N° 1562
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juin 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
visant à soutenir une politique ambitieuse et ouverte de la recherche scientifique de l’Union européenne,
Par Mmes Marietta KARAMANLI et Isabelle RAUCH,
Députées.
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Voir les numéros : 1111, 1430.
SOMMAIRE
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Pages
Mesdames, Messieurs,
La commission des affaires culturelles et de l’éducation est saisie de la proposition de résolution européenne visant à soutenir une politique ambitieuse et ouverte de la recherche scientifique de l’Union européenne. Déposée par la rapporteure Marietta Karamanli le 13 mars 2025, en application de l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale, elle a été adoptée avec modifications et à l’unanimité par la commission des affaires européennes le 14 mai 2025.
Les rapporteures souhaitent rappeler l’importance des résolutions européennes qui permettent à l’Assemblée nationale d’exprimer sa position sur des sujets européens et d’envoyer ainsi un signal fort aux institutions bruxelloises. La présente résolution souligne l’attention que l’Assemblée nationale porte à la recherche, dans la droite ligne de la loi de programmation de la recherche ([1]) (LPR). Cette démarche est également pleinement d’actualité. Elle intervient à la suite de la publication des rapports de MM. Enrico Letta ([2]) et Mario Draghi ([3]) en 2024 et s’inscrit dans le calendrier européen, la Commission devant présenter à l’été 2025 le prochain cadre budgétaire qui succèdera au programme-cadre général de recherche et de développement (PCRD) Horizon Europe (2021-2027).
L’adoption de cette résolution permettrait ainsi de s’inscrire dans la réflexion actuellement en cours en exprimant clairement la volonté de la représentation nationale française de promouvoir une politique européenne ambitieuse et ouverte en matière de recherche scientifique.
La recherche scientifique constitue un élément central de la prospérité européenne. Selon les estimations de la Commission elle-même, deux tiers de la croissance économique des dernières décennies proviennent de l’innovation. Cette dernière doit donc être au cœur des préoccupations européennes. Malgré la montée en puissance de pays tels que la Chine et l’Inde, l’Union conserve une certaine excellence scientifique mais elle ne doit pas se laisser distancer. Avec 100 milliards d’euros sur sept ans, Horizon Europe est le premier programme de recherche mondial. Venant compléter l’effort d’investissement actuel, les financements versés au titre d’Horizon Europe permettront d’approcher l’objectif promu depuis les années 2000 d’investir 3 % du PIB dans ce secteur.
I. Une politique européenne forte en matière de recherche scientifique qui s’est étoffée au fil de la construction européenne
Dès les années 1970, plusieurs programmes de recherche européens se développent en parallèle de la construction communautaire, aboutissant par exemple à la création l’Agence spatiale européenne (ASE) en 1975. Mais la logique reste intergouvernementale. Ce n’est qu’en 1981 qu’est publiée une communication traçant les contours du premier programme-cadre général de recherche et de développement (PCRD) communautaire. Les PCRD constituent depuis un instrument à la fois de programmation et de financement dont la mise en œuvre suppose de déterminer l’échelle d’action pertinente entre les niveaux national, communautaire et international.
C’est l’Acte unique de 1986 qui donne à la Communauté de réelles compétences en matière de recherche. Le Traité de Maastricht entré en vigueur en 1993 élargit la portée de la politique de la Communauté dans le domaine de la recherche qui devient désormais horizontale et couvre la recherche fondamentale.
Le changement majeur dans l’approche européenne de la recherche survient en 2000 avec l’adoption de la communication orientant le sixième PCRD qui développe le concept d’espace européen de la recherche (EER). Ce concept fait partie de la stratégie de Lisbonne adoptée en mars 2000 et vise à faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ».
Ce sixième PCRD présente une conception profondément renouvelée qui tient compte de la fragmentation du paysage européen de la recherche et veut se donner les moyens d’y remédier. Il prévoit le financement d’activités de mise en réseau de programmes nationaux et l’élaboration de dispositions pour les projets de recherche finalisés à grande échelle.
Le second élément de bascule vers la politique européenne actuelle en matière de recherche est l’objectif fixé par le Conseil européen en mars 2002 d’atteindre un effort de recherche de 3 % du produit intérieur brut (PIB) d’ici 2010.
L’Union va ainsi créer différentes structures afin de s’organiser au niveau communautaire. Les pôles d’excellence européenne vont ainsi voir le jour, tout comme les initiatives technologiques communes (ITC). Le Conseil européen de la recherche (CER) va être créé. Des initiatives sont également prises en dehors du programme-cadre et financées de manière indépendante à l’instar de l’Institut européen d’innovation et de technologie (EIT) dont l’utilité est mise en doute, son manque d’agilité dans les relations qu’elle noue avec les entreprises lui étant reproché.
En 2007, le Traité de Lisbonne vient préciser les compétences de l’Union en matière de recherche. Il confirme l’appartenance de la recherche au domaine des compétences partagées et fait de la réalisation d’un espace européen de la recherche une obligation juridique.
En 2010, l’Union de l’innovation ([4]) est introduite afin d’établir un véritable marché unique européen de l’innovation et l’objectif de 3 % du PIB investi dans la recherche est réaffirmé.
Le PCRD pour 2014-2020, nommé Horizon 2020, marque un nouveau tournant dans la politique européenne en matière de recherche en devenant un cadre de stratégie commun. Doté d’un budget de plus de 80 milliards d’euros, il s’agit du troisième poste de dépense de l’Union, derrière la politique agricole commune et la politique régionale. Malgré cette place éminente, son importance doit être relativisée, puisqu’il ne représente que 8 % du budget de l’Union, loin derrière les deux premiers.
Face à la gestion complexe des précédents PCRD et à l’état de fragmentation des financements européens de la recherche, l’enjeu majeur de ce PCRD était la simplification. Pour ce faire, Horizon 2020 a été structuré en trois piliers : excellence scientifique, primauté industrielle et défis sociétaux. L’excellence scientifique représente la recherche fondamentale et la priorité énoncée à l’article 179 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (réalisation d’un espace européen de la recherche). Le Conseil européen de la recherche précédemment cité relève également de ce premier pilier. La primauté industrielle traduit l’intégration au sein du PCRD de l’innovation technologique, dans la continuité de l’Union de l’innovation.
Mais les difficultés mises en lumières par les précédents PCRD subsistent. Les échanges intra-européens sont faibles : par exemple, 7 % seulement des doctorants européens suivent une formation dans un autre État de l’Union même si les budgets alloués aux infrastructures européennes de recherche – qui doivent permettre de doter l’Europe d’équipements d’envergure mondiale accessibles à tous les chercheurs européens – augmentent fortement.
La faiblesse de l’investissement privé subsiste. En France, les entreprises financent 51 % de l’effort de recherche alors que cette proportion atteint 73 % en Corée du Sud et même 78 % au Japon. La recherche de l’intégration dans les programmes communs de l’ensemble des acteurs de la chaîne de l’innovation se poursuit, notamment en direction des petites et moyennes entreprises (PME) innovantes. Horizon 2020 énonce ainsi l’objectif de consacrer 15 % de ces financements aux PME, afin de combler le manque de financement de la recherche du secteur privé. En parallèle, est exprimée une volonté de simplification des règles d’accès aux financements, identifiés comme une des causes de la position de retrait du secteur marchand. Le coût du brevet européen, considéré par les acteurs économiques comme trop élevé, fait également partie des problématiques relevées.
En parallèle du PCRD et portant sur la même période, le programme pour la compétitivité des entreprises et des petites et moyennes entreprises, dit Cosme, permet leur développement et facilite leur accès aux financements. Il est complémentaire du PCRD puisqu’il vise à stimuler la croissance des PME qu’Horizon 2020 aide lors du processus de création. Les lignes de financement des deux programmes s’ajustent l’une à l’autre afin d’agir chacune à leur niveau et en fonction de leurs objectifs.
Enfin, Horizon 2020 revient sur l’organisation verticale, c’est-à-dire l’articulation entre l’échelon national et l’échelon européen. Cette insuffisante coordination est perceptible tant en matière de financement que, plus globalement, en matière de politique de recherche. Ce PCRD a pour objectif d’assurer une pleine subsidiarité et une complémentarité entre les deux échelons.
Un rapport d’évaluation présenté en 2017 a permis d’évaluer ce PCRD et de formuler des propositions d’améliorations. Il conclut que, globalement, ce PCRD constitue une réussite et qu’un lien fort s’est développé entre recherche et secteur privé.
