N° 1479

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 mai 2025.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE concernant

l’organisation des élections en France,

 

 

 

 

Président

M. Thomas CAZENAVE

 

Rapporteur

M. Antoine LÉAUMENT

Députés

 

——

 

 

 

TOME I

RAPPORT

 

 

 Voir les numéros : 490 et 615.


La commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France, est composée de : M. Thomas Cazenave, président ; M. Antoine Léaument, rapporteur ; Mme Farida Amrani ; Mme Léa Balage El Mariky ; M. Erwan Balanant ; M. Bruno Bilde ; Mme Manon Bouquin ; M. Xavier Breton ; M. Pierre-Yves Cadalen ; Mme Colette Capdevielle ; Mme Eléonore Caroit ; M. Jean-Victor Castor ; M. Vincent Caure ; Mme Sophia Chikirou ; Mme Nicole Dubré-Chirat ; M. Emmanuel Duplessy ; Mme Agnès Firmin Le Bodo ; Mme Martine Froger ; Mme Pascale Got ; M. Guillaume Gouffier Valente ; M. Thomas Ménagé ; M. Maxime Michelet ; M. Frédéric Petit ; M. Kévin Pfeffer ; M. Stéphane Rambaud ; M. Emeric Salmon ; M. Thierry Tesson ; Mme Céline Thiébault-Martinez.

 


–  1  –

SOMMAIRE

___

Pages

I. POINT DE VUE du PrÉsident

II. CONSTATS ET RECOMMANDATIONS DU rapporteur

INTRODUCTION

Partie I : mobiliser les Électeurs

I. Le vote : un acte citoyen essentiel.

A. Le suffrage universel : une conquÊte historique, dont la pratique garantit la vigueur de la dÉmocratie française.

1. Le suffrage universel : une conquête populaire faite de luttes et de Révolutions.

a. La naissance du régime représentatif en France.

b. Le mandat représentatif, un moyen de « neutraliser la volonté politique de l’électeur » ?

c. L’extension progressive du droit de vote au cours des siècles.

2. Les fonctions politique, symbolique et sociale du vote aujourd’hui.

a. Le vote comme « légalisation d’une forme de contestation » et de canalisation des conflits politiques.

b. Le vote comme pratique rituelle garantissant le plein attachement à la démocratie.

c. La participation électorale comme critère de légitimité démocratique et enjeu de robustesse institutionnelle.

B. Le régime juridique du vote en France : des modalités garantissant la robustesse du processus électoral.

1. Le statut de l’électeur.

a. La définition de l’électeur.

b. Le statut administratif de l’électeur.

c. Le cas particulier de l’électeur européen et l’incohérence du droit français.

2. Le statut de l’élection : l’encadrement de l’acte de vote.

C. La crise du vote : une remise en cause du suffrage qui touche la plupart des élections en France.

1. La contestation de la valeur sociale et politique du vote et de sa capacité à représenter l’intérêt général.

2. Le contexte, plus large, d’une défiance généralisée à l’égard du régime représentatif.

3. La remise en cause du suffrage à l’échelle internationale.

II. L’abstention : un phénomène structurel confortant les inégalités politiques.

A. L’État des lieux de l’abstention en France : un phénomène massif, durable et inquiétant.

B. Pour une analyse sociologique de l’abstention : quels sont les profils des abstentionnistes et les facteurs de l’abstention ?

1. Ruraux, urbains, ultramarins : l’abstention est partout sur le territoire national.

2. Une abstention « socialement située ».

3. L’abstention « constante » : un phénomène structurel en croissance, principalement nourri par la mal-inscription.

III. La participation : une nécessité de combler les failles des systèmes d’inscription et d’information des électeurs.

A. Le principe de l’inscription sur les listes Électorales.

1. L’état des lieux de l’inscription en France.

2. La mise en œuvre du Répertoire électoral unique : un outil facilitant l’inscription des électeurs sur les listes électorales.

a. Le principe du Répertoire électoral unique.

b. Le succès de la mise en œuvre du Répertoire électoral unique.

c. Les utilités multiples du REU.

B. La non-inscription : près de 3 millions de citoyens exclus du vote.

C. La mal-inscription : un phénomène d’ampleur à faire reculer.

1. Le phénomène de la mal-inscription.

2. Comment la mal-inscription fausse le résultat des élections.

D. Les radiAtions excessives des listes électorales : un risque d’arbitraire et de manipulation des élections.

1. Présentation du système de radiation des listes électorales.

2. Les radiations pour perte d’attache communale : un risque d’arbitraire et de suffrage censitaire.

3. Le cas d’Évry-Courcouronnes : des radiations abusives qui faussent le résultat du scrutin.

E. Un suffrage censitaire organisé de facto en France

IV. Nos propositions pour en finir avec le nouveau suffrage censitaire et organiser la mobilisation des citoyens aux élections.

A. Vers une redéfinition du statut de l’électeur en France ?

1. Vers l’abaissement du droit de vote à 16 ans et le renforcement de l’éducation à la citoyenneté.

2. Corriger une aberration du droit électoral français pour les étrangers.

B. De l’exigence d’un renforcement de la lisibilité des campagnes institutionnelles.

C. De la nécessité d’achever la modernisation du système d’inscription électorale et de limiter les effets indésirables des radiations.

1. Mettre en place un système d’inscription automatique sur les listes électorales.

2. Dans l’attente, mettre en œuvre des mesures ciblées contre la mal-inscription et la non-inscription.

D. Mettre en place le vote obligatoire et reconnaître le vote blanc.

1. Les modalités de l’acte de vote.

a. Le vote par procuration.

b. Le vote par internet.

2. La date du vote.

PARTIE II : ORGANISER LES ÉLECTIONS

I. Voter : une opération complexe qui mobilise une multitude d’acteurs.

A. un rôle prépondérant de l’administration centrale de l’État dans l’organisation des Élections.

1. Les ministères : clef de voûte de l’organisation des élections en France.

a. Le ministère de l’Intérieur (MINT)

b. Le ministère des Outre-mer (MOM)

c. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE)

d. Le ministère de la Justice (MJ)

2. Des partenaires complémentaires pour gérer les démarches électorales.

3. Des échanges nourris avec les autres acteurs du processus électoral.

a. Les juridictions : le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel.

b. Les autorités administratives indépendantes

c. Les acteurs de terrain

B. Une mise en œuvre opérationnelle qui repose sur l’action conjointe des préfectures et des communes.

1. Un rôle important des préfectures – relais du ministère de l’Intérieur.

2. Un rôle essentiel des communes : cœur de la démocratie.

C. de nombreuses commissions électorales prÉsentes lors des diffÉrentes étapes du processus électoral.

1. Les commissions administratives de contrôle des listes électorales.

2. Les commissions de propagande.

3. Les commissions de contrôle des opérations de vote (CCOV).

4. Les commissions de recensement des votes (CRV).

5. La commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP).

II. un dispositif robuste… mais largement perfectible

A. Une organisation robuste qui s’appuie sur un maillage d’acteurs coordonnés et expérimentés.

B. Des difficultés souvent résolues mais qui ne peuvent pas Être passées sous silence

1. Des difficultés conjoncturelles rares mais des échecs marquants

a. Un bilan « désastreux » de la distribution de la propagande électorale en 2021.

b. Des leçons retenues mais des responsabilités de l’ex-prestataire qui n’ont pas été complètement engagées.

2. Pénurie d’urnes et d’isoloirs, listes d’émargement inaccessibles… des erreurs matérielles à corriger

a. Une pénurie d’urnes et d’isoloirs lors des élections départementales et régionales de 2021.

b. Des panneaux d’affichage libre trop souvent indisponibles.

c. Des difficultés d’accès aux listes d’émargement lors du premier tour de l’élection présidentielle en 2022.

d. Un calendrier serré pour organiser les élections législatives anticipées en 2024.

3. Des difficultés logistiques et matérielles structurelles qui persistent

a. Le problème de la pénurie d’assesseurs.

b. Une gestion complexe des panneaux électoraux lors des élections.

c. Un manque de moyens pour traiter en urgence les demandes de réinscription sur les listes électorales.

4. Des difficultés spécifiques qui concernent aussi les candidats.

a. Une lisibilité incertaine des décisions prises par les commissions de propagande

b. Des règles de financement des campagnes politiques facteurs de difficultés multiples.

i. La difficulté d’ouvrir un compte bancaire

ii. Les difficultés rencontrées lors du dépôt des comptes de campagne.

iii. Garantir la stabilité et la prévisibilité de l’application des règles de financement de la vie politique par la CNCCFP

iv. Mieux harmoniser les pratiques de contrôles de la CNCCFP pour éviter les inégalités.

v. Garantir l’impartialité de l’instruction et la confidentialité des échanges avec les candidats

C. Des Évolutions qui doivent Être engagées afin de gagner en efficacité.

1. Les machines à voter : une sortie du moratoire qui apparaît inévitable et doit donc être préparée.

a. Des communes utilisatrices qui plébiscitent les machines à voter.

b. Des pouvoirs publics plus réservés sur leur utilisation

c. Un moratoire qui ne pourra pas être maintenu indéfiniment.

2. Maintenir un principe de bénévolat pour le recrutement d’assesseurs

3. Améliorer la prise en charge par l’État des dépenses engagées par les communes.

4. Maintenir l’envoi postal de la propagande électorale et multiplier les modes d’information des électeurs.

5. Offrir toutes les garanties d’indépendance et de transparence nécessaires à la confiance des citoyens

i. Permettre un parrainage citoyen des candidats à l’élection présidentielle

ii. Assurer une liaison constante entre les représentants des partis politiques et le bureau des élections politiques lors des scrutins.

iii. Renforcer la présence des magistrats au sein des commissions électorales.

iv. Renforcer la capacité de contrôle des procurations par les candidats aux élections pour éviter les fraudes.

v. Envisager à terme de confier l’organisation des élections à une autorité administrative indépendante

6. Préserver le droit des détenus de voter par correspondance aux élections locales et législatives.

7. Une présentation des résultats qui doit être fiable et objective

III. L’organisation des Élections en dehors du territoire hexagonal : DES EFFORTS considérables à faire pour garantir une réelle Egalité des citoyens face au suffrage.

A. Voter en Outre-mer : des défis logistiques d’ampleur

1. Des spécificités justifiant l’application de règles dérogatoires au droit commun.

a. Les spécificités « de droit »

i. Des spécificités concernant les élections municipales.

ii. Des règles électorales adaptées au sein des collectivités d’outre-mer.

iii. Des règles spécifiques en matière de financement des campagnes électorales.

b. Les spécificités « de fait »

i. Listes électorales

ii. Organisation des opérations de vote

iii. Centralisation des résultats

2. Des difficultés liées aux caractéristiques des territoires ultramarins.

a. L’insularité

b. L’adressage de la propagande électorale

c. L’accès aux procurations dématérialisées.

3. Un bilan global correct en termes d’organisation mais entaché d’irrégularités multiples.

4. Des efforts à poursuivre pour renforcer l’égalité des citoyens devant le vote.

a. Un changement de regard indispensable sur les outremers.

i. Une participation inférieure des votants ultramarins pour les scrutins nationaux (élections présidentielles, législatives, européennes)

ii. Un niveau de participation satisfaisant pour les scrutins locaux et territoriaux.

iii. « Grève des urnes » dans les Outre-mer : sortir du mépris hexagonal pour renforcer la participation.

iv. Dans les Outre-mer, la France n’est pas à la hauteur des promesses de la République

v. Renforcer la place des Outre-mer dans les médias nationaux, en particulier pendant les campagnes électorales nationales.

b. Renforcer l’information à destination des citoyens.

i. Par les pouvoirs publics.

ii. Par les acteurs politiques

c. Une distribution de la propagande électorale qui ne doit pas être « sacrifiée ».

d. Un système de procuration qui doit s’adapter aux contraintes ultramarines

e. Une absence de suivi des incidents dans les bureaux de vote qui inquiète

B. Voter à l’étranger : un dispositif qui souffre d’insuffisances et doit gagner en efficacité.

1. Une organisation et des modalités de vote particulières.

a. Un droit de vote des citoyens français qui ne connaît « pas de frontières »

b. Des élections qui présentent des spécificités

i. Une problématique de « grandes distances » entre les électeurs et les bureaux de vote.

ii. Des modalités de vote particulières mises en œuvre pour y faire face.

iii. Des adaptations du calendrier électoral lors de certains scrutins.

2. Des difficultés incontestables, en particulier concernant le dispositif de vote par internet.

a. Des dysfonctionnements du vote par internet.

b. Des difficultés de distribution de la propagande électorale.

3. Des pistes de réforme à explorer.

a. Fiabiliser enfin le système de vote par internet.

b. Un envoi dématérialisé de la propagande électorale qui doit être étudié.

c. Conserver la possibilité de voter par correspondance pour les Français de l’étranger

PARTIE III : protéger l’information électorale et l’intégrité du scrutin.

I. La régulation des médias et des réseaux sociaux : encadrer les vecteurs de diffusion sans compromettre le pluralisme et la liberté d’expression.

A. Les chaînes d’information en continu : des médias de diffusion de l’information électorale nécessairement encadrés.

1. Les règles applicables aux chaînes d’information en continu.

a. Le pluralisme dans la loi de 1986, et ses effets.

b. La décision du Conseil d’État du 13 février 2024.

2. Les nouveaux risques de manipulation de l’information électorale que pose l’émergence des chaînes d’information en continu.

B. Le développement des réseaux sociaux : un risque accru de manipulation de l’information électorale.

1. L’impact des réseaux sociaux sur la qualité et la neutralité de l’information électorale.

a. Un vecteur de pluralisme informationnel et d’engagement civique.

b. Les « bulles de filtres » ou « bulles cognitives » et le risque de morcellisation de l’espace civique.

c. Le risque de l’amplification algorithmique de contenus polarisants ou mensongers.

d. Le risque d’une propagation incontrôlée des campagnes de désinformation électorale.

e. Le risque de l’influence dérégulée de certains influenceurs dans les équilibres politiques et de l’absence de traçabilité des financements.

2. Le cadre juridique applicable à la lutte contre la manipulation de l’information sur les réseaux sociaux.

3. Des engagements perfectibles pris par les plateformes afin de lutter contre la manipulation de l’information électorale.

4. De la nécessité de prévenir tout risque de manipulation de l’information électorale sur les réseaux sociaux.

II. Les ingérences étrangères en matière électorale : une dangereuse internationalisation de la déstabilisation démocratique.

A. L’état des lieux du risque d’ingérences étrangères dans les processus électoraux en France.

1. Ingérences étrangères : une menace actuelle accentuée par des failles médiatiques.

a. Étoiles de David, mains rouges : des ingérences étrangères qui cherchent à diviser le peuple.

b. Des failles médiatiques et politiques majeures qui servent de caisse de résonance aux ingérences étrangères

2. Les figures de l’ingérence étrangère en France.

3. Les modalités de l’ingérence numérique au cœur de la déstabilisation démocratique.

B. Le cadre institutionnel et normatif applicable à la lutte contre les ingérences.

1. Les acteurs institutionnels.

2. Les textes en vigueur applicables à la lutte contre l’ingérence étrangère.

C. Face aux ingérences étrangères : renforcer nos anticorps républicains et nos moyens d’action.

1. De la nécessité de renforcer la coordination et les moyens du dispositif national de lutte contre les ingérences numériques étrangères.

2. De l’importance d’accroître la formation des citoyens et des institutions à la vigilance informationnelle

3. De la nécessité de réguler plus efficacement les instruments privés de diffusion et de manipulation de l’information.

III. Des ingérences étrangères aux ingérences financières : quand les ultra-riches veulent manipuler les élections

A. La captation croissante des médias par des intérêts économiques au prisme idéologique affiché.

1. L’intrusion de logiques d’influence dans les décisions d’investissements médiatiques.

2. Le groupe Bolloré : un empire médiatique au service d’une stratégie idéologique et électorale.

B. Le projet Périclès, ou l’illustration de l’utilisation de la puissance financière au service d’un projet idéologique.

1. Le fonctionnement du projet Périclès.

2. Les dangers que fait peser le projet Périclès sur la qualité des débats politiques en France et la stabilité démocratique.

a. Une stratégie d’influence à la frontière du droit électoral ?

b. Une opacité susceptible d’accroître la défiance démocratique et de renforcer la crise du vote.

c. Interroger les mécanismes actuels de prêts aux partis et aux campagnes.

PARTIE IV : réguler les sondages

I. Les sondages jouent aujourd’hui un rôle central lors des élections politiques.

A. Une origine américaine – les « votes de paille ».

1. Une introduction en France à la fin des années 1930 et un essor quantitatif inédit sous la Ve République

2. Une dynamique qui se stabilise, avec de fortes variations selon la nature de l’élection concernée.

B. Des effets multiples sur le processus électoral.

1. Des effets variés et parfois contestés sur le processus électoral.

a. Les effets sur la vie médiatique.

b. Les effets sur les acteurs politiques.

c. Les effets sur les comportements électoraux.

2. Un cadrage problématique du débat public par les sondages.

a. Une France qui ne se droitise pas…

b. …mais qui vote à droite par l’effet de cadrage.

c. Une mécanique bien rodée.

i. L’imposition de problématiques

ii. L’autorité des sondages

iii. La domination thématique des « mieux-placés »

iv. La circulation circulaire de l’information

C. Une instrumentalisation au profit d’un agenda conservateur.

1. La fabrique de l’opinion…

2. …au service d’un agenda politique conservateur.

II. DES FAIBLESSES MÉTHODOLOGIQUES MANIFESTES.

A. Des erreurs multiples : un phénomène ancien, massif, documenté.

1. Des critiques qui ne datent pas d’aujourd’hui…

2. …et qui s’appuient sur des erreurs manifestes de prévision.

3. « L’opinion publique n’existe pas ».

i. Une notion dont l’existence est mise en doute dès l’apparition moderne des sondages en France.

ii. Un critique sociologique de « l’opinion publique »

4. Des faiblesses méthodologiques mises en lumière par des chercheurs contemporains.

B. « les sondages Électoraux ne sont pas une science » () : quelques Exemples.

1. Elabe : des redressements sources d’interrogation.

a. Interrogation sur l’écart des redressements appliqués.

b. Un arrondissement arbitraire qui pose question.

c. Une justification peu satisfaisante.

d. Le sensationnalisme sondagier : la victoire redressée de Valérie Pécresse.

2. IFOP : quand les redressements produisent des effets différents en fonction du candidat.

a. Analyse du redressement.

b. Analyse de l’échantillon politique.

C. Une rhétorique défensive des sondeurs… qui ne s’appuie pas sur la science.

1. L’argument des résultats toujours « très proches de la réalité ».

2. L’argument opportun du caractère non prédictif des sondages.

3. Le périmètre changeant de la notion « d’erreur des sondages ».

4. L’argument des effets conjoncturels non maîtrisables.

D. un Déni problématique de ces difficultés par les sondeurs.

a. Une foi indiscutable en leurs méthodes.

b. Des arguments défensifs anciens.

c. Une fiabilité contestable des réponses fournies par les personnes interrogées en ligne.

d. Chez les sondeurs : un auto-satisfécit qui balaie sans argument scientifique des critiques légitimes.

E. une Commission des sondages trop souvent « en soutien » des sondeurs.

a. Des arguments endossés par la commission des sondages.

b. Une faiblesse du contrôle réel opéré par la Commission des sondages démontré « sur pièces et sur place ».

III. les redressements : une « cuisine sondagière » opaque.

A. Le sacro-saint redressement : un dogme inamovible.

1. Le redressement sociodémographique.

2. Le redressement politique.

3. Les résultats.

B. UNe incapacité des sondeurs à constituer des échantillons représentatifs des électeurs.

1. Des problèmes structurels de représentation de certains électorats.

2. Un cas pratique exemplaire : analyse des sondages de la présidentielle 2022 à la lumière des pièces recueillies dans le cadre d’un contrôle sur pièces et sur place par votre rapporteur.

C. Quand l’algorithme reconfigure « l’opinion publique ».

D. Le redressement : le “pifomètre” recouvert de la science statistique.

1. « Faut mettre Le Pen à 12, plutôt 12,5 », « ce qu’on a fait ne marche pas du tout » : des redressements pifométriques ?

2. Des redressements déformants : quand les ajustements inversent le sens des résultats bruts.

3. Des redressements problématiques : sous-estimation et surestimation chroniques de certains candidats.

4. Des redressements inconstants.

5. Des redressements structurellement différenciés en fonction des candidats et des instituts.

a. IFOP : des redressements structurellement défavorables au candidat Jean-Luc Mélenchon.

b. IPSOS : quand le redressement… aggrave les problèmes d’échantillon.

c. ELABE : des redressements qui apparaissent cohérents.

E. Regarder au-delà des instituts : analyse agrégée des redressements électoraux.

F. Des justifications avancées peu convaincantes ou non-démontrables.

1. Une multiplicité des critères de redressement qui n’explique pas les écarts constatés.

2. Un taux de report de voix évolutif.

G. Voter ou disparaître : quand les classes populaires sont méthodologiquement évacuées.

1. “Le certain d’aller voter” : un filtre faisant disparaître les classes populaires.

2. La spirale du silence et l’apparente domination de l’opinion populaire.

a. Définition du concept.

b. La spirale du silence et les sondages électoraux.

IV. un cadre de régulation qui date de 1977 et qui a fait l’objet de rares révisions.

A. La loi de 1977 : un encadrement visant à lutter contre les officines.

B. La création d’une autorité de régulation dédiée : la Commission des sondages.

C. Des obligations qui s’imposent aux instituts de sondage et aux médias.

D. Une révision en 2002 pour assurer la compatibilité de la loi avec les exigences du droit de l’Union européenne.

E. Une initiative de refonte envisagée en 2011 mais sans succès

F. Des évolutions du cadre de régulation en 2016, 2017 et 2021.

1. La loi du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections.

2. La loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes

3. La loi organique n° 2021-335 du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République.

V. des réformes indispensables pour contrôler l’influence des sondages sur les élections et le débat politique.

A. dépasser la frayeur des sondeurs pour engager un nouvel acte de la régulation des sondages.

1. La transparence des données brutes : une initiative bien accueillie par les instituts

2. Une foi consensuelle en l’autorégulation pour faire front à des critiques systématiques

3. La boucle d’autolégitimation : quand la notoriété tient lieu de preuve scientifique

4. L’effet de réputation : lorsque les experts commentent leurs propres chiffres

5. Le verrouillage du marché : un effet d’éviction

B. Un renforcement nécessaire de la Commission des sondages face à un niveau de risque croissant.

1. Un renforcement indispensable de ses moyens humains.

2. Une modification de sa composition en faveur des compétences techniques.

C. Une vigilance nécessaire vis-à-vis de l’indépendance de la commission et de ses agents.

D. INSTITUTS DE SONDAGE : POUR UNE fermeté réelle face aux mauvaises pratiques !

1. Un renforcement de l’action a priori de la commission.

2. Un renforcement de l’action a posteriori de la commission.

E. Une vigilance indispensable sur les risques liés aux panels

F. Une révision de la loi de 1977 indispensable pour renforcer la transparence des sondages et l’information des citoyens.

G. Empêcher les instituts de sondage de peser sur les candidatures à une élection

H. Face à l’opacité des sondeurs, réaliser un choc de transparence sondagier

I. Empêcher les conflits d’intérêts entre les médias et les instituts de sondage.

J. S’assurer de l’efficacité de la régulation existante vis-à-vis des acteurs étrangers.

K. Un recours par la puissance publique aux sondages qui doit être suivi avec attention (SIG).

1. Le SIG un gros client des instituts de sondage

2. « Macron 2032 », « racisme anti-blanc », les étranges sondages du SIG

Conclusion

LISTE DES RECOMMANDATIONS du rapporteur

I. MOBILISER LES ÉLECTEURS

II. ORGANISER LES ÉLECTIONS

III. protéger l’information

IV. réguler LES SONDAGES

V. conclusion

Annexes

III. Contributions des groupes politiques

Contribution du groupe rassemblement national

Contribution du groupe Ensemble pour la République

Synthèse des propositions

CONTRIBUTION DU GROUPE LA FRANCE INSOUMISE – NOUVEAU FRONT POPULAIRE

CONTRIBUTION DU GROUPE ÉCOLOGISTE ET SOCIAL

Contribution du groupe LES Démocrates

IV. EXAMEN EN COMMISSION

V. LISTE DEs PERSONNES AUDITIONNÉES

 

 

 

 


–  1  –

   I. POINT DE VUE du PrÉsident

 

Pendant six mois, la commission d’enquête sur l’organisation des élections en France a conduit un travail exigeant, méthodique et pluraliste. Plus de 40 auditions ont permis d’entendre près de 120 personnes : des représentants des ministères, des autorités de régulation, des chercheurs, des magistrats, des journalistes, des instituts de sondage, des responsables de plateformes numériques, des élus locaux, des membres de la société civile, ainsi que plusieurs acteurs du débat public. La qualité des échanges, la diversité des points de vue et la sincérité des contributions ont permis de nourrir la réflexion des membres de la commission.

Le présent rapport est structuré en trois parties distinctes, qui reflètent la méthode que nous avons suivie tout au long de cette commission d’enquête et la diversité des points de vue qui s’y sont exprimés. Après le point de vue du Président, figurent les constats et propositions propres au rapporteur et enfin les contributions des différents groupes politiques.

La participation électorale connaît, en France comme dans d’autres démocraties comparables, une érosion progressive. Elle touche plus particulièrement certains scrutins jugés éloignés, comme les européennes ou les départementales, et concerne davantage les jeunes, les moins diplômés, les habitants des quartiers populaires ou des zones rurales. Cette dynamique traduit moins une hostilité qu’un éloignement : une mise à distance du politique, nourrie par la lassitude, la défiance ou le sentiment d’inutilité du vote.

Ce phénomène s’inscrit dans un contexte de transformation plus large. Les formes d’engagement se diversifient, les canaux traditionnels de la vie démocratique perdent en influence, et l’accès à l’information repose de plus en plus sur des mécanismes opaques. Le lien civique se fragilise. Y répondre suppose plus qu’une réponse technique : il faut s’interroger sur les conditions concrètes qui rendent possible un exercice réel et confiant du droit de vote.

Mais cette crise n’est pas une fatalité. Elle exprime aussi une exigence. Lorsque les électeurs perçoivent un enjeu clair, une utilité directe à leur vote, ils se mobilisent. Les élections législatives de 2024 l’ont montré : dans un contexte incertain, la participation a progressé. Le ressort démocratique n’est pas brisé. Il doit être compris et réarmé.

  1.   Une organisation électorale solide, digne de confiance

Les auditions ont permis de confirmer un point essentiel : les élections en France sont bien organisées. À chaque étape du processus, les garanties juridiques, administratives et logistiques sont solides. Cette stabilité, largement reconnue par les acteurs entendus, constitue un socle démocratique précieux. Les élections législatives de 2024 sont, à cet égard, un bon exemple. En quelques semaines, la mobilisation du Gouvernement, de l’administration, des élus locaux a permis d’organiser dans l’urgence un scrutin pour lequel aucun incident notable n’a été relevé.

  1.   Des scrutins bien organisés et largement incontestés

Les auditions ont permis de dresser un constat largement partagé : les élections en France sont bien organisées. Loin des soupçons de manipulation ou des scénarios d’instabilité parfois évoqués dans d’autres démocraties, notre pays offre un cadre électoral rigoureux, maîtrisé et résilient. Les processus sont encadrés à chaque étape : convocation des électeurs, réception des candidatures, organisation matérielle du scrutin, dépouillement, transmission des résultats, contrôle a posteriori. À chaque maillon, des acteurs formés, des procédures éprouvées, des outils juridiques solides.

Le ministère de l’Intérieur joue, à cet égard, un rôle central. Il coordonne l’ensemble des opérations électorales, avec l’appui des préfectures, des communes, des magistrats et des agents territoriaux. La fiabilité de ce pilotage n’est pas une donnée abstraite : elle se mesure au nombre très limité d’incidents, à la fluidité des opérations sur le terrain, à la confiance des électeurs dans le bon déroulement du vote. Même dans les territoires confrontés à des contraintes logistiques fortes — insularité, éloignement, dispersion — l’organisation reste assurée, parfois avec des moyens exceptionnels, toujours avec le même objectif : garantir à chaque citoyen la possibilité d’exprimer son choix.

Les commissions de propagande, les bureaux de vote, les magistrats désignés pour suivre les opérations, ainsi que le juge administratif, contribuent eux aussi à cette solidité institutionnelle. Le contentieux électoral, suivi de manière précise, reste contenu et ne remet pas en cause la légitimité des scrutins. Il témoigne, au contraire, de la capacité du droit à traiter les contestations dans un cadre serein. En ce sens, l’élection continue d’incarner un moment démocratique, ordonné et respecté. Cette stabilité n’est pas un acquis passif. Elle est le produit d’une vigilance constante et d’une volonté collective de préserver la sincérité du suffrage.

  1.   Des marges d’ajustement ciblées

Si l’architecture électorale française est solide, certaines situations ont mis en lumière des ajustements souhaitables, non pour corriger une défaillance systémique, mais pour renforcer encore l’effectivité du droit de vote. C’est notamment le cas des radiations liées à la perte d’attache communale. Lorsqu’elles interviennent à quelques semaines seulement d’un scrutin, elles peuvent placer certains électeurs dans l’incapacité matérielle de voter, alors même qu’ils n’en ont pas été clairement informés ou qu’ils n’ont pas eu la possibilité de contester utilement cette décision.

Cette situation, si elle demeure marginale, appelle une évolution à la hauteur de ses effets potentiellement disproportionnés. Il ne s’agit pas de remettre en cause les principes d’actualisation des listes électorales, mais de mieux encadrer leur mise en œuvre. Un délai plus adapté, une information systématique, une traçabilité renforcée des décisions pourraient suffire à éviter que le jour du scrutin ne se transforme, pour certains citoyens, en moment d’exclusion involontaire.

De manière plus large, la modernisation du répertoire électoral entreprise ces dernières années va dans le bon sens. La centralisation progressive des données, la possibilité d’inscription en ligne, la coordination entre les communes et l’INSEE ont contribué à fluidifier les démarches et à limiter les erreurs. Ce mouvement doit se poursuivre, avec le souci constant de rendre les procédures plus lisibles et plus accessibles. Ainsi, il serait souhaitable d’enrichir, de manière volontaire, le répertoire électoral unique des adresses électroniques et des numéros de téléphone des électeurs.

Sur ce sujet, j’ai donc une divergence importante avec le rapporteur. Je ne crois pas que l’heure soit à une refonte profonde du droit électoral. Nous n’avons pas affaire à une crise du système, mais à des ajustements ciblés à opérer pour rendre les règles plus accessibles, les démarches plus fluides, et les informations plus claires pour nos concitoyens.

  1.   La modernisation du système électoral 

La modernisation des outils électoraux peut répondre à des contraintes techniques réelles : simplifier l’organisation des scrutins, améliorer l’accessibilité, faciliter certaines démarches. Elle ne doit pas être écartée par principe. Mais elle ne constitue pas une réponse aux causes profondes de la baisse de participation. Aucun dispositif, aussi innovant soit-il, ne remplace la confiance dans le débat démocratique, ni ne recrée à lui seul l’intérêt pour le vote. Et certaines évolutions, si elles sont mal encadrées, peuvent nourrir plus de soupçon que de mobilisation. C’est pourquoi la prudence, ici, est une condition de l’efficacité.

  1.   Machines à voter : sortir de l’ambiguïté

Le recours aux machines à voter concerne aujourd’hui une soixantaine de communes. Depuis plus d’une décennie, un moratoire empêche l’extension de ce mode de scrutin, sans pour autant le remettre en cause dans les collectivités qui y ont recours. Ce statu quo crée une situation paradoxale : d’un côté, certaines communes sont attachées à ce dispositif, en apprécient la fiabilité et la simplicité ; de l’autre, aucune évolution technologique, aucune actualisation réglementaire n’est possible, faute de position claire de l’État.

Ce moratoire prolongé génère de l’insécurité juridique et pratique. Il empêche toute modernisation des équipements, rend difficile leur maintenance et décourage l’innovation dans un domaine pourtant essentiel à la confiance démocratique. Il alimente aussi, à bas bruit, des inégalités de traitement entre électeurs selon leur commune de résidence. Une telle situation ne peut se prolonger indéfiniment. Le ministère de l’Intérieur doit, à terme, trancher : soit en actant la fin de ce dispositif, soit en encadrant de manière rigoureuse sa pérennisation.

Je propose que l’on autorise à nouveau le recours aux machines à voter, dans les communes qui le souhaitent, sous réserve de garanties techniques et juridiques renforcées. Cette décision permettrait de lever l’ambiguïté actuelle, d’accompagner les collectivités concernées dans la modernisation de leur matériel, et de tirer pleinement parti des innovations disponibles, sans compromettre la sécurité du vote.

  1.   Vote électronique à distance : une prudence renforcée

Le vote électronique à distance suscite un intérêt croissant, en France comme ailleurs. Il est souvent présenté comme une solution moderne, capable de faciliter la participation électorale, en particulier chez les jeunes ou les personnes éloignées du bureau de vote. Cette promesse technologique repose sur une idée simple : en abaissant les contraintes logistiques, on rend le vote plus accessible. L’argument mérite d’être entendu. Mais il ne suffit pas à emporter la conviction.

Sur le plan technique, les dispositifs expérimentés ou projetés sont de plus en plus sécurisés. Des audits indépendants, des protocoles de chiffrement, des procédures de vérification ont été développés. Mais le risque principal n’est pas technique. Il est politique. L’introduction du vote à distance pour les élections générales créerait une incertitude structurelle en ouvrant la voie à des contestations, même sans incident avéré. Dans un climat où la défiance précède parfois le scrutin, le simple soupçon de fragilité du système peut suffire à délégitimer le résultat. Surtout, en l’absence de bulletins papiers, il serait impossible de procéder à un recomptage, rendant toute vérification concrète impossible et aggravant la portée d’éventuelles contestations.

Le vote à distance interroge donc moins la capacité technique de l’État que sa capacité à garantir, sans équivoque, la sincérité du scrutin. Ce constat conduit à une forme de prudence renouvelée.

  1.   Les vecteurs d’information électorale : encadrer sans restreindre

Les auditions ont permis de constater que les vecteurs d’information électorale traditionnels : sondages, médias audiovisuels, presse, sont, dans leur ensemble, correctement encadrés. Les règles existent, les régulations sont effectives, et aucun dysfonctionnement structurel n’a été mis en évidence. Cela ne dispense pas d’interroger certaines pratiques ou de renforcer la transparence, mais cela appelle à ne pas alimenter une défiance infondée.

  1.   Les sondages : un outil démocratique sous haute régulation

Les sondages occupent une place importante dans la vie démocratique contemporaine. Ils permettent de capter des tendances, de structurer le débat public, d’éclairer les électeurs comme les responsables politiques. Leur rôle ne se limite pas à la période électorale : il s’inscrit dans un continuum d’information qui influence, à des degrés divers, la hiérarchie des sujets, la stratégie des acteurs, l’intérêt des citoyens.

Le droit encadre déjà la publication des sondages de manière stricte, notamment en période électorale. La Commission des sondages exerce une mission de contrôle reconnue, et rien, dans les auditions tenues par la commission d’enquête, ne permet de douter de la qualité et du sérieux de son travail. Les instituts ont rappelé les principes méthodologiques qui régissent leurs enquêtes : échantillons représentatifs, redressements explicites, marges d’erreur assumées. Ces pratiques, parfois mal comprises, ne relèvent pas d’un calcul politique mais d’un traitement statistique destiné à restituer, autant que possible, une photographie de l’opinion à un instant donné.

Cela n’interdit pas le débat. Des interrogations existent sur la lisibilité des notices, sur la compréhension des redressements, ou sur l’effet d’amplification que peut produire leur commentaire médiatique. Ces enjeux méritent d’être pris au sérieux, non pour délégitimer l’outil, mais pour renforcer sa clarté. La publication plus systématique des données brutes, une meilleure pédagogie des marges d’incertitude, une vigilance sur les projections en sièges sont autant de pistes à explorer. Elles ne remettent pas en cause la fonction même des sondages et leur professionnalisme. Elles visent à maintenir un équilibre entre leur utilité démocratique et la responsabilité qu’elle implique.

  1.   Les médias audiovisuels : pluralisme réel et responsabilité éditoriale

Le rôle des médias audiovisuels dans la formation de l’opinion politique reste central, en particulier à l’approche des scrutins. Malgré l’essor des réseaux sociaux et des nouveaux formats numériques, la télévision demeure l’un des premiers vecteurs d’exposition aux débats électoraux. Dans ce cadre, la régulation assurée par l’Arcom garantit un certain équilibre : temps de parole comptabilisé, traitement équitable des candidats, contrôle des formats et des conditions d’accès. Ce cadre fonctionne. Aucun manquement systémique n’a été relevé. Le pluralisme politique, en tant que tel, est respecté.

Cela ne signifie pas pour autant que les enjeux soient épuisés. La structure même du débat télévisé a évolué. La montée en puissance des chaînes d’information en continu a modifié le rythme et la nature des échanges. Le traitement éditorial, la composition des plateaux, la scénarisation des confrontations peuvent parfois reléguer l’analyse au second plan. Les formats resserrés, les effets de polarisation ou les stratégies de provocation peuvent conduire à une mise en scène plus qu’à une mise en perspective. Cette évolution appelle une forme de responsabilité partagée, qui ne relève pas seulement du régulateur.

  1.   De nouveaux risques démocratiques aujourd’hui mal couverts par le droit

Si l’organisation des scrutins demeure solide, les travaux de la commission ont mis en évidence deux vulnérabilités majeures qui ne relèvent pas du droit électoral classique, mais qui peuvent affecter en profondeur la sincérité du débat démocratique : les ingérences étrangères et le financement para-politique. Ces phénomènes, bien que différents dans leurs modalités, ont en commun de contourner les règles existantes tout en pesant sur les conditions du vote. Ils appellent une réponse institutionnelle adaptée, fondée sur la transparence, la vigilance et un encadrement juridique renforcé.

  1.   Ingérences étrangères : une menace bien réelle

Depuis plusieurs années, la question des ingérences étrangères s’est imposée comme un sujet de sécurité démocratique. Ces actions hostiles, souvent discrètes, rarement revendiquées, ne visent pas à prendre le contrôle d’un scrutin, mais à en affaiblir la légitimité. Elles s’appuient sur les réseaux sociaux, les médias alternatifs, les failles de circulation de l’information. Elles exploitent les tensions internes, les controverses mémorielles, les fractures culturelles. Leur finalité n’est pas d’imposer une vérité, mais de produire de la confusion.

Le précédent le plus marquant reste celui de la Roumanie, où une opération de désinformation conduite sur la plateforme TikTok a contribué à l’annulation du premier tour de l’élection présidentielle en 2024. Cette intervention a pris la forme d’une amplification massive de contenus mensongers, jouant sur des thématiques sensibles, jusqu’à semer un doute généralisé sur le processus électoral lui-même. Ce cas n’est ni anecdotique, ni isolé. Il montre que des campagnes coordonnées, si elles ne sont pas contenues à temps, peuvent produire un effet institutionnel majeur. Il démontre aussi que l’infrastructure informationnelle du débat public est devenue une cible stratégique à part entière.

Des signaux préoccupants ont également été identifiés en France. L’exemple de la campagne des « mains rouges » apposées sur le Mémorial de la Shoah illustre cette dynamique. Une opération de nature symbolique, relayée puis amplifiée artificiellement sur les réseaux sociaux, a provoqué un emballement médiatique et politique. Si elle n’avait pas été identifiée rapidement comme une tentative de manipulation, elle aurait pu nourrir une fracture civique autour d’un sujet particulièrement sensible. Ce type d’épisode montre que la frontière entre ingérence extérieure et instrumentalisation intérieure peut se brouiller, rendant d’autant plus difficile la réponse publique.

Les plateformes ont amorcé un dialogue avec les autorités françaises, certaines ayant mis en place des cellules de vigilance ou des systèmes de signalement accélérés en période électorale. Mais cette coopération repose encore largement sur une base volontaire. L’entrée en vigueur du Digital Services Act constitue une avancée importante en renforçant les obligations de transparence et de réactivité qui s’imposent aux plateformes, mais ses effets concrets doivent encore se déployer. La réalité demeure que la puissance publique ne dispose pas, à ce stade, d’un accès direct aux données permettant de documenter, qualifier et contrer efficacement une opération d’influence étrangère en temps réel. Les auditions ont montré que les parlementaires eux-mêmes n’ont qu’une capacité limitée à exercer leur contrôle sur ces enjeux.

La réponse institutionnelle doit être renforcée. Le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) a marqué une étape structurante, mais ses moyens restent modestes face à l’ampleur de la tâche. La lutte contre les ingérences ne peut être cantonnée à une mission de veille. Elle suppose une stratégie articulée : meilleure coordination entre les administrations, capacité d’alerte rapide, exigence de transparence renforcée à l’égard des plateformes, montée en puissance de l’expertise publique sur les campagnes informationnelles. Elle suppose aussi une sensibilisation des citoyens eux-mêmes, afin de renforcer leur résilience face aux tentatives de manipulation. Il ne s’agit pas de transformer chaque débat sensible en objet de suspicion. Il s’agit de garantir que le cadre du débat démocratique, lui, ne soit pas affaibli à bas bruit par des puissances qui n’en partagent ni les règles ni les principes.

  1.   Le financement de la vie para-politique : une question en suspens.

Parmi les sujets abordés par la commission d’enquête, celui du financement de la vie politique a fait apparaître des tensions croissantes entre les principes consacrés par le droit – transparence, égalité, traçabilité – et des pratiques nouvelles, plus diffuses, qui contournent sans toujours violer les règles en vigueur. L’analyse des campagnes européennes et législatives de 2024 a mis en évidence plusieurs limites : disparités croissantes d’accès aux ressources, complexité du circuit des prêts intrapartisans, multiplication des soutiens indirects via des relais médiatiques, des influenceurs ou des structures para-politiques.

La commission a également souhaité se pencher à la demande du rapporteur sur un cas spécifique, rendu public par voie de presse à l’été 2024 : celui du programme « Périclès », financé par Pierre-Édouard Stérin. Ce programme, structuré autour d’un acronyme revendiquant des marqueurs idéologiques clairs, associe un objectif assumé de victoire électorale à une stratégie de long terme : sélection de candidats, mise à disposition d’outils technologiques, renforcement de la présence dans les médias, formation de cadres, préparation de contentieux ciblés. Le tout adossé à une projection budgétaire de 150 millions d’euros sur dix ans.

Ces éléments, partiellement confirmés lors de l’audition du directeur de Périclès, n’ont pu être pleinement confrontés. M. Stérin, sollicité à de nombreuses reprises, a refusé de comparaître devant la commission. Ce refus, malgré les garanties apportées sur sa sécurité et la possibilité d’une audition en présentiel dans des conditions apaisées, constitue une entrave manifeste à l’établissement des faits. C’est pourquoi j’ai pris la décision de saisir la procureure de la République de Paris.

La poursuite des travaux est indispensable pour apprécier si notre droit est aujourd’hui adapté à l’émergence d’acteurs nouveaux, à côté des partis politiques dont l’activité est très encadrée et à la frontière entre influence et action politique.

La commission n’a pas pu aller au bout de ce travail. Des auditions essentielles ont manqué. Des zones d’ombre subsistent. Il reviendra au législateur de poursuivre cette réflexion.

 

Conclusion

Les travaux de la commission ont permis de conforter la solidité de notre système électoral : les institutions tiennent, les procédures sont fiables, et les résultats acceptés. Ce socle fonctionne. Mais deux points de vigilance appellent à poursuivre l’effort : d’une part, l’influence croissante des réseaux sociaux et les risques d’ingérence étrangère ; d’autre part, l’émergence de nouvelles formes d’action politique.

Je tiens par ailleurs à exprimer ma réserve sur l’inclusion, dans les constats et recommandations du rapporteur, de propositions qui n’ont pas été abordées lors de nos auditions : qu’il s’agisse du vote obligatoire, du droit de vote à 16 ans, du vote des étrangers ou encore de la mise en place d’une VIe République. Ces sujets peuvent mériter un débat, mais ils ne sauraient apparaître ici comme le prolongement naturel de nos travaux.

Synthèse des propositions du Président

  1. Encadrer les radiations pour perte d’attache communale en fixant un délai minimal avant un scrutin et en garantissant une information claire et traçable aux électeurs concernés.
  2. Enrichir le Répertoire électoral unique (REU) en y intégrant des coordonnées numériques (email, téléphone) afin de faciliter l’information des électeurs et, à terme, la dématérialisation de la propagande électorale si l’électeur le souhaite.
  3. Lever le moratoire sur les machines à voter en autorisant les communes qui le souhaitent à les utiliser, sous réserve d’un encadrement technique rigoureux et actualisé.
  4. Refuser le vote électronique à distance à l’échelle nationale, en raison des risques accrus de contestation du scrutin et de l’impossibilité d’un recomptage.
  5. Renforcer la réponse institutionnelle face aux ingérences étrangères, en augmentant les moyens de Viginum, en améliorant la coordination entre services de l’État et en exigeant davantage de transparence des plateformes numériques.
  6. Poursuivre les travaux parlementaires sur le financement para-politique, afin d’évaluer s’il convient de faire évoluer le droit face à l’émergence de nouveaux acteurs politiques structurés hors des partis.

 

 

 

 

 

 


–  1  –

   II. CONSTATS ET RECOMMANDATIONS DU rapporteur

INTRODUCTION

« La loi est-elle l’expression de la volonté générale, lorsque le plus grand nombre de ceux pour qui elle est faite ne peut concourir à sa formation ? Non. »

Dans son discours du 25 janvier 1790, Maximilien Robespierre s’oppose par ces mots au suffrage censitaire, qui permettait aux seuls citoyens les plus riches de voter aux élections et d’être eux-mêmes élus. Pourtant, déjà en 1789, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen affirmait à son article 3 que « le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». On ne peut d’ailleurs comprendre pleinement cet article sans le mettre en lien avec le tout premier, qui dispose que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».

235 ans plus tard, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen fait toujours partie de nos droits fondamentaux, après avoir été inscrite dans notre bloc de constitutionnalité. Mais en a-t-on vraiment fini avec le suffrage censitaire quand on sait que 10 millions de nos compatriotes sont concernés par des problèmes d’inscription sur les listes électorales, qu’ils soient non-inscrits (2,9 millions de personnes) ou mal-inscrits (7,7 millions de personnes) ? En a-t-on vraiment fini avec le suffrage censitaire quand on constate les niveaux importants d’abstention aux élections dans notre pays ?

 C’est pour répondre d’abord à cette question majeure que le groupe parlementaire de la France insoumise a fait le choix de recourir à son droit de tirage pour créer une commission d’enquête sur l’organisation des élections en France. L’enjeu est de taille : dans le système représentatif qui est le nôtre, où les citoyens délèguent par leurs votes leur pouvoir de décision à des élus qui sont censés être leurs représentants, comment s’assurer de la bonne représentativité de ces élus si les électeurs ne se rendent pas aux urnes ou, pire, en sont empêchés alors même qu’ils souhaitaient participer aux élections ? Comment garantir cette représentativité si des dysfonctionnements plus ou moins graves mettent en doute la sincérité du scrutin, qu’il s’agisse de problèmes matériels comme l’accès aux bureaux de votes ou les tentatives de triche aux élections, ou de problèmes liés à l’information honnête des électeurs, au moment où les tentatives d’ingérences étrangères et financières, l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux ou encore les effets médiatiques et politiques des sondages peuvent constituer autant de sources de biais informationnels ou de manipulations pures et simples ?

Le droit de vote est un droit bien particulier dans notre pays. En République française, et ce depuis ses origines en 1792, l’identité nationale est attachée à la citoyenneté. Ainsi, la Constitution du 24 juin 1793, c’est-à-dire celle de la Ire République, ne différenciait pas « nationalité » et « citoyenneté » comme on le fait aujourd’hui. Et, depuis lors, être Français n’est ni une couleur de peau, ni une religion, ni une origine, ni un genre, ni une orientation sexuelle, ni même une langue. C’est bien sûr d’abord être républicain, c’est-à-dire être attaché aux valeurs de Liberté, d’Égalité et de Fraternité. Mais c’est aussi, très concrètement, être citoyen et pouvoir voter à toutes les élections. Ce qui nous fonde comme matériellement égaux, c’est notre droit de vote : dans l’isoloir, riche ou pauvre, homme ou femme, grand ou petit, valide ou en situation de handicap, quelle que soit notre religion ou absence de religion, une personne égale une voix. Nous sommes égaux dans notre capacité à faire la loi et, dès lors, dans notre devoir de la respecter.

Mais le vote est aussi un moment collectif, un rituel d’autodéfinition où le peuple exprime ce qu’il est en exprimant ce qu’il veut. Les élections (hors partielles) sont ainsi toujours convoquées nationalement, même quand elles concernent des scrutins locaux : tout le monde est appelé aux urnes en même temps, le même jour, et les élections participent ainsi d’une définition de ce que nous sommes politiquement comme peuple. Du moins… à la condition que tout le peuple s’exprime effectivement ou soit en capacité matérielle de le faire.

Aussi, dans une société qui se veut pleinement démocratique, nous devons donc nous donner collectivement pour objectif que l’ensemble du peuple participe aux élections et soit réellement représenté. Or, aujourd’hui en France, la grande gagnante des élections reste toujours l’abstention. Ainsi, en 2024, lors du premier tour des élections législatives anticipées, ce sont 16,4 millions de personnes inscrites sur les listes électorales qui ne sont pas allées voter. Cela représente plus d’une fois et demie le nombre de voix obtenues par le Rassemblement national (9,4 millions) ou le Nouveau Front Populaire (9 millions). Et ce chiffre ne tient d’ailleurs pas compte des personnes qui n’ont pas pu voter du tout, parce qu’elles n’étaient pas inscrites sur les listes électorales.

Au problème de l’abstention s’ajoute celui de la non-inscription sur les listes électorales. Les données de l’Insee sont alarmantes à cet égard : 2,9 millions de citoyens sont concernés par ce problème. Ce chiffre, colossal, représente plus du double du nombre de voix obtenues par le parti Les Républicains aux élections législatives de 2024. Par ailleurs, l’abstention elle-même peut être nourrie par le phénomène de la mal-inscription, qui représente un phénomène encore plus conséquent puisqu’elle concerne 7,7 millions de personnes. La mal‑inscription désigne ainsi l’ensemble des citoyens qui, bien qu’inscrits sur les listes électorales, le sont à une adresse différente de celle de leur domicile. Les raisons sont multiples : défaillance administrative, réinscription non effectuée après un changement d’adresse, lieu d’études différent du lieu d’inscription… pour ne citer que ces exemples. En tout état de cause et devant tant d’anomalies, votre rapporteur ne peut que rejoindre Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen, spécialistes de l’abstention, lorsqu’ils affirment : « Le système électoral français, l’un des plus contraignants du monde, aggrave les inégalités de participation. (…) La procédure d’inscription sur les listes constitue en effet un puissant facteur d’auto-exclusion : elle nécessite une démarche spécifique (dont seuls sont exemptés les jeunes de 18 ans), alors que, dans la plupart des démocraties, elle est automatique ; il faut la renouveler après chaque déménagement, s’inscrire l’année précédant le scrutin, etc. Tout cela pénalise les populations les plus mobiles et génère un phénomène de “mal-inscription” ».

Or, il faut rappeler que l’abstention, au même titre que les problèmes de mal-inscription ou de radiation sont socialement situés. Comme dans bien d’autres domaines, ce sont les plus jeunes et les plus pauvres de notre pays qui en pâtissent. Le constat est donc simple : par des phénomènes matériels cumulés et parfaitement identifiés, la jeunesse et les personnes issues des classes populaires sont laissées à l’écart du pouvoir démocratique que constitue le vote. C’est donc bien là une nouvelle forme de suffrage censitaire qui ne dit pas son nom, ou un Cens caché, pour reprendre les mots du professeur de science politique Daniel Gaxie.

C’est donc pour trouver les moyens matériels d’en finir avec ce suffrage censitaire évitable que les insoumis ont décidé d’utiliser leur droit de tirage pour déclencher une commission d’enquête sur les élections.

Devant cette situation soulevant de réelles questions démocratiques, les pouvoirs en place n’ont pourtant pas jugé opportun de mettre en œuvre des campagnes massives d’inscription sur les listes électorales, ni de travailler à la mise en place d’un mode d’inscription automatique sur les listes électorales, comme cela existe dans la plupart des pays. Tout se passe comme si cette situation de noninscription, de mal-inscription et d’abstention massive n’était pas considérée comme un enjeu majeur par les pouvoirs politiques qui se sont succédé à la tête de l’État. Pas plus que ne semblent l’être les radiations massives dites « pour perte d’attache communale » (500 000 depuis 2022), qui conduisent à la désinscription pure et simple de nos compatriotes des listes électorales, les privant parfois du droit fondamental de voter, comme on le verra avec le cas d’Évry‑Courcouronnes, étudié dans ce rapport.

À l’issue de six mois d’enquête, votre rapporteur dresse plusieurs grands constats.

D’abord, il est nécessaire d’avancer vers un mécanisme automatique d’inscription sur les listes électorales, pour atteindre l’objectif « 100 % d’inscrits, 0 % de mal-inscrits ». Un tel objectif est atteignable à très court terme, à condition d’en faire un enjeu prioritaire, comme le souhaite votre rapporteur. Une telle mesure aurait aussi pour effet d’empêcher toute radiation abusive des listes électorales et de protéger le droit de suffrage de chaque citoyen. Par ailleurs, et sans même mettre en place un tel mécanisme, il est d’ores et déjà possible de mobiliser des moyens multiples pour augmenter le nombre d’inscrits et faire baisser le nombre des mal-inscrits, mais aussi d’augmenter l’information et la participation électorales.

D’autre part, votre rapporteur propose ici des solutions pour faire face aux risques multiples qui pèsent sur les élections :

Risques de triche, qui ont toujours existé dans les élections, mais où des fragilités du droit conduisent aussi à des points de faiblesse sur ce point, notamment sur la question des procurations.

Risques de radiations massives des listes électorales (qui pourraient atteindre plus d’un million de personnes entre deux élections présidentielles), et dont la distribution est non seulement socialement située, mais aussi politiquement située, pénalisant en particulier la gauche dans les élections.

Risques de dysfonctionnements dans le vote électronique, en particulier pour les Français de l’étranger qui utilisent ce système

Risque de difficultés d’accès aux bureaux de vote, soit en raison de changements organisationnels, soit en raison du manque de volontaires pour tenir ces bureaux

Risques de défaillance de l’information électorale, qu’il s’agisse des problèmes associés à l’envoi de propagande, à la disponibilité de panneaux électoraux, ou de difficultés pour toucher effectivement les citoyens avec cette information

Risques de manipulation de l’information associée au débat politique, qu’il s’agisse de tentatives d’ingérences étrangères ou de manipulations internes à l’aide des réseaux sociaux et de fausses informations, mais aussi d’ingérences financières visant à orienter le débat public autour de thématiques bien précises

Risques de rupture d’égalité du financement des campagnes entre les candidats à une élection par le contournement des lois sur le financement de la vie politique ou par les failles que peuvent comporter ces lois.

Risque de détournement du sens des élections par la place prise par les sondages dans le débat public et le manque de transparence qui entoure ces outils.

Ce dernier point, en particulier, a retenu l’attention de votre rapporteur, compte tenu de la place qu’il prenait dans la résolution tendant à la création de la commission d’enquête pour laquelle le groupe LFI a utilisé son droit de tirage. Celle-ci indiquait en effet que l’un des objectifs de la commission d’enquête était d’« éclairer les facteurs d’erreurs dans les sondages et [de] proposer une réglementation de leur usage pour assurer la sincérité des scrutins ». Pour répondre à cet objectif, il a donc fallu, d’abord, tenter de rompre l’opacité qui entoure les données associées à ces outils, et votre rapporteur a pu le faire partiellement en utilisant ses pouvoirs d’enquête sur pièces et sur place à la Commission des sondages. S’il a pu avoir accès à des données inédites, jamais publiées ni par les instituts, ni par les médias, ni par la Commission des sondages, il a toutefois pu constater que même l’organe de contrôle de ces outils ne dispose pas de toutes les informations nécessaires pour faire un travail rigoureux.

Au terme des auditions menées par votre rapporteur, il apparaît sans conteste que sondages et médias disposent d’une influence majeure sur la bonne tenue des élections. Les sondages jouent un rôle important, pour ne pas dire omniprésent durant la période de campagne électorale. Ils créent des réalités, façonnent l’opinion, et influent potentiellement sur les mécaniques de vote des électeurs. Ils sont présentés dans les médias comme des données scientifiques dont on nous répète régulièrement qu’« ils ne sont qu’une photographie » mais auxquels les acteurs politiques, médiatiques et plus largement les citoyens confèrent un rôle de quasi-prophétie pour l’avenir. Cela est particulièrement problématique dans la mesure où les travaux produits n’ont pas de caractère scientifique, comme l’a reconnu le directeur de l’institut de sondage IFOP en audition, et que les limites de ces derniers ne sont pas clairement exposées aux yeux de la population.

 Or, les instituts de sondage peuvent commettre de très lourdes erreurs, qui ne sont pas sans effet sur les choix électoraux. Ainsi, lors de la dernière campagne présidentielle de 2022, Valérie Pécresse a été surestimée en moyenne de 3 points tandis que Jean-Luc Mélenchon a été sous-estimé en moyenne de 5 points. Par ailleurs, lors des élections législatives anticipées de 2024, les instituts de sondage donnaient le Rassemblement national vainqueur des élections. Il est pourtant arrivé, au final, en troisième position au deuxième tour, tandis que le Nouveau Front Populaire a remporté les élections… ce qu’aucun sondage n’avait anticipé. Quelles auraient été les pratiques de vote si certains sondages avaient envisagé cette possibilité, particulièrement dans un contexte où l’abstention a une fois encore été très forte ? Nul ne le sait… Et c’est précisément toute l’adresse argumentaire des instituts de sondage ! Votre rapporteur a pu le constater en audition : lorsqu’ils trouvent le « bon résultat », ils s’en félicitent pour donner a posteriori un caractère scientifique et prédictif à leurs travaux ; mais lorsqu’ils se trompent, et lourdement, ils se servent de leurs erreurs pour dire que, in fine, ce sont les électeurs qui décident et que cela prouve qu’ils n’ont aucune influence sur les choix électoraux. Imparable sophisme.

Votre rapporteur a donc cherché à éclairer ce point en détail. En traitant les plus de 14 000 fichiers transmis par la Commission des sondages, il a pu analyser les données agrégées de l’ensemble des instituts, en se concentrant particulièrement sur l’élection présidentielle de 2022. Personne n’avait jamais été en capacité de réaliser un tel travail, en raison de l’opacité qui règne sur ces données, mais aussi du manque de moyens de la Commission des sondages. Les résultats sont édifiants. Non seulement les instituts de sondage sont globalement incapables de constituer des échantillons réellement représentatifs de la population française, en particulier sur le plan politique (un comble quand on essaie de déterminer des intentions de vote), non seulement ils tendent à invisibiliser l’expression électorale future de ceux qui ne sont pas certains d’aller voter et qui pourtant le font in fine, mais il existe de surcroît des « redressements » qui tendent à aggraver et non à corriger les problèmes d’échantillon. Ce dernier point, en particulier, a pu être établi matériellement à partir des données, pourtant là encore très opaques, que votre rapporteur a pu recueillir.

Aussi, et pour toutes ces raisons, votre rapporteur appelle à renforcer la transparence des données issues des instituts de sondage, mais aussi à améliorer l’information des citoyens sur le sujet. Dans cette seconde optique, votre rapporteur espère que ses travaux permettront au monde médiatique de prendre toute la mesure des enjeux associés aux sondages et de tenir pleinement son rôle d’éclaireur du débat public afin d’améliorer, à l’avenir, la distance critique nécessaire des citoyens vis-à-vis des sondages électoraux comme des sondages dits « d’opinion ».

Cela apparaît d’autant plus nécessaire que les travaux de notre commission d’enquête ont conduit à éclairer d’un jour nouveau les risques d’ingérence dans la vie politique, en mettant en lumière l’existence d’ingérences économiques ou financières aux côtés des ingérences étrangères.

Si les ingérences étrangères sont connues, il ressort de nos travaux qu’elles constituent une menace réelle pour les prochaines élections, particulièrement compte tenu du fait que votre rapporteur a pu constater que les médias traditionnels peuvent s’en faire involontairement le relais.

Mais ce qui ressort sans doute encore davantage de notre commission d’enquête, c’est la place croissante prise par les ingérences financières dans la vie politique de notre pays. Si notre commission s’intéressait d’abord aux questions relatives au financement de la vie politique et aux enjeux associés, elle a peu à peu dirigé ses travaux vers le cas emblématique du projet Périclès, acronyme de « Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes ». Ce projet, développé par le milliardaire Pierre-Édouard Stérin, déploie des objectifs visant à obtenir une « victoire idéologique », une « victoire politique ». Il évoque la possibilité de « former au combat électoral » des candidats, de « faire la différence lors des élections », de « construire une relation de confiance avec tous les leaders de la droite de demain », mais aussi de « rendre nos idées majoritaires dès maintenant » ou de « décrédibiliser et attaquer les idées adverses ».

Ce projet n’a malheureusement pu être qu’effleuré dans notre commission. D’abord parce qu’il n’en constituait pas un objectif central et qu’il n’est venu qu’à l’issue de nos travaux. Ensuite parce que, si le directeur général du projet Périclès s’est présenté en audition de notre commission, son initiateur, M. Stérin, a quant à lui utilisé toutes les méthodes dilatoires possibles pour éviter de se présenter devant nous avant la fin des travaux que nous menions. Votre rapporteur estime donc nécessaire de créer une commission d’enquête dédiée aux ingérences financières dans la vie politique et de ne pas la limiter au seul projet Périclès. En effet, il apparaît nécessaire d’envisager ces ingérences financières au sens large, et d’étudier celles qui viseraient à favoriser un camp politique, qu’il soit de droite ou de gauche, pour s’assurer que la vie démocratique et médiatique de notre pays elle-même ne devienne pas elle aussi, petit à petit, la propriété privée des personnes les plus fortunées.

Espérant que cette importante recommandation sera suivie par ses collègues députés, votre rapporteur tient ici à alerter une dernière fois ses concitoyens, mais aussi le monde médiatique, sur cette menace particulière qui pèse sur notre démocratie. Oui, un enjeu civilisationnel est désormais posé à notre société : certains semblent désormais prêts à ne reculer devant aucune méthode, même la manipulation de l’information, pour parvenir à leurs fins. Leur objectif n’est à l’évidence plus de convaincre les citoyens mais de les contraindre dans leurs choix électoraux. Et, plus encore que de nouvelles réglementations – qui seront peut-être néanmoins nécessaires – notre meilleur outil collectif pour se prémunir de cette nouvelle menace, comme de celle des ingérences étrangères, est le développement de notre esprit critique : face à ceux qui veulent manipuler l’information, le meilleur rempart sera toujours la possibilité de vérifier les sources, d’analyser leur origine, et donc d’être en capacité matérielle de se faire sa propre opinion de manière libre et éclairée.

Mais si votre rapporteur tenait ici à alerter ses lecteurs sur les risques qui pèsent sur les élections et les enjeux associés à l’information, il ne peut terminer cette introduction sans une note optimiste. Car ce rapport n’est pas seulement une étude des problèmes posés. Il contient aussi un grand nombre de propositions pour y remédier. Fort de ses 115 recommandations, il propose des solutions concrètes et d’intérêt général pour répondre à chacun des enjeux. Avec un objectif simple : protéger la démocratie contre ceux qui la menacent en permettant à tous les citoyens d’exercer leur souveraineté par le vote de manière libre et éclairée. Ou, pour le dire autrement, avec l’objectif d’appliquer pour de bon le programme politique que contient la devise de notre République : « Liberté, Égalité, Fraternité ».

 

 

 


–  1  –

   Partie I : mobiliser les Électeurs

I.   Le vote : un acte citoyen essentiel.

A.   Le suffrage universel : une conquÊte historique, dont la pratique garantit la vigueur de la dÉmocratie française.

1.   Le suffrage universel : une conquête populaire faite de luttes et de Révolutions.

Votre rapporteur souhaite en préambule rappeler que le suffrage universel, tel qu’il s’est imposé dans l’histoire constitutionnelle française, ne saurait être compris comme un acquis immédiat ou naturel de la démocratie représentative. Il est au contraire le fruit d’une construction juridique et politique progressive, issue de luttes et de révolutions populaires La monarchie n’est pas tombée toute seule : elle est tombée parce que des révolutionnaires et des républicains y ont mis un terme. Le suffrage universel ne s’est pas imposé naturellement : il s’est imposé progressivement par les luttes, et notamment celles des féministes qui ont rendu réellement universel un suffrage qui, 150 ans après la Révolution, ne l’était toujours pas.

Cette conquête historique du suffrage universel s’est opérée selon une logique ambivalente : si elle a permis l’élargissement du corps électoral, elle a également maintenu une conception restrictive de la participation politique, fondée sur le primat du régime représentatif et sur l’invisibilisation de ceux qui s’abstiennent ou qui votent “blanc”. Cette logique a également eu tendance à exclure du champ politique la capacité d’intervention directe des citoyens. Si le droit de pétition existe, il reste tellement encadré que son pouvoir d’intervention dans la chose publique est faible. D’autres formules plus directes encore comme le référendum d’initiative citoyenne pour proposer une loi, abroger une loi, ou encore révoquer un élu en cours de mandat, n’existent tout simplement pas encore dans le droit français.

a.   La naissance du régime représentatif en France.

Selon François-Xavier Arnoux ([1]), spécialiste de l’histoire de l’abstention, auditionné par la commission, la naissance du régime représentatif en France doit être comprise au prisme des événements de 1789, au cours desquels les révolutionnaires ont progressivement mis en place un nouveau mode de légitimation du pouvoir fondé sur la représentation nationale, théorisé notamment par Talleyrand et Sieyès. Face à un pouvoir monarchique « de droit divin », qui disait tenir sa légitimité d’un dieu, la question de la légitimité du pouvoir politique issu de la Révolution était centrale : la notion de « souveraineté nationale » répondait à cet enjeu.

Ainsi, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 proclame dès son article 3 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » Dès lors sont définis dans un même article à la fois l’unique source de la légitimité (« la nation », c’est-à-dire le peuple des citoyens) et la possibilité de la représentation, ou, pour le dire autrement, celui de la délégation de l’autorité populaire.

Mais dès lors que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation », la question du vote devient centrale. Et avec elle, sont posés immédiatement un grand nombre de sujets associés tels que la dimension du corps électoral (suffrage censitaire ? masculin ? universel ?), le mode de scrutin (direct ? indirect ? de liste ? à un ou deux tours ?), mais aussi, et cela dès les commencements des élections en France, la prise en compte ou non des « non-votes », que l’on parle de ce qu’on nomme aujourd’hui le vote blanc ou l’abstention.

Dans une France entrée en Révolution et où, selon François Xavier Arnoult, « les royalistes et les ultras cherchent à délégitimer l’action de l’Assemblée nationale nouvellement proclamée en n’y participant pas », les révolutionnaires vont chercher, toujours selon lui à « neutraliser toutes les voix contestataires, notamment les abstentionnistes ». Dans cette perspective, les révolutionnaires auraient d’abord conçu l’élection et la représentation qui l’accompagne moins comme l’expression directe de la volonté populaire que comme un mécanisme de désignation d’une autorité souveraine au nom de la nation, entendue comme une entité distincte du peuple dans son acception immédiate.

b.   Le mandat représentatif, un moyen de « neutraliser la volonté politique de l’électeur » ?

La théorie du mandat représentatif repose, selon François-Xavier Arnoux, sur une justification juridique et politique précise : garantir la liberté de délibération des représentants contre toute forme d’instruction impérative émanant des électeurs. L’universitaire précise ainsi que « tout l’intérêt d’une assemblée délibérante est précisément de délibérer, c’est-à-dire de confronter puis harmoniser les points de vue pour que chacun s’exprime. Pour cela, il faut que les élus soient libres ». Cette construction impliquait donc un transfert décisif de souveraineté : « confier l’action politique à l’élu, et non plus à l’électeur, entraîne un transfert de pouvoir ». Ce transfert est, aujourd’hui encore, consacré à l’article 27 de la Constitution de 1958, qui dispose que « tout mandat impératif est nul ».

Dans cet ensemble doctrinal, la fonction du vote était dès l’origine perçue comme un simple mécanisme de désignation et non comme un véritable instrument d’expression directe de la volonté politique. François-Xavier Arnoux précise ainsi que, dans la tradition politique française, « l’élection n’est pas un acte de gouvernance mais une simple désignation parmi un panel de candidats choisis – n’oublions pas que jusqu’en 1795, les candidatures sont interdites ». La notion de suffrage exprimé, introduite en 1817 par la loi Lainé, a formalisé cette conception restrictive en « servant à ignorer les votes blancs et l’abstention ». Ainsi, la question de l’abstention et du vote blanc fut délibérément écartée du processus électoral dès l’origine.

c.   L’extension progressive du droit de vote au cours des siècles.

Si les fondements du régime représentatif français sont apparus dès 1789, l’accès effectif au vote a fait, quant à lui, l’objet d’une extension progressive, marquée initialement par l’exclusion d’une partie substantielle de la population sur la base de critères économiques et sociaux. Le suffrage censitaire, instauré par la loi électorale de 1791, réservait en effet le droit de vote aux seuls citoyens masculins acquittant un impôt minimal, dit « cens », restreignant ainsi la participation politique à une minorité aisée. Ce système fondait la légitimité électorale sur la capacité contributive, conformément à une logique selon laquelle seuls ceux qui soutenaient financièrement l’État pouvaient être habilités à le gouverner. Il fut combattu fortement, avant sa mise en place et après elle, par les révolutionnaires jacobins, au premier rang desquels Maximilien Robespierre (voir encadré).

Maximilien Robespierre contre le suffrage censitaire.

Extrait du discours du 25 janvier 1790 (“le marc d’argent”) ([2])

« Pourquoi sommes-nous rassemblés dans ce temple des lois ? Sans doute pour rendre à la Nation française l’exercice des droits imprescriptibles qui appartiennent à tous les hommes. Tel est l’objet de toute Constitution politique. Elle est juste, elle est libre, si elle le remplit ; elle n’est qu’un attentat contre l’humanité, si elle le contrarie. Vous avez vous-mêmes reconnu cette vérité d’une manière frappante, lorsqu’avant de commencer votre grand ouvrage, vous avez décidé qu’il fallait déclarer solennellement ces droits sacrés, qui sont comme les bases éternelles sur lesquelles il doit reposer ;

« Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.

La souveraineté réside essentiellement dans la Nation.

La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir à sa formation, soit par eux-mêmes, soit par leurs représentants, librement élus.

Tous les citoyens sont admissibles à tous les emplois publics, sans aucune autre distinction que celle de leur vertu et de leurs talents. »

Voilà les principes que vous avez consacrés ; il sera facile maintenant d’apprécier les dispositions que je me propose de combattre, il suffira de les rapprocher de ces règles invariables de la société humaine.

1° La loi est-elle l’expression de la volonté générale, lorsque le plus grand nombre de ceux pour qui elle est faite ne peut concourir à sa formation ? Non. Cependant interdire à tous ceux qui ne paient pas une contribution égale à trois journées d’ouvriers le droit même de choisir les électeurs destinés à nommer les membres de l’Assemblée législative, qu’est-ce autre chose que rendre la majeure partie des Français absolument étrangère à la formation de la loi ? Cette disposition est donc essentiellement anti-constitutionnelle et anti-sociale.

2° Les hommes sont-ils égaux en droits, lorsque les uns jouissant exclusivement de la faculté de pouvoir être élus membres du corps législatif, ou des autres établissements publics, les autres de celle de les nommer seulement, les autres restent privés en même temps de tous ces droits ? Non ; telles sont cependant les monstrueuses différences qu’établissent entre eux les décrets qui rendent un citoyen actif ou passif, moitié actif, ou moitié passif, suivant les divers degrés de fortune qui lui permettent de payer trois journées, dix journées d’imposition directe ou un marc d’argent ? Toutes ces dispositions sont donc essentiellement anti-constitutionneIles, anti-sociales.

3° Les hommes sont-ils admissibles à tous les emplois publics sans autre distinction que celle des vertus et des talents, lorsque l’impuissance d’acquitter la contribution exigée les écarte de tous les emplois publics, quels que soient leurs vertus et leurs talents ? Non ; toutes ces dispositions sont donc essentiellement anti-constitutionnelles et anti-sociales.

4° Enfin la Nation est-elle souveraine, quand le plus grand nombre des individus qui la composent est dépouillé des droits politiques qui constituent la souveraineté ? Non, et cependant vous venez de voir que ces mêmes décrets les ravissent à la plus grande partie des Français.

Que serait donc votre Déclaration des droits si ces décrets pouvaient subsister ? Une vaine formule. Que serait la Nation ? Esclave : car la liberté consiste à obéir aux lois qu’on s’est données, et la servitude à être contraint de se soumettre à une volonté étrangère. Que serait votre Constitution ? Une véritable aristocratie. Car l’aristocratie est l’état où une partie des citoyens est souveraine et le reste est sujet, et quelle aristocratie ! La plus insupportable de toutes, celle des riches.

Le « cens » mettait de fait en cause l’égalité en droits garantie par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 dès son article 1er. Aussi, après la Révolution du 10 août 1792, la déposition du roi Louis XVI et la chute de la monarchie Constitutionnelle, les élections convoquées dès le 11 août pour la formation de la Convention nationale se feront pour la première fois au suffrage masculin, sans distinction de revenu. Le 21 septembre 1792, au lendemain de la victoire de Valmy, la Convention nationale proclamera pour la première fois en France la République. Quelques mois plus tard, la Ire République consacrera le suffrage masculin dans une conception extensive de la citoyenneté et de la souveraineté populaire définies aux articles 4 et 7 de la Constitution du 24 juin 1793. Cette Constitution, sans doute l’une des plus démocratique que notre pays ait connu (mais jamais appliquée) consacrait également une capacité d’intervention citoyenne directe à la fois via le système des « Assemblées primaires », consacrées aux articles 11 à 20, mais aussi par un droit et même un devoir d’insurrection, consacré par l’article 35 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui lui servait de préambule.

Extraits de la Constitution du 24 juin 1793

Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793 :

Article 35. - Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

Acte constitutionnel :

Article 4. - Tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis ; - Tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année - Y vit de son travail - Ou acquiert une propriété - Ou épouse une Française - Ou adopte un enfant - Ou nourrit un vieillard ; - Tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité - Est admis à l’exercice des Droits de citoyen français.

Article 7. - Le peuple souverain est l’universalité des citoyens français.

La Révolution de février 1848 et l’établissement de la IIᵉ République consacreront de nouveau le suffrage universel masculin, supprimant toute condition de fortune. Les étrangers ayant participé à la Révolution et permis de faire tomber la monarchie de Juillet seront d’ailleurs naturalisés et deviendront citoyens Français. Les conditions d’obtention de la citoyenneté étaient encore élargies par rapport à la Constitution de 1793 puisque six mois de résidence en un même lieu suffisaient pour obtenir la citoyenneté française et donc participer à l’élection de l’Assemblée législative (loi électorale du 15 mars 1849).

Néanmoins, la participation demeurait fortement encadrée. Comme le rappelle François-Xavier Arnoux, « pendant la période révolutionnaire et ensuite, l’abstention est très forte, de l’ordre de 80 % du corps électoral ». À cet égard, l’idée selon laquelle le suffrage universel aurait immédiatement produit une démocratie électorale de masse constitue un mythe. De plus, les tentations de la bourgeoisie républicaine comme orléaniste à limiter la participation des classes laborieuses aux élections se concrétisèrent rapidement par une réduction du corps électoral, avec la loi dite des « Burgraves » du 31 mai 1850, qui établissait à trois ans la durée de résidence minimale dans une même commune pour être citoyen. De fait, avec cette restriction, une grande partie des artisans villageois et des ouvriers, industriels ou agricoles furent exclus du scrutin. Autrement dit : une forme de suffrage censitaire était dès lors rétablie sans pour autant avoir mis en cause dans les faits le principe du suffrage masculin. Il faudra ensuite plus d’un siècle de luttes féministes internationales et nationales pour que le suffrage devienne enfin réellement universel, c’est-à-dire non limité aux seuls hommes. La reconnaissance du droit de vote des femmes, est ainsi intervenue tardivement en droit français. Elle a été consacrée par l’ordonnance du 21 avril 1944, prise par le Gouvernement provisoire de la République française, après plusieurs décennies de revendications féministes et de débats parlementaires. Il a ainsi fallu attendre 1945 pour que les femmes participent effectivement pour la première fois aux élections municipales, parachevant formellement l’universalisation du suffrage.

L’extension du suffrage n’était toutefois pas finie. Ainsi, dès son arrivée au pouvoir en 1974, l’une des premières lois que fit adopter le président Valéry Giscard d’Estaing fut l’extension de la citoyenneté aux jeunes de moins de 21 ans. Promulguée le 5 juillet 1974, cette loi étendait le droit de vote à tous les jeunes de plus de 18 ans.

Toutefois, comme le souligne implicitement François-Xavier Arnoux, cette extension progressive du corps électoral ne remit pas en cause les fondements juridiques du régime représentatif, tels qu’ils avaient été établis dès 1789. Le vote a continué d’être conçu comme un acte de désignation à finalité majoritaire, excluant toute reconnaissance matérielle de l’abstention ou du vote blanc.

Les grandes étapes de la conquête du droit de vote en France

En 1791, la Constitution monarchique établit un suffrage censitaire et indirect, réservé aux seuls hommes de plus de 25 ans payant un impôt. Seuls les citoyens dits « actifs » participent à l’élection d’un second degré d’électeurs, lesquels désignent ensuite les députés. Ce système est brièvement interrompu par l’instauration du suffrage universel masculin pour l’élection de la Convention nationale en 1792 et garanti pour tous les hommes de plus de 21 ans par la Constitution républicaine de 1793, mais le Directoire rétablit en 1795 un suffrage censitaire à deux degrés, fondé sur le revenu et la distinction entre électeurs du premier et du second degré. En 1799, la Constitution du Consulat instaure un suffrage universel masculin de droit, mais fortement limité dans les faits par un système complexe de listes de confiance. Le peuple n’élit pas directement ses représentants, mais délègue ce pouvoir à des électeurs filtrés à plusieurs niveaux.

La monarchie constitutionnelle restaurée en 1815 revient à un suffrage censitaire très restreint, réservé aux grands propriétaires fonciers. La loi du double vote de 1820 renforce encore cet avantage donné à l’aristocratie fiscale. Sous la Monarchie de Juillet, ce suffrage censitaire est légèrement élargi par l’abaissement des seuils d’âge et de cens.

La révolution de février 1848 constitue une rupture majeure avec l’instauration effective du suffrage universel masculin et du vote secret. Tous les citoyens français âgés d’au moins 21 ans obtiennent le droit de vote, sans condition de fortune. Le suffrage cesse dès lors d’être un privilège lié à la capacité financière. Hormis durant la période de l’occupation, entre 1940 et 1944, le suffrage universel masculin n’a pas été remis en question depuis lors.

Le droit de vote est ensuite étendu aux femmes par l’ordonnance du 21 avril 1944 portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération, signée par le Général de Gaulle en tant que président du Comité français de libération nationale. Les Françaises votent pour la première fois aux élections municipales de 1945 ; au terme de l’article 1 de l’ordonnance, « Le peuple français décide souverainement de ses futures institutions. À cet effet, une Assemblée nationale constituante est convoquée dès que les circonstances permettront de procéder à des élections régulières, au plus tard dans le délai d’un an après la libération complète du territoire. Elle est élue au scrutin secret à un seul degré par tous les Français et Françaises majeurs sous la réserve des incapacités prévues par les lois en vigueur ». La même année, une ordonnance accorde également le droit de vote aux militaires des trois armées, mettant fin à une exception instaurée en 1872.

Dans la décennie suivante, l’extension du droit de vote aux citoyens des territoires d’outre-mer est progressivement admise. La loi Lamine Guèye du 7 mai 1946 proclame que tous les ressortissants des territoires d’outre-mer sont citoyens français, au même titre que les nationaux de la métropole. Cependant, cette citoyenneté reste largement théorique, car le système électoral maintient une distinction entre citoyens de statut civil français et ceux de statut personnel, notamment à travers le système du double collège, qui perdure jusqu’en 1956.

Ce n’est qu’avec la loi-cadre Defferre du 23 juin 1956 que le suffrage universel est véritablement instauré dans les territoires d’outre-mer, en supprimant le double collège et en établissant un collège électoral unique. Cette réforme, bien que présentée comme une avancée, intervient avec un retard significatif, illustrant la lenteur de l’État français à accorder une égalité politique réelle à ses citoyens d’outre-mer.

2.   Les fonctions politique, symbolique et sociale du vote aujourd’hui.

Votre rapporteur souhaite rappeler que l’acte de voter, au-delà de sa seule dimension décisionnelle, revêt une pluralité de fonctions qui conditionnent la vitalité d’un régime démocratique. Il ne constitue pas seulement un instrument de désignation des gouvernants : il est également une forme ritualisée et codifiée d’expression de la liberté de choix politique (y compris de contestation), une pratique civique matérialisant l’appartenance à la communauté nationale et participant de sa définition elle-même et, enfin, un indicateur décisif de la robustesse (ou non) de notre édifice institutionnel.

a.   Le vote comme « légalisation d’une forme de contestation » et de canalisation des conflits politiques.

Comme l’a souligné François-Xavier Arnoux au cours de son audition, Victor Hugo écrivait, à propos du droit de vote : « c’est le droit d’insurrection aboli par le droit de suffrage ». La première fonction du vote, sociale, réside dans sa capacité théorique à canaliser et légaliser un désir de contestation politique. En offrant aux citoyens la possibilité d’exprimer leur désaccord dans le cadre institutionnel des élections, il contribue à désamorcer les tensions sociales susceptibles de dégénérer en violence politique. En ce sens, le vote est en principe garant de la paix civile et de la stabilité démocratique, en plus d’en être la condition d’existence.

Lors de son audition, le professeur Alain Garrigou ([3]) a confirmé cette fonction intégrative du vote en insistant sur son rôle de pacification des électeurs dans l’histoire électorale française, selon une logique d’apprivoisement démocratique qui a rendu possible, au fil du temps, un comportement ordonné, rationnel et pacifié devant, dans, et à la sortie des bureaux de vote.

Bien sûr, il y a loin de la théorie à la pratique, et l’histoire récente de notre pays a démontré que la faiblesse de la participation électorale, en particulier pour les élections législatives, ou encore que le mode de scrutin à deux tours, qui conduit à choisir son candidat au premier et à éliminer celui dont on veut le moins au deuxième, peuvent conduire à une forme de disjonction entre l’expression de la souveraineté nationale par le vote (ou le non-vote) et la représentation politique de la Nation. De même, on a pu voir que lorsqu’une décision ou un fait politique était fortement contesté par une partie plus ou moins large de la population sans réaction du pouvoir en place, des mécanismes d’expression populaire plus vigoureux pouvaient s’exprimer fortement (gilets jaunes en 2018, mobilisations contre la réforme des retraites en 2022-2023, révoltes urbaines en 2023, pour ne citer que quelques exemples).

 

Le Vote ou le fusil, gravure de Louis-Marie Bosredon

© Bibliothèque Nationale de France

b.   Le vote comme pratique rituelle garantissant le plein attachement à la démocratie.

Le vote revêt une dimension rituelle forte, qui participe de l’attachement des citoyens aux valeurs démocratiques. À ce titre, plusieurs acteurs auditionnés par la commission ont souligné l’importance de l’acte électoral comme moment structurant de la vie civique. François-Xavier Arnoux évoque un « moment où l’on fait nation », un acte par lequel se construit la définition du peuple comme sujet politique souverain.

De même, Tristan Haute ([4]) insiste sur le fait que le rituel électoral tel qu’il s’est construit sous la Troisième République engendrait une forme d’obligation sociale qui, sans être universelle, pouvait produire des effets comparables, voire supérieurs, à ceux d’une obligation juridique. Ce rituel repose notamment sur la mise en scène de l’égalité politique dans l’espace du bureau de vote, où chaque citoyen, quelle que soit sa condition sociale, est appelé à accomplir un même geste dans les mêmes conditions. Le déplacement physique, le passage par l’isoloir, le dépôt du bulletin dans l’urne, l’émargement sur la liste électorale forment autant d’éléments codifiés qui renforcent la perception d’un acte civique partagé.

À cet égard, les auditions ont suggéré que le développement du vote en ligne pourrait atténuer cette dimension collective et symbolique de la participation électorale, en substituant à la présence physique un geste dématérialisé privé de toute dimension cérémonielle. Alain Garrigou a ainsi mis en garde contre les risques d’effacement de cette « mise en scène du peuple qui fait la queue sans se disputer et qui accepte volontiers la discipline de vote » que constitue l’acte électoral, observant que le vote en ligne ferait perdre à l’élection sa caractéristique d’être un moment collectif de reconnaissance réciproque entre citoyens​.

Car comme souhaite le rappeler votre rapporteur, le rituel électoral est aussi le moment d’une manifestation du sentiment d’appartenance nationale. Ainsi, ce qui se joue dans un scrutin, ce n’est pas seulement son résultat, même si celui-ci participe évidemment de la définition politique de ce que nous formons comme Nation (à ce titre, le deuxième tour du scrutin législatif de 2024, déjouant tous les sondages, a participé par exemple d’une définition clairement antifasciste du peuple français). Mais au-delà du résultat, le moment du scrutin est un temps où le peuple est appelé à « faire République » et à définir par la citoyenneté elle-même l’Égalité qui est au centre de notre devise nationale : dans l’isoloir, riche ou pauvre, grand ou petit, femme ou homme, quelle que soit notre religion ou absence de religion, quelle que soit notre origine, quelle que soit notre couleur de peau, une personne égale une voix. Et dès lors l’égalité républicaine est définie de la manière la plus forte qui soit : nous ne sommes pas seulement égaux en droits, nous sommes aussi égaux dans notre capacité à faire la loi et dans notre devoir de la respecter.

c.   La participation électorale comme critère de légitimité démocratique et enjeu de robustesse institutionnelle.

D’après Céline Braconnier et Jean-Yves Dormagen ([5]), la participation électorale, directement liée au vote, occupe également une fonction cardinale : elle est le critère principal à travers lequel se mesure la vitalité démocratique. Plus encore, l’intensité de la participation est perçue comme un indicateur de la robustesse des institutions représentatives​.

Cette dimension centrale de la participation est d’autant plus importante qu’elle joue un rôle structurant dans la perception de la légitimité des décisions publiques. En effet, une abstention massive peut conduire à une mise en question de la capacité du système représentatif à incarner véritablement la volonté générale.

B.   Le régime juridique du vote en France : des modalités garantissant la robustesse du processus électoral.

1.   Le statut de l’électeur.

a.   La définition de l’électeur.

La définition de l’électeur peut être approchée de différentes manières. Il est, au sens de l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958, la matérialisation juridique du « peuple », lequel exerce la souveraineté nationale « par ses représentants ou par la voie du référendum ». Plus précisément, au terme de l’alinéa 4 de l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958, les électeurs sont définis comme « tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ».

L’article L. 2 du code électoral précise que « sont électeurs les Françaises et Français âgés de dix-huit ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi. » Certaines qualités juridiques conditionnent donc la capacité électorale d’une personne physique. Dans le détail, trois conditions doivent être réunies par l’électeur :

1° Il doit posséder la nationalité française ;

2° Il doit avoir atteint la majorité civile, fixée à dix-huit ans depuis la loi du 5 juillet 1974, abaissant l’âge de la majorité de vingt-et-un à dix-huit ans ;

3° Il doit, enfin, avoir la jouissance des droits civils et politiques, condition pouvant être affectée par certaines décisions judiciaires de condamnation pénale, d’interdiction légale ou de tutelle.

Le Conseil constitutionnel a, en outre, plusieurs fois rappelé que le droit de vote constituait une prérogative fondamentale attachée à la qualité de citoyen et qu’il devait être protégé comme une disposition constitutionnelle au sens des articles 1er et 3 de la Constitution. Il ne peut dès lors faire l’objet de restrictions qu’à la condition qu’elles soient nécessaires, proportionnées et précisément définies par la loi. En ce sens, la décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010 a affirmé que le législateur ne pouvait priver une personne de son droit de vote de manière automatique et indifférenciée, sans appréciation individualisée par l’autorité judiciaire ([6]).

b.   Le statut administratif de l’électeur.

Si le droit de vote est rattaché à la nationalité, à la majorité et à la jouissance des droits civils et politiques, son exercice effectif est subordonné à une formalité administrative préalable – et de taille ! – : l’inscription sur les listes électorales. Au terme de l’article L. 9 du code électoral, « l’inscription sur les listes électorales est obligatoire » ; elle constitue le fondement administratif du statut de l’électeur.

Les listes électorales constituent des registres nominatifs tenus par les communes et centralisés au niveau national, recensant l’ensemble des citoyens remplissant les conditions légales d’exercice du droit de vote. Elles permettent l’organisation matérielle du scrutin, la répartition des électeurs entre les bureaux de vote, la vérification de l’identité des votants et l’établissement des statistiques de participation. Leur qualité et leur actualité conditionnent directement la sincérité du scrutin.

c.   Le cas particulier de l’électeur européen et l’incohérence du droit français.

Les citoyens de l’Union européenne résidant en France peuvent, dans certaines conditions, être électeurs sans avoir la nationalité française. Ce régime dérogatoire découle de l’article 88-3 de la Constitution, introduit par la loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992, préalablement à la ratification du traité de Maastricht. Au terme de cet article, « le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales [et européennes] peut être accordé aux seuls citoyens de l’Union résidant en France. »

Cette dérogation est, en droit, encadrée par deux textes européens :

– la directive 93/109/CE du 6 décembre 1993 fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants ;

– la directive 94/80/CE du 19 décembre 1994 fixant les modalités de l’exercice du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l’Union résidant dans un État membre dont ils n’ont pas la nationalité.

En application de ces directives, les citoyens de l’Union résidant en France sont inscrits sur une liste électorale complémentaire, distincte de celle des électeurs français. Les listes complémentaires sont tenues par les communes et gérées selon des procédures analogues à celles de la liste générale, mais les électeurs européens n’y figurent qu’au titre des scrutins ouverts à leur participation.

2.   Le statut de l’élection : l’encadrement de l’acte de vote.

Le droit électoral français repose sur un ensemble de principes fondamentaux, qui conditionnent la régularité du scrutin et structurent l’ensemble du contentieux électoral. Ces principes ne figurent pas toujours explicitement dans les textes constitutionnels ou organiques, mais sont régulièrement rappelés par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, au titre des exigences attachées à la sincérité du scrutin.

Cette notion de sincérité du scrutin constitue du reste le principe directeur du contentieux électoral, au sens où son respect ou sa violation permettent de statuer sur la validité d’une élection. Elle est définie comme l’adéquation entre le résultat proclamé et la volonté librement exprimée de la majorité du corps électoral ([7]). Lorsque cette volonté ne peut être établie de manière fiable, le scrutin doit être annulé.

Trois principes juridiques permettent de caractériser l’exigence de sincérité : l’égalité devant le suffrage, la liberté du vote, et son caractère secret.

Le principe d’égalité se manifeste d’abord dans l’égalité de traitement des électeurs (chaque voix compte pour une), mais aussi dans l’égalité des conditions de compétition entre candidats. Il suppose une équité dans l’accès aux ressources électorales (temps de parole, financement), et se décline en une exigence d’équilibre démographique dans le découpage des circonscriptions, que le Conseil constitutionnel qualifie de « règle fondamentale » du droit électoral ([8]).

Le principe de liberté impose que le choix des électeurs soit exempt de toutes pressions. Il s’applique à l’organisation de la campagne électorale, qui ne doit pas faire l’objet d’une intervention de l’État en faveur de certains candidats, même indirecte. Cette exigence de neutralité s’applique tant aux actes préparatoires qu’à la tenue matérielle du scrutin.

Le secret du vote, enfin, est une garantie essentielle de la liberté de l’électeur. Il s’impose aux autorités administratives comme aux électeurs eux-mêmes, qui doivent se conformer à l’obligation d’user de l’isoloir, de l’enveloppe, et de ne manifester aucune intention de vote dans l’espace public du bureau. Toute atteinte à ce principe, même sous forme symbolique ou revendiquée, est susceptible de conduire à l’annulation du scrutin. L’article L. 59 du code électoral dispose à cet effet que « le scrutin est secret ».

C.   La crise du vote : une remise en cause du suffrage qui touche la plupart des élections en France.

Votre rapporteur souhaite rappeler que la remise en cause contemporaine du vote ne saurait être analysée au seul prisme de l’abstention : elle traduit une évolution plus profonde des représentations collectives, dans laquelle le suffrage tend à perdre son statut de pratique fondatrice de la citoyenneté démocratique.

Cette évolution s’exprime moins par un rejet explicite du principe du suffrage que par une désaffiliation silencieuse et diffuse, dans laquelle le vote est parfois perçu comme un geste sans véritable efficacité politique, compte tenu du fait que même lorsqu’il est exprimé de manière claire et sans appel, des dirigeants politiques se permettent de l’ignorer. Il en est allé ainsi, par exemple, du vote « Non » lors du référendum de 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen (TCE), exprimé à près de 55 % et par une participation forte de près de 70 % des électeurs en âge de voter ; pourtant, ce vote a ensuite été ignoré par des dirigeants de droite comme de gauche qui ont avalisé par leurs votes à l’Assemblée nationale, au Sénat, puis en Congrès le Traité de Lisbonne qui reprenait l’essentiel de ses dispositions. Plus récemment, et au terme d’une dissolution de l’Assemblée nationale qu’il avait pourtant lui-même prononcée, appelant à une « respiration démocratique », le chef de l’État Emmanuel Macron a quant à lui d’abord choisi d’ignorer pendant deux mois le résultat des urnes, prétextant d’une prétendue « trêve olympique », avant de nommer Premier Ministre Michel Barnier dont le parti était pourtant arrivé en quatrième position dans l’élection législative, avec seulement 6 % des voix au premier tour.

1.   La contestation de la valeur sociale et politique du vote et de sa capacité à représenter l’intérêt général.

Le vote est en crise. Cette crise ne se résume pas à un désengagement quantitatif ; elle engage plus profondément la valeur symbolique et politique du suffrage. Ce diagnostic trouve un écho direct dans les représentations exprimées par les citoyens. Avec toute la distance critique que l’on connaît à votre rapporteur sur les sondages, le récent Baromètre de la confiance politique du Centre d’étude de la vie politique française (Cevipof) (vague 16, février 2025) ([9]) est sur ce point éclairant : 45 % des personnes interrogées considèrent que « ce n’est pas avec les élections qu’on peut changer les choses en France » et 57 % estiment que « les gouvernements ne peuvent plus faire grand-chose aujourd’hui, le pouvoir réel est ailleurs », dans les marchés financiers (31 %) ou dans les institutions européennes (18 %).

Les perceptions du rôle du suffrage et du gouvernement en France (février 2025)

Source : Cevipof, Baromètre de la confiance politique / vague 16 – février 2025, étude réalisée sur un échantillon de 3 561 individus.

Cette remise en cause affecte non seulement l’efficacité perçue du vote, mais aussi sa légitimité morale : 78 % des sondés jugent que « ce n’est pas parce que les femmes et les hommes politiques ont été élus qu’ils ont le droit de décider de [leur] vie » ; seuls 27 % d’entre eux considèrent que « la démocratie fonctionne bien en France ». Autrement dit, et non sans fondement compte tenu de la disjonction croissante entre les aspirations populaires et les décisions politiques effectivement prises, le sentiment dit « dégagiste » envers les représentants politiques est au plus haut. Et le vote, dès lors, est de plus en plus questionné comme moyen de « régler ses comptes » avec un pouvoir politique jugé – souvent en bloc – trop éloigné des préoccupations réelles des Françaises et des Français.

Les perceptions de la légitimité politique des élus en France (février 2025)

Source : Cevipof, Baromètre de la confiance politique / vague 16 – février 2025, étude réalisée sur un échantillon de 3 561 individus.

Comme l’a indiqué Tristan Haute devant la commission, cette crise touche particulièrement les jeunes générations, qui perçoivent d’autres formes d’action (manifestation, pétition, boycott) comme des vecteurs d’expression plus efficaces que le suffrage. Dans ces conditions, une partie croissante de la population semble estimer « que le vote est plus un droit qu’un devoir » et qu’il ne serait pas ou plus un outil pour changer de fond en comble la vie du pays Trouver des solutions concrètes à cet enjeu apparaît donc crucial à votre rapporteur.

2.   Le contexte, plus large, d’une défiance généralisée à l’égard du régime représentatif.

La délégitimation du vote s’inscrit dans un cadre plus large de remise en cause des mécanismes de la représentation. Le Baromètre du Cevipof montre que 83 % des personnes interrogées considèrent que « les responsables politiques ne se préoccupent pas de ce que pensent les gens comme eux » ; seuls 25 % estiment que les élus sont « plutôt honnêtes »​. Le rejet du régime représentatif se traduit aussi dans l’attractivité croissante de modèles alternatifs : 56 % des sondés se déclarent favorables à un « gouvernement d’experts non élus », et 41 % approuvent l’idée d’« un homme fort à la tête du pays, sans se préoccuper du Parlement ni des élections ».

Au cours des auditions menées par la commission d’enquête, ce phénomène a également été souligné par François-Xavier Arnoux, lequel a rappelé que les transformations du système représentatif l’avaient éloigné du principe de délibération : « dans la situation politique actuelle, il est rarissime que les interventions conduisent les députés à changer d’avis et à adopter une position différente de celle de leur groupe ».

Cette défiance croissante à l’égard du régime représentatif s’explique en partie par la perte de capacité des citoyens à influer réellement sur les décisions politiques. Comme l’a montré le philosophe récemment disparu Bernard Manin, les démocraties contemporaines reposent sur un « gouvernement représentatif » qui, tout en procédant d’élections libres, tend à fonctionner de manière de plus en plus oligarchique. Les électeurs choisissent des dirigeants, mais ces derniers échappent ensuite largement à leur contrôle. Ce décalage nourrit un sentiment d’impuissance politique : voter ne suffit plus à faire entendre sa voix, d’autant que les choix électoraux paraissent souvent restreints et peu différenciés. La critique du vote renvoie donc, plus largement, à une mise en cause du mode même de sélection et d’exercice du pouvoir dans les institutions actuelles.

3.   La remise en cause du suffrage à l’échelle internationale.

La crise de légitimité que traverse le vote ne constitue pas une singularité française : elle s’inscrit dans une dynamique internationale de remise en cause du suffrage universel comme mécanisme exclusif d’expression de la volonté démocratique. Dans plusieurs régimes représentatifs, la légitimité des élections fait l’objet de contestations croissantes, tandis que des dispositifs alternatifs ou correctifs sont expérimentés.

Le phénomène est particulièrement marqué aux États-Unis, où le résultat de l’élection présidentielle de 2020 a été contesté par une partie significative de l’électorat n’acceptant pas la défaite du président sortant. Un épisode comparable a été observé au Brésil, tandis qu’en Turquie ou en Hongrie, des forces politiques installées dans les institutions contribuent parfois à remettre en cause la neutralité du processus électoral.

Ce constat est étayé par les données du V-Dem Democracy Report 2025, publié par l’Institut V-Dem (Varieties of Democracy Institute), rattaché à l’université de Göteborg en Suède. Ce rapport constitue aujourd’hui l’une des références empiriques et scientifiques les plus largement reconnues dans le champ des études démocratiques en sciences politiques. Dans son édition 2025, le rapport relève que plus de 40 États ont connu, au cours de la dernière décennie, une régression significative de la qualité de leurs processus électoraux. Il qualifie ce phénomène de « troisième vague d’autocratisation », mettant ainsi en lumière une dynamique progressive de remise en cause des standards démocratiques à travers le canal même des élections. En d’autres termes, la procédure électorale demeure, mais elle est instrumentalisée à des fins de consolidation autoritaire du pouvoir.

Pays en cours de démocratisation ou d’autocratisation, en 2024.

Cette carte du V-dem institute présente les pays en cours de démocratisation (en bleu) ou d’autocratisation (en rouge) en 2024. L’intensité des couleurs indique l’ampleur du changement observé sur l’indice de démocratie libérale (LDI) depuis le début de la transformation du régime.

À l’opposé de cette dynamique de dégradation des processus démocratiques, des expérimentations institutionnelles sont mises en œuvre dans plusieurs pays, visant à étayer ou compléter la légitimation démocratique acquise par le vote. On peut citer les conventions citoyennes tirées au sort, les jurys citoyens, les budgets participatifs ou les mécanismes de consultation populaire locale. Ces démarches s’inscrivent dans une tentative de réappropriation citoyenne des décisions publiques, hors du seul cadre du suffrage.

Plus largement, en France, et hors de tout cadre institutionnel préétabli, le mouvement des Gilets jaunes a porté plusieurs revendications démocratiques fortes, allant jusqu’à proposer la convocation d’une Assemblée Constituante pour faire une « VIe République » ou, selon d’autres appellations, une « Ire Démocratie ». Ce mouvement a en particulier revendiqué une forme d’intervention populaire plus directe dans les affaires politiques avec en particulier la proposition de mettre en place un droit nouveau au Référendum d’initiative citoyenne (RIC) pour proposer une loi, abroger une loi, révoquer un élu en cours de mandat ou, même, modifier la Constitution elle-même dans le cas où ce droit serait introduit dans le cadre de la Ve République.

Ces initiatives traduisent une interrogation contemporaine sur la place du vote dans la démocratie : est-il encore un instrument suffisant de souveraineté populaire, ou doit-il être redéfini dans un écosystème plus large de médiations et de participation citoyenne ?

II.   L’abstention : un phénomène structurel confortant les inégalités politiques.

L’abstention constitue le deuxième volet, plus visible, de la crise du vote. Si elle n’est pas un phénomène nouveau, sa croissance doit inquiéter. Votre rapporteur souhaite, à ce titre, revenir sur ses différents facteurs, avant d’évoquer les voies opérationnelles permettant de tenter de la faire reculer.

En effet, si le suffrage universel est le fondement institutionnel de la démocratie représentative, sa désertion massive par une part croissante du corps électoral constitue un dangereux rétrécissement de l’espace civique. En outre, cette abstention, loin de se résumer en une simple indifférence de l’électeur, produit une dynamique électorale proche du suffrage censitaire d’autrefois : les groupes sociaux les moins dotés en ressources économiques, sociales ou symboliques participent moins régulièrement aux votes, ce qui confère mécaniquement un poids supérieur aux catégories les plus favorisées.

Cette fracture démocratique est accentuée par les phénomènes de mal-inscription et de non-inscription, qui viennent s’ajouter aux obstacles matériels, sociaux ou personnels à la participation. Pour le dire autrement et de manière très claire, tout se passe comme si les dirigeants politiques successifs n’avaient non seulement pas cherché à faire diminuer le phénomène de l’abstention de masse aux élections mais s’en étaient au contraire accommodés ou, pire, avaient établi leurs stratégies électorales en misant sur le maintien de cette très forte abstention.

A.   L’État des lieux de l’abstention en France : un phénomène massif, durable et inquiétant.

L’abstention électorale en France revêt les caractéristiques d’un phénomène massif, durable et structurellement préoccupant, comme l’ont souligné nombre d’experts auditionnés par la commission d’enquête. Lors de son intervention, Tristan Haute a ainsi établi une distinction conceptuelle entre plusieurs formes d’abstention : « L’abstention constante, qui consiste à ne jamais voter, a été le fait de 16 % des personnes inscrites sur les listes électorales en 2022. L’abstention intermittente, qui consiste à ne voter que lors de certains scrutins, est très répandue : elle a concerné 47 % des personnes inscrites sur les listes électorales en 2022 », ce qui atteste de la prégnance du phénomène bien au-delà des seuls électeurs systématiquement éloignés des urnes.

Vote systématique, vote intermittent et abstention systématique de 2002 à 2022

Source : Élisabeth Algava et Kilian Bloch, « Vingt ans de participation électorale : en 2022, les écarts selon l’âge et le diplôme continuent de se creuser », Insee Première, n° 1929, 17 novembre 2022.

 

La directrice des statistiques démographiques et sociales de l’Insee, Christel Colin, a pour sa part rappelé les contours statistiques du phénomène en s’appuyant sur l’enquête électorale réalisée par l’Insee ([10]), laquelle s’étendait sur les quatre tours des élections présidentielle et législatives de 2022. Cette enquête, portant sur un échantillon de 34 000 personnes, a révélé que « 16 % des électeurs inscrits […] n’ont voté à aucun tour de ces scrutins (abstention systématique), 36 % ont voté à tous les tours (vote systématique) et 48 % ont voté par intermittence à certains tours, mais non à d’autres » ([11]).

Focus : les résultats des enquêtes INSEE sur l’évolution des niveaux de participation au cours des dernières années

En 2022, 16 % des électeurs inscrits pour les élections présidentielle et législatives n’ont voté à aucun tour de ces scrutins (abstention systématique), 36 % ont voté à tous les tours (vote systématique) et 48 % ont voté par intermittence.

L’élection présidentielle a davantage mobilisé que les élections législatives, en particulier parmi les jeunes adultes. Ces derniers s’abstiennent plus souvent à tous les tours (24 % des 18-34 ans). Ils privilégient le vote intermittent (plus d’un jeune électeur sur deux). Le vote intermittent diminue avec l’âge, alors que le vote systématique croît avec l’âge jusque vers 80 ans : le vote systématique est majoritaire parmi les 70-79 ans. Après 85 ans, l’abstention systématique est cependant plus élevée, dépassant largement celle des jeunes.

La participation croît avec le niveau de vie et de diplôme : on observe 30 % d’abstention systématique chez les inscrits non diplômés, contre 10 % chez les diplômés du supérieur. En partie du fait des caractéristiques sociales de leurs habitants, l’abstention systématique est particulièrement élevée dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et dans les collectivités d’outre-mer.

Voter la même année à tous les tours des élections nationales (présidentielle et législatives) était le comportement de vote dominant lors des élections de 2002 à 2012 (48 % ou plus des inscrits sur les listes électorales). Depuis 2017, le vote intermittent dépasse désormais le vote systématique (respectivement 47 % et 37 % des inscrits en 2022). Ne voter à aucun des tours des élections nationales devient plus fréquent au fil des scrutins, à l’exception des élections de 2007. L’abstention systématique concerne 16 % des électeurs en 2022, contre 9 % en 2007 (12 % en 2002).

Les écarts de participation selon l’âge, déjà très marqués en 2002, se sont accrus en vingt ans, surtout pour les législatives. Seuls 28 % des moins de 30 ans ont voté au second tour des législatives en 2022, contre 59 % des 65 ans et plus, soit un différentiel de 31 points. L’écart n’était que de 25 points en 2002 (45 % contre 70 %).

Les écarts selon le diplôme se sont aussi creusés. En 2022, hors étudiants, 29 % des inscrits sans diplôme ont voté à tous les tours de la présidentielle et des législatives, contre 44 % des diplômés de l’enseignement supérieur, soit un différentiel de 15 points. L’écart n’était que de 9 points en 2002 (46 % contre 55 %).

Source : réponse écrite de l’INSEE au questionnaire adressé par le rapporteur de la commission d’enquête.

B.   Pour une analyse sociologique de l’abstention : quels sont les profils des abstentionnistes et les facteurs de l’abstention ?

Partant du constat du caractère massif de l’abstention, votre rapporteur a souhaité en comprendre plus finement les ressorts sous-jacents. Comme l’a rappelé Céline Braconnier au cours de son audition : « l’abstention est multifactorielle » et il serait faux de la réduire à la seule incrimination de la procédure électorale. Il existe, en effet, « un lien très fort entre la participation électorale et le niveau de politisation » des individus ; « mais ce niveau est lui-même directement lié à certains facteurs sociodémographiques tels que l’âge, le niveau de vie ou la catégorie socioprofessionnelle ».

Ainsi, « plus vous êtes en difficulté économique, jeune, dépourvu de diplôme et isolé, plus vous avez de chances d’être non-inscrit ou de vous abstenir. »

1.   Ruraux, urbains, ultramarins : l’abstention est partout sur le territoire national.

L’approche sociologique de l’abstention oblige à considérer, au-delà des seuls paramètres individuels, l’effet déterminant des lieux de vie sur les comportements électoraux. Ainsi, comme l’a souligné Tristan Haute lors de son audition, « du lieu d’habitation dépendent de nombreuses caractéristiques sociales, mais aussi des sociabilités favorisant ou freinant la participation électorale ».

Historiquement, la littérature sociologique a opposé les espaces ruraux, perçus comme des lieux de forte cohésion sociale, aux espaces urbains, souvent décrits comme des lieux d’anomie. Toutefois, cette opposition traditionnelle connaît aujourd’hui des inflexions majeures, comme l’a mis en évidence Sébastien Vignon. Selon les travaux de ce dernier, résumés par Tristan Haute, « certains villages sont devenus, notamment pour les classes populaires qui ne peuvent plus habiter dans le périurbain proche, des territoires de relégation sociale, où la sociabilité villageoise est en fort déclin ». Ces villages-dortoirs, caractérisés par « une juxtaposition de petits réseaux familiaux ou amicaux, parfois très faibles », se transforment progressivement en espaces marqués par l’isolement social, un facteur qui, selon Tristan Haute, « favorise peu la participation ». Cette analyse souligne la nécessité de dépasser les lectures simplistes d’un monde rural uniformément participatif et d’un monde urbain uniformément abstentionniste, en mettant en lumière « la forte hétérogénéité de la participation, tant au sein du monde rural que du monde urbain ».

Marie Neihouser ([12]) a, pour sa part, introduit des éléments de différenciation propres à certains territoires ultramarins et insulaires, insistant sur la nécessité de ne pas « trop essentialiser » les disparités géographiques. Selon elle, « en Corse et dans certains territoires ultramarins, l’éloignement du champ politique national et de l’action publique a un effet sur la participation électorale ». Cette configuration particulière conduit à observer que, dans ces zones, « les scrutins locaux peuvent mobiliser davantage que les scrutins nationaux et attirer des profils différents ». Il convient de noter que ce constat a été corroboré par la Direction générale des Outre-mer (DGOM).

Par ailleurs, votre rapporteur souhaite rappeler la place que peut jouer l’expérience vécue du racisme sur la participation électorale pour certaines personnes, et la forme de relégation qui peut être ressentie par les habitants des territoires ultramarins. De fait, et puisque le vote est un moment où l’on « fait Nation », il ne semble pas étonnant que celles et ceux qui sont régulièrement mis à l’écart de la Nation par des formes variées de « dénis de francité » (ex : contrôles d’identité dits « au faciès », discriminations à l’emploi, au logement, etc.) se mettent in fine elles-mêmes hors de la participation électorale puisqu’elles sont rejetées régulièrement - et parfois par des institutions publiques - hors des frontières de la citoyenneté française. Pour toutes ces raisons, il semble donc indispensable de mettre en place des politiques volontaristes de lutte contre le racisme et les discriminations, à commencer par une mesure simple : le récépissé de contrôle d’identité.

2.   Une abstention « socialement située ».

Les auditions de la commission d’enquête ont également révélé le rôle prépondérant des facteurs individuels et sociaux dans la détermination du niveau de participation des individus. Christel Colin a, à cet égard, rappelé que « les jeunes adultes s’abstiennent plus souvent à tous les tours, ainsi que les personnes âgées de plus de 85 ans. Plus d’un jeune électeur sur deux a voté à certains tours, mais pas à tous. Inversement, le vote systématique est majoritaire parmi les 70-79 ans ». Cette répartition de la participation selon l’âge illustre une hétérogénéité des comportements électoraux, les générations les plus jeunes apparaissant de manière constante moins mobilisées.

Comportements de vote en 2002 et 2022 selon l’âge.

Source : Élisabeth Algava et Kilian Bloch, « Vingt ans de participation électorale : en 2022, les écarts selon l’âge et le diplôme continuent de se creuser », Insee Première, n° 1929, 17 novembre 2022.

Au-delà de l’âge, d’autres déterminants socioéconomiques jouent un rôle central. Christel Colin a ainsi souligné que « la participation croît nettement avec le niveau de vie et le diplôme », établissant une corrélation directe entre capital scolaire ou économique et la propension du citoyen à voter.

Comportements de vote en 2002 et 2022 selon le niveau de diplôme

Source : Élisabeth Algava et Kilian Bloch, « Vingt ans de participation électorale : en 2022, les écarts selon l’âge et le diplôme continuent de se creuser », Insee Première, n° 1929, 17 novembre 2022.

Marie Neihouser a également attiré l’attention de votre rapporteur sur un autre levier d’inégalité face au vote, moins immédiatement visible mais tout aussi structurant : le vote par procuration. Selon elle, « le vote par procuration augmente encore les inégalités de participation. Ceux qui votent par procuration sont ceux qui ont le plus de ressources économiques, culturelles ou sociales ». Elle a ainsi rappelé que les publics les plus précaires, c’est-à-dire « les plus pauvres, les moins aisés, les moins éduqués et même les plus âgés », recouraient peu à ce dispositif, malgré les difficultés matérielles qu’ils rencontraient pour se rendre aux urnes. Le mécanisme de la procuration, bien qu’il ait vocation à faciliter l’expression du suffrage, tend ainsi paradoxalement à renforcer « encore les écarts de participation entre catégories sociales ».

Un autre facteur favorisant l’abstention réside dans les transformations du monde du travail. Lors de son audition, Tristan Haute a mis en lumière l’impact des nouvelles formes d’emploi sur la mobilisation électorale, interrogeant notamment les effets de l’ubérisation de l’emploi. Il a ainsi souligné que ces travailleurs « disposent d’une faible autonomie dans leur travail, ce qui contribue à une forme d’apprentissage de la passivité ». En s’appuyant sur les travaux de l’économiste Thomas Coutrot, il a relayé l’hypothèse selon laquelle « ce phénomène pourrait conduire à une démobilisation politique des travailleurs en dehors du travail », ce qui soulève la question d’un affaissement plus large du civisme dans certaines catégories professionnelles précarisées.

Dans le sillage de ces réflexions sur les déterminants sociologiques de l’abstention, Christel Colin a retracé, devant la commission d’enquête, l’évolution historique des écarts de participation. Elle a ainsi rappelé que « l’abstention systématique est passée de 12 % à 16 % » entre 2002 et 2022, tandis que « le vote systématique a chuté de 48 % à 37 % ». Plus encore, elle a insisté sur l’aggravation des disparités : « l’écart de participation entre les personnes non diplômées et les personnes diplômées de l’enseignement supérieur était de 9 points en 2002, mais il a augmenté pour atteindre 15 points en 2022 », et « les écarts se sont sensiblement accrus entre les plus jeunes et la tranche des 60-80 ans, c’est-à-dire ceux qui votent le plus ». Ces évolutions démontrent que l’abstention est aujourd’hui « socialement située », avec une progression marquée de l’abstention « chez les non-diplômés et chez les ouvriers ».

3.   L’abstention « constante » : un phénomène structurel en croissance, principalement nourri par la mal-inscription.

L’analyse sociologique de l’abstention ne saurait être complète sans une attention particulière portée à la catégorie des abstentionnistes dits « constants », c’est-à-dire ceux qui ne participent à aucun scrutin malgré leur inscription sur les listes électorales. Cette forme spécifique d’abstention, distincte par sa récurrence, traduit une déconnexion profonde et durable du citoyen à l’égard du vote.

Un des facteurs majeurs identifiés par les spécialistes auditionnés pour expliquer cette abstention chronique réside dans le phénomène de la mal-inscription. Céline Braconnier souligne ainsi que « quand on est mal inscrit, on a entre deux et trois fois plus de chances d’être abstentionniste de façon constante que lorsqu’on est bien inscrit » ; en effet, « le taux d’abstention constante des mal-inscrits est compris entre un quart et un tiers ».

