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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juin 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti
(procédure accélérée)
PAR M. Marc de Fleurian
Député
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AVIS
AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
PAR Mme Anne LE HÉNANFF
Députée
AVEC
LE TEXTE DE LA COMMISSION
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Voir les numéros :
Assemblée nationale : 1450.
Sénat : 491, 619, 620 et T.A. 126 (2024‑2025).
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Pages
I. La présence militaire française à Djibouti constitue un atout majeur dans une région stratégique
A. Une relation Franco-Djiboutienne historique et dense
1. La dernière colonie française à avoir obtenu l’indépendance
2. La plus grande base militaire française à l’étranger malgré des effectifs en diminution
B. Djibouti occupe un emplacement stratégique qui attire les puissances du monde entier
1. Une situation régionale source d’instabilité mondiale
a. La Corne de l’Afrique est plongée dans plusieurs crises
i. La menace terroriste en Somalie
ii. Les guerres civiles en Éthiopie et au Soudan
iii. La crainte d’une incursion érythréenne sur le territoire djiboutien
b. L’insécurité dans le détroit de Bab-el-Mandeb menace le commerce mondial
a. La multiplication des bases militaires étrangères à Djibouti depuis le début des années 2000
b. Un atout diplomatique pour l’influence régionale de Djibouti
A. Un intérêt mutuel à moderniser le partenariat stratégique entre la France et Djibouti
a. Une capacité de projection dans l’Indo-Pacifique
b. Une refonte de la présence militaire française en Afrique
2. Pour Djibouti, l’opportunité de réduire sa dépendance à la Chine
a. La reconduction des clauses en matière de sécurité et de formation
b. La préservation du statut juridique des FFDj
2. Les évolutions issues de la renégociation du traité
a. Le renforcement de la coopération militaire et militaro-civile
ii. La coopération militaro-civile
b. Des facilités opérationnelles améliorées
c. La redéfinition de certaines conditions de la présence française
i. La restitution de 40 % de l’îlot du Héron
ii. La revalorisation de la contribution versée par la France
Avis fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées
Travaux de la commission des affaires étrangères
Travaux de la commission de la défense nationale et des forces armées saisie pour avis
Annexe I : texte de la commission des affaires étrangères
Annexe II : liste des personnes auditionnées par le rapporteur
Annexe III : liste des personnes auditionnées par la rapporteure pour avis
Dernière colonie française à avoir obtenu son indépendance en 1977, la République de Djibouti entretient depuis lors des relations étroites avec la France, sur le plan militaire mais aussi économique et culturel. Djibouti est ainsi le premier récipiendaire par habitant de l’aide au développement française. C’est également un bastion de la francophonie dans une région majoritairement anglophone.
Pôle de stabilité dans une région soumise à de nombreux conflits (Soudan, Éthiopie, Yémen) et à diverses sources d’insécurité (piraterie, mouvements terroristes), Djibouti assume « la diplomatie de géant d’un petit État » ([1]).
Sa situation géographique, à l’entrée du détroit de Bab-el-Mandeb, par lequel transite une part significative du trafic maritime mondial de matières premières et de marchandises ainsi que de nombreux câbles sous-marins, en fait un lieu hautement stratégique. Placé entre la Corne de l’Afrique et la péninsule arabique, c’est également un espace privilégié pour intervenir militairement dans ces régions.
C’est pour cette raison que plusieurs grandes puissances – la France, les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Italie – ont fait le choix d’y installer des bases militaires qui assurent à Djibouti des revenus stables, contribuent à sa sécurité et lui confèrent une influence importante au niveau régional. D’autres pays sont attirés par l’idée de développer leur présence dans le pays, qu’il s’agisse de la Turquie ou de l’Arabie saoudite.
Il apparaît donc essentiel que la France puisse y conserver sa plus grande base permanente et interarmées à l’étranger. Cette présence lui permet de participer à la sécurisation de la région et du trafic maritime, notamment dans le cadre des opérations européennes Atalante et Aspides qui luttent contre la piraterie et les attaques houthies sur les navires marchands. C’est également un outil indispensable à sa projection vers l’océan Indien où se trouvent plusieurs collectivités d’outre-mer. Sur le plan opérationnel, enfin, Djibouti offre des conditions d’entraînement optimales, qui seront encore améliorées par le nouveau traité de coopération en matière de défense (TCMD).
Dès 2021, les chefs d’État des deux pays ont annoncé l’ouverture de négociations pour réviser le précédent traité conclu en 2014 pour une durée de dix ans. Ces négociations ont abouti à la signature du traité du 24 juillet 2024 dont la ratification est désormais soumise à l’autorisation du Parlement.
Ce traité reprend l’architecture du précédent et conserve notamment une clause de sécurité qui prévoit l’intervention de la France en cas de menace ou d’agression contre Djibouti.
Il présente cependant plusieurs nouveautés : un engagement plus long – vingt ans –, une coopération militaire et civile approfondie, une amélioration des facilités opérationnelles offertes aux forces françaises présentes à Djibouti (FFDj) et une révision des conditions financières de la présence française, dont le montant annuel passera de 30 à 85 millions d’euros.
Déposé par le gouvernement le 26 mars 2025, le projet de loi autorisant la ratification de ce traité a été examiné et adopté par le Sénat le 21 mai 2025.
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I. La présence militaire française à Djibouti constitue un atout majeur dans une région stratégique
A. Une relation Franco-Djiboutienne historique et dense
1. La dernière colonie française à avoir obtenu l’indépendance
La présence française dans la région de Djibouti remonte au milieu du XIXe siècle. En 1896, Djibouti devient le chef-lieu de la nouvelle colonie de la « Côte française des Somalis ». La ville, et surtout son port, acquièrent leur importance au début du XXe siècle avec l’achèvement de la ligne ferroviaire reliant Djibouti à l’Éthiopie en vue d’offrir un débouché maritime à ce pays enclavé.
Durant la deuxième guerre mondiale, des tirailleurs du bataillon de marche somali, engagés volontaires, sont partis de Djibouti pour participer à la libération de la poche du Médoc du 14 au 20 avril 1945, avant de participer à la sécurisation de la ville de La Rochelle après la fin de la guerre.
En 1967 après un deuxième référendum favorable au maintien de Djibouti dans l’empire français, la « Côte française des Somalis » devient le « Territoire français des Afars et des Issas (TFAI) ». La République de Djibouti obtient l’indépendance le 27 juin 1977 au terme d’un troisième référendum d’autodétermination.
Ce processus ne s’est pas déroulé sans heurts. La France et Djibouti conservent le souvenir douloureux d’une prise d’otage dans un car militaire de ramassage scolaire à Loyada par le « Front de libération de la côte des Somalis » qui a conduit à la mort de deux enfants français et de plusieurs civils djiboutiens.
Cette histoire explique le lien particulier qui unit encore aujourd’hui la France à ce territoire. La présence française y perdure, pour des raisons stratégiques, mais aussi dans le cadre d’une relation bilatérale qui va au-delà de la seule question militaire.
2. La plus grande base militaire française à l’étranger malgré des effectifs en diminution
Avec 1 500 personnels militaires et civils, Djibouti est la seule base française à l’étranger disposant de capacités maritimes, aériennes et terrestres permanentes et d’un état-major interarmées.
Au total, son emprise est d’environ 450 hectares répartis sur une dizaine de sites à travers l’ensemble du pays. La France y dispose de capacités navales, aériennes et terrestres ainsi que d’un accès aux complexes de tir, à certains quais du port et à l’aéroport (voir carte p. 14 et encadré p. 21). Elle assure même, avec Djibouti, la régulation du trafic aérien.
L’armée française est en revanche la seconde en présence humaine avec 1 500 hommes contre environ 4 000 soldats américains. Le dispositif a été fortement réduit à partir de 2011, avec le départ de la 13e demi-brigade de légion étrangère de Djibouti vers Abu Dhabi puis vers le Larzac, le retrait des bâtiments de la marine nationale, ainsi que la réduction du nombre d’avions de chasse de dix à quatre Mirage 2000 en 2016.
Évolution des effectifs des forces françaises à Djibouti
Année |
Effectif des FFDj |
1977 |
~5 600 |
1978 |
~4 300 |
1990 |
~3 500 |
2000 |
~2 600–2 900 |
2010 |
~2 800 |
2020 |
~1 450 |
2024 |
~1 500 |
Source : réponses du gouvernement.
Forces françaises stationnées à Djibouti
En 2025, les FFDj sont composées :
– d’un état-major interarmées ;
– de moyens d’infanterie, d’artillerie, de génie et d’un détachement de l’aviation légère de l’armée de terre mettant en œuvre des canons Caesar, des véhicules de l’avant blindés, des véhicules blindés légers, des hélicoptères de manœuvre et de combat (Gazelle et Puma) ;
– d’une composante aérienne composée de quatre avions de défense aérienne Mirage 2000-5, d’un avion de transport tactique Casa, de trois hélicoptères Puma ;
– des moyens de contrôle et de commandement aérien composés d’un centre militaire de contrôle et d’un centre de coordination des opérations aériennes ;
– d’une composante navale équipée notamment de deux transports de chalands de débarquement, trois vedettes rapides, deux remorqueurs pousseurs ;
– du groupement de soutien de la base de défense des FFDj et des formations relevant du soutien spécialisé (service de l’énergie opérationnelle, service de santé des armées, services des munitions, direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information, direction d’infrastructures de défense) ;
– d’une prévôté, armée par la gendarmerie nationale.
Source : réponses du gouvernement.
L’ampleur des installations mises à disposition de la France et la présence des différentes armées offrent des opportunités exceptionnelles pour organiser des entraînements et des manœuvres dans des conditions climatiques extrêmes, proches de celles rencontrées sur certains théâtres d’opération désertiques. Certains exercices peuvent même être menés conjointement avec les pays alliés présents sur place.
Preuve de l’utilité stratégique de la présence française à Djibouti, les FFDj ont pu être engagées sur une quinzaine de théâtres d’opération depuis le début des années 2000 (voir encadré ci-dessous).
Liste des opérations menées par les FFDj
Depuis les années 2000, les FFDj ont été engagées dans les opérations suivantes :
– Chido, soutien aux opérations d’aide à Mayotte après le passage du cyclone Chido en 2024 ;
– Sagittaire, évacuation des ressortissants français et étrangers du Soudan en 2023 ;
– Barkhane dans la bande sahélo-saharienne en 2015 ;
– Évacuation de ressortissants du Yémen en 2015 ;
– Chammal en Irak en 2014-2015 ;
– Sangaris en République de Centrafrique en 2014 ;
– Aide alimentaire de la France acheminée par les FFDj et les forces armées djiboutiennes (FAD) dans le cadre de la crise alimentaire sévissant dans la Corne de l’Afrique en 2011 ;
– Piratage du Tanit en 2009 ;
– Piratage du Ponant et du Carré d’As en 2008 ;
– Boali en Centrafrique en 2007 ;
– Béryx suite au tsunami de fin décembre 2004 en Asie du Sud-Est en 2005 ;
– Artémis en République démocratique du Congo en 2003 ;
– Licorne en République de Côte d’Ivoire en 2002 ;
– Mission des Nations unies en Éthiopie et en Érythrée en 2000-2001 ;
– Participation aux opérations de secours suite à l’attentat sur l’USS Cole en 2000 ;
– Khor Angar dans le cadre du conflit entre l’Éthiopie et l’Érythrée en 1999-2000.
Source : réponses du gouvernement.
Cette base n’a pas vocation qu’à servir les intérêts stratégiques français. Elle est également une demande de Djibouti qui souhaite œuvrer pour la stabilisation de la région et garantir sa propre sécurité dans un environnement difficile.
D’ailleurs, le partenariat avec la France se distingue des accords passés avec les autres pays stationnés à Djibouti par la présence d’une clause de sécurité prévoyant la participation de la France à la protection du territoire djiboutien (voir infra).
3. Une présence militaire indissociable de la participation de la France à la vie économique et culturelle du pays
Les forces françaises sont le seul contingent sur le territoire djiboutien vivant en famille et s’intégrant dans la vie locale. La présence française ne se limite pas aux FFDj puisqu’en 2024, 4 251 personnes étaient inscrites au registre des Français établis à Djibouti, dont 33 % étaient des binationaux franco-djiboutiens.
Sur le plan économique, il est estimé que la présence des FFDj permet d’injecter 120 millions d’euros dans l’économie djiboutienne chaque année, dont 40 millions d’euros sont liés à la consommation des ménages. Cette implantation permet aussi l’emploi de plus de 300 Djiboutiens.
En matière commerciale, en 2022, les exportations françaises vers Djibouti s’élevaient à 85,8 millions d’euros et les importations françaises depuis Djibouti s’établissaient à 1,3 million d’euros.
La France a également engagé de nombreux investissements solidaires à Djibouti. Notre pays demeure le principal bailleur d’aide publique au développement de Djibouti (27 % de l’aide totale reçue par le pays). Entre 2014 et 2018, elle a fourni un montant cumulé de 200 millions d’euros, faisant de ce pays le premier récipiendaire en termes d’investissement par habitant.
L’Agence française de développement (AFD) y mène quelque 180 projets : réaménagement de certains quartiers précaires (eau, électricité, déchets…), formation (notamment dans le domaine du numérique et de l’industrie portuaire), diversification des ressources énergétiques ou soutien aux microentreprises. En décembre 2024, la France s’est engagée à soutenir la construction d’un nouvel aéroport dédié au fret.
En matière scientifique, les deux pays se sont récemment engagés à développer leur coopération dans le domaine spatial. Djibouti a lancé deux satellites d’observation de la terre en 2023 et 2024 grâce à des ingénieurs formés à en France et en lien avec le Centre national d’études spatiales.
Dans le domaine culturel, Djibouti est une exception francophone dans une région principalement anglophone. Le français, qui est la langue officielle du pays avec l’arabe, demeure au cœur de l’identité nationale djiboutienne ([2]). La signature d’un accord-cadre de coopération entre les ministères de l’éducation nationale français et djiboutien, en juin 2023, a ouvert la voie à la mise en place d’un programme d’échange entre le lycée d’excellence de Djibouti et des classes préparatoires aux grandes écoles à Nancy, à Poitiers et à Paris. Enfin, la France contribue à la conception et à la construction d’un musée national à l’emplacement de l’ancienne gare de Djibouti.
B. Djibouti occupe un emplacement stratégique qui attire les puissances du monde entier
La République de Djibouti est un pays de 23 200 km² situé à l’embouchure de la mer Rouge et entouré de trois pays formant la Corne de l’Afrique : l’Éthiopie, l’Érythrée et la Somalie. Dépourvu de ressources naturelles et placé dans une région sujette à une instabilité chronique, le pays tire profit de sa position géographique en développant des activités portuaires et de télécommunications mais aussi en accueillant des bases militaires étrangères.
Carte de la région de Djibouti
Source : Marine nationale
1. Une situation régionale source d’instabilité mondiale
a. La Corne de l’Afrique est plongée dans plusieurs crises
i. La menace terroriste en Somalie
La région abrite divers groupes terroristes islamistes, dont le plus actif demeure celui des Shebabs en Somalie, qui a déjà commis des attentats sur le territoire djiboutien ciblant spécifiquement des étrangers, comme en 2014.
Cette menace terroriste est également intérieure. La branche armée du mouvement djiboutien du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD-armé) a mené une attaque sur les troupes djiboutiennes basées dans l’ouest du pays le 7 octobre 2022, qui a fait huit victimes parmi les Forces armées djiboutiennes.
La République de Djibouti s’est directement impliquée dans la lutte contre le terrorisme puisque l’armée djiboutienne participe à hauteur de plus de 1 200 soldats à la mission de soutien et de stabilisation menée en Somalie par l’Union africaine (AUSSOM).
ii. Les guerres civiles en Éthiopie et au Soudan
Si les tensions entre l’Éthiopie et l’Érythrée se sont apaisées au début des années 2000, une guerre civile a éclaté en 2020 dans la région du Tigré – à la frontière entre les deux pays – opposant le mouvement sécessionniste du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) aux armées éthiopienne et érythréenne. Après que ce conflit a fait plus de 600 000 victimes, un cessez-le-feu puis un accord de paix ont été signés en novembre 2022 mais des tensions persistent.
Pour Djibouti, ces évènements ont entraîné des perturbations économiques – 95 % des exportations et 80 % des importations de l’Éthiopie transitent par Djibouti – et d’importants flux migratoires. Environ 200 000 personnes, pour la plupart fuyant l’Éthiopie, ont transité par Djibouti en 2024 – soit près d’un quart de la population du pays ([3]).
La guerre civile au Soudan est également un sujet de préoccupation majeur pour la communauté internationale depuis la reprise du conflit entre les militaires pour le contrôle du pays, en 2023. C’est depuis Djibouti que la France, dans le cadre de l’opération Sagittaire, a évacué plus de 900 ressortissants de 84 nationalités différentes depuis Khartoum en avril 2023.
iii. La crainte d’une incursion érythréenne sur le territoire djiboutien
Enfin, Djibouti craint également des incursions érythréennes sur son territoire, comme cela a été le cas en 2008 dans la région de Ras Doumeira. Ces incidents avaient entraîné le déclenchement de la clause de sécurité et l’intervention des FFDj pour les repousser.
b. L’insécurité dans le détroit de Bab-el-Mandeb menace le commerce mondial
Djibouti présente également une situation géographique stratégique d’un point de vue maritime. Son port est situé à l’embouchure du détroit de Bab el-Mandeb, qui ferme la mer Rouge et sépare les côtes djiboutiennes et yéménites de seulement 27 kilomètres.
C’est l’un des couloirs de navigation les plus fréquentés du monde puisqu’il se situe sur la route qui relie l’Asie et l’Afrique de l’Est à l’Europe via le canal de Suez. On estime que 30 % du trafic maritime mondial de conteneurs, 10 % du commerce de pétrole et 75 % des exportations européennes vers l’Asie passent par ce détroit.
Or, les côtes d’Afrique de l’Est, en particulier le long de la Somalie, ont connu une forte augmentation des actes de piraterie en 2005 et 2011. À l’initiative de la France, l’Union européenne (UE) mène depuis 2008 l’opération Atalante, dont le mandat a été prolongé à nouveau de deux ans en décembre 2024. Cette opération consiste à escorter les navires et à patrouiller pour repérer et arrêter des pirates et elle a permis la réduction rapide du nombre d’attaques.
Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, le détroit est le théâtre de nombreuses attaques houthies contre des navires (124 attaques dont 27 ayant légèrement touché des navires et 6 ayant touché gravement). De nombreux navires se voient contraints de se tourner vers l’itinéraire du cap de Bonne espérance (plus long de 6 500 km) tandis que ceux qui s’engagent dans le détroit doivent ralentir ce qui facilite les actes de piraterie comme le montre la recrudescence des incidents (22 attaques en 2024 contre 6 en 2023) ([4]).
L’augmentation des prix des assurances et le coût des détours par le Sud nourrissent l’inflation et perturbent le commerce mondial. Depuis février 2024, L’UE a donc complété son intervention dans le cadre d’Atalante par l’opération Aspides, qui a également vocation à protéger contre les attaques des navires par missile ou par drone lors de leur traversée de la zone.
Enfin, Djibouti revendique un rôle de « porte digitale », faisant passer par sa zone maritime dix-sept câbles sous-marins reliant l’Asie, l’Afrique et l’Europe ([5]).
2. Les grandes puissances ont pris place à Djibouti, conférant à ce pays un poids diplomatique important
a. La multiplication des bases militaires étrangères à Djibouti depuis le début des années 2000
L’emplacement stratégique de Djibouti en fait une zone très convoitée par les grandes puissances. Le pays met à leur disposition des bases et des conditions favorables d’entraînement pour qu’elles puissent œuvrer en faveur de la lutte contre le terrorisme et de la paix dans la région. Djibouti a ainsi pu servir à la projection de différentes opérations extérieures et de maintien de la paix françaises, européennes, onusiennes et étrangères.
Carte des installations françaises et étrangères dans la ville de djibouti
Source : réponses du gouvernement.
Dès 2003, les États-Unis y ont installé leur unique base militaire permanente en Afrique afin de lutter contre le terrorisme en Somalie. Avec environ 4 000 soldats, le camp Lemonnier, situé aux abords de l’aéroport, est le principal centre d’opérations du commandement des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM).
Depuis 2011, le Japon possède aussi à Djibouti son unique base militaire à l’étranger. Les forces d’auto-défense japonaises sont présentes à hauteur d’environ 400 personnes, principalement pour participer à la lutte contre la piraterie maritime.
Depuis 2012, l’Italie dispose de sa propre base avec environ 300 militaires. D’autres armées européennes sont également présentes puisque la base française accueille également des contingents espagnols et allemands, actifs dans les opérations européennes Atalante et Aspides.
Enfin, depuis 2017, la Chine est présente à Djibouti, où elle a construit sa première base militaire à l’étranger. Cette base navale et logistique, actuellement faiblement occupée, pourrait accueillir près de 7 000 soldats. La Chine poursuit divers intérêts dans la région : la sécurisation des « nouvelles routes de la Soie » mais aussi une capacité d’intervention pour protéger ses ressortissants dans la région. Cette présence militaire chinoise prolonge l’investissement économique de la République populaire dans la région, en particulier en Éthiopie mais aussi à Djibouti où elle a investi 14 milliards de dollars entre 2012 et 2020.
D’autres pays frappent à la porte de Djibouti dans l’espoir de s’y installer. La Turquie a signé un accord de coopération militaire en 2015, portant notamment sur la fourniture d’armement. Elle mène également une politique d’influence dans le pays dont la plus grande mosquée a été financée par une fondation turque en 2019.
L’Arabie saoudite a également signé un accord avec Djibouti en 2016 ouvrant la voie à une présence militaire qui ne s’est pas encore concrétisée. Elle apporte d’ores et déjà à son allié diplomatique une importante aide financière en matière de développement (accès à l’eau, santé, routes, mosquées).
b. Un atout diplomatique pour l’influence régionale de Djibouti
Afin de garantir sa sécurité et sa position dans la région, Djibouti exige des armées présentes qu’elles utilisent leur base à des fins défensives et de pacification, et non pour des missions offensives et hostiles envers ses différents voisins.
Cette attractivité offre à Djibouti, outre une protection militaire de fait et des revenus garantis par le biais des contributions financières, un poids diplomatique important dans la région. La désignation, le 15 février 2025, de Mahamoud Ali Youssouf au poste de président de la Commission de l’Union africaine en est la plus récente démonstration.
II. Le nouveau traité de coopération en matière de défense conforte la place de la France aux côtés de Djibouti
A. Un intérêt mutuel à moderniser le partenariat stratégique entre la France et Djibouti
1. Une présence militaire à Djibouti cohérente avec les nouvelles priorités diplomatiques de la France
Outre les enjeux stratégiques déjà mentionnés, la base militaire à Djibouti répond à des besoins spécifiques de la France.
a. Une capacité de projection dans l’Indo-Pacifique
Cette base permet un déploiement rapide dans l’océan Indien à l’heure où la stratégie indo-pacifique est érigée au rang de priorité diplomatique ([6]). La France y possède les trois quarts de sa zone économique exclusive grâce à ses collectivités d’outre-mer, où vivent 1,6 million d’habitants.
En 2024, c’est depuis Djibouti que les FFDj se sont projetées pour porter assistance à Mayotte après le passage du cyclone Chido.
b. Une refonte de la présence militaire française en Afrique
Il s’agit également d’enrayer le recul de la présence française en Afrique. Djibouti y sera bientôt la dernière base majeure permanente de l’armée française après son retrait des pays du Sahel, à la suite des coups d’État militaires survenus au Mali, au Burkina Faso et au Niger, et de la rétrocession de ses bases militaires en Côte d’Ivoire, au Tchad et au Sénégal – l’implantation au Gabon étant essentiellement tournée vers la coopération et l’instruction.
La base de Djibouti devrait donc être exclue des plans de réduction, voire faire l’objet d’un réinvestissement humain (environ 100 soldats supplémentaires) et matériel (modernisation des véhicules, remplacement des hélicoptères, arrivée de plusieurs Rafale), comme cela était prévu par la loi de programmation militaire 2024-2030 ([7]).
2. Pour Djibouti, l’opportunité de réduire sa dépendance à la Chine
Pour Djibouti, la renégociation du TCMD avec la France intervient au moment où le pays souhaite diversifier ses relations économiques et politiques pour ne pas aggraver sa dépendance à la Chine, laquelle possède de nombreuses infrastructures et une grande part de la dette (environ 55 %).
B. En contrepartie d’une augmentation de sa contribution, la France consolide sa présence militaire et son partenariat avec Djibouti
Le traité du 24 juillet 2024 reprend l’architecture de celui de 2014. Il comprend vingt-cinq articles et trois annexes dédiées respectivement aux facilités opérationnelles, au soutien médical et au régime financier et fiscal des FFDj.
L’aboutissement de négociations fluides
La renégociation du TCMD du 21 décembre 2011, entré en vigueur le 1er mai 2014, est intervenue au terme des dix ans pour lesquels il avait été conclu.
Bien qu’il aurait pu bénéficier d’une reconduction tacite, le principe de la révision du traité a été acté lors de la visite du président de la République de Djibouti en France, en février 2021.
La revue de TCMD a été officiellement lancée par la rencontre des ministres des affaires étrangères et de la défense des deux pays, le 30 mai 2023.
Quatre séances de négociation se sont tenues en 2023, ainsi que des échanges au niveau local. Il a été signé définitivement le 24 juillet 2024 par les deux chefs d’État.
Le traité est également en cours de ratification par le Parlement de Djibouti.
1. Le maintien des principales clauses juridiques régissant la coopération militaire entre la France et Djibouti
a. La reconduction des clauses en matière de sécurité et de formation
L’article 2 du traité indique que la coopération entre la France et Djibouti a vocation à « concourir à une paix et une sécurité durables sur leur territoire ».
Ce même article précise l’implication de ce traité dans des mécanismes de coopération régionale plus large. Sous réserve de l’accord de Djibouti, certaines activités prévues par le traité peuvent impliquer d’autres États africains ou européens.
L’article 4 prévoit une clause de sécurité en cas de menace ou d’agression contre Djibouti. Cette clause n’est pas automatique mais prévoit la consultation entre les parties pour établir les mesures les plus appropriées pour assurer la défense de Djibouti. Parmi les pays présents, la France est le seul partenaire à être lié par une telle clause.
Cette dernière a des implications directes sur le choix des forces stationnées. C’est pour pouvoir l’honorer et répondre immédiatement aux besoins de Djibouti que la France maintient sur place un régiment complet de l’armée de terre et des avions de chasse.
Or, les menaces sont nombreuses, qu’il s’agisse du risque d’incursions sur son territoire – comme en 2008 de la part de l’Érythrée ([8]) –, de la présence de groupes islamistes comme le FRUD-armé ou les Shebabs ou encore des effets collatéraux des conflits internes à l’Éthiopie, qui provoquent d’importants mouvements de population et alimentent le trafic d’armes.
L’article 5 prévoit les modalités du concours de la France au renforcement des forces djiboutiennes. Cette coopération comprend notamment des actions de formation, la fourniture ou la cession d’équipement et d’armement, ou encore un soutien technique et opérationnel.
Cette coopération pourra également bénéficier aux forces de sécurité intérieure. Afin de contribuer au renforcement de l’État de droit, la France et Djibouti ont approfondi leur coopération en la matière avec la création en 2019 d’une école nationale à vocation régionale dédiée à la police judiciaire.
b. La préservation du statut juridique des FFDj
Le traité règle diverses questions relatives au statut des membres des FFDj en définissant pour chaque situation le droit applicable entre celui du pays d’origine et celui du pays d’accueil. Ainsi, les FFDj peuvent :
– porter leurs insignes – sauf en cas de mise à disposition de l’armée djiboutienne pour une durée supérieure à six mois – (article 11) ;
– conduire les véhicules qu’ils sont autorisés à conduire en France (article 12) ;
– détenir, porter et utiliser une arme à condition de respecter la législation de Djibouti en la matière (article 13).
L’exercice de la discipline relève exclusivement des autorités françaises (article 14). En revanche, en matière judiciaire, l’article 18 fixe la compétence de principe de la justice de Djibouti pour les infractions commises par les FFDj sur son territoire. Par dérogation, les autorités françaises sont compétentes en cas d’infraction commise en service ou sur une installation mise à disposition de la France ou en cas d’infraction portant uniquement atteinte à l’intérêt de la France, aux biens de la France ou à la personne ou aux biens d’un autre Français.
Ce même article prévoit des règles visant à assurer le bon déroulement des enquêtes. Les deux parties s’engagent à s’assister mutuellement dans leurs procédures et à respecter les principes du procès équitable (délai raisonnable, droit de la défense, non-rétroactivité…). Enfin, tout condamné français couvert par le traité peut purger sa peine en France.
En cas de dommages causés dans le cadre des activités autorisées par le traité, l’article 19 précise que les parties renoncent à engager des recours l’une contre l’autre, sauf en cas de faute lourde ou intentionnelle. En pratique, Djibouti se substituera à la France pour ces litiges puis les parties s’accorderont ensuite sur l’imputabilité du coût des indemnités.
2. Les évolutions issues de la renégociation du traité
La première différence entre le traité de 2014 et celui de 2024 est sa durée de validité qui passe de dix à vingt ans, renouvelable par tacite reconduction (article 25). En cas de dénonciation, la France disposerait d’au moins un an pour organiser son départ (article 24).
Par ailleurs, le nouveau traité acte le renforcement de la coopération militaire et militaro-civile et améliore les facilités opérationnelles dont bénéficie la France. Il redéfinit également les conditions financières de la présence française, ainsi que le périmètre de certaines installations.
a. Le renforcement de la coopération militaire et militaro-civile
La coopération militaire est renforcée par deux dispositions facilitant les échanges entre les parties et la mise en œuvre de la clause de sécurité prévue à l’article 4 (voir supra).
D’une part, l’article 8 instaure un comité militaire de dialogue stratégique, co-présidé par un représentant militaire de chaque pays et qui doit se réunir au moins une fois par an.
D’autre part, l’article 9 prévoit un mécanisme d’alerte permanent « basé sur un document d’analyse commun des menaces régionales régulièrement actualisé ». Ce mécanisme vient apporter un contenu tangible à la clause de sécurité qui prévoit « des échanges réguliers de vues, de renseignements et d’informations relatifs aux risques et menaces pouvant peser sur la République de Djibouti ».
ii. La coopération militaro-civile
Le TCMD n’a pas vocation à régler les autres questions bilatérales entre Djibouti et la France ([9]). Toutefois, il comporte quelques dispositions permettant de mettre la présence militaire française au service de la population.
L’article 4 du traité précise ainsi que la France participe à la police de l’espace aérien djiboutien ainsi qu’à la surveillance des eaux territoriales djiboutiennes. Cette clause accompagnera également la participation de la France au futur projet d’aéroport civil et commercial.
L’annexe II précise que la France apporte à Djibouti une aide médicale civilo-militaire. Outre la délivrance de produits de santé et de soins aux membres de l’armée de Djibouti, les professionnels de santé des FFDj peuvent également réaliser des actes médicaux et chirurgicaux au sein des hôpitaux djiboutiens, au profit de la population. Ils sont également autorisés à former des professionnels de santé djiboutiens.
Il est également mentionné à l’article 3 de l’annexe III que les FFDj s’engagent à effectuer, dans la mesure du possible, des actions au profit de la population djiboutienne.
b. Des facilités opérationnelles améliorées
L’annexe I du traité précise les facilités opérationnelles dont bénéficient les FFDj. Le traité donne ainsi davantage de prévisibilité et de stabilité aux deux parties, en codifiant un certain nombre de pratiques et en clarifiant les procédures.
Son article 5 offre à la France de nouvelles facilités opérationnelles puisque l’exigence d’un accord préalable pour les exercices et les manœuvres est remplacée par une simple notification. Les FFDj peuvent également utiliser l’espace aérien après délivrance d’une autorisation générale unique de survol d’un an renouvelable.
Son article 4 rappelle que les forces stationnées disposent également de la liberté de déplacer librement du matériel et des approvisionnements nécessaires à leurs activités.
Son article 7 précise que l’accord des autorités djiboutiennes demeure nécessaire préalablement à la mise en œuvre de systèmes de communication autonomes afin de bénéficier de fréquences ne perturbant pas les transmissions locales.
Son article 8 liste l’ensemble des installations mises à disposition des FFDj ainsi que leur régime d’utilisation. La plupart des installations sont mises à disposition de manière permanente et exclusive. Trois exceptions sont prévues par le traité : l’accès à l’aéroport est permanent mais non-exclusif, celui aux complexes de tir doit faire l’objet d’une information préalable des autorités djiboutiennes et celui aux quais nos 8 et 10 du port ([10]) doit faire l’objet d’un accord préalable des autorités djiboutiennes (voir encadré ci-après).
