N° 1671

______

ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 juillet 2025

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE

 

sur l’organisation du système de santé et les difficultés d’accès aux soins,

 

 

Président

M. Jean-François ROUSSET

 

Rapporteur

M. Christophe NAEGELEN

Députés

 

——

 

TOME 2

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

 

 Voir les numéros : 877 et 934.

 

 


La commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins, est composée de :

– M. Jean-François Rousset, président ;

 M. Christophe Naegelen, rapporteur ;

– Mme Béatrice Bellamy, M. Théo Bernhardt, M. Guillaume Garot, Mme Murielle Lepvraud, viceprésidents ;

– M. Laurent Alexandre, M. Romain Eskenazi, M. Thierry Frappé, Mme Annie Vidal, secrétaires ;

 Mme Anchya Bamana, Mme Géraldine Bannier, Mme Véronique Besse, M. Matthieu Bloch, Mme Sylvie Bonnet, M. Jorys Bovet, Mme Josiane Corneloup, M. Hendrik Davi, Mme Julie Delpech, Mme Alma Dufour, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Michel Lauzzana, Mme Anne Le Hénanff, M. Julien Limongi, Mme Christine Loir, M. Damien Maudet, M. Yannick Monnet, Mme Stéphanie Rist, Mme Sabrina Sebaihi, M. Lionel Tivoli, M. Jiovanny William.

 

 


–  1  –

SOMMAIRE

___

Pages

comptes rendus des auditions menées par lA commission d’enquête

1. Audition, ouverte à la presse, réunissant M. Mathias Wargon, chef du service d’urgence du centre hospitalier Delafontaine, M. Arnaud Fontanet, directeur d’unité épidémiologique à l’Institut Pasteur et M. Emmanuel Vigneron, géographe, membre du Haut conseil de la santé publique (HCSP)

2. Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie Daudé, directrice générale de l’Offre de soins (DGOS), et de M. Stéphane Pardoux, directeur de l’Agence nationale de l’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP)

3. Audition, ouverte à la presse, de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), de M. Jean-François Fruttero, président de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA) et de Mme Magali Rascle, directrice déléguée aux politiques sociales de la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (CCMSA)

4. Table ronde « collectivités territoriales et nouvelles pratiques de soins », ouverte à la presse, réunissant M. Philippe Gouet, président du conseil départemental du Loir-et-Cher, président du groupe de travail santé de Départements de France, M. Patrick Genre, maire de Pontarlier, président des maires du Doubs, représentant de l’Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), M. Gilles Noël, maire de Varzy et membre du bureau de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), M. Jean-Charles Dron, directeur du programme e-Meuse santé, Mme Katy Bontinck, première adjointe au maire de Saint-Denis (93), chargée de la santé

5. Audition, ouverte à la presse, du Professeur Lionel Collet, président de la Haute autorité de santé (HAS)

6. Table ronde, ouverte à la presse, sur le système hospitalier public, réunissant M. Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Mme Zaynab Riet, déléguée générale et M. Vincent Prévoteau, président de l’association des directeurs d’hôpital, directeur des Centres hospitaliers de Rodez, d’Espalion, de St Geniez d’Olt, du Vallon, de Decazeville et de l’EHPAD d’Aubin

7. Table ronde des établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic), ouverte à la presse, réunissant M. Charles Guepratte, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’assistance privés (Fehap) et M. Arnaud Joan Grange, directeur de l’offre de soin et de la coordination des parcours de santé, Mme Sophie Beaupère, déléguée générale d’Unicancer et Mme Sandrine Boucher, directrice stratégie médicale et performance.

8. Table ronde « Agences régionales de santé », ouverte à la presse, réunissant le Dr Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l’ARS Grand Est, le Dr Didier Jaffre, directeur général de l’ARS Occitanie, le Dr Sergio Albarello, directeur général de l’ARS Mayotte et M. Yann Bubien, directeur général de l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur

9. Table ronde « Syndicats et Ordre des médecins », ouverte à la presse, réunissant le Dr Franck Devulder, président de la Confédération des syndicats médicaux de France (CSMF), le Dr Agnès Giannotti, présidente du Syndicat des médecins généralistes (SMG France), le Dr Sophie Bauer, présidente du Syndicat des médecins libéraux (SML), le Dr Patrick Gasser, président d’Avenir Spé et le Dr François Arnault, président du Conseil national de l’Ordre des médecins

10. Table ronde ouverte à la presse, réunissant des syndicats de professionnels paramédicaux : M. Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), Mme Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière (CI), M. John Pinte, président du syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (SNIIL), Mme Diane Braccagni Desobeau, présidente de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (ONSIL) et M. Philippe Besset, président de la Fédération des pharmaciens de France

11. Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des associations d’usagers : Mme Claudia Marchetti, médiatrice en santé à médecin du monde, représentante du collège des médiateur-rices en santé, le Dr Philippe Bergerot, président de la Ligue contre le cancer, M. Gérard Raymond, président de France Assos Santé, Mme Marie-Amandine Stevenin, présidente de UFC-Que Choisir, M. Serge Widaski, directeur général de l’Association des paralysés de France (APF) et Mme Michèle Leflon, présidente de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité

12. Table ronde en présentiel et en visioconférence, ouverte à la presse, réunissant des doyens d’universités de médecine : le Pr Stéphane Zuily, doyen de la faculté de médecine de Nancy, le Pr Philippe Pomar, doyen de la faculté de médecine de Toulouse et M. Pierre Merville, doyen de la faculté de médecine de Bordeaux

13. Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des syndicats de jeunes médecins : le Dr Sayaka Oguchi, présidente du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG), M. Lucas Poittevin, président de l’Association nationale des étudiants de médecine de France (ANEMF), M. Killian L’helgouarc’h, président de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI), M. Raphaël Dachicourt, président du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR), M. Bastien Bailleul, président de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG)

14. Table ronde, ouverte à la presse, sur « les centres hospitaliers généraux » réunissant : M. Thierry Godeau, président de la Conférence nationale des Présidents de CME de CH et M. Francis Saint-Hubert, président de la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers (CNDCH).

15. Table ronde, ouverte à la presse, sur « le parcours périnatal » réunissant : le Dr Margaux Creutz Leroy, présidente de la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP), Mme Caroline Combot, présidente de l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF), le Dr Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France et M. Antony Cortes, journaliste à l’Humanité et coauteur du livre « 4,1. le scandale des accouchements en France »

16. Audition, ouverte à la presse, de Mme Sophie Lebret, secrétaire générale des ministères chargés des affaires sociales, et M. Yann Debos, chef de service et responsable du pôle santé

17. Table ronde, ouverte à la presse, sur « l’accompagnement de la dépendance » réunissant Mme Joëlle Martinaux, vice-présidente de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCCAS), M. Louis Champion, président de la Fédération des prestataires de santé à domicile (Fedepsad), Mme Alexandra Duvauchelle, déléguée générale, Mme Céline Boreux, directrice par intérim de la Fondation Aulagnier, membre du Collectif des directeurs d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux (COD3S), Mme Jade Lemaire, présidente du Cercle des proches aidants en Ehpad (CPAE), et M. Mathurin Laurin, délégué général de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad)

18. Table ronde, ouverte à la presse, sur « l’état des lieux de l’industrie des produits de santé » réunissant Mme Laurence Peyraut, directrice générale du Leem, Mme Juliette Moisset, directrice de l'Accès et des affaires économiques du Leem et M. Pierre Mezeray, directeur exécutif de Roche Diagnostics.

19. Table ronde, ouverte à la presse, sur « le transport médical et les urgences » réunissant : M. Marc Van Driesten, représentant le président de l’Association française des ambulanciers SMUR et hospitaliers (AFASH), le Dr Laurent Maillard, président de la Fédération des observatoires régionaux des urgences (Fedoru) et le Dr Marc Noizet, président de Samu urgences de France

20. Table ronde, ouverte à la presse, en présentiel et visioconférence, sur « les perspectives internationales de l’organisation du système de soins » réunissant : M. Francis Bouyer, conseiller aux affaires sociales de l’ambassade de France en Allemagne et M. Xavier Schmitt, conseiller aux affaires sociales de l’ambassade de France en Suède

21. Table ronde, ouverte à la presse, sur l’hospitalisation privée, réunissant : M. Patrick Jourdain, directeur médical France de Ramsay Santé ; M. Benjamin Guiraud-Chaumeil, président de Clinavenir et M. Bernard Assoun, président directeur général ; Dr François-Bruno Le Bot, médecin, administrateur du groupe Vivalto ; M. Sébastien Proto, président du groupe Elsan et M. Lamine Gharbi, président de la Fédération hospitalière privée (FHP)...

22. Audition de M. Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po

23. Table ronde sur les « acteurs de proximité / centres de santé / communautés professionnelles territoriales en santé » réunissant : M. Frédéric Villebrun, président de l’Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS) ; M.  Jean-François Moreul, président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS) ; le Dr Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS) ; Mme Emmanuelle Barlerin, coprésidente de AVECsanté et le Dr Margot Bayart, présidente de la Fédération des soins primaires

24. Audition de Mme Sarah Sauneron, directrice générale de la Santé par intérim (DGS)

25. Audition de M. Pierre Pribile, directeur de la sécurité sociale (DSS)

26. Audition de M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d’État, ministre de l'éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

27. Audition de M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargé de la Santé et de l’Accès aux soins

 


–  1  –

   comptes rendus des auditions
menées par lA commission d’enquête

Les auditions sont présentées dans l’ordre chronologique des séances tenues par la commission d’enquête.

Les enregistrements vidéo des auditions ouvertes à la presse sont disponibles en ligne à l’adresse suivante : https://videos.assemblee-nationale.fr/commissions

 


–  1  –

1.   Audition, ouverte à la presse, réunissant M. Mathias Wargon, chef du service d’urgence du centre hospitalier Delafontaine, M. Arnaud Fontanet, directeur d’unité épidémiologique à l’Institut Pasteur et M. Emmanuel Vigneron, géographe, membre du Haut conseil de la santé publique (HCSP)

M. le président Jean-François Rousset. Nous commençons aujourd’hui les travaux de cette commission d’enquête consacrée à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Je rappelle que, peu de temps avant la dissolution de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête semblable, mais dont le périmètre était davantage resserré sur l’hôpital public, avait commencé ses travaux sous la supervision de Christophe Naegelen et de Paul Midy, respectivement rapporteur et président.

Or, si les mois ont passé, les difficultés persistent et, si l’hôpital public est évidemment incontournable, il apparaît nécessaire de recourir à une approche plus large et plus systémique pour porter un diagnostic sur les dysfonctionnements que présente notre système de soins. D’où la volonté de cette commission d’aborder plus globalement les différentes composantes de notre système de santé, ainsi que les solutions diverses que nous pouvons apporter aux problèmes d’accès aux soins, en dehors des seuls établissements publics.

Pour nous éclairer dans cette démarche, nous recevons aujourd’hui trois « grands témoins », dont l’expérience et les analyses peuvent nous permettre d’identifier des pistes de réflexion pour la suite de nos travaux.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Matthias Wargon, Arnaud Fontanet et Emmanuel Vigneron prêtent serment.)

M. Mathias Wargon, chef du service d’urgence du centre hospitalier Delafontaine. Je suis médecin urgentiste, spécialité probablement la plus difficile à exercer actuellement à l’hôpital pour ce qui est de la charge de travail. Je travaille en Seine-Saint-Denis, département qui, bien qu’il touche Paris et soit desservi par le métro, est un désert médical. On pourrait en effet imaginer qu’à proximité de Paris, on n’ait de problèmes ni dans la médecine libérale ni à l’hôpital, mais on en a, en fait, dans les deux secteurs, pour le personnel tant médical que paramédical. En outre, la population de ce département est pauvre, avec des pathologies variées et souvent plus avancées qu’ailleurs – ce qui se traduit par une plus grande nécessité des soins – et de réelles difficultés d’accès à ceux-ci.

Je rappelle, parce qu’on l’oublie souvent, que je suis non seulement le chef du service des urgences et de la structure mobile d’urgence et de réanimation (Smur) de l’hôpital Delafontaine, mais aussi président de l’observatoire régional des soins non programmés d’Île-de-France, structure qui englobe l’observatoire régional des urgences, que l’on retrouve dans chaque région. Cela me donne donc une idée du fonctionnement non seulement des urgences de toute l’Île-de-France – soit 4 millions de visites et 20 % de l’activité de la France entière – mais aussi des Samu de la région. L’impact des mesures visant la médecine de ville se répercute sur ces structures de soins, qu’il s’agisse des urgences ou des Samu centre 15, avec les services d’accès aux soins.

Se pose en outre la question de savoir si les urgences doivent rester des structures de premier recours ou redevenir des structures uniquement réservées aux urgences – j’espère que nous en parlerons. Les métiers et les pratiques ont changé et les prises en charge se sont accélérées. De fait, je fais de la médecine depuis environ trente-cinq ans et je vois que les outils dont on se sert aujourd’hui étaient d’accès beaucoup plus restreint lorsque j’étais étudiant. Les professionnels aussi ont changé, comme tout le monde : ils ne consacrent plus leur vie à leur métier, même s’il est encore une passion, et demandent une certaine qualité de vie.

Par ailleurs, les paramédicaux demandent plus de responsabilités et les médecins les plus jeunes ou les plus avancés sont prêts à leur en donner. On voit bien qu’il y a là un problème, mais aussi l’une des solutions. Que faire des paramédicaux, quelles responsabilités leur donner – et avons-nous le choix ? En la matière, notre pays est à la traîne et les débats que nous avons sur cette question sont résolus depuis des décennies dans d’autres pays par la délégation de tâches ou la prise en charge paramédicale – peu importe le nom qu’on lui donne.

Bien sûr, la population a changé, elle aussi, et ses demandes sont différentes, frôlant parfois le consumérisme. Il ne faut pas oublier que l’accès aux soins est un problème majeur de santé publique, qui a des effets sous forme de retard de diagnostic et de non-traitement des pathologies.

Quant au système, il n’a probablement pas changé et il évolue avec des petits bricolages par-ci par-là. Les solutions sont souvent simplistes, certains pensant que le fait de former et d’embaucher à tout prix n’importe qui n’importe comment permettra de résoudre les problèmes, et d’autres qu’il faut s’organiser et qu’on pourra toujours faire mieux avec moins. Surtout, les mesures adoptées sont rarement évaluées et, quand elles le sont, ne conduisent jamais à l’arrêt des dispositifs, même si ceux-ci sont peu satisfaisants, ni au retrait de leur financement. Le système se complexifie donc, les mesures s’entassent et nécessitent l’embauche notamment de coordinateurs, ajoutant des couches de complexité et de financement qui ne sont pas dédiées aux soins, à l’hôpital comme en ville. Souvent, on décide d’imposer du haut vers le bas des solutions qui ne sont pas adaptées, sous prétexte qu’elles sont efficaces quelque part – on me l’a fait ! –, sans tenir compte du contexte ni des soignants qui doivent faire fonctionner chaque nouveauté organisationnelle.

Derrière le vocabulaire technocratique des réseaux et des injonctions à travailler ensemble, les financements sont surtout l’occasion de diviser les différents secteurs : les médecins contre les paramédicaux, les libéraux contre l’hôpital et à l’intérieur de l’hôpital – comme, je le suppose, parmi les libéraux. L’excellence, qui devrait être la base de notre système, n’est plus une exigence, même si on en parle beaucoup. Derrière la demande de qualité des soins, on trouve surtout un système bureaucratique à base de points, qui sanctionne ceux qui sont déjà en difficulté et qui n’améliore pas la qualité – mais il y a du financement derrière.

Je suis un spécialiste des indicateurs, en tant que patron l’observatoire, mais aussi parce que j’ai fait une thèse de science sur les flux aux urgences. Or on croit que les indicateurs vont résoudre tous les problèmes. Le reporting est permanent, avec des indicateurs pléthoriques, mais qui ne sont pas validés – tout le monde a toujours une idée. On croit que ces indicateurs vont remplacer le management, le leadership et l’humanité, et tout le monde se planque derrière eux. En la matière, tous les hôpitaux ne sont pas égaux. En changeant d’hôpital à plusieurs reprises au fil des évolutions de ma carrière, j’ai remarqué que les CHU, les centres hospitaliers universitaires, toujours cités en exemple par les politiques, sont parmi les moins efficients et, surtout, sont souvent ceux qui limitent le plus l’accès aux soins, comme en témoignent les nombreux patients en attente de lit dans des établissements spécialisés, qui n’en veulent pas. Il ne faut pas oublier que ce système repose sur des femmes et des hommes qui s’épuisent dans un système complexe, où chacun s’organise avec difficulté et voit midi à sa porte.

Nous devons retrouver nos valeurs. Or le système de santé – et cela ne concerne pas seulement l’hôpital public – est un des derniers refuges de la République, universaliste et laïque, où chacun est soigné sans distinction de race ou de milieu social, du moins jusqu’à récemment. De fait, ce système s’étiole et on commence à remettre en cause l’AME, l’aide médicale de l’État, qui est une goutte d’eau dans le financement de la santé, mais dont la suppression entraînerait le transfert de sa charge vers les hôpitaux publics, qui accusent un déficit frôlant les 3 milliards d’euros. Soyons égoïstes : il s’agit d’un problème de santé publique et il faut conserver l’AME pour nous protéger, nous !

Quant à la situation de la psychiatrie, c’est un désastre total. Elle n’est jamais suffisamment financée et les patients peinent à trouver des prises en charge. C’est une catastrophe dans mon département, où des patients psychotiques graves ne sont pas pris en charge et sont rejetés, en outre, par le reste du système, c’est-à-dire ce qu’on appelle la médecine somatique. L’espérance de vie d’un schizophrène est ainsi diminuée de vingt ans ! J’ai d’ailleurs vu un article indiquant que l’espérance de vie des urgentistes et de 58,7 ans, soit aussi vingt ans de moins que l’ensemble des médecins : peut-être devrait-on nous traiter, nous aussi, dans le système psychiatrique.

Il faut citer aussi les personnes âgées, dont le maintien à domicile – ou, pour ce qui me concerne, la sortie de l’hôpital –  n’est jamais envisagé. On évoque sans cesse les demandes de lits pour les patients âgés, mais il faudrait déjà que l’on puisse faire sortir les patients de l’hôpital pour avoir une idée du besoin en lits. Faisons-les sortir ! Les structures de SMR (soins médicaux et de réadaptation), les Ehpad ou le maintien à domicile avec de la HAD (hospitalisation à domicile), coûtent moins cher que l’hôpital, mais personne n’en parle jamais. On ne parle que des lits d’hospitalisation que, de toute façon, on ne parvient pas à ouvrir, et dont les plateaux techniques sont complètement inutiles pour la prise en charge de ces patients.

Aujourd’hui, en région, il est très fréquent de ne plus trouver de médecin traitant et de spécialiste. Moi-même, bien que j’aie un réseau, je ne parviens parfois pas à trouver un spécialiste pour mon propre compte. J’espère donc qu’à l’issue des travaux de votre commission d’enquête, vous présenterez des propositions innovantes, et peut-être aussi une remise en cause du système, au-delà des sempiternels discours sur l’augmentation des personnels et des lits, qu’on sait pertinemment ne pas pouvoir réaliser.

M. Arnaud Fontanet, directeur d’unité épidémiologique à l’Institut Pasteur. Je précise tout d’abord que j’ai fait savoir que je n’étais pas compétent s’agissant des questions relatives à l’accès aux soins, pour la raison que, bien qu’étant médecin épidémiologiste à l’Institut Pasteur, j’ai travaillé toute ma vie en Afrique et en Asie sur les virus émergents. J’ai ainsi couvert de nombreuses crises sur les virus émergents depuis le Sras, (syndrome respiratoire aigu sévère), en 2003, en Chine, et jusqu’à très récemment. Toutefois, lors de la crise de la covid-19, j’ai travaillé pour la première fois en France, et j’ai accumulé en trois ou quatre ans une expertise très spécifique sur la gestion d’une crise pandémique sur notre territoire national. Il a donc été convenu que je centrerais mon propos sur les éléments à propos desquels il pourrait être pertinent. Je vais ainsi brosser assez rapidement le paysage de l’épidémiologie des maladies infectieuses sur le territoire national et, surtout, évoquer les problèmes que peuvent poser de futures crises pandémiques du point de vue de la mise en tension du système hospitalier, telle qu’on a notamment pu l’observer lors de la crise de la covid-19.

Le panorama épidémiologique de la France est celui de nombreux pays industrialisés : avec une population un peu vieillissante, les maladies chroniques telles que les maladies cardio-vasculaires, le cancer et les maladies neurodégénératives y prennent une part croissante. Mais cette population vieillissante est aussi plus vulnérable aux maladies infectieuses, comme on l’a bien vu pendant la pandémie de covid-19, où les personnes les plus touchées étaient les plus âgées.

Pour ce qui est donc des maladies infectieuses, on observe toute une série de maladies endémo-épidémiques présentant des poussées saisonnières telles que, durant l’hiver, des épidémies de grippe, une poussée épidémique liée à la covid-19, le virus respiratoire syncitial, responsable de la bronchiolite, ou, l’été, des salmonelloses. Ces éléments sont assez constants dans le temps : nous aurons, tous les hivers, notre épidémie de grippe, dont on sait à peu près qu’elle démarra fin décembre ou début janvier et qu’elle durera de deux à trois mois. On pourrait dire la même chose pour plusieurs de ces autres pathologies. Des systèmes de surveillance sont en place, suivis par Santé publique France, l’agence sanitaire, et par des centres nationaux de référence répartis sur le territoire national, qui nous permettent d’exercer un contrôle sur ces pathologies infectieuses.

Mais il y a aussi ces éléments très disruptifs que sont les grandes pandémies, comme l’a été la covid-19, qui, du jour au lendemain, changent complètement le panorama. Ce domaine, qui est celui dans lequel j’ai le plus de pertinence, est celui sur lequel j’insisterai donc.

Mon premier message est que, malheureusement, nous aurons de nouvelles pandémies. Dans l’histoire récente, les vingt-cinq premières années du XXIe siècle ont vu dix émergences infectieuses notables : trois betacoronavirus – le Sras, le Mers (syndrome respiratoire du Moyen-Orient) et la covid-19 –, la grippe H1N1 en 2009, puis des virus comme Zika, Ebola en Afrique de l’Ouest ou la peste pulmonaire à Madagascar, ou encore le mpox, arrivé sur le territoire national en 2022. À cela s’ajoutent quatre émergences pour les quarante dernières années du XXe siècle, parmi lesquelles le sida prend une place majeure, mais pour lesquelles on n’observe pas du tout l’accélération actuelle.

Cette dernière s’explique par de nombreux facteurs qu’il serait trop long de détailler, mais dont le plus préoccupant est qu’ils ne soient pas traités aujourd’hui. Ainsi, les marchés d’animaux sauvages en Asie étant toujours opérationnels, comme ils l’ont été dans les vingt dernières années, je n’ai aucune raison d’écarter la possibilité de l’émergence de nouveaux betacoronavirus dans les années qui viennent – je rappelle que nous en avons eu trois en vingt-cinq ans. Quant à la grippe, elle touche des élevages domestiques de volailles et de porcins, et elle frappe même aujourd’hui les vaches laitières aux États-Unis. Malgré la surveillance dont font l’objet les conditions d’élevage et les progrès réalisés, compte tenu de la densité des animaux et des mélanges d’espèces animales, par exemple entre volailles et porcins, dans d’autres régions du monde, les possibilités de réassortiment de nouveaux virus de grippe sont toujours aussi présentes. Nous sommes vraiment sous la menace d’une pandémie grippale et surveillons de très près le virus H5N1, du moins autant que nous pouvons le faire aujourd’hui aux États-Unis. Ce virus, qui circule notamment chez les vaches laitières et dans les élevages alentour, est, pour nous, une menace tout à fait réelle.

Enfin, j’ai beaucoup analysé les débuts de la crise de la covid-19 et les réponses qui ont été données sur l’ensemble de la planète. Je suis prêt à discuter avec vous de celles qu’ont apportées les pays d’Europe de l’Ouest, avec lesquels on peut plus facilement s’identifier puisque nous partageons globalement les mêmes structures d’âge des populations, les mêmes systèmes de soins, les mêmes types de régimes démocratiques et la même saisonnalité. Regarder ce qu’ont fait nos voisins est probablement l’attitude la plus pertinente en vue de la réponse que nous pourrons apporter à une prochaine pandémie, notamment liée à un virus respiratoire car ce sont les pandémies de ce type qui seraient les plus susceptibles de nous mettre à nouveau à genoux, comme la covid- 19.

Pour moi, les pays qui ont le mieux géré la crise sont ceux qui n’ont pas rempli leurs hôpitaux, comme le Danemark, qui a gardé ses hôpitaux vides pendant les deux premières années parce qu’il avait anticipé. C’est vraiment dans cette direction que je souhaiterais nous pousser. En effet, au regard des difficultés d’accès aux soins et des tensions qu’a connues notre système hospitalier – c’était aussi le cas au Royaume-Uni, en Espagne ou en Italie, notamment – savoir que certains pays ont pu gérer cette crise sans avoir de patients hospitalisés, ou très peu, est un message important

M. le président Jean-François Rousset. Il est en effet important de parler de l’expérience de la covid et de l’avenir du futur H5N1.

M. Emmanuel Vigneron, géographe, membre du Haut conseil de la santé publique (HCSP). Le problème auquel vous vous attaquez est pendant depuis des décennies. À titre personnel, j’ai participé ou ai contribué à la rédaction de très nombreux rapports parlementaires et j’ai été très souvent auditionné au cours des vingt-cinq dernières années. Il faut aussi souligner qu’en septembre 1789, la santé et l’organisation des soins ont été l’un des tout premiers sujets traités par l’Assemblée nationale, à l’initiative de La Rochefoucauld-Liancourt et qu’il y a aujourd’hui encore des choses à tirer des données versées au Journal officiel et du traitement qui en a été fait, jusqu’aux années 1880-1890, où ont été proposées de grandes lois sur l’aide médicale gratuite et l’aide médicale dans les campagnes.

Mathias Wargon a évoqué la nécessité d’affirmer et d’illustrer par l’action les valeurs de la République. C’est en effet la chose la plus importante. Il est temps que ces valeurs soient affirmées, déclinées et mises en œuvre, et pas seulement énoncées dans la présentation d’un projet de loi ou dans les cinq premières lignes d’un rapport pour être finalement abandonnées sans que les conséquences en soient pleinement tirées. C’est en repartant de ces valeurs de la République – qui, au fond, correspondent à ce que nous voulons et à ce que nous pouvons –, que l’on peut repenser l’organisation du système de santé.

Pourquoi le repenser ? Parce que l’objet de la commission d’enquête porte sur l’organisation du système de santé et les difficultés d’accès aux soins. S’il y a difficulté, c’est que l’organisation n’est pas bonne : c’est la première antinomie fondamentale. C’est donc en cherchant à régler ces difficultés d’accès aux soins, qui sont non seulement réelles, mais aussi durement ressenties par nos concitoyens que nous pourrons organiser mieux le système de santé. Nous allons cependant vite constater que, pour réparer ce système, il ne suffira pas de mettre des rustines – qui sont, du reste, peut-être impossibles à trouver dans les circonstances actuelles – mais qu’il faudra le repenser complètement.

Je ne vais pas pouvoir reprendre toutes les questions que vous m’avez adressées, dont certaines sont parfois en débat depuis vingt ou cinquante ans. Je reste toutefois prêt à répondre à celles que vous pourriez me poser cet après-midi. Vous avez, de toute façon, accès à toutes mes publications.

Tout est dans tout : toucher à l’hôpital, c’est toucher à l’accès aux soins, et la question se pose différemment lorsqu’on se trouve, comme M. Fontanet vient de l’exposer, confronté à une épidémie. Contrairement à ce qu’on peut avoir tendance à penser, l’hôpital n’est pas tout, il n’est pas l’exutoire. Cela vaut pour l’afflux aux urgences, qui augmente depuis les années soixante-dix – on n’a pas attendu les rapports d’Adolphe Steg de 1989 et 1993 pour le constater –, mais également pour la démarche adoptée par exemple par le Danemark et consistant à ne pas tout demander à l’hôpital pour pouvoir, au moment opportun, le solliciter parce qu’il est prêt à fonctionner.

À partir de la liste de tous les dysfonctionnements et des graphes qui les traduiraient, il apparaîtrait que tout est lié. La santé est en effet un très gros système, qui mobilise 1,5 million de personnes et des budgets colossaux. Réparer les difficultés de l’accès aux soins, c’est repenser la place de l’hôpital et des médecins dans le système de soins mais aussi le financement, en faisant la part de ce qui doit revenir respectivement à la solidarité et à l’assurance individuelle. Nous ne pourrons pas apporter de réponse en quelques heures. Peut-être repartirons–nous avec un lot de questions…

M. le président Jean-François Rousset.  Bien sûr, nous n’allons pas tout aborder en cinq minutes, mais il est déjà très important d’échanger, et c’est la raison pour laquelle nous vous avons fait venir. Vous pouvez répondre par écrit au questionnaire que vous avez reçu : vos réponses seront analysées et le rapporteur y aura accès.

M. Emmanuel Vigneron. J’ai traité bon nombre de ces questions dans mon dernier livre, intitulé La Santé au XXIe siècle. J’ai apporté à votre intention, mesdames et messieurs, les députés, une présentation de cet ouvrage.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Docteur Wargon, que pensez-vous de la création du diplôme d’études spécialisées de médecine d’urgence (Desmu) en 2015 ? A-t-elle contribué à la pénurie de médecins dans les services d’urgences ? Comment sont rémunérés les médecins hospitaliers, notamment les urgentistes, qui bénéficient d’un système de primes – je pense notamment aux primes multisites – assez complexe ?

Monsieur Fontanet, quelles ont été les conséquences de la pandémie de covid sur l’organisation de notre système de santé ? Quels enseignements en avons-nous tirés ? Que faudrait-il mettre en place si une épidémie similaire survenait ?

Monsieur Vigneron, quel regard portez-vous sur les groupements hospitaliers de territoire (GHT) ? Comment les établissements privés y sont-ils associés, et comment pourraient-ils mieux contribuer à la permanence des soins ? Est-il envisageable d’aller plus loin que les lois Rist 2 et Valletoux ?

Enfin, de nombreuses autorisations d’activité, notamment parmi les plus lucratives, comme les dialyses et les opérations de la cataracte, sont accordées à des établissements privés. Comment pourrait-on attribuer un plus grand nombre de ces actes « rentables » – même si je n’aime pas ce terme –, du fait des modalités de la tarification à l’activité (T2A), à l’hôpital public ?

M. Mathias Wargon. Pour comprendre ce qui a mené à la création du Desmu, il faut revenir un peu en arrière. On a déjà évoqué le rapport Steg. Lorsque j’ai commencé ma carrière de médecin, dans les années 1990, aux urgences de l’hôpital Cochin, il n’existait pas d’urgentistes. Une capacité en médecine d’urgence (Camu) a été créée, dont l’intérêt était assez faible avant que ce diplôme soit rendu obligatoire pour devenir urgentiste. Les internes de toute spécialité ont ensuite eu la possibilité de prolonger leurs études d’une année, sanctionnée par un diplôme d’études spécialisées complémentaires (DESC), pour exercer ce métier ; la plupart étaient des médecins généralistes, même si je connais une cardiologue qui a fait ce choix. Ce n’est qu’après ces premières étapes qu’a été créé le Desmu.

La création de ce diplôme n’est pas un hasard. Il existe une vraie demande de médecins urgentistes, et la médecine d’urgence est d’ailleurs reconnue comme une spécialité dans la plupart des pays occidentaux. Elle n’a rien à voir avec la médecine générale : les généralistes conviennent d’ailleurs qu’ils ne travaillent pas de la même façon que les urgentistes. Ces derniers ne dispensent pas de soins primaires, car ils ont vocation à réagir à des situations d’urgence, réelle ou ressentie. Pour ma part, je serais nul dans un cabinet, alors que j’espère être potable en tant que médecin urgentiste. Il était donc nécessaire de mettre en place une formation spécifique, prévoyant des passages dans les services de médecine interne et de réanimation, dans les services d’urgences et dans les structures mobiles d’urgence et de réanimation.

Ce n’est pas la création de cette spécialité qui a entraîné une pénurie de médecins. Certains ont exercé dans ce domaine en prévoyant de s’installer comme généralistes par la suite. Or il n’est désormais plus possible de se tourner vers la médecine de ville après avoir exercé en médecine d’urgence : pour ce faire, même un urgentiste de 50 ans devra suivre un stage de six mois et surmonter de nombreux obstacles.

En réalité, la pénurie vient de la difficulté à exercer cette spécialité. Une étude anglaise publiée il y a quelques mois estime l’espérance de vie des urgentistes à 58,7 ans : j’espère qu’elle se trompe, car vous auriez devant vous un mort vivant ! Il n’empêche que le métier est très pénible, pour deux raisons.

La première, difficilement contrôlable, est l’afflux massif de patients qui ne sont pas pris en charge en ville. Ainsi, le nombre de passages annuels dans mon service, qui était de 55 000 en 2017 ou 2018, est monté à 65 000 en 2024. Nos journées sont monstrueuses. Nous aurions besoin d’embaucher plus d’infirmières, d’aides-soignantes, de brancardiers et de médecins. Faudra-t-il réguler ces arrivées de patients ? Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Ce n’est toutefois pas la prise en charge de ces patients qui tue les urgentistes. Ne croyez pas que les urgences sont débordées par l’afflux de patients non pris en charge en ville. Mon service compte un médecin qui, toute la journée, fait de la médecine ambulatoire, de basse gravité, que certains qualifient de « bobologie » : nous pouvons donc nous organiser. Le véritable problème, c’est que les services d’urgences sont pleins de patients qui attendent, parce que le reste de l’hôpital n’est pas adapté à leur prise en charge. On ne peut pas passer un scanner en un claquement de doigts : je ne dispose d’ailleurs pas de manipulateurs ni d’appareils dédiés, même si je m’arrange bien avec les radiologues de l’hôpital. Surtout, de nombreux patients sont contraints d’attendre parce que l’on n’arrive pas à les faire rentrer chez eux ou dans un autre service de l’hôpital.

Nous nous débrouillons plutôt bien dans mon hôpital, qui est un centre hospitalier général (CHG). Les centres de ce type, ainsi que les établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic) et les établissements participant au service public hospitalier (PSPH), parviennent à s’organiser afin de prendre en charge leurs patients, bien qu’ils n’aient pas toujours le volume nécessaire pour ce faire. En revanche, les centres hospitaliers universitaires (CHU), comme ceux de Grenoble-Alpes et de Caen-Normandie, doivent accueillir énormément de patients, de l’ordre de trente à quarante par matinée. On peut créer de nouvelles structures, des boîtes à outils ou mettre en place des indicateurs, mais un patient qui attend un lit aux urgences est toujours un patient de trop.

Voilà ce qui explique la pénurie d’urgentistes : nous n’arrivons pas à gérer l’afflux massif de patients, puisque nous devons déjà gérer ceux qui devraient relever du reste de l’hôpital. C’est donc un enfer de bosser aux urgences ! Je vous invite à regarder la série The Pitt, qui, comme Urgences, montre la réalité quotidienne de ce que les soignants appellent « la mine ».

Les jeunes urgentistes que nous formons ont l’ambition d’exercer au Samu ou dans un Smur, où la pression est moindre – six sorties d’une heure toutes les vingt-quatre heures –  mais les « smuristes » travaillent maintenant aussi aux urgences. Devenus docteurs juniors après avoir été internes, un nombre croissant d’entre eux ne reste pas dans les services d’urgences. Beaucoup se dirigent vers les services de réanimation, qui manquent eux-mêmes de médecins – mais il y a peut-être là un problème que je ne connais pas bien, qui tient à la différence entre médecins d’intensive réanimation (MIR) et médecins anesthésistes-réanimateurs (MAR). D’autres s’orientent vers les centres de soins non programmés, qui ferment à 22 heures en semaine et à 18 heures le dimanche, et où ils sont bien payés.

La création de la spécialité de médecine d’urgence nous a pourtant permis d’atteindre l’excellence dans ce domaine. Nous travaillons énormément et publions beaucoup d’articles. Il existe même des professeurs de médecine d’urgence.

Le Samu et les Smur devront probablement évoluer. François Braun a lui-même proposé, quand il était ministre – il n’était pas du même avis lorsqu’il était syndicaliste –, de paramédicaliser certains Smur, ce qui les rendrait plus intéressants mais moins attractifs pour les urgentistes.

Pour revaloriser la médecine d’urgence, il faudra poser la question de la qualité de vie au travail. Une nuit aux urgences n’est pas la même chose qu’une nuit en réanimation. Une journée aux urgences ne peut être comparée à une nuit en médecine interne. Quand un urgentiste quitte son travail pour rentrer chez lui, il est lessivé et va se coucher.

L’argent est évidemment le nerf de la guerre. Vous avez évoqué les primes multisites, qui sont intéressantes en province, mais pas forcément en région parisienne – à une époque, il fallait exercer dans un établissement situé à plus de 20 kilomètres du site principal pour y prétendre, mais les règles ont peut-être un peu évolué. Il y a pourtant des hôpitaux en grande détresse, qui ont besoin d’être aidés – ce que font les urgentistes, mais gratuitement.

Un urgentiste gagne globalement mieux sa vie qu’un autre médecin à l’hôpital, parce qu’il assure des gardes, dont la rémunération a été récemment doublée. Est-ce suffisant ? Je n’en sais rien, mais tout n’est pas qu’une question d’argent. Le véritable enjeu, c’est de garder nos urgentistes, qui sont excellents. Quand vous arrivez aux urgences, le médecin qui vous prend en charge doit être à la fois capable de vous intuber, de vous faire une échographie, de penser immédiatement à toutes sortes de pathologies, de soigner votre diabète qui décompense, de lire un scanner… Il faut donc maintenir la spécialité de médecine d’urgence, et retenir les urgentistes.

M. Arnaud Fontanet. Vous m’avez interrogé sur la mise en tension du système de soins pendant la pandémie de covid-19. Je ne suis pas le mieux placé pour répondre à cette question : Mathias Wargon, qui travaille dans un service d’urgences et a donc vécu cette crise en première ligne, pourrait vous donner davantage d’éléments. Je relèverai, pour ma part, certains problèmes qui sont remontés au niveau du Conseil scientifique, dont je faisais partie à l’époque.

Au début de la crise, les services de soins intensifs se sont remplis très vite, notamment dans le Grand Est, et les services de maladies infectieuses ont suivi la même tendance. Peut-être vous rappelez-vous qu’il était difficile de réguler les patients : le 15 s’est retrouvé complètement saturé d’appels, et certaines personnes atteintes de symptômes respiratoires ont dû attendre jusqu’à quatre heures avant de pouvoir parler à un opérateur. Il y a donc certainement des problèmes à anticiper pour qu’en période de crise, une telle situation ne se reproduise pas.

M. Mathias Wargon. Pas seulement en situation de crise ! Cela arrive aussi actuellement !

M. Arnaud Fontanet. Nous avons également eu du mal à intégrer la médecine de ville dans la réponse apportée à la crise pandémique. Nous savions que les médecins généralistes avaient un rôle très important à jouer, mais nous n’avons pas vraiment réussi à articuler leur action avec celle des autres acteurs du système de santé. Nous avons levé des freins législatifs afin de permettre le recours aux téléconsultations et d’éviter ainsi que des patients potentiellement contagieux ne se rendent aux urgences.

J’ai été surpris qu’il ne soit pas possible d’approvisionner les Ehpad en oxygène, du fait du statut de ces établissements, alors qu’il était devenu très difficile d’acheminer des patients très âgés dans des hôpitaux déjà saturés. Peut-être faudrait-il réfléchir, avec des spécialistes, à des évolutions sur ce point.

J’aimerais maintenant vous sensibiliser à un sujet important, à savoir la nécessaire anticipation des crises, qui est à mon sens la réponse la plus logique pour y faire face.

Le Danemark est l’un des pays d’Europe de l’Ouest qui a le mieux réagi face à la crise du covid. La politique qui y a été menée me semble absolument exemplaire. Ce pays a mis en œuvre les préconisations que l’on pouvait tirer de la théorie épidémiologique, et il a prouvé de manière empirique l’efficacité de telles mesures.

Comme je l’ai dit lors de mon propos liminaire, les agents infectieux les plus préoccupants sont les virus respiratoires, car ils touchent toute la population et sont donc les plus susceptibles de provoquer une crise sanitaire majeure.

La première vague d’une épidémie est la plus importante. Rappelez-vous ce qui s’est passé aux alentours de mars 2020, partout dans le monde, avec un ou deux mois d’écart : c’est ce qui pourrait se produire à nouveau lors d’une prochaine pandémie. Pendant cette période, on ne dispose pas encore de l’outil biomédical – vaccin ou traitement – permettant de s’attaquer de front à l’épidémie : il faut alors faire face, avec les moyens du bord. On sait fabriquer des vaccins contre la grippe et, désormais, contre les betacoronavirus, mais il faudra toujours compter le temps de leur développement, parfois très court, le temps de leur production, beaucoup plus long, le temps de leur évaluation, toujours nécessaire – même s’il peut être un peu plus bref quand on les connaît déjà –, et le temps de leur distribution, potentiellement aux 7 milliards d’habitants que compte la planète. Il y aura donc toujours un délai incompressible, d’au moins six mois, si l’on est optimiste, qui correspond à la première vague de l’épidémie et pendant lequel il me paraît absolument essentiel de mettre en œuvre des mesures sanitaires. C’est là que l’expérience danoise me paraît tout à fait intéressante.

Lors d’une première vague, l’objectif recherché, du point de vue épidémiologique, est de rester sur un plateau, autrement dit de faire en sorte que le nombre de nouveaux cas détectés chaque jour n’augmente plus. Qu’il y ait 300, 3 000 ou 30 000 nouveaux cas par jour, comme lors de la première vague de covid-19 en France, le niveau des contraintes imposées à la population sera exactement le même. La différence réside dans le niveau de mortalité : à 30 000 cas par jour, il y aura 300 morts tous les jours ; à 3 000 cas, trente morts ; à 300 cas, trois morts. Il n’est donc pas rationnel d’attendre que soient atteints les 30 000 nouveaux cas et 300 morts par jour, et que les hôpitaux soient saturés, pour se mettre en plateau, alors que les mêmes mesures auraient dû être prises avec 300 cas et trois morts par jour, en laissant les hôpitaux peu affectés. C’est ce qu’ont compris les Danois : ils ont donc refusé de laisser se remplir leurs hôpitaux, qui ne doivent pas être considérés comme une variable d’ajustement.

Quand la courbe des contaminations est exponentielle, avec un doublement du nombre de nouveaux cas tous les trois jours, comme lors de la première vague de covid-19, il est vain de déplorer que la France ne dispose que de 5 000 lits de réanimation, et non de 10 000. En doublant le nombre de lits disponibles, nous n’aurions gagné que trois jours, ce qui paraît dérisoire compte tenu des enjeux et de la durée de la vague épidémique. Je le répète, l’hôpital ne doit pas être une variable d’ajustement : rien ne sert de le surcharger, d’autant que des mesures contraignantes devront être adoptées à un moment ou un autre. Autant les prendre le plus tôt possible, pour que le plateau se situe à un niveau très bas !

L’audition est suspendue de dix-sept heures cinquante à dix-huit heures dix.

M. Arnaud Fontanet. Le 11 mars 2020, seules dix personnes étaient hospitalisées au Danemark, sur les 6 millions d’habitants que compte le pays, lorsque la première ministre s’est exprimée à la télévision, annonçant la fermeture des bars, des restaurants et des écoles, et demandant aux Danois pouvant travailler à domicile de rester chez eux. Les sorties à l’extérieur sont restées autorisées, à condition que la population n’en profite pas pour se rassembler. La première ministre a mis en avant l’exemple du Nord de l’Italie, qui, à cette époque, était déjà dans une situation extrêmement critique, et expliqué que le Statens Serum Institut (SSI) craignait, après analyse des données de surveillance, que le Danemark se retrouve dans le même état en quatre à six semaines.

Pendant onze jours, le pays a connu une augmentation du nombre d’hospitalisations, du fait du développement, par certaines personnes déjà infectées, de formes graves de covid-19. Cependant, après ce pic, dont le niveau était très inférieur à celui observé ailleurs en Europe, la situation hospitalière s’est très rapidement améliorée, au point que le Danemark a pu mettre fin aux mesures contraignantes deux à quatre semaines avant les autres pays d’Europe de l’Ouest.

Ainsi, pour avoir réagi une semaine avant les autres, les Danois ont pu sortir des contraintes sanitaires deux à quatre semaines plus tôt. Le bilan humain a été bien meilleur qu’ailleurs, puisque les formes sévères de covid-19 et les décès dus à la pandémie ont été peu nombreux ; en l’absence d’épidémie de grippe, le Danemark a même enregistré un « déficit » de mortalité. Le bilan économique a été bon, car les périodes de restrictions ont été plus courtes qu’ailleurs : le pays a perdu 1,8 % de PIB alors que les États d’Europe de l’Ouest les plus touchés ont subi une croissance négative de 7 % à 10 %. S’agissant de la santé mentale et de l’éducation, les indicateurs danois ont été à la même hauteur que ceux des pays voisins ; quoi qu’il en soit, ils n’ont pas été pénalisés par ces mesures très précoces. En somme, le Danemark a gagné sur presque tous les tableaux.

Pour agir de la sorte, il faut une confiance forte de la population dans ses institutions et son gouvernement, une culture de la santé publique, un sens de la responsabilité collective et un système de surveillance opérationnel. Tout cela existe au Danemark, où les bases de données populationnelles sont par ailleurs très bien organisées, ce qui a permis aux autorités sanitaires de détecter l’augmentation du nombre de cas de façon fiable, bien qu’assez approximative, puisqu’elles manquaient, comme nous, de réactifs. L’évolution de la situation a pu être anticipée, grâce à un dialogue avec les scientifiques du SSI qui a très bien fonctionné.

Nous avons publié un bilan de cette expérience, qui a été médiatisé dans certains journaux, afin que nous nous en souvenions lorsque surviendra la prochaine crise, qui pourrait être tout à fait différente. La plus grande menace reste celle d’un virus respiratoire. Je l’ai dit, il faudra faire front lors de la première vague, pendant la période très critique des six premiers mois, tant qu’il n’existera ni traitement ni vaccin. Nous devrons alors nous souvenir que les mesures contraignantes à prendre sont exactement les mêmes suivant qu’on laisse se remplir les hôpitaux ou qu’on agit au plus tôt, et qu’une action précoce permet à la fois de lever les restrictions plus tôt et d’améliorer le bilan humain, économique, ainsi que tous les indicateurs. Nous aurons alors tiré des leçons utiles de la crise du covid-19.

M. Emmanuel Vigneron. Sans être tout à fait dupes, nous pouvons considérer les GHT comme un bon exemple de dispositif pouvant être amélioré. La création de ces groupements, en 2016, n’avait rien de novateur : une loi de 2009 avait déjà instauré des communautés hospitalières de territoire (CHT), qui succédaient aux territoires de santé, créés par une ordonnance de 2003, après qu’une loi de 1991 avait mis en place des schémas régionaux d’organisation des soins (Sros), sachant que la loi de 1970 portant réforme hospitalière permettait déjà la création de syndicats interhospitaliers. Je pourrais même remonter à la loi de 1893, qui organisait une coordination entre les hôpitaux et opérait un classement de ces établissements. Cela montre bien que cette idée, continûment creusée, exploitée, ravivée, est bonne.

Il faut cependant aller plus loin. Les GHT doivent-ils être dotés de la personnalité morale ? La question a déjà fait l’objet de débats. J’ai moi-même beaucoup milité en faveur de cette proposition, qui n’a pas été retenue par le Parlement, notamment parce que le Sénat s’y opposait pour des raisons tenant à la représentation des territoires.

Dans sa bienveillance, la loi a prévu que les établissements privés pourraient être associés aux GHT, bien que seuls les établissements publics aient la possibilité de créer de tels groupements. Cette mesure a été un fiasco total, car la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), qui représente les établissements privés lucratifs, n’en a pas voulu. Son président, Lamine Gharbi, a même déclaré dès juillet 2016, soit quelques mois après la publication du décret du 27 avril 2016, qu’il allait créer des GHT privés, ce qu’il a d’ailleurs répété à plusieurs reprises à l’automne sans que cette annonce se concrétise d’aucune façon. En revanche, les GHT publics existent, et ils mériteraient d’être davantage soutenus. Il conviendrait notamment de mieux évaluer et orienter leurs projets médicaux territoriaux.

L’idée de la coordination est bonne : on voit bien qu’on ne peut pas tout proposer partout, et que ce qui compte, c’est que le bon soin soit dispensé au bon endroit et au bon moment. Ce principe n’est pas compliqué à énoncer, même s’il peut être difficile à mettre en œuvre… Mais comme l’a dit Mathias Wargon dans son exposé liminaire, les principes sont faits pour être appliqués, déclinés, par le législateur. Je plaide donc une nouvelle fois pour que les GHT se voient accorder la personnalité morale et qu’ils soient davantage soutenus, car il faut avoir confiance en leurs capacités.

En revanche, penser que le privé peut s’organiser comme un GHT, c’est nier les principes mêmes qui sous-tendent l’entreprise libérale et imposent une certaine concurrence entre les établissements. Dans ma récente intervention devant l’Académie nationale de médecine au sujet des pénuries de spécialistes, lesquelles sont très liées aux autorisations d’exercice, j’ai expliqué que le privé ne pouvait pas jouer le rôle du public, en raison d’une dichotomie fondamentale entre ces deux secteurs. Les établissements publics maintiennent un semblant d’équité territoriale, car ils sont soumis aux règles et aux exigences du service public hospitalier, difficiles à mettre en œuvre mais très gratifiantes du point de vue de la morale, au contraire des établissements privés, auxquels on ne saurait cependant jeter la pierre, car leur survie dépend de leur rentabilité.

M. le président Jean-François Rousset. Nous en venons aux questions des autres députés.

M. Hendrik Davi (EcoS). J’ai bien compris que, pour l’hôpital, le meilleur patient c’est celui qui ne s’y rend pas ! Si seulement, à la prochaine pandémie, on pouvait appliquer le triptyque « confinement, mesures barrières, vaccins », comme l’a fait le Danemark… Personnellement, je signe tout de suite ! Cela m’amène à une première question sur les vaccins. Est-ce un problème pour vous, au regard de la confiance des citoyens dans les vaccins que la France n’ait plus de service public du médicament ?  Que les entreprises pharmaceutiques fassent des milliards de bénéfices ?

Pour éviter que les patients tombent malades, il faut faire de la prévention – alcool, tabac, autres addictions, sucre et sport, pour faire simple. L’ARS (agence régionale de santé) de ma région me dit que c’est déjà le cas, même si l’on pourrait faire beaucoup mieux comme dans d’autres pays. Le problème de l’addiction à l’alcool persiste néanmoins : comment agir ?

Ceux qui tombent malades se rendent souvent aux urgences faute d’avoir accès à un médecin de ville – un cas de figure bien connu de tous les parents d’enfants en bas âge malades en pleine nuit. Pourquoi ne pas prévoir des permanences nocturnes dans les centres de santé publics, à l’instar de ce qui se développe déjà dans les centres de santé privés ? Il y en a à Marseille, et l’ARS y a d’ailleurs mis un coup d’arrêt, car ces centres en profitent pour pratiquer des dépassements d’honoraires, ce qui pose des problèmes financiers. Je note aussi que les médecins ne se déplacent plus à domicile, comme ils le faisaient lorsque j’étais enfant.

Restent les autres malades, qui sont hospitalisés. Le principal problème, vous l’avez souligné, réside dans la sortie de l’hôpital, en particulier pour les personnes âgées. Souvent, on n’arrive pas à les renvoyer chez elles ou à l’Ehpad après une hospitalisation. Faudrait-il que les Ehpad soient davantage médicalisés ? Plus largement, cela pose la question d’un service public du quatrième âge.

Un grand service d’urgences est-il plus difficile à vivre qu’un petit ? Des médecins et soignants marseillais m’ont dit à plusieurs reprises qu’il était plus difficile de gérer les urgences de l’hôpital de la Timone que celles de l’hôpital Nord, plus petites, qui sont pourtant fréquentées par le même type de population. Qu’en pensez-vous ?

Enfin, j’ai été surpris de vous entendre dire qu’il fallait accepter le manque de moyens – du moins, c’est ce que j’ai compris. En dix ans, nous avons perdu 43 000 lits, soit 10 % de l’offre de soins : pourquoi devrait-on s’en satisfaire ? Pourquoi ne serions-nous pas capables de former davantage de médecins ? Depuis 1996, on a perdu 1 000 enseignants-chercheurs dans les CHU (centres hospitaliers universitaires) : peut-être faut-il commencer par là.

M. Mathias Wargon. Le retour à l’Ehpad n’est pas un problème. Les patients qui en viennent sont même mes meilleurs patients, car j’ai l’assurance de pouvoir les coller dans n’importe quel service de médecine de l’hôpital, puisqu’il est possible de les faire sortir à n’importe quel moment : il suffit d’appeler l’Ehpad, ou, quand il y en a un, le coordonnateur. Parfois, certes, les Ehpad ne sont pas médicalisés mais nous arrivons à faire de l’hospitalisation à domicile dans ce type d’établissement. Ce n’est peut-être pas possible partout, mais je suis sûr qu’à Marseille, ça l’est.

Sur le sujet des urgences, je ne connais pas la taille de celles de Marseille, mais mon service voit passer 65 000 personnes par an et j’ai également travaillé aux urgences de l’hôpital Bichat. D’expérience, je peux vous dire que ce n’est pas un problème de taille, mais d’organisation et de personnel. Les urgences s’organisent en flux : dans mon service, il y en a un pour les patients ambulatoires, un autre pour les patients dits de niveau 4, dont la pathologie n’est pas grave mais nécessite des examens complémentaires ou des gestes – petite traumato, crise d’appendicite, crise d’asthme sans gravité –, un troisième pour les patients médicaux plus graves, et un quatrième pour les patients très graves – ceux que l’on doit déchoquer, par exemple. À chacun de ces flux correspond un niveau et un temps de prise en charge, et un personnel dédié.

Puisque vous me demandez la vérité, je vais vous la dire – même si le conseil de l’Ordre risque encore de me coller un procès au motif que je suis anticonfraternel : en réalité, les urgences sont souvent mal organisées. Je suis passé par Bichat, où l’on apprend à ne pas mettre les patients dans le couloir : et de fait, dans mon service, il n’y en a pas.

Enfin, je n’ai jamais dit que l’on devait accepter le manque de moyen. Seulement, je suis pragmatique : je ne suis pas Harry Potter, je n’ai pas de baguette magique et je ne peux pas faire apparaître des amis ! Donc, il faut s’organiser. Certains réclament toujours plus de moyens, à l’image du collectif Inter-Hôpitaux créé par des PU-PH (professeurs des universités-praticiens hospitaliers) de l’assistance publique. À les écouter, ils n’ont jamais assez de personnel, alors que leurs hôpitaux sont les mieux dotés ! « On va changer pour que rien ne change », en somme. Mais ce n’est pas étonnant qu’ils n’aient jamais assez de personnel, puisqu’ils ne sont pas organisés.

Quand j’ai repris les urgences de Saint-Denis, personne n’en voulait – je n’ai pas très bonne réputation, et il faut vraiment n’avoir pas été gentil pour se retrouver avec moi. J’ai diminué le temps d’attente de trois heures, sans augmenter le personnel, puisqu’on n’en trouve pas d’un claquement de doigts. La réorganisation du service m’a permis d’identifier où il manquait du personnel, et où il n’y en avait pas besoin – votre collègue Romain Eskenazi, qui travaillait alors dans mon hôpital, peut en témoigner. Fort de cette information, j’ai alors demandé à ma direction des moyens supplémentaires, que j’ai obtenus, et que je savais où placer. Demander du personnel en permanence ne marche pas car, comme j’ai coutume de le dire, mettre plus de monde dans le bordel, c’est juste avoir du bordel avec plus de monde.

Vous m’interrogez sur le nombre de lits : c’est un sujet qui m’exaspère, car c’est l’antienne des gens qui n’ont pas d’imagination – des lits, des lits, des lits ! Il y a besoin de lits, oui, mais pas n’importe où. Vous parliez des difficultés à renvoyer les patients dans les Ehpad : c’est bien la preuve que ces patients n’ont plus rien à faire à l’hôpital, et que le lit, ce n’est pas à l’hôpital qu’il est nécessaire, mais à l’Ehpad, en SMR, voire en HAD, si le patient peut rentrer à domicile. Et il y coûterait beaucoup moins cher !

Cela m’amène à un sujet dont nous n’avons pas encore parlé : le virage ambulatoire. Il se trouve que je fais de la moto – très mal, puisqu’il y a vingt-cinq ans, je me suis cassé le poignet gauche en tombant de scooter. Résultat : cinq jours d’hospitalisation, puis à nouveau trois ou quatre jours pour faire enlever le matériel. Or il se trouve que je me suis cassé l’autre poignet, juste au début de la crise du covid. Pour la même pathologie, je n’ai été hospitalisé qu’une demi-journée, à laquelle il faut ajouter deux heures pour enlever le matériel. On ne peut donc pas raisonner à moyens constants. Le virage ambulatoire est très intéressant pour les soins programmés – et tous les jours, le personnel de mon service reprogramme pour le lendemain des patients qui se sont présentés aux urgences, ce qui permet de gérer la petite traumato en ambulatoire –, mais il reste insuffisamment financé.

Pour les soins non programmés, il faut effectivement augmenter le nombre de lits, notamment en médecine polyvalente et en gériatrie. Mais ça ne fait pas tout : le problème, c’est que pour prendre les patients, les services ont besoin de personnel qui accepte de travailler à l’hôpital. Sauf qu’ils n’en trouvent pas ! C’était la conclusion de mon propos liminaire – mais peut-être n’étiez-vous pas encore arrivé : il faut renoncer aux solutions simplistes. Et dire qu’il faut augmenter le nombre de lits, ou de personnels, en est une.

Je n’accepte absolument pas le manque de moyens, mais pour gérer un service d’urgences, je sais très bien qu’on ne les obtient pas d’un claquement de doigts et qu’il faut savoir les distribuer au bon moment, au bon endroit.

M. le président Jean-François Rousset. Je vais vous demander d’être plus brefs, car nous avons encore beaucoup de questions.

M. Mathias Wargon. Pardonnez-moi, je me suis emporté !

M. Arnaud Fontanet. S’agissant des vaccins, nous devons effectivement réfléchir à notre autonomie et notre indépendance. Prenons un exemple : à travers la Barda (Biomedical Advanced Research and Development Authority), Trump vient d’investir 525 millions d’euros dans le développement d’un vaccin à ARN messager contre la grippe aviaire, qui serait beaucoup plus efficace que les vaccins existants. À combien le vendront-ils ? À titre de comparaison, la dose de vaccin contre le covid coûtait 16 euros. Cette fois, je pense que ce sera beaucoup plus cher. Nous sommes dépendants de pays qui investissent des moyens considérables dans la recherche et le développement de vaccins, et cela m’inquiète d’autant plus que nous ne sommes pas à l’abri d’un changement de leur état d’esprit en cas de crise. La situation actuelle donne matière à réflexion.

M. Emmanuel Vigneron. Je rappelle qu’en 1970, il y avait, en France, 10 000 entreprises pharmaceutiques, certes essentiellement de petites structures assises sur le droit de préparation magistrale des pharmaciens mais ce nombre considérable de laboratoires produisait des médicaments.  Les choses ont bien changé. La puissance publique peut aider à reconstituer une industrie pharmaceutique plus réactive et plus résiliente.

S’agissant des centres de santé publics (CSP), ils ont été créés par la loi de 2016. Le titre IV, dont le rapporteur était Richard Ferrand, prévoyait que les établissements publics de santé (EPS) pouvaient créer des centres de santé. C’est une très bonne chose, car ces structures s’articulent bien avec les GHT, qui assurent l’égalité et la continuité du service public hospitalier à l’échelle territoriale. Bien entendu, les entreprises privées de santé, qui y voient une concurrence, sont opposées à leur développement. Mais dans de nombreux endroits du territoire, ce n’est pas tant de plateaux techniques qu’on a besoin, que d’une porte d’entrée vers ces plateaux.

Dans mon livre, L’hôpital & le territoire : de la coordination aux GHT, j’explique, schémas à l’appui, cette disposition en étoile qui avait été pensée par des grands noms des années 1930 et 1940. Dans l’esprit d’un central téléphonique gérant les flux entrants et sortants de conversations téléphoniques, le plateau technique serait central et alimenté par des centres périphériques – les CSP gérés par l’hôpital public. C’est une très bonne piste, qui mériterait d’être creusée.

Mme Stéphanie Rist (EPR). Monsieur Wargon, y a-t-il des infirmières en pratique avancée (IPA) dans votre service ? Si oui, est-ce que cela vous aide ? Et si vous n’en avez pas, pourquoi ?

Vous vous êtes engagé auprès des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), que l’on a beaucoup de mal à maintenir dans le système. Malgré de nombreuses évolutions législatives, des difficultés demeurent. Selon vous, quelle est la solution à ce problème ?

Monsieur Fontanet, ces dernières semaines ont été marquées par une épidémie de grippe qui a eu un retentissement très important sur l’accès au soin, ce qui confirme la pertinence de cette commission d’enquête. Or il semblerait que les données scientifiques à notre disposition ne soient pas suffisantes pour imposer la vaccination contre la grippe aux professionnels. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?

Monsieur Vigneron, vous avez insisté sur la nécessité de réorganiser un système dans lequel on investit massivement – 266 milliards –, notamment pour faire face au vieillissement de la population. Pour ma part, je pense que nous avons trop de lits d’hospitalisation. Avez-vous des données comparatives avec des pays étrangers à nous fournir, en particulier s’agissant du nombre de lits d’hospitalisation par habitant ?

M. Mathias Wargon. Les infirmières en pratique avancée existent dans de nombreux pays, et bien que je sois moi-même enseignant dans le cursus des IPA en médecine d’urgence, je n’en ai pas dans mon service, pour une raison simple : mes infirmières les plus motivées, qui sont aussi les plus anciennes dans la profession – il faut justifier de cinq ans d’exercice pour passer le concours –, perdraient leur ancienneté si elles devenaient IPA. C’est l’un des principaux obstacles – avec, bien sûr, l’opposition du conseil de l’Ordre et des syndicats de médecins. La mobilisation d’IPA dans des centres de soins non programmés serait pourtant l’une des solutions à la situation actuelle, notamment pour gérer les pathologies pédiatriques qui conduisent les parents aux urgences alors qu’elles ne présentent souvent pas de gravité.

S’agissant des Padhue, c’est bien grâce à ces médecins étrangers que j’ai réussi à remonter mon service : sans eux, les urgences de Saint-Denis seraient fermées. Mais il y a deux difficultés : déjà, ils ne sont pas bien payés, et d’autres pays, comme l’Allemagne, nous font une concurrence défavorable. Ensuite, s’ils souhaitent rester, les Padhue doivent se soumettre à des épreuves de validation des connaissances. Or il y a des inégalités selon les spécialités : bien qu’il s’agisse d’un examen, certains jurys se permettent de fixer une barre d’admission, comme dans un concours, et de ne pas admettre à l’examen des gens qui ont pourtant la moyenne. J’aimerais bien savoir si les médecins qui font passer ces concours, ou les praticiens en exercice, sont capables de les réussir : en tout cas, pas moi ! Et quand, enfin, ils arrivent à la fin de la procédure « stock », on demande à ceux qui sont en médecine générale d’aller effectuer un stage en ville, tout en leur expliquant qu’il n’y avait pas de maître de stage disponible.

Bref : on ne peut pas à la fois déplorer le manque de médecin, faire venir des praticiens étrangers pour pallier ce manque, et leur barrer ensuite l’accès à l’installation ! Les premiers Padhue que j’ai recrutés ont pris la nationalité française, sont devenus praticiens hospitaliers et permettent aujourd’hui de tenir les hôpitaux.

M. Arnaud Fontanet. L’efficacité de la vaccination contre la grippe est difficile à évaluer, car elle évolue d’une année sur l’autre en fonction de l’adéquation du vaccin aux souches qui circulent. Cette année, il y en avait trois, ce qui a complexifié la situation.

Je ne peux pas vous apporter de réponse scientifique car je n’ai pas travaillé sur ce sujet, mais à titre personnel, la vaccination contre la grippe d’un soignant pour protéger les populations très vulnérables avec lesquelles il est en contact me semble relever du bon sens.

M. Emmanuel Vigneron. On dispose de nombreuses données sur le taux d’équipement en lits dans d’autres pays, mais est-ce vraiment intéressant ?

Mme Stéphanie Rist (EPR). Les lits coûtent cher !

M. Emmanuel Vigneron. Il en va des lits comme des médecins spécialistes : y en a- t-il trop ou pas assez ? En réalité, l’essentiel, c’est leur répartition géographique et en fonction des spécialités, car les taux d’occupation et les besoins diffèrent : par exemple, il est évident que l’on manque de lits en psychiatrie. Il faut écouter les personnels dans les services. Or, ils sont de moins en moins nombreux à réclamer des lits.

Pendant 1 000 ans, l’hôpital ça n’a été que des lits. Mais du milieu du XIXe siècle jusqu’aux années 1970, la fonction de ces lits a évolué, pour passer de la simple hospitalité au développement des soins. C’est au début des années 1980 que l’hôpital est devenu principalement un lieu de soins et, dans une moindre mesure, un lieu d’hospitalité. On peut donc gager que le virage ambulatoire va s’accélérer.

Dès lors, la question n’est plus celle des lits, mais des plateaux techniques et de leur répartition sur le territoire. Le législateur ne s’y est d’ailleurs pas trompé : au début des années 2000, il a substitué à la notion d’autorisation de lits celle d’autorisation d’activité de soins, qui se traduit par des objectifs quantifiés de l’offre de soins (Oqos). Le régime des autorisations a encore fait l’objet d’une réforme en 2023. Il faut sortir de l’idée que l’hôpital, c’est un ensemble de services, dirigés par des patrons : c’est avant tout un lieu de soins. À cet égard, les Oqos ont l’avantage de conduire à un réaménagement sanitaire du territoire.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). J’ai été très intéressée par votre comparaison avec le Danemark, monsieur Fontanet. Je pense que la résilience des pays du Nord de l’Europe tient à leur préparation continue aux crises, y compris sanitaires. Pensez-vous que la France présente le même niveau de résilience et, si ce n’est pas le cas, que pouvons-nous faire pour éviter l’engorgement des hôpitaux en cas de nouvelle crise sanitaire ?

Monsieur Wargon, j’ai beaucoup aimé vos propos sur l’organisation ; je partage cette conviction. Mais les chefs de service et directeurs d’hôpitaux sont-ils formés à rationaliser et organiser les choses ? Vous vous y êtes employé avec succès mais visiblement, ce n’est pas le cas partout.

M. Arnaud Fontanet. D’une certaine manière, la Bretagne a été le Danemark de la France : grâce à des mesures précoces, elle n’a pas connu le « choc hospitalier » qui a frappé d’autres régions. Elle a même pu envoyer des spécialistes dans d’autres hôpitaux et accueillir des patients venus de l’est de la France. Lors de la prochaine crise, j’aimerais vraiment que l’on anticipe les mesures de protection, ce qui nécessite de détecter le plus tôt possible le démarrage d’une épidémie, à partir de quelques signaux faibles. En la matière, les agences de sécurité sanitaire ont un rôle majeur à jouer. Or, en France, elles sont sous-dotées.

Autre élément intéressant : après chaque confinement, il y a eu une période réfractaire de quatre à six semaines, pendant laquelle on a pu contrôler la circulation du virus malgré la levée des mesures les plus contraignantes, car la population a conservé les habitudes adoptées pendant le confinement. Il n’y a donc pas de fatalité : notre pays est capable de maintenir la circulation d’un virus à un niveau très bas.

En vue de la prochaine épidémie, il faut donc à la fois documenter la façon dont les pays qui s’en sont bien sortis ont procédé, et, en lien avec les agences sanitaires, développer des systèmes de surveillance permettant la détection très précoce des débuts d’une épidémie. À cet égard, on sait aujourd’hui que la surveillance des eaux usées peut être très utile.

L’autre vertu des mesures précoces, c’est que la réponse peut être graduelle et proportionnée. En imposant des mesures contraignantes lorsque les hôpitaux sont encore vides, vous avez le temps d’évaluer leur efficacité : pour les virus respiratoires, il faut onze jours. Si elles sont suffisantes, on s’en tient là, si ce n’est pas le cas, vous pouvez les durcir un peu. Si on attend que les hôpitaux soient saturés, il n’y a plus d’autre choix que de prendre directement des mesures fortes, les plus pénalisantes pour l’ensemble de la population. J’espère que l’on aura appris de l’expérience du Danemark et de la Norvège et que nous saurons gérer la prochaine crise de manière plus rationnelle et efficace.

M. Mathias Wargon. Les directeurs d’hôpitaux sont formés à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), souvent après un passage par Sciences Po, qui n’est pas connue pour fabriquer des leaders. Je me concentrerai donc sur les chefs de service.

Les chefs de service n’ont pas fait des études de management, mais de médecine. Or, un service comme le mien, où travaillent une centaine de personnes qui gèrent 65 000 patients par an, c’est comme une grosse entreprise avec des millions de budget. Sauf qu’on demande au chef de service d’être un médecin qui s’occupe des patients, et s’il a le temps, d’être un peu chef de service. Or être chef de service devrait être son métier principal. On ne demande pas au patron d’une entreprise de 100 personnes avec 65 000 clients d’aller visser des boulons et en plus, quand il a le temps, de participer à des réunions ! Peut-être des cadres seraient-ils de meilleurs chefs de service que les médecins ?

Il faut aussi savoir qu’on a essayé d’annihiler les chefs de service en créant des chefs de pôle, c’est-à-dire des pseudo-directeurs auxquels ils doivent rendre compte. Mais ce n’est pas du management : c’est du reporting, qui ne résoudra rien. Il en va de même pour tout ce qui relève de la certification qualité. Il faut redonner la main aux chefs de service et changer leur culture. Cela étant, ces derniers sont des sortes de petits barons, qui seront sans doute en guerre contre les barons d’à côté, ce qui est très problématique. Il va donc falloir réorganiser l’hôpital.

Actuellement, il est géré par une CME (commission médicale d’établissement), à la tête de laquelle on ne met pas toujours des leaders, mais plutôt ceux qui foutront la paix aux autres. Il faut arrêter de placer des élus à la tête des hôpitaux, et nommer des gens pour leurs qualités : on sait que les structures qui ont les meilleurs résultats sont celles dirigées par des médecins. Peut-être faudrait-il réfléchir à la création d’un exécutif bicéphale ? Cela pourrait être une solution pour avoir enfin des hôpitaux qui fonctionnent.

M. Emmanuel Vigneron. Le Danemark comme la Bretagne sont beaucoup plus petits que la France et donc plus aisément organisables. Au reste, la Bretagne est un cas d’école dans de nombreux domaines en matière d’organisation sociale : historiquement, son Ceser (conseil économique, social et environnemental régional) a été l’un des plus anciens et des plus vivants, et cette région a été pionnière dans le développement de l’intercommunalité à la suite des lois Voynet et Chevènement. On y trouve une grande habitude de la vie collective et encadrement, qui favorisent sans doute la diffusion des mots d’ordre et la bonne application des mesures.

M. le président Jean-François Rousset. Je suis navré de vous couper, mais il ne nous reste plus beaucoup de temps. Je suggère que les députés restants posent leurs questions, et les intervenants y répondront ensuite de façon groupée.