L’actuel PCRD a ainsi été développé sur la base du précédent. Nommé Horizon Europe, il couvre la période 2021-2027. Il conserve sa place de troisième poste budgétaire mais son budget est augmenté à près de 100 milliards d’euros (budgétés). Cet effort supplémentaire permet d’approcher les 3 % du PIB communautaire consacrés à la recherche annoncés depuis les années 2000.
L’architecture du précédent PCRD a été reprise en modifiant la nature des piliers. Le premier pilier concerne la science ouverte (recherche fondamentale). Le deuxième traite des problématiques mondiales et de la compétitivité industrielle. Le troisième, qui constitue la nouveauté de ce PCRD, est consacré à l’innovation ouverte. Il promeut l’innovation de rupture, c’est-à-dire la capacité à changer un marché en y introduisant une innovation substantielle.
Cette nouvelle organisation obéit à un choix de rationalisation et à une logique de plus grande accessibilité.
Les premiers résultats sont déjà tangibles. Les synergies entre fonds européens sont meilleures qu’auparavant puisque les fonds d’Euratom, par exemple, font partie du PCRD de même que le Fonds européen pour la défense (FED). La capacité à maximiser les effets budgétaires en rassemblant les programmes permet un effet levier non négligeable.
En outre, la Commission a conçu un label d’excellence pour des projets non financés par Horizon Europe bien que conformes aux critères afin qu’ils puissent obtenir des financements au niveau régional via les fonds structurels.
La Commission a également mis en place le Conseil européen de l’innovation (CEI). Doté de 10 milliards d’euros, il est responsable de l’innovation de rupture. Il vise à soutenir des PME innovantes qui ont des difficultés à trouver des financements pour la conduite de leurs projets. Une Plateforme des technologies stratégiques a également vu le jour grâce à un règlement spécifique en février 2024, pour soutenir l’industrie européenne et encourager les investissements dans les technologies clés. Cette plateforme n’est pas un nouveau programme de financement, mais une initiative qui coordonne jusqu’à onze sources de financement différentes au niveau européen.
Horizon Europe a fait l’objet d’une évaluation à mi-parcours à travers la présentation d’un rapport le 16 octobre 2024 ([5]). Il constate l’efficacité et l’utilité des différentes structures européennes en charge de l’innovation (ERC, CEI, programme MSCA). Il souligne que le fonds du CEI gagnerait à attirer les capitaux privés et dessine également les contours d’une Darpa européenne sous la forme d’un Conseil de la compétitivité industrielle et de la technologie, inspirée de celle américaine (Defence Advanced Research Projects Agency).
Pour relever les défis sociétaux, le rapport recommande de créer un Conseil des défis visant à maintenir une approche transversale multidisciplinaire à l’échelle européenne et profiter de l’apport de la recherche académique européenne. Le rapport fait néanmoins état de difficultés, notamment de lourdeurs administratives.
La question budgétaire est évoquée. Le rapport propose une budgétisation du programme-cadre à hauteur de 220 milliards d’euros et le recours à de nouvelles ressources propres.
Parallèlement, une analyse du PRCD est faite dans deux rapports plus globaux : celui d’Enrico Letta, présenté en avril 2024 et celui de Mario Draghi remis en septembre 2024 et précédemment évoqués. Les deux présentent un bilan assez comparable en matière de recherche et d’innovation et se rejoignent sur les préconisations.
Selon eux, la compétitivité européenne fait face à un déclin et un certain déficit d’innovation caractérise l’Union, tout comme un retard concernant l’intelligence artificielle. Ces constats peuvent s’expliquer par le choix d’une structure industrielle spécialisée dans les technologies moyennes et un marché intérieur encore trop fragmenté et comportant de forts freins règlementaires.
Les financements sont trop morcelés entre les États, ce qui nuit à l’essor d’un véritable écosystème européen. Le financement de l’innovation en Europe repose encore très largement sur des emprunts bancaires auprès d’institutions réticentes au risque. À l’inverse, les entreprises américaines recourent régulièrement aux marchés financiers.
De plus, il est nécessaire d’intensifier la valorisation des résultats de la recherche. Seul un tiers des inventions brevetées est exploité commercialement.
Les deux rapports estiment qu’une Union de la recherche et de l’innovation devrait être mise en place afin de coordonner les dépenses nationales et européennes. Le Conseil européen de l’innovation serait, quant à lui, réformé pour évoluer vers une instance aussi agile que la Darpa américaine.
M. Letta propose également la création d’une cinquième liberté : celle de la recherche, de l’innovation et de l’éducation qui marquerait la priorité européenne en faveur de la recherche et de l’innovation et qui serait consacrée dans les traités.
Concomitamment à ces rapports, une communication initialement confidentielle de la Commission a été rendue publique ([6]) et donne un aperçu des pistes envisagées pour le futur PCRD 2028-2034. L’innovation, la recherche et les dépenses stratégiques seraient réunies dans un grand fonds pour la compétitivité qui serait régi par un ensemble de règles uniques.
La question budgétaire y est centrale et la communication rappelle que le PCRD actuel a fait l’objet d’une révision à mi-parcours en 2024 pour tenir compte de l’évolution de la situation et que l’UE a su dégager des fonds importants quand c’était nécessaire, comme pour le plan NextGenerationEU ([7]).
Mais le remboursement des emprunts contractés pour alimenter ce fonds débutera en 2028, première année du futur PCRD et la situation géopolitique actuelle incertaine rend nécessaire une réforme du budget européen. Malgré des ambitions toujours plus fortes, l’Union est confrontée à la stabilité des contributions financières des États membres et à la difficulté de créer de nouvelles ressources propres dans un contexte budgétaire plus que contraint.
La sortie du Royaume-Uni de l’Union a posé la question de la participation des pays tiers à ces programmes et conduit à s’interroger plus largement sur le déséquilibre géographique dans l’attribution des fonds de recherche. 60 % des fonds d’Europe 2020 sont ainsi attribués à six pays seulement (dont la France).
II. la place centrale occupée par la france en matière de recherche scientifique européenne malgré une organisation nationale centrée sur le rôle de l’état
Depuis le lancement du premier PCRD, la France occupe une place centrale dans le secteur de la recherche européenne, tant dans l’élaboration que dans l’exécution des différents plans.
À la suite de retrait du Royaume-Uni, la France est passée de la troisième à la deuxième place dans l’obtention des financements, derrière l’Allemagne. Mais la signature d’un accord d’association avec le Royaume-Uni permet son retour au 1er janvier 2024 dans le programme et conduit à s’interroger sur le retour de la France à la troisième place.
La France est très active au niveau européen. Son action est par exemple reconnue au sein du Conseil européen de la recherche, dans certains clusters thématiques et au sein du Conseil européen de l’innovation (CEI). S’agissant du CEI en particulier, la France fait preuve d’un dynamisme exceptionnel, se situant à globalement la deuxième place, et même à la première place pour l’Accélérateur ([8]).
Mais le modèle d’organisation de la recherche français et des politiques d’innovation mises en œuvre est assez spécifique, l’État y jouant un rôle essentiel. La part de la puissance publique dans le financement de l’ensemble des dépenses en faveur du système français de recherche et d’innovation (SFRI) s’élève à 37 % et même 50 % en tenant compte du crédit d’impôt recherche (CIR). Cette part est supérieure de plus de dix points à celle des autres pays de l’OCDE. Le faible poids des universités au sein de la recherche publique constitue un second élément distinctif.
Le système français a été structuré au cours des années 1950-1970 et n’a depuis évolué qu’assez marginalement, demeurant un système administré et centré sur l’État. Plusieurs reproches lui sont faits : il serait trop segmenté et certaines de ses composantes seraient rigides et peu réactives à la demande sociale et économique ; le système de transfert de connaissances public-privé serait peu efficace. En outre, le niveau régional, pourtant identifié comme pertinent et doté de compétences en la matière, doit encore monter en puissance.
Ainsi, le système public de la recherche française apparaît comme composite. Il demeure un modèle administré traditionnel, fondé sur des grandes structures autonomes mais dont les activités sont fortement contrôlées. Ce modèle classique cohabite avec un nouveau modèle fondé sur une programmation maîtrisée par l’État, une part de financements concurrentiels par projets et une évaluation indépendante. La cohabitation entre ces deux modèles est source de tensions et nuit à son efficacité globale. Il convient donc que l’État poursuive son investissement financier (notamment en respectant la LPR) tout en jouant un rôle moteur en termes d’évolution de la gouvernance. L’achèvement de la restructuration du système public de recherche permettrait une innovation renforcée ainsi qu’une participation française accrue au PCRD compte tenu de son potentiel.
La France présente cependant un taux de succès relativement important dans un univers de plus en plus compétitif. Malgré un positionnement au-dessus de la moyenne, elle souffre d’une certaine faiblesse en matière de dépôts de projets et donc de demandes de financements.
Au niveau européen, un rapport de 2016 du Conseil général de l’économie ([9]) soulignait notamment le nombre insuffisant de candidatures malgré le meilleur taux de succès d’Europe et un paysage national riche en aides mais peu lisible et insuffisamment articulé avec l’Union.
Ce constat est toujours d’actualité et cette richesse nationale en matière d’aides n’incite pas toujours les chercheurs à candidater au niveau européen. Malgré les avancées permises par la LPR et le programme France 2030, des efforts restent à faire. La situation budgétaire nationale a contraint le premier ministre à publier une circulaire ([10]) fixant un cadre au gouvernement pour améliorer la mobilisation des financements de l’UE et réduire les doublons avec les dépenses de l’État, ce qui pourrait permettre in fine, une meilleure articulation des différents niveaux.
La question de la simplification administrative est, une fois encore, centrale. Elle est indispensable à la réussite d’une politique de recherche qui ne soit pas absorbée par des tâches chronophages et coûteuses. Il est actuellement difficile de candidater avec des chances de succès importantes sans accompagnement. La Cour des comptes ([11]) souligne que 5 % des fonds du programme Horizon Europe sont consommés par la gestion administrative.
Le rapport pays 2024 pour la France, publié dans le cadre du cycle annuel du Semestre européen, souligne que celle-ci est un innovateur de premier rang, doté d’une base scientifique robuste. Cependant, l’effort privé de recherche et de développement stagne, autour de 1,4 % du PIB sur la dernière décennie.
Ainsi, une recommandation Pays a été adressée à la France par le Conseil de l’Union européenne en 2024, l’invitant à renforcer l’effort de recherche et de développement des entreprises, en améliorant l’efficacité des dispositifs de soutien public, notamment par un meilleur ciblage.
Si la France est le deuxième PIB de l’Union, la croissance de son PIB par habitant est moins rapide que celle de la plupart des pays de l’OCDE et cela peut s’expliquer par son manque d’investissement dans l’innovation. Celle-ci requiert un investissement important et l’investissement français en la matière (2,2 %) reste en deçà de l’objectif de la stratégie de Lisbonne (3 %) malgré la LPR. Cette dynamique devra cependant être maintenue dans les années avenir, malgré les économies annoncées pour les prochains budgets.
Afin de soutenir l’action du secteur privé, des pôles de compétitivité ont été développés et la Banque publique d’investissement (BPI) a été créée en 2012, résultant de la fusion de plusieurs organismes. Le rôle de la BPI est de soutenir les PME et ETI innovantes en appui des actions des politiques publiques menées par l’État et les régions. Elle constitue donc un rouage important en matière de recherche et d’innovation en apportant une aide et un accès aux financements qui constitue une part essentielle de la chaîne logistique de la recherche.
La France devra poursuivre les chantiers entamés et soutenir l’innovation afin de ne pas décrocher et risquer d’accuser un retard non rattrapable. Sa participation au PCRD doit être maintenue et approfondie.
Lors de sa réunion du 11 juin 2025, la commission examine la proposition de résolution européenne visant à soutenir une politique ambitieuse et ouverte de la recherche scientifique de l’Union européenne (n° 1430) (Mmes Marietta Karamanli et Isabelle Rauch, rapporteures) ([12]).
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. La proposition de résolution européenne (PPRE) visant à soutenir une politique ambitieuse et ouverte de la recherche scientifique de l’Union européenne a été déposée le 13 mars dernier, en application de l’article 151-5 du règlement, et examinée par la commission des affaires européennes le 14 mai. Le bureau de notre commission a souhaité l’examiner avant qu’elle soit considérée comme tacitement adoptée par l’Assemblée, un mois après son adoption par la commission des affaires européennes. Nous avons désigné rapporteures Mme Marietta Karamanli, sa première signataire, et Mme Isabelle Rauch, cosignataire.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je me réjouis que cette proposition de résolution européenne soit examinée par la commission. Même si cela est peu connu, l’Union européenne mène une politique de recherche et d’innovation depuis près de quarante ans. Les ambitions du premier programme-cadre de la recherche et du développement étaient certes modestes, mais la question n’est donc pas neuve. La Commission européenne est en pleine réflexion sur le futur programme-cadre relatif à la recherche européenne, et l’innovation et la croissance économique sont au centre de l’attention. Nous formons le vœu que la présente proposition de résolution européenne soit adoptée par cette commission et débattue en séance publique.
La recherche scientifique constitue un élément central de la prospérité européenne. Selon la Commission européenne, la croissance économique provient aux deux tiers de l’innovation, qui doit donc être au cœur des préoccupations européennes. Si l’Union conserve une certaine excellence scientifique, malgré la montée en puissance de pays tels que la Chine ou l’Inde, elle ne doit pas se laisser distancer.
Avec 100 milliards d’euros sur sept ans, Horizon Europe est le premier programme de recherche mondial. Il complète l’effort d’investissement actuel et nous rapproche de l’objectif d’investir 3 % du PIB pour la recherche et le développement, promu depuis les années 2000. Vingt-cinq ans plus tard, nous en sommes encore à 2,2 % du PIB et il existe des disparités importantes entre les économies des pays nordiques, qui dépassent les 3 % du PIB, et les pays du Sud ou de l’ancien bloc soviétique, excédant rarement 1,5 %. La France continue à investir dans ce secteur avec pour objectif d’atteindre les 3 %.
Un espace européen de recherche a été créé dès le début de la construction européenne. Cette volonté de promouvoir la recherche est le fruit d’un constat qui n’a pas évolué depuis des années 1970, celui d’un recul de l’Europe, d’un certain décrochage. Si les circonstances ont évolué et de nouvelles puissances sont apparues, ce constat reste valable. Pour ne pas se faire distancer, l’Europe doit investir dans la recherche et l’innovation. Le traité de Lisbonne a ainsi précisé les compétences de l’Union en matière de recherche – elle relève du domaine des compétences partagées – et une Union de l’innovation a été constituée.
Pour être concrétisée, cette ambition forte nécessite toutefois des moyens : des programmes-cadres de plus en plus importants ont été instaurés, sur le plan financier comme organisationnel. Ils ont abouti à une nouvelle architecture avec un fonctionnement par piliers, qui représentent l’investissement européen sur toute la chaîne de la recherche – recherche fondamentale, recherche appliquée, financement de l’innovation de rupture.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Les deux derniers programmes-cadres, Horizon 2020 et Horizon Europe, ont créé un véritable écosystème, avec des structures dédiées : Institut européen d’innovation et de technologie, Conseil européen de l’innovation. Des passerelles entre recherche fondamentale et recherche appliquée ont été construites. Il est toutefois difficile d’insérer ces programmes dans des systèmes de recherches nationaux très hétérogènes et aux financements spécifiques. Dans ce contexte, ils s’adressent tant au secteur public qu’au secteur privé, ce dernier souffrant notamment d’une position plus en retrait qu’aux États-Unis. Ils cherchent à être des accélérateurs des politiques nationales, en jouant sur l’effet de levier et en tentant certains rapprochements. Leur montée en puissance permet également une certaine réflexion sur les organisations nationales, afin de les rendre les plus efficientes possible.
La France occupe une place de premier plan au sein de cette politique européenne. Elle est très active, mais obtient des résultats parfois contrastés. Actrice de la première heure, la France occupait la troisième place en termes de financements reçus – la deuxième depuis le départ du Royaume-Uni. Si l’excellence de ses organismes de recherche, comme le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), est reconnue, la position en retrait de ses universités et du secteur privé est soulignée. Consciente de ces difficultés, la France a instauré de nombreuses aides au niveau national, limitant par concurrence les candidatures au niveau européen.
Cette proposition de résolution européenne s’inscrit pleinement dans la temporalité européenne. Le projet du futur programme-cadre, qui entrera en vigueur en 2028, est en construction à la Commission européenne, fière des précédents et de leur succès : il se doit donc d’être encore plus ambitieux. La question de son avenir financier est toutefois posée, tout comme celle de son fonctionnement. La situation internationale impose également à l’Europe de confirmer sa position et d’exprimer clairement les valeurs qu’elle défend. Elle ne doit pas dépendre de ses alliés, mais prendre son destin en main. Nous devons renforcer notre programme de recherche et même l’élargir. Les annonces de la présidente von der Leyen et du président Macron, le 5 mai dernier à la Sorbonne, comportent des avancées intéressantes en ce sens : hausse des financements, propositions législatives pour préserver la liberté académique, conditions d’accueil facilitées pour les chercheurs étrangers.
Enfin, ce renouvellement doit être l’occasion pour la France de tirer pleinement parti de toutes les opportunités offertes. Si nous contribuons à hauteur de 18,5 % du budget, nous ne retirons que 11,3 % des financements du programme. Il existe donc une large marge de progression. La France doit réaffirmer sa position centrale et confirmer l’excellence de sa recherche.
L’adoption de cette PPRE serait un signal fort envoyé aux institutions bruxelloises. Elle soulignerait l’attention que l’Assemblée nationale porte à la recherche, dans la droite ligne de la loi de programmation de la recherche. Nous souhaitons ainsi poursuivre le débat entamé à la commission des affaires européennes, en espérant le même résultat : une adoption à l’unanimité. Nous vous invitons, Marietta Karamanli et moi-même, à adopter aussi largement que possible cette proposition de résolution européenne.
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Roger Chudeau (RN). Si cette proposition de résolution nous semble procéder d’intentions louables, elle présente aussi un certain nombre de défauts. Nous considérons, en accord sur ce point avec le rapport Draghi sur la compétitivité européenne, que l’effort de recherche et d’innovation consenti par l’Union n’est pas à la hauteur des défis qui se présentent à notre continent, dans un contexte de concurrence exacerbée et de conflictualisation des relations internationales. Nous considérons la recherche et l’innovation européennes comme des priorités stratégiques de premier plan. Nous acceptons donc la démarche de cette proposition de résolution, visant à alerter notre gouvernement sur la nécessité de ne pas diminuer davantage encore les crédits de la recherche. Toutefois, il faudrait en demander non seulement le maintien, mais surtout l’augmentation, pour que l’Union rattrape le niveau des crédits dédiés à la recherche de nos principaux concurrents.
Nous nous interrogeons sur la pérennisation du programme Horizon Europe, dont les crédits ne sont pas intégralement consommés. Nous sommes favorables à la création d’un fonds pour la compétitivité, regroupant plusieurs lignes budgétaires et dont la présence des scientifiques dans l’administration serait renforcée. Ce fonds devrait identifier clairement des domaines prioritaires, de nature stratégique pour l’Union : l’intelligence artificielle (IA) générative, le hardware numérique ou encore la santé doivent bénéficier de moyens concentrés, dont l’administration et l’évaluation doivent être simplifiées et rendues fluides. Enfin, nous considérons que les orientations stratégiques de l’Union en matière de recherche doivent être communiquées régulièrement aux parlements nationaux, dans le respect des principes de transparence et de responsabilité démocratiques.
Mme Céline Calvez (EPR). Cette proposition de résolution européenne, déjà adoptée à l’unanimité au sein de la commission des affaires européennes, nous offre l’occasion de réaffirmer un principe fondamental : la recherche, la science, les savoirs sont les piliers de toute société éclairée. Il est de notre responsabilité d’en garantir la vitalité et le rayonnement.
À l’heure où l’intelligence artificielle, la technologie quantique, la biotechnologie et les transformations sociales et environnementales bouleversent nos repères, nous avons besoin de la science pour penser, anticiper et transmettre. L’Europe accuse toutefois un retard en matière d’investissement dans la recherche et développement (R&D) : alors que sa dépense publique est comparable avec celle des États-Unis, sa dépense privée de R&D est bien moindre. Il faut donc plus d’investissements publics, pour générer la confiance du privé.
C’est pourquoi la présente proposition de résolution invite clairement à préserver et renforcer les crédits européens alloués à la recherche scientifique, en particulier ceux du programme Horizon Europe. Ce dernier procure un soutien direct – c’est ainsi que, dans ma circonscription, à Clichy, la société de pompes cardiaques CorWave avait bénéficié du soutien financier du programme Horizon 2020. Alors que la Commission européenne veut repenser ses programmes de recherche, il nous faut rappeler la nécessité d’investir. C’est pourquoi le président de la République a lancé, le mois dernier, depuis la Sorbonne, l’initiative Choose Europe for Science visant à faire de l’Europe une destination privilégiée pour les chercheurs scientifiques et les innovateurs du monde entier.
La France peut revendiquer un rôle moteur dans cette dynamique d’attractivité. Dès 2021, notre pays s’est engagé sur cette voie, en adoptant la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030. Ce texte stratégique traduit une volonté politique de replacer la science dans notre modèle de développement. La présente proposition de résolution s’inscrit dans la droite ligne de cette loi. Elle exige la préservation et le renforcement des crédits de la recherche, l’amélioration de la gouvernance des programmes européens et la transparence et la concertation avec les États membres et les parlements nationaux.
À l’heure où les États-Unis de Donald Trump ont entamé une lutte idéologique contre la science et la recherche, désormais complètement bridées outre-Atlantique, nous avons besoin d’un message clair à l’adresse de nos chercheurs. Oui, la recherche est une priorité, un investissement, un engagement. Le groupe Ensemble pour la République est convaincu que la connaissance, la formation et l’exploration scientifique sont les fondations d’une société libre, éduquée et innovante : nous voterons en faveur de cette proposition de résolution européenne.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Quelle surprise de voir des députés du bloc central cosigner cette proposition et s’exprimer comme ils viennent de le faire ! Ils la voteront, alors même qu’ils sont les architectes du démantèlement de la recherche publique dans notre pays.
Comment peut-on tronçonner les crédits de l’enseignement supérieur et de la recherche, adopter un budget d’austérité, couper des centaines de millions d’euros dans des programmes essentiels, ne pas censurer, et venir ici jouer les grands défenseurs de la recherche européenne ? Cette duplicité est insupportable. À l’automne dernier, 1,5 milliard d’euros ont été supprimés, puis un décret pris en catimini, en avril, a encore supprimé 387 millions. C’est un choix politique clair, celui de l’austérité contre la connaissance. Il intervient dans un contexte international où la liberté académique est partout attaquée, comme aux États-Unis où des chercheurs sont censurés et où les mots « femme », « climat », « diversité », « inclusion », « stéréotype », « égalité » et 200 autres sont interdits.
Annoncer 100 millions d’euros pour accueillir les chercheurs et étrangers en exil après avoir sabré 1,5 milliard relève au mieux de l’hypocrisie, au pire du cynisme. D’autant que la France n’est pas épargnée par les pressions idéologiques sur les sciences humaines et sociales, comme en attestent les subventions à des universités sabrées de manière punitive par des présidents de région sous la coupe de Laurent Wauquiez. Autre triste exemple, ce matin, cet amendement déposé puis retiré « en loucedé » par les réactionnaires du groupe RN visant à bannir du présent texte les sciences humaines et sociales : honte à vous !
Tout cela mine notre pacte démocratique. Plutôt que de davantage défendre et financer la recherche publique, le gouvernement accroît la concurrence et les cadeaux au privé. Face à cela, je tiens à saluer le mouvement mondial Stand Up for Science, qui défend la science face aux attaques réactionnaires et obscurantistes.
Mes chers collègues, si nous voulons réellement une Europe de la science, il ne suffit pas de signer une résolution invitant le gouvernement à prendre position. Il faut avoir le courage de rompre avec les politiques qui détruisent la recherche. Cette résolution sera pour la France un coup de com’ gratuit, qui n’engage à rien. On ne sauve pas la recherche avec des postures, mais avec des actes : supprimer le crédit d’impôt recherche, qui engraisse les grands groupes, et augmenter le budget de la recherche ; éliminer l’Agence nationale de la recherche, qui étouffe les chercheurs sous des appels à projets absurdes et court-termistes ; coordonner de réelles politiques de recherche sur nos besoins fondamentaux et les enjeux auxquels nous devons faire face ; planifier, projeter, avoir une vision ; redonner des moyens pérennes, recruter, garantir l’indépendance et la collégialité des institutions, créer 8 000 allocations doctorales supplémentaires, et, surtout, constitutionnaliser la liberté académique, pas comme un slogan mais comme un principe fondamental intouchable.
Oui, nous soutenons une politique européenne ambitieuse pour la recherche, pas celle de la stratégie de Lisbonne et de la concurrence généralisée, mais celle de la coopération scientifique pour renforcer le socle des connaissances, l’émancipation et l’esprit critique des citoyens. Je vous l’affirme, collègues macronistes, la communauté académique n’est pas dupe : elle vous voit. Comme tous ceux qui sont attachés aux principes fondamentaux de la recherche, nous ne fermons pas les yeux sur l’hypocrisie de ceux qui, en public, flattent la science et en coulisses l’étranglent.
M. Christophe Proença (SOC). Je tiens tout d’abord à saluer l’initiative et la qualité de cette proposition de résolution européenne, qui vise à soutenir une politique ambitieuse et ouverte de la recherche scientifique de l’Union européenne. Mon groupe la soutient pleinement. Nous partageons la conviction que la recherche scientifique européenne doit être un moteur d’innovation, de progrès social, mais aussi de souveraineté pour notre continent.
Votre texte souligne avec justesse l’importance d’un financement renforcé de la recherche, à la hauteur des enjeux économiques, environnementaux et sanitaires auxquels l’Europe est confrontée. Nous approuvons l’appel à garantir un accès ouvert aux résultats de la recherche, favorisant ainsi la diffusion des connaissances et la coopération entre les chercheurs, les universités et les entreprises. Je salue également la volonté de renforcer la mobilité des chercheurs et de soutenir les jeunes talents, condition essentielle pour que l’Europe demeure à la pointe de l’excellence scientifique.
Votre proposition insiste, à juste titre, sur la nécessité de préserver l’autonomie de la recherche tout en veillant à son articulation avec les priorités stratégiques de l’Union, notamment la transition écologique, la santé publique et la transformation numérique. Nous soutenons pleinement cette vision équilibrée, qui conjugue liberté académique et responsabilité collective. Enfin, nous partageons la volonté de renforcer la coordination entre les États membres, afin de mutualiser les moyens, d’éviter les duplications et de garantir une véritable valeur ajoutée européenne.
J’invite les autres groupes politiques à défendre cette résolution qui incarne une ambition partagée pour une Europe de la connaissance ouverte, solidaire et tournée vers l’avenir.
Mme Frédérique Meunier (DR). Ce texte vise à soutenir une politique ambitieuse et ouverte de la recherche scientifique de l’Union européenne. Quelle surprise de voir nos collègues du groupe LFI-NFP voter contre ! Ils affirment ainsi un choix politique clair, celui d’être définitivement contre tout et contre tous.
Pour notre part, je rappellerai notre attachement profond à la recherche, moteur de l’innovation, de la compétitivité et de la souveraineté stratégique de l’Europe. Oui, le groupe Droite républicaine considère que l’Union européenne doit renforcer son ambition en matière de recherche scientifique. Face à la compétition mondiale, nous ne pouvons rester en retrait. Nous devons investir massivement, coordonner nos efforts, simplifier les dispositifs de financement et rendre attractives nos carrières scientifiques. Ainsi, il est indispensable de garantir les crédits du programme Horizon Europe, de redéployer ceux non consommés vers des projets d’excellence et d’avoir un cadre financier clair et pérenne dès 2028.
Nous appelons cependant à une vigilance accrue sur les critères d’attribution des financements. Le mérite scientifique doit l’emporter sur toute autre considération. L’espace européen de la recherche ne doit pas devenir une machine technocratique inefficace et déconnectée. La France a une tradition d’excellence scientifique, comme l’a rappelé le président du CNRS. Nous soutenons la simplification administrative et le rôle renforcé des chercheurs dans le pilotage des programmes. De même, la transmission rapide des informations au Parlement est essentielle pour une légitimité démocratique.
Notre groupe soutiendra cette proposition de résolution, convaincu que l’Europe doit bâtir une recherche ambitieuse, ouverte et maîtrisée, garantissant l’excellence scientifique, la souveraineté et la compétitivité.
Mme Delphine Lingemann (Dem). Le groupe Les Démocrates soutient pleinement cette proposition de résolution européenne. Alors que la recherche scientifique occupe une place grandissante dans le budget européen et que le programme Horizon Europe bénéficie de 100 milliards d’euros, son potentiel reste encore sous-estimé.
Dans un contexte de changements politiques majeurs, Donald Trump a, depuis le début de l’année 2025, opéré des coupes dans les budgets scientifiques, s’attaquant à la santé, à l’environnement ou encore à l’énergie au sein des universités. En réponse, l’Union européenne doit se montrer ouverte et accueillante pour les chercheurs du monde entier, et renforcer son écosystème scientifique. L’annonce d’un investissement de 100 millions supplémentaires pour attirer les chercheurs étrangers, notamment américains, en marge de la conférence Choose Europe for Science à la Sorbonne, montre la voie à suivre.
En France, la recherche est majoritairement publique, ce qui nous permet de participer activement au financement européen. Notre pays ne consacre cependant que 2,2 % de son PIB à la recherche, en dessous de l’objectif de 3 % de l’Union. La contribution du secteur privé reste malheureusement trop faible, à l’inverse d’autres pays.
Le rapport rendu par Mario Draghi dresse un constat alarmant sur l’état de la coopération européenne et souligne le déficit d’innovation qui freine notre compétitivité. Le programme Horizon Europe, avec notamment la création du Conseil européen de l’innovation, est une réponse concrète à ces défis.
La proposition de résolution européenne que nous examinons formule des recommandations précises pour améliorer et renforcer le financement de la recherche au niveau européen ainsi qu’au niveau national. Notre groupe est convaincu que les financements doivent être pérennisés et même augmenter, afin de garantir une souveraineté européenne et française en matière de recherche. Les investissements d’aujourd’hui sont les économies de demain.
Nous sommes également favorables au renforcement de la gouvernance scientifique. Une restructuration de la gestion des moyens alloués à la recherche européenne est nécessaire pour gagner en efficacité, notamment par l’implication accrue d’ingénieurs et de scientifiques qualifiés dans les processus décisionnels.
Investir dans la recherche, c’est croire en une Union européenne ambitieuse, innovante, résiliente et souveraine. Nous appelons chacun à soutenir ce texte.
M. Salvatore Castiglione (LIOT). La recherche et l’innovation sont des leviers essentiels de la croissance et de la compétitivité européennes. Pourtant, au niveau européen, l’objectif d’investissement à 3 % du PIB, consacré en 2000, n’est toujours pas atteint : la moyenne est de 2,2 %. Ce retard s’explique en partie par un soutien public fragmenté entre les vingt-sept États, un investissement privé insuffisant et une gouvernance européenne trop complexe.
L’écart d’investissement dans le domaine de l’innovation avec les États-Unis atteint ainsi 270 milliards d’euros. Au sein de l’Union européenne, la France pourrait faire mieux. Sa performance, mesurée par exemple par les brevets, est plus faible, alors que son soutien public aux entreprises, rapporté au PIB, est le plus important de l’Union. Nous sommes le second récipiendaire des financements depuis le départ du Royaume-Uni. Si nous contribuons à hauteur de 18,5 % du budget, nous ne retirons toutefois que 11,3 % des financements. Au-delà d’organismes comme le CNRS et l’Inserm, l’université et les acteurs privés sont en retrait et réticents aux partenariats européens.
Notre groupe soutient cette PPRE qui vise à améliorer la gouvernance des programmes de recherche, renforcer la coordination entre États membres et garantir une plus grande transparence vis-à-vis du Parlement, surtout dans la perspective de la négociation du prochain cadre financier pluriannuel 2028-2034. Elle plaide pour l’amélioration des financements du programme Horizon Europe, car une réduction budgétaire serait un signal désastreux. Nous saluons l’adoption d’un nouvel objectif en commission des affaires européennes, dans la lignée des annonces de la présidente von der Leyen et du président Macron, le 5 mai dernier à la Sorbonne.
Face à la montée du discours anti-science et anti-liberté académique de l’administration Trump, l’Union européenne doit être un rempart. Les annonces sont intéressantes : hausse des financements, propositions législatives pour préserver la liberté académique et conditions d’accueil facilitées pour les chercheurs américains, certains évoquant même la nécessité de créer un statut de réfugié scientifique.
Notre groupe partage ces objectifs, qu’il faut toutefois mettre en perspective avec les difficultés budgétaires que notre pays traverse. Le président a annoncé le déblocage de 100 millions d’euros pour les universités françaises, pour attirer des scientifiques étrangers. Or le gouvernement avait procédé auparavant à un gel des crédits de l’enseignement supérieur, à hauteur de 493 millions. Il en faudra donc davantage pour que la France joue pleinement son rôle au niveau européen, afin de soutenir une politique de recherche scientifique ambitieuse. Cette proposition de résolution nous y encourage.
Mme Soumya Bourouaha (GDR). Dès le début de son mandat, le président américain Donald Trump a engagé une offensive préoccupante contre la science, avec des retombées bien au-delà des frontières des États-Unis. Face à ce désengagement, les États membres de l’Union européenne ont la responsabilité de prendre le relais, en investissant massivement dans la recherche. Pourtant, force est de constater que les niveaux d’investissement restent en dessous des objectifs fixés au début des années 2000. Cette proposition de résolution européenne s’inscrit donc dans une dynamique fort nécessaire : faire de la politique de recherche et d’innovation un levier majeur de la stratégie économique de l’Union européenne.
Si nous sommes favorables à ce texte, nous tenons toutefois à exprimer notre opposition au maintien du contrat d’association d’Israël au programme Horizon Europe. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne rappelle que « l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ». Or les actions actuelles du gouvernement israélien, en particulier à Gaza, soulèvent des préoccupations quant au respect de ces principes, créant une contradiction flagrante entre les valeurs que nous défendons et certaines coopérations que nous souhaitons poursuivre. C’est pourquoi le groupe GDR a déposé un amendement visant à reconsidérer cet accord : il ne peut y avoir de projets scientifiques durables sans paix et sans respect effectif des droits humains.
Nous soutiendrons bien sûr cette proposition de résolution.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Tout d’abord, je vous remercie pour votre soutien à cette proposition de résolution européenne. Sachez que nous pouvons partager certaines des nuances et des préoccupations que vous avez formulées : si nous ne pourrons toujours donner un avis favorable à vos amendements, c’est que ce texte n’est pas le véhicule adapté pour faire valoir des propositions d’envergure nationale.
Vous avez tous exprimé votre inquiétude vis-à-vis de ce qui se passe outre-Atlantique. À la suite des nombreuses auditions organisées dans le cadre de la commission des affaires européennes, nous avons justement souhaité déposer un amendement relatif aux chercheurs venant chercher un abri en France et en Europe. C’est important quant aux valeurs que nous défendons au sein de l’Union européenne, car les décisions erratiques prises par la Maison-Blanche inquiètent le monde. La fermeture d’agences fédérales, le licenciement incohérent de fonctionnaires, le bannissement de certains mots ne sont que quelques échantillons de cette politique réactionnaire, à la croisée de 1984 d’Orwell et de La Servante écarlate d’Atwood.
Il importe, en France et sur le continent européen, de pouvoir accueillir des chercheurs. Et même si cela ne figure pas dans la PPRE, il me semble nécessaire de ne pas penser cela sur un ou deux ans, mais de mener une politique de long terme pour être en mesure d’intégrer ces professionnels dans les équipes françaises et européennes et d’avoir un mécanisme d’évaluation de leurs travaux.
Concernant les annonces faites à la Sorbonne par la présidente de la Commission européenne et le président français, certains engagements forts sont à retenir, comme la hausse des financements, une prochaine loi visant à garantir la liberté académique ou encore l’établissement de conditions d’accueil facilitées pour les chercheurs américains.
J’appelle toutefois l’attention sur l’apport des sciences sociales, peu évoquées à la Sorbonne, mais sur lesquelles le président-directeur général du CNRS a insisté devant notre commission plus tôt ce matin. Nous en avons besoin pour comprendre les mutations du monde et savoir y réagir en préservant les équilibres. Sans les sciences sociales, comment ferions-nous face au changement climatique, brillamment exposé par le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et que certains mettent parfois en doute ? Il s’agit bien de sciences et non de préférences : c’est ce que l’on sait et non ce que l’on souhaiterait. J’y insiste, conserver cette curiosité scientifique au cœur de nos recherches est important, tout comme il est essentiel de ne pas s’en tenir au tout-technologique et donc de ne pas sacrifier des domaines de recherche féconds, comme l’étude des inégalités, qui peuvent nourrir des innovations.
Enfin, vous êtes revenus sur les efforts que la France comme l’Europe doivent faire pour atteindre l’objectif de 3 % du PIB consacrés à la recherche. La moyenne se situe plutôt à 2,2 %. Je n’ai rien à ajouter à ce qui a été dit en faveur d’une augmentation des budgets et des investissements dans les années à venir, que les fonds soient publics ou privés.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Si cette PPRE tient compte de l’hétérogénéité des systèmes des États membres, il nous semblait important de mettre en avant ce que l’Union européenne peut nous apporter à tous : la coopération, la volonté de travailler ensemble. Certes, la recherche est une compétence partagée, mais il est vraiment très important de mettre certains biens en commun et de les faire prospérer.
Les budgets augmentent d’année en année. D’après les dernières informations, ils pourraient même atteindre les 220 milliards d’euros. Nous disposons donc d’un espace très important et la France doit jouer tout son rôle dans ce domaine.
Enfin, j’insiste à mon tour sur l’importance de la liberté académique. Ce qui se déroule aux États-Unis depuis le début de l’année inquiète tout le monde. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à réaffirmer notre volonté d’indépendance et de liberté académique ainsi que notre soutien au monde de la recherche.
Article unique
Amendement AC4 de Mme Marie Mesmeur
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Par cet amendement, nous souhaitons insister sur la nécessité de faire de la liberté académique une liberté fondamentale, reconnue par les constitutions respectives des différents États membres. De cette manière, nous réaffirmerions notre attachement absolu à cette liberté, qui fait l’objet d’attaques massives dans le monde. Ursula von der Leyen a indiqué son souhait de l’inscrire au sein de la législation européenne, afin de veiller à ce que « la science en Europe reste ouverte et libre ». Nous estimons que la meilleure protection juridique serait la constitutionnalisation.
Je rappelle à cet égard que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 janvier 1984, a reconnu l’indépendance des professeurs d’université comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République. La proposition de loi constitutionnelle transpartisane, déposée au Sénat le 16 avril dernier, porte les mêmes ambitions que je défends dans cet amendement.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Comme je l’ai rappelé dans mon propos liminaire, la recherche et l’innovation sont des compétences partagées entre l’Union européenne et les États membres : chaque État en garde une certaine maîtrise. Une PPRE ne peut imposer à d’autres pays la vision française, à laquelle j’adhère, s’agissant des libertés académiques, que notre loi de programmation de la recherche présente comme le « gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche » – étant entendu que notre Constitution consacre également, ainsi que vous l’avez dit, le principe d’indépendance des professeurs.
Nous demandons donc le retrait de l’amendement, faute de quoi l’avis sera défavorable.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). J’entends vos arguments, mais j’estime que la commission des affaires culturelles et de l’éducation aurait intérêt à afficher cette ambition et à inviter – et non à obliger, la nuance est intéressante – les gouvernements à agir en ce sens.
J’ajoute que l’amendement a été jugé recevable et qu’il méritait donc d’être discuté. J’accepte de le retirer, ce que je ne ferai probablement pas pour les amendements suivants.
L’amendement est retiré.
Amendement AC5 de M. Roger Chudeau
M. Roger Chudeau (RN). Cette PPRE me semble manquer légèrement d’ambition. Nous demandons poliment aux gouvernements de maintenir les moyens de la recherche, alors que nous savons tous que le compte n’y est pas, ni pour la France, ni pour l’Europe – le PDG du CNRS l’a encore rappelé tout à l’heure, tout comme l’avait fait le rapport Draghi. Par cet amendement, je propose donc que les crédits de la recherche européenne ne soient pas maintenus, mais augmentés.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Nous avons eu ce débat en commission des affaires européennes, aussi ne vous étonnerez-vous pas que notre avis soit le même. Eu égard au recul des financements, un retour aux montants initialement prévus serait déjà une très bonne chose. De plus, comme vous le savez, les travaux de recherche s’inscrivent dans le temps long et ont besoin de prévisibilité. Ce sont les raisons pour lesquelles Marietta Karamanli et moi-même émettons un avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte successivement les amendements rédactionnels AC8 de Mme Marietta Karamanli, rapporteure, et AC10 de Mme Isabelle Rauch, rapporteure.
Amendement AC2 de Mme Marie Mesmeur
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Le projet de loi de finances pour 2025, examiné à partir d’octobre 2024, a consacré à l’enseignement supérieur et à la recherche la plus faible part du budget de l’État depuis plus de vingt ans. Passé en force par 49.3, le budget a supprimé 1,5 milliard d’euros à leur financement, avant qu’un décret publié en catimini le 25 avril dernier n’annule encore 387 millions de crédits pourtant essentiels à la connaissance et à la recherche française.
En 2022, la Suède a consacré 3,41 % de son PIB à la recherche et au développement, contre seulement 2,22 % pour la France. Je rappelle pourtant que les accords de Lisbonne nous obligent à atteindre le seuil de 3 %, objectif que nous n’avons jamais respecté.
Il me paraît donc nécessaire de présenter les priorités nationales en matière de recherche ainsi que les financements publics qui y sont consacrés, afin de permettre à la recherche publique d’exister de manière pérenne en sortant des logiques court-termistes et entrepreneuriales.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Nous partageons bien sûr la volonté de voir les politiques européennes de recherche et d’innovation monter en puissance et gagner en harmonisation. Cela étant, des échanges ont déjà lieu, en matière budgétaire, au niveau national et européen. Chaque État communique régulièrement aux institutions européennes le détail de ses programmes et de ses financements. Si les choses sont évidemment perfectibles, j’estime donc que votre amendement est satisfait, sachant qu’une PPRE ne saurait ajouter quelque chose qui existe déjà. Demande de retrait ou avis défavorable.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Si l’amendement était satisfait, un programme comme Choose Europe for Science n’aurait pas été annoncé le mois dernier, et le mouvement mondial Stand Up for Science n’aurait pas été nécessaire pour se mobiliser partout en faveur de la recherche.
Par ailleurs, s’il est effectivement demandé aux États membres de communiquer leurs programmes, nous ne les étudions pas. Il y a eu des amendements en ce sens et il me semble que votre rapport plaide en faveur de davantage de transparence et de précisions, afin d’avoir une vision européenne et pas seulement étatique.
Mme Frédérique Meunier (DR). J’irai dans le sens de Marie Mesmeur. Siégeant depuis plusieurs années avec assiduité dans cette commission, je confirme qu’il serait intéressant de disposer du document présentant les priorités nationales à la Commission européenne. Vous dites que l’amendement est satisfait, mais nous ne voyons pas grand-chose ! Rappeler cette nécessité dans le texte ne serait peut-être pas si mauvais.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je comprends votre frustration. Je suis députée depuis longtemps et, s’il y a eu des évolutions et des améliorations, il y a aussi des constantes. Mais, pour siéger au sein de la commission des affaires européennes, j’ai pu vérifier que cet envoi à la Commission européenne a bien lieu. Cela étant, je suis d’accord, souvent, nous n’avons pas les documents utiles pour conduire nos travaux. Nous pourrions d’ailleurs parler des heures de l’impact qu’a l’absence d’une certaine expertise ou d’études d’impact sur la pertinence de nos amendements et de nos propositions de loi. Cependant, cet aspect relève du travail parlementaire national et n’a pas sa place dans une PPRE qui, par définition, s’adresse aux institutions européennes.
Lorsque, avec mon corapporteur de l’époque, issu d’une autre formation politique, nous avons rédigé notre rapport d’information sur la révision des règles budgétaires du pacte de stabilité et de croissance, nous avons demandé à la direction générale du Trésor et au gouvernement de nous adresser les simulations : les Allemands avaient le document, pas nous ! Je répète donc que c’est au niveau national qu’il faut agir, car il est déjà obligatoire de transmettre les évaluations à la Commission européenne.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Comme le dit Marietta Karamanli, le document existe, mais il faudrait demander sa transmission au Parlement. Le sujet est franco-français, raison pour laquelle nous avons dit que l’amendement était satisfait.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte l’amendement rédactionnel AC11 de Mme Marietta Karamanli, rapporteure.
Amendement AC3 de Mme Marie Mesmeur
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Cet amendement vise à évaluer la stratégie de Lisbonne – une nécessité qui, me semble-t-il, fait l’unanimité au sein de cette commission, dans la mesure où elle a entraîné une concurrence généralisée, une gestion à court terme des financements publics de la recherche et la généralisation des appels à projets, qui sont extrêmement chronophages et inefficaces à long terme pour les chercheurs. En outre, je rappelle une nouvelle fois que cette stratégie prévoit un investissement de 3 % du PIB dans la recherche, niveau que la France n’a jamais atteint, contrairement à d’autres pays.
Les chercheurs que j’ai rencontrés m’ont indiqué que, pour 1,50 euro investi dans une réponse à un appel à projets, ils ne reçoivent en retour que 1 euro au maximum, ce qui signifie qu’ils travaillent largement à perte. Ils passent plus de temps à répondre à ces appels qu’à mener leurs recherches. L’Agence nationale de la recherche (ANR) elle-même explique avoir refusé 77,1 % des projets qui lui avaient été soumis en 2021, ce qui est aberrant et démontre que la recherche publique a adopté une logique entrepreneuriale et de rivalité entre les chercheurs, alors que nous aurions plutôt besoin d’accroître notre connaissance.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Nous comprenons parfaitement votre préoccupation, mais de nombreux rapports ont déjà été consacrés à l’évaluation de la stratégie de Lisbonne. Je citerai : « La participation française au programme-cadre européen pour la recherche et l’innovation », co-écrit en 2016 par le Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, l’Inspection générale de l’éducation nationale et de la recherche et l’Inspection générale des finances ; le PAPFE, c’est-à-dire le plan d’action national d’amélioration de la participation française aux dispositifs européens de financement de la recherche et de l’innovation ; ou encore « La mobilisation des fonds européens en matière de recherche : les programmes Horizon 2020 et Horizon Europe, un effort à accentuer, 2012-2024 », publié par la Cour des comptes en 2025.
Ajouter cette disposition au sein de la PPRE n’est donc pas nécessaire, sachant que nous ne pouvons pas obliger les autres États membres à procéder à pareilles évaluations. Notre avis est donc défavorable.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Je ne sais pas de quand datent tous ces rapports ; ils sont certainement anciens étant donné qu’on analyse la stratégie de Lisbonne depuis son lancement, en 2000. D’ailleurs, je ne crois pas que le simple fait de citer des rapports fasse autorité et constitue un argument. S’ils constatent souvent que nous n’atteignons pas la cible des 3 %, évaluent-ils vraiment les conséquences de la stratégie de Lisbonne sur la recherche et son organisation ? Voilà ce que je demande par cet amendement.
Enfin, si nous ne pouvons pas imposer aux États membres de travailler sur cette question, nous pouvons le demander au Parlement européen.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Ce que vous soulevez, à juste titre, comme le fait que l’ANR refuse 77 % des projets, figure bien dans les différents rapports.
À cet égard, peut-être pourriez-vous demander à la commission des affaires européennes de se saisir de ce sujet. En effet, lorsque j’ai commencé ce travail sur le financement de la recherche au niveau européen, cela faisait des années que cette commission ne s’était pas penchée sur la question. Ce n’est qu’une suggestion, mais je pense que, de cette manière, vous pourriez obtenir une étude plus approfondie.
En tout état de cause, la PPRE n’est pas le bon véhicule pour cela.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC1 de Mme Marie Mesmeur
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Le 5 mai, la présidente de la Commission européenne et le président français ont annoncé le lancement du programme Choose Europe for Science, destiné à accueillir les chercheurs étrangers en exil à la suite de toutes les attaques contre les libertés académiques qu’ils ont subies. Or je me dois de dire que la France est aussi concernée par des attaques de plus en plus frontales contre la recherche, par exemple au nom d’une supposée influence de l’islamo-gauchisme, dont le PDG du CNRS a encore rappelé tout à l’heure que cette notion n’avait aucune valeur scientifique et qu’elle n’existait pas. S’y ajoutent la violation, dans plusieurs universités, du principe millénaire de franchise universitaire, l’appel au démantèlement du CNRS, ou encore la volonté de certains de se débarrasser des sciences humaines et sociales – le Rassemblement national ayant encore aujourd’hui tenté de les exclure du champ de la présente PPRE.
À cet égard, l’édition 2025 de l’Academic Freedom Index indique que trente-quatre pays ont connu une dégradation significative des libertés des chercheurs et enseignants du supérieur entre 2014 et 2024, qu’il s’agisse de leur liberté d’expression ou de la préservation de leur autonomie ainsi que de celle des universités et des lieux de recherche.
Défendre l’intégrité des scientifiques est essentiel et ne doit pas se faire à moitié. C’est la raison pour laquelle je tiens à dénoncer le programme Choose Europe for Science, qui doit être doté de 100 millions d’euros, sachant que moins d’une dizaine de chercheurs, à en croire le PDG du CNRS, pourraient être accueillis et que ce même montant doit justement être retranché au fonds de roulement du Centre. Je rappelle d’ailleurs une nouvelle fois que l’enseignement supérieur et la recherche se sont vu ponctionner 1,5 milliard dans le cadre du budget pour 2025, adopté par 49.3, et qu’un décret passé en catimini a annulé 387 millions supplémentaires.
Je répète qu’il est essentiel de défendre l’intégrité des scientifiques. En faire mention à l’alinéa 17 nous semble inadéquat au regard des objectifs mêmes de la PPRE.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je suis opposée à cet amendement. L’alinéa 17 est le fruit du travail de la commission des affaires européennes.
Pour ma part, je ne juge pas sur les montants. Nous l’avons vu lors des auditions, si certains présidents d’université disposent de moyens importants pour accueillir des chercheurs en provenance des États-Unis, d’autres ne pourront se le permettre. C’est pour cette raison que j’appelle à réfléchir à l’intégration de ces scientifiques au sein des équipes et à ne pas raisonner à l’échelle d’une seule année. Il faut faire en sorte que l’accueil des chercheurs en Europe s’inscrive dans un cadre pluriannuel. Si l’université d’Aix-en-Provence, par exemple, consacre 18 millions d’euros à la venue de chercheurs américains, d’autres n’ont pas autant d’argent.
Le principe est important. Nous adhérons aux ambitions exprimées à la Sorbonne. Contrairement à vous, nous estimons qu’en offrant cet accueil sur le sol français et européen, c’est la liberté académique que nous mettons en valeur. Avis très défavorable.
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Voici ce qu’indique cet alinéa 17 adopté en commission des affaires européennes : l’Assemblée nationale « souligne l’importance des annonces du 5 mai 2025 à l’université de la Sorbonne visant à faire de l’Union européenne un espace de recherche, d’innovation et de sauvegarde de la liberté académique ». Cet alinéa correspond à ce qui est réclamé depuis le début de nos débats : il serait donc étrange de le supprimer. Ma corapporteure et moi émettons un avis défavorable.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Il n’appartient pas aux universités françaises d’assumer le poids de l’accueil des étrangers en exil, surtout lorsqu’elles sont amputées de 1,5 milliard plus 387 millions d’euros. C’est à l’État et à nous qu’il revient de proposer un projet de loi de finances permettant aux universités d’assumer leurs fonctions. Évoquer, dans cet alinéa, le fait de sauvegarder la recherche, l’innovation et la liberté académique est soit hypocrite, soit cynique. Comment permettre cela, si ce n’est avec des moyens pour le CNRS, les universités et les chercheurs que l’on accueille ?
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Je sors de mon rôle de présidente pour souligner l’importance de cet alinéa, qui met l’accent sur la liberté académique que chaque pays de l’Union européenne doit maintenir. La somme évoquée lors de la réunion du 5 mai 2025 est effectivement dérisoire, mais la vision exprimée est excellente et importante. Il ne me semble pas inutile de réaffirmer que la France et l’Union européenne doivent être un espace de recherche doté de la liberté académique, même si le problème du budget est réel.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AC7 de Mme Soumya Bourouaha
Mme Soumya Bourouaha (GDR). Dans une volonté de cohérence avec les engagements de l’Union européenne, cet amendement invite le gouvernement à se positionner en faveur de la suspension de l’accord d’association d’Israël au programme Horizon Europe.
L’Union européenne fonde ses relations extérieures sur des valeurs et principes fondamentaux, que nous partageons tous et que nous avons la responsabilité de défendre. L’article 2 de l’accord entre l’Union européenne et l’État d’Israël dispose clairement que cette coopération repose sur le respect des droits humains. Or ce respect est aujourd’hui sérieusement remis en cause, ce qui nous oblige à nous interroger. L’Union européenne elle-même a indiqué qu’elle allait réévaluer sa coopération.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je partage votre avis sur le fond. Il faudrait même aller plus loin.
La question ne me semble néanmoins pas relever de cette PPRE. Il convient d’effectuer un travail beaucoup plus large sur l’incompatibilité des valeurs que nous défendons avec les actions conduites par Israël. Que ce soit au niveau de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe, ces sujets sont envisagés de manière plus globale que la rupture de cet accord de coopération avec Israël. Il faut une réflexion beaucoup plus générale, qui excède le domaine de la recherche, par exemple pour savoir comment les fonds sont utilisés.
Le présent texte n’est pas le bon véhicule pour tout cela. Notre avis est donc défavorable, mais nous préférerions que l’amendement soit retiré.
Mme Soumya Bourouaha (GDR). Je maintiens l’amendement, qui rappelle les principes du droit international. Il s’agit d’une question de crédibilité, de responsabilité et de cohérence.
Mme Marie Mesmeur (LFI-NFP). Cette PPRE est un véhicule parmi d’autres pour réaffirmer les principes fondamentaux du droit international et les valeurs fondant l’Union européenne. Cela me semble essentiel s’agissant de la recherche, particulièrement sensible pour les universités françaises dont certaines ont des programmes communs ou des accords d’association avec des universités israéliennes.
M. Roger Chudeau (RN). On croit rêver, madame Karamanli, en vous entendant dire que l’État d’Israël n’aurait pas les mêmes valeurs que l’Europe. L’État d’Israël est le seul État démocratique au Proche et au Moyen-Orient. Je trouve vos propos scandaleux.
L’amendement est tout aussi déplacé. Il cherche à prendre en otage la proposition de résolution européenne. Or je rappelle que les otages sont israéliens et détenus par vos amis du Hamas. (Exclamations.)
Mme la présidente Fatiha Keloua Hachi. Monsieur Chudeau, veuillez modérer vos propos.
Mme Céline Calvez (EPR). Mme la rapporteure Karamanli a indiqué fort justement qu’il fallait prendre en considération l’ensemble de l’accord entre l’Union européenne et Israël, et pas seulement la politique de recherche.
La rupture que vous proposez est un peu radicale. Ce sujet est instruit et va être réévalué. Il est pris en compte par la diplomatie française, mais aussi par les instances européennes. Il n’a donc pas sa place dans cette proposition de résolution européenne, qui vise à faire en sorte que notre recherche scientifique soit ambitieuse et ne soit pas source de tensions.
Mme Marietta Karamanli, rapporteure. On ne peut demander dans une PPRE la rupture d’un accord sur la base de ce seul élément, c’est inadapté. Cette dimension est prise en compte sur le plan diplomatique au niveau des États membres de l’Union européenne, mais aussi au sein du Conseil de l’Europe, dont Israël est pays observateur. Nous avons des échanges avec les uns et les autres pour trouver une issue digne de ce nom et parvenir à un arrêt du conflit et des massacres perpétrés de part et d’autre. Il existe d’autres lieux et initiatives dans lesquels cette question peut être traitée.
La commission rejette l’amendement.
Elle adopte l’article unique modifié.
Titre
Amendement AC9 de Mme Isabelle Rauch
Mme Isabelle Rauch, rapporteure. Cet amendement rédactionnel permet de compléter le titre de la PPRE pour soutenir une « politique de l’Union européenne ambitieuse et ouverte en matière de recherche scientifique ».
La commission adopte l’amendement.
La commission adopte l’ensemble de la proposition de résolution européenne modifiée.
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En conséquence, la commission des Affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente résolution dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.
– Texte adopté par la commission : https://assnat.fr/kHGsrz
– Texte comparatif : https://assnat.fr/fKr1p8
([1]) Loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur
([2]) Enrico Letta, Beaucoup plus qu’un marché, rapport présenté à la réunion extraordinaire du Conseil européen des 17 et du 18 avril 2024.
([3]) Mario Draghi, Le futur de la compétitivité de l’Europe, rapport remis à la Commission européenne le 9 septembre 2024.
([4]) L’Union de l’innovation est l’une des initiatives de la stratégie Europe 2020 pour une économie intelligente, durable et ouverte. Cette stratégie, adoptée en 2010 et pour une durée de dix ans, vise la coordination des politiques publiques.
([5]) Direction générale pour la recherche et l’innovation, Align Act Accelerate – Research, Techonology and Innovation to boost European Competitiveness, Commission européenne, septembre 2024.
([6]) Mise en œuvre de l’espace européen de la recherche (EER) – Renforcer la recherche et l’innovation en Europe : évolution et orientations futures de l’EER, Communication de la Commission européenne, 22 octobre 2024.
([7]) Plan de relance européen de 750 milliards d’euros mis en place suite à la pandémie de covid-19.
([8]) L'Accélérateur du CEI est un programme de soutien aux PME innovantes européennes.
([9]) Conseil général de l’économie - Inspection générale de l’éducation nationale et de la recherche - Inspection générale des Finances, La participation française au programme-cadre européen pour la recherche et l’innovation, février 2016.
([10]) Circulaire du premier ministre relative à la gestion budgétaire, 24 avril 2025, JORF.
([11]) Cour des comptes, La mobilisation des fonds européens en matière de recherche : les programmes Horizon 2020 et Horizon Europe – Un effort à accentuer 2012-2024, janvier 2025.