N° 1355

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 avril 2025.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs, 1981,

 

PAR M. Pierre-Yves CADALEN

Député

——

AVEC

EN ANNEXE

LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 969.

Sénat :  688 (2023-2024), 286, 287 et T.A 55 (2024-2025).


 


SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. La convention n° 155 de l’Organisation internationale du travail

A. Une convention qui vise à accroÎtre la sÉcuritÉ et la santÉ des travailleurs

B. L’historique des nÉgociations relatives à la ratification de la convention

C. L’insertion de la convention dans l’environnement juridique international

1. Les conventions de l’OIT

2. Les directives de l’Union européenne

3. Une ambition de renforcement de la coopération internationale

D. Le texte de la convention

1. L’établissement d’une politique nationale cohérente en matière de sécurité et de santé au travail

2. L’effectivité de la politique nationale de sécurité et de santé au travail : régulations et inspections

3. La responsabilité des employeurs et les droits des travailleurs à l’échelle de l’entreprise

4. L’encadrement des pratiques et la protection spécifique des groupes vulnérables

II. La ratification de la convention : un non-ÉvÈnement pour la protection des travailleurs

A. Une convention au pÉrimÈtre limitÉ qui n’apporte rien au droit français

B. Une convention moins disante par rapport aux normes europÉennes

C. Des consÉquences Économiques, sociales et administratives inexistantes

1. Sur le plan juridique

2. Sur le plan social

3. Sur le plan administratif

D. Un rendez-vous manquÉ

III. La ratification de la convention : communication ou fauxsemblant ?

A. Une hypocrisie du gouvernement sur la question de la santÉ et de la sÉcuritÉ des travailleurs

B. Les rÉgimes d’exclusion : une dÉcision arbitraire et injustifiÉe

1. Une question absente du projet de loi

2. Une consultation des secteurs concernées envisagée comme une formalité

3. Étude de cas : l’aéronautique civile

C. Le risque d’un nivellement par le bas

EXAMEN EN COMMISSION

ANNEXE 1 : TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES auditionnÉes PAR Le RAPPORTEUR

ANNEXE 3 : RÉponse de la DIRECTION GÉNÉRALE dE L’aviation civile

 


   introduction

 

La convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs de l’Organisation internationale du travail (OIT), adoptée en 1981, vise à établir des normes minimales de sécurité et de santé au travail que les États membres doivent respecter pour protéger les travailleurs contre les risques professionnels.

Cette convention a pour objectif principal de promouvoir un environnement de travail sûr et sain pour tous les travailleurs, indépendamment du secteur d’activité. Elle vise à prévenir les accidents du travail, les maladies professionnelles, et d’autres problèmes liés à la sécurité et à la santé au travail. Plus précisément, elle établit un cadre juridique international qui oblige les États membres à adopter et à mettre en œuvre des politiques nationales cohérentes en matière de sécurité et de santé au travail ainsi que la mise en place de mécanismes de contrôle et d’inspection renforcés.

Le projet de ratification de cette convention par la France aujourd’hui, loin de s’inscrire dans une dynamique de renforcement de la protection des travailleurs, résulte de la décision prise par la Conférence internationale du travail en 2022 d’élever la convention n° 155 au rang de convention fondamentale. Or, l’Union Européenne exige de ses États membres qu’ils ratifient toutes les conventions fondamentales de l’OIT, au nombre de dix.

Si la convention n°155 constituait à l’époque une avancée significative pour garantir la sécurité et la santé des travailleurs, sa portée est aujourd’hui limitée, a fortiori dans le cadre législatif français, globalement mieux disant sur la question. Son champ d’application reste restreint sur plusieurs aspects essentiels. D’une part, elle ne prend pas pleinement en compte les risques psychosociaux liés au management toxique, alors même que ceux-ci constituent une menace croissante pour la santé mentale des travailleurs. D’autre part, la question des produits dangereux, pourtant au cœur de nombreux risques professionnels, n’est que marginalement abordée. Enfin, les entreprises ayant recours à la sous-traitance échappent en grande partie aux obligations imposées par la convention, affaiblissant ainsi son efficacité dans un contexte où l’externalisation d’une partie des activités est devenue une pratique quasi-systématique, et où les intérimaires sont particulièrement exposés au risque d’accident.

 

 


I.   La convention n° 155 de l’Organisation internationale du travail

A.   Une convention qui vise à accroÎtre la sÉcuritÉ et la santÉ des travailleurs

La convention n° 155 de l’OIT relative à la sécurité et à la santé des travailleurs a été adoptée le 22 juin 1981 lors de la 67ème session de la Conférence internationale du travail à Genève. L’adoption de cette convention a marqué l’aboutissement de plusieurs années de négociations et de travaux normatifs menés de façon tripartite autour des États membres de l’OIT, des représentants des employeurs et des syndicats des travailleurs.

Le processus de négociation de la convention n° 155 a débuté dans un contexte international où la sécurité et la santé au travail étaient reconnus comme des enjeux cruciaux, notamment en raison de l’industrialisation rapide et des accidents du travail fréquents dans de nombreux pays. Dans l’histoire longue, cette reconnaissance est le fruit de mobilisations du mouvement ouvrier contre l’exploitation capitaliste, laquelle abîme foncièrement les corps : il est notable qu’encore aujourd’hui, en France, l’espérance de vie à 35 ans d’un ouvrier est de cinq ans inférieure à celle d’un cadre ([1]). L’OIT, qui avait déjà établi des normes sur divers aspects du travail, a reconnu la nécessité d’une approche plus globale pour traiter les questions de sécurité et de santé au travail dans un cadre juridique international.

Les premières discussions formelles sur la nécessité d’une convention spécifique ont commencé au milieu des années 1970. Ces discussions ont porté sur le périmètre de la convention, les obligations des États membres et les mécanismes de mise en œuvre. Le processus de consultation a été intensif, impliquant non seulement les gouvernements, mais aussi les représentants des employeurs et des travailleurs. Un consensus a été atteint après plusieurs années de débats et de révisions, aboutissant à l’adoption de la convention en 1981.

B.   L’historique des nÉgociations relatives à la ratification de la convention

La convention n° 155 est entrée en vigueur le 11 août 1983, après avoir été ratifiée par deux premiers États membres de l’OIT. À ce jour, elle a été ratifiée par plus de 80 pays, témoignant de son importance et de son impact à l’échelle mondiale. En France, le processus de ratification a connu un parcours complexe.

En 1988, une première tentative de ratification a ainsi été abandonnée en raison d’un avis défavorable du Conseil d’État. Ce dernier avait considéré que, s’agissant de l’exercice du droit de retrait, dont il est question aux articles 13 et 19f de la convention, le gouvernement aurait dû procéder à une étude et à des consultations pour déterminer les catégories de travailleurs et les branches d’activité susceptibles d’en être exclus, et ce avant de soumettre la convention à ratification.

En outre, le Conseil d’État avait estimé que « compte tenu des stipulations des articles 1er, 2 et 2.2 de celui-ci, qui permettent d’exclure de son application certaines catégories et certaines branches d’activité, ces exclusions, de nature législative, devraient figurer dans le projet de loi autorisant la ratification de la Convention », ce qui n’était pas le cas à l’époque, et ne l’est toujours pas aujourd’hui – nous y reviendrons ultérieurement dans ce rapport.

Lors de sa 110ème session en juin 2022, la Conférence internationale du travail a reconnu la convention n° 155 comme l’une des conventions fondamentales de l’OIT. Ce changement de statut a relancé le processus de ratification. En effet, la France étant membre de l’OIT, les dispositions des conventions fondamentales
– incluant donc la convention n° 155 – lui sont juridiquement opposables et ce, même sans sa ratification. Par ailleurs, l’Union européenne requiert que tous ses États membres ratifient les conventions fondamentales de l’OIT : le gouvernement se trouvait donc dans l’obligation de relancer le processus de ratification.

C.   L’insertion de la convention dans l’environnement juridique international

La convention n° 155 de l’OIT s’inscrit dans un cadre juridique international plus large. Plusieurs normes, telles que la directive-cadre 89/391/CEE de l’Union européenne ou d’autres conventions internationales, viennent compléter ses dispositions.

1.   Les conventions de l’OIT

La convention n° 155 de l’OIT, comme nous le rappelions précédemment, a été élevée au rang de convention fondamentale par la Conférence internationale du travail. Ces conventions fondamentales sont au nombre de dix. La convention n° 155 s’inscrit donc dans un cadre juridique international dense : outre les neuf autres conventions fondamentales de l’OIT, la France a déjà ratifié plusieurs conventions approchant les thèmes de la santé et de la sécurité des travailleurs. On peut citer par exemple la convention n° 81 sur l’inspection du travail, ou la convention n° 187 sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé au travail, qui complètent la convention n° 155.

Ainsi, la convention n° 81 impose aux États membres de mettre en place un système d’inspection du travail pour surveiller la mise en œuvre des normes de travail, y compris celles relatives à la santé et à la sécurité. Certaines dispositions de la convention n° 155 renforcent celles de la convention n° 81 en précisant les responsabilités des inspecteurs et en exigeant des sanctions appropriées en cas d’infraction (articles 9 et 10). Il convient de souligner ici que la forte diminution des effectifs de l’inspection du travail en France dans les années récentes menace directement l’application des dispositions de ces deux conventions – nous développerons ce point ultérieurement.

La convention n° 187, qui promeut une approche basée sur la prévention, complète la convention n° 155 en ce qu’elle fournit un cadre pour l’établissement de politiques nationales cohérentes en matière de sécurité et de santé au travail.

2.   Les directives de l’Union européenne

La sécurité et la santé au travail sont un objectif commun à l’ensemble des États membres de l’Union européenne (UE), laquelle tend à harmoniser les pratiques et les droits des travailleurs en son sein, enjeu crucial dans le contexte actuel de hausse de la mobilité des industries et des travailleurs entre les États membres. Si l’UE exige la ratification par les États de toutes les conventions fondamentales de l’OIT, le droit européen en matière de santé et de sécurité au travail est d’ores et déjà aligné avec les principes énoncés dans la convention n° 155.

La directive-cadre 89/391/CEE du 12 juin 1989 ([2]) par exemple, qui établit les mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, a des objectifs analogues à ceux de la convention n° 155. Cette directive impose aux employeurs des obligations similaires en matière de prévention et d’évaluation des risques professionnels, de formation et d’information des travailleurs, ainsi que de consultation et de participation des travailleurs sur les questions de santé et de sécurité au travail. Elle contient notamment une disposition générale obligeant les employeurs à « assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail ».