À ce titre, votre rapporteur souhaite rappeler que la notion de mal-inscription, souvent considérée dans le débat public comme un simple aléa administratif, revêt en réalité des formes variées et soulève des enjeux démocratiques fondamentaux. En tant que principal facteur de l’abstention constante, elle est souvent liée à une distance trop importante séparant le lieu de résidence effective du citoyen de l’emplacement de son bureau de vote. Ainsi, comme le rappelle Céline braconnier, « à peu près la moitié des mal-inscrits […] habitent à moins de 17 kilomètres de leur lieu de vote ». Or, « moins on est politisé, plus le vote est coûteux et plus l’obstacle matériel peut être rédhibitoire en matière de participation ». L’effet de la distance au bureau de vote s’aggrave dans certains cas : « à peu près un quart des mal-inscrits se trouvent à plus de 91 kilomètres », précise Céline Braconnier, ajoutant qu’à Paris, « plus de la moitié des mal-inscrits se trouvent à plus de 200 kilomètres de leur lieu de vote ».

Il ressort de ces observations que la mal-inscription est intimement liée à la mobilité résidentielle, laquelle, comme l’a rappelé Céline Braconnier, « n’est pas propre à une catégorie sociale », bien qu’elle revête des formes différenciées selon le statut socioéconomique des individus : « ces dernières peuvent être plus ou moins contraintes, en lien avec le travail ou les études par exemple ».

Les conséquences pratiques de la mal-inscription ont été illustrées par Jean‑Yves Dormagen devant la commission d’enquête, lequel a évoqué l’étude de cas de la cité des Cosmonautes en Seine-Saint-Denis : « la moitié des habitants y avaient un problème d’inscription, mais ceux qui étaient bien inscrits avaient voté assez massivement lors du fameux scrutin du 21 avril 2002 : ils s’étaient déplacés à plus de 80 % tandis que le taux de participation du bureau était de 59 %, preuve que l’abstention était essentiellement nourrie par la mal-inscription ». Cette analyse met en lumière un enseignement d’importance : ce n’est pas tant un déficit de volonté civique qui explique l’abstention massive dans certaines zones, mais bien un défaut d’information électorale adaptée, ou une trop grande rigidité des procédures d’inscription. Autrement dit : la responsabilité de l’abstention ne pèse pas d’abord, dans ces cas spécifiques, sur les personnes qui s’abstiennent mais sur un système administratif d’inscription qui organise une malinscription de masse.

III.   La participation : une nécessité de combler les failles des systèmes d’inscription et d’information des électeurs. 

Si l’abstention est un phénomène massif en France, votre rapporteur souhaite rappeler qu’elle ne constitue pas une fatalité. La commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France a précisément été voulue pour identifier des solutions concrètes afin d’augmenter la participation électorale des citoyens, ainsi que pour mettre fin au caractère « socialement situé » du non-vote, c’est-à-dire en particulier à l’exclusion de certaines catégories sociales du vote. En républicain convaincu, votre rapporteur n’accepte pas l’idée que des inégalités sociales se transforment in fine en inégalités de pouvoir, et introduisent ainsi une brèche dans l’égalité qui est la règle entre citoyens.

Il est ainsi apparu nécessaire de chercher à mieux comprendre les raisons de la crise du vote en France, en interrogeant notamment les obstacles administratifs auxquels se trouve confronté l’électeur souhaitant voter. Il convient à cet égard de se concentrer sur le principe même de l’inscription sur les listes électorales, dont les modalités conditionnent très largement les niveaux d’abstention et de participation.

A.   Le principe de l’inscription sur les listes Électorales.

L’inscription conditionne, en France, la capacité électorale du citoyen sur le plan administratif. Conformément à l’article L. 9 du code électoral, elle est obligatoire et doit précéder tout vote. L’article L. 11 du même code dispose ainsi que sont inscrits sur la liste électorale de la commune, sur leur demande :

– Tous les électeurs qui ont leur domicile réel dans la commune ou y habitent depuis six mois au moins et leurs enfants de moins de 26 ans ;

– Ceux qui figurent pour la deuxième fois sans interruption, l’année de la demande d’inscription, au rôle d’une des contributions directes communales et, s’ils ne résident pas dans la commune, ont déclaré vouloir y exercer leurs droits électoraux ;

– Ceux qui, sans figurer au rôle d’une des contributions directes communales, ont, pour la deuxième fois sans interruption l’année de la demande d’inscription, la qualité de gérant ou d’associé majoritaire ou unique d’une société figurant au rôle ;

– Ceux qui sont assujettis à une résidence obligatoire dans la commune en qualité de fonctionnaires.

En outre, sont inscrites d’office sur la liste électorale de la commune de leur domicile réel, en vue de participer à un scrutin :

– Les personnes qui ont atteint l’âge prévu par la loi pour être électeur à la date de ce scrutin ou, lorsque le mode de scrutin permet un second tour, à la date à laquelle ce second tour a vocation à être organisé ;

– Les personnes qui viennent d’acquérir la nationalité française.

1.   L’état des lieux de l’inscription en France.

L’analyse du système d’inscription électorale en France repose sur un suivi statistique précis assuré par l’Insee, qui publie régulièrement des bilans du corps électoral. Christel Colin rappelle ainsi que « de 2019 à 2022, l’Insee a publié chaque année un état des lieux du corps électoral avant la tenue des scrutins de l’année ». Cette pratique s’est poursuivie, puisque « l’Insee a aussi publié cet état des lieux en mai 2024, avant les élections européennes, dans lequel il était indiqué que 49,5 millions de personnes étaient inscrites sur les listes électorales ».

Toutefois, ce taux global masque des écarts notables selon les classes d’âge. Toujours selon Christel Colin, « cette publication montrait que 95 % des Français en âge de voter étaient inscrits sur les listes électorales », un chiffre qui atteint « 100 % pour les jeunes de 18-24 ans, du fait de la procédure d’inscription d’office », mais qui s’établit à « 91 % pour les 40-54 ans ».

2.   La mise en œuvre du Répertoire électoral unique : un outil facilitant l’inscription des électeurs sur les listes électorales.

a.   Le principe du Répertoire électoral unique.

Le Répertoire électoral unique (REU), mis en place par la loi n° 2016-1048 du 1er août 2016, constitue une réforme d’ampleur du système d’inscription électorale en France, visant à centraliser et à fiabiliser la gestion des listes électorales. Selon les explications fournies par l’Insee, le REU a pour fonction essentielle « la gestion du processus électoral et la fiabilisation des listes électorales », en permettant une supervision unique et en temps réel des données relatives aux électeurs.

Concrètement, le REU repose sur une articulation entre plusieurs acteurs institutionnels. Les communes et consulats demeurent compétents pour recevoir les demandes d’inscription, procéder aux radiations et traiter les rectifications éventuelles. L’Insee, de son côté, assure la mise à jour continue du répertoire en exploitant les informations issues d’un vaste réseau administratif comprenant notamment le ministère de l’Intérieur (pour les acquisitions de nationalité), le ministère de la Justice (pour les décisions d’incapacité ou les condamnations pénales), le ministère des Armées (pour les militaires), ainsi que les données issues du répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP), c’est-à-dire de l’état civil (pour les décès et les acquisitions de majorité).

Le fonctionnement du répertoire électoral unique

Source : Centre de gestion de la fonction publique territoriale - Côtes-d’Armor

Ces échanges d’informations permettent d’actualiser le répertoire de façon continue et de garantir la validité des données. Il peut néanmoins octroyer à certains acteurs un pouvoir de radiation des listes électorales parfois très problématique, comme votre rapporteur a pu le constater lors de ses auditions ou encore en utilisant ses pouvoirs d’enquête sur pièces et sur place dans la ville d’Évry-Courcouronnes, qui détenait en 2024 le triste record national de plus de 16 % de personnes radiées des listes électorales, à quelques mois à peine des élections européennes.

Le système prévoit plusieurs modalités d’inscription : les inscriptions volontaires des électeurs (qui peuvent se faire en mairie ou en ligne), les inscriptions d’office (notamment pour les jeunes atteignant 18 ans et pour les personnes naturalisées), ainsi que les radiations automatiques, notamment en cas de décès. Ainsi, le REU remplace l’ancien système de gestion locale par les 35 500 communes, qui tenaient chacune leur propre liste électorale. Cette réforme a permis de résoudre plusieurs problèmes structurels identifiés sous le régime antérieur, notamment la présence de doublons ou l’inscription persistante de personnes décédées sur les listes.

Par ailleurs, le REU permet aux électeurs d’accéder à des services modernisés, tels que la consultation en ligne de leur situation électorale. Cette fonctionnalité offre à chaque citoyen la possibilité de vérifier, de manière sécurisée, son inscription et d’identifier son bureau de vote. La centralisation permet également une meilleure réactivité en cas de changement de situation de l’électeur, contribuant ainsi à limiter les risques d’erreurs ou d’exclusions injustifiées du corps électoral.

 

Focus sur le fonctionnement du répertoire électoral unique (REU)

La loi n° 2016-1047 du 1er août 2016 a réformé en profondeur les modalités d’inscription sur les listes électorales ainsi que leur gestion. Elle a notamment institué le Répertoire électoral unique (REU), un fichier national centralisé visant à simplifier et fiabiliser l’inscription des électeurs. Géré par l’INSEE, ce répertoire regroupe près de 49,5 millions d’électeurs et permet une mise à jour en continu des listes électorales.

Le REU a mis fin à de nombreuses anomalies telles que les doubles inscriptions, le maintien de personnes décédées sur les listes, ou encore certaines radiations injustifiées. Les données du répertoire sont automatiquement croisées avec l’état civil et les fichiers de la sécurité sociale, ce qui permet une vérification régulière et fiable.

Ce dispositif repose sur une collaboration entre plusieurs acteurs institutionnels : le ministère de l’Intérieur, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, les communes, les consulats, et l’INSEE.

Le décret n° 2018-350 du 14 mai 2018 est venu préciser les modalités techniques de mise en œuvre du REU, en lien avec les articles L.16 à L.20 du code électoral, qui en constituent la base législative.

Pour les électeurs, l’entrée en vigueur du REU au 1er janvier 2019 a mis fin à la règle antérieure du 31 décembre comme date limite d’inscription annuelle. Désormais, l’inscription est possible jusqu’au sixième vendredi précédant un scrutin, permettant une plus grande souplesse et une meilleure prise en compte des recours.

Par ailleurs, la loi a introduit deux modifications majeures concernant les conditions d’inscription :

– Les gérants ou associés majoritaires d’une société inscrite au rôle des contributions communales peuvent désormais être inscrits sur la liste électorale de la commune concernée.

– Les Français établis à l’étranger ne peuvent plus être inscrits simultanément sur une liste électorale communale et sur une liste consulaire, mettant ainsi fin au double vote potentiel.

Désormais, plusieurs listes électorales sont gérées par le REU :

– Les listes électorales principales destinées aux électeurs de nationalité française : elles sont tenues par les communes.

– Les listes électorales complémentaires destinées aux électeurs non-français ressortissants de l’Union européenne. Elles sont tenues par les communes et se déclinent en deux versions : une première, européenne (ouvrant le droit de voter aux élections européennes) et une seconde, municipale (ouvrant le droit de voter aux élections municipales).

– Les listes consulaires pour les électeurs français installés à l’étranger : elles sont tenues par les consulats.

Enfin, la réforme modifie les missions des services communaux et consulaires : les maires ou autorités consulaires, sous le contrôle des commissions de contrôle, décident désormais des inscriptions et radiations pour perte d’attache communale. Les demandes d’inscription peuvent être déposées tout au long de l’année. Quant aux inscriptions automatiques pour les jeunes majeurs ou les personnes nouvellement naturalisées et aux radiations pour décès ou incapacité, elles sont directement prises en charge par l’INSEE.

Il est à noter que le REU ne s’applique pas à la Nouvelle Calédonie-Kanaky.

b.   Le succès de la mise en œuvre du Répertoire électoral unique.

L’efficacité de la réforme opérée par la mise en place du Répertoire électoral unique (REU) a été unanimement soulignée lors des auditions conduites par la commission d’enquête. Christian Charpy ([13]), venu présenter un récent rapport de la Cour des comptes sur l’organisation des élections, a ainsi rappelé que « la création du répertoire électoral unique (REU) en 2019, […] a globalement été un succès ».

L’amélioration de l’accessibilité des démarches électorales s’est également traduite par la création et le développement de nouveaux outils. Christian Charpy a rappelé à cet égard « la création ou le développement de téléservices pour les électeurs : vérification de la situation électorale, inscription en ligne, demande de procuration en ligne ». Ces outils numériques ont rencontré un succès réel, notamment à l’approche de l’élection présidentielle de 2022, pour laquelle la Cour des comptes dit avoir « constaté une croissance des inscriptions volontaires ».

Du point de vue de la mise en œuvre locale du REU, Guy Geoffroy ([14]), vice‑président de l’Association des maires de France (AMF), a noté que « le dispositif fonctionne d’une manière qui donne satisfaction à nos services, qu’il s’agisse des communes qui disposent d’un personnel et de compétences avérées ou des communes moins nombreuses en population et donc en effectifs d’agents ».

En somme, la mise en œuvre du REU apparaît comme un succès tant sur le plan technique que sur le plan opérationnel, conjuguant amélioration de la fiabilité des listes électorales et facilitation concrète de l’exercice du droit de vote.

c.   Les utilités multiples du REU.

Au-delà de sa fonction première de fiabilisation des listes électorales, le Répertoire électoral unique (REU) se distingue par une série d’utilités opérationnelles et statistiques qui renforcent son rôle stratégique dans l’organisation des scrutins.

Sur le plan statistique, Christel Colin indique que le REU « permet notamment de décrire le corps électoral, ses caractéristiques sociodémographiques (sexe et âge), de calculer des taux d’inscription sur les listes en comparant avec la population et de décrire l’évolution dans le temps du corps électoral, notamment les radiations et inscriptions entre deux scrutins ». Ce volet statistique permet un suivi précis et actualisé des dynamiques électorales. Il a d’ailleurs permis à votre rapporteur de demander plusieurs précisions à l’Insee concernant les radiations et ainsi d’objectiver des problèmes de radiations excessives pour certaines villes comme Évry-Courcouronnes.

Le REU offre également la possibilité d’analyser les procurations électorales. Christel Colin précise qu’il « permet de compter les procurations et de décrire le profil des mandants, leur sexe, âge et lieu de résidence, et de croiser le profil des mandants et celui des mandataires », mentionnant notamment que « 3,4 millions d’électeurs avaient établi une procuration pour les législatives anticipées de 2024 ».

Enfin, le répertoire est interconnecté avec trois démarches en ligne essentielles : « s’inscrire sur les listes électorales, s’informer sur sa situation électorale et établir une procuration », démarches qui, selon Christel Colin, « rencontrent un succès important », ce qui témoigne de la modernisation de l’accès aux démarches électorales.

B.   La non-inscription : près de 3 millions de citoyens exclus du vote.

Malgré les avancées notables permises par la réforme et la mise en œuvre opérationnelle du REU, ces évolutions techniques et administratives n’ont pas suffi à lever l’ensemble des obstacles à la pleine effectivité du suffrage universel. En effet, au-delà de la question de la fiabilité des listes électorales et de la simplification des démarches d’inscription, subsiste une problématique structurelle : celle de la non-inscription persistante d’une part des citoyens, et cela même après la mise en place du REU, qui pourrait pourtant permettre d’avancer vers l’inscription de 100 % des citoyens en âge et en droit de voter.

La non-inscription sur les listes électorales désigne le fait, pour une personne remplissant les conditions légales pour voter, de ne pas figurer sur les listes électorales. Cette non-inscription peut être causée par de multiples facteurs. Par exemple, par un défaut de démarche volontaire, une méconnaissance des démarches administratives et des délais d’inscription, un échec de l’inscription automatique par l’INSEE d’un citoyen ayant atteint la majorité, ou encore une radiation des listes électorales pour « perte d’attache communale »

Les conséquences juridiques d’une non-inscription se traduisent par une impossibilité de voter et d’être candidat à des élections, ainsi que par l’absence de recours possible pour la personne non-inscrite le jour du scrutin.

Pour Tristan Haute « la non-inscription concerne 5 % du corps électoral potentiel, une catégorie que l’on néglige trop souvent en parlant uniquement en pourcentage des inscrits ». Pour les élections européennes de 2024, le nombre de personnes non-inscrites et pourtant en droit de voter était ainsi évalué à près de 3 millions de personnes (2,9 millions), soit l’équivalent d’une liste qui aurait pu réaliser un score de plus de 10 % dans cette élection et compte tenu du niveau d’abstention.

La mise en place de l’inscription automatique des jeunes atteignant l’âge de 18 ans a fort heureusement permis de faire reculer le phénomène de la mal‑inscription. Comme le rappelle Tristan Haute, « pour les jeunes, on est passé avec l’inscription automatique de 10 % de non-inscrits en 2012 à 5 % en 2022. » Toutefois, « il ne faut pas oublier que la non-inscription et la mal-inscription s’interpénètrent : lorsque vous êtes mal inscrit depuis longtemps, vous finissez par être radié des listes électorales. »

C.   La mal-inscription : un phénomène d’ampleur à faire reculer.

Votre rapporteur souhaite donc attirer l’attention sur un deuxième facteur majeur d’affaiblissement de la participation électorale, déjà évoqué : la mal-inscription. La mal-inscription consiste en l’inscription d’un électeur sur une liste électorale d’une commune autre que celle de sa résidence effective, pouvant entraîner un éloignement géographique du bureau de vote et un non-exercice de facto du droit de vote.

1.   Le phénomène de la mal-inscription.

Christel Colin a rappelé que « lors de l’élection présidentielle de 2022, 16,5 % des électeurs, soit 7,7 millions de personnes, étaient inscrits dans une commune autre que celle de leur résidence principale, telle que déclarée au recensement de la population ». Elle a toutefois rappelé que ces situations ne relèvent pas toutes nécessairement d’une mal-inscription problématique, car « le code électoral prévoit différents cas de figure où l’inscription électorale est possible dans une commune différente de la commune de résidence, par exemple pour les jeunes de moins de 26 ans ». Cependant, dans l’immense majorité des cas, la mal-inscription est involontaire, ce qui est extrêmement problématique sur le plan démocratique compte tenu du fait qu’elle est l’un des facteurs les plus prédictifs de l’abstention.

Votre rapporteur estime important de souligner que, bien que le REU ait permis de centraliser et de fiabiliser les inscriptions électorales, il ne peut, par sa nature même, traiter la question de la pertinence géographique de l’inscription. En effet, le REU garantit l’unicité de l’inscription et la régularité administrative des données mais ne remet pas en cause le principe, toujours en vigueur, qui autorise l’inscription dans une commune autre que celle de résidence principale selon les critères prévus par le code électoral. Ce dispositif, s’il sécurise la qualité formelle des listes, ne répond donc pas aux situations dans lesquelles des électeurs demeurent inscrits dans des communes éloignées de leur domicile effectif, ce type de situation engendrant une abstention mécanique le jour du vote faute de présence physique dans la commune d’inscription. La mal-inscription relève ainsi d’une problématique distincte, que la modernisation actuelle des procédures administratives n’a pour l’instant pas suffi à résorber.

part des personnes non inscrites sur les listes électorales de leur commune de résidence principale par département, en 2022.

Source : Chantal Brutel, « Élection présidentielle 2022 : 16,5 % des électeurs inscrits l’étaient dans une autre commune que celle de leur résidence principale », Insee Première, no 1986, 6 mars 2024.

À ce titre, Céline Braconnier a souligné la dimension structurelle du phénomène en rappelant que « la procédure d’inscription sur les listes électorales est très ancienne et correspond à une époque où la mobilité était beaucoup moins forte ». Elle a mis en lumière les transformations sociales et professionnelles qui nourrissent aujourd’hui cette réalité, précisant que « celle-ci est désormais nourrie par différents facteurs, tels que les études et le travail. Environ la moitié des malinscrits ont moins de 35 ans, répartis équitablement entre les deux premières tranches de la jeunesse ». Elle a également attiré l’attention sur la situation particulière des jeunes adultes en indiquant que « les étudiants sont très représentés dans cette catégorie, de même que les jeunes cadres qui déménagent pour leur travail ou quittent les centres-villes une fois qu’ils ont un deuxième enfant, et qui ne se réinscrivent pas tout de suite sur les listes électorales ».

Cette analyse a permis de mettre en lumière un effet secondaire paradoxal de la réforme de l’inscription automatique des jeunes majeurs : « certes ils procrastinent, mais il y a aussi une méconnaissance de l’étape de l’inscription sur les listes qui a sans doute été accentuée par l’inscription d’office à 18 ans », a indiqué Céline Braconnier, précisant que « cette mesure a bien sûr permis de réduire les non-inscriptions […], mais elle a aussi mécaniquement produit de la mal-inscription quelques années plus tard : ne s’étant pas déplacés pour s’inscrire la première fois, les jeunes, lorsqu’ils deviennent autonomes, ne le font pas pour une réinscription ».

Jean-Yves Dormagen a confirmé le caractère massivement générationnel du phénomène en affirmant que « la mal-inscription est effectivement essentiellement liée à l’âge, et il est important de se rendre compte des proportions : en gros, la moitié de la jeunesse n’est pas en situation de voter sur son lieu d’habitation, si l’on inclut la petite partie de jeunes non-inscrits qui n’ont pas bénéficié de l’inscription automatique à 18 ans ». M. Dormagen a ainsi souligné que « plus de 40 % des 25-30 ans sont mal inscrits, dans une situation qui rend le vote très compliqué ».

Devant la commission d’enquête, il a particulièrement insisté sur le cas des étudiants : « ils sont une minorité à pouvoir voter dans la ville où ils résident, ce qui a des effets spectaculaires sur la composition du corps électoral ». À titre d’illustration, « pour les élections municipales par exemple, il faut savoir que, dans les villes et les grandes métropoles, les étudiants représentent entre 3 % et 4 % des votants alors qu’ils constituent environ le quart des habitants ».

Part des personnes non inscrites sur les listes électorales de leur commune de résidence principale selon l’âge, en 2022.

Source : Chantal Brutel, « Élection présidentielle 2022 : 16,5 % des électeurs inscrits l’étaient dans une autre commune que celle de leur résidence principale », Insee Première, no 1986, 6 mars 2024.

2.   Comment la mal-inscription fausse le résultat des élections.

Socialement située essentiellement chez les moins de 35 ans comme on vient de le voir, la mal-inscription – et l’abstention qu’elle occasionne par l’incapacité matérielle à aller voter – pourrait conséquemment avoir des effets directs sur les résultats électoraux. Ainsi, lors de l’élection présidentielle de 2022, 31 % des jeunes de 18-24 ans avaient porté leur vote sur la candidature de Jean-Luc Mélenchon (contre 26 % pour Marine Le Pen et 20 % pour Emmanuel Macron) ; un chiffre qui montait à 34 % chez les 25-34 ans (contre 25 % pour Marine Le Pen et 23 % pour Emmanuel Macron). Effet direct de la mal-inscription des plus jeunes, 42 % des 18‑24 ans et 46 % des 25-34 ans s’étaient abstenus, tandis que seuls 12 % des 60-69 ans s’étaient abstenus. En résumé, en moyenne, le « poids » électoral des 60-69 ans était près de deux fois plus élevé que celui des 25-34 ans ([15]). Et comme leurs choix électoraux étaient diamétralement opposés à celui de leurs plus jeunes compatriotes (30 % pour Emmanuel Macron, 23 % pour Marine Le Pen, 17 % pour Jean-Luc Mélenchon), ils revenaient à accentuer des écarts politiques qu’une absence de mal-inscription et une égale capacité à participer auraient pu corriger.

 

répartition des préférences de vote selon l’âge.

Source : Ipsos- Sopra Steria.

Pour le dire autrement : sans la mal-inscription des plus jeunes, et avec une égale participation de ceux-ci au scrutin, Jean-Luc Mélenchon aurait vraisemblablement été au second tour de l’élection présidentielle. La mal-inscription étant inégalement répartie socialement en particulier en raison de l’âge (mais pas seulement), elle participe donc à fausser le résultat des élections. La combattre est donc une nécessité pour s’assurer d’une meilleure représentation politique de la population, et en particulier de la jeunesse.

D.   Les radiAtions excessives des listes électorales : un risque d’arbitraire et de manipulation des élections.

1.   Présentation du système de radiation des listes électorales.

Votre rapporteur souhaite enfin mentionner un autre obstacle à la pleine effectivité du droit de vote, lequel se situe à un autre moment du cycle électoral : celui des radiations excessives des listes électorales.

Si la mise en œuvre du REU a considérablement fiabilisé la gestion administrative des listes, plusieurs acteurs auditionnés par la commission ont souligné que cette modernisation n’avait pas totalement éliminé certains dysfonctionnements en matière de radiations. En effet, même en étant effectuées dans le respect de règles formelles, celles-ci peuvent se traduire par une exclusion du droit de vote pour des élections nationales ou locales de pans entiers de la population d’une ville. Cette problématique, qui touche particulièrement des publics populaires ou fortement mobiles, mérite un examen attentif. Et cela d’autant plus que cela peut conduire à peser, parfois lourdement, sur le résultat des élections. La radiation des listes électorales désigne la suppression d’un électeur du REU lorsque celui-ci ne remplit plus les conditions légales pour figurer sur la liste électorale d’une commune ou d’un poste consulaire. Cette procédure, qui entraîne une privation du droit de vote, peut être automatique (décès, perte des droits civiques, déménagement), ou répondre à une situation administrative circonstanciée, lorsqu’elle résulte d’une décision du maire, en application de l’article L. 18 du code électoral ([16]).

Conformément à l’article L. 11 du code électoral, tout électeur doit justifier d’un lien avec la commune (domicile, résidence continue, qualité de contribuable, etc.). Si ces conditions ne sont plus remplies, le maire a l’obligation de procéder à la radiation de l’électeur. Cette décision est ensuite vérifiée par la commission de contrôle communale prévue à l’article L. 19 du même code, laquelle peut, si nécessaire, procéder à une réinscription.

La mise en œuvre des radiations a été facilitée par la mise en place du REU. Ce dernier permet au maire de radier un électeur pour perte d’attache communale. Comme le rappelle l’Insee dans sa contribution écrite, « les investigations pour déterminer si l’électeur a perdu ou pas son attache communale sont de la seule responsabilité de la commune et sont menées avec des outils hors REU. » Dès lors, le REU ne met pas fin à la possibilité qu’existent des radiations excessives.

Le nombre de sollicitations de l’Insee par les tribunaux judiciaires instruisant des contentieux en la matière peut constituer un indicateur intéressant pour évaluer le volume de ces radiations réputées excessives. Il ne s’agit que d’un indicateur indirect, car ces contentieux n’ont pas tous comme origine une radiation, que tous les tribunaux ne sollicitent pas l’Insee et, surtout, que toutes les personnes injustement radiées des listes électorales ne font pas nécessairement de recours devant le tribunal administratif – loin de là. Comme le souligne par ailleurs l’Insee, l’ordre de grandeur de ces contestations par voie judiciaire, supposant une saisine de l’Insee, ne représente que 0,4 % du total des radiations pour perte d’attache communale.

Aux radiations excessives s’ajoutent les radiations mal anticipées. Celles-ci sont liées à un défaut d’information ou de notification : l’électeur n’est pas informé de sa radiation dans des délais raisonnables, ce qui l’empêche de contester la décision à temps ou de se réinscrire avant un scrutin.

Christel Colin, lors de son audition par la commission d’enquête, a ainsi précisé les proportions détaillées des différentes catégories de radiations observées entre mars 2022 et mai 2024 :

« Entre mars 2022 et mai 2024, le premier motif de radiation des listes électorales a concerné l’inscription dans une autre commune, pour un total de plus de 2 millions de radiations sur la période. Dès qu’un électeur s’inscrit dans une nouvelle commune, il est automatiquement radié de l’ancienne commune par le REU, sans aucune action de quiconque.

« Le deuxième motif de radiation concerne les décès, qui se sont élevés à 1,2 million sur la période mentionnée », précisant que « l’Insee radie automatiquement les personnes des listes électorales sur la base des informations que nous récupérons dans le répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP).

« Le troisième motif de radiation est lié à la perte d’attache communale, dont les communes ou les consulats sont responsables. 530 000 radiations de ce type sont intervenues sur la période de deux ans considérée. Les autres situations concernent essentiellement des décisions de justice ou des décisions de la commission de contrôle communale, soit 72 000 cas entre 2022 et 2024. »

Nombre de radiations opérées entre mars 2022 (élection présidentielle)
et mai 2024 (élections européennes)

Causes de radiation

Opérateur chargé de la radiation

Nombre de radiations entre mars 2022 et mai 2024

Inscription dans une autre commune

Insee, suite à la validation d’une inscription dans une nouvelle commune.

2 198 360

Décès

Insee, sur la base des informations transmises par les officiers d’état civil au RNIPP.

1 201 133

Perte d’attache communale

Communes (ou consulats).

529 913

Autres situations

Décisions de justice, décisions de la commission de contrôle.

71 692

Total

 

4 001 098

Source : contribution écrite de l’Insee transmise à votre rapporteur à l’issue de son audition par la commission d’enquête. Pour information de contexte : le nombre d’inscriptions sur la même période est de 4,5 millions pour un total de 49,3 millions d’électeurs.

Guy Geoffroy, vice-président de l’AMF, a fourni un éclairage synthétique sur la répartition globale de ces radiations : « En 2024, ces radiations n’ont pas été anodines, puisque leur nombre représentait 8 % de l’ensemble du corps électoral. Cependant, seulement 13 % de ces radiations ont été opérées dans le cadre de la perte d’attache communale. La plus grande partie de ces radiations est constituée par les personnes décédées, soit environ 30 %. Ensuite, 55 % de ces radiations interviennent du fait d’une inscription sur une autre commune, ce qui signifie que les personnes radiées ont la possibilité de voter dans leur nouvelle commune. »

2.   Les radiations pour perte d’attache communale : un risque d’arbitraire et de suffrage censitaire.

Votre rapporteur souhaite attirer l’attention sur le fait que, bien que quantitativement minoritaires au regard de l’ensemble des radiations, les radiations excessives ou mal anticipées touchent de manière disproportionnée des publics des milieux populaires, ce qui revient à exclure du corps électoral une partie de la population et à rétablir parfois une forme de suffrage censitaire qui ne dit pas son nom.

En effet, nos compatriotes des milieux populaires, et en particulier des quartiers populaires urbains, présentent des caractéristiques qui les exposent davantage à des ruptures administratives ou à des défauts d’information : mobilité résidentielle fréquente, logements dégradés qui posent des problèmes d’adressage des courriers, problèmes plus urgents à régler que l’inscription (ou le maintien de l’inscription) sur les listes électorales, éloignement des canaux ordinaires d’information citoyenne, etc. Ces facteurs peuvent contribuer à accentuer le risque d’une radiation subie, non identifiée par l’électeur avant le scrutin, engendrant in fine une privation du droit de vote sans possibilité immédiate de régularisation

Plus grave encore : votre rapporteur a constaté dans ses auditions qu’en l’état actuel du droit, rien n’interdit un maire en exercice de procéder à une radiation des listes électorales d’une partie des électeurs de sa commune dans les six semaines qui précèdent le scrutin, période au cours de laquelle une réinscription par les voies traditionnelles est impossible, exigeant un passage par le tribunal administratif pour faire valoir ses droits de citoyens. Cette situation fait peser un risque majeur d’arbitraire sur les décisions associées aux radiations sur les listes électorales et fait peser un puissant enjeu démocratique sur les élections municipales à venir. Elle exige de toute urgence une correction du droit afin de protéger nos concitoyens de radiations qui pourraient s’avérer arbitraires.

En outre, l’articulation entre les obligations légales pesant sur les communes et la capacité effective des électeurs à contester leur radiation dans les délais légaux demeure un frein à la participation. L’absence ou l’insuffisance de notification formelle, souvent relevée lors des auditions, accroît cette vulnérabilité, car elle empêche l’électeur de réagir à temps pour faire valoir ses droits. C’est en particulier ce que votre rapporteur a pu constater concernant la ville d’Évry-Courcouronnes, qui détient – de loin – un nombre record de radiations pour perte d’attache communale pour la période 2022-2024.

3.   Le cas d’Évry-Courcouronnes : des radiations abusives qui faussent le résultat du scrutin.

Le cas d’Evry-Courcouronnes est emblématique des problèmes majeurs qui peuvent être associés aux radiations pour perte d’attache communale. Ainsi, lors des élections européennes de 2024, de nombreuses personnes ont été empêchées d’aller voter en raison de ces radiations… et cela alors même qu’elles habitaient toujours la ville et qu’elles étaient, parfois, allées voter aux précédentes élections !

Votre rapporteur a été alerté sur ce sujet par la députée de la ville d’Évry-Courcouronnes, Farida Amrani, membre de notre commission d’enquête. Un article du journal Le Monde, intitulé « Élections européennes : dans les bureaux de vote et au tribunal d’Evry, la colère des électeurs radiés des listes électorales », en témoigne. Le journaliste Luc Bronner, présent au tribunal administratif de la ville le jour du vote, fait état de la situation particulièrement problématique à laquelle il a pu assister.

Extraits de l’article du Monde ([17])

La juge est désemparée et, en ce milieu d’après-midi électoral, elle ne le dissimule pas devant les dizaines de citoyens qui patientent, à cet instant, dans une salle d’audience du tribunal d’Evry-Courcouronnes pour obtenir en urgence leur réintégration sur la liste électorale et pouvoir voter ce dimanche 9 juin.

« Je ne suis pas sûre de pouvoir traiter tous vos recours avant 20 heures », explique la magistrate – qui a demandé à ce que son nom ne soit pas cité. « Ça veut dire qu’on ne pas aller voter ? », interroge, indignée, une électrice de 71 ans. « Généralement, on a trois recours dans la journée, parfois dix, là on est déjà à quatre-vingts à 17 heures, tente de justifier la magistrate. Nous n’avons pas été informés de cette radiation massive sur la ville. J’ai demandé du renfort, une personne est venue m’aider mais nous n’arriverons pas à tout traiter. » « C’est un droit fondamental ! », s’insurge un autre électeur. « C’est parce qu’ils ne veulent pas nos votes ? », interroge un autre. Pour la présidentielle, une élection où la participation est bien plus élevée, le tribunal avait comptabilisé dix-sept recours, communique au Monde la magistrate.

(...)

« Je suis arrivée à 10 heures pour voter, on m’a renvoyé vers la mairie, j’ai fait la queue, puis je suis allée chercher un justificatif de domicile, je suis allée au tribunal, j’ai attendu, il est 15 heures, je viens de voter », explique Stéphanie D. Elle a obtenu gain de cause après une longue attente, comme le stipule le jugement rendu par le tribunal en début d’après-midi : « A l’audience, Mme D. expose avoir pu voter sans difficulté lors du scrutin de 2022. Elle affirme que la mairie a connaissance de sa nouvelle adresse, lui envoyant notamment les factures de la cantine (…). Au regard de l’erreur intervenue, il y a donc lieu d’ordonner l’inscription sur les listes électorales », déclare la juge.

Dans la salle d’audience, une femme retraitée montre les tampons des élections de 2022 sur sa carte d’électrice. « J’ai toujours voté. J’ai été radiée mais pas ma fille qui vit à mon domicile, comment vous l’expliquez ? », demande Sonia M. « Ils veulent nous démotiver pour quelles raisons ? », s’agace-t-elle. Un couple avec trois enfants a connu une mésaventure similaire : le père a pu voter, pas la mère, radiée.

La famille L. a connu une radiation plus radicale : les deux parents et cinq enfants ont découvert qu’ils n’étaient plus sur les listes. « La mairie dit qu’il y a eu un recommandé, c’est faux, on a une caméra devant la maison, on l’a jamais vu le facteur », précise une des filles, en montrant par ailleurs sa carte d’électrice tamponnée pour le second tour des législatives de 2022. Le père de famille n’en revient pas : « J’habite Evry depuis 1973 à la même adresse. » Une autre retraitée de 71 ans dit son incompréhension. « C’est le maire qui m’a donné l’appartement où je vis en tant que senior. Et on me dit que je n’y habite pas ! Je ne lâcherai pas, je vais voter », affirme cette électrice de Jordan Bardella (Rassemblement national). « Énormément de personnes ont fait demi-tour », relève une électrice de Manon Aubry (La France insoumise, LFI). Lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022, Jean-Luc Mélenchon, le candidat LFI, avait obtenu dans la commune 50,1 % des voix, devant Emmanuel Macron (21,6 %) et Marine Le Pen (11,5 %).

 

Cet article fait état d’un grand nombre de problèmes associés à ces radiations : surcharge du tribunal administratif (« Je ne suis pas sûre de pouvoir traiter tous vos recours. (...) Nous n’arriverons pas à tout traiter. »), impossibilité d’accès au droit fondamental d’aller voter, problème politique associé au non-vote (« c’est parce qu’ils ne veulent pas de nos votes ? »), découragement possible d’électeurs devant l’attente (« Je suis arrivée à 10h pour voter (...) il est 15h, je viens de voter »), inégalités des radiations au sein d’un même foyer (« J’ai toujours voté. J’ai été radiée mais pas ma fille qui vit à mon domicile, comment vous l’expliquez ? »), absence de réception du courrier recommandé de la mairie (« La mairie dit qu’il y a eu un recommandé, c’est faux, on a une caméra devant la maison, on l’a jamais vu le facteur »).

La députée Farida Amrani elle-même a été témoin de radiations aléatoires au sein de sa propre famille, dont elle avait pour sa part pu se rendre compte alors qu’elle s’était rendue à la mairie pour obtenir le numéro d’électeur de ses parents et de sa fille aînée dans l’objectif d’établir des procurations. Ainsi, son père, sa mère et sa première fille avaient été radiés, tandis qu’elle-même, sa sœur et sa deuxième fille ne l’étaient pas ! Une situation qui apparaît largement arbitraire et aléatoire, chacune des personnes habitant en effet bien à Évry-Courcouronnes.

Votre rapporteur a d’abord voulu objectiver les choses. Y a-t-il eu oui ou non une situation exceptionnelle à Évry-Courcouronnes ? Cette situation s’est-elle produite dans d’autres villes ? Il a donc demandé à l’Insee de lui fournir la liste des communes ayant effectué le plus de radiations sur la période 2023-2024, pour chercher à dresser un panorama national des villes ayant effectué le plus de radiations. Au total, sur ces deux années, 2 366 communes ont eu un taux de radiation pour perte d’attache communale supérieur ou égal à 5 % du corps électoral et 289 communes ont eu un taux de radiation supérieur à 10 % du corps électoral. Si on se concentre sur les communes de plus de 1 000 électeurs, on constate que la ville d’Évry-Courcouronnes est bien la ville ayant connu le plus de radiations, avec un taux de radiation pour perte d’attache communale de 16,7 % du corps électoral, que l’on peut ramener, après exclusion du bureau de vote dérogatoire de la ville (c’est-à-dire celui associé aux lieux de privation de liberté, comme la prison de Fleury-Mérogis), à un taux de 14,6 % du corps électoral, soit 5 532 radiations sur 37 998 inscrits.

Ces données établies, votre rapporteur a voulu savoir si ces radiations étaient également réparties ou non dans la ville d’Évry-Courcouronnes. Il a donc demandé à l’Insee d’établir le détail des radiations par type de radiation et par bureau de vote dans la ville, afin de chercher à comprendre si des bureaux de vote étaient davantage touchés que d’autres par ces radiations. Les résultats sont édifiants : certains bureaux de vote connaissent des radiations qui dépassent 250 personnes ; d’autres en ont moins de quelques dizaines.

Fort de ces données, votre rapporteur s’est rendu à la mairie d’Évry-Courcouronnes le vendredi 18 avril 2025, pour effectuer un contrôle sur pièces et sur place du mode d’organisation de ces radiations. Après avoir déclaré qu’il était impossible d’accéder aux documents demandés, les personnes présentes sur place ont fini par donner accès à votre rapporteur aux courriers recommandés avec accusé de réception envoyés par la ville. Stockés en sous-sol de la municipalité, près d’une vingtaine de cartons, contenant chacun plusieurs centaines de courriers étaient entreposés avec les urnes et le matériel nécessaire au vote. Votre rapporteur a ainsi pu établir qu’un premier courrier daté du 16 novembre 2023 avait été envoyé durant le mois de décembre 2023, suivi d’un deuxième courrier daté du 15 février 2025, signalant l’effectivité de la radiation, celle-ci étant effectivement intervenue plus tard, à l’issue d’une commission électorale qui s’était tenue le 17 mai 2025.

Votre rapporteur a interrogé les services de la municipalité sur ces radiations. Dans le bureau n° 12, qui avait connu 415 radiations, les services ont indiqué qu’un grand logement collectif avait été détruit, ce qui expliquait le fort niveau de radiations. Votre rapporteur a ensuite posé la question pour les bureaux de vote dont plus de 200 électeurs ont été radiés, qui ont été décrits comme « des bureaux de votes plutôt populaires » tandis que les bureaux qui avaient connu moins de 100 radiations étaient décrits comme « plutôt pavillonnaires ». À la question de savoir si cela pouvait avoir des effets politiques, en favorisant ou en défavorisant certains candidats aux élections, aucune réponse n’a été apportée. Votre rapporteur a donc cherché à objectiver ce point en comparant les radiations par bureau de vote aux résultats électoraux obtenus à différentes élections dans ces mêmes bureaux de vote. Là encore, les résultats sont édifiants.

Comparaison entre les radiations et les résultats électoraux par bureau de vote.

Le constat est sans appel. Les bureaux de vote qui ont connu le plus de radiations sont aussi ceux dans lesquels le vote pour la gauche, et en particulier pour Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise, étaient les plus élevés à l’élection présidentielle 2022, aux élections législatives de 2022, aux élections européennes de 2024 et aux élections législatives de 2024 ; à l’inverse, les bureaux de vote ayant connu le moins de radiations sont aussi les bureaux où les scores du parti d’Emmanuel Macron étaient les plus élevés lors de ces mêmes élections. Autrement dit, l’effet politique de ces radiations a statistiquement été d’exclure davantage d’électeurs de gauche que d’électeurs de droite du scrutin.

Pour objectiver encore davantage ces données, votre rapporteur a demandé à la municipalité d’Évry-Courcouronnes de lui fournir des documents relatifs à la délivrance d’attestations de radiations des listes électorales qu’on peut qualifier d’abusives (au sens où l’attestation fournie par la municipalité indiquait que, vérification faite sur pièces justificatives, il n’y aurait en réalité pas eu lieu de procéder à une radiation), mais aussi au suivi qui a été fait au tribunal de ces radiations. Et là encore, les chiffres sont édifiants.

Source : document papier remis à votre rapporteur par la municipalité d’Évry-Courcouronnes lors du contrôle sur pièces et sur place.

Au total, on constate que le jour du vote pour les élections européennes (9 juin 2024), 100 % des personnes dont les dossiers ont pu être examinés à temps par le tribunal d’Évry (soit 81) ont été réinscrites sur les listes électorales par les magistrats ! Il n’y avait donc aucune raison pour qu’elles soient radiées des listes. Par ailleurs, on constate également que ce jour-là, 126 attestations avaient été délivrées par la mairie. On peut donc légitimement supposer qu’au moins 45 personnes supplémentaires étaient en droit de se réinscrire sur les listes électorales mais n’ont pas pu le faire faute de temps du côté du tribunal administratif. Par ailleurs, ces données sont celles dont il reste une trace administrative, et elles ne prennent donc pas en compte tous ceux qui sont allés au bureau de vote et sont rentrés chez eux sans savoir qu’ils pouvaient aller devant le tribunal administratif, ou bien ont été découragés par l’attente en mairie (pour les attestations de radiations abusives) ou au tribunal (pour les réinscriptions). Au total, le cas d’Évry-Courcouronnes démontre l’effet de ces radiations prétendument pour « perte d’attache communale » : avoir privé de nombreux compatriotes de leur droit de vote, qui est le droit fondamental de chaque citoyen de la République. Il est également à noter que, au total, la municipalité d’Évry-Courcouronnes a délivré pas moins de 472 attestations en un mois, et que le tribunal d’Évry a, au total, réinscrit 163 personnes sur les listes électorales, montrant l’ampleur des radiations abusives qui ont eu lieu dans cette ville.

Ces chiffres sont inquiétants. Particulièrement quand on sait que le maire d’Évry-Courcouronnes Stéphane Baudet était lui-même candidat aux élections législatives de 2024 et que, comme on a pu le voir ci-avant, les radiations les moins nombreuses se sont produites dans les bureaux de vote où il a fait ses meilleurs scores tandis que les radiations les plus nombreuses se sont produites dans les bureaux où son adversaire Farida Amrani faisait quant à elle ses meilleurs scores. Autrement dit : l’effet politique des radiations abusives a été de pénaliser la gauche aux élections européennes et législatives de 2024.

Votre rapporteur est donc plus qu’inquiet sur l’effet de ces radiations à l’échelle nationale. En effet, suite à ses échanges avec l’Insee, votre rapporteur est en mesure d’établir que 13 667 communes ont procédé à des radiations pour perte d’attache communale sur les années 2023 et 2024, soit plus d’un tiers des communes du pays. Au total, les radiations cumulées en deux ans pour perte d’attache communale s’élèvent à près de 500 000 (très précisément : 499 349) ! Et cela sans que l’on puisse savoir si ces personnes ont effectivement ou non pu ensuite se réinscrire sur les listes électorales ! Par ailleurs, les radiations pour perte d’attache communale ne se sont pas arrêtées en 2024 et il est donc plus que probable que d’autres communes aient procédé à ce type de radiations depuis lors. Une projection des chiffres sur les années à venir est vertigineuse. Si les radiations pour perte d’attache communale se poursuivent à un tel rythme, ce sont, entre deux élections présidentielles (2022-2027), jusqu’à 1,2 million de personnes qui pourraient avoir été victimes de ce type de radiations en l’espace de 5 ans, sans que l’on sache si elles ont pu ou non se réinscrire.

Partant de ces constats alarmants, votre rapporteur suggère en urgence la mise en place d’un moratoire sur les radiations prononcées au motif d’une perte d’attache communale. Concrètement, il conviendrait de suspendre l’application de la procédure prévue à l’alinéa 2 de l’article L. 18 du code électoral, dans la mesure où elle permet la radiation d’électeurs au seul motif qu’ils ne rempliraient plus les conditions énoncées au 1° du I de l’article L. 11, c’est-à-dire l’absence de domicile réel ou de résidence d’au moins six mois dans la commune.

Aussi, afin d’assurer la continuité du droit de suffrage sans compromettre la fiabilité du fichier électoral, votre rapporteur préconise l’introduction d’une disposition législative dérogatoire à l’article L. 18.

Cette disposition aurait pour effet d’interdire aux maires, pendant une période courant jusqu’au 31 décembre 2027, de procéder à des radiations pour perte d’attache fondées sur le seul manquement aux conditions de domiciliation ou de résidence prévues au 1° du I de l’article L. 11.

Recommandation n° 1 : Mettre en place en urgence un moratoire des radiations pour perte d’attache communale pour éviter de priver du droit de vote nos compatriotes qui sont touchés par ces radiations.

Recommandation n° 2 : À terme, interdire définitivement les radiations pour perte d’attache communale via la mise en place d’un système d’inscription automatique sur les listes électorales permettant d’éviter les radiations abusives.

Recommandation n° 3 : Mettre en place un plan de contact national des personnes radiées des listes électorales pour perte d’attache communale, en lien avec l’Insee, afin de vérifier leur situation électorale et de s’assurer qu’elles puissent se réinscrire au plus vite sur les listes électorales.

E.   Un suffrage censitaire organisé de facto en France

Au terme des travaux de la commission d’enquête, votre rapporteur tient à souligner que, malgré les avancées administratives indéniables permises par le REU et la modernisation de certaines procédures, la France persiste à tolérer, dans les faits, un système électoral qui reproduit mécaniquement les logiques d’exclusion politique jadis associées au suffrage censitaire, conduisant des pans entiers de la population à ne pas pouvoir matériellement participer au scrutin, et cela indépendamment des logiques purement politiques de l’abstention.

Ce constat, qui peut sembler excessif au regard du principe formel de l’universalité du suffrage, trouve cependant sa pleine justification dans les auditions menées par la commission d’enquête.

Historiquement, la conquête du suffrage universel a été marquée par des étapes de résistance institutionnelle de la bourgeoisie visant à restreindre la participation politique à une part de la population définie par des critères économiques, sociaux et symboliques. Aujourd’hui encore, les inégalités de participation traduisent une fracture profonde entre les citoyens les mieux dotés en ressources économiques ou culturelles et ceux qui en sont privés. Le constat est implacable : les jeunes, les non-diplômés, les travailleurs précaires, les habitants des quartiers populaires ou des territoires isolés votent significativement moins que les autres, et cela d’abord parce qu’ils souffrent davantage que les autres des problèmes de non-inscription, de mal-inscription ou de radiations excessives des listes électorales.

Les phénomènes de non-inscription et de mal-inscription, qui touchent des millions de nos concitoyens, constituent, à cet égard, des indicateurs patents de cette exclusion. En outre, la progression continue de l’abstention, dont le caractère socialement situé a été abondamment démontré au cours des travaux de la commission, accentue la dynamique d’un suffrage censitaire de fait. Car l’abstention ne saurait être, les auditions de votre rapporteur l’ont montré, interprétée comme l’expression exclusive d’un désintérêt individuel pour la vie politique : elle procède d’inégalités structurelles et de conditions matérielles inégales de l’exercice du droit de vote.

Celles-ci acquièrent, par ailleurs, une reconnaissance tacite dès lors qu’aucune politique publique ambitieuse n’est déployée pour les résorber. En conséquence, nous assistons à un affaiblissement progressif de la pacification démocratique historiquement assurée par le rituel électoral, en ce qu’il prive une part croissante de la population de la capacité concrète à exercer son droit de vote et à produire une « contestation légale » à l’encontre du système. Un tel processus de désaffiliation civique mine peu à peu la légitimité même des institutions représentatives de la Ve République en ce qu’il conduit à empêcher la représentation politique de pans entiers de la population.

Votre rapporteur estime qu’il est plus que jamais temps de reconnaître la gravité de cette situation et de rompre avec la passivité des pouvoirs publics, laquelle équivaut, par son inertie, à une forme de consentement tacite voire d’organisation d’un suffrage censitaire dissimulé sous le vernis du suffrage universel.

Ce constat appelle à une transformation des dispositifs d’inscription, d’information, mais aussi de mobilisation civique, afin de garantir l’effectivité réelle du droit de vote pour tous les citoyens, indépendamment de leur âge, de leur capital économique, culturel ou social. Dans cette perspective, votre rapporteur souhaite désormais orienter sa réflexion vers des préconisations opérationnelles, ambitieuses et ciblées.

IV.   Nos propositions pour en finir avec le nouveau suffrage censitaire et organiser la mobilisation des citoyens aux élections.

Votre rapporteur souscrit pleinement à l’idée développée par Tristan Haute au cours de son audition par la commission : « le processus électoral français est caractérisé par une forme de robustesse mais aussi parfois d’inertie » Ainsi, par exemple, après une radiation, « les procédures pour s’inscrire de nouveau sur les listes électorales sont en effet assez complexes. »

Les constats dressés appellent à poursuivre deux voies de réforme pour accroître la mobilisation des citoyens : la première consiste à repenser le statut de l’électeur afin de rendre l’acte de vote plus incitatif et d’encourager un développement de l’esprit civique au sein de l’ensemble de la population ; la deuxième, plus technique, consiste à optimiser le fonctionnement des procédures d’inscription et l’exercice concret de l’acte de vote, en limitant autant que possible la survenance de barrières administratives pouvant endiguer l’expression du suffrage, et conduire de larges pans de la population française à être dans l’incapacité matérielle de voter.

A.   Vers une redéfinition du statut de l’électeur en France ?

Les éléments qui conditionnent le statut de l’électeur revêtent parfois, en France, le caractère de normes intangibles. Il convient cependant de ne pas oublier que le vote est un droit dont les contours ont substantiellement évolué au cours de l’histoire : il a ainsi fallu attendre 1944 pour que les femmes puissent voter et 1974 pour que l’âge de la majorité soit abaissé de 21 ans à 18 ans. Pour votre rapporteur, il faut maintenant ouvrir une nouvelle étape de l’extension du corps électoral en ouvrant la possibilité de voter dès l’âge de 16 ans.

1.   Vers l’abaissement du droit de vote à 16 ans et le renforcement de l’éducation à la citoyenneté.

Il apparaît ainsi que les évolutions relatives au statut de l’électeur ont, dans l’histoire, souvent reflété des progrès sociaux plus larges, cristallisant en dernier ressort les changements fondamentaux de la société. Dans le sillage de cette réflexion, votre rapporteur a souhaité mener une réflexion sur l’opportunité d’abaisser l’âge à partir duquel le citoyen peut voter. Il a, en ce sens, auditionné Mm Clémentine Beauvais, autrice d’un essai incisif défendant le droit de vote dès la naissance. Même si elle est a priori étonnante et difficilement opérationnelle, cette proposition, présentée devant la commission, a permis d’ouvrir un champ de réflexion stimulant sur le rôle de la jeunesse dans les processus électoraux.

Clémentine Beauvais ([18]) a notamment souligné qu’il était intéressant de noter « que la société accepte que les enfants deviennent des consommateurs dès leur plus jeune âge, souvent influencés par la publicité et les médias, sans que cela soulève de débat », alors même qu’elle considère, dans le même temps, qu’ils ne peuvent procéder à des choix éclairés en matière politique. Aussi, il lui apparaît « paradoxal de refuser aux enfants la capacité de faire des choix pour le bien commun tout en acceptant qu’ils effectuent des choix monétaires. »

Sans aller jusqu’à proposer le droit de vote à la naissance, comme le fait Clémentine Beauvais, votre rapporteur est, dans le sillage de ces réflexions, favorable à l’abaissement du droit de vote à 16 ans. En effet, cet abaissement accorderait une reconnaissance explicite à une catégorie de la population, la jeunesse, souvent perçue comme marginalisée dans le processus démocratique, en accroissant sa capacité d’action directe sur les choix collectifs.

Cet abaissement aurait par ailleurs une forme de logique dans la mise en cohérence du droit français. En effet, l’âge de 16 ans est actuellement un âge charnière qui ouvre de nombreux droits, mais pas celui d’être pleinement citoyen en exerçant celui de voter. Ainsi, à 16 ans, un mineur qui commet une infraction pénale peut être condamné à la même peine qu’un adulte ; on le considère donc comme capable d’un discernement sur un sujet aussi crucial que la justice pénale, mais on continue à le considérer incapable du même discernement pour se rendre aux urnes. À 16 ans, un mineur peut arrêter l’école et commencer à travailler, il peut obtenir son émancipation avec accord de son tuteur légal, il peut participer à la création d’une association et participer à son administration, il peut s’engager dans un service civique, il peut devenir pompier volontaire, il peut préparer le permis A1 (moto légère), il peut s’occuper des questions relatives à sa santé, choisir un médecin traitant, ouvrir un dossier médical personnel, s’immatriculer à la sécurité sociale ([19]). Mais il ne peut pas voter. Pour votre rapporteur, il est temps de remédier à ce qui s’apparente, non seulement à une aberration du droit mais aussi à une injustice pour nos plus jeunes compatriotes.

L’abaissement de l’âge électoral aurait également pour vertu de nourrir l’intérêt des jeunes pour les débats politiques, en leur donnant un accès concret aux mécanismes de décision. Il s’agirait ainsi d’encourager l’éveil civique dès le plus jeune âge, en suscitant une familiarité précoce avec les enjeux de la vie publique et en favorisant le développement de compétences critiques nécessaires à l’exercice éclairé du suffrage. Par ailleurs, 95 % d’une classe d’âge étant toujours scolarisée à 16 ans, 92,5 % à 17 ans et 78,3 % à 18 ans selon l’Insee ([20]), un tel abaissement de l’âge pour participer aux élections permettrait de faire encore davantage de l’école de la République un lieu d’apprentissage de la citoyenneté, puisque les échéances électorales ne manqueraient pas d’alimenter les conversations, les débats, et avec elle la capacité de maîtriser encore mieux le fonctionnement du système électoral français.

Recommandation n° 4. Abaisser à 16 ans le droit de vote et le seuil d’inscription automatique sur les listes électorales.

Toutefois, cette réforme n’aurait de portée effective qu’à la condition d’être accompagnée d’un effort approfondi en matière d’éducation civique. Par exemple, la généralisation de l’organisation de dispositifs pédagogiques innovants dans les établissements scolaires, tels que des simulations de votes, des débats publics ou des rencontres avec des élus, pourrait contribuer à ancrer durablement cette culture démocratique chez les enfants et les adolescents.

Par ailleurs, la réactivation systématique des cérémonies de citoyenneté, au cours desquelles les jeunes majeurs se voient remettre leur carte électorale, constitue un levier symbolique fort pour renforcer l’engagement civique. Ces cérémonies, organisées par les mairies, permettent de rappeler les principes fondamentaux de la République et de souligner l’importance du droit de vote. Elles peuvent également être l’occasion de remettre le livret du citoyen, élaboré par la Direction de l’information légale et administrative (DILA), qui présente les droits et devoirs du citoyen français. En associant ces démarches à des actions éducatives, telles que des simulations de votes ou des débats publics, il serait possible de favoriser une appropriation concrète des enjeux démocratiques par les jeunes générations.

Recommandation n° 5 : Renforcer, dès l’entrée dans la vie scolaire, l’information électorale et l’éducation aux enjeux du vote et de la citoyenneté.

2.   Corriger une aberration du droit électoral français pour les étrangers.

Comme votre rapporteur l’a rappelé, il est possible aux ressortissants européens ne détenant pas la nationalité française de participer aux élections municipales et européennes en France. Ce régime, dérogatoire, altère le principe selon lequel la nationalité et la citoyenneté sont, dans notre tradition politique et philosophique, étroitement associées (cette conception française de la citoyenneté étant fondée sur l’appartenance juridique à la communauté nationale).

À ce titre, votre rapporteur considère que cette situation crée une inégalité de fait entre les étrangers européens et les étrangers non européens qui peut à la limite s’expliquer pour ce qui concerne les élections européennes qui impliquent une citoyenneté européenne, mais qui devient incompréhensible dès lors que l’on vient à parler des élections municipales. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen disposant à son article 1er que « Les Hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », il apparaît inopportun que la République distingue entre les droits des étrangers sur son sol.

Aussi, votre rapporteur préconise de mettre fin à cette étrangeté légale et de permettre aux étrangers résidant en France de participer aux élections municipales.

À ce titre, l’Assemblée nationale pourrait débattre d’une proposition de loi en ce sens, laquelle pourrait s’inspirer de la proposition de loi visant à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France, déposée par le député Sacha Houlié lors de la XVIème législature.

Recommandation  6 : Accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France.

Plus largement, cette inégalité fondamentale du droit devant être rapidement corrigée afin de respecter nos principes fondamentaux, votre rapporteur estime qu’il serait opportun de poser une réflexion plus globale sur le sens de la nationalité et de la citoyenneté. En effet, si l’on résume la situation actuelle, il existe trois statuts différents : 1) le citoyen français, qui peut participer à toutes les élections, 2) le citoyen européen, qui peut participer aux élections européennes et municipales, 3) l’étranger, qui ne peut participer à aucune élection, mais peut néanmoins payer des impôts et taxes (TVA) et participer au financement de l’État sans aucun pouvoir de décision. Il existe donc sur le sol de la République trois statuts de citoyenneté : total (citoyen français), partiel (citoyen européen) et non-électif (citoyen étranger).

Votre rapporteur estime dommageable cette situation qui met en cause des principes fondamentaux de l’Histoire longue de la République française. En effet, le lien entre nationalité et citoyenneté, entendue au sens « d’exercice du droit de vote », est profondément ancré dans l’Histoire constitutionnelle française, notamment depuis la Révolution.

La Constitution du 24 juin 1793 proposait ainsi une conception élargie et audacieuse de la citoyenneté permettant aux étrangers d’intégrer rapidement la communauté nationale par l’exercice du droit de vote. Son article 4 disposait en effet que tout homme né et domicilié en France, âgé de vingt et un ans accomplis, ainsi que tout étranger de plus de vingt et un ans, domicilié en France depuis un an, y vivant de son travail, y acquérant une propriété, épousant une Française, adoptant un enfant ou nourrissant un vieillard, ou encore tout étranger jugé par le Corps législatif comme ayant « bien mérité de l’humanité », pouvait être admis à l’exercice des droits de citoyen français. Cet article témoignait ainsi d’une volonté d’intégration rapide des étrangers à la communauté politique, cette intégration supposant un acte d’adhésion à la nation, à travers une insertion durable, économique, familiale ou morale, dans le corps social français.

S’inscrivant dans cette perspective républicaine historique, votre rapporteur considère donc que s’il est urgent de corriger une aberration actuelle du droit français qui distingue les étrangers européens des étrangers non-européens en permettant à tous de participer aux élections municipales, une réflexion plus large doit s’engager sur la facilitation de l’accès à la citoyenneté - et donc aujourd’hui à la nationalité - des étrangers vivant en France. À l’heure où le ministre de l’Intérieur tend à durcir ces conditions d’accès, votre rapporteur estime au contraire qu’il faudrait les faciliter pour être fidèle à la tradition républicaine française : celle d’une communauté politique fondée sur l’appartenance juridique et symbolique à la nation entendue comme corps des citoyens en droit de voter.

B.   De l’exigence d’un renforcement de la lisibilité des campagnes institutionnelles.

Le renforcement de la participation électorale doit passer par une refonte du statut de l’électeur et un renforcement de l’esprit civique mais nécessite aussi une information électorale fiable et précise en amont des échéances électorales.

À ce titre, votre rapporteur souhaite saluer le rôle crucial joué par les sites institutionnels tels que ceux de la Direction de l’information légale et administrative (DILA), qui assurent une diffusion massive, accessible et fiable de l’information électorale.

Sa directrice Anne Duclos-Grisier ([21])a ainsi rappelé devant la commission : « La dissolution a entraîné un surcroît de fréquentation de nos sites. En juin, le site vie-publique.fr a enregistré 3,9 millions de visites, contre une moyenne mensuelle de 2,4 millions pendant l’année. La fiche sur la dissolution de l’Assemblée nationale a reçu 320 000 visites tandis que celle sur les différences entre le vote nul et le vote blanc a été consultée à 111 000 reprises en juin et autant en juillet. Douze des vingt fiches les plus consultées du site service-public.fr concernent les élections. La fiche sur le vote par procuration a recueilli 4,2 millions de visites au mois de juin contre 657 000 au mois de mai 2024, la fiche “Élections politiques, déroulement du scrutin”, 869 000, et la fiche “Quelles sont les dates des prochaines élections ?”, 708 000 – bref, la hausse a été nette. »

Elle a également insisté sur la vigilance apportée à la qualité et à la neutralité de l’information publiée : « Nous ne jouons pas de rôle direct dans la lutte contre la désinformation, si ce n’est en mettant en avant notre propre information. Je me réjouis que vous ayez constaté que les informations publiées étaient fiables et équilibrées ; nous y sommes très attentifs. »

Parallèlement, le directeur du Service d’information du gouvernement (SIG), M. Michaël Nathan ([22]), a exposé devant la commission son action visant à « encourager l’engagement démocratique » grâce à une stratégie combinant des campagnes nationales, un logo commun « Allons voter » et la mise en place de partenariats, notamment numériques, en complément d’une plateforme centralisée (elections.interieur.gouv.fr) permettant à chaque citoyen de vérifier son inscription ou d’engager une procuration.

M. Nathan a souligné que cette communication reposait sur « une approche très servicielle », martelant « la date […] la nature du scrutin, de même que les modalités pratiques », et qu’elle s’appuyait sur « une coordination interministérielle » afin de garantir la cohérence de l’action publique.

Cependant, malgré les efforts réalisés par les différents services à l’échelle nationale, plusieurs problématiques subsistent concernant l’information électorale, notamment dans les territoires d’outre-mer. Les taux d’abstention y restent particulièrement élevés, atteignant 65 % en Guadeloupe, 67 % en Martinique et jusqu’à 73 % en Guyane lors des législatives de 2024, ce qui souligne un déficit d’information et de mobilisation dans ces régions.

Par ailleurs, l’absence de communication de proximité, prenant en compte les particularismes territoriaux, peut réduire à néant les efforts de mobilisation nationale. À cet égard, Marie Neihouser ([23]) a rappelé à la commission les résultats de ses travaux : « Lors d’une enquête commune menée à Roubaix lors de l’élection présidentielle, on a constaté que des gens revenaient voter après s’être longtemps abstenus mais qu’ils n’étaient pas au courant des changements de bureau de vote. Ils prenaient assez mal le fait de s’être trompés et, surtout, renonçaient à se rendre dans le bon bureau. Il faudrait donc informer davantage les électeurs pour qu’ils sachent mieux quel est leur bureau de vote et comment s’y rendre. » Cette observation montre que l’absence d’une communication de proximité, prenant en compte les particularismes territoriaux, peut réduire à néant les efforts de mobilisation nationale.

Il apparaît en somme que l’efficacité des campagnes d’information électorale ne saurait être évaluée uniquement à l’aune des volumes de fréquentation des sites institutionnels ou de la multiplication des supports de communication. Une telle approche, bien que rassurante en apparence, peut occulter des dysfonctionnements structurels plus profonds. En effet, la complexification croissante de l’environnement informationnel, marquée par une fragmentation des canaux de communication et une saturation des messages, rend plus difficile la transmission claire et ciblée des informations essentielles aux électeurs. Cette situation est exacerbée par une méfiance grandissante envers les institutions et les médias traditionnels, notamment parmi les jeunes générations et les populations les plus éloignées des circuits de participation politique.

Dans ce contexte, votre rapporteur recommande de renforcer non seulement l’ampleur mais aussi la territorialisation des campagnes d’information électorale, en veillant à associer les collectivités locales à leur élaboration et à leur diffusion, afin de garantir à chaque citoyen une information complète, compréhensible et adaptée à sa situation concrète.

Recommandation n° 7. Confier explicitement aux communes une mission de diffusion locale de l’information électorale, en complément des campagnes nationales, en leur apportant les moyens nécessaires pour organiser des campagnes de proximité (courriers individualisés, affichages ciblés et permanences d’information), afin d’assurer à chaque électeur une connaissance précise de son bureau de vote, des horaires de scrutin et des modalités pratiques de participation.

Il pourrait également être pertinent d’envisager l’utilisation du dispositif FR-Alert, actuellement employé pour diffuser des alertes en cas de danger imminent, comme moyen de communication pour rappeler aux citoyens les échéances électorales importantes, telles que les dates limites d’inscription sur les listes électorales ou les jours de scrutin.

Ce système, qui permet d’envoyer des notifications géolocalisées à tous les téléphones mobiles présents dans une zone déterminée, a démontré son efficacité lors de situations d’urgence. Son adaptation à des fins d’information électorale pourrait renforcer la sensibilisation et la participation des électeurs, notamment dans les zones où l’accès à l’information est limité. Toutefois, une telle utilisation nécessiterait une réflexion approfondie sur les modalités de mise en œuvre, afin de garantir le respect de la finalité initiale du dispositif et d’éviter toute confusion ou saturation de messages auprès de la population.

Recommandation n° 8 : Expérimenter l’utilisation du dispositif FR-Alert pour rappeler aux citoyens les échéances électorales importantes, telles que les dates limites d’inscription sur les listes électorales ou les jours de scrutin.

C.   De la nécessité d’achever la modernisation du système d’inscription électorale et de limiter les effets indésirables des radiations.

Si votre rapporteur tient à souligner les avancées permises par la mise en place du REU ([24]) et l’intégration croissante des démarches numériques, notamment grâce à FranceConnect., les auditions ont mis en lumière des marges significatives d’amélioration pour empêcher les radiations électorales involontaires et corriger pour de bon les problèmes de non-inscription (près de 3 millions de personnes) et de mal-inscription (plus de 7 millions de personnes), qui touchent au total plus de 10 millions de nos compatriotes, soit plus que le score du candidat arrivé en tête au premier tour de l’élection présidentielle de 2022.

1.   Mettre en place un système d’inscription automatique sur les listes électorales.

Le principal enjeu consiste à faire basculer le système actuel vers une automatisation des procédures d’inscription. Cette solution, optimale, permettrait de résoudre à la fois les problèmes liés à la non-inscription et ceux liés à la mal-inscription, en systématisant l’inscription de tout citoyen actif sur la liste électorale de son lieu d’habitation, ainsi qu’en permettant automatiquement son transfert en cas de déménagement ou pour tout autre changement de situation administrative.

Toutefois, comme l’indique la Cour des comptes dans son rapport, et comme l’a confirmé Christian Charpy devant la commission d’enquête, « l’inscription automatique sur les listes électorales revêt une certaine complexité, puisqu’actuellement, ces listes sont rattachées aux communes ». En effet, comme l’écrit l’Insee dans sa contribution, l’inscription automatique sur les listes électorales en France soulève d’importantes contraintes techniques et juridiques, principalement en raison de l’absence d’une base de données unique et fiable centralisant l’identité, la nationalité et l’adresse actualisée des citoyens. À ce jour, les principaux fichiers existants (carte nationale d’identité, RNIPP, fichiers fiscaux) ne réunissent pas simultanément ces informations essentielles, chacun comportant des lacunes majeures : mise à jour insuffisante, absence d’indication de la nationalité, pluralité d’adresses pour un même individu.

Cependant, une interconnexion généralisée constituerait un défi majeur en matière de protection des données personnelles, soulevant des enjeux d’acceptabilité sociale et politique. De surcroît, le code électoral autorise plusieurs modalités de rattachement électoral, ce qui obligerait à créer des règles précises pour traiter les situations de multi-résidence et désigner une commune de rattachement unique.

En outre, la mise en place d’un registre national de population, solution alternative souvent évoquée et pratiquée dans certains pays étrangers, impliquerait l’instauration de contraintes administratives fortes, obligeant chaque citoyen à s’y inscrire et à signaler tout changement sous peine de perdre certains droits, ainsi qu’un numéro unique pour assurer le suivi des situations individuelles. Une telle réforme nécessiterait également un dispositif centralisé au niveau national, faute de quoi les écueils observés avant la création du REU, notamment la multiplication des doublons locaux, réapparaîtraient. Enfin, la charge de gestion et de mise à jour d’un tel registre incomberait en grande partie aux communes, soulevant des enjeux d’organisation et de moyens humains qui doivent être soigneusement évalués.

En conclusion, votre rapporteur recommande de mener une évaluation approfondie de l’état des bases de données existantes, de leur interopérabilité, dans le strict respect des principes de protection des données personnelles. Comme l’a souligné Tristan Haute lors de son audition, « le système d’inscription sur les listes électorales est désormais relié à FranceConnect, ce qui permet d’envisager des interconnexions ». L’accès renforcé des citoyens au droit de vote par la disparition totale des non-inscriptions et des mal-inscriptions est donc aux yeux de votre rapporteur non seulement un objectif atteignable à court terme, mais plus encore une nécessité démocratique et républicaine.

Recommandation n° 9 : Atteindre l’objectif « 100 % d’inscrits, 0 % de mal-inscrits » sur les listes électorales par la mise en place d’un dispositif d’inscription automatisée basé sur le répertoire électoral unique, le dispositif FranceConnect et les autres déclarations administratives (déclarations d’impôts, assurance maladie, CAF…).

2.   Dans l’attente, mettre en œuvre des mesures ciblées contre la mal-inscription et la non-inscription.

Dans un contexte marqué par la persistance de phénomènes de mal-inscription et de non-inscription, souvent aggravés par des déménagements non suivis de réactualisation d’inscription sur les listes électorales, plusieurs intervenants auditionnés par la commission d’enquête ont formulé des pistes rapides d’amélioration.

Tristan Haute a souligné la nécessité de « mieux informer les électeurs sur les procédures en cas de changement d’adresse – tout particulièrement en les avertissant lorsqu’ils sont radiés », jugeant également indispensable que cette information soit relayée « par tous les canaux ». L’objectif visé est de permettre à chacun de comprendre les conséquences d’un déménagement sur son inscription électorale et de pouvoir réagir à temps. Cette préoccupation rejoint celle exprimée par Christian Charpy, qui a estimé « fâcheux que les personnes radiées ne soient pas informées », et proposé en conséquence « d’enrichir le REU des adresses électroniques, afin de pouvoir prévenir les électeurs, et aussi de leur envoyer la propagande électorale ».

Recommandation n° 10 : Confier au gestionnaire de la liste électorale la mission d’informer systématiquement les électeurs des décisions de radiation et des modalités de réinscription, par tous les canaux disponibles, y compris par voie électronique et/ou téléphonique lorsque cela est possible.

Sur ce point, la contribution écrite de l’Insee apporte des précisions utiles en indiquant que l’adresse mail est aujourd’hui disponible pour seulement 24 % des électeurs, principalement ceux inscrits après la création du REU, et que deux voies d’amélioration sont envisageables : la mise en place d’un téléservice permettant aux électeurs de mettre à jour leurs coordonnées et la récupération de cette donnée auprès d’autres administrations, sous réserve d’évolutions juridiques et d’une procédure de vérification rigoureuse pour éviter les erreurs liées aux homonymies.

Recommandation n° 11 : Mettre en œuvre un téléservice permettant la mise à jour des adresses électroniques et des numéros de téléphone des électeurs et envisager, sous réserve d’évolutions juridiques, la récupération de ces données auprès d’autres administrations, en garantissant des procédures de vérification robustes.

Par ailleurs, des ajustements procéduraux ont été évoqués afin de réduire les effets dissuasifs de certaines pratiques administratives. Tristan Haute a ainsi suggéré d’« envisager un maintien de l’inscription ou une proposition de réinscription automatique par la commune en cas de déménagement intracommunal ».

Recommandation n° 12 : Garantir le maintien automatique de l’inscription électorale en cas de déménagement intra-communal.

Enfin, s’agissant des périodes électorales elles-mêmes, Christian Charpy a appelé à une adaptation du calendrier des radiations pour éviter des exclusions de dernière minute. Il a ainsi rappelé que la Cour des comptes avait « considéré que les modalités d’exercice de ce droit de radiation devaient être ajustées, notamment en suspendant les radiations entre la date limite d’inscription en vue d’une élection nationale et la tenue de cette élection. En d’autres termes, personne ne doit être radié six semaines avant la tenue d’élections sans pouvoir s’inscrire sur une autre liste électorale. »

Votre rapporteur estime quant à lui que cette durée elle-même est insuffisante puisqu’une personne pourrait tout de même être radiée à quelques jours de la date limite d’inscription sur les listes électorales sans en être correctement informé, se retrouver ainsi dans l’incapacité de se réinscrire, et être in fine privé de son droit de vote. Il préconise donc d’interdire les radiations pour perte d’attache communale dans les six mois qui précèdent une élection de quelque nature que ce soit. Plus largement, votre rapporteur questionne la pertinence de ce type même de radiations puisque, si on peut en comprendre l’intérêt organisationnel pour les communes (réduire la taille des listes d’émargement dans les bureaux de vote et ainsi faciliter le travail des assesseurs), elles conduisent néanmoins à fabriquer des personnes non-inscrites sur les listes électorales, et donc à aggraver un problème majeur que votre rapporteur souhaite au contraire corriger.

Recommandation n° 13 : Interdire toute radiation pour perte d’attache communale dans le cadre d’un dispositif d’inscription automatique sur les listes électorales.

Recommandation n° 14 : Suspendre les radiations hors les cas de décès entre la date limite d’inscription en vue d’une élection nationale et la tenue de ce scrutin, afin de prévenir toute exclusion sans possibilité de réinscription.

D.   Mettre en place le vote obligatoire et reconnaître le vote blanc.

Au-delà des pistes de modernisation des procédures d’inscription et des moyens de remédier à la mal-inscription et la non-inscription, votre rapporteur juge pertinent de s’interroger sur les modalités mêmes d’exercice du droit de vote. En effet, l’amélioration des dispositifs administratifs, bien qu’indispensable, ne saurait suffire à elle seule à restaurer la participation électorale, si elle ne s’accompagne pas d’une réflexion plus large sur le sens, les conditions et les modalités du vote.

L’hypothèse de l’instauration du vote obligatoire en France, souvent avancée dans les débats publics comme un levier pour réduire l’abstention, a été jugée avec prudence par les acteurs auditionnés par la commission. Comme l’a rappelé Tristan Haute, « même dans les pays qui l’ont instauré, une partie de la population ne se rend pas aux urnes ». En effet, selon lui, le vote obligatoire n’est pas un « remède miracle » en raison notamment de sa mise en œuvre juridique complexe et souvent peu efficiente.

Si cette solution fait débat, force est de constater que plusieurs pays qui l’ont mis en place connaissent un taux de participation aux élections nationales plus élevé qu’en France. Ainsi, au Brésil, les élections présidentielle et législatives ont vu plus de 79 % des inscrits se rendre aux urnes ; une participation qui monte à plus de 87,20 % au Luxembourg (législatives 2023), 87,42 % en Belgique (législatives 2024) et à 88,42 % en Bolivie (générales 2020). Des chiffres bien au-delà de la participation établie en France à l’élection présidentielle (73,69 % au premier tour de 2022) ou aux élections législatives (66,71 % au premier tour de 2024 et 47,51 % au premier tour de 2022).

Les études académiques réalisées en Belgique sur le sujet estiment que sans le vote obligatoire, la participation aux élections législatives dans ce pays s’établirait entre 50 % et 60 % ([25]), en baisse de 27,5 à 37,5 points. Aussi, à la lumière de ces éléments, votre rapporteur estime que la mise en place du vote obligatoire serait une mesure utile pour faire augmenter fortement la participation, et en particulier celle des catégories sociales les plus éloignées du vote actuellement. Mais qu’une telle mesure devrait s’accompagner nécessairement de la pleine et entière prise en compte du vote blanc.

La reconnaissance du vote blanc dans les élections apparaît en effet être une mesure utile pour restaurer l’attachement au suffrage d’une partie des abstentionnistes. Ainsi, pour François-Xavier Arnoux, « le vote blanc permet de donner corps à une insurrection passive », évoquant Pierre-Joseph Proudhon qui fut « le premier à théoriser le vote blanc [comme] une forme d’insurrection passive qui signifie le refus de cautionner la loi a priori et exprime tout à la fois l’avertissement que l’électeur adresse à l’État pour lui signifier qu’il ne lui donne aucun blanc-seing et qu’il a repéré une anomalie, mais aussi le signal qu’il envoie aux autres électeurs pour faire savoir qu’il conteste le choix proposé ».

En somme, la vertu de la reconnaissance du vote blanc est de permettre à l’électeur d’exprimer légalement sa désapprobation sans pour autant se retirer du processus démocratique, ce qui contribue à réintégrer dans l’espace électoral une partie des citoyens tentés par l’abstention ou le retrait silencieux. Pour reprendre un mot de François-Xavier Arnoux, cette reconnaissance permet de « réduire la pression, comme une cocotte-minute celle de la vapeur d’eau », en offrant une issue institutionnelle au mécontentement, ce qui renforce en retour la légitimité des élus et du système représentatif.

Reste, toutefois, la question de l’interprétation du vote blanc. Faut-il considérer que, lorsqu’il atteint un certain taux, l’élection doit être annulée ? À l’étranger, comme le rappelle François-Xavier Arnoux, « il existe déjà des seuils relatifs ou absolus, par exemple deux tiers des inscrits ou 10 000 électeurs – au Pérou par exemple ». Sur ce sujet, votre rapporteur, favorable à la reconnaissance du vote blanc, invite à engager une réflexion collective, associant notamment les citoyens, sur l’opportunité d’instaurer des seuils à partir desquels l’ampleur du vote blanc pourrait avoir des conséquences juridiques sur la validité du scrutin, dans une perspective de renforcement démocratique.

Recommandation n° 15 : Mettre en place le vote obligatoire à l’âge de 18 ans, et reconnaître pleinement le vote blanc en le décomptant séparément lors des scrutins. Engager une réflexion sur l’opportunité d’instaurer des seuils pouvant affecter la validité des élections.

1.   Les modalités de l’acte de vote.

Les modalités de l’acte de vote, entendues comme l’ensemble des conditions matérielles régissant l’exercice du suffrage, doivent faire l’objet d’un examen approfondi, dans la mesure où toute modification susceptible d’en affecter l’organisation peut éventuellement aboutir à une complexification de l’acte électoral. Or, ce qui fait la force de l’acte de vote et qui justifie la confiance des citoyens dans le processus électoral, c’est précisément la simplicité. Lors des auditions conduites par la commission, plusieurs intervenants ont par ailleurs observé que le recours au vote par procuration présentait des risques d’inégalités d’accès au suffrage, ou encore que le développement du vote par internet ne constituait pas une réponse satisfaisante au phénomène de l’abstention.

Votre rapporteur tient à rappeler que les modalités de vote ne sauraient être réduites à de simples considérations techniques ou logistiques. Parce qu’elles participent de la ritualisation républicaine du vote, ces modalités revêtent une dimension symbolique qu’il importe d’appréhender avec la plus grande prudence. À cet égard, toute réforme précipitée ou insuffisamment concertée est susceptible de contribuer à l’érosion de la confiance des citoyens dans l’intégrité et la sincérité du processus électoral.

a.   Le vote par procuration.

Le vote par procuration permet à un électeur qui ne peut être présent le jour du scrutin de désigner un autre électeur, appelé mandataire, pour voter en son nom. Cette modalité vise à garantir que toute personne dans l’incapacité de se déplacer puisse néanmoins participer au processus électoral, sous réserve de prendre les dispositions nécessaires dans les délais requis.

Depuis le 1er janvier 2022, il n’est plus nécessaire que le mandataire soit inscrit sur la liste électorale de la même commune que le mandant. En revanche, le mandataire doit toujours se déplacer dans le bureau de vote du mandant pour voter à sa place. Un même électeur ne peut détenir qu’un maximum de deux procurations, dont une seule peut être établie en France. Cette restriction vise à préserver l’équilibre et la sincérité du scrutin, en limitant le cumul de représentations par une seule personne.

Toutefois, lors des élections régionales et départementales de 2021 dans le contexte de la pandémie de Covid-19, une disposition exceptionnelle a assoupli les conditions du vote par procuration, en autorisant temporairement la « double procuration », c’est-à-dire la possibilité, pour un même mandataire, de porter deux procurations établies en France. Cette dérogation a été de courte durée car, en amont de l’élection présidentielle de 2022, le Gouvernement, par la voix de la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté ([26]), a écarté la prolongation de cette faculté, au motif que son impact s’était avéré limité. Selon Mme Marlène Schiappa, la double procuration n’avait concerné que 8 % des mandataires, représentant moins de 20 000 électeurs, et ne produisait donc aucun effet significatif sur le taux global de participation.

En outre, des auditions réalisées dans le cadre des travaux de la commission d’enquête et déjà citées ont montré que le vote par procuration pouvait être socialement discriminant ([27]). Dans ces conditions, si la consécration de la double procuration peut avoir un effet marginal sur la participation, il n’apparaît pas opportun à votre rapporteur de recommander sa généralisation ([28]).

b.   Le vote par internet.

Quant au vote par internet, les auditions menées dans le cadre des travaux de la commission d’enquête ont mis en évidence des réserves majeures, tant d’un point de vue technique que symbolique, quant à la généralisation de ce mode de participation électorale.

Sur le plan symbolique tout d’abord, comme l’a souligné Marie Neihouser ([29]) lors de son audition : « le fait de passer par un isoloir permettait d’une certaine manière à chaque citoyen de se dépouiller de ses oripeaux sociaux pour devenir le citoyen universel pensé par les Lumières ». Cette mise en scène de l’égalité civique, constitutive du rituel électoral républicain, se trouve affaiblie par les dispositifs numériques, qui tendent à individualiser l’acte de vote, à le dissocier de toute forme de mise en commun du suffrage, et à l’inscrire dans des pratiques quotidiennes banalisées. En somme, comme le résume Mme Neihouser : « On peut se demander si permettre aux citoyens de voter chacun dans leur coin et sans forcément interrompre leurs activités quotidiennes ne poserait pas un problème à cet égard. »

Sur le plan technique ensuite, les auditions ont mis en lumière l’extrême complexité des conditions nécessaires pour assurer l’intégrité du vote par internet. Mme Véronique Cortier ([30]), directrice de recherche au sein du Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications (Loria-CNRS/Université de Lorraine/Inria), a notamment insisté sur la nécessité de « rendre le système ouvert » ([31]), soulignant que seule cette ouverture permettrait de garantir un « contrôle collectif du scrutin » non seulement par la communauté scientifique, mais encore par la communauté citoyenne. S’appuyant sur l’exemple suisse, elle a précisé que la transparence et l’évaluation continue du système par des dispositifs de type « bug bounty » ([32]), assortis de primes pour détecter les vulnérabilités, constituaient des conditions minimales de fiabilité.

Toutefois, comme l’a rappelé Vincent Strubel ([33]), directeur général de l’ANSSI, « le vote électronique ([34]) sera toujours, par nature, moins sécurisé que le vote à l’urne ».

Trois facteurs sont ici déterminants.

Premièrement, « l’introduction d’une dépendance numérique implique qu’il ne puisse exister une sécurité de 100 % ».

Deuxièmement, « l’intégrité, le secret et la liberté attendus lors d’un scrutin sont difficiles à obtenir simultanément sur le plan informatique », leur combinaison constituant « un défi technologique majeur ».

Troisièmement, et surtout, le recours au vote électronique introduit un déplacement de la confiance : alors que « les mécanismes de sécurité du vote traditionnel sont facilement compréhensibles par tous », le système de vote en ligne repose sur des dispositifs « hors de portée du citoyen moyen », de sorte que « la confiance dans le vote repose désormais sur un panel d’experts et non plus sur le citoyen lui-même ».

La généralisation du vote par internet exposerait ainsi la France à des risques multiples : le risque de manipulation du résultat, le risque d’atteinte au secret du vote, le risque de coercition, et enfin, « sans doute le plus préoccupant, le risque de déstabilisation et d’atteinte à la confiance dans le processus démocratique », lequel pourrait être gravement mis à mal « par une simple revendication d’attaque, même infondée ».

Bien que certains bénéfices du vote en ligne puissent être identifiés, notamment pour les Français de l’étranger pour lequel il est déjà mis en place en raison des difficultés d’accès aux bureaux de vote physiques, il apparaît clairement que sa généralisation ne saurait être envisagée sans compromettre les principes fondamentaux de crédibilité et de transparence des scrutins. Pour ces raisons, votre rapporteur n’est pas favorable à l’ouverture de cette modalité de vote sur le territoire national.

2.   La date du vote.

Plusieurs intervenants ont évoqué l’éventualité d’interroger la date du vote, traditionnellement placée le dimanche, afin notamment d’augmenter la participation électorale. En effet, comme l’a souligné Tristan Haute : « La réflexion sur le jour du vote est très intéressante parce que le dimanche a de plus en plus tendance à se désingulariser. C’est un jour consacré à un nombre croissant d’activités, y compris professionnelles, ce qui le rend moins propice au rituel électoral. » ; et l’universitaire de conclure : « on pourrait dès lors envisager d’étaler le vote sur plusieurs jours, ce qui est le cas chez certains de nos voisins, par exemple en Italie. On a constaté que la possibilité de voter pendant deux jours a permis d’y augmenter la participation lors des élections régionales. »

Si votre rapporteur comprend cet argument, il demeure toutefois attaché au principe d’une date fixe du vote, placée le dimanche. En effet, la fixation d’une date inscrite dans les mémoires collectives et reconnue de tous les citoyens participe de la ritualisation du processus électoral et, en conséquence, du renforcement de la valeur qui lui est accordée. En outre, une extension de la période de vote au-delà d’une journée, sur un week-end entier ou sur trois jours par exemple, conduirait à l’apparition de nouvelles problématiques tenant notamment à la surveillance des scrutins, au coût de l’organisation des élections et au contrôle de l’intégrité du processus électoral. Dans un contexte où l’organisation des élections en France pâtit déjà d’un manque de ressources humaines bénévoles criant, il n’apparaît pas opportun à votre rapporteur de remettre en cause le principe du vote le dimanche et sur une seule journée.

En revanche, afin d’améliorer la participation électorale autant que la valeur symbolique du suffrage, votre rapporteur a la conviction que la journée du dimanche consacrée au vote doit être une journée chômée et fériée. Les dérogations au repos dominical, présentes dans la législation, ne devraient donc pas trouver à s’appliquer.

Recommandation n° 16 : Garantir le caractère férié et chômé de la journée électorale du dimanche, en excluant expressément l’application des régimes dérogatoires au repos dominical, afin de renforcer le suffrage et d’en faciliter l’exercice effectif par l’ensemble des électeurs.

 

 

 


–  1  –

   PARTIE II : ORGANISER LES ÉLECTIONS

I.   Voter : une opération complexe qui mobilise une multitude d’acteurs.

A.   un rôle prépondérant de l’administration centrale de l’État dans l’organisation des Élections.

La convocation des électeurs procède, selon les élections concernées, d’un décret émanant soit du Président de la République, soit du Premier ministre. L’administration centrale joue ensuite un rôle capital pour organiser les élections, en lien avec les préfectures, les communes et l’ensemble des acteurs parties prenantes de ce processus.

1.   Les ministères : clef de voûte de l’organisation des élections en France.

a.   Le ministère de l’Intérieur (MINT)

L’organisation des élections politiques est une compétence historique du ministre de l’Intérieur, qu’il exerce depuis le XIXe siècle, sans préjudice des attributions du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, qui assure, pour sa part, l’organisation du vote des Français résidant hors de France.

Sur le plan administratif, cette mission est mise en œuvre au sein du ministère de l’Intérieur par la direction du management de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur (DMATES), sous l’autorité du secrétaire général du ministère, au sein d’un bureau dédié : le bureau des élections politiques (BEP).

Composé d’une vingtaine de personnes, ce bureau, divisé en trois sections (juridique, financière, études politiques) assure les missions suivantes :

-         le pilotage du réseau des différents bureaux des élections des préfectures ;

-         la préparation des circulaires adressées aux préfets et aux maires qui rappellent l’ensemble des règles applicables pour un scrutin donné ;

-         le pilotage budgétaire du programme 232 « Vie politique », ainsi que la gestion de l’aide publique aux partis ;

-         l’élaboration du droit électoral et du droit du financement des campagnes électorales et des partis politiques.

Le bureau des élections politiques assure également le suivi de la centralisation des résultats lors de la tenue de scrutins. Il assure la mise à disposition de ces résultats auprès du public en les publiant sur le site internet du ministère de l’Intérieur. Il pilote enfin les démarches électorales destinées aux usagers.

Au sein du ministère de l’intérieur, il coopère avec les services compétents en matière informatique, à savoir la direction de la transformation numérique (applicatifs électoraux et démarches en ligne), et les services en charge de la gestion des forces de sécurité intérieure, pour ce qui concerne l’établissement des procurations. Il mobilise également la délégation à l’information et à la communication pour les campagnes d’information du public sur les sujets liés aux élections.

b.   Le ministère des Outre-mer (MOM)

Le ministère des Outre-mer est un partenaire quotidien du ministère de l’Intérieur en ce qui concerne l’organisation des élections au sein des territoires ultramarins. Son action garantit la prise en compte de toutes les spécificités juridiques et organisationnelles ultramarines lors de la préparation des opérations électorales.

Si la compétence organisationnelle demeure celle du ministère de l’Intérieur pour tous les scrutins nationaux et locaux, le ministère des Outre-mer exerce, en revanche, en entière compétence pour ce qui concerne l’organisation des scrutins territoriaux des départements et collectivités d’outre-mer, avec l’appui du bureau des élections politiques du ministère de l’Intérieur. Ces scrutins territoriaux recouvrent les élections spécifiques organisées au sein des territoires de Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis-et-Futuna, la Polynésie Française et, enfin, les élections provinciales et les consultations en Nouvelle Calédonie-Kanaky.

Au sein de ce ministère, la direction générale des outre-mer (DGOM) assure l’ensemble de ces missions, de la préparation des textes nécessaires à la tenue et à l’organisation des élections (circulaire, décret de convocation des électeurs etc.), aux opérations de remontée des résultats et à la communication des résultats pour les scrutins relevant de son champ de compétences. En pratique, cette direction ministérielle s’appuie sur l’action des préfectures et hauts-commissariats. Les dépenses liées aux scrutins ultramarins sont toutefois prises en charge par le programme 232 « Vie politique » qui relève du ministère de l’Intérieur.

c.   Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE)

Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) est responsable de l’organisation du scrutin pour les Français de l’étranger.

La direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire (DFAE) assure, en effet, l’organisation des sept types d’élections pour lesquelles les Français de l’étranger peuvent exercer leur droit de vote, à savoir l’élection présidentielle, les élections législatives, européennes, sénatoriales, les référendums, ainsi que les élections des conseillers des Français de l’étranger, et des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger.

Cette mission recouvre la fixation du calendrier de ces élections, la publication des textes réglementaires, la programmation budgétaire afférente, les différentes instructions adressées aux postes consulaires, ainsi que le traitement des questions relatives au découpage électoral, aux opérations de vote et à la comptabilisation des résultats.

La DFAE travaille en ce sens en étroite liaison avec le ministère de l’Intérieur, la direction du numérique (DNUM) et avec le service de la valise diplomatique du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

Plusieurs prestataires interviennent dans le processus électoral, soit dans le cadre de marchés publics, (avec en particulier l’entreprise KOBA, chargée du conditionnement du matériel électoral et de la mise sous pli de la propagande électorale, ou La Poste chargée de l’envoi postal de la propagande électorale aux électeurs), soit « hors marché » pour ce qui concerne l’envoi des courriels aux électeurs, comme Active Trail. Des titulaires de marchés publics avec le service de la valise diplomatique participent également à ces opérations (Nord-Sud pour le transport aérien, Bolloré Logistics pour le stockage ou la mise en sacs de matériel électoral).

Enfin, l’organisation du vote par internet fait appel à de nombreux partenaires, institutionnels (ANSSI, ministère de l’Intérieur), ou dans le cadre de marchés publics (Voxaly-Docaposte pour la solution de vote).

d.   Le ministère de la Justice (MJ)

Le ministère de la Justice est également un acteur de l’organisation des élections et un partenaire important pour le ministère de l’Intérieur sur plusieurs aspects.

L’action de l’autorité judiciaire dans ce domaine se décline dans plusieurs dimensions comme l’a rappelé M. de Lesquen, adjoint au directeur des services judiciaires, lors de son audition : « Elle s’exerce tout d’abord par le contrôle des lieux de vote, puis par sa contribution à l’organisation matérielle des scrutins. Elle se manifeste également à travers le contentieux des listes électorales, ainsi que par l’établissement des procurations et la tenue de permanences le jour du scrutin, permettant aux électeurs de formuler un recours en cas de non-inscription sur les listes. Enfin, elle se prolonge par la participation à diverses commissions électorales, en amont même des opérations de vote » ([35]).

Le ministère de la Justice est également en charge d’assurer le vote des personnes détenues, dont l’organisation échoit à la direction de l’administration pénitentiaire (DAP). Les personnes détenues peuvent en effet voter lorsqu’elles n’ont pas été déchues de leurs droits civiques, selon des modalités particulières (infra). En pratique, des opérations électorales avec passage dans l’isoloir sont organisées en détention par les services pénitentiaires et le chef d’établissement remet ensuite en mains-propres les plis de l’ensemble de son établissement au président du bureau de vote dérogatoire le jour du scrutin.

« En tant que tiers indépendant entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, l’autorité judiciaire confère au processus électoral un regard extérieur, impartial et indispensable, propre à garantir l’équilibre institutionnel et la confiance démocratique » ([36]), comme l’a également rappelé M. de Lesquen lors de son audition.

2.   Des partenaires complémentaires pour gérer les démarches électorales.

D’autres acteurs participent à l’organisation des élections, en lien avec certains besoins spécifiques nécessitant une spécialisation particulière.

L’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) assure, pour sa part, la gestion du répertoire électoral unique (REU). Une convention lie d’ailleurs, à ce sujet, le ministère de l’Intérieur et l’INSEE. Une réunion DMATES-INSEE se tient d’ailleurs toutes les semaines pour traiter les enjeux de gestion et de préparation des futurs scrutins.

La direction de l’information légale et administrative (DILA), service rattaché au Premier ministre, est également mobilisée pour la gestion des démarches « Demande d’inscription sur les listes électorales » (DILE) « Interroger votre situation électorale » (ISE) et « l’inscription consulaire au registre des Français établis hors de France (IRF) ».

La direction de l’information légale et administrative (DILA)

La direction de l’information légale et administrative est un service du Premier ministre rattaché au secrétariat général du Gouvernement (SGG). Créé par le décret n° 2010-31 du 11 janvier 2010, ce service résulte de la fusion de deux directions historiques du SGG à savoir la direction des Journaux officiels et la direction de la Documentation française.

La DILA assure plusieurs missions en lien direct avec l’organisation des élections :

- elle publie sur le site servicepublic.fr de nombreuses fiches explicatives pour informer les usagers sur les démarches liées aux élections, ainsi que des brèves d’actualité en lien avec les élections.

- elle assure un service de renseignement administratif par mail à partir de formulaires de contact accessibles sur son site et par téléphone.

- elle développe et gère plusieurs démarches en ligne directement liées aux élections, à savoir l’outil « Interroger sa situation électorale » (ISE) créé en 2019 en lien avec l’ouverture du répertoire électoral unique, et la démarche d’inscription en ligne sur les listes électorales (DILE) créé en 2009.

- elle assure, enfin, un travail d’édition et de publication de nombreux documents et ouvrages directement liés aux élections et au fonctionnement des institutions.

Source : commission d’enquête.

Enfin, les éditeurs de logiciel pour les communes sont sollicités par le ministère de l’Intérieur lors des élections afin d’être informés des différentes évolutions des applications gérées ou cogérées par les services du ministère (la liste électorale, en particulier).

3.   Des échanges nourris avec les autres acteurs du processus électoral.

a.   Les juridictions : le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel.

En fonction des élections, les aspects organisationnels du scrutin sont également coordonnés avec le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel.

Dans le cadre de l’élection présidentielle, le vice-président du Conseil d’État préside la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle.

Lors des élections européennes, le Conseil d’État procède au recensement général des votes et à la proclamation des résultats.

Le Conseil constitutionnel, dans le cadre de ses missions de contrôle des opérations électorales de l’élection présidentielle et des opérations référendaires, est également consulté sur tous les textes relatifs à l’organisation.

b.   Les autorités administratives indépendantes

Le ministère de l’Intérieur travaille également avec les autorités administratives indépendantes qui interviennent dans le champ électoral, avec qui sont systématiquement organisées des réunions de coordination en amont des scrutins :

– la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) sur les aspects de financement de la vie politique ;

– l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour la campagne audiovisuelle ;

– la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), pour ce qui est des déclarations obligatoires des élus, le dépôt de la déclaration de situation patrimoniale conditionnant notamment le remboursement partiel des frais de campagne.

c.   Les acteurs de terrain

Le ministère de l’Intérieur échange, enfin, en amont de chaque scrutin avec plusieurs partenaires mobilisés pour la tenue des opérations relatives à la propagande électorale.

Des réunions sont donc organisées, au niveau central et par les préfectures, avec les acteurs suivants :

 les imprimeurs des candidats, afin de les accompagner dans la lecture des documents publiés avant chaque élection – notamment le mémento aux candidats qui rappelle les règles applicables en matière d’impression de la propagande électorale ;

 les routeurs, entreprises industrielles spécialisées dans le routage de courrier, qui sont en charge de l’adressage des plis de propagande – c’est-à-dire de l’inscription des adresses postales provenant du répertoire électoral unique sur ces derniers –, de leur ordonnancement pour les trier dans un ordre adapté à la tournée des facteurs, et enfin de la mise sous pli des documents électoraux. Les préfectures font systématiquement appel aux routeurs pour l’adressage et l’ordonnancement, qui sont effectués bien en amont de chaque scrutin. La mise sous pli, en revanche, peut être externalisée ou internalisée, cette dernière option ne nécessitant pas de recourir à un routeur ;

– l’opérateur postal en charge de l’acheminement des plis de propagande aux électeurs et des bulletins de vote aux mairies (La Poste dans la plupart des cas, Geodis pour l’acheminement des bulletins de vote à Paris, et des opérateurs locaux en Nouvelle Calédonie-Kanaky et en Polynésie française) ;

 les prestataires du ministère pour l’impression des documents électoraux, lorsque ceux-ci doivent être réalisés aux frais de l’État – c’est notamment le cas pour l’élection présidentielle.

B.   Une mise en œuvre opérationnelle qui repose sur l’action conjointe des préfectures et des communes.

1.   Un rôle important des préfectures – relais du ministère de l’Intérieur.

Au niveau territorial, les responsables des élections des 106 préfectures et hauts-commissariats jouent un rôle essentiel de coordination des modalités juridiques et pratiques d’organisation des scrutins.

Les préfectures appuient les communes et les candidats en leur apportant notamment un conseil juridique. Elles prennent également en charge les dépenses relevant du remboursement forfaitaire des dépenses de campagne et du remboursement des dépenses de propagande officielle, à l’exception des élections présidentielle et européennes pour lesquelles ce rôle est dévolu au bureau central des élections.

Au niveau départemental, le préfet remplit également des tâches importantes en matière d’organisation des élections. Il enregistre les candidatures des candidats aux élections, sauf pour les élections présidentielles et européennes. Il assiste également la commission de propagande dans sa mission de contrôle de la régularité de la propagande électorale des candidats et veille à la bonne distribution de celle-ci aux électeurs du département. Il centralise, enfin, les résultats le soir des scrutins et assure leur remontée au niveau central, condition de leur publication définitive.

2.   Un rôle essentiel des communes : cœur de la démocratie.

Les communes, maillon essentiel, sont chargées de l’organisation pratique des opérations électorales. Les maires agissent dans ce cadre comme agents de l’État, sous l’autorité des préfets. Ils sont principalement responsables de l’inscription des électeurs sur les listes électorales, de l’envoi des cartes d’électeur, de la mise en place et de la tenue des bureaux de vote, du dépouillement des bulletins et de la proclamation des résultats.

Le ministère de l’Intérieur est par ailleurs en contact régulier avec les associations des maires, en particulier avec l’Association des maires de France (AMF) pour les sujets relatifs aux élections.

C.   de nombreuses commissions électorales prÉsentes lors des diffÉrentes étapes du processus électoral.

1.   Les commissions administratives de contrôle des listes électorales.

La loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales, entrée en vigueur le 1er janvier 2019, a mis fin au principe de la révision annuelle des listes électorales. Ces dernières sont dorénavant permanentes et extraites du répertoire électoral unique (REU). Les listes électorales sont par ailleurs désormais établies par commune, et non plus par bureau de vote. Cette loi a également transféré aux maires, en lieu et place des commissions administratives, la compétence pour statuer sur les demandes d’inscription et sur les radiations des électeurs.

Les commissions administratives de contrôle des listes électorales assurent une mission indispensable de contrôle sur ces deux aspects. Créées au sein de chaque commune, elles doivent en effet s’assurer de la régularité des listes électorales et statuer sur les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) déposés par les électeurs à l’encontre des décisions prises par le maire dans cette matière.

Dans les communes de moins de 1 000 habitants, ces commissions sont composées de trois membres répartis de la façon suivante :

– un conseiller municipal de la commune pris dans l’ordre du tableau parmi les membres prêts à participer aux travaux de la commission de contrôle. À défaut de volontaires, le plus jeune conseiller municipal est désigné d’office membre de la commission de contrôle ;

– un délégué de l’administration désigné par le représentant de l’État ;

– un délégué désigné par le président du tribunal judiciaire.

Dans les communes de plus de 1 000 habitants, ces commissions sont composées de cinq conseillers municipaux, selon des modalités qui varient en fonction du nombre de listes ayant obtenu des sièges au sein du conseil municipal.

Les membres de ces commissions sont nommés par arrêté préfectoral.

2.   Les commissions de propagande.

Dans chaque département, le préfet institue par arrêté les commissions de propagande ([37]) au plus tard le jour de l’ouverture de la campagne électorale ([38])pour l’essentiel des scrutins ([39]). Cette commission se réunit après la fin de dépôt des candidatures à une date définie localement par le préfet. Elle peut être compétente pour plusieurs circonscriptions et plusieurs élections.

Les missions des commissions de propagande sont les suivantes ([40]) :

– contrôler la conformité des circulaires et des bulletins de vote aux prescriptions du code électoral ;

– adresser, au plus tard le mercredi précédant le premier tour de scrutin et le jeudi précédant le second tour, une circulaire et un bulletin de vote de chaque candidat à tous les électeurs de la circonscription, quel que soit leur lieu de résidence ;

– envoyer dans chaque mairie de la circonscription, dans les mêmes délais, les bulletins de vote de chaque candidat en nombre au moins égal à celui des électeurs inscrits.

La commission est composée comme suit ([41]) :

– un magistrat désigné par le premier président de la cour d’appel, président ;

– un fonctionnaire désigné par le préfet ;

– un représentant de l’opérateur postal chargé de l’envoi de la propagande.

Chaque candidat désirant obtenir le concours de la commission de propagande doit remettre ses bulletins et circulaires dans les quantités prévues par l’article R. 39 du code électoral au président de la commission pour les premiers et seconds tours, avant une date limite fixée par arrêté préfectoral ([42]). Les dates limites et lieux de dépôt sont communiqués par les services de la préfecture lors du dépôt de la déclaration de candidature.

La validation de la propagande électorale par les commissions de propagande repose sur les critères définis par le code électoral, notamment les prescriptions de taille et de grammage, l’absence des couleurs du drapeau national ou des emblèmes nationaux pour les circulaires, et la présence des seuls noms et photos des candidats déclarés pour les bulletins de vote. La commission n’est pas tenue d’assurer l’envoi des circulaires et bulletins remis après ces dates limites, ni ceux dont le format, le libellé ou l’impression ne sont pas conformes aux prescriptions.

Si les quantités remises à la commission de propagande sont moindres que celles prévues ci-dessus, la liste candidate doit proposer leur répartition entre les électeurs. À défaut de proposition ou lorsque la commission le décide, les circulaires demeurent à la disposition de la liste candidate et les bulletins de vote sont distribués dans les bureaux de vote, à l’appréciation de la commission, en tenant compte du nombre d’électeurs inscrits ([43]).

Dans la pratique, il est recommandé aux candidats de soumettre à la commission de propagande les projets de circulaires et de bulletins de vote pour obtenir un avis avant leur impression, afin de s’assurer de leur conformité.

Les préfectures sont les acteurs principalement mobilisés dans le fonctionnement des commissions de propagande, dont elles assurent l’organisation et le fonctionnement. Le bureau des élections politiques du ministère de l’intérieur assure toutefois les actions suivantes en centrale pour l’ensemble des scrutins :

– le cadrage juridique en amont de l’élection, rédaction des textes de droit dur et souple encadrant le fonctionnement des commissions ;

– le pilotage national des opérations de propagande, détermination des quantités à imprimer ;

– la formation des préfectures en amont de chaque scrutin, notamment par des supports et webinaires dédiés ;

– une fonction support aux préfectures pour répondre à leurs interrogations juridiques et pratiques, avant et pendant la tenue des commissions de propagande.

3.   Les commissions de contrôle des opérations de vote (CCOV).

Les commissions de contrôle des opérations de vote sont des commissions indépendantes constituées au sein des communes de plus de 20 000 habitants dont le rôle est de vérifier la régularité de la composition des bureaux de vote, des opérations de vote, du dépouillement des bulletins de vote et du dénombrement des suffrages ([44]).

Ces commissions sont composées de la façon suivante ([45]) :

– un magistrat désigné par le premier président de la cour d’appel ;

– un membre désigné par la même autorité parmi les auxiliaires de justice du département ;

– un fonctionnaire désigné par le préfet, qui assure le secrétariat de la commission.

Les membres de ces commissions sont nommés par arrêté préfectoral.

4.   Les commissions de recensement des votes (CRV).

Les commissions de recensement des votes ([46]) sont instituées au chef-lieu de chaque département et de chaque collectivité d’outre-mer lors de l’élection présidentielle, des élections législatives, des élections européennes, des élections régionales et lors des élections spéciales se déroulant en Outre-mer ([47]).

La composition de ces commissions peut varier en fonction des scrutins concernés :

– pour l’élection présidentielle, ces commissions comprennent trois magistrats, désignés par le premier président de la Cour d’appel ([48]) ;

– pour les autres élections, ces commissions comprennent un magistrat, président de la commission, désigné par le premier président de la cour d’appel, un conseiller départemental et un fonctionnaire désigné par le préfet.

Un représentant de chacun des candidats ou de chacune des listes candidates peut assister aux opérations de ces commissions.

En sus des commissions locales, il existe pour certaines élections des commissions de recensement supra-départementales, pour les élections régionales et européennes.

Ces commissions ont pour mission de vérifier les résultats constatés au niveau de chaque commune et de les totaliser, en s’appuyant sur les procès-verbaux et leurs annexes qui ont été transmis par les maires au représentant de l’État. Elles tranchent pour l’essentiel des questions relatives au décompte des bulletins de vote et procèdent le cas échéant à toute rectification nécessaire des chiffres portés sur les procès-verbaux.

Ces commissions n’ont, en revanche, pas de compétence pour trancher les réclamations formulées par les électeurs au sein des procès-verbaux des opérations de vote.

5.   La commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP).

La commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP) est une commission temporaire particulière créée par voie réglementaire afin de préserver l’intégrité du scrutin présidentiel.

Cette commission est composée de cinq membres ([49]). Elle est présidée par le vice-président du Conseil d’État.

Comme l’a rappelé M. Tabuteau, vice-président du Conseil d’État, lors de son audition, cette commission, qui est réactivée à chaque scrutin présidentiel, exerce trois catégories de missions.

La CNCCEP veille, d’abord, à la stricte application d’une disposition importante de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel selon laquelle « tous les candidats bénéficient de la part de l’État des mêmes facilités pour la campagne en vue de l’élection présidentielle » ([50]). Cette compétence, d’ordre général, inclut notamment la question de l’utilisation des moyens mis à disposition par l’État.

La CNCCEP exerce, en outre, une seconde mission de vérification de la conformité du matériel électoral officiel des candidats (affiches, déclarations, professions de foi) vis-à-vis des dispositions réglementaires et législatives applicables, afin de préserver l’intégrité du scrutin.

Enfin, cette commission poursuit une dernière mission, d’ordre plus général, qui consiste à surveiller « les différents aspects de la campagne électorale, qu’il s’agisse des réunions publiques, de la presse écrite, des médias audiovisuels, des médias numériques ou des réseaux sociaux », afin de pouvoir « intervenir lorsque des agissements ou des comportements sont de nature à compromettre l’expression libre et éclairée du suffrage » ([51]) comme l’a rappelé son président. La CNCCEP peut en l’espèce adresser si nécessaire « des avertissements » ou demander la modification de certaines déclarations ou mentions.

L’action de la CNCCEP s’appuie sur des commissions locales de contrôle établies au sein de chaque département pour mener à bien ses missions. Cette commission publie, par ailleurs, à l’issue de chaque élection présidentielle, un rapport spécifique relatant son action sur le scrutin concerné.

Les recommandations formulées par la CNCCEP dans son rapport de 2022

Dans son rapport consacré à l’élection présidentielle de 2022, la CNCCEP formule plusieurs recommandations de nature à améliorer l’efficacité de son action.

Elle sollicite, d’abord, une pleine consécration de son existence et de ses missions par la loi organique, afin de pérenniser son existence.

Face aux conséquences de la guerre Ukraine en matière d’inscription électorale, la CNCCEP suggère également de retenir une interprétation souple des dispositions relatives à l’inscription sur les listes électorales, afin de permettre aux ressortissants français ayant dû quitter ce pays à la suite du conflit de s’inscrire dans leur nouveau lieu de résidence. Elle propose, en outre, de sécuriser la gestion de ce type de cas de figure en complétant l’article L. 30 du code électoral afin d’y intégrer la notion de « force majeure ».

La CNCCEP propose, en outre, d’avancer significativement la date à laquelle les candidats doivent remettre lui remettre pour homologation leur matériel électoral, afin de faciliter l’exercice de son contrôle.

Elle sollicite également une nouvelle compétence à travers la faculté de prévoir qu’un candidat n’aura pas accès au remboursement de ses dépenses de campagne afférentes aux professions de foi non conformes, ce qui viendrait en conséquence compléter sa « palette d’outils » actuelle (homologation, homologation avec réserve, refus d’homologation).

Au-delà de ces recommandations, la CNCCEP a exprimé dans ce rapport une satisfaction vis-à-vis de « du bon fonctionnement du dispositif de veille et de suppression des contenus illicites qui a été mis en place avec la coopération active des principales plateformes » lors de la dernière élection présidentielle. Elle prend également position en faveur du maintien d’un envoi papier de la propagande électorale dans ce cadre, sans être défavorable à ce que les électeurs puissent ne recevoir que la version dématérialisée de cette propagande s’ils en font le choix.

Source : CNCCEP.

II.   un dispositif robuste… mais largement perfectible 

L’organisation des élections politiques est par définition une opération sensible, qui nécessite la mise en place d’un dispositif fiable et coordonné faisant intervenir une pluralité d’acteurs. L’expérience de longue date de l’État et des communes contribue à la fiabilité de cette organisation, laquelle demeure néanmoins perfectible sur certains points.

A.   Une organisation robuste qui s’appuie sur un maillage d’acteurs coordonnés et expérimentés.

Force est de constater qu’un réel consensus existe autour de la grande fiabilité du processus électoral français.

Dans son rapport publié en 2024 sur ce sujet, la Cour des comptes qualifie cette organisation de « dispositif robuste » ([52]) et plaide en faveur d’évolutions ponctuelles. Lors de son audition, M. Christian Charpy a confirmé ce « constat positif » ([53]).

Ce bilan favorable est partagé par l’Association des maires de France (AMF), qui suit avec attention cette question, au regard du rôle important des communes dans le déroulement du scrutin.

Lors de son audition, M. Guy Geoffroy s’est félicité de ce que l’AMF soit, sur cette question, « écoutée et souvent entendue » par l’État, soulignant que « ses propositions sont régulièrement bien analysées et reçues » ([54]). Il a illustré son propos par la demande formulée par l’AMF, et acceptée par le ministère de l’Intérieur, de prévoir seulement une simple faculté de présentation d’une pièce d’identité pour les communes de moins de 1 000 habitants, car « cette exigence pourrait être plus péjorative que positive à l’égard de certains habitants » ([55]).

Cette robustesse a été mise en lumière lors des élections législatives anticipées de 2024, comme l’a indiqué, au nom du ministère de l’Intérieur, Mme Fabienne Balussou, DMATES, lors de son audition : « La pertinence de cette organisation a été démontrée lors des élections législatives de 2024, organisées en seulement vingt-quatre jours » ([56]), soulignant que cette efficacité tenait à la capacité du ministère « compte tenu de l’importance du processus électoral pour le fonctionnement démocratique et de l’évolution de la société » à « réinterroger les procédures en place, tout en conservant les principes fondamentaux de notre système, qui fondent sa légitimité » ([57]). Votre rapporteur tient toutefois à signaler que la rapidité de l’organisation de ces élections a été la source de nombreuses difficultés matérielles, en particulier pour l’organisation de la distribution de la propagande électorale, parfois arrivée tardivement dans les boîtes aux lettres.

Le faible nombre d’annulations des scrutins témoigne également de cette robustesse, comme l’a également relevé Mme Balussou lors de son audition : « En ce qui concerne les dysfonctionnements dans les scrutins, la meilleure source d’information réside dans les décisions prises par les juges sur les contentieux dont ils sont saisis. Pour les dernières élections législatives, nous avons eu 84 contentieux, dont 16 sont encore en cours d’examen devant le Conseil constitutionnel. Depuis 1959, nous comptons seulement 77 annulations d’élections. Ces chiffres concernent les irrégularités majeures portées devant le juge. » ([58]).