Liste des installations mises à la disposition des FFDj
Utilisation permanente et exclusive :
– Base aérienne 188- quartier Massart (Djibouti)
– Base aérienne 188-DETALAT (Djibouti)
– Base aérienne 188- DIRISI Ambouli (Djibouti)
– Base aérienne 188- champ d’antennes La Doudah (Djibouti)
– Base aérienne 188-dépôt munitions La Doudah (Djibouti)
– Base aérienne 188-Chébelleh (Djibouti)
– 5e RIAOM-quartier Brière de L’Isle (Djibouti)
– 5e RIAOM - quartier Monclar (Djibouti)
– Base navale. site No l – Îlot du Héron, à l’exception des immeubles à usage d’habitation collectives situés sur la partie nord-est de l’îlot (Djibouti)
– Base navale, site No 2 - Escale marine (Djibouti)
– Base navale, site No 3 - Quai n° 9 du port de Djibouti (PDSA) (Djibouti)
– Sémaphore Zone Nord (Djibouti)
– Cimetière militaire (Djibouti)
– Logements domaniaux - Gabode 3 (Djibouti)
– Logement domanial - villa adjoint mer (Djibouti)
– Logement domanial - villa COMFOR (Djibouti)
– Commandos marine (Arta)
– Détachement autonome des transmissions (Arta)
– Direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systemes d'informations (Arta)
– Centre d'entraînement au combat et d'aguerrissement au désert (Arta plage)
– Base nautique commandos marine (Île Moucha)
Utilisation permanente et non exclusive :
– Aéroport d’Ambouli (Djibouti)
Utilisation après information des autorités djiboutiennes :
– Complexe de tir (Myryam Gonley)
– Complexe de tir (Arta Plage)
Utilisation après accord des autorités djiboutiennes :
– Base navale, site No 4 – Quai n° 8 du port de Djibouti (PDSA)
– Base navale, site No 5 – Quai n° 10 du port de Djibouti (PDSA)
Source : article 8 de l’annexe I du traité.
c. La redéfinition de certaines conditions de la présence française
i. La restitution de 40 % de l’îlot du Héron
L’article 11 de l’annexe I prévoit la restitution de 40 % de la surface totale de l’installation sur l’îlot du Héron, à l’extrémité nord de la ville de Djibouti (voir carte p. 14). Cette restitution ne fera l’objet d’aucune indemnisation et devra avoir lieu dans les vingt-quatre mois suivant la signature du traité.
L’îlot du Héron accueille depuis 2002 des logements pour les familles, des places d’hébergements pour les militaires en mission, un centre de restauration, des locaux techniques, logistiques et des espaces dédiés aux loisirs.
La restitution d’une partie de l’îlot du Héron permet de répondre à une demande ancienne des autorités djiboutiennes. Cette façade maritime située dans un quartier convoité de Djibouti pourra être exploitée pour les besoins militaires du pays ou dans un cadre civil (activité commerciale, zone résidentielle).
La restitution de 40 % de l’îlot du Héron prévue par le traité n’aura pas de conséquence opérationnelle majeure car la zone restituée accueille principalement des logements qui seront relocalisés.
ii. La revalorisation de la contribution versée par la France
L’article 1er de l’annexe III prévoit que la France s’engage à verser à Djibouti la somme de 85 millions d’euros par an. Cette contribution forfaitaire couvre le loyer pour les installations, l’utilisation des différentes infrastructures mises à disposition ainsi que les facilités accordées pour l’entraînement des FFDj.
Budget alloué aux FFDj
Outre la contribution forfaitaire, le programme 178 (Préparation et emploi des forces) prévoit les dépenses suivantes pour la base de Djibouti :
– crédits de fonctionnement (1,3 million d’euros) : les ressources allouées au titre des activités opérationnelles de l’état-major interarmées de Djibouti couvrent des activités telles que l’entraînement des forces ou les exercices ainsi que des actions de coopération régionale à destination de Djibouti ou des autres pays de la zone (Ouganda, Éthiopie, etc.) ;
– crédits de soutien (60 millions d’euros) : la programmation des dépenses d’infrastructures à Djibouti se décline en dépense d’investissements (42,24 millions d’euros programmés en 2025 ; 270,70 millions d’euros sur la période 2026-2032) et en dépenses de maintien en condition de l’infrastructure (7,6 millions d’euros programmés en 2025) ;
– crédits d’administration générale et de soutien courant (AGSC) (9,28 millions d’euros) : énergie, nettoyage des locaux, espaces verts, gardiennage, téléphonie, octroi de mer, carburant des véhicules de gamme civile, eau et déchets, ameublement.
Source : réponses du gouvernement.
De 2003 à 2024, cette contribution était fixée à 30 millions d’euros par an, un montant très avantageux au regard des contributions des autres États et de l’étendue des installations.
La revalorisation prévue par le traité du 24 juillet 2024 répond à la fois aux besoins économiques de la République de Djibouti qui s’est fortement endetté au cours des dernières années – en particulier vis-à-vis de la Chine – mais aussi à la concurrence d’autres pays pour y bénéficier d’installations ainsi qu’à la hausse du coût de l’immobilier.
Pour rappel, le budget de l’État djiboutien est de l’ordre de 880 millions de dollars, ce qui signifie que la contribution française représentera environ 10 % de celui-ci.
Comme dans le traité de 2014, l’article 2 de l’annexe III prévoit que ce montant est libératoire de toute fiscalité. Cela signifie que les membres des FFDj sont exonérés de tout impôt, taxe, droit de douane, prélèvement et redevance, à l’exception des redevances portuaires et des redevances pour enlèvement des ordures ménagères. Les membres des FFDj sont également exemptés de cotisations sociales à Djibouti car la France s’engage, sauf en cas d’urgence, à assurer les soins de ses forces ainsi que les rapatriements (article 15 du traité).
L’article 17 du traité précise que les membres des FFDj conservent leur résidence fiscale en France, évitant ainsi toute double imposition ou non-imposition.
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Avis fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées
Djibouti est un pays tout à fait singulier, à la croisée de quatre zones géographiques (plaque africaine, plaque arabique, plaque indienne et plaque somalienne) et à la jonction de trois espaces stratégiques (océan Indien, mer Rouge et Afrique). De ce point de vue, en dépit de sa localisation géographique en Afrique, Djibouti est à la fois un pays africain, un pays arabe et un pays indien. De plus, Djibouti est au cœur de toutes les crises régionales : climatiques, géopolitiques, économiques ou encore religieuses.
La position géographique de Djibouti en fait ainsi un acteur important sur le plan stratégique et économique. En effet, Djibouti est un carrefour maritime mondial grâce à son ouverture sur le détroit de Bab-el-Mandeb (l’un des points névralgiques du commerce mondial) et un carrefour numérique (atterrage des câbles sous-marins). Djibouti est également un débouché portuaire majeur pour les pays d’Afrique de l’Est, principalement pour l’Éthiopie enclavée (plus de 90 % des biens exportés par l’Éthiopie transitent par Djibouti).
Sur le plan militaire, Djibouti est impliqué dans les efforts de stabilisation régionale, par le biais de son engagement en Somalie depuis 2012. Plus de 1 200 militaires sont déployés sur le théâtre somalien au sein de l’AUSSOM en Somalie, une OMP de l’Union africaine. Cet engagement représente un investissement conséquent pour les FAD, composées d’environ 12 000 hommes, soit environ 10 % de l’effectif total des FAD.
Dans la région, Djibouti est donc considéré comme un îlot de stabilité dans un environnement immédiat très volatil et en constante évolution. Sur le plan international, Djibouti est un allié traditionnel des pays occidentaux, notamment de la France et des États-Unis. Le pays a développé une stratégie de diversification de ses partenariats internationaux à partir des années 2000 et a considérablement renforcé ses relations avec certaines puissances asiatiques, au premier rang desquelles la Chine. Membre de la Ligue arabe depuis 1977, Djibouti renforce également ses relations avec certains pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, notamment avec l’Arabie saoudite, la Turquie ou encore le Maroc.
Les FFDj sont présentes sur le territoire djiboutien depuis l’indépendance du pays en 1977, en vertu de l’accord bilatéral formalisé par le TCMD. Fortes de plus de 1 450 hommes et femmes, les FFDj constituent la plus importante base militaire française permanente à l’étranger. Elles sont à la fois une base opérationnelle avancée disposant de capacités de projection propres et un pôle opérationnel de coopération. Leur zone de responsabilité permanente (ZRP) englobe neuf pays (Djibouti, Éthiopie, Érythrée, Somalie, Soudan, Soudan du Sud, Ouganda, Kenya et Yémen).
Les missions des FFDj sont les suivantes :
– contribuer, en application de la clause de sécurité du TCMD, au maintien de l’intégrité territoriale de Djibouti, en assurant la participation française à la police du ciel et la surveillance des eaux territoriales ;
– assurer, en tant que base opérationnelle avancée, leur contrat opérationnel, en étant en mesure d’appuyer toute unité projetée dans la région et de conduire des opérations dans la ZRP ;
– planifier et conduire, en tant que POC, des actions de partenariat militaire opérationnel dans leur ZRP ;
– contribuer à l’appréciation autonome de situation et assurer la protection des intérêts français dans la zone ;
– et garantir la liberté de navigation dans la région et soutenir les bâtiments en escale.
Par ailleurs, les FFDj offrent aux unités de métropole des possibilités uniques d’entraînement dans un environnement régional (aguerrissement et préparation opérationnelle d’écoles d’application de l’armée de Terre, l’armée de l’Air et de l’Espace, et de détachements de forces spéciales). La rapporteure pour avis a eu l’occasion de s’en rendre compte lors de la visite du Centre d’entraînement au combat et à l’aguerrissement au désert (CECAD).
Les FFDj constituent une force interarmées, qui dispose d’un large spectre de capacités :
– un état-major interarmées (EMIA), qui a pour mission de planifier et de conduire les activités des FFDj dans tous les champs ;
– le 5e régiment interarmes d’outre-mer (RIAOM), composé d’une compagnie d’infanterie, d’un escadron blindé, d’une compagnie d’appui mixte génie combat/artillerie sol-sol, du CECAD, d’un détachement de l’ALAT ainsi que d’une compagnie de commandement, de logistique et de maintenance ;
– la base aérienne 188, qui comprend l’escadron de chasse 3/11 « Corse » (4 Mirage 2000-5), l’escadron de transport 88 « Larzac » (1 Casa CN 235 et 3 Puma), une escale aérienne militaire, un centre de commandement des actions aériennes, un centre de contrôle aérien et des moyens de protection et de soutien aéronautique ;
– la base navale, qui comprend deux chalands de transbordement maritimes, deux pousseurs, deux vedettes rapides, un détachement de marins pompiers et un détachement de la Force maritime des fusiliers marins et commandos (FORFUSCO) ;
– un détachement avancé des transmissions ;
– une direction interarmées du service de santé des armées, qui garantit le soutien médical et chirurgical du personnel militaire et civil des FFDj et de leurs familles ;
– une direction du commissariat et le groupement de soutien de la base de défense des FFDj, une antenne de la DIRISI, qui assure l’appui des FFDj dans le domaine des systèmes d’information, une direction de l’infrastructure de la défense, en charge du patrimoine immobilier des FFDj, un détachement du SIMu et une direction du SEO, chargée de l’approvisionnement et du stockage des carburants.
Principales implantations militaires à Djibouti
Les FFDj devraient bénéficier du renouvellement de certains équipements d’ici 2028, conformément aux engagements pris dans la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030. Ces arrivées nécessiteront de conduire des opérations d’infrastructure afin de les accueillir.
Le positionnement des FFDj est stratégique, en ce qu’il offre aux armées un avantage opérationnel conséquent avec une capacité de projection vers différentes zones (détroit de Bab-el-Mandeb, mer Rouge, océan Indien). La France est ainsi le seul pays de l’Union européenne à posséder de telles capacités militaires dans cette zone dont toute l’Europe dépend pour son approvisionnement (flux économiques, énergétiques, numériques, métaux rares).
Djibouti constitue également une plateforme logistique essentielle pour le déploiement vers l’océan Indien et un point d’appui dans le cadre de la stratégie française en Indopacifique. Ce déploiement militaire offre une crédibilité opérationnelle fondant la légitimité stratégique de la France dans cette région et revêt un enjeu majeur de souveraineté dans un contexte sécuritaire volatile à proximité immédiate de nos ZEE et territoires ultramarins.
Par ailleurs, les FFDj constituent un point d’appui essentiel pour les missions opérationnelles de l’UE « Atalante » (lutte contre la piraterie aux abords de la corne de l’Afrique) et « Aspides » (protection du trafic maritime en mer rouge contre les attaques des Houthis), procurant un soutien logistique important aux bâtiments en escale (accès aux infrastructures françaises, appui ravitaillement).
Accueillant sur son territoire la plus importante base militaire française permanente à l’étranger, Djibouti est le partenaire principal et privilégié de la France en Afrique de l’Est. Le dispositif de coopération revêt un caractère singulier, optimisé et unique sur l’ensemble du spectre, intégré et très cohérent, qui repose sur une synergie très forte entre les dispositifs de coopération structurelle et opérationnelle pour appuyer les ambitions des FAD.
Le partenariat militaire opérationnel est très dynamique. Près de 70 % des actions menées par les FFDj sont dédiées à la formation des FAD. Leurs actions s’illustrent par des formations spécifiques et à haute valeur ajoutée au profit des FAD et des FSI. En outre, elles forment et équipent également les contingents des FAD avant leur déploiement au sein de l’AUSSOM.
Le positionnement stratégique des FFDj à Djibouti a démontré toute sa pertinence lors de l’opération Sagittaire au Soudan, qui a fait l’objet d’un bilan circonstancié lors d’une audition devant notre commission de la Défense nationale et des forces armées le mercredi 21 juin 2023. Au bilan, plus de 1 000 personnes de 84 nationalités ont été évacuées. L’ancrage profond et complet des FFDj dans leur environnement les a imposées comme l’élément central des opérations, pivot naturel autour duquel s’est mécaniquement articulée toute la coordination avec les autres acteurs de cette crise.
En outre, l’implantation française à Djibouti a largement contribué à l’appui fourni à Mayotte à la suite du cyclone Chido en décembre 2024. Au total, les FFDj ont appuyé 66 liaisons aériennes avec Mayotte au moyen des A400M de l’armée de l’Air et de l’Espace.
Djibouti accueille sur son sol 5 bases militaires étrangères permanentes : la France, les États-Unis, la Chine, le Japon et l’Italie.
Les États-Unis sont militairement implantés à Djibouti depuis 2003 et y disposent de leur plus importante base militaire en Afrique, qui regroupe l’essentiel du dispositif d’AFRICOM (plus de 4 000 hommes). Cette base est majoritairement dédiée à la lutte contre le terrorisme dans la région (Somalie et Yémen). La présence américaine à Djibouti est essentiellement d’ordre militaire, les États-Unis n’ayant que très peu investi les autres champs de la coopération. Le partenariat de défense est dynamique, notamment dans le domaine de l’armement et de la formation.
La Chine est militairement implantée à Djibouti depuis août 2017, date d’inauguration de la base de Doraleh, première base militaire outre-mer de Beijing. Cette base dispose d’une envergure importante et d’une capacité d’accueil d’au moins 5 000 personnes. Le partenariat entre la Chine et Djibouti est étroit, Pékin ayant investi tous les champs de la coopération, et en particulier sur le plan économique.
La base nippone, ouverte en 2011, est la première et unique base militaire du Japon outre-mer. Ses capacités restent modestes et son effectif réduit (180 militaires). Si le Japon s’est initialement installé à Djibouti pour lutter contre la piraterie qui sévissait dans le Golfe d’Aden, le pays cherche désormais à renforcer sa présence à Djibouti pour contrer l’influence chinoise.
Le partenariat avec Djibouti est particulièrement riche dans le domaine de la formation et de l’équipement des garde-côtes djiboutiens, corps civil dépendant du ministre des Transports.
L’Italie est présente de manière permanente sur le sol djiboutien depuis 2012. Avec un effectif fluctuant de quelques centaines de militaires et des capacités limitées, leur base reste modeste. La base est principalement tournée vers la Somalie (formation de la police somalienne), ancienne colonie italienne. Elle permet également de soutenir l’engagement de Rome au sein de la mission « Atalante ».
La coopération franco-djiboutienne dans le domaine de la défense était régie par le traité de coopération en matière de défense (TCMD) entre la République française et la République de Djibouti, signé à Paris le 21 décembre 2011. Entré en vigueur le 1er mai 2014 pour une période de dix ans, il a expiré le 30 avril 2024.
Définissant le statut des forces, cet accord était essentiellement centré sur la coopération militaire, tant dans le domaine technique (coopération structurelle) que dans celui des opérations (coopération opérationnelle).
Ce traité se démarquait des accords contemporains conclus avec les autres États africains en ce qu’il comprenait une clause de sécurité précisant les formes de la participation française à la défense de l’intégrité territoriale de la République de Djibouti. Il prévoyait ainsi que la France participe à la police de l’espace aérien et à la surveillance des eaux territoriales selon des modalités prévues par voie d’accords particuliers.
Le traité fixait également les facilités opérationnelles accordées aux FFDj, au nombre desquelles figure la mise à disposition d’installations nécessaires à la mise en œuvre de la coopération en matière de défense. D’autres emprises pouvaient également être utilisées par les FFDj, à titre temporaire et exclusif, après information des autorités djiboutiennes.
Le précédent TCMD entré en vigueur en 2014 pour une durée de 10 ans renouvelable tacitement prévoyait expressément une revue intégrale du traité dans sa neuvième année d’exécution. La France et Djibouti ont acté le principe d’une révision de ce traité lors de la visite du président de la République de Djibouti à Paris le 12 février 2021. Cette rencontre a donné lieu à la conclusion d’une déclaration d’intention relative au partenariat de défense mutuel signée entre les Présidents français et djiboutien, qui a posé les bases des négociations.
