer. Vous connaissez le protocole utilisé par les professionnels.

En ce qui concerne le CNC, lorsque nous prenons connaissance d’une information de ce type, nous procédons de trois manières. Premièrement, nous transmettons l’information à la cellule d’écoute opérée par Audiens, au cas où la personne concernée n’aurait pas elle-même entrepris cette démarche. La cellule d’écoute offre un conseil sur les plans médical, psychologique, juridique, etc. Deuxièmement, nous effectuons un signalement au Comité central d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CCHSCT) de la production cinématographique, qui se charge de la santé au travail. Troisièmement, dès lors que les faits sont susceptibles de revêtir une qualification pénale, nous signalons systématiquement ces faits au procureur de la République. Nous agissons ainsi de manière régulière.

M. le président Erwan Balanant. Je me permets de relancer. Aujourd’hui, quand il y a un signalement qui est fait sur la plateforme Audiens, vous en avez connaissance ? Non, pas du tout. Donc, vous ne pouvez pas, à ce moment-là, faire un signalement au procureur de la République.

M. Olivier Henrard. Nous traitons les signalements quand ils nous sont signalés.

M. le président Erwan Balanant. Ne pourrait-on pas envisager que les signalements vous soient directement remontés ? Je suis conscient des problèmes juridiques, notamment la présomption d’innocence, qu’il faudra sans doute clarifier. Cependant, il existe peut-être une solution plus simple, étant donné que vous êtes une autorité constituée. Ainsi, la possibilité de recourir à l’article 40 du code de procédure pénale pourrait être explorée. Nous avons observé, dans de nombreuses situations rencontrées jusqu’à présent, que certaines personnes détiennent des informations mais ne savent pas à qui les transmettre, de peur de perdre leur emploi, voire leur carrière. En effet, dans certains milieux, les répercussions sur la réputation peuvent compromettre toute capacité de travail future. Cette dimension mérite une attention particulière. N’oublions pas l’importance de la réponse à apporter.

M. Olivier Henrard. La CNC est le bon destinataire à partir du moment où quelqu’un veut procéder à un signalement.

Mme Leslie Thomas. Ce qui est complexe, c’est que les signalements adressés à la cellule d’Audiens sont anonymes, qu’ils proviennent de témoins ou de victimes. Cela rend difficile la transmission de ces informations au CNC. L’anonymat entraîne également une multitude de signalements. Nous intervenons, comme l’a mentionné Olivier Henrard, dès lors que nous sommes saisis directement par une présumée victime ou un présumé témoin.

M. Olivier Henrard. En réalité, nous sommes saisis assez rarement. Il nous arrive de saisir le CCHSCT, le procureur de la République ou la cellule d’écoute, mais le nombre de cas est relativement limité. Peu de personnes brisent l’anonymat pour se manifester auprès du CNC et déclarer avoir subi des préjudices, ce qui nous permettrait d’engager une procédure. Lorsque nous sommes saisis, nous agissons. Sinon, nous n’avons pas les moyens d’inspection nécessaires pour intervenir. Nous recevons une multitude de courriels anonymes, de pétitions diverses, surtout dans les semaines précédant les Césars ou le Festival de Cannes, où nous sommes submergés par des dénonciations anonymes. Concernant le cas de Jean-Claude Brisseau, les faits remontent à vingt ans. Nous ne sommes pas en mesure de répondre précisément aux circonstances exactes de cette affaire.

Pour répondre à votre question, les films de Jean-Claude Brisseau ont bénéficié d’un soutien automatique du CNC. Le CNC propose deux types de soutien au cinéma un soutien automatique, qui ne nécessite pas d’appréciation sur la qualité du projet, mais requiert l’agrément du producteur, et un soutien sélectif. Concrètement, aujourd’hui, si Jean-Claude Brisseau obtient un soutien automatique pour son film, celui-ci n’est jamais passé devant les commissions du CNC. Il lui suffit de satisfaire certains critères mathématiques pour obtenir cette aide. Si, par la suite, il est révélé que le producteur a méconnu ses obligations en matière de prévention des risques psychosociaux en laissant le réalisateur agir de manière inappropriée, le producteur se verrait privé des aides du CNC.

Il y a dix-huit mois, le CNC a retiré la somme de 330 000 euros à un film de grande qualité parce que le dossier soumis à la commission des enfants du spectacle était incomplet. Ce dossier ne comportait notamment pas une scène sensible. Le producteur a manqué à ses obligations en matière de droit du travail, ce qui a conduit le CNC à retirer ce soutien financier. C’est ainsi que nous procédons aujourd’hui.

En 2001, cela n’a pas été fait. Après avoir lu la presse, nous avons entrepris des recherches dans les archives du CNC, mais nous n’avons pas retrouvé le courrier de Mme Kocher. Nous l’avons cherché, mais en vain. En 2001, il s’agissait d’une lettre papier, non d’un mail. À cette époque, il existait déjà quelques boîtes mail, mais j’imagine qu’elle a rédigé un véritable courrier. Nous n’en avons pas retrouvé trace à trois reprises.

M. le président Erwan Balanant. Sur la procédure, pour que vous répondiez complètement à la question de Mme la rapporteure, vous avez dit tout à l’heure que vous retirez l’aide quand il y avait une condamnation pénale.

M. Olivier Henrard. C’est l’amendement à la proposition de loi sénatoriale.

M. le président Erwan Balanant. La proposition de loi n’a pas encore été votée. Elle est dans la navette parlementaire. Je tiens à souligner que jusqu’à présent, lorsqu’une condamnation pénale était prononcée, cela n’entraînait aucune suspension des aides. Ces aides continuaient d’être versées.

M. Olivier Henrard. Une condamnation pénale, pour quelque raison que ce soit, ne constitue pas en soi une base légale permettant de refuser ou de retirer des aides. Cela est encore plus vrai lorsque la condamnation concerne une personne autre que le producteur. En réalité, pour que la condamnation pénale soit pertinente, il faut qu’elle concerne le réalisateur. Ce fait nous permet de reconnaître, a posteriori, que le producteur, bénéficiaire de l’aide, n’a pas respecté ses obligations en matière de prévention des violences sexistes et sexuelles.

M. le président Erwan Balanant. N’ayant pas répondu à ses obligations, cela pourrait suffire pour lui supprimer des aides ou pour récupérer même des aides a posteriori qui auraient été versées.

M. Olivier Henrard. Les aides accordées au film durant lequel les faits ont été commis doivent être examinées au cas par cas. Une condamnation pénale pour des faits survenus pendant le tournage du film X révèle que le producteur n’a pas respecté son obligation de moyens pour prévenir et faire cesser les VSS. Par conséquent, les aides attribuées à la production peuvent être retirées. Mais cela a-t-il déjà été fait ? Je vous ai donné un exemple, il n’y avait même pas eu de violence en réalité. Il y a eu une obligation pour le producteur de requérir une autorisation préfectorale pour faire travailler un mineur de seize ans. Cette autorisation n’a pas été demandée, et ce manquement nous a été signalé. Nous ne sommes pas l’inspection du travail, mais dès que nous avons eu connaissance de ce fait, nous avons retiré 330 000 euros de soutien. Cela nous a été ouvertement reproché à l’époque.

M. le président Erwan Balanant. Et là, il n’y a même pas eu de condamnation pénale ?

M. Olivier Henrard. Même pas. Par ailleurs, il pourrait y avoir des implications pénales, mais je n’ai même pas besoin qu’il y ait une condamnation pénale pour agir.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. On ne remet pas en doute le fait que Mme Kocher vous a envoyé ce courrier, mais si je comprends bien, aujourd’hui, une victime qui ferait condamner et qui vous enverrait un courrier mériterait en tout cas un retour du CNC.

M. Olivier Henrard. Elle mériterait plus qu’un retour du CNC. Nous devrions examiner les faits dénoncés. En général, quelqu’un viendrait pallier l’absence du CNC sur le terrain. Ainsi, la victime nous transmettrait des informations. Bien que nous ne disposions pas des moyens d’enquête de la police ou de la justice, cela permettrait de déclencher un processus. Nous tenterions alors de rassembler des éléments et demanderions au producteur de s’expliquer. L’objectif serait de comprendre si le producteur méconnaît son obligation de prévenir et de mettre fin aux VSS.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Est-ce que vous pouvez nous expliquer cette différence entre les aides qui sont conditionnées et les aides automatiques ?

M. Olivier Henrard. Toutes les aides attribuées par le CNC, quelle que soit leur nature, sont conditionnées au respect d’un ensemble d’obligations générales. Notamment, l’entreprise bénéficiaire doit se conformer à toutes ses obligations en matière de droits sociaux et du travail. Ainsi, une entreprise qui ne paie pas ses salariés, qui ne s’acquitte pas de ses cotisations sociales ou qui manque à son obligation de prévenir ou de mettre fin aux VSS viole une obligation essentielle. La violation de cette obligation peut entraîner la privation des aides du CNC. Cela concerne toutes les aides, qu’il s’agisse d’un exploitant de salle de cinéma, d’un producteur ou d’un distributeur. Le non-respect du droit du travail et du droit social dans leur intégralité peut les priver des aides du CNC. C’est une première base légale. Ensuite, nous attribuons des aides automatiques. Ce que je viens de dire s’applique à toutes ces aides automatiques.

Par ailleurs, nous octroyons également des aides sélectives, fondées sur la qualité du projet soumis. Cela peut concerner la qualité artistique d’un film ou la qualité d’un projet d’investissement, par exemple lorsqu’il s’agit de la rénovation d’une salle de cinéma. En effet, notre intervention ne se limite pas à la production. Lors de l’attribution de ces aides sélectives, nous procédons à un examen beaucoup plus approfondi que pour les aides automatiques, ce qui nous permet de réaliser des vérifications supplémentaires.

M. le président Erwan Balanant. Je sais que nos députés qui sont dans la salle connaissent ces processus, mais je pense que d’expliquer le mécanisme des aides automatiques serait tout de même bien, parce que c’est quelque chose qui est assez particulier.

M. Vincent Villette, adjoint au directeur général délégué du CNC. Le principe des aides automatiques repose sur le fait que dès lors que le bénéficiaire satisfait aux conditions définies par les textes, il est assuré de recevoir ces aides. Cela contraste avec le système sélectif, comme l’a expliqué Olivier Henrard, où une commission évalue la demande du bénéficiaire avant de décider de l’octroi de l’aide. C’est la première spécificité des aides automatiques.

La deuxième spécificité réside dans l’objectif initial de ce soutien, inciter le bénéficiaire à réinvestir l’argent dans le secteur concerné. Par exemple, un producteur de films qui reçoit une aide automatique peut investir cet argent dans la production de son film. Par la suite, lorsque le film est exploité en salle, des fonds sont crédités sur son compte au CNC. Ces fonds peuvent ensuite être réinvestis dans la production d’un autre film. Ainsi, plus un film rencontre de succès, plus le producteur accumule de crédits sur son compte au CNC, qu’il pourra utiliser pour ses projets futurs. Le mécanisme de soutien automatique se base donc sur les succès passés pour financer les productions à venir.

M. le président Erwan Balanant. En appréciant les aides automatiques du CNC, je reconnais leur vertu, comme vous l’avez souligné. Cependant, elles présentent également des inconvénients, notamment en rendant difficile l’accès aux nouveaux arrivants. En effet, pour un nouveau producteur, il est complexe de monter son premier film, car il ne bénéficie pas, par définition, de cette aide automatique.

M. Vincent Villette. Les coproductions jouent un rôle essentiel en permettant à des producteurs expérimentés de guider les nouveaux arrivants. À cet égard, les soutiens sélectifs sont particulièrement importants car ils accompagnent ces nouveaux producteurs. En termes de répartition, environ 60 % des soutiens sont automatiques et 40 % sont sélectifs. Cet équilibre judicieux favorise le renouvellement de la création et permet chaque année l’agrément de nombreux premiers films.

M. le président Erwan Balanant. Pourriez-vous rappeler le volume financier des aides délivrées par le CNC et le mécanisme de collecte de ces aides, d’où vient l’argent de ces aides.

M. Olivier Henrard. Il est essentiel de rappeler que 100 % du budget du CNC, y compris son propre fonctionnement, provient de taxes prélevées sur les diffuseurs du secteur. En d’autres termes, aucun euro de l’impôt sur les sociétés ou de la TVA ne finance le cinéma ou l’audiovisuel via le CNC. En réalité, bien que le cinéma et l’audiovisuel soient financés par des fonds publics, ces fonds résultent d’une surfiscalité acquittée par les entreprises de diffusion du secteur, en plus de la fiscalité générale. Cela explique que nos contribuables, étant en partie les bénéficiaires de nos soutiens, soient doublement responsabilisés.

Concernant l’utilisation de ce volume de soutien, qui représente environ 700 millions d’euros, il se répartit de manière équilibrée entre l’audiovisuel et le cinéma. Plus précisément, 40 % sont alloués au cinéma, 40 % à l’audiovisuel et 20 % à des actions communes. Par exemple, la FÉMIS et les écoles concernent à la fois l’audiovisuel et le cinéma, justifiant ainsi leur inclusion dans cette dernière catégorie. Cet équilibre historique entre les montants alloués au cinéma et ceux alloués à l’audiovisuel perdure depuis une quinzaine d’années.

Pour le cinéma, les 300 millions d’euros hypothétiquement consacrés à son soutien se décomposent en plusieurs postes. Environ 100 millions d’euros sont destinés aux salles de cinéma, lesquelles sont directement contribuables du CNC, puisque la taxe prélevée sur leur billetterie représente entre 130 et 150 millions d’euros. En retour, les salles bénéficient d’environ 100 millions d’euros de soutien. Quant au soutien à la production, il s’élève à environ 130 millions d’euros. Les 70 autres millions, c’est essentiellement du soutien à la distribution.

M. le président Erwan Balanant. Les actions de promotion et d’export que vous faites aussi ?

M. Olivier Henrard. Nous avons unifié les deux opérateurs que nous soutenions pour faciliter l’exportation de nos œuvres. Auparavant, TVFI s’occupait de l’audiovisuel et Unifrance du cinéma. Désormais, un seul opérateur reçoit annuellement un soutien d’environ 12 millions d’euros pour exporter à la fois l’audiovisuel et le cinéma. Nous avons également des initiatives pour l’exportation, les écoles et les actions de diffusion, notamment à travers les festivals.

M. le président Erwan Balanant. Vous avez exposé une série de mesures, dont certaines sont déjà en vigueur depuis un certain temps, tandis que d’autres seront bientôt déployées. J’aimerais connaître votre avis et votre politique future concernant les éventuels bonus liés au respect de la parité, notamment dans le domaine des tournages.

Actuellement, le nombre de réalisatrices reste nettement inférieur à celui des réalisateurs. La profession de réalisateur demeure majoritairement masculine. À titre d’exemple, seules trois femmes ont reçu une Palme d’or dans l’histoire du cinéma. Bien que les Palmes d’or ne relèvent pas de votre compétence, ce chiffre est révélateur. Malgré les efforts du Festival de Cannes, le déséquilibre entre les films réalisés par des hommes et ceux réalisés par des femmes persiste de manière significative.

L’un des leviers pour équilibrer cette situation pourrait consister à instaurer des bonus ou des conditions en lien avec le respect de la parité. Quelle est votre opinion sur cette proposition ? Il est évident que la prédominance masculine dans ce milieu ne favorise pas la diminution des violences sexistes et sexuelles.

M. Olivier Henrard. Il est essentiel de considérer cette question connexe pour équilibrer la réponse à celle qui nous occupe aujourd’hui. Partons des Palmes d’or, mais n’oublions pas les Lions d’or et les Ours d’or. En examinant les palmarès des trois grands festivals internationaux ces dernières années, on constate une forte représentation des femmes, notamment des Françaises. Justine Triet et Julia Ducournau ont remporté des palmes d’or, tandis qu’Audrey Diwan a décroché un Lion d’or à Venise. Leur présence dans les palmarès récents est très significative. Si l’on remonte au Festival de Cannes de 1947, cette proportion était encore réduite. Cependant, en se concentrant sur les palmarès des années récentes, la présence des femmes est tout à fait notable et même plus que notable. Pour approfondir, examinons les jurys sous toutes leurs formes.

Nous soutenons 159 festivals, et tous les prix qu’ils attribuent le sont par des jurys paritaires. Nos aides sélectives, évoquées précédemment, sont également attribuées par des commissions paritaires. En effet, toutes les commissions du CNC sont paritaires, et cela s’étend également aux présidences. En réalité, nous avons même 51 % de femmes et 49 % d’hommes parmi les présidents de commission. Nous comptons soixante-cinq commissions, toutes paritaires, avec une légère majorité de femmes présidentes.

Concernant les bonus au stade de la production, vous en avez sans doute entendu parler, car cette mesure a été largement médiatisée. En 2019, le CNC a instauré le bonus parité dans le domaine du cinéma. Concrètement, cela signifie que nous accordons un supplément de 15 % de soutien aux films dont l’équipe des chefs de poste est paritaire. Le succès de cette mesure se manifeste par le fait que, désormais, 40 % de la production annuelle de films de cinéma en 2023 est éligible à ce bonus, c’est-à-dire que 40 % des films remplissent ces conditions de parité au sein de leurs équipes.

M. le président Erwan Balanant. Les chefs de poste sont au nombre de huit, et il est impératif de garantir la parité parmi eux. J’admets que je vais un peu caricaturer pour illustrer mon propos. Par exemple, la chef costumière est souvent une femme. Ce constat n’est peut-être pas idéal, mais c’est ainsi. De même, la chef monteuse est fréquemment une femme également. Cela nous fait déjà deux postes féminins, il en reste donc six. Je reconnais que je force un peu le trait volontairement.

Mme Leslie Thomas. La mesure bonus parité visait à accroître la visibilité des femmes dans les postes à responsabilité. Cette initiative était essentielle, car nous constations une absence quasi totale de femmes dans les postes d’encadrement. En plus des huit postes que vous mentionnez, nous avons étendu le dispositif à la composition musicale, l’année dernière. Nous avons également élargi son application à la post-production et à l’animation. Cette mesure n’est pas figée ; elle évolue progressivement et permet de mettre en lumière les femmes occupant des postes de responsabilité.

M. Olivier Henrard. Les deux dernières Palmes d’or françaises ainsi que le dernier Lion d’or attribué à un Français ont été remportés par des femmes. Le dernier Ours d’or a été décerné à un homme, un documentariste. Si je ne m’abuse, le film Titane bénéficiait du bonus parité. De même, Anatomie d’une chute était éligible à ce bonus, bien que la réalisatrice n’ait pas fait la demande. En tout cas, ce film était parfaitement éligible. Le Lion d’or attribué à Audrey Diwan pour L’Événement relevait également du bonus parité. Pour nous, cela marque une deuxième preuve de succès. Non seulement 40 % de la production était éligible, mais il ne s’agissait pas de films de niche. C’est là un point essentiel, ces films, bénéficiant du bonus, ont connu une réussite artistique et économique extraordinaire.

Permettez-moi de partager quelques chiffres sans vouloir vous submerger. En 2022, année pour laquelle nous avons les données complètes, 33 % des films réalisés étaient l’œuvre de femmes, contre 27 % en 2020. C’est le plus haut niveau jamais atteint. Pour les longs-métrages de fiction, ce pourcentage s’élève à 34 % en 2022, contre 27 % en 2021. Il est également important de souligner notre engagement à intervenir tant au stade de la production qu’à celui de la réception des œuvres. L’éducation à l’image, vous le savez, est orchestrée par le CNC, qui élabore des catalogues de films mis à la disposition des coordinations locales d’éducation à l’image. Le programme « Ma classe au cinéma » touche chaque année 5 % des étudiants, lycéens, collégiens et écoliers de notre pays.

En 2023, plus de la moitié des films intégrés dans notre catalogue, soit 54 %, ont été réalisés par des femmes. Ce catalogue puise dans l’ensemble de l’histoire du cinéma depuis ses débuts. Si l’on considère la totalité du catalogue, les films réalisés par des femmes représentent aujourd’hui entre 21 et 22 % du total. Cependant, le flux des nouveaux films intégrés montre que plus de la moitié sont des œuvres de réalisatrices. En ce qui concerne la valorisation et la conservation des films appartenant à l’histoire du cinéma et réalisés par des femmes, nous en sommes actuellement à 105 films que le CNC a aidé à numériser pour leur préservation. Ce chiffre inclut deux films supplémentaires en 2023. Ces opérations sont longues et coûteuses, mais nous veillons à ce que les films réalisés par des femmes reçoivent toute la reconnaissance légitime. Par « réalisés », j’entends aussi bien au sens artistique qu’au sens technique.

Mme Constance Le Grip (RE). Je souhaite tout d’abord reconnaître l’engagement du CNC et la mise en œuvre de mesures concrètes qui se déploient progressivement. La comparaison européenne que vous avez évoquée, M. Henrard, bien qu’inquiétante, renforce l’idée que le CNC, plus que d’autres organismes européens, a pleinement saisi l’importance de cet enjeu. Il a non seulement pris conscience de cette problématique, mais il a également mobilisé tous les moyens nécessaires pour prévenir, lutter, sanctionner et supprimer les aides lorsque cela est nécessaire. Ces actions s’inscrivent dans le cadre des différents plans mis en place. Je rappelle que c’est Franck Riester, alors ministre de la Culture, qui a présenté le premier plan de mesures dès le début de l’année 2020, mettant ainsi cet enjeu en lumière.

J’ai deux questions. La première concerne la deuxième étape, qui entrera en vigueur à compter du 1er septembre 2024. Cette phase inclut la formation élargie à l’ensemble des équipes de tournage, y compris les comédiens et comédiennes. Cette mesure concernera un nombre considérable de personnes. Je souhaite obtenir une précision : cette formation inclura-t-elle également les figurants et figurantes, toutes catégories confondues ? Je vous remercie par avance pour cette clarification.

Mme Leslie Thomas. Les figurants, non. Le marché public publié par l’AFDAS porte sur la production de 600 films sur la durée du contrat. Cette opération sera massive et progressive. Nous formerons l’ensemble des salariés, y compris les réalisateurs, les producteurs, les techniciens et les chefs de poste. Cependant, les figurants ne sont pas inclus dans ce volume, qui est déjà extrêmement conséquent.

Mme Constance Le Grip (RE). Je me doute. Cela fait une transition toute trouvée pour ma deuxième question, qui découle de notre discussion précédente. J’ai consulté le site du CNC, ce qui peut être pertinent. Pour ceux qui nous écoutent et nous regardent, voici les chiffres concernant la mise en œuvre de la première séquence de formation, lourde et conséquente, depuis le 1er janvier 2021. Officiellement, cela a concerné 5 000 producteurs audiovisuels, de cinéma, de jeux vidéo, ainsi que 1 200 exploitants de salle. C’est déjà considérable. Je voulais savoir, compte tenu de l’entrée en vigueur progressive de cette première phase dont vous avez parlé, si vous avez une idée du volume d’heures, que ce soit en présentiel ou en distanciel, concernées par la deuxième tranche. Cette phase, bien que l’expression ne soit pas très heureuse, sera assez massive. Est-ce que tout le monde est prêt, que ce soit l’association mandatée pour la formation ou les écoles qui devront intégrer cela dans leurs programmes et dans les heures disponibles dans la journée ?

Mme Leslie Thomas. Depuis 2020, la formation des mandataires sociaux se compose de trois heures et demie en présentiel, complétées par une session en distanciel. Cette dernière inclut un questionnaire permettant de valider les connaissances acquises, aboutissant à la délivrance d’un certificat transmis au CNC. Ce dernier est indispensable pour recevoir et attribuer des aides. Nous finançons et assumons ce marché, géré en partie par l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Le premier volet de cette formation est déjà en place. Concernant le second volet, l’AFDAS a publié son marché, et la notification d’attribution est imminente, probablement la semaine prochaine. Ce second volet représente un budget de 1 million d’euros sur trois ans, avec un objectif de 600 films concernés. L’organisme de formation sélectionné devra assurer les formations sur l’ensemble du territoire. La première partie se déroulera en distanciel, et la seconde en présentiel, au début du tournage. Cette condition est essentielle pour répondre à ce marché de formation. Vous m’interrogez sur la durée de la formation. La partie en distanciel dure deux heures et demie, tout comme la partie en présentiel. Ces durées respectent les critères de formation définis par l’AFDAS, l’Opco de la filière. Il ne s’agit pas d’une simple sensibilisation, mais d’une véritable formation validée par un certificat.

M. le président Erwan Balanant. Pour préciser, on parle beaucoup des films, ça concerne aussi la production des séries et l’audiovisuel que vous gérez ?

Mme Leslie Thomas. Sur le premier volet de la formation des mandataires sociaux, cela concerne les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, de l’animation et du jeu vidéo. Pour le deuxième volet, à ce stade, seul le cinéma est concerné. Nous avons entamé des discussions avec les partenaires sociaux de l’audiovisuel et nous examinerons les modalités d’élargissement de cette formation. Pour l’instant, nous nous concentrons sur le volet cinéma.