La convention n° 155 s’articule également de façon cohérente avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, notamment son article 31 qui garantit des conditions de travail justes et équitables, et son article 35 qui assure un niveau élevé de protection de la santé humaine. Elle est conforme au principe 10 du socle européen des droits sociaux, adopté en 2017, qui prône un « environnement de travail sain, sûr et adapté » pour les travailleurs.

3.   Une ambition de renforcement de la coopération internationale

Un apport significatif de la convention n° 155 est son ambition de renforcer la coopération internationale en matière de santé et de sécurité au travail. Elle incite en effet les États membres à partager leurs expériences, à coopérer sur les défis communs, et à soutenir les pays en développement dans la mise en place de systèmes efficaces de sécurité et de santé au travail.

La convention encourage également les États membres à aligner leurs législations nationales sur les normes internationales, créant ainsi un cadre commun qui facilite la coopération transfrontalière et la protection des travailleurs au-delà des frontières nationales. Cette dimension est essentielle dans un contexte de mondialisation des échanges économiques et de mobilité accrue des travailleurs.

D.   Le texte de la convention

1.   L’établissement d’une politique nationale cohérente en matière de sécurité et de santé au travail

Une dimension majeure de la convention n° 155 est l’obligation faite aux États de définir, de mettre en œuvre et de réviser périodiquement une politique nationale cohérente en matière de sécurité et de santé au travail. Cette politique, élaborée en consultation avec les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs, doit viser à prévenir les accidents du travail et les maladies professionnelles en réduisant au minimum les risques inhérents au milieu de travail. La convention promeut de ce fait une approche basée sur la prévention des risques.

L’article 4 établit les fondements de cette politique en insistant sur la nécessité de considérer la santé et la sécurité des travailleurs comme une question d’intérêt national. La politique doit inclure la prévention des accidents et la réduction des risques professionnels à des niveaux minimaux.

L’article 5 élargit les sphères d’action que la politique nationale doit couvrir, incluant l’utilisation et l’entretien des équipements de travail, la formation des travailleurs, la communication des risques, et la planification de la prévention des accidents.

Les articles 6 et 7 précisent les responsabilités respectives des employeurs, des travailleurs et des autorités compétentes dans la mise en œuvre de cette politique. Les États doivent s’assurer que des examens réguliers des conditions de travail sont réalisés pour maintenir la pertinence et l’efficacité des mesures de sécurité et de santé au travail.

2.   L’effectivité de la politique nationale de sécurité et de santé au travail : régulations et inspections

La convention n° 155 impose aux États de prendre toutes les mesures législatives ou réglementaires nécessaires pour donner plein effet à la politique nationale en matière de sécurité et de santé au travail.

L’article 8 dispose que ces mesures doivent être inscrites dans la législation nationale et inclure des sanctions appropriées pour les infractions, assurant ainsi l’application effective des dispositions de la convention.

Les articles 9 à 12 détaillent les mécanismes de contrôle, en particulier la nécessité d’un système d’inspection du travail robuste, capable de surveiller et d’assurer le respect des normes de sécurité et de santé au travail. Ce système d’inspection est crucial pour identifier et corriger les lacunes dans la mise en œuvre des mesures de prévention des risques professionnels. Ici encore, soulignons que le système d’inspection du travail français, grandement fragilisé, ne correspond pas à cette description : sans moyens suffisants, l’inspection du travail n’est pas en état d’accomplir pleinement ses missions, en dépit du travail engagé par ses agents. L’application effective des dispositions de la convention sera conditionnée à la mobilisation de moyens humains et financiers suffisants.

La convention souligne également l’importance de l’éducation et de la formation continues, tant pour les employeurs que pour les travailleurs. Cette approche vise à adapter les compétences et les connaissances aux risques émergents, garantissant ainsi une protection dynamique et évolutive des travailleurs.

3.   La responsabilité des employeurs et les droits des travailleurs à l’échelle de l’entreprise

La convention n° 155 impose des responsabilités claires aux employeurs en termes de sécurité et de santé au travail. Ils sont tenus d’assurer que les lieux de travail, les machines, les équipements et les procédés placés sous leur contrôle ne présentent pas de risque pour la sécurité et la santé des travailleurs.

L’article 16 dispose que la responsabilité d’évaluation et de gestion des risques associés aux substances chimiques, physiques et biologiques incombe aux employeurs. Ils doivent également fournir les équipements de protection individuels nécessaires pour garantir la sécurité des travailleurs dans l’exercice de leurs fonctions.

L’article 17 encourage la coopération entre les entreprises partageant un même lieu de travail, soulignant l’importance d’une approche collective de la sécurité et de la santé au travail dans les environnements complexes où plusieurs entités coexistent.

L’un des aspects novateurs de la convention est la reconnaissance du droit de retrait des travailleurs, leur permettant de se retirer d’une situation de travail lorsqu’ils ont des raisons de croire qu’elle présente un danger imminent et grave pour leur vie ou leur santé, sans subir de représailles. Cette convention a d’ailleurs inspiré la loi du 13 novembre 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise dite « Auroux ». Soulignons cependant que, contrairement à la convention n° 155 de l’OIT ou aux normes de l’Union européenne sur le droit de retrait, qui y intègrent tous les travailleurs, la France refuse de reconnaître ce droit à tous.

L’article 19 précise que les travailleurs ont le droit d’être informés, consultés et formés sur les questions de sécurité et de santé au travail, et qu’ils peuvent participer activement à l’amélioration des conditions de travail. La convention promeut ainsi un dialogue social fort et une culture de sécurité partagée au sein des entreprises.

 

4.   L’encadrement des pratiques et la protection spécifique des groupes vulnérables

La convention intègre la nécessité de protéger les groupes de travailleurs particulièrement vulnérables, tels que les jeunes travailleurs, les travailleurs temporaires ou ceux exposés à des substances dangereuses.

Les articles 11 et 12 imposent aux États de mettre en place des systèmes rigoureux de contrôle et d’évaluation des risques pour ces groupes. Ces mesures incluent la régulation des substances chimiques dangereuses, la surveillance des lieux de travail, et l’assurance que les équipements utilisés sont conformes aux normes de sécurité les plus élevées.

Ces articles imposent également aux employeurs de fournir des équipements de protection adaptés et de prendre des mesures supplémentaires pour les travailleurs exposés à des conditions particulièrement dangereuses.

Enfin, les articles 28 à 30 de la convention prévoient des mécanismes de révision et de mise à jour des normes en fonction de l’évolution des risques et des technologies, assurant ainsi que les normes de sécurité et de santé au travail restent pertinentes et efficaces au fil du temps.


II.   La ratification de la convention : un non-ÉvÈnement pour la protection des travailleurs

A.   Une convention au pÉrimÈtre limitÉ qui n’apporte rien au droit français

Au moment de son adoption en 1981, la convention n° 155 présentait un certain nombre d’innovations majeures telles que le droit de retrait ou la mise en place de systèmes de contrôle et d’inspection rigoureux pour assurer la conformité aux normes de sécurité, associés à des sanctions appropriées en cas de manquement. Cette convention a d’ailleurs inspiré le droit français : en 1982, les lois Auroux introduisent le droit de retrait ainsi que les comités hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT).

Aujourd’hui, sa ratification ne créerait aucun nouveau droit pour les travailleurs, ni aucune nouvelle obligation pour les entreprises. En effet, comme nous l’a affirmé le gouvernement par la voix de ses représentants, cette ratification se fait à droit constant : aucun ajustement réglementaire ni aucune modification du droit du travail ne sont nécessaires pour se conformer aux exigences de la convention, le droit national étant dans la plupart des cas mieux disant.

Par ailleurs, la convention n° 155 de l’OIT, adoptée il y a quarante ans, ne répond pas aux problématiques actuelles et aux risques émergents qui découlent des nouvelles réalités de l’organisation du travail. Sa portée est, de ce fait, extrêmement limitée.

La question du management toxique, par exemple, échappe entièrement à son champ d’application. Or, les risques psychosociaux, tels que le harcèlement moral, la surcharge de travail ou les pratiques managériales abusives, constituent des menaces majeures pour la santé des travailleurs, dont les conséquences sont largement documentées. Elles procèdent d’une dynamique de contrôle particulièrement pernicieux des travailleurs, qui nuit à l’extension de la démocratie dans les lieux de travail, comme à la santé mentale. Ainsi, de nombreux travailleurs sont confrontées à de grandes difficultés, souvent ignorées par leur encadrement ou leur direction, au nom d’objectifs que ces dernières s’efforcent de croire atteints.

De même, la convention n’aborde pas la question des produits dangereux, bien que leur utilisation soit une source avérée de maladies professionnelles et de risques à long terme pour la santé des travailleurs. L’absence de dispositions détaillées sur la classification, l’étiquetage et l’élimination des substances toxiques limite la portée du texte. Dans un contexte où l’industrie chimique, le bâtiment et d’autres secteurs exposent encore de nombreux salariés à des agents cancérogènes ou mutagènes, cette question mériterait une place centrale. Il est notable que l’OIT négocie en ce moment une convention à ce propos, ce qui devrait d’ailleurs inviter d’ores et déjà le législateur à prendre en main cette question plus résolument.

Enfin, les règles du droit du travail et de la prévention en matière de sécurité sanitaire ne s’imposent pas aux entreprises ayant recours à la sous-traitance. La convention insiste sur la responsabilité des employeurs directs, mais elle ne prévoit pas de mécanismes contraignants pour réguler les chaînes de sous-traitance, où les obligations en matière de sécurité sont souvent diluées, voire contournées. Ainsi, des travailleurs sous-traitants ou employés par des prestataires peuvent se retrouver exposés à des conditions de travail dégradées, sans bénéficier d’une véritable protection : remplaçables à l’infini, leur droit de retrait n’est pas garanti et leur voix n’est pas écoutée. Cette absence de prise en compte de la sous-traitance réduit considérablement l’impact de la convention et en limite l’application à un modèle d’entreprise classique, alors même que le recours à la sous-traitance est devenu un pilier fondamental de l’organisation du travail dans de nombreux secteurs.

B.   Une convention moins disante par rapport aux normes europÉennes

La France, en tant que membre de l’Union européenne, a déjà intégré dans sa législation des normes de sécurité et de santé au travail, à travers la transposition de directives européennes telles que la directive-cadre du 12 juin 1989 précitée concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

Moins disante, car définissant des exigences minimales sur le sujet, la convention n° 155 n’ajoute rien aux objectifs poursuivis par ces normes européennes, et qui sont d’ores et déjà pleinement intégrées au droit français.

C.   Des consÉquences Économiques, sociales et administratives inexistantes

1.   Sur le plan juridique

Pour les entreprises, cette ratification n’engendrera aucune obligation juridique nouvelle. Le gouvernement lui-même affirme qu’aucune modification du droit interne n’est nécessaire à la ratification : la France ratifie donc un texte déjà couvert par sa législation – ce qui interroge sur le délai de plus de quarante ans écoulé depuis l’adoption de la convention.

