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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 mai 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI,
visant à renforcer la responsabilité des opérateurs d’infrastructures de réseaux
de communications électroniques à très haut débit en fibre optique (n° 1339).
PAR M. Emmanuel MAUREL
Député
Voir le numéro : 1339.
SOMMAIRE
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Pages
I. Le raccordement « FTTH » : un enjeu de connectivitÉ essentiel et pourtant largement dÉfaillant
A. Le fonctionnement du raccordement « FTTH »
1. Le fonctionnement technique du raccordement de la fibre
2. Les modalités réglementaires du déploiement de la fibre
B. L’État des lieux des dÉfaillances du raccordement
II. Des causes de dÉfaillances multiples et structurelles nÉcessitant l’intervention du législateur
A. Les causes des dÉfaillances du raccordement
B. La nÉcessitÉ de renforcer la responsabilitÉ des opÉrateurs d’infrastructures de rÉseaux
Article 1er bis (nouveau) Rapport sur les besoins budgétaires et humains de l’Arcep
Article 2 bis (nouveau) Modalités de résiliation du contrat d’accès à internet
Article 2 ter (nouveau) Renforcement des obligations de rétablissement de l’accès à internet
Liste des contributions Écrites
À l’heure où la France achève son basculement vers le très haut débit filaire, la promesse initiale d’un réseau de fibre optique universel, fiable et équitablement déployé, se heurte à une réalité bien plus contrastée.
Derrière les chiffres flatteurs d’une couverture nationale dépassant les 90 %, des centaines de milliers d’usagers, dans toutes les régions du pays, font chaque jour l’expérience concrète de ce que signifie être un « naufragé de la fibre » : rendez-vous manqués, raccordements impossibles, pannes récurrentes, armoires vandalisées ou laissées ouvertes, interventions mal contrôlées, voire inexistantes, sont autant d’arguments opposés au besoin de connexion de nos concitoyens.
Ce décalage manifeste entre l’ambition politique affichée et la qualité réelle du service rendu constitue moins une anomalie qu’un symptôme : celui d’un modèle de déploiement construit dès l’origine selon une logique d’externalisation systématique, de dérégulation implicite et de sous-traitance en cascade, au mépris des exigences élémentaires de continuité, de sécurité et de transparence.
Aussi la présente proposition de loi entend-elle restaurer la capacité d’action des autorités publiques face aux défaillances persistantes constatées dans la phase de raccordement final des réseaux en fibre optique.
Votre rapporteur tient à saluer le travail de notre collègue sénateur Patrick Chaize, auteur d’une proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, dont la présente proposition de loi est inspirée.
I. Le raccordement « FTTH » : un enjeu de connectivitÉ essentiel et pourtant largement dÉfaillant
A. Le fonctionnement du raccordement « FTTH »
Un réseau en fibre optique jusqu’à l’abonné, ou « Fiber to the Home » (FttH), désigne un ensemble de lignes en fibre optique permettant de relier des utilisateurs aux réseaux des opérateurs fournissant des services de communications électroniques et présents localement.
Dans le cadre du plan France très haut débit lancé en 2013, la France s’est fixé l’objectif de généraliser le déploiement du très haut débit filaire sur son territoire d’ici 2025. Ainsi, au quatrième trimestre 2024, plus de 90 % des locaux du territoire national étaient raccordables à la fibre et 5,1 millions de locaux restaient encore à rendre raccordables ([1]), parmi les 44,4 millions de locaux recensés par les opérateurs sur le territoire national.
1. Le fonctionnement technique du raccordement de la fibre
Le raccordement fonctionne selon le régime prévu à l’article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, qui dispose que toute personne établissant ou exploitant un tel réseau fait droit aux demandes raisonnables d’accès à ces lignes émanant des opérateurs fournissant des services de communications électroniques : c’est le principe de mutualisation des réseaux FttH.
En France, on attribue une partie du succès commercial de la fibre optique au recours au mode « Stoc », qui a permis un déploiement rapide de cette technologie jusqu’à l’abonné. Le mode « Stoc » désigne un mode particulier de raccordement à la fibre par lequel l’opérateur d’infrastructure (OI), qui est en charge du déploiement du réseau, sous-traite la dernière partie du raccordement à un opérateur commercial (OC). En pratique, l’opérateur commercial confie généralement lui-même les opérations de raccordement à un autre prestataire, voire à une chaîne de prestataires.
Concrètement, dans le cadre du mode « Stoc », l’OI est chargé de déployer la fibre sur le domaine public, entre son local technique (appelé NRO) et un boîtier placé à l’extrémité du câblage du client final (appelé PBO), tandis que l’OC effectue la partie finale du raccordement de l’utilisateur, entre un point de mutualisation (PM) ([2]) et le local ou le logement de l’utilisateur, via des boîtiers de branchement aussi appelés points terminales optiques (PTO).
L’architecture d’un réseau en fibre optique (ARCEP)
Source : Arcep.fr, « La fibre optique ».
2. Les modalités réglementaires du déploiement de la fibre
En France, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la Presse (Arcep) a élaboré dès 2009 un cadre réglementaire du déploiement des réseaux FttH. En se fondant sur la densité du territoire, elle a été conduite à distinguer 2 grandes zones :
● Les zones très denses, où la mutualisation a généralement lieu en pied d’immeubles ou au niveau d’armoires de rue réunissant 100 ou 300 locaux, selon la densité des poches à déployer, et où les réseaux sont déployés par les opérateurs privés sur fonds propres ;
● Les zones moins denses, définies comme l’ensemble du territoire n’étant pas situé en zones très denses. Dans ces zones, les modalités de déploiement diffèrent en fonction de l’initiative, privée ou publique :
Les RIP permettent aux collectivités territoriales, principalement les départements, d’établir et d’exploiter des réseaux de communications électroniques dans les zones où les opérateurs privés ne se sont pas engagés à déployer la fibre optique. Ce déploiement s’effectue selon les modalités prévues à l’article L. 1425‑1 du code général des collectivités territoriales et bénéficie d’un soutien financier de l’État, par le biais du guichet « RIP » administré par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).
La structuration des RIP est marquée par une forte hétérogénéité. Cette diversité tient, d’une part, à leur périmètre géographique, qui peut varier de quelques zones infra-départementales à plusieurs départements regroupés, et, d’autre part, aux modalités contractuelles arrêtées pour le déploiement et l’exploitation du réseau. En effet, les collectivités locales disposent d’une liberté étendue quant à la définition des relations juridiques avec les opérateurs, notamment s’agissant du raccordement final.
B. L’État des lieux des dÉfaillances du raccordement
Comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition de loi de votre rapporteur, « d’un point de vue qualitatif, nous sommes loin du compte. La vitesse très impressionnante de déploiement de la fibre optique s’est accompagnée d’innombrables dysfonctionnements, malfaçons et absences d’entretien des équipements. » Ainsi, comme le souligne l’observatoire de la qualité des réseaux en fibre optique de l’Arcep, publié le 26 mars 2025, certains réseaux demeurent durablement en deçà des attentes, notamment ceux repris par les opérateurs d’infrastructure Altitude et Altice (XP Fibre), qui concentrent les taux de pannes les plus élevés. Sont particulièrement concernés les réseaux Sequantic Telecom, Tutor Europ’Essonne, Débitex Telecom, ainsi que plusieurs réseaux exploités sous la marque XP Fibre en Île-de-France.
Ces résultats confirment que les difficultés rencontrées par certains opérateurs d’infrastructure, ainsi que par certains départements, notamment dans la moitié est de l’Île-de-France, dans le Calvados, le Tarn, l’Isère et les Bouches-du-Rhône, continuent de fragiliser la qualité de l’accès effectif à la fibre, malgré la couverture désormais très majoritaire du territoire.
Pannes signalÉes à l’OI sur les rÉseaux en fibre optique
entre mai 2024 et octobre 2024 (ARCEP)
Source : Observatoire de la qualité des réseaux en fibre optique - chiffres jusqu’à octobre 2024 (26 mars 2025)
Toutefois, il convient de noter que l’Arcep, dans la contribution écrite qu’elle a remise à votre rapporteur, remarque une diminution des taux de pannes au cours des dernières années. Ainsi, « pour les réseaux les plus dégradés, notamment en Ile-de-France, le taux moyen de pannes a diminué, passant de 0,51 % en janvier 2024 à 0,30 % en octobre 2024 (– 0,21 point) et se rapprochant ainsi progressivement des standards de marchés ». Cependant, « s’agissant des taux d’échecs au raccordement, l’Autorité observe une stabilité globale des taux d’échecs au raccordement sur les derniers mois d’observation ».
Ces évolutions méritent d’être saluées. Toutefois, dans sa contribution écrite, l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca) vient utilement tempérer l’idée selon laquelle l’amélioration des raccordements devrait priver le législateur de son pouvoir d’action : « Si une certaine baisse est effectivement observée, nous partons d’un niveau tellement élevé qu’il faudrait plus d’une décennie pour arriver à un niveau simplement « acceptable ». À titre d’illustration, l’Ain audite régulièrement les raccordements réalisés par les 4 OCEN ; les malfaçons représentaient entre 80 et 90 % des raccordements réalisés il y a 2 ans. Aujourd’hui, le taux de malfaçons est de 70 %. Mathématiquement, c’est une baisse, mais qui pourrait dire que c’est satisfaisant ? »
II. Des causes de dÉfaillances multiples et structurelles nÉcessitant l’intervention du législateur
A. Les causes des dÉfaillances du raccordement
Les causes des défaillances en matière de raccordement sont multiples. L’Arcep, dans sa contribution écrite, met en évidence au moins trois facteurs expliquant la persistance des taux d’échec et de panne sur le réseau :
– Les réseaux ayant des taux de pannes très supérieurs à la moyenne sont souvent des réseaux anciens, construits au début du déploiement du FttH, avec parfois des architectures spécifiques ou certains réseaux ayant fait l’objet d’une maintenance insuffisante lors de périodes particulières de rachat.
– Toujours selon l’autorité, les difficultés observées sur l’ensemble du territoire résultent, d’une part, d’un défaut de contrôle effectif des interventions réalisées en mode STOC par les techniciens lors des raccordements, des changements d’opérateur ou des opérations de maintenance, et, d’autre part, d’échanges d’informations insuffisants entre opérateurs d’infrastructure et commerciaux. Ces carences ont entraîné à la fois des désalignements entre les systèmes d’information et la réalité du terrain, ainsi que la réalisation de raccordements fonctionnels mais non conformes aux règles de l’art, susceptibles de provoquer des pannes ultérieures.
– Enfin, le manque de formation de certains intervenants, ou bien des conditions contractuelles inadaptées peuvent mener à des dégradations ou des raccordements qui ne sont pas construits dans les règles de l’art.
Votre rapporteur tient également à souligner que le phénomène désormais bien identifié des « naufragés de la fibre » trouve en partie son origine dans les choix initiaux imposés par l’Union européenne, par la directive du 7 mars 2002 établissant un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques, transposée en droit français par la loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle. Ce texte, souvent présenté comme neutre et technique, a en réalité opéré un déplacement radical du modèle français, en érigeant un principe de « service universel » conçu sur des bases concurrentielles et profondément étranger à la tradition française du service public.
En consacrant ce principe, la loi de transposition a interdit à l’État et aux collectivités territoriales d’intervenir pour piloter, financer ou cofinancer la construction et l’exploitation des réseaux de fibre optique dans les zones jugées rentables par le marché. Ainsi, dans les territoires dits « denses », la puissance publique s’est vue reléguée à un rôle d’observateur impuissant, condamnée à laisser les opérateurs privés agir seuls, même lorsque leurs interventions s’avéraient techniquement fragiles ou territorialement inégalitaires. Ce renoncement a constitué le terreau des déséquilibres actuels.
B. La nÉcessitÉ de renforcer la responsabilitÉ des opÉrateurs d’infrastructures de rÉseaux
Votre rapporteur plaide pour un renforcement de la responsabilité des opérateurs d’infrastructures de réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique. Un tel renforcement est d’autant plus nécessaire qu’il s’inscrit dans la perspective du décommissionnement du réseau cuivre (utilisé pour l’ADSL) d’ici 2030, qui conduira à une hausse du nombre de raccordements à la fibre optique. Il propose ainsi :
– de reconnaître explicitement le pouvoir de police spéciale des communications électroniques aux autorités de régulation concernées ;
– d’élargir explicitement les prérogatives de l’Arcep au contrôle de la qualité des raccordements ;
– de permettre à l’autorité d’augmenter, de façon temporaire, par arrêté ministériel, jusqu’à 100 % le montant plafond de la redevance sur le périmètre territorial concerné en cas de sinistralité persistante sur l’infrastructure ;
– de permettre à la collectivité territoriale d’augmenter de manière unilatérale le montant de sa redevance dans une proportion de 100 % maximum ;
– de lui permettre également de réduire de manière unilatérale la durée de la convention d’occupation du domaine public afférente dans une proportion de 10 % maximum ;
– enfin, de lui donner, lorsqu’elle est située en « zone moins dense » et que la défaillance du marché est attestée, la faculté de constituer un réseau d’initiative publique.
Adopté par la commission avec modifications
Cet article confie l’exercice du pouvoir de police spéciale des communications électroniques à l’Arcep et à l’Agence nationale des fréquences. Il élargit les missions de l’Arcep à la qualité, la pérennité, l’intégrité et la sécurité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique.
L’article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, tel que modifié par l’ordonnance n° 2021-650 du 26 mai 2021, détermine en son I les conditions d’exercice des activités de communication électroniques, rappelant que celles-ci s’exercent librement et doivent assurer « le droit de chacun au bénéfice du service universel des communications électroniques ». Il précise également que la fonction de régulation du secteur des communications électroniques est exercée de manière indépendante par le ministre chargé des communications électroniques et l’Arcep.
Ces deux autorités désignées ont, au terme du II de cette même disposition, différentes attributions. Ils doivent prendre « dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées en vue d’atteindre les objectifs suivants » : la fourniture et le financement de l’ensemble des composantes du service public des communications électroniques ; le développement de l’emploi, de l’investissement et de l’innovation du secteur ; l’aménagement du territoire et la protection des consommateurs ; la neutralité de l’internet et le suivi des évolutions du marché ; le respect par les opérateurs de la protection des données personnelles ; l’intégrité et la sécurité des réseaux de communication électronique ; la protection de l’environnement et de la santé ainsi que la limitation de l’exposition de la population aux champs électromagnétiques ; et, enfin, le développement de nouvelles technologies pouvant occuper les bandes fréquences disponibles.
Toutefois, ces différentes attributions ne constituent pas une habilitation législative explicite confiant aux autorités mentionnées un pouvoir de police spéciale en matière de communications électroniques ([3]). Il a fallu attendre une jurisprudence du Conseil d’État, désormais abondante et claire, pour que cette compétence fût définitivement reconnue. Par trois décisions du 26 octobre 2011 ([4]), il a jugé que, en raison des dispositions figurant aux articles L. 32-1, L. 34-9-1, L. 34-9-2, L. 42-1 et L. 43 du code des postes et des communications électroniques, le législateur avait organisé de manière complète une police spéciale des communications électroniques confiée à l’État, c’est-à-dire au ministre chargé des communications électroniques, à l’Arcep et à l’Agence nationale des fréquences (ANFR).
Dans un récent arrêt du 5 janvier 2023, la Cour d’appel de Versailles ([5]) a, pour la première fois, fait application de la reconnaissance de ce pouvoir de police spéciale des communications électroniques de l’État en matière de déploiement de la fibre optique, en rejetant l’action contentieuse d’un maire contre un opérateur au motif que seule l’Arcep, conjointement avec le ministre chargé des communications électroniques, était habilitée à réguler, contrôler et sanctionner les opérateurs dans ce domaine, excluant toute compétence propre des autorités municipales ([6]).
Cette décision témoigne d’un consensus quant à l’élargissement des prérogatives de l’Arcep, au-delà des seules attributions qui lui sont reconnues par le II de l’article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, lequel ne mentionne pas explicitement les raccordements FttH. L’Arcep elle-même s’était jugée compétente pour connaître du sujet de la mise en œuvre technique et financière des raccordements à l’occasion de sa décision n° 2015-0776 du 2 juillet 2015, se rattachant à l’article L. 36-6 du code des postes et des communications électroniques, qui prévoyait sa compétence en matière d’interconnexion et d’accès ([7]).
Toutefois, l’exercice de la police spéciale des communications électroniques par l’Arcep en matière d’infrastructures de réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique apparaît, aujourd’hui, strictement restreint aux sujets techniques et financiers de raccordement. Ses pouvoirs de contrôle et de sanction ne visent pas directement la qualité et la pérennité des raccordements à la fibre, alors que cet enjeu croissant fait l’objet de forts mécontentements de la part des utilisateurs finaux, mais aussi des élus locaux. Face à ces lacunes, il apparaît nécessaire de renforcer le cadre normatif existant pour inclure explicitement la qualité, la pérennité et la sécurité des raccordements dans les compétences de l’Arcep, afin de répondre aux attentes légitimes des usagers et des collectivités territoriales.
L’article 1er de la proposition de loi confirme le pouvoir de police spéciale de l’Arcep en matière de communications électroniques et étend explicitement ses prérogatives, de manière à rendre effective l’application de l’article 2 présenté ci-après.
L’article 1er de la proposition de loi vise à ajouter un 4° au I du L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, ainsi rédigé : « La police spéciale des communications électroniques est exercée par le ministre chargé des communications électroniques, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et l’Agence nationale des fréquences. »
Cette reconnaissance explicite, si elle peut paraître superfétatoire au regard de la consécration jurisprudentielle du pouvoir de police spéciale, apporte toutefois une garantie supplémentaire et bienvenue. Elle offre une base juridique incontestable, renforçant la légitimité des interventions de l’Arcep, de l’ANFR et du ministre chargé des communications électroniques dans la régulation du secteur, tout en prévenant les contestations futures quant à l’étendue des compétences de ces autorités.
L’article 1er de la présente proposition de loi amende également le II de l’article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques pour insérer, au rang des attributions reconnues à l’Arcep et au ministre chargé des communications électroniques, « la qualité, la pérennité, l’intégrité et la sécurité des raccordements aux réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique mentionnés à l’article L. 34‑8‑3 ».
Il met ainsi fin à une incertitude juridique persistante concernant le périmètre exact des compétences des autorités publiques en matière de régulation des réseaux de fibre optique, et notamment des opérations de raccordement des utilisateurs finaux. Jusqu’à présent, ni l’article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, dans sa rédaction en vigueur, ni les décisions prises sur son fondement ne permettaient d’affirmer de manière indiscutable que la qualité, la pérennité, l’intégrité ou la sécurité des raccordements relevaient du champ d’intervention normatif et opérationnel de l’Arcep ou du ministre chargé des communications électroniques.
L’amendement CE 9, proposé par votre rapporteur, modifie le dernier alinéa du III de l’article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, en élargissant le périmètre des informations que l’Arcep peut exiger des opérateurs d’infrastructure. Il substitue au terme « informations » les mots « indicateurs de niveaux de qualité de service ou des informations techniques et comptables », précisant ainsi la nature des données concernées et explicitant la mission de l’Arcep dans le contrôle de la qualité, de la sécurité et de l’intégrité des raccordements. Il confie également à l’Arcep la mission de préciser le contenu de ces indicateurs.
Enfin, il introduit une obligation de publication trimestrielle, par l’Arcep, des résultats de ces indicateurs ou informations, renforçant la transparence sur la qualité des réseaux à très haut débit en fibre optique.
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Adopté par la commission avec modifications
Cet article prévoit la présentation, par le Gouvernement, d’un rapport sur les besoins budgétaires et humains de l’Arcep.
La commission a adopté l’amendement CE 3, présenté par plusieurs membres du groupe LFI-Nouveau front populaire et ayant reçu un avis favorable de votre rapporteur.
Cet amendement demande au Gouvernement un rapport sur les besoins budgétaires et humains de l’Arcep pour lui permettre d’exercer les nouvelles missions qui lui sont confiées par la présente proposition de loi.
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Adopté par la commission avec modifications
Cet article introduit, au bénéfice de l’État et des collectivités territoriales, des mécanismes de correction et de sanction en cas de persistance de taux d’échecs au raccordement sur les réseaux.
Au terme de l’article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, tel que modifié par l’ordonnance n° 2021-650 du 26 mai 2021, toute personne « établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final fait droit aux demandes raisonnables d’accès à ladite ligne et aux moyens qui y sont associés émanant d’opérateurs, en vue de fournir des services de communications électroniques à cet utilisateur final. »
Concrètement, l’opérateur exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique doit pouvoir proposer un accès à celle-ci à l’opérateur commercial qui en fait la demande, dès lors qu’elle est justifiée par le souhait d’un utilisateur final d’être raccordé au réseau. Toutefois, la généralisation du mode STOC, conjuguée au manque de contrôle des opérateurs ainsi qu’au manque de qualification des intervenants, a conduit à une hausse substantielle des taux d’échecs du raccordement.
L’article 2 de la présente proposition de loi insère deux nouvelles sections au sein de l’article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques, prévoyant des mesures de correction et de sanction des opérateurs en cas de persistance des taux d’échec des raccordements.
Au terme de l’article 2 de la proposition de loi, l’Arcep (dotée, en vertu de son article 1er, d’un pouvoir de police spéciale s’étendant à la qualité des raccordements) aura la possibilité de recevoir des signalements, soit « transmis par les utilisateurs finals », soit par « toute autre personne physique ou morale ayant un intérêt à agir », démontrant que l’opérateur d’infrastructure n’a pas été en mesure de réduire les taux d’échec au raccordement de son réseau.