M. Olivier Henrard. Je précise que les partenaires sociaux de l’audiovisuel sont très impliqués en réalité. Ils sont totalement en demande. Cependant, comme il s’agit d’une opération d’une ampleur assez exceptionnelle dans le cadre de l’audiovisuel, nous ne sommes plus du tout dans les mêmes ordres de grandeur en termes de volume de production. Nous souhaitons que les choses se déroulent dans le bon ordre afin de ne pas manquer cette étape essentielle.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je suis heureuse de constater que vous affirmez, au sein de cette commission d’enquête, que le CNC n’hésite pas à prendre des sanctions. Il est essentiel que chacun puisse s’exprimer librement dans ce métier et que le code du travail soit respecté en tous points. Cependant, le CNC doit également faire preuve d’exemplarité. Lorsqu’il impose des règles strictes sur les tournages et conditionne les aides, il doit veiller à ce que son image soit irréprochable et transparente. Je suis surprise de ne pas voir votre président à vos côtés aujourd’hui. Cela relève du périmètre de cette commission d’enquête, car, en présence de faits sous procédure judiciaire, nous ne pouvons interroger les personnes auditionnées. De même, nous ne pouvons aborder des faits en dehors du périmètre de cette commission.

Pour préparer nos auditions, nous consultons de nombreux articles et nous nous informons afin de disposer de tous les éléments nécessaires pour des auditions complètes et éclairantes. Ces auditions doivent mettre en lumière des faits que nous ne souhaitons plus voir dans la profession et nous permettre de formuler des propositions à l’issue de ces six mois de travail. J’ai lu un article de Libération, daté du 10 mai dernier, qui évoque des comportements ou des apparitions publiques gênantes de votre président, Dominique Boutonnat. L’article mentionne un tempérament festif ou problématiquement festif. Je ne rentrerai pas dans les détails, effectivement embarrassants et accessibles à tous. Je souhaite savoir si vous avez été témoin de ces comportements. Je vous rappelle que vous avez prêté serment au début de cette audition.

M. Olivier Henrard. Je me souviens parfaitement de ce serment et je peux vous répondre que pour ma part, je n’ai jamais été témoin d’un comportement de mon président de nature à me mettre mal à l’aise ou à mettre en difficulté l’institution qu’il représente.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Et c’est le cas aussi des personnes qui vous accompagnent ?

Mme Leslie Thomas. Exactement.

M. Vincent Villette. Oui.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Ma question s’inscrit dans la continuité de celle de Mme la rapporteure. Je tiens d’abord à saluer votre présence et à vous remercier pour votre exposé sur le travail du CNC, qui témoigne d’une prise de conscience de l’ampleur de la lutte à mener et des actions déjà mises en œuvre. Je regrette également l’absence de Dominique Boutonnat, maintenu dans ses fonctions par le président Macron, malgré les accusations de violences sexuelles portées contre lui par son filleul. De plus, des témoignages évoqués par Mme la rapporteure dans la presse signalent des comportements problématiques, y compris dans le milieu du cinéma. Une pétition, soutenue par le Collectif 50/50, l’Association d’acteur.ices féministe et antiraciste (ADA), l’ARDA, Divé+, les Femmes à la caméra, MeTooMedia, la CGT Spectacle et de nombreuses personnes individuellement, demande son retrait.

Je souhaite souligner que si l’on choisit de ne pas se retirer, il faut assumer ses responsabilités et se présenter devant une commission d’enquête pour rendre compte de ses actions, sans nécessairement aborder les aspects judiciaires, mais en discutant des actions menées et de leur perception au sein du CNC. Je suis néanmoins heureuse de pouvoir vous poser des questions sur plusieurs sujets.

Ma question porte sur les signalements internes. J’ai noté l’existence d’une cellule d’écoute, mais si je comprends bien, cette cellule étant entièrement anonymisée, elle ne peut pas aboutir à des signalements. C’est un point que je découvre. J’avais discuté avec la cellule d’écoute, mais je n’avais pas perçu cela. J’ai donc du mal à comprendre son fonctionnement. Il est évidemment très important d’avoir une partie écoute, mais comment fonctionne la partie signalement ? Qui a besoin d’une levée de l’anonymat pour mener des enquêtes ? Vous avez mentionné que nous ne disposons pas des moyens d’enquête des services de police et de justice, ce qui est évidemment vrai. Cependant, le code du travail dispose que les entreprises, ainsi que les organismes publics de protection des employés, ont des responsabilités qui peuvent nécessiter des enquêtes. Seriez-vous favorable à ce qu’en plus de la cellule d’écoute, un organisme indépendant soit mis en place, auquel le CNC et les entreprises pourraient recourir pour mener des enquêtes ? Nous savons que les affaires relevant de la justice doivent être traitées par celle-ci, mais il y a aussi des mesures de précaution à prendre lorsque des signalements sont reçus. Je comprends la question de l’anonymat, mais envisagez-vous de vous auto-saisir dans certains cas ?

Par exemple, lorsque des propos tels que : « vous allez voir beaucoup de porno, j’espère que vous aimez ça, la salle de projection est super confortable, vous verrez que je n’y vais jamais, mais quand vous y serez, je passerai vous voir du coup » apparaissent dans la presse, même de manière anonyme, quelles mesures prenez-vous pour aller au-delà de la rumeur et de l’anonymat afin de mener des enquêtes et identifier les victimes ? Si ces victimes restent anonymes, c’est souvent par crainte de représailles. Quelles actions mettez-vous en œuvre pour qu’elles puissent sortir de l’anonymat et que leurs signalements deviennent officiels ? Je suppose que vous tenez à ce que ces signalements aboutissent à des mesures concrètes.

M. Olivier Henrard. Permettez-moi de clarifier plusieurs points soulevés par Mme la députée. En premier lieu, concernant les faits rapportés par l’article mentionné, je tiens à rappeler que Dominique Boutonnat a publié un droit de réponse les contestant formellement. Ensuite, je comprends que ma présence aujourd’hui pour représenter le CNC puisse susciter des interrogations. Cependant, il ne faut pas interpréter la composition de cette délégation comme une esquive de la part du président. Depuis plusieurs années, la répartition des tâches entre le président et moi-même fait que j’assiste systématiquement à ce type d’auditions, qu’il s’agisse de commissions d’enquête, de commissions permanentes ou de groupes de travail formés par la représentation nationale. La configuration actuelle n’a donc rien d’exceptionnel et ne traduit en aucune manière une dérobade de Dominique Boutonnat.

Abordons maintenant la question de fond. Comment traiter les éléments anonymes portés à notre connaissance ? Il est vrai que les contacts avec la cellule d’Audiens se font sous couvert de l’anonymat. Néanmoins, cette cellule a précisément pour mission de fournir des conseils sur les plans médical, psychologique et juridique. Les personnes anonymes qui sollicitent la cellule d’Audiens se voient exposer toutes les possibilités à leur disposition pour faire cesser ou réprimer ce qu’elles dénoncent. À ce stade, il leur est expliqué le rôle du CNC, de la justice, de la police, de l’inspection du travail, etc. Ainsi, chaque personne est informée des démarches possibles et des institutions compétentes pour répondre à ses préoccupations. Nous sommes bien d’accord sur le fonctionnement.

Si ensuite, après avoir pris connaissance de toutes ces informations, la personne décide de ne pas franchir le pas, alors nous retombons dans le cas de figure que j’évoquais. Le CNC se charge en réalité de mobiliser l’ensemble des leviers disponibles au sein de l’État judiciaire, de l’administration du travail et en rapport direct avec ses compétences, notamment la mise en œuvre de procédures pour retirer les aides attribuées à un tournage ou à une entreprise quelconque où le droit du travail, et en particulier l’obligation de prévention et de cessation des comportements sexistes et sexuels (VSS), n’est pas respecté.

C’est le point de départ de notre réflexion commune. Faut-il envisager dans le cinéma une autre entité, distincte de l’inspection du travail ou des services de police, pour mettre fin aux problèmes que nous abordons aujourd’hui ? Très honnêtement, je n’en suis pas convaincu. Notre conviction est que les axes de progression résident dans l’efficacité des actions du CNC concernant les aides et l’organisation du dialogue au sein de la filière, ainsi que dans les interventions de la police et de l’inspection du travail, chacun dans son domaine de compétence.

Ce qui remonte de la filière, c’est que l’approche de l’inspection du travail concernant le déroulement des tournages n’est pas satisfaisante. En effet, un tournage est une entreprise foraine et temporaire, ce qui le rend très particulier. Les processus et les services de l’inspection du travail éprouvent des difficultés à appréhender certaines spécificités. Plutôt que de concevoir une entité hybride entre la justice, l’inspection du travail et le CNC, il serait plus pertinent de doter les entités existantes de moyens spécifiques et de compétences diversifiées. Il est préférable que les organismes disposant déjà d’une base solide de compétences soient formés aux particularités du métier du cinéma. En réalité, c’est cette demande qui émane du secteur, et c’est également la réflexion que j’aurais tendance à suivre. L’inspection du travail n’est pas à l’aise avec les modes de fonctionnement des tournages. Cette observation s’applique également aux services de police dans le traitement des violences sexistes et sexuelles.

Le secteur du cinéma et de l’audiovisuel présente des particularités dues à la conjonction de nombreux facteurs. Les professionnels travaillent souvent de manière temporaire, loin de chez eux, et doivent parfois passer la nuit sur place. Ils évoluent dans un environnement où la frontière entre les moments de travail et les moments festifs est souvent floue. De plus, ce secteur dépend largement de la cooptation, en l’absence de cursus validés par des diplômes, rendant la réputation essentielle pour travailler. Cette multitude de particularités crée un risque spécifique dans notre domaine. Il est donc préférable que l’inspection du travail et les services de police soient formés pour appréhender ces spécificités, plutôt que de créer une entité administrative hybride entre le CNC, la police et l’inspection du travail.

M. le président Erwan Balanant. Vous avez présenté un tableau détaillé du travail accompli en matière de formation et de prévention, soulignant son importance. Je me demande si le CNC dispose également, dans ses statuts, de la capacité d’organiser la filière pour certains métiers, en définissant des prérequis, des encadrements et des bonnes pratiques. Par exemple, depuis la directive Bolkestein, les agents n’ont plus besoin d’agrément ni de licence particulière. Aujourd’hui, pour devenir agents, réalisateurs, comédiens ou comédiennes, il suffit de le décider. Disposez-vous de leviers d’action, similaires au modèle anglo-saxon où l’organisation en guildes est très structurée ? Là-bas, le syndicat des chefs opérateurs, le syndicat des acteurs, et tout l’écosystème sont fortement régulés. Pouvez-vous, au-delà de la conditionnalité instaurer le respect de certaines règles, une régulation dans divers domaines tels que le casting, les métiers de la production, ou les conditions de tournage ? Est-ce juridiquement possible dans les statuts du CNC ?

M. Olivier Henrard. Juridiquement, il existe encore une profession réglementée, celle d’exploitant de salle de cinéma, et celle-ci est encadrée de manière exhaustive. On l’autorise à tous les stades, mais les autres professions intervenantes ne sont pas réglementées. A fortiori, les professions qui sont simplement des prestataires de services, comme les agents, les avocats ou les directeurs de casting, ne sont pas soumises à une réglementation stricte. Ces professionnels, embauchés par le producteur, l’auteur ou le comédien, assistent ces derniers dans leurs démarches.

Pour le reste, nous n’avons pas de prise directe sur l’organisation des professions, mais nous disposons d’une multitude d’autres outils. Le CNC joue un rôle central dans ce domaine. Le dialogue social, qui se déroule entre les syndicats de salariés et les syndicats d’employeurs, est un processus dans lequel nous intervenons comme facilitateurs. Il nous arrive même de nous créer un rôle de facilitateur de manière proactive. Un exemple pertinent concerne les relations entre producteurs et auteurs. En matière de rémunération, il n’existe pas de convention collective fixant des minima de rémunération. Le CNC a proposé au Parlement et au gouvernement, il y a trois ans, lors de la transposition de la directive sur le droit d’auteur, d’imaginer un cadre de négociation obligatoire entre les producteurs et les auteurs pour établir des minima de rémunération et encadrer les pratiques contractuelles.

Ces négociations ont connu un certain succès, en partie grâce au soutien du CNC. Lorsque le dernier n’abritait pas directement les discussions, il apportait son expertise et ses compétences intellectuelles pour garantir leur bon déroulement. Ce rôle illustre parfaitement ce que le CNC peut accomplir, malgré l’absence de pouvoir juridique direct. Un aspect fondamental de notre mission consiste à orienter ces travaux grâce à l’observation de la filière et à la publication des informations recueillies. Cette tâche est l’une de nos missions légales et revêt une importance capitale. Dans le domaine culturel, aucune autre entité ne réalise une observation et une publication statistique aussi approfondies que celles effectuées par le CNC. La filière cinématographique et audiovisuelle est la plus observée, mesurée et quantifiée de tout le secteur culturel, conformément à notre mission légale.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je souhaite revenir sur le rôle du responsable enfant, qui deviendra obligatoire à partir de cet été. Nous avons mené plusieurs auditions au cours desquelles nous avons abordé ce sujet. Nous avons également interrogé les coachs enfants. Cependant, cela reste encore assez flou à nos yeux. Peut-être pourriez-vous nous fournir des précisions, notamment concernant les attributions de ce responsable enfant. Par qui sera-t-il rémunéré ? En cas de signalement, quels seront ses pouvoirs ? Il me semble que la question de la formation demeure particulièrement floue. Si j’ai bien compris, l’obligation est d’être une personne qualifiée, justifiant d’un diplôme ou d’une expérience significative. C’est un peu le cas des coachs enfants, dont les formations varient, et qui ne sont d’ailleurs pas souvent des formations françaises, notamment pour les coordinateurs et coordinatrices d’intimité. Par ailleurs, quels seront le contrôle et l’évaluation de ces responsables enfants ?

Il semble qu’une formation française de coordination d’intimité soit en cours de mise en place. Il serait également pertinent qu’elle soit encadrée pour les responsables enfants, car ce rôle est très particulier et ne peut être exercé avec n’importe quel diplôme. Souvent, cela commence par une expérience dans le monde du cinéma, parfois avec des diplômes d’animation auprès des enfants. À notre sens, il sera nécessaire d’établir un socle commun pour ces rôles. Enfin, une fois que vous nous aurez précisé le périmètre et tous les éléments demandés, est-il envisagé d’accorder un bonus à ces figures lorsqu’elles seront présentes sur les plateaux de tournage ?

Est-ce que l’on vous demande également des bonus pour pouvoir rémunérer ces deux figures ? Jusqu’à présent, lorsque de telles demandes ont été formulées, quelle a été la réponse du CNC ? Il me semble que ces pratiques sont vertueuses et méritent d’être généralisées auprès des enfants. Personnellement, je pense que la responsabilité envers les enfants devrait s’étendre jusqu’à dix-huit ans, et non pas seulement jusqu’à seize ans. Je ne comprends pas pourquoi cette limite est fixée à seize ans. Quant au rôle de coach d’intimité, il est effectivement très important, tant pour les adultes que pour les enfants. L’intimité revêt un caractère assez large et ces figures doivent être de plus en plus présentes, notamment lors de scènes d’intimité et lorsque des enfants participent aux tournages.

M. Olivier Henrard. Je souhaite aborder un point technique préalable concernant l’âge minimum de travail, fixé à seize ans plutôt que dix-huit ans. Cette distinction découle de la structure même du droit du travail. Historiquement, il existe une interdiction générale de travailler avant seize ans. L’autorisation que nous évoquons ici est donc une dérogation à cette interdiction. C’est pourquoi nous sollicitons la commission des enfants du spectacle pour obtenir une autorisation préfectorale. Ainsi, la limite des seize ans a servi de fondement pour élaborer l’ensemble du dispositif. Le rôle de responsable enfant est désormais défini de manière très précise, tant dans la convention collective du cinéma que dans celle de l’audiovisuel.

Cela répond aux divers critères d’appréciation évoqués précédemment concernant la Commission des enfants du spectacle. Le responsable enfant assure la surveillance et l’encadrement des mineurs, veille à leur confort durant la préparation du film et le tournage, prépare les enfants à leur rôle, assure leur suivi scolaire et, en cas de difficulté, peut saisir l’inspection du travail, les syndicats, le préventeur santé et sécurité au travail, ainsi que le CCHSCT. Ce rôle englobe donc une protection complète des enfants sur les lieux de tournage. Le responsable enfant est embauché par le producteur et rémunéré au salaire conventionnel minimum, soit 1 047,37 euros pour 39 heures hebdomadaires. Il est naturel que cette rémunération incombe à la production.

Concernant les compétences et qualifications requises, il est essentiel de souligner que depuis le 1er juin, l’absence de responsable enfant constitue une infraction au droit du travail. Les avenants signés le 17 mai sont entrés en vigueur le 1er juin. En deux semaines, il n’a pas été possible de transformer l’ensemble du paysage social pour permettre aux producteurs de disposer immédiatement de personnes diplômées selon des cursus très contraignants.

C’est pour cette raison que la convention collective modifiée par l’avenant stipule que le responsable enfant doit justifier d’un diplôme ou d’une expérience significative, sans préciser le contenu exact de ces qualifications. Toutefois, il est impératif que ces compétences soient rapidement définies, non seulement en termes d’accompagnement des enfants, mais également en termes de connaissance du secteur du cinéma et de l’audiovisuel, ainsi que des modalités de fonctionnement des tournages. Nous avons besoin de quelqu’un qui possède ces deux types de qualifications.

Il est donc essentiel de progresser sur ce point et d’apporter les précisions nécessaires de manière rapide. Nous estimons que cela peut rester au niveau des partenaires sociaux. Comme ils l’ont fait pour la définition du contenu des missions, les partenaires sociaux doivent être en mesure de définir plus précisément la liste des qualifications, le type de certification ou les diplômes requis pour que le responsable enfant puisse être embauché en satisfaisant l’ensemble des obligations exigées.

En ce qui concerne la question de savoir s’il faut encourager par des bonus la mise en place du responsable enfant, la réponse est négative. En effet, cette mise en place est obligatoire. Par conséquent, en l’absence de responsable enfant, les aides seront retirées. Il s’agit d’un bonus inversé. Nous ne récompenserons pas le respect d’une obligation, mais nous sanctionnerons son non-respect.

Mme Leslie Thomas. Je souhaite ajouter un point complémentaire. L’intérêt d’avoir intégré ces avenants aux conventions collectives réside dans le fait que le poste devient désormais obligatoire. Grâce à un arrêté d’extension, les inspecteurs du travail pourront contrôler leur présence, ce qui n’était pas possible auparavant lorsque cette présence n’était qu’une faculté. En matière de contrôle, il est particulièrement pertinent d’avoir cet avenant qui rend obligatoire la présence d’un responsable enfant dès lors qu’un mineur de moins de seize ans est présent sur un tournage. Cela constitue un outil supplémentaire pour les contrôles.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Légalement, rien n’empêche de prolonger la présence du responsable des enfants entre seize et dix-huit ans. Deuxième question, que faire lorsqu’il y a plusieurs enfants sur un tournage ? Par exemple, un responsable des enfants doit toujours être présent auprès d’eux. Si, sur un tournage, il y a cinq ou six enfants, certains en train de tourner, d’autres dans les loges, et d’autres encore au maquillage, impose-t-on la présence de plusieurs responsables ? Exigez-vous, comme à l’éducation nationale, un taux d’encadrement spécifique, tel qu’un adulte pour un certain nombre d’enfants ? Cette question a-t-elle été prise en compte ? J’avais également posé une question concernant le coordinateur d’intimité. Des personnes ont-elles sollicité le CNC pour obtenir un bonus en vue de la coordination d’intimité sur les tournages ? Avez-vous reçu de telles demandes ? Si oui, combien de demandes ont été formulées ? Avez-vous accepté toutes les demandes de coordination d’intimité ou en avez-vous refusé certaines ? Si des refus ont été opposés, quelles en étaient les raisons spécifiques ?

Mme Leslie Thomas. Sur le premier point, il n’existe pas de définition précise d’un taux d’encadrement pour les enfants sur un tournage. Il est fréquent de se retrouver avec plusieurs enfants sur un plateau. Dans ces situations, les producteurs prennent la responsabilité de désigner plusieurs responsables pour les enfants présents. Je rappelle que le temps de travail d’un enfant peut varier d’une heure à plusieurs jours, selon le rôle. La présence des responsables enfants est donc adaptée au temps de travail de chacun, en cohérence avec l’organisation du tournage.

Concernant la coordination d’intimité, l’ADA nous a sollicités l’année dernière. Nous les avons rencontrés à plusieurs reprises. Ils ont proposé de conditionner les aides à la présence d’un coordonnateur d’intimité pour chaque scène d’intimité tournée. Nous avons collaboré avec les partenaires sociaux et mené une enquête via le CPNEF audiovisuel pour déterminer les besoins en France en matière de coordination d’intimité. Cette enquête a abouti, en décembre dernier, à la publication d’une fiche métier. Sur cette base, une proposition de formation est en cours d’élaboration, avec pour objectif de former des coordonnateurs d’intimité d’ici début 2025, comme l’a mentionné Olivier Henrard.

Dans le cadre des avenants à la convention collective, des clauses contractuelles pour les interprètes ont été préconisées, à l’instar des pratiques anglo-saxonnes. Cela permet d’établir un cadre contractuel entre l’employeur producteur et l’interprète pour les scènes d’intimité. Actuellement, nous ne conditionnons pas les aides à la présence d’un coordonnateur d’intimité, car ce travail est en cours de mise en œuvre par les partenaires sociaux.

M. Olivier Henrard. Pour conclure sur ce point, nous considérons qu’il incombe au producteur une obligation générale. En effet, il est de sa responsabilité professionnelle de prévenir et de faire cesser les VSS si elles surviennent. Le producteur dispose du choix des moyens à mettre en œuvre pour atteindre cet objectif. En cas de débat, nous examinerons concrètement si, dans chaque situation, le producteur a déployé tous les moyens nécessaires. Par exemple, sur un tournage comportant une scène d’intimité sur une période de trois mois, la présence d’un coordonnateur d’intimité pourrait être jugée suffisante. En revanche, pour un film comportant des scènes d’intimité de manière continue pendant trois mois, avec un coordonnateur présent une semaine sur deux, cela pourrait être jugé insuffisant. Cependant, il ne nous appartient pas de nous immiscer dans les détails opérationnels qui relèvent du producteur, sur lequel repose une obligation de moyens. Celui-ci doit choisir et mobiliser tous ceux nécessaires pour atteindre le résultat escompté. Si nous commençons à identifier chaque levier possible que le producteur peut actionner pour sécuriser son tournage, nous risquons de nous perdre dans des détails superflus.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Dans le prolongement de ce que vous avez évoqué concernant les coordinateurs d’intimité, une question récurrente lors des auditions concerne le coût global de la prise en compte de ces aspects. Que ce soit pour les coordinateurs d’intimité ou pour d’autres mesures, la question du bonus se pose. Je ne suis pas certain que le bonus soit la solution adéquate, mais de manière générale, comment le CNC peut-il soutenir cette prise en compte, sachant que les pratiques les plus vertueuses seront plus coûteuses en raison du temps supplémentaire requis en amont des tournages ?

Par ailleurs, j’avais une question sur le rôle de référent harcèlement. Ce qui nous revient souvent, c’est le flou entourant cette fonction, souvent cumulée avec d’autres responsabilités, ce qui ne garantit pas une indépendance vis-à-vis des potentiels auteurs de harcèlement. Cela rejoint ma question précédente sur les enquêtes internes. Je ne préconisais pas nécessairement la création d’un nouvel organisme, mais simplement le recours à des cabinets extérieurs par les entreprises pour mener des enquêtes. Cela permet de recueillir un certain nombre de témoignages, rendant un dossier plus substantiel, contrairement à une simple rumeur qui ne permet pas d’agir. Cela pose aussi la question des suspensions et des sanctions, qui ont également un coût. On nous a également parlé de clauses dans les assurances. Avez-vous envisagé de rendre plus coûteux pour un producteur le fait d’ignorer certains problèmes sur un tournage, plutôt que de les prendre en compte et de permettre des suspensions ?

Par ailleurs, vous avez mentionné les facteurs de risque spécifiques aux tournages et à l’événementiel autour du cinéma. Avez-vous engagé une réflexion sur la consommation de produits psychoactifs ? En matière de prévention, une réglementation devrait s’appliquer. Disposez-vous de signalements concernant le non-respect des règles en vigueur dans le monde du travail, notamment en ce qui concerne la consommation d’alcool ou d’autres substances ? Avez-vous également réfléchi à des mesures de prévention à ce sujet ? Je sais que le Collectif 50/50 travaille activement sur cette question. Cela fait déjà beaucoup de points. J’aurais souhaité aborder le sujet des jeux vidéo, mais je pense qu’une audition entière serait nécessaire pour traiter cette question en profondeur.

M. Olivier Henrard. La question du coût, il faut quand même la relativiser. J’évoquais tout à l’heure le coût horaire. Le budget moyen d’un film en France, c’est 4,5 millions d’euros. Le coordinateur d’intimité, c’est 1 000 euros la semaine.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Lorsqu’on intègre ces questions, le temps de préparation s’allonge et le travail avec les équipes devient plus complexe. Par exemple, pour les formations, il ne s’agit pas seulement du coût des formateurs, mais également du fait que deux heures de tournage seront consacrées à la formation. Il est essentiel de prendre en compte ce temps nécessaire pour éviter des situations regrettables.