2.   Sur le plan social

Pour les travailleurs, cette ratification n’apportera logiquement pas non plus de droits nouveaux, pas plus qu’elle n’établira de nouvelles normes.

 

3.   Sur le plan administratif

La ratification de la convention n° 155 ne nécessitera aucun ajustement des processus administratifs relatifs à la santé et à la sécurité au travail en France. Le gouvernement l’a explicitement indiqué : cette ratification se fait à droit constant, sans modification du cadre législatif ou réglementaire existant. Il n’est donc pas prévu de mise à jour des lois, ni de création de nouvelles procédures pour garantir la mise en œuvre des principes de la convention.

Par ailleurs, aucun plan n’a été présenté pour renforcer les systèmes de collecte de données sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, malgré les exigences de transparence et de suivi posées par la convention. De même, aucun investissement n’a été prévu pour renforcer le système d’inspection du travail qui manque pourtant cruellement de moyens financiers, humains et institutionnels pour accomplir pleinement sa mission, en accord avec les objectifs de la convention.

D.   Un rendez-vous manquÉ

Il est illusoire de présenter cette ratification comme un tournant ou un levier de transformation.

Contrairement aux affirmations optimistes contenues dans l’étude d’impact transmise par le gouvernement, la ratification de la convention n° 155 n’aura pas pour effet de renforcer concrètement les systèmes d’inspection du travail en France. Aucune mesure n’est prévue pour renforcer la fréquence ou la portée des inspections, ni pour améliorer la coordination entre les services concernés. Aucun des interlocuteurs auditionnés n’a laissé entendre que cette ratification entraînerait une augmentation des effectifs, une montée en compétence des agents, une hausse des moyens financiers, ou une réorganisation des services. Rappelons qu’entre 2015 et 2021, l’inspection du travail a perdu 16 % de ses effectifs ([3]).

Cette ratification n’obligera pas les employeurs à investir davantage dans la prévention, ni à améliorer les conditions de travail réelles. Quant à l’idée selon laquelle elle améliorerait l’image des entreprises françaises sur la scène internationale, elle reste théorique : la crédibilité d’un pays ne se mesure pas à la liste de conventions ratifiées, mais à leur mise en œuvre effective, au contrôle des pratiques sur le terrain, et à la protection réelle des travailleuses et des travailleurs.

Dans un contexte où les moyens de l’inspection du travail sont structurellement insuffisants, où les postes vacants se multiplient et où les agents sont confrontés à une charge de travail croissante, se contenter d’une ratification sans moyens revient à entretenir une illusion de progrès. Sans engagement budgétaire fort et sans volonté politique de redonner à l’inspection du travail sa pleine capacité d’action, la santé et la sûreté au travail demeureront en France imparfaitement assurées. La hausse continue des accidents mortels au travail ces dernières années est particulièrement éloquente quant à la nécessité de renforcer le cadre de protection des travailleuses et des travailleurs. Ce sont deux personnes qui meurent chaque jour du fait d’un accident du travail. Cette situation intolérable est bien celle qui mériterait des changements d’orientation de politique publique, plutôt qu’un satisfecit relatif à une ratification sans conséquences.

La ratification de la convention n° 155 aurait pu constituer un cadre pour reconstruire un véritable droit du travail protecteur, et repenser la question de la prévention, du rôle de l’inspection du travail, de l’implication des travailleurs dans les politiques de santé et sécurité, et des moyens humains et financiers à allouer à cet enjeu fondamental. En lieu et place de cela, cette ratification est un rendez-vous manqué : au mieux elle est un non-évènement, au pire elle préfigure une diminution de l’ambition de la politique française de santé et de sécurité au travail.


III.   La ratification de la convention : communication ou faux‑semblant ?

A.   Une hypocrisie du gouvernement sur la question de la santÉ et de la sÉcuritÉ des travailleurs

À l’heure où les réformes successives du code du travail ont, depuis dix ans, fragilisé la protection des salariés, affaibli les institutions représentatives du personnel et banalisé les pratiques de management délétères, nous pouvons nous interroger sur le sens de cette ratification.

Comme nous l’avons détaillé précédemment, il convient de souligner que, si le processus de ratification a été relancé par le gouvernement, ce n’est pas par souci des conditions de travail des travailleuses et des travailleurs français. La convention n° 155 étant devenue une convention fondamentale de l’OIT, l’Union européenne exige de la France qu’elle la ratifie, et les dispositions de la convention lui sont déjà juridiquement opposables.

Il importe également de replacer ce projet de ratification dans son contexte social. Les quinquennats de François Hollande et d’Emmanuel Macron ont, depuis dix ans, considérablement affaibli le droit du travail par une série de réformes qui ont entériné une inversion épistémologique. Si, depuis le début de son existence, le droit du travail forçait les entreprises à garantir le respect des droits des salariés, ce sont maintenant les droits des salariés que l’on adapte aux besoins des entreprises. On peut ainsi citer, entre autres, les lois dites « Macron » ([4]) et « Rebsamen » ([5]) en 2015, la loi dite « El Khomri » ([6]) en 2016 et les cinq ordonnances dites « Macron » en 2017.

L’inspection du travail, que la présente convention appelle à renforcer, a, elle aussi, été victime de réformes qui l’ont rendue exsangue. La suppression du corps des contrôleurs en 2013 et le nombre de départs en retraite non remplacés faute de moyens ont entraîné une diminution significative et inquiétante des effectifs. Suite à ces suppressions de postes, selon un rapport de la Direction générale du travail de 2024, la France dispose aujourd’hui d’un agent de contrôle pour 10 500 salariés et se place ainsi sous le seuil critique de l’OIT, qui demande à ses États membres de garantir a minima un agent pour 10 000 salariés. Plus grave encore, ces chiffres sont purement théoriques : ils ne s’intéressent qu’aux postes ouverts, qu’ils soient ou non pourvus. Si l’on prend en compte les postes vacants, qui représentent 20,45 % du total des postes ouverts, nous disposons en réalité d’un agent de contrôle pour 13 200 salariés. Dans certaines régions, telles que la Corse, le taux de vacance atteint 40 %. Ainsi, en France, 22 % des travailleurs, soit 4,5 millions d’individus, n’ont pas de contrôleur du travail vers qui se tourner.

Parmi les ordonnances de 2017, une entre particulièrement en contradiction avec une hypothétique volonté d’améliorer la santé et la sécurité des travailleurs. Elle élimine quatre des six critères de pénibilité qui ouvraient un droit de départ à la retraite anticipé : le port de charges lourdes, les postures pénibles, la proximité avec des produits chimiques dangereux et les vibrations mécaniques. La question de la pénibilité est pourtant centrale pour la santé des travailleurs. La disparition de la cotisation employeur spécifique, qui poussait les employeurs à moins exposer les travailleurs à la pénibilité, a, en outre, supprimé toute incitation à la prévention de la pénibilité selon la Cour des comptes.

Une autre des ordonnances de 2017 ([7]) a eu pour conséquence la fusion des CHSCT avec les délégués du personnel et le comité d’entreprise pour former un organe unique : le comité social et économique. Le CHSCT disposait pourtant d’un pouvoir non-négligeable dans les entreprises, et comptait parmi ses rangs des personnes formées à la sécurité et à la santé au travail. De plus, si le CHSCT était obligatoire dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés, la commission équivalente du CSE n’est obligatoire que dans les entreprises de plus de 300 salariés. Par conséquent, si 75 % des salariés étaient couverts par un CHSCT auparavant, seuls 46 % le sont aujourd’hui. Qu’un gouvernement héritier et comptable d’une telle politique prétende se soucier de la protection de la santé des travailleurs appelle à la plus grande circonspection.

Le bilan des accidents du travail est particulièrement évocateur du manque criant de protection des travailleuses et des travailleurs. La France est le quatrième pays européen qui compte le plus d’accidents du travail avec 3,32 accidents par an pour 100 000 travailleurs, soit presque le double de la moyenne de l’Union européenne, qui est de 1,76 pour 100 000 travailleurs. En 2023, 759 personnes sont décédées à la suite d’un accident du travail, en hausse de 2,8 % par rapport à l’année précédente. Le manque de prévention et la prévalence du travail intérimaire sont particulièrement responsables : on compte 50 000 accidents du travail par an chez les intérimaires et les accidents mortels y sont deux fois plus nombreux. Plusieurs raisons expliquent ces chiffres : la portion d’intérimaires dans des secteurs accidentogènes tels que le BTP et dans l’industrie, le temps de formation restreint pour les intérimaires qui, de fait, n’ont pas le temps de s’approprier les bons gestes, et enfin la crainte de représailles s’ils signalent un manquement à la sécurité, exacerbée par la précarité de leur statut.

Le gouvernement fait donc preuve d’une hypocrisie manifeste en mettant en avant, dans l’étude d’impact du projet de loi, ses grandes ambitions pour l’amélioration de la protection des travailleurs. Dans un pays où l’on diminue systématiquement les moyens alloués aux travailleurs pour se saisir de leurs droits, et où les accidents de travail tuent encore deux personnes par jour, il ne suffit pas de se payer de mots – ou, en l’occurrence, d’une ratification à droit constant – pour faire de la santé et de la sécurité au travail un droit fondamental et réellement appliqué.

B.   Les rÉgimes d’exclusion : une dÉcision arbitraire et injustifiÉe

Les articles 1.2 et 2.2 de la convention n° 155 de l’OIT prévoient que les États membres qui ratifieraient ladite convention puissent exclure de son champ d’application des branches d’activité ou des catégories de travailleurs choisies.

1.   Une question absente du projet de loi

Il faut s’intéresser à l’étude d’impact du projet de loi pour découvrir les exclusions prévues par le gouvernement. En effet, examinant l’article unique de ce projet de loi, nous pourrions penser qu’il s’agit d’une ratification pleine et entière de la convention n° 155 de l’OIT. Le gouvernement prévoit pourtant d’en exclure les branches d’activité de la navigation maritime et de la pêche, le personnel navigant de l’aéronautique civile, et certains agents publics, notamment les militaires.

Ces exclusions ne figurent pas dans le projet de loi et ne sont donc pas votées par la représentation nationale. L’arbitraire du gouvernement sur la question des régimes d’exclusion avait pourtant déjà motivé la décision du Conseil d’État d’émettre un avis défavorable lors d’une première tentative de ratification en 1988, comme nous l’évoquions précédemment. Le Conseil d’État avait alors estimé que « compte tenu des stipulations – propres à ce texte – des articles 1.2 et 2.2 de celuici, qui permettent d’exclure de son application certaines catégories et certaines branches d’activité, ces exclusions, de nature législative, devraient figurer dans le projet de loi autorisant la ratification de la convention ».

