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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 juin 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE (N° 1150),
DE Mme CAROLINE YADAN ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES,
visant à condamner la politique de ségrégation imposée aux femmes afghanes par le régime des Talibans et à prendre des mesures appropriées pour mettre un terme aux atteintes à leurs droits fondamentaux,
PAR Mme Caroline YADAN,
Députée
La Commission des affaires européennes est composée de : M. Pieyre-Alexandre ANGLADE, président ; M. Laurent MAZAURY, Mmes Manon BOUQUIN, M. Thierry SOTHER, vice‑présidents ; M. Maxime MICHELET, secrétaire ; MM. Henri ALFANDARI, David AMIEL, Philippe BALLARD, Karim BENBRAHIM, Guillaume BIGOT, Benoît BITEAU, Nicolas BONNET, Mme Colette CAPDEVIELLE, M. François-Xavier CECCOLI, Mmes Sophia CHIKIROU, Nathalie COLIN-OESTERLÉ, MM. Jocelyn DESSIGNY, Julien DIVE, Nicolas DRAGON, Michel HERBILLON, Mme Mathilde HIGNET, M. Sébastien HUYGHE, Mmes Sylvie JOSSERAND, Marietta KARAMANLI, M. Bastien LACHAUD, Mme Hélène LAPORTE, MM. Jean LAUSSUCQ Arnaud LE GALL, Mme Constance LE GRIP, MM. Pascal LECAMP, Matthieu MARCHIO, Patrice MARTIN, Emmanuel MAUREL, Mmes Yaël MENACHÉ, Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, M. Frédéric PETIT, M. Pierre PRIBETICH, Mme Isabelle RAUCH, Sandrine RUNEL, M. Alexandre SABATOU, Mme Sabrina SEBAIHI, M. Charles SITZENSTUHL, Mmes Michèle TABAROT, Liliana TANGUY, Sabine THILLAYE, Caroline YADAN, Estelle YOUSSOUFFA.
SOMMAIRE
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Pages
PremiÈre partie : l’effacement systématique des femmes afghanes sous le régime taliban
I. Un retour en arrière brutal après 20 ans de progrès relatifs
II. Une oppression de plus en plus totale des femmes et des filles
B. L’exclusion du travail et de la vie publique
C. Isolement et restrictions de la liberté de mouvement
D. Oppression domestique et mariages forcés
E. Climat de terreur et violence de genre
III. Des conséquences humanitaires et sociétales dont les femmes sont les premières victimes
I. Des réactions internationales unanimes
II. Un régime jusqu’à présent indifférent aux sanctions
TROISIÈME PARTIE : Quatre séries de mesures complémentaires pour venir en aide aux Afghanes
I. Reconnaître les talibans comme une organisation terroriste
II. Saisir la Cour pénale internationale pour les crimes commis en Afghanistan
III. Accueillir et protéger en France les Afghanes menacées
IV. Renforcer l’aide humanitaire ciblée sur les femmes et les filles afghanes
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE
AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION
PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION
Annexe – Liste des personnes auditionnées
Mesdames, Messieurs,
À partir d’août 2021, le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan a entraîné une régression brutale des droits des femmes et des filles afghanes. En l’espace de quelques semaines, celles-ci ont été quasiment effacées de la vie publique : exclusion des écoles et des universités, interdiction de nombreux emplois, restriction drastique de la liberté de mouvement et d’expression, etc. Cette politique systématique de ségrégation de genre – et que l’on peut qualifier d’« apartheid de genre » – qui vise à faire disparaître les Afghanes de tous les domaines de la vie sociale, constitue une atteinte profonde aux droits humains les plus fondamentaux, violant entre autres la Déclaration universelle des droits de l’Homme et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. De plus en plus de voix considèrent qu’il s’agit d’une persécution fondée sur le genre pouvant relever des crimes contre l’humanité au sens du Statut de Rome de la Cour pénale internationale ([1]).
Face à cette situation dramatique, la communauté internationale a largement condamné les agissements du régime taliban. Les Nations Unies, l’Union européenne et de nombreux États – y compris des pays à majorité musulmane – ont exigé à maintes reprises l’abrogation des mesures liberticides visant les femmes afghanes. Malgré ces pressions diplomatiques et des sanctions ciblées, les talibans persistent cependant dans leur politique et l’ont même durcie au fil du temps. Cette situation appelle par conséquent à renforcer et repenser l’action internationale en faveur des Afghanes.
La présente proposition de résolution européenne, déposée en 2024, s’inscrit dans cette logique. Elle vise à condamner fermement la politique de ségrégation instituée par les talibans et à promouvoir des mesures concrètes afin de mettre un terme à ces atteintes aux droits fondamentaux des Afghanes. Elle entend également mobiliser pleinement l’Union européenne pour qu’elle adopte une position claire et coordonnée face à cette situation contraire en tout point aux valeurs qu’elle incarne.
PremiÈre partie :
l’effacement systématique des femmes afghanes
sous le régime taliban
I. Un retour en arrière brutal après 20 ans de progrès relatifs
La prise de Kaboul par les talibans le 15 août 2021 a brutalement interrompu les progrès, certes fragiles mais réels, accomplis en Afghanistan entre 2001 et 2021 en matière de droits des femmes. Durant ces deux décennies, sous la République islamique d’Afghanistan qui avait succédé au premier régime Taliban, les femmes avaient progressivement retrouvé une place dans la société : les filles avaient pu réintégrer les écoles et les universités, des Afghanes avaient accédé à des emplois publics et privés et étaient à nouveau présentes dans la vie culturelle, économique et politique du pays. À titre d’exemple, le nombre de femmes inscrites dans l’enseignement supérieur avait été multiplié par près de 20 entre 2001 et 2021 (de 5 000 étudiantes en 2001 à plus de 100 000 juste avant le retour des talibans au pouvoir) ([2]).
De même, le nombre de filles scolarisées en primaire était passé de quasiment zéro en 2001 à plus de 2,5 millions en 2018, représentant environ 40 % des élèves du primaire en 2021. Ces avancées éducatives s’accompagnaient d’une amélioration du taux d’alphabétisation féminin (qui est passé d’environ 17 % à 30 % entre 2001 et 2021), d’une présence croissante des femmes dans la fonction publique (environ le quart des agents de l’État en 2021) et d’une participation accrue à la vie publique, certaines femmes occupant ainsi des postes de députées, de magistrates, de professeures d’université ou de journalistes. Si la situation des Afghanes demeurait très difficile dans de nombreuses régions du pays, l’accès à l’éducation et au travail pour les femmes avait fini par être reconnu comme un droit fondamental par le gouvernement précédent, soutenu en cela par la communauté internationale.
L’arrivée des talibans a mis fin à ces avancées. Malgré des déclarations initiales se voulant rassurantes, promettant de respecter « les droits des femmes dans le cadre des règles de l’islam », le nouveau régime fondamentaliste a rapidement renoué avec les pratiques extrémistes qui avaient caractérisé son premier règne (1996-2001), ce que confirment les premières mesures prises par le régime en septembre 2021 : mise à pied des femmes travaillant dans l’administration, remplacement du ministère des affaires féminines par un ministère de la promotion de la vertu et de la prévention du vice (police religieuse), et rappel à l’ordre général envers les Afghanes pour qu’elles se conforment strictement à une interprétation rigoriste de la charia. Ces mesures inauguraient une politique délibérée d’exclusion des femmes de l’espace public, que les talibans n’ont eu de cesse d’intensifier par la suite.
II. Une oppression de plus en plus totale des femmes et des filles
En un peu plus de trois ans, les talibans ont édicté une série de règles et d’interdictions ayant toutes le même objectif : confiner les femmes à la maison et les rendre invisibles dans la société afghane. Cette entreprise de négation des femmes, clairement assumée par le régime, s’est déployée dans tous les domaines de la vie quotidienne :
À partir de septembre 2021, les écoles secondaires (collèges et lycées) ont cessé d’accueillir les filles. En mars 2022, le gouvernement a interdit aux élèves de sexe féminin d’étudier au-delà de la sixième. En décembre 2022, un décret a exclu les femmes de l’enseignement supérieur, public comme privé. Ces mesures ont ainsi privé d’enseignement 1,1 million de filles du secondaire et empêché environ 100 000 jeunes femmes de poursuivre leurs études universitaires ([3]).
L’Afghanistan est ainsi devenu le seul pays au monde où les filles n’ont plus le droit d’aller à l’école passé l’âge de 12 ans, ni d’étudier à l’université.
B. L’exclusion du travail et de la vie publique
Dès leur arrivée, les talibans ont banni les femmes de la plupart des emplois rémunérés. Les femmes fonctionnaires ont été renvoyées chez elles (sauf quelques rares exceptions dans le secteur de la santé et de l’éducation primaire). Fin 2021, d’anciennes agentes de police ou employées publiques ayant protesté ont été arrêtées et parfois assassinées en toute impunité. Les interdictions ont ensuite été étendues au secteur humanitaire et même onusien : en décembre 2022, les Afghanes n’ont plus eu le droit de travailler pour des ONG (nationales ou internationales) et cette interdiction a été étendue aux postes au sein des agences des Nations Unies en avril 2023 ([4]). En outre, tous les postes de responsabilité (juges, directeurs d’administration, etc.) occupés par des femmes sous le gouvernement précédent ont été attribués à des hommes. Politiquement, aucune femme ne fait partie de l’administration talibane : le « gouvernement » instauré est exclusivement masculin.
Plus généralement, les talibans ont interdit la participation des femmes à la vie publique, que ce soit dans les médias, dans les arts ou dans tout espace collectif. En 2023, un décret a ordonné la fermeture de tous les salons de beauté tenus par des femmes, éliminant l’une des dernières sources de revenu pour des milliers d’entre elles, environ 60 000 emplois féminins ayant été ainsi supprimés.
C. Isolement et restrictions de la liberté de mouvement
Les femmes afghanes ne peuvent plus se déplacer librement. Les talibans ont en effet rapidement réinstauré l’obligation pour une femme d’être accompagnée d’un mahram (gardien masculin de sa famille) pour tout trajet dépassant 72 km, puis pour tout voyage, quel qu’il soit. Dans de nombreux cas, sortir de chez soi sans être voilée de pied en cap est passible de sanctions. Depuis mai 2022, un décret impose aux Afghanes qui quittent leur domicile le port d’un voile intégral (burqa couvrant le visage, ou au minimum un hijab assorti d’un masque épais dissimulant le visage).
Par ailleurs, en novembre 2022, les talibans ont interdit l’accès des femmes à la plupart des lieux publics : parcs et jardins de Kaboul, salles de sport et même hammams publics (ces bains étant souvent le seul endroit où les familles sans eau courante pouvaient disposer d’eau chaude). Les femmes n’ont par ailleurs plus le droit de prendre les transports interurbains seules. En 2024, les restrictions se sont encore accentuées : un nouveau « code de conduite » promulgué à l’été 2024 prohibe tout contact visuel entre une femme et un homme qui n’est pas de sa famille, et interdit aux femmes de chanter, de réciter des poèmes ou de faire entendre leur voix en public ([5]).
D. Oppression domestique et mariages forcés
Recluses dans la sphère privée, privées d’études et de travail, de nombreuses jeunes femmes se retrouvent à la merci de leurs familles et belles-familles. Leur exclusion des établissements secondaires et supérieurs, conjuguée à l’interdiction d’occuper la plupart des emplois, les a privées de toute perspective d’émancipation. Selon les données relayées par ONU Femmes, 80 % des filles et jeunes femmes afghanes en âge d’être scolarisées ne le sont pas, et 61 % des femmes ont perdu leur emploi ou leur activité génératrice de revenus dès 2022. ([6])
Face à cette absence d’avenir, les mariages précoces et forcés se sont intensifiés, au même titre que le travail des enfants et les déplacements involontaires. Certaines familles en situation de désespoir y recourent pour assurer la subsistance du foyer, exposant les filles à des risques accrus d’abus, d’exploitation et de grossesses non désirées. Le système de santé étant en déliquescence, les Afghanes éprouvent d’énormes difficultés à accéder aux soins, en particulier en matière de santé maternelle, reproductive et mentale. En 2022, seulement 10 % des femmes déclaraient ainsi pouvoir couvrir leurs besoins sanitaires essentiels.
La situation est d’autant plus dramatique que les restrictions imposées par les autorités de facto interdisent aux femmes de consulter des médecins hommes, tandis que les femmes médecins sont de moins en moins nombreuses, notamment à Kaboul où hommes et femmes n’ont plus le droit de se soigner mutuellement dans les hôpitaux. Ces entraves, conjuguées à l’isolement, à la peur, et à la destruction des mécanismes d’aide aux victimes, contribuent à une aggravation rapide de la situation sanitaire et sociale des Afghanes.
E. Climat de terreur et violence de genre
Le régime taliban gouverne par la peur et n’hésite pas à faire usage de violence physique pour faire les règles évoquées plus haut. La police religieuse traque ainsi activement les contrevenantes : il est documenté que des femmes accusées d’avoir enfreint le code vestimentaire ou d’avoir circulé sans chaperon masculin ont été arrêtées et battues en public pour l’exemple. Des vidéos clandestines ont montré des agents talibans fouettant des femmes dans la rue pour un voile mal ajusté.
Toute protestation féminine est brutalement réprimée. Ainsi, les rares manifestations de femmes bravant l’interdit ont été dispersées par la force. Des dizaines de militantes pacifiques qui réclamaient le droit à l’éducation ont été emprisonnées arbitrairement, parfois torturées en détention, avant d’être libérées sous condition de garder le silence ([7]). En novembre 2021, quelques semaines après la prise de pouvoir, quatre militantes des droits des femmes ont été attirées dans un guet-apens à Mazar-i-Sharif sous prétexte d’une réunion et ont été assassinées par les talibans, dont la célèbre activiste Frozan Safi ([8]). Ce climat de violence et d’impunité empêche toute contestation organisée, la plupart des Afghanes n’ayant d’autre choix que de se soumettre ou de se cacher.
Les talibans ont ainsi méthodiquement supprimé l’ensemble des droits et libertés dont ont pu bénéficier les femmes afghanes pendant les vingt années précédentes. Dès juin 2022, la Haute Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, Michelle Bachelet, dénonçait « une oppression institutionnalisée et systématique des femmes » en Afghanistan. Chaque aspect de la vie d’une Afghane est désormais contrôlé et restreint, qu’il s’agisse de son habillement, de ses déplacements ou de son droit à l’éducation, au travail, aux loisirs, à la parole et même à l’intégrité de son foyer. Aucune autre population féminine au monde n’est aujourd’hui soumise à un régime aussi extrême. Comme l’a souligné en 2023 le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme en Afghanistan, « nulle part ailleurs au monde on n’observe une attaque aussi large, systématique et exhaustive contre les droits des femmes et des filles qu’en Afghanistan » ([9]). Les talibans cherchent littéralement à faire disparaître les femmes de l’espace public, voire à nier leur humanité.
III. Des conséquences humanitaires et sociétales dont les femmes sont les premières victimes
Au-delà de la violation des droits fondamentaux, la ségrégation imposée aux femmes afghanes entraîne des conséquences humanitaires désastreuses pour l’ensemble de la société afghane. En excluant 50 % de la population de presque toutes les sphères de la vie, le régime taliban a plongé le pays dans une crise profonde dont les femmes et les enfants sont les premières victimes.
Sur le plan économique et social, l’interdiction de travail pour la majorité des Afghanes a privé des millions de familles du revenu que les femmes concernées percevaient auparavant. Dans un contexte de grave crise économique, cette situation a fait basculer de nombreux foyers dans la misère. On estime ainsi qu’en 2023, 58 % des ménages afghans ne parvenaient pas à couvrir leurs besoins alimentaires et vitaux de base ([10]). Beaucoup de foyers sont aujourd’hui dirigés par des veuves ou des femmes (notamment après des décennies de conflit qui ont décimé la population masculine) ; or ces femmes cheffes de famille n’ont plus le droit de gagner leur vie. Il en résulte une dépendance accrue à l’égard de l’aide humanitaire internationale, laquelle peine à parvenir jusqu’aux intéressées du fait des restrictions imposées aux ONG (interdiction d’employer des femmes, entraves bureaucratiques, etc.). Les Nations Unies estiment qu’environ 20 millions d’Afghans – sur une population de 40 millions – dépendent actuellement de l’assistance humanitaire pour survivre, tandis que les femmes, en particulier les mères isolées, figurent parmi les personnes les plus exposées au risque de malnutrition dans un tel contexte.
Sur le plan sanitaire, la situation des Afghanes s’est également détériorée. Outre la hausse de la mortalité maternelle déjà mentionnée, on observe une dégradation de la santé mentale des femmes et des filles. Les associations font état d’une recrudescence des symptômes dépressifs, du stress post-traumatique et même de tentatives de suicide chez les jeunes femmes privées d’avenir. « Le seul droit qui nous reste est celui de respirer », confiait amèrement une ex-étudiante contrainte à l’oisiveté forcée ([11]). Les privations et violences subies ont aussi accru les violences domestiques, beaucoup de femmes étant confinées avec des conjoints ou parents potentiellement maltraitants sans possibilité de secours extérieur.
Au-delà des femmes elles-mêmes, c’est toute une génération d’enfants afghans qui grandit dans un contexte extrêmement malsain. Les petites filles, bien sûr, pâtissent directement de l’absence d’éducation et de perspectives, si bien qu’on parle déjà d’une « génération perdue » de filles analphabètes. Mais les garçons subissent également les effets de cette politique discriminatoire : élevés dans l’idée que leurs sœurs et mères n’ont aucun droit, ils sont privés d’une partie de leur éducation à l’égalité et au respect. En outre, les jeunes garçons voient leurs propres opportunités éducatives compromises par l’effondrement du système scolaire et la transformation des écoles en madrassas à l’idéologie extrême. Beaucoup d’entre eux sont victimes du travail forcé ou recrutés dans les rangs talibans faute d’alternative.
La politique de ségrégation de genre imposée par les talibans ne détruit donc pas seulement les vies des femmes afghanes mais compromet également l’avenir du pays dans son ensemble, aucun développement significatif n’étant envisageable lorsque la moitié de la population se trouve exclue de la vie active et de l’éducation. L’Afghanistan d’aujourd’hui se prive des talents, du travail et de la contribution de millions de femmes instruites qui pourraient aider à relever le pays. À terme, cette situation pourrait également alimenter l’extrémisme et l’instabilité, un pays ne pouvant progresser en maintenant systématiquement une partie de sa population dans l’ignorance et l’oppression. La condition des femmes afghanes n’est donc pas qu’une question sociale interne, elle est intimement liée à la paix, à la prospérité et à la sécurité du pays dans son ensemble, voire de la région.
Face à la tragédie en cours, la mobilisation internationale s’impose. Si le sort réservé aux Afghanes a suscité une indignation mondiale et une condamnation unanime, ces réactions se heurtent jusqu’à présent à l’intransigeance du régime taliban, appelant à un réexamen des moyens d’action disponibles.
DEUXIÈME PARTIE :
Une condamnation internationale quasi unanime,
mais dont les effets concrEts demeurent limités
I. Des réactions internationales unanimes
Dès les premiers jours suivant la prise de pouvoir des talibans, la communauté internationale s’est mobilisée pour dénoncer un régime arrivé au pouvoir par la force, lié à des réseaux terroristes, et coupable de violations graves et systématiques des droits humains, en particulier ceux des femmes et des filles. De nombreux États et organisations ont exprimé, en termes très clairs, leur refus de reconnaître ou de légitimer l’autorité de fait désormais installée à Kaboul.
Au niveau multilatéral, les Nations Unies ont adopté plusieurs textes fermes à l’encontre du régime taliban. Le 30 août 2021, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la résolution 2593 qui exige le respect des droits humains fondamentaux en Afghanistan, « notamment les droits des femmes et des filles », comme condition essentielle de la stabilité du pays ([12]). Cette résolution, soutenue par l’ensemble des membres du Conseil, a fixé cinq critères clairs pour le régime afghan, incluant la garantie de la liberté de circulation pour ceux qui souhaitent quitter le pays, l’accès sans entrave de l’aide humanitaire, la formation d’un gouvernement représentatif et la protection des droits des femmes.
Face à la dégradation de la situation, le Conseil de sécurité a adopté le 27 avril 2023 la résolution 2681, qui condamne explicitement « l’interdiction sans précédent imposée aux femmes afghanes de travailler pour les Nations Unies » et plus généralement les « violations systématiques des droits des femmes et des filles » commises par les talibans ([13]). Le Conseil a souligné que ces mesures rétrogrades « auraient un impact négatif sévère sur les opérations d’assistance en Afghanistan » et a enjoint les talibans d’y mettre fin sans délai.
De son côté, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU a mis en place en 2022 un mécanisme de surveillance de la situation en Afghanistan et a adopté en juillet 2023 une résolution condamnant la discrimination de genre imposée par les autorités de fait. En septembre 2024, lors d’une session spéciale à Genève, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme, M. Volker Türk, a exprimé sa « répugnance » face à la promulgation de la nouvelle loi morale talibane, y voyant « une répression sans équivalent des femmes dans le monde » ([14]). Il a appelé tous les États à agir de concert pour faire cesser ce qu’il a qualifié d’« apartheid de genre » et pour demander des comptes aux responsables.
De nombreux acteurs du monde musulman ont également condamné les pratiques talibanes à l’égard des femmes, ce qui illustre l’isolement du régime de Kaboul y compris sur le plan religieux. L’Organisation de la Coopération Islamique (OCI), qui rassemble 57 pays musulmans, a publiquement désapprouvé les interdictions d’éducation imposées aux filles. En décembre 2022 puis à nouveau en janvier 2023, le Secrétaire général de l’OCI a déclaré que « la décision d’interdire aux femmes et aux filles l’accès à l’éducation est contraire à l’enseignement islamique » et a appelé les talibans à revenir sur ces mesures injustifiables ([15]). Par ailleurs, des dignitaires religieux de plusieurs pays musulmans (comme l’Arabie saoudite, l’Égypte ou le Pakistan) ont émis des fatwas ou des déclarations soulignant que rien dans l’islam n’interdit l’éducation des femmes, prenant le contre-pied du discours taliban. Cette désapprobation du monde islamique limite la possibilité pour les talibans de légitimer leur misogynie au nom de la religion, en démontrant que leur politique relève avant tout d’une vision extrémiste et politique, non partagée par la majorité des musulmans.
Au niveau européen et occidental, la réaction a également été unanime pour condamner la situation. L’Union européenne a ainsi adopté une ligne de fermeté vis-à-vis du nouvel émirat taliban. Dès le 16 septembre 2021, le Parlement européen a voté une résolution appelant à la protection des femmes afghanes ainsi qu’à l’instauration d’un programme spécial de visas humanitaires pour les femmes et les personnes vulnérables d’Afghanistan ([16]). L’UE a rapidement fait savoir qu’aucune reconnaissance du régime taliban n’était envisagée ni aucun contact officiel tant que les droits des femmes ne seraient pas restaurés. Au fil des mois, le Haut Représentant de l’UE pour les Affaires étrangères, M. Josep Borrell, est intervenu à de multiples reprises pour dénoncer l’« effacement » en cours des Afghanes.
En mars 2022, au lendemain de la fermeture des collèges de filles, puis en décembre 2022 après l’interdiction universitaire, il a condamné la privation d’éducation infligée à plus d’un million de jeunes Afghanes ([17]). Le 26 août 2024, Josep Borrell a exprimé sa consternation après la promulgation de la fameuse loi de 2024 sur le voile et le silence imposé aux femmes, estimant qu’elle « prive effectivement les Afghanes de leur droit fondamental à la liberté d’expression ». L’Union européenne a réaffirmé à cette occasion « se tenir aux côtés des femmes et des filles d’Afghanistan » et a enjoint les talibans de « mettre un terme immédiat à ces abus systématiques ». Les États membres de l’UE ont adopté des déclarations similaires.
La France, en particulier, a adopté l’une des attitudes les plus fermes envers le régime de Kaboul. Le gouvernement français a dès août 2021 déclaré qu’il ne reconnaîtrait pas le régime des talibans. Le 15 août 2024, à l’occasion des trois ans de la chute de Kaboul, le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères a rappelé le « refus de toute reconnaissance internationale des talibans » tant qu’ils ne respecteraient pas les obligations fixées par l’ONU, condamnant « les violations graves et répétées » des droits des femmes et affirmant qu’« aucun retour à la normale ne sera envisageable sans l’arrêt de ces violences » ([18]). D’une manière générale, les pays occidentaux ont maintenu isolé diplomatiquement le régime taliban, fermant leurs ambassades à Kaboul et suspendant toute coopération, à l’exception de l’aide humanitaire d’urgence.
Enfin, nombre d’organisations internationales et ONG se sont mobilisées pour alerter sur le sort des Afghanes. Des prix et distinctions ont été décernés à des militantes afghanes (par exemple le Prix Sakharov 2023 du Parlement européen a honoré « les femmes d’Afghanistan qui luttent pour l’égalité »). Les organisations de défense des droits humains, telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch, publient régulièrement des rapports détaillant les abus commis et appelant à l’action internationale.
La condamnation de la politique talibane envers les femmes est quasi unanime à l’échelle internationale. Aucune puissance significative n’a défendu publiquement les mesures misogynes de Kaboul. Au contraire, un consensus se dégage – au-delà des clivages culturels et religieux – pour considérer ces actes comme inacceptables et contraires aux valeurs universelles. Cette unité de vue, précieuse, a permis de délégitimer le régime taliban sur la scène mondiale et de faire des droits des Afghanes un enjeu international et non purement interne. Cependant, ce consensus sur le diagnostic ne s’est pas traduit, jusqu’à présent, par une action réellement efficace sur le terrain.
II. Un régime jusqu’à présent indifférent aux sanctions
Malgré l’indignation générale et les nombreuses déclarations de principe, la situation concrète des femmes en Afghanistan n’a jusqu’à présent connu aucune amélioration et s’est au contraire détériorée. Ce constat amer invite à s’interroger sur les limites de la réponse internationale actuelle et sur les obstacles qui entravent une action plus efficace.
On doit en effet constater que les talibans demeurent sourds aux pressions morales. Les condamnations verbales et même les résolutions de l’ONU n’ont eu que peu d’impact sur leur comportement. Retranchés dans une posture idéologique rigide, les dirigeants talibans – au premier rang desquels le chef suprême Haibatullah Akhundzada – semblent indifférents à leur isolement diplomatique. Chaque critique étrangère de leur politique est dénoncée comme une ingérence occidentale ou une attaque contre leur interprétation de la charia. Ainsi, après chaque appel international en faveur des Afghanes, le régime a généralement réaffirmé publiquement qu’il « ne fera pas de compromis sur l’application de la loi islamique ». En pratique, les talibans n’ont annulé aucune de leurs interdictions majeures concernant les femmes depuis 2021. Ils n’ont rouvert ni les écoles ni les universités aux filles, et maintiennent l’exclusion des femmes dans les autres domaines. Pire, ils ont durci leur position en adoptant de nouvelles restrictions (comme la loi d’août 2024). On doit donc constater que l’approche purement déclarative a atteint ses limites.
Sur le plan des sanctions, la communauté internationale a bien pris quelques mesures, mais elles restent limitées et d’une efficacité discutable. Dès 1999, les Nations Unies avaient placé les talibans sous un régime de sanctions (interdictions de voyage, embargo sur les armes, gel d’avoirs) en raison de leur soutien au terrorisme. Ces sanctions ont été maintenues et même renforcées après 2021. Le Conseil de sécurité a ainsi reconduit en 2022 le régime de sanctions « 1988 » ([19]) contre les individus et entités liés aux talibans. Concrètement, une liste de plus de 130 dirigeants talibans et affiliés fait l’objet d’un gel international de leurs avoirs financiers et d’une interdiction de déplacement à l’étranger ([20]) . Cependant, l’efficacité de ces mesures reste relative : nombre de ces individus ne possèdent pas de fonds identifiables à l’étranger (ou les dissimulent aisément), et la plupart n’envisagent pas de voyager hors de quelques pays voisins. En outre, jusqu’en 2022, le Conseil de sécurité avait octroyé des exemptions de voyage à certains leaders talibans pour permettre des discussions diplomatiques – ces exemptions ont été suspendues en raison des interdictions d’éducation des filles, mais leur existence passée a pu brouiller la clarté du message. Par ailleurs, les sanctions onusiennes n’ont pas de portée pénale : elles stigmatisent et isolent, sans pour autant engager de poursuites judiciaires contre les auteurs d’abus.
L’autre levier de pression est l’absence de reconnaissance internationale et d’assistance au régime. Aucun pays, y compris ceux voisins de l’Afghanistan, n’a reconnu officiellement l’« Émirat islamique » proclamé par les talibans. Même le Pakistan, historiquement proche de ce mouvement, ou le Qatar, qui héberge le bureau politique taliban, n’ont pas franchi ce pas. Cette absence de reconnaissance prive le régime de légitimité diplomatique et de l’accès aux sièges officiels (le siège de l’Afghanistan à l’ONU reste ainsi occupé par un représentant de l’ancien gouvernement). En outre, l’aide publique au développement – qui faisait vivre l’économie afghane jusqu’en 2021 – a été interrompue par les grands bailleurs (notamment la Banque mondiale, l’Union européenne et les États-Unis). Plus de 75 % du budget afghan provenait avant 2021 de l’aide internationale, et cette source de revenu s’est tarie, ce qui exerce une forte pression financière sur le régime.
Cette stratégie a cependant un coût humain. La suspension de l’aide au développement contribue à l’effondrement des services de base (écoles, hôpitaux, infrastructures) et affecte par conséquent la population, que les talibans ont montré peu d’empressement à protéger. Les talibans se sont d’ailleurs tournés vers d’autres sources de revenus (perception de taxes locales, reprise de certaines exportations minières, aide humanitaire détournée, et même augmentation du commerce de l’opium jusqu’à son interdiction officielle en 2022). Le peuple afghan subit ainsi une double peine : opprimé en interne et asphyxié économiquement par l’isolement du pays. Consciente de ce dilemme, la communauté internationale a cherché à épargner la population en maintenant l’aide humanitaire d’urgence – strictement conditionnée cependant à une distribution impartiale et, autant que possible, « par et pour les femmes ». Les talibans ont cependant fait obstacle à cette stratégie en interdisant aux employées humanitaires afghanes de travailler, ce qui complique grandement l’acheminement de l’assistance aux femmes bénéficiaires.
Un autre obstacle aux efforts internationaux tient aux divergences d’approche et d’agenda parmi les acteurs concernés. Si presque tout le monde s’accorde à condamner les exactions contre les Afghanes, il existe des dilemmes stratégiques sur la manière de traiter avec le régime taliban. D’un côté, un camp préconise la fermeté absolue et l’isolement maximal tant que les droits humains ne sont pas respectés. De l’autre, certains estiment qu’un dialogue pragmatique est nécessaire pour éviter l’embrasement du pays – notamment pour des raisons de sécurité liées à la lutte antiterroriste et de contrôle migratoire.
S’agissant des préoccupations sécuritaires, la présence en Afghanistan de groupes terroristes comme Daech-Province du Khorasan inquiète les voisins immédiats de l’Afghanistan, tout comme la perspective d’un exode de réfugiés afghans en cas d’effondrement total. Certains pays de la région (par exemple la Chine, la Russie ou l’Iran) ont ainsi maintenu des canaux de communication officieux avec Kaboul et prônent une approche moins conflictuelle, misant sur des incitations économiques pour infléchir le régime. Même au sein des pays occidentaux, l’idée circule qu’il faudrait conditionner une aide économique graduelle à des améliorations concrètes sur certains points (par exemple la réouverture des écoles primaires aux filles, que les talibans avaient initialement tolérée). En mars 2022, l’envoyé spécial de l’UE pour l’Afghanistan a ainsi déclaré que « certaines formes d’assistance économique ne pourront reprendre que s’il y a des progrès clairs sur les droits fondamentaux » ([21]).
Cette position est partagée par plusieurs États européens comme l’Allemagne, la Norvège, la France ou le Royaume-Uni, qui ont suspendu leur aide structurelle et conditionnent toute reprise de coopération au respect effectif des droits humains, en particulier l’accès à l’éducation pour les filles et la participation des femmes à la vie publique.
Ce débat fait que la pression internationale souffre parfois d’une coordination imparfaite. Néanmoins, jusqu’à présent, aucun État n’est allé jusqu’à normaliser ses relations avec les talibans ou à relâcher significativement les exigences en matière de droits des femmes. La ligne rouge demeure largement partagée : pas de reconnaissance tant que les Afghanes seront opprimées.
Dans ce contexte, la marge de manœuvre pour faire plier les talibans est étroite. Ni les sanctions, ni l’isolement diplomatique n’ont pour l’instant entamé leur détermination idéologique. Le régime semble prêt à sacrifier le bien-être économique du pays et son image internationale au profit de sa doctrine rigoriste, tandis que la population afghane – et en particulier les femmes – continue de souffrir terriblement, prise en étau entre un pouvoir domestique oppressif et les conséquences des mesures de rétorsion internationales.
Ce constat ne doit toutefois pas mener au découragement ou à l’inaction. Il signifie au contraire qu’il faut renforcer et diversifier les moyens d’action pour défendre les droits des Afghanes, en combinant des approches à la fois punitives et protectrices. La situation actuelle constitue une atteinte grave aux principes universels, et il y va de la crédibilité de la communauté internationale de ne pas abandonner ces millions de femmes et de filles.
Afin de sortir de cette impasse, la présente résolution propose une série de mesures destinées à renforcer la pression sur les talibans tout en apportant un soutien concret aux femmes afghanes. Elle s’appuie sur quatre axes complémentaires : la qualification du mouvement taliban comme entité terroriste, le recours au droit international pour engager la responsabilité des auteurs de crimes, l’accueil en France des réfugiées menacées, et le renforcement d’une aide humanitaire spécifiquement orientée vers les femmes et les filles. L’objectif est de combiner la responsabilisation des auteurs d’exactions et la protection des victimes, dans une approche cohérente et résolue.
TROISIÈME PARTIE :
Quatre séries de mesures complémentaires
pour venir en aide aux Afghanes
Face à l’impasse actuelle, la présente résolution propose l’adoption de mesures fortes et ciblées pour défendre les droits fondamentaux des femmes afghanes. Ces mesures s’articulent autour de quatre leviers complémentaires : la désignation du régime taliban comme organisation terroriste, le recours à la justice pénale internationale, l’organisation d’un accueil pour les femmes afghanes en danger, et le renforcement d’une aide humanitaire spécifiquement destinée aux femmes et aux filles. Ces mesures visent à la fois à engager la responsabilité des auteurs de violations et à protéger concrètement celles qui en sont les victimes.
I. Reconnaître les talibans comme une organisation terroriste
La première mesure préconisée consiste à inscrire officiellement le mouvement taliban sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne. Une telle désignation, déjà en vigueur dans certains pays, aurait une forte portée symbolique et juridique. Elle signifierait que l’UE considère le régime taliban non pas comme un gouvernement légitime, mais comme un groupe terroriste exerçant un pouvoir de fait par la violence et la terreur.
Plusieurs arguments justifient cette qualification.
D’une part, de nombreux actes commis par les talibans correspondent à la définition du terrorisme, c’est-à-dire l’usage de la violence contre des civils dans le but de les intimider et d’imposer une idéologie. Depuis leur retour, les talibans ont instauré en Afghanistan un régime basé sur la peur, multipliant les assassinats ciblés d’opposants, la répression sanglante des manifestations et les violences arbitraires. Ils gouvernent par la terreur quotidienne infligée à la population, et notamment aux femmes.
D’autre part, les talibans entretiennent des liens avérés avec des réseaux terroristes internationaux. Historiquement, ils ont hébergé Al-Qaïda sur leur sol – Oussama Ben Laden opérait depuis l’Afghanistan, hébergé par le régime taliban, dans les années 1990, ce qui valut à ce dernier d’être renversé en 2001. Aujourd’hui encore, l’Afghanistan redevenu émirat est redevenu un sanctuaire pour divers groupes jihadistes. En août 2022, le chef d’Al-Qaïda Ayman al-Zawahiri a été localisé et éliminé par une frappe américaine en plein centre de Kaboul, où il résidait très vraisemblablement avec la complicité de hauts responsables talibans – en violation flagrante de l’accord de Doha par lequel les talibans s’étaient engagés à rompre avec le terrorisme. Par ailleurs, l’organisation État islamique – Khorasan (EI-K) multiplie les attentats sur le sol afghan contre des cibles civiles (mosquées chiites, écoles de filles, etc.), sans que les talibans ne parviennent réellement à l’endiguer, certaines informations laissant au contraire penser qu’ils ont relâché des centaines de combattants terroristes emprisonnés à leur retour au pouvoir en 2021. Le terreau terroriste est donc plus que jamais présent en Afghanistan et largement toléré par les talibans ([22]). Mme Soukira Haidar, fondatrice et présidente de l’association Negar, auditionnée par votre rapporteure dans le cadre de la préparation du présent rapport, se basant sur les informations qu’elle a pu recueillir, estime que des groupes terroristes de pays voisins sont largement implantés en Afghanistan avec l’accord des Talibans.
Plusieurs pays ont d’ores et déjà placé les talibans sur leurs propres listes noires terroristes. Les États-Unis maintiennent le mouvement taliban sur la liste des organisations terroristes étrangères (Foreign Terrorist Organizations), ce qui entraîne le blocage de tous leurs actifs financiers sous juridiction américaine et l’interdiction de tout soutien matériel. Le Canada continue quant à lui de classer les talibans comme entité terroriste en application de son Code criminel. Il est ainsi interdit au Canada de financer ou soutenir, directement ou indirectement, toute activité reliée aux talibans, et des poursuites pénales peuvent viser les contrevenants.
L’Union européenne, pour sa part, applique les sanctions de l’ONU contre les individus talibans, mais n’a pas encore désigné formellement le mouvement dans son ensemble comme organisation terroriste dans son registre autonome. Or, procéder à cette désignation enverrait un signal politique fort de totale désapprobation. Cela alignerait l’UE sur la position de fermeté de partenaires comme les États-Unis ou le Canada, et couperait court à toute tentation de normalisation des talibans. Concrètement, une telle inscription faciliterait la mise en œuvre de poursuites judiciaires contre les soutiens logistiques ou financiers du régime : tout acteur lié aux talibans pourrait être poursuivi pour association terroriste sur le sol européen. De plus, cela pérenniserait les sanctions économiques (gel des avoirs, interdictions de commerce d’armes, etc.) tant que le régime resterait dans cette catégorie, indépendamment des aléas diplomatiques.
Une telle inscription aurait d’abord pour effet de permettre à l’Union européenne d’interdire formellement tout soutien financier ou matériel au mouvement taliban dans son ensemble, au-delà des seules personnes ou entités déjà visées par les sanctions onusiennes. Elle offrirait ainsi un fondement juridique autonome pour bloquer tout flux de financement ou de ressources susceptible de bénéficier au régime.
Elle faciliterait ensuite, dans les États membres, l’engagement de poursuites contre les personnes ou structures apportant un appui direct au mouvement, en s’appuyant sur les législations nationales en matière de financement du terrorisme ou d’association avec une organisation terroriste. L’inscription des talibans sur la liste européenne renforcerait la sécurité juridique de ces procédures.
Enfin, elle permettrait de pérenniser et d’élargir le régime de sanctions économiques existant, en le rendant moins dépendant des équilibres diplomatiques au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies. Tant que les talibans demeureraient inscrits, l’Union européenne pourrait maintenir un gel durable de leurs avoirs, interdire les transferts de fonds à leur profit et proscrire toute relation économique directe ou indirecte avec le régime.
Il convient de souligner que cette mesure ne viserait pas la population afghane, qui selon Mme Haidar y serait d’ailleurs très favorable, mais bien l’appareil taliban en tant qu’entité. Elle n’a pas vocation à accroître la souffrance du peuple, mais à isoler davantage les dirigeants talibans et à les priver des bénéfices d’éventuelles relations internationales. En étant désignés comme terroristes, les officiels talibans perdraient la possibilité de voyager, de négocier ou d’accéder aux institutions financières mondiales. Cela peut les inciter à modifier leur comportement s’ils souhaitent sortir de leur isolement. À défaut d’effet persuasif direct, la désignation aura au moins pour mérite de clarifier la position de principe de l’Europe : on ne transige pas avec un régime qui sème la terreur et foule aux pieds les droits humains.
On pourrait certes objecter qu’une telle initiative risque de crisper encore davantage les talibans et de rendre le dialogue impossible. On doit cependant constater qu’à l’heure actuelle, le dialogue est quasiment nul et n’a produit aucun résultat tangible sur les droits des femmes – persister dans une approche conciliante serait illusoire. L’inscription sur la liste terroriste n’empêche pas, en outre, de maintenir des canaux humanitaires ou d’engager plus tard des discussions si les talibans évoluent. L’ONU a déjà dialogué avec des groupes inscrits comme terroristes (par exemple certaines factions talibanes durant les années de conflit) pour des cessez-le-feu ponctuels. L’important est de ne pas envoyer de message de faiblesse. En traitant les talibans en parias terroristes, la communauté internationale réaffirme que leur idéologie de terreur, notamment envers les femmes, est hors du champ de l’acceptable et du négociable.
En somme, reconnaître le régime taliban pour ce qu’il est – une organisation terroriste et non un gouvernement normal – serait un pas logique et éthique. Cette mesure, soutenue par la présente résolution, vise à accroître la pression politique et juridique sur les talibans. Elle s’inscrit dans une stratégie plus large de responsabilisation, qui comprend également le recours au droit pénal international, objet de la mesure suivante.
II. Saisir la Cour pénale internationale pour les crimes commis en Afghanistan
La deuxième proposition avancée par la présente résolution consiste à mobiliser la justice pénale internationale face aux exactions commises par le régime taliban, en particulier contre les femmes. Concrètement, il s’agit d’appuyer la saisine de la Cour pénale internationale (CPI) afin d’enquêter et de poursuivre les dirigeants talibans responsables de crimes graves. Cette approche se fonde sur un principe simple : l’impunité dont jouissent aujourd’hui les auteurs de ces violations massives ne doit pas perdurer, et les mécanismes de justice internationale doivent être activés pour rendre des comptes.
Plusieurs éléments juridiques permettent d’envisager une action de la CPI.
Tout d’abord, l’Afghanistan est État partie au Statut de Rome, le traité fondateur de la Cour pénale internationale, depuis 2003. Cela signifie que la CPI a compétence pour juger les crimes relevant du Statut commis sur le territoire afghan ou par des ressortissants afghans, et ce même sans saisine du Conseil de sécurité (une différence notable avec des situations comme la Syrie ou la Birmanie).
Or, les agissements des talibans depuis 2021 peuvent être qualifiés de crimes internationaux au sens du Statut de Rome. L’article 7 du Statut, relatif aux crimes contre l’humanité, inclut notamment la « persécution de tout groupe ou collectivité identifiable pour des motifs d’ordre (…) sexiste… », ainsi que les « autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ». La persécution systématique des femmes en raison de leur genre entre clairement dans cette définition. De même, certains actes spécifiques – assassinats de civils, tortures en détention, disparitions forcées – commis par les talibans dans le cadre de cette politique pourraient constituer des crimes contre l’humanité, voire des crimes de guerre dans le contexte du conflit interne qui oppose les talibans à leurs opposants.
En particulier, le fait d’imposer aux femmes un régime oppressif délibéré peut être vu comme un crime contre l’humanité de persécution (violation grave des droits fondamentaux pour un motif identitaire, en l’occurrence le sexe). Plusieurs juristes et experts parlent également d’« apartheid de genre », faisant le parallèle avec le crime d’apartheid (persécution et domination systématique d’un groupe sur un autre) reconnu par le droit international, mais la définition de l’apartheid contenue dans le Statut de Rome ne s’applique que vis-à-vis d’un groupe racial, ce qui rend improbable que la CPI se reconnaisse compétente sur ce point. En tout état de cause, la gravité et l’ampleur des violences faites aux Afghanes atteignent le seuil de ce que la communauté internationale considère comme criminel et devant relever d’une juridiction pénale.
La Cour pénale internationale elle-même a du reste déjà entamé des démarches. Le Procureur de la CPI a ainsi rouvert en 2021 une enquête sur la situation en Afghanistan, enquête initialement ouverte en 2006 en lien avec le conflit qui avait alors lieu, et portait sur d’éventuels crimes de guerre commis par l’ensemble des parties). En 2022, le Procureur a indiqué qu’il faisait des crimes des talibans et de l’EI-K sa priorité, compte tenu de leur gravité et du fait qu’aucune poursuite nationale crédible n’était en cours en Afghanistan. Cette enquête de la CPI est toujours en cours.
Par ailleurs, la CPI, le 23 janvier 2025, a demandé des mandats d’arrêt contre Haibatullah Akhundzada (chef suprême des talibans) et Abdul Hakim Haqqani (président de la Cour suprême afghane), les accusant de « persécution pour motifs de genre », un crime contre l’humanité, en raison de la répression systématique des droits des femmes, des filles et des personnes LGBTQI+ depuis la reprise du pouvoir des talibans en août 2021 Cependant, pour qu’elle aboutisse à des inculpations et mandats d’arrêt, il est crucial que la communauté internationale la soutienne activement.
Pour que la procédure aboutisse, il faut en effet d’abord que la Chambre préliminaire de la CPI délivre formellement les mandats d’arrêt demandés par le Procureur, étape qui dépend d’une analyse approfondie des preuves, mais aussi d’un contexte politique favorable. Le soutien des États parties, en particulier des membres de l’Union européenne, doit être mobilisé afin de donner du poids à cette démarche, et leur coopération sera ensuite indispensable pour exécuter les mandats et éviter qu’ils restent lettre morte.
La résolution propose donc que la France, avec ses partenaires européens, appuie toute action devant les juridictions internationales relatives aux crimes commis en Afghanistan. Cela inclut bien sûr une coopération avec la CPI pour la collecte des preuves, la transmission d’informations, et le soutien politique et financier à l’enquête. Outre l’appui à la procédure en cours, il s’agira d’identifier les principaux responsables – par exemple les ministres talibans ayant ordonné ces politiques, les chefs de la police religieuse coupables de tortures, voire le chef suprême – et de chercher à les faire inculper par la Cour.
Une saisine formelle supplémentaire pourrait être envisagée via le Conseil de sécurité de l’ONU, même si la compétence existe déjà. Le Conseil de sécurité a le pouvoir de déférer au Procureur de la CPI des situations, y compris concernant des États non parties, mais aussi de réaffirmer son soutien s’agissant d’États parties. Une résolution du Conseil de sécurité apportant un appui explicite à l’enquête de la CPI sur la persécution des femmes en Afghanistan donnerait un poids politique majeur et mettrait la pression sur les talibans. Certes, obtenir l’unanimité (ou du moins l’absence de veto) au Conseil de sécurité n’est pas garanti compte tenu de la position de certaines grandes puissances vis-à-vis de la CPI. Néanmoins, la France – qui promeut depuis longtemps la lutte contre l’impunité – pourrait user de son influence pour tenter de rallier un consensus sur ce point spécifique, qui relève de crimes contre l’humanité difficilement contestables.
Au-delà de la CPI, d’autres voies judiciaires peuvent être encouragées. Par exemple, la compétence universelle pourrait être invoquée par des tribunaux nationaux pour poursuivre des tortionnaires talibans si ceux-ci venaient à être appréhendés hors d’Afghanistan. De même, une procédure devant la Cour internationale de Justice (CIJ) est envisagée par certains juristes, via la Convention sur l’élimination des discriminations contre les femmes (CEDAW) à laquelle l’Afghanistan est partie : cette convention permet à un État partie (par exemple la France) de traduire un autre État partie (l’Afghanistan) devant la CIJ pour manquement grave aux obligations du traité. Une telle instance serait inédite (qualifier toutes les Afghanes de « groupe protégé » au sens de CEDAW) mais aurait le mérite d’établir la responsabilité internationale de l’État afghan pour les actes de ses autorités de fait.
L’idée centrale est d’utiliser tous les outils juridiques à disposition pour que les talibans ne bénéficient pas d’une impunité totale. Même si, dans l’immédiat, il est peu probable de voir comparaître à La Haye un dignitaire taliban (notamment parce qu’ils ne voyagent pas) et bien que la CPI ne puisse juger par contumace, l’émission de mandats d’arrêt internationaux aurait une valeur de condamnation morale très forte.
S’agissant des femmes afghanes, savoir que la communauté internationale qualifie leur calvaire de crime et cherche à juger les coupables peut également leur procurer un réconfort moral important, ainsi que l’a souligné Mme Soukira Haidar. C’est un moyen de leur montrer qu’elles ne sont pas oubliées, et que la loi est de leur côté. Nombre d’entre elles documentent discrètement les abus et conservent des preuves, dans l’espoir qu’un jour justice sera rendue. La CPI offre cette perspective, même à long terme. Enfin, une action judiciaire internationale peut avoir un effet dissuasif sur certains exécutants.
La saisine de la Cour pénale internationale et plus largement la judiciarisation des crimes commis en Afghanistan sont des démarches indispensables pour combattre l’impunité. La résolution appelle la France et l’UE à prendre le leadership sur ce front, en cohérence avec leurs valeurs. Une telle démarche compléterait utilement la stratégie de sanctions politiques en ajoutant la dimension de la responsabilité pénale individuelle. Les talibans doivent comprendre que leurs actions ont des conséquences légales internationales et que la communauté mondiale se réserve le droit de les juger pour les souffrances infligées aux Afghanes.
III. Accueillir et protéger en France les Afghanes menacées
Parallèlement aux mesures de pression et de sanction contre les talibans, la présente résolution insiste sur un devoir humanitaire fondamental : celui d’offrir refuge aux Afghanes en danger. Il s’agit de mettre en place une politique d’asile et d’accueil ambitieuse à destination des femmes afghanes persécutées, afin de leur permettre d’échapper aux griffes du régime et de reconstruire leur vie en sécurité.
La France, patrie des droits de l’Homme, se doit d’être à la hauteur de sa tradition d’asile dans cette crise. Depuis la chute de Kaboul, des milliers d’Afghanes – en particulier des militantes, journalistes, juges, universitaires, sportives – ont tenté de fuir le pays, craignant à juste titre pour leur liberté et leur vie. Bon nombre ont trouvé refuge dans des pays voisins (Pakistan, Iran) où elles demeurent toutefois vulnérables et souvent en situation précaire. D’autres ont pu être évacuées vers des pays occidentaux lors des ponts aériens de 2021 ou via des programmes spéciaux. La France a ainsi évacué et accueilli quelques milliers d’Afghans depuis août 2021, notamment d’anciens collaborateurs de l’armée française et des défenseurs des droits humains.
Cependant, il apparaît que beaucoup de femmes isolées sont restées sur place lors de ces évacuations d’urgence, qui ont souvent privilégié les personnes ayant des liens directs avec des étrangers. De courageuses initiatives privées (journalistes, ONG, collectifs) ont aidé individuellement certaines Afghanes à s’exfiltrer au compte-gouttes, mais aucune politique publique d’ampleur ne leur a été dédiée. Ainsi, fin 2023, on estimait que seules une minorité de femmes particulièrement en vue (anciennes ministres, députées, juges célèbres…) avaient pu être mises à l’abri, tandis que de nombreuses autres – professeures, étudiantes engagées, artistes, etc. – restaient piégées en Afghanistan ou en exil précaire.
La situation actuelle en France le reflète : parmi les demandeurs d’asile afghans qui arrivent sur le territoire, seules environ 20 % sont des femmes ([23]). La grande majorité sont des hommes jeunes (souvent des mineurs non accompagnés ou de jeunes adultes) qui ont pu fuir via les routes migratoires terrestres. Les femmes, entravées par les talibans et exposées à plus de risques en chemin, sont nettement moins nombreuses à parvenir jusqu’en Europe par leurs propres moyens. Cela signifie que beaucoup de femmes qui auraient besoin de protection ne l’obtiennent pas, faute de pouvoir quitter l’Afghanistan ou traverser des pays tiers dangereux.
Face à ce constat, la résolution préconise de lancer un programme d’accueil humanitaire spécifique pour les femmes et filles afghanes menacées. Ce programme pourrait prendre la forme de visas humanitaires délivrés de manière proactive, en lien avec les organisations de défense des droits des femmes. L’idée serait de cibler en priorité les profils les plus à risque : militantes connues, journalistes, sportives ou artistes ayant fait l’objet de menaces, fonctionnaires ou juges de l’ancien régime traqués ou jeunes filles brillantes dont l’avenir est brisé. La France pourrait, par exemple, s’engager à accueillir un contingent déterminé de réfugiées afghanes chaque année (en plus du flux spontané de demandeurs d’asile). Cet effort s’inscrirait dans celui de l’Union européenne : le Parlement européen a explicitement appelé, dès septembre 2021, à la mise en place d’un programme spécial de visas pour les femmes afghanes en danger([24]). Malheureusement, cet appel est resté sans suite au niveau européen jusqu’ici, du fait des réticences sur les questions migratoires. La France a l’opportunité de montrer l’exemple en agissant unilatéralement ou avec quelques pays volontaires, sans attendre un hypothétique accord des États membres.
Juridiquement, le devoir de protection des Afghanes persécutées ne fait aucun doute. La Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés s’applique pleinement : la persécution pour appartenance à un « groupe social » est un motif d’asile reconnu, et la jurisprudence française considère depuis peu l’ensemble des femmes d’Afghanistan comme un groupe social menacé. En effet, par une décision de principe du 11 juillet 2024 ([25]) , la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a jugé que « l’ensemble des femmes afghanes refusant de se plier aux mesures talibanes constitue un groupe social susceptible d’être protégé au titre de l’asile ». Autrement dit, toute Afghane qui est en danger du seul fait d’être une femme sous le régime taliban peut prétendre au statut de réfugiée en France. Cette décision historique consacre juridiquement ce que dicte la réalité : les femmes en Afghanistan sont persécutées collectivement en raison de leur genre. La France se doit d’en tirer les conséquences pratiques en ouvrant grand sa porte à celles qui peuvent s’en échapper.
Concrètement, la mise en œuvre d’une politique d’accueil pourrait s’appuyer sur les associations et les diasporas déjà mobilisées. Des ONG telles que France Terre d’Asile, Amnesty International, des collectifs citoyens travaillent sur le repérage des cas vulnérables et l’accompagnement à l’arrivée. Il conviendrait de faciliter l’octroi de visas d’urgence via les ambassades ou consulats (y compris dans les pays tiers où se trouvent des Afghanes réfugiées, comme Islamabad, Téhéran ou Ankara). Par ailleurs, un soutien particulier doit être prévu pour l’intégration de ces femmes réfugiées en France : cours de français, hébergement, formations professionnelles, accompagnement psychologique (beaucoup sont traumatisées). Nombre d’entre elles sont éduquées et actives et certaines ont déjà repris des études ou trouvé un emploi en France, témoignant de leur volonté de reconstruire leur vie et de contribuer.
Accueillir davantage d’Afghanes en détresse serait à la fois un geste humanitaire fort et un acte politique symbolique. Cela montrerait aux talibans que loin de « disparaître », les femmes qu’ils oppriment peuvent trouver refuge et liberté ailleurs, et continuer à faire entendre leur voix depuis l’étranger. C’est aussi un moyen de préserver le potentiel humain afghan : les exilées d’aujourd’hui pourront être demain les actrices du redressement de l’Afghanistan, si les circonstances évoluent. En attendant, la France honorerait ainsi son engagement en faveur des droits des femmes dans le monde, dans le prolongement des opérations d’évacuation déjà menées.
Naturellement, une telle politique devra se coordonner avec les efforts internationaux. On peut imaginer un réseau européen de pays d’accueil, chacun prenant sa part pour accueillir un certain nombre d’Afghanes. L’Allemagne, par exemple, a accueilli près de 30 000 Afghans depuis 2021, soit une échelle bien supérieure à la France. Un partage des responsabilités serait bénéfique et répondrait à l’appel du Parlement européen de 2021. Quoi qu’il en soit, la présente résolution propose que la France initie le mouvement. La protection des Afghanes persécutées est un impératif moral. Il y va de la sauvegarde de vies individuelles, mais aussi du message envoyé globalement : nous ne laissons pas celles qui défendent la liberté et l’égalité être réduites au silence et à la mort sans leur tendre la main.
IV. Renforcer l’aide humanitaire ciblée sur les femmes et les filles afghanes
La dernière série de mesures proposées concerne l’aide humanitaire, qui demeure un lien vital entre la communauté internationale et le peuple afghan. La résolution appelle à intensifier et à réorienter cette aide de manière à soutenir au mieux les femmes et les filles, malgré les entraves imposées par les talibans. Il s’agit de secourir les Afghanes dans leur vie quotidienne et de préserver ce qui peut l’être de leurs droits fondamentaux (santé, éducation de base, autonomie économique) via des programmes humanitaires adaptés.
Actuellement, l’Afghanistan traverse l’une des pires crises humanitaires au monde. Près des deux tiers de la population ont besoin d’une assistance d’urgence du fait des pénuries alimentaires, de l’effondrement des services de santé, de la sécheresse ou de la pauvreté extrême. Dans ce contexte, les femmes et les enfants sont souvent les plus durement touchés. Les femmes, en particulier, subissent un accès très réduit à l’aide du fait des restrictions. L’interdiction faite aux ONG d’employer des femmes (depuis décembre 2022) a en effet conduit de nombreuses organisations humanitaires à suspendre ou limiter leurs activités, car sans travailleuses humanitaires, il est presque impossible d’atteindre les bénéficiaires féminines. En avril 2023, lorsque les talibans ont étendu cette interdiction aux agences de l’ONU, la situation a frôlé la rupture complète et le Programme alimentaire mondial, l’UNICEF et d’autres organisations ont pu craindre de devoir cesser leurs opérations vitales. Finalement, des dérogations locales et la créativité des équipes ont permis de poursuivre partiellement leur travail, mais la portée de l’aide aux femmes s’est nettement réduite. Par exemple, des programmes d’éducation informelle pour les filles, menés discrètement par des ONG, ont dû fermer faute de personnel féminin autorisé ([26]).
Face à cela, la résolution propose un renforcement ciblé de l’aide, avec des mécanismes de contournement si nécessaire. Il convient d’abord d’augmenter les financements humanitaires alloués à l’Afghanistan, en veillant à flécher ces fonds vers des projets bénéficiant directement aux femmes et aux enfants. Malgré la fatigue des donateurs, c’est un investissement indispensable pour éviter une catastrophe totale. Ces fonds accrus pourraient soutenir des centres de soins materno-infantiles, des cliniques mobiles opérées par du personnel féminin (même si cela devrait être fait clandestinement) ou des distributions alimentaires ciblant les ménages dirigés par des femmes. L’aide doit par ailleurs appuyer les initiatives locales prises par des femmes. Certaines communautés ont par exemple mis en place des écoles secrètes à domicile pour les filles : des ONG pourraient fournir manuels et soutien à ces écoles informelles. Des réseaux de couturières ou d’artisanes se sont constitués pour faire travailler des femmes depuis chez elles : on peut leur apporter matière première et accès au marché. Même si tout doit être fait discrètement pour éviter d’attirer l’attention des talibans, ces brèches de solidarité existent et méritent un appui financier et technique.
Ensuite, il convient de conditionner strictement la distribution de l’aide à son utilisation effective en faveur des femmes. La France et l’UE, principaux bailleurs, ont déjà édicté la règle « femmes par et pour les femmes » : autant que possible, l’aide humanitaire doit être fournie par des organisations qui intègrent des femmes dans leur mise en œuvre et doit parvenir aux bénéficiaires femmes. En pratique, cela requiert des négociations tenaces avec les autorités de fait. Il faut redoubler d’efforts diplomatiques – y compris avec des médiateurs musulmans ou des agences islamiques – pour convaincre les talibans de laisser les travailleuses humanitaires locales reprendre leur activité, ne serait-ce que dans les secteurs vitaux (par exemple la santé des femmes ou l’aide nutritionnelle aux mères). L’OCI, qui a condamné l’interdiction des femmes dans l’humanitaire en islam, pourrait jouer un rôle de médiation à cet égard. La résolution exhorte le gouvernement français et l’UE à faire de cette question un point non négociable dans tout échange avec les talibans : l’aide internationale ne peut continuer que si un minimum d’accès humanitaire est garanti, incluant la participation des femmes. En pratique, sur le terrain, certaines exceptions localisées sont déjà obtenues (par exemple, dans certaines provinces, les talibans ont autorisé les ONG santé à employer du personnel féminin) ([27]).
S’il se révèle impossible d’élargir ces espaces d’exception par le dialogue, il reste possible de travailler via les agences de l’ONU dans les pays voisins pour atteindre les populations frontalières, ou via des organisations de la diaspora, par exemple, en soutenant financièrement des initiatives d’enseignement en ligne pilotées depuis l’étranger pour les jeunes en Afghanistan (il existe des universités en ligne en exil qui donnent des cours par internet à des étudiants et étudiantes de façon discrète). De même, des médias comme Radio Begum, fondée par des exilées à Paris, émettent vers l’Afghanistan en fournissant conseils, programmes éducatifs et soutien psychologique aux femmes via la radio. Ce type d’initiative mérite un appui financier car il maintient un lien crucial d’information et d’espoir.
Aider les femmes afghanes sur le terrain est difficile, mais pas impossible. Malgré les obstacles, des millions de personnes dépendent de cette aide pour survivre. L’enjeu est de la cibler de manière à soutenir aussi leurs droits fondamentaux restants. Chaque fille bénéficiant d’une éducation informelle, chaque femme recevant des soins, chaque famille secourue est une petite victoire contre la stratégie talibane de destruction. L’aide humanitaire, même modeste, maintient un fil d’espoir. Elle témoigne aux Afghanes qu’elles ne sont pas abandonnées et que le monde continue à se préoccuper de leur sort.
Les quatre axes mis en avant par la présente résolution forment une réponse globale à la situation des femmes en Afghanistan. La mise en œuvre de ces mesures exige volonté politique et coordination, mais elle est à la mesure de l’enjeu : préserver la dignité et les droits de la moitié de la population afghane et faire en sorte que le cauchemar imposé par les talibans ne puisse perdurer dans l’indifférence.
L’instauration par le régime taliban d’un véritable apartheid de genre en Afghanistan constitue l’une des plus graves régressions en matière de droits humains de ce début de XXIe siècle. En l’espace de trois ans, des millions de femmes et de filles ont été privées de presque tous leurs droits fondamentaux et réduites à une existence de citoyens de seconde zone, confinées et bâillonnées. Face à cette situation intolérable, la communauté internationale a exprimé une condamnation quasi unanime, mais les actions entreprises jusqu’ici n’ont pas infléchi l’attitude du régime de Kaboul, les Talibans continuant d’ignorer les appels et les sanctions, enfermant obstinément leur pays dans l’obscurantisme et la misère.
Dans ce contexte, la présente proposition de résolution se fait l’écho d’une exigence : ne pas se résigner. Elle plaide pour un sursaut de la part de l’Europe et de la France, combinant la fermeté envers les bourreaux et la solidarité envers les victimes. Il est donc proposé de franchir plusieurs paliers significatifs : qualifier officiellement le régime taliban de groupe terroriste afin de le délégitimer et de renforcer l’isolement des extrémistes au pouvoir ; mobiliser les instruments de la justice internationale pour poursuivre les responsables de ces atteintes massives aux droits humains, notamment en soutenant activement l’enquête de la Cour pénale internationale sur les crimes commis en Afghanistan ; ouvrir nos frontières et nos structures d’accueil aux femmes afghanes en danger, en reconnaissant leur persécution spécifique et en leur offrant l’asile qu’elles méritent au nom de nos valeurs ; et enfin, intensifier l’aide humanitaire directement en faveur des femmes et des filles, pour atténuer leurs souffrances quotidiennes et préserver l’espoir d’un avenir meilleur.
Ces mesures visent toutes un même objectif ultime : mettre un terme aux atteintes aux droits fondamentaux des Afghanes. Il serait illusoire de penser qu’un changement de politique des talibans surviendra du jour au lendemain, mais en accroissant la pression politique, judiciaire et économique sur ce régime, on peut espérer fissurer progressivement l’impunité et l’intransigeance dont il bénéficie.
Parallèlement, en soutenant les Afghanes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, on sauve des vies et on prépare l’avenir. Cet avenir, il faut l’espérer, verra un jour les femmes afghanes recouvrer les droits qui leur sont dus. Rien ne pourra effacer totalement les acquis et les aspirations de liberté de toute une génération de femmes instruites entre 2001 et 2021. Malgré la répression, beaucoup continuent de se battre courageusement, à l’instar de ces enseignantes organisant des cours clandestins, de ces étudiantes réfugiées qui témoignent sur la scène internationale, ou de ces mères afghanes qui élèvent leurs fils dans le respect des femmes envers et contre tout.
La France et l’Europe ont le devoir de se tenir à leurs côtés. En adoptant cette résolution et en mettant en œuvre ses recommandations, notre pays affirmera haut et fort que les droits des femmes sont universels et inaliénables, qu’aucune considération culturelle ou politique ne saurait justifier qu’on les piétine, et qu’enfin la solidarité internationale n’est pas un vain mot. Il y va non seulement de la survie et de la dignité de millions d’Afghanes, mais aussi de la défense des valeurs fondamentales qui forment le socle de nos démocraties. L’histoire jugera la communauté internationale sur sa capacité à ne pas abandonner les femmes d’Afghanistan.
Il nous revient maintenant d’être à la hauteur de ce défi moral et humanitaire, en faisant tout ce qui est en notre pouvoir pour que cesse, un jour prochain, la ségrégation inique dont elles sont victimes et pour qu’elles puissent de nouveau jouir pleinement de leurs droits humains fondamentaux.
La Commission s’est réunie le 11 juin 2025, sous la présidence de M. Pieyre‑Alexandre Anglade, Président, pour examiner la présente proposition de résolution européenne.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution européenne de Mme Caroline Yadan et plusieurs de ses collègues appelant à condamner la politique de ségrégation imposée aux femmes afghanes par le régime des Talibans et à prendre des mesures appropriées pour mettre un terme aux atteintes à leurs droits fondamentaux.
Cette résolution est la bienvenue, puisque depuis août 2021, l’Afghanistan est le théâtre d’un effacement systématique et brutal des droits fondamentaux des femmes et des filles : exclusion de l’éducation, interdiction d’exercer la plupart des emplois, restriction extrême de la liberté de mouvement et de parole, multiplication des mariages forcés et violence de genre.
Face à cette situation, il est de notre responsabilité de réaffirmer notre attachement – celui de la France et des Européens – aux droits humains et d’explorer les moyens d’agir concrètement pour soutenir les femmes afghanes, premières victimes de cette oppression.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Depuis la reprise de Kaboul par les Talibans à l’été 2021, un régime d’apartheid de genre s’est méthodiquement instauré en Afghanistan. En l’espace de quelques mois, des millions de femmes et de filles ont été effacées de la vie publique, privées d’éducation, de travail, de liberté de circulation, réduites à une invisibilité imposée. Elles sont aujourd’hui les victimes d’une politique d’oppression institutionnalisée menée au nom d’une idéologie rétrograde et brutale.
Cette situation n’a rien d’un accidentel retour en arrière passager. C’est un projet politique assumé, conduit avec méthode et qui vise à exclure durablement les femmes de toute vie sociale. Depuis septembre 2021, les interdictions se sont ainsi multipliées : fermeture des lycées et des universités aux filles, exclusion des femmes du travail humanitaire et des agences de l’Organisation des Nations unies (ONU), interdiction de fréquenter les parcs, les hammams, les salles de sport, obligation du port du voile intégral, d’être accompagnée d’un homme pour tout déplacement, interdiction de chanter, de réciter des poèmes et plus simplement de faire entendre sa voix.
Ces mesures ne sont pas des restrictions isolées, elles forment un tout, un système conçu pour faire taire, enfermer et effacer les femmes. Celui-ci conduit à des effets dévastateurs : l’Afghanistan est devenu le seul pays au monde où les filles sont légalement privées d’accès à l’école au-delà de 12 ans. La plupart des femmes ont perdu le droit de travailler, les mariages forcés se sont multipliés, les violences domestiques sont en hausse, la mortalité maternelle augmente et des centaines de milliers de femmes vivent actuellement dans la peur, isolées, privées de soins, de revenus et de perspective.
Au-delà de ces atteintes directes, les conséquences humanitaires sont immenses. Un pays qui exclut la moitié de sa population du savoir, du travail et de la parole est un pays qui se condamne lui-même à l’appauvrissement, à l’instabilité et à la violence. C’est toute la société afghane qui s’effondre et ce sont les femmes qui en payent le prix fort. Les petites filles sans école, les mères sans ressources, les étudiantes condamnées à la clandestinité. Chacune d’entre elles incarne l’injustice à l’œuvre.
La communauté internationale a condamné. L’ONU a adopté plusieurs résolutions qualifiant la situation d’inacceptable. Le Haut-Commissaire aux droits de l’Homme a dénoncé un « apartheid de genre », l’organisation de la coopération islamique elle-même a rappelé que rien dans l’Islam ne justifie l’interdiction de l’éducation des filles. L’Union européenne a exprimé son refus de reconnaître un régime qui nie aussi systématiquement les droits fondamentaux. Néanmoins, ces réactions, aussi fortes soient-elles, n’ont pas infléchi la politique des Talibans. L’idéologie prévaut sur toute considération et le peuple afghan, en particulier les femmes, continue de subir.
Face à cette impasse, la présente proposition de résolution européenne invite à un changement de posture. Elle ne se contente plus de dénoncer, elle propose d’agir. Elle s’appuie sur quatre leviers concrets et complémentaires destinés à accroître la pression sur les Talibans et à venir en aide aux Afghanes.
Le premier de ces leviers consiste à inscrire officiellement le régime taliban sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne. Cette qualification, déjà en vigueur dans d’autres pays comme les États-Unis et le Canada, aurait une double portée. D’une part, elle renforcerait l’isolement du régime en lui retirant toute prétention à la légitimité. D’autre part elle permettrait de mobiliser les outils juridiques contre ses soutiens logistiques et financiers, en Europe notamment. Les Talibans ont montré qu’ils gouvernaient par la terreur. Ils ont entretenu des liens directs avec Al-Qaïda, ils tolèrent la présence de groupes comme l’État islamique Khorassan.
Les faits sont là. La désignation du régime comme entité terroriste clarifierait la position de l’Union européenne : on ne négocie pas avec un régime fondé sur la violence et l’oppression.
Le deuxième lever est celui du droit pénal international. La résolution appelle à soutenir l’enquête ouverte par la Cour pénale internationale (CPI) sur les crimes commis en Afghanistan, car il s’agit bien de crimes. La persécution systématique des femmes, leur exclusion délibérée et violente peuvent relever des crimes contre l’humanité. Des actes comme la torture, des assassinats ciblés, des disparitions forcées doivent faire l’objet de poursuites. Le message doit être clair : les auteurs de ces actes devront un jour rendre des comptes. La justice internationale doit s’appliquer, même si cela prend du temps. Soutenir son action c’est affirmer que l’impunité n’est pas une fatalité.
La troisième priorité porte sur l’accueil des femmes en danger. Actuellement, de nombreuses femmes afghanes restent bloquées en exil précaire ou dans l’ombre. Or, la France a les moyens et la responsabilité d’ouvrir la voie. Il s’agit de mettre en place un programme spécifique de visas humanitaires ciblé sur les femmes les plus vulnérables : militantes, juges, artistes, étudiantes menacées. Cela a été fait pour d’autres, cela peut être fait ici. D’autant que la Cour nationale du droit d’asile a récemment reconnu que les femmes d’Afghanistan pouvaient constituer en tant que tel un groupe social persécuté. Le fondement juridique existe, il ne manque que la volonté politique.
Enfin, la résolution propose de renforcer l’aide humanitaire destinée aux femmes et aux filles afghanes. Malgré les obstacles, les brèches existent : école informelle à domicile, cliniques mobiles à l’initiative de femmes de la diaspora. Ces projets, souvent discrets sont vitaux. Ils permettent de maintenir un lien d’espoir, de dignité. Il faut les soutenir, logistiquement et matériellement en contournant si besoin les entraves talibanes. Chaque euro investi dans une école clandestine, une radio animée par des exilés ou un centre de soins pour femmes est une victoire contre la fatalité.
Ces quatre leviers, pression politique, action judiciaire, accueil des réfugiés, aide ciblée, ne régleront pas tout mais ils auront le mérite d’être concrets. La tentation de détourner le regard est réelle, mais nous ne devons pas y céder. Nous ne sommes plus en Afghanistan mais nos principes n’ont pas de frontières. Les défendre en adoptant ce texte est le minimum que nous devons à ce pays, comme à nous-même.
L’exposé de la rapporteure a été suivi d’un débat.
M. Guillaume Bigot (RN). Nul ne saurait rester insensible à cette oppression tragique que subissent les femmes en Afghanistan. Cependant, la principale qualité en politique est le réalisme. Le réel, disait Lacan, c’est ce qui cogne. S’agissant de l’Afghanistan, ce réel nous oblige à constater l’inefficacité des approches qui furent les nôtres au cours des dernières décennies.
Les États-Unis et les alliés de la coalition ont occupé l’Afghanistan de 2001 à 2021, un peu moins longtemps pour la France. Mais pour quel bilan ? 3613 morts, dont 90 Français. 105 milliards de dollars d’aide au développement versés par les États-Unis, 250 millions d’euros versés par notre pays et 80 millions d’euros d’aides versés par la France au régime des Talibans depuis leur arrivée au pouvoir. Pour quel résultat ? Les Talibans sont revenus, un retour qui n’a rien d’une anomalie historique. La vitesse avec laquelle ils ont pris la suite du gouvernement soutenu par les États-Unis et la coalition en dit d’ailleurs long sur la forte légitimité sur laquelle il s’appuie.
Alors, après tant de milliards dépensés, tant de sang versé, est-il raisonnable de vouloir imposer aux Afghans des mœurs occidentales dont manifestement ils ne veulent pas ? Une proposition de résolution européenne changera-t-elle les consciences en Afghanistan ? Permettez-nous d’en douter. La France, qui peine à refouler la propagande islamiste et à protéger la jeunesse qui est la sienne sur son sol, qui demeure incapable de garantir aux jeunes femmes françaises qu’elles ne subissent pas de pression religieuse, ferait mieux de se concentrer sur les efforts et les défis qui sont les siens. Il serait peut-être également utile d’arrêter des projets de financement comme celui du « Coran européen » financé par la Commission européenne à hauteur de 10 millions d’euros, soit à peu près 60 000 euros la page.
Féminisme et laïcité bien ordonnés commencent par soi-même. Notre groupe s’abstiendra donc sur cette proposition de résolution européenne, que nous jugeons cependant très bien intentionnée, dont nous partageons les valeurs, mais qui n’aura aucun effet concret. C’est typique d’une politique déclamatoire, comme celle de la Société des Nations dans les années 20, qui ne servait absolument à rien.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Vous posez le problème de l’efficacité, et votre question est : est-ce que cela suffira ? Je n’en sais rien, et je pense qu’évidemment cela ne suffira pas, ne nous voilons pas la face, à faire tomber le régime des Talibans. Mais il vaut mieux faire cela plutôt que rien. C’est un premier pas. Et plutôt que de continuer à invisibiliser le sort des femmes en Afghanistan, il est important que l’Assemblée nationale puisse, même de manière symbolique, réclamer que certains leviers soient actionnés, tels que la reconnaissance du régime des Talibans comme organisation terroriste. À partir du moment où nous le faisons, d’autres États pourront le faire, et cela aura des effets concrets. Cette mesure renforcerait en effet l’isolement du régime, y compris du point de vue de l’aide financière.
Les auditions que j’ai menées avec des femmes afghanes réfugiées en France ont souligné l’aspect de réconfort qui est crucial. Dire à ces femmes que nous ne les oublions pas et que nous sommes avec elles dans leur combat car celui-ci est universel. C’est le combat des femmes dans leur humanité et notre humanité rejoint ces femmes-là. Nous voulons leur dire que nous sommes à leurs côtés.
Mme Constance Le Grip (EPR). Depuis le retour des Talibans au pouvoir le 15 août 2021 et l’instauration de l’émirat islamique d’Afghanistan, les femmes afghanes sont la cible d’une politique d’exclusion systématique. Elles sont les principales et les premières victimes de l’application de la Charia, à laquelle la dictature théocratique des Talibans procède de manière méthodique et très organisée. Elles sont privées de leurs droits, de leurs libertés publiques comme privées, elles sont quasiment privées de leur droit à exister en tant que personnes.
Leur effacement de l’espace public est complet : pas d’école pour les filles au-delà de douze ans, pas d’accès à l’éducation de manière générale secondaire ou supérieure, elles ne peuvent plus travailler, n’ont pas accès aux soins ou aux prestations proposées par les agences des Nations Unies sur place. Elles sont totalement enfermées dans le silence, dans une sorte de huit-clos où elles ne peuvent plus ni parler, ni chanter, ni lire des poèmes en public, ni même lire, si elles encourent le risque d’être vues. Elles doivent vivre dans des pièces sans fenêtre, afin que personne ne puisse les voir de l’extérieur. C’est une restriction absolument draconienne de toutes les formes de liberté. C’est l’expression du rapporteur spécial de l’ONU sur l’apartheid de genre que je fais mienne, il ne s’agit donc pas d’un abus de langage.
Ce que vivent aujourd’hui les femmes afghanes n’est pas une affaire intérieure afghane, c'est une atteinte extrêmement grave et intolérable à tous nos principes, et à ceux fondamentaux du droit international. Nous soutenons donc pleinement cette proposition de résolution européenne, avec toutes ses implications et ses demandes, à commencer par celle de classer le mouvement islamique des Talibans sur la liste des organisations terroristes. C’est un appel lancé tant à la France, qu’à l’Union européenne. Nous réaffirmons notre soutien et notre solidarité aux femmes afghanes dont nous entendons l’extraordinaire souffrance, et nous leur répétons : « Vous n’êtes pas seules ».
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Vous avez souligné la raison de cette résolution. Les femmes en Afghanistan doivent aujourd’hui vivre dans des pièces sans fenêtre, c’est-à-dire que les nouvelles constructions en Afghanistan contiennent de telles pièces, car les femmes afghanes n’ont même plus le droit de voir la lumière du jour. Peut-on concevoir cette atteinte absolue à la liberté d’exister ?
L’arrivée des Talibans a constitué un « chamboulement absolu », c’est un terme qui a été utilisé par une des femmes afghanes que nous avons auditionnées. Leur dire qu’elles ne sont pas seules par cette résolution, c’est manifester une solidarité qui est absolument indispensable.
Mme Sandrine Runel (SOC). Depuis août 2021, les Talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan, et depuis ce jour c’est une chape de plomb qui s’est abattue sur la population, et particulièrement sur les femmes. En l’espace de quelques mois, les Afghanes ont été effacées de la vie publique, elles n’ont plus le droit de travailler, de circuler librement, de se réunir, de faire du sport, d’accéder à une autonomie financière. L’éducation des filles a également été attaquée, puisque depuis 2021, les filles de plus de douze ans n’ont plus le droit d’aller à l’école. Un million et demi de jeunes filles ont ainsi été privées d’éducation et de perspectives. Alors, pour survivre, les Afghanes fuient vers l’Iran ou vers le Pakistan. Mais là encore, les portes se ferment, puisque le Pakistan poursuit actuellement un objectif de renvoi des réfugiés afghans.
J’étais à midi avec le fils du commandant Massoud, Ahmad Massoud, qui a été accueilli à l’Assemblée nationale et qui passe quelques jours dans notre pays. Il a confirmé l’ensemble de ces analyses et de constats, et notamment les dynamiques de migration des Afghans vers des pays limitrophes. Face à cette tragédie, la Cour de Justice de l’Union européenne a reconnu elle-même en octobre dernier que les femmes afghanes étaient un groupe social pouvant prétendre au statut de réfugié, sur la seule base de leur sexe et de leur nationalité. C’est une avancée majeure, qui oblige notre pays à ouvrir des voies d’accès sûres et légales.
Alors que notre pays s’apprête pourtant à accueillir pendant l’été 2025 la conférence internationale sur les politiques étrangères féministes, les visas qui pourraient permettre aux Afghanes de rejoindre la France depuis les pays voisins sont délivrés au compte-gouttes. Seulement mille visas ont été délivrés par la France à des Afghanes. Les autorités françaises ne sont pas à la hauteur de l’enjeu et de la protection de la vie de ces femmes afghanes. Il est donc urgent que la France facilite la délivrance de ces visas à ces populations, qui fuient des persécutions plus qu’atroces.
En ce sens, nous demandons au gouvernement non seulement de poursuivre sa politique d’accueil des femmes afghanes, mais surtout de l’intensifier pour apporter refuge et protection à ces personnes persécutées uniquement parce qu’elles sont des femmes. Au regard de l’ensemble de ces éléments, et même si cette résolution est effectivement symbolique, nous la voterons bien évidemment. Cette situation est intolérable : il est urgent de réagir, de demander que le gouvernement et notre pays se mobilisent. Si le commandant Massoud était l’emblème d’une résistance contre l’extrémisme et l’oppression, nous devons continuer sur cette voie, les encourager, les aider et leur assurer le soutien de la France dans ce combat.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Merci pour cette intervention. La chape de plomb, l’effacement et l’interdiction d’accès à l’éducation sont ce que nous voyons. Après 12 ans, seuls les garçons bénéficient d’une éducation. Dans les madrasas, ce type d’éducation est pratiqué et contribue à « laver le cerveau » des jeunes garçons pour les façonner en futurs talibans. Je vous rejoins lorsque vous parlez des pays limitrophes, et je vous proposerai un amendement pour inciter à ce que les femmes qui y trouvent refuge ne soient pas expulsées.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Le 15 août 2021 restera à jamais une date sombre pour l’Afghanistan. Depuis, sous le régime de l’émirat islamique, les femmes afghanes ne vivent plus, elles survivent. Elles ne parlent plus, elles chuchotent, quand elles ne sont pas réduites au silence. Elles ne marchent plus dans les rues, elles y disparaissent. Parce qu’elles sont femmes, elles sont exclues, effacées, persécutées. Ce que nous voyons se déployer sous nos yeux n’est pas qu’une simple série de discrimination, c’est une politique systémique, planifiée, institutionnalisée, c’est une ségrégation sexuelle totale, une mise en quarantaine du genre féminin. Pour reprendre les mots du rapporteur général de l’ONU, « un véritable apartheid de genre ».
En juillet 2024, la cour nationale du droit d’asile a accordé pour la première fois le statut de réfugié à une femme afghane en raison de son genre. Tant que les femmes ne pourront pas venir jusqu’en France, cette décision restera symbolique. La France, qui se veut la patrie des droits humains et qui se revendique d’une diplomatie féministe, doit agir. Sans accompagnement, le voyage est extrêmement difficile pour ces femmes, voire impossible, pour rejoindre la France.
Les visas sont délivrés au compte-gouttes. Les délais pour obtenir un rendez-vous au consulat ne cessent de s’allonger. Même après avoir atteint des pays comme le Pakistan ou l’Iran, elles restent vulnérables.
Et pourtant, malgré cette oppression, les femmes se lèvent et manifestent. Elles écrivent, elles créent, elles résistent. À leurs risques et périls, elles nous rappellent dans le silence du monde ce que signifie le mot courage. Le travail des citoyens, des citoyennes, et des collectifs qui se mobilisent sans relâche pour que ces femmes trouvent refuge en France est à saluer. Aussi, il est nécessaire de reconnaître les efforts réalisés par des maires, notamment écologistes, pour créer des moyens d'accueil dans leurs villes pour pouvoir les accueillir dignement.
Il ne saurait y avoir d’égalité ni de justice sans dénonciation claire de ces violences systémiques organisées. Un dernier mot est nécessaire pour saluer le courage de ces femmes afghanes elles-mêmes, car leur combat pour la liberté et la dignité doit être une source d’humilité pour nous toutes.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Nous sommes face à une ségrégation totale, face à un groupe social constitué de femmes qui sont dénigrées en tant que telles, et qui peuvent maintenant obtenir le statut de réfugié politique. Dans cette PPRE, il est fait la préconisation de mettre en place un programme d’accueil spécifique pour ces femmes, qui sont sous-représentées dans les demandeurs d’asiles afghans en France. De plus, la PPRE contient un article ciblé sur les femmes et les filles afghanes, qui a pour objectif de renforcer leur accès à l’aide humanitaire.
Il existe des mouvements de résistance en Afghanistan, avec des écoles clandestines, des salons de beauté clandestins. Ces femmes-là risquent la torture, les assassinats, la prison.
M. Laurent Mazaury (LIOT). L’examen de cette PPRE est l’occasion de saluer le courage de toutes les femmes qui sont en Afghanistan, et qui subissent les pires atrocités. Parce qu’elles ont le pouvoir de donner la vie, on cherche à la leur reprendre. Jamais le droit des femmes n’a régressé aussi vite. Trente ans de lutte pour leur liberté ont ainsi été torpillés, en quelques semaines seulement. Aujourd’hui en Afghanistan, les femmes n’ont plus que deux droits. D’une part, celui de respirer, tout doucement, pas trop fort, et sans faire de bruit car il ne faudrait pas que cela soit jugé obscène ou contraire à la vertu. D’autre part, celui de mourir en silence. Le recul des droits les plus élémentaires en Afghanistan nous engage et doit nous pousser à agir. Les femmes n’ont plus le droit de parler, ni même celui de chuchoter, et celles qui s’élèvent contre le régime le paient très cher : lapidation publique, viol, meurtre, disparition forcée.
Si aujourd’hui les femmes sont les plus touchées par la répression exercée par les talibans, c’est tout un peuple qui paye et pour longtemps, le prix de ces mesures ignobles. La mortalité maternelle dans le pays est l’une des plus élevées de l’Asie. Dans quelques années, donner naissance en Afghanistan sera extrêmement dangereux, pour les mères et pour les nouveau-nés eux-mêmes, faute de soins gynécologiques adaptés.
J’en profite pour dire que je retire l’intégralité de mes amendements étant donné ceux qui ont été déposés par notre rapporteure auxquels je me rallie pleinement et que j’ai cosignés. Cette PPRE est donc nécessaire pour apporter un message clair de soutien à la population afghane, et en particulier aux femmes qui n’ont commis d’autre crime que d’être nées. Aussi, j’espère vivement qu’elle sera votée à une large majorité, déplorant qu’elle ne le soit pas à l’unanimité. Pour moi les symboles sont importants.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je vous remercie mon cher collègue. Vous avez entièrement raison d’avoir mis en évidence les effets de la crise économique. Interdire de travailler à la majorité des femmes afghanes a privé des millions de familles du revenu que ces femmes percevaient auparavant. Aussi, dans un contexte de crise économique grave, cette interdiction de travailler a fait basculer dans la misère de nombreux foyers.
Vous avez également, à juste titre, souligné les effets de la crise sanitaire. Sur le plan sanitaire, la situation des femmes afghanes s'est largement détériorée, non seulement en ce qui concerne la mortalité infantile que vous avez rappelée mais aussi concernant leur santé mentale qui s’est fortement dégradée comme en témoigne la recrudescence des symptômes dépressifs, du stress post-traumatique voire de tentatives de suicide. En fait, c’est toute une génération d'enfants afghans qui grandit dans un contexte de crise généralisée extrêmement malsain.
Cette politique de ségrégation de genre imposée par les Talibans ne détruit pas seulement la vie des femmes afghanes, mais compromet l'avenir du pays dans son ensemble. Je vous remercie, mon cher collègue, de partager ma position et d’avoir choisi de retirer vos amendements et de vous associer à ceux que j’ai déposés.
Comme vous, je regrette la position du Rassemblement national, alors que nous sommes en accord sur l'essentiel. Voter en opposition à ce texte, voire s’abstenir, envoie un message extrêmement négatif. Cela revient à signifier, en filigrane, que le combat des femmes afghanes ne vous intéresse pas et ne vous concerne pas.
Il y a peut-être une différence entre la raison pour laquelle vous vous abstenez aujourd'hui sur ce texte et la perception que les femmes afghanes auront de votre abstention. Donc il est peut-être encore temps de revenir sur votre décision.
M. le président Pieyre-Alexandre Anglade. Nous passons à la discussion des amendements. Je note que l'amendement n° 1 de M. Mazaury vient d’être retiré.
L’amendement n° 1 de M. Laurent Mazaury est retiré.
Amendement n° 4 de Mme Caroline Yadan, rapporteure et de M. Laurent Mazaury
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Cet amendement, co-signé par M. Laurent Mazaury, précise que des demandes de mandats d'arrêt ont été déposées le 23 janvier 2025 par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) contre le chef des Talibans et le président de la Cour suprême d'Afghanistan, notamment pour des persécutions fondées sur le genre. Cela avait été omis de la rédaction initiale de la PPRE, et je remercie notre collègue de l'avoir souligné. Ces mandats, petite précision, n'ont pas encore été émis, ils ont été demandés par la CPI pour persécutions fondées sur le genre selon l'expression juridiquement fondée.
M. Guillaume Bigot (RN). Je souhaitais vous répondre concernant le sort des femmes afghanes : il nous tord évidemment le cœur ! Ces femmes se trouvent dans une situation inacceptable au regard de tous nos standards juridiques et moraux : nous sommes en accord avec vous. Mais nous visons l’efficacité. Le gouvernement de l'Afghanistan ne nous plaît pas plus qu'à vous. Toutefois, nous devons travailler avec celui-ci puisqu’il s’agit du gouvernement officiel. Le symbole en politique a de l'importance : nous ne serions pas opposés à condamner les maltraitances et les crimes que subissent au quotidien les femmes afghanes. En revanche, l’alinéa n° 23 de votre PPRE qui « invite le gouvernement à poursuivre sa politique d'accueil des femmes afghanes victimes d'oppression en raison de leur genre », nous pose un problème. Il y a 28 millions de femmes en Afghanistan, il est évidemment complètement irréaliste d'imaginer que l’on puisse accueillir toutes ces femmes, et j’en appelle une fois encore à votre réalisme politique. Il existe de nombreuses situations absolument inacceptables dans le monde et nous ne pouvons pas en raison de l'équilibre politique, sociologique et économique de notre pays nous permettre d'ouvrir systématiquement des portes comme celles-ci. Si vous faites un pas dans notre direction, nous en ferons un dans la vôtre et voterons le reste de la résolution.
L’amendement n° 4 est adopté.
L’amendement n° 2 de M. Laurent Mazaury est retiré.
Amendement n° 5 de Mme Caroline Yadan, rapporteure et de M. Laurent Mazaury
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Pour vous répondre en un mot : sachez que ce que vous appelez le gouvernement d'Afghanistan est, en fait, le régime des Talibans qui n'a pas d’existence en droit international, car il n’a été reconnu par aucun pays. Je comprends maintenant que les raisons de votre abstention sont l’accueil. Or, je le considère, nous le considérons, certainement, tous, avec l'humanité qui nous caractérise, comme absolument nécessaire. Ce ne sont pas des millions d'Afghanes qui vont débarquer en France du jour au lendemain. Il s’agit de leur rendre la vie plus facile. Par ailleurs, nous avons aussi une tradition d’accueil en France, qui repose sur des valeurs consistant à accueillir les personnes en très grande difficulté, privées du minimum commun. Sur ce point, la résolution ne sera pas modifiée.
Concernant l'amendement n° 5, nous invitons le gouvernement des États-Unis d'Amérique à maintenir des dispositifs de protection pour les femmes afghanes, notamment en reconsidérant la révocation annoncée du statut de protection temporaire, ainsi qu’à prévoir une dérogation humanitaire aux mesures générales d'interdiction d'entrée pour l'Afghanistan afin de garantir l'accueil des femmes menacées de persécution en cas de retour. En mai 2025, une révocation du TPS, le statut de protection temporaire accordé par les États-Unis aux réfugiés afghans, a été annoncée. Cette décision s’avère très lourde de conséquences pour les femmes afghanes déjà présentes sur le territoire américain, menacées de persécution en cas de retour, alors qu’elles avaient trouvé refuge aux États-Unis.
L’amendement n° 5 est adopté.
L’amendement n° 3 de M. Laurent Mazaury est retiré.
Amendement n° 6 de Mme Caroline Yadan, rapporteure et de M. Laurent Mazaury
Mme Caroline Yadan, rapporteure. M. Mazaury avait également suggéré cet amendement encourageant les gouvernements de l'Iran et du Pakistan à reconsidérer les mesures d'expulsion massive des femmes afghanes menacées de persécution en cas de retour. Il faut savoir que l'Iran et le Pakistan ont déjà procédé à certaines expulsions malheureusement massives de réfugiés, dont des femmes afghanes, exposant plusieurs centaines de milliers de personnes à un retour forcé en violation du principe de non-refoulement. Lors des auditions, nous avons appris que de nombreuses femmes afghanes sont obligées de passer par les pays limitrophes dont le Pakistan et l'Iran pour trouver refuge ou rejoindre d'autres pays où elles retrouvent leur liberté. Or, elles se trouvent confrontées à des expulsions massives ce qui s’avère extrêmement problématique pour elles.
Mme Sabrina Sebaihi (EcoS). Nous allons soutenir cet amendement, qui est extrêmement important. Depuis janvier, le Pakistan mène une opération appelée « Zéro Afghans » à Islamabad, qui a consisté à traquer les femmes afghanes dans les rues de la ville pour les expulser vers l’Afghanistan. Or, nous savons qu’à leur retour, certaines sont torturées, et la plupart emprisonnées en raison de leurs propos et de leurs prises de position courageuses.
Je rappelle à notre collègue du Rassemblement national que, si l’indécence avait un nom, ce serait le vôtre ! Évoquant les 23 millions de femmes vivant en Afghanistan, vous parlez de millions de femmes afghanes qui viendraient en France si on ouvrait la porte. Or, lorsqu’il y a des conflits, des guerres ou des famines dans certaines régions du monde, la majorité des mouvements migratoires se font d’abord à proximité des pays concernés.
L’objectif doit être de sécuriser le passage de ces femmes, soit pour qu’elles puissent rester à proximité de leur pays d’origine, car, contrairement à ce que vous pensez, la plupart souhaitent y retourner dès que possible, soit, le cas échéant, pour qu’elles puissent venir en France. Il y a un vrai problème dans la délivrance des visas, dans l’accès aux rendez-vous dans les consulats, et dans la prise en charge de ces femmes qui sont en insécurité totale.
Cette résolution est la bienvenue, mais il faut que notre gouvernement s’y attelle pleinement. Les postes consulaires font un travail important avec les rendez-vous qu’ils peuvent donner, mais il faudrait mettre davantage de moyens et d’énergie pour sécuriser ces femmes.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. La présente proposition affirme la nécessité de protéger les femmes afghanes et en fait un impératif moral. La privation de leurs libertés met en jeu la sauvegarde de vies individuelles et envoie un message fort : nous ne laissons pas celles qui défendent la liberté et l’égalité réduites au silence ou condamnées à mort sans leur tendre la main.
L’amendement n° 6 est adopté
L’article unique de la proposition de résolution européenne est adopté.
La proposition de résolution ainsi modifiée est par conséquent adoptée.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Les femmes afghanes nous entendent et nous suivent, même si la situation est extrêmement difficile pour elles. L’accès à Internet reste possible en Afghanistan. J’en ai auditionné certaines, et elles sont très attentives à ce que l’Occident peut faire en leur faveur. Le soutien que nous leur avons apporté représente pour elles un réel réconfort.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE INITIALE
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la Charte des Nations unies du 26 juin 1945,
Vu la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948,
Vu la résolution 2593 (2021) du Conseil de sécurité des Nations unies du 30 août 2021,
Vu la résolution 2681 (2023) du Conseil de sécurité des Nations unies du 27 avril 2023,
Vu la résolution 2721 (2023) du Conseil de sécurité des Nations unies du 29 décembre 2023,
Vu le rapport du rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’Homme en Afghanistan et du groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles (A/HRC/53/21) du 15 juin 2023,
Vu la déclaration commune des ministres des Affaires étrangères de l’Allemagne, de l’Australie, du Canada, du Danemark, des États‑Unis, de la France, de l’Italie, du Japon, de la Norvège, des Pays‑Bas, du Royaume‑Uni, de la Suisse, et du haut représentant de l’Union européenne du 28 décembre 2022,
Vu l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), n° C‑608/22, arrêt de la Cour, AH et FN contre Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl du 4 octobre 2024 qui facilite l’octroi du statut de réfugié aux femmes Afghanes en raison des persécutions qu’elles subissent sous le régime des Talibans,
Vu l’adhésion de l’Afghanistan en 1983 à la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid,
Vu la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite « Convention d’Istanbul »,
Considérant le non‑respect des engagements initiaux des Talibans en matière d’ouverture et d’inclusion des femmes dans la société, tels qu’annoncés après leur retour au pouvoir en 2021 ;
Considérant l’absence de réaction des autorités afghanes face aux nombreuses mises en garde de la communauté internationale concernant les persécutions fondées sur le genre ;
Considérant la volonté manifeste des Talibans d’exclure les femmes afghanes de la vie publique, les condamnant ainsi à la précarité, au mariage forcé, à l’analphabétisme et à l’isolement ;
Considérant que la France mène une diplomatie féministe, telle que présentée dans la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018‑2022) ;
Condamne la politique de ségrégation et la répression exercées par les Talibans à l’encontre des femmes et jeunes filles afghanes ;
Condamne les abus systématiques et les persécutions subis par les femmes et les jeunes filles afghanes, susceptibles de constituer un crime contre l’humanité au regard du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, auquel l’Afghanistan est partie ;
Appelle la France et l’Union européenne à inscrire le Mouvement islamique des talibans sur la liste d’organisations considérées comme terroristes par le Conseil de l’Union Européenne ;
Encourage le Gouvernement à étudier, en concertation avec ses partenaires européens, toute action susceptible de mettre fin aux violations persistantes des droits fondamentaux des femmes en Afghanistan ;
Invite le Gouvernement à travailler avec l’Union européenne sur les moyens juridiques permettant de saisir la Cour pénale internationale, afin d’examiner les responsabilités des personnes impliquées dans la mise en œuvre des mesures discriminatoires à l’encontre des femmes afghanes ;
Invite le Gouvernement à poursuivre sa politique d’accueil des femmes afghanes, victimes d’oppressions en raison de leur genre ;
Encourage le Gouvernement à maintenir et à renforcer aux côtés de l’Union européenne l’aide humanitaire destinée aux populations afghanes, en particulier aux femmes et aux filles afghanes.
AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
11 juin 2025
CONDAMNER LA POLITIQUE DE SÉGRÉGATION IMPOSÉE AUX FEMMES AFGHANES PAR LE RÉGIME DES TALIBANS ET PRENDRE DES MESURES APPROPRIÉES POUR METTRE UN TERME AUX ATTEINTES À LEURS DROITS FONDAMENTAUX (N° 1150)
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AMENDEMENT |
No 4 |
présenté par |
Mme Caroline Yadan, rapporteure et M. Laurent Mazaury
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Après l’alinéa 13, insérer l’alinéa suivant :
Vu la demande de mandats d’arrêt déposée le 23 janvier 2025 par le Procureur de la Cour pénale internationale contre le chef des talibans, Haibatullah Akhundzada, et le président de la Cour suprême d’Afghanistan, Abdul Hakim Haqqani, notamment pour persécution fondée sur le genre ;
EXPOSÉ SOMMAIRE
La rédaction de l’amendement n° 1 doit être rectifiée pour deux raisons :
- d’une part, les mandats n’ont pas encore été émis par la Cour pénale internationale, seule la demande a été déposée par le Procureur le 23 janvier 2025. Cette précision est importante, car elle souligne que la procédure est toujours en cours, et que le soutien politique et matériel des États parties, notamment de l’Union européenne, demeure essentiel pour qu’elle aboutisse effectivement.
- d’autre part, la rédaction doit être ajustée pour des raisons de rigueur juridique : la formule « persécution fondée sur le genre » est préférable à « pour motif de genre », car elle correspond à la terminologie habituellement retenue dans les textes et décisions de la Cour.
Cet amendement a été adopté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
11 juin 2025
CONDAMNER LA POLITIQUE DE SÉGRÉGATION IMPOSÉE AUX FEMMES AFGHANES PAR LE RÉGIME DES TALIBANS ET PRENDRE DES MESURES APPROPRIÉES POUR METTRE UN TERME AUX ATTEINTES À LEURS DROITS FONDAMENTAUX (N° 1150)
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AMENDEMENT |
No 5 |
présenté par |
Mme Caroline Yadan, rapporteure et M. Laurent Mazaury
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Après l’alinéa 19, insérer l’alinéa suivant :
Invite le gouvernement des États-Unis d’Amérique à maintenir des dispositifs de protection pour les femmes afghanes, notamment en reconsidérant la révocation annoncée du statut de protection temporaire, et à prévoir, pour l’Afghanistan, une dérogation humanitaire aux mesures générales d’interdiction d’entrée, afin de garantir l’accueil des femmes menacées de persécution en cas de retour ;
EXPOSÉ SOMMAIRE
La révocation annoncée en mai 2025 du statut de protection temporaire (TPS) accordé par les États-Unis aux réfugiés afghans est une décision administrative lourde de conséquences pour les personnes déjà présentes sur le territoire américain, notamment les femmes menacées de persécutions en cas de retour. Par ailleurs, le décret signé le 4 juin 2025 interdit l’entrée aux États-Unis de ressortissants de plusieurs pays, dont l’Afghanistan. Dans un tel contexte, l’accès à la protection devient extrêmement restreint pour les Afghanes encore en exil.
L’amendement n° 2 vise à condamner ces mesures dans leur ensemble. La présente rédaction vise à inviter l’administration américaine à prendre conscience du danger couru par les femmes afghanes du fait des mesures envisagées, en s’abstenant toutefois de porter une appréciation d’ensemble sur la politique migratoire des États-Unis qui n’entre pas dans le champ de cette résolution.
Cette rectification vise donc appeler nos partenaires à faire preuve de responsabilité face à la situation des femmes afghanes.
Cet amendement a été adopté.
COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
11 juin 2025
CONDAMNER LA POLITIQUE DE SÉGRÉGATION IMPOSÉE AUX FEMMES AFGHANES PAR LE RÉGIME DES TALIBANS ET PRENDRE DES MESURES APPROPRIÉES POUR METTRE UN TERME AUX ATTEINTES À LEURS DROITS FONDAMENTAUX (N° 1150)
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AMENDEMENT |
No 6 |
présenté par |
Mme Caroline Yadan, rapporteure et M. Laurent Mazaury |
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Après l’alinéa 24, insérer l’alinéa suivant :
Invite les gouvernements de l’Iran et du Pakistan à reconsidérer les mesures, annoncées ou déjà mises en œuvre, d’expulsion massive de femmes afghanes menacées de persécution en cas de retour ;
EXPOSÉ SOMMAIRE
L’Iran et le Pakistan ont d’ores et déjà procédé à des expulsions massives de réfugiés afghans, exposant plusieurs centaines de milliers de personnes — dont une majorité de femmes et d’enfants — à un retour forcé en Afghanistan, en violation manifeste du principe de non-refoulement. Ces pratiques sont en cours et documentées.
Cet amendement vise à condamner ces expulsions déjà engagées. Par comparaison avec l’amendement n° 3, il remplace ainsi une formule diplomatiquement creuse — « encourager la poursuite des relations diplomatiques » — par une demande claire et concrète de reconsidération des mesures d’expulsion annoncées et en cours.
Cet amendement a été adopté.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88‑4 de la Constitution,
Vu l’article 151‑5 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la Charte des Nations unies du 26 juin 1945,
Vu la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948,
Vu la résolution 2593 (2021) du Conseil de sécurité des Nations unies du 30 août 2021,
Vu la résolution 2681 (2023) du Conseil de sécurité des Nations unies du 27 avril 2023,
Vu la résolution 2721 (2023) du Conseil de sécurité des Nations unies du 29 décembre 2023,
Vu le rapport du rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’Homme en Afghanistan et du groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles (A/HRC/53/21) du 15 juin 2023,
Vu la déclaration commune des ministres des Affaires étrangères de l’Allemagne, de l’Australie, du Canada, du Danemark, des États‑Unis, de la France, de l’Italie, du Japon, de la Norvège, des Pays‑Bas, du Royaume‑Uni, de la Suisse, et du haut représentant de l’Union européenne du 28 décembre 2022,
Vu l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), n° C‑608/22, arrêt de la Cour, AH et FN contre Bundesamt für Fremdenwesen und Asyl du 4 octobre 2024 qui facilite l’octroi du statut de réfugié aux femmes Afghanes en raison des persécutions qu’elles subissent sous le régime des Talibans,
Vu l’adhésion de l’Afghanistan en 1983 à la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid,
Vu la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite « Convention d’Istanbul »,
Vu la demande de mandats d’arrêt déposée le 23 janvier 2025 par le Procureur de la Cour pénale internationale contre le chef des talibans, Haibatullah Akhundzada, et le président de la Cour suprême d’Afghanistan, Abdul Hakim Haqqani, notamment pour persécution fondée sur le genre ;
Considérant le non‑respect des engagements initiaux des Talibans en matière d’ouverture et d’inclusion des femmes dans la société, tels qu’annoncés après leur retour au pouvoir en 2021 ;
Considérant l’absence de réaction des autorités afghanes face aux nombreuses mises en garde de la communauté internationale concernant les persécutions fondées sur le genre ;
Considérant la volonté manifeste des Talibans d’exclure les femmes afghanes de la vie publique, les condamnant ainsi à la précarité, au mariage forcé, à l’analphabétisme et à l’isolement ;
Considérant que la France mène une diplomatie féministe, telle que présentée dans la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018‑2022) ;
Condamne la politique de ségrégation et la répression exercées par les Talibans à l’encontre des femmes et jeunes filles afghanes ;
Condamne les abus systématiques et les persécutions subis par les femmes et les jeunes filles afghanes, susceptibles de constituer un crime contre l’humanité au regard du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, auquel l’Afghanistan est partie ;
Invite le gouvernement des États-Unis d’Amérique à maintenir des dispositifs de protection pour les femmes afghanes, notamment en reconsidérant la révocation annoncée du statut de protection temporaire, et à prévoir, pour l’Afghanistan, une dérogation humanitaire aux mesures générales d’interdiction d’entrée, afin de garantir l’accueil des femmes menacées de persécution en cas de retour ;
Appelle la France et l’Union européenne à inscrire le Mouvement islamique des talibans sur la liste d’organisations considérées comme terroristes par le Conseil de l’Union Européenne ;
Encourage le Gouvernement à étudier, en concertation avec ses partenaires européens, toute action susceptible de mettre fin aux violations persistantes des droits fondamentaux des femmes en Afghanistan ;
Invite le Gouvernement à travailler avec l’Union européenne sur les moyens juridiques permettant de saisir la Cour pénale internationale, afin d’examiner les responsabilités des personnes impliquées dans la mise en œuvre des mesures discriminatoires à l’encontre des femmes afghanes ;
Invite le Gouvernement à poursuivre sa politique d’accueil des femmes afghanes, victimes d’oppressions en raison de leur genre ;
Encourage le Gouvernement à maintenir et à renforcer aux côtés de l’Union européenne l’aide humanitaire destinée aux populations afghanes, en particulier aux femmes et aux filles afghanes ;
Invite les gouvernements de l’Iran et du Pakistan à reconsidérer les mesures, annoncées ou déjà mises en œuvre, d’expulsion massive de femmes afghanes menacées de persécution en cas de retour.
Annexe – Liste des personnes auditionnées
- Mme Mme Shoukria HAIDAR, présidente de l’association Negar
([1] Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies – Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’Homme en Afghanistan, A/HRC/53/21, 15 juin 2023, §§92-96.
([2]) Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) – « Éducation pour les filles afghanes ! », communiqué du 24 janvier 2023.
([3]) Sénat, Rapport n° 50 (2024-2025) de la Commission des affaires européennes sur la proposition de résolution européenne visant à prendre des mesures appropriées contre les atteintes aux droits fondamentaux des femmes en Afghanistan commises par le régime des talibans, 17 octobre 2024.
([4]) Nations Unies – Compte rendu de la séance du Conseil de sécurité sur la situation en Afghanistan, 27 avril 2023 (résolution 2681).
([5]) Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme – Déclaration de M. Volker Türk, Haut-Commissaire aux droits de l’Homme, au Conseil des droits de l’Homme, 9 septembre 2024. M. Türk y exprime sa « horreur » et sa « répugnance » face à la nouvelle loi sur la “promotion de la vertu et prévention du vice” promulguée par les talibans en août 2024, soulignant qu’elle représente « une répression sans équivalent des femmes dans le monde ». Cette loi, rappelons-le, interdit notamment aux femmes afghanes de se déplacer sans tuteur masculin, de montrer leur visage en public, d’établir tout contact visuel avec un homme n’étant pas de la famille, et même de chanter ou de s’exprimer en public – institutionnalisant ainsi un apartheid de genre complet.
([6]) ONU Femmes France, Deux ans après en Afghanistan : où en sont les droits des femmes sous les talibans ? 11 août 2023.
([7]) Le rapport de Human Rights Watch, « Afghanistan : Women Protesters Detail Detention, Abuse », du 20 janvier 2022 documente les arrestations arbitraires de militantes ayant participé à des manifestations pacifiques pour les droits des femmes à Kaboul fin 2021/début 2022 ainsi que les mauvais traitements subis en détention.
([8]) The Guardian, Women’s rights activist shot dead in northern Afghanistan, 5 novembre 2021,
([9]) Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’Homme en Afghanistan, Richard Bennett, document A/HRC/53/21, 15 juin 2023.
([10]) Nations Unies – Briefing au Conseil de sécurité sur la situation humanitaire en Afghanistan, 16 mai 2023 (données présentées par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, OCHA). Il est souligné que 58 % des ménages afghans peinent à satisfaire leurs besoins essentiels (alimentation, santé, abri) et que l’ONU apportait alors une aide à près de 20 millions d’Afghans pour éviter une famine de grande ampleur. La diminution du financement international de l’aide depuis 2022 aggrave les risques humanitaires, alors même que les besoins restent immenses, en particulier pour les femmes et les enfants qui subissent la privation de revenus et de services de base.
([11]) Fereshta Abbasi, Natasha Arnpriester, Duru Yavan, An Avenue to Justice for Afghan Women, The Cambridge Journal of Law, Politics, and Art, 13 mai 2024.
([12]) Conseil de sécurité des Nations Unies – Résolution 2593 (2021), adoptée le 30 août 2021.
([13]) Conseil de sécurité des Nations Unies – Résolution 2681 (2023), adoptée le 27 avril 2023. Cette résolution condamne explicitement les restrictions imposées par les talibans aux droits des femmes et des filles, qualifiant d’« profondément inquiétant » le bannissement des Afghanes des universités et l’interdiction faite aux femmes de travailler pour les Nations Unies. Le Conseil y exprime la « grave préoccupation » que lui inspirent ces mesures, soulignant qu’elles « auront un impact négatif sévère sur la fourniture de l’aide humanitaire en Afghanistan ». Le texte exhorte les talibans à « revenir sur les politiques et pratiques limitant les droits des femmes et des filles » et réaffirme que la participation des femmes à la société est essentielle pour la paix et la stabilité de l’Afghanistan.
([14]) Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, Statement by UN High Commissioner for Human Rights Volker Türk at the opening of the 55th session of the Human Rights Council, 9 septembre 2024.
([15]) Organisation de la Coopération Islamique (OCI) – Communiqué du Secrétaire général de l’OCI, 13 janvier 2023. Dans ce communiqué publié suite à une réunion extraordinaire de l’OCI sur l’Afghanistan, l’Organisation islamique se déclare « profondément déçue » par les décisions des autorités afghanes de facto d’interdire l’université aux femmes et le travail humanitaire aux Afghanes. Le Secrétaire général Hissein Brahim Taha souligne que ces mesures « contredisent les préceptes de l’Islam » et appelle les talibans à reconsidérer ces décrets contraires à la tradition islamique de promotion de l’éducation. L’OCI propose de dépêcher en Afghanistan une délégation d’oulémas pour dialoguer avec les talibans sur l’importance d’assurer aux femmes leurs droits, y compris à l’éducation et au travail.
([16]) Parlement européen – Résolution du 16 septembre 2021 sur la situation en Afghanistan (2021/2877(RSP)). Cette résolution encourage également la création de couloirs humanitaires et le soutien aux pays voisins accueillant des réfugiés afghans. Cette position du Parlement n’a pas été pleinement suivie d’effet par le Conseil de l’UE, ce qui motive aujourd’hui un rappel de ces engagements.
([17]) Service européen pour l’action extérieure (UE) – Déclarations du Haut Représentant de l’UE Josep Borrell : le 23 mars 2022, J. Borrell a condamné la décision des talibans de ne pas rouvrir les lycées de jeunes filles, la qualifiant de « violation flagrante » du droit à l’éducation de plus d’un million de filles ; le 24 décembre 2022, il a dénoncé l’interdiction faite aux femmes de travailler pour les ONG, y voyant « une nouvelle atteinte aux capacités des femmes à survivre » ; enfin le 26 août 2024, il a fustigé la nouvelle loi talibane obligeant les femmes à se couvrir intégralement et gardant le silence, déclarant qu’elle « prive effectivement les Afghanes de leur droit fondamental à la liberté d’expression » et exhortant les talibans à y mettre fin immédiatement. (Sources : communiqués de presse de l’UE, 2022-2024).
([18]) Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (France) – Déclaration du porte-parole, 15 août 2024. À l’occasion du 3e anniversaire de la chute de Kaboul posées par le Conseil de sécurité (résolution 2593.
([19]) Conseil de sécurité des Nations Unies, Résolution 1988 (2011), adoptée le 17 juin 2011, document S/RES/1988(2011).
([20]) Conseil de sécurité des Nations Unies – Comité des sanctions 1988 (talibans), liste consolidée mise à jour périodiquement.
([21]) Reuters, EU envoy says Afghan girls’ school ban hits Taliban hopes for aid, 24 mars 2022.
([22]) Conseil de sécurité des Nations Unies, Rapport de l’équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions concernant Daech, Al-Qaïda et les talibans, S/2022/419, 26 mai 2022.
([23]) Didier Leschi, L’immigration afghane en France : un événement de grande ampleur, Paris, Fondation pour l’innovation politique, juin 2025.
([24]) Parlement européen, Résolution du 16 septembre 2021 sur la situation en Afghanistan (2021/2877(RSP)), §50.
([25]) Cour nationale du droit d’asile (CNDA, France) – Décision du 11 juillet 2024 (Grande formation), M. c. OFPRA. Dans cette décision majeure, la CNDA a considéré que « compte tenu de la situation générale en Afghanistan, les femmes, en tant que telles, peuvent constituer un groupe social aux yeux de la Convention de Genève ». La Cour a reconnu que les Afghanes sont victimes de persécutions systématiques de la part des talibans (discriminations, violences, privation de droits fondamentaux) et que refuser de se soumettre à ces mesures constitue un acte de dissidence leur faisant encourir de graves risques. Par conséquent, toute femme afghane peut se voir reconnaître la qualité de réfugiée du seul fait de sa condition de femme dans l’Afghanistan actuel, sans qu’elle ait besoin de prouver des craintes individuelles distinctes. Cette décision harmonise la pratique française avec celle d’autres pays européens protecteurs à l’égard des Afghanes.
([26]) Nations Unies – Compte rendu de la séance du Conseil de sécurité sur la situation en Afghanistan, 27 avril 2023 (résolution 2681). La résolution 2681 (2023) du Conseil de sécurité « condamne fermement » l’interdiction faite aux Afghanes de travailler pour l’ONU, la qualifiant « d’inédite dans le monde », et demande son abrogation.
([27]) Human Rights Watch, World Report 2024 : Afghanistan, 2024.