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N° 1474

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIXSEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mai 2025.

 

RAPPORT

 

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 949), portant reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine et réparation des préjudices subis par ceuxci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures
sur le territoire français,

PAR M. Olivier FAURE

Député

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 Voir le numéro : 949.


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SOMMAIRE

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Pages

Avant-propos

I. Les rapatriés d’Indochine : une histoire oubliée

A. Des camps de transit aux « centres d’accueil », la relégation des rapatriés d’Indochine par l’État français

a. L’organisation du rapatriement des Français d’Indochine et l’installation dans les « centres d’accueil »

i. Le rapatriement des ressortissants français dans le sillage de la fin de la Guerre d’Indochine

ii. Les rapatriés d’Indochine placés sous la responsabilité de l’État, une population isolée

b. Les conditions d’hébergement et de vie indignes marquées par la surveillance et l’exclusion de la communauté nationale

i. L’installation durable dans des « centres d’accueil »

ii. Des conditions de vie indignes, fortement réglementées et un isolement pérenne des habitants des centres

B. L’exclusion des rapatriés d’indochine des dispositifs d’aide destinés aux rapatriés d’Afrique du nord et notamment aux Harkis

a. Dès 1961, le sentiment d’invisibilisation des rapatriés d’Indochine

b. L’absence de prise en compte dans la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie, malgré des similitudes dans les conditions d’accueil et de vie

II. La nécessité de réparer une inégalité de traitement pour parachever le processus d’apaisement des mémoires

A. Le sentiment d’abandon des rapatriés d’Indochine

a. Le combat des associations et des enfants des rapatriés d’Indochine

b. L’absence de reconnaissance par les pouvoirs publics

B. Une proposition de loi transpartisane pour reconnaître et réparer le préjudice subi par les rapatriés d’indochine ayant séjourné dans des centres d’accueil

a. Reconnaître

b. Réparer

Commentaires des articles

Article 1er Reconnaissance de la Nation et de sa responsabilité

Article 2 Création d’une journée nationale d’hommage et instauration de plusieurs lieux de mémoire

Article 3 Dispositif de réparation des préjudices

Article 4 Extension de la compétence de la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis (CNIH) aux rapatriés d’Indochine

Article 5 (art. 81 du code général des impôts) Exonération fiscale

Article 6 (art. L. 13613 du code de la sécurité sociale) Exonération sociale

Article 7 Gage financier et social

Travaux de la commission

Annexe I : liste des personnes auditionnées par le rapporteur

 


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   Avant-propos

Mesdames, Messieurs,

Entre 1954 et 1974, 44 000 ressortissants français ont été rapatriés depuis l’Indochine. Parmi eux, 4 000 à 6 000 personnes ont été installées plus durablement dans des camps dénommés « centres d’accueil », présentés comme provisoires, mais qui deviendront pour beaucoup d’entre eux des formes de « prisons à ciel ouvert » de leur date d’arrivée en France dans le milieu des années 1950 jusqu’à 2014 pour les dernières « mamies » du camp de Sainte‑Livrade‑sur‑Lot.

Pour la plupart, il s’agit de femmes vietnamiennes accompagnées de leurs enfants métis et d’hommes eurasiens. Ils seront relégués dans des camps aux conditions sommaires et au règlement très strict, avec peu de perspectives d’intégration dans la société française, ayant le sentiment d’être traités comme des « citoyens de seconde zone ».

Alors que la loi du 23 février 2022 a prévu la reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et la réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans les camps d’accueil sur le territoire français, les rapatriés d’Indochine demeurent absents du dispositif, alors qu’ils ont connu les mêmes contraintes administratives et les mêmes atteintes aux droits fondamentaux.

Comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition de loi, « les rapatriés d’Indochine furent les premiers rapatriés de l’histoire française, ils demeurent les derniers oubliés du législateur français. »

La présente proposition de loi vise d’une part à témoigner de la reconnaissance de la Nation, d’autre part à réparer le préjudice subi. Plus de soixante‑dix ans après la fin de guerre d’Indochine, il est urgent de mettre fin à cette inégalité de traitement.


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I.   Les rapatriés d’Indochine : une histoire oubliée

A.   Des camps de transit aux « centres d’accueil », la relégation des rapatriés d’Indochine par l’État français

a.   L’organisation du rapatriement des Français d’Indochine et l’installation dans les « centres d’accueil »

i.   Le rapatriement des ressortissants français dans le sillage de la fin de la Guerre d’Indochine

● La fin de la guerre d’Indochine et de la présence coloniale française, scellée par les accords de Genève de juillet 1954, s’est accompagnée de mouvements massifs de réfugiés. L’Indochine française a été dissoute pour laisser place à trois États indépendants : le Vietnam (divisé alors en Nord‑Vietnam et Sud‑Vietnam), le Laos et le Cambodge. Dans le sillage de l’administration et du corps expéditionnaire militaire français, ce sont plusieurs centaines de milliers de personnes qui quittent le Nord‑Vietnam, la majorité se réfugiant au Sud‑Vietnam.

Entre 1954 et 1974, 44 000 ressortissants français ont été rapatriés depuis l’Indochine ([1]). Débuté en 1954, ce mouvement s’accélère à partir de 1955 et le retrait français du Sud‑Vietnam, dans un contexte de refroidissement des relations bilatérales ; le Corps expéditionnaire français est officiellement dissous le 28 avril 1956. Ces Français rapatriés sont caractérisés par une forte hétérogénéité ethnique comme socio‑économique, recouvrant des catégories de population variées : métropolitains, indochinois de nationalité française, métis eurasiens, indiens, entre autres.

ii.   Les rapatriés d’Indochine placés sous la responsabilité de l’État, une population isolée

● L’État organise le transit et l’accueil des rapatriés d’Indochine, du SudVietnam au territoire métropolitain. Dès 1954, les premiers rapatriés sont regroupés dans des camps de transit, généralement d’anciens camps militaires, au sud du Vietnam. Comme évoqué lors des auditions menées par votre rapporteur, l’hébergement dans les camps du Sud‑Vietnam a duré parfois deux ans et a constitué pour les personnes concernées un premier déracinement.

En mai 1955, est créée une commission interministérielle dédiée à la coordination de l’action des organismes habilités à s'occuper du rapatriement, de l’accueil, et du ré‑établissement des Français d'Indochine. Après le premier transit par des camps dans le Sud‑Vietnam, les candidats au rapatriement sont recensés par les services de l’État. Si certains sont rapatriés par avion, la majeure partie d’entre eux est ramenée par bateau jusqu’à Marseille, où ils sont logés dans divers dispositifs d’hébergement provisoire et hôtels. Ceux qui le peuvent quittent rapidement ces structures ; ceux qui n’ont pas les ressources suffisantes sont contraints de rester sous la responsabilité de l’État.

● Sur les 12 000 ressortissants passés par les dispositifs de transit de l’État lors de leur rapatriement d’Indochine ([2]), 4 000 à 6 000 personnes ont été installées plus durablement dans des camps dénommés « centres d’accueil » ([3]), gérés initialement par le service des affaires sociales du Ministère d’outre‑mer.

La population hébergée dans les centres d’accueil est hétérogène et isolée, composée principalement de compagnes vietnamiennes et leurs enfants métis, ainsi que d’adultes eurasiens. Ces personnes ne bénéficient pas de ressources financières, sociales, culturelles, linguistiques suffisantes, pour trouver une solution de logement alternative par leurs propres moyens ; nombre d’entre eux ont quitté le Vietnam avec pour seuls biens personnels une ou deux valises. L’État leur avait promis par ailleurs une solution durable d’hébergement comme une intégration à la société française hexagonale.

En raison de l’opprobre qui les frappait, de nombreuses femmes accompagnées de leurs enfants métis ont été contraintes de fuir l’ancienne Indochine : elles représentent 58 % des adultes hébergés dans les centres de Noyant‑d’Allier et Sainte‑Livrade ([4]). Il s’agit d’une population doublement marginalisée, par la société vietnamienne et la société française, en raison de la « violente hostilité » fréquemment observée à l’égard des unions mixtes ([5]). Ces femmes disposent, en outre, d’un statut social et civil précaire car, comme le note l’anthropologue Dominique Rolland, « Les unions [mixtes] n’avaient que très rarement un statut légal, et les enfants qui en étaient issus n’étaient pas non plus reconnus par leurs pères » ([6]).

Ainsi, parmi les enfants et adolescents, qui représentent 71 % de la population des centres, on retrouve près de 70 % d’enfants métis eurasiens ([7]).

Les hommes adultes sont majoritairement des métis eurasiens (ils représentent 56 % d’entre eux) ([8]). S’ajoutent également à cet ensemble des Français issus des anciens comptoirs de l’Inde, des Antilles et de la Réunion. Pour beaucoup, les hommes rapatriés sont d’anciens employés des services publics de l’État en Indochine, notamment police, douane, pénitentiaire, travaux publics, etc., ainsi que d’anciens supplétifs du corps expéditionnaire militaire en Indochine.

● Les rapatriés d’origine indochinoise ou eurasienne font l’objet, dès le début de leur prise en charge, d’une différence de traitement manifeste par les services de l’État. Lors des auditions de votre rapporteur, un ancien rapatrié a évoqué un trajet éprouvant en bateau, long de plus de 25 jours, dans des conditions d’hygiène et d’intimité très précaires. Il est frappant de noter que ces Français d’origines asiatiques ou métis sont logés dans la cale des navires, quand leurs concitoyens « européens » sont logés en cabine. Ce système de traitement à deux niveaux, distinguant selon des critères d'apparence ou d'origine dans une forme de hiérarchisation implicite, témoigne d’une perpétuation des rapports sociaux ayant cours dans les systèmes coloniaux.

b.   Les conditions d’hébergement et de vie indignes marquées par la surveillance et l’exclusion de la communauté nationale

i.   L’installation durable dans des « centres d’accueil »

● Les « centres d’accueil » sont créés dans l’urgence, pour installer ces rapatriés d’Indochine, auxquels l’État doit en principe fournir un hébergement, une aide matérielle et financière, ainsi qu’un accompagnement pour l’intégration à la société hexagonale.

Plus d’une dizaine de sites sont initialement mobilisés. Sont ainsi concernées les communes de : Noyant‑d’Allier, Châtillon et Saint‑Hilaire dans l’Allier ; le camp de Creysse en Dordogne ; Saint‑Laurent‑d’Arce en Gironde ; Oublaise dans l’Indre ; Bias et Sainte‑Livrade dans le Lot‑et‑Garonne ; le camp du Luc dans le Var ; Le Vigeant dans la Vienne. S’ajoutent également plusieurs centres secondaires en région parisienne, marseillaise et bordelaise ([9]).

● À terme, les rapatriés demeurant placés sous la responsabilité de l’État sont regroupés autour de quatre camps principaux ([10]).

Le camp du Vigeant est situé dans un ancien camp militaire, à 4 km du bourg de la commune ; il héberge près de 150 personnes en 1956 et ferme en 1962. Les familles habitantes restantes sont déplacées afin notamment de libérer les lieux pour les harkis d’Afrique du Nord.

Le camp de Bias est situé dans un ancien dépôt de matériel militaire, à 3 km du bourg de la commune ; il héberge près de 605 personnes en 1956, et ferme en 1962 ([11]). Ce camp était déjà utilisé dans les années trente pour héberger des ouvriers espagnols, puis des travailleurs indochinois recrutés ou forcés à émigrer pendant la Seconde guerre mondiale. À la fermeture du camp en 1962, les rapatriés d’Indochine restants sont déplacés au camp de Sainte‑Livrade, situé à 8 km. À partir de janvier 1963, le camp accueille des harkis d’Afrique du Nord.

Le camp de Noyant d’Allier est principalement situé dans des anciens corons de mineurs, à environ 1 km du bourg de la commune ; il héberge jusqu’à 3 000 personnes, et sera officiellement fermé en 1966 ([12]). Certains rapatriés sont hébergés dans les communes proches de Saint‑Hilaire et Chatillon au sein d’anciens logements de mineurs ou d’ouvriers, rejoignant ensuite Noyant au fur et à mesure de la libération des logements. Une partie de cette communauté eurasienne vit toujours dans la commune.

Le camp de SainteLivrade est installé dans d’anciens bâtiments militaires situés à l’écart du bourg ; il héberge 1 487 personnes entre 1956 et 1964 et est cédé par l’État à la municipalité en 1981 ([13]). Le Centre d'Accueil des Rapatriés d'Indochine (CARI) devient Centre d'Accueil des Français d'Indochine (CAFI) dans les années soixante. Il constitue le centre d’accueil le plus pérenne. La municipalisation du centre ne met pour autant pas fin à l’habitation des lieux pour les rapatriés d’Indochine ; certains d’entre eux y vivaient encore en 2014, lors de la destruction des dernières habitations dans le cadre d’un plan de rénovation.

Évolution, réhabilitation - CAFI histoires et mémoires - Accueil - Le CAFI  - Évolution, réhabilitationÉvolution du nombre de résidents au CARI/CAFI de SainteLivrade

Source : CEP‑CAFI

ii.   Des conditions de vie indignes, fortement réglementées et un isolement pérenne des habitants des centres

Votre rapporteur souhaite insister sur l’indignité des conditions de vie et d’accueil proposées aux rapatriés d’Indochine dans ces camps, qui présentent des traits communs et s’incarnent autour de trois dimensions : la ségrégation sociospatiale, l’indigence des conditions de vie, la réglementation stricte du cadre de vie. Dans son rapport d’activité 2022, la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis (CNIH) avait insisté sur les traits communs aux différents centres d’accueil des rapatriés d’Indochine.

● Les conditions de vie dans les camps sont longtemps restées indigentes. Vétustes et mal isolés, les anciens logements de mineurs ou bâtiments militaires exposaient les habitants à des hivers rigoureux et des étés étouffants. Les anciens corons de mineurs de Noyant avaient été délaissés depuis longtemps par leurs anciens habitants. L’accès à l’eau courante était parfois inexistant jusque dans les années 1960. Les moyens de subsistance se limitaient aux aides sociales en partie directement versées à la direction du camp et à quelques emplois agricoles ou en usine. À Sainte‑Livrade, les rapatriés sont hébergés dans un ancien camp militaire entouré de barbelés, sans salle d’eau, avec un seul poêle pour tout un foyer et du charbon en quantité limitée (deux caisses de 50 kg par mois pendant la saison d’été, trois caisses pendant l’hiver, réservées aux personnes n’ayant pas d’emploi). Comme le note l’anthropologue Dominique Rolland « les baraquements sont insalubres, infestés de rats et de cafards, des cloisons et plafonds de carton suinte une humidité continuelle, l’absence de sanitaires entretient un manque d’hygiène préoccupant » ([14]).

Cette situation d’indigence a persisté particulièrement longtemps au CARI/CAFI de SainteLivrade. Ainsi, en 1964, face à une situation qu’il estime incontrôlable, le médecin du camp fit appel à l’association la Cimade. Le camp comptait alors environ 1 000 personnes, dont 600 avaient moins de 20 ans. Dans un contexte de fortes tensions sociales et de détresse généralisée, le médecin avait pourtant tenté d’alerter les autorités, sans succès. Ses appels furent ignorés, illustrant ce que Mme Geneviève Jacques, intervenante sur le camp pour la Cimade, dénonce comme une « conspiration de l’ignorance et du rejet » ([15]). Elle découvre à son arrivée un camp dans lequel les populations vivent dans une pauvreté matérielle « lamentable » ([16]).

● Les habitants des camps de rapatriés d’Indochine ont été confrontés à une triple isolation : spatiale, culturelle et économique. Installés dans des sites souvent éloignés des bourgs, comme à Bias ou au Vigeant, les rapatriés vivaient physiquement à l’écart du reste de la population, réduisant les possibilités d’échange et d’intégration. Cette séparation était renforcée par une barrière culturelle et linguistique, nombre d’adultes ne parlant pas français couramment, ce qui limitait leurs interactions avec les institutions et les services extérieurs. À Sainte‑Livrade, les enfants étaient même scolarisés au sein du camp, entretenant une forme d’exclusion et freinant encore davantage l’apprentissage de la langue et l’ouverture à la société française. Sur le plan économique, les familles dépendaient largement des aides sociales. Les femmes étaient souvent confinées à l’espace domestique, tandis que les hommes, lorsqu’ils étaient présents, enchaînaient des emplois précaires ou travaillaient loin du camp, rendant toute stabilité économique et insertion professionnelle difficile. Cette situation a durablement isolé la communauté, renforçant son sentiment de relégation.

Lors de leurs interventions à SainteLivrade à la fin des années 1960, Geneviève Jacques et André Mazière, auditionnés par votre rapporteur, constatent la persistance d’un isolement profond des habitants du camp. Établie dans le camp pour la Cimade en 1966, Geneviève Jacques est frappée par le sentiment d’abandon et d’enfermement dans lequel vivent les rapatriés : une vie en vase clos, marquée par une quasi‑absence de liens avec l’extérieur alimenté par un climat de méfiance et un isolement linguistique. Les enfants, peu francophones, étaient désavantagés dans leur scolarité et leur insertion, occasionnant une évidente perte de chances par rapport à leurs compatriotes. Les rares contacts avec l’extérieur relevaient davantage de l’exploitation que de l’échange. G. Jacques cite par exemple des petits travaux de cueillette des haricots. Elle évoque des pratiques relevant du clientélisme ou de la manipulation politique, par la diffusion de consignes de votes. A. Mazière, éducateur arrivé en 1969, dépeint une situation similaire : une jeunesse cloîtrée dans un espace socialement refermé, témoignant d’un rapport de méfiance voire d’hostilité avec la population locale, et une gestion du camp assurée par d’anciens militaires familiers des méthodes des camps de regroupement mis en place en Algérie. Malgré leurs efforts pour « ouvrir le camp sur l’extérieur », l’isolement reste structurel, avec un manque total d’accompagnement vers l’insertion, notamment pour les jeunes désireux de quitter le camp.

● L’ensemble des camps de rapatriés d’Indochine ont été placés sous un régime de réglementation particulièrement strict, reflet d’une gestion autoritaire héritée des pratiques coloniales. Ces centres étaient administrés par des fonctionnaires de l’État, souvent anciens militaires ou administrateurs coloniaux ayant servi en Indochine, qui imposaient une discipline quasi‑militaire : lever des couleurs, couvre‑feu, contrôle des déplacements, obligation de déclarer toute visite extérieure.

● L’arrêté Morlot de 1959 est venu renforcer ce contrôle en instaurant une situation juridique profondément inégalitaire ([17]).

Cet arrêté qualifie de « provisoire, précaire et révocable » l’hébergement proposé par l’État dans ces centres, permettant l’exclusion pour tout comportement jugé perturbateur, mais aussi pour toute manifestation de richesse supposée incompatible avec l’« assistance » fournie par l’État. Ainsi, posséder une télévision, un réfrigérateur, une machine à laver ou même une voiture pouvait entraîner l’expulsion, tout comme percevoir un salaire, une retraite ou une pension. Cette réglementation visait clairement à maintenir une population sous tutelle, coupée de toute autonomie, en niant ses droits. Il ressort des auditions des associations de rapatriés et des intervenants extérieurs sur le camp que cette réglementation a suscité chez les rapatriés un profond sentiment d’humiliation et d’incompréhension : citoyens français, ils se voyaient néanmoins traités comme des indésirables, des « citoyens de seconde zone », à la différence des autres habitants des corons ou des communes voisines.

Il est difficile d’établir avec précision quand les règles issues de l’arrêté Morlot ont cessé en pratique de s’appliquer au CARI/CAFI de SainteLivrade. Les représentants de l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) et de la direction juridique du ministère des Armées, auditionnés par votre rapporteur, soutiennent que la transmission de la tutelle administrative du ministère de l’Intérieur au ministère de la Santé publique et de la Population en 1966 marque un point d’inflexion, qui a pu s’accompagner de la fin des contraintes d’ordre administratif imposées aux personnes séjournant à Sainte‑Livrade (les trois autres principaux camps ayant fermé entre 1962 et 1966). La direction tout comme les règles de vie sont en tout cas inchangées. Les documents d’époque ainsi que les témoignages attestent d’un desserrement des contraintes imposées aux résidants de ces centres au mitan des années 1970. En tout état de cause, la cession du camp à la municipalité en 1981 a entraîné un assouplissement des contraintes ; elle écarte en tout cas l’engagement de la responsabilité directe de l’État à partir de cette date.

En imposant une telle discipline collective, l’État a transformé ces centres en lieux de relégation, soulevant des interrogations majeures quant au respect des droits humains.

B.   L’exclusion des rapatriés d’indochine des dispositifs d’aide destinés aux rapatriés d’Afrique du nord et notamment aux Harkis

a.   Dès 1961, le sentiment d’invisibilisation des rapatriés d’Indochine

● Selon les associations rencontrées, la définition juridique des rapatriés donnée par la loi du 26 décembre 1961 relative à l’accueil et à la réinstallation des Français d’outremer participe de « l’invisibilisation » des rapatriés d’Indochine.

La loi définit les rapatriés comme des « Français ayant dû quitter ou estimé devoir quitter, par suite d’événements politiques, un territoire où ils étaient établis et qui était antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France ». Elle prévoit ensuite une série de conditions ouvrant droit, le cas échéant, à des dispositifs d’assistance et de solidarité et d’aide à l’insertion. Le dispositif créé par le décret du 10 mars 1962 pris en l’application de la loi du 26 décembre 1961 comportait trois principaux types de prestations : les prestations d’accueil, les prestations sociales et les aides au reclassement.

Selon les informations fournies à votre rapporteur par la CNIH, le 4 février 1963, le Ministre des rapatriés adresse aux préfets et délégués régionaux une note expliquant les dispositions de la loi du 26 décembre 1961, s'appuyant pour ce faire sur la circulaire n° 6320 AGA/AS du 2 avril 1962, qui estime que la notion « d’évènements politiques » à l'origine du rapatriement, doit être distincte de l'accession à l'indépendance : « L’Indochine, à l'exception du Nord Vietnam, est l'un des territoires auquel ne peut, dans les circonstances actuelles, s'appliquer la présomption générale de rapatriement dû à des raisons politiques ; d'autre part, un grand nombre de rapatriés, en raison de leur origine eurasienne, ne peuvent être reclassés avant une période d'adaptation qui justifie, dans l'immédiat, un hébergement collectif ([18]) ».

Bien que le rapport de l’IGAS de 2006 ([19]) nuance l’analyse des associations, certaines d’entre elles considèrent que c’est pour mieux les exclure du statut de rapatriés prévu par la loi précitée que le centre d’accueil des rapatriés d’Indochine (CARI) change d’appellation et devient le centre d’accueil des Français d’Indochine (CAFI) dans les années 1960.

● Les rapatriés d’Indochine ont également été exclus des dispositifs qui ont suivi.

Dans la loi n° 2005‑158 du 23 février 2005 ([20]), l’Indochine est limitée à une simple mention, ajoutée par amendement lors de l’examen du texte au Parlement. Son article premier exprime la reconnaissance de la Nation « aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ».

Toutefois, les rapatriés d’Indochine ne bénéficient pas des mesures de réparation matérielle et financière accordées aux rapatriés d’Afrique du Nord par la loi précitée, en particulier l’allocation de reconnaissance accordée aux anciens supplétifs d’Algérie.

Une des explications avancées dans le rapport de l’IGAS précité repose sur l’absence de contestation véritablement audible des concernés, qui a certainement contribué pour partie au relatif oubli des pouvoirs publics : « sans doute, surtout, la bonne intégration spontanée des rapatriés d’Indochine atelle distrait l’attention des pouvoirs publics des difficultés que certains d’entre eux pouvaient rencontrer et de la reconnaissance que l’ensemble d’entre eux estimaient mériter ([21]) »

b.   L’absence de prise en compte dans la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie, malgré des similitudes dans les conditions d’accueil et de vie

● Si la loi du 23 février 2022 ([22]) portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local constitue une étape très importante, elle ne prend toutefois pas en compte la situation des rapatriés d’Indochine.

En effet, la loi précitée fait à la fois œuvre de reconnaissance et de réparation. Elle exprime la reconnaissance de la Nation envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et qu’elle a « abandonnés » lors du processus d’indépendance de l'Algérie. Elle reconnaît également la responsabilité de l'État dans les conditions indignes de leur rapatriement et de leur accueil dans des « structures de toute nature » en France, après les accords d’Évian du 19 mars 1962.

● Pourtant, auditionnés par votre rapporteur, les services de la CNIH ont confirmé que les centres d’accueil destinés aux rapatriés d’Indochine présentaient bien des traits communs avec les sites ouvrant droit à réparation dans le cadre de la loi du 23 février 2022 ([23]).

D’une part, ces derniers sont situés à l’écart, sur la base d’installations à l’abandon : qu’il s’agisse d’une ancienne ferme abandonnée, d’un ancien lieu de détention (Le Vigeant), d’une ancienne base militaire ayant servi de lieu d’hébergement ou d’enfermement (Bias), ou d’une ancienne poudrerie désaffectée (Sainte‑Livrade) et d’anciens corons miniers (Noyant).

D’autre part, les centres étaient placés sous l’autorité d’agents de l’État, et ont servi à la politique officielle d’accueil des rapatriés. Ils étaient entourés de clôtures gardées, et il y régnait une discipline assimilable à celle d’un camp militaire. Le droit à l’hébergement des rapatriés était révocable et pouvait conduire à l’exclusion du centre. Comme rappelé supra, des revenus ou la possession de signes extérieurs (comme un réfrigérateur ou une télévision) était notamment jugés « incompatibles avec la condition d’assistés hébergés aux frais de l’État ».

Dans certains camps, les Harkis ont d’ailleurs succédé aux rapatriés d’Indochine. Le rapport de la CNIH de 2022 citant Alice Voisin, indique même que « le cas indochinois a été le laboratoire de la politique officielle d’accueil des rapatriés ». Ainsi, au Vigeant et à Bias, qui figurent déjà dans le décret du 18 mars 2022 ouvrant droit à réparation au titre de la loi du 23 février 2022, des rapatriés indochinois et des Harkis se sont succédés.

● En conséquence, dans son rapport d’activité de 2022, la CNIH recommandait d’étendre le périmètre de la loi du 23 février 2022 aux anciens supplétifs et ou rapatriés d’Indochine, afin qu’ils puissent bénéficier des mêmes réparations que les anciens supplétifs rapatriés d’Algérie « en raison du traumatisme de l’exil, du déclassement social et de la relégation, des mauvaises conditions de vie, il régnait dans ces camps une grande misère psychologique et matérielle. »

Votre rapporteur tient à préciser que l’objet de la proposition de loi n’est en aucun cas de nourrir une quelconque concurrence entre les rapatriés d’Afrique du Nord et les rapatriés d’Indochine, mais bien de réparer une inégalité de traitement.

II.   La nécessité de réparer une inégalité de traitement pour parachever le processus d’apaisement des mémoires

A.   Le sentiment d’abandon des rapatriés d’Indochine

a.   Le combat des associations et des enfants des rapatriés d’Indochine

● Les rapatriés d’Indochine et leurs enfants ont longtemps ressenti un profond sentiment de trahison face à l’oubli dont leurs familles ont été victimes. Les auditions de votre rapporteur font émerger un constat qu’avait déjà pu faire le rapport Lacaze en 2006 : « d’une manière générale, le sentiment d’avoir été oublié par les pouvoirs publics ressort constamment du discours tenu par les associations de rapatriés qu’il m’a été donné, à leur demande, de rencontrer ».

Ils se sont mobilisés dès les années 2000, notamment à travers des associations comme le Collectif des Eurasiens du CAFI (CEPCAFI) ou l’ARINA (Association des Rapatriés d’Indochine de Noyant d’Allier). Ils œuvrent à préserver la mémoire des centres d’accueil, tout particulièrement ceux de Sainte‑Livrade et Noyant‑d’Allier, où des milliers de rapatriés ont vécu dans des conditions difficiles. Ce combat vise également à réparer une perte de chances importante pour ces descendants, souvent bien intégrés à la société, mais confrontés à l’effacement de leur histoire collective. C’est à leur initiative qu’est recollé et préservé tout le matériel mémoriel dont le site Accueil CAFI histoires et mémoires est la vitrine.

Ce réseau d’associations et d’anciens du camp permet aussi de maintenir des liens solides et de s’entraider. Ils se retrouvent régulièrement, notamment le 14 août pour ce qui est du CEP‑CAFI. En août 2024, votre rapporteur a eu l’occasion de se rendre à Sainte‑Livrade pour visiter le CAFI et échanger avec les membres de l’association sur les projets mémoriels portés pour le lieu. L’action de la CEP‑CAFI a ainsi permis que soit commémorée, en 2006, l’arrivée des rapatriés d’Indochine à Sainte‑Livrade. L’association a également obtenu que soient installées des plaques commémoratives sur le site.

b.   L’absence de reconnaissance par les pouvoirs publics

Si l’État et les pouvoirs publics ont mis en œuvre plusieurs initiatives nationales visant à commémorer la guerre d’Indochine et ses conséquences, cellesci restent largement focalisées sur l’expérience combattante et ignorent le sort des rapatriés d’Indochine. Citons notamment la journée nationale d’hommage du 8 juin, qui est consacrée aux Morts pour la France de la guerre d’Indochine (décret du 26 mai 2005), ou le mémorial de Fréjus, qui vise principalement à rendre hommage aux soldats morts pour la France en Indochine.

Plus largement, les travaux universitaires et politiques réalisés sur le sujet des rapatriés d’Indochine s’accordent sur le constat du déficit de reconnaissance par les pouvoirs publics et la Nation française. Comme le note le rapport Lacaze : « la relative faiblesse de leur nombre, les circonstances de leur rapatriement, leur attitude de réserve et de patience, leur courage puis la capacité de leurs enfants à s'insérer dans la société française ont, dans une certaine mesure occulté le dénuement et les difficultés rencontrées par beaucoup de rapatriés d'Indochine ». Le rapport Diefenbacher de 2003 notait que « la place qui leur revient devra être réservée aux communautés d’Indochine qui sont arrivées en France », dans le cadre d’une réflexion sur l’évolution du mémorial des rapatriés d’Algérie de Marseille ([24]).

B.   Une proposition de loi transpartisane pour reconnaître et réparer le préjudice subi par les rapatriés d’indochine ayant séjourné dans des centres d’accueil

a.   Reconnaître

● L’aspect mémoriel revêt une importance particulière pour les représentants des associations rencontrées.

Comme le documente le rapport de la CNIH précité « par tous, la relégation a été vécue comme une humiliation et une trahison. » De la même manière, le rapport de l’IGAS précité conclut que les rapatriés d’Indochine « attendent légitimement de leur patrie une attitude de reconnaissance et de conservation mémorielle de leur propre histoire. »

● Aussi, plus de soixantedix ans après la fin de la guerre d’Indochine, la présente proposition de loi visetelle à instaurer en son article deux une journée nationale d’hommage aux rapatriés d’Indochine, d’une part, et des lieux de mémoire, notamment à SainteLivradesurLot et à Noyant d’Allier, d’autre part.

Il convient de noter que deux projets mémoriaux existent d’ores et déjà à Sainte‑Livrade‑sur‑Lot et à Noyant d’Allier, portés par des acteurs locaux et associatifs. Votre rapporteur souhaite que ces projets soient menés à bien et puissent bénéficier d’un accompagnement financier à l’amorçage par l’État et d’un accompagnement politique par les collectivités. Ces lieux apparaissent doublement importants en ce qu’ils doivent permettre aux communautés concernées de se recueillir et de se souvenir, mais aussi à terme accueillir des visiteurs extérieurs pour que la mémoire des rapatriés d’Indochine sorte de l’oubli et que les mémoires individuelles soient pleinement intégrées dans la mémoire collective.

À Noyant, le projet vise notamment à transformer des corons en lieu de mémoire. Votre rapporteur a pu assister à la pose de la première pierre du futur espace muséal le 10 mai 2025. Un soutien financier de l’État est demandé par les associations pour finaliser ce projet.

À Sainte‑Livrade, le souhait des associations est de pouvoir conserver plusieurs baraquements sur l’ancien site du camp. Ils pourraient en outre permettre aux rapatriés et leurs descendants de continuer à se retrouver chaque année autour de la date du 14 août.

b.   Réparer

La proposition de loi vise également à réparer les préjudices subis par les rapatriés et leurs familles du fait de l’indignité des conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.

● Le dispositif proposé à l’article trois de la proposition de loi s’inspire du droit à réparation prévu par la loi du 23 février 2022 et l’étend aux rapatriés d’Indochine ayant séjourné dans des structures d’accueil entre le 22 juillet 1954 et le 31 décembre 2014, structures dont la liste est déterminée par décret. Ce choix se justifie du fait des similitudes dans les conditions d’accueil et de vie entre les harkis et les rapatriés d’Indochine détaillées plus haut.

Comme dans le dispositif prévu par la loi du 23 février 2022, la réparation prend la forme d’une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures, versée dans des conditions et selon un barème déterminé par décret. Son montant est réputé couvrir l’ensemble des préjudices de toute nature subis en raison de ce séjour.

● Bien que le chiffrage précis du coût de la mesure soit complexe à établir car les rapatriés d’Indochine ne sont pas dans l’ensemble ressortissants de l’ONaCVG et parce que la réparation envisagée dépend de la durée passée dans les camps, il apparaît à l’issue des auditions menées par votre rapporteur, que l’extension de la mesure aux anciens supplétifs et aux rapatriés d’Indochine générerait une dépense supplémentaire comprise entre 2,6 et 4,5 millions d’euros, selon les hypothèses retenues.

En effet, dans une note de 2021, le chef du bureau central des rapatriés de l’ONaCVG estimait « entre 250 et 300 » le nombre de personnes encore vivantes qui pourraient être concernées. Auditionnés par votre rapporteur, les représentants de l’ONaCVG, ont donné une estimation de l’ordre de 329 personnes potentiellement bénéficiaires, tout en alertant votre rapporteur sur le caractère provisoire de ce dénombrement, qui peut donc être amené à évoluer. Les deux chiffres avancés semblent néanmoins concordants. Des estimations plus élevées vont jusqu’à évoquer 500 personnes potentiellement concernées.

En prenant comme référence le montant moyen de la réparation attribuée par la CNIH par personne indemnisée dans le cadre du droit à réparation issu de la loi du 23 février 2022, à savoir 8 856 euros ([25]) entre juin 2022 et avril 2025, le coût financier pourrait être compris entre 2,6 et 4,5 millions d’euros :

– Hypothèse basse : 8 856 * 300 = 2 656 800 euros

– Hypothèse intermédiaire : 8 856 * 350 = 3 099 600 euros

– Hypothèse haute : 8 856* 500 = 4 428 000 euros

Au regard du faible nombre de personnes concerné et compte tenu du fait que l’essentiel des rapatriés de la première génération sont déjà décédés et que leurs enfants sont âgés pour la plupart, il paraît urgent de réparer ce préjudice et les pertes de chance associées.


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Commentaires des articles

Article 1er
Reconnaissance de la Nation et de sa responsabilité

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’objet de l’article premier de la proposition de loi est, d’une part, de témoigner de la reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine, les hommes ayant effectué leur service militaire ou engagés au sein de l’armée française, leurs épouses ou conjointes ou les civils ayant vécu en Indochine, et, d’autre part, de reconnaître sa responsabilité du fait de l’indignité des conditions d’accueil et de vie de ces populations sur son territoire.

       Modifications apportées par la Commission

La commission a adopté l’article premier, modifié par deux amendements de votre rapporteur visant à mieux distinguer la reconnaissance de la Nation de l’expression de sa responsabilité. 

  1. L’état du droit

Les rapatriés d’Indochine sont aujourd’hui absents des dispositifs de reconnaissance et de réparation prévus pour les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie.

Comme indiqué dans la première partie du présent rapport, la mention de l’Indochine dans la loi n° 2005‑158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui exprime en son article premier la reconnaissance de la Nation « aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine », ne s’accompagne pas de l’attribution aux rapatriés d’Indochine de mesures de réparation matérielle et financière accordées aux rapatriés d’Afrique du Nord par la loi précitée. En conséquence, les rapatriés d’Indochine ne bénéficient pas de l’allocation de reconnaissance accordée aux anciens supplétifs d’Algérie.

La rédaction proposée à l’article premier de la présente proposition de loi s’inspire du dispositif prévu par la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local ([26]) et propose de l’étendre aux rapatriés d’Indochine et leur famille, du fait de conditions de vie et d’accueil similaires.

En son article premier, la loi du 23 février 2022 prévoit ainsi que :

– la « Nation exprime sa reconnaissance envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie et qu’elle a abandonnés. »

– la Nation reconnaît « sa responsabilité du fait de l’indignité des conditions d’accueil et de vie sur son territoire à la suite des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 relatives à l’Algérie, des personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et des membres de leurs familles, hébergés dans des structures de toute nature où ils ont été soumis à des conditions de vie particulièrement précaires ainsi qu’à des privations et à des atteintes aux libertés individuelles qui ont été source d’exclusion, de souffrances et de traumatisme durables. »

  1. Le dispositif proposé

● Le premier alinéa de l’article premier témoigne de la reconnaissance de la Nation envers « les rapatriés d’Indochine, hommes ayant effectué leur service militaire ou engagés au service de l’armée française, leurs épouses ou conjointes ou les civils ayant vécu en Indochine. »

Comme indiqué, la fin de la guerre d’Indochine et de la présence coloniale française, scellée par les accords de Genève de juillet 1954, s’est accompagnée de mouvements massifs de réfugiés. Entre 1954 et 1974, 44 000 ressortissants français ont été rapatriés depuis l’Indochine. Dès 1954, l’État organise le transit et l’accueil des rapatriés d’Indochine, du Sud‑Vietnam au territoire métropolitain.

Sur les 12 000 ressortissants passés par les dispositifs de transit de l’État lors de leur rapatriement d’Indochine, 4 000 à 6 000 personnes ont été installés plus durablement dans des camps dénommés « centres d’accueil » ([27]), présentés initialement comme provisoires. La population hébergée dans les centres d’accueil est hétérogène et isolée, composée principalement de compagnes vietnamiennes et leurs enfants métis, ainsi que d’adultes eurasiens.

La rédaction proposée au premier alinéa vise à refléter l’hétérogénéité des rapatriés qui recouvre des catégories de population variées, en particulier des hommes et leurs épouses « employés des travaux publics, artificiers du génie militaire, inspecteurs de la sûreté, gardiens de prison ou agents des douanes, instituteurs, chefs de chantier à la direction de l’aéronautique de l’Indochine, pointeurs au port militaire de Haïphong ([28]) »

● Le second alinéa de l’article premier procède à la reconnaissance par le législateur de la responsabilité de la France du fait de « l’indignité des conditions d’accueil et de vie de ces populations sur son territoire, hébergées dans des structures de toute nature où ils ont été soumis à des conditions de vie particulièrement précaires ainsi qu’à des privations et à des atteintes aux libertés individuelles qui ont été source d’exclusion, de souffrances et de traumatismes durables pardelà les générations. »

La proposition de loi vise à pallier l’absence de prise en compte dans la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie précitée de la situation des rapatriés d’Indochine, malgré des similitudes dans les conditions d’accueil et de vie sur le territoire national.

En effet, les rapatriés d’Indochine placés sous la responsabilité de l’État sont regroupés autour de quatre camps principaux :

– Le camp du Vigeant ;

– Le camp de Bias ;

– Le camp de Noyant d’Allier ;

– Le camp de Sainte‑Livrade.

Auditionnés par votre rapporteur, les services de la CNIH ont confirmé que les centres d’accueil destinés aux rapatriés d’Indochine présentaient bien des traits communs avec les sites ouvrant droit à réparation dans le cadre de la loi du 23 février 2022.

D’une part, ces derniers sont situés à l’écart, sur la base d’installations à l’abandon : qu’il s’agisse d’une ancienne ferme abandonnée, d’un ancien lieu de détention (Le Vigeant), d’une ancienne base militaire ayant servi de lieu d’hébergement ou d’enfermement (Bias), ou d’une ancienne poudrerie désaffectée (Sainte‑Livrade) et d’anciens corons miniers (Noyant).

D’autre part, les centres étaient placés sous l’autorité d’agents de l’État, et ont servi à la politique officielle d’accueil des rapatriés. Ils étaient entourés de clôtures gardées, et il y régnait une discipline assimilable à celle d’un camp militaire. Le droit à l’hébergement des rapatriés était révocable et pouvait conduire à l’exclusion du centre, et des revenus ou la possession de signes extérieurs (comme un réfrigérateur ou une télévision) était notamment jugés « incompatibles avec la condition d’assistés hébergés aux frais de l’État ».

Dans certains camps, les Harkis ont d’ailleurs succédé aux rapatriés d’Indochine. Le rapport de la CNIH de 2022 citant Alice Voisin, indique même que « le cas indochinois a été le laboratoire de la politique officielle d’accueil des rapatriés ». Ainsi, au Vigeant et à Bias, qui figurent déjà dans le décret du 18 mars 2022 ouvrant droit à réparation au titre de la loi du 23 février 2022, des rapatriés indochinois et des Harkis se sont succédés.

En conséquence, dans son rapport d’activité de 2022, la CNIH recommandait d’étendre le périmètre de la loi du 23 février 2022 aux anciens supplétifs et ou rapatriés Indochinois, afin qu’ils puissent bénéficier des mêmes réparations que les anciens supplétifs rapatriés d’Algérie « en raison du traumatisme de l’exil, du déclassement social et de la relégation, des mauvaises conditions de vie, il régnait dans ces camps une grande misère psychologique et matérielle. »

Ainsi, le second alinéa constitue donc le socle du projet de loi, en reconnaissant la responsabilité de la Nation à l’égard de ces populations. Il convient de noter que comme dans le dispositif de la loi du 23 février 2022 la responsabilité de l’État se limite à « l’indignité des conditions d’accueil », des lieux particuliers (certaines structures »), des conditions (particulièrement précaires et donnant lieu à des privations de libertés ») ainsi que des conséquences (sources d’exclusion, de souffrances et de traumatismes durables »). L’article 3 de la proposition de loi limite ensuite dans le temps la possibilité d’engager la responsabilité de l’État pour les préjudices subis (entre le 22 juillet 1954 et le 31 décembre 2014 »).

  1. La position de la commission

La commission a adopté cet article à l’unanimité après l’avoir modifié à l’initiative de votre rapporteur.

Les deux amendements adoptés ([29]) permettent de distinguer plus clairement l'expression de la reconnaissance de la Nation, d'une part, de l'expression de sa responsabilité du fait de l'indignité des conditions d'accueil et de vie, d'autre part.

Au premier alinéa, la reconnaissance de la Nation est recentrée sur les rapatriés ayant servi la France en Indochine. Dans la nouvelle rédaction, la reconnaissance de la Nation est ainsi réaffirmée envers « les rapatriés d’Indochine militaires, anciens membres des formations supplétives et agents publics qui ont servi la France en Indochine. »

Le second alinéa, à la visée plus large, est relatif à la reconnaissance de la responsabilité du fait de l'indignité des conditions d’accueil et de vie. Dans la nouvelle rédaction, il inclut les populations citées au premier alinéa, mais également les civils rapatriés d'Indochine et les membres de leurs familles hébergés dans les structures de toute nature, qui pourront ainsi bénéficier de la réparation prévue à l'article 3 de la proposition de loi.


Article 2
Création d’une journée nationale d’hommage et instauration de plusieurs lieux de mémoire

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’objet de l’article 2 de la présente proposition de loi est, d’une part, de créer une journée nationale d’hommage consacrée aux rapatriés d’Indochine et aux personnes qui leur ont porté secours et assistance à l’occasion de leur rapatriement et, d’autre part, d’instituer plusieurs lieux de mémoire honorant les rapatriés d’Indochine.

       Modifications apportées par la Commission

La commission a adopté l’article avec des modifications de votre rapporteur élargissant le champ de la journée nationale d’hommage du 8 juin dédiée aux morts pour la France en Indochine, aux rapatriés d’Indochine.

  1. L’état du droit

● Il n’existe pas aujourd’hui de journée nationale d’hommage consacrée aux rapatriés d’Indochine.

En effet, la journée nationale d’hommage du 8 juin, créée par le décret n° 2005‑547 du 26 mai 2005, est dédiée aux « morts pour la France » en Indochine.

En revanche, une journée nationale d’hommage aux harkis, moghaznis et aux personnels des diverses formations supplétives et assimilés en reconnaissance des sacrifices qui ont été consentis et des sévices qu’ils ont subis du fait de leur engagement au service de la France lors de la guerre d’Algérie, fixée au 25 septembre de chaque année a été instituée par la loi du 23 février 2022 ([30]). La célébration de cette journée était déjà effective avant l’intervention de la loi, puisque le décret du 31 mars 2003 avait déjà institué la journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives. Il s’agissait ainsi d’ancrer dans le droit positif une journée d’hommage déjà célébrée avant cette date.

Pour mémoire, il existe onze journées nationales commémoratives prévues par les textes législatifs et réglementaires pour le ministère des Armées, en plus de la fête nationale du 14 juillet.

Journées nationales commémoratives prévues par les textes législatifs et réglementaires pour le ministère des Armées

‑ la journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie : 19 mars (loi du 6 décembre 2012) ;

‑ la journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la Déportation : dernier dimanche d’avril (loi du 14 avril 1954) ;

‑ la fête de la Victoire de 1945 : 8 mai (loi du 2 octobre 1981) ;

‑ la fête nationale de Jeanne d'Arc et du patriotisme, le 2e dimanche de mai (loi du 10 juillet 1920) ;

‑ la journée nationale de la Résistance, le 27 mai (loi du 19 juillet 2013) ;

‑ la journée nationale d’hommage aux « Morts pour la France » de la guerre d’Indochine : 8 juin (décret du 26 mai 2005) ;

‑ la journée nationale commémorative de l’appel historique du général de Gaulle à refuser la défaite et à poursuivre le combat contre l’ennemi : 18 juin (décret du 10 mars 2006) ;

‑ la journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux « Justes de France », le 16 juillet ou le dimanche suivant le 16 juillet (loi du 10 juillet 2000) ;

‑ la journée nationale d’hommage aux Harkis et autres membres des formations supplétives : 25 septembre (décret du 31 mars 2003, loi du 23 février 2022) ;

‑ la commémoration de l’armistice du 11 novembre 1918 et de tous les morts pour la France : 11 novembre (loi du 24 octobre 1922 et loi du 28 février 2012) ;

‑ la journée nationale d’hommage aux « Morts pour la France » pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie : 5 décembre (décret du 26 septembre 2003).

À ces 11 journées s’ajoute la journée traditionnelle du 17 juin commémorant le premier acte de résistance de Jean Moulin à Chartres le 17 juin 1940, la commémoration du génocide arménien ou de l’abolition de l’esclavage, qui relèvent d’autres ministères.

Source : réponses écrites au questionnaire de votre rapporteur, DMCA, ministère des Armées.

● S’agissant des lieux de mémoire, il existe actuellement un mémorial des guerres en Indochine à Fréjus, qui figure parmi les Hauts lieux de la mémoire nationale (HLMN). Néanmoins, ce dernier n’est pas explicitement dédié à la mémoire des rapatriés d’Indochine, ni à celles des centres d’accueil les ayant hébergés.

  1. Le dispositif proposé

L’article 2 de la présente proposition de loi vise à répondre au besoin de reconnaissance exprimé par les rapatriés d’Indochine et leurs descendants.

● Le premier alinéa propose ainsi de créer une « journée nationale d’hommage consacrée aux rapatriés d’Indochine et aux personnes qui leur ont porté secours et assistance à l’occasion de leur rapatriement et de leur accueil sur le territoire français. ». Il est proposé de fixer cette journée à la date du 14 août.

La date retenue reflète les demandes des associations de rapatriés, notamment celle du CEP‑CAFI. L’association a proposé que la date de recueillement national pour les rapatriés d'Indochine soit fixée le 14 août de chaque année au lieu de mémoire du CAFI. Selon les informations transmises à votre rapporteur, la date du 14 août correspond initialement à la date d’arrivée des premiers rapatriés au camp de Sainte‑Livrade‑sur‑Lot. La date correspond également et, surtout, au jour de recueillement perpétué chaque année par les deuxième et troisième générations de rapatriés à Sainte‑Livrade‑sur‑Lot, afin de rendre hommage à leurs parents devant le triptyque mémorial du CAFI sur lequel est gravé le nom de plus de 300 rapatriés d'Indochine.

● Le second alinéa propose également d’instituer plusieurs lieux de mémoire honorant les rapatriés d’Indochine, en particulier à Noyant‑d’Allier et à Sainte‑Livrade‑sur‑Lot. Il est ensuite renvoyé au décret pour déterminer la liste et les modalités de mise en œuvre des lieux de mémoire concernés.

Dans son rapport de 2003, Michel Diefenbacher ([31]), député de Lot‑et‑Garonne, indiquait déjà que « la place qui leur revient devra être réservée aux communautés d’Indochine qui sont arrivées en France alors que le dispositif d’accueil et de réinstallation était rudimentaire, qui ont séjourné elles aussi dans les camps et dont l’intégration sociale et professionnelle constitue une remarquable réussite. Une attention particulière devra être apportée à la mise en valeur des sites de Sainte Livrade (LotetGaronne) et de Noyant d’Allier (Allier). »

Comme énoncé dans la première partie du présent rapport, il convient de noter que deux projets mémoriaux existent d’ores et déjà à Sainte‑Livrade‑sur‑Lot et à Noyant d’Allier, portés par des acteurs locaux et associatifs. Ces lieux apparaissent doublement importants en ce qu’ils doivent permettre aux communautés concernées de se recueillir et de se souvenir, mais aussi à terme accueillir des visiteurs extérieurs pour que la mémoire des rapatriés d’Indochine sorte de l’oubli et que les mémoires individuelles soient pleinement intégrées dans la mémoire collective.

Selon les informations fournies par la DMCA à votre rapporteur, les deux projets cités par la proposition de loi sont actuellement portés par des acteurs locaux et bien identifiés par le ministère des Armées :

– Un projet d’exposition permanente à SainteLivradesurLot est porté par l’association « Poudre de Vies ‑ Camps, Exil et Mémoires » qui souhaite depuis plusieurs années retracer l’histoire des quelques 1 200 rapatriés d’Indochine passés par ce site. Un projet scientifique et culturel a été élaboré et détaille le contenu de la future exposition permanente ;

– Le projet de musée des rapatriés d’Indochine de Noyant d’Allier est plus avancé. Cette commune a accueilli, à parti de 1955, une population rapatriée d’Indochine qui s’est installée dans d’anciens corons. Depuis 2024, la mairie porte un projet de musée dédié à ces rapatriés dont la « première pierre » vient d’être posée.

Toujours selon les informations de la DMCA, le deuxième projet, d’un coût total de 650 000 euros, est jugé ambitieux pour une petite commune de 700 habitants, mais pourrait être soutenu par la DMCA, par exemple dans le cadre d’un « projet de partenariat territorial » (PPT) sur la période 2025‑2026, dispositif qui comporte non seulement une subvention pluriannuelle d’investissement mais également un appui à la gouvernance du projet.

Ce musée pourrait également bénéficier d’un accompagnement dans le développement de sa politique de médiation, par exemple en intégrant le réseau des musées et mémoriaux des conflits contemporains (RMMCC), animé par la DMCA. Ce réseau, qui existe depuis 2006, a vocation à favoriser les synergies entre ses membres (musées, mémoriaux et centres d’interprétation, qui peuvent relever des pouvoirs publics ou d’initiatives privées). Ce réseau compte aujourd’hui 150 membres, avec l’intégration en 2024 de nouveaux membres (La Contemporaine, la batterie du Roc‑Granville).

  1. La position de la commission

La commission a adopté cet article à l’unanimité après modifications.

Au regard des obligations qu'emporte pour l'État la création d'une journée nationale d'hommage, votre rapporteur a préféré élargir la portée de la journée du 8 juin, plutôt que de créer une nouvelle journée nationale ad hoc le 14 août, comme cela était initialement proposé.

Les deux amendements présentés par votre rapporteur ([32]), identiques à ceux de M. Nicolas Ray ([33]), étendent donc le champ de la journée nationale d’hommage du 8 juin, à tous les combattants et rapatriés, y compris vivants, et non aux seuls morts pour la France en Indochine.

En conséquence, la date initialement proposée du 14 août est remplacée par la date du 8 juin. Les deux commémorations ne sont néanmoins pas incompatibles et celle du 14 août a naturellement vocation à perdurer localement.

La commission a également adopté un amendement rédactionnel présenté par votre rapporteur ([34]).


Article 3
Dispositif de réparation des préjudices

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 3 de la proposition de loi définit le fait générateur de l’engagement de la responsabilité de l’État, à savoir l’indignité des conditions d’accueil et de vie des rapatriés d’Indochine, leurs conjoints et leurs enfants, matérialisée par leur séjour dans un centre d’accueil entre le 22 juillet 1954 et le 31 décembre 2014. Ce faisant, cet article procède à la création d’un mécanisme de réparation du préjudice subi par ces personnes.

       Modifications apportées par la Commission

La commission a adopté deux amendements de votre rapporteur visant, d’une part, à modifier la période de séjour ouvrant droit à réparation et, d’autre part, à préciser le champ des personnes susceptibles de bénéficier du droit à réparation prévu à l’article 3.

  1. L’état du droit

Il n’existe pas aujourd’hui de dispositif de réparation du préjudice subi par les rapatriés d’Indochine en raison de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie.

  1. Le dispositif proposé

L’article 3 vise la création d’un mécanisme de réparation des préjudices résultant de l’indignité des conditions de vie des personnes à leur accueil sur le territoire national.

Il s’inspire, pour la construction du dispositif, du dispositif de réparation institué par la loi n° 2022‑229 du 23 février 2022 ([35]) ayant pour finalité la réparation des préjudices subis par les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.

L’article 3 détermine ainsi le fait générateur du mécanisme de réparation. Il lève par ailleurs la prescription quadriennale définie à l’article 1er de la loi n° 68‑1250 du 31 décembre 1968 ([36]), procédant de fait à la « re‑création » d’un droit à réparation juridiquement prescrit.

Le premier alinéa précise qu’ont ainsi droit à réparation les personnes mentionnées à l’article 1er de la proposition ‑ soit les rapatriés d’Indochine, hommes ayant effectué leur service militaire ou engagés au sein de l’armée française, leurs épouses ou conjointes ou les civils ayant vécu en Indochine ‑ qui ont séjourné dans une ou plusieurs structures dont la liste est fixée par décret, entre le 22 juillet 1954 et le 31 décembre 2014.

De manière plus précise, la liste des structures – si elle n’est pas encore connue – pourrait être la même que celle identifiée dans le rapport d’activité 2022 de la CNIH, soit les sites situés sur les communes suivantes : Noyant‑d’Allier (Allier) ; Châtillon (Allier) Saint‑Hilaire (Allier) ; Creysse (Dordogne) ; Saint‑Laurent‑d’Arce (Gironde) ; Oublaise (Indre) ; Bias (Lot‑et‑Garonne) ; Sainte‑Livrade (Lot‑et‑Garonne) ; Le Luc (Var) ; Le Vigeant (Vienne).

Il ressort des travaux de votre rapporteur que les rapatriés d’Indochine pris en charge durablement par l’État ont été principalement hébergés sur les sites situés sur les communes suivantes : Noyant‑d’Allier (Allier) ; Bias (Lot‑et‑Garonne) ; Sainte‑Livrade (Lot‑et‑Garonne) ; Le Vigeant (Vienne).

La date retenue pour le début de prise en compte des périodes ouvrant droit à réparation est celle du 22 juillet 1954, qui correspond au lendemain de la signature des accords de Genève, qui intervient dans la nuit du 20 au 21 juillet 1954, et marque officiellement la fin de la Guerre d’Indochine.

La date retenue pour la fin de prise en compte des périodes ouvrant droit à réparation est celle du 31 décembre 2014. L’année 2014 correspond à la destruction pour rénovation des derniers logements habités par des rapatriés d’Indochine sur le site de Sainte‑Livrade, le dernier des centres d’accueil habité. Sur la question de la détermination de la date de fin de prise en compte des séjours ouvrant droit à réparation, votre rapporteur souhaite rappeler qu’il est difficile d’établir avec précision la date à laquelle les règles issues de l’arrêté Morlot de 1959 – qui constitue une manifestation majeure de l’indignité du cadre d’hébergement auquel ont été soumis les habitants des centres d’accueil ont cessé en pratique de s’appliquer.

Le second alinéa de cet article précise que « la réparation prend la forme d’une somme forfaitaire tenant compte de la durée du séjour dans ces structures, versée dans les conditions et selon un barème fixé par décret. »

La fixation du barème est renvoyée à un décret. Pour rappel, le barème relatif au dispositif de réparation institué par la loi n° 2022‑229 du 23 février 2022 ([37]) prévu par le décret n° 2022‑394 du 18 mars 2022 ([38]) modifié par le décret n° 202‑256 du 20 mars 2025 ([39]) est le suivant :

– sur le camp de Bias ou de Saint‑Maurice‑l’Ardoise, 4 000 euros au titre de la première année de séjour, 4 000 euros par année complémentaire ;

– sur les autres structures visées par le décret, 3 000 euros pour une durée de séjour inférieure à 3 mois, 4 000 euros pour une durée de 3 mois à un an, 1 000 euros par année complémentaire.

En outre, le dispositif proposé entend couvrir l’ensemble du préjudice causé par ce séjour, fermant la porte à une indemnisation complémentaire.

  1. La position de la commission

La commission a adopté cet article après modifications.

Le premier amendement adopté par la commission, proposé par votre rapporteur ([40]), change la date retenue pour la fin de la période pendant laquelle les séjours dans les « centres d’accueil » ouvrent droit à réparation, de 2014 à 1975.

Votre rapporteur a souligné qu’il s’agissait de déterminer, afin de fixer la fin de période de prise en compte, la date à laquelle la responsabilité de l’État cessait d’être engagée. Il a rappelé que s’il était difficile de dater avec précision la date de cessation de l’indignité des conditions d’accueil, les documents d’époque ainsi que les témoignages attestaient d’un desserrement des contraintes imposées aux résidents de ces centres au mitan des années 1970, qui justifiait un bornage du dispositif à 1975.

Par ailleurs, le choix de l’année 1975 permet d’aligner la date de fin de prise en compte de la période ouvrant droit à réparation sur celle prévue par la loi du 23 février 2022 pour les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie. Il s’agit ainsi d’assurer l’homogénéité des deux dispositifs et de garantir la meilleure fluidité possible pour la mise en œuvre des réparations.

Le second amendement adopté par la commission, proposé par votre rapporteur ([41]), modifie le premier alinéa afin de recentrer le dispositif de réparation sur les personnes mentionnées au second alinéa de l’article 1er, c’est-à-dire les rapatriés d’Indochine ayant subi un préjudice du fait de l’indignité des conditions d’accueil et de vie sur le territoire. Ce faisant, il tire les conclusions de la distinction opérée, par les amendements adoptés lors de l’examen de l’article 1er, entre la reconnaissance de la Nation, visée au premier alinéa, d'une part, de l'expression de sa responsabilité du fait de l'indignité des conditions d'accueil et de vie, au second alinéa, d'autre part.


Article 4
Extension de la compétence de la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis (CNIH) aux rapatriés d’Indochine

Adopté par la Commission avec modifications

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 4 de la proposition de loi prévoit de modifier l’article 4 de la loi n° 2022‑229 du 23 février 2022 ([42]) afin de confier à la CNIH la supervision du dispositif ‑ prévu à l’article 3 de la présente proposition ‑ de réparation des préjudices résultant de l’indignité des conditions d’accueil et de vie des rapatriés d’Indochine et leurs familles dans certaines structures sur le territoire français.

       Dernières modifications législatives intervenues

La loi n° 2022‑229 du 23 février 2022 ([43]) a institué la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis (CNIH).

       Modifications apportées par la Commission

La commission a adopté un amendement de votre rapporteur confiant à l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) la pleine compétence pour instruire les demandes de réparation déposées en vertu de l’article 3 de la présente proposition de loi, en lieu et place d’une compétence de la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les Harkis.

  1. L’état du droit

L’article 4 de la loi n° 2022229 du 23 février 2022 ([44]) a institué une commission nationale de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et par leurs familles.

Le I de l’article 4 de la loi n° 2022229 du 23 février 2022 définit les missions de cette commission :

– Entendre à leur demande les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie, d'examiner leur situation et de leur proposer toute mesure de reconnaissance appropriée ;

– De statuer sur les demandes de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et par leurs familles, résultant de l'indignité des conditions d'accueil et de vie dans les structures visées à l’article 3 de la loi n° 2022‑229 du 23 février 2022 ;

– De contribuer au recueil et à la transmission de la mémoire de l'engagement au service de la Nation des harkis, des moghaznis et des personnels des diverses formations supplétives et assimilés ainsi que des conditions dans lesquelles ces personnes, les membres de leurs familles, ont été rapatriées et accueillies sur le territoire français ;

– D'apporter son appui à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONaCVG) dans la mise en œuvre des dispositions législatives et réglementaires qui concernant les rapatriés, anciens membres des forces supplétives et assimilés et leurs familles et les victimes de la captivité en Algérie ;

– De proposer des évolutions, au vu de ses travaux, de la liste des structures dans lesquels le séjour ouvre droit à réparation, en réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et par leurs familles du fait de leurs conditions d’accueil et de vie.

– De proposer, au vu de ses travaux, toute mesure de reconnaissance et de réparation envers les harkis, les moghaznis et les personnels des diverses formations supplétives et assimilés ainsi que les membres de leurs familles.

Il prévoit également la publication d’un rapport annuel d’activité.

Le II de l’article 4 de la loi n° 2022229 du 23 février 2022 prévoit l’assistance de la CNIH par l’ONaCVG. À ce titre, l’ONaCVG assure le secrétariat de la commission, instruit les demandes qui lui sont adressées et exécute les décisions qu'elle prend s’agissant des demandes d’indemnisation relatives au dispositif de réparation des préjudices résultant de l’indignité des conditions d’accueil et de vie des rapatriés.

Le III de l’article 4 de la loi n° 2022229 du 23 février 2022 prévoit la composition de la CNIH : un député ; un sénateur ; deux maires de communes ayant accueilli sur leur territoire les structures concernées par le dispositif de réparation ; un membre du Conseil d’État ; un magistrat de la Cour de cassation ; des représentants de l’État, désignés par le Premier ministre ; des personnalités qualifiées, désignées par le Premier ministre en raison de leurs connaissances dans le domaine de compétence de la CNIH.

Le président de la CNIH est nommé par le Président de la République parmi : le membre issu du Conseil d’État, le membre magistrat de la Cour de cassation, les membres personnalités qualifiées nommées par le Premier ministre.

Le IV de l’article 4 de la loi n° 2022229 du 23 février 2022 renvoie à un décret la précision de la composition, du fonctionnement, des attributions, de l’indépendance et des modalités de mise en œuvre du dispositif d’instruction des demandes de réparation.

  1. Le dispositif proposé

L’article 4 de la proposition de loi prévoit de modifier l’article 4 de la loi n° 2022‑229 du 23 février 2022 afin de confier à la CNIH la supervision du dispositif de réparation prévu par l’article 3 de la présente proposition.

Le I de l’article modifie l’article 4 de la loi n° 2022‑229 du 23 février 2022, afin d’étendre la compétence de la CNIHqui supervise actuellement le dispositif mis en place et opéré par l’Office national de Combattants et des Victimes de Guerre (ONaCVG) pour la réparation des préjudices subis par les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut de droit local du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie à la supervision du dispositif de réparation des préjudices résultant de l’indignité des conditions d’accueil et de vie des rapatriés d’Indochine et leurs familles dans certaines structures sur le territoire français, prévu par l’article 3 de la présente proposition.

Le 1° du I de l’article modifie les dispositions du I de l’article 4 de la loi n° 2022‑229 du 23 février 2022, relatif aux missions de la CNIH. Les modifications proposées sont les suivantes :

– Le a) du 1° du I de l’article 4 prévoit le changement d’appellation de la commission par l’ajout de la mention « les rapatriés d’Indochine ». Dans le dispositif en vigueur, elle est instituée comme « commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles ». Elle deviendrait « commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local, les rapatriés d’Indochine et les membres de leurs familles ».

– Le b) du 1° du I de l’article 4 prévoit de confier à la commission la mission de statuer sur les demandes d’indemnisation en réparation des préjudices du fait de l’indignité et des conditions d’accueil et de vie des rapatriés d’Indochine et de leurs familles ;

– Le c) du 1° du I de l’article 4 prévoit l’extension de la mission de recueil et de transmission de mémoire de la commission, aux rapatriés d’Indochine et leurs familles ayant subi des préjudices du fait de l’indignité et de leurs conditions d’accueil et de vie ;

– Le d) du 1° du I de l’article 4 prévoit la possibilité pour la commission de proposer des évolutions de la liste des structures dans lesquelles le séjour ouvre droit à réparation pour les préjudices subis par les rapatriés d’Indochine et leurs familles du fait de l’indignité et de leurs conditions d’accueil et de vie en application de l’article 3 de la proposition présente ;

Le 2° du I de l’article modifie les dispositions du III de l’article 4 de la loi n° 2022‑229 du 23 février 2022, relatif à la composition de la CNIH. Il prévoit que peuvent être désignées comme membre de la commission des personnalités qualifiées en raison de leurs connaissances dans le domaine de l’histoire des rapatriés d’Indochine.

Le II de l’article de la présente proposition renvoie à un décret pour la précision des modalités de sa mise en œuvre.

  1. La position de la commission

La commission a adopté un amendement de rédaction globale à l’unanimité, entraînant adoption de l’article dans sa nouvelle rédaction.

L’amendement de rédaction globale proposé par votre rapporteur ([45]) confère à l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) la pleine compétence pour instruire les demandes de réparation déposées au titre de l’article 3 de la présente proposition de loi, en lieu et place d’une compétence de la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les Harkis instituée par la loi n° 2022-229 du 23 février 2022, qu’il a proposé de laisser inchangée et centrée sur les Harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local.

Cet amendement est guidé par le souci de renforcer la fluidité du dispositif, afin d’assurer une instruction des demandes dans les meilleurs délais, tenant compte notamment de l’âge avancé des personnes qui seraient concernées par le dispositif de réparation.

Article 5
(art. 81 du code général des impôts)
Exonération fiscale

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 5 de la proposition de loi modifie l’article 81 du code général des impôts afin d’exonérer de l’impôt sur le revenu la somme forfaitaire valant réparation versée au titre du mécanisme de réparation des préjudices résultant de l’indignité des conditions d’accueil et de vie des rapatriés d’Indochine et leurs familles dans certaines structures sur le territoire français, institué par la présente proposition de loi.


Article 6
(art. L. 13613 du code de la sécurité sociale)
Exonération sociale

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

L’article 6 de la proposition de loi modifie l’article L. 136‑1‑3 du code de la sécurité sociale afin d’exonérer de la contribution sociale généralisée (CSG) et de la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS) la somme forfaitaire valant réparation versée au titre du mécanisme de réparation de réparation des préjudices résultant de l’indignité des conditions d’accueil et de vie des rapatriés d’Indochine et leurs familles dans certaines structures sur le territoire français, institué par la présente proposition de loi.


Article 7
Gage financier et social

Adopté par la Commission sans modification

       Résumé du dispositif et effets principaux

Le présent article vise à assurer la conformité de la présente proposition de loi à l’article 40 de la Constitution, grâce à un gage portant création de taxes additionnelle à l’accise sur les tabacs au bénéfice de l’État et des organismes de sécurité sociale.


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   Travaux de la commission

Au cours de sa séance du mercredi 28 mai 2025, la commission examine la proposition de loi.

M. le président JeanMichel Jacques. Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l’examen de la proposition de loi de M. Olivier Faure portant reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine et réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français, qui est inscrite à l’ordre du jour de la séance publique du mardi 3 juin prochain. M. Olivier Faure en est également le rapporteur.

Cette proposition de loi transpartisane traite d’un pan méconnu de notre histoire, qui fait suite à la fin de la guerre d’Indochine et à l’indépendance des pays qui la composaient – le Vietnam, le Laos et le Cambodge – en 1954.

De 1954 à 1974, près de 44 000 ressortissants français ont été rapatriés en France. 6 000 d’entre eux ont été pris en charge par les services de l’État à leur arrivée. Il s’agit principalement de compagnes vietnamiennes de soldats et de fonctionnaires français établis en Indochine, de leurs enfants métis eurasiens, des anciens agents de l’État et de jeunes Vietnamiens engagés dans l’armée française. Pour cette population, l’État a ouvert cinq centres d’accueil aux conditions de vie précaires et dotés d’un règlement strict.

En outre, les rapatriés d’Indochine n’ont pas été intégrés au statut officiel de rapatrié ouvert par la loi du 26 décembre 1961 relative à l’accueil et à la réinstallation des Français d’outre‑mer. Inspirée de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français, la présente proposition de loi vise à reconnaître la responsabilité de l’État dans l’indignité des conditions d’accueil et de vie de ces populations et à étendre le dispositif d’indemnisation de ce préjudice, tel qu’il existe depuis 2022 pour les harkis, aux rapatriés d’Indochine.

M. Olivier Faure, rapporteur. Longtemps membre de cette commission, j’en connais les qualités et vous remercie de votre accueil. Je remercie également, s’agissant d’une proposition de loi transpartisane, celles et ceux qui m’ont accompagné dans ce travail, notamment Anne Le Hénanff, Nicolas Ray et Yannick Monnet. J’espère que nous voterons tous ce texte, issu d’un travail mené de concert et cherchant à réparer une injustice. Je vous remercie toutes et tous d’y avoir contribué.

Cette proposition de loi est un texte transpartisan. Elle résulte d’un long travail, mené initialement par les associations concernées, que je salue – en particulier Daniel Freche, président du Collectif des Eurasiens pour la préservation du centre d’accueil des Français d’Indochine, et Julien Cao Van Tuat, président de l’association des rapatriés de Noyant‑d’Allier.

Je remercie également les personnes qui ont apporté leur précieux témoignage ainsi que les services de l’État auditionnés, notamment la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis (CNIH), l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) et la direction de la mémoire, de la culture et des archives.

Près de 44 000 ressortissants français d’Indochine ont été rapatriés en France de 1954 à 1974, après la chute de Diên Biên Phu. 4 000 à 6 000 d’entre eux ont été pris en charge par les services de l’État à leur arrivée et installés dans des camps dénommés « centres d’accueil », présentés comme provisoires mais dans lesquels ils resteront, pour certains, jusqu’en 2014. Ces personnes sont au cœur de la proposition de loi. Derrière ces chiffres, il y a des trajectoires personnelles et familiales sur lesquelles il faut nous arrêter un moment pour prendre la mesure des préjudices subis.

Qui sont les rapatriés d’Indochine ayant vécu dans les camps ? Ce qui frappe d’abord, c’est le nombre de femmes et d’enfants. Ils constituent la grande majorité des résidents. Les femmes sont essentiellement les compagnes vietnamiennes de Français installés en Indochine. D’après les témoignages, il s’agissait de militaires, d’agents de la pénitentiaire, de policiers et de gens travaillant dans les plantations et les mines privées.

Les hommes des camps, pour une bonne partie eurasiens, sont d’anciens employés de l’administration, aux profils très divers – outre ceux précités, il s’agit de douaniers, d’instituteurs, de surveillants de chantier, d’ouvriers ou d’auxiliaires des entreprises militaires françaises. Je défendrai un amendement à l’article 1er visant à inclure plus explicitement les supplétifs, selon une distinction dont j’imagine qu’elle est particulièrement importante aux yeux de votre commission.

Ces personnes sont d’abord regroupées à Saïgon, dans des camps de fortune, après leur départ du Nord‑Vietnam. Elles attendront jusqu’à deux ans avant d’être prises en charge par l’État, qui les emmène par bateau jusqu’à Marseille. Les témoignages qui décrivent ce voyage de Saïgon à Marseille, édifiants, illustrent la persistance des inégalités coloniales : les Français eurasiens et vietnamiens voyagent dans la cale, souffrant du manque d’hygiène et de la promiscuité, tandis que les Français d’ascendance européenne séjournent en cabine. Une fois arrivés à Marseille, les rapatriés restant sous la responsabilité de l’État sont déplacés vers les centres d’accueil.

Là, ils connaissent des conditions de vie et d’accueil indignes, constitutives du préjudice qu’il convient de réparer. Les centres d’accueil sont créés dans l’urgence pour installer les rapatriés d’Indochine, auxquels l’État doit, en principe, fournir un hébergement, une aide matérielle et financière ainsi qu’un accompagnement pour l’insertion dans la société hexagonale. Plus d’une dizaine de sites sont initialement mobilisés pour les accueillir, mais ils sont finalement hébergés au sein de quatre camps principaux : le camp du Vigeant, le camp de Bias, le camp de Noyant‑d’Allier et le camp de Sainte‑Livrade‑sur‑Lot. Le caractère indigne de leurs conditions de vie et d’accueil s’incarne dans trois dimensions : l’exercice de la contrainte, le caractère précaire des conditions de vie et l’isolement.

Il y a donc une forme de contrainte et la perpétuation d’un climat quasi colonial au sein des camps. Ceux‑ci, entourés de barbelés, sont dirigés par d’anciens cadres administratifs et militaires des colonies. La journée commence par le salut au drapeau. La discipline y est particulièrement stricte. Les règles régissant la vie des résidents sont formalisées dès 1959 par l’arrêté Morlot, qui prévoit un couvre‑feu, le contrôle des entrées et des sorties, donc des visites, et l’interdiction des signes extérieurs de richesse, ce qui interdit de posséder un frigidaire, une voiture ou un téléviseur.

Les conditions de vie sont très généralement précaires, voire insalubres, même si elles varient d’un camp à l’autre. Il fait chaud l’été, froid l’hiver. Le charbon est rationné. L’anthropologue Dominique Rolland décrit des « baraquements insalubres, infestés de rats et de cafards. Des cloisons et plafonds de carton suinte une humidité continuelle, l’absence de sanitaires entretient un manque d’hygiène préoccupant ».

Enfin, les résidents sont confrontés à une triple isolation : spatiale, culturelle et économique. Leur isolement est d’abord physique, en raison de l’implantation des camps. Ces derniers sont situés à l’écart, dans des installations à l’abandon tels qu’une ancienne ferme, un ancien lieu de détention – Le Vigeant –, une ancienne base militaire ayant servi de lieu d’hébergement ou d’enfermement – Bias –, une ancienne poudrerie – Sainte‑Livrade – ou d’anciens corons miniers – Noyant, qui était certainement le lieu d’accueil le plus conforme à ce que l’on pouvait espérer de l’État français. Ce choix d’implantation rend d’autant plus complexe l’insertion des rapatriés au sein de notre société.

Cette séparation est renforcée par une barrière culturelle et linguistique, de nombreux adultes ne parlant pas français couramment, ce qui limite les interactions avec l’extérieur. L’école, qui aurait pu et dû constituer un facteur d’émancipation, est parfois située au sein des camps eux‑mêmes, comme à Sainte‑Livrade, accentuant un peu plus l’exclusion des rapatriés et de leurs familles. À Sainte‑Livrade, il y avait près de 700 enfants, maintenus à l’isolement dans ce que l’on a appelé « Vietnam‑sur‑Lot ».

Les relations avec les populations locales semblent marquées par l’indifférence et le mépris, voire par une forme d’exploitation économique et même électorale. Les femmes sont employées pour la cueillette de haricots, ainsi que les enfants l’été, et tous sont menés à l’isoloir à chaque élection avec en mains le bulletin qu’il faut mettre dans l’urne.

Ce sont précisément des conditions similaires de vie et d’accueil, jugées indignes par le législateur, qu’il a été décidé de réparer dans la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie. Dans certains camps, les harkis ont d’ailleurs succédé aux rapatriés d’Indochine.

Comme le dit la CNIH dans son rapport d’activité 2022, le cas indochinois a été le « laboratoire » de la politique officielle d’accueil des rapatriés. Cela est en particulier le cas au Vigeant et à Bias, où des rapatriés indochinois et des harkis se sont succédé. Ces deux sites figurent dans le décret du 18 mars 2022 ouvrant droit à réparation au titre de la loi du 23 février 2022 ; pourtant, les rapatriés d’Indochine ne sont pas concernés par son dispositif.

Face à cette inégalité de traitement, la CNIH recommande d’étendre le champ de cette loi aux anciens supplétifs et rapatriés d’Indochine, afin qu’ils bénéficient des mêmes réparations que les anciens supplétifs rapatriés d’Algérie. Elle indique : « En raison du traumatisme de l’exil, du déclassement social et de la relégation, des mauvaises conditions de vie, il régnait dans ces camps une grande misère psychologique et matérielle ».

Tel est l’objet de la présente proposition de loi : l’extension aux anciens supplétifs et rapatriés d’Indochine du dispositif applicable aux harkis et autres personnes rapatriées d’Algérie. Lors des auditions que nous avons menées en commun, chers collègues, je me suis attaché à estimer son coût potentiel. Le chiffrage précis est assez complexe à établir car les rapatriés d’Indochine ne relèvent pas, pour la plupart, de l’ONaCVG, et parce que la réparation envisagée dépend du temps passé dans les camps. Selon les hypothèses retenues, il devrait être compris entre 2,6 et 4,5 millions, pour 300 à 500 bénéficiaires.

Parmi les sujets qui ont dominé nos auditions figure également la détermination de la période pendant laquelle le séjour dans un camp ouvre droit à réparation, et notamment de son terme. Les fermetures des camps se sont échelonnées entre 1962 à 1966, sauf pour celui de Sainte‑Livrade, dont l’évolution a été distincte : sa municipalisation date de 1981 et ne met pas un terme à l’habitation des lieux par les rapatriés d’Indochine. Certains y vivaient encore en 2014, lors de la destruction des dernières habitations dans le cadre d’un plan de rénovation.

C’est pourquoi j’ai initialement retenu le terme de 2014 dans la proposition de loi. Toutefois, les auditions m’ont sensibilisé à la nécessité de garantir une certaine fluidité de mise en œuvre pour les services de l’ONaCVG et une forme de cohérence avec le dispositif applicable aux harkis.

S’il est difficile de dater avec précision la cessation de l’indignité des conditions d’accueil, des documents d’époque et les témoignages attestent d’un desserrement des contraintes imposées aux résidents des centres au mitan des années 1970. C’est pourquoi je proposerai de ramener la fin de la période ouvrant droit aux indemnisations à 1975, ce qui l’aligne avec le dispositif prévu pour les harkis.

Compte tenu du faible nombre de personnes concernées, les rapatriés de la première génération étant décédés et leurs enfants âgés pour la plupart, il semble urgent de réparer ce préjudice et les pertes de chances associées. Mais, outre la réparation, la proposition de loi comporte une dimension de reconnaissance.

Plusieurs travaux universitaires et rapports ont été consacrés aux rapatriés d’Indochine. Tous dressent le constat d’un oubli, par les pouvoirs publics comme par la nation. La discrétion des rapatriés d’Indochine y a probablement contribué. Le rapport Lacaze, publié en 2006, indique : « La relative faiblesse de leur nombre, […] leur attitude de réserve et de patience, leur courage, puis la capacité de leurs enfants à s’insérer dans la société française ont, dans une certaine mesure, occulté le dénuement et les difficultés rencontrées par beaucoup de rapatriés d’Indochine ». Cette discrétion dissimule une véritable souffrance. À la perte de leur vie en Indochine se sont ajoutés l’isolement et le rejet, dans leur propre pays.

L’objet de la proposition de loi est aussi de répondre au sentiment d’abandon, voire de trahison, exprimé par les associations de rapatriés, animées par leurs descendants. C’est pourquoi l’article 2 vise à créer une journée nationale d’hommage aux rapatriés d’Indochine et aux personnes qui leur ont porté secours et assistance à l’occasion de leur rapatriement, et à instituer plusieurs lieux de mémoire honorant les rapatriés d’Indochine.

À l’heure actuelle, aucune journée nationale d’hommage n’est consacrée aux rapatriés d’Indochine. La journée nationale d’hommage du 8 juin est exclusivement dédiée aux morts pour la France en Indochine. Je propose également d’instituer plusieurs lieux de mémoire honorant les rapatriés d’Indochine, en particulier à Noyant‑d’Allier et à Sainte‑Livrade‑sur‑Lot.

L’État, qui aurait dû proposer un accueil digne à ses ressortissants, a été acteur d’une triple relégation, par la contrainte, par la précarité et par l’isolement. L’oubli de la nation ajoute à ce traumatisme. Plus de soixante‑dix années après la fin de la guerre d’Indochine, il est temps d’y mettre fin.

M. le président JeanMichel Jacques. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

M. Frank Giletti (RN). Le 15 mai dernier, dans un silence assourdissant, Gérard Le Louer, 94 ans, nous a quittés. Dernier survivant du commando François ayant participé au combat de Ninh Binh pendant la guerre d’Indochine, il s’en est allé dans la plus grande indifférence. Engagé en 1949 dans la marine, il avait rejoint les commandos de marine, spécialité chère à certains d’entre nous, et fait preuve d’une résistance héroïque en survivant aux conditions inhumaines des camps communistes du Viet Minh. Gérard Le Louer était notamment chevalier de la Légion d’honneur, titulaire de la médaille militaire et décoré de la Croix de guerre avec étoile de bronze, pour ne citer que quelques‑unes de ses médailles. Je tiens à lui rendre hommage, ainsi qu’à ses frères d’armes trop longtemps oubliés.

Quel étrange paradoxe de découvrir parmi les cosignataires de la proposition de loi quelques députés issus du parti communiste et de l’extrême gauche, héritiers idéologiques de Georges Boudarel, ce sinistre personnage qui a trahi la France et torturé des soldats français dans les camps du Viet Minh, qui viennent aujourd’hui jouer les humanistes et les défenseurs des Français rapatriés d’Indochine ! Faut‑il y voir un acte de rédemption ? Une tentative bien tardive de se donner bonne conscience ? L’ironie est mordante : ceux dont les ancêtres politiques soutenaient ouvertement le Viet Minh voudraient désormais se hisser au rang des défenseurs de ceux qu’ils ont méprisés, ignorés, voire trahis.

Pourtant, sur un sujet si consensuel, si évident dans son exigence de justice et de mémoire, on a moins de peine à proposer aux héritiers de ces gens‑là de cosigner la proposition de loi qu’aux membres du groupe Rassemblement national. Ces derniers n’y ont même pas été invités, comme si l’union nationale pour les rapatriés devait exclure ceux qui, depuis toujours, dénoncent leur abandon, comme si notre engagement au service de la mémoire nationale devait être censuré, comme ce fut le cas s’agissant des harkis et des rapatriés d’Algérie.

Revenons au cas Boudarel, exemple le plus sanglant de ce que nous dénoncions à l’instant. Cet enseignant devenu commissaire politique de camps de prisonniers français, dont le tristement célèbre numéro 113, en pleine jungle vietnamienne, avait pour mission de rééduquer nos soldats capturés. En réalité, cela signifiait endoctrinement, propagande et torture. Les survivants ont parlé d’humiliations, de privations et de violences.

Pourtant, cet homme a pu revenir tranquillement en France, grâce à la loi d’amnistie du 10 juin 1966. Il y a mené une carrière universitaire, honoré et respecté, jusqu’à ce que d’anciens prisonniers tentent, en 1991, de le faire juger pour crimes contre l’humanité, mais en vain : l’amnistie couvrait tout. Le rôle des communistes dans la guerre d’Indochine est aujourd’hui encore largement passé sous silence. On préfère détourner le regard. On préfère oublier que, à l’époque, une partie de la gauche française soutenait activement le Viet Minh.

Pendant ce temps, qu’a‑t‑on fait pour les rapatriés d’Indochine ? Rien, ou si peu. Contrairement à la guerre d’Algérie, qui a donné lieu à des lois mémorielles, à des journées nationales, à des discours présidentiels, la guerre d’Indochine reste largement dans l’ombre. Les anciens d’Indochine sont les grands oubliés de la mémoire nationale.

Il y a à peine deux jours, le lundi 26 mai, Emmanuel Macron, en visite au Vietnam, se rendait au mausolée de Hô Chi Minh, en hommage aux dirigeants communistes ayant combattu les Français pendant la guerre d’Indochine. Non, nous ne rêvons pas. Ce jour‑là, il n’y a eu aucune considération, de la part du président de la République, pour nos soldats morts torturés et affamés dans les camps du Viet Minh. Pas de reconnaissance claire, pas de journée nationale, pas même de commémoration digne de ce nom pour les 70 ans de la chute de Diên Biên Phu, célébrée rapidement, presque à la va‑vite, dans une certaine indifférence l’an dernier. Pas de place dans les manuels scolaires, peu dans l’espace public, comme si cette guerre‑là ne méritait pas qu’on s’y attarde.

Pourtant, c’est là que tout a commencé. L’Indochine, c’est le début de la fin de l’empire français. C’est la matrice du drame algérien. C’est une guerre dure, impitoyable, qui a coûté la vie à près de 60 000 soldats français. À leur retour : indifférence, relégation, oubli.

Le groupe Rassemblement national votera la proposition de loi, parce qu’elle va dans le bon sens et parce qu’il est plus que temps que la République reconnaisse l’indignité des conditions d’accueil réservées à ces familles déracinées, reléguées dans des structures précaires, comme ce fut le cas pour les harkis. Ces rapatriés n’ont pas seulement perdu une terre, ils ont perdu un pays.

Pourtant, la France sait faire œuvre de mémoire. Le mémorial de Fréjus, dans le Var, rend hommage aux soldats tombés en Indochine. Ce lieu solennel rappelle que le respect dû à nos morts participe de notre moral. Tel est l’esprit dans lequel j’ai, dès 2023, alerté le ministère des armées et la presse sur le sort des soldats morts à Diên Biên Phu dont les corps sont restés sur place, menacés d’être profanés lors de travaux d’agrandissement de l’aéroport local.

Rappelons que 2 293 soldats y sont morts et que 1 600 y ont été portés disparus. Parmi les 11 721 capturés, seuls 3 290 sont revenus des terribles camps de la mort du Viet Minh. Il est logique et moralement nécessaire que notre reconnaissance s’étende aux civils rapatriés. Eux aussi ont vécu la guerre. Eux aussi ont été abandonnés. Eux aussi méritent que la nation leur tende enfin la main.

Le groupe Rassemblement national soutient pleinement la proposition de loi, en dépit du sectarisme de la gauche qui l’a exclu des cosignataires et manque décidément de mémoire. Nous avons toujours été aux côtés des oubliés de l’histoire. La mémoire nationale ne peut être partielle et sélective ; elle doit être juste et totale. Nous ne construisons pas l’avenir en oubliant ceux qui ont souffert, nous le construisons en leur rendant justice.

M. Karl Olive (EPR). Après plusieurs semaines de travail autour de la présente proposition de loi transpartisane, nous nous réjouissons de son examen au sein de notre commission. Le 7 mai 1954, la France perdait la bataille de Diên Biên Phu face au Viet Minh. Cette défaite, qui signait la fin de la présence française en Indochine après un siècle d’implantation, ouvrit la voie à la naissance de trois États indépendants, le Vietnam, le Laos et le Cambodge, consacrés par les accords de Genève.

Cette décolonisation, comme celle que connaîtra ensuite l’Algérie, ne se fit pas sans heurts ni violences, notamment à l’encontre des civils. Les Français d’Indochine – colons, fonctionnaires, militaires, supplétifs, civils indochinois ou eurasiens ayant fait le choix de la France – se retrouvèrent indésirables dans ces nouveaux États souverains. Il fallut fuir à la hâte, sous peine d’être exécuté.

Plus de 44 000 ressortissants français durent quitter leurs terres pour rejoindre une métropole que la majorité d’entre eux n’avaient jamais connue. Mais tous ne connurent pas le même sort. Si les Français d’ascendance européenne purent fuir dans des conditions certes douloureuses mais relativement dignes, d’autres, notamment les femmes vietnamiennes de soldats français, leurs enfants métis et les hommes eurasiens, furent contraints de se réfugier dans des camps de transit au sud du Vietnam, dans des conditions de grande précarité, parfois pendant de longs mois avant de pouvoir embarquer vers une France dont ils ignoraient tout.

Les auditions menées par M. le rapporteur et les nombreux témoignages recueillis ont mis en lumière les conditions de ces voyages : trente jours passés dans des cales de navires, sans hygiène, sans confort et sans savoir ce que l’avenir réservait. L’arrivée en métropole des rapatriés indochinois ne fut pas à la hauteur de la promesse républicaine. Ils furent accueillis dans d’anciens camps militaires réquisitionnés à la hâte. Ce qui devait être provisoire s’est souvent transformé en des années, parfois des décennies de vie précaire.

À l’exil et au déracinement s’ajoutèrent les conditions inacceptables imposées par l’indigne arrêté Morlot, qui contraignait les rapatriés indochinois à vivre dans une extrême pauvreté, sous peine d’expulsion. Ainsi, les centres d’accueil – qui avaient davantage l’apparence de camps – de Bias, de Vigeant, de Sainte‑Livrade et de Noyant‑d’Allier hébergèrent plusieurs milliers de rapatriés d’Indochine dans des conditions très sommaires. Bien qu’ils fussent citoyens français, beaucoup ne maîtrisaient pas la langue, ce qui rendit leur intégration encore plus difficile. Les femmes du camp, souvent isolées, durent subvenir seules aux besoins de leurs familles, en acceptant des travaux pénibles et mal payés dans les champs ou les usines alentour.

À la dureté de leurs conditions de vie s’est ajouté l’abandon de la nation. Les rapatriés d’Indochine ont été exclus des dispositifs d’indemnisation prévus pour les rapatriés d’Algérie, du Maroc et de Tunisie. Oubliés dans la version initiale de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, ils n’y furent intégrés que par voie d’amendement. Ils ne figurent pas davantage dans la loi du 23 février 2022, qui entraîne la réparation des préjudices subis par les personnes rapatriées d’Algérie et par leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil.

Il est temps de rendre aux rapatriés d’Indochine l’hommage qu’ils méritent. Il est temps que la nation reconnaisse pleinement leur engagement, leurs souffrances, les sacrifices qu’ils ont consentis ainsi que les conditions indignes dans lesquelles ils ont été accueillis. Il est temps de les honorer dignement dans le cadre d’une cérémonie officielle, aux côtés de nos soldats morts pour la France en Indochine. Il est temps de leur accorder une réparation juste, à la hauteur de l’injustice qu’ils ont subie.

Tel est tout le sens de ce texte. Nous tenons à remercier M. le rapporteur Olivier Faure, les cosignataires de la proposition de loi et le gouvernement pour l’esprit de dialogue et de responsabilité dans lequel nous avons travaillé ensemble. Par le biais de cette proposition de loi, nous allons clore dignement un pan d’histoire trop longtemps laissé sous silence.

Nous formons le vœu que ce texte permette aux rapatriés d’Indochine, à leurs enfants et à leurs petits‑enfants de refermer les blessures ouvertes en 1954. Nous leur devons cette reconnaissance. Le groupe Ensemble pour la République votera avec respect et détermination pour cette proposition de loi.

M. Aurélien Taché (LFINFP). L’histoire des rapatriés d’Indochine est encore trop méconnue. Votre texte, monsieur le rapporteur, permet de réparer cette injustice.

En 1956, l’armée française quitte définitivement le Vietnam et rapatrie dans la foulée les 44 000 ressortissants français installés dans la région. Parmi ces citoyens français, certains font toutefois l’objet d’un régime spécial. Il s’agit pour l’essentiel des Français et Françaises d’origine asiatique, ces femmes et ces hommes du Vietnam ayant travaillé pour l’administration française pendant la colonisation, épousé des militaires français et même donné naissance à des enfants de fait citoyens français.

Pendant le rapatriement, tout ce monde a été transporté vers Marseille au fond des cales des paquebots de croisière – première humiliation. Arrivés en France, ils ont été forcés de loger dans des camps cernés de barbelés, parfois très isolés, tel celui de Sainte‑Livrade, un des plus connus. Ils ont été logés dans des baraquements dépourvus de tout confort, avec le strict minimum et sans sanitaires.

La vie de ces camps était soumise à une discipline militaire rigoureuse. La journée commençait par le lever du drapeau et se terminait à 22 heures par un couvre‑feu. Les visites sans autorisation étaient interdites et les déplacements drastiquement restreints. Comble de l’humiliation, tout signe ostentatoire de richesse était interdit, ce qui proscrivait la possession, par exemple, d’un frigidaire ou de tout objet de confort. Tout cela était prévu dans le règlement des camps.

L’exploitation de ces personnes était généralisée : les femmes et les enfants pouvaient travailler dans des champs de haricots pour 1 franc de l’heure. Cette domination s’étendait même à la foi et à la vie intérieure, certains rapatriés ayant subi des conversions contraintes au catholicisme, au mépris de leurs croyances traditionnelles.

En définitive, ces citoyens de seconde zone, que beaucoup considéraient même comme des réfugiés, ont fait l’objet d’une gestion coloniale sur le sol hexagonal. Cette situation a perduré pendant plusieurs décennies, jusqu’à l’aube du XXIe siècle.

Cette histoire tragique nous oblige, et ce, à trois niveaux. Il est d’abord nécessaire de reconnaître la responsabilité de la France dans l’accueil indigne des rapatriés d’Indochine, dont le traitement constitue une faute politique majeure. De cette reconnaissance découle nécessairement un devoir de mémoire. Le travail mémoriel, mené dignement par les associations de descendantes et de descendants, que j’ai eu aussi l’occasion de rencontrer, doit être soutenu et garanti. Enfin, ce travail de mémoire doit s’accompagner de mesures de réparation justes et exigeantes. La proposition de loi d’Olivier Faure met enfin un terme à soixante‑dix ans d’amnésie institutionnelle envers ceux qui avaient été exclus de la loi sur les rapatriés d’Algérie de 1961 et avaient fini par tomber dans l’oubli collectif au fil des ans.

Le groupe de la France insoumise soutient cette initiative qui vise à élargir le champ de la loi de 2022 afin d’y intégrer les rapatriés d’Indochine. Nous saluons également sans équivoque la reconnaissance par la France de sa responsabilité dans le traitement infligé aux rapatriés d’Indochine. Nous craignons néanmoins que, comme il en va pour les harkis, trop de personnes qui devraient avoir droit à réparation soient exclues du dispositif. Nous proposerons un amendement demandant un rapport sur l’application de la loi de 2022, afin de comprendre pourquoi trop de gens de la communauté harkie n’en bénéficient pas. Nous sommes vraiment convaincus de la nécessité d’apporter aux rapatriés d’Indochine et à leurs descendants une réparation à la hauteur des préjudices et du déclassement social qu’ils ont subis. Ce texte ne doit donc pas se cantonner à une reconnaissance symbolique de leur souffrance.

Nous pensons que ce texte peut contribuer à réinventer les relations que nous avons avec les anciens pays d’Indochine. Nous sommes liés par une histoire coloniale commune, avec des diasporas importantes qui vivent en France. Le Vietnam est en train de réintroduire l’enseignement du français dans ses programmes scolaires. Le Cambodge propose d’accueillir le prochain sommet de l’Organisation internationale de la francophonie. Tout cela est très porteur. Nous espérons vraiment que ce texte, qui permettra sans doute de commencer à panser les plaies du passé, pourra être une première étape vers la réinvention des relations avec les pays concernés. Nous voterons donc en sa faveur.

M. Romain Eskenazi (SOC). Merci de m’accueillir dans votre commission pour rappeler le soutien du groupe Socialistes et apparentés à cette proposition de loi d’Olivier Faure, dont je salue le travail historique. Soutenu par plus de cent députés de tous horizons, ce texte vise à reconnaître enfin une histoire trop longtemps méconnue et oubliée.

Cette histoire est celle de compatriotes rapatriés d’Indochine à partir de 1954, à la suite des accords de Genève – essentiellement des compagnes vietnamiennes et enfants de soldats français. Près de 6 000 rapatriés ont séjourné dans les camps de Sainte‑Livrade‑sur‑Lot, Bias et Noyant‑d’Allier, qui se sont rapidement transformés en enclaves insalubres administrées militairement, faites de baraquements sans eau ni électricité et parfois infestés de rats. Leur vie était marquée par la précarité, l’humiliation et surtout le silence. Ces conditions de vie sont à juste titre qualifiées d’indignes par la proposition de loi. L’arrêté Morlot de 1959 a placé ces rapatriés sous un régime d’exception : couvre‑feu, interdiction de circuler librement, tutelle administrative humiliante. Certains ont vécu dans ces camps jusqu’en 2014.

Au début des années 1960, l’État leur a tourné le dos. Les autorités ont décidé qu’ils ne seraient pas reconnus comme rapatriés, au motif que leur retour, lié à l’indépendance du Vietnam, ne résultait pas d’un « événement politique » ouvrant le droit à ce statut. Cette interprétation absurde a eu des conséquences graves : ils ont été privés des aides et de l’allocation de subsistance, écartés des dispositions d’insertion. Invisibilisés, ils ont été effacés de la mémoire collective et du récit national. Ils n’étaient pas des étrangers, ils étaient Français. Ils aimaient la France. Certains s’étaient battus pour elle, d’autres avaient tout perdu pour elle. La France, elle, n’a pas été à la hauteur de leur dévouement, les abandonnant à l’oubli et à l’injustice.

Dès 2006, l’Inspection générale des affaires sociales réclame dans un rapport un geste légitime de reconnaissance de la nation, attendu par les rapatriés d’Indochine. En 2002, le CNIH va plus loin, jugeant que le périmètre de la loi de 2002 devait être étendu aux rapatriés d’Indochine afin qu’ils puissent bénéficier des mêmes réparations que les anciens supplétifs rapatriés d’Algérie. Mais rien n’a été fait. Aucun texte, aucune disposition. Pendant des décennies, la République est restée sourde à cette demande de justice. Cela ne peut plus durer.

Le texte d’Olivier Faure vient corriger cette injustice. Il ne s’agit pas d’inventer une nouvelle mémoire, mais de réparer une erreur de la France, un oubli de son histoire. Chaque article de cette proposition de loi fait honneur à la France, qui reconnaît enfin le dévouement de ces citoyens oubliés, leur rendant dignité et mémoire après soixante‑dix ans d’injustice.

En consacrant la responsabilité de la nation pour les conditions indignes imposées aux rapatriés d’Indochine, nous leur rendons justice. En instaurant une journée nationale d’hommage le 8 juin, date fédératrice, tout en respectant la mémoire du 14 août à Sainte‑Livrade‑sur‑Lot, nous inscrivons leur histoire dans notre récit national. En octroyant une indemnisation forfaitaire juste, qui devra prendre en considération l’arrêt Tamazount, nous réparons une dette morale envers les 300 à 500 survivants, âgés aujourd’hui de 68 à plus de 90 ans. Oui, le temps presse. En alignant les droits des rapatriés d’Indochine sur ceux des harkis, nous corrigeons une inégalité incompréhensible, de façon juste, mesurée et cohérente. À cet égard, nous soutiendrons l’amendement fixant la fin de la période ouvrant droit à indemnisation au 31 décembre 1975, au lieu de 2014, afin d’aligner le dispositif sur celui des harkis.

Grâce à ce texte, la République se tient enfin debout face à son histoire et à ses erreurs passées. Nous ne créons pas une concurrence mémorielle, nous construisons une cohérence historique et participons à la cohésion nationale, en réintégrant les rapatriés d’Indochine dans notre récit, notre mémoire collective. Les oubliés d’hier ne doivent pas être les invisibles de demain. La République reconnaît, répare. Nous l’avons fait pour les harkis, nous devons le faire pour les rapatriés d’Indochine. Il ne peut pas y avoir de reconnaissance à deux vitesses : ils ont souffert des mêmes injustices ; ils méritent les mêmes droits, les mêmes réparations et la même place dans notre mémoire collective.

Afin de reconnaître les privations, les atteintes aux libertés et les souffrances endurées par les rapatriés d’Indochine placés dans certaines structures sur le territoire national, et afin de réparer les préjudices subis, le groupe Socialistes et apparentés votera pour ce texte avec détermination et appelle à une convergence la plus large possible pour la justice, la mémoire et l’égalité.

M. Nicolas Ray (DR). Merci de m’accueillir pour soutenir cette proposition de loi transpartisane, dont j’ai l’honneur de figurer parmi les premiers cosignataires. Mon département de l’Allier est particulièrement concerné par le sujet. De nombreux rapatriés d’Indochine ont été accueillis dans le camp de Noyant‑d’Allier et de nombreux descendants vivent toujours dans le département. J’ai toujours été très sensible au sort réservé à cette communauté discrète, profondément attachée à notre pays, où elle s’est très bien intégrée.

Notre politique mémorielle doit plus que jamais regarder notre histoire en face, en étant soucieuse de vérité et de responsabilité. Sur les 12 000 rapatriés qui ont transité dans les camps, environ 4 000 se sont établis durablement dans les centres du Vigeant, de Bias, de Sainte‑Livrade et de Noyant‑d’Allier. Les rapatriés étaient des supplétifs de l’armée française, mais aussi des personnels civils. Parmi eux se trouvaient aussi beaucoup de femmes, accompagnées de leurs enfants métis, contraints de fuir en raison de l’opprobre qui les frappait.

À leur arrivée en métropole, ces familles ont été confrontées à une réalité bien différente de l’image qu’elles pouvaient se faire de la France. Pour subvenir aux besoins de la famille, les hommes partaient seuls travailler comme ouvrier dans les usines de la région parisienne, tandis que les femmes et les enfants restaient placés dans ces centres d’accueil fermés et isolés, sous l’autorité de l’État qui les hébergeait. Les conditions de vie dans ces camps étaient très dégradées, voire indignes. Les logements étaient insalubres. Les rapatriés ont subi de lourdes atteintes à leurs libertés individuelles. Des conditions avilissantes leur ont été imposées : couvre‑feux ; restrictions de déplacement ; surveillance constante ; confiscation du moindre revenu ou équipement possédé – jugé incompatible avec leur condition d’assistés.

Reconnaître et réparer ces discriminations est une exigence morale qui s’impose à nous et à laquelle notre famille politique a toujours répondu. La loi du 23 février 2005, qui a accordé la reconnaissance de la nation aux sacrifices consentis par nos compatriotes, a constitué une première étape essentielle. C’est d’ailleurs un amendement d’Yves Simon, ancien député de l’Allier, qui avait élargi le bénéfice de cette loi aux rapatriés d’Indochine. Mais quand la loi du 23 février 2022 a accordé réparation aux harkis et rapatriés d’Algérie, les rapatriés d’Indochine ont été injustement oubliés. D’aucuns estiment que les situations étaient bien différentes, mais la France n’a pourtant connu que deux guerres de décolonisation et certains camps ont accueilli à la fois les harkis et les rapatriés d’Indochine.

Nous devons donc parachever cette avancée. Ces femmes et ces hommes ont vécu dans des conditions similaires et méritent d’être reconnus et honorés de la même manière. Cet élargissement est avant tout symbolique pour beaucoup de rapatriés : certains d’entre eux, encore vivants, feront le choix délibéré de ne pas réclamer d’indemnités. Dans le même esprit, la journée nationale d’hommage aux rapatriés d’Indochine prévue dans ce texte permettra d’élargir la commémoration du 8 juin. Notre objectif n’est pas de donner plus de droits aux rapatriés d’Indochine que nous n’en avons accordé aux harkis et aux rapatriés d’Algérie, mais de les faire bénéficier des mêmes réparations puisqu’ils ont vécu les mêmes traumatismes et les mêmes conditions d’accueil. Sur le chemin de la réconciliation mémorielle, nous ne devons laisser aucune communauté orpheline.

Afin d’affirmer la reconnaissance de la nation à l’égard des rapatriés d’Indochine, afin de réparer les inégalités évoquées, le groupe Droite républicaine votera sans réserve pour cette proposition de loi juste et nécessaire, qui fera l’honneur de la France.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Merci, monsieur le rapporteur, de permettre à la représentation nationale d’aborder cette question de mémoire républicaine. Nous reconnaissons enfin la situation indigne dans laquelle ont vécu les rapatriés d’Indochine et leurs familles, ainsi que le besoin de réparation des préjudices subis.

Entre 1954 et 1974, 44 000 ressortissants français ont été rapatriés depuis l’Indochine. J’insiste : des ressortissants français. Parmi eux, 4 000 à 6 000 ont été installés plus durablement dans des camps dénommés centres d’accueil, mais qui ne répondaient pas au sens premier du mot « accueil ». Ces personnes ont vécu dans des conditions de vie dégradantes et indignes. Femmes, hommes, enfants, familles vivaient dans des logements précaires, isolés de leurs concitoyens, parfois pendant plusieurs années et encore jusqu’à récemment. La jeunesse de nombreux enfants a été marquée par l’exclusion sociale, le racisme, les discriminations et la marginalisation.

Il est primordial de mettre fin à cette inégalité de traitement qui dure depuis plus de soixante‑dix ans. La loi du 23 février 2022 avait prévu la reconnaissance de la nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie, mais les rapatriés d’Indochine demeurent absents du dispositif alors qu’ils ont connu des contraintes administratives et des atteintes aux droits fondamentaux similaires. Les rapatriés d’Indochine – militaires, anciens membres de formations supplétives, agents publics qui ont servi la France en Indochine – n’ont jamais bénéficié d’une reconnaissance officielle ni de dispositifs de réparation. Cette inégalité de traitement a nourri un sentiment d’abandon et d’injustice.

Malgré le temps avancé et le faible nombre de bénéficiaires potentiels d’une indemnité forfaitaire, cette injustice doit être réparée et reconnue par notre commission comme une première étape. La présente proposition vise à restaurer l’égalité mémorielle, à réparer une injustice historique et à intégrer pleinement les populations concernées à notre récit national. Mais il s’agit plus largement de restaurer un lien de confiance entre la République et nombre de ses citoyens oubliés. Il convient donc, d’une part, de reconnaître solennellement la responsabilité de la République, et, d’autre part, d’élaborer un dispositif de réparation pour les victimes ou leurs ayants droit. Pour faire vivre la mémoire nationale, il est aussi important de créer des lieux de mémoire dédiés aux rapatriés d’Indochine et d’instaurer une journée nationale de commémoration en leur honneur.

Le groupe Écologiste et social soutient cette initiative qui renforce la mémoire républicaine en permettant de réparer une injustice historique restée ignorée pendant plusieurs décennies. Nous voterons donc pour ce texte majeur pour les rapatriés d’Indochine et pour la réparation nécessaire des préjudices qu’ils ont subis.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Merci beaucoup, monsieur le rapporteur, pour votre texte. Pour m’être occupée de mémoire pendant cinq ans auprès de la ministre des armées et en tant que ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants, j’ai pu constater que le conflit d’Indochine est un conflit un peu oublié dans notre pays. Est‑ce parce qu’il est lointain ? En tout cas, il est moins présent dans notre mémoire collective que d’autres, en particulier celui lié à la décolonisation de l’Algérie.

Ces populations déplacées ont été accueillies dans des conditions difficiles, lamentables, même inhumaines. Comme les harkis, pour lesquels j’ai porté la loi du 23 février 2022, les rapatriés d’Indochine ont été installés dans des camps dont le fonctionnement déshonore notre pays. L’accueil n’était vraiment pas à la hauteur, quand on sait que ces personnes avaient été au service de la France et lui avaient fait confiance. Nous devons sortir de cet oubli, mettre en avant l’indignité de l’accueil de ces supplétifs et rapatriés. Même si la situation n’est pas la même que dans le cas de l’Algérie, nous devons dire que la nation a failli. D’où l’importance de cette proposition de loi. C’est un peu tard, mais il n’est jamais trop tard pour les survivants ni pour leurs familles, qui se sont agrandies, ce qui fait que toute une communauté de notre pays a besoin d’entendre ces mots de reconnaissance de la nation.

Pour ce qui est de la réparation, je resterai attentive aux bornes chronologiques qui seront retenues dans votre texte. La limite de 2014 ne serait pas du tout appropriée, mais celle de 1975 me semble tout aussi difficile à retenir : la mise en cohérence avec les harkis a ses limites puisque ces derniers sont arrivés dix ans plus tard. Si le mécanisme de réparation doit être calqué sur celui qui a été adopté pour les harkis, les repères chronologiques sont à retravailler avec le ministère, avant l’examen du texte en séance, la semaine prochaine. Vous avez parlé de 300 à 500 personnes. Sans avoir de preuve, je pense que le nombre est un peu plus élevé, en tenant compte des familles. L’ONACVG, qui sera chargé d’instruire les dossiers, disposera d’une évaluation plus précise.

Oui à la reconnaissance par la nation de l’indignité de l’accueil de ces populations qui ont servi la France et qui ont cru en notre pays. Oui à une réparation calquée sur celle retenue pour les harkis. Message d’amitié et d’affection à ceux qui ont eu à souffrir de ces conditions d’accueil et à leurs descendants.

Le groupe Les Démocrates votera bien sûr pour ce texte.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). À la suite des accords de Genève, qui ont mis fin à la guerre d’Indochine, plusieurs milliers de Français, pour la plupart des familles de soldats et de supplétifs vietnamiens et leurs enfants, ont été rapatriés en France entre 1954 et 1974. Environ 6 000 d’entre eux ont été accueillis dans des centres spécifiques tels que Sainte‑Livrade‑sur‑Lot ou Noyant‑d’Allier, en dehors de tout cadre juridique institutionnel et de tout accompagnement adapté.

Au sein de ces centres, ces personnes ont été soumises à des conditions d’existence contraires aux principes républicains : enfermement administratif, restrictions de liberté, interdictions arbitraires, privation d’accès aux soins et à l’éducation, répression des revendications sociales. Ces pratiques, que le groupe Horizons & indépendants dénonce, ont laissé des séquelles durables, transmises sur plusieurs générations.

Jusqu’à ce jour, ces populations n’ont bénéficié d’aucune reconnaissance spécifique ni mesures de réparation. En 2022, la France a reconnu la responsabilité de l’État dans les conditions d’accueil indignes des harkis. Sans établir de parallèle ou de comparaison entre les mémoires, il serait injuste de ne pas accorder une même légitime reconnaissance aux rapatriés d’Indochine, qui ont connu les mêmes conditions d’existence dans les centres d’accueil.

Dans son premier rapport d’activité, la CNIH, alors présidée par Jean‑Marie Bockel, suggérait d’étendre le périmètre de la loi du 23 février 2022 aux supplétifs et aux rapatriés d’Indochine. Ce texte vient donc corriger une rupture d’égalité dans l’accès à la reconnaissance mémorielle. Le groupe Horizons & indépendants salue cette initiative transpartisane qui représente une étape importante dans la reconnaissance de la nation envers les rapatriés d’Indochine. À titre personnel, en tant que présidente du groupe d’amitié France‑Vietnam à l’Assemblée nationale, je suis fière d’en être cosignataire et je remercie le rapporteur de m’avoir associée à ses travaux. À la suite des auditions menées, qui nous ont apporté un éclairage important, plusieurs amendements essentiels ont été déposés par le rapporteur. Ils viennent préciser le texte, qu’il s’agisse du périmètre, du bornage dans le temps ou encore de la date de la journée d’hommage national.

Je souhaite témoigner et rectifier les propos de notre collègue du Rassemblement national. Non, l’hommage aux soldats morts pour la France à Diên Biên Phu n’a pas été rendu « à la va‑vite ». Le ministre Sébastien Lecornu a pris le temps de se recueillir pour tous les combattants morts à Diên Biên Phu, incluant bien évidemment les Français. Nous étions accompagnés de trois vétérans français avec lesquels nous avons gravi plusieurs collines où ils s’étaient battus contre les Vietnamiens. Les autorités militaires vietnamiennes nous accompagnaient, ouvrant ainsi une nouvelle étape dans notre travail de mémoire et de respect mutuel. De la même manière, c’est en présence du vétéran français William Schilardi que le président de la République s’est rendu au Vietnam, il y a quelques jours – j’étais présente à ses côtés. Il n’y a pas d’oubli ni d’absence de respect. Nous sommes sur la voie non pas de l’oubli, mais de la réconciliation et de la reconstruction d’une nouvelle relation avec le Vietnam. Je considère que ce texte en fait pleinement et totalement partie.

M. Yannick FavennecBecot (LIOT). Avec cette proposition de loi, notre commission a l’opportunité de se confronter à un épisode douloureux et trop souvent occulté de l’histoire de notre République. Il y a soixante‑dix ans, la fin de la guerre d’Indochine a conduit à l’accueil de 44 000 rapatriés entre 1954 et 1974. Disons‑le, l’accueil n’a pas été à la hauteur des valeurs de notre République. La nation a manqué à tous ses devoirs. Le retour des rapatriés s’est fait dans des conditions de vie indignes et a donné lieu à des traitements inhumains dans des camps d’accueil. Je tiens à rappeler qu’il aura fallu attendre 2014 pour que l’État reloge enfin les dernières familles du camp de Sainte‑Livrade.

Grâce à ce texte, nous avons enfin l’opportunité d’entamer un travail de reconnaissance et de réparation à l’égard de ces rapatriés d’Indochine. Il s’inscrit dans la ligne de la loi de reconnaissance envers les harkis de 2022 et permet d’étendre plusieurs de ses mesures de réparation aux rapatriés d’Indochine.

L’article 1er assure la reconnaissance de la nation envers tous les rapatriés. Il ne s’agit pas d’un acte seulement symbolique : cet article établit la responsabilité de l’État pour les conditions de rapatriement et de vie indignes dans des camps d’accueil. C’est de la reconnaissance de cette responsabilité que doit découler la réparation des préjudices subis. Le groupe LIOT souscrit pleinement à la création d’un droit de réparation pour les rapatriés qui ont séjourné dans des structures indigne entre 1954 et 2014.

Notre groupe tient toutefois à alerter sur le niveau d’indemnisation qui sera prévu par le gouvernement. Il faut impérativement que la réparation soit à la hauteur des préjudices infligés, afin d’éviter à la France l’humiliation d’une nouvelle condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme après celle de l’an dernier concernant les harkis. En ce sens, notre groupe salue le choix de confier le traitement des demandes de réparation à la CNIH. Sous réserve que ce choix ait reçu l’approbation des principaux intéressés, il paraît plus efficace de se fonder sur cette commission que de créer un organisme distinct. La CNIH a fait toutes ses preuves et chacun ici a pu constater la qualité de ses travaux.

Enfin, l’autre atout de ce texte tient à son volet mémoriel. Pendant trop longtemps, aux souffrances subies par les rapatriés d’Indochine s’est ajouté un silence inacceptable de la loi et de la nation. Face à un épisode trop méconnu de l’histoire de notre pays, notre groupe salue l’ensemble des mesures permettant de renforcer le devoir de mémoire : création d’une journée d’hommage national ; travail historique à mener par la commission indépendante ; création de lieux de mémoire. Ce sont des avancées très attendues par les associations de rapatriés.

Pour toutes ces raisons, notre groupe votera évidemment pour ce texte.

Mme Mereana Reid Arbelot (GDR). Les rapatriés d’Indochine sont les premiers rapatriés de l’histoire de la République. En juillet 1954, à la suite des accords de Genève sur le Vietnam, une grande partie des ressortissants français d’Indochine durent rentrer en France. Celle‑ci n’ayant aucun cadre institutionnel pour les accueillir, ils furent administrés par des fonctionnaires issus des colonies, formés à des tâches qui relevaient plus de l’enfermement administratif que de l’humanitaire. Une discipline militaire fut ainsi instituée dans les centres dits d’accueil.

Le 23 décembre 1961 fut adopté le premier texte de loi sur les rapatriés. Il donnait une définition légale du rapatrié et de ses droits fondamentaux. Pourtant, les rapatriés d’Indochine, considérés comme de simples exilés économiques, en furent exclus. De même, en 2005, la version initiale de la loi du 23 février portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés ne mentionnait pas les rapatriés d’Indochine. En 2022, la CNIH reconnaissait cette rupture d’égalité et préconisait d’étendre le périmètre de la loi du 23 février aux anciens supplétifs et rapatriés d’Indochine.

La présente proposition de loi vise à réparer cette injustice. Elle prévoit d’instaurer une journée nationale d’hommage aux rapatriés d’Indochine et de réparer les préjudices subis, notamment dans les structures dites d’accueil. Afin que la mémoire des rapatriés d’Indochine puisse ainsi faire entièrement partie de notre mémoire collective et de l’histoire de la République, notre groupe votera en faveur de ce texte.

M. Matthieu Bloch (UDR). Il est des silences que l’histoire transforme en reniements et des injustices que le temps n’efface pas, tant elles touchent à ce que nous avons de plus sacré : la fidélité, le sens du sacrifice et l’amour de la patrie.

Le sort réservé aux rapatriés d’Indochine fait partie de ces blessures que la République ne peut plus ignorer. Ces hommes, ces femmes, ces familles n’ont pas seulement refusé un régime autoritaire. Ils ont choisi la France – non par hasard ou par intérêt, mais parce qu’elle représentait pour eux une promesse, celle de la liberté, de la dignité et de l’égalité des droits.

Mais ce n’est pas la patrie reconnaissante qui les attendait à leur arrivée. Ce furent l’enfermement administratif, la relégation sociale et, pire encore, l’oubli. Ceux qui avaient combattu pour nos couleurs ou partagé le destin de nos soldats furent traités comme des étrangers dans le pays qu’ils considéraient comme le leur. La République, si généreuse aujourd’hui avec tant de ceux qui la contestent ou s’en détournent, fut bien avare envers ceux qui l’avaient choisie, aimée et servie sans jamais faillir. Les structures dites d’accueil furent souvent indignes : des lieux coupés du monde, à l’écart d’une société en plein essor, où les réalités quotidiennes semblaient nier les principes mêmes de notre devise républicaine. C’était un abandon organisé, un manquement grave aux devoirs de la nation envers ses propres enfants.

Nous saluons non seulement la réparation d’une injustice, mais aussi l’exemplarité de ces Français venus d’Indochine, du Vietnam, du Laos ou du Cambodge, et de leurs descendants. Ils ont affronté le déracinement, la pauvreté et l’indifférence mais ils ont choisi malgré tout de construire leur avenir dans le cadre de la République et non contre elle. Ils ont transmis à leurs enfants l’amour du travail, le respect des lois et la fidélité aux institutions. Ils ne se sont jamais érigé en martyrs du passé, aussi douloureux fût‑il.

Ils ont montré, génération après génération, que la nationalité française ne dépend ni de la couleur de la peau, ni des origines, mais de l’adhésion au drapeau tricolore et aux valeurs qu’il incarne. Comme l’écrivait Ernest Renan dans son célèbre discours de 1882, « Une nation est une âme, un principe spirituel. » Elle repose à la fois sur le passé et sur le présent. Elle est « une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. »

Les rapatriés d’Indochine et leurs familles ont consenti ces sacrifices, en silence, avec dignité et loyauté. C’est cela être français : aimer la France, même quand elle vous oublie ; croire en ses promesses, même quand elle les trahit.

En votant cette proposition de loi, nous ne faisons pas seulement un geste symbolique. Nous rendons justice à une mémoire. Nous reconnaissons une fidélité exemplaire et nous affirmons une certaine idée de la nation, une nation exigeante, certes, mais juste, qui ne doit jamais trahir ceux qui l’ont servie. La reconnaissance n’est pas une faveur. C’est un devoir. C’est la dette sacrée de la France envers ceux qui ont cru en elle, quand elle ne les regardait plus. Nous avons le pouvoir et le devoir de l’honorer.

Le groupe UDR votera pour cette proposition, même si, comme nos collègues du Rassemblement national, nous regrettons amèrement que l’on ne nous ait pas proposé de la signer. Les 11 millions d’électeurs que nous représentons méritaient mieux. Eux aussi voulaient rendre hommage aux rapatriés d’Indochine.

 

Article 1er

Amendement DN10 de M. Olivier Faure

M. Olivier Faure, rapporteur. Merci à tous pour vos interventions qui ouvrent la voie à un engagement collectif en faveur de celles et ceux qui avaient choisi la France.

Cet amendement vise à distinguer plus clairement la reconnaissance de la nation envers ces personnes qui ont servi la France et l’admission de sa responsabilité dans l’indignité des conditions d’accueil et de vie qu’elles ont connues. L’amendement DN11, qui suit, a le même objet.

M. Nicolas Ray (DR). Cette précision concernant le champ de la proposition est très utile. Elle permet de distinguer la reconnaissance de la responsabilité.

L’amendement cite en outre expressément les anciens membres des formations supplétives, qui n’étaient pas mentionnés dans le texte initial.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte l’amendement DN11 de M. Olivier Faure, rapporteur.

La commission adopte l’article 1er modifié.

 

Article 2

Amendements identiques DN12 de M. Olivier Faure et DN4 de M. Nicolas Ray

M. Olivier Faure, rapporteur. La proposition prévoyait initialement de créer une journée nationale d’hommage aux rapatriés d’Indochine, qui aurait eu lieu le 14 août, date retenue par leurs associations – au beau milieu des vacances d’été.

À la suite des auditions et pour des raisons pratiques, cette journée risquant de ne pas être honorée réellement, je propose, avec cet amendement et le DN13 qui suit, d’élargir la Journée d’hommage aux morts pour la France en Indochine, qui a lieu le 8 juin, aux militaires et membres des formations supplétives ainsi qu’aux rapatriés. Les associations ont été consultées et comprennent le sens de ces amendements. En tout état de cause, cela n’empêchera pas ceux qui le souhaitent de se rassembler le 14 août, comme ils en ont l’habitude.

M. Nicolas Ray (DR). Comme vous le savez le calendrier commémoratif est particulièrement chargé, avec quinze journées nationales qui donnent lieu à des cérémonies à l’échelon national, départemental et communal.

Les discussions avec les associations ont permis de formuler cette proposition consistant à élargir aux anciens combattants et aux rapatriés la journée d’hommage aux morts pour la France en Indochine, qui a lieu chaque 8 juin. Les associations sont plutôt favorables à cette solution, qui n’empêchera pas d’organiser une cérémonie locale au mois d’août lorsque telle est la tradition – c’est notamment le cas dans mon département.

La commission adopte les amendements.

Amendements identiques DN13 de M. Olivier Faure et DN5 de M. Nicolas Ray

M. Olivier Faure, rapporteur. Cet amendement fixe donc la date de cette commémoration au 8 juin.

M. Nicolas Ray (DR). Cette date correspond au transfert de la dépouille du soldat inconnu d’Indochine à la nécropole nationale de Notre‑Dame‑de‑Lorette.

La commission adopte les amendements.

Elle adopte l’amendement rédactionnel DN7 de M. Olivier Faure, rapporteur.

La commission adopte l’article 2 modifié.

 

Article 3

Amendement DN15 de M. Olivier Faure

M. Olivier Faure, rapporteur. Cet amendement précise que les réparations prévues par l’article 3 concernent les personnes mentionnées au second alinéa de l’article 1er – c’est‑à‑dire les rapatriés d’Indochine militaires, anciens membres des formations supplétives et agents publics qui ont servi la France ainsi que les civils rapatriés et les membres de leurs familles – lorsqu’elles ont été hébergées dans des structures où elles ont été soumises à des conditions de vie indignes.

La commission adopte l’amendement.

Amendement DN14 de M. Olivier Faure

M. Olivier Faure, rapporteur. Cet amendement concerne la délimitation des périodes de séjour en centre d’accueil qui ouvrent droit à la réparation des préjudices.

C’est l’année 2014 qui avait été initialement retenue, puisque des rapatriés ont vécu dans le camp de Sainte‑Livrade jusque‑là. Le gouvernement propose avec insistance de retenir l’année 1966. Selon lui, le transfert de la tutelle des camps du ministère des rapatriés au ministère des affaires sociales permet de considérer que ceux qui souhaitaient vivre différemment le pouvaient à partir de cette date, et qu’un séjour postérieur dans un tel camp ne justifie plus une indemnisation.

L’amendement propose de retenir l’année 1975, par analogie avec celle retenue pour l’indemnisation des rapatriés d’Algérie et des harkis. En effet, même si la plupart des camps ont été fermés en 1966, ce ne fut pas le cas de celui de Sainte‑Livrade. Tous les témoignages concordent – et ils sont confirmés par les historiens, par la Cimade et par les travailleurs sociaux : la contrainte d’ordre quasi militaire n’a disparu qu’au milieu des années 1970. Je rappelle également que l’arrêté Morlot a été appliqué jusqu’à la même période, interdisant aux personnes vivant dans le camp de Sainte‑Livrade de présenter des marques extérieures de « richesse » telles que des voitures, des appareils de télévision, des machines à laver ou des réfrigérateurs.

Tout cela justifie que la période prise en compte pour déterminer l’indemnisation dure jusqu’en 1975, étant entendu que les rapatriés seront indemnisés à proportion de la durée de leur séjour effectif dans les camps.

Je souhaite que le gouvernement précise en séance quel est le niveau d’indemnisation qu’il envisage, en tenant compte notamment de l’arrêt Tamazount cité par notre collègue Yannick Favennec‑Becot.

La commission adopte l’amendement.

Elle adopte les amendements rédactionnels DN9 et DN8 de M. Olivier Faure, rapporteur.

La commission adopte l’article 3 modifié.

 

Article 4

Amendement DN16 de M. Olivier Faure

M. Olivier Faure, rapporteur. Cet amendement propose de confier à l’ONaCVG – qui examine déjà les dossiers déposés par les harkis et les rapatriés d’Algérie – le soin d’instruire les demandes d’indemnisation des rapatriés d’Indochine. Cette mesure permettra de gagner en efficacité et d’indemniser dans les meilleurs délais, ce qui est nécessaire en raison du grand âge de nombre de ces rapatriés.

La commission adopte l’amendement et l’article 4 est ainsi rédigé.

 

Article 5

La commission adopte l’article 5 non modifié.

 

Article 6

La commission adopte l’article 6 non modifié.

 

Après l’article 6

Amendement DN3 de M. Aurélien Taché

M. Aurélien Taché (LFINFP). L’amendement demande au gouvernement de remettre un rapport sur les difficultés d’application de la loi de 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles, un certain nombre de demandes d’indemnisation étant refusées sans raison apparente

M. Olivier Faure, rapporteur. Je comprends parfaitement votre intention, mais la CNIH rend compte des difficultés dans ses rapports d’activité et formule des propositions pour améliorer les dispositifs existants.

L’amendement est satisfait. Demande de retrait ou avis défavorable.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Cet amendement est un cavalier : il n’a rien à voir avec le texte dont nous discutons.

Comme l’a indiqué le rapporteur, la CNIH publie chaque année un rapport d’activité. Elle procède en permanence à des adaptations, qui concernent aussi bien l’appréciation des situations – notamment en élargissant le nombre des sites éligibles à l’indemnisation – que les possibilités de prise en charge. Cette commission voit d’ailleurs poindre la fin de ses missions.

L’amendement est effectivement satisfait.

M. François CormierBouligeon (EPR). La CNIH fait son travail, mois après mois. Elle fait appel à des historiens qui se déplacent et font un vrai travail de recherche pour trouver des preuves de la présence des demandeurs dans les sites il y a quelques décennies. La CNIH a d’ailleurs donné suite aux demandes de reconnaissance, que nous soutenions, de trois sites situés dans le Cher. Le nombre des sites ouvrant droit à réparation financière s’accroît progressivement et ces dernières sont versées. Il est sage de s’opposer à cet amendement.

L’amendement est retiré.

 

Article 7

La commission adopte l’article 7 non modifié.

 

M. le président JeanMichel Jacques. Nous en venons aux explications de vote.

M. Matthieu Bloch (UDR). Je remercie le rapporteur d’avoir pris l’initiative de cette excellente proposition de loi.

Mais il n’a pas réagi à ma remarque lorsque j’ai relevé que seuls certains groupes avaient été sollicités pour signer ce texte transpartisan. Toute une partie de la représentation nationale a ainsi été exclue, alors qu’il s’agit d’une proposition d’intérêt général et que c’est le respect de la mémoire des rapatriés d’Indochine qui est en jeu.

Je ne comprends absolument pas votre position et j’aurais souhaité que vous nous donniez des explications.

 

La commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

 

M. le président JeanMichel Jacques. La proposition a été adoptée à l’unanimité. (Applaudissements.)

Je vous remercie pour ce débat qui contribue à la cohérence mémorielle et je me réjouis de l’élargissement de la Journée nationale d’hommage du 8 juin.

 


—  1  —

   Annexe I : liste des personnes auditionnées
par le rapporteur

Auditions communes :

-          Mme Geneviève Jacques, ancienne présidente de la Cimade et M. André Mazière, ancien animateur au CAFI de Sainte Livrade ;

-          Mme Françoise Dumas, présidente de la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles (CNIH), M. Marc Del Grande, préfet, secrétaire général de la CNIH et Mme Anne Dulphy, historienne ;

-          M. Daniel Freche, président du Collectif des Eurasiens pour la préservation du Centre d’Accueil des Français rapatriés d’Indochine (CEP‑CAFI), M. Serge Amorich, délégué national de la fédération nationale des Rapatriés (FNR) pour les questions de retraite et M. Julien Cao Van Tuat, président de l’association des Rapatriés d’Indochine de Noyant d’Allier (ARINA) ;

-          Mme MarieChristine VerdierJouclas, directrice générale de l’office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG), Général Éric Maury, adjoint à la directrice générale de l’ONaCVG et M. Evence Richard, directeur de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA), ministère des Armées ;

-          M. Vincent Droullé, chef de service, adjoint à la directrice des affaires juridiques, et M. Pierre Beaudin, adjoint au chef de bureau Expertise générale et légistique, sous‑direction Droit public, droit privé, secrétariat général pour l’administration, ministère des Armées.


([1]) Rapport de la mission sur l’extension des mesures de réparation existantes à l’égard de rapatriés du Maghreb à l’ensemble des rapatriés d’Indochine, Didier Lacaze, IGAS, 2006. Ci‑après, dénommé « Rapport Lacaze ».

([2]) Rapport Lacaze, d’après les estimations du Ministère de l’Intérieur.

([3]) L’estimation du nombre de personnes hébergées dans les centres varie selon les sources : près de 4 000 personnes selon l’audition de l’Office national des combattants et des victimes de guerre ; 4 654 personnes selon le sociologue Pierre‑Jean Simon ; 4 000 à 5 000 personnes selon le rapport d’activité 2022 de la CNIH ; 6 000 personnes selon l’association CEP‑CAFI d’après la commission interministérielle pour les rapatriés d’Indochine.

([4]) « Rapatriés d’Indochine », Pierre‑Jean Simon, 1981, p. 81.

([5]) Ibid.

([6]) « De Saigon à SainteLivradesurLot, l’épopée des rapatriés d’Indochine », Dominique Rolland, 2010.

([7]) « Rapatriés d’Indochine », Pierre‑Jean Simon, 1981.

([8]) Ibid.

([9]) D’après le rapport d’activité 2022 de la CNIH et les recherches du CEP‑CAFI.

([10]) L’essentiel des informations reprises dans cette typologie des camps principaux est issu du rapport d’activité de la CNIH de 2022.

([11]) Certaines sources évoquent un nombre supérieur de 1 150 personnes en avril 1956. Notamment « La relation entre les pouvoirs publics français et la population harkie lotetgaronnaise de 1962 à nos jours », K. Khemache Girard, 2014.

([12]) Le sociologue Pierre‑Jean Simon évoque un total de 3 167 personnes.

([13]) Le rapport d’activité de la CNIH retient une estimation d’un total de 3 000 personnes passées par le camp, d’après les calculs de l’association CEP‑CAFI.

([14]) « De Saigon à SainteLivradesurLot, l’épopée des rapatriés d’Indochine », Dominique Rolland, 2010.

([15]) Audition de Mme Geneviève Jacques par votre rapporteur.

([16]) Ibid.

([17]) Arrêté portant règlement des centres d’accueil organisés pour l’hébergement des Rapatriés d’Indochine, Ministère de l’Intérieur, 11 mai 1959.

([18]) Réponses écrites de la CNIH.

([19]) Rapport 2006‑110 de juillet 2006, « Mission sur l’extension des mesures de réparation existantes à l’égard des rapatriés du Maghreb à l’ensemble des rapatriés d’Indochine », Didier Lacaze, Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

([20]) Loi n° 2005‑158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.

([21]) Rapport Lacaze précité, p. 10.

([22]) Loi n° 2022‑229 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.

([23]) L’essentiel des informations est issu du rapport d’activité de la CNIH de 2022.

([24]) Parachever l'effort de solidarité nationale envers les rapatriés, promouvoir l'œuvre collective de la France outre‑mer, Michel Diefenbacher, 2003.

([25]) Au 18 avril 2025, la CNIH a validé 21 936 demandes d'indemnisation sur 27 085 dossiers reçus ce qui aboutit à une indemnisation d'un montant total de 176 500 000 euros (en incluant les demandes de recours), soit un montant moyen de 8 856,60 euros par personne indemnisée. Consultable via : https://www.viepublique.fr/enbref/298412droitsreparationpourlesharkisquelbilandepuis2022.

([26]) Loi n° 2022‑229 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.

([27]) L’estimation du nombre de personnes hébergées dans les centres varie selon les sources : près de 4 000 personnes selon l’audition de l’Office national des combattants et des victimes de guerre ; 4 654 personnes selon le sociologue Pierre‑Jean Simon ; 4 000 à 5 000 personnes selon le rapport d’activité 2022 de la CNIH ; 6 000 personnes selon l’association CEP‑CAFI d’après la commission interministérielle pour les rapatriés d’Indochine.

([28]) « Plus de soixante‑dix ans après Dien Bien Phu, l’histoire oubliée des rapatriés d’Indochine », Ivanne Trippenbachn Le Monde, 20 mai 2025.

([29]) Amendements DN10 et DN11.

([30]) Loi n° 2022‑229 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.

([31]) « Parachever l’effort de solidarité nationale envers les rapatriés », rapport établi à la demande du Premier ministre par M. Michel Diefenbacher, député du Lot et Garonne en septembre 2003.

([32]) Amendements DN12 et DN13.

([33]) Amendements DN4 et DN5.

([34]) Amendement DN7.

([35]) Loi n° 2022‑229 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.

([36]) Loi n° 68‑1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics.

([37]) Loi n° 2022‑229 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.

([38]) Décret n° 2022‑394 du 18 mars 2022 relatif à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles.

([39]) Décret n° 2025‑256 du 20 mars 2025 portant modification du barème fixé à l'article 9 du décret n° 2022‑394 du 18 mars 2022 relatif à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles.

([40]) Amendement DN14.

([41]) Amendement DN15.

([42]) Loi n° 2022‑229 du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux‑ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.

([43]) Ibid.

([44]) Ibid.

([45]) Amendement DN16.