La situation n’est guère différente aujourd’hui : de portée législative, ces exclusions devraient figurer dans le projet de loi autorisant la ratification de cette convention, et être votées par les députés s’ils les estiment légitimes.

2.   Une consultation des secteurs concernées envisagée comme une formalité

Les articles précités de la convention, relatifs aux régimes d’exclusion, prévoient que des consultations des instances représentatives des employeurs et des travailleurs des secteurs et branches d’activité concernés soient réalisées préalablement à leur exclusion. Le défaut de consultation est d’ailleurs cité, au même titre que l’absence de mention des exclusions dans le projet de loi, dans l’avis défavorable rendu par le Conseil d’État en 1988.

Cette fois-ci, la consultation des branches d’activité concernées par les régimes d’exclusion a bien été lancée, mais elle a été envisagée comme une simple formalité. Nos interlocuteurs institutionnels, qu’il s’agisse des représentants du gouvernement français auprès de l’OIT ou de ceux de la Direction générale du travail, nous ont assuré que les représentants des travailleurs des secteurs concernés par les exclusions avaient été consultés, sans mention d’un quelconque désaccord. De même, dans l’étude d’impact, la formulation employée – « conformément au 2. de l’article 2 de la convention [...] et après consultation des organisations représentatives des employeurs et des travailleurs concernés, le Gouvernement français prévoit d’assortir la ratification de la réserve suivante » – sous-entend qu’il n’y a pas eu d’opposition.

Pourtant, les désaccords étaient présents. Prenons l’exemple de l’aéronautique civile, que nous développerons ultérieurement. La branche transport aérien de la CGT Transports a adressé une réponse argumentée et documentée de 13 pages suite à la sollicitation de la direction du travail de la Direction générale de l’aviation civile. Le syndicat national des pilotes de ligne en a fait autant. Ils n’ont jamais reçu de réponse, et, s’étant tous deux prononcés contre l’exclusion du personnel navigant des dispositions de la convention sur le droit de retrait, on peut en déduire que leur opinion n’a pas été prise en compte, ce qui nous pousse à nous interroger sur l’idée que se fait le gouvernement d’une consultation.

3.   Étude de cas : l’aéronautique civile

Parmi les secteurs exclus, le cas de l’aéronautique civile a particulièrement retenu notre attention. En effet, l’étude d’impact nous apprend que le personnel navigant de l’aéronautique civile sera exclu des dispositions de la convention relatives au droit de retrait, au mépris des droits des travailleurs et de la sécurité des vols. Il y est précisé que « dès lors que la mission de l’équipage a débuté, le personnel navigant de l’aéronautique civile est exclu de l’application du droit de retrait mentionné aux articles 13 et 19 (f) de la convention ».

La justification avancée par le gouvernement est que l’exercice du droit de retrait par le personnel navigant entre en contradiction avec la sécurité à bord des aéronefs, et pose donc des difficultés d’application. L’article 2.2 de la convention, sur lequel s’appuie le gouvernement, dispose en effet qu’un État membre qui ratifie ladite convention peut « exclure de son application, soit en partie, soit en totalité, des catégories limitées de travailleurs pour lesquelles il existe des problèmes particuliers d’application ».

Cette justification est pourtant absurde puisque le droit de retrait est garanti aux travailleurs de l’aéronautique civile, y compris au personnel navigant, depuis plus de quarante ans. En excluant ces travailleurs, le gouvernement s’affranchit ainsi d’un droit effectif et pleinement applicable.

L’article L.6521-6 du code des transports prévoit que « le code du travail est applicable au personnel navigant de l’aéronautique civile et à leur employeur, sous réserve des dispositions particulières fixées par le présent titre ». Aucune de ces « dispositions particulières » ne prévoit aujourd’hui l’exclusion des personnels navigants du droit de retrait. Cela confirme d’une part que cette exclusion est nécessairement de nature législative, et devrait à ce titre figurer dans le projet de loi, et d’autre part que les « difficultés d’application » censées justifier l’exclusion de ces travailleurs, sont inexistantes.

En effet, et contrairement à ce qu’affirme le gouvernement dans l’étude d’impact du projet de loi, les quarante années de pratique ne révèlent aucune difficulté particulière d’application du droit de retrait chez les personnels navigants.

De nombreuses décisions de justice récentes démontrent au contraire une effectivité maîtrisée de ce droit. Nous pouvons citer par exemple la décision de la cour d’appel de Paris du 3 juillet 2018 ([8]) qui a reconnu le droit de retrait d’un commandant de bord et condamné Air France pour retenue sur salaire illicite, ou encore la décision de la Cour de cassation du 27 mars 2024 ([9]) réformant la décision de la cour d’appel de Paris du 12 janvier 2022 ([10]) qui avait rejeté une telle demande faute de danger caractérisé. La Cour de cassation a rappelé à cette occasion qu’il suffit d’un motif raisonnable pour justifier l’exercice du droit de retrait. Ce droit est donc applicable, encadré et interprété avec rigueur par les instances compétentes.

En plus de constituer un affaiblissement inacceptable des droits des travailleurs de l’aéronautique civile, cette remise en cause du droit de retrait du personnel navigant fragiliserait nécessairement la sécurité des vols en aggravant le stress opérationnel et l’insécurité psychologique, conditions propices à la dégradation des performances humaines : or les facteurs humains sont régulièrement identifiés dans les rapports d’accident aérien comme éléments déclencheurs ou aggravants.

L’argument du gouvernement, consistant à dire que l’application de la convention au secteur de l’aviation civile poserait un problème pour la sécurité des opérations aériennes, est inepte : la législation sur le droit de retrait précise déjà que celui-ci ne peut s’effectuer que dans le cas où il ne met pas en danger les autres salariés. Par ailleurs, le personnel navigant a une obligation d’abstention en cas d’incapacité qui, elle, n’a pas de limite temporelle et vaut donc à bord. En faisant obstacle au droit de retrait, le gouvernement n’empêchera pas les salariés de se retirer, mais ceux-ci ne pourront le faire qu’en raison de leur incapacité, ce qui semble poser de plus graves problèmes concernant la sécurité des vols.

Il est particulièrement paradoxal que le processus de ratification d’une convention visant justement à promouvoir la sécurité et la santé au travail soit l’occasion de renier le droit primordial des salariés de se retirer d’une situation de danger grave et imminent qui les concerne et qui est, par conséquent, susceptible de concerner également les passagers transportés.

Cette décision entre par ailleurs en contradiction manifeste avec les engagements européens de la France, en particulier la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

C.   Le risque d’un nivellement par le bas

Si la ratification d’une convention internationale ne peut conduire à une détérioration du droit national, cette exclusion des personnels navigants de l’aéronautique civile des dispositions sur le droit de retrait nous invite à nous interroger sur le risque d’un nivellement par le bas du droit français.

En effet, si le gouvernement considère que le droit de retrait du personnel navigant pose des difficultés d’application, alors que ce droit leur est garanti depuis plus de quarante ans, cela signifie-t-il qu’il a pour projet de modifier la législation française en ce sens dans le futur ? Si la réponse est non, alors l’exclusion est infondée. Si la réponse est oui, alors il est à craindre une poursuite de l’affaiblissement de la protection des travailleurs, sur le modèle de celle engagée depuis une décennie par les réformes injustes et dévastatrices que nous mentionnions précédemment.

Cette préoccupation a été mentionnée lors de nos auditions. Constatant que la législation française est à ce jour mieux disante que la convention, la ratification de celle-ci ne doit pas servir de base pour abaisser par la suite le niveau de protection dont jouissent les travailleurs.

Le présent rapport invite donc les députés à s’opposer à ce projet de ratification. En l’état, il ne satisfait manifestement pas aux critères de consultation, ni de respect de la démocratie parlementaire. Des consultations supplémentaires sont de toute évidence nécessaires pour éviter de créer une incertitude juridique pour les travailleurs de certains secteurs d’activité. À l’issue desdites consultations, les parlementaires pourront se prononcer en toute connaissance de cause. Pour l’heure, la ratification n’entraînant aucune amélioration substantielle de la protection des travailleurs, le rapport recommande donc qu’elle ait lieu à l’avenir et dans de meilleures conditions. Les incertitudes actuelles impliquent de s’y opposer.

 


   EXAMEN EN COMMISSION

Le 30 avril 2025, la commission examine le projet de loi autorisant l’approbation de la convention n° 155 de l’OIT sur la sécurité et la santé des travailleurs.

M. le président Bruno Fuchs. Nous sommes réunis pour examiner le projet de loi autorisant la ratification de la convention n° 155 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la sécurité et la santé des travailleurs (n °969). Je souligne que cette convention a été adoptée le 22 juin 1981 à Genève, lors de la 67e session de la Conférence internationale du travail.

L’OIT a été créée en 1919 et elle est devenue une agence spécialisée de l’Organisation des Nations unies (ONU) en 1946. Elle réunit les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs issus des 187 États membres. Sa mission consiste à protéger et promouvoir les droits des travailleurs grâce aux normes internationales qu’elle élabore.

On ne peut pas dire que le processus de ratification de ce texte s’illustre par sa rapidité, contrairement au traité pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine dit « BBNJ » – marine Biodiversity of areas Beyond National Jurisdiction –, qui a été ratifié par notre Assemblée seulement huit mois après son adoption.

J’ai déploré à plusieurs reprises que les accords internationaux soient souvent soumis à notre approbation beaucoup trop tard. Un courrier avait été adressé au ministre chargé des affaires étrangères à ce sujet. Il faut que les processus de ratification deviennent beaucoup plus réalistes.

M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Adoptée en 1981, la convention n° 155 de l’OIT présentait en son temps plusieurs avancées significatives en matière de droits sociaux, à commencer par le droit de retrait et l’exigence de mécanismes de contrôle et d’inspection, garantie fondamentale pour que le droit du travail s’applique réellement.

Dans la longue histoire du mouvement ouvrier, le combat pour les conditions de travail est décisif, tant la classe ouvrière a été violentée dans le processus de production. Cela reste d’ailleurs une réalité prégnante dans la division internationale du travail et dans certains secteurs. L’importance des troubles musculo-squelettiques et l’état physique des travailleurs du secteur agroalimentaire en Bretagne rappelle que cette violence du travail sur les corps est encore une réalité en France.

La convention n° 155 reconnaît le caractère essentiel de la santé et de la sécurité au travail. C’est en effet un domaine où se posent des questions de vie et de mort. Il est utile de rappeler qu’en France l’espérance de vie à 35 ans d’un ouvrier reste de cinq ans inférieure à celle d’un cadre.

