N° 1361

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 avril 2025.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 1019),
DE M. Philippe BOLO et Mme Marie-Noëlle BATTISTEL,

 

visant à préserver les concessions hydroélectriques françaises
d’une mise en concurrence,

 

 

 

 

PAR Mme Marie-Noëlle BATTISTEL et M. Philippe BOLO,

Députés

 

 

 

 

 

 

 

  1.    La composition de la commission figure au verso de la présente page.

La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Laurent MAZAURY, Mmes Manon BOUQUIN, Nathalie OZIOL M. Thierry SOTHER, vice-présidents ; MM. Benoît BITEAU, Maxime MICHELET, secrétaires ; MM. Henri ALFANDARI, Gabriel AMARD, David AMIEL, Philippe BALLARD, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL , MM. Karim BENBRAHIM, Guillaume BIGOT, Philippe BOLO, Nicolas BONNET, Mmes Céline CALVEZ, Colette CAPDEVIELLE, M. François-Xavier CECCOLI, Mmes Sophia CHIKIROU, Nathalie COLIN-OESTERLÉ, MM. Jocelyn DESSIGNY, Julien DIVE, Nicolas DRAGON, Michel HERBILLON, Mme Mathilde HIGNET, M. Sébastien HUYGHE, Mmes Sylvie JOSSERAND, Marietta KARAMANLI, M. Bastien LACHAUD, Mme Hélène LAPORTE, M. Jean LAUSSUCQ, Mme Constance LE GRIP, MM. Pascal LECAMP, Matthieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Emmanuel MAUREL, Mmes Yaël MENACHÉ, Danièle OBONO, M. Pierre PRIBETICH, Mme Isabelle RAUCH, MM. Alexandre SABATOU, Charles SITZENSTUHL, Mmes Michèle TABAROT, Sophie TAILLÉ‑POLIAN, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Estelle YOUSSOUFFA.

 

 


SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

I. Bien qu’ExigÉ֤e par le droit de l’union europÉenne et transposÉe en droit interne, L’obligation de mise en concurrence des concessions hydro֤֤Électriques est contraire à l’intÉrÊt gÉnÉraL

A. En France, 90 % de la puissance cumulÉe du parc hydroÉlectrique est exploitÉe sous le rÉgime de la concession

1. Le régime d’autorisation, applicable en-deçà d’une puissance de 4,5 MW, représente 80 % des infrastructures mais seulement 10 % de la puissance installée

2. Le régime de la concession de service public recouvre des ouvrages très divers, à ce jour exploités par des acteurs historiques

3. Le régime concessif est soumis aux règles européennes en matière de commande publique et de concurrence

B. Source de prÉcontentieux avec la commission europÉenne, Les alternatives aux rÈgles de concurrence mises en place par la france ne donnent pas de visibilitÉ suffisante aux opÉrateurs et ne permettent donc pas de libÉrer lES investissementS sur l’hydroÉlectricitÉ pourtant nÉcessaires

1. La France défend une gestion publique des installations hydroélectriques tandis que le droit européen prévoit leur mise en concurrence

2. L’insécurité juridique qui en découle pénalise les investissements d’avenir depuis plus de dix ans

C. pour autant, une mise en concurrence des concessions hydroÉlectriques serait contraire à l’intÉrÊt GÉNÉRAL, national comme europÉen

1. Les conditions d'acceptabilité politique et sociale d'une mise en concurrence des concessions hydroélectriques ne sont pas réunies

2. Les enjeux autour de l’hydroélectricité justifient la défense d’un modèle de gestion protecteur en France et en Europe

II. soumis À des lÉgislations nationales hÉtÉrogÈnes, l’échelon européen semble le plus pertinent pour protÉger les parcs hydroÉlectriques de toute mise en concurrence

A. Sur différents fondements, d’autres lÉgislations europÉennes ont donnÉ lieu À l’ouverture d’une procédure précontentieuse

1. Les cadres juridiques et les modes de gestion de l’hydroélectricité diffèrent au sein de l’Union européenne

2. Certains États membres ont, comme la France, fait l’objet d’une mise en demeure

B. Les conséquences des principales solutions nationales envisagées pour éviter la mise en concurrence des concessions hydroélectriques Ne sont à ce jour pas pleinement satisfaisantes

1. La quasi-régie : une option prévue par le droit de l’Union européenne mais écartée par les autorités françaises

2. Le passage d’un régime concessif à un régime d’autorisation : une solution en cours d’étude dont les conclusions sur sa faisabilité n’ont pas encore abouti

C. La révision de la directive « concession » apparaît comme l’alternative la plus solide pour exclure les parcs hydroélectriques de toute mise en concurrence future

1. La Commission européenne pourrait proposer une révision de la directive « concessions » sans pour autant exclure les parcs hydroélectriques de son champ d’application

3. Toutefois, le pouvoir décisionnaire appartient au Conseil et au Parlement européen, lesquels ont le pouvoir d’amender les textes qui leur sont soumis

EXAMEN EN COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

liste des contributions Écrites

 


   Introduction

 

Mesdames, Messieurs,

Avec une production estimée à 74,7 TWh en 2024, la France est la 10ème puissance hydroélectrique du monde, la 2ème d’Europe, derrière la Norvège, et la première de l’Union européenne. Comptant plus de 2 500 installations ([1]), la France dispose d’un parc hydroélectrique exceptionnel.

Exploitée depuis la fin du 19ème siècle, l’hydroélectricité est principalement produite sous le régime des concessions : les installations appartiennent à l’État mais sont construites et exploitées par un concessionnaire pour son compte pour une durée maximum de 75 ans.

Les règles applicables aux concessions, profondément modifiées sous l’impulsion du droit européen, imposent une mise en concurrence qui menace depuis plusieurs années le parc hydroélectrique français alors que les concessions arrivent progressivement à échéance. Mise en demeure par la Commission européenne en 2015 et 2019 pour non-respect du droit de l’Union, la France tente depuis plusieurs années de préserver, non sans difficultés, les spécificités de son parc.

Cette détermination, à laquelle vos rapporteurs souscrivent, résulte du caractère stratégique de l’hydroélectricité qui représente des enjeux tant à l’échelle locale que nationale et européenne.

À l’échelle locale, l’hydroélectricité s’est développée partout sur le territoire, même si elle est principalement concentrée sur l’arc alpin (44 %), dans le massif pyrénéen (22 %) et dans la région Provence-Alpes Côte d’Azur (12 %). Il en résulte une grande diversité d’installations hydroélectriques, adaptées à chaque situation géographique et respectueuses des différentes fonctions de ce bien précieux que constitue l’eau. La houille blanche, autre appellation de l'énergie hydraulique, a par ailleurs toujours représenté un vecteur du développement économique, industriel et social pour les territoires et pour la nation.

À l’échelle nationale, l'énergie hydraulique représente la première source d’énergie renouvelable et la deuxième source d'électricité, derrière le nucléaire. C’est donc l’un des piliers du réseau électrique français. Cette dimension stratégique se traduit par une gestion des concessions confiées très tôt et majoritairement à Électricité de France (EDF), dont le capital est aujourd’hui entièrement public. En effet, l’État est redevenu son unique actionnaire en 2023, conformément à la stratégie de politique énergétique définie par le Président Macron dans son discours de Belfort. Cette renationalisation d’EDF, qui exploite près de la moitié des quelques 440 concessions présentes en France, souligne pleinement le caractère régalien de la production d’électricité et les missions d’intérêt général qui y sont attachées, en cohérence avec l’un des objectifs de la 3e programmation pluriannuelle de l'énergie qui vise à produire une énergie décarbonée, compétitive et souveraine.

À l’échelle européenne, l’hydroélectricité, en tant qu’énergie renouvelable décarbonée, compétitive, flexible et pilotable revêt tout comme en France un caractère éminemment stratégique. De nombreux États membres disposent d’un parc hydroélectrique dont les règles de propriété et de gestion sont très hétérogènes et parfois en contradiction avec les règles imposées par le droit de l’Union européenne.

Si la mise en demeure de la France de 2015 porte sur l’abus supposé de position dominante d’EDF sur le marché hydroélectrique français, celle de 2019 est fondée sur le nom respect des règles de mise en concurrence définies par la directive 2014/23/UE dite directive « concessions ».

Une procédure a été récemment engagée par la Commission européenne pour évaluer l’opportunité d’une révision de cette directive concessions de 2014.

La mission d’information de la commission des affaires économiques, consacrée aux modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques, conduite par vos rapporteurs, associant neuf des onze groupes politiques composant l’Assemblée nationale, s’emploie à trouver une solution pour sortir de ces deux procédures précontentieuses. Pour autant, vos rapporteurs ont souhaité, avant de présenter les conclusions de cette mission transpartisane, saisir l’opportunité de cette révision pour inviter le gouvernement français, à travers cette proposition de résolution européenne, à défendre l’exclusion des concessions hydroélectriques du champ d’application de la directive « concessions ». Il ne fait pas de doute pour vos rapporteurs que la présente résolution, visant la préservation de la souveraineté énergétique française, fait l’objet d’un large consensus tant auprès de la classe politique que de nos concitoyens.


I.   Bien qu’ExigÉ֤e par le droit de l’union europÉenne et transposÉe en droit interne, L’obligation de mise en concurrence des concessions hydro֤֤Électriques est contraire à l’intÉrÊt gÉnÉraL

A.   En France, 90 % de la puissance cumulÉe du parc hydroÉlectrique est exploitÉe sous le rÉgime de la concession

1.   Le régime d’autorisation, applicable en-deçà d’une puissance de 4,5 MW, représente 80 % des infrastructures mais seulement 10 % de la puissance installée

L’article 1 de la loi du 16 octobre 1919 stipule que « nul ne peut disposer de l’énergie des marées, des lacs et des cours d’eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l’État ». Cette loi, reprise aujourd’hui dans le code de l’énergie, définit ainsi deux régimes d’exploitation des centrales hydroélectriques suivant la puissance maximale brute (PMB) des installations : un régime d’autorisation en deçà d’une puissance de 4 500 kW et un régime de concession au-delà.

Les installations sous le régime des autorisations sont majoritaires en France mais ne représentent que 10 % du total de la puissance hydroélectrique installée. Elles appartiennent généralement à des particuliers, des petites entreprises ou des collectivités. De faible puissance, ces installations sont qualifiées de petite hydroélectricité. Leur exploitation par le permissionnaire nécessite l’obtention d’une autorisation environnementale, révocable et personnelle, délivrée par le préfet pour une durée limitée ne pouvant excéder 75 ans, avec possibilité de renouvellement. Toutefois, ce délai est fréquemment fixé à 30 ans afin d’obliger le pétitionnaire, dans le cadre du renouvellement de l’autorisation, à se mettre en conformité avec les évolutions réglementaires.

À l’expiration du délai d’autorisation, le producteur doit rétablir la libre circulation des eaux ou céder son installation à l’État avec versement d’une indemnité par ce dernier.

Sur le plan européen, les autorisations relèvent de la directive sur les services (directive 2006/123/CE). Cette directive couvre notamment les situations dans lesquelles le nombre d'autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles (ex : ressource en eau) ou de la capacité technique. Dans de tels cas, les autorisations doivent faire l'objet d'une procédure de sélection transparente et impartiale.

 

Cas particuliers

Par exception à l’article 1 de la loi du 16 octobre 1919, les barrages de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) n'obéissent ni au régime de la déclaration ni à celui de la concession. Ils font en effet l'objet d'une concession unique, en vertu d'une loi de 1921, prolongée en 2022 jusqu’en 2041.

La CNR est le seul producteur d’électricité français à exploiter la totalité de la production hydroélectrique d’un fleuve au travers des 19 ouvrages répartis de la frontière suisse à l’entrée de Marseille. Contrôlant près de 11,67 % du parc et produisant environ 23 % de l'hydroélectricité française, cette société anonyme d'intérêt général a une triple mission de gestion intégrée du fleuve : l'hydroélectricité, le transport fluvial et l'irrigation. Sa concession a été prolongée jusqu'au 31 décembre 2041, conformément à la loi relative à l'aménagement du Rhône, adoptée à l'unanimité en février 2022. En contrepartie, la CNR devra élaborer des programmes quinquennaux d'investissement en lien avec l'ensemble des enjeux entourant le fleuve Rhône et investir 700 millions d'euros dans la navigation, l'agriculture, l'environnement, la biodiversité et le développement des énergies renouvelables.

Outre la CRN, il existe par ailleurs quelques installations de petite taille exploitées sous le régime des droits fondés en titres. Ces droits fondés en titre sont des droits d’usage de l’eau, délivrés avant l’instauration du principe d’autorisation et revêtant un caractère « perpétuel ». Toutefois, la remise en exploitation d’une installation fondée en titres nécessite une information préalable au préfet de département. Ce dernier peut à cette occasion émettre toutes les prescriptions nécessaires pour la protection des intérêts de la gestion équilibrée de l’eau.

2.   Le régime de la concession de service public recouvre des ouvrages très divers, à ce jour exploités par des acteurs historiques

Au-delà d’une puissance de 4 500 kW, c’est le régime de la concession de service public qui s’applique. Sous ce régime, l’État est propriétaire des installations (barrage, canaux d’amenée et de fuite, conduites forcées, terrains ennoyés, etc.) et en délègue la construction et l’exploitation à un concessionnaire sur la base d’un cahier des charges prédéfini. Les concessionnaires se rémunèrent grâce aux bénéfices générés par leur exploitation pendant toute la durée de la concession, mais doivent en contrepartie verser une redevance et accorder des réserves en eau et en énergie.

La concession est délivrée par le préfet pour les installations dont la puissance est comprise entre 4,5 MW et 100 MW. Au-delà de 100 MW, c’est le ministre chargé de l’énergie qui la délivre. La durée des concessions, généralement fixée à 75 ans, doit permettre d’amortir les investissements initiaux réalisés par le concessionnaire. À l’issue de cette période, les biens en concession font retour à l’État qui peut renouveler le contrat ou l’attribuer à un autre opérateur.

On compte aujourd’hui près de 400 ouvrages sous ce régime dont la puissance totale cumulée, qui représente 90 % de celle produite par le parc hydroélectrique français, atteint 25,4 GW.

70% du parc hydroélectrique en concession est actuellement contrôlé par Électricité de France (EDF). En effet, dès 1946 au moment de l’élaboration de la loi de nationalisation de l’électricité et du gaz, le législateur avait souhaité confier la gestion des concessions des centrales hydroélectriques d’une puissance supérieure à 8 MW à une entreprise nationale. Deux filiales de la SNCF faisaient toutefois exception, même si leurs installations étaient rattachées au système d’exploitation hydraulique d’EDF afin d’optimiser la gestion de l’ensemble hydraulique national : la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et la Société hydroélectrique du Midi (SHEM). Engie, aujourd’hui le principal actionnaire de ces deux filiales, est également un acteur majeur du secteur hydroélectrique.

Ces différents acteurs utilisent des techniques plus ou moins onéreuses pour exploiter l’énergie potentielle des eaux, tout en s’adaptant aux caractéristiques géographiques des sites. Les fonctions des centrales sont donc variées :

        Les centrales de lac sont associées à une retenue d’eau créée par un barrage. L’eau est captée par une série d’ouvrages dans les bassins-versants en amont de la retenue, puis stockée derrière le barrage. Elle est ensuite acheminée jusqu’aux turbines de la centrale en contrebas. Capables de fournir très rapidement d’importantes quantités d’énergie, les ouvrages de lac sont un facteur essentiel d’ajustement pour répondre aux variations brusques de la demande électrique sur le réseau.

        Les centrales au fil de l’eau ne disposent pas de réservoir et fournissent une énergie de base produite « au fil de l’eau ». Cette énergie est consommable localement et nécessite moins d’infrastructures.

        Les centrales d’éclusée disposent d’une réserve d’eau accumulée sur une assez courte période (quelques centaines d’heures) et correspondent à un stock d’énergie mobilisable pendant les heures de pointe.

        Les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) sont constituées de deux réservoirs permettant des transferts d’eau de l’un vers l’autre grâce à une usine équipée de groupes réversibles (turbine/pompe). Elles permettent de stocker de l’électricité lorsqu’elle est abondante, en pompant l’eau du bassin inférieur vers le bassin supérieur, et de restituer cette électricité lorsque celle-ci est plus rare en turbinant l’eau du bassin supérieur vers le bassin inférieur. Installations qui sont très précieuses pour l’équilibre du système électrique


3.   Le régime concessif est soumis aux règles européennes en matière de commande publique et de concurrence

Le droit européen de la concurrence encadre le droit de la commande publique.

Il pose tout d’abord une obligation générale de transparence des procédures d'attribution des contrats dont le principe a été intégré dans le droit national et précisé par la jurisprudence. Dans sa décision de 2003 sur la Loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit, le juge constitutionnel a ainsi établi que trois grands principes constitutionnels guidaient la contraction de marchés publics : la liberté d'accès à la commande publique, l'égalité de traitement des candidats, la transparence des procédures.

En outre, le droit européen de la concurrence interdit les accords qui restreignent la concurrence entre les entreprises, les abus de position dominante, certaines concentrations et acquisitions, ainsi que certaines aides d'État.

Par ailleurs, le droit de la commande publique a été profondément réformé à la suite de l’adoption de la directive 2014/23/UE. Cette directive, qui consacre et encadre les contrats de concession, rend obligatoire, sauf exceptions, la procédure d’appel d’offres. Ayant fait l’objet d’une transposition en droit interne, toutes les règles relatives à ces contrats figurent dans la troisième partie du code de la commande publique entré en vigueur le 1er avril 2019.

Ainsi, son article L. 1121-1 définit le contrat de concession comme « un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l'exécution de travaux ou la gestion d'un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l'exploitation de l'ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d'exploiter l'ouvrage ou le service qui fait l'objet du contrat, soit de ce droit assorti d'un prix ».

Enfin, la libéralisation du marché de l’électricité a conduit le gouvernement français à adapter sa législation. En 2004, EDF devient une société anonyme. En 2006, la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) est adoptée. En 2008, un décret introduit dans le code de l’énergie l'article R. 521-6 en vertu duquel « l'octroi d'une concession d'énergie hydraulique est précédé d'une publicité et d'une mise en concurrence selon les modalités prévues par la présente sous-section ».

Ce décret faisait suite à une procédure en manquement de la Commission européenne qui contestait le droit de préférence accordé au concessionnaire sortant. Initiée en 2003, la procédure a été abandonnée en 2008 à la suite des engagements pris par les autorités françaises.

Le droit de préférence a été abandonné.

Un calendrier prévisionnel de renouvellement des concessions hydroélectriques a en outre été arrêté en 2008 par la Direction générale de l’énergie et du climat en gage de bonne foi.

Or, la soumission des concessions hydroélectriques françaises au droit européen de la concurrence fait depuis l’objet d’une opposition qui ne cesse de s’accroître à mesure que le temps passe.

B.   Source de prÉcontentieux avec la commission europÉenne, Les alternatives aux rÈgles de concurrence mises en place par la france ne donnent pas de visibilitÉ suffisante aux opÉrateurs et ne permettent donc pas de libÉrer lES investissementS sur l’hydroÉlectricitÉ pourtant nÉcessaires

1.   La France défend une gestion publique des installations hydroélectriques tandis que le droit européen prévoit leur mise en concurrence

Signe de l’absence d’un consensus général, le calendrier prévisionnel de 2008, par lequel les autorités françaises s’étaient engagées à soumettre les concessions hydroélectriques arrivant à échéance à une mise en concurrence, n’a jamais été mis en œuvre.

Le Rapport d’information parlementaire déposé par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2013 sur l’hydroélectricité a été le premier rapport prenant acte de ce changement de position et proposant des alternatives au principe de mise en concurrence.

Différents dispositifs nationaux, qui trouvent leur fondement dans la loi n° 2015-992 « Transition énergétique », ont été mobilisés pour assurer la continuité des exploitations dont les contrats de concessions arrivent à échéance. D’une part, la disposition du régime dit des « délais glissants » a permis de prolonger des contrats en cours, sans la possibilité de réaliser des investissements substantiels et à condition d’acquitter, depuis 2020, une redevance spécifique égale à 40 % du bénéfice normatif après impôts. D’autre part, la méthode des barycentres consiste à regrouper des concessions attribuées au même concessionnaire et interdépendantes, en permettant de changer la date de fin de concession d’un groupe de concessions pour prolonger celles à échéance la plus proche et raccourcir celles à échéance lointaine. Enfin, la loi prévoit la possibilité de constituer des sociétés d'économies mixtes hydroélectriques (SEMH) qui permettent à l’État et aux collectivités territoriales de s’associer à des actionnaires privés.

En outre, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite loi « Climat et résilience », a assoupli les contraintes pesant sur les exploitants de centrales hydroélectriques désireux d’en accroître la puissance installée. D’une part, elle a rehaussé le seuil au-dessus duquel une nouvelle autorisation doit être sollicitée en cas d’augmentation de la puissance installée d’une centrale préalablement autorisée. D’autre part, elle a porté, pour les centrales concédées, à 6 mois au lieu de 3 précédemment, le délai dont dispose l’État pour faire connaître son avis sur les propositions de modification de puissance envisagées par le concessionnaire. En contrepartie de l’allongement de ce délai, la loi prévoit que le silence de l’État vaut acceptation tacite, contrairement au régime antérieur.

Face à l’absence de procédures concrètes engagées par l’État français entre 2005 et 2015 pour mettre en concurrence les concessions hydroélectriques arrivant à échéance et considérant que les mesures introduites par la loi de 2015 sont des mesures de contournement, la Commission européenne a procédé à nouvelle mise en demeure de l’État Français le 22 octobre 2015.

Dans sa mise en demeure, la Commission met en cause ces « mesures étatiques qui, en faisant obstacle à l’entrée et à l’expansion de concurrents, ont pour effet de maintenir ou de renforcer la position dominante d’EDF ». Elle considère ainsi que ces mesures sont incompatibles avec l'article 106, paragraphe 1er, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, lu en combinaison avec l'article 102 de ce traité. Contestant ces arguments, le Gouvernement met en avant les enjeux sociaux, économiques et écologiques majeurs liés à l'hydroélectricité, et en particulier à la gestion de l'eau.

Le 7 mars 2019, la Commission européenne a procédé à une nouvelle mise en demeure de l’État français (ainsi que de sept autres États membres) basée sur un autre fondement : celui de la directive « concessions » pour non-recours à des procédures d'appel d'offres lors du renouvellement des concessions.

Les échanges entre la Commission européenne, le gouvernement français et le parlement, qui durent depuis des années, se poursuivent.

Si aucune procédure contentieuse n’a été engagée consécutivement à ces deux mises en demeure, aucun accord n’a pour autant été trouvé jusqu’à aujourd’hui.

Le blocage des opérations de renouvellement des concessions conduit à une augmentation, chaque année, du nombre de concessions échues, ce qui n’est pas sans pénaliser l’exploitation et l’avenir des ouvrages hydroélectriques.

2.   L’insécurité juridique qui en découle pénalise les investissements d’avenir depuis plus de dix ans

Face au désaccord entre l’UE et la France, les opérateurs ont dû suspendre les investissements substantiels, en raison du manque de visibilité sur les conditions de renouvellement des concessions et de l’interdiction de procéder à des investissements d’envergure pour ceux dont la concession a été renouvelée sous le régime des « délais glissants ».

En outre, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans une décision du 20 mars 2025, a estimé que la directive 2014/23/UE du 26 février 2014 était applicable aux contrats de concession attribués avant son entrée en vigueur mais prorogés par des dispositions législatives après cette date. Elle a rappelé qu’en cas de modification d’un contrat de concession, la législation applicable était celle en vigueur au moment de cette modification, indépendamment de la date d’attribution initiale du contrat.

Cette décision a été prise à la suite d’un recours préjudiciel exercé par le Conseil d’État italien, visant à examiner la compatibilité avec le droit de l’Union européenne du régime dit de « la prorogation technique » italien par lequel certaines concessions pour l’activité de gestion des jeux et de collecte de paris ont été prorogées, sans procéder à un nouvel appel d’offres.

En procédant par analogie, il est possible de conclure que cette solution pourrait être confirmée par la CJUE si les procédures en manquement initiées par la Commission aboutissaient à une procédure contentieuse.

Ce flou juridique représente un frein significatif à l’investissement, alors même que de nombreux ouvrages doivent être modernisés ou bien faire l’objet d’un démantèlement pour assurer la cohérence avec la protection des espèces et des habitats, que de nombreux projets de développement sont aujourd’hui stoppés.

L’avenir de l’hydroélectricité passe également par les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) qui sont des infrastructures extrêmement utiles au réseau (coûteuses) mais dont le développement est également compromis.

Cette situation pénalise également le mix électrique français qui pourrait voir l'électricité d'origine hydraulique passer de 12 % à 15 % avec des investissements sur les barrages. Cependant, aucun acteur économique ne souhaite investir sans visibilité, alors même que de nombreux contrats de concession arrivent à échéance. D’après le rapport d’une commission d’enquête du Sénat publié en juillet 2024 et portant sur le prix de l’électricité, 61 concessions seront échues au 31 décembre 2025.

De nombreux acteurs ont alerté le gouvernement sur l’urgence de la situation. C’est notamment le cas de la Cour des comptes qui l’appelle, dans un référé publié le 6 février 2023, à "sortir de cette situation afin d'éviter que la gestion d'ensemble du parc hydroélectrique ne se dégrade et qu'il ne puisse jouer pleinement son rôle dans la transition énergétique".

 

C.   pour autant, une mise en concurrence des concessions hydroÉlectriques serait contraire à l’intÉrÊt GÉNÉRAL, national comme europÉen

1.   Les conditions d'acceptabilité politique et sociale d'une mise en concurrence des concessions hydroélectriques ne sont pas réunies

Sur le plan politique, les autorités françaises se sont à plusieurs reprises positionnées en défaveur de l’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques.

Cette position a été défendue au plus haut niveau de l’État, par la voix du président de la République en 2022 lors de son discourt de Belfort : « Je n'oublie pas dans ce nouveau mix d'énergies renouvelables, nos barrages hydroélectriques, qui font la richesse de nos vallées et dans lesquels nous allons continuer d'investir. Et je veux ici être clair, tout en gardant la pleine maîtrise, et en évitant les mises en concurrence. C'est le cœur du projet que nous allons continuer de mener, en lien étroit, en discussion avec la Commission européenne, et en intimité avec évidemment l'entreprise EDF ». Elle a également été portée par de nombreux parlementaires, députés ([2]) ou sénateurs ([3]) et a fait l’objet de rapports parlementaires

Les élus locaux et les collectivités concernées sont eux aussi particulièrement mobilisés pour préserver les concessions hydroélectriques présentes sur leurs territoires, souhaitant dans la grande majorité des cas conserver les opérateurs historiques.

Sur le plan social, les fédérations des industries électriques et gazières ont, avant même l’adoption de la directive « concessions », manifesté leur opposition résolue à la mise en concurrence de ces ouvrages.

Plus généralement, le principe de la libre concurrence convainc de moins en moins nos concitoyens, conscients des enjeux dont sont porteurs les parcs hydroélectriques.

2.   Les enjeux autour de l’hydroélectricité justifient la défense d’un modèle de gestion protecteur en France et en Europe

En France, le régime concessif représente à ce jour la meilleure garantie du respect de l’intérêt public au travers de la réglementation et du contrat signé entre l'État et le concessionnaire.

Par ailleurs, les ouvrages hydrauliques ont dès leur conception été pensés comme des infrastructures à buts multiples : produire de l’électricité, écrêter les crues, stoker de l’eau pour le soutien d’étiage en périodes sèches, assurer la navigabilité, disposer de capacités d’irrigations.

Si les enjeux autour de l’eau, de l’énergie et de l’aménagement du territoire n’ont pas disparu, d’autres, plus contemporains, viennent les compléter.

Un enjeu de souveraineté : dépassant de très loin le seul cadre de la production énergétique, l’hydroélectricité se distingue des autres sources d’énergie par son caractère stratégique. D’une part, la gestion du parc par un acteur économique historique et aux missions variées offre une connaissance transversale des besoins à l’échelle tant territoriale que nationale tout en assurant une cohérence dans la gestion des questions liées à la sécurité. D’autre part, la souveraineté énergétique devient un enjeu dans le cadre d'une réflexion renouvelée de la souveraineté économique de la France mais également de l’Europe.

Un enjeu d’efficacité économique et de pouvoir d’achat : l’intervention de plusieurs acteurs au lieu et place d’un concessionnaire unique désorganiserait l’exploitation des chaînes hydrauliques, ce qui aurait un effet négatif sur la production dont le coût, par la perte de mutualisation des personnels, serait inévitablement renchéri. À considérer que l’État conserve la propriété des barrages et définisse les conditions de leur exploitation, une gestion coordonnée des différents usages de l’eau par des acteurs multiples paraît en outre difficile à mettre en place.

Un enjeu environnemental : première source d'énergie renouvelable en France, l'hydroélectricité participe à la protection de l'environnement et plus particulièrement de l'eau, bien précieux aux usages multiples qui se raréfie.

En Europe, d’autres pays ont également fait le choix de protéger leur production hydroélectrique de la concurrence, considérant qu’il ne s’agissait pas d’une source d’énergie comme une autre. Comme la France, certains d’entre eux ont fait l’objet d’une mise en demeure de la Commission européenne.

 


II.   soumis À des lÉgislations nationales hÉtÉrogÈnes, l’échelon européen semble le plus pertinent pour protÉger les parcs hydroÉlectriques de toute mise en concurrence

A.   Sur différents fondements, d’autres lÉgislations europÉennes ont donnÉ lieu À l’ouverture d’une procédure précontentieuse

1.   Les cadres juridiques et les modes de gestion de l’hydroélectricité diffèrent au sein de l’Union européenne

La grande majorité des infrastructures hydroélectriques européennes a été mise en place dans les années 1960-1970.

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Si les statuts juridiques varient d’un pays à l’autre, le régime de la concession, dans lequel l’État est propriétaire des ouvrages et concède l’exploitation à un opérateur, n’est pas le plus fréquent. C’est le régime d’autorisation, applicable notamment en Allemagne et en Autriche, qui est le plus répandu.

Par ailleurs, les ouvrages hydrauliques, qu’ils soient concédés par le propriétaire public ou détenus par les opérateurs, n’obéissent pas aux mêmes règles de gestion. Le tableau ci-dessous présente un rapide panorama des principales règles applicables au sein de l’Union européenne (sources : Centre Européen de Recherche et de Documentation Parlementaires, Ambassade de Suède et Ambassade du Portugal).


 

Propriétaire

Gestionnaire

Statut

Mode de sélection des exploitants

Suède

En Suède, tous les terrains (et la plupart des plans d'eau) sont divisés en propriétés. On compte environ 2 000 centrales hydroélectriques. Les propriétaires sont soit des entreprises publiques et municipales, soit des acteurs privés, nationaux ou étrangers.

En général, c’est le propriétaire du bien, qu’il s’agisse d’un acteur public ou privé, qui détient le droit d'exploitation.

Autorisation (délivrance d'un permis dont la durée maximum est limitée à 40 ans. Il n’existe en revanche pas de durée plancher)

Le transfert et l'octroi de droits d'usage de biens sont régis par le droit civil, tant pour les propriétaires publics que privés. Cette utilisation de biens n'est soumise à aucune restriction environnementale. L'exploitation de l'hydroélectricité est principalement réglementée par le Code de l'environnement et ses textes d'application. Toute personne peut demander un permis, à condition de disposer de l'eau nécessaire. Un propriétaire foncier a généralement le droit d'utiliser son bien sans restriction, sauf si cela est nécessaire pour satisfaire à des intérêts publics impérieux. Le permis environnemental confère à l'exploitant le droit de modifier les conditions hydrologiques afin de produire de l'électricité. Le permis restreint donc simplement le droit du propriétaire foncier d'utiliser son bien et ne constitue donc pas un permis au sens de la directive « Services ».

Italie

Les concessions hydroélectriques peuvent être attribuées à des entreprises privées, à des sociétés mixtes publiques-privées ou à des partenariats publics-privés. La société ENEL, ancien opérateur public privatisé en 1999, gère et possède la majorité des installations hydroélectriques.

Concession (de 2 à 40 ans)

 

Finlande

L'État contrôle les opérateurs les plus importants : 52 % du capital de Kemijoki (producteur d'énergie fondé en 1954 qui gère 20 centrales hydroélectriques) ; 50,76 % de Fortum Ltd (un des principaux producteurs d’électricité avec 11 centrales hydroélectriques). Toutefois, en particulier pour les grandes installations, certaines entreprises et/ou municipalités peuvent être copropriétaires.

En général, l'entreprise qui exploite une centrale hydroélectrique est propriétaire du barrage et des infrastructures connexes.

Autorisation (délivrance d'un permis)

En général, il n'est pas nécessaire de lancer un appel d'offres car les permis sont traditionnellement accordés pour une durée illimitée. Par ailleurs, ils ne peuvent être révoqués sans le consentement de son détenteur.

Cependant, les nouveaux permis d'utilisation de l'eau doivent être soumis à une évaluation et à une approbation basée sur des lignes directrices environnementales et de planification régionale.

 


 

Allemagne

Les installations hydroélectriques appartiennent à des entités publiques et privées.

Les centrales électriques de taille moyenne (à partir de 100 kW) sont généralement détenues par les municipalités.

Les installations hydroélectriques sont exploitées par des entités publiques et privées.

Les grandes centrales sont souvent exploitées par des sociétés allemandes et étrangères telles que Statkraft AS (Norvège) et Vattenfall GmbH (Suède).

 

 

Croatie

Toutes les installations hydrauliques en Croatie relèvent de la compétence d'entreprises publiques qui appartiennent aux collectivités locales.

Le principal exploitant des installations hydroélectriques est la société nationale HEP (Hrvatska elektroprivreda) fondée en 1990. Il existe également quelques rares entreprises privées qui gèrent des petites installations.

Concession

Le mécanisme d'attribution comprend une demande qui doit être présentée avant l'expiration de la concession. L’entreprise publique HEP a été le seul participant à cette procédure jusqu'à présent.

Espagne

 

Les principaux opérateurs sont les sociétés Iberdrola, Naturgy et Endesa qui détiennent 90 % des concessions expirant en 2031.

Concession

La demande de concession s’effectue auprès de l'autorité compétente en matière d'eau : soit la Commission de l'eau dans le cas d'aménagements de moins de 5 000 KW, soit auprès du ministère de l'Agriculture, de l'Alimentation et de l'Environnement au-delà.

Grèce

L’opérateur public PPC (Public Power Corporation) détient et gère les grandes centrales hydroélectriques. Les petites centrales hydroélectriques appartiennent et ont géré par diverses entreprises privées, par des municipalités et des sociétés municipales de distribution d'eau et d'assainissement.

Autorisation (permis)

 

Hongrie

Les propriétaires sont des entreprises privées, à l'exception de l'opérateur public MVM Green Generation.

L’opérateur public MVM Green gère les 2 plus grandes centrales hydroélectriques (Kisköre et Tiszalök). Toutes les petites centrales hydroélectriques sont exploitées par des entreprises privées.

Concession

 

 


 

Lettonie

La propriété et l'exploitation des installations hydroélectriques sont principalement gérées par Latvenergo, une entreprise publique. Les installations plus petites sont généralement détenues et exploitées par diverses entités privées.

L’opérateur public Latvenergo gère les principales centrales hydroélectriques.

 

Le cadre juridique régissant les installations hydroélectriques n’impose pas de procédures d’appel d’offres pour la sélection des exploitants d’installations.

Pays-Bas

La société Vattenfall possède et gère les centrales de Maurik et Alphen, RWE gère et possède la centrale de Linne.

 

Aux Pays-Bas, l'exploitation d'installations hydroélectriques est autorisée par les dispositions de la loi sur l'énergie, de la loi sur l'eau et un décret sur l'eau. Ce système n'a pas changé depuis l'introduction de la directive européenne sur le marché unique de l'électricité en 1996 et sa transposition en droit néerlandais. Il n'existe à ce jour aucune procédure de sélection ou d'appel d'offres pour les propriétaires ou les exploitants des installations.

Portugal

L’État accorde le droit d’utiliser les ressources en eau et le droit d’exploiter les infrastructures et production d’énergie. La propriété des installations (barrages, turbines, etc.) appartient au concessionnaire privé pendant la durée de la concession.

Les installations sont principalement exploitées par des opérateurs privés, dont Energias de Portugal (EDP). Par exception, il existe de rares cas de gestion avec participation du public (par exemple lorsque l’usine a des usages multiples ou dans des régions autonomes).

Concession

 

Roumanie

En vertu de la loi n° 107/1996, les réservoirs permanents et les ouvrages hydrotechniques font partie du domaine public de l'État. L'Administration nationale « Eaux roumaines » est la seule autorité pour leur administration, à l'exception des biens appartenant à des tiers.

La production est uniquement assurée par des opérateurs publics.

Autorisation : les propriétaires sont tenus d'obtenir l'accord d'exploitation du Ministère de l'Eau et de la Protection de l'Environnement, obligatoire pour l'obtention du permis de construire.

La loi n° 123 du 10 juillet 2012 relative à l'électricité et au gaz naturel prévoit que si, à l'issue de la procédure d'autorisation, les capacités de production en cours de construction ou les mesures prises dans le sens d'une gestion orientée vers l'efficacité énergétique et la satisfaction de la demande ne sont pas suffisantes pour garantir la consommation intérieure, le ministère compétent peut lancer une procédure d'appel d'offres ou toute autre procédure similaire de passation d'un contrat. Cette procédure doit être lancée dans des conditions de transparence et de non-discrimination, sur la base de critères publiés.

Slovénie

Les installations hydrauliques appartiennent à l’État en application de la loi sur l’eau dont l’article 4 dispose que : « La gestion de l'eau et la gestion des terres aquatiques et riveraines relèvent de la compétence de l'État ».

Les centrales hydroélectriques sont gérées et détenues à 100 % par des opérateurs publics.

Concession ou autorisation

 

Suisse

Les cantons sont de loin les plus grands propriétaires, suivis des communes. Ensemble, ils possèdent près de 75 % de la production suisse totale.

 

Concession

L’article 41 de la loi sur les forces hydrauliques dispose que : " en cas de compétition, la préférence est donnée à l’entreprise qui sert le mieux l’intérêt public, et, si les entreprises en compétition le servent dans la même mesure, à celle qui assure la meilleure utilisation du cours d’eau".

Au regard de la variété des structures et des modèles de gestion au sein de l’Union européenne, l’ouverture à la concurrence des centrales hydroélectriques ne peut répondre à la même logique de mise en œuvre.

2.   Certains États membres ont, comme la France, fait l’objet d’une mise en demeure

La mise en demeure à laquelle a procédé la Commission européenne le 7 mars 2019 visait la France mais également 7 autres États membres : le Portugal, l'Autriche, l'Allemagne, la Pologne, la Suède, le Royaume-Uni et l’Italie.

Deux fondements distincts ont été avancés à l’appui de cette mise en demeure :

-         les règles de la concurrence et plus précisément l’absence de procédures de sélection transparentes et impartiales pour l’octroi ou le renouvellement de nouvelles autorisations (l'Autriche, l'Allemagne, la Pologne, la Suède, le Royaume-Uni et l’Italie).

Dans le cas de l’Italie, il est intéressant de noter que la procédure a été clôturée en 2021, la Commission ayant reconnu que dans le contexte italien, les possibilités d'accroître la concurrence et l'efficacité dans le secteur hydroélectrique étaient limitées.

-         les règles propres à la directive « concessions » et plus précisément le non-recours à des procédures d'appel d'offres lors du renouvellement des concessions (la France et le Portugal).

Par ailleurs, d’autres pays ont fait l’objet de mesures précontentieuses sur des fondements autres que celles en lien avec les règles de la concurrence.

C’est notamment le cas de la Finlande dont la législation prévoit que les licences environnementales sont délivrées de manière permanente. À la suite de l’adoption de la directive-cadre sur l'eau, dont l’un des objets vise à améliorer l’état des rivières, cette protection nationale a commencé à s'éroder. En effet, les permis les plus anciens ne comportent aucune obligation environnementale et la législation finnoise ne permet pas de les amender. La Commission européenne a donc ouvert une procédure d'infraction à l'encontre de la Finlande mais cette question n’a à ce jour fait l’objet d’aucune modification législative.

B.   Les conséquences des principales solutions nationales envisagées pour éviter la mise en concurrence des concessions hydroélectriques Ne sont à ce jour pas pleinement satisfaisantes

1.   La quasi-régie : une option prévue par le droit de l’Union européenne mais écartée par les autorités françaises

Prévu par la directive de 2014, le régime de la quasi-régie permet de déroger à la mise en concurrence, à condition de respecter les trois conditions énoncées à son article 17 :

        le pouvoir adjudicateur doit exercer sur la personne morale un contrôle « analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services » ;

        plus de 80 % des activités de cette personne morale doivent être exercées « dans le cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées » ;

        la quasi-régie ne doit pas comporter de participation de capitaux privés, à l'exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage.

Cette possibilité a été évoquée en 2019 lors du projet de réorganisation d’EDF baptisé Hercule. Ce projet reposait sur une scission du groupe en plusieurs entités complémentaires et non concurrentes : « EDF Bleu » pour la production nucléaire et thermique et le réseau de transport, « EDF Vert » pour les activités de distribution, les services et les énergies renouvelables et « EDF Azur » pour la production hydraulique.

Sur le plan des principes, ce projet présentait assurément des garanties juridiques mais subissait la critique des autres acteurs de la filière qui ne souhaitaient pas voir cette solution étendue à leur activité. Elle aurait en effet abouti au rachat des concessions non encore échues.

Sur le plan opérationnel, ce projet impliquait une déconsolidation des activités d’EDF. Si l’entreprise avait dans un premier temps validé l’option d’un régime de quasi-régie, elle l’a par la suite dénoncée eu égard à la désorganisation opérationnelle, commerciale et humaine dont elle était porteuse. Cette solution permettait en revanche le maintien d'un opérateur unique de la production hydroélectrique.

Plus généralement, la Cour des comptes a estimé, dans un référé du 2 décembre 2022, que le choix de la quasi-régie reposait « d’abord sur la recherche d’une solution juridique permettant d’éteindre les contentieux en cours au niveau européen, sans que les conséquences économiques et financières de ce schéma ne soient clairement énoncées ».

2.   Le passage d’un régime concessif à un régime d’autorisation : une solution en cours d’étude dont les conclusions sur sa faisabilité n’ont pas encore abouti

Le passage d'un régime de concession vers un régime d'autorisation est à ce jour l’option étudiée par les autorités françaises et par EDF. Cette option emporterait comme conséquence l'exploitation sous un régime unique de toutes les installations hydroélectriques mais également le transfert de propriété d’ouvrages qui appartiennent aujourd’hui au domaine public. Le prix de cession, dont les modalités de fixation restent à définir, constituerait le nouveau cadre de référence pour fixer le taux et l’assiette de la redevance qui serait mise en place.

Ce régime d'autorisation serait par ailleurs assorti d'un cahier des charges fixant les obligations du titulaire, ce qui permettrait de maintenir le niveau d'exigence en matière d'environnement, de partage territorial de l’eau et de sûreté applicable aux ouvrages autorisés.

Bien que séduisante, cette alternative présente à ce jour de nombreuses fragilités et incertitudes.

Des fragilités car cette solution exige qu’il faille procéder au déclassement du domaine public des biens appartenant à l'État et à leur transfert par acte de vente aux concessionnaires intéressés. Il s’agirait donc de revenir sur le principe d’inaliénabilité des ouvrages fluviaux qui remonte à l’édit de Moulins de 1566.

Des incertitudes car les principes de la fixation du prix de cession n’ont été ni définies, ni envisagées dans la trajectoire financière des principaux acteurs. Or, le niveau du prix est déterminant pour qualifier ce qui relève ou non d’une aide d’État.

Par ailleurs, quelle que soit la solution privilégiée, elle devra nécessairement faire l’objet d’une négociation constante avec la Commission européenne afin de sécuriser l’avenir des ouvrages hydroélectriques.

Le rapport d’information de la Commission des affaires économiques sur les modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques qui sera remis par vos rapporteurs début mai 2025 apportera des éclaircissements, des précisions et des solutions sur ces fragilités et incertitudes.

C.   La révision de la directive « concession » apparaît comme l’alternative la plus solide pour exclure les parcs hydroélectriques de toute mise en concurrence future

1.   La Commission européenne pourrait proposer une révision de la directive « concessions » sans pour autant exclure les parcs hydroélectriques de son champ d’application

Faisant suite au rapport spécial de la Cour des comptes européenne relatif aux marchés publics dans l’UE publié en 2023, la Commission européenne a lancé le 13 décembre 2024 une consultation publique afin d’établir un état des lieux de la mise en œuvre des directives 2014/23/UE relative aux contrats de concession, 2014/24/UE relative aux marchés publics et 2014/25/UE relative aux secteurs spéciaux.

Cette consultation a pris fin le 7 mars 2025 mais pourra être complétée par des consultations ciblées. Vos rapporteurs ont remis une contribution dans le cadre de cette consultation, soutenue par les membres de la mission représentant les différents groupes politiques.

L’objectif de la Commission européenne est de déterminer si les directives sont toujours adaptées à leur finalité et suffisantes pour atteindre les objectifs stratégiques de l’UE, parmi lesquels la promotion d’une économie européenne plus verte, plus sociale et plus innovante. Cette démarche répond en outre aux orientations politiques 2024-2029 qui prévoient une révision des directives sur les marchés publics.  

Par ailleurs, le département de l’énergie de la Commission européenne pourrait publier cette année un livre blanc portant sur une éventuelle réforme du marché de l’électricité.

Les conditions sont donc réunies pour tenter de résoudre le contentieux opposant la Commission européenne et la France en négociant l’exclusion des parcs hydroélectriques de la directive « concessions ».

En orientant les discussions futures, la Commission européenne dispose néanmoins d’un pouvoir politique non négligeable et pourrait s’opposer à cette exclusion.


3.   Toutefois, le pouvoir décisionnaire appartient au Conseil et au Parlement européen, lesquels ont le pouvoir d’amender les textes qui leur sont soumis

Si la Commission européenne élabore les textes et les propose, elle n’a pas de pouvoir de décision.

La révision de la directive « concessions », si elle était lancée, relèverait de la procédure législative ordinaire qui place sur un pied d’égalité le Conseil et le Parlement européen, tous deux co-décisionnaires.

Le gouvernement français peut donc peser au Conseil sur les négociations en tentant de rallier à sa cause différents États membres. L’objet de la présente résolution est de demander au gouvernement français de jouer ce rôle et de peser dans les éventuels débats à venir.

Si la voie pour arriver à un compromis est étroite, et un peu longue, elle existe pour tenter de régler le dossier du renouvellement des concessions hydroélectriques dont le précontentieux s’éternise et sortir ces ouvrages du champ d’application de la directive « concessions ». Afin que la France puisse maîtriser sa souveraineté énergétique et moderniser enfin son parc hydroélectrique pour atteindre les objectifs qui seront prochainement fixés dans la 3e programmation pluriannuelle de l'énergie, il devient urgent que le précontentieux qui nous oppose à la Commission européenne prenne fin et trouve une issue favorable aux intérêts français et européens.

Vos rapporteurs, pour toutes ces raisons, estiment que cette démarche doit être fortement portée par la France lors de cette révision.

 

 

 


   EXAMEN EN COMMISSION

La Commission s’est réunie le 30 avril 2025, sous la présidence de M. Pieyre‑Alexandre Anglade, Président, pour examiner la présente proposition de résolution européenne.

M. le Président Pieyre-Alexandre Anglade. Le premier point de la réunion de ce jour est l’examen de la proposition de résolution européenne de M. Philippe Bolo et Mme Marie-Noëlle Battistel visant à préserver les concessions hydroélectriques françaises d’une mise en concurrence.

Mme Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteure. Nous sommes heureux de vous retrouver au sein de la Commission des affaires européennes afin de défendre, à travers cette proposition de résolution européenne (PPRE), la question des concessions hydroélectriques. Ce sujet d’intérêt général me tient particulièrement à cœur depuis plusieurs années.

L’avenir des concessions hydroélectriques est également une préoccupation largement partagée au sein de la Commission des affaires économiques, devant laquelle nous allons prochainement présenter les conclusions d’une mission d’information portant sur les modes de gestion et d’exploitation des installations hydroélectriques. Cette mission d’information, soutenue par neuf des onze groupes politiques composant l’Assemblée nationale, fait largement consensus.

La proposition de résolution européenne vise à compléter le travail de la mission d’information sur son volet européen, eu égard aux imminentes évolutions du droit de l’Union européenne et des impacts que ces évolutions pourraient avoir sur les textes régissant l’hydroélectricité.

Afin de pleinement appréhender ce qui se joue, je vous propose tout d’abord de dresser un très bref état des lieux de la situation de l’hydroélectricité en France. L’énergie hydraulique est la première source d’électricité après le nucléaire, et la première source d’énergie renouvelable, avec une production estimée à 74 TWh en 2024, le niveau le plus haut enregistré depuis 2013. La France est par ailleurs la première puissance hydraulique de l’UE et compte 2 500 installations. Ce parc exceptionnel permet à notre pays de bénéficier d’une énergie peu coûteuse, pilotable, flexible et décarbonée.

Le régime d’exploitation des centrales hydroélectriques dépend de la puissance maximale brute. Le régime d’autorisation est obtenu lorsque les puissances installées sont inférieures à 4 500 kW, et le régime de concession est applicable au-delà.

Les installations sous régime d’autorisation appartiennent généralement à des particuliers - entreprises ou collectivités (environ 80 % des infrastructures du parc). Cette « petite hydroélectricité » n’est en aucun cas concernée par la PPRE.

Ce qui est d’intérêt aujourd’hui, c’est la « grosse hydroélectricité », sous le régime de concession, qui représente 90 % de la puissance cumulée du parc hydroélectrique. Les installations gérées sous ce régime appartiennent à l’État français et sont construites et exploitées par un concessionnaire pour son compte pour une durée maximale de 75 ans sur la base d’un cahier des charges prédéfini.

La durée des concessions doit permettre d’amortir les investissements réalisés par le concessionnaire. À l'issue de cette période, les biens en concessions sont de retour à l’État qui peut renouveler le contrat, ou l’attribuer à un autre opérateur.

Depuis la loi de nationalisation de l’électricité et du gaz élaborée en 1946, EDF est le principal exploitant du parc hydroélectrique sous concession. Aux côtés d’EDF se trouvent également deux opérateurs historiques : la compagnie nationale du Rhône (CNR) et la société hydroélectrique du midi (SHEM).

Le régime juridique des concessions et le statut juridique des opérateurs historiques ont profondément évolué sous l’impulsion de différents pans du droit de l’Union européenne.

D’abord le droit de la concurrence est venu encadrer le droit de la commande publique en posant différents principes : la liberté d’accès à la commande publique, l’égalité de traitement des candidats, la transparence des procédures. En outre, il interdit les accords qui restreignent la concurrence entre les entreprises, les abus de positions dominantes, certaines concentrations et acquisitions ainsi que des aides d'état.

Le droit de la commande publique a quant à lui été profondément réformé en France à la suite de l’adoption en 2014 de la directive dite « concessions ». Cette directive consacre et encadre les contrats de concession et rend obligatoire, sauf exception, la procédure d’appel d’offres en fin de concession.

Enfin, la libéralisation du marché de l’électricité a conduit le Gouvernement à adapter sa législation : EDF a changé de statut en devenant une SA en 2004, le droit de préférence a été abandonné. Une mise en demeure de la France par la Commission européenne en 2008 a par ailleurs conduit le gouvernement français à adopter un calendrier prévisionnel de renouvellement des concessions hydroélectriques pour démontrer sa bonne foi.

Faute de consensus général, ce calendrier prévisionnel n’a toutefois jamais été mis en œuvre. Afin de permettre la continuité des concessions arrivant à échéance, des alternatives à la mise en concurrence ont été trouvées mais ont eu pour conséquence deux mises en demeure de la Commission européenne. La première, qui date de 2015, met en cause des mesures qui « ont pour effet de maintenir ou de renforcer la position dominante d’EDF », laquelle serait abusive. La seconde, qui date de 2019, est fondée sur la directive « concessions ». Ici, la Commission reproche à la France le non-recours à des procédures d'appel d'offres lors du renouvellement des concessions.

Bien que les échanges entre la Commission européenne, le gouvernement français et le parlement durent depuis des années, aucun accord n’a été trouvé.

En revanche, aucun ouvrage n’a été mis en concurrence. Pour autant, cela ne permet pas la réalisation d’investissements substantiels, par manque de visibilité des opérateurs, alors même que le parc doit être modernisé, et développé notamment dans le domaine des STEPs. Cette situation ne peut pas durer. Ce flou juridique ne rassure personne.

Seule certitude à ce jour : les conditions d'acceptabilité politique et sociale d'une mise en concurrence des concessions hydroélectriques ne sont pas réunies. La très large majorité des acteurs se prononce en défaveur de l’ouverture à la concurrence des concessions hydroélectriques.

La directive de 2014 a été adoptée dans un contexte très différent de celui que nous connaissons aujourd’hui. Les enjeux ont évolué autour de la question de la ressource en eau, de son partage, mais aussi de l’aménagement du territoire, des effets en matière de risque, et de la question évidente de la souveraineté énergétique.

La Commission européenne pourrait prochainement proposer une révision de la directive « concessions ». Elle a d’ailleurs lancé en décembre 2024 une consultation publique à laquelle nous avons participé en déposant une contribution en vue d’exclure les concessions l’hydroélectricité du champ d’application de droit de l’Union.

M. Philippe Bolo, co-rapporteur. En complément des éléments importants qui vous ont été communiqués par ma collègue, je dirai que la France n’a pas été seule dans cette situation de mise en demeure pour non-respect des procédures de mise en concurrence lors de l’octroi ou du renouvellement des ouvrages hydroélectriques. Les motifs peuvent être variables : il peut s’agir de manquements à une sélection transparente ou d’une sélection jugée impartiale ou d’absence d’appel d’offres. Huit pays, dont la France, sont concernés : l’Autriche, l’Allemagne, la Pologne, la Suède, le Royaume-Uni, l’Italie et le Portugal.

Dans notre rapport figure un tableau qui répertorie les différences de législations entre pays européens. Évidemment, la nature juridique du régime d’exploitation est un élément déterminant des mises en demeure : dans le cas des concessions, leur renouvellement implique une mise en concurrence.

Si l’on regarde ce qu’il se passe dans des pays où le régime de concession est majoritaire, comme en Croatie, en Hongrie et en Slovénie, on constate la place primordiale de la puissance publique, à l’instar du système français. En Croatie, le principal exploitant des installations hydroélectriques est une société nationale. En Roumanie, la production est uniquement assurée par des opérateurs publics. En Slovénie, cent pour cent des infrastructures sont opérées par l’État car la loi est contraignante.

Dans le cas des pays où le régime de l’autorisation est dominant, comme en Finlande, en Grèce ou en Roumanie, la place de l’État et des acteurs publics est également centrale.

Ainsi, l’image d’une hydroélectricité cent pour cent ouverte à la concurrence n’est pas une réalité dans les situations que nous pouvons observer de façon comparative en Europe. La propriété privée apparaît à des proportions variables par rapport à la propriété publique. Cela dépend fortement de l’histoire de ces pays, de l’importance de l’hydroélectricité, de la caractéristique des actifs hydroélectriques, du profil de leur puissance, des lois qui existent. En Finlande par exemple, il existe une loi qui permet d’y accéder, via des permis.

En définitive, l’histoire, la géographie, l’hydrologie, le mix des capacités de production, avec une part de nucléaire ou non, orientent les organisations d’exploitation et de gestion des ouvrages hydroélectriques. Nous sommes face à un paysage fragmenté qui montre que la réalité des modes d’exploitation et de gestion reste largement dépendante de caractéristiques nationales.

Cela conduit à plusieurs interrogations : pourquoi les particularités historiques, géographiques, hydrographiques et technologiques françaises, avec le poids du nucléaire, ne seraient-elles pas prises en compte ? Mme Battistel nous a parfaitement indiqué en quoi l’hydroélectricité représente un couple avec le nucléaire en termes de flexibilité et de soutien d’étiage, notamment pour la capacité de refroidissement des centrales.

Ensuite, en quoi la directive aurait-elle une capacité à uniformiser les situations dans tous les pays et à faire en sorte que ce principe de mise en concurrence devienne une généralité ?

Enfin, il est pertinent de réinterroger le système, qui est ancien et qui a été mis en place à une époque où les enjeux étaient différents de ceux d’aujourd’hui.

Au cours de notre mission débutée en septembre, nous avons découvert cette consultation européenne qui visait à réinterroger la directive « concessions » et nous avons décidé de nous en saisir pour sortir du contentieux qui bloque aujourd’hui les investissements hydroélectriques français. L’objectif à atteindre est donc de débloquer ce verrou. Nous avons donc déposé notre propre contribution lors de cette consultation débutée en décembre 2024 et aujourd’hui terminée. Mais elle pourra être complétée lors de prochaines étapes. Il faudra être présents à chacune de ces étapes pour réaffirmer que l’exclusion de l’hydroélectricité du champ d’application de la directive « concessions » est la solution idéale.

Cette proposition de résolution européenne invite le gouvernement français à faire preuve d’ambition et de détermination sur ce sujet. Cette solution vient en parallèle des solutions nationales en cours d’étude dans le cadre de la mission d’information de la commission des affaires économiques. Ces deux chemins n’ont pas vocation à se concurrencer. Le deuxième chemin analyse les solutions possibles en France : la quasi-régie, le passage de la concession à l’autorisation, adossé ou non à différentes mesures compensatoires.

La mission d’information en cours s’effectue en lien avec les représentants des différents groupes politiques de l’Assemblée nationale. Nous vous donnerons rendez-vous dans quelques semaines pour vous présenter ses conclusions qui viendront en complément du débat que nous avons aujourd’hui ensemble.

L’exposé des rapporteurs a été suivi d’un débat.

Mme Isabelle Rauch (HOR). Je tiens à exprimer notre plein soutien à cette proposition de résolution européenne qui vise à préserver les concessions hydroélectriques françaises d’une mise en concurrence systématique. En effet, cette résolution touche à un sujet central : notre souveraineté énergétique. Les concessions hydroélectriques représentent bien plus qu’un outil de production d’électricité ; elles incarnent une maîtrise publique d’un levier stratégique au service de la transition énergétique, de la régulation des crues, de l’irrigation agricole et même du refroidissement de certaines installations nucléaires.

Depuis l’entrée en vigueur de la directive 2014/23/UE, la pression pour ouvrir ces concessions à la concurrence s’est accentuée, au nom du bon fonctionnement du marché intérieur. Cependant, cette logique, si elle n’est pas encadrée, risque d’aller à l’encontre de nos intérêts stratégiques et environnementaux. La réalité est simple, et vous l’avez bien rappelée : depuis l’obligation de mise en concurrence, les projets de modernisation des barrages sont gelés et les investissements nécessaires pour améliorer la production et la sûreté ne sont pas réalisés par crainte qu’une entreprise publique comme EDF, opérateur historique et stratégique, soit évincée au prochain appel d’offres. Est-ce cela, l’efficacité économique que nous cherchons ? Certainement pas.

D’autres États membres ont su trouver des voies juridiques alternatives et nous devons étudier les différentes approches qui permettraient à la France de gérer les concessions hydroélectriques de manière souveraine tout en restant dans le cadre fixé par les traités européens. À défaut d’une solution trouvée au niveau national, il peut être intéressant d’exclure les concessions hydroélectriques en amont, au niveau européen, d’une future directive sur l’attribution de contrats de concessions. Notre groupe votera en faveur de cette proposition de résolution européenne.

Mme Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteure. C’est effectivement très important et c’est aussi un message envoyé à la Commission européenne pour signifier la volonté et l’adhésion de la totalité, j’espère, des groupes politiques de l’Assemblée nationale. Cette situation de flou juridique empêche tous travaux d’investissements. Aujourd’hui, nous avons des opérateurs qui font les travaux d’investissements, de maintenance et de sécurité car ils ont une obligation, en fin de concession, de rendre l’ouvrage dans l’état dans lequel ils l’avaient trouvé. Il faudrait faire une déclaration de fin de concession si nous parvenions à cette issue.

Mme Manon Bouquin (RN). Je tiens à saluer la présentation de cette résolution qui va enfin dans le bon sens. Depuis des années, nous alertons sur la menace que représente l’application de la directive 2014/23 de l’Union européenne pour nos barrages hydroélectriques. Nous dénonçons cette logique européenne qui impose la mise en concurrence de concessions stratégiques, au mépris des nécessités et de l’expérience françaises qui ont fait la souveraineté énergétique nationale et qui conditionnent largement la stabilité des systèmes électriques de nos partenaires. L’hydroélectricité est un atout national majeur, une énergie décarbonée, pilotable, qui participe à l’équilibre du réseau électrique, à la gestion de l’eau et à la sécurité des territoires.

Aujourd’hui, le cadre européen impose à nos exploitants historiques, dont EDF, une incertitude juridique et économique inacceptable. Cette situation bloque les investissements, freine les modernisations et fragilise la capacité nationale à répondre au défi énergétique et climatique. C’est un retour progressif à la situation de l’après-guerre, qui avait précisément conduit à la création d’EDF et d’un véritable service public de l’électricité. Ces barrages appartiennent au peuple français. Ils ont été financés par celui-ci et sont gérés au service de l’intérêt général. Cet héritage doit être préservé sous contrôle national.

Je me réjouis donc que cette proposition fasse enfin l’objet d’un consensus plus large. Le Rassemblement national continuera à défendre cette ligne sans ambiguïté et nous soutiendrons cette résolution. Dans ce même état d’esprit, notre collègue Nicolas Meizonnet avait défendu une proposition de loi visant à faire passer tous les ouvrages hydroélectriques sous un régime d’autorisation. Il n’est pas acceptable de se résoudre à abandonner ces atouts au nom d’un droit européen inadapté aux spécificités nationales. Il est temps que la France reprenne la main sur ses choix énergétiques et qu’elle protège ses infrastructures vitales des logiques de marché imposées par Bruxelles.

M. Philippe Bolo, co-rapporteur. Notre proposition n’est pas un défi vis-à-vis de l’Europe, ni de ses règles, ni de la nécessité de la renforcer. Il s’agit de la nécessité de réinterroger des règles anciennes, construites à une époque où les objectifs de décarbonation n’étaient pas ceux que nous connaissons aujourd’hui, où les enjeux climatiques liés à l’eau et les conséquences qui en découlent n’étaient pas perçus de la même manière. La géopolitique n’était pas celle à laquelle nous faisons face aujourd’hui. Les investissements dans la production d’énergie ou dans les industries vertes ne répondaient pas aux mêmes impératifs que ceux d’aujourd’hui. Parce que le monde évolue, les règles doivent également évoluer, sans pour autant défier véritablement les règles européennes ni l’ambition de s’inscrire dans une vision européenne favorable à l’ensemble des intérêts de l’Union, de chacun de ses pays membres et de la souveraineté énergétique propre à ces mêmes pays

Mme Constance Le Grip (EPR). Je tiens à exprimer le soutien du groupe Ensemble pour la République à cette proposition de résolution européenne visant à préserver les concessions hydroélectriques d’une mise en concurrence. Cette proposition s’inscrit dans un contexte délicat, ancien et complexe. Depuis plus de quinze ans, la France fait face à un contentieux avec la Commission européenne concernant la gestion de ces concessions hydroélectriques, dont plus de 90 % de la puissance installée, est exploitée par EDF, la Société hydroélectrique du Midi et la Compagnie nationale du Rhône. En 2025, 61 concessions seront échues, et continueront d’être exploitées sous le régime provisoire dit des « délégations de licences », qui ne présente pas que des avantages. Ce régime freine les investissements, fragilise la sécurité des approvisionnements énergétiques et ralentit le développement de l’hydroélectricité, pourtant indispensable à la transition énergétique.

Plusieurs voies de sortie de l’impasse ont été esquissées. La première est la mise en concurrence, conforme au texte européen, qui pourrait répondre aux attentes formelles du droit mais exposerait à une fragmentation extrêmement préjudiciable du parc hydraulique national, largement rejetée dans le pays. La deuxième voie envisagée est le modèle de la quasi-régie. Bien que prévu par la directive, confiant les concessions à une entité publique contrôlée par l’État, ce modèle nécessiterait une profonde réorganisation industrielle, et s’avère donc très complexe. La troisième hypothèse est celle d’un passage à un régime d’autorisation, ce qui entraînerait un basculement vers un régime juridique extrêmement incertain.

Dans ce contexte, une proposition de résolution européenne est défendue, avec une position claire : demander que les concessions hydroélectriques françaises soient exclues du champ d’application de la directive à l’occasion de sa prochaine révision, afin de reconnaître la spécificité du parc hydroélectrique national et l’importance de cette énergie pilotable, décarbonée, précieuse pour assurer l’équilibre du réseau électrique, mais aussi pour garantir une gestion durable d’une ressource en eau devenue plus vulnérable, incluant la prévention des crues, l’irrigation agricole, le refroidissement des centrales nucléaires. En plein accord avec notre vision européenne, avec les intérêts portés et la position défendue par le gouvernement français, le groupe Ensemble pour la République soutient pleinement cette proposition de résolution européenne.

Mme Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteure. Nous avons rappelé la spécificité de l’hydroélectricité, son rôle extrêmement important dans l’équilibre du système électrique ainsi que dans la gestion du multi-usage et de la ressource en eau. Ces services sont rendus par les ouvrages hydroélectriques et sont « gratuits » pour les collectivités publiques. Il est souhaité qu’ils puissent le rester : c’est le sens de la démarche engagée.

Il s’agit de saisir l’opportunité que la Commission européenne a ouverte en lançant cette consultation publique. Aucune assurance ne peut être donnée quant à la révision effective de la directive, la procédure n’en étant qu’au stade de la consultation sur l’opportunité. Nous espérons que la directive parvienne rapidement au stade de la révision, mais il n’est pas possible de se permettre de perdre davantage de temps. L’examen des différentes solutions évoquées est donc conduit en parallèle. Une analyse de robustesse juridique est menée dans le cadre d’échanges entre les opérateurs, les parlementaires, les syndicats, les associations, la Commission européenne et le Gouvernement. La restitution de cette réflexion et de cette analyse juridique sera prochainement présentée en commission des affaires économiques.

M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Nos barrages hydroélectriques ne sont pas à vendre. L’hydroélectricité est la première énergie renouvelable de la France (14 % de l’électricité française). C’est également une énergie décarbonée, pilotable rapidement, indispensable à l’équilibre du réseau électrique et dont le développement par des investissements est essentiel. Il s’agit aussi d’une électricité très compétitive du point de vue du coût. Toutefois, les barrages remplissent un rôle plus large encore, avec la gestion des multiples usages de l’eau : gestion des étiages, écrêtement des crues, alimentation en eau potable, irrigation agricole, navigation, refroidissement des centrales nucléaires, etc.

C’est bien l’intérêt général dont il est question. En France, ces barrages appartiennent à l’État, qui en conserve la propriété publique et peut donc les mettre au profit du bien public, n’en concédant que l’exploitation, essentiellement à EDF, à la Compagnie nationale du Rhône et à la SHEM. Cela est insupportable pour la Commission européenne et les ayatollahs de la concurrence. Cette Commission exige la mise en concurrence de l’exploitation des barrages pour satisfaire l’appétit d’acteurs privés, français et étrangers. Pour l’Union européenne, peu importe la sécurité d’ouvrages aussi critiques et la gestion du cycle de l’eau face au changement climatique. Seule la rentabilité financière devrait compter. Cela doit cesser. Ces barrages ne sont pas à vendre. La directive européenne de 2014 doit être abrogée ou, à tout le moins, les barrages français doivent en être exemptés. Il existe un très large consensus dans la société, chez les syndicats, les partis, les élus locaux, pour préserver les barrages hydroélectriques français de la mise en concurrence.

Politiquement, il est réjouissant que tous les groupes politiques se rallient au refus de cette directive, refus défendu depuis l’adoption de cette directive en 2014, alors que Jean-Luc Mélenchon était député européen. Tant mieux si les libéraux prennent peur devant les conséquences du dogme de la concurrence ! Tant mieux si le Rassemblement national, qui avait proposé en octobre une proposition de loi pour privatiser la propriété des barrages, se rallie désormais à cette proposition ! Tant mieux si, chez les collègues socialistes, les opposants à cette mise en concurrence ont fini par l’emporter sur la position du gouvernement de François Hollande à l’époque ! Cela permettra un vote unanime.

Il faut sortir l’électricité du marché et protéger les barrages de la privatisation. Ils doivent demeurer une propriété publique. Le gouvernement français doit faire de cette bataille la priorité numéro un de la France en matière d’énergie dans les négociations européennes. Les barrages ne sont pas une monnaie d’échange pour d’autres sujets. Le groupe de La France insoumise votera cette résolution avec conviction.

M. Philippe Bolo, co-rapporteur. Oui, nos barrages ne sont pas à vendre, et merci de vous joindre à cet élan commun qui milite en ce sens ! Je partage l’idée que c’est la première énergie renouvelable, une énergie décarbonée, pilotable et indispensable à l’équilibre du réseau. Elle permet aussi de satisfaire un certain nombre d’usages, tels que la navigation, l’irrigation, l’acheminement en eau potable, et la protection de la biodiversité avec le soutien d’étiage notamment. Au motif des principes d’accès au marché, les obligations de transparence et d’ouverture à la concurrence pourraient être envisagées de manière différente.

En effet, la gestion de l’eau dépend d’une organisation via un régime hydrographique, d’un climat qui apporte ou non de la pluviométrie, de la situation géographique et topographique et de la présence ou l’absence de montagne. L’homme a aménagé un certain nombre de cours d’eau et mis en place des infrastructures de production hydroélectrique. Ces sujets doivent être compris sous les prismes de la géographie et de l’histoire. L’enjeu est de pouvoir relancer les investissements indispensables à la préservation du climat et à la production d’une énergie abordable pour nos entreprises et pour l’ensemble des Français.

Mme Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteure. Je ne peux pas vous laisser, Monsieur Tavel, dire que vous étiez les seuls à vous battre contre cette mise en concurrence. J’ai moi-même par le passé rédiger des rapports et mené des combats sur ce sujet un peu toute seule d’ailleurs. Je n’ai jamais abandonné, et je suis satisfaite que ce combat afin de ne pas mettre en concurrence nos centrales hydroélectriques rassemble au fil du temps de plus en plus de monde. Il faut se réjouir de cette union collective, assez rare de nos jours, et continuer ensemble ce combat pour définitivement sortir de ce contentieux.

Mme Marietta Karamanli (SOC). Je partage ce qui vient d’être dit. Je connais l’engagement de Marie-Noëlle Battistel et celui d’autres collègues sur ces questions. Notre groupe ne peut qu’être à vos côtés et soutenir cette initiative. Vous l’avez rappelé, l’Europe est leader en termes de capacité hydroélectrique. La portée de cette proposition de résolution est d’autant plus significative qu’elle touche à la souveraineté énergétique et à la décarbonation de notre pays.

L’hydroélectricité est renouvelable et peu coûteuse, et représente aujourd’hui 11 % de l’électricité produite en France. Elle est à ce titre la première source d’énergie renouvelable de notre pays et donc un pilier fondamental de notre modèle énergétique. Premier producteur de l’UE, l’hexagone compte près de 340 concessions hydroélectriques, qui représentent plus de 90 % du total de la production hydroélectrique installée sur notre territoire. Ces concessions participent à la gestion durable des ressources en eau, tout en équilibrant notre système électrique, notamment grâce aux stations de transfert d’énergie par pompage. Enfin, la filière constitue un vecteur de développement pour de nombreux territoires.

Dans ce contexte, le groupe Socialistes et apparentés ne peut que s’inquiéter de la mise en concurrence de ces concessions imposées par la directive européenne. Fragmenter un secteur stratégique comme l’hydroélectricité et introduire des logiques de marché pourrait affecter l’équilibre entre les différents usages de l’eau, et serait particulièrement grave pour l’environnement et les usagers. Il y a aussi une erreur de raisonnement : croire qu’une logique financière avec des prix par prestation est gagnante à tous les coûts, alors qu’une logique économique de secteur avec des coûts environnementaux et sociaux s’avère plus rentable pour tous. La proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui rappelle à juste titre l’importance de préserver ce modèle de gestion publique de ces concessions hydroélectriques, pour protéger nos intérêts énergétiques, économiques et environnementaux.

Nous avions également deux questions. Alors que 61 % des concessions sont échues au 31 décembre, comment l’État français entend-il débloquer la situation ? Quelles initiatives va-t-il lancer pour convaincre la Commission européenne d’exclure les concessions ? Que pensez-vous de la stratégie pour développer des alliances entre États ayant les mêmes préoccupations au niveau européen ?

Mme Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteure. Effectivement, la résolution de ce problème favorisera très rapidement des investissements, tous les opérateurs nous l’ont certifié. Ils ont des projets prévus, qu’ils ne demandent qu’à pouvoir entreprendre, notamment les STEP, au vu de leurs atouts en matière de stockage et de flexibilité. Vous avez raison de dire que la concurrence n’entraîne pas forcément toujours des prix plus bas, surtout pour ce type d’équipement extrêmement contraint par la géographie et par les usages. C’est tout particulièrement le cas pour la ressource en eau, un bien commun qui n’est pas toujours très linéaire dans sa production et sans source de production extraordinaire qui permettrait à la concurrence de faire baisser significativement les prix.

Le gouvernement nous a assuré qu’il accorderait une attention toute particulière aux conclusions de la mission d’information et qu’il soutiendrait nos propositions en vue de porter auprès de la Commission européenne les différentes possibilités dans le cadre des négociations.

S’agissant des stratégies d’alliance, il faut savoir qu’à ce stade les autres pays ont résolu de manière temporaire leurs différends avec la Commission européenne. Certains ont commencé à mettre en concurrence un certain nombre d’ouvrages pour lever le contentieux, mais cela ne signifie pas qu’ils seraient défavorables à s’allier à nous. Donc si nous arrivons à sortir de ce contentieux, ces pays seront évidemment très attentifs à ne pas avoir à mettre en concurrence le reste de leurs installations. Il faudra donc mener un travail minutieux de contact avec les parlementaires de chacun de ces pays pour avoir le plus d’alliés possible dans la discussion européenne.

M. Gabriel Amard (LFI-NFP). Nous souscrivons a tout ce que vous avez dit, du fait de l’immense importance des barrages hydroélectriques, qui sont au carrefour des usages et des conflits d’usages.

Les prévisions du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) font entrevoir une baisse de débit de 30 % pour le Rhône d’ici à la fin du siècle. Cela fait peser de fortes inquiétudes, notamment pour les usages de l’agriculture, l’hydroélectricité, la pêche, le refroidissement des centrales nucléaires, mais également pour la population de la vallée du Rhône qui capte son eau potable dans les nappes d’accompagnement. Il est donc nécessaire de maîtriser la hiérarchisation dans les usages, et par conséquent les captages.

L’exemple de la Slovénie est un modèle à prendre comme référence. Au sommet de leur hiérarchie des normes, les Slovènes ont constitutionnalisé le droit à l’eau. Désormais, ils développent des politiques publiques pour vivre avec l’eau et pas contre l’eau. Cela les conduit à déplacer ou à refuser des sites d’activité en proximité des espaces dédiés à l’eau. Les inondations de 2023 les ont conduits à déplacer des quartiers plutôt que construire des digues. Les Slovènes ont employé un beau terme qui nous est commun à nous Les Insoumis et qui est de vouloir vivre en « harmonie » avec cet élément du vivant.

M. Philippe Bolo, co-rapporteur. Il y a des sans doute des usages de l’eau qui sont inconnus aujourd’hui, et qui trouveront peut-être leur existence dans les réservoirs hydroélectriques. Ces usages à venir représentent des enjeux qui, de notre point de vue, seront bien mieux servis par la puissance publique que par la puissance privée.

Aucun amendement n’ayant été déposé, la commission adopte l’article unique de la proposition de résolution européenne.

La proposition de résolution est par conséquent adoptée.

Mme Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteure. Ce travail va pouvoir nous permettre de continuer nos négociations et de sortir de ce contentieux pour permettre un avenir serein à cette filière d’excellence qu’est l’hydroélectricité, tout en ayant à l’esprit évidemment la préservation de notre ressource en eau.

M. Philippe Bolo, co-rapporteur. Le travail n’est certainement pas terminé, ce n’est qu’une étape qui est franchie aujourd’hui pour aboutir à la révision de cette directive européenne.

 

 


   PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88‑4 de la Constitution,

Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu les articles 49, 56, 102, 106 et 194 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution des contrats de concession,

Vu la directive 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE,

Vu le code de l’énergie,

Vu le code de l’environnement,

Vu le code de la commande publique,

Vu les procédures d’infraction en cours n° 2015/2187 et n° INFR(2018)2378 de la Commission européenne à l’encontre de la France,

Considérant l’évaluation engagée par la Commission européenne des trois directives européennes relatives à la commande publique et en particulier de la directive 2014/23/UE sur les contrats de concession ;

Considérant le consensus existant au niveau national pour préserver les ouvrages hydroélectriques de la mise en concurrence ;

Considérant que l’énergie hydroélectrique est une énergie décarbonée indispensable à la transition énergétique, à la sécurité d’approvisionnement et au bon équilibre du système électrique grâce à son caractère pilotable et flexible ;

Considérant les enjeux vitaux de la gestion de la ressource en eau, bien commun, et sa capacité de stockage pour satisfaire les différents usages, et la régulation des crues, enjeux amenés à s’intensifier avec les conséquences du réchauffement climatique ;

Considérant l’importance de la sûreté et de la sécurité des installations hydroélectriques sous concession pour les territoires et les bassins versants en aval, qui font de ces installations des actifs stratégiques pour le pays ;

Considérant le rôle des centrales hydroélectriques pour refroidir les centrales nucléaires et pour prévenir les risques d’inondation de celles‑ci ;

Considérant l’importance d’effectuer de nouveaux investissements dans le secteur hydroélectrique pour l’atteinte des objectifs de politique énergétique nationaux et européens en matière de développement des énergies renouvelables, de production et de stockage d’électricité ;

Considérant que l’ensemble de ces éléments justifient que la production d’énergie hydroélectrique ne soit pas soumise aux règles de droit commun de la concurrence au sein du marché intérieur européen ;

Invite le Gouvernement à défendre l’exclusion des concessions hydroélectriques du champ de la directive 2014/23/UE lors des travaux de révision de celle‑ci.

 

 

 

 

 


 

   liste des contributions Écrites

 

        Contributions écrites du Centre Européen de Recherche et de Documentation Parlementaires

        Contribution écrite de l’Ambassade de Suède

        Contribution écrite de l’Ambassade du Portugal

        Contribution de vos rapporteurs à la consultation de la Commission européenne sur la directive concessions

 


([1])  Ce chiffre couvre l’ensemble des installations de la petite et de la grande hydroélectricité. C’est cette dernière toutefois qui est visée dans la présente proposition européenne. Elle représente 20 % des installations mais 90 % de la puissance cumulée.

([2]) Ex : 2013 - rapport d’information sur l’hydroélectricité présenté par Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann ; 2018 - Communication de Mme Marie-Noëlle Battistel sur les conclusions du groupe de travail relatif aux concessions hydroélectrique ; 2024 : mission d’information en cours par M. Philippe Bolo et Mme Marie-Noëlle Battistel.

([3]) Ex : 2024 : rapport d’une commission d’enquête « Éclairer l'avenir : l'électricité aux horizons 2035 et 2050 » présenté par M. Franck Montaugé et M. Vincent Delahaye