Votre rapporteur partage globalement les constats présentés et observe que la robustesse de l’organisation des élections politiques en France est une réalité qui s’appuie sur plusieurs éléments-clés :

– une longue expérience du ministère de l’Intérieur dans ce domaine et, par extension, des autres ministères compétents. Cette compétence échoit en effet à ce ministère depuis le milieu du XIXe siècle. Ce processus mobilise des acteurs qui ont donc développé non seulement des compétences techniques indéniables mais aussi des habitudes de travail efficaces ;

– une relation de confiance entre les administrations et les collectivités territoriales, qui se traduit par un dialogue efficace entre les maires, les services préfectoraux et l’administration centrale ;

– une capacité d’adaptation face aux difficultés rencontrées sur le terrain, grâce à la mobilisation des maires et des préfets, et au civisme des citoyens participant aux opérations de tenue des bureaux de vote et de dépouillement ;

– une capacité à faire évoluer certaines pratiques, en recourant de façon croissante à la dématérialisation et à des systèmes d’information efficaces. À titre d’exemple, la mise en œuvre du registre électoral unique en 2018 a été saluée par la Cour des comptes. La dématérialisation des procurations, récemment mise en œuvre, est une réforme qui peut également être saluée (infra). Votre rapporteur souligne néanmoins que des efforts peuvent encore être réalisés en particulier pour faciliter la vérification de l’inscription sur les listes électorales.

Procurations et numérique : une généralisation à l’horizon 2026

La demande de procuration a été dématérialisée depuis la mise en service de la télé-procédure « Maprocuration » au mois d’avril 2021. Ce service permet aux électeurs d’effectuer une pré-demande de procuration de vote en ligne puis de la finaliser lors d’un déplacement auprès d’une autorité habilitée (officier de police judiciaire, agent de police judiciaire, agent consulaire du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères). Le mandant est informé par courriel à chaque étape de sa demande.

Cette réforme a facilité le recours aux procurations pour les électeurs et réduit significativement le temps consacré à la validation des procurations au sein des commissariats et gendarmeries.

Depuis la mise en place de la procédure Maprocuration, l’établissement des procurations a été facilité et le nombre de procurations a globalement augmenté :

– le nombre de procurations pour les élections présidentielles et législatives s’est établi à 3,75 millions en 2022 contre 3,36 millions en 2017 ;

– le nombre de procurations pour les élections européennes s’est établi à 875 000 en 2024 contre 495 000 en 2019 ;

– le nombre de procurations pour les seules élections législatives de 2024 s’est élevé à 3,5 millions.

Lors des élections européennes du 9 juin 2024 et des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024, une dématérialisation complète des procurations a été mise en place sous conditions (détention d’une CNI et détenir une identité numérique certifiée France Identité).

Pour les élections européennes du 9 juin 2024, un total de 15 159 procurations ont été établies de manière complètement dématérialisée. Le dispositif, reconduit pour les élections législatives du 30 juin et 7 juillet, a permis l’établissement de 86 845 procurations de manière complètement dématérialisée.

Le ministère de l’intérieur indique qu’aucune difficulté technique n’a été identifiée dans la dématérialisation complète des procurations. En revanche, des difficultés de compréhension de la procédure sont apparues chez des électeurs qui ont notamment fait un amalgame entre différentes identités numériques. En outre, certains électeurs ont fait une confusion entre la certification de leur identité numérique (en mairie) et la validation de leur identité pour l’établissement de la procuration.

La généralisation du recours aux procurations complètement dématérialisées est prévue en 2026 pour les élections municipales. Un décret en conseil d’État doit être pris en ce sens prochainement, comme l’a indiqué M. François Noël Buffet lors de son audition ([59]) .

Source : commission d’enquête.

B.   Des difficultés souvent résolues mais qui ne peuvent pas Être passées sous silence

1.   Des difficultés conjoncturelles rares mais des échecs marquants

a.   Un bilan « désastreux » de la distribution de la propagande électorale en 2021.

Lors des élections départementales et régionales de 2021, des défaillances massives ont été observées lors de la distribution de la propagande électorale.

Cette situation, qui s’est traduite par des taux de non-distribution inédits, a conduit la représentation nationale à se saisir de cette question afin de formuler des recommandations visant à garantir que ce type d’incident ne puisse se reproduire.

Interrogé sur ce sujet lors de son audition, Mme Balussou a indiqué que, concernant l’acheminement de la propagande électorale, les leçons des dysfonctionnements constatés en 2021, lors d’un double scrutin incluant une semaine d’écart seulement entre les deux tours avaient été tirées : « Nous avons ainsi conclu un marché pérenne avec La Poste et conçu un plan d’organisation robuste. Cela a permis de mener avec succès les opérations de propagande lors des sept tours de scrutin suivants, y compris dans des délais très contraints en 2024. Chaque préfecture dispose désormais d’un plan de secours et les externalisations des mises sous pli ne sont accordées que par dérogation, après une analyse rigoureuse des garanties proposées par le prestataire choisi par la préfecture. Cette organisation, bien que sollicitant fortement les services de l’État, garantit l’égalité d’information des électeurs » ([60]).

Cet échec semblait pourtant en partie prévisible, comme l’a noté le président de La Poste, M. Philippe Wahl, au regard du marché conclu. Ce dernier a rappelé, à cet égard, que La Poste avait, à cette époque, essayé, sans succès d’attirer « l’attention du ministère de l’Intérieur sur deux points […] le poids du critère de prix, [qui] était très lourd [ce qui ouvrait] la porte à une manœuvre simple, qui est de baisser les prix pour gagner » et sur la complexité du métier de la « distribution du courrier adressé », qui est « complètement différent de celui de la distribution de courrier non adressé » ([61]).

Cet échec s’est traduit, très rapidement, par des remontées massives d’élus locaux inquiets de ne pas voir cette propagande électorale acheminée dans les délais, comme l’a rappelé l’AMF lors de son audition. Les élus locaux ont constaté que « des pans entiers de secteurs ruraux ont été oubliés », ainsi que « des interversions entre départements, des paquets entiers de propagande jetés devant les immeubles, abandonnés dans des fossés ou brûlés, des enveloppes incomplètes », pour un bilan global qualifié à raison de « désastreux » ([62]).

Dans son rapport précité, la Cour des comptes estime que cette situation serait liée à « une mauvaise appréciation par le ministère de l’Intérieur de la capacité d’Adrexo à réaliser la mission » ([63]). Votre rapporteur partage cette conclusion et s’interroge sur les conditions dans lesquelles un tel marché a pu être attribué à Adrexo. Il apparaît en effet, de toute évidence, que d’autres considérations que le seul service à rendre sont entrées en ligne de compte, telles que la situation économique de cette entreprise et les conséquences sociales de sa possible liquidation à l’époque.

Force est de constater, malheureusement, que cette opportunité n’a pas permis à l’entreprise de sortir des difficultés. Interrogés à ce sujet lors de leur audition, les représentants du syndicat CAT d’Adrexo ont détaillé les causes de cet échec retentissant, mettant en cause directement la direction de l’entreprise ([64]).

Selon ces derniers, plusieurs facteurs sont à l’origine de cette défaillance de l’entreprise Adrexo :

– le manque d’anticipation de l’entreprise, qui a fait le pari de faire reposer cette distribution sur l’action de « 20 000 intérimaires », face aux « 60 000 à 65 000 facteurs à l’échelle nationale ». Face à l’échec du recrutement en ligne, l’entreprise a sollicité des agences d’intérim classiques afin de procéder à de tels recrutements « dans l’urgence, dans les trois à quatre semaines précédant le début de l’opération » ([65]) ;

– le manque de formation des personnels recrutés pour exercer cette tâche. M. Philippe Viroulet, ancien représentant des personnels de la société Milee (ex-Adrexo), a indiqué lors de son audition que les intérimaires avaient dû tenter de mener à bien leur mission « sur la base d’une formation de seulement trente minutes et d’un recrutement exclusivement en ligne » ([66]) ce qui est notoirement insuffisant pour « gérer un véhicule chargé de plis électoraux » ([67]). Cette même distribution était quasi impossible à son sens dans la mesure où les plans qui leur avaient été fournis étaient « incomplets, notamment en milieu rural » ([68]) ;

 la « désinvolture coupable » de la direction d’Adrexo, qui n’a vu « dans cette opération qu’une opportunité financière, négligeant la mise en place des moyens nécessaires à la réussite de la mission » ([69]). Votre rapporteur ne peut qu’abonder en ce sens au regard des éléments portés à sa connaissance par les représentants syndicaux lors de leur audition.

Cette situation s’est traduite, sur le terrain, par une absence de remontée d’informations et de traitement des difficultés rencontrées selon M. Viroulet lors de son audition : « Quant aux alertes, la chaîne hiérarchique était régulièrement informée de la situation sur le terrain, que ce soit en matière de recrutement, de mise en œuvre de la distribution ou de suivi de l’avancement des secteurs. […]. À l’échelle locale, nous avons remonté toutes les informations sans chercher à les dissimuler. Une forte inquiétude régnait d’ailleurs parmi les salariés permanents et les cadres chargés de l’organisation. Des initiatives ont même été prises au niveau régional, comme le recours aux clubs de football pour recruter des jeunes en intérim. Chaque cadre régional a déployé tous les efforts possibles pour assurer le bon déroulement de l’opération » ([70]).

b.   Des leçons retenues mais des responsabilités de l’ex-prestataire qui n’ont pas été complètement engagées.

Votre rapporteur considère, sur ce sujet, que deux choses doivent être distinguées en ce qui concerne « l’affaire Adrexo ».

En matière d’organisation de la distribution de la propagande électorale, il estime que les leçons ont fort heureusement été tirées par le ministère de l’Intérieur, qui a su faire évoluer ses pratiques et ses exigences.

Ces évolutions sont les suivantes :

– le marché conclu avec la société Adrexo a été résilié et un marché de substitution a été conclu en 2022 avec La Poste. Deux marchés pérennes ont été ensuite conclus depuis avec La Poste ;

– les critères permettant d’évaluer et de retenir un nouveau prestataire ont pris en compte les recommandations formulées par les assemblées ([71]). En conséquence, au sein des documents contractuels, le poids de la notation du critère financier a été réévalué, des garanties supplémentaires ont été demandées aux candidats ;

– l’organisation de l’acheminement de la propagande électorale a été significativement revue, avec la mise en place, au sein de chaque préfecture, d’un plan de secours et une approche plus ferme en matière d’externalisations des mises sous pli, qui ne sont désormais accordées « que par dérogation, après une analyse rigoureuse des garanties proposées par le prestataire choisi par la préfecture » ([72]) , comme le rappelle le ministère de l’Intérieur dans sa contribution écrite adressée à la commission d’enquête ;

En revanche, votre rapporteur estime que les logiques d’appel d’offres et de marché pour la distribution des plis électoraux sont une aberration au regard de leur importance stratégique pour l’expression de la souveraineté nationale, ainsi que de l’expérience et de l’efficacité indéniable de l’opérateur historique et public qu’est La Poste.

Par ailleurs, votre rapporteur estime que toute la lumière n’a pas été faite sur les raisons ayant présidé à l’attribution des lots de ce marché au prestataire Adrexo en 2020.

Votre rapporteur souhaite rappeler, à ce sujet, que cet échec a eu un impact social fort, comme l’ont rappelé les responsables syndicaux, alors que « cette opportunité aurait pu sauver cette entreprise » ([73]). Aussi, et afin de faire comprendre à chacun la mesure de la brutalité sociale que représentent les licenciements massifs organisés par des grands patrons peu scrupuleux de la dignité de leurs employés, votre rapporteur souhaite ici reproduire in extenso les propos de M. Philippe Viroulet, représentant syndical, auditionné par notre commission : « Il est scandaleux que 30 000 citoyens, en comptant les familles, aient été impactés par cette injustice, par des agios, des expulsions, des dépressions ou des tentatives de suicide. Il est à la fois anormal et insupportable que des gens désespérés ne soient plus capables de nourrir leurs enfants alors que des dirigeants qui se sont octroyé d’importants dividendes, malgré un déficit abyssal, n’aient ni à rendre des comptes ni à justifier leur attitude méprisante. À mon sens, cette histoire est un énorme gâchis » ([74]).

Votre rapporteur partage en tout point ces propos. Il estime lui aussi que des comptes doivent désormais être demandés par la Justice aux dirigeants de cette entreprise. Lors de son audition M. Philippe Viroulet, représentant syndical, a rappelé, à raison, à cet égard, les enjeux financiers relatifs à cette société, dont la liquidation est intervenue désormais. Il a indiqué, en ce sens, que l’entreprise Adrexo avait d’abord été rachetée en 2017 « par des actionnaires américains à un prix négatif », avant qu’une partie des fonds concernés ne soient transférés « vers Colis Privé », entreprise « qui a ensuite été intégrée au groupe Hopps, la holding mise en place pour superviser l’ensemble des filiales » ([75]).

L’entreprise Colis Privé a ensuite été vendue en 2021 pour 670 millions d’euros, « dont la moitié a été reversée à Adrexo, qui en détenait 50 % des parts » ([76]), ce qui conduit M. Viroulet à s’interroger sur le fait « qu’en raison de graves difficultés économiques, [Adrexo ait] a dû contracter d’importants emprunts avant la cession de Colis Privé » ([77]).

Dans ces conditions, l’échec d’Adrexo et la liquidation de l’entreprise soulèvent en effet « des interrogations quant à la gestion et à la liquidation de l’entreprise qui, malgré ces entrées d’argent, n’a jamais ajusté son modèle économique pour atteindre la rentabilité. Depuis 2017, et même avant, l’entreprise n’a jamais été à l’équilibre, ce que son ancien propriétaire justifiait par une rentabilité structurellement négative. Cette absence de redressement, malgré les ressources disponibles, interpelle sur la stratégie adoptée et les choix financiers opérés » ([78]).

Lors de son audition, M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l’Intérieur, a indiqué qu’une récente décision de justice avait conduit l’État à devoir rembourser les pénalités infligées à Adrexo lors de la résiliation rapide du marché qui lui avait été attribué, le tribunal ayant considéré que ces dernières étaient insuffisamment motivées : « Adrexo avait signé un marché avec le ministère de l’intérieur en décembre 2020 pour la distribution de la propagande. À la suite des manquements constatés, le ministère a résilié le contrat et appliqué des pénalités, qui étaient prévues par le marché. Adrexo a engagé une procédure contentieuse en septembre 2021. Le 15 novembre 2024, le tribunal administratif a condamné l’État à verser aux sociétés civiles professionnelles BTSG, JP Louis et Lageat, coliquidateurs judiciaires de la société Milee, qui avait racheté Adrexo, la somme de 2,313 millions d’euros sur les 40 millions initialement demandés, soit le montant des pénalités infligées à Adrexo par le ministère en 2021, au motif que cellesci étaient insuffisamment justifiées. En effet, les défaillances dans la distribution de la propagande électorale aux élections régionales et départementales de cette année-là relèvent pour partie de l’État et des routeurs ; elles ne pouvaient donc donner lieu à des pénalités additionnelles aux réfactions qui avaient été infligées. En revanche, la résiliation du marché et les réfactions n’ont pas été remises en question » ([79]).

La restitution consécutive de plus de deux millions d’euros à cet opérateur économique est problématique, et interroge votre rapporteur sur le sérieux apporté au sein du ministère à la passation de ces marchés publics, au suivi de leur exécution et au contentieux afférent.

En outre, face aux zones d’ombre liées aux opérations financières évoquées par les anciens représentants du personnel de Milee (ex Adrexo), votre rapporteur invite les pouvoirs publics à se saisir réellement de ce dossier, sous son aspect financier, afin de vérifier que les lois et règlements applicables ont effectivement été respectés. La saisine de Tracfin pourrait être utile à cet égard.

Recommandation n° 17 : Saisir Tracfin des opérations réalisées par l’ex-société Adrexo et par ses dirigeants pour vérifier en particulier l’usage qui a été fait des fonds publics versés à cette entreprise aujourd’hui liquidée.

2.   Pénurie d’urnes et d’isoloirs, listes d’émargement inaccessibles… des erreurs matérielles à corriger

En sus de l’échec de la distribution de la propagande électorale en 2021, d’autres difficultés logistiques plus ponctuelles, et de nature conjoncturelle ont pu émailler les scrutins précédents et doivent d’être signalées.

a.   Une pénurie d’urnes et d’isoloirs lors des élections départementales et régionales de 2021.

Lors des élections départementales et régionales de 2021, en sus des dysfonctionnements ayant affecté la distribution de la propagande électorale, une « pénurie d’urnes et d’isoloirs » a été constatée.

Dans sa contribution écrite, l’AMF indique en effet avoir été saisie par de nombreux maires « sur la pénurie d’urnes et d’isoloirs constatée dans certains départements ».

Face à ce constat, le ministère de l’Intérieur a rappelé aux communes la possibilité, pour leurs services, de fabriquer elles-mêmes ce matériel. L’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle des détenus (ATIGIP) a d’ailleurs été mobilisée pour fabriquer en urgence des isoloirs démontables en bois à un tarif très accessible (97 €) et les livrer. L’AMF indique que 120 communes ont profité de cette offre et quelque 200 isoloirs ont été livrés.

Si cette solution de secours a fonctionné, il apparaît néanmoins utile que le ministère de l’Intérieur sécurise cette problématique afin que de telles difficultés ne se reproduisent pas. Il est en effet inconcevable d’imaginer que dans une grande puissance comme la France, la fabrication des urnes et des isoloirs repose sur les municipalités elles-mêmes.

Recommandation n° 18 : Organiser, via le ministère de l’Intérieur un audit national de la présence et de la disponibilité du matériel de base nécessaire aux scrutins (urnes, isoloirs, panneaux électoraux…) dans toutes les communes de France.

b.   Des panneaux d’affichage libre trop souvent indisponibles.

Par ailleurs, votre rapporteur a été saisi par nombre d’acteurs politiques locaux sur le manque de disponibilité de panneaux d’affichage libre, présents dans les communes en vertu de l’article L. 581-13 du code de l’environnement, et régi par les articles R. 581-2 et R. 581-3 du même code pour la taille et les emplacements des panneaux.

Plusieurs acteurs signalent ainsi un manque de disponibilité de ces panneaux, rendant difficile l’action des acteurs politiques et associatifs qui collent parfois hors des zones réservées et s’exposent donc à des sanctions.

Votre rapporteur estime donc qu’il faut non seulement s’assurer du respect de la loi, mais aussi qu’une modification des articles R. 581-2 et R. 581-3 du code de l’environnement doit être envisagée afin de permettre l’exercice plein et entier de la liberté d’expression garantie à l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Recommandation n° 19 : S’assurer du respect de la loi actuelle sur les panneaux d’affichage libre et engager une modification des articles R. 581-2 et R. 581-3 du code de l’environnement pour augmenter à la fois la surface de l’affichage libre dans les communes et le maillage des panneaux qui le rendent possible, en accompagnant financièrement les communes dans leur déploiement.

c.   Des difficultés d’accès aux listes d’émargement lors du premier tour de l’élection présidentielle en 2022.

Si la réforme du répertoire électoral unique a été saluée par les élus locaux, l’AMF a indiqué que les communes avaient rencontré une réelle difficulté pour accéder « aux livrables du répertoire électoral unique lors du premier tour de l’élection présidentielle en 2022 » ([80]).

Selon l’AMF, en effet, une « forte concentration des demandes de listes d’émargements a entraîné plusieurs heures d’attente la veille du scrutin. Cela a occasionné beaucoup d’inquiétudes pour les communes et notamment pour les communes d’Outre-Mer qui votaient le samedi (pas de priorisation de l’impression des listes d’émargement pour ces communes) » ([81]).

Ce problème semble néanmoins avoir été résolu pour les élections législatives et être « désormais consolidé de manière pérenne » ([82]). Votre rapporteur observe que cette difficulté ne s’est pas reproduite mais attire l’attention du ministère de l’Intérieur sur la nécessité de bien anticiper les transitions en cas de réforme de cette nature.

d.   Un calendrier serré pour organiser les élections législatives anticipées en 2024.

L’organisation des élections législatives anticipées en 2024 a suscité des difficultés logistiques importantes pour les maires.

Lors de son audition, M. Geoffroy a indiqué que cette situation avait créé, légitimement, « une fébrilité chez les élus locaux », certains d’entre eux craignant « à juste titre de ne pas pouvoir disposer du temps ni des moyens financiers, humains et matériels pour pouvoir organiser ces élections » ([83]).

Les problématiques structurelles relatives à l’organisation des élections se sont posées avec une particulière acuité, par exemple en ce qui concerne la pénurie récurrente d’assesseurs, comme l’a rappelé M. Geoffroy : « Je me souviens que la première question posée par la responsable de ces questions dans ma commune, au lendemain du scrutin européen, concernait le risque de ne pas disposer de suffisamment d’assesseurs lors des élections législatives anticipées. Immédiatement, nous avons pris la décision, certainement partagée par d’autres, de ne pas attendre la semaine ou les dix jours précédant le premier tour pour prendre contact avec ceux qui venaient de tenir les bureaux de vote des élections européennes ou qui avaient l’habitude de le faire. Nous leur avons exprimé l’importance de s’assurer au plus vite de notre capacité, compte tenu de la réglementation, à organiser le bureau de vote » ([84]).

Si l’AMF ne disposait pas, lorsque son représentant a été auditionné, d’un bilan exhaustif sur l’organisation des élections législatives anticipées, elle relève, dans sa contribution écrite, que les principales difficultés observées « ont pu être traitées en amont avec le bureau des élections » ([85]).

Votre rapporteur souscrit, toutefois, au bilan formulé par M. Geoffroy, qui estime que « même dans ce contexte qui était très périlleux, les communes de France, leurs services et leurs maires ont réussi ce pari, au contact de l’État déconcentré dans chaque préfecture et sous-préfecture » et que « ce pari réussi a permis une sincérité réelle des scrutins des premier et second tours des élections législatives », [et donc] « une totale légitimité des élus de la Nation qui en sont issus » ([86]).

Il estime néanmoins qu’une telle situation pourrait être de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin en cas de répétition. Il invite donc le ministère de l’Intérieur à anticiper la survenue éventuelle de nouvelles élections législatives, au regard de l’imprévisibilité observée d’une telle décision, en particulier si celles-ci devaient se dérouler en plein été, au moment où de nombreux acteurs municipaux, préfectoraux et citoyens assesseurs ou scrutateurs peuvent être en vacances à distance de leur lieu habituel de travail ou de résidence.

Votre rapporteur rappelle à cet égard qu’une dissolution peut intervenir dès le 7 juillet 2025, ce qui conduirait, si elle était effectuée à ce moment-là, à une tenue des élections entre la fin du mois de juillet et le milieu du mois d’août. Une telle situation serait de nature à faire peser sur l’organisation des élections des risques majeurs de faisabilité humaine et technique, qui non seulement ne sont pas à exclure, mais doivent être parfaitement anticipées par les pouvoirs publics.

Recommandation n° 20 : Anticiper les enjeux logistiques d’une éventuelle nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale et prévoir le cas où celle-ci interviendrait aux mois de juillet ou août, afin de réduire les difficultés des communes en matière d’organisation des élections.

3.   Des difficultés logistiques et matérielles structurelles qui persistent

a.   Le problème de la pénurie d’assesseurs.

La pénurie d’assesseurs pour tenir les bureaux de vote et procéder aux dépouillements se poursuit et tend même à s’aggraver.

Cette difficulté a été rappelée à plusieurs reprises par M. Geoffroy, au nom de l’AMF, lors de son audition : « il est de plus en plus difficile de trouver des assesseurs pour tenir les bureaux électoraux. Nous avons envisagé la possibilité d’autoriser les maires à désigner des assesseurs extérieurs à leur commune. Le ministère de l’Intérieur, que nous avons consulté, nous a fait part de son avis très défavorable, pour des raisons qui nous ont paru assez convaincantes : le risque d’interférence politique est réel. Il faut donc maintenir le principe actuel d’appartenance des assesseurs à la commune, en en appelant au civisme des citoyens » ([87]).

M. Geoffroy indique en outre avoir observé, à l’occasion des élections législatives anticipées, que « la situation s’est fragilisée » sur ce sujet : « Dans ma commune et dans mon département, nous avons été inquiets, mais également assez rapidement rassurés, par le maintien de l’engagement citoyen en dépit des difficultés de date. En effet, organiser un nouveau scrutin imprévu un mois après une élection est probablement moins périlleux en avril ou en mai que fin juin et début juillet. Malgré tout, nous y sommes parvenus. Cependant, nous sentons que la situation s’est fragilisée. À une certaine époque, la mobilisation était spontanée et nos concitoyens nous relançaient avant qu’on ne les relance. Désormais, nous devons nous assurer bien en amont que nous ne souffrirons pas de difficultés » ([88]).

L’article R. 42 du code électoral prévoit, pour mémoire, que chaque bureau de vote doit être composé d’un président, d’au moins deux assesseurs et d’un secrétaire. Ce format garantit une surveillance efficace des opérations électorales et participe de la lutte contre la fraude.

La présence d’assesseurs est également indispensable pour assurer le pluralisme politique au sein du bureau. Ceux-ci sont désignés prioritairement parmi les électeurs du département des candidats aux élections. L’article R. 44 prévoit également que les assesseurs puissent être désignés parmi les conseillers municipaux dans l’ordre du tableau puis, le cas échéant, parmi les électeurs de la commune ([89]).

Dans sa contribution écrite, le ministère de l’Intérieur rappelle, en outre, qu’il est « possible de recourir à la réserve civique pour faire appel à des assesseurs au moyen de la plateforme jeveuxaider.gouv.fr qui permet aux communes de diffuser des appels à candidature pour devenir assesseur au sein d’un bureau de vote, sur la base d’un modèle d’offre préétabli » ([90]).

Face à cette situation, votre rapporteur appelle à lancer une campagne nationale d’information sur l’organisation des élections et l’importance de la tenue des bureaux de vote. Une telle campagne permettrait sans aucun doute de participer à faciliter le recrutement d’assesseurs, nombre de nos concitoyens ne connaissant pas nécessairement ce rôle crucial, tandis que des critiques sont régulièrement formulées, et parfois à juste titre, sur la sincérité des scrutins et les possibilités de triche. Elle aurait par ailleurs pour effet positif de participer également d’une campagne d’information civique et sans conteste d’améliorer la maîtrise des enjeux associés aux divers scrutins.

Recommandation n° 21 : Lancer une campagne nationale d’information sur les élections pour inciter nos concitoyens à participer à la tenue des bureaux de vote et renforcer ainsi la fiabilité et la sincérité des scrutins par l’implication civique.

b.   Une gestion complexe des panneaux électoraux lors des élections.

Une première difficulté logistique récurrente concerne l’affichage réalisé sur les panneaux électoraux lors des élections reposant sur un système de listes et comportant un nombre très élevé de listes.

Comme le relève l’AMF dans sa contribution écrite « à chaque élection européenne, la question des panneaux électoraux refait surface » ([91]). Face aux très nombreuses listes de candidats (34 en 2019, 38 en 2024), les maires sont confrontés « notamment dans les petites communes, à la difficulté d’installer autant de panneaux qu’il y a de candidats, et ce, dans des délais très restreints (4 jours) » ([92]). Le coût de ces panneaux n’est pas non plus négligeable, avec une estimation de l’ordre de 100 à 150 euros hors taxe.

Si une circulaire « permet aux communes de fabriquer elles-mêmes des panneaux » ([93]) dans certaines conditions, cette situation reste problématique selon l’AMF. Pour les scrutins de liste, cette difficulté s’ajoute, par ailleurs, à la volatilité de la réglementation relative au matériel électoral, avec des changements de format, « y compris pour la dimension des bulletins de vote » ([94]).

Votre rapporteur appelle donc à doter les communes de panneaux électoraux normés et en nombre suffisant pour prévoir les scrutins comportant de nombreuses listes, comme les élections européennes.

c.   Un manque de moyens pour traiter en urgence les demandes de réinscription sur les listes électorales.

Les auditions menées ont fait apparaître l’existence de difficultés, dans certaines circonscriptions, pour traiter les demandes de réinscription émanant des électeurs contestant leur radiation des listes électorales, particulièrement dans les villes où des niveaux élevés de radiations ont été enregistrés.

Les dernières élections législatives anticipées, organisées dans des délais contraints, ont été particulièrement marquées par ce phénomène, comme l’a rappelé lors de son audition M. de Lesquen, adjoint au directeur des services judiciaires (DSJ), notamment au sein de la circonscription d’Évry-Courcouronnes où « le tribunal de proximité a enregistré 81 demandes de réinscription sur les listes électorales, alors qu’en temps normal, ce chiffre s’élève au maximum à une dizaine » ([95]). Cette situation est due à ce que votre rapporteur juge être un véritable scandale de radiations excessives dans cette ville, et qui est étudié en détail dans une autre partie du rapport, sur la base du contrôle sur pièces et sur place effectué à Évry-Courcouronnes par votre rapporteur.

Face à ce volume de requêtes, « nettement supérieur aux prévisions habituelles » ([96]), des fonctionnaires et des magistrats supplémentaires ont été mobilisés en urgence, sans toutefois, malheureusement, pouvoir traiter complètement une telle volumétrie, laissant de côté de nombreux citoyens qui n’ont donc pas pu exercer leur droit de vote dans les élections ayant eu lieu après ces radiations (européennes et législatives anticipées).

M. de Lesquen a indiqué que ce type de situation révèle incontestablement « une limite inhérente à un dispositif fondé sur des données historiques, qui ne permet pas, par défaut, une mobilisation étendue de l’ensemble du tribunal, ce qui serait sans doute excessif en l’absence d’alerte préalable » ([97]), soulignant que la mise en place pour la circonscription concernée d’un « un dispositif renforcé pour les scrutins ultérieurs » ([98]) avait permis d’éviter qu’une telle situation se reproduise.

Votre rapporteur souscrit à cette analyse et soutient un renforcement de l’action des magistrats dans ce domaine (infra).

4.   Des difficultés spécifiques qui concernent aussi les candidats.

a.   Une lisibilité incertaine des décisions prises par les commissions de propagande

Plusieurs députés membres de la commission d’enquête ont fait état lors des auditions de la complexité des règles applicables à la propagande électorale. Ce constat est ainsi largement partagé par les parlementaires.

Interrogé sur ce sujet, au titre de la présence de magistrats au sein de ces commissions, M. de Lesquen a indiqué, qu’en effet, l’intervention de ces commissions, « à l’échelle départementale voire, dans certains cas, à un niveau plus local […] peut entraîner des appréciations sensiblement différentes d’un territoire à l’autre » soulignant par ailleurs à raison que « les magistrats appelés à y siéger disposent généralement d’une spécialisation moindre sur ces sujets » ([99]).

M. de Lesquen a reconnu, en outre, qu’il n’existait pas, à cette heure, de « de dispositif de péréquation à proprement parler », mais uniquement « un corpus jurisprudentiel applicable de manière uniforme sur l’ensemble du territoire ». Il a également indiqué qu’il semblait préférable que « le ministère de l’Intérieur demeure l’unique interlocuteur en la matière, [le rôle du ministère de la Justice] se limitant à transmettre aux magistrats les précisions contenues concernant l’interprétation des nuances de couleurs utilisées dans les documents de propagande » ([100]).

Votre rapporteur comprend cette préoccupation de conserver un acteur unique afin d’éviter tout phénomène de dispersion, qui viendrait paradoxalement nourrir, de fait, une application inégale des règles en vigueur. Il estime néanmoins que les magistrats ne doivent pas hésiter à jouer pleinement le rôle de vigie vis-à-vis de la juste application des règles en vigueur.

Interrogé également sur ce sujet, lors de son audition, M. Christophe Kirgo, adjoint au chef de bureau des élections politiques, a rappelé les contraintes importantes qui s’imposent aux commissions de propagande dans le cadre des élections. Il estime toutefois, à cet égard, que les « règles juridiques pour l’impression des documents sont relativement simples », puisqu’il s’agit, pour les circulaires, « principalement d’éviter l’utilisation des couleurs du drapeau national et d’un emblème national ». Pour les bulletins de vote, « les règles varient selon les élections mais se limitent généralement à l’inclusion des noms des candidats, et éventuellement de leurs remplaçants pour les élections législatives. » ([101]).

Votre rapporteur peut souscrire en partie à ces propos, puisqu’il considère que c’est davantage l’application de ces règles que leur compréhension qui peut présenter des difficultés. Il estime toutefois que si ces règles peuvent parfois être utiles, puisqu’elles visent à préserver la clarté de l’information électorale pour les électeurs, il apparaît souhaitable d’intégrer les retours effectués par les candidats sur les contraintes imposées par l’application de certaines de ces règles, afin de simplifier l’organisation des campagnes électorales. Cette simplicité est en effet également une garantie d’égalité entre les candidats, qui ne bénéficient pas tous d’un appui technique spécifique sur ces questions, par exemple lorsqu’ils se présentent sans le soutien d’un parti politique.

Votre rapporteur soutient, en conséquence, l’idée d’organiser des échanges entre représentants des candidats et le ministère de l’Intérieur afin d’étudier les simplifications raisonnables envisageables, afin d’adapter soit le contenu, soit l’application de certaines règles.

Recommandation n° 22 : Simplifier les règles applicables à la propagande électorale afin de faciliter leur application par les candidats lors des élections.

Il soutient également l’idée de renforcer l’harmonisation des pratiques des commissions de propagande, en améliorant les outils d’aide à la décision dont ces dernières peuvent bénéficier par exemple.

Recommandation n° 23 : Harmoniser l’application par les commissions de propagande de la réglementation en vigueur en dotant ces dernières d’outils supplémentaires d’aide à la décision.

Enfin, votre rapporteur considère que ces commissions de propagande doivent davantage prêter attention à l’utilisation par les candidats des marques politiques (logos, noms de partis, etc.). Il est en effet impératif de ne pas faire reposer cette nécessaire vigilance sur les seuls candidats lésés par tout usage inapproprié de celles-ci.

Recommandation n° 24 : Conférer aux commissions de propagande un rôle de suivi attentif vis-à-vis de l’utilisation légitime des marques politiques par les candidats aux élections.

b.   Des règles de financement des campagnes politiques facteurs de difficultés multiples.

Les règles de financement des campagnes politiques présentent également une forme de complexité que rencontrent les candidats aux élections lorsqu’il s’agit d’organiser le financement de leur campagne électorale, puis, ensuite, quand il s’agit de déposer leur compte de campagne auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).

La commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

Créée par la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, la Commission nationale des comptes de campagne et du financement politique est une autorité administrative indépendante chargée de garantir l’intégrité financière des campagnes électorales et de la vie politique.

Elle assure à cet égard deux missions principales :

– elle approuve, réforme ou rejette les comptes de campagnes des candidats aux élections politiques, ces derniers étant tenus, en application de la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique

– elle vérifie que les comptes des partis politiques sont conformes aux exigences de la législation en vigueur.

Elle comprend neuf membres, nommés pour une durée de cinq ans.

En fonction des scrutins concernés, la commission peut être conduite à rendre un nombre de décisions élevé. Dans le cadre des élections législatives, la CNCCFP a ainsi rendu 3 200 décisions dont 85 décisions de rejet des comptes de campagne soumis.

Source : commission d’enquête

i.   La difficulté d’ouvrir un compte bancaire

Une première difficulté rencontrée par les candidats tient à la capacité de leur mandataire à ouvrir un compte bancaire auprès d’un établissement de crédit.

Cette situation n’est pas acceptable dans la mesure où la loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique a explicitement créé un droit du mandataire à l’ouverture d’un compte bancaire, dont les modalités, renforcées en 2017 ([102]), sont définies au sein de l’article L. 52-6-1 du code électoral.

Cet article prévoit, en l’espèce, qu’en cas de refus de la part de l’établissement de crédit sollicité, le candidat peut saisir la Banque de France afin qu’elle désigne un établissement de crédit situé dans sa circonscription devant lui offrir gratuitement les services bancaires de base. Le respect de ce droit est assuré par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et un médiateur du crédit peut être sollicité par le candidat en cas de difficulté.

Le constat formulé par la commission d’enquête est celui d’un respect inégal de ces dispositions par les établissements de crédit, ce qui suscite des difficultés importantes, en particulier pour les “petits” candidats.

Lors de son audition, M. Jean-Philippe Vachia, président de la CNCCFP, a indiqué partager ce constat : « L’ouverture du compte bancaire reste un sujet sensible. La majorité des candidats parvient à ouvrir un compte, parfois avec des délais excessifs, particulièrement problématiques dans le cas d’élections dont la période de financement est courte. En cas de difficulté, le candidat peut faire valoir son droit au compte auprès de la Banque de France ou solliciter l’intervention du médiateur du crédit. Nous déplorons les cas où, malgré la désignation d’un établissement par la Banque de France, celui-ci ne donne pas suite, ce qui est inacceptable » ([103]).

Il a également regretté, sur ce sujet, que « certains établissements facturent des frais exorbitants pour l’ouverture de compte, pratique que nous jugeons contestable » et souligné qu’une réflexion pourrait être engagée utilement sur « l’obligation d’ouvrir un compte pour tout candidat, même sans recette ni dépense », cette exigence légale expliquant souvent « le rejet des comptes de nombreux petits candidats » ([104]).

Votre rapporteur partage cette analyse, et considère également, comme M. Vachia, que « le législateur pourrait envisager un aménagement de cette obligation, pour simplifier le processus pour ces candidats » ([105]). Il plaide également en faveur d’une vraie politique dissuasive de sanctions à l’endroit des établissements de crédit qui ne respectent pas leurs obligations envers les mandataires des candidats.

Recommandation n° 25 : Étudier l’opportunité de faire évoluer l’obligation pour les « petits candidats » de devoir déposer un compte de campagne auprès de la CNCCFP lorsque leur campagne électorale n’a donné lieu à aucune dépense ni recette.

Recommandation n° 26 : Sanctionner les établissements de crédit qui ne respectent pas les obligations d’ouverture de compte bancaire prévues à l’article L. 52-6-1 du code électoral.

Enfin, votre rapporteur considère que ces difficultés pourraient être évitées en mettant en place une véritable banque de la démocratie, afin de garantir une réelle égalité de traitement entre les candidats pour l’ouverture des comptes de campagne et l’accès aux crédits bancaires et réduire, par ailleurs, les risques d’ingérence financière.

Recommandation n° 27 : Créer une banque de la démocratie afin de faciliter le financement des campagnes électorales et de prévenir les ingérences financières.

ii.   Les difficultés rencontrées lors du dépôt des comptes de campagne.

Les travaux menés par la commission d’enquête et les témoignages des candidats font apparaître l’existence de difficultés quant à la bonne maîtrise de la notion de dépense électorale et à la capacité d’anticipation par ces derniers des décisions prises par la CNCCFP.

Sur le premier point, votre rapporteur note qu’un guide du mandataire et du candidat est édité par la commission lors de chaque élection, et qu’il contient en effet un certain nombre d’éléments utiles. Il observe également qu’il est possible de solliciter la Commission afin d’obtenir des réponses en cas de difficulté d’interprétation. Néanmoins, il souligne que des réponses contradictoires peuvent parfois être remises par la CNCCFP d’une élection à l’autre, ce qui n’est pas de nature à faciliter l’uniformisation des pratiques.

Il estime, en conséquence, que c’est davantage vers la question des moyens qu’il convient de se tourner afin de faciliter la compréhension par les candidats de l’appréciation par la commission du respect des règles en vigueur. À son sens, la CNCCFP doit mettre en œuvre un véritable dispositif d’accompagnement des candidats pendant et après la campagne, afin de simplifier la gestion financière des campagnes électorales.

Ce dispositif nécessite, en conséquence, non seulement des moyens humains supplémentaires, mais aussi une évolution du rôle de la CNCCFP qui doit davantage accompagner les candidats en amont du contrôle légitime de leurs comptes de campagne. Le recours croissant à des outils numériques, dans cette perspective, pourrait apporter un appui utile aux candidats dans cette perspective.

Recommandation n° 28 : Renforcer les effectifs de la CNCCFP pendant et après les campagnes afin d’améliorer l’accompagnement des candidats, de renforcer l’application des règles relatives au financement des campagnes électorales, et de diminuer le nombre de cas problématiques lors de l’étude des comptes.

iii.   Garantir la stabilité et la prévisibilité de l’application des règles de financement de la vie politique par la CNCCFP

Les candidats doivent pouvoir bénéficier, durant l’ensemble de la campagne, d’une stabilité dans l’application des règles et d’une réelle visibilité.

Votre rapporteur propose que les échanges entre les candidats et la commission soient davantage formalisés et que les réponses apportées par cette dernière puissent engager sa pratique. Il invite donc la CNCCFP à étudier la meilleure façon de fiabiliser les réponses adressées aux questions des candidats, en leur garantissant une stabilité de l’application des règles concernées.

Recommandation n° 29 : Étudier la possibilité de créer un mécanisme de saisine a priori de la CNCCFP donnant lieu à des « rescrits électoraux » afin de renforcer l’intelligibilité des règles applicables en matière de financement de la vie politique.

iv.   Mieux harmoniser les pratiques de contrôles de la CNCCFP pour éviter les inégalités.

Votre rapporteur observe, également, certains témoignages de candidats ayant eu le sentiment de faire l’objet d’un traitement différencié pour des dépenses ou des situations pourtant identiques. En particulier, lors des dernières élections législatives anticipées, il a pu constater que la CNCCFP effectuait des demandes de précision à certains candidats sur des dépenses sans faire les mêmes demandes de précision à d’autres candidats qui avaient pourtant fait les mêmes dépenses. Il a pu également constater que les règles de prise en compte des dépenses et des remboursements associés n’étaient là encore pas nécessairement les mêmes pour tous.

Il invite, en conséquence, la CNCCFP à assurer une harmonisation réelle des pratiques de ses rapporteurs, tout en ayant conscience de la nécessité de ménager leur liberté d’enquête, qui est légitime. La mise en œuvre d’outils complémentaires dans cette perspective et l’adaptation des exigences aux moyens des candidats peut constituer une piste à explorer de façon raisonnable.

Recommandation n° 30 : Harmoniser les pratiques de contrôle des comptes de campagne des candidats pour renforcer la lisibilité des décisions de la CNCCFP.

v.   Garantir l’impartialité de l’instruction et la confidentialité des échanges avec les candidats

Votre rapporteur plaide, enfin, pour que des garanties complémentaires soient offertes aux candidats quant à l’impartialité du traitement de leur compte de campagne par les rapporteurs de la CNCCFP.

Comme l’a rappelé M. Vachia, lors de son audition, la CNCCFP comprend non seulement un « personnel permanent » à savoir quarante-six personnes, mais fait surtout reposer son travail sur « un vivier de deux cents rapporteurs qui sont des agents de la fonction publique ou des retraités de la fonction publique issus des administrations financières et des juridictions financières administratives » ([106]).

La procédure d’examen du compte de campagne décrite par M. Vachia est la suivante :

– les rapporteurs de la CNCCFP « procèdent à l’instruction de base des rapports » ([107]), en se fondant « non pas sur leur opinion personnelle, mais sur un guide du candidat et du mandataire » qui est remis à jour pour chaque élection, ainsi que sur « un guide d’audit, qui définit l’ensemble des diligences attendues » ([108]) ;

–  ce rapport « remonte [ensuite] à la commission » et fait alors l’objet d’un « contrôle qualité » ([109]) de la part de cette dernière ;

– il est ensuite présenté par un des membres de la Commission, qui joue le rôle de rapporteur général ;

– la Commission délibère et prend une décision, en veillant, selon M. Vachia, « à ce que chaque décision soit bien fondée », ainsi qu’à « l’égalité de traitement des candidats dans des situations similaires » ([110]).

Force est de constater, toutefois, que ces garanties n’ont pas toujours suffi à préserver la confidentialité des documents transmis par les candidats, comme votre rapporteur a pu l’observer dans ce que l’on peut appeler « l’affaire Logerot‑de Chalvron ».

L’affaire « Logerot – de Chalvron »

Le 22 novembre 2017, Jean-Guy de Chalvron a démissionné de son poste de rapporteur du compte de campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, en raison d’un désaccord avec le président de la CNCCFP, M. François Logerot. Le motif du désaccord concernait les suites à donner à l’évaluation de ce compte de campagne.

Cette démission a été révélée par le journal Le Parisien dès le 7 janvier 2018, Jean-Guy de Chalvron ayant décidé de rompre son devoir de réserve et de rendre publics des extraits de sa lettre de démission et plusieurs des motifs de son désaccord avec M. Logerot.

M. Chalvron a également accordé une interview au journal Le Monde le 13 février 2018, détaillant ses différents griefs.

Suite à ces différentes publications, le président de la CNCCFP, M. François Logerot, a décidé de signaler le compte de campagne de Jean-Luc Mélenchon à la justice… après l’avoir pourtant validé.

L’impartialité de M. de Chalvron avait été interrogée par le candidat M. Jean-Luc Mélenchon, dans une note de blog du 10 février 2023, revenant sur cet évènement après un nouveau rebondissement judiciaire en sa faveur : « Un lourd manquement éthique a vite été révélé avec la désignation de Jean-Guy de Chalvron comme principal rapporteur sur le compte de campagne de LFI en 2017. En effet, il avait été le directeur de cabinet de Louis Mexandeau, ministre socialiste, avec lequel j’ai eu de nombreux différends politiques quand j’étais membre de ce parti. De Chalvron n’avait mentionné à aucun moment ce potentiel conflit d’intérêts. De l’aveu même du Président Logerot, s’il l’avait su, il ne l’aurait jamais désigné. L’autre rapporteur, monsieur Hillaret, a confirmé que De Chalvron m’était personnellement hostile. »

Source : commission d’enquête.

Face à cette situation, votre rapporteur formule les deux recommandations suivantes :

– renforcer le contrôle des profils des rapporteurs de la Commission, afin de s’assurer de leur parfaite impartialité et indépendance. À défaut, face au nombre important de décisions à prendre par la CNCCFP lors de certains scrutins, certains conflits d’intérêts risquent de ne pas être constatés ;

– garantir une confidentialité absolue des documents transmis et sanctionner très fermement toute diffusion à la presse, en sollicitant systématiquement le procureur de la République sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, en plus des sanctions qu’il est possible d’adopter à la suite d’une enquête administrative interne.

Recommandation n° 31 : Renforcer le contrôle préalable des profils des rapporteurs travaillant pour la CNCCFP afin de prévenir tout conflit d’intérêt.

Recommandation n° 32 : Garantir une complète confidentialité de l’instruction des dossiers par la CNCCFP et sanctionner tout manquement à cette obligation légale.

C.   Des Évolutions qui doivent Être engagées afin de gagner en efficacité.

1.   Les machines à voter : une sortie du moratoire qui apparaît inévitable et doit donc être préparée.

Les machines à voter sont des dispositifs électroniques permettant d’enregistrer le vote des électeurs sans recourir au dépôt d’un bulletin papier dans une urne. Leur utilisation a été autorisée en 1969 par le ministère de l’Intérieur et a perduré pendant quatre décennies avant qu’un moratoire ne gèle la possibilité d’y recourir en 2008, en raison des risques de sécurité et d’atteinte à l’intégrité des scrutins que leur utilisation est susceptible de présenter.

Pour mémoire, l’article L. 57-1 du code électoral dispose que les machines à voter peuvent être utilisées dans les bureaux de vote des communes de plus de 3 500 habitants figurant sur une liste arrêtée dans chaque département par le représentant de l’État.

Depuis 2008, ce dispositif a été adopté dans soixante-trois communes, ce qui représente environ 1,3 million d’électeurs, soit environ 3 % du corps électoral.

Les travaux menés par la commission d’enquête font apparaître des positions très divergentes entre les chercheurs, les autorités publiques, et les communes utilisatrices de ces machines.

a.   Des communes utilisatrices qui plébiscitent les machines à voter.

Les communes utilisatrices de ces machines, rassemblées depuis 2014 au sein d’une association dédiée, ont plébiscité leur recours avec plusieurs arguments à l’appui.

Tout d’abord, ces machines facilitent grandement l’organisation des scrutins, puisqu’il n’est plus nécessaire de procéder à un dépouillement papier. M. Didier Gonzales, président de l’Association des villes pour le vote électronique (AVVE), estime même que le vote papier constituerait une forme de « préhistoire de la consultation » ([111]) face aux machines à voter et à la « rapidité d’exécution » du dépouillement. Votre rapporteur a d’ailleurs pu le constater en effectuant un contrôle sur pièces et sur place à Boulogne-Billancourt lors du deuxième tour de l’élection législative partielle de la 9e circonscription des Hauts-de-Seine, et a été en effet surpris par la rapidité du dépouillement.

Par ailleurs, selon M. Gonzales, l’avantage des machines à voter réside également en amont de l’élection, puisqu’il n’est plus nécessaire d’imprimer beaucoup de bulletins papier et de recourir à des enveloppes.

Les représentants de l’AVVE estiment, en outre, que les machines à voter garantissent une plus grande sécurité pour le scrutin, le recours au papier dans le cadre du dépouillement étant de nature à faciliter les fraudes. Ils ont écarté l’existence de risque de sécurité informatique, en indiquant que les procédures prévues par le ministère de l’Intérieur étaient robustes et fiables.

Ces procédures sont les suivantes :

– en amont du scrutin, les machines sont stockées dans un lieu sécurisé et scellées de sorte à ne pas pouvoir être modifiées ;

– au moment de l’installation des machines dans le bureau de vote, une vérification des touches et du paramétrage est effectuée en présence des élus et des candidats d’opposition ou de leurs représentants. Elles sont ensuite scellées et stockées dans un lieu sécurisé ;

– le jour du scrutin, « les machines sont remises en marche devant les élus d’opposition et le bureau » ([112]) afin de réaliser une « expertise contradictoire » ([113]). Les scellés sont alors brisés et il est procédé de nouveau à l’édition d’un ticket afin de vérifier que les touches sont attribuées aux bons votes.

– à l’issue du scrutin, un ticket est édité avec les résultats et il est vérifié que le cahier d’émargement est cohérent avec le nombre de votes.

L’AVVE a indiqué à votre rapporteur, à l’appui de sa demande de levée du moratoire, être favorable « à ce que l’on ajoute éventuellement d’autres contraintes sur les machines » ([114]) si cela était nécessaire.

Un troisième argument est mobilisé par les représentants de l’AVVE : l’argument écologique et économique, en raison de l’économie générée par l’absence de recours au papier et la réduction consécutive des coûts d’acheminement du matériel électoral concerné.

M. Etienne Béranger a indiqué qu’à Issy-les-Moulineaux, le coût de la location des machines de vote pour deux tours de scrutin était de 107 000 euros pour l’ensemble des bureaux de vote. Pour la ville de Suresnes, qui comporte trente-deux bureaux de vote, le coût annuel était par ailleurs, selon M  Guillaume Boudy, de 12 288 euros pour les élections comportant un seul tour et 15 288 euros pour les élections en comportant deux, dépense à laquelle s’ajoute la présence d’un huissier de justice pour 1 200 euros.

À l’appui de ces éléments, M. Boudy estime que les machines à voter constituent une solution plus économique que le vote papier.

Enfin, le recours aux machines présente l’avantage de permettre de comptabiliser les votes blancs et d’éviter les votes nuls.

b.   Des pouvoirs publics plus réservés sur leur utilisation

Les pouvoirs publics sont plus réservés sur le recours à ces machines à voter, raison pour laquelle aucune évolution significative n’est intervenue depuis la mise en place du moratoire en 2008.

Après plus d’une décennie de relative inertie, un rapport a été remis par le Gouvernement au Parlement en décembre 2021 sur la possibilité de recourir aux machines à voter. Ce rapport reprend les préconisations de l’étude réalisée par l’ANSSI sur ce sujet ([115]), qui envisage plusieurs scénarios parmi lesquels figure, en particulier, la possibilité de recourir à des machines à voter en envisageant l’édition d’un bulletin papier afin de rendre le vote vérifiable et auditable.

Dans sa contribution écrite, le ministère de l’Intérieur relève, d’ailleurs, que « l’édition d’un bulletin papier est déjà utilisée dans plusieurs pays tels que la Belgique ou l’Inde afin d’apporter la plus grande sécurité au vote en permettant un recompte manuel si nécessaire et de préserver la confiance des électeurs » ([116]). D’autres acteurs ont néanmoins indiqué que ce récépissé pouvait cependant créer un nouveau biais, puisqu’un électeur qui va voter à l’urne à l’heure actuelle ne reçoit aucun récépissé de vote et que cela pourrait induire une forme d’inégalité supplémentaire dans les élections.

Interrogée par votre rapporteur, l’ANSSI a détaillé les principaux enjeux de sécurité relatifs à l’utilisation des machines à voter :

– en cas de recours à des machines à voter, il convient de protéger non seulement les résultats des élections mais aussi le déroulement pour l’électeur et la phase de dépouillement ;

– le recours aux machines à voter induit par nature un risque de dépendance à l’outil numérique, et un risque de perte d’intelligibilité pour les citoyens, en faisant reposer la confiance dans le vote sur des experts (concepteurs, auditeurs, chercheurs) ;

– les protocoles de sécurisation actuellement mis en place ne réduisent aucun des risques identifiés ;

 les faibles mesures de sécurité autour des machines à voter notamment pendant leur stockage lors des périodes séparant deux tours d’élection et le manque de robustesse des mesures visant à prouver leur intégrité matérielle et logicielle présente une difficulté.

Des mesures pour renforcer la sécurité des machines à voter sont envisageables, à l’appui des bonnes pratiques observées à l’étranger, via l’édition d’un bulletin papier qui rend le vote auditable et vérifiable, l’audit des logiciels utilisés au sein des machines à voter, une procédure de vérification de l’intégrité matérielle et logicielle des machines et, enfin, une vigilance accrue sur le maintien dans le temps d’un niveau de sécurité élevé ([117]).

c.   Un moratoire qui ne pourra pas être maintenu indéfiniment.

Dans le cadre de son rapport relatif à l’organisation des élections, la Cour des comptes a indiqué qu’il serait souhaitable que le ministère de l’Intérieur réfléchisse à la meilleure façon de sortir de ce moratoire et, en tout état de cause, s’agissant des seules communes actuellement utilisatrices, il pourrait être pertinent de les autoriser à recourir à du matériel plus moderne et plus sûr, ou au minimum à la possibilité d’effectuer les mises à jour nécessaires des logiciels de ces machines.

Votre rapporteur souscrit à cette proposition. Il souhaite en conséquence que la concertation engagée en 2023 par le ministère de l’Intérieur afin de réfléchir à l’avenir des machines à voter puisse aboutir rapidement.

La situation se résume, pour faire court, à deux possibilités simples : soit une levée du moratoire en autorisant de nouveau l’achat ou la location de ces machines pour les communes qui n’en sont pas dotées, soit une interdiction de ces machines et un retour à la situation ex ante. Sur ce point, votre rapporteur lui-même est resté partagé, mais penche in fine davantage pour revenir sur l’autorisation.

En effet, d’un côté, ces machines facilitent effectivement les opérations de vote et de dépouillement. Mais de l’autre, et compte tenu en particulier des menaces d’ingérences qui pèsent sur les élections, plusieurs problèmes sécuritaires semblent devoir retenir une extension de ce système. Pour n’en retenir que deux, la difficulté à pleinement sécuriser ces dispositifs et, surtout, le manque potentiel de confiance dans les résultats de l’élection que pourrait provoquer l’introduction massive de ces dispositifs est de nature à susciter davantage d’inquiétude que de sérénité aux yeux de votre rapporteur.

Votre rapporteur a pris note de l’engagement de M. François Noël Buffet, ministre auprès du ministre de l’Intérieur, lors de son audition, de réunir à nouveau ce groupe de travail technique et de trancher cette question rapidement : « Le ministère de l’intérieur a lancé une concertation afin de réfléchir à la levée du moratoire s’appliquant à l’installation de ces machines à voter, et à leur avenir. Un groupe de travail de niveau technique a déjà réuni, en mars 2023, les services de l’État, la DMATES et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) principalement, ainsi que la société France Élection, afin d’évaluer la faisabilité des évolutions techniques préalables à une éventuelle levée du moratoire. J’ai décidé de réunir à nouveau rapidement ce groupe de travail afin de trancher définitivement la question » ([118]).

Il insiste néanmoins sur le fait que l’impératif de sécurité et de confiance dans le vote fasse l’objet d’une priorisation afin de ne pas mettre en péril la sincérité du scrutin pour des avantages d’ordre pratique. Il convient en effet de prévenir tout risque d’ingérence étrangère à cet égard.

Recommandation n° 33 : Proposer une solution de sortie du moratoire relatif aux machines à voter en s’appuyant sur les travaux du groupe de travail dédié mis en place par le ministère de l’Intérieur.

Recommandation n° 34 : Prioriser l’impératif de préservation de la sincérité du scrutin sur les avantages pratiques offerts par les machines à voter.

2.   Maintenir un principe de bénévolat pour le recrutement d’assesseurs

Face à la pénurie d’assesseurs, votre rapporteur observe que certaines communes ont été tentées de recruter des assesseurs contre une rémunération financière.

Il note, à ce sujet, que, pour reprendre les propos de M. Geoffroy, l’AMF « n’a pas formulé de doctrine sur ce sujet » mais partage les réserves formulées par ce dernier en ce sens lors de son audition : « Il existe des assesseurs titulaires, mais également des assesseurs suppléants […]. Si nous nous orientions vers un dispositif qui aboutit à ce que l’assesseur suppléant doit être indemnisé alors que l’assesseur titulaire est bénévole, et alors même qu’ils n’auront peut-être pas passé le même temps au bureau de vote, cela serait assez triste et préoccupant. Cela n’apporterait pas grand-chose et contribuerait certainement à une banalisation du fait électoral, que je ne souhaite pas et que je ne recommanderai pas » ([119]).

La fonction d’assesseur au sein des bureaux de vote doit rester un engagement citoyen et une obligation pour les élus municipaux.

Votre rapporteur est davantage convaincu par la nécessité, pour les services de l’État, d’accompagner davantage les communes rencontrant des difficultés, en apportant leur appui dans cette démarche lorsqu’elle reste infructueuse. Il serait utile, au sein des préfectures, qu’un suivi dédié à cette problématique soit organisé, et qu’une campagne nationale d’information soit mise en œuvre sur ce sujet, comme votre rapporteur l’a déjà proposé ci-avant dans ce rapport.

Recommandation  35 : Engager une démarche renforcée d’accompagnement des services de l’État à destination des communes rencontrant des difficultés pour recruter des assesseurs.

3.   Améliorer la prise en charge par l’État des dépenses engagées par les communes.

Lors de son audition, M. Geoffroy a évoqué la nécessité de mieux prendre en charge les dépenses engagées par les communes dans le cadre des élections, en particulier lorsque ces dernières n’étaient pas initialement prévues.

L’AMF regrette à ce sujet, en effet, que « les dotations de la part de l’État pour les élections [n’aient] pas varié depuis vingt ans » alors que « le panier du maire – comme on parle du panier de la ménagère » a augmenté, particulièrement ces dernières années » ([120]). Il existe donc, d’après M. Geoffroy, « un risque de décrochage entre le coût réel de ces prestations et les moyens que l’État met à [la] disposition [des maires] » ([121]).

Cette compensation, qui n’a pas été revalorisée depuis 2006, s’effectue à hauteur de 44,73 euros par bureau de vote, montant auquel il convient d’ajouter 0,10 euro par électeur. La mobilisation des agents rémunérés sur la base d’heures supplémentaires majorées le dimanche engendre en outre des coûts supplémentaires.

Dans son rapport précité, La Cour des comptes partage ce constat : « Ainsi, en 2017, l’Association des maires de France (AMF) évaluait la participation de l’État à seulement 15 % du coût réel du scrutin. » et souligne, par ailleurs, que « le suivi des budgets locaux assuré par la direction générale des collectivités locales (DGCL) ne lui permet pas d’évaluer les dépenses réalisées par les communes en matière d’organisation des élections. » ([122]).

Face à cette situation, votre rapporteur invite les pouvoirs publics à assurer une réelle compensation des coûts générés par l’organisation des élections pour les communes. Il partage également le constat formulé par la Cour des comptes d’une consolidation plus robuste de l’évaluation du coût des élections.

Recommandation n° 36 : Assurer une meilleure prise en charge par l’État des dépenses engagées par les communes lors de l’organisation des élections.

Recommandation n° 37 : Renforcer la transparence et la consolidation du coût des élections par le ministère de l’Intérieur.

4.   Maintenir l’envoi postal de la propagande électorale et multiplier les modes d’information des électeurs.

Face à l’échec retentissant de l’acheminement de la propagande électorale en 2021 et dans un contexte d’essor du numérique, de nombreuses propositions ont été formulées en faveur d’une dématérialisation de la propagande électorale.

Votre rapporteur n’ignore pas que cette dématérialisation pourrait présenter certains avantages, tant en termes de coût, que d’empreinte écologique. Il estime néanmoins que l’expression pleine et entière du suffrage universel et de la souveraineté nationale ne saurait être subordonnée à d’autres impératifs, sous peine de réduire la place de la démocratie dans notre société. Il estime donc non seulement que l’envoi de la propagande électorale par courrier doit être maintenue mais qu’il faut de surcroît multiplier les modes d’information des électeurs.

Ainsi, votre rapporteur préconise, en plus de l’envoi de la propagande électorale par courrier, de mettre en place un envoi de la propagande électorale par mail et par SMS via un lien cliquable et sécurisé, mis en place hors des comptes de campagne par les services préfectoraux, au minimum pour les élections nationales (présidentielles, européennes et législatives) l’un ne devant pas se substituer à l’autre mais venir en complément. Cette multiplicité des canaux d’information aurait le double avantage de multiplier les chances de l’électeur d’être correctement informé, mais aussi de se voir rappeler la date imminente d’une élection par plusieurs outils différents. 

La réorganisation mise en œuvre par le ministère de l’Intérieur et l’efficacité de l’action de La Poste plaident quoi qu’il en soit pour un maintien de l’envoi de propagande papier, de même que l’importance, pour certains électeurs, de ce mode d’information, qui constitue un élément de rappel du vote et une habitude à maintenir.

Recommandation n° 38 : Maintenir absolument l’envoi de la propagande électorale par voie postale et ouvrir en complément l’envoi de propagande dématérialisée par mail et SMS pris en charge par les préfectures, au minimum pour les élections nationales (présidentielle, européenne et législatives). 

5.   Offrir toutes les garanties d’indépendance et de transparence nécessaires à la confiance des citoyens

Votre rapporteur considère que les élections sont un pilier de notre République et qu’il convient en conséquence de préserver la confiance de l’ensemble des parties prenantes dans leur bon déroulement.

Il estime, à cet égard, que des progrès peuvent être réalisés sur plusieurs aspects du processus à l’œuvre.

i.   Permettre un parrainage citoyen des candidats à l’élection présidentielle

L’élection présidentielle dispose d’un statut particulier au sein de la Ve République, qui se traduit non seulement par l’existence d’autorités administratives spécifiques à cette élection (CNCCEP), mais aussi par des règles particulières en matière d’éligibilité.

La candidature à l’élection présidentielle repose en effet sur un système de parrainage qui, s’il ne présente pas que des inconvénients, en théorie, apparaît néanmoins parfaitement suranné et comme pouvant faire obstacle à la volonté des électeurs.

La règle des 500 parrainages pour l’élection présidentielle

L’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du président de la République au suffrage universel définit les conditions requises pour être candidat à l’élection présidentielle.

Pour présenter sa candidature, il est ainsi nécessaire de remplir plusieurs conditions cumulatives :

– être citoyen français âgé de plus de 18 ans (au lieu de 23 ans jusqu’à la loi organique du 14 avril 2011) ;

– jouir de ses droits civils et politiques et n’être dans aucun cas d’incapacité prévu par la loi est éligible ;

– avoir obtenu 500 parrainages d’élus.

Toute la procédure de parrainage des candidats est placée sous le contrôle du Conseil constitutionnel, qui enregistre les parrainages dès réception, en contrôle la validité, et s’assure du consentement des candidats ayant franchi le seuil des 500 parrainages. Il assure également la publicité des parrainages consentis.

Source : viepublique.fr

Dans cette perspective, et afin d’éviter que les sondages fabriquent des candidatures et déterminent donc en partie le résultat de l’élection (infra), votre rapporteur suggère, sur la base du rapport publié en 2012 par la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par M. Lionel Jospin ([123]), de créer un mécanisme de parrainage citoyen.

Il partage en effet les conclusions de ce rapport sur ce sujet, à savoir :

– qu’un mécanisme de filtrage doit être maintenu afin d’éviter une dispersion excessive des candidatures ;

– que le mécanisme actuel présente une double fragilité problématique, en mettant en risque la participation de certains courants politiques majeurs au sein du pays tout en ne permettant plus, paradoxalement, de maintenir un nombre maîtrisé de candidatures ;

– que le panel d’élus qui peuvent parrainer, à savoir essentiellement des élus locaux, n’est pas complètement satisfaisant. Il n’apparaît pas évident, par ailleurs, que les maires concernés apprécient de devoir trancher entre les candidats pour les parrainages, voire peuvent se sentir parfois presque en situation de « compétence liée » vis-à-vis de leurs partis politiques ;

– que le système actuel est insatisfaisant car il crée de sérieuses inégalités entre les candidats, en fonction en particulier du développement local de leurs partis politiques.

Votre rapporteur ajoute, par ailleurs, que le temps consacré au recueil des parrainages pourrait probablement être mieux utilisé par les candidats.

Dans ces conditions, votre rapporteur est favorable à une réforme du système de parrainage dans la droite ligne de la proposition du rapport Jospin, à savoir l’instauration d’un parrainage des candidats à l’élection présidentielle par les citoyens dans les conditions prévues par le rapport précité.

Recommandation n° 39 : Instaurer un parrainage des candidats à l’élection présidentielle par 150 000 citoyens d’au moins cinquante départements comme le préconise le « rapport Jospin » de 2012.

ii.   Assurer une liaison constante entre les représentants des partis politiques et le bureau des élections politiques lors des scrutins.

En matière de transparence et de confiance, d’abord, votre rapporteur est convaincu que les représentants des candidats doivent pouvoir être présents au sein des bureaux qui centralisent les résultats des élections.

Cette présence est actuellement prévue, en droit, au sein des commissions de recensement des votes. Un suivi en temps réel de la centralisation des résultats apporterait une garantie supplémentaire pour les candidats aux élections.

Dans cette perspective, votre rapporteur propose que les représentants des différents candidats ou listes candidates puissent suivre aux côtés des membres du bureau des élections politiques du ministère de l’Intérieur la centralisation en direct des votes lors des élections.

Recommandation n° 40 : Permettre aux représentants des candidats de suivre de façon continue au sein du bureau des élections politiques du ministère de l’Intérieur la centralisation et la consolidation progressive des résultats.

iii.   Renforcer la présence des magistrats au sein des commissions électorales.

La présence des magistrats au sein des commissions des commissions indépendantes garantit un juste contrepoids face à la prépondérance de l’exécutif en matière d’organisation des élections.

Lors de son audition, la DSJ a confirmé toute la pertinence de leur présence en ce sens afin de garantir que les lois et règlements soient bien appliqués.

Votre rapporteur estime en revanche que des efforts doivent être faits afin de renforcer l’attractivité de ces fonctions, qu’il s’agisse d’efforts en termes de formation, afin qu’ils puissent pleinement exercer leur office, ou en termes de valorisation, leur rôle étant critique afin de garantir la pleine transparence des opérations électorales.

Il invite donc les pouvoirs publics, et plus particulièrement la direction des services judiciaires du ministère de la Justice, à engager une réflexion en partenariat avec les magistrats en ce sens.

Recommandation n° 41 : Renforcer la formation et la valorisation des magistrats au sein des commissions électorales.

iv.   Renforcer la capacité de contrôle des procurations par les candidats aux élections pour éviter les fraudes.

Dans le cadre de la dématérialisation des procurations, certaines dispositions du code électoral ont fait l’objet de modifications.

C’est le cas, notamment, de l’article R. 76 du code électoral, qui ne prévoit plus, depuis 2021, l’annexion du registre des procurations à la liste électorale. Si cette modification peut s’expliquer par le fait que le contrôle des procurations est désormais effectué directement au sein du répertoire électoral unique, la suppression de cette disposition est problématique vis-à-vis du contrôle mis en œuvre par les citoyens et les candidats sur ce sujet.

Ainsi, l’élection législative de 2022 dans la première circonscription de Charente avait été annulée à la suite du recours formulé par M. René Pilato devant le Conseil constitutionnel. Cette élection s’était en effet jouée à 24 voix et M. Pilato avait constitué auprès du Conseil constitutionnel un dossier démontrant que sur 134 procurations manuscrites, 64 semblaient irrégulières.

Dans sa décision n° 2022-5784 AN du 2 décembre 2022, le Conseil Constitutionnel avait annulé l’élection, ayant constaté que 27 voix au moins pouvaient être considérées comme frauduleuses, sans avoir toutefois pu examiner la question desdites procurations. Élu à la suite de la nouvelle élection convoquée après l’annulation, M. Pilato avait saisi le ministre de l’Intérieur à plusieurs reprises (par une question orale le 28 novembre 2023, puis par une question écrite le 26 décembre 2023, signalée de nouveau le 8 avril 2024), sans recevoir de réponse.

Saisi de ce sujet par M. Pilato dans le cadre de ses travaux, et dans une volonté de contrôle accru des citoyens et des candidats, votre Rapporteur propose de rétablir la disposition qui existait avant 2021 et donc d’annexer les procurations concernées à la liste électorale du bureau de vote concerné. Il est également favorable à la centralisation de ces registres de procuration au sein des préfectures afin de faciliter ce contrôle.

Recommandation n° 42 : Rétablir l’annexion des procurations au procès-verbal des bureaux de vote lors des élections.

Recommandation n° 43 : Permettre la centralisation en préfecture des registres des procurations pour faciliter leur vérification.

Ce renforcement de la capacité de contrôle doit également passer par une évolution de la borne temporelle limitant le recours aux procurations.

En effet, la possibilité de réaliser une procuration « jusqu’au dernier moment », c’est-à-dire jusqu’à la veille du scrutin, crée des difficultés significatives pour les communes, les services de police et de gendarmerie, en plus de réduire mécaniquement la capacité de contrôle de la bonne conformité d’établissement de ces procurations.

Votre rapporteur note, sur ce sujet, que M. François Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, lui a indiqué que le gouvernement était « prêt travailler […] sur l’instauration d’une date limite pour l’établissement de la procuration » car « nous connaissons ces procurations faites le samedi après-midi en toute hâte ou le samedi soir, pour ne pas parler du dimanche matin, qui sont juridiquement valables mais dont les conséquences administratives sont terribles – il faut rééditer la liste électorale, la contrôler, etc. Nous devons trouver une solution, peut-être fixer la date limite au vendredi, pour ne pas s’exposer aux difficultés pratiques » ([124]).

Environ 400 000 procurations ont été établies en ligne dans les deux jours précédant le premier tour des élections législatives de 2024, et environ 200 000 supplémentaires dans les deux jours précédant le second tour.

Votre rapporteur propose, sur ce point, de trouver un équilibre raisonnable en envisageant que la date limite pour réaliser une procuration soit fixée l’avant‑veille du scrutin concerné à minuit.

Recommandation n° 44 : Fixer la date limite pour réaliser une procuration à l’avant-veille du scrutin à minuit pour des raisons d’organisation du scrutin et de préservation de son intégrité.

Enfin, votre rapporteur estime qu’il pourrait être utile, compte tenu de la dématérialisation des procurations et de leur intégration au sein du REU, de disposer d’un outil national de contrôle des procurations. Cela permettrait de déceler des fraudes potentielles aux procurations dans le cas où certains bureaux de votes présenteraient un usage important ou disproportionné des procurations au regard de la moyenne nationale, et sans que cela puisse s’expliquer par des raisons associées à la géographie ou la population particulière de ces bureaux.

Recommandation n° 45 : Mettre en place un outil national de contrôle des procurations afin de faciliter l’identification de fraudes potentielles aux procurations dans les bureaux de vote.

v.   Envisager à terme de confier l’organisation des élections à une autorité administrative indépendante

Les travaux conduits par votre rapporteur ont démontré la robustesse de l’organisation des élections selon la configuration actuelle, c’est-à-dire mise en œuvre essentiellement par le pouvoir exécutif, via le ministère de l’Intérieur pour l’essentiel.

Face à cette prééminence de l’exécutif, des commissions électorales indépendantes ont progressivement été créées afin de rétablir une forme d’équilibre nécessaire afin de préserver l’indépendance du scrutin. En effet, si l’administration agit dans l’intérêt général et dans le respect des lois et règlements, il existe évidemment une marge d’appréciation dans laquelle peut être tenté de se glisser tout ministre de l’Intérieur, et dont la manifestation peut prendre les différentes formes précitées (attribution des nuances politiques, réaction plus ou moins rapide selon les situations etc.)

Aussi, dans le prolongement du mouvement global visant à rééquilibrer l’organisation des élections, et à en assurer un contrôle renforcé, votre rapporteur considère qu’une réflexion doit être engagée en vue d’envisager la création d’une autorité indépendante structurante chargée d’organiser les élections.

Cette autorité administrative pourrait comprendre un représentant par groupe parlementaire ou parti politique présentant des candidats lors des élections concernées.

Cette solution aurait plusieurs avantages selon votre rapporteur :

– une indépendance complète sur l’ensemble du cycle relatif à l’organisation des élections ;

– la réduction importante des mises en cause du pouvoir exécutif, qui serait moins sujet à toute critique de partialité dans l’organisation des élections, cette compétence étant devenue celle de cette autorité ;

– la participation renforcée des élus et du Parlement dans ce domaine, dans un rôle de contrôle utile ;

– renforcer le pluralisme du contrôle de l’organisation des élections.

Recommandation n° 46 : Envisager la mise en place d’une autorité administrative indépendante en charge de l’organisation des élections.

6.   Préserver le droit des détenus de voter par correspondance aux élections locales et législatives.

Les personnes détenues qui n’ont pas été déchues de leurs droits civiques bénéficient du droit de vote selon trois modalités distinctes, que sont le vote par procuration, le vote à l’urne à la suite d’une demande de permission accordée ou, depuis 2019, le vote par correspondance.

Dans ce dernier cas, les personnes détenues votent directement au sein de leur établissement pénitentiaire, après la vérification de leur identité, et leur vote est ensuite acheminé au sein d’un bureau de vote national unique au ministère de la Justice. Cette modalité de vote concerne l’élection présidentielle.

Pour les élections législatives et locales, le vote par correspondance est également possible pour les personnes détenues, mais celles-ci doivent alors être inscrites sur la liste électorale de la commune chef-lieu du département de l’établissement pénitentiaire où elles sont retenues.

En prévision des élections municipales, et face aux effets liés à ce rattachement dans le cadre des élections municipales à venir, la Cour des comptes recommandait d’engager une réflexion pour adapter les modalités de vote des personnes détenues.

En parallèle, une proposition de loi relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues a été déposée devant le Sénat et adoptée en première lecture le 25 mars 2025.

En l’état actuel de sa rédaction, cette proposition de loi prévoit deux systèmes de fonctionnement de ce vote par correspondance.

Dans le cadre des élections organisées à l’échelle nationale, où il n’existe donc qu’une circonscription électorale unique, le système actuel serait maintenu. Les personnes détenues pourront donc continuer de voter par correspondance à condition d’être inscrites sur les listes électorales de la commune chef-lieu du département ou d’implantation de l’établissement pénitentiaire.

En revanche, pour les élections locales et législatives, la proposition de loi prévoit de supprimer la possibilité de voter par correspondance pour les personnes détenues. Cette suppression est tout simplement inacceptable pour votre rapporteur : elle constitue à la fois un retour en arrière préoccupant et une atteinte disproportionnée au droit de vote des personnes détenues.

Votre rapporteur estime préférable, tout simplement, de conserver la proposition initiale de ce texte, à savoir la possibilité pour les personnes détenues souhaitant voter par correspondance de s’inscrire sur la liste électorale de la commune où elles avaient élu domicile avant leur incarcération ou au sein de la commune où est domicilié un membre de leur famille.

Recommandation n° 47 : Préserver le droit pour les personnes détenues de voter par correspondance aux élections locales et législatives, et envisager toutes les possibilités techniques pour augmenter l’inscription et la participation au vote dans les lieux de détention.

7.   Une présentation des résultats qui doit être fiable et objective

L’attribution par le ministère de l’Intérieur de nuances politiques aux candidats des élections est une pratique qui fait souvent l’objet de contestations de la part des candidats et de recours devant le juge administratif.

En application des dispositions du décret du 9 décembre 2014 relatif à la mise en œuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « Application élection » et « Répertoire national des élus », le préfet attribue en effet une nuance politique aux candidats aux élections.

Contrairement à l’étiquette politique, qui est librement choisie, la nuance politique est attribuée de façon discrétionnaire en fonction d’une grille spécifique définie au sein d’une circulaire dédiée. Les candidats souhaitant contester la nuance politique peuvent demander une rectification à l’autorité administrative, puis saisir le juge administratif, en l’espèce le Conseil d’État, en cas de désaccord.

Si l’attribution des nuances politiques vise à permettre le fonctionnement des dispositifs numériques précités, et à garantir la lisibilité des résultats aux élections pour les citoyens, force est de constater que le pouvoir discrétionnaire mis en œuvre par le ministère de l’Intérieur est contestable. Les difficultés intervenues lors des élections législatives de 2022 sur ce sujet, et qui ont conduit le juge administratif à suspendre l’exécution de la circulaire du 13 mai 2022 relative à l’attribution des nuances aux candidats aux élections législatives de 2022 en témoignent. Cette problématique a d’ailleurs donné lieu à d’autres contentieux depuis ([125]).

Votre rapporteur considère, sur ce sujet, qu’il n’est pas opportun de faire reposer la charge de contester les nuances politiques attribuées aux candidats par le pouvoir exécutif aux seuls candidats et partis concernés. Dans cette perspective, il estime, au regard de l’importance de cette question dans la lecture des résultats des élections, d’attribuer cette compétence à une commission indépendante dédiée, seule option pour réduire toute tentation d’interprétation à géométrie variable sur ce sujet. La création d’une telle commission ou l’adjonction de cette fonction à une commission indépendante déjà existante pourrait par ailleurs être l’occasion de fournir une base légale satisfaisante vis-à-vis de cet enjeu.

Recommandation n° 48 : Confier l’attribution des nuances politiques lors d’une élection à une commission dédiée et pluraliste, afin de garantir l’objectivité des nuances politiques, d’éviter les conflits d’intérêts avec le ministère de l’Intérieur, et ainsi de préserver l’intégrité du scrutin.

III.   L’organisation des Élections en dehors du territoire hexagonal : DES EFFORTS considérables à faire pour garantir une réelle Egalité des citoyens face au suffrage.

L’organisation des élections hors de la France hexagonale présente des spécificités en raison des caractéristiques des territoires concernés.

En outre-mer, les difficultés constatées existent sur un certain nombre de territoires, en particulier depuis les zones difficiles d’accès, mais aussi en raison de l’absence de prise en compte de certaines spécificités (comme la date du vote) dans les campagnes officielles.

Les Français établis à l’étranger peuvent également voter pour la plupart des élections politiques nationales, selon des modalités adaptées afin de tenir compte des contraintes pratiques existantes.

A.   Voter en Outre-mer : des défis logistiques d’ampleur

1.   Des spécificités justifiant l’application de règles dérogatoires au droit commun.

a.   Les spécificités « de droit »

i.   Des spécificités concernant les élections municipales.

Une première spécificité tient au fait que certaines élections ne sont pas organisées ou connaissent une organisation différente de celle retenue en métropole. C’est le cas des élections municipales. Il n’y a pas d’élection municipale à Saint-Martin, Saint-Barthélemy et à Wallis-et-Futuna, car ces collectivités ne comportent pas de communes. En Polynésie française, par ailleurs, les scrutins municipaux concernent des communes associées, et non une commune unique. Enfin, en Nouvelle Calédonie-Kanaky, le mode de scrutin utilisé lors des élections municipales est différent. Un scrutin de liste avec représentation proportionnelle y est en effet appliqué y compris au sein des communes de moins de 1 000 habitants.

Une seconde spécificité concerne la composition du corps électoral en Nouvelle Calédonie-Kanaky. L’accord sur la Nouvelle Calédonie-Kanaky signé à Nouméa le 5 mai 1998, qui reconnaît une situation de colonisation et l’existence de deux peuples, prévoit en effet la création d’une citoyenneté calédonienne qui fonde des restrictions au corps électoral amené à élire les membres du congrès et des assemblées de province de Nouvelle Calédonie-Kanaky. Dans ce territoire, il existe donc, en plus de la liste électorale générale, une liste électorale spéciale pour les provinciales (LESP), destinée à permettre l’élection du congrès et des assemblées de province.

ii.   Des règles électorales adaptées au sein des collectivités d’outre-mer.

Enfin, d’autres règles spécifiques tendent à s’appliquer au sein de certains territoires ultramarins en raison de leurs spécificités géographiques, mais davantage sous la forme d’adaptations des règles électorales de droit commun (infra).

iii.   Des règles spécifiques en matière de financement des campagnes électorales.

Trois spécificités affectent les élections en outre-mer, en ce qui concerne le financement des campagnes électorales.

Premièrement, les comptes de campagne des candidats aux élections politiques peuvent être déposés directement auprès du représentant de l’État au niveau local. Cette facilité constitue une dérogation par rapport au régime de droit commun, qui prévoit un dépôt auprès de la commission nationale des comptes de campagnes et du financement politique (CNCCFP).

Deuxièmement, compte tenu des caractéristiques géographiques des territoires (difficultés d’accès et éparpillement territorial), les frais de transport aérien, maritime ou fluvial dûment justifiés exposés par les candidats dans les départements d’outre-mer ainsi qu’en Nouvelle Calédonie-Kanaky, en Polynésie française et dans les îles Wallis-et-Futuna ne sont pas inclus dans le plafond des dépenses électorales.

Enfin, une troisième spécificité concerne le versement de l’aide publique aux partis politiques, en application de l’article 9 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique.

La règle de principe implique que la première fraction de cette aide soit attribuée aux partis et groupements politiques qui ont présenté lors du plus récent renouvellement de l’Assemblée nationale des candidats ayant obtenu chacun au moins 1 % des suffrages exprimés dans au moins cinquante circonscriptions.

Par dérogation, cette première fraction est également versée aux partis et groupements politiques qui n’ont présenté des candidats lors du plus récent renouvellement de l’Assemblée nationale que dans une ou plusieurs collectivités territoriales relevant des articles 73 ou 74 de la Constitution ou en NouvelleCalédonie-Kanaky et dont les candidats ont obtenu chacun au moins 1 % des suffrages exprimés dans l’ensemble des circonscriptions dans lesquelles ils se sont présentés.

b.   Les spécificités « de fait »

L’organisation des élections au sein des territoires ultramarins connaît un certain nombre de spécificités liées à leurs caractéristiques.

i.   Listes électorales

En Nouvelle Calédonie-Kanaky, les électeurs ne sont pas inscrits au sein du répertoire électoral unique (REU) tenu par l’INSEE mais sur le Fichier général des électeurs (FGE), tenu par l’Institut de la statistique et des études économiques (ISEE).

Cette situation s’explique par l’absence d’intégration de la Nouvelle Calédonie-Kanaky au Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP) ce qui a pour conséquence de rendre impossible toute opération de vérification automatique d’identité.

Comme l’a rappelé M. Christian Charpy lors de son audition, la spécificité de la Nouvelle Calédonie-Kanaky « tient au fait que le territoire est compétent pour l’état civil et ne souhaite pas communiquer les informations correspondantes à l’Insee, pour des raisons sans doute liées à la comptabilisation du nombre de personnes présentes sur le territoire au moment des accords de Nouméa. Le répertoire électoral unique ne s’y applique [donc] pas » ([126]).

En conséquence, comme le relève la délégation générale des outre-mer (DGOM) dans sa contribution écrite, les électeurs de Nouvelle Calédonie-Kanaky doivent utiliser NC Connect et non France Connect s’ils souhaitent utiliser, par exemple, la démarche en ligne « MaProcuration ».

ii.   Organisation des opérations de vote

Deux spécificités sont notables, à cet égard.

En premier lieu, le vote lors des scrutins nationaux a lieu le samedi, soit la veille du scrutin dans l’Hexagone, afin de tenir compte du décalage horaire. Cette spécificité s’applique en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à Saint‑Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Le principe du vote le dimanche, prévu par l’article L. 55 du code électoral, est maintenu dans les autres départements ou collectivités d’outre-mer.

Cette adaptation répond à la nécessité d’éviter que les électeurs situés dans ces collectivités puissent, avant la fermeture des bureaux de vote, avoir connaissance de l’issue du scrutin en métropole. Elle a été particulièrement signalée comme un problème important lors de nos auditions, mais aussi par notre collègue Jean-Victor Castor, député de Guyane et secrétaire de notre commission d’enquête. En effet, les clips de campagne des élections nationales qui appellent à voter « ce dimanche » ou « dimanche prochain » ne sont pas adaptés dans ces territoires et tendent à induire les électeurs en erreur. Votre rapporteur propose donc une recommandation pour corriger ce problème majeur (infra).

En second lieu, des modalités particulières sont mises en œuvre dans certains territoires en ce qui concerne l’horaire de clôture du scrutin, sans toutefois que la durée de ce dernier puisse être inférieure à dix heures ([127]). En Nouvelle Calédonie-Kanaky, le représentant de l’État « peut avancer l’heure de clôture du scrutin ou retarder son heure de clôture dans certaines communes » ([128]). À Saint Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, le représentant de l’État dispose également d’une faculté de modification de l’horaire du scrutin, mais de façon plus limitée, puisqu’il peut uniquement avancer l’horaire de sa clôture ([129]).

iii.   Centralisation des résultats

Les élections spécifiques aux outre-mer ne font pas l’objet d’une centralisation des résultats au sein du système d’informations dédié aux élections (SIE2). Cette situation, comme l’a indiqué M. Olivier Jacob lors de son audition, résulte « de choix techniques opérés lors de la modernisation du système d’information électoral, qui a accordé la priorité aux élections présidentielles et législatives, au détriment des scrutins territoriaux propres aux outre-mer » ([130]).

En outre, afin de tenir compte des difficultés logistiques propres à l’outre‑mer, des facilités ont été mises en place afin de garantir une transmission simplifiée des procès-verbaux relatifs aux opérations électorales.

En Nouvelle Calédonie-Kanaky, à Wallis-et-Futuna et en Polynésie française, la transmission des procès-verbaux à la commission départementale de recensement, lorsqu’elle existe, peut être effectuée dans certaines conditions, par télégramme, télécopie ou courrier électronique émanant des maires ou des délégués du représentant de l’État constatant respectivement les résultats des bureaux de vote des communes et ceux des bureaux de vote de leurs circonscriptions, et contenant les contestations formulées avec l’indication de leurs motifs et de leurs auteurs.

Cette facilité vise les cas où, en raison de l’éloignement des bureaux de vote, des difficultés de communication ou pour toute autre cause, les procès-verbaux ne parviendraient pas à la commission de recensement en temps utile.

Pour l’élection des représentants français au Parlement européen et l’élection présidentielle, ces dispositions peuvent par ailleurs être mises en œuvre dans les autres collectivités ultramarines (article 28 du décret n° 77-729 du 28 février 1979 et article 39 du décret n° 2001-213 du 8 mars 2001).

Pour la transmission des procès-verbaux à la commission nationale de recensement pour les élections européennes de 2024, la DGOM a indiqué à votre rapporteur dans sa contribution écrite que « des consignes similaires ont été passées par le ministère de l’intérieur » non seulement « en Nouvelle Calédonie-Kanaky, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna » mais aussi « dans les autres collectivités d’outre-mer en cas de nécessité » ([131]).

En conséquence, « dès l’achèvement de leurs travaux et parallèlement à la transmission papier des procès-verbaux, les commissions locales de recensement ont été invitées à adresser les résultats complets de son recensement à la commission nationale de recensement général par voie électronique, en indiquant le cas échéant les contestations des électeurs consignées au procès-verbal » ([132]).

2.   Des difficultés liées aux caractéristiques des territoires ultramarins.

Les auditions menées font apparaître l’existence de plusieurs difficultés spécifiques tenant aux caractéristiques des territoires ultramarins.

a.   L’insularité

Une première difficulté tient, incontestablement, à l’insularité de ces territoires. Cette caractéristique complique à la fois l’accès des citoyens aux bureaux de vote et l’ensemble des opérations logistiques à mener lors du scrutin en raison de l’éloignement de ces territoires vis-à-vis de l’Hexagone.

Comme le relève la DGOM dans sa contribution écrite, l’existence de longues distances à couvrir a un impact « sur de nombreuses étapes » du processus électoral « que ce soit dans la réception des bulletins et du matériel de propagande (depuis l’Hexagone ou un territoire rebond comme la Nouvelle Calédonie-Kanaky pour Wallis-et-Futuna), dans l’acheminement des procurations papiers, dans la transmission des procès-verbaux ([133]). Elle relève à cet égard que les « territoires très étendus sont bien sûr concernés, mais aussi ceux avec une double insularité (Mayotte, Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna, Polynésie française, Nouvelle Calédonie-Kanaky) » ([134]).

La campagne électorale elle-même soulève d’importantes difficultés logistiques pour les candidats dans des territoires vastes et complexe d’accès tels que les archipels de Polynésie française, comme l’a fait remarquer M. Jean‑Victor Castor, membre de la commission, à diverses reprises lors des auditions.

b.   L’adressage de la propagande électorale

Une seconde difficulté tient à l’adressage de la propagande électorale, c’est-à-dire à la capacité de faire correspondre un envoi à une adresse donnée, problématique qui concerne particulièrement la bonne réception par les électeurs de la propagande électorale.

Comme l’a relevé M. Jacob, « l’absence d’adresses précises en Polynésie française, ou la persistance d’un système d’adressage rudimentaire à Mayotte, compliquent la distribution de la propagande électorale » ([135]). Bien que « les bulletins de vote [sont] systématiquement mis à disposition dans les bureaux » ([136]), cela constitue une perte d’information importante sur la tenue des élections. La participation aux élections nationales étant dans bien des territoires d’Outre-mer plus faibles que dans l’Hexagone, on ne peut exclure que la perte d’information due à une mauvaise distribution des plis électoraux, associée à une mauvaise information sur le jour du vote se conjuguent et participent in fine d’une diminution de la participation

Cette difficulté a également été évoquée par M. Jean-Victor Castor, membre de la commission d’enquête, lors des auditions : « La distribution de la propagande électorale constitue un autre défi considérable dans plusieurs territoires ultramarins. Dans ma circonscription, qui jouxte le Brésil, j’ai notamment été contraint d’intervenir directement auprès du préfet afin de solutionner une pénurie de bulletins de vote. De telles situations, bien que touchant un nombre restreint d’électeurs, peuvent s’avérer décisives dans le cadre de scrutins particulièrement serrés » ([137]).

Face à ce constat, M. Christophe Kirgo a indiqué lors de son audition que cette problématique était bien prise en compte par le ministère de l’Intérieur : « Concernant les spécificités de l’envoi de propagande électorale pour les Outremer, le ministère de l’intérieur adapte les modalités d’envoi des bulletins de vote et de la propagande électorale aux territoires ultramarins. Nous avons mis en place des procédures spécifiques pour de nombreux départements d’outre-mer. Les partis politiques peuvent faire appel à des imprimeurs locaux, ce qui permet d’imprimer la propagande sur place et facilite l’acheminement. Pour la Polynésie française, qui représente un cas particulier, nous effectuons des largages aériens sur les territoires les plus reculés afin de garantir l’accès au vote dans tous les bureaux » ([138]) .

En dépit de ce satisfécit du ministère de l’Intérieur, des difficultés restent présentes, comme l’a indiqué M. Jean-Victor Castor.

c.   L’accès aux procurations dématérialisées.

Une troisième difficulté tient, pour les électeurs, à la possibilité d’accéder aux procurations dématérialisées, au sein de certains territoires. Dans sa contribution écrite, la DGOM fait état des difficultés suivantes :

– à Wallis-et-Futuna, beaucoup d’habitants « n’ont pas de compte FranceConnect (absence de numéro fiscal, de numéro de téléphone compatible, etc.), empêchant le recours à la procuration dématérialisée » ([139]) ;

– en Polynésie française et à Saint Pierre et Miquelon, « beaucoup des comptes permettant l’accès à France Connect (La Poste, Ameli, impôts.gouv.fr etc.) n’existent pas sur ces territoires » ([140]) ;

La DGOM relève, en outre, que le maintien de la possibilité juridique de faire des procurations jusqu’au jour du scrutin « génère une incompréhension avec certains électeurs et mairies » : par exemple dans « un territoire comme la Polynésie française, en pratique, le mandataire ne peut voter compte tenu du délai d’acheminement et de traitement de la procuration » ([141]). Il semble donc nécessaire d’améliorer les procédés pour permettre à chacun de nos compatriotes d’exercer son droit de vote, y compris par procuration.

3.   Un bilan global correct en termes d’organisation mais entaché d’irrégularités multiples.

Les travaux menés par la commission d’enquête font apparaître un bilan globalement positif de l’organisation des élections au sein des territoires ultramarins.

D’un point de vue organisationnel, les territoires ultramarins ont été concernés par les mêmes facteurs que le reste du territoire national, qu’il s’agisse des conséquences de la crise sanitaire sur l’organisation des élections municipales de 2020 ou des délais très courts prévus pour organiser les élections législatives anticipées de 2024. La DGOM relève néanmoins que ces élections se sont tenues sans difficulté majeure.

Toutefois, dans l’élection législative de la deuxième circonscription de Nouvelle Calédonie-Kanaky, l’incapacité à avoir des assesseurs présents dans plusieurs bureaux de vote a conduit le Conseil constitutionnel à annuler 2 715 voix ([142]). Sans être de nature à annuler l’élection de M. Tjibaou comme député à l’Assemblée nationale, qui disposait d’une confortable avance de 13 404 voix, ces irrégularités ont pu être saisies par ses opposants et dénoncées comme une « triche » aux élections ([143]).

La DGOM relève également, à l’appui de son appréciation d’un bilan positif, le faible nombre de contentieux et d’annulations partielles intervenues lors des cinq scrutins territoriaux spécifiques qui se sont tenus en outre-mer depuis 2020, à savoir les élections territoriales à Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint‑Barthélemy, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna de mars 2022, ainsi que les élections territoriales en Polynésie française de mai 2023.

Votre rapporteur considère toutefois que cette approche conduit à minimiser des situations problématiques. Il observe en effet que sur un temps plus long, les scrutins législatifs de l’unique circonscription de Wallis-et-Futuna ont par exemple été annulés pour les élections de 2012 et de 2017 par décision du Conseil constitutionnel, conduisant dans les deux cas à changer la représentation politique de la circonscription à l’issue des élections anticipées.

D’une façon générale, M. Kirgo a indiqué, « concernant les dysfonctionnements constatés en outre-mer lors des dernières élections, […] ne pas avoir « relevé de problèmes significatifs. Les taux de plis non distribués sont relativement proches de ceux constatés en métropole. Pour les bureaux de vote particulièrement isolés, des moyens exceptionnels sont déployés, comme l’acheminement par hélicoptère d’un bureau de vote en Guyane, une situation qui a été dûment consignée et gérée de manière transparente » ([144]).

Les principales difficultés mises en avant par les travaux de la commission d’enquête lors de ces scrutins sont les suivantes :

 des risques de non-acheminement de la propagande électorale lors des élections législatives anticipées de 2024.

Des mesures exceptionnelles ont néanmoins été mises en œuvre dans ce cadre, à savoir l’envoi « dès le premier tour aux mairies l’ensemble des bulletins fournis par les candidats, y compris ceux destinés à la propagande du premier tour, de façon à garantir la présence de bulletins pour le deuxième tour » ([145]). Cette décision a eu pour effet de « ne pas intégrer dans la propagande du premier tour de bulletins de vote contrairement à ce que demande l’article L. 34 du code électoral et à ne pas procéder à l’envoi de propagande pour le deuxième tour » ([146]).

Ainsi, la distribution de la propagande électorale n’a pas pu être optimale, en particulier en Guadeloupe, où un mouvement social contre la vie chère a participé à affecter également la distribution (87 % des plis distribués au premier tour et 90 % lors du second tour).

Des mesures particulières sont régulièrement prises pour acheminer le matériel électoral, en recourant à des parachutages permettant d’atteindre des zones reculées ou insulaires (Polynésie) en recourant à l’appui des Falcon de la Marine nationale. Il arrive par ailleurs que les événements météorologiques impactent cette distribution (cyclones, fortes pluies etc.).

– des difficultés particulières et conjoncturelles liées aux révoltes intervenues en Nouvelle Calédonie-Kanaky.

La DGOM a indiqué que les élections européennes de juin 2024 avaient pu se tenir en dépit des révoltes intervenues à la même période en Nouvelle Calédonie‑Kanaky.

Dans sa proclamation des résultats, la Commission nationale de recensement général des votes pour l’élection des représentants au Parlement européen a en effet relevé que si la commission locale de propagande avait été dans l’impossibilité d’adresser aux électeurs les circulaires (« professions de foi ») et bulletins des listes candidates, du fait de l’arrêt de l’activité des imprimeurs et des difficultés de circulation et de la distribution du courrier, « le matériel électoral nécessaire à la tenue des élections a pu être fourni aux trente-trois communes de Nouvelle Calédonie-Kanaky. Les bulletins des listes qui avaient fait connaître leur intention d’en mettre à disposition dans les bureaux de vote ont été imprimés en métropole et acheminés sur le territoire par avion militaire, de même que les listes d’émargement et les enveloppes de scrutin. » ([147]).

Toutefois, on peut considérer que cette situation n’a pas été sans impact sur le résultat des élections. En effet, tandis qu’entre 2019 et 2024 le nombre d’inscrits sur les listes électorales en Nouvelle Calédonie-Kanaky est passé de 209 832 à 222 683 (soit + 12 851 inscrits), le nombre de votants est quant à lui passé de 40 323 à 29 234 (soit – 11 089 votants). Une perte d’un quart de votants ! Par ailleurs, deux communes ont été concernées par l’impossibilité de disposer de bureaux de vote (Kouaoua et Ouvéa), ce qui constitue une privation d’accès au droit de vote pour cette élection.

Dans sa décision n° 2024-6374 AN du 7 mars 2025, le Conseil constitutionnel, saisi d’un recours contre l’élection législative dans la 2e circonscription de Nouvelle Calédonie-Kanaky a endossé cette analyse, en considérant, à l’issue de son instruction, qu’en dépit « du contexte de tensions très élevé, tous les bureaux de vote de la circonscription étaient ouverts le jour du second tour, les maires ayant, en concertation avec les services de l’État, regroupé les bureaux de vote de leurs communes dans des sites sécurisés permettant au plus grand nombre d’électeurs d’y accéder » ([148]). Il a toutefois, comme on l’a vu plus haut, annulé un grand nombre de voix, montrant ainsi que des irrégularités étaient néanmoins constatées.

4.   Des efforts à poursuivre pour renforcer l’égalité des citoyens devant le vote.

Des évolutions indispensables pour garantir une réelle égalité des citoyens face au suffrage.

a.   Un changement de regard indispensable sur les outremers.

Votre rapporteur considère, d’abord, qu’il convient de tirer tous les enseignements nécessaires de la participation électorale des territoires ultramarins.

À l’appui des données transmises, il apparaît en effet que la participation électorale en outre-mer est beaucoup plus faible qu’en Hexagone pour les scrutins nationaux, avec une tendance à la baisse ces dernières années, mais plus élevée en ce qui concerne les scrutins locaux.

i.   Une participation inférieure des votants ultramarins pour les scrutins nationaux (élections présidentielles, législatives, européennes)

Pour l’élection présidentielle de 2017, par exemple, on observe un fort différentiel en matière de participation au second tour, avec 53,5 % en Outre-mer contre 74,5 % pour la France entière.

Cet écart était encore plus important lors de l’élection présidentielle de 2022, avec un taux de participation en outremer de 48,7 % pour le second tour, contre un niveau de participation sur la France entière de 71,99 %.

Ce phénomène est apparu également pour les élections législatives, mais d’une façon plus récente. Un décrochage peut être observé depuis 2022 (36 % de participation pour le second tour, contre 46 % en France entière), alors que ces deux taux de participation étaient relativement proches en 2017. Les élections législatives anticipées de 2024 ont confirmé cette tendance, avec un écart inédit de plus de 25 points.

Ce phénomène culmine avec les élections européennes, selon une tendance identique. En 2014, l’écart entre le niveau de participation ultramarin et le niveau de participation national était de 25 points (17 % en outre-mer contre 42,43 % en France entière). Il a atteint 28 points en 2019 (22,18 % contre 50,12 %) puis 34 points en 2024 (17,96 % contre 51,49 %).

Votre rapporteur tient d’autant plus à tirer le signal d’alarme sur la participation de nos compatriotes ultramarins aux élections nationales qu’un tel écart de participation ne se retrouve pas dans les élections locales, ou, pour être parfaitement exact, que la participation aux scrutins locaux y est plus forte que pour les mêmes scrutins dans l’Hexagone.

ii.   Un niveau de participation satisfaisant pour les scrutins locaux et territoriaux.

À l’inverse, la participation ultramarine lors des scrutins locaux est plus forte que la participation moyenne enregistrée en France entière.

Lors des dernières élections municipales, cette participation a en effet atteint lors du second tour 56,98 %, contre 41,86 % en 2020 pour la France entière. Ce phénomène était déjà présent lors des élections municipales précédentes en 2014, mais avec un écart plus limité (69,57 % contre 62,13 %, lors du second tour).

Pour les élections régionales, une bascule s’est opérée en 2021, le taux de participation en outre-mer étant devenu supérieur au niveau de participation en France entière (43,97% contre 34,69 %), ce qui illustre une plus forte résistance de la participation en outre-mer (baisse de 10,5 points outre-mer contre presque 24 points en France entière).

S’agissant des scrutins spécifiques que sont les élections territoriales, les chiffres fournis par M. Olivier Jacob lors de son audition témoignent, là aussi, d’un niveau de participation satisfaisant, sauf exception : « À Wallis-et-Futuna, par exemple, la participation aux élections territoriales s’élevait à près de 89 % en 2017 et à 81 % en 2022. À Saint-Pierre-et-Miquelon, les taux de participation étaient de 72 % en 2017 et de 68 % en 2022. À Saint-Barthélemy, ils atteignaient respectivement 62 % en 2017 et 67 % en 2022. Seul Saint-Martin fait figure d’exception, avec des taux de participation plus modestes de 45 % en 2017 et 52 % en 2022. Nous constatons donc que les taux de participation demeurent particulièrement élevés pour les élections territoriales, avec une dynamique propre à ces territoires qui bénéficient d’une autonomie administrative » ([149]).

Pour votre rapporteur, ces écarts de participation entre l’Hexagone et les territoires ultramarins entre les élections nationales et locales devraient inquiéter non seulement la représentation nationale, mais plus encore l’ensemble de nos compatriotes. Elle est en effet le signe que le décrochage particulier qui semble être en train de se produire dans les territoires ultramarins pour les élections nationales n’est pas le fait d’un manque de civisme ou d’accès au vote, mais bien de montée en puissance d’une « grève des urnes » qui n’est sans doute pas sans lien avec ce qui s’apparente à une forme de mépris de l’Hexagone envers les Outre-mer.

iii.   « Grève des urnes » dans les Outre-mer : sortir du mépris hexagonal pour renforcer la participation.

Interrogé sur ce sujet, M. Jacob a clairement écarté l’idée d’une explication par l’existence d’un « défaut de civisme », que votre rapporteur considère également comme peu convaincante, au profit d’une hypothèse tenant au lien que peuvent entretenir les territoires ultramarins avec la métropole : « Il est possible que cette situation soit davantage liée à la nature du lien entre les territoires ultramarins et la métropole, qui peut inclure une forme d’incompréhension ou de décalage. L’offre politique elle-même, tout comme le traitement des problématiques ultramarines par les candidats, pourrait également jouer un rôle, même si je formule ici une hypothèse, sans disposer de données objectives pour l’étayer » ([150]).

Comme le relève également M. Jacob, cette hypothèse doit être affinée en fonction des scrutins concernés, car elle ne semble pas « pleinement transposable aux élections législatives, qui sont ancrées localement. Il est envisageable que les électeurs ultramarins perçoivent que ce type de scrutin n’a pas d’incidence tangible sur leur vie quotidienne en tant que citoyens français vivant dans les outre-mer » ([151]).

Votre rapporteur souscrit à cette analyse, qui semble confirmée par l’étude de la comparaison des taux de participation en outre-mer en fonction de la nature des scrutins concernés. Il considère que le différentiel important de participation qu’il est possible d’observer entre les élections locales en outremer et certaines élections nationales tient précisément à plusieurs facteurs. Cette situation s’explique d’abord, sans doute, par une forme de « retour de bâton », résultat d’années de mépris des pouvoirs publics pour la situation de nos compatriotes ultramarins. Elle traduit également la place trop réduite dans le débat public et médiatique des problématiques spécifiques des territoires ultramarins. Elle tient, enfin, à l’indifférence que peuvent manifester certains candidats pour les problématiques ultramarines.

iv.   Dans les Outre-mer, la France n’est pas à la hauteur des promesses de la République

La situation des Outre-mer est plus que préoccupante. L’état de relégation intolérable dans lequel nos compatriotes ultramarins sont placés est de nature à provoquer une forme de rejet compréhensible d’institutions perçues comme inefficaces pour régler les problèmes de la vie quotidienne. Il n’est donc pas si étonnant que cela que des institutions ressenties comme lointaines, voire méprisantes, ne suscitent pas une participation électorale débordante au moment de renouveler leur représentation politique - ni que cette faible participation se porte sur des candidats de rupture avec l’ordre établi. 

Ainsi, à la Réunion ou à Mayotte, les problèmes ne sont pas apparus avec les cyclones Garance ou Chido. Et plus largement, en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe, en Polynésie ou en Nouvelle Calédonie-Kanaky, pour ne citer que ceux-ci les problèmes majeurs d’accès à l’emploi, de taux de pauvreté, de vie chère, de sûreté, de logement, d’accès à l’eau potable ou aux services publics essentiels comme l’éducation ou la santé ne sont toujours pas réglés, loin de là. Nos compatriotes ultramarins ont ainsi souvent l’impression que, dans les territoires dans lesquels ils habitent, la France n’est pas à la hauteur des promesses de la République. Comment, dès lors, s’étonner que la participation électorale ne soit pas au rendez-vous lors des élections nationales ?

C’est pourquoi votre rapporteur appelle à une prise de conscience majeure en Hexagone sur la situation dans les Outre-mer. Car si les problèmes d’accès à l’eau qui se posent en Guadeloupe ou à Mayotte se posaient dans le 16e arrondissement de Paris, il ne fait aucun doute que ceux-ci seraient réglés depuis longtemps. Il est donc plus que temps que l’État tienne son rang dans toutes les politiques publiques qui sont de sa compétence dans les Outre-mer en ayant à l’esprit les principes d’égalité et de fraternité qui sont au cœur de la devise républicaine.

v.   Renforcer la place des Outre-mer dans les médias nationaux, en particulier pendant les campagnes électorales nationales.

Il est également nécessaire que les médias se saisissent davantage des problématiques ultramarines.

Votre rapporteur souscrit, là aussi, aux critiques formulées par M. Castor concernant l’affaiblissement de la visibilité politique des outre-mer lors des élections politiques : « Je déplore par ailleurs la suppression des spots de campagne spécifiques aux partis ultramarins sur les médias publics, lesquels offraient autrefois une visibilité accrue aux enjeux locaux. En tant que candidat potentiel, je n’ai donc, aujourd’hui, plus aucun accès à ce type de visibilité médiatique. La couverture audiovisuelle locale est devenue extrêmement restreinte et lorsqu’un média décide d’organiser deux débats, il se limite à ces deux événements sans proposer de dispositif complémentaire. Il existait autrefois des modules de campagne officiels diffusés à la télévision pour rappeler la tenue imminente des scrutins. Désormais, il ne subsiste qu’un spot unique, diffusé quelques jours avant le vote. Il y a là un décalage manifeste entre les efforts déployés par les candidats locaux et le flot d’informations relayées par les médias, qui ne rend pas compte de la réalité. Les informations transmises apparaissent souvent déconnectées de ce que les candidats locaux peuvent porter, que ce soit à l’occasion d’une élection législative ou d’un autre scrutin » ([152]).

Il considère, en ce sens, qu’une réflexion doit être engagée afin de revenir à la situation ex ante ou de trouver de nouvelles modalités permettant de donner davantage de visibilité aux enjeux ultramarins pendant les campagnes électorales.

Recommandation n° 49 : Prévoir des dispositions spécifiques pour la diffusion des spots électoraux des candidats ultramarins afin de renforcer l’information des électeurs en précisant la date et les modalités du scrutin.

Au-delà des spots de campagne, la visibilité médiatique des problématiques ultramarines doit également être renforcée.

Sur ce sujet, votre rapporteur observe que le service public, conformément à ses obligations, mobilise des moyens intéressants en ce sens.

Lors de son audition, Mme Livia Saurin, secrétaire générale adjointe de France Télévisions, a ainsi déclaré, « s’agissant de la visibilité des outre-mer », que France Télévisions émettait « directement dans les neuf territoires ultramarins par le biais de nos chaînes La Première, qui sont à la fois des radios, des télévisions et un portail numérique. Nous y sommes souvent l’offre d’information locale de référence » ([153]).

Cette dimension ultramarine du service public s’inscrit dans le cadre du « pacte outre-mer comportant vingt-cinq engagements » signé « à la suite de l’arrêt de France Ô », et touchait « à peu près 50 millions de téléspectateurs chaque année ». Il se traduit notamment par la diffusion d’un magazine intitulé « C pas si loin » et, sur France Info, par la diffusion quotidienne d’un journal consacré à l’outre-mer.

Néanmoins, ces éléments bienvenus sont pour autant insuffisants et ne permettent pas de centraliser les problématiques propres à chaque territoire d’Outre-mer dans le débat public national hors des moments dramatiques de catastrophe naturelle. Les médias n’accordent pas une attention suffisante aux enjeux ultramarins, en particulier pour ce qui concerne les chaînes d’information en continu.

Votre rapporteur plaide, en ce sens, pour une vraie prise de conscience sur ce sujet, doublée d’actions réelles afin de renforcer la visibilité des outremers dans les médias. Nos compatriotes ultramarins méritent une place centrale dans le débat public et médiatique, et il est nécessaire que celle-ci soit assurée par des règles strictes.

Recommandation n° 50 : Renforcer la visibilité des outremers dans les médias nationaux, en particulier sur les chaînes d’info en continu, en renforçant en lien avec l’Arcom les exigences conventionnelles opposables aux éditeurs présents sur la TNT.

Cet effort en faveur d’une meilleure prise en compte des Outre-mer doit d’abord concerner les candidats aux élections et les partis politiques.

Votre rapporteur souscrit à l’analyse de M. Jean Victor Castor, membre de la commission d’enquête et député élu de la 1e circonscription de Guyane, selon laquelle le niveau élevé de participation aux scrutins locaux s’explique par l’action des partis politiques locaux : « Il convient d’ailleurs de souligner le rôle central que jouent les partis locaux dans la vie politique ultramarine, notamment à l’occasion des scrutins locaux. Leur influence contribue à expliquer des taux de participation plus élevés dans ce type d’élections, par contraste avec les scrutins nationaux où la couverture médiatique accorde une place prépondérante aux partis hexagonaux » ([154]).

Par effet de parallélisme, il apparaît donc très souhaitable que des efforts soient engagés par les candidats et leurs partis politiques, lors des scrutins nationaux, afin de bien intégrer les problématiques ultramarines au sein de leurs programmes. Certains le font déjà - et reçoivent en ce sens des suffrages significatifs auprès de nos compatriotes ultramarins - ; d’autres, en revanche, en sont loin.

b.   Renforcer l’information à destination des citoyens.

Sur le plan logistique et pratique, un ajustement du calendrier de vote dans certaines circonstances pourrait également être opportun afin de garantir une information fiable pour les électeurs.

Lors des auditions, la disjonction manifeste entre la communication audiovisuelle métropolitaine mise en œuvre par les chaînes de télévision et la réalité des pratiques de vote dans certains territoires a été mise en avant.

Cette situation constitue, selon M. Jean Victor Castor, « un problème majeur » dans la mesure où la propagande nationale « fait référence à un vote le dimanche alors que, dans certains territoires comme la Guadeloupe, nous votons le samedi » ce qui « crée une confusion chez les électeurs, ce qui explique en partie les faibles taux de participation, souvent autour de 25 à 30 % » ([155]).

i.   Par les pouvoirs publics.

Face à ce constat, votre rapporteur considère qu’un effort de clarification et de communication doit être mené de façon renforcée par les pouvoirs publics, afin de bien informer la population sur les horaires d’ouverture et de fermeture des bureaux de vote, en particulier en outre-mer où le représentant de l’État dispose d’une faculté d’adaptation de la règle qui doit avoir pour corollaire un effort d’information accru ;

Votre rapporteur considère que l’absence de tout dispositif spécifique d’information des électeurs des territoires ultramarins, est préjudiciable pour l’information des électeurs établis dans ces territoires. De l’aveu même des acteurs auditionnés, le dispositif actuel, qui repose sur la seule responsabilité des préfectures et hauts commissariats de publier « toutes les informations utiles et nécessaires tant sur leur site internet que sur les réseaux sociaux » ([156]) en utilisant, le cas échéant, le « kit de communication produit par le SIG » ([157]) , n’est pas satisfaisant.

Votre rapporteur note que la DGOM est favorable à une action renforcée en ce sens, qui pourrait prendre la forme, par exemple d’une « mobilisation plus active des communes pour afficher dans leurs locaux et sur leurs sites et réseaux les informations relatives au calendrier électoral (et notamment le rappel de la date de fin des inscriptions et sur la date du vote » ([158])) et d’une diffusion accrue des informations relatives aux élections « lors de la journée d’appel à la défense et dans les établissements scolaires » ([159]). Il souscrit, en outre, à la nécessité, évoquée par M. Olivier Jacob, d’optimiser les échanges entre la DGOM et les services d’information du Gouvernement au premier rang desquels figure le service d’information du Gouvernement (SIG).

Par ailleurs, pour les territoires ultramarins où le vote a lieu le samedi et non le dimanche, il apparaît essentiel de rendre férié et chômé le jour du scrutin et d’informer la population sur le jour du vote à l’occasion de la diffusion des clips de propagande officielle.

Recommandation n° 51 : Renforcer la coordination entre les administrations compétentes en matière électorale et le service d’information du Gouvernement afin d’améliorer l’information des électeurs ultramarins.

Recommandation n° 52 : Rendre férié et chômé le jour du vote afin de permettre en particulier à nos compatriotes qui votent le samedi de pouvoir le faire sans être contraints par leur travail.

Recommandation n° 53 : Imposer l’obligation, dans les clips de propagande officielle des campagnes nationales, d’alerter sur le fait que le vote a lieu le samedi et non le dimanche dans certains territoires ultramarins.

ii.   Par les acteurs politiques

Votre rapporteur considère, par ailleurs, que les acteurs politiques doivent jouer un rôle renforcé à cet égard et prendre leur part vis-à-vis de l’information des candidats. Cette problématique n’est toutefois pas détachable des moyens pour ces derniers de pouvoir se déplacer au sein des territoires concernés, ce qui peut être une difficulté, faute de moyens financiers suffisamment mis à leur disposition.

En Guyane, par exemple, il peut être difficile pour un candidat « de mener une campagne efficace avec les moyens limités » ([160]) dont il dispose, comme l’a rappelé M. Castor, alors qu’il est parfois nécessaire de prévoir « un déplacement en pirogue en hélicoptère » ([161]).

Votre rapporteur estime que cette situation contribue à renforcer les différences entre les candidats, en fonction des ressources financières dont ils disposent, ce qui est problématique pour votre rapporteur.

Il convient donc de définir une règle commune pour éviter à la fois que les candidats aux élections dans des territoires comportant des zones difficiles d’accès (insularité, forêt amazonienne…) se restreignent trop fortement dans leurs déplacements en raison de leur coût, mais aussi que les candidats les plus fortunés puissent user de leurs moyens financiers pour prendre un avantage décisif sur leurs concurrents.

Votre rapporteur suggère de mettre en place, comme c’est déjà le cas dans le cadre de l’élection des députés français représentant les Français établis hors de France, en sus de la non-intégration de ces dépenses au sein du plafond de dépenses un mécanisme de remboursement forfaitaire dédié.