Cette convention offre des garanties minimales utiles car il est à tout le moins nécessaire de créer un environnement normatif international permettant de protéger de manière concrète les travailleurs, notamment grâce à des moyens assurant des inspections et un contrôle effectif.

En France, les lois Auroux des années 1980 ont été décisives pour renforcer la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Pourquoi cette convention n’a-t-elle pas été ratifiée alors que l’on assistait à une période remarquable de conquête sociale ?

Un projet de ratification avait été envisagé en 1988 mais le Conseil d’État avait émis un avis défavorable car les consultations des syndicats et l’association des parlementaires avaient été insuffisantes, notamment au sujet des restrictions que le gouvernement entendait apporter à l’application de la convention. Le processus de ratification avait donc été abandonné.

Il faut noter que la France a fait évoluer son droit social dans un sens qui va au-delà des recommandations minimales de la convention.

Pourquoi en discuter maintenant, alors que l’on a assisté ces dernières années à de nombreux reculs en matière de droit social et de protection des travailleurs ?

La convention n° 155 est devenue une convention fondamentale de l’OIT, ce qui emporte deux conséquences. D’abord, ses stipulations sont désormais juridiquement opposables à tous les États membres de l’OIT. Sa ratification ne crée donc aucune obligation nouvelle pour la France. C’est un point important. Ensuite, l’Union européenne exige que ses États membres ratifient les conventions fondamentales.

Le gouvernement présente une démarche purement formelle comme une avancée majeure pour le droit social : il avance qu’une telle décision ferait de la France une bonne élève s’agissant de la protection des travailleurs. C’est factuellement faux : d’abord, parce que cette ratification valide a posteriori l’élévation de ce texte au rang de convention fondamentale ; ensuite, car elle s’opère normalement à droit constant ; enfin, parce que cette convention prévoit des obligations minimales qui sont en deçà des protections déjà prévues par le droit européen et le droit français.

Dans ce domaine, la question est plutôt celle de l’application du droit. En effet, il n’est guère possible de se payer de mots ou de penser que des symboles peu coûteux pourraient masquer la réalité des politiques antisociales menées par ceux qui gouvernent depuis plusieurs années. Comme l’avait déjà bien compris Blaise Pascal, le droit sans la force est impuissant.

Cela vaut donc la peine de s’intéresser à la réalité concrète des moyens de contrôle et d’inspection du travail. De 2015 à 2021, les effectifs de l’inspection du travail ont diminué de 16 %. La norme établie par l’OIT impose de disposer d’un agent pour 10 000 salariés. Du fait des suppressions de postes d’inspecteurs ces dernières années, nous ne respectons plus ce seuil puisque nous en sommes en théorie à un agent pour 10 500 salariés, voire à un agent pour 13 200 salariés si l’on tient compte des postes non pourvus, qui atteignent 20 % des effectifs.

Dans ce contexte, comment peut-on présenter cette ratification comme une victoire pour les salariés sans faire preuve d’une hypocrisie que plus personne ne supporte dans ce pays ? À commencer par ceux qui savent combien les conditions de protection des travailleurs ont été dégradées ces dernières années. On ne peut pas occulter la succession particulièrement brutale des lois dites Macron et Rebsamen en 2015, de la loi dite El Khomri en 2016 ainsi que des cinq ordonnances Macron de 2017. Toutes ont porté atteinte aux droits des travailleurs.

C’est par exemple le cas de la fusion des comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) avec les comités techniques. Les élus qui siégeaient au sein des CHSCT étaient particulièrement formés aux questions de sécurité et de santé au travail. La fusion a donc constitué une mauvaise nouvelle. S’y ajoute le fait qu’un CHSCT était auparavant obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés, alors qu’un comité social et économique (CSE) ne l’est désormais que dans celles de plus de 300 salariés. Le nombre de travailleurs couverts a donc bien entendu diminué.

En 2023, 759 personnes sont décédées à la suite d’un accident du travail. Le manque de prévention et la prévalence du travail intérimaire en sont particulièrement responsables. On compte 50 000 accidents du travail par an dans l’intérim et les accidents mortels y sont deux fois plus nombreux.

Précariser le marché du travail a donc des effets funestes qui s’observent d’ores et déjà. Précariser tue : ce n’est pas une nouvelle.

La Journée mondiale pour la santé et la sécurité au travail a été célébrée lundi 28 avril. La France présente de ce point de vue un bilan calamiteux : elle est le quatrième pays en Europe où ont lieu le plus d’accidents du travail et le nombre de ces derniers y est deux fois supérieur à la moyenne européenne.

Nous y voyons un effet concret et tragique des politiques de flexibilisation du marché du travail. Le gouvernement prétend que la ratification de la convention offrira une perspective radieuse mais il se refuse à mener la nécessaire réflexion sur les politiques conduites ces dernières années. Il ferait mieux de réaliser un examen critique de ses politiques antisociales plutôt que de se laisser aller à une fanfaronnade sans objet.

Malgré cette posture duplice, l’idée selon laquelle la ratification s’opère à droit constant semblait jusqu’à présent assez généralement partagée. Trois éléments invitent toutefois à la plus grande prudence sur ce point.

D’abord, les raisons qui avaient motivé l’avis négatif du Conseil d’État en 1988 restent valables, puisque les parlementaires ne sont pas appelés à se prononcer sur les régimes d’exclusion de certains secteurs – notamment pour ce qui est du droit de retrait – et que les syndicats n’ont pas été pleinement consultés à ce sujet.

Ensuite, compte tenu de la politique menée par le gouvernement, il ne faudrait pas que ce dernier se prévale d’une avancée alors qu’il n’y en a guère, voire qu’il considère les standards minimaux de la convention comme le nec plus ultra de la protection sociale.

Enfin, les régimes d’exclusion suscitent la principale crainte. Le cas de l’aéronautique civile est particulièrement instructif. Le gouvernement entend exclure ce secteur de l’application de la convention, en prétextant que le droit de retrait pourrait difficilement s’y exercer. Ce droit est pourtant pleinement effectif pour le personnel navigant depuis une quarantaine d’années. Les syndicats du secteur ont alerté le gouvernement à ce sujet mais il ne leur a pas répondu. Ce seul élément suffit à prouver que les consultations n’ont pas été dûment organisées et doit inviter le gouvernement à revoir sa copie.

Il faut souligner que la remise en cause du droit de retrait dans ce secteur serait une source de danger. En effet, comment imaginer qu’un pilote souhaitant exercer son droit de retrait soit contraint d’effectuer un vol dans des conditions qu’il juge dangereuses ? Ce n’est de toute évidence pas raisonnable et, à vrai dire, fort peu compréhensible.

J’invite donc la commission à se prononcer contre ce projet.

Nous déposerons un amendement en séance pour que le personnel navigant du secteur de l’aviation civile ne soit pas exclu de l’application de cette convention. S’il était adopté, nous pourrions voter en faveur de la ratification, qui s’effectuerait dès lors à droit constant.

Quoi qu’il en soit, notre commission devrait se prononcer très clairement ce matin pour envoyer un signal au gouvernement sur les défauts de ce projet, qui ont été mis en évidence par les auditions des représentants des syndicats.

M. le président Bruno Fuchs. Pour être clair, vous voteriez en faveur de la ratification de cette convention si l’on intégrait les personnels navigants dans son champ d’application ?

M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Compte tenu de la position actuelle du gouvernement, je propose de rejeter ce projet. Mais nous pourrions voter pour ce texte en séance si le gouvernement donnait des garanties sur le fait que la ratification se fera à droit constant et si l’Assemblée nationale jouait son rôle en votant sur ce point.

M. Michel Guiniot (RN). Une question au préalable : pourrons-nous ratifier la convention si des changements lui sont apportés ?

M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. L’amendement que j’ai évoqué ne modifierait pas le texte dont la ratification est demandée mais il permettrait d’offrir une garantie juridique à ceux qui s’inquiètent de ses conséquences, en particulier dans le secteur de l’aéronautique civile.

M. le président Bruno Fuchs. Sans entrer dans la technique, on peut imaginer un avenant qui engagerait le gouvernement français. Nous en débattrons plus tard.

Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Michel Guiniot (RN). Le texte que nous examinons vise à ratifier une convention de l’OIT sur la sécurité et la santé des travailleurs. Cette dernière date de 1981, c’est-à-dire d’un autre temps. Si les risques n’ont pas évolué depuis, la façon de travailler a changé, de même que la société et les normes. Certaines mesures figurant dans la convention sont déjà en vigueur, voire désuètes compte tenu de l’évolution de notre droit, tandis que d’autres sont contraires à ce dernier.

Dès 1988, le Conseil d’État avait rendu un avis défavorable à la ratification de la convention en raison d’un manque de travail du gouvernement, ce qui avait abouti à l’abandon provisoire du processus de ratification. Celui-ci a été relancé en 2022, le changement de qualification de la convention par l’OIT, agence spécialisée de l’ONU, la rendant juridiquement opposable.

Toutefois, le gouvernement souhaite exclure le droit de retrait pour certaines catégories d’emplois, en revenant ainsi sur ce qui constitue un acquis social depuis quarante ans dans notre droit et dans le droit européen.

Je suis d’ailleurs plutôt surpris, monsieur le rapporteur, que vous ne fassiez pas davantage état des multiples réserves énoncées dans l’étude d’impact.

Dans votre rapport, vous n’avez eu qu’un mot pour les secteurs de la navigation maritime et de la pêche, ainsi que pour les agents publics qui opèrent dans les domaines de la sécurité ou de la défense, alors qu’ils sont eux aussi concernés par le contournement du Parlement. Si votre laïus sur la sécurité aérienne est conforme aux courriers de la confédération générale du travail (CGT) que vous avez choisi d’annexer au rapport, vous n’évoquez pas la situation des capitaines de navire, qui pourraient être contraints de risquer leur vie, celle de leurs passagers et l’intégrité de leur bâtiment s’ils ne pouvaient pas bénéficier du droit de retrait.

De plus, j’appelle votre attention sur le fait que le gouvernement prévoit d’écarter l’application du droit de retrait des personnels navigants de l’aviation civile dès lors que la mission de l’équipage a commencé, ce qui les priverait de toute possibilité de réaction. Comment faire face à un danger grave et imminent si l’on n’est pas en mesure de l’apprécier ? Le maintien du droit de retrait permettrait de garantir que les professionnels se consacrent à leur tâche dans des conditions optimales de sécurité. Il n’y a eu aucun problème notable en quarante ans. Pourquoi tout changer ?

Reste la question de l’application. Étant donné que la Conférence internationale du travail a élevé cette convention au rang de convention fondamentale, en l’absence de ratification du texte, comment ses dispositions pourraient-elles s’appliquer au secteur de la navigation maritime et de la pêche alors qu’elles sont en contradiction flagrante avec le décret du 15 mars 2016, qui offre la possibilité au capitaine d’un navire de suspendre l’exercice du droit de retrait à bord ?

M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. J’ai été assez clair dans mon intervention : nous n’avons pas été consultés à propos des régimes d’exclusion, ce qui pose un problème. Le gouvernement doit apporter des garanties juridiques en s’engageant en séance à protéger le droit de retrait.

Mme Eléonore Caroit (EPR). Il nous revient de nous prononcer sur la ratification de la convention n° 155 de l’OIT, consacrée à la santé et à la sécurité des travailleurs. Notre droit a depuis longtemps intégré l’essentiel des principes de cette convention mais ratifier ce texte permet de donner une force nouvelle à nos engagements en inscrivant la santé au travail parmi les droits humains universels, au même titre que la liberté syndicale ou l’abolition du travail forcé.

Cette convention fixe des principes clairs. Son article 4 prévoit qu’une politique nationale en matière de sécurité et de santé des travailleurs doit être construite avec les partenaires sociaux. L’article 16 porte sur les responsabilités des employeurs pour garantir un environnement de travail sûr. Enfin, l’article 19 stipule que les travailleurs ont le droit d’être les acteurs de leur propre protection.

La ratification de ce texte s’inscrit dans la continuité de notre histoire sociale et apporte une réponse aux défis nouveaux posés par l’évolution du travail, le télétravail et les risques climatiques ou numériques.

C’est aussi un signal politique fort. La France continue ainsi à s’engager en faveur de standards sociaux élevés, en Europe comme à l’échelle internationale, et elle renforce sa crédibilité auprès de ses partenaires.

Surtout, ce texte valorise une approche qui nous est chère : celle du dialogue social. Construire un environnement de travail sûr passe par la concertation entre les employeurs, les salariés et les pouvoirs publics. Tout cela correspond évidemment à l’esprit de nos institutions.

Des interrogations et même des critiques ont été formulées, notamment au sujet du droit de retrait des personnels navigants. Mais soyons clairs : cette ratification ne remet pas en cause les protections existantes. Notre droit continuera de primer lorsqu’il est plus protecteur, conformément au principe de non-régression. Ce texte, loin de fragiliser nos acquis, les consolide.

C’est pourquoi le groupe EPR votera en faveur de sa ratification, animé par la volonté d’inscrire la France dans une dynamique internationale qui fait de la santé au travail un droit fondamental.

M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Si telle est la position de votre groupe, peut-être le gouvernement formulera-t-il en séance les engagements que je l’invite fermement à prendre dans mon rapport. Nous pensons qu’un signal politique clair doit lui être envoyé.

Je ne peux m’empêcher d’ironiser sur votre attachement au dialogue social. Les millions de Français qui ont défilé contre la réforme des retraites n’ont pas particulièrement goûté la manière de concevoir ce dialogue sous le régime macroniste.

L’ensemble des syndicats était opposé à cette réforme, qui n’a pas été votée par l’Assemblée nationale et qui a des effets extrêmement concrets en mettant en danger des travailleurs. Le fait de devoir prolonger sa carrière de deux ans n’est pas rien lorsque l’on atteint un âge où l’on est plus fragile. J’ai rencontré dans ma circonscription un conducteur de bus qui va avoir 61 ans et qui devra travailler jusqu’à 63 ans et 9 mois. Il subit de plein fouet les effets de la réforme et m’a dit qu’il était déjà en arrêt maladie et que c’était de plus en plus difficile. Cela nous ramène à mes observations sur le personnel navigant de l’aéronautique civile et à la question de la sécurité des usagers.

M. le président Bruno Fuchs. Si vous me permettez un commentaire personnel, la convention dont nous discutons n’a pas de rapport avec les retraites.

Comme l’a indiqué Mme Caroit, la législation française est plus protectrice que la convention. Si nous ne la ratifions pas, cela permettrait au législateur de réduire ces protections. Je comprends vos interrogations sur l’exclusion des personnels navigants de l’aéronautique civile mais ne pas adopter ce projet pourrait affaiblir les droits de travailleurs. Je perçois donc une forme de contradiction dans vos propos. Mais j’attends votre réponse.

M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Le gouvernement ayant été soit imprécis soit mal intentionné lorsqu’il a rédigé l’étude d’impact, il lui appartient de prendre l’engagement que cette ratification s’opère véritablement à droit constant.

Notre rôle de parlementaires consiste précisément à exercer notre pouvoir de contrôle et à dire au gouvernement que son texte pourrait introduire de l’insécurité juridique alors même qu’il n’est pas nécessaire de ratifier la convention.

De fait, je m’inscris en faux contre votre interprétation. Cette convention a été élevée au rang de convention fondamentale et, de ce fait, elle est juridiquement opposable, qu’elle ait ou non été ratifiée.

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Nous pratiquons l’archéologie législative puisqu’on nous propose de ratifier en 2025 une convention de l’OIT qui date de 1981 – très belle année politique.

On pourrait estimer au premier abord que ce texte est seulement superflu – ce qui est un moindre mal en Macronie – puisque la convention est largement dépassée : en effet, elle ne prend en compte ni les risques psychosociaux, ni les questions managériales ni les enjeux de la sous-traitance en cascade. Le droit français est mieux-disant, ce qui ne nous empêche pas de détenir le record d’Europe en matière d’accidents du travail, dont le nombre excède 700 000 par an, dont près de 800 mortels.

Alors que cette convention n’ajoute aucun droit, on apprend dans l’étude d’impact que le gouvernement entend exclure de son application l’aéronautique civile, la navigation maritime et la pêche, et ce sans que cette exclusion fasse l’objet d’un vote de notre Assemblée.

Lorsque l’on demande aux branches professionnelles si elles ont été consultées, elles répondent que non. Eh bien nous aussi, en l’état, nous disons non, pour les raisons très bien exposées par le rapporteur.

Pourquoi exclure différentes branches du champ d’application de la convention ? L’étude d’impact indique que « La convention pose le principe du droit de retrait pour le travailleur en cas de péril imminent et grave pour sa vie et sa santé ». Je trouve cela bien mais, apparemment, des gens dans les ministères estiment que c’est critiquable. Pourtant, le code du travail garantit déjà le droit de retrait du personnel navigant, qu’il s’agisse de l’aéronautique civile ou du secteur maritime, étant entendu que ce droit s’exerce sous réserve de la préservation de la sécurité des collègues et des passagers.

La seule conclusion que nous pouvons en tirer à ce stade est que l’on envisage de rogner le droit de retrait lors d’une prochaine réforme et que l’on ne souhaite pas qu’une convention internationale le garantisse. Or les conditions de travail des salariés de l’aviation civile sont extrêmement pénibles, du fait des horaires décalés, du travail de nuit, d’un niveau de stress important et de l’exposition aux rayons ionisants. Nier leur droit ajoutera à leur angoisse et contribuera à abîmer leur santé.

Tout cela est très paradoxal : même lorsqu’il s’agit de ratifier une convention sur la santé des travailleurs, le gouvernement trouve encore le moyen de leur nuire.

M. le président Bruno Fuchs. Cette convention n’a pas été négociée par la « Macronie ». Le président Macron était âgé de 4 ans lorsqu’elle a été adoptée…

M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Je reconnais là votre humour légendaire, monsieur le président !

Je remercie notre collègue Hadrien Clouet d’apporter son expertise de commissaire aux affaires sociales. Le fait que les parlementaires ne puissent pas discuter des régimes d’exclusion secteur par secteur constitue le cœur du sujet. Nous ne disposons pas d’éléments d’information suffisants, ce qui est un problème démocratique.

Si j’ai mis en avant le secteur de l’aéronautique civile, c’est bien parce que nous avons été alertés par l’ensemble des syndicats des personnels navigants – et pas seulement par la CGT – sur le risque d’une ratification qui, non seulement, ne s’effectue pas à droit constant mais, en plus, crée des incertitudes juridiques du fait des exclusions mentionnées dans l’étude d’impact.

Quel serait, dès lors, l’intérêt de ratifier une convention qui est déjà juridiquement opposable ? Le problème qui est posé ne relève pas d’un clivage entre la gauche et la droite mais des rapports entre le Parlement et le gouvernement.

M. Alain David (SOC). En juin 2022, la Conférence internationale du travail – que l’on présente souvent comme le Parlement international du travail – a décidé de reconnaître le caractère fondamental de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs. Ériger en principe le droit à un milieu de travail sûr et salubre – aux côtés de la liberté syndicale, du droit de négociation collective, de l’abolition du travail forcé et de celui des enfants, ainsi que de l’élimination de la discrimination – constitue une avancée majeure, saluée à juste titre par la Confédération syndicale internationale et par la Confédération européenne des syndicats.

Cette ratification, aussi tardive soit-elle, doit être un signal politique important. Notre pays est un membre actif de l’OIT et dispose d’un siège permanent au sein de son conseil d’administration.

Il faut rappeler que les conventions reconnues comme fondamentales par l’OIT établissent un socle de normes minimales. Les États membres seront encouragés à mettre leur législation en conformité avec les normes de la convention n° 155, ce qui permettra de créer un cadre commun facilitant la coopération transfrontalière et de renforcer la protection des travailleurs.

Vous estimez, monsieur le rapporteur, que cette dimension est essentielle, mais avons-nous, en France, la volonté d’agir et les moyens de notre ambition ? Si l’on rapporte le nombre d’inspecteurs de travail à celui des salariés, la France se situe en deçà du ratio de l’OIT, qui est lui-même insuffisant.

Nous sommes confrontés à un problème de fond. Les enquêtes de terrain nous apprennent qu’en moyenne, chaque jour, deux personnes meurent en France dans un accident dans le cadre de leur emploi – chiffre d’ailleurs sous-estimé, car il n’intègre ni les suicides, ni les maladies. Les ouvriers ont cinq fois plus de risques de perdre la vie que les cadres. Les accidents mortels sont deux fois plus fréquents chez les intérimaires. La ratification de la convention ne saurait nous exonérer de notre responsabilité en la matière.

Nous appelons donc la France à faire preuve d’exemplarité et à renforcer sa législation pour assurer un environnement de travail sûr et salubre aux travailleuses et aux travailleurs. La loi doit prendre en compte les risques psychosociaux ainsi que les nouveaux risques engendrés par les technologies numériques. Lors de vos auditions, avez-vous évoqué, avec les représentants du ministère du travail et de la santé, le hiatus entre les apports, certes limités et datés, de ce texte, et la situation de trop nombreux travailleurs ?

Nous soutenons le texte mais demeurons vigilants sur les réserves émises par le gouvernement dans l’étude d’impact et déplorons, comme l’avait fait le Conseil d’État en 1988, que ces dernières ne figurent pas dans le projet de loi. La réserve relative à l’exercice du droit de retrait par les personnels navigants du transport aérien paraît plus restrictive que la jurisprudence actuelle. Aussi, au nom du groupe Socialistes, j’appelle le gouvernement à préciser, avant la séance publique, la rédaction – et notamment le terme « mission » – afin que cette réserve ne puisse pas être utilisée par certaines entreprises pour restreindre l’exercice du droit de retrait des salariés.

M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Les auditions m’ont permis de mettre au jour deux contradictions entre le discours et la politique du gouvernement.

D’une part, la ratification ne s’inscrit pas, pour employer un euphémisme, dans une phase de progrès social dans notre pays. Au début des années 1980, peu après l’adoption de la convention, les lois Auroux avaient joué un rôle essentiel dans l’établissement du droit social. Aujourd’hui, nous sommes supposés nous féliciter d’un texte qui, au mieux, s’appliquerait à droit constant alors que le droit national recule dans le domaine social. Cela contredit largement l’argument, que je partage en théorie, selon lequel une convention doit être ratifiée pour produire des normes internationales plus favorables et aligner par le haut les régimes sociaux. Il est curieux d’entendre le gouvernement défendre cet argument alors que l’on assiste, dans les faits, à une diminution des garanties fondamentales accordées aux travailleurs, ne serait-ce qu’en raison de l’application défaillante du droit due à l’insuffisance des effectifs de l’inspection du travail.

D’autre part, comme nous l’avons évoqué au cours des auditions, notamment avec Anousheh Karvar, représentante de la France auprès de l’OIT, de nouvelles questions doivent être prises en compte, à commencer par les risques psychosociaux et l’exposition aux produits toxiques. Cette dernière fera l’objet d’une prochaine convention de l’OIT, ce dont on peut se réjouir. C’est un enjeu essentiel compte tenu des effets des pesticides mais aussi de l’amiante, à laquelle les travailleurs continuent à être exposés dans ma ville de Brest, ce qui m’a conduit à saisir la direction générale du travail.

Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Notre groupe votera en faveur de la ratification de cette convention de l’OIT. Affirmer que chaque travailleuse, chaque travailleur a droit à des conditions de travail sûres et dignes, ce n’est pas une option : c’est une obligation morale et politique. Cet engagement revêt une importance singulière depuis le 10 juin 2022, date à laquelle la santé et la sécurité ont été élevées par l’OIT au rang de principes et droits fondamentaux au travail.

Cette convention est la seule des dix conventions fondamentales de l’OIT que la France n’avait pas encore ratifiée. Par cette ratification, qui constitue un geste fort, symbolique mais aussi concret, nous nous apprêtons donc à clore un cycle. Nous ne le faisons pas seulement pour nous mais aussi parce que nous avons conscience que nous ne sommes pas seuls au monde. Dans de nombreux pays d’Europe de l’Est, la ratification de la convention n° 155 représente une avancée majeure, un outil nouveau pour structurer une culture de la prévention. Ce qui, pour nous, peut paraître un droit acquis, reste ailleurs un droit à conquérir. C’est pourquoi, étant profondément attachés au droit européen, nous ne négligeons aucune avancée. Une petite marche gravie est déjà une victoire, surtout lorsqu’elle donne aux travailleurs des moyens juridiques pour se défendre dans leur entreprise et pour exiger l’adoption de mesures protectrices.

Nous disposons déjà, en France, d’un arsenal juridique avancé en matière de santé au travail mais le fait de ratifier cette convention nous permettra d’inscrire nos engagements au sein d’un socle international commun, de renforcer nos alliances et la cohérence des actions menées à l’échelle européenne et mondiale. Par ce vote, nous affirmons que le progrès social n’a pas de frontières.

Toutefois, il nous faut rester lucides : nous sommes confrontés à des défis immenses, qu’il s’agisse du changement climatique – en particulier des canicules – , des crises sanitaires, des risques psychosociaux, des burn-out mais aussi de l’exposition accrue à des produits chimiques, des troubles musculo-squelettiques liés aux gestes répétitifs ou encore de la surcharge mentale dans les métiers du soin. Nous devons apporter des réponses à la hauteur de ces nouveaux dangers. Trop souvent, au sein de certaines entreprises, dans les métiers féminisés comme le nettoyage, l’aide à domicile ou la petite enfance, dans les secteurs précaires comme l’intérim, la livraison ou la restauration rapide, la prévention est absente, les souffrances invisibles, les droits fragiles.

Ce texte n’est pas un aboutissement : il doit être un point de départ. Il ouvre un débat essentiel, relatif au droit universel de chaque travailleur, quelle que soit sa profession, à exercer son métier sans risquer sa vie ni sa santé. Or, en privant les personnels navigants du droit de retrait, le gouvernement tourne le dos à ce principe fondamental. Cette réserve est injustifiable car elle oppose les travailleurs entre eux et affaiblit un droit collectif conquis de haute lutte ; nous aurons l’occasion de le dénoncer en séance.

Nous soutiendrons tout de même la ratification parce qu’elle marque une étape vers la reconnaissance du droit à la sécurité au travail mais nous demeurons déterminés, vigilants et animés par la ferme volonté de poursuivre le combat pour l’égalité des droits, l’élimination des violences systémiques dans le monde du travail et la promotion d’une société au sein de laquelle on ne sacrifie jamais la santé à la rentabilité.

M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Je m’associe à cette alerte. Je suis attaché, tout comme vous, à l’application concrète du droit social mais, comme je l’ai expliqué, nous préconisons le rejet du texte afin d’envoyer un signal au gouvernement concernant le droit de retrait dans l’aéronautique civile et le mode de consultation des parlementaires. Ce vote aurait également le mérite de montrer, pour dire les choses un peu abruptement, que notre commission sert à quelque chose et qu’en particulier, elle exerce pleinement son droit de contrôle. Ce vote n’exprimerait pas une opposition à la ratification mais, au contraire, la volonté qu’elle s’opère véritablement à droit constant.

Mme Maud Petit (Dem). Il nous est demandé d’autoriser la ratification de la convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs, adoptée en 1981 par l’OIT. En 1988, notre pays avait eu la possibilité de ratifier le texte mais le Conseil d’État avait émis un avis défavorable, estimant qu’avant de soumettre la convention à la ratification, le gouvernement aurait dû procéder à une étude et à des consultations afin de définir les catégories de travailleurs et les branches d’activité susceptibles d’être exclues de l’exercice du droit de retrait. Trente ans plus tard, en juin 2022, la convention est redevenue d’actualité lors de la 110ème session de la Conférence internationale du travail. À cette occasion, le principe de sécurité et de santé des travailleurs a été érigé au rang de droit fondamental, au même titre que la liberté syndicale, l’abolition du travail forcé, l’abolition du travail des enfants et l’élimination de la discrimination.

Avec cent vingt-neuf conventions et deux protocoles de l’OIT approuvés depuis la création de l’organisation, en 1919, la France occupe la deuxième place dans le monde pour le nombre de ratifications. La convention n° 155 est la seule des dix conventions fondamentales de l’OIT que la France n’a pas encore ratifiées, anomalie qu’il nous est proposé de corriger.

Cette convention constitue en effet une avancée mondiale majeure pour la protection et la santé des travailleurs. Elle a pour objectif principal de garantir un environnement de travail sûr et salubre, tout en promouvant une culture de la prévention et en mettant en œuvre une responsabilité partagée des employeurs et des employés. Elle énumère les mesures que les États doivent prendre en matière de sécurité et de santé au travail, en mettant l’accent sur le dialogue social et la formation. Elle stipule également que les États membres doivent instituer un système de contrôle de l’application des lois et des prescriptions sur la santé et la sécurité au travail, ainsi que prévoir des sanctions en cas de non-respect de celles‑ci.

Nous disposons, en France, d’un cadre législatif très avancé – quoique toujours perfectible – en matière de santé et de sécurité au travail mais cette convention, qui s’appliquera à toutes les branches d’activité, privées comme publiques, consolidera nos dispositifs nationaux en les intégrant dans une perspective internationale et en introduisant des exigences supplémentaires en matière de prévention, de coordination et de gestion des risques.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Les Démocrates votera en faveur de la ratification.

M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Si ce texte constituait une avancée dans les années 1980, tel n’est plus le cas aujourd’hui car ses dispositions font d’ores et déjà partie de notre cadre normatif.

Il faut entendre l’alerte lancée sur le personnel navigant de l’aéronautique civile car il serait ubuesque que, du fait de la ratification, on affaiblisse la sécurité juridique de ces salariés. Actuellement, leur droit de retrait ne fait l’objet d’aucune restriction, sauf lorsque la mission de l’équipage a commencé, autrement dit, lorsqu’ils sont à bord. En cela, leur statut diffère de celui du personnel navigant maritime, dont le droit de retrait est limité par la législation.

Je renouvelle mon appel non à ce que nous nous opposions à la convention en tant que telle mais à ce que nous votions contre le texte pour ne pas mettre un secteur professionnel dans une situation d’insécurité juridique. En agissant de la sorte, nous placerions le gouvernement devant l’obligation de prendre un engagement en séance.

Mme Laetitia Saint-Paul (HOR). Le groupe Horizons et indépendants votera assurément pour la convention sur la sécurité et la santé des travailleurs de l’OIT, qui a conduit à de grandes avancées, lesquelles ont été saluées, notamment, par la Confédération syndicale internationale. La ratification par la France, bien que tardive – la convention, adoptée en 1981, a été ratifiée à ce jour par quatre‑vingt‑deux États – contribuera à l’amélioration des standards internationaux. Nous ne sommes pas seuls au monde, comme cela a été dit.

Contrairement à ce que semble affirmer notre rapporteur, la France n’est absolument pas moins-disante ; la ratification du texte ne conduira pas à un recul des droits puisqu’il existe un principe de non-régression. Le fait que la France ratifie la convention contribuera à l’amélioration de la santé et de la sécurité des travailleurs de par le monde. C’est ce à quoi nous nous attelons, ce matin, en commission car nous ne nous intéressons pas exclusivement aux problématiques franco-françaises.

Le texte participe à la construction d’un modèle social équilibré, protecteur et adapté aux transformations du travail à l’échelle mondiale. Nous sommes confrontés, et nous le serons encore davantage dans les années à venir, à des défis globaux de natures technologique, écologique et cyber. Monsieur le rapporteur, comment s’y préparer et faire régresser la mortalité au travail, qui constitue toujours un drame humain pour la famille et l’entreprise ? Tout ce que nous pourrons faire pour limiter ce fléau sera salutaire, tant à l’échelle nationale que mondiale.