M. Olivier Henrard. Notre objectif est de généraliser les pratiques vertueuses, qui sont désormais des pratiques légales. Toute pratique contraire est illégale, c’est binaire. Nous soutenons particulièrement les producteurs qui adoptent ces pratiques de leur propre initiative et avec plus d’engagement que d’autres. Cependant, mobiliser des soutiens financiers supplémentaires interroge parce que le coût nous semble raisonnable comparé au budget moyen d’un film en France. En moyenne, 25 % des financements proviennent de fonds publics.

Vous soulevez un point essentiel, celui de l’assurance des dommages en cas d’interruption de tournage. Ce sujet est crucial car les coûts ne sont pas comparables à ceux d’embaucher un coordinateur d’intimité à 1 000 euros par semaine. Concernant l’assurance, qui est effectivement centrale, ce n’était pas initialement de la compétence du CNC, mais nous avons œuvré pour réunir tous les acteurs concernés. Depuis le 1er janvier 2021, deux assureurs mutualistes, la MAIF et Aréas, ont mis en place une clause assurantielle gratuite couvrant les risques de violences sexistes et sexuelles sur les tournages. Cette clause permet de couvrir jusqu’à 500 000 euros de frais liés jusqu’à cinq jours de tournage. C’est une mesure substantielle. La seule obligation pour le producteur, afin de bénéficier de cette clause, est de signaler l’incident au procureur de la République. Pour bénéficier de cette couverture pouvant atteindre 500 000 euros, le producteur doit impérativement procéder à un signalement auprès du procureur.

J’ai entrepris un travail supplémentaire pour adapter cette clause, l’élargir et la rendre plus généreuse, tant en termes de montant que d’analyse, ainsi que pour l’adapter à la réalité des tournages. Actuellement, nous pouvons être confrontés à une situation où un tournage, suite à un incident comme celui évoqué, ne reprend pas du tout pour diverses raisons. Cela peut être dû à l’éclatement de l’équipe ou à la réputation du film, désormais si ternie qu’il n’a plus d’équilibre économique, poussant ainsi le producteur à arrêter le tournage. Pour couvrir un dommage de cette nature, il n’existe actuellement aucune couverture assurantielle. Nous nous efforçons donc de mobiliser les parties prenantes, les professionnels et les assureurs pour remédier à cette lacune. Cependant, cette couverture ne sera évidemment pas gratuite, les montants en jeu seront bien différents.

M. le président Erwan Balanant. Nous allons interroger les assureurs, car cela nous semble important. Il est envisageable que certains assureurs refusent de couvrir des productions qui ne respecteraient pas les prérequis établis par le CNC. Ce levier me paraît extrêmement significatif. Par exemple, l’assurance de 500 000 euros pour une interruption de tournage, si j’étais producteur, je mettrais en place, dans le cadre légal et assurantiel traditionnel, des obligations de respect du code du travail, ainsi que des règles de prévention des risques.

Ce qui est intéressant, et c’est un point soulevé par Anne-Cécile Mailfert de la Fondation des Femmes, c’est que les questions de violences sexistes et sexuelles relèvent de la gestion des risques. Elle a justement affirmé qu’on ne fait pas de prévention incendie en se contentant d’une charte. De la même manière, on ne peut pas se limiter à une charte pour la prévention des VSS. Il est nécessaire de mettre en place des outils complémentaires. Je pense qu’il est crucial de continuer à définir ces outils et d’aller plus loin, peut-être pas en imposant des obligations, mais en exigeant un engagement fort et volontaire de la part de la filière.

La réponse n’a pas été donnée concernant cette question importante des substances que vous appelez, chère collègue, psychoactives, et que nous allons résumer pour les auditeurs la question de la consommation de drogue et d’alcool.

M. Olivier Henrard. Actuellement, nous n’avons pas de chantier en cours au CNC sur ce sujet. Pour illustrer la diversité de nos interventions, nous avons pu contribuer, par exemple, à des groupes de travail sur la consommation de friandises dans les salles de cinéma. Nous nous préoccupons de la santé publique. Dans ce cas précis, le risque est bien plus élevé. Bien que nous ne soyons pas engagés pour le moment, nous suivons attentivement les travaux menés au sein de la profession, notamment à l’initiative du Collectif 50/50. En fin de compte, l’autorégulation demeure probablement la solution la plus adéquate et efficace.

M. le président Erwan Balanant. Il est important de noter que ce domaine est déjà couvert par le droit du travail.

Mme Leslie Thomas. Le sujet est abordé dans le cadre de la formation destinée aux producteurs et, demain, dans celle destinée aux équipes. Olivier Henrard en a parlé parmi les facteurs de risque, il y a cette porosité entre vie professionnelle et temps de détente. Nous savons très bien que, durant ces moments de détente, la consommation éventuelle d’alcool ou de drogue peut susciter divers comportements. Ces éléments sont déjà identifiés dans le cadre des sessions de sensibilisation des producteurs, qui sont obligatoires. Nous n’avons pas de chantier spécifique sur la consommation d’alcool et de drogue. Cependant, en alertant et en sensibilisant les professionnels au fait qu’ils sont également responsables de ces moments, en raison du lien de subordination hiérarchique, nous abordons ce sujet sans en faire un chantier spécifique.

M. le président Erwan Balanant. Je crois que nous avons approché de manière assez approfondie, bien que non exhaustive, les questions qui nous préoccupent. Ce que je vais vous demander maintenant, c’est de nous fournir des chiffres précis. Par exemple, nous souhaiterions connaître le nombre de tournages en France, et plus spécifiquement, le nombre de tournages impliquant des enfants. Pour cela, il serait utile de distinguer deux catégories, les enfants de moins de seize ans et ceux âgés de seize à dix-huit ans. Vous m’indiquez que vous ne disposez pas de ces données ?

Mme Leslie Thomas. Non, ce sont des informations que nous n’avons pas du tout.

M. le président Erwan Balanant. Comment pouvez-vous ne pas les avoir ?

M. Olivier Henrard. Puisqu’il n’existe de régime juridique d’encadrement que pour les mineurs de seize ans ? Entre seize et dix-huit, ce n’est pas une catégorie pertinente.

M. le président Erwan Balanant. Je constate que vous n’avez pas les données pour les âges de seize et dix-huit ans, mais que vous disposez des informations pour les moins de seize ans. Je pense que, pour cet avenant, en collaboration avec la rapporteure, et les députés participant à nos travaux, nous proposerons que l’âge soit fixé à dix-huit ans et non à seize ans. À seize ans, on reste très jeune et un accompagnement des jeunes mineurs est nécessaire. Nous ferons cette proposition, même si cela peut engendrer des complications supplémentaires. Toutefois, si la majorité dans notre pays est fixée à dix-huit ans, ce choix n’est pas anodin.

Concernant les chiffres, notamment ceux relatifs au nombre de films financés en France et la proportion de subventions publiques, vous avez mentionné que cela représente environ 25 %, nous souhaitons récupérer toutes les statistiques habituelles que vous possédez.

*

*     *

22.   Audition, ouverte à la presse, de syndicats du spectacle, du cinéma et de l’audiovisuel : M. Philippe Gautier, membre de la commission exécutive de la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l’audiovisuel et de l’action culturelle (FNSAC-CGT) et Mme Karine Huet, membre du collectif Femmes ; M. Christophe Pauly, secrétaire national en charge des médias pour la fédération communication, conseil, culture (F3C-CDFT) ; M. Frank Laffitte, trésorier de la fédération des arts, du spectacle, de l’audiovisuel et de la presse (FASAP-FO).

M. le président Erwan Balanant. Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Vous avez probablement déjà suivi une partie de nos travaux et savez que notre commission d’enquête vise à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l’audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons également à identifier les responsabilités de chacun et à proposer des solutions pour améliorer les conditions de travail et la situation des personnes dans ces secteurs. Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous présentiez chacun votre syndicat et les actions que vous menez dans le cadre de cette commission. Nous essaierons de garder cette première partie assez brève afin de réserver du temps pour les questions.

Je rappelle que les auditions se déroulent sous serment. Nous ne cherchons pas à obtenir des noms, car nous ne sommes ni enquêteurs de police, ni procureurs, ni un tribunal. Notre objectif est d’identifier les systèmes et leurs dysfonctionnements, ce qui est essentiel à rappeler. Cette audition est ouverte à la presse et diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Karine Huet, ainsi que MM. Frank Laffitte, Christophe Pauly et Philippe Gautier prêtent successivement serment.)

M. Frank Laffitte, trésorier de la fédération des arts, du spectacle, de l’audiovisuel et de la presse (FASAP-FO). Je représente la FASAP-FO, fédération des arts, des spectacles, de la presse et de l’audiovisuel — Force ouvrière. Je remplace Mme François Chazaud, notre secrétaire général, actuellement engagée dans des obligations syndicales à l’international. La FASAP-FO regroupe huit syndicats nationaux présents dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant et enregistré, qu’il soit privé ou subventionné. Nous comptons également le seul syndicat de mannequins et de métiers de la mode constitué de salariés, animé par Marie-France Vernabel, avec qui je collabore étroitement. Nos actions concernant les violences sexuelles et sexistes (VSS) se concentrent principalement sur l’information de nos adhérents. Nous encourageons la libre parole et la communication, afin que les victimes ne se renferment pas dans le silence. Nous privilégions une approche au cas par cas pour traiter ces situations.

M. Christophe Pauly, secrétaire national en charge des médias pour la fédération communication, conseil, culture (F3C-CFDT). Je suis secrétaire national à la fédération communication, conseil et culture de la CFDT. Mon domaine de responsabilité englobe les médias et la publicité. La Fédération, relativement jeune avec une vingtaine d’années d’existence, couvre un champ très large incluant les activités postales, les bureaux d’études, les centres de gestion, le cinéma, la culture, la distribution, l’édition, les experts, les industries graphiques, ainsi que l’audiovisuel et les médias. Ce dernier secteur comprend les journalistes, la presse, les messages de presse, le portage salarial, la publicité sportive et les télécoms. Nous avons délibérément choisi d’avoir un champ d’action étendu, en réponse aux regroupements sectoriels observés depuis la fin des années 1990 et qui continuent aujourd’hui.

Au sein de notre fédération, nous avons mis en place un réseau interne appelé le réseau des sentinelles, doté de nombreuses prérogatives et impliqué dans diverses actions, dont les violences et harcèlements sexuels et sexistes (VHSS). Plus spécifiquement, pour les secteurs sous ma responsabilité, nous disposons de deux CCHSCT (comités centraux d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) l’un pour le cinéma et l’autre de la production audiovisuelle. De plus, nous participons activement à une commission nationale paritaire pour l’emploi et la formation dans l’audiovisuel, où la CFDT mène de nombreuses actions de manière paritaire, en lien avec votre commission.

M. Philippe Gautier, membre de la commission exécutive de la fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l’audiovisuel et de l’action culturelle (FNSAC-CGT). Je suis ancien musicien et actuellement l’un des dirigeants de la CGT Spectacle, particulièrement du syndicat regroupant les musiciens et musiciennes. Notre fédération, très ancienne, est majoritaire, notamment dans le secteur du spectacle vivant, qui emploie le plus d’artistes. En effet, par nature, le spectacle enregistré offre des périodes d’emploi beaucoup plus brèves. Nous abordons les questions d’égalité femmes-hommes, de lutte contre les violences et d’intégration des hommes et des femmes dans tous les métiers, car ces problématiques sont interconnectées. Le mouvement #MeToo a été un élément déclencheur pour nous, nous sensibilisant à l’ampleur du problème et nous rendant plus activistes qu’il y a dix ans. Notre action syndicale se déploie à l’intérieur des entreprises, comme dans les orchestres symphoniques ou les maisons d’opéra, où nous avons des artistes en CDI et une implantation syndicale durable. Cependant, la majorité des artistes et techniciens du spectacle étant intermittents, notre activité syndicale se déroule souvent en dehors des entreprises. Nous pensons qu’il est utile de parler du problème tel qu’il se pose pour bien l’identifier et discuter efficacement des solutions possibles.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Suite au mouvement #MeToo, vous avez pris en compte les dénonciations émises par ce mouvement. En 2020, vos trois organisations syndicales ont signé avec la fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (Fesac) un plan d’action comportant divers leviers, notamment la promotion de l’égalité et la lutte contre les violences et harcèlements sexuels (VHS) dans le spectacle vivant et enregistré. Je souhaite connaître votre bilan de ce plan d’action. Est-il réellement appliqué ? Identifiez-vous des points de faiblesse ou des aspects à souligner devant cette commission d’enquête ?

M. Philippe Gautier. Je reprends la parole car j’avais participé aux discussions à l’époque. Aujourd’hui, nous souhaitons souligner que de nombreuses actions ont été entreprises de manière constructive. Nous avons rencontré des interlocuteurs constructifs du côté de nos employeurs, de l’État et des établissements publics, comme le Centre national de la musique (CNM). Nous avons répondu par écrit au questionnaire que vous nous avez envoyé. Globalement, la plupart des objectifs ont été atteints. Par exemple, un protocole a été mis en place dans le cadre du CNM, ainsi que deux accords de branche dans le secteur du spectacle vivant privé et subventionné, concernant les protocoles de lutte contre les violences.

Cependant, nous devons aborder un point important, particulièrement mis en lumière par la presse ces derniers jours, notamment dans le secteur musical. Vous avez probablement pris connaissance de cet article paru il y a deux semaines dans Le Canard enchaîné, révélant les agissements condamnables d’un chef d’orchestre réputé. Malheureusement, un des points essentiels de l’accord signé avec la Fesac était la mise en place d’une cellule d’écoute, à la fois juridique et psychologique, pour les victimes. Karine Huet pourra témoigner, car elle a parlé à de nombreuses victimes, mais aucune d’entre elles n’a contacté cette cellule.

Nous avons négocié, dans le cadre de la convention collective, un protocole complet. Nous avons prévu les modalités de signalement, d’enquête, de protection des victimes et d’accompagnement. Cependant, aucune victime n’a mis en œuvre les dispositifs que nous avons instaurés. Nous ressentons actuellement un effet de désillusion profond. Malgré nos efforts considérables pour élaborer et mettre en place ces mesures, nous nous retrouvons face à un cas concret où les victimes ne s’en saisissent pas.

Cela indique qu’il est probablement nécessaire de faire davantage et de continuer à nous interroger sur les moyens à adopter. Il est possible que la peur de sacrifier sa carrière soit un facteur déterminant, mais je laisse Karine, qui est plus informée sur nos secteurs, répondre à cette question. N’ayant pas parlé directement aux victimes, je préfère m’abstenir de commenter davantage sur cette affaire, qui démontre clairement que nous n’avons pas encore atteint nos objectifs.

M. Frank Laffitte. Nous sommes particulièrement investis dans les grands cabarets parisiens. Dans ces établissements, les comités sociaux et économiques (CSE) ont mis en place des référents en matière de  VHS, et cela fonctionne bien. Je suis en contact régulier avec les directions des cabarets. Récemment, l’un des grands cabarets parisiens n’a pas hésité à licencier un salarié et à en mettre à pied un autre en raison de dérives qui ont été immédiatement signalées. À Paris, les choses évoluent positivement, les progrès sont considérables.

Cependant, comme l’a souligné M. Gautier, il est regrettable qu’il n’y ait pas suffisamment de suivi, ce qui laisse ces initiatives sans suite concrète. Nous souhaiterions que les victimes portent plainte, que les affaires soient portées devant le procureur de la République. Il est essentiel de ne pas banaliser ce type d’agressions. Les agressions, pouvant aller jusqu’au viol, ne sont pas de simples délits, elles relèvent des assises. Le viol est passible de quinze ans de prison, et il est crucial de rappeler la gravité de ces actes, qui ont brisé des centaines, voire des milliers, de vies dans le milieu du spectacle depuis des décennies.

M. le président Erwan Balanant. Mme Huet, pourriez-vous nous expliquer les mécanismes de cette peur qui empêche parfois d’aller jusqu’au dépôt de plainte ? Il est souvent facile de comprendre cette réticence. Nous avons commencé à en percevoir les raisons, mais des exemples concrets et une description détaillée de ces processus nous seraient très utiles.

Mme Karine Huet, membre du collectif Femmes de la FNSAC-CGT. J’ai eu des victimes au téléphone. Moi-même, je suis allée sur le terrain, donc nous avons recueilli quelques éléments. Je ne suis pas certaine que nous puissions tout expliquer, mais en tout cas, les victimes de cette affaire sont véritablement terrorisées. Nous avons également tenté de comprendre pourquoi elles peuvent être terrorisées. L’une des raisons pour lesquelles elles n’ont pas parlé est qu’on leur a dit que ce qu’elles vivaient n’était pas grave.

Le sexisme et l’ambiance qui règnent autour de nous leur font croire que ce n’est pas important, que c’est normal. Depuis longtemps, nous normalisons dans nos secteurs des comportements qui ne le sont pas. Il est nécessaire de rétablir les choses juridiquement, ce qui n’est pas toujours évident.

Nous sommes dans une situation de précarité. La précarité engendre la peur de perdre son emploi, mais aussi la peur d’être perçue comme une personne qui se plaint. Dans l’affaire qui nous préoccupe, des hommes ont également reçu des messages, tout comme les femmes. Je peux vous rapporter les témoignages que j’ai reçus, ils recevaient des photos du sexe du chef d’orchestre, des propositions de prendre des douches ensemble, et ce, de manière très régulière, adressées à un grand nombre de personnes. Ces personnes, en parlant de ce qu’elles vivaient, constataient que cela ne se faisait pas, et tout le monde riait autour d’elles. Minorer les faits et décourager les victimes de porter plainte ne fait qu’aggraver leur situation, car elles sont déjà souvent moquées à l’avance.

Nous évoluons dans un milieu où la compétition pour obtenir des postes est féroce et où la précarité est omniprésente. De nombreuses personnes sont prêtes à prendre ces places et à s’y investir. Il est impératif de ne rien dire, de ne rien faire, et même de ne pas appeler la cellule de soutien. L’article du Canard enchaîné mentionne sept témoignages, mais une seule personne n’est pas anonyme, son nom y figure. Cette personne m’a confié qu’elle a découvert en lisant l’article qu’elle était la seule nommée. Cette soliste a une carrière très importante et est reconnue dans son domaine.

Les hommes occupent généralement les postes hiérarchiquement les plus élevés et les mieux rémunérés dans ce secteur. En revanche, les victimes sont souvent économiquement plus fragiles et occupent des positions hiérarchiquement inférieures au sein de l’orchestre. Cette soliste, cependant, est moins vulnérable car elle a été accompagnée par de nombreux orchestres réputés à travers le monde et ne travaille pas exclusivement pour un seul orchestre ou en Île-de-France.

M. Christophe Pauly. La CFDT est la première organisation syndicale dans le secteur du spectacle enregistré et de la publicité. Il est essentiel de souligner qu’il n’existe aucun cas de force majeure ni aucune exception au respect de l’intégrité physique et morale des individus. Pour notre organisation syndicale, il est impératif de mener un travail constant avec l’ensemble des partenaires sociaux afin de mettre en place des dispositifs adaptés. Cela s’applique non seulement à la situation actuelle, mais également à d’autres domaines. La contractualisation et l’engagement de toutes les parties prenantes sont primordiaux pour nous.

Je tiens à préciser que, bien que je ne dispose pas des chiffres exacts à cet instant, cela ne contredit en rien les propos de mes collègues concernant la situation évoquée. La cellule d’écoute, instaurée suite à un accord début 2020, a été mise en place quelques semaines plus tard. Ces discussions étaient déjà en cours depuis la fin des années 2010, notamment en 2018 et 2019. Les deux CCHSCT, du côté du cinéma et de la production audiovisuelle, existent depuis plus d’une décennie et sont intégrés dans nos travaux sur ces sujets. La cellule d’écoute est hébergée par Audiens, et nous pouvons obtenir des retours sur le nombre de personnes qui y font appel.

Nous distinguons deux types de situations de travail celles temporaires, avec un collectif de travail créé pour un projet spécifique, et celles permanentes, au sein d’une entreprise avec des employés permanents. Dans le secteur de la publicité, le hashtag qui incite à dénoncer une agence a émergé il y a quelque temps. Parallèlement, les partenaires sociaux ont élaboré et mis en œuvre un accord VHSS avec des procédures spécifiques. Cet accord est disponible et peut être communiqué. Le fait que cette question ait suscité autant de réactions, tant en interne qu’en externe, dans le secteur de la publicité, nous amène à penser que le nombre de cas similaires a considérablement diminué. Toutefois, un cas notable a encore été signalé l’année dernière.

Il est possible que des incidents se produisent, mais ils sont désormais beaucoup moins fréquents. Les entreprises craignent qu’un événement similaire à celui qui a eu un fort retentissement médiatique ne se reproduise, ce qui serait très préjudiciable. Cet aspect joue évidemment un rôle, mais nous avons également observé un véritable effet positif dans la publicité, à la fois en termes de communication et grâce à la mise en œuvre de dispositifs internes par les partenaires sociaux. Cela est particulièrement vrai dans le secteur de la publicité, car les équipes y sont permanentes. La rapidité et l’efficacité des mesures sont dues à cette permanence des équipes.

En revanche, la situation est différente lorsque les équipes ne sont pas permanentes et fonctionnent en mode projet. Ces projets sont de courte durée et les personnels sont majoritairement précaires. Nous revenons ici sur ce que Karine Huet et Philippe Gautier mentionnaient plus tôt concernant les postes, les carrières, et l’ensemble de ces dynamiques. Il est relativement aisé de manipuler ces aspects dans un système hiérarchique. Il est également essentiel de lutter contre cette culture et de faire évoluer les mentalités.

Nous observons également une approche différente de ces sujets selon les tranches d’âge. Les choses évoluent. Par exemple, les enfants de certains chefs de poste n’adoptent pas du tout les mêmes comportements que leurs parents. Ils ont une vision des choses totalement différente, avec un écart de vingt à trente-cinq ans. À moyen terme, nous considérons cela comme une évolution positive. Tout ne se résoudra pas immédiatement, mais les changements sont en cours.

M. le président Erwan Balanant. Mme Huet, ce que vous avez mentionné concernant les ressorts de la peur de témoigner est particulièrement intéressant. La seule personne qui a souhaité que son nom soit divulgué est quelqu’un qui jouissait déjà d’une certaine notoriété et qui, de par son talent et sa réputation, retrouverait probablement du travail. Les autres, bien que talentueux, ne bénéficient pas de cette notoriété. Cela soulève une question importante.

J’aimerais comprendre pourquoi, même lorsque des faits graves sont avérés et que des preuves existent, certaines personnes hésitent à dénoncer collectivement. On pourrait penser qu’elles se protègent mutuellement et qu’elles ne souffriront pas de cette situation. Bien sûr, la présomption d’innocence doit toujours être respectée. Cependant, si les preuves sont irréfutables et comparables, on peut s’attendre à ce que la personne incriminée soit condamnée.

Pourquoi alors cette réticence à témoigner ? Est-ce simplement la peur de perdre son emploi, même si, en théorie, elles pourraient retrouver du travail et avoir agi de manière juste ? Ou est-ce aussi la crainte de briser la carrière d’une personne qui, malgré des actes répréhensibles, reste un artiste ?

Mme Karine Huet. Dans certains milieux, tout le monde se connaît. Les comédiennes, les musiciennes, notamment dans le domaine de la musique classique, sont majoritairement en Île-de-France, ils passent d’un orchestre à l’autre et se connaissent tous. La crainte de se faire mal voir par ses pairs est omniprésente. On redoute d’être perçue comme une « chochotte » ou une « chieuse », ce qui pourrait nuire à sa carrière. En effet, dans ces milieux restreints, porter plainte ou dénoncer une situation peut entraîner des répercussions importantes. La personne concernée pourrait être jugée et l’information se répandrait rapidement. Les autres membres de ce secteur pourraient alors lui en vouloir et choisir de ne plus collaborer avec elle. C’est ainsi que cette dynamique est perçue.

M. le président Erwan Balanant. Ne pourrait-on pas envisager l’inverse ? Ne pourrait-on pas renverser la perspective ? Ne pourrait-on pas considérer que celui qui n’aurait pas dénoncé serait justement le collègue avec qui nous n’avons pas envie de collaborer, car il ne signale pas des actes délictueux ?

Mme Karine Huet. Je milite pour un changement de comportements. Changer les comportements signifie que la peur change de camp. Nous en parlons depuis longtemps, ce terme « la peur ». Cependant, nous constatons qu’elle ne change pas de camp, ce qui est tout de même terrible. Je partage votre avis à ce sujet.

M. le président Erwan Balanant. Merci. Excusez-moi, je me suis emporté.

M. Philippe Gautier. Je vais illustrer un autre exemple survenu au sein du ballet d’un opéra national d’une grande ville. Le maître de ballet avait pour habitude de toucher les testicules des danseurs avant qu’ils ne montent sur scène. De plus, lorsqu’il estimait qu’un danseur avait commis une erreur, il lui administrait une fessée devant les autres. Bien que cela ne le concernait pas directement, un syndicat au niveau de l’orchestre et du chœur en a été informé. Nos camarades ont alors mené une enquête pour établir les faits avec précision. Cette affaire remonte à 2019. Nos camarades ont déposé une plainte très détaillée, que nous tenons à votre disposition, à la fois auprès du procureur de la République et de la direction de l’opéra, qui était la Ville. Le procureur de la République a classé cette plainte sans suite.

Au sein de l’opéra, dans un premier temps, il ne s’est presque rien passé. Le directeur du ballet a tenté de faire signer une pétition de soutien parmi les membres du ballet, suite à cette plainte. Deux artistes ont refusé de la signer. Les contrats dans les opéras, notamment dans les ballets de droit public, sont renouvelables chaque année. Ces deux artistes, qui avaient été programmés sur tous les ballets des deux saisons précédentes, n’ont pas vu leur contrat renouvelé car le directeur du ballet a estimé qu’ils n’avaient plus le niveau requis. Ces faits sont bien connus.

Des changements ont eu lieu, et bien que la préoccupation soit compréhensible, il y a eu une évolution à la tête de cet opéra. La nouvelle direction a jugé que la situation était désormais sous contrôle. La direction avait épuisé toutes les possibilités, dans le cadre des procédures disciplinaires, pour renvoyer le directeur du ballet pour ce motif. Elle a donc trouvé un autre prétexte. Actuellement, il n’est plus directeur du ballet. Dans cette affaire, un homme politique de la région, ancien ministre et député pendant de nombreuses années, a pris la plume dans la presse régionale pour soutenir le directeur du ballet. Il a affirmé que ceux qui ne comprenaient pas qu’un directeur de ballet devait toucher les danseurs n’avaient rien compris à la danse. Je dispose de tous les éléments de ce dossier, si cela vous intéresse.

Ce sont des exemples fâcheux contre lesquels nous avons agi. Nous avons également porté plainte auprès du procureur de la République, non pas pour des faits internes à l’entreprise, mais pour une guitariste bassiste qui envisageait de se produire dans un festival, en 2021. Elle a reçu des propositions extrêmement malhonnêtes de la part du directeur du festival, conditionnant son engagement. Cette plainte a été transmise au procureur de la République, accompagnée d’un courrier de soutien du syndicat, mais elle est restée sans suite. Ces exemples illustrent les difficultés concrètes rencontrées dans l’accompagnement des victimes.

Mme Karine Huet. Je souhaite apporter une précision supplémentaire concernant ce dossier que j’ai traité. La situation est encore plus grave que ce qui a été décrit. L’impunité est telle que l’on peut écrire ce que l’on veut sans craindre de conséquences. Nous avons reçu des messages WhatsApp explicites, tels que : « Je veux bien produire ton disque, je veux bien te programmer sur le festival que j’organise si nous couchons ensemble. » Ces propos étaient écrits noir sur blanc. Nous avons déposé une plainte en joignant des captures d’écran comme preuves. Cependant, trois ans après, nous n’avons toujours pas reçu de nouvelles concernant cette plainte, déposée conjointement par le syndicat et la musicienne concernée. Cette musicienne, qui a fait preuve de force et de détermination, est venue me voir pour en parler. Elle m’a affirmé : « Non, je n’ai pas cédé. Je ne coucherai pas pour être programmée ou pour que mon disque soit produit. » Cela illustre bien l’ambiance délétère et la violence psychologique que génère un environnement où de tels propos peuvent être tenus sans crainte de répercussions.

M. le président Erwan Balanant. Merci pour ces exemples concrets, ils nous renseignent beaucoup. Dans le cas de la musicienne que vous nous citez, vis-à-vis d’un directeur de festival, c’est ça ?

Mme Karine Huet. D’un directeur de festival qui était musicien et qui produisait des disques d’un style musical très précis.

M. le président Erwan Balanant. Nous sommes conscients qu’il existe parfois deux temporalités distinctes, celle de la justice, qui peut s’étendre sur une longue durée, et celle du droit du travail, qui inclut les suspensions et les enquêtes. Cependant, le véritable problème réside dans la période intermédiaire, celle où l’on n’est pas encore embauché et où aucun contrat de travail n’a encore été signé. Cette situation est effectivement plus complexe à gérer. C’est un sujet sur lequel, avec Mme la rapporteure, nous allons nous pencher afin de trouver des solutions et des moyens d’améliorer ces situations.

Mme Sarah Legrain (LFI-NUPES). Merci pour ces éclairages et témoignages qui confirment l’ampleur du problème, ainsi que la mobilisation en cours, y compris de la part des syndicats dont je salue le travail.

Vous avez souligné la question de la précarité. J’aimerais approfondir les liens entre le statut d’intermittent et la précarité. Je souhaite également aborder la situation des artistes auteurs, qui se trouvent dans des contextes encore plus spécifiques, où la protection et le code du travail s’appliquent différemment. Je ne connais pas les détails, mais peut-être avez-vous des éléments à ce sujet.

Par ailleurs, la responsabilité des organismes publics, notamment les lieux de formation, mérite d’être examinée. Pouvez-vous nous fournir des exemples positifs de mesures prises dans certains établissements ? Sinon, avez-vous des recommandations de procédures à suivre dans le domaine de la formation ?

Enfin, j’aimerais savoir comment nous pouvons renforcer le rôle des syndicats dans cette lutte.

M. Frank Laffitte. Le problème des intermittents réside dans la précarité inhérente à leur statut. Les artistes, comédiens, chanteurs et danseurs luttent constamment pour obtenir leurs quarante-trois cachets annuels. Comme le soulignaient mes collègues, ce milieu est restreint et tout le monde se connaît. Chaque année, l’intermittent s’interroge sur la possibilité de conserver son statut l’année suivante. En cas de problèmes de harcèlement ou de violence sexiste, il craint de disparaître du milieu et de ne plus pouvoir exercer son métier d’artiste. Il est indéniable qu’il est nécessaire de trouver des solutions à ces problématiques. Cependant, je n’ai pas de solution miracle pour y remédier, car il est extrêmement facile de blacklister quelqu’un dans ce secteur.

Mme Karine Huet. Je vais aborder la question de l’enseignement, car il n’existe actuellement aucune prévention ni formation dans les lieux de formation. Il serait très pertinent d’introduire de tels outils, que ce soit dans l’enseignement initial des conservatoires ou dans l’enseignement supérieur. À ce jour, rien n’est mis en place. De plus, ces lieux perpétuent des stéréotypes de genre. Les instruments sont genrés et, par exemple, les musiciens sont exclusivement des compositeurs, sans aucune compositrice. Ce contexte favorise les violences ultérieures.

Actuellement, il n’existe aucun protocole, même pour les enfants. J’ai rencontré la semaine dernière un directeur d’un conservatoire à rayonnement régional (CRR) d’Île-de-France qui m’a fait part de nombreux problèmes et situations de VHSS dans son établissement, notamment entre adolescents. Il m’a cité un cas survenu dans ses cours de théâtre entre adultes élèves, et nous voyons également dans les journaux des cas impliquant des professeurs et des élèves. De nombreuses situations demeurent sans solution, les responsables manquant d’outils pour les traiter. Chacun agit comme il peut, sans directives claires.

Lors d’un comité de suivi du schéma national d’orientation pédagogique au ministère de la culture, nous avons évoqué la nécessité de mettre en place des outils pour permettre les signalements. Il est impératif de trouver des protocoles adaptés aux paroles des mineurs, car nous sommes souvent confrontés à des situations impliquant des mineurs, et nous ne savons pas comment les gérer. En plus de traiter et de signaler ces situations, il est essentiel de mettre en œuvre des actions de prévention, tant pour les futurs professionnels que pour les amateurs. Cela me semble d’une importance capitale.

L’autre jour, j’ai évoqué au ministère un véritable terrain propice aux violences sexuelles, la non-mixité dans de nombreux secteurs. Par exemple, dans la musique actuelle, les femmes représentent seulement 8 à 10 % des effectifs. Si l’on trouve des chanteuses, les musiciennes sont en revanche très rares. De même, les chefs d’orchestre et les directeurs artistiques sont majoritairement des hommes. Cette absence de mixité favorise largement les violences sexuelles. J’ai également souligné l’importance de mettre en place des politiques incitant les filles à s’engager dans des formations où elles sont actuellement sous-représentées. L’absence de modèles féminins dans certains domaines, comme le jazz, dissuade les jeunes filles de s’y aventurer. Il est donc essentiel que les conservatoires adoptent des politiques visant à encourager la mixité, ce qui pourrait, à terme, bénéficier aux professions artistiques.

M. Christophe Pauly. Concernant les dispositifs et les procédures pour les intermittents dans notre périmètre, nous avons élaboré un kit VHSS pour les secteurs du cinéma, de la production audiovisuelle et du film d’animation. Ce kit est évolutif et nous avons mené une vaste campagne de communication à ce sujet. Il s’agit d’un outil détaillant les procédures internes. Je ne vais pas entrer dans les détails ici, mais nous pourrons vous le transmettre. Pour ce qui est de la publicité, nous avons mis en place un dispositif similaire, accessible à toutes les entreprises. La manière dont ces entreprises et les collectifs de travail non permanents s’approprient ces outils est un autre sujet, en constante évolution.

Par ailleurs, vous avez reçu le CNC plus tôt. Nous avons désormais des formations obligatoires sur ces sujets, lancées juste avant la pandémie de la covid-19. Ces formations sont intégrées dans le travail de la commission nationale paritaire pour l’emploi et la formation, et concernent notamment la coordination d’intimité. Nous avons pris exemple sur les États-Unis et leur syndicat interne pour structurer ces formations. L’année prochaine, nous mettrons en place une certification après avoir réalisé une étude d’opportunité et rédigé un cahier des charges.

En ce qui concerne les référents VHSS sur les projets et les tournages, il reste des aspects à approfondir. Nous allons recueillir des retours d’expérience car, actuellement, certaines personnes suivent des formations tout en ayant d’autres responsabilités sur les tournages. Ces retours nous permettront probablement de redimensionner les dispositifs en place. Ces discussions sont régulières entre partenaires sociaux dans les CCHSCT. Il y a une véritable prise en compte et une prise de conscience de ces enjeux.

Sur l’aspect de la précarité, l’intermittent est un professionnel du spectacle, qu’il soit vivant ou enregistré. Il s’agit d’une personne qui fait carrière dans un secteur d’activité de manière substantielle ou essentielle, mais de façon intermittente, avec des contrats de travail qui débutent et s’achèvent, laissant des périodes d’inactivité entre eux. Cela engendre inévitablement des effets pervers. Quel que soit le sujet, qu’il s’agisse de violences ou de thèmes moins dramatiques, la victime se demande si elle pourra travailler à nouveau par la suite. Est-ce que quelqu’un ne va pas dire quelque chose à quelqu’un d’autre ? « Tu sais, celui-là, c’est vraiment quelqu’un qui nous pose problème. » Cette situation est récurrente. Nous devons lutter contre cette culture, mais je vous avoue que c’est assez complexe.

Je vais aborder la situation des intermittents, qu’ils soient du côté du spectacle vivant ou enregistré. Cela ne concerne pas uniquement les tournages de cinéma, mais également la radiodiffusion, la prestation technique et la télédiffusion. Les intermittents sont présents partout, représentant plus d’une centaine de milliers de personnes. Dans le secteur de l’enregistré, on compte 120 000 personnes, dont 80 % sont précaires. Ces précaires ne représentent peut-être pas 80 % en termes de fréquence de travail, car certains ne travaillent qu’occasionnellement. Cependant, ils sont censés exercer avec expérience et expertise tout au long de leur vie professionnelle. Cette situation crée une sorte d’épée de Damoclès permanente. C’est ainsi que nous vivons, c’est notre réalité.

Après avoir quitté la réunion, lorsque nous nous retrouvons témoins, nous engageons des discussions entre paritaires. Il y a à la fois la victime, que l’on peut qualifier de présumée, et la personne qui est l’auteur des faits qui n’auraient pas dû se produire, ainsi que les éventuels témoins. Cela ne se limite pas à l’aspect financier, à la production ou à d’autres considérations. Cette sorte d’omerta, due aux liens futurs et à la peur qu’ils suscitent, représente un immense travail de révolution culturelle que nous avons entrepris. Je ne sais pas comment, d’un point de vue légal ou juridique, les choses peuvent évoluer. Ce qui est certain, c’est qu’en termes de communication, au sein de nos échanges internes entre paritaires, plus nous en parlerons, plus les situations tendront à s’améliorer. Actuellement, les situations restent très complexes.

Nous n’avons pas abordé l’enjeu économique lié à ces questions. En ce moment, entre paritaires, avec une prise de conscience du côté des producteurs, l’idée d’un outil assurantiel émerge. C’est une piste à explorer davantage. Si nous parvenons à mettre en place des amortisseurs de danger, psychologiques ou économiques, les collectifs seront progressivement plus sereins et pourront comprendre que prendre ce risque n’est pas si grave. Nous en sommes là. L’année dernière, lors d’un tournage, un homme a été violé et il ne souhaitait pas porter plainte. Cela ne se résout pas simplement, et le poids qui pèse sur les individus est immense.

M. le président Erwan Balanant. Quand on parle d’omerta, vous ne pensez pas que c’est abusif ?

M. Christophe Pauly. Je ne pense pas que c’est abusif. En revanche, ça évolue quand même. C’est plus systématique. En tout cas, il y a quand même une légère évolution. Je l’entends, je le vois par les personnes qui sont concernées. On avance, mais c’est lent.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). Vous avez répondu à ma question, chacun à votre manière. Comme vous l’avez mentionné, nous venons d’entendre le CNC qui nous a décrit un processus extrêmement vertueux selon eux. Depuis que je vous écoute, je constate plutôt une absence de formation, comme l’a souligné Mme Huet. M. Pauly a exprimé une opinion légèrement différente, bien que vous ne soyez pas en désaccord. Actuellement, disposez-vous de formations mises en place dès l’entrée dans les différents métiers concernés ? Est-ce un projet en cours ? Le CNC nous a expliqué qu’ils disposaient de moyens, notamment via des appels à projets de leur opérateur de compétences (Opco). Pensez-vous que dans vos secteurs, vous aurez les ressources nécessaires pour que, demain, les victimes n’aient plus peur ? Nous avons évoqué au début de cette audition la peur des victimes et la nécessité de faire changer la honte de camp. C’est une phrase que l’on entend souvent.

J’avais également une question sur les référents VHSS. Existent-ils réellement à tous les niveaux ? J’ai entendu dire que les victimes avaient du mal à solliciter cette cellule, gérée par l’organisme Audiens. Peut-être que cette cellule, comme dans d’autres secteurs, est trop éloignée des personnes concernées pour qu’elles aient le réflexe de la contacter, et qu’elles se sentent écoutées et accompagnées de manière satisfaisante tout au long du processus, qui peut éventuellement mener à une plainte. Vous avez également mentionné que la plainte devait être l’aboutissement. Il est important de respecter le fait que toutes les victimes ne souhaitent pas porter plainte. Cela ne légitime en rien les actes dont elles sont victimes.

M. Philippe Gautier. Au croisement de toutes ces questions, les avancées ne sont pas uniformes. Par exemple, les artistes, nous sommes une profession relativement peu formée, voire non formée à cette question. Les personnels techniques des industries audiovisuelles et cinématographiques, grâce à l’action du CNC, bénéficient d’une situation plus favorable aujourd’hui. Toutefois, un tournage implique souvent une équipe nombreuse. Une des difficultés pour le spectacle vivant réside dans le fait que ce sont majoritairement des TPE. Ces entreprises n’ont pas de représentant du personnel, et le référent violence se déclenche avec le CSE. Or, ces entreprises fonctionnent souvent avec des intermittences et n’atteignent pas le volume nécessaire pour avoir un CSE. Il n’y a donc pas de CSE d’entreprise ni de référent.

Notre présence est parfois éphémère. Par exemple, dans le secteur des musiques actuelles, notre durée moyenne d’appartenance à l’entreprise est d’un jour, car nous venons pour un concert. Un gros festival peut rassembler une communauté de travail importante, mais chaque prestataire (sécurité, nourriture, etc.) et chaque producteur de spectacle programmé appartient à une entreprise différente. Même dans un contexte de travail avec beaucoup de monde, l’addition de toutes ces petites structures ne déclenche pas les mécanismes juridiques comme le CSE ou le référent violence. Dans l’audiovisuel et le cinéma, des CHSCT de branche ont été créés, permettant à des structures extérieures à l’entreprise d’agir utilement.

Les négociations avec les représentants des employeurs dans le spectacle vivant sont extrêmement difficiles. Depuis des années, ils nous refusent la mise en place d’un CHSCT, que nous souhaiterions interbranche en raison de l’imbrication entre le spectacle vivant public subventionné et le spectacle vivant privé. Il serait en effet inefficace de créer deux CHSCT distincts alors qu’un seul serait plus pertinent. Nous cherchons à faire preuve d’inventivité dans ces négociations. Par exemple, un courrier adressé au ministère du travail par les employeurs et les salariés est resté sans réponse depuis deux ans.

Concernant les institutions représentatives du personnel du CSE, la loi est rigide, rendant difficile la mise en place de telles institutions, même lorsque la volonté existe. Prenons l’exemple des orchestres constitués d’intermittents. En France, plusieurs orchestres emploient les mêmes artistes dans chaque pupitre depuis des années, voire des décennies. Cependant, ces artistes ne participent pas aux élections de représentants du personnel en raison de la nature morcelée de leur emploi, qui les empêche d’atteindre le seuil nécessaire pour se présenter. Cette situation ne concerne pas uniquement les violences sexuelles. Par exemple, dans un opéra, c’est souvent le syndicat qui apprend les incidents.

Il y a également la question des salariés protégés. Aucun intermittent n’est considéré comme un salarié protégé dans une entreprise. Un militant syndical élu dans un CSE bénéficie d’une certaine sécurité vis-à-vis de l’employeur. Pour les intermittents, ces protections n’existent pas. Nous souhaitons travailler sur des sujets tels que le CHSCT ou l’accès des intermittents à l’éligibilité dans les entreprises. Ces questions ont des conséquences directes sur les problèmes que nous évoquons devant votre commission.

M. le président Erwan Balanant. Je pense qu’il est essentiel de réfléchir à la manière dont nous pouvons organiser la représentation syndicale pour les micro-entreprises et les indépendants. Dans d’autres entreprises, cette représentation fonctionne bien et joue souvent un rôle de garde-fou. Elle permet de créer un relais et un espace de dialogue, qui n’est pas nécessairement un lieu de conflit, mais avant tout un espace de discussion.

M. Christophe Pauly. Je soulignais que cet espace est conçu pour favoriser le dialogue. Ce que Philippe mentionnait concernant un CCHSCT du côté du spectacle vivant est extrêmement pertinent. En effet, chaque CCHSCT dans les secteurs de la production et du cinéma inclut un salarié qui se déplace sur les tournages. Actuellement, nous discutons entre les deux CCHSCT pour instaurer une approche plus systématique de la remontée des fiches de visite et pour établir un bilan statistique de toutes les fiches de visite effectuées sur les tournages, afin de produire des rapports concrets. Je ne sais pas ce que vous pouvez entreprendre, mais avec un peu plus de moyens, nous pourrions être encore mieux structurés et élargir notre champ d’action sur ces aspects. Je crois fermement à la discussion paritaire et à la formation, même si cela prend du temps et que nous avons encore des lacunes évidentes. En ce qui concerne la formation initiale, il est essentiel d’informer toutes les personnes entrant dans ce secteur d’activité sur son fonctionnement et sur les ressources disponibles, tant pour les salariés que pour les employeurs, car cette problématique touche tout le monde. Ces axes sont également importants pour nous.

Vous évoquiez les artistes auteurs. Leur situation est encore plus complexe, car, d’un point de vue conventionnel et organisationnel, même s’il existe une certaine organisation syndicale, ils sont souvent plus isolés. Je ne maîtrise pas ce sujet en détail, mais il y a énormément de travail à accomplir et de nombreux aspects à approfondir. Leur situation est encore plus déconnectée du mode projet et de l’équipe collective de travail.

En ce qui concerne la représentation du personnel, nous avons des délégués de branche dans les secteurs du cinéma et de la production audiovisuelle. Même si cela est utile, il y a toujours des améliorations à apporter. Nous sommes actuellement en discussion avec la Fesac sur ces sujets.

M. le président Erwan Balanant. Dans le cadre de la loi agricole, nous avons apporté plusieurs modifications visant à améliorer la situation, notamment en faveur de la Fesac, qui m’avait sollicité pour un amendement. Cet amendement, que nous avons intégré à la loi agricole, concerne la représentativité. Il est intéressant de noter qu’un élément de la loi permettait déjà cette modification, et nous l’avons effectivement mise en œuvre. Cette initiative a été votée et devrait apporter des améliorations significatives.

Mme Francesca Pasquini. Je voulais savoir si vous pouviez nous donner de la visibilité quant aux remontées que vous pourriez avoir sur la situation des mineurs.

M. Frank Laffitte. Je souhaite compléter sur l’absence de représentativité de nombreux métiers, notamment celui de mannequin. Lors des élections dans les agences de mannequins, seuls les personnels administratifs sont autorisés à voter. Les mannequins eux-mêmes ne remplissent pas les critères requis. De plus, il est important de noter que la profession de mannequin est la seule où l’assurance-chômage est payée sur le bulletin de salaire. Cependant, contrairement aux intermittents dont les bulletins de salaire comptabilisent douze heures, ceux des mannequins ne comptent que cinq heures. En outre, les mannequins dépendent de l’annexe générale de l’assurance-chômage et doivent accomplir 1 014 heures pour en bénéficier. Cela signifierait qu’un mannequin devrait travailler 203 jours par an pour avoir droit à l’assurance-chômage, ce qui est pratiquement impossible. En conséquence, aucun mannequin ne bénéficie de cette assurance. Les mannequins ne sont donc pas représentés.

Par ailleurs, en ce qui concerne les violences sexuelles et sexistes, les contrôles effectués par l’inspection du travail ou la médecine du travail sont souvent inefficaces. Ces contrôles se concentrent sur les fashion weeks officielles, organisées par les grandes maisons de couture telles que Kering, Pinault ou LVMH, qui sont généralement prudentes pour préserver leur image de marque. En principe, il n’y a pas de problème majeur lors de ces événements.

Cependant, de nombreux défilés de mannequins sauvages échappent à tout contrôle. Dans ces défilés, les mannequins ne sont parfois pas rémunérés, et il arrive même que des mannequins mineurs, parfois âgés de moins de quinze ans, y participent sans aucune surveillance. Les risques de harcèlement et de violences sexistes sont alors considérables. Ce problème est également lié à un manque de moyens. Il serait nécessaire de créer des corps d’inspection du travail spécialisés pour remédier à cette situation.

M. Philippe Gautier. Je mène une expérience syndicale depuis de nombreuses années, mais cela s’avère quelque peu difficile avec des enfants. J’ai écouté intégralement la séance que vous avez tenue avec les représentants des commissions départementales. Le texte est ancien, et il ne fait aucun doute que chacun en tirera les conclusions qu’il souhaite par rapport à cette séance. Tout cela mériterait d’être revu et sécurisé.

Notamment, une question n’avait pas été évoquée la question financière. Par exemple, je ne connais pas la doctrine concernant la répartition de l’argent consigné à la Caisse des Dépôts, comme le prévoit la loi, et la part de l’argent destinée aux parents. Il est également important de comprendre que, pour les jeunes artistes, les parents peuvent parfois exercer une pression pour que leurs enfants entrent dans la carrière artistique, ce qui peut être malsain. Par exemple, des collègues professeurs de conservatoire nous expliquent qu’une fois tous les dix ans, ils rencontrent un élève exceptionnel, et l’un des parents cesse de travailler pour devenir le coach de son enfant. Ces logiques sont malsaines. Si un professeur de conservatoire rencontre un élève exceptionnel tous les dix ans, cela peut sembler rare pour les parents, mais il y a de nombreux professeurs de conservatoire dans notre pays. Un élève exceptionnel tous les dix ans pour chaque professeur de conservatoire représente un nombre significatif, et ce n’est pas parce qu’un enfant est exceptionnel qu’il fera nécessairement carrière. Je me suis également renseigné au sujet des organismes de gestion collective et des droits voisins des enfants. Actuellement, cela ne fait l’objet d’aucune réglementation spécifique. Je pense qu’il serait utile, à la suite de cette commission, d’organiser une concertation pour envisager une modification de la loi ou des décrets, ou des deux, afin de clarifier ces aspects.

Je vais m’exprimer sans mandat, car cette question est récente et nous n’avons eu que quelques échanges à ce sujet. Il est important de noter que cette position n’a pas été débattue en interne et ne représente donc pas nécessairement celle de notre organisation. Je vous livre ici mon opinion personnelle. Concernant l’annonce de la ministre de la culture stipulant que désormais, lorsqu’il y aura des enfants au travail, une personne sera présente pour veiller à leur sécurité. Je pense que cette personne ne devrait pas être un intermittent du spectacle. En effet, si les individus responsables de la sécurité globale des enfants voient leur carrière dépendre des producteurs de tournées ou de films qui emploient ces enfants, ils se retrouveraient dans une situation de dépendance. Je crois fermement que si un tel statut devait être créé, il faudrait veiller à ce qu’il ne mette pas ces personnes en situation de dépendance vis-à-vis des producteurs.

Par exemple, ces personnes pourraient être employées par le Défenseur des droits, qui possède des prérogatives en matière de défense des enfants, ou par le CNC, le CNM ou toute autre institution appropriée. Les producteurs pourraient ainsi être tenus de collaborer avec ces entités. Il existe de nombreux enjeux autour de cette question, notamment le fait que les familles ne peuvent pas toujours insister sur la sécurité des enfants. Il nous semble donc essentiel d’ouvrir un débat sur cette question pour garantir la protection des enfants dans le cadre de leur travail.

M. Christophe Pauly. Le responsable des enfants sera clairement pris en charge par le CNC. Il est impératif que les personnes désignées possèdent des compétences minimales en tant qu’éducateurs d’enfants. L’objectif est de garantir un suivi continu de l’enfant, notamment en cas d’interruption temporaire de la scolarité, afin d’éviter toute rupture. Il est essentiel de préciser que ce responsable ne sera pas un garde du corps. Il s’agira plutôt d’une personne assurant le lien avec l’enfant, en fonction de son âge. Une formation spécifique pourrait être envisagée, bien que nous exigerons un minimum de qualifications pour ce rôle. Il est évident que ce ne sera pas une personne du tournage cumulant cette responsabilité. Nous abordons cette question avec sérieux, sans la traiter de manière superficielle.

M. le président Erwan Balanant. Nous avons auditionné des personnes responsables d’enfants, notamment les coachs pour enfants. Ces derniers préfèrent d’ailleurs être appelés responsables d’enfants. Il ressort de ces auditions que cette profession est en pleine émergence et qu’elle est vouée à évoluer. Il me semble que nous avons dressé un panorama assez complet de la situation. Nous pourrions continuer, mais nous sommes contraints par le temps et le calendrier. Si vous avez des contributions écrites, nous serions ravis de les recevoir. Vous pouvez nous transmettre des témoignages ou des faits, en les anonymisant si nécessaire. Ces contributions enrichiront notre réflexion et nous fourniront des exemples concrets pour étoffer nos propositions.

 

*

*     *

23.   Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Gaillard, directeur de casting, à l’origine du mouvement #MeTooActeur.

M. le président Erwan Balanant. Monsieur, je vous souhaite la bienvenue. Comme vous le savez, notre commission d’enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l’audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons également à identifier les responsabilités de chacun en la matière et à proposer des solutions. Nous souhaitions vous recevoir pour vous entendre à la fois sur votre expérience de directeur de casting, puisque c’est votre métier, et sur la démarche qui vous a conduit à lancer le mouvement #MeTooActeur. Nous aimerions également connaître les pistes de réflexion que vous pourriez nous apporter pour mieux protéger les acteurs au sens large, incluant toutes les personnes travaillant sur les plateaux de tournage. Dans un second temps, Mme la rapporteure posera un certain nombre de questions plus précises. J’en aurai sans doute également, et ma collègue Martin peut-être aussi.

Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu’elle est retransmise en direct sur le site de l’Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole et d’entamer nos échanges, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Stéphane Gaillard prête serment.)

M. Stéphane Gaillard, directeur de casting. Je me présente, Stéphane Gaillard, cinquante-deux ans, directeur de casting pour le cinéma et la télévision depuis vingt-huit ans. J’ai débuté dans ce milieu très jeune, à dix-neuf ans, en tant qu’assistant de Michel Serrault au sein de sa société de production, MS Productions. J’ai toujours eu une passion pour les acteurs et les actrices, et j’ai rapidement aspiré à devenir directeur de casting. Ainsi, j’ai été assistant pendant plusieurs années de deux directrices de casting, aujourd’hui décédées, mais qui étaient très influentes à l’époque Françoise Combadière et Margot Capelier. Cette dernière, en particulier, a joué un rôle déterminant en introduisant ce métier en France. Avant elle, il n’existait pas de directeurs ou directrices de casting ; cette tâche était assurée par les premiers assistants réalisateurs, majoritairement des hommes. Margot, en s’appropriant ce métier, a ouvert la voie aux femmes pour accéder à des postes de pouvoir, comme celui de directrice de casting. Aujourd’hui, les femmes représentent 80 % de cette profession, tandis que les hommes en constituent seulement 20 %. Ces femmes m’ont tout appris. Au cours de ma carrière, j’ai été membre de l’Académie des arts techniques du cinéma et du comité Révélation. En 2001, j’ai cofondé l’ARDA (Association des responsables de distribution artistique) avec huit autres directrices et directeurs de casting. Nous nous sommes réunis et l’association a vu le jour cette année-là. Aujourd’hui, je ne suis plus membre de cette association, mais nous pourrons peut-être en discuter plus tard.

Je tiens à préciser en préambule que nous allons aborder #MeTooGarçons concernant les témoignages que j’ai reçus. Pour que cela soit bien clair, je dois vous informer que dès la création de cette adresse mail et la réception des témoignages, je me suis confronté à la réalité. Je reçois des témoignages, des noms. Dès que cela a été rendu public, mon téléphone a cessé de sonner. Vous m’avez demandé de dire toute la vérité, rien que la vérité. Je dois avouer, M. le président, que je vous ai menti. Je ne suis plus directeur de casting depuis le 22 février. Ma carrière est terminée. Je suis fini. Ma parole est désormais totalement libre, je n’ai plus rien à perdre. C’est pour cette raison que j’ai demandé à être auditionné aujourd’hui.

Je souhaite également aborder un point important concernant les victimes, les acteurs et les actrices. J’ai un secret personnel qui ne concerne pas le cinéma, mais qui est tout aussi significatif. Je fais partie des 160 000 enfants. J’ai récemment révélé un secret, que j’ai gardé pendant quarante-trois ans, j’ai été violé à l’âge de neuf ans par un membre de ma famille. Je ne m’étendrai pas sur ce sujet car ce n’est pas l’objet de votre commission.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je crois pouvoir m’exprimer également au nom du président et de notre collègue présente aujourd’hui, nous sommes profondément touchés par vos propos, M. Gaillard. En tant que membre de la délégation aux droits des enfants, je suis particulièrement sensible aux questions d’agression sexuelle et d’inceste sur mineur. Toutefois, comme vous l’avez mentionné, ce n’est pas le sujet de notre commission d’enquête actuelle.

Je souhaite revenir sur votre parcours. Vous avez indiqué être l’un des membres fondateurs de l’ARDA, que nous avons reçue. Cette association se considère comme une sorte de congrégation regroupant des directeurs de casting. Certains d’entre eux en sont exclus en raison de pratiques jugées dysfonctionnelles, et l’ARDA ne souhaite pas les intégrer en son sein. Vous étiez l’un des membres fondateurs de l’ARDA, mais vous n’en faites plus partie aujourd’hui. J’imagine que des raisons spécifiques expliquent cette situation, et je vous invite à les partager avec notre commission d’enquête.

M. Stéphane Gaillard. Effectivement, je suis l’un des membres fondateurs de l’ARDA et, à ce titre, j’ai été élu vice-président lors de sa création. De mémoire, car cela remonte à quelques années, j’ai occupé ce poste durant sept années. Un renouvellement de bureau tout à fait normal et très sain a eu lieu. Je suis favorable à un renouvellement, afin que les bureaux et les présidents changent régulièrement. Cela permet d’éviter les abus de pouvoir et une forme d’autocratie. À ce moment-là, je n’ai absolument pas souhaité me représenter au bureau, préférant laisser la place à d’autres. Je me suis retiré pour deux raisons. Premièrement, j’avais un désir d’indépendance et une soif de liberté que je ne retrouvais pas au sein de cette association. Les orientations et les engagements de l’ARDA ne me correspondaient tout simplement pas. Deuxièmement, et c’est peut-être la raison la plus importante, il y avait à l’époque, au sein de l’ARDA, un membre, un directeur de casting, dont j’ai appris par la suite qu’il avait commis de nombreuses agressions sexuelles. Il s’est présenté, et il me semble qu’il a été membre du bureau pendant un certain temps.

Nous sommes en 2007-2008. Je n’avais pas connaissance à ce moment-là d’agressions sexuelles sur des actrices et des acteurs, bien qu’il soit important de noter qu’il agressait les deux genres. Cependant, je voyais un homme en pleine possession de son pouvoir, étant un directeur de casting dit « influent » dans le milieu du cinéma, où il existe des hiérarchies assez snobs. Le fait qu’il réalisait des films très importants m’inquiétait, car je suis toujours méfiant face à toute forme de puissance. Je ne me reconnaissais plus dans une association où cet homme, bien que je n’avais rien à lui reprocher légalement, exerçait une telle influence. C’est pour ces deux raisons principales que je me suis retiré à cette époque.

M. le président Erwan Balanant. Vous avez mentionné la création d’une adresse mail dédiée à la collecte des témoignages. Vous avez également déclaré dans la presse que vous vous êtes senti dépassé, probablement en raison du volume des témoignages reçus. La violence de certains entre eux a pu également contribuer à ce sentiment. Nous souhaiterions que vous nous parliez de ces témoignages. Nous sommes également intéressés par la réception de ces mails de manière anonyme afin de protéger les victimes. Pourriez-vous nous décrire comment vous vous êtes senti dépassé et si cela a eu des répercussions psychologiques pour vous, en plus des conséquences professionnelles ?

M. Stéphane Gaillard. Pour revenir à l’origine de l’affaire, M. le président, vous avez mentionné #MeTooActeur. Il est important de rendre à César ce qui appartient à César. En réalité, c’est Aurélien Wiik, le comédien, qui a créé le hashtag #MeTooGarçons, et non moi. Ce qui s’est passé, c’est qu’un peu avant le 22 février, j’ai reçu sur mon compte Instagram des messages d’acteurs. Le premier message provenait d’un acteur que je connais, qui est également agent. Il m’a écrit : « Stéphane, j’aimerais te parler. » J’ai immédiatement compris qu’il s’agissait de quelque chose d’important. Je lui ai donc donné mon numéro de téléphone pour qu’il puisse me contacter. Ce fut le premier témoignage que j’ai reçu.

Cet acteur m’a relaté l’agression sexuelle dont il avait été victime de la part d’un agent. Très rapidement, le bouche-à-oreille a fonctionné parmi les acteurs et les artistes, qui se disaient : « Il y a quelqu’un, Stéphane, à qui tu peux parler ». Un deuxième témoignage est arrivé, puis un troisième, un quatrième, jusqu’à atteindre huit témoignages. À ce moment-là, j’ai compris que huit témoignages en si peu de temps représentaient un nombre conséquent. J’ai donc décidé de centraliser ces témoignages quelque part. C’est ainsi que j’ai créé l’adresse metooacteur@gmail.com, le 22 février. Le 23 février, Aurélien Wiik, que je connais en tant qu’acteur mais que je n’avais pas vu depuis longtemps, a fait ses révélations sur son compte Instagram.

Je n’étais pas au courant de ces événements, donc j’étais choqué, bouleversé et attristé. J’ai immédiatement envoyé un message à Aurélien Wiik, et nous avons échangé. Il a regardé mon Instagram et m’a dit : « C’est incroyable, tu as fait cette adresse. » Je lui ai répondu : « Je ne savais pas pour toi et toi, tu ne savais pas pour moi. » En réalité, Aurélien Wiik a lancé ce mouvement grâce à son initiative. En parlant, il a effectivement encouragé les acteurs à s’exprimer. Il est important de préciser qu’Aurélien Wiik n’a pas souhaité s’exprimer à la presse pour des raisons qui lui sont propres et personnelles. La presse s’est alors tournée vers moi. À ce moment-là, je me suis interrogé, car je me suis dit : « Si je ne rends pas public ce que tout le monde sait mais que personne ne veut reconnaître, cela va être de nouveau enterré ». Ce n’était pas une partie de plaisir pour moi de m’adresser à la presse, notamment lors de l’émission « C’est l’hebdo ». Cela a été même très difficile. Je l’ai fait en étant pleinement conscient du danger dans lequel je me mettais, avec comme conséquence immédiate la sanction et l’omerta. J’avais brisé la loi du silence qui prévaut encore aujourd’hui en 2024.

M. le président Erwan Balanant. Est-ce que vous avez des témoignages féminins, masculins ou essentiellement masculins ?

M. Stéphane Gaillard. Principalement, ce sont des acteurs qui m’ont contacté et j’ai reçu de nombreux témoignages de leur part. Cependant, je tiens à préciser que des actrices m’ont également sollicité, me demandant si elles aussi pouvaient témoigner. Bien entendu, je ne ferme pas la porte à leurs contributions. Je leur réponds : « Oui ». J’ai mentionné MeTooActeur, mais je m’adresse à tous les artistes, qu’ils soient hommes ou femmes. Venez témoigner.

M. le président Erwan Balanant. Ce qui nous frappe, c’est l’intensité et la rapidité de votre mise à l’écart. C’est d’une violence incroyable. Lorsque, avec Mme la rapporteure, nous évoquons l’omerta et la loi du silence, et que l’on nous répond que ce n’est pas le cas, j’avoue que votre témoignage me questionne à nouveau.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Il semble que vous ayez reçu près de 300 témoignages, n’est-ce pas ? Que révèlent ces témoignages ? Font-ils état de violences similaires ? Ces violences sont-elles concentrées dans un lieu ou à un moment précis ? Pouvez-vous nous en dire davantage ?

M. le président Erwan Balanant. Pour compléter la question, est-ce que ce sont des témoignages de violences ayant eu lieu quand les personnes étaient majeures ou quand les personnes étaient mineures ?

M. Stéphane Gaillard. L’intérêt de recueillir autant de témoignages réside dans la possibilité d’en effectuer une analyse distanciée, afin de comprendre les mécanismes de manière claire. J’ai constaté que lorsqu’un acteur est victime d’agression sexuelle, qu’il s’agisse de harcèlement sexuel, d’agression sexuelle ou de viol, le viol est systématiquement associé à l’utilisation de substances chimiques telles que le GHB (gamma-hydroxybutyrate). Les témoignages que j’ai reçus montrent que la moyenne d’âge des acteurs majeurs victimes d’agressions dans le cinéma se situe entre dix-huit et trente ans.

Pour les mineurs, j’ai recueilli des témoignages d’acteurs qui ne sont plus mineurs aujourd’hui mais qui ont été agressés sexuellement, voire violés, dans le cinéma. La moyenne d’âge pour ces agressions se situe entre quinze et dix-sept ans. Il existe une différence notable entre les agressions et les viols subis par les mineurs et les majeurs. Pour les mineurs, ces actes se produisent toujours lors d’un tournage. En revanche, pour les acteurs majeurs âgés de dix-huit à trente ans, ces agressions ne surviennent jamais sur un tournage. J’ai suivi avec grand intérêt l’ensemble des auditions depuis le début.

Nous avons évoqué des lieux précis, comme le moment du casting ou du tournage. Cependant, il est important de rappeler qu’un acteur ou une actrice ne travaille pas tous les jours et doit entretenir son réseau. Ils participent à des festivals, rencontrent des personnes qui leur proposent des opportunités de rencontres professionnelles. C’est dans ces moments, dans ce territoire incertain, que surviennent ces agressions. On rencontre un agent qui vous vend du rêve, mentionnant la présence d’acteurs relativement connus. Une agression sexuelle s’est produite. Pour les acteurs majeurs âgés de dix-huit à trente ans, cela concerne toute cette zone. Cela peut se dérouler dans le cadre de festivals de films de diverses importances, tels que le Festival de Cannes, le festival de Cabourg ou encore le festival international du film de Saint-Jean-de-Luz. Ces événements sont des lieux de rencontre. Ce sont des professionnels du métier qui rencontrent ces jeunes acteurs en quête de reconnaissance, désireux de réussir, et qui se trouvent souvent en position de pouvoir, abusant malheureusement de cette situation.

M. le président Erwan Balanant. Nous savons que les violences sexistes et sexuelles touchent majoritairement les femmes. À notre connaissance, aucune personne n’a entrepris de collecter des témoignages de la manière dont vous l’avez fait. J’ai quelques éléments de réponse, car il me semble que les femmes comédiennes sont encore plus précarisées que leurs homologues masculins. Cela pourrait expliquer pourquoi il est encore plus difficile pour elles de témoigner. Avez-vous d’autres explications à ce sujet ? Savez-vous si quelqu’un a commencé à recueillir des témoignages féminins via une adresse mail, par exemple ? Je le mentionne car le nombre de témoignages que vous recevez est considérable. Il est bien documenté que les femmes sont encore plus touchées que les hommes par ces violences. Cela me donne des haut-le-cœur, car cela projette une réalité statistique et concrète des abus dans le monde des comédiens et des comédiennes.

M. Stéphane Gaillard. J’ai lu les travaux de la sociologue Lucie Wicky, qui a réalisé des statistiques sur les garçons. Cela m’a fait réfléchir, j’aimerais qu’une Lucie Wicky mène une étude sociologique pour comprendre l’hécatombe que j’ai découverte concernant les jeunes acteurs. Je n’ai pas été surpris par l’existence de cas, mais par leur nombre. Aujourd’hui, cela continue de manière exponentielle, chaque jour.

Il est essentiel de comprendre que nous faisons face à des prédateurs. Une agression isolée n’existe pas. Tous les récits se recoupent, révélant une multiplication infinie d’agressions sexuelles ou de viols. Ces actes sont perpétrés par divers professionnels, acteurs connus, directeurs de casting, réalisateurs, producteurs, agents, attachés de presse, photographes, auteurs de théâtre, metteurs en scène. Les témoignages que je reçois sont extrêmement détaillés et circonstanciés, souvent très longs. On me rapporte des phrases prononcées par les victimes et les agresseurs présumés, des lieux précis, des appartements, des fêtes. Cela fait vingt-huit ans que j’exerce ce métier, et je reconnais les lieux mentionnés. Aujourd’hui, lorsque je reçois un témoignage, je n’ai même pas besoin de le lire jusqu’à la fin pour identifier l’agresseur, car je connais chaque prédateur et leur système de prédation, extrêmement bien rodé.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Ce que vous nous décrivez est assez effrayant. J’imagine que les témoignages que vous recevez ne concernent pas uniquement des personnes dont les agissements ont déjà été rapportés par la presse ou ont fait l’objet de plaintes. Cela signifie que ces agresseurs sont actuellement en totale liberté, continuent d’agir et mettent en danger des vies. Il doit être extrêmement difficile pour vous de devenir une sorte de réceptacle de tous ces témoignages, et cela doit également vous affecter. Nous aussi, à force de lire des témoignages et d’écouter des prises de parole, nous nous rendons compte de la charge qui pèse sur cette commission d’enquête et de la difficulté pour les victimes de déposer plainte.

Je suppose que vous les encouragez à porter plainte, mais la question se pose de savoir pourquoi, malgré les chartes et les possibilités d’agir par des voies légales, le problème persiste. La peur de perdre un emploi ou d’être exclu de cette famille est un obstacle majeur. Ma question est donc de savoir si certaines de ces personnes sont prêtes à déposer plainte. Pour celles qui ne le font pas, qu’est-ce qui les bloque ?

Il est également essentiel de comprendre comment inverser le camp de la honte. Ces personnes ont peur et honte, mais ce n’est pas à elles de ressentir cela. Comment peut-on inverser cette situation ? Nous sommes nombreux à nous poser cette question et à nous demander pourquoi les outils mis en place ne fonctionnent pas. Il n’y a pas de suivi, et les victimes ne s’en saisissent pas. Elles ne contactent pas la cellule d’écoute et ne se rendent pas dans les commissariats.

M. Stéphane Gaillard. Tout d’abord, je me suis interrogé sur la raison pour laquelle on vient me parler. Peut-être est-ce cela le plus important. Pourquoi est-il à la fois si facile et si difficile de me parler ? La première réponse, ce sont les victimes elles-mêmes qui me l’ont donnée. Ce sont toujours les victimes qu’il faut écouter. J’ai compris que je m’étais retiré de toutes formes d’associations, des César, etc. J’ai seulement revendiqué mon engagement sur mes réseaux sociaux, où je suis très impliqué sur les questions concernant les enfants et les violences faites aux femmes depuis de nombreuses années. Je pense que c’est pour cela qu’ils m’ont accordé leur confiance.

Pour eux, il y a une chose très importante. Pourquoi viennent-ils me parler ? Il y a une impérieuse nécessité pour eux que leurs paroles soient déposées, dans un premier temps, à l’intérieur même du système, et non à l’extérieur. Ils ressentent le besoin de se confier à quelqu’un qui occupe une position de pouvoir, comme un directeur de casting, une incarnation de l’autorité. De plus, lorsqu’ils mentionnent un nom, ce n’est pas un nom inconnu ; je sais de qui il s’agit. Pour eux, il est essentiel d’avoir l’impression de déposer quelque chose de significatif.

Ce n’est pas une simple réparation, mais ce qu’ils me disent, c’est que cela leur a fait un bien immense, ce qui est déjà énorme. Ils ne pensaient pas qu’il existerait un endroit où cela serait possible aujourd’hui. Il y a une impérieuse nécessité de se raconter à l’intérieur pour être cru. Ils ont besoin d’être crus, entendus et que leurs paroles soient protégées, sans trahison. Je suis le garant et le protecteur de cette parole. Je me suis engagé avec eux dans un contrat moral que je ne trahirai pas.

Ils ne souhaitent pas être dirigés vers une association. Lorsqu’ils me parlent, ils savent qui je suis. Ils n’attendent pas une aide psychologique, que je ne suis pas en mesure de fournir, ni même une aide judiciaire, bien que je l’aie mise en place. Au départ, ils veulent simplement savoir qu’ils seront crus, protégés et non trahis. Ils ne veulent pas être dénoncés, comme cela arrive parfois. Prenons l’exemple des directrices de casting. Une actrice a été agressée sexuellement par un directeur de casting. Lorsqu’elle s’est confiée à l’une d’elles, celle-ci a immédiatement informé l’agresseur. De même, un acteur, victime d’agression sexuelle par un directeur de casting, s’est confié à une directrice de casting qui a également informé l’agresseur. À qui peut-on faire confiance dans ce monde, dans cet univers ?

M. le président Erwan Balanant. Les victimes dont vous avez recueilli la confiance et, par la suite, le témoignage, souhaitent-elles porter plainte ? J’imagine que ce n’est pas le cas de toutes, évidemment. Parmi celles qui souhaitent porter plainte, sont-elles nombreuses ? S’organisent-elles entre elles ? De votre côté, êtes-vous en train de vous organiser pour structurer tout cela ? Nous sommes le 6 juin, et les faits remontent au 22 février, ce qui est relativement récent. Ce que vous nous rapportez est d’une violence incroyable. Comment vous organisez-vous actuellement face à ces révélations ?

M. Stéphane Gaillard. Je suis actuellement en train de constituer une association. J’ai sollicité l’aide d’une juriste spécialisée en droit des associations pour travailler sur les statuts. Bien que je ne puisse pas encore en dévoiler les détails, ce processus est en cours. J’ai dû me constituer en association par nécessité. Il m’a semblé essentiel de comprendre, en cas de besoins psychologiques, vers qui me tourner. Il me faut connaître des juristes, notamment des pénalistes et des spécialistes en violence sexuelle, et j’ai réussi à en trouver. Aujourd’hui, je peux affirmer qu’il y a des plaintes déposées, bien que je ne connaisse pas le nombre exact. J’ai mis en place un protocole pour gérer ces situations.

Certains acteurs pensent qu’ils sont seuls lorsqu’ils sont agressés. Je leur explique qu’ils ne le sont pas. En général, lorsque je reçois un témoignage, il est suivi de plusieurs autres, souvent de deux à dix, impliquant les mêmes auteurs présumés. Je leur dis qu’ils ne sont pas seuls dans cette démarche. Il arrive qu’un acteur me demande s’il est possible de dialoguer avec une autre victime. Je leur réponds que cela est tout à fait envisageable. Je contacte alors l’autre personne sans révéler son identité. Mon protocole consiste à obtenir l’accord des deux parties avant de faciliter leur mise en relation, généralement via Instagram, quitte à échanger leurs numéros de téléphone après.

En ce moment, une quarantaine de victimes d’agressions par divers prédateurs se sont regroupées pour commencer à dialoguer entre elles. Elles cherchent à s’organiser et envisagent de porter plainte, car il est extrêmement difficile de le faire seul. Évidemment, lorsqu’on est deux, trois ou quatre à porter plainte contre la même personne, cela devient beaucoup plus facile. Il est important de noter que les témoignages que je reçois incluent des faits prescrits et non prescrits, certains remontant à une vingtaine d’années. Cependant, il est à souligner que tous les prédateurs mentionnés sont toujours en activité.

M. le président Erwan Balanant. Est-ce que ces prédateurs sont des prédateurs qui ont genré leur proie, c’est-à-dire qu’ils sont sur des victimes hommes ou aussi parfois des victimes femmes ?

M. Stéphane Gaillard. La majorité des témoignages que je reçois, ce sont des prédateurs qui prédatent des jeunes hommes, donc des jeunes acteurs, à part ce directeur de casting dont j’aimerais bien développer puisqu’il est toujours en activité aujourd’hui, alors que l’ensemble du cinéma le connaît et connaît ses méfaits.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Allez-y, développez. Vous êtes conscients que si vous citez un nom…

M. Stéphane Gaillard. Je ne vais pas le citer. Il s’agit d’un fameux directeur de casting. Je prends cet exemple, mais il y en a tellement d’autres. Je suis obligé de faire un choix. J’ai reçu énormément de témoignages concernant ce directeur de casting qui a agressé sexuellement des actrices et des acteurs. Dès 2017, tout le monde était au courant de ces agissements. Un article dans Télérama mentionnait même deux actrices, dont l’une avait porté plainte. Aujourd’hui, j’ai encore reçu de nombreux témoignages concernant ce directeur de casting qui est toujours en activité. Ce directeur de casting était très important et très connu. Aujourd’hui, il est un peu plus discret, mais il continue d’exercer. Tout le monde sait ce qu’il a fait, il n’est plus totalement fréquentable. Dans une grosse production, l’engager ne serait peut-être pas bien vu. Cependant, ce monsieur, ce n’est pas illégitime, est trilingue. Pendant des années, il a participé à des festivals internationaux. En fait, il travaille pour des coproductions internationales ou américaines, très connues sur des plateformes. Il continue donc à exercer. Je me pose une question, les productions étrangères ne connaissent-elles pas son pedigree ?

Elles travaillent avec lui. Dans le cadre de ces productions, de ces films, de ces projets, de ces séries, il va caster des acteurs et des actrices françaises. Pour ce faire, il contacte les agents et les agentes. Cela signifie qu’encore aujourd’hui, en 2024, les agents et les agentes contribuent à travailler avec ce personnage, sans aucun problème.

M. le président Erwan Balanant. Ces agents savent ou pas ?

M. Stéphane Gaillard. Le milieu du cinéma est extrêmement restreint. Chacun aime parler, et bien que l’on dise souvent, « je te confie quelque chose, mais ne le répète pas », tout finit par se savoir. Tout le monde en est conscient. Je souhaite souligner que ces prédateurs bénéficient d’une impunité certaine grâce à leurs alliés. Il est impossible de commettre des agressions sur tant d’années sans soutien. Il existe des alliés directs et indirects. Parmi les alliés directs, on trouve des agents et agentes qui réduisent leurs clients et clientes au silence. Aujourd’hui encore, certains directeurs et directrices de casting font taire les victimes et protègent les agresseurs. Un aspect peut-être le plus important et désastreux est celui de ceux qui détournent le regard, affirmant : « Je ne sais pas, je ne veux rien savoir. » Cette attitude permet une impunité totale pour l’agresseur, qui n’a alors aucune raison de cesser ses actions.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Vous savez que nous avons éditionné ce matin le SFAAL qui, au travers de Mme Tanner, nous a indiqué qu’elle n’avait pas connaissance d’agissements à ce jour. Est-ce que ces agents dont vous parlez font partie du SFAAL ?

M. Stéphane Gaillard. Absolument. Les agents qui silencient et qui protègent les agresseurs, ce sont des agents de pouvoir, ce sont les grandes agences. Je dois dire que les femmes participent activement.

M. le président Erwan Balanant. Pas de questions ? Madame Martin, allez-y, cela va nous permettre de reprendre notre esprit et de respirer.

Mme Pascale Martin (LFI-NUPES). J’en ai une très directe, M. Gaillard. Parmi les gens que nous avons auditionnés ce matin, est-ce qu’il y a des gens qui sont dans ce système ? Sans nommer de personnes.

M. le président Erwan Balanant. C’est un peu délicat de procéder ainsi car, je précise, nous disposons d’autres moyens pour poursuivre les enquêtes. C’est toute la difficulté de l’exercice. Nous ne sommes pas la justice. Cependant, si nous pouvons faire émerger des sujets, nous sommes là pour cela. Je comprends votre question, Mme Martin. Je le répète, ce n’est pas dans nos attributions de faire émerger des sujets nominatifs comme celui-là, mais cela reste très problématique. Je comprends ce que vous souhaitez, Mme Martin, car au vu de la violence et de la gravité des faits qui nous sont décrits, évidemment, nous ne voulons pas que l’impunité perdure. Cela me permet de vous poser cette question. Un réalisateur, Césarisé, M. Hazanavicius, nous a affirmé qu’il n’y avait pas d’omerta et que des sujets avaient été abordés, et que la situation s’améliorait. C’est vrai que les choses évoluent. Vous semblez indiquer, au contraire, qu’il existe une omerta terrible et un système en place. La question que je vous pose est la suivante ce système est-il organisé ou s’agit-il d’un système où l’on se cache, où l’on détourne le regard, ou est-il véritablement structuré ? Ma question peut sembler floue, mais nous sommes nous-mêmes dans une certaine confusion, je dois l’avouer.

M. Stéphane Gaillard. Je me suis évidemment posé la question de cette omerta, cette loi du silence, qui, selon moi, remonte aux fondations mêmes du cinéma. Le cinéma, c’est l’image, et il faut peut-être donner une bonne image. Structurellement, dans les racines du cinéma, l’omerta est présente. La loi du silence est là : si tu parles, tu payes, tu es éjecté. C’est une réalité dont je suis la preuve vivante. Après vingt-huit ans de métier, mon téléphone a cessé de sonner instantanément. Le corps du cinéma, comme un organisme, réagit de manière organique dans son ensemble. Par mimétisme, même des personnes formidables qui n’ont rien à se reprocher me considèrent comme radioactif. On me dit que je suis infréquentable, dangereux, qu’il faut me débrancher, que je suis fou, etc. Je suis seul. Aucun syndicat ne m’a contacté, aucune association, à l’exception d’une seule, l’Association d’acteur.ices féministe et antiraciste (ADA), que vous avez reçu par l’entremise d’Alice de Lencquesaing et d’une autre femme formidable, Luana Duchemin. Nous avons eu une réunion téléphonique à trois, où pour la première fois, on m’a demandé comment j’allais et on m’a soutenu. Depuis, nous échangeons régulièrement et nous allons nous rencontrer très bientôt. C’est la seule association avec laquelle j’ai pu dialoguer à ce jour.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Vous nous avez dit vingt-huit ans de métier et c’est la création de cette boîte mail qui est assez récente. Durant toutes ces années de métier, avez-vous assisté en tant que témoin direct de violences faites pendant le casting ou à d’autres moments sur les tournages ?

M. Stéphane Gaillard. En tant que directeur de casting, je tiens à préciser que nous n’assistons pas au tournage. Je n’en ai aucune expérience. Mon travail se déroule en amont, dans des bureaux, lors de la phase de préparation. Une fois que les acteurs sont choisis et contractualisés, mon rôle est terminé. Le premier jour du tournage, je suis déjà engagé ailleurs. Par conséquent, je n’ai pas d’expérience de plateau, à l’exception d’un déjeuner occasionnel avec l’équipe. Je ne peux donc évaluer ce qui se passe sur un plateau et je ne me considère pas légitime pour en parler.

Concernant votre question, je vais être paradoxal. Je n’ai jamais été témoin de rien, mais il y a une raison à cela. Peut-être en raison de mon passé, ayant été un petit garçon humilié et violé, je ne supporte pas le moindre abus de pouvoir. Dès le début de ma carrière, j’ai toujours veillé à ce que cela soit impossible avec moi. Si quelqu’un avec qui je travaille commet le moindre abus de pouvoir, je le remets immédiatement à sa place. Ainsi, non, cela ne s’est jamais produit.

Peut-être ai-je un souvenir très lointain d’un réalisateur avec qui j’ai travaillé, aujourd’hui décédé, mais c’était vraiment insignifiant par rapport à ce que je reçois. Je trouvais néanmoins qu’il y avait une forme de malaise à recevoir des actrices en casting dans un bureau. Nous les recevions, nous discutions, sans forcément faire d’essai dans un premier temps. Nous accueillions des actrices ayant déjà une certaine expérience, nous pouvions visionner des extraits de films avant de procéder à un essai. Il y avait parfois une légère séduction, très subtile, mais je trouvais cela déplacé.

En casting, j’accueille toujours les acteurs et actrices et je les raccompagne systématiquement. C’est très important pour moi car cela me permet de leur demander comment s’est passée la rencontre. Nous nous connaissons suffisamment pour que les actrices sachent que, avec moi, la parole est libre. L’une d’elles me dit qu’elle s’est sentie mal à l’aise, je prends cela très au sérieux. Une autre me confie qu’il y avait une atmosphère de séduction déplacée, j’interviens immédiatement. Lors d’un troisième rendez-vous, j’ai demandé à une actrice de patienter cinq minutes, je suis retourné dans le bureau et j’ai fermé la porte. Le réalisateur, dans sa toute-puissance, m’a demandé ce que je faisais et où était la prochaine actrice. Je lui ai dit qu’il n’y aurait pas de prochaine fois pour le moment, car nous devions discuter tous les deux. Je lui ai expliqué qu’une certaine séduction me gênait et n’avait pas sa place dans notre collaboration professionnelle. Immédiatement, il a tenté d’affirmer son autorité en me rappelant qu’il était le réalisateur. La situation s’est rapidement clarifiée. Je lui ai répondu que, sans réalisateur, il n’y avait pas non plus de directeur de casting, mais simplement deux hommes en conversation, et que l’un d’eux devait maintenant mettre un terme à cette situation. Je lui ai demandé s’il était prêt à continuer dans ces conditions, et il a répondu affirmativement. Par la suite, notre collaboration s’est déroulée sans encombre. C’est la seule expérience de ce genre que j’ai vécue, mais je tiens à préciser que je ne tolère pas ce type de comportement. Donc, pour répondre à votre question, non.

M. le président Erwan Balanant. Sur vos vingt-huit années d’expérience, vous avez casté quelques films importants. Vous avez un parcours et une carrière.

M. Stéphane Gaillard. Je ne souhaite pas particulièrement parler de moi, mais je tiens à vous faire part de la violence de ce que je vis actuellement, et par extension, de ce que peut endurer une victime. Je ne suis pas victime d’un agresseur dans le cinéma, mais je ressens profondément les répercussions psychologiques et physiques de cette situation. J’ai perdu 6 kilos en une semaine, soit 1 kilo par jour. Je dois prendre des médicaments pour tenir le coup. La pression est immense. On a l’impression de trahir, de devenir une balance. Personne ne vous adresse plus la parole. Des personnes que je croise dans la rue, qui travaillent dans le cinéma, changent de trottoir. C’est incroyable. On inverse la charge, je deviens celui qu’il faut absolument écarter du milieu, parce que j’en sais trop. Je répète, ces agresseurs ne peuvent pas perpétrer ces agressions à répétition sans complicité, ce n’est pas possible. Ma parole concerne les hommes, les acteurs, mais je ne peux pas ne pas penser aux actrices. Quand je m’exprime, je pense également à elles.

M. le président Erwan Balanant. La question que je souhaite poser est simple comment faire exploser cette loi du silence aujourd’hui ? Avec les membres de la commission d’enquête et Mme la rapporteure, nous avons l’impression d’être pris dans une sorte de sinusoïde. Parfois, on nous assure que tout va bien, que les choses avancent, que de nombreuses actions sont mises en œuvre. Puis, nous rencontrons des représentants de victimes ou les victimes elles-mêmes, qui nous parlent d’une chape de plomb immense. Maintenant, en tant que responsables, avec le mandat que nous a confié la représentation nationale, comment faire exploser cette loi du silence ?

M. Stéphane Gaillard. Cette question me préoccupe profondément. Le métier et le territoire du cinéma sont construits et fonctionnent essentiellement par cooptation, réseaux, interdépendances, conflits d’intérêts et intérêts communs. Ce socle est indestructible et profondément enraciné. Je ne crois pas que le cinéma puisse s’autoréguler lui-même, cela me semble impossible. Peut-être que le CNC pourrait créer une instance totalement indépendante, une sorte de gendarme du cinéma. Cette instance, composée de différents modules, pourrait immédiatement recueillir des témoignages et offrir une protection adéquate. Toutefois, si cette cellule est placée à l’extérieur, le système pervertit tout.

Tout le monde parle d’Audiens, on renvoie constamment à Audiens, je ne m’attaque pas eux car ils font un travail formidable. Je suis convaincu de leur professionnalisme. Audiens est devenue un objet du cinéma, où les témoignages extérieurs sont envoyés et rapidement écartés. Tout est détourné, et il ne peut y avoir qu’un gendarme du cinéma interne, dont les membres jouiraient d’une totale indépendance pour réguler ce système. Il y a trop de conflits d’intérêts. Même les personnes que vous avez reçues, malgré leur sincérité, ne peuvent dépasser certaines limites sans se mettre en danger. Un travail urgent s’impose, et je comprends parfaitement cette situation. Qui voudrait être à ma place aujourd’hui ? Personne.

M. le président Erwan Balanant. Nous constatons, et je le dis en prenant en compte tous les témoignages que nous avons recueillis, que les personnes auditionnées sont de bonne volonté, elles observent les problèmes et souhaitent les combattre. Cependant, il est également évident, et je le souligne avec Mme la rapporteure, que le refus de témoignage de certaines personnes, que nous n’irons pas chercher par respect pour les victimes, révèle un blocage souvent lié à la peur. Dans le monde du travail traditionnel, il existe des règles régies par le droit du travail. Bien que des difficultés puissent survenir, le droit est généralement du côté des travailleurs.

Cependant, dans le secteur du cinéma, la situation est différente. Il ne s’agit pas seulement de risquer de compromettre un projet en cours, mais de mettre en péril toute une carrière. Je repose donc la question, non pas à vous directement, mais à l’ensemble de la profession qui nous écoute aujourd’hui comment briser cette loi du silence ? J’ai proposé une réponse, qui n’est peut-être pas la meilleure, mais qui mérite réflexion. Une cellule indépendante est-elle envisageable ?

M. Stéphane Gaillard. Une cellule indépendante est impossible. Les associations font un travail remarquable, mais elles atteignent leurs limites lorsque la vérité met en danger les postes des individus. Il devient alors impossible de dire la vérité. Je souhaite ajouter un point important.

M. le président Erwan Balanant. Une cellule indépendante, compte tenu de la gravité des faits, il s’agit de la justice. Comment pouvons-nous aider et accompagner les victimes à porter plainte tout en les protégeant ? Voilà la véritable question.

Mme Francesca Pasquini, rapporteure. Je pensais exactement à la même chose. Dans un commissariat, un gendarme et un policier ne sont pas parties prenantes et n’ont rien à gagner ou à perdre. Je comprends bien la limite des associations, des syndicats que vous invoquez, ainsi que celle de la cellule Audiens. Toutefois, il est essentiel de reconnaître que se confier à une espèce d’unité de police ou de gendarmerie en interne comporte le même risque d’être blacklisté et de perdre son emploi. Je ne vois pas de différence.

Le seul levier que nous avons est de s’assurer que ces branches pourries et mortes de la profession ne puissent plus imposer leurs lois. Par le nombre de personnes qui dénoncent, aujourd’hui infiniment plus grand. Nous ne devons plus tolérer aucun geste déplacé, aucune parole inacceptable. Il est impératif que nous soyons nombreux à témoigner sans crainte. Le nombre de témoignages obtenus en seulement quatre mois, ainsi que ceux recueillis par Judith Godrèche de toutes les parties de la profession, qu’elles soient techniciennes, acteurs ou actrices, de plus d’un millier, signifie que si toutes ces personnes sortent de l’ombre, il n’y aura plus personne pour travailler dans le monde du cinéma. Si nous blacklistons les victimes, il n’y aura plus d’acteurs, ni de techniciens. Si nous blacklistons les auteurs de ces violences, comme vous le suggérez, nous tenterons de rendre ce système plus propre.

Cependant, nous atteignons une limite, car notre objectif est de mettre en évidence les dysfonctionnements et le caractère systémique des problèmes, afin d’y apporter des réponses, qu’elles soient législatives ou non. Nous devons également proposer des bonnes pratiques et rester vigilants quant aux mesures que nous souhaitons mettre en place. Toutefois, si les témoignages restent anonymes, je comprends la difficulté pour ces personnes courageuses, qui ont déjà beaucoup souffert et ne veulent pas mettre en péril leur carrière. Je ne vois pas comment nous pourrions sortir de cette situation.

En effet, il est important de les mettre en relation pour qu’elles ne se sentent pas isolées. Mais même en tant que victimes, elles n’ont aucune envie de continuer à travailler dans un système corrompu et dangereux. Que nous disent-elles ? Elles s’isolent, sachant que si elles parlent, elles seront blacklistées. Si elles restent dans l’ombre, elles doivent éviter et contourner de nombreux pièges, qui ne se trouvent jamais au même endroit. À chaque nouveau tournage ou film, de nouvelles équipes se forment et se mélangent, rendant impossible toute continuité de travail.

M. le président Erwan Balanant. Aux États-Unis, on pense souvent au mouvement #MeToo de 2017, mais en réalité, des dénonciations avaient déjà eu lieu auparavant. Maria Schneider, par exemple, a dénoncé des abus dès 1978. Ensuite, Noémie Kocher a pris la parole en 2001. Entre-temps, aux États-Unis, l’affaire Weinstein a éclaté, provoquant un véritable cataclysme qui a donné naissance au mouvement #MeToo, lequel s’est diffusé jusqu’en Europe et en France. Weinstein a fini en prison, et une réaction forte s’est manifestée aux États-Unis. J’ai l’impression que là-bas, l’omerta a été brisée. Peut-être que je me trompe, peut-être que c’est l’émotion et le chaos engendrés par les témoignages des victimes décrivant l’horreur, mais j’ai l’impression qu’en France, l’omerta persiste. En 2017, Adèle Haenel a pris la parole lors des César. Nous sommes en 2024, et cette année, le mouvement #MeTooGarçons. Parallèlement, Judith Godrèche a pris la parole lors des César et nous avons aujourd’hui cette commission d’enquête. J’ai l’impression que la situation perdure. Tout va bien, madame la Marquise ?

M. Stéphane Gaillard. La France fait face à des résistances que je ne parviens pas à comprendre. Cette résistance est extrêmement forte. Aujourd’hui, je dois mentionner un phénomène que je n’avais jamais observé auparavant. Il y a eu la parole d’Adèle Haenel. Judith Godrèche a recueilli des témoignages et devient radioactive dans ce domaine. Pour ma part, je reçois également des témoignages, ce qui me permet de constater des changements concrets.

Un aspect nouveau que je remarque est que, paradoxalement, dans le milieu du cinéma, les personnes qui osent parler sont immédiatement sanctionnées. Je vais illustrer cela par un exemple concret, tout en protégeant l’anonymat de la personne concernée, car elle a fait preuve de beaucoup de courage. Il s’agit d’un agent, un homme, travaillant dans une série quotidienne française diffusée sur une chaîne importante. Un acteur de cette série se montre extrêmement problématique, adoptant des comportements violents envers les femmes et les actrices, tant verbalement que physiquement. Certaines actrices ont même dû quitter la série à cause de lui. Dans une série, un acteur étant récurrent, cela signifie perdre son emploi.

Les producteurs et la production en sont informés, mais cet acteur est toujours présent. Un agent, représentant un autre acteur de cette série, un rôle récurrent, ainsi qu’une réalisatrice parmi les dix réalisateurs de cette production, a eu le courage de s’exprimer. Il a dit : « Écoute, ce n’est pas normal de garder cet acteur, ce n’est même pas possible. » La réponse du producteur fut cinglante : « Mais de quoi te mêles-tu ? Je n’ai pas engagé de femme chez toi. » L’agent a rétorqué : « Ce n’est pas le problème. » Cet échange virulent s’est arrêté là. Deux jours plus tard, ses deux clients, l’acteur et la réalisatrice, l’ont contacté. Ils lui ont annoncé : « Nous devons te quitter. La production nous a informés qu’il y avait un gros problème avec toi. Si nous voulons continuer à tourner, nous devons changer d’agent. » Ainsi, cet agent a perdu ses deux clients. C’est la première fois que je vois cela. Auparavant, tout se passait dans l’ombre. Aujourd’hui, la situation se resserre et la peur s’installe. Cette peur, absente auparavant, provoque des réactions extrêmement violentes.

M. le président Erwan Balanant. Je vous ai interrogé sur la loi du silence et vous avez proposé une idée forte la création d’un poste de gendarme au sein du CNC, mais indépendant. Quelles autres propositions auriez-vous pour protéger les acteurs ? Vous avez mentionné un point important, la vie des acteurs en dehors des tournages, des castings et des répétitions, notamment leur réseau social. Dans ce milieu, nous savons que ces aspects sont essentiels. Nous ne pouvons pas avoir un coordinateur d’intimité pour chaque acteur en permanence. Cependant, pensez-vous que ces postes de coordinateurs d’intimité vont dans la bonne direction ? De même, pour les enfants, que pensez-vous des responsables dédiés ? Voyez-vous d’autres dispositifs qui pourraient protéger et améliorer cet écosystème ?

M. Stéphane Gaillard. Il y a plusieurs points à aborder concernant le référent qui va devenir obligatoire, je pense, sur les tournages de cinéma. Notons que la télévision n’est pas mentionnée dans ce contexte. Qu’en est-il des enfants à la télévision ? À ma connaissance, il n’existe pas de référent pour les enfants à la télévision, bien qu’ils y tournent également. Le référent est aujourd’hui indispensable sur un tournage. Cependant, tout le monde peut suivre cette formation, ce qui signifie que n’importe qui peut devenir référent. Un tournage représente un investissement en temps et en argent. En un temps limité, un groupe de personnes doit se réunir pour collaborer, souvent sans se connaître, afin de créer quelque chose. La réussite d’un film relève toujours d’un petit miracle. Je constate que tout le monde peut suivre cette formation et devenir référent, ce que je trouve extrêmement dangereux. Tout le monde n’est pas apte à être référent, en particulier sur un tournage.

Lorsqu’on est une jeune femme ou un jeune homme de vingt à vingt-cinq ans, avec seulement trois tournages à son actif, comment peut-on intervenir efficacement sur un tournage ? Cela me semble impossible. L’initiative de vouloir être référent est louable, mais il devrait exister une commission où les candidats déposent leur dossier. Cette commission devrait évaluer divers critères et mener des entretiens pour s’assurer que la personne sera efficace en cas de problème. Je vois bien comment les choses se passent sur les tournages. Je pose souvent la question aux acteurs et actrices : « As-tu rencontré la référente ou le référent ? » La réponse est souvent : « Ah non, je ne sais pas. » Ils mentionnent parfois un nom dans la bible de production, mais cela reste flou. Il est évident que certains producteurs ou productrices sont très honnêtes. Cependant, on ne peut pas laisser le choix du référent sans réglementation. C’est là que les dérives apparaissent. En réalité, ce n’est pas le producteur ou la productrice qui choisit le référent, mais ils délèguent cette tâche au directeur ou à la directrice de production. J’ai souvent entendu des techniciens discuter entre eux. À un moment, le directeur de production lance : « Dis donc, tu ne connais pas une petite qui a suivi la formation, qu’on l’intègre dans la Bible ? ». Voilà comment les choses se passent. Tout est détourné. Cette jeune femme se trouve dans l’incapacité d’intervenir dans une hiérarchie aussi vaste. Comment pourrait-elle interrompre le tournage en cas de problème ? Il faut une personne avec suffisamment d’expérience pour accomplir cette tâche. Encore une fois, on détourne les responsabilités. Oui, il faut des référents, mais pas à n’importe quel prix et pas n’importe qui.

Ce principe s’applique également aux coordinatrices et coordinateurs d’intimité. En France, il semble qu’il n’y ait que des coordinatrices. Vous avez reçu les quatre coordinatrices existantes. C’est une profession toute nouvelle, indispensable et intéressante à explorer. Cependant, l’une d’elles a mentionné avoir suivi une formation en ligne coûtant 10 000 euros, ce qui est stupéfiant. Elle n’a plus un sou. Cela m’inquiète également. Je le répète, ce métier est indispensable. Mais il doit être régulé, car il est essentiel pour gérer le contact physique avec les acteurs. On ne peut pas s’autoproclamer coordinateur ou suivre une autoformation. Je ne remets pas en question les compétences des quatre femmes que vous avez reçues. Je suis convaincu de leur compétence. J’ai d’ailleurs échangé avec l’une d’elles et il n’y a aucun problème.

Cependant, laisser cette situation perdurer ouvre la porte à toutes les dérives. Actuellement, les formations disponibles sont principalement anglo-saxonnes ou américaines, ce qui ne correspond pas à notre culture. Nous ne sommes pas dans un puritanisme à l’américaine. Il est essentiel que cela soit adapté à notre culture et aux réalités d’un tournage. Je suis fermement opposé à l’imposition systématique d’une coordonnatrice sur un tournage. Cela ne respecte pas la parole des premiers concernés, à savoir les actrices et les acteurs qui vont jouer ces scènes. En revanche, il est impératif de demander systématiquement leur avis. Si les deux répondent négativement, on n’en prend pas. Si les deux répondent positivement, on en prend. Si l’un des deux répond positivement et l’autre négativement, le oui l’emporte. On en prend et on ne discute plus. Cependant, imposer cette présence sans dialogue est inacceptable. Les acteurs et actrices doivent pouvoir décider, en fonction de leur connaissance mutuelle et de leurs besoins à ce moment-là. Ce métier est intéressant, mais il ne doit pas être imposé sans discernement. Ce matin, en écoutant Mme Tanner, on pourrait croire que toutes les productions ont des coordonnatrices attitrées. Or, elles ne sont que quatre pour environ 300 films par an. De qui se moque-t-on ?

Je souhaite aborder un dernier point, bien que le temps soit limité. Ce matin, madame Tanner a mentionné Mlle Charlotte Arnould. Peut-être par méconnaissance du dossier, mais j’y tiens. J’ai eu un échange avec Charlotte Arnould avant de venir ici. Elle n’a pas été violée une fois, mais deux fois. Je retranscris fidèlement ses propos, car cela revêt une grande importance pour elle.

M. le président Erwan Balanant. Je réitère ce que j’ai mentionné précédemment, la procédure est en cours. Nous attendons le jugement et auditionnons également Mme Arnould. La présomption d’innocence doit être respectée, mais cela n’empêche ni le débat ni une réflexion active sur ces questions. Merci, M. Gaillard, pour votre témoignage et les informations fournies. Votre engagement envers les victimes est précieux. J’espère sincèrement que votre travail sera reconnu et que vous pourrez reprendre votre carrière, ou peut-être en envisager une autre, mais en tout cas, que vous pourrez rebondir. Je lève la séance.

 

 


([1]) Compte rendu  29 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425029_compte-rendu

([2]Compte rendu  20 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425020_compte-rendu

([3])  Contribution écrite reçue le 28 janvier 2025.

([4]) Compte rendu n° 29 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425029_compte-rendu.pdf

([5]) Témoignage reçu le 28 janvier 2025.

([6]Compte rendu n° 48 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425048_compte-rendu

([7]) Compte rendu n° 4 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425004_compte-rendu

([8]) Compte rendu n° 28 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425028_compte-rendu

([9]) ARCOM, Rapport sur la représentation de la diversité de la société française dans les médias, 2013-2023, novembre 2024.

([10]) Compte rendu n° 40 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425040_compte-rendu

([11]) Compte rendu n° 25 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425025_compte-rendu.

([12]) Ibid.

([13]) Compte rendu n° 31 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425031_compte-rendu .

([14]) Résolution, adoptée par l’Assemblée nationale, créant une commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité le 9 octobre 2024, T.A. no 1 (XVIIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17t0001_texte-adopte-seance.

([15]) Résolution, adoptée par l’Assemblée nationale, créant une commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité le 2 mai 2024, T.A. n° 294 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16t0294_texte-adopte-seance.

([16]) Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité, n° 166, déposée le mardi 20 août 2024 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b0166_proposition-resolution.

([17]) Audition de Mme Judith Godrèche, actrice, scénariste, réalisatrice et écrivaine française, délégation aux droits des enfants, 14 mars 2024 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/dde/l16dde2324032_compte-rendu.

([18]) Lorraine de Foucher et Jérôme Lefilliâtre, « Dans CE2, le film de Jacques Doillon, questions autour du casting des enfants », Le Monde, 27 mars 2024.

([19]) Selon les termes du jugement, deux seraient exécutés sous bracelet électronique, les deux autres avec sursis. Il lui serait également interdit de travailler avec des mineurs pendant cinq ans, et il devrait verser à la plaignante 15 000 euros pour préjudice moral et 20 000 euros en compensation de son suivi psychologique, ainsi qu’un euro symbolique à la Fondation pour l’enfance. Voir notamment : https://www.telerama.fr/debats-reportages/adele-haenel-remporte-son-proces-contre-christophe-ruggia-ce-qui-nous-repare-c-est-de-changer-le-monde-4710-7024194.php.

([20]) https://www.marieclaire.fr/,flavie-flament-j-avais-13-ans-david-hamilton-m-a-violee,844266.asp.

([21]) https://mediaclip.ina.fr/fr/i24171889-pour-maria-schneider-le-cinema-est-un-metier-dangereux.html.

([22]) La pétition fut publiée en juin 2010 sur le site de La Règle du jeu.

([23]) Adèle Haenel, suivie de Céline Sciamma et d’autres professionnels, quitta la salle en criant : « C’est la honte ! La honte ! ».

([24]) Compte rendu n° 11 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425011_compte-rendu.

([25]) Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld, « En 1991, Depardieu version Cyrano à la conquête de l’Amérique : c’est un pic, c’est un cap, c’est une catastrophe », Le Monde, 21 juillet 2023.

([26]) Ibid.

([27]) Compte rendu n° 6 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324006_compte-rendu.

([28]) « Harvey Weinstein Paid Off Sexual Harassment Accusers for Decades » (Jodi Kantor et Megan Twohey, The New York Times, 5 octobre 2017 : https://www.nytimes.com/2017/10/05/us/harvey-weinstein-harassment-allegations.html) ; « From Aggressive Overtures to Sexual Assault : Harvey Weinstein’s Accusers Tell Their Stories » (Ronan Farrow, 10 octobre 2017, The New Yorker, https://www.newyorker.com/news/news-desk/from-aggressive-overtures-to-sexual-assault-harvey-weinsteins-accusers-tell-their-stories).

([29]) https://larevuedesmedias.ina.fr/metoo-violences-sexistes-sexuelles-etude-ina.

([30]) https://www.lemonde.fr/cinema/article/2017/11/09/la-cinematheque-francaise-annule-la-retrospective-brisseau_5212278_3476.html.

([31]) https://www.mediapart.fr/journal/france/031119/metoo-dans-le-cinema-l-actrice-adele-haenel-brise-un-nouveau-tabou.

([32]) https://www.20minutes.fr/societe/4078386-20240226-peut-reparer-metoogarcons-encourage-temoigner-violences-sexuelles-subies-hommes.

([33]) https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/l-acteur-et-realisateur-nicolas-bedos-condamne-a-un-an-de-prison-dont-6-mois-avec-sursis-pour-des-agressions-sexuelles_6853214.html.

([34])  https://www.politis.fr/articles/2024/11/enquete-vss-gerard-darmon-il-a-mis-sa-main-entre-mes-cuisses-en-me-disant-bonjour/.

([35]) https://www.mediapart.fr/journal/france/210225/l-acteur-et-realisateur-franck-gastambide-mis-en-cause-par-six-femmes.

([36]) https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/12/12/jean-pierre-baro-demissionne-du-theatre-des-quartiers-d-ivry_6022669_3246.html.

([37])  https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/meurthe-et-moselle/nancy/info-f3-nancy-le-metteur-en-scene-de-theatre-michel-didym-vise-par-une-plainte-pour-viol-2036362.html.

([38]) « Édouard Baer : deux séries de représentations du comédien annulées une semaine après sa mise en cause par six femmes », Libération, 30 mai 2024.

([39]) https://www.mediapart.fr/journal/france/230524/violences-sexuelles-six-femmes-temoignent-contre-edouard-baer.

([40]) https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/08/le-comedien-philippe-caubere-mis-en-examen-pour-viols-et-agressions-sexuelles-sur-mineurs_6215510_3224.html.

([41]) https://www.instagram.com/metootheatre/?hl=fr.

([42]) https://www.francetvinfo.fr/culture/nazim-boudjenah-de-la-comedie-francaise-convoque-en-vue-son-licenciement-apres-une-plainte-de-sandrine-rousseau_7016231.html.

([43]) https://www.instagram.com/musictoofrance/?hl=fr.

([44]) https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/10/le-rappeur-moha-la-squale-arrete-en-decembre-en-allemagne-a-ete-ecroue-a-paris_6215848_3224.html.

([45]https://www.streetpress.com/sujet/1601557089-8-femmes-accusent-rappeur-retro-x-viols-et-agressions-sexuelles-because-culture.

([46]https://www.mediapart.fr/journal/france/220521/violences-sexuelles-les-musiques-extremes-face-leurs-demons.

([47]) https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/alpes-maritimes/cannes/info-france-3-festival-des-plages-electroniques-accuse-de-viol-lomepal-jouera-le-dimanche-6-aout-affirment-les-organisateurs-2821196.html.

([48]) https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/vaucluse/ce-que-l-on-sait-des-plaintes-pour-viol-a-l-insane-festival-d-apt-2825579.html.

([49]) https://www.mediapart.fr/journal/international/080623/metoo-de-rammstein-au-hellfest-le-metal-dans-la-tourmente.

([50]) https://www.huffingtonpost.fr/culture/article/till-lindemann-de-rammstein-au-hellfest-2025-le-patron-du-festival-s-explique-sur-la-presence-du-chanteur_243334.html.

([51]) https://www.lecanardenchaine.fr/societe/49176-francois-xavier-roth-un-chef-dorchestre-qui-mene-son-monde-a-la-braguette.

([52])https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/l-affaire-ppda.

([53]) Compte rendu n° 4 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425004_compte-rendu.

([54]) https://www.leparisien.fr/laparisienne/people/video-le-piege-ose-d-hanouna-sur-capucine-anav-entraine-une-enquete-du-csa-09-12-2016-6436053.php ; https://www.huffingtonpost.fr/justice/article/tpmp-jean-michel-maire-confirme-une-plainte-de-soraya-riffi-apres-l-agression-sexuelle-en-direct_130216.html.

([55]) « “Une goutte de poison par jour” : sur NRJ, les matinales toxiques de Manu Levy », Libération, 2 avril 2024.

([56]) Compte rendu n° 20 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425020_compte-rendu.

([57]) CNC, réponses écrites au questionnaire du rapporteur.

([58]) Rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur l’industrie de la pornographie, n° 900 (2021-2022), Sénat, déposé le 27 septembre 2022 : https://www.senat.fr/rap/r21-900-1/r21-900-1.html.

([59]) Sur les 26 126 employeurs évoqués, 50 % relevaient du secteur privé, 45 % du secteur public et 5 % de la prestation de services techniques. Les 251 385 salariés permanents et intermittents se répartissaient de la manière suivante : 67 % employés en contrat à durée déterminée dits d’usage (CDDU), 18 % en CDD et 15 % en CDI. La répartition par catégories professionnelles était la suivante : 45 % étaient des artistes-interprètes, 44 % des personnels techniques ou administratifs non-cadres, et 11 % des personnels artistiques techniques ou administratifs cadres. La moitié des salariés ayant occupé un emploi dans le spectacle vivant ont moins de 38 ans, et 42 % étaient des femmes. Voir : https://www.artcena.fr/fil-vie-pro/251-000-salari%C3%A9s-dans-le-spectacle-vivant-en-2023.

([60]) Compte rendu n° 8 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324008_compte-rendu.

([61]) https://observatoires.afdas.com/observatoires/publicite.

([62]) La France compte plus de 1 000 établissements publics d’enseignement artistique, représentant environ 300 000 élèves et 17 000 enseignants. En incluant les structures privées, notamment associatives, l’enseignement musical, chorégraphique et d’art dramatique concernerait environ 800 000 élèves et 40 000 enseignants, selon une évaluation réalisée en 2002 par le département des études et de la prospective du ministère de la culture. Par ailleurs, une cinquantaine d’écoles préparent aux métiers de l’audiovisuel et du cinéma, en majorité privées. Parmi les établissements publics les plus renommés, il convient de mentionner l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son (FEMIS), l’École nationale supérieure Louis-Lumière et l’École nationale supérieure de l’audiovisuel (ENSAV).

([63]) À titre d’exemples, pour la production audiovisuelle, 193 métiers sont énumérés dans l’annexe VIII au règlement général relatif à l’indemnisation du chômage des salariés intermittents du spectacle ; il y en a 101 pour la production cinématographique et 76 dans le spectacle vivant privé. Voir l’annexe VIII au règlement général de la convention du 14 mai 2014, telle qu’elle résulte du décret n° 2016-961 du 13 juillet 2016 relatif au régime d’assurance chômage des travailleurs involontairement privés d’emploi.

([64]) Le titre II du livre Ier de la septième partie de la partie législative du code du travail (articles L. 7121-1 à L. 7124-35) est consacré aux « professions du spectacle, de l’audiovisuel, de la publicité et de la mode ».

([65]) France Travail, « L’emploi intermittent dans le spectacle au cours de l’année 2023 ».

([66]) Articles L. 7124-1 à L. 7124-35 du même code.

([67]) Article L. 212-1 du code de la propriété intellectuelle.

([68]) Article L. 212-2 du même code.

([69])  I. de l’article 32 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

([70]) Henri Capitan (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, Presses universitaires de France, 1936.

([71]) La section VII de ce chapitre, consacrée au trafic de stupéfiants, n’entre pas directement dans le champ de l’enquête.

([72]) Le 9 mars 2015, en Argentine, dans le cadre du tournage de l’émission « Dropped », qui devait être diffusée sur TF1, dix personnes sont décédées dans le crash d’un hélicoptère, dont la navigatrice Florence Arthaud, la championne de natation Camille Muffat, le boxeur Alexis Vastine et cinq membres de la production. Six salariés de l’entreprise ont été mis en examen pour homicide involontaire, de même que l’entreprise en tant que personne morale. Parallèlement à la procédure pénale, deux familles de techniciens ont obtenu devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale la reconnaissance du caractère d’accident du travail pour le crash, et l’entreprise de production a été reconnue coupable de faute inexcusable. Voir notamment : https://www.lequipe.fr/Tous-sports/Actualites/L-eventuel-proces-dropped-pas-avant-2025/1447813
et l’article publié le 7 juillet 2022 sur le site de BFMTV.

([73]) Compte rendu n° 6 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324006_compte-rendu.

([74])  Voir notamment les résultats de l’enquête « Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et par les hommes » (Virage) réalisée en 2015 sous l’égide de l’Institut national de la démographique (INED) : https://books.openedition.org/ined/14719, ainsi que le rapport de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE) : https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-2023.

([75]) Voir le texte sur le site dédié créé par la Coalition féministe loi intégrale.

([76]) Jean-Paul Sartre, Situations, II, Gallimard, 1948.

([77]) Compte rendu n° 29 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425029_compte-rendu.

([78]) https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Rapport-d-enquete-Vecu-et-ressenti-en-matiere-de-securite-2023-victimation-delinquance-et-sentiment-d-insecurite.

([79]) https://www.who.int/fr/health-topics/violence-against-women#tab=tab_1.

([80]) L’enquête avait été menée auprès de 27 268 personnes âgées de 20 à 69 ans, hommes et femmes. L’équipe avait fait le choix de ne pas interroger de mineurs car l’un des objectifs principaux de l’étude était « d’étudier les parcours des individus et les violences au sein du couple ou au travail ». Qui plus est, la loi Informatique et libertés de 1978 interdit de réaliser de telles enquêtes auprès des mineurs sans l’autorisation de leurs parents. Or, comme le relèvent les auteurs, « les parents maltraitants auraient dès lors été assez peu enclins à donner leur autorisation ». Les résultats concernant les mineurs procèdent donc de l’interrogation des majeurs sur leurs souvenirs de jeunesse. Le texte de l’étude peut être consulté en ligne à l’adresse suivante : https://books.openedition.org/ined/14719.

([81]) Les mentions (H) et (F) signifient que les auteurs désignés sont majoritairement des hommes ou des femmes, tandis que la mention (=) indique que les faits sont commis de manière équilibrée par les deux sexes. Le tableau se lit comme suit, en se fondant sur le premier item de la liste : pour les femmes victimes d’insultes et de pressions psychologiques, ces faits sont commis à 26,4 % par des collègues, dont une majorité de femmes.

([82]) Compte rendu n° 2 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425002_compte-rendu.

([83]) Aliette de Laleu, Mozart était une femme. Histoire de la musique classique au féminin, Stock, 2022.

([84]) Florence Launay, Les compositrices en France au XIXe siècle, Fayard, 2006.

([85]) CNC, réponses au questionnaire du rapporteur.

([86]) Règlement général des aides financières du Centre national de la musique : https://cnm.fr/wp-content/uploads/2025/01/RGA_CA-16-decembre-2024.pdf.

([87]) Arrêté du 5 mai 2017 fixant le cahier des missions et des charges relatif au label « Centre dramatique national » et le contrat type de décentralisation dramatique.

([88]) SYNDEAC, « Les égalités dans le spectacle public – 2019-2024 » : https://www.syndeac.org/3d-flip-book/les-egalites-dans-le-spectacle-public/.

([89]) France Travail, « L’emploi intermittent dans le spectacle au cours de l’année 2023 » : https://www.francetravail.org/files/live/sites/peorg/files/documents/Statistiques-et-analyses/S%26I/si_25.002_intermittents_2023.pdf.

([90]) Collectif 50/50, « La parité derrière la caméra – 2013-2022 » : https://collectif5050.com/la-parite-derriere-la-camera-2013-2022/.

([91]) Collectif 50/50, « Les chef.fe.s de poste des films français sortis en salle en 2023 ».

([92]) SYNDEAC, « Les égalités dans le spectacle public – 2019-2024 ».

([93]) ASTP, « Parité femmes-hommes dans le spectacle théâtral privé – état des lieux et perspectives », septembre 2024.

([94]) Les Cahiers du cinéma, mars 1958. L’article est une recension de Bonjour tristesse (1958), film d’Otto Preminger adapté du roman de Françoise Sagan.

([95]) Compte rendu n° 29 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425029_compte-rendu.

([96]) Laura Mulvey, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », Screen, 1975.

([97]) Compte rendu n° 2 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324002_compte-rendu.

([98]) Compte-rendu n° 28 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425028_compte-rendu.

([99]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu

([100]) Lé Guedj, « #MeTooThéâtre : lever de rideau sur les violences sexistes et sexuelles en coulisses », France Inter, 9 octobre 2021.

([101]) La scène relatée a eu lieu en Suisse, mais le groupe en question est originaire d’Aix-en-Provence. Voir le site internet de « Balance ta scène ».

([102]) Compte rendu n° 8 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425008_compte-rendu.

([103]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([104]) Compte rendu n° 31 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425031_compte-rendu.

([105]) Compte rendu n° 18 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425018_compte-rendu.

([106]) Compte rendu n° 31 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425031_compte-rendu.

([107]) Compte rendu n° 28 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425028_compte-rendu.

([108]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([109]) Compte rendu n° 36 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425036_compte-rendu.

([110]) Ibid.

([111]) Compte rendu n° 37, non publié.

([112]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([113]) Compte rendu n° 19 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425019_compte-rendu.

([114])  Libération, 19 mai 2023.

([115]) Compte rendu n° 34 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425034_compte-rendu.

([116]) Compte rendu n° 34 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425034_compte-rendu.

([117]) Compte rendu n° 28 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425028_compte-rendu.

([118]) Compte rendu n° 10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425010_compte-rendu.

([119]) Compte rendu n° 2 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425002_compte-rendu.

([120]) L’Inceste : la conspiration des oreilles bouchées, film de Carole Roussopoulos. Quatre femmes d’âge et de milieu social différents y témoignaient des viols qu’elles avaient subis de la part de leur père ou grand-père. Elles échangeaient également devant la caméra avec certains membres de leur famille ou amis qui avaient refusé de voir ou de chercher à comprendre ce qu’elles vivaient alors.

([121]) INED, Enquête Virage, 2015.

([122]) Compte rendu n° 6 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324006_compte-rendu.

([123]) Compte rendu n° 9 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324009_compte-rendu.

([124]) Compte rendu n° 29 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425029_compte-rendu.

([125]) Compte rendu n° 28 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425028_compte-rendu.

([126]) Ibid.

([127]) Compte rendu n° 18 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425018_compte-rendu.

([128]) Compte rendu n° 7 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324007_compte-rendu.

([129]) Compte rendu n° 18 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425018_compte-rendu.

([130]) Le Monde, 23 février 2024.

([131]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([132]) Compte rendu n° 44 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425044_compte-rendu.

([133]) Compte rendu n° 17 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425017_compte-rendu.

([134]) Compte rendu n° 6 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324006_compte-rendu.

([135]) Compte rendu n° 2 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425002_compte-rendu.

([136]) Compte rendu n° 4 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425004_compte-rendu.

([137]) Compte rendu n° 28 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425028_compte-rendu.

([138]) Compte rendu n° 2 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425002_compte-rendu.

([139])  https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Articles-Dr-MSalmona/202102_amnesie_traumatique.pdf.

([140]) Ibid.

([141]) Compte rendu n° 2 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324002_compte-rendu.

([142]) Compte rendu n° 28 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425028_compte-rendu.

([143]) CIIVISE, « Violences sexuelles faites aux enfants : “on vous croit” », novembre 2023.

([144]) Compte rendu n° 6 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324006_compte-rendu.

([145]) Cet article a pour objet de réécrire l’article 21 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfant de la manière suivante : « La formation initiale et continue des médecins, des personnels médicaux et paramédicaux, des travailleurs sociaux, des magistrats, des fonctionnaires et personnels de justice, des avocats, des personnels enseignants et d’éducation, des agents de l’état civil, des personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs, des personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale, des personnels de préfecture chargés de la délivrance des titres de séjour, des personnels de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et des agents des services pénitentiaires comporte une formation sur les violences intrafamiliales, les violences faites aux femmes ainsi que sur les mécanismes d’emprise psychologique. »

([146]) Rapport au Gouvernement sur les violences sexistes et sexuelles sous relation d’autorité ou de pouvoir. Agir contre ce fléau trop longtemps ignoré, septembre 2024 : https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/sites/efh/files/2024-11/20241118-Rapport-VSS.pdf.

([147])  Proposition de loi de Mme Aurore Bergé et plusieurs de ses collègues visant à renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, n° 669, déposée le 3 décembre 2024 sur le bureau de l’Assemblée nationale, adoptée en première lecture le 28 janvier 2025 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17t0034_texte-adopte-seance.

([148]) Compte rendu n° 49 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425018_compte-rendu.

([149]) Vanessa Springora, Le Consentement, Grasset, 2020.

([150]) Ibid.

([151]) Compte rendu n° 3 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324003_compte-rendu.

([152]) Compte rendu n° 19 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425019_compte-rendu.

([153])  Compte rendu n° 31 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425031_compte-rendu.

([154]) Compte rendu n° 28 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425028_compte-rendu.

([155]) Compte rendu n° 23 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425023_compte-rendu.

([156]) Compte rendu n° 17 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425017_compte-rendu.

([157]) Compte rendu n° 38 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425038_compte-rendu.

([158]) Compte rendu n° 4 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425004_compte-rendu.

([159]) Compte rendu n° 18 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425018_compte-rendu.

([160]) Compte rendu n° 31 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425031_compte-rendu.pdf

([161]) Ibid.

([162]) Compte rendu n° 17 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425017_compte-rendu.

([163]) Compte rendu n° 28 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425028_compte-rendu.

([164]) Compte rendu n° 10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425010_compte-rendu.

([165]) Ibid.

([166]) Ibid.

([167]) Ibid.

([168]) Compte rendu n° 32 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425032_compte-rendu.

([169]) Elle est joignable par téléphone au 08.01.90.59.10, du lundi au vendredi de neuf heures à treize heures ; par courriel à l’adresse : signalement-culture@conceptrse.fr ; sur le site internet : https://conceptrse.fr/signalement-culture/ et par courrier postal.

([170]) Compte rendu n° 3 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324003_compte-rendu.

([171])  Compte rendu n° 4 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324004_compte-rendu.

([172]) Audiens, bilan au 31 décembre 2024 communiqué à la commission d’enquête.

([173]) Compte rendu n° 31 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425031_compte-rendu.

([174])  Ibid.

([175]) Compte rendu n° 34 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425034_compte-rendu.

([176])  Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([177]) Maxime Besenval, « L’écriture scénaristique et les risques du travail », rapport présenté en septembre 2023 à l’occasion du Festival de la fiction de La Rochelle : https://www.sacd.fr/sites/default/files/2019_12_etude_animation_rapport.pdf.

([178]) Compte rendu n° 7 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425007_compte-rendu.

([179]) Voir l’étude sur le site internet de l’AFAR.

([180]) INED, Enquête Virage, 2015.

([181]) Compte rendu n° 20 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425020_compte-rendu.

([182]) « Affaire Jacquot : un système dont les médias ont parfois été complices par leurs éloges, “Télérama” compris », Télérama, 9 février 2024.

([183]) Rapport au Gouvernement sur les violences sexistes et sexuelles sous relation d’autorité ou de pouvoir. Agir contre ce fléau trop longtemps ignoré, septembre 2024.

([184]) France Travail, « L’emploi intermittent dans le spectacle au cours de l’année 2023 ».

([185]) Compte rendu n° 6 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324006_compte-rendu.

([186]) Réponses au questionnaire du rapporteur.

([187])  Sur les 26 126 employeurs évoqués, 50 % relevaient du secteur privé, 45 % du secteur public et 5 % de la prestation de services techniques. Les 251 385 salariés permanents et intermittents se répartissaient de la manière suivante : 67 % employés en contrat à durée déterminée dits d’usage (CDDU), 18 % en CDD et 15 % en CDI. La répartition par catégories professionnelles était la suivante : 45 % étaient des artistes-interprètes, 44 % des personnels techniques ou administratifs non-cadres, et 11 % des personnels artistiques techniques ou administratifs cadres. La moitié des salariés ayant occupé un emploi dans le spectacle vivant ont moins de 38 ans, et 42 % étaient des femmes. Voir : https://www.artcena.fr/fil-vie-pro/251-000-salari%C3%A9s-dans-le-spectacle-vivant-en-2023.

([188]) Compte rendu n° 2 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425002_compte-rendu.

([189]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([190]) Compte rendu n° 10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425010_compte-rendu.

([191]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([192]) Compte rendu n° 7 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425007_compte-rendu.

([193]) Compte rendu n° 2 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324002_compte-rendu.

([194]) Compte rendu n° 28 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425028_compte-rendu.

([195]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([196]) Bruno Racine, « L’auteur et l’acte de création », janvier 2020.

([197]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([198]) CNC et SACD, « L’écriture des films et séries en France », avril 2019.

([199]) Compte rendu n° 29 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425029_compte-rendu.

([200]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([201]) Ibid.

([202]) Maxime Besenval, « L’écriture scénaristique et les risques du travail », septembre 2023.

([203]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([204]) Voir notamment sur le site internet de Kering.

([205]) Article L. 3251-3 du code du travail.

([206]) Compte rendu n° 34 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425034_compte-rendu.

([207]) Convention collective nationale des mannequins adultes et mannequins enfants de moins de 16 ans employés par les agences de mannequins du 22 juin 2004, étendue par arrêté du 13 avril 2005.

([208]) Compte rendu n° 10 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324010_compte-rendu.

([209]) Compte rendu n° 11 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425011_compte-rendu.

([210]) Compte rendu n° 27 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425027_compte-rendu.

([211]) DARES, « Léger repli de la syndicalisation en France entre 2013 et 2019 : dans quelles activités et pour quelles catégories de salariés ? », février 2023.

([212]) Compte rendu n° 10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425010_compte-rendu.

([213]) Léa Poiré, « Représentation collective en danse : se syndiquer, à petits pas », Magazine.cnd.fr, n° 7, octobre 2024.

([214])  DARES, « Léger repli de la syndicalisation en France entre 2013 et 2019 : dans quelles activités et pour quelles catégories de salariés ? », février 2023.

([215]) Compte rendu n° 10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425010_compte-rendu.

([216]) Nathalie Tissier, membre de l’association, a d’ailleurs souligné à ce propos : « Une telle structure avait été envisagée il y a une trentaine d’années, mais sans succès : à l’époque, les chefs maquilleurs, qui étaient essentiellement des hommes, n’avaient pas dû croire qu’une association serait véritablement utile. Puis il a fallu beaucoup de temps pour remotiver les troupes. » (compte rendu n° 7 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425007_compte-rendu).

([217]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([218]) Ibid.

([219])  Compte rendu n° 2 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324002_compte-rendu.

([220]) Compte rendu n° 7 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425007_compte-rendu.

([221]) Compte rendu n° 8 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425008_compte-rendu.

([222]) Compte rendu n° 10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425010_compte-rendu.

([223]) Compte rendu n° 31 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425031_compte-rendu.

([224]) Le Trésor de la langue française note ainsi : « Dans certains […] syntagmes (obéir à la baguette), il semble qu’en français moderne l’image du chef d’orchestre se soit substituée à celle du chef militaire. »

([225]) En général, pour les parties de cordes, la partition porte un signe indiquant si l’archet doit être poussé ou tiré, mais ce n’est pas toujours le cas. Or il est essentiel que les musiciens d’un même pupitre donnent ensemble et à l’identique le même coup d’archet.

([226]) Sur l’organisation d’un orchestre symphonique, voir notamment la page suivante, sur le site internet de la Philharmonie de Paris : https://philharmoniedeparis.fr/fr/magazine/histoires/super-soliste-chef-de-pupitre-quels-sont-les-roles-des-musiciens-dorchestre.

([227]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([228]) Compte rendu n° 10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425010_compte-rendu.

([229]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([230]) Ibid.

([231]) Compte rendu n° 2 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324002_compte-rendu.

([232]) Compte rendu n° 10 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324010_compte-rendu.

([233]) Compte rendu n° 17 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425017_compte-rendu.

([234]) Compte rendu n° 4 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425004_compte-rendu.

([235]) Compte rendu n° 32 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425032_compte-rendu.

([236]) https://magazine.cnd.fr/fr/posts/162-la-danse-une-ecole-de-la-violence.

([237]) Ibid.

([238]) Compte rendu n° 8 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324008_compte-rendu.

([239]) Réalisé par Lazard Timsit. Le documentaire est disponible sur la plateforme Slash.

([240]) Voir par exemple : Marie Ottavi, « La mode est-elle accro à l’Ozempic ? », Libération, 6 mars 2025.

([241]) Compte rendu n° 10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425010_compte-rendu.

([242]) Voir le site internet du ministère de la culture.

([243]) Compte rendu n° 31 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425031_compte-rendu.

([244])  « La fête appartient-elle aux hommes ? Rapport d’enquête sur les violences sexistes et sexuelles en festival », septembre 2024.

([245]) Compte rendu n° 20 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425020_compte-rendu.

([246]) Compte rendu n° 41 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425041_compte-rendu.

([247]) Compte rendu n° 29 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425029_compte-rendu.

([248]) Compte rendu n° 8 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425008_compte-rendu.

([249]) Compte rendu n° 5 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425005_compte-rendu.

([250]) Compte rendu n° 10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425010_compte-rendu.

([251]) Le Parisien, 30 octobre et 19 novembre 2024.

([252]) Compte rendu n° 41 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425041_compte-rendu.

([253]) Compte rendu n° 43 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425043_compte-rendu.

([254]) Ibid.

([255]) Ibid.

([256]) Voir notamment : chambre sociale de la Cour de cassation, arrêt du 27 mars 2012, pourvoi n° 10-19.915 : la consommation de stupéfiants en dehors du temps de travail, dès lors que le salarié est encore sous leur influence pendant l’exercice de ses fonctions, justifie un licenciement pour faute grave.

([257]) Compte rendu n° 43 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425043_compte-rendu.

([258]) Homère, Iliade, chant 1.

([259]) Victor Hugo, « Fonction du poète », Les Rayons et les Ombres, 1840.

([260]) Mario Praz, La Chair, la Mort et le Diable. Le romantisme noir, 1930.

([261]) Éric Marty, Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au sérieux ?, Éditions du Seuil, 2011.

([262]) Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([263]) Article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle : « Sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code : [...] Les œuvres cinématographiques et autres œuvres consistant dans des séquences animées d’images, sonorisées ou non, dénommées ensemble œuvres audiovisuelles. » (Souligné par le rapporteur.)

([264]) Article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle.

([265]) Ibid.

([266]) Article L. 113-7. Le même article précise également que, lorsque l’œuvre audiovisuelle est tirée d’une œuvre ou d’un scénario préexistants encore protégés, les auteurs de l’œuvre originaire sont assimilés aux auteurs de l’œuvre nouvelle.

([267])  Jérôme Pacouret, « La genèse des droits de propriété des auteurs de cinéma : une comparaison transnationale du droit d’auteur et du copyright », Droit et société, n° 108, 2021/2.

([268])  C’est aussi le titre d’un ouvrage, paru en 1972 aux éditions Champ libre, compilant des entretiens avec des cinéastes célèbres : Michelangelo Antonioni, Luis Buñuel, Robert Bresson, Carl Dreyer, Howard Hawks, Alfred Hitchcock, Fritz Lang, Jean Renoir, Roberto Rossellini et Orson Welles.

([269])  Antoine de Baecque, La Politique des auteurs, Les Cahiers du cinéma, 2001.

([270]) Yann Darré, « Esquisse d’une sociologie du cinéma », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 161‑162, 2006.

([271]) Jean-Luc Godard, « Bergmanorama », Cahiers du cinéma, n° 85, janvier 1958.

([272]) Compte rendu n° 10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425010_compte-rendu.

([273]) Compte rendu n° 41 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425041_compte-rendu.

([274]) Compte rendu n° 6 (XVIe législature) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324006_compte-rendu.

([275]) Compte rendu n° 21, non publié.

([276]) Muriel Salmona, art. cit.

([277]) Compte rendu n° 41 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425041_compte-rendu.

([278]) Lorraine de Foucher et Jérôme Lefilliâtre, Le Monde, 8 février 2024.

([279]) Entretien avec Jean-Marc Lalanne, 5 décembre 2006. En février 2024, le magazine a assorti cet article d’un « avertissement » – faisant référence aux révélations de Judith Godrèche – censé faire oublier la complaisance évidente du ton de l’entretien : « cet entretien, réalisé en 2006, a été effectué sans connaître les faits d’abus et de viol révélés ces dernières semaines par Judith Godrèche alors qu’elle était mineure. Les propos tenus par Benoît Jacquot nous paraissent à cette aune profondément choquants, et nous les condamnons fermement. »

([280]) Compte rendu n° 22 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425022_compte-rendu.

([281]) Compte rendu n° 41 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425041_compte-rendu.

([282])  Compte rendu n° 2 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324002_compte-rendu.

([283])  Compte rendu n° 9 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425009_compte-rendu.

([284]) Ministère de la culture, « Poids économique direct de la culture en 2021 ».

([285]) CNC, « La production cinématographique en 2023 ». Les huit films en question sont : Le Comte de Monte-Cristo de Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, De Gaulle partie 1 et De Gaulle partie 2 d’Antonin Baudry, L’amour ouf de Gilles Lellouche, Emilia Perez de Jacques Audiard, Monsieur Aznavour de Mehdi Idir et Grand Corps Malade, Emmanuelle d’Audrey Diwan et Chickenhare 2 de Benjamin Mousquet.

([286]) Audition à huis clos.

([287]) Ibid.

([288]) Compte rendu n° 14 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425014_compte-rendu.

([289]) Compte rendu n° 34 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425034_compte-rendu.

([290]) https://www.capital.fr/entreprises-marches/la-chute-de-lagence-artmedia-qui-a-inspire-la-serie-dix-pour-cent-1435763.

([291]) Compte rendu n° 4 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425004_compte-rendu.

([292]) Compte rendu n° 20 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425020_compte-rendu.

([293]) Compte rendu n° 17 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425017_compte-rendu.

([294]) Compte rendu n° 44 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425044_compte-rendu.

([295]) Réponses au questionnaire du rapporteur.

([296]) Compte rendu n° 20 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425020_compte-rendu.

([297]) Compte rendu n° 22 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425022_compte-rendu.

([298]) Compte rendu n° 18 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425018_compte-rendu.

([299]) Compte rendu n° 22 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425022_compte-rendu.

([300])  Ibid.

([301]) Compte rendu n° 23 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425023_compte-rendu.

([302]) Compte rendu n° 20 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425020_compte-rendu.

([303]) Compte rendu n° 22 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425022_compte-rendu.

([304]) https://www.telerama.fr/cinema/affaire-jacquot-un-systeme-dont-les-medias-ont-parfois-ete-complices-par-leurs-eloges-telerama-compris-7019213.php.

([305]) Voir notamment : « “Je m’intéresse à l’acteur” : le patron du Festival de Cannes balaie les questions sur la présence de Johnny Depp », Le Parisien, 15 mai 2023.

([306]) https://variety.com/2023/film/global/cannes-thierry-fremaux-2023-festival-1235565156/.

([307]) https://variety.com/2024/film/festivals/cannes-film-festival-thierry-fremaux-megalopolis-dune-2-hollywood-strikes-1235957604/.

([308]) https://variety.com/2013/film/asia/von-trier-still-welcome-at-cannes-says-fremaux-1200867717/.

([309]) Réponses au questionnaire du rapporteur.

([310]) Les articles L. 3161-1 et suivants du code du travail, ainsi que les articles L. 7124-1 et suivant du même code encadrent le travail des mineurs. Les jeunes travailleurs de moins de 18 ans ne peuvent être employés à un travail effectif excédant huit heures par jour et trente-cinq heures par semaine., sauf exceptions ne pouvant dépasser deux heures par jour et cinq heures par semaine. Le travail de nuit est interdit, sauf exceptions, entre vingt-deux heures et six heures pour les mineurs de 16 à 18 ans et entre vingt heures et six heures pour les moins de 16 ans. La durée minimale du repos quotidien des jeunes travailleurs ne peut être inférieure à douze heures consécutives et à quatorze heures consécutives s’ils ont moins de 16 ans. Ils ont droit à deux jours de repos consécutifs par semaine. En ce qui concerne le fonctionnement des commissions des enfants du spectacle, voir la troisième partie du présent rapport.

([311]) Compte rendu n° 5 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324005_compte-rendu.

([312]) Discours aux César 2024 : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/02/23/judith-godreche-aux-cesars-je-parle-mais-je-ne-vous-entends-pas-ou-etes-vous-que-dites-vous_6218232_3246.html.

([313]) Compte rendu n° 23 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425023_compte-rendu.

([314]) Compte rendu n° 7 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425007_compte-rendu.

([315]) Voir la troisième partie du rapport pour l’analyse détaillée de cet événement.

([316]) Compte rendu n° 4 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425004_compte-rendu.

([317]) Ibid.

([318]) Réponses au questionnaire du rapporteur.

([319]) Compte rendu n° 7 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324007_compte-rendu.

([320]) Compte rendu n° 33, non publié.

([321]) Compte rendu n° 49 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425049_compte-rendu.

([322]) Article R. 7124-30-2 du code du travail.

([323]) Institut français d’art choral, « Résultats du recensement des maîtrises, classes CHAM vocales et filières voix », 2018.

([324])  Le répertoire fournit les noms et coordonnées de 34 établissements situés en France métropolitaine :.

([325]) L’article D. 7122-1 du code du travail définit trois catégories de licence : pour les exploitants de lieux de spectacles, pour les producteurs de spectacles et entrepreneurs de tournées et pour les diffuseurs de spectacles.

([326]) https://www.radiofrance.fr/francemusique/chanter-dans-une-maitrise-comment-ca-marche-6475466.

([327]) Compte rendu n° 19 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425019_compte-rendu

([328]) Voir la première partie du présent rapport.

([329]) Compte rendu n° 17 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425024_compte-rendu.

([330]) Compte rendu n° 38 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425038_compte-rendu.

([331]) Compte rendu n° 24 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425024_compte-rendu.

([332]) Compte rendu n° 38 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425038_compte-rendu.

([333]) https://www.lamaitrise.com/le-directeur/.

([334])  Le réseau Guid’Asso offre un service de proximité d’accueil, d’orientation, d’information et d’accompagnement des associations. Son objectif est de faire en sorte « que chaque association, même la plus petite, puisse sur son territoire, même le plus éloigné d’un centre urbain, trouver près de chez elle un endroit pour répondre à ses questions afin de se renforcer et éventuellement de mutualiser des actions dans le cadre d’un parcours d’accompagnement clarifié et visible », selon Le Mouvement associatif (https://lemouvementassociatif.org/guid-asso/). Guid’Asso est composé de structures locales diverses (associations, institutions, mairies, etc.) qui orientent, informent et accompagnent toute association ou personne désireuse de s’informer ou investie dans la vie associative – bénévoles, dirigeants associatifs, porteurs de projet –, quels que soient le domaine d’intervention et le territoire d’implantation. La loi du 15 avril 2024 visant à soutenir l’engagement bénévole et simplifier la vie associative a consacré Guid’Asso au niveau législatif.

([335]) Compte rendu n° 40 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425040_compte-rendu.

([336]) Compte rendu n° 24 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425024_compte-rendu.

([337]) Ibid.

([338]) Ibid.

([339]) Ibid.

([340]) Ibid.

([341]) Ibid.

([342]) Compte rendu n° 19 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425019_compte-rendu.

([343]) Compte rendu n° 49 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425049_compte-rendu.

([344])  Compte rendu n° 9 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324009_compte-rendu.

([345]) Ibid.

([346]) Compte rendu n° 41 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425041_compte-rendu.

([347]) Compte rendu n° 35 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425035_compte-rendu.

([348]) Compte rendu n° 40 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425040_compte-rendu.

([349]) « MeToo dans le cinéma : l’actrice Adèle Haenel brise un nouveau tabou », Mediapart, 3 novembre 2019.

([350]) Article 222-22-1 du code pénal.

([351]) Cette clause dite « Roméo et Juliette », qui vise à préserver les relations adolescentes, par exemple entre un mineur de 14 ans et un majeur de 18 ans, ne vaut pas en cas d’inceste, de prostitution, ou de relation non consentie.

([352]) La Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, ratifiée par la France en 2014, recommande une définition du viol fondée sur l’absence de consentement.

([353]) Catherine Le Magueresse, « Viol et consentement en droit pénal français. Réflexions à partir du droit pénal canadien ». Archives de politique criminelle, 2012/1, n° 34, p. 223-240.

([354]) Article 222-33-1-1 du code pénal.

([355]) Crim. 18 décembre 2013, n° 13-81.129.

([356]) Crim. 17 octobre 2018, n° 17-86.161, publié au Bulletin : « l’amnésie traumatique invoquée par la partie civile ne peut être considérée comme constituant un obstacle de fait insurmontable et assimilable à la force majeure ayant pu suspendre le délai de prescription ».

([357]) Loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([358]) Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

([359]) Chiffres datés du 31 décembre 2023.

([360]) Marine Turchi, Faute de preuves, Éditions du Seuil, 2021.

([361]) Compte rendu n° 2 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425002_compte-rendu.

([362]) Compte rendu n° 28 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425028_compte-rendu.

([363]) Compte rendu n° 29 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425029_compte-rendu#.

([364]) Articles 276 à 278.91 du code criminel.

([365]) Section 41 du Youth Justice and Criminal Evidence Act, 1999.

([366]) Section 44 du Evidence Act, 2006.

([367]) Lettre de l’Observatoire national des violences faites aux femmes n° 22, novembre 2024.

([368]) Ibid.

([369]) Déclaration de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, sur la lutte contre les violences conjugales et contre les violences sexuelles et sexistes devant la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat le 1er février 2024.

([370]) Compte rendu n° 29 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425029_compte-rendu.

([371]) Ibid.

([372]) Compte rendu n° 28 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425028_compte-rendu.

([373]) Ibid.

([374]) Compte rendu n° 29 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425029_compte-rendu.

([375]) Défenseur des droits, décision n° 2021-065 du 12 avril 2021.

([376]) Décision du Défenseur des droits n° 2020-095.

([377]) Article L. 531-1 du CGFP.

([378]) Compte rendu n° 24 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425024_compte-rendu.

([379]) Ibid.

([380]) Cass. crim., 21 janvier 2025, n° 22-87.145.

([381]) Articles L. 1152-4 et L. 1153-5 du code du travail.

([382]) Cass. soc., 11 janvier 2012, n° 10-12.930.

([383]) CA Orléans, 7 février 2017, n° 15/02566.

([384]) Article L. 1153-5 du code du travail.

([385]) Articles L. 4141-2 et L. 1153-5 du code du travail.

([386]) Article L. 1153-5-1 du code du travail.

([387]) Article L. 1321-2 du code du travail.

([388]) Article 3 de l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010.

([389]) Cass, soc, 12 juin 2024, n° 23-13.975, Publié au bulletin.

([390]) Compte rendu n° 30 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425030_compte-rendu.

([391]) https://www.syndeac.org/boite-a-outils-vhss/boite-a-outils-pour-employeurs/

([392]) Compte rendu n° 5 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425005_compte-rendu#

([393]) Article L. 1332-4 du code du travail.

([394]) Articles L. 1152-2 et L. 1153-2 du code du travail.

([395]) CA Riom, ch. soc., 18 juin 2002, n° 01/00919.

([396]) Article L. 1154-1 du code du travail.

([397]) Les théâtres nationaux (Comédie-Française, théâtre de l’Opéra de Paris, Odéon, Chaillot, théâtre national de Strasbourg, théâtre national de la Colline et Opéra-Comique) sont exclus du champ d’application de cette convention (article I.1). Chacun d’eux dispose d’une convention collective spécifique.

([398]) Accord du 27 septembre 2022 relatif à la prévention et aux sanctions des violences sexuelles et des agissements sexistes au travail.

([399]) Avenant du 17 mai 2024 relatif aux conditions d’emploi des mineurs et avenant du 17 mai 2024 relatif à la prévention et au signalement des violences et harcèlements sexistes et sexuels.

([400]) Compte rendu n° 11 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425011_compte-rendu

([401]) Compte rendu n° 4 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425004_compte-rendu.

([402]) Compte rendu n° 13 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425004_compte-rendu.

([403]) Compte rendu n° 5 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425005_compte-rendu.

([404]) Compte rendu n° 20 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425020_compte-rendu.

([405]) Réponses au questionnaire du rapporteur.

([406]) Compte rendu n° 5 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425005_compte-rendu.

([407]) Compte rendu n° 8 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425008_compte-rendu.

([408]) Compte rendu n° 30 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425030_compte-rendu.

([409]) Ibid.

([410])  Ibid.

([411]) La présomption d’innocence est consacrée par plusieurs textes juridiques nationaux et internationaux, notamment l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne sera pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

([412]) Compte rendu n° 4 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425004_compte-rendu.

([413]) « Jean-Marc Morandini se pourvoit en cassation, après sa condamnation en appel pour harcèlement sexuel », Le Monde, 27 janvier 2025.

([414]) « Cyril Hanouna, ARCOM, Conseil d’État, BFMTV… Les quatre vérités du patron de CNews », Le Figaro, 17 février 2025.

([415]) Compte rendu n° 4 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425004_compte-rendu.

([416]) Néanmoins, à la suite de la condamnation de M. Stéphane Plaza pour violences conjugales, le groupe M6 a déprogrammé les émissions de l’animateur.

([417]) Compte rendu n°10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324010_compte-rendu#.

([418])  Compte rendu n° 6 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324006_compte-rendu.

([419]) Compte rendu n° 30 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425030_compte-rendu.

([420]) Compte rendu n° 36 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425036_compte-rendu.

([421]) « Dans la fabrique créative de Christophe Honoré : “La richesse des personnages est d’être inattendus” », Télérama, 17 janvier 2025 : https://www.telerama.fr/cinema/dans-la-fabrique-creative-de-christophe-honore-la-richesse-des-personnages-est-d-etre-inattendus-7023919.php.

([422]) « Juliette Binoche, de ses débuts à #MeTooCinéma : “Toutes ces blessures provoquent une rage, mais aucune envie d’arrêter” », Libération, 26 avril 2024.

([423]) Compte rendu n° 8 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425008_compte-rendu.

([424]) Compte rendu n° 8 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425008_compte-rendu.

([425]) Ibid.

([426]) Ibid.

([427]) Ibid.

([428]) Compte rendu n° 4 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324004_compte-rendu#

([429]) Les producteurs doivent adresser au CCHSCT une « déclaration de production » au plus tard sept jours avant le début du tournage, via une plateforme en ligne.

([430]) Compte rendu n° 4 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324004_compte-rendu#.

([431]) Compte rendu n° 8 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425008_compte-rendu#

([432]) Règlement général des aides du CNC, article 122-17-1, créé par l’article 1er de la délibération n° 2024/CA/16 du 27 juin 2024.

([433]) Règlement général des aides du Centre national de la musique, annexe III.

([434]) Règlement intérieur de l'ASTP, juin 2024

([435]) Compte rendu n° 27 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425027_compte-rendu.

([436]) Compte rendu n° 7 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425007_compte-rendu.

([437]) Compte rendu n° 7 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425007_compte-rendu.

([438]) Compte rendu n° 2 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425002_compte-rendu.

([439]) Le festival compte neuf salariés permanents.

([440]) Compte rendu n° 36 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425036_compte-rendu.

([441]) Compte rendu n° 31 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425031_compte-rendu.

([442]) Compte rendu n° 28 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425028_compte-rendu.

([443]) Compte rendu n° 2 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425002_compte-rendu.

([444]) Compte rendu n° 17 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425017_compte-rendu.

([445]) Compte rendu n° 2 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425002_compte-rendu.

([446]) Compte rendu n° 10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425010_compte-rendu.

([447]) Compte rendu n° 41 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425041_compte-rendu.

([448]) Compte rendu n° 10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425010_compte-rendu.

([449]) Compte rendu n° 20 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425020_compte-rendu.

([450]) Compte rendu n° 31 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425031_compte-rendu.

([451]) Compte rendu n° 20 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425020_compte-rendu.

([452]) Compte rendu n° 41 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425041_compte-rendu.

([453]) Compte rendu n° 14 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425014_compte-rendu.

([454]) Compte rendu n° 10 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425010_compte-rendu.

([455]) Compte rendu n° 5 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324005_compte-rendu.

([456]) Compte rendu n° 5 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324005_compte-rendu.

([457]) Compte rendu n° 26 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425026_compte-rendu.

([458]) Directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. Durant son élaboration, le texte a suscité de vives polémiques, car dans sa première version il établissait le principe de l’application aux services transfrontaliers de la législation du pays d’origine, ce qui revenait à fournir une prime aux États dont la législation sociale était la moins exigeante. En définitive, le texte repose sur le principe de libre circulation des services.

([459]) Sous-section 2 de la section 5 du chapitre Ier du livre Ier du titre II de la septième partie de la partie législative du code du travail.

([460])  Compte rendu n° 9 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324009_compte-rendu.

([461]) Ibid.

([462]) Selon les termes de l’article L. 762-3 du code du travail de l’époque.

([463]) Article 8.

([464])  Article L. 7121-9 du code du travail.

([465]) Articles L. 7121-9 et R. 7121-6 du code du travail.

([466]) Compte rendu n° 9 (XVIe législature) : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/ceviocine/l16ceviocine2324009_compte-rendu.

([467]) Compte rendu n° 44 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425044_compte-rendu.

([468]) Compte rendu n° 14 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425014_compte-rendu.

([469]) Elle est présidée par un juge des enfants et comprend plusieurs membres, notamment un médecin, un représentant du rectorat, un représentant du ministère de la culture et un représentant de la DRIEETS ou de la DEETS. La commission se réunit mensuellement, à l’exception du mois d’août.

([470]) Compte rendu n° 6 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425006_compte-rendu.

([471]) Lettre de l’Observatoire nationale des violences faites aux femmes n° 19, 2024.

([472]) Compte rendu n° 6 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425006_compte-rendu.

([473]) Compte rendu n° 6 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/comptes-rendus/cecine/l17cecine2425006_compte-rendu.