Dans les faits, le TCMD de 2011 a servi de base pour les négociations. De ce point de vue, le nouveau TCMD constitue davantage une actualisation du précédent TCMD qu’un nouveau traité. En effet, le traité renégocié et signé par les présidents français et djiboutien le 24 juillet 2024 s’inscrit dans la continuité du précédent. Son actualisation a pris la forme d’amendements au précédent traité, dont les principaux sont listés ci-dessous.
La promotion de la francophonie a été inscrite au préambule du nouveau TCMD. Il s’agit d’un enjeu capital pour le rayonnement de la France à Djibouti. Cet ajout dans le TCMD rappelle l’attachement réciproque des Parties au traité à la langue française.
L’article 4 du TCMD constitue le cœur de la coopération bilatérale de défense. Deux alinéas de l’article ont été amendés pour renforcer la clause de sécurité entre les deux Parties :
– l’ajout de l’intégrité territoriale de la République de Djibouti au c), afin de le mettre en cohérence les stipulations du premier alinéa ;
– l’ajout de la coordination du trafic aérien militaire, qui permet aux contrôleurs aériens français de contrôler et de coordonner les aéronefs militaires dans l’espace aérien djiboutien.
L’occurrence « forces armées djiboutiennes » dans le précédent traité a été systématiquement remplacée par l’occurrence « forces djiboutiennes » dans le nouveau traité. Cette évolution permet d’inclure dans la coopération les forces de sécurité intérieure de la République de Djibouti, notamment dans le cadre de la surveillance des espaces maritimes (garde-côtes). Dans les faits, cette évolution permet de reconnaître et d’encadrer une coopération déjà prolifique avec les FSI.
Le nouveau TCMD prévoit à l’article 15 et à l’article 2 de l’annexe 2 une coopération renforcée avec Djibouti en matière de santé. La France est déjà pleinement engagée et conduit de nombreuses actions en ce domaine tant du côté civil que du côté militaire : accompagnement des coopérations entre Djibouti et plusieurs établissements hospitaliers français (Montpellier, Angers, Valenciennes, Grenoble…), soutien à la structuration de l’offre de soin via la création d’un poste d’expert technique international déployé auprès du ministère de la Santé depuis le printemps 2023, développement de formations diplômantes universitaires, soutien au développement de partenariats en formation médicale.
Dans le cadre du nouveau TCMD, la coopération en matière de santé ne se limitera pas au domaine de la défense : l’inclusion des hôpitaux civils à l’article 15 permet aux deux Parties d’être soignées indifféremment en milieu militaire ou civil en cas de nécessité ou d’urgence. Le champ de la coopération médicale est ainsi étendu à des actes de soins réalisés par du personnel français aussi bien au profit de militaires que de civils djiboutiens. L’objectif était donc de mettre à jour des dispositions qui étaient en partie devenues caduques, notamment la référence à l’hôpital Bouffard, rétrocédé en 2015.
La création d’un comité militaire de dialogue stratégique est le résultat d’une volonté des deux Parties au traité. Jusqu’alors, il n’y avait pas d’instance d’interaction entre militaires dans le précédent TCMD. Ce comité a vocation à renforcer le dialogue et la coopération entre les armées françaises et djiboutiennes afin de répondre à des enjeux stratégiques communs. Il doit permettre de définir un plan de coopération pluriannuel et d’échanger à bon niveau sur les enjeux stratégiques communs aux deux Parties.
En termes de stationnement, les emprises nécessaires à nos missions opérationnelles sont garanties (retour à l’exclusivité de l’utilisation du quai n° 9, piste de Chabelley), voire augmentées (sémaphore dans le nord). Notre capacité d’entraînement est préservée (infrastructures de tir). Des emprises non opérationnelles vont être rendues, en totalité ou pour partie (restitution de 40 % de l’îlot du Héron, qui est une zone non opérationnelle (cf. infra).
L’îlot du Héron accueille depuis 2002 la base navale, des logements pour les familles, des places d’hébergements pour les militaires en mission, le centre de restauration et l’hôtellerie de l’Économat des Armées, les locaux techniques des commandos et fusiliers marins, des bâtiments technico-logistiques, ainsi que les locaux du centre sportif et artistique de la Défense. L’îlot du Héron est aussi le point de mise à l’eau pour les embarcations des commandos ainsi qu’en cas d’opération d’évacuation des ressortissants français.
La restitution d’une partie de l’îlot du Héron permet de répondre à une demande ancienne des autorités djiboutiennes. Cette façade maritime située dans un quartier convoité de Djibouti-ville pourra être exploitée pour les besoins militaires de Djibouti ou dans un cadre civil (activité commerciale, zone résidentielle). La restitution de 40 % de l’îlot du Héron prévu par le traité n’aura pas d’impact opérationnel majeur car la zone restituée accueille principalement des logements qui seront relocalisés et en partie remplacés par des prises à bail.
La durée de validité du TCMD passe de 10 à 20 ans, renouvelables tacitement. Il s’agit d’une durée significative, celle d’une génération, qui témoigne de la confiance accordée par Djibouti à la France et qui donne la visibilité nécessaire pour consentir des investissements de long terme. De ce fait, le nouveau TCMD donne davantage de prévisibilité et de stabilité aux deux parties.
La contribution forfaitaire versée par la France au profit de Djibouti connaît une hausse significative dans le nouveau TCMD. Elle passe de 30 millions d’euros par an dans le précédent TCMD à 85 millions d’euros dans le nouveau TCMD. Cette hausse se justifie à plusieurs titres.
Tout d’abord, la contribution financière de 30 millions d’euros versée au titre du TCMD précédent n’avait pas été réévaluée depuis 2003. En outre, la France fait face à une compétition accrue, avec l’installation de bases militaires japonaise, italienne et, surtout, chinoise. Enfin, s’agissant en particulier des implantations militaires françaises dans la ville de Djibouti, la hausse de la valeur du mètre carré consécutif à l’urbanisation a entraîné un décalage entre la valeur réelle du prix au mètre carré et le montant de la contribution forfaitaire payé par la France.
En vertu des stipulations de l’article 1 de l’annexe 3 du nouveau TCMD, la contribution forfaitaire versée par la France sera « libératoire de tout impôt, taxe, droit de douane, prélèvement et redevance, quelle que soit sa dénomination ». En conséquence, la France bénéficiera de déductions fiscales, ce qui était déjà le cas dans le précédent TCMD (environ 4 millions d’euros par an, soit une contribution forfaitaire d’un montant réel de 26 millions d’euros).
Au bilan, la rapporteure pour avis, qui a eu l’occasion de se rendre à Djibouti dans le cadre d’une mission de la commission de la Défense nationale et des forces armées, salue la conclusion de cet accord entre la France et Djibouti. Elle estime qu’il s’agit d’un accord équilibré, qui donne de la prévisibilité et de la stabilité aux deux parties, en codifiant un certain nombre de pratiques, en clarifiant les procédures et en allongeant sa durée. Elle estime également qu’il revêt une importance cardinale pour nos deux pays. En conséquence, elle exprime un avis favorable à l’adoption du projet de loi autorisant sa ratification.
Travaux de la commission des affaires étrangères
Le mercredi 11 juin 2025, à 10 heures, la commission examine le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti, signé à Paris, le 24 juillet 2024.
Mme Éléonore Caroit, présidente. La France entretient une relation étroite avec Djibouti, ancienne colonie devenue indépendante en 1977. Présent militairement depuis 1894, notre pays y maintient sa plus grande base à l’étranger, où stationnent 1 500 personnels militaires et civils. Cette emprise est la seule base française à l’étranger disposant de capacités maritimes, aériennes et militaires permanentes et d’un état-major interarmées.
Le traité de coopération en matière de défense (TCMD), signé à Paris le 2 juillet 2024, a pour objectif de renforcer de façon ambitieuse la relation bilatérale de défense entre la France et Djibouti et de garantir durablement l’accès français à des infrastructures stratégiques. Renouvelant le précédent accord signé en 2011 et entré en vigueur en 2014, ce nouveau traité a été conclu pour une durée de vingt ans reconductible.
Dans ce traité, la France s’engage à approfondir sa coopération avec Djibouti, notamment par le renforcement des capacités des forces armées djiboutiennes (FAD) et par un appui médico-militaire. En contrepartie, les forces françaises à Djibouti (FFDj) conserveront des facilités opérationnelles, notamment l’usage à titre permanent mais non exclusif de l’aéroport d’Ambouli.
La partie djiboutienne a souhaité revaloriser la contribution forfaitaire annuelle payée par la France pour continuer à bénéficier des emprises qu’elle utilise. Il n’en demeure pas moins que ce traité présente un intérêt certain, en raison de la position stratégique essentielle de Djibouti sur la principale route maritime entre l’Europe et l’Asie, où transitent une grande partie des importations françaises et 15 % des besoins en hydrocarbures de France métropolitaine.
La base française décuple nos capacités de projection vers l’Indopacifique et vers les outremers. Elle permet également à notre pays de contribuer à la stabilisation de la région par la lutte contre le terrorisme dans le cadre des opérations anti-piraterie Aspides et Atalante. Par ailleurs, Djibouti abrite quatre autres bases militaires étrangères où stationnent des forces américaines, chinoises, italiennes et japonaises. C’est dire la compétition stratégique qui s’y joue et l’importance de notre vote en faveur de la ratification de ce texte.
M. Marc de Fleurian, rapporteur. La République de Djibouti est un petit pays, d’une surface de 23 000 km2 et d’une population de 1,2 million d’habitants. Sa position géographique entre la Corne de l’Afrique et la péninsule arabique, à l’orée de la mer Rouge, en fait un acteur diplomatique de premier plan. Sur le plan sécuritaire, Djibouti est à proximité immédiate de plusieurs foyers d’instabilité tels que le Soudan, le Yémen, la Somalie et l’Éthiopie, où une guerre civile dans le Tigré a fait plus de 600 000 morts de 2020 à 2022.
Tout cela en fait un poste d’observation et d’action privilégié pour les forces occidentales et asiatiques engagées pour la paix et dans la lutte contre le terrorisme et la piraterie. Ces conflits affectent directement Djibouti, qui subit des flux migratoires importants – environ 200 000 Éthiopiens ont transité par Djibouti en 2024 – ainsi qu’une menace terroriste élevée – plusieurs attentats ont été commis par les Shebabs somaliens et par le groupuscule djiboutien du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD). C’est pour cette raison que l’armée djiboutienne s’est directement impliquée, à hauteur de plus de 1 200 soldats, dans la mission de stabilisation de l’Union africaine (UA) en Somalie.
Djibouti occupe également une position clé du point de vue économique. Son port donne sur la principale route maritime reliant l’Europe à l’Afrique et à l’Asie par le canal de Suez, à hauteur du détroit de Bab el-Mandeb séparant les côtes djiboutienne et yéménite – large de seulement 27 kilomètres –, par lequel passe 30 % du trafic mondial de conteneurs et 10 % du commerce pétrolier mondial.
Cette position en fait un point névralgique pour la sécurité des routes commerciales internationales, notamment dans un contexte où les attaques houthies à l’encontre des navires de marchandises se multiplient depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël. C’est depuis Djibouti que l’Union européenne (UE) mène les opérations Atalante et Aspides visant à lutter contre ces attaques et, plus largement, contre la piraterie. Djibouti est aussi une porte digitale pour notre continent : dix-sept câbles sous-marins reliant l’Asie, l’Afrique et l’Europe passent au large de ses eaux territoriales ; je salue les ouvriers calaisiens qui participent à leur construction.
Cette importance n’a échappé à aucune des grandes puissances militaires. Cinq d’entre elles, dont trois dotées de l’arme nucléaire, disposent d’une base militaire à Djibouti : la France depuis l’indépendance en 1977 ; les États-Unis depuis 2003, avec environ 4 000 soldats ; le Japon depuis 2011, avec environ 400 soldats ; l’Italie depuis 2012, avec environ 300 personnels ; la Chine depuis 2017, avec environ 1 000 soldats sur une base pouvant en accueillir jusqu’à 7 000. La France y possède sa plus grande base militaire à l’étranger, avec près de 1 500 personnels, la seule à disposer de capacités permanente maritimes, terrestres et aériennes, ainsi que d’un état-major interarmées. Cette présence offre une grande réactivité opérationnelle et une capacité de projection vers le Sahel, vers l’océan Indien et vers nos territoires ultramarins.
Depuis 2000, cette base a servi à une quinzaine d’opérations extérieures (Opex). Récemment, les FFDj ont rapatrié plus de 1 000 ressortissants de quatre-vingts nationalités différentes lors des affrontements armés au Soudan. En 2024, la base de Djibouti a servi d’appui logistique pour l’opération de soutien à Mayotte après le passage du cyclone Chido.
Dans un contexte de redéploiement de la présence militaire française en Afrique et de développement de la stratégie de la France dans l’Indopacifique, la base de Djibouti s’impose plus que jamais comme un atout central de notre dispositif de défense. Elle devrait bénéficier d’un réinvestissement significatif au cours des prochaines années, permettant notamment d’y construire les infrastructures nécessaires à plusieurs Rafale.
C’est dans le cadre de cette coopération historique et dense que s’inscrit le nouveau traité de défense visant à renouveler et à renforcer notre partenariat bilatéral acté en 2021 par les deux chefs d’État. La renégociation a commencé en mai 2023 et s’est achevée en juillet 2024.
Le traité conclu le 24 juillet 2024 reprend globalement l’architecture de celui de 2014. Il maintient la clause de sécurité prévoyant, sous certaines conditions, la participation de la France à la défense de Djibouti en cas de menace ou d’attaque. Cette clause, unique parmi les accords conclus par Djibouti, a été activée en 2008 lors d’une incursion des troupes érythréennes à la frontière du pays.
Le TCMD rappelle les modalités de la coopération militaire franco-djiboutienne en matière de formation, de conseil et d’armement. Il reconduit les dispositions relatives au statut des membres des FFDj en matière de permis de conduire, de port d’armes et de coopération judiciaire. La France conserve ses installations et sécurise son accès à l’aéroport et à certains quais du port. Elle cède 40 % de l’îlot du Héron, ce qui ne devrait pas affecter ses capacités opérationnelles s’agissant de zones occupées par des logements qui seront relocalisés.
Le nouvel accord prévoit des évolutions dans quatre domaines principaux : le dialogue stratégique ; la coopération civile ; les facilités opérationnelles ; la contribution pour la mise à disposition des installations.
Le traité prévoit la création d’un comité militaire de dialogue stratégique et d’un mécanisme d’alerte ayant vocation à donner une portée plus efficace à la clause de sécurité. Dans le domaine militaro-civil, le traité précise que la France s’engage à apporter une aide médicale aux forces djiboutiennes et, dans la mesure du possible, à la population. Il précise également que la France participe à la régulation du trafic aérien aux côtés de Djibouti.
Par ailleurs, le nouveau traité prévoit une simplification des contraintes administratives. Les déplacements et les exercices nécessiteront désormais une simple notification aux autorités locales ; auparavant, un accord préalable était exigé. S’agissant de la contribution financière, une augmentation significative est prévue : elle passera de 30 à 85 millions d’euros par an.
Cette hausse substantielle doit être appréciée à l’aune de l’étendue des emprises dont bénéficie la France, de la concurrence des autres pays pour s’y implanter et des besoins financiers de Djibouti. Le précédent montant, fixé en 2003, avait été nettement sous-évalué. Par ailleurs, cette contribution est libératoire de toute imposition. Enfin, le traité renégocié prévoit un engagement plus long, de vingt ans au lieu de dix ans, permettant à la France d’avoir une visibilité accrue sur ses actions et une coopération plus approfondie avec nos partenaires djiboutiens.
Compte tenu des enjeux stratégiques précités, il semble indispensable que le Parlement autorise la ratification de ce traité afin de permettre à la France de maintenir sa présence militaire à Djibouti dans un cadre rénové et sécurisé. Ce texte reflète une volonté commune de réviser notre partenariat de manière ambitieuse en consolidant plus de quatre décennies de liens d’amitié et de coopération privilégiée. Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter la ratification du TCMD, à l’instar du Sénat le 21 mai dernier.
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis de la commission de la défense et des forces armées. Je concentrerai mon propos sur les enjeux stratégiques de Djibouti et l’importance subséquente, pour nos armées, du TCMD entre la République française et Djibouti, dont j’ai pris la mesure lors de mon déplacement sur place en compagnie de Yannick Favennec-Bécot, président du groupe d’amitié France-Djibouti.
Djibouti est un pays à la croisée de quatre zones géographiques – la plaque africaine, la plaque arabique, la plaque indienne et la plaque somalienne – et à la jonction de trois espaces stratégiques – l’océan Indien, la mer Rouge et l’Afrique. Djibouti est au cœur des crises régionales, qu’elles soient climatiques, géopolitiques, économiques ou religieuses. Sa position géographique en fait un acteur important en matière stratégique et économique. Djibouti est un carrefour maritime mondial grâce à son ouverture sur le détroit de Bab el-Mandeb, qui est l’un des points névralgiques du commerce mondial, et un carrefour numérique en raison de l’atterrage de câbles sous-marins.
Djibouti est un îlot de stabilité dans un environnement caractérisé par une très forte instabilité. Le pays assure cette stabilité par le biais de son engagement en Somalie. Depuis 2012, plus de 1 200 militaires djiboutiens sont déployés sur le théâtre somalien, au sein de la mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom). Tel est l’environnement volatil et empreint de fortes tensions dans lequel opèrent les FFDj, fortes de plus de 1 450 femmes et hommes, depuis la plus importante base militaire française permanente à l’étranger.
À la fois base opérationnelle avancée disposant de capacités de projection propres et pôle opérationnel de coopération, sa zone de responsabilité permanente englobe neuf pays de la zone. L’importance et l’excellence des FFDj a récemment été illustrée par l’opération d’évacuation des ressortissants français au Soudan, dans le cadre de l’opération Sagittaire, et lors des opérations d’évacuation à Mayotte, à la suite du cyclone Chido.
Par-delà ses dispositions, le TCMD renforce une relation de confiance de longue date, qui s’inscrit dans un cadre juridique clair. Lors de notre déplacement à Djibouti, nous avons échangé avec des amis de la France, défenseurs acharnés de la francophonie et de notre relation bilatérale, qui nous ont fait part, en toute sincérité, de l’affection qu’ils portent à notre pays. Je retiens tout particulièrement les mots prononcés par l’un de nos homologues parlementaires : « Lorsque nous voyons des Français, c’est comme si nous retrouvions de vieux amis ». Puisse cette relation unique entre nos deux pays perdurer !
Pris globalement et à l’aune du contexte stratégique, le TCMD est un accord équilibré, gagnant-gagnant, offrant aux deux parties de la prévisibilité et de la stabilité, en codifiant certaines pratiques, en clarifiant les procédures et en allongeant sa durée, qui passe de dix à vingt ans, soit une génération, ce qui témoigne de la confiance accordée par Djibouti à la France et offre la visibilité nécessaire pour consentir des investissements de long terme. Le comité militaire de dialogue stratégique aura vocation à renforcer le dialogue et la coopération entre nos deux armées afin de répondre à des enjeux communs.
En matière de stationnement des forces, les emprises nécessaires à nos missions opérationnelles sont garanties, voire augmentées, et notre capacité d’entraînement est préservée. Des emprises non opérationnelles seront totalement ou partiellement restituées, notamment sur l’îlot du Héron.
Le TCMD renforce la clause de sécurité par la mention explicite de l’intégrité territoriale de Djibouti, étend la coopération aux forces de sécurité intérieure et renforce la coopération en matière de santé. La commission de la défense nationale et des forces armées a émis un avis favorable à l’adoption de ce traité. J’espère que les membres de la commission des affaires étrangères partageront cette position en votant la ratification du TCMD.
Mme Éléonore Caroit, présidente. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes politiques.
M. Michel Guiniot (RN). L’accord qu’il nous est demandé de ratifier est important pour les relations entre la France et Djibouti. Il s’inscrit dans un contexte géostratégique compétitif : cinq bases étrangères sont présentes dans le même espace, dont les seules bases de la Chine et du Japon à l’étranger et la plus grande base américaine en Afrique.
Pour la France, il s’agit de notre plus grande base à l’étranger, où sont stationnés près de 1 500 soldats, à la demande de la partie djiboutienne. Le maintien de la présence militaire française est conditionné à la restitution de terrains actuellement occupés, notamment 40 % de l’îlot du Héron, au nord de Djibouti, comme le prévoit l’article 11 de l’annexe I du TCMD.
Nous avons la chance d’avoir la base aérienne (BA) n° 188 Colonel Massart, qui nous offre une autonomie stratégique aérienne. S’agissant de notre autonomie stratégique navale, la restitution par la partie française de 40 % de l’îlot du Héron ne risque-t-elle pas de nous mettre en difficulté dans le cadre de notre mission de défense ? Certes, il ne s’agit que d’immeubles d’habitation mais le point 6 de l’article 8 prévoit la possibilité d’une installation militaire étrangère dans cette zone. Au surplus, la partie djiboutienne n’est tenue qu’à une simple information si notre emprise, même à usage exclusif, s’avérait insuffisante pour nos besoins. Devrons-nous partager le port avec la base chinoise implantée à Doraleh ?
Le rapport du Sénat précise que les logements disponibles sur l’île du Héron seront remplacés par des baux dans Djibouti. Il s’agit donc d’une augmentation des charges de logement du personnel, alors même que nous disposions des infrastructures.
L’article 1 de l’annexe III dispose que la France s’engage à verser une contribution forfaitaire annuelle de 85 millions d’euros, soit 55 millions de plus qu’auparavant, en complément d’une augmentation prévue de 50 % du nombre de stagiaires formés chaque année par la France au titre de l’article 5. Quel coût global cette disposition représente-t-elle pour le contribuable ? Le sénateur Robert Xowie l’évalue à 1,2 milliard d’euros par an ; ce montant figure-t-il dans les prévisions ?
Il est nécessaire que la présence française soit forte, tant pour notre stratégie de crédibilité en Afrique que pour la sécurité des denrées qui traversent le détroit de Bab el-Mandeb à destination de l’Europe ou en partance pour l’Europe. Le groupe Rassemblement national votera le texte.
M. Marc de Fleurian, rapporteur. La restitution de l’îlot du Héron a une importance symbolique pour les Djiboutiens. Le foncier y a pris beaucoup de valeur, s’agissant d’une emprise située dans une partie très valorisée de Djibouti-ville. Il est normal, en tant que partenaire, de répondre à cette demande de nos alliés. Le relogement des personnels n’induira aucun surcoût et sera même source d’économies : les familles seront logées en ville, ce qui externalisera le coût du logement, et les célibataires au camp du 5e régiment interarmes d’outre-mer (RIAOM) ou à la BA 188. Concentrer les emprises offre un gain financier à nos forces.
La restitution d’une partie de l’îlot du Héron n’amoindrira pas nos capacités opérationnelles, dans la mesure où nous conservons les ateliers et les capacités de mise à l’eau. Nous n’aurons pas à faire appel aux Chinois, dans la mesure où nous conservons la capacité historique de nos emprises, qui peuvent accueillir 5 000 personnels, soit trois fois plus que l’effectif actuel. De surcroît, l’armée française a la capacité de densifier les camps et le fait régulièrement en opération lorsqu’il faut monter en puissance, par exemple récemment au camp Kossei, au Tchad, et à l’aéroport de Bangui. Il nous arrive de multiplier par dix la population de militaires accueillis dans une emprise, sans difficulté.
S’agissant de l’augmentation de la contribution forfaitaire annuelle de plus 55 millions d’euros, il faut déduire des 85 millions annuels quelque 4 millions en taxes et impôts divers, ce qui ramène le montant à 81 millions en fait. Cette réévaluation s’inscrit dans le contexte de la concurrence avec les autres puissances. En réalité, les Djiboutiens nous font un prix d’ami, d’autant que nos emprises sont vastes, bien davantage que celles des autres puissances.
Le coût des stagiaires djiboutiens accueillis en France en formation initiale, d’application ou technique est de l’ordre de quelques dizaines de milliers d’euros par an, dans le cadre d’une coopération dont bénéficient de nombreux pays alliés et amis.
Le montant de 1,2 milliard d’euros avancé par notre collègue sénateur correspond quant à lui au fonctionnement global des FFDj : la masse salariale des militaires projetés, le kérosène des avions et le fioul des bateaux en passant par leur maintenance, soit les dépenses engagées pour toute force prépositionnée.
M. Michel Guiniot (RN). Devrons-nous partager le port avec la base chinoise ?
M. Marc de Fleurian, rapporteur. Le TCMD sécurise le quai n° 9, auquel nous amarrons les bâtiments de la marine nationale, et permet l’accès ponctuel aux quais n° 8 et 10. Nous sécurisons donc un quai et la capacité de nous étendre si nous devions accueillir davantage de bâtiments de la marine.
Mme Amélia Lakrafi (EPR). Le TCMD a une valeur hautement stratégique pour la France et pour Djibouti, pays-clé de ma circonscription et fidèle allié de longue date. Il renouvelle et renforce un partenariat qui est tout sauf symbolique. Il s’inscrit dans une histoire dense et profonde, dont j’ai personnellement pris la mesure à Djibouti en mai 2021, aux côtés du ministre Jean-Baptiste Lemoyne : j’y ai ressenti la force du lien franco-djiboutien, incarnée par la présence de plus de 4 000 Français, dont de nombreux binationaux, et par la présence de nos 1500 militaires au cœur de notre plus grande base à l’étranger. Ce lien est aussi incarné par la francophonie vivante, assumée et partagée : dans une région majoritairement anglophone, Djibouti fait figure de bastion francophone, ce qui donne encore plus de sens à notre engagement mutuel.
À l’heure où notre présence militaire en Afrique se réduit, conformément aux objectifs du discours de Ouagadougou prononcé par notre président en 2017, la base de Djibouti est devenue notre dernier ancrage stratégique permanent sur le continent, avec celui de Libreville. Dans un contexte où d’autres puissances s’implantent, maintenir cette coopération est essentiel, non seulement pour des raisons diplomatiques mais aussi pour la sécurité collective. L’opération Sagittaire d’évacuation de nos compatriotes à Khartoum, menée depuis Djibouti, fut un exemple éclatant de l’efficacité de notre dispositif militaire et diplomatique ; j’en profite pour saluer chaleureusement le professionnalisme de nos forces armées et de notre réseau diplomatique, ainsi que la coopération précieuse des autorités djiboutiennes.
Le TCMD comporte plusieurs avancées notables : une clause de sécurité exclusive ; une durée de vingt ans, synonyme de confiance ; une coopération militaire et civile renforcée au service des populations. À l’heure où quelques pays, notamment ceux de l’Alliance des États du Sahel (AES), ont avec la France des relations tendues, il est essentiel de rappeler que cinquante des cinquante-quatre États africains, soit la très grande majorité d’entre eux, entretiennent avec nous des relations de confiance dynamiques et respectueuses. Dans ce contexte, quels sont les facteurs qui font de Djibouti un partenaire stable et engagé à nos côtés ?
M. Marc de Fleurian, rapporteur. Vous avez raison de saluer les 5 000 Français installés à Djibouti, parmi lesquels des militaires avec leurs familles et un tiers de franco-djiboutiens, que nous saluons.
La durabilité de notre partenariat avec Djibouti s’explique par le fait qu’il s’agit d’une coopération entre nos deux pays, qui est un facteur de stabilité pour les Djiboutiens. La coopération privilégiée avec la France leur assure un équilibre et leur permet de conserver leur liberté d’action vis-à-vis des autres puissances implantées sur place.
Les Djiboutiens ne sont pas demandeurs d’un partenariat privilégié avec les Américains ni avec les Chinois. Avec la France, ils savent qu’ils ont affaire à un partenaire respectueux, qui s’inscrit d’emblée dans une relation équilibrée et joue un rôle d’arbitre entre les grandes puissances présentes sur leur sol.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). L’accord de défense entre la France et Djibouti qui nous est soumis constitue à nos yeux un texte de haute importance stratégique. Il s’inscrit dans une continuité qui ne doit rien au hasard, celle de la présence de nos forces armées dans une région du monde dont le rôle géopolitique est de plus en plus central. Djibouti occupe une position cruciale, à la croisée des routes maritimes internationales, aux portes de la mer Rouge et à l’entrée du détroit de Bab el-Mandeb. Cette voie relie la Méditerranée à l’océan Indien et aux principales zones économiques d’Asie. Elle constitue l’un des axes vitaux du commerce mondial : près de 70 % du trafic maritime de et vers l’Union européenne y transite.
Or cette zone est caractérisée par des instabilités récurrentes, qui rendent impérative une capacité de présence, de dissuasion et de sécurisation. Dans ce contexte, la base militaire française à Djibouti est un outil opérationnel indispensable. Elle permet de garantir la liberté de navigation, de protéger les navires battant pavillon français et, plus largement, de défendre nos intérêts stratégiques.
Elle constitue également un point d’appui pour la projection de nos forces vers des régions sensibles telles que le Moyen-Orient et l’Asie de l’Est. Elle joue un rôle logistique essentiel entre l’Hexagone, La Réunion et Mayotte. Elle a notamment permis d’assurer des interventions rapides et efficaces lors des récentes catastrophes naturelles subies par ces territoires.
Si nous reconnaissons la portée stratégique du TCMD, nous ne saurions fermer les yeux sur la situation politique préoccupante qui prévaut à Djibouti. Le président Ismaïl Omar Guelleh dirige le pays depuis 1999. À cette longévité s’ajoute un exercice du pouvoir autoritaire : répression des opposants, restriction des libertés publiques, violations persistantes des droits fondamentaux.
Nous avons le devoir de le rappeler. Cela fait partie intégrante de notre responsabilité politique. Notre soutien au TCMD n’est pas un silence complice. Il doit être associé à une exigence claire : le respect des droits humains et des libertés fondamentales. La coopération militaire ne peut pas effacer nos principes.
Notre groupe, tout en affirmant sa vigilance à l’égard de la situation intérieure de Djibouti, votera la ratification du TCMD, car il sert les intérêts de la France, sans renier les valeurs qui fondent notre engagement républicain.
M. Marc de Fleurian, rapporteur. Avoir la France pour partenaire privilégié est une opportunité pour les Djiboutiens en matière de respect des droits de l’Homme. Il n’en irait peut-être pas ainsi s’ils choisissaient la Chine ni même les États-Unis. La France joue en la matière un rôle d’amélioration que d’autres puissances ne joueraient pas.
Il est donc nécessaire que la France demeure le partenaire privilégié de Djibouti et n’y réduise pas sa présence. Sa plus-value est illustrée par la multiplicité de nos partenariats. Ainsi, l’école internationale de perfectionnement à la pratique de la police judiciaire (EI3PJ) a pour mission de diffuser des bonnes pratiques dans ce domaine. Les choses évoluent progressivement, dans le respect de la souveraineté des États.
M. Nicolas Forissier (DR). Le groupe Droite républicaine se prononcera pour l’adoption de ce traité d’une grande importance stratégique. Monsieur le rapporteur, eu égard aux enjeux stratégiques, considérez-vous que l’investissement de la France est suffisant ou qu’il faudra renforcer les moyens consacrés à cette base militaire ?
Par ailleurs, dans le cadre de la lutte d’influence entre la Chine et les États-Unis, la France peut être une puissance d’équilibre offrant une troisième voie, comme le souhaitent les Djiboutiens. Ne devrait-elle pas s’inspirer davantage du modèle établi à Djibouti pour guider sa politique étrangère et de défense au Moyen-Orient et, plus globalement, dans la zone Asie-Pacifique ? Djibouti n’est-il pas, en quelque sorte, le parfait exemple de ce que la France doit continuer à construire ? Cela suppose un renforcement des moyens, pas forcément facile à obtenir dans le contexte budgétaire actuel.
M. Marc de Fleurian, rapporteur. Les forces positionnées à Djibouti sont significatives : un régiment interarmes complet avec une compagnie d’infanterie, un escadron blindé, une compagnie d’appui mixte, des moyens de l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT) et de l’armée de l’air et de l’espace (AAE), des hélicoptères de manœuvre et d’assaut, des moyens navals, un détachement permanent de forces spéciales, un escadron de Mirage prochainement remplacés par des Rafale. Nous avons déjà la capacité d’agir sur l’intégralité du spectre.
À mon sens, l’équilibre est bon entre le coût du prépositionnement des forces et nos besoins. Nous savons également monter en puissance, comme nous le faisons à chaque crise, et multiplier assez vite par deux, par cinq ou par dix les forces positionnées sur nos emprises. L’infrastructure de Djibouti permettrait d’accueillir rapidement une telle montée en puissance.
Il faut en effet s’inspirer du modèle djiboutien pour construire ou reconstruire des relations équilibrées, notamment avec nos partenaires africains, compte tenu de la réduction de notre présence militaire sur le continent. Djibouti est également un partenaire privilégié car il nous permet de proposer un modèle qui marche, fondé sur des relations rénovées.
M. Stéphane Hablot (SOC). On ne doit pas être manichéens. Mieux vaut en effet que ce soit la France plutôt que la Chine ou les États-Unis qui s’implantent là-bas. Le TCMD est essentiel. Notre groupe votera sa ratification.
Monsieur le rapporteur, vous avez été militaire. Vous savez donc que la coopération militaire est une priorité. Elle nécessite confiance et loyauté. Nous avons évoqué tout à l’heure la francophonie. La France investit dans le développement urbain, dans la santé, l’énergie et l’éducation.
Cependant, une affaire en cours montre que l’on doit dialoguer et faire évoluer les choses, notamment le respect des droits fondamentaux. Une enfant de nationalité française a été enlevée. Certes, il s’agit d’une affaire privée mais les décisions de justice, en France et à Djibouti, vont dans le même sens sans être appliquées. Quand la justice est ignorée, il n’y a plus de confiance. Le président de la République s’en est mêlé.
L’affaire de la petite Liya Lider a fait du bruit. Comment avoir confiance dans les règles de sécurité et de défense ? Nous disons oui à l’alliance stratégique, oui à la souveraineté nationale. Le temps des vieilles habitudes de la Françafrique est révolu. Mais on ne doit pas s’asseoir sur les principes fondamentaux.
L’amitié entre la France et Djibouti mérite mieux que des silences. Nous le disons haut et fort et nous le dirons bientôt au nouvel ambassadeur de France nommé à Djibouti : nous devons dialoguer pour faire respecter nos droits fondamentaux.
M. Marc de Fleurian, rapporteur. La coopération judiciaire est formellement renforcée et sécurisée dans le cadre du traité. Pour le cas particulier que vous évoquez, je m’abstiendrai de tout propos car la moindre prise de parole peut empêcher la résolution du problème.
M. Stéphane Hablot (SOC). Je suis totalement d’accord avec vous. Il s’agit de faire appliquer une décision de justice.
Mme Clémentine Autain (EcoS). La porte d’entrée de la mer Rouge et du golfe d’Aden, le détroit de Bab el-Mandeb, a une importance stratégique évidente, puisqu’il permet de relier la Méditerranée à l’océan Indien. C’est un point de passage crucial pour l’Europe, où transite 70 % de son trafic maritime.
L’intérêt stratégique de Djibouti n’est pas à démontrer. La France, son ancienne puissance coloniale, le sait d’ailleurs très bien. Depuis l’indépendance de 1977, notre pays conserve une présence militaire dont nous discutons ce matin le renouvellement pour vingt ans. Ce traité renforce celui de 2014, notamment en rétrocédant 40 % de l’îlot du Héron à Djibouti et en revalorisant le loyer annuel de notre base, qui passera à 85 millions d’euros.
Ce nouveau texte conforte notre implantation dans la région, où les enjeux de sécurité sont nombreux – actes de piraterie des milices shebab depuis la Somalie, attaques des rebelles houthis du Yémen – et menacent la circulation maritime. Djibouti est indispensable pour sécuriser ces flux. Notre base est aussi un relais utile pour connecter l’Hexagone à La Réunion et à Mayotte, que nous avons ainsi pu aider en urgence après le passage des cyclones. C’est la raison pour laquelle nous voterons le texte.
Toutefois, je mets deux questions sur la table. Premièrement, quel est notre but ? Il me semble nécessaire d’ouvrir un débat sur notre présence militaire en Afrique en relation avec les autres puissances, en particulier la Chine, qui rayonne de plus en plus fortement. Dès lors que nous sommes d’accord pour sortir de la Françafrique, il est important de s’interroger sur notre objectif.
Ce mélange de présence militaire et de diplomatie au moment où les moyens diplomatiques sont sabrés m’intrigue énormément. Nous ne pouvons admettre que notre diplomatie se réduise à une présence militaire qui peut susciter un véritable rejet. On ne voit pas la France avec le regard bienveillant que certains décrivaient tout à l’heure. Nous ne sommes pas les bienvenus au prétexte que notre présence serait ancienne. Ce n’est pas ainsi que les choses se passent sur le terrain. J’attends du gouvernement et de ceux qui signent ces textes des axes stratégiques plus percutants et plus intéressants sur le sens de ce que nous voulons faire.
Cela m’amène au deuxième point, qui a déjà été soulevé. Le régime à Djibouti est autocratique, avec un président en poste depuis 1999. Ce régime est accusé de crimes de guerre, de torture. Quelle sera la parole de la France à cet égard ? La France plaidera-t-elle pour la démocratisation du régime, en particulier le droit de l’opposition à concourir aux élections parlementaires ? Mon vote n’est pas un blanc-seing.
M. Marc de Fleurian, rapporteur. Je ne sais que vous répondre. Alors selon vous, on arrête de faire de la diplomatie et de projeter notre puissance ? On laisse les Chinois et les Américains se partager le monde et on ne fait plus rien, en attendant que ça passe ?
Mme Clémentine Autain (EcoS). Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Marc de Fleurian, rapporteur. Quoi qu’il en soit, le monde viendra à nous. Que proposez-vous, sachant que 70 % des pays ne respectent pas les normes démocratiques ? Voulez-vous qu’on arrête de travailler avec le monde ? Que nous nous enfermions entre nous ?
J’ai l’impression qu’on joue à la dînette, que l’on vit dans le monde des Bisounours. Le monde réel existe et il faut faire au mieux avec ce que l’on a.
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. La Françafrique n’est plus. La France n’est pas le seul pays militairement présent à Djibouti. Ce nombre est peut-être l’argument le plus fort. Djibouti est un État souverain ayant envie que la France soit présente.
Quant à la feuille de route, l’objectif est de reprendre des relations avec les pays du continent africain. Djibouti jouera un rôle majeur pour renouer des relations de coopération. Nous avons confiance dans son rôle.
Nos projets avec Djibouti sont énormes. Les câbles sous-marins passent là-bas : on assure donc notre souveraineté en matière de télécommunications. Nous allons coopérer autour d’un programme spatial. Nous avons des projets de fond. Ce n’est pas simplement une présence militaire. Le TCMD permet d’évoluer vers une coopération beaucoup plus large, dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la communication et de la recherche.
Mme Louise Morel (Dem). Ce projet de loi est crucial pour notre posture stratégique en Afrique de l’Est et dans l’océan Indien. Situé au débouché du détroit de Bab el-Mandeb, par lequel transitent 12 % du commerce mondial, notamment plus de 6 millions de barils de pétrole par jour, Djibouti a une position géostratégique majeure.
C’est aussi un îlot de stabilité dans une région marquée par les instabilités. Depuis la fin de l’année 2023, la mer Rouge est le théâtre d’attaques répétées des Houthis, qui ont fortement perturbé le trafic maritime, réduit d’environ 40 %. À cela s’ajoute la piraterie, autre facteur de déstabilisation contre laquelle l’Union européenne est engagée depuis 2008 dans le cadre de l’opération Atalante.
La France entretient avec Djibouti une relation de défense privilégiée, de confiance, depuis l’indépendance du pays en 1977. L’accord, signé en 2011 et entré en vigueur en 2014, n’est plus à jour. Or, depuis plusieurs années, Djibouti est devenu un centre d’accueil privilégié des opérations militaires, humanitaires et de renseignement.
Outre la France et les États-Unis, d’autres puissances y sont implantées. C’est à Djibouti que la Chine, en 2017, a créé sa première base militaire à l’étranger. Dans ce contexte, nous saluons le nouveau TCMD, signé à Paris le 24 juillet par les présidents Emmanuel Macron et Ismaïl Omar Guelleh, qui vise à adapter notre partenariat militaire bilatéral.
La ratification de ce traité représente des opportunités pour notre pays. Pour les 1 500 militaires présents sur place, que je salue, il modernise notre partenariat en sécurisant d’un point de vue juridique et opérationnel la présence des forces françaises pour les vingt prochaines années. Il renforce nos capacités d’intervention dans la Corne de l’Afrique. Il instaure un comité militaire de dialogue stratégique renforçant le dialogue entre nos états-majors. Il offre un régime juridique clair et stable à nos militaires. Enfin, il confirme – et c’est là le plus important – le rôle de la France comme garante de la sécurité du territoire de Djibouti en cas d’agression extérieure.
Ratifier ce traité, c’est renforcer notre souveraineté stratégique, protéger nos intérêts sécuritaires et affirmer la voix de la France sur un continent de plus en plus disputé. Le groupe Démocrates votera ce texte.
M. Bertrand Bouyx (HOR). Le groupe Horizons votera lui-aussi ce texte. Je souhaite vous interroger sur les liens que Djibouti entretient avec la gendarmerie nationale par le biais de l’EI3PJ, créée en 2016. C’est une école importante pour les Djiboutiens ainsi que pour toute l’Afrique francophone, qui s’y forme aux bonnes pratiques. Dans un moment où l’Afrique est déstabilisée et où la menace terroriste est présente, quelles sont les perspectives pour cette école ?
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Ce ne sont plus seulement les forces armées qui sont concernées dans le traité mais aussi les forces de sécurité, dont les forces de sécurité intérieure de Djibouti. Avec Yannick Favennec-Bécot, nous avons pu découvrir sur place la qualité de l’enseignement dispensé par la gendarmerie, qui forme notamment les équipes de l’équivalent djiboutien du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). L’État djiboutien est très demandeur de la compétence française pour accompagner ses forces de sécurité. Il attend particulièrement l’expertise de la France pour faire face à la pression migratoire et lutter contre le terrorisme. Cette base définie par le traité sera amenée à évoluer sur le terrain.
M. Yannick Favennec-Bécot (LIOT). La promotion de la francophonie figure dans le préambule du nouveau TCMD. C’est un enjeu capital pour le rayonnement de la France à Djibouti. Son inscription dans le traité traduit l’attachement réciproque des deux parties à la langue française.
Je rappelle que notre langue est, aux côtés de l’arabe, la langue officielle de Djibouti. Le français reste très présent dans l’administration, l’enseignement, les médias et la vie culturelle. C’est un héritage de la présence française dans le pays. Notre langue est aussi un pilier institutionnel et continue d’être une langue de travail et de transmission des savoirs.
Cependant, l’anglais, porté par la mondialisation, la diplomatie régionale et les partenariats internationaux, gagne du terrain. Dans les universités et les entreprises, l’anglais s’impose peu à peu comme la langue d’opportunité, notamment parmi la jeune génération. Djibouti devient un carrefour linguistique. Le français, l’anglais, l’arabe, le somali, l’afar s’adaptent et se redéfinissent.
Nous devons donc d’urgence nous interroger sur l’avenir de la langue française dans un pays en pleine mutation linguistique. Nos homologues djiboutiens ont beaucoup insisté sur ce point. Ils attendent beaucoup de nous dans ce domaine. Nous devons réfléchir et travailler ensemble sur ce sujet, rapidement et concrètement. La promotion de la francophonie est très importante pour l’avenir de notre relation avec ce beau pays ami qu’est Djibouti.
M. Marc de Fleurian, rapporteur. Un accord-cadre entre les ministères de l’éducation nationale des deux pays a été signé en juin 2023. Il a conduit à la création d’un programme d’échanges entre l’école d’excellence de Djibouti et des classes préparatoires aux grandes écoles en France, à Nancy, Poitiers et Paris. La France participe également à la construction du musée sur l’emplacement de l’ancienne gare de Djibouti. L’Institut français de Djibouti (IFD) joue aussi un rôle essentiel. Nous travaillons avec les Djiboutiens parce que nous avons certes des intérêts communs mais plus encore une façon de penser et d’appréhender le monde en partage que nous donne la pratique du français.
Mme Éléonore Caroit, présidente. Je donne à présent la parole à nos collègues qui souhaitent intervenir à titre individuel.
Mme Christine Engrand (NI). Ce traité, présenté comme une modernisation nécessaire de nos engagements, entérine des obligations lourdes pour notre pays. La contribution forfaitaire annuelle de 85 millions d’euros, exonératoire de toute taxe, interroge sur la soutenabilité budgétaire d’un tel dispositif, d’autant qu’aucun mécanisme sérieux d’évaluation de son efficacité n’est prévu avant la dix-neuvième année d’application du traité. En cas de dérive budgétaire ou de hausse des coûts logistiques, la France pourra-t-elle renégocier les termes financiers ou serons-nous pieds et poings liés pendant vingt ans ?
M. Marc de Fleurian, rapporteur. La contribution a été réévaluée, afin de restaurer une relation paritaire avec nos partenaires. Celle de 30 millions d’euros était insuffisante, presque irrespectueuse. Il faut se demander combien aurait coûté l’opération Sagittaire sans Djibouti – peut-être plus de 85 millions d’euros, sans compter les vies humaines perdues. La sécurisation de la mer Rouge et du détroit de Bab el-Mandeb a une valeur inquantifiable. D’ailleurs, l’augmentation des coûts en Europe est en partie due au fait que 40 % du trafic qui passait par le détroit de Bab el-Mandeb passe désormais par le cap de Bonne-Espérance. Cela a un impact direct sur les ménages français. Ces 85 millions d’euros sont largement rentabilisés, peut-être même dès le premier mois de chaque année de coopération.
M. Jérôme Buisson (RN). Il est rare de voir autant de bases militaires les unes à côté des autres. Quelles sont leurs relations de voisinage ?
M. Marc de Fleurian, rapporteur. Comme pour un bien immobilier, trois choses comptent pour l’implantation d’une base militaire : l’emplacement, l’emplacement, l’emplacement ! Il est donc normal que tout le monde se trouve au même endroit. En l’espèce, ce sont les autres pays qui nous ont rejoints.
Les Djiboutiens refusent fermement que les querelles entre Américains et Chinois, en mer de Chine et en mer du Japon, soient importées sur la façade occidentale de l’océan Indien. À cet égard, la France joue un rôle prédominant, puisque c’est elle qui assure, en soutien des Djiboutiens, la police du ciel, la coordination des opérations militaires aériennes, notamment des missions américaines vers le Yémen, et la police des eaux.
Nous accueillons également sur nos emprises le détachement espagnol participant à l’opération Atalante. C’est la France qui a ce rôle de coordinateur. Si les Djiboutiens ont demandé que toutes les parties tiennent des réunions pour purger les éventuels différends de la vie quotidienne, c’est bien la France qui, dans ce traité, se voit confier, en appui et en faveur des Djiboutiens, un certain nombre de fonctions-clés que nous remplissons en tant que puissance d’équilibre.
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Il faut noter que les familles des militaires français sont présentes. Leurs enfants sont scolarisés à Djibouti. Nous sommes une nation ouverte non seulement sur Djibouti mais également sur les pays présents militairement.
Il ne faut pas oublier non plus le rôle essentiel que joue l’ambassade de France à Djibouti, en accueillant les autorités étrangères. Les responsables militaires y rencontrent également leurs homologues. Il y a des échanges avec toutes les nations présentes à Djibouti. Nous ne sommes pas enfermés sur nous-mêmes. On vit à Djibouti, on consomme à Djibouti et on rencontre les forces militaires étrangères à Djibouti.
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Article unique (autorisation de la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti, signé à Paris le 24 juillet 2024)
La commission adopte l’article unique non modifié.
L’ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
Travaux de la commission de la défense nationale et des forces armées saisie pour avis
Le mercredi 4 juin 2025, à 11 heures, la commission examine pour avis le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti, signé à Paris, le 24 juillet 2024.
M. le président Jean-Michel Jacques. Conclu pour une durée de dix ans, le précédent traité de coopération en matière de défense (TCMD) est arrivé à échéance le 30 avril 2024. S’il était tacitement renouvelable, la France et Djibouti ont souhaité procéder à une révision du traité afin de renforcer leur partenariat stratégique pour les prochaines décennies. Les négociations, qui ont débuté en février 2021, ont abouti le 24 juillet 2024.
Le nouveau TCMD reprend pour une large partie les stipulations du précédent, comme en témoigne le maintien de la clause de sécurité, qui prévoit notamment la participation de la France à la police de l’espace aérien et à la surveillance des eaux territoriales de la partie djiboutienne. Le traité reprend également les formes de coopération agréées avec les forces djiboutiennes ainsi que le régime auquel sont soumises les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj).
Parmi les quelques modifications opérées, je me réjouis tout particulièrement de l’extension de la durée de validité du traité, qui passe de dix à vingt ans. J’y vois un gage de confiance et la marque de la profondeur des liens qui unissent nos deux pays.
Madame la rapporteure, vous avez dressé un panorama complet des enjeux de ce traité et de la présence militaire française à Djibouti dans votre avis. Nous avons hâte d’entendre vos conclusions.
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. C’est en ma qualité de rapporteure pour avis des crédits du programme 144, Environnement et prospective de la politique de défense, de la mission Défense du projet de loi de finances (PLF), que j’ai souhaité porter cet avis sur le projet de loi autorisant la ratification du TCMD. En effet, la contribution forfaitaire versée au profit de la République de Djibouti est financée grâce aux crédits de l’action 8 du programme 144.
Par ailleurs, j’ai eu à cœur d’appréhender le TCMD de manière concrète. À ce titre, j’ai souhaité effectuer un déplacement à Djibouti, afin de voir et de ressentir. Je remercie le président de la commission et les membres du bureau d’avoir autorisé la création de cette mission, qui a nourri ma réflexion et m’a permis d’aborder de manière factuelle et objective les enjeux de défense à Djibouti et, plus largement, la relation bilatérale qui lie nos deux pays.
Dans le cadre de mes travaux, j’ai également auditionné plusieurs représentants du ministère des Armées et du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français.
Mon propos liminaire sera organisé en trois parties : un panorama de la géopolitique de Djibouti ; une présentation de l’action des FFDj ; et une revue des principales modifications apportées au traité.
Djibouti est un pays singulier, situé à la croisée de quatre zones géographiques : les plaques africaine, arabique, indienne et somalienne. Le pays se trouve aussi à la jonction de trois espaces stratégiques : l’océan Indien, la mer Rouge et l’Afrique. De ce point de vue, en dépit de sa localisation en Afrique, Djibouti est à la fois un pays africain et un pays arabe. En outre, il est au cœur de toutes les crises régionales : climatique, géopolitique, économique et religieuse. Au-delà, le pays ne laisse pas indifférent tant il est fascinant et unique.
La position géographique de Djibouti en fait un acteur important sur les plans stratégique et économique. En effet, le pays se situe à la fois sur un carrefour maritime mondial grâce à son ouverture sur le détroit de Bab-el-Mandeb, l’un des points névralgiques du commerce mondial, et sur un carrefour numérique, en raison de l’atterrage des câbles sous-marins.
Le pays est également un débouché portuaire majeur pour les États d’Afrique de l’Est, surtout pour l’Éthiopie enclavée, dont 90 % des biens exportés transitent par Djibouti.
Sur le plan militaire, le pays est impliqué dans les efforts de stabilisation régionale, par le biais de son engagement en Somalie depuis 2012. Plus de 1 200 militaires sont ainsi déployés au sein de la mission de maintien de la paix de l’Union africaine en Somalie, ce qui représente un investissement conséquent pour les forces armées djiboutiennes, composées d’environ 12 000 hommes.
Dans la région, Djibouti est donc considéré comme un îlot de stabilité au sein d’un environnement immédiat volatil, en constante évolution.
Sur le plan international, Djibouti est un allié traditionnel des pays occidentaux, notamment de la France et des États-Unis. Le pays a développé une stratégie de diversification de ses partenariats à partir des années 2000 et a considérablement renforcé ses relations avec certaines puissances asiatiques, en particulier avec la Chine. Membre de la Ligue arabe depuis 1977, Djibouti renforce également ses relations avec certains pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, notamment avec l’Arabie saoudite, la Turquie ou le Maroc.
J’en viens aux FFDj, qui sont présentes sur le territoire djiboutien depuis l’indépendance du pays en 1977. Fortes de plus de 1 450 femmes et hommes, les FFDj constituent la plus importante base militaire française permanente à l’étranger. Elles forment à la fois une base opérationnelle avancée, disposant de capacités de projection propres, et un pôle opérationnel de coopération. Leur zone de responsabilité permanente englobe neuf pays : Djibouti, l’Éthiopie, l’Érythrée, la Somalie, le Soudan, le Soudan du Sud, l’Ouganda, le Kenya et le Yémen.
Les missions des FFDj sont les suivantes : contribuer, en application de la clause de sécurité du TCMD, au maintien de l’intégrité territoriale de Djibouti en assurant la participation de la France à la police du ciel et à la surveillance des eaux territoriales ; assurer leur contrat opérationnel en étant en mesure d’appuyer toute unité projetée dans la région et de conduire des opérations dans la zone de responsabilité permanente ; planifier et conduire des actions de partenariat militaire opérationnelles ; contribuer à l’appréciation autonome de situations ; assurer la protection des intérêts français dans la zone ; et garantir la liberté de navigation dans la région et soutenir les bâtiments en escale.
Par ailleurs, les FFDj offrent aux unités de métropole des possibilités d’entraînement dans un environnement régional exigeant, ce dont j’ai pu me rendre compte lors de ma visite du centre d’entraînement au combat et d’aguerrissement au désert (Cecad) et du centre d’entraînement des commandos à Arta plage.
Les FFDj constituent aussi une force interarmées, qui dispose d’un large spectre de capacités, que je voudrais détailler.
L’état-major interarmées a pour mission de planifier et de conduire les activités des FFDj dans tous les champs.
Le 5e régiment interarmes d’outre-mer est composé d’une compagnie d’infanterie, d’un escadron blindé, d’une compagnie d’appui mixte génie combat / artillerie sol-sol, du Cecad, d’un détachement de l’aviation légère de l’armée de Terre ainsi que d’une compagnie de commandement, de logistique et de maintenance.
La base aérienne 188 comprend deux escadrons, une escale aérienne militaire, un centre de commandement des actions aériennes, un centre de contrôle aérien et des moyens de protection et de soutien aéronautique.
La base navale compte deux chalands de transbordement maritime, deux pousseurs, deux vedettes rapides, un détachement de marins-pompiers et un détachement de la force maritime des fusiliers marins et commandos.
Les FFDj comprennent également un détachement avancé des transmissions et une direction interarmées du service de santé des armées, qui garantit le soutien médical et chirurgical du personnel militaire et civil des FFDj et de leurs familles.
Enfin, une direction du commissariat des armées, une antenne de la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (Dirisi), une direction de l’infrastructure de défense, un détachement du Service interarmées des munitions (SIMu) et une direction du service de l’énergie opérationnelle (SEO) sont également présents.
Les FFDj devraient bénéficier du renouvellement de certains équipements d’ici à 2028, conformément aux engagements pris dans la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030. Pour accueillir ces nouveaux équipements, il faudra conduire des opérations d’infrastructure.
Le positionnement des FFDj est stratégique en ce qu’il offre aux armées un avantage opérationnel conséquent, avec une capacité de projection vers différentes zones d’intérêt pour la France : le détroit de Bab-el-Mandeb, la mer Rouge et l’océan Indien. La France est le seul pays européen à posséder dans cette zone de telles capacités militaires, dont toute l’Europe dépend pour son approvisionnement et où circulent des flux économiques, énergétiques et numériques, ainsi que des métaux rares.
Djibouti constitue également une plateforme logistique essentielle pour le déploiement vers l’océan Indien et un point d’appui dans le cadre de la stratégie française dans la zone indopacifique.
Ce déploiement militaire offre une crédibilité opérationnelle fondant la légitimité stratégique de la France dans cette région et revêt un enjeu majeur de souveraineté dans un contexte sécuritaire volatil, à proximité immédiate de nos zones économiques exclusives et de nos territoires ultramarins.
Enfin, en soutenant les bâtiments en escale, les FFDj constituent un point d’appui essentiel pour les missions opérationnelles de l’Union européenne : l’opération Atalante, dédiée à la lutte contre la piraterie aux abords de la Corne de l’Afrique, et l’opération Aspides, dédiée à la protection du trafic maritime en mer Rouge contre les attaques menées par les Houthis.
Le positionnement stratégique des FFDj à Djibouti a notamment démontré toute sa pertinence lors de l’opération Sagittaire menée au Soudan, qui a fait l’objet d’un bilan circonstancié lors d’une audition devant notre commission. Ainsi, plus de 1 000 personnes de 84 nationalités ont pu être évacuées. L’ancrage profond et complet des FFDj dans leur environnement les a imposées comme l’élément central des opérations, le pivot naturel autour duquel s’est mécaniquement articulée la coordination avec les autres acteurs de la crise.
En outre, l’implantation française à Djibouti a largement contribué à l’appui fourni à Mayotte après le passage du cyclone Chido en décembre 2024. Au total, les FFDj ont appuyé 66 liaisons aériennes avec Mayotte grâce aux A400M de l’armée de l’Air et de l’Espace.
J’en viens désormais au TCMD. Dans le domaine la défense, la coopération franco‑djiboutienne était régie par le traité signé à Paris le 21 décembre 2011 et entré en vigueur le 1er mai 2014, pour une durée de dix ans. Il a donc expiré le 30 avril 2024.
Cet accord était essentiellement centré sur la coopération militaire, dans les domaines technique et opérationnel. Il se démarquait des accords contemporains conclus avec les autres États africains car il comprenait une clause de sécurité précisant les formes de la participation française à la défense de l’intégrité territoriale de la République de Djibouti.
Le traité fixait aussi les facilités opérationnelles accordées aux FFDj, parmi lesquelles figure la mise à disposition d’installations nécessaires à la mise en œuvre de la coopération en matière de défense.
Le précédent TCMD, renouvelable tacitement, prévoyait expressément une revue intégrale du traité dans sa neuvième année d’exécution. La France et Djibouti ont acté le principe d’une révision du TCMD lors de la visite du Président de la République de Djibouti à Paris le 12 février 2021, ce qui a donné lieu à la conclusion d’une déclaration d’intention relative au partenariat de défense.
Le traité signé le 24 juillet 2024 s’inscrit pleinement dans la continuité du précédent et constitue davantage une actualisation qu’un nouvel accord. Cette actualisation a pris la forme d’amendements, dont j’évoquerai les principaux.
La promotion de la francophonie, enjeu capital pour le rayonnement de la France à Djibouti, a été inscrite dans le préambule du traité. Lors de ma visite, j’ai constaté que les autorités djiboutiennes et nos collègues parlementaires sont très attachés à la langue française, qu’ils pratiquent avec beaucoup d’aisance.
Ensuite, la clause de sécurité a été renforcée par deux amendements portant sur deux alinéas de l’article 4, qui constitue le cœur de la coopération bilatérale de défense. D’abord, « l’intégrité territoriale de la République de Djibouti » a été ajoutée. Ensuite, la coordination du trafic aérien militaire a été insérée, permettant aux contrôleurs aériens français de contrôler et de coordonner les aéronefs militaires dans l’espace aérien djiboutien.
De plus, le périmètre du traité n’englobe plus seulement les « forces armées djiboutiennes » mais est étendu aux « forces djiboutiennes ». Cette évolution permet d’inclure dans la coopération les forces de sécurité intérieure de la République de Djibouti, notamment les garde-côtes dans le cadre de la surveillance des espaces maritimes. Dans les faits, cette évolution permet de reconnaître et d’encadrer une coopération déjà prolifique.
Le partenariat est également renforcé en matière de santé. La France conduit déjà de nombreuses actions dans ce domaine, tant du côté civil que du côté militaire. La nouvelle coopération ne se limitera pas au domaine de la défense. L’inclusion des hôpitaux civils à l’article 15 permet aux deux parties d’être soignées indifféremment en milieu militaire ou civil, en cas de nécessité ou d’urgence.
En outre, un comité militaire de dialogue stratégique doit être créé, qui aura vocation à renforcer le dialogue et la coopération entre les armées françaises et djiboutiennes, afin de répondre à des enjeux stratégiques communs. Il doit notamment permettre de définir un plan pluriannuel de coopération et d’assurer la tenue d’échanges à un bon niveau.
Avec le nouveau TCMD, les emprises nécessaires à nos missions opérationnelles sont garanties, voire augmentées, et notre capacité d’entraînement est préservée. En outre, des emprises non-opérationnelles seront restituées en totalité ou pour partie, notamment 40 % de l’îlot du Héron. Depuis 2002, cette zone accueille la base navale des FFDj, des logements pour les familles, des places d’hébergement pour les militaires en mission, le centre de restauration et d’hôtellerie, l’économat des armées, des locaux techniques pour les commandos fusiliers marins, des bâtiments technico-logistiques et un centre sportif et artistique. Il s’agit aussi d’un point de mise à l’eau pour les embarcations des commandos et en cas d’opération d’évacuation des ressortissants français. La restitution d’une partie de l’îlot du Héron permet de répondre à une demande ancienne des autorités djiboutiennes. Cette façade maritime, située dans un quartier convoité de la ville, pourra ainsi être exploitée pour les besoins militaires de Djibouti ou dans un cadre civil. Cette restitution n’aura pas d’impact opérationnel majeur, la zone restituée accueillant principalement des logements, qui seront relocalisés.
Par ailleurs, la durée de validité du traité passe de dix à vingt ans, l’accord restant renouvelable tacitement. Cette nouvelle durée, celle d’une génération, témoigne de la confiance accordée par Djibouti à la France et donne la visibilité nécessaire pour consentir des investissements de long terme. De ce fait, le nouveau TCMD donne davantage de prévisibilité et de stabilité aux deux parties.
La hausse de la contribution forfaitaire représente également une évolution majeure, puisqu’elle passe de 30 millions à 85 millions d’euros par an. Cette hausse se justifie à plusieurs titres. D’abord, la contribution financière de 30 millions d’euros dans le précédent TCMD n’avait pas été réévaluée depuis 2003. En outre, les armées françaises ne sont pas seules à Djibouti et la France fait face à une compétition accrue. Ainsi, des bases militaires japonaises, italiennes et chinoises se sont installées. Enfin, la hausse de la valeur du mètre carré, consécutive à l’urbanisation, a entraîné un décalage entre la valeur réelle du prix au mètre carré et le montant de la contribution forfaitaire payée par la France.
De plus, en vertu des stipulations de l’article 1er de l’annexe 3 du nouveau TCMD, la contribution forfaitaire sera libératoire de tout impôt, taxe, droit de douane, prélèvement et redevance, quelle que soit sa dénomination. La France bénéficiera donc de déductions fiscales qui diminueront mécaniquement le coût réel de sa contribution forfaitaire.
Au bilan, je ne peux que saluer la conclusion de cet accord équilibré et gagnant-gagnant, qui donne de la prévisibilité et de la stabilité en codifiant certaines pratiques, en clarifiant des procédures et en allongeant sa durée de validité.
Pour terminer, je partagerai quelques éléments plus personnels. Lors de ma visite à Djibouti, j’ai approfondi mes connaissances sur notre coopération bilatérale de défense, mais j’ai surtout fait des rencontres exceptionnelles. Je n’oublierai pas l’accueil que nous ont réservé nos collègues députés. Avec Yannick Favennec-Bécot, président du groupe d’amitié France-Djibouti, nous avons été merveilleusement accueillis. Nous avons échangé avec des amis de la France, défenseurs acharnés de la francophonie et de la relation franco‑djiboutienne. Ils nous ont fait part en toute sincérité de l’affection qu’ils portaient à notre pays et nous avons exprimé la nôtre. Je retiens cette phrase, prononcée par l’un de nos collègues : « Lorsque nous voyons des Français, c’est comme si nous retrouvions de vieux amis ». Puisse cette relation unique perdurer !
Je remercie également les ministres et autorités des ministères de la Défense et des Affaires étrangères djiboutiens, pour le temps qu’ils nous ont accordé et la qualité de nos entretiens. Je pense aussi à la rencontre avec le directeur du port de Djibouti, dont l’empathie et la francophilie illustrent le fait que la relation bilatérale s’incarne chaque jour, au-delà des traités. À cet égard, j’ai aussi constaté la profondeur des liens interpersonnels qui se sont tissés entre les marins français et djiboutiens.
Enfin, je voudrais exprimer ma gratitude et mon admiration à l’égard de l’équipe France présente à Djibouti. Je pense à notre ambassadrice, Mme Dana Purcarescu, au commandant des FFDj, le général Sébastien Vallette, à notre attaché de défense, le colonel Stéphane Caille, à la première conseillère de l’ambassade, au deuxième conseiller et à tant d’autres, qui travaillent tous les jours au service de notre pays, avec un talent et un dévouement exemplaires, aux côtés de personnels civils de recrutement local (PCRL) djiboutiens, qui participent, eux aussi, au rayonnement de la France à Djibouti.
Au moment où il nous revient d’autoriser ou non la ratification du TCMD, nous devons nous poser une question simple : souhaitons-nous que la France conserve son rang et sa relation unique avec Djibouti, un pays ami et un partenaire historique ? Pour ma part, la réponse est oui.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
Mme Catherine Rimbert (RN). Situé à l’entrée sud de la mer Rouge, Djibouti contrôle un axe majeur, par lequel transite 10 % du commerce mondial, ce qui en fait l’un des points les plus sensibles et stratégiques de la planète. Cette position enviée s’accompagne d’une importante instabilité régionale. Ainsi, la Somalie et le Yémen sont marqués par l’insécurité et la menace terroriste.
La France n’est pas seule à Djibouti et il nous faut conserver notre place pour garder un contrôle sur le détroit. Après les trop nombreux échecs rencontrés par le Gouvernement pour maintenir notre présence dans la bande sahélo-saharienne, Djibouti constitue plus que jamais un point d’appui de la stratégie française sur le continent africain et dans la zone indopacifique.
Djibouti constitue un îlot de stabilité mais aussi un poste avancé d’observation, d’anticipation et d’intervention. Point d’appui opérationnel de nos forces armées et de notre marine, lieu d’entraînement de nos forces spéciales ou porte d’entrée pour nos opérations clandestines, notre présence à Djibouti est un levier d’autonomie stratégique, un outil de projection rapide en cas de crise et un appui à plusieurs opérations mondiales.
C’est grâce à Djibouti que notre pays peut se maintenir en mer Rouge, lutter contre la menace houthiste et protéger le commerce mondial. Il faut considérer cette base comme un enjeu d’avenir dans un espace devenu l’un des épicentres de la compétition mondiale.
Nous saluons le travail fourni pour renouveler ce traité, qui permet de maintenir notre indépendance stratégique et opérationnelle. Le Rassemblement national votera en faveur du projet de loi.
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP). Le nouvel accord est un texte stratégique, qui permet notamment de maintenir la présence d’une base militaire française dans une région dont l’importance géopolitique ne cesse de croître.
Djibouti constitue une porte d’entrée vers la mer Rouge et le détroit de Bab‑el‑Mandeb. La zone relie la Méditerranée à l’océan Indien, constituant l’une des principales voies de passage du commerce maritime mondial. Ainsi, pas moins de 70 % du trafic maritime des pays de l’Union européenne y transite. Cette zone est régulièrement sujette à une instabilité qui pourrait la rendre impraticable sans protection. Dans ce contexte, la présence militaire française à Djibouti reste un élément clef pour protéger les navires des armateurs français et assurer la liberté de navigation.
Par ailleurs, cette base nous permet de projeter nos forces militaires vers des zones stratégiques. Elle joue aussi un rôle de relais logistique essentiel entre l’Hexagone, La Réunion et Mayotte.
Cependant, nous ne pouvons ratifier ce traité sans évoquer les profondes inquiétudes liées à la situation politique de Djibouti. Le Président Ismaïl Omar Guelleh dirige ce pays d’une main de fer depuis 1999. Les atteintes aux libertés fondamentales, la répression des opposants et les violations des droits humains y sont systématiques. Malgré cette réserve importante, notre groupe votera en faveur du projet de loi.
Mme Corinne Vignon (EPR). Djibouti occupe une place stratégique essentielle dans notre dispositif de défense. Ce pays est bien plus qu’un partenaire ; il est un allié fiable, un îlot de stabilité dans une région tourmentée et un point d’ancrage vital pour la projection de nos forces et la protection de nos intérêts.
La base des FFDj constitue notre implantation militaire permanente la plus importante à l’étranger. Elle permet à la France d’avoir une présence crédible dans l’océan Indien, de surveiller le détroit de Bab-el-Mandeb et d’intervenir rapidement dans les cas de crise, comme ce fut le cas au Soudan ou après le passage du cyclone Chido.
Le traité actualisé renforce cette coopération tout en l’adaptant aux réalités nouvelles. Il prolonge notre partenariat, intègre les forces de sécurité intérieure djiboutiennes, améliore nos capacités en matière d’infrastructure et porte notre engagement financier à un niveau plus cohérent, compte tenu de la concurrence géopolitique qui sévit dans la région.
Madame la rapporteure, au regard de la montée en puissance de la présence militaire chinoise à Djibouti, comment le comité militaire de dialogue stratégique peut-il constituer un levier pour mieux articuler notre coopération avec Djibouti autour de nos priorités de souveraineté, tout en consolidant notre avantage opérationnel face aux stratégies d’influence concurrentes ?
Notre groupe soutient ce projet de loi. Djibouti n’est pas seulement un point d’ancrage militaire de premier plan pour nos forces, c’est aussi un carrefour numérique mondial, où transitent plusieurs câbles sous-marins vitaux pour nos communications. Cette implantation participe pleinement à notre autonomie stratégique, y compris dans les champs opérationnel, informationnel et spatial.
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. La présence de nombreux pays à Djibouti prouve le caractère stratégique de la zone.
Les Djiboutiens sont attachés au fait de pouvoir discuter avec toutes les nations et la présence chinoise ne met pas en péril la présence française. Nous avons demandé clairement si cette évolution pourrait remettre en cause notre présence, notamment dans le port ; ce n’est pas le cas.
Le traité tel qu’amendé prouve que les Djiboutiens souhaitent toujours avoir une relation privilégiée et approfondie avec la France.
Mme Isabelle Santiago (SOC). Le traité revêt une importance stratégique déterminante pour la France, bien au-delà de sa dimension bilatérale. Il s’agit d’un accord clef pour l’ancrage de notre présence militaire dans une zone charnière, au cœur d’un espace géopolitique sous tension croissante.
Djibouti occupe une position unique, qui confère à ce petit État une importance majeure, à laquelle s’ajoute sa stabilité relative dans une région très troublée. Cette situation explique pourquoi Djibouti est le seul pays au monde à accueillir les bases militaires permanentes de six puissances, dont la France, les États-Unis, la Chine et le Japon.
La contrepartie financière du traité passe de 30 à 85 millions d’euros par an. Cet effort est à la hauteur des attentes djiboutiennes et a des bénéfices stratégiques pour la France, dans un contexte où tous nos partenaires sont soumis aux mêmes demandes.
Le traité signé en 2024 ne relève pas de la simple reconduction mais d’une actualisation stratégique de notre positionnement en Afrique de l’Est. C’est aussi un acte de souveraineté et de responsabilité, dans un monde en profonde recomposition.
La France disposait d’installations stratégiques à Djibouti bien avant l’indépendance de 1977 et, depuis cette date, notre présence militaire n’a jamais été interrompue. Ce traité constitue le troisième cadre juridique formel donné à cette coopération, après ceux de 1977 et de 2011.
Djibouti offre aussi un lieu d’entraînement essentiel pour nos forces. Les conditions climatiques, la variété des terrains et les espaces disponibles y permettent l’organisation d’exercices d’ampleur, y compris interarmées et interalliés. Il s’agit d’un atout considérable pour la préparation opérationnelle de nos militaires mais aussi pour maintenir un haut niveau d’interopérabilité avec les autres forces présentes sur place.
Le groupe socialiste soutient ce projet de ratification.
Mme Catherine Hervieu (EcoS). La France, ancienne puissance coloniale dans la région, est pleinement consciente de la position stratégique de Djibouti. Depuis l’indépendance de ce pays, la France maintient une force militaire constante, en cours de renouvellement pour vingt ans.
L’accord garantit le maintien de notre implantation dans une zone aux enjeux sécuritaires majeurs. Les actes de piraterie menés par les milices shebab en provenance de Somalie ainsi que les attaques des Houthis du Yémen représentent une menace directe pour la sécurité de la navigation maritime. Djibouti joue un rôle clef dans la sécurisation de ces routes maritimes, rôle que la France soutient activement dans le cadre des opérations européennes.
Notre base à Djibouti permet aussi de déployer des moyens militaires vers l’Afrique de l’Est, le Moyen-Orient et l’océan Indien. Elle constitue un point stratégique pour relier la métropole à La Réunion et à Mayotte, facilitant notamment les interventions d’urgence. Il est donc crucial de conserver cette position stratégique. Cependant, malgré nos alertes répétées, notre influence s’érode.
Dans la perspective de l’élection présidentielle qui doit se tenir à Djibouti en 2026, la France doit encourager un processus démocratique plus ouvert, garantissant notamment le droit de l’opposition à participer aux élections législatives. Enfin, le respect des droits humains est une obligation morale mais aussi un impératif stratégique ; notre présence dépend de la stabilité des régimes avec lesquels nous collaborons.
Notre groupe soutiendra le projet de loi.
Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Notre groupe votera le projet de loi autorisant la ratification d’un traité équilibré.
Je voudrais souligner l’importance de l’extension de la durée de validité du traité à vingt ans. Je suis allée à Djibouti, où j’ai pu constater l’étendue spectaculaire des investissements chinois, notamment dans les bases navales. À cet égard, je signale que la Chine a aussi financé la voie ferrée reliant Djibouti à Addis Abeba. Tous ces intérêts doivent être pris en compte et nous avons besoin d’être rassurés par une durée longue.
En ce qui concerne la coopération en matière santé, les installations présentes effectuent un travail extraordinaire auprès de la population, en matière de prévention et de traitement curatif, ce qui est important pour notre pays et pour l’image de ce que notre pays apporte en Afrique.
M. Loïc Kervran (HOR). Notre groupe votera en faveur du projet de loi. En effet, le TCMD consolide et actualise un partenariat stratégique essentiel pour la France, dans une région particulièrement instable et marquée par une compétition géopolitique intense.
À l’heure où notre pays réajuste son dispositif militaire en Afrique de l’Ouest et au Sahel, il est indispensable de maintenir une présence solide à Djibouti, carrefour stratégique de la Corne de l’Afrique et porte d’entrée de l’océan Indien. La base française de Djibouti constitue un atout majeur pour la liberté de navigation et la sécurité maritime, dans une zone vitale pour la France.
Le nouveau traité réaffirme la clause de sécurité et élargit le champ de coopération, en intégrant les forces de sécurité intérieure djiboutiennes et en renforçant notre coopération sanitaire et stratégique. Ces évolutions témoignent de notre engagement à accompagner Djibouti dans la préservation de sa stabilité et de sa souveraineté, tout en préservant nos intérêts stratégiques.
La contribution financière annuelle de la France a été revalorisée, notamment pour tenir compte des évolutions immobilières et des nouvelles demandes djiboutiennes. Cette revalorisation démontre la volonté française de maintenir un partenariat équilibré et respectueux.
M. Yannick Favennec-Bécot (LIOT). Le TCMD revêt une importance particulière dans le contexte actuel de redéploiement de notre présence militaire en Afrique. Il s’agit d’un engagement stratégique clair, dans une région où la stabilité est cruciale et où les menaces sont nombreuses.
Djibouti est un pays ami, un partenaire fiable et un point d’ancrage essentiel dans la Corne de l’Afrique, situé à un carrefour stratégique. Le pays joue un rôle central en matière de sécurité maritime, de lutte contre le terrorisme et de projection de nos forces.
Le traité modernise le cadre juridique de notre présence militaire, tout en répondant aux attentes djiboutiennes ; c’est gagnant-gagnant. Le TCMD prévoit le maintien de la clause de sécurité, la facilitation des exercices militaires, la création d’un comité stratégique et la restitution partielle de l’îlot du Héron. De plus, la contribution forfaitaire est portée à 85 millions d’euros par an, garantissant la lisibilité de notre engagement.
Dans un contexte de concurrence accrue, notamment face à la Chine, il est essentiel que la France demeure un acteur de référence. Notre coopération dépasse le seul champ militaire et inclut les domaines de l’éducation, de la culture, des infrastructures ou du spatial. Elle repose aussi sur la francophonie, que nous devons continuer à défendre, en facilitant notamment l’accès aux visas pour les étudiants djiboutiens. Nos collègues députés sur place nous ont dit à quel point ils espéraient nous voir travailler sur ce sujet.
Ce traité reflète une politique étrangère cohérente, équilibrée et ambitieuse. Notre groupe votera en faveur du projet de loi.
M. Édouard Bénard (GDR). L’objectif de ce partenariat est double : maintenir la présence militaire près du détroit de Bab-el-Mandeb et garantir les capacités de projection de nos forces sur le continent africain et dans la zone indopacifique.
L’augmentation de la contribution française aux finances du gouvernement de Djibouti est présentée comme un acte positif. Cependant, il faut mettre cette hausse en perspective et rappeler que les crédits dédiés à l’aide publique au développement (APD) ont été sabrés de 37 % dans la loi de finances pour 2025. De plus, en portant sa contribution financière à 85 millions d’euros, la France participerait au budget de Djibouti à hauteur de 10 %, renforçant des liens structurels de dépendance, dans un schéma asymétrique et dans une approche presque exclusivement militaire. Cette dernière a pourtant montré ses limites en Afrique de l’Ouest comme en mer Rouge, où les Houthis montent en puissance en dépit des actions menées par les différentes coalitions internationales.
En outre, on ne peut passer sous silence la nature du régime djiboutien. Le chef de l’État est au pouvoir depuis 1999, les exécutions arbitraires continuent d’avoir lieu malgré l’interdiction de la peine de mort, l’application des lois de la charia reste en vigueur et le régime refuse de ratifier un certain nombre de conventions internationales.
La France a-t-elle réellement besoin d’une base permanente à Djibouti alors qu’elle dispose des porte-avions naturels que sont Mayotte et La Réunion ? Il nous faut interroger notre présence militaire et notre soutien financier, qui peut être interprété comme une contribution directe au maintien au pouvoir d’un gouvernement autocratique.
M. le président Jean-Michel Jacques. Nous en venons aux questions individuelles des autres députés.
M. Alexandre Dufosset (RN). Depuis plus d’un siècle, la présence française à Djibouti incarne notre ancrage stratégique dans une région charnière du monde. Cette implantation n’est ni un vestige du passé ni la marque d’un simple accord bilatéral ; elle témoigne d’une volonté constante de préserver nos intérêts vitaux dans la zone.
Ce nouveau traité s’inscrit dans la continuité et garantit la souveraineté française face aux appétits croissants des puissances étrangères, au premier rang desquelles se trouvent la Chine et la Turquie, qui entendent remodeler l’ordre régional à leur profit.
Le traité renforce notre dispositif de défense sur un axe vital du commerce mondial, tout en prolongeant notre coopération avec un partenaire historique en matière de sécurité, de renseignement et de lutte contre le terrorisme. Ce texte répond à une exigence impérieuse : maintenir la voix de la France dans une région devenue le théâtre d’une compétition stratégique féroce.
À l’heure où notre pays subit un recul d’influence dramatique sur le continent africain, où l’extension des réseaux islamistes menace la stabilité des États partenaires et où l’absence de pilotage stratégique affaiblit nos leviers de puissance, ce traité constitue un acte de souveraineté. Pouvez-vous rappeler, madame la rapporteure, pourquoi ce traité incarne, dans le chaos migratoire actuel, un point d’appui pour restaurer notre présence, notre respectabilité et notre influence sur la scène internationale ?
Mme Anne Le Hénanff, rapporteure pour avis. Ce traité est stratégique notamment parce que la présence et l’influence de la France ont été réduites sur le continent africain. De plus, cet accord représente pour nous un point d’appui majeur pour une reprise des relations bilatérales avec les pays d’Afrique. Il est donc essentiel pour l’avenir et pour les nouvelles relations avec les pays d’Afrique qu’il nous faut inventer.
La commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi.
Annexe I :
texte de la commission des affaires étrangères
Article unique
Est autorisée la ratification du Traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti, signé à Paris le 24 juillet 2024 et dont le texte est annexé à la présente loi.
Annexe II : liste des personnes auditionnées
par le rapporteur
Ambassade de Djibouti en France :
– M. Ayeid Mousseid Yahya, ambassadeur de Djibouti en France.
Ministère de l’Europe et des affaires étrangères :
– M. Jean-Hugues Simon-Michel, envoyé spécial pour la renégociation du traité ;
– Mme Sarah Pellerin, rédactrice Djibouti, Kenya et Tanzanie à la direction d’Afrique et de l’océan Indien.
Ministère des Armées :
– M. Nicolas Soulé, chargé d’études juridiques, sous-direction droit international et européen, direction des affaires juridiques ;
– M. Antoine Pavageau, sous-directeur droit international et européen, direction des affaires juridiques, Ministère des Armées et des anciens combattants.
Annexe III : liste des personnes auditionnées
par la rapporteure pour avis
Ministère de l’Europe et des affaires étrangères :
– M. Jean-Hugues Simon-Michel, envoyé spécial pour la renégociation du TCMD et déontologue, M. Olivier-Rémy Bel, sous-directeur « Afrique orientale », et M. Pierre Dousset, conseiller juridique au sein de la mission des accords et traités.
Direction des affaires juridiques du ministère des Armées :
– M. Thomas Charpentier, adjoint au sous-directeur du droit international et européen, et M. Nicolas Soulé, conseiller juridique.
État-major des armées :
– M. le général de division François-Xavier Mabin, chef de la division « emploi des forces – protection », M. le colonel Pierre Demont, chargé de mission « forces de présence » au sein de la division « emploi des forces – protection », et Mme le colonel Valérie Morcel, chargée des relations avec le Parlement.
Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des Armées :
– M. le colonel Laurent Vieillefosse, chef du département « Afrique », Mme Inès Rebillard, chargée de mission « Afrique orientale », et Mme Patricia Lewin, déléguée pour le rayonnement.
([1]) Sonia Le Gouriellec, Djibouti, la diplomatie de géant d’un petit état, 2020.
([2]) Le préambule du traité indique d’ailleurs que les parties sont « soucieuses de promouvoir la francophonie qu’elles partagent, en plaçant leurs actions dans un cadre permettant la diffusion de la langue française, consolidant le lien privilégié entre elles et facilitant les échanges et les actions conjointes. »
([3]) « Djibouti : les autorités lancent un ultimatum aux migrants en situation irrégulière »,www.rfi.fr, 28 avril 2025.
([4]) Ces chiffres sont tirés du bilan annuel du Maritime Information Cooperation & Awareness Center (MICA Center), 4 février 2025.
([5]) « Comment Djibouti Telecom fait rayonner le haut débit dans toute l’Afrique de l’Est », www.jeuneafrique.com, 26 avril 2025.
([6]) « La stratégie de la France dans l’Indopacifique », www.diplomatie.gouv.fr.
([7]) Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
([8]) La clause de sécurité avait alors été activée et les FFDj étaient intervenues pour défendre l’intégrité territoriale de Djibouti.
([9]) Voir I.A.3.
([10]) Le quai n° 9 est mis à disposition de la France de manière exclusive et permanente.