M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. J’ai fait allusion au projet de convention de l’OIT sur l’exposition aux produits toxiques, qui constitue un enjeu fondamental. Dans des secteurs tels que l’industrie numérique, qui produit téléphones portables et ordinateurs, il est fait usage de produits polluants, ce qui appelle des normes de protection strictes des travailleurs.

Je ne crois pas que l’on puisse opposer, comme vous semblez le penser, l’effet normatif international supposé de la ratification de la convention et l’état du droit national. L’application concrète des normes juridiques constitue une dimension essentielle en politique internationale. Or l’affaiblissement considérable de l’inspection du travail et la précarisation du marché du travail, fruits de la politique nationale, contribuent à la survenue des accidents et des drames humains que vous évoquiez. La politique visant à multiplier les contrats courts favorise les accidents du travail dans la mesure où ceux-ci frappent particulièrement le secteur de l’intérim.

Ce n’est pas en ratifiant une convention internationale dont les dispositions sont d’ores et déjà applicables et opposables juridiquement que l’on obtiendra un effet normatif : c’est en menant une politique sociale qui se donne pour modèle au reste du monde. D’une certaine façon, les lois Auroux ont constitué un signal envoyé au monde, même si nous n’avions pas ratifié la convention n° 155. Par ces lois, qui s’inspiraient d’ailleurs de la convention, on a envoyé un message politique en faveur de la protection concrète des travailleurs. Je n’ai absolument pas adopté un point de vue franco-français dans le rapport.

M. Laurent Mazaury (LIOT). Le projet de loi visant à autoriser la ratification de la convention n° 155 de l’OIT constitue une avancée importante dans la reconnaissance d’un droit fondamental : celui de travailler dans des conditions sûres, salubres et respectueuses de la dignité humaine. Adoptée en 1981, cette convention attendait depuis plus de quarante ans d’être ratifiée par la France.

Ce texte s’inscrit dans un cadre plus large : en effet, les conditions d’exercice du travail doivent être respectées et repensées à l’aune des grandes mutations économiques, sociales et environnementales. Il s’agit non seulement de prévenir les risques professionnels, qu’ils soient physiques ou psychiques, mais aussi de mieux associer les travailleurs à la gouvernance de leur santé au travail, dans une logique de responsabilité partagée entre l’État, les employeurs et les salariés. La convention est empreinte d’une vision que le groupe LIOT et ses membres, dans leur diversité, ont toujours soutenue : celle d’une société où la valeur du travail ne s’apprécie pas uniquement par les chiffres mais également en fonction des conditions dans lesquelles il s’exerce.

En ratifiant le texte, la France renforce sa cohérence internationale, aligne ses engagements sur ses principes et rappelle que le progrès social ne saurait être dissocié de la justice, de la santé et de la sécurité dans le travail. Il s’agit d’un signal fort en faveur d’un modèle social fondé sur la prévention, la concertation et la dignité du travail. Notre groupe est donc favorable à ce projet de loi.

Cela étant, nous nous interrogeons sur la réserve que souhaite faire le gouvernement au sujet du droit de retrait de l’équipage des aéronefs. Selon l’étude d’impact du projet de loi, le gouvernement souhaite, pour des raisons de sécurité, que le personnel navigant soit exclu de l’application du droit de retrait mentionné aux articles 13 et 19 (f) de la convention « dès lors que la mission de l’équipage a débuté ». J’ai été alerté sur les conséquences qui pourraient résulter de l’emploi du terme « mission », alors qu’il est utilisé dans la profession pour désigner non seulement l’activité de l’équipage à bord de l’aéronef mais également la préparation du ou des vols, les temps d’arrêt au sol et, éventuellement, pour le long courrier, les temps d’escale en dehors de l’avion. Cette terminologie pourrait limiter davantage l’exercice du droit de retrait des personnels navigants. Monsieur le rapporteur, nous attendons de prendre connaissance de l’amendement que vous comptez présenter en séance mais, a priori, nous devrions voter en sa faveur.

M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Je propose que nous déposions, en séance, un amendement d’appel qui contraindrait le gouvernement à prendre clairement position, ce qui l’engagerait juridiquement, afin de sécuriser la condition du personnel navigant de l’aéronautique civile.

J’invite les collègues qui seraient gênés à l’idée de s’opposer à la ratification en commission à s’abstenir. Il s’agit d’envoyer un signal au gouvernement et de manifester le fait que les parlementaires constituent un pouvoir indépendant et que, à ce titre, ils peuvent dialoguer avec l’Exécutif mais aussi, lorsque c’est nécessaire, engager un rapport de force.

M. le président Bruno Fuchs. Comme je vous l’ai dit, en voulant vous opposer au gouvernement, vous risquez d’affaiblir la position des travailleurs. Vous comptez interpeller le gouvernement en séance, à l’instar d’un grand nombre de nos collègues, mais il l’est déjà par vos interventions en commission. En tout état de cause, nous lui demanderons de présenter des éléments de réponse, que vous déposiez ou non un amendement.

Nous en venons aux questions des autres députés, posées à titre individuel.

Mme Christine Engrand (NI). Je salue l’ambition de ce texte, dont la ratification marque une avancée pour la protection des travailleurs. Il est essentiel que la santé et la sécurité au travail soient une priorité claire dans tous les secteurs et à tous les niveaux de responsabilité. Toutefois, pour ne pas rester théorique, cette ambition doit s’accompagner d’un effort de mise en œuvre, notamment dans les territoires. En effet, les plus petites entreprises rencontrent souvent des difficultés pour appliquer les normes, non par négligence mais par manque de moyens et d’accompagnement. Il ne s’agit donc pas seulement d’imposer des obligations mais aussi de créer les conditions de leur application réelle. La question est de savoir si le gouvernement entend garantir l’application réelle de la convention sur le terrain, notamment dans les très petites entreprises, sans alourdir davantage les contraintes qu’elles subissent. De quelle manière seront évalués à moyen terme les effets concrets de ce texte sur la santé des travailleurs en France ?

M. Frédéric Petit (Dem). Mon vote ne saurait être contraint, conformément à la Constitution. Lorsque je me prononce, ce n’est pas pour envoyer un signal ni pour préparer la prochaine réunion. Je vote en mon âme et conscience, à un instant t, pour le pays. Nous avons bien compris les implications d’un éventuel vote positif mais, en sens inverse, que risquerait-on si l’on choisissait de ne pas ratifier la convention ?

L’étude d’impact précise que l’exclusion du personnel navigant de l’aéronautique civile de l’application du droit de retrait se fait en lien avec les instances de consultation de chaque branche. Elle implique donc la consultation des organisations représentatives des employeurs et des salariés ; ce n’est pas une décision du législateur. En tout état de cause, on ne peut exercer son droit de retrait – s’agissant, par exemple, du commandant de bord – si cela risque de mettre en danger d’autres personnes.

M. Pierre-Yves Cadalen, rapporteur. Je n’entendais évidemment exercer aucune contrainte sur qui que ce soit.

Dans l’aéronautique civile, selon le droit actuel, l’équipage est soumis au statut du personnel navigant lorsqu’il se trouve à bord ; il est alors placé sous les ordres du commandant de bord et ne peut plus exercer son droit de retrait.

L’étude d’impact du gouvernement prévoit en effet la tenue de consultations, qui, nous a-t-on dit lors des auditions, ont été menées. Aussi ai-je été fort surpris d’apprendre que le gouvernement n’avait pas répondu aux questions très précises des syndicats. Peut-on vraiment, dans ces conditions, parler de consultations ? Cela renvoie à la décision du Conseil d’État de 1988 et pose les mêmes problèmes politiques et juridiques que ceux qui avaient été soulevés à l’époque.

On ne risque rien à ne pas ratifier la convention. En effet, celle-ci ayant été élevée au rang de convention fondamentale de l’OIT et la France étant membre de cette organisation, le texte lui est opposable juridiquement, qu’il y ait ratification ou non. On encourrait en revanche un risque juridique si le gouvernement ne prenait pas d’engagements clairs sur les questions que nous avons soulevées et débattues aujourd’hui.

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Article unique (autorisation de la ratification de la convention n° 155 de l’Organisation internationale du travail sur la sécurité et la santé des travailleurs, adoptée le 22 juin 1981 à Genève lors de la 67ème session de la Conférence internationale du travail)

La commission adopte l’article unique non modifié.

L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.

 

 


ANNEXE 1 :
TEXTE DE LA COMMISSION des affaires ÉtrangÈres

Article unique

(Non modifié)

 

Est autorisée la ratification de la convention n° 155 de l’Organisation internationale du Travail sur la sécurité et la santé des travailleurs, adoptée le 22 juin 1981 à Genève lors de la 67ème session de la Conférence internationale du travail, et dont le texte est annexé à la présente loi.

 

 


ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES auditionnÉes PAR
Le RAPPORTEUR

Universitaires

   Mme Isabelle Lespinet-Moret, professeure des universités.

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères

   M. Pierre Dousset, conseiller juridique à la Mission des Accords et Traités.

Délégation du gouvernement auprès de l’OIT et des G7/G20 travail/emploi

   Mme Anousheh Karvar, déléguée du Gouvernement auprès de l’OIT ;

   M. Xavier Coyer, conseiller politique de la déléguée du Gouvernement.

Ministère de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification

 

   M. Alexis Dousselain, chef du département de l’organisation, des conditions et du temps de travail ;

 

   Mme Lucie Lacalmontie, adjointe au chef du département de l’organisation, des conditions et du temps de travail ;

 

   M. Pierre Barbey, chargé de projets organisation et santé au travail dans la fonction publique.

Ministère du travail, de la santé et des solidarités

 

   Mme Lucile Castex-Chauve, cheffe de mission affaires européennes et internationales ;

 

   Mme Christelle Akkaoui, sous-directrice en charge des conditions de travail ;

 

   M. Nicolas Delemotte, sous-directeur adjoint en charge du pilotage de l’inspection du travail.

 


  ANNEXE 3 :
RÉponse de la DIRECTION GÉNÉRALE dE L’aviation civile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


([1]) Les écarts d’espérance de vie entre cadres et ouvriers : 5 ans chez les hommes, 3 ans chez les femmes - Insee Première - 2005.

([2]) Directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

([3]) Cour des comptes, Exercices 2015-2022, Observations définitives portant sur La gestion des ressources humaines du ministère du travail.

([4]) Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

([5]) Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi.

([6]) Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

([7]) Ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l’entreprise et favorisant l’exercice et la valorisation des responsabilités syndicales.

([8]) Cour d’appel de Paris, 3 juillet 2018, n° 15/01917.

([9]) Cour de cassation, sociale, 27 mars 2024, n° 22-20.649.

([10]) Cour d’appel de Paris du 12 janvier 2022, n° 18/01508.