Si ce taux d’échec est supérieur à 10 % durant au moins six mois sur les neuf mois précédant la période de référence, ou si le taux de panne est supérieur à 0,5 % ([8]), alors l’autorité :
– aura la possibilité d’augmenter de 100 % le montant maximum des redevances prévues à l’article 47 du code des postes et des communications électroniques sur le ressort géographique en cause ;
Les redevances prévues au titre de l’article 47
du code des postes et des communications électroniques
L’article L. 47 du code des postes et des communications électroniques autorise les exploitants de réseaux ouverts au public à occuper le domaine public routier pour y implanter les ouvrages nécessaires à l’établissement ou à l’entretien des réseaux de communications électroniques, sous réserve que cette occupation soit compatible avec l’affectation du domaine. Cette occupation est encadrée par une permission de voirie délivrée par l’autorité compétente, laquelle peut fixer des prescriptions techniques visant à garantir la sécurité de la circulation, la conservation du domaine routier et le respect des exigences essentielles, des règles d’urbanisme et de la protection de l’environnement.
Cette permission donne lieu au versement de redevances aux collectivités publiques concernées, dans le respect du principe d’égalité entre tous les opérateurs. Ces redevances sont plafonnées par un décret en Conseil d’État, qui en fixe les montants maximums.
En cas de défaillance technique persistante constatée par l’Arcep dans une zone donnée, notamment en matière de taux d’échec ou de panne sur les raccordements FttH, l’autorité pourra, sur le fondement de l’article 2 de la proposition de loi, doubler ce plafond dans la zone concernée, renforçant ainsi la pression financière sur les opérateurs défaillants.
– pourra autoriser les personnes publiques parties aux conventions d’occupation du domaine public afférentes à modifier de manière unilatérale le montant des redevances, dans une proportion qui ne peut excéder 100 % durant une période inférieure ou égale à 10 % de la durée de la convention ;
– pourra autoriser ces mêmes personnes publiques à réduire de manière unilatérale la durée des conventions susmentionnées dans une proportion qui ne peut excéder 10 %.
Suivant le même mécanisme, l’alinéa 6 de l’article 2 de la proposition de loi ajoute un IV ter à l’article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques prévoyant que, dans l’hypothèse où l’autorité constaterait un taux d’échec supérieur à 10 % ou un taux de panne supérieur à 0,5 % pendant l’année précédant l’échéance de la convention d’occupation du domaine public, la collectivité concernée puisse constituer un réseau d’initiative publique dans les conditions prévues par l’article L. 1425‑1 du code général des collectivités territoriales.
Actuellement, cette faculté est encadrée par une procédure préalable de publicité et de consultation, laquelle impose à la collectivité ou au groupement de collectivités territorialement compétents de publier, au moins deux mois avant toute intervention, un projet détaillé sur un support habilité à recevoir des annonces légales et d’en transmettre simultanément une copie à l’Arcep.
Par ailleurs, la création ou l’exploitation d’un tel réseau ne peut intervenir qu’après constat formel de l’insuffisance d’initiatives privées, établie au terme d’un appel public à manifestation d’intentions déclaré infructueux, et à condition que les interventions projetées respectent les principes d’objectivité, de transparence, de non-discrimination, de proportionnalité ainsi que le cadre concurrentiel applicable au marché des communications électroniques.
Votre rapporteur considère qu’une telle solution redonnera aux collectivités territoriales un levier d’action concret face aux défaillances persistantes des opérateurs privés dans le déploiement de la fibre optique.
L’amendement CE 12, présenté par votre rapporteur et adopté par la commission, vise à préciser que les personnes éventuellement redevables de redevances temporairement doublées ne peuvent être que des opérateurs d’infrastructures. En effet, aux termes de l’article L. 47 du code des postes et des communications électroniques, il peut arriver que les personnes versant des redevances soient les propriétaires du génie civil (fourreaux, chambres) et non ceux des câbles de fibre optique. Pour éviter cet effet délétère, l’amendement apporte donc une précision juridique et, dans un souci de cohérence, indique également que le doublement du montant du plafond maximal de redevances se fait par dérogation au décret du ministre fixant ce plafond.
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Introduit par la commission
Cet article vise à faciliter la résiliation du contrat d’accès à internet en cas de défaillance du fournisseur
La commission a adopté l’amendement CE 1 de plusieurs membres du groupe LFI-Nouveau front populaire, visant à permettre au consommateur de résilier sans frais son contrat d’accès à internet en cas d’interruption du service excédant sept jours consécutifs.
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Introduit par la commission
Cet article vise à renforcer l’obligation de rétablissement rapide d’internet.
La commission a adopté l’amendement CE 6 du groupe GDR visant à instaurer l’obligation, pour les fournisseurs d’accès à internet, de rétablir le service dans les plus brefs délais et de verser automatiquement une indemnité à l’abonné en cas d’interruption excédant cinq jours consécutifs.
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Introduit par la commission
Cet article prévoit la présentation d’un rapport sur la couverture en fibre optique dans les territoires ultramarins.
La commission a adopté l’amendement CE 4 de plusieurs membres du groupe LFI-Nouveau front populaire, formulant une demande de rapport sur l’état de la couverture en fibre optique dans les territoires ultramarins, en particulier en Guyane, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
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Supprimé par la commission
Cet article a pour seul objet d’assurer la recevabilité financière de la proposition de loi au stade de son dépôt.
L’article 3 vise, d’un point de vue procédural, à assurer la recevabilité de la proposition de loi, au stade de son dépôt, au regard des règles résultant de l’article 40 de la Constitution en matière financière.
La commission a rejeté cet article.
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À l’issue de l’examen de ses articles, la proposition de loi a été rejetée par la commission.
Au cours de sa réunion du mardi 27 mai 2025 après-midi, la commission des affaires économiques a examiné la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des opérateurs d’infrastructures de réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique (n° 1339) (M. Emmanuel Maurel, rapporteur).
Mme la présidente Aurélie Trouvé. La proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des opérateurs d’infrastructures de réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, que nous examinons aujourd’hui et pour laquelle notre collègue Emmanuel Maurel a été désigné rapporteur, fait l’objet d’une procédure de législation en commission. L’examen de ce texte en séance est prévu le jeudi 5 juin prochain, en neuvième point de l’ordre du jour, dans le cadre de la journée réservée du groupe GDR.
Le raccordement des abonnés à la fibre optique a progressé au cours des dernières années – à la fin de l’année dernière, 90 % des locaux du territoire national y étaient raccordés. Néanmoins, il reste plus de cinq millions de locaux non raccordés, et le service fourni s’avère trop souvent défaillant. Le rapporteur reviendra sur ces dysfonctionnements et leurs causes et proposera des solutions législatives pour y mettre fin.
Ces défaillances ne concernent pas seulement les territoires ruraux. Dans le département de Seine-Saint-Denis, par exemple, les pannes durent longtemps en raison de problèmes de maintenance. Elles sont très ennuyeuses, notamment pour les jeunes et les étudiants.
Cette proposition de loi comporte trois articles. La commission est saisie de onze amendements, dont aucun n’a été déclaré irrecevable.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Je vous remercie de m’accueillir dans cette commission.
Ce texte concerne un problème du quotidien qui gâche la vie de plusieurs millions de Françaises et de Français. On ne compte plus le nombre d’incidents, de pannes à répétition et d’interruptions du service d’internet à très haut débit, durant plusieurs mois parfois. Dans le Val-d’Oise où je suis élu, j’ai rencontré plusieurs familles qui ont été privées d’internet pendant plusieurs mois – le record est de dix-huit mois.
Depuis le lancement du plan « France très haut débit », ces dysfonctionnements récurrents ont pris de telles proportions qu’une nouvelle catégorie de Français qui les subissent s’est autodésignée les « naufragés de la fibre ».
Ce sujet a parfois du mal à franchir les portes de certains colloques, car on a l’impression qu’il concernerait l’accès à internet de personnes qui « scrollent » sur leur téléphone ; mais ces problèmes touchent aussi des gens qui ne peuvent pas télétravailler, car leur raccordement a été saboté, ou encore des personnes souffrant d’affections de longue durée, qui disposent d’objets médicaux connectés.
Ces défaillances concernent tant les territoires ruraux que les départements de la petite et de la grande couronnes, la banlieue, les métropoles. Des ménages très divers, qui ont en commun le fait de se retrouver privés d’une connexion précieuse pour leur travail ou leur vie quotidienne, sont touchés. Tant les collectivités territoriales que les utilisateurs se trouvent ainsi démunis, ce qui nécessite une intervention urgente du Parlement afin de mettre les opérateurs commerciaux et les opérateurs d’infrastructures face à leurs responsabilités.
Une proposition de loi sur ce sujet a déjà été votée à l’unanimité au Sénat, à l’initiative de notre collègue Patrick Chaize, qui a accompli un important travail d’investigation et mené de nombreuses auditions. Nous avons souhaité l’inscrire dans le cadre de la semaine transpartisane, mais cela nous a été refusé. L’agenda de l’Assemblée nationale étant très contraint, j’ai proposé un texte plus court mais tout aussi efficace.
Il s’agit de permettre aux naufragés de la fibre de bénéficier du service qui leur avait été promis. Du reste, ils assistent un peu médusés au spectacle de l’impuissance politique. Les maires rencontrent des difficultés pour résoudre ces situations : on les renvoie de service en service, ils finissent par saisir l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Au bout du compte, de nombreux Français sont privés du droit élémentaire à une connexion internet.
L’état des lieux est contrasté. Au point de vue quantitatif, la fibre a été déployée à une vitesse impressionnante, que nous envient beaucoup de nos voisins européens : à la fin de l’année 2024, 90 % des 44 millions de locaux étaient raccordés. Néanmoins, au point de vue qualitatif, des dizaines d’infrastructures de réseau ne fonctionnent pas. C’est une chose que d’avoir un réseau de fibre ; c’en est une autre d’avoir un réseau qui fonctionne.
D’après l’Arcep, sur 221 infrastructures de réseaux de fibre déployés en France, plus de soixante ont enregistré un taux d’échec au raccordement supérieur à 7 %, touchant des centaines de milliers de gens. Ces réseaux sont situés en petite et grande couronne parisienne, notamment dans la Seine-Saint-Denis, l’Essonne, le Val-d’Oise et la Seine-et-Marne, en métropole lyonnaise et dans les régions Rhône-Alpes, Bretagne, Normandie, Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), Occitanie et Alsace.
Un sondage Ifop corrobore ces chiffres : 49 % des Français déclarent avoir subi des problèmes de connexion internet en 2024. En outre, le nombre d’alertes et de signalements reçus par l’Arcep n’a cessé d’augmenter ; et bien que l’Arcep considère que la situation s’est améliorée, il y a débat. En effet, selon l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca), le nombre de problèmes est en légère baisse ; mais il était tellement élevé qu’il faudrait plus d’une décennie pour arriver à un niveau acceptable.
Soyons honnêtes : certains réseaux d’infrastructures fonctionnent mieux que d’autres. Alors que certains réseaux, repris par les opérateurs Altitude ou Altice France – plus connu sous le nom de XPFibre – sont dans un état déplorable, les réseaux gérés par Orange ou Bouygues Telecom fonctionnent mieux.
Les causes des défaillances sont nombreuses. Certains réseaux sont vétustes ; l’architecture spécifique d’autres réseaux ne permet pas de fournir un débit internet suffisant ; la maintenance est parfois insuffisante, ce qui engage la responsabilité des opérateurs. Par ailleurs, le recours à la sous-traitance par l’opérateur commercial, le mode « Stoc », pose des problèmes, car il existe d’innombrables raccordements bâclés ou sauvages – lorsque, par exemple, un sous-traitant d’opérateur commercial débranche un abonné existant pour connecter un nouvel abonné. Cela arrive tous les jours, on dénombre des centaines de cas sur le territoire national.
Par ailleurs, le fait générateur de ces défaillances réside dans les choix initiaux faits par l’Union européenne. La directive de 2002, transposée en 2004, traduit une confiance aveugle dans le marché et l’ouverture à la concurrence pour régler les problèmes et assurer un service universel. Or cela n’a pas très bien fonctionné. Du reste, cela devrait nourrir notre réflexion quant à l’obsession de certains dirigeants européens qui souhaitent ouvrir des services collectifs ou des biens communs à la concurrence et au marché.
Ce constat est partagé par les sénateurs et de nombreux députés qui sont confrontés à des défaillances dans leurs circonscriptions. C’est pourquoi je vous propose un dispositif simple qui vise à répondre, autant que faire se peut, à tous les problèmes rencontrés par nos concitoyens.
L’article 1er reconnaît explicitement le pouvoir de police spéciale des communications électroniques au ministre chargé du numérique, ainsi qu’à l’Arcep et à l’Agence nationale des fréquences (ANFR). Il s’agit d’entériner une jurisprudence régulièrement rappelée par le juge administratif et de montrer à nos concitoyens que le Gouvernement et ses opérateurs sont en première ligne pour leur garantir la qualité de service à laquelle ils ont droit. Cet article consacre que la fibre et les réseaux internet à très haut débit constituent une question politique, au plein sens du terme, et ne se limitent pas à une simple relation commerciale entre les clients et certaines entreprises peu scrupuleuses, face auxquelles ils ne disposent d’aucun moyen de pression. Des usagers se retrouvent complètement démunis face à un service qu’ils payent et auquel ils ont droit, mais dont ils peuvent être privés durant plusieurs mois : voilà ce qui m’obsède le plus.
L’article 2 propose plusieurs solutions pour inciter les opérateurs d’infrastructures à se « retrousser les manches », faute de quoi ils devront indemniser le préjudice qu’ils font subir aux naufragés de la fibre : c’est une nouveauté. Les maires des villes où la fibre ne fonctionne pas pourront, après une décision préalable du Gouvernement, percevoir une indemnité sous forme d’une hausse de la redevance d’occupation du domaine public, d’une réduction unilatérale de la durée de convention d’occupation du domaine public ou d’un cumul des deux.
Je précise à l’intention de ceux qui considéreraient ces mesures exagérées – c’est ce que disent les opérateurs – qu’elles aboutiraient, dans des cas extrêmes, à une hausse d’environ 11 % du prix total convenu dans le contrat. Vu l’étendue des dégâts, ce n’est pas cher payé !
La dernière proposition est de desserrer la contrainte pour permettre à la collectivité de constituer un réseau d’initiative publique (RIP), dès lors que la défaillance du marché est attestée. Leur gouvernance est, en général, assurée par les départements. Même si on relève des problèmes dans certains réseaux publics, on constate que leur qualité est généralement bien meilleure que celle des réseaux gérés par des opérateurs privés qui sont largement défaillants. Le développement des RIP requiert des financements, comme l’a noté l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) dans un texte publié au mois de janvier. Toutefois, sur le plan économique, c’est un choix gagnant, car il vaut mieux qu’un territoire ait bénéficié du concours de la puissance publique et qu’il ne rencontre plus de problèmes de connexion à internet, plutôt que ces défaillances subsistent.
Enfin, j’espère que nous compléterons le texte en adoptant les amendements visant à indemniser les naufragés de la fibre et à leur offrir la possibilité de résilier leur abonnement sans frais, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Ces dispositions importantes avaient été votées par les sénateurs de tous les groupes.
Bien qu’il n’épuise pas le sujet, ce texte constitue l’occasion de dire clairement aux opérateurs : ça suffit ! Ça suffit de « balader » les abonnés pendant des semaines ou des mois ; ça suffit de poursuivre tranquillement un enrichissement sans cause qui n’est pas digne de notre pays, et encore moins de ses grandes ambitions en matière de développement numérique. Voilà en quelques mots l’esprit de cette proposition de loi qui, je l’espère, vous convaincra tous. Nous répondrions à un problème rencontré par beaucoup trop de gens.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Lionel Tivoli (RN). En tant que député issu d’un territoire rural, je salue l’objet de cette proposition de loi. Elle met enfin des mots sur une réalité trop longtemps niée, celle du désastre qu’est, pour beaucoup de nos concitoyens, le déploiement de la fibre optique.
Oui, la France est championne d’Europe du nombre de kilomètres de fibre installée. Mais que vaut ce record quand tant de foyers ruraux subissent encore des raccordements ratés, des interruptions de service, des interventions bâclées, quand des armoires sont ouvertes à tout vent ? Chez nous, dans les campagnes, l’internet très haut débit est souvent un mirage. La colère des administrés se déverse bien souvent sur les élus locaux qui ne disposent d’aucun levier pour agir.
Ce texte comporte des avancées. Il redonne un peu de pouvoir aux collectivités territoriales face aux opérateurs privés qui font trop souvent la loi. Il permet de moduler les redevances, voire de les doubler, et d’envisager la création d’un réseau d’initiative publique en cas de sinistralité persistante.
Toutefois, nous n’en serions pas là si les autorités compétentes, notamment l’Arcep, avaient fait leur travail. Le régulateur dispose des chiffres et recueille les signalements, il sait très bien quels sont les réseaux défaillants et les opérateurs qui multiplient les malfaçons. Toutefois, l’Arcep se contente trop souvent d’observer, de publier des rapports et de brandir des menaces, sans jamais les mettre à exécution. Elle dispose de leviers, elle peut sanctionner, elle peut contraindre, mais elle ne le fait pas. Pourquoi ? Elle souhaite, je pense, éviter de heurter les intérêts des opérateurs.
Or, pendant ce temps, les territoires trinquent, l’accès à internet des habitants dépend d’un sous-traitant mal formé et peut être entravé par une armoire éventrée ou un câble débranché par inadvertance. Ce n’est pas acceptable ! Nous avons besoin d’un vrai sursaut, pas seulement de « mesurettes » correctrices mais d’un changement de paradigme. Le numérique est une mission d’intérêt général et il doit être traité comme tel. Dans ma circonscription, pas un jour ne s’écoule sans qu’un administré me contacte pour des problèmes liés à son réseau, en raison de l’inaction des opérateurs. Il faut désormais les contraindre et les mettre face à leurs responsabilités.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Vous êtes député d’un territoire rural ; les élus d’une ville-centre sont également confrontés aux mêmes difficultés. Dans plusieurs territoires du Val-d’Oise, les sous-traitants se succèdent et débranchent parfois la fibre de certains abonnés au profit de nouveaux.
Oui, les élus locaux se retrouvent en première ligne. Les abonnés n’obtenant pas de réponse de la part des opérateurs commerciaux, qui renvoient la responsabilité de la défaillance aux opérateurs d’infrastructures, ils se retournent vers leur maire ou les élus du conseil départemental qu’ils admonesteront. Or, les élus ne sont pas responsables. Du reste, je pourrais vous citer des élus de droite comme de gauche qui sont intervenus auprès des opérateurs plusieurs centaines de fois au cours d’une année pour essayer de régler le problème, mais sans succès.
La puissance des opérateurs commerciaux, qui n’assument pas leurs responsabilités et qui se renvoient la balle, pose un vrai problème. Ils créent un sentiment d’impuissance publique à résoudre des problèmes face à des opérateurs privés qui gagnent beaucoup d’argent – cela devrait tous nous obséder.
S’agissant de l’Arcep, je serais plus nuancé. J’ai parfois le sentiment, en effet, à la fois en tant que député et en tant que citoyen, que cette autorité de régulation utilise peu son pouvoir de sanction ; mais il faudrait peut-être préciser ses compétences et lui allouer plus de moyens.
Mme Annaïg Le Meur (EPR). Ce texte traite du sujet si important de la qualité du raccordement à la fibre optique. Si la France est championne en matière de raccordement à la fibre optique, la qualité de ce raccordement laisse à désirer dans certains départements et certaines zones.
Vous proposez de vous attaquer à ce problème en renforçant les pouvoirs de police de l’Arcep dans l’article 1er. L’article 2 vise à doubler le montant de la redevance acquittée par les opérateurs dans le cadre des conventions d’occupation du domaine public en cas de dysfonctionnement et à donner la faculté aux collectivités publiques de constituer des RIP si la qualité du raccordement réalisé dans le cadre d’un appel à manifestation d’engagements locaux (Amel) ou d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) s’avère insatisfaisante.
Nous comprenons bien l’objet de votre proposition de loi, dont certains aspects sont intéressants. Elle offre en effet plus de souplesse aux collectivités dans le cadre du déploiement de la fibre. Toutefois, nous avons plusieurs interrogations et réserverons notre position de vote en fonction des réponses données à ces questions. Premièrement, la transformation d’une redevance en une amende administrative ne présente-t-elle pas un risque d’inconstitutionnalité ? Deuxièmement, nous sommes plutôt favorables au renforcement des pouvoirs de l’Arcep dans le cadre de sa mission de régulation. En quoi consisteraient exactement les pouvoirs de police que vous souhaitez lui confier ? Enfin, la possibilité pour le Gouvernement et les collectivités d’augmenter le montant de la redevance d’occupation du domaine public ne risque-t-elle pas de pénaliser les collectivités, qui sont souvent propriétaires du génie civil hébergeant les réseaux de fibre optique ?
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Je n’ai pas compris votre première question. Le texte vise à augmenter la redevance ; rien ne s’y oppose sur le plan juridique. Au sein de l’arsenal de mesures que je propose pour accélérer la résolution des problèmes, cette disposition relève du bon sens.
Deuxièmement, bien que certains aient souhaité supprimer l’Arcep lors de l’examen du projet de loi de simplification de la vie économique, on a besoin d’une autorité de régulation dans ce domaine. Le texte ne prévoit pas d’étendre ses pouvoirs, mais plutôt de lui donner un « feu vert » plus rapidement pour sanctionner et punir.
Enfin, je n’ai pas compris votre dernière question.
Mme Annaïg Le Meur (EPR). Les collectivités ont déjà la capacité d’augmenter le montant de la redevance d’occupation du domaine public. Or, si elles sont propriétaires du génie civil, cela les conduirait à « s’autopénaliser ».
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Je salue les communes qui ont fait ce choix dans les zones très peu denses, souvent grâce à l’aide des départements. Elles l’ont fait pour une raison simple : les opérateurs privés ne voulaient pas investir, car ce n’était pas suffisamment rentable.
La faculté de constituer un RIP en cas de défaillance du marché est une arme supplémentaire pour lutter contre ce problème structurel.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Je tiens à remercier le groupe GDR, notamment le rapporteur Emmanuel Maurel, qui reprend un texte d’initiative sénatoriale. Le XXIᵉ siècle est et sera celui des réseaux, notamment celui des réseaux collectifs d’énergie, de ressources, de communications, ainsi que des réseaux socionumériques. L’accès à internet à très haut débit est un besoin et un droit, dont l’État doit assurer l’égal et universel accès pour toutes et tous.
C’est la raison pour laquelle une politique publique de déploiement général de la fibre a été engagée en 2013, qui visait à combler la fracture numérique sur l’ensemble du territoire d’ici à la fin de l’année 2025. Cela étant, si la couverture est satisfaisante, elle n’est pas complète. De surcroît, le déploiement de la fibre s’accompagne de défaillances et de ruptures de service.
Dans ma circonscription en Seine-et-Marne, notamment à Melun et à Dammarie-les-Lys, l’absence de sécurisation des armoires entrave l’accès à internet, C’est souvent le chaos, les fils sont en bataille et les déconnexions, à portée de main. Bien que ce soit tentant, on ne blâmera pas outre mesure les agents diligentés par les opérateurs privés et les sous-traitants à l’opérateur commercial, qui interviennent « à l’arrache », « bidouillent » de manière non coordonnée et doivent composer, bon an mal an, avec la complexité matérielle de ces réseaux ainsi que leur solidité qui n’est pas toujours optimale.
Au-delà du déploiement qui n’est que le début de la mise en réseau, il existe un gros problème de maintenance. En plus des pannes prévisibles et des malfaçons, on constate une recrudescence des sabotages dans les armoires. Dans la commune de Pringy, située également dans ma circonscription, six cents abonnés ont brusquement été déconnectés au mois de novembre 2023. Les élus locaux et les administrés, naufragés de la fibre, qui sont confrontés au silence des services techniques, m’ont fait part de leur sentiment d’abandon et de leur exaspération.
Si ces défaillances existent partout dans notre pays, c’est en outre-mer que la situation est la plus alarmante. À la fin de l’année 2023, le taux de déploiement dans certains de ces territoires, qui atteignait 73 %, était inférieur de treize points à celui du reste du territoire national. À Saint-Pierre-et-Miquelon, par exemple, la fibre n’est tout simplement pas déployée. À Mayotte, ce n’est qu’au mois de mars 2025 que l’opérateur ayant remporté la délégation de service public pour équiper l’archipel a été désigné, ce qui en fait le dernier département de France – avec Saint-Pierre-et-Miquelon – à ne pas être équipé. Le déploiement de la fibre accuse un retard dans tous les territoires ultramarins, à l’exception de La Réunion.
Ces retards, qui sont dus à un sous-investissement et au manque de volonté publique, attestent d’une gestion à deux vitesses. Cela peut produire des effets gênants, comme lorsque, après le passage du cyclone Chido qui a dévasté Mayotte en janvier dernier, le Gouvernement, « pédalant dans la semoule », a choisi le réseau Starlink en guise de solution de fortune, alors qu’il existait des alternatives souveraines : M. Elon Musk dit merci au Premier ministre François Bayrou pour cette promotion publicitaire inespérée !
En résumé, nous voterons cette proposition de loi. Premièrement, elle renforce les moyens de police spéciale et de contrôle de la qualité des raccordements dévolus à l’Arcep et à l’Agence nationale des fréquences. Il est important qu’un pouvoir de coercition s’exerce sur les opérateurs. Deuxièmement, elle contraint plus fortement ces mêmes opérateurs à assurer l’intégrité du service, faute de quoi ils seraient sanctionnés. Il faut donc réguler et sévir au plus vite en cas de défaillance, de manière à produire des effets concrets.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. L’événement qui s’est déroulé à la fin de l’année est ahurissant : les sabotages et l’absence de sécurisation des armoires, vous avez raison, ont complexifié les choses.
Il ne s’agit pas de pointer du doigt les sous-traitants ou les sous-traitants des sous-traitants, qui n’ont pas d’autre choix que d’intervenir en urgence. Je rappelle qu’ils sont payés à la pièce : s’ils n’effectuent pas le raccordement, ils ne sont pas payés. Le système est complètement fou : on met la pression sur des salariés qui sont mal formés dans la plupart des cas – la formation des sous-traitants des sous-traitants n’est pas comparable à l’expérience d’un technicien d’Orange qui travaille depuis vingt ans.
Par ailleurs, l’outre-mer est effectivement confronté à de nombreuses difficultés. Les investissements dans les infrastructures, qui ne peuvent être que de nature publique car les opérateurs privés rechignent à investir, sont insuffisants. S’agissant de Starlink, je souhaite toujours favoriser, moi aussi, les entreprises nationales qui innovent – et il y en a.
Mme Mélanie Thomin (SOC). Avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés, nous nous félicitons de l’examen de cette proposition de loi qui répond à une préoccupation concrète et particulièrement répandue dans nos territoires, celle de la qualité et de la fiabilité des réseaux.
Vendredi dernier, avec le président de la région, nous étions sur le terrain, dans ma circonscription, pour célébrer l’achèvement du raccordement à la fibre optique de tout le territoire de Monts d’Arrée Communauté, un territoire rural désormais 100 % raccordable : une vraie fierté !
Il est vrai que plus de 90 % des habitations sont raccordables sur le territoire national. Mais la réalité vécue par nombre de nos concitoyens, particulièrement en zone rurale ou périurbaine, est tout autre. Nombreux sont celles et ceux qui sont devenus les naufragés de la fibre : ils sont confrontés à des pannes récurrentes, à des rendez-vous manqués, à des raccordements bâclés, voire impossibles, à un entretien quasi nul des équipements.
La responsabilisation des opérateurs d’infrastructures est donc une mesure bienvenue. Cette situation, fruit d’une sous-traitance excessive et d’un contrôle insuffisant, entame la crédibilité de la politique d’aménagement numérique du territoire. Il est urgent de mettre fin à cette impunité technique et commerciale.
La région Bretagne a organisé, via la création d’un syndicat mixte régional public (Mégalis), le déploiement de la fibre optique de façon équitable pour tous les usagers, y compris dans les zones rurales les plus reculées, tandis que les opérateurs privés, dans une logique de rentabilité, se sont cantonnés au déploiement du réseau dans les centres urbains.
Nous saluons donc les avancées prévues par ce texte : responsabilisation accrue des opérateurs d’infrastructures privés, nouveaux leviers à disposition des collectivités territoriales, renforcement des pouvoirs de l’Arcep.
Quelques questions se posent. Comment garantir que les collectivités auront bien les moyens d’exercer les nouveaux droits qui leur sont reconnus ? Il conviendrait de favoriser les collectivités bonnes élèves qui jouent le jeu de l’investissement, plutôt que celles qui, par manque de volonté politique, ne le jouent pas.
Comment les mesures prévues s’articuleront-elles avec le processus de décommissionnement du réseau cuivre afin d’éviter une fracture numérique ?
Enfin, l’Arcep disposera-t-elle enfin de moyens humains et financiers pour exercer des pouvoirs de contrôle étendus ?
Le groupe Socialistes et apparentés estime que ces dispositions vont dans le bon sens, salue cette initiative et soutiendra pleinement cette proposition de loi qui vise à garantir un service public numérique plus fiable, plus équitable et plus responsable.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. L’Arcep, à condition qu’elle accomplisse bien ses missions, mérite davantage de moyens, puisque des centaines de milliers de nos concitoyens sont confrontés à des problèmes de connexion.
C’est justement parce que le réseau de cuivre commence à être abandonné qu’il faut agir dès maintenant. Quand la France entière sera raccordée à la fibre, si la fréquence des accidents reste la même, nous allons vers de vraies déconvenues. En durcissant dès aujourd’hui les sanctions et en invitant les opérateurs d’infrastructures de réseau à la responsabilité, nous prévenons le problème.
Par ailleurs, les collectivités auront davantage de moyens en cas de défaillance du marché, grâce à l’augmentation de la redevance que nous prévoyons.
Enfin, je ne suis pas sûr qu’il faille distinguer de « bons » et de « mauvais » élèves parmi les collectivités. Les communes, de droite comme de gauche, font ce qu’elles peuvent ; le problème est qu’elles ne peuvent pas grand-chose. Le texte vise à leur donner des armes face aux défaillances du marché.
M. Jérôme Nury (DR). Vous mettez en exergue le problème de la qualité du réseau. Il y a encore quelque mois, j’aurais pu vous rejoindre. Toutefois, vous arrivez après la bataille. Nous n’avons pas attendu votre texte pour faire remonter le ras-le-bol des usagers et des collectivités locales face aux problèmes de qualité – je pense aux chantiers non sécurisés, aux déploiements effectués par des employés non formés avec des camions et des échelles loués chez Kiloutou, parfois les dimanches et les jours fériés.
La table-ronde qui s’est tenue ici, il y a deux ans, avec les différents opérateurs a été « saignante ». Grâce à la pression exercée par les députés de tous bords, elle a fait date. Reconnaissons-le : depuis, le déploiement a été revu et corrigé. Les sous-traitants ont été repris en main ; il leur a été interdit de sous-traiter. La filière s’est professionnalisée, ce qui a amélioré la qualité tant des déploiements que des raccordements.
Votre proposition de loi, fondée sur la répression, contient des mesures inapplicables. Par exemple : alors que les collectivités, notamment les conseils départementaux, sont financièrement sous tension, comment pourraient-elles reprendre des délégations de service public (DSP) ? En outre, le mécanisme de sanctions prévu pénaliserait les collectivités à l’origine d’un RIP. Enfin, la base de calcul des taux d’échec au raccordement et de panne, qui doivent permettre de déterminer les sanctions, reste floue.
L’article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques permet déjà de sanctionner les mauvais déploiements. Votre texte arrive trop tard. Faisons confiance aux collectivités départementales qui investissent, contrôlent et dialoguent avec les opérateurs. Elles sont plus efficaces que tous les bavardages législatifs ou étatiques.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Il y a un malentendu. Le problème n’est pas le déploiement de la fibre – déjà effectif pour 90 % du territoire –, mais sa qualité. Je rends hommage, à cet égard, au groupe Les Républicains du Sénat, dont le diagnostic est implacable : l’énorme problème de qualité doit être réglé urgemment.
Le présent texte arrive donc, au contraire, à point nommé pour placer les opérateurs d’infrastructures de réseau devant leurs responsabilités. Mes objectifs sont parfaitement en phase avec ceux des sénateurs du groupe Les Républicains, avec lesquels j’entretiens d’excellentes relations.
Il ne s’agit pas de « répression » et aucune des mesures proposées n’est inapplicable. Nous ne prévoyons nullement d’obliger les collectivités à créer un RIP ou à augmenter la redevance. Nous leur en ouvrons seulement la possibilité, pour qu’elles puissent s’adapter en cas de défaillance du marché.
Mme Cyrielle Chatelain (EcoS). Ce texte important traite un problème sur lequel nous sommes tous sollicités. J’ai récemment reçu le mail suivant d’une habitante de ma circonscription, en Isère : « Mes parents, âgés de 80 ans, ne cessent de rencontrer des problèmes de connexion depuis leur raccordement à la fibre, en 2022. D’après les techniciens, ils sont régulièrement débranchés pour permettre le raccordement d’un nouveau foyer, par manque de câbles de raccordement. Ma mère est atteinte de la maladie de Parkinson à un stade avancé et mon père est constamment stressé, car, sans ligne fixe, il ne peut appeler les secours rapidement. Le téléphone portable que j’ai mis à sa disposition est trop complexe à utiliser pour lui. » Oui, la qualité du réseau affecte fortement la vie quotidienne de nombreux Français.
La France est championne pour la quantité de fibre déployée, mais les dysfonctionnements sont innombrables, à cause des malfaçons et de l’absence d’entretien. En 2024, selon l’observatoire de la qualité des réseaux en fibre optique de l’Arcep, sur 221 infrastructures de réseau de fibre déployées en France, plus de soixante ont enregistré des taux d’échec au raccordement supérieurs à 7 %. Ces réseaux défectueux sont notamment situés dans la grande couronne parisienne, en métropole lyonnaise, en Rhône-Alpes, en Bretagne, en Normandie ou en Alsace – le problème est donc extrêmement large.
Le groupe Écologiste et social soutiendra cette proposition de loi, qui va dans le bon sens. Nous espérons d’ailleurs que les sanctions seront suffisamment importantes pour avoir un impact sur les opérateurs. Enfin, l’idée d’ouvrir aux collectivités la faculté de constituer un réseau d’initiative publique en cas de défaillance du marché est très intéressante. La maîtrise des infrastructures de réseau stratégiques doit être publique.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Cette proposition de loi vise à régler les problèmes quotidiens, parfois graves, de centaines de milliers de nos compatriotes. Ne pas avoir de connexion peut avoir des conséquences très concrètes, quand on est, par exemple, suivi par des appareils connectés pour une affection longue durée.
Dans certaines zones blanches de Seine-et-Marne, où les habitants n’ont pas la 4G ou la 5G, l’impossibilité de se connecter au réseau de fibre pendant un, deux ou trois mois peut avoir d’importantes conséquences sur la vie quotidienne, la possibilité de télétravailler… et ainsi de suite.
Oui, le problème n’est pas tant le déploiement que le taux d’échec au raccordement, qui reste très important.
M. Jérôme Nury (DR). Ça dépend où !
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Regardez les chiffres. Beaucoup de collectivités du territoire hexagonal sont touchées, sans parler de l’outre-mer.
M. Philippe Latombe (Dem). Le groupe Les Démocrates partage le souci d’améliorer la qualité des réseaux de fibre optique. C’est un enjeu crucial pour accompagner la migration des Français vers ces réseaux, alors que le réseau de cuivre va fermer d’ici à 2030 – en Vendée, plusieurs communes en ont déjà été débranchées avec succès.
Les difficultés rencontrées à La Roche-sur-Yon avec l’opérateur local ont été soldées avec succès, même si ce fut au prix d’efforts importants et longs. Nous avons bénéficié de l’appui de l’Arcep, qui a menacé l’opérateur de sanctions – comme quoi, cette autorité peut nous aider.
La présente proposition de loi, par l’incertitude juridique qu’elle tend à créer, remettrait en cause les équilibres qui ont permis à la France de devenir en dix ans le premier pays européen en nombre de prises de fibre déployées – et de loin.
Sur le fond, la possibilité, pour le Gouvernement ou les collectivités, d’augmenter le montant de la redevance due pour l’occupation du domaine public pourrait pénaliser les collectivités elles-mêmes, car elles sont souvent propriétaires du génie civil qui héberge les réseaux de fibre optique.
En outre, vous prévoyez la possibilité de limiter la durée d’occupation du domaine public, mais cette notion n’a aucune réalité pour les contrats des réseaux d’initiative publique. Enfin, le champ des signalements à l’Arcep n’est pas précisé, ce qui rend la mesure inopérante.
Sur la forme, la proposition de loi est émaillée d’incohérences juridiques. Il serait inconstitutionnel de transformer une redevance due pour l’occupation du domaine public en amende administrative. Par ailleurs, le déploiement d’un réseau d’initiative publique dans le cas d’une défaillance de la qualité d’un réseau déjà existant serait contraire au droit des aides d’État de l’Union européenne.
Pour permettre l’amélioration continue de la qualité des réseaux en fibre optique, l’État n’est pas resté les bras croisés. À partir de fin 2022, des actions concrètes ont été menées par les opérateurs, sous l’égide du Gouvernement, de l’Arcep et des parlementaires, pour améliorer la qualité des réseaux en fibre optique : des plans de reprise ont été lancés sur les réseaux les plus accidentogènes ; l’obligation de fournir un compte rendu photographique à chaque intervention a été instaurée, pour s’assurer que le raccordement est fait dans les règles de l’art et n’a pas donné lieu à des débranchements ; des audits des armoires de rue ont été menés, pour s’assurer de leur bon fonctionnement ; enfin, certaines formes de sous-traitance ont été interdites. L’observatoire de la qualité des réseaux en fibre optique de l’Arcep constate que ces actions portent leur fruit, mois après mois.
L’Arcep a déjà la faculté de sanctionner les opérateurs en cas de défaillance concernant la qualité des réseaux, sur le fondement de dispositions au code des postes et des communications électroniques. Et les collectivités à l’origine de réseaux d’initiative publique peuvent déjà soumettre l’opérateur déployant la fibre à des pénalités, au titre de leur contrat de délégation de service public.
Notre groupe s’oppose donc à l’article 2 de la présente proposition de loi. Nous pourrions voter l’article 1er, mais il n’est que la traduction législative d’une jurisprudence établie. Il ne modifierait donc pas notre corpus juridique.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Je vous trouve bien sévère. L’incertitude juridique que vous évoquez reste à démontrer. Je ne vois pas ce qui, dans le texte, irait à l’encontre de la jurisprudence et de l’état du droit – y compris, d’ailleurs, du droit européen des aides d’État.
Je comprends toutefois votre crainte que le texte pénalise les collectivités propriétaires du génie civil. Avec l’amendement de précision CE12, nous empêcherons que ce soit le cas.
Je ne vois pas non plus d’incohérence dans le texte. Et je vous trouve exagérément optimiste concernant la faculté qu’a l’Arcep de faire respecter la législation avec les outils en vigueur. Regardez la situation ! Ce n’est pas vrai.
Si les problèmes ont été réglés dans votre département à l’issue d’un long combat mené en partenariat avec l’Arcep, tant mieux. Mais je peux citer deux cents communes où, en dépit de multiples saisines de cette autorité et de multiples réunions avec les représentants de celle-ci et les conseillers départementaux, ces dernières années, rien n’a été réglé. La vérité est que, pour l’instant, les sanctions ne sont pas assez dissuasives.
M. Thomas Lam (HOR). Depuis plus de dix ans, la France mène avec succès un chantier d’ampleur, celui du déploiement de la fibre optique. Grâce à un partenariat équilibré associant l’État, les collectivités et les opérateurs privés, près de quarante millions de foyers ont été raccordés à la fibre, faisant de notre pays le plus avancé d’Europe en la matière. Dans ma circonscription, à Asnières et Colombes, les taux de raccordement à la fibre sont très élevés et nos concitoyens mesurent chaque jour à quel point cette technologie a changé les usages. Elle leur permet de télétravailler ou d’accéder plus facilement aux services publics en ligne. Pour l’administration, cette technologie permet de rationaliser et de simplifier les procédures administratives, à travers la dématérialisation. Pour les entreprises, elle constitue un outil formidable de développement de l’activité en ligne.
Je n’oublie pas que certains territoires attendent encore la fibre et sont victimes de l’inégalité de la couverture numérique. C’est vers eux que nous devons concentrer nos efforts, pour assurer la couverture généralisée du territoire d’ici à la fin de l’année.
Ce défi s’accompagne de celui, tout aussi déterminant, de la qualité du réseau. Pour le relever, la présente proposition de loi vise à responsabiliser les opérateurs et à doter l’Arcep de nouveaux leviers afin de mieux contrôler et sanctionner les dérives constatées sur le terrain.
L’article 1er va dans le bon sens. Il traduit une recommandation explicite de la Cour des comptes en élargissant les missions de l’Arcep et en confortant son rôle de régulateur, dans une logique d’intérêt général. Toutefois, l’article 2 nous interroge. D’une part, il tend à instaurer un régime dérogatoire qui permettrait à l’État ou aux collectivités territoriales d’augmenter unilatéralement les redevances dues par les opérateurs jusqu’à 100 %. D’autre part, il permettrait à ces mêmes pouvoirs publics de décider seuls d’une réduction de la durée des conventions d’occupation du domaine public. C’est un signal négatif envoyé aux investisseurs privés dans des zones déjà peu rentables. Cette insécurité juridique pourrait freiner les opérateurs, voire les dissuader de poursuivre leurs efforts, en contradiction directe avec l’objectif de généralisation de la fibre d’ici à la fin de l’année 2025. La mesure pourrait également se retourner contre les collectivités elles-mêmes, qui sont souvent propriétaires du génie civil accueillant les réseaux.
Si notre groupe partage pleinement l’ambition d’un réseau de fibre de qualité et soutient le renforcement des moyens de l’Arcep pour mieux encadrer les pratiques, cela ne peut se faire au détriment d’un cadre juridique stable et incitatif pour les acteurs privés, qui sont les principaux financeurs du déploiement. Fermement mobilisé pour encourager les investissements privés qui stimulent la croissance française, le groupe Horizons et Indépendants croit en une plus grande liberté des acteurs : en l’état, nous ne pourrons soutenir ce texte.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Ce texte ne déstabilisera pas le cadre juridique. Surtout, votre propos sur les acteurs privés me surprend. C’est souvent la puissance publique qui investit dans les zones où la fibre n’est pas rentable. Dans les autres zones, les opérateurs privés ont bénéficié des infrastructures préexistantes. Au vu de leurs résultats financiers, le raccordement se passe plutôt bien pour eux.
Le problème est que des usagers qui payent un abonnement ne bénéficient pas du service correspondant et ne trouvent pas de solution pendant un, deux, trois, six voire dix mois.
Bien sûr que les sanctions seront décidées unilatéralement, puisqu’elles visent des opérateurs défaillants ! Si l’opérateur persévère dans sa défaillance, malgré des négociations en amont, c’est normal !
Vous craignez que le texte ne dissuade les opérateurs d’investir dans les zones peu rentables. Or ils les évitent déjà.
M. Jean-Luc Warsmann (LIOT). Dans les Ardennes, l’opérateur privé Orange n’avait prévu le déploiement de la fibre qu’à Sedan, Charleville et dans huit autres communes. Dès que la région Grand-Est a été créée, en 2016, nous avons cherché un opérateur pour toutes les zones non soumises à appel à manifestation d’intention d’investissement (Amii) des Ardennes, de la Marne, de la Haute-Marne, de l’Aube, de la Meuse, de la Meurthe-et-Moselle et des Vosges – de fait, parmi ces départements, nombreux sont ceux où la densité de population est très faible. Nous avons réussi à trouver un opérateur et toutes les communes sont désormais raccordées à la fibre, même celles de vingt ou trente habitants. C’est un grand succès de l’aménagement du territoire.
Les enjeux actuels sont ceux de la résorption des écarts de couverture entre les territoires et de la qualité du réseau. Chacun l’a constaté, des opérateurs insuffisamment qualifiés interviennent parfois dans les armoires, coupant la fibre d’un voisin pour connecter un nouveau client. Certaines armoires sont en mauvais état, même si cela va moins mal qu’au début.
Enfin, le dernier enjeu est celui de la qualité de la desserte. Les contrats signés par les particuliers ne fixent pas de délai d’intervention. Quand on dépend de la fibre pour son téléphone, sa télévision ou le très haut débit, elle est aussi importante que l’eau ou l’électricité. Nous devons donc garantir les délais d’intervention les plus rapides à nos concitoyens.
Pour le reste, monsieur le rapporteur, nous soutenons votre travail et le renforcement prévu des compétences de l’Arcep.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Le problème des délais d’intervention, qui est évoqué dans cette proposition de loi, est essentiel. C’est l’une des principales revendications des naufragés de la fibre. Après avoir signalé la panne, l’opérateur commercial leur promet une réponse, qui ne leur est donnée que trois, quatre, cinq ou six jours plus tard. Quand l’opérateur commercial n’est pas l’opérateur d’infrastructure, il faut encore un délai supplémentaire. Et quand l’opérateur d’infrastructure intervient enfin, son intervention n’est pas forcément couronnée de succès. Les délais deviennent rapidement impossibles – dans d’autres secteurs de l’activité économique, ils ne seraient d’ailleurs pas tolérés.
Les quatre opérateurs qui se partagent le marché du réseau fibré et bénéficient d’infrastructures financées par le public ne sont pas menacés par une concurrence déloyale. Simplement, ils estiment qu’ils peuvent mettre un, deux ou trois mois à répondre.
M. Stéphane Peu (GDR). Nous soutenons évidemment ce texte. Les dysfonctionnements de la fibre persistent pour de nombreux abonnés et dans de nombreux départements, y compris les plus urbains comme la Seine-Saint-Denis. La situation est préoccupante et les améliorations relevées tout récemment par l’Arcep ne sont que relatives, pour ne pas dire précaires. Il faut donc agir pour que la législation soit moins permissive à l’égard des opérateurs et plus protectrice des intérêts légitimes des utilisateurs finals. Nous défendrons ainsi un amendement tendant à créer un dispositif d’indemnisation automatique à partir d’une coupure de la fibre pendant cinq jours.
Plus généralement, la question est celle de notre conception du service public. Contrairement à ce qui s’est passé pour les réseaux téléphonique, de gaz ou d’électricité, avec la fibre, pour la première fois, le déploiement d’un réseau grand public a été quasiment entièrement délégué au privé. Le résultat du choix de laisser le réseau de fibre aux mains du privé, imposé par une Europe aveuglée par l’idéologie du tout marché, c’est « vite fait, mal fait », pour citer l’exposé des motifs. L’idée selon laquelle le marché fait toujours mieux que l’État, qui justifie les règles en vigueur, a été démentie. La défaillance du marché affecte des millions de personnes et l’État est désormais obligé d’intervenir pour réparer les dégâts.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Outre l’amendement du groupe GDR, les autres amendements déposés par les différents groupes enrichissent considérablement le texte. Je me réjouis que les députés, quelle que soit leur famille politique d’origine, partagent notre constat sur ce problème et s’en saisissent.
M. Vincent Rolland (DR). La fibre a été déployée à grande vitesse, mais on peut s’inquiéter de la pérennité des infrastructures créées. En Savoie, où les zones Amel dominent, plutôt que d’enterrer les lignes, les acteurs ont préféré un déploiement aérien. Dans ce département de montagne, les neiges tardives ont donc beaucoup endommagé le réseau ces dernières semaines. Des fils pendent le long des routes départementales, parfois depuis plusieurs années.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Cela me conforte dans l’idée qu’il faut travailler sur la qualité du service offert aux clients des opérateurs. L’objectif très ambitieux de raccordement général du pays devra, de toute manière, s’accompagner d’un effort sur les cas spécifiques que vous soulevez. Ils concernent en fait beaucoup de personnes, car ce n’est pas qu’en Savoie que le raccordement est aérien.
Mme la présidente Aurélie Trouvé. Nous en venons aux questions des autres députés.
Mme Mélanie Thomin (SOC). Parmi les collectivités locales qui organisent le déploiement de la fibre, il y a bien de bons et de mauvais élèves puisque si, dans certaines collectivités, le syndicat public respecte les délais fixés par l’État et les enveloppes budgétaires, ce n’est pas le cas dans d’autres. Comment garantir l’équité territoriale et le respect des objectifs fixés ? Il faut veiller au bon usage des fonds publics.
Enfin, la résilience des réseaux est une vraie question, d’autant que les aléas climatiques ne concernent pas que les zones montagnardes – pensons aux tempêtes, par exemple. Il faut une réglementation plus fluide, afin que les opérateurs privés puissent garantir aux usagers le raccordement le plus rapide après un sinistre. Dans ma circonscription, certains sinistrés ont attendu plus d’un an avant de bénéficier de nouveau de la fibre.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Il faut des professionnels aguerris pour remettre en marche un réseau quand il a été endommagé par un aléa climatique. L’opérateur historique sait le faire, parce qu’il s’appuie sur plusieurs décennies d’expérience et des techniciens de très haut niveau, mais ce n’est pas le cas de tous les opérateurs commerciaux.
Alors que le réseau de fibre doit se substituer intégralement au réseau de cuivre et que son déploiement s’achève, sa résilience apparaît en tout cas comme un sujet majeur. La question n’est pas traitée, stricto sensu, dans le présent texte. La puissance publique devra s’en emparer, en partenariat avec les opérateurs privés.
Même si tel n’est pas l’objet du texte, j’entends votre propos sur les collectivités territoriales. Certains départements et certaines communes parviennent à organiser le déploiement dans les délais sans que cela coûte trop cher, mais ce n’est pas le cas de toutes les collectivités.
Ce débat a été riche. Je m’en réjouis, la majorité d’entre nous s’accordent pour constater que la qualité du réseau est un problème quotidien qui empoisonne la vie de nos concitoyens et qu’il faut régler urgemment. Cela passe nécessairement par davantage de rigueur et de sanctions, qu’on le veuille ou non.
Les objections juridiques soulevées par nos collègues Annaïg Le Meur et Philippe Latombe sont fondées sur l’assimilation de la hausse de la redevance à une amende. Mais la mesure ne pose pas de problème constitutionnel, dès lors qu’un préjudice et une victime seront identifiés et que la réparation des préjudices sera proportionnée. Il ne s’agit pas d’instaurer des amendes confiscatoires, qui ruineraient les opérateurs commerciaux ! La hausse de la redevance proposée sera proportionnée et méritée.
Article 1er : Renforcer le pouvoir de contrôle de l’autorité compétente sur l’effectivité et la qualité des raccordements
Amendement CE9 de M. Emmanuel Maurel
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Dans un souci de précision, je vous propose de compléter l’article, d’une part en remplaçant, au dernier alinéa du III de l’article L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques, le mot « informations » par les mots « indicateurs de niveaux de qualité de service ou des informations techniques et », et, d’autre part, en ajoutant cette phrase : « L’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse publie de manière trimestrielle le résultat des indicateurs de niveaux de qualité de service par les personnes mentionnées au I du présent article, après en avoir précisé le contenu. » Cet amendement reprend une formulation du Sénat.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’article 1er modifié.
Après l’article 1er
Amendement CE7 de M. Lionel Tivoli
M. Lionel Tivoli (RN). Alors qu’il est désormais indispensable de bénéficier d’une connexion internet à très haut débit, de nombreuses zones du territoire, les plus rurales notamment, n’ont toujours pas de raccordement de bonne qualité. En outre, les usagers sont trop souvent privés de la transparence à laquelle ils ont droit à ce sujet. Dans un souci d’optimisation du fonctionnement des infrastructures de réseaux de communication électronique, ainsi que d’amélioration de la transparence, nous proposons que les opérateurs soient soumis à l’obligation de publier chaque semestre un rapport détaillant les taux d’échec du raccordement, les pannes et les délais d’intervention pour chaque commune concernée.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Je partage votre souci de transparence. Il me semble cependant préférable de confier à l’Acerp la définition des indicateurs pertinents et la responsabilité de leur publication, comme le fait mon amendement précédent, plutôt que de se fier aux données fournies par les opérateurs eux-mêmes. L’information de l’Acerp sera standardisée, contrôlée et opposable. Je vous invite à retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CE3 de M. Arnaud Saint-Martin
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Avec cet amendement d’appel nous demandons au Gouvernement de remettre un rapport sur les besoins humains et financiers de l’Arcep. Nous sommes bien sûr favorables à ce que des missions supplémentaires soient confiées à cette autorité au travers de la présente proposition de loi, mais les moyens ne suivent pas l’accroissement régulier de ses tâches. Alors que de nouvelles missions lui ont été assignées récemment – mise en œuvre de la loi Sren, contrôle de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), régulation environnementale du numérique –, son budget n’a pas augmenté cette année si l’on tient compte de l’inflation. À l’heure où son existence est remise en question par le projet de loi de simplification de la vie économique, nous suggérons, à terme, une augmentation d’au moins 10 % de son budget ; elle assure en effet des missions indispensables à la régulation des communications.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Dans la mesure où l’Arcep assure de nouvelles missions, je suis favorable à cet amendement qui contribuera à la crédibilité de l’action publique. J’estime néanmoins qu’elle peut et doit déjà améliorer son fonctionnement avec les moyens dont elle dispose.
La commission adopte l’amendement.
Article 2 : Renforcer les pouvoirs de correction et de sanction des autorités publiques en cas de manquement aux obligations de raccordement
Amendement CE10 de M. Emmanuel Maurel
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Cet amendement corrige une erreur de renvoi.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE12 de M. Emmanuel Maurel
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Pour éviter toute confusion, cet amendement précise que ce sont seulement les opérateurs d’infrastructures qui pourront voir leurs redevances doubler de façon temporaire. Aux termes de l’article L. 47 du code des postes et des communications électroniques, il peut en effet arriver que les personnes versant des redevances soient les propriétaires du génie civil et non ceux des câbles de fibre optique.
Mme Annaïg Le Meur (EPR). Cet amendement répond à la préoccupation que j’exprimais tout à l’heure. Dans la mesure où il exclut les collectivités du dispositif, nous le voterons.
La commission adopte l’amendement.
Elle adopte l’amendement rédactionnel CE11 de M. Emmanuel Maurel, rapporteur.
Elle adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 2
Amendement CE1 de M. Jean-François Coulomme
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Nous proposons de modifier l’article L. 224-34 du code de la consommation afin qu’en cas d’interruption de l’accès à internet de plus de sept jours consécutifs, le consommateur puisse obtenir le droit à la résiliation de son contrat sans frais de quelque nature que ce soit.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Les dédommagements dus en cas de résiliation du contrat, quand bien même le service n’est pas rendu, participent de l’exaspération des usagers. Je suis très favorable à cet amendement qui reconnaît à ceux-ci un droit effectif à un service continu et rééquilibre le rapport de force avec les grandes entreprises de télécommunications.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE6 de M. Julien Brugerolles
M. Julien Brugerolles (GDR). Nous proposons d’instaurer des mesures incitant les fournisseurs d’accès à réduire le plus possible les délais de rétablissement de l’accès à internet, souvent très longs dans les territoires ruraux notamment. Ils devront verser des indemnités à leurs abonnés à partir de cinq jours consécutifs d’interruption.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Ce dispositif, en ligne avec celui du Sénat, est à la fois clair, équilibré et juridiquement robuste. Il répond aux défaillances régulièrement constatées dans la gestion des interruptions de service par les fournisseurs d’accès à internet. J’y suis favorable.
M. Jérôme Nury (DR). Je comprends que l’on souhaite encourager un rétablissement du service dans des délais raisonnables… mais l’amendement sanctionne les fournisseurs d’accès à internet, alors que les responsables des interruptions de service sont souvent les gestionnaires des infrastructures. Il faudrait que l’amendement prévoie une responsabilité en cascade allant jusqu’à ceux-ci.
M. Julien Brugerolles (GDR). L’objectif est que les fournisseurs d’accès fassent pression sur les opérateurs pour obtenir un rétablissement rapide du service. J’ajoute que les contrats de vente ne stipulent rien au sujet des interruptions : nous souhaiterions que les conditions générales de vente contiennent des dispositions relatives à l’exigence de rétablissement de service ainsi qu’aux indemnités.
La commission adopte l’amendement.
Amendement CE2 de M. Arnaud Saint-Martin
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Les opérateurs d’infrastructures de la fibre sous-traitent en général le raccordement final aux opérateurs commerciaux qui peuvent eux-mêmes sous-traiter cette dernière étape à d’autres sous-traitants. Or, comme le relève un rapport récent de la Cour des comptes intitulé Les soutiens publics en faveur du déploiement de la fibre optique, ce mode de gestion en sous-traitance à l’opérateur commercial donne lieu à des flux financiers nombreux et complexes ; il est vivement critiqué par les acteurs locaux pour son impact sur la qualité de service et la résilience des réseaux. Ces dysfonctionnements structurels résultent de l’organisation du travail occasionnée par la sous-traitance. Les techniciens sont peu formés, sous-équipés, trop souvent sous-payés et embauchés en contrats précaires. Nous demandons au Gouvernement de remettre au Parlement, dans un délai de six mois après la promulgation de la loi, un rapport sur l’opportunité d’interdire la possibilité de sous-traiter à un opérateur commercial l’étape du raccordement final de la fibre.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Vous avez eu raison d’évoquer les conséquences de la généralisation de la sous-traitance en cascade du raccordement final. Je ne vois aucun inconvénient à la remise d’un simple rapport : il ne s’agit pas, comme pourraient le craindre certains collègues, de mettre en œuvre rapidement des mesures d’interdiction mais d’étudier la possibilité d’interdire une pratique qui entraîne des manquements graves dans l’exercice d’une délégation de service public (DSP).
M. Jérôme Nury (DR). Je comprends l’idée sous-jacente mais il n’est pas nécessaire de demander un rapport pour comprendre qu’il serait loufoque d’interdire la sous-traitance ! Les fournisseurs d’accès à internet, en effet, ne sont pas équipés techniquement pour faire les raccordements : sans sous-traitance, le déploiement de la fibre serait considérablement ralenti et certains habitants en seraient privés.
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Je crois au contraire qu’il y a là une défaillance structurelle et que ce type d’organisation du travail aboutit à une dilution des responsabilités. Notre proposition n’a rien de radical : elle ne vise qu’à faire réaliser une enquête sur les conséquences de ce mode de gestion. Il me semble intéressant de se pencher sur les conditions de la résilience du système.
La commission rejette l’amendement.
Amendement CE4 de M. Arnaud Saint-Martin
M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP). Nous demandons au Gouvernement la remise d’un rapport, dans les trois mois suivant la promulgation de la loi, sur l’état de la couverture fibre en outre-mer et sur les délais nécessaires pour rattraper le retard de couverture avec l’Hexagone notamment en Guyane, à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Le déploiement de la fibre connaît en effet un retard structurel en outre-mer, qui constitue une rupture d’égalité pour nos concitoyens.
En Guyane, la présence du centre spatial de Kourou requiert des infrastructures internes solides. À Saint-Pierre-et-Miquelon, pourquoi aucun opérateur n’a-t-il été désigné pour la DSP ? S’agissant de Mayotte enfin, le rapport devra nous éclairer sur les potentiels retards causés par le cyclone Chido dans l’installation de la fibre et sur le délai nécessaire pour que l’île soit raccordée sérieusement – et non pas de façon « gadget » avec la solution nord-américaine Starlink.
Ce rapport devra notamment fournir un calendrier aussi rapide que précis pour le déploiement de la fibre sur l’ensemble du territoire national.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte l’amendement.
Amendement CE5 de M. Jean-François Coulomme
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Nous demandons au Gouvernement la remise d’un rapport sur l’opportunité d’obliger les opérateurs défaillants à mettre en place un service passant par le réseau hertzien – le WiMAX (Worldwide Interoperability for Microwave Access), par exemple – en alternative au déploiement de la fibre et en l’absence d’autre solution. Dans certains territoires, le déploiement de la fibre est en effet contrarié par les conditions climatiques notamment.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Je voudrais partager avec vous une anecdote. J’ai rencontré un habitant de zone blanche à qui son opérateur commercial, lors d’une panne de fibre, avait conseillé d’utiliser le réseau par satellite de type Starlink ! Or, c’est une solution coûteuse, que tous les départements ne financent pas. C’est ubuesque : l’usager, privé d’un droit d’accès à internet qu’il paye pourtant, doit en outre payer une autre solution !
La réalisation d’un rapport entamerait une réflexion sur la responsabilisation des opérateurs. Je n’y suis pas défavorable : cela permettrait d’étudier les solutions techniques qui pourraient être déployées dans les zones défavorisées.
M. Jérôme Nury (DR). D’une façon générale, je suis très opposé aux rapports, car ce sont des fabriques à fonctionnaires. Compte tenu de la situation budgétaire de notre pays, je ne pense pas que ce soit une bonne idée.
De surcroît, demander un rapport sur les réseaux hertziens me semble totalement dépassé – tout comme cette proposition de loi. Le déploiement des réseaux hertziens a été envisagé pour les territoires ruraux, il y a une vingtaine d’années, mais les plans ont tous été abandonnés. On connaît les solutions de repli : ce sont la 4G, la 5G et le satellite. Et au-delà de Starlink, les solutions offertes par des fournisseurs d’accès français et européens fonctionnent très bien. J’ajoute que de nombreuses collectivités locales participent au financement des paraboles, qui permettent d’avoir accès à internet avec un abonnement dont le prix est à peu près le même que celui de la fibre optique.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Je trouve votre approche un peu égoïste, cher collègue. Si votre amitié avec Elon Musk vous permet d’avoir le hardware à vil prix, voire gratuitement, dans l’Orne, ce n’est pas le cas dans la plupart des départements français où le client est contraint de payer sur ses propres deniers des équipements et des abonnements très onéreux. La solution alternative, dans mon petit village savoyard par exemple, ce sont les antennes 4G, 5G ou WiMAX.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Je voudrais dire à notre collègue de l’Orne – où, apparemment, les choses se passent bien – qu’il est injuste et inopportun de dire que cette proposition de loi serait dépassée : pour des centaines de milliers de Français, elle est totalement d’actualité.
M. Jérôme Nury (DR). C’est la dictature du prolétariat !
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Pourquoi dites-vous cela ? Nos débats étaient courtois et sérieux jusqu’à maintenant. Évitons ce genre d’anathèmes.
Non seulement ce texte n’est pas dépassé mais, pour de très nombreux Français, il est même urgent. Je pense notamment à ceux qui doivent télétravailler alors qu’ils sont confrontés à des coupures de fibre depuis plusieurs mois.
La commission rejette l’amendement.
Article 3 : Gage financier
La commission rejette l’article 3.
M. Emmanuel Maurel, rapporteur. Je suis surpris par ce vote. Notre débat n’a rien d’idéologique ; il porte sur un problème concret que rencontrent au quotidien des centaines de milliers d’habitants de toutes les circonscriptions. Aucune objection de principe ou de nature financière ne s’est exprimée ; quant aux questions juridiques, j’ai tenté d’y répondre. J’aurais du mal à comprendre que nous nous rendions aux arguments des opérateurs commerciaux et d’infrastructures, qui rejettent toute responsabilité. Je vous en conjure : pensons d’abord aux habitants confrontés à ce type de problèmes.
La commission rejette l’ensemble de la proposition de loi modifiée.
Liste des contributions Écrites
Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep)
Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca)
Fédération française des télécommunications (FFTélécoms) *
* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.
([1]) Arcep, Communiqué de presse, « Marché du haut et du très haut débit fibre », 12 septembre 2024.
([2]) Situé en pied d’immeuble, le PM correspond à l’interface matérielle entre les réseaux des opérateurs et le câblage de l’immeuble ou du groupe d’immeubles d’un même ensemble immobilier. Il permet la mutualisation du câblage de l’immeuble entre les opérateurs.
([3]) Le pouvoir de police spéciale en matière de communications électroniques est défini comme l’ensemble des compétences normatives, de contrôle et de sanction attribuées par le législateur à des autorités administratives spécifiques, en vue de réglementer de manière exclusive un secteur déterminé, ici celui des communications électroniques.
([4]) CE, 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis, n° 326492 ; Commune de Pennes-Mirabeau, n° 329904 ; Société française de radiotéléphonie (SFR), n° 341767.
([5]) CA de Versailles, 5 janvier 2023, n° 21/07352.
([6]) L’action contentieuse du maire contre l’opérateur tendait à ce que soit reconnue « sa responsabilité dans le déficit de sécurisation des points de mutualisation en tant qu’opérateur d’infrastructures et qu’il lui soit enjoint de prendre de nouvelles mesures permettant une meilleure sécurisation des points de mutualisation sur l’ensemble du territoire de la commune d’Argenteuil et une meilleure contractualisation des sous-traitants ».
([7]) Aux termes de l’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques, « on entend par accès toute mise à disposition de moyens, matériels ou logiciels, ou de services, en vue de permettre au bénéficiaire de fournir des services de communications électroniques. »
([8]) L’échec se définit comme une tentative infructueuse de raccordement aux réseaux pour les utilisateurs concernés, tandis que la panne consiste en une indisponibilité temporaire des services fournis (accès à internet, téléphonique, etc.).