Recommandation n° 54 : Mettre en place un remboursement forfaitaire plafonné des frais de transport engagés par les candidats ultramarins sur le modèle du système actuellement en place pour les députés représentant les Français établis hors de France.

c.   Une distribution de la propagande électorale qui ne doit pas être « sacrifiée ».

Face aux difficultés d’acheminement de la propagande électorale, les administrations auditionnées ont évoqué la possibilité de supprimer ou de faire évoluer la distribution de la propagande électorale, en faveur d’un recours croissant à l’outil numérique.

Dans son rapport publié en 2024 intitulé « L’organisation des élections : un dispositif robuste, des évolutions nécessaires », la Cour des comptes partageait ce constat en soutenant l’idée de permettre aux citoyens de ne recevoir la propagande électorale que sous format numérique.

Un problème majeur semble néanmoins posé pour votre rapporteur avec cette proposition. C’est qu’elle ne prend aucunement en compte la différence fondamentale du taux d’ouverture entre un mail et un courrier adressé ! En effet, si le premier avoisine les 25 % de taux d’ouverture dans les estimations les plus favorables, le second dépasse quant à lui les 85 % dans les estimations les plus basses. Aussi, si votre rapporteur n’est pas défavorable à laisser la possibilité aux électeurs de recevoir la propagande électorale par voie électronique, il estime que ce moyen d’information doit venir en complément et en addition d’un envoi de propagande papier.

Recommandation n° 55 : Ouvrir la possibilité de recevoir la propagande électorale par mail tout en maintenant l’envoi de propagande papier par courrier adressé.

d.   Un système de procuration qui doit s’adapter aux contraintes ultramarines

Face aux difficultés d’acheminement des procurations, votre rapporteur considère qu’il serait pertinent d’envisager l’envoi par courrier électronique de procurations établies via un formulaire cerfa, alors que cette modalité de transmission des procurations « papier » n’est actuellement possible que pour les procurations établies hors de France ou à destination de l’ambassadeur ou du chef de poste consulaire, pourrait être envisagé.

La DGOM a indiqué à votre rapporteur qu’un décret sur ce sujet était « en cours de rédaction » afin de permettre « la transmission facilitée par voie électronique des formulaires cerfa de procurations établis en outre-mer ou à destination des outre-mer » ([162]).

Votre rapporteur salue cette démarche qui doit permettre de faciliter le recours par les citoyens à la procuration, qui apparaît particulièrement opportun au regard de la situation des territoires ultramarins.

e.   Une absence de suivi des incidents dans les bureaux de vote qui inquiète

Lors de son audition, Mme Sylvie Calvès, cheffe du service des élections au ministère de l’Intérieur, a indiqué que le ministère ne disposait pas « d’un recensement global des difficultés rencontrées » ([163]), le suivi effectué se concentrant seulement « sur les aspects liés à l’organisation des scrutins, notamment la distribution de la propagande électorale » ([164]). Le ministère ne dispose en effet d’aucun outil permettant de centraliser « les informations concernant les incidents qui pourraient survenir au sein des bureaux de vote » ([165]).

Ces propos ont été confirmés par Mme Fabienne Balussou, directrice de la DMATES lors de cette même audition : « Les incidents sont effectivement consignés dans les procès-verbaux et conservés en cas de contentieux. Cependant, nous ne disposons pas d’un suivi historique permettant une vision globale de la situation. Nous manquons d’outils de pilotage qui permettraient, depuis Paris, d’avoir une vision d’ensemble synthétique de tous les incidents signalés dans les bureaux de vote et rapportés aux préfectures » ([166]).

Cette situation a été de nature à inquiéter fortement votre rapporteur. De fait, comment assurer la pleine sincérité d’un scrutin s’il n’existe aucun outil de suivi dédié aux incidents signalés dans les bureaux de vote ? Comment vérifier que des irrégularités constatées ne se reproduisent pas ? Comment s’assurer qu’elles ne s’installent pas de surcroît dans la durée au sein de bureaux de vote qui apparaîtraient particulièrement concernés par un phénomène d’irrégularités, voire de triche ?

Aussi votre rapporteur est convaincu que la mise en place d’un outil de suivi dédié à l’organisation des élections politiques en France et aux irrégularités constatées serait un atout pour assurer un suivi renforcé et garantir une efficacité maximale des processus mis en œuvre.

Cet outil présenterait, selon votre rapporteur, plusieurs avantages :

– il faciliterait le partage d’expérience entre les administrations compétentes, toutes les élections politiques n’entrant pas dans le seul champ de compétences du ministère de l’Intérieur ;

– il faciliterait également la transparence des opérations relatives à l’organisation des élections pour la représentation nationale, dans une matière où une telle exigence est indispensable ;

– enfin, un tel outil serait de nature à renforcer la confiance des citoyens dans le processus électoral.

Recommandation  56 : Mettre en place un outil de suivi des événements intervenus lors des élections, en particulier des irrégularités constatées, afin de faciliter les retours d’expérience et de renforcer la transparence de l’organisation des élections.

B.   Voter à l’étranger : un dispositif qui souffre d’insuffisances et doit gagner en efficacité.

1.   Une organisation et des modalités de vote particulières.

a.   Un droit de vote des citoyens français qui ne connaît « pas de frontières »

Les Français établis à l’étranger peuvent participer, au même titre que les Français établis sur le territoire national, aux élections présidentielles, législatives, sénatoriales, européennes, ainsi qu’aux référendums organisés le cas échéant, à la condition d’être inscrits sur une liste électorale consulaire.

Pour les élections municipales, départementales et régionales, le vote n’est organisé qu’en France et nécessite pour tout électeur d’être inscrit sur la liste électorale d’une commune. L’inscription sur une liste électorale consulaire n’est plus compatible avec une telle inscription depuis 2019 et la mise en place du REU.

La liste électorale consulaire (LEC)

La liste électorale consulaire est le support permettant d’enregistrer l’ensemble des Français établis à l’étranger afin de leur permettre de voter à l’étranger.

Cette inscription est distincte de l’inscription des Français de l’étranger au sein du registre des Français de l’étranger, qui permet à tout Français établis à l’étranger depuis plus de 6 mois de bénéficier de facilités administratives de toutes natures.

L’inscription est facultative et s’effectue par internet ou directement au sein d’un poste consulaire. Elle est possible jusqu’au sixième vendredi précédant le jour du scrutin.

Cette inscription est automatique pour les jeunes majeurs, français de 18 ans inscrits au sein du registre des Français de l’étranger avant leur majorité et pour les personnes acquérant la nationalité française.

Au 1er janvier 2025, 1 617 523 électeurs étaient inscrits sur la liste électorale consulaire, soit un chiffre proche du nombre total de Français intégrés au sein du registre des Français de l’étranger (1 741 942 inscrits à la même date).

Source : commission d’enquête.

Les Français de l’étranger votent également pour élire leurs représentants à l’étranger, à savoir les conseillers des Français de l’étranger et des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger.

L’Assemblée des Français de l’étranger (AFE)

Créée en 2004 par la loi afin de remplacer le Conseil supérieur des Français de l’étranger (CSFE), l’Assemblée des Français de l’étranger, réformée en 2013, est la principale instance de représentation des Français établis hors de France. Elle constitue également l’interlocuteur principal du Gouvernement sur la situation de ces derniers.

L’AFE compte 90 conseillers, élus par et parmi les 442 conseillers des Français de l’étranger dans 15 circonscriptions. Les conseillers des Français de l’étranger et les conseillers à l’AFE sont élus pour 6 ans au suffrage universel. Le nombre de mandats consécutifs est limité à trois.

Une fois par an, le gouvernement présente à l’AFE un rapport sur la situation des Français établis hors de France, coordonné par la DFAE, et dont l’avant-propos est signé par le ministre délégué chargé des Français de l’étranger.

L’AFE est informée des dispositions qui concernent les Français de l’étranger dans les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale. Elle peut également poser des questions, sous forme écrite ou orale, et adopter des résolutions lors des sessions, sur proposition des six commissions que comprend l’AFE, dont certaines sont reprises par les parlementaires.

Source : commission d’enquête.

b.   Des élections qui présentent des spécificités

L’organisation des élections politiques pour les Français de l’étranger présente des spécificités évidentes qui tiennent, d’abord, à l’éloignement géographique des électeurs vis-à-vis des bureaux de vote.

i.   Une problématique de « grandes distances » entre les électeurs et les bureaux de vote.

L’éloignement géographique des électeurs vis-à-vis des bureaux de vote est une difficulté particulière spécifique au vote des Français de l’étranger, comme l’a rappelé, lors de son audition, Mme Pauline Carmona, directrice des Français à l’étranger et de l’administration consulaire, lors de son audition : « L’éloignement et la dispersion géographique des électeurs constituent la première des spécificités de l’organisation d’élections pour les Français de l’étranger. Même si nous faisons en sorte d’avoir un dispositif de bureaux de vote le plus étoffé possible, nous ne sommes pas en mesure de couvrir l’ensemble des pays. » ([167]).

Comme le relève la DFAE dans sa contribution écrite, ces distances peuvent atteindre « plusieurs centaines de kilomètres, notamment dans des zones éloignées ou difficiles d’accès » ([168]), en dépit de l’existence d’un dispositif de bureaux de vote important, avec, par exemple pour les élections législatives anticipées de 2024, 599 bureaux de vote ouverts sur 352 sites.

Cette problématique a des effets évidents en matière de distribution de la propagande électorale. De l’aveu même de la DFAE, celle-ci arrive « rarement dans les temps » ([169]) en particulier lorsque le calendrier est resserré, comme cela a été le cas lors des élections législatives anticipées de 2024. Il est donc nécessaire à la fois d’améliorer les choses sur le sujet, mais aussi de recourir à des moyens d’information multiples (envoi de courriel, SMS…), en engageant si nécessaire des modifications législatives ou réglementaires pour permettre une augmentation de l’information sur les élections.

ii.   Des modalités de vote particulières mises en œuvre pour y faire face.

Face à cette situation, des modalités particulières sont offertes aux Français de l’étranger pour participer à ce scrutin.

En sus du vote à l’urne et du vote par procuration, ces derniers peuvent également recourir à deux modalités de vote ouvertes spécifiquement pour les Français de l’étranger :

–  le vote par correspondance électronique (vote par internet) dans le cadre des élections législatives et de l’élection des conseillers des Français de l’étranger. Il est nécessaire, pour recourir à cette modalité, d’être inscrit sur une liste électorale consulaire, et d’avoir renseigné une adresse électronique et un numéro de téléphone portable valides. Ce vote « par internet » est ouvert pendant cinq jours consécutifs, à partir du deuxième vendredi précédant la date du scrutin à midi (heure de Paris) jusqu’au mercredi précédant la date du scrutin à midi (heure de Paris) ;

–  le vote par correspondance sous pli fermé pour les seules élections législatives, ouvert aux électeurs qui se sont inscrits pour recevoir le matériel de vote correspondant : le recours à cette modalité de vote a été exercé par moins de 0,1 % du corps électoral lors des élections de 2022 ; compte tenu des délais d’organisation contraints en 2024, elle n’a pas été mise en œuvre pour les élections législatives anticipées.

Ces deux modes de scrutin sont très inégalement employés puisque, si le vote par internet est plébiscité par les Français de l’étranger (trois votants sur quatre y ont recouru lors des dernières élections législatives), le vote par correspondance sous pli fermé est absolument marginal (moins de 1 % du corps électoral a utilisé cette modalité de vote lors des élections législatives de 2022, par exemple).

En outre, les deux scrutins organisés au suffrage indirect connaissent des modalités de vote particulières pour les grands électeurs :

– dans le cadre de l’élection des sénateurs représentant les Français de l’étranger, il est en effet possible de voter par anticipation par remise sous pli fermé au chef de poste dans l’un des postes diplomatiques ou consulaires de la circonscription d’élection, les votes étant ensuite transmis au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères pour remise aux membres du bureau de vote ouvert à Paris. Un vote à l’urne ou par procuration est également organisé à Paris ;

– dans le cadre de l’élection des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, un vote par anticipation selon des modalités identiques est également possible, avec transmission ensuite des votes au poste chef-lieu de la circonscription électorale. Un vote à l’urne ou par procuration est également possible dans le poste chef-lieu de la circonscription de l’élection.

iii.   Des adaptations du calendrier électoral lors de certains scrutins.

La principale adaptation du calendrier électoral concernant les élections politiques auxquelles participent les Français de l’étranger concerne l’entre-deux tours des élections législatives. Il est en effet laissé un délai de deux semaines au lieu d’une afin de tenir compte des spécificités des procédures de vote à l’étranger.

2.   Des difficultés incontestables, en particulier concernant le dispositif de vote par internet.

a.   Des dysfonctionnements du vote par internet.

La mise en œuvre du vote par internet pour les Français de l’étranger s’est heurtée à plusieurs reprises à des difficultés spécifiques.

En 2017, le Gouvernement a renoncé à la mise en œuvre de cet outil dans le cadre des élections législatives, en raison des imperfections structurelles constatées sur la plateforme dédiée. Trois mesures compensatoires avaient alors été mises en place ([170]).

En 2022, des difficultés ont également été constatées pour voter par internet, qui ont conduit à l’annulation du scrutin dans trois circonscriptions. Interrogée sur ce point, Mme Carmona a indiqué que ces difficultés étaient principalement « liées, dans la deuxième et la neuvième [circonscription] à un problème de réception des mots de passe par SMS » ([171]).

Ce problème a été significatif comme en témoignent les chiffres fournis à cette occasion, ce qui a justifié l’annulation des scrutins par le Conseil constitutionnel : « Dans la deuxième circonscription, le Conseil constitutionnel a constaté que : “à l’ouverture de la période de vote, seuls 11 % des messages téléphoniques contenant les mots de passe […] avaient été effectivement délivrés aux électeurs. Ce taux n’a atteint que 38 % à l’issue du premier tour, selon le procès-verbal du bureau de vote électronique relatif au second tour.” Dans la neuvième circonscription, le taux de réception n’a pas dépassé les 38 % non plus. Aussi, un trop grand nombre d’électeurs qui souhaitaient voter par internet n’avaient pas pu le faire ([172]).

Face à ces difficultés, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a indiqué avoir pris plusieurs mesures correctives, reconduites par ailleurs en 2024. Mme Carmona a précisé en effet que les « données des électeurs – adresse mail et numéro de téléphone – [avaient] été fiabilisées, à la suite d’une grande campagne de communication » ([173]), que la plateforme d’assistance en ligne avait été renforcée et « activée une semaine avant le début des opérations de vote, pour sensibiliser les électeurs et appeler leur attention sur de possibles difficultés de réception » ([174]). Une assistance téléphone a également été activée par l’administration pendant la durée des élections afin de permettre « le réassort » c’est-à-dire de renvoyer un mot de passe à un électeur qui ne l’avait pas encore reçu.

En 2024, lors des élections législatives anticipées, d’autres difficultés ont été constatées. Une saturation du portail d’accès au vote par internet a été constatée à cette occasion, dans un contexte défavorable car marqué par des délais d’accès réduits en raison du caractère anticipé de ces élections, comme l’a rappelé Mme Carmona : « Si le vote par internet suscite un véritable engouement, il faut également se rappeler que les délais étaient réduits. Alors que le portail est habituellement ouvert pendant cinq jours, il ne l’était que quarante-huit heures pour le premier tour et trente-six heures pour le deuxième. Nous avons été confrontés à un fort afflux qui a posé des difficultés techniques, résolues par notre direction du numérique – tout est hébergé sur les serveurs du ministère. Cela est relaté très précisément dans le procès-verbal du bureau de vote électronique » ([175]).

Le ministère des affaires étrangères a indiqué à votre rapporteur avoir reçu trois alertes principales concernant le vote par internet lors de ce scrutin.

Une première alerte a eu lieu le 25 juin, en raison « d’un ralentissement et de difficultés d’accès au portail de vote » ([176]), ce qui a conduit l’administration à « augmenter les capacités du serveur » ([177]), ce qui nécessitait une interruption de l’accès au portail pendant vingt-neuf minutes. L’objectif était de réduire le risque d’une saturation plus importante du portail.

Une deuxième alerte a eu lieu le 27 juin et concernait « l’accumulation des bulletins de vote, sans avoir d’impact sur l’ouverture du portail, puisque les opérations de vote étaient terminées » ([178]), ce qui a rendu nécessaire une augmentation de la mémoire des serveurs, sans avoir d’effet, toutefois, sur l’intégrité du vote. Mme Carmona a précisé que les interventions nécessaires avaient été menées sous la supervision de l’ANSSI et d’auditeurs indépendants.

Enfin, une troisième alerte a eu lieu le 3 juillet 2024, deux heures après l’ouverture du portail pour le deuxième tour des élections législatives anticipées. Un engorgement de la plateforme d’envoi de courriel chez le prestataire Orange a été constaté, qui a eu pour conséquence « un fort ralentissement de l’envoi des codes de validation et s’est accompagné […] de difficultés d’accès au portail de vote en raison d’un comportement inattendu d’une partie de l’infrastructure d’accueil » ([179]). Cette situation a rendu nécessaire un redémarrage des serveurs, et une interruption de l’accès « pendant dix minutes » ([180]).

Ces trois alertes ont fait l’objet d’un traitement satisfaisant d’après la DFAE, en lien avec les services de la Dinum. Ces difficultés sont imputées, par l’administration, au délai réduit nécessaire pour préparer la plateforme.

b.   Des difficultés de distribution de la propagande électorale.

La complexité de l’acheminement de la propagande électorale à destination des Français de l’étranger est une problématique constante pour l’administration.

Pour mémoire, l’article R. 34 du code électoral prévoit pour la commission de propagande deux missions principales :

– l’adressage d’une circulaire et un bulletin de vote de chaque candidat, binôme de candidats ou liste, au plus tard le deuxième mardi précédant le premier tour de scrutin et, en cas de ballotage, le deuxième jeudi précédant le second tour, à tous les électeurs de la circonscription ;

–  l’envoi des bulletins de vote de chaque candidat, de chaque binôme de candidats ou de chaque liste en nombre au moins égal à celui des électeurs inscrits dans chaque ambassade ou poste consulaire de la circonscription, au plus tard le deuxième mardi précédant le premier tour de scrutin et, en cas de ballotage, le deuxième jeudi précédant le second tour.

Dans sa contribution écrite, la DFAE estime que cet acheminement a « un coût très élevé pour une efficacité extrêmement limitée » puisque « la très grande majorité des plis n’arrivent pas à temps aux électeurs à l’étranger » ([181]).

Les chiffres fournis à votre rapporteur par l’administration confirment ce constat, avec un coût d’envoi de plus de 4 millions d’euros pour les élections législatives de 2022, et de 2,4 millions d’euros pour le premier tour des élections législatives de 2024. À l’inverse, le non-envoi de cette propagande lors du second tour de ces élections a généré une économie de 1 805 077 € (406 238 € pour la mise sous plus par l’entreprise Koba et 1 398 839 € pour l’affranchissement par la Poste).

La DFAE relève également que les contraintes calendaires, élevées en temps normal, étaient tout simplement impossibles à tenir lors des élections législatives de 2024, « compte tenu du délai entre les deux tours : une semaine, et non pas deux semaines comme c’est habituellement le cas pour l’élection des députés des Français établis à l’étranger » ([182]).

Sur ce dernier sujet, Mme Carmona a indiqué à votre rapporteur que l’administration avait fait le maximum dans des circonstances particulièrement difficiles : « L’entreprise Koba nous avait prévenus dès le début qu’elle ne serait pas en mesure de traiter la totalité de la mise sous pli. À la suite des nombreuses défaillances constatées, nous avons été amenés, avec l’accord de la commission de propagande, à établir des priorités pour le premier tour, c’est-à-dire à privilégier les circonscriptions les plus proches de la France en espérant que la propagande serait acheminée à temps ; dans les faits, cela n’a pas vraiment été le cas » ([183]).

Les difficultés observées à cet égard ont été de deux ordres :

– des difficultés logistiques d’acheminement du matériel électoral, dont la DFAE estime néanmoins qu’elles ont été « réglées avec les postes [consulaires] », grâce « à la mobilisation de la mission de la Valise diplomatique » et malgré « des débarquements intempestifs des valises diplomatiques par la compagnie Air France » ([184]), soulignant que 189 des 192 valises diplomatiques acheminant du matériel électoral avaient été réceptionnées dans les temps. Dans le cadre contraire, les bulletins de vote ont été directement imprimés sur place.

– des difficultés spécifiques rencontrées avec la société chargée de préparer les envois du matériel électoral, à savoir la société Koba, titulaire d’un marché public en ce sens depuis 2021. Cinq erreurs majeures se sont produites lors des opérations de colisage menées par cette dernière, « les bulletins de vote remis par cinq candidats pour le premier tour n’ont pas été pris en compte », ce qui a conduit à une impression « sur place en urgence » ([185]).

Ces difficultés s’expliquent par le fait que cette société, également prestataire de certaines préfectures pour la mise sous pli destinée aux électeurs résidant en France, a vu ses capacités surchargées.

C’est la raison pour laquelle, face à ces difficultés, la DFAE a d’ailleurs, pour le second tour de l’élection « obtenu l’accord de la commission pour ne pas en envoyer du tout car nous savions qu’elle n’avait aucune chance d’arriver en raison du délai entre les deux tours » ([186]) après avoir, par ailleurs, prioriser l’envoi de la propagande de premier tour « dans les circonscriptions les moins éloignées » ([187]) .

Cet ensemble de problèmes constatés dans la distribution des plis électoraux comme dans l’impossibilité manifeste de voter par internet pour de nombreuses personnes et à plusieurs échéances électorales est loin d’être satisfaisante, eu égard à l’importance que représente le droit fondamental pour un citoyen de pouvoir voter.

Chacun peut comprendre, bien sûr, que la dissolution de juin 2024 ait pris de court nombre d’acteurs, mais cette cause ne saurait expliquer les difficultés observées en 2017 et 2022. Votre rapporteur estime donc non seulement que ces problèmes ont été de nature à entacher la pleine sincérité de plusieurs scrutins des Français de l’étranger, mais aussi qu’ils restent très inquiétants pour l’avenir, aucune élection ne s’étant à ce jour passée sans accroc, parfois majeur. Il appelle donc à des réformes pour permettre que les prochaines élections, quelles qu’elles soient, puissent se dérouler dans des conditions propres à assurer la fiabilité des outils d’information et de vote mis en œuvre.

3.   Des pistes de réforme à explorer.

a.   Fiabiliser enfin le système de vote par internet.

Interrogée sur la fiabilité du système de vote par internet, Mme Carmona a considéré, lors de son audition, que « le système fonctionne, même s’il se heurte à une certaine complexité – et non défaillance – technique liée au système d’identification des électeurs, qui repose sur deux clés : un identifiant qu’ils reçoivent par mail, ce qui pose très peu de difficultés, et un mot de passe qu’ils reçoivent par SMS » ([188]). Ce satisfécit, malgré ce que votre rapporteur persiste à considérer comme des défaillances - et non comme « une certaine complexité » - n’a pas été de nature à le rassurer.

Mme Carmona elle-même estime d’ailleurs que, si des améliorations du système ont été mises en œuvre depuis 2022, des difficultés techniques perdureront « tant que l’envoi par SMS sera nécessaire pour l’identification des électeurs » car « car cela impose de passer par des opérateurs locaux pour relayer les SMS dans chaque pays » ([189]) et donc de demander parfois, dans certains pays, en fonction des changements de réglementation « un nouvel accord aux autorités de tutelle locales » ([190]). Une autre difficulté tient aussi à l’existence d’obstacles techniques, qui ont pris la forme par exemple du fait pour un opérateur téléphonique de ne pas permettre la réception de SMS depuis l’étranger.

Votre rapporteur note que le ministère travaille sur ce sujet afin de cantonner ces dysfonctionnements : « Nous travaillons sur une solution qui permettrait à terme de ne plus dépendre des envois par SMS. Cela passe par le recours à l’identité numérique souveraine, qui sera déployée à l’étranger dans le courant de ce semestre. Les consulats seront habilités à certifier l’identité numérique souveraine portée par la carte nationale d’identité » ([191]).

Cette solution mise en œuvre par Voxaly-Docaposte pourra « être utilisée pour les élections des conseillers des Français de l’étranger de 2026 » et « intègrera la possibilité de s’authentifier via l’identité numérique souveraine. Lorsque tous les Français de l’étranger en seront dotés, nous pourrons éviter de recourir au SMS » ([192]).

Si votre rapporteur estime que cette solution va dans une direction qu’il peut partager, il estime toutefois qu’elle pose plusieurs limites auxquelles il est nécessaire d’apporter des réponses et de veiller à corriger les effets de bord. Ainsi, il signale :

– que l’authentification par l’identité numérique souveraine est une avancée indispensable mais qu’elle doit être considérée comme une option supplémentaire d’authentification aux côtés du SMS, le citoyen devant être libre de choisir son option préférentielle et pouvant ainsi opter en premier choix pour l’authentification numérique souveraine ou en deuxième choix en cas d’échec de l’authentification par SMS. En effet, l’immense avantage de l’authentification par SMS est son accessibilité et sa simplicité, y compris pour des publics qui peuvent être plus éloignés des usages numériques ;

– qu’il peut exister des moyens simples et sécurisés d’authentification souveraine par la mise en place d’application de génération de codes aléatoires qui permettraient, avec des moyens peu onéreux, de mettre en place un système d’authentification supplémentaire n’utilisant pas les SMS mais permettant néanmoins une sécurisation de la connexion (un tel système a par exemple été mis en place récemment pour la connexion au portail interne de l’Assemblée nationale) ;

– que le passage par un prestataire externe aux services de l’État pour les opérations de vote en ligne des Français de l’étranger lui semble être une erreur sur un enjeu aussi stratégique que l’exercice du droit de vote. Il appelle donc à mettre en place une structure réellement souveraine, c’est-à-dire développée et détenue par l’État ;

– qu’il est nécessaire de mettre en place une instance collégiale et transpartisane de suivi des opérations de vote en ligne des Français de l’étranger afin d’assurer une surveillance pluraliste de ces opérations.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur formule une série de recommandations afin de sécuriser et de fiabiliser le vote en ligne des Français de l’étranger.

Recommandation n° 57 : Poursuivre le développement de l’authentification numérique souveraine pour les opérations de vote en ligne des Français de l’étranger et envisager sa possibilité comme une option supplémentaire en parallèle ou en complément de l’authentification par SMS.

Recommandation n° 58 : Développer une alternative simple de double authentification par la mise en place d’une application souveraine de génération de code aléatoire en complément de l’authentification numérique souveraine et du SMS.

Recommandation n° 59 : Développer rapidement une solution souveraine et internalisée dans les administrations de l’État pour les opérations de vote en ligne des Français de l’étranger afin de ne pas dépendre de prestataires externes sur un sujet aussi crucial que celui de l’exercice de la souveraineté du peuple.

Recommandation n° 60 : Mettre en place un comité de surveillance des outils et opérations de vote en ligne des Français de l’étranger, comportant au moins un représentant de chaque groupe politique de l’Assemblée nationale, pouvant être assisté de ses équipes techniques.

b.   Un envoi dématérialisé de la propagande électorale qui doit être étudié.

En l’état actuel du droit, seule la dématérialisation complète de la propagande électorale relative à l’élection des conseillers des Français de l’étranger et des conseillers siégeant au sein de l’Assemblée des Français de l’étranger est autorisée ([193]).

Lors de son audition, Mme Carmona a d’ailleurs plaidé pour étendre ce dispositif aux Français de l’étranger, en indiquant qu’il s’agissait d’un objectif prioritaire du ministère, indiquant être très favorable « à son autorisation pour tous types d’élections, comme elle l’est déjà pour les élections des conseillers des Français de l’étranger » ([194]). Une telle mesure apparaît d’autant plus réalisable « que l’outil existe » a-t-elle ajouté, en faisant référence à la présence des circulaires des candidats sur le portail de vote par internet.

Dans cette perspective, l’insertion au sein du projet de loi de simplification de la vie économique d’un article introduisant en droit la dématérialisation de la propagande électorale pour l’élection des onze députés représentants les Français établis en dehors de France avait d’ailleurs été envisagée.

Mme Sylvie Calvès, pour le ministère de l’Intérieur, a confirmé que plusieurs options étaient envisageables dans cette perspective, même si cette question se pose évidemment dans des termes différents en fonction des territoires concernés : « La dématérialisation de la propagande serait techniquement possible. Le ministère de l’intérieur a d’ailleurs mis en place l’application Programme candidat, qui contient tous les programmes et circulaires des candidats. Plusieurs options pourraient être envisagées, allant d’une dématérialisation totale à des dispositifs hybrides, comme l’envoi d’une lettre informative aux électeurs ou la possibilité pour eux de choisir de recevoir ou non la propagande électorale. Toute modification nécessiterait des changements législatifs, réglementaires et informatiques, ainsi que des études d’impact approfondies. » ([195]).

Elle a estimé par ailleurs, qu’une telle réforme aurait des vertus économiques au regard du coût de cet envoi, qui représente « entre 50 et 65 % du coût total d’une élection » ([196]).

Votre rapporteur estime toutefois que le coût des élections n’est pas et ne sera jamais un argument recevable en raison des risques pour la démocratie elle-même que représente ce type d’argumentaire. Il estime donc que l’envoi de la propagande électorale par courrier adressé doit être maintenu pour les Français de l’étranger. Il estime également que l’envoi de la propagande électorale par mail, décrite comme plus fiable, doit être mis en place en addition de la propagande par courrier. En effet, si on estime que les envois postaux ont plus de risque de ne pas atteindre leur destinataire que les mails, ces premiers ont un taux d’ouverture de 85 % minimum, tandis que les mails ont un taux d’ouverture de 25 %.

Une solution complémentaire pourrait d’ailleurs être étudiée avec l’envoi de SMS, qui rencontrent, comme on l’a vu, des problèmes d’adressage dans certains pays, mais bénéficient, comme les courriers postaux, de taux d’ouverture également importants. Votre rapporteur estime que ces différentes méthodes doivent être considérées comme additionnelles et complémentaires afin de garantir la meilleure information électorale possible des citoyens.

Recommandation n° 61 : Envoyer la propagande électorale concernant les Français établis hors de France par voie électronique en addition et en complément de l’envoi de la propagande électorale par courrier et ne renoncer en aucun cas à cette dernière méthode.

Recommandation n° 62 : Travailler à une solution complémentaire d’envoi par SMS (avec un lien d’accès fiable et sécurisé) de la propagande électorale concernant les Français établis hors de France.

c.   Conserver la possibilité de voter par correspondance pour les Français de l’étranger

Le vote par correspondance sous pli fermé est une spécificité du système électoral pour les Français de l’étranger.

Dans sa contribution écrite, la DFAE rappelle que ce vote présente « un caractère très marginal (moins de 0,1 % du corps électoral a choisi de voter par correspondance aux élections législatives de 2022) » et a tendance « à complexifier les opérations de vote, d’autant que, dans certains pays, les services postaux ne sont pas en mesure d’assurer un acheminement suffisamment rapide du courrier pour que les plis soient réceptionnés avant la date du scrutin » ([197]) .

En raison des distances et de l’efficience très variable des services postaux à l’étranger, l’envoi postal de la propagande électorale aux électeurs se heurte aux mêmes difficultés que celles indiquées pour le vote par correspondance : « la grande majorité de ces envois postaux, qui représentent pour le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères un budget de plusieurs millions d’euros (près de 1,9M€ pour le premier tour des élections législatives 2024), ne parvient pas aux électeurs avant les dates de scrutins, limitant l’information disponible pour les électeurs et générant une forte insatisfaction de la part des usagers » ([198]).

Il arrive également, en outre, que les électeurs se trompent dans l’ordre des enveloppes, ce système étant assez complexe.

Face à cette situation, Mme Carmona a indiqué lors de son audition que cette modalité de vote « complexe » et qui a un coût « rentre de ce fait dans [les] objectifs de simplification » ([199]) portés par le ministère.

Votre rapporteur n’est toutefois pas favorable à cette suppression.

Bien que marginal, le recours au vote par correspondance pour les Français de l’étranger doit être maintenu. Il convient en effet de maximiser les moyens de recours au vote afin de renforcer la participation électorale, et non de la diminuer en supprimant ce mode de vote qui pourrait exclure, de surcroît, les personnes éloignées du numérique.

Recommandation n° 63 : Conserver la possibilité pour les Français établis hors de France de voter par correspondance.

 

 

 


–  1  –

   PARTIE III : protéger l’information électorale et l’intégrité du scrutin.

Dans cette troisième partie, votre rapporteur souhaite s’intéresser à l’information ayant trait au débat électoral et politique (ci-après qualifiée d’« information électorale »). On considèrera ainsi toute information diffusée dans l’espace public ayant pour objet, effet ou conséquence d’éclairer ou d’influencer le comportement des électeurs, que cela concerne la présentation des candidats, l’analyse des programmes, la couverture des événements de campagne, la diffusion de sondages ou le traitement de thématiques susceptibles de structurer l’agenda politique, et cela bien en amont des élections. Ce champ recouvre donc, au-delà des communications institutionnelles encadrées, l’ensemble des contenus éditoriaux susceptibles d’exercer une influence sur la formation de l’opinion publique en période électorale, préélectorale, ou d’une manière générale dans le débat public.

À ce titre, il est apparu pertinent d’interroger, en premier lieu, la production et la diffusion de l’information électorale. Pour cette raison, notamment, les travaux de la commission d’enquête se sont longuement penchés sur les modalités de conception et de réalisation des sondages. Dans cette même logique, les chaînes d’information en continu ont été auditionnées par votre rapporteur, ainsi que l’Arcom, régulateur des médias audiovisuels.

Ces chaînes d’information en continu constituent un phénomène relativement récent dans l’histoire de la télévision, tandis qu’elles occupent désormais un rôle prégnant dans le façonnement de l’opinion électorale. Mais elles ne sauraient constituer le seul support de diffusion de l’information électorale.

Les réseaux sociaux forment les nouveaux vecteurs principaux de formation et diffusion de l’information électorale. Or, à l’inverse des médias traditionnels, et malgré l’adoption par l’Union européenne du règlement sur les services digitaux, leur régulation est loin d’être suffisamment performante pour prévenir les risques de déstabilisation électorale et de façonnement artificiel de l’opinion. 

Les deux sujets des chaînes d’information en continu et des réseaux sociaux, que votre rapporteur souhaite traiter ensemble, amènent à soulever une question plus inquiétante encore : celle de la déformation volontaire de l’information politique et électorale, à des fins de subversion. Pour cette raison, les travaux de la commission d’enquête ont accordé une importance particulière au sujet des ingérences étrangères pouvant exister dans le débat électoral français. À ce titre, votre rapporteur souhaite formuler des recommandations pour conforter les dispositifs existants de lutte contre les ingérences, ainsi que renforcer leur adaptabilité.

Mais les ingérences étrangères ne sont pas le seul risque qui pèse désormais sur la qualité de l’information. Les travaux de notre commission d’enquête ont ainsi permis de mettre à jour le problème croissant des tentatives d’ingérences financières ou économiques dans l’information. Ainsi, l’information électorale fait l’objet d’un risque de concentration, recoupant autant les sujets de production que de diffusion et de déformation : il est apparu, dans l’actualité récente, que des puissances financières consolidaient leurs positions dans la sphère politico-médiatique pour infléchir les orientations idéologiques de la société.

Nous traversons une nouvelle ère de déstabilisation démocratique, laquelle ne se limite pas aux ingérences d’un ou plusieurs États souverains autoritaires à l’égard d’un autre État souverain démocratique, mais s’étend également à des formes hybrides par lesquelles des personnalités du monde économique mettent leur puissance financière au service de projets électoraux. Le projet dit « Périclès », conçu et financé par le milliardaire Pierre-Édouard Stérin, en est un exemple typique. Votre rapporteur a donc souhaité porter une attention toute particulière à ce phénomène. 

I.   La régulation des médias et des réseaux sociaux : encadrer les vecteurs de diffusion sans compromettre le pluralisme et la liberté d’expression.

En démocratie, il convient de s’assurer que la production et la diffusion de l’information électorale produite par les médias, qu’il s’agisse de la presse, de la télévision, de la radio ou des réseaux sociaux, répondent à des critères minimaux de qualité et fiabilité. En outre, la production des informations susceptibles d’affecter le débat public en période d’élection doit, en France, obéir à des principes fondamentaux.

Parmi ceux-ci, figurent naturellement la liberté de conscience et la liberté d’expression, mais encore l’exigence de respect du pluralisme des courants d’expression politiques et socioculturels, considéré comme « une des conditions de la démocratie » par le Conseil constitutionnel ([200]). Cette garantie trouve en théorie à s’appliquer avec une acuité particulière aux chaînes de télévision, que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) peut mettre en demeure en cas de non-respect de ce principe. Votre rapporteur tient toutefois à signaler que, de la théorie à la pratique, il existe néanmoins parfois un gouffre, l’Arcom ne sanctionnant pas de manière systématique tous les manquements aux règles de bonne tenue du débat public qui sont prévues.

Comme l’a rappelé le Conseil d’État dans son bilan d’activité 2023, « depuis la loi du 30 septembre 1986 sur la liberté de communication, les chaînes de radio et de télévision doivent respecter "l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion » dans leurs programmes, en particulier dans leurs émissions d’information politique et générale ».

A.   Les chaînes d’information en continu : des médias de diffusion de l’information électorale nécessairement encadrés. 

Dans le cadre du débat politique, soit qu’il précède une élection, soit qu’il soit de nature « générale », un constat doit s’imposer aux autorités publiques : les chaînes d’information en continu ont pris, au cours des dernières années, une place croissante dans la formation des opinions politiques et la diffusion de messages partisans. Il convient de noter que la plupart des grands groupes audiovisuels ont une chaîne de ce type, constituant une forme de « navire amiral » pour l’information plus large qu’elles délivrent sur leurs autres canaux.

Évolution des parts d’audience des principales chaînes d’information en France, entre 2020 et 2024

Source : Statista, à partir des données publiées par Médiamétrie.

 

Partant de ce constat, et plutôt que de se cantonner à une analyse générique des règles régissant la diffusion de l’information télévisuelle, votre rapporteur a souhaité que la commission d’enquête puisse auditionner, outre l’Arcom, les représentants des quatre grandes chaînes d’information en continu.

À ce titre, il convient, en premier lieu, de revenir sur les règles applicables à ces dernières, tant en matière de production que de diffusion de l’information électorale.

1.   Les règles applicables aux chaînes d’information en continu.

La commission d’enquête a, au cours de ses travaux, auditionné M. Roch‑Olivier Maistre, président de l’Arcom. Ce dernier a rappelé que « le fil rouge de la régulation française [résidait] dans le respect du pluralisme des courants de pensée et d’opinion », soulignant un « dispositif assez singulier, puisque ce contrôle du pluralisme, élargi après la décision du Conseil d’État du 13 février 2024 ne se retrouve pas dans les autres pays européens » ([201]).

a.   Le pluralisme dans la loi de 1986, et ses effets.

Pour Roch-Olivier Maistre, la loi de 1986 « a bien résisté au temps, alors que le paysage médiatique est radicalement différent ». Concrètement, la règle de pluralisme qu’elle impose s’applique « tout au long de l’année » : « les médias sont tenus de nous communiquer chaque mois la liste des personnalités politiques qu’ils reçoivent, ainsi que leur temps de parole. L’Autorité dresse chaque trimestre un bilan de la répartition de ces temps de parole au regard du poids politique que chaque famille politique représente dans notre débat public – à la lumière des résultats aux élections de manière prioritaire – et, le cas échéant, intervient pour corriger les éventuels déséquilibres. »

En outre, « en parallèle de ce pluralisme […] dont les groupes politiques sont informés », l’Autorité exerce une mission « particulière en période électorale ». En la matière, le dispositif prévu par l’Autorité se ventile sur deux niveaux : « Il vise à assurer l’équité entre les candidats de manière générale, pour faire en sorte que les candidats soient tous traités de manière équitable par les médias audiovisuels, avec une contrainte plus particulière pour l’élection présidentielle. En effet, durant la période de campagne officielle, c’est-à-dire les quinze jours qui précèdent le scrutin, la règle de l’égalité stricte entre les candidats s’applique ».

Restent à déterminer les conditions dans lesquelles s’apprécie le critère d’équité. Pour M. Roch-Olivier Maistre, elle se mesure selon « un faisceau d’indices, principalement les résultats de l’élection précédente, mais aussi les élections intermédiaires qui ont pu intervenir entre ces deux scrutins, pour établir une mesure la plus fine possible du poids politique de chacun des candidats. Nous prenons en compte les sondages d’opinion, mais également l’animation de la campagne et la dynamique des différentes listes. Ces éléments permettent d’obtenir une pondération à peu près juste pour apprécier la représentation et la manière dont les candidats sont traités. » On le voit, cette définition est donc soumise à l’à-peu-près, les sondages tenant ici une place particulière alors même que l’on connaît leur incapacité à évaluer correctement le poids politique d’un candidat ou d’une liste non seulement à quelques jours d’un scrutin, mais a fortiori lorsqu’ils sont publiés plusieurs mois avant le scrutin. Par ailleurs, la dimension de « l’animation de la campagne et la dynamique des différentes listes » semble au mieux imprécise et au pire sujette à interprétation subjective. Il convient donc de préciser ces points.

b.   La décision du Conseil d’État du 13 février 2024.

Le rôle de l’Arcom en matière de régulation des chaînes télévisuelles s’est substantiellement élargi avec la décision du Conseil d’État du 13 février 2024. M. Roche-Olivier Maistre en résume ainsi la portée : « pendant quarante ans, les services du CSA puis de l’Arcom interprétaient le texte en considérant que le législateur visait spécifiquement le pluralisme politique et l’équité d’accès des forces politiques aux médias audiovisuels. Dans sa décision, le Conseil d’État a considéré que le régulateur devait réaliser une interprétation beaucoup plus large de la loi, qui doit porter sur l’ensemble des programmes, et non pas uniquement sur les programmes d’information. La donne s’en trouve donc singulièrement changée. » ([202])

En outre, le Conseil d’État a considéré qu’il appartenait à l’Arcom de prendre en compte l’ensemble des intervenants de la chaîne pour mesurer le critère d’équité. L’Arcom a donc dû faire évoluer sa doctrine et trouver une solution pérenne lui permettant de s’adapter à ses nouvelles missions. Dans une délibération du 17 juillet 2024, l’Autorité a ainsi précisé les nouvelles règles qu’elle appliquerait pour apprécier le respect du principe de pluralisme des courants de pensée et d’opinion dans les médias audiovisuels : 

Elle apprécie désormais l’existence éventuelle d’un déséquilibre manifeste et durable dans l’expression des courants de pensée et d’opinion en s’appuyant sur un faisceau d’indices : la diversité des intervenants, des thématiques et des points de vue exprimés. Il s’agit, ici, comme le rappelle Roch-Olivier Maistre, d’une « nouvelle notion » créée pour répondre aux besoins de la décision du Conseil d’État.

Il est précisé que cette appréciation doit porter en priorité sur les programmes d’information ou concourant à l’information.

Dans le communiqué de presse présentant sa délibération, l’Autorité précise que cette nouvelle doctrine « ne saurait conduire en aucun cas à la qualification ou au classement des intervenants à l’antenne au regard des courants de pensée ou des différentes sensibilités. Les éditeurs n’auront pas à mettre en place de système déclaratif. » ([203])

Lors de son audition, Roch-Olivier Maistre est revenu sur cette évolution doctrinale, précisant notamment que le « déséquilibre est manifeste lorsqu’il est ostensible, volontaire et stratégique de la part de l’éditeur. Il est durable lorsqu’il n’est pas ponctuel, occasionnel ou circonstanciel, mais constaté dans la durée. En l’espèce, l’appréciation de la durée sera plus courte pour les chaînes d’information (un mois) que pour les chaînes généralistes (trois mois). ».

Il en a profité pour souligner que « cette mise en œuvre [allait être] certainement complexe pour le régulateur et [qu’elle occasionnerait] incontestablement une charge de travail supplémentaire », ajoutant qu’ « une attention accordée par les parlementaires au budget de l’Arcom serait de bon aloi » ([204]). Sensible à la nécessité que l’Arcom puisse assurer pleinement ses missions, nécessaires à la pluralité de l’information en France et au bon respect des principes démocratiques, votre rapporteur suggère en conséquence d’augmenter les moyens humains et techniques qui lui sont affectés.

Recommandation n° 64 : Augmenter les moyens humains et techniques affectés à l’Arcom afin de lui permettre de faire respecter un réel pluralisme des courants de pensées et d’opinions sur toutes les chaînes de télévision, suite à la décision du Conseil d’État du 13 février 2024.

2.   Les nouveaux risques de manipulation de l’information électorale que pose l’émergence des chaînes d’information en continu.

Comme l’a rappelé M. Fabien Namias, directeur général de BFMTV, « les chaînes d’information en continu – et les médias audiovisuels en général – sont soumises à des règles strictes », tandis que les « plateformes et les réseaux sociaux y échappent totalement, alors qu’ils deviennent des canaux privilégiés de consommation de l’information, en particulier chez les plus jeunes ». ([205]) Votre rapporteur souscrit partiellement à cette analyse et, pour cette raison, a souhaité que la commission d’enquête puisse également auditionner les représentants en France des principales plateformes qui accueillent le « débat public numérique ». Nous y reviendrons.

Néanmoins, et pour rester sur le fonctionnement propre aux chaînes d’information en continu, les auditions de la commission d’enquête ont permis de soulever des questions éthiques dépassant le cadre de la seule réglementation juridique que le président Thomas Cazenave a bien résumées lorsqu’il a interpellé ainsi les représentants des chaînes d’information en continu : « Un débat a émergé, à l’occasion de nos auditions, sur la formation de l’opinion. Considérez-vous que les chaînes d’information que vous représentez fabriquent, d’une manière ou d’une autre, l’opinion et, par voie de conséquence, la réponse politique qui y est apportée ? »

Les différents représentants des chaînes d’information se sont largement dédouanés de l’hypothèse selon laquelle ils contribueraient à façonner l’opinion. Ainsi, pour M. Thomas Bauder, directeur de l’information de CNews, « nous faisons un choix dans l’actualité mais nous ne fabriquons pas l’opinion. Il n’y a pas d’agenda d’actualité. Les journalistes suivent l’agenda politique, économique, international – si agenda il y a. Ils suivent les soubresauts du monde, du débat national, de la vie parlementaire ou judiciaire. Nous sommes suiveurs, non initiateurs. » ([206])

Une telle réponse laisse votre rapporteur sceptique : si l’actualité s’impose, dans une certaine mesure, aux chaînes d’information, il existe toutefois une large marge d’appréciation permettant aux journalistes de mettre en avant un évènement plutôt qu’un autre. Nous arrivons, sur ce point, à l’une des limites du cadre juridique actuel : s’il garantit un équilibre dans l’expression des courants d’opinion, il ne régit pas le choix des sujets commentés qui peuvent, pour leur part, traduire la volonté de façonner l’opinion dans un sens. Il est d’ailleurs constant, comme l’ont reconnu plusieurs intervenants, que les conférences de rédaction opèrent des arbitrages éditoriaux au regard non seulement de l’importance intrinsèque des faits, mais également de leur capacité supposée à générer de l’audience, du débat, voire de la controverse.

En outre, les auditions ont mis en lumière une tension structurelle entre le respect formel des règles de pluralisme, mesurées principalement à travers le temps de parole des représentants politiques, et les modalités concrètes de hiérarchisation de l’information, de sélection des thématiques et d’organisation des débats. Les chaînes reconnaissent, pour la plupart, qu’elles disposent de « viviers » d’intervenants, constitués en fonction de leur aisance à l’antenne et de leur capacité à animer les échanges. Ce critère, non régulé, introduit de facto une logique de formatage qui tend à privilégier les figures récurrentes, souvent perçues comme polarisantes, au détriment d’une diversité réelle des points de vue.

Il en résulte un effet d’agenda potentiellement structurant dans la formation de l’opinion. Et cela d’autant plus quand une structure comme « Périclès » peut organiser la “production” d’intervenants formés et adossés à des sous-structures qu’elle finance. À cet égard, et pour ne prendre qu’un exemple parmi une longue liste possible, la présence régulière sur des plateaux d’intervenants de l’« Observatoire de l’Immigration et de la Démographie (OID) », financé par Périclès, est éclairante.

Cette situation est d’autant plus préoccupante que les règles encadrant le pluralisme n’incluent pas, à ce jour, de mécanismes de contrôle sur la nature même des sujets traités ou sur leur traitement pluraliste. Comme l’a souligné votre rapporteur, la neutralité apparente de certains bandeaux éditoriaux masque parfois une orientation implicite de la lecture de l’actualité, en reprenant des formulations polémiques sous couvert de citation ou de neutralité syntaxique. L’analyse du traitement différencié de certains thèmes, tels que l’immigration, l’insécurité ou l’islam, confirme que les choix éditoriaux peuvent conduire à une exposition répétée de certains récits au détriment d’autres. Sur ce sujet, la mauvaise foi de M. Bauder concernant la ligne éditoriale de la chaîne CNews n’a pas été de nature à rassurer votre rapporteur sur la volonté de certaines chaînes d’information en continu de se conformer aux recommandations de l’Arcom sans application des pouvoirs de contrainte qui sont les siens.

Encadré : Échanges entre votre rapporteur et M. Thomas Bauder, directeur de l’information de CNews, sur la production de l’information, lors de l’audition du jeudi 3 avril 2025

M. Antoine Léaument, rapporteur. Il est faux de dire que le pluralisme est assuré par la réunion sur un plateau de personnes qui débattent ensemble. Vous ne garantissez ni la liberté d’expression ni le pluralisme en organisant des débats entre une personnalité politique et d’autres personnes, présentées comme neutres et objectives, qui, en réalité, démonteront ses opinions sans la laisser parler et la pousseront à se contredire. Sans parler des bandeaux qui qualifient politiquement la situation d’une manière préjudiciable à la personne invitée. Bref, c’est une descente en règle des opinions politiques. Ce n’est pas ainsi que doivent être organisés sainement les débats publics.

En faisant, depuis le début de l’audition, comme si cela n’arrivait pas sur votre chaîne – et elle n’est pas la seule concernée –, j’ai l’impression que vous nous prenez pour des imbéciles. Je tiens à vous signaler que nous ne le sommes pas.

M. Thomas Bauder. Je tiens à vous assurer, ainsi qu’à l’ensemble de la représentation nationale, de mon profond respect.

Néanmoins, je suis en total désaccord avec vous : il n’y a pas de ligne éditoriale de droite ou d’extrême droite. CNews n’est ni une chaîne de droite ni une chaîne d’extrême droite ; c’est une chaîne d’information et de débats.

Il existe deux types de bandeau. Lors d’une présentation des faits, le bandeau reprend les propos d’une personne, un son, ou présente des éléments chiffrés ; il peut aussi y avoir un PAD. En tout état de cause, le bandeau présente toujours des éléments factuels. Nous y sommes vigilants en permanence. En revanche, lors des débats, l’éditorialisation des bandeaux relève de notre liberté éditoriale.

(...)

M. Antoine Léaument, rapporteur. Mais la ligne éditoriale peut aussi avoir pour objectif d’orienter la lecture de l’actualité. Je ne nie pas la liberté éditoriale – c’est défendre la liberté de la presse. Néanmoins, les chaînes, dans le traitement de l’information, donnent-elles aux citoyens les éléments nécessaires pour leur permettre de prendre du recul par rapport à l’information qu’elles donnent ?

En tout cas, les bandeaux sur lesquels figurent les messages « Immigration : un crime contre la nation ? » ou « LFI : le nazisme est-il passé à l’extrême gauche ? » alimentent clairement une ligne politique. Un bandeau peut également reprendre la citation d’un intervenant orienté politiquement, les guillemets permettant alors à la chaîne de faire passer une ligne politique sans avoir à l’exprimer elle-même. Cette manière de présenter l’information n’est pas honnête, contrairement à ce qui a pu nous être dit.

Monsieur Bauder, vous nous prenez pour des imbéciles lorsque vous prétendez que le traitement de l’information politique n’est pas orienté. Vous avez dit qu’il n’y avait pas d’agenda caché. Or la question se pose car vos confrères de L’Humanité, qui font du journalisme sérieux, ont révélé le plan Périclès, qui vise en partie à influencer les élections et l’opinion dans un sens politique qui n’est pas neutre. En effet, Périclès est un acronyme qui signifie Patriotes, enracinés, résistants, identitaires, chrétiens – en opposition avec d’autres religions, notamment l’islam –, libéraux, européens, souverainistes. Or un nombre important de reportages sur CNews sont consacrés à l’immigration et à l’islam. Vous en tirez d’ailleurs une fierté à en juger par vos visuels sur le sujet. Il n’est pas vrai de dire qu’il pourrait ne pas y avoir d’agenda caché.

À ce titre, votre rapporteur se réjouit de l’adoption par l’Arcom d’une nouvelle doctrine permettant de qualifier un déséquilibre manifeste et durable, au regard notamment de la diversité des thématiques traitées par les chaînes. Il conviendrait, dans cette perspective, d’approfondir la réflexion sur la possibilité d’un encadrement plus rigoureux des pratiques éditoriales en période électorale, en s’appuyant sur des indicateurs qualitatifs relatifs à la structuration des grilles, à la fréquence d’apparition des intervenants et à la représentation effective des courants de pensée au-delà des seules affiliations partisanes. Le renforcement des obligations de transparence sur les choix éditoriaux et la composition des plateaux constituerait également un levier utile pour restaurer la confiance dans le traitement médiatique du débat public, en particulier dans les phases sensibles du calendrier démocratique.

Recommandation n° 65 : Encourager l’Arcom à appliquer pleinement ses pouvoirs de contrôle et de sanction pour les chaînes qui ne respectent pas leur obligation de représentation pluraliste des courants de pensées et d’opinions.

Recommandation n° 66 : Demander à l’Arcom de remettre au Parlement un rapport préfigurant une évolution du cadre juridique applicable aux chaînes d’information en continu en période électorale, en y intégrant une obligation de transparence sur la composition des plateaux, ainsi que des critères qualitatifs relatifs à la diversité des thématiques et des intervenants.

B.   Le développement des réseaux sociaux : un risque accru de manipulation de l’information électorale.

S’il existe un risque de manipulation de l’information électorale avec les chaînes d’information en continu, qui peut au minimum être encadré par l’Arcom, son occurrence est démultipliée avec les réseaux sociaux : comme l’a observé M. Christian Charpy, il n’est pas certain que les médias « aient plus de portée que les influenceurs qui communiquent leurs opinions à des centaines de milliers d’abonnés sur Instagram ou sur TikTok. » ([207]) Votre rapporteur partage cette opinion, même indépendamment de la question des influenceurs, les réseaux sociaux ayant désormais une audience cumulée très largement supérieure aux médias traditionnels d’information.

M. Roch-Olivier Maistre a également abordé ce sujet durant son audition : « les médias traditionnels conservent une influence particulièrement marquée dans la cristallisation de l’opinion publique française. Le débat du second tour de l’élection présidentielle est ainsi suivi par 12 à 13 millions de téléspectateurs. Mais simultanément, les réseaux sociaux exercent également une influence considérable. Or les régimes juridiques applicables ne sont pas les mêmes et nous sommes obligés de l’intégrer dans notre réflexion. » ([208])

En effet, les plateformes du numérique ne bénéficient pas du même encadrement juridique que les médias télévisuels ou la presse ; aussi, comme l’a rappelé le président sortant de l’Arcom, « il existe aujourd’hui un déséquilibre normatif assez spectaculaire entre des médias traditionnels (radio et télévision) extrêmement régulés et des acteurs du numérique qui ne sont pas contraints de s’y soumettre. Lorsqu’un candidat crée une chaîne sur YouTube, rien ne l’oblige à inviter ses concurrents. Les réseaux sociaux diffusent les contenus comme ils l’entendent. »

Soucieux de répondre au besoin de mieux comprendre les enjeux associés à la place des réseaux sociaux dans l’information, particulièrement en période de campagne électorale, votre rapporteur a souhaité que la commission d’enquête puisse avoir des échanges avec les représentants en France des principales plateformes numériques.

1.   L’impact des réseaux sociaux sur la qualité et la neutralité de l’information électorale.

Le développement de multiples plateformes de réseaux sociaux au cours des dernières années n’est pas sans enjeu sur la question de l’information. En effet, ces réseaux constituent à la fois l’opportunité d’une meilleure diffusion de l’information, voire le moyen d’un rééquilibrage de la place des différents courants d’opinion et de pensée, compte tenu de leur facilité d’accès et de leur diffusion, mais ils font aussi peser plusieurs risques sur la fiabilité de l’information et sur la qualité du débat public.

Votre rapporteur est donc à la fois attentif à ce que les réseaux sociaux puissent rester des lieux de liberté d’expression et de débat politique, dans le respect des règles de la République, mais appelle aussi à être vigilant sur un certain nombre de risques qui y sont associés.

a.   Un vecteur de pluralisme informationnel et d’engagement civique.

L’émergence et la généralisation des réseaux sociaux ne sauraient être appréhendées exclusivement sous l’angle des menaces qu’ils font peser sur la qualité de l’information ayant trait au débat politique. Les plateformes numériques permettent, dans une certaine mesure, de pallier certaines des carences informationnelles relevées dans le cadre plus traditionnel de la propagande électorale.

Elles offrent aux formations politiques de moindre envergure, aux collectifs militants de même qu’aux citoyennes et citoyens engagés des moyens d’expression, de diffusion d’idées et de mise en réseau autrement inaccessibles. Cette ouverture contribue à rééquilibrer l’offre médiatique, souvent concentrée entre les mains d’un nombre restreint d’acteurs, et peut ainsi renforcer le pluralisme des opinions dans l’espace public. En second lieu, les réseaux sociaux constituent, pour une partie significative des jeunes générations et des catégories sociales historiquement moins mobilisées électoralement, une porte d’entrée vers la délibération politique. À ce titre, ils jouent un rôle d’intégration civique.

Par ailleurs, votre rapporteur tient à souligner que les différents acteurs des réseaux sociaux ont su mettre en place, lors des élections, des éléments d’information sur la date limite d’inscription sur les listes électorales et sur la date des scrutins qui sont apparues comme efficaces. Ces informations, souvent affichées de manière très visibles sur les différents sites et applications, ont pu contribuer à une bonne information des citoyens, et ont pu apparaître comme une mesure bien plus volontariste que l’action des pouvoirs publics eux-mêmes. Il apparaît à votre rapporteur qu’il serait légitime de formaliser un cadre avec les acteurs de réseaux sociaux pour aller plus loin dans cette information et envisager, par exemple, l’envoi d’une notification « push » ou d’un message privé des plateformes pour rappeler les dates limites d’inscription sur les listes électorales (en dimensionnant les serveurs du site pour s’assurer de l’afflux provoqué), ou encore les jours de scrutin.

Recommandation n° 67 : Formaliser un cadre d’information électorale sur les plateformes de réseaux sociaux pour rappeler les dates d’inscription sur les listes électorales et les dates de scrutin, en envisageant la possibilité de notification « push » ou de message privé des plateformes au moment des élections.

b.   Les « bulles de filtres » ou « bulles cognitives » et le risque de morcellisation de l’espace civique.

Les réseaux sociaux peuvent créer des effets susceptibles d’altérer ou d’influencer fortement la pleine analyse des enjeux politiques et électoraux par ceux qui les utilisent. C’est ce que les chercheurs décrivent généralement sous le terme de « bulles de filtres » ou de « bulles cognitives », et dans lesquelles les algorithmes des réseaux sociaux jouent un rôle central.

Concrètement, les algorithmes des réseaux sociaux tendent à proposer à leurs utilisateurs des contenus dont les entreprises qui les produisent savent statistiquement et empiriquement qu’ils ont de fortes probabilités de capter leur attention. Le but des acteurs de réseaux sociaux est simple : augmenter la durée d’utilisation de leur plateforme pour augmenter la probabilité que l’utilisateur entre en contact avec une publicité, voire clique dessus, et donc maximiser in fine leurs profits. Or, cette logique capitaliste n’est pas sans produire des effets sur les individus et, à échelle de masse, sur le débat public.

Ainsi, si un utilisateur « aime » un contenu ou le commente, ou d’une manière générale interagit avec lui, l’algorithme va avoir tendance à lui proposer un contenu du même type et va peu à peu affiner le meilleur contenu à lui proposer pour maximiser le taux d’interaction. Une logique qui en soi pourrait ne pas poser de problèmes particuliers si les contenus politiques ou informationnels n’étaient pas eux aussi concernés par ces bulles algorithmiques. Car de fait, une personne peut ainsi petit à petit s’enfermer dans une idée, vraie ou fausse d’ailleurs (car la désinformation s’ajoute au problème), sans recevoir jamais ou bien en recevant très rarement une contradiction de cette idée.

Or, ces bulles cognitives tendent à produire deux grands effets délétères pour le débat public :

– D’abord, pour les individus eux-mêmes, l’enfermement dans des idées qui peuvent être fausses et une difficulté à croire ou même à simplement être ouvert à l’écoute d’éléments qui viennent les contredire, et cela même quand des preuves matérielles sont apportées à l’appui d’un contre-argumentaire ;

– Ensuite, pour le débat public en général, une plus grande difficulté à mettre en place des débats sereins et argumentés dans la sphère médiatico-politique, les acteurs participant à ces débats pouvant être eux-mêmes influencés par ces bulles de filtre.

 Cette caractéristique a bien été décrite par M. Alain Garrigou : l’ « instruction [civique] se fait désormais largement par les réseaux sociaux – des bulles cognitives qui ne permettent aucune éducation au débat et à la contradiction, car on se rend toujours, par confort, sur les sites qui disent ce que qu’on a envie d’entendre » ([209]). Les biais de confirmation induits par l’usage intensif des réseaux sociaux, accentués par les mécanismes de recommandation algorithmiques, fragilisent les conditions d’un débat électoral éclairé.

c.   Le risque de l’amplification algorithmique de contenus polarisants ou mensongers.

Les plateformes numériques permettent des effets d’échelle qui autorisent la diffusion massive de contenus polémiques ou délibérément manipulatoires (sans pour autant constituer une ingérence étrangère), soit qu’ils soient motivés par des aspirations conspirationnistes, soit qu’ils soient destinés à dénigrer une partie du personnel politique dans une perspective de compétition électorale. Comme le rappelle M. Christian Charpy, « les algorithmes jouent un rôle important dans l’expression et la confrontation des partis politiques ; on le voit en France et, de manière encore plus nette, aux États-Unis. » ([210])

La problématique se pose avec d’autant plus d’acuité que dans certains cas l’algorithme porte en lui-même une dimension « éditoriale », en ce sens qu’il vise explicitement à promouvoir certains contenus plutôt que d’autres. Ce phénomène, relativement nouveau, interroge le statut des plateformes, qui ne sont, dès lors, plus de simples « hébergeurs » de contenus, mais bien des producteurs d’opinion. Ainsi, la Commission européenne a lancé une enquête après des soupçons de manipulation de l’algorithme de X (ex-Twitter) visant à promouvoir certains contenus publiés par son propriétaire, Elon Musk, et favorables à l’extrême-droite allemande. Or, pour reprendre les mots de Roch-Olivier Maistre, « si nous nous retrouvons dans des cas de figure où un algorithme agit au service d’un intérêt particulier et devient un outil d’éditorialisation au sens plein du terme, la question du statut juridique commence à être posée » ([211]).

d.   Le risque d’une propagation incontrôlée des campagnes de désinformation électorale.

La désinformation ne résulte pas nécessairement d’ingérences étrangères. Elle peut être, en effet, utilisée à des fins de déstabilisation interne. Comme l’a rappelé Alain Garrigou, « il existe des moyens considérables pour amplifier les fake news dans l’offre politique », précisant en outre le lien étroit entre information électorale et fake news : « le terme de fake news est l’exacte traduction des “fausses nouvelles”, lesquelles, en France au XIXe siècle, étaient un motif d’invalidation du scrutin. Il s’agissait d’informations fantaisistes et de rumeurs diffusées par tous les camps, mais dans un cadre local et une société orale, ce qui fait qu’elles étaient très difficiles à démontrer. Les parlementaires, à qui revenait à cette époque le contrôle de la régularité des élections – dont ils ont été privés par la Ve République – ont donc abandonné cette incrimination, d’autant que les électeurs étaient censés être libres et souverains et que, de toute façon, s’ils ne l’étaient pas assez, l’instruction publique y remédierait. » ([212])

Ce constat est partagé par les représentants du service public de l’information, qui considèrent avoir une responsabilité particulière en la matière, en raison de la faillibilité des réseaux sociaux. Ainsi, pour M. Alexandre Kara, directeur de l’information de FranceInfo, « la désinformation est l’enjeu fondamental de ces prochaines années sur lequel nous devons collectivement travailler. La lutte contre la désinformation est inscrite dans notre cahier des charges. Nous menons des actions avec Radio France et des partenaires internationaux comme la BBC ou la ZDF. Nous avons mis en place une équipe, les Révélateurs, qui vérifie les faits mais aussi la réalité d’une image car l’IA, qui est déjà un puissant facteur de désinformation, le sera encore davantage dans les prochaines années ». Mme Livia Saurin, secrétaire générale adjointe de France Télévisions, abonde dans le même sens : « non seulement les médias traditionnels doivent faire leur travail pour protéger les téléspectateurs de la désinformation, mais ils doivent également donner des clés, notamment à ceux qui ne regardent pas, ou moins, la télévision – les enfants et les adolescents –, pour les aider à devenir des citoyens éclairés. » ([213]).

Néanmoins, force est de constater pour moduler ces propos, que les acteurs du service public de l’information eux-mêmes ne sont parfois pas exempts de critiques sur des situations qui peuvent influencer les auditeurs ou apparaître comme une forme de manipulation de l’information. Ainsi, interrogé par votre rapporteur sur une situation où une ancienne candidate LR aux élections législative était présentée comme « communicante » et défendait une idée politiquement orientée ([214]), M. Alexandre Kara a reconnu : « Au risque de vous surprendre, je partage votre avis : il faut être le plus précis possible sur le pedigree de nos invités. Il arrive que nous ne le soyons pas assez, je le reconnais. Nous devons travailler sur ce point ».

e.   Le risque de l’influence dérégulée de certains influenceurs dans les équilibres politiques et de l’absence de traçabilité des financements.

Un autre risque majeur lié à l’usage dérégulé des réseaux sociaux réside dans le rôle ambigu que peuvent jouer sur les réseaux sociaux certains influenceurs, dont les expressions politiques pourraient marquer des soutiens, parfois rémunérés, non déclarés. Ce phénomène a notamment été identifié par votre rapporteur lors de l’audition de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), au cours de laquelle il a souligné qu’un contournement des règles applicables aux dépenses électorales pouvait s’opérer dans un scénario où un acteur économique verserait une rémunération à un influenceur bien avant l’ouverture de la période de six mois précédant le scrutin, période durant laquelle la publicité sur Internet est rigoureusement interdite. Ce contrat pourrait stipuler une prise de parole à visée électorale dans les semaines précédant l’échéance électorale, ce qui exposerait la commission à une difficulté manifeste de traçabilité, dans la mesure où cette expression publique pourrait apparaître comme une opinion personnelle spontanée, et non comme une opération de communication relevant d’un financement électoral indirect.

Face à la mention de cette faille, M. Jean-Phillippe Vachia, président la CNCCFP, a en effet concédé que « face à un influenceur faisant campagne pour un candidat spécifique, notre seule option consiste à interroger le candidat lui-même. Nous lui demandons alors de prouver que l’influenceur agit de son propre chef et n’a pas conclu de contrat publicitaire, ce qui serait prohibé. Sous ma présidence, la Commission, confrontée à de telles situations, a adopté la pratique de demander aux candidats des attestations sur l’honneur certifiant qu’ils n’ont pas eu recours à de telles pratiques. Bien que la valeur de ces attestations soit relative, elles représentent actuellement notre seul moyen d’action » ([215]).

Dans ce contexte, votre rapporteur suggère qu’il serait utile de donner à la CNCCFP des moyens supplémentaires afin qu’elle puisse contrôler plus avant l’existence d’accords entre d’éventuels candidats et des influenceurs qui viseraient à contourner la loi électorale. Cette inquiétude est d’autant plus forte pour votre rapporteur que des acteurs comme Périclès visent clairement à influencer le débat électoral par tous les moyens disponibles.

Votre rapporteur tient néanmoins à souligner un point, crucial à ses yeux, qui est qu’un contrôle renforcé ne devrait en aucun cas se transformer en une mise en cause de la liberté d’expression des influenceurs. Ainsi, il estime qu’il est du devoir du législateur de garantir qu’une influenceuse ou un influenceur qui souhaiterait donner son opinion politique personnelle ou même appeler ses abonnés à voter pour une candidature spécifique doit toujours rester en droit de le faire, sous peine de mettre en cause la liberté d’expression qui est fondamentale et garantie par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Aussi, un contrôle de la CNCCFP ne devrait dès lors s’exercer que sur ce qui serait un soutien rémunéré à une candidature, en veillant à ce qu’un contrat ou un versement monétaire n’ait pas été effectué hors de la période d’interdiction de publicité sur internet pour produire néanmoins ses effets politiques durant cette période.

Recommandation n° 68 : Confier explicitement à la CNCCFP la prérogative d’identifier des versements monétaires entre candidats et influenceurs, même en amont de l’interdiction d’effectuer de la publicité sur internet, si le soutien effectif aux candidats a été apporté durant cette période d’interdiction, et doter la CNCCFP des moyens afférents à l’exercice de cette nouvelle mission (pouvoirs de contrôle et moyens humains).

Recommandation n° 69 : Mettre en place un registre public des contrats d’influence politique afin d’y consigner les accords contractuels ou financiers entre des institutions publiques, des élus ou des candidats aux élections d’une part, et des influenceurs d’autre part. Devraient y figurer obligatoirement le montant financier de la transaction, les personnes ou institutions impliquées, et les termes de la prestation de service attendue. Ce registre ne ferait pas figurer les soutiens non rémunérés d’influenceurs à des institutions, élus ou candidats, puisqu’elles relèveraient de la liberté d’expression garantie par l’article 11 de la DDHC.

2.   Le cadre juridique applicable à la lutte contre la manipulation de l’information sur les réseaux sociaux.

Si les réseaux sociaux souffrent d’un manque de régulation, il n’est, pour autant, pas possible de tout faire sur ces plateformes. Ainsi, M. Roch-Olivier Maistre reconnaît que, « lors des six ans écoulés, la situation a malgré tout évolué. D’abord, des initiatives législatives nationales sont intervenues en France, avec la loi de 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information, mais également dans l’Union européenne (UE), avec le règlement européen sur les services numériques, le fameux Digital Services Act (DSA), qui est actuellement en phase de déploiement. » ([216])

M. Marc-Antoine Brillant, chef du Service de vigilance et protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), a précisé l’esprit ayant guidé le législateur européen lors de la conception du DSA, notamment en matière de lutte contre l’ingérence informationnelle : « il sert non à la confrontation avec les plateformes, mais à les accompagner dans l’atténuation des risques systémiques représentés par l’utilisation malveillante des solutions qu’elles proposent. À cette fin, il permet le recours à différents outils selon une démarche progressive, jusqu’à la fameuse amende de 6 % du chiffre d’affaires mondial. En cas de manœuvres répétées face auxquelles le manque de volonté d’agir de la plateforme est caractérisé, il est possible d’aller jusqu’à suspendre la diffusion d’une plateforme : le juge du pays où se passe la campagne, sollicité, peut décider cette suspension pour une durée de quatre semaines renouvelables » ([217]) .

Concrètement, le DSA prévoit que les obligations suivantes s’imposent aux plateformes ([218]) :

– Les plateformes en ligne doivent proposer aux internautes un outil leur permettant de signaler facilement les contenus illicites. Une fois le signalement effectué, elles doivent rapidement retirer ou bloquer l’accès au contenu illégal.

– Les plateformes doivent rendre plus transparentes leurs décisions en matière de modération des contenus. Elles doivent prévoir un système interne de traitement des réclamations permettant aux utilisateurs dont le compte a été suspendu ou résilié (par exemple sur un réseau social) de contester cette décision.

– Les plateformes ont, par ailleurs, l’obligation d’expliquer le fonctionnement des algorithmes qu’elles utilisent pour recommander certains contenus publicitaires en fonction du profil des utilisateurs.

– Un mécanisme de réaction aux crises touchant la sécurité ou la santé publique est aussi prévu. La Commission européenne peut demander aux grands acteurs une analyse des risques que posent leurs interfaces lorsqu’une crise émerge ou est en cours et leur imposer pendant un temps limité des mesures d’urgence.

3.   Des engagements perfectibles pris par les plateformes afin de lutter contre la manipulation de l’information électorale.

Les représentants des principales plateformes numériques ont fait état, lors de leur audition, de diverses initiatives destinées à contenir les risques de manipulation de l’information électorale. Toutefois, malgré l’existence de dispositifs déclarés, leur efficacité comme leur portée demeurent discutables.

Meta, par la voix de M. Anton’Maria Battesti, a reconnu que, les concernant, « la politique de modération est globale et évolue donc globalement, y compris pour la France et l’Europe » ([219]), précisant que certains contenus qui étaient modérés auparavant ne le seraient plus. Il a d’ailleurs admis que ces évolutions pouvaient résulter, en partie, du débat politique américain, notamment sur les thématiques de l’immigration ou du genre, ce qui, en l’absence d’un ancrage explicite dans le débat électoral français, suscite des interrogations quant à l’importation de référentiels idéologiques exogènes, et est de nature à inquiéter votre rapporteur quant à l’orientation politique de cette décision, compte tenu des deux thèmes explicitement cités par M. Anton Maria Battesti, qui rappellent directement les orientations de M. Donald Trump ou, en France, d’élus d’extrême droite.

Le même représentant a par ailleurs reconnu que « les contenus politiques ont retrouvé une visibilité comparable aux publications des amis ou de la famille », confirmant ainsi l’existence d’un pouvoir d’orientation algorithmique qui, bien qu’affirmé comme neutre, reste en pratique tributaire de décisions unilatérales non soumises à un encadrement public effectif ([220]). Concrètement, alors que Meta a dévalorisé le contenu politique pendant plusieurs mois dans son algorithme, une correction a désormais été effectuée. Signe que les choix algorithmiques d’une société de réseaux sociaux peuvent donc avoir un effet considérable sur la propagation ou la non-propagation d’une information.

La question de la modération a également révélé certaines limites structurelles. Alors que Meta affirme ne pas avoir réduit ses moyens, votre rapporteur a rappelé que Meta avait annoncé la suppression de 2 000 postes de modération à Barcelone, ce que Mme Aurore Denimal, responsable des affaires publiques de Meta France, a présenté comme étant une simple « redistribution des effectifs » ([221]) sans apporter de garanties précises quant à leur redéploiement effectif sur les marchés européens.

S’agissant de la lutte contre les campagnes de désinformation, plusieurs plateformes ont présenté des outils internes ou des collaborations avec des organismes tiers. M. Louis Ehrmann, public policy manager de TikTok en France a indiqué que « tous les types de contenus peuvent être signalés » et que « les équipes de modération peuvent décider de maintenir le contenu ou […] de le retirer » ([222]), selon l’analyse effectuée par des partenaires tels que l’AFP. Cependant, les moyens concrets alloués à ces actions, en termes de volume, de fréquence ou de critères d’évaluation, n’ont pas été suffisamment précisés pour en garantir la robustesse opérationnelle.

Enfin, le cas soulevé par votre rapporteur relatif à l’algorithme de X, soupçonné par la Commission européenne de promouvoir certains contenus à des fins partisanes, a mis en évidence les lacunes de l’autocontrôle. Mme Claire Dilé, représentant l’entreprise, a déclaré que « le propriétaire du réseau social X, M. Elon Musk, est soumis aux mêmes règles que tout un chacun sur la plateforme […] les règles s’appliquent de façon horizontale » ([223]), sans toutefois être en mesure d’apporter de réponse sur la vérifiabilité de cette affirmation ni sur les modalités concrètes d’un contrôle indépendant. Un sujet d’autant plus crucial que lors de notre audition, les représentants de Viginum ont indiqué que les pratiques de M. Musk étaient caractéristiques d’une ingérence étrangère.

En somme, si des engagements ont été exprimés, force est de constater que leur effectivité dépend d’une architecture technique et décisionnelle opaque, partiellement influencée par des logiques capitalistiques privées, et donc étrangères au contrôle démocratique. Ces constats plaident pour un renforcement significatif du pouvoir des autorités publiques en matière d’accès aux paramètres algorithmiques, de supervision des politiques de modération, et de certification des dispositifs de lutte contre la désinformation.

4.   De la nécessité de prévenir tout risque de manipulation de l’information électorale sur les réseaux sociaux.

Au terme des constats établis par la commission d’enquête, il apparaît indispensable à votre rapporteur de renforcer l’encadrement des plateformes numériques, au regard de leur influence croissante sur la formation de l’opinion publique et sur les conditions de sincérité du débat démocratique en période électorale.

En ce sens, votre rapporteur propose que la France soit à l’initiative d’un renforcement ciblé du Digital Services Act (DSA), afin d’y intégrer un régime de vigilance renforcée applicable aux très grandes plateformes durant les campagnes électorales. Cette révision pourrait inclure des obligations renforcées en matière de transparence algorithmique, d’exposition au pluralisme, et de modération des contenus à caractère politique.

Recommandation n° 70 : Engager une initiative française de renforcement ciblé du Digital Services Act (DSA), afin d’y intégrer un régime de vigilance renforcée applicable aux très grandes plateformes durant les campagnes électorales.

D’autre part, et dans une volonté d’assurer la souveraineté de la France sur les affaires qui la concernent, votre rapporteur propose d’envisager l’extension des compétences de l’Arcom afin qu’elle puisse assurer, en tant que coordinateur des services numériques désigné au titre du DSA, une mission pérenne de supervision du respect des obligations électorales par les plateformes.

Cette extension pourrait inclure l’évaluation ex ante des mécanismes de recommandation algorithmique en période électorale, le suivi des engagements de lutte contre la désinformation, ainsi que la faculté d’adresser des mises en demeure publiques ou de saisir le juge administratif en cas de manquement grave affectant la sincérité du débat.

Recommandation n° 71 : Étendre les compétences de l’Arcom afin qu’elle puisse assurer, en tant que coordinateur des services numériques désigné au titre du DSA, une mission pérenne de supervision du respect des obligations relatives à la qualité et à la neutralité de l’information électorale par les plateformes.

II.   Les ingérences étrangères en matière électorale : une dangereuse internationalisation de la déstabilisation démocratique.

L’analyse du fonctionnement de la production et de la diffusion de l’information électorale a conduit naturellement votre rapporteur à orienter les travaux de la commission vers la question du risque d’ingérence qui pèse sur les élections, aujourd’hui en France. En effet, ces ingérences, si elles étaient autrefois politiquement identifiables, relèvent désormais davantage de la « guerre hybride » et passent essentiellement par la désinformation, à travers la prolifération de « Fake News » sciemment déstabilisantes.

A.   L’état des lieux du risque d’ingérences étrangères dans les processus électoraux en France.

Selon l’acception retenue par le Centre national de ressources textuelles et lexicales, l’ingérence désigne l’intervention d’un acteur extérieur dans les affaires relevant d’une autorité souveraine. Appliquée au champ électoral, cette notion recouvre l’ensemble des actions étrangères, dissimulées ou manifestes, visant à altérer la sincérité du scrutin, à perturber le débat public ou à manipuler l’opinion.

1.   Ingérences étrangères : une menace actuelle accentuée par des failles médiatiques.

a.   Étoiles de David, mains rouges : des ingérences étrangères qui cherchent à diviser le peuple.

Votre rapporteur considère que l’ingérence étrangère dans les processus électoraux constitue une menace désormais structurelle, aux manifestations répétées et diversifiées. Comme l’a révélé M. Marc-Antoine Brillant, chef de Viginum, « depuis le milieu des années 2010, les manipulations de l’information impliquant des acteurs étrangers n’ont épargné aucun rendez-vous électoral ou référendaire majeur » ([224]).

Parmi les exemples les plus récents, deux opérations coordonnées attestent de la persistance de telles manœuvres sur le territoire national. La première, en novembre 2023, a consisté en la diffusion artificielle et automatisée par « 1 095 faux comptes X reliés à l’opération russe Doppelgänger » de deux photographies représentant des étoiles bleues de David peintes à Paris. Comme l’a précisé M. Brillant, cette diffusion est intervenue alors que « le sujet n’avait pas émergé dans les médias ». Néanmoins, et comme on va le voir, les médias ont ensuite été la principale caisse de résonance de cette ingérence russe, lui donnant de l’écho et la matérialisant, en en définissant les contours politiques ([225]). L’instrumentalisation d’une symbolique politico-religieuse pour provoquer une réaction émotionnelle immédiate visait manifestement à exacerber les tensions sociales et la perception publique d’un climat antisémite en France. L’objectif est ici simple, distiller le poison de la haine, afin de diviser notre peuple et d’exacerber les tensions dans notre pays.

La seconde opération, survenue en mai 2024, visait à perturber la campagne pour les élections européennes par le biais d’un marquage similaire : des mains rouges peintes sur le mur du Mémorial de la Shoah, dans le IVe arrondissement de Paris. Comme l’a exposé M. Brillant devant la commission, « les enquêteurs ont pu démontrer que les commanditaires étaient bulgares, missionnés par la Russie », révélant ainsi une coopération transnationale dans la mise en œuvre de la stratégie d’ingérence. Il a toutefois précisé que cet épisode avait été analysé avec plus de prudence médiatique en raison du précédent des étoiles bleues : « Lorsque les mains rouges sont arrivées, […] les médias, forts du précédent, ont été plutôt prudents dans la gestion du sujet ». Un satisfécit qui mérite toutefois d’être nuancé au regard de la place majeure jouée par les médias français, et notamment les chaînes d’information en continu, dans l’amplification de cette ingérence russe (voir infra).

Au-delà de ces deux cas emblématiques, M. Brillant a rappelé que d’autres États ont également été à l’origine de campagnes de manipulation ciblant le débat électoral français. Ainsi, en décembre 2024, dans un rapport consacré au « Baku Initiative Group, l’organe de propagande d’État de l’Azerbaïdjan, qui est très actif dans nos territoires ultramarins », les autorités françaises ont reconnu et dénoncé des actions délibérées de désinformation en provenance de ce pays.

b.   Des failles médiatiques et politiques majeures qui servent de caisse de résonance aux ingérences étrangères

Si les affaires des étoiles de David taguées en région parisienne et des mains rouges taguées sur le Mémorial de la Shoah à Paris ont eu un tel retentissement, c’est parce qu’au-delà de la mise en mouvement par la Russie de comptes sur les réseaux sociaux pour amplifier l’audience de son ingérence, les médias français ont également participé à fortement amplifier à leur tour la diffusion des images de ces différents tags. Surtout, ils en ont donné une lecture politique qui servait directement le but de l’ingérence : diviser le peuple en excitant les haines, et en particulier en cherchant à produire une ambiance de guerre de religions. Des politiques sont également tombés dans ce piège en contribuant à alimenter le récit de « guerre de religions » attendu de cette méthode de déstabilisation. C’est ce que montre à la perfection un article de « La revue des médias » de l’INA, intitulé « Étoiles bleues, mains rouges : les télévisions et radios françaises instrumentalisées par la Russie » et paru le 12 mai 2025, qui analyse en détail ces enjeux, et dont votre rapporteur souhaite ici résumer les grandes lignes.

L’affaire des « étoiles bleues » : étude de cas d’un emballement médiatique.

Ainsi, lors de l’épisode des étoiles de David, c’est d’abord la députée Caroline Yadan qui va évoquer ces tags sur CNews, vers 17 heures, le 30 octobre 2023. Quelques heures plus tard, sur la même chaîne à 22 heures, le caractère « antisémite » des tags ne fait déjà plus de doute et le journaliste Julien Pasquet parle d’un « abject relent de ce que l’humanité a connu de pire ». Au même moment, BFMTV commence également à parler de ce sujet. Dès le lendemain matin, c’est la quasi intégralité des chaînes d’information en continu et quelques radios qui en parlent. Sur CNews, Pascal Praud déclare : « Jamais je n’aurais imaginé que les juifs soient de nouveau désignés, signalés, traqués. (...) Aujourd’hui, il [l’antisémitisme] prend le visage de l’islamisme. Les juifs sont les cibles. Demain, les chrétiens seront visés ». Dans l’après-midi, la Première ministre Élisabeth Borne y répond lors de la séance des questions au Gouvernement, dénonçant des « actes ignobles ». À 18 heures, en direct depuis une synagogue des Hauts-de-Seine, Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, déclare qu’« une forme d’islam radical [et] une forme d’ultragauche (...) se rejoignent dans la haine des juifs ». Le soir, enfin, le sujet est évoqué dans les journaux télévisés de TF1, France 2, M6 et Arte et associé à la recrudescence – quant à elle malheureusement bien réelle – des actes antisémites en France. En deux jours, l’affaire des « étoiles bleues » fera ainsi l’objet de 480 mentions dans les médias audiovisuels français.

Graphiques réalisés par la revue des médias de l’INA sur l’ingérence informationnelle

Point intéressant à constater : la révélation de l’identité du commanditaire qui accrédite l’hypothèse d’une ingérence, dès le 7 novembre, et la confirmation d’ingérence par le quai d’Orsay et Viginum, dès le 9 novembre, ne participent pas pleinement à rétablir les faits dans les médias. Ainsi, alors que l’ingérence est connue et établie, l’évolution de l’interprétation des tags pour la qualifier d’ingérence est moins massive dans les médias que l’interprétation initiale qui en faisait de manière univoque des actes à caractère antisémite.

Il est à noter que dans l’affaire des mains rouges taguées sur le Mémorial de la Shoah le 14 mai 2024, les médias seront cette fois, comme on l’a vu, bien plus vigilants, mais leur traitement du sujet ne sera pas exempt de fragilités majeures. Il y aura ainsi 37 mentions de l’affaire sur LCI le jour de la découverte de ces tags. Sur CNews, Julien Pasquet (décidément) déclarera « ces mains rouges […] sont un symbole extrêmement controversé utilisé par les manifestants pro-palestiniens. Voilà le résultat, l’un des résultats de ces campagnes haineuses qui ne font que diviser notre société » et le journaliste Yoann Usai ne s’embarrassera quant à lui pas de précautions, affirmant : « Pour revenir à ces images insupportables du Mémorial de la Shoah, je suis persuadé effectivement que le discours de la France insoumise a eu des conséquences sur la montée de l’antisémitisme en France ».

Côté politique, si la dénonciation de cette dégradation du Mémorial de la Shoah était fort logiquement largement dénoncée, la leçon de l’épisode des étoiles de David ne semblait pas avoir été apprise et le qualificatif du sens politique de ces tags ne fait guère de doute pour la maire de Paris Anne Hidalgo qui dénonce des « tags antisémites », ni pour le président du RN Jordan Bardella, qui écrira sur X qu’« un antisémitisme décomplexé s’est abattu sur la France : l’idéologie du Hamas est déjà présente sur notre sol, et il nous faut la combattre sans faiblir »… ni pour le président de la République lui-même qui parlera d’« odieux antisémitisme » à propos de ces tags.

Ces deux exemples invitent donc votre rapporteur à lancer l’alerte sur ces risques d’ingérences qui vont vraisemblablement se multiplier à l’avenir, et en particulier durant les périodes électorales. Il appelle en particulier à renforcer les anticorps républicains de notre Nation, en mettant de côté toute division du peuple sur la base de discriminations racistes, ou en raison de la religion, de l’origine, ou de la nationalité des individus. C’est sur ces failles que ceux qui cherchent à faire de l’ingérence en France s’appuient ; ce sont ces faiblesses que nous devons combattre collectivement. Plus encore que des moyens techniques indispensables pour contrecarrer ces ingérences, votre rapporteur souligne qu’il y a d’abord une responsabilité individuelle de chacun d’entre nous, politiques, journalistes, utilisateurs des réseaux sociaux, et plus généralement citoyens : ne pas sombrer dans les mécanismes du temps court permanent et utiliser notre esprit critique face à ce type de situations pour laisser le temps de l’analyse et ainsi éviter les pièges tendus par ceux qui cherchent à nous diviser.

Recommandation n° 72 : Mettre en place, avec l’appui de Viginum, un plan national de formation des journalistes aux risques et aux méthodes d’ingérences étrangères, en privilégiant la formation des personnels des médias audiovisuels d’information en continu ou généralistes.

 

 

2.   Les figures de l’ingérence étrangère en France.

Les méthodes d’ingérence identifiées par les services de l’État sont multiples et s’inscrivent dans un schéma d’action structuré, visant à affaiblir le débat démocratique. Comme l’a détaillé M. Marc-Antoine Brillant ([226]), elles relèvent de quatre stratégies principales, qui dessinent les modalités opératoires dominantes des puissances étrangères malveillantes.

 Premièrement, une stratégie de division sociale : elle consiste à « polariser le débat public numérique sur des thèmes qui divisent », afin d’exacerber les antagonismes et de mobiliser les électeurs selon des logiques affectives ou identitaires. C’est notamment ce que l’on a pu détailler en analysant les deux exemples précédents.

– Deuxièmement, une stratégie de délégitimation procédurale : elle vise à « discréditer la procédure électorale », en suggérant qu’elle serait entachée de fraude ou d’irrégularités, à l’image des récits de type « to steal the vote » relevés aux États-Unis.

– Troisièmement, une stratégie d’hostilité informationnelle : elle consiste à « alimenter la défiance à l’égard des médias traditionnels », en les décrivant comme biaisés ou inféodés à des intérêts étrangers, dans le but de détourner leur audience vers des canaux de diffusion alternatifs et contrôlés.

– Quatrièmement, une stratégie de disqualification des acteurs politiques : elle vise à « mettre en cause la réputation de candidats ou de partis politiques engagés », en recourant à des pratiques de type « hack and leak », telles que celles observées en 2017 à l’occasion des MacronLeaks.

Toutefois, les menaces qui pèsent sur le débat et la qualité de l’information électorale française ne se résument pas à des campagnes de désinformation. Elles incluent également des attaques contre les infrastructures techniques des acteurs du système démocratique, notamment les partis politiques et les équipes de campagne. Ainsi, comme l’a rappelé M. Vincent Strubel, directeur général de l’ANSSI, « aujourd’hui, ce sont probablement les partis politiques et les campagnes électorales qui représentent le maillon le plus faible en termes de cybersécurité », ces structures étant assimilables à « des PME ou des start-ups », ne disposant pas de systèmes d’information suffisamment robustes face aux cybermenaces. Cette fragilité structurelle augmente la probabilité de succès d’attaques visant à dérober, altérer ou exploiter des données sensibles à des fins de manipulation des processus électoraux, y compris parfois avec des méthodes demandant peu de technicité comme les techniques d’hameçonnage.

Enfin, l’extension du périmètre de l’ingérence appelle à une vigilance accrue quant à la porosité entre influence économique privée et intervention étatique. En effet, interrogé sur l’éventuelle responsabilité d’Elon Musk dans le débat électoral en Allemagne, M. Brillant a déclaré de manière explicite que « toute utilisation par un acteur étranger, organisation ou individu, de techniques numériques majoritairement inauthentiques pour s’ingérer dans un débat public numérique lié à une élection […] caractérise une ingérence numérique étrangère. Or autour du compte d’Elon Musk, déjà très puissant sur X, gravitent d’autres comptes dont la mission est d’amplifier la visibilité des contenus qu’il publie : c’est le propre des procédés inauthentiques. Il s’agit donc bien d’une ingérence ». Cette affirmation souligne que les figures contemporaines de l’ingérence ne se limitent plus aux États souverains, mais incluent désormais des puissances économiques capables de jouer un rôle actif dans la perturbation du débat démocratique.

3.   Les modalités de l’ingérence numérique au cœur de la déstabilisation démocratique.

Comme l’ont révélé les auditions, l’ingérence étrangère contemporaine s’exerce, pour l’essentiel, dans l’espace numérique. Cette centralité du vecteur numérique s’explique par la combinaison de deux facteurs structurels. D’une part, la numérisation accélérée du débat public, de l’information journalistique et de la communication politique a profondément transformé les conditions de formation de l’opinion électorale. D’autre part, le faible coût et l’opacité des technologies numériques offrent aux puissances étrangères un levier d’action discret et potentiellement massif.

Ainsi, les campagnes d’ingérence numérique identifiées à l’échelle européenne et nationale se caractérisent-elles par la diversité de leurs modes opératoires. Viginum a identifié cinq modalités principales de mise en œuvre de ces manœuvres, qu’il convient de présenter distinctement, quand bien même elles peuvent parfois se combiner.

 Le premier mode opératoire est celui de l’astroturfing algorithmique. Il repose sur l’utilisation de comptes inauthentiques (bots, trolls, faux profils automatisés) visant à simuler une mobilisation organique. Selon M. Brillant, cette technique est mobilisée « pour amplifier artificiellement la visibilité d’un récit trompeur ou d’une thématique donnée », en donnant l’illusion d’un soutien populaire ou d’une indignation collective. Cette fausse orchestration numérique constitue une falsification de la réalité sociale perçue, susceptible d’influer sur les dynamiques d’adhésion ou de rejet dans le débat public.

 Le deuxième repose sur le recours à des influenceurs numériques, c’est-à-dire à des créateurs de contenus dont l’audience est mobilisée pour relayer des récits de désinformation. Cette modalité, plus subtile, consiste à « amplifier artificiellement la visibilité d’un récit trompeur ou d’une thématique donnée » grâce à des acteurs disposant d’une légitimité apparente auprès de leurs abonnés.

 Le troisième correspond à la production et diffusion d’images générées par intelligence artificielle. Selon M. Brillant, « les premières servaient à usurper l’identité d’un candidat ; depuis les élections de 2024, on observe que certaines, parfois humoristiques, accompagnent un texte ». Ce mode inclut également l’usage de « vidéos décontextualisées, par exemple une vidéo tournée pendant les mouvements de contestation de 2019 et placée dans un contexte électoral plus récent », destinées à discréditer un programme, un responsable ou une décision publique.

L’affaire du « Kleenex » : exemple topique d’une ingérence numérique au service de la déstabilisation

Le 9 mai 2025, à l’occasion d’un déplacement diplomatique en direction de Kiev, une vidéo du président de la République Emmanuel Macron, à bord d’un train en compagnie des chefs de gouvernement britannique et allemand, a fait l’objet d’une manipulation informationnelle sur les réseaux sociaux. Des comptes francophones pro-russes ont suggéré, en diffusant l’image, que le président aurait laissé apparaître un sachet de cocaïne, alors qu’il s’agissait en réalité un simple mouchoir en papier.

La rumeur, relayée par des comptes identifiés comme relais du Kremlin, a été interprétée par les autorités françaises comme une tentative de désinformation à visée déstabilisatrice. Cette opération s’inscrit dans un schéma déjà documenté de recyclage de récits infamants par l’écosystème informationnel russe, visant à affaiblir la légitimité des dirigeants européens et à détourner l’attention des signaux d’unité diplomatique occidentale en soutien à l’Ukraine.

La réponse institutionnelle à cette attaque a marqué une inflexion notable dans la doctrine de communication de l’exécutif français. Pour la première fois, le compte officiel de l’Élysée a publié une réaction en forme de mème sarcastique, déclarant : « Ceci est un mouchoir. Pour se moucher. Ceci est l’Union européenne. Pour faire avancer la paix. » Cette posture, inspirée des stratégies de riposte ukrainiennes mêlant ironie et pédagogie visuelle, rompt avec les usages traditionnels de la diplomatie française, jusqu’alors caractérisée par une retenue formelle, même en situation de crise informationnelle.

Source : William Audureau, « Pour répondre à la rumeur du mouchoir d’Emmanuel Macron, relayée par les sphères prorusses, l’Élysée a changé ses codes diplomatiques », Le Monde, 15 mai 2025.

 Le quatrième réside dans l’usurpation de l’identité de médias à l’aide du typosquatting. Cette méthode, exposée par M. Brillant, consiste à « créer un nom de domaine très proche d’un nom de domaine existant » afin de « tomber sur le site d’un média qui ressemble trait pour trait à celui dont [l’internaute] a l’habitude », tout en proposant un contenu biaisé. Cette tactique, selon lui, est caractéristique de « la campagne russe Doppelgänger », également appelée RRN (Reliable Recent News). Il a rappelé qu’« en 2023, sept pays européens étaient touchés ; en France, près de quinze médias étaient concernés ».

 Enfin, le cinquième mode consiste à falsifier l’identité de partis ou de candidats. À titre d’exemple, M. Brillant a signalé qu’« un faux site, ensemble-2024.fr ; inspiré de celui d’Ensemble pour la République, contenait des éléments inexacts et trompeurs » pendant les élections législatives de 2024. Ce procédé vise à semer la confusion chez l’électorat et à détourner l’intention de vote par la tromperie.

Toutefois, s’agissant de la mesure de l’impact de ces ingérences, M. Brillant a exprimé une réserve méthodologique : « Aucun indicateur de mesure ne fait l’objet d’un consensus académique. On utilise principalement les indicateurs de visibilité disponibles sur les plateformes – nombre de vues, de likes, de partages. Or on sait aujourd’hui qu’on peut douter de leur fiabilité » car ces indicateurs « ne témoignent que de la visibilité d’une publication, non de son influence ».

 

L’élection présidentielle roumaine de 2024 :
un exemple topique d’ingérence informationnelle

En février 2025, Viginum a publié un rapport sur la « Manipulation d’algorithmes et l’instrumentalisation d’influenceurs », revenant notamment sur l’épisode de l’élection présidentielle en Roumanie de novembre 2024. Comme le souligne le rapport, il s’agit du « premier scrutin démocratique majeur en Europe à avoir fait l’objet d’une décision d’annulation des résultats pour des soupçons d’ingérences étrangères ».

L’analyse conduite par le service met en lumière « une campagne numérique sophistiquée [...] centrée sur la manipulation de l’algorithme d’une plateforme particulièrement populaire en Roumanie, TikTok, et impliquant des écosystèmes de comptes prépositionnés ainsi que le recrutement d’influenceurs ».

Cette campagne a permis à un candidat jusqu’alors inconnu, Călin Georgescu, de recueillir près de 23 % des voix dès le premier tour, sans avoir déclaré de budget de campagne, alors qu’il était crédité de moins de 1 % d’intentions de vote un mois avant le scrutin.

Comme le souligne le rapport, « la croissance fulgurante de la visibilité du candidat sur la plateforme semble avoir été obtenue grâce à une campagne d’astroturfing sophistiquée », reposant sur « la publication massive de vidéos et de commentaires comportant certains hashtags et mots-clés », et s’appuyant sur « l’instrumentalisation de la popularité d’influenceurs rémunérés de manière dissimulée ». La plateforme TikTok elle-même a reconnu qu’il s’agissait de « l’action de bénévoles coordonnés », assimilable à une « campagne de guérilla politique de masse ».

Par ailleurs, plus d’une centaine d’influenceurs ont été sollicités pour relayer, contre rémunération, des messages incitant à voter, sans mentionner explicitement le nom du candidat. Leur contenu a ensuite été « inondé [...] de messages de soutien à Călin Georgescu » dans l’espace des commentaires, créant artificiellement l’impression d’un « soutien populaire massif ».

Les autorités roumaines ont constaté que ces contenus n’étaient ni identifiés comme des partenariats rémunérés, ni conformes à la réglementation en matière de propagande électorale. Ces irrégularités ont conduit la Cour constitutionnelle roumaine à annuler les résultats de l’élection, considérant que les manœuvres observées avaient « faussé le caractère libre et équitable du vote ».

Enfin, Viginum souligne que les modalités de cette campagne (manipulation algorithmique, instrumentalisation d’influenceurs, usage de structures d’intermédiation opaques) « semblent aujourd’hui facilement reproductibles à grande échelle » et pourraient être transposées au contexte français, compte tenu notamment de la « croissance de l’audience politique de TikTok » et de l’existence d’« écosystèmes de comptes [...] susceptibles d’être activés par un acteur étatique étranger ».

B.   Le cadre institutionnel et normatif applicable à la lutte contre les ingérences.

La tentative de caractérisation des ingérences étrangères dans le processus électoral, ainsi réalisée, met en évidence des stratégies coordonnées visant à fragiliser le débat démocratique. Pour y répondre, les pouvoirs publics ont progressivement mis en place un cadre institutionnel et juridique destiné à prévenir ces menaces, à les détecter et à y faire obstacle.

Il convient de distinguer, dans l’appréhension juridique de la menace, d’une part les ingérences étrangères au sens large, qui relèvent des tentatives d’influence politique, diplomatique ou économique d’un État étranger sur la vie publique nationale, et d’autre part les ingérences numériques étrangères, entendues comme les manipulations de l’information déployées en ligne, souvent de manière automatisée ou dissimulée, et visant à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Cette dernière catégorie, plus récente et plus difficile à encadrer, a fait l’objet d’un effort normatif et institutionnel spécifique depuis 2017.

1.   Les acteurs institutionnels.

La lutte contre les ingérences étrangères repose en France sur un écosystème institutionnel composite et interministériel.

S’agissant des ingérences au sens large, la compétence est partagée entre les services de renseignement, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), et les ministères régaliens, notamment l’intérieur et les affaires étrangères.

S’agissant plus spécifiquement des ingérences numériques étrangères, la France s’est dotée en 2021, par décret, d’un service à compétence nationale : Viginum, rattaché au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Ce service a pour mission de « détecter et caractériser les ingérences numériques étrangères », en se fondant sur l’analyse des modalités de diffusion et non des contenus eux-mêmes. Comme l’a précisé le chef de ce service, Marc-Antoine Brillant, Viginum « n’est pas un service de renseignement ni de police », mais procède « à un traitement automatisé de données à caractère personnel » pour identifier des campagnes de manipulation.

Le service travaille ainsi en coordination étroite avec un ensemble élargi d’acteurs institutionnels, dont les missions se complètent dans la détection, la caractérisation, la régulation et la prévention des campagnes d’ingérence numérique étrangère, en particulier en période électorale. Comme l’a souligné Marc-Antoine Brillant, « pour protéger les élections, Viginum n’est pas seul ; il prend place dans un dispositif plus vaste, créé en 2022 pour les scrutins présidentiel et législatifs, et dont le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) assure la gouvernance ». Ce dernier est en effet chargé « d’identifier les opérations d’ingérence numérique étrangère et de coordonner les travaux de protection », notamment au sein d’un comité interministériel, « présidé par le SGDSN », et chargé de « partager les informations et de définir des réponses spécifiques aux manœuvres d’ingérence identifiées ». Ce comité travaille en lien direct « avec l’Arcom, avec le juge électoral si nécessaire, et avec le bureau des élections politiques du ministère de l’intérieur, chargé de l’organisation des élections ».

Le rôle de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) est double : d’une part, elle reçoit les signalements caractérisés par Viginum, en application des lois du 22 décembre 2018 ; d’autre part, elle participe à la gouvernance du dispositif de veille. Comme l’a indiqué Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, « nous sommes associés à la gouvernance de Viginum ; je constate que les ingérences sont aujourd’hui bien mieux repérées et les pouvoirs publics de notre pays sont en bien meilleure situation qu’ils ne l’étaient en 2017, au moment des MacronLeaks, pour réagir aux éventuelles ingérences étrangères ».

Le bureau des élections politiques du ministère de l’intérieur est également un acteur-clé de ce dispositif. Il a pour mission de superviser les opérations électorales, de sensibiliser les préfets à la menace informationnelle et de relayer les dispositifs de détection. Comme l’a précisé M. Alex Gadré ([227]), « la mission principale du bureau des élections politiques consiste à superviser l’ensemble des opérations électorales […] et à sensibiliser les préfets à la lutte contre les ingérences et aux dispositifs de signalement qui s’appuient sur Viginum ».

Il convient aussi de mentionner Pharos, la plateforme nationale de signalement des contenus illicites en ligne, qui dépend également du ministère de l’intérieur. M. Gadré, précise ainsi que « pour la régulation des réseaux sociaux, en cas d’imputation pénale, le dispositif Pharos est intégré au ministère de l’Intérieur. Dans les faits, le bureau des élections relaie ce dispositif et est intégré à cet écosystème de veille, lequel relève en premier lieu de l’Arcom, de Viginum et de Pharos ».

Enfin, à l’échelle européenne, la France est intégrée au système d’alerte rapide du Service européen pour l’action extérieure, dispositif de coopération entre les États membres de l’Union européenne, destiné à détecter, signaler et contrer les campagnes numériques inauthentiques en période électorale. M. Brillant en a décrit le fonctionnement lors de son audition : « au niveau européen, le réseau nommé système d’alerte rapide, qui dépend du Service européen pour l’action extérieure, relie les autorités des États membres compétentes en matière électorale. Il permet de signaler la détection de comportements malveillants inauthentiques, en particulier dans le cadre des élections européennes ».

2.   Les textes en vigueur applicables à la lutte contre l’ingérence étrangère.

À l’échelle nationale, la première inflexion normative substantielle en faveur de la lutte contre les ingérences étrangères est intervenue avec les lois organique et ordinaire du 22 décembre 2018 relatives à la lutte contre la manipulation de l’information, laquelle a posé les premiers jalons d’une définition légale des ingérences informationnelles numériques.

Comme l’a expliqué Marc-Antoine Brillant, « la décision du Conseil constitutionnel sur la loi organique du 22 décembre 2018 […] établit deux critères de manipulation de l’information : le comportement – une diffusion “artificielle ou automatisée, massive et délibérée” – et le contenu – “allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait” ».

À ces critères initiaux, la doctrine administrative a ajouté deux éléments permettant de faire entrer la manipulation dans le champ de la sécurité nationale. Selon M. Brillant, « afin de placer cette menace dans le champ de la sécurité nationale, nous avons ajouté […] l’implication directe ou indirecte d’un État étranger ou d’une entité non étatique étrangère et la volonté de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ». Ces derniers incluent notamment « les processus électoraux, la politique étrangère, la présence militaire de la France à l’étranger et les éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel ».

Par ailleurs, les lois du 22 décembre 2018 ([228]) ont également « renforcé le pouvoir de l’Arcom sur les plateformes en ligne », ainsi que « celui du juge des référés, qui peut prononcer dans les quarante-huit heures le retrait d’un contenu jugé illicite », comme l’a souligné M. Brillant. Concrètement, ces deux textes créent :

Une nouvelle voie de référé civil visant à faire cesser la diffusion de fausses informations durant les trois mois précédant un scrutin national (quand il est saisi, le juge des référés doit apprécier, sous 48 heures, si ces fausses informations sont diffusées « de manière artificielle ou automatisée » et « massive ») ;

Une obligation pour les plateformes numériques de transparence lorsqu’elles diffusent des contenus contre rémunération (celles qui dépassent un certain volume de connexions par jour doivent avoir un représentant légal en France et rendre publics leurs algorithmes) ;

La possibilité pour l’Arcom d’empêcher, suspendre ou interrompre la diffusion de services de télévision contrôlés par un État étranger ou sous l’influence de cet État, et portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.

À l’échelle européenne, le cadre juridique s’est étoffé avec le règlement du 19 octobre 2022, dit Digital Services Act (DSA). Ce texte impose aux grandes plateformes en ligne des obligations renforcées de transparence, de modération et de coopération avec les autorités nationales. Comme l’a précisé M. Brillant, ce règlement « organise la prise en charge et l’atténuation des risques systémiques provoqués par l’utilisation malveillante des plateformes en ligne ».

Ce corpus est enfin complété par des dispositifs non normatifs mais à vocation opérationnelle, tels que le système d’alerte rapide du Service européen pour l’action extérieure, qui « relie les autorités des États membres compétentes en matière électorale » et permet « de signaler la détection de comportements malveillants inauthentiques, en particulier dans le cadre des élections européennes ».

C.   Face aux ingérences étrangères : renforcer nos anticorps républicains et nos moyens d’action.

L’examen du cadre institutionnel et juridique en vigueur met en lumière les avancées notables réalisées depuis 2018 en matière de lutte contre les ingérences étrangères, en particulier numériques. Toutefois, les auditions ont également révélé les limites de ces dispositifs, tant en matière de moyens que de coordination, de sensibilisation ou de régulation.

Dès lors, au regard de l’intensification et de la sophistication croissante des menaces, votre rapporteur estime nécessaire de franchir une étape supplémentaire en formulant des propositions concrètes visant à sanctuariser le processus électoral et l’abriter de tout risque d’ingérence. Celles-ci s’articulent autour de trois priorités : le renforcement des capacités institutionnelles, l’élévation du niveau de robustesse informationnelle de la société, et l’encadrement plus strict des vecteurs privés de désinformation.

1.   De la nécessité de renforcer la coordination et les moyens du dispositif national de lutte contre les ingérences numériques étrangères.

Plusieurs acteurs auditionnés dans le cadre des travaux de la commission d’enquête ont souligné la nécessité de conforter le dispositif existant en matière de lutte contre les ingérences étrangères. Ainsi, Marc-Antoine Brillant a rappelé que, jusqu’en 2021, « la France ne disposait d’aucune agence ou dispositif interministériel à même de nous protéger contre la manipulation de l’information ». De ce point de vue, votre rapporteur salue le travail réalisé par Viginum. Très critique de son tropisme « américano-centré » à sa création, votre rapporteur a pu constater lors de son audition une évolution salutaire de cette agence pour prendre en compte les risques d’ingérence de manière beaucoup plus globale. Néanmoins, et face à l’augmentation des risques d’ingérence qui pèsent sur notre pays, en particulier au moment des élections, votre rapporteur suggère d’assigner une priorité au développement des moyens humains et financiers des acteurs institutionnels chargés de lutter contre les ingérences en France, en particulier Viginum.

Recommandation n° 73 : Renforcer les moyens humains, techniques et financiers alloués aux services institutionnels chargés de la lutte contre les ingérences étrangères, en particulier Viginum, afin de consolider durablement leurs capacités de détection, de riposte et de coordination.

2.   De l’importance d’accroître la formation des citoyens et des institutions à la vigilance informationnelle

Plusieurs auditions pointent la nécessité de renforcer les capacités de discernement du public face aux tentatives de manipulation. Comme l’indique Marc-Antoine Brillant, « l’outil le plus puissant pour lutter contre les ingérences étrangères, c’est l’esprit critique ». À ce titre, il apparaît plus que jamais nécessaire de « massifier l’information donnée au grand public sur les modes opératoires » utilisés dans les campagnes d’ingérence. L’idée émise par M. Brillant de « création d’un site internet et des campagnes de sensibilisation sur le modèle de ce qui se fait en matière de sécurité routière » semble bonne, en ce qu’elle met l’accent sur la nécessaire approche préventive de la lutte contre les ingérences.

Plus spécifiquement, il convient, selon les termes employés par M. Brillant, « d’outiller la société civile » afin que celle-ci devienne un acteur autonome et proactif de la détection des ingérences. Tel est notamment le sens du travail conduit par le Datalab de Viginum, qui a développé un outil d’intelligence artificielle nommé « 3-delta », conçu pour repérer les duplications inauthentiques de contenus. Un dérivé de cet outil a été mis à disposition sur GitHub, à destination des médias, du monde académique et des partenaires étrangers, dans une logique de mutualisation des capacités de veille.

Recommandation n° 74 : Renforcer les anticorps républicains de notre pays et l’unité du peuple français par la mise en place d’un plan national de lutte contre le racisme et la xénophobie, construit en lien avec la CNCDH et la Défenseure des droits.

Recommandation n° 75 : Construire une stratégie nationale de développement de l’esprit critique, impliquant les acteurs de la lutte contre les ingérences étrangères, à destination des usagers du numérique face aux risques induits par la manipulation de l’information.

3.   De la nécessité de réguler plus efficacement les instruments privés de diffusion et de manipulation de l’information.

L’usage croissant des plateformes numériques et des influenceurs dans les campagnes d’ingérence informationnelle appelle également à un encadrement juridique renforcé. Comme l’a exposé Marc-Antoine Brillant, l’un des vecteurs principaux de manipulation consiste à « amplifier artificiellement la visibilité d’un récit trompeur » en recourant à des influenceurs « parfois instrumentalisés à leur insu ». Par ailleurs, votre rapporteur tient à réaffirmer la nécessité de contraindre les plateformes à coopérer pleinement avec les autorités nationales. À cet égard, le président de l’Arcom, Roch-Olivier Maistre, souligne que « les ingérences sont aujourd’hui bien mieux repérées » qu’en 2017, mais que cette amélioration tient à une vigilance accrue des pouvoirs publics, et non à un changement structurel des comportements des plateformes.

Enfin, dans un contexte où la porosité entre puissances étatiques et entreprises numériques se fait plus manifeste, votre rapporteur souhaite souligner l’importance de « caractériser comme une ingérence numérique étrangère » toute tentative de manipulation du débat électoral par un acteur économique étranger utilisant des techniques inauthentiques, qu’il s’agisse d’une organisation ou d’un individu.

Recommandation n° 76 : Consacrer juridiquement l’extension de la définition de l’ingérence numérique étrangère pour y inclure explicitement les tentatives de manipulation du débat électoral menées par des acteurs économiques étrangers recourant à des techniques inauthentiques, qu’il s’agisse d’organisations ou d’individus.

III.   Des ingérences étrangères aux ingérences financières : quand les ultra-riches veulent manipuler les élections

La commission d’enquête a souhaité interroger les effets de la concentration croissante, aux mains d’acteurs privés aux desseins politiques plus ou moins affichés, de certains outils essentiels à la tenue, dans de bonnes conditions, d’une campagne électorale.

Dans cette perspective, ses travaux la conduisent à lancer une alerte concernant deux tendances préoccupantes : la première ne figurait pas de manière explicite dans le champ de son enquête mais s’est imposée au fil des travaux et des auditions, il s’agit de la captation de médias d’information par des groupes financiers  mobilisant des investissements massifs dans une logique de positionnement idéologique ; la seconde, plus récente, consiste dans l’usage direct d’une puissance financière avérée à des fins d’ingénierie politique, selon des modalités échappant aux cadres classiques de régulation de la vie politique.

A.   La captation croissante des médias par des intérêts économiques au prisme idéologique affiché.

Au cours des dernières décennies, la concentration des médias en France s’est intensifiée, suscitant légitimement des inquiétudes dès lors que l’information et l’expression du pluralisme devenaient dépendantes d’acteurs privés disposant de leur propre agenda.

Aujourd’hui, force est de constater qu’une poignée de grands groupes industriels et financiers détient en France une part significative des organes de presse et des chaînes audiovisuelles. Cette concentration soulève des questions sur leur capacité à offrir une couverture équilibrée et diversifiée de l’information en période électorale et, de ce fait, à formater l’opinion là où les médias ont surtout vocation à l’éclairer.

1.   L’intrusion de logiques d’influence dans les décisions d’investissements médiatiques.

La structuration actuelle du paysage médiatique s’accompagne d’un phénomène désormais bien identifié par plusieurs travaux parlementaires : l’entrée massive dans la sphère médiatique de puissances économiques souvent animées par des finalités de positionnement idéologique ou stratégique. Le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la concentration dans les médias, publié le 29 mars 2022, constate ainsi que « la possession des médias par des capitaines d’industrie » constitue une spécificité française, citant notamment les cas de Xavier Niel (NJJ), Vincent Bolloré (Vivendi), Bernard Arnault (LVMH) ou encore Patrick Drahi (Altice). 

Cette orientation est d’autant plus préoccupante qu’elle se manifeste par des stratégies d’intégration verticale et diagonale clairement établies, visant à contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur de l’information, de la production au mode de diffusion, en passant par l’édition et le commentaire. Certains médias finissent par enfermer les citoyens dans leurs certitudes, à l’image des bulles cognitives que certains algorithmes génèrent sur les réseaux sociaux.

Cette tendance n’est pas fortuite. Selon le rapport d’enquête sénatorial, elle conduit à une fragilisation structurelle de l’indépendance éditoriale, qui ne peut être qu’exacerbée en période électorale ([229]). Plusieurs auditions menées par les sénateurs ont en effet documenté des cas où l’intervention, directe ou indirecte, des actionnaires dans la ligne éditoriale des médias a pu être observée, et où « une forme de pression souvent insidieuse » a été exercée sur les rédactions, entraînant une remise en question « de la diversité et de la crédibilité de l’information transmise ».

2.   Le groupe Bolloré : un empire médiatique au service d’une stratégie idéologique et électorale.

L’empire médiatique constitué par Vincent Bolloré illustre les risques que fait peser la concentration des médias sur le pluralisme de l’information et l’intégrité du débat démocratique, notamment en période électorale. À ce titre, les travaux réalisés par la commission d’enquête sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre, clôturée le 7 mai 2024, permettent d’en avoir une meilleure compréhension.

Depuis sa prise de contrôle du groupe Canal+ en 2015, Vincent Bolloré a progressivement étendu son influence sur le paysage médiatique français. Cette expansion s’est traduite par la prise de contrôle de chaînes de télévision (C8, CNews, CStar), de radios (Europe 1, RFM), de titres de presse (Le Journal du Dimanche, Paris Match) et de maisons d’édition (Editis).

La stratégie éditoriale mise en œuvre par le groupe Bolloré est marquée par une orientation idéologique affirmée. Elle a fait l’objet de plusieurs mises en demeure de l’Arcom pour des manquements au principe de pluralisme dans les débats d’antenne. Cette orientation éditoriale a contribué à une polarisation du débat public, favorisant la montée en puissance de certaines forces politiques.

La « galaxie » des « médias bolloré »

Source : commission d’enquête du Sénat : « À l’heure du numérique, la concentration des médias en question ? – Rapport », déposé le 29 mars 2022.

 

À cette stratégie d’occupation du temps d’antenne, viennent s’ajouter d’autres moyens : ainsi Vincent Bolloré contrôle-t-il l’institut de sondage CSA, via le groupe Havas. Or on notera avec intérêt que sur le site internet de la chaîne supposée d’information CNews, figure un onglet des sondages réalisés par l’institut CSA dont les thématiques résument bien l’agenda projeté.

L’onglet consacré aux sondages CSA sur le site internet de la chaîne CNEWS

 

Plus récemment, le groupe Bolloré a investi une nouvelle activité, à savoir les pratiques de ciblage électoral mises en place pour influencer l’opinion publique. Selon une enquête de La Lettre, la société Progressif Media, soutenue par Vincent Bolloré, propose ainsi des services de marketing politique et de ciblage électoral, notamment en vue des élections municipales de 2026. Cette société, dont le groupe Vivendi est actionnaire minoritaire, a été dénoncée pour des campagnes de désinformation en ligne, notamment contre l’ONG Reporters sans frontières ([230]).

L’enquête du média « La Lettre » sur l’agence Progressif média.

Selon une enquête publiée par La Lettre le 5 mai 2025, l’agence Progressif Media, dont le groupe Vivendi est actionnaire minoritaire à hauteur de 14,1 %, développe des activités de communication politique sous couvert d’une structure écran dénommée « NVLR ». Hébergée dans les locaux parisiens de médias appartenant à l’univers Bolloré (CNews, Europe 1, Le Journal du Dimanche), cette société propose en sous-main une offre complète de ciblage électoral, incluant l’analyse des bassins électoraux, la définition de stratégies de positionnement, la production de supports de communication et la mobilisation numérique. Présentée comme une « agence de communication et de marketing », NVLR promet à ses clients une « confidentialité absolue » et opère via des « environnements numériques ultra-sécurisés, hors des regards, hors des radars ».

Cofondée par Émile Duport, connu pour ses engagements conservateurs et ses liens avec des mouvances identitaires, Progressif Media a été impliquée dans la réalisation de contenus de campagne pour des candidats soutenus par Éric Ciotti lors des législatives de 2024, et aurait participé à des opérations de désinformation visant l’ONG Reporters sans frontières.

Source : La Lettre, « Soutenue par Vincent Bolloré, l’agence d’influence Progressif Media se lance dans la bataille électorale », article publié le 5 mai 2025

Ces exemples montrent qu’au-delà de la seule concentration des médias, l’utilisation de ressources financières considérables à des fins idéologiques constitue un phénomène réel et inquiétant pour la bonne tenue du débat politique. Les auditions menées par votre rapporteur ont cependant mis en lumière une initiative qui va au bout de cette logique de privatisation du débat électoral, avec le projet Périclès initié par Pierre-Édouard Stérin.

B.   Le projet Périclès, ou l’illustration de l’utilisation de la puissance financière au service d’un projet idéologique.

Le projet Périclès (pour « Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes ») a été révélé par le journal L’Humanité dans un article de Thomas Lemahieu publié le 19 juillet 2024. Point de départ de toutes les enquêtes réalisées depuis sur le sujet, cet article révélait notamment que le projet Périclès, initié par le milliardaire Pierre-Édouard Stérin, François Durvye (Otium Capital, et aujourd’hui l’un des conseillers du Rassemblement national) et Alban du Rostu, visait un triple objectif de « victoire idéologique », de « victoire électorale » et de « victoire politique », tout en présentant une série de personnes classées à droite et à l’extrême droite, avec lesquelles était signalée l’ambition affichée de « construire une présence proche des dirigeants de demain ».

Quelques objectifs du projet Périclès.

Le projet Périclès, dans un document révélé par le journal L’Humanité, explicite clairement trois objectifs qui étaient directement en lien avec notre commission d’enquête sur l’organisation des élections en France. Ces trois objectifs sont définis comme les « trois objectifs pour servir et sauver la France » et sont présentés comme tels :

1.      Victoire idéologique : rendre nos idées majoritaires dès maintenant

-          Promouvoir nos idées de façon claire, argumentée et cohérente (médias, réseaux sociaux, production intellectuelle)

-          Imposer nos thèmes et en maîtriser la fenêtre d’Overton (production audiovisuelle, influenceurs, porte-parole, leaders d’opinion)

-          Décrédibiliser et attaquer les idées adverses (réalité des faits/chiffres, shaming, procès)

2.      Victoire électorale : faire la différence lors des élections d’ici à deux ans

-          Identifier les élections prioritaires sur lesquelles agir et déterminer quels candidats alignés (vision commune et ouverte à l’union) ont le plus de chance de victoire

-          Former au combat électoral ces candidats (stratégie, communication, choix des thèmes)

-          Mettre à leur disposition tous les outils nécessaires (big data, médias, ressources humaines, financement)

3.      Victoire politique : permettre l’exercice réussi du pouvoir dès la prochaine échéance

-          Mettre à disposition un programme cohérent et global (think tank, livre blanc pour les municipales, shadow cabinet)

-          Construire une relation de confiance avec tous les leaders de la droite de demain pour les faire travailler ensemble en cas de victoire électorale

-          Fournir une réserve d’hommes de pouvoir prêts à servir à tous les postes clés (cabinets, structures parapubliques, haute administration)

-          Développer les réseaux relais nécessaires (médias, finance, organismes internationaux)

Par ailleurs, le même document indique : « Notre projet découle d’un ensemble de valeurs clés », définies comme telles : Liberté individuelle et d’entreprendre ; Propriété privée ; Subsidiarité ; Le vrai, le bien, le beau ; La famille, base de la société ; Place particulière du christianisme ; Enracinement dans un terroir ; Fierté de notre histoire, notre identité, notre culture ; Unité, cohésion et confiance.

Parmi les « tendances que nous combattons » figurent les éléments suivants : Hyperétatisme ; Socialisme et assistanat ; Lois liberticides ; Wokisme ; Refus des limites ; Laïcité agressive ; Refus de la préférence nationale ; Islamisme ; Immigration incontrôlée.

Enfin, ce projet présente également une série de personnalités politiques avec lesquelles il existe déjà des relations de confiance, en particulier Marine Le Pen et Jordan Bardella, et d’autres avec lesquelles en établir de nouvelles.

 

Document de présentation du projet Périclès révélé par le journal L’Humanité.


Source : site internet du journal L’Humanité.

Face à l’ampleur des éléments révélés par L’Humanité, ainsi que par d’autres organes de presse, la commission d’enquête a d’abord souhaité auditionner r M. Arnaud Rérolle, directeur général de la structure Périclès. M. Rérolle a défini Périclès comme une initiative politique et « métapolitique » ([231]), animée par la volonté de « susciter, conseiller et financer des initiatives citoyennes en vue de constituer un écosystème économique et politique favorable au développement de la France » ([232]). Cette déclaration s’inscrit dans une stratégie assumée d’orientation idéologique : « Nous ne prétendons pas être apolitiques et assumons pleinement notre positionnement à droite – Pierre-Édouard Stérin dirait qu’il se trouve au centre de la droite. » ([233])

1.   Le fonctionnement du projet Périclès.

Selon Arnaud Rérolle, cette entreprise repose sur le constat, partagé avec son fondateur Pierre-Édouard Stérin, d’un déséquilibre idéologique dans le paysage institutionnel français : « il n’existe aucune organisation cherchant à soutenir et à faire émerger, de manière structurée, des initiatives citoyennes promouvant dans le débat public les valeurs libérales et conservatrices auxquelles nous sommes attachés ».

L’audition de M. Rérolle devant notre commission d’enquête a permis de lever le voile sur la structure juridique de l’organisation, qui repose sur deux entités : une société par actions simplifiée (SAS), détenue à 100 % par une holding belge dénommée Graal Holding, propriété personnelle de Pierre-Édouard Stérin, et une association nommée Forum Liberté Prospérité, enregistrée en septembre 2024. Cette dernière est dirigée par Arnaud Rérolle et Philippe de Gestas, et édite notamment le site internet du projet. Arnaud Rérolle précise que cette association « ne reçoit aucun financement de Pierre-Édouard Stérin », mais que la SAS constitue l’organe opérationnel central de l’initiative.

Le projet s’articule autour de plusieurs axes stratégiques :

– La mise en place d’une école destinée à former des candidats aux élections municipales de 2026, avec pour objectif de constituer une réserve de mille candidats et experts prêts à occuper des postes gouvernementaux en cas de victoire électorale ;

– La collaboration avec des partis tels que le Rassemblement National (RN), en fournissant des conseils stratégiques et en participant à l’élaboration de programmes électoraux ([234]), ou encore l’UDR, en fournissant un vivier de candidats pour les élections législatives ([235]) ;

– Le lancement ou l’acquisition de centres de réflexion pour influencer le débat public et promouvoir les idées défendues par le projet Périclès ;

– Un engagement dans des campagnes juridiques sur des thématiques chères au fondateur, telles que l’immigration ou l’islam, afin de peser sur les décisions politiques et judiciaires ([236]) ;

– Le financement de médias et de plateformes numériques pour diffuser les idées du projet et influencer l’opinion publique.

Comme le rappelle Arnaud Rérolle, « depuis le lancement de Périclès, nous avons étudié plus de 600 dossiers et en avons retenu moins de 15 %, ce qui montre la grande rigueur et l’exigence de nos équipes. Nous avons déployé environ 8 millions d’euros en 2024 pour soutenir une cinquantaine d’initiatives et nous ambitionnons, en 2025, de déployer une vingtaine de millions d’euros pour un nombre similaire de projets. » Et le directeur général d’ajouter : « à ce jour Pierre-Édouard Stérin est, à titre personnel, l’unique contributeur financier de Périclès, mais nous envisageons de diversifier nos ressources dès cette année et d’attirer d’autres contributeurs susceptibles d’être intéressés par nos actions ».

2.   Les dangers que fait peser le projet Périclès sur la qualité des débats politiques en France et la stabilité démocratique.

a.   Une stratégie d’influence à la frontière du droit électoral ?

Bien qu’Arnaud Rérolle affirme que la structure « ne forme pas de candidats et n’en accompagne pas, ni gracieusement ni de manière rémunérée », il admet soutenir des organisations qui proposent des formations ou des outils à des personnes susceptibles de se présenter à des mandats électifs. À cet égard, le soutien accordé à l’association Politicae, qui vise explicitement à outiller les futurs candidats aux élections municipales, en constitue un exemple.

Cette approche indirecte pourrait être perçue comme une tentative de contournement de l’article L. 52-8 du code électoral, qui interdit à toute personne morale de participer au financement d’une campagne électorale.

Alinéas 1 et 2 de l’article L. 52-8 du code électoral.

Une personne physique peut verser un don à un candidat si elle est de nationalité française ou si elle réside en France. Les dons consentis par une personne physique dûment identifiée pour le financement de la campagne d’un ou plusieurs candidats lors des mêmes élections ne peuvent excéder 4 600 euros.

Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. Les personnes morales, à l’exception des partis et groupements politiques ainsi que des établissements de crédit ou sociétés de financement ayant leur siège social dans un État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen, ne peuvent ni consentir des prêts à un candidat, ni lui apporter leur garantie pour l’obtention de prêts.

En effet, le recours à des tiers pour fournir ces prestations en période préélectorale laisse ouverte la possibilité d’une captation indirecte d’avantages matériels par un candidat, sans que ceux-ci soient intégrés à son compte de campagne. Ce déport du soutien vers des entités intermédiaires rend d’autant plus difficile le contrôle effectif de la régularité financière des campagnes.

Jean-Philippe Vachia ([237]), président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), a ainsi exprimé devant la commission son inquiétude sur cette zone grise juridique : « il me semble que ses concepteurs [du projet Périclès] n’ont pas une connaissance approfondie de la législation française sur les campagnes électorales et le financement des partis politiques. J’ai même l’impression qu’ils l’ont totalement ignorée, se projetant dans un contexte anglo-saxon, voire spécifiquement américain. ». Et le président de souligner qu’il était « crucial de rappeler que les partis politiques en France sont soumis à des restrictions strictes concernant leurs sources de financement. Ils ne peuvent compter que sur l’aide publique, les dons des personnes physiques, les dons des personnes morales étant interdits depuis 1995, contrairement à d’autres pays comme l’Allemagne –, ainsi que sur des prêts de personnes physiques et des prêts bancaires. »

Le projet Périclès met ainsi en lumière un angle mort de la législation française : celui des actions menées en amont ou en périphérie des campagnes officielles, par des entités disposant de moyens importants et poursuivant une stratégie d’influence structurée. Il apparaît dès lors nécessaire d’adapter le cadre juridique, non seulement pour assurer une meilleure traçabilité des financements, mais aussi pour prévenir tout contournement, même indirect, des principes de sincérité, d’égalité et de transparence du débat démocratique.

 

Recommandation n° 77 : Clarifier les dispositions de l’article L. 52-12 du code électoral, en précisant les types de dépenses devant obligatoirement figurer dans le compte de campagne, y compris lorsqu’elles sont engagées par un tiers avec l’accord ou au bénéfice du candidat.

Recommandation n° 78 : Étendre les prérogatives de la CNCCFP, en lui reconnaissant un droit de communication direct auprès des prestataires ou partenaires des candidats, afin de garantir la vérifiabilité des flux financiers et l’identification des bénéficiaires réels.

Recommandation n° 79 : Renforcer les pouvoirs de vérification de la CNCCFP par l’instauration de contrôles sur pièces et sur place, portant non seulement sur les comptes des candidats, mais également sur ceux des partis et associations de soutien, afin de prévenir tout financement détourné.

Recommandation n° 80 : Créer un pouvoir de saisine de Tracfin par la CNCCFP pour vérifier la traçabilité d’opérations financières en lien avec le financement de la vie politique et des campagnes électorales.

b.   Une opacité susceptible d’accroître la défiance démocratique et de renforcer la crise du vote.

L’un des traits les plus préoccupants du projet Périclès tient à l’ambiguïté qui entoure sa gouvernance, ses modalités d’action et ses finalités effectives. Si la structure revendique une volonté de transparence, force est de constater que les éléments rendus publics sont à la fois fragmentaires, évolutifs et parfois contradictoires. Cette opacité structurelle, lorsqu’elle concerne une initiative qui agit délibérément à l’interface des processus électoraux, est de nature à fragiliser le niveau de confiance des citoyens à l’égard des institutions politiques.

Dans un contexte où l’abstention atteint des niveaux inédits et où les électeurs peuvent manquer de confiance dans la capacité du processus électoral à permettre de changer les choses, la perception d’une captation du débat public par des acteurs dotés d’importantes ressources financières aggrave les sentiments d’impuissance et d’inégalité civiques.

Car si Périclès n’a pas le statut d’un parti politique, ni celui d’un média, ni celui d’une institution de formation, il cumule en réalité des fonctions qui relèvent de chacune de ces catégories. Il est donc urgent, dans une perspective de préservation de la qualité du débat démocratique, de caractériser et encadrer juridiquement ces formes hybrides d’intervention, qui mobilisent une rhétorique politique tout en agissant selon des intérêts privés.

L’audition d’Arnaud Rérolle par la commission d’enquête a mis en lumière ce brouillage délibéré des rôles et des intentions. Lorsqu’il indique que Périclès est à la fois une SAS, une association, une pépinière de projets, une plateforme d’investissement, un centre d’orientation idéologique et un outil de professionnalisation politique, il révèle une plasticité organisationnelle qui rend difficile tout exercice de contrôle externe. En l’absence d’un statut adapté à ces entités dites « métapolitiques », leur action échappe largement aux exigences de transparence et de pluralisme qui fondent la légitimité du débat électoral.

Dans ce contexte, il apparaît indispensable que le Parlement engage une enquête approfondie sur les pratiques, les structures de financement, les réseaux d’influence et les partenariats de telles entités. L’examen du cas Périclès doit être compris comme le jalon inaugural d’une réflexion plus large sur la recomposition du débat politique.

Si le projet Périclès et les modalités de son financement ont bien été évoqués à l’occasion de plusieurs auditions menées dans le cadre de nos travaux, ceux-ci ne relevaient pas directement du périmètre de la présente commission d’enquête, centrée sur l’organisation des élections en France au sens strict. Ces éléments mériteraient toutefois, au regard des enjeux qu’ils soulèvent en matière d’ingérences financières dans la vie démocratique, de faire l’objet d’une commission d’enquête distincte. Votre rapporteur appelle donc à créer une nouvelle commission d’enquête dédiée au projet Périclès, et plus largement aux ingérences financières dans les élections en France.

Recommandation n° 81 : Mettre en place une commission d’enquête parlementaire consacrée au projet Périclès et, plus largement, aux tentatives d’ingérences financières dans les élections, en s’intéressant particulièrement aux effets de ces tentatives sur la qualité du débat démocratique, aux activités impliquées, aux modes de financements de ces activités et aux liens avec les formations politiques.

c.   Interroger les mécanismes actuels de prêts aux partis et aux campagnes.

La question soulevée par l’existence du projet Périclès interroge, plus largement, les mécanismes de prêts aux candidats et partis politiques. Bien que les dons soient strictement encadrés (plafonnés à 4 600 euros ([238]) par élection pour un candidat et à 7 500 euros par an pour un parti politique), les prêts accordés par des particuliers ne sont soumis à aucun plafond spécifique, à condition qu’ils ne soient pas effectués à titre habituel et que leur durée n’excède pas cinq ans ([239]). Cette absence de plafonnement crée une brèche dans le dispositif de transparence financière, permettant à des individus fortunés, y compris ceux résidant à l’étranger, d’exercer une influence disproportionnée sur le financement de la vie politique.

Ainsi, et comme l’a révélé le Nouvel Obs ([240]), Marion Maréchal aurait bénéficié, à quelques jours de la date limite de dépôt de son compte de campagne à l’élection européenne de 2024, d’un prêt de particulier de 800 000 euros qui lui aurait permis de boucler à l’équilibre son budget en recettes et en dépenses. Une obligation qui, non respectée, peut conduire à l’inéligibilité. D’après L’Obs, les fonds ont transité d’abord par sa formation politique « Identité Libertés ». Or, une telle somme peut constituer pour celui qui la verse un outil d’influence, puisqu’il place celui qui contracte le prêt dans une forme de dépendance financière vis-à-vis de lui. Il apparaît donc nécessaire d’encadrer cette pratique afin d’éviter de rendre possible des ingérences financières dans les campagnes électorales comme dans la vie des partis politiques.

Par ailleurs, la législation actuelle n’interdit pas explicitement les prêts de particuliers ne résidant pas en France ([241]) , tant que ceux-ci ne sont pas effectués à titre habituel. Cette situation soulève des préoccupations quant à la souveraineté et à l’intégrité du processus électoral, en exposant les campagnes à des influences financières extérieures potentiellement opaques.

Face à ces enjeux, il apparaît nécessaire de renforcer le cadre réglementaire en instaurant un plafond global de 50 000 euros pour les prêts consentis par une personne physique à un parti politique ou à un candidat, toutes campagnes confondues. Une telle mesure viserait à prévenir les risques de dépendance financière excessive à l’égard de prêteurs individuels et à garantir une plus grande équité dans le financement des campagnes électorales. En outre, l’interdiction des prêts de particuliers résidant à l’étranger renforcerait la transparence du financement politique en France.

Recommandation n° 82 : Instaurer un plafond global de 50 000 euros pour les prêts consentis par une personne physique à un parti politique ou à un candidat, toutes campagnes confondues.

Recommandation n° 83 : Interdire les prêts consentis par une personne physique résidant à l’étranger à un parti politique ou à un candidat.

 

 


–  1  –

   PARTIE IV : réguler les sondages

I.   Les sondages jouent aujourd’hui un rôle central lors des élections politiques.

A.   Une origine américaine – les « votes de paille ».

Les sondages sont apparus aux États-Unis au XIXe siècle pour répondre au besoin des acteurs politiques de comprendre l’opinion afin de remporter les élections. Dans cette perspective, des techniques rudimentaires, qualifiées de « votes de paille » ([242]) (straw votes) ont été inventées afin d’observer la popularité des candidats, en dénombrant, par exemple, les personnes participant à leurs réunions publiques. Le premier « sondage empirique » de cette nature a été publié en 1824 à l’occasion de l’élection présidentielle américaine ([243]).

Le recours à ces techniques a connu un succès croissant avant que leur fiabilité ne soit remise en cause au début du XXe siècle par trois sondeurs américains, Elmo Roper, Archibald Crossley et George Gallup en 1936. Ces derniers ont alors inventé la méthode des quotas qui leur a permis d’obtenir des résultats plus précis que les techniques précédentes. Cette méthode, elle aussi fortement critiquable et critiquée, repose sur l’idée qu’on pourrait comprendre l’opinion de l’ensemble d’une population étudiée à partir d’un échantillon représentatif de ses caractéristiques sociales (sociodémographiques, politiques, etc.).

1.   Une introduction en France à la fin des années 1930 et un essor quantitatif inédit sous la Ve République

Ces méthodes ont été reprises et introduites en France à l’initiative de Jean Stœtzel et d’Alfred Max qui ont respectivement fondé, pour le premier, en 1938, l’Institut français d’opinion publique (IFOP) et, pour le second, en 1939, le Centre d’études de l’opinion publique (CEOP).

Le référendum constitutionnel du 21 octobre 1945 a donné lieu à la publication du premier sondage d’intentions de vote français. L’écart faible entre les prévisions des sondages et le résultat du référendum (trois points seulement) consacre cette technique.

Après un développement limité sous la IVe République, les sondages ont connu un essor spectaculaire sous la Ve République avec l’élection du président de la République au suffrage universel direct.

Après l’adoption du référendum constitutionnel de 1962 permettant l’élection du président de la République au suffrage universel direct, l’année 1965 est considérée comme marquant « l’entrée en scène des sondages » ([244]). Les campagnes présidentielles suivantes seront ainsi marquées par leur poids croissant, par l’émergence de polémiques et, in fine, par la construction d’un cadre de régulation spécifique.

Cet essor s’explique par la conjonction de plusieurs phénomènes :

– l’individualisation progressive de la société, avec, en conséquence, une prédictibilité plus faible des comportements électoraux des citoyens, ce qui accroît l’incertitude vis-à-vis des résultats des élections et génère donc en retour une demande croissante d’information de la part de la population ;

– l’évolution des techniques des sondages, avec un niveau de fiabilité considéré, malgré des erreurs répétées, comme croissant, avec l’apparition des sondages en ligne, la baisse du coût de réalisation des sondages ayant conduit à l’apparition progressive de nouveaux instituts de sondage, ce qui a nourri cet essor ;

– le développement de nouveaux moyens de communication autres que la presse (télévision), puis l’apparition des chaînes d’information en continu, qui ont donné aux sondages d’opinion une place inédite dans la vie politique, pendant et en dehors des campagnes électorales.

2.   Une dynamique qui se stabilise, avec de fortes variations selon la nature de l’élection concernée.

Les chiffres collectés lors des travaux menés par la commission d’enquête confirment cette tendance, même si l’on observe, ces dernières années, une stagnation du nombre de sondages politiques publiés, et des différences considérables en fonction des élections considérées.

En matière d’analyse, il convient de bien distinguer les sondages politiques des autres catégories de sondages, et, au sein de cette première catégorie, les sondages qui entrent dans le champ de compétence de la commission des sondages (infra) de ceux qui ne sont pas publiés car à usage interne et donc non contrôlés.

En ce qui concerne les sondages électoraux, lors de son audition, M. Gaeremynck, président de la commission des sondages, a indiqué à votre rapporteur que la commission dénombrait « en moyenne 200 sondages » en période électorale, « même si ce chiffre varie selon les années et la nature de l’élection ».

La commission des sondages a contrôlé 618 sondages en 2017 « dont 560 au moment des élections présidentielles », et 514 en 2022, « dont 467 avant les présidentielles – soit presque 100 de moins ». Ces chiffres démontrent ainsi un fort lien entre les sondages et l’élection présidentielle, clef de voûte institutionnelle de la Ve République.

Après l’élection présidentielle, ce sont les élections municipales qui génèrent le plus de sondages. La commission a ainsi contrôlé « 248 sondages en 2014 », [contre] « seulement 158 en 2020 ».

Les élections législatives génèrent, par nature, moins de sondages, les « projections en sièges » n’étant pas considérées stricto sensu comme des sondages par la commission et n’étant donc à ce titre pas contrôlées par elle. La commission a contrôlé à ce sujet, 58 sondages en 2017, 47 sondages en 2022 et, enfin, 42 sondages en 2024 lors des élections législatives anticipées.

Ces différentes données conduisent votre rapporteur à faire trois principaux constats sur l’évolution du nombre de sondages électoraux :

en tendance longue, l’essor quantitatif des sondages est indiscutable, au point de générer, à son sens, une forme de « saturation » de l’espace politique. Il rejoint, à cet égard, les considérations partagées par M. Alexandre Dézé, chercheur, lors de son audition, quant à « l’omniprésence », et à la « surabondance des sondages ». Les chiffres fournis par M. Dézé, qui concernent l’ensemble des sondages d’opinion, sont à cet égard encore plus édifiants, puisqu’en France, « en moyenne, 1 000 sondages d’opinion sont publiés chaque année et 5 000 à 10 000 sont réalisés sans être publiés ». En un demi-siècle, « le nombre de sondages réalisés dans le cadre des campagnes présidentielles a [donc] été multiplié par 40, ce qui a conduit la commission des sondages, dans son dernier rapport d’activité, à parler d’un « champ médiatique saturé ».

– la stagnation relativement récente du nombre de sondages électoraux s’explique principalement par la stabilité du marché des sondages et des médias. Elle ne doit toutefois pas être confondue avec la progression du nombre de sondages politiques dans leur ensemble, publiés ou non, qui est indéniable. Elle pourrait par ailleurs être remise en question par l’apparition de nouveaux acteurs produisant des sondages, à moyen terme.

– les sondages d’opinion et les sondages électoraux ont pris une place croissante dans l’information et dans les commentaires médiatiques. Cela conduit à structurer et matérialiser un « état de l’opinion » sur des thèmes donnés (« X % des Français considèrent ceci ou cela »), mais aussi sur des élections parfois lointaines et dont on ne connaît même pas encore les candidats (« si l’élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, X et Y seraient au deuxième tour, et X l’emporterait face à Y »). Cette matérialisation de l’opinion est pourtant construite à partir d’outils dont la pertinence est questionnable, la qualité variable, et les marges d’erreurs parfois importantes. Leur opacité rend la validité scientifique inexistante, comme l’a reconnu en audition le directeur général de l’IFOP Frédéric Dabi lors de son audition.

B.   Des effets multiples sur le processus électoral.

1.   Des effets variés et parfois contestés sur le processus électoral.

a.   Les effets sur la vie médiatique.

Le recours croissant aux sondages dans la vie politique produit plusieurs effets notables, admis par les principaux acteurs auditionnés dans le cadre de la commission d’enquête.

Le premier effet établi est le raccourcissement du temps politique, phénomène qui n’a pas pour seule cause l’essor des sondages mais qui s’en nourrit logiquement, en particulier lors des campagnes électorales.

La mise en place de rolling, c’est-à-dire de sondages à intervalle régulier, permettent par exemple un récit médiatique permanent sur les prétendues évolutions des dynamiques de campagne et de l’état de l’opinion, presque « au jour le jour ». La multiplication des sondages donne, en outre, à chaque événement de campagne, une tonalité particulière, puisque chaque discours clé ou moment fort peut devenir soudainement un point d’appui ou de bascule pour un candidat, et dont les sondages sont censés donner la mesure quasi exacte. Il est ainsi fréquent de voir des commentaires d’éditorialistes, ou des sondeurs eux-mêmes, analysant le succès ou l’insuccès d’un évènement de campagne non pas à la lumière de l’évènement lui-même mais à la lumière de « ce qu’en disent les sondages » et des dynamiques à la hausse ou à la baisse qui sont censées s’en dégager.

Corollaire de ce raccourcissement du temps politique, un deuxième effet est observable : la multiplication des sondages tend à « invisibiliser » les sujets de fond, notamment programmatiques, au profit d’une élection transformée en « course de chevaux ».

En effet, bien plus que les programmes des candidats à une élection, leurs propositions concrètes ou même leurs réactions à une actualité, ce sont bien souvent leurs « chances de gagner » qui vont être le plus abondamment commentées, les sondeurs participant d’ailleurs eux-mêmes par leurs commentaires à installer des vainqueurs possibles et des perdants assurés. Par exemple lorsque le 14 février 2022, sur le plateau de LCI, Frédéric Dabi, directeur de l’institut IFOP déclare que Jean-Luc Mélenchon « occupe l’espace d’une gauche radicale qui, à chaque élection, fait entre 9 % et 12-13 % ».

Un troisième effet des sondages tient aussi leur utilisation médiatique qui conduit à la polarisation du débat politique.

Les chaînes d’information en continu tendent en effet, de façon parfois similaire aux mouvements observables sur les réseaux sociaux, à utiliser des sondages d’opinion afin de mettre en avant certains sujets, pour en justifier le traitement ou illustrer tout simplement la position supposée de l’opinion sur ces derniers. Cette pratique, qui relève de la liberté éditoriale des médias, peut être interrogée lorsque ces derniers entretiennent des liens trop étroits avec les instituts de sondage concernés ou, plus grave encore, lorsque des individus particulièrement fortunés fixent noir sur blanc l’objectif d’utiliser les instituts de sondages pour « remettre au cœur du débat “les bons chiffres sur les sujets qui comptent” » et se proposent de financer des « baromètres “monothématiques” » sur des thèmes aussi orientés que « islam et insécurité (sic), immigration, extrême gauche » ([245]).

Enfin, dernier effet notable qu’il est possible d’observer, les sondages ont globalement un effet de maintien en tension de la vie publique autour de la politique, qui ne se résume plus désormais aux seules campagnes électorales, en raison de la publication régulière de sondages de popularité politique, ou d’intentions de vote, par anticipation des campagnes électorales futures. La capacité des sondages à construire ou, au contraire, à détruire ou affaiblir des candidatures mérite d’être interrogée au regard de la protection nécessaire de la liberté de choix des électeurs et de l’égal accès aux élections pour les candidats.

b.   Les effets sur les acteurs politiques.

Les sondages ont également des effets réels sur la communication des acteurs politiques à destination des citoyens.

Face au risque de « mise en sondage » de tout propos politique, ils peuvent être utilisés à l’appui soit de stratégies de minimisation des risques, soit de maximisation des gains, ces deux tendances convergeant en faveur d’une qualité et d’une authenticité moindre de la parole publique.

À l’inverse, des prises de position publiques à rebours des sondages peuvent apporter, de façon contre-intuitive, une popularité à leur auteur. C’est dans cette perspective, notamment, que certains politistes considèrent que la prise de position de François Mitterrand sur la peine de mort a contribué à sa victoire en 1981.

Les deux principaux effets des sondages politiques sur les acteurs politiques sont les suivants :

– une prise en compte systématique des effets de leur communication politique sur l’opinion publique, toute prise de parole pouvant faire l’objet, de fait, d’une « mise en sondage » afin de recueillir l’opinion supposée des citoyens sur cette prise de position ;

– un suivi attentif des sondages de popularité mis en œuvre dans le cadre de rolling et des sondages d’intentions de vote, y compris lors d’élections internes, qui peuvent déterminer une position stratégique interne, par exemple lors d’une primaire ou d’un congrès au sein d’un parti politique donné ;

c.   Les effets sur les comportements électoraux.

Les effets des sondages sur les comportements électoraux font l’objet d’un débat intense qui n’apparaît pas tranché.

Comme l’a relevé M. Alain Garrigou lors de son audition, en matière de vote, « s’il y a longtemps que les électeurs calculent », les sondages ont la capacité de modifier leurs comportements, car « les sondages ont beaucoup accentué pour eux la dimension stratégique et tactique. Ils peuvent parfois faire diminuer la participation : certains électeurs considèrent que ce n’est pas la peine de se déplacer pour aller voter, non parce qu’ils ne trouvent pas de candidats qui leur conviennent dans l’offre électorale, mais parce que ces candidats n’ont aucune chance d’être élus ». En résumé, les sondages « donnent une base statistique, juste ou fausse, à ces calculs d’anticipation » ce qui « ne favorise pas la participation ».

Votre rapporteur considère que cet effet des sondages est parfaitement délétère sur la qualité du processus électoral. En l’espèce, les sondages tendent, comme il l’a déjà évoqué, à réduire la politique à une « course de petits chevaux » et à contraindre de façon subreptice les choix des électeurs. Nul n’a envie, en effet, d’aller voter pour un candidat qui n’a aucune chance de l’emporter. Dans ces conditions, les sondages tendent à polariser le vote et à filtrer les candidatures en fonction de la probabilité, réelle ou supposée, d’accéder à la victoire.

Cette mécanique peut d’ailleurs faire l’objet de stratégie politique des candidats et de leurs militants qui peuvent appeler à un « vote utile » en faveur de leur champion estimé comme ayant le plus de chances de l’emporter au premier ou au second tour.

Autrement dit, l’appel à choisir un candidat d’un camp politique dont on est plus éloigné idéologiquement en favorisant dans son vote l’anticipation d’une victoire possible plutôt que la proximité que l’on peut avoir avec tout ou partie de son programme. Une stratégie qui repose exclusivement sur la position d’un candidat ou d’une candidate dans le champ sondagier et, par extension, médiatique. Or, cette stratégie pose un problème de fond dès lors qu’elle repose, in fine, sur des outils sondagiers totalement opaques, sans valeur scientifique, et qui commettent des erreurs parfois considérables comme on a pu le voir pour l’élection présidentielle de 2022 ou les élections législatives de 2024.

Ainsi, dans l’élection présidentielle de 2022, des soutiens du candidat Yannick Jadot ont argué de son score flirtant avec la barre des 5 % dans les sondages et de l’écart supposé, dans ces mêmes sondages, entre Jean-Luc Mélenchon et Marine le Pen (jusqu’à 6 points pour certains instituts, contre 1 point dans le vote réel), pour inciter à un vote permettant à Yannick Jadot d’atteindre le seuil de 5 % permettant le remboursement de ses frais de campagne (seuil qu’il n’atteindra pas, son score final étant de 4,6 3 % des suffrages exprimés). La même logique avait été appliquée cinq ans plus tôt par les soutiens de Benoît Hamon (cette fois avec succès puisqu’il avait atteint 6,36 % des suffrages exprimés) alors même que le candidat socialiste avait un temps hésité à retirer sa candidature au profit de celle de Jean‑Luc Mélenchon avant d’y renoncer dans l’objectif assumé d’obtenir le remboursement des frais de campagne engagés par son parti (15 millions d’euros). 

Au-delà de leurs effets sur les « petits candidats », les sondages influencent également la bataille électorale entre les favoris, que ces derniers soient les favoris d’un camp ou les favoris de l’élection.

Un cas-type d’utilisation des sondages dans le cadre d’une pré-campagne électorale interne : la « Grande enquête Hexagone-Ifop concernant l’élection présidentielle 2027 »

Créé en 2024, le think-tank Hexagone, financé par le milliardaire Pierre-Édouard Stérin via le projet Périclès, a commandé à l’IFOP un sondage d’intentions de vote en vue de l’élection présidentielle de 2027. Ce sondage, réalisé sur un échantillon de 10 000 personnes (ce qui constitue un échantillon exceptionnellement élevé deux ans avant une campagne présidentielle), ne comportait pas de scénario testant la candidature de Marine Le Pen, récemment déclarée inéligible le 31 mars 2025 à la suite d’une condamnation pénale.

L’annonce de la publication de ce sondage a eu lieu le 27 avril, suscitant une vive réaction du Rassemblement National, et notamment du député Jean-Philippe Tanguy (RN), qui a dénoncé une exclusion biaisée et prématurée. Un sondage complémentaire intégrant Mme Le Pen a ensuite été réalisé, mais sur un échantillon réduit de 2 000 personnes, ce qui en limite la comparabilité statistique. Cette différence d’échantillonnage n’a d’ailleurs pas toujours été rappelée par les différents médias qui ont repris ses résultats.

Il s’agit d’un exemple typique d’utilisation d’un sondage pour faire exister une candidature (celle de M. Bardella) dans le champ médiatico-politique. Mais on a pu aussi constater la réaction de personnalités du champ politique estimant qu’un tel sondage visait aussi à enterrer une autre candidature (celle de Mme Le Pen). Enfin, certains ont vu dans ce sondage une stratégie pour diviser sciemment le Rassemblement national (et, compte tenu des révélations du Monde, avec un certain succès) pour faire émerger une troisième candidature de droite réactionnaire hors RN : celle de M. Retailleau.

Source : commission d’enquête et révélations du journal Le Monde.

Comme l’a indiqué M. Alexandre Dézé, chercheur, lors de son audition, on distingue en général deux grands types d’effets des sondages sur le processus électoral : un effet « bandwagon », qui conduirait les électeurs à davantage opter en faveur du candidat le plus susceptible de remporter l’élection (mécanisme du « vote utile ») et un effet « underdog », qui conduirait, à l’inverse, les électeurs à s’orienter davantage vers le candidat annoncé perdant, qu’on souhaiterait soutenir afin de lui faire franchir un cap particulier.

M. Dézé estime, toutefois, que les hypothèses parfois formulées au sujet de certains candidats, « souvent décrites a posteriori », selon lesquelles, par exemple, « Jacques Chirac aurait […] bénéficié d’un « effet underdog » en 1995 » ou Emmanuel Macron « d’un « effet bandwagon » en 2017 », sont « d’un point de vue méthodologique », « impossible de prouver », faute de pouvoir « isoler l’effet propre des sondages sur la production de comportements électoraux dépendant d’un ensemble très complexe de variables, notamment sociales ». 

2.   Un cadrage problématique du débat public par les sondages.

L’agenda et le cadrage politique influent profondément sur les déterminants du vote des électeurs. Ce ne sont pas seulement les préférences individuelles ou les valeurs personnelles qui orientent les choix électoraux, mais aussi — et peut-être surtout — la manière dont les enjeux sont hiérarchisés, nommés et mis en scène dans l’espace public.

À ce titre, l’un des instruments les plus puissants de cette construction de l’opinion est le sondage. Loin d’être un simple outil de mesure neutre et descriptif, le sondage fonctionne comme un véritable levier de cadrage politique, en participant activement à la définition des thèmes légitimes, des préoccupations supposées majoritaires, et du « bon sens » présumé des citoyens.

Comme le montre M. Vincent Tiberj ([246]), les sondages ne se contentent pas de refléter les attitudes existantes : ils contribuent à faire exister politiquement certains sujets, en les installant dans le débat public avec la force de l’évidence chiffrée. Déterminant lors des élections, M. Vincent Tiberj estime qu’aux élections de 1981, “si les Français avaient voté en fonction de leurs opinions sur les étrangers, François Mitterrand n’aurait sans doute pas été élu”. Autrement dit, le cadrage peut faire gagner un candidat… et en faire perdre un autre. En orientant l’attention vers certains sujets plutôt que d’autres, les sondages contribuent à structurer le terrain électoral — et donc à influencer directement l’issue d’une élection.

a.   Une France qui ne se droitise pas…

Pour évaluer rigoureusement la réalité de la droitisation de la société française, M. Vincent Tiberj élabore une méthode reposant sur des indices longitudinaux, permettant de suivre sur plusieurs décennies les préférences politiques des citoyens. Ces indices – de préférences sociales, de préférences culturelles, et de tolérance – sont construits à partir de centaines d’enquêtes répétées entre 1978 et 2023. Ils permettent de « mesurer des tensions autour de normes, des équilibres entre valeurs antagonistes, et des tensions qui peuvent amener à faire basculer vers plus ou moins de tolérance, d’égalité ou de liberté » ([247]).

L’indice de préférences sociales mesure les demandes de justice sociale et de redistribution. Concrètement, les demandes de redistribution ont fortement chuté après l’élection de François Mitterrand en 1981, puis remonté avant la victoire de la gauche plurielle en 1997. De nouveau à la hausse pendant les années 2000, l’indice atteint un pic en 2011, traduisant un haut niveau de soutien à la redistribution. Après une baisse drastique sous la présidence de François Hollande, il remonte à partir de 2016 pour atteindre 53 points en 2023, un niveau élevé, montrant que « depuis 2016, ces demandes remontent ». Depuis 2018, « les demandes sociales sont au plus haut depuis 1962 » ([248]).

L’indice de préférences culturelles, qui porte sur “la peine de mort, la sévérité des tribunaux, la place des femmes, la tolérance à l’endroit des homosexuels”, suit une tendance plus linéaire, largement expliquée par le renouvellement générationnel. Si l’indice varie moins que le social, il reste orienté à la hausse, illustre une France qui « se montre aujourd’hui plus libérale culturellement que dans les années 1980 » ([249]), en dépit de la persistance d’un bruit médiatique conservateur. En effet, l’indice de préférences culturelles a bondi de 20 points en 40 ans.

L’indice de tolérance, enfin, évalue généralement l’attitude vis-à-vis des immigrés. Il montre des progrès notables sur le long terme, malgré des reculs ponctuels dus à certains cadrages politiques ou médiatiques. Si l’indice reste très sensible au contexte, mais globalement, il suit tout de même une pente ascendante. De fait alors que l’indice de tolérance était d’environ 45 points en 1980, il atteint aujourd’hui 65 points ce qui démontre un haut seuil de tolérance dans la population française.

Le constat global du sociologue est donc clair et étayé : « il n’y a pas de droitisation par en bas »([250]). La société française, loin de se refermer, évolue vers plus de justice sociale, d’ouverture culturelle et de tolérance. C’est précisément cette réalité, fondée sur des données de long terme, qui contraste avec les cadrages médiatiques ou les dynamiques électorales du moment. Pourtant, cette résistance qui oppose les citoyens français au large tournant conservateur observable de la “France d’en haut” ne trouve qu’une très faible traduction dans les votes.

b.   …mais qui vote à droite par l’effet de cadrage.

Si les valeurs des Français ne se sont pas droitisées, pourquoi a-t-on alors l’impression d’une société de plus en plus à droite ? C’est à cet apparent paradoxe que Vincent Tiberj répond en montrant que la droitisation n’est pas venue « par en bas », mais s’est imposée par le haut, via le cadrage intellectuel, médiatique et politique des enjeux contemporains. Il parle d’une « droitisation par en haut », c’est-à-dire d’une domination des interprétations conservatrices dans les sphères du débat public, qui ne reflètent en rien l’état réel de l’opinion. Cela permet de crédibiliser des acteurs porteurs d’une certaine manière de penser “et cela aboutit même à ce que les acteurs qui devraient s’y opposer l’acceptent finalement” ([251]). Vincent Tiberj en conclut que, le cadrage a permis au “Rassemblement national [de] jouer à domicile”.

Cette déconnexion s’explique notamment par les effets de cadrage produits dans le débat public. M. Vincent Tiberj s’appuie sur les théories classiques de la science politique : les médias ne disent pas aux citoyens ce qu’ils doivent penser, mais « à quel sujet il faut penser » (effet d’agenda) et « selon quel angle aborder une question » (effet de cadrage) ([252]).

M. Tiberj évoque un véritable travail de requalification idéologique, où certains acteurs ont su capter des notions historiquement progressistes comme la République, la laïcité ou même le féminisme, pour les reformuler à leur avantage. C’est ainsi que des discours culturalistes ou ethnicisants ont pu devenir dicibles, acceptables, voire dominants, alors même qu’ils seraient massivement rejetés si l’on posait directement la question aux citoyens.

Cette stratégie produit ce que Tiberj appelle un « bruit de fond conservateur » ([253]), constamment relayé par certains plateaux télé, chroniqueurs, ou essayistes, qui « entretient et rend évident le conservatisme d’atmosphère dans lequel baigne la France des années 2020 » ([254]). Ce bruit de fond donne l’illusion d’un consensus conservateur, notamment sur les questions migratoires, culturelles ou identitaires. Pourtant, les enquêtes montrent que la plupart des citoyens ne connaissent même pas les concepts les plus médiatisés : « sur le wokisme, 15 % des répondants voient précisément de quoi il s’agit contre 65 % qui n’en avaient jamais entendu parler » ([255]).

c.   Une mécanique bien rodée.

L’un des leviers majeurs de ce cadrage est constitué par les sondages d’opinion, qui jouent un rôle central dans la construction d’une perception souvent déformée de ce que pensent réellement les citoyens. De nombreux chercheurs insistent sur le fait que ces instruments, trop souvent perçus comme neutres, participent activement à faire exister politiquement certains sujets, en leur donnant une existence chiffrée et donc légitime dans l’espace public. Ils ne se contentent pas de refléter l’opinion : ils la fabriquent autant qu’ils la mesurent.

L’exemple donné par M. Vincent Tiberj, du « grand remplacement » est éclairant. Le « grand remplacement » désigne une théorie complotiste et raciste selon laquelle les « populations européennes » risqueraient de disparaître au profit des « populations africaines ». Cette thèse ubuesque, sans aucun fondement scientifique, sert à la droite et l’extrême-droite pour produire un discours politique raciste et xénophobe. En octobre 2021, un sondage Harris Interactive affirme que 67 % des répondants pensent qu’un tel phénomène va se réaliser.

Pourtant, M. Tiberj précise que « plusieurs sondages ont interrogé sur cette théorie, lors de la campagne présidentielle de 2022, sans préalablement vérifier le niveau de connaissance de leurs enquêtés » ([256]). Il souligne le danger méthodologique d’un tel procédé : les enquêtés sont placés face à un concept qu’ils ne maîtrisent pas, mais à propos duquel ils doivent malgré tout se positionner. Cela revient à accorder une légitimité à la question posée, et donc au cadre idéologique dans lequel elle s’inscrit.

Comme le résume M. Tiberj, « dans ce cas précis, l’important n’est pas que les citoyens pensent comme on le voudrait, mais plutôt de persuader un nombre suffisant d’acteurs politiques et médiatiques que les citoyens pensent ainsi » ([257]) . En d’autres termes, les sondages produisent des effets politiques en amont du débat, en influençant la perception des élites, des journalistes et des candidats sur ce que serait « l’opinion publique » ([258]).

i.   L’imposition de problématiques

Le premier niveau du cadrage tient dans la construction même des sondages, et notamment dans le choix des questions, leur formulation et leur mise en contexte.

Comme l’explique Patrick Champagne, le système sondagier procède à “l’imposition de problématique, le détournement du sens des réponses par les commentateurs de sondages, ou encore la production d’une opinion publique artefactuelle, c’est-à-dire qui n’existe que par l’enquête et non en soi » ([259]). En d’autres termes, l’opinion n’est pas révélée par le sondage, elle est fabriquée par lui. Ce processus débute avec la sélection des thèmes à sonder : c’est déjà définir ce qui mérite d’être pensé et mesuré, au détriment d’autres préoccupations sociales non interrogées.

ii.   L’autorité des sondages

Ce cadrage s’opère aussi par l’autorité acquise par les instituts de sondage, désormais reconnus comme ayant le monopole de la connaissance scientifique de la volonté populaire. Patrick Champagne parle même de « la mise en place d’un système politico-médiatico-sondagier dans lequel les sondeurs jouent désormais un rôle de premier plan ». Les sondeurs ne sont plus des observateurs : ils participent à la définition de la réalité politique, en sélectionnant les sujets à investiguer et en imposant leur rythme et leur logique aux autres acteurs (médias, partis, candidats).

iii.   La domination thématique des « mieux-placés »

Les effets de cadrage s’étendent donc au champ médiatique, où les résultats des sondages deviennent le socle de la mise en scène du débat électoral. Ainsi, Patrick Champagne dénonce une prolifération incontrôlée de sondages préélectoraux qui « encouragent une lecture médiatique de la campagne peu propice à un débat de fond sur les enjeux de l’élection ». Le débat n’est plus structuré par des programmes, mais par la hiérarchisation des candidats et des thèmes qu’ils portent à partir des courbes de popularité.

Le cadrage s’opère alors par la hiérarchisation des candidats et des thèmes qu’ils portent, en fonction de leur position dans les intentions de vote. Ce ne sont plus les programmes ou les clivages idéologiques qui structurent le débat, mais les dynamiques de popularité, telles que captées et amplifiées par les sondages. Le favori impose ses enjeux : être en tête dans les sondages, c’est aussi fixer les termes de la discussion.

iv.   La circulation circulaire de l’information

Le cadrage opéré par les sondages est renforcé par un phénomène de boucle auto-entretenue, que Nicolas Hubé appelle « circulation circulaire de l’information ». Les résultats sont repris par les médias, interprétés par les éditorialistes, mobilisés par les candidats, puis mesurés à nouveau par d’autres sondages dans un cycle où ces thématiques s’imposent artificiellement comme dominantes. On assiste à une forme de prophétie auto-réalisatrice : ce qui a été mesuré comme important devient important, simplement parce que c’est mesuré et repris. Dans cette boucle, la position des sondeurs devient centrale. Ils deviennent des figures d’autorité, incarnant une parole d’expert. Nicolas Hubé parle même de « substantiation des sondages » – c’est-à-dire la transformation d’un chiffre en sujet politique à part entière.

En fin de compte, les sondages d’opinion ne sont pas seulement un reflet de l’état de la société : ils deviennent un rouage du cadrage politique, un instrument de la droitisation par le haut en donnant une apparence de légitimité statistique à des thèses largement minoritaires dans la société. Ce rôle performatif du sondage explique pourquoi, dans un contexte où les valeurs progressistes dominent en profondeur, la scène électorale et médiatique peut donner le sentiment inverse, comme si la société basculait à droite. Dans une France où les valeurs progressistes restent dominantes, les sondages contribuent à installer un imaginaire conservateur qui ne reflète pas la société, mais finit par gouverner ses élections.

Mais il ne suffit pas de constater que les sondages ont des effets : encore faut-il comprendre que ces effets sont connus, anticipés et stratégiquement mobilisés. Autrement dit, les sondages ne produisent pas simplement des distorsions involontaires du débat démocratique : ils peuvent aussi être délibérément utilisés comme des outils d’influence par certains acteurs qui y trouvent un levier pour orienter l’agenda, légitimer leurs positions ou disqualifier leurs adversaires. Ainsi, ce que nous avons décrit jusqu’ici comme des effets systémiques prend une autre dimension : celle de l’instrumentalisation active. Comprendre les sondages aujourd’hui, c’est donc aussi interroger les intérêts qu’ils servent, les acteurs qui les manipulent, et les rapports de force qu’ils contribuent à maintenir ou à renforcer.

C.   Une instrumentalisation au profit d’un agenda conservateur.

1.   La fabrique de l’opinion…

Les sondages sont aujourd’hui une arme pour donner à voir une certaine image de l’opinion publique. Présentés comme des vérités certaines et absolues, ils façonnent et fabriquent l’opinion. À ce propos, les sociologues Hélène-Yvonne Meynaud et Denis Duclos affirment que : « Le sondage (…) est repris dans les médias pour appuyer les propos des journalistes. Ce faisant, les médias ne se contentent pas de véhiculer l’information : ils constituent le pourcentage relevé par le sondage en événement plus ou moins sensationnel ou en indicateur quotidien de type météorologique. Ils « révèlent » l’opinion à elle-même et transforment presque miraculeusement une opinion statistique, distincte de celles des groupes sociaux, en un fait général et incontestable » ([260]).

L’ensemble des effets performatifs qu’ont les sondages sur la scène médiatique et plus généralement politique que votre rapporteur a listés dans la partie précédente pourrait se résumer par le simple titre d’un ouvrage de Patrick Champagne : “Faire l’opinion, le nouveau jeu politique” ([261]). En outre, la commission d’enquête a eu l’occasion d’auditionner le 16 janvier 2025 M. Alain Garrigou, professeur de science politique, qui a affirmé que les sondages “participent à la sélection du personnel politique” et qu’ils sont de véritables “instruments non constitutionnels, livrés au marché et évidemment à bon nombre de manœuvres”.

Cependant, les instituts de sondage ne sont pas, en tant que tels, les instigateurs d’une manipulation de l’opinion publique. Leur responsabilité ne réside pas tant dans une volonté active d’orienter le débat que dans leur position structurelle dans le champ médiatico-politique : ce sont avant tout des entreprises commerciales, dont la survie économique dépend du chiffre d’affaires. À ce titre, leur logique première est lucrative. Produire des enquêtes, répondre à la demande, livrer des chiffres exploitables rapidement : telles sont les fonctions qu’elles remplissent dans un marché concurrentiel. Cela les place dans une forme de cécité structurelle à l’égard des intentions réelles des commanditaires, qu’elles soient politiques, éditoriales ou idéologiques.

Même si les sondeurs savent pertinemment que « tous les commanditaires ont un but caché » ([262]), cette connaissance ne se traduit pas par un filtrage, un refus ou un questionnement critique. Le plus souvent, ils répondent à la commande comme un prestataire standardisé, à la manière d’un automate, sans s’interroger sur les usages futurs des résultats qu’ils produisent. Ce désengagement moral est facilité par l’illusion d’objectivité méthodologique : le respect des normes statistiques, l’application de protocoles techniques, le langage scientifique sont mobilisés comme des garanties de neutralité, alors même qu’ils masquent la fonction éminemment politique des chiffres produits. En ce sens, les instituts de sondage ne manipulent probablement pas intentionnellement l’opinion — mais ils fournissent à d’autres les outils pour le faire, en toute opacité, et parfois en toute bonne conscience.

En somme, si les sondages sont manipulés, c’est qu’ils sont manipulables. Or, ce sont à la faveur de commandes d’acteurs de la droite et de l’extrême droite que les instituts de sondage tirent leur rémunération. Les liens financiers entre certains d’entre eux et des milliardaires de droite sont désormais établis. Ainsi le think-thank « Hexagone », aujourd’hui financé par Pierre-Édouard Stérin via la structure Périclès (voir infra.), commande régulièrement des sondages à l’IFOP. Or, le projet Périclès est, comme votre rapporteur a pu le constater au cours de cette commission d’enquête, une structure qui assume vouloir utiliser les sondages pour influencer l’opinion… et les élections. Votre rapporteur souhaite donc alerter sur le fait que les sondages ne sont pas neutres : ils peuvent être orientés politiquement car ils ne sont in fine que la réponse à une demande située politiquement ; souvent à droite ou à l’extrême-droite de l’échiquier.

De surcroît, ces mêmes sondages bénéficient d’une portée conséquente. En effet, ils sont massivement relayés dans la presse, les médias, et particulièrement les chaînes d’information en continu - en raison notamment de leur « faible » coût au regard de la production d’une information de meilleure qualité, beaucoup plus chère à produire (puisque celle-ci exige de payer des journalistes, et non pas simplement de passer des commandes à des instituts). Or, nombre de ces médias appartiennent à de puissants groupes privés, comme ceux du conservateur identitaire Vincent Bolloré. Cette concentration médiatique permet à ces acteurs de créer un circuit fermé : les sondages qu’ils financent ou valorisent sont ensuite repris et commentés dans leurs propres médias, leur conférant une légitimité artificielle. Ce mécanisme contribue à cadrer le débat public en amont, en mettant en lumière certains enjeux plutôt que d’autres, en valorisant certains candidats ou discours au détriment d’autres. En orientant ainsi les thèmes perçus comme centraux dans la campagne, ces acteurs influencent indirectement les déterminants du vote en faveur de l’idéologie qu’ils portent.

2.   …au service d’un agenda politique conservateur.

 Les résultats de ces sondages sont donc utilisés pour répondre à un agenda politique conservateur. Les thèmes des sondages, tout comme la mobilisation de leurs résultats, se font au profit d’un cadrage réactionnaire. Une simple observation des sondages commandés par les médias détenus par le groupe Bolloré suffit à démontrer que s’ils poursuivent en effet un but, il n’est en aucun cas caché mais bien revendiqué. L’institut de sondage Consumer science & analytics (CSA), réalise régulièrement des sondages pour des médias de droite tels que Europe 1, Cnews, ou encore le Journal du dimanche.

En mai 2024, le JDD relayait un sondage CSA au terme duquel 68 % des Français seraient « favorables à la suppression des subventions aux associations d’aide aux migrants en situation irrégulière » ([263]). Le 8 janvier 2025, le JDD une nouvelle fois, relayait un sondage réalisé par CSA selon lequel « 66 % des Français souhaitent l’arrêt immédiat de toute immigration algérienne ». Le 25 janvier 2025, ce même journal diffusait un sondage commandé auprès du même institut, résultat : « 76 % des Français affirment qu’il n’existe que deux sexes : masculin et féminin ”. Dans un article publié le 14 mai 2025, le même journal encore affirmait « Insécurité : 72 % des Français estiment que la société a engendré une “fabrique des barbares” ». Le lendemain, il titrait « 80 % des Français considèrent la justice de leurs pays trop laxiste ». Le 18 mai 2025, on apprend que « 76 % des Français souhaitent le recours à l’armée contre le trafic de drogue dans les quartiers difficiles ».

Cette liste non exhaustive illustre avec une acuité saisissante la façon dont les médias d’extrême droite mobilisent les sondages à des fins réactionnaires. Ici, ces sondages ne répondent qu’à un seul objectif : donner une image d’une France conservatrice, aux antipodes des idées progressistes, et permettre à l’extrême droite d’avancer sur son agenda politique (à la fois en produisant un nombre inconsidéré de sondages sur une thématique, mais aussi en orientant cette thématique dans un sens idéologique précis). Racisme, xénophobie, mépris de classe, positions réactionnaires sur la question du genre, idées sécuritaires : tout y passe. Pris dans ce contexte, les sondages ne sont pas de simples photographies de l’opinion des Français à un moment donné : ce sont de véritables outils permettant de fabriquer une réalité, de créer une ambiance dans le pays.

Auditionné par la commission d’enquête, Alain Garrigou, professeur de science politique déplorait en ce sens : « Le 4 décembre dernier, un sondage CSA pour le JDD, Europe 1 et CNews donnait Michel Barnier censuré et Jordan Bardella favori des Français pour le poste de Premier ministre. Le 26 décembre, un sondage CSA pour le JDD, Europe 1 et CNews affirmait que 62 % des Français estimaient que la justice était partiale. Le 6 janvier 2025, un sondage CSA pour le JDD, Europe 1 et CNews révélait que 94 % des Français réclamaient l’expulsion des influenceurs algériens menaçants. Or CSA appartient à M. Bolloré ; le JDD, Europe 1 et CNews aussi ».

En conclusion, les sondages ne sont pas de simples instruments de mesure neutres : ils sont manipulables, et donc manipulés. Le cas du milliardaire Pierre-Édouard Sterin en est une démonstration claire : son projet Périclès repose notamment sur l’utilisation stratégique des sondages pour favoriser l’accession de l’extrême droite au pouvoir. De même, Vincent Bolloré illustre parfaitement ce mécanisme d’influence circulaire : en possédant à la fois l’institut CSA – qui produit des sondages orientés sur des thématiques comme l’immigration, la sécurité ou l’islam – et la chaîne CNews qui les relaie massivement, il façonne le débat public selon des lignes idéologiques précises. Ce contrôle vertical de l’information permet de cadrer les préoccupations électorales, et donc de transformer des thématiques pourtant secondaires ([264]) pour les Français en une déterminante de vote centrale, au service du personnel politique conservateur.

II.   DES FAIBLESSES MÉTHODOLOGIQUES MANIFESTES.

A.   Des erreurs multiples : un phénomène ancien, massif, documenté.

1.   Des critiques qui ne datent pas d’aujourd’hui…

Les écarts souvent constatés entre les prévisions des sondages et les résultats des élections, et les évolutions techniques constatées en faveur du recours croissant à des sondages auto-administrés par internet ont fait ressurgir des débats relatifs à la dégradation de la qualité des sondages.

Une analyse historique de l’installation progressive des sondages au sein de la vie politique de la Ve République démontre que les sondages ont souvent été mis en cause sur plusieurs aspects.

Les sondages ont, d’abord, constamment fait l’objet de critiques relatives à leur influence réelle ou supposée vis-à-vis des comportements électoraux. Dès 1969, les sondages sont accusés d’avoir contribué à une forme de bascule de l’opinion en faveur du rejet du référendum constitutionnel soumis au peuple français par le Président de la République.

Les sondages ont également été critiqués au regard de l’opacité de leur mode de production et des tentatives d’influence de l’opinion publique qu’ils pouvaient servir. C’est dans ce contexte que la première loi régulant les sondages est adoptée en 1977, dans le but de lutter contre les officines, et de lutter contre les tentatives de manipulation de l’information constatées à l’occasion de leur publication.

2.   …et qui s’appuient sur des erreurs manifestes de prévision.

Les critiques formulées contre les sondages sont fondées. En présentant des résultats qui ne se révèlent par la suite très éloignés de la réalité des faits, les instituts de sondage ont fait la démonstration de leur inefficacité. Pire, la manipulation de ces résultats et la présentation de ces derniers comme des vérités certaines est une entreprise malhonnête intellectuellement d’une part, et particulièrement nuisible d’autre part. Effectivement, eu égard à la portée donnée à ces résultats, notamment dans la presse et les médias, il est légitime de croire qu’ils peuvent influer significativement sur les résultats électoraux.

Les campagnes présidentielles de 1995 et 2002 donnent à voir une illustration parfaite des erreurs liées aux sondages. Dans le premier cas, les sondages ne sont en effet pas parvenus à définir correctement l’ordre d’arrivée des trois principaux candidats lors du premier tour du scrutin. Annoncé en tête avec une avance confortable sur ses concurrents, Jacques Chirac se retrouve en effet finalement en seconde position, derrière Lionel Jospin, avec un écart de prévision de l’ordre de 6 points.

Dans le second cas, les anticipations des sondages se révèlent à nouveau défaillantes lors de la fin de la campagne électorale, avec une qualification de Jean‑Marie Le Pen pour le second tour de l’élection présidentielle et une élimination du candidat de gauche, M. Lionel Jospin. Les sondages sont alors accusés de ne pas avoir incité les électeurs de ce dernier à « voter utile ».

Contrairement, d’ailleurs, à ce qu’ont affirmé les sondeurs lors de notre audition, ces erreurs n’appartiennent pas seulement au passé. Ainsi, l’élection présidentielle de 2022 a montré une nouvelle fois que les sondeurs pouvaient commettre des fautes d’analyses qui allaient bien au-delà de leurs propres marges d’erreur. Jean-Luc Mélenchon était ainsi sous-estimé entre 4 et 6 points par les différents instituts. Plus récemment encore, lors des élections législatives anticipées de 2024, les sondeurs ont été rigoureusement incapables de percevoir les rapports de force et l’augmentation puissante de la participation. Alors qu’ils donnaient le Rassemblement national vainqueur de l’élection, ce parti est finalement arrivé en troisième position au deuxième tour, tandis que le Nouveau Front Populaire est arrivé en tête, ce qu’aucun sondage n’avait anticipé.

M. Dézé a d’ailleurs indiqué à votre rapporteur, à l’appui de ses travaux, qu’au-delà des « quelques erreurs historiques – 1995, 2002, le Brexit, les trois dernières élections présidentielles américaines », qui sont « présentées comme exceptionnelles », un recensement attentif des « dernières estimations pour toutes les élections depuis 1995, donc celles censées être les plus fiables » donne à voir qu’elles sont au contraire « erronées ou approximatives dans un cas sur deux ». Il a indiqué devant la commission d’enquête avoir observé que, « depuis 1995, aucune enquête réalisée un an avant le scrutin présidentiel n’a prédit correctement l’ordre d’arrivée du premier tour ». En conséquence, selon lui, « la valeur de cette production est quasi nulle » et contribue simplement « à produire des rapports de force complètement virtuels, qui nourrissent un débat interminable et inutile ».

3.   « L’opinion publique n’existe pas ».

i.   Une notion dont l’existence est mise en doute dès l’apparition moderne des sondages en France.

Dès les origines, Jean Stœtzel, introducteur des sondages en France, exprimait des réserves quant aux usages politiques et scientifiques de cette technique. Dans sa thèse de 1943, il mettait en garde contre les limites épistémologiques de l’auscultation de l’opinion, notant que celle-ci “porte en effet sur des éléments souvent éphémères, insincères, vagues ou incompréhensifs et de surcroît traités par des enquêteurs dont la neutralité n’est pas toujours assurée.” Plus encore, il soulignait le paradoxe fondamental d’une méthode prétendant saisir des motivations conscientes, alors que « la motivation consciente de nos actes n’a rien à voir avec leur véritable causalité ». Quelques décennies plus tard, il reconnaissait encore les risques inhérents à cette technique : « Il est possible que les sondages d’opinion publique produisent dans l’avenir des ravages affreux dans les sociétés, mais qu’y pouvons-nous ? Nous ne pouvons pas supprimer quelque chose qui existe, une science ».

ii.   Un critique sociologique de « l’opinion publique »

De nombreux sociologues ont remis en cause, dès la création des premiers instituts de sondage, l’existence même de la notion « d’opinion publique », soulignant qu’elle constitue moins une réalité mesurable qu’une construction idéologique. Ce faisant, ils ne questionnaient pas seulement la rigueur des méthodologies employées, mais bien la légitimité même de ces institutions à prétendre dire le réel. Aujourd’hui, les chercheurs s’attardent davantage sur les failles méthodologiques persistantes des instituts de sondage : échantillonnages peu représentatifs, formulation orientée des questions, interprétations hâtives ou décontextualisées des résultats etc. Ces critiques récurrentes rappellent que loin d’être neutre, la production de chiffres d’opinion est un acte situé, porteur d’enjeux politiques, médiatiques et symboliques.

Dans son célèbre article, « L’opinion publique n’existe pas », Pierre Bourdieu formule une critique structurée et radicale de la notion d’opinion publique telle qu’elle est construite par les sondages. Il commence par déconstruire les trois postulats implicites de toute enquête d’opinion : « toute enquête d’opinion suppose que tout le monde peut avoir une opinion », que « toutes les opinions se valent », et qu’il existe « un accord sur les questions qui méritent d’être posées ». Or, pour Bourdieu, ces hypothèses sont illusoires et masquent de profondes inégalités dans la capacité à produire une opinion. Loin d’être neutres, les questions posées dans les sondages sont en réalité le produit d’un intérêt politique spécifique : « les problématiques que fabriquent les instituts de sondages d’opinion sont subordonnées à une demande d’un type particulier ».

Par exemple, l’analyse du traitement médiatique du système éducatif après les grandes manifestations de 1968 : “mai 1968 nous a fait voir que plus de deux cents questions sur le système d’enseignement ont été posées depuis Mai 1968, contre moins d’une vingtaine entre 1960 et 1968” ce qui démontre que “la question de l’enseignement par exemple ne peut être posée par un institut d’opinion publique que lorsqu’elle devient un problème politique”. Pierre Bourdieu en déduit que ce ne sont pas les préoccupations des citoyens mais celles du « personnel politique » qui dictent les thématiques : « la grande majorité [des questions] étaient directement liées aux préoccupations politiques du personnel politique ». Ainsi, les sondages répondent à une logique de commande politique : ils posent les questions non pas parce qu’elles préoccupent la population, mais parce qu’elles deviennent politiquement pertinentes pour les gouvernants.

De plus, Bourdieu souligne que le sondage est un outil de légitimation du pouvoir, qui permet d’« imposer l’illusion qu’il existe une opinion publique comme sommation purement additive d’opinions individuelles ». L’usage massif des pourcentages dans les médias (« 60 % des Français sont favorables à… ») crée une image homogène et consensuelle de la société, qui efface les conflits sociaux réels. C’est pourquoi il affirme que « l’opinion publique manifestée dans les premières pages de journaux […] est un artefact pur et simple » dont la fonction politique est de « dissimuler que l’état de l’opinion à un moment donné est un système de forces, de tensions ». L’enquête d’opinion devient alors le prolongement du discours politique : « L’équivalent de “Dieu est avec nous”, c’est aujourd’hui “l’opinion publique est avec nous” ». Elle sert à conforter une décision déjà prise, à produire du consensus factice, et à renforcer un ordre social existant.

En définitive, Bourdieu ne nie pas l’existence d’opinions, mais leur traitement statistique comme une entité homogène : « J’ai dit qu’il y avait d’une part des opinions constituées, mobilisées, des groupes de pression mobilisés autour d’un système d’intérêts explicitement formulés ; et d’autre part, des dispositions qui, par définition, ne sont pas opinion ». Ce qu’il conteste, c’est l’usage politique de cette construction artificielle, faite pour agir sur le réel plutôt que pour le représenter. Ainsi, en disant que « l’opinion publique n’existe pas », Bourdieu vise à dévoiler une opération idéologique majeure, qui repose non sur ce que les gens pensent réellement, mais sur la manière dont leur pensée est mise en forme, instrumentalisée et mobilisée à des fins de pouvoir.

L’analyse de Pierre Bourdieu dans L’opinion publique n’existe pas a posé les bases axiomatiques d’une critique sociologique rigoureuse des sondages, en dévoilant les présupposés implicites de ces dispositifs, leur caractère idéologiquement orienté et leur fonction politique de légitimation du pouvoir. En insistant sur l’« effet d’imposition de problématique » et sur l’idée que les sondages construisent artificiellement un consensus fictif, Bourdieu a structuré une lecture critique encore largement mobilisée aujourd’hui. Toutefois, cette position a aussi été remise en cause, notamment par les instituts de sondage eux-mêmes, qui ont défendu la validité de leurs méthodes et souligné les progrès techniques réalisés en matière de représentativité, de formulation des questions et d’interprétation des données. Certains praticiens affirment qu’une lecture trop radicale de Bourdieu aboutit à discréditer toute tentative de prise en compte de l’opinion dans l’espace démocratique.

4.   Des faiblesses méthodologiques mises en lumière par des chercheurs contemporains.

Les travaux menés par la commission d’enquête ont fait apparaître un débat frontal quant à la fiabilité méthodologique des sondages, qui oppose certains chercheurs et les sondeurs.

Lors de son audition, M. Dézé, chercheur, a estimé que les sondages, à notre époque, n’avaient « jamais présenté autant de faiblesses méthodologiques » et ne « se sont presque jamais autant trompés ». À l’appui de son raisonnement, M. Dézé a détaillé plusieurs fragilités méthodologiques qui plaident, selon lui, en faveur d’une grande vigilance sur la fiabilité des sondages.

Une première faiblesse tiendrait au manque de représentativité des échantillons utilisés. Les échantillons concernés seraient en effet « généralement de trop petite taille » et construits « sur un nombre insuffisant de variables de quotas ». Il observe en effet que dans le cas « d’un sondage sur des intentions de vote, l’échantillon est de 1 000 personnes, mais seules celles qui sont inscrites sur les listes électorales et déclarent une intention d’aller voter ainsi qu’une orientation de vote seront prises en considération : en général, il faut diviser l’échantillon de départ par trois. Pas besoin d’avoir suivi des cours de statistiques pour savoir qu’avec un nombre aussi faible de répondants, on parvient évidemment à des prévisions qui n’ont aucun rapport avec la réalité ».

Une seconde faiblesse méthodologique tiendrait, selon lui, au fait que ces échantillons soient constitués en ligne, ce procédé comportant des biais importants tenant à l’auto-sélection des personnes interrogées, et à l’incapacité des sondeurs de disposer d’informations suffisantes sur les conditions dans lesquelles les questionnaires auto-administrés sont remplis. Ces faiblesses seraient par ailleurs renforcées par l’insuffisance des contrôles mis en œuvre par les instituts de sondage et par la non-prise en compte de l’illectronisme d’une partie de la population française, ce qui affecterait la représentativité des échantillons concernés. De surcroît, les sondages sont toujours effectués uniquement en France métropolitaine ce qui constitue un risque supplémentaire quant à la représentativité de l’échantillon construit, en laissant de côté nos compatriotes ultramarins.

Enfin, une dernière faiblesse méthodologique tiendrait aux pratiques de redressement mises en œuvre par les sondeurs, qui ne sont pas suffisamment auditables pour garantir qu’elles n’emportent pas d’autres considérations que l’amélioration de la qualité prédictive du sondage.

Sur ce dernier aspect, M. Dézé a indiqué à votre rapporteur, qu’il considérait que les notices publiées sur le site de la Commission des sondages en application de la loi du 25 avril 2016 sont « très fragmentaires » et ne permettent donc pas aux chercheurs d’expertiser les méthodes suivies par les sondeurs : Ces notices ne mentionnent, en effet, d’après lui que « le redressement sociodémographique, qui ne nous apprend pas grand-chose : les personnes non diplômées ou sous-diplômées, issues de catégories sociales plutôt basses dans la hiérarchie sociale, ne répondent pas ; en revanche, celles qui ont un capital culturel élevé sur-répondent. Les notices mentionnent les redressements par rapport aux précédentes élections. Mais ce qui nous intéresserait vraiment, on ne le sait pas. Quels sont les coefficients qui sont appliqués ? Quelles sont les colonnes de référence ? Comment s’opèrent concrètement ces redressements ? Pierre Weill, ancien patron de la Sofres, avait été cité il y a quelques années dans Le Monde disant que les redressements relevaient de la recette de cuisine, mais aussi du “pifomètre”. Cette légèreté est incroyable ! Autrement dit, le dernier mot est laissé au responsable de l’institut de sondages : si, manifestement, les redressements ne correspondent pas au rapport de force ressenti, on le modifie ».

Ces faiblesses méthodologiques ont également été signalées à votre rapporteur par M. Jean-Pierre Sueur, ancien sénateur et rapporteur d’une proposition de loi visant à encadrer plus fermement le rôle des sondages au sein du processus électoral. Ce dernier a confirmé les propos de M. Dézé, considérant qu’avec l’essor des panels, « les sondeurs ne sont plus maîtres de l’échantillon » et dénoncé le recours à la gratification des répondants, méthode qu’il considère comme incompatible avec l’obtention de réponses fiables.

B.   « les sondages Électoraux ne sont pas une science » ([265]) : quelques Exemples.

Votre rapporteur a sélectionné plusieurs sondages révélant des pratiques méthodologiques particulièrement problématiques, tant les incohérences apparaissent manifestes. Ces cas ne relèvent pas d’anomalies isolées : ils mettent en lumière des dysfonctionnements structurels dans les mécanismes de redressement, dont la démonstration sera développée dans un second temps.


1.   Elabe : des redressements sources d’interrogation.

 

 Sondage d’ELABE, publié le 7 décembre 2021 à 18h

Source : commission d’enquête

 

a.   Interrogation sur l’écart des redressements appliqués.

On observe un écart significatif entre les redressements appliqués aux différents candidats. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon, crédité de 8 % dans les données brutes, n’est réajusté qu’à 8,3 %, après application, à la fois du redressement sociodémographique et du redressement politique. À l’inverse, Valérie Pécresse voit son score passer de 16,4 % à 19,4 %, soit un redressement de 3 points. Autrement dit, le redressement accordé à Mme Pécresse est dix fois plus élevé que celui attribué à M. Mélenchon. Un tel déséquilibre appelle à s’interroger sur la cohérence et l’homogénéité des corrections opérées.

Ce déséquilibre est d’autant plus problématique que l’analyse des fondements statistiques du redressement ne permet pas de justifier un tel écart. En effet, la sous-représentation des électorats respectifs est estimée à  1,6 point pour Jean-Luc Mélenchon et  3,1 points pour Valérie Pécresse. Cela signifie que, toutes choses égales par ailleurs, le redressement de Pécresse pourrait être environ 1,9 fois supérieur à celui de Mélenchon (3,1 / 1,6  1,94), mais certainement pas dix fois plus élevé comme c’est le cas ici.

De plus, les taux de report issus du vote de 2017 – c’est-à-dire la proportion des anciens électeurs qui déclarent reconduire leur choix en 2022 – s’élèvent à 40 % pour M. Mélenchon et 58 % pour Mme Pécresse. Si ce différentiel (58 / 40 = 1,45) justifie à nouveau un redressement un peu plus marqué en faveur de Mme Pécresse, il reste bien loin d’un facteur 10. En croisant ces deux facteurs (1,94 pour la sous-représentation, 1,45 pour le taux de report), on obtient un coefficient d’écart maximal théorique de 1,94 × 1,45  2,8, qui ne permet absolument pas de légitimer une correction dix fois plus forte pour Pécresse.

Enfin, les données socioprofessionnelles issues du fichier fourni ne révèlent aucun déséquilibre massif susceptible de justifier un redressement aussi asymétrique entre Jean-Luc Mélenchon et Valérie Pécresse. Sur 14 catégories analysées, Jean-Luc Mélenchon est majoritaire ou relativement fort dans plusieurs profils plutôt sous-représentés dans l’échantillon, mais sans excès. Par exemple :

       Les 25-34 ans, chez qui Mélenchon obtient 12 % d’intentions de vote, sont sous-représentés de  1,5 point.

       Les “autres inactifs”, qui lui accordent 12 %, sont sous-représentés de  1,3 point.

       Les hommes, qui votent 9 % pour lui, sont sous-représentés de  2,2 points.

       Les artisans/commerçants, où il recueille 7 %, sont sous-représentés de  0,7.

       Les ouvriers, très favorables à Mélenchon (22 %), sont surreprésentés de + 0,9 point.

De l’autre côté, Valérie Pécresse bénéficie d’un soutien très fort dans des catégories souvent surreprésentées, voire nettement surreprésentées :

       Femmes : elle y obtient 20 % d’intentions de vote, et cette catégorie est surreprésentée de + 1,8 point.

       50-64 ans : 20 % pour Pécresse, surreprésentés de + 1,4 point.

       Professions intermédiaires : 13 %, surreprésentés de + 1,0 point.

       Cadres et professions intellectuelles supérieures : 19 %, surreprésentés de + 0,7 point.

En somme, la structure de l’échantillon, loin de désavantager significativement Valérie Pécresse, lui est plutôt favorable d’un point de vue sociodémographique, avec une nette surreprésentation de plusieurs de ses électorats-clés. À l’inverse, les quelques catégories favorables à Jean-Luc Mélenchon qui sont sous-représentées le sont modérément (entre – 1 et – 2 points) et sont contrebalancées par des profils très favorables (ex. ouvriers) surreprésentés.

Dès lors, rien dans la structure de l’échantillon ne justifie un redressement aussi déséquilibré. Si l’on devait s’en tenir strictement aux biais dans la représentation des catégories sociales, le redressement sociodémographique aurait même pu être légèrement plus favorable à Jean-Luc Mélenchon. En tout état de cause, les écarts constatés ne permettent en aucun cas d’expliquer pourquoi Valérie Pécresse est rehaussée de + 3 points, tandis que Jean-Luc Mélenchon ne l’est que de + 0,3 point.

b.   Un arrondissement arbitraire qui pose question.

Au-delà de l’écart déjà significatif dans les redressements appliqués, un autre élément pose problème : après redressement, Valérie Pécresse est créditée de 19,4 %, mais le chiffre finalement publié est arrondi à 20 % dans les intentions de vote. Cet arrondi n’est pas anodin. Comme l’a souligné la Commission des sondages dans un échange avec l’institut Elabe, "il aurait sans doute été préférable de s’en tenir à l’arrondi arithmétique", c’est-à-dire de publier un résultat de 19 % ou, à la rigueur, 19,5 %, ce qui "aurait évité d’ajouter encore au spectaculaire de vos données".

En réalité, cet arrondissement n’obéit à aucune règle mathématique stricte : il est arbitraire, et surtout, il profite clairement à la candidate, en renforçant artificiellement la perception de son poids électoral. Pire encore, ce chiffre de 20 % masque le fait que les données brutes la créditaient seulement de 16,4 %, soit un écart de + 3,6 points entre les données déclarées et les intentions finales publiées – un bond considérable, peu expliqué, déjà alimenté par un redressement politique exceptionnellement favorable.

Une telle pratique est hautement problématique : elle introduit une distorsion volontaire dans la présentation des résultats, sans justification méthodologique, et alimente une perception faussée de la dynamique électorale d’un candidat. En gonflant ainsi les chiffres publiés, l’arrondi contribue à fausser le débat public, au mépris des exigences de rigueur, de transparence et d’impartialité qui devraient gouverner la production et la diffusion des sondages.

c.   Une justification peu satisfaisante.

Tout d’abord, questionné par votre rapporteur sur les raisons de cet arrondissement problématique, M. Bernard Sananès a prétendu en audition qu’“en dix ans d’existence, Elabe n’a ainsi reçu qu’une seule remarque de la part de la Commission concernant un sondage sur les intentions de vote à des élections régionales, que nous avions élaboré pour un média » ([266]). Or, le document ici produit démontre exactement le contraire : la Commission des sondages a bel et bien émis une observation claire sur ce sondage précis, critiquant sans détour l’arrondi opéré et sa portée médiatique.

En tout état de cause, questionné au sujet de cet arrondissement, M. Vincent Thibaut a expliqué que “le sondage a eu lieu plus de quatre mois avant l’élection, période à laquelle, nous effectuons un arrondi au premier chiffre après la virgule”, dès lors, Valérie Pécresse, estimée à 19,4 % après redressement, aurait dû être publiée à 19 % et non 20 %. Il justifie cette faveur en soutenant qu’ils "ont ajouté un point au candidat dont le chiffre après la virgule est le plus élevé, afin d’aboutir au total à 100 %, car à ce stade, tous les candidats « inférieurs à 1 % » sont considérés comme des « 0 % ». Derrière un « inférieur à 1 % », il peut y avoir un résultat de 0,4 % ou 0,5 %. Or en l’espèce, le candidat dont l’arrondi supérieur était le plus proche était Valérie Pécresse, dont le score était de 19,4 %” ([267]).

Mais cet argument n’est pas convaincant. D’abord, il contredit frontalement la logique d’arrondi initialement revendiquée : si l’on arrondit au dixième, alors 19,4 % reste 19,4 %, ou au pire 19 %, pas 20 %. Ensuite, et surtout, l’existence d’autres candidats crédités de scores non négligeables mais affichés à 0 % rend cette opération parfaitement arbitraire et biaisée. En effet, Fabien Roussel est mesuré à 1,4 %, mais publié à 1 % ; François Asselineau et Hélène Thouy, à 0,4 %, sont ramenés à 0 %. Si un ajustement du total était réellement nécessaire, il aurait pu — et dû — être réparti de manière plus équitable, ou à tout le moins indiqué clairement dans la notice méthodologique.

De plus, cette justification ne convainc pas dans le mesure où, comme l’explique la Commission des sondages, “pour le lecteur de vos notices, votre tableau présente :

– un total de 103 % si l’on compte les <1 comme 1

– un total de 101,5 % si l’on compte les < 1 comme des 0,5

– un total de 101 % si l’on compte les <1 comme des 0,3 %”

En attribuant cet arrondissement favorable à Valérie Pécresse, l’institut a opéré un choix arbitraire, qui ne repose sur aucun fondement statistique objectif ni sur une règle d’arrondi clairement définie et appliquée uniformément. Rien ne justifiait, ni d’un point de vue méthodologique, ni d’un point de vue arithmétique, que ce soit précisément cette candidate — déjà largement redressée par ailleurs — qui bénéficie de l’ajout d’un point.

Un tel traitement, opéré sans transparence, s’apparente davantage à une décision éditoriale qu’à une démarche scientifique. Il nuit à la crédibilité de la présentation des résultats, et surtout, alimente un biais de perception auprès du public et des médias, en créant artificiellement une "barre symbolique" (les 20 %) atteinte sans justification rigoureuse.

 

 

 

d.   Le sensationnalisme sondagier : la victoire redressée de Valérie Pécresse.

Le sondage précité d’Elabe présente toutefois une spécificité étonnante au regard des options mesurées et redressées pour le second tour, comme l’indique le tableau présenté ci-dessous.

Sondage Elabe du 7 décembre 2021

Source : commission d’enquête.

Dans ce sondage, on ne retrouve Valérie Pécresse victorieuse au second tour face à Emmanuel Macron dans aucun des cas si l’on regarde les résultats bruts. Ce n’est donc qu’avec le redressement que Madame Pécresse l’emporte… et cela avec pas moins de 4 points d’écart avec Emmanuel Macron dans les résultats publiés.

Une telle situation appelle au minimum plusieurs commentaires de la part de votre rapporteur.

Il s’interroge, d’abord, sur le fait qu’une mécanique de redressement puisse changer les résultats du second tour de l’élection présidentielle par rapport aux résultats bruts et, donc, changer le vainqueur. Votre rapporteur estime, ensuite, que face à des résultats bruts comme redressés très serrés, la prudence devrait être de mise dans les commentaires formulés. Enfin, votre rapporteur observe que les résultats publiés sont dans une telle marge d’erreur (entre 45 et 51 pour Emmanuel Macron, entre 49 et 55 pour Valérie Pécresse) que là encore, une très grande prudence aurait dû s’imposer.

Ainsi, le problème posé par ce sondage, outre sa méthodologie douteuse, est ensuite la lecture médiatique qui va en être faite. Aucun média n’étant informé de la structure des résultats bruts ou redressés, la seule information dont les médias disposent est celle des résultats publiés. Et l’occasion est sans doute trop belle de faire du sensationnalisme sur le thème de la victoire de Valérie Pécresse face au président sortant. Une simple lecture des titres de presse permet de voir à quel point ce sondage a constitué un moment médiatique fort de la campagne présidentielle de 2022.

 

 

Aussi, votre rapporteur est convaincu du fait que l’augmentation de la transparence sur les résultats des sondeurs permettrait aux médias de prendre davantage de précaution dans les informations qu’ils publient et, donc, in fine, de mieux informer les citoyens.

Pour rappel, Valérie Pécresse est finalement arrivée en 5e position à l’élection présidentielle, avec un score de 4,78 %... très loin du second tour, et a fortiori de la victoire à ce second tour. Sans doute, d’ailleurs, serait-il judicieux, pour éviter un tel sensationnalisme, d’interdire toute publication de sondage de second tour avant que les candidats ne soient effectivement connus - c’est-à-dire qu’ils aient été choisis par le vote des électeurs et non par les résultats des sondeurs.

Recommandation n° 84 : Interdire la publication de sondages du second tour avant que les résultats du premier tour et les candidats effectivement présents au second tour ne soient connus.

2.   IFOP : quand les redressements produisent des effets différents en fonction du candidat.

Sondage du 22 février                                                  Sondage du 23 février

 

 

Lecture : le redressement politique est égal à : “Redressements présidentielle 2017 (1er tour) – Redressements sociodémographiques”

a.   Analyse du redressement.

Si M. Frédéric Dabi reconnaît volontiers lors des auditions que "les sondages ne sont pas une science", il affirme néanmoins qu’ils "reposent sur une science statistique([268]). En d’autres termes, les méthodes de production seraient scientifiques, même si les résultats produits ne le seraient pas nécessairement. De façon générale, une loi scientifique se définit justement par son universalité : elle ne souffre d’aucune exception. Elle produit systématiquement les mêmes résultats dans les mêmes conditions : c’est la réplicabilité. Dès lors qu’un contre-exemple apparaît, la loi est invalidée ou, à tout le moins, remise en question. Or, l’un des mécanismes jugés scientifiques par les sondeurs est le redressement ([269]). Pourtant, dans le cas produit à titre d’exemple (qui est par ailleurs représentatif de biais systématique comme cela le sera démontré dans la suite du rapport), il semblerait que le redressement ne produise pas les mêmes effets en fonction du candidat, et en fonction de données pourtant quasiment identiques.

Comme l’illustre le sondage du 22 février 2022, Jean-Luc Mélenchon est crédité de 12,5 % dans les données brutes. Or, le redressement sociodémographique n’entraîne aucune variation de ce score. En revanche, le redressement politique – lié à la sous-représentation de son électorat dans l’échantillon – le fait grimper à 13,9 %, soit un gain de 1,4 point. Du côté de Valérie Pécresse, elle est donnée à 11,1 % dans les données brutes. Le redressement sociodémographique n’a qu’un effet marginal (– 0,1 point), tandis que le redressement politique lui ajoute 1,7 point. Ces résultats laissent entendre que l’échantillon est déjà correctement équilibré sur le plan sociodémographique, ce qui expliquerait l’absence de variation à ce stade. En revanche, la forte correction apportée par le redressement politique suggère une sous-représentation notable de certains électorats, notamment ceux de Mélenchon et Pécresse. Si ces données ne sont pas problématiques en soit, elles le deviennent au regard du sondage publié le lendemain par l’IFOP, le 23 février 2022.

En effet, votre rapporteur observe que Jean-Luc Mélenchon est crédité, dans les données brutes, de 11,7 %. Le redressement sociodémographique abaisse légèrement ce score de 0,2 point, tandis que le redressement politique n’a strictement aucun effet. Du côté de Valérie Pécresse, elle est donnée à 10,7 % dans les données brutes. Le redressement sociodémographique n’entraîne qu’une variation minime (– 0,1 point), mais le redressement politique provoque un bond spectaculaire, faisant passer son score de 10,6 % à 14,5 %, soit une hausse de + 3,9 points. Cela tend à confirmer que l’échantillon est quasiment parfait d’un point de vue sociodémographique, aussi bien pour Jean-Luc Mélenchon que pour Valérie Pécresse. En revanche, ce dernier chiffre devrait se justifier par une forte sous-représentation de l’électorat de Valérie Pécresse dans l’échantillon politique – bien plus marquée que la veille, où le redressement appliqué dans le sondage du 22 février 2022 n’était que de + 1,8 point. Jean-Luc Mélenchon, à l’inverse, devrait être parfaitement représenté.

Ainsi, l’on peut en déduire que l’échantillon devrait être socio‑démographiquement équilibré dans les deux sondages, tant pour Jean-Luc Mélenchon que pour Valérie Pécresse. En revanche, sur le plan politique, les deux candidats devraient apparaître sous-représentés de manière comparable dans le sondage du 22 février 2022. Le lendemain, le 23 février, seule Valérie Pécresse devrait être encore sous-représentée – et de manière bien plus marquée : elle bénéficie d’un redressement de + 3,9 points, contre + 1,8 point la veille. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, serait parfaitement représenté dans l’échantillon du 23 février, puisqu’il ne bénéficie d’aucun redressement politique : son score reste inchangé à cette étape. Or, ces suppositions logiques ne se vérifient absolument pas au regard de l’échantillon.

b.   Analyse de l’échantillon politique.

Sondage 22 février 2022    Sondage 23 février 2022

Sondage du 22 février 2022

 

 

Représentation du candidat dans l’échantillon

Redressement politique

J-L. Mélenchon

– 2,8 points

+ 1,4 points

V. Pécresse

– 3,9 points

+ 1,8 points

 

Sondage du 23 février 2022

 

 

Représentation du candidat dans l’échantillon

Redressement politique

J-L. Mélenchon

– 5,1 points

+ 0

V. Pécresse

– 3,5 points

+ 3,9

Au regard de la comparaison entre les redressements politiques et la sous-représentation des candidats, les incohérences apparaissent. Le 22 février 2022, Jean-Luc Mélenchon est sous-représenté de 2,8 points et bénéficie d’un redressement politique de +1,4 point. Valérie Pécresse, de son côté, est sous-représentée de 3,9 points, et obtient un redressement de +1,8 point. Ce traitement semble relativement cohérent : Pécresse est un peu plus sous-représentée que Mélenchon, et son redressement est légèrement plus important.

En revanche, le sondage du 23 février interroge. Jean-Luc Mélenchon est alors sous-représenté de 5,1 points – soit bien plus que la veille – et ne bénéficie pourtant d’aucun redressement politique. À l’inverse, Valérie Pécresse, toujours sous-représentée de 3,5 points (quasiment le même écart que la veille), reçoit un redressement de + 3,9 points, soit plus du double de celui obtenu le 22 février.

Pour le dire autrement : le redressement politique appliqué à Valérie Pécresse le 22 février corrigeait environ 46 % de sa sous-représentation, tandis que celui du 23 février va au-delà, la compensant à hauteur de 111 %. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, voit sa sous-représentation corrigée à 50 % le 22 février… puis à 0 % le lendemain, alors même que son écart s’est creusé. Ces écarts soulèvent des questions quant à la cohérence des critères et des méthodes de redressement utilisés. L’argument selon lequel la variation des taux de report – c’est-à-dire la proportion d’électeurs de 2017 qui choisissent de voter à nouveau pour le même candidat en 2022 – pourrait expliquer cette situation ne tient pas. En effet, le taux de report de Jean-Luc Mélenchon passe de 53 % le 22 février à 49 % le 23, soit une variation minime. Du côté de Valérie Pécresse, il évolue de 52 % à 55 % sur la même période. Un tel écart, s’il peut justifier un léger ajustement plus favorable pour Pécresse, ne saurait en aucun cas expliquer l’absence totale de redressement politique pour Jean-Luc Mélenchon le 23 février.

Interrogé par votre rapporteur à ce sujet, Frédéric Dabi a expliqué que “« Redressements Présidentielle 2017 (1er tour) » comprend six variables, auxquelles s’ajoute celle du résultat à la présidentielle.” et que “si le hasard des corrections dans tous les autres domaines – sexe, CSP, géographie – est contradictoire avec l’effet de cette septième variable, l’impact de ce dernier redressement fondé sur le vote présidentiel est faible ou mineur. Le hasard fait parfois que le redressement n’a pas d’effet, car les autres jeux de redressement vont dans l’autre sens”. Or, un tel argument ne saurait justifier le cas observé ici. Comme l’indique clairement le tableau des résultats, l’IFOP applique d’abord un redressement sociodémographique (incluant effectivement plusieurs variables distinctes), puis, dans un second temps, un redressement politique fondé sur le vote antérieur. Par conséquent, il est tout à fait possible d’isoler l’effet du redressement politique et d’en mesurer l’impact propre. C’est précisément ce qu’a fait votre rapporteur : l’analyse montre que cet impact varie très fortement d’un jour à l’autre, sans explication méthodologique apparente.

Une telle volatilité dans l’application du redressement politique, sans justification méthodologique transparente ni cohérente, met gravement en cause la rigueur et la reproductibilité des ajustements opérés par l’IFOP. Que Jean-Luc Mélenchon, pourtant deux fois plus sous-représenté le 23 février que la veille, ne bénéficie d’aucune correction, tandis que Valérie Pécresse voit son score artificiellement gonflé au-delà même de sa sous-représentation, frôle l’arbitraire. Il est impossible que cet écart soit explicable par un « effet de hasard » ou d’interférences techniques entre variables. Il est clair qu’il s’agit d’un défaut manifeste de méthode, voire d’un biais structurel. Dès lors, il devient légitime de se demander si ces redressements obéissent encore à des logiques statistiques… ou à d’autres impératifs.

C.   Une rhétorique défensive des sondeurs… qui ne s’appuie pas sur la science.

Les instituts de sondage subissent des déconvenues fréquentes. La plus spectaculaire de toute étant l’élection présidentielle de 2002, pour laquelle aucun des instituts de sondages n’avait placé le candidat d’extrême droite, Jean-Marie le Pen, au second tour. Comme le souligne M. Bernard Sananès, président d’Elabe, ce séisme dans l’empire sondagier a mené à de “nombreuses modifications, évolutions et améliorations”. Mais ces évolutions n’ont pas nécessairement mené à des améliorations suffisantes permettant d’évacuer les possibilités d’erreurs. Face aux critiques, quatre grands arguments ont émergé au fil des auditions pour tenter de les relativiser.

1.   L’argument des résultats toujours « très proches de la réalité ».

Le premier argument consiste à soutenir la solidité des méthodes par les succès ponctuels qu’ont rencontrés les instituts de sondage. Lorsque les instituts de sondage sont mis face à leurs erreurs manifestes de prévisions, ils n’hésitent pas à souligner l’ensemble des cas où leurs méthodes ont amené à des résultats proches de la réalité.

Les auditions menées ont permis de recueillir un florilège de réactions de cette nature de la part des sondeurs.

Lors de son audition, M. François Miquet-Marty, président de Viavoice a indiqué, pour sa part, avoir « récemment calculé l’écart moyen entre les dernières intentions de vote pour les quatre derniers scrutins et les résultats réels : il n’est que de 0,88 point par candidat ou liste ».

Il a été rejoint, dans son appréciation générale, par M. Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos : « Pour les élections européennes, les sondages ont très bien fonctionné, y compris pour Jean-Luc Mélenchon : dans nos dernières enquêtes, il était, de mémoire, à 9,5 et le score de la France insoumise a été de 9,8. Nous étions à 13,8 ou 14 pour la liste Glucksmann, pour un score effectif de 13,8 me semble-t-il (...). On ne peut donc pas dire que l’instrument est déficient ».

M. François Kraus, directeur général des études politiques et d’actualité au sein de l’IFOP a également expliqué, pour ce qui concerne l’IFOP, avoir, lors des élections législatives de 2022, « estimé la NUPES à 26,5 points, elle en a obtenu 26,3, soit 0,2 point d’écart. Pour les législatives de juin 2024, nous avons estimé à 40 points le score d’Alexis Corbière en Seine‑Saint‑Denis, il en a obtenu 40,2 ; dans les Alpes‑Maritimes, nous avons estimé à 26 points le score de LFI, il était de 26,6”. Il a été rejoint par M. Frédéric Dabi, directeur général d’IFOP : “En 2012 comme en 2017, le rolling Ifop‑Fiducial a donné presque tous les scores des candidats au point ou au demi‑point près.”

Enfin, M. Gaël Sliman, président d’Odoxa a indiqué que son institut avait publié « des sondages avec des écarts de 0,8 point sur les dernières intentions de vote, des scores précis pour les différents candidats et des prédictions correctes sur l’ordre d’arrivée et le vainqueur ».

S’il est indéniable que les instituts de sondage enregistrent parfois des succès qu’ils jugent retentissants — alors même qu’il ne s’agit que de remplir leur mission —, ils utilisent ces réussites comme arguments pour défendre la fiabilité globale de leurs méthodes… même lorsque celles-ci s’avèrent inefficaces. Lorsqu’un sondage correspond aux résultats finaux, les instituts mettent donc en avant son caractère prédictif — à la différence des situations où des écarts ou erreurs sont relevés, et où ils affirment alors que les sondages n’ont… aucun caractère prédictif.

2.   L’argument opportun du caractère non prédictif des sondages.

Le deuxième argument consiste à rappeler le caractère non-prédictif d’un sondage.

Cette rhétorique permet aux instituts de s’abriter derrière l’argument d’une « photographie à un instant T », invoquée de manière récurrente : le sondage ne serait pas une prédiction, mais une mesure provisoire, susceptible d’être dépassée par les événements.

Cet argument a été utilisé systématiquement par les sondeurs pour faire face aux critiques soulignant les erreurs manifestes de leurs sondages.

Interrogé sur ce sujet, M. Gaël Sliman, président d’Odoxa a souhaité rappeler qu’un « sondage n’est pas un pronostic, mais une mesure à un instant « t » du rapport de force politique. Il y a une dynamique de campagne qui évolue au fil du temps.”

M. Bernard Sananès, président d’Elabe, pour sa part, a insisté lors de son audition individuelle sur la volatilité de l’opinion publique : « Les sondages enregistrent ces mouvements de l’opinion durant une campagne électorale ; ils n’ont pas pour objet d’établir une prédiction. Nous ne sommes pas les « Élizabeth Teissier » de l’isoloir, nous sommes simplement là pour livrer un instantané ». Il a revendiqué, en outre, un “droit à l’erreur” pour les instituts de sondage, étant donné “qu’aucun d’entre [eux] n’est infaillible”.

Des arguments similaires ont été développés par M. Bruno Jeanbart lors de son audition : « Ce que nous mesurons deux ans avant une élection reflète la situation à ce moment-là et pas ce qui se passera deux ans plus tard ».

Dans la droite ligne des propos précédents, M. Frédéric Dabi a abondé en ce sens : « Lorsque nous commentons nos enquêtes deux, trois ou six mois, voire un an avant la présidentielle, nous disons urbi et orbi – « à la ville et au monde », y compris dans nos rapports, qu’il ne s’agit pas d’une prédiction des résultats du jour du vote, mais d’une indication qui permet de comprendre la période que l’on vit ».

Aux yeux des instituts de sondages, la conformité d’un sondage aux résultats finaux est la preuve de la fiabilité de leurs méthodes. Mais lorsque les erreurs sont grandiloquentes, c’est parce que le sondage n’a pas pour but d’être prédictif et n’a donc pas vocation d’être conforme aux résultats finaux. L’argument de la photographie est donc utilisé en fonction des succès que rencontrent les sondeurs et permet, en outre, d’être parfaitement invérifiable. En se retranchant derrière l’instantané, le sondage devient intouchable : il ne se trompe jamais, puisqu’il ne promet rien. C’est l’oracle qui ne prédit plus, mais réclame malgré tout qu’on l’écoute.

3.   Le périmètre changeant de la notion « d’erreur des sondages ».

Le troisième argument consiste à redéfinir la notion même d’erreur. Questionné par votre rapporteur sur les écarts notables entre les derniers sondages de l’IFOP et les résultats réels de l’élection présidentielle de 2022 — notamment près de 5 points pour Jean-Luc Mélenchon et 4 pour Valérie Pécresse —, Frédéric Dabi entreprend de redéfinir la notion d’erreur elle-même. Qu’est-ce qu’une erreur pour une élection présidentielle ?”, interroge-t-il, avant de proposer une définition suffisamment étroite pour ne pas s’y inclure : “S’il faut donner les résultats au point ou au demi-point près, je peux comprendre l’emploi de ce terme.

En d’autres termes, l’erreur ne serait acceptable comme critique que si l’on attendait une précision absolue — ce qui permet d’en disqualifier l’usage. Il conclut d’ailleurs en estimant qu’en “2022, il n’y a pas eu d’erreur, puisque l’Ifop a donné les deux qualifiés pour le second tour et ne s’est pas trompé sur l’ordre des candidats dans sa dernière enquête”. Ainsi, plutôt que de reconnaître une faille méthodologique, Frédéric Dabi déplace la définition de l’erreur jusqu’à la rendre inapplicable à son propre institut : avoir le bon ordre suffit à ne pas s’être trompé.

Si Frédéric Dabi est un commentateur spécialiste de ses propres données, il semble pourtant nier (ou feint d’ignorer) les conséquences qu’une telle erreur produit sur le débat public, et donc sur le processus électoral. En le plaçant à 7 points du second tour, derrière Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon était relégué au rang de figurant, réduisant la dynamique constatée en sa faveur. Autrement dit, l’“erreur” que Frédéric Dabi refuse de reconnaître n’est pas seulement statistique : elle est performative. Elle a pesé sur la perception des rapports de force, sur les intentions de vote de dernière minute, et plus largement sur le scénario électoral lui-même. En minorant son influence, il s’exonère de toute responsabilité politique dans un processus dont ses chiffres orientent pourtant les clés de lecture. Par ailleurs, s’il considère comme une réussite suffisante le simple fait d’avoir anticipé l’ordre d’arrivée des candidats, Frédéric Dabi ne s’interdit pourtant pas d’occuper les plateaux télévisés pour commenter, avec gravité, la moindre variation d’un demi-point. Ce double discours suggère que la précision ne compte que lorsqu’elle est à son avantage — mais qu’elle peut tout de même servir à fabriquer du récit politique quand cela arrange.

4.   L’argument des effets conjoncturels non maîtrisables.

Le quatrième argument consiste à expliquer les écarts par un ensemble d’artefacts conjoncturels non maîtrisables. Autrement dit, quand un écart est constaté, il est moins la conséquence d’un défaut du modèle que le résultat d’un contexte particulier, d’un comportement électoral imprévisible, ou d’une dynamique tardive. C’est ce qu’exprime Frédéric Dabi (Ifop) lorsqu’il revient sur l’écart important entre les derniers sondages et le score de Jean-Luc Mélenchon en 2022, en invoquant le fait que “15 à 18 % des Français se sont décidés dans la dernière journée, en partie du fait du vote utile”, ce qui rendrait toute précision illusoire. Il évoque également une forte poussée de Jean-Luc Mélenchon qu’Ifop “n’a pas pu complètement intégrer” dans ses estimations. Une justification reprise à l’identique par BVA et Harris, qui avancent que 24 % de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon s’est décidé dans les derniers jours. Même argument chez Odoxa, pour qui l’écart s’explique par une “mobilisation accrue d’un électorat qui n’avait pas été anticipée”. Quant à Ipsos, l’institut préfère évoquer une “extraordinaire fluidité de l’opinion”, avec des “électeurs oscillant entre abstention et participation”, ou “changeant de candidat” jusqu’à la dernière minute. En somme, plutôt que d’assumer une imprécision méthodologique, les instituts déplacent la responsabilité sur le comportement des électeurs — jugés trop volatils ou trop tardifs ou trop stratégiques pour être mesurés. L’erreur, si elle existe, n’est jamais du côté des sondeurs.

Au final, les instituts s’efforcent de maintenir un double discours : lorsqu’ils ont raison, c’est la preuve de la fiabilité du modèle ; lorsqu’ils ont tort, ce n’est jamais une erreur, mais une limite contextuelle, toujours excusable. Ces arguments relèvent de la pure rhétorique, sans aucun fondement scientifique.

D.   un Déni problématique de ces difficultés par les sondeurs.

a.   Une foi indiscutable en leurs méthodes.

À mesure que les sondages se sont imposés comme boussole du débat public, leur statut a évolué : d’outils techniques, ils sont devenus des arguments d’autorité connaissant la volonté populaire. Présents en continu dans les médias, déterminants dans les stratégies politiques, ils façonnent les rapports de force bien en amont du scrutin. Cette centralité les rend, logiquement, objets de débats. Mais dès qu’il s’agit de questionner leurs fondements — fiabilité, redressement, transparence ou régulation —, les instituts se ferment, opposant une certitude méthodologique et une posture défensive, parfois dogmatique.

b.   Des arguments défensifs anciens.

Les arguments avancés par les instituts de sondages pour éviter un prétendu excès de régulation, et plus généralement, défendre la rationalité de leurs méthodes, ne sont pas nouveaux. En effet, Roland Cayrol, directeur de l’institut CSA, estimait déjà en 1985 que “le sondage [est un] outil technique qui a fait ses preuves. Arguant la scientificité des sondages, il dénigrait déjà les critiques de la sphère politique en estimant que “faute de savoir interpréter les sondages et relativiser leurs leçons et leurs effets, les hommes politiques qui rencontrent des insuccès en sont réduit à remettre en cause la technique elle-même, pourtant éprouvée” ([270]). Si un tel « argument » ne va pas plus loin qu’un simple sophisme, il jetait une suspicion équivalente sur les chercheurs de son époque en déclarant que “prenant le relais des hommes politiques, il arrive que des intellectuels de renom, Maurice Druon, Pierre Bourdieu se laissent aller, ici ou là, à un dénigrement un peu facile. On y trouve en général, pêle-mêle : la peur que le sondage ôte à l’intellectuel l’une de ses fonctions (parler au nom du peuple) ; la crainte qu’il ne porte atteinte aux libertés (mais la vraie démocratie exclurait-elle l’interrogation sociologique auprès des individus ?) ; la terreur que le sondage cache ce que sont, en vérité, les vraies aspirations de la société (que nos intellectuels, eux, bien sûr, seraient à même d’interpréter)”.

Il y a 40 ans, les critiques étaient donc déjà légion et, déjà à l’époque, les instituts de sondage préféraient s’en prendre au messager plutôt qu’au message. En affirmant que “l’apport des sondages à une connaissance scientifique du politique [est] indiscutable”, Roland Cayrol posait les résultats des sondages comme des vérités absolues, qu’il serait absurde de contester. À partir du moment où les sondages sont érigés en science, toute critique devient illégitime, assimilée à une hérésie ou à une manifestation d’ignorance, voire de jalousie. Preuve en est, lorsque votre rapporteur a présenté des courbes de centaines de données agrégées afin de mettre en lumière l’existence possible de certains biais structurels, et notamment de regarder ce qui se produisait si on appliquait des niveaux de redressements similaires entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, après correction de biais, la réaction d’IPSOS a simplement été de dire : “ça n’a aucun sens” ([271]). Une réponse péremptoire qui n’apporte aucun contre-argument, mais qui ressemble davantage à un acte d’autorité qu’à une réfutation scientifique, finalement jamais apportée. Ce réflexe d’autorité, refusant toute remise en question externe, rappelle moins le champ de la recherche que celui des dogmes religieux : il ne s’agit plus de débattre sur des preuves, mais de défendre une vérité révélée. Ironie de la chose : une semaine après l’audition d’IPSOS, le directeur de Cluster 17 et professeur en sciences politiques, Jean-Yves Dormagen, proposait comme méthode d’analyse de données agrégées… celle que votre rapporteur avait, précisément, présentée à l’institut IPSOS sans obtenir de réponse scientifique.

Cette foi inébranlable dans la méthode sondagière se manifestait aussi chez Frédéric Bon, chercheur spécialiste des sondages et consultant chez SOFRES, qui n’hésitait pas à affirmer qu’en “pratique, grâce à l’expérience et aux connaissances accumulées, les sondages ont une acuité supérieure à celle que prévoit la théorie”. Or ces propos, tenus bien avant les erreurs importantes et répétées qui ont entaché la crédibilité des instituts dans les années suivantes, révèlent moins une analyse rationnelle qu’un acte de croyance. Ce n’était pas une conclusion fondée sur des faits, mais l’expression d’une conviction devenue dogme — que l’histoire des sondages aura largement le temps de démentir.

Lorsque les sondeurs ont été confrontés à leurs premiers échecs publics, ils avaient déjà dégainé un argument de défense bien rodé : celui du caractère non-prédictif du sondage. Jean-Marc Lech, alors directeur de l’institut français d’opinion publique (IFOP), balayait ainsi les accusations d’erreur en déclarant : “Confronter les chiffres d’un sondage effectué quinze jours avant une élection avec les résultats de l’élection et dire : les sondeurs se sont trompés, ou parler de ‘Waterloo des sondages’, relève du procès d’intention. L’objet du sondage est de fournir une information au moment où le sondage est fait.” ([272]) Autrement dit : ce n’est pas une prédiction, c’est une photographie. Cet argument, largement repris depuis, a comme on l’a vu une double utilité : il dédouane les instituts en cas de décalage avec les résultats finaux et rend toute vérification impossible. Car si le sondage ne prétend pas dire ce qui va se passer, mais uniquement ce qui se passe à un instant donné, alors il devient insaisissable, invérifiable (surtout en l’absence de transparence) — et donc infaillible par principe. Qu’il se révèle juste ou non n’a plus d’importance : les résultats d’un lundi ne vaudront jamais ceux d’un vendredi. Ainsi, la photographie devient un cliché figé que l’on exhibe quand il conforte une thèse, mais qu’on relativise aussitôt qu’il dérange.

De l’autre côté de l’Atlantique, la volonté des instituts de sondage de s’absoudre de toute régulation était déjà présente. Réticents à toute forme de contrôle exercé par des instances démocratiques, les instituts de sondage ont, depuis les années 1945, constamment défendu l’idée que la pluralité des acteurs suffirait à garantir la probité des résultats. Claude Robinson, fondateur de l’Opinion Research Corporation, résumait cette position en affirmant que “l’honnêteté est primordiale dans la recherche sur l’opinion publique” ([273]), laquelle s’autorégulerait naturellement grâce aux interactions entre les instituts et leurs clients. Ce discours servait à écarter l’idée, pourtant de plus en plus discutée, de soumettre la profession à un encadrement formel, tel que l’obligation de détenir une licence pour exercer.

Opacité, foi à toute épreuve, absence de régulation et le déni face à la preuve de l’échec : tous les éléments rhétoriques mobilisés aujourd’hui par les instituts de sondage étaient déjà présents il y a plus de 40 ans. Les sondages ne peuvent être remis en question car c’est une science, qui, de par sa nature, est guidée par l’honnêteté ce qui justifie l’absence de contrôle et le dénigrement des détracteurs.

c.   Une fiabilité contestable des réponses fournies par les personnes interrogées en ligne.

La question de la façon dont un institut peut déterminer si le sondé ment aux questions est systématiquement regardée comme un grain de sable statistique n’ayant aucune conséquence sur les résultats (alors même que les sondeurs admettent parfaitement que les sondés puissent mentir sur les antécédents de vote par honte). Interrogé dans le documentaire Envoyé spécial – Secrets de sondages sur la fiabilité des réponses fournies par les sondés, Jean-Daniel Lévy, directeur du département politique chez Harris Interactive, reconnaît qu’« on ne peut pas détecter » les mensonges. Cette déclaration intervient alors même qu’un journaliste avait volontairement menti, tant sur son profil que dans ses réponses aux questions posées. Malgré cela, Jean-Daniel Lévy minimisait la portée de ces falsifications, estimant que de tels cas « restent limités en nombre » et que leur impact sur les résultats globaux « apparaît aujourd’hui comme extrêmement faible ». Or, aujourd’hui, les sondages étant rémunérés, certaines personnes en font un complément de revenu, participant massivement à ces enquêtes et automatisant parfois leurs réponses, ce qui interroge la sincérité des données et fragilise davantage encore leur fiabilité.

Les instituts de sondage admettent donc ne pas pouvoir savoir si les sondés mentent… mais assurent avec certitude que ces mensonges n’ont, bien entendu, aucune conséquence statistique. Questionné par votre rapporteur sur la manière dont les instituts s’assurent de la sincérité des réponses, M. Lévy réitère sa position : « Nous n’avons pas la possibilité de vérifier », tout en supposant que peu de personnes seraient réellement prêtes à consacrer du temps à répondre à une enquête en mentant délibérément. Il affirme néanmoins que des « questions de contrôle, [permettant] de détecter les incohérences », sont mises en place. Mais là encore, aucune précision n’est donnée sur l’efficacité réelle de ces mécanismes ni sur leur capacité à neutraliser les biais introduits par des répondants malhonnêtes ou fantaisistes.

d.   Chez les sondeurs : un auto-satisfécit qui balaie sans argument scientifique des critiques légitimes.

Lors de la table-ronde qui a rassemblé les représentants de l’ensemble des instituts de sondage produisant en France des études d’opinion, ceux-ci ont contesté les critiques adressées aux sondages, tant en ce qui concerne la baisse de leur qualité que leurs faiblesses méthodologiques, tout en reconnaissant cependant des écarts de prévision dans certains cas particuliers.

Sur le premier point, M. Frédéric Micheau, directeur général adjoint d’OpinionWay a notamment cité, lors de son audition « une étude américaine publiée en 2016 sur la base de 26 000 sondages portant sur plus de 300 élections dans 45 pays entre 1942 et 2016, [qui] montre un accroissement très net de la précision et de la fiabilité des sondages portant sur les intentions de vote » avant d’ajouter que d’autres « études scientifiques prouvent aussi que plus ces sondages sont réalisés à proximité du scrutin, plus ils gagnent en précision et en fiabilité. ».

Les faiblesses méthodologiques des sondages sont également contestées par les sondeurs à l’appui des arguments suivants :

– les sondages conduits en ligne auraient permis de gagner en précision, notamment en ce qui concerne les souvenirs de vote ([274]). M. Frédéric Dabi a évoqué l’existence d’une « une rupture significative entre les enquêtes réalisées par téléphone et celles qui sont effectuées par Internet », en particulier pour « certaines forces politiques, notamment le Front national ». Pourtant, notre enquête a parfaitement démontré que les problèmes de constitution des échantillons sont loin d’être réglés puisqu’ils conduisent par exemple l’IFOP à surreprésenter sociologiquement l’électorat de Marine Le Pen et à sous-représenter celui de Jean-Luc Mélenchon. Une gageure puisque les redressements sociodémographiques effectués conduisent in fine à annuler ou amoindrir fortement les redressements politiques du candidat insoumis.

– la mise en place de procédures de contrôle dans le cadre des sondages auto-administrés en ligne, via des dispositifs de lutte contre « les multi comptes », les « speeders », les « straight liners », les doublons et l’ensemble des autres incohérences, qui doit permettre de garantir l’intégrité des échantillons. Pourtant, ces contrôles ne permettent en aucun cas de supprimer les faux comptes ou les tentatives de manipulation, comme l’avait parfaitement démontré le journaliste Luc Bronner dans son article « Dans la fabrique opaque des sondages ». Un problème confirmé par Alexandre Dezé qui a affirmé faire des tests réguliers avec des « faux comptes » pour tester la fiabilité de ces outils, sans qu’aucun de ces comptes ne soit jamais supprimé ni ne cesse de recevoir des propositions de participation à des enquêtes d’opinion.

– la définition de consignes strictes à destination des panelistes en ce qui concerne la structure d’échantillon souhaitée, avec des procédures de contrôle et de suivi, qui permettrait de prévenir toute éventuelle « perte de contrôle ». À ce titre, notre enquête a d’ailleurs soulevé une interrogation restée sans aucune réponse puisque les panelistes, auditionnés par notre commission, ont affirmé livrer aux instituts de sondages des échantillons extrêmement proches des données socio-démographiques de l’Insee, ce qui questionne fortement la nature des redressements socio-démographiques que réalisent à la suite les sondeurs.

– la faiblesse des gratifications octroyées aux répondants, qui garantit que le fait de répondre aux questionnaires en ligne ne devienne pas « une activité à plein-temps » tout en constituant une incitation utile au service de la qualité des panels. Sur ce point, les avis méthodologiques restent très divergents, les travaux de sciences sociales sur le sujet considérant que ces rémunérations, même faibles, sont de nature à introduire des biais majeurs (sur la sociologie des répondants, notamment) dans la constitution des échantillons.

E.   une Commission des sondages trop souvent « en soutien » des sondeurs.

a.   Des arguments endossés par la commission des sondages.

La Commission des sondages partage en grande partie la position des sondeurs quant à l’amélioration de la qualité des sondages et la robustesse des méthodes mises en œuvre.

Son secrétaire général, M. Stéphane Hoynck, a ainsi estimé lors de son audition qu’il « y a vingt ou trente ans », « la qualité des sondages était bien moins bonne » car ces derniers « s’autorisaient à ne pas appliquer les mêmes redressements aux différents candidats, laissant ainsi la place à l’arbitraire ou à la subjectivité ». Cette situation est toutefois révolue selon lui, dans la mesure où actuellement, « au-delà de l’existence des critères de redressement et de leur bonne application, sont exigés, pour l’ensemble des candidats testés, les mêmes critères de redressement » et qu’un contrôle est effectué par la commission pour vérifier « lorsqu’un institut réalise plusieurs vagues de sondage pour la même élection, […] que les mêmes critères de redressement sont appliqués pour chacune d’entre elles ».

M. Hoynck a également fait état d’une réelle amélioration « concernant les données brutes » des sondages et, à son avis, de l’existence d’échantillons mieux constitués que précédemment, « quand les sondages étaient menés face à face » ou « par téléphone ». Il a enfin précisé que la commission n’avait pas connaissance « de véritables différences de qualité [entre les sondages des instituts] qui constitueraient des motifs d’inquiétude ».

Dans sa réponse écrite, la commission indique qu’aujourd’hui son action de contrôle tend à se concentrer sur trois éléments principaux, à savoir :

– la traçabilité du passage des données brutes aux données redressées (critères de redressement sociodémographiques et critères politiques) ;

– l’utilisation de critères de redressement identiques pour chacun des candidats ;

– le maintien des critères dans le temps, consigne indispensable à toute comparaison de résultats.

Ces réponses ont été de nature à inquiéter votre rapporteur sur un manque de distance critique de la Commission des sondages vis-à-vis des sondeurs. En effet, votre rapporteur a souvent eu l’impression que les argumentaires des responsables des instituts de sondage pouvaient se retrouver mot pour mot dans les réponses de la Commission des sondages, ce qui est plus qu’inquiétant pour un organe qui doit assurer le contrôle de ces instituts et de leur production. Le contrôle sur pièces et sur place réalisé par votre rapporteur à la commission des sondages a néanmoins permis d’en comprendre les raisons matérielles les plus apparentes.

b.   Une faiblesse du contrôle réel opéré par la Commission des sondages démontré « sur pièces et sur place ».

Le 1er avril 2025, votre rapporteur s’est rendu à la Commission des sondages pour un contrôle sur pièces et sur place. Il a pu dès lors saisir l’ensemble des notices techniques des sondeurs pour la période allant de janvier 2016 à mars 2025, mais aussi les commentaires internes des experts de la Commission. Cette saisie a permis de comprendre en détail les facteurs d’erreurs des sondeurs, mais aussi de comprendre que l’opacité qui est leur règle de fonctionnement ne s’arrêtait pas aux portes de la Commission. Par ailleurs, votre rapporteur a pu constater que les conditions matérielles d’exercice du contrôle sont faibles et doivent être entièrement revues pour assurer une réelle capacité sur le sujet.

Les éléments suivants ressortent de ce contrôle sur pièces et sur place :

 les conditions matérielles d’exercice du contrôle par la Commission ne sont pas à la hauteur. La Commission des sondages ne dispose en effet que d’un seul ETP pour effectuer le travail de réception des sondages, d’envoi aux experts de la Commission, de mise à jour du site, de lien avec les instituts de sondages, etc. En outre, ses experts, au nombre de deux, ne sont pas salariés mais répondent sur commande, à la tâche, et sont saisis d’une demande de rédaction d’avis sondage par sondage.

– les données communiquées par les sondeurs sont insuffisantes pour permettre à la Commission les données d’exercer un contrôle rigoureux… Les sondeurs ne communiquent d’ailleurs pas tous pas les mêmes données ! Ainsi, alors que votre rapporteur s’attendait à trouver non seulement des données détaillées, mais de surcroît homogènes, permettant de comparer les méthodes des instituts de sondage entre eux et de contrôler la qualité des échantillons en détail, il a au contraire été surpris par la faible qualité des données transmises.

À l’appui de son contrôle, votre rapporteur considère que rien, dans les données envoyées à la Commission des sondages, ne permet de contrôler effectivement le caractère scientifique ou non d’un sondage. L’opacité reste en outre totale sur les méthodes de redressement appliquées par ces derniers y compris pour la Commission des sondages, même quand lesdits redressements sont présentés de manière indicative et alternative par les sondeurs concernés.

 Enfin, votre rapporteur observe que les avis négatifs des experts de la Commission ne sont pas toujours suivis d’effets ou de conséquences pour les sondeurs. Il a ainsi été stupéfait de constater que lorsque les experts saisis par la Commission rendent un avis négatif, parfois même extrêmement critique (« il aurait mieux valu que ce dernier sondage ne fût pas publié »), il n’est pas rare qu’aucune conséquence ne s’ensuive pour les instituts de sondage, ce qui laisse de sérieux doutes sur l’effectivité du contrôle appliqué.

III.   les redressements : une « cuisine sondagière » opaque.

A.   Le sacro-saint redressement : un dogme inamovible.

Le doute plane depuis des années sur la mécanique du redressement des sondages, cette opération consistant à ajuster les résultats bruts d’un sondage pour compenser les biais de l’échantillon. Ce procédé, censé garantir la représentativité, est pourtant régulièrement remis en cause, aussi bien par des chercheurs en sciences sociales que par des responsables politiques ou des citoyens attentifs. Certes, le redressement est une étape méthodologique indispensable pour produire des résultats plus fiables, mais encore faut-il qu’il soit vérifiable. Sans accès à l’ensemble des données — brutes, redressées, et aux critères d’ajustement —, le public et les observateurs sont contraints de croire les instituts sur parole. Or, pour ces derniers, ces critiques n’ont pas lieu d’être.

Leur réponse est toujours identique : la méthode est solide, scientifique, rigoureuse. « Nos méthodes sont scientifiques, rigoureuses et précises, elles nécessitent du temps pour être expliquées (...) il faut veiller à ne pas confondre transparence et pédagogie», déclarait ainsi Adélaïde Zulfikarpasic, directrice générale de BVA Xsight, auditionnée devant notre commission d’enquête. Autrement dit : si le doute existe, c’est qu’on a mal compris. Et s’il y a débat, c’est qu’il faut mieux expliquer – non remettre en question. La contestation devient un problème d’éducation, non de méthode. S’il y a une vérité, elle appartient aux sondeurs. Dès lors, les critiques étant perçues comme des hérésies, elles ne sont jamais appelées à participer à corriger les erreurs de méthode qui peuvent être soulevées. D’ailleurs, les données étant opaques, nul ne peut en théorie faire autre chose que se fier à la « bonne foi » des sondeurs.

Les résultats publiés par les instituts ne sont jamais la simple addition des réponses brutes : ils font systématiquement l’objet d’un redressement, destiné à compenser les biais de composition de l’échantillon. Ce redressement peut prendre plusieurs formes, qui ne sont pas systématiquement combinées ni appliquées dans un ordre fixe. Certains instituts utilisent à la fois un redressement sociodémographique et un redressement politique, d’autres ne recourent qu’à l’un des deux, selon leurs hypothèses de départ et leur modèle de projection.

1.   Le redressement sociodémographique.

Le redressement sociodémographique consiste à aligner la structure de l’échantillon avec celle de la population, telle que décrite par les données de l’INSEE. Il s’appuie sur des variables comme l’âge, le sexe, la profession, le diplôme, la région ou encore la taille d’agglomération. Même lorsqu’un institut respecte ces quotas au moment du recrutement, certaines catégories de personnes répondent plus volontiers aux sondages que d’autres — les diplômés, les cadres, les habitants des grandes villes sont ainsi surreprésentés, tandis que d’autres groupes, moins enclins à participer, sont sous-représentés. Pour corriger cela, un algorithme attribue à chaque répondant un poids : il augmente l’influence statistique des profils peu nombreux et diminue celle des profils surabondants. Ce processus d’ajustement se fait par itérations successives, jusqu’à ce que la distribution de l’échantillon, une fois pondérée, colle aux marges sociodémographiques officielles.

2.   Le redressement politique.

Le redressement politique, lui, repose sur le souvenir de vote : on demande aux répondants ce qu’ils affirment avoir voté lors de la dernière présidentielle, puis on compare ces déclarations aux résultats réels. Ce souvenir est souvent biaisé. Certains électeurs modifient rétrospectivement leur réponse — par honte, par oubli, ou par désir de donner une image conforme à ce qu’ils pensent être socialement attendu. Les instituts observent donc les écarts entre les votes réellement exprimés et les souvenirs déclarés, et appliquent des coefficients correcteurs à chaque sous-groupe politique. Si, par exemple, un candidat ayant obtenu 20 % des voix n’est mentionné que par 10 % des sondés, ceux qui déclarent avoir voté pour lui verront théoriquement leur poids multiplié par deux ; si ce candidat ayant obtenu 20 % des suffrages est mentionné par 16 % des sondés, ils se verront appliquer un coefficient multiplicateur de 1,25. Ces coefficients s’ajoutent éventuellement aux poids sociodémographiques, selon le degré de correction souhaité.

3.   Les résultats.

Les résultats finaux — ceux que l’on retrouve dans la presse ou dans les infographies — sont donc des données transformées, produites à partir d’un ensemble de règles, de corrections, et de choix techniques que chaque institut établit selon ses propres modèles. Ces méthodes peuvent diverger fortement d’un acteur à l’autre. Certains instituts, par exemple, redressent politiquement le souvenir de vote à l’élection présidentielle ; d’autres le font sur la base d’élections législatives ou européennes ; d’autres le font en croisant plusieurs élections ; d’autres encore préfèrent s’appuyer sur des échantillons politiques les plus proches possible des dernières élections, quitte à redresser davantage les échantillons sur le plan sociodémographique.

Ainsi, loin d’être de simples mesures d’opinion, les intentions de vote publiées sont des produits statistiques composites, où la part de construction méthodologique est parfois aussi importante que celle des réponses elles-mêmes. Le redressement n’est donc pas seulement une neutralisation du biais, mais une réinterprétation de la donnée — une tentative de projection vers ce que l’institut estime être la "vraie" opinion de l’électorat. Cette opération, pourtant décisive, demeure largement opaque pour le public, alors même qu’elle conditionne toute lecture du débat politique.

B.   UNe incapacité des sondeurs à constituer des échantillons représentatifs des électeurs.

1.   Des problèmes structurels de représentation de certains électorats.

Les instituts de sondage ne livrent à la presse qu’un jeu de tableaux essentiels — selon leur propre jugement. Les données brutes n’y figurent pas. Il n’est dès lors pas possible de savoir combien de réponses ont réellement été recueillies avant tout redressement. Or, ces chiffres sont indispensables pour que les chercheurs, les journalistes ou même tout simplement les citoyens évaluent eux-mêmes l’ampleur des ajustements.

Faute de transparence publique, c’est la Commission des sondages qui est censée assurer au grand public et aux médias la validité statistique des enquêtes électorales. Mais il s’avère qu’après avoir effectué un contrôle sur pièces et sur place pour recueillir tous les documents fournis à cette Commission par les instituts de sondage, ainsi que tous les documents de travail internes à la Commission relatifs à ces sondages, votre rapporteur a pu constater que la Commission des sondages ne disposait pas des données brutes nécessaires pour effectuer une étude sérieuse de la qualité des échantillons et de la nature détaillée des redressements sociodémographiques ou politiques. Au global, donc, l’opacité qui règne sur les méthodes des sondeurs ne s’arrête pas aux portes de la Commission censée les contrôler !

2.   Un cas pratique exemplaire : analyse des sondages de la présidentielle 2022 à la lumière des pièces recueillies dans le cadre d’un contrôle sur pièces et sur place par votre rapporteur.

Fort des plus de 14 000 documents récupérés à la Commission des sondages, votre rapporteur a réalisé un travail inédit d’agrégation de données pour « éclairer les facteurs d’erreur des sondages », comme le définissait le périmètre initial de la résolution portant création de la commission d’enquête. À sa grande surprise, il a découvert que ce travail n’avait jamais été réalisé auparavant, ni par la Commission des sondages, ni par les instituts de sondage eux-mêmes, ni a fortiori par les chercheurs ou les journalistes qui n’avaient tout simplement pas accès à ces données.

Votre rapporteur a ainsi choisi de concentrer ses travaux sur l’élection présidentielle de 2022, où les sondeurs avaient commis - quoi qu’ils en disent - de très lourdes erreurs d’estimation, en particulier pour quelques candidats, et notamment Jean-Luc Mélenchon, Valérie Pécresse, ou encore Éric Zemmour. Le travail que présente ici votre rapporteur est le fruit de l’étude agrégée de 287 sondages, soit près de l’intégralité des études publiées pour la présidentielle de 2022, en utilisant les « notices techniques » communiquées par les sondeurs à la Commission des sondages.

L’analyse révèle un motif récurrent : tous les instituts peinent à recruter des électeurs de Jean-Luc Mélenchon et, dans une moindre mesure, de Valérie Pécresse (dont le « souvenir de vote » renvoie à l’électorat de François Fillon en 2017). La sous-déclaration atteint parfois 30 % — un écart trop massif pour n’être imputé qu’à une forme d’amnésie sur le souvenir de vote. Elle signale plutôt une carence structurelle du dispositif d’enquête : certains segments de la population ne participent tout simplement pas aux enquêtes d’opinion.

Interrogé par votre rapporteur, c’est ce qu’a notamment reconnu en audition le directeur du pôle politique de l’IFOP, François Kraus : « L’électorat insoumis est compliqué à mesurer correctement. Il comporte une très forte proportion de jeunes – des primo-votants ou des personnes qui n’ont pas un vote régulier, systématique selon le qualificatif de l’Insee. (...) Le vote Mélenchon est concentré notamment dans les grandes villes et les quartiers populaires à forte concentration de populations d’origine immigrée. Ces variables à la fois culturelles et sociales expliquent de faibles taux de participation et nous conduisent à partir du principe que, dans ces zones, les gens votent peu ou pas ».

Autrement dit : un électorat qui participe traditionnellement moins aux élections est également plus dur à capter (et donc à mesurer) pour un institut de sondage, car il est aussi moins enclin à répondre à des enquêtes d’opinion. Cela introduit un biais majeur, qui ne semble pas pris en compte par les sondeurs.

Cette analyse est vraie pour tous les instituts de sondages que nous avons pu auditionner et sur lesquels nous avons pu travailler à l’agrégation de données, à l’exception sans doute notable de Cluster 17, qui a assumé, lors de l’audition de son directeur Jean-Yves Dormagen, choisir de s’approcher le plus près possible d’une juste représentation politique, quitte à effectuer des redressements sociodémographiques plus importants : « J’émets l’hypothèse, qui mériterait d’être contrôlée, que le vote influence davantage. (...) Par exemple, si vous me dites que quelqu’un est cadre, je ne sais pas pour qui il vote. (...) En revanche, si vous me dites que quelqu’un a voté pour Jean-Luc Mélenchon ou pour Marine Le Pen lors des dernières élections présidentielles, j’ai une petite idée de son espace électoral. (...) Si vous avez de trop grands écarts avec le vote, vous êtes obligé de donner des poids très importants. C’est le principe du redressement. »

Pour permettre d’illustrer le problème posé, votre rapporteur présente ci-après des données de l’institut IPSOS pour la présidentielle 2022. Les graphiques que nous reproduisons dans ce rapport sont ceux que nous avons présentés aux instituts de sondage pour les interroger sur leurs données.

Graphique réalisé à partir des données de l’institut IPSOS

Source : commission d’enquête

Le graphique, basé sur les données des 26 sondages IPSOS agrégés transmis à la Commission des sondages entre 2021 et 2022, révèle un biais structurel lié au souvenir de vote déclaré pour la présidentielle de 2017. On observe des écarts persistants et significatifs entre les votes réellement exprimés en 2017 et ce que les sondés affirment a posteriori : Emmanuel Macron est systématiquement surreprésenté (+ 3 à + 7 points), tandis que Jean-Luc Mélenchon et l’électorat des Républicains (représenté ici par François Fillon pour le vote des présidentielles 2017) sont nettement sous-déclarés, jusqu’à – 6 ou – 7 points. Ces écarts peuvent atteindre des niveaux très élevés, comme dans le sondage du 27 juin 2021 intitulé « Régionales 2021 – Comprendre le vote des Français / Second tour », où l’électorat de Jean-Luc Mélenchon est sous-représenté de 6,8 points tandis que celui d’Emmanuel Macron est surévalué de 6,1 points — soit un écart cumulé de 12,9 points entre les deux.

Ces écarts révèlent une difficulté méthodologique majeure. Le rappel du vote sert de variable de calage pour redresser les intentions de vote actuelles : plus l’échantillon est politiquement déséquilibré, plus l’ajustement statistique nécessaire est important. Dans certains sondages, la faible qualité de l’échantillon impose des corrections pouvant atteindre 30 %. Dès lors, les estimations reflètent davantage la mécanique de l’algorithme de redressement que l’expression réelle des personnes interrogées.

Enfin, la recomposition politique entre 2017 et 2022 brouille encore davantage les repères : une partie de l’électorat Fillon s’est dispersée (Zemmour, Macron, Le Pen, abstention), rendant leur vote passé plus flou ou moins assumé. Ce décalage entre mémoire déclarée et réalité électorale affaiblit la fiabilité des sondages, en particulier quand ils servent à observer des dynamiques aussi volatiles que celles de la présidentielle.

En ce sens, Jean-Luc Mélenchon est probablement l’un des candidats les plus massivement sous-représentés dans les enquêtes d’opinion. Le graphique montre un écart négatif constant entre son score réel de 2017 et le souvenir qu’en ont les sondés, ce qui signifie que son électorat est mal capté (jeunes, milieux populaires, abstentionnistes repentis). Résultat : les intentions de vote en sa faveur sont systématiquement sous-évaluées, pouvant masquer une dynamique réelle bien plus forte que ce que laissent penser les chiffres redressés.

Ce biais structurel de sous-représentation de l’électorat des Républicains et de la France insoumise, et la surreprésentation de l’électorat d’Emmanuel Macron n’est pas propre à l’institut de sondage IPSOS, et se révèle même exacerbé chez IFOP où les écarts entre les candidats peuvent atteindre 15,8 points ([275]). Au global, comme votre rapporteur l’expliquait ci-dessus, ces problèmes de représentation politiques de l’électorat (surreprésentation de l’électorat Macron, sous-représentation des électorats Mélenchon et Pécresse) se retrouvent chez tous les sondeurs, à l’exception notable de Cluster 17, en raison des choix méthodologiques faits par cet institut que nous exprimions plus haut. Pour ne prendre qu’un deuxième exemple, le graphique ci-dessous présente les données agrégées de sous-représentation et surreprésentation de candidats pour l’institut IFOP.

 

Graphique réalisé à partir des données de l’institut IFOP

Source : commission d’enquête

 

Graphique réalisé à partir des données de l’institut Cluster 17

 

Source : commission d’enquête

L’incapacité à représenter fidèlement l’électorat de Jean-Luc Mélenchon est une faiblesse partagée par l’ensemble des instituts de sondage. Toutefois, un contre-exemple notable a été relevé par votre rapporteur : celui de l’institut Cluster 17. En effet, ce dernier semble en mesure de constituer un échantillon politique de meilleure qualité en ce qui concerne l’électorat insoumis, bien qu’il échoue, comme les autres, à capter celui des Républicains.

Cette singularité montre d’abord qu’il n’est pas impossible, pour un institut de sondage, de constituer un échantillon représentatif de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon. Ensuite, ce seul contre-exemple suffit à remettre en cause l’argument selon lequel la sous-représentation du vote insoumis dans les échantillons des autres instituts s’expliquerait par l’oubli ou le souci de se conformer à une norme sociale perçue. À moins, bien sûr, de considérer que Cluster 17 serait seul capable de neutraliser ces biais individuels.

Cette singularité permet-elle, à elle seule, d’expliquer les meilleurs résultats obtenus par Cluster 17 face à ses concurrents — alors même qu’il a été la cible de nombreuses critiques, tant de la part d’autres instituts de sondage que du secteur dans son ensemble ? C’est en tout cas ce que semble suggérer M. Jean-Yves Dormagen, président de Cluster 17, lorsqu’il affirme, interrogé sur ce point, que son institut est « attentif à la qualité de la reconstitution du vote et à la qualité politique de l’échantillon », la sous-représentation d’un électorat influençant, selon lui, plus fortement encore les corrections statistiques appliquées lors du redressement.

Ce défaut chronique d’échantillonnage politique ne trouve aucun équivalent dans l’échantillonnage sociodémographique, au sein duquel les écarts entre le brut et le redressé sont quasi-systématiquement inférieurs à 1 point. Cela est dû à la méthode des quotas qui est une pratique d’échantillonnage non aléatoire. Elle permet de s’assurer de la représentativité d’un échantillon par l’introduction d’une structure semblable à la population de base. Elle se fonde sur différents critères comme le sexe ; l’âge ; la profession ; la région d’appartenance, etc. Cette pratique constitue donc un échantillon permettant de comptabiliser le pourcentage de la population française appartenant à chaque catégorie via les données de recensement transmises par l’Insee. Voici plusieurs exemples :

Sondage Elabe du 8 mars 2022 commandé par BFMTV, l’Express et SFR

Source : commission d’enquête.

 

Sondage IFOP, du 18 mars 2022, commandé par Paris Match, LCI et Sud Radio

Source : commission d’enquête.

 

 

 

C.   Quand l’algorithme reconfigure « l’opinion publique ».

Votre rapporteur a ainsi constaté que l’ensemble des instituts de sondage présentent une incapacité structurelle à constituer un échantillon politique de qualité.

Certes, les sondeurs s’en défendent, arguant que les écarts observés sont aujourd’hui bien moindres que ceux relevés à l’époque des enquêtes téléphoniques ([276]). Il n’en reste pas moins que des écarts substantiels persistent, à tel point que, dans certains cas, l’algorithme de redressement joue un rôle si déterminant dans la production des résultats finaux qu’il devient légitime de s’interroger sur le poids réel de ce qui a été effectivement recueilli auprès des sondés.

Source : commission d’enquête.

Dans l’échantillon brut, la reconstitution du 1ᵉʳ tour de 2017 accuse 30,4 points de décalage par rapport aux résultats officiels : + 10,2 points pour Macron, – 5,4 points pour Mélenchon, – 5,6 points pour Fillon, etc. Pour combler ces écarts, l’institut applique à chaque panéliste un poids individuel : théoriquement, un électeur Macron ne vaut plus que 0,70 voix, tandis qu’un électeur Mélenchon pèse 1,28 voix. Additionnée sur l’ensemble des répondants, cette mécanique transfère l’équivalent d’un tiers du jeu de données brutes ; autrement dit, près de 30 % du résultat final naît de l’algorithme plus que des déclarations. Ce n’est toutefois pas un mécanisme purement arithmétique : les coefficients finaux se combinent à d’autres redressements (sexe, âge, région, diplôme…), et chaque institut décide librement de la recette exacte — un manque d’harmonisation qui laisse une large marge de manœuvre opaque à ces acteurs et accentue encore l’incertitude sur la fiabilité réelle des résultats.

Or, plus les poids s’éloignent de 1, plus le redressement joue un rôle important et plus la marge d’erreur réelle s’élargit, sans être dévoilée. Problème supplémentaire : cette « cuisine » demeure opaque. La notice technique mentionne seulement « redressement sur souvenir de vote », sans publier les matrices de pondération, les plafonds ou les règles de changement d’élection-référence. Faute d’accès à ces paramètres, il est impossible de répliquer le chiffre publié ni de tester sa sensibilité à d’autres hypothèses.

Quand il faut déplacer 30 points de pourcentage à coups de coefficients individuels, on n’est plus dans la photographie spontanée de l’opinion ; on obtient une image retravaillée où l’algorithme pèse presque autant que les répondants, sans que le grand public ne dispose du mode d’emploi du filtre. En l’état, ce niveau de redressement fragilise la fiabilité et la transparence de l’enquête : le lecteur doit accepter sur parole qu’un tiers des voix a été redistribué selon une recette gardée secrète qu’il ne peut ni contrôler ni auditer.

Le fait que certains candidats soient systématiquement surreprésentés dans les échantillons bruts — comme Emmanuel Macron — tandis que d’autres, tels que Jean-Luc Mélenchon ou les candidats de la droite classique, sont chroniquement sous-représentés, constitue un déséquilibre majeur. Un tel biais récurrent n’est pas anodin : il fausse dès l’origine la mesure de l’opinion, oriente la perception des dynamiques électorales et fragilise la sincérité du débat public. Pour corriger ces déséquilibres initiaux, les instituts appliquent des redressements, qui visent à ajuster les données brutes en fonction de différents critères.

Dans le cadre de ses travaux, la commission d’enquête a eu accès à l’ensemble des résultats bruts avant redressements, ce qui lui a permis de conduire une analyse comparative entre la sous-représentation observée dans l’échantillon brut et le redressement global effectivement appliqué — qu’il soit d’ordre politique ou sociodémographique.

Il est entendu que le redressement n’est pas un processus mécanique, qu’il mobilise plusieurs variables, et qu’il s’effectue non pas sur les données finales mais sur les répondants eux-mêmes avec la mécanique de pondération sondé par sondé que nous évoquions plus.

Toutefois, votre rapporteur a retenu comme postulat méthodologique ce que confirment à la fois certains professionnels du secteur et les analyses institutionnelles : à savoir que le redressement politique, fondé principalement sur le souvenir de vote, constitue le levier principal, tandis que le redressement sociodémographique intervient de manière plus marginale. Le rapport d’information n° 54 du Sénat (2010-2011) est explicite à ce sujet : « Dans la quasi-totalité des cas, le redressement sociodémographique se fait à la marge, l’échantillon retenu étant très fidèle. ».

C’est par ailleurs ce qu’affirmait en 1985 Frédéric Bon, chercheur reconnu, spécialiste de l’utilisation des sondages et dutraitement statistique des données : « Le redressement des sondages préélectoraux est donc une technique nécessaire. Elle se fonde, naturellement, sur la distribution sociodémographique de l’échantillon. Mais les redressements réalisés sur ce type de variables n’ont qu’une influence marginale sur les électorats. En revanche, la prise en compte de la reconstruction du vote pour une ou plusieurs élections passées se révèle particulièrement efficace. » ([277]).

Dans cette perspective, l’analyse conduite par votre rapporteur vise à répondre à une question centrale : les redressements appliqués corrigent-ils effectivement les biais politiques identifiés en amont, ou bien les perpétuent-ils – voire les accentuent-ils ?

D.   Le redressement : le “pifomètre” recouvert de la science statistique.

À la suite de chaque erreur marquante — comme ce fut le cas en 2002 —, les instituts de sondage expriment régulièrement leur volonté d’améliorer leurs outils et leurs modèles. Ces efforts, a priori sincères, s’inscrivent toutefois dans un cadre méthodologique dont les fondements gagneraient à être réexaminés. En effet, les pratiques actuelles reposent sur des conventions établies et des postulats rarement questionnés, ce qui peut limiter leur capacité à appréhender des dynamiques sociales complexes. On peut à cet égard établir un parallèle avec la science d’avant la révolution scientifique : une pratique reposant davantage sur des principes hérités et des conventions implicites que sur une remise en cause empirique systématique. Il en résulte une forme de décalage entre la sophistication croissante des ajustements techniques et l’absence de remise en cause des principes structurants de la discipline.

La modélisation des intentions individuelles — mouvantes, contextuelles, parfois contradictoires — à l’aide d’outils linéaires et statiques interroge sur l’adéquation entre les méthodes employées et la réalité qu’elles prétendent saisir. Tant que les fondations épistémologiques de ces pratiques ne sont pas revisitées, les progrès risquent de rester marginaux. Il ne s’agit pas de nier les apports des sondages, mais de souligner la nécessité d’une réflexion critique sur leurs limites structurelles.

Dans ce contexte, certains sondages peuvent s’avérer exacts, et sont alors accueillis avec satisfaction. Mais ces succès ponctuels, parfois perçus comme des validations de la méthode, tiennent sans doute autant à des conjonctures favorables qu’à la robustesse intrinsèque des modèles. Ils ressemblent, en ce sens, à ces rares occurrences que l’on interprète comme des signes rassurants dans un ensemble encore largement incertain — presque comme des « miracles » au sein d’un système qui, par ailleurs, continue de poser de sérieuses questions méthodologiques. Cependant, lorsqu’ils se trompent, les instituts rappellent volontiers que les sondages ne constituent pas des prédictions mais une photographie à un instant donné. Cette prudence méthodologique tend toutefois à s’effacer lorsque les résultats concordent avec les faits observés, laissant alors entendre que la méthode a démontré sa validité.

Comme ont pu le mettre en évidence les auditions réalisées par notre commission d’enquête, les instituts de sondage peinent à constituer des échantillons politiquement représentatifs : le candidat Emmanuel Macron y est systématiquement surévalué de plusieurs points, tandis que La France insoumise et Les Républicains font l’objet d’une sous-estimation récurrente. Ces défauts d’échantillons sont corrigés par le redressement. Dès lors, plus l’échantillon est de mauvaise qualité, plus le redressement est conséquent. Si l’algorithme permettant d’opérer ce redressement n’est disponible ni à la Commission des sondages, ni nulle part ailleurs que chez les instituts de sondage eux-mêmes, les conséquences que celui-ci induit sur les résultats bruts peuvent être conséquentes. À travers l’étude de centaines de données agrégées, votre rapporteur a pu identifier des biais systématiques.

1.   « Faut mettre Le Pen à 12, plutôt 12,5 », « ce qu’on a fait ne marche pas du tout » : des redressements pifométriques ?

Instinctivement, les instituts de sondage se défendent avec aplomb : « Les résultats redressés sont tout simplement plus fiables et meilleurs » ([278]). Un discours bien rodé, mais qui ne dissipe pas les doutes, surtout chez certains chercheurs. À l’image d’Alexandre Dézé, professeur de science politique à l’université de Montpellier, qui voit dans ces ajustements un moyen de faire correspondre le résultat obtenu « au rapport de force ressenti » ([279]) par l’institut de sondage. Les sondeurs subodoreraient le résultat avant même de l’obtenir. Puis, ils modèleraient les chiffres pour les faire correspondre à cette intuition première, en invoquant le redressement comme caution scientifique. Ce dernier ne servirait alors plus à corriger des biais, mais à légitimer une perception préalable, travestie en vérité chiffrée. La science devient ici un vernis, appliqué sur un résultat déjà pressenti. En témoigne Pierre Weill, ancien directeur de l’institut de sondage Sofres, qualifiant les redressements de « recette de cuisine » mais aussi du « pifomètre ».

Votre rapporteur a pu le constater, par exemple, dans un reportage intitulé “Dans la cuisine des sondages” ([280]) où les caméras d’Alain Hertoghe et Marc Tronchot ont capté les coulisses d’IPSOS, révélant comment les redressements s’opèrent dans les arrière-cuisines de l’institut. À l’écran, Jean-François Doridot, aujourd’hui directeur général public affairs d’IPSOS, ainsi que d’autres membres de son équipe, procèdent en direct à ce qu’ils nomment redressement. Les phrases fusent, guidées moins par des données que par des intuitions : “Au mieux au même niveau que vendredi samedi et peut être en retrait d’un point, à mon avis c’est plus du 25 que du 26”, ou encore : “Faut mettre Le Pen à 12, plutôt 12,5”. Les candidats montent ou descendent au gré des impressions. Jusqu’à ce que l’addition finale ne tombe pas juste – 98,5 au lieu de 100 –, provoquant ce constat aussi candide qu’accablant : “ce qu’on a fait ne marche pas du tout”. Mais la mécanique reprend, et le “redressement” poursuit sa logique intuitive : “moi franchement Sarkozy, ça vaut un 33”. Une fois que la somme des candidats atteint enfin le nombre 100, les résultats sont arrêtés, et donc publiés. Ce que l’on présente au public comme un reflet fidèle de l’opinion n’est alors que la projection d’un ressenti – façonné, arrondi, ajusté – légitimé a posteriori par un vernis de rigueur scientifique. Ce reportage fait écho aux propos de François Kraus, directeur des études politiques à l’Ifop, entendus en audition. Interrogé par votre rapporteur sur les formules de redressement, il a reconnu que « chacun élabore des processus de redressement à partir de son expérience », dans la droite ligne de Frédéric Dabi, qui avait lui-même affirmé que les sondages électoraux « ne sont pas une science ». ([281])

2.   Des redressements déformants : quand les ajustements inversent le sens des résultats bruts.

Les redressements soulèvent des questions en raison de l’opacité entourant leur application : ni les données brutes, ni l’algorithme ne sont divulgués. Le grand public en conclut souvent que les résultats publiés reflètent directement les réponses initiales des sondés. Le redressement apparaît souvent comme une véritable boîte noire — non seulement pour le grand public, mais aussi pour de nombreux chercheurs, et parfois même pour les instituts de sondage eux-mêmes, tant ses modalités d’application peuvent manquer de transparence ou de systématicité.

Ainsi, lors de sa première audition par notre commission d’enquête, M. Jean-François Doridot, directeur général public affairs France d’Ipsos, questionné sur les redressements, estimait dans un premier temps que « cela a au moins le mérite de démystifier l’idée que ces redressements, qui sont absolument nécessaires, changent les résultats d’une intention de vote de trois ou quatre points. En réalité, cela ne modifie les résultats que d’un ou deux points au maximum ».

Néanmoins, à l’issue de son contrôle sur pièces et sur place à la Commission des sondages, votre rapporteur avait alors pu constater, à l’examen des 28 sondages publiés par l’institut IPSOS en vue de l’élection présidentielle de 2022, pas moins de 29 occurrences de redressements supérieurs à 2 points ! Parmi celles-ci, 15 correspondaient à des redressements supérieurs à 3 points, et 7 à des redressements dépassant les 4 points. Une telle affirmation ne relève pas nécessairement de la mauvaise foi, mais elle révèle une confiance implicite dans des méthodes dont la vérification empirique reste lacunaire.

Interrogés à nouveau par votre rapporteur avec ces éléments à sa main, les responsables d’IPSOS avaient alors assumé la possibilité que les redressements aient des impacts plus importants que ce qui avait été d’abord indiqué. Ainsi, Brice Teinturier, directeur général délégué de cet institut, a alors déclaré : « sincèrement, nous n’avions pas en mémoire toutes les enquêtes que nous avons réalisées il y a 3 ans quand nous nous adressions à vous le 26 mars dernier et il est possible que dans certaines enquêtes l’effet du redressement ait été supérieur à 2 ou 3 points ».

De son côté, M. Doridot avait expliqué : « Lorsque nous avons pris connaissance de votre déclaration sur le fait que vous aviez trouvé des écarts supérieurs à 10 points entre données brutes et données redressées ([282]), je me suis jeté sur les listings. (...) J’ai constaté qu’en effet, même chez Ipsos, les variations sont parfois plus élevées. (...) J’ai analysé ce qu’il en a été pour [une] enquête en ce qui concerne Emmanuel Macron. Sur les 3,5 points d’écart, 1,5 point est dû au redressement sociodémographique (...) et 2 points sont dus au redressement politique. En résumé, oui, un écart de plus d’un ou deux points est possible ».

Autrement dit, les sondeurs eux-mêmes reconnaissent que les redressements peuvent avoir des effets non négligeables vis-à-vis des résultats bruts. Mais aussi que les redressements sociodémographiques peuvent accentuer des redressements politiques. Votre rapporteur a par ailleurs pu constater que l’inverse était également possible, les redressements sociodémographiques pouvant parfois s’annuler ou se corriger l’un l’autre, ce qui n’a pas été de nature à le rassurer sur la scientificité de ces méthodes…

Les redressements ne constituent donc pas de simples ajustements marginaux : ils peuvent avoir des effets significatifs sur les résultats publiés. Ainsi, chez IPSOS, le candidat Emmanuel Macron a fait l’objet, en moyenne, d’un redressement défavorable d’environ 3 points. De son côté, l’institut IFOP applique à Valérie Pécresse un redressement dont l’effet moyen est une hausse de 2 points par rapport à son score brut. Il ne s’agit là que de moyennes : dans certains cas, les écarts entre score brut et score redressé peuvent être sensiblement plus importants, ce qui souligne l’impact potentiellement décisif de ces ajustements. En effet, le redressement peut avoir pour conséquence de modifier l’ordre d’arrivée des candidats dans les intentions de vote, en inversant leurs positions relatives. Ce phénomène, que l’on peut qualifier de croisement, survient lorsqu’un candidat, initialement devancé dans les résultats bruts, passe devant un autre une fois les redressements appliqués. L’algorithme devient alors déterminant : il peut influer sur la perception de la dynamique électorale, orienter les comportements stratégiques des électeurs, ou encore peser sur la couverture médiatique de la campagne. Pourtant, et comme l’enquête l’a révélé, cet outil ne fait l’objet d’aucun contrôle, ce qui est particulièrement étonnant puisque l’article 3 de la loi de 1977 fixe en théorie aux sondeurs l’obligation d’envoyer à la Commission des sondages une notice technique présentant « s’il y a lieu, les critères de redressement des résultats bruts du sondage ». Les données fournies à la Commission ne permettent pourtant pas une analyse détaillée sur ce point.

Si certains instituts de sondage, comme OpinionWay, n’observent que très rarement, voire jamais, de croisement entre les résultats bruts et les résultats redressés, d’autres en enregistrent de manière plus fréquente. C’est notamment le cas de l’institut IFOP, pour lequel 31 cas de croisement entre résultats bruts et résultats publiés ont été identifiés sur les 73 sondages analysés portant sur le premier tour de l’élection présidentielle. Des croisements ont également été observés dans certains sondages relatifs au second tour, bien que de manière moins systématique, ce qui montre que ce phénomène peut concerner différentes phases du scrutin. Ces inversions de classement montrent que le redressement statistique n’est pas neutre : il peut altérer de manière significative la hiérarchie perçue entre les candidats, comme le montrent les graphiques ci-dessous pour l’institut IFOP.

Résultats redressés par l’IFOP

 

Source : commission d’enquête.

Résultats bruts IFOp

Source : commission d’enquête.

Sur les 31 cas de croisements liés au redressement recensés chez l’IFOP, 20 se concentrent sur la période allant du 2 février au 9 mars 2022, au cours de laquelle 25 sondages ont été réalisés par l’institut. Sur cette période, 80 % des sondages publiés par l’IFOP présentent une hiérarchie altérée par le redressement, en décalage manifeste avec les données brutes. Comme le montrent les modélisations, Jean-Luc Mélenchon dépasse Valérie Pécresse en brut dès le 21 février 2022, puis devance également Éric Zemmour dans le sondage publié le 4 mars. Pourtant, dans les résultats publiés, il est systématiquement affiché derrière ces deux candidats. La même mécanique s’observe pour Éric Zemmour, qui apparaît, dans les données brutes, devant Valérie Pécresse quasiment en continu entre le 1ᵉʳ et le 9 mars 2022. Malgré cela, les résultats redressés diffusés par l’IFOP inversent cette hiérarchie. Autrement dit, sur cette séquence cruciale de la campagne, les redressements n’ont pas simplement corrigé les résultats : ils ont redessiné le classement des candidats.

Bien que l’institut Cluster 17 se distingue par la qualité de son échantillon politique — le meilleur parmi ses concurrents — il apparaît paradoxalement comme celui dont les redressements ont les effets les plus marqués. Sur les 19 sondages analysés, 13 présentent au moins un croisement, pour un total de 35 cas recensés. Alors que Jean-Luc Mélenchon est classé en deuxième position dans les résultats bruts — donc en position d’accéder au second tour — plusieurs redressements effectués entre le 22 décembre 2021 et le 4 avril 2022 le relèguent en troisième position ou au-delà. Autrement dit, dans les données brutes, Jean‑Luc Mélenchon est présenté comme qualifié pour le second tour dans 6 sondages sur 19 ; mais, par le jeu de l’algorithme de redressement, il sera systématiquement publié comme étant troisième, voire quatrième, effaçant ainsi toute lecture brute favorable. Cette inversion a été observée dans six sondages distincts et successifs (modélisés ci-dessous), illustrant l’impact significatif que peuvent avoir les redressements sur la perception des dynamiques électorales.

Résultats BRUTS clustER 17

Source : commission d’enquête.

Résultats redressés clustER 17

 

Source : commission d’enquête.

 

Ces constats, loin d’être anecdotiques, soulignent une réalité troublante : le redressement, censé corriger les biais des sondages, est un mécanisme largement opaque, empiriquement instable et hautement influent sur les dynamiques perçues. Il apparaît aux yeux de votre rapporteur que ces redressements ne peuvent pas seulement être considérés comme des outils d’ajustement statistique, mais bien comme des leviers d’influence de l’opinion. Le fait que les croisements soient à ce point fréquents — et qu’ils puissent reléguer un candidat systématiquement hors du second tour alors qu’il y accède ou s’en rapproche selon les données brutes — démontre que les effets du redressement ne relèvent pas de la correction à la marge, mais d’une transformation substantielle du message transmis à l’opinion publique. Pire encore, la relative imprévisibilité de ces corrections, leur manque de transparence, et les propos mêmes de certains responsables d’instituts indiquent une méconnaissance profonde de leur portée réelle. Enfin, le rôle des médias qui les commentent est également à pointer, puisque ceux-ci se contentent la plupart du temps de relayer, sans aucune mise à distance critique, des résultats à la scientificité fortement contestable et pour lesquels l’opacité est une méthode de fabrication…

3.   Des redressements problématiques : sous-estimation et surestimation chroniques de certains candidats.

Votre rapporteur a également pu constater un autre pan tout aussi dérangeant de la fabrique des sondages : non seulement les redressements sont opaques et produisent des effets comme les croisements de courbe que nous venons d’analyser, mais ils se font aussi en faveur ou au détriment de certains profils politiques de façon systématique. Les biais ne sont pas une hypothèse. Ils sont là. Et bien visibles lorsque l’on s’intéresse de près aux données agrégées comme a pu le faire de façon inédite votre rapporteur grâce aux documents recueillis à la Commission des sondages.

Ainsi, en exploitant l’ensemble des données transmises par les instituts à la Commission des sondages, votre rapporteur a ainsi pu mener des analyses à partir d’un corpus agrégé de 287 sondages pour l’élection présidentielle de 2022. Un échantillon d’une telle ampleur permet d’identifier avec rigueur les biais structurels présents dans les techniques de redressement. Grâce à cet accès inédit, votre rapporteur a pu mettre en lumière la manière dont certains candidats bénéficient, de manière récurrente, de redressements plus favorables que d’autres.

4.   Des redressements inconstants.

Si la sous-représentation d’un candidat dans l’échantillon n’est pas le seul facteur pris en compte dans le redressement, elle en constitue néanmoins la variable déterminante. Le redressement n’est pas mécanique — autrement dit, une sous-représentation dans l’échantillon n’entraîne pas systématiquement une compensation équivalente. Cependant, l’analyse des données agrégées permet de dégager des tendances : à sous-représentation égale, il est possible d’observer de combien de points le redressement influe sur le score final.             

Pour approfondir cette analyse, une régression linéaire ([283]) a été réalisée, candidat par candidat, institut par institut, afin d’observer la relation entre le niveau de sous-représentation dans l’échantillon et l’ampleur du redressement appliqué. Si cette méthode permet de dégager une tendance générale, on constate néanmoins que de nombreux points s’écartent fortement de la courbe théorique, et ce de manière difficilement explicable. Ces écarts suggèrent que le redressement ne suit pas une logique strictement proportionnelle ou prédictible, renforçant l’idée d’une application parfois arbitraire ou incohérente des corrections.

 

Ce graphique montre, pour l’institut IPSOS, la relation entre la sous-représentation d’Emmanuel Macron dans l’échantillon (axe horizontal) et le niveau de redressement appliqué (axe vertical) par rapport au résultat brut. Chaque point bleu correspond à un sondage : plus il est à droite, plus Emmanuel Macron était surreprésenté dans l’échantillon ; plus il est bas, plus son score a été diminué (négativement ici car le redressement est défavorable). La courbe rouge est une régression linéaire : elle indique la tendance générale. Le constat est sans ambiguïté : les données sont étroitement resserrées autour de la droite de régression linéaire, traduisant une faible dispersion et, par conséquent, une stabilité dans les mécanismes de redressement. On peut ainsi estimer, avec une marge d’erreur réduite, qu’une surreprésentation de 5 points dans l’échantillon pour Emmanuel Macron conduit en moyenne à un ajustement négatif de 3 points dans son score final par le redressement.

 

 

La situation est très différente pour Valérie Pécresse : on observe une forte dispersion des points autour de la courbe de régression, ce qui traduit une grande variabilité dans les effets du redressement. Ainsi, pour une sous-représentation équivalente dans l’échantillon, le redressement peut être très variable.

Sur deux sondages réalisés à seulement deux semaines d’intervalle (entourés en rouge), on constate que le redressement appliqué à Valérie Pécresse reste exactement le même (+0,5 point), alors même que sa sous-représentation dans l’échantillon passe de 5,1 points à 3,4 points. Une telle constance, malgré une variation nette du biais initial, interroge : elle laisse penser que le redressement ne repose pas uniquement sur des critères objectifs. À l’inverse, pour une même sous-représentation (entourés en marron), le redressement peut varier fortement — allant de 0 à +1,5 point. Ces écarts sèment le doute : ils laissent ouverte la possibilité que les instituts ajustent les chiffres en fonction de ce qu’ils estiment être, à l’instant T, le véritable rapport de force, autrement dit, une forme d’intuition qui vient supplanter la rigueur méthodologique. Si le redressement devient une manière de coller à un résultat « pressenti », alors il cesse d’être un outil correctif pour devenir un instrument spéculatif.

Du côté de l’IFOP, où le nombre plus élevé de sondages permet une analyse statistique a priori plus solide, les constats sont similaires — voire encore plus préoccupants.

À l’instar de l’institut IPSOS, la modélisation par régression linéaire donne des résultats parfaitement cohérents pour Emmanuel Macron : les points se répartissent de manière resserrée autour de la régression linéaire, avec très peu de dispersion. Cela contredit aussi les objections selon lesquelles d’autres paramètres que la sous-représentation (les critères sociodémographiques) influenceraient sensiblement le redressement : les données confirment que celui-ci dépend principalement — et de façon prévisible — de la mémoire de vote.

Du côté de Valérie Pécresse, on constate une nouvelle fois qu’à variation presque égale de la sous-représentation, l’impact du redressement peut être radicalement différent. Le 28 janvier 2022, l’électorat des Républicains est sous-représenté de 3,7 points dans l’échantillon, ce qui conduit à un redressement de seulement 0,6 point pour Valérie Pécresse, faisant passer son score de 15,9 % à 16,5 %. Un mois plus tard, le 23 février 2022, la sous-représentation est quasiment identique (3,5 points, soit 0,2 point de moins), mais cette fois, Valérie Pécresse est redressée de 3,8 points — son score bondit de 10,7 % à 14,5 %. À biais comparable, le redressement appliqué est donc quasiment 6 fois plus important. Une telle disproportion illustre de manière flagrante l’arbitraire de la méthode : loin de suivre une logique statistique stable, les corrections semblent répondre à des choix ponctuels et difficilement justifiables.

 

Constat similaire pour la candidate Marine Le Pen. Sur deux sondages réalisés à seulement cinq jours d’intervalle, elle peut être redressée de + 1,7 point malgré une surreprésentation de 1 point dans l’échantillon, tandis que dans l’autre cas, avec une surreprésentation encore plus marquée (1,2 point), le redressement tombe à – 1,1 point. Au-delà du caractère discutable d’un redressement positif alors même que la candidate est déjà surreprésentée dans l’échantillon, c’est surtout l’incohérence de la mécanique de redressement qui frappe, révélant une méthode instable et difficilement défendable sur le plan statistique.

Ceci étant dit, la démonstration de l’a-scientificité des méthodes d’IFOP est parfaitement admise par Frédéric Dabi, le directeur général de l’institut, admettant sans aucune douleur que “les sondages électoraux (...) ne sont pas une science. Ses fondements reposent cependant sur la science statistique”. Rien n’est moins clair surtout eu égard les multiples erreurs d’interprétations de ses propres données que la Commission a pu constater.

5.   Des redressements structurellement différenciés en fonction des candidats et des instituts.

L’étude des données agrégées des différents instituts de sondage sur l’élection présidentielle de 2022 a permis de mettre en lumière de nombreux biais qui peuvent s’avérer structurellement favorables, ou au contraire structurellement défavorables en fonction des candidats, mais qui peuvent de surcroît se faire de manière différenciée en fonction des instituts.

a.   IFOP : des redressements structurellement défavorables au candidat Jean-Luc Mélenchon.

Lors de l’élection présidentielle de 2022, l’institut IFOP avait sous-estimé le résultat final de Jean-Luc Mélenchon de 5 points. Un écart entre les sondages et le résultat réel de l’élection bien au-delà des marges d’erreur. Votre rapporteur a donc cherché à comprendre les causes d’une telle sous-estimation à l’aide des données agrégées des notices techniques que cet institut a transmises à la Commission des sondages. Au terme de plusieurs semaines d’analyse, la tendance est claire : si Jean-Luc Mélenchon est déjà structurellement sous-représenté dans les échantillons de l’IFOP, il est également structurellement sous-redressé, voire littéralement pénalisé dans les redressements de l’IFOP par rapport à d’autres candidats. Autrement dit : alors que tous les sondeurs peinent à avoir parmi leurs sondés des électeurs de Jean-Luc Mélenchon (à l’exception notable de Cluster 17), les redressements de l’IFOP tendent à aggraver l’effet de cette sous-représentation plutôt qu’à la corriger.

Ce graphique présente, pour les sondages réalisés par l’institut IFOP sur l’élection présidentielle de 2022, les régressions linéaires de Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Marine Le Pen, permettant d’illustrer la tendance générale du redressement en fonction de la sous-représentation de chaque candidat dans l’échantillon. Ces régressions sont extrapolées (en pointillés), c’est-à-dire qu’elles prolongent la tendance observée au-delà des données effectivement mesurées (en trait plein), dans le but de modéliser ce que serait le redressement pour des niveaux plus importants de sous-représentation ou de surreprésentation, et cela dans le but de rendre les données comparables sur un même graphique. Il convient néanmoins d’interpréter ces résultats avec précaution : l’écart mesuré correspond à la différence entre le score brut chez l’ensemble des personnes inscrites sur les listes électorales, et le score redressé parmi les personnes se déclarant certaines d’aller voter. Or, en l’absence de données brutes restreintes aux seuls "certains d’aller voter", nous avons dû travailler à partir des chiffres disponibles. En conséquence, les biais identifiés peuvent provenir aussi bien du redressement lui-même que de la sélection opérée par le filtre "certain d’aller voter". Dans tous les cas, les effets observés doivent être interprétés comme le produit conjoint de ces deux mécanismes.

En théorie, toute chose égale par ailleurs, les courbes devraient être très proches si les mécanismes de redressement étaient appliqués de manière uniforme. Or, bien que des écarts soient attendus, puisque, comme l’ont souligné plusieurs instituts, d’autres facteurs que la sous-représentation influent sur le redressement, les divergences observées ici sont particulièrement marquées, ce qui interroge sur l’homogénéité réelle des méthodes utilisées.

Premier constat essentiel : lorsqu’un candidat est parfaitement représenté dans l’échantillon c’est-à-dire qu’il obtient dans l’enquête exactement la même proportion que dans les résultats corrigés, les redressements appliqués ne sont pas nuls. Autrement dit, même dans une situation « idéale », où l’échantillon représente fidèlement les intentions de vote brutes des électeurs pour chaque candidat, les instituts appliquent tout de même des corrections. Ce phénomène est particulièrement frappant pour Jean-Luc Mélenchon, qui voit son score, en moyenne, systématiquement minoré de 1,5 point, alors même que son niveau de représentation dans l’échantillon ne justifie aucune correction. À l’inverse, Emmanuel Macron bénéficie d’une augmentation mécanique d’environ 1 point, sans que cela résulte d’aucune sous-représentation. L’extrapolation montre en outre que, pour une sous-représentation identique de 10 points, Jean-Luc Mélenchon ne serait redressé que de 2 points, tandis qu’Emmanuel Macron bénéficierait d’un redressement de 6 points — soit trois fois plus. Autrement dit, à déséquilibre égal, l’institut IFOP ne corrige pas de façon égale : il amplifie pour certains ce qu’il minimise pour d’autres, et cette tendance se retrouve chez d’autres instituts.

Ce constat soulève une question de fond sur la neutralité des méthodes de redressement. En théorie, si un candidat est correctement représenté dans l’échantillon, aucune correction ne devrait être appliquée — ou alors de manière marginale, pour compenser de très légers biais. Mais ici, les ajustements sont loin d’être mineurs. Ils révèlent que des facteurs supplémentaires interviennent dans le redressement, parfois au détriment ou au bénéfice constant d’un candidat, indépendamment de sa sous-représentation.

Cette observation est d’autant plus importante qu’elle met en lumière un déséquilibre structurel : tous les candidats ne sont pas traités de la même manière par les algorithmes de redressement. Ce n’est donc pas simplement une affaire de correction technique ou de neutralisation de biais statistiques. Ce que révèle ce décalage, c’est que les instituts de sondage semblent incorporer une forme d’anticipation ou de conviction sur ce que devrait être le véritable rapport de force électoral. En d’autres termes, les redressements appliqués ne servent pas seulement à corriger les déséquilibres de l’échantillon : ils tendent à faire « coller » les résultats à une représentation présumée de la réalité électorale. Cela introduit un biais structurel, car certains candidats se voient systématiquement réajustés à la baisse ou à la hausse, non pas en fonction de leur représentation dans les données brutes, mais en fonction de ce que les instituts estiment probable ou crédible, peut-être même en se « jaugeant » à l’aune de ce que les autres instituts eux-mêmes publient comme données.

Si l’on continue la lecture de ce graphique, deux courbes se comportent comme on pourrait raisonnablement s’y attendre : celles de Valérie Pécresse et de Marine Le Pen. Leurs régressions linéaires sont presque parfaitement superposées, et bien que de légères différences subsistent — ce qui est normal si l’on tient compte de facteurs sociodémographiques influençant le redressement —, elles suivent une logique cohérente. En particulier, lorsque leur niveau de sous-représentation dans l’échantillon est nul, le redressement appliqué l’est également : il est de zéro. Ce résultat est conforme à l’idée selon laquelle, lorsqu’un candidat est correctement représenté dans l’échantillon, il ne devrait pas y avoir de redressement, ou très peu.

Et c’est exactement ce à quoi l’on doit s’attendre si le modèle est bien conçu. Car un principe fondamental de toute démarche scientifique, c’est la réplicabilité : à conditions égales, une méthode fiable doit produire les mêmes effets. Autrement dit, deux candidats dans une situation statistique similaire devraient recevoir un traitement équivalent. C’est précisément ce que montrent les cas de Valérie Pécresse et Marine Le Pen.

Mais le fait que cette logique ne soit pas du tout respectée pour d’autres candidats — Jean-Luc Mélenchon ou Emmanuel Macron, dont les courbes s’éloignent fortement de ce schéma — soulève une vraie alerte méthodologique. On ne peut plus alors parler d’un simple ajustement technique. Si la méthode varie fortement d’un candidat à l’autre, c’est que d’autres logiques sont à l’œuvre : projections subjectives, hypothèses implicites ou modèles ancrés dans des présupposés sur l’électorat réel. Et cela met à mal la prétention à l’objectivité. Ce que la science exige, et que les sondages trahissent : c’est la réplicabilité.

Ces écarts de redressement prennent tout leur sens lorsqu’on les met en regard des niveaux moyens de représentation des différents candidats dans les échantillons. En moyenne, Emmanuel Macron est surreprésenté de 4,9 points, tandis que Jean-Luc Mélenchon est sous-représenté de 5,1 points, tout comme Valérie Pécresse à -4,1 points. Marine Le Pen, de son côté, est proche de l’équilibre avec +0,4 point. Autrement dit, Emmanuel Macron est largement surestimé dans les données brutes, tandis que Jean-Luc Mélenchon et Valérie Pécresse sont structurellement sous-représentés. En toute logique, un redressement impartial devrait corriger ces déséquilibres dans des proportions comparables. Or, comme nous l’avons montré, ce n’est pas le cas : Mélenchon, même lorsqu’il est sous-représenté de 7,5 points, ne bénéficie que d’un redressement limité (environ 1,1), tandis que Macron serait réajusté beaucoup plus favorablement.

Le contraste est flagrant : plus un candidat est surreprésenté, plus favorable est son redressement ; plus il est sous-représenté, plus son redressement reste timide, voire négatif. Cette dynamique révèle une forme de biais systémique, où le redressement ne vise plus à corriger une distorsion, mais à forcer les chiffres à correspondre à une réalité électorale supposée. À ce stade, il ne s’agit plus d’un simple réglage statistique, mais d’un modèle de correction orienté, qui applique des traitements inégaux selon les candidats, au mépris des données brutes et des principes fondamentaux de rigueur scientifique.

b.   IPSOS : quand le redressement… aggrave les problèmes d’échantillon.

Pour éviter de tirer des conclusions hâtives à partir des données d’un seul institut de sondage, votre rapporteur a souhaité effectuer le même travail d’analyse des données de redressements sur plusieurs instituts. Il a, ainsi, compilé celles de l’institut IPSOS, en dressant des régressions linéaires pour comparer les mécaniques de redressements appliquées au regard de la représentation d’un échantillon politique à partir de la mémoire de vote à la précédente élection présidentielle.

Ce graphique illustre de manière flagrante l’arbitraire des redressements appliqués par IPSOS : loin de refléter une méthode uniforme ou cohérente, les courbes de régression varient non seulement en pente mais même en direction, certaines étant positives, d’autres négatives ! Or, en théorie, si les redressements répondaient à un principe méthodologique stable, les courbes devraient toutes être proches, au moins dans leur forme. Ici, on observe une cacophonie statistique qui trahit une absence totale de règle commune : chaque candidat semble faire l’objet d’un traitement ad hoc, fondé sur l’intuition plutôt que sur la donnée. De tels écarts ne sont pas sans rappeler les propos signalés ci-avant à partir du documentaire « dans la cuisine des sondages », d’Alain Hertoghe et Marc Tronchot, dans lequel les redressements semblaient davantage faire l’objet d’approximations successives que de données scientifiquement établies.

La régression linéaire de Jean-Luc Mélenchon, seule à présenter une pente positive dans le graphique, traduit un mécanisme particulièrement incohérent : elle indique que moins il est bien représenté dans l’échantillon brut, plus le redressement IPSOS lui est défavorable. Autrement dit, non seulement Jean-Luc Mélenchon est structurellement sous-représenté dans l’échantillon ([284]), comme votre rapporteur l’a constaté plus haut, mais l’institut choisit de le pénaliser encore davantage quand ce biais s’intensifie ! Ce mécanisme va frontalement à l’encontre de l’objectif même d’un redressement, qui est censé corriger les déséquilibres de l’échantillon, pas les aggraver.

Au lieu de compenser un déficit de représentation, IPSOS enfonce le clou : plus les souvenirs de vote s’éloignent du résultat réel de 2017 en défaveur de Mélenchon, moins l’institut lui accorde de poids. Ce traitement est non seulement incohérent sur le plan statistique, mais il est politiquement suspect : il revient à naturaliser un biais de mémoire connu, comme s’il révélait une moindre légitimité ou un moindre poids électoral réel, alors qu’il devrait au contraire appeler à un ajustement favorable. C’est l’inverse d’un redressement : c’est un affaiblissement actif d’un candidat déjà sous-estimé. D’ailleurs, la pente positive implique que plus Mélenchon est bien représenté, plus le redressement lui devient favorable. Mais cette situation n’existe pas dans les données réelles : comme le montre le graphique, cette zone de forte mémoire est extrapolée (ligne en pointillés), ce qui signifie qu’aucun sondage ne présente en pratique ce niveau de mémoire de vote (et donc de sur-redressement) élevé. Cette bienveillance théorique n’est donc qu’une illusion graphique : dans les faits, Jean-Luc Mélenchon est bien toujours pénalisé par IPSOS.

Si l’on prend un exemple théorique dans la zone extrapolée — par exemple à une mémoire de – 10 (c’est-à-dire un échantillon où les sondés sous-déclareraient massivement leur vote passé de 2017), on constate des écarts de traitement spectaculaires entre les candidats : Emmanuel Macron recevrait alors un redressement d’environ + 12,5 points, Marine Le Pen un peu plus de + 5 points, Valérie Pécresse environ + 2,5 points, tandis que Jean-Luc Mélenchon plafonnerait à peine à + 0,5 point.

Ici, une comparaison avec la courbe de régression linéaire de Valérie Pécresse, représentée en bleu, est intéressante, car les données brutes sont parfaitement comparables. Cette courbe présente une pente négative, ce qui signifie que moins elle est bien représentée dans l’échantillon, plus le redressement lui est favorable. À l’inverse, plus elle est bien représentée spontanément, plus IPSOS réduit son poids. Ce comportement est conforme à la finalité d’un redressement : corriger un biais de sous-représentation. Cette cohérence rend d’autant plus flagrante l’anomalie que représente la courbe de Jean-Luc Mélenchon, dont la pente est inverse : moins il est représenté, plus il est pénalisé, ce qui va à l’encontre même de toute logique corrective. Le cas Pécresse montre donc que IPSOS sait, en théorie, appliquer un redressement dans le « bon » sens : compenser un déficit d’échantillon associé à la mémoire électorale par une correction favorable. Pourtant, ce principe n’est pas appliqué de manière uniforme entre les candidats, comme le démontre la comparaison directe avec Mélenchon. Cela confirme que le redressement n’obéit à aucune règle générale cohérente, mais repose sur des ajustements spécifiques qui semblent au minimum laisser une place à l’arbitraire.

La régression linéaire de Marine Le Pen (courbe marron) présente, comme celle de Valérie Pécresse, une pente négative, ce qui signifie que moins elle est bien représentée dans l’échantillon (mémoire faible), plus le redressement lui est favorable. Mais ce qui frappe ici, ce n’est pas tant la direction de la pente – qui, en soi, est méthodologiquement acceptable – que le niveau extrêmement élevé du redressement appliqué à Marine Le Pen. À mémoire égale (– 7.5), elle bénéficie en moyenne d’un bonus de plus de 2,5 points par rapport à Jean-Luc Mélenchon ou Valérie Pécresse, qui, eux, sont moins « compensés » (Pécresse). Concrètement, même lorsqu’elle est aussi mal représentée que les autres candidats dans l’échantillon, le redressement appliqué à Marine Le Pen est bien plus généreux.

Cela révèle une autre forme de déséquilibre : la logique du redressement n’est pas seulement dans la pente (la direction de l’ajustement), mais aussi dans le niveau du redressement appliqué. Et à ce niveau-là, Marine Le Pen part avec une longueur d’avance : elle bénéficie systématiquement d’un traitement plus favorable, à sous-déclaration égale. Ce traitement préférentiel, non justifié par une différence structurelle objectivée, introduit un biais majeur : à échantillon égal, Marine Le Pen est surpondérée par rapport aux autres candidates et candidats. Certes, on observe sur le graphique un croisement des courbes dans la zone extrapolée (en pointillés), suggérant qu’à un certain niveau de mémoire très élevé, Marine Le Pen serait moins bien redressée que Jean-Luc Mélenchon ou Valérie Pécresse. Mais cette inversion théorique repose uniquement sur des projections hors des données réelles : cette partie du graphique ne correspond à aucun cas observé dans l’échantillon. Autrement dit, il n’existe aucune situation empirique où Mme Le Pen est suffisamment bien représentée pour que le redressement lui devienne défavorable.

La régression linéaire d’Emmanuel Macron (courbe orange) est de loin la plus pentue du graphique, avec une pente fortement négative. Cela signifie que plus la mémoire du vote Macron en 2017 est faible, plus le redressement d’IPSOS lui est massivement favorable. Et inversement : plus il est correctement représenté dans l’échantillon, plus son score est corrigé à la baisse. Ce mécanisme, dans son principe, pourrait sembler logique — compenser un déficit de souvenir. Mais ce qui frappe ici, c’est l’intensité extrême de cette correction : la pente très marquée indique que Emmanuel Macron est bien plus « récompensé » pour sa sous-représentation que tous les autres candidats. À mémoire égale, il bénéficie du redressement le plus généreux, bien au-delà de celui accordé à Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon ou Valérie Pécresse. Cela signifie que la moindre trace d’oubli dans son électorat entraîne automatiquement un ajustement à la hausse particulièrement fort. Ce traitement ultra-sensible revient à ériger le souvenir du vote Macron en critère central du redressement global : le modèle IPSOS a littéralement pour effet agrégé de « protéger son score » dès que l’échantillon des personnes disant avoir voté pour lui à la précédente élection est susceptible d’être sous-représenté.

Après analyse de votre rapporteur, le seul cas documenté de courbe de redressement extrapolée qui présente une pente positive concerne Jean-Luc Mélenchon chez IPSOS. Chez tous les autres instituts (et chez IPSOS également, exception faite de cette anomalie), tous les autres candidats suivent une logique attendue — plus ils sont sous-déclarés, plus le redressement leur est favorable. En définitive, ce graphique montre un système incohérent, chaotique, et fondamentalement non scientifique. Les redressements varient selon des logiques contradictoires d’un candidat à l’autre, sans règle commune, sans symétrie, sans justification méthodologique transparente. Les ajustements semblent reposer sur des choix ad hoc, arbitraires, et qui apparaissent guidés par l’intuition ou la contrainte d’équilibre final plus que par la rigueur statistique. Les données brutes ne sont pas publiques, pas plus que les mécanismes de redressement, et nul ne peut donc les reproduire pour les analyser en détail ; or, ce qui ne peut être reproduit ou, mieux, contesté ne relève pas de la science au sens où la définit l’épistémologue Karl Popper.

c.   ELABE : des redressements qui apparaissent cohérents.

Si votre rapporteur a pu ponctuellement relever des sondages isolés pouvant soulever des interrogations, l’analyse des données agrégées, modélisées sous forme de régressions linéaires extrapolées, offre au contraire, comme on l’a déjà souligné, une vision d’ensemble cohérente et structurée. Afin d’être aussi précis que possible dans ses analyses, votre rapporteur a également soumis les données de l’institut Elabe sur l’élection présidentielle de 2022 à cette analyse statistique… et les résultats apparaissent bien plus cohérents que chez les deux instituts précédemment analysés.

Source : commission d’enquête.

Les courbes de régression issues des données d’Elabe se superposent presque parfaitement, ce qui témoigne d’une remarquable homogénéité dans le traitement des différents candidats. Les écarts entre les lignes sont faibles, progressifs, et ne traduisent aucune distorsion manifeste ni traitement privilégié. Toutes les courbes présentent une pente négative, ce qui est conforme à la logique d’un redressement rigoureux : plus la mémoire électorale est faible — c’est-à-dire plus un électorat est sous-déclaré — plus le redressement augmente le poids attribué au candidat concerné, et inversement. Par ailleurs, les intercepts (croisements de courbes) sont tous situés très près de zéro, ce qui signifie que lorsqu’un candidat est correctement représenté dans l’échantillon (mémoire = 0), il ne fait l’objet d’aucune correction arbitraire. Il s’agit là d’un comportement parfaitement attendu dans une démarche statistique saine. L’ensemble du graphique montre ainsi une application cohérente, symétrique et reproductible des principes de redressement. Contrairement à d’autres cas où les ajustements varient fortement d’un candidat à l’autre, Elabe donne ici à voir un modèle méthodologique stable, lisible et scientifiquement défendable.

Une telle différence par rapport aux données des deux précédents instituts étudiés ne fait que confirmer, en creux, les analyses des problèmes méthodologiques que nous avons constatés chez IFOP et IPSOS.

E.   Regarder au-delà des instituts : analyse agrégée des redressements électoraux.

Il est établi que les méthodes employées par les instituts de sondage diffèrent sensiblement les unes des autres, tant dans les choix de redressement que dans les modèles statistiques mobilisés. À ce titre, une analyse agrégée, fondée sur la comparaison transversale de ces courbes, ne prétend pas à une rigueur méthodologique absolue. Toutefois, dans la mesure où l’ensemble de ces résultats cohabitent dans un même espace médiatique, sont diffusés simultanément, et contribuent à façonner une perception commune de l’opinion, il est légitime d’interroger leurs effets collectifs. En observant les données à l’échelle des principaux instituts, il devient possible de faire émerger des tendances structurelles qui, au-delà des différences techniques, peuvent produire des effets politiques concrets sur le débat public et la représentation des rapports de force électoraux.

Graphique 1 : l’ensemble des données d’Opinion Way, IPSOS, Cluster 17, IFOP, ELABE, sans correction du nombre de sondages par institut, à l’élection présidentielle de 2022

Source : commission d’enquête

Ce graphique agrège les tendances de redressement observées dans l’ensemble des données issues des principaux instituts de sondage français — OpinionWay (OW), IPSOS, Cluster17, IFOP et Elabe — pour l’élection présidentielle de 2022 en modélisant la relation entre la mémoire électorale (déclaration de vote passé) et le redressement appliqué à chaque candidat. Il reflète donc une vue d’ensemble construite à partir de plusieurs centaines de sondages cumulés.

Il convient toutefois de noter que tous les instituts ne pèsent pas également dans cette agrégation : OpinionWay, par exemple, fournit sur cette période 93 sondages contre 22 pour Elabe. Ainsi, les courbes résultantes sont mathématiquement dominées par les pratiques des instituts les plus prolifiques, notamment OpinionWay et IFOP. Cela signifie que les tendances observées ici ne sont pas une moyenne brute des approches méthodologiques, mais une synthèse pondérée de fait par le volume de production de chaque institut.

Cela étant dit, cette pondération n’est pas nécessairement un biais en soi. Elle reflète une réalité médiatique concrète : les instituts qui publient le plus fréquemment sont aussi ceux qui structurent le plus fortement le débat public. Leurs courbes, en apparaissant plus souvent, influencent davantage la perception collective de l’opinion. En ce sens, cette agrégation n’est pas simplement un artefact statistique ; elle est représentative du poids réel qu’exercent certains redressements dans la sphère politique et médiatique.

D’abord, toutes les courbes présentent une pente négative, ce qui signifie que plus un candidat est sous-représenté dans la mémoire électorale des sondés, plus le redressement lui est favorable — et inversement. Cette cohérence générale vient souligner encore davantage la singularité du cas IPSOS, où la courbe de Jean-Luc Mélenchon affichait une pente positive, totalement à contre-sens de la logique statistique attendue. Le fait qu’aucun autre institut ne reproduise ce comportement renforce l’idée que cette pratique isolée d’IPSOS relève d’un choix arbitraire, et non d’une nécessité méthodologique.

Dans ce graphique global, Jean-Luc Mélenchon reste le candidat le plus défavorisé : à mémoire de vote équivalente, il reçoit systématiquement moins de redressement que les autres candidats, en particulier par rapport à Marine Le Pen et Emmanuel Macron. À ce titre, on observe par exemple que lorsqu’un candidat est sous-représenté de 7,5 points dans la mémoire électorale déclarée, Jean‑Luc Mélenchon ne bénéficie en moyenne que d’un redressement d’environ 1,5 point, contre 4,2 points pour Marine Le Pen, soit près de trois fois plus. Emmanuel Macron, qui n’est en réalité jamais structurellement sous-représenté, bénéficierait tout de même d’un redressement d’environ 3,8 points, soit plus du double de celui accordé à Mélenchon. Quant à Valérie Pécresse, elle obtiendrait 2,5 points de correction, soit près de 70 % de plus que Mélenchon à niveau de mémoire égal. Autrement dit, à sous-déclaration équivalente, Mélenchon est le moins redressé de tous les principaux candidats, et de loin. Ce traitement différencié, systématique et mesurable, indique que non seulement ses électeurs sont sous-représentés dans les données brutes, mais que cette sous-représentation n’est que très partiellement, voire insuffisamment corrigée.

Graphique 2 : L’ensemble des données d’OW, IPSOS, Cluster 17, IFOP et ELABE, pour l’élection présidentielle de 2022 avec un poids égal attribué à chaque institut

Source : commission d’enquête.

Dans ce graphique, le poids de chaque institut a été corrigé afin de neutraliser les effets de volume. Concrètement, chaque point issu d’un institut a été pondéré en fonction de la taille de sa contribution globale, selon la formule : 1 ÷ (nombre total de points produits par l’institut). Ce choix méthodologique permet d’éviter que les instituts les plus prolifiques — en particulier OpinionWay et IFOP — n’écrasent mécaniquement les tendances portées par des structures plus discrètes mais méthodologiquement distinctes, comme Elabe, Cluster 17 ou IPSOS. Ce graphique reflète donc une agrégation équilibrée des approches, où chaque institut contribue à part égale à la régression linéaire finale. On ne mesure plus ici l’impact médiatique brut de la production, mais l’architecture méthodologique moyenne telle qu’elle ressort de l’ensemble des pratiques. En ce sens, le résultat offre une lecture consolidée de ce que les principaux instituts appliquent — volontairement ou non — comme logique de redressement, candidat par candidat.

Le résultat est net. Toutes les courbes ont une pente négative : c’est-à-dire qu’à mesure qu’un électorat est moins bien « remémoré » par les sondés (donc plus faible dans l’échantillon), le redressement augmente. Cela montre que, structurellement, les instituts appliquent tous une logique de correction dans le bon sens, sauf IPSOS. Cette convergence entre instituts conforte donc l’idée que la singularité d’IPSOS dans les graphiques précédents constitue bien une anomalie, et non une autre école de pensée statistique.

Ce graphique révèle des écarts persistants dans l’intensité du redressement selon les candidats. Jean-Luc Mélenchon reste nettement moins bien redressé que les autres. Mais cette moyenne pondérée ne masque pas tout : pour un niveau hypothétique de sous-représentation de – 10 points, il recevrait environ 2,5 points de correction, là où Marine Le Pen dépasse les 6 points, Emmanuel Macron frôle les 6,5, et Valérie Pécresse atteint environ 3,5. À niveau de sous-déclaration égal, Mélenchon reçoit ainsi près de trois fois moins de redressement que Le Pen ou Macron, et plus d’un point de moins que Pécresse. Le redressement n’est donc pas seulement une mécanique directionnelle, il est aussi hiérarchisé, et ce déséquilibre structurel traverse les méthodes, indépendamment des effets de volume médiatique.

L’intercept, quant à lui, se situe globalement autour de zéro pour la plupart des candidats, ce qui correspond à une situation attendue : lorsqu’un électorat est parfaitement représenté dans la mémoire des sondés (mémoire = 0), il ne devrait pas faire l’objet d’un redressement significatif. C’est bien le cas pour Macron, Le Pen et Pécresse, dont les intercepts oscillent autour de 0,65 avec moins de 0,04 de différence. Mais Jean-Luc Mélenchon constitue là encore une exception notable : son intercept est légèrement négatif, autour de – 0,66 point, ce qui signifie que même lorsque sa mémoire électorale est parfaitement fidèle, les instituts ont tendance à le sous-pondérer par défaut. Autrement dit, Jean-Luc Mélenchon est le seul candidat à être corrigé à la baisse en l’absence de biais initial, ce qui soulève une fois de plus la question d’un traitement asymétrique et structurellement défavorable.

Au terme de cette analyse, un constat s’impose : le redressement n’est pas un outil neutre, et encore moins une mécanique rigoureuse appliquée uniformément. Derrière l’apparente technicité des modèles, les courbes révèlent des logiques différenciées, parfois contradictoires, souvent opaques, dont les effets ne sont ni marginaux, ni anodins. Ce n’est plus seulement une affaire de variation méthodologique entre instituts : les traitements sont hiérarchisés, les effets sont imprévisibles, et les écarts sont structurels. Les redressements deviennent alors des instruments de réajustement politique implicites, modelant les résultats plus qu’ils ne les corrigent, et ce, sans que les règles précises de ces choix soient jamais exposées au public. Il ne s’agit pas ici d’un procès d’intention, mais d’un constat étayé : à données égales, les redressements ne produisent pas des effets égaux. Cette démonstration statistique l’établit de manière rigoureuse.

Reste à examiner comment ces pratiques sont justifiées par les instituts eux-mêmes. Interrogés sur les éléments mis en évidence au cours de cette analyse, plusieurs d’entre eux ont été en mesure de fournir des explications ou des éléments de contexte. Toutefois, les arguments avancés n’ont, pour l’essentiel, pas convaincu votre rapporteur, soit parce qu’ils reposaient sur des hypothèses invérifiables, soit parce qu’ils n’apportaient pas de justification solide aux écarts constatés. Les biais identifiés apparaissent dès lors difficilement défendables sur le plan méthodologique.

F.   Des justifications avancées peu convaincantes ou non-démontrables.

Face aux problèmes statistiques constatés, et après étude des données agrégées telles que votre rapporteur les a présentées ci-dessus, décision a été prise, après la table-ronde du 26 mars 2025, de revoir plusieurs responsables d’instituts de sondage pour les questionner sur ces données et leur permettre d’apporter des justifications aux problèmes constatés.

1.   Une multiplicité des critères de redressement qui n’explique pas les écarts constatés.

Les instituts de sondage ont eu l’opportunité de justifier les écarts systématiques observés dans les redressements appliqués selon les candidats. M. Jean-François Doridot a indiqué que cela “n’avait pas beaucoup de sens”, soulignant que les courbes ne prenaient en compte qu’un seul critère de redressement, alors que, selon lui, “on redresse un individu en tenant compte de son sexe, de son âge, de sa profession, de la région où il habite”, autrement dit selon un redressement sociodémographique. M. Vincent Thibault a exprimé une position similaire, affirmant qu’il “n’est pas possible d’isoler uniquement la variable politique dans le redressement, car d’autres variables entrent en jeu et il convient de les prendre en compte”.

Bien que les modélisations réalisées par la commission d’enquête ne revendiquent en rien une quelconque exhaustivité, il paraît peu vraisemblable que les écarts systématiques constatés puissent être uniquement imputés au redressement sociodémographique, tant le redressement politique semble jouer un rôle déterminant.

C’est d’ailleurs ce que nous a confirmé M. Jean-Yves Dormagen, président de Cluster 17, professeur de science politique à l’université de Montpellier et spécialiste des sondages, interrogé sur la prépondérance du redressement politique par rapport au redressement sociodémographique. Votre rapporteur a souhaité revoir M. Dormagen car il avait constaté dans les données agrégées une spécificité de Cluster 17 : des échantillons politiques reconstitués à partir de souvenirs de vote quasi-parfaits, mais des écarts plus importants sur le plan sociodémographique.

Votre rapporteur a donc interrogé M. Dormagen sur ses choix méthodologiques et sur le poids réel que pouvaient avoir les redressements politiques et sociodémographiques dans les résultats finaux. La réponse de ce dernier à cette question est reproduite dans l’encadré ci-dessous.

 

Extrait de l’audition de M. Jean-Yves Dormagen, président de Cluster 17, en date du 7 mai 2025

« J’émets l’hypothèse, qui mériterait d’être contrôlée, que le vote influence davantage. Par exemple, si vous me dites que quelqu’un est cadre, je ne sais pas pour qui il vote. En effet, les cadres votent pour Jean-Luc Mélenchon, pour Emmanuel Macron, pour les écologistes, mais aussi pour Marine Le Pen. En revanche, si vous me dites que quelqu’un a voté pour Jean-Luc Mélenchon ou pour Marine Le Pen lors des dernières élections présidentielles, j’ai une petite idée de son espace électoral. Il peut changer d’avis. Certes, il y a beaucoup plus de mouvement qu’on ne l’imagine, d’une élection à l’autre. Mais, quand même, les probabilités qu’une personne qui a voté pour Jean-Luc Mélenchon vote à gauche sont élevées, de même que les probabilités qu’une personne qui a voté pour Marine Le Pen vote dans l’espace des droites, même élargi – a fortiori dans cette période où les camps sont assez figés.

Si vous avez de trop grands écarts avec le vote, vous êtes obligé de donner des poids très importants. C’est le principe du redressement. Si un vote est mal représenté à 30 %, 40 % ou même 50 %, il faut donner des poids de 1,5. À l’inverse, il faut significativement en réduire d’autres, pour l’une des variables les plus discriminantes et les plus puissantes en matière de comportement politique et électoral. Il faut être attentif à avoir une assez bonne reconstitution des votes, car c’est la variable la plus forte. On voit bien, dans les tableaux croisés des fiches techniques, que les électorats se reportent à environ 70 % ou 80 % d’une élection à l’autre. Quand il se reporte en dessous de 60 % ou 70 %, c’est en général qu’une candidature ou un parti est en chute libre. Pour un parti en ascension, l’électorat a plutôt tendance à se reporter à 80 % voire 90 %. Cela n’existe pas avec les variables sociodémographiques. Il n’y a jamais de relation aussi forte ».

Source : commission d’enquête.

Votre rapporteur partage cette analyse de M. Dormagen. Il apparaît évident que le vote antérieur est beaucoup plus prédictif du vote futur que la catégorie socio-professionnelle, même si des tendances lourdes peuvent être constatées à l’échelle macro (par exemple : les jeunes votent davantage à gauche ; les retraités votent davantage à droite). Il faut ajouter à cette première analyse le fait que les catégories de l’Insee, utilisées pour faire les redressements sociodémographiques, peuvent laisser de côté certaines situations professionnelles ou sociales s’étant développées ces dernières années (par exemple : une personne dite en situation d’« ubérisation » doit-elle être considérée comme un chef d’entreprise, un ouvrier, un employé, ou les trois à la fois ?).

Au global, votre rapporteur juge donc peu convaincant l’argument selon lequel les écarts systématiques de redressement entre les candidats s’expliqueraient uniquement par le seul redressement sociodémographique, et ce pour plusieurs raisons :

La sous-représentation démographique est un mécanisme qui devrait pour l’essentiel corriger des biais de représentation politique, pas les aggraver. Ainsi, lorsqu’un groupe sociodémographique (jeunes, ouvriers, bas revenus, etc.) est minoré dans l’échantillon, tout ce qu’il porte – opinions politiques comprises – est sous-représenté. Si un candidat est particulièrement fort dans ce groupe, son score brut est déjà amputé d’autant : le mauvais échantillonnage sociodémographique explique une part de la sous-représentation d’un candidat dans l’échantillon. Par exemple, s’il existe une sous-représentation des 18-24 dans l’échantillon, qui par ailleurs votent massivement Jean-Luc Mélenchon, alors, ce même candidat sera sous-représenté dans l’échantillon eu égard au souvenir de vote. Or le redressement sociodémographique sur les quotas d’âge, de sexe ou de CSP est justement conçu pour rétablir la part réelle de la tranche et, ce faisant, remonter mécaniquement le score du candidat lésé. Ainsi, l’idée qu’un candidat serait moins redressé qu’un autre en raison du redressement sociodémographique peut éventuellement tenir pour l’interprétation d’un sondage isolé, mais elle ne saurait être recevable lorsqu’il s’agit de centaines de sondages agrégés : un candidat politiquement sous-représenté est bien souvent porté par des groupes sociaux eux‑mêmes minorés dans l’échantillon, ce qui devrait mécaniquement renforcer, et non affaiblir, le redressement en sa faveur. Inversement, un candidat surreprésenté bénéficie généralement de catégories sociodémographiques elles-mêmes surestimées, ce qui devrait logiquement limiter, et non amplifier, la correction appliquée. Autrement dit, un ajustement sociodémographique devrait, en général, avantager le candidat sous-représenté ; s’il ne le fait pas, les différences de redressement viennent d’ailleurs.

La méthode des quotas devrait permettre de limiter le poids politique des redressements sociodémographiques. Cette technique d’échantillonnage qui vise à reproduire la structure de la population française à partir de critères sociodémographiques tels que le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle ou encore la région de résidence. Elle repose sur les données de l’Insee, permettant ainsi de constituer un échantillon censé être représentatif de la population. En appliquant cette méthode, les instituts cherchent à limiter les déséquilibres dès la phase de collecte. Par conséquent, les écarts entre l’échantillon et la population de référence sont généralement faibles, ce qui réduit théoriquement l’ampleur des corrections statistiques à appliquer lors du redressement.

La borne mathématique des redressements eux-mêmes. Dans le cadre d’un sondage, le redressement par quotas vise à garantir que chaque cellule sociodémographique (définie, par exemple, par le croisement sexe × âge × catégorie socioprofessionnelle × région) soit représentée dans les mêmes proportions que dans la population réelle. Lorsqu’un groupe est sous-représenté – par exemple, avec une part inférieure de d points de pourcentage à sa part réelle – on redresse en augmentant le poids des répondants qui en font partie. Ce mécanisme de correction constitue le cœur du redressement sociodémographique. Mathématiquement, l’impact maximal de cette correction sur le score global d’un candidat dépend de deux facteurs : l’ampleur du sous-quota d, et l’écart entre le score du candidat dans la cellule concernée et son score national, appelé Δ (sa surperformance dans cette cellule). Sous des hypothèses raisonnables, l’effet global du redressement est proche de d × Δ. Même en poussant ces deux paramètres à des niveaux extrêmes, l’influence totale reste encadrée. Par exemple, un déficit de 4 points dans une cellule (ce qui est déjà élevé) couplé à une surperformance de 15 points pour un candidat dans cette même cellule – situation exceptionnellement favorable – ne conduit qu’à une correction maximale d’environ 0,6 point sur le score national. Atteindre un effet de 1 à 1,5 points impliquerait des conditions extrêmes : un déficit supérieur à 10 points dans une seule cellule où le candidat doublerait littéralement son score moyen – un scénario qui ne se vérifie pas dans la réalité. En effet, les instituts de sondage assurent un suivi rigoureux de la composition des échantillons par la méthode des quotas. Chaque cellule est surveillée : un écart aussi important que 10 points serait rapidement détecté et corrigé, voire entraînerait l’annulation de la vague de sondage. Ces contraintes opérationnelles rendent ce type de scénario théorique très peu plausible. Ainsi, la borne mathématique mise en évidence montre clairement que le redressement sociodémographique ne peut, à lui seul, justifier les écarts de 1 à 1,5 points observés dans les centaines de données agrégées. C’est d’ailleurs ce que conclut le rapport d’information n° 54 du Sénat (2010-2011) : « Dans la quasi-totalité des cas, le redressement sociodémographique se fait à la marge, l’échantillon retenu étant très fidèle. ». Pour expliquer ces écarts, il faut donc aller au-delà du seul mécanisme de pondération démographique.

L’improbabilité statistique empêche que des erreurs d’échantillons produisent systématiquement les mêmes biais. Pour soutenir que les écarts de redressement ne proviennent que des correctifs sociodémographiques, il faut accepter l’idée qu’à chaque vague d’enquête les catégories sociales favorables à Jean-Luc Mélenchon (jeunes, milieux populaires, habitants des centres urbains) seraient, par un étonnant hasard, surreprésentées dans l’échantillon brut, tandis que les segments électoraux proches d’Emmanuel Macron (seniors, cadres, diplômés) seraient sous-représentés. Autrement dit, les instituts devraient réussir, sondage après sondage, à produire un panel présentant simultanément deux déséquilibres parfaitement synchronisés : d’un côté, un biais politique défavorable à certains candidats dans les souvenirs de vote ; de l’autre, pour ces mêmes candidats, un biais sociodémographique d’ampleur exactement opposée. Qu’une telle coïncidence survienne ponctuellement reste concevable ; qu’elle se reproduise à l’identique sur plusieurs centaines de sondages relève de l’improbabilité statistique pure. Une régularité aussi serrée ne s’explique ni par le bruit d’échantillonnage ni par les marges d’erreur usuelles : elle indique nécessairement l’existence d’un biais structurel, soit dans la constitution des panels, soit dans la manière dont les redressements sont appliqués.

Au terme de cette démonstration, deux interprétations seulement restent possibles. Soit les échantillons ne sont pas socio-démographiquement biaisés en faveur du candidat pour lequel l’échantillon politique est pourtant défavorable, et dans ce cas, les redressements appliqués traduisent une volonté implicite de faire correspondre les résultats à une représentation préconçue du rapport de forces électoral. Soit, à l’inverse, les échantillons sont effectivement biaisés à la fois politiquement et socio-démographiquement, toujours dans le même sens, ce qui suppose une défaillance systémique dans leur constitution.

2.   Un taux de report de voix évolutif.

Le redressement n’est ni un processus mécanique… ni un processus scientifique : une sous-représentation de cinq points d’un candidat dans l’échantillon n’entraîne pas nécessairement un redressement équivalent de cinq points. Toutefois, comme l’a constaté votre rapporteur, si le redressement n’est pas mécanique, il n’est pas non plus scientifique. En parallèle de l’argument du redressement sociodémographique, les écarts observés seraient également justifiés par l’évolution du taux de report de voix. Autrement dit, il s’agirait de la tendance des électeurs à voter de nouveau pour le même candidat d’une élection à l’autre, une fidélité électorale qui se renforcerait ou s’affaiblirait avec le temps.

Taux de report d’après les données IFOP

Source : commission d’enquête.

Ce graphique présente l’évolution lissée du taux de compensation (ou redressement relatif) et du taux de report des voix entre deux candidats, Jean-Luc Mélenchon (JLM) et Valérie Pécresse, pendant la campagne présidentielle de 2022. Les courbes pleines (en rouge pour JLM et en bleu pour Pécresse) montrent le taux de compensation, c’est-à-dire le rapport entre le redressement appliqué et la sous-représentation observée dans l’échantillon. Par exemple, si un candidat est sous-représenté de 5 points dans un sondage et qu’on lui applique un redressement de 2,5 points, cela correspond à un taux de compensation de 0,5 (ou 50 %). Cette mesure permet d’évaluer dans quelle mesure les instituts de sondage corrigent la sous-représentation d’un candidat. Les courbes en pointillés, quant à elles, indiquent l’évolution du taux de report, c’est-à-dire la fidélité des électeurs d’un candidat par rapport à l’élection précédente.

Ce graphique, centré sur les données de l’institut IFOP, met en évidence que la solidité ou la volatilité de l’électorat d’un candidat semble avoir peu — voire aucun – effet sur le redressement appliqué à ses intentions de vote. Pour illustrer ce constat, nous avons comparé les cas de Valérie Pécresse et de Jean-Luc Mélenchon, deux candidats présentant un niveau de sous-représentation relativement proche dans les échantillons (en moyenne 5,2 points pour Mélenchon contre 4,1 pour Pécresse). 

Il est indéniable que les premiers sondages présentent un taux de report particulièrement défavorable à Jean-Luc Mélenchon. Entre le 11 janvier et le 8 mars 2022, le candidat de La France insoumise affiche un taux de report moyen relativement stable, situé autour de 44 %, alors que Valérie Pécresse, candidate des Républicains, bénéficie sur la même période d’un taux avoisinant les 50 %. Cette différence non négligeable semble, à première vue, accréditer l’hypothèse selon laquelle le taux de report pourrait influencer le redressement appliqué par l’institut de sondage. Sur la période où le taux de report de voix est largement favorable à Valérie Pécresse, le redressement compense environ 54 % de sa sous-représentation tandis que, dans le cas de Jean-Luc Mélenchon, le redressement compense environ 2 %. Un écart de 6 points dans le taux de report (50 % contre 44 %) engendre un écart massif dans le redressement appliqué par l’institut de sondage – 54 % de compensation pour Pécresse contre seulement 2 % pour Mélenchon, soit un facteur 27 et un écart de 52 points.

À partir du 9 mars 2022, le rapport de force s’inverse : le corps électoral de Jean-Luc Mélenchon se consolide nettement, tandis que celui de Valérie Pécresse se fragilise. Le candidat de La France insoumise voit alors son taux de report progresser de 12 points, atteignant 62 % en fin de période. À l’inverse, la candidate des Républicains subit une érosion continue de ses soutiens, dont une partie se tourne vers Éric Zemmour, Marine Le Pen ou Emmanuel Macron ; son taux de report chute ainsi de 49 % à 40 %. Sur l’ensemble de cette période (du 9 mars au 8 avril), Jean-Luc Mélenchon affiche un taux de report moyen de 57 %, contre 45 % pour Valérie Pécresse, soit un écart significatif de 12 points en faveur du candidat insoumis. Or, contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’un tel retournement, cette dynamique favorable à Jean-Luc Mélenchon ne s’accompagne que d’une très légère évolution du redressement à son avantage. Si l’on observe bien une progression du taux de compensation de sa sous-représentation – passant de 2 % à 9 % – celle-ci reste modeste au regard de la nette amélioration de son taux de report (+ 12 points).

De son côté, Valérie Pécresse voit son taux de compensation reculer, mais de manière tout aussi limitée, de 54 % à 49 %. Ainsi, bien que la hiérarchie des taux de report se soit inversée en faveur de Mélenchon (57 % contre 45 % pour Pécresse), l’écart dans le traitement des deux candidats demeure considérable : le redressement accordé à Pécresse reste 5,5 fois supérieur à celui de Mélenchon. En somme, le redressement appliqué semble faiblement sensible aux évolutions du taux de report, voire déconnecté de celui-ci, ce qui interroge sur les critères réellement pris en compte dans la modélisation des intentions de vote. Alors que l’on aurait pu s’attendre à ce que le croisement des taux de report se traduise par une inversion des taux de compensation, il n’en est rien : Jean-Luc Mélenchon ne bénéficie que d’un léger sursaut, tandis que Valérie Pécresse connaît un simple fléchissement – conservant malgré tout un redressement nettement plus avantageux. Sur la période du 11 janvier au 8 mars 2022, un écart de 6 points dans le taux de report semble suffire à produire, toutes choses égales par ailleurs, un écart de 52 points dans le taux de redressement en faveur de Valérie Pécresse, l’effet inverse ne se manifeste nullement lorsque Jean-Luc Mélenchon prend l’avantage avec 12 points d’avance en taux de report : le redressement ne s’ajuste que marginalement et reste nettement en sa défaveur

En définitive, l’analyse conjointe de l’évolution du taux de report et du taux de compensation appliqué par l’IFOP met en lumière une dissociation frappante entre la dynamique électorale observée dans les résultats bruts des sondeurs et les ajustements effectués dans les sondages. Alors même que Jean-Luc Mélenchon bénéficie d’une nette consolidation de son électorat au fil de la campagne, cette progression se traduit à peine dans le redressement appliqué à ses intentions de vote. À l’inverse, Valérie Pécresse, malgré une détérioration continue de son socle électoral, continue de bénéficier d’un redressement nettement plus favorable. Ces constats suggèrent que les instituts de sondage fondent leur modélisation sur des hypothèses structurelles relativement rigides, peu sensibles aux évolutions conjoncturelles telles que la fidélité des électeurs. Cela pose la question d’un possible biais méthodologique dans la manière dont sont interprétés et corrigés les écarts de représentativité, et invite à une réflexion plus large sur la transparence et la robustesse des modèles de redressement dans les enquêtes d’opinion.

Les sondeurs, comme Brice Teinturier, affirment volontiers que “Les résultats redressés sont simplement plus fiables et meilleurs.” ([285]), à tel point que le directeur général d’IPSOS va jusqu’à déclarer qu’il n’est « pas convaincu que cela serve le débat public » de publier les résultats bruts. Si le redressement des données semble, de manière consensuelle, nécessaire pour corriger certains biais liés à l’échantillonnage, votre rapporteur a toutefois constaté que cette pratique n’a rien de marginal ni de véritablement scientifique. Elle modifie en profondeur les dynamiques observables dans les résultats bruts, en introduisant un biais structurel qui favorise certains candidats au détriment d’autres. Ainsi, votre rapporteur, qui a eu accès à l’ensemble des données brutes jamais publiées, a constaté que celles-ci n’étaient pas nécessairement aussi mauvaises qu’on pourrait le penser.

Plus encore, il est apparu par exemple, pour le cas de Cluster 17, que les dynamiques issues des données brutes se rapprochaient davantage de la réalité que celles produites par les redressements.

Données BRUTES – Cluster 17

Source : commission d’enquête.

Données REDRESSéES – Cluster 17

Source : commission d’enquête.

Tout d’abord, les données brutes montrent clairement que Jean-Luc Mélenchon est donné devant Marine Le Pen dans trois sondages consécutifs entre le 1er et le 20 mars 2022. Par la suite, les deux candidats apparaissent au coude-à-coude, avant que le candidat insoumis ne repasse durablement devant Marine Le Pen le 4 avril 2022. Plus largement, dès le 31 décembre 2021, les données brutes le placent déjà à quasi-égalité avec la candidate du Rassemblement national, laissant entrevoir dès cette date une possible qualification au second tour.

Pourtant, les résultats publiés par Cluster 17 – donc après redressement – présentent un rapport de force sensiblement différent de celui observé dans les données brutes. Entre le 1er janvier et le 1er mars 2022, Jean-Luc Mélenchon y apparaît systématiquement derrière non seulement Marine Le Pen, mais aussi Éric Zemmour et Valérie Pécresse, sans interruption. Or, dans les données brutes sur cette même période, il devance pourtant à la fois le candidat de Reconquête et la candidate des Républicains. Par ailleurs, dans les résultats publiés, Jean-Luc Mélenchon n’est jamais donné qualifié pour le second tour — à aucun moment de la campagne — contrairement aux données brutes, qui le placent à plusieurs reprises dans cette position. Autrement dit, à la lecture des résultats redressés de Cluster 17, Jean-Luc Mélenchon apparaît comme un candidat hors course, incapable de concurrencer Marine Le Pen pour accéder au second tour, alors même que les données brutes racontent une toute autre dynamique. En outre, le dernier sondage publié par Cluster 17 le 4 avril 2022 présente un écart de 2,8 points entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, au bénéfice de cette dernière — un écart situé en dehors de la marge d’erreur annoncée. Pourtant, les données brutes de ce même sondage montrent une quasi-égalité entre les deux candidats, avec un léger avantage pour le candidat insoumis. Cette version brute se révèle d’ailleurs plus proche des résultats effectivement observés lors du scrutin.

Cette disparité n’est pas sans conséquence : en modifiant la hiérarchie perçue des candidats, elle influe directement sur les dynamiques de campagne. En effet, les résultats redressés, seuls diffusés dans l’espace médiatique, façonnent les représentations de l’opinion publique, influencent les intentions de vote ultérieures et peuvent orienter les stratégies des équipes de campagne. Dès lors, la construction même des sondages devient un facteur actif du jeu électoral, au-delà de leur fonction de simple mesure de l’opinion.

Il est fondamental de constater qu’au vu des données, les rapports de force issus des données brutes s’avèrent, in fine, plus proches de la réalité électorale que ceux issus des redressements. Non seulement ces derniers reposent sur des postulats fragiles, mais ils aboutissent, dans certains cas, à effacer des signaux clairs et cohérents présents dans les données brutes. Autrement dit, loin de corriger des biais, les redressements peuvent en introduire de nouveaux, systématiques, et profondément déformants. Ce constat est d’autant plus préoccupant que les résultats redressés, bien qu’affaiblis méthodologiquement, sont ceux qui, finalement, structurent l’espace médiatique, orientent les perceptions publiques et influencent les dynamiques de campagne. Ainsi, non seulement le redressement peut parfois échouer à améliorer la qualité de l’information, mais il peut également masquer des tendances électorales réelles, pourtant lisibles dans les données brutes, compromettant ainsi la clarté du débat démocratique.

Le paradoxe est d’autant plus frappant que, déjà soumis à une forte pression en raison de ses résultats redressés jugés atypiques, Cluster 17 aurait probablement été encore plus violemment attaqué s’il avait choisi de publier ses données brutes. Dans un paysage dominé par une forme d’orthodoxie méthodologique, toute divergence est perçue comme suspecte. Les documents internes de la Commission des sondages montrent d’ailleurs que les écarts entre les résultats publiés par Cluster 17 et ceux des autres instituts faisaient l’objet d’une attention particulière, précisément parce qu’ils sortaient du consensus. Ce consensus, souvent attribué à une « légitimité » méthodologique présumée des instituts traditionnels, a paradoxalement conduit à marginaliser des résultats pourtant plus proches de la réalité observée. Ainsi, publier les données brutes – qui accentuaient encore davantage ces divergences – aurait exposé Cluster 17 à un discrédit public amplifié, dans un climat déjà peu propice à la reconnaissance de méthodologies alternatives, même empiriquement plus justes.

G.   Voter ou disparaître : quand les classes populaires sont méthodologiquement évacuées.

1.   “Le certain d’aller voter” : un filtre faisant disparaître les classes populaires.

Les mécanismes de redressement actuellement employés par les instituts de sondage sont structurellement biaisés. À ce biais en aval s’en ajoute un, tout aussi massif, en amont : le filtrage systématique de l’échantillon brut aux seuls électeurs qui se déclarent « tout à fait certains d’aller voter » (note 10 sur une échelle de 0 à 10) – même les pratiquement certains d’aller voter sont éliminés. Or ce filtrage retranche d’emblée entre un tiers et près de la moitié des inscrits interrogés.

Graphique 1 : Certitude d’aller voter à la présidentielle en fonction de la catégorie socioprofessionnelle en Janvier 2022 ([286])

Lecture : au 22 janvier 2022, seules 49 % des agriculteurs sont certains d’aller voter.

Le filtre méthodologique fondé sur la « certitude d’aller voter » agit comme un puissant tamis social. Il retient massivement les catégories sociales favorisées, comme les cadres supérieurs (69 % de certitude de vote) ou les retraités (77 %), et dans une moindre mesure les professions intermédiaires (63 %). À l’inverse, les ouvriers, employés (57 %), agriculteurs (49 %) ou jeunes issus des quartiers populaires expriment plus fréquemment un doute sur leur participation, ce qui les exclut mécaniquement des échantillons utilisés pour produire les intentions de vote.

Ce tri initial n’est pas neutre : il installe un biais structurel dès l’amont de la mesure, en surreprésentant le haut de l’espace social tout en minorant les classes populaires. Loin d’être une simple précaution méthodologique, cette sélection façonne une image déformée de « l’opinion publique » où les plus précaires sont méthodologiquement effacés. Concrètement, si seulement 49 % des électeurs interrogés se déclarent « certains d’aller voter », cela signifie que les intentions de vote publiées reposent sur l’exclusion des 51 % restants — soit plus de la moitié de l’échantillon initial. Ce procédé revient à produire une représentation politique amputée de ceux qui doutent, hésitent ou se sentent éloignés du scrutin. En les excluant dès l’échantillonnage, les sondages ne mesurent pas seulement des intentions de vote : ils confirment et reproduisent un ordre social où seuls les plus favorisés ont un droit de cité statistique. Ce n’est plus une mesure de l’opinion, mais une fabrication de légitimité. Ce mécanisme conforte l’idée « d’intention de vote censitaire ».

Graphique 2 : Certitude d’aller voter à la présidentielle en fonction des intentions de vote ([287])

Source : commission d’enquête.

Au-delà de son ancrage social, l’incertitude de vote est aussi profondément située politiquement. Il ne faut pas confondre la certitude de voter avec la certitude du choix électoral. En effet, ce sont deux dimensions distinctes : un électeur peut parfaitement être indécis quant à sa venue au bureau de vote, tout en étant parfaitement sûr de son candidat. L’éviction des « non certains » ne retire donc pas du bruit statistique, mais bien des intentions de vote nettes, simplement exprimées par des électeurs à la mobilisation plus incertaine — un doute qui peut tenir à des raisons matérielles, sociales ou affectives.

Cette mécanique frappe très inégalement les différentes forces politiques. Elle frappe d’abord la gauche populaire, et notamment l’électorat de Jean-Luc Mélenchon : lors de la présidentielle de 2022, seuls 58 % de ses électeurs déclarés étaient certains d’aller voter. Autrement dit, 42 % de son électorat potentiel est exclu des intentions de vote dès la première étape méthodologique. À l’inverse, les candidats positionnés au centre ou à droite – Emmanuel Macron, Valérie Pécresse, Éric Zemmour – bénéficient d’un socle électoral bien plus sécurisé, avec des taux de certitude dépassant les 70 %. Le filtre de la « certitude de vote » introduit donc un biais idéologique majeur, qui favorise mécaniquement les électorats âgés, diplômés et déjà stabilisés politiquement, tout en marginalisant les électorats plus jeunes, plus populaires, plus volatils.

Ce biais méthodologique ne se contente pas de sous-représenter certains profils : il exclut concrètement une part non négligeable d’un électorat qui finit pourtant par voter. Prenons l’exemple de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon en 2022 : 42 % de ses soutiens potentiels se déclaraient incertains d’aller voter, donc automatiquement écartés des intentions publiées. Supposons que seule la moitié de ces 42 % se soit effectivement abstenue, ce qui est plausible — cela signifie que 21 % de son électorat réel a été ignoré par les sondages. Corriger cette omission revient à réévaluer mécaniquement ses scores de sondage à la hausse, en les multipliant par un facteur de 1,21.

En prenant les derniers résultats de différents sondages, corrigés par ce facteur, cela donne :

– ELABE ([288]) : 17,5 x 1,21 = 21,2

– IPSOS ([289]) : 17,6 x 1,21 = 21,3

– IFOP ([290]) : 17 x 1,21 = 20,6

– OpinionWay ([291]) : 17 x 1,21 = 20,6

Autrement dit, en prenant en compte une partie des électeurs qui ne sont pas absolument certains d’aller voter, le rapport de force électoral apparaît radicalement différent. Non seulement les dynamiques sont bouleversées, mais les résultats obtenus se rapprochent davantage de ceux réellement observés dans les urnes. Cela montre que les écarts constatés entre sondages et résultats ne s’expliquent pas uniquement par un supposé « vote caché » ou par des revirements de dernière minute, mais bien par des choix méthodologiques qui invisibilisent systématiquement une partie du corps électoral.

Ce que ce biais organise, ce n’est pas seulement une distorsion sociologique, mais une neutralisation méthodique des dynamiques politiques contestataires. Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’une partie de l’espace politique – et tout particulièrement ses composantes critiques ou alternatives – est préfiltrée, amoindrie, voire invisibilisée dans les projections d’intentions de vote.

La règle du « certain d’aller voter » transforme la prétendue photographie de l’opinion publique en un reflet profondément biaisé, dans lequel les plus précaires deviennent presque invisibles. Elle repose sur les trois présupposés que Pierre Bourdieu dénonçait déjà : que tout le monde aurait une opinion, qu’il y aurait un accord sur les questions qui méritent d’être posées, et que toutes les opinions se vaudraient. Ces illusions méthodologiques fabriquent ce que Bourdieu appelait une « opinion publique artefactuelle » — une construction statistique qui efface les rapports de force sociaux au lieu de les révéler. C’est bien ce que votre rapporteur constate.

Recommandation n° 85 : Rendre obligatoire, pour les enquêtes électorales, la publication par les sondeurs des résultats obtenus sans le filtre des « certains d’aller voter » aux côtés des résultats des « certains d’aller voter ».

2.   La spirale du silence et l’apparente domination de l’opinion populaire.

a.   Définition du concept.

Dans la continuité de l’idée selon laquelle les sondages électoraux tendent à évacuer méthodologiquement les électeurs indécis — ceux qui refusent ou hésitent à répondre, souvent par manque de confiance ou d’information —, la théorie de la spirale du silence développée par Elisabeth Noelle-Neumann permet d’apporter un éclairage plus profond et dynamique à ce phénomène d’invisibilisation. Là où la non-prise en compte des indécis est un effet technique des sondages, la spirale du silence décrit un mécanisme social et psychologique actif qui pousse certains citoyens à se taire volontairement, même lorsqu’ils ont une opinion, et ce, par peur d’être marginalisés.

Selon Noelle-Neumann, chaque individu développe une perception de l’environnement d’opinion dans lequel il évolue. Il ne s’agit pas simplement de ce qu’il pense, mais de ce qu’il croit que les autres pensent. Elle explique que : « c’est ce que l’individu tente de découvrir au moyen d’un “organe quasi-statistique” : en observant son environnement social, en estimant la répartition des opinions pour ou contre ses idées, mais surtout en évaluant la force, le caractère mobilisateur et pressant, ainsi que les chances de succès, de certains points de vue ou de certaines propositions. »

À partir de cette évaluation intuitive mais constante, il ajuste son propre comportement : s’il pense que ses opinions sont en phase avec celles de la majorité, il aura tendance à les exprimer ouvertement. En revanche, s’il les perçoit comme minoritaires ou mal vues, il préférera se taire. Ce mécanisme de retrait ne découle pas d’un manque d’opinion, mais d’une peur sociale profondément enracinée : la peur de l’isolement, du rejet, du conflit ou de la honte. À ce titre, Noëlle-Neumann insiste : « Cette peur de l’isolement (non seulement la peur qu’a l’individu d’être mis à l’écart, mais aussi le doute sur sa propre capacité de jugement) fait, selon nous, partie intégrante de tous les processus d’opinion publique ».

Autrement dit, les sondages ne sous-représentent pas seulement des individus indécis, mais aussi des individus silencieux par stratégie sociale. Il s’agit là d’un second filtre, moins visible mais plus insidieux, qui tend à biaiser les résultats, non en supprimant des opinions inexistantes, mais en masquant celles qui n’osent pas se montrer. Ce silence n’est pas aléatoire : il est socialement situé, touchant plus fortement les femmes, les ouvriers, les classes populaires et les personnes peu sûres d’elles dans l’espace politique, autrement dit celles et ceux qui disposent du moindre capital pour faire entendre leur voix sans crainte.

b.   La spirale du silence et les sondages électoraux.

Le danger de la spirale du silence devient particulièrement préoccupant dans le cadre des élections. Ce processus de retrait individuel, basé sur la peur de l’isolement, ne concerne pas uniquement des opinions marginales en soi, mais touche tout particulièrement les groupes sociaux déjà marginalisés dans les dispositifs de mesure de l’opinion. En effet, les sondages électoraux, en ne prenant en compte que les individus dits « certains d’aller voter », opèrent une sélection sociale implicite. Ils laissent de côté une part importante de la population : les indécis, les abstentionnistes potentiels, les moins politisés — autrement dit, en grande majorité, les membres des classes populaires.

Or, ce sont précisément ces individus qui, selon les travaux de Noelle-Neumann, sont les plus vulnérables au phénomène d’autocensure. Peu certains de leur jugement, moins familiers des normes du débat public, ils ne disposent pas des ressources sociales, culturelles ou symboliques pour affirmer leur opinion à contre-courant. Dès lors, même s’ils ont une opinion, ils peuvent choisir de ne pas l’exprimer, par stratégie de protection, par doute, ou par anticipation du rejet.

Ce silence n’est pas neutre. Il a une conséquence politique directe : si ces opinions ne sont ni exprimées, ni mesurées, elles ne peuvent ni être perçues comme majoritaires, ni même visibles dans l’espace public. Ce qui crée un paradoxe tragique : des opinions potentiellement largement partagées peuvent être perçues comme minoritaires, et donc tues, simplement parce qu’elles ne passent pas les filtres successifs de la visibilité sociale et de la légitimité médiatique. Comme le formule Elisabeth Noelle-Neumann : « Si une majorité est considérée comme une minorité, elle tendra à décliner dans le futur. Inversement, si une minorité est perçue comme majoritaire, elle ira en augmentant ».

Autrement dit, les classes populaires sont confrontées à une double invisibilisation : d’une part, leur absence des panels de sondage les rend statistiquement muettes ; d’autre part, le sentiment d’illégitimité que cela produit les conduit à ne pas s’exprimer politiquement, même lorsqu’elles en ont la possibilité. Leur voix est ainsi piégée dans une forme de silence structurel, alimenté à la fois par des biais de méthode et par des mécanismes sociaux de conformisme et de crainte.

IV.   un cadre de régulation qui date de 1977 et qui a fait l’objet de rares révisions.

A.   La loi de 1977 : un encadrement visant à lutter contre les officines.

La loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion constitue le cadre de référence de la régulation des sondages en France.

Une attention particulière a été accordée à la définition de son champ d’application. En matière de sondages, le législateur n’a entendu retenir que le cadre strictement nécessaire à la protection de l’intégrité du scrutin, en ne ciblant que certains sondages, en l’espèce, « tout sondage d’opinion ayant un rapport direct ou indirect » avec un référendum ou une élection politique, et, d’autre part, les seules phases de « publication et de diffusion ». L’article 1er de cette loi, dans sa rédaction initiale, intègre, en outre, « les opérations de simulation de vote » réalisées à partir desdits sondages par précaution.

En conséquence, tout sondage qui ne fait pas l’objet d’une publication ou d’une diffusion, ou qui ne porte pas directement ou indirectement sur un scrutin politique ne fait pas l’objet d’une régulation spécifique. La loi du 19 juillet 1977 s’inscrit en effet dans une logique de régulation démocratique de l’information fournie aux électeurs, sans méconnaître toutefois la contribution que peut apporter la pluralité des acteurs à la qualité de cette dernière.

B.   La création d’une autorité de régulation dédiée : la Commission des sondages.

Afin de vérifier le respect du nouveau cadre de régulation mis en place, la loi du 19 juillet 1977 crée une autorité dédiée, la Commission des sondages. Elle lui confie les trois missions suivantes :

– « étudier et proposer des règles tendant à assurer dans le domaine de la prévision électorale l’objectivité et la qualité des sondages publiés ou diffusés ». Il convient de rappeler, en effet, qu’au moment de sa publication et jusqu’à ce jour, les débats se poursuivent sur la scientificité des méthodes employées ;

– garantir le respect par les acteurs concernés des règles prévues par la loi (cf. infra) et sanctionner, le cas échéant, tout manquement ;

– veiller, enfin, à ce que l’activité de sondeur reste ouverte et éthique de sorte à favoriser l’émergence d’acteurs complémentaires. En ce sens, la Commission des sondages doit ainsi s’assurer que les instituts de sondage « ne procèdent pas par actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites, ou coalitions sous quelque forme et pour quelque cause que ce soit, ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’empêcher ou de restreindre la même activité par d’autres personnes ou organismes ».

Composée de neuf membres, la Commission des sondages est dotée de pouvoirs importants lui permettant de mener à bien ses missions. Elle dispose ainsi de « tout pouvoir » pour vérifier « que les sondages tels que définis à l’article 1er ont été réalisés et que leur vente s’est effectuée conformément à la loi et aux textes réglementaires applicables » (article 8) et peut ordonner aux médias ayant publié un sondage de publier des indications figurant dans la notice technique du sondage, ainsi que toute mise au point de la commission (article 9 ([292])). Elle peut également sanctionner les mauvaises pratiques et imposer la diffusion de mises au point dans les médias.

C.   Des obligations qui s’imposent aux instituts de sondage et aux médias.

La loi du 19 juillet 1977 impose un ensemble d’obligations aux acteurs qui produisent et diffusent certains sondages d’opinion :

– toute personne réalisant un sondage doit d’abord, de façon préalable, s’engager auprès de la Commission des sondages à respecter les règles fixées par la loi. Faute de cette déclaration préalable « nul ne peut publier ou diffuser les résultats d’un sondage » ([293]) ;

– toute publication ou diffusion d’un sondage entrant dans le champ de la loi doit également être accompagné à d’un certain nombre de mentions (nom de l’organisme qui l’a produit, de l’acheteur, nombre de personnes interrogées, date de mise en œuvre) ([294]). Le sondage concerné doit être adressé à la Commission des sondages en amont, accompagné d’une notice technique détaillée ([295]) ;

– tout organe d’information qui aurait publié ou diffusé un sondage en violation des dispositions de la loi doit publier la mise au point de la commission. Ces organes doivent par ailleurs s’abstenir de toute publication « altérant la portée des résultats obtenus ».

Un régime particulier est défini à l’article 11 de cette loi, sous la forme de « dispositions spéciales applicables en période électorale ».

Dans sa rédaction initiale, la loi fixe dans ce cas un principe d’interdiction de publication ou de diffusion de tout sondage « pendant la semaine qui précède chaque tour de scrutin ainsi que pendant le déroulement de celui-ci » - en précisant pour les scrutins partiels que seuls les sondages ayant un rapport direct ou indirect avec ces scrutins, et en ménageant la possibilité de procéder à des sondages qui ont pour objet « de donner une connaissance immédiate des résultats de chaque tour de scrutin et qui sont effectuées entre la fermeture du dernier bureau de vote en métropole et la proclamation des résultats ».

Cette durée a été ramenée à 48h en amont du scrutin en 2002 afin de respecter le droit européen (infra).

Enfin, l’article 12 de la loi de 1977 renvoie initialement aux dispositions de l’article L. 90-1 du code électoral ([296]) en matière de sanction et prévoit que la « décision de justice sera publiée ou diffusée par les mêmes moyens que ceux par lesquels il a été fait état du sondage publié ou diffusé en violation des dispositions de la présente loi ». Le non-respect de ces dispositions est actuellement puni d’une amende de 75 000 euros.

D.   Une révision en 2002 pour assurer la compatibilité de la loi avec les exigences du droit de l’Union européenne.

La loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion a fait l’objet d’une première actualisation en 2002, afin de tirer les conséquences d’une évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Saisis de recours visant l’article 11 de la loi précitée, le juge administratif ([297]) et le juge judiciaire ([298]) avaient initialement tous deux considéré que ce dernier était compatible avec l’article 10 de la convention européenne des droits de l’Homme, dans la mesure où l’objectif poursuivi par le législateur était rattachable à la « protection des droits d’autrui », prévue au deuxième paragraphe de ce dernier article.

Par un revirement de jurisprudence, en 2001 ([299]), la Cour de cassation a finalement écarté ce raisonnement, en jugeant que l’interdiction de « la publication, la diffusion et le commentaire, par quelque moyen que ce soit, de tout sondage d’opinion en relation avec l’une des consultations visées par l’article 1er de la loi du 19 juillet 1977 » faisait peser « une restriction à la liberté de recevoir et de communiquer des informations qui n’est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés par l’article 10-2 de la convention ».

Cette décision a eu pour effet de priver les pouvoirs publics de toute capacité de sanction pénale en cas de violation des dispositions de l’article 11. Le Gouvernement a en conséquence déposé un projet de loi visant à réduire l’amplitude temporelle de l’interdiction prévue au sein de cet article, en fixant son point de départ non plus une semaine avant le scrutin, mais uniquement la veille de ce dernier, soit le vendredi à minuit.

Lors des débats devant le Parlement, le projet de loi a été amendé par les deux chambres afin d’actualiser le cadre de régulation applicable. Trois objectifs principaux ont présidé à ces modifications : renforcer les droits des citoyens vis-à-vis des sondages, les exigences en matière de publication et de diffusion des sondages, et, enfin, asseoir la légitimité de la commission des sondages.

Sur le premier point, en sus de la modification de la durée de l’interdiction de publication des sondages en amont d’un scrutin, la loi n° 2002-214 du 19 février 2002 a consacré un droit d’accès des citoyens aux notices communiquées par les instituts de sondage à la Commission des sondages. Elle a également prévu que les personnes concernées soient informées de l’existence de ce droit au moment de la publication du sondage.

Sur le second point, la loi n° 2002-214 du 19 février 2002 a exigé que la publication ou la diffusion d’un sondage soit accompagnée du texte intégral des questions posées. Elle a également prévu que la notice serait transmise à la commission non pas « à l’occasion de la publication du sondage » mais « avant » celle-ci.

Enfin, afin de renforcer la Commission des sondages, cette loi a modifié sa composition initiale, pour y adjoindre la présence de deux personnalités qualifiées, et renforcé, pendant la période de deux mois précédant le scrutin, les obligations en matière de publication ou de diffusion des mises au point de la commission des sondages ([300]).

E.   Une initiative de refonte envisagée en 2011 mais sans succès

Dans le cadre d’un rapport d’information, les sénateurs Hugues Portelli et Jean-Pierre Sueur avaient indiqué avoir constaté que « la sincérité des sondages politiques [n’était] pas toujours garantie », « que l’information de la population et des journalistes sur les conditions de leur élaboration [était] notoirement insuffisante », et, enfin, que la commission des sondages disposait de « moyens d’action limités dont, par surcroît, elle [fait] un usage timide » ([301]). Votre rapporteur partage en tout point ces avis.

Fort de ces constats, la mission d’information de 2010 avait formulé quinze recommandations en faveur de sondages « plus sincères et plus transparents », d’une réelle « mise en cohérence de la loi » et, enfin, d’un renforcement de « la légitimité et de l’efficacité de la commission des sondages » ([302]).

Une proposition de loi sur les sondages visant à mieux garantir la sincérité du débat politique et électoral avait été déposée par les mêmes sénateurs et adoptée par le Sénat au début de l’année 2011. Ce texte, qui comprenait 21 articles lors de son dépôt, n’avait toutefois pas abouti lors de sa lecture devant l’Assemblée nationale. L’essentiel de ses dispositions a toutefois été repris en 2016 dans le cadre de la loi n° 2016-508 du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections 

F.   Des évolutions du cadre de régulation en 2016, 2017 et 2021.

Trois lois ont modifié le cadre de régulation applicable :

– la loi n° 2016-508 du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections ;

– la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes ;

– la loi du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l’élection du président de la République.

1.   La loi du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections.

La loi du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections ne comportait pas, au moment du dépôt de la proposition de loi originelle, de dispositions spécifiques concernant les sondages.

En lecture définitive, le texte a été complété par un article spécifique actualisant un certain nombre de dispositions prévues au sein de la loi de 1977.

L’article 6 de la loi du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections procède en ce sens aux modifications suivantes :

Il précise la définition de la notion de sondage, dans la droite ligne des recommandations du rapport d’information des sénateurs Portelli et Sueur. L’article 1er de la loi de 1977 précise donc qu’un sondage est « quelle que soit sa dénomination, une enquête statistique visant à donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d’une population par l’interrogation d’un échantillon ». Le même article fait également référence à la nécessité de retenir un échantillon représentatif de la population pour procéder à un tel sondage, c’est-à-dire de recourir à la méthode des quotas.

Le champ d’application de la loi de 1977 est élargi puisque les sondages visés sont désormais ceux qui concernent - en théorie - tous les sujets liés « de manière directe ou indirecte, au débat électoral » et non plus seulement aux élections politiques.

La liste des mentions exigibles en cas de publication ou de diffusion d’un sondage est complétée afin de prévoir la publication de mentions supplémentaires, indiquant que « tout sondage est affecté de marges d’erreur », et des marges d’erreur qui les affectent. Il est en outre précisé que certaines des informations exigibles peuvent être rendues publiques sur le site internet de l’organe d’information qui publie ou diffuse le sondage.

Il en va de même pour la notice déposée auprès de la Commission des sondages par les instituts de sondage, qui doit être publiée sur le site internet de la commission. Celle-ci doit ainsi comprendre « s’il y a lieu, la nature et la valeur de la gratification perçue par les personnes interrogées » et « les critères de redressement des résultats bruts du sondage ».

Une exigence renforcée est également mise en œuvre en matière de publication de toute mise au point de la commission des sondages, de sorte à lui assurer « une audience équivalente » à celle du sondage concerné.

Enfin, cette loi prévoit que la violation des dispositions de la loi du 19 juillet 1977 est passible d’une amende de 75 000 euros.

2.   La loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes

La loi du 20 janvier 2017 a précisé plusieurs dispositions concernant la commission des sondages.

Elle a modifié le statut de la commission des sondages. Considérée comme une autorité administrative indépendante, cette dernière a perdu ce statut à cette occasion, mais s’est vue adjoindre une personnalité qualifiée supplémentaire, afin de poursuivre un rééquilibrage des profils la composant au profit d’une plus grande technicité.

Cette loi a également créé un dispositif de prévention des conflits d’intérêts afin de renforcer l’indépendance de la commission des sondages. L’article 6 de la loi de 1977 a été modifié en conséquence afin de rendre impossible la nomination comme membre de cette commission d’une personne qui aurait perçu une rémunération ou gratification émanant de médias ou d’organismes réalisant des sondages, avec une durée de trois ans décomptée à partir de la nomination envisagée. De façon symétrique, en sortie de poste, aucun membre de cette commission ne peut percevoir une rémunération pendant trois ans. Ces dispositions sont également opposables au personnel de la commission.

3.   La loi organique n° 2021-335 du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République.

La loi organique n° 2021-335 du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l’élection du Président de la République a renforcé la régulation applicable aux sondages lors de l’élection présidentielle, en prévoyant explicitement que « toute publication ou diffusion de sondage, tel que défini à l’article 1er de la loi  77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, est accompagnée des marges d’erreur des résultats publiés ou diffusés, le cas échéant par référence à la méthode aléatoire, établies sous la responsabilité de l’organisme qui l’a réalisé. »

Inséré dans ce texte à l’occasion de l’adoption en commission devant le Sénat d’un amendement présenté par M. Jean-Pierre Sueur, cette disposition visait à « remédier au détournement de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion ». Certains instituts de sondage ne publiaient en effet la marge d’erreur qu’une seule fois, sur leur site internet, « souvent peu connu ou peu fréquenté », afin de s’affranchir de cette obligation lors de la publication du sondage au sein du média commanditaire.

V.   des réformes indispensables pour contrôler l’influence des sondages sur les élections et le débat politique.

Au terme d’une commission d’enquête qui a eu accès à des documents inédits concernant les sondages, votre rapporteur estime à plusieurs titres que le cadre de régulation actuellement appliqué ne permet en aucun cas d’assurer la qualité informationnelle de ces outils, ni d’éviter leur utilisation voire leur manipulation pour influencer le débat public et politique. Plusieurs facteurs d’inquiétude sont ainsi apparus.

D’abord, la Commission des sondages ne dispose ni des données ni des moyens humains suffisants pour assurer un contrôle réel de ces outils. L’unique organe de contrôle prévu par les textes de loi actuels n’est pas en mesure d’assurer réellement ses missions. Aussi, votre rapporteur préconisera dans un premier temps des mesures d’urgence sur ce point décisif.

Ensuite, le champ de contrôle de la Commission des sondages apparaît trop restreint - ou du moins s’auto-limite-t-elle pour l’heure dans ses prérogatives. Il semble donc dans un deuxième temps indispensable de prévoir que la Commission ait à connaître de tous les sondages de nature à influencer le débat politique (sondages de personnalités politiques, sondages d’opinion sur des thèmes d’actualité, etc.) et pas seulement des sondages électoraux. Cela est une nécessité d’autant plus importante que des menaces de tentatives de manipulation pèsent sur les instituts de sondage, comme votre rapporteur l’a montré en enquêtant sur le projet Périclès.

Enfin, et c’est sans doute là l’essentiel, il apparaît à votre rapporteur qu’il est indispensable d’augmenter la transparence des instituts de sondage et donc de rendre publiques l’ensemble des données qui permettent d’en tester la validité scientifique. Plus encore que le contrôle de la Commission, c’est le contrôle du public et, en particulier, des scientifiques, qui sera de nature à assurer une meilleure qualité des sondages, tout en mettant en lumière les biais méthodologiques d’échantillonnage ou de redressement qu’ils peuvent comporter.

A.   dépasser la frayeur des sondeurs pour engager un nouvel acte de la régulation des sondages.

Pour les instituts de sondage, toute tentative de régulation supplémentaire est perçue comme une atteinte directe à la démocratie. En effet, les sondages, omniprésents dans le débat public, sont présentés comme une source essentielle d’information – et donc comme un fondement du fonctionnement démocratique. Jean-Yves Dormagen, président de Cluster 17 – qui par ailleurs ne formule aucune opposition de principe à la divulgation des données brutes, tout comme l’institut OpinionWay qui le fait déjà – confirme cette idée en expliquant que « les sondages sont aujourd’hui un acteur majeur et décisif du débat démocratique et de la connaissance de la volonté populaire ». Et il est à noter que votre rapporteur ne le nie pas nécessairement, à condition que les intentions des commanditaires des sondages soient plus transparentes, mais aussi que les données des instituts elles aussi soient davantage transparentes… c’est-à-dire, au minimum : vérifiables.

En ce sens, les instituts se positionnent comme des producteurs d’un bien commun, indispensable à l’exercice éclairé de la citoyenneté. Interroger cette place ou envisager d’en encadrer les usages revient alors, aux yeux de certains, à remettre en cause la liberté d’informer. Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos, résume cette position sans ambiguïté : « Je ne rêve pas d’une démocratie où l’on raréfierait l’information à disposition sous prétexte que les citoyens ne seraient pas assez sachants pour en faire le bon usage… ». Toute limite devient suspicion, toute régulation, une forme de censure. L’idée selon laquelle la réduction du nombre de sondages pour éviter la saturation du débat public relèverait en réalité d’un déni de démocratie est apparue au fil des auditions, notamment lorsque Jean-Yves Dormagen a souligné que, “dans les pays où les sondages sont interdits ou strictement encadrés, on observe généralement des déficits démocratiques”.

Toutefois, assimiler toute tentative de régulation à une atteinte à la démocratie relève d’un faux procès. Réguler ne signifie pas interdire, mais encadrer des pratiques afin d’en garantir la transparence, l’éthique et la qualité. Dans un contexte où les sondages peuvent être instrumentalisés à des fins de manipulation de l’opinion, une régulation réfléchie apparaît moins comme une menace que comme un outil de préservation du débat démocratique. Loin de restreindre la liberté d’informer, elle vise à en renforcer la crédibilité et à protéger les citoyens contre les usages stratégiques ou biaisés de ces instruments d’influence.

1.   La transparence des données brutes : une initiative bien accueillie par les instituts

La mise en place d’une régulation plus rigoureuse, incluant notamment la publication systématique des données brutes et des algorithmes de redressement, est une proposition constante de la part des chercheurs qui remettent en question les fondements méthodologiques des sondages d’opinion. Cependant, la plupart des instituts de sondage ont toujours exprimé une certaine opposition à toute exigence accrue de transparence. Cette réticence n’est pas nouvelle : elle s’inscrit dans une tradition ancienne de protection du secret méthodologique.

Cependant, comme votre rapporteur a pu le constater durant les auditions, les instituts de sondage n’ont pas formulé d’opposition de principe sur l’idée de publier les données brutes, tout en questionnant la pertinence d’une telle disposition. À ce titre, Mme Adélaïde Zulfikarpasic (Directrice générale de BVA Xsight), si elle est disposée à “mettre à disposition du grand public toutes les informations transmises à la Commission des sondages” ([303]), émet toutefois un bémol en expliquant que “la difficulté réside dans la compréhension de ces éléments par le grand public”. De même pour Brice Teinturier qui n’est “pas convaincu que cela serve le débat public” ([304]).

Les sondeurs ne tenaient pas le même discours il y a quinze ans, lors de la discussion de la proposition de loi sur les sondages visant à mieux garantir la sincérité du débat politique et électoral, à l’initiative des sénateurs Hugues Portelli (UMP) et Jean-Pierre Sueur (PS). Les instituts étaient alors montés au créneau. Brice Teinturier s’insurgeait contre une réglementation qu’il jugeait déjà « lourde », et affirmait : « Ce n’est absolument pas aux élus de décider comment les instituts doivent faire leurs sondages et quels modes de recueil sont bons ou pas bons » ([305]). Quant à la proposition de publier les données brutes et redressées, elle était jugée « extrêmement contestable » ([306]), au motif qu’elle pourrait alimenter des soupçons de partialité — alors même qu’une telle transparence permettrait précisément d’en démontrer l’absence. Face au constat de l’absence d’effets négatifs après la publication systématique des données brutes par OpinionWay, Brice Teinturier admet aujourd’hui que, “contrairement à certaines craintes, cela ne nuisait pas non plus à notre métier”.

La transparence est l’une des conditions fondamentales de la science — à laquelle, du reste, la majorité des instituts de sondage prétendent appartenir. Elle permet non seulement une évaluation par les pairs — c’est-à-dire l’activité collective des chercheuses et chercheurs qui examinent de manière critique les travaux de leurs collègues afin que seules les études originales, significatives et rigoureusement menées soient reconnues —, mais elle permet également la vérification de l’intégrité des méthodes employées, la détection d’éventuels biais, et, plus largement, la légitimation des résultats. Car, au regard de l’influence qu’exercent les sondages sur l’opinion publique, on ne saurait uniquement s’en remettre à un postulat de bonne foi. De plus, une analyse critique et systématique de leurs méthodes par des pairs qualifiés permettrait d’améliorer en continu les outils utilisés. Or cette amélioration se fait aujourd’hui à huis clos, dans l’opacité d’un fonctionnement interne présenté comme une « boîte noire », dont la seule invocation devrait suffire à entraîner la confiance du public. Cette confiance, pourtant, ne peut être exigée sans justification : elle doit se construire, comme en science, par la démonstration, la confrontation, et la transparence.

2.   Une foi consensuelle en l’autorégulation pour faire front à des critiques systématiques

Les arguments avancés par les différents instituts au cours des différentes auditions se caractérisent par une certaine unanimité. Si les instituts de sondage font “confiance au législateur” ([307]) pour que ce dernier légifère en matière sondagière, l’idée selon laquelle la concurrence se suffirait à elle-même pour garantir la fiabilité des résultats est largement ancrée dans le monde des sondeurs.

En effet, Frédéric Dabi (IFOP) considère que “dans un secteur très concurrentiel, cela se verrait si un institut privilégiait un courant de pensée ou un candidat”. De même, Bruno Jeanbart (OpinionWay) estime que “La réponse réside dans le pluralisme : si un seul institut présente un croisement alors que les autres montrent un écart, ce sera immédiatement visible ; les conséquences pour cet institut seraient très sévères”. Ipsos révèle que les instituts de sondage ne peuvent être corrompus car “un institut qui, pour satisfaire un média, manipulerait artificiellement les résultats serait immédiatement repéré comme divergent de ses confrères. Cela jetterait le doute sur la crédibilité de cet institut”. Tous défendent l’idée que le pluralisme du marché agit comme un mécanisme d’auto-régulation : si un institut dévisse, les autres le rendent visible par contraste.

Cette croyance n’est pas sans rappeler les propos de Claude Robinson, fondateur de l’Opinion Research Corporation, affirmant que “l’honnêteté est primordiale dans la recherche sur l’opinion publique” ([308]) , laquelle s’auto-régulerait naturellement grâce aux interactions entre les instituts et leurs clients. La « main invisible du marché » s’appliquerait donc aussi aux sondages. Cependant, cette confiance dans l’équilibre concurrentiel repose sur un présupposé fragile : celui que tous les instituts n’ont jamais tort en même temps, et que leurs erreurs ne convergent pas.

L’autorégulation suppose, en toute chose, des présupposés qui ne trouvent aucune traduction dans la réalité matérielle. D’abord, elle suppose que les erreurs ne sont jamais collectives et que les biais ne peuvent pas être partagés, alors même que des logiques communes de redressement, d’échantillonnage ou de formulation des questions peuvent produire des dérives convergentes. La possibilité de biais convergents est d’autant plus crédible que, comme le reconnaît lui-même François Kraus, directeur des études politiques à l’IFOP, “dans cette profession minuscule, tout le monde se connaît et a travaillé ensemble” ([309]). Cette remarque met en lumière l’étroitesse du milieu des sondeurs, où la proximité professionnelle et les parcours croisés favorisent une homogénéité des pratiques. D’ailleurs, au regard des documents que votre rapporteur a pu consulter auprès de la Commission des sondages, l’arrivée d’un nouveau venu dans le monde des sondages comme Cluster 17, dont les méthodes de travail diffèrent de ses concurrents (Jean-Yves Dormagen nous ayant indiqué préférer avoir de bons échantillons « politiques » afin de moins redresser cette donnée, à l’inverse d’autres instituts), peut susciter de larges questions auprès de l’organe chargé du contrôle comme auprès desdits concurrents. Et cela alors même que les résultats de cet institut apparaissaient plus proches du résultat final que les acteurs plus établis du marché.

L’autorégulation invoquée par les sondeurs suppose aussi que les outils sont transparents et accessibles, ce qui est loin d’être le cas : les redressements statistiques, les algorithmes, les pondérations restent opaques, empêchant toute vérification extérieure. Enfin, cela laisse de côté le fait que le pluralisme n’est pas réellement visible pour le grand public : la plupart des comparaisons restent internes au milieu. Or, la Commission des sondages elle-même a constaté que “d’un institut à l’autre, certains candidats seront plus favorisés : E. Macron chez Ipsos, V. Pécresse chez OpinionWay, E. Zemmour chez Ifop, J-L. Mélenchon et M. le Pen chez Elabe” ([310]). Ce constat, confidentiel, révèle que la régulation par la diversité ne garantit en rien l’absence de biais — elle peut tout aussi bien les dissimuler collectivement.

Cette structure idéologique s’oppose aux critiques que formulent de nombreux chercheurs. Alain Garrigou constatait déjà en 2013 que “les sondeurs sont plutôt favorables à l’autorégulation par le marché. Autrement dit, ils sont hostiles à la régulation publique et, si elle existe déjà, ils vantent le statu quo. Or, la situation légale a été jugée très insatisfaisante en France à la suite d’affaires ou de coups médiatiques. Les professionnels se plaignent rarement des pratiques déloyales. Il en va autrement en privé. L’existence d’une commission des sondages très inactive n’a pas empêché les dérives. Elle a même paradoxalement accru le régime d’irresponsabilité de sondeurs qui n’ont pas manqué de faire valoir que la commission des sondages ne leur reprochait rien parce qu’elle n’avait rien à reprocher. Caution d’État en somme.” Vu sous ce prisme, les sondeurs ne peuvent être considérés comme extérieurs à tout cadre idéologique : ils s’inscrivent pleinement dans une vision libérale de leur position, où le contrôle démocratique est réduit à sa portion la plus minimale.

Cette orientation ne relève pas seulement du discours : elle se manifeste concrètement lorsque les instituts de sondage interviennent dans le processus législatif pour défendre leur volonté d’échapper à toute forme de régulation. Ce fut par exemple le cas lorsque le monde des sondages avait manifesté une vigoureuse opposition à l’encontre de la proposition de loi sénatoriale précitée. À l’époque, Brice Teinturier, alors l’un des plus farouches opposants au texte, déclarait quele Syntec a pris position et s’est exprimé sur les articles critiquables. Nous avons également été consultés par les sénateurs Portelli et Sueur”, qualifiant alors la réforme de “d’archaïque et paternaliste”. De manière discrète mais assumée, les instituts ont contribué à affaiblir un texte qui visait justement à encadrer plus strictement leur activité.

3.   La boucle d’autolégitimation : quand la notoriété tient lieu de preuve scientifique

« Nous sommes prisonniers du raisonnement circulaire par lequel “le sondage est la mesure de l’opinion publique” et “l’opinion publique est ce que mesurent les sondages”. » ([311]). Cette citation de Patrick Lehingue, professeur émérite de sciences politiques, met en évidence une logique auto-validante qui construit un petit monde fermé : en faisant des sondages à la fois la mesure et la définition de l’opinion publique, leur légitimité se renforce au fil du temps et du nombre de sondages, sans remise en question de ce qu’ils prétendent représenter.

Cette boucle d’autolégitimation est renforcée à double titre. D’une part, par les liens capitalistiques qui unissent certains instituts de sondage aux grands groupes médiatiques ou industriels. Ces connexions financières favorisent une concentration du pouvoir d’influence entre les mains d’acteurs liés par des intérêts communs. Par exemple, l’institut CSA appartient au groupe Bolloré, acteur majeur du paysage médiatique français, tandis qu’OpinionWay est détenu par le groupe Les Échos – Le Parisien, une filiale de LVMH, dirigé par Bernard Arnault. Il est certain que cette concentration soulève la question de l’indépendance des enquêtes d’opinion, notamment lorsque leurs résultats peuvent servir les intérêts économiques ou politiques des groupes propriétaires. Mais elle conduit également à un phénomène d’exclusivité : certains médias ne sollicitent systématiquement que certains instituts, renforçant leur notoriété auprès du grand public, indépendamment de la qualité de leurs méthodes ou de la pertinence de leurs résultats. Cela s’explique par une logique de proximité économique et éditoriale : les groupes médiatiques ont tout intérêt à travailler avec des partenaires usuels considérés comme « fiables », c’est-à-dire alignés, réactifs, disponibles, et capables de livrer des résultats rapidement exploitables sous forme de graphiques et de récits clairs. Ainsi, ce sont moins les instituts les plus rigoureux qui sont mis en avant que ceux qui s’intègrent le mieux aux exigences du média auquel ils sont affiliés  quitte à privilégier la forme au fond, le sensationnalisme à la prudence méthodologique.

D’autre part, par la fidélisation entre certains médias et instituts de sondage, qui conduit à une forme de monopole de fait dans la production d’opinion. Certains médias s’appuient quasi exclusivement sur un institut : Elabe pour BFM TV, IFOP pour Sud Radio et LCI, Ipsos pour Le Monde, etc. Cette récurrence crée une familiarité qui renforce la crédibilité perçue de ces instituts, tout en réduisant la diversité des méthodologies. La presse continue ainsi d’accorder une confiance quasi-automatique aux instituts historiques, y compris lorsque leurs chiffres sont invérifiables, incohérents ou contestés. Ce réflexe de légitimation systématique empêche toute remise en question sérieuse de leurs pratiques et participe à entretenir l’illusion d’une mesure neutre et objective de l’opinion asseyant la légitimité des sondeurs, non sur la rigueur de leurs méthodes, mais sur leur sur-présence médiatique rendue possible par des partenariats privilégiés.

4.   L’effet de réputation : lorsque les experts commentent leurs propres chiffres

Dans le paysage médiatique français, un phénomène d’effet de réputation s’observe clairement lorsque les responsables d’instituts de sondage commentent eux-mêmes leurs propres chiffres, renforçant ainsi leur position d’experts incontestés. C’est notamment le cas de Frédéric Dabi, directeur général de l’IFOP, et de Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos. Tous deux interviennent régulièrement dans les médias – presse écrite, télévision ou tribunes – pour analyser des enquêtes issues de leurs propres instituts.

Cette double casquette – producteur de l’enquête et commentateur de ses résultats – renforce leur crédibilité médiatique et installe l’idée d’une expertise neutre et incontournable. Or, ce mécanisme participe à une autolégitimation problématique : leurs analyses sont rarement confrontées à des lectures critiques extérieures, et la répétition de leur présence dans les médias contribue à naturaliser leur statut d’autorité sur "l’opinion publique". Ce processus exclut de facto d’autres approches méthodologiques, invisibilise la diversité possible dans l’interprétation des données, et évacue toute interrogation sur la construction même des chiffres avancés. En définitive, ces pratiques contribuent à verrouiller le débat public autour de l’opinion, tout en consolidant la position dominante de quelques instituts historiques dans un espace médiatique de plus en plus concentré.

Les concernés s’en défendent, à commencer par Frédéric Dabi lui-même, qui rappelle avoir “beaucoup [pris] la parole dans divers médias, en essayant d’être le plus clair et le plus pédagogique possible”. Cet effort de vulgarisation est réel, et il convient de le reconnaître : le directeur général de l’Ifop souligne parfois les limites et les prudences qu’exigent les documents qu’il produit. Cependant, cette posture ne suffit pas à atténuer les critiques, tant la répétition avec laquelle il commente ses propres enquêtes finit par instaurer une forme d’autorité auto-validée, où l’expertise semble découler naturellement de la visibilité médiatique plus que d’un réel examen contradictoire. Et par ailleurs, ces limites méthodologiques sont souvent oubliées ou ignorées par les commentaires des journalistes ou éditorialistes eux-mêmes… qui contribuent ainsi à asseoir une « scientificité sondagière » que les instituts eux-mêmes peuvent pourtant parfois mettre en doute, ou au minimum en débat.

Le fait que les sondeurs sont régulièrement sollicités – voire systématiquement – pour commenter des sondages qu’ils ont eux-mêmes produits donne lieu à un discours sans contre-pouvoir, où l’analyste n’est jamais séparé du producteur. Cette absence de recul critique devient problématique lorsque ces prises de parole prennent la forme d’affirmations très tranchées, notamment lorsque Frédéric Dabi qualifie par exemple Jean-Luc Mélenchon de “tigre de papier électoral” ([312]). Ces affirmations péremptoires entrent en contradiction avec les précautions que Frédéric Dabi recommande lui-même, révélant un écart entre le discours méthodologique revendiqué et la manière dont les résultats sont effectivement présentés dans l’espace médiatique. Au-delà du cas de Frédéric Dabi, l’exemple d’Elabe illustre tout aussi bien cette tension entre rigueur affichée et pratiques interprétatives. Leur slogan — « De tout chiffre on peut faire verbe. De tout mot on peut faire sens. À tout signe on peut donner une interprétation. » — résume cette posture : toute infime variation devient un récit. Pourtant, ces mêmes instituts reconnaissent dans leurs principes méthodologiques qu’un écart de 0,5 point, voire d’1 point, peut très bien relever du bruit statistique — lié, par exemple, à la composition aléatoire de l’échantillon. En prêtant un sens systématique à ces fluctuations insignifiantes, Elabe affiche le risque de transformer un signal aléatoire en un “verbe faux”, c’est-à-dire de produire des interprétations médiatiques à partir de données fragiles, sinon erronées.

5.   Le verrouillage du marché : un effet d’éviction

Cette logique d’autolégitimation et de fermeture du marché produit un troisième effet structurel : l’éviction implicite de toute approche méthodologique jugée non conforme aux standards dominants. Lorsqu’un nouvel acteur émerge avec des méthodes différentes ou des résultats inattendus, il ne fait pas simplement l’objet d’un débat critique ; il est attaqué sur tous les fronts, et souvent disqualifié d’entrée de jeu. L’exemple de Cluster 17 est emblématique de cette dynamique.

Dans une mise au point publique datée du 4 février 2022, la Commission des sondages a sévèrement critiqué la méthodologie de l’institut, évoquant notamment la « faiblesse des moyens » mobilisés et l’usage d’adresses e-mail « acquises à bas coût » — comme si un sondage à faible coût était, par principe, moins crédible, indépendamment de ses choix statistiques.

Mais la disqualification ne s’est pas arrêtée là. Une note interne confidentielle de la Commission, à laquelle votre rapporteur a eu accès, suggère que le média Marianne, qui avait publié un sondage Cluster 17, aurait été séduit non par la rigueur de l’approche, mais par son « exotisme » méthodologique — les fameuses segmentations en clusters — et la promesse de « prendre en compte l’avis de tous ». Cette même note laisse même entendre que le fait que "le fait que Mélenchon se hisse au niveau des challengers a certainement dû peser dans la balance", comme si la seule originalité des résultats suffisait à les rendre suspects. Fait notable : malgré les critiques dont il a fait l’objet, Cluster 17 s’est finalement révélé être l’un des instituts ayant fourni les estimations les plus proches du score réel de Jean-Luc Mélenchon, là où plusieurs instituts traditionnels l’avaient significativement sous-évalué.

Autrement dit, dès qu’un acteur rompt avec les routines dominantes — tant sur le plan technique que politique — il se heurte à une réaction de rejet quasi-automatique. Ce réflexe défensif empêche toute évolution du champ méthodologique, verrouille le marché au profit d’acteurs déjà en place, et neutralise à l’avance toute tentative de renouvellement de la lecture de l’opinion. Le système sondagier, déjà auto-légitimé par sa visibilité médiatique et ses relais institutionnels, se protège ainsi de toute remise en question réelle.

B.   Un renforcement nécessaire de la Commission des sondages face à un niveau de risque croissant.

1.   Un renforcement indispensable de ses moyens humains.

Les travaux menés par la commission d’enquête ont fait apparaître plusieurs faiblesses dans le cadre de la régulation des sondages et de leur impact sur les résultats des élections.

La multiplication des sondages accroît en effet fortement le risque de publications illégales et rend plus difficile la tâche de contrôle nécessaire de la commission des sondages. Entre 2016 et 2024, la commission a vérifié près de 1 700 sondages. Dotée uniquement de deux experts, cette dernière n’apparaît pas en capacité de contrôler efficacement l’ensemble des sondages qui peuvent lui être soumis.

Votre rapporteur partage, à cet égard, le constat formulé par M. Jean Pierre Sueur lors de son audition devant la commission d’enquête : « La Commission des sondages devrait exercer beaucoup plus souvent son pouvoir de signalement des erreurs et des malfaçons. Dans de nombreuses situations, la loi n’est pas respectée ; cela devrait faire l’objet des sanctions prévues, qui s’accompagnent d’amendes considérables ».

Il est donc indispensable de mettre pleinement en capacité la commission des sondages d’exercer ses missions, ce qui implique d’augmenter ses moyens humains. Cela permettra à la fois de renforcer son action de contrôle et de veiller à ce qu’elle mette à disposition du public toutes les informations utiles.

Recommandation  86 : Renforcer les moyens de la Commission des sondages afin de lui permettre d’effectuer un contrôle efficace de la qualité des sondages effectués.

2.   Une modification de sa composition en faveur des compétences techniques.

La composition de la commission des sondages pourrait également évoluer en faveur d’une présence accrue de personnalités qualifiées disposant de compétences d’analyse statistique.

La composition de la Commission des sondages

En application de l’article 6 de la loi du 19 juillet 1977, la Commission des sondages est composée de neuf membres selon la composition suivante :

– deux membres du Conseil d’État, élus par l’assemblée générale du Conseil d’État ;

– deux membres de la Cour de cassation élus par l’assemblée générale de la Cour de cassation ;

– deux membres de la Cour des comptes élus par l’assemblée générale de la Cour des comptes ;

– trois personnalités qualifiées en matière de sondages désignées, respectivement, par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale.

Les membres de la commission sont nommés pour un mandat de six ans non renouvelable.

Source : Légifrance.

Sur ce point, votre rapporteur souscrit également au constat fait par M. Alexandre Dézé, lors de son audition : « La composition de la Commission des sondages pose problème […]. À l’heure actuelle, il me semble qu’elle compte deux experts et que, parmi ses membres, deux sont des statisticiens [tandis que les autres membres sont] issus de la haute fonction publique – de la Cour des comptes, de la Cour de cassation, du Conseil d’État – et ne sont [donc] pas des spécialistes des sondages. Hugues Portelli avait dit dans une interview accordée à France Info en 2017 que les membres de la commission étaient tous “incompétents” en matière de sondages. C’est un sénateur qui le dit ! Il serait donc à mon sens temps d’y réfléchir. »

M. Jean-Pierre Sueur a exprimé une position identique lors de son audition devant la commission d’enquête, au sujet des limites de la loi n° 2016-508 du 25 avril 2016 : « La composition de la Commission des sondages – laquelle a perdu son statut d’autorité administrative indépendante en 2017 – a aussi son importance. J’étais consterné qu’on ne prévoie d’y nommer quasiment que des juristes, alors que la complexité du sujet impose que des mathématiciens, des statisticiens et des spécialistes des sondages y siègent également. J’ai péniblement réussi à introduire trois personnalités qualifiées en matière de sondages aux côtés des deux membres du Conseil d’État, des deux membres de la Cour de cassation et des deux membres de la Cour des comptes. Elles sont désignées respectivement par le président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée nationale. C’est tout ce que j’ai pu faire, et je vous implore d’aller au-delà. Les sondages sont un sujet très technique qui requiert une maîtrise des statistiques ».

Il est donc nécessaire de faire évoluer la composition de la Commission des sondages au profit de profils plus spécialisés afin de renforcer l’efficacité de son action de contrôle et sa capacité de contradiction vis-à-vis des instituts de sondage.

Recommandation  87 : Modifier la composition de la Commission des sondages au profit de profils plus spécialisés afin de renforcer l’efficacité de son action de contrôle.

Votre rapporteur note que la commission, dans sa réponse écrite, « ne partage pas cette critique », et considère que « la généralisation de profils de statisticiens à l’ensemble des membres de la commission, comme cela est parfois suggéré, pourrait affaiblir l’efficacité et la pertinence des délibérations de la commission, car la mission de la commission des sondages ne peut se résumer à une appréciation du respect par les sondeurs de règles statistiques ». Il estime, toutefois, que le rééquilibrage proposé n’est pas de nature à remettre en cause la capacité de la commission à mener à bien ses missions et que sa composition reste insuffisamment marquée par des profils de statisticiens.

Par ailleurs, le mandat de six ans non renouvelable pose à l’heure actuelle un problème pratique de transmission de l’information et de suivi. En effet, l’ensemble des membres étant renouvelés en même temps tous les six ans, il y a à ce moment-là une rupture de la continuité du travail effectué par les membres de la Commission. Il semble donc nécessaire de passer dès lors à un renouvellement par moitié afin d’assurer le suivi dans la durée du travail effectué.

Recommandation n° 88 : Renouveler le collège de la Commission des sondages par moitié pour assurer un meilleur suivi de l’activité de la Commission dans le temps.

C.   Une vigilance nécessaire vis-à-vis de l’indépendance de la commission et de ses agents.

Votre rapporteur est également convaincu que la multiplication des sondages, l’ouverture croissante des données et le phénomène de désintermédiation pourrait progressivement conduire à la multiplication non seulement des émetteurs, mais également des producteurs de sondage.

De façon prospective, il semble possible d’envisager que la publication de sondages puisse constituer un levier de désinformation ou d’influence majeur, des acteurs économiques comme Périclès, lié au milliardaire Pierre-Édouard Stérin, en faisant même un objectif. Dans ces conditions, votre rapporteur estime qu’un renforcement de l’indépendance de la Commission et des exigences déontologiques applicables à ses membres permettrait d’anticiper utilement cet enjeu.

Votre rapporteur a conscience que cette préoccupation a été prise en compte par le législateur, dès 2017. L’article 6 de la loi du 19 juillet 1977 prévoit en effet que le régime d’incompatibilité qui concerne les membres de la commission est également applicable à son personnel « ainsi qu’aux rapporteurs désignés par cette dernière ». Cette définition, néanmoins, laisse de côté à cette heure d’éventuels prestataires qui interviendraient auprès de la Commission (et en particulier, des sociétés prestataires de conseil). Il convient donc de corriger cette anomalie.

Recommandation  89 : Étendre aux prestataires de la Commission des sondages le régime d’incompatibilité prévu à l’article 6 de la loi du 19 juillet 1977.

Votre rapporteur considère également qu’il est possible d’aller plus loin sur ce sujet, en prévoyant un contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), au moment de la nomination des membres de la Commission, et en durcissant le régime d’incompatibilité prévu à l’article 6 de la loi du 19 juillet 1977, par exemple en portant sa durée d’application de trois à cinq ans ([313]).

Recommandation  90 : Conditionner la nomination des membres de la commission des sondages à un contrôle préalable de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Recommandation n° 91 : Étudier l’opportunité d’étendre à une durée de cinq ans au lieu de trois ans le régime d’incompatibilité prévu à l’article 6 de la loi du 19 juillet 1977.

Par ailleurs, dans la mesure où les décisions de la commission des sondages sont susceptibles de recours devant le Conseil d’État, il est souhaitable que la localisation des locaux de la commission des sondages évolue et que celle-ci ne soit plus hébergée dans des locaux appartenant au Conseil d’État lui-même.

Recommandation  92 : Renforcer l’indépendance de la Commission des sondages en la dotant de locaux propres, hors du Conseil d’État.

D.   INSTITUTS DE SONDAGE : POUR UNE fermeté réelle face aux mauvaises pratiques !

1.   Un renforcement de l’action a priori de la commission.

Au-delà des moyens humains et des capacités techniques, votre rapporteur est convaincu que la Commission des sondages doit davantage utiliser les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi.

Le très faible nombre de mises au point publiées témoigne d’une approche très marquée par une logique de dialogue avec les instituts de sondage. Si cette logique est opportune, lorsqu’il convient de pouvoir disposer des éléments de réponse utiles, il convient de renforcer la dimension dissuasive du cadre légal en le faisant évoluer dans le sens d’un recours accru à cet outil, de sorte que les instituts de sondage ne soient pas tentés de « passer à travers les gouttes » en pariant, le cas échéant, sur le fait que la réponse de la commission des sondages est systématiquement graduée.

De ce point de vue, il souscrit à l’analyse de M. Jean Pierre Sueur développée en audition devant la commission d’enquête : « La Commission des sondages ne s’est malheureusement pas montrée aussi vigilante que nous l’aurions souhaité. J’ai beaucoup travaillé avec Alain Garrigou, qui y a siégé et a mis en évidence ses divers manques et défaillances. Je regrette qu’elle fasse peu usage des pouvoirs importants qui lui sont octroyés, notamment celui de publier des remarques mettant en cause les conditions de réalisation de certains sondages. ».

Tableau n° 3 : communiqués, avertissements et mises au point prononcées par la commission des sondages sur la période 2014-2024

 

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024

Communiqués et avertissements

3

0

1

7

0

4

2

4

10

0

4

Mises au point

1

4

0

0

0

1

3

2

1

0

1

Source : Commission des sondages.

Votre rapporteur soutient, à cet égard, l’idée que le public doit être informé des difficultés soulevées par tout sondage contrôlé par la commission avant même la résolution définitive du point concerné.

Recommandation  93 : Publier systématiquement une mise au point préalable lorsqu’un sondage contrôlé par la commission des sondages présente des difficultés méthodologiques.

Cette proposition revient, en pratique, à reprendre les dispositions prévues initialement à l’article 10 de la proposition de loi Sueur/Portelli, qui donnait compétence à la commission des sondages « pour établir, a priori, des observations à caractère méthodologique dans le mois précédant un scrutin, observations qui seraient obligatoirement publiées en même temps que le sondage » et qui pourraient « par exemple, prendre la forme de simples réserves et, dans les cas les plus graves, de mises au point ».

2.   Un renforcement de l’action a posteriori de la commission.

D’une façon plus générale, la commission devrait davantage utiliser l’ensemble de ses pouvoirs pour mener à bien ses missions et à ne pas hésiter à sanctionner sévèrement les pratiques problématiques des instituts de sondage.

Pour mémoire, la commission des sondages peut recourir à plusieurs outils de façon graduée en fonction de l’importance du manquement :

– elle peut publier des communiqués, qui sont destinés à l’ensemble des instituts de sondage et des citoyens. Cet outil est le moyen d’action le plus rapide de la commission. Depuis 2014, la commission a publié 32 communiqués dont plus de la moitié (18) signalent des anomalies dans des sondages réalisés ou la façon dont ils sont restitués, les autres ayant pour objet de rappeler les dispositions législatives ou réglementaires notamment l’interdiction des sondages entre le vendredi minuit et le dimanche 20h du jour de l’élection.

– elle peut également publier un avertissement ciblant un institut à l’origine d’un sondage litigieux.

– elle peut, enfin, éditer une mise au point dont la reprise peut être imposée aux organes de presse, met en cause des défaillances graves d’un sondage, voire des méthodes de travail d’un institut. Comme le rappelle la Commission des sondages dans sa réponse écrite, cet outil constitue « le dernier barreau de l’échelle des interventions de la commission dans sa mission de régulation » et se traduit par la mise en œuvre « d’une procédure contradictoire ». Toute mise au point peut constituer un levier mobilisable par le juge compétent dans le cadre du régime de sanction pénale prévu à l’article 12 de la loi du 19 juillet 1977.

Ce cadre juridique apparaît suffisant, d’après la commission, pour lutter contre les manquements observés, dans la mesure où ces instituts sont très sensibles au « risque réputationnel » qu’une mise au point peut impliquer (rupture de partenariats, perte de crédibilité et de confiance).

Néanmoins, le faible usage qui est fait de ces différentes possibilités peut donner l’impression d’une forme de mansuétude à l’égard des sondeurs, même quand les avis des experts sollicités par la Commission sont très critiques vis-à-vis de certains sondages.

En outre, la commission a indiqué souhaité privilégier une logique de dialogue, en particulier avec « les instituts nouveaux entrants sur le marché [qui] peuvent apporter des innovations et des méthodes nouvelles utiles, […] en dehors de cas où les défaillances seraient grossières ou volontaires [afin] de ne pas les fragiliser de façon disproportionnée lorsque des insuffisances sont décelées ».

Votre rapporteur ne souscrit pas complètement à cette analyse et considère que la commission doit utiliser autant que possible le levier du risque réputationnel afin de garder un niveau de pression sur les instituts de sondage compatible avec le respect de la législation en vigueur.

Recommandation n° 94 : Faire évoluer la doctrine de la Commission des sondages en faveur d’un recours plus systématique à ses outils de sanction lorsqu’elle constate des manquements.

 D’ailleurs, lors de l’arrivée sur le marché du sondeur Cluster 17, la Commission n’a pas hésité à utiliser de son pouvoir de mise au point, montrant qu’elle pouvait être plus encline au dialogue avec des instituts déjà établis sur le marché qui ne respectent pas toujours les règles qu’avec de nouveaux instituts nouveaux entrants qui peuvent pourtant apporter un renouvellement utile des méthodes de travail sondagières.

Un exemple de sanction adoptée par la Commission des sondages : la mise au point publiée le 4 février 2022 concernant un sondage publié par Cluster 17

Le 4 février 2022, la Commission des sondages a prononcé une mise au point contre l’institut Cluster 17 sur le fondement de l’article 9 de la loi du 19 juillet 1977, publiée dans le magazine papier de « Marianne », partenaire média de Cluster 17 ainsi que sur le site en ligne du magazine.

Le contenu de cette mise au point était le suivant :

« Les méthodes de travail de Cluster 17 et la faiblesse des moyens mis en œuvre font douter de la qualité des sondages produits. Est particulièrement en cause la représentativité d’échantillons provenant non d’un panel constamment entretenu et renouvelé de répondants qualifiés mais d’un stock d’adresses électroniques acquises à bas coût, sans aucune garantie sur l’origine de ces adresses, sur la qualification des personnes qu’elles représentent et sans aucun contrôle de Cluster 17 sur cette base. Par ailleurs, le mode de questionnement des titulaires de ces adresses, invités expressément à répondre à une enquête en vue de l’élection présidentielle, est susceptible de créer des biais dans la constitution des échantillons alors qu’aucune procédure de contrôle n’est prévue pour détecter ces biais et les corriger.

En raison de ces insuffisances méthodologiques et de la faiblesse des contrôles dans la réalisation des opérations de recueil, la commission des sondages invite les lecteurs des sondages réalisés par Cluster 17 à une prudence particulière dans l’appréciation de leur pertinence »

Source : commission d’enquête.

E.   Une vigilance indispensable sur les risques liés aux panels

L’évolution des techniques des sondages et le recours croissant aux sondages en ligne ont fait apparaître une nouvelle catégorie d’acteurs : les panelistes. Face au coût des enquêtes réalisées par téléphone, les instituts de sondage ont désormais recours à des entreprises panelistes qui leur garantissent une base de répondants devant leur permettre de disposer à tout instant d’échantillons représentatifs de la population à interroger.

Comme l’a rappelé le secrétaire général de la Commission des sondages lors de son audition, il convient de distinguer deux métiers différents en matière de sondages, à savoir, d’une part, « un premier métier, celui de sondeur à strictement parler, [qui] consiste à élaborer des questionnaires et à traduire les données brutes en données restituables et publiables » et, d’autre part, « un second [métier qui] consiste à donner accès aux répondants et à les interroger ». Les sondeurs peuvent recourir à des panels selon deux modalités : soit en internalisant ce métier, c’est le cas d’Harris Interactive ou d’Ipsos, soit en faisant appel à des sous-traitants, comme le fait par exemple l’IFOP.

L’enjeu de la qualité des sondages et les risques afférents vis-à-vis de ce type de pratiques fait l’objet d’intenses débats entre chercheurs, instituts et la commission des sondages.

Pour les premiers, en effet, le recours à des panels, s’il répond à une logique économique et pratique de la part des instituts de sondage, n’est pas sans induire des risques liés à l’incapacité des organismes acheteurs de garantir l’intégrité de leur panel puisqu’ils n’ont pas la main sur ce dernier.

M. Luc Bronner, journaliste, a insisté sur cet aspect lors de son audition devant la commission d’enquête : « En ce qui concerne les panels, leur immense fragilité tient à leur opacité – on ne sait rien sur eux –, renforcée par la diversité des acteurs. Vous avez des instituts de sondage qui se disent propriétaires de leurs panels, c’est-à-dire des centaines de milliers de personnes inscrites sur leur base, dont on ignore le profil et le mode de recrutement, aussi bien que l’utilisation individuelle qui en est faite. Vous avez aussi des entreprises, parfois très florissantes, dont une française, qui sont des prestataires de services : ils livrent des panels à des instituts de sondage – la constitution de panels est désormais un métier à part entière ».

Dans la même perspective, M. Alexandre Dézé s’était étonné du satisfecit accordé par la commission des sondages dans son rapport d’activité de 2022 sur cette question : « Le rapport d’activité de la Commission des sondages de 2022 dresse un tableau positif du travail réalisé par les entreprises chargées de la gestion des access panels, sans préciser comment elle a obtenu ses informations. Je suis frappé par l’opposition singulière entre l’article de Luc Bronner dans Le Monde, qui a bousculé le milieu des sondages, et les affirmations de la commission selon laquelle les sondages en ligne ne posent aucun problème et les sociétés contrôlent correctement les réponses. Une véritable investigation serait la bienvenue ».

La Commission des sondages, pour sa part, a confirmé sa position très proche de celle des sondeurs sur l’utilisation des panels dans le cadre des sondages. Après avoir échangé avec ces acteurs, lors d’auditions, M. Jean Gaeremynck a indiqué avoir estimé que « leurs pratiques [étaient] très éprouvées sur le plan méthodologique », qu’il existait, en outre, « tout un dispositif de contrôle interne pour sécuriser le système », et, enfin que ces acteurs s’étaient placés dans une attitude positive et constructive vis-à-vis de la commission.

Votre rapporteur ne partage pas cet optimisme, et trouve étonnant que la commission des sondages tienne, en définitive, un discours relativement proche de celui tenu par les instituts de sondage. Il estime, au contraire, comme l’a démontré M. Luc Bronner, que ces panels fragilisent les enquêtes d’opinion, faute d’une vraie capacité de contrôle efficace des biais qui peuvent l’affecter. Il souscrit aux propos de M. Bronner lorsque celui-ci estime qu’il est nécessaire, en conséquence, de « travailler en profondeur sur les panels et s’attaquer notamment à l’une des causes de la fragilité des sondages : les multi répondants » et fait sienne les conclusions « des chercheurs de l’Insee, de l’Ined et de Santé publique France [qui] ont montré que nombre de ces répondants sont membres de plusieurs panels ».

Par ailleurs, l’audition des sociétés d’access pannel par la commission d’enquête a soulevé de nouvelles questions en matière de contrôle des redressements. En effet, les panélistes ont affirmé livrer aux instituts de sondages des échantillons dont les échantillons sociodémographiques étaient très proches des données de l’Insee et des commandes des instituts qui y correspondent. Dès lors, on peut s’interroger sur les redressements sociodémographiques effectués par les instituts de sondages : à quoi correspondent-ils réellement si les panélistes leur livrent des données déjà correctes ? Sauf à croire que les panélistes auraient menti sous serment devant notre commission, le sujet reste entièrement levé et les réponses des instituts de sondage aux questions que nous avons soulevées sur le sujet ont été trop évasives pour permettre de saisir en détail à quel moment des enquêtes s’opéraient les mécaniques de redressement.

Face à ce constat, il semble impératif que la Commission des sondages renforce son contrôle sur les panelistes et sur les sondeurs, en disposant de davantage d’informations sur la façon dont les instituts de sondage recourent à cet outil afin de renforcer la transparence des sondages.

Recommandation n° 95 : Imposer aux partenaires d’access panels et aux instituts de sondage la transmission à la Commission des sondages des critères de recrutement des panélistes et les données détaillées concernant la constitution des échantillons, pour permettre une évaluation rigoureuse de la représentativité de ces échantillons.

Dans le prolongement de cette vigilance, il apparaît également utile de mettre fin aux pratiques de gratification, qui, bien qu’elles soient de montants relativement faibles, comme l’ont indiqué les instituts de sondage, n’en sont pas moins problématiques quant à la fiabilité des résultats obtenus ensuite dans le cadre des sondages politiques.

Recommandation n° 96 : Interdire toute forme de gratification dans le cadre des sondages politiques et d’opinion sur des sujets d’actualité réalisés par les instituts de sondage.

F.   Une révision de la loi de 1977 indispensable pour renforcer la transparence des sondages et l’information des citoyens.

L’article 1er de la loi de 1977 fixe le périmètre d’action au sein duquel la commission des sondages peut intervenir. Ne sont actuellement concernés par cette régulation que les sondages « publiés, diffusés ou rendus publics sur le territoire national, portant sur des sujets liés, de manière directe ou indirecte, au débat électoral ».

Cette définition crée parfois une forme d’incertitude sur la soumission ou non de certains sondages politiques à la compétence de la Commission des sondages. La commission d’enquête a expérimenté cette difficulté lorsqu’elle a souhaité entendre l’institut CSA, qui lui a d’abord indiqué ne pas être concerné par l’objet de ses travaux, affirmant ne pas réaliser de sondages politiques, avant de se raviser à raison.

Lors de son audition, la Commission des sondages a indiqué à votre rapporteur avoir fait face à une difficulté similaire concernant, en particulier, un sondage publié par l’institut CSA et portant « sur le souhait de voir tel ou tel thème abordé dans le cadre d’une consultation référendaire ».

Cette commission a dès lors décidé, comme l’a rappelé son secrétaire général lors des échanges, « d’examiner de manière systématique les sondages sur les référendums, notamment à la suite de prises de paroles publiques du président de la République concernant l’opportunité de ces consultations ». Sa compétence incluant les référendums, elle a donc à raison demandé à l’institut CSA la communication de la notice relative à ce sondage et publié, par ailleurs, « un communiqué de presse pour demander à tous les instituts qui feraient des sondages sur les référendums de nous les transmettre ».

Une clarification de cette définition apparaît souhaitable afin de garantir que l’ensemble des sondages politiques, et plus largement les sondages sur des sujets d’opinion et d’actualité puissent être intégrés au sein du périmètre d’action de la Commission. En effet, de nombreux sondages échappent pour l’heure à son contrôle en raison d’une interprétation restrictive de l’article 1er de la loi de 1977 qui affirme : « Sont régis par la présente loi les sondages publiés, diffusés ou rendus publics sur le territoire national, portant sur des sujets liés, de manière directe ou indirecte, au débat électoral ». Or, les sujets d’actualité et les sondages d’opinion ont un effet sur le débat politique et médiatique, mais n’entrent pas à cette heure dans le prisme de la Commission des sondages, celle-ci ne les considérant pas comme liés, même indirectement, au débat électoral.

Ce point apparaît particulièrement problématique à votre rapporteur puisque, comme le montrent les documents révélés sur le projet Périclès, des individus souhaitent utiliser la place des sondages dans le système d’information actuel pour orienter les thèmes médiatiques et, in fine, peser sur les élections. On peut également s’interroger sur l’intégration d’instituts de sondages à des empires médiatiques, comme c’est le cas avec l’institut CSA, dont M. Bolloré s’est rendu propriétaire, et auxquels les médias détenus par M. Bolloré commandent régulièrement des sondages d’opinion pour le moins orientés politiquement… mais non contrôlés par la Commission des sondages.

Aussi, votre rapporteur est favorable à la modification de cet article 1er afin de prévoir que tous les sondages politiques et d’opinion ayant un lien direct ou indirect avec le débat politique et médiatique (et non plus seulement électoral) entrent dans le champ de compétence de la commission des sondages. Cette mesure aurait pour effet de permettre à la commission de prendre connaissance de l’ensemble des sondages en lien avec le débat politique et de contrôler de fait la réalisation d’un sondage avant sa publication. Elle s’inscrit de surcroît dans la droite ligne de la proposition de loi portée en 2011 par les sénateurs Sueur et Portelli.

Recommandation n° 97 : Intégrer l’ensemble des sondages en lien direct ou indirect avec le débat politique et médiatique au sein du champ de compétence de la commission des sondages.

Recommandation n° 98 : Réfléchir à un principe d’interdiction de publication pour l’ensemble des sondages en lien avec le débat politique lorsqu’ils n’ont pas été contrôlés de façon préalable par la commission des sondages.

G.   Empêcher les instituts de sondage de peser sur les candidatures à une élection 

Face à la multiplication des sondages d’intentions de vote et à leurs effets délétères sur le débat public, éloignant les commentaires médiatiques des propositions de fond et les centrant sur une logique de « course de chevaux », votre rapporteur soutient l’idée d’envisager une meilleure régulation de leur publication et diffusion lors des campagnes électorales, dans un délai suffisant afin de garantir non seulement que les comportements ne seront pas trop impactés lors de la campagne, mais qu’ils ne seront pas non conditionnés par la création médiatique et sondagière de candidatures artéfactuelles.

En conséquence, votre rapporteur souhaite reprendre la proposition d’interdiction des sondages d’intentions de vote envisagée au sein de la proposition de loi sur les sondages visant à mieux garantir la sincérité du débat politique et électoral.

Ces sondages, comme l’a évoqué M. Garrigou lors de son audition, sont en effet « devenus, de fait, des institutions, dans la mesure où ils participent à la sélection du personnel politique ». Leur régulation est donc indispensable car ils « interviennent directement dans le processus institutionnel » et peuvent donc être considérés, par suite, « comme des instruments non constitutionnels, livrés au marché et évidemment à bon nombre de manœuvres ».

Les sondages d’intentions de vote dénaturent en effet le débat politique et privent les citoyens d’une entière capacité de choix, en leur fournissant des informations orientées. Il apparaît important de rappeler, en particulier, comme l’a indiqué M. Garrigou lors de son audition, que ces sondages d’intentions de vote sont avant tout des « artefacts » qui « mettent les gens dans des situations fictives » dans la mesure où « ce qu’on demande aux gens, c’est ce qu’ils voteraient si les élections avaient lieu dimanche prochain ». Or ces élections n’ont précisément pas lieu « dimanche prochain », et les candidats de cette élection ne sont parfois même pas encore connus, de sorte qu’une pression auprès des répondants pour fournir une réponse est parfaitement artificielle et relève en effet d’une « situation de fiction », en particulier lorsque, par association, on extrapole cette situation à l’ensemble du corps électoral. De plus, à distance de l’élection, ces sondages apparaissent dans l’incapacité de percevoir des mobilisations particulièrement fortes et, par nature imprévisibles, de l’électorat populaire. Ils tendent donc à surévaluer fortement les candidats (putatifs) qui mobilisent des électorats peu abstentionnistes et à sous-évaluer des candidats (putatifs) qui mobilisent le jour de l’élection des électorats fortement abstentionnistes. Une tendance aggravée par la pratique de nombreux instituts de sondages qui ne conservent dans leurs données que les électeurs « certains d’aller voter », ce qui, à deux ans d’une élection, est une pure abstraction politique.

Loin d’être neutres, les sondages d’intention de vote modifient de ce fait la dynamique des candidatures en servant des intérêts bien compris comme le relève également M. Garrigou : « On ne connaît pas les candidats, on propose des noms de personnes qui ne seront peut-être pas candidates – et parfois qui étaient totalement inconnues trois mois plus tôt et qui ont été introduites dans le débat par des sondages de popularité. Les exemples sont connus. Ainsi, Mme Ségolène Royal n’aurait jamais été candidate si elle n’avait pas commencé à un moment à figurer dans les cotes de popularité, et M. Zemmour n’aurait pas atteint un score de 17 % – bien entendu, ces choses ne se font pas toutes seules. On peut certes dire qu’il s’agit d’information. C’est d’ailleurs ce que défendent les sondeurs, selon lesquels il revient aux électeurs de faire la part des choses. C’est leur accorder beaucoup trop de compétences, car tout le monde ne peut pas passer sa carrière à étudier ces questions techniques. »

Dans ces conditions, et afin de préserver la démocratie de l’influence des sondages, leur interdiction apparaîtrait sans doute souhaitable afin de recentrer les débats médiatiques et politiques des élections sur les enjeux programmatiques. Néanmoins, une telle proposition pourrait être perçue comme excessivement rigoureuse. Il semble donc qu’il serait légitime, a minima, d’interdire la publication ou la diffusion de sondages d’intentions de vote tant que les candidats ayant réellement déposé leur candidature à une élection ne sont pas connus. Cela permettrait de conserver la possibilité de publier des sondages d’intentions de vote, mais en les basant sur des candidatures réelles et non artéfactuelles lors des campagnes électorales.

Par ailleurs, au regard des risques que font aujourd’hui peser les ingérences étrangères et les tentatives de manipulation de l’information sur la sincérité des scrutins, il apparaît risqué de continuer la publication de résultats de sondages « jour du scrutin » à 20 heures au soir des élections. En effet, en 2022, les sondeurs avaient de nouveau commis des erreurs de plusieurs points par rapport aux résultats finaux. Sur TF1, le sondage IFOP-Fiducial indiquait Emmanuel Macron à 28,6 % (contre 27,84 % finalement), Marine Le Pen à 24,4 % (contre 23,15 % finalement) et Jean-Luc Mélenchon à 20,2 % (contre 21,95 % finalement). Autrement dit, alors que selon ce sondage, à 20 heures, l’écart de point affiché entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon était de 4,2 points, le résultat réel sera finalement d’un écart de 1,2 points.

Pour votre rapporteur, un résultat serré entre deux candidats à l’élection présidentielle ou à une autre élection, où les sondeurs commettraient une erreur de classement ou d’écart qui serait contredite par les résultats finaux, pourrait ainsi constituer une faille majeure de sûreté pour notre pays et de sincérité du scrutin. Qu’adviendrait-il si un candidat qualifié au deuxième tour selon les sondages « jour du scrutin » ne l’était finalement pas au regard des résultats réels ? Cela n’introduirait-il pas une faille de contestation de l’élection que pourraient essayer d’exploiter des puissances étrangères ou des partisans du candidat finalement éliminé par les votes ? Et cela d’autant plus que l’essentiel de l’attention de nos compatriotes est concentré, au moment des élections, sur les résultats affichés à 20 heures et non sur les résultats réellement affichés le lendemain.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur est plus qu’inquiet au regard de la diffusion de ces prétendus résultats à 20 heures, et appelle à en interdire la publication.

Recommandation n° 99 : Interdire les sondages d’intentions de vote avant que la liste définitive des candidats ou des listes en lice à une élection ne soit connue, afin de préserver l’intégrité des résultats des scrutins électoraux.

Recommandation n° 100 : Interdire la publication de sondages « jour du scrutin » à 20 heures le soir des élections et se baser sur les résultats réels de l’élection pour le traitement médiatique de ces évènements politiques.

H.   Face à l’opacité des sondeurs, réaliser un choc de transparence sondagier

L’information sur les limites techniques et informationnelles des sondages est insuffisante, en dépit des exigences actuellement prévues par la loi de 1977. La publication récente d’un sondage commandé par l’organisme Hexagone (financé par Périclès) sur les intentions de vote en vue de l’élection présidentielle de 2027 en témoigne.

Dans ce cadre, votre rapporteur est convaincu qu’il convient d’imposer davantage de mentions obligatoires lors de la publication ou diffusion des sondages politiques. Il plaide en ce sens pour une révision de la loi de 1977 afin d’inclure au sein des mentions devant figurer obligatoirement lors de leur publication ou diffusion :

– un message d’avertissement rappelant qu’un sondage d’intentions de vote n’a aucune valeur prédictive et que les résultats d’une élection sont le fait unique du vote des citoyens ;

– une courte mention rappelant les biais auxquels sont exposés les sondages réalisés selon la méthode des quotas ;

– une mention précisant le lien qui existe, lorsque tel est le cas, entre l’institut de sondage et le média concerné ;

– une mention, si tel est le cas, de l’entreprise d’access pannel ayant fourni le pannel du sondage ;

– une présentation des résultats sous la forme d’intervalles ou de plages de résultats, cela afin de rappeler qu’indépendamment des problèmes méthodologiques posés, tout résultat de sondage comporte une marge d’erreur, parfois importante au regard de la faiblesse des échantillons ;

–  une mention bien visible du nombre de personnes répondant et de l’échantillon utile pour chaque question posée. Votre rapporteur soutient également l’idée de mieux informer les citoyens sur les limites des sondages, par exemple en imposant pour chaque sondage l’utilisation d’un bandeau d’avertissement relatant les limites techniques des sondages et le fait que leur valeur prédictive est nulle.

Recommandation n° 101 : Renforcer la transparence des sondages en complétant la liste des mentions obligatoires lors de leur publication ou diffusion afin de renforcer l’information des citoyens.

Recommandation n° 102 : Présenter les résultats des sondages sous la forme d’intervalles ou de plages de résultats afin de matérialiser les marges d’erreur.

Recommandation n° 103 : Indiquer de manière visible les effectifs réels répondant à chaque question à l’intérieur d’un sondage.

Recommandation n° 104 : Insérer lors de chaque publication ou diffusion d’un sondage politique une mention explicite des limites techniques et informatives applicables audit sondage.

En sus de ces mentions nouvelles, votre rapporteur est favorable à la publication sur le site internet de la commission des sondages des notices expertes des instituts, afin de garantir une complète information des citoyens et de renforcer l’auditabilité des méthodes employées par les chercheurs ou toute personne compétente.

Ces notices expertes doivent par ailleurs être davantage normées par la Commission des sondages, afin d’être comparables entre elles en fonction des instituts. Votre rapporteur a ainsi été stupéfait de découvrir que chaque institut fournit des notices différentes, sur la base des éléments qu’il souhaite ou ne souhaite pas communiquer. Enfin, la Commission ne dispose pas des données brutes non agrégées et non redressées et est donc dans l’incapacité d’effectuer un contrôle scientifique des données communiquées par les sondeurs. Il est donc plus qu’urgent de renforcer la transparence de ces outils non seulement pour la commission mais aussi pour le grand public et les scientifiques.  

Cette publicité supplémentaire doit aller de pair avec une exigence accrue de transparence vis-à-vis des redressements effectués, comme le relève M. Dézé dans son audition : « La loi du 25 avril 2016 contraint les instituts de sondages à publier “s’il y a lieu, les critères de redressement des résultats bruts du sondage”. Généralement, il est décidé qu’il n’y a pas lieu de les publier. Les notices publiées sur le site de la Commission des sondages sont souvent très fragmentaires sur ces points. Elles mentionnent le redressement sociodémographique, qui ne nous apprend pas grand-chose : les personnes non diplômées ou sous-diplômées, issues de catégories sociales plutôt basses dans la hiérarchie sociale, ne répondent pas ; en revanche, celles qui ont un capital culturel élevé sur-répondent. Les notices mentionnent les redressements par rapport aux précédentes élections. Mais ce qui nous intéresserait vraiment, on ne le sait pas. Quels sont les coefficients qui sont appliqués ? Quelles sont les colonnes de référence ? Comment s’opèrent concrètement ces redressements ? Pierre Weill, ancien patron de la Sofres, avait été cité il y a quelques années dans Le Monde disant que les redressements relevaient de la recette de cuisine, mais aussi du « pifomètre ». Cette légèreté est incroyable ! Autrement dit, le dernier mot est laissé au responsable de l’institut de sondages : si, manifestement, les redressements ne correspondent pas au rapport de force ressenti, on le modifie. ». En audition devant la commission d’enquête, le directeur de l’IFOP Frédéric Dabi a ainsi assumé effectuer lui-même les redressements de ses sondages, comme le signalait d’ailleurs en 2022 un article du journal L’Opinion qui indiquait « Frédéric Dabi (...) assure lui-même le redressement ».

Il est souhaitable, enfin, que les mentions relatives aux pratiques de redressement soient plus précises et détaillent concrètement les modalités retenues afin de garantir une information maximale des citoyens, comme l’a sollicité M. Jean-Pierre Sueur lors de son audition : « Le redressement peut avoir l’air d’être fait au doigt mouillé, “compte tenu de ceci, de cela…”. Il faudrait spécifier, sans se contenter d’écrire “compte tenu du contexte”, qu’une fois pris en considération le résultat de telle élection, de telle autre et la prédiction que l’on peut faire quant à la stabilité de l’électorat, on a décidé d’ajouter 2 points à tel ou tel candidat. Il suffit de le dire et la transparence est assurée ».

Sur ce sujet, votre rapporteur n’a donc pas été convaincu par les propos du secrétaire général de la commission des sondages, qui avait salué le fait que les sondeurs fournissent à la commission « un tableau très complet » sur cette question, détaillant « les colonnes de redressement » et présentant « les différents critères de redressement, avec les paramètres et pondération associés ». Bien au contraire. Son enquête sur pièces et sur place à la Commission des sondages a permis de comprendre que c’est l’opacité et le secret qui règnent, même dans l’organe supposément chargé de contrôler lesdits sondages…

Votre rapporteur appelle donc à réaliser un véritable choc de transparence sondagier par une série de mesures visant à améliorer le contrôle de ces outils par la Commission des sondages et par le grand public.

Recommandation n° 105 : Exiger des instituts de sondages la transmission à la Commission des sondages des données brutes anonymisées, non agrégées et non redressées sous forme de tableur, ainsi que les formules de redressement appliquées pour chaque sondage.

Recommandation n° 106 : Normer les notices expertes des instituts de sondage afin de définir clairement les données qui doivent y figurer et de permettre leur comparaison entre instituts.

Recommandation n° 107 : Publier, pour chaque sondage contrôlé par la Commission des sondages, la notice experte adressée par l’institut concerné, afin de renforcer l’auditabilité des méthodes employées.

Recommandation n° 108 : Publier, pour chaque sondage contrôlé par la Commission des sondages, les données brutes anonymisées, non agrégées et non redressées sous forme de tableur, ainsi que les formules de redressement appliquées pour chaque sondage.

I.   Empêcher les conflits d’intérêts entre les médias et les instituts de sondage.

Le recours croissant des médias aux sondages d’opinion, en particulier sur les chaînes d’information en continu, est un phénomène qui plaide en faveur d’une vigilance renforcée.

De ce point de vue, les médias ont des stratégies différentes, qui les caractérisent et peuvent même constituer un élément de distinction vis-à-vis de leurs concurrents, comme l’a relevé Luc Bronner lors de son audition : « Les médias ont des stratégies différentes vis-à-vis des sondages. Le Monde a choisi de s’associer avec Ipsos et le Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po Paris, pour des enquêtes au long cours réalisées sur des échantillons pouvant dépasser 20 000 personnes afin de garantir un niveau de confiance élevé dans les statistiques produites. […] D’autres journaux ont fait le choix de ne pas recourir aux sondages : c’est le cas de Ouest-France, dont la récente annonce ne fait que confirmer une politique ancienne ». Cette situation rend nécessaire de bien veiller à ce que « des sondages de qualité » seulement puissent alimenter le débat public.

Au-delà de la fiabilité des sondages, se pose également la question de l’objectif de leur utilisation par les médias et des moyens de préserver l’intégrité du débat public.

Deux risques importants se font jour à cet égard :

– un risque d’affaiblissement de la qualité de l’information, le sondage ou son analyse remplaçant, au fond, le travail journalistique nécessaire pour mettre en perspective et contextualiser toute la complexité d’une problématique.

–  un risque de manipulation des citoyens, à travers le recours aux sondages comme éléments démonstratifs au service d’une stratégie politique, sans prendre en compte la limite de ces outils, et surtout avec la volonté manipulatoire de donner à une problématique peu présente dans le débat public la force d’une idée « largement soutenue » sur la seule base… d’un sondage pouvant être biaisé.

Les auditions menées dans le cadre de la présente commission d’enquête confirment que le débat médiatique est sujet à ces deux risques et en particulier aux risques de conflits d’intérêts qui peuvent surgir entre médias et instituts de sondage.

Lors de son audition, M. Alexandre Dézé, chercheur, a d’ailleurs souligné qu’il convenait de traiter la question des conflits d’intérêts, tant du point de vue « des sondages commandés par des médias et pouvant être instrumentalisés à des fins politiques » que des modalités par lesquelles « les instituts de sondages gèrent ces potentiels conflits d’intérêts ». En effet, comme le relève M. Dézé, lors des campagnes électorales, les instituts de sondage « peuvent être rémunérés par des partis ou des candidats à une élection présidentielle » ou « être partenaires de sondages publiés par des médias, y compris Le Monde. Étant à la fois partenaires de médias et conseillers de candidats, ils se retrouvent des deux côtés du champ du débat politique, ce qui me paraît délicat ». Une problématique similaire se pose vis-à-vis de la commande d’État de sondages mise en œuvre par le Service d’information du Gouvernement (SIG) afin « d’analyser l’état de l’opinion pour l’État et ses différentes administrations ».

Face à cette situation, votre rapporteur considère qu’un contrôle renforcé sur les liens unissant instituts de sondage et médias doit être exercé. Et cela d’autant plus qu’il existe désormais la tentation d’intégrer des instituts de sondage à des groupes médiatiques ou, au minimum, de les y adosser… mais aussi d’acheter ou de créer des instituts de sondages, ou tout simplement de leur passer des commandes orientées pour peser sur le débat public, comme l’a assumé M. Rérolle lors de son audition comme directeur de Périclès en disant vouloir créer un baromètre faisant un lien entre « islam et insécurité ».

Ainsi, comme l’a relevé M. Jean-Pierre Sueur lors de son audition, en ce qui concerne « M. Bolloré, il importe de respecter tout à la fois la liberté d’expression et la transparence : ce n’est pas parce que des liens existent entre tel institut de sondage et telle publication qu’un sondage doit produire des résultats confortant les opinions politiques dominantes au sein de la rédaction. Il est impossible d’interdire à un journal de publier des sondages, mais on doit veiller à faire clairement savoir qui en est le commanditaire et qui le financeur ».

Dès lors, votre rapporteur estime que le législateur doit prendre des mesures fortes pour empêcher la concentration dans le domaine des médias et des sondages, mais aussi l’intégration croissante d’instituts de sondages à des groupes médiatiques. Que Vincent Bolloré puisse être propriétaire d’un journal (le JDD) qui commande des sondages à un institut dont il est également propriétaire (l’institut CSA) pour que ce sondage soit ensuite commenté sur une chaîne de télévision (CNews) ou de radio (Europe 1) dont il est également propriétaire a de quoi inquiéter. Qu’un organe comme Périclès dise vouloir créer ou acheter un institut de sondage afin de peser sur le débat public, tout en connaissant les velléités de M. Stérin à devenir propriétaire d’un média (ses tentatives infructueuses sur Marianne ou Valeurs Actuelles ne semblent qu’être partie remise) a de quoi inquiéter. Votre rapporteur préconise donc la mise en place d’une loi d’urgence anti-concentration des médias et des instituts de sondage afin de garantir la fiabilité de l’information et son absence de manipulation par des puissances financières.

Recommandation  109 : Définir un cadre renforcé de prévention des conflits d’intérêts entre les médias et les instituts de sondage afin d’éviter la constitution d’un dispositif de « guerre des idées » de nature à manipuler l’information pour influencer les élections.

Recommandation  110 : Renforcer la lutte contre les concentrations dans le domaine des sondages et des médias en interdisant à un particulier de détenir directement ou indirectement à la fois un média et un institut de sondage.

J.   S’assurer de l’efficacité de la régulation existante vis-à-vis des acteurs étrangers.

Une vigilance particulière s’impose, face au risque d’ingérence, en matière de diffusion de faux sondages par des médias étrangers, notamment à compter de la période de réserve en amont du scrutin.

Dans son rapport d’activité 2024, la Commission des sondages, a relevé que les élections législatives anticipées de 2024 avaient donné lieu, tout comme l’élection présidentielle de 2022, à la publication « d’informations » électorales rendues disponibles par des médias étrangers, dont le caractère factice est avéré.

Votre rapporteur partage la préoccupation de la Commission, qui a indiqué à cet égard « déplorer cette méconnaissance de l’interdiction posée par le législateur de diffusion de sondages le jour du vote, qui constitue une forme d’ingérence étrangère dans le processus électoral sous la forme aggravée de la désinformation, le tout procédant d’une motivation principalement mercantile (attirer des curieux vers son site internet) ».

Il estime toutefois que la simple mise en cause a posteriori n’est pas suffisante pour lutter efficacement contre ce phénomène, qui pourrait prendre dans les années à venir une dimension plus massive ou plus hostile. C’est la raison pour laquelle il invite les pouvoirs publics, et la Commission des sondages à étudier les voies et moyens de lutter efficacement contre ce type de pratiques.

Recommandation  111 : Étudier les voies et moyens de lutter efficacement contre la diffusion de fausses informations électorales pendant la période de réserve, en particulier depuis l’étranger, et, en règle générale, lors des campagnes électorales.

K.   Un recours par la puissance publique aux sondages qui doit être suivi avec attention (SIG).

1.   Le SIG un gros client des instituts de sondage

Le recours aux sondages par le Gouvernement dans le cadre du suivi de l’opinion publique doit également faire l’objet d’une vigilance particulière.

La commande publique de sondages a en effet fait l’objet d’un certain nombre d’affaires problématiques révélées par voie de presse et traduisant un mauvais usage de l’argent public, qu’il s’agisse de « l’affaire des sondages de l’Élysée » ou de certains sondages commandés par le service d’information du Gouvernement, pour savoir, à titre d’exemple, « A quel animal ressemble Manuel Valls ? ».

Le service d’information du Gouvernement (SIG)

Créé en 1963, le service d’information du Gouvernement est un service placé sous la tutelle du Premier ministre. Composé d’environ 90 collaborateurs pour un budget annuel de 14 millions d’euros, il assure les trois missions suivantes :

- Analyser l’évolution de l’opinion et le traitement de l’action gouvernementale, en s’appuyant notamment sur une commande de sondages et le croissement de données.

- Informer la presse, les élus et le grand public sur les actions du Premier ministre et du Gouvernement ;

- Assurer la coordination interministérielle, notamment en liaison avec les préfets et les ambassadeurs. Le SIG accompagne les administrations publiques et concourt à la professionnalisation des communicants de l’État.

Source : SIG

Lors de son audition, le directeur du SIG, M. Michaël Nathan, a constaté, concernant le volume des sondages auquel recourt le Gouvernement, un niveau « plutôt stable sur les deux dernières années » après un « pic de consommation pendant la période du covid ». Les chiffres pour 2023 sont de 1,2 million d’euros pour soixante-dix sondages, tous types confondus.

Il a indiqué que les sondages ne constituaient qu’un élément d’information parmi d’autres et qu’il était nécessaire, en particulier « d’hybrider la donnée » afin de disposer d’une analyse complexe et dynamique de l’opinion. Ce croisement des sources d’informations passe selon lui par un suivi attentif des réseaux sociaux, qui permettent de mieux suivre les évolutions parfois très rapides de l’opinion publique, face à une « obsolescence de plus en plus rapide de la donnée ».

M. Nathan a également tenté de rassurer votre rapporteur vis-à-vis de l’encadrement de cette dépense, et du contrôle effectué afin de garantir que les marchés concernés sont passés dans le respect des règles en vigueur. Il a précisé en ce sens que le SIG exerçait le rôle de « pôle principal d’achat » sur les métiers de la communication et que la recommandation de la Cour des comptes quant à « la nécessité de renforcer les effectifs [consacrés] à la gestion de ces marchés » avait été prise en compte. La commande publique de sondages fait également l’objet d’un allotissement, à travers la définition de « dix lots qui recouvrent l’ensemble de la typologie des sondages ».

2.   « Macron 2032 », « racisme anti-blanc », les étranges sondages du SIG

Face à la sensibilité du recours par la puissance publique aux sondages, quand bien même ces derniers ne sont pas publiés et donc n’ont pas d’impact direct sur l’opinion, il apparaît nécessaire de faire preuve d’une double vigilance, à la fois vis-à-vis du coût et de l’opportunité de ces sondages, d’une part, et de la publication de sondages visant à faire monter des sujets qui intéressent l’exécutif, d’autre part.

Votre rapporteur souhaite d’autant plus attirer l’attention sur ce sujet qu’il a fait usage de ses pouvoirs d’enquête sur pièce et sur place au SIG le vendredi 16 mai 2025 pour récupérer un échantillon de sondages réalisés par cette structure et chercher à en observer les différences éventuelles avec les sondages publiés. Il a d’abord pu constater que les sondages quantitatifs réalisés pour le SIG présentent des données brutes plus détaillées que pour les sondages publiés... et même parfois que ceux envoyés à la Commission des sondages. Ainsi, pour les « questions d’actualité », l’institut IFOP présente toujours en détail le nombre de répondants à chacune des questions et pour chaque catégorie sociale, ce qui, sans permettre une analyse réellement scientifique des résultats (qui restent tout aussi opaques) permet néanmoins une analyse plus fine des données et montre que cet institut, qui a remporté le marché public, a tout à fait la capacité de le faire pour ses envois à la Commission des sondages ou pour la publication des données.

Surtout, votre rapporteur s’alarme du type de questions posées par le SIG. Ainsi, dans un sondage qualitatif Opinionway du 14 mai 2025, le SIG a questionné les sondés sur... la réélection d’Emmanuel Macron en 2032 ! La question est posée au lendemain de l’émission du Président de la République sur TF1 où Gilles Bouleau l’avait interrogé sur le sujet ! Dans le sondage Opinionway réalisé par le SIG, il est précisé pudiquement qu’il s’agit d’un « sujet proposé par un participant » au sondage : « Lors de cet entretien, le président de la République a été questionné sur ses intentions pour l’élection présidentielle de 2032. Sa réponse a pu surprendre : “Quand j’aurai fini, je pourrai vous répondre, mais aujourd’hui je n’y ai pas réfléchi.” Que dire ? ». Les réponses, ouvertes, permettent de voir en détail ce que différents profils répondent, avec des données précisant le sexe, l’âge, la catégorie socio-professionnelle, la localisation (urbain / rural), la « proximité partisane (mars 2024) », le vote aux élections législatives 2024, le vote à l’élection présidentielle 2022 et enfin le vote aux élections européennes 2024. On peut s’interroger sur l’utilité, pour l’action gouvernementale, de disposer d’informations détaillées sur un tel sujet.

D’autres sondages réalisés par le SIG posent également question quant à la construction artéfactuelle d’opinions qu’ils peuvent produire et, en retour, sur la manière dont l’action du gouvernement va se déployer. Ainsi, dans un sondage quantitatif du 29-30 avril réalisé par l’IFOP, le SIG a souhaité que les sondés soient interrogés sur le « phénomène du racisme anti-blanc ». Dans un autre sondage quantitatif du 9 janvier 2025 également réalisé par l’IFOP, le SIG a souhaité que les questions suivantes soient posées aux sondés : « D’une manière générale, diriez‑vous qu’aujourd’hui l’islam est une menace pour la sécurité de la France ? » et « D’une manière générale, diriez-vous qu’aujourd’hui l’islam est une menace pour l’identité de la France ? ». Ces questions révèlent l’une comme l’autre une forme de tropisme pour le moins particulier, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler la volonté du directeur de Périclès Arnaud Rérolle de mettre en place un « baromètre islam et insécurité » sur lequel votre rapporteur l’avait interrogé en audition.

Enfin, une question relative à l’Assemblée nationale, posée les 17 et 18 juillet 2024, interroge votre rapporteur sur son utilité pour l’action gouvernementale. En effet, dans ce sondage quantitatif réalisé par l’IFOP, les sondés sont interrogés sur le thème suivant :

« La répartition des postes clés qui organisent la vie de l’Assemble nationale (président de l’Assemblée, vice-présidents, présidents de commission, questeurs) va avoir lieu à partir de ce jeudi.

Concernant cette répartition des postes clés, souhaiteriez-vous que...

– Les députés issus de la France insoumise en soient exclus ;

– Les députés issus du Rassemblement national en soient exclus ;

– Les députés issus du Rassemblement national et de la France insoumise en soient exclus ;

– Aucun parti n’en soit exclu ;

– Ne se prononce pas ».

Ces sondages interrogent. On peut se demander quelle utilité ils peuvent apporter pour l’action d’un gouvernement, surtout compte tenu du fait qu’ils représentent une dépense non négligeable du budget du SIG. Ainsi, selon un document remis à votre rapporteur, les 18 sondages « questions d’actualité » réalisés par l’IFOP pour l’année 2025 ont déjà coûté au total 133 050 €, tandis que les 12 sondages « Communauté actu » réalisés par OpinionWay ont déjà coûté 17 280 € au SIG. À tout le moins, votre rapporteur estime qu’une plus grande transparence sur les commandes de sondages et qu’une publicité des résultats pourrait être envisagée.

Recommandation n° 112 : Mieux encadrer le recours par les pouvoirs publics aux sondages afin de garantir que leur utilisation s’inscrive pleinement dans une logique d’intérêt général.

Recommandation n° 113 : Prévoir la remise chaque année au Parlement dans le cadre du projet de loi de finances annuel de la liste des sondages commandés par le Gouvernement et mettre à disposition du public les résultats de ces sondages.

 

 

 


–  1  –

   Conclusion

Au moment de conclure le document que vous venez de consulter, votre rapporteur ne souhaite pas faire de ces derniers mots le résumé des travaux qui se trouvent amplement développés ci-avant. Et cela d’autant moins qu’il a tenu à le faire, à grands traits, dans l’introduction du document à laquelle il vous renvoie si vous souhaitez retrouver une vue d’ensemble sur ce que contient ce rapport. Le moment de conclure ne sera donc pas pour votre rapporteur celui d’un point final, au contraire.

Fidèle à l’Histoire républicaine et révolutionnaire de sa patrie, votre rapporteur voudrait livrer ici à ses lecteurs quelques derniers éléments ou, pour le dire de manière plus exacte, quelques convictions. 

La République est en danger. Elle ne l’est pas uniquement en raison des risques qui pèsent sur les élections, et pour lesquels votre rapporteur a tenté de proposer des solutions concrètes. Elle l’est parce que ses fondements mêmes sont aujourd’hui menacés, et d’abord le premier d’entre eux : l’unité et l’indivisibilité du peuple.

Notre rapport l’a démontré : les ingérences étrangères et financières cherchent toujours à alimenter le poison de la division de notre peuple. Et si les puissances étrangères le font avec l’objectif clair de déstabiliser nos institutions, les puissances financières le font quant à elles avec l’objectif désormais affiché (ou, au minimum, découvert) de maintenir leurs privilèges économiques. Ces tentatives ne sont d’ailleurs pas nouvelles, et Karl Marx ne disait pas autre chose lorsque, parlant des rivalités organisées par les capitalistes à l’intérieur de la classe ouvrière entre Irlandais et Anglais, il affirmait : « Cet antagonisme est artificiellement entretenu et développé par la presse, le clergé et les revues satiriques, bref par tous les moyens dont disposent les classes dominantes. Cet antagonisme est le secret de l’impuissance de la classe ouvrière anglaise, malgré son organisation. C’est le secret du maintien au pouvoir de la classe capitaliste, et celle-ci en est parfaitement consciente. »

Plus de 150 ans après que ces propos ont été écrits, ils apparaissent à votre rapporteur d’une totale actualité. Bien sûr, nous n’utiliserions sans doute pas aujourd’hui les mêmes mots. Mais, à l’évidence, les possédants utilisent, eux, toujours les mêmes méthodes.

Aussi, et face à ces tentatives de division de notre peuple, votre rapporteur défend l’idée que l’unité du peuple elle-même doit être recherchée par ceux pour qui la République n’est pas un vain mot, ou simplement un système d’organisation du pouvoir, mais bien un régime politique dont le programme tient en trois mots : « Liberté, Égalité, Fraternité ». À ce titre, tout doit être mis en œuvre pour lutter contre le poison du racisme et des discriminations.

À l’heure où nombre de pays semblent sombrer tout autour de nous dans des régimes qui apparaissent de plus en plus autoritaires, notre peuple tient dans ses mains la possibilité de tracer une autre voie. Une voie profondément républicaine et citoyenne.

Bien sûr, votre rapporteur n’ignore pas que la France elle aussi est entraînée dans la pente du capitalisme autoritaire. Elle s’y est fait entraîner par les gouvernements qui se sont succédé depuis le référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen (TCE), où le « non » clair et massif exprimé par le peuple français a été transformé en « oui » par Nicolas Sarkozy avec le Traité de Lisbonne. Et au moment où votre rapporteur écrit ces mots, nous « fêtons », d’ailleurs, le vingtième anniversaire de ce référendum.

Vingt ans après le « non » au TCE, les outils les plus brutaux de la Ve République ont presque tous été utilisés pour faire passer en force des décisions toujours plus impopulaires. Et jusque à très récemment encore avec le passage en force d’une réforme de la retraite à 64 ans dont personne ne voulait mais qui s’est imposée par la force de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, en dépit de l’un des mouvements sociaux les plus puissants qu’ait connu notre pays.

La conséquence directe de cette multiplication d’actes autoritaires a été, pendant de longues années, la baisse continue de la participation aux différentes élections. Votre rapporteur en témoigne : depuis le début de son engagement politique, qui approche tout de même de la deuxième décennie, nombre de personnes lui ont dit que « voter ne sert à rien puisqu’à la fin ça ne change rien ». Et il est vrai qu’il peut sembler parfois difficile de combattre une telle assertion lorsque le président de la République lui-même refuse d’appeler à gouverner la force politique arrivée en tête aux élections législatives qu’il a lui-même convoquées.

Mais, précisément, les élections législatives de 2024 semblent avoir constitué un tournant. Car après près de 30 ans de baisse continue de la participation aux élections législatives, celle-ci a connu un rebond considérable en augmentant de près de 20 points. Ce surcroît de participation, associé à l’absence de majorité claire pour le président de la République et son gouvernement, ont participé à centraliser la place de l’Assemblée nationale face à un pouvoir présidentiel largement affaibli. D’ailleurs, les commissions d’enquête elles-mêmes, comme celle dont votre rapporteur achève de conclure le rapport, ou encore celle sur les « modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires », dont nos collègues Paul Vannier et Violette Spillebout sont rapporteurs, ont acquis désormais une forme de centralité dans la vie parlementaire, politique et médiatique de notre pays.

Autrement dit : la Ve République est en train de muer. Ou, pour dire les choses plus justement encore : il apparaît maintenant qu’elle touche à sa fin. Et si la Constitution confère encore des pouvoirs exorbitants au président de la République, comme celui de s’octroyer les « pleins pouvoirs » en activant son article 16, la question de sa capacité même à se faire obéir dans ce cas précis serait posée. Si bien que tout conduit à se rappeler le principe même de la République, inscrit à l’article 2 de notre Constitution : « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ».

Au terme de cette conclusion, votre rapporteur estime que plus que jamais, c’est avec ce principe qu’il faut renouer. Rendre le pouvoir au peuple. Et pour de bon. Et puisque l’article 3 de notre actuelle Constitution affirme que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum », votre rapporteur estime qu’il faut désormais aller au bout de cette idée et confier au peuple le pouvoir de déclencher lui-même des référendums, par la mise en place d’un droit au référendum d’initiative citoyenne pour proposer une loi, abroger une loi, changer la Constitution ou révoquer un élu en cours de mandat, du conseiller municipal au président de la République en passant par le député.

Recommandation n° 114 : Créer un droit au référendum d’initiative citoyenne pour proposer une loi, abroger une loi, changer la Constitution ou révoquer un élu en cours de mandat, du conseiller municipal au président de la République.

Enfin, et parce que votre rapporteur estime que la Ve République permet à son président d’accomplir, selon les mots de François Mitterrand, un Coup d’État permanent, votre rapporteur estime qu’il est temps de dépasser ce régime constitutionnel et d’ouvrir une nouvelle page de la vie politique et démocratique de notre pays en changeant de fond en comble nos institutions. Il préconise, comme Jean-Luc Mélenchon, le passage à une VIe République par la convocation d’une Assemblée constituante élue et tirée au sort, qui serait chargée de rédiger une nouvelle Constitution démocratique pour notre pays, dans un travail qui se ferait en lien permanent avec l’ensemble des citoyens. Le projet de Constitution issu de cette Assemblée serait ensuite soumis au référendum du peuple français, afin que chacun puisse s’exprimer librement sur la mise en place des nouvelles institutions.

Recommandation n° 115 : Réunir une assemblée constituante chargée de rédiger la Constitution d’une 6e République plus démocratique et soumettre le projet de Constitution proposé par cette Assemblée au peuple français par référendum.

En refondant ses institutions, notre peuple pourrait ainsi se refonder lui-même, c’est-à-dire redéfinir le sens de sa citoyenneté et les pouvoirs étendus qui devraient, selon lui, y être associés. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793, qui servait de préambule à la Constitution de la Ire République, affirmait à son article 28 : « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ». Ce principe républicain, forgé dans le feu de la Révolution française, n’a jamais été aussi actuel. 232 ans après qu’il a été écrit, il est plus que temps de faire de ce droit ancien un droit nouveau. Alors, peut-être, pourra-t-on enfin faire vivre pour de bon le tout premier des articles de cette Déclaration des Droits de 1793, car il reste lui aussi une idée neuve pour notre siècle :

« Le but de la société est le bonheur commun. »

 


–  1  –

   LISTE DES RECOMMANDATIONS du rapporteur

I.   MOBILISER LES ÉLECTEURS

Recommandation n° 1: Mettre en place en urgence un moratoire des radiations pour perte d’attache communale pour éviter de priver du droit de vote nos compatriotes qui sont touchés par ces radiations.

Recommandation n° 2: À terme, interdire définitivement les radiations pour perte d’attache communale via la mise en place d’un système d’inscription automatique sur les listes électorales permettant d’éviter les radiations abusives.

Recommandation n° 3 : Mettre en place un plan de contact national des personnes radiées des listes électorales pour perte d’attache communale, en lien avec l’Insee, afin de vérifier leur situation électorale et de s’assurer qu’elles puissent se réinscrire au plus vite sur les listes électorales.

Recommandation n° 4 : Abaisser à 16 ans le droit de vote et le seuil d’inscription automatique sur les listes électorales.

Recommandation n° 5 : Renforcer, dès l’entrée dans la vie scolaire, l’information électorale et l’éducation aux enjeux du vote et de la citoyenneté.

Recommandation  6 : Accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France.

Recommandation n° 7. Confier explicitement aux communes une mission de diffusion locale de l’information électorale, en complément des campagnes nationales, en leur apportant les moyens nécessaires pour organiser des campagnes de proximité (courriers individualisés, affichages ciblés et permanences d’information), afin d’assurer à chaque électeur une connaissance précise de son bureau de vote, des horaires de scrutin et des modalités pratiques de participation.

Recommandation n° 8 : Expérimenter l’utilisation du dispositif FR-Alert pour rappeler aux citoyens les échéances électorales importantes, telles que les dates limites d’inscription sur les listes électorales ou les jours de scrutin.

Recommandation n° 9 : Atteindre l’objectif « 100 % d’inscrits, 0 % de mal-inscrits » sur les listes électorales par la mise en place d’un dispositif d’inscription automatisée basé sur le répertoire électoral unique, le dispositif FranceConnect et les autres déclarations administratives (déclarations d’impôts, assurance maladie, CAF…).

Recommandation n° 10 : Confier au gestionnaire de la liste électorale la mission d’informer systématiquement les électeurs des décisions de radiation et des modalités de réinscription, par tous les canaux disponibles, y compris par voie électronique et/ou téléphonique lorsque cela est possible.

Recommandation n° 11 : Mettre en œuvre un téléservice permettant la mise à jour des adresses électroniques et des numéros de téléphone des électeurs et envisager, sous réserve d’évolutions juridiques, la récupération de ces données auprès d’autres administrations, en garantissant des procédures de vérification robustes.

Recommandation n° 12 : Garantir le maintien automatique de l’inscription électorale en cas de déménagement intra-communal.

Recommandation n° 13 : Interdire toute radiation pour perte d’attache communale dans le cadre d’un dispositif d’inscription automatique sur les listes électorales.

Recommandation n° 14 : Suspendre les radiations hors les cas de décès entre la date limite d’inscription en vue d’une élection nationale et la tenue de ce scrutin, afin de prévenir toute exclusion sans possibilité de réinscription.

Recommandation n° 15 : Mettre en place le vote obligatoire à l’âge de 18 ans, et reconnaître pleinement le vote blanc en le décomptant séparément lors des scrutins. Engager une réflexion sur l’opportunité d’instaurer des seuils pouvant affecter la validité des élections.

Recommandation n° 16 : Garantir le caractère férié et chômé de la journée électorale du dimanche, en excluant expressément l’application des régimes dérogatoires au repos dominical, afin de renforcer le suffrage et d’en faciliter l’exercice effectif par l’ensemble des électeurs.

II.   ORGANISER LES ÉLECTIONS

Recommandation n° 17 : Saisir Tracfin des opérations réalisées par l’ex-société Adrexo et par ses dirigeants pour vérifier en particulier l’usage qui a été fait des fonds publics versés à cette entreprise aujourd’hui liquidée.

Recommandation n° 18 : Organiser, via le ministère de l’Intérieur, un audit national de la présence et de la disponibilité du matériel de base nécessaire aux scrutins (urnes, isoloirs, panneaux électoraux…) dans toutes les communes de France.

Recommandation n° 19 : S’assurer du respect de la loi actuelle sur les panneaux d’affichage libre et engager une modification des articles R. 581-2 et R. 581-3 du code de l’environnement pour augmenter à la fois la surface de l’affichage libre dans les communes et le maillage des panneaux qui le rendent possible, en accompagnant financièrement les communes dans leur déploiement.

Recommandation n° 20 : Anticiper les enjeux logistiques d’une éventuelle nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale et prévoir le cas où celle-ci interviendrait aux mois de juillet ou août, afin de réduire les difficultés des communes en matière d’organisation des élections.

Recommandation n° 21 : Lancer une campagne nationale d’information sur les élections pour inciter nos concitoyens à participer à la tenue des bureaux de vote et renforcer ainsi la fiabilité et la sincérité des scrutins par l’implication civique.

Recommandation n° 22 : Simplifier les règles applicables à la propagande électorale afin de faciliter leur application par les candidats lors des élections.

Recommandation n° 23 : Harmoniser l’application par les commissions de propagande de la réglementation en vigueur en dotant ces dernières d’outils supplémentaires d’aide à la décision.

Recommandation n° 24 : Conférer aux commissions de propagande un rôle de suivi attentif vis-à-vis de l’utilisation légitime des marques politiques par les candidats aux élections.

Recommandation n° 25 : Étudier l’opportunité de faire évoluer l’obligation pour les « petits candidats » de devoir déposer un compte de campagne auprès de la CNCCFP lorsque leur campagne électorale n’a donné lieu à aucune dépense ni recette.

Recommandation n° 26 : Sanctionner les établissements de crédit qui ne respectent pas les obligations d’ouverture de compte bancaire prévues à l’article L. 52-6-1 du code électoral.

Recommandation n° 27 : Créer une banque de la démocratie afin de faciliter le financement des campagnes électorales et de prévenir les ingérences financières.

Recommandation n° 28 : Renforcer les effectifs de la CNCCFP pendant et après les campagnes afin d’améliorer l’accompagnement des candidats, de renforcer l’application des règles relatives au financement des campagnes électorales, et de diminuer le nombre de cas problématiques lors de l’étude des comptes.

Recommandation n° 29 : Étudier la possibilité de créer un mécanisme de saisine a priori de la CNCCFP donnant lieu à des « rescrits électoraux » afin de renforcer l’intelligibilité des règles applicables en matière de financement de la vie politique.

Recommandation n° 30 : Harmoniser les pratiques de contrôle des comptes de campagne des candidats pour renforcer la lisibilité des décisions de la CNCCFP.

Recommandation n° 31 : Renforcer le contrôle préalable des profils des rapporteurs travaillant pour la CNCCFP afin de prévenir tout conflit d’intérêts.

Recommandation n° 32 : Garantir une complète confidentialité de l’instruction des dossiers par la CNCCFP et sanctionner tout manquement à cette obligation légale.

Recommandation n° 33 : Proposer une solution de sortie du moratoire relatif aux machines à voter en s’appuyant sur les travaux du groupe de travail dédié mis en place par le ministère de l’Intérieur.

Recommandation n° 34 : Prioriser l’impératif de préservation de la sincérité du scrutin sur les avantages pratiques offerts par les machines à voter.

Recommandation  35 : Engager une démarche renforcée d’accompagnement des services de l’État à destination des communes rencontrant des difficultés pour recruter des assesseurs.

Recommandation n° 36 : Assurer une meilleure prise en charge par l’État des dépenses engagées par les communes lors de l’organisation des élections.

Recommandation n° 37 : Renforcer la transparence et la consolidation du coût des élections par le ministère de l’Intérieur.

Recommandation n° 38 : Maintenir absolument l’envoi de la propagande électorale par voie postale et ouvrir en complément l’envoi de propagande dématérialisée par mail et SMS pris en charge par les préfectures, au minimum pour les élections nationales (présidentielle, européenne et législatives). 

Recommandation n° 39 : Instaurer un parrainage des candidats à l’élection présidentielle par 150 000 citoyens d’au moins cinquante départements comme le préconise le « rapport Jospin » de 2012.

Recommandation n° 40 : Permettre aux représentants des candidats de suivre de façon continue au sein du bureau des élections politiques du ministère de l’Intérieur la centralisation et la consolidation progressive des résultats.

Recommandation n° 41 : Renforcer la formation et la valorisation des magistrats au sein des commissions électorales.

Recommandation n° 42 : Rétablir l’annexion des procurations au procès-verbal des bureaux de vote lors des élections.

Recommandation n° 43 : Permettre la centralisation en préfecture des registres des procurations pour faciliter leur vérification.

Recommandation n° 44 : Fixer la date limite pour réaliser une procuration à l’avant-veille du scrutin à minuit pour des raisons d’organisation du scrutin et de préservation de son intégrité.

Recommandation n° 45 : Mettre en place un outil national de contrôle des procurations afin de faciliter l’identification de fraudes potentielles aux procurations dans les bureaux de vote.

Recommandation n° 46 : Envisager la mise en place d’une autorité administrative indépendante en charge de l’organisation des élections.

Recommandation n° 47 : Préserver le droit pour les personnes détenues de voter par correspondance aux élections locales et législatives, et envisager toutes les possibilités techniques pour augmenter l’inscription et la participation au vote dans les lieux de détention.

Recommandation n° 48 : Confier l’attribution des nuances politiques lors d’une élection à une commission dédiée et pluraliste, afin de garantir l’objectivité des nuances politiques, d’éviter les conflits d’intérêts avec le ministère de l’Intérieur, et ainsi de préserver l’intégrité du scrutin.

Recommandation n° 49 : Prévoir des dispositions spécifiques pour la diffusion des spots électoraux des candidats ultramarins afin de renforcer l’information des électeurs en précisant la date et les modalités du scrutin.

Recommandation n° 50 : Renforcer la visibilité des outremers dans les médias nationaux, en particulier sur les chaînes d’info en continu, en renforçant en lien avec l’Arcom les exigences conventionnelles opposables aux éditeurs présents sur la TNT.

Recommandation n° 51 : Renforcer la coordination entre les administrations compétentes en matière électorale et le service d’information du Gouvernement afin d’améliorer l’information des électeurs ultramarins.

Recommandation n° 52 : Rendre férié et chômé le jour du vote afin de permettre en particulier à nos compatriotes qui votent le samedi de pouvoir le faire sans être contraints par leur travail.

Recommandation n° 53 : Imposer l’obligation, dans les clips de propagande officielle des campagnes nationales, d’alerter sur le fait que le vote a lieu le samedi et non le dimanche dans certains territoires ultramarins.

Recommandation n° 54 : Mettre en place un remboursement forfaitaire plafonné des frais de transport engagés par les candidats ultramarins sur le modèle du système actuellement en place pour les députés représentant les Français établis hors de France.

Recommandation n° 55 : Ouvrir la possibilité de recevoir la propagande électorale par mail tout en maintenant l’envoi de propagande papier par courrier adressé.

Recommandation n° 56 : Mettre en place un outil de suivi des événements intervenus lors des élections, en particulier des irrégularités constatées, afin de faciliter les retours d’expérience et de renforcer la transparence de l’organisation des élections.

Recommandation  57 : Poursuivre le développement de l’authentification numérique souveraine pour les opérations de vote en ligne des Français de l’étranger et envisager sa possibilité comme une option supplémentaire en parallèle ou en complément de l’authentification par SMS.

Recommandation  58 : Développer une alternative simple de double authentification par la mise en place d’une application souveraine de génération de code aléatoire en complément de l’authentification numérique souveraine et du SMS.

Recommandation n° 59 : Développer rapidement une solution souveraine et internalisée dans les administrations de l’État pour les opérations de vote en ligne des Français de l’étranger afin de ne pas dépendre de prestataires externes sur un sujet aussi crucial que celui de l’exercice de la souveraineté du peuple.

Recommandation n° 60 : Mettre en place un comité de surveillance des outils et opérations de vote en ligne des Français de l’étranger, comportant au moins un représentant de chaque groupe politique de l’Assemblée nationale, pouvant être assisté de ses équipes techniques.

Recommandation n° 61 : Envoyer la propagande électorale concernant les Français établis hors de France par voie électronique en addition et en complément de l’envoi de la propagande électorale par courrier et ne renoncer en aucun cas à cette dernière méthode.

Recommandation n° 62 : Travailler à une solution complémentaire d’envoi par SMS (avec un lien d’accès fiable et sécurisé) de la propagande électorale concernant les Français établis hors de France.

Recommandation n° 63 : Conserver la possibilité pour les Français établis hors de France de voter par correspondance.

III.   protéger l’information

Recommandation n° 64 : Augmenter les moyens humains et techniques affectés à l’Arcom afin de lui permettre de faire respecter un réel pluralisme des courants de pensées et d’opinions sur toutes les chaînes de télévision, suite à la décision du Conseil d’État du 13 février 2024.

Recommandation n° 65 : Encourager l’Arcom à appliquer pleinement ses pouvoirs de contrôle et de sanction pour les chaînes qui ne respectent pas leur obligation de représentation pluraliste des courants de pensées et d’opinions.

Recommandation n° 66 : Demander à l’Arcom de remettre au Parlement un rapport préfigurant une évolution du cadre juridique applicable aux chaînes d’information en continu en période électorale, en y intégrant une obligation de transparence sur la composition des plateaux, ainsi que des critères qualitatifs relatifs à la diversité des thématiques et des intervenants.

Recommandation n° 67 : Formaliser un cadre d’information électorale sur les plateformes de réseaux sociaux pour rappeler les dates d’inscription sur les listes électorales et les dates de scrutin, en envisageant la possibilité de notification « push » ou de message privé des plateformes au moment des élections.

Recommandation n° 68 : Confier explicitement à la CNCCFP la prérogative d’identifier des versements monétaires entre candidats et influenceurs, même en amont de l’interdiction d’effectuer de la publicité sur internet, si le soutien effectif aux candidats a été apporté durant cette période d’interdiction, et doter la CNCCFP des moyens afférents à l’exercice de cette nouvelle mission (pouvoirs de contrôle et moyens humains).

Recommandation n° 69 : Mettre en place un registre public des contrats d’influence politique afin d’y consigner les accords contractuels ou financiers entre des institutions publiques, des élus ou des candidats aux élections d’une part, et des influenceurs d’autre part. Devraient y figurer obligatoirement le montant financier de la transaction, les personnes ou institutions impliquées, et les termes de la prestation de service attendue. Ce registre ne ferait pas figurer les soutiens non rémunérés d’influenceurs à des institutions, élus ou candidats, puisqu’elles relèveraient de la liberté d’expression garantie par l’article 11 de la DDHC.

Recommandation n° 70 : Engager une initiative française de renforcement ciblé du Digital Services Act (DSA), afin d’y intégrer un régime de vigilance renforcée applicable aux très grandes plateformes durant les campagnes électorales.

Recommandation n° 71 : Étendre les compétences de l’Arcom afin qu’elle puisse assurer, en tant que coordinateur des services numériques désigné au titre du DSA, une mission pérenne de supervision du respect des obligations relatives à la qualité et à la neutralité de l’information électorale par les plateformes.

Recommandation n° 72 : Mettre en place, avec l’appui de Viginum, un plan national de formation des journalistes aux risques et aux méthodes d’ingérences étrangères, en privilégiant la formation des personnels des médias audiovisuels d’information en continu ou généralistes.

Recommandation n° 73 : Renforcer les moyens humains, techniques et financiers alloués aux services institutionnels chargés de la lutte contre les ingérences étrangères, en particulier Viginum, afin de consolider durablement leurs capacités de détection, de riposte et de coordination.

Recommandation n° 74 : Renforcer les anticorps républicains de notre pays et l’unité du peuple français par la mise en place d’un plan national de lutte contre le racisme et la xénophobie, construit en lien avec la CNCDH et la Défenseure des droits.

Recommandation n° 75 : Construire une stratégie nationale de développement de l’esprit critique, impliquant les acteurs de la lutte contre les ingérences étrangères, à destination des usagers du numérique face aux risques induits par la manipulation de l’information.

Recommandation n° 76 : Consacrer juridiquement l’extension de la définition de l’ingérence numérique étrangère pour y inclure explicitement les tentatives de manipulation du débat électoral menées par des acteurs économiques étrangers recourant à des techniques inauthentiques, qu’il s’agisse d’organisations ou d’individus.

Recommandation n° 77 : Clarifier les dispositions de l’article L. 52-12 du code électoral, en précisant les types de dépenses devant obligatoirement figurer dans le compte de campagne, y compris lorsqu’elles sont engagées par un tiers avec l’accord ou au bénéfice du candidat.

Recommandation n° 78 : Étendre les prérogatives de la CNCCFP, en lui reconnaissant un droit de communication direct auprès des prestataires ou partenaires des candidats, afin de garantir la vérifiabilité des flux financiers et l’identification des bénéficiaires réels.

Recommandation n° 79 : Renforcer les pouvoirs de vérification de la CNCCFP par l’instauration de contrôles sur pièces et sur place, portant non seulement sur les comptes des candidats, mais également sur ceux des partis et associations de soutien, afin de prévenir tout financement détourné.

Recommandation n° 80 : Créer un pouvoir de saisine de Tracfin par la CNCCFP pour vérifier la traçabilité d’opérations financières en lien avec le financement de la vie politique et des campagnes électorales.

Recommandation n° 81 : Mettre en place une commission d’enquête parlementaire consacrée au projet Périclès et, plus largement, aux tentatives d’ingérences financières dans les élections, en s’intéressant particulièrement aux effets de ces tentatives sur la qualité du débat démocratique, aux activités impliquées, aux modes de financements de ces activités et aux liens avec les formations politiques.

Recommandation n° 82 : Instaurer un plafond global de 50 000 euros pour les prêts consentis par une personne physique à un parti politique ou à un candidat, toutes campagnes confondues.

Recommandation n° 83 : Interdire les prêts consentis par une personne physique résidant à l’étranger à un parti politique ou à un candidat.

IV.   réguler LES SONDAGES

Recommandation n° 84 : Interdire la publication de sondages du second tour avant que les résultats du premier tour et les candidats effectivement présents au second tour ne soient connus.

Recommandation n° 85 : Rendre obligatoire, pour les enquêtes électorales, la publication par les sondeurs des résultats obtenus sans le filtre des « certains d’aller voter » aux côtés des résultats des « certains d’aller voter ».

Recommandation n° 86 : Renforcer les moyens de la Commission des sondages afin de lui permettre d’effectuer un contrôle efficace de la qualité des sondages effectués.

Recommandation n° 87 : Modifier la composition de la Commission des sondages au profit de profils plus spécialisés afin de renforcer l’efficacité de son action de contrôle.

Recommandation n° 88 : Renouveler le collège de la Commission des sondages par moitié pour assurer un meilleur suivi de l’activité de la Commission dans le temps.

Recommandation n° 89 : Étendre aux prestataires de la Commission des sondages le régime d’incompatibilité prévu à l’article 6 de la loi du 19 juillet 1977.

Recommandation  90 : Conditionner la nomination des membres de la commission des sondages à un contrôle préalable de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Recommandation n° 91 : Étudier l’opportunité d’étendre à une durée de cinq ans au lieu de trois ans le régime d’incompatibilité prévu à l’article 6 de la loi du 19 juillet 1977.

Recommandation n° 92 : Renforcer l’indépendance de la Commission des sondages en la dotant de locaux propres, hors du Conseil d’État.

Recommandation  93 : Publier systématiquement une mise au point préalable lorsqu’un sondage contrôlé par la commission des sondages présente des difficultés méthodologiques.

Recommandation n° 94 : Faire évoluer la doctrine de la Commission des sondages en faveur d’un recours plus systématique à ses outils de sanction lorsqu’elle constate des manquements.

Recommandation  95 : Imposer aux partenaires d’access panels et aux instituts de sondage la transmission à la Commission des sondages des critères de recrutement des panélistes et les données détaillées concernant la constitution des échantillons, pour permettre une évaluation rigoureuse de la représentativité de ces échantillons.

Recommandation n° 96 : Interdire toute forme de gratification dans le cadre des sondages politiques et d’opinion sur des sujets d’actualité réalisés par les instituts de sondage.

Recommandation n° 97 : Intégrer l’ensemble des sondages en lien direct ou indirect avec le débat politique et médiatique au sein du champ de compétence de la commission des sondages.

Recommandation n° 98 : Réfléchir à un principe d’interdiction de publication pour l’ensemble des sondages en lien avec le débat politique lorsqu’ils n’ont pas été contrôlés de façon préalable par la commission des sondages.

Recommandation n° 99 : Interdire les sondages d’intentions de vote avant que la liste définitive des candidats ou des listes en lice à une élection ne soit connue, afin de préserver l’intégrité des résultats des scrutins électoraux.

Recommandation n° 100 : Interdire la publication de sondages « jour du scrutin » à 20 heures le soir des élections et se baser sur les résultats réels de l’élection pour le traitement médiatique de ces évènements politiques.

Recommandation n° 101 : Renforcer la transparence des sondages en complétant la liste des mentions obligatoires lors de leur publication ou diffusion afin de renforcer l’information des citoyens.

Recommandation n° 102 : Présenter les résultats des sondages sous la forme d’intervalles ou de plages de résultats afin de matérialiser les marges d’erreur.

Recommandation n° 103 : Indiquer de manière visible les effectifs réels répondant à chaque question à l’intérieur d’un sondage.

Recommandation n° 104 : Insérer lors de chaque publication ou diffusion d’un sondage politique une mention explicite des limites techniques et informatives applicables audit sondage.

Recommandation n° 105 : Exiger des instituts de sondage la transmission à la Commission des sondages des données brutes anonymisées, non agrégées et non redressées sous forme de tableur, ainsi que les formules de redressement appliquées pour chaque sondage.

Recommandation n° 106 : Normer les notices expertes des instituts de sondage afin de définir clairement les données qui doivent y figurer et de permettre leur comparaison entre instituts.

Recommandation n° 107 : Publier, pour chaque sondage contrôlé par la Commission des sondages, la notice experte adressée par l’institut concerné, afin de renforcer l’auditabilité des méthodes employées.

Recommandation n° 108 : Publier, pour chaque sondage contrôlé par la Commission des sondages, les données brutes anonymisées, non agrégées et non redressées sous forme de tableur, ainsi que les formules de redressement appliquées pour chaque sondage.

Recommandation  109 : Définir un cadre renforcé de prévention des conflits d’intérêts entre les médias et les instituts de sondage afin d’éviter la constitution d’un dispositif de « guerre des idées » de nature à manipuler l’information pour influencer les élections.

Recommandation  110 : Renforcer la lutte contre les concentrations dans le domaine des sondages et des médias en interdisant à un particulier de détenir directement ou indirectement à la fois un média et un institut de sondage.

Recommandation  111 : Étudier les voies et moyens de lutter efficacement contre la diffusion de fausses informations électorales pendant la période de réserve, en particulier depuis l’étranger, et, en règle générale, lors des campagnes électorales.

Recommandation n° 112 : Mieux encadrer le recours par les pouvoirs publics aux sondages afin de garantir que leur utilisation s’inscrive pleinement dans une logique d’intérêt général.

Recommandation n° 113 : Prévoir la remise chaque année au Parlement dans le cadre du projet de loi de finances annuel de la liste des sondages commandés par le Gouvernement et mettre à disposition du public les résultats de ces sondages.

V.   conclusion

Recommandation n° 114 : Créer un droit au référendum d’initiative citoyenne pour proposer une loi, abroger une loi, changer la Constitution ou révoquer un élu en cours de mandat, du conseiller municipal au président de la République.

Recommandation n° 115 : Réunir une assemblée constituante chargée de rédiger la Constitution d’une 6e République plus démocratique et soumettre le projet de Constitution proposé par cette Assemblée au peuple français par référendum.

 

 


–  1  –

   Annexes

 


Annexe 15 : Service d’information du Gouvernement – « Macron 2032 »

 


 

Annexe 16 : Etudes commandées par le service d’information du Gouvernement entre 2020 et 2025

 


–  1  –

   III. Contributions des groupes politiques

 

 

 

 

 


Contribution du groupe rassemblement national

Les députés du Rassemblement National tiennent à remercier les services pour l’organisation des travaux. Les auditions, riches et nombreuses, ont permis de soulever certaines problématiques essentielles. Nous déplorons l’attitude délétère du Rapporteur qui a éclipsé la bonne tenue des débats, sous le regard bien silencieux du Président macroniste. Alors que les auditions apportaient des éléments concrets et utiles pour l’organisation des élections et la résolution de ces problèmes, le Rapporteur a transformé la suite des travaux en un vaste procès politique, nourri d’invectives et de suspicions paranoïaques.

Victime d’un complot du système, les sondeurs sous-estimeraient la puissance du vote mélenchoniste. Malgré les innombrables explications des instituts de sondage, le Rapporteur persiste avec cette théorie infondée. Naturellement, sous couvert de transparence (ex : la publication des formules de redressement), les recommandations formulées pourraient conduire à l’interdiction des sondages. Le Président lui-même, lors de la réunion de l’examen de ce rapport l’atteste en déclarant que « rien dans les auditions ne vient à l’appui des constatations erronées, déformées, inventées ». Bien qu’un rapport de commission d’enquête soit le fruit de l’écriture unique du Rapporteur, nous déplorons que le bloc central ne s’y soit pas opposé. De tels mensonges et torsions de la réalité des auditions sont une injure pour le travail parlementaire et la représentation nationale.

Cette paranoïa loufoque s’illustre également à travers les radiations des listes électorales, qui toucheraient presque exclusivement leur mouvement.

Nous sommes frappés par la schizophrénie de ce tract politique, notamment au regard des recommandations portant sur le nouveau régime que son auteur souhaite instaurer : renverser la Ve République pour créer une VIe République, avec notamment une Assemblée constituante, le droit de vote pour tous, y compris les étrangers, et la révocation des élus – y compris du Président de la République – à tout moment. Cette nouvelle architecture institutionnelle conduirait inexorablement la France vers les abysses du déclassement, accompagnée d’une instabilité chronique.

Il en va de même pour la recommandation relative au développement de l’esprit critique. Outre que celui-ci se cultive à l’école, ce ne sont pas des incantations partisanes ou des plans nationaux aux contours mal définis qui la favoriseront mais plus simplement l’adhésion de tous les élus de la Nation à ses institutions.

Malgré les innombrables recommandations délirantes et à plusieurs reprises redondantes, certaines trouvent grâce à nos yeux, puisqu’elles vont dans l’intérêt des Français.

Par exemple, nous souscrivons aux propositions du Rapporteur visant à simplifier les règles du R39, à améliorer la vérification des étiquettes politiques pour la propagande, ainsi qu’à renforcer la communication sur les élections et les inscriptions sur les listes électorales ou encore la possibilité de rescrit émanant de la CNCCFP. Le Rassemblement National milite depuis de nombreuses années pour la création d’une banque de la démocratie. Plusieurs fois promise notamment par Emmanuel Macron, nous espérons qu’elle pourra enfin faire l’objet d’un consensus à travers l’ensemble de la classe politique.

Enfin, il aurait été pertinent de proposer l’envoi de la carte électorale avant chaque élection, et non plus seulement tous les quatre ans. Bien que cette carte ne soit pas obligatoire pour voter, elle constitue un repère pour de nombreux électeurs, notamment en leur indiquant leur bureau de vote. Un envoi systématique à chaque scrutin pourrait ainsi contribuer à renforcer la participation électorale.

Bien qu’Arnaud Rérolle, directeur général de Périclès, ait apporté des éclairages pertinents à nos travaux, nous regrettons qu’ils n’aient pas pu être complétés par l’audition de Pierre-Edouard Stérin. Par ailleurs, nous sommes quelque peu stupéfaits de l’ignorance manifestée par le Président à l’égard de notre courrier souhaitant auditionner M. Matthieu Pigasse, Président et actionnaire de plusieurs médias. En janvier 2025, il a déclaré dans les pages du journal Libération qu’il « veut mettre les médias que je contrôle » au service d’un combat idéologique. Ce dernier souhaitait d’ailleurs être auditionné. Ce refus nous laisse pour le moins pantois.

La démocratie se fonde sur l’acception de la pluralité d’opinions, de la contradiction et de la préservation des institutions. Précisément pourquoi, Marine Le Pen et Jordan Bardella fondent leur action quotidienne.

 

 

 

 


Contribution du groupe Ensemble pour la République

Les travaux de cette commission d’enquête ont mis en évidence la solidité générale du cadre électoral français, et ce notamment dans le cadre des opérations électorales « surprises » de l’été 2024 à la suite de la dissolution décidée par le Président de la République. À chaque étape de ce « processus républicain », inscription, organisation du scrutin, proclamation des résultats, des garanties procédurales solides encadrent le bon déroulement du processus et garantissent sa juste exécution.

À l’heure où de nouvelles menaces apparaissent et où les attentes de nos concitoyens évoluent, il nous revient d’accompagner ces évolutions avec prudence, clarté et efficacité. Les propositions que nous formulons dans cette contribution s’inscrivent dans cet esprit : conforter ce qui fonctionne, ajuster ce qui doit l’être, et anticiper les défis et les opportunités de demain.

  1.   Renforcer l’accessibilité du vote

Un premier enjeu concerne l’effectivité du droit de vote. Les travaux de la commission d’enquête ont mis en évidence que trop d’électeurs découvrent encore à l’approche d’un scrutin qu’ils ont pu être radiés des listes électorales pour raison administrative, notamment en cas de perte d’attache communale. Sans remettre en cause la gestion du Répertoire Électoral Unique (REU), il nous semble nécessaire de mieux encadrer ces situations. Nous proposons d’interdire les radiations liées à une perte d’attache dans les six semaines précédant une élection, afin de garantir un délai raisonnable de régularisation.

Par ailleurs, nous soutenons une évolution du REU pour intégrer, de manière volontaire, les adresses électroniques et les numéros de téléphone des électeurs. Cette modernisation simple mais décisive permettrait, à terme, la transmission dématérialisée de la propagande électorale pour les électeurs qui le souhaitent. Ce serait une avancée à la fois écologique, pratique et conforme aux usages numériques actuels. Pour les Français de l’étranger, déjà accoutumés à un rapport à l’État plus fortement dématérialisé, nous proposons que l’envoi dématérialisé de la propagande électorale devienne la règle, sauf mention contraire au moment de l’inscription sur la liste électorale consulaire.

  1.   Clarifier le cadre applicable aux outils électoraux

S’agissant des machines à voter, la situation actuelle mérite d’être clarifiée. Le moratoire en vigueur depuis 2008 interdit leur déploiement dans de nouvelles communes, tout en maintenant leur usage là où elles sont déjà en place. Ce statu quo rigide ne permet ni une modernisation du dispositif, ni une sortie ordonnée. Nous proposons que les communes qui le souhaitent puissent à nouveau recourir à ces machines, dans un cadre strict, avec des exigences renforcées en matière de sécurité et de contrôle.

Concernant le vote électronique à distance, la prudence reste de mise. Néanmoins, il nous paraît souhaitable de poursuivre les efforts de fiabilisation et de développement de ce mode de vote pour les Français établis à l’étranger, soumis à des contraintes bien spécifiques et pour qui rejoindre un bureau de vote peut parfois représenter un coût financier important, en sus d’un coût écologique certain. À moyen terme, cette solution pourrait également être étudiée pour certaines populations ultramarines afin de faciliter l’accès aux bureaux de vote et réduire l’empreinte environnementale et le cout financier de notre démocratie.

  1.   Consolider la protection du cadre démocratique

Si les vecteurs classiques d’organisation du débat électoral tels que les sondages ou les médias sont efficacement régulés, les auditions ont également permis d’éclairer les risques pesant sur le cadre démocratique au travers de nouvelles formes de communication et d’action politique.

Les exemples étrangers, comme celui de la Roumanie, montrent combien des campagnes de désinformation peuvent affecter la perception d’un scrutin. En France, plusieurs signaux faibles invitent à renforcer nos dispositifs de veille, de coordination et d’action, sans pour autant tomber dans une forme de sur-réaction. Les outils existent et progressent, et les moyens ont été renforcés depuis l’élection du Président de la République : Digital Services Act, développement de Viginum, coopération avec les plateformes. Il s’agit maintenant de garantir une meilleure transparence sur leur action, notamment vis-à-vis du Parlement.

Enfin, la question du financement politique mérite une attention particulière. L’émergence de structures influentes, poursuivant des objectifs politiques sans en avoir le statut juridique, interroge. Les travaux de la commission ayant été entravés sur ce point, il apparaît essentiel que la représentation nationale puisse se saisir du sujet afin de percevoir si une évolution du cadre législatif et réglementaire mérite d’être envisagée. 

Synthèse des propositions

Pour un accès plus effectif au vote :

● Interdire les radiations pour perte d’attache communale dans les six semaines précédant un scrutin.

● Permettre aux électeurs de renseigner une adresse électronique et un numéro de téléphone dans le REU pour recevoir la propagande électorale de façon dématérialisée, s’ils le souhaitent.

Pour une modernisation maîtrisée :

● Mettre fin au moratoire sur les machines à voter et permettre leur usage dans les communes qui en font le choix, avec un encadrement renouvelé.

● Étendre le vote électronique à distance aux Français de l’étranger pour les scrutins nationaux, et en étudier la faisabilité pour certains électeurs ultramarins.

Pour protéger l’intégrité démocratique :

● Renforcer les outils de lutte contre les ingérences étrangères, en améliorant leur coordination et leur contrôle parlementaire.

● Approfondir l’étude du financement para-politique afin d’en mesurer l’ampleur et les éventuels impacts sur l’égalité de traitement des candidats. 

 

 


CONTRIBUTION DU GROUPE LA FRANCE INSOUMISE – NOUVEAU FRONT POPULAIRE

Le groupe LFI – NFP salue le travail considérable mené à l’occasion de cette commission d’enquête, et les recherches approfondies qui ont conduit le rapporteur à formuler des recommandations qu’il partage.

Par cette contribution, nous souhaitons insister sur trois points saillants qui structurent transversalement les analyses comme les perspectives posées par le présent rapport.

  1.   Lutter contre toute forme censitaire de démocratie

Un point fondamental apparaît d’abord dans les multiples constats opérés quant à la non-inscription et à la mal-inscription en France. Ces phénomènes touchent structurellement des concitoyens d’ores et déjà tenus à l’écart de la décision et du vote, à savoir les jeunes et les classes populaires. En d’autres termes, les citoyens déjà moins portés à participer à la décision au moment des élections sont également les plus nombreux à être non-inscrits ou mal-inscrits. Il y a donc un redoublement de l’exclusion d’une partie de la population, laquelle pâtit le plus des politiques économiques menées ces dernières années.

Le problème est massif et rappelle bien entendu les critiques formulées par Daniel Gaxie qui voyait dans ce fonctionnement propre aux démocraties libérales l’existence d’un « cens caché ». Samuel Huntington, bien connu pour sa théorie du choc des civilisations, assumait également une conception clairement élitaire de la démocratie représentative, considérant qu’il existait un taux optimal de participation aux élections, au-delà duquel le système politique était soumis à des soubresauts trop dangereux. Une telle conception recycle la théorie selon laquelle les classes laborieuses sont des classes dangereuses, y compris jusque dans l’exercice de leurs droits sociaux et politiques.

Puisqu’il est établi que la participation plus grande des communes les plus pauvres correspond dans l’histoire politique française à la victoire de la gauche, comme l’ont montré notamment Julia Cagé et Thomas Piketty, les formes censitaires de l’organisation actuelle des scrutins ont des effets concrets sur les politiques publiques mises en place. L’exclusion structurelle des jeunes et des classes populaires de l’exercice des droits politiques conduit à l’exclusion de leurs intérêts dans l’élaboration des politiques publiques, à commencer par celui qui consiste à pouvoir se saisir de ces droits eux-mêmes.

De ce fait, les recommandations nombreuses du rapport en matière d’accès aux droits politiques, de l’inscription automatique sur les listes électorales à l’organisation de campagnes massives d’inscription sur les listes électorales, en passant par le jour d’élection férié et chômé afin de maximiser la participation de celles et ceux, en nombre toujours plus grand, qui travaillent le dimanche, conduisent à lutter inlassablement contre les formes censitaires de notre système représentatif.

Nous y souscrivons pleinement, car nous pensons que la participation populaire la plus grande aux élections est la seule à pouvoir permettre que nos institutions sociales et politiques trouvent leur stabilité dans la représentation de l’intérêt de la majorité sociale. La démocratie ne vit que par le pouvoir du peuple, et la participation la plus grande possible est également de nature à légitimer l’intervention citoyenne plus récurrente dans la vie démocratique, élément clef que suppose l’instauration, également proposée par le rapport, d’un référendum d’initiative citoyenne visant à proposer ou abroger une loi, révoquer les élus ou modifier la Constitution.

Ce dernier élément renvoie à un élément central de la participation aux élections : les citoyens sont conduits à y participer si l’élection change véritablement la situation politique, en d’autres termes si elle est liée à un véritable pouvoir qu’ils exercent, soit directement, soit par le biais de ses représentants, à condition que ceux-ci présentent véritablement des alternatives en termes de politiques publiques.

  1.   Garantir la transparence du scrutin

Outre ces éléments structurants, la garantie de la transparence du scrutin est une nécessité démocratique évidente. De ce point de vue, les conditions à partir desquelles se déploie la délibération démocratique en pleine période électorale, et en amont des campagnes électorales bien entendu.

Les interrogations légitimes du rôle joué de ce point de vue par les instituts de sondage forment un point décisif de ce rapport. Il est manifeste que la commission des sondages n’a pas les moyens humains et les pouvoirs d’investigation nécessaires pour enquêter véritablement sur les méthodes des instituts de sondage. Le fonctionnement circulaire de l’information, entre production de sondages et constitution d’objets de débat public, tend à occulter plus qu’à éclaircir les conditions du débat.

À ce propos, la question de la propriété simultanée d’instituts de sondage, de médias et de maisons d’édition, dont l’un des exemples d’autant plus frappants qu’il s’articule à un agenda politique qui ne se cache absolument pas est celui de Vincent Bolloré, est un problème fondamental pour notre démocratie et pour l’organisation des élections en France : CSA comme institut de sondage, JDD pour le journal, Europe 1 pour la radio, CNews pour la télévision. Les débats peuvent y être en permanence ternis par des considérations aux relents racistes dont la nature même abîme la République.

Que cette concentration de la propriété des moyens de production de l’information soit un obstacle majeur à l’exercice libre et démocratique de la souveraineté populaire est un élément central. La recommandation visant à empêcher de telles dynamiques de concentration de la production d’information est tout à fait légitime.

Par ailleurs, une véritable question est posée quant aux conditions de la participation citoyenne lors de la tenue des bureaux de vote eux-mêmes, de la même façon qu’il faut veiller à l’acheminement de la propagande électorale et du matériel de vote lui-même sur l’intégralité du territoire, des difficultés importantes dans certaines communes et notamment dans les DOM-TOM ayant été soulevées par plusieurs député.es. La difficulté à trouver des volontaires pour tenir les urnes est pour partie liée à la crise démocratique générale, et à la désaffection pour les institutions, qui trouve avec le non-respect des résultats des dernières élections législatives un point d’orgue grave et préoccupant. De ce fait, la proposition du passage à la 6e République, inscrite dans la perspective d’une plus grande participation citoyenne à la décision publique, est de nature à permettre que les citoyens souhaitent s’impliquer davantage lors des journées électorales, par le vote lui-même, la reconnaissance du vote blanc assortie du vote obligatoire le permettant, et par la tenue des bureaux de vote eux-mêmes.

Enfin, la transparence du scrutin est liée à l’égal exercice du droit de vote sur l’ensemble du territoire. L’usage de machines à voter dans plusieurs communes du pays, soumis à moratoire depuis 2008, pose véritablement problème à cet égard. Les scientifiques auditionnés à ce propos ont établi très clairement que le caractère invérifiable des résultats produits par ces machines est un obstacle majeur : par définition, les résultats produits dans ce contexte ne sont pas vérifiables. En outre, il a été établi que ces machines peuvent être piratables. Le cumul de ces deux éléments est suffisant à interroger fondamentalement cette façon de voter. Aucun argument scientifique nouveau ne vient répondre aux questions qui avaient conduit à l’adoption d’un moratoire. Afin de garantir la sincérité, la transparence et l’égalité du scrutin, le vote par machine doit donc être abandonné. Il est notable que cette manière de voter a été interdite par les Pays-Bas ainsi que par l’Allemagne.

La transparence du scrutin ne se limite pas nécessairement au jour même du vote, et commence en amont, dans le cadre de la campagne électorale et dans la constitution même des conditions de la délibération et du débat public, ce qui donne une importance cruciale à la question de la propriété des médias et des instituts de sondage.

  1.   Poser la perspective d’une société plus égalitaire et démocratique : la 6e République

La mention de la 6e République comme horizon de démocratisation de la société entre pleinement dans le cadre d’un rapport portant sur l’organisation des élections en France. En effet, la France de 2025 est profondément différente de la France de 1958. Les institutions dont le pays s’est doté à un moment bien singulier de son histoire, caractérisées par la concentration du pouvoir dans l’exécutif, et tout particulièrement à l’Élysée, ne correspondent pas à la nécessité actuelle de se saisir collectivement de questions aussi fondamentales que la bifurcation écologique des modes de production et de consommation.

Dès lors, la question des conditions d’organisation des élections se pose nécessairement dans le contexte de la crise démocratique traversée aujourd’hui par le pays.

Les enjeux de participation populaire (A) et de transparence du scrutin (B) renvoient aux conditions inégalitaires de la prise de décision aujourd’hui. Qu’il s’agisse de la participation trop faible des citoyens n’ayant peu ou pas de patrimoine, ou de l’influence considérable de ceux qui sont dotés des plus gros patrimoines, et qui pratiquent souvent l’évasion fiscale, les inégalités de richesse affectent considérablement le fonctionnement de notre démocratie.

En ce sens, la décision effrontée, illégale et inadmissible de Pierre-Édouard Stérin de ne pas se présenter devant la commission d’enquête est significative. Un tel homme semble pouvoir se sentir au-dessus des lois tout en se présentant comme patriote : c’est bien entendu lamentable et d’une hypocrisie que tout le monde a pu saisir.

La 6e République que nous appelons de nos vœux, dont nous souhaitons qu’elle voie le jour par une Assemblée constituante, s’inscrit dans la perspective égalitaire d’une société plus juste, car la concentration toujours plus grande des richesses concentre également le pouvoir, et contrarie les dynamiques collectives de démocratisation. C’est bien la situation que vit la France ces dernières années, tout particulièrement sous les mandats d’Emmanuel Macron. Le patrimoine des 500 foyers les plus fortunés a doublé depuis 2017. Les inégalités de pouvoir augmentent du même mouvement que les inégalités de richesse.

La répression des mouvements sociaux, contre la réforme des retraites, les mobilisations féministes, antiracistes, le mouvement climat, les gilets jaunes, fragilise notre démocratie et les conditions de délibération démocratique.

L’égalité républicaine doit prendre un sens concret, social et politique. Les conditions d’organisation des élections en France seront plus propices à l’expression de la souveraineté populaire si la société elle-même devient plus égalitaire. C’est le sens profond de la République sociale, et de la proposition de 6e République que nous portons.

 

 

 


CONTRIBUTION DU GROUPE ÉCOLOGISTE ET SOCIAL

 

Mme Léa Balage El Mariky, députée de Paris

M. Emmanuel Duplessy, député du Loiret

 

Alors que 10 millions de Français sont concernés par des problèmes d’inscription sur les listes électorales (2,9 millions de non-inscrits et 7,7 millions de mal-inscrits) et que les niveaux d’abstention ont été importants lors des dernières élections de notre pays, le groupe Écologiste et Social a accueilli cette commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France avec bienvenue.

Les différentes auditions conduites ont permis au rapporteur de faire un état des lieux des risques qui pèsent sur les élections mais également de proposer 115 recommandations qui doivent permettre d’améliorer et de protéger notre démocratie.

Nous les partageons en partie, mais souhaitons dans cette contribution mettre en avant les mesures que nous jugeons prioritaires.

Pour mobiliser les électeurs (I.), nous estimons ainsi qu’il est primordial :

– de mettre en place en urgence un moratoire des radiations pour perte d’attache communale pour éviter de priver du droit de vote nos compatriotes qui sont touchés par ces radiations (recommandation  1) et, à terme, d’interdire définitivement les radiations pour perte d’attache communale via la mise en place d’un système d’inscription automatique sur les listes électorales permettant d’éviter les radiations abusives (recommandation  2).

– d’expérimenter l’utilisation du dispositif FR-Alert pour rappeler aux citoyens les échéances électorales importantes, telles que les dates limites d’inscription sur les listes électorales ou les jours de scrutin (recommandation  8).

– d’accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France (recommandation  6).

Pour organiser les élections (II.), nous estimons ainsi qu’il est prioritaire :

– de créer une banque de la démocratie afin de faciliter le financement des campagnes électorales et de prévenir les ingérences financières (recommandation n° 27).

– d’harmoniser l’application par les commissions de propagande de la réglementation en vigueur en dotant ces dernières d’outils supplémentaires d’aide à la décision (recommandation n° 23).

– de renforcer la visibilité des outremers dans les médias nationaux, en particulier sur les chaînes d’info en continu, en renforçant en lien avec l’Arcom les exigences conventionnelles opposables aux éditeurs présents sur la TNT (recommandation  50).

– de développer rapidement une solution souveraine et internalisée dans les administrations de l’État pour les opérations de vote en ligne des Français de l’étranger afin de ne pas dépendre de prestataires externes sur un sujet aussi crucial que celui de l’exercice de la souveraineté du peuple (recommandation  59).

Pour protéger l’information (III.), nous estimons ainsi qu’il est essentiel :

– d’augmenter les moyens humains et techniques affectés à l’Arcom afin de lui permettre de faire respecter un réel pluralisme des courants de pensées et d’opinions sur toutes les chaînes de télévision, suite à la décision du Conseil d’État du 13 février 2024 (recommandation  64) et d’encourager l’Arcom à appliquer pleinement ses pouvoirs de contrôle et de sanction pour les chaînes qui ne respectent pas leur obligation de représentation pluraliste des courants de pensées et d’opinions (recommandation  65).

– d’étendre les compétences de l’Arcom afin qu’elle puisse assurer, en tant que coordinateur des services numériques désigné au titre du DSA, une mission pérenne de supervision du respect des obligations relatives à la qualité et à la neutralité de l’information électorale par les plateformes (recommandation  71).

– de consacrer juridiquement l’extension de la définition de l’ingérence numérique étrangère pour y inclure explicitement les tentatives de manipulation du débat électoral menées par des acteurs économiques étrangers recourant à des techniques inauthentiques, qu’il s’agisse d’organisations ou d’individus (recommandation  76).

– d’instaurer un plafond global de 50 000 euros pour les prêts consentis par une personne physique à un parti politique ou à un candidat, toutes campagnes confondues (recommandation  82).

Enfin, pour réguler les sondages (IV.), nous estimons ainsi qu’il serait utile :

– d’indiquer de manière visible les effectifs réels répondant à chaque question à l’intérieur d’un sondage (recommandation n° 103).

– d’insérer lors de chaque publication ou diffusion d’un sondage politique une mention explicite des limites techniques et informatives applicables audit sondage (recommandation n° 104).

– de mieux encadrer le recours par les pouvoirs publics aux sondages afin de garantir que leur utilisation s’inscrive pleinement dans une logique d’intérêt général (recommandation n° 112).

 

Si l’application de ces recommandations permettrait de réelles améliorations, nous pensons comme le Rapporteur qu’elles devraient s’inscrire dans un contexte plus global de réforme de nos institutions, et tenons donc également à soutenir pleinement la recommandation  115 : “réunir une assemblée constituante chargée de rédiger la Constitution d’une 6e République plus démocratique et soumettre le projet de Constitution proposé par cette Assemblée au peuple français par référendum.”

 

 

 

 

 


Contribution du groupe LES Démocrates

Le groupe Les Démocrates tient à remercier le rapporteur et l’ensemble des commissaires pour le travail de fond accompli ces six derniers mois. Les élections sont un des fondements et un des piliers de notre système démocratique et ce droit fondamental doit être garanti pour l’ensemble des citoyens. C’est un acte citoyen qui doit être protégé.

Le groupe Les Démocrates considère que le rapporteur rate, en partie, la cible des questions légitimes et cruciales que soulevait le champ de la commission d’enquête.

La question des sondages fait en effet l’objet d’un traitement exagérément attentif, puisqu’un tiers des propositions et un tiers du rapport leur sont consacrés, tandis que de nombreuses questions importantes sont à peine soulevées.

Depuis de nombreuses années, les députés de notre groupe travaillent sur le sujet des élections et sont à l’origine de nombreuses propositions.

Ainsi, en janvier 2021, un livre blanc intitulé « Agir contre l’abstention » a été publié, avec pour objectif d’identifier les causes de l’abstention et de proposer différentes solutions visant à renforcer la participation électorale en facilitant l’inscription électorale, modernisant le vote, garantissant davantage de pluralisme, éveillant l’esprit citoyen et assurant la participation des plus fragiles.

L’objectif de cette contribution écrite est de mettre en perspective ce livre blanc au regard du présent rapport.

À l’époque de sa publication, le constat était sans appel : lors des élections présidentielles de 2017, l’abstention est de 25,3%, un record depuis 1969, et se confirme avec les élections législatives qui suivent (51,3% d’abstention au premier tour et 57,36% au second tour). Mais plus étonnant encore, le baromètre de la confiance politique du CEVIPOF de février 2020 montre que le vote reste tout de même, pour 54% des Français, le meilleur moyen d’exercer leur pouvoir de citoyens, loin devant les autres moyens d’expression (boycott, grève, manifestation…).

L’abstention traduit ainsi un malaise démocratique profond, tant social que culturel.

En effet, 84% des personnes consultées lors de la préparation de ce livre blanc estimaient que l’abstention est un problème grave pour la démocratie. Plusieurs causes ont ainsi été relevées :

– Le sentiment de désintérêt, de mécontentement et de défiance envers les institutions et les responsables politiques ;

– Les difficultés pratiques et administratives pour s’inscrire et voter, notamment pour les plus vulnérables (jeunes, personnes âgées, citoyens issus de milieux modestes, chômeurs…) ;

– Un manque d’information claire sur l’offre politique, aggravé à l’époque par la crise sanitaire ;

– La conviction que le vote n’a pas réellement d’impact et que les promesses électorales ne sont pas tenues.

Les citoyens prennent le parti de l’abstention lorsqu’ils ont le sentiment que leur vote sera sans conséquence, ou lorsqu’ils considèrent que les promesses des candidats élus ne seront pas mises en œuvre. Nous l’avons vu a contrario lors du second tour des élections législatives de juillet 2024 : quand les électeurs perçoivent un enjeu majeur à une élection, ils vont voter.

Il appartient donc aux responsables politiques de communiquer de manière claire sur leurs actions, et d’appliquer leur programme politique. Il s’agit pour cela de renforcer le contrôle démocratique au sein de notre société. Les abstentionnistes ne sont pas une cause perdue, au contraire. Ainsi, les campagnes de porte à-porte pour inciter les personnes à s’inscrire sur les listes électorales ou à voter entraînent une augmentation substantielle de participation. Les actions de mobilisation et d’appel au vote sont également à soutenir.

Toutefois, l’abstention est un phénomène qui n’est pas seulement individuel, mais aussi social. Ainsi, plus la CSP d’origine des chômeurs est élevée, plus l’abstention systématique est faible. Il y a par ailleurs un entraînement au sein du couple ; les célibataires ayant moins tendance à se déplacer. La proportion des non-inscrits sur les listes électorales est également deux fois plus forte chez les jeunes, dont le taux d’abstention est supérieur à la moyenne, de même que celui des personnes âgées.

L’enjeu aujourd’hui est donc de stimuler la participation électorale de ceux qui sont le moins susceptibles de voter.

Face à cela, nous proposons cinq axes de travail et des propositions qui, pour certaines, rejoignent celles du rapporteur. 

Dans un premier temps, il est primordial de faciliter l’inscription électorale en simplifiant les démarches d’inscription pour les jeunes et les personnes en situation de handicap ou malade ainsi qu’en renforçant les campagnes d’information pour inciter à l’inscription et au vote. Le répertoire électoral unique (REU) mis en place en 2019 a permis de réelles améliorations, mais de nouvelles évolutions doivent être menées. Nous allons dans le sens du rapporteur sur ces sujets. Nous préconisons toutefois des pistes de réflexions complémentaires :

– Automatiser le changement d’inscription sur une liste électorale lors d’un déménagement, sauf si le refus de changement est explicitement formulé, en utilisant, par exemple, l’interface du dossier fiscal personnel. Informer automatiquement par courriel l’électeur désinscrit de la liste électorale de sa commune suite à un retour de courrier non distribué par La Poste (NPAI).

– Mieux encadrer la procédure de radiation pour perte d’attache, veiller à la bonne information du citoyen sur les voies de recours en cas de radiation et renforcer le pouvoir du juge et de l’État en la matière.

– Ramener à un mois les délais d’inscription sur les listes électorales.

– Créer un émargement numérique national afin de permettre aux électeurs de voter dans leur commune de résidence ou de villégiature même si ce n’est pas leur commune d’inscription électorale.

– Former et valoriser les présidents et assesseurs des bureaux de vote et les désigner par période, et non par élection.

Il est indispensable – et c’est notre deuxième axe de propositions – de moderniser le vote en développant des modalités alternatives, notamment le vote par correspondance, supprimé en France au milieu des années 1970. Cela aurait permis, comme en Allemagne, d’éviter en 2020 de repousser le second tour des élections municipales. Il permettrait par ailleurs à un plus grand nombre de personnes de participer aux scrutins et d’en assurer la légitimité, ce d’autant plus que les risques de fraudes sont limités. Nous devons aussi adapter les horaires des lieux de vote pour les rendre plus accessibles, particulièrement pour les personnes éloignées des bureaux de vote.

Garantir le pluralisme est le troisième axe de nos réflexions. Alors que 65% des personnes que nous avons alors consultées considéraient qu’une des principales raisons de leur abstention était le sentiment que leur voix ne comptait pas, nous devons trouver un moyen de faire sentir à chaque électeur que chaque voix compte. Pour cela, toutes les sensibilités de notre pays doivent pouvoir être représentées, ce qui comprend aussi ceux qui ne soutiennent aucun candidat. Le groupe Les Démocrates défend donc depuis de nombreuses années la reconnaissance du vote blanc ainsi que l’introduction de la proportionnelle à un tour avec un seuil d’éligibilité de 5% pour les élections législatives.

Dès 2017, nous préconisions d’instaurer une banque de la démocratie, afin d’assurer le financement des campagnes électorales par l’obtention de prêts, avances, ou garanties et réduire les délais de remboursement des dépenses électorales.

C’est ce qui nous permettra de mieux représenter la diversité politique et in fine de donner plus de poids à chaque voix.

En parallèle, il est essentiel de (r)éveiller l’esprit citoyen, notamment chez les 18-25 ans, surreprésentés chez les abstentionnistes. C’est notre quatrième axe de propositions. Pour cela, nous proposons de renforcer l’éducation civique et d’encourager l’engagement citoyen et associatif, qui permettra de les inscrire durablement dans le processus démocratique. Nous devons aussi développer des outils numériques à l’instar des comparateurs de programmes électoraux. En effet, selon 52 % des personnes consultées, ces outils sont décisifs dans leur motivation à aller voter.

Nous pensons également utile de généraliser les conseils municipaux de jeunes et de promouvoir les simulations de vote dans les collèges et lycées à toutes les élections afin de contribuer à l’apprentissage du vote, et faciliter les échanges entre élèves et élus.

Enfin, et c’est notre cinquième axe de propositions, nous devons assurer la participation des plus fragiles notamment en mettant en place des dispositifs spécifiques pour accompagner les personnes âgées, les personnes en grande précarité ou en situation de handicap vers les bureaux de vote. Nous devons aussi introduire des référentiels de l’accessibilité électorale, mis à jour par les communes et dont le non-respect entraine une baisse des remboursements des frais de campagne des candidats.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


   IV. EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 28 mai 2025, la commission a procédé, à huis clos, à l’examen du projet de rapport.

M. le président Thomas Cazenave. Nous arrivons au terme des travaux de cette commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France. Cette dernière réunion est consacrée à l’examen du projet de rapport et au vote sur son adoption. En application de la résolution constitutive, cette commission avait pour objet d’examiner l’ensemble des garanties entourant le déroulement des scrutins électoraux dans notre pays, leur organisation concrète, le cadre juridique, les mécanismes de régulation de l’information, ainsi que les risques nouveaux qui peuvent peser sur la sincérité du vote.

Au cours des six derniers mois, nous avons tenu plus de quarante auditions – soit presque toutes celles prévues –, au cours desquelles nous avons entendu près de 120 personnes : représentants de l’État, magistrats, autorités administratives indépendantes, chercheurs, journalistes, instituts de sondage, élus locaux, responsables de plateformes numériques ou membres de la société civile.

Je tiens à saluer l’ensemble des membres de la commission pour la qualité de leur participation, les administrateurs de l’Assemblée pour leur accompagnement et le rapporteur pour le travail mené.

J’ai souhaité que le rapport qui vous est présenté aujourd’hui soit structuré en trois parties distinctes, ce qui aura son importance dans la perspective de son adoption.

La première partie détaille les conclusions que je tire, en tant que président, des travaux et des auditions que nous avons menés. Cet avant-propos revient sur la méthode suivie, l’esprit dans lequel notre démarche s’est inscrite et les grands constats que je retiens. J’y souligne également, mais le rapporteur le sait, mes points de désaccord avec certains de ses propres constats et préconisations.

La deuxième partie, qui représente le cœur du rapport, est consacrée, cette fois, aux constats et observations du rapporteur, à qui je laisserai le soin de les présenter.

Enfin, je vous propose, mes chers collègues, de consacrer une troisième partie aux contributions des groupes politiques, tous étant ainsi invités, s’ils le souhaitent, à faire connaître leurs positions et propositions. Le cas échéant, nous attendons ces contributions d’ici au mardi 3 juin, afin de les intégrer au rapport final.

La procédure d’adoption de ce rapport s’inscrit dans un cadre précis.

S’il est adopté, l’article 144-2 de notre règlement dispose que le rapport est remis à la présidente de l’Assemblée nationale et que le dépôt de ce rapport est publié au Journal officiel. Par ailleurs, « sauf décision contraire de l’Assemblée constituée en comité secret dans les conditions prévues à l’article 51, le rapport est imprimé et distribué » et « peut donner lieu à un débat sans vote en séance publique ». Je rappelle que « la demande de constitution de l’Assemblée en comité secret à l’effet de décider, par un vote spécial, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport, doit être présentée dans un délai de cinq jours francs à compter de la publication du dépôt au Journal officiel ».

Pour respecter ce délai, et compte tenu du fait que le dépôt sera, le cas échéant, publié au Journal officiel de demain, le rapport ne pourra être rendu public que le vendredi 6 juin. Dans l’intervalle, aucune communication ne devra être faite de son contenu. Toujours en cas d’adoption, le compte rendu de la présente réunion sera annexé au rapport publié.

Comme cela vous a été indiqué dans la convocation et comme je viens le dire, des contributions individuelles ou de groupe peuvent être rédigées. Eu égard à la structure du rapport que j’ai retenue, je vous invite d’ailleurs à le faire.

En cas de rejet du rapport, celui-ci ne sera pas publié et sa divulgation partielle ou totale sera passible de sanctions pénales. Le dernier alinéa de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 dispose en effet que « sera punie des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, sous réserve des délais plus longs prévus à l’article L. 213-2 du code du patrimoine, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d’une commission d’enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

En cas d’adoption comme en cas de rejet, il sera demandé à la fin de la réunion à tous les commissaires présents de remettre aux administrateurs les exemplaires du rapport qui leur ont été distribués.

La parole est maintenant au rapporteur pour présenter ses conclusions.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Je tiens d’abord à vous remercier, monsieur le président, pour la manière dont vous avez mené nos travaux et pour m’avoir permis de faire mon travail de rapporteur. J’ai pu émettre les convocations que je souhaitais, toujours – je le crois – en bonne intelligence avec vous. Et vous avez proposé une bonne solution vis-à-vis de mon rapport, qui est effectivement très anglé, très politique, en déclinant votre point de vue en première partie. Ceux qui ont lu le document auront constaté que ma patte est visible. La présentation que vous avez retenue permettra à chacun de se référer aux éléments avec lesquels il est en accord et de mettre à distance ceux avec lesquels il l’est peut-être moins.

Je souhaite aussi remercier très chaleureusement les administrateurs qui m’ont accompagné, car le travail a été long et dense. J’ai pris beaucoup de plaisir à collaborer avec eux. J’associe à ces remerciements le service du compte rendu et les agents de l’Assemblée, sans qui rien de tout cela ne serait possible.

L’ambition de La France insoumise, en usant de son droit de tirage pour créer cette commission d’enquête, était assez large : regarder comment fonctionnent les élections.

D’abord, nous avions constaté certains problèmes, à commencer par l’épisode relatif à Adrexo, société spécialisée dans l’envoi de propagande électorale, ainsi que des petits dysfonctionnements à propos desquels nous souhaitions enquêter, dans l’optique de faire des recommandations et d’éviter qu’ils ne se reproduisent. Au fond, nous voyions cette enquête comme une mission d’intérêt général.

Ensuite, nous voulions nous intéresser à la non-inscription et à la mal-inscription sur les listes électorales, phénomène qui concerne 10 millions de personnes au total. Parmi elles, 2,9 millions d’électeurs ne peuvent pas du tout participer aux scrutins et 7,7 millions sont mal inscrits, pour de nombreuses raisons différentes. Ce n’est pas rien, surtout lorsqu’on sait que le parti arrivé en tête lors des dernières élections législatives a recueilli 9,3 millions de voix.

À cet égard, je retire de nos auditions qu’il ne manquerait pas grand-chose pour que nous puissions instaurer un mécanisme d’inscription automatique sur les listes électorales, en nous appuyant sur le répertoire électoral unique et en croisant certaines données – tout en préservant bien sûr les données personnelles.

J’ajoute que nous avons constaté que les électeurs ne sont pas toujours bien informés : certains ne savent pas que des élections ont lieu, ni à quoi elles servent, ce qui peut aboutir à une démobilisation. Je formule donc plusieurs recommandations pour aller le plus loin possible dans la mobilisation électorale, objet de ma première grande partie.

La deuxième partie concerne l’organisation des élections elles-mêmes et s’intéresse donc à tous les éléments techniques et à tous les acteurs impliqués. Nous avons essayé de proposer des solutions opérationnelles pour améliorer les choses, notamment en matière d’envoi d’informations et de documents de propagande électorale dans les territoires ultramarins et à destination des Français de l’étranger – sujet cher à notre collègue Vincent Caure. Ces derniers ont, en l’occurrence, été victimes de problèmes assez notables, n’ayant pas reçu des SMS qui devaient leur être adressés et ne parvenant pas à se connecter sur le site où ils pouvaient voter. En ce domaine également, et toujours sur le fondement de nos auditions, j’ai élaboré des recommandations, insistant avant tout sur la nécessité de nous appuyer sur des solutions souveraines, afin de ne pas dépendre du marché pour ces opérations cruciales et de protéger le scrutin de nos compatriotes.

La troisième partie du rapport a trait à la protection de l’information. Deux aspects ont particulièrement appelé notre attention.

Le premier est celui des ingérences étrangères. Sur ce point, l’audition du chef du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) a été un moment assez marquant, dans la mesure où il a non seulement reconnu l’existence de ces ingérences, mais aussi que M. Elon Musk y participait personnellement, celui-ci en ayant fait la démonstration en Allemagne. La question se posant donc pour la France, un travail est à réaliser, notamment en ce qui concerne le monde médiatique, qui a, à plusieurs reprises, et pour ainsi dire de bonne foi, relayé des ingérences avérées – sachant que je propose également l’augmentation des moyens des services dédiés à la lutte contre ces ingérences.

Le second aspect, que nous avons identifié en évoquant la question du financement des élections avec les représentants de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), est celui des potentielles ingérences économiques. Nous avons abordé le cas de Périclès, après que M. Pierre-Édouard Stérin a littéralement indiqué qu’il voulait former des personnels au combat politique et utiliser de l’argent pour obtenir des victoires électorales. C’est cette question qui a le plus appelé l’attention de notre commission d’enquête à la fin de ses travaux car, je tiens à le signaler, la question du financement ne figurait initialement pas parmi nos axes de réflexion.

Celle-ci, progressivement arrivée sur la table, est évidemment légitime. Quand on travaille sur l’organisation des élections, il peut en effet être intéressant d’aborder la question du financement ! Et parmi les recommandations que je fais à ce sujet, la plus centrale est de constituer une nouvelle commission d’enquête, la nôtre touchant à sa fin et, je le répète, n’ayant pas inscrit cette question dans son champ principal. J’y insiste : les ingérences financières dans leur ensemble, et pas seulement celles de M. Stérin, mériteraient que nous nous y intéressions. Certains collègues ont évoqué le nom de personnalités qui pourraient être concernées et j’ai vu que M. Pigasse, sur les réseaux sociaux, s’est déclaré disponible pour venir témoigner devant une commission d’enquête.

J’en profite pour remercier une nouvelle fois M. le président pour sa ténacité. Comme vous le savez, M. Stérin ne s’est pas présenté à sa convocation et nous avons utilisé les moyens à la disposition du président pour faire respecter la loi. J’espère que la justice nous suivra car, sinon, cela constituerait un précédent problématique pour les futures commissions d’enquête.

La quatrième et dernière partie, que je détaillerai un peu plus en détail, est consacrée aux sondages – élément spécifiquement mis en avant par mon groupe parlementaire à la suite de la dernière élection présidentielle. En effet, vous n’êtes pas sans savoir que le résultat de ce scrutin s’est révélé assez différent de ce qui était prévu, du moins pour le candidat que je soutenais, mais pas seulement – j’évoque aussi beaucoup le cas de Mme Pécresse. Une question est posée quant à la capacité d’analyse des sondages, ce que j’ai essayé de travailler en détail en récupérant des données auxquelles personne n’avait jamais eu accès, hormis les instituts de sondage eux-mêmes, ainsi que la Commission des sondages qui est censée les contrôler.

Or, pour tout dire, j’ai été surpris, voire choqué, de la manière dont la Commission des sondages travaille. Elle n’emploie qu’une seule personne à temps plein pour s’occuper de l’intégralité des sondages électoraux, ce qui est tout de même peu, particulièrement lors de certaines phases de campagne présidentielle, quand presque un sondage par jour – voire deux ou trois – est publié. La question des moyens humains, d’abord, est donc posée, mais aussi celle des moyens techniques à la disposition de la Commission pour analyser les sondages. Car les sondeurs, chose que j’ai découverte à l’occasion de cette commission d’enquête, ne transmettent pas les données qui permettraient d’accomplir un réel travail d’analyse de la qualité de leurs études. Ici réside d’ailleurs la grande difficulté : si la commission censée contrôler cette qualité n’a pas accès aux données brutes des sondeurs, elle ne peut qu’être en difficulté pour accomplir la mission que la loi lui confie, en particulier s’agissant des redressements d’échantillon.

Ainsi, en petit comité avec mon équipe et une personne plus particulièrement, qui a énormément travaillé, j’ai essayé d’agréger les données de l’ensemble des sondages pour voir ce que donnaient les courbes de redressement. Ce fut un très lourd travail et c’est pour cette raison que je remercie le président de la présentation qu’il propose et qui vous permettra de vous mettre à distance de mon analyse si vous le souhaitez. Nous avons récupéré 14 000 documents auprès de la Commission des sondages, dont il a fallu extraire les notices experts et les données qu’elles contenaient pour les agréger ensuite dans un tableur Excel et essayer d’en tirer des courbes de régression linéaire.

En fin de compte, j’en ressors deux grands constats, que j’aimerais voir valider ou invalider scientifiquement car, contrairement aux instituts de sondage, je souhaite que ces données soient publiques.

Le premier est qu’il y a un problème dans les échantillons. D’abord, les catégories de l’Insee ne permettent plus de décrire la population française d’une manière aussi correcte que par le passé. Je pense ici aux travailleurs dits ubérisés, c’est-à-dire officiellement considérés comme des chefs d’entreprise alors qu’ils devraient plutôt être comptabilisés comme des salariés ou des ouvriers. Ensuite, les sondeurs peinent, ce qui est assez normal, à capter une partie de l’électorat, en particulier les jeunes et les habitants des quartiers populaires, ce qui n’est pas sans incidence. Vous comprendrez bien ici ma logique qui, je le reconnais, est située politiquement, même si, comme j’ai commencé à le dire, le même problème a concerné la campagne présidentielle de Valérie Pécresse, en raison d’une très importante sous-déclaration du vote Fillon à la suite de l’élection de 2017 – les sondeurs nous l’ont confirmé.

Quant au deuxième constat, qui est le plus intéressant, il porte sur les redressements. Chose très étonnante : non seulement certains instituts de sondage, notamment Ipsos et l’Ifop, ont des difficultés pour capter une partie de l’électorat, mais cette même catégorie de population est, par surcroît, sous-valorisée dans les redressements, et encore de manière instable – ce qui n’est pas de nature à rassurer sur la capacité des sondeurs à produire une bonne analyse.

Ma recommandation est dès lors assez simple : pour améliorer le traitement des données, le plus efficace serait d’augmenter la transparence des instituts de sondage et de leurs données, de telle sorte que des scientifiques puissent faire un travail d’analyse.

Les conclusions de mon rapport, compte tenu de la logique dans laquelle j’étais, sont, je l’ai dit, très politiques et je vous invite à les considérer comme telles et non comme étant représentatives de l’état d’esprit général de notre commission, loin de là. Je remercie une dernière fois et très sincèrement le président de permettre cette expression démocratique au sein de notre assemblée. Voilà ce qu’est, précisément, la démocratie. Jean-Luc Mélenchon dit à cet égard que ce qui est difficile en démocratie, c’est de savoir perdre. Je ne suis pas sans savoir que si le vote avait lieu sur ces conclusions, tout le monde ne se prononcerait pas favorablement. Pour dire les choses de manière très claire, je propose l’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne et d’une VIe République, perspectives avec lesquelles tout le monde n’est pas en accord. Il s’agit d’une ouverture de fin de rapport et non d’un axe de travail de la commission d’enquête elle-même.

M. le président Thomas Cazenave. Je vous remercie, monsieur le rapporteur. Je souhaite aussi, en tant que président, faire part de mon point de vue et de l’analyse que je retire de nos six mois d’auditions. C’est ce que vous retrouverez en première partie du rapport, étant rappelé que les constats et recommandations du rapporteur figureront ensuite, celui-ci reconnaissant lui-même – je ne trahis pas de secret – qu’il n’a pas cherché à refléter le point de vue des membres de la commission d’enquête, mais à présenter sa propre analyse de nos travaux. Enfin, en troisième partie, les groupes auront la possibilité de clarifier leurs positions respectives.

Pour ma part, la première conclusion que je tire est que les élections sont bien organisées dans notre pays. Il s’agissait de l’objet principal de notre commission et cela va mieux en le disant. À chaque étape du processus électoral, des garanties juridiques, administratives et logistiques assurent la sincérité du scrutin. Les élections législatives de 2024 l’ont d’ailleurs montré : en quelques semaines, la mobilisation de l’État, de l’administration et des élus locaux a permis d’organiser un scrutin à propos duquel aucun incident notable n’a été relevé, malgré les délais très courts. Nous avons aussi pu voir qu’en cas de dysfonctionnement, nous disposons d’un système de contrôle, de recours et de contentieux permettant une contestation sereine. Cette stabilité est précieuse et nous devons la conserver.

Ainsi, première divergence avec le rapporteur, je ne crois pas que l’heure soit venue d’une refonte profonde de notre droit électoral. Nous n’avons pas affaire à une crise du système, même si des ajustements ciblés sont à opérer pour rendre les règles plus accessibles, les démarches plus fluides et les informations plus claires pour nos concitoyens. À cet égard, et pour aller plus loin, je ne crois pas que le remède au grand défi de la participation – que nous partageons tous – soit une modernisation des opérations de vote. Cet enjeu soulève d’autres questions, liées à l’intérêt du vote, à l’efficacité de l’action publique ou encore à la représentativité. D’ailleurs, des progrès ont déjà été largement amorcés pour moderniser l’organisation des élections. Je pense au répertoire électoral unique et à l’inscription en ligne, et il faudra continuer en ce sens. La sincérité d’un scrutin dépend aussi de sa lisibilité.

Le bon fonctionnement de notre système électoral invite également à la prudence, notamment en ce qui concerne les machines à voter et le vote électronique à distance.

S’agissant des machines, comme vous le savez, une soixantaine de communes y ont recours. Le dispositif fonctionne, mais demeure enfermé dans un cadre juridique incertain. En effet, le moratoire en vigueur depuis plus de dix ans empêche toute évolution technologique, tout en maintenant le système en l’état dans les communes concernées. Ce statu quo entretient une forme d’entre-deux qui fragilise ces collectivités, mais aussi la cohérence de notre droit électoral. Il faudra, à terme, faire un choix, en mettant fin au dispositif ou en le pérennisant, mais nous ne pouvons plus rester dans l’ambiguïté ; c’est un point de convergence avec le rapporteur.

Quant au vote électronique à distance, l’idée a de quoi séduire à l’heure où l’on cherche à renforcer la participation et à toucher les électeurs éloignés du vote. Cependant, les auditions ont permis de rappeler qu’il est difficile d’affirmer que des modalités de vote plus modernes produisent un regain de participation. De plus, au-delà des enjeux techniques, le principal risque est pour moi politique. Le vote électronique à distance induit une perception de fragilité de nature à nourrir la contestation. Là où il est toujours possible de recompter les bulletins en format papier, ce n’est pas le cas avec un système dématérialisé. Je reconnais avoir évolué sur ce point au cours des six derniers mois, particulièrement en ce qui concerne les grandes élections nationales, notamment l’élection présidentielle. La confiance étant précieuse, introduire un doute structurel pourrait faire plus de mal que de bien. Si cette modalité de vote peut être pertinente pour certains scrutins spécifiques ou le vote des Français de l’étranger, sa généralisation me semble prématurée et, donc, potentiellement contre-productive.

En ce qui concerne ensuite les vecteurs d’information électorale, j’ai un désaccord de fond avec le rapporteur. Ses constats et observations font état de « sondages orientés » et « instrumentalisés au profit d’un agenda conservateur », d’une « évacuation méthodique » des classes populaires, ou encore d’une « mise en scène médiatique de la vie politique ». M. le rapporteur le sait, je ne partage ni le ton employé, ni le diagnostic au sujet des sondeurs. Nous les avons auditionnés très largement et je crois que des réponses ont été apportées. De mon point de vue, rien ne permet de conclure à une dérive systémique, ni à une perte de contrôle des outils d’information électorale.

Prenons d’abord les sondages. Leur place dans la vie démocratique contemporaine est connue. Ils permettent de structurer le débat, d’éclairer les électeurs, de refléter les tendances, avec toutes les précautions statistiques que cela implique. Leur encadrement est strict. La loi impose une transparence sur les méthodes utilisées, la composition des échantillons et les redressements opérés. La Commission des sondages exerce un contrôle actif et peut exiger des correctifs, voire des retraits. Ces garde-fous fonctionnent et je dois dire que je ne partage pas l’avis du rapporteur, selon qui cette commission est « trop souvent en soutien des sondeurs ».

S’il existe un besoin d’amélioration, dont il est légitime de discuter, il porte sur la pédagogie et plus particulièrement sur la lisibilité des notices, la meilleure communication des marges d’erreur, la compréhension des écarts entre intentions de vote brutes et redressées. Dans ces domaines, le rapporteur et moi convergeons. Mais ces débats méthodologiques ne justifient en aucun cas la suggestion selon laquelle les sondages seraient orientés par essence. C’est une affirmation grave qui peut entretenir une défiance que je juge infondée. Or la confiance dans le débat démocratique suppose aussi la confiance dans les outils qui l’accompagnent.

S’agissant des médias audiovisuels, là encore, nos auditions n’ont pas mis en lumière de manquements systémiques. Le rôle de l’Arcom, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, a été salué à plusieurs reprises. Le pluralisme politique est encadré, le temps de parole mesuré, les équilibres respectés. Oui, le paysage médiatique évolue. Les chaînes d’information en continu bousculent les formats classiques. Si la scénarisation des débats et la recherche de l’audience peuvent parfois nuire à la qualité de l’échange, elles ne remettent pas en cause le respect des règles du jeu.

Le vrai sujet, à mes yeux, n’est pas celui d’une mise en cause générale. Il est celui d’une vigilance constante. Les sondages comme les médias doivent continuer à exercer leur rôle avec rigueur, mais ce n’est pas en instillant le doute que l’on élève la confiance dans le débat démocratique : on y parvient en garantissant l’exigence et la transparence, sans tomber dans la suspicion généralisée.

Après six mois de travail, nous pouvons légitimement penser que les principaux dangers pesant sur nos élections ne viennent plus de leur organisation proprement dite, mais de menaces nouvelles, plus diffuses, qui pèsent sur le cadre même du débat démocratique.

La première, ce sont les ingérences étrangères. Ce risque n’est plus théorique, mais bien réel. Plusieurs auditions nous l’ont confirmé : certaines puissances étrangères mènent des opérations coordonnées pour peser sur nos scrutins, parfois en ciblant des candidats ou des partis, parfois en exploitant des clivages identitaires ou idéologiques, et plus largement en cherchant à délégitimer l’élection elle-même. Le mensonge, la manipulation, l’amplification artificielle de contenus clivants, tels sont leurs outils.

L’exemple roumain est particulièrement éclairant. Lors de la présidentielle de 2024, une campagne massive de désinformation sur TikTok a visé non seulement certains candidats, mais surtout le processus électoral dans son ensemble, au point de semer un doute généralisé sur la sincérité du scrutin et de provoquer l’annulation du premier tour. Ce précédent montre qu’une opération numérique bien orchestrée peut avoir des effets institutionnels majeurs.

En France, les signaux existent aussi. Nous avons évoqué la campagne des mains rouges, relayée massivement en ligne, dont le ressort n’était pas une simple provocation, mais une tentative de fracture civique autour d’un symbole. Ce type d’action n’a pas besoin de déboucher sur un événement spectaculaire pour produire ses effets : il sème le doute, fragilise les repères communs et entretient un climat de soupçon. Il vise à long terme à affaiblir la confiance.

Face à cela, les outils de l’État se renforcent. Le règlement sur les services numériques (DSA), le développement du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), les coopérations engagées avec certaines plateformes : tout cela va dans le bon sens. Néanmoins, il subsiste une forme de fragilité. Ce qui fait défaut aujourd’hui, ce n’est pas la volonté, ni les textes, mais la capacité à suivre, qualifier et neutraliser à temps les stratégies d’influence. Le Parlement lui-même, lorsqu’il cherche à exercer son contrôle, se heurte à une opacité préoccupante.

La deuxième menace est liée au financement parapolitique. Elle n’est pas nouvelle, mais elle prend une ampleur inédite. L’exemple du programme Périclès, structuré pour peser sur les scrutins à venir tout en échappant aux règles du financement politique, illustre un risque de dérive : des moyens considérables, des stratégies d’influence assumées, une ambition de transformation électorale, mais sans le statut de parti, sans obligation de transparence, sans plafonnement ni contrôle.

Nous avons cherché à comprendre. L’audition de M. Arnaud Rérolle a permis d’esquisser le modèle, mais l’absence volontaire de M. Pierre-Édouard Stérin, malgré trois convocations, nous a hélas empêchés de le comprendre totalement. Cette entrave aux travaux de la commission m’a conduit à saisir la procureure de la République de Paris.

Devant les interrogations que suscite ce modèle de financement, il serait bon que la représentation nationale puisse se saisir sereinement du sujet. Ce n’est pas un débat partisan, c’est un enjeu d’équité démocratique et de transparence de la vie politique.

Je tiens également à exprimer ma réserve sur l’inclusion dans le rapport de propositions qui n’ont pas été abordées lors de nos auditions, qu’il s’agisse du vote obligatoire, du droit de vote à 16 ans, du vote des étrangers ou encore de la mise en place d’une VIe République. Ces sujets peuvent faire l’objet d’un débat, mais nous n’en avons pas discuté dans le cadre de nos travaux.

Je remercie enfin l’ensemble des personnes auditionnées, les services de l’Assemblée, ainsi que mes collègues et le rapporteur pour la qualité des échanges que nous avons eus au fil de ces six mois.

M. Emeric Salmon (RN). Je vous remercie pour votre travail et pour ce rapport dense et copieux.

La première recommandation, qui vise à déclarer en urgence un moratoire sur les radiations pour perte d’attache communale, est inutile et dangereuse. La deuxième, dont l’objet est d’interdire à terme les radiations pour perte d’attache communale grâce au déploiement d’un système d’inscription automatique, me paraît plus judicieuse et plus urgente que la première.

Les quatrième et sixième recommandations ainsi que la teneur de vos conclusions n’ont pas leur place dans ce rapport : elles reprennent votre programme électoral – droit de vote à 16 ans, droit de vote des étrangers aux élections municipales –, mais elles n’entrent pas dans le champ de la commission d'enquête.

Je soutiens la quatorzième recommandation, qui propose de suspendre les radiations entre la date limite d’inscription en vue d’une élection nationale et la tenue de ce scrutin. Puisqu’il y a une date limite d’inscription, il me semble logique qu’il y ait une date limite de radiation.

La quinzième recommandation porte sur l’instauration du vote obligatoire à l’âge de 18 ans et sur la pleine reconnaissance du vote blanc. Ce dernier est déjà pris en compte. Pour être qualifié au second tour d’un scrutin législatif, il faut rassembler au moins 12,5 % des inscrits : le vote blanc empêche indirectement certains candidats d’accéder au second tour. Je ne vois pas comment nous pourrions mieux prendre en considération le vote blanc, d’autant qu’il est isolé du vote nul. Si nous devions l’intégrer dans les suffrages exprimés, il faudrait relever le seuil de qualification au second tour d’une élection uninominale.

Dans la partie consacrée à l’organisation des élections, vous avez insisté sur les panneaux électoraux. La dégradation de ceux-ci est un sujet important. La règle stipule que les partis peuvent se faire rembourser par les préfectures, hors compte de campagne, deux affiches par panneau. Il faut sanctionner sévèrement les dégradations du matériel officiel de campagne, car elles nuisent à la démocratie. On pourrait retirer le droit de vote, pour l’élection suivante, à toute personne reconnue coupable de dégradation d’un panneau électoral. Cette mesure aurait un fort effet dissuasif.

La trente-neuvième recommandation sur le parrainage de 150 000 citoyens n’a pas de lien avec le sujet de l’organisation des élections.

Vous ne souhaitez pas réguler les sondages, comme le proclame le titre de la partie dédiée à ce thème, mais les interdire. En effet, si nous appliquions l’ensemble de vos recommandations en la matière, plus aucun institut ne continuerait à faire des sondages. Vous souhaitez par exemple interdire la publication de sondages portant sur le second tour tant que le premier n’a pas eu lieu ou sur celui-ci tant que les candidats ne sont pas tous connus : cela reviendrait à proscrire les enquêtes d’opinion.

M. Vincent Caure (EPR). Je tiens tout d’abord à saluer le travail du président et du rapporteur. L’inflation du nombre de commissions d'enquête pose question, mais celle-ci, d’une durée de six mois et forte de quarante auditions, s’est déroulée dans un très bon climat. La qualité des auditions est à saluer. Une ombre est néanmoins venue ternir nos travaux : M. Stérin a refusé de donner suite à notre convocation, alors qu’il aurait été opportun de l’entendre, malgré les quelques éléments que nous a apportés son directeur général.

Je me reconnais dans les propos du président, insistant sur la qualité de l’organisation des élections en France, comme l’ont montré les élections législatives tenues l’année dernière après une dissolution inattendue.

Monsieur le rapporteur, je ne vous surprendrai pas en vous disant que le groupe Ensemble pour la République est en désaccord avec nombre de vos conclusions. Nous reconnaissons votre patte dès la première page où nous pouvons lire une référence à Robespierre ; quant à la dernière, vous y évoquez la constitution de 1793. Voilà l’alpha et l’oméga révolutionnaires respectés !

Nous partageons certaines de vos recommandations, orientations, constats et nous reconnaissons certaines difficultés que vous pointez dans l’accès au vote. En revanche, nous ne nous retrouvons pas dans la plupart de vos conclusions, même si nous reconnaissons la qualité de votre travail.

Nous saluons la proposition du président de ne pas empêcher la publication du rapport, afin que celui-ci puisse être débattu sur la place publique. Notre groupe fera parvenir dans le délai imparti une contribution qui présentera nos positions.

M. Pierre-Yves Cadalen (LFI-NFP). Je salue à mon tour la qualité des travaux menés par le rapporteur ainsi que celle des échanges. Nous avons pu creuser le sujet pour aboutir à des recommandations, que – ce ne sera pas une surprise – je soutiens. Elles s’inscrivent dans le champ de la commission d'enquête. Celle sur le vote obligatoire assorti de la reconnaissance du vote blanc, par exemple, accroîtrait la participation à la vie de nos institutions, donc la démocratisation et la stabilisation de celles-ci. Cette mesure est liée à l’organisation des élections puisqu’elle concerne le principe même de celles-ci.

Comme le rapporteur le suggère, il convient de faire preuve d’une très grande précaution avec les machines à voter. Sa réflexion l’a conduit à défendre leur interdiction, position que je partage.

M. Kévin Pfeffer (RN). Le travail accompli est imposant. Conformément aux échanges tenus lors de la réunion de constitution de la commission d'enquête, le rapport aborde une multitude de sujets très intéressants, comme le financement des élections, la banque de la démocratie, les commissions de propagande, la simplification de l’article R. 39 du code électoral, les fuites pouvant se produire à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), l’octroi d’une prérogative supplémentaire aux commissions de propagande pour s’assurer de la bonne utilisation des marques politiques et des investitures des partis, le maintien de l’envoi de la documentation électorale en format papier outre-mer, etc. Nous soutenons plusieurs de ces propositions.

Je regrette en revanche que le rapport soit pollué par les lubies du rapporteur : je respecte totalement son droit de formuler des propositions, mais certaines d’entre elles n’ont rien à faire dans le rapport, en amoindrissent considérablement la portée et empêchent le groupe Rassemblement national de voter en faveur de sa publication. Quand on lit que les radiations pénaliseraient la gauche et les sondages Jean-Luc Mélenchon, on s’interroge sur le fondement de telles affirmations. L’octroi du droit de vote à 16 ans et aux étrangers ainsi que la lutte contre le racisme sont des sujets intéressants, mais ils sont totalement extérieurs au périmètre de la commission d'enquête. On retrouve également les rengaines habituelles contre Vincent Bolloré et CNews ainsi que les lubies sur la révocation du président de la République et l’instauration de la VIe République : on tombe là dans le programme de La France insoumise.

Nous regrettons que M. Stérin n’ait pas répondu à ses convocations, même si se posait la question de son lien avec le champ de la commission d'enquête. Dans un souci de parallélisme, nous avions adressé un courrier pour demander l’audition de M. Matthieu Pigasse, car celui-ci a déclaré à plusieurs reprises qu’il voulait engager les médias qu’il contrôle dans le combat contre la droite radicale. Je regrette que notre demande soit restée lettre morte.

Monsieur le président, je m’étonne que vous ayez laissé dans le rapport toutes les recommandations qui n’avaient rien à y faire ou, en tout cas, que vous n’ayez pas davantage manifesté votre opposition dans votre propos introductif. Dire votre désaccord, c’est bien, mais l’écrire, c’est mieux. Vous venez de dire qu’aucune audition n’étayait les conclusions du rapporteur sur les sondages, alors pourquoi toutes les recommandations totalement déconnectées de nos travaux figurent-elles dans le rapport ? La commission d'enquête n’a pas été conduite pour rechercher la vérité mais pour promouvoir les idées du rapporteur.

Je n’en retiendrai que l’idée de déposer une proposition de loi transpartisane visant à toiletter le code électoral. En effet, le rapport contient de nombreuses propositions intéressantes dans ce domaine. Il y a beaucoup à faire, notamment pour faciliter la vie des candidats aux élections.

M. le président Thomas Cazenave. Comme je l’ai dit au début de notre réunion, les propositions du rapporteur ne sont pas les miennes. Certains membres de notre commission d'enquête ne sont à l’aise ni avec les constats, ni avec les recommandations du rapporteur. J’ai suggéré de présenter un rapport en trois parties : mon propos initial, dont j’ai livré la teneur tout à l’heure, puis les constats et les propositions du rapporteur, enfin la position des groupes à l’issue des six mois de travaux.

J’ai des désaccords profonds avec le contenu du rapport, mais je ne suis pas le rapporteur, monsieur Pfeffer. J’espère avoir répondu à votre interrogation.

Mme Nicole Dubré-Chirat (EPR). J’ai reconnu dans certaines recommandations du rapport des éléments évoqués lors des auditions, s’agissant notamment de l’inscription automatisée sur les listes électorales. Néanmoins, je ne me suis pas du tout retrouvée dans la fin du rapport : les constats et les propositions reposent davantage sur des orientations politiques que sur la réalité du terrain. Je regrette ce choix, qui prive les citoyens d’une étude objective du sujet. Je cherche encore les liens entre, par exemple, la question de l’abstention et celle des inégalités sociales. Je salue le vaste travail qui a été accompli, mais le rapport aurait gagné à éviter les recommandations politiquement orientées et à privilégier une approche objectivée.

M. Antoine Léaument, rapporteur. Je vous remercie tous pour vos remarques, y compris les plus critiques. Peut-être y a-t-il eu une mésentente sur le sens et le rôle d’une commission d'enquête née d’un droit de tirage d’un groupe politique. Mon expérience parlementaire est assez courte, comme plusieurs d’entre vous ici. J’ai déjà conduit une mission d’information avec un collègue, au cours de laquelle nous avons essayé de trouver un équilibre entre des positions politiques hétérogènes. À partir des auditions et des éléments complémentaires que nous avions reçus, nous avons tenté de concilier nos idées, quitte, parfois à écrire que telle ou telle position ne reflétait la pensée que d’un seul des deux corapporteurs. J’ai peut-être commis l’erreur de concevoir le rôle du rapporteur comme celui d’un défenseur de son point de vue, certains points étant partagés par les autres membres de la commission d'enquête, d’autres non. Certaines de mes propositions sont, comme vous l’avez tous souligné, largement partagées. D’autres ne recueillent pas votre soutien : cette situation ne me surprend pas, car elle est logique compte tenu de mon approche du rôle de rapporteur. Je n’ai pas fait l’injure à la commission de rédiger le rapport d’une façon qui laisserait à penser que celui-ci reflète l’opinion de l’ensemble de ses membres. On reconnaîtra ma patte à la lecture du rapport. Je vous remercie d’ailleurs, monsieur Caure, d’avoir rappelé que l’histoire révolutionnaire la nourrissait : cette histoire nous ramène assez loin en arrière jusqu’à la création de notre assemblée.

Plusieurs d’entre vous ont critiqué la partie du rapport consacrée aux sondages : notre divergence tient en partie aux données auxquelles j’ai eu accès. J’ai tenté de les synthétiser en présentant des éléments qui pouvaient être publiés et qui ne mettaient pas en cause le travail des sondeurs eux-mêmes. Je regrette que vous ne puissiez pas vérifier la source de mes conclusions. Je souhaite que les sondeurs donnent accès à leurs données afin que chacun puisse évaluer mon propos, quitte à l’invalider. Ma démonstration me semble solide ; j’espère que vous pourrez étudier son cheminement dans le détail car cela pourrait vous intéresser.

Lorsque j’évoque une « mise en scène politique » et une « instrumentalisation au profit d’un agenda », ce ne sont pas les sondeurs que je mets en cause mais les commanditaires des études d’opinion. Peut-être certains sondeurs peuvent-ils orienter leur travail lorsque la structure qui les emploie est possédée par une personne mal intentionnée – certains témoignages sont allés en ce sens lors de nos auditions. Néanmoins, le problème vient principalement des commanditaires, qui, en choisissant certaines questions, cherchent à installer des thèmes dans le débat public.

Dans le cas d’Évry, j’ai démontré, preuves à l’appui, que les radiations étaient plus nombreuses dans certains bureaux de vote que dans d’autres, ceux-là étant situés dans des zones populaires. Cette situation est logique car les habitants de ces quartiers éprouvent davantage de difficultés à maîtriser le système de réinscription sur les listes électorales. Or ces bureaux de vote ont tendance à voter plus à gauche, voilà pourquoi j’affirme que ce problème pénalise la gauche. Lorsqu’une personne est radiée des listes électorales d’une commune pour perte d’attache communale, elle perd son droit de vote car elle ne se réinscrit pas ailleurs : c’est grave ! Je vous invite à lire un article du journal Le Monde, qui mentionne le cas d’une personne qui voulait voter pour le Rassemblement national à Évry. Vous voyez, chers collègues, que tous les partis peuvent être affectés par ce problème. Sur la masse des éléments que j’ai étudiés, j’ai constaté que la gauche était pénalisée par les lacunes du système actuel.

Comme la majorité reste à 18 ans, je considère que l’obligation de voter ne doit concerner que les personnes ayant atteint cet âge, mais qu’il serait opportun d’ouvrir l’accès au vote pour les jeunes âgés de 16 à 18 ans. Les jeunes de 16 ans discutent et se politisent au lycée, donc ils pourraient voter comme un prolongement naturel de l’éclosion de leur intérêt pour la chose publique.

Je remercie une nouvelle fois le président d’avoir signalé que le rapport suivait une orientation politique. Je lui sais également gré de permettre aux membres de la commission d'enquête qui le souhaiteraient d’exposer leurs propres positions dans le document. J’espère que vous permettrez la publication du rapport, ne serait-ce que pour éviter que tout le travail, dont une partie sera utile à tous, finisse dans les archives de l’Assemblée : ce serait regrettable.

M. le président Thomas Cazenave. Nous devons, pour autoriser la publication du rapport, l’approuver : la procédure diffère de celle attachée aux missions d’information. Nous avons dû débattre de la présentation du rapport, car il est indiqué à la première page que celui-ci est fait « au nom de la commission d'enquête ». En structurant clairement le rapport autour d’une partie centrale exposant les positions du rapporteur, nous avons peut-être trouvé une voie de passage pour la publication du document. Je suis, moi aussi, attaché à ce que le travail parlementaire soit mis à la disposition de tous les citoyens.

La commission adopte le rapport.

 

 

 


 

   V. LISTE DEs PERSONNES AUDITIONNÉES

Les comptes rendus des auditions sont consultables à l’adresse suivante :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/organes/autres-commissions/commissions-enquete/organisation-des-elections/documents?typeDocument=crc

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des réunions de la commission d’enquête.

Jeudi 16 janvier 2025

– M. Alain Garrigou, professeur émérite de science politique à l’université de Paris X-Nanterre, ancien membre de la commission des sondages

– M. Tristan Haute, maître de conférences à l’Université de Lille et chercheur au Centre d’Études et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales (CERAPS), et Mme Marie Neihouser, maîtresse de conférences à l’Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, chercheuse associée à l’École européenne de science politique et sociale (ESPOL-Lab)

Jeudi 23 janvier 2025

– Mme Clémentine Beauvais, universitaire en sciences de l’éducation à l’Université de York (Royaume-Uni), romancière et essayiste

– M. François Xavier Arnoux, docteur en droit, auteur d’une thèse sur l’histoire du vote blanc et de l’abstention

– M. Christian Charpy, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, M. Emmanuel Glimet, président de section, et M. Olivier Fombaron, conseiller référendaire

Jeudi 30 janvier 2025

– M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)

– Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), et M. Lionel Espinasse, responsable des répertoires de personnes

– M. Guy Geoffroy, vice-président de l’Association des Maires de France (AMF)

 

Jeudi 6 février 2025

– Mme Véronique Cortier et M. Pierrick Gaudry, informaticiens, directeurs de recherche au sein du Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications (Loria-CNRS/Université de Lorraine/Inria), contributeurs à la conception du logiciel de vote électronique code source ouvert Belenios

– Représentants de l’Association des villes pour le vote électronique (AVVE) : M. Didier Gonzales, président, maire de Villeneuve-le-Roi, M. Guillaume Boudy, maire de Suresnes, et M. Etienne Béranger, adjoint au maire d’Issy-les-Moulineaux

– Mme Céline Braconnier et M. Jean-Yves Dormagen, professeurs de science politique, coauteurs de La démocratie de l’abstention

Mercredi 12 février 2025

– Représentants du ministère de l’intérieur : Mme Fabienne Balussou, directrice du management de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur (DMATES), Mme Sylvie Calvès, cheffe du service des élections, de la lutte contre la fraude et de l’innovation numérique, M. Alex Gadré, chef du bureau des élections politiques, M. Christophe Kirgo, et Mme Mariam Pontoni, adjoints au chef du bureau des élections politiques

– Mme Stéphanie Schaer, directrice interministérielle du numérique (DINUM), M. Florian Delezenne, chef du département opérateur des produits interministériels, et Mme Linda Debernardi, cheffe du pôle Fédération d’identité des citoyens-FranceConnect

Jeudi 20 février 2025

– Mme Anne Duclos-Grisier, directrice de l’information légale et administrative (DILA), Mme Florence Martini, responsable du pôle vie publique et Mme Karine Letrouit, responsable du département des systèmes d’information de l’administration numérique

– M. Philippe Wahl, président directeur général du groupe La Poste *, et M. Philippe Dorge, directeur général adjoint

– Représentants du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères : Mme Pauline Carmona, directrice des Français à l’étranger et de l’administration consulaire, M. François Penguilly, chef du service des Français à l’étranger, et M. Gérard Fromageot, chef du bureau des élections et du droit électoral

Mercredi 5 mars 2025

– M. Philippe Viroulet et M. Glyn Evans, anciens employés de l’entreprise Milee, auparavant Adrexo

– M. Vincent Strubel, directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI)

 

Mercredi 12 mars 2025

– M. Jean-Pierre Sueur, ancien ministre, ancien sénateur, co-rapporteur en 2010, avec M. Hugues Portelli, d’une mission d’information du Sénat sur le thème : “Sondages et Démocratie : pour une législation respectueuse de la sincérité du débat politique”

– M. Alexandre Dézé, professeur de science politique à l’université de Montpellier, et M. Luc Bronner, grand reporter au journal Le Monde

Jeudi 13 mars 2025

– M. Jean Gaeremynck, président de la commission des sondages, et M. Stéphane Hoynck, secrétaire général

– Représentants du service d’information du gouvernement : M. Michaël Nathan, directeur, M. Gaspard Tafoiry, secrétaire général, et Mme Tiphaine Bonnier, cheffe de cabinet

Mardi 18 mars 2025

– M. Marc-Antoine Brillant, chef du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum)

Mercredi 26 mars 2025

– Dirigeants des instituts de sondage implantés en France, produisant des études d’opinion sur des sujets liés au débat électoral :

– M. Frédéric Dabi, directeur général Opinion, et M. François Kraus, directeur des études « Actualité et politique », Ifop ;

– Mme Laure Salvaing, directrice générale France, Verian ;

– Mme Adelaïde Zulfikarpasic, directrice générale, et Mme Christelle Craplet, directrice de l’activité Opinion, BVA Xsight ;

– M. Brice Teinturier, directeur général délégué, et M. Jean-François Doridot, directeur général Public Affairs France, Ipsos ;

– M. Yves Del Frate, président directeur général, M. Arnaud Schmite, administrateur et représentant d’Havas * au CA, et Mme Julie Gaillot, directrice du pôle society, CSA ;

– M. Jean-Daniel Lévy, directeur délégué, et M. Pierre-Hadrien Bartoli, directeur des études politiques et d’opinion, Toluna Harris Interactive France ;

– M. Bruno Jeanbart, vice-président, et M. Frédéric Micheau, directeur général adjoint et directeur du pôle opinion, OpinionWay ;

– M. François Miquet-Marty, président, Viavoice ;

– M. Gaël Sliman, président, et M. Emile Leclerc, directeur d’études en charge des sondages politiques, Odoxa ;

– M. Bernard Sananès, président, et M. Vincent Thibault, directeur-conseil Opinion en charge des Études Politiques, Elabe ;

– M. Jean-Yves Dormagen, président, et M. Stéphane Fournier, directeur des études, Cluster17.

Mercredi 2 avril 2025

– M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP)

Jeudi 3 avril 2025

– Responsables de l’information de BFMTV, CNews, LCI, et Franceinfo : 

– M. Fabien Namias, directeur général de BFMTV, et Mme Alix de Montesquieu, responsable des affaires publiques du groupe RMC-BFM *;

– M. Thomas Bauder, directeur de l’information de CNews, et M. Christophe Roy, directeur des affaires réglementaires et concurrence du groupe Canal+ *;

– Mme Julie Burguburu, secrétaire générale du Groupe TF1 *, et M. Guillaume Debré, directeur général de LCI ;

– M. Alexandre Kara, directeur de l’information de France Télévisions *, Mme Livia Saurin, secrétaire générale adjointe de France Télévisions, et M. Cyril Guinet, directeur de la réglementation, de la déontologie et du pluralisme de France Télévisions.

Mercredi 9 avril 2025

– Représentants du ministère de la Justice : M. Roland de Lesquen, adjoint au directeur des services judiciaires (DSJ), M. Clément Henry, chef du bureau du droit constitutionnel et du droit public général de la direction des affaires civiles et du sceau (DACS), et M. Adrien Tanné, rédacteur au bureau du droit constitutionnel et du droit public général de la direction des affaires civiles et du sceau

– Représentants de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) : Mme Laurence Franceschini, membre du collège, chargée de la vie politique et citoyenne, M. Mathias Moulin, secrétaire général adjoint, M. Antoine Gaume, ingénieur expert au service de l’expertise technologique, et Mme Chirine Berrichi, conseillère pour les questions parlementaires et institutionnelles

– M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer, et Mme Marie Grosgeorge, directrice de cabinet

 

Jeudi 17 avril 2025

– Représentants en France des entreprises Google *, Meta *, Snap.Inc. *, TikTok * et X *:

– M. Benoît Tabaka, Secrétaire général de Google France *, et Mme Charlotte Radvanyi, responsable des relations institutionnelles ;

– M. Anton’Maria Battesti, directeur des affaires publiques de Meta France *, Mme Aurore Denimal, responsable des affaires publiques France, et Mme Clémence Dubois, responsable des partenariats avec les pouvoirs publics et de l’impact social ;

– M. Grégory Gazagne, directeur général France de Snap. Inc. * (Snapchat), et Mme Sarah Bouchahoua, responsable des affaires publiques ;

– Mme Sarah Khémis, senior public policy manager France de TikTok *, et M. Louis Ehrmann, public policy manager France ;

– Mme Claire Dilé, directrice des affaires publiques Europe de X *.

– Représentants de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP) : M. Didier‑Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État, président de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP), M. Thierry-Xavier Girardot, secrétaire général du Conseil d’État, et Mme Isabelle de Silva, rapporteure générale de la CNCCEP

Mardi 29 avril 2025

– M. Bernard Sananès, président d’Elabe, et M. Vincent Thibault, directeur conseil opinon

– M. Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos, et M. Jean-François Doridot, directeur général Public Affairs France

– M. Marc Bidou, PDG de Bilendi, accompagné de Mme Lucie Deliry, directrice France ; M. Renaud Farrugia, directeur commercial Europe de Dynata, accompagné de Mme Carla Dib-Roblès ; MM. Jean-Daniel Levy, Patrick Van Bloeme, Paul Hambly, représentants de Toluna Harris Interactive

Mardi 6 mai 2025

– M. Arnaud Rérolle, directeur général de Périclès

Mercredi 7 mai 2025

– M. Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop, et M. François Kraus, directeur du pôle Politique et opinion.

– M. Jean-Yves Dormagen, président de Cluster17

Mercredi 14mai 2025

– M. Lorenzo Andreozzi, expert chargé de la sécurité de la plateforme TikTok *

Mardi 20 mai 2025

– M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’Intérieur

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

 

 

 


([1]) Audition de M. François Xavier Arnoux, docteur en droit, auteur d’une thèse sur l’histoire du vote blanc et de l’abstention, 23 janvier 2025.

([2]) https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/robespierre-25-janvier-1790

([3]) Audition de M. Alain Garrigou, professeur émérite de science politique à l’université de Paris X-Nanterre, ancien membre de la commission des sondages, 16 janvier 2025.

([4]) Audition de M. Tristan Haute, maître de conférences à l’Université de Lille et chercheur au Centre d’Études et de Recherches Administratives, Politiques et Sociales (CERAPS), 16 janvier 2025.

([5]) Audition de Mme Céline Braconnier et de M. Jean-Yves Dormagen, professeurs de science politique, coauteurs de La démocratie de l’abstention, 6 février 2025.

([6]) Lors de cette décision, le Conseil constitutionnel a jugé l’article L. 7 du code électoral contraire à la Constitution, lequel imposait la radiation des listes électorales des personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif public lorsqu’elles commettent certaines infractions.  

([7]) Richard Ghevontian, « La notion de sincérité du scrutin », Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 13, janvier 2003.

([8]) Décision 86-208 DC du 2 juillet 1986. 

([9]) Cevipof, « Baromètre de la confiance politique du Cevipof 2025 : le grand désarroi démocratique », Sciences Po, 2025. 

([10]) Élisabeth Algava et Kilian Bloch, « Vingt ans de participation électorale : en 2022, les écarts selon l’âge et le diplôme continuent de se creuser », Insee Première, n° 1929, 17 novembre 2022.

([11]) Audition de Mme Christel Colin, directrice des statistiques démographiques et sociales de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), 30 janvier 2025.  

([12]) Audition de Mme Marie Neihouser, maîtresse de conférences à l’Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, chercheuse associée à l’École européenne de science politique et sociale (ESPOL-Lab), 16 janvier 2025.

([13]) Audition de M. Christian Charpy, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, 23 janvier 2025.

([14]) Audition de M. Guy Geoffroy, vice-président de l’Association des Maires de France (AMF), 30 janvier 2025.  

([15]) Source : https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-les-plus-jeunes-ont-vote-jean-luc-melenchon-les-plus-vieux-emmanuel-macron_5075344.html

([16]) Au terme de l’alinéa 2 de cet article, « Le maire radie les électeurs qui ne remplissent plus aucune des conditions mentionnées au premier alinéa du présent I à l’issue d’une procédure contradictoire ».  

([17]) https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/06/09/elections-europeennes-dans-les-bureaux-de-vote-et-au-tribunal-d-evry-la-colere-des-electeurs-radies-des-listes-electorales_6238285_823448.html

([18]) Audition de Mme Clémentine Beauvais, universitaire en sciences de l’éducation à l’Université de York (Royaume-Uni), romancière et essayiste, 23 janvier 2025.  

([19]) Source : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F21829

([20]) Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/8305500?sommaire=8306008

([21]) Audition de Mme Anne Duclos-Grisier, directrice de l’information légale et administrative (DILA), 20 février 2025.

([22]) Audition de M. Michaël Nathan, directeur du Service d’Information au gouvernement (SIG), 13 mars 2025. 

([23]) Audition de Mme Marie Neihouser, maîtresse de conférences à l’Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, chercheuse associée à l’École européenne de science politique et sociale (ESPOL-Lab), 16 janvier 2025.  

([24]) Comme le rappelle Lionel Espinasse, responsable des répertoires de personnes à l’Insee, « dès qu’un électeur s’inscrit dans une nouvelle commune, il est automatiquement radié de l’ancienne commune par le REU, sans aucune action de quiconque ».

([25]) Source : https://www.rtbf.be/article/elections-2024-87-5-des-belges-ont-vote-mais-seulement-50-a-60-de-la-population-aurait-vote-si-le-vote-n-etait-pas-obligatoire-11388050

([26]) Audition du mercredi 29 février 2022 par la commission des lois du Sénat.  

([27]) Ainsi, selon Marie Neihouser : « le vote par procuration augmente encore les inégalités de participation. Ceux qui votent par procuration sont ceux qui ont le plus de ressources économiques, culturelles ou sociales ».

([28]) Les modalités techniques relatives au fonctionnement et à l’organisation du vote par procuration sont traitées dans la partie relative à l’organisation des élections en France.

([29]) Audition de Mme Marie Neihouser, maîtresse de conférences à l’Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, chercheuse associée à l’École européenne de science politique et sociale (ESPOL-Lab), 16 janvier 2025.  

([30]) Audition de Mme Véronique Cortier, informaticienne, directrice de recherche au sein du Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications (Loria-CNRS/Université de Lorraine/Inria) et contributrice à la conception du logiciel de vote électronique code source ouvert Belenios, 6 février 2025.

([31]) C’est-à-dire, toujours selon Véronique Cortier, en rendant « publiques les spécifications, la description du système ».

([32]) Un dispositif de type « bug bounty » consiste à attribuer une prime à l’utilisateur qui saura identifier une défaillance dans le système, de sorte à rendre ce type de recherches incitatif.  

([33]) Audition de M. Vincent Strubel, directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), 5 mars 2025.  

([34]) Dans cet extrait, Vincent Strubel entend indistinctement la notion de scrutin électronique : il peut s’agir du vote sur machine électronique comme du vote en ligne, qui, dans les deux cas, ne présente jamais un niveau de fiabilité maximale.  

([35]) Audition de M. Roland de Lesquen, adjoint au directeur des services judiciaires (DSJ) au ministère de la Justice, 9 avril 2025.

([36]) Audition de M. Roland de Lesquen, adjoint au directeur des services judiciaires (DSJ) au ministère de la Justice, 9 avril 2025.

([37]) Article L. 166 du code électoral. 

([38]) Article R. 31 du code électoral. 

([39]) Pour les Français de l’étranger, cette mission est assurée par une commission électorale siégeant au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.  

([40]) Article R. 34 du code électoral.  

([41]) Article R. 32 du code électoral.  

([42]) Article R. 38 du code électoral. 

([43]) Article R. 34 du code électoral. 

([44]) Article L. 85-1 du code électoral. 

([45]) Articles R 93-1 à R. 93-3 du code électoral. 

([46]) Article L. 359 du code électoral.

([47]) Pour les élections municipales et départementales, des « bureaux de vote centralisateurs » sont établis.

([48]) Article 25 du décret n°2001-213 du 8 mars 2001 portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel.

([49]) Article 13 du décret n°2001-213 du 8 mars 2001 portant application de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel.

([50]) Article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel. 

([51]) Audition de M. Tabuteau, président de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP), 17 avril 2025.

([52]) Cour des comptes, Observations définitives, « L’organisation des élections :un dispositif robuste, des évolutions nécessaires », septembre 2024.  

([53]) Audition de M. Christian Charpy, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, 23 janvier 2025.

([54]) Audition de M. Guy Geoffroy, vice-président de l’Association des Maires de France (AMF), 30 janvier 2025.  

([55]) Ibidem.

([56]) Audition de Mme Fabienne Balussou, directrice du management de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur (DMATES), 12 février 2025.

([57]) Ibidem

([58]) Audition de Mme Fabienne Balussou, directrice du management de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur (DMATES), 12 février 2025.

([59]) Audition de M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur, mardi 20 mai 2025.

([60]) Audition de Mme Fabienne Balussou, directrice du management de l’administration territoriale et de l’encadrement supérieur (DMATES), 12 février 2025.  

([61]) Audition de M. Philippe Wahl, président directeur général du groupe La Poste, 20 février 2025.

([62]) Contribution écrite de l’AMF adressée à la commission d’enquête. 

([63]) Cour des comptes, Observations définitives, « L’organisation des élections :un dispositif robuste, des évolutions nécessaires », septembre 2024.

([64]) Audition d’anciens représentants du personnel de la société Milee (ex-Adrexo), 20 février 2025.

([65]) Ibidem.  

([66]) Ibidem

([67]) Ibidem.

([68]) Ibidem.

([69]) Audition d’anciens représentants du personnel de la société Milee (ex-Adrexo), 20 février 2025.

([70]) Ibidem.

([71]) Deux rapports d’information ont été en effet été publiés à la suite de cet échec : un rapport d’information de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur les dysfonctionnements dans la distribution de la propagande électorale pour les élections régionales et départementales des 20 et 27 juin 2021, présenté par MM. Mis et Schellenberger d’une part, et un rapport sénatorial sur un thème identique également en 2021, présenté par M. François Noël Buffet, d’autre part. 

([72]) Contribution écrite adressée par le ministère de l’Intérieur à la commission d’enquête.

([73]) Audition d’anciens représentants du personnel de la société Milee (ex-Adrexo), 20 février 2025.

([74]) Ibidem.

([75]) Ibidem

([76]) Audition d’anciens représentants du personnel de la société Milee (ex-adrexo), 20 février 2025.  

([77]) Ibidem.

([78]) Ibidem

([79]) Audition de M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur, mardi 20 mai 2025.

([80]) Contribution écrite de l’AMF adressée à la commission d’enquête. 

([81]) Ibidem.

([82]) Ibidem.

([83]) Audition de M. Guy Geoffroy, vice-président de l’Association des Maires de France (AMF), 30 janvier 2025.

([84]) Ibidem.

([85]) Contribution écrite de l’AMF adressée à la commission d’enquête. 

([86]) Audition de M. Guy Geoffroy, vice-président de l’Association des Maires de France (AMF), 30 janvier 2025.

([87]) Audition de M. Guy Geoffroy, vice-président de l’Association des Maires de France (AMF), 30 janvier 2025.

([88]) Ibidem.

([89]) Le fait pour un membre du conseil municipal de ne pas remplir cette fonction sans excuse valable peut le conduire à être déclaré démissionnaire et inéligible pendant un an par le tribunal administratif (CE, 6 décembre 2012, n° 349510, Commune de Dourdan).

([90]) Contribution écrite du ministère de l’Intérieur adressée à la commission d’enquête.

([91]) Contribution écrite de l’AMF adressée à la commission d’enquête.

([92]) Ibidem.  

([93]) Ibidem.  

([94]) Contribution écrite de l’AMF adressée à la commission d’enquête. 

([95]) Audition de M. Roland de Lesquen, adjoint au directeur des services judiciaires (DSJ) au ministère de la Justice, 9 avril 2025.

([96]) Ibidem.

([97]) Ibidem.

([98]) Ibidem.

([99]) Audition de M. Roland de Lesquen, adjoint au directeur des services judiciaires (DSJ) au ministère de la Justice, 9 avril 2025.  

([100]) Ibidem.

([101]) Audition des représentants du ministère de l’Intérieur, 12 février 2025.

([102]) Loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique.  

([103]) Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), 2 avril 2025.

([104]) Ibidem.

([105]) Ibidem.

([106]) Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), 2 avril 2025.

([107]) Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), 2 avril 2025.

([108]) Ibidem.

([109]) Ibidem.

([110]) Ibidem.

([111]) Audition des représentants de l’AVVE, 6 février 2025.

([112]) Audition des représentants de l’AVVE, 6 février 2025.  

([113]) Audition des représentants de l’AVVE, 6 février 2025.  

([114]) Audition des représentants de l’AVVE, 6 février 2025.  

([115]) Rapport remis par le Gouvernement au Parlement relatif à la possibilité de recourir aux machines à voter, 2021.

([116]) Contribution écrite du ministère de l’Intérieur adressée à la commission d’enquête. 

([117]) Audition de M. Vincent Strubel, directeur général de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), 5 mars 2025.

([118]) Audition de M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur, mardi 20 mai 2025.

([119]) Audition de M. Guy Geoffroy, vice-président de l’Association des Maires de France (AMF), 30 janvier 2025. 

([120]) Contribution écrite de l’AMF adressée à la commission d’enquête.

([121]) Audition de M. Guy Geoffroy, vice-président de l’Association des Maires de France (AMF), 30 janvier 2025

([122]) Cour des comptes, Observations définitives, « L’organisation des élections :un dispositif robuste, des évolutions nécessaires », septembre 2024.  

([123]) Pour un renouveau démocratique, rapport de la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, 2012. https://www.hatvp.fr/wordpress/wp-content/uploads/2016/02/Rapport-Commission-Jospin.pdf

([124]) Audition de M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur, mardi 20 mai 2025.

([125]) Voir par exemple CE, décision du 11 mars 2024, n° 488378. 

([126]) Audition de M. Christian Charpy, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, 23 janvier 2025. 

([127]) Article R 41 du code électoral. 

([128]) Article R. 208 du code électoral. 

([129]) Articles R. 305, R. 320 et R. 335 du code électoral.

([130]) Audition de M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer, 9 avril 2025.

([131]) Contribution écrite de la DGOM adressée à la commission d’enquête. 

([132]) Ibidem.

([133]) Ibidem.

([134]) Ibidem.

([135]) Audition de M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer, 9 avril 2025.

([136]) Ibidem.

([137]) Propos tenus par M. Jean Victor Castor, député, lors de l’audition de M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer, 9 avril 2025.

([138]) Audition des représentants du ministère de l’Intérieur, 12 février 2025. 

([139]) Contribution écrite de la DGOM adressée à la commission d’enquête. 

([140]) Contribution écrite de la DGOM adressée à la commission d’enquête. 

([141]) Contribution écrite de la DGOM adressée à la commission d’enquête.  

([142]) https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2025/20246374AN.htm  

([143]) https://www.lefigaro.fr/politique/sonia-backes-manuel-valls-est-disqualifie-20250512

([144]) Audition des représentants du ministère de l’Intérieur, 12 février 2025.

([145]) Contribution écrite du ministère de l’Intérieur adressée à la commission d’enquête. 

([146]) Contribution écrite du ministère de l’Intérieur adressée à la commission d’enquête.  

([147]) Contribution écrite de la DGOM adressée à la commission d’enquête.  

([148]) Cons cons, décision n° 2024-6374 AN du 7 mars 2025.

([149]) Audition de M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer, 9 avril 2025.

([150]) Audition de M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer, 9 avril 2025.

([151]) Ibidem.

([152]) Propos tenus par M. Jean Victor Castor, député, lors de l’audition de M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer, 9 avril 2025. 

([153]) Table ronde, ouverte à la presse, réunissant les responsables de l’information de BFMTV, CNews, LCI, et Franceinfo, jeudi 3 avril 2025.

([154]) Propos tenus par M. Jean Victor Castor, député, lors de l’audition de M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer, 9 avril 2025.

([155]) Propos tenus par M. Jean Victor Castor, député, lors de l’audition des représentants du ministère de l’Intérieur, 12 février 2025.

([156]) Contribution écrite de la DGOM adressée à la commission d’enquête.

([157]) Ibidem.

([158]) Ibidem.

([159]) Ibidem.

([160]) Propos tenus par M. Jean Victor Castor, député, lors de l’audition de M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer, 9 avril 2025.

([161]) Ibidem.

([162]) Contribution écrite de la DGOM adressée à la commission d’enquête. 

([163]) Audition des représentants du ministère de l’Intérieur, 12 février 2025. 

([164]) Ibidem.

([165]) Audition des représentants du ministère de l’Intérieur, 12 février 2025. 

([166]) Ibidem.

([167]) Audition de Mme Pauline Carmona, directrice des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, 20 février 2025. 

([168]) Contribution écrite de la DFAE adressée à la commission d’enquête.

([169]) Audition de Mme Pauline Carmona, directrice des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, 20 février 2025. 

([170]) Ces trois mesures sont les suivantes : l’ouverture de 152 bureaux de vote supplémentaires, l’allongement d’un mois et demi du délai pendant lequel les Français de l’étranger ont pu s’inscrire pour participer au vote par correspondance papier et, enfin, l’organisation de tournées consulaires supplémentaires visant à recueillir les procurations des électeurs les plus éloignés des bureaux de vote.

([171]) Audition de Mme Pauline Carmona, directrice des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, 20 février 2025.  

([172]) Contribution écrite de la DFAE adressée à la commission d’enquête. 

([173]) Audition de Mme Pauline Carmona, directrice des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, 20 février 2025.

([174]) Ibidem.

([175]) Ibidem.

([176]) Contribution écrite de la DFAE adressée à la commission d’enquête.

([177]) Ibidem.

([178]) Contribution écrite de la DFAE adressée à la commission d’enquête.  

([179]) Ibidem.

([180]) Ibidem.

([181]) Ibidem.  

([182]) Contribution écrite de la DFAE adressée à la commission d’enquête.

([183]) Ibidem.

([184]) Ibidem.

([185]) Ibidem.

([186]) Contribution écrite de la DFAE adressée à la commission d’enquête.  

([187]) Ibidem.

([188]) Audition de Mme Pauline Carmona, directrice des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, 20 février 2025.    

([189]) Ibidem.

([190]) Ibidem.

([191]) Contribution écrite de la DFAE adressée à la commission d’enquête.  

([192]) Ibidem.

([193]) En application de l’article 21 de la loi n° 2013-639 relative à la représentation des Français établis hors de France et de l’article 4 du décret n° 2014-290 portant dispositions électorales relatives à la représentation des Français établis hors de France. 

([194]) Audition de Mme Pauline Carmona, directrice des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, 20 février 2025. 

([195]) Audition des représentants du ministère de l’Intérieur, 12 février 2025.

([196]) Ibidem.

([197]) Contribution écrite de la DFAE adressée à la commission d’enquête.    

([198]) Ibidem.

([199]) Audition de Mme Pauline Carmona, directrice des Français à l’étranger et de l’administration consulaire au Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, 20 février 2025.    

([200]) Décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986 du Conseil constitutionnel.   

([201]) Audition de M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), 30 janvier 2025.   

([202]) Audition de M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), 30 janvier 2025. 

([203]) Arcom, Communiqué de presse publié le 18 juillet 2024.   

([204]) Et Roch-Olivier Maistre d’ajouter : « je rappelle en outre que nous avons connu six directives et règlements européens au cours des six années écoulées et que treize textes de loi sont venus élargir les missions de l’Arcom. En conséquence, la question des ressources est évidemment importante pour faire face à cette tâche. » 

([205]) Audition des responsables de l’information de BFMTV, CNews, LCI, et Franceinfo, 3 avril 2025. 

([206]) Audition des responsables de l’information de BFMTV, CNews, LCI, et Franceinfo, 3 avril 2025. 

([207]) Audition de M. Christian Charpy, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, 23 janvier 2025.

([208]) Audition de M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), 30 janvier 2025. 

([209]) Audition de M. Alain Garrigou, professeur émérite de science politique à l’université de Paris X-Nanterre, ancien membre de la commission des sondages, 16 janvier 2025. 

([210]) Audition de M. Christian Charpy, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, 23 janvier 2025. 

([211]) Audition de M. Roch-Olivier Maistre, président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), 30 janvier 2025. 

([212]) Audition de M. Alain Garrigou, professeur émérite de science politique à l’université de Paris X-Nanterre, ancien membre de la commission des sondages, 16 janvier 2025. 

([213]) Audition des responsables de l’information de BFMTV, CNews, LCI, et Franceinfo, 3 avril 2025. 

([214]) Elle affirmait ainsi que l’affaire Bétharram était récupérée politiquement par « la gauche », défendant la position de son parti politique sans être pourtant présentée comme une personne engagée pour un parti politique. 

([215]) Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), 2 avril 2025.

([216]) Et l’ancien président de l’Arcom d’ajouter : « De plus, à travers le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), la France s’est dotée d’un service à compétence nationale, placé auprès du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, qui contrôle efficacement les ingérences étrangères. »  

([217]) Audition de M. Marc-Antoine Brillant, chef du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), 18 mars 2025.  

([218]) Cette présentation synthétique du Digital Services Act est disponible en ligne, sur le site vie-publique.fr

([219]) Audition des représentants en France des entreprises Google, Meta, Snap.Inc, TikTok et X, 9 avril 2025.

([220]) In extenso, voici la suite de la déclaration de M. Anton’Maria Battesti : « Ces dernières années, j’ai entendu beaucoup de plaintes d’élus qui considéraient que nous privilégiions trop les chats et les contenus des proches. Je leur répondais que mettre en avant ce type d’expériences correspondait à la logique de notre réseau social. Les choses ont toutefois évolué : Mark Zuckerberg a annoncé que les contenus politiques seraient désormais traités comme le reste. Nous avons donc retrouvé une certaine horizontalité dans la distribution des contenus, quelle que soit leur nature. » 

([221]) Audition des représentants en France des entreprises Google, Meta, Snap.Inc, TikTok et X, 9 avril 2025. 

([222]) Audition des représentants en France des entreprises Google, Meta, Snap.Inc, TikTok et X, 9 avril 2025. 

([223]) Audition des représentants en France des entreprises Google, Meta, Snap.Inc, TikTok et X, 9 avril 2025. 

([224]) Audition de M. Marc-Antoine Brillant, chef du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), 18 mars 2025. 

([225]) Sur ce point lire notamment le précieux article de l’INA : « Étoiles bleues, mains rouges : les télévisions et radios françaises instrumentalisées par la Russie » - https://larevuedesmedias.ina.fr/etoiles-david-bleues-mains-rouges-medias-desinformation-manipulation-russie-ingerence

([226]) Audition de M. Marc-Antoine Brillant, chef du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum), 18 mars 2025. 

([227]) Audition de M. Alex Gadré, chef du bureau des élections politiques de la DMATES, 12 février 2025. 

([228]) Loi organique et loi ordinaire du 22 décembre 2018 relatives à la manipulation de l’information.

([229]) Comme le relève le rapport d’enquête sénatorial, « LVMH ou le groupe Crédit mutuel-Alliance fédérale présentent leurs investissements dans les médias comme une volonté de leur venir en aide quand ils sont menacés [...]. Cependant, cette ambition affichée d’intérêt général résiste assez difficilement à l’examen de la nature et du montant des investissements réalisés et peut interroger sur les ambitions assignées à ces achats. » 

([230]) En juillet 2024, Reporters sans frontières a accusé Progressif Media d’avoir orchestré une campagne de désinformation à son encontre, incluant la création d’un faux site web imitant celui de l’ONG et la diffusion de messages hostiles sur les réseaux sociaux. Cette campagne aurait été déclenchée en représailles à une action en justice de RSF contre CNews, chaîne contrôlée par Vivendi. 

([231]) Audition de M. Arnaud Rérolle, directeur général de Périclès, 6 mai 2025. 

([232]) Cet extrait est issu d’une tribune publiée par Arnaud Rérolle au cours du mois de février 2025 sur le site internet du journal Le Figaro et visant à faire la promotion du projet Périclès.

([233]) Audition de M. Arnaud Rérolle, directeur général de Périclès, 6 mai 2025.   

([234]) Lors de son audition, Arnaud Rérolle a précisé : « Il nous arrive de rencontrer des personnalités politiques dans le but de promouvoir nos idées, et nous avons des liens privilégiés avec tous ceux qui les partagent. Le champ libéral conservateur est suffisamment large pour accueillir, notamment, des personnes très attachées aux principes libéraux économiques que nous partageons. » 

([235]) Sur ce point, voir en particulier l’enquête du journal Le Monde intitulée « Pierre-Édouard Stérin et François Durvye, les hommes d’affaires qui aimantent la droite et le RN », publiée le 18 février 2025 (source : https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/02/18/pierre-edouard-sterin-et-francois-durvye-les-hommes-d-affaires-qui-aimantent-la-droite-et-le-rn_6551770_823448.html)

([236]) À titre d’illustration, l’audition a permis d’établir que Périclès finance le collectif Justitia, dont l’objet est d’organiser et professionnaliser le contentieux stratégique, notamment en lien avec l’islam et la théorie du genre. M. Rérolle revendique ce soutien : « Si nous avons soutenu cette initiative, c’est parce que nous avons foi en la justice française et que chaque citoyen mérite d’être soutenu et accompagné juridiquement ».  

([237]) Audition de M. Jean-Philippe Vachia, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), 2 avril 2025. 

([238])  Article L. 52-8 du code électoral.  

([239]) Article L. 52-7-1 du code électoral

([240])  https://www.nouvelobs.com/politique/20250310.OBS101275/comptes-de-campagne-un-mysterieux-pret-au-secours-de-marion-marechal-apres-les-europeennes.html

([241]) Toutefois, l’article 26 de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique modifie l’article L. 52-8 du code électoral et dispose que seules les personnes physiques de nationalité française ou résidant en France peuvent désormais verser un don à un candidat.

([242]) Ce terme fait référence à une pratique agricole consistant à couper puis jeter en l’air des brindilles de paille afin de déterminer l’orientation du vent. 

([243]) Sur l’histoire des sondages, on peut se reporter à l’ouvrage de M. Frédéric Micheau, La prophétie électorale. Les sondages et le vote, Cerf, 2018.

([244]) Frédéric Micheau, Le sacre de l’opinion. Une histoire de la présidentielle et des sondages, 2022.

([245]) Ces citations sont toutes issues du document du projet Périclès du milliardaire Pierre-Édouard Stérin, rendu public par le journal L’Humanité dans son article du 19 juillet 2024.

([246]) Vincent Tiberj, La droitisation française : mythes et réalités ?, 2024.

([247])  Vincent Tiberj, La droitisation française : mythes et réalités ?, 2024.

([248])  Ibidem.

([249])  Ibidem.

([250])  Ibidem.

([251])  Vincent Tiberj, La droitisation française : mythes et réalités ?, 2024.

([252])  Ibidem.

([253])  Ibidem.

([254])  Ibidem.

([255])  Ibidem.

([256])  Ibidem.

([257])  Ibidem.

([258])  Ibidem.

([259]) Colloque organisé par Le Monde diplomatique et l’Observatoire des sondages, « Critique des sondages », 5 novembre 2011, p. 24, partie : « Faire l’opinion, 20 ans après ».

([260]) « Ce que l’on appelle “opinion publique” est souvent une construction sociale produite par les instituts de sondage et les médias, qui ont tout intérêt à montrer une opinion unifiée, mesurable, et donc manipulable. ». Champagne, P. (1990). Faire l’opinion. Le nouveau jeu politique. Paris : Éditions de Minuit.

([261]) Faire l’opinion. Le nouveau jeu politique. Paris : Éditions de Minuit.

([262]) Alors qu’il était interrogé par votre rapporteur sur les objectifs politiques des commanditaires des sondages le 7 mai 2025, Monsieur Frédéric Dabi a affirmé : « Tous les commanditaires ont un but caché ». 

([263]) Alexis Bergeron, JDD, « SONDAGE - 68 % des Français pour la suppression des subventions aux associations d’aide aux migrants en situation irrégulière », 16 mai 2024, URL : https://www.lejdd.fr/societe/sondage-68-des-francais-pour-la-suppression-des-subventions-aux-sssociations-daide-aux-migrants-en-situation-irreguliere-145238

([264]) Non seulement les thématiques mises en avant par Pierre-Édouard Stérin et Vincent Bolloré sont secondaires, mais les travaux de Vincent Tiberj montrent clairement qu’en réalité, la population française est aujourd’hui bien moins conservatrice qu’il y a trente ans sur les questions culturelles, sociales et de tolérance.

([265]) Audition individuelle de l’IFOP du 7 mai 2025, propos de M. Frédéric Dabi.

([266]) Audition d’Elabe, le mardi 29 avril 2025.

([267]) Op. Cit.

([268]) Audition individuelle de l’IFOP du 7 mai 2025

([269]) L’aspect scientifique du redressement scientifique est par ailleurs fortement contesté par votre rapporteur.

([270]) Pouvoirs n°33 – avril 1985.

([271]) Propos tenu par M. Jean-François Doridot, directeur général Public Affairs France d’Ipsos lors de l’audition individuelle tenu le mardi 29 avril 2025 après que votre rapporteur ait suggéré d’appliquer la matrice de redressement appliqué à Marine le Pen aux données brut de Jean-Luc Mélenchon afin de déterminer si les algorithmes étaient différenciés entre les deux candidats.  

([272]) Le Monde, “la controverse sur les sondages d’opinion Le directeur de l’IFOP répond aux critiques”  

([273]) Public Opinion Quarterly 1945, p. 407

([274]) M. Frédéric Dabi, lors de sa première audition devant la commission d’enquête : « Lorsque nous sommes passés aux enquêtes en ligne vers 2010-2011, nous avons noté une amélioration spectaculaire de la qualité des souvenirs de vote. Ils se sont révélés presque parfaits pour la présidentielle de 2017, qui a été celle où les sondages ont été les plus précis dans leur dernière mesure. Récemment, nous observons une légère détérioration, mais sans commune mesure avec l’époque des enquêtes téléphoniques. Nous constatons parfois une sous-estimation du vote Macron, une surestimation du vote Marine Le Pen et une sous-estimation du vote Mélenchon. En moyenne, les souvenirs de vote pour Mélenchon se situent entre 14 et 16 %, loin des 21,5 % réels, mais ces distorsions sont bien moindres qu’auparavant ».

([275]) Sondage Rolling Ifop-Fiducial 2022 (25/03/2022) dans lequel E. Macron est sur-représenté de 10,2 points, l’électorat des Républicains sous-représenté de 5,6 points, et l’électorat de la France insoumise sous-évalué de 5,4 points.

([276]) M. Brice Teinturier, directeur général délégué d’IPSOS, audition du 29 avril 2025 : “dans les années 1980 et 1990, quand les enquêtes étaient faites par téléphone, la reconstitution du vote était très éloignée de la réalité, si bien que le redressement avait un effet puissant – et tant mieux, car en eût-il été autrement que les résultats de l’enquête auraient été très largement faux. Les reconstitutions de votes dans les enquêtes en ligne permettent que l’effet des redressements soit beaucoup moins brutal qu’il l’était à cette époque.” 

([277]) Pouvoir n°33, 1985, Les sondages

([278]) M. Brice Teinturier, directeur général délégué d’IPSOS, table ronde du 26 mars 2025

([279]) M. Alexandre Dézé, professeur de sciences politiques à l’université de Montpellier, compte rendu de l’audition commune du 12 mars 2025

([280]) Dans la cuisine des sondages, réalisé en 2007, par Alain Hertoghe et écrit par Marc Tronchot et Alain Hertogue : l’institut de sondage Ipsos, a été le premier à ouvrir ses portes pour la durée d’une campagne électorale.

([281]) Audition d’IFOP, le mercredi 7 mai 2025.

([282]) Il s’agissait ici d’une déclaration publique de votre rapporteur suite à son contrôle sur pièces et sur place à la Commission des sondages. Mais la déclaration concernait l’institut IFOP.

([283]) M. Jean-Yves Dormagen, président de Cluster 17 et professeur de science politique à l’université de Montpellier et spécialiste des sondages, a par ailleurs suggéré cette méthodologie durant son audition du 7 mai 2025 pour démontrer d’éventuels biais. Votre rapporteur avait de son côté déjà mis en place cette méthode d’analyse statistique pour mener des auditions avec des sondeurs, afin de démontrer les biais qu’il vous présente dans cette section. 

([284]) Comme il l’a été démontré dans le 2) Une sous-représentation chronique des électeurs de Jean-Luc Mélenchon et Valérie Pécresse.

([285]) Compte rendu de la table ronde du Mercredi 26 mars 2025.

([286]) Source : Abstention et indécision : quelles conséquences électorales en avril prochain ? Fondation Jean‑Jaurès.

([287]) Source : Abstention et indécision : quelles conséquences électorales en avril prochain ? Fondation Jean‑Jaurès.

([288]) Intention de vote de J-L. Mélenchon publié par ELABE le 8 avril 2022.

([289]) Intention de vote de J-L. Mélenchon publié par IPSOS le 8 avril 2022.

([290]) Intention de vote de J-L. Mélenchon publié par IFOP le 8 avril 2022.

([291]) Intention de vote de J-L. Mélenchon publié par OpinionWay le 8 avril 2022.

([292]) Dans sa rédaction initiale, l’article 9 prévoyait même que la Commission des sondages puisse « à tout moment, faire programmer et diffuser ces mises au point par les sociétés nationales de radio diffusion et de télévision ». 

([293]) Article 7 de la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, dans sa rédaction initiale.

([294]) Article 2 de la loi précitée, dans sa rédaction initiale.

([295]) Article 3 de la loi précitée, dans sa rédaction initiale.

([296]) Dans sa rédaction initiale, cet article prévoyait une amende pouvant aller de 10 000 à 500 000 francs.

([297]) Conseil d’État, arrêt de section, 2 juin 1999, Meyet.

([298]) Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 14 mai 1996, Du Roy.

([299]) Cour de cassation, chambre criminelle, Arrêt du 4 septembre 2001, Amaury.

([300]) Il a été prévu que, dans ces circonstances, « la mise au point demandée par la commission des sondages doit être, suivant le cas, diffusée sans délai et de manière que lui soit assurée une audience équivalente à celle de ce sondage, ou insérée dans le plus prochain numéro du journal ou de l’écrit périodique à la même place et en mêmes caractères que l’article qui l’aura provoquée et sans aucune intercalation.

([301]) Hugues Portelli, Jean-Pierre Sueur, rapport d’information n° 54 « Sondages et démocratie : pour une législation plus respectueuse de la sincérité du débat politique », 2010.

([302]) Ibid.

([303]) Table ronde du 26 mars 2025.

([304]) Op. Cit.

([305]) Interview accordée à Marketing Magazine, parue dans le numéro d’avril 2011.

([306]) Op. Cit.

([307]) Brice Teinturier, directeur général délégué d’IPSOS, Table ronde du 26 mars 2025.

([308]) Public Opinion Quarterly 1945, p. 407.

([309]) Audition individuelle d’IFOP, le 7 mai 2025.

([310]) Note interne confidentielle de la Commission des sondages consultée par votre rapporteur après son enquête sur pièces et sur place. 

([311]) P. Lehingue, Subunda, Coups de sonde dans l’océan des sondages (2007).

([312]) Interview accordé par Frédéric Dabi à Lejournal.info le 5 février 2025.

([313]) Un durcissement des dispositions prévues au sein du décret n°78-79 du 25 janvier 1978 pris pour l’application de la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d’opinion, pourrait également s’avérer pertinent, par exemple en interdisant toute détention d’une part du capital social des sociétés définies à l’article 4 du décret.