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N° 1373

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 mai 2025.

 

 

 

RAPPORT

 

 

 

FAIT

 

 

 

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION de loi visant à lutter contre la mortalité infantile,

 

 

 

 

Par M. Paul-André COLOMBANI,

 

 

Député.

 

——

 

 

 

 

 

Voir le numéro : 1237.

 


 SOMMAIRE 

AVANT PROPOS

I. Une singularité française : la hausse préoccupante de la mortalité infantile

A. Quelles réalités recouvre la mortalité infantile ?

B. Une augmentation inquiétante, aux origines multiples et méconnues

1. Des chiffres en augmentation, contrairement à la tendance observée dans le reste de l’Union européenne

2. Des causes multifactorielles qui restent difficiles à établir avec précision

3. L’absence de registre de naissances et la méconnaissance du sujet

II. Une distance avec le lieu d’accouchement qui s’accroît, dans une crise plus globale de la périnatalité

A. Un mouvement de fermeture des petites maternités

B. Un éloignement de plus en plus marqué avec des conséquences incertaines pour la sécurité des soins

1. Une distance qui s’accroît

2. De nombreuses interrogations en matière d’accessibilité et de sécurité des soins

3. Les petites maternités jouent dans certains territoires un rôle incontournable

III. Une proposition de loi nécessaire pour améliorer la lutte contre la mortalité infantile et garantir l’accessibilité des soins

COMMENTAIRE des articles

Article 1er Création d’un registre national des naissances

Article 2 Obligation d’une évaluation préalable avant les décisions de retrait d’autorisation obstétrique et instauration d’états des lieux réalisés par les agences régionales de santé sur les petites maternités

Article 3 Formation continue aux gestes d’urgence obstétrique

Article 4 Compensation financière

TRAVAUX DE LA COMMISSION

ANNEXE  1 : Liste des personnes ENTENDUEs par le rapporteur

ANNEXE N° 2 : textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

 


   AVANT PROPOS

En France en 2024, 2 700 enfants de moins d’un an sont morts, ce qui représente environ 1 décès pour 250 naissances ([1]). Nul n’est besoin de souligner à quel point il s’agit là de drames terribles pour les familles et les équipes de soignants concernées. Depuis maintenant plus d’une décennie, le taux de mortalité infantile augmente en France, à rebours de la situation observée au niveau européen. Ces chiffres doivent donc sonner comme un signal d’alerte en matière de santé publique, dans un contexte de grave crise du secteur de la périnatalité, dénoncée par les professionnels de santé eux-mêmes.

Les indicateurs de la périnatalité se dégradent et, rapport après rapport, les mêmes constats sont dressés : le suivi statistique est lacunaire, la stratégie globale absente et le système actuel paie des années de restructuration des maternités effectuées de façon souvent chaotique, sans prendre en compte les enjeux du maillage territorial et sans proposer d’alternatives satisfaisantes aux parents lorsque les distances deviennent manifestement excessives. En cela, il est primordial de sortir d’une approche dogmatique : la sécurité des parturientes et des nourrissons doit constituer notre boussole.

Une stratégie nouvelle en matière de périnatalité est donc essentielle. Les acteurs entendus par le rapporteur – sociétés savantes, académies de médecine, représentants des petites maternités, journalistes, l’appellent tous de leurs vœux.

La présente proposition de loi n’a pas la prétention d’apporter à elle seule l’ensemble des réponses. Elle vise en revanche à répondre à plusieurs problèmes bien identifiés : l’amélioration des données disponibles, le soutien aux petites maternités qui jouent un rôle souvent crucial dans de nombreux territoires et l’amélioration de la formation continue des professionnels. Il s’agit ainsi de poser une première pierre à l’édifice, pour mieux protéger les parturientes et les nourrissons, et pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales de santé.

I.   Une singularité française : la hausse préoccupante de la mortalité infantile

A.   Quelles réalités recouvre la mortalité infantile ?

La mortalité infantile fait référence aux décès d’enfants qui surviennent jusqu’au 364ème jour de vie. On distingue la mortalité infantile de la mortinatalité, qui désigné les bébés mort-nés. Le taux de mortalité infantile, qui renseigne sur le nombre de cas de mortalité infantile rapporté au total des naissances, est un indicateur central de l’état de santé de la population « étant donné sa forte relation avec le développement socio-économique et la qualité des soins préventifs et curatifs existants dans le pays » ([2]).

Il convient de distinguer la mortalité néonatale précoce, lorsque le décès survient dans les six premiers jours de vie, la mortalité néonatale tardive, entre le 7ème et le 27ème jour de la vie de l’enfant et la mortalité post-natale, entre le 28ème et le 364ème jour de la vie de l’enfant. La mortalité néonatale précoce et tardive, soit la survenue du décès de l’enfant dans le premier mois de sa vie, représente aujourd’hui 75 % des décès infantiles. Dans le détail, un quart des décès infantiles ont lieu le jour de la naissance, la moitié entre les premier et vingt-septième jours de vie et le dernier quart dans la période post‑natale ([3]). Les enfants prématurés représentent 75 % de la mortalité néonatale ([4]).

B.   Une augmentation inquiétante, aux origines multiples et méconnues

1.   Des chiffres en augmentation, contrairement à la tendance observée dans le reste de l’Union européenne

En France en 2024, 2 700 enfants de moins d’un an sont morts, ce qui représente 4,1 décès pour mille enfants, soit environ 1 sur 250 ([5]).

Au cours du XXe siècle, le taux de mortalité infantile a fortement diminué sous l’effet de l’amélioration globale des soins (vaccination, antibiotiques, meilleure prise en charge des prématurés) et de la prévention. Au cours des dernières décennies, le taux de mortalité infantile a connu des évolutions non‑linéaires, avec une baisse importante entre 1993 à 1995 (– 25 % en deux ans), qui peut être attribuée selon l’Insee aux résultats des campagnes de prévention menées contre la mort subite du nourrisson. Entre 1995 et 2011, la mortalité infantile a continué de diminuer, mais plus lentement.

Après avoir baissé pendant plusieurs décennies toutefois, le taux de mortalité infantile augmente depuis 2011 ([6]), , année où il se situait à 3,5 ‰. Une singularité française, tandis que les autres pays de niveau de développement comparable continuent d’observer une diminution ou une stagnation de ce taux.

Une étude publiée dans la revue médicale The Lancet, en 2022, montrait que, depuis 2012, les morts de nourrissons de moins d’un an en France étaient en augmentation au rythme de 0,04 mort pour 1 000 naissances vivantes par an. En comparant les données par rapport à d’autres pays européens à économie similaire tels que la Suède et la Finlande, les chercheurs considéraient alors que la France connaissait un « excès » de 1 200 décès d’enfants de moins d’un an.

Le taux de mortalité infantile en Europe

Carte du taux de mortalité infantile en Europe en 2017. Description de la carte ci-dessous

Comme le rappelait la mission « flash » sur la mortalité infantile conduite par les députés Philippe Juvin et Anne Bergantz ([7]), en trente ans, la France est ainsi passée de septième à vingt-septième dans les classements établis par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en la matière. De même, alors qu’en 1990, la France était en tête du classement européen pour la survie des enfants, en 2022, elle chute aux 24e et 22e places respectivement pour les garçons et pour les filles, cette évolution traduisant principalement la dégradation de l’évolution du taux de mortalité infantile ([8]). Depuis 2015, la France enregistre un taux supérieur au taux moyen observé dans l’Union européenne, estimé à 3,3 ‰ en moyenne en 2023 ([9]).

2.   Des causes multifactorielles qui restent difficiles à établir avec précision

Les facteurs d’explication de la mortalité infantile et de son évolution en France sont multiples et restent mal identifiés, faute d’un appareil de suivi statistique complet. Les différents spécialistes avancent des causes multifactorielles, liées à l’évolution de l’état de santé des femmes, des déterminants socio-économiques, mais aussi aux enjeux sanitaires relatifs à la qualité et à l’organisation des soins.

Les chiffres montrent que l’essentiel des difficultés se concentre sur la mortalité néonatale, qui compte pour 75 % des décès. La hausse de la prématurité extrême est ainsi identifiée comme un facteur de risque important. Les naissances prématurées – 7 % environ du total des naissances – représentent environ 75 % des cas de mortalité néonatale. La France obtient globalement de moins bons résultats que ses voisins européens quant aux chances de survie des extrêmes prématurés ([10]). Mais la France rencontre aussi des difficultés plus importantes que ses voisins pour les grossesses à terme et les naissances à bas risque. Ainsi, comme l’ont montré les travaux de l’équipe EPOPée de l’Inserm, la surmortalité néonatale en France se manifeste à la fois dans les situations à bas risque et à haut risque.

Une récente enquête de l’Insee sur la mortalité infantile éclaire en partie les tendances récentes, mais elle reste nécessairement parcellaire puisque l’Insee dispose uniquement de données socio-économiques et n’étudie pas les causes médicales ou l’impact de l’organisation du système des soins. Cette étude montre que :

 les garçons sont 1,2 fois plus à risque que les filles et les enfants issus de grossesses multiples 5 fois plus que les autres ;

– les mères résidant dans les territoires ultramarins ainsi que celles nées en Afrique (hors Maghreb) ont deux fois plus de risque de perdre leur bébé. Selon l’Insee, cette tendance résulte de la précarité qui touche particulièrement ces populations. De surcroît, certaines pratiques à risque sont plus répandues dans les territoires ultramarins (à titre d’exemple : un enfant sur trois y dormait dans le lit de ses parents à l’âge de deux mois, contre un enfant sur dix en France métropolitaine). L’Insee relève également un suivi médical globalement moins bon pour les mères d’origine africaine ;

– le risque est aussi plus fort pour les mères très jeunes ou âgées. Chez les plus jeunes, un moins bon suivi des grossesses peut contribuer à accroître le risque. Quant aux mères plus âgées, elles sont davantage concernées par des pathologies préexistantes ainsi que par des complications au cours de la grossesse, des grossesses multiples et des anomalies congénitales ;

– les femmes issues de classes sociales défavorisées ont également davantage de risques de perdre leur enfant. Les conditions de travail de même que la consommation de tabac peuvent influer de façon importante. De même, le recours aux soins préventifs varie en fonction de la catégorie sociale, avec un moindre recours aux soins par les classes sociales défavorisées, conduisant à un taux d’hospitalisation prénatale supérieur pour les mères de milieu modeste ([11]).

Taux de mortalité infantile selon le sexe, le type d’accouchement
et les caractéristiques de la mère, de 2004 à 2022

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Source : INSEE Première n° 2048, avril 2025.

Parmi les pistes d’explication de la hausse du taux de mortalité infantile, des effets de structure tenant à l’origine des mères peuvent jouer, de même que les progrès de la médecine, qui permettent à des enfants qui seraient autrefois mort-nés, et donc non comptabilisés dans les naissances vivantes, de survivre quelques heures ou jours après la naissance. Ces facteurs sont toutefois loin d’épuiser l’ensemble des raisons à l’origine de la hausse observée. Ainsi, comme le résument l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), « l’augmentation de la mortalité dans le premier mois de vie, en tenant compte des évolutions conjointes de la mortinatalité, est vraisemblablement d’origine multi-factorielle, avec un effet conjugué des inégalités socio-territoriales, d’une réanimation plus systématique de nouveau-nés extrêmement prématurés, de l’augmentation de certains facteurs de risque des mères (obésité, etc.) et donc de comorbidités plus fréquentes (diabète, hypertension...). Cependant, une partie de ces évolutions ne sont pas propres à la France, et n’expliquent pas la particularité de notre pays dans l’augmentation de la mortalité néonatale » ([12]).

Les acteurs déplorent unanimement le manque d’études conduites pour analyser avec précision les causes de la hausse de la mortalité infantile et la situation française dégradée.

Comme le souligne l’Inserm, « il est primordial de pouvoir explorer en détail les causes de cette augmentation en disposant par exemple d’informations systématiques sur les circonstances médicales et sociales précises de ces décès et en faisant de cette population, qui est la plus vulnérable, une réelle priorité de recherche et de santé publique, ce qui n’est pas le cas actuellement » ([13]).

En particulier, les études qui permettraient de comprendre l’impact du système de l’offre de soins sur la mortalité infantile font défaut. Ainsi, les sociétés savantes dénoncent les difficultés d’accès aux soins, les tensions pesant sur les services du fait des difficultés de recrutement, la part croissante des intérimaires. La question de l’organisation géographique de l’offre de soins se pose également et la distance à parcourir peut entrer en ligne de compte.

3.   L’absence de registre de naissances et la méconnaissance du sujet

La difficulté à identifier les causes précises de la hausse de la mortalité infantile en France résulte de l’absence d’un outil d’analyse complet, reposant sur des données fiables et exhaustives, qui permettrait une surveillance et un pilotage pertinent en matière de périnatalité. Comprendre et agir pour limiter les causes des décès précoces suppose au préalable de disposer d’un instrument efficace.

La totalité des acteurs auditionnés par le rapporteur déplore la fragmentation des données disponibles en la matière, qui complique la conduite d’enquête de surveillance et l’analyse précise des causes de la mortalité infantile. Les différentes données existantes qui peuvent éclairer les causes de la mortalité infantile sont très insuffisamment exploitées, car fragmentées et non chaînées. Coexistent ainsi :

– les bulletins de naissance et de décès de l’état civil, transmis à l’Insee, qui ne comportent pas d’information médicale ;

 le système national des données de santé (SNDS), qui regroupe les informations du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), les consommations de soins de ville issues des informations de l’Assurance maladie et les données statistiques relatives aux causes de décès (BCMD) gérées par le CépiDc de l’Inserm. Les naissances à domicile restent aujourd’hui non disponibles dans le cadre du SNDS, comme l’a souligné l’Inserm au cours de son audition ;

 les certificats de santé de l’enfant du huitième jour.

Contrairement aux systèmes déployés dans de nombreux autres pays européens, la Suède et le Royaume-Uni étant régulièrement cités en exemple, la France se caractérise donc par l’absence d’un outil de pilotage à la hauteur des enjeux. Face à ce constat, de nombreux acteurs et rapports demandent la création d’un registre national des naissances.

II.   Une distance avec le lieu d’accouchement qui s’accroît, dans une crise plus globale de la périnatalité

A.   Un mouvement de fermeture des petites maternités

Les dernières années ont été marquées par un mouvement de concentration et de nombreuses fermetures de petites maternités, ayant pour conséquence un éloignement croissant des femmes de leurs lieux de suivi et d’accouchement, en particulier dans les territoires ruraux, isolés ou insulaires.

évolution du nombre de maternités depuis l’an 2000

 

Nombre de maternités au 31 décembre

Nombre de lits obstétriques
au 31 décembre

Nombre de communes ayant au moins une maternité
au 31 décembre

2000

721

20 172

542

2008

578

18 053

462

2009

569

18 057

454

2010

557

17 827

443

2011

550

17 763

439

2012

542

17 693

437

2013

535

17 412

433

2014

532

17 247

433

2015

520

16 693

422

2016

515

16 320

419

2017

500

15 821

409

2018

491

15 358

403

2019

481

15 057

394

2020

478

14 803

393

2021

471

14 603

391

2022

464

14 427

389

2023

457

14 051

385

Source : statistique annuelle des établissements (SAE), Drees.

Depuis 1995, 40 %des maternités ont fermé ([14]). Leur nombre est passé de 721 en l’an 2000 à 457 en 2023. Les petites structures ont été les plus touchées. Le nombre de maternité de type 1 a été divisé par trois. En parallèle, le nombre d’accouchements dans les structures de types 2 et 3 a augmenté, au risque de saturer les établissements.

Les typologies des maternités

Les deux décrets de périnatalité pris en 1998 ([15]), aujourd’hui codifiés dans le code de la santé publique, ont fixé quatre types de maternités, correspondant à des niveaux de spécialisation des soins :

– les maternités de type 1 possèdent un service d’obstétrique ;

– les maternités de type 2a disposent également d’un service de néonatalogie ;

– les maternités de type 2b possèdent des lits dédiés aux soins intensifs en néonatalogie ;

– les maternités de type 3 prennent en charge les grossesses à risque et disposent, en plus du service obstétrique et du service de néonatalogie, d’un service de réanimation néonatale.

La réduction du nombre de maternité s’est inscrite dans une volonté affichée d’améliorer la prise en charge des grands prématurés et les soins hospitaliers. Ainsi, les critères fixés par décrets en 1998 ont rehaussé les exigences et conduit à la fermeture des services non conformes. L’objectif était alors d’orienter les femmes vers les structures adaptées en fonction du niveau de risque de leur grossesse, dans un suivi prénatal précoce. Comme l’explique le récent rapport de l’Académie nationale de médecine ([16]), « les décrets de périnatalité de 1998 [...] visaient à sécuriser les conditions de la naissance ; ils ont eu un impact considérable sur les structures effectuant des accouchements qu’aucune mesure nouvelle n’avait encadrées depuis 1976 et face à des indicateurs de santé périnatale et maternelle qui étaient préoccupants. Avec l’établissement des parcours de soins de la grossesse, les principaux effets de ces décrets furent d’imposer des contraintes structurelles aux établissements. Ils ont aussi incité au transfert in utero des grossesses à haut risque vers des structures adaptées par la formalisation de 3 types de maternités [...] ». Certaines de ces petites maternités ont été transformées en centres périnatals de proximité.

De surcroît, ce mouvement de restructuration est aussi le reflet de contraintes financières accrues, en particulier dans le secteur privé.

La mise en œuvre des décrets « périnatalité » a eu pour conséquence la fermeture des petites maternités et l’augmentation des accouchements dans les maternités de type 2 et 3. Comme l’indique une note de la Drees, en 2020, 37 % des maternités métropolitaines accueillent au moins 1 500 accouchements dans l’année, contre 13 % en 1996. À l’opposé, 3 % d’entre elles prennent en charge moins de 300 accouchements dans l’année, alors que cette proportion était de 12 % en 1996 ([17]). Les petites maternités se situent majoritairement dans des départements montagneux (Hautes-Alpes, Savoie, Corse) ou ruraux (Ariège, Aveyron, Cantal, Corrèze, Dordogne). Comme le souligne l’Académie nationale de médecine, « cette redistribution a abouti, à ce jour, à la fermeture de plus de 40 % des maternités de type 1 sur 20 ans, et ce mouvement se poursuit d’une façon chaotique imposée par le manque de moyens humains parmi les professionnels ».

Évolution de la typologie des maternités entre 2000 et 2020

Source : Planification d’une politique en matière de périnatalité en France : organiser la continuité des soins est une nécessité et une urgence, Académie nationale de médecine, 2023.

C’est aussi avec les décrets de 1998 qu’a été instaurée la règle selon laquelle l’autorisation d’obstétrique ne peut être accordée ou renouvelée que si l’établissement justifie d’une activité minimale de 300 accouchements par an. Une dérogation exceptionnelle est certes prévue « lorsque l’éloignement des établissements pratiquant l’obstétrique impose des temps de trajet excessifs à une partie significative de la population » (dispositions codifiées à l’article R. 6123-50 du code de la santé publique). Ce seuil de 300 accouchements avait à l’époque été fixé sur les recommandations du Haut Comité de santé publique qui avait considéré la sécurité insuffisamment assurée dans les maternités effectuant moins de 300 accouchements par an.

En 2023, 23 maternités ont pratiqué moins de 300 accouchements, représentant 0,7 % des accouchements de l’année. Ces chiffres sont en légère hausse par rapport aux années précédentes (14 maternités et 0,4 % des naissances en 2019). 205 maternités ont pratiqué moins de 1 000 accouchements, soit 18,7 % des accouchements de l’année ([18]).

B.   Un éloignement de plus en plus marqué avec des conséquences incertaines pour la sécurité des soins

1.   Une distance qui s’accroît

La réduction du nombre de maternités s’est accompagnée d’une augmentation considérable des distances à parcourir pour accoucher dans certains territoires.

Comme le montre une étude de la Drees, le temps d’accès médian n’a que très faiblement augmenté, en passant de 8 à 9 minutes entre 2000 et 2017. Cette médiane masque de très importantes disparités territoriales ([19]). En moyenne, la part des femmes en âge de procréer vivant à plus de 30 minutes d’une maternité est passée de 5,7 % à 7,6 %, ce qui représente environ 900 000 femmes, et celles à plus de 45 minutes de 0,8 % à 1,14 %, soit une augmentation de 40 % ([20]).

Dans de nombreux départements, plus de 10 % des femmes en âge de procréer vivent désormais à plus de 45 minutes d’une maternité. Ce taux dépasse 20 % en Haute-Corse, dans le Lot et à Mayotte.

Part des femmes en âge de procréer
vivant à plus de 45 Minutes d’une maternité en 2017

Source : Mission d’information sénatoriale sur l’avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale, 2024.

L’étude de la Drees pointe également une forte dégradation de l’accessibilité dans certains territoires, en particulier dans le Lot, la Nièvre et le Cantal. Ainsi, dans le Lot, le pourcentage des femmes en âge de procréer résidant à plus de 45 minutes d’une maternité passe de 6 % en 2000 à 24 % en 2017, à la suite de la fermeture de trois des quatre maternités qui existaient en 2000. Dans la Nièvre, 16 % des femmes habitent à plus de 45 minutes d’une maternité, contre seulement 3 % en 2000, deux des quatre maternités en activité en 2000 ayant fermé entre-temps. Dans le Cantal, la part des femmes résidant à plus de 45 minutes d’un établissement passe de 3 % à 13 %, en raison de la fermeture de deux maternités. Dans d’autres départements, comme la Corrèze, ce sont les fermetures de maternités aux frontières du département qui dégradent l’accessibilité ([21]). En Corse, une femme sur quatre habite à plus de 45 minutes d’une maternité, et 18,1 % à plus d’une heure ([22]).

2.   De nombreuses interrogations en matière d’accessibilité et de sécurité des soins

Force est de constater que la recomposition du maillage territorial des maternités s’est faite au détriment de certains territoires et que la question de la distance et des spécificités locales a été très insuffisamment prise en compte. Les données de la littérature scientifique ne paraissent pas fournir de résultat clair entre la relation volume (nombre d’accouchements pratiqués) et résultats (sécurité et qualité des soins), de même que l’impact de la distance reste aussi très insuffisamment documenté. Néanmoins, de nombreux acteurs s’accordent pour reconnaître qu’une distance excessive entraîne des risques pour la sécurité des mères et des nouveau‑nés. L’accessibilité géographique constitue dès lors un enjeu majeur du point de vue de l’égalité des chances en matière de santé.

Le récent rapport de l’Académie nationale de médecine cite une étude nationale, exploitant les données du PMSI entre 2012 et 2014, qui montre un taux d’accouchements hors d’une maternité involontaire de 3 pour 1 000 naissances, corrélé au temps de trajet vers une maternité. « Ces situations étaient associées avec une issue néonatale et maternelle plus péjorative. » Selon la direction générale de l’offre de soins (DGOS) citée dans le rapport du Sénat déjà mentionné « le seuil de 30 à 45 minutes est un niveau à partir duquel les acteurs s’accordent, au regard des données de la littérature, à reconnaître une augmentation associée du risque de mortalité périnatale » ([23]).

Une étude parue en 2013 dans le journal de gestion et d’économie médicales, conduite sur le territoire bourguignon, indique que, « pour les grossesses uniques, il existe une liaison positive et significative entre les facteurs de risque de mortalité et de morbidité périnatale que sont les taux de LAM, les anomalies du rythme cardiaque fœtal et le temps d’accès à la maternité la plus proche ».

Extrait de l’étude « Temps d’accès aux maternités bourguignonnes
et indicateurs de santé périnatale »

« On sait de longue date qu’une des causes de morbi-mortalité maternelle ou périnatale est le retard à la prise en charge des urgences obstétricales lors de l’accouchement, retard auquel participent les temps de trajet qui peuvent être importants même dans les pays industrialisés.

« Toutefois, alors que l’impact des temps de trajet sur les résultats de santé a fait l’objet de nombreuses recherches concernant les urgences, qu’elles soient traumatiques, cardiologiques ou neurovasculaires, celui-ci a rarement été étudié comme facteur de risque dans le domaine de l’obstétrique, bien que les urgences obstétricales vitales ne soient pas rares et que le début du travail spontané de l’accouchement soit imprévisible. Par ailleurs, les résultats des études réalisées dans les pays industrialisés sont contradictoires. Pour certains auteurs, il n’existe pas d’association statistique entre le temps de trajet et le taux d’accidents périnatals, pour d’autres, le temps d’accès à la maternité est associé à une augmentation des risques perpartum et néonatal de mortalité et de morbidité.

« Pour les taux de mortinatalité et de mortalité périnatale, aucun des odds-ratios non ajustés n’est significatif bien que le taux brut de mortinatalité passe de 0,46 % chez les femmes à moins de 16 minutes d’une maternité à 0,86 % chez celles à plus de 45 minutes et que ces taux soient régulièrement croissants au fur et à mesure que le temps s’allonge. On enregistre des résultats similaires pour les taux de mortalité périnatale qui passent de 0,64 % pour la classe 16 – 30 minutes à 1,07 % pour des temps supérieurs à 45 minutes. Cette absence de signification des odds-ratios est à mettre en relation avec la faiblesse des effectifs dans la classe 46 minutes et plus.

« Notre étude montre qu’en Bourgogne, pour les grossesses uniques, il existe une liaison positive et significative entre les facteurs de risque de mortalité et de morbidité périnatale que sont les taux de LAM, les anomalies du RCF et le temps d’accès à la maternité la plus proche. Ces associations persistent après ajustement sur les facteurs de risque individuels des mères et certaines caractéristiques de l’environnement.

« Ces liaisons statistiques significatives mises en évidence dans notre étude suggèrent que pour les urgences obstétricales, comme pour les autres urgences à début inopiné, le temps de latence à la prise en charge médicale est un facteur important du pronostic.

« Nos résultats sont cohérents avec ceux trouvés tant en France que dans de nombreuses études internationales. Ainsi, concernant la mortalité, ils sont comparables à ceux publiés par Ravelli qui montrent qu’aux Pays-Bas un temps de transport supérieur à 20 minutes augmente le risque de mortinatalité et d’accidents de la naissance. Ils concordent également avec ceux de divers travaux qui comparent les taux de mortalité et de morbidité périnatales en secteur rural et en secteur urbain. Toutefois nos conclusions divergent de celles des études de Parker et de Dummer menées dans la province de Cumbria (UK) pour la période 1950 à 1993.

« Nos résultats devront toutefois être confirmés et précisés, tant en Bourgogne que dans d’autres régions, par des études menées sur une période plus longue, afin d’augmenter les effectifs, pour pouvoir étudier les conséquences en période néonatale et à plus long terme de l’allongement des temps de trajet à la maternité la plus proche. »

Source : Journal de Gestion et d’Économie Médicales, 2013, Vol. 31, n° 6.

Cette étude montre un lien entre distance et facteurs de risque, bien que certains des résultats obtenus ne soient pas significatifs en raison de l’échantillon retenu.

Une thèse de doctorat récente suggère également une augmentation de la prévalence de morbi-mortalité néonatale en cas de temps de trajet à la maternité supérieur à 30 minutes ([24]).

Notons que pour les grossesses à bas risque, des évènements indésirables peuvent se produire sans que ceux-ci ne puissent être repérés en amont et sans orientation préalable de la parturiente vers une maternité de type 2 ou 3, ce qui rend le temps de trajet d’autant plus crucial.

3.   Les petites maternités jouent dans certains territoires un rôle incontournable

Les petites maternités jouent un rôle central dans de nombreux territoires, en matière d’accessibilité et de sécurité des soins. Mais, comme de nombreux récents rapports l’ont montré, elles peuvent atteindre aujourd’hui un niveau de fragilité susceptible de porter atteinte à la sécurité de la parturiente et des nourrissons. En particulier, ces établissements sont, plus que d’autres, confrontés à des difficultés majeures de ressources humaines, qui peuvent mettre en péril la qualité des soins et la triple permanence des soins en obstétrique, pédiatrie et anesthésie. En conséquence, celles‑ci recourent plus que la moyenne à l’intérim, qui peut contribuer à la dégradation de la qualité des soins. Ces difficultés ne se limitent d’ailleurs pas aux maternités de moins de 300 accouchements : 91 % des maternités de moins de 1 000 accouchements font part de tensions de recrutement ([25]).

Il peut devenir inévitable de fermer certaines structures quand la sécurité des parturientes est compromise. Mais dans le cas où une fermeture entraîne un accroissement excessif de la distance qui sépare les femmes d’un territoire à la maternité la plus proche, il est essentiel de maintenir la petite maternité en veillant à lui attribuer les moyens nécessaires à son bon fonctionnement et à la sécurité et à la qualité des soins. La fermeture ne peut être présentée comme la seule solution possible, qui plus est dans un contexte où les moyens déployés pour assurer le transport en cas d’urgence sont souvent loin d’être à la hauteur et où les dispositifs d’accueil hôteliers à proximité de la maternité (dispositif « engagement maternité ») ne rencontrent pas pour l’heure le succès escompté. À cet égard, le rapporteur souligne que l’Académie nationale de médecine a rappelé au cours de son audition que le coût de fonctionnement d’une maternité effectuant moins de 500 accouchements correspond au financement d’un hélicoptère. En outre, certains modèles mis en avant pour justifier la réduction du nombre de maternités, comme la Suède, présentent des taux d’encadrement médicaux très supérieurs au nôtre, avec notamment un ratio d’une sage-femme par parturiente, ce qui est loin du cas français.

Auditionnées par le rapporteur, les petites maternités sont aujourd’hui inquiètes pour leur avenir. Les menaces de fermeture déstabilisent les équipes et aggravent les difficultés d’attractivité. Les médecins qui y exercent voient dans la possibilité de leur fermeture un vrai risque pour la sécurité des patientes. Ainsi, pour le docteur Bouby, gynécologue obstétricien à la maternité d’Ussel, « en supprimant les structures moins sécures « a priori » on va entraîner davantage d’accouchements à domicile, dans les transports voire dans des structures mieux équipées certes mais avec des retards de prise en charge préjudiciables ». Les fermetures non anticipées des petites maternités ont des conséquences néfastes sur le territoire et pour les maternités de plus grande taille les plus proches, qui doivent prendre en charge des patientes qu’elles ne suivaient pas initialement et qui sont redirigés vers elles. Ainsi, comme le résument la société française de médecine périnatale (SFMP) et le collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) dans leur contribution écrite : « Que se passe-t-il lorsqu’une maternité ferme ? Les ARS se contentent de répercuter l’activité sur d’autres établissements sans évaluer et renforcer les moyens nécessaires à cette augmentation d’activité. Comme il n’y a aucune réflexion sur le maillage territorial, les inégalités entre territoires se creusent et certains se retrouvent en situation de "désert périnatal » ([26]).

Les petites maternités font également part de bonnes pratiques qui pourraient conduire à accroître la sécurité des patientes en leur sein, telles que le travail en réseau pouvant être facilité par les groupements hospitaliers de territoire (GHT) et les fédérations médicales inter-hospitalières (FMIH), qui peut permettre une sécurisation des filières et un renforcement de l’attractivité des postes, en développant la coopération inter-établissement.

Le soutien aux petites maternités est essentiel. Elles ne sont pas forcément synonymes d’insécurité, à condition que des moyens pour les soutenir soient effectivement déployés. Plusieurs pistes sont envisageables comme le développement de la formation des personnels aux gestes d’urgence, le décloisonnement entre la médecine libérale et la médecine hospitalière, la diversification des tâches des médecins et professionnels de santé exerçant dans ces petites maternités. Ces évolutions sont nécessaires pour garantir un avenir aux petites maternités dans les territoires où elles jouent un rôle clef en matière d’accessibilité des soins et de sécurité des patientes.

Le rapporteur estime donc primordial de garantir une approche au cas par cas plutôt que l’application de seuils déconnectés des réalités de terrain. Parfois présenté comme un équilibre entre accessibilité et sécurité, le rapporteur tient à souligner que l’enjeu purement sécuritaire peut dans plusieurs cas de figure pleinement justifier le maintien d’une petite maternité, lorsque sa fermeture aboutirait à des temps de trajets très excessifs. Il est essentiel de sortir d’une approche dogmatique : la seule boussole doit être la sécurité des parturientes et des nourrissons. Pour cela, des audits doivent être conduits, territoire par territoire, pour forger une connaissance claire des besoins, des caractéristiques socio-économiques et des spécificités géographiques. En particulier, comme le rappelait le Sénat dans le rapport précité, l’éloignement ou l’insularité ne créent pas les mêmes contraintes et appellent des réponses adaptées. Le Sénat soulignait ainsi que « dans certains cas, le maintien de structures ne remplissant pas l’ensemble des critères optimaux répond à un impératif de présence territoriale minimale ([27]) ».

S’il est fondamental de garantir la sécurité des accouchements et du suivi périnatal dans les petites maternités, la situation doit être examinée territoire par territoire. La fermeture de maternités sans que des solutions d’ampleur soient déployées pour effectivement assurer la sécurité des patientes, et les transferts vers les maternités les plus proches, doivent absolument être évités.

III.   Une proposition de loi nécessaire pour améliorer la lutte contre la mortalité infantile et garantir l’accessibilité des soins

La lutte contre la mortalité infantile nécessite une refonte globale de la stratégie de périnatalité, que les professionnels de santé appellent aujourd’hui de leurs vœux.

La présente proposition de loi ne prétend pas à elle seule répondre à cette problématique, mais elle fait le choix de traiter prioritairement la question de l’accès aux soins et de l’organisation territoriale des soins.

Ainsi, l’article 1er crée un registre national des naissances afin d’améliorer notre compréhension des causes de la mortalité infantile. Il s’agit d’un préalable indispensable pour bâtir une nouvelle stratégie périnatale, en identifiant clairement les facteurs de risque pour agir efficacement et lutter contre l’ensemble des décès évitables, qui demeurent encore bien trop nombreux.

L’article 2 sécurise les maternités de moins de 300 accouchements par an et améliore la connaissance précise des besoins des territoires. Il s’agit ainsi de prémunir les petites maternités contre les retraits d’autorisation obstétrique, sauf si l’urgence tenant à la sécurité des parturientes le nécessite. Le rapporteur estime urgent de pérenniser les petites maternités dont beaucoup jouent un rôle clef pour garantir sur les territoires l’accessibilité des soins. En parallèle, l’article 2 prévoit la mise en place d’audit par les ARS, afin d’identifier clairement les besoins. Il s’agit là d’un élément central, l’autorisation obstétrique devant reposer sur une évaluation fine des besoins du territoire et non sur l’application d’un seuil arbitraire.

Enfin, l’article 3 renforce la formation continue des professionnels de santé aux gestes d’urgence en matière périnatale.

Ces trois articles peuvent servir de premières pierres à l’édifice d’une nouvelle stratégie en matière de périnatalité, alors que le secteur est traversé par une crise profonde. Le rapporteur appelle globalement les pouvoir publics à reprendre le travail en la matière. La révision des décrets de 1998 est considérée indispensable par l’ensemble des acteurs entendus par le rapporteur. La création d’une nouvelle commission nationale de la naissance – la précédente ayant été dissoute il y a des années – serait tout à fait souhaitable pour un pilotage efficace de la nouvelle stratégie.

Les chantiers à ouvrir sont nombreux et un certain nombre d’entre eux font écho au travail conduit dans le cadre des assises de la pédiatrie. La prévention, les moyens de la PMI, l’amélioration des parcours de soins des femmes, mais aussi la qualité des soins sont des enjeux fondamentaux. Il est en particulier urgent de répondre aux difficultés dénoncées par la société française de néonatologie pour ce qui concerne les soins critiques de néonatologie, dans un contexte où 23 % des services déclarent refuser régulièrement des entrées critiques en raison d’un manque de places ([28]). Les maternités locales, petites ou grandes, doivent pouvoir transférer immédiatement les nouveau-nés en détresse vitale, ou leur mère avant une menace d’accouchement prématuré. Si le service de réanimation néonatale ne peut les accueillir, les conséquences touchent d’abord les territoires périphériques, souvent moins dotés en alternatives.


   COMMENTAIRE des articles

Adopté par la commission avec modifications

L’article 1er de la proposition de loi crée un registre national des naissances en élargissant le périmètre du système national des données de santé.

  1.   Le droit en vigueur
    1.   Le système national des données de santé

L’article L. 1461‑1 du code de la santé publique détaille les informations rassemblées et mises à disposition dans le cadre du système national des données de santé (SNDS). Créé par la loi n° 2016‑41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, le SNDS est géré par la caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) dans l’objectif de garantir le chaînage entre plusieurs systèmes de données touchant au domaine de la santé, dont les données de l’assurance maladie (base Sniiram), les données des hôpitaux (base PMSI), celles relatives aux causes médicales de décès (base du CépiDC de l’Inserm), les données relatives au handicap et des échantillons de données en provenance des organismes d’assurance maladie complémentaire.

Le périmètre du SNDS s’est élargi à l’occasion de la loi  2019774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé à de nouvelles catégories de données, dont les enquêtes conduites dans le domaine de la santé, les résultats de biologie médicale, de radiologie et les données de protection maternelle et infantile.

Le SNDS doit mettre à disposition ces données pour favoriser les études, recherches et évaluation avec un caractère d’intérêt public, en lien avec la santé. Il permet un appariement des données pseudonymisées, pour permettre notamment le suivi d’un individu et la poursuite d’études longitudinales.

Conformément au décret n° 2021‑848 du 29 juin 2021, plusieurs organismes bénéficient d’accès permanents à tout ou partie du SNDS pour leurs missions de service public. En complément, toute personne peut depuis fin 2016 accéder aux données du SNDS sur autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), dès lors que la demande présente un intérêt public en lien avec les questions de santé.

  1.   l’absence de registre national des naissances

En l’état actuel, les recherches conduites sur les causes de la hausse de la mortalité infantile sont freinées en raison de la fragmentation des données existantes :

– les bulletins de naissance et de décès de l’état civil qui relèvent de l’Insee ;

– les données regroupées dans le SNDS ;

– les certificats de santé de l’enfant du huitième jour, dont la mise en œuvre est très disparate.

Une enquête nationale périnatale est conduite tous les cinq ans. Bien qu’elle comporte des informations précieuses, elle ne peut constituer un outil permettant à lui seul d’éclairer le pilotage des politiques de santé à conduire.

Dans d’autres pays européens, l’appareil statistique en matière de santé périnatale est bien plus performant. Ainsi, dans son rapport thématique sur la politique publique de périnatalité de 2024, la Cour des comptes souligne « qu’en Suède et au Danemark, des registres médicaux nationaux des naissances ont été créés en 1973 et contiennent des données presque exhaustives sur les accouchements intervenus dans ces pays. À partir des dossiers médicaux de suivi des soins prénatals, de l’accouchement et des prises en charge néonatales, le registre suédois comporte ainsi non seulement le poids du nourrisson à la naissance, le mode d’accouchement et le diagnostic maternel lors de celui-ci, mais aussi la consommation de tabac et de médicaments de la mère, ainsi que les diagnostics précédant la grossesse. »

Forts de ce constat, plusieurs rapports récents pointent la nécessité de créer un registre national des naissances :

– la mission « flash » précitée sur la mortalité infantile conduite par les députés Philippe Juvin et Anne Bergantz proposait l’instauration d’un tel registre pour comprendre et prévenir la mortalité infantile ;

– le rapport du Sénat susmentionné recommande aussi la création d’un tel registre des naissances et de la mortalité néonatale. Les sénateurs appellent également à soutenir l’appariement de l’ensemble des bases de données donnant accès à des informations détaillées sur la mère et l’enfant pendant la grossesse, l’accouchement et la période prénatale ;

– la Cour des comptes suggère la constitution d’un registre des naissances fondé sur le SNDS. Elle relève à ce titre que le SNDS « couvre d’ores et déjà presque exhaustivement la population et permet le chaînage des différentes sources de données qu’il enregistre, de même que leur appariement avec des sources externes telles que des enquêtes épidémiologiques ».

La Cour appelait ainsi à compléter et fiabiliser le contenu du SNDS, en élargissant le cadre défini à l’article L. 1461‑1 du code de la santé publique. Plus précisément, l’intégration des bulletins de naissances collectés par l’Insee est identifiée comme utile, notamment pour garantir l’exhaustivité des enregistrements des naissances – y compris celles qui interviennent à domicile – et recueillir des informations sur les caractéristiques socio-économiques des parents, de même que les certificats de santé de l’enfant.

Cette recommandation est aussi formulée par le rapport rendu dans le cadre des assises de la pédiatrie, qui appelle à « créer un registre des naissances à partir des données déjà disponibles mais non connectées entre elles en y associant des informations médico-socio-économiques » ([29]).

  1.   les dispositions de la proposition de loi

L’article 1er de la présente proposition de loi a pour objectif de créer ce registre national des naissances en lui donnant une assise légale.

Ainsi, l’article propose un élargissement du périmètre du SNDS afin d’y inclure les bulletins d’état civil et les certificats de santé de l’enfant, conformément aux recommandations de la Cour des comptes (alinéas 1 à 5).

Il est également précisé que le SNDS contribue à la mise en œuvre du registre national des naissances (alinéas 6 et 7).

Il s’agit là d’une étape incontournable pour renforcer la lutte contre la mortalité infantile et mieux piloter les politiques de santé périnatale. Le rapporteur se félicite des récentes annonces formulées par la ministre Catherine Vautrin sur ce sujet. La ministre a ainsi acté la création d’un tel registre ([30]) . Auditionnées par le rapporteur, les administrations ont confirmé cette impulsion nouvelle et la Drees recrute actuellement un chargé de mission sur la question.

Le présent article offre une base légale utile à la création du registre. Le rapporteur souligne l’importance de le mettre en place rapidement, et ceci dans le cadre d’une gouvernance partagée réunissant l’ensemble des parties prenantes.

  1.   les modifications apportées en commission

La commission des affaires sociales a adopté à l’unanimité le présent article, modifié par trois amendements AS27, AS28 et AS29 du rapporteur.

Outre l’amendement AS28 de portée rédactionnelle, l’amendement AS27 apporte une clarification juridique en proposant une nouvelle rédaction de l’alinéa 5 qui porte la mention des bulletins d’état civil. Ces derniers n’ayant qu’une existence réglementaire, il n’est pas opportun de les citer expressément dans la loi. De plus, comme cela a été souligné par la Drees et l’Insee lors des auditions, il faut évoquer la question de l’appariement afin d’éviter que les autres cas d’usage des bulletins d’état civil soient couverts par les exigences de sécurité et d’accès du SNDS.

L’amendement AS29 prévoit une entrée en vigueur du présent article au plus tard au 1er janvier 2026 (III). L’objectif est de mettre en application dès que possible le registre national des naissances, attendu de longue date. L’amendement apporte également une coordination juridique à l’article L. 1451‑6 du code de la santé publique, portant sur les traitements des données à caractère personnel dans le domaine de la santé (II).

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Article 2
Obligation d’une évaluation préalable avant les décisions de retrait d’autorisation obstétrique et instauration d’états des lieux réalisés par les agences régionales de santé sur les petites maternités

Adopté par la commission avec modifications

Dans sa version initiale, l’article 2 instaure, pendant une durée de trois ans, un principe de suspension de la possibilité de retirer l’autorisation obstétrique aux maternités pratiquant moins de 300 accouchements par an, sauf cas d’urgence tenant à la sécurité des patients.

Pendant cette période, l’article confie aux ARS le soin d’effectuer des états des lieux territoriaux pour évaluer l’accessibilité, la qualité et la sécurité des soins au sein de ces établissements. Un rapport d’évaluation devra être remis au Parlement.

Cet article a été substantiellement modifié lors de son passage en commission : le principe de suspension a été remplacé par celui d’une évaluation préalable obligatoire avant décision de retrait de l’autorisation.

  1.   Le droit en vigueur

L’article L. 6122‑1 du code de la santé publique pose un principe général d’autorisation par l’agence régionale de santé (ARS) des projets relatifs à la création de tout établissement de santé. Les règles applicables pour les autorisations des activités obstétriques, de néonatalogie et de réanimation néonatale sont précisées par voie réglementaire. Ces règles résultent des grands principes posés en 1998 par deux décrets relatifs à la périnatalité ([31]) aujourd’hui codifiés dans le code de la santé publique. Leur instauration visait à renforcer la sécurité des parturientes et des nourrissons, comme il est détaillé dans la première partie du présent rapport. Les articles R. 6123‑39 à R. 6123‑53 dudit code posent ainsi les grandes règles applicables en fonction du type de maternité (1, 2a, 2b ou 3). Les articles D. 6124‑35 à D. 6124‑63 du même code édictent quant à eux les règles relatives aux conditions techniques de fonctionnement du point de vue des activités de soins. Ces règles varient en fonction du nombre de naissances annuelles.

La délivrance ou le renouvellement de l’autorisation obstétrique repose sur le fait que les critères nécessaires au bon fonctionnement des maternités, selon leur typologie et le nombre de naissances, sont bien remplis. Des suspensions temporaires sont possibles, dès lors que les conditions de fonctionnement des maternités ne sont plus conformes. Les établissements qui ne sont plus autorisés à pratiquer l’obstétrique peuvent continuer à exercer des activités prénatales et postnatales sous l’appellation de centre périnatal de proximité, en bénéficiant par convention du concours d’un établissement de santé pratiquant l’obstétrique.

Concernant plus spécifiquement les maternités de moins de 300 accouchements, l’article R. 6123‑50 du code de la santé publique prévoit que « l’autorisation d’obstétrique ne peut être accordée ou renouvelée [...] que si l’établissement justifie d’une activité minimale annuelle constatée, ou prévisionnelle en cas de demande de création, de 300 accouchements ». Néanmoins, cette autorisation peut être « exceptionnellement être accordée à titre dérogatoire lorsque l’éloignement des établissements pratiquant l’obstétrique impose des temps de trajet excessifs à une partie significative de la population ».

L’application de ces règles a conduit à une restructuration très importante des maternités en France, avec un fort mouvement de concentration. Leur nombre a été considérablement réduit. Ainsi, environ 3 % des maternités prennent en charge moins de 300 accouchements dans l’année, alors que cette proportion était de 12 % en 1996 ([32]).

Vingt-trois maternités continuent aujourd’hui d’effectuer moins de 300 accouchements par an ([33]), grâce à la dérogation rendue possible par l’article R. 6123‑50. Néanmoins, cette règle continue de placer les structures correspondantes dans une situation d’insécurité juridique majeure, qui peut accroitre leurs difficultés, notamment en termes d’attractivité. Cela est d’autant moins justifié que plusieurs d’entre elles occupent une place essentielle dans les territoires. Leur suppression pourrait engendrer une aggravation significative des distances entre les parturientes et leurs maternités, entraînant des difficultés de prise en charge. À titre d’exemple, la fermeture de la maternité de type 1 de Porto-Vecchio, qui pratique moins de 300 accouchements par an, imposerait mécaniquement aux femmes du territoire un temps de trajet de l’ordre de deux heures pour rallier la maternité la plus proche.

  1.   les dispositions de la proposition de loi

L’article 2 prévoit un moratoire de trois ans sur le maintien des activités obstétriques dans les maternités pratiquant moins de 300 accouchements par an. Pour trois ans, aucune activité obstétrique ne peut donc voir son autorisation retirée ou remise en cause, sauf cas d’urgence relative à la sécurité des patients (I, alinéa 1). Il s’agit en quelque sorte d’une inversion de la logique des décrets de 1998, qui prévoient par principe le refus d’autorisation obstétrique pour les maternités de moins de 300 accouchements, avec dérogation exceptionnelle en cas de distance excessive.

Pendant ces trois ans, les ARS dresseront un état des lieux pour l’ensemble des établissements pratiquant moins de 300 accouchements par an, dans l’objectif d’évaluer l’accessibilité, la qualité et la sécurité des soins, ainsi que les conditions de travail des professionnels de santé (II, alinéa 2).

Dans un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport d’évaluation synthétisant les retours des ARS. Des recommandations seront formulées afin de garantir la pérennité des établissements, notamment en termes de moyens humains et financiers (III, alinéa 3).

  1.   les modifications apportées en commission

La commission des affaires sociales a adopté malgré l’avis défavorable du rapporteur l’amendement AS11 de M. Jean-François Rousset et plusieurs de ses collègues du groupe Ensemble pour la République. Il réécrit le I, supprimant le principe d’un moratoire et le remplaçant par l’obligation de conduire une évaluation préalable des alternatives possibles avant le retrait de l’autorisation d’activité obstétrique. En outre, l’amendement réduit à un an la durée au cours de laquelle les ARS doivent procéder à l’état des lieux prévu au II.

La commission a également adopté quatre amendements du rapporteur, dont trois de portée rédactionnelle (AS31, AS32 et AS37). Le quatrième amendement (AS38) apporte une clarification sur le contenu du rapport à remettre au Parlement. Sur la base des états des lieux dressés par les ARS, ce rapport devra détailler les moyens, notamment humains et financiers, à mettre en œuvre pour maintenir en fonctionnement les petites maternités dont la présence est nécessaire à la sécurité et l’accessibilité des soins.

Enfin, la commission a adopté l’amendement AS14 de M. Damien Maudet et des membres du groupe La France insoumise – Nouveau Front Populaire, qui prévoit que le rapport rendu au Parlement devra formuler des propositions de révision des décrets précités de 1998.

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Article 3
Formation continue aux gestes d’urgence obstétrique

Adopté par la commission avec modifications

L’article 3 crée une formation continue obligatoire aux gestes d’urgence obstétrique et prévoit l’élaboration d’un protocole national de formation continue obligatoire pour les personnels exerçant dans les unités de gynécologie obstétrique.

I. le droit en vigueur

  1.   Les dispositions prévues en matière de formation continue

L’article L. 6111‑2 du code de la santé publique prévoit que « les établissements de santé élaborent et mettent en œuvre une politique d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins et une gestion des risques visant à prévenir et traiter les évènements indésirables liés à leurs activités ».

En matière de formation continue des professionnels de santé, les règles applicables figurent dans le code de la santé publique. La formation continue repose notamment, et ce depuis 2009, sur le développement professionnel continu (DPC), qui vaut pour l’ensemble des professionnels de santé et qui est obligatoire quel que soit le mode d’exercice (articles L. 4021‑1 à L. 4022‑11 du code de la santé publique). Le DPC a pour objectif le maintien et l’actualisation des connaissances, de même que l’amélioration des pratiques. À cela s’ajoute la certification périodique, entrée en vigueur le 1er janvier 2023, qui concerne les professions de santé disposant d’un ordre professionnel ([34]).

  1.   une formation continue insuffisante qui peut pénaliser le traitement des situations urgentes

Sur la question de la périnatalité, plusieurs rapports récents insistent sur le besoin d’une meilleure formation continue. Dans son rapport déjà cité, l’Académie de médecine estime indispensable « d’améliorer et d’harmoniser le niveau de compétence des médecins travaillant dans les services de néonatologie, soit au moment des recrutements de néonatologistes diplômés, soit par une formation médicale continue spécifique adaptée pour les médecins déjà en place. Cette formation attestée devrait être opposable. »

La mission « flash » précitée des députés Anne Bergantz et Philippe Juvin recommande la mise en place de manière systématique dans chaque maternité des formations aux gestes d’urgence, régulièrement réitérées. Elle insiste sur la nécessité de vérifier l’acquisition réelle des connaissances par lesdites équipes.

Le rapport du Sénat également précité comporte de longs développements sur l’importance de la formation des professionnels à la prise en charge de la périnatalité. Quant à la formation continue, les travaux du Sénat identifient des lacunes importantes et soulignent que les jours de formation sont rarement pris, en raison notamment des tensions généralisées qui pèsent sur les services de périnatalité. Les sénateurs considèrent que des mises à jour régulières et, le cas échéant, obligatoires pourraient être organisées pour les médecins amenés à ne pratiquer que peu fréquemment une activité obstétrique. Ces formations pourraient être orientées en priorité vers les praticiens ayant une activité mixte ou exerçant dans des structures à l’activité de maternité réduite.

ii. les dispositions de la proposition de loi

L’article 3 complète l’article L. 6111‑2 du code de la santé publique en prévoyant que les établissements de santé publics et privés autorisés à faire fonctionner une unité de gynécologie obstétrique garantissent une formation continue aux gestes d’urgence obstétriques.

Il modifie également l’article L. 161‑37 du code de la sécurité sociale en confiant à la Haute Autorité de santé le soin d’élaborer un protocole national de formation continue obligatoire pour les personnels exerçant dans les unités de gynécologie obstétrique.

  1.   les modifications apportées en commission

La commission a adopté deux amendements rédactionnels et de coordination juridique du rapporteur (AS35 et               AS36).

Elle a également adopté un amendement de M. Damien Maudet et des membres du groupe La France insoumise – Nouveau Front Populaire précisant que la formation prévue doit également porter sur les bonnes pratiques en matière de transfert périnatal.

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Article 4
Compensation financière

Adopté par la commission sans modification

L’article 4 compense la perte de recettes et la charge pour l’État et les organismes de sécurité sociale résultant des dispositions de la présente proposition de loi par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs.

  1.   Le droit en vigueur

L’article 40 de la Constitution du 4 octobre 1958 encadre la recevabilité des propositions de loi en matière financière. Il dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».

En application de l’article 89, alinéa 1, du Règlement de l’Assemblée nationale, la recevabilité d’une proposition de loi au regard de l’article 40 de la Constitution est appréciée au moment de son dépôt sur le bureau de l’Assemblée. Conformément à une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, la diminution d’une ressource publique est autorisée dans la mesure où celle-ci est compensée par l’augmentation d’une autre ressource.

  1.   les dispositions de la proposition de loi

L’article 4 de la proposition de loi compense les pertes de recettes et la charge pour l’État et les organismes de sécurité sociale résultant de la présente proposition de loi. Il prévoit la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs. Il est attendu que le Gouvernement lève ce gage en cas d’adoption de la proposition de loi.

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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa première réunion du mercredi 7 mai 2025, la commission examine la proposition de loi visant à lutter contre la mortalité infantile (n° 1237) ([35]).

M. Paul-André Colombani, rapporteur. La mortalité infantile est un enjeu de santé publique majeur et une urgence humaine qu’il faut saisir à bras-le-corps. Je remercie tous ceux qui ont pris part aux auditions et ont éclairé nos travaux : les journalistes Anthony Cortes et Sébastien Leurquin, les responsables des petites maternités d’Ussel en Corrèze, de Porto‑Vecchio en Corse et de Saint-Lizier en Ariège, les sociétés savantes, les administrations compétentes, l’Académie nationale de médecine, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et la Haute Autorité de santé (HAS).

La mortalité infantile progresse dans des proportions qui doivent nous alerter. En 2024, 2 700 enfants de moins de 1 an sont morts en France, soit un décès pour 250 naissances. Le taux de mortalité infantile atteint le niveau inquiétant de 4,1 ‰ ; il dépasse même 5 ‰ en Seine-Saint-Denis, dans le Lot et dans les outre-mer. Pire, il augmente depuis plus d’une décennie, contrairement à ce qui se produit dans la majorité des pays européens.

Le taux de mortalité infantile, qui mesure le nombre de décès avant 1 an pour 1 000 naissances vivantes, est un indicateur essentiel pour évaluer l’état de santé d’une population. Il reflète à la fois le niveau de développement socio-économique, le degré d’accès aux soins et la qualité de la prise en charge tant préventive que curative. Sa dégradation constitue un signal d’alerte majeur, dans un contexte de crise profonde de la périnatalité. Autrefois en tête des classements internationaux en la matière, la France a chuté de la septième à la vingt-septième place dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Depuis 2015, son taux de mortalité infantile dépasse la moyenne européenne.

Les causes exactes de cette évolution restent mal connues, en partie parce que nous manquons d’un dispositif statistique fiable et centralisé. Ce déficit d’information fragilise notre capacité à agir efficacement. Nous savons néanmoins que près de 75 % des décès infantiles surviennent au cours du premier mois. L’Inserm a aussi mis en évidence une surmortalité touchant tous les types de grossesses, qu’elles soient à bas ou à haut risque. Les experts pointent une combinaison de facteurs : détérioration de la santé des femmes, réanimation plus fréquente des grands prématurés, précarité, inégalités sociales, dysfonctionnements dans l’organisation et la qualité des soins.

Si nous partageons certains de ces facteurs avec d’autres pays, l’ampleur du phénomène appelle une analyse spécifique. Nous devons comprendre les causes de cette hausse singulière : c’est une priorité de santé publique.

Dans ce contexte, la fermeture des petites maternités doit nous interroger. Depuis 1995, 40 % des maternités ont fermé ; le nombre de maternités de type 1 a été divisé par trois, tandis que les maternités de types 2 et 3 absorbent un volume croissant d’accouchements, au risque d’être saturées.

Les décrets de 1998 relatifs à la périnatalité prévoyaient une meilleure orientation des femmes selon le niveau de risque de leur grossesse, avec un suivi prénatal renforcé. Ils ont fixé le seuil à partir duquel les établissements reçoivent l’autorisation d’obstétrique à trois cents accouchements par an. Des dérogations sont certes possibles en cas d’éloignement important, mais elles placent les petites structures dans une instabilité permanente qui met à mal leur attractivité et leur pérennité. Si l’intention de garantir la sécurité des soins est légitime, la réorganisation du réseau de maternités s’est souvent faite au détriment des territoires, sans prendre suffisamment en compte leurs spécificités. C’est particulièrement vrai dans les zones rurales, isolées ou insulaires. Aujourd’hui, 900 000 femmes en âge de procréer vivent à trente minutes d’une maternité. Dans de nombreux départements, elles sont plus de 10 % à vivre à plus de quarante-cinq minutes ; cette proportion dépasse même 20 % en Corse, dans le Lot et à Mayotte, et continue de progresser partout en France.

Peu d’études mesurent précisément l’effet de la distance sur les risques liés à l’accouchement, mais beaucoup s’accordent à dire qu’un trajet trop long peut compromettre la sécurité des soins. Une thèse récente et une étude menée en Bourgogne montrent ainsi une hausse de la morbi-mortalité néonatale au-delà de trente minutes de trajet. Il est essentiel d’approfondir ces recherches.

Les petites maternités jouent un rôle primordial dans de nombreux territoires en matière d’accessibilité et de sécurité des soins. Or elles sont fragilisées. Elles rencontrent de grandes difficultés de recrutement, notamment pour assurer la triple permanence des soins en obstétrique, pédiatrie et anesthésie. Faute de personnel stable, elles recourent à l’intérim, ce qui peut nuire à la qualité des prises en charge. Lors des auditions, les responsables de petites maternités ont exprimé de fortes préoccupations quant à leur avenir et ont demandé à être soutenus.

Lorsqu’un établissement ne peut plus garantir la sécurité des patientes, sa fermeture doit évidemment s’imposer. Mais si cette décision éloigne excessivement les femmes de la maternité la plus proche, il est impératif de maintenir la structure en lui donnant les moyens de fonctionner correctement. La fermeture ne saurait être envisagée comme l’unique réponse, surtout lorsque les moyens de transport d’urgence sont insuffisants pour garantir la sécurité des patientes. L’Académie nationale de médecine l’a rappelé lors de son audition : le coût de fonctionnement d’une maternité qui réalise moins de 500 accouchements par an équivaut à celui d’un hélicoptère sanitaire.

Les modèles étrangers souvent cités pour justifier ces fermetures, comme celui de la Suède, reposent sur des conditions bien différentes des nôtres, avec en particulier un encadrement médical renforcé et une sage-femme par parturiente, ce qui est loin d’être le cas en France.

Quant aux dispositifs d’hébergement à proximité des maternités, censés compenser l’éloignement, ils peinent à convaincre les femmes et sont sous-utilisés.

Face à ces constats, la proposition de loi repose sur trois piliers.

L’article 1er crée un registre national des naissances, afin d’améliorer notre compréhension des causes de la mortalité infantile. Il permettra d’identifier les facteurs de risque et les actions nécessaires pour prévenir les décès évitables, encore bien trop nombreux. Il constituera un levier fondamental pour piloter de manière moderne et efficace une politique de périnatalité fondée sur des données robustes et partagées. La proposition de loi lui donne le support juridique nécessaire : pour garantir sa mise en œuvre et sa pérennité, ce registre sera inscrit dans la loi – les récentes annonces de la ministre Catherine Vautrin vont dans le bon sens, et je m’en réjouis. Les données existent ; il faut désormais les consolider, assurer leur chaînage et les exploiter au plus vite. Je souhaite que ce registre voie le jour dans les meilleurs délais, dans le cadre d’une gouvernance ouverte associant tous les acteurs concernés.

L’article 2 a deux objectifs : sécuriser pendant trois ans les maternités assurant moins de trois cents accouchements par an ; et affiner la connaissance des besoins territoire par territoire, en confiant une mission d’audit aux agences régionales de santé (ARS).

Le moratoire vise à soutenir les petites maternités, mais aussi à améliorer la connaissance du terrain pour s’affranchir des dogmes et proposer des solutions aptes à garantir la sécurité des patientes et des nourrissons. Il me paraît primordial d’adopter une approche au cas par cas plutôt que d’appliquer des seuils déconnectés des réalités. Le Gouvernement remettra ensuite un rapport d’évaluation au Parlement. L’objectif est de garantir que l’autorisation d’obstétrique repose sur une évaluation fine des besoins du territoire et non sur un seuil arbitraire.

Enfin, l’article 3 renforce la formation continue des professionnels de santé aux gestes d’urgence en matière périnatale. Le maintien des petites maternités doit aller de pair avec des exigences accrues de formation continue.

Cette proposition de loi ne saurait, à elle seule, résoudre la mortalité infantile et la crise de la périnatalité. Il faudra revoir rapidement les décrets de 1998 pour relever le taux d’encadrement en salle d’accouchement. D’autres actions doivent être entreprises : renforcer la prévention, donner plus de moyens à la protection maternelle et infantile, améliorer les parcours de soins des femmes, garantir la qualité des soins partout. Les alertes des pédiatres sur les soins critiques pour les nouveau-nés doivent aussi être prises très au sérieux.

Ce texte constitue une première étape importante. Il permettra de mieux protéger les mères et les bébés, et de réduire les inégalités entre les territoires. Il est très attendu dans les zones où les maternités sont régulièrement menacées. Par ailleurs, le registre national des naissances sera un outil essentiel pour mieux comprendre les causes de la mortalité infantile et piloter les politiques de périnatalité.

Je remercie les députés du groupe LIOT et son président, Laurent Panifous, de m’avoir permis de défendre ce texte et j’espère que cette proposition de loi sera adoptée.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Serge Muller (RN). En 2024, 2 700 nourrissons sont décédés avant leur premier anniversaire, soit un taux de mortalité infantile de 4,1 ‰, contre 3,5 ‰ en 2011. Selon l’Institut national d’études démographiques, la France se situe au vingt-troisième rang européen en la matière. C’est grave – très grave. Ce déclassement est profond et durable ; il témoigne de failles dans la prévention et d’une inégalité criante dans l’accès aux soins. Ce n’est pas la faute d’un système de santé mal financé, mais d’une organisation devenue inégalitaire et déséquilibrée. Ce déclassement est d’autant plus préoccupant qu’il n’épargne aucun territoire et frappe avec une violence particulière les plus fragiles d’entre eux.

La mission « flash » de la commission des affaires sociales sur la mortalité infantile a posé un diagnostic lucide. Elle a identifié des axes d’action clairs : mieux informer sur les risques liés à la grossesse et à la petite enfance, garantir un accès rapide à des soins de qualité partout en France, mieux coordonner les interventions autour des familles vulnérables. Ces recommandations doivent trouver une traduction législative concrète. Dans cette perspective, nous proposons que les ARS publient chaque année une cartographie des temps d’accès aux maternités, pour rendre visibles les déserts médicaux. Nous proposons également d’organiser une campagne nationale annuelle de prévention et d’établir un rapport triennal d’évaluation, décliné par département, pour permettre un pilotage rigoureux et transparent.

M. Jean-François Rousset (EPR). Avec un taux de mortalité infantile de 4,1 ‰, la France a reculé du septième au vingt-septième rang mondial en trente ans. Ce constat nous inquiète et appelle une analyse fine. Comme l’a montré la mission « flash » menée par nos collègues Anne Bergantz et Philippe Juvin, les causes sont multiples, depuis le tabagisme pendant la grossesse jusqu’à l’état de santé global de la mère. Nous saluons donc la proposition de loi, en particulier son article visant à créer un registre national des naissances, outil statistique essentiel pour mieux identifier, anticiper et prévenir les risques.

Le texte pose la question cruciale de l’organisation territoriale de l’offre de soins et des fermetures de maternités. Si l’idée d’un moratoire peut sembler protectrice à première vue, il faut rappeler qu’une maternité qui réalise peu d’accouchements peut offrir une moindre sécurité, faute d’une pratique régulière des gestes obstétriques. Elle éprouve aussi plus de difficultés à recruter. C’est pourquoi le groupe Ensemble pour la République proposera que toute fermeture de maternité soit subordonnée à une évaluation des solutions alternatives à la disposition des parturientes pour assurer une prise en charge rapide et de qualité. Nous partageons par ailleurs le souci de renforcer la formation continue aux gestes d’urgence obstétrique. Sous réserve de l’adoption de la modification précitée, notre groupe votera la proposition de loi.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). En 1976, Emmanuel Todd prédisait la chute de l’Union soviétique au vu de sa mortalité infantile en hausse, signe d’une dégradation générale du système de soins. Jean-Christophe Rozé, de la Société française de néonatalogie, le confirme : si on ne sait pas organiser la naissance et les premiers jours, on ne saura jamais organiser le système de soins en général. Ces analyses doivent nous inquiéter. La France, qui avait le meilleur système de santé du monde il y a vingt-cinq ans, est passée de la troisième à la vingt-troisième place en matière de mortalité infantile en Europe, entre la Pologne et la Bulgarie. Comparée à des pays ayant une économie équivalente, elle perd chaque année l’équivalent de quarante-huit classes de maternelle de plus que les autres.

Il y a plusieurs raisons possibles à ce phénomène, mais en l’absence de registre, nous ne pouvons les préciser davantage. Dans leur enquête, les journalistes de L’Humanité Anthony Cortes et Sébastien Leurquin explorent quelques pistes : la précarité, l’absence de financement de la protection maternelle et infantile, la fermeture des maternités de proximité, l’éloignement des maternités – comme en Haute-Vienne, où la mortalité infantile est plus haute que dans le reste du pays. J’ajouterai un autre point : pour le système, les enfants ne sont pas rentables. « Petits patients, petits moyens » me dit-on à Paris et en Haute-Vienne.

Il y a vingt ans était créée la tarification à l’activité (T2A). Depuis, chaque acte réalisé à l’hôpital a un prix et rapporte plus ou moins d’argent. Et devinez quoi ? Les accouchements, les enfants et la réanimation néonatale ne rapportent rien aux établissements. Remplacer une prothèse de hanche est plus rentable qu’un accouchement. En Haute-Vienne, une sage-femme m’expliquait : « Quand on note les actes, on cherche la meilleure recette pour que l’établissement ne perde pas d’argent. » Voilà pourquoi les maternités privées ont fermé : elles ne rapportaient pas assez. Voilà aussi pourquoi la pédiatrie, les sages-femmes et la réanimation néonatale ont été laissées de côté, avec des investissements minimes et des actes très peu valorisés.

S’il y a sans doute plusieurs causes à la mortalité infantile, il se peut que certaines soient économiques. Rectifions le tir avant que le macronisme nous conduise à la même chute que l’Union soviétique.

M. Arnaud Simion (SOC). La promesse faite en 2022 d’ériger l’enfance en priorité du quinquennat a fait long feu, puisque la France connaît une hausse inquiétante de sa mortalité infantile : elle s’est élevée à 4,1 décès pour 1 000 naissances en 2024 contre 3,5 quatre ans plus tôt. Ces chiffres sont supérieurs à la moyenne de l’Union européenne.

La mortalité infantile est un phénomène socialement biaisé. Parmi les mères actives, le taux de mortalité infantile est en moyenne de 2,2 ‰ pour les cadres et de 3,5 ‰ pour les ouvrières et les employées. Il est encore plus élevé dans les Dom, à 8 ‰, et atteint 13,5‰ à Mayotte.

Cette hausse est multifactorielle. Elle peut s’expliquer par l’état de santé de la mère, les difficultés d’accès aux soins – le risque de décès néonatal double quand le trajet jusqu’à la maternité dépasse quarante-cinq minutes –, une prévention insuffisante et une couverture vaccinale défaillante. Malheureusement, l’éloignement géographique des maternités et des autres structures de soins s’accentue : en cinquante ans, les trois quarts des maternités ont fermé.

Face à l’aggravation de la mortalité infantile, la proposition de loi contient la création d’un registre national pour centraliser les données concernant les naissances et mieux les piloter, un moratoire de trois ans sur les fermetures de maternités garantissant un accès de proximité aux femmes enceintes et l’obligation de former aux gestes d’urgence obstétrique. Ces mesures sont pertinentes, même si le sujet nécessiterait une approche plus globale associant prévention, amélioration de l’état de santé des femmes et accès aux soins.

Face à un phénomène qui s’aggrave, le texte pare au plus urgent. C’est la raison pour laquelle le groupe Socialistes et apparentés y est favorable.

Mme Josiane Corneloup (DR). En 2024, notre pays a enregistré 4,1 décès d’enfants de moins de 1 an pour 1 000 naissances vivantes, alors que ce taux était de 3,5 ‰ en 2020. Cela représente 2 800 nourrissons décédés avant leur premier anniversaire, dont près de 70 % au cours de leur premier mois.

L’étude parue en février 2022 dans The Lancet met en évidence cette hausse tendancielle face à laquelle nous ne pouvons rester immobiles. Il est de notre responsabilité de réagir avec des mesures concrètes, adaptées et durables. Dès 2022, le groupe Droite Républicaine a souhaité créer une mission « flash » sur ce sujet, conduite par Philippe Juvin et Anne Bergantz. Leur travail a permis d’éclairer les enjeux, de poser les bases d’une réflexion sérieuse et de formuler dix recommandations, dont certaines figurent dans la présente proposition de loi. C’est le cas du registre national des naissances que l’article 1er vise à créer : il s’agit de mesurer, comprendre et prévenir la mortalité infantile en intégrant tous les paramètres susceptibles d’être impliqués, comme les facteurs sociaux et maternels ou le déroulement de la grossesse et de l’accouchement.

L’article 2 prévoit un moratoire de trois ans sur les fermetures de maternités, en particulier pour les structures dont l’activité tourne autour de trois cents accouchements par an, seuil souvent utilisé comme critère implicite de fermeture. Même si la mission « flash » n’a pas trouvé de données établissant un lien direct entre l’augmentation des distances domicile-maternité et la mortalité des nouveau-nés, il convient de noter que l’éloignement augmente le risque d’accouchement extra-hospitalier. Le livre-enquête écrit en 2025 par les journalistes Anthony Cortes et Sébastien Leurquin révèle que le risque de décès natal est multiplié par deux lorsque le trajet jusqu’à la maternité dépasse quarante-cinq minutes. La question de l’accès géographique à la maternité doit donc être prise en considération. Le moratoire permettra de réaliser une évaluation fine et territorialisée des établissements menacés.

Il est également essentiel de proposer des formations aux gestes d’urgence de façon systématique dans chaque maternité, de les répéter régulièrement et de s’assurer de l’acquisition effective des connaissances par les équipes. Nous voterons donc cette proposition de loi.

M. Boris Tavernier (EcoS). En France, en 2024, 2 700 enfants sont morts avant d’avoir soufflé leur première bougie.

La mortalité infantile est avant tout un drame. Il n’y a pas plus tragique, pas de souffrance plus grande, pour des parents, que de perdre un enfant parti bien trop tôt, à l’orée de sa vie. Mais c’est aussi un échec collectif, car la mortalité des nouveau-nés n’est pas une fatalité : elle n’est pas le fruit d’un triste destin, sur lequel nous n’aurions aucune prise. Pendant des décennies, nous avons su réduire le risque de mourir pour les nouveau-nés, grâce aux progrès de la médecine, à la construction de la sécurité sociale et au développement d’un large réseau de maternités publiques. Pourtant, depuis quelques années, la tendance s’est inversée et la mortalité des nouveau-nés repart à la hausse. Cela va contre le sens de l’histoire, contre le sens du progrès.

Sur ce sujet comme sur d’autres, les injustices s’accumulent. Le taux de mortalité infantile est plus élevé pour les enfants dont la mère est employée ou ouvrière. Il est également deux fois plus élevé en outre-mer qu’en France métropolitaine. L’injustice est déjà là, dès la couveuse.

Sur ce sujet comme sur d’autres, on retrouve les mêmes maux, les mêmes échecs.

Je pense tout d’abord à l’éloignement des services publics. En cinquante ans, les trois quarts des maternités du pays ont fermé. Depuis 2000, le nombre de femmes vivant à plus de quarante-cinq minutes d’une maternité a augmenté de 40 % ; or le risque de décès néonatal est multiplié par deux lorsque le trajet jusqu’à la maternité dépasse cette durée.

Je pense ensuite à l’insuffisance de nos politiques alimentaires, environnementales et de prévention. Le risque de mortalité infantile est accru par l’obésité des mères, qui progresse, car on laisse aux industriels les mains libres. De même, le risque de naissance prématurée est augmenté par la pollution de l’air ; or les mesures de protection contre cette dernière sont remises en cause. La surutilisation de pesticides joue également un rôle néfaste dans la mortalité infantile ; pourtant, le Gouvernement abandonne toute stratégie de sortie des pesticides et déroule le tapis rouge aux géants de l’agrochimie – mes collègues écologistes sont mobilisés en ce moment même, en commission du développement durable, contre la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur.

Pour lutter contre la mortalité infantile, il nous faut des maternités. Je remercie donc le rapporteur et le groupe LIOT d’avoir déposé cette proposition de loi, qui vise à empêcher leur fermeture pendant les trois prochaines années.

Le groupe Écologiste et Social soutiendra ce texte, mais nous devons faire preuve de cohérence, aller plus loin pour renouer avec le progrès, prévoir des protections environnementales et définir des politiques de prévention à la hauteur.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Cette proposition de loi s’attaque à un grave problème de santé publique, la hausse de la mortalité infantile en France. Je ne m’attarderai pas sur le constat : notre pays compte désormais 4,1 décès pour 1 000 naissances, se plaçant au vingt-troisième rang européen.

Nous ne connaissons pas suffisamment les causes de la mortalité infantile. Elles sont, à mon avis, essentiellement socioéconomiques et liées aux insuffisances des politiques de prévention. La prématurité et les malformations fœtales sont favorisées par la consommation de tabac et d’alcool ainsi que par l’obésité de la mère. Pour lutter contre ce fléau, notre commission a instauré des taxes comportementales, dont nous pourrons reparler lors de l’examen du prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. À cette insuffisance de la prévention s’ajoutent des inégalités sociales et territoriales, contre lesquelles nous devons tous nous mobiliser. Aussi le groupe Les Démocrates soutiendra-t-il l’article 1er, qui reprend notamment des recommandations formulées par Anne Bergantz et Philippe Juvin, dont je salue l’engagement et le travail.

Nous serons néanmoins attentifs aux discussions sur l’article 2, qui prévoit de suspendre pendant trois ans toute fermeture de maternité. Pour le moment, nous ne savons pas quelle est la part de l’éloignement d’une maternité et des accouchements extrahospitaliers dans les causes de l’augmentation de la mortalité infantile. Aucune corrélation n’a été prouvée. Nous veillerons à ce que la sécurité et l’accès à des soins de qualité soient garantis aux familles.

Mme Nathalie Colin-Oesterlé (HOR). Cette proposition de loi répond à une urgence sanitaire majeure ainsi qu’à une exigence de justice territoriale et d’égalité d’accès aux soins.

La situation est préoccupante, car la France se classe parmi les derniers pays de l’Union européenne en matière de mortalité infantile. Il est donc indispensable d’agir pour inverser cette trajectoire et donner à chaque nouveau-né les mêmes chances de bénéficier d’un suivi médical de qualité.

En centralisant les données jusqu’ici éparpillées, l’instauration d’un registre national des naissances permettra de mieux identifier les failles du système, d’élaborer des actions de prévention ciblées et d’évaluer l’efficacité des politiques publiques. Cette mesure, attendue par de nombreux professionnels de santé et recommandée tant par la Cour des comptes que par nos collègues Anne Bergantz et Philippe Juvin, apparaît indispensable pour piloter une politique périnatale ambitieuse et fondée sur des données fiables.

L’obligation de formation continue aux gestes d’urgence obstétrique, dans chaque maternité, répond à une attente forte des professionnels et des familles. Elle permettra de renforcer la sécurité des accouchements et d’harmoniser les pratiques sur tout le territoire, ce qui bénéficiera directement aux patientes et à leurs enfants.

Quant au moratoire sur les fermetures de maternités, il constitue une réponse à la crise de l’accès aux soins dans les territoires. Il doit permettre de prendre le temps nécessaire à une évaluation fine et territorialisée des établissements menacés tout en préservant la sécurité des patientes et en garantissant que les décisions futures seront prises sur la base d’éléments objectifs, partagés, en évitant toute précipitation susceptible d’aggraver les inégalités territoriales. Cependant, un moratoire de trois ans nous semble très long, la sécurité sanitaire interdisant de laisser en activité des petites maternités dont l’activité trop faible mettrait en danger la santé des patientes et des bébés. Si nous sommes d’accord avec ce principe et globalement favorables à cette proposition de loi, nous déposerons néanmoins en séance un amendement visant à réduire la durée de ce moratoire.

M. Laurent Panifous (LIOT). Notre groupe a choisi d’inscrire à l’ordre du jour de sa journée réservée plusieurs textes relatifs à la santé car il s’agit, pour nous comme pour nos concitoyens, d’une priorité.

Le présent texte vise à appeler l’attention sur la santé des nouveau-nés et de leurs mères, alors que la mortalité infantile augmente dans notre pays. Il s’agit d’un véritable échec : la France était l’un des pays les plus avancés dans ce domaine il y a moins de trente ans, et voilà qu’elle se trouve aujourd’hui en bas du classement européen. Aussi notre groupe plaide-t-il pour une politique de santé périnatale ambitieuse. La proposition de loi n’y suffira pas, mais elle pourra amorcer un premier mouvement.

Les causes de la mortalité infantile sont multifactorielles et très mal documentées. C’est pourquoi il nous a paru essentiel de prévoir à la fois la création d’un registre national des naissances et la garantie d’une formation continue aux gestes d’urgence.

Nous proposons également un moratoire sur la fermeture des petites maternités car nous pensons que l’organisation de notre système de santé, qui est une spécificité française, explique sans doute cet échec. Personne ne niera l’existence d’un mouvement continu de fermetures ou de regroupements de maternités ces dernières années. Nous avons tous dû nous battre, à un moment ou un autre, pour maintenir une maternité dans nos territoires – je pense notamment au centre hospitalier Ariège Couserans, dans mon département. Accepter ce mouvement de fermetures, c’est courir le risque qu’il devienne un jour impossible d’accoucher dans son propre département, ce qui paraît impensable quand on connaît le danger que représente la distance, pour la mère et pour l’enfant. Notre proposition est raisonnable et vise un seul objectif : garantir l’existence de maternités de proximité sans sacrifier la sécurité.

M. le président Frédéric Valletoux. Nous en venons aux questions des autres députés.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Depuis que je suis élue, je ne cesse de dénoncer la fermeture des petites maternités – pas uniquement parce que celle de Guingamp, dans ma circonscription, est menacée, mais parce que la santé des femmes et des bébés est mise en péril sur tout le territoire. Alors que 75 % des maternités ont déjà été fermées en cinquante ans, de nombreuses autres sont encore menacées. La fermeture des petites maternités n’est sans doute pas l’unique cause de l’augmentation de la mortalité infantile, mais la perte de chance en cas d’incident – par exemple en cas d’hématome rétroplacentaire – augmente proportionnellement au temps de trajet de la mère vers la maternité la plus proche.

Si le moratoire de trois ans sur les fermetures de maternités est une bonne mesure, il risque néanmoins d’être inopérant car l’argument de la sécurité, qui permet d’y déroger, est utilisé à chaque fois que l’on veut fermer un établissement. Il y a trente ans, on nous disait que les maternités qui ne pratiquaient pas trois cents accouchements par an étaient dangereuses, car les personnels pouvaient oublier les bons gestes. Le seuil a ensuite été porté à cinq cents accouchements par an, avant de passer à mille, si l’on se réfère au rapport de l’Académie nationale de médecine de 2023. Pourtant, celles et ceux qui pratiquent moins d’accouchements ont aussi plus de temps pour se former...

Aujourd’hui, l’argument utilisé pour justifier les fermetures n’est plus tant le manque de pratique des personnels que la pénurie de praticiens et le manque d’attractivité des petites structures. Mais, après la publication du rapport de l’Académie de médecine, quel praticien déciderait d’exercer dans une petite maternité, puisqu’elle est vouée à la fermeture ? C’est un cercle vicieux.

Et la situation ne s’explique-t-elle pas aussi par le fait qu’un accouchement qui se passe bien n’est pas rentable ? Il serait intéressant de se pencher sur le rôle de la T2A dans l’augmentation de la mortalité infantile.

Il ne faut donc pas considérer ce moratoire de trois ans comme une fin en soi, mais plutôt comme une occasion de faire enfin le point sur le maillage territorial des maternités, sur les besoins de formation des médecins, sages-femmes et auxiliaires de puériculture, ainsi que sur les conditions de travail permettant d’assurer la pérennité de nos maternités, quelle que soit leur taille.

Mme Anne Bergantz (Dem). Merci, monsieur le rapporteur, de nous permettre de débattre de ce sujet hautement préoccupant – un enfant sur 250 meurt avant l’âge de 1 an – et d’avoir cité dans votre exposé des motifs les travaux de la mission « flash » sur la mortalité infantile, dont Philippe Juvin et moi étions les rapporteurs.

Je salue votre proposition de créer un registre national des naissances, dont on peut d’ailleurs s’étonner qu’il n’existe toujours pas. En effet, si nous connaissons bien les facteurs de risque que sont la prématurité, la santé et le comportement de la mère – je pense notamment au tabagisme, encore trop important –, mais aussi l’insuffisance du suivi de grossesse et les conditions de vie, il nous manque un outil pour relier toutes ces informations et mener des actions nationales ou locales.

Je suis néanmoins plus dubitative au sujet de l’article 2 et du moratoire de trois ans. Notre mission « flash » a conclu qu’il n’existait pas de données prouvant un lien direct entre l’augmentation des distances domicile-maternité et la mortalité des nouveau-nés. Ainsi, en Ardèche et dans le Lot, où 99,8 % ou 100 % des femmes en âge de procréer habitaient à plus de quarante-cinq minutes d’une maternité de type 3, selon des chiffres de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) de 2017, les taux de mortalité infantile étaient, en 2023, respectivement de 2 ‰ et 6,2 ‰ : l’écart est grand. Or, dans mon département des Yvelines, la mortalité infantile est de 4 ‰ alors même que les maternités sont très proches du domicile des femmes, puisque seules 0,8 % d’entre elles sont à plus de quarante-cinq minutes. J’aimerais donc que vous développiez votre argumentation sur ce point.

J’aimerais enfin rappeler que certaines morts pourraient être évitées, notamment en respectant les conditions de couchage des nourrissons. La doctrine n’a pas évolué depuis 1990. Il serait donc sans doute utile d’organiser à nouveau des communications nationales sur ce sujet.

Mme Sylvie Bonnet (DR). La France, qui était à la fin des années 1980 l’un des pays ayant les taux de mortalité infantile les plus faibles, est passée de la septième à la vingt‑troisième place au classement des États de l’Union européenne. Cela nous inquiète au plus haut point. La perte d’un enfant est un drame dont on ne se remet pas.

Vous avez rappelé les travaux de la mission « flash » sur la mortalité infantile menée fin 2022, et vous avez repris certaines de ses recommandations, comme l’obligation d’organiser dans chaque maternité des formations régulières aux gestes d’urgence obstétrique. De telles formations permettraient effectivement de réduire les inégalités de prise en charge et d’assurer une montée en compétences des professionnels dans l’ensemble du territoire. C’est une bonne mesure, mais pourrait-elle être appliquée, compte tenu de la pénurie de soignants ?

Mme Ersilia Soudais (LFI-NFP). Nous regardons cette proposition de loi d’un œil favorable. J’appelle cependant votre attention sur le risque que le moratoire de trois ans sur les fermetures de maternités soit inopérant. Vous prévoyez en effet la possibilité d’y passer outre, pour des raisons tenant à la sécurité ; or l’argument de la sécurité est justement celui qui est utilisé pour fermer les maternités.

Je ne suis pas sûre qu’il soit très sécurisant d’accoucher en Seine-et-Marne, mon département : c’est l’un des plus grands déserts médicaux de France. Faut-il pour autant en fermer toutes les maternités ? Quand j’ai visité, en 2023, la maternité de Meaux, il y manquait six sages-femmes, soit 25 % des effectifs – et même si tous les postes avaient été pourvus, cela aurait été insuffisant. La situation avait conduit la direction à demander à celles qui restaient de faire toujours plus d’heures supplémentaires, et aux infirmières de les suppléer alors qu’elles n’avaient pas été formées pour cela. La surcharge de travail et les sous-effectifs sont invoqués pour expliquer la majorité des événements graves en obstétrique. La solution est-elle pour autant de fermer la maternité de Meaux ? Non !

Cela pose plutôt la question des moyens alloués à l’hôpital. En effet, plus de la moitié des événements indésirables seraient évitables, selon un rapport de la HAS publié le 21 novembre 2022. C’est pourquoi j’appelle d’ores et déjà votre attention sur un amendement très important de mon collègue Hadrien Clouet, qui vise à mieux définir l’« urgence tenant à la sécurité des patients » permettant de justifier une dérogation au moratoire sur les fermetures d’établissements.

M. Hendrik Davi (EcoS). L’augmentation de la mortalité infantile en France est effectivement un phénomène gravissime, que la comparaison avec les autres pays rend encore plus inquiétant. Est-il normal que la mortalité infantile soit deux fois plus élevée en France qu’en Finlande ou en Suède ?

Il est bon de discuter d’un texte permettant d’évaluer la situation et d’en déterminer les causes. Pour ma part, j’en vois trois.

La première est évidemment la distance qui sépare le domicile des patientes de la maternité. En effet, 75 % des maternités implantées il y a cinquante ans dans notre pays ont été fermées : leur nombre est passé de 1 369 en 1975 à 457 aujourd’hui. On a justifié ces fermetures par un manque de sécurité : je veux bien y croire, mais on a oublié que, ce faisant, on augmentait la distance à parcourir pour aller accoucher. Comme toujours, on n’a pas appréhendé le problème dans sa globalité. D’aucuns prétendent qu’un temps de trajet supérieur à quarante‑cinq minutes augmente le risque de mortalité infantile ; il faut vraiment que nous en sachions davantage.

La deuxième cause, insuffisamment relevée, est le manque de moyens dans les hôpitaux. On ne peut pas faire comme si ces derniers n’étaient pas en tension, comme si les équipes n’étaient pas surchargées. Quiconque s’est déjà rendu dans une maternité ou dans un hôpital est conscient de ce problème majeur. Plus de la moitié des établissements n’assurent pas la triple permanence des soins, avec un obstétricien, un pédiatre et un anesthésiste. Près des deux tiers des équipes obstétricales sont en tension ; 21 % des équipes de sages-femmes ont une charge de travail élevée et deux tiers des maternités recourent à des intérimaires.

Enfin, la précarité des mères n’a pas été suffisamment soulignée. Or la pauvreté est, à mon sens, l’une des causes majeures de la mortalité infantile. Les services de protection maternelle et infantile sont en très grande souffrance ; les sages-femmes qui y travaillent manquent de moyens. Il s’agit là d’un sujet sur lequel il faudra également travailler.

M. le rapporteur. Je remercie l’ensemble des orateurs, qui ont montré que ce malheureux constat est largement partagé. Le groupe LIOT a pris le parti d’aborder le problème par le seul prisme de la distance séparant les patientes des maternités, car un texte examiné dans le cadre d’une niche parlementaire ne peut pas faire le tour complet de la question, trop vaste. Je pense toutefois que la révision des décrets de 1998, qui doit intervenir le plus rapidement possible, permettra de répondre à une partie des questions relatives à l’encadrement médical, à la précarité des mères et à d’autres facteurs de risque.

Je salue le travail réalisé par Mme Bergantz et M. Juvin dans le cadre de leur mission « flash » sur la mortalité infantile. Deux articles de la présente proposition de loi reprennent leurs recommandations.

La création d’un registre national des naissances, déjà expérimenté dans plusieurs pays européens, s’avère indispensable, car l’enquête de périnatalité réalisée en France tous les cinq ans ne permet plus d’analyser correctement la situation et de piloter le suivi des naissances. Cette mesure aurait pu passer par un simple décret, mais nous avons préféré l’inscrire dans la loi pour des raisons de sécurité juridique. Si elle n’a pas encore été mise en œuvre, c’est en raison des deux années de covid et de la succession récente de six ou sept ministres de la santé : aucun n’est en cause, mais il n’y a tout simplement pas eu de pilote dans l’avion. Nous devons tous nous regarder dans la glace : cette situation résulte aussi de la dissolution de l’Assemblée nationale et du vote d’une motion de censure. Les angles morts ne se trouvent pas qu’à Bercy, et il est désormais urgent d’y remédier.

Le point de discorde est l’article 2, que je ne veux pas aborder de façon dogmatique. Il est incontestable qu’une équipe obstétricale non entraînée ou constituée d’intérimaires peut s’avérer dangereuse : c’est pourquoi je n’ai pas voulu maintenir une maternité ouverte si cela représente un danger pour la femme ou l’enfant.

Nous nous sommes également posé la question de la durée du moratoire. Un délai d’une année me paraît trop court pour réaliser l’étude que nous appelons de nos vœux, et je crains qu’un moratoire de cinq ans soit beaucoup trop long : trois ans me semblent donc correspondre au point d’équilibre.

Les recommandations formulées par des sociétés savantes comme l’Académie nationale de médecine, fondées sur des critères tels que le nombre d’accouchements ou d’intérimaires dans une maternité, sont objectivement justifiées. Elles peuvent cependant se heurter à la situation sur le terrain : il peut en effet s’avérer moins dangereux de maintenir un établissement ouvert que d’imposer aux patientes une trop longue distance à parcourir, avec des solutions de transport non adaptées. J’ai malheureusement vécu cette expérience dans mon territoire, où la fermeture d’une maternité aurait mis des femmes à deux heures des salles d’accouchement. Alors qu’il reste aujourd’hui vingt-trois petites maternités, je demande que l’on évalue la situation territoire par territoire, sans dogmatisme, et que l’on adopte la meilleure solution pour permettre aux femmes d’accoucher en toute sécurité.

Article 1er : Création d’un registre national des naissances

Amendement AS27 de M. Paul-André Colombani

M. le rapporteur. Cet amendement de clarification résulte de mes échanges avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et la Drees. Les bulletins d’état civil n’ayant qu’une existence réglementaire, il n’est pas opportun de les mentionner explicitement dans la loi. De plus, il apparaît nécessaire d’évoquer la question de l’appariement des données, afin d’éviter que les autres cas d’usage de ces bulletins soient couverts par les exigences de sécurité et d’accès du système national des données de santé, ce qui serait contreproductif et allongerait les délais de traitement par l’Insee.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS28 de M. Paul-André Colombani.

Amendement AS29 de M. Paul-André Colombani

M. le rapporteur. Cet amendement vise à garantir une entrée en vigueur des dispositions relatives au registre national des naissances au plus tard le 1er janvier 2026. Les données existent ; il reste à les chaîner et à les exploiter, ce qui n’est pas une mince affaire. Ne perdons pas encore deux ans à constituer un comité de pilotage ! Les sociétés savantes nous appellent à exploiter les données le plus rapidement possible. La ministre chargée de la santé a demandé à la Drees de recruter un pilote et de mettre en place le registre. Quant à moi, je souhaite que la proposition de loi prévoie une date butoir pour aller le plus vite possible.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Encore ce matin, la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale a auditionné un représentant de la délégation au numérique en santé : nous pouvons accélérer le processus, car nous disposons des données et sommes capables de faire les choses très rapidement. Je suis donc très favorable à cet amendement. Nous ferons en sorte que le Gouvernement soit prêt le 1er janvier 2026.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Nous sommes, nous aussi, favorables à cet amendement.

Comme vous, j’ai mené quelques auditions, mais je n’ai pas forcément trouvé d’informations sur les autres pays ayant mis en place un tel registre ni sur les avancées concrètes qu’il a permises. Serait-il possible de nous transmettre quelques éléments d’ici à la séance ?

M. le rapporteur. Quelques éléments figurent dans le rapport. S’il vous en faut d’autres, nous essaierons d’en trouver.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 1er modifié.

Article 2 : Suspension de la possibilité de retirer l’autorisation obstétrique aux maternités pratiquant moins de trois cents accouchements, sauf urgence liée à la sécurité et instauration d’audits territoriaux

Amendement AS11 de M. Jean-François Rousset

M. Jean-François Rousset (EPR). L’article 2 prévoit l’instauration d’un moratoire pendant lequel toute fermeture de maternité serait suspendue. Cette disposition n’est pas sans conséquences quand on sait que les petites maternités, qui pratiquent peu d’accouchements, peuvent manquer de moyens humains et techniques pour garantir la qualité des soins et la sécurité des parturientes et des nouveau-nés. Cependant, la fermeture d’une maternité, même justifiée par des raisons de sécurité ou d’organisation des soins, ne saurait être décidée sans que son impact territorial soit pris en compte de manière rigoureuse et transparente. L’éloignement croissant des lieux d’accouchement est un facteur de risque qui doit être pleinement considéré.

Au lieu d’instaurer un moratoire qui suspendrait d’office toute fermeture de maternité, nous proposons donc de rendre obligatoire une évaluation préalable des solutions de remplacement, du point de vue de l’accessibilité géographique des soins et de la qualité de la prise en charge. Cette évaluation devra adopter une perspective locale pour examiner la capacité du territoire à assurer une continuité effective et sûre des soins obstétricaux afin que les patientes disposent de solutions efficaces et protectrices.

M. le rapporteur. Je partage votre préoccupation et souscris à l’intégralité de l’exposé sommaire de votre amendement. Comme je l’ai indiqué, nous refusons tout dogmatisme : notre seule boussole est la sécurité des mères et des enfants. Si cette dernière est mise en péril, la fermeture d’une maternité peut bien entendu se justifier.

Toutefois, la rédaction de votre amendement pose problème.

Tout d’abord, il ne garantit en rien qu’une fermeture ne sera pas décidée quand bien même l’évaluation préalable que vous demandez s’y opposerait.

Par ailleurs, le délai d’un an que vous prévoyez ne me semble pas pertinent. Pendant trois ans, nous n’entendons pas rester les bras croisés : l’ARS devra procéder à une analyse approfondie des besoins des territoires et des spécificités des petites maternités. C’est uniquement sur cette base que nous pourrons ensuite décider, en toute connaissance de cause et sans idéologie aucune, de leur maintien ou de leur fermeture, le cas échéant en mobilisant des moyens supplémentaires.

Avis défavorable, donc.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Avec cet amendement, vous tentez de supprimer le moratoire, et donc de vider le texte de son contenu.

Vous renvoyez la responsabilité de la mortalité infantile à la mère, dont vous incriminez l’état de santé, la condition sociale ou encore le tabagisme. Ce sont certes des facteurs de risque, mais venant de députés de la majorité, c’est quand même gonflé ! M. Macron avait annoncé mettre le paquet sur la prévention, mais nous n’avons rien vu venir. Par ailleurs, ce n’est pas en imposant un budget austéritaire et en refusant le partage des richesses que vous améliorerez la condition sociale des mères. Alors que votre politique ne répond pas aux besoins de la population, vous pointez du doigt les plus démunis. Ce n’est pas acceptable. Nous avons besoin de ce moratoire et voterons donc contre cet amendement.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Nous sommes plutôt favorables à cet amendement. Soyons pragmatiques : ce qui pose problème, dans ces maternités, c’est la sécurité, qui est liée au manque de personnel et à l’évolution de la démographie médicale. N’allons pas voter des dispositions qui ne servent à rien ! Je connais un service hospitalier de maternité qui n’est pas officiellement fermé, mais dans lequel n’exerce plus aucun obstétricien : depuis un an, il ne s’y pratique donc plus aucun accouchement – ce qui n’empêche pas le personnel d’être payé. C’est cela que vous entendez faire en empêchant la fermeture administrative de maternités quand bien même elles seraient vides, inopérantes, inexistantes, faute d’obstétriciens ou d’anesthésistes, même intérimaires.

M. Philippe Vigier (Dem). Comme l’a très bien expliqué Cyrille Isaac-Sibille, nous soutiendrons cet amendement de Jean-François Rousset.

J’ai vécu la fermeture brutale d’une maternité, décidée par des administratifs qui avaient mené une enquête dont il est apparu que certains éléments étaient faux. J’ai appris la nouvelle un matin, à 8 heures 15 : je peux vous dire que c’est rafraîchissant. Dès lors, les femmes se sont trouvées à soixante ou quatre-vingt-dix kilomètres de la maternité la plus proche. Imaginez les conséquences ! Par ailleurs, il a été très compliqué d’obtenir un espace de périnatalité, qui n’a ouvert qu’une année plus tard.

Le délai d’un an prévu par l’amendement AS11 peut paraître long, mais il est indicatif : il nécessitera que soient proposées, avant cette échéance, des solutions de remplacement. La démarche est pragmatique : elle permet de garantir la sécurité, de s’assurer que les femmes se voient proposer d’autres options et de ne pas abandonner les territoires.

M. Laurent Panifous (LIOT). J’ai entendu tout à l’heure que l’instabilité et le turnover dans les équipes des petites maternités nuisaient à la sécurité des patientes. Or cette proposition de loi vise précisément à accroître la stabilité, donc la sécurité. Nous souhaitons retirer l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de tous les professionnels qui travaillent dans ces services en leur accordant ce délai de trois ans, qui semble raisonnable. Ce délai sera utile, car nous ne défendons pas un texte dogmatique visant à maintenir toutes les maternités ouvertes quand bien même elles seraient dangereuses : nous voulons prendre le temps de trouver d’autres solutions, plus sécurisantes. Du reste, la sécurité peut être mieux garantie dans une petite maternité qui pratique peu d’accouchements que dans un établissement situé beaucoup trop loin du domicile des patientes.

L’exposé sommaire de l’amendement de M. Rousset correspond parfaitement à l’esprit du texte, mais comme l’a dit le rapporteur, le dispositif proposé n’apporte aux équipes médicales des petites maternités aucune garantie, aucune visibilité, aucune stabilité. Il ne retire pas l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête ; il ne leur permet pas de gagner en attractivité ni en stabilité, laquelle est pourtant nécessaire à la sécurité. Si une solution de remplacement sérieuse et sécurisante existe, alors adoptons-la – nous ne disons pas qu’il ne faut fermer aucune maternité. En somme, l’amendement AS11, quoique très intéressant, est moins-disant et je pense qu’il ne faut pas le voter.

M. le rapporteur. Que les choses soient claires : tel qu’il est rédigé, l’article 2 n’empêche pas la fermeture d’une maternité en cas de danger. Il ne faudrait d’ailleurs pas s’en priver : la sécurité des femmes et des enfants à naître doit guider notre action.

La question du délai me gêne. Il y a quelques semaines ou quelques mois, on nous a expliqué dans cette commission que trois ans étaient nécessaires pour définir un zonage applicable aux médecins généralistes dans un territoire. Je crains donc qu’en l’espèce, une année ne suffise pas. Encore une fois, cinq ans me paraissent excessifs, mais un délai de trois ans me semble correspondre à un point d’équilibre.

La commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’amendement AS12 de M. Hadrien Clouet ainsi que les amendements AS30 et AS33 de M. Paul-André Colombani tombent.

Puis la commission adopte successivement les amendements rédactionnels AS31 et AS32 de M. Paul-André Colombani.

Amendement AS13 de Mme Murielle Lepvraud

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Cet amendement vise à étendre le recensement des fermetures et suspensions provisoires d’activité à toutes les maternités, au lieu de le limiter aux établissements pratiquant moins de trois cents accouchements par an. En effet, parmi les 111 maternités menacées, certaines ont une activité supérieure à ce seuil annuel.

Plus largement, ce moratoire de trois ans doit servir à dresser un état des lieux global du maillage territorial des maternités, car la fermeture de l’une d’entre elles met souvent en difficulté celle d’à côté, à qui l’on impose une surcharge de travail sans lui octroyer de moyens supplémentaires.

M. le rapporteur. Vous proposez que les ARS recensent toutes les suspensions et fermetures, ainsi que les conditions de réorientation des patientes. Or, pour être efficace, il convient de se concentrer sur la situation des petites maternités. Du reste, les ARS connaissent déjà le nombre de suspensions d’activité et de fermetures sur leur territoire.

Demande de retrait ou avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement rédactionnel AS37 de M. Paul-André Colombani.

Amendement AS38 de M. Paul-André Colombani et sous-amendement AS39 de M. Arnaud Simion

M. le rapporteur. Mon amendement vise à clarifier le contenu du rapport qui doit être remis au Parlement. Il reprend notamment une contribution de notre collègue Arnaud Simon, dont je partage les préoccupations et que je remercie pour sa proposition. Aux termes de la nouvelle rédaction de l’alinéa 3, le rapport rédigé par le Gouvernement devra détailler les moyens, notamment humains et financiers, à mettre en œuvre pour maintenir les petites maternités dont la présence est nécessaire à la sécurité et l’accessibilité des soins.

M. Arnaud Simion (SOC). Dans le domaine de la santé, beaucoup d’actions sont conditionnées par les moyens accordés. Mon sous-amendement vise donc à ce que la suspension des fermetures de maternités pendant trois ans trouve une traduction dans l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) qui sera défini par les prochains budgets de la sécurité sociale.

M. le rapporteur. Votre sous-amendement me semble satisfait, car mon amendement évoque déjà « les moyens, notamment humains à financiers, à mettre en œuvre ». Je m’en remets donc à la sagesse de notre commission.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Pourquoi limiter encore cette disposition aux établissements pratiquant moins de trois cents accouchements par an ? On peut comptabiliser mille accouchements annuels et être une petite maternité menacée de fermeture.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Il est toujours question de financement et de moyens, notamment quand on parle de lutte contre la mortalité infantile. Cela va à rebours du discours ubuesque du Rassemblement national, qui expliquait tout à l’heure que la hausse de la mortalité n’était plus liée à un problème de moyens. C’est n’avoir aucune connaissance de ce qui se passe dans les services, n’avoir jamais discuté avec des professionnels ! La Société française de médecine périnatale, le Collège national des sages-femmes de France et même les sages‑femmes en général pointent du doigt un problème de financement. L’obstétrique, les accouchements et la réanimation néonatale ne sont pas assez valorisés : puisque ces actes rapportent trop peu aux hôpitaux, le système est ainsi fait que les services concernés bénéficient de peu d’investissements. Cela renvoie non seulement au niveau de l’Ondam, mais aussi à la question de la T2A, sur laquelle nous défendrons un amendement en séance.

M. le rapporteur. Je comprends parfaitement votre préoccupation, que je partage, mais nous avons choisi de nous concentrer sur les petites maternités qui réalisent moins de trois cents accouchements par an, les seules dont l’activité est soumise à autorisation.

La commission rejette le sous-amendement puis adopte l’amendement.

En conséquence, les amendements AS4 et AS3 de M. Arnaud Simion tombent.

Amendement AS14 de M. Damien Maudet

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Définies dans un décret de 1998, les normes encadrant l’activité des maternités n’ont pas évolué depuis vingt-sept ans, contrairement aux pratiques. Selon le Collège national des sages-femmes de France, les demandes sociétales augmentent, mais les moyens ne suivent pas – une situation source de souffrance pour les femmes, mais aussi pour les soignants, qui ne peuvent répondre à leurs demandes.

Selon Jean-Christophe Rozé, président de la Société française de néonatologie, les décès infantiles surviennent majoritairement dans les unités de soins intensifs des services de néonatologie, qui sont régis par ces décrets de 1998. Pour réduire la mortalité infantile, il est urgent de les réviser.

M. le rapporteur. Ces décrets sont effectivement au cœur du problème. Deux ans de covid et la succession de nombreux ministres de la santé ont aggravé le manque de gouvernance : aujourd’hui, nous devons absolument avancer concrètement sur la question, déterminante pour les futures politiques publiques. J’y suis sensible, mais nous avons fait le choix de nous concentrer sur les maternités qui réalisent moins de trois cents accouchements par an. Pour ne pas alourdir le texte, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’article 2 modifié.

Après l’article 2

Amendements AS18 et AS19 de Mme Murielle Lepvraud (discussion commune)

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Alors que les accouchements à la maternité de Guingamp sont suspendus depuis près de deux ans faute de personnel, l’ARS a annoncé l’octroi d’une subvention exceptionnelle de 300 000 euros à la maternité privée de Plérin pour financer le recrutement d’intérimaires, et ainsi la maintenir ouverte. Cette subvention du secteur privé lucratif se fait au détriment de la maternité publique de Guingamp, qui peine à recruter.

L’amendement AS18 vise donc à préciser que toute subvention ou aide financière octroyée aux activités d’obstétriques dans le cadre d’un contrat pluriannuel est versée en priorité aux établissements de santé publics et à leurs groupements.

De repli, l’amendement AS19 cible les maternités publiques dont l’activité obstétrique est fragilisée ou menacée.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

Je comprends votre intention et elle correspond certainement à des cas concrets, mais la pénurie de soignants est telle qu’on ne peut pas opposer public et privé. Dans ma circonscription, à Porto-Vecchio, c’est une clinique privée, seul établissement de santé du département, qui assure cette mission de service public : supprimer les aides reviendrait à mettre cette maternité à terre et à imposer aux femmes d’aller accoucher à deux heures de là.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Je ne comprends pas votre obstination à opposer public et privé : c’est au détriment des patients. Notre responsabilité est d’offrir un service public à nos concitoyens, que celui-ci soit assuré par le public ou le privé. Préférez-vous vraiment avoir deux maternités qui ne fonctionnent pas, plutôt que d’en avoir une qui fonctionne, quand bien même elle serait privée ?

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). En réalité, il y a trois maternités dans mon territoire : celle de Plérin est située juste à côté de celle de l’hôpital de Saint-Brieuc et loin de celle de Guingamp, qui aurait donc dû être prioritaire. Je préciserai en séance que cette priorité s’exerce au sein d’un même territoire.

La commission rejette successivement les amendements.

Amendement AS20 de M. Hadrien Clouet

M. Hadrien Clouet (LFI-NFP). Le diagnostic est connu : des maternités ferment, les mères en souffrent et des enfants en meurent. Pourtant, pour des grands groupes privés lucratifs comme Ramsay Santé ou Vivalto Santé, c’est le pognon plutôt que les poupons ! Ils ferment ou fusionnent délibérément les maternités, jugées trop peu rentables, au risque que les femmes accouchent sur le bord de la route.

Nous proposons une mesure simple, qui ne coûtera rien à la collectivité et permettra de présenter la facture aux groupes privés qui ne font pas leur boulot. Cet amendement prévoit que lorsqu’un groupe privé à but lucratif ferme une maternité, les locaux et les actifs passent sous contrôle de la Caisse nationale de l’assurance maladie, qui les met au service du bien commun. C’est tout à fait légitime.

M. le rapporteur. Le comportement de certains groupes privés est problématique, mais d’autres se désengagent pour des questions d’assurance par exemple, car le niveau de risque des salles d’accouchement est élevé. Votre amendement va un peu trop loin, peut-être même est-il inconstitutionnel.

Avis défavorable.

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). Nous ne jugeons pas des raisons qui conduisent à ces fermetures, nous cherchons simplement ce qu’il convient de faire lorsque cela arrive. Nous proposons de récupérer les locaux et les actifs pour assurer la continuité du service public et permettre aux femmes d’accoucher localement. Vous pointez le risque d’inconstitutionnalité : peut-être, mais tentons !

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Je précise, sans taquinerie ni mesquinerie aucune, que cette proposition répond à une difficulté pointée par un ancien ministre de la santé, Frédéric Valletoux, qui expliquait que l’État était démuni et ne pouvait pas entrer dans un bras de fer avec le privé, mais déplorait que nous en soyons tant dépendants.

Je rappelle aussi que si les maternités ne sont pas rentables et que le privé préfère assurer la chirurgie plutôt que l’obstétrique, c’est à cause de la T2A. Ainsi va le système. Cet amendement donnerait à l’État un peu de pouvoir pour éviter les fermetures spontanées de maternités privées.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS23 de M. Serge Muller

M. Serge Muller (RN). La mortalité infantile est un drame absolu, qui met en cause la qualité de notre système de santé, mais aussi l’égalité réelle des Français face à l’offre de soins. Nous constatons une inégalité massive et persistante dans l’accès aux maternités, en particulier dans les territoires ruraux, les zones de montagne et les départements ultramarins. Or aucune réponse politique cohérente ne peut être apportée sans un diagnostic territorial précis.

Cet amendement vise donc à confier aux ARS la publication annuelle d’une cartographie des temps de trajet réels vers les maternités. Il ne s’agit pas d’un exercice statistique abstrait, mais d’un outil de planification sanitaire permettant d’identifier les zones à risque de désertification obstétricale et de restaurer l’accès aux soins pour toutes les femmes enceintes. Cette mesure de bon sens, qui répond à un impératif d’équité, de visibilité et d’action, devrait nous rassembler par-delà les clivages.

M. le rapporteur. Nous préférons ne pas surcharger les ARS. Au reste, l’état des lieux des vingt-trois petites maternités assurant moins de trois cents accouchements prévu à l’article 2 me semble satisfaire votre demande.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Article 3 : Formation continue aux gestes d’urgence obstétrique

La commission adopte l’amendement rédactionnel AS35 de M. Paul-André Colombani.

Amendement AS15 de M. Damien Maudet

Mme Ségolène Amiot (LFI-NFP). La fermeture de certains établissements et la concentration de ceux qui restent conduisent à des transferts périnatals – avant ou après l’accouchement – vers d’autres maternités, par manque de place. Si ces mouvements conduisaient jusqu’à présent à transférer les femmes vers des établissements d’un niveau supérieur, capables de gérer des situations compliquées, on assiste aussi aujourd’hui à des mouvements descendants. Faute de places, certains établissements spécialisés sont aussi contraints de transférer leurs patientes vers des établissements de niveau similaire.

Or, les personnels ne sont pas assez formés sur ce sujet : cet amendement vise donc à compléter la formation des personnels médicaux avec un volet dédié aux bonnes pratiques en matière de transfert périnatal.

M. le rapporteur. Bien qu’elle ne relève pas du domaine législatif, cette précision est utile : avis favorable.

La commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte l’amendement de coordination AS36 de M. Paul-André Colombani.

Elle adopte ensuite l’article 3 modifié.

Après l’article 3

Amendement AS24 de M. Serge Muller

M. Serge Muller (RN). Il n’est pas acceptable que, dans un pays comme la France, des nourrissons continuent à mourir chaque année de causes évitables. Le phénomène n’est pas marginal : voilà dix ans que la France est en queue de peloton des pays européens en matière de mortalité infantile.

Pourtant, une partie de ces décès pourraient être évités grâce à une politique de prévention publique rigoureuse, régulière et ciblée. Il ne suffit pas de publier des recommandations : il faut informer, accompagner et diffuser une culture de la vigilance et du soin dès la naissance. Pour renforcer le rôle de l’État dans la prévention des drames évitables, cet amendement prévoit que le Gouvernement mène chaque année une campagne nationale de prévention centrée sur les principaux facteurs de risques identifiés par la mission « flash » sur la mortalité infantile  addiction pendant la grossesse, maladie chronique de la mère, alimentation du nourrisson – ainsi que sur les gestes de sécurité au domicile, pour prévenir le syndrome du bébé secoué, par exemple. À nos yeux, il mérite un large soutien.

M. le rapporteur. Tout indispensables et utiles que soient ces campagnes, elles ne relèvent pas du domaine législatif. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS21 de Mme Murielle Lepvraud

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). De nombreuses maternités ferment faute de réussir à réunir le trio de praticiens indispensable à leur fonctionnement – pédiatre, gynécologue obstétricien et anesthésiste. Ils sont trop peu nombreux : la profession médicale n’a pas su – ou pas voulu – anticiper les changements de temps de travail des médecins et les nombreux départs à la retraite à venir, et le nombre de place en formation reste en deçà des enjeux. La pénurie est encore amplifiée, pour ces trois spécialités, par le fait que de nombreux praticiens se dirigent plus volontiers vers le secteur libéral. Selon le Collège national des gynécologues et obstétriciens français, ils renoncent à exercer à l’hôpital et à participer à la permanence des soins, faute de trouver un poste dans les maternités les plus attractives.

Cet amendement prévoit que le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les besoins supplémentaires en matière de capacité de formation dans les spécialités du trio médical nécessaire à la pérennisation des maternités.

M. le rapporteur. La pénurie de soignants aggrave évidemment la situation des petites maternités. Aujourd’hui, un étudiant qui a le choix se spécialisera plus volontiers en chirurgie esthétique qu’en obstétrique, car c’est une discipline mieux rémunérée et moins casse-gueule au niveau juridique. Il faut donc avant tout chercher à rendre ces filières plus attractives.

Si je partage votre constat, il ne me semble pas opportun d’alourdir le texte avec cette demande de rapport. Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS17 de M. Damien Maudet

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Depuis 2009, la formation des infirmiers généralistes ne comprend plus de cours ni de stage en pédiatrie ou santé néonatale. De fait, les professionnels qui arrivent en réanimation néonatale sans y avoir été préalablement formés peuvent se trouver rapidement découragés. Le diplôme d’infirmière puéricultrice n’a, lui, pas évolué depuis 1983.

Il y a un travail à faire pour attirer et fidéliser le personnel dans les services de pédiatrie et de réanimation néonatale, et familiariser davantage les aspirants infirmiers à ces sujets – d’où mon amendement.

M. le rapporteur. Pour les mêmes raisons qu’à l’amendement précédent, avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Amendement AS25 de M. Serge Muller

M. Serge Muller (RN). Il existe aujourd’hui de profondes inégalités territoriales en matière de mortalité infantile mais nous manquons d’outils publics pour les mesurer, les documenter et y répondre. Cet amendement prévoit que, tous les trois ans, le Gouvernement remette au Parlement un rapport présentant un état des lieux précis des politiques publiques, territoire par territoire. Ce rapport inclura des indicateurs de performances nationaux et départementaux afin d’identifier les départements les plus en difficulté et d’adapter la réponse publique aux évolutions : sans évaluation sérieuse, point de pilotage ni de progrès possibles.

Loin d’être une simple formalité, ce document permettra à la fois aux élus locaux de disposer de données incontestables pour obtenir des moyens supplémentaires ou alerter l’administration centrale, et au Parlement d’exercer son rôle de contrôle. Il ne s’agit pas d’une mesure bureaucratique, mais d’un outil de responsabilité pour que les politiques publiques en matière de santé périnatale soient enfin suivies, mesurées, et corrigées quand elles échouent.

M. le rapporteur. Votre demande est satisfaite par le registre national des naissances créé à l’article 1er, qui permettra de disposer d’indicateurs précis pour mieux comprendre la hausse de la mortalité infantile et d’évaluer les politiques publiques correspondantes.

Avis défavorable.

La commission rejette l’amendement.

Article 4 : Compensation financière

La commission adopte l’article 4 non modifié.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

*     *

En conséquence, la commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de loi figurant dans le document annexé au présent rapport.

– Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/L41mdf

– Texte comparatif : https://assnat.fr/b46xxp

 

 

 


   ANNEXE  1 :
Liste des personnes ENTENDUEs
par le rapporteur

(par ordre chronologique)

M. Anthony Cortes et M. Sébastien Leurquin, journalistes, auteurs de l’ouvrage « 4,1. Le scandale des accouchements en France »

Table ronde :

 Clinique du Sud de la Corse  Dr Rémy François, directeur général, et Dr Marie-Thérèse Gaffory, directrice médicale

 Centre hospitalier Ariège Couserans  M. Olivier Pontiès, directeur

 Centre hospitalier de Haute-Corrèze  M. Christophe Minvielle, directeur, et M. Jean-Pierre Bouby, gynécologue obstétricien et médecin coordonnateur de la Fédération médicale inter-hospitalière des maternités de Moyenne et Haute-Corrèze

Table ronde :

 Société française de néonatologie (SFN)  Pr Elsa Kermorvant, vice‑présidente, Pr Alain Beuchée, chef de service de néonatologie du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes, et Dr Juliana Patkaï, praticien hospitalier dans le service de médecine et réanimation néonatales de Port-Royal (Paris)

 Société française de médecine périnatale (SFMP)  Pr Damien Subtil, membre du bureau, et chef du pôle « Femme mère enfant » du CHU de Lille, et M. William Lambert, conseil en communication

 Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF)  Mme Charline Bertholdt, gynécologue obstétricienne

 Collège national des sages-femmes de France  Mme Lucile Abiola, secrétaire générale

Table ronde :

 Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) – Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales, et Mme Nathalie Blanpain, statisticienne

 Institut national d’études démographiques (Ined)  Mme Géraldine Duthé, directrice déléguée à la recherche

 Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees)  M. Benoît Ourliac, sous-directeur de l’observation de la santé et de l’assurance maladie

Audition conjointe :

 Direction générale de l’offre de soins (DGOS)  Mme Anne Hegoburu, sous-directrice de la prise en charge hospitalière et des parcours ville-hôpital, et Mme Camille Hallak-Zabrocki, cheffe du bureau de la prise en charge en médecine, chirurgie et obstétrique

 Direction générale de la santé (DGS)  M. Patrick Ambroise, adjoint à la sousdirectrice Santé des populations et prévention des maladies chroniques, et Mme Khadoudja Chemlal, adjointe à la cheffe de bureau Santé des populations

Académie nationale de médecine  Pr Jean-Noël Fiessinger, président, Pr Olivier Claris, professeur émérite à la faculté de médecine Lyon Est, et Pr Yves Ville, professeur de gynécologie-obstétrique à la faculté de médecine René Descartes de l’Université Paris Cité

Pr Pierre-Yves Ancel, responsable de l’équipe Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) EPOPé et du Centre d’investigation clinique mère-enfant de l’hôpital Cochin (AP-HP), et Mme Jennifer Zeitlin, épidémiologiste périnatale, directrice de recherche à l’Inserm

Haute Autorité de santé (HAS)  Pr Lionel Collet, président, Dr Amélie Lansiaux, directrice de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, et Mme Morgane Le Bail, cheffe du service Bonnes pratiques

 


ANNEXE N° 2 :
textes susceptibles d’Être abrogÉs ou modifiÉs À l’occasion de l’examen de la proposition de loi

Proposition de loi

Dispositions en vigueur modifiées

Article

Codes et lois

Numéro d’article

1er

Code de la santé publique

L. 1461-1 et L. 1461-6

2

Code de la santé publique

L. 6122-8

3

Code de la santé publique

L. 6111-2-1 [nouveau]

Code de la sécurité sociale

L. 161-37

 


([1]) Insee Première n° 2048, avril 2025.

([2]) https://presse.inserm.fr/augmentation-significative-de-la-mortalite-infantile-en-france/44892/

([3]) Insee Première n° 2048, avril 2025.

([4]) Rapport d’information du Sénat n° 753 (2023-2024),   L’avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale, Mme Véronique Guillotin au nom de la commission des affaires sociales, septembre 2024.

([5]) Insee Première n° 2048, avril 2025.

([6]) Insee Première n° 2048, avril 2025.

([7]) Mission « flash » sur la mortalité infantile, commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, décembre 2023.

([8]) https://www.ined.fr/fr/actualites/presse/une-mortalite-infantile-plus-elevee-en-france-que-chez-ses-voisins/

([9]) Néanmoins comme met en garde l’Insee : les comparaisons entre pays sont cependant à considérer avec précaution : les pratiques de déclaration (enfants mort-nés, ou bien enfants nés vivants et décédés peu après leur naissance) peuvent varier selon les contextes ou les réglementations.

([10]) « Mortality disparities by gestional age in european countries », Sartorius et al, 2024.

([11]) Insee Première n° 2048, avril 2025.

([12]) Réponse écrite de l’Insee et de la Drees.

([13]) https://presse.inserm.fr/augmentation-significative-de-la-mortalite-infantile-en-france/44892/

([14]) Planification d’une politique en matière de périnatalité en France : organiser la continuité des soins est une nécessité et une urgence, Académie nationale de médecine, 2023.

([15]) Décret n° 98-900 du 9 octobre 1998 relatif aux conditions techniques de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour être autorisés à pratiquer les activités d’obstétrique, de néonatologie ou de réanimation néonatale et modifiant le code de la santé publique et décret n° 98-900 du 9 octobre 1998 relatif aux conditions techniques de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour être autorisés à pratiquer les activités d’obstétrique, de néonatologie ou de réanimation néonatale et modifiant le code de la santé publique.

([16])  Planification d’une politique en matière de périnatalité en France : organiser la continuité des soins est une nécessité et une urgence, Académie nationale de médecine, 2023.

([17]) Fiche Drees n° 21 – La naissance : les maternités.

([18]) Chiffres transmis par la Drees dans sa contribution écrite.

([19]) Études et résultats n° 1201, Drees, juillet 2021.

([20]) Ibid.

([21]) Études et résultats n° 1201, Drees, juillet 2021.

([22]) Planification d’une politique en matière de périnatalité en France : organiser la continuité des soins est une nécessité et une urgence, Académie nationale de médecine, 2023.

([23])              Mission d’information sénatoriale sur l’avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale, 2024.

([24]) Mathieu Levaillant, « Planification territoriale des soins en France pour assurer la qualité et la sécurité des soins : apport des études sur les bases de données administratives françaises », Université de Lille, 15 décembre 2022.

([25]) Société française de médecine d’urgence – la crise démographique des gynéco-obstétriciens va s’aggraver en l’absence de prise en compte de l’évolution des pratiques.

([26]) Contribution écrite adressée au rapporteur.

([27]) Mission d’information sénatoriale sur l’avenir de la santé périnatale et son organisation territoriale, 2024.

([28]) Contribution écrite de la société française de néonatologie.

([29]) Stratégie quinquennale – Assises de la pédiatrie et de la santé de l’enfant.

([30]) Voir notamment le compte-rendu intégral, deuxième séance du jeudi 27 mars 2025 à l’Assemblée nationale.

([31]) Décret n° 98‑900 du 9 octobre 1998 relatif aux conditions techniques de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour être autorisés à pratiquer les activités d’obstétrique, de néonatologie ou de réanimation néonatale et modifiant le code de la santé publique et décret n° 98-900 du 9 octobre 1998 relatif aux conditions techniques de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour être autorisés à pratiquer les activités d’obstétrique, de néonatologie ou de réanimation néonatale et modifiant le code de la santé publique.

([32]) Fiche Drees n° 21 – La naissance : les maternités

([33]) Chiffre transmis par la Drees dans sa contribution écrite.

([34]) La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a saisi la Cour des comptes d’une demande d’enquête sur la formation continue des médecins. La Cour s’est attachée à évaluer la pertinence et l’efficience de son organisation actuelle ainsi que sa capacité à garantir la qualité des soins prodigués aux patients.

([35]) https://assnat.fr/YknNl1