M. Lionel Tivoli (RN). Monsieur Wargon, en tant que chef de service des urgences, vous êtes en première ligne face à la crise qui frappe l'hôpital. Si j’en crois ce que vous dites, il n’y a pas de brancards dans les couloirs ni d’attente dans votre service : vous êtes manifestement l’exception qui confirme la règle. Pour y avoir accompagné des proches ces derniers temps, j’ai pu constater que, dans la plupart des services d’urgence, il faut attendre des heures – parfois une nuit entière – sur un brancard avant d’être pris en charge, faute de médecin disponible.

Depuis la réforme de 2015, le nombre d'urgentistes est passé de 7 000 à 4 400, laissant un quart des postes vacants et entraînant la fermeture de 600 services la nuit. Dans le même temps, les urgences sont saturées, alors que 75 % des patients s’y rendent seulement faute de pouvoir consulter en ville. Quelles sont les conséquences concrètes de cette situation sur les patients accueillis aux urgences, et sur les soignants, qui enchaînent des gardes épuisantes, souvent sans renfort, et dont la fatigue est un risque à elle seule ?

La capacité à la médecine d'urgence, qui permettait aux généralistes d'être formés à la prise en charge des urgences de proximité, a récemment disparu, alors qu’elle a été maintenue pour les médecins militaires. Sa réintroduction permettrait-elle de soulager les services d'urgence et d’améliorer l'accès aux soins en faisant traiter les petites urgences par la médecine de ville ?

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Monsieur Vigneron, vous avez insisté sur la nécessité de mieux orienter les GHT. À l’hôpital de Guingamp, le projet médico-soignant partagé pour les années 2023 à 2028, qui prévoyait la fin de la permanence des soins, de la chirurgie vingt-quatre heures sur vingt-quatre et des accouchements, a été rejeté par la commission médicale d’établissement, le comité social et économique et le conseil de surveillance, au motif qu’il ne répondait pas aux besoins. Il a pourtant été validé par le GHT.

Dans un rapport publié en 2020, la Cour des comptes indiquait d’ailleurs que les GHT n’avaient pas permis de réduire des inégalités de santé, mais seulement de réaliser des économies. Ne serait-ce pas là l’objectif non avoué de ces structures ? Selon vous, quel doit être l’espace décisionnel ?

M. Laurent Alexandre (LFI-NFP). Je suis député de l’Aveyron. Dans certains hôpitaux, les urgences sont régulées, parfois même fermées certains jours par manque de médecins urgentistes. D’autres services, comme la chirurgie, la biologie et la maternité, peuvent également y être fermés faute de lits, alors que l’hôpital le plus proche se trouve à plus d’une heure et quart de route. De l’aveu même des médecins, c’est un frein à l’installation de nouveaux médecins. Partagez-vous cette analyse ?

M. Théo Bernhardt (RN). Il existe plusieurs dispositifs de surveillance épidémiologique, comme le réseau Obépine, qui permet de vérifier la présence microbiologique de virus dans les eaux usées. Monsieur Fontanet, est-ce un bon moyen d’anticiper les vagues épidémiques et d’organiser notre système de santé en conséquence ?

M. Romain Eskenazi (SOC). D’après mon expérience à l’hôpital public – avec M. Wargon ! –, une des difficultés majeures est le manque d’attractivité de l’hôpital public pour les personnels paramédicaux. Pour pallier ce manque de professionnels, les hôpitaux ont recours à l’intérim, mais les personnels envoyés ne sont pas intégrés aux équipes ni associés aux projets du service. En outre, c’est un dispositif coûteux : le recours à l’intérim est ainsi passé de 500 000 euros avant le covid à plus de 2 millions d’euros par GHT, ce qui ne fait qu’aggraver la crise financière de l’hôpital public. En tant que professionnels, avez-vous identifié des leviers pour répondre à cette crise de l’attractivité ? Pour faire face au manque de médecins, on fait massivement appel à des Padhue – à Saint-Denis et Gonesse, ils représentent plus de 40 % des effectifs –, avec toutes les difficultés déjà évoquées pour pérenniser leur situation.

Par ailleurs, il y a un problème de libération des lits. Les patients qui devraient être sortants, et donc libérer des lits pour les patients en attente d’hospitalisation, restent à l’hôpital faute de lits en aval, par exemple en soins de suite, ou au nom de problèmes davantage sociaux que médicaux. Avez-vous identifié des évolutions législatives susceptibles de répondre à cette problématique ?

M. Mathias Wargon. La durée du passage aux urgences, c’est encore une question d’organisation. À charge de travail et conditions égales, certains services s’organisent, d’autres moins. L’organisation de l’hôpital est aussi en cause : si les patients stagnent aux urgences, c’est parce qu’ils ne sont pas pris dans les étages, c’est-à-dire dans les services spécialisés. Or, dans certains CHU, il y a des services qui ne sont pas pleins. La T2A (tarification à l’activité), dont nous n’avons pas encore parlé, présentait l’avantage d’obliger les services à prendre des patients. J’ai assisté aux discussions annuelles sur le budget, j’ai bien vu ce qui s’y passait : chacun négocie dans son coin et les plus puissants obtiennent toujours les meilleurs budgets, mais ça ne les empêche pas de ne pas prendre de patients le week-end, quitte à les envoyer en permission et à les faire officiellement sortir le lundi ! Mais le problème vient aussi des directeurs d’hôpitaux, qui prennent rarement leurs responsabilités. En réalité, ce sont eux, et non les médecins, qui sont responsables des admissions : un chef de service ne peut pas refuser d’admettre un patient.

Enfin, s’agissant des postes vacants, on assiste effectivement à une fuite des urgentistes, liée notamment aux conditions d’exercice, devenues très compliquées : travailler dans un centre de soins non programmés, par exemple, est très attractif, car c’est tranquille et il n’y a pas de gardes. La réanimation absorbe aussi beaucoup d’urgentistes, car les réanimateurs, eux, vont anesthésie.

Il n’est pas exact de dire que 75 % des patients pourraient être pris en charge en ambulatoire. D’après l’étude de la Drees, la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, le chiffre serait au maximum de 40 % à 45 %. Cette prise en charge supposerait qu’il y ait des médecins, mais on n’en a pas. On pourrait éventuellement y affecter des IPA (infirmières en pratique avancée), mais on ne les forme pas. De même, au lieu d’affecter systématiquement aux SAS (services d’accès aux soins) des médecins pour répondre au téléphone, on pourrait recourir à des infirmières pour donner des conseils, car c’est tout ce dont ont besoin une partie de ces patients. Or on n’évalue pas les SAS, qui disent aux patients de ne pas venir aux urgences. C’est là le problème des urgences régulées, à propos desquelles j’ai d’ailleurs écrit une tribune. En effet, il faut bien accueillir les patients – qui sont vos électeurs et les gens avec qui vous vivez – lorsqu’ils n’ont pas de médecin généraliste et que les urgences sont fermées. Par ailleurs, si ces urgences fermées arrêtent d’accueillir des patients, dans l’hypothèse, par exemple d’une réduction de moitié, des petits services d’urgences qui traitent quarante patients par jour – et ils sont nombreux – n’en auront plus que vingt. Or l’investissement en personnel ne pouvant pas être déterminé, il faudrait donc, pour de petits services, énormément de personnel – je rappelle qu’un médecin fait une garde par semaine. Vient donc un moment où l’on se heurte à la réalité, avec des centres situés loin des patients.

Peut-être faut-il confier certains centres à des infirmières ou, en « nuit profonde » – c’est-à-dire après minuit –, se limiter à une garde et prévoir de transporter rapidement les patients. Toujours est-il que cette question a un impact non seulement sur le fonctionnement des urgences, mais aussi sur leur financement. Il faut donc arrêter de fermer les urgences.

Se pose, en outre, un problème de valeurs, un problème éthique. En effet, certains de mes patients sont des clodos qui n’ont rien à faire aux urgences, mais je ne vais pas les laisser crever dans la rue. Cela aussi fait partie, hélas, de mon boulot.

Quant à la Camu, elle peut sans doute apporter des solutions, mais j’ai besoin de gens qui sachent gérer à la fois des patients très graves – ce que la Camu ne permet pas – et des patients moins graves. Je pourrais recourir à des généralistes, mais la médecine générale s’y oppose. Il faudra donc voir avec les généralistes.

Pour ce qui est de l’intérim, la loi Rist 2 l’interdit aux jeunes infirmiers – et il est vrai que nos intérimaires ne devaient pas seulement s’adapter à l’hôpital, mais qu’ils ne connaissaient même pas leur métier d’infirmière, faute d’expérience, ce qui est très embêtant. Peut-être faut-il les faire venir en les payant mieux et différencier les conditions selon les territoires, car la vie en Île-de-France est beaucoup plus chère que dans d’autres régions et les infirmières parisiennes sont obligées de se loger très loin de leur travail – elles n’ont, en outre, pas toujours envie d’habiter en Seine-Saint-Denis.

Quant aux problèmes d’aval, on observe en effet un développement des HAD, notamment privées. Les SMR ont également des problèmes d’embauche, parce qu’ils ont des problèmes d’attractivité. En fait, tous les problèmes d’attractivité remontent jusqu’aux urgences. En région, les urgences sont régulées, mais ce n’est pas le cas en Île-de-France, où il n’existe pas, sauf exception, d’urgences régulées toutes les nuits, alors que de nombreux urgentistes le souhaiteraient.

Certaines personnes n’appelleront pas le 15. Une étude que nous avons réalisée dans notre service a montré qu’il y avait dans la salle d’attente des gens qui auraient pu aller ailleurs, mais qui étaient là tout de même parce qu’ils rencontraient des problèmes de langue ou de compréhension, et parfois de sécurité sociale ou d’argent. Une partie de ces gens vont donc échapper aux soins : ils ne se rendront plus aux urgences, mais ils n’iront nulle part. Il n’est, du reste, pas certain que les patients qui appelleront le 15 aillent ensuite chez le généraliste.

Peut-être est-il possible de recourir directement aux kinésithérapeutes pour toute la petite traumatologie et aux IPA pour le reste. En tout cas, il va falloir être inventifs, même si on ouvre grand les vannes de la médecine, comme dans les années 1960 et 1970. Les médecins sont les premiers à avoir voulu instaurer le numerus clausus, mais il y avait alors des médecins dans tous les petits villages : ils s’installaient pour avoir quelque chose à bouffer, et faisaient du consumérisme. Lorsque j’étais enfant, ils se déplaçaient la nuit, même pour une visite qui aurait pu attendre le lendemain, et s’ils ne venaient pas, on appelait un autre médecin. Faisons attention : je ne suis pas certain que nous ayons besoin d’autant de médecins que dans les années 1970.

M. Emmanuel Vigneron. Je vais répondre bien plus brièvement, et simultanément, à M. le député de l’Aveyron et à Mme la députée des Côtes-d’Armor. Ce sont deux départements que j’adore – j’adore en fait tous les départements français et je crois qu’une partie du mal vient aussi de ce qu’on oublie les disparités qui constituent la France. Qui connaît bien la situation de l’Aveyron, département qui est l’un des plus grands de France, mais qui n’est pas non plus le plus commode, du fait de sa topographie de moyenne montagne ? Il existe un point commun entre Guingamp et l’ouest aveyronnais : l’impression pitoyable, pathétique, que donnent les fermetures sauvages, dont les justifications sont toujours peu ou prou liées à la force ou à la faiblesse politique de telle ou telle personnalité locale. Alors même que ces fermetures pourraient être expliquées, on ne prend pas la peine de le faire. Il importe donc de réfléchir collectivement, pour la France de demain, à la localisation et à la répartition des plateaux techniques, en nous demandant de quoi nous avons besoin et pour combien de personnes.

Cela conduit inévitablement – et dans l’Aveyron plus encore que dans les Côtes-d’Armor, car ce département est situé à la frontière de plusieurs régions et dans une situation déjà un peu périphérique – à la nécessité d’accepter, au nom de cette belle valeur qu’est la solidarité nationale, l’idée d’exception territoriale. J’ai beaucoup écrit là-dessus, et nous publierons bientôt dans Le Monde, lorsque la proposition de loi Garot visant à lutter contre les déserts médicaux viendra en discussion, deux pages de cartes sur l’accès aux plateaux techniques et aux urgences.

M. Arnaud Fontanet. Grâce à Obépine, nous allons bénéficier d’un nouveau système de surveillance des eaux usées. La covid-19 nous a en effet fait découvrir qu’on pouvait récupérer dans les eaux usées de nombreux virus susceptibles d’être testés, qui ne sont pas seulement entériques, mais aussi respiratoires, puisque la salive est déglutie : on peut donc suivre ainsi la grippe et des coronavirus tels que celui qui est responsable de la covid. L’intérêt de cette méthode se manifestera particulièrement au début d’une nouvelle crise, alors que nous nous trouverons à nouveau en situation de pénurie, avec très peu de tests disponibles pour couvrir le territoire national. Un seul test permettra de couvrir une population très large et d’anticiper puisque la positivité précède d’environ une semaine celle des premiers patients arrivant dans les hôpitaux. Obépine et Sum’eau sont très importants pour la préparation de la prochaine pandémie.

M. le président Jean-François Rousset. J’ai connu une époque où les urgences étaient organisées par organe : un médecin généraliste avait son circuit court et, s’il suspectait une appendicite, il envoyait directement le patient vers un service de chirurgie digestive, ce qui ne marchait pas si mal. Nous sommes finalement allés très loin dans l’organisation, mais nous pouvons garder ce souvenir à l’esprit.

M. Mathias Wargon. On reconnaît le chirurgien ! À l’hôpital Cochin, où j’ai travaillé, on distinguait les urgences chirurgicales et les urgences médicales : les patients qui venaient pour un mal au ventre traversaient l’hôpital sur un brancard à capote, tandis que chaque service disait que ce n’était pas pour lui !

M. le président Jean-François Rousset. Il ne s’agit pas d’idéaliser le passé mais il est souvent bon de s’y référer.

Merci messieurs.

*

*     *


–  1  –

2.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Marie Daudé, directrice générale de l’Offre de soins (DGOS), et de M. Stéphane Pardoux, directeur de l’Agence nationale de l’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP)

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête en abordant le cœur de notre sujet.

La direction générale de l'Offre de soins (DGOS), à travers ses cinq sous-directions, a pour missions de couvrir les besoins de soins par territoire, de garantir la permanence des soins, d’organiser les soins de premier recours, d’assurer l'équité, la qualité et la sécurité des prises en charge hospitalières, de développer des parcours de soins ouverts en lien avec les secteurs libéral et médico-social, d’allouer les ressources aux établissements de santé, de concevoir de nouveaux modèles de financement et de piloter l'investissement en santé.

L’Agence nationale d'appui à la performance (ANAP), organisée autour de six pôles d'expertise métiers, a pour mission d'accompagner et d'outiller les professionnels des établissements sanitaires et médico-sociaux dans l'amélioration de leur performance.

En vertu de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous invite à lever la main droite et à dire « je le jure » pour prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Marie Daudé et M. Stéphane Pardoux prêtent serment.)

Mme Marie Daudé, directrice générale de l’Offre de soins (DGOS). L’accès aux soins constitue une priorité centrale pour les pouvoirs publics et pour ma direction, comme en témoignent de nombreux rapports récents. Le rapport d’information du Sénat de novembre 2024 sur les inégalités territoriales pointe notamment un déséquilibre croissant entre une demande accrue, liée au vieillissement et à la progression des pathologies chroniques, et une offre de soins en diminution dans certains territoires, aggravée par des difficultés d’attractivité des métiers du soin et par la fragilité financière de certains établissements. La Cour des comptes, dans son rapport de mai 2024 sur l’organisation territoriale des soins de premiers recours, met également en lumière des inégalités marquées dans les délais moyens d’accès aux soins, pouvant aller de 6 à 123 jours selon les spécialités et les territoires, ainsi qu’une proportion préoccupante de patients sans médecin traitant, notamment ceux en affection de longue durée.

Face à cette situation, les pouvoirs publics mobilisent trois leviers principaux.

Le premier levier est démographique. La réforme de 2020 a mis fin au numerus clausus et instauré un numerus apertus, permettant une augmentation notable du nombre d’étudiants en médecine (près de 11 000 aujourd’hui, contre 7 000 à 7 500 auparavant). Les effets concrets de cette réforme ne seront toutefois perceptibles qu’à partir de 2030. Parallèlement, des aides incitatives soutiennent l’installation dans les zones sous-dotées et la formation médicale se décentralise avec le développement d’antennes territoriales, en lien avec le ministère de l’enseignement supérieur. L’objectif est d’encourager l’installation des futurs médecins dans les territoires où ils se sont formés. La quatrième année de docteur junior en médecine générale, quant à elle, sera l’occasion de promouvoir les stages en zone fragile. Au-delà de la démographie, il s’agit également d’améliorer l’attractivité pour fidéliser les professionnels soignants. Cela passe par une amélioration des formations, en particulier pour les personnels non médicaux, avec une attention portée aux premiers stages infirmiers, ainsi que par des mesures de revalorisation, notamment pour le travail de nuit à l’hôpital.

Le deuxième levier concerne l’organisation des soins. Les attentes des professionnels évoluent vers des pratiques moins isolées et plus compatibles avec la vie personnelle. Nous accompagnons cette évolution en renforçant les dispositifs d’exercice coordonné, comme les maisons et centres de santé, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou encore le service d’accès aux soins (SAS). Ces structures contribuent à améliorer la couverture territoriale et l’efficience des parcours, en désengorgeant les hôpitaux et en assurant un meilleur suivi des patients. Nous réfléchissons également à une meilleure répartition de l’offre de soins à travers la spécialisation progressive des établissements, sans renoncer à la proximité, grâce à des dispositifs innovants tels que les centres de périnatalité ou les hôtels hospitaliers.

Le troisième levier porte sur les modes de prise en charge et leur financement. Des réformes récentes facilitent la délégation de tâches et de compétences entre professionnels de santé. La réforme de la profession infirmière en est une autre illustration tandis que le recours aux assistants médicaux permet d’optimiser le temps administratif en ville. Le développement rationnalisé et encadré de la télésanté et de la téléconsultation s’inscrit également dans cette dynamique. L’ensemble de ces réformes intervient dans un contexte financier contraint mais nous adaptons les modes de financement, notamment à travers la dotation populationnelle, afin de mieux répondre aux besoins locaux.

Conscients des fragilités économiques de nos établissements, nous accompagnons les démarches de retour à l’équilibre, en misant sur la performance, l’efficience et une offre de soins de qualité, délivrée par les bons professionnels, au bon moment.

M. Stéphane Pardoux, directeur de l’Agence nationale de l’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP). Les missions de l’ANAP, agence de conseil publique, se sont nettement élargies ces dernières années, dans le cadre du renforcement de l’action publique et de la volonté de limiter le recours aux cabinets de conseil privés. Notre équipe, composée d’une centaine de professionnels, est constituée exclusivement de personnes ayant exercé dans des établissements de santé.

Une spécificité essentielle de l’ANAP réside dans son réseau de 750 experts affiliés, actuellement en poste dans des établissements de santé, qui interviennent ponctuellement dans d’autres structures pour le compte de l’agence. Cette dynamique de partage d’expériences entre pairs constitue le fondement de notre méthode d’accompagnement.

Placée sous la triple tutelle des ministères des comptes publics, de la santé et des solidarités, l’ANAP étend désormais son intervention au champ médico-social, avec une attention croissante portée aux EHPAD et aux établissements spécialisés dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap.

Notre programme de travail, élaboré en concertation avec les pouvoirs publics, les agences régionales de santé (ARS) et les établissements eux-mêmes, repose sur trois missions fondamentales. La première consiste à intervenir directement sur le terrain, en apportant gratuitement un accompagnement individuel ou collectif aux établissements. En 2024, plus de 200 accompagnements directs sur des sujets tels que l’immobilier hospitalier, la gestion des blocs opératoires, la performance économique ou le développement de l’hospitalisation à domicile ont été réalisés.

La deuxième mission vise à expliquer les réformes et à fournir des outils concrets aux établissements, en particulier aux structures de taille modeste ou intermédiaire. Tous nos outils sont gratuits et mis à disposition en libre accès sur notre site internet.

La troisième mission concerne l’évaluation des dispositifs publics et le conseil aux pouvoirs publics. Une cellule dédiée évalue l’impact des actions et analyse des politiques publiques spécifiques.

Pour améliorer l’accès aux soins, l’ANAP agit de manière coordonnée sur plusieurs leviers. Elle s’attache tout d’abord à optimiser l’organisation interne des établissements, en s’appuyant sur les pratiques exemplaires observées dans les structures les plus performantes. Ces travaux portent aussi bien sur les blocs opératoires, les services d’urgences, les plateaux de consultation que sur les établissements de santé mentale ou le développement de l’ambulatoire dans différents secteurs. Elle œuvre ensuite à l’amélioration des conditions de travail, afin de renforcer l’attractivité du secteur. À cette fin, elle propose des méthodes d’organisation des équipes, des outils de gestion des plannings et des effectifs, ainsi que des stratégies permettant de valoriser la marque employeur. Une bibliothèque comprenant plus de 200 cycles de planning est notamment mise à disposition des cadres de santé pour les aider à structurer le travail quotidien. L’ANAP encourage par ailleurs l’intégration raisonnée des technologies au service de l’accès aux soins. Par exemple, un travail récent a été consacré à l’efficience des petits plateaux techniques d’imagerie, en tenant compte de la baisse significative du coût des équipements, notamment les scanners. En parallèle, l’agence promeut le développement de prises en charge innovantes, telles que l’hospitalisation à domicile (HAD). Elle accompagne actuellement environ un tiers des structures de France dans l’amélioration de leurs pratiques. Enfin, l’ANAP contribue au renforcement de la situation économique des hôpitaux, en diffusant les bonnes pratiques de gestion financière et logistique identifiées dans les établissements les plus performants.

La conception de la performance que nous portons ne se limite pas à sa seule dimension économique. Elle est, selon nous, globale, intégrant la qualité des soins, l’organisation du travail, l’efficience des ressources et la capacité à innover. C’est à cette performance multidimensionnelle que nous nous attachons, dans la perspective constante d’améliorer l’accès aux soins pour tous.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Nous avons souhaité élargir le périmètre de notre commission d'enquête pour aborder plus en détail l'organisation, au-delà de la seule question de l'accès aux soins. Je prévois de me rendre dans vos locaux entre avril et mai afin de consulter divers documents que nous vous demanderons de préparer.

Pouvez-vous tout d’abord nous expliquer comment s'effectue la coordination entre la DGOS et les ARS sur le territoire ?

Concernant la répartition des gardes de soins, nous constatons que 87 % sont assurées par les établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic) et les hôpitaux publics, avec une faible participation des hôpitaux privés. Comment expliquez-vous ce déséquilibre et comment s'organise la répartition de ces gardes au niveau départemental ?

Comment est effectuée la répartition des activités de soins sur les territoires, notamment pour des services comme la dialyse ? Pour quelles raisons certaines activités lucratives semblent-elles être davantage orientées vers le secteur privé ?

Disposez-vous d'indicateurs sur l'utilisation et l'évolution des coûts des personnels intérimaires, qu'il s'agisse de médecins ou d'infirmiers ?

Enfin, concernant les infirmiers en pratique avancée (IPA), nous constatons une baisse d'intérêt pour cette formation, principalement due à des questions de rémunération. Avez-vous des données ou des propositions à ce sujet ?

Monsieur Pardoux, j'aimerais savoir si l'ANAP a réalisé des études comparatives sur la performance entre le secteur public et le secteur privé. Avez-vous formulé des propositions pour améliorer l'organisation administrative ou la répartition des activités dans le cadre des groupements hospitaliers de territoire (GHT) ?

Mme Marie Daudé. S’agissant des relations entre les ARS et la DGOS, je rappelle qu’elle n’est qu’un des donneurs d’ordre, aux côtés d’autres directions centrales telles que la Direction générale de la Santé (DGS) pour les enjeux sanitaires et environnementaux, ou la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) pour les établissements médico-sociaux.

La DGOS a renforcé la qualité et la fréquence des échanges avec les ARS, estimant que l’efficacité repose sur une meilleure articulation entre les visions nationale et territoriale. Il ne s’agit pas de se substituer aux ARS, dont le rôle consiste précisément à connaître et organiser l’offre de soins sur le terrain. En revanche, ces agences n’ont pas toujours la vision d’ensemble des priorités nationales, ce qui rend indispensable une circulation réciproque de l’information. Des réunions régulières sont désormais organisées sur des thèmes tels que les ressources humaines, l’organisation des soins ou encore le financement. L’objectif est de construire les décisions en amont, de manière concertée, afin de favoriser leur mise en œuvre effective et adaptée aux réalités locales.

Sur des sujets tels que la permanence des soins ou la répartition des activités, le rôle de la DGOS consiste à produire les textes de référence et à fournir aux ARS les outils nécessaires pour bâtir une offre cohérente d’accès aux soins sur le territoire. Le dernier schéma de permanence des soins s’appuyait fortement sur le secteur public qui, à l’époque, exprimait le souhait d’assurer cette mission. Le secteur privé, quant à lui, manifestait parfois des réticences à prendre part aux dispositifs imposés.

La situation actuelle évolue, avec une demande de partage plus équilibré de l’effort de la part du secteur privé. Il ne serait en effet ni équitable ni soutenable que la charge repose uniquement sur un acteur. De nouveaux leviers ont été créés à cette fin. La loi Valletoux permet désormais de contraindre les médecins exerçant dans des cliniques privées à participer à la permanence des soins et non plus seulement l’établissement en tant que tel. Jusqu’ici, un directeur d’ARS pouvait solliciter une clinique mais l’absence d’engagement des médecins libéraux rendait l’obligation inopérante. La procédure a été renforcée, puisque l’appel à candidatures devient transparent, ouvert à tous et les exclusions doivent être motivées. Il est également désormais possible de mutualiser cette permanence entre structures juridiques différentes si les praticiens le souhaitent.

Le processus vient tout juste de débuter avec la publication des schémas régionaux. Leur validation interviendra d’ici la fin de l’année, suivie du lancement des appels à candidatures. Les premiers effets de ces mesures pourront être observés à ce moment-là.

M. Stéphane Pardoux. Pour compléter ces propos, une étude a été confiée à l’ANAP sur la mise en œuvre de la permanence des soins partagés. Ce travail a permis de recenser les bonnes pratiques actuellement en vigueur dans le pays et d’élaborer un guide opératoire, conçu comme un mode d’emploi concret, illustré d’exemples de coopération entre établissements publics et privés. Publié récemment à la demande de la DGOS, ce guide a déjà été téléchargé 2 500 fois. Il répond à des questions très pratiques, telles que le partage d’un bloc opératoire ou la possibilité pour un chirurgien d’intervenir de nuit dans un autre établissement. Ce sont précisément ces détails logistiques, souvent sous-estimés, qui freinent la mise en place effective de la permanence des soins partagés.

Mme Marie Daudé. Plusieurs outils ont été déployés pour accompagner les ARS dans la nouvelle organisation de la permanence des soins. Des textes réglementaires ont d’abord été adoptés, suivis d’une enquête nationale diffusée à l’ensemble des ARS et des établissements afin d'engager un dialogue local, d’ajuster les lignes et de mieux répartir la charge.

Un second levier vise à encourager des organisations nouvelles, telles que l’alternance ou la mutualisation de lignes de garde, toujours fondées sur le volontariat des professionnels. Dans ce contexte, la Fédération de l’hospitalisation privée revendique aujourd’hui une implication équivalente à sa part d’activité globale, soit 35 % de la permanence des soins.

Parallèlement, la réforme des autorisations modifie en profondeur les conditions techniques de fonctionnement. Les ARS, qui ont adopté leurs plans régionaux de santé en 2023, commencent à mettre en œuvre les nouvelles opportunités, ce qui devrait entraîner une reconfiguration progressive de la carte hospitalière.

S’agissant de la répartition des activités entre secteurs public et privé, il n’existe pas de doctrine nationale et chaque ARS tient compte des spécificités locales. À titre d’exemple, la réforme du financement de la dialyse vise à supprimer les rentes de situation.

Concernant l’intérim, les données de la direction générale des finances publiques (DGFIP) montrent un recul de l’intérim médical depuis l’entrée en vigueur du plafonnement en 2023. Pour les personnels non médicaux, la tendance est plus hétérogène. Une mesure analogue, votée dans la LFSS 2025, viendra encadrer l’intérim paramédical.

Enfin, concernant les IPA, la dernière convention a permis une revalorisation substantielle du modèle économique en ville. Toutefois, la pénurie de professionnels formés et leur préférence pour l’hôpital ralentissent encore leur déploiement dans les structures de premier recours. L’accès direct récemment accordé par décret soulève des questions de valorisation à discuter, dans le cadre d’une adaptation progressive du modèle.

M. Stéphane Pardoux. Une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l’Inspection générale des finances (IGF) est en cours pour comparer les performances des secteurs public et privé.

Au-delà de cette évaluation, l’enjeu principal consiste pour nous à identifier les initiatives efficaces sur les territoires, quel que soit leur statut. L’intérêt de tels modèles inspire des réflexions sur leur éventuelle transposition ailleurs.

Il n’existe pas de différence systémique de performance entre les secteurs et les écarts observés tiennent davantage aux dynamiques territoriales et à la capacité des acteurs à coopérer. Sur le terrain, les résultats les plus probants proviennent précisément des territoires où la collaboration entre établissements, publics comme privés, est la plus aboutie. La complexité croissante du fonctionnement hospitalier, associée au besoin d’investissements technologiques conséquents, rend cette coopération indispensable. C’est elle qui permet une organisation rationnelle des ressources et une meilleure réponse aux besoins locaux.

Les exemples les plus convaincants montrent que l’articulation entre hôpitaux, établissements privés et médecine de ville constitue la condition la plus favorable à l’amélioration de l’accès aux soins. À l’inverse, les territoires où chaque établissement fonctionne en silo, soucieux de préserver son périmètre, rencontrent plus de difficultés à garantir cette accessibilité.

Les dynamiques collectives, lorsqu’elles sont mises en œuvre dans le respect des spécificités de chaque structure, offrent des réponses plus cohérentes à la population. Cette tendance se confirme dans de nombreuses régions et se vérifie notamment dans les évolutions structurelles.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Monsieur Pardoux, bien que l’ANAP ne puisse pas s'autosaisir, avez-vous été mandatés pour évaluer l'impact de la tarification à l’activité (T2A) sur l'accès aux soins ?

Madame Daudé, en cinquante ans, 75 % des maternités ont été fermées, éloignant considérablement les femmes de leur lieu d’accouchement. Cette concentration est justifiée par une recherche de sécurité mais, dans le même temps, la mortalité infantile augmente, atteignant 4,1 pour 1 000 naissances. Ne pensez-vous pas que cette logique a atteint ses limites ? La réduction du maillage territorial et la création de structures toujours plus grandes n’ont-elles pas, au contraire, fragilisé la qualité et l’accessibilité des soins ?

M. Stéphane Pardoux. La mission d’évaluation de la T2A ne relève pas des attributions de l’ANAP. Notre rôle se concentre sur la diffusion des meilleures pratiques observées dans le pays à l'ensemble des établissements. Ce type d'analyse systémique sur le modèle de financement est généralement confié à l’Igas.

Mme Marie Daudé. Une mission IGAS-IGF a été menée début 2023 sur la réforme de la T2A. Le rapport qui en découle, désormais public, propose une réorganisation en trois compartiments : activité, missions et objectifs de santé publique et qualité, avec pour ambition d’accroître progressivement le poids des deux derniers. Ce cadre guide actuellement les travaux en cours sur les soins critiques, les soins non programmés, la dialyse ou encore la radiothérapie.

Le sujet des maternités est complexe et sensible. Le regroupement observé dans certaines régions vise à concilier sécurité, qualité des soins et maintien d’un lien de proximité. Pour compenser les fermetures, des centres de périnatalité sont développés afin d’assurer un suivi avant et après l’accouchement et des dispositifs d’hébergement temporaire sont proposés pour les accouchements programmés. Ces solutions ne font pas consensus, comme en témoignent les protestations locales, mais les seuils de sécurité demeurent une exigence. Le manque de pédiatres et de gynécologues dans certaines zones fragilise la continuité des soins, rendant parfois le regroupement inévitable.

Plusieurs chantiers sont ouverts pour améliorer la situation, tels que le renforcement de l’attractivité des métiers ou l’augmentation du nombre de postes à la sortie de l’internat.

Quant à la hausse du taux de mortalité infantile, jugée préoccupante, des échanges ont été amorcés avec les acteurs de la périnatalité et de la néonatalogie, en vue d’un travail plus approfondi sur ce sujet.

Mme Stéphanie Rist (EPR). Madame Daudé, vous avez évoqué les nombreux décrets publiés récemment à la suite des lois sur l'accès aux soins. Pourquoi un tel décalage temporel entre l’adoption d’un texte et la publication de ses décrets d’application est-il observé ? Je pense notamment aux mesures concernant le partage de compétences, l’accès direct aux kinésithérapeutes ou aux infirmières. Pourquoi faut-il parfois attendre un an et demi, voire deux ans, et pourquoi les arrêtés qui devraient suivre ces décrets ne sont-ils pas encore publiés ?

Monsieur Pardoux, vous avez récemment publié un répertoire des nouveaux métiers, que j’ai trouvé particulièrement pertinent. Quelle suite envisagez-vous de donner à ce travail ? Comment faire progresser plus rapidement ces chantiers, notamment dans le contexte du développement de l’intelligence artificielle, en surmontant certaines résistances ?

Enfin, ma question la plus essentielle porte sur la situation financière très préoccupante de nos établissements de santé, alors même que les financements de l’assurance maladie augmentent. Notre système reste très centré sur l’hôpital. Vous avez évoqué, Monsieur Pardoux, la montée en puissance de la chirurgie ambulatoire et de l’hospitalisation à domicile, mais n’avons-nous pas encore trop de lits d’hospitalisation pour des patients qui pourraient, dans bien des cas, être pris en charge en ville ? Poursuivons-nous dans cette voie par simple inertie ? Ne serait-il pas pertinent de transférer davantage d’actes médicaux vers la médecine de ville ? Quels freins identifiez-vous ? Faut-il, selon vous, faire converger les modes de rémunération des médecins, ce qui me semble être l’un des verrous structurels majeurs ?

Mme Marie Daudé. S’agissant de la lenteur dans la publication des textes d’application, plusieurs facteurs expliquent ces délais. Le volume exceptionnel de textes à produire (près de soixante décrets issus des lois de mai et décembre 2023 ainsi que des derniers PLFSS) a notamment engendré une situation d’engorgement au sein de l’administration. À cela s’ajoute la nécessité de mener des concertations souvent complexes avec de multiples parties prenantes, dans un contexte politique instable qui complique les arbitrages. Malgré tout, l’essentiel du travail a été accompli puisque, sur la soixantaine de décrets à produire, seuls deux ou trois restent encore à publier.

Concernant la question du recours excessif à l’hospitalisation complète, deux leviers sont activement travaillés. Le premier est le développement de l’ambulatoire, qui demeure un objectif structurant des ARS et des établissements. Le second repose sur la prévention des décompensations des pathologies chroniques, avec un investissement accru dans la coordination avec la médecine de ville et l’usage des outils numériques. La télésurveillance des pathologies cardiaques incarne parfaitement cette dynamique.

Quant à la convergence des modes de rémunération entre les médecins de ville et les hospitaliers, cette question, bien que structurellement importante, n’est pas inscrite à l’agenda des réformes en cours.

M. Stéphane Pardoux. Je vous remercie d’avoir souligné l’intérêt porté à notre travail sur les nouveaux métiers, téléchargé à ce jour près de 9 000 fois. Ce panorama présente des fonctions plutôt que des métiers au sens strict, ce qui permet davantage de souplesse sans avoir à modifier les décrets de compétences. Certains établissements s’en sont déjà emparés, notamment dans le champ de la périnatalité, pour faire évoluer les missions confiées aux professionnels. Cette approche présente l’avantage de répondre à l’enjeu d’attractivité en ouvrant de nouvelles perspectives de carrière, sans engager systématiquement une réforme réglementaire. C’est un levier concret pour renforcer l’engagement et la fidélisation des soignants dans les établissements hospitaliers.

S’agissant de la capacité en lits, la situation reste très variable selon les territoires et la France n’a pas encore achevé sa transition vers la chirurgie ambulatoire. En partenariat avec les sociétés savantes concernées, nous avons fixé un objectif de 80 % d’activité opératoire en ambulatoire, ce qui aura nécessairement un impact sur le nombre de lits requis. Aujourd’hui, nous n’observons pas de tension particulière sur les lits de chirurgie. En médecine, en revanche, la situation est plus contrastée. Dans l’ensemble de nos travaux, nous accordons une attention prioritaire au développement de l’hospitalisation à domicile. Nous constatons que les établissements les plus performants en interne sont ceux qui recourent le plus largement à l’HAD. En collaboration avec la DGOS, nous avons conçu un indicateur de taux de recours à l’HAD, désormais utilisé pour comparer et valoriser les dynamiques engagées dans les établissements.

Nous sommes convaincus que l’avenir de l’hôpital ne réside pas dans sa capacité en lits, mais dans la qualité et la densité de son plateau technique, d’imagerie, de biologie mais également de consultations spécialisées ou généralistes. Nous soutenons résolument le modèle des hôpitaux de proximité, connectés à la médecine de ville, dotés de consultations avancées et d’équipements accessibles.

M. Julien Limongi (RN). Madame Daudé, ma question porte sur les difficultés rencontrées pour la réinstallation d’officines de pharmacie dans les communes de moins de 2 500 habitants. Des décrets ont été publiés l’année dernière pour définir les territoires fragiles, permettant certaines dérogations à la réglementation. Pourtant, pour la commune de Saint-Cyr-sur-Morin, l’ARS d’Île-de-France répond que le seuil des 2 500 habitants n’était pas atteint et que la définition des territoires fragiles restait en attente.

Avez-vous reçu des retours similaires sur d’autres situations comparables, où la réglementation paraît trop rigide malgré les assouplissements récents ? Estimez-vous qu’une évolution du cadre réglementaire soit nécessaire pour faciliter ces réouvertures d’officines, particulièrement dans les zones dépourvues de solutions alternatives ? Quel est votre retour d’expérience sur la mise en œuvre des décrets relatifs aux territoires fragiles, environ huit ou neuf mois après leur publication ?

Mme Marie Daudé. Nous essayons d’adopter une approche pragmatique en fonction des remontées et d'échanger avec chaque ARS pour résoudre les problématiques locales. Actuellement, la réglementation est en place et n'est pas en voie d’être modifiée mais notre objectif est de maintenir un dialogue permettant aux ARS de s'adapter au mieux aux réalités du territoire.

Mme Josiane Corneloup (DR). Madame Daudé, je partage votre souci de sécurité et d’efficacité dans l’organisation des soins, mais je souhaite insister sur l’importance des hôpitaux de proximité, notamment en milieu rural. Dans mon territoire, les grands pôles hospitaliers se trouvent à 120 kilomètres. Nous avons heureusement conservé un hôpital de proximité, doté d’un plateau technique avec cinq salles d’opération. L’an dernier, son activité a fortement progressé, ce qui témoigne de son utilité. Maintenir ce type de structure est essentiel, car le regroupement autour de pôles plus éloignés entraîne des coûts induits considérables, notamment en matière de transports sanitaires. Pour certains patients, notamment en oncologie, cela signifie plusieurs allers-retours hebdomadaires de centaines de kilomètres, ce qui est épuisant, même avec un système de mutualisation des trajets qui reste difficilement applicable en zone rurale. Il me semble donc urgent de mener une réflexion stratégique globale, conciliant sécurité des soins, qualité de l’offre et équilibre territorial.

Monsieur Pardoux, bien que vos travaux soient précieux, avez-vous une vision concrète de leur appropriation par les établissements ? Les chefs de service peinent à concilier fonctions de soin et responsabilités managériales. Vos recommandations sont-elles suffisamment intégrées ? Pourquoi ne pas capitaliser davantage sur des expériences fructueuses pour les généraliser ?

Madame Daudé, j’aimerais également évoquer l’intelligence artificielle, opportunité majeure que nous devons encadrer. Je regrette que la télémédecine, qui pourrait être un atout considérable pour les hôpitaux de proximité et les zones rurales, soit aujourd’hui sous-exploitée. À l’heure actuelle, 70 % des téléconsultations sont réalisées par des patients urbains, souvent sous forme d’échanges téléphoniques alors qu’elles devraient se dérouler dans une cabine équipée d’outils connectés, avec un professionnel de santé présent pour garantir un diagnostic fiable. Nous sommes préoccupés par les effets de ce système peu régulé sur les dépenses de la sécurité sociale. Nous disposons pourtant de 20 000 officines qui pourraient être mobilisées, à condition de définir un modèle économique pertinent et de mener des actions de sensibilisation.

Enfin, l’accès aux spécialistes reste très difficile en zone rurale. Certains patients parcourent plusieurs centaines de kilomètres par semaine pour de simples suivis, alors que des solutions existent, à l’image de la télé-expertise dermatologique. Ce modèle, peu coûteux, limite les déplacements des patients et pourrait être déployé à l’échelle nationale.

M. Stéphane Pardoux. La question de l'application de nos préconisations est pour nous centrale. L’autonomie de gestion dont disposent les établissements de santé induit cependant une grande hétérogénéité dans la mise en œuvre des recommandations. Un suivi plus étroit est donc désormais mis en place en lien avec les ARS et les directions hospitalières pour évaluer la mise en œuvre des préconisations. S’agissant des hôpitaux de proximité, des résultats concrets ont été observés, notamment dans la structuration des consultations avancées et le renforcement des liens avec la médecine de ville. Toutefois, les efforts pour développer les plateaux d’imagerie de proximité n’ont pas porté les fruits escomptés à ce jour.

Chaque établissement reste libre de ses choix, dans le cadre des orientations régionales et nationales. L’agence cherche à exercer une forme de pression positive lorsque les recommandations lui semblent pertinentes, tout en respectant cette autonomie. Ce sont généralement les établissements qui rencontrent les plus grandes difficultés dans la mise en œuvre des réformes qui bénéficient le plus de l’accompagnement proposé, l’intervention de l’agence prenant alors tout son sens.

Mme Marie Daudé. Vous avez parfaitement mis en lumière les tensions constantes entre les objectifs de qualité et de sécurité des soins, qui appellent à regrouper certaines activités, et les conséquences que cela entraîne en matière d’éloignement géographique et de coûts croissants du transport sanitaire. Cette contradiction est bien identifiée et le chantier des transports partagés, notamment en zone rurale, fait l’objet d’une attention particulière en raison de son poids dans les comptes de la sécurité sociale.

Vous avez également raison de souligner la nécessité de mieux organiser les soins au sein des établissements. C’est un levier essentiel pour surmonter les contradictions auxquelles nous faisons face.

Concernant la téléconsultation, votre analyse rejoint notre constat selon lequel de nombreuses potentialités restent inexploitées. Certaines expérimentations, telles que celles menées dans le cadre de l’article 51 de la LFSS pour 2018 montrent comment la télésanté peut compenser le manque de spécialistes en redonnant un rôle central à l’infirmière.

L’enjeu est désormais d’identifier les expérimentations pertinentes, de les évaluer puis de les généraliser, tout en posant un cadre. Nous avons déjà commencé à encadrer les dérives, notamment en cessant de rembourser les prescriptions issues de simples téléconsultations téléphoniques. Si nous souhaitons que la télésanté prenne toute sa place, elle doit être rigoureusement structurée.

Mme Anchya Bamana (RN). Le territoire de Mayotte cumule de nombreuses difficultés, parmi lesquelles la désertification médicale aiguë, des dégâts majeurs après le cyclone Chido et des particularités structurelles marquées. Mayotte est le seul territoire dont l’hôpital fonctionne sous dotation globale, sans recours à la T2A, et accueille une population nombreuse, souvent en situation irrégulière, sans bénéficier de l’aide médicale d’État. Cela complique lourdement le développement d’une médecine de ville déjà quasi inexistante, avec à peine 35 médecins libéraux pour plus de 350 000 habitants.

La diversification de l’offre de soins est absente. Le centre hospitalier est l’unique structure avec un centre de dialyse. Paradoxalement, alors que le reste du territoire français ferme des maternités, Mayotte abrite la première maternité d’Europe. Pourtant, faute de sages-femmes, deux sites ont récemment fermé au nord et au sud de l’île.

L’attractivité du territoire pour les professionnels de santé constitue un enjeu crucial. La télémédecine, qui apparaît comme une solution prometteuse face à ce désert médical, demeure peu développée. À long terme, la formation locale est indispensable pour pérenniser une offre de soins.

Dans le cadre du projet de loi de programmation pour Mayotte, la santé devra être centrale. Je transmettrai l’avis budgétaire que j’ai rédigé à ce sujet dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2025. Les élus mahorais rencontrent demain le ministre Valls, et la question de la santé figurera au cœur de nos échanges.

Je souhaite connaître votre vision globale sur la situation de Mayotte.

Mme Marie Daudé. Plusieurs mesures concrètes sont engagées pour répondre à la situation critique de Mayotte. Le plan d’attractivité pour les professionnels de santé, en cours d’élaboration et dont la formation constitue un axe central, devrait rapidement porter ses fruits.

Les pouvoirs publics sont pleinement mobilisés dans le cadre du plan Mayotte, en activant des leviers à la fois pour l’hôpital et la médecine de ville. La question de l’implication du secteur privé dans le système de soins local fait également l’objet d’une réflexion. L’ensemble des efforts vise à renforcer l’attractivité et la présence durable des professionnels de santé sur le territoire.

M. Stéphane Pardoux. Nous intervenons régulièrement dans les territoires d’outre-mer et avons déjà mené plusieurs opérations à Mayotte. Nous avons notamment analysé le fonctionnement du bloc opératoire pour l’optimiser et avons également piloté une mission confiée pour optimiser l’organisation des urgences du centre hospitalier.

Dans les mois à venir, nous serons mobilisés sur le chantier de reconstruction de l’hôpital pour accompagner le projet, garantir un bon dimensionnement et une conduite efficace de l’opération.

Comme partout en France, nous intervenons donc à Mayotte à la demande des établissements de santé ou de l’ARS.

M. le président Jean-François Rousset. Quelle est la procédure à suivre pour solliciter l’expertise de l’ANAP sur un territoire ?

M. Stéphane Pardoux. Les donneurs d’ordre de l’ANAP sont les pouvoirs publics, parfois sur sollicitation de parlementaires, qui jugent de la pertinence des missions. Bien que nous ne soyons pas une agence de grande taille, nous intervenons dans de nombreux territoires.

Mme Stéphanie Rist (EPR). Nous recevons de nombreuses alertes au sujet des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue). Madame Daudé, quels éléments pouvez-vous partager sur ce sujet ?

Mme Marie Daudé. Sur ce sujet, deux éléments sont à souligner. Les épreuves de vérification des compétences (EVC) de 2024 ont eu lieu et les résultats ont été déceptifs pour certains candidats présents depuis longtemps en France. Beaucoup ont jugé trop sévères les notes éliminatoires fixées par le jury. Bien que nous échangions directement avec eux, il s'agit d'un concours dont le jury est souverain. Toutes listes confondues, nous avons eu environ 3 800 lauréats pour 4 000 postes ouverts. Bien que ce chiffre se situe légèrement en dessous de nos attentes, il représente tout de même plus de 1 000 lauréats supplémentaires par rapport à l’année dernière.

En 2025, nous allons simplifier réglementairement le système en différenciant les voies d’accès selon que les candidats sont déjà sur le territoire ou non. Nous organiserons un concours interne simplifié, avec une seule épreuve de connaissances au lieu de deux, et un concours externe. Pour 2026, une réforme législative sera nécessaire, car le concours est imposé par la loi actuelle.

Quant aux personnes qui ont échoué à l’EVC malgré une longue présence en France, ou qui n’ont pas souhaité s’y présenter, nous devrons leur proposer une solution à travers les nouveaux dispositifs.

M. le président Jean-François Rousset. Faire référence à un concours alors que nous manquons de médecins et que ces personnes travaillent dans les services depuis longtemps me semble en décalage avec les besoins du terrain.

 

 

 

 


–  1  –

3.   Audition, ouverte à la presse, de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), de M. Jean-François Fruttero, président de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (MSA) et de Mme Magali Rascle, directrice déléguée aux politiques sociales de la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (CCMSA)

M. le président Jean-François Roussel. Nous recevons les responsables de la Caisse nationale d’assurance maladie et de la Mutualité sociale agricole (MSA).

La Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) est la tête de réseau opérationnelle du régime d’assurance maladie obligatoire en France. Son rôle consiste à impulser la stratégie au niveau national, puis à coordonner et appuyer les organismes locaux qui composent son réseau.

La Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) régit l’organisation des différentes caisses de la Mutualité sociale agricole. Sous la tutelle des ministères chargés de l’agriculture, des affaires sociales et du budget elle gère la protection sociale du monde agricole par le biais des différentes MSA dont elle assure la gestion au niveau national.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Thomas Fatôme, M. Jean-François Fruttero, Mme Magali Rascle et M. Emmanuel Frère-Lecoutre prêtent successivement serment.)

M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Je vous remercie de me donner l’occasion d’apporter des éléments sur les difficultés d’accès aux soins dont la résolution est une des missions prioritaires de l’assurance maladie. Dans la convention d’objectifs et de gestion pour la période 2023-2027, que l’assurance maladie a signée avec l’État, l’accès aux soins est un des six axes prioritaires des programmes d’action de la Cnam et de son réseau départemental, qui couvre tout le territoire. Ce réseau est un partenaire des professionnels de santé et de toutes les parties prenantes de l’accès aux soins sur le terrain.

Le sujet est vaste. Il faut commencer par pointer les difficultés liées à l’évolution de la densité des professionnels de santé, notamment celle des médecins généralistes libéraux qui a fortement diminué ces quinze dernières années, créant des tensions importantes dans l’ensemble du pays avec, cependant, des disparités territoriales. S’agissant des médecins spécialistes, la situation varie selon la spécialité : elle est très tendue en ce qui concerne la dermatologie, la gynécologie, l’ophtalmologie mais moins compliquée pour des spécialités techniques comme la chirurgie, l’anesthésie ou la cardiologie.

En revanche, certaines professions paramédicales connaissent une démographie dynamique. Il y a un peu plus de dix ans, on dénombrait ainsi 70 000 infirmiers libéraux contre 100 000 aujourd’hui ; 52 000 masseurs-kinésithérapeutes contre 80 000 ; 3 200 sages-femmes contre 8 000. Si, en matière d’accès aux soins, la situation est objectivement tendue dans nombre de territoires, elle est aussi très différente selon les spécialités et les professions médicales. La médecine générale est la profession de santé la moins mal répartie sur le territoire.

Premier élément de l’action de l’assurance maladie, l’accès à des bases de données. Pour faire un bon diagnostic, il faut disposer de données. Nous avons donc pris l’engagement – et nous le tenons – d’enrichir nos données et de les mettre à la disposition du plus grand nombre d’acteurs possible pour comprendre où s’installent les professionnels selon leur activité ou la situation des différents territoires. Sur le site data.ameli.fr, deux outils de data visualisation – data pathologies et data professionnels de santé libéraux – permettent de connaître, par exemple, le nombre de diabétiques présents dans la Manche ou de professionnels de santé installés en Seine-Saint-Denis. Cette série de données à l’échelle nationale, régionale et départementale est une source d’information majeure.

Par ailleurs, au niveau des territoires, nous offrons l’accès à une base de données qui fournit aux acteurs locaux et aux professionnels de santé des informations de nature départementale et infradépartementale afin d’aider les professionnels de santé à s’installer et de comprendre les dynamiques territoriales.

Deuxième élément de notre action, la régulation démographique. Dans le cadre des négociations conventionnelles que l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam), dont je suis également le directeur, mène avec les professionnels de santé depuis plusieurs années, nous avons traité le sujet de l’installation et de la répartition des professionnels sur le territoire. Les masseurs-kinésithérapeutes, les sages-femmes, les infirmiers et, depuis le 1er janvier 2025, les dentistes libéraux ou exerçant dans des centres de santé dentaire, sont soumis à un système de régulation démographique. Celui-ci marche sur deux jambes : d’importantes aides à l’installation sont allouées aux professionnels dans les territoires sous-dotés ; une autorisation de s’installer doit être délivrée dans les territoires qui connaissent une forte densité, selon le principe du « un pour un » – un infirmier ne peut s’installer que pour remplacer le départ d’un infirmier.

Par ailleurs, au mois de juin 2024, nous avons signé avec cinq des six syndicats de médecins libéraux une convention affichant des ambitions importantes en matière d’accès aux soins. Depuis plusieurs années, le nombre de médecins traitants et de médecins généralistes diminue. Certes, deux fois plus de médecins généralistes qu’il y a dix ans s’installent. Néanmoins, cela n’a pas d’effet positif dans la mesure où les départs à la retraite sont encore trop nombreux. Les médecins généralistes libéraux reçoivent un million de patients par jour. La convention apporte donc une réponse forte pour améliorer l’attractivité : elle prévoit des revalorisations importantes pour donner envie aux jeunes médecins de s’installer en qualité de médecins généralistes traitants, à ceux qui sont en activité de continuer à travailler, et aux médecins séniors de poursuivre leur activité – 13 000 médecins libéraux sont en cumul emploi-retraite, l’âge de cessation d’activité ne cessant d’être repoussé.

Le premier enjeu pour améliorer l’accès aux soins est de donner envie aux médecins d’exercer la fonction de médecin traitant en offrant des conditions favorables à cet exercice. C’est la raison pour laquelle nous misons sur le déploiement des assistants médicaux, dispositif lancé en 2019. Plus de 8 000 assistants médicaux travaillent aujourd’hui auprès de médecins libéraux, notamment de médecins généralistes. Selon une étude publiée au mois de décembre 2024, le bilan de ce dispositif est positif. La patientèle des médecins traitants qui sont accompagnés d’un assistant médical a ainsi progressé de 15 %, 10 points de plus que ceux qui n’en avaient pas. La file active, c’est-à-dire le nombre de patients qui sont vus au moins une fois par an par un médecin, augmente de 5 % alors qu’elle diminue légèrement s’agissant des médecins sans assistant médical. Ce dispositif est une des réponses qui fonctionne très bien, mais qui doit se déployer encore plus largement.

En contrepartie des revalorisations prévues dans la convention que nous avons signée avec les médecins, nous avons défini avec eux dix engagements collectifs chiffrés en matière d’accès aux soins. Il s’agit notamment de diminuer la part de patients en affection de longue durée (ALD) sans médecin traitant, de faire progresser la file active, d’accroître le nombre d’assistants médicaux, de raccourcir le délai d’accès aux spécialistes, d’augmenter le nombre de médecins affiliés à l’Optam (option de pratique tarifaire maîtrisée). L’Observatoire de l’accès aux soins, créé au mois de décembre 2024, suivra la réalisation de ces objectifs chiffrés, année après année d’ici à 2027. À partir du mois d’avril, dans la même logique de transparence, ces données seront accessibles à toutes les parties prenantes sur un nouveau site de data visualisation afin de vérifier si les objectifs sont atteints au niveau national, régional et départemental et, donc, si la dynamique est bonne.

Dans le cadre de cette convention médicale, nous avons également refondu en profondeur le dispositif d’aide à l’installation qui était trop complexe, trop diffus et mal connu des professionnels de santé, au regard du montant de l’aide allouée, qui peut s’élever jusqu’à 50 000 euros. Grâce à cette réforme, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2026, l’aide sera intégrée au forfait médecin traitant dont le montant augmentera de 10 %. Désormais versée automatiquement, celle-ci sera pérenne et non pas uniquement versée lors de l’installation du médecin. Elle profitera aussi à tous ceux qui exerceront dans des zones sous-denses.

Troisième élément, l’évolution et le transfert de compétences. L’assurance maladie, en lien avec le ministère de la santé et de l’accès aux soins, s’est mobilisée en la matière afin de libérer du temps médical et d’élargir le champ d’intervention de différentes professions de santé. Ainsi, les pharmaciens et les infirmiers peuvent vacciner, les pharmaciens peuvent réaliser des tests rapides et délivrer des antibiotiques. Par ailleurs, les infirmiers verront leurs compétences élargies, notamment grâce à la création des IPA (infirmiers en pratique avancée) ; nous soutiendrons ces évolutions dans le cadre des futures négociations conventionnelles avec la profession.

Enfin, nous avons élaboré une feuille de route sur l’accès aux soins qui définit plusieurs priorités : l’augmentation du nombre de maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et de CPTS (communauté professionnelle territoriale de santé), l’ installation d’équipes de soins spécialisés et la diminution de la part de patients en ALD sans médecin traitant. Sur les 2 700 MSP existantes, 2 300 ont signé un accord conventionnel intreprofessionnel avec l’assurance maladie ; plus de 10 % des médecins et plus de 10 000 infirmiers exercent en MSP ; les médecins traitants de plus de 10 millions de patients exercent en MSP. Nous continuons à soutenir cette forte dynamique dans le cadre de la négociation avec les syndicats, relative à l’amélioration du soutien aux MSP.

Le maillage territorial des CPTS est un point d’appui pour les professionnels pour lutter contre l’isolement, et constitue une interface entre l’Ehpad, l’hôpital, l’ARS (agence régionale de santé), l’assurance maladie et la MSA. Nous soutenons ces communautés professionnelles qui rendent un service dans les territoires tout en restant à la main des professionnels.

Autre élément de la convention, les équipes de soins spécialisés. Des cardiologues ou des dermatologues, par exemple, peuvent s’organiser entre eux et proposer au médecin traitant des consultations de télémédecine, de téléexpertise dans un délai court – système de fast track. Nous pérenniserons ces organisations qui existent dans certains territoires dans le cadre de la convention médicale, laquelle prévoira une aide à la création et à la constitution de ces équipes.

Le dernier point de la feuille de route porte sur le plan d’action massif visant à réduire le nombre de personnes en ALD sans médecin traitant que nous avons lancé avec les CPTS. Au début de l’année 2023, 5,6 % des personnes en ALD n’avaient pas de médecin traitant. Grâce à la forte mobilisation des médecins,  à la fin de l’année 2024, ce taux était inférieur à 4 %, soit une baisse de 25 % alors qu’il avait augmenté de 1 point par an au cours des cinq dernières années. C’est un marqueur important de l’amélioration de l’accès aux soins, et de la mobilisation conjointe des médecins et de l’assurance maladie : nous allons voir les médecins retraités pour anticiper leur départ, nous allons voir les jeunes médecins pour leur demander d’accueillir dans leur patientèle des personnes en ALD sans médecin traitant ; nous allons voir les CPTS pour qu’elles identifient ceux qui sont volontaires pour prendre davantage de patients en ALD. Ce système fonctionne.

J’imagine qu’il sera question dans la discussion de la diminution des tâches administratives, du numérique en santé, de la place de la téléconsultation dans  la lutte contre les déserts médicaux. Je me tiens à votre disposition.

M. Jean-François Fruttero, président de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA). Au nom de la MSA, je vous remercie de nous donner l’occasion de nous exprimer sur un sujet aussi crucial que celui de l’accès aux soins dans les territoires ruraux.

La Mutualité sociale agricole, modèle singulier, est le second régime de protection sociale en France. Il regroupe un peu plus de 5,5 millions de ressortissants – salariés, non-salariés, familles des adhérents – et verse un montant annuel de prestations de près de 28 milliards d’euros. La MSA est un modèle unique dans le champ de la protection sociale car il comporte plusieurs caractéristiques fondamentales. D’abord, c’est un guichet unique pour l’ensemble des prestations de la sécurité sociale, ce qui donne une vision à 360 degrés de la situation de ses ressortissants. Par ailleurs, sa gouvernance est démocratique : plus de 13 000 délégués sont élus dans leur territoire et leur canton – au mois de mai se tiendront les élections qui renouvelleront la gouvernance. Enfin, la MSA se caractérise par une solidarité professionnelle où sont regroupés les salariés et les non-salariés du monde agricole. Ces spécificités font de la MSA un acteur particulièrement légitime pour intervenir sur les sujets en matière d’organisation des soins et d’accès aux soins dans les territoires ruraux.

C’est un défi majeur de santé publique, tant les difficultés en la matière sont une préoccupation prioritaire pour nos concitoyens, particulièrement dans les zones rurales. À cet égard, notre diagnostic est sans appel : 30 % des communes rurales sont classées en désert médical ; l’accès aux soins spécialisés est particulièrement limité et fragilisé ; les temps de trajet pour se rendre chez un professionnel de santé, qui sont un frein, s’allongent dangereusement ; la population médicale vieillit sans que son remplacement ne soit souvent assuré.

Ces difficultés touchent particulièrement la population agricole, qui se caractérise par un vieillissement accéléré. Près de 61 % des non-salariés agricoles ont plus de 60 ans et connaissent une forte prévalence de maladies chroniques qui nécessitent un suivi régulier. Ils souffrent également de troubles musculosquelettiques liés à l’activité. Par ailleurs, depuis le début des années 2010, la MSA prend en charge le mal-être agricole, sujet qui a pris une nouvelle dimension avec l’apparition des questions relatives à la santé mentale.

Face à ces constats, la MSA a proposé une réponse structurée, en mobilisant son expertise en ingénierie territoriale et son innovation au service de l’accès aux soins. Le plan stratégique MSA 2030 vise à permettre à la population agricole de vivre plus longtemps en bonne santé, en faisant des territoires ruraux des environnements favorables à la santé.

Pour y parvenir, nous avons mené plusieurs actions concrètes. L’ingénierie territoriale permettra d’implanter 311 projets de santé – 199 CPTS, 90 MSP, 22 autres structures de soins – coordonnés dans les zones rurales sous-denses. L’outil GéoMSA regroupe plus de 600 indicateurs mis à disposition des acteurs territoriaux en open data, permettant d’établir des diagnostics territoriaux d’une grande précision.

Face au défi de la démographie médicale, nous avons lancé des initiatives innovantes. Le programme Éduc’Tour est une mesure phare qui vise à sensibiliser les étudiants en santé à l’exercice coordonné en milieu rural et à les informer sur ce dispositif. Ce programme innovant, qui dure deux jours, suivi d’une journée d’immersion dans des pôles de santé ruraux, doit permettre aux futurs professionnels de santé de connaître les spécificités et les avantages de l’exercice en milieu rural, de connaître une expérience sur le terrain et de rencontrer les acteurs locaux. C’est une réponse adaptée à la particularité des territoires ruraux.

Le mal-être agricole est un enjeu majeur de santé publique. En 2024, le programme de prévention du mal-être agricole de la MSA a pris en charge près de 6 000 cas. En progression régulière, ceux-ci sont le reflet de la situation économique du monde agricole. Il est doté de plusieurs outils, parmi lesquels l’aide au répit administratif, qui sont des solutions adaptées aux particularités des territoires.

Le plan national d’accès aux soins pour la période 2026-2030 affiche une ambition renforcée qui s’articule autour de trois axes stratégiques : l’amélioration de l’accès aux soins de proximité dans les territoires ruraux, grâce à la mobilisation de l’ingénierie territoriale et à l’ancrage territorial des élus de la MSA, en lien avec l’ensemble des élus locaux ; le développement de l’exercice coordonné en milieu rural pour renforcer son attractivité auprès des professionnels de santé ; l’organisation des parcours de soins sans rupture pour les habitants des territoires ruraux. Ces dispositifs innovants s’inscrivent dans la démarche d’aller vers, pour accompagner les populations fragilisées.

Nous sommes un régime de protection sociale doté d’une certaine agilité, incarnés par des élus de proximité qui sont capables de sentir ce qui se passe sur les territoires et de jouer le rôle de vigie. Cela passe par le soutien et la création de centres de santé et l’expérimentation de solutions de télémédecine. Dans la perspective de la négociation de la convention d’objectifs et de gestion pour la période 2026-2030 que nous signerons avec les ministères de tutelle, nous affirmerons notre rôle d’acteur majeur de la santé publique. Il s’agira d’optimiser les dispositifs existants en apportant notre savoir-faire en matière de politique de santé et d’accès aux soins dans les territoires ruraux. Soyez assurés de l’engagement de la MSA à vos côtés pour améliorer la situation.

Mme Magali Rascle, directrice déléguée aux politiques sociales de la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole.  Tout ce qui nous rassemble vient d’être exposé. Grâce aux outils de data que nous conjuguons avec ceux de la Cnam, et dans le cadre de la négociation conventionnelle menée par le directeur général de la Cnam, au titre de l’Uncam, il s’agit de parvenir à la connaissance la plus fine possible de la situation.

La MSA est un régime spécifique, reposant sur les assurés sociaux qui élisent leurs représentants et dont le président incarne une gouvernance mutualiste. Nous devons, à la fois, permettre l’accès à des données et mettre en œuvre des conventions, des dispositifs pour apporter une réponse aux besoins criants qui émanent du terrain, notamment ceux des ressortissants de la MSA dont les deux tiers vivent dans des territoires ruraux et cumulent des difficultés en matière d’accès aux soins. La spécificité de la MSA tient également à ses ressortissants qui ne sont pas confrontés aux mêmes pathologies ni n’appartiennent au même groupe sociologique que le reste de la population. À cet égard, il est nécessaire de mener des actions d’aller vers et de ramener vers le système de santé. Enfin, sa spécificité tient aux sujets de santé mentale, très présents au sein du monde agricole, qui sont particulièrement mis en lumière en cette année où la santé mentale est la grande cause nationale.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ma première question porte sur la revalorisation de la rémunération des infirmiers en pratique avancée (IPA). La semaine dernière, lors de ma participation au conseil de surveillance d’un hôpital, le personnel m’a fait remarquer que la demande de formation pour acquérir ce statut avait grandement diminué, notamment parce que les deux années d’études supplémentaires ne se traduisent pas par l’augmentation de revenus qu’ils attendent légitimement. Je souhaiterais donc vous entendre à ce sujet.

Ne trouvez-vous pas injuste que le patient qui n’a pas désigné de médecin traitant doive s’acquitter d’un ticket modérateur dès lors que, dans les déserts médicaux, il est impossible d’avoir accès à un médecin traitant ? De même, ne devrait-on pas revenir sur l’obligation – sous peine, là encore, de s’acquitter d’un ticket modérateur – de passer par un médecin généraliste avant de prendre rendez-vous avec un spécialiste ? Du reste, connaît-on la somme des tickets modérateurs payés par les assurés sociaux en 2024 ?

Enfin, de nombreuses propositions de loi ont été déposées pour remédier aux déserts médicaux, dont certaines avaient pour objet de revenir sur la liberté d’installation. Ne faudrait-il pas augmenter fortement le nombre des médecins, donc l’offre de soins, afin d’inverser le rapport de force dans vos discussions avec les professions médicales et, au bout du compte, de diminuer les dépenses de santé ?

M. Thomas Fatôme. Nous sommes convaincus de l’intérêt que présentent les IPA, à l’hôpital comme en ville. La profession est encore jeune et doit être soutenue ; telle est la logique dans laquelle nous nous inscrivons. Néanmoins, il est vrai que le nombre de ces professionnels reste faible. Depuis 2019, un peu plus de 3 000 IPA ont été formés, dont l’hôpital a capté l’essentiel – ce qui n’est ni anormal, ni étonnant. On compte ainsi, dans le secteur libéral, un peu plus de 300 IPA pour 100 000 infirmiers en exercice. Nous souhaitons donc qu’un plus grand nombre d’infirmiers puissent se former pour devenir IPA, ce qui suppose que les universités ouvrent davantage de places. Depuis un an, l’assurance maladie verse une aide à la formation de 15 000 euros, qui s’ajoute à celle offerte par les agences régionales de santé (ARS).

Nous avons négocié avec les syndicats d’infirmiers libéraux les paramètres économiques de l’intervention des IPA libéraux. Ainsi, le niveau de rémunération du praticien dont le flux de patients envoyés par le ou les médecins avec lesquels il travaille est suffisamment important se situe grosso modo entre celui de l’infirmier et celui du médecin généraliste, ce qui correspond globalement à la cible visée. Il reste que le nombre des IPA libéraux est trop faible pour que nous ayons suffisamment de recul et que la relation avec les médecins manque de fluidité, de sorte que ces derniers sont trop peu nombreux à adresser assez de patients aux IPA pour que le modèle économique fonctionne.

J’appelle votre attention sur le fait que les montants unitaires ne sont pas négligeables : 60 euros pour le forfait d’initiation durant le premier trimestre, 50 euros pour le forfait de suivi au cours des trimestres suivants, 30 euros pour un bilan ponctuel et 16 euros pour la séance de soins ponctuels. Si, faute d’un flux de patients suffisant, nous devions augmenter ces rémunérations unitaires, nous serions logiquement confrontés à d’autres professions de santé – au hasard, les médecins – qui nous reprocheraient d’établir des tarifs très élevés au regard de celui de la consultation médicale, qui est de 30 euros.

Nous sommes en relation constante avec l’Union nationale des infirmiers en pratique avancée (Unipa). Dès lors que l’accès direct aux IPA se déploie – nous attendons la publication de l’arrêté qui définit les prescriptions qu’ils peuvent effectuer dans ce cadre – et que se poursuit la navette de la proposition de loi sur la profession d’infirmier, nous entamerons une nouvelle négociation avec les syndicats. Encore une fois, nous soutenons cette profession, qui est encore, hélas ! trop minoritaire.

Le ticket modérateur a été instauré en 2004 pour inciter les assurés à choisir un médecin traitant et à s’inscrire dans un parcours de soins coordonnés. Dès lors que le système s’est inversé, je comprends que la question de son maintien se pose. Cependant, il est appliqué dans un certain délai, de manière à ne pas sanctionner immédiatement le patient qui cherche un médecin traitant. Du reste, sauf erreur de ma part, cette question devrait faire l’objet de propositions de loi à venir. Toutefois, la moitié des 6 millions de personnes qui n’ont pas de médecin traitant n’en ont jamais eu ; ceux-là, en fait, n’en cherchent pas, ce qui n’est pas absolument critiquable. Je ne devrais peut-être pas le dire en tant que directeur de l’assurance maladie, mais si vous avez 30 ans et que vous êtes en bonne santé, votre principale préoccupation n’est pas d’avoir un médecin traitant. La priorité, pour nous, est que les patients souffrant d’une affection chronique en aient un ; nous avons pris un engagement sur ce point.

Faut-il faire évoluer le dispositif ? Je comprendrais que l’on se pose la question. Je comprendrais moins que l’on autorise la prise de rendez-vous directs avec les spécialistes. Je suis peut-être de la vieille école, mais j’estime que le parcours de soins a une consistance et que si nous le déconstruisions en systématisant l’accès direct à différents corps de métier, notamment aux spécialistes, nous ne ferions pas œuvre utile pour la prise en charge des patients. Au demeurant, des soupapes ont été aménagées pour un certain nombre de spécialités. Je suis donc très réservé quant à une éventuelle déconstruction de ce système.

Par ailleurs, nous devons adresser aux médecins traitants des signaux indiquant que nous avons besoin d’eux. Si nous autorisons les patients à accéder directement aux kinés, aux IPA, aux infirmiers et aux spécialistes, il sera difficile de les convaincre qu’ils sont les chefs d’orchestre.

Enfin, serais-je en meilleure position pour négocier si l’offre de soins était beaucoup plus importante ? En tout cas, ce n’est pas ce que je recherche. Il y a vingt ou trente ans, nous avons fait collectivement – la puissance publique, les médecins, l’assurance maladie mais aussi l’ensemble des experts – des choix malthusiens. Ce fut pourtant certainement une erreur ; nous le constatons. Mais il est extraordinairement difficile de prévoir quels seront les besoins en matière de santé dans dix ou quinze ans. On les a manifestement sous-estimés à l’époque, comme on a sous-estimé le changement de l’organisation des professionnels de santé et l’augmentation de la demande de soins. Qu’en sera-t-il, dans quinze ans, des compétences des professionnels, de l’innovation technologique, des besoins de santé ? Il est extraordinairement difficile de le prévoir. Du reste, même si nous travaillons très bien avec le ministère de la santé et l’observatoire de la démographie, nous sommes sous-armés – je vous le dis comme je le pense – pour mener des travaux dans ce domaine.

En tout état de cause, je ne cherche pas à faire en sorte que la démographie médicale soit à ce point favorable qu’elle me placerait en meilleure position face aux professionnels de santé. Ce n’est pas ainsi que je réfléchis à cette question.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Connaissez-vous le montant total des tickets modérateurs acquittés par les patients ?

M. Thomas Fatôme. Je n’ai pas le chiffre sous la main, mais nous vous le communiquerons.

M. le président Jean-François Rousset. L’incitation à désigner un médecin traitant remonte à 2004. Or, à l’heure actuelle, on attend des gens qu’ils soient mobiles dans leur vie professionnelle. Il est donc vraisemblable que certains d’entre eux doivent changer de médecin traitant mais n’en trouvent pas dans le territoire où ils emménagent. Le système ne devrait-il pas s’adapter à cette nouvelle situation ? On peut s’interroger.

Mme Magali Rascle. S’agissant des IPA, je n’ai rien à ajouter aux propos du directeur général de la CNAMTS. Quant au montant total des tickets modérateurs, nous vérifierons ce qu’il en est de notre côté.

Vous évoquez un sujet sensible, en particulier pour les ressortissants de la MSA, à savoir les difficultés d’accès au médecin traitant dans les territoires où se trouvent très peu de médecins, donc le paiement du ticket modérateur. Cependant, des mesures d’assouplissement ont été prises afin de faciliter l’accès direct à certains praticiens. Devraient-elles être étendues ? Je l’ignore, mais on peut penser que le dispositif actuel est susceptible d’évoluer.

Mais il importe d’amener les personnes qui sont le plus éloignées des soins à les solliciter. À cet égard, l’objectif de permettre à chaque patient souffrant d’une ALD d’avoir un médecin traitant est sans doute la mesure qui permet d’assurer le suivi le plus fin de ces personnes. Encore faut-il les identifier, donc les ramener vers le système de soins. Vous voyez où je veux en venir : les personnes éloignées des soins doivent y avoir accès, mais sans oublier le volet préventif. C’est un élément complémentaire des dispositifs évoqués par Thomas Fatôme. Il a son importance car les données concernant notre population montrent que des freins de nature sociologique peuvent empêcher certaines personnes de solliciter des actes de prévention qui auraient permis d’éviter, ultérieurement, certaines problématiques, notamment de santé mentale.

Sur le numerus clausus, je ne donnerai pas mon avis personnel. Est-on certain que si les médecins étaient plus nombreux, ils s’installeraient davantage dans les territoires où ils manquent actuellement – il n’y a là aucune provocation de ma part ? À cet égard, notre rôle est également d’accompagner l’évolution des modes d’exercice, en permettant aux professionnels de santé, singulièrement les médecins généralistes, d’opter pour celui qui leur convient dans les zones où l’on a besoin de médecins traitants.

Enfin, je veux saluer, car elle répond à un véritable besoin de notre population, l’évolution qui permet aux patients de solliciter les pharmaciens ou les sages-femmes pour certains actes. Ce n’est pas la solution à tous les problèmes, mais cela y participe.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Actuellement, une régulation serait inutile dès lors que la majorité du territoire français est un désert médical. En revanche, il serait plus facile de l’imposer si, demain, les médecins étaient beaucoup plus nombreux.

Par ailleurs, vous avez essentiellement évoqué la rémunération des IPA libéraux alors que je pensais également à celle des IPA hospitaliers.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Un sondage OpinionWay de 2019 révélait que 59 % des personnes interrogées avaient renoncé à des soins médicaux au cours des douze derniers mois, en particulier aux soins dentaires, au changement de monture de lunettes, aux bilans de santé complets et aux consultations de cardiologie. Avez-vous pu chiffrer le surcoût lié à l’aggravation de pathologies due au renoncement aux soins ? Disposez-vous de données relatives à ce phénomène concernant les ressortissants de la MSA ?

M. Thierry Frappé (RN). Alors que le nombre des praticiens inscrits à l’Ordre augmente, celui des médecins qui exercent réellement a baissé. Cette situation suscite des interrogations quant aux motivations profondes des médecins qui renoncent à s’installer. Dans un contexte de baisse d’attractivité du métier, les exigences administratives ont un poids certain dans l’accroissement de la charge de travail des professionnels de santé. Comment analysez-vous cette charge administrative ? Avez-vous des pistes de réforme concrète ou envisagez-vous de recourir à des dispositifs supplémentaires – de nature organisationnelle, financière ou structurelle – pour redonner du dynamisme à l’installation des médecins et garantir un accès de qualité aux soins ?

Par ailleurs, la mise à jour du zonage médical, qui est un outil très important pour l’installation des médecins, n’est-elle pas trop lente ?

M. Julien Limongi (RN). Monsieur Fruttero, la complexité administrative à laquelle les agriculteurs font face les oblige souvent à recourir à des centres de gestion coûteux, qui ne leur permettent pas toujours, du reste, d’éviter les erreurs et les régularisations tardives. Cette surcharge de travail, qui pèse sur une population déjà en grande détresse, a un impact sur le temps dont ils disposent, leur santé mentale et leur accès aux soins.

Face à ces difficultés, les agriculteurs de ma circonscription de Seine-et-Marne me disent qu’ils manquent d’interlocuteurs joignables à la MSA. Je souhaiterais donc savoir ce que vous faites concrètement pour garantir un accompagnement plus accessible des agriculteurs et préserver leur santé et leur bien-être ?

M. Théo Bernhardt (RN). Monsieur Fatôme, la Cnam envisage de baisser la tarification des transports sanitaires par taxi. Cette évolution inquiète fortement la profession de chauffeur de taxi, notamment en milieu rural, où ils sont souvent les seuls à assurer l’accès des patients aux structures de soins. Une baisse de l’indemnisation pourrait provoquer la disparition de nombreux professionnels et réduire ainsi considérablement l’offre de transport sanitaire dans les territoires ruraux. Comment la Cnam entend-elle garantir concrètement la pérennité économique de ces taxis afin de préserver cette offre de transport médical ?

La Cnam incite de plus en plus les patients à recourir au transport partagé, sauf pour les bénéficiaires de la protection universelle maladie (Puma) ou de l’aide médicale de l’État (AME). Or il semble particulièrement injuste que des personnes en situation irrégulière puissent bénéficier de droits supérieurs à ceux accordés aux citoyens français en matière d’accès aux soins et au transport médical. Comment justifiez-vous cette inégalité dans l’accès aux soins ? La Cnam envisage-t-elle de revenir sur cette mesure discriminante ?

Mme Christine Loir (RN). Monsieur Fatôme, mon territoire compte plusieurs maisons de santé, dont certaines ne disposent pas de médecin traitant. La maison de santé est-elle si favorable à l’accueil des médecins ?

Mme Anchya Bamana (RN). Monsieur Fruttero, les agriculteurs mahorais, qui relèvent actuellement de la MSA d’Armorique, souhaiteraient que la caisse de sécurité sociale de Mayotte devienne la caisse gestionnaire de leur protection sociale.

M. Lionel Tivoli (RN). L’accès aux soins en milieu rural ne cesse de se dégrader, si bien que des millions de Français peinent à trouver un médecin traitant. Les habitants de nos territoires doivent parfois parcourir des dizaines de kilomètres pour avoir accès aux soins, voire à une pharmacie.

La Cnam et la MSA dispose de plusieurs leviers pour améliorer l’accès aux soins : aide à l’installation des professionnels de santé, soutien aux maisons de santé pluridisciplinaires, développement de solutions innovantes, comme les pharmacies itinérantes… Quelles seraient les mesures les plus efficaces pour garantir à ceux de nos concitoyens qui vivent en milieu rural un accès équitable aux soins et aux médicaments ? Est-il nécessaire d’assouplir certaines règles pour favoriser l’installation des médecins et des pharmaciens ?

Mme Annie Vidal (EPR). Monsieur Fatôme, j’ai cru comprendre que vous n’étiez pas favorable à un accès direct aux IPA et aux kinés ainsi qu’aux spécialistes. Or, s’il me semble en effet pertinent qu’un patient soit adressé à un spécialiste par un généraliste, je suis plus dubitative en ce qui concerne l’accès direct aux autres professionnels. Compte tenu des difficultés actuelles, cet accès direct permet aux patients d’avoir un contact avec un professionnel de santé, dans le cadre d’un exercice coordonné sous la responsabilité d’un médecin.

Dans mon territoire, nous avons demandé aux patients d’une maison pluridisciplinaire, notamment ceux souffrant d’une pathologie chronique, s’ils étaient d’accord pour être vus par une infirmière une fois sur deux, par exemple ; 90 % des 250 personnes interrogées ont répondu par l’affirmative. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur l’accès direct à ces professionnels de santé ?

M. Romain Eskenazi (SOC). Les maires se livrent une véritable guerre pour attirer les médecins dans leur commune, en proposant des offres toujours plus alléchantes. Or il me semble intéressant que l’agglomération puisse prendre la main, comme c’est parfois le cas, et porter des projets, non pas de maison médicale, où exerceraient des médecins libéraux, mais de centre de santé, où les médecins sont salariés. Ce modèle, qui correspond davantage aux aspirations des jeunes médecins, doit-il selon vous être encouragé par le versement d’aides publiques aux agglomérations ?

Une deuxième piste pourrait consister à encourager l’installation de maisons médicales de garde, adossées aux hôpitaux publics. Ayant travaillé quatre ans dans un hôpital, j’ai en effet constaté que 80 % des passages aux urgences pédiatriques auraient en réalité plutôt mérité une consultation. Pensez-vous que cette possibilité mérite d’être creusée ?

Guillaume Garot, qui a malheureusement dû nous quitter, souhaite connaître le coût estimé de la désertification médicale pour la sécurité sociale, en tenant compte des aggravations de pathologie liées aux retards de prise en charge. Il s’interroge également sur l’évolution, au cours des cinq ou dix dernières années, des revenus moyens ou médians des médecins généralistes et spécialistes, après paiement de leurs charges et avant impôt sur le revenu.

M. Thomas Fatôme. Le renoncement aux soins est un sujet important. Mme Lepvraud citant précisément un sondage de 2019, je me permets de rappeler que, depuis cette date, nous avons instauré le 100 % santé, qui fut un succès majeur en ce qu’il a permis à de nombreux assurés d’accéder à des soins ou à des prestations – audioprothèses, prothèses dentaires – auxquels ils renonçaient parfois. Le nombre de paniers de soins sans reste à charge a ainsi très fortement progressé, à tel point que plus d’une prothèse sur deux est désormais proposée sans reste à charge pour les patients. Dans un contexte très compliqué, j’y vois là un progrès très significatif.

Le problème reste néanmoins important, y compris en raison des dépassements d’honoraires pratiqués par certains médecins. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes efforcés, dans le cadre de la convention médicale 2024-2029, de rénover l’Optam, c'est-à-dire le contrat passé entre l’assurance maladie et les médecins de secteur 2, dans lequel ces derniers s’engagent à modérer leurs dépassements d’honoraires et à développer leur activité à tarif opposable. Plus de la moitié des médecins spécialistes ont adhéré à l’Optam et nous espérons que ce taux va augmenter.

Monsieur Frappé, la première réponse aux difficultés causées par la charge administrative reste le recours aux assistants médicaux, dont le rôle principal est précisément de réduire le temps consacré par les médecins aux tâches administratives et de permettre à ces derniers de se repositionner sur le soin. Les chiffres montrent d’ailleurs que les praticiens qui optent pour cette solution accroissent leur patientèle et dédient davantage de temps au soin. Or les médecins qui le souhaitent bénéficient de la prise en charge, par la puissance publique, de la moitié de la rémunération d’un assistant médical – une aide dont peu d’autres professions, a fortiori libérales, peuvent se targuer.

Nous avons également engagé, sous l’égide de François Braun, une série de mesures opérationnelles visant à simplifier la vie des médecins, comme l’amélioration des téléservices de l’assurance maladie, le raccourcissement des délais de réponse, la diminution des indus, ou encore l’amélioration de la relation quotidienne avec les praticiens. Nous réunissons très régulièrement les médecins pour faire le point sur les formulaires à remplir ou sur l’utilisation de nos téléservices. Les membres du club utilisateurs de l’outil Amelipro, consulté chaque année par des centaines de milliers de professionnels de santé, notamment, nous aident à améliorer le système. Nous pourrons vous faire parvenir un point d’étape sur l’ensemble de ces mesures.

Nous luttons aussi contre les certificats médicaux inutiles. Même si d’importants efforts ont été consentis, trop d’acteurs associatifs, de fédérations sportives, de crèches, ou encore de collectivités locales demandent en effet inutilement aux médecins de délivrer des certificats, ce qui leur prend du temps. Nous avons créé, avec les services de l’État, un simulateur pour les inciter à renoncer à ces requêtes.

Monsieur Bernhardt, nous rencontrerons les représentants des taxis la semaine prochaine pour reprendre les discussions sur le transport sanitaire. La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2025 prévoit une refonte du cadre conventionnel liant l’assurance maladie et les taxis et, plus largement, fixe des objectifs d’économies pour le transport de patients dans son ensemble. Il ne s’agit pas de baisser les tarifs, mais de faire évoluer le modèle. L’assurance maladie prend actuellement en charge le transport de 6 millions de patients et, à ce titre, verse 3 milliards d’euros aux taxis, soit près de la moitié des dépenses totales de transport. Il n’est évidemment pas question de remettre en cause cet élément essentiel de l’accès aux soins. Néanmoins, le modèle mérite peut-être d’être réformé pour améliorer la répartition des taxis sur le territoire – la LFSS permet, comme pour d’autres professions, de faciliter leur installation en priorité dans les zones où ils sont les moins nombreux. Nous finançons également trop de transports à vide, en raison d’une mauvaise organisation. De nombreuses réunions se sont tenues avec les taxis tout au long de l’année 2024 pour faire évoluer le modèle. Maintenant que la LFSS a été publiée, nous espérons les voir aboutir.

Le transport partagé est quant à lui une mesure de bon sens. Contrairement à ce que j’entends parfois, l’objectif n’est pas de faire entrer huit personnes dans un taxi, mais de transporter deux personnes à la fois, de manière organisée – généralement par l’hôpital –, et en laissant au médecin toute latitude pour décider si l’état du patient le permet ou non. Le transport individuel ne serait par ailleurs pas déremboursé : le tiers payant cesserait simplement de s’appliquer, une pratique déjà en vigueur depuis vingt ans pour les génériques, avec un succès indéniable. Cette mesure est très bien comprise par nos assurés : d’après un sondage réalisé par BVA, 80 % d’entre eux la jugent parfaitement légitime. Quant aux exclusions auxquelles vous faites référence, elles sont prévues par la loi. Si celle-ci doit être modifiée, elle le sera, mais, en attendant, nous l’appliquons.

Madame Loir, il convient de distinguer les maisons de santé pluriprofessionnelles des maisons médicales de garde. L’assurance maladie soutient pleinement le développement de ces dernières, qui, dès lors qu’elles fonctionnent bien en interface avec l’hôpital et les systèmes de permanence de soins, permettent d’améliorer la régulation et de s’assurer de la pertinence des demandes avant de mobiliser des moyens humains importants pour y répondre.

Monsieur Tivoli, les pharmacies forment un réseau de 20 000 officines, qui assure plutôt un bon maillage du territoire, car il obéit à des règles bien établies depuis longtemps. Pour éviter les déserts pharmaceutiques, nous avons signé l’année dernière avec les pharmaciens un accord conventionnel qui prévoit d’aider ceux établis en zone fragile – là où il n’y a qu’une seule pharmacie ou dans les territoires sous-denses en médecins. Ce travail est toujours en cours, mais plusieurs centaines de pharmacies bénéficieront d’une aide pérenne de 20 000 euros.

Merci, madame Vidal, de me donner l’occasion de clarifier mon propos sur l’accès direct. Je ne m’y oppose nullement, mais j’apporte une nuance : s’il n’était pas correctement organisé dans le cadre d’un exercice coordonné, cette solution pourrait être discutable, parce qu’elle pourrait comporter un risque que les patients ayant le plus grand besoin de soins passent après ceux qui bénéficieront de l’accès direct. Je discute fréquemment de cette question avec les représentants des kinésithérapeutes. Spontanément, il peut paraître inutile de devoir consulter un médecin avant de se faire soigner pour une entorse de la cheville. Pour autant, nous devrons nous assurer collectivement que suffisamment de professionnels restent disponibles, par exemple pour prendre en charge une personne lourdement handicapée après un AVC. Au vu des activités des médecins et des kinésithérapeutes dans certaines zones, ce risque ne me paraît pas complètement virtuel.

Monsieur Eskenazi, les centres de santé font effectivement partie de l’offre de soins, et il est vrai que les professionnels de santé sont toujours plus nombreux à souhaiter pratiquer une activité mixte, entre l’hôpital, le centre de santé et l’exercice libéral. Pourquoi pas. Nous aurons probablement l’occasion, en 2025, de renégocier avec les centres de santé, que l’assurance maladie soutient à travers une convention ad hoc. Nous devrons néanmoins tirer tous les enseignements du rapport que l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) a consacré à cette question.

M. le président Jean-François Rousset. En matière de transport, on ne parle jamais des indemnités kilométriques auxquelles les patients peuvent prétendre quand ils utilisent leur voiture personnelle. Pour avoir rempli de nombreux bons de transport, je peux affirmer que ce n’est pas la case qu’on coche le plus facilement. Ne faudrait-il pas étudier la possibilité de remplacer, dans certains cas, les transports en taxi par l’utilisation du véhicule personnel ?

M. Thomas Fatôme. Nous avons essayé, ces dernières années, de simplifier les modalités de recours à la voiture personnelle, mais sans doute cette possibilité est-elle insuffisamment connue. L’incitation, l’accompagnement, l’information méritent probablement d’être approfondis pour que les personnes concernées sachent qu’elles peuvent bénéficier d’une prise en charge.

M. Jean-François Fruttero. Pour répondre à M. Limongi, il est vrai que la France a été, tout au long de l’année 2024, le théâtre d’un certain nombre de mouvements agricoles, au cours desquels les agriculteurs ont fait remonter diverses revendications, dont certaines concernaient leurs institutions. La prise en charge et l’accompagnement assurés par la MSA en faisaient partie – vous avez évoqué les questions d’accessibilité, d’accompagnement, de simplification, de décomplexification. Nous n’avons pas attendu ces événements pour porter très clairement l’ambition d’être pleinement à l’écoute de nos assurés, d’entendre leurs revendications et de leur proposer des outils pour mettre fin à ces irritants qui, bien souvent, finissent par devenir une source de mal-être, voire par leur faire perdre pied complètement.

La numérisation des procédures, quand elle est possible, peut être une source de simplification. Nous avons aussi créé un réseau de conseillers d’entreprises chargés, dans chaque caisse de MSA, d’aller vers les populations en déshérence administrative et les aider à compléter leurs démarches. Nous avons également développé une offre aux employeurs – qui, en tant que professionnels, ont souvent des attentes très précises et spécifiques – pour prendre en charge, par exemple, les situations ayant trait au titre emploi simplifié agricole, le Tesa, qui permet de remplir les formalités liées à l’embauche et aux bulletins de salaire.

Ces outils doivent s’accompagner d’une amélioration continue de la qualité de service. Cette ambition répond à des attendus et à des indicateurs définis dans la convention d’objectifs et de gestion (COG) qui nous lie à l’État, comme l’accueil téléphonique et les réponses aux questions de nos ressortissants. Nos agences de proximité, qui ont vocation à accompagner les populations localement, forment un réseau présent dans chaque département. La MSA s’est aussi investie, depuis quelques années, pour déployer une offre d’accompagnement et de services complémentaire dans le cadre du dispositif France Services. Elle fait ainsi partie des opérateurs reconnus par la loi et a, en plus, fait le choix politique d’accueillir plus de quatre-vingts maisons France Services, qui assurent une prise en charge de premier niveau au bénéfice de ses assurés.

En plus d’accompagner et de simplifier, nous voulons humaniser la relation : nous devons rapprocher nos ressortissants de leur organisme de protection sociale, qui est souvent vu comme lointain, voire à part. La MSA, de par son agilité, a vocation à agir au plus près de ses assurés. Notre volonté est donc bien de déployer l'ensemble des dispositifs que j’ai décrits, avec autant de bienveillance et d’attention que possible.

L’aide au répit administratif fait partie des réponses que nous pouvons apporter à des personnes en proie à la déshérence sociale et psychologique. Depuis l’année dernière, nous mobilisons ainsi, sur nos fonds propres, une enveloppe financière destinée à accompagner nos ressortissants, dont certains ont totalement perdu pied, au point de ne plus ouvrir leur courrier. Nos travailleurs sociaux ou nos conseillers techniques peuvent, en lien avec les centres de gestion, auditer une exploitation en vue d’aider un assuré et d’essayer de lui remettre le pied à l’étrier. Ce dispositif fonctionne. Notre ambition est donc bien de faire preuve de bienveillance et d’aller vers les personnes pour identifier les situations problématiques le plus en amont possible et y apporter la réponse la plus adaptée.

Madame Bamana, la question de Mayotte mobilise fortement la MSA, qui a notamment été aux avant-postes pour accompagner financièrement ses assurés après le passage du cyclone Chido : 1 342 non-salariés agricoles ont ainsi bénéficié très rapidement d’un premier secours. Ces populations sont effectivement gérées par la caisse de MSA d’Armorique, qui prend en charge leur protection sociale, en lien avec Mayotte. Les référents locaux ne m’ont pas fait de retour sur la qualité de service, qui semble conforme à leurs attentes. Il est vrai qu’ils aspirent à une forme d’envol, mais cette question politique dépasse le champ de la MSA. Pour l’heure, nous mettons tout en œuvre pour accompagner Mayotte dans les meilleures conditions. Le président de la caisse de sécurité sociale (CSS) de Mayotte est invité très régulièrement aux instances politiques de la MSA et a tout loisir de nous faire remonter les situations problématiques.

Vous avez raison, monsieur Eskenazi : la bataille entre mairies pour attirer des professionnels de santé est une réalité. Les embaucher sous le statut de salariés fait partie des possibilités : tout ce qui peut concourir à l’accès aux soins et à l’installation des professionnels de santé doit être envisagé, y compris en leur permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie privée. Le modèle du médecin libéral qui travaille tous les jours jusqu’à 22 heures est en effet derrière nous, ce qui est d’autant plus normal dans une profession qui se féminise. Nous avons donc vocation à accompagner, notamment à travers l’outil GéoMSA, les professionnels de santé et les collectivités locales dans cette réflexion autour de l’offre de soins. L’objectif n’est bien sûr pas de se battre pour attirer les professionnels de santé, mais de faire en sorte qu’ils s’implantent dans les meilleures conditions possible compte tenu du vivier dont nous disposons.

Mme Magali Rascle. Pour répondre à Mme Lepvraud et à M. Garot, la MSA ne dispose pas, à ma connaissance, de chiffres concernant le surcoût lié au renoncement aux soins et à l’aggravation des pathologies. Peut-être des recoupements pourraient-ils être effectués à partir du jeu de données très fourni dont nous disposons, mais il me semble difficile d’identifier spécifiquement le rôle de la désertification médicale dans le renoncement aux soins, qui s’explique aussi par des obstacles d’ordre psychologique ou culturel – on dit souvent que les agriculteurs sont durs au mal, par exemple, et cette image d’Épinal a une traduction dans la réalité. Je prends bonne note de cette question, qui pourrait faire l’objet de travaux dans le cadre du rapport annuel « charges et produits » ou de l’appel à projets lancé chaque année par le conseil scientifique de la MSA.

En plus de GéoMSA, nous venons de créer un outil de data visualisation pour donner à voir de façon intelligible, sous forme de récits, les données du régime agricole. Deux premiers récits sont disponibles sur notre site internet : « Les territoires et l’accessibilité aux soins » et « Portraits de santé et des principales pathologies » au sein de notre population, jusqu’à la maille communale. Cet outil constitue un premier niveau de réponse à certaines de vos questions sur les données.

Pour ce qui est du financement des solutions innovantes, nous comptons continuer, dans la mesure de nos capacités financières et dans le cadre de la COG 2026-2030, à promouvoir et à développer des actions innovantes en santé. L’appel à projets « Coup de pouce prévention », par exemple, connaît un grand succès auprès des acteurs locaux.

Plus largement, nous sommes ouverts à toutes les solutions qui permettront de répondre à la fois aux aspirations légitimes des professionnels de santé et aux besoins de la population. En ce sens, il faut laisser la porte ouverte à toutes les initiatives. La MSA soutient ainsi plusieurs opérations de Médecins solidaires et d’autres acteurs. Les centres de santé peuvent faire partie de ces solutions dans certains territoires, en association avec toutes les possibilités offertes par les nouvelles technologies. Les téléconsultations, par exemple, si elles n’ont pas vocation à être utilisées seules, peuvent, dans certains cas, répondre à des besoins, à condition de s’inscrire dans un accompagnement global.

M. Thomas Fatôme. Pour répondre à M. Frappé sur le zonage médical, les ARS sont désormais tenues de le mettre à jour tous les deux ans, ce qui paraît tout à fait pertinent au vu de son impact sur l’application de mécanismes coercitifs ou incitatifs : il est important de garantir la régularité et la prévisibilité des actualisations.

M. le président Jean-François Rousset. Merci pour vos interventions. Vous aurez la possibilité, si vous le souhaitez, de compléter vos réponses auprès de notre secrétariat.


4.   Table ronde « collectivités territoriales et nouvelles pratiques de soins », ouverte à la presse, réunissant M. Philippe Gouet, président du conseil départemental du Loir-et-Cher, président du groupe de travail santé de Départements de France, M. Patrick Genre, maire de Pontarlier, président des maires du Doubs, représentant de l’Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), M. Gilles Noël, maire de Varzy et membre du bureau de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), M. Jean-Charles Dron, directeur du programme e-Meuse santé, Mme Katy Bontinck, première adjointe au maire de Saint-Denis (93), chargée de la santé

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons nos travaux avec une table ronde consacrée à la santé dans les territoires. Nous accueillons aujourd'hui des représentants des différents échelons territoriaux concernés.

Je vous rappelle que cette séance est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Philippe Gouet, M. Patrick Genre, M. Gilles Noël, M. Jean- Charles Dron, et Mme Katy Bontinck prêtent serment.)

M. Philippe Gouet, président du conseil départemental du Loir-et-Cher, président du groupe de travail santé de Départements de France. Force est malheureusement de constater que notre système de santé, autrefois érigé en modèle à l’échelle mondiale, n’est plus en mesure de relever les défis sanitaires actuels et à venir. Le classement de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui positionne désormais la France au quinzième rang, traduit notre incapacité à répondre efficacement au vieillissement de la population et à la progression continue des pathologies chroniques.

La situation est préoccupante, puisque six millions de nos concitoyens sont dépourvus de médecin traitant, parmi lesquels 472 000 souffrent d’une affection de longue durée (ALD). Selon Eurostat, notre pays se classe avant-dernier parmi les 26 membres de l’Union européenne en matière de densité de médecins généralistes, avec seulement 319 praticiens pour 100 000 habitants, loin derrière la Grèce, qui en dénombre 656, ou le Portugal, avec 573.

Dans nos départements, en particulier les plus ruraux, la pénurie de spécialistes tels que les allergologues, pédiatres ou pédopsychiatres est criante. Cette dernière spécialité est pourtant essentielle, sachant que 22 % des enfants placés sous la responsabilité de l’aide sociale à l’enfance (ASE) présentent des troubles psychiques ou psychiatriques sévères. Or 20 départements sont actuellement dépourvus de tout pédopsychiatre, rendant impossible une prise en charge adaptée de ces jeunes en grande détresse.

Les délais pour accéder à une consultation spécialisée dépassent désormais deux mois en moyenne, poussant 64 % des personnes interrogées à renoncer aux soins. Nos hôpitaux publics sont à bout de souffle, avec un déficit cumulé atteignant 3 milliards d’euros pour 2024, touchant aussi bien les centres hospitaliers universitaires que les établissements de proximité. Le secteur privé subit également de lourdes difficultés, 60 % des cliniques et hôpitaux privés étant déficitaires cette année. La situation des services d’urgence est alarmante, puisque trois sur cinq sont en situation de dysfonctionnement et que les décès sur brancards se multiplient. En juillet dernier, huit patients sont décédés au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes après avoir attendu plus de quinze heures avant leur prise en charge.

La pédiatrie est elle aussi en recul puisqu’en cinq ans, la France est passée de la quinzième à la vingt-deuxième place européenne en matière de mortalité infantile. Quant à la médecine scolaire, elle est dans un état déplorable, avec moins de 900 médecins et 7 000 infirmières pour 12 millions d’élèves. Ainsi, seuls 24 % des enfants de CP et 18 % des élèves de sixième bénéficient des visites médicales obligatoires.

La psychiatrie est aujourd’hui en crise, alors qu’un adulte sur quatre et un enfant ou adolescent sur six sont ou seront concernés par des troubles psychologiques ou psychiatriques. Entre 2003 et 2022, 4 600 lits psychiatriques ont été supprimés et 400 autres l’ont été en 2024. Mille professionnels font défaut dans ces services. En matière de pédopsychiatrie, moins de 700 praticiens sont en exercice dont un tiers est âgé de plus de soixante ans et 20 départements sont dépourvus de cette spécialité.

Notre souveraineté pharmaceutique est également gravement menacée. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a en effet recensé 5 000 signalements de ruptures de stock en 2023, ce qui représente une augmentation de 128 % en deux ans. Cette même année, 35 % des Français n’ont pas pu se procurer leur traitement en pharmacie.

Face à ces constats alarmants, les Départements de France ont décidé d’agir. Alors qu’en septembre 2021, seuls trois départements s’étaient dotés d’une politique de santé, ils seront soixante à l’avoir fait d’ici au 1er janvier 2025, développant des stratégies concrètes pour améliorer l’accès aux soins et à la prévention.

Dans ce cadre, le groupe de travail que je préside a élaboré un rapport intitulé Santé et territoire : la place et le rôle des départements en France, qui propose six axes stratégiques, parmi lesquels la mise en œuvre d’un schéma départemental d’organisation des soins, la création d’un guichet unique et une coordination renforcée entre les acteurs de santé et l’échelon départemental. J’ai récemment présenté ces travaux au ministre de la santé, M. Yannick Neuder, ainsi qu’à Mme Catherine Vautrin. Un groupe de travail réunissant le ministère et Départements de France devrait prochainement être constitué pour approfondir ces propositions.

Le guichet unique que nous proposons serait cogéré par les départements, le niveau départemental de l’agence régionale de santé (ARS) et les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM). Y seraient également associés les ordres professionnels, un représentant de la faculté de médecine ainsi que diverses structures territoriales. Ce dispositif aurait pour vocation de simplifier les démarches administratives liées à l’installation des professionnels de santé, toutes spécialités confondues. Il offrirait également un accompagnement aux étudiants en médecine et aux futurs paramédicaux, en tenant compte de leurs besoins concrets, notamment en matière de logement, de transport ou de garde d’enfants. Le ministre Yannick Neuder s’est montré très favorable à cette initiative, dans la perspective notamment de l’arrivée de 3 600 docteurs juniors sur nos territoires à partir de novembre 2026. Sa vision, résolument régionaliste, préconise en effet de confier aux régions la responsabilité du maillage territorial, de l’organisation et de l’accueil de ces nouveaux médecins. Les Départements de France se tiennent prêts à collaborer pleinement avec le ministère. Nous attendons les décrets d’application relatifs aux médecins juniors, encore non promulgués, et avons été invités à intégrer un groupe de travail sur cette thématique.

Je tiens à souligner l'engagement des départements, qui mettent en œuvre des politiques ambitieuses pour garantir un meilleur accès aux soins. Nous proposons notamment des bourses aux étudiants afin d’attirer et de fidéliser les jeunes praticiens dans nos territoires. Nous soutenons également la création de maisons de santé pluriprofessionnelles, en finançant à la fois les bâtiments, les équipements et les plateaux techniques.

De nombreux départements développent par ailleurs des dispositifs de télémédecine encadrée et de qualité, reposant sur un véritable binôme professionnel. La durée moyenne d’une téléconsultation en France, de quatre minutes, nous semble dramatiquement insuffisante, en particulier pour des patients atteints d’affections de longue durée et n’ayant pas consulté depuis plusieurs mois. Nous recommandons donc un encadrement renforcé pour ces situations, avec une première consultation d’une durée minimale de quinze à vingt minutes.

M. Patrick Genre, maire de Pontarlier, président des maires du Doubs, représentant de l’Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF). Si nous devions définir la place des élus locaux dans le champ de la santé, qui, je le rappelle, ne relève pas de la compétence directe des communes mais demeure une responsabilité régalienne de l’État, nous mettrions en lumière les trois dimensions fondamentales que sont la proximité, l’ancrage territorial et l’expertise.

La récente crise sanitaire du covid a démontré avec force combien cette proximité s’est révélée déterminante. La gestion de la crise a été d’autant plus efficace que les élus locaux se sont pleinement saisis de la situation, en étroite collaboration avec les préfets. Cette efficacité repose sur une connaissance du territoire, de sa sociologie, de son tissu économique et de ses dynamiques démographiques.

Cette compréhension fine des réalités locales est un levier indispensable pour garantir l’accès à la santé. Nous privilégions d’ailleurs cette expression à celle d’accès aux soins, car elle permet d’englober l’ensemble des dimensions sanitaires, médico-sociales et préventives. L’AMF plaide pour que les élus locaux, qu’ils soient maires ou présidents d’intercommunalités, soient systématiquement intégrés aux processus de réflexion et de concertation. Il ne s’agit pas de revendiquer un rôle décisionnel, mais d’être consultés suffisamment en amont, notamment lorsque des fermetures de services hospitaliers sont envisagées ou lorsqu’une évolution des maternités est à l’étude. Ces décisions, parfois lourdes de conséquences, doivent s’accompagner de mesures adaptées et construites à partir des spécificités territoriales, afin de ne pas fragiliser davantage certaines zones déjà en difficulté.

Entre 2019 et 2022, la densité de médecins généralistes a diminué dans 78 départements. Seules 18 % des zones rurales sont considérées comme suffisamment dotées, contre 32 % des zones urbaines, ce qui révèle un déséquilibre manifeste. Face à cette réalité, nous appelons à une meilleure intégration des élus locaux, et particulièrement des maires, dans la gouvernance du système de santé. Cette implication pourrait se traduire par la mise en œuvre de groupements hospitaliers de territoire (GHT) de seconde génération, capables de construire des passerelles solides entre la médecine de ville et la médecine hospitalière. Nous souhaitons également que les maires soient associés à la définition des projets régionaux de santé, ainsi qu’à la gestion des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), qui doivent devenir de véritables interfaces de coordination entre soins de ville et hôpital. Les maires sont également en première ligne pour accompagner l’installation et l’hébergement des jeunes internes, qu’ils accueillent sur leur territoire. Ils sont également des acteurs de premier plan en matière de prévention, en mobilisant les centres communaux ou intercommunaux d’action sociale (CCAS et CIAS).

L’AMF, en lien étroit avec la Fédération hospitalière de France (FHF), soutient avec force le principe de responsabilité populationnelle et demande que ce concept soit généralisé à l’ensemble du territoire national. Il s’agit d’une approche globale de la prise en charge, intégrant les dimensions amont et aval du traitement. Son objectif est de garantir que seuls les patients réellement concernés arrivent à l’hôpital ou aux urgences, grâce à un accompagnement préventif et une orientation en amont. Cela suppose une analyse fine, à la fois socio-démographique et socio-économique, des populations les plus à risque.

En conclusion, nous réaffirmons la nécessité d’impliquer systématiquement les élus locaux dans toute réflexion ou concertation touchant à la santé sur leur territoire. Nous ne réclamons pas un pouvoir décisionnel direct mais exigeons d’être informés et consultés à temps.

M. Gilles Noël, maire de Varzy et membre du bureau de l’Association des maires ruraux de France (AMRF).  Je souhaite compléter ces propos en apportant une contribution spécifique sur la situation des communes rurales de moins de 3 500 habitants. Ces villages, bien que regroupant 33 % de la population française et couvrant 88 % du territoire national, ne disposent pourtant que de 25 % de médecins généralistes. Dans les bassins de vie ruraux, un généraliste couvre en moyenne une surface de trente-deux kilomètres carrés, quand son homologue en zone urbaine en couvre à peine cinq.

L’écart d’espérance de vie entre les départements ruraux et urbains s’est aggravé ces trente dernières années, pour atteindre aujourd’hui près de deux années pour les hommes. Un enfant né en milieu rural peut s’attendre à vivre deux ans de moins qu’un enfant né dans un environnement urbain. Bien que l’accès aux soins ne soit pas le seul facteur déterminant de cette disparité, il y contribue néanmoins de manière significative.

La consommation de soins hospitaliers illustre également ces inégalités. Un habitant rural consomme en moyenne 20 % de soins hospitaliers en moins qu’un urbain, avec des écarts atteignant jusqu’à 40 % pour certains traitements comme la dialyse ou la chimiothérapie.

Face à ces constats alarmants, les populations rurales se tournent massivement vers les mairies, dans l’espoir d’obtenir un accompagnement ou des solutions concrètes.

En tant qu’élus ruraux, nous portons un ensemble de convictions fortes pour répondre à ces enjeux. Nous estimons tout d’abord que l’installation et la formation des nouveaux professionnels de santé doivent être pensées à l’échelle départementale, qui nous semble être le bon niveau de proximité pour articuler les besoins et les ressources. Nous croyons également que la délégation de tâches, lorsqu’elle est bien encadrée, constitue une réelle valeur ajoutée dans nos territoires. Elle permet de s’appuyer efficacement sur les infirmiers, les pharmaciens et d’autres professionnels déjà présents et engagés dans les soins de proximité.

Nous défendons également un meilleur accompagnement pour les jeunes Français qui reviennent exercer après une formation à l’étranger. Trop souvent perçus comme porteurs d’une formation au rabais, ils subissent une stigmatisation qui ne rend pas justice à leur engagement ni à leurs compétences. De la même manière, nous appelons à une meilleure reconnaissance des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), qui assurent aujourd’hui la continuité des soins dans nombre de nos centres hospitaliers de proximité. Ils doivent bénéficier de conditions d’exercice dignes, d’un accompagnement adapté et d’une rémunération équitable.

Nous dénonçons également la majoration financière appliquée aux patients qui ne disposent pas de médecin traitant. Cette pénalité, que nous considérons comme une double peine, frappe des patients déjà en grande difficulté d’accès aux soins.

Nous estimons également qu’il est temps de conditionner la liberté d’installation des médecins à l’engagement concret de consacrer au moins une journée par semaine à l’exercice dans un territoire sous-doté. Ce type de dispositif, incitatif et mesuré, permettrait de rééquilibrer l’offre de soins sans remettre en cause la liberté fondamentale d’installation.

Nous demandons enfin une présence renforcée des élus ruraux au sein des instances territoriales de santé, y compris dans les conseils d’administration des ARS. Il est regrettable que la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration, censée renforcer la représentation des élus locaux, n’ait que si peu pris en compte la spécificité rurale et la diversité des territoires.

Nous appelons enfin à mettre un terme à la logique de concurrence financière entre collectivités pour attirer les professionnels de santé. Cette course aux incitations désavantage structurellement les territoires les plus fragiles, qui ne peuvent rivaliser avec les moyens des métropoles. Il est temps de mettre en place une véritable stratégie nationale d’équité territoriale en matière de santé.

L’audition est suspendue de 17 heures 25 à 17 heures 40.

M. Jean-Charles Dron, directeur du programme e-Meuse santé. Ce programme d’innovation, lancé en 2018 à l’initiative des départements de la Meuse, de la Haute-Marne et de la Meurthe-et-Moselle, bénéficie d’un soutien financier dans le cadre de France 2030. Il nous a été confié la mission d’expérimenter des approches novatrices pour relever les défis persistants de l’accès aux soins dans les territoires ruraux, en prenant en considération les dynamiques démographiques, notamment le vieillissement de la population et la prévalence croissante des maladies chroniques.

E-Meuse Santé, dont le « e » renvoie à l’innovation numérique et à la e-santé, s’attache à explorer les potentialités du numérique en complément des actions déjà engagées par les collectivités pour structurer et coordonner l’offre de soins. L’objectif est d’apporter un soutien opérationnel aux professionnels de santé dans leur exercice quotidien, en allégeant leur charge administrative et logistique afin qu’ils puissent se recentrer sur leur cœur de métier.

Ce projet, porté conjointement par les trois départements concernés, associe également l’ARS Grand Est, la région Grand Est et deux groupements d’intérêt public impliqués dans l’animation économique. L’État a alloué une enveloppe de 22,8 millions d’euros sur dix ans pour mener à bien ces expérimentations.

Notre démarche repose sur l’identification fine des besoins exprimés dans les territoires, en combinant une vision régionale portée par les ARS et une attention constante aux réalités de terrain rencontrées par les professionnels de santé. Sur cette base, nous recherchons des solutions innovantes disponibles sur le marché, notamment dans le champ de la télémédecine, afin d’y répondre de manière ciblée et efficiente.

Au terme de cinq années d’expérimentation, nous constatons que la technologie, bien qu’indispensable, ne constitue pas en elle-même le principal enjeu. Le véritable défi réside dans l’organisation et dans la façon dont les territoires peuvent véritablement s’approprier ces outils et les intégrer de façon cohérente dans les pratiques de soin existantes. Il est fondamental que ces innovations viennent renforcer les offres locales et ne se développent pas en parallèle, au risque de créer des redondances ou des ruptures de parcours.

Nous conduisons actuellement une trentaine d’expérimentations qui abordent différents enjeux tels que l’amélioration de l’accès aux soins, la prise en charge des pathologies chroniques, le soutien au maintien à domicile et les actions de prévention. Ces thématiques sont étroitement liées dans le quotidien des patients, en particulier les personnes âgées, qui cumulent souvent une ou plusieurs maladies et se heurtent à des obstacles dans leur parcours de soin.

L’un des exemples concrets de notre démarche est le développement d’un modèle de téléconsultation « augmentée et assistée ». Nous avons observé que l’usage des équipements mis à disposition dans les territoires demeurait limité, en raison notamment de l’absence de personnel formé pour opérer les dispositifs ou du manque de réponse médicale adaptée. Le véritable enjeu résidait donc dans l’intégration de la téléconsultation dans les usages réels des professionnels, en cohérence avec les projets médicaux déjà existants. Nous avons conçu ce modèle pour répondre aux besoins spécifiques de la population, notamment les personnes sans médecin traitant ou celles nécessitant des consultations ponctuelles. L’approche retenue consiste à mobiliser un professionnel de santé, généralement un infirmier ou un pharmacien, pour accueillir le patient, établir un lien humain et recueillir les constantes. Lorsque le médecin se connecte, il peut ainsi se consacrer pleinement à l’échange médical, enrichi d’un premier niveau d’information déjà collecté.

Ce modèle a été bien accueilli par les patients, comme en témoigne une évaluation conduite par l’Université de Lorraine. Si certains expriment au départ des réticences vis-à-vis de la téléconsultation, ils reconnaissent ensuite la qualité de cette approche humaine.

À ce jour, nous avons déployé seize dispositifs de ce type dans le cadre d’e-Meuse Santé, en nous appuyant sur des technologies innovantes visant à améliorer l’expérience des patients comme celle des professionnels. Une étude menée récemment par l’union régionale des professionnels de santé (URPS) a en outre souligné l’intérêt manifeste de cette démarche.

Notre retour d’expérience nous a permis de dégager quatre axes structurants. Le premier concerne l’hybridation, car la télémédecine ne peut fonctionner que si elle s’inscrit de manière fluide dans les parcours de soin locaux, en complémentarité et non en concurrence avec les pratiques en place.

Le second vise à structurer une approche à trois niveaux. L’hyper proximité constitue un premier levier important, avec les pharmaciens ou les infirmiers qui deviendraient les premiers interlocuteurs des patients, à la fois pour la téléconsultation et pour des actions de prévention ciblées. Les maisons de santé pluriprofessionnelles offrent un second niveau d’organisation pertinent. Grâce aux outils numériques et à des conditions de travail attractives, elles pourraient favoriser l’installation de spécialistes, aujourd’hui réticents à exercer dans les zones rurales. Le troisième niveau repose sur les plateaux techniques, conçus en articulation avec l’offre hospitalière et clinique existante. Ces structures permettraient un accès de proximité à des spécialités telles que l’ophtalmologie ou la dermatologie, en limitant les déplacements contraignants. Elles pourraient accueillir des acteurs publics aussi bien que privés, en s’appuyant sur des solutions numériques.

La gouvernance territoriale constitue un autre pilier fondamental. Nous considérons que les CPTS, en lien avec les groupements de santé territoriaux (GST), représentent les cadres adaptés pour porter et diffuser des projets médicaux sur les territoires. L’implication des élus, à la fois régionaux et départementaux, est également indispensable. La distinction entre l’accès aux soins et le soin proprement dit permet de fédérer l’ensemble des acteurs autour d’une vision commune, dans le respect des compétences de chacun.

Nous soulignons enfin l’importance de l’innovation, qui doit irriguer l’ensemble du système de santé. Il est impératif qu’elle bénéficie aux professionnels de ville, qu’ils soient médecins généralistes, kinésithérapeutes, pharmaciens ou infirmiers. Se pose également la question du financement de cette innovation, afin d’accompagner la transition vers de nouveaux modèles organisationnels et économiques, dans l’objectif de renforcer la prise en charge en amont pour éviter les hospitalisations qui peuvent l’être.

Dans ce cadre, nous développons actuellement le projet Transition territoire de santé, qui s’inscrit dans le prolongement d’e-Meuse Santé. Nous envisageons une phase de préfiguration d’une durée de vingt-quatre à trente-six mois, destinée à tester ce modèle avant d’envisager une éventuelle généralisation à l’échelle nationale.

Plus globalement, face à l’enjeu d’ordre populationnel, nous devons faire évoluer notre système de santé, encore largement fondé sur une logique curative, vers une approche davantage préventive. Les premiers résultats obtenus à travers les projets engagés en France montrent que l’investissement dans la prévention permet, sur le long terme, de générer des économies substantielles sur le versant curatif.

Mme Katy Bontinck, première adjointe au maire de Saint-Denis (93), chargée de la santé. Je vous remercie d'avoir choisi Saint-Denis pour illustrer la situation de l'accès aux soins à l'échelon municipal dans les villes de banlieue.

En tant que première adjointe de la commune nouvelle de Saint-Denis, je souhaite vous livrer un retour d’expérience concret, issu d’un territoire confronté à de nombreux défis. Depuis le 1ᵉʳ janvier 2025, notre ville, désormais fusionnée avec Pierrefitte, compte 150 000 habitants et s’inscrit dans une intercommunalité élargie à 450 000 habitants. Dans ce cadre, nous avons fait le choix d’instaurer une coordination santé à l’échelle intercommunale, devenue indispensable à la suite de la crise du covid. L’Institut Paris Région a d’ailleurs documenté cette montée en puissance des intercommunalités sur les enjeux de santé en Île-de-France, évolution que nous jugeons particulièrement significative.

Malgré une amélioration modeste de certains indicateurs, le contexte sanitaire et social de notre territoire reste préoccupant. Avec 70 % de la population vivant en quartier prioritaire de la politique de la ville, nous devons faire face à des réalités difficiles telles qu’un taux de pauvreté de 36 %, un revenu médian annuel de 15 000 euros, bien inférieur à la moyenne nationale, et une espérance de vie masculine inférieure de deux années à la moyenne régionale. Nous constatons également une prévalence élevée des pathologies chroniques et des cancers.

L’un des constats les plus alarmants concerne la faible participation de la population aux campagnes de dépistage et de prévention. En dépit de l’investissement constant de nos partenaires, nous enregistrons un écart de près de dix points avec la moyenne régionale. Pour le dépistage du cancer du sein, par exemple, seules 53 % des femmes y participent, contre 63 % en Île-de-France. Cette tendance se retrouve dans la quasi-totalité des campagnes de prévention.

Les difficultés rencontrées en matière de vaccination constituent un autre point de vigilance, comme l’a montré la campagne contre le covid. La mise en œuvre de la vaccination contre le papillomavirus (HPV) en classe de cinquième dans les collèges se heurte à des obstacles nombreux. Par ailleurs, il n’est pas rare que des patients se présentent aux urgences de l’hôpital avec des pathologies à un stade avancé, révélant un accès tardif, voire inexistant, aux soins en amont.

Ces difficultés se traduisent dans l’indice de développement humain de notre commune, qui s’élève à 0,34, contre 0,65 pour la moyenne régionale. Pour autant, nous refusons de céder au fatalisme. Notre situation géographique, en petite couronne parisienne, nous confère notamment un avantage majeur en matière de desserte en transports en commun, facilitant l’accès aux structures de soins situées à Paris, même si l’accès au secteur 1 demeure une problématique sensible pour nos habitants.

Notre territoire bénéficie par ailleurs d’une dynamique positive, en lien notamment avec les Jeux olympiques et paralympiques, qui ont accéléré la production de logements abordables et le développement d’infrastructures. Cette attractivité nouvelle suscite l’intérêt des professionnels de santé. La présence de structures coordonnées, en salariat ou en maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), inscrites dans des projets de santé publique structurés, incite également les jeunes praticiens à venir s’installer à Saint-Denis. Ces évolutions nourrissent une perspective plus optimiste.

À cet égard, je souhaite attirer votre attention sur le centre de santé participatif La Place Santé, implanté depuis 2011 dans le quartier du Franc-Moisin, secteur d’habitat social actuellement en pleine rénovation urbaine. Cette structure s’inscrit depuis trois ans dans une expérimentation visant à promouvoir un modèle participatif en santé. À l’origine associative, La Place Santé est née de l’initiative du docteur Didier Ménard, médecin généraliste implanté dans le quartier. Son approche, à la fois pluriprofessionnelle et sociale, vise à accompagner les patients dans leur globalité, au-delà du seul soin curatif.

L’équipe pluridisciplinaire est composée de médecins généralistes, de soignants paramédicaux, d’une infirmière en pratique avancée et d’une psychologue. Elle propose en outre des ateliers de médiation santé et de prévention, renforçant ainsi l’offre classique de soins. En valorisant la participation active des habitants, la structure est aujourd’hui devenue un acteur essentiel du territoire.

Il y a deux ans, le centre a adopté un statut coopératif, intégrant les usagers dans sa gouvernance. Cette démarche permet aux habitants de participer aux décisions importantes, notamment dans le recrutement des médecins, ces derniers étant eux-mêmes impliqués dans la gestion du centre. Cette organisation, qui s’est avérée particulièrement efficace dans un quartier prioritaire de la ville, bénéficie d’un soutien fort des habitants et développe des synergies avec d’autres structures, telles que la protection maternelle et infantile (PMI) ou les infirmiers libéraux.

La pérennité financière de ce modèle reste toutefois incertaine, l’expérimentation prenant fin début 2026. Malgré une évaluation en cours, les difficultés structurelles de financement des politiques sociales font planer une réelle incertitude sur l’avenir de cette initiative. Au nom des habitants de Saint-Denis et de l’équipe de La Place Santé, je sollicite donc votre attention sur ces modèles innovants, qui ont fait la preuve de leur efficacité dans les quartiers populaires.

Bien que La Place Santé soit une structure coopérative relevant du droit privé, elle s’inscrit dans la tradition d’engagement de la municipalité en matière de santé. La ville de Saint-Denis gère en effet cinq centres municipaux de santé qui partagent une logique de coordination des soins et offrent les avantages liés à l’exercice salarié, appuyés par une collectivité locale engagée.

Dans ce cadre, nous avons récemment harmonisé notre cadre d’emploi sur celui des praticiens hospitaliers, renforçant ainsi l’attractivité de nos centres pour les jeunes médecins. Nous avons également mis en place des partenariats avec l’hôpital de Saint-Denis et l’AP-HP, permettant des temps partagés de médecins entre nos structures. Ces dispositifs ont conduit à une nette augmentation du nombre de candidatures.

Les conclusions du récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le modèle économique des centres de santé soulignent l’intérêt de l’approche pluriprofessionnelle et recommande une meilleure répartition des tâches entre médecins et infirmiers, notamment dans le cadre des pratiques avancées. Notre propre expérience vient corroborer cette recommandation, notamment au regard de la forte prévalence des pathologies chroniques au sein de la patientèle.

Les collectivités qui, comme la nôtre, s’impliquent directement dans l’offre de soins et ne se contentent pas d’un rôle de coordination deviennent elles-mêmes des acteurs de soins à part entière. Nous devons encourager les collectivités qui en ont la capacité à s’engager dans cette voie car cette implication pourrait favoriser des contractualisations renforcées avec les ARS, notamment grâce au fonds d'intervention régional (FIR), afin de soutenir des actions concrètes et ciblées.

Je souhaite enfin souligner l’effort financier important consenti par la ville de Saint-Denis dans le domaine de la santé. Chaque année, nous y consacrons 14 millions d’euros, soit 6 % de notre budget municipal, pour une compétence qui, rappelons-le, reste facultative. Sur cette somme, 2 millions constituent un reste à charge direct pour la collectivité. Cette réalité explique en partie pourquoi de nombreuses structures associatives ou mutualistes sont aujourd’hui contraintes de fermer. Si notre budget global de 250 millions d’euros nous permet d’assumer cet engagement, ce choix reste délicat, notamment face à d’autres besoins fondamentaux tels que les écoles ou les crèches.

Pour conclure, je plaide avec force en faveur des centres de santé participatifs, qu’ils soient associatifs, coopératifs ou municipaux, en particulier dans les quartiers prioritaires. Ils constituent des piliers incontournables de notre système de santé territorial et doivent, à ce titre, être pleinement reconnus et soutenus.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Je tiens tout d'abord à exprimer ma gratitude pour vos interventions respectives et à saluer les différentes initiatives mises en place.

La raison d'être de cette commission d'enquête parlementaire découle des problématiques que nous constatons aujourd'hui à trois niveaux, à savoir l'accès aux médecins généralistes, l'accès aux spécialistes et l'accès à l'hôpital public, notamment à ses services essentiels tels que les urgences et la maternité.

Quelle est la nature de vos relations avec l'administration, en particulier avec l’ARS, dans vos collectivités respectives ? Je fais ici référence à l'ensemble de l'écosystème de l'ARS, incluant les délégués départementaux et les directeurs généraux des ARS régionales. Les départements et les communes sont-ils véritablement associés aux processus décisionnels ?

Avez-vous des propositions concrètes à formuler pour améliorer le fonctionnement actuel ? Pensez-vous qu'une refonte complète de l'ARS soit nécessaire ? Avez-vous mené une réflexion approfondie sur ces sujets ? Quelle est votre vision sur la manière dont l'administration de santé pourrait agir plus efficacement en faveur des territoires ?

M. Philippe Gouet. Nous observons des dynamiques très différentes dans le fonctionnement des ARS en fonction des territoires. Si la collaboration est excellente dans certaines régions ou départements, nous rencontrons d’importantes difficultés relationnelles dans d’autres.

Il pourrait être judicieux d'accorder davantage d'autonomie aux délégations départementales des ARS qui, actuellement, ne disposent pratiquement d’aucune marge de manœuvre et dépendent entièrement de leur direction régionale.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je souhaiterais approfondir ici la question de l’autonomie. Comment envisagez-vous concrètement une telle évolution ? Devons-nous l’imaginer selon un modèle analogue à celui des préfets, avec des représentants du ministère de la santé placés directement auprès du préfet et la suppression, de fait, de l’échelon       régional ?

Notre commission a précisément pour mission de dépasser le stade des constats et d’élaborer des propositions structurantes, fondées sur des principes de clarté, d’efficacité et de proximité. Il nous revient d’imaginer des recommandations concrètes, susceptibles d’avoir un impact réel sur les territoires. C’est pourquoi j’attends, à ce stade, des suggestions précises, opérationnelles et argumentées pour réformer en profondeur et de manière cohérente l’organisation actuelle.

M. Philippe Gouet. Nous défendons avec conviction la nécessité d’une collaboration étroite entre le préfet départemental et le directeur territorial de l’ARS, car ces deux acteurs partagent une connaissance fine et concrète des réalités locales ainsi que des problématiques sanitaires spécifiques à leurs territoires. Il est tout aussi fondamental d’associer pleinement les structures départementales à ce travail, car elles disposent d’une expertise précieuse, forgée au plus près des besoins de la population.

Nous considérons que l’échelon régional, dans son organisation actuelle, demeure trop éloigné des enjeux quotidiens liés à l’accès aux soins. La crise du covid a mis en évidence les limites de ce modèle. Alors que les ARS régionales peinaient à prendre des décisions rapidement, les préfets départementaux se sont distingués par leur réactivité et leur capacité à agir sans délai.

Le principal frein que nous identifions réside aujourd’hui dans l’absence d’autonomie réelle des ARS à l’échelle départementale. L’ensemble des décisions stratégiques reste concentré au niveau régional, ce qui engendre une inertie préjudiciable et ralentit considérablement les processus, qu’il s’agisse de la gestion des services hospitaliers, de la fermeture d’établissements ou de la mise en œuvre de nouveaux plateaux techniques.

M. Patrick Genre. L’AMF partage pleinement l'avis exprimé sur l'importance cruciale des délégations territoriales. La crise sanitaire a démontré l'efficacité d'une approche décentralisée, où les préfets de départements, en collaboration avec les délégués territoriaux, ont pu agir efficacement. Nous reconnaissons également la diversité des situations sur le territoire en ce qui concerne les relations avec les ARS.

Nous plaidons pour un retour à la proximité. Le délégué territorial, en lien étroit avec le préfet de département et les élus locaux, possède une connaissance inégalée de son territoire. Néanmoins, nous ne préconisons pas la suppression pure et simple des ARS. Une approche extraterritoriale reste nécessaire dans le domaine de la santé, car certaines problématiques dépassent le cadre de nos territoires de proximité. La vision régionale, dans le contexte de la stratégie nationale de santé, demeure pertinente.

Cependant, nous recommandons vivement que les délégations territoriales soient dotées de réelles capacités décisionnelles opérationnelles afin d'inverser la logique actuelle. Plutôt que de faire descendre les directives du ministère de la santé vers le terrain, nous devons faire remonter les besoins locaux pour élaborer la stratégie de santé. Bien que les projets régionaux de santé (PRS) tentent d'adopter cette approche, sa mise en œuvre reste complexe.

Notre proposition consiste donc à transformer les délégations territoriales en véritables échelons opérationnels, travaillant en étroite collaboration avec les élus locaux et les structures existantes.

M. Gilles Noël. En tant que représentants des maires ruraux, nous considérons que les ARS doivent impérativement être placées sous l’autorité du préfet de département. Cette condition est à nos yeux essentielle pour instaurer une véritable proximité de gouvernance et une relation de confiance entre les différents niveaux d’acteurs locaux. Tant que les ARS ne seront redevables qu’au ministre de la santé, nous resterons enfermés dans un modèle vertical et déconnecté des réalités de terrain.

Nous observons par ailleurs que les ARS tendent de plus en plus à empiéter sur les prérogatives de la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), alors que ces institutions jouent un rôle central dans le financement et l’organisation de notre système de santé. Nous préconisons que la CNAM incite clairement ses délégations territoriales à sortir de leur posture administrative pour aller à la rencontre des élus locaux et s’impliquer concrètement dans les dynamiques territoriales.

Nous demandons enfin une révision en profondeur du fonctionnement des cartes de zonage établies par les ARS, qui définissent les zones sous-dotées en offre de soins. Ces cartes, trop rigides dans leur conception actuelle, ne reflètent pas toujours la réalité du terrain. Nous plaidons pour une mise à jour semestrielle de ces zonages, afin qu’ils puissent s’adapter plus finement à l’évolution des besoins locaux. Cette plus grande souplesse permettrait une réponse plus rapide et plus pertinente aux situations de tension ou de désertification médicale.

M. Jean-Charles Dron. Dans notre expérience, l’ARS s’est imposée comme un partenaire central, non seulement en tant que financeur de projets, mais également comme catalyseur efficace d’initiatives innovantes. Notre collaboration avec l’ARS s’organise à deux niveaux complémentaires, puisque nous entretenons des relations étroites avec les directions territoriales des trois départements concernés, tout en travaillant de manière continue avec le service en charge de l’innovation. Cette double articulation s’est révélée particulièrement pertinente et productive dans le cadre de notre projet.

Je souhaite, à titre d’illustration, évoquer nos travaux menés dans le domaine de la télémédecine. Ceux-ci ont directement contribué à l’élaboration d’une feuille de route régionale structurante, portée conjointement par l’ARS, la région, la préfecture et la CNAM. Ce document stratégique témoigne de l’efficacité d’une approche véritablement collaborative, fondée sur la co-construction et la complémentarité des acteurs.

Pour autant, nous aspirons à une évolution du cadre de gouvernance, qui permettrait d’intégrer pleinement les collectivités territoriales dans les processus de décision. Il nous paraît essentiel d’améliorer l’articulation entre l’accès aux soins et les politiques de santé, en mobilisant des outils adaptés et partagés. Parmi ces outils, les dispositifs cartographiques jouent un rôle fondamental qui, lorsqu’ils sont mis à disposition des élus, deviennent de véritables instruments structurants d’aide à la décision.

Mme Katy Bontinck. Je tiens à souligner ici le retour extrêmement positif que nous formulons à l’égard de l’ARS Île-de-France et de sa délégation départementale en Seine-Saint-Denis, notamment dans la qualité des relations qu’elles entretiennent avec les élus et dans la solidité des partenariats établis. Il me semble important, dans un contexte où les critiques à l’égard des ARS sont parfois vives, de rappeler l’état antérieur de l’organisation des politiques de santé publique. Avant la création des ARS, plus de seize services déconcentrés de l’État se partageaient, de manière fragmentée, la gestion des volets sanitaire, médico-social, environnemental et hospitalier. L’ARS a permis d’unifier ces compétences, assurant une gestion plus cohérente de la santé environnementale, de l’offre de soins, en ville comme à l’hôpital, et du secteur médico-social.

S’il fallait formuler une piste d’amélioration concrète, nous suggérerions de revisiter la gestion des dossiers relatifs à l’insalubrité et au saturnisme dans les logements. Aujourd’hui, cette responsabilité repose sur une répartition inégale selon que les communes disposent ou non d’un service communal d’hygiène et de santé, en vertu d’une cartographie qui n’a pas évolué depuis 1983. Cette organisation génère des situations peu efficientes alors que certaines équipes municipales seraient en mesure de prendre le relais.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il ne s’agit pas ici de formuler une critique systématique des ARS, mais d’observer avec lucidité la situation actuelle dans la majorité des territoires. Nous devons reconnaître que certaines décisions, ainsi que les organisations mises en place il y a vingt-cinq ou trente ans, ne sont plus en adéquation avec les besoins et les réalités actuelles de nos territoires.

Notre responsabilité collective est de faire preuve de remise en question permanente et de démontrer notre capacité à faire évoluer nos structures et nos modes d’action afin de proposer des réponses plus pertinentes aux attentes de nos concitoyens.

Mme Stéphanie Rist (EPR). Nous avons instauré, dans mon département, une collaboration entre l'ARS et l'association départementale des maires pour l'élaboration des zonages, permettant ainsi un véritable dialogue. La généralisation de cette pratique vous semblerait-elle pertinente ?

Quelle est la position de vos collectivités respectives concernant la proposition de loi Garot sur la régulation de l'installation des médecins ?

M. Philippe Gouet. La position de Départements de France sur la régulation des professions de santé, en particulier celle des médecins, est sans ambiguïté. Alors que plus de 80 % de notre territoire est classé en zone sous-dense et que la France figure en dernière position au sein de l’Union européenne en matière de densité médicale, nous exprimons une grande réticence à l’égard de toute forme de régulation coercitive de l’installation. Nous ne croyons pas que limiter l’installation dans les quelques zones qualifiées de sur-dotées permettrait, à elle seule, d’améliorer significativement l’accès aux soins. Il convient d’ailleurs de rappeler que même dans des zones urbaines telles que Paris, l’accès aux soins primaires demeure problématique.

Cette approche restrictive risquerait, par ailleurs, de décourager les futurs médecins en restreignant leur liberté d’installation. Une telle mesure pourrait en outre susciter une opposition importante de la part des ordres professionnels, des syndicats représentatifs, des internes et des étudiants en médecine, créant ainsi un climat de tension susceptible de fragiliser davantage encore notre système de santé.

S’agissant du zonage, il est aujourd’hui établi par la CNAM en concertation avec les syndicats professionnels, avant d’être transmis à l’ARS, qui dispose d’une marge de modulation actuellement limitée à 5 %. Dans une optique de meilleure adaptation aux spécificités locales, il pourrait être pertinent d’élargir cette marge à 15, voire 20 %, afin de donner aux agences régionales davantage de souplesse dans l’application des critères. Nous préconisons par ailleurs que la révision du zonage devienne annuelle et qu’elle s’appuie sur les données actualisées de l’Ordre des médecins, dans le but d’établir une cartographie plus fine, réactive et adaptée aux réalités de terrain.

M. Patrick Genre. Pour l'AMF, la question des zonages mérite une révision en profondeur, tant dans son élaboration que dans son actualisation. Bien que les élus locaux soient consultés, leur avis intervient à un stade très tardif du processus, sans réelle capacité d’influence. Face à la technicité des dossiers, notamment lorsqu’il s’agit d’évaluer les besoins spécifiques par discipline médicale, les élus se trouvent souvent démunis, malgré leur connaissance fine du terrain.

Nous estimons que le rôle des élus devrait se recentrer sur l’enjeu fondamental de la répartition territoriale des professionnels de santé. À cet égard, nous considérons qu’une révision annuelle des zonages constitue un minimum indispensable.

Concernant la régulation, nous avons souligné à plusieurs reprises les limites des politiques fondées uniquement sur les incitations financières, qui se sont révélées largement insuffisantes pour inverser les dynamiques de désertification médicale. Nous proposons donc deux pistes d’action complémentaires. La première consiste à territorialiser davantage la formation médicale, en renforçant l’ancrage départemental, en lien avec les facultés de médecine et les doyens. La seconde repose sur la mise en cohérence entre l’installation des médecins et leur engagement à participer à la permanence des soins ambulatoires (PDSA). Cette mesure est cruciale pour alléger la pression qui s’exerce aujourd’hui sur les services d’urgence, où l’on constate une multiplication des prises en charge non urgentes.

Pour illustrer ces propos, je souhaite évoquer l’exemple de Pontarlier, où la CPTS a mis en place une maison médicale de garde, créant un lien direct et fonctionnel entre la ville et l’hôpital. Les résultats ont été rapidement visibles puisqu’en l’espace de trois mois, une diminution de 30 % des passages aux urgences a été constatée. Cette organisation a permis de regrouper cinq secteurs de garde préexistants au sein d’une même structure, avec des bénéfices notables pour les praticiens eux-mêmes, qui réalisent désormais moins de gardes tout en assurant un suivi plus large de la population.

 M. Gilles Noël. S’agissant de la présence des élus dans les instances de concertation et de pilotage, nous y sommes naturellement favorables. Nous exprimons en revanche une opposition claire à la proposition de loi portée par M. Garot, en particulier en ce qui concerne son volet relatif à la régulation de l’installation des médecins, qui risque de fragiliser les territoires ruraux.

Nous anticipons des situations où les jeunes praticiens, confrontés à ces mesures, se détourneront des zones rurales au profit d’un exercice salarié ou opteront pour des zones intermédiaires, voire pour la périphérie urbaine. Ce glissement entraînerait, de manière indirecte, une forme de sanction pour les communes les plus isolées, même si certains collègues gardent l’espoir que cette réforme puisse susciter un regain d’attractivité pour certains territoires en souffrance.

Nous défendons donc une logique fondée sur le principe d’une liberté d’installation maintenue dans les villages ou les pôles de vie, mais accompagnée de contreparties claires.

M. Jean-Charles Dron. Notre démarche vise avant tout à améliorer les conditions d’exercice des professionnels de santé grâce aux outils numériques, ce qui contribue, de manière concrète, à renforcer l’attractivité de ces métiers.

L’hybridation permet en outre de dissocier le projet de vie du projet professionnel en distinguant le lieu de travail du lieu de résidence. Cette flexibilité ouvre de nouvelles perspectives en matière d’aménagement du territoire et d’organisation des soins.

En ce qui concerne les zonages, nous observons l’émergence d’outils innovants qui permettent non seulement une analyse fine des situations actuelles mais également une capacité de projection précieuse, notamment dans un contexte où la démographie médicale évolue rapidement.

Mme Katy Bontinck. S’agissant du zonage, une piste d’amélioration significative résiderait dans une territorialisation accrue des aides à l’installation qu’il conditionne.

À l’heure actuelle, les ARS ont la possibilité d’adapter ces dispositifs pour les médecins généralistes, mais cette flexibilité ne s’applique pas à l’ensemble des professions de santé. Or nous faisons face à des pénuries criantes dans certaines disciplines, notamment parmi les orthophonistes et les sages-femmes, en particulier dans nos quartiers les plus fragiles.

En ce qui concerne la PPL Garot, nous y sommes globalement favorables. Depuis de nombreuses années, les débats sur les aides à l’installation se succèdent, sans que les résultats ne soient à la hauteur des enjeux. Plusieurs dizaines de millions d’euros ont été consacrées à ces dispositifs et il apparaît aujourd’hui indispensable d’en évaluer l’efficacité réelle pour éventuellement explorer de nouvelles voies. Si la rédaction actuelle de la proposition n’est pas exempte d’imperfections, elle a donc le mérite d’ouvrir un débat salutaire.

Mme Annie Vidal (EPR). S’agissant tout d’abord de la place des élus dans les processus décisionnels, j’ai bien entendu votre ressenti concernant le manque d’implication. Cela m’amène à m’interroger sur l’articulation concrète entre vos collectivités et le collège des collectivités territoriales représenté au sein des CTS. Ces instances constituent, par essence, un espace de démocratie sanitaire, dans lequel se discutent et se construisent les stratégies territoriales. En tant que présidente du CTS de Seine-Maritime, je constate que la participation des élus est souvent hétérogène.

Aussi, comment les représentants élus font-ils circuler l’information et relayent-ils les invitations à participer aux différents groupes de travail ? Sur mon territoire, qui regroupe 304 communes, en grande majorité rurales, nous ne disposons que de quatre à sept représentants pour couvrir l’ensemble des communes. Dans ce contexte, comment organisez-vous la diffusion de l’information ou la remontée des besoins spécifiques de chaque commune, sachant que les réalités diffèrent profondément entre une grande ville et une commune       rurale ?

Je souhaite également obtenir davantage de précisions sur les articulations institutionnelles qui sous-tendent le projet e-Meuse. Quelle est la place respective du projet territorial de santé, de l’ARS et du CTS dans son élaboration et sa mise en œuvre ? Qui en est le porteur et quel en est le mode de financement ? Enfin, pouvez-vous nous indiquer où, concrètement, sont déployés les dispositifs de télémédecine dans les zones rurales concernées ?

Mme Josiane Corneloup (DR). Je suis profondément convaincue de la nécessité de territorialiser le projet de santé, car les spécificités régionales sont trop diverses pour que des réponses uniformes puissent être pleinement efficaces. L’expérience de la crise du covid nous a démontré toute la pertinence de cette approche de proximité, qui devrait nous conduire à repenser en profondeur nos modes d’organisation.

Il semble également essentiel d’associer les acteurs du champ social à cette réflexion. Les dimensions sociales et sanitaires étant intimement liées, il serait particulièrement pertinent d’intégrer leur regard et leur expertise dans la conception de nos politiques de santé.

Je considère en outre la télémédecine comme une opportunité majeure pour les territoires ruraux, bien qu’elle demeure encore largement sous-exploitée. Il est paradoxal de constater que les téléconsultations sont aujourd’hui plus fréquentes en zone urbaine, alors même que les déserts médicaux concernent davantage les territoires ruraux.

Je m’interroge sur le développement très limité des téléconsultations spécialisées et de la téléexpertise. Si la dermatologie bénéficie d’un usage relativement établi, cette pratique reste marginale dans d’autres spécialités, alors que l’accès aux spécialistes est souvent aussi complexe que celui aux médecins généralistes. Certaines maisons de santé et officines disposent pourtant d’un équipement adapté, permettant de développer ces pratiques. Je souhaite donc connaître votre rôle dans ce déploiement.

Je souhaite également évoquer votre expérimentation et les moyens financiers conséquents qui lui sont consacrés dans une logique pluriannuelle. À l’heure actuelle, l’absence d’un modèle de rémunération adapté représente une problématique majeure concernant le développement de la téléconsultation. Le forfait de 750 euros, alloué indépendamment du volume réel réalisé, constitue une limite manifeste à son déploiement. Je suis pourtant convaincue que la téléconsultation est appelée à devenir, à terme, un mode d’exercice à part entière, en complémentarité avec la consultation physique. Certaines personnes privilégient ce mode d’accès aux soins, notamment en raison de sa rapidité. La crise du covid a d’ailleurs largement contribué à intégrer la téléconsultation dans les usages médicaux du quotidien.

S’agissant de la téléexpertise dermatologique, la situation est encore plus préoccupante. En l’absence de modèle économique pérenne, et en raison de l’échec des négociations conventionnelles, les perspectives de développement demeurent limitées.

Quelle est votre position sur ces enjeux ?

M. Philippe Gouet. S’agissant des CTS, nous constatons une grande hétérogénéité de fonctionnement selon les territoires. Les CTS nous sollicitent essentiellement sur la PMI, en particulier pour le suivi des grossesses chez les femmes en situation de précarité économique, ainsi que les actions de prévention. Ce sont, dans les faits, les deux principales thématiques qui structurent nos échanges avec ces instances.

La pratique de la télémédecine est actuellement encadrée par l’avenant 9, qui limite son exercice à 20 % de l’activité des médecins. Dans les territoires confrontés à une désertification médicale avérée, il devient pourtant indispensable de relever ce seuil, afin de permettre un recours plus large à ce mode de consultation.

S’agissant plus spécifiquement de la télémédecine en dermatologie, son potentiel est aujourd’hui largement reconnu. Il semble néanmoins essentiel d’envisager son extension à d’autres disciplines, en particulier la psychologie et la psychiatrie. La téléconsultation peut en effet offrir un cadre propice à l’instauration d’un échange singulier entre le praticien et le patient.

M. Patrick Genre. Permettez-moi d’apporter un éclairage fondé sur mon expérience personnelle à la tête du CTS du Doubs, où nous constatons une participation qui reste extrêmement faible, alors que certains élus avaient pourtant exprimé le souhait d’y siéger.

En tant qu’élus, nous devons nous investir pleinement dans les structures de gouvernance existantes, qu’il s’agisse des comités d’élus des GHT ou des CTS. Il ne s’agit pas de réinventer des dispositifs mais bien d’activer et de faire vivre ceux qui sont déjà à notre disposition.

Je considère par ailleurs que le positionnement institutionnel des CTS demeure flou, y compris dans les textes législatifs. Leur articulation avec la conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA) est insuffisamment définie, ce qui contribue à fragiliser la légitimité des CTS dans le processus décisionnel.

S’agissant de la télémédecine, si elle constitue sans aucun doute une réponse pertinente à certaines difficultés d’accès aux soins, elle ne saurait être présentée comme une solution unique ou suffisante face à la dégradation de l’offre de médecine générale. La notion de proximité étant centrale, il est impératif que le médecin téléconsultant connaisse le territoire dans lequel il intervient afin d’orienter le patient vers les services de recours pertinents et disponibles localement.

La présence d’un professionnel de santé pour accompagner la téléconsultation nous semble par ailleurs indispensable. C’est pour cela que l’AMF se montre réservée, voire opposée, à l’installation de bornes de téléconsultation dans des lieux tels que les gares. Enfin, le développement de la télémédecine reste étroitement conditionné par le niveau de couverture numérique du territoire.

M. Gilles Noël. Nous souhaitons insister sur la nécessité d’une véritable indépendance des CTS. À l’heure actuelle, leur fonctionnement quotidien repose fréquemment sur un appui administratif fourni par les ARS, ce qui crée une forme de dépendance structurelle dont l’intensité varie selon les territoires.

Aussi longtemps que les CTS demeureront sous la tutelle fonctionnelle des ARS, nous continuerons à observer des situations dans lesquelles les élus locaux sont sollicités pour s’approprier, dans des délais contraints, des PRS dont la volumétrie oscille entre 800 et 1 200 pages.

L’indépendance des CTS est d’autant plus cruciale qu’un nombre important d’acteurs territoriaux est directement redevable de l’ARS, souvent en raison de leur dépendance financière. Cette réalité se manifeste de manière particulièrement visible lorsque l’agence pilote des démarches participatives. L’ARS structure alors le processus et mobilise en priorité des partenaires dont le fonctionnement dépend, pour partie ou en totalité, de ses financements. Tant que nous ne romprons pas ce lien de dépendance, nous resterons enfermés dans des schémas de gouvernance faiblement partagés.

Nous devons impérativement renforcer notre présence, notre visibilité et notre engagement dans les politiques de santé. À ce jour, seuls certains de nos collègues, généralement présidents de centres hospitaliers situés en milieu urbain, bénéficient d’un accès direct et régulier aux directeurs généraux d’ARS. Cette situation crée une inégalité manifeste entre les communes. L’administration privilégie, de fait, des relations bilatérales avec les maires des villes-centres, des préfectures ou des communes accueillant un établissement hospitalier. Nous, maires de petites communes, sommes très largement tenus à l’écart de ce dialogue institutionnel, alors que ce sont nos territoires qui alimentent quotidiennement les centres hospitaliers en patients et en besoins de soins.

Mme Annie Vidal (EPR). En tant que présidente de CTS, j’ai eu l’occasion d’organiser de nombreuses consultations nationales de réflexion et ai pu constater, de manière très nette, une participation plus élevée des élus dans les territoires ruraux que dans les métropoles.

M. Jean-Charles Dron. Dans le cadre du programme e-Meuse Santé, nous avons mis en place une organisation structurée sous la forme d’un consortium, dont le pilotage est assuré par le département de la Meuse. La gouvernance du projet repose sur un comité exécutif articulé autour de cinq collèges, parmi lesquels figure celui des professionnels de santé. Ce collège regroupe les CPTS, les GHT, ainsi qu’une représentation large et diversifiée des acteurs de santé, y compris du secteur médico-social.

Le projet bénéficie d’un financement significatif, à hauteur de 24 millions d’euros, dont 8,4 millions sont apportés par l’État. La région, l’ARS, les départements et deux groupements d’intérêt public (GIP) y contribuent également à hauteur de 1,5 million d’euros.

Il s’agit là d’un modèle innovant pensé comme une plateforme d’expérimentation pour les territoires. Dans ce cadre, nous avons identifié trois modèles économiques distincts. Le premier relève de la santé publique et de ses enjeux fondamentaux. Le deuxième tient compte des intérêts des professionnels de santé, condition indispensable à leur adhésion aux solutions déployées. Le troisième concerne les opérateurs de solutions technologiques, qui doivent proposer des innovations économiquement viables, capables de structurer des filières durables.

Notre modèle économique actuel est encore expérimental et n’a pas vocation à perdurer en l’état. Nous devons évoluer vers un modèle de transition qui favorise l’appropriation de l’innovation par les professionnels de santé, dans une logique de prévention, d’amélioration de l’accès aux soins et de réponse coordonnée aux objectifs de santé publique.

Le financement des équipements découle systématiquement d’un projet médical et organisationnel conçu à l’échelle locale. Les installations sont donc réparties en fonction des besoins identifiés, dans des lieux aussi divers que les pharmacies, les CIAS, les EHPAD ou encore les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP).

La téléconsultation présente quant à elle un potentiel important d’optimisation. Nous faisons face à deux obstacles majeurs que sont la sous-exploitation des équipements disponibles et les difficultés liées à la rémunération des professionnels de santé engagés dans ces dispositifs. Deux modèles coexistent, avec un système forfaitaire pour les pharmacies et un accompagnement spécifique pour les infirmiers. L’équation économique demeure souvent insatisfaisante, ce qui limite l’ouverture de créneaux réguliers et entrave une communication fluide et une organisation efficace des plages de télémédecine sur les territoires.

Bien que nous plaidions régulièrement pour une implication active des médecins locaux dans ces téléconsultations, la pénurie médicale constitue un frein majeur à cette ambition. À l’échelle d’une CPTS, il conviendrait sans doute d’envisager une répartition plus équilibrée de cette charge, en mutualisant, par exemple, les 20 % de temps consacré à la télémédecine entre plusieurs praticiens.

M. le président Jean-François Rousset. Vous pouvez, au besoin, compléter nos échanges par écrit avec tout sujet ou toute recommandation que vous jugerez utile.

 


–  1  –

5.   Audition, ouverte à la presse, du Professeur Lionel Collet, président de la Haute autorité de santé (HAS)

M. le président Jean-François Rousset. Nous recevons cet après-midi MM. Lionel Collet et Jean Lessi, respectivement président et directeur général de la Haute Autorité de santé (HAS). Créée par la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie sous la forme d’une autorité publique indépendante à caractère scientifique, la Haute Autorité de santé vise à développer la qualité dans le champ sanitaire, social et médico-social. Elle travaille aux côtés des pouvoirs publics pour éclairer leurs décisions, avec les professionnels pour optimiser leurs pratiques et leur organisation et pour renforcer la capacité des usagers à faire des choix.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Lionel Collet et M. Jean Lessi prêtent successivement serment.)

M. Lionel Collet, président de la Haute Autorité de santé. Comme vous l’avez rappelé, la Haute Autorité de santé est née en 2004 d’une loi relative à l’assurance maladie. Deux missions lui ont été initialement attribuées. Premièrement, il lui revient d’évaluer les produits de santé à des fins de remboursement. Le législateur avait décidé que la commission de la transparence, qui évalue les médicaments et était à l’époque rattachée à l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), laquelle a précédé l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), allait rejoindre la HAS, de même que la commission qui évaluait les dispositifs médicaux, devenue la Cnedimts (Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé).

Sa deuxième mission consiste à promouvoir la qualité des pratiques dans le système de santé. Le législateur avait décidé de confier les missions de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé à la HAS. Cette agence, qui datait de l’ordonnance de 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée et avait pour mission principale d’élaborer des recommandations de bonnes pratiques et d’accréditer les établissements de santé, a disparu en 2004 et le mot « accréditation » a cédé la place à celui de « certification ». C’est ainsi qu’aux termes de l’article L. 161-37 du code de la sécurité sociale, la HAS a depuis 2004 pour mission d’« [é]tablir et [de] mettre en œuvre les procédures de certification des établissements de santé ».

Une troisième mission lui a été adjointe en 2017 : évaluer les établissements de santé et les établissements sociaux et médico-sociaux.

Nous allons débuter en septembre le sixième cycle de certification. Cela consiste en une évaluation externe obligatoire des quelque 2 500 établissements de santé, publics et privés, hospitalisation à domicile comprise. L’évaluation est quadriennale. Aussi, nous évaluons environ 650 établissements de santé chaque année. Les enjeux sont les suivants : s’assurer de la qualité de la dispensation des soins ; valoriser l’insertion territoriale de l’établissement ainsi que la construction du parcours de soins. Le référentiel distingue, depuis plus de cinq ans, trois niveaux de mesure : le patient – son information, son accueil ; les équipes de soins – notamment leur maîtrise des risques liés à leur pratique ; la gouvernance de l’établissement – la politique de santé des professionnels de santé, par exemple, dans un contexte de pénurie. Tous ces critères nous donnent une vision de l’établissement.

La question du positionnement territorial est cruciale, car la prise en charge d’un patient nécessite une interdépendance sans précédent entre des acteurs très divers du système de santé. Il faut une coordination très fine du parcours des patients, depuis l’amont jusqu’à l’aval, entre la santé de ville, les établissements et ce qui relève du soin à domicile.

Pour l’appréhender, nous avons défini plusieurs critères. Est-ce que l’établissement est un acteur local de la coordination sur le territoire ? Joue-t-il un rôle dans le projet territorial de santé mentale ? Fait-il en sorte de prévenir les transferts évitables de personnes âgées ? Il n’est pas simple pour un établissement de répondre à cette vocation territoriale, tout en satisfaisant ses propres missions et en s’assurant qu’elles sont en cohérence et bien articulées avec l’offre de soins du territoire. Dans la prochaine certification, en plus de l’usage du numérique en santé, figurera un nouveau point très précis sur l’utilisation de la télésanté pour améliorer le parcours des patients.

À la fin de l’année 2024, seuls 4 % des établissements étaient non certifiés et 9 % étaient certifiés sous condition – ils avaient une année pour répondre à un certain nombre de critères. Parmi les 87 % d’établissements certifiés, 23 % le sont avec la mention « haute qualité des soins ». Le taux de 87 % montre que, contrairement à certaines idées reçues, nos établissements sont réellement de grande qualité. D’ailleurs, les patients eux-mêmes le reconnaissent. La difficulté, c’est l’accès à l’établissement. Mais lorsque le soin débute, il est satisfaisant.

Les taux de non-certification et de certification sous condition sont à peu près identiques dans le public et le privé. En revanche, les établissements privés, qu’ils soient à but lucratif ou non, sont, en pourcentage, deux fois plus nombreux à bénéficier de la mention « haute qualité des soins » – 15 % des établissements publics pour 29 à 30 % des établissements privés. Cela mérite une réflexion. L’offre de soins des établissements publics étant plus large que celle des établissements privés, il y a, de ce fait, une plus grande probabilité d’y rencontrer des difficultés – mais ce n’est qu’une hypothèse qui n’est pas démontrée.

Deuxième grand domaine : les indicateurs de qualité. La HAS élabore des indicateurs de qualité et de sécurité des soins. En 2006, il a été décidé avec le ministère de la santé qu’un recueil national en serait fait. Qu’est-ce qu’un indicateur ? Ce sont des informations sur les événements indésirables associés aux soins – les infections nosocomiales, par exemple. Il peut aussi y avoir des indicateurs plus précis sur la prise en charge de la douleur ou le suivi des patients après des soins en ambulatoire. Nous constatons qu’il y a eu une amélioration chiffrable dans un certain nombre de domaines, que ce soit pour les infections nosocomiales ou la prise en charge des accidents vasculaires cérébraux.

Ces indicateurs servent d’abord à l’établissement et aux professionnels à des fins de pilotage de la qualité. Ils servent aussi aux usagers, car ils sont tous mis en ligne et accessibles sur le site de la HAS. Grâce au service en ligne Qualiscope, il suffit d’entrer le nom d’un établissement hospitalier pour avoir accès à l’ensemble de ces indicateurs. Il y a enfin une troisième utilisation : à des fins de régulation, dans le cadre du financement à la qualité.

S’agissant des compétences partagées, que d’autres appellent des délégations de tâches, la HAS est amenée à rendre des avis sur des protocoles de coopération. Nous nous sommes ainsi prononcés sur le suivi par les orthoptistes de certains glaucomes, sur la prise en charge des douleurs lombaires aiguës de moins de six semaines par les kinésithérapeutes ou sur un suivi de la pollakiurie, chez la femme de 16 à 65 ans, par les infirmiers. Nous sommes très favorables aux compétences partagées, qui ne peuvent toutefois se passer d’un cadre. La compétence et la formation du professionnel sont un critère indiscutable. Il faut savoir jusqu’où l’on peut aller. Peut-on concevoir une prescription, un accès direct sans diagnostic médical préalable ? Tout va dépendre de la pathologie. Nous ne sommes pas du tout fermés à l’idée d’un accès direct mais certains domaines nécessitent un grand encadrement.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quel est le budget de la HAS ? Et son nombre d’ETP (équivalents temps plein) ?

M. Lionel Collet. Son budget est de l’ordre de 73 millions d’euros.

M. Jean Lessi, directeur général de la Haute Autorité de santé. Pour 2025, le plafond est de 452 ETP.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. À qui s’adressent vos recommandations ? Sont-elles associées à des obligations ?

Prenez-vous en compte le taux d’intérimaires dans vos certifications ? Leur rémunération moyenne ? Regardez-vous également le pourcentage de Padhue (praticiens à diplôme hors Union européenne) au sein des établissements et leur rémunération ?

Quelles sont les conséquences d’une non-certification pour un établissement ?

Enfin, comment expliquez-vous la différence de mentions « haute qualité des soins » entre le public et le privé ?

Nous voulons tenter de proposer des solutions à la crise médicale que le pays traverse mais aussi comprendre comment cela fonctionne au plus haut niveau de l’État, comment les autorités indépendantes et les directions générales interagissent avec les hôpitaux et peuvent leur permettre de progresser.

M. Lionel Collet. La HAS a été créée pour éclairer les décisions des pouvoirs publics. Puis elle a acquis des pouvoirs de décision. Depuis 2021, nous décidons de l’accès précoce aux médicaments innovants dans les maladies rares, graves ou invalidantes.

Les recommandations de bonnes pratiques sont d’abord destinées aux professionnels de santé concernés.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Sont-elles administratives et médicales ?

M. Lionel Collet. Elles sont pour les personnels sur le terrain mais il faut que l’administration s’assure de la pertinence des pratiques dans l’établissement. C’est toute une culture de la qualité. Nos recommandations ne sont pas opposables. Mais, en réalité, en cas de contentieux, le juge regarde si le praticien les a respectées. Elles ne sont pas opposables, parce qu’il y a une liberté de prescription et d’action des professionnels de santé. Il va de soi, cependant, qu’ils sont supposés les suivre.

La certification, en revanche, est une décision. Sachez d’ailleurs que, lorsque nous en publions une, l’établissement peut faire un recours gracieux. Une certification « haute qualité des soins », ou une certification simple, ont des conséquences sur une partie de la dotation de l’établissement. Un établissement non certifié ou certifié sous condition doit, quant à lui, discuter avec l’agence régionale de santé (ARS) dont il relève, puisqu’il doit rétablir sa situation – notre pays n’applique pas une logique de fermeture.

La question de l’opposition entre public et privé est très difficile car, globalement, le pourcentage d’établissements certifiés est le même des deux côtés. La différence se situe dans la haute qualité des soins. Ainsi, les trois quarts des centres de lutte contre le cancer (CLCC) ont reçu cette mention, le dernier quart étant certifié, mais il faut aussi souligner qu’ils ne traitent qu’un seul type de pathologie, et qu’il est plus facile de respecter la qualité dans ce domaine. Il existe, en revanche, des domaines où la qualité est moins bonne, notamment dans le secteur de la psychiatrie ou dans celui des services d’urgences – de fait, un CLCC n’a pas de service de psychiatrie. Ces établissements, considérés comme des établissements privés puisqu’il s’agit de fondations, comme les Espic – établissements de santé privés d’intérêt collectif –, remontent le niveau de haute qualité des soins dans le cadre privé.

Nous avons par ailleurs constaté, à notre étonnement, que la taille de l’établissement ne joue pas, alors que les différentes disciplines au sein de l’établissement sont un facteur qui a plus d’incidences.

Quant aux intérimaires et aux Padhue, nous ne disposons pas du chiffre, mais pourrions le rechercher, car ils seront de plus en plus présents dans les établissements. Toutefois, à ma connaissance, ce chiffre ne fait pas partie de nos critères.

M. Jean Lessi. Parmi les critères du référentiel de certification, nous étudions d’un point de vue qualitatif la prise en compte par la politique de ressources humaines de l’établissement de ces formes particulières d’emploi pour garantir la sécurité et la continuité des prises en charge. Il y a, au cas par cas, un dialogue avec l’établissement lorsque nos experts visiteurs sont sur place. Ils observeront aussi, le cas échéant, le taux de recours à l’intérim médical en examinant la manière dont l’établissement s’organise pour éviter les répercussions sur la qualité et la continuité des prises en charge. Nous n’avons cependant pas de statistiques nationales, parce que nous effectuons les visites sur un cycle de quatre ans et n’avons donc pas, à un instant T, de vision consolidée au niveau national, mais nous examinons le problème qualitativement, car une mauvaise gestion de cet aspect serait un facteur de non-qualité.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je souhaiterais que vous nous communiquiez une version exhaustive du référentiel de certification.

En matière de bonnes pratiques, vous ne semblez pas faire de différence lorsqu’il s’agit d’un établissement privé ou d’un gros établissement public disposant de moyens plus importants pour embaucher des chirurgiens ou des médecins urgentistes qui peuvent avoir pris un poste bi-site ou d’autres types de primes et créant indirectement une concurrence déloyale avec de plus petits établissements qui n’ont pas nécessairement les mêmes moyens. Il y va de la bonne pratique, et même du respect de la loi, mais est-ce un aspect que vous examinez ?

M. Lionel Collet. Ce que nous examinons, c’est la politique de maîtrise des ressources – notamment humaines – que mène l’établissement et nous n’allons pas jusqu’au niveau de détail que vous évoquez. Nous vous enverrons notre référentiel qui, pour son sixième cycle, compte 132 critères, ce qui couvre un champ très large. Nous vérifierons à nouveau ce point mais, à ma connaissance, il n’en fait pas partie. L’importance de ce point sur un territoire est indiscutable, mais notre approche est très qualitative.

M. Jean Lessi. Après la visite de certification, le rapport y afférent et la mention accordée, vient l’aval, c’est-à-dire l’accompagnement de l’établissement lorsque des mesures correctives et des améliorations sont nécessaires. Nous développons un dialogue territorial avec les ARS, avec lesquelles nous avons des réunions régulières pour balayer les différents dossiers et tenter de flécher l’accompagnement dont l’établissement a besoin. Selon sa taille et ses contraintes, et compte tenu de différents enjeux de sécurité et de maîtrise des risques, l’objectif est de parvenir à un accompagnement adapté avec les structures régionales d’appui et les observatoires du médicament, des dispositifs médicaux et de l’innovation thérapeutique, (Omédit), selon les problèmes rencontrés. C’est là que l’on peut vraiment faire du « cousu main », en fonction des ressources et des capacités de l’établissement. Si la loi a voulu nous fixer la qualité comme référentiel unique et national, les mesures à prendre, en revanche, doivent être adaptées en fonction du territoire, ainsi que de la taille et des moyens de l’établissement, ce qui suppose un bon dialogue entre nous, les ARS et l’établissement. Nous y sommes très attachés.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous convenez tout de même que les moyens permettent de dégager une meilleure qualité : il est factuel que plus on a de moyens, plus on peut avoir de chirurgiens et de médecins. Ne prenez-vous pas en compte ce critère ?

M. Jean Lessi. Il est vrai que les ressources dont on peut disposer – en quantité comme sur le plan de la formation et de la qualification – contribuent à une bonne qualité, mais certains établissements moins bien dotés peuvent aussi présenter une meilleure qualité que d’autres mieux dotés car, outre les ressources humaines, certains déterminants comme la bonne coopération, le travail en équipe et la coordination interprofessionnelle sont aussi des facteurs de qualité.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Et le ratio professionnels-patients ?

M. Jean Lessi. C’est en effet un élément de qualité, mais ce n’est pas le seul et il peut ne pas suffire. On nous a parfois dit durant l’épidémie, et on nous dit parfois encore, que la certification, la couche qualité, vient s’ajouter comme un élément supplémentaire pour des équipes déjà très sollicitées. Or nous constatons sur le terrain qu’au contraire, la qualité est ce qui fait sens. Certaines équipes en sous-effectif surcompensent parfois par un engagement et par une meilleure coordination pour atteindre un bon résultat en matière de qualité.

M. Lionel Collet. Le ratio soignants-soignés est un sujet de recherche pour lequel nous avons reçu, depuis fin janvier, une mission supplémentaire. Nous devons être très vigilants en la matière, car notre souci est vraiment la culture de la qualité dans l’établissement. Il semble aller de soi que l’on puisse disposer d’un nombre minimum de professionnels, mais nous voulons des professionnels de grande qualité. Nous avons donc inscrit, par exemple, parmi les critères de certification impératifs – ce qui ne signifie pas qu’ils soient rédhibitoires, mais le fait qu’un établissement ne les remplisse pas bien peut remettre en cause la certification ou la rendre conditionnelle – le respect des règles de bon usage en matière de prescription ou d’administration des médicaments, ou la maîtrise de l’ensemble des risques obstétricaux, question d’une actualité avec l’augmentation de la mortalité infantile.

Il y a donc bien une question quantitative de moyens, dont le ratio soignants-soignés est un élément, mais il se pose aussi celle des compétences des professionnels. Ces compétences doivent répondre à la pertinence des actes telle que nous la recommandons, mais un autre critère de la qualité sera le dispositif – pas encore opérationnel en France – de la certification périodique des professionnels de santé, censée être en vigueur depuis le 1er janvier 2023 et qui a vocation à supplanter le développement professionnel continu, en faisant passer le délai de trois à six ans.

Un dernier critère est l’accréditation des médecins des spécialités à risque. Voilà déjà un peu plus de vingt ans que les spécialités liées au bloc opératoire – chirurgiens et anesthésistes-réanimateurs – peuvent, à titre facultatif, demander tous les quatre ans leur accréditation par la Haute Autorité de santé. Sur 30 000 médecins éligibles, 10 000 sont accrédités. Cela ne signifie pas que les 20 000 autres soient mauvais, mais ils exercent, pour les trois quarts d’entre eux, dans le secteur privé. L’assurance maladie aide, au moyen d’une dotation, les médecins accrédités, ce qui leur permet de prendre en charge une partie des primes d’assurance correspondant aux risques élevés liés à leur profession. Or il s’agit là d’un critère de qualité. Si nous devions raisonner sous l’angle quantitatif, il serait intéressant de voir comment accroître le nombre de médecins et d’équipes médicales accrédités. Il s’agit là vraiment d’activité et cela peut être quantifié. Nous utilisons ce critère dans la certification, mais il est plutôt indicatif – il permet de connaître la proportion de médecins accrédités dans l’établissement.

M. le président Jean-François Rousset. Nous vous venons aux questions des autres députés.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Selon un rapport de la HAS, 63 % des événements indésirables graves – à l’occasion desquels des patients sont handicapés à vie, frôlent la mort ou décèdent – seraient évitables et la moitié d’entre eux seraient causés par des erreurs d’organisation des soins ou des retards de prise en charge et l’analyse profonde de ces événements montrerait que le problème serait lié à la charge de travail, à la fatigue des personnels. Avez-vous un commentaire à ce propos ? Y a-t-il sous-déclaration de ces événements et les chiffres sont-ils supérieurs ?

De quoi la loi du 29 janvier 2025 relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé, ou « loi ratio », doit s’accompagner pour être totalement efficiente et améliorer les conditions de travail ?

Pour ce qui est de la certification, les urgentistes de nos circonscriptions nous disent que la visite de certification est pour eux le meilleur moment car, lorsqu’elle est annoncée, les services sont « nickel » – à Limoges, par exemple, les soixante-dix personnes qui attendaient dans les couloirs disparaissent et on trouve de la place et des lits en aval, dans les étages. Pourquoi la certification ne se ferait pas par contrôles inopinés, sans avertissement, dans les hôpitaux ?

Quant à la qualité des personnels, quel est votre regard sur la formation des infirmiers, notamment sur le fait qu’en période de mortalité infantile, ils ne fassent pas de réanimation pédiatrique ? Que penser de la sélection des candidats infirmiers par Parcoursup, au vu de l’augmentation vraisemblable du taux d’abandon ?

Enfin, que pensez-vous du récent décret autorisant tous les infirmiers à accomplir certaines des missions des Ibode, ou infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État, qui avaient antérieurement besoin d’une formation pour assurer cette fonction ? Cet élargissement se traduit par une perte de compétence et de qualification dans les blocs opératoires.

M. Jean Lessi. Pour ce qui est des éléments indésirables graves, vous avez tout à fait raison. Il incombe à la HAS de centraliser toutes les déclarations d’événements indésirables graves liés aux soins, qui sont transmises par les établissements aux ARS et consolidées au niveau national dans une base de données dont nous extrayons régulièrement des données sur des thématiques particulières pour les exploiter et formuler des préconisations ou des conseils en matière de bonnes ou de mauvaises pratiques. Ainsi, nous avons récemment travaillé sur les éléments indésirables graves liés à la santé périnatale, travail qui, dans le contexte actuel, me semble pouvoir être très intéressant pour vous et pour les pouvoirs publics.

Par ailleurs, bien que le nombre de déclarations augmente régulièrement, on voit bien que la sous-déclaration persiste, ne serait-ce que parce que la plupart des déclarations d’événements indésirables que nous recevons proviennent de l’hôpital, alors que cette obligation s’impose aussi, en théorie, à la ville. La sous-déclaration tient également à une culture de qualité insuffisante, non que les professionnels de santé ne se soucieraient pas de la qualité, mais parce que la démarche qualité est une chose différente. L’augmentation, d’année en année, du nombre de déclarations ne nous paraît du reste pas être le signe que la situation empire, mais que certaines choses qu’on ne voyait pas commencent à émerger.

L’exploitation de ces données montre que les événements indésirables ont souvent un caractère multicausal : ils tiennent à un enchaînement de causes profondes, sans qu’aucune barrière de sécurité ait permis d’interrompre le processus, donnant lieu à des décès ou à des complications graves. Des phénomènes de fatigue des soignants, de pression et de surcharge peuvent jouer, ainsi que des facteurs purement organisationnels. D’autres facteurs sont liés à la maîtrise des risques dans le secteur médicamenteux – un mauvais rangement des ampoules peut conduire une personne fatiguée à prendre la mauvaise ampoule au mauvais dosage, rangée au mauvais endroit, pour l’administrer au patient, et à oublier d’assurer le suivi. Les chiffres que vous citez pour cet enchaînement de facteurs sont bien les nôtres.

Pour ce qui est des ratios, la loi a été votée et nous attendons une saisine de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la santé, qui y travaille, pour voir comment traiter ce sujet. Comme cela a été dit, le ratio n’est qu’un des déterminants de la qualité de prise en charge, mais pas le seul. Il s’agit donc d’y travailler avant tout par la concertation et l’écoute, parce que des visions assez variées s’expriment en la matière. Nous sommes convaincus qu’il peut en sortir des indications très intéressantes sur le terrain, mais nous allons prendre d’abord le temps de la saisine et de la concertation, puis travailler dans une logique de coconstruction, comme la HAS en a coutume et comme elle le fait pour les recommandations de bonnes pratiques. En effet, nous ne travaillons pas en chambre, mais toujours avec les professionnels de terrain. Le référentiel de certification a été coconstruit avec toutes les fédérations et des professionnels. Les bonnes pratiques réunissent des groupes de travail de vingt à trente experts en exercice sur le terrain : nous allons procéder de même pour les ratios.

M. Jean Lessi. Pour ce qui est de la certification surprise, je rappelle que la HAS est une autorité publique indépendante qui n’a pas de pouvoir de police, d’inspection ou de contrôle. Nous ne pouvons donc pas débarquer dans un établissement pour organiser la certification. Surtout, la HAS a été créée, selon les termes de la loi, comme une autorité publique indépendante à caractère scientifique. Il s’agit pour nous de mesurer la qualité afin que l’établissement puisse l’améliorer. Nous ne procédons donc pas par surprise, parce que nous ne disposons pas d’un cadre pour ce faire et parce que nous n’en avons pas besoin.

M. Jean Lessi. J’ajoute que la certification par la HAS est une certification de pair à pair, qui n’est pas le fait d’agents de la HAS, mais de visiteurs qui sont des professionnels de santé en poste dans d’autres établissements ou de jeunes retraités qui donnent une partie de leur temps pour évaluer les pratiques de leurs pairs dans un cadre défini par la HAS, avec des formations et un accompagnement dispensés par celle-ci. Ce n’est pas la même posture que celle d’une autorité de police représentée par des agents de contrôle munis d’une carte bleu-blanc-rouge. Dans la configuration de notre certification, le contrôle inopiné est donc difficile.

M. Lionel Collet. La question de l’accès aux études en soins infirmiers via Parcoursup ne relève pas du périmètre de la HAS. Je me permettrai toutefois d’y répondre en tant qu’ancien président de l’université Claude Bernard-Lyon 1, où sont inscrits chaque année 35 000 étudiants, dont environ 40 % en études de santé et 40 % en sciences, le reste suivant une formation dans d’autres domaines, comme l’enseignement. J’ai toujours été étonné par le niveau d’exigence requis pour devenir masseur-kinésithérapeute : les lauréats du concours, qui avait lieu à l’issue de la première année de médecine, étaient des bacheliers ayant obtenu une mention bien, voire très bien au baccalauréat, ce qui indique le poids des déterminants sociaux. À l’inverse, les études en soins infirmiers permettaient une certaine promotion sociale. J’aimerais que l’on nous garantisse que Parcoursup conservera la diversité de profils qui existait il y a vingt ans parmi les élèves infirmiers.

En raison du nombre insuffisant d’infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État, il a été jugé préférable de former des infirmiers permettant de faire tourner les blocs sans avoir la qualité d’Ibode. C’était une position pragmatique dans l’intérêt des établissements. Nous souhaitons évidemment tous que des infirmiers bien formés travaillent au bloc opératoire.

M. Lionel Tivoli (RN). Dans de nombreux Ehpad, la difficulté d’accès aux soins dépasse la seule question des effectifs. Elle devient un facteur de maltraitance, parfois passive, parfois bien plus préoccupante. On y observe souvent un personnel soignant en sous-effectif, accablé de tâches administratives et privé des moyens d’assurer convenablement les soins les plus élémentaires. Dans mon département, plusieurs signalements ont été effectués pour des cas de maltraitance plus ou moins graves. Ces situations sont souvent aggravées par un autre phénomène : la gestion des établissements par de grands groupes financiers dont la logique de rentabilité entre en contradiction frontale avec les impératifs de qualité, de dignité et d’humanité de la prise en charge. On m’a également signalé que, dans certains établissements, la direction aurait la possibilité de supprimer les événements indésirables signalés dans le système interne, ce qui empêche une remontée fiable des dysfonctionnements de ces structures.

La Haute Autorité de santé est chargée d’élaborer des référentiels, de recommander des bonnes pratiques et d’évaluer la qualité des établissements médico-sociaux. Que peut-elle réellement pour assurer l’accès aux soins dans les Ehpad privés à but lucratif, où la logique financière prime parfois sur la qualité des soins ? En cas de maltraitance signalée ou de défaillance systémique, est-elle compétente pour intervenir ou alerter et, si oui, quels leviers peut-elle mobiliser pour garantir la prise en charge continue et humaine de nos aînés ? En tant que députés, nous recevons de nombreuses lettres d’alerte. Nous nous interrogeons sur les actions possibles en amont et sur le traitement réservé aux signalements effectués, parfois à de multiples reprises, par des familles abandonnées et dépourvues de tout recours.

M. Lionel Collet. Les Ehpad font partie des 41 000 établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS) que nous avons pour mission d’évaluer – et non d’autoriser, contrairement aux 2 500 établissements de santé. Cette évaluation doit avoir lieu tous les cinq ans, ce qui représente 8 000 évaluations par an. Nous n’avons pas les moyens de les réaliser nous-mêmes. C’est pourquoi le Comité français d’accréditation (Cofrac) accrédite des organismes chargés d’évaluer les ESMS à partir d’un référentiel élaboré par la HAS. Nous analysons ensuite les résultats de l’évaluation. Ce système ayant été lancé en 2023, 2024 a été la première année pleine, avec environ 11 000 établissements évalués. Nous présenterons dans les prochaines semaines une analyse globale de ces évaluations. Je me permets au passage un commentaire sur la qualité des évaluations : c’est chaque ESMS qui choisit et rémunère lui-même l’organisme qui doit l’évaluer… Cela mérite réflexion.

Il y a quelques mois, nous avons publié le guide « Bientraitance et gestion des signaux de maltraitance en établissement » qui vise à aider les professionnels des établissements sanitaires, médico-sociaux et sociaux à repérer ces faits. Il va de soi que la bientraitance et la maltraitance sont des critères lors de la certification ou de l’évaluation de ces établissements.

La HAS reçoit environ 2 500 courriers d’usagers par an, tous établissements confondus, dont certains font état de situations comparables à celles que vous évoquez. Si la situation nous paraît inquiétante, nous n’hésitons pas à aller jusqu’à utiliser l’article 40 du code de procédure pénale.

M. Jean Lessi. Nous avons évalué environ 2 000 Ehpad, lesquels représentent 7 500 des 41 000 ESMS français. La publicité des évaluations est prévue par la loi, mais nous attendions un décret d’application qui vient de paraître. À partir de juillet, nous publierons donc la synthèse des rapports d’évaluation par établissement ; elle comportera une échelle qualité, c'est-à-dire un score, et un graphique radar présentant les notations sur les différents critères du référentiel. Nous espérons que cela créera un électrochoc chez les établissements les plus en difficulté.

Le guide d’octobre 2024 sur la bientraitance indique deux critères d’évaluation impératifs dont le poids dans la note finale est plus important : l’existence d’un plan de bientraitance et de prévention de la maltraitance au sein de l’établissement – certains n’en ont pas – et les suites données aux signalements et aux plaintes. La HAS, en tant qu’autorité de la qualité des soins, est très attachée à la bientraitance. Elle siège au comité de pilotage de la stratégie nationale de lutte contre les maltraitances, auquel elle contribue régulièrement.

M. Lionel Tivoli (RN). Est-il vrai que les directions d’Ehpad ont la possibilité de supprimer les événements indésirables du système, ce qui viderait le processus de sa substance ?

M. Jean Lessi. C’est illégal. Si nous l’apprenons incidemment dans le cadre d’une démarche qualité, nous utilisons l’article 40 du code de procédure pénale. Toutefois, l’inspection et le contrôle des établissements relèvent de la responsabilité des ARS et des conseils départementaux. Il faudra voir si les rapports d’inspection qui seront publiés à l’été font état de ces pratiques.

M. Théo Bernhardt (RN). La HAS évalue régulièrement de nouveaux dispositifs visant à faciliter l’accès aux soins en autorisant la délégation de tâches traditionnellement réservées aux médecins. C’est le cas de la vaccination par les pharmaciens d’officine, initialement expérimentée avec la vaccination antigrippale, ou du renouvellement des ordonnances par les pharmaciens. Les infirmiers en pratique avancée sont désormais habilités à suivre des patients atteints de maladies chroniques stabilisées, ce qui leur permet d’effectuer des prescriptions et actes médicaux spécifiques auparavant réservés aux médecins. Enfin, les orthoptistes peuvent réaliser certains examens ophtalmologiques comme les bilans visuels ou la prescription de corrections optiques simples.

La HAS dispose-t-elle de résultats chiffrés concernant le bénéfice réel de ces expérimentations pour l’accès aux soins en matière de réduction des délais d’attente, d’augmentation de la couverture vaccinale ou de diminution de la surcharge des médecins ? Ces dispositifs montrent-ils des limites particulières en termes de sécurité ou de qualité des soins ? Estimez-vous possible et souhaitable de généraliser ces pratiques à l’ensemble du territoire national et, si oui, dans quelles conditions ?

M. Lionel Collet. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous adhérons totalement à la délégation de tâches et aux compétences partagées que vous avez citées en exemple. Toutefois, la HAS est chargée d’émettre des avis sur les protocoles de coopération, et non de les évaluer a posteriori. Nous n’avons donc malheureusement pas les données que vous demandez ; elles sont essentielles pour la généralisation des expérimentations, mais la plupart des expérimentations n’atteignent pas ce stade.

Il ne faut pas parler par conviction quand on représente une autorité scientifique, mais je crois fortement à la qualité de la formation. C’est ce qu’a montré le débat sur la vaccination antigrippale : pendant dix ans, les infirmiers n’ont pu vacciner contre la grippe que les personnes qui avaient déjà été vaccinées, jusqu’à ce que le ministre de l’époque saisisse la HAS et que celle-ci démontre, en s’appuyant sur les recherches existantes, que la primo-vaccination par un infirmier ne causait pas plus d’accidents. Aujourd’hui, la population n’hésite pas à aller chez le pharmacien pour se faire vacciner.

Mme Josiane Corneloup (DR). Nous avons auditionné il y a quelques semaines Mathias Wargon, chef du service des urgences de l’hôpital Delafontaine, en Seine-Saint-Denis. La question des effectifs et des fermetures de lits a été abordée. Il nous a dit qu’il n’y avait pas de lits dans les couloirs de son hôpital. Quand nous lui avons demandé si cela était dû au nombre de soignants, il a clairement répondu que non et que le point essentiel tenait à l’organisation du service ; sans une bonne organisation, a-t-il dit, on ajoute du bazar au bazar.

Le volet organisationnel est essentiel pour la qualité des soins, la prévention de la maltraitance et la qualité de vie au travail du personnel. Les chefs des urgences sont aussi des managers. Sont-ils formés pour cela ? N’y a-t-il pas là un nouveau métier spécifique pour les hôpitaux et les Ehpad ? Comment appréciez-vous ce volet organisationnel dans les protocoles de lutte contre la maltraitance et lors de la certification qualité ?

M. Lionel Collet. Il y a un minimum de professionnels indispensable pour qu’un établissement tourne, mais ce n’est effectivement pas parce qu’il y a plus de personnel qu’il tournera mieux. Je ne doute pas que le service de M. Wargon, que je n’ai pas visité, puisse fonctionner grâce à une bonne organisation. Cela veut-il dire que, si un service ne fonctionne pas bien, c’est parce que les responsables n’ont pas choisi la bonne organisation ? Je n’ai pas de réponse à cette question. Il est certain qu’ils n’ont pas été formés pour cela. Une formation au management d’équipe me paraît indispensable pour les professionnels de santé qui occupent les fonctions de chef de service ou de chef de pôle, mais elle n’est pas requise et ne figure pas au programme des études de médecine.

M. Jean Lessi. Nous venons de terminer le cinquième cycle quadriennal de certification. Le sixième débutera en septembre 2025 avec un référentiel actualisé qui met davantage l’accent sur les attendus en termes de formation des managers, y compris en matière de violences sexistes et sexuelles. S’ils sont sensibilisés à la question, ils pourront élaborer un protocole de prévention. Cela vaut pour d’autres sujets.

Les organismes d’évaluation vérifient s’il existe un plan de lutte contre la maltraitance dans les Ehpad et s’il est bien appliqué. Dans les prochains mois, la HAS s’attellera à définir ce qu’est un plan de prévention acceptable en s’inspirant des bonnes pratiques observées sur le terrain afin d’outiller les établissements. Nous y travaillons avec les structures régionales d’appui.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quelles sont, concrètement, les différences de champ d’intervention entre la HAS, le Haut Conseil de la santé publique, la Conférence nationale de santé (CNS) et le Conseil stratégique de l’innovation en santé (Csis) ?

Ne pensez-vous pas qu’il faudrait rendre plus concret l’examen permettant aux Padhue d’obtenir leur équivalence ? Plusieurs personnes auditionnées en ont déploré la difficulté et la décorrélation avec les attentes du terrain.

M. Lionel Collet. Il ne faut pas oublier que notre système de santé fonctionne aussi grâce aux Padhue. Les textes prévoient des épreuves de vérification des connaissances calquées sur l’examen classant national, qui permet d’accéder à l’internat ; la question est de savoir combien de semestres de formation sont nécessaires pour y arriver. Si j’ai bien compris, il y a plus de candidats que de postes, surtout cette année où le nombre de postes réellement ouverts est moins important qu’annoncé.

Mon sentiment est qu’il ne faut pas relâcher l’exigence sur la qualité des professionnels, indépendamment du lieu où ils ont été formés. On ne peut pas accepter qu’un praticien exerce avec un niveau moindre qu’un médecin formé dans l’Union européenne. Sans cela, nous prenons le risque d’une perte de chances pour les patients. Nous avons besoin des Padhue ; beaucoup d’entre eux sont remarquables, mais il faut s’assurer de leur qualité.

M. Jean Lessi. Les trois missions de la HAS sont d’évaluer les produits de santé en vue de leur remboursement, de recommander les bonnes pratiques aux professionnels des établissements de santé, sociaux et médico-sociaux, et d’évaluer leur qualité en assurant l’évaluation des ESMS et la certification des hôpitaux. Ces missions ne recoupent en rien celles de la CNS ou du Csis. Il y a une légère interférence avec le Haut Conseil de la santé publique, qui peut être saisi par le ministre pour émettre un avis sur des sujets de santé publique et recommander des stratégies sur la vaccination des voyageurs, en effet la HAS émet des recommandations vaccinales générales, par exemple sur les infections à méningocoques ou sur la grippe. Cependant, en pratique, nous ne nous marchons pas sur les pieds.

M. le président Jean-François Rousset. Si vous le souhaitez, vous pourrez compléter vos propos en renvoyant au secrétariat de la commission d’enquête les réponses au questionnaire que nous vous avons envoyé. Pour avoir vécu les premières étapes de la certification des établissements et des chirurgiens, je suis convaincu que tout cela marche bien.

*

*     *


–  1  –

6.   Table ronde, ouverte à la presse, sur le système hospitalier public, réunissant M. Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Mme Zaynab Riet, déléguée générale et M. Vincent Prévoteau, président de l’association des directeurs d’hôpital, directeur des Centres hospitaliers de Rodez, d’Espalion, de St Geniez d’Olt, du Vallon, de Decazeville et de l’EHPAD d’Aubin

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons aujourd’hui les travaux de notre commission d’enquête sur l’organisation du système de santé et les difficultés d’accès aux soins en nous concentrant sur le système hospitalier public.

La FHF vient de publier son deuxième baromètre de l’accès aux soins, mettant en évidence une amorce de reprise qui nécessite un soutien pour enrayer la dégradation de l’accès aux soins et éviter un retour en arrière significatif, notamment au vu de la situation financière des établissements.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Arnaud Robinet prête serment.)

M. Arnaud Robinet, président de la Fédération hospitalière de France (FHF). Cinq ans après la crise de la Covid-19, notre système de santé reste sous forte pression. La santé constitue la deuxième préoccupation de nos concitoyens, juste après le pouvoir d’achat. Et pourtant, l’accès aux soins devient de plus en plus difficile au quotidien.

Je souhaite mettre en lumière le rôle crucial des hôpitaux publics dans l’accès aux soins. L’hôpital public assure 55 % des séjours hospitaliers et 70 % des séjours avec nuitée, par nature plus lourds. Le service public prend également en charge 80 % des séjours en obstétrique, 85 % en réanimation, la majorité des cancers lourds et 100 % des greffes d’organes. Les centres hospitaliers universitaires (CHU) obtiennent le plus fort taux de certification « haute qualité des soins » avec 35 % contre 29 % pour le secteur privé lucratif et 30 % pour le secteur privé associatif. L’hôpital public gère 81 % des 21 millions de passages aux urgences annuels et assure 83 % de l’activité de permanence des soins la nuit et le week-end. Ces chiffres traduisent des vies sauvées, 24 heures sur 24, 365 jours par an.

Le secteur public représente également 300 000 places pour les personnes âgées et handicapées, gérées par les hôpitaux ou les établissements publics autonomes, assurant un maillage territorial essentiel. Dans certaines régions, les établissements publics sont souvent les seuls à garantir une offre de soins, notamment pour les besoins non programmés.

Malgré leur engagement, les établissements publics font face à de lourdes difficultés financières. Le déficit des hôpitaux publics atteindra 2,8 milliards d’euros en 2024, soit cinq fois plus qu’en 2019. Ce déficit n’est pas dû à une mauvaise gestion, mais résulte d’un sous-financement chronique, aggravé par la crise sanitaire et l’inflation. Il persiste malgré le milliard d’euros supplémentaires annoncé dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2025 et d’autres avancées comme le Ségur de la santé qui a permis d’engager 19 milliards d’euros d’investissement pour reconstituer les capacités financières des établissements. De 2011 à 2019, les tarifs hospitaliers ont diminué chaque année, entraînant une décennie de désinvestissement tarifaire. Les hausses tarifaires post-Covid n’ont que partiellement compensé l’augmentation des charges.

Le secteur médico-social connaît également une crise profonde. En 2023, 85 % des établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) publics étaient déficitaires, une situation aggravée par l’augmentation non compensée des cotisations à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL). La pérennité de cette offre publique, souvent la seule accessible dans certains territoires, est en jeu.

Concernant les ressources humaines, malgré quelques signaux positifs, les tensions persistent. Notre dernière enquête révèle que 98 % des hôpitaux rencontrent des difficultés de recrutement de médecins dans au moins une spécialité, notamment en gériatrie, urgences, psychiatrie, radiologie et anesthésie. Ces tensions s’expliquent par une démographie médicale globalement insuffisante et une désaffection pour certaines spécialités pourtant cruciales.

Pour lutter contre les déserts médicaux, la FHF propose plusieurs leviers concrets : favoriser les disciplines en tension dès la formation, réinstaurer une participation généralisée à la permanence des soins pour les jeunes médecins, instaurer un crédit temps territorial, encadrer l’installation en secteur 2 dans les zones bien pourvues, encourager l’universitarisation maîtrisée des territoires, faciliter l’exercice mixte entre ville et hôpital, et renforcer le rôle des hôpitaux de proximité. Toutes ces propositions sont concrètes et opérationnelles avec des traductions récentes comme dans le GHT 72 dans la Sarthe qui a été précurseur avec son équipe paramédicale d’urgence et sa maison de santé implantée au sein même de l’hôpital.

Le baromètre FHF-Ipsos de mars dernier montre que les inégalités en matière d’accès aux soins se creusent. Plus de deux tiers des Français ont renoncé à au moins un acte de soins ces cinq dernières années, tous secteurs confondus. La situation est particulièrement critique en psychiatrie, où 41 % des personnes nécessitant un psychiatre n’ont pas pu obtenir de rendez-vous. Dans ce contexte l’hôpital public est en première ligne et il tient. En 2024, son activité a progressé de 4,6 % mais cet engagement a un coût humain qui mérite reconnaissance, soutien et moyens durables. Face à cette situation, deux leviers doivent être mobilisés dont en premier lieu la pertinence des soins.

Cette pertinence est un enjeu majeur qui garantit la qualité des prises en charge tout en assurant la soutenabilité de notre système face au vieillissement et à l’augmentation des maladies chroniques. La Fédération demande un engagement fort dans la lutte contre les actes inutiles ou redondants, proposant de cibler une dizaine d’actes à fort volume et à faible valeur ajoutée, souvent surfinancés. La FHF propose également de lancer une campagne grand public pour faire de la pertinence un enjeu partagé de qualité et de sécurité.

Par ailleurs, notre système de santé solidaire ne pourra se maintenir s’il reste ancré dans une logique uniquement curative. La prévention constitue un élément clé pour garantir l’accès aux soins pour tous. En intervenant en amont, elle permet de réduire les inégalités, de fluidifier les parcours et d’assurer un système de santé plus équitable. Il est important de noter que 40 % des cancers pourraient être évités et qu’un nombre bien plus important d’entre eux pourraient être guéris s’ils étaient diagnostiqués plus tôt.

La prévention présente également l’avantage de réduire les dépenses publiques. Comme le souligne la Cour des comptes, une année d’espérance de vie en bonne santé supplémentaire représente une économie de 1,5 milliard d’euros pour l’assurance maladie. La prévention n’est donc pas un coût, mais un investissement, y compris à court terme, notamment grâce à la vaccination.

La FHF avance plusieurs propositions concrètes pour structurer cette ambition préventive. Nous suggérons de définir un cap politique clair avec des objectifs de santé publique partagés, notamment en matière d’espérance de vie en bonne santé et de déterminants de santé publique. Nous préconisons également d’intégrer systématiquement la prévention à chaque passage d’un patient dans un établissement public pour informer, dépister et accompagner.

Nous devons aussi avoir le courage de repenser l’organisation de l’offre de soins. Pour garantir un accès équitable à des soins de qualité et sécuriser les parcours, il est nécessaire de structurer l’offre de soins à l’échelle des territoires. Cela implique une gradation des soins, où chaque niveau (soins de proximité, soins spécialisés, soins de recours) doit être clairement défini et articulé. Cette organisation est essentielle pour éviter les ruptures de parcours, améliorer les prises en charge et mieux répondre aux besoins des patients là où ils vivent.

Nous plaidons également pour la généralisation d’un modèle d’organisation structurée et éprouvée appelé la responsabilité populationnelle. Ce modèle repose sur une logique d’intégration des soins à l’échelle d’un territoire, avec des objectifs partagés entre acteurs, des indicateurs de résultats en santé publique et une allocation de moyens adaptés à la population. Les résultats de ce modèle sont concrets et significatifs. Nous observons une réduction de près de 50 % de la part des séjours pour diabétiques arrivant par les urgences, passant de 22 % fin 2019 à 13 % fin 2024. La part des longs séjours a également diminué de 50 %, passant de 26 % en 2019 à 13 % en 2024. Parallèlement, nous constatons une augmentation de 70 % de la part des soins ambulatoires, passant de 34 % en 2019 à 58 % fin 2024. De plus, le coût moyen par patient est 6 % inférieur à la moyenne nationale.

Ces chiffres ne sont pas de simples statistiques. Ils traduisent une amélioration concrète de la prise en charge des patients et une fluidification des parcours de soins. C’est pourquoi la FHF demande que cette logique de responsabilité populationnelle soit étendue à l’ensemble du territoire français, car elle constitue un levier puissant pour favoriser l’accès aux soins.

En conclusion, l’hôpital public joue un rôle fondamental en tant que pilier de l’égalité d’accès aux soins, acteur performant de l’excellence en santé, de la recherche, de la formation et de la réponse concrète face aux crises. Cependant, pour maintenir ce rôle crucial, il est impératif de lui allouer les financements nécessaires, mais surtout de définir une stratégie claire, une programmation pluriannuelle et une reconnaissance politique de son rôle unique.

C’est dans cette optique que la FHF appelle de ses vœux une loi de programmation en santé. L’objectif n’est pas de dépenser plus, mais de dépenser mieux, en inscrivant dans la durée des objectifs de santé publique, des moyens cohérents et une visibilité partagée entre tous les acteurs du système de santé.

Derrière les chiffres présentés, il y a avant tout des équipes engagées, des usagers, des patients, des citoyens souvent acteurs, et des élus locaux qui s’impliquent pour faire vivre leur territoire. C’est en les citant que je souhaite conclure mon propos.

(M. Vincent Prévoteau prête serment.)

M. Vincent Prévoteau, directeur des centres hospitaliers de Rodez, d’Espalion, de Saint-Geniez-d’Olt, du Vallon, de Decazeville et de l’EHPAD d’Aubin. Je m’exprime ici non pas en tant que président de l’Association des directrices et directeurs d’hôpitaux, même si certaines de mes remarques refléteront nos propositions, mais en ma qualité de gestionnaire d’établissements de santé sur un territoire spécifique.

Je dirige plusieurs établissements dans l’Aveyron, territoire particulièrement attractif. Contrairement à certaines idées reçues, nous parvenons à recruter dans cette région, malgré les contraintes démographiques qui touchent l’ensemble du pays. L’Aveyron offre une qualité de vie exceptionnelle.

Le territoire que je couvre s’étend de l’Aubrac jusqu’au sud de l’Aveyron et compte 280 000 habitants sur une vaste superficie. Cette configuration géographique impose des défis particuliers en termes d’offre de soins. Les CHU les plus proches, qu’il s’agisse de Toulouse, Montpellier ou Clermont-Ferrand, sont tous situés à plus de deux heures de route. Cette situation exige la structuration d’une offre de soins solide et autonome sur notre territoire.

Notre action en Aveyron vise plusieurs objectifs essentiels. Tout d’abord, nous nous efforçons de recruter des professionnels de santé, tant médecins que paramédicaux, car sans eux, l’accès aux soins est impossible. La stabilité des équipes médicales et paramédicales est cruciale pour assurer la continuité et la qualité des soins.

Nous privilégions également une approche collaborative entre les hôpitaux publics, comme en témoigne l’importance des groupements hospitaliers de territoire (GHT) et des directions communes. À titre d’exemple, nous avons mené des travaux significatifs avec le centre hospitalier de Decazeville pour renforcer l’accès aux soins dans cette zone.

Notre stratégie inclut aussi une coopération étroite avec la médecine de ville, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et les autres acteurs de santé. L’objectif est de ne pas faire reposer la permanence des soins uniquement sur l’hôpital public.

L’investissement dans nos infrastructures est également primordial. Pour être attractifs, nos établissements doivent disposer d’un plateau technique suffisamment dimensionné. À Rodez, ville de 30 000 habitants, nous disposons d’un plateau technique comprenant bientôt deux IRM, deux scanners, une caméra TEP, un secteur de radiothérapie et une unité neuro-vasculaire. Cette offre complète est un atout majeur pour le recrutement dans diverses spécialités.

Notre approche intègre également l’innovation et l’adaptation aux spécificités du territoire. Nous nous efforçons de créer des structures hybrides de fonctionnement, en nous appuyant sur les réalités locales et en renforçant nos liens avec la médecine de ville.

En somme, notre stratégie multidimensionnelle vise à garantir un accès aux soins de qualité pour tous les habitants de notre territoire, en dépit des défis géographiques et démographiques auxquels nous sommes confrontés.

Nous observons des cas exemplaires où la médecine de ville participe activement au fonctionnement des services de soins médicaux et de réadaptation ou de médecine interne dans les hôpitaux de proximité. Cette collaboration entre hospitaliers et médecins de ville est essentielle pour consolider une offre de soins cohérente. C’est une ambition forte qui soulève également la question cruciale de l’universitarisation des territoires. Ce processus représente un enjeu majeur d’attractivité pour les professionnels de santé, attirés par les opportunités de recherche et la dimension hospitalo-universitaire.

Nous menons quotidiennement ce combat pour porter une ambition inscrite dans un projet médico-soignant partagé, dans une logique territoriale. Pour illustrer concrètement ce propos, prenons l’exemple du centre hospitalier de Rodez. Sans recherche active d’activité supplémentaire, cet établissement a vu son activité augmenter de 20 % en sept à huit ans. Cette croissance ne résulte pas d’une quête délibérée d’activité, mais d’une réponse adaptée aux besoins de santé de la population.

Nous devons également prendre en compte le contexte d’augmentation significative de la population dans certaines métropoles, notamment Toulouse et Montpellier. Si des territoires comme l’Aveyron ne sont pas en mesure de renforcer et d’étendre leurs capacités de soins, nous risquons de voir l’accès aux soins se compliquer pour les populations locales, en raison de la pression démographique croissante dans les grandes métropoles.

(Mme Zaynab Riet prête serment.)

Mme Zaynab Riet, déléguée générale de la FHF. Je répondrai avec diligence aux questions qui nous seront adressées.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Nous sommes tous conscients de l’importance capitale de l’hôpital public dans nos territoires respectifs. Mes questions porteront précisément sur ce sujet, notamment sur les relations avec le secteur privé concernant la permanence des soins.

Nous ne voyons pas encore les effets de la loi Valletoux. Ne devrions-nous pas aller plus loin dans la collaboration entre hôpitaux publics, cliniques privées et professions libérales pour la permanence des soins ? Une participation élargie ne permettrait-elle pas de désengorger efficacement les services d’urgence ?

Le succès des collaborations entre les différents types d’hôpitaux ne repose-t-il pas essentiellement sur des relations interpersonnelles ? En effet, j’ai pu constater, lors de mes déplacements, que les difficultés de coopération entre établissements dépendent souvent des relations entre les communautés médicales. C’est le cas par exemple entre Remiremont et Épinal, dans les Vosges, où des problématiques relationnelles entravent la coopération territoriale pourtant indispensable.

Madame Riet et Monsieur Prévoteau, en votre qualité de directeurs d’hôpital, comment percevez-vous vos pouvoirs, qu’ils soient disciplinaires ou organisationnels, vis-à-vis du corps médical ? Sachant que les décisions disciplinaires relèvent exclusivement du Centre national de gestion, cette situation ne complique-t-elle pas votre gestion quotidienne ? Ne serait-il pas judicieux d’accroître l’autorité des directeurs d’hôpitaux, à l’instar du secteur privé, ou d’envisager une direction bicéphale ?

M. Arnaud Robinet. Votre première question sur la permanence des soins s’inscrit dans le cadre plus large des missions de service public obligatoire. Depuis 2016, le service public hospitalier impose des obligations cohérentes à l’ensemble des établissements et des professionnels de santé, indépendamment de leur statut juridique. Si les établissements publics et privés non lucratifs assurent naturellement ces missions, les établissements privés à but lucratif peuvent également y participer, à condition de respecter scrupuleusement l’intégralité des obligations et des engagements associés. Ces obligations comprennent une accessibilité réelle aux soins pour tous, une permanence et une adaptation de l’accueil, y compris pour les personnes en situation de précarité ou de handicap, l’absence de dépassements d’honoraires, ainsi que des exigences de transparence de gestion et de participation des usagers. Nous affirmons qu’il ne peut exister de service public à la carte : l’engagement doit être total.

Concernant la permanence des soins, la loi Rist de 2023 a introduit de nouvelles dispositions permettant aux directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) de conditionner l’attribution d’autorisations à la participation effective à la permanence des soins. C’est un levier intéressant qu’il convient de saluer et d’encourager. Cependant, ces dispositions ne prévoient pas de sanctions en cas de non-respect des engagements pris par les établissements. Nous estimons qu’il est nécessaire d’aller plus loin dans ce domaine.

Une permanence des soins assurée conjointement par les établissements publics, privés et la médecine de ville contribuerait significativement à désengorger les urgences. Je tiens d’ailleurs à saluer l’engagement croissant de la médecine de ville dans ce domaine, notamment à travers les maisons médicales de garde. Rappelons que 30 % des patients se présentant aux urgences n’ont pas vocation à y être pris en charge et que le nombre de passages a doublé ces vingt dernières années. Une permanence des soins élargie et coordonnée permettrait indéniablement d’améliorer la situation des services d’urgence.

Mme Zaynab Riet. Une alternative envisageable consisterait à conditionner l’exécution de l’ensemble des missions de service public au maintien de l’autorisation concernée. Cela impliquerait un acte supplémentaire au regard des dispositions actuelles.

En ce qui concerne la question du rapporteur sur les enjeux personnels en matière de coopération, je suis convaincu que la meilleure approche, comme pour un hôpital, réside dans la définition d’organisations solides. Pour notre secteur, tant l’hôpital public dans sa gouvernance que les groupements hospitaliers de territoire (GHT) constituent des structures robustes. Leur gouvernance est clairement établie, définissant le rôle de chacun, qu’il s’agisse des fonctions médicales ou administratives. Ces structures s’appuient avant tout sur les besoins de santé du territoire, traduits dans un projet médico-soignant partagé. Ce dernier définit les filières de soins prioritaires et organise les parcours de soins de manière optimale, de l’urgence à la permanence des soins.

Pour autant, les GHT pourraient jouer un rôle encore plus important, ce qui permettrait de surmonter l’éventuel écueil de personnalité évoqué. L’analyse des GHT montre que les difficultés sont rarement dues uniquement à des questions de personnes, qu’il s’agisse d’un président de commission de groupement ou d’un directeur d’établissement. Dans les cas où une personne pose problème, les ARS disposent de moyens d’action. Elles évaluent les chefs d’établissement sur la base d’objectifs fixés par le directeur de l’ARS. En cas de non-atteinte de ces objectifs, des mesures peuvent être prises en collaboration avec le Centre national de gestion, ce qui se produit régulièrement.

Pour optimiser le fonctionnement des GHT, nous proposons plusieurs axes d’amélioration : il convient tout d’abord de simplifier les modalités de mise en place et de fonctionnement des groupements de coopération sanitaire (GCS), notamment en levant l’exigence d’unanimité. La loi du 27 décembre 2023 offre désormais aux GHT la possibilité d’opter pour la personnalité morale, ce qui favorise une plus grande fluidité et rapidité dans la prise de décision, particulièrement en matière de stratégie et d’organisation des soins. Cependant, ce droit d’option reste limité par la nécessité d’un accord unanime des membres, ce qui peut s’avérer bloquant si un seul établissement s’oppose à une décision soutenue par la majorité.

Il serait judicieux aussi d’attribuer davantage de missions propres aux GHT, notamment en renforçant le rôle des commissions médicales de groupement dans le maillage de la gradation de l’offre territoriale. Cela permettrait un meilleur suivi et une optimisation des filières organisées sur le territoire. Parallèlement, il conviendrait de recentrer la commission médicale d’établissement sur des rôles plus locaux, tels que l’accompagnement des équipes médicales, la qualité des soins et la gestion des parcours de soins au sein de l’établissement. Il serait aussi bénéfique de renforcer certaines directions communes fonctionnelles, comme une direction des affaires médicales commune ou une direction de la stratégie commune. Cela permettrait de garantir le suivi de la stratégie définie, même en cas de résistance individuelle.

Enfin, il conviendrait d’officialiser le rôle des GHT en lieu et place des délégations territoriales des ARS. La gestion de la crise sanitaire a démontré le rôle crucial et structurant des GHT. Bien que les ARS aient délégué des compétences et des missions aux établissements supports de GHT, cela s’est fait sans contractualisation ni objectifs clairement définis, laissant l’entière responsabilité aux établissements. Il serait donc judicieux que les ARS contractualisent avec les GHT volontaires pour assurer certaines missions des délégations territoriales, sur la base d’objectifs clairs et d’indicateurs de suivi, afin de garantir une réponse adéquate aux enjeux et besoins de santé à l’échelle du territoire.

M. Vincent Prévoteau. Concernant la permanence des soins, nous souscrivons pleinement aux propositions de la FHF. Permettez-moi de partager quelques éléments de terrain. À Rodez, bien que nous n’ayons pas de structures privées, nous disposons de structures privées intégrées à l’hôpital sous forme de groupements de coopération sanitaire (GCS), qui participent activement à la permanence des soins, notamment à travers un plateau d’imagerie médicale mutualisé. Cette mutualisation a permis d’augmenter significativement les effectifs de radiologues, qui sont passés de deux à douze, ce qui constitue un facteur d’attractivité non négligeable. L’attractivité repose en effet sur le plateau technique, mais aussi sur la flexibilité organisationnelle.

J’ai évoqué précédemment la participation des médecins à exercice partagé au fonctionnement de nos structures. À l’hôpital intercommunal du Vallon, ce sont ces médecins qui font fonctionner le service de soins médicaux et de réadaptation (SMR) et qui assurent la permanence des soins. De même, à Espalion et Saint-Geniez, ce sont également des médecins à exercice partagé qui animent les services de médecine.

En ce qui concerne les urgences, notre organisation territoriale implique tous les acteurs dans l’accès aux soins et le déploiement du service d’accès aux soins (SAS). Nous avons mis en place le SAS dans le cadre d’une régulation des urgences, même si ce terme est impropre. Il s’agit plutôt d’assurer un accès justifié aux urgences, et non de restreindre cet accès. En tant que citoyen, j’ai pu expérimenter personnellement le SAS et je peux témoigner de sa rapidité et son efficacité remarquables en termes d’accès aux soins.

Le déploiement du SAS a été rendu possible grâce à la collaboration avec la médecine de ville. En effet, le SAS repose sur des urgentistes qui assurent la régulation, mais il faut veiller à ce qu’ils ne soient pas submergés par un trop grand nombre d’appels. C’est pourquoi la participation des médecins libéraux au système de régulation est essentielle. Cette collaboration s’articule autour du numéro d’appel 116 117. Il est important de souligner que le SAS ne se limite pas à la régulation, mais concerne également la gestion et l’adaptation des flux de patients.

Les urgences de Rodez ont enregistré une baisse significative de plus de 20 % du nombre de passages. Cette diminution s’accompagne d’une régulation territoriale efficace, utilisant d’autres structures d’urgence pour optimiser les temps de passage en fonction de la gravité des cas. Cette approche nécessite une organisation adaptée de la médecine de ville.

J’ai récemment échangé avec le président d’une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) qui a mis en place des plages d’urgence au sein d’un cabinet médical. L’élément clé de ce dispositif est une régulation bicéphale, combinant des services d’urgence pour les prises en charge immédiates et de nombreux conseils médicaux, ainsi qu’un réseau d’effecteurs variés pour garantir l’accès aux soins. Cette organisation de la médecine de ville, associée au SAS, améliore considérablement l’accès aux soins.

Lors de notre discussion, j’ai soulevé la question d’un potentiel risque de rupture du lien entre les médecins traitants et leurs patients, essentiel pour la prévention. Le médecin m’a rassuré en expliquant que ces plages d’urgence sont également destinées à leur patientèle habituelle, préservant ainsi la continuité des soins.

Cette permanence des soins, illustrée par l’exemple des groupements de coopération sanitaire (GCS), de la médecine de ville et du SAS, démontre qu’une structuration efficace de l’accès aux soins est possible. Je soutiens pleinement la question des nouvelles autorisations, notamment dans des secteurs comme l’imagerie. Il est crucial que la permanence des soins en imagerie soit assurée par l’ensemble des acteurs lors de l’octroi d’une nouvelle autorisation. Le risque d’une radiologie affaiblie est réel dans un contexte concurrentiel. L’idée de recourir à des radiologues à distance n’est pas viable, car les cliniciens ont besoin d’échanger directement avec les radiologues. Une carence en radiologie pourrait dissuader certains cliniciens de rejoindre un établissement. Cette réflexion s’applique également à la biologie, soulignant l’importance d’une structuration solide de l’ensemble des services.

Concernant les GHT, l’ADH appelle de ses vœux une seconde phase des GHT. Nous soutenons pleinement la position exprimée par Zaynab Riet sur le renforcement des prérogatives et des compétences des GHT. La crise sanitaire a démontré l’efficacité de cette collaboration étroite avec les ARS.

Par exemple, l’offre de soins de l’hôpital de Decazeville a été entièrement recomposée en sept ans. Initialement, malgré la présence de chirurgie et de soins intensifs, les parcours de soins n’étaient pas structurés. Nous avons donc procédé à une refonte complète de l’offre de soins, en collaboration avec les élus locaux et un collectif « Tous ensemble ». Cette restructuration a permis d’améliorer l’accès aux soins et l’intégration dans des parcours cohérents.

En cardiologie, nous avons mis en place un système bicéphale, s’appuyant à la fois sur un GCS et une équipe publique. Cette collaboration étroite irrigue tout le territoire de Decazeville et Villefranche-de-Rouergue, avec des liens établis jusqu’à Millau via le SAMU. Nous proposons des consultations avancées à Decazeville, facilitant l’accès aux soins de proximité avant une éventuelle prise en charge sur le plateau technique spécialisé. Cette approche répond à la nécessité de sur-spécialisation en cardiologie, justifiant notre projet de création d’un institut cardiologique et vasculaire du Rouergue, porté conjointement par le GCS et l’équipe publique.

Cette restructuration de l’offre de soins a été rendue possible grâce à une approche fondée sur la confiance. Nous avons démontré que le renforcement de l’hôpital ne passe pas par le maintien à tout prix de certaines activités, mais par la création d’équipes territoriales, tant médicales que paramédicales et de support. À l’ADH, nous défendons la reconnaissance de la dimension territoriale pour les professionnels paramédicaux et aussi les fonctions support, essentielles pour des compétences telles que l’ingénierie ou le contrôle de gestion à l’échelle du territoire.

L’hôpital de Decazeville illustre parfaitement cette approche. Il dispose aujourd’hui de deux radiologues, offrant des soins de proximité de première ligne. Suite à la fermeture d’un cabinet privé de radiologie, l’hôpital a repris cette activité, assurant notamment les dépistages du cancer du sein. Sans cette restructuration, l’accès aux soins pour la population locale, parfois défavorisée, aurait été compromis. Cette réorganisation a non seulement amélioré l’accès aux soins, mais a également permis une maîtrise économique tout en maintenant une performance de soins élevée.

Mme Zaynab Riet. Monsieur le rapporteur, il convient tout d’abord de rappeler l’existence de procédures disciplinaires clairement établies, tant pour le personnel non médical que médical. Ces procédures sont claires, réglementaires et assez exhaustives, avec un éventail défini de sanctions disciplinaires. Néanmoins, nous estimons qu’il serait judicieux d’harmoniser davantage les procédures disciplinaires entre le personnel non médical et médical. Pour le personnel non médical, la gestion s’effectue au niveau de l’établissement, en impliquant les organisations syndicales locales. Cette approche permet une réactivité et une appréciation au plus près du terrain concernant la faute commise et la sanction appropriée, toujours dans le respect du cadre réglementaire.

En revanche, pour le personnel médical, la gestion est centralisée au niveau national. La FHF propose que, pour les fautes ne relevant pas directement de l’exercice médical, mais plutôt de comportements inappropriés, incluant les violences et les comportements sexistes et sexuels, l’examen puisse se faire localement. Dans ce cas, le binôme directeur-président de la commission médicale d’établissement (CME) serait à même d’étudier ces situations, de réagir et de prendre les mesures adaptées, sous réserve d’une évolution réglementaire en ce sens. Cette proposition vise à améliorer la réactivité face à ces situations qui, actuellement, sont toutes traitées au niveau national.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pourquoi limitez-vous cette approche à certaines violences, notamment sexuelles, et n’incluez-vous pas les problématiques médicales ou autres ? Vous avez clairement fait une distinction.

Mme Zaynab Riet. D’une part, la gestion des disciplines médicales est assurée efficacement par les pairs, notamment à travers les sociétés savantes qui définissent les critères et les évolutions des prises en charge. Ce système fonctionne assez bien. D’autre part, les aspects non médicaux, liés aux comportements ou au management, souffrent d’un processus décisionnel excessivement long. Le délai entre l’identification d’un problème au niveau de l’hôpital, la réalisation d’une enquête, la remontée au niveau national, la suspension conservatoire du praticien avec maintien de sa rémunération, et la décision finale est inacceptable. Cette lenteur est préjudiciable tant pour la gouvernance que pour les victimes potentielles. La question se pose donc principalement sur ce second aspect, car la gestion de l’exercice médical en lui-même semble satisfaisante.

M. Vincent Prévoteau. Concernant l’exercice médical, nous disposons de procédures nationales, avec un rôle prépondérant des conseils départementaux de l’Ordre des médecins. Bien que des procédures pénales et administratives existent, la médecine reste un art. La France a su éviter une judiciarisation excessive, préservant ainsi un rapport de confiance. Nous devons prendre en compte la notion d’aléa thérapeutique et de responsabilité sans faute. Par exemple, un cas extrêmement rare de choc anaphylactique ne saurait engager la responsabilité d’un praticien.

Actuellement, nous disposons de dispositifs permettant la mise en cause des établissements, du directeur en tant que représentant de la personne morale, voire des praticiens. Cependant, j’interprète un second aspect dans votre question, qui ne concerne pas directement le binôme directeur-président. Ce tandem est fondamental pour la reconstruction, le développement d’un projet médico-soignant partagé et la structuration de l’offre de soins. Votre interrogation semble porter sur la capacité de ce tandem à évaluer les résultats des praticiens. Ai-je bien saisi votre préoccupation ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. La différence est notable entre les hôpitaux publics et privés. Dans le secteur privé, la direction s’apparente davantage à celle d’une entreprise, avec un chef clairement identifié. En revanche, dans les établissements publics, un rapport de force s’établit fréquemment entre le corps médical et l’administration. Les directeurs expriment souvent un manque de leviers suffisants pour influencer les décisions des médecins sur certains aspects. Ma question porte donc sur ce point précis : estimez-vous que les directeurs disposent d’une autorité suffisante sur le corps médical dans le contexte hospitalier public ?

M. Arnaud Robinet. Votre question soulève la problématique plus large de la gouvernance de l’hôpital public. Ce sujet a d’ailleurs fait l’objet d’une mission mandatée par le président de la République et le ministre François Braun, dont nous attendons toujours les conclusions.

Il est vrai que le président de la République salue souvent la gouvernance des centres de lutte contre le cancer, où le directeur est un médecin, présentant ce modèle comme idéal. Cependant, ces établissements diffèrent fondamentalement des hôpitaux publics par leur spécialisation et l’étendue de leurs missions.

Dans le cadre de mes fonctions à la FHF et lors de nos visites mensuelles d’établissements, tant sanitaires que médico-sociaux, je peux affirmer que dans plus de 95% des cas, le tandem directeur/directrice et président de CME fonctionne de manière optimale. Certes, des discussions et des divergences peuvent survenir, comme dans toute structure, mais globalement, le système fonctionne efficacement, chacun occupant sa place. À un moment, une seule personne porte la responsabilité décisionnelle, généralement le directeur d’établissement. C’est pourquoi la remise en question de cette gouvernance, qui semble avoir été temporairement abandonnée, ne me paraît pas pertinente. Ce n’est pas un changement de gouvernance qui résoudra les problématiques d’accès aux soins que vous soulevez.

Il faut garder à l’esprit qu’une personne unique assume la responsabilité, notamment pénale : le directeur ou la directrice d’établissement. Cela n’exclut pas la possibilité qu’un directeur soit issu du corps médical, comme c’est le cas à Strasbourg par exemple. L’essentiel est qu’une seule personne prenne les décisions, et c’est le directeur d’établissement qui assume ce rôle.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je me permets de préciser ma pensée, car il semble que je me sois mal exprimé. Mon propos ne concernait pas le rapport demandé par le président de la République et par François Braun, mais plutôt un constat de terrain. Les directeurs que nous avons rencontrés, bien que leurs relations avec les présidents de CME soient généralement excellentes, expriment un sentiment d’impuissance face à la pénurie médicale généralisée, particulièrement dans leurs interactions avec les chefs de service et les médecins.

Contrairement aux établissements privés, où la hiérarchie est clairement établie, les hôpitaux publics font face à un rapport de force complexe avec les praticiens. Cette situation ne se traduit pas par un chantage quotidien, mais elle engendre des tensions significatives, notamment dans la gestion de l’intérim médical. C’est sur cet aspect spécifique que je souhaitais attirer votre attention.

M. Vincent Prévoteau. Votre question soulève en réalité la problématique du statut, souvent débattue. La gestion des cliniques privées repose principalement sur un système de prélèvement sur les honoraires. Dans le contexte hospitalier public, nous sommes face à un management complexe mais néanmoins efficace. Sur le terrain, nous observons généralement une grande harmonie, fondée sur des valeurs communes et centrée sur le patient. Il serait contre-productif d’opposer les différents acteurs.

L’hôpital public incarne parfaitement la philosophie de Saint-Exupéry : c’est dans la complémentarité et le travail collectif que réside sa force. Les décisions sont prises de manière concertée, impliquant les présidents de CME, les bureaux, les chefs de pôle et de service. Cette approche collaborative s’étend au-delà de l’hôpital, englobant les élus et l’organisation territoriale des soins.

L’accès aux soins ne se résume pas à une question de gouvernance. Il s’agit d’un enjeu d’organisation, d’innovation, de portage de projets et d’ambition collective. Face à la pénurie de médecins, notre défi est de rendre l’hôpital plus attractif dans un environnement concurrentiel. La solution ne réside pas dans le jugement, mais dans la construction commune d’un projet de santé ambitieux et innovant.

M. Jiovanny William (SOC). J’ai remarqué que le panel utilisé dans le baromètre de la FHF se limite à la France hexagonale, excluant ainsi les territoires d’outre-mer. En tant que député de la Martinique, je m’interroge sur cette méthodologie et ses implications.

Vous avez évoqué par ailleurs un excès de judiciarisation. Pourriez-vous préciser votre pensée à ce sujet ? Envisagez-vous une augmentation des modes alternatifs de règlement des conflits ? Estimez-vous que l’Office national d’indemnisation des victimes d’accidents médicaux (ONIAM) devrait disposer de plus de moyens pour réduire le volume des contentieux ?

Enfin, avez-vous abordé la question de la perte de chance dans vos études ? Cette problématique est particulièrement pertinente dans le domaine du cancer, où les retards de prise en charge et de diagnostic sont cruciaux. Nous interrogeons fréquemment les ARS, notamment en Martinique, sur ce sujet, mais nous manquons d’indicateurs précis. Quelle est votre approche sur cette question ?

M. Arnaud Robinet. Vous soulevez un point important concernant l’enquête Ipsos. Bien que celle-ci se concentre effectivement sur la métropole, nous avons veillé à intégrer les problématiques spécifiques aux hôpitaux d’outre-mer dans notre analyse globale. Nous nous sommes rendus en Martinique, en Guadeloupe et récemment à Mayotte et à La Réunion. Nous maintenons un contact étroit avec les directeurs des établissements hospitaliers ultramarins, qu’il s’agisse de CHU ou de centres hospitaliers (CH).

Nous sommes pleinement conscients des enjeux particuliers auxquels font face ces territoires en termes d’accès aux soins, de formation et de ressources humaines. Il est important de noter que ces défis varient considérablement d’un territoire à l’autre. Par exemple, la situation en Martinique diffère grandement de celle de La Réunion en matière de ressources humaines, d’attractivité et de fidélisation du personnel. Soyez assuré que nous prenons en compte toutes ces spécificités dans notre approche.

Mme Zaynab Riet. Je tiens à précise que l’objectif du baromètre santé est d’évaluer annuellement la perception de notre système de santé et des enjeux sanitaires dans le contexte politique global.

Concernant l’outre-mer, nous sommes non seulement parfaitement informés des problématiques propres à chaque territoire et nous avons également élaboré une feuille de route spécifique qui a été préparée en collaboration avec les fédérations régionales et présentée lors d’une audition à la Cour des comptes. Notre contribution détaillée couvre les enjeux sanitaires spécifiques à chaque territoire ultramarin, qui varient considérablement d’une région à l’autre.

En Martinique : au-delà de l’évolution des maladies chroniques, nous faisons face à un véritable défi lié au vieillissement de la population et à sa prise en charge. D’ailleurs, nous avons prévu une réunion demain pour discuter de la mise en place d’une approche de responsabilité populationnelle dans ce territoire.

Notre contribution aborde également les enjeux économiques et financiers propres aux territoires ultramarins, tels que les surcoûts liés à l’insularité, les difficultés d’approvisionnement et leurs conséquences sur la sécurité des professionnels, ainsi que la question cruciale du coefficient géographique. C’est grâce à l’action de la FHF que nous avons pu préserver ce coefficient, qui était menacé.

Je tiens à vous assurer que, bien que le baromètre santé ne traite pas spécifiquement des territoires ultramarins, ceux-ci font l’objet d’un suivi très rapproché. Nous avons alerté les pouvoirs publics sur leur situation particulière et nous y travaillons activement.

M. Vincent Prévoteau. Concernant la judiciarisation, il est essentiel de rappeler que nous évoluons dans un état de droit qui accorde, à juste titre, une place prépondérante aux patients. De nombreux établissements, dont le centre hospitalier que je dirige, développent des initiatives centrées sur l’expérience patient, intégrant les usagers et les patients experts dans l’amélioration des pratiques hospitalières.

Lorsque j’évoque un excès de judiciarisation, je fais référence à une crainte qui existait au début de ma carrière, celle de voir la relation patient-médecin se transformer en un lien purement juridique. Heureusement, nous maintenons un lien de confiance, tout en reconnaissant l’importance cruciale des directions des affaires juridiques dans tous les établissements.

Il est primordial de renforcer les directions communes, notamment en matière juridique, pour garantir l’accès à ces compétences même dans les petits établissements. Nous devons préserver des mécanismes de protection et d’écoute des patients sans pour autant basculer dans une logique de judiciarisation excessive. L’exercice médical reste un art, soumis à une obligation de moyens.

Cette obligation de moyens se traduit également par notre organisation territoriale. Prenons l’exemple de la radiologie : un secteur radiologique solide sur un territoire permet de réduire les délais de prise en charge, contribuant ainsi à l’obligation de moyens. C’est pourquoi une organisation territoriale efficace, évitant la concurrence stérile entre établissements, est cruciale pour garantir un accès aux soins de qualité.

Nos équipes médicales hospitalières sont d’une qualité exceptionnelle. Notre défi est d’assurer, à travers une organisation territoriale cohérente, la même qualité et sécurité des soins, que ce soit en ville ou à l’hôpital. Un patient présentant des troubles du rythme cardiaque, par exemple, doit bénéficier de la même prise en charge optimale, quel que soit son lieu de résidence.

Enfin, il est essentiel d’identifier les problématiques de santé spécifiques à chaque territoire et de développer des filières organisées pour renforcer l’accès aux soins, en tenant compte des particularités locales.

Mme Josiane Corneloup (DR). Je partage pleinement votre vision d’un parcours de soins organisé en filières adaptées aux spécificités de chaque territoire. Il est en effet primordial de partir des besoins locaux pour recomposer l’offre de soins. Vous avez manifestement réussi à mettre en place une dynamique remarquable, fondée sur la connaissance mutuelle, le partage et la construction collective.

Cependant, je m’interroge sur la reproductibilité de votre démarche. Comment faire évoluer l’organisation pour impliquer l’ensemble des structures d’un territoire ? Qui doit être à l’initiative de ce processus ? Nous avons récemment auditionné un chef de service des urgences qui soulignait l’importance cruciale de l’aspect organisationnel. Il affirmait qu’augmenter simplement les effectifs sans repenser l’organisation ne ferait qu’ajouter de la confusion à une situation déjà complexe.

Il est évident qu’une stratégie claire est nécessaire, prenant en compte les ressources du territoire tout en visant l’équité, l’égalité et l’accessibilité des soins pour tous. Votre réussite semble reposer sur votre initiative personnelle. Comment pourrions-nous généraliser cette approche et l’adapter à d’autres contextes ?

M. Vincent Prévoteau. Il existe de nombreux exemples probants de cette approche. Ma carrière a débuté en Picardie, où des établissements comme les hôpitaux de Montdidier et de Corbie ont su s’intégrer efficacement dans ces filières de soins, malgré leur proximité avec le CHU d’Amiens. La clé réside avant tout dans un état d’esprit collaboratif. Il s’agit de vouloir travailler ensemble, en prenant en compte les contraintes tout en exploitant les synergies potentielles. Cette démarche ne peut être menée en solitaire ; elle nécessite une co-construction impliquant plusieurs acteurs.

Prenons l’exemple concret des équipes médicales. Deux équipes de deux médecins restent distinctes, mais une équipe de quatre offre une dynamique différente. Le recrutement devient plus aisé, la permanence des soins s’organise plus facilement, et du temps peut être libéré pour la recherche. Nous créons ainsi une véritable matrice de synergies.

La reproductibilité de ce modèle dépend largement de la maturité et de la volonté des acteurs locaux. Certains territoires peuvent se voir offrir d’excellentes infrastructures sans parvenir à les exploiter pleinement. À l’inverse, des initiatives comme celle de Decazeville émergent d’un collectif uni, impliquant direction et corps médical, fondé sur la confiance mutuelle.

L’état d’esprit est déterminant. Sans volonté de collaboration, aucun progrès n’est possible. Il faut une stratégie claire, basée sur un diagnostic précis du territoire. Certains établissements ayant refusé de se restructurer se sont retrouvés en difficulté, tandis que d’autres ont su évoluer positivement. Il n’existe pas de schéma unique reproductible partout. Le succès repose sur l’engagement des personnes, leur volonté de travailler ensemble et la création de collectifs dynamiques. C’est un processus qui s’amplifie, telle une boule de neige, générant une synergie positive sur l’ensemble du territoire.

M. Arnaud Robinet. Chacun des 137 GHT représente un exemple remarquable d’innovation. J’ai récemment visité Le Mans, où une cellule d’ordonnancement pilotée par des infirmières a été mise en place, démontrant une approche novatrice en termes d’accès aux soins, d’orientation et d’accompagnement des patients. Ces initiatives émanent généralement du corps médical, soutenu par les équipes de direction.

Il ne faut pas non plus négliger le rôle des ARS dans la coordination de l’offre de soins territoriale. Leur implication peut varier selon les régions, mais leur mission d’accompagnement des initiatives portées par le corps médical, les établissements et la médecine de ville est essentielle. Nous avons observé des exemples remarquables lors de nos visites en Martinique et en Guadeloupe, notamment concernant la gestion des maternités à Marie-Galante. Ces modèles pourraient d’ailleurs être transposés dans certains territoires métropolitains, comme dans le Grand Est.

Ces réussites reposent sur une volonté commune, une dynamique collective et une capacité d’innovation territoriale. Il ne s’agit pas d’appliquer une recette unique venue d’en haut, mais de favoriser l’émergence de solutions adaptées à chaque territoire.

Mme Zaynab Riet. Pour systématiser ces approches et lever les freins existants, il est impératif de clarifier le rôle des ARS, tant au niveau territorial que régional, en tant que régulateurs et organisateurs de l’offre de soins. Il faut définir précisément les responsabilités de chaque acteur, jusqu’à envisager des délégations de compétences.

La pédagogie est aussi un élément clé. Il est essentiel d’impliquer en amont les élus et les populations dans l’identification des besoins de santé non couverts et dans l’adaptation des organisations. Les besoins évoluent constamment avec le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques et les variations démographiques.

Pour réussir, chaque acteur doit assumer pleinement son rôle et bénéficier du soutien nécessaire. Il est crucial que les décisions prises soient maintenues dans la durée. Nous avons malheureusement connu des situations où des efforts considérables ont été anéantis par des revirements politiques.

Il est primordial de rétablir une vision claire et d’expliquer que l’adaptation de l’offre de soins ne signifie pas nécessairement une dégradation des services. La FHF considère qu’il est de la responsabilité et de l’honneur de l’hôpital public d’ajuster son offre aux besoins de santé du territoire. Notre objectif est que le système s’adapte aux patients, et non l’inverse.

M. Vincent Prévoteau. Dans mon propre management, j’ai modifié mon approche pour intégrer davantage les services, les chefs de service et les cadres. L’énergie d’un hôpital réside dans sa capacité à libérer les envies, à stimuler les projets et à insuffler de la vie. Cela doit se manifester au sein de l’établissement, mais également sur l’ensemble du territoire. Il est donc crucial de renforcer ce rôle pour favoriser l’innovation et l’émergence de nouvelles énergies.

Nous disposons de véritables terreaux d’innovation. Les plateaux d’imagerie médicale mutualisés (PIMM), issus de la loi de 2016, constituent par exemple des structures innovantes s’inscrivant dans un schéma concurrentiel. Nous pouvons également innover en repensant le rôle des infirmiers en pratique avancée (IPA) sur un territoire, notamment en abordant la question cruciale de la valorisation de leur exercice territorial.

En tant que président de l’ADH, je tiens à souligner que l’innovation implique nécessairement une part de risque. Ce risque doit être transparent, visible et partagé. Actuellement, une préoccupation majeure concerne la protection fonctionnelle devant les juridictions financières. Le nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics ne permet pas de bénéficier d’une telle protection. Cela pose problème lorsqu’une décision est prise dans l’intérêt général, sans qu’il s’agisse d’une faute détachable du service. Le régime actuel inquiète de nombreuses personnes et risque d’entraver toute forme d’innovation.

Il est primordial que l’Assemblée se penche sur cette question. Le régime de responsabilité doit évoluer pour ne pas freiner l’innovation dans nos structures. Cette problématique constitue aujourd’hui une inquiétude majeure pour les gestionnaires publics.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Comment la Fédération Hospitalière de France perçoit-elle la répartition actuelle des activités ? Sur le terrain, il semble que celles qui sont les plus rentables soient souvent attribuées aux cliniques privées, alors que les hôpitaux privés ne respectent pas toujours leurs obligations en matière de permanence des soins. Les décisions prises par les ARS semblent parfois préjudiciables aux hôpitaux publics.

Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu’il faudrait revoir en profondeur les cotations des actes médicaux ? Prenons l’exemple de la cataracte : alors que la durée de l’intervention a été considérablement réduite au fil des années, elle reste élevée. Ne serait-il pas pertinent de réévaluer ce système ?

Enfin, de nombreux praticiens hospitaliers (PH), profondément investis dans leurs établissements, ne comprennent pas l’écart de rémunération avec les contractuels recrutés en motif 2, parfois au niveau H13. Cette différence significative de rémunération peut décourager des PH engagés dans l’hôpital public.

M. Arnaud Robinet. Concernant votre dernière question sur les contractuels et les PH, cette situation découle de la régulation de l’intérim, que nous avons soutenue à la FHF à travers la loi Rist. Il est évident que, lorsque des PH et des professeurs universitaires, fidèles à l’hôpital public, constataient que certains de leurs confrères étaient rémunérés trois à cinq fois plus, cela soulevait des interrogations. Cette disparité affectait non seulement la cohésion d’équipe, mais aussi la continuité des soins. Aujourd’hui, l’augmentation des contrats de motif 2 pose effectivement problème en termes de coûts pour l’hôpital public et de cohésion au sein des équipes médicales.

Concernant la question des cliniques privées et des hôpitaux publics, je ne souhaite pas adopter un discours manichéen. La richesse du système de santé français réside dans la coexistence de ces deux piliers, public et privé. Néanmoins, il faut reconnaître que leurs missions diffèrent. Les établissements privés, particulièrement ceux gérés par de grands groupes se concentrent davantage sur les soins programmés et la rentabilité. L’hôpital public, quant à lui, accueille tous les patients, quel que soit leur niveau social, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il est important que les ARS s’efforcent d’atténuer ces différences. Je ne peux affirmer que les ARS favorisent délibérément les cliniques en leur accordant des autorisations plus lucratives. Ces décisions font l’objet de discussions au sein des fédérations régionales, comme nous l’avons expérimenté dans le Grand Est. Bien que nos philosophies soient différentes, elles doivent rester complémentaires.

Concernant la tarification à l’activité (T2A), nous demandons depuis longtemps une refonte de cette grille. Des actes comme la dialyse ou la cataracte, très pratiqués dans les établissements privés, sont devenus particulièrement lucratifs. Or la T2A représente 50 % des recettes de l’hôpital public. Nous avons entendu des annonces en 2020-2021 sur une refonte du financement, mais il est crucial que toute modification s’applique à l’ensemble du système et non pas uniquement à l’hôpital public. Nous ne remettons pas en cause spécifiquement la T2A, mais nous plaidons pour une révision équitable du système de financement.

Mme Zaynab Riet. L’hôpital public assure 85 % de la permanence des soins dans les établissements, pour un financement de 69 %. En comparaison, le secteur privé n’en assure que 5 %, mais bénéficie d’un financement de 23 %. Cette répartition s’explique en partie par la nature de l’activité du secteur privé, qui est à plus de 70 % ambulatoire. Néanmoins, il est impératif de rééquilibrer les financements en faveur de ceux qui assurent réellement la permanence des soins. Sur certains territoires, il faut alléger la charge de cette permanence en la répartissant sur l’ensemble des opérateurs.

Le problème d’attractivité ne réside pas tant dans la rémunération que dans les contraintes imposées par la permanence des soins. C’est précisément l’absence de ces contraintes qui attire vers le secteur privé, mettant ainsi en tension l’offre publique et privée.

Concernant la T2A, une mission Inspection générale des finances/Inspection générale des affaires sociales a souligné dans son rapport que ce n’est pas tant le principe de la T2A qui pose problème que son inadaptation à certaines situations. Elle ne finance pas suffisamment la coopération et les parcours de soins sur les territoires, ni la mise en place d’équipes partagées. Il est donc nécessaire d’adapter les tarifs à la réalité du coût de la prise en charge et d’affiner la nomenclature des actes. Cependant, une baisse du financement des actes réalisés en ambulatoire risquerait d’entraîner une course à l’acte. De même, un sous-financement des prises en charge complexes, généralement assurées par l’hôpital public, conduirait inévitablement à des manques à gagner et probablement à l’aggravation des déficits des établissements.

M. Vincent Prévoteau. La T2A constitue un levier important de dynamique pour les équipes dans le développement de projets. Il est crucial que ceux-ci ne se développent pas de manière isolée ; d’où l’importance des structurations à travers les GHT.

Quant à la question de la rémunération, il convient de souligner l’impact positif du Ségur pour les paramédicaux dans le territoire où je travaille actuellement. Nous observons en effet aujourd’hui des tensions sur certaines spécialités comme les infirmiers et infirmières, les manipulateurs en électroradiologie et les sages-femmes. Il est important de noter que le rapport salarial à l’hôpital reste d’environ 1 à 6 ou 1 à 7, ce qui est relativement modéré comparé à d’autres structures.

Les professionnels attendent avant tout de bonnes conditions de travail, des équipes suffisantes, une gestion de projet efficace et un plateau technique performant. Il est donc crucial pour nos établissements de pouvoir continuer à investir. L’attractivité de l’hôpital passe également par le développement de la recherche, y compris dans ceux qui ne sont pas des CHU. Nous aspirons à universitariser le territoire, voire à y implanter une première année de médecine. Cela implique de s’appuyer sur les lycées, de former des IPA dans les instituts de formation en médecine de santé et de développer la recherche en collaboration avec des CHU comme celui de Toulouse.

L’attractivité de l’hôpital ne se limite pas à la régulation des modalités. Il s’agit aussi de créer un écosystème attractif dans son ensemble.

M. le président Jean-François Rousset. Les élus locaux, qu’il s’agisse des maires ou des présidents d’EPCI, jouent un rôle majeur dans les territoires. Leur dynamisme et leur engagement personnel, ainsi que celui de leurs équipes, ont un impact significatif sur l’engagement d’un territoire tout entier. Il est important de souligner cette réalité, car l’implication des élus varie considérablement d’un territoire à l’autre.

M. Arnaud Robinet. Vous avez entièrement raison de souligner l’importance du rôle des élus. Bien que, depuis la loi Bachelot de 2009, les maires ne soient plus systématiquement présidents du conseil de surveillance des hôpitaux, ils le sont encore majoritairement. Au-delà de leur présence dans ces instances, c’est l’implication de la collectivité à travers l’élu dans une politique de santé partenariale qui est cruciale, notamment via les contrats locaux de santé sur les territoires.

Lorsque nous parlons de responsabilité populationnelle, il ne s’agit pas uniquement de réunir les professionnels de santé, qu’ils soient du public, du privé ou de la médecine de ville. Il est essentiel d’inclure les élus et les collectivités dans ces discussions. Pour garantir l’accès aux soins pour tous, il faut aussi mettre en place des démarches proactives. Les centres communaux d’action sociale de nos collectivités sont des outils précieux pour détecter les personnes éloignées du système de santé.

Le rôle des élus est devenu de plus en plus important, particulièrement depuis la crise sanitaire liée à la Covid-19. Leur implication est fondamentale pour une approche globale et efficace de la santé sur nos territoires.

M. Vincent Prévoteau. En tant que directeur d’hôpital, je peux témoigner que la gouvernance est un véritable sport collectif. Un directeur d’hôpital ne peut agir seul. Il a besoin des médecins, des soignants et surtout des élus. J’ai évoqué précédemment la question de l’universitarisation d’un territoire. Malgré toute ma détermination, je ne peux mener à bien un tel projet sans le soutien des élus. Leur rôle est absolument fondamental pour un directeur d’hôpital dans la réalisation de projets d’envergure.

 

*

*     *


–  1  –

7.   Table ronde des établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic), ouverte à la presse, réunissant M. Charles Guepratte, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’assistance privés (Fehap) et M. Arnaud Joan Grange, directeur de l’offre de soin et de la coordination des parcours de santé, Mme Sophie Beaupère, déléguée générale d’Unicancer et Mme Sandrine Boucher, directrice stratégie médicale et performance.

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons aujourd’hui les travaux de notre commission d’enquête consacrée à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Cette séance porte sur les établissements de santé privés d’intérêt collectif (Espic), catégorie créée par la loi « hôpital, patients, santé, territoires » (HPST) de 2009.

Les Espic indiquent s’inscrire pleinement dans l’économie sociale et solidaire. Ils sont issus du monde associatif, des fondations, de l’univers mutualiste ou du champ de la protection sociale. Notre commission s’intéresse aux modalités de participation de vos établissements au service public de santé, notamment concernant la permanence des soins.

Je vous invite à prononcer chacun une intervention liminaire, avant de procéder à un échange sous forme de questions-réponses.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Charles Guepratte, Mme Sophie Beaupère, M. Arnaud Joan Grange et Mme Sandrine Boucher prêtent successivement serment.)

M. Charles Guepratte, directeur général de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap). La Fehap rassemble aujourd’hui près d’un millier d’Espic couvrant l’ensemble des champs sanitaires. Notre présence est particulièrement forte en médecine, chirurgie, obstétrique, dans les soins médicaux de réadaptation (SMR), en psychiatrie, en dialyse, en hospitalisation à domicile et dans les soins de longue durée, ainsi que dans les centres de santé. Notre fédération représente environ 21 % de l’offre nationale en SMR, la moitié des capacités de dialyse et près de la moitié des capacités d’hospitalisation à domicile.

Ces établissements, engagés pour leur très grande majorité sous le statut d’Espic, se positionnent résolument comme partie intégrante du service public hospitalier. À ce titre, ils en assurent pleinement les missions définies comme essentielles à l’intérêt général : les urgences, la permanence des soins, l’accueil des publics précaires ou fragiles, la prévention, la formation, la recherche, sans jamais poursuivre de but lucratif.

La composition de notre patientèle témoigne de cet engagement avec 21 % de personnes âgées et 6 % de personnes en situation de handicap accueillies dans nos établissements, des proportions supérieures à la moyenne nationale. J’ajouterai également une surreprésentation des patients précaires, comme l’a démontré une étude récente.

La gouvernance associative, spécifique aux établissements Fehap, constitue un modèle inspirant pour l’ensemble du système de santé. Moins bureaucratique, cette gouvernance repose sur une souplesse statutaire favorisant une réactivité accrue face aux réalités du terrain, tout en maintenant une transparence et une responsabilité élevées grâce à une gestion par des bénévoles élus, sans autre intérêt que l’intérêt général. Nos conseils d’administration sont composés de bénévoles issus de la société civile et ancrés dans leur territoire, ce qui leur confère une force et une légitimité considérables, et leur permet une projection dans le temps long, ce qui n’est pas toujours le cas dans les secteurs public ou privé commercial. Cette singularité permet une adaptation rapide et efficace aux défis locaux et régionaux, loin des lourdeurs administratives parfois observées dans d’autres secteurs et imposées par la norme ou le règlement.

Par ailleurs, nos établissements sont soumis à une rigueur de gestion exigeante, liée à une réelle exposition aux risques. Contrairement au secteur public, nos établissements peuvent disparaître, être liquidés, repris à la barre du tribunal ou simplement fermés. Cette réalité nous oblige à rechercher une certaine efficience et un équilibre permettant à la fois de maintenir nos opérations et d’investir dans l’avenir.

Cette obligation permanente d’adaptation se traduit par une dynamique particulièrement marquée dans certains domaines. Ainsi, nous avons été à la pointe du développement de la chirurgie ambulatoire et des soins spécialisés d’excellence, notamment en chirurgie cardiaque, en neurologie ou encore en cancérologie.

Les établissements de la Fehap occupent donc une place particulière en matière d’accès aux soins. Les centres de santé que nous gérons sont actuellement confrontés à une fragilité économique majeure, justifiant la négociation en cours d’un nouvel accord de santé professionnel avec la caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam). Notre fédération œuvre activement à la consolidation de l’offre de soins, qui est décisive pour le maintien de l’accès aux soins dans certains territoires.

Enfin, la Fehap insiste sur la nécessité d’une coopération équilibrée entre les différents acteurs du service public hospitalier, notamment dans le cadre des groupements hospitaliers de territoire (GHT) et des groupements de coopération sanitaire (GCS). Nous plaidons pour une clarification et une meilleure équité de la gouvernance territoriale de l’offre de soins, permettant à tous les acteurs, qu’ils soient publics ou privés solidaires, de collaborer efficacement sans subir une gouvernance excessivement bureaucratique ou très déséquilibrée. Nous demandons que cette gouvernance territoriale, essentielle pour assurer la fluidité des parcours des patients et des professionnels, puisse s’exprimer sur le terrain à travers des outils de collaboration plus agiles.

C’est en capitalisant sur les spécificités de notre modèle que la Fehap souhaite continuer à contribuer activement à l’amélioration du système de soins français, garantissant une offre accessible, équitable et de haute qualité sur l’ensemble du territoire.

Mme Sophie Beaupère, déléguée générale d’Unicancer. Nos établissements, entièrement dédiés au service public et dépourvus de but lucratif, n’exercent aucune activité libérale. Nos missions principales englobent les soins, la recherche, l’innovation, et, de façon croissante, la prévention.

L’activité de recherche revêt une importance capitale pour mettre rapidement à disposition des patients les dernières innovations. Il convient de rappeler que les centres de lutte contre le cancer jouent un rôle prépondérant dans la recherche clinique, avec 16 % de nos patients inclus dans des essais thérapeutiques. Unicancer, en tant que fédération et groupement de coopération sanitaire, mutualise les activités de recherche et de gestion des données. Cette organisation nous positionne comme le premier promoteur d’essais académiques en oncologie à l’échelle européenne. Cela nous permet notamment de mener des études cruciales, telles que l’essai Unicancer axé sur la désescalade thérapeutique, une approche essentielle pour améliorer la qualité de prise en charge des patients.

À l’instar des autres acteurs de la cancérologie, nos centres font face à une augmentation significative de l’activité. Il est important de noter que l’incidence des cancers a doublé en 30 ans. Nos établissements enregistrent une des plus fortes progressions d’activité du secteur de la santé, avec une croissance annuelle de 7 %. Nous relevons ce défi grâce à un certain nombre de collaborations. Le partenariat avec la Fehap, par exemple, est rendu possible par un maillage territorial conséquent.

Nous accordons une attention particulière aux territoires d’outre-mer, qui présentent des défis spécifiques. Nos établissements et nos professionnels travaillent en étroite collaboration avec le conseil de l’outremer, organisant notamment des réunions de concertation pluridisciplinaires dédiées au traitement de cas complexes.

La combinaison de nos atouts nous permet de déployer une stratégie efficace de lutte contre le cancer sur l’ensemble du territoire, en collaboration avec les autres établissements de santé et les professionnels libéraux. Parmi ces atouts, je souhaite mettre en avant notre gouvernance souple et efficace, reposant sur un binôme médico-administratif composé d’un directeur général professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) et d’un directeur général d’hôpital. La taille de nos établissements, allant de 800 à 4 000 salariés, offre une flexibilité organisationnelle, renforcée par une forte délégation de gestion aux départements médicaux.

Nous nous concentrons sur la recherche et la qualité de la prise en charge, dans une logique d’amélioration continue et d’optimisation des innovations, qu’elles soient scientifiques, techniques ou organisationnelles.

Nous investissons de plus en plus dans le domaine de la prévention, tirant parti des avancées scientifiques, notamment en biologie moléculaire, qui permettent une personnalisation accrue des traitements, du dépistage et de la prévention. Nous développons actuellement plusieurs programmes novateurs visant à renforcer la prévention, notamment pour les personnes à haut risque de cancer, mais aussi dans le but de prévenir les séquelles des traitements et d’assurer un suivi post-traitement adapté.

Nous sommes confrontés à des problématiques d’équité de traitement, notamment vis-à-vis des hôpitaux publics. Nous n’avons bénéficié que partiellement des mesures de revalorisation destinées aux personnels des hôpitaux publics, en ne percevant que 45 % de l’enveloppe allouée. Malgré des mesures correctives et la suppression des coefficients de minoration, un écart tarifaire de 2,5 % persiste entre nos tarifs et ceux des hôpitaux publics.

Néanmoins, nous poursuivons notre mission avec détermination, en proposant des innovations permettant par exemple le développement des chimiothérapies à domicile en collaboration avec l’hospitalisation à domicile. Nous déployons plusieurs projets dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, visant à faire évoluer l’organisation des soins et à contribuer à la transformation et à l’amélioration de la performance du système de santé.

Plusieurs orientations nous semblent cruciales en cancérologie, notamment le renforcement de l’accès précoce aux soins palliatifs, l’amélioration du remboursement des actes de biologie médicale, essentiels à la prise en charge des patients, et la poursuite du développement de parcours coordonnés entre la ville, l’hôpital et les différents professionnels de santé.

Enfin, l’attractivité des métiers représente un enjeu majeur, en santé de manière générale et en cancérologie en particulier. Nous préconisons le développement de pratiques avancées pour les paramédicaux, au-delà des infirmiers, incluant par exemple les manipulateurs radio et les techniciens de laboratoire. Cela permettrait de soutenir le personnel médical et d’intégrer les nouvelles technologies, le numérique et l’intelligence artificielle pour améliorer la coordination entre les professionnels de santé.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le statut d’établissement à but non lucratif offre certains avantages, notamment la possibilité d’investir davantage dans le bien-être et l’amélioration des conditions de travail, sans la contrainte de dégager un résultat financier. Dans ce contexte, comment se positionnent les rémunérations des médecins employés par vos établissements, comparativement à celles qui s’observent dans le secteur public ou même dans les cliniques privées ?

Vous avez évoqué un système de gouvernance spécifique. Pourriez-vous développer davantage ce point ? Quelle est exactement la structure de gouvernance mise en place et dans quelle mesure serait-elle transposable aux établissements publics ?

Vous n’avez pas beaucoup parlé des urgences. Quelle est votre contribution à la permanence des soins dans ce domaine ? Quelles relations entretenez-vous avec les hôpitaux publics pour optimiser la prise en charge des urgences ?

Enfin, concernant la dimension territoriale, vous avez particulièrement insisté sur votre présence dans les territoires d’outre-mer. Pourriez-vous préciser concrètement le nombre de lits disponibles dans chaque territoire ultramarin ? Quelles stratégies mettez-vous en œuvre pour attirer davantage d’oncologues dans ces régions ?

M. Charles Guepratte. Il existe un écart entre les établissements publics et les établissements privés et solidaires dans la manière dont ils sont rémunérés. Des coefficients pondèrent ou minorent nos revenus d’activité liés à la politique salariale de l’employeur public.

Concernant la tarification à l’activité (T2A), l’employeur décide des mesures catégorielles retranscrites dans les tarifs. N’ayant pas choisi de transposer intégralement cette dynamique salariale aux autres secteurs, il minore les tarifs du secteur privé non lucratif d’environ 1,7 à 1,8 % pour compenser les différences salariales avec le service public.

Un écart existe, plutôt en faveur du service public pour les professionnels médicaux, qui sont mieux rémunérés à l’hôpital public que dans nos établissements, du moins selon notre convention collective. Néanmoins, chaque établissement dispose d’une liberté dans sa politique de rémunération, notamment pour le personnel médical. Nos établissements ont des accords locaux souvent plus favorables que la convention collective pour les médecins.

Pour mener une politique salariale généreuse, un financement équitable est nécessaire. La différence de financement, bien que paraissant faible, représente des sommes considérables que nous ne pouvons pas réinvestir dans l’attractivité des métiers. Cette problématique concerne non seulement les médecins, mais aussi les infirmières, les aides-soignants, les éducateurs, les psychologues, et bien d’autres professions.

Nous constatons un véritable décrochage depuis la fin de la crise du Covid et la forte dynamique salariale de l’hôpital public. Nous tentons de corriger cette situation. Le gouvernement a accepté la suppression du coefficient de minoration lié à un supposé différentiel de charges sociales entre les Espic et les hôpitaux publics. Ce différentiel n’existant plus, le coefficient a totalement disparu cette année.

Notre principe fondamental est : « même mission, même rémunération des établissements ». Cela ne signifie pas une politique salariale identique à celle de la fonction publique. L’agilité des Espic réside justement dans une politique salariale plus dynamique et plus souple, ne dépendant pas directement du ministère. Notre ambition est d’être un employeur plus dynamique, gérant également une convention collective.

Concernant la gouvernance, elle est effectivement plus agile, plus souple et plus claire dans nos établissements. Nous distinguons clairement le rôle du président du conseil d’administration, issu de la société civile, qui définit les orientations et la stratégie, de celui du directeur qui met en œuvre cette stratégie sous le contrôle du conseil d’administration.

Dans le secteur public, la gouvernance semble plus complexe, avec une forme de dissolution des responsabilités et des centres de pouvoir, rendant parfois le pilotage des établissements plus difficile. Chez nous, la relation entre le corps médical et l’établissement est très claire, tous les personnels étant recrutés sous la responsabilité du chef d’établissement.

Cette organisation permet un circuit de décision court, tout en maintenant un véritable engagement de la gouvernance dans l’intérêt général, nos administrateurs étant issus de la société civile. Nous pensons que la généralisation de ce modèle non lucratif dans le système de santé aurait du sens, comme c’est le cas dans de nombreux pays européens.

Le code de la santé publique ne régit pas l’organisation interne de nos établissements de manière aussi détaillée que pour l’hôpital public. Nos conférences médicales d’établissement jouent un rôle plus générique, offrant plus de flexibilité dans la gestion. L’organisation en pôles, par exemple, n’est pas imposée. Chaque établissement décide de sa structure en fonction de ses besoins.

Cette souplesse et cette agilité managériale sont extrêmement précieuses. Elles nous permettent d’être réactifs dans des opérations de reprise d’autres établissements en difficulté, qu’ils soient privés non lucratifs ou commerciaux. Ces opérations, qui se produisent plusieurs fois par an dans notre secteur, peuvent être menées rapidement, en quelques semaines ou en quelques mois.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quels sont les profils des administrateurs ?

M. Charles Guepratte. Ils sont extrêmement variés, comme dans la société civile. Nous comptons parmi eux des dirigeants de grandes entreprises du CAC 40, des notaires, des avocats, et de nombreux professionnels du domaine juridique. Nous avons également d’anciens dirigeants de structures, particulièrement dans le secteur médico-social, ainsi que d’anciens directeurs devenus présidents.

Parmi nos administrateurs figurent aussi d’anciens directeurs généraux d’agences régionales de santé (ARS), des hauts fonctionnaires, et des personnes issues de divers horizons de la société civile. Certains continuent d’exercer leur activité professionnelle principale tout en assumant leur rôle de président. Nous comptons quelques médecins, bien que leur nombre soit relativement limité, tout comme celui des médecins-directeurs, malgré la possibilité qui leur est offerte depuis longtemps d’occuper ces fonctions. Cette diversité de profils contribue à enrichir notre gouvernance et à apporter des perspectives variées dans la gestion de nos établissements.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Concernant la partie rémunération, vous avez indiqué que l’on se situait toujours au-dessus de la convention collective. Cependant, vous n’avez pas fourni d’éléments concrets pour établir une comparaison avec un praticien hospitalier. Si nous excluons les situations particulières et nous concentrons sur une moyenne, quelle serait la différence, en pourcentage ou en valeur absolue, mensuelle ou annuelle ?

M. Charles Guepratte. Les informations sur les rémunérations ne sont pas les plus transparentes au sein de notre fédération, les accords étant conclus localement, ce qui peut induire une certaine concurrence entre les établissements. Je rejoins votre constat sur la lisibilité des rémunérations dans le secteur public. Mais nous savons aussi qu’il existe des pratiques, notamment concernant les astreintes ou le temps de travail additionnel, qui peuvent être qualifiées « d’exotiques » et permettent des compléments de rémunération dans des situations spécifiques.

Je ne peux pas vous donner de chiffres précis sur les écarts moyens. Notre positionnement est évalué au cas par cas, en fonction de la grille des médecins. Pour les spécialités en tension, comme l’anesthésie, des efforts considérables sont consentis en matière de rémunération. Les politiques salariales de nos adhérents évoluent en fonction des besoins et des tensions sur le marché du travail local.

Notre objectif est généralement de nous aligner sur le secteur public. En extraconventionnel, nous visons à être aussi compétitifs que le secteur public. Il faut prendre en compte les primes de multi-activités et les différents éléments qui composent les packages salariaux du public, qui peuvent être importants. Cette approche vise à retenir les professionnels dans le secteur public.

Globalement, nous nous efforçons de rester compétitifs par rapport au public, sinon nous ne parvenons pas à recruter. Cette stratégie est possible pour les médecins, qui représentent un effectif restreint, mais elle n’est pas applicable aux personnels soignants en raison de l’effort financier trop important que cela représenterait par rapport aux ressources des établissements.

Je dirais que nous sommes approximativement au niveau des établissements publics et de la fonction publique hospitalière pour la rémunération des praticiens. Nous avons l’avantage d’une plus grande souplesse pour valoriser les valences managériales, l’engagement institutionnel, la recherche, etc. Ces éléments sont des incentives, une forme de rémunération complémentaire pour ceux qui s’investissent davantage.

La comparaison avec le secteur privé commercial est plus complexe, car les modèles sont très différents. Nos études comparatives entre les libéraux intervenant en clinique et nos salariés montrent des écarts de 30 % à 200 %. Nous sommes largement en deçà des revenus des libéraux, même en tenant compte des redevances. La rémunération nette des libéraux est au minimum 20 % à 30 % supérieure à ce que nous pouvons offrir.

Mme Sophie Beaupère. Concernant la gouvernance des centres, il est important de souligner que les directeurs généraux sont des PU-PH nommés par le ministre de la santé. Les préfets président les conseils d’administration, lesquels incluent des représentants d’associations et du monde économique. La gouvernance est très lisible et la prise de décision très efficace, grâce à une ligne hiérarchique courte et claire.

La rémunération constitue actuellement notre enjeu majeur, particulièrement pour fidéliser certaines professions médicales comme la radiothérapie, la médecine nucléaire et l’imagerie. Nous faisons face à des écarts de rémunération significatifs, non seulement avec le secteur libéral, mais aussi avec l’hôpital public. Ce dernier offre la possibilité d’une activité libérale, dont la valorisation a été doublée à la suite d’une décision de Marisol Touraine. Cette double valorisation, bénéficiant à la fois aux médecins et aux hôpitaux, crée un différentiel d’attractivité que la Cour des comptes a relevé.

Nous n’autorisons pas l’activité libérale, conformément à nos statuts et à notre philosophie. Cela engendre un écart de rémunération conséquent qui met en difficulté certains centres pour les spécialités mentionnées. Nous parvenons à attirer et former de jeunes professionnels, mais peinons à les retenir dans ces domaines spécifiques, ce qui compromet notre capacité future à assurer les activités évoquées.

Concernant les personnels paramédicaux, les mesures Ségur, Guérini et Braun n’ayant pas été intégralement appliquées, leurs rémunérations dans nos centres sont inférieures à celles du secteur public, comme le soulignent régulièrement les rapports sur les écarts de rémunération. Cette situation génère des tensions, particulièrement pour certaines professions comme les manipulateurs radio, où nous constatons des difficultés majeures de recrutement liées à ces différences salariales.

M. le président Jean-François Rousset. Que pouvez-vous nous dire concernant les oncologues médicaux ? Il est notoire qu’ils sont moins bien rémunérés et moins enclins à choisir ces carrières.

Mme Sophie Beaupère. Concernant les oncologues médicaux, nous constatons une meilleure attractivité comparée à d’autres spécialités. Les écarts de rémunération avec l’hôpital public sont moins importants, notamment pour ceux pratiquant une activité libérale. Cette situation diffère de celle des radiothérapeutes ou des médecins nucléaires, pour lesquels les écarts sont plus conséquents. Les centres de lutte contre le cancer attirent particulièrement les oncologues médicaux grâce à la flexibilité offerte entre les activités de soins et de recherche.

Néanmoins, nous faisons face à une tension générale sur les effectifs médicaux, touchant également des spécialités comme l’oncologie et la dermatologie. Cette situation renforce notre mission d’expertise et de maillage territorial. Nous développons davantage les consultations avancées, une pratique existante où nos professionnels assurent des consultations dans les territoires. Les innovations technologiques, telles que la télémédecine et la téléexpertise, nous permettent d’optimiser notre présence.

Ce rôle de coordination territoriale s’intensifie en raison de la pénurie de personnel médical. Bien que les centres ne soient pas les premiers touchés, les hôpitaux généraux de certains territoires sont particulièrement affectés. En conséquence, nous innovons dans nos organisations. Par exemple, nous mettons en place des projets de labellisation de services de chimiothérapie dans des hôpitaux généraux en difficulté. La primo-prescription de chimiothérapie est initiée dans nos centres ou par l’un de nos professionnels sur place, après quoi un suivi est assuré dans les hôpitaux généraux. Cette relation de soins est cruciale et se renforcera inévitablement dans les années à venir, compte tenu de l’augmentation de l’activité liée au vieillissement de la population et des tensions sur les ressources médicales spécialisées.

Concernant l’outre-mer, notre action va au-delà de la gestion directe de lits. Nous apportons un soutien significatif. En Polynésie française, par exemple, nous avons créé il y a trois ans un institut de cancérologie, intégré à notre groupe de coopération sanitaire. Cet institut assure à la fois la prise en charge des patients et la coordination de la stratégie de lutte contre le cancer sur le territoire.

Pour les autres territoires d’outre-mer, nous organisons des réunions de concertation pluridisciplinaire, menées par différents médecins de nos centres, souvent en horaires décalés. Par exemple, l’institut Gustave-Roussy couvre toute la région Pacifique pour fournir des avis d’experts, une activité non financée spécifiquement. Cette démarche permet de traiter les cas complexes, nos centres étant référents pour différents territoires : Rennes pour Saint-Pierre-et-Miquelon, le centre François Baclesse à Caen pour la Guyane.

Nous développons également des postes partagés d’assistants, formés dans nos centres et envoyés en outre-mer pour renforcer l’attractivité de ces postes. Nous avons présenté au ministère de la santé une stratégie globale visant à améliorer les délais de dépistage et de prévention, ainsi que la coordination des parcours de soins, particulièrement cruciale dans certains territoires d’outre-mer confrontés à des problématiques aiguës de délais de prise en charge.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pouvez-vous nous éclairer sur la nature de la concurrence avec les acteurs privés, particulièrement dans le domaine de la radiothérapie ?

Mme Sophie Beaupère. L’offre de radiothérapie en France est équitablement répartie entre le secteur privé et le service public. Nos centres représentent plus de 50 % de l’offre publique, ce qui souligne notre rôle prépondérant dans ce domaine. Actuellement, l’enjeu majeur concerne l’évolution du financement de la radiothérapie. Le système actuel, basé sur un paiement à la séance, n’est plus en adéquation avec les avancées techniques de la discipline.

Les nouvelles technologies permettent de développer l’hypo-fractionnement, réduisant ainsi le nombre de séances nécessaires. Cependant, le financement actuel n’incite pas à l’adoption de ces pratiques plus efficientes. Nous collaborons donc avec l’ensemble des acteurs de la radiothérapie, sous l’égide du ministère de la santé, pour faire évoluer ce système de financement au bénéfice des patients.

Les études menées par Unicancer, reconnues au niveau européen et international, démontrent que l’hypo-fractionnement, utilisant moins de séances avec des techniques innovantes, permet d’obtenir des résultats équivalents, voire supérieurs. Notre objectif principal est de modifier les modalités de financement, en passant à un système de forfaits et de parcours. Cette évolution encouragerait tous les acteurs à s’engager dans une démarche vertueuse d’optimisation des soins.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vos propos pourraient laisser entendre que le système actuel de rémunération à la séance inciterait certains praticiens à multiplier les séances au-delà du nécessaire dans le cadre d’un parcours de soins optimal. Est-ce bien le cas ?

Mme Sophie Beaupère. Ce n’est pas exactement ce que j’ai voulu dire. L’instauration d’un financement forfaitaire, basé sur un nombre de séances prédéfini, entraînerait une transformation du parc d’équipements de radiothérapie. Cette évolution inciterait l’ensemble des acteurs à investir davantage dans l’innovation, car ce sont les machines les plus avancées qui permettent de réduire le nombre de séances. Ainsi, cette modification du modèle de financement aurait pour conséquence directe une modernisation du parc et, par extension, une diminution du nombre total de séances.

M. Arnaud Joan Grange, directeur de l’offre de soin et de la coordination des parcours de santé. Cette discussion nous amène naturellement à aborder la question des services d’urgence et de leur financement, un sujet que nous avons quelque peu négligé jusqu’à présent. Si l’on considère les moyennes nationales, nos établissements représentent 30 services d’urgence sur les 600 existants en France, soit environ 5 %. Les chiffres plus précis fournis par le ministère de la santé indiquent une part comprise entre 5 et 8 % dans la prise en charge des soins urgents.

Cependant, au-delà de ces chiffres, il est crucial de souligner l’importance stratégique de nos services d’urgence, particulièrement dans les zones peu denses. Par exemple, le seul service d’urgence couvrant la pointe du Médoc en Gironde est un établissement à but non lucratif. Cela illustre parfaitement la mission de service public qui nous a été confiée avant la création des agences régionales de santé, une mission essentielle dans la réponse territoriale aux besoins de santé.

Néanmoins, les réformes récentes du financement des urgences par les ARS suscitent certaines inquiétudes quant à la couverture financière de ces missions. L’importance accrue accordée à la décision régionale dans l’allocation des ressources peut parfois conduire à des situations où les moyennes statistiques influencent excessivement les décisions, au détriment des réalités locales.

Cette problématique se retrouve également dans le financement de la permanence des soins. Le système de financement, bien que subtil et complexe, relève in fine d’une décision régionale, parfois soumise aux rapports de force locaux. Par exemple, en Île-de-France, nous avons constaté que certains financements provenant du fonds d’intervention régional (FIR) étaient alloués de manière inégale entre les établissements.

L’un des enjeux majeurs des mois à venir concerne la révision des schémas de permanence des soins et la formalisation de l’organisation des lignes de garde et d’astreinte. Notre principale préoccupation est que l’exercice effectif de la permanence des soins que nous assurons ne soit pas entièrement couvert par les lignes de financement régionales. Nous y contribuons activement, mais la question cruciale reste celle de la cohérence entre notre contribution réelle et sa reconnaissance, tant par les pouvoirs publics que sur le plan financier.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Concernant les ressources humaines, nous nous interrogeons sur l’accès aux internes dans vos établissements.

D’autre part, nous aimerions savoir si vous rencontrez des conflits sociaux similaires à ceux observés dans les hôpitaux privés, ou si votre mode de gestion et de management permet de les atténuer.

Enfin, pourriez-vous nous éclairer sur la fiscalité de vos établissements comparativement aux structures privées ?

M. Charles Guepratte. Concernant les internes, la situation n’est pas homogène. Les facultés de médecine et les ARS décident de l’affectation des internes. Nous insistons fortement pour maintenir et développer des stages dans nos Espic. Nous travaillons également à une forme d’universitarisation de nos structures.

Actuellement, des professeurs exercent dans nos établissements par voie de détachement, principalement dans nos plus grands centres comme à Lyon, dans le nord de la France et à Paris. Ces établissements, qui comptent plusieurs milliers de lits, se concentrent sur des activités de recours et de recherche. Nous promouvons activement cette approche pour garantir notre activité et fidéliser les professionnels.

L’accueil d’internes en stage augmente significativement nos chances de les retenir une fois leur formation achevée. Nous ne sommes pas systématiquement exclus de l’accès aux internes, puisque des milliers d’entre eux effectuent des stages dans nos établissements chaque année. Néanmoins, nous souhaiterions en accueillir davantage, notamment au regard de notre contribution dans certaines spécialités.

Quant aux conflits sociaux, il est difficile de répondre précisément sans indicateurs de conflictualité spécifiques. Empiriquement, nous constatons moins de conflits sociaux dans nos établissements. Lorsqu’ils surviennent, ils sont souvent liés à des mouvements nationaux concernant les rémunérations ou l’équité. Les revendications portent généralement sur l’alignement des salaires avec ceux du secteur public ou privé commercial, bien que la comparaison avec ce dernier soit moins pertinente du fait de nos modes de fonctionnement différents.

Les conflits sont principalement axés sur des politiques d’attractivité et de rémunération jugées insuffisantes, avec une dimension nationale prédominante. Bien entendu, des situations locales complexes peuvent survenir, comme dans toute organisation humaine : difficultés de management, de positionnement, crises financières ou de gouvernance. Cependant, notre taille et notre mode de gouvernance nous permettent généralement de désamorcer les tensions plus rapidement.

Notre structure nous offre une plus grande flexibilité pour répondre aux problématiques spécifiques. Par exemple, nous pouvons rapidement mettre en place des dispositifs pour accompagner la pénibilité ressentie par certains corps de métier ou décider d’une prime pour les secteurs en forte tension ou confrontés à des difficultés de recrutement.

M. Arnaud Joan Grange. La fiscalité est un sujet sur lequel nous nous interrogeons fréquemment. Nous faisons appel à des expertises externes pour nous accompagner sur ces questions complexes. Notre approche n’est pas orientée vers une logique d’optimisation fiscale. Nous opérons principalement sous un statut associatif, même si la forme juridique de l’Espic ne se limite pas aux associations. Notre priorité est d’obtenir un appui et un soutien pour nos établissements sur ces questions fiscales.

Mme Sophie Beaupère. Concernant l’accès aux internes, nous rencontrons parfois des difficultés sur certains territoires, malgré notre statut universitaire. Des conventions tripartites existent généralement entre universités, centres hospitaliers universitaires (CHU) et centres de lutte contre le cancer (CLCC). Cependant, certaines conventions ne sont pas à jour, ce qui peut compliquer l’obtention de validations pour des postes de PU-PH. Nous échangeons activement avec le ministère de la recherche sur ce sujet préoccupant.

La permanence des soins constitue un autre enjeu majeur. Les financements alloués aux centres ont considérablement diminué : ils ont été divisés par dix entre 2011 et aujourd’hui, et ce malgré la reconnaissance par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) de notre rôle dans l’accueil non programmé de patients déjà connus. Cette situation est d’autant plus critique que la prise en charge à domicile est appelée à se développer, nécessitant une réflexion approfondie sur l’organisation de la permanence des soins.

En matière de dialogue social, notre branche patronale, qui représente 25 000 salariés, a signé 30 accords en quatre ans, démontrant un dynamisme certain. Nous abordons des sujets variés, au-delà des seules questions de rémunération, comme la qualité des conditions de travail et l’égalité professionnelle. Cette approche nous permet de construire des parcours professionnels cohérents et de limiter les conflits sociaux, malgré les tensions persistantes sur les rémunérations.

Mme Annie Vidal (EPR). Monsieur Guepratte, j’ai eu l’occasion d’échanger avec votre fédération il y a quelques années, notamment lors de la revalorisation des praticiens hospitaliers. À l’époque, vous aviez exprimé des inquiétudes concernant l’impossibilité pour vos médecins salariés d’effectuer des consultations privées, contrairement à leurs homologues hospitaliers, craignant ainsi un exode vers les établissements publics. Pouvez-vous nous faire un état des lieux de la situation actuelle ?

Par ailleurs, vous aviez manifesté le besoin de valoriser les consultations infirmières dans vos établissements. Qu’en est-il aujourd’hui ? Avez-vous également développé l’intégration des infirmiers en pratique avancée (IPA) ?

M. Charles Guepratte. Concernant le secteur 2, nous sommes confrontés à une situation complexe. D’une part, nous devons prendre en compte l’attractivité et la fidélisation du personnel médical, et d’autre part, garantir l’accessibilité économique aux soins. Au-delà de la question des dépassements d’honoraires, nous nous préoccupons du reste à charge zéro et de l’impact réel des dépassements sur l’accès aux soins. Cette problématique est au cœur des réflexions stratégiques de notre conseil d’administration sur l’avenir du privé solidaire et non lucratif. Pour pallier l’impossibilité d’accéder au secteur 2, nous avons mis en place des accords locaux sur les modalités salariales. Cependant, cette question reste un sujet de débat au sein de notre fédération.

Nos centres de santé, notamment infirmiers, sont régulièrement cités comme exemples de démédicalisation de certaines pratiques. Tout en respectant les prérogatives de chaque profession, nous estimons que le temps médical est parfois mal utilisé. Nous préconisons donc une montée en puissance du rôle des infirmiers comme soutien essentiel, capables d’assurer un plus grand nombre d’actes. Nous nous réjouissons des avancées récentes concernant la revalorisation de la profession infirmière, tant sur le plan salarial que sur l’élargissement de leur périmètre d’exercice. Cette évolution est particulièrement cruciale dans le secteur médico-social, où la pénurie de médecins est encore plus marquée que dans le secteur sanitaire. Dans de nombreux cas, l’infirmière est souvent le seul professionnel de santé formé disponible.

Nous plaidons pour une coopération renforcée entre médecins et infirmières, avec un partage équilibré des responsabilités. Concernant les IPA, il est impératif de créer un modèle économique viable. Actuellement, le système n’incite pas suffisamment au déploiement des IPA, malgré leur formation poussée. Nous envisageons leur intégration dans nos centres de santé, notamment pour des consultations complémentaires à celles des médecins, ainsi que dans le secteur médico-social où ils pourraient exercer de manière plus autonome. Cependant, avec seulement 5 000 à 7 000 IPA actuellement, leur nombre reste très limité par rapport aux centaines de milliers d’infirmiers diplômés d’État. Nous cherchons à développer un modèle économique soutenable pour nos structures, particulièrement dans le secteur médico-social où le mode de financement actuel ne permet pas l’intégration optimale des IPA.

Mme Sophie Beaupère. Actuellement, nous comptons environ 50 IPA pour 1 802 centres de lutte contre le cancer. Leur rôle est fondamental, notamment dans des domaines complexes comme l’hématologie. Nous soutenons pleinement le développement des pratiques avancées. Des évolutions positives sont en cours, avec des formations approfondies qui permettront une meilleure allocation des compétences au sein des équipes.

Par ailleurs, les professionnels médicaux et les IPA des centres de lutte contre le cancer élaborent plusieurs projets visant à étendre les pratiques avancées à d’autres professionnels, tels que les manipulateurs en radiologie et les techniciens de laboratoire. Nous espérons obtenir le soutien nécessaire pour ces initiatives qui nous semblent essentielles pour l’amélioration continue de nos organisations.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Concernant la flexibilité du système, nous observons des collaborations entre certains Espic et des CHU, ainsi qu’entre des Espic et des cliniques privées. Quels enseignements tirez-vous de ces expériences ? Pensez-vous qu’il faille encourager cette flexibilité à l’échelle nationale ? Je m’interroge sur l’étendue de ces pratiques et sur votre position à ce sujet.

En ce qui concerne le sujet de l’attractivité, qu’en est-il de la mobilité de votre personnel, qu’il soit médical ou paramédical ? Dans le contexte actuel où nous réfléchissons aux modèles organisationnels des dix prochaines années, et sachant que les professionnels de santé tendent à être plus mobiles, comment votre modèle s’adapte-t-il ? Observez-vous des mobilités ou des mixités d’exercices ? Quelles sont vos contributions dans ce domaine ?

M. Charles Guepratte. Concernant les coopérations, en tant qu’acteurs du service public, nous avons naturellement vocation à collaborer prioritairement avec les établissements publics de santé, sans pour autant nous y limiter. Nous rencontrons certaines difficultés avec le modèle de coopération territoriale organisé autour des GHT. Ce modèle, centré sur l’hôpital public, peut parfois s’avérer exclusif pour des établissements comme les nôtres, qui ne sont associés que ponctuellement à certaines démarches ou à des aspects spécifiques du projet médical et soignant partagé.

Pour améliorer l’efficience et la performance de notre système de santé, il est essentiel d’adopter une approche territoriale plus inclusive, respectueuse de toutes les formes juridiques et organisationnelles des structures de santé, en commençant par le public, puis le privé non lucratif, et enfin le secteur commercial. Bien que des progrès restent à faire, nous constatons que sur le terrain, ces coopérations fonctionnent généralement bien, même si certains endroits rencontrent plus de difficultés que d’autres.

Il est important de souligner que notre ouverture ne se limite pas au secteur sanitaire. Nous entretenons également des liens étroits avec les secteurs médico-social et social. De nombreux opérateurs sanitaires sont fortement impliqués dans le médico-social, notamment dans la prise en charge des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Certaines structures couvrent même les trois domaines, y compris des aspects liés à l’inclusion sociale. Au sein de notre fédération, nous nous efforçons de décloisonner ces différents champs d’action, et nos adhérents s’efforcent d’adopter cette vision globale et intégrée.

Concernant la mobilité professionnelle, notre convention collective actuelle, la convention 51, présente des lacunes importantes. Elle ne valorise pas suffisamment la diversité des compétences requises selon les postes. Par exemple, une infirmière diplômée d’État (IDE) en Ehpad assume des responsabilités managériales et décisionnelles bien plus importantes que son homologue en service de réanimation. Notre système conventionnel, malheureusement, ne permet pas de reconnaître ces différences de manière adéquate.

Actuellement, notre grille de rémunération se base essentiellement sur le diplôme et l’ancienneté, à l’instar du système public. Il est impératif d’évoluer vers un modèle plus flexible, facilitant la mobilité intersectorielle et inter-établissements, tout en garantissant la sécurité de l’emploi et la reconnaissance des compétences acquises. Cette problématique concerne également d’autres professions, telles que les aides-soignants et les médecins ayant exercé des fonctions managériales.

C’est précisément l’objectif que nous poursuivons avec la fédération Nexem dans l’élaboration d’une convention collective unique. Nous visons à créer un outil au service de la mobilité et de la valorisation effective des parcours professionnels. Notre ambition est de concevoir un système de classification permettant une réelle reconnaissance des compétences et expériences diverses.

Quant à la fidélisation du personnel, bien que notre taux de rotation soit légèrement inférieur à la moyenne du secteur, nous constatons une dégradation de notre capacité d’attraction, principalement due aux écarts de rémunération. Les départs ne sont pas motivés par l’insatisfaction, mais par des offres salariales plus avantageuses ailleurs. Face à des différences de rémunération pouvant atteindre 350 euros par mois pour certains postes, comme celui d’agent d’entretien, il nous est difficile de rester compétitifs. Sur des salaires d’environ 2 000 euros bruts, un tel écart est considérable.

Ainsi, malgré une politique d’entreprise attractive et un environnement de travail satisfaisant, la question de la rémunération devient incontournable pour maintenir notre capacité à attirer et retenir les professionnels qualifiés.

Mme Sophie Beaupère. Dans le domaine de la lutte contre le cancer, les centres spécialisés développent naturellement des coopérations étendues avec l’ensemble des acteurs du secteur. Chaque centre de lutte contre le cancer est intégré dans un groupement de coopération sanitaire avec le CHU local. Ces groupements varient en ampleur, allant du simple partage d’équipements à des activités de recherche conjointes.

Nous collaborons également étroitement avec les hôpitaux généraux, notamment pour proposer des services de radiothérapie ou d’imagerie nucléaire communs. Certaines de ces coopérations sont particulièrement intensives.

Des tentatives d’intégration plus poussée entre CHU et CLCC ont été menées avec des résultats variables. L’expérience s’est avérée positive à Toulouse, mais moins concluante à Strasbourg. Dans ce dernier cas, l’Institut de cancérologie Strasbourg Europe (ICANS), qui regroupait CHU et centre de lutte contre le cancer, a été dissous après cinq ans d’existence à la demande du CHU en juin dernier. Cet exemple souligne l’importance cruciale d’un projet médical fédérateur comme fondement de toute collaboration réussie.

Dans le contexte actuel de tension sur les ressources humaines et de relèvement des seuils d’activité chirurgicale, il est essentiel de travailler sur la gradation des soins dans une logique de coopération, basée sur un projet médical fédérateur. Nous soutenons activement ces coopérations, qui peuvent prendre diverses formes, comme la labellisation de services de chimiothérapie dans les hôpitaux généraux. De nombreux autres projets de collaboration sont en cours, notamment avec les professionnels libéraux, dans le cadre de l’organisation des soins de proximité.

Mme Sandrine Boucher, directrice de la stratégie médicale et de la performance. L’organisation de la prise en charge des patients en cancérologie soulève effectivement des défis importants. Elle devrait impliquer divers acteurs selon une gradation des soins, permettant une prise en charge de proximité lorsque c’est possible. Cependant, cette approche nécessite de convaincre à la fois les patients et les professionnels de santé, tout en garantissant la qualité des soins.

Actuellement, nous observons une réticence des patients à s’éloigner de leur centre de référence, où ils ont été initialement pris en charge et suivis. De même, les professionnels de santé en structures de proximité ne se sentent pas toujours à l’aise pour prendre en charge des patients atteints de cancer. Cette situation se manifeste notamment dans les services de SMR et en hospitalisation à domicile (HAD).

Pour améliorer cette situation, il est nécessaire d’organiser efficacement la coordination et le transfert de compétences entre les établissements de référence et les établissements de proximité. Cela implique un investissement en temps et en ressources qui doit être financé pour fluidifier les parcours de soins.

Il faut également repenser le modèle économique. Si les établissements de référence ne conservent que les actes intellectuels, généralement sous-valorisés, leur rentabilité pourrait être compromise. Il est donc crucial d’accepter de financer la coordination pour améliorer la fluidité des parcours, tout en maintenant la responsabilité globale de la prise en charge au niveau de l’établissement de référence.

Cette approche permettrait d’assurer une prise en charge adaptée, au bon endroit et au bon moment, tout en garantissant une coordination efficace et un suivi continu par l’établissement de référence, notamment pour la gestion des effets indésirables.

M. Cyrille Isaac-Sibille (Dem). Concernant l’organisation et la coordination, le numérique et les logiciels métiers jouent un rôle essentiel. Quelle est votre évaluation des progrès réalisés dans ce domaine pour faciliter la coordination entre les différentes structures ? Quelles améliorations pourraient être apportées pour optimiser l’utilisation du numérique dans la coordination des soins ?

Par ailleurs, au-delà du numérique, les aspects logistiques sont également importants. Pouvez-vous nous en dire plus sur des initiatives telles que le Médipôle Lyon-Villeurbanne, où un Espic et une clinique privée ont mis en place une organisation commune ? Ce modèle de collaboration pourrait-il être étendu à d’autres structures, et si oui, dans quelles conditions ?

Mme Sophie Beaupère. Certes, certains projets en cours favorisent une meilleure interopérabilité et un partage plus fluide entre les différents acteurs. Cependant, notre préoccupation principale concerne l’évaluation et la généralisation des outils numériques, composantes essentielles des parcours coordonnés, qui doivent prouver leur efficacité thérapeutique.

Nous sommes actuellement impliqués dans des projets ambitieux relevant de l’article 51, notamment un projet majeur sur les chimiothérapies orales à domicile. Ce dernier mobilise 6 000 pharmaciens d’officine, concerne 10 000 patients et implique des structures de santé de tous statuts. Bien que ce projet soit arrivé à son terme, nous n’avons pas encore reçu d’évaluations et nous nous interrogeons sur sa généralisation. L’article 51 nous semble approprié pour résoudre les différents problèmes évoqués, en particulier le développement d’outils numériques facilitant le partage d’informations. Il permet également d’évaluer la coordination et les économies générées, offrant ainsi une vision globale de la chaîne du parcours.

Il arrive que nous disposions de la technologie nécessaire, mais que le mode de financement en vigueur entrave le développement de certaines solutions. Prenons l’exemple de la télésurveillance, financée en cardiologie, en diabétologie et plus récemment en cancérologie. Contrairement aux domaines du diabète ou de la cardiologie, la cancérologie ne bénéficie que d’un forfait unique pour financer la coordination des établissements de santé, indépendamment de la complexité du cas du patient. Ce forfait s’avère peu incitatif et ne couvre pas réellement le temps de coordination, particulièrement pour les patients les plus complexes. Nous constatons donc parfois des effets dissuasifs.

Pour répondre à votre question, nous disposons des outils numériques et des dispositifs nécessaires. Cependant, le financement mis en place ne correspond pas à la réalité du temps de coordination requis dans les établissements. Par conséquent, le déploiement de la télésurveillance peine à atteindre son plein potentiel, alors que nous savons pertinemment que, par exemple en cardiologie, elle représente un gain de temps et d’efficacité considérable pour l’ensemble des professionnels. La difficulté majeure à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui réside dans l’avenir de l’article 51, tel que celui que j’ai mentionné, ou dans le financement de la télésurveillance qui doit s’aligner sur la réalité du temps effectivement consacré dans les établissements.

Mme Sandrine Boucher. Nous constatons une forte hétérogénéité entre les régions concernant le déploiement des outils numériques, notamment ceux permettant aux différents acteurs de soins de disposer d’une plateforme d’échange. Bien que ces outils soient généralement mis à disposition de manière satisfaisante, cette disparité régionale constitue un frein potentiel, en particulier dans le cadre de l’article 51, limitant ainsi les possibilités de coordination.

M. Arnaud Joan Grange. Concernant les questions de coopération, il y a de beaux exemples de réussite auxquels le secteur privé solidaire participe. Nous pourrions appeler de nos vœux des simplifications des réglementations qui entourent ces questions de coopération comme c’est le cas pour les GHT. Cependant, de manière générale, ces coopérations nécessitent un engagement fort et une capacité à transcender le contexte administratif pour mettre en place des outils adaptés à l’hétérogénéité des situations.

M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie vivement, mesdames et messieurs, pour vos réponses particulièrement riches, concises et précises.

 


–  1  –

8.   Table ronde « Agences régionales de santé », ouverte à la presse, réunissant le Dr Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l’ARS Grand Est, le Dr Didier Jaffre, directeur général de l’ARS Occitanie, le Dr Sergio Albarello, directeur général de l’ARS Mayotte et M. Yann Bubien, directeur général de l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur

M. le président Jean-François Rousset. Dans le cadre des travaux de notre commission d’enquête sur l’organisation du système de santé, nous abordons aujourd’hui l’accès aux soins à travers une table ronde avec les directeurs généraux d’Agences régionales de santé (ARS).

Chacun d’entre vous disposera d’environ dix minutes pour une présentation liminaire, avant que nous n’entamions nos échanges sous forme de questions-réponses, en commençant par celles de notre rapporteur.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Didier Jaffre, Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, M. Yann Bubien, M. Sergio Albarello prêtent successivement serment.)

M. Didier Jaffre, directeur général de l’ARS Occitanie. Docteur en économie de la santé, je cumule plus de 25 ans d’expérience dans les agences régionales, qu’elles soient de santé ou d’hospitalisation, au sein de quatre régions différentes : la Bourgogne, la Basse-Normandie, la Bourgogne-Franche-Comté, et, depuis trois ans, l’Occitanie. J’ai occupé divers postes tout au long de ma carrière et soutenu une thèse de doctorat en 2002 sur l’arbitrage entre qualité et efficacité dans la planification hospitalière, en prenant pour exemple le cas de la Bourgogne. Cette expérience m’a permis de connaître la situation avant et après la création des ARS en 2010.

Ma conviction, qui je pense est aussi la vôtre, reste inchangée : il est crucial de sortir d’une logique centrée sur l’offre de soins pour adopter une approche populationnelle, c’est-à-dire partant des besoins de santé des habitants. C’est la thèse que j’ai soutenue en 2002 et que je continue à mettre en œuvre dans mes fonctions actuelles.

Je vous remercie de me donner l’opportunité d’exprimer, au nom de l’ARS Occitanie, notre engagement quotidien et opérationnel face aux difficultés d’accès à la santé. Notre action s’articule autour de l’équilibre entre la maîtrise des enjeux systémiques de santé publique et les réponses de proximité. Notre ambition est de garantir un accès effectif et équitable à la santé pour chaque habitant de la région Occitanie, malgré les fortes disparités territoriales. Notre région, à 88 % rurale et avec plus de 50 % de territoire montagneux, présente des défis considérables en termes d’accès aux soins. De plus, elle compte le plus grand nombre de quartiers prioritaires de la politique de la ville, avec quatre départements figurant parmi les plus pauvres de France.

Les ARS, créées en 2010 par la loi « hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), ont mis fin à une organisation fragmentée entre différents services de l’État. L’objectif était d’établir une instance unique au niveau régional, cohérente et transversale, pour décliner l’ensemble des politiques de santé publique, réguler l’offre de soins, coordonner l’accompagnement médico-social et prévenir les risques sanitaires et environnementaux.

En tant qu’établissements publics à caractère administratif, les ARS sont les bras armés des ministères de la santé et des affaires sociales en région, sous leur tutelle directe. Leur gouvernance illustre l’articulation entre le pilotage national et la responsabilité locale. Elles disposent d’un conseil d’administration présidé par le préfet de région, incluant des représentants de l’État, des élus des collectivités territoriales, de l’assurance maladie, des usagers et du Parlement. Le directeur général, nommé en Conseil des ministres, agit avec une grande responsabilité et une large autonomie, lié par un contrat d’objectifs pluriannuel.

En Occitanie, nos relations avec les préfets sont étroites et structurées, avec des échanges réguliers et une présence active dans les comités de direction préfectoraux via nos directeurs départementaux. Nous entretenons également des relations quasi quotidiennes avec les élus locaux et les parlementaires sur l’ensemble des sujets de santé.

L’accès aux soins est une réalité multiforme. Il dépend non seulement de la densité médicale, mais aussi de la capacité des patients à s’intégrer dans des parcours coordonnés, à bénéficier d’une prise en charge en temps utile et à accéder à des services de qualité, dans un environnement parfois démographiquement, économiquement et socialement dégradé. Notre mission consiste à trouver un équilibre entre sécurité, qualité et accès à la santé, dans une perspective plus large que le simple accès aux soins.

Nous nous appuyons sur des indicateurs nationaux tels que le nombre de patients sans médecin traitant, les taux de renoncement aux soins, ou les files d’attente en régulation médicale. Sur cette base, l’agence analyse et organise, en collaboration avec les élus, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) et les professionnels de santé. Par exemple, en Occitanie, nous menons une politique volontariste d’implantation de scanners et d’IRM au plus près de la population, considérant que cette proximité réduit le renoncement aux soins et favorise la prévention et le diagnostic précoce.

Pour mener à bien ces actions, les ARS disposent de nombreux leviers, à commencer par le projet régional de santé (PRS) qui décline la stratégie sur dix ans à travers des schémas régionaux et départementaux adaptés.

En Occitanie, nous avons fait le choix de décliner le PRS de manière départementale. Nous disposons ainsi de schémas départementaux permettant une meilleure adéquation aux réalités locales et une articulation plus efficace de notre action avec celle des conseils départementaux.

Le fonds d’intervention régional (FIR), d’un montant national d’environ 5,5 milliards d’euros, représente 445 millions d’euros pour notre région. Cet outil majeur d’accompagnement nous permet de soutenir diverses initiatives : aides à l’installation, soutien aux maisons de santé, financement des CPTS, déploiement de la télémédecine, projets d’activité sur le territoire. En 2024, nous avons ainsi pu appuyer plus de 1 000 projets dans nos collectivités.

Le FIR fonctionne souvent en cofinancement avec l’ensemble des collectivités territoriales, principalement la région, les départements, les communautés de communes et les communes. J’applique un principe simple : pour chaque euro engagé par l’État via l’ARS, je sollicite un euro équivalent des collectivités territoriales, garantissant ainsi une parfaite équité dans l’accompagnement des projets.

La régulation s’exerce également à travers les autorisations, les inspections, les appels à projets, et le rôle crucial de nos délégations départementales. Ces dernières, au cœur de la proximité, accompagnent les projets, résolvent les tensions, dialoguent avec les élus et les acteurs de terrain. Elles incarnent l’interface de l’État en matière de santé au niveau infrarégional.

En termes de gouvernance, les ARS s’inscrivent pleinement dans une démarche décentralisée, mais à responsabilité partagée. La conférence régionale de santé et d’autonomie (CRSA) et le conseil territorial de santé (CTS) jouent véritablement le rôle de « parlement de la santé ». Leur légitimité a été renforcée par la loi du 27 décembre 2023. Ils participent à l’ensemble de nos décisions en matière de santé. J’ai même sollicité le CTS pour qu’il émette des avis, bien que non officiels car non prévus par la réglementation, sur les autorisations sanitaires par exemple. Cette démarche vise à impliquer l’ensemble des acteurs dans ces débats, au-delà du seul niveau régional.

Notre coopération avec les préfets s’inscrit dans une dynamique de transparence, de codécision et de représentation unifiée de l’État, un aspect auquel je suis particulièrement attaché. Le préfet de région préside notre conseil d’administration qui se prononce sur le projet régional de santé. Je co-préside avec lui un comité d’investissement hospitalier. Nous participons au comité d’administration régional, et les directeurs départementaux au comité d’administration départemental des préfets. Cette coordination nous permet de mener une action publique visible, coordonnée et cohérente.

Le budget de l’ARS Occitanie s’élève à environ 75 millions d’euros pour le fonctionnement et à 460 millions d’euros au titre du FIR. Ces ressources nous permettent de conduire des politiques ambitieuses, tout en respectant scrupuleusement le cadre réglementaire et législatif que vous élaborez.

L’ARS Occitanie compte un peu moins de 770 équivalents temps plein (ETP), avec une diversité de statuts reflétant son histoire et sa construction depuis 2010 : fonctionnaires, agents de l’assurance maladie, contractuels, etc.

Les critiques adressées aux agences régionales de santé doivent certes nous inciter à progresser, mais il convient de ne pas occulter la réalité : sans les ARS, il faudrait mettre en place une administration dédiée à la santé, engendrant des coûts similaires sans bénéficier de la même expertise ni de la mémoire acquise par nos collaborateurs. L’expérience de la crise du Covid a démontré la réactivité, l’adaptabilité et le caractère essentiel des ARS.

Nous sommes conscients de nos marges d’amélioration, notamment en termes de simplicité, de visibilité et de renforcement des contacts avec les élus et les professionnels. Nous considérons la santé comme un bien public constitutionnel, au même titre que l’éducation, nécessitant une régulation forte au plus près des territoires et une administration spécialisée.

L’ARS Occitanie œuvre quotidiennement pour rapprocher les soins des habitants, réduire les inégalités territoriales et sociales dans nos treize départements, garantir un pilotage stratégique régional adapté aux spécificités locales, tout en assurant l’égalité de traitement pour l’ensemble de nos citoyens.

Lors de ma nomination au poste de directeur général de l’ARS Occitanie, le premier ministre Jean Castex m’avait assigné deux objectifs : travailler en étroite collaboration avec les préfets et coconstruire avec les élus. C’est à cette mission que je m’attelle chaque jour avec l’ensemble des équipes de l’agence, tant au niveau régional que départemental. Je suis convaincu de la nécessité de consolider l’unicité de l’action publique en santé en s’appuyant sur trois acteurs essentiels : les élus, les professionnels de santé et les usagers. C’est ensemble que nous serons plus efficaces.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l’ARS Grand Est. J’ai pris mes fonctions de directrice générale de l’ARS Grand Est le 4 juin 2024. Depuis lors, je parcours quotidiennement les territoires très contrastés de cette vaste région, mesurant les différentes facettes de l’accessibilité à l’offre de santé et constatant la richesse des initiatives de nos professionnels de santé, des élus et de l’ensemble de nos partenaires pour répondre, avec l’ARS, aux enjeux de santé.

Mon parcours est quelque peu atypique. Je suis docteur en immunohématologie et chercheuse de formation. Ma thèse, soutenue il y a plusieurs années, portait sur la xénotransplantation, un domaine particulièrement pointu. Je cumule plus de vingt ans, bientôt vingt-cinq ans, d’expérience en sécurité sanitaire au niveau national. J’ai notamment exercé des fonctions au sein de cabinets ministériels, notamment lors de l’élaboration de la loi Mediator, ce qui m’a amenée à participer à de nombreuses séances, y compris des commissions d’enquête. J’ai également travaillé à l’assurance maladie et j’ai eu l’honneur de diriger l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pendant plusieurs années, ainsi que d’occuper le poste de vice-présidente de l’agence européenne des médicaments (EMA).

Il y a un peu moins d’un an, j’ai choisi de rejoindre les territoires pour être au plus près des acteurs de terrain, des préfets, des élus et des patients, afin de contribuer à l’amélioration de notre système de santé. Mon parcours m’a inculqué l’importance de la rigueur méthodologique, de l’implication des parties prenantes (usagers, élus et préfets), de la transparence des informations et des décisions, ainsi que de l’analyse et de la maîtrise des risques. Ces éléments constituent pour moi les trois piliers indispensables à la conduite d’une politique publique efficace, notamment en matière d’accessibilité à l’offre de santé dans toutes ses dimensions, qui est le fil conducteur de notre action à l’ARS Grand Est.

La région Grand Est, caractérisée par son étendue et la diversité de ses territoires, illustre parfaitement la multiplicité et le caractère protéiforme des enjeux de santé auxquels nous sommes confrontés. Dans cette région, l’accessibilité à l’offre de santé varie considérablement selon la localisation géographique, qu’il s’agisse de la pointe de Givet, de la frontière luxembourgeoise, de Remiremont dans les Vosges, de l’Eurométropole de Strasbourg, ou encore de Saint-Louis, zone frontalière avec la Suisse.

La région Grand Est présente des caractéristiques uniques. Elle compte environ 5,5 millions d’habitants, dont 9,5 % ont plus de 75 ans. C’est la seule région française limitrophe de quatre pays, avec plus de 600 kilomètres de frontières partagées avec l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et la Suisse. Ces deux derniers pays exercent une forte attraction sur nos professionnels de santé. De plus, la région se distingue par son nombre record de communes en France, soit 5 118, dont 91 % comptent moins de 2 000 habitants. Cette configuration territoriale souligne l’importance cruciale des enjeux de proximité et de territorialité.

Face à cette diversité démographique et géographique, l’ARS, en collaboration avec ses partenaires, doit élaborer des solutions sur mesure, adaptées à chaque bassin de vie, pour garantir une accessibilité optimale à l’offre de santé.

L’ARS s’est imposée comme un acteur incontournable du système de santé, particulièrement depuis la crise sanitaire du Covid-19. L’ARS Grand Est emploie plus de 700 personnes réparties sur dix sites physiques, avec des expertises variées. Environ 20 % du personnel se consacre à des missions d’expertise ou de conseil dans les domaines médical, juridique, d’inspection et transfrontalier. 18 % s’occupent du pilotage et de l’animation territoriale au plus près des acteurs locaux. 13 % travaillent sur l’organisation de l’offre de santé, 12 % sur la santé environnementale, 10 % sur le secteur médico-social, et 4 % gèrent les crises et les alertes sanitaires.

L’ARS dispose d’un levier financier important : le FIR, qui représente près de 200 millions d’euros dédiés au financement d’actions essentielles pour les territoires. En 2024, environ 30 % de ce fonds sont consacrés à la coordination des parcours de santé, 25 % à la permanence des soins, et près de 20 % à la prévention et à la promotion de la santé. La répartition de ces fonds s’adapte aux spécificités de chaque territoire, en tenant compte des besoins des usagers, de l’offre de soins existante et de la densité médicale.

Cette approche territoriale se concrétise notamment à travers les contrats territoriaux de santé (CTS) et les contrats locaux de santé (CLS), en collaboration étroite avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Les délégations territoriales de l’ARS jouent un rôle crucial dans ce dispositif, disposant d’une certaine autonomie financière pour proposer et mettre en place des projets avec les collectivités territoriales.

Les récentes crises sanitaires ont mis en évidence l’importance d’une connaissance approfondie de l’écosystème tant au niveau territorial que régional et transfrontalier. C’est grâce à la collaboration de l’ensemble des acteurs du système de santé et des partenaires institutionnels (préfectures, services de l’État, collectivités territoriales, fédérations d’établissements et de professionnels de santé, usagers) que nous pouvons relever les défis qui se présentent à nous.

L’accès aux soins et à la santé étant multifactoriel, les réponses doivent être plurielles et multipartenariales. À titre d’exemple, l’ARS Grand Est a développé un outil de cartographie dynamique permettant de visualiser l’ensemble des maisons de santé pluriprofessionnelles et les données démographiques des médecins. Cet outil facilite l’identification des zones nécessitant l’implantation de nouvelles structures de santé.

Dans un souci de visibilité, de transparence et d’efficacité, nous avons également mis en place un comité des financeurs sur les soins de proximité. Ce comité réunit l’ARS, l’assurance maladie, la région et la préfecture pour coordonner les aides aux porteurs de projets, optimiser l’utilisation des fonds publics et offrir une meilleure visibilité aux initiatives locales.

L’accessibilité à l’offre de santé est un enjeu protéiforme qui participe à l’aménagement du territoire. Pour attirer des professionnels de santé, il est essentiel de proposer une offre de service public attractive. Cette accessibilité dépend également des attentes des citoyens et de leur acceptation des conditions de sécurité et de qualité des soins. Une approche graduée et partagée du diagnostic et des propositions de mesures est donc indispensable.

En conclusion, les ARS doivent continuer à progresser dans la territorialisation de leurs actions et dans le dialogue permanent avec les élus, les préfets, les représentants des usagers et les citoyens. Depuis leur création il y a 15 ans, les ARS n’ont cessé de se transformer et de s’adapter pour répondre au mieux aux enjeux et aux demandes sociétales. Dans le contexte actuel, où les enjeux de santé sont cruciaux, les moyens contraints et les demandes sociétales en expansion, il est impératif de simplifier nos processus et de démultiplier nos capacités d’action. Cela passe par une complémentarité renforcée entre l’État au sens large (ARS et préfectures), les collectivités territoriales et l’assurance maladie. Notre objectif commun est d’agir ensemble pour garantir à nos concitoyens un accès optimal à l’offre de santé, dans des conditions de qualité, de sécurité et de soutenabilité pour notre système de santé.

M. Yann Bubien, directeur général de l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur. Je suis directeur général de l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur depuis quelques mois. Mon expérience dans le secteur de la santé s’étend sur vingt-cinq ans, incluant des postes de direction à la fédération hospitalière de France (FHF), à la tête de deux CHU (Angers et Bordeaux), ainsi que quatre passages en cabinet ministériel auprès de différents ministres de la santé. J’ai notamment contribué à l’élaboration de la loi HPST de 2009 sous le mandat de Roselyne Bachelot.

La création des ARS a été envisagée dès le début des années 2000, soutenue par l’ensemble du spectre politique. Cette initiative visait à résoudre le problème du cloisonnement entre les différents secteurs de la santé : médico-social, sanitaire, public, privé et libéral. À l’époque, huit structures distinctes géraient le système de santé, créant une complexité organisationnelle importante. L’objectif était de passer d’une approche verticale à une approche horizontale plus intégrée.

La campagne présidentielle de 2006-2007 a vu l’émergence de cette idée dans les programmes de tous les candidats. En 2007, la commission Larcher, composée de manière transpartisane et incluant de nombreux professionnels de santé et responsables politiques, a travaillé sur l’élaboration du concept des ARS. Ces agences ont été officiellement créées par la loi HPST en 2009 et mises en place en 2010.

Aujourd’hui, à la tête de l’ARS Provence-Alpes-Côte d’Azur, je découvre le fonctionnement interne de cette structure dans une région majeure en termes de santé, caractérisée par une forte densité de professionnels et d’établissements de santé, tant publics que privés. Notre objectif est de favoriser une collaboration étroite entre l’ARS et l’ensemble des acteurs du secteur.

M. Sergio Albarello, directeur général de l’ARS de Mayotte. En tant que directeur général de l’ARS de Mayotte, je vous présente aujourd’hui un état des lieux actualisé de la situation sanitaire et démographique de l’île. Mon parcours atypique, issu du service de santé des armées et ayant occupé diverses fonctions au sein des plus hautes instances de l’État, m’apporte une perspective unique sur les défis auxquels Mayotte est confrontée.

Mayotte connaît une croissance démographique exceptionnelle, la plus rapide de France. En 2025, la population s’élève à environ 330 000 habitants, soit un doublement en dix ans. Le taux d’accroissement annuel moyen atteint 3,8 % depuis 2017, ce qui représente environ 7 700 nouveaux habitants chaque année. Cette progression est principalement due à une natalité très élevée, avec un indice de fécondité de 4,5 enfants par femme, le plus élevé de France. Les projections indiquent que la population pourrait atteindre entre 440 000 et 750 000 habitants d’ici 2050, soit un doublement, voire un triplement en une génération.

La structure démographique de Mayotte est fortement déséquilibrée : la moitié de la population a moins de 18 ans, tandis que seulement 5 % a plus de 60 ans, contre 25 % en métropole. Cette jeunesse représente à la fois un défi majeur et une opportunité, à condition que les politiques publiques anticipent les besoins futurs.

Cependant, cette population jeune évolue dans un contexte de grande précarité. Trois habitants sur quatre vivent sous le seuil de pauvreté national. Le taux de chômage est particulièrement élevé, touchant un tiers des adultes. Environ 25 % de la population, soit 82 000 personnes, est en situation irrégulière, ce qui complique l’accès aux soins. Le niveau d’éducation est également préoccupant : seul un adulte sur quatre de plus de 15 ans possède un diplôme qualifiant, contre sept sur dix en métropole.

Les conditions de logement reflètent cette précarité : deux habitations sur cinq sont construites en tôle, souvent sans accès direct à l’eau ni aux équipements sanitaires de base. Le coût de la vie, en moyenne 10 % plus élevé qu’en métropole, avec une « sur-inflation » atteignant 54 % sur les produits alimentaires, aggrave la situation.

Ces facteurs combinés engendrent une triple précarité : économique, résidentielle et sanitaire. Bien que Mayotte enregistre plus de 10 000 naissances par an, l’espérance de vie y est significativement inférieure à celle de la métropole : six ans de moins pour les hommes et jusqu’à douze ans pour les femmes. La mortalité infantile est trois fois plus élevée qu’en métropole.

L’accès à l’eau potable reste problématique dans certaines zones, et de nombreuses plages sont interdites à la baignade pour des raisons sanitaires. Les logements insalubres exposent leurs occupants à divers risques sanitaires, notamment liés à la chaleur pour 60 % d’entre eux. La pratique fréquente des brûlages sauvages contribue à la pollution de l’air.

Des progrès ont été réalisés dans le domaine de la santé, avec le renforcement du centre hospitalier de Mayotte, des centres de consultation, des maternités, des maisons de santé pluriprofessionnelles et des CPTS. Néanmoins, Mayotte souffre toujours d’un manque criant de professionnels de santé : elle compte cinq fois moins de médecins généralistes qu’en métropole, et les spécialistes sont rares. Le taux de renoncement aux soins atteint 45 %, contre 29 % en métropole.

L’offre hospitalière reste insuffisante, avec seulement 1,4 lit pour 1 000 habitants au centre hospitalier de Mayotte, contre 3,3 en métropole. En 2023, 1 800 évacuations sanitaires ont été nécessaires, chiffre en hausse de 13 % sur un an. Les difficultés d’installation durable des professionnels de santé, liées à l’insécurité, aux conditions de logement précaires et à l’insuffisance des infrastructures scolaires et de transport, expliquent en partie cette pénurie.

Il existe cependant des leviers d’action prometteurs. La diversité des cas médicaux, l’engagement des étudiants et l’aspect humain de la relation de soins constituent des moteurs puissants. Les jeunes professionnels en quête de sens peuvent y trouver un engagement significatif et porteur d’avenir.

Les indicateurs de prévention à Mayotte sont particulièrement préoccupants. En effet, 87 % des femmes n’ont jamais bénéficié d’une mammographie. Le dépistage du cancer colorectal n’a jamais été effectué chez 94 % des adultes. De plus, 39 % de la population n’a jamais fait contrôler sa glycémie. La santé nutritionnelle présente également des déséquilibres majeurs. L’obésité touche 30 % des jeunes adultes, avec une prévalence particulière chez les femmes, tandis que 20 % des enfants souffrent de maigreur.

Concernant la santé sexuelle et reproductive, la situation est tout aussi alarmante. Seules 30 % des femmes enceintes bénéficient des trois échographies recommandées. Par ailleurs, 44 % des femmes âgées de 18 à 44 ans n’utilisent aucun moyen de contraception. La santé mentale devient une préoccupation croissante, un jeune sur cinq présentant des syndromes dépressifs dans un contexte de grande instabilité sociale et familiale.

Les projections démographiques pour Mayotte en 2050 sont considérables. La population devrait atteindre entre 450 000 et 750 000 habitants. La structure de la pyramide des âges connaîtra une transformation significative. La proportion des moins de 25 ans diminuera de 40 %, tandis que celle des plus de 65 ans pourrait représenter 10 % de la population, soit environ 64 000 personnes âgées.

Mayotte fait face à une situation singulière dans le paysage national. Elle se caractérise par une jeunesse massive, une dynamique migratoire intense, une vulnérabilité sanitaire et une croissance démographique hors normes. Cependant, il serait réducteur de ne considérer Mayotte que sous l’angle de ses fragilités. L’île possède également des atouts considérables : une jeunesse pleine de ressources, des solidarités vivaces, des professionnels de santé engagés et une capacité institutionnelle à innover.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur le directeur général, vous avez évoqué le rôle étendu de l’ARS. Ne pensez-vous pas que ce champ d’action est peut-être trop vaste ? Ne serait-il pas plus judicieux que les ARS se recentrent sur leur cœur de métier, à savoir le domaine de la santé, plutôt que de se disperser sur diverses missions annexes ? Je pense notamment à la dimension environnementale que vous avez mentionnée. Ne serait-il pas plus efficace de déléguer certaines de ces missions parallèles pour se concentrer sur l’essentiel ?

Ma deuxième interrogation porte sur les modalités d’attribution des autorisations d’exercice de spécialités, qu’elles soient pérennes ou temporaires. Nous avons l’impression, au fil de nos échanges dans le cadre de cette commission d’enquête, que les autorisations pour les spécialités les plus lucratives sont souvent accordées de préférence aux cliniques privées plutôt qu’aux hôpitaux publics. Pouvez-vous nous éclairer sur les critères objectifs et spécifiques qui président à l’octroi de ces autorisations ?

Par ailleurs, nous ne constatons pas d’évolution significative dans la prise en charge de la permanence des soins par les établissements privés, et ce malgré le vote de la loi RIST et la publication des décrets d’application relatifs à cette question. Comment expliquez-vous cette situation ? Quel est votre rôle dans ce domaine et quels leviers avez-vous à votre disposition pour faire appliquer cette permanence des soins par les cliniques privées ?

Madame Ratignier-Carbonneil, vous avez mentionné les délégués territoriaux. Pouvez-vous nous préciser quelles sont leurs délégations et leurs compétences ? Comment sont-elles définies ? Varient-elles d’une ARS à l’autre ?

M. Didier Jaffre. Au début de mon mandat, je me suis interrogé sur le large spectre des compétences des ARS. En effet, nos domaines d’intervention s’étendent de la qualité de l’eau potable jusqu’à l’accompagnement de la fin de vie, en passant par de nombreux autres aspects. Il est légitime de se demander s’il est raisonnable qu’une seule instance soit en charge de tous ces domaines.

Cependant, mon expérience de trois ans en tant que directeur général d’ARS m’a convaincu de l’importance d’une vision globale sur tous ces champs, en particulier sur la santé environnementale. Nous savons tous que ces facteurs sont déterminants pour l’état de santé de nos populations. Sans une agence de santé pour vérifier la qualité de l’eau, qu’elle soit de consommation courante ou thermale, pour contrôler la qualité de l’air, et pour évaluer l’impact de l’ensemble de la vie économique sur la santé, ces aspects risqueraient d’être négligés. Les autres services de l’État ne disposent pas des mêmes outils ni de l’expertise en santé que nous possédons.

Prenons l’exemple récent d’un incendie dans une usine de batteries dans l’Aveyron. Si nous ne nous préoccupions pas quotidiennement de l’impact de tels événements sur les populations, personne ne le ferait. C’est précisément la raison pour laquelle, lors de la création des agences, il a été décidé d’adopter cette approche globale de la santé de l’individu. L’être humain ne se compartimente pas, et son accès à la santé, dans toutes les acceptions du terme, doit être supervisé par une seule et même instance.

Cette approche est particulièrement pertinente en matière de prévention. Les besoins ne se révèlent pas automatiquement. Que ce soit pour le dépistage, la vaccination ou les comportements de santé, sans une instance dédiée pour s’en préoccuper, nous risquerions de passer à côté d’enjeux cruciaux. Dans ma région, fortement impactée par le réchauffement climatique, il est essentiel d’accompagner les populations dans leur mode de vie. Sans une agence de santé pour s’en occuper, nous pourrions faire face à des conséquences sanitaires graves.

Certes, ce large spectre de compétences peut sembler excessif, mais il oblige nos équipes à maintenir constamment cette vision globale. J’exige de mes collaborateurs en charge du médico-social qu’ils aient également une vision sur la santé environnementale et le développement durable. Toutes nos actions doivent prendre en compte l’impact sur la qualité de l’environnement dans lequel nous vivons, y compris lors de la reconstruction d’un hôpital.

En conclusion, je pense qu’il est crucial de maintenir ce champ d’action étendu. Cela est certes très exigeant et complexe, mais c’est la seule façon d’aborder l’accès à la santé dans toutes ses dimensions.

Concernant les autorisations d’exercice, je dirige une région atypique où le poids du secteur privé est particulièrement important. Globalement, l’offre est équilibrée, avec environ la moitié assurée par le secteur privé à but lucratif, à l’exception des départements très ruraux où l’offre privée est absente. Dans les métropoles de Toulouse, Montpellier, Nîmes et sur tout l’arc méditerranéen, nous veillons à maintenir un équilibre parfait entre le secteur public et le secteur privé. Notre projet régional de santé prévoit les mêmes autorisations pour le public et le privé.

Prenons l’exemple de la cancérologie. Dans un département comme l’Aude, avec Carcassonne d’un côté et Narbonne de l’autre, chaque hôpital pris individuellement n’atteindrait pas les seuils requis en cancérologie. Nous leur accordons donc des autorisations conditionnées à une collaboration sur deux ans, afin que les Audois puissent bénéficier d’une offre complète en cancérologie dans leur département.

Aucun privilège n’est accordé ni au secteur privé ni au secteur public dans l’attribution des autorisations. Notre priorité est de répondre aux besoins de santé des habitants dans chaque département, à l’exception des spécialités de niveau régional. Concernant le financement des soins et des établissements de santé, ma région présente une particularité : le secteur privé représente plus de 30 % de l’enveloppe allouée. Cette situation s’explique par la nécessité d’une participation active du privé pour répondre à la demande croissante.

La région Occitanie connaît une croissance démographique exceptionnelle, avec 50 000 nouveaux habitants chaque année. Cette tendance, qui dure depuis une décennie et devrait se poursuivre pendant dix ans encore, implique que nous accueillerons un million d’habitants supplémentaires sur vingt ans. Depuis le 1er janvier, nous sommes devenus la troisième région française, et cette progression ne faiblit pas. Notre défi majeur n’est donc pas de concentrer l’offre ou de réguler le personnel, mais bien de développer nos capacités. Mon objectif principal est de prendre aujourd’hui les décisions adéquates pour garantir, à l’horizon 2040, une offre de santé complète capable de satisfaire les besoins de près de sept millions d’habitants.

En ce qui concerne la permanence des soins ambulatoires, le secteur privé y participe pleinement. Suite à la publication des récents décrets, chaque agence régionale de santé travaille actuellement à la révision de son schéma de permanence des soins ambulatoires. Dans ma région, la concertation débute. Nous allons réviser le schéma des urgences et celui de la permanence des soins ambulatoires d’ici l’automne prochain. Nous délivrerons alors, si nécessaire, de nouvelles autorisations et déterminerons le financement de la permanence des soins ambulatoires. Mon approche vise à maintenir et renforcer l’implication du secteur privé, tout en cherchant à améliorer la collaboration entre public et privé dans certaines spécialités.

Dans les territoires dépourvus de secteur privé, nous devons veiller à ce que les établissements publics d’un même département collaborent efficacement. Cela concerne aussi bien les disciplines à permanence obligatoire que les autres, afin d’assurer des ressources médicales suffisantes pour garantir cette permanence. Dans ce contexte, nos centres hospitaliers universitaires jouent un rôle crucial. Les trois CHU de notre région sont essentiels pour l’universitarisation de nos territoires, l’apport d’externes, d’internes, de docteurs juniors et, à terme, de médecins. Leur mission est de soutenir le fonctionnement de nos hôpitaux périphériques.

Prenons l’exemple de l’ouest de l’Occitanie, avec Toulouse comme point central. Le CHU de Toulouse, tout comme les établissements privés, a tout intérêt à ce que les autres hôpitaux et tous les médecins des centres hospitaliers fonctionnent efficacement. En effet, face à l’afflux constant de nouveaux habitants (la métropole toulousaine gagne 15 000 habitants par an), nos hôpitaux doivent être en mesure de répondre à une demande croissante. Notre région est certes atypique, mais nous devons impérativement faire face à ce développement de l’offre de santé. Ainsi, concernant la permanence des soins ambulatoires, l’engagement du secteur privé est déjà très fort là où il est présent.

M. Laurent Alexandre (LFI-NFP). Monsieur Jaffre, votre remarque sur les incendies soulève une question importante que j’adresse également aux autres représentants des ARS. Lorsqu’une entreprise classée Seveso est présente sur un territoire, comme ce fut le cas dans le secteur de Viviez avec l’incendie d’une entreprise de batteries au lithium, quel suivi l’ARS envisage-t-elle de mettre en place ? De quels moyens disposera-t-elle ? Des prélèvements ont été effectués au moment de l’incident, mais qu’en est-il du suivi à long terme des habitants ?

Nous savons pertinemment que les problèmes de santé liés à ce type d’incident peuvent se manifester des semaines, des mois, voire des années plus tard. Quels sont donc les moyens dont dispose l’ARS pour assurer ce suivi ? L’ARS a-t-elle la volonté et la capacité de mener ce suivi sur plusieurs années ? De plus, ne serait-il pas pertinent d’effectuer ce type de suivi dans les zones abritant des entreprises Seveso n’ayant pas connu d’incident, afin d’établir un « point zéro » sur la santé des résidents ? Cela permettrait, en cas d’incident futur, d’avoir une base de comparaison pour un suivi précis de ces populations.

M. Didier Jaffre. Je rappelle que la gestion de crise s’effectue sous la coordination du préfet de département, impliquant l’ensemble des services de l’État, y compris l’ARS. Notre responsabilité, en collaboration avec les élus locaux, est d’assurer le suivi des impacts sur la santé des populations.

Nous avons mené ce suivi pendant un an, en étroite collaboration avec Santé publique France (SPF), notamment ses équipes régionales basées dans nos locaux. Dès qu’un doute surgit au vu des indicateurs de santé (que ce soit via les systèmes d’information de l’assurance maladie ou les remontées directes des médecins et les bases de données sur l’état de santé des populations), nous déclenchons une enquête approfondie. Nous l’avons fait sur plusieurs sites, comme à Gardanne, où une entreprise chimique avait suscité des inquiétudes. Des enquêtes ont été menées pour comprendre l’origine de taux de cancer apparemment anormaux.

Concernant spécifiquement le cas de l’Aveyron, dès que nous observerons des indicateurs anormaux, nous approfondirons l’analyse et lancerons une enquête de santé publique, comme nous le faisons systématiquement sur l’ensemble des territoires. À ce jour, je n’ai reçu aucune alerte particulière. Nous avons effectué un suivi quasi mensuel pendant un an pour vérifier l’impact réel sur les populations. Les premiers effets liés aux fumées ont été observés et pris en charge. Nous encourageons d’ailleurs les patients à se manifester auprès de leurs médecins ou de l’ARS s’ils ressentent le moindre problème.

Ce type de suivi est mis en place partout où cela est nécessaire. Par exemple, nous surveillons l’impact de l’arsenic dans l’eau dans la vallée de l’Orbiel, un sujet qui préoccupait déjà avant mon arrivée. À chaque épisode pluvieux, nous effectuons des contrôles et suivons rigoureusement l’état de santé des populations. Nous avons également des cas similaires dans la vallée du Lot et à Toulouse, que nous suivons systématiquement en collaboration avec SPF.

M. Sergio Albarello. Concernant les autorisations d’exercice à Mayotte, il est important de souligner la faible attractivité du territoire pour les promoteurs. L’offre de soins est principalement centrée sur l’établissement de santé hospitalier. Néanmoins, l’ARS a mis en place sa CPTS, et dans ce cadre, nous développons et facilitons les coopérations public-privé dans les domaines où l’hôpital est déficitaire, notamment en dialyse et en rééducation fonctionnelle post-AVC.

Nous poursuivons également ce partenariat de coopération public-privé avec une structure privée de La Réunion qui souhaite s’implanter à Mayotte. Les discussions sont en cours et le projet est quasiment finalisé, bien que l’acquisition des terrains soit encore en négociation.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. Concernant le rôle des délégations territoriales ou départementales, il convient de souligner leur fonction essentielle en tant que représentants locaux de l’agence. Ces délégations jouent un rôle crucial grâce à leur proximité avec les acteurs du terrain et leur connaissance approfondie des réalités locales. Cette expertise leur permet de porter efficacement divers projets, notamment au sein des instances régionales et départementales. Elles sont également en mesure d’accompagner les transformations nécessaires de l’offre de santé et médico-sociale. Il est important de noter que leur mission ne se limite pas à une simple application des directives du siège. Au contraire, elles prennent en compte les spécificités de chaque territoire pour élaborer, en collaboration avec le siège, des réponses adaptées aux besoins locaux. Cette approche est d’autant plus pertinente que nous observons des situations hétérogènes entre les départements, notamment en termes d’offre publique et privée. L’objectif est donc d’apporter des solutions sur mesure pour chaque territoire, visant à améliorer constamment l’offre de soins.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Les auditions que nous avons menées révèlent que selon les CHU, les hôpitaux privés choisissent leur permanence des soins en fonction de ce qui est le plus rentable, laissant aux structures publiques la charge des services moins lucratifs, tels que les urgences. Comment l’ARS Grand Est gère-t-elle cette répartition ?

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. Concernant la permanence des soins, nous sommes actuellement en phase de révision du schéma, ce qui implique une collaboration étroite avec l’ensemble des acteurs concernés. Je suis convaincu de l’importance cruciale de la transparence dans ce processus. Cette transparence, particulièrement en matière de permanence des soins et de gestion des urgences, permet d’établir un équilibre essentiel entre les secteurs public et privé. Elle offre à chaque institution la possibilité de démontrer et d’assurer ses responsabilités de manière visible et compréhensible pour les usagers et les patients. C’est un aspect fondamental de notre approche.

Il est également important de souligner que les autorisations sont intrinsèquement liées à l’obligation d’assurer la permanence des soins. Nous rappelons systématiquement cette exigence lors de l’octroi d’autorisations, que ce soit pour le secteur public ou privé. Ces autorisations sont délivrées en fonction des projets proposés, de l’évaluation des besoins réalisée en concertation avec tous les acteurs, et de l’analyse approfondie des dossiers. Nous veillons scrupuleusement à ce que la permanence des soins soit garantie et vérifiable, d’où l’importance de la transparence dans ce processus. Cette approche vise à assurer un équilibre équitable entre les secteurs public et privé dans la fourniture de cette indispensable permanence des soins.

Nous sommes conscients des préoccupations qui existent. C’est pour cette raison que le partage et la transparence des données relatives à la permanence des soins sont essentiels. Cette démarche nous permettra d’établir un diagnostic partagé, et, vraisemblablement, de parvenir à un équilibre vertueux dans la répartition des responsabilités.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le rapport de la Cour des comptes de 2023 met en lumière la répartition inégale des parts de marché entre établissements publics et privés selon les pathologies. Il souligne que le secteur privé lucratif prend en charge une part prépondérante de certaines interventions : 70 % des opérations de la cataracte, 77 % des interventions sur les prothèses dentaires, et 71 % des endoscopies digestives. Cette prédominance du privé lucratif semble étroitement liée aux autorisations délivrées par les ARS. Malgré vos assurances d’amélioration future, force est de constater qu’actuellement, tant dans la permanence des soins que dans l’attribution des autorisations, il semble y avoir une certaine complaisance envers le secteur privé au détriment du public. Cette observation est corroborée non seulement par le rapport de la Cour des comptes de 2023, mais aussi par les témoignages recueillis lors de nos auditions.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. Le processus d’autorisation repose sur une évaluation rigoureuse des dossiers soumis par les porteurs de projets. Dans certaines situations, nous nous trouvons face à des porteurs de projets exclusivement privés, sans alternative publique. Dans ces cas, l’autorisation est naturellement accordée à un établissement privé, faute d’autres options.

Lorsque nous sommes confrontés à des dossiers émanant de divers établissements, le statut public ou privé n’est pas un critère prépondérant dans notre décision. Notre priorité absolue est la qualité : qualité du dossier présenté et qualité du parcours de soins proposé par le porteur de projet, qu’il soit public ou privé. C’est sur cette base que nous accordons les autorisations et établissons les coordinations nécessaires.

À l’occasion du renouvellement des autorisations, nous procédons à une réévaluation complète, impliquant un nombre considérable de dossiers examinés, notamment avec l’appui de la commission spécialisée sur l’offre de soins. Nous mettons en place des coordinations et accordons parfois des autorisations sous condition de coopération entre établissements, notamment privés. Ces autorisations sont assorties d’une clause de revoyure, généralement dans un délai de deux ans, permettant à la commission de vérifier l’effectivité de cette coordination et son apport en termes de valeur ajoutée pour les usagers.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Je m’interroge sur les critères d’attribution des financements publics aux établissements privés de santé, particulièrement les établissements à but lucratif. Quelles sont les pratiques de l’ARS en la matière ? Comment les ARS s’assurent-elles que ces aides répondent à une logique d’intérêt général et ne se font pas au détriment des établissements publics ?

L’ARS Bretagne a octroyé 300 000 euros à une maternité privée pour le recrutement de médecins, alors que les accouchements sont suspendus depuis deux ans dans la maternité publique de Guingamp. Quelles mesures envisagez-vous pour garantir une répartition équitable des ressources, en soutenant prioritairement les établissements publics et en assurant une prise en charge de qualité pour tous ?

De nombreux élus, dont je fais partie, rapportent des difficultés à obtenir des réponses de la part des ARS. Que prévoyez-vous pour remédier à cette situation ?

La question de la transparence a été évoquée. Permettez-moi de partager une expérience : lors d’une réunion de concertation concernant un nouvel hôpital, un communiqué a été diffusé par l’ARS avant même la fin de la concertation. Ce type de pratique nuit à l’instauration d’un climat de confiance. Comment envisagez-vous d’améliorer la communication avec les élus locaux et les parlementaires impliqués dans ces dossiers ?

M. Yann Bubien. Je souhaite apporter des précisions concernant les exemples de la Cour des comptes que vous avez mentionnés. Ces trois cas relèvent des soins programmés et pas des soins non programmés, ce qui constitue une différence fondamentale dans le cadre de la permanence des soins des établissements de santé et de la permanence des soins ambulatoires. Il est essentiel de bien distinguer ces deux aspects. Depuis des années, les cliniques privées, notamment lucratives, se sont orientées vers une activité programmée plutôt que non programmée.

En tant qu’ancien directeur d’établissement public, j’ai longtemps défendu l’idée que le secteur privé lucratif ne s’impliquait pas suffisamment dans la permanence des soins. Cependant, nous avons actuellement une opportunité historique de revoir cette organisation. Il faut reconnaître que si les établissements publics assurent une plus grande part de la permanence des soins, c’est aussi parce qu’ils prennent en charge toutes les activités de recours, les cas les plus complexes et les soins non programmés. L’on ne peut pas attendre d’une clinique privée spécialisée dans la chirurgie de la cataracte, par exemple, qu’elle assure la permanence des soins le week-end pour des urgences médicales diverses.

Il est vrai que les cliniques privées se sont concentrées sur des activités programmées à cadence rapide, qui permettent une rentabilité importante. Néanmoins, dans nos négociations actuelles sur la permanence des soins, nous constatons que les jeunes médecins et chirurgiens du secteur privé souhaitent également s’impliquer dans ce domaine. Nous avons là une opportunité de mener une discussion cruciale pour rééquilibrer la situation sur nos territoires.

Concernant les modalités de choix et d’autorisation, le processus est objectif. Les besoins sont identifiés par les médecins, les directeurs d’établissements publics et privés, ainsi que par les remontées des usagers. Une stratégie est ensuite élaborée dans le cadre du projet régional de santé. Nous définissons les besoins par territoire, lançons un appel à candidatures, et sélectionnons le meilleur candidat, indépendamment de son statut public ou privé. Le critère principal est la capacité à répondre rapidement et efficacement au besoin identifié, sachant qu’une autorisation est valable pour cinq ans.

Notre objectif est de rééquilibrer la permanence des soins des établissements de santé, tout en nous penchant sur la permanence des soins ambulatoires. C’est une préoccupation majeure des citoyens au quotidien, et nous devons y répondre de manière efficace.

M. Didier Jaffre. Dans ma région, le président de la fédération de l’hospitalisation privée (FHP), qui gère un groupe de cliniques, collabore étroitement avec le CHU, notamment dans les métropoles comme Montpellier. Cette coopération est cruciale pour répondre aux besoins, particulièrement durant les périodes hivernales et estivales, cette dernière étant marquée par un afflux important de touristes dans notre région. Sans la participation active du secteur privé, le système ne pourrait fonctionner efficacement.

Certaines cliniques privées jouent un rôle équivalent à celui d’un hôpital public. Par exemple, dans les hauts cantons de l’Hérault, les cliniques constituent souvent la seule offre de santé disponible. La clinique de Ganges, notamment, remplit la fonction d’un hôpital de proximité, ce qui justifie notre décision de contractualiser avec le groupe pour sa reconstruction.

Concernant les aides financières, qu’elles soient destinées au secteur public ou privé, elles sont systématiquement contractualisées avec des objectifs précis, notamment via le FIR. Ces contrats sont publics et transparents. Il n’y a pas de favoritisme ; chaque aide est liée à des actions spécifiques de santé publique, de reconstruction, ou autres. Il faut noter que le secteur public reçoit une part majoritaire de ces fonds, principalement en raison de sa présence plus importante dans les missions d’intérêt général et dans l’ensemble des disciplines.

Quant à nos relations avec les élus, elles ne se limitent pas à des commissions formelles. J’adopte une approche proactive en sillonnant régulièrement les treize départements de la région. Je m’efforce d’être accessible à tout moment pour les maires, les parlementaires et les présidents de conseils départementaux. J’ai également demandé à mes équipes de traiter les courriers dans un délai d’environ huit jours.

Nous avons développé de nombreux contrats locaux de santé, plus de 60 à ce jour, car je crois fermement en l’efficacité de cet outil de proximité. Cette approche permet de gérer efficacement les situations, même conflictuelles, comme nous l’avons fait dans le Gers avec la participation des élus locaux et des syndicats. Nous travaillons également sur le projet d’hôpital commun de Millau-Saint-Affrique. Cette présence sur le terrain et cette collaboration étroite avec les élus sont essentielles pour répondre efficacement aux besoins de santé de nos territoires.

Nous avons mis en place un comité de pilotage coprésidé par la préfète et moi-même, associant l’ensemble des élus. Aucune décision n’est prise sans l’aval de ce comité. Nos communiqués de presse sont systématiquement relus par tous ses membres, ce qui assure un fonctionnement efficace. Bien que nous puissions toujours nous améliorer, je suis convaincu que notre travail en parfaite confiance permet une relation totalement fluide entre les parties prenantes. C’est cette approche que je préconise et que j’exige de mes équipes.

Par ailleurs, j’ai initié une révision de notre communication envers les maires, particulièrement concernant les comités liés à la santé environnementale. J’ai constaté que notre ton n’était pas approprié et j’ai demandé une refonte de tous nos avis. En tant que directeur général, je considère qu’il est inacceptable de donner des injonctions abruptes aux maires, étant donné l’importance de leur responsabilité.

Prenons l’exemple d’un établissement thermal à Argelès-Gazost : au lieu d’envoyer un courrier comminatoire à la maire qui rencontrait des difficultés, je me suis personnellement rendu sur place et nous avons trouvé des solutions ensemble. Cette approche collaborative avec nos élus est essentielle.

Il est naturel que les citoyens s’adressent à leurs élus pour des problèmes tels que l’accès aux soins. Notre rôle est d’apporter des réponses conjointes à ces préoccupations. Cette collaboration étroite s’exerce quotidiennement, sept jours sur sept.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Vos effectifs sont-ils suffisants ? En effet, les délais de réponse peuvent être impactés par un manque de personnel dans les services.

M. Didier Jaffre. J’estime que nous disposons d’un effectif suffisant pour répondre aux élus. Notre cabinet est bien organisé, avec un directeur de cabinet récemment nommé, ce qui assure un fonctionnement optimal. Cependant, nous manquons peut-être de personnel pour certaines missions d’expertise spécifiques. Par exemple, il est difficile de recruter des ingénieurs sanitaires compétents sur le marché du travail. De même, nous sommes en pénurie de médecins. Néanmoins, pour ce qui est de la communication avec les élus et les autres instances, nos effectifs sont adéquats. Si ce n’était pas le cas, cela révélerait un dysfonctionnement interne.

M. Sergio Albarello. Concernant Mayotte, dès mon arrivée, j’ai pris l’initiative de rencontrer l’ensemble des maires et des élus de toutes les communes. Accompagné de mes directeurs, je vais à la rencontre des élus pour partager les projets du territoire et faire connaître les actions de l’ARS, ainsi que nos attentes vis-à-vis des élus. Mensuellement, nous organisons une rencontre avec un exécutif, impliquant l’ensemble du personnel de l’ARS et des différentes directions.

M. Lionel Tivoli (RN). J’ai examiné avec attention le rapport de la Cour des comptes sur les missions de contrôle des ARS. Les conclusions sont préoccupantes. À la suite du scandale Orpea, l’État a lancé une vaste campagne de contrôle des Ehpad. Cependant, 80 % de ces contrôles ont été effectués uniquement sur pièces, sans visite sur site, comme indiqué à la page 32 du rapport. Or, la maltraitance ne se détecte pas dans un tableau Excel ; elle se constate sur le terrain, dans les chambres, en échangeant avec le personnel soignant.

Les chiffres sont éloquents : 3 965 contrôles sur pièces n’ont abouti qu’à 285 injonctions, contre 1 449 injonctions pour seulement 1 486 contrôles sur site. Malgré des constats alarmants tels que la présence de médicaments périmés, des enfermements non autorisés, ou l’absence de médecins, seules 20 sanctions ont été prononcées.

Je suis conscient des contraintes auxquelles les ARS sont confrontées dans l’exercice de leurs missions de contrôle. Néanmoins, quelle est selon vous l’origine de ce blocage ? Est-ce un manque de moyens, de volonté, de coordination ? Les Français n’attendent pas des explications sur la complexité de la situation, ils exigent une protection effective de nos aînés.

M. Didier Jaffre. Notre politique d’inspection et de contrôle n’a pas pour objectif de fermer systématiquement des établissements, mais plutôt de les faire progresser. Vous avez évoqué la maltraitance, et je tiens à souligner que le nombre relativement faible d’injonctions témoigne de la grande valeur et du professionnalisme du personnel de ces établissements. C’est un point positif qui mérite d’être souligné.

Concernant les contrôles sur pièces, je peux vous assurer qu’ils permettent de détecter un grand nombre d’anomalies. Par exemple, si un établissement est incapable de fournir des documents essentiels tels que le contrat de travail du médecin coordonnateur ou de l’infirmière coordinatrice, cela révèle immédiatement un problème. Ces éléments peuvent être identifiés sans nécessité de visite sur place. À partir de ces constats, nos équipes d’inspection et de contrôle déterminent, sous la validation du directeur général, si une visite sur site est nécessaire.

À mon arrivée, j’ai créé une véritable direction de l’inspection et du contrôle, regroupant tous les aspects du service rendu à l’usager. Cette direction englobe la démocratie sanitaire, la gestion des événements indésirables graves, la qualité, les affaires juridiques et le traitement des réclamations. Cette centralisation permet une meilleure objectivation des situations nécessitant une intervention sur site.

L’Occitanie compte 820 Ehpad. Nos inspections et contrôles sont menés conjointement avec les conseils départementaux, car il s’agit d’une compétence partagée. Parmi les 20 établissements sanctionnés que vous avez mentionnés, trois étaient sous ma juridiction. Il s’agissait d’établissements communaux dont la gouvernance ne permettait plus un fonctionnement adéquat. Dans ces cas, nous avons décidé, en collaboration avec les maires concernés, de transférer les autorisations à d’autres partenaires pour redresser la situation. Ainsi, nous avons évité la fermeture tout en assurant une reprise en main efficace. J’ai personnellement suivi ces dossiers, constatant sur place l’amélioration du fonctionnement après quelques mois.

Notre approche de l’inspection-contrôle s’inscrit dans une démarche d’amélioration continue de la qualité de prise en charge. Cela concerne non seulement les Ehpad, mais s’étend également au secteur du handicap, notamment pour les enfants en institution. Bien que des actions aient déjà été menées, nous devons anticiper davantage.

En termes de moyens, j’ai fixé comme objectif à chacun de nos 200 inspecteurs de réaliser au minimum trois inspections par an. Auparavant, ce n’était pas systématiquement le cas. Cela représente donc un total de 600 inspections annuelles sur l’ensemble de nos champs de compétences.

Notre périmètre comprend 820 Ehpad, plus de 1 000 structures pour personnes en situation de handicap, environ 500 établissements de santé, sans compter les nombreux services de santé, d’environnement et autres. Face à ce volume considérable, une inspection exhaustive s’avère impossible. Cependant, cela ne signifie nullement une inaction de notre part. Nous établissons des programmes d’inspection et de contrôle en collaboration avec d’autres services étatiques, l’assurance maladie et les conseils départementaux. Cette mutualisation de nos forces nous permet de détecter efficacement les dysfonctionnements.

Il convient de saluer l’excellent travail accompli par la grande majorité des personnels de santé. Nous constatons quotidiennement que 99 % des structures fonctionnent de manière satisfaisante, voire exemplaire. Néanmoins, notre devoir est d’intervenir lorsque des problèmes surgissent. Nous nous engageons à garantir aux résidents et à leurs familles une prise en charge optimale. Cette mission d’inspection et de contrôle, fondamentalement régalienne, constitue une priorité absolue pour l’ensemble de nos agences.

M. Yann Bubien. Le rapport de la Cour des comptes est exact. Il fait état d’une répartition 80/20 entre les contrôles sur pièces et les contrôles sur place. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, nous affichons un bilan légèrement supérieur avec 25 % de contrôles sur place et 75 % sur pièces. Bien que nous n’ayons pas pu inspecter physiquement tous les établissements, faute de moyens suffisants, l’intégralité des 600 Ehpad de notre région a fait l’objet d’un contrôle, que ce soit sur place ou sur pièces.

Nos actions de contrôle ont abouti à des sanctions concrètes. Nous avons notamment procédé à la fermeture de trois Ehpad, dont un récemment dans les Alpes-Maritimes. Une dizaine d’autres établissements ont été temporairement suspendus dans l’attente d’améliorations. Nos interventions sur place sont déclenchées en fonction des signalements reçus, qu’ils émanent d’usagers, d’élus, d’associations ou de professionnels de santé. Nous réagissons promptement à ces alertes.

J’ai personnellement insisté auprès de mes équipes pour intensifier les inspections sur site. Tout signalement fait l’objet d’un contrôle immédiat. La fermeture d’un établissement, bien que parfois nécessaire, reste une décision difficile à prendre.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. Il convient d’insister sur l’importance de l’analyse de risque préalable. Dans notre région, comme dans d’autres, nous avons élaboré, en concertation avec les conseils départementaux, une grille d’analyse basée sur des critères partagés. Cette approche nous permet d’évaluer la criticité de chaque établissement et de déterminer la nature du contrôle à effectuer, sur pièces ou sur place.

Notre méthode ne repose donc pas sur une répartition arbitraire, mais sur une évaluation rigoureuse des déterminants et des critères de risque. En cas de criticité élevée, nous mobilisons conjointement les forces de l’ARS et des conseils départementaux pour mener une inspection sur site et prendre les mesures qui s’imposent. Cette analyse de risque partagée constitue le fondement de notre stratégie d’inspection.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez l’opportunité d’observer divers types d’établissements. Selon votre expérience, quel modèle de gouvernance vous semble le plus efficient parmi les établissements publics, les structures associatives et les cliniques privées ? Comment évaluez-vous leur efficacité respective en termes de compétences, de structure organisationnelle et d’autorité sur le personnel ?

M. Yann Bubien. Cette question de la gouvernance optimale nous occupe depuis des années, sans qu’une solution définitive n’ait émergé, chaque modèle présentant ses avantages et ses inconvénients. La France a fait le choix, en 1945, d’une grande diversité d’établissements. Notre système de santé englobe des établissements publics, avec une variété allant des centres hospitaliers aux CHU, des hôpitaux privés à but non lucratif, des centres de lutte contre le cancer, et des établissements privés à but lucratif. Cette diversité rend notre système de santé à la fois très complet et extrêmement complexe, ce qui constitue notre principal défi.

Cette approche diffère significativement de celle d’autres pays européens. Le Royaume-Uni, par exemple, a opté pour un système presque entièrement public, tandis que l’Allemagne et les pays nordiques privilégient le modèle privé à but non lucratif. La France, quant à elle, a choisi en 1945 de maintenir cette grande variété tout en garantissant un accès universel aux soins, quel que soit le type d’établissement, grâce à notre système de sécurité sociale.

Ayant dirigé des établissements publics, j’ai pu constater à la fois une certaine liberté d’organisation et des contraintes importantes, notamment en matière de marchés publics et de construction. La réalisation d’un projet hospitalier dans le secteur public prend généralement deux fois plus de temps que dans le privé, ce qui s’explique en partie par les contraintes liées à l’utilisation de fonds publics.

Dans ma jeunesse, je défendais un modèle mixte, proche de celui des établissements privés à but non lucratif, similaire à ce que l’on trouve en Allemagne ou dans les pays nordiques. Aujourd’hui, je constate que la force de notre système de santé réside dans la concurrence entre établissements, qui stimule l’excellence malgré certains inconvénients. En comparaison avec d’autres systèmes européens, notamment anglo-saxons, qui rencontrent actuellement des difficultés en termes de qualité des soins et d’accueil des patients, notre modèle présente des avantages certains.

Néanmoins, je ne saurais affirmer quel est le meilleur modèle. Les attentes des Français ont évolué, et il serait difficile de revenir à un système radicalement différent.

M. le président Jean-François Rousset. En définitive, le modèle le plus efficace est celui qui fonctionne de manière harmonieuse au sein d’un territoire donné.

Mme Christelle Ratignier-Carbonneil. Il n’existe probablement pas de modèle unique, compte tenu de la diversité des territoires au sein de notre région et dans l’ensemble du pays. Cette variété justifie sans doute le choix d’une approche flexible, adoptée dès 1945. Concernant la gouvernance, particulièrement entre corps médical et direction d’établissement, mon expérience montre que l’efficacité repose sur un véritable alignement et une coopération étroite entre le président de la commission médicale d’établissement (CME) et le directeur. Sans projet médical partagé, le fonctionnement est compromis. Cette synergie est cruciale dans tous les types d’établissements, qu’ils soient publics ou privés, et doit s’adapter aux spécificités territoriales. Bien que je ne puisse définir un modèle idéal, j’estime que cette collaboration entre direction et dynamique médicale, fondée sur un projet médico-soignant partagé, constitue un prérequis fondamental pour tout projet hospitalier. Force est de constater que nous n’avons pas encore pleinement atteint cet objectif.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pour conclure, j’aimerais revenir sur la question des hôpitaux privés et publics, de la permanence des soins, et du rôle de l’ARS dans sa mise en œuvre. Il serait pertinent d’encourager une plus grande prise en charge des bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (C2S) par les établissements privés. Sans les accabler, force est de constater qu’ils n’accueillent pas majoritairement cette population, contrairement à l’hôpital public qui assume pleinement cette mission.

Il convient de rappeler que nous vivons en démocratie, et non en « administrocratie ». Ce sont le peuple et ses représentants élus qui doivent orienter les politiques, quelle que soit l’échelle de la collectivité. Comme vous l’avez justement souligné, et je vous en remercie, cette approche devrait être la norme partout. Nous avons peut-être laissé cette logique s’éroder ces dernières années, mais elle reste fondamentale dans toute démocratie digne de ce nom.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Je suis étonnée par votre discours. Votre mission est de mettre en œuvre la politique de santé, et vous vous référez beaucoup à 1945. Or, il y a trente ans, notre système de santé publique était l’un des meilleurs au monde. Aujourd’hui, nos hôpitaux sont dans un état déplorable, les services d’urgence sont régulés en permanence, et tous les services de soins sont en souffrance. Je m’étonne que vous ne sonniez pas l’alarme sur cette situation critique, car je suppose que vous êtes informé par les différents services. Quelle est votre position face à cette dégradation ?

M. Didier Jaffre. Votre perception d’une dégradation du système de santé publique, et peut-être même privé, depuis trente ans est compréhensible. C’est d’ailleurs la raison d’être de cette commission d’enquête, face au constat d’un accès aux soins qui se détériore partout. Cependant, je ne partage pas l’idée que tout va bien, ni que tout va mal. Il y a toujours plusieurs façons d’appréhender une situation.

Certes, nous faisons face à un défi majeur de démographie médicale et soignante. Il est impératif de revaloriser l’ensemble des métiers de la santé, de fidéliser les professionnels actuels et d’attirer les jeunes vers ces carrières. Dans ma région, par exemple, nous avons mis en place, en collaboration avec les recteurs, des options santé dans les lycées dès la seconde ou la première. Cette initiative vise à faire découvrir les métiers de la santé aux jeunes, particulièrement dans les zones en pénurie de professionnels, et à les préparer aux différents concours.

L’attractivité de nos métiers reste un enjeu, même si nous commençons à observer des signes positifs. Certains établissements recommencent à recruter et à combler leurs postes vacants. J’ai pour principe qu’il vaut mieux avoir trop de personnel que pas assez, car le manque d’effectifs engendre absentéisme, surcharge de travail pour ceux qui restent, et recours coûteux à l’intérim.

Notre priorité est de recruter pour rouvrir les lits fermés faute de personnel, comme c’est le cas à Saint-Affrique. Nous manquons de médecins, d’infirmiers et d’aides-soignants dans certaines zones. Pour attirer ces professionnels, il faut rendre ces métiers attrayants.

Contrairement à ce que vous suggérez, je ne crois pas que le secteur de la santé se soit dégradé. Nous observons quotidiennement des prouesses médicales et chirurgicales. Nous investissons dans nos établissements pour offrir des conditions dignes du 21e siècle. Je ne suis pas convaincu que la situation était meilleure il y a trente ans. Aujourd’hui, nous diagnostiquons des maladies qui étaient inconnues il y a trois décennies. Nous permettons à nos concitoyens de vivre plus longtemps en meilleure santé. Notre système a démontré sa résilience, notamment lors de la crise du Covid-19, où la France a su répondre efficacement aux défis sanitaires.

Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de difficultés. Chaque région connaît des situations plus ou moins complexes en termes d’attractivité. Le rôle de l’ARS est d’accompagner les établissements en difficulté, de soutenir les directions, les CME et les élus pour rendre ces structures à nouveau attractives et performantes.

Je suis convaincu que nous devons être vigilants quant aux messages que nous véhiculons concernant notre système de santé. Si nous nous contentons de manifester pour dénoncer les dysfonctionnements de l’hôpital sans mettre en avant ses aspects positifs, nous risquons de décourager les potentielles recrues. Il est crucial que même les directeurs généraux d’ARS évitent de dresser un tableau uniquement négatif de la situation. Notre objectif doit être de rendre les métiers de la santé attractifs, car ce sont des professions profondément humaines et parmi les plus nobles qui soient.

Il est impératif de valoriser ce qui fonctionne bien dans notre système de santé. Bien que nous soyons pleinement conscients des difficultés existantes, il est tout aussi important de mettre en lumière les réussites. Dans le domaine des soins primaires, par exemple, nous assistons à des initiatives remarquables de professionnels qui se mobilisent pour créer des maisons et des centres de santé. Notre rôle est de les soutenir, et les résultats sont probants. En Occitanie, j’ai pu constater la satisfaction des professionnels impliqués dans les 350 maisons de santé pluriprofessionnelles que compte la région.

Notre mission consiste également à valoriser ces réalisations. Lorsque nous rencontrons un professionnel de santé, il est essentiel de l’écouter et de reconnaître la valeur de son métier. Notre système de santé tire sa richesse de l’ensemble de ses spécificités, voire de ses complexités. Malgré ses défis, il reste un modèle envié par de nombreux pays. À titre d’exemple, nos partenariats transfrontaliers avec l’Espagne démontrent l’efficacité de notre système.

Nos centres hospitaliers universitaires, notre recherche et notre capacité d’innovation sont des atouts majeurs. En comparant objectivement la situation actuelle à celle d’il y a trente ans, force est de constater que nous avons réalisé des progrès considérables. Loin de régresser, notre système de santé a fait un bond en avant remarquable.

M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie sincèrement pour le temps que vous nous avez consacré et pour la richesse des informations que vous nous avez apportées. Vos explications ont mis en lumière l’ampleur de la tâche qui vous incombe dans la gestion de ces grandes régions sanitaires.

*

*     *


–  1  –

9.   Table ronde « Syndicats et Ordre des médecins », ouverte à la presse, réunissant le Dr Franck Devulder, président de la Confédération des syndicats médicaux de France (CSMF), le Dr Agnès Giannotti, présidente du Syndicat des médecins généralistes (SMG France), le Dr Sophie Bauer, présidente du Syndicat des médecins libéraux (SML), le Dr Patrick Gasser, président d’Avenir Spé et le Dr François Arnault, président du Conseil national de l’Ordre des médecins

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons aujourd’hui les travaux de notre commission d’enquête consacrée à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins par une table ronde réunissant des représentants de syndicats et de l’Ordre des médecins. L’actualité des débats qui nous rassemblent aujourd’hui est évidente, et je vous remercie, mesdames et messieurs, d’y apporter votre contribution. Je précise d’emblée que tous les syndicats référencés ont été conviés, y compris l’Union française pour une médecine libre (UFML-S). Cette dernière n’est pas représentée aujourd’hui, mais nous accueillerons bien entendu sa contribution écrite qui sera considérée tout autant que les éléments qui seront évoqués aujourd’hui.

Avant de vous céder la parole pour un propos liminaire, je rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale, qu’elle y sera consultable en vidéo et fera l’objet d’un compte-rendu écrit. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Les personnes auditionnées prêtent successivement serment.)

Dr Agnès Giannotti, présidente du Syndicat des médecins généralistes (SMG France). L’accès aux soins est une préoccupation majeure pour SMG France, comme en témoigne le thème de notre prochain congrès au Havre, intitulé « Accès aux soins : la médecine générale relève le défi ». Nous sommes, tout comme vous, en première ligne face aux demandes des patients et aux difficultés d’accès aux soins.

Cette problématique nécessite des mesures à court, moyen et long terme. Il est impératif d’éviter toute précipitation législative et d’évaluer soigneusement l’impact futur de chaque décision sur notre système de santé. Nous manquons cruellement d’une vision d’ensemble, pourtant indispensable.

Dès 2010, nous avons alerté sur les problèmes démographiques à venir, mais nos interpellations n’ont malheureusement pas été entendues, ni par les élus, ni par les tutelles. Aujourd’hui, nous faisons face à des difficultés majeures. Cependant, l’arrivée de nouvelles générations d’étudiants en médecine générale, à raison de de 4 000 par an, devrait permettre de surmonter progressivement le creux démographique dans les cinq prochaines années, si toutefois nous parvenons à les orienter correctement vers la médecine générale traitante et le suivi d’une population vieillissante et impactée par les maladies chroniques, et non vers des activités lucratives tels que la médecine esthétique.

Pour élaborer des solutions efficaces, nous avons besoin de données démographiques précises, qui font actuellement défaut. Cette absence d’informations conduit les tutelles à prendre des décisions dans le flou. Par exemple, celles-ci ignorent le nombre exact de centres de soins non programmés en France, leur localisation et leurs effectifs. Le zonage actuel, déterminé par l’indicateur d’accessibilité potentielle localisée (APL), dénombre ce que l’on appelle des médecins généralistes sans les différencier par activités, ce qui rend difficile l’élaboration d’une politique de santé cohérente.

Nous réclamons depuis trois ans un observatoire de la démographie en médecine générale. Une enquête sur les activités des médecins généralistes, menée conjointement par le collège de médecine générale de SMG France et le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) est en cours. Mais ses résultats, s’ils nous offriront un éclairage intéressant, ne seront pas suffisants.

En décembre, nous avons demandé à la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) une estimation du nombre de médecins traitants. Cette qualification, d’ailleurs, est pour le moins lâche et fausse les chiffres, puisque je rappelle qu’un seul contrat suffit à un praticien pour être considéré comme médecin traitant. La Cnam a donc appréhendé une cohorte de médecins installés depuis plus de trois ans, avec un seuil minimal de 200 contrats, la moyenne en France étant de 1 100. Sur cette base, la Cnam a dénombré qu’environ 38 000 médecins généralistes sur près de 100 000 exercent réellement comme médecins traitants. Autrement dit, environ 60 % des médecins font autre chose que traiter et suivre la population. Cette donnée est capitale pour comprendre la répartition des soins primaires et réfléchir à des solutions adaptées.

Le temps médical disponible est un autre enjeu majeur. Une étude anglaise, applicable à la réalité française, montre qu’en trente ans le nombre de consultations quotidiennes est passé de 35 à 25 en moyenne, non pas par manque d’engagement des jeunes médecins, mais en raison de l’augmentation du temps administratif, de l’ordre de 30 % en dix ans, et de la multimorbidité, puisque les cas traités sont plus complexes en raison de l’addition des maladies chroniques et des problèmes psycho-sociaux.

L’inégale répartition territoriale des médecins traitants est une réalité, avec 87 % des territoires considérés comme sous-dotés. Cette situation s’explique notamment par le vieillissement des médecins installés en zone rurale. Afin de répondre efficacement à ces défis, nous avons besoin d’un soutien concret pour gérer la charge administrative croissante et la complexité des cas traités. C’est à ces conditions que nous pourrons améliorer l’accès aux soins pour l’ensemble de la population.

La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Dress) a lancé depuis plusieurs années des alertes concernant la situation des médecins en zone rurale. Ces praticiens, généralement plus âgés, approchent de l’âge de la retraite, ce qui pose un problème majeur dans les régions sous-dotées. Prenons l’exemple d’un cabinet médical comptant deux médecins généralistes : si l’un d’eux cesse son activité, que ce soit pour partir à la retraite ou à la suite d’un événement imprévu, le second se trouve dans l’incapacité de répondre à la demande des patients. Submergé, il finit par quitter à son tour la région. C’est ce que nous appelons l’effet domino. Cette conjonction de facteurs – faible démographie médicale dans des zones les moins peuplées, âge des médecins, effet domino – contribue à accélérer les départs en retraite, aggravant ainsi la pénurie de médecins.

Par ailleurs, nous observons une financiarisation croissante du système de santé, y compris dans les soins primaires. Cette tendance pousse à privilégier les actes les plus simples et les plus lucratifs, au détriment d’une réponse adaptée aux besoins de santé de la population.

Pour remédier à cette situation, il est nécessaire d’intégrer dans nos cabinets des collaborateurs du médecin traitant : les assistants médicaux, qui jouent un rôle essentiel en déchargeant le médecin des tâches administratives et en assurant l’accueil des patients, et des infirmières Asalée, qui apportent un soutien précieux et quotidien dans la prise en charge des patients chroniques et multimorbides. Si une telle organisation est réclamée, ce n’est pas le fruit du hasard : elle fonctionne car elle est souple, adaptée à nos modes de fonctionnement et en adéquation avec les réalités du terrain.

Il existe un dispositif évitant de pénaliser les patients n’ayant pu trouver un nouveau médecin traitant lorsque le leur est parti à la retraite. Il serait judicieux que l’assurance maladie étende la durée d’application de cette mesure afin de protéger l’ensemble des patients sans médecin traitant.

Dr Sophie Bauer, présidente du Syndicat des médecins libéraux (SML). À l’issue de longues et âpres négociations, nous sommes parvenus à établir une convention médicale relativement équilibrée. Cette convention comporte plusieurs mesures visant à améliorer l’accès aux soins des patients et à résoudre, du moins partiellement, la problématique des déserts médicaux.

Parmi ces dispositions figure le dispositif des assistants médicaux. Malheureusement, certaines spécialités, notamment les spécialités techniques comme la chirurgie, n’y ont pas encore accès, ce qui est regrettable. En tant que chirurgien, je peux témoigner que nous sommes également submergés par les tâches administratives et qu’un assistant médical nous serait d’une grande utilité. Néanmoins, nous entendons que la convention actuelle reflète les contraintes budgétaires qui ne permettent pas d’étendre ce dispositif à l’ensemble des praticiens.

Selon les chiffres récemment communiqués par la Cnam, un assistant médical permet à un médecin de prendre en charge près de 300 patients supplémentaires en tant que médecin traitant et d’augmenter sa file active de 120 patients en moyenne. Ce dispositif démontre son efficacité et son efficience en réduisant les délais d’accès aux soins, ce qui permet de prévenir les complications liées à des retards de diagnostic et de traitement.

Par ailleurs, nous sommes à l’origine du concept de médicobus qui, bien qu’il ne puisse constituer davantage qu’une solution palliative, peut contribuer à désenclaver certains villages qui ne sont plus suffisamment attractifs pour des installations médicales permanentes.

Le temps du modèle patriarcal de la médecine, dans lequel l’épouse du médecin assure le secrétariat et dépend financièrement de son mari, est révolu. Aujourd’hui, l’installation d’un médecin implique également l’installation de son conjoint, ce qui soulève des problématiques d’aménagement du territoire, puisque l’accès à un emploi pour le conjoint conditionne l’installation du médecin.

C’est pourquoi nous avons proposé depuis plusieurs années le concept de « médecin volant », qui finalement a pris le nom de « consultations avancées ». Ce dispositif permet à des médecins de se détacher temporairement de leur cabinet principal pour exercer dans des zones moins bien dotées. Nous avons même obtenu la possibilité pour ces médecins de se faire remplacer par de jeunes confrères dans leur cabinet principal lorsqu’ils interviennent dans des zones sous-dotées, où les patients peuvent présenter des cas plus complexes.

Cette nouvelle convention médicale s’applique depuis janvier. Or les propositions de loi coercitives qui émergent actuellement ne tiennent pas compte des dispositifs conventionnels déjà en place, basés sur le volontariat, et qui devraient améliorer la situation. Ainsi, on demande aux médecins de pallier quarante années d’errances et d’échecs des politiques de santé, notamment en matière de numerus clausus.

Le numerus apertus n’a pas encore produit les effets escomptés, en partie à cause d’une réforme de la première année de médecine qui s’est avérée délétère. Nous constatons un taux d’abandon compris entre 15 et 20 % après la deuxième année, ce qui est sans précédent. Nous sommes confrontés à des problèmes de recrutement, de profil des étudiants et d’organisation des études de santé. La situation psychologique de nos internes s’est particulièrement détériorée depuis la crise du covid-19, où ils ont été fortement sollicités au détriment de leur formation.

Nous sommes disposés à accueillir des internes et des externes en ville, mais nous rencontrons des obstacles de la part des facultés de médecine, notamment pour l’envoi d’externes dès la quatrième année. Nous sommes volontaires pour les former, mais nous constatons des freins à l’ouverture de stages en libéral, particulièrement dans les spécialités cliniques et techniques. C’est d’autant plus regrettable que nombre de médecins exerçant maintenant en clinique privée sont issus de l’hôpital et dès lors parfaitement qualifiés pour assurer la formation de leurs jeunes confrères.

Augmenter la formation des médecins suppose d’en maintenir la qualité, et cela passe par l’ouverture de lieux de stage dans les établissements privés et les cabinets libéraux. Il s’agit d’un point crucial, car nous manquons actuellement d’effectifs et aucune solution miracle ne résoudra ce problème à court terme.

Le Syndicat des médecins libéraux souhaite formuler plusieurs propositions. Il recommande d’abord de remobiliser la réserve médicale. Celle-ci est toutefois contrainte actuellement, puisque les membres de cette réserve sont considérés comme ayant perdu leurs compétences au bout de trois ans, ce qui limite son efficacité à long terme. Nous proposons par conséquent d’instaurer, pour les retraités volontaires souhaitant intégrer la réserve médicale, des stages cliniques annuels et un accès à la formation continue. Cela pourrait se concrétiser par une cotisation allégée au fonds d’assurance formation de la profession médicale (FAF-PM), permettant ainsi le maintien de leur niveau clinique. Cette mesure pourrait pallier le déficit grave de médecins dans certains territoires.

Par ailleurs, nous suggérons la création d’un statut de médecin retraité remplaçant. Actuellement, les remplacements sont principalement assurés par de jeunes médecins peu familiers avec l’exercice libéral, à l’exception des médecins généralistes qui bénéficient désormais de deux stages en médecine libérale au cours de leur cursus. L’année de docteur junior, dont les modalités restent à préciser par décret, devrait également contribuer à cette familiarisation.

Ce statut de retraité remplaçant permettrait un exercice à temps très partiel, ce qui n’est pas envisageable actuellement sans recourir au salariat. En effet, la retraite active pose problème car, en l’absence d’un exercice à temps plein, les charges, notamment de retraite, deviennent disproportionnées par rapport aux revenus générés, sans pour autant accroître les droits à la retraite.

Dr Franck Devulder, président de la Confédération des syndicats médicaux de France (CSMF). La situation actuelle de la médecine en France est complexe et sans précédent. Permettez-moi d’illustrer cette réalité par quelques chiffres éloquents. La France compte aujourd’hui 15 millions d’habitants de plus qu’au début des années 1980, pourtant le nombre de médecins sortant des facultés reste sensiblement le même, soit environ 8 000 par an. Bien que 13 000 étudiants entrent actuellement en faculté de médecine, il faudra attendre une douzaine d’années avant qu’ils n’intègrent pleinement le corps médical. Même si nous décidions de porter ce chiffre à 16 000 ou 20 000 étudiants, les effets ne se feraient pas sentir avant au moins une décennie.

Cette problématique n’est pas spécifique à la France, mais s’inscrit dans un contexte mondial. Agnès Buzyn, ancienne ministre de la santé désormais en poste à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a récemment rappelé que la population mondiale a presque doublé en deux générations, entraînant un déficit global de 30 millions de soignants.

La particularité française réside dans l’aggravation de cette situation par un numerus clausus extrêmement restrictif entre 1982 et 2000. Pour rappel, nous sommes passés d’environ 7 000 médecins formés par an à la fin des années 1970 à seulement 3 000, avant de revenir progressivement à un chiffre compris entre 7 et 8 000, et bientôt 13 000. Il serait commode d’attribuer la responsabilité de ces orientations au seul pouvoir politique. Toutefois, la prudence et la mémoire incitent à rappeler que peu d’acteurs, qu’ils soient syndicaux ou académiques, avaient anticipé les transitions épidémiologiques et professionnelles à venir.

Nous faisons face aujourd’hui à une population vieillissante, souffrant de pathologies chroniques multiples, ce qui transforme profondément la nature des consultations médicales. Les chiffres sont révélateurs : pour un médecin partant à la retraite, il en faudrait 2,3 pour le remplacer. Cette réalité s’applique également à d’autres professions de santé.

Nous observons par ailleurs une évolution significative dans le rapport au travail, avec une tendance croissante vers le salariat au détriment de l’exercice libéral. Selon l’atlas démographique du Cnom, bien que le nombre total de médecins atteigne un niveau record au 1er janvier 2025, avec un total supérieur à 241 000, une baisse de 10 % en activité régulière est constatée. Sur la période 2010-2025, le nombre de médecins salariés a augmenté de 18,4 %, tandis que l’exercice libéral a reculé de 12,2 %. Contrairement aux prévisions, l’exercice mixte a également diminué de 12,6 %. Les données du Centre national de gestion (CNG) mettent en évidence que, si tous les postes ne sont pas pourvus par des praticiens hospitaliers titulaires, tant s’en faut, 13 % de postes de praticiens hospitaliers à temps plein ont été créés ex-nihilo au cours de ces dix dernières années.

Certains parlementaires estiment que réguler l’installation représente un ultime levier, condamné à réussir. Vous connaissez notre opposition à ce projet. On entend parfois que les médecins sont rétifs à tout changement, arc-boutés sur leurs avantages et leur pré carré. Je récuse cette idée. Les médecins pâtissent des difficultés d’accès aux soins qui, dans leur quotidien, suscitent de l’insécurité, de l’agressivité et des plaintes de la part des patients qui, et nous le comprenons, peinent à trouver une réponse à leurs problématiques.

Face à ces défis, nous considérons que des mesures coercitives telles que réguler l’installation des médecins ou rendre obligatoires les gardes et la permanence des soins ne représentent pas une solution. L’expérience d’autres pays, comme le Canada et particulièrement le Québec, montre que de telles approches sont susceptibles de générer des effets contre-productifs. Il nous appartient plutôt de trouver des solutions innovantes et adaptées à notre contexte, afin de répondre efficacement aux besoins de santé de notre population, tout en respectant les aspirations des professionnels de santé.

Je souhaite attirer votre attention sur un entretien paru dans le Quotidien du Médecin en janvier 2023 avec notre confrère allemand le Dr Matthias Brunn, actuellement enseignant à Sciences Po Paris, sur la régulation de l’installation des médecins en Allemagne. Le Dr Brunn y développe deux points essentiels : premièrement, il explique que la régulation a été initialement mise en place à la demande des médecins eux-mêmes, face à une surpopulation médicale dans certaines zones qui menaçait leurs revenus ; deuxièmement, il souligne que ce système montre ses limites face aux défis démographiques actuels. Le Dr Brunn met également en avant une différence fondamentale entre l’Allemagne et la France en termes d’aménagement du territoire. En Allemagne, il est rare de se trouver à plus de quelques kilomètres des services essentiels tels qu’une crèche, une école ou un centre commercial. Cette dernière observation nous amène à reconsidérer ce que nous appelons souvent, à tort, les « déserts médicaux ». En réalité, particulièrement dans les zones rurales, il s’agit souvent de territoires désertés dans leur ensemble, ou de villes-dortoirs dépourvues de services essentiels à la population.

Nous proposons plusieurs axes d’action. Le premier concerne l’approche territoriale. Il importe avant tout de reconnaître que chaque territoire présente des réalités et des besoins spécifiques. À titre d’exemple, j’ai récemment échangé avec le maire de Houilles, qui a mis l’accent sur l’accompagnement des professionnels de santé, et non pas uniquement les médecins, dans la création de maisons de santé et de cabinets de groupe. Cette approche, même dans un contexte urbain relativement favorisé, a produit des résultats positifs.

Le deuxième axe, qui rejoint les récentes propositions du premier ministre, concerne le développement d’une politique de l’« aller vers ». Cette approche est bidirectionnelle. D’une part, il s’agit de faciliter le transport des patients vers les zones de soins. Certaines communautés de communes ont déjà mis en place des solutions innovantes. Je pense notamment à l’initiative de Catherine Vautrin, ancienne présidente du Grand Reims, qui a instauré des lignes de bus reliant les petits villages aux centres médicaux, pour un tarif très accessible de 1 euro.

D’autre part, l’« aller vers » implique la mise en place de consultations avancées. Ce modèle, que nous avons développé dans mon territoire depuis vingt ans, a prouvé son efficacité. Plus de quinze spécialités médicales différentes opèrent sur une dizaine de sites de consultation, jusqu’à 100 kilomètres de Reims. Ce système fonctionne, mais à condition qu’il soit incitatif et basé sur un sens de la responsabilité collective.

Je tiens à souligner l’importance de cette responsabilité collective, qui a déjà fait ses preuves dans d’autres domaines, comme la permanence des soins. Les chiffres du Cnom montrent une couverture presque totale du territoire, sans obligation individuelle. Il est essentiel de se concentrer sur les zones non couvertes pour comprendre les raisons de ces lacunes et y apporter des solutions adaptées.

Cependant, je mets en garde contre l’imposition d’obligations individuelles. Dans un contexte de pénurie médicale généralisée, une telle approche pourrait s’avérer contre-productive, poussant notamment les jeunes médecins vers des postes salariés, alors que le besoin principal des Français concerne les médecins généralistes de proximité.

Concernant l’organisation territoriale, une réflexion approfondie s’impose sur la carte hospitalière et la répartition des services d’urgence. Bien que la France dispose du nombre d’hôpitaux par habitant le plus élevé parmi les pays comparables, selon les chiffres de l’OCDE, il ne s’agit pas simplement de fermer des établissements. Néanmoins, il convient de se montrer réaliste quant à la capacité de certains petits établissements à offrir des soins spécialisés en toute sécurité, notamment en chirurgie et en obstétrique.

Enfin, je voudrais insister sur l’importance de la formation et de l’universitarisation. L’extension de la formation médicale hors des grands centres universitaires est déterminante. Les statistiques de l’Insee montrent qu’un médecin sur deux s’installe à moins de 40 kilomètres de son lieu d’internat. Il est par conséquent indispensable de diversifier les lieux de formation, notamment pendant l’internat, et de créer un statut d’assistant territorial afin de renforcer l’ancrage local des jeunes médecins.

Ces mesures combinées – approche territoriale, politique de l’ « aller vers », réorganisation hospitalière, réforme de la formation – constituent des pistes prometteuses pour améliorer l’accès aux soins dans l’ensemble du territoire.

Rendre notre profession plus attractive suppose également un effort de simplification. À cet égard, nous savons que vous avez formulé des propositions relatives aux autodéclarations d’arrêt de travail et à la simplification des prescriptions de transport, actuellement très complexes et administrativement lourdes. Je ne m’y attarderai pas.

Pour achever mon propos, j’aborderai brièvement trois points qui me paraissent essentiels. Premièrement, si la coopération avec les autres professionnels de santé est une évidence pour tous, elle a pour condition de ne pas entraîner de perte de chance pour le patient. Afin de garantir cela, la coopération peut être avancée, mais seulement dans le cadre d’un exercice protocolisé et coordonné. Cette approche sécurise tous les acteurs, y compris les professionnels de santé impliqués.

Deuxièmement, la pertinence des soins est la mère de toutes les batailles. Elle libère des énergies, du temps médical et constitue une source d’économies, ce qui est particulièrement important alors que le gouvernement nous demande de trouver entre 40 et 50 milliards d’euros.

Enfin, bien que cela puisse sembler être une politique à plus long terme, la prévention est essentielle. Nos efforts sont insuffisants dans ce domaine, dont du reste nous ne parlons pas assez. La prévention ne produit pas uniquement des effets à long terme. Prenons l’exemple des maladies hivernales : seuls 20 % des professionnels de santé dans les établissements publics et privés se font vacciner contre la grippe. Je ne pense pas qu’il faille nécessairement contraindre ou obliger, mais il est crucial de responsabiliser.

Dr Patrick Gasser, président d’Avenir Spé. Nous comprenons la colère des usagers relayée par vos collègues parlementaires. Le système de santé, pierre angulaire du bien-être collectif, doit fournir des soins de qualité, accessibles à tous, dans une perspective d’équité des prises en charge. Malheureusement, cette notion d’équité n’est pas uniformément appliquée sur le territoire national.

Notre priorité consiste à améliorer l’accessibilité aux soins, particulièrement pour les populations fragiles ou vulnérables, notamment les patients en situation de handicap. Le manifeste « Pour un meilleur accès aux soins » que nous avons publié en 2024 va dans ce sens. Nous prenons comme point de départ le handicap, la vulnérabilité et la précarité, convaincus qu’en trouvant des solutions pour le plus petit nombre, nous en trouverons pour le plus grand nombre. Et à cette fin il est essentiel de sensibiliser nos collègues à ces thématiques parfois négligées.

Parce que nous ne pouvons accepter la perte de chance, il nous appartient de hiérarchiser nos propositions et nos solutions. La réflexion sur une responsabilité territoriale des médecins et de tous les soignants est importante, mais elle doit être moins administrative et confiée aux groupes de médecins en mesure de mailler l’ensemble du territoire.

L’organisation actuelle des soins est complexe et multiple, impliquant établissements hospitaliers, cliniques, médecins généralistes, spécialistes et agences de santé. Cette complexité engendre des lourdeurs administratives et un travail en silos où chacun méconnaît le rôle de l’autre. Nous manquons de définitions claires des missions de chaque acteur, qu’il s’agisse des centres hospitaliers universitaires (CHU) ou des établissements privés.

La réflexion territoriale est le fondement d’une construction de l’accessibilité aux soins. Bien que ce constat soit partagé, aucun territoire ne peut être considéré comme surdoté. La coercition en période de pénurie est probablement une mauvaise solution. Il est préférable de mieux comprendre le territoire, de proposer des indicateurs d’offre de soins, mais aussi de prendre en compte la perte de chance, particulièrement en médecine spécialisée. Cet indicateur pourrait devenir un outil d’évaluation de l’impact des politiques de santé, permettant d’analyser les disparités entre spécialités, régions et départements.

Certaines problématiques requièrent des actions immédiates. Ainsi, nous devons dynamiser le cumul emploi-retraite avec un accompagnement individuel, encourager la proximité et convaincre nos collègues de poursuivre leur activité en la modulant. Construire des structures de consultations avancées constitue un autre levier d’action. Aujourd’hui, des spécialistes proposent des consultations avancées, mais à mon sens ils sont trop peu nombreux. Néanmoins, nous pouvons identifier des sites, des locaux, qui pourraient être mis à disposition par des élus mais aussi par des structures médico-sociales, qui présentent l’avantage de s’appuyer sur un véritable maillage territorial. À cet égard, nous envisageons de mener une étude avec la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs (Fehap) afin de favoriser l’identification de ces lieux par la population.

Les stages en libéral sont indispensables pour tous les étudiants, quelle que soit leur future orientation, afin de comprendre l’environnement de travail. Le travail en groupe devient essentiel en médecine spécialisée pour gérer un territoire, combinant un socle commun à la spécialité et l’hyperspécialisation requise. L’accueil des docteurs juniors dans nos structures doit devenir une obligation, malgré les réticences actuelles des doyens et des coordinateurs de maquette. Il est également indispensable de mieux comprendre la démographie de chaque spécialité dans chaque territoire, car nous manquons actuellement d’une cartographie précise.

Répondre aux aspirations des jeunes médecins qui souhaitent combiner activité libérale et activité salariée requiert de simplifier les dispositifs tels que les assistants partagés et développer le travail aidé. Il est impératif de promouvoir le travail assisté, tant par les infirmiers en pratique avancée (IPA) que par les assistants médicaux. Le projet vise à créer 10 000 postes assistants médicaux, ce qui reste modeste comparé aux 300 000 en Allemagne. Pour structurer efficacement les cabinets de demain, nous devons non seulement développer ce travail assisté, mais aussi le faire connaître. Il est également crucial d’accompagner nos confrères dans la compréhension du modèle économique associé. En effet, l’évolution des pathologies nécessite une adaptation de notre pratique. Nous sommes passés d’une médecine de l’immédiateté à une prise en charge de la chronicité, ce qui implique un changement dans notre exercice professionnel.

Nous avons construit la permanence des soins en établissement. Il convient désormais d’appliquer la même approche à la permanence des soins ambulatoires (PDSA). Réunissons l’ensemble des professionnels, sollicitons leurs solutions, et si celles-ci s’avèrent insuffisantes, la responsabilité incombera alors au régulateur.

La pertinence des soins, mon confrère l’a rappelé, représente un enjeu majeur. À cet égard, il est nécessaire de rétablir des références médicales, potentiellement opposables à terme. Les études montrent qu’environ 30 % des examens ne sont pas pertinents, ce qui représente un gaspillage de ressources considérable. Ces économies potentielles sont indispensables au financement des nouvelles thérapeutiques, dont certaines sont actuellement inaccessibles, ce qui est inacceptable pour nous, médecins spécialistes. Nous devons poursuivre le développement de cette responsabilité territoriale à travers la mise en place d’équipes de soins spécialisées.

Dr François Arnault, président du Conseil national de l’Ordre des médecins. Je tiens tout d’abord à remercier votre commission d’enquête pour cette invitation qui nous réunit, syndicats et Ordre des médecins, témoignant de la reconnaissance de notre profession et de notre unité dans l’analyse des constats et des propositions.

Le mot territoire a été le plus fréquemment évoqué par mes confrères et, en tant qu’ancien maire rural, j’y suis particulièrement sensible. Il est en effet primordial de définir ce qu’est un territoire de santé, notamment dans les zones rurales. Nous devons mettre fin à l’autodétermination des maires concernant leurs besoins en médecins. Et parce qu’il est illusoire d’espérer un médecin derrière chaque clocher, nous devons déterminer précisément la taille optimale d’un territoire afin d’y organiser une équipe de soins efficace.

Cette équipe de soins doit être centrée sur la coordination du médecin. Contrairement aux idées reçues, le Cnom est favorable aux infirmiers en pratique avancée, mais dans le cadre d’une coordination avec le médecin. Cette collaboration entre médecins et professions paramédicales, avec des évolutions de compétences, est essentielle, à condition qu’elle soit coordonnée et protocolée.

Je déplore la compétition qui a été instaurée entre les professions médicales et les autres professions de santé. Cette ambiance délétère nous empêche de progresser vers la bonne solution. Il est urgent que les pouvoirs publics et le Parlement prennent conscience de la nécessité d’unir tous les acteurs autour des patients. Notre priorité absolue doit être l’accès aux soins, l’absence de perte de chance et l’équité. Sans action collective, ce sont les plus démunis qui seront les moins bien soignés, ce qui est inacceptable tant pour les élus que pour les médecins.

La situation actuelle s’explique en partie par la démographie médicale catastrophique, mais aussi par la disparition des certificats d’études spéciales en 1982. Cette filière universitaire permettait de former des spécialistes du dépistage, capables de prendre en charge des symptômes spécifiques. Par exemple, dans certains territoires, il n’y a plus d’otorhinolaryngologistes capables d’utiliser un fibroscope, ce qui oblige les patients à se rendre dans de grandes villes ou dans un CHU pour des problèmes relativement bénins. Les médecins généralistes ont ainsi perdu leurs correspondants spécialistes de proximité, ce qui a aggravé les difficultés d’installation des jeunes générations.

Concernant la démographie médicale, je tiens à rectifier une communication très maladroite du Cnom publiée il y a quelques semaines, qui laissait entendre que l’Ordre des médecins souhaitait limiter la formation des médecins, ce qui serait aberrant dans le contexte actuel. Je profite de cette prise de parole devant votre commission pour retirer ces propos malheureux. Nous souhaitions plutôt exprimer devant les médias que la situation actuelle est le fruit des erreurs commises dans les années 1970, dont la responsabilité est collective et inclut les médecins eux-mêmes. Le mécanisme d’incitation à la cessation d’activité (Mica), par lequel on payait les médecins pour qu’ils prennent leur retraite, a généré, au même titre que le numerus clausus, un creux démographique et nous prenons des mesures pour le corriger.

Cependant, il convient de réfléchir aux potentiels effets de cette correction, car former jusqu’à 16 000 médecins par an ne sera pas sans conséquences sur l’effectif médical. Ne reproduisons pas les erreurs du passé, mais appréhendons plutôt l’organisation territoriale, la collaboration avec les autres professionnels de santé, et une planification réfléchie de la formation médicale comme des éléments clés pour améliorer notre système de santé et garantir un accès équitable aux soins pour tous.

Je partage les vues exprimées par le Dr Gasser, mais je voudrais nuancer un point à propos de la PDSA. La PDSA est actuellement bien organisée sur le territoire. Les chiffres présentés dans le rapport préliminaire sur la proposition de loi de M. Garot visant à lutter contre les déserts médicaux sont erronés et ne reflètent plus la réalité. J’ai personnellement reproché à M. Garot d’avoir utilisé le rapport de 2019. Les données de 2023 et 2024 confirment une augmentation significative de la participation à la PDSA, avec 40 % des effectifs de médecine générale impliqués et 97 % du territoire couvert par la garde. Il est donc inexact d’affirmer que les médecins libéraux ne s’occupent pas de la permanence des soins.

La disparition de l’offre territoriale est à l’origine de la déstabilisation de l’ensemble du système, qu’il s’agisse du secteur hospitalier ou des établissements privés. Dans l’urgence, nous devons reconstruire avec les moyens dont nous disposons actuellement. Toutes les ressources sont précieuses, y compris les médecins retraités et ceux pratiquant des actes avancés. L’Ordre des médecins soutient cette démarche et adapte sa réglementation en conséquence. Des discussions sont en cours avec les parlementaires pour permettre aux médecins d’exercer des pratiques avancées sans autorisation préalable de l’Ordre. Ces mesures sont cruciales et nous sommes pleinement engagés dans notre devoir d’assistance aux populations concernées.

Je rejoins la position du Dr Gasser sur l’organisation des groupes de spécialistes. Il leur incombe en effet de gérer leur territoire, distinct de celui des soins de premier recours. Les territoires de soins de second recours, dédiés aux avis spécialisés, doivent être gérés par les groupes de spécialistes eux-mêmes. Le Dr Gasser a raison de souligner que de nombreux spécialistes, qu’ils soient chirurgicaux ou médicaux, pratiquent déjà des actes avancés. Cette approche, que j’ai moi-même mise en œuvre pendant une quinzaine d’années, s’est révélée très efficace. Elle permet d’éviter le déplacement des patients, d’apporter un soutien apprécié aux généralistes dans les zones reculées, et de prendre en charge plus précocement certaines pathologies. À cet égard, il importe de rappeler que les pathologies rencontrées dans ces territoires éloignés diffèrent de celles observées dans les zones urbaines proches.

L’organisation des soins doit par ailleurs prendre en compte la situation souvent difficile des médecins étrangers. Cependant, il est essentiel de maintenir des évaluations rigoureuses de leurs compétences. À cet égard, l’Ordre des médecins s’oppose à la suppression des critères d’évaluation tels que les épreuves de vérification des connaissances (EVC) et le parcours de consolidation des compétences (PCC), car cela enverrait un mauvais signal et dévaloriserait ces professionnels.

Pour conclure, j’insiste sur la nécessité de mettre en place dès maintenant une solidarité territoriale impliquant tous les partenaires concernés.

M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie tous les cinq pour vos interventions. Nous allons maintenant passer aux questions du rapporteur.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je serai bref, monsieur le président, car je suis convaincu que ces auditions réunissant un nombre trop important d’intervenants complexifient la compréhension. En outre, dans une audition devant durer une heure trente, cinq propos liminaires d’une heure au total ne laissent que peu de temps aux échanges. Certains de nos collègues, contraints de quitter la séance avant son terme, n’auront pas eu le temps de poser leur question. Je le regrette, et j’estime que cela devrait nous servir de leçon pour l’organisation des futures auditions.

J’en viens à notre sujet, non sans vous avoir remercié au préalable, Dr Devulder et Dr Arnault d’avoir rappelé que la responsabilité des difficultés actuelles est partagée, et qu’il serait par trop commode d’incriminer les seuls politiques pour les erreurs commises dans les années 1970, quand tout le monde à l’époque, élus, parlementaires et médecins, s’accordait sur des orientations dont nous payons aujourd’hui les conséquences. J’apprécie, en un mot, ce discours consistant à ne pas se défausser de ses responsabilités.

Mon unique question, compte tenu du temps imparti, portera sur la permanence des soins. Les statistiques indiquent que 48 % des médecins généralistes y participent. Cependant, une analyse plus approfondie révèle que 5 % des médecins cumulent 50 % des honoraires de consultation liés à cette permanence. Cela soulève la question de l’inégalité de participation et du risque d’épuisement pour ces médecins les plus engagés. Ne faudrait-il pas envisager un retour à un système similaire à celui d’avant 2002, où les médecins libéraux participeraient davantage à la permanence des soins ? Cela pourrait potentiellement avoir un impact positif sur les services d’urgence, notamment dans les territoires ruraux où les petits services sont particulièrement sous pression.

Dr François Arnault. Il importe avant tout de rappeler les fortes disparités entre les secteurs. Dans les zones urbaines denses, la charge de la permanence des soins est répartie sur un plus grand nombre de médecins, tandis que dans les secteurs ruraux, moins peuplés et avec moins de médecins, la fréquence des gardes est plus élevée, mais le nombre d’actes l’est aussi. Ces équilibres varient selon les secteurs définis par les comités de permanence des soins des agences régionales de santé (ARS), département par département.

Dans la grande majorité des cas, les départements fonctionnent avec une charge de travail modérée. Le chiffre que nous mentionnons – 40 % des effectifs de médecine générale impliqués dans la PDSA – correspond à une moyenne nationale. Quant au chiffre de 97 % du territoire couvert par la garde, il implique que nos efforts doivent porter en priorité sur les 3 % du territoire rencontrant des difficultés significatives. Je rappelle que les arrêtés territoriaux de permanence des soins sont établis par l’ARS en collaboration avec l’ensemble des partenaires, dont les syndicats et l’Ordre des médecins. Nos rapports réguliers ne montrent pas de tension ni de souffrance généralisée, à l’exception de ces 3 % de zones problématiques.

Certes, il existe des disparités de rémunération entre les secteurs, mais il s’agit d’une réalité inévitable. Je souhaite mettre en garde le législateur contre l’idée d’obliger tous les médecins à participer aux gardes. Le système actuel, basé sur le volontariat, a permis de raviver l’intérêt pour la permanence des soins après le désengagement observé en 2002. Rendre cette participation obligatoire risquerait de compromettre les progrès réalisés. Pour cette raison, j’appelle donc à la plus grande prudence dans toute réforme envisagée.

Dr Agnès Giannotti. Il est impératif d’examiner la pyramide des âges des médecins en exercice. Une proportion significative d’entre nous a plus de 60, voire 65 ans. Nous allons donc rapidement revenir à un taux de 50 % de praticiens assurant des gardes. En excluant les médecins plus âgés, qui commencent à éprouver une fatigue relative aux gardes nocturnes, ainsi que les parents isolés, nous nous retrouverons avec des effectifs similaires dans les zones fortement sous-dotées, où les gardes sont fréquentes. Cela peut effectivement devenir un facteur de départ, en contraignant des médecins déjà surchargés à travailler également le soir et la nuit.

Il faut noter que les ARS elles-mêmes ont supprimé les lignes de garde dans certaines zones, principalement en raison d’une faible densité de population. La question se pose alors de maintenir un médecin en activité pour une, voire aucune consultation nocturne, alors qu’en journée, il peut en effectuer entre 25 et 30. Les taux les plus élevés de demandes de consultation urgente se situent en journée. Il est par conséquent crucial de répondre à la problématique générale de l’accès aux soins, plutôt que de se focaliser uniquement sur les consultations du soir, qui sont souvent le résultat de reports de la journée.

Pour faire évoluer la situation, il est essentiel d’inclure dans le cursus des études médicales une formation à la régulation et à l’exécution des gardes. Comme je l’ai mentionné dans mon propos préliminaire, nous devons envisager des solutions à court, moyen et long terme. Il est important de souligner que de nombreux médecins retraités assurent des gardes et participent à la régulation le soir, parce que dans un contexte de creux démographique, il est nécessaire de mobiliser toutes les ressources disponibles. Cela explique probablement les équilibres observés dans les chiffres, avec certains médecins retraités qui se consacrent exclusivement à cette activité, ayant trouvé ainsi un moyen de poursuivre leur exercice professionnel.

Dr Sophie Bauer. En effet, les gardes sont en majorité assurées par les médecins d’âge médian, ainsi que par les retraités qui se consacrent exclusivement à cette activité, en particulier à la régulation libérale. Cette dernière constitue une fonction très spécifique, particulièrement complexe, qui nécessite une expérience considérable. Il n’est donc pas surprenant de constater que des confrères expérimentés se spécialisent dans la régulation libérale en fin de carrière, en délaissant presque totalement les autres aspects de la profession.

Les médecins d’âge médian sont généralement ceux qui prennent en charge la plupart des gardes. Il convient de rappeler les difficultés considérables que nous rencontrons pour obtenir des systèmes de garde d’enfants à horaires décalés. De plus, notre profession n’est pas épargnée par les phénomènes qui touchent le reste de la population, notamment la prévalence de parents isolés. Ainsi, ce sont souvent les médecins âgés de 35 à 55 ans qui assurent les gardes, ce qui explique les pourcentages observés. L’essentiel, toutefois, est que les gardes soient assurées.

Il y a quelques années, les ARS ont élargi la taille des secteurs de garde, ce qui signifie que les médecins de garde ont désormais la responsabilité d’un territoire géographique plus vaste, ce qui a engendré certaines difficultés. Nous sommes également confrontés à des problèmes de sécurité lors des gardes dans certains secteurs, d’où la création de maisons médicales de garde, qui font parfois appel à des vigiles pour protéger les médecins. Tout cet environnement complexifie la prise de gardes, et certains secteurs sont particulièrement difficiles à couvrir.

Il est indispensable d’examiner les 3 % de secteurs non couverts pour déterminer s’il s’agit réellement d’un problème de démographie médicale ou si, comme nous le soupçonnons fortement, d’autres facteurs entrent en jeu. Le bon fonctionnement du système, sur la base du volontariat, est une certitude. Dès lors, pourquoi imposer une contrainte sur un système qui fonctionne ?

Dr Franck Devulder. Il est essentiel d’aborder la question de la permanence des soins en y incluant la problématique des soins non programmés en journée, ce que l’on appelle le service d’accès aux soins (SAS), et qui représente également une contrainte majeure. Certes, 97 % du territoire est couvert le week-end, mais seulement par 40 % des médecins.

Selon les chiffres du Cnom, 87 % de la PDSA est assurée par les médecins généralistes traitants, 6 % par les médecins remplaçants, et 2 % par les médecins généralistes salariés des centres de santé. Dans les zones problématiques, nous devons analyser les besoins de la population. C’est cela, la responsabilité territoriale collective. Il ne s’agit pas de rejeter la responsabilité sur les autres, mais de travailler ensemble pour répondre aux besoins de la population.

Imposer une obligation individuelle sur un seul secteur d’activité pose un problème d’attractivité, car le rapport au travail a considérablement évolué, avec une tendance à éviter le travail en soirée et de nuit, même si les chiffres montrent une légère augmentation de la participation, passant de 38 % à près de 40 %.

Concernant l’impact sur les urgences, il convient de garder à l’esprit que, selon l’assurance maladie, la médecine générale représente un million de consultations par jour, tout comme la médecine de spécialité. Le nombre de passages aux urgences, qui a longtemps augmenté et tend désormais à se stabiliser, voire à légèrement diminuer, est quant à lui de 50 000 par jour. Aussi les propositions récentes de la conférence des doyens, notamment sur la régulation dans les services d’urgence, méritent d’être approfondies. Réguler l’entrée dans les services d’urgence comme l’ont fait d’autres pays, tout en se prémunissant bien entendu contre la perte de chance, requiert une régulation libérale forte. Si certains services d’urgence sont fermés chaque soir, ce n’est pas tant dû à un défaut de volonté politique, qu’à un manque criant de personnel.

Enfin, il est important d’aborder la question de la permanence des soins en établissement de santé. Les plans mis en place par les ARS ces dernières années ont parfois réduit ou supprimé des lignes de garde, notamment en nuit profonde, ce qui soulève de nouvelles problématiques, puisque ce sont souvent des médecins spécialistes qui prennent le relai et assurent cette permanence, souvent de manière bénévole. Je suis moi-même gastro-entérologue, et j’exerce dans un établissement doté d’une réanimation polyvalente et d’une maternité enregistrant 4 000 naissances annuelles. Malgré les besoins avérés de mes compétences, notamment en période nocturne, la ligne de garde a été supprimée sous prétexte d’une fréquence d’appels jugée insuffisante. J’ai vivement contesté cette décision auprès de l’ancienne directrice générale de l’ARS de mon territoire, lui faisant remarquer l’absurdité d’une telle logique qui, poussée à l’extrême, conduirait à fermer les casernes de pompiers au motif que les incendies ne sont pas quotidiens.

Je ne plaide pas pour un traitement de faveur, mais j’insiste sur l’importance d’une approche territoriale et d’une responsabilité collective. Cette responsabilité doit être engageante et produire des résultats concrets. Il ne s’agit pas de se dérober derrière une notion vague de responsabilité collective pour éviter d’envisager des obligations individuelles. Si cette approche collective échoue, nous devrons inévitablement envisager des mesures plus contraignantes. D’ailleurs vous serez vous-mêmes, mesdames et messieurs les parlementaires, soumis à une pression croissante jusqu’à ce que nous passions d’un système de responsabilité collective à un système plus coercitif. Négliger cette réalité serait une erreur majeure.

Dr Patrick Gasser. Nous devons conjuguer responsabilité collective et solidarité. La loi du 27 décembre 2023 visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux, a permis de repenser le système de permanence des soins d’établissement. Le principe fondamental est l’organisation collective, basée sur l’équité et la transparence. Cette approche doit également s’appliquer à la PDSA, en impliquant tous les acteurs du territoire et en prenant garde de ne pas perturber les systèmes qui fonctionnent efficacement, car toute modification inconsidérée pourrait entraîner des risques majeurs pour la continuité des soins.

Notre réflexion doit s’articuler autour du territoire. En cas d’échec de l’organisation collective, le régulateur sera contraint d’intervenir, faisant basculer la responsabilité du collectif vers l’individuel. Il est par conséquent indispensable de définir clairement les objectifs et de s’assurer qu’ils sont compris par tous les acteurs. Ces objectifs ne se limitent pas à la permanence des soins, mais englobent l’ensemble de l’exercice du soin dans le territoire.

M. Lionel Tivoli (RN). La réalité des déserts médicaux est désormais une expérience vécue par de nombreux Français. Obtenir un rendez-vous chez un généraliste ou un spécialiste relève souvent de l’exploit. Cette situation n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat direct de décennies de numerus clausus ayant délibérément limité le nombre de médecins formés. Des milliers de jeunes compétents et motivés ont été écartés, créant ainsi la pénurie actuelle.

Bien que la suppression du numerus clausus représente une avancée positive, ses effets ne seront perceptibles que dans cinq à dix ans. Entre-temps, les citoyens en subissent les conséquences, et vous-mêmes, en tant que représentants de syndicats et de l’Ordre des médecins, ne pouvez que constater cette réalité.

Prenons l’exemple concret de la dermatologie. Actuellement, une part importante, voire majoritaire, des actes dermatologiques relève de la médecine esthétique. Bien que cela réponde à une demande, il en résulte des délais d’attente inacceptables pour les patients souffrant de pathologies graves telles que des suspicions de mélanome ou des eczémas sévères. Il n’est pas rare de devoir attendre neuf mois pour un rendez-vous médical, alors que les actes esthétiques sont programmés en un ou deux jours.

Ma question est la suivante : comment l’Ordre des médecins peut-il, dans le cadre de ses missions, inciter les médecins à maintenir un équilibre entre activité esthétique et mission de soins ? De manière plus générale, comment l’Ordre peut-il influencer le débat public pour éviter de reproduire les erreurs du passé et prévenir de futures catastrophes sanitaires ?

Dr François Arnault. Je partage largement votre analyse. Ces trois dernières années, l’Ordre des médecins s’est donné pour objectif d’obtenir la régulation et l’encadrement de la médecine esthétique, qui affecte progressivement l’ensemble des spécialités, certaines de manière plus évidente que d’autres. Le cas de la dermatologie est en effet particulièrement frappant, et je suis favorable à un encadrement de la médecine esthétique en France pour toutes les spécialités, en priorité pour la dermatologie.

Le pacte du gouvernement pour lutter contre les déserts médicaux, récemment présenté par le premier ministre, de même que les propositions formulées par le groupe de travail auquel je participe avec le ministère de la santé et les conseils nationaux professionnels des spécialités, vont dans ce sens. Cependant, il convient de ne pas stigmatiser la spécialité dermatologique dans son ensemble. Nous proposons, et je crois savoir que cela figure dans la proposition de loi déposée au Sénat par M. Mouiller, d’encadrer la double activité des médecins, qu’ils soient généralistes ou spécialistes. L’idée est de contraindre la seconde activité à rester minoritaire, obligeant ainsi les praticiens à exercer majoritairement leur spécialité principale. L’Ordre des médecins est favorable à cette approche et la soutiendra.

Dr Patrick Gasser. Une étude récente menée montre que l’activité des dermatologues reste majoritairement centrée sur la dermatologie médicale plutôt que sur l’esthétique. C’est la raison pour laquelle il convient de se garder de stigmatiser toute la profession. Souvenons-nous de l’exemple des ophtalmologues qui, face aux critiques, ont su réorganiser leur pratique pour couvrir efficacement le territoire. Depuis, les problèmes d’accessibilité en ophtalmologie sont quasiment résolus.

Les dermatologues développent actuellement des équipes de soins spécialisés. La première, mise en place en Île-de-France, se concentre sur le cancer cutané, notamment les mélanomes, avec la possibilité de recevoir les patients dans un délai de huit jours. Ce modèle se déploie progressivement sur l’ensemble du territoire national, avec des initiatives similaires en Bretagne, en Occitanie et dans les Hauts-de-France.

Ces équipes spécialisées permettront de mieux répondre aux urgences dermatologiques et de réduire les risques de perte de chance. Néanmoins, il convient de rappeler que la dermatologie ne se limite pas aux cancers et englobe de nombreuses maladies chroniques nécessitant un suivi régulier.

Prenons garde aux apparences et aux ressentis trompeurs, et n’exagérons pas la part d’actes esthétiques des dermatologues. En réalité, les créneaux dédiés à l’esthétique sont souvent plus visibles car ils se remplissent au fur et à mesure, contrairement aux rendez-vous pour les pathologies chroniques qui sont généralement programmés à plus long terme. Cette différence de visibilité peut créer une impression erronée quant à la répartition réelle de l’activité des dermatologues.

Dr François Arnault. Je partage ce point de vue. L’image de la profession de dermatologue est altérée par certains cas qui, certes, ne sont pas isolés. Mais je suis convaincu que cette profession est la première à vouloir rectifier cette situation, et nous devons l’y aider. Par ailleurs, il est tout aussi préoccupant, voire davantage, de constater que certains médecins généralistes pratiquent la médecine esthétique au détriment de leur spécialité principale. Cette situation ne peut perdurer et nécessite une correction rapide.

Dr Agnès Giannotti. La médecine dite « de niche », qu’il s’agisse de médecine esthétique ou d’autres spécialités, constitue un véritable fléau pour notre profession. Sans elle, et compte tenu de nos effectifs actuels, les problèmes d’accès aux soins en France seraient sensiblement moindres. Il s’agit par conséquent d’un enjeu majeur. Rappelons qu’avoir un médecin traitant réduit d’un tiers la fréquentation des urgences, et que notre activité se compose à 50 % d’actes aigus, en plus du suivi des maladies chroniques.

Dr Sophie Bauer. Permettez-moi d’apporter un complément sur la question spécifique de la médecine esthétique. Le problème réside avant tout dans la demande, puisque 15 millions de Français sollicitent des actes de médecine esthétique. Face à cette réalité, restreindre drastiquement le nombre de médecins pratiquant cette discipline entraînerait des complications majeures dues aux « fake injectors », ces injecteurs illégaux qui, opérant sans qualification et à moindre coût, mettent en danger la santé des patients. Bien que la médecine esthétique ne soit pas remboursée par la sécurité sociale, les complications générées par ces praticiens non-médecins sont prises en charge par nos soins et aux frais de la collectivité.

Adopter une approche pragmatique me semble par conséquent préférable à une stricte restriction. En effet, il paraît inconsidéré d’ignorer la demande d’actes de médecine esthétique qui émane de personnes souffrant de problèmes psychologiques liés à leur apparence. Trouver un équilibre entre le devoir de maintenir une médecine de premier recours et préventive et cette demande sociétale me semble primordial.

Stigmatiser les médecins généralistes qui ont orienté une partie de leur activité vers l’esthétique ne serait pas davantage pertinent. Souvent, ce choix résulte d’un besoin de diversification face au risque de burn-out lié à la prise en charge de patients complexes. Une régulation et une formation adéquate sont nécessaires. La solution passe en effet par la formation d’un plus grand nombre de médecins, ce qui réduira naturellement le problème des niches. En outre, il convient de souligner la difficulté croissante pour les médecins généralistes d’assumer les coûts de leur cabinet dans les grandes métropoles avec une consultation à 30 euros.

Dr Franck Devulder. La formation et l’activité principale sont autant d’enjeux majeurs. Le nombre de médecins formés par spécialité étant défini, notamment en médecine générale et en dermatologie, une réorientation massive vers d’autres activités engendrerait des problèmes considérables. La charge de travail pesant sur les médecins généralistes, dont le nombre diminue en pratique malgré un nombre stable de diplômés, s’accroît continuellement. La qualité de la formation est un point sur lequel nous devons être intransigeants, et ce, bien au-delà du seul cas de la médecine esthétique. Je pense à certaines disciplines qui, à l’image de la micronutrition, manquent d’une assise scientifique solide. Sans interdire ce type de pratique, assurer une formation de qualité constitue un impératif, au nom de la sécurité des patients.

Une mauvaise répartition entre l’activité principale et les activités secondaires ou annexes remet en cause le sens même de la formation, et finalement nuit à l’accès aux soins.

M. le président Jean-François Rousset. Une accréditation délivrée par la Haute Autorité de santé (HAS) ne pourrait-elle pas contribuer à réguler la répartition du temps de travail entre l’activité principale et les activités annexes ?

Dr François Arnault. La certification permettra effectivement d’évaluer chaque médecin selon ses différentes activités. Nous menons actuellement une enquête avec le Collège de médecine générale et SMG France pour déterminer précisément les activités des médecins, particulièrement des généralistes. Les résultats, basés sur un nombre important de réponses, seront fiables.

De manière plus générale, nous plaidons pour un assouplissement des filières et des carrières, permettant aux médecins d’exercer de façon minoritaire une autre activité. Par exemple, un médecin généraliste pourrait participer à l’activité des urgences s’il en a les compétences, ce qui est actuellement impossible du fait de la séparation des spécialités. C’est la raison pour laquelle nous demandons le rétablissement de la valorisation des acquis de l’expérience (VAE) afin de faciliter ces activités secondaires et minoritaires – j’insiste sur ce mot, car il en va d’une juste répartition des activités du médecin, au bénéfice de l’offre de soins.


M. le président Jean-François Rousset. Notre audition touche à sa fin, je vous remercie vivement pour vos arguments et vos présentations. Ils nourriront le travail de cette commission d’enquête qui devra rendre ses conclusions à la fin du mois de juin.

 

*

*     *


–  1  –

10.   Table ronde ouverte à la presse, réunissant des syndicats de professionnels paramédicaux : M. Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI), Mme Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière (CI), M. John Pinte, président du syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (SNIIL), Mme Diane Braccagni Desobeau, présidente de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (ONSIL) et M. Philippe Besset, président de la Fédération des pharmaciens de France

M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie d’avoir répondu favorablement à notre invitation à cette table ronde des syndicats des professions paramédicales. L’actualité des débats qui nous rassemblent est évidente.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous prie de lever la main droite et de dire « je le jure ».

(M. Daniel Guillerm, Mme Ghislaine Sicre, M. John Pinte, Mme Diane Braccagni Desobeau et M. Philippe Besset prêtent successivement serment.)

M. Philippe Besset, président de la Fédération des pharmaciens de France. Simple précision : le code de la santé publique distingue les professions médicales, les professions paramédicales et les professions de la pharmacie et de la physique médicale. Les pharmaciens d’officine, que je représente ici, n’exercent donc pas à proprement parler une profession paramédicale.

Cette profession a profondément évolué depuis la loi de 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), qui a inscrit les missions du pharmacien dans le code de la santé publique. Jusqu’alors, le pharmacien était considéré comme un acteur de la chaîne du médicament ; depuis, c’est un professionnel de santé.

Le mode de rémunération des pharmaciens a fait l’objet d’une réforme systémique. Désormais, cette rémunération ne repose plus sur les marges mais sur des honoraires, à l’instar des autres professionnels de santé. Les 4 milliards d’euros de marges que nous tirions de la vente des médicaments ont été transférés vers le système conventionnel, pour financer les honoraires de délivrance des médicaments, ce qui a permis d’en diminuer le prix. Les médicaments et la prestation du pharmacien d’officine donnent donc désormais lieu à deux factures distinctes.

Les missions du pharmacien ont aussi évolué. Notamment à la suite de l’épidémie de covid, il s’est emparé de missions de santé publique, souvent en matière de prévention – notamment des vaccinations et des dépistages –, mais également en matière de suivi et d’accompagnement des traitements, en collaboration avec le médecin. Depuis juillet 2024, la loi nous autorise à prendre directement en charge les angines et les infections urinaires en officine, en suivant des protocoles émis par la Haute Autorité de santé.

Enfin, le Sénat examine actuellement la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires de M. Philippe Mouiller, qui tend à étendre encore le champ d’action des pharmaciens.

Mme Diane Braccagni Desobeau, présidente de l’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux. Mon organisation souhaite partager avec vous les témoignages des infirmières libérales, qui sont indissociables des difficultés d’accès aux soins de leurs patients.

Pour ma part, j’exerce depuis vingt ans en Eure-et-Loir, dans une région très sous-dotée.

Les 100 000 infirmières libérales que compte notre pays interviennent pour plus de 90 % d’entre elles à domicile, en étroite collaboration avec le pharmacien et le médecin traitant. En France, 1,5 million de personnes vivent seules à domicile.

En ville, on compte sur les professionnelles de santé que nous sommes pour intervenir dans des domaines très variés, tels que les soins palliatifs, les maladies chroniques, les sorties d'hospitalisation, mais aussi la prévention, la coordination, l’éducation thérapeutique, afin de participer à l’optimisation du parcours de soins du patient. Les infirmières libérales alertent, orientent vers d’autres professionnels de santé, le cas échéant. Elles ont toujours répondu présentes pour ces nombreux défis. Il faudra s’appuyer sur elles, au vu du vieillissement prévu de la population – le nombre de personnes âgées dépendantes doit passer de 1,3 à 3 millions d’ici à 2030 – et de la multiplication des pathologies chroniques évolutives, qui concernaient 15 % de la population active en 2019 contre 25 % désormais.

Les infirmières libérales travaillent essentiellement en cabinet, afin d’assurer la continuité des soins, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, tous les jours de l’année. Elles participent à la mission de service public de permanence des soins.

Notre profession est répartie de manière satisfaisante sur tout le territoire français depuis la régulation de l’installation, il y a plus de vingt ans, même s’il subsiste des zones sous-dotées et des zones surdotées.

Ces atouts ne sont pas suffisamment exploités, en partie à cause de l’obligation d’obtention d’une prescription médicale avant toute intervention, y compris pour les actes qui entrent dans le domaine de compétence des infirmières – c’est-à-dire leur rôle propre, inscrit dans le code de la santé publique. Cela conduit à des passages aux urgences évitables, ou à des prises en charge tardives, qui causent des dépenses inutiles et une perte de chances pour les patients.

L’adoption de la proposition de loi sur la profession d’infirmier doit être saluée. Elle permettra de mieux reconnaître le rôle de l’infirmière libérale et d’accroître son autonomie, dans un cadre sécurisé, avec la création de la consultation infirmière et la reconnaissance du diagnostic infirmier.

Cependant, la profession demande unanimement la rapide revalorisation des actes infirmiers. Nous vivons le blocage du tarif des AMI (actes médicaux infirmiers) depuis seize ans comme un désaveu, qui nous démotive. De plus en plus d’infirmières quittent le métier pour se reconvertir. Il faudrait objectiver dans une étude le nombre de fermetures de cabinet d’infirmière libérale dans les déserts médicaux, car c’est selon moi un phénomène inquiétant.

Alors que la demande de soins de la population française augmente, investir dans les quelque 100 000 infirmières libérales de France n’est pas une option, mais une urgence. Dans les structures, certains services sont fermés, faute de soignants. L’offre de ville connaîtra-t-elle le même scénario ?

L’âge moyen des infirmières libérales augmente. Le métier n’est plus attractif ; 42 % des étudiants en soins infirmiers souhaitent abandonner leurs études. Une fois que les infirmières en exercice auront quitté le métier, il sera très coûteux de les faire revenir.

Un budget pluriannuel de financement du système de santé, tel que proposé par le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins, serait une très bonne chose. Toutefois, ce budget pluriannuel devra être complété par un plan concernant les ressources humaines. Nous ne pourrons satisfaire la demande croissante de soins si nous continuons à repousser la nécessaire revalorisation de la rémunération des infirmières. Les bénéfices des infirmières diminuent, à cause du gel du tarif des lettres clés. Une infirmière qui se déplace à domicile pour une prise de sang gagne 8,58 euros brut, déplacement compris, soit 3,43 euros net. Comment s’étonner que certaines infirmières libérales déclinent ces demandes de soins, alors que leur rémunération est inférieure au seuil de rentabilité ?

De nouveaux déserts sanitaires menacent d’apparaître. Les infirmières libérales ne peuvent être l’éternelle variable d’ajustement des recherches d’économies. Le destin du patient et celui de l’infirmière sont liés. Ignorer les besoins de l’un pour satisfaire les besoins de l’autre est voué à l’échec.

M. John Pinte, président du Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux. Les effectifs des infirmiers libéraux, que je représente, ont crû de manière constante pendant plus de vingt ans, à un rythme annuel oscillant entre 3,5 et 4 %. Puis ils ont stagné en 2021 et 2022. En 2023, ils ont baissé, quoique de manière faible. Notre pays compte actuellement près de 99 500 infirmiers libéraux conventionnés, auxquels il faut ajouter les remplaçants. Cette diminution récente est inquiétante, alors que, à l’heure du virage ambulatoire, le vieillissement de la population et la multiplication des pathologies chroniques conduiront à davantage de prises en charge à domicile. Il est urgent d’agir.

Notre profession a été mobilisée au cours des dernières années pour résoudre les problèmes du système de santé, mais sans cohérence. Nous sommes donc globalement satisfaits de la réforme du métier prévue par la proposition de loi sur la profession d’infirmier. Elle permettra de redonner du sens au métier et de développer nos compétences pour assurer l’avenir des prises en charge. Les soins techniques ont évolué et ont, dans certains cas, perdu en fréquence, si bien qu’actuellement, une partie des compétences des infirmiers n’est pas suffisamment utilisée. La proposition de loi y remédiera, en remettant en avant l’expertise infirmière et en inscrivant la consultation infirmière en accès direct dans le rôle propre des infirmiers. Cela pourrait permettre de stabiliser les effectifs, voire d'attirer davantage de professionnels.

Actuellement, beaucoup d’étudiants abandonnent leurs études d’infirmier à cause de la densité de la formation, ainsi que de la mauvaise qualité de l’accueil dans les lieux de stage et de l’encadrement. Pour cette raison, la proposition de loi tend également à confier aux infirmiers une mission d’accompagnement des étudiants, ce qui permettra d’ouvrir davantage de terrains de stage dans les cabinets libéraux et de mieux encadrer les étudiants.

Il faut faire rêver les futurs professionnels. Or ceux actuellement en poste sont démotivés et font face à des perspectives peu encourageantes, au vu des conditions de travail en ville et à l’hôpital. Nous comptons sur ce texte pour y remédier.

Une revalorisation de l’exercice libéral est également nécessaire. Entre 2019 et 2021, le chiffre d’affaires des infirmiers a augmenté, grâce à certaines mesures de l’avenant n° 6 à la convention nationale des infirmiers libéraux, mais aussi à cause de la crise sanitaire. Il a stagné les années suivantes puis a commencé à diminuer en 2023. Surtout, les bénéfices des infirmiers ont fortement diminué, de 6,4 % en 2022. L’impact de l'inflation est important.

Mme Ghislaine Sicre, présidente de Convergence infirmière. Pas moins de 6 millions de Françaises et de Français n’ont pas accès à un médecin généraliste. La population vieillit : en 2060, une personne sur trois aura plus de 60 ans en France. Le nombre de maladies dégénératives et chroniques est amené à augmenter de manière exponentielle. Le rôle des 100 000 infirmiers libéraux qui maillent tout le territoire national deviendra crucial.

Malgré cela, la profession reste profondément en souffrance. Désabusée, elle ne se sent ni reconnue, ni suffisamment rémunérée. Le turnover est important, notamment à cause d’abandons au profit d’autres métiers. Le sens du métier s’étiole, en raison de la pression, du manque de temps, de l’augmentation des heures travaillées, de la pénibilité du travail, du degré d’exigence des patients et de leurs familles et de la charge mentale amplifiée par la désertification médicale. La baisse de la rémunération des actes est invisible car les infirmiers maintiennent leur chiffre d’affaires en travaillant davantage.

Les infirmières sont un acteur majeur de la prise en charge à domicile des personnes dépendantes ou ayant subi une chirurgie en ambulatoire – dont le nombre a crû de plus de 20 % depuis 2021 –, du suivi des patients affectés d’une maladie chronique ou d’un cancer, et des soins palliatifs, jusqu’au décès.

Chaque jour, les infirmières prennent en charge 2,5 millions de patients. Ce n’est pas rien. Un article paru en février 2024 dans l’International Journal of Nursing Studies démontre encore une fois le lien entre sous-effectif infirmier et surmortalité. Le décret de compétences des infirmiers leur assigne, notamment dans le cadre de leur rôle propre, de nombreuses missions – telles que la prévention, l’éducation, la promotion de la santé, l’organisation et la coordination des interventions soignantes – qui, alors qu’elles permettent d’éviter les complications et les hospitalisations, ne sont pas reconnues dans la NGAP (nomenclature générale des actes professionnels).

Il est temps d'œuvrer pour redonner du sens au métier. La proposition de loi sur la profession d’infirmier permettra de valoriser le rôle propre des infirmiers, notamment en instaurant une consultation infirmière et en étendant le champ des diagnostics infirmiers – actuellement au nombre de 267, ceux-ci n’ont rien à voir avec des diagnostics médicaux.

En structure, l’infirmière joue un rôle de pivot, d’organisatrice des prises en charge. Alors que les infirmières libérales effectuent les mêmes missions à domicile, ce travail n’est pas reconnu. C’est dommage. Il faudrait s’appuyer davantage sur elles.

Il faut transformer le système de soins en visant une santé globale pour tous. Une prise en charge holistique de la santé pourrait être développée grâce à des actions de prévention et d’éducation. L’infirmière libérale exercerait ainsi ce rôle pivot. Elle se coordonne déjà régulièrement avec le médecin traitant pour éviter les complications, les hospitalisations. Il est rare qu’elle n’appelle pas un médecin traitant pendant la journée ou la semaine.

Il faut permettre aux infirmières et aux infirmiers libéraux de travailler en autonomie pour identifier les besoins du patient dans son environnement, pour coconstruire avec le patient un plan d’action de soins ou de prévention, qui doit pouvoir être évalué, clos, amélioré ou poursuivi selon les besoins. L’infirmière a toutes les capacités pour exercer ce rôle, mais n’est pas reconnue pour l’exercer. C’est bien dommage.

L’État doit reconnaître le jugement clinique infirmier, fondé sur des diagnostics, la capacité d’évaluer l’état de santé du patient à l’instant T et son adaptation à son environnement. Or il méconnaît le rôle de l’infirmier, le travail que celui-ci accomplit dans son domaine d’exercice.

Les infirmiers et les infirmières libéraux prennent en charge le malade de façon holistique et l’accompagnent à travers l’éducation en santé, pour améliorer sa prise en charge, grâce aux diagnostics infirmiers. Le médecin, lui, prend en charge la pathologie du patient et élabore le diagnostic médical. Ces deux professions travaillent donc en complémentarité pour maintenir la santé du patient.

Dans les déserts médicaux, il serait possible de s’appuyer sur les infirmières libérales et la télémédecine, pour accompagner ceux et celles qui n’ont plus accès à un médecin traitant. Il faudrait également permettre aux infirmières de renouveler certaines ordonnances, comme cela a été possible pendant la crise du covid. Par exemple, il ne devrait pas être nécessaire de passer par un médecin pour renouveler l’ordonnance de dépendance, valable pendant un an. Une fois l’année écoulée, le malade reste dépendant ! Les modalités actuelles de renouvellement font perdre du temps au médecin. Les exemples de ce type sont nombreux. Il faut travailler sur ce point pour améliorer l’accès aux soins.

M. Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers. Cette audition a lieu dans un contexte inédit, alors que la proposition de loi sur la profession d’infirmier a été adoptée à l’unanimité par les deux chambres. Nous attendons de connaître la date de la réunion de la commission mixte paritaire, en espérant que la trajectoire inscrite par les deux chambres sera respectée.

Le choix d’examiner ce texte en procédure accélérée n’est pas neutre. Notre système souffre. Nous attendons, à l’issue de son adoption, une batterie de textes réglementaires, notamment le décret précisant les missions et définissant le référentiel d’activités et de compétences de la profession, ainsi que l’arrêt énumérant les actes autorisés. Enfin, la réforme de la formation infirmière devrait entrer en application dès septembre 2026. Ce contexte historique fait naître de fortes attentes, tant du côté de la profession que du côté du législateur et de la technostructure.

La proposition de loi sur la profession d’infirmier ne répond pas à la question des déserts médicaux à proprement parler. Elle est d’abord une valorisation de la profession et une reconnaissance de son expertise. Elle permettra toutefois d’augmenter le nombre de gatekeepers – portiers – du système de santé. Jusqu’à présent, c’était quasiment toujours un médecin, notamment le médecin traitant. Cela pourra être désormais des infirmières, notamment libérales.

Notre profession est souvent confrontée à une injonction paradoxale. La stratégie nationale de santé préconise le virage ambulatoire et l’approche domiciliaire. Les associations de patients plébiscitent le maintien à domicile des patients. Or nous constatons avec amertume que les fléchages budgétaires ne suivent pas. Le Ségur de la santé, qui s’est tenu après la crise sanitaire, a prévu plus de 20 milliards d’euros pour l’hôpital, mais seulement 300 millions d’euros pour la ville, avec un fléchage centré sur les médecins.

Pour les structures de ville, notamment le secteur libéral, le contexte est inquiétant. La courbe des primo-installations et celle des cessations d’activité se croisent, la première baissant, la deuxième montant. Nous craignons des trous dans la démographie infirmière, notamment dans les déserts médicaux.

Notre objectif, pour la négociation conventionnelle, est d’accroître l’attractivité du statut d’infirmier. Il faudra revaloriser les tarifs et simplifier les démarches administratives. La Cnam (Caisse nationale de l’assurance maladie) doit cesser le harcèlement administratif – je pèse mes mots – des infirmiers, car la gestion du risque, de médicale, est devenue purement administrative. Il faut également ouvrir aux infirmiers des perspectives, tout en prenant en compte le fait que l’argent magique n’existe pas. Ces négociations seront peut-être décevantes. Vous pouvez en tout cas compter sur les organisations représentatives pour qu’elles le soient le moins possible.

Le ministère de la santé et Matignon indiquent qu’une enveloppe – dont nous ne connaissons pas le montant – a été budgétée dans l’Ondam (objectif national de dépenses d’assurance maladie) pour 2025. Mais nous savons pertinemment qu’elle ne suffira pas au rattrapage attendu par la profession et qu’il faudra une nouvelle enveloppe pour 2026.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je salue le travail des infirmières et des infirmiers libéraux. Nos concitoyens reconnaissent à juste titre leur expertise.

Selon vous, quels actes devraient être revalorisés en priorité et à quel niveau ?

Alors qu’à sa création, le métier d’infirmier en pratique avancée (IPA) avait suscité un certain enthousiasme, son attractivité diminue. Pourquoi et comment redonner envie aux infirmiers de suivre les deux années de formation nécessaires pour obtenir ce diplôme ?

M. Daniel Guillerm, président de la Fédération nationale des infirmiers. Il faut revaloriser en priorité les actes liés aux contraintes lourdes qui s’imposent à la profession. Dans le code de la santé publique, nous sommes l’une des seules professions soumises à l’obligation d’assurer la continuité des soins – celle-ci est d’ailleurs également inscrite dans notre code de déontologie. Quand un infirmier prend en charge un patient, dépendant ou non, la prise en charge ne peut être interrompue le dimanche, les jours fériés ou parce qu’il fera bientôt nuit. Elle doit être maintenue tous les jours de l’année, y compris la nuit, si c’est nécessaire. C’est une contrainte plus lourde que la permanence des soins ambulatoires (PDSA). Nous l'assumons notamment en nous associant entre praticiens au sein des cabinets, afin de nous répartir les tournées et les roulements. Cette organisation se développe depuis vingt-cinq ans.

Un acte en particulier devrait être revalorisé, en tenant compte des enjeux de santé publique : la prise en charge des patients lourdement dépendants à domicile. Leur nombre est amené à exploser et les associations plébiscitent le maintien à domicile. Encore faut-il que les actes qui le permettent soient suffisamment attractifs pour être réalisés par le secteur libéral infirmier. Actuellement, ce n’est clairement pas le cas.

Deuxièmement, les actes participant à la continuité des soins devraient également être revalorisés, car cet aspect n’est absolument pas pris en compte dans les tarifs conventionnels. C’est notamment le cas de l’indemnité de nuit, qui s’élève à 9,15 euros depuis au moins 1986, date à laquelle j’ai commencé mon activité en libéral. J’ajoute d’ailleurs, ainsi que nous l’avons dit dans nos réponses écrites à votre questionnaire, qu’il sera nécessaire d’aborder la question des remplacements car, dans le cas contraire, plus aucun cabinet libéral ne pourra contribuer à la continuité des soins.

S’agissant des IPA, au risque de jeter une pierre dans votre jardin, le texte que vous avez voté nous laisse au milieu du gué, dans la mesure où la pratique avancée a été placée sous tutelle médicale. Il n’y aurait pas eu de problème si cette nouvelle profession était restée cantonnée aux établissements. Un statut libéral a été créé ex nihilo, mais nous n’avons pas été maîtres du jeu lors de la négociation des textes conventionnels afférents.

De fait, la capacité des infirmières en pratique avancée de créer leur patientèle dépend des médecins. S’ils jouent le jeu, il n’y a pas de problème, mais ce n’est pas toujours le cas. Et si les IPA souffrent d’une mauvaise rémunération, c’est en raison de ce péché originel, si je puis présenter les choses ainsi. Il aurait fallu intégrer dès le départ les soins de ville et ne pas instaurer une tutelle médicale, sachant que, j’y insiste, la pratique avancée devrait bénéficier de tarifs plus élevés.

Mme Ghislaine Sicre. Les infirmières attendent une revalorisation de l’acte médical infirmier (AMI) qui, au regard de l’inflation, devrait atteindre 3,96 euros. Nous savons bien que les enveloppes ne sont pas extensibles, aussi ce point peut-il être discuté, mais, d’une manière générale, les professionnels demandent une revalorisation des actes du quotidien.

La pose d’un pansement, par exemple, est valorisée à 6,30 euros depuis 2009, ce qui est scandaleux. Il en va de même de l’injection et du prélèvement, dont le coût respectif est fixé à 4,50 et 6,075 euros depuis 2012. Il s’agit d’actes techniques, qui peuvent prendre beaucoup de temps, sachant que l’infirmière doit ensuite déposer les échantillons au laboratoire, ce qui est chronophage alors même qu’elle court après les actes, tant elle est peu payée.

Les prises en charge les plus lourdes, dont vient de parler Daniel Guillerm, sont holistiques et également trop peu valorisées, tout comme les actes associés. Les dialyses péritonéales, par exemple, ne peuvent être facturées en raison du bilan de soins infirmiers (BSI), qui fait l’objet d’un forfait journalier. Avant, avec les actes infirmiers de soins (AIS), après un premier passage chez le patient, nous pouvions comptabiliser ces dialyses séparément, mais ce n’est plus le cas. C’est une perte de pouvoir d’achat pour les infirmiers à laquelle il faudra absolument remédier. Et je pourrais également citer d’autres actes associés, tels que les sondages évacuateurs ou l’alimentation entérale, qui ne sont pas davantage comptabilisés alors qu’ils sont très réguliers dès lors que nous avons un patient qui en a besoin : je sais de quoi je parle.

Quant aux IPA, mon collègue l’a dit, le métier n’attire pas en raison de la tutelle des médecins. J’ajoute qu’il n’existe pas d’aides pour les professionnels qui veulent accéder à ce statut. Comment font-ils alors qu’ils n’ont pas de revenus pendant la formation et qu’ils doivent même s’acquitter de leurs cotisations et de leurs charges pour l’année antérieure ? Enfin, on parle beaucoup des IPA, mais il n’y en a que 2 367 au total, dont seulement 400 en libéral, ce qui est très peu.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. C’est tout de même un métier jeune.

M. John Pinte. Je rejoins pleinement ce qui vient d’être dit au sujet des IPA. D’emblée, nous avons créé un métier précaire, dans la mesure où ils dépendent de la bonne volonté des médecins. Même si les infirmiers concernés parviennent à développer leur activité, ils sont susceptibles de la perdre si les médecins de leur secteur partent en retraite ou changent de zone et que leurs remplaçants, s’il y en a, ne veulent pas travailler de cette manière.

C’est une caractéristique de notre système : les métiers comme celui d’IPA sont toujours créés en fonction de ce que les médecins pourront déléguer. Il faut arrêter avec cette manière de faire. Les IPA ont été formés pendant deux ans : nous devons leur faire confiance – ce qui semble se dessiner – et leur accorder un accès direct aux patients. Nous avons perdu plusieurs années parce que ce n’était pas le cas, ce qui a nui à l’attractivité du métier. Le problème de la confiance vis-à-vis des infirmiers est d’ailleurs général, ce qui est dramatique et dommageable pour l’avenir. Espérons que les réformes en cours y remédieront.

Pour ce qui est de la rémunération, comme mes collègues, j’insisterai sur les patients lourds, polyhandicapés et sur les soins palliatifs. Nous le savons pertinemment : certains infirmiers refusent désormais ce type de patients, faute d’une rémunération suffisante. Il y a donc un besoin urgent de revaloriser les actes les plus lourds.

De même, les actes les plus courants doivent également être mieux payés. Certains ont été revalorisés au fil des années, mais d’autres ne l’ont pas été depuis longtemps. Pendant la crise sanitaire, certains actes moins techniques ont été correctement valorisés, mais maintenant qu’ils ne sont plus pratiqués, la facturation des actes les plus courants, comme les prises de sang ou les injections, paraît d’autant plus dérisoire. Conjuguée à l’inflation, la crise du covid a accentué les tensions dans la profession.

Un phénomène est particulièrement inquiétant : plus les infirmiers réalisent des soins techniques – plutôt que de prendre en charge des patients dépendants –, moins leur chiffre d’affaires est important. Je répète donc qu’il est urgent de revaloriser ces actes, sous peine de voir la situation dans les déserts médicaux s’aggraver.

S’agissant de la démographie, si des aides à l’installation et au maintien de l’activité ont été créées à destination des zones sous-dotées, celles-ci sont insuffisantes car, souvent, les infirmiers concernés ne génèrent pas un chiffre d’affaires élevé, en raison, justement, de leur patientèle peu élevée. Or si l’activité du professionnel n’est pas assez importante, il aura tendance à se tourner vers des territoires où elle le sera. Les aides peuvent atteindre 27 000 euros sur trois ans, mais elles baissent ensuite à 3 000 euros par an, ce qui peut ne pas être suffisant en cas de faible chiffre d’affaires. C’est un autre levier à considérer.

Mme Diane Braccagni Desobeau. Je suis entièrement d’accord avec tout ce qui vient d’être dit, même si je prendrai le problème à l’envers. Il faut satisfaire la demande de soins. Elle n’est pas le fruit des caprices de la patientèle : ces soins ont trait à des pathologies chroniques et au vieillissement général de la population. Or nous ne parviendrons pas à prendre toutes les personnes en charge si la démographie infirmière diminue à cause d’un acte de base fixé à 3,15 euros. Les patients iront aux urgences, seront hospitalisés, souffriront de pathologies décompensées, voire verront leur pronostic vital engagé.

Voilà pourquoi il faut revaloriser l’AMI, bloqué depuis seize ans, à un niveau digne et pourquoi il faut permettre aux infirmières de procéder à des prises en charge précoces. Elles peuvent en effet utilement adresser les patients aux médecins. Pourquoi devrions-nous accorder une priorité aux patients dépendants, au détriment, par exemple, de ceux qui ont besoin d’un pansement, car ils risquent une amputation ou qu’ils ont un pied diabétique ? Tous les malades sont précieux et méritent un égal accès aux soins. Nous demander de choisir est contraire à notre métier.

En conclusion, il faudrait se polariser sur les actes qui, désormais, rebutent les infirmières. Elles sont de véritables cheffes d’entreprise et vous ne pouvez pas leur demander de travailler à perte, ce qui finit pourtant par arriver avec un AMI à 3,15 euros. J’ajoute qu’il faudra aussi se pencher sur la question de l’accès et du stationnement en centre-ville. Certaines municipalités infligent des contraventions aux infirmières, ce qui est surréaliste, surtout à l’heure des déserts médicaux et du manque d’accès aux soins.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Dans le questionnaire que nous vous avons envoyé, nous vous demandions justement s’il convenait de réformer, voire d’abroger les protocoles d’organisation entre les médecins et les IPA. En effet, un audit flash publié par la Cour des comptes en juillet 2023 indique qu’avec un tel dispositif, « le médecin est à même de réduire très fortement le cadre d’exercice des IPA ». N’hésitez donc pas à faire part de vos remarques à ce sujet.

J’aimerais également connaître votre avis à tous sur une possible participation obligatoire des médecins et des infirmiers libéraux à la permanence des soins. Une telle mesure serait-elle utile ?

Au cours des différentes auditions et rencontres que j’ai eues, l’exemple du pansement a été le plus cité. J’ai aussi entendu vos remarques relatives aux actes lourds qui, de fait, représentent une charge supplémentaire dans le quotidien des infirmières et infirmiers.

Par ailleurs, je souhaiterais avoir un état des lieux des pharmacies dans notre pays. Le nombre d’officines baisse alors que, comme vous l’avez très bien dit, monsieur Besset, les pharmaciens jouent un rôle incontournable en matière de permanence des soins.

Enfin, quels nouveaux actes pourraient être confiés aux pharmaciens et aux infirmiers libéraux, de manière à libérer du temps pour les médecins libéraux ? Les compétences de ces deux professions ont progressé ces dernières années. Peut-on aller plus loin et, si oui, dans quels domaines précis ?

M. Philippe Besset. Tout d’abord, il importe de distinguer les officines de pharmacie des professionnels de santé qui travaillent en leur sein, c’est-à-dire les pharmaciens et les préparateurs. Car si on entend souvent que l’installation des pharmaciens est réglementée, c’est en réalité l’implantation des lieux d’exercice qui l’est.

En moyenne, cinq à six professionnels travaillent dans une officine. Sauf erreur de ma part – qui, j’espère, ne serait pas considérée comme un parjure –, nous sommes passés de 24 000 à 20 000 officines entre 2007, qui fut l’année record, et 2024. Environ 4 000 pharmacies ont donc fermé, soit entre 200 et 300 par an, ce qui devrait être de nouveau le cas cette année. Cependant, le nombre de professionnels travaillant dans les 20 000 pharmacies restantes a, lui, augmenté, passant de 130 000 à 150 000 entre 2007 et 2025. Plus de monde travaille ainsi dans des officines de plus grande taille et proposant davantage d’actes et de services. Ces évolutions ont permis de réaliser des économies d’échelle, l’assurance maladie ayant fortement comprimé les ressources du réseau officinal.

Cela étant, 5 000 communes ne comptent qu’une seule officine. Nous avons insisté, lors de la négociation de la dernière convention avec l’assurance maladie, sur le fait que celles-ci ne devaient pas fermer. En effet, ce n’est pas la même chose de passer de deux à une pharmacie que de passer d’une à zéro – ou encore, dans le cas de Paris, de passer de 800 à 600. Des dispositions spécifiques ont été prises, à l’instar de celles relatives aux hôpitaux de proximité, pour que le paiement à l’acte, lorsqu’il ne génère pas des revenus suffisants, soit complété par une aide au titre de la mission de service public exercée par certaines officines. En définitive, on peut dire que le réseau souffre. Même si certaines pharmacies se portent bien, cette segmentation est inquiétante pour l’accès aux soins d’une partie de la population.

S’agissant de la participation des pharmaciens à la permanence des soins, qui est obligatoire, la loi prévoit qu’il revient aux organisations professionnelles, c’est-à-dire aux syndicats – que je représente –, de l’organiser. Cette mission de service public nous est donc déléguée.

À cet égard, n’oublions pas qu’une officine est immobile. En effet, si un médecin peut assurer une permanence ailleurs que dans son cabinet, ce n’est pas le cas d’un pharmacien – sachant qu’il est également impossible de faire travailler un pharmacien dans une autre officine que la sienne, car il ne saurait pas de quelle manière les médicaments sont rangés. C’est un problème, car nous voudrions que le pharmacien exerce à côté du médecin. Dans un secteur de garde qui compte une quinzaine de pharmacies, par exemple, un patient devra ainsi souvent parcourir cinq ou dix kilomètres pour récupérer des médicaments après avoir vu un médecin.

Nous nous sommes entendus avec l’assurance maladie autour de l’établissement de 1 150 secteurs de permanence de soins la nuit et de 1 450 secteurs le dimanche et les jours fériés. Nous suivons cet aspect de manière précise, avec une cartographie, et nous avons créé des centres d’appels. D’une manière générale, je reçois peu de remarques à ce sujet.

Nous nous sommes organisés seuls, sans budget spécifique, alors que cette organisation demande des moyens. Ce sont les pharmaciens syndiqués et les patients, en utilisant le serveur d’appel destiné à alimenter le système, qui payent. Nous avons recommandé de revoir ce fonctionnement, les autres possibilités étant de mettre à contribution tous les pharmaciens, y compris ceux qui ne sont pas syndiqués, ainsi que l’ensemble des assurés sociaux, et pas que les malades contraints d’utiliser le serveur d’appel. Nous sommes disponibles pour en discuter.

La question de la régulation devrait également être abordée, car les demandes des patients ne correspondent pas toujours à un besoin urgent de soins. Depuis trente ans que je travaille, j’ai successivement connu l’obligation de garde des médecins, l’absence totale de garde, puis la création d’une maison médicale de garde, où des praticiens font des gardes de nuit. Dans le premier cas, les médecins assuraient la régulation et les pharmaciens étaient de temps en temps dérangés la nuit pour des médicaments. Dans le deuxième, puisqu’il n’y avait plus de gardes, je n’étais logiquement jamais dérangé, sauf quand des patients sortaient de l’hôpital de Carcassonne, le plus proche de ma commune. Et dans le troisième, jusqu’à minuit, c’est comme si je n’avais pas fermé. La collectivité paye ainsi 60 euros, en plus du défraiement de garde, la prestation d’un médecin pour des gens qui, parce que ça les arrange ou qu’ils considèrent qu’ils peuvent y aller la nuit, ne sont pas allés consulter pendant la journée. Je ne suis pas sûr que ce soit un bon système, car la permanence de soins, pour des raisons budgétaires, doit répondre aux besoins urgents et non à des besoins contingents de la population. Cela coûte trois fois plus cher de consulter un médecin de garde.

S’agissant enfin des actes, une officine en réalise en moyenne un peu moins de 200 par jour ; principalement des délivrances de médicaments. Pendant les deux années de crise sanitaire, on nous a demandé de faire des dépistages et des vaccinations, ce qui a représenté en moyenne vingt actes supplémentaires par jour. Cela a mis le réseau sous tension. Il s’agit du maximum que les 150 000 professionnels de santé peuvent réaliser. Le covid étant derrière nous, nous ne faisons plus ces actes supplémentaires, en remplacement de quoi nous réalisons, par semaine et en moyenne sur l’année, quatre à cinq dépistages d’angine et de cystite, ainsi qu’une dizaine de vaccinations contre la grippe. Nous pourrions donc effectuer des actes supplémentaires. Cela requiert toujours la formation des professionnels et l’engagement des pharmacies. Il faut donc que le besoin soit réel, mais nous sommes disponibles. C’est d’ailleurs le sens de la proposition de loi actuellement examinée au Sénat, à propos de laquelle je serai à votre disposition lorsque l’Assemblée s’en saisira.

M. Daniel Guillerm. La Fédération nationale des infirmiers estime que, pour répondre au double défi du vieillissement de la population et de l’explosion des maladies chroniques, le second étant le corollaire du premier, il convient d’élaborer des accords conventionnels interprofessionnels entre les médecins traitants, les pharmaciens et les infirmiers. Ce n’est en rien stigmatisant pour les autres professions de santé : si nous voulons apporter une réponse de masse, il faut absolument réorganiser les soins primaires entre ces trois professions.

De fait, la mauvaise observance thérapeutique fait partir en fumée entre 9 et 15 milliards d’euros par an dans notre pays, si on inclut les coûts directs et indirects, comme les hospitalisations évitables. Dans un système contraint comme le nôtre, réaliser ne serait-ce que 10 % d’économies sur ce montant, grâce à un cercle vertueux entre médecins, pharmaciens et, en bout de chaîne, infirmiers, générerait entre 900 millions et 1,5 milliard d’euros.

À cet égard, ainsi que l’a dit Philippe Besset, chacun a sa place. Nous estimons en effet que la synergie entre les acteurs est préférable à la pseudo-concurrence à laquelle nous aboutissons parfois. Le cœur de métier des pharmaciens est le travail en officine ; le nôtre, c’est le domicile, où nous réalisons 98 % de notre activité. Il faut s’appuyer sur cet atout pour faire en sorte que notre activité améliore concrètement l’accès aux soins des patients.

S’agissant de la PDSA, des mesures ont été négociées dans le cadre de la mission flash conduite par François Braun. Nous avons néanmoins révisé ce dispositif dans l’un de nos avenants conventionnels, car les mesures ont été prises par voie réglementaire, sans participation des partenaires conventionnels, et qu’elles souffrent d’incohérences en matière de valorisation financière. En effet, lorsqu’un infirmier participe à un service d’accès aux soins (SAS) dans le cadre de la PDSA, il est mieux rémunéré s’il n’a rien à faire que s’il a des soins à prodiguer au patient. Dit autrement, une levée de doute est mieux payée qu’une injection. Nous avons demandé à Thomas Fatôme de remettre le dispositif à plat, en lien avec le ministère, mais nous attendons toujours.

Mme Géraldine Bannier (Dem). J’ai beaucoup entendu que, à cause du fonctionnement de Parcoursup, les jeunes inscrits dans les formations d’infirmier ne sont pas nécessairement motivés. Les professionnels regrettent que la motivation des candidats ne soit plus vérifiée lors d’un entretien. Peut-être y a-t-il ici une question à traiter ?

Il en va de même de la localisation des formations permettant d’obtenir le diplôme d’IPA. Un territoire comme le mien, la Mayenne, qui est un désert médical, a besoin de ces professionnelles pour assurer l’accès aux soins, mais elles doivent se rendre à Nantes pour se former. Aussi, peut-être que les départements les plus touchés par la désertification médicale pourraient être prioritaires pour accueillir des centres de formation.

Quant aux pharmacies, j’ai eu le cas, dans ma circonscription, d’une personne qui voulait transmettre son officine pour 1 euro symbolique, mais qui n’y parvenait pas. Elle m’expliquait être très embêtée par les injonctions du gouvernement au sujet de la délégation de tâches, car étant seule dans sa pharmacie, elle n’y arrivait pas. De la même manière, j’ai en tête une belle commune où le médecin s’apprête à arrêter son activité, ce qui menacera la pérennité économique de la pharmacie qui s’y trouve. Comme vous le disiez, il est difficile de voir disparaître une officine.

La localisation des formations, des médecins et des pharmacies sont des questions locales très importantes que je souhaitais relayer.

M. le président Jean-François Rousset. Je suis navré, mais je dois écourter nos échanges, car un vote important va avoir lieu dans peu de temps dans l’hémicycle. Je vous prie de nous excuser et vous remercie de vos témoignages. Je vous invite à les compléter par écrit si nécessaire.

 

*

*     *

———


–  1  –

11.   Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des associations d’usagers : Mme Claudia Marchetti, médiatrice en santé à médecin du monde, représentante du collège des médiateur-rices en santé, le Dr Philippe Bergerot, président de la Ligue contre le cancer, M. Gérard Raymond, président de France Assos Santé, Mme Marie-Amandine Stevenin, présidente de UFC-Que Choisir, M. Serge Widaski, directeur général de l’Association des paralysés de France (APF) et Mme Michèle Leflon, présidente de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité

Table ronde réunissant les représentants d’associations d’usagers du service public de santé et de soutien auprès des patients, qui vont apporter un regard différent sur le sujet qui nous occupe.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Claudia Marchetti, M. Philippe Bergerot, M. Gérard Raymond, Mme Marie-Amandine Stévenin, M. Serge Widawski et Mme Michèle Leflon prêtent successivement serment.)

Mme Claudia Marchetti, médiatrice en santé, Médecins du monde, représentante du collège des médiateurs et médiatrices au sein du Collectif pour la promotion de la médiation de santé (CMPS). Je vous remercie de me donner la parole aujourd’hui au nom de notre collectif. Créé en 2022, celui-ci est une plateforme de mobilisation et de plaidoyer, d’appui et de coordination des initiatives de médiation en santé ainsi que d’échange d’expériences et d’informations. Il vise le déploiement pérenne à l’échelle nationale de la médiation en santé et la sécurisation des professionnels, qu’ils soient pairs ou non-pairs. Il rassemble 130 membres environ, exerçant dans l’ensemble du territoire national, et se compose de trois collèges : celui des structures, celui des personnes qualifiées et celui des médiateurs et médiatrices en santé.

Professionnelle de terrain, j’exerce depuis plus de onze ans comme médiatrice en santé au sein des programmes de Médecins du monde à Marseille. Lorsque j’ai débuté, la médiation en santé en était encore à faire ses preuves. Je travaille auprès des populations les plus invisibles, vivant en habitat précaire ou à la rue, souvent éloignées du système de santé. Les actions que je mène visent à améliorer leur état de santé – compris, au sens de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), comme un bien-être physique, mental et social – et à les accompagner dans l’accès aux soins et à la prévention.

Les populations que nous accompagnons sont très hétérogènes mais partagent des vulnérabilités structurelles, administratives, sociales, linguistiques ou culturelles qui les exposent à un moindre recours aux soins, à une plus forte morbidité et à des formes multiples de discrimination. Elles se heurtent aussi à des obstacles systémiques : des conditions de vie précaires, en raison desquelles la santé est vue comme secondaire ; de faibles connaissances en santé ; de nombreuses expériences négatives avec le système de soins ; et souvent un isolement social important, des incompréhensions culturelles, une grande méconnaissance de leurs droits ou encore des difficultés d’orientation dans un parcours de soins trop complexe.

Il est crucial de promouvoir des interventions renforçant à la fois les capacités des personnes et l’adaptabilité des services de santé. Il faut aussi agir sur les déterminants sociaux de la santé que sont le droit, le logement, l’emploi et l’éducation, mais aussi lutter contre l’exclusion et les discriminations.

La médiation en santé apparaît prometteuse, innovante et efficace dans la lutte contre les inégalités sociales de santé et les discriminations. Selon la Haute Autorité de santé (HAS), la médiation est une fonction d’interface entre les personnes éloignées du système de santé et les professionnels pouvant répondre à leurs besoins. La HAS la définit aussi comme un processus d’aller vers et de faire avec, dans une logique de renforcement du pouvoir d’agir des individus et des communautés. Pour exercer leur mission, les médiateurs et médiatrices en santé déploient une variété d’activités que la HAS a catégorisées dans son référentiel de compétences, formation et bonnes pratiques publié en octobre 2017.

Dans une logique d’équité en santé, les médiateurs interviennent en complémentarité de tous les autres professionnels. Cependant, en dépit de l’existence d’un cadre légal, de la reconnaissance de l’utilité de la médiation et de la multiplication des textes et des travaux scientifiques sur le sujet ces dernières années, nous ne bénéficions toujours pas d’un statut professionnel nous protégeant. L’inscription de la médiation en santé à l’article 90 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, ainsi que dans le code de la santé publique, n’a pas été suivie par la mise en place d’un cadre statutaire garantissant la reconnaissance et la sécurisation de ce métier. L’absence de référentiel métier, l’absence de positionnement dans les conventions collectives et l’insuffisance de l’offre de certifications professionnelles et de formations qualifiantes affectent les conditions de travail des médiatrices et médiateurs en santé.

C’est la raison pour laquelle le collectif déploie une stratégie de plaidoyer, adressant quatre demandes spécifiques aux pouvoirs publics français : la création d’un référentiel métier avec une place opérationnelle définie dans le système de santé ; la mise en place de formations initiales et continues qui soient qualifiantes et reconnues par l’État ; la garantie d’un soutien et d’un accompagnement professionnel aux médiateurs et médiatrices en santé ; enfin, le financement et le déploiement sur le territoire français de postes à la hauteur des besoins. Ces mesures sont essentielles pour garantir la pérennité du métier, pour sécuriser les professionnels qui l’exercent et, surtout, pour garantir une réponse efficace et humaine aux inégalités d’accès à la santé dans notre pays.

M. le docteur Philippe Bergerot, président de la Ligue contre le cancer. Je vous remercie, au nom de la Ligue contre le cancer, de nous donner la parole sur un sujet aussi vaste que l’organisation du système de soins en France. Notre association, qui a plus de 100 ans d’existence, est présente sur la totalité du territoire métropolitain et ultramarin à travers ses 103 comités départementaux. C’est une fédération apolitique et indépendante, son financement reposant essentiellement sur la générosité du public et sur l’engagement de ses bénévoles et de ses salariés.

Nous avons quatre missions : faire avancer la recherche, prévenir et promouvoir la santé, améliorer la qualité de vie des personnes malades et participer à la démocratie en santé. Au travers de nos actions, nous sommes témoins des difficultés que peuvent rencontrer les personnes, au quotidien, sur l’ensemble du territoire. Nous sommes également membres de France Assos Santé et avons plus de 450 représentants des usagers sur l’ensemble du territoire. Nous avons aussi des patients ressource dont le rôle est de participer à la formation des professionnels de santé et à l’accompagnement des personnes. Ils sont essentiels pour assurer l’information relative à la prévention et au dépistage.

Les gouvernements devraient davantage envisager la prévention comme un investissement que comme un coût. Compte tenu des difficultés à établir des indicateurs, et parce que le budget est logiquement de court terme, les dépenses courantes liées à la prévention sont très faibles en France – de l’ordre de 2 à 2,5 % des dépenses de santé – alors qu’elles atteignent jusqu’à 6 % en Finlande et au Royaume-Uni. Le fait que 40 % des cancers soient évitables souligne la nécessité de la prévention. Il paraît évident que l’insuffisance et le sous-financement des politiques dans ce domaine peuvent expliquer – parmi d’autres causes – la forte augmentation du nombre de cancers en France. Le nombre de nouveaux cas, qui s’établissait à 700 par jour dans les années 2000, a quasiment doublé.

Le dépistage est essentiel pour lutter contre les maladies les plus graves. Outil le plus efficace pour détecter des cancers à un stade précoce, il augmente les chances de survie et réduit les séquelles. Pourtant, comme le montre l’organisation de l’opération Mars bleu, il existe un vrai déficit en la matière : moins de 30 % des personnes en âge de le faire participent au dépistage des cancers colorectaux, alors que ceux-ci sont responsables de plus de 17 000 morts par an. C’est pourtant un dépistage relativement simple à mettre en œuvre.

Il est important que les campagnes de dépistage soient rattachées à l’échelon local, qui est le dernier maillon de la prise en charge. En ce sens, nous avons lancé l’opération de prévention « Ma ville se Ligue », visant à sensibiliser les mairies et à les aider à mettre en place des actions de dépistage en favorisant l’obtention de rendez-vous.

La Ligue a publié un manifeste pour alerter sur un recul des droits. La consultation d’annonce, un dispositif validé par l’Institut national du cancer (Inca) et correspondant à la mesure 40 du premier Plan cancer, permet au patient de recevoir une annonce dans de bonnes conditions, en plusieurs temps : médical, paramédical, soins de support et médecin généraliste, qu’il était important d’associer dans le cadre du virage ambulatoire actuel. Or les études que nous avons menées montrent que cette consultation d’annonce n’est proposée qu’à 60 % des personnes. Cela peut s’expliquer par le fait que le nombre de professionnels de santé au sens large – médecins et infirmiers – n’a pas augmenté dans les mêmes proportions que le nombre de cancers. Le temps passé avec le patient s’en trouve également réduit puisque la consultation d’annonce, qui devait durer quarante-cinq minutes, dure en moyenne moins d’un quart d’heure.

Quant aux soins oncologiques de support, ils sont fondamentaux car ils permettent de réduire les séquelles et favorisent le retour à l’emploi.

Les aidants, enfin, sont essentiels. À l’inverse de ceux qui accompagnent les personnes en situation de handicap, ceux qui accompagnent des patients en cancérologie ne sont pas aidants en permanence : ils peuvent être appelés à jouer un rôle très important pendant quelques jours, après une cure de chimiothérapie par exemple, puis ne plus avoir à intervenir avant quelques jours, voire avant six mois. Le sujet des aidants mérite sans doute d’être travaillé ; nous tenions à le signaler.

M. Gérard Raymond, président de France Assos Santé. France Assos Santé, créée en juillet 2016, est l’union nationale des associations agréées du système de santé instaurée par la loi dite Touraine. Le décret d’application lui donne pour missions de recruter et de former les représentants des usagers, d’être l’interlocuteur des pouvoirs publics pour l’évaluation des textes réglementaires et législatifs concernant la santé et de porter la parole des usagers auprès de la représentation nationale notamment.

France Assos Santé est issue des collectifs associatifs créés au moment de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, dite loi Kouchner, qui instaurait une représentation des usagers de la santé au sein des établissements et des instances de santé. Elle regroupe plus de 100 associations agréées du système de santé : pour moitié des associations dites de patients, mais aussi des associations de consommateurs, de personnes âgées, de familles ou encore liées au handicap. On le voit, la notion d’usager de la santé dépasse largement celle de patient.

Je pense que nous partageons tous le même constat. L’offre de soins ne répond plus aux besoins populationnels : 7 millions de personnes n’ont pas de médecin traitant ; quand on en a un, il faut attendre trois jours pour le voir ; et en cas d’urgence, il faut se débrouiller et se rendre dans un établissement de soins en urgence. L’écart entre l’offre et les besoins entraîne des tensions, dont vous êtes aussi témoins. Les associations de la société civile organisée plaident en permanence pour une transformation du système de santé.

Face à la pénurie de professionnels de santé, en particulier de médecins, une réflexion est menée sur la façon de passer d’une médecine solitaire à une médecine solidaire qui s’appuierait, non pas sur le seul médecin traitant, mais sur une équipe de soins traitante. Celle-ci agirait selon un projet médical en trois axes. Elle aurait une mission de santé publique liée à l’éducation à la santé et à la prévention dans son territoire. Elle veillerait aussi à la mise en place des parcours de soins et de santé pour les patients atteints de pathologies chroniques – chaque médecin en a plus de 100 aujourd’hui –, afin qu’ils soient accompagnés avec bienveillance par une équipe multiprofessionnelle tout en étant acteurs de leur propre santé. Enfin, elle devrait mettre en œuvre une permanence de soins afin de pouvoir répondre aux besoins urgents et non programmés.

France Assos Santé a défendu la mise en œuvre de ces trois axes à plusieurs reprises au cours des auditions auxquelles elle a participé, notamment à l’occasion de travaux sur les textes de loi qui ont enrichi notre système de santé : ceux relatifs aux infirmiers en pratique avancée (IPA) et à d’autres professionnels de santé, mais aussi les propositions de loi du député Garot et du sénateur Mouiller.

Nous croyons nécessaire une transformation profonde du système de santé, sur le plan structurel mais aussi culturel : il faut travailler de façon collective plutôt qu’en silos et adapter le modèle économique. Nous avons fait de nombreuses propositions et réclamons avec force un changement de paradigme avec la mise en place d’équipes traitantes dans les territoires, animées par une véritable volonté de créer du lien entre tous les acteurs, grâce notamment à des logiciels métiers interopérables et à l’utilisation de Mon espace santé.

Mme Marie Amandine Stévenin, présidente de l’UFC-Que choisir. La défense des intérêts des usagers du système de santé est l’une des missions principales de l’UFC-Que choisir de longue date. Nous sommes en effet agréés représentants des usagers de santé depuis 2007 et notre première étude sur le concept de déserts médicaux, qui était pionnier à l’époque, remonte à 2012. Nous l’avons régulièrement actualisée jusqu’à notre dernier coup en 2023, lorsque nous avons été amenés à déposer un recours devant le Conseil d’État pour dénoncer l’inaction de l’État face aux déserts médicaux. Nous sommes donc mobilisés et engagés sur les questions d’accès aux soins et de lutte contre les barrières dans l’accès à la santé. Trois sujets intéressent particulièrement l’UFC-Que choisir : la fracture sanitaire, les barrières financières à l’accès aux soins et le problème de plus en plus prégnant de l’accès sûr et durable aux médicaments.

S’agissant de la fracture sanitaire, je ne vous rappellerai pas les chiffres que nous avons récoltés au fil du temps et que vous connaissez. Notre étude de 2023 se base sur un critère géographique – un trajet de trente minutes maximum jusqu’à un médecin généraliste et de quarante-cinq minutes jusqu’à un spécialiste – et un critère financier – l’accès à un soin relevant du secteur 1 conventionné. Ses résultats sont édifiants : neuf femmes sur dix vivent dans un désert gynécologique et 75 % des enfants dans un désert pédiatrique. Il me semble que ces seuls chiffres suffisent. La situation ne s’arrange pas puisque 69 % des répondants à un sondage que nous avons réalisé en 2024 estiment que leur accès aux soins s’est dégradé au cours des deux dernières années. Une étude que nous publierons prochainement confirme que la densité médicale diminue encore dans les départements qui étaient en difficulté tandis qu’elle se renforce dans ceux qui étaient déjà bien dotés. Il y a donc un véritable creusement des inégalités territoriales en matière d’accès à la santé.

Pour y remédier, l’UFC-Que choisir soutient la mise en œuvre de trois leviers. Le premier est la régulation de la liberté de l’installation des médecins ; nous considérons que cette mesure ne serait pas coercitive dans la mesure où la quasi-totalité du territoire – 90 % – est sous-dotée. Le second levier est la publication de données plus précises que celles dont nous disposons aujourd’hui. Le troisième est la formation de davantage de médecins, car ils ne sont pas assez nombreux.

J’en viens à la barrière financière, qui provoque une fracture économique : les dépassements d’honoraires deviennent un obstacle majeur à l’accès aux soins. Alors que le tarif opposable d’une consultation de gynécologie s’établit à 30 euros, le tarif moyen d’une consultation à Paris atteint 80,50 euros. Les différences sont flagrantes d’un département ou d’une zone à l’autre : les dépassements sont très importants en Île-de-France, en particulier à Paris et dans les Hauts-de-Seine. Il est vrai qu’ils peuvent être pris en charge par les mutuelles, mais rappelons que 2,5 millions de Français en sont dépourvus. En outre, le report de dépenses de santé sur des mutuelles modifie l’appréciation du système de santé et renforce les inégalités, au détriment notamment des plus âgés : le reste à charge d’une mutuelle, pour une personne âgée, est deux à trois plus élevé que pour une personne de 20 à 30 ans. Avec l’explosion des dépassements d’honoraires et de la fracture sanitaire, nous allons au-devant de grandes difficultés d’accès aux soins.

Enfin, je ne peux omettre le sujet des difficultés croissantes d’accès aux médicaments. Elles ont commencé il y a dix ans déjà, en 2014, lorsque l’on s’est mis à trier les patients qui auraient accès à certains traitements dits novateurs, aux coûts excessifs – ce qui me paraît terrible dans une société comme la nôtre. D’après la littérature scientifique, l’explosion du coût de ces traitements est sans lien avec les frais de recherche et de développement, donc avec le coût véritable du médicament. En outre, ces traitements rendent inintéressants des médicaments qui paraissent un peu dépassés, que l’on cesse de fabriquer en France et qui ne sont donc plus produits que dans quelques usines à l’étranger. Cela provoque des pénuries, comme on a pu le constater lors de la crise du covid : c’est un véritable problème.

M. Serge WIDAWSKI, directeur général d’APF France handicap. Je vous remercie de m’avoir convié au nom notre association, anciennement l’Association des paralysés de France, qui a changé de nom en 2018 pour couvrir tous les types de handicap. Créée en 1933, elle a vocation à défendre les droits des personnes en situation de handicap et de leurs familles. Nous nous battons contre les discriminations et les préjugés dont elles sont victimes et les accompagnons au quotidien au travers de nos 478 établissements médico-sociaux. Nous comptons 17 500 adhérents, accompagnons 35 000 personnes et employons environ 15 000 salariés.

Je viens aujourd’hui vous alerter : le constat qui vous est présenté depuis tout à l’heure, déjà très grave, l’est davantage encore pour les personnes en situation de handicap. Leur accès aux soins est en effet très largement insuffisant, ce qui a des conséquences très lourdes sur leur santé et sur leur vie. Ce constat a été corroboré il y a quelques jours par le rapport de la Défenseure des droits, « Prévenir les discriminations dans les parcours de soins : un enjeu d’égalité ». Les personnes en situation de handicap accèdent moins à la prévention et au dépistage que la population générale. Dans le domaine du cancer, les tumeurs diagnostiquées sont deux fois plus grosses chez elles que chez les personnes valides. Les personnes handicapées ont un recours effectif aux soins inférieur à celui de l’ensemble de la population alors qu’elles ont des besoins largement supérieurs. Le moindre accès à la prévention et au dépistage entraîne des ruptures dans les parcours de santé, des reports, des renoncements aux soins et des pertes de chances insupportables. En conséquence, les personnes en situation de handicap ont un état de santé fortement dégradé. Elles sont 54 % à se déclarer en mauvais ou très mauvais état de santé, contre 7 % de la population générale – et ce chiffre est en hausse constante.

Trois facteurs majeurs expliquent ce constat. D’abord, les systèmes de santé sont structurellement inaccessibles, à tous les niveaux. Ensuite, la désertification médicale est un facteur aggravant. Enfin, la crise des métiers de l’aide humaine occasionne des mises en danger à domicile. Sur ce sujet précisément, nous avons déposé une saisine avec AFM-Téléthon en octobre 2023. Cette crise de l’aide humaine est aggravée par la crise des professionnels de soins. Certains de nos adhérents doivent appeler des dizaines de cabinets avant de trouver une infirmière ou un kinésithérapeute intervenant à domicile. Des soins de nursing sont très souvent refusés car jugés peu rentables ou trop chronophages : ce sont les aidants ou les auxiliaires de vie, non formés pour la plupart, qui doivent les assurer, avec les risques que cela comporte. Dans nos propres établissements, les tensions sont extrêmement fortes. Depuis un certain nombre d’années, 19 % des postes de médecins, 14 % des postes de psychologues, 11 % des postes de rééducateurs et 10 % des postes d’infirmiers sont vacants. Pour certains postes – d’infirmiers, par exemple – nous pouvons nous tourner vers l’intérim mais pour d’autres cela n’est pas possible et nous ne pouvons pas non plus recourir aux libéraux. Ces manques limitent les actions de prévention, fragilisent les parcours de soins et accroissent le recours aux urgences, ainsi que des hospitalisations qui étaient évitables.

Face à cette réalité, nous formulons des propositions concrètes. D’abord, sur le plan de l’information, il faut permettre aux personnes en situation de handicap d’être actrices de leur santé. Cela passe donc par l’instauration d’outils accessibles et la promotion d’une éducation thérapeutique.

Le projet en matière d’accès à l’information qui nous tient à cœur est la promotion et le peuplement de l’annuaire de l’accessibilité des cabinets médicaux et paramédicaux. Nous le soutenons en partenariat avec le ministère de la santé et de l’accès aux soins via sante.fr. Cet annuaire détaille de façon fine les informations relatives à l’accessibilité universelle des cabinets et permet ainsi de trouver près de chez soi un praticien répondant à des besoins spécifiques. Nous avons besoin de l’engagement de tous les professionnels pour faire vivre cet annuaire. Après plusieurs années de lancement, seuls 10 % des cabinets ont renseigné l’annuaire.

Par ailleurs il convient de renforcer la formation des professionnels. Nous proposons d’intégrer systématiquement dans les cursus initiaux des modules sur le handicap, coconstruits et coanimés avec les personnes concernées, qui comporteraient des stages dans des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS).

Ensuite, il faut améliorer l’accessibilité physique et numérique des lieux et des services de santé. Cela implique une relance et une meilleure promotion du fonds territorial d’accessibilité, ainsi que la définition de normes relatives au mobilier médical et l’application de sanctions si les normes d’accessibilité ne sont pas respectées.

Il faut aussi repenser l’organisation des parcours de santé. Nous espérons que les futurs services publics départementaux de l’autonomie deviennent bien des chefs de file en matière de coordination des parcours. Cela permettrait d’avoir une approche globale, une meilleure articulation entre les acteurs, et de réaliser des économies de moyens. Les consultations dédiées, comme celles proposées dans le cadre du dispositif Handiconsult, doivent être développées mais ciblées sur les seules personnes ayant des besoins très importants et qui ont échoué à accéder aux soins en milieu ordinaire. Il nous faut absolument garantir le respect du principe de subsidiarité. Ces consultations spécialisées ne doivent pas devenir le seul recours, mais compléter une offre de droit commun qui doit devenir réellement « inclusiverselle ».

Un autre chantier majeur est celui de l’aide humaine. Nous réclamons un Grenelle de l’aide humaine. Sans aide humaine de qualité, il n’y a pas de prévention efficace, ni d’accès aux soins, ni d’autonomie.

Enfin, les transports sanitaires sont souvent inadaptés, mal remboursés ou impossibles à mobiliser pour certains actes. Par exemple, la récente mise en place du transport médical partagé est une aberration s’agissant des personnes en situation de handicap, notamment en période post-covid. Elle méconnaît complètement les réalités du terrain.

En conclusion, nous constatons un écart entre le besoin de soins et l’accès à ceux-ci : les personnes en situation de handicap ont plus besoin de soins, mais elles y ont moins accès. Il est temps que notre système de santé tienne compte de cette réalité. L’égalité d’accès aux soins est une exigence constitutionnelle, elle doit devenir une réalité concrète. Nous sommes prêts, avec les personnes concernées, à travailler avec les professionnels et les institutions pour bâtir une société où chacun a droit à la santé dans la dignité, sans discrimination.

Mme Michèle Leflon, présidente de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité. Nous sommes nés il y a vingt ans, autour de luttes contre des fermetures de services dans les hôpitaux. Depuis, nous nous occupons très largement de tout ce qui concerne l’accès aux soins, que ce soit au niveau géographique ou financier.

Nous sommes agréés par le ministère de la santé et de l’accès aux soins pour représenter les usagers, mais nous avons la particularité de n’être ni une association de malades ni une association de consommateurs, mais une association de simples citoyens qui rassemble aussi des personnels de santé et des élus dans ses différents comités. C’est ce qui nous permet de formuler plusieurs propositions dépassant les désaccords que peuvent avoir les usagers et les personnels de santé, par exemple.

Les actions menées à Saint-Affrique par le collectif Tous ensemble, qui fait partie de la Coordination, illustrent bien ce qu’elle fait. Vous devez également connaître la démarche entreprise à Remiremont.

Je ne reviendrai pas sur la situation actuelle, qui est dramatique. Le système de santé est étranglé financièrement. Lors des débats sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2025, certains d’entre vous avaient fait des propositions pour améliorer les recettes de la sécurité sociale. Augmenter les dépenses de santé nous paraît nécessaire : prodiguer des soins plus précocement permettrait de réaliser des économies. S’il y avait plus de médecins du travail et plus de médecins scolaires, les dépenses de santé diminueraient d’ici à quelques années.

Par ailleurs, les hôpitaux qui n’ont pas les moyens d’investir sont obligés de recourir à des partenariats public-privé en s’appuyant sur le secteur privé qui ne participe pas bénévolement. Cela entraîne donc des dépenses supplémentaires pour la sécurité sociale et les patients – dépassements d’honoraires, frais administratifs.

Notre première proposition c’est : le service public avant tout. Le secteur privé trouve plus facilement des médecins. Nous proposons donc une convergence des revenus entre d’une part, les médecins libéraux et les médecins salariés et, d’autre part, entre les différentes spécialités – cette idée a été évoquée par Mme Rist au cours d’une audition.

La permanence des soins, qui suscite des débats, recouvre tant la permanence des soins ambulatoires que celle des soins spécialisés auxquels participe peu le secteur privé. Est-ce aux structures ou aux médecins de participer ? On constate que s’ouvrent de plus en plus de centres de soins non programmés au sein desquels exercent des médecins urgentistes qui ont quitté l’hôpital public. Ils ne travaillent pas le dimanche et finissent leur journée plus tôt qu’à l’hôpital. Les médecins urgentistes pourraient donc aider leurs collègues de l’hôpital public en leur reprenant des gardes. Cela éviterait la situation catastrophique dans laquelle nous sommes.

Deuxième proposition, il faut former l’ensemble des professionnels de santé et les salarier durant leurs études, cela favoriserait la démocratisation de la santé. La proposition de loi de Guillaume Garot visant à lutter contre les déserts médicaux, d’initiative transpartisane va dans le bon sens. Nous ne comprenons pas pourquoi la situation des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) met autant de temps à être réglée : nous en avons besoin.

Troisième proposition, il faut démocratiser le système de santé, sur le modèle de nos comités : il est intéressant de mélanger des élus, des personnels de santé et des usagers. Ils pourraient ainsi formuler des propositions en faveur des territoires. Les élus, les professionnels de santé et leurs organisations syndicales, ainsi que les représentants des usagers dans les territoires doivent non seulement être entendus, mais également détenir un vrai pouvoir de décision, assorti de moyens. Aujourd’hui, les agences régionales de santé (ARS) nous écoutent mais ne nous entendent pas ; elles sont très décriées. Cela étant, elles ont un rôle technique et pourraient contribuer à améliorer la démocratie de proximité, puis la démocratie régionale et nationale.

Enfin, quatrième proposition, nous avons besoin d’un service public territorial de soins de premier recours. L’État doit s’engager à créer des centres de santé dans l’ensemble des territoires. Nous assistons à une concurrence entre les territoires pour recruter des médecins.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. En raison de la nature différente des associations que vous représentez, les questions que je poserai vous concerneront directement ou indirectement. En y répondant, chacun d’entre vous pourra apporter sa pierre à l’édifice.

En tant que représentants des usagers, vous disposez d’une expertise en matière de santé. Vous êtes bien au fait du manque criant de médecins qui est le principal problème constaté sur tous les territoires – 90 % du territoire français est considéré comme un désert médical. Or il faut plusieurs années pour former un médecin. Alors que dans les années 1970, on en a formé 8 000 par an, entre 1983 et 2003, on en a formé environ 4 000. Ce chiffre est désormais en augmentation : cette année, on dénombre 12 000 étudiants en deuxième année de médecine et l’objectif est d’atteindre 16 000 d’ici à 2027. De fait – et si on met de côté le changement de mentalité des jeunes médecins en ce qui concerne les heures de travail –, le nombre de médecins par habitant devrait être plus satisfaisant. Pourriez-vous proposer des solutions à court terme pour améliorer l’efficacité du service rendu à nos concitoyens ? Les actions entreprises depuis plusieurs années s’avèrent insuffisantes.

Monsieur le président de la Ligue contre le cancer, quels sont vos liens avec Unicancer ? Considérez-vous qu’il existe une différence de prise en charge des malades atteints de cancer entre le public et le privé ? Par ailleurs, le nombre de soins à domicile, notamment dispensés dans le cadre d’un traitement contre le cancer, est amené à augmenter.

Monsieur le directeur général d’APF France handicap, comment pourrait-on renforcer les dispositions préventives à destination des personnes en situation de handicap ?

S’agissant du proche aidant, deux lois successives, adoptées en 2018 et en 2019, avaient contribué à une meilleure reconnaissance de leur statut. Toutefois, comment pourrait-on améliorer la formation en santé des proches aidants ? Cette question générale s’adresse à chacun d’entre vous.

Madame Marchetti, vous avez vanté les mérites de la médiation en santé. En effet, la médiation a souvent des effets positifs. Disposeriez-vous d’une évaluation chiffrée de ses bénéfices pour la santé publique ?

Depuis quelques années, le nombre de médecins diplômés augmente. Madame la présidente de l’UFC-Que choisir, combien de médecins est-il nécessaire de former pour rattraper notre retard ?

Madame la présidente de la Coordination nationale des comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité, pourriez-vous préciser votre pensée s’agissant des partenariats public-privé ? Dans le domaine de la santé, le public et le privé ne travaillent pas de la même manière. En particulier, la permanence de soins n’est pas assurée de la même manière. Je connais bien la maternité d’Épinal, qui a été transférée de la clinique La Ligne bleue à l’hôpital public, dans le cadre d’une coopération entre le public et le privé.

M. Philippe Bergerot. Unicancer traite environ 25 % des patients atteints de cancer. Les patients sont répartis entre les hôpitaux généraux, les centres hospitaliers universitaires (CHU) et les établissements du secteur privé qui disposent d’unités de chirurgie, de radiothérapie ou d’oncologie médicale. Les CHU et les centres anticancéreux disposent de davantage d’unités d’hématologie que le secteur privé.

La Ligue accompagne tous les malades, quelle que soit la structure où ils sont traités. Nous avons également signé des conventions avec les fédérations. L’année dernière, nous avons signé une convention avec Unicancer ; la semaine prochaine, nous en signerons une avec la Fédération hospitalière de France (FHF) et une autre avec la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP). Ce qui nous importe, c’est de connaître le parcours de soins des patients au sein de ces structures.

Toutes les régions ne disposent pas d’un centre de lutte contre le cancer, qui relève d’Unicancer – deux régions en sont dépourvues, dont la région Centre-Val de Loire.

Les patients atteints de cancer sont pris en charge dans plusieurs établissements. En effet, certains centres de lutte contre le cancer ne pratiquent pas l’ensemble des actes chirurgicaux : tous les centres de lutte contre le cancer réalisent les actes chirurgicaux liés au cancer du sein, alors que seuls certains réaliseront des actes de chirurgie digestive.

 En France, il existe une spécificité : les traitements contre le cancer sont soumis à un régime d’autorisation – c’est un élément très important. Les patients y sont très sensibles. Ce régime a évolué : auparavant, un établissement était autorisé à traiter les cancers du sein dès qu’il réalisait trente actes de chirurgie oncologique mammaire ; désormais, soixante-dix actes sont nécessaires. Nous considérons que cette réforme est insuffisante. En effet, les autorisations sont délivrées à un établissement et non à une personne. Or dans des établissements publics, plusieurs chirurgiens risquent d’intervenir alors que dans un établissement privé, une seule personne réalisera l’acte. Dans le cadre de la cancérologie, le geste chirurgical, quand il doit être réalisé précocement, est un facteur essentiel dans le cadre du pronostic. C’est vrai tant pour le cancer du sein que pour celui du poumon ou de l’ovaire. On sait que plus la personne a l’habitude de faire ces gestes, plus elle sera performante. Il est donc essentiel de réfléchir à ces seuils, qui ont été validés par les ARS. Par ailleurs, il existe également des seuils s’appliquant à la chimiothérapie et à la radiothérapie.

 Avec la Fédération des centres de lutte contre le cancer, la FHF et le syndicat national des radiothérapeutes oncologues, nous sommes en train de réaliser une étude sur la radiothérapie – nous en avons réalisé très peu sur ce traitement, alors que nous en avons mené de nombreuses concernant la chimiothérapie, notamment à propos du prix des médicaments.

 Au mois de septembre, nous pourrons vous communiquer, pour la radiothérapie, des données relatives à la qualité des soins, qui dépend des critères d’autorisation, et au ressenti des patients. Le problème de ce traitement est qu’il nécessite de nombreux déplacements. En France, l’objectif était que les centres de radiothérapie se trouvent à moins de 60 kilomètres du lieu de résidence du patient car il doit subir plus de trente séances. Du reste, le nombre de séances est en train d’être réduit.

Dans le cadre du cancer du sein, les soins de support, en particulier l’activité physique adaptée, permettent de réduire de 20 % le risque de récidive et améliorent le taux de survie de 20 % lorsqu’ils sont réalisés dans de bonnes conditions. Si un laboratoire proposait un médicament qui améliorerait le taux de survie de 20 %, comment serait-il pris en charge ? L’activité physique, tout comme la prise en charge psychologique et l’accompagnement au retour à l’emploi ne coûtent pas grand-chose. Or leur prise en charge est éclatée.

Les réseaux de cancérologie essaient de garantir des soins de qualité et de proximité. Il existe un enjeu important dans le cadre des essais thérapeutiques car ils ne sont pas réalisés partout ; ils le sont principalement dans les centres anticancéreux et les CHU – certaines cliniques privées les effectuent également. Il est très important d’établir un annuaire des établissements procédant à des essais thérapeutiques par région, pour garantir une meilleure organisation. Il est vrai que les plans cancer ont permis d’améliorer la collaboration entre les établissements. Notre objectif est que les patients soient traités partout avec la même qualité de soins.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Avez-vous noté une différence significative entre le privé et le public ?

M. Philippe Bergerot. Il n’y a pas de différence significative, à condition de respecter les seuils ainsi qu’un certain nombre de critères.

M. le président Jean-François Roussel. Le seuil correspond au nombre de patients opérés par an. Si un chirurgien opère soixante cancers du sein, on considère qu’il a dépassé le seuil. Si ce chirurgien n’en opère que quarante, on l’estimera incompétent.

Si dans une équipe, quatre chirurgiens opèrent soixante-quatre cancers, cela veut dire que chacun peut réaliser seize opérations. C’est bien le problème des seuils.

M. Philippe Bergerot. Le problème est que le seuil est fixé par établissement et non par médecin. Vous prêchez un convaincu.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je l’ai dit en préambule, j’ai posé trois questions qui s’adressaient à vous tous. France Assos santé est la seule association dont nous avons rencontré un représentant lors de notre premier déplacement, à l’occasion duquel nous nous sommes rendus au CHU de Nancy, aux hôpitaux d’Épinal, de Remiremont et au centre hospitalier Ravenel.

M. Gérard Raymond. S’agissant de la formation des médecins, il faut trouver des solutions entre le court et le moyen terme. L’augmentation significative du nombre de médecins dans dix ans résoudra-t-elle le problème ? La solution n’est pas simplement mathématique. Les besoins seront différents. La population est répartie différemment. Sans une vision beaucoup plus globale de l’organisation et de la transformation des métiers, il sera difficile de répondre à la demande par une offre d’un niveau homogène.

Il est important d’augmenter le nombre de professionnels de santé. D’autres professionnels de santé sont tout aussi indispensables que le médecin traitant libéral pour apporter une réponse en matière de prévention en santé et de soins.

Premièrement, il faut lancer une microrégulation pour améliorer la répartition des professionnels de santé sur le territoire. En période de tension et de difficulté, tout le monde doit faire des efforts alors que, curieusement, c’est aux usagers de la santé qu’on demande d’en faire en les responsabilisant et, le plus souvent, en les culpabilisant. L’ensemble des professionnels de santé, qui ont prêté le serment d’Hippocrate de soigner et de rendre service aux gens, doivent également accomplir ce petit effort. On le leur rendra financièrement.

C’est pourquoi nous soutenons les propositions de loi en cours d’examen au Parlement, que ce soit celle de Guillaume Garot ou la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins dans les territoires de Philippe Mouiller – celle-ci prévoit un dispositif de solidarité consistant en deux jours de consultation par mois dans les déserts médicaux. Ces textes vont dans le bon sens.

Deuxièmement, il faut rétablir l’obligation de permanence des soins qui ne répond plus aux besoins ni aux engagements pris. Pourquoi demander beaucoup à peu lorsque l’on peut demander peu à beaucoup ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Cette obligation doit-elle s’imposer à tous les médecins ?

M. Gérard Raymond. Oui, ils ont prêté le serment d’Hippocrate, ils ont pris l’engagement de soigner. On ne les prend pas en traître, ils ont eu le temps d’y réfléchir. Lorsqu’ils seront plus nombreux, ces mesures pourront être assouplies.

Troisièmement, il faut libérer du temps médical pour les médecins, dans le cadre d’un partage de compétences avec d’autres professionnels de santé dont chacun tirerait profit. Comment travailler en équipe dans un territoire ? On parle trop peu des professionnels de santé qui sont en première ligne, que ce soit les infirmières et les infirmières en pratique avancée, les pharmaciens ou les biologistes. Il conviendrait de créer une dynamique pour répondre aux besoins des usagers, y compris en dehors du parcours de soins. Cette mesure pourrait s’accompagner du développement de la télémédecine, de manière encadrée, pour améliorer l’accès aux soins et apporter une réponse aux besoins d’urgence.

Dans ce contexte, il faut revoir le modèle économique et le financement de ces actions. Nous considérons que la tarification à l’acte n’est pas le dispositif le plus efficient ni le plus efficace dans le cadre d’une vision collective de la prise en charge, notamment des pathologies chroniques.

Mme Claudia Marchetti. Je ne dispose pas de chiffres mesurant l’impact de la médiation sur la santé publique, nous évaluons la qualité de l’accès aux soins des personnes que nous accompagnons. La médiation implique de la constance et nécessite d’établir un lien de confiance avec ces personnes.

La crise du covid nous a permis de démontrer l’importance des médiateurs et médiatrices en santé, qui étaient en première ligne. Cela nous a permis de témoigner et d’alerter très rapidement sur les cas de covid, d’éviter des clusters, de mettre en place des systèmes de tracing.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Combien de personnes accompagnez-vous ?

Mme Claudia Marchetti. Le nombre de personnes varie selon les médiateurs. Nous travaillons dans des structures complètement différentes, avec des publics complètement différents. Soit nous accompagnons un type de public, soit nous accompagnons des personnes, en fonction de leur pathologie. Nous pouvons exercer dans une association, dans un hôpital ou dans un centre de santé.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Les données ne sont pas centralisées ?

Mme Claudia Marchetti. Non, pas de manière globale. À Marseille, je travaille dans la rue, avec des personnes précaires, qui vivent dans des squats ou des bidonvilles. J’accompagne entre 200 et 700 personnes pendant l’année, en faisant le lien avec les professionnels de santé et en favorisation la prévention, l’inclusion et le maintien dans le parcours de soins. Cela permet d’éviter l’aggravation de certaines pathologies et maladies chroniques, qui, si elles ne sont pas traitées à temps, sont beaucoup plus coûteuses à prendre en charge.

Mme Marie-Amandine Stevenin. Il est difficile de déterminer combien de médecins seraient nécessaires. Cela dépend de ce que l’on définit comme un bon niveau de traitement.

À l’heure actuelle, les zones sont classées comme surdotées ou sous-dotées selon que la densité médicale y est supérieure ou inférieure à la moyenne nationale. Or même les patients des zones surdotées qui ont un médecin traitant doivent attendre au moins trois jours avant d’obtenir un rendez-vous avec lui, ce qui, dans certains cas, est trop long. Les difficultés d’accès sont également d’ordre financier – si certains ont accès à un médecin, c’est parce qu’ils ont une bonne mutuelle, qu’ils ont les moyens d’y souscrire et de payer le déplacement. Je ne peux donc vous dire combien de médecins, spécialistes ou non, seraient nécessaires pour que tout aille bien.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je ne demande pas que tout aille bien. Ce ne sont pas mes mots !

Mme Marie-Amandine Stevenin. C’est ce que j’entends.

Quoi qu’il en soit, la situation est grave et continue de s’aggraver. L’accroissement du nombre d’étudiants en médecine, dont nous ne sommes pas certains qu’il est suffisant, ne permettra au mieux de débloquer la situation que dans cinq ou dix ans. C’est maintenant qu’il faut prendre la seule solution envisageable à court terme : la régulation de l’installation des médecins. Sans une telle mesure, nous n’avons pas de garantie que l’augmentation du nombre de médecins suffira à supprimer tous les déserts médicaux.

De fait, il est plus confortable de travailler dans certaines zones que dans d’autres. Imaginons une ville où deux ou trois médecins suffisent à assurer une bonne médecine de ville. Que l’un d’entre eux parte à la retraite et c’est la catastrophe : ses collègues ne veulent pas récupérer sa patientèle parce qu’ils n’ont pas le temps. Et nous ne pouvons pas demander à tout le monde de s’épuiser au travail. Un cercle vicieux s’enclenche.

Même si nous augmentons le nombre de médecins, il faut également réguler, dès maintenant, l’installation des médecins. Nous ne voyons pas d’autre solution.

M. Philippe Bergerot. Par-delà la question du nombre de médecins, la notion d’équipe est très importante. Par exemple, nous nous apercevons que nous pourrions tout à fait accroître le rôle des infirmières en pratique avancée (IPA) dans un domaine important, celui de la prévention. Or ces professionnelles, dont le statut se développe, sont formées beaucoup plus rapidement que les médecins.

Un chiffre m’avait frappé, dans le cadre de la formation que nous délivrons avec les patients ressource auprès des professionnels de santé : 30 % des infirmières en formation arrêtent l’exercice de ce métier au bout de cinq ans.

M. le président Jean-François Rousset. Et 10 % des étudiants en soins infirmiers abandonnent leurs études en première année.

M. Philippe Bergerot. Oui, il est inquiétant de savoir que les professionnels que nous formons abandonneront leur métier très rapidement.

Le diplôme d’infirmière en pratique avancée permet à des infirmières avec une certaine expérience d’avancer professionnellement. Or, alors que nous en parlons depuis vingt ans, nous n’avançons qu’à petits pas sur cette question.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Hier, nous avons auditionné les représentants des infirmiers libéraux, qui ont abordé la question de la coordination avec la médecine de ville.

M. Philippe Bergerot. Alors ça va. Je suis médecin, mais je défends les infirmières ! Nous nous sommes rendu compte du rôle qu’elles pouvaient jouer pour les annonces médicales en cancérologie, mais aussi comme interface avec la ville et l’hôpital. Cette fonction, qui était assignée aux infirmières de coordination dans les services hospitaliers, est d’autant plus importante que les patients séjournent de moins en moins à l’hôpital et que les traitements sont de plus en plus courts. De même, les pharmaciens jouent un rôle extrêmement important dans la prise en charge du cancer, à côté du médecin traitant.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Notamment dans le secteur libéral, il faut développer le statut d’infirmière en pratique avancée et permettre à ces professionnelles de gagner en autonomie par rapport aux médecins.

M. Philippe Bergerot. Tout à fait. Il faut également mentionner les maisons médicales, qui sont très importantes.

M. le président Jean-François Rousset. Nous avons récemment adopté la proposition de loi sur la profession d’infirmier, qui permettra un transfert de compétences. Notre pays compte une infirmière libérale ou un infirmier libéral pour près de 500 habitants. Ces professionnels constituent donc le premier contact disponible. Il faut les faire monter en compétence.

Mme Michèle Leflon. Nous vous avons transmis notre plan d’urgence pour les professionnels de santé et notre plaquette sur le service public territorial de soins de premier recours.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Et une fois par semaine, vous faites une publication pour nous donner l’écho des comités locaux.

Mme Michèle Leflon. Tout à fait ! Je vois que vous les lisez. Il faut s’efforcer de garder les professionnels à l’hôpital. Beaucoup d’entre eux s’en vont pour faire autre chose, à cause du profond malaise dans les hôpitaux – je ne sais pas si vous comptez auditionner les syndicats de la fonction publique hospitalière ?

Les personnels ont l’impression de ne plus faire ce qui correspond à leur éthique. La pression pour assurer la rentabilité de l’hôpital leur est insupportable. Les hôpitaux développent le travail par tranches de douze heures, pour réduire les coûts. Ces horaires sont très bons pour les jeunes, mais ils s’épuisent. Aussi, au bout de cinq ans, les professionnels s’en vont. Il y aurait beaucoup à faire pour les garder.

Le travail en équipe est important. C’est la raison pour laquelle nous insistons sur l’importance d’un service public territorial de soins de premier recours structuré autour de centres de santé. Un tel système permettrait de développer largement le rôle des infirmières en pratique avancée. Celles-ci refuseront de s’installer dans des territoires dépourvus de médecin si c’est pour exercer toutes seules, depuis leur domicile, en premier recours. En revanche, si elles sont intégrées dans une équipe, si elles connaissent étroitement les médecins, si les médecins savent pour quelles tâches ils peuvent leur faire confiance, et pour quelles autres elles doivent être aidées, nous pourrons mettre au jour de vraies complémentarités.

Il faut que l’État s’implique, pour garantir l’égalité républicaine du statut des personnels et l’égale répartition des personnels sur le territoire – sinon, les collectivités continueront de se battre entre elles pour obtenir des médecins.

J’en profite pour répondre à votre question concernant les partenariats public-privé, monsieur le rapporteur. C’est parce que les hôpitaux sont en déficit qu’ils doivent passer par de tels partenariats pour acheter un appareil d’IRM (imagerie par résonance magnétique) ou un scanner. L’Académie nationale de médecine a alerté sur les enjeux éthiques. Si le secteur privé se propose d’investir, c’est pour en tirer profit.

Si de nombreuses maternités, comme celle de Remiremont, sont passées dans le secteur public, c’est parce que cette activité n’est pas rentable. Des maternités privées sont en cours de fermeture, à Versailles et dans le Midi, à Ganges.

La Cnam (Caisse nationale de l’assurance maladie), dans son rapport Charges et produits pour 2024, avait proposé la création d’un observatoire de la financiarisation du système de santé, car elle a noté le développement de cette tendance, à son détriment. Il serait important d’appréhender ces questions. Messieurs les parlementaires, peut-être pouvez-vous faire quelque chose pour réaliser le vœu de la Cnam ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Concernant les IPA, le problème est aussi celui de la rémunération. Le diplôme d’IDE (infirmier diplômé d’État) s’obtient à bac + 3. L’investissement que représentent les deux années d’études supplémentaires pour devenir IPA n’est pas suffisamment valorisé.

C’est la maternité d’Épinal qui est concernée par un partenariat public privé. La maternité de Remiremont est toujours ouverte. Simplement, elle ne bénéficie que de 1,6 ETP (équivalent temps plein) de pédiatre, alors qu’il en faudrait cinq pour qu’elle tourne normalement. Les effectifs de gynécologues et de personnels paramédicaux, eux, sont suffisants.

Vous évoquez les pressions subies par le personnel hospitalier. Je l’ai constaté durant les auditions, mais aussi durant mes nombreux déplacements – j’ai des contacts toutes les semaines ou toutes les deux semaines avec les personnels des hôpitaux de Remiremont et d’Épinal –, la pression est liée à la financiarisation, au souci de rentabilité, mais aussi au changement de mentalité des patients, qui font parfois preuve d’une agressivité encore inconnue il y a quelques années. Tous les personnels nous en font part. Enfin, certains rassemblements d’usagers, quoiqu’animés d’une bonne intention, celle de soutenir l’hôpital, placent les personnels sous pression et ont un effet contre-productif quand ils se répètent régulièrement. Les pressions sont donc multiples.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). La semaine dernière, les représentants des ARS nous assuraient que tout allait bien. Vos propos sont très différents.

Vous avez tous constaté le manque des moyens alloués dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Avez-vous chiffré les moyens nécessaires dans vos domaines respectifs ? Avez-vous alerté sur le manque de moyens ? Quelle réponse avez-vous obtenue, notamment de la part des ARS ?

Madame Leflon, 75 % des maternités ont été fermées en cinquante ans et les fermetures continuent. Le rapport de l’Académie nationale de médecine préconise la fermeture de 111 maternités supplémentaires – toutes celles qui réalisent moins de 1 000 accouchements par an. De nombreux comités de défense des maternités se sont constitués. Avez-vous étudié les conséquences des fermetures de maternité sur la santé des femmes et des enfants ?

M. Serge Widaski. APF France handicap vient de lancer un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) pour la première fois, en quatre-vingt-dix ans d’histoire. En effet, nous n’avons pas bénéficié des deux Ségur de la santé et l’inflation n’a pas été compensée. Pour vous donner une indication de la gravité de la situation, pour la première fois, nous attaquons en justice les ARS. Et encore, je n’évoque pas les transformations de l’offre de service qui nous sont demandées.

Je ne dirai pas mieux que Mme Leflon ou que M. Raymond – nous sommes d’ailleurs membres de France Assos santé. Soulignons toutefois qu’il faut libérer du temps médical. Les professionnels passent plus de temps devant leur ordinateur qu’à accompagner les patients. Pour y remédier, il faut accélérer l’utilisation des technologies, notamment de l’intelligence artificielle.

Par ailleurs, nous soutenons l’expérimentation Soignons humain, menée au titre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. Celle-ci permet de rémunérer les infirmiers non pas à l’acte, mais selon le temps passé auprès des patients. Cette évolution capitale redonne du sens au métier et apporte une réponse à la question de fond de son attractivité.

Dans le domaine du handicap, il existe des solutions permettant des gains rapides en matière de prévention, notamment l’intégration du handicap dans la stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat. Actuellement, celle-ci n’évoque absolument pas le handicap.

Nous pourrions également développer l’éducation alimentaire dès le plus jeune âge, ne serait-ce que dans les ESMS – actuellement, elle n’y est pas proposée. Nous préconisons enfin le développement du sport sur ordonnance remboursé, par exemple pour les personnes en situation de handicap. On le sait, le sport joue un rôle majeur de prévention.

Il s’agit là de mesurettes – même si elles peuvent avoir des effets multiplicateurs intéressants. La question de fond, la première question, est celle de l’accessibilité des lieux de soins pour les personnes en situation de handicap. Par exemple, dans la très grande majorité des cas, les patientes doivent se tenir debout pendant une mammographie. Les solutions pour les personnes en fauteuil, qui existent, ne sont pas forcément connues. Des personnes en situation de handicap doivent donc faire des centaines de kilomètres pour les trouver et, parfois, n’en trouvent pas.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Et concernant la formation des aidants ?

M. Serge Widaski. Pour nous, les aidants ne doivent pas se substituer aux professionnels. C’est un combat d’APF France handicap : nous sommes pour la solidarité nationale avant la solidarité familiale.

Nous nous battons pour la reconnaissance des aidants et des aidantes et l’amélioration de leurs droits. Nous voulons garantir le libre choix de devenir ou non aidant – souvent, ce rôle n’est pas choisi. Il faudrait développer des réponses de proximité de qualité.

Il existe des formations techniques d’aidants, qui pourraient être déployées pour ceux qui accompagnent les personnes en situation de handicap, mais ce n’est donc pas le fond du sujet.

Mme Michèle Leflon. S’agissant des maternités, les textes rédigés par des professionnels – le rapport « Planification d’une politique en matière de périnatalité en France » de l’Académie nationale de médecine, par exemple – n’envisagent la sécurité des femmes que de manière partielle, c’est-à-dire entre le moment où elles arrivent à la maternité et celui où elles en sortent. De fait, lors des accouchements, les professionnels veulent avoir tout l’équipement possible, pour faire face aux complications. Or les femmes qui résident loin des grandes maternités bien équipées renoncent parfois à s’y rendre en cas d’incident, à cause de la longueur du trajet. Mais parfois, l’incident indique quelque chose de grave.

La sécurité doit être considérée tout au long de la grossesse et après la naissance. Même si les facteurs de l’augmentation actuelle de la mortalité néonatale sont multiples, la fermeture de maternités doit certainement être prise en compte. L’étude « Temps d’accès aux maternités bourguignonnes et indicateurs de santé périnatale », menée par Evelyne Combier, que nous pouvons vous fournir, témoigne des difficultés posées par l’éloignement des maternités.

M. Gérard Raymond. Si tout va bien pour les ARS, c’est parfait ! Mais enfin, ne tirons pas sur une ambulance… Nos délégations entretiennent des contacts réguliers avec toutes les ARS, notamment parce que nous sommes des interlocuteurs des représentations citoyennes prévues par ces agences. Depuis qu’elles ont été créées, le service de la démocratie en santé est tantôt à temps complet, tantôt à mi-temps. L’investissement en la matière fait défaut et les responsables de certaines ARS ne comprennent pas que nos concitoyens veuillent participer à l’organisation des soins et à l’évaluation de leur qualité.

Nous avons nous-même créé un annuaire des représentants des usagers, que nous actualisons. Cet outil a été très utile à certaines ARS, qui en avaient besoin dans leur ressort. Nous avons créé un groupe de travail avec la DGOS (direction générale de l’offre de soins) pour développer les échanges entre France Assos santé et les délégations des ARS sur ces sujets.

J’en profite pour vous alerter. Quand vous prévoyez une représentation citoyenne dans les textes de loi, il faut préciser que celle-ci doit être agréée. À défaut, elle risque de ne pas être suffisamment représentative.

M. Philippe Bergerot. Les usagers sont également représentés dans les commissions dédiées à la prévention mais, malgré nos efforts, la prévention reste un parent pauvre en cancérologie.

À la fin du mois aura lieu la journée mondiale sans tabac. Le programme national de lutte contre le tabac 2023-2027 prévoyait notamment la généralisation des espaces publics sans tabac, mais depuis un an et demi, nous attendons les décrets correspondant. Nous en avons parlé récemment avec le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins – nous pensions qu’en tant que cardiologue, il serait sensibilisé à la question.

Le tabac cause encore 75 000 morts par an. La Ligue contre le cancer préconise la création d’espaces sans tabac dans les lieux fréquentés par des enfants, devant les écoles par exemple, mais si la mesure était inscrite dans la loi ou dans un décret, tout serait beaucoup plus simple. Nous réfléchissons également à une interdiction du tabac dans les abribus. Quand ceux-ci sont fermés sur trois côtés, les fumeurs polluent tous leurs voisins.

Enfin, si vous cherchez des sous, il serait possible d’augmenter le prix du tabac. Même si la mesure n’est pas très populaire, elle est préférable à une augmentation du reste à charge pour certains patients.

M. le président Jean-François Rousset. Vous avez souvent mentionné des dispositions adoptées récemment, dont les décrets d’application sont en attente, qu’il s’agisse des infirmiers en pratique avancée, de l’accès direct aux kinésithérapeutes, du rôle des pharmaciens, ou de la vaccination par les sages-femmes afin de prévenir l’apparition du cancer du col de l’utérus. Ces délais sont un vrai sujet.

Je vous remercie en tout cas pour ces échanges riches.

*

*     *

———


12.   Table ronde en présentiel et en visioconférence, ouverte à la presse, réunissant des doyens d’universités de médecine : le Pr Stéphane Zuily, doyen de la faculté de médecine de Nancy, le Pr Philippe Pomar, doyen de la faculté de médecine de Toulouse et M. Pierre Merville, doyen de la faculté de médecine de Bordeaux

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons les travaux de cette commission avec une table ronde réunissant des doyens de faculté.

Le professeur Stéphane Zuily, doyen de la faculté de médecine de Nancy, ne pourra malheureusement pas participer à nos travaux, en raison d’un problème de transports.

Nous recevons donc le professeur Philippe Pomar, doyen de la faculté de santé de Toulouse, et, en visioconférence, le professeur Pierre-Gilles Merville, doyen de la faculté de médecine de Bordeaux.

Vos témoignages sur le rôle des universités sont particulièrement importants pour éclairer les débats sur l’organisation du système de santé et sur les difficultés d’accès aux soins. Je vais tout d’abord vous laisser la parole pour une courte intervention liminaire.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

(MM. Philippe Pomar et Pierre-Gilles Merville prêtent successivement serment.)

M. Philippe Pomar, professeur des universités-praticien hospitalier, doyen de la faculté de santé de Toulouse. Je suis accompagné de M. Sébastien Boyer, directeur des services administratifs de la faculté de santé de Toulouse.

Je vais tout d’abord parler du modèle de la faculté de santé. À Toulouse, nous avons pu et su réunir l’ensemble des formations médicales et paramédicales au sein d’une seule structure. Elle compte à peu près 17 000 étudiants. Nous avons créé trois départements : un département de médecine, maïeutique et paramédical, un département d’odontologie et un département de sciences pharmaceutiques.

Nous avons conçu cette faculté de santé selon un concept qui associe la formation, la recherche et le soin. Au départ, nous voulions faire en sorte que les étudiants soient formés ensemble, pour mieux travailler ensemble lorsqu’ils seront professionnels de santé et mieux se coordonner pour prendre en charge le patient. La faculté de santé est une structure qui permet d’abord de diffuser une culture de la santé. Il faut que les étudiants s’en imprègnent. Il ne s’agit pas de produire uniquement des techniciens ou des ingénieurs – d’où le recours aux sciences humaines, sociales et cognitives. C’est un point important. À l’heure du concept One Health, il faut savoir considérer la santé dans son ensemble, en allant de la cellule au corps humain, puis en élargissant à l’environnement et à la société. Tel est l’état d’esprit que nous voulions insuffler à nos étudiants.

Le fait de réunir toutes les filières médicales et paramédicales nous permet d’avoir une vision unifiée et transversale. Nous pouvons ainsi élaborer des stratégies et des objectifs communs.

Pour nous coordonner, nous avons mis en place un schéma cohérent qui va nous permettre de répondre aux besoins de la population et des territoires, mais aussi d’anticiper les évolutions générationnelles, sociétales et environnementales. C’est peut-être également un moyen pour être force de proposition pour le patient et la société de demain. Enfin, au sein de la faculté de santé nous adoptons une approche globale, qui replace l’humanité du patient au premier plan – élément important dans la culture des jeunes générations – tout en favorisant l’interdisciplinarité et la pluriprofessionnalité.

Nous souhaitons faire profiter l’ensemble du territoire de cette interdisciplinarité et nous menons une action territoriale forte à Toulouse et dans l’Ouest de l’Occitanie.

M. Sébastien Boyer, directeur des services administratifs de la faculté de santé de Toulouse. La faculté de santé a été créée en réunissant quatre facultés distinctes. Comme l’a dit le doyen Pomar, la nouvelle faculté compte trois départements. Ils assurent la formation des étudiants.

Ces départements s’appuient sur des services supports, composés tout d’abord par une division de la formation qui est chargée de toutes les formations transversales au sein de la faculté de santé – parcours d’accès spécifique santé (Pass), licence accès santé (LAS), masters transversaux et unités d’enseignement (UE) communes – ainsi que de la création et de la suspension de formations.

Nous avons également une division des ressources humaines et des finances. Elle est chargée du recrutement et des campagnes d’emploi des enseignants – professeurs, PU-PH (professeurs des université-praticiens hospitaliers), MCU-PH (maîtres de conférences des universités-praticiens hospitaliers) – mais aussi des BIATPSS (personnels titulaires des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques, pédagogiques, sociaux et de santé). Le service finances s’occupe de toutes les opérations financières, du budget et du budget rectificatif.

Nous disposons d’une division du patrimoine, de la logistique et de la sécurité.

Enfin, une division du numérique a été mise en place. Énormément d’examens sont réalisés sur des tablettes, ce qui exige une infrastructure de serveurs importante.

Quelques 17 000 étudiants suivent l’ensemble des formations de santé que nous dispensons. La surface de nos locaux est de 80 000 mètres carrés. Nous avons deux bibliothèques universitaires de santé. La faculté emploie environ 300 personnels administratifs et techniques et 600 enseignants.

M. Pierre-Gilles Merville, professeur des universités-praticien hospitalier, doyen de la faculté de médecine de Bordeaux. Je suis très honoré de participer à cette audition.

J’ai 65 ans et je suis le doyen de la faculté de médecine de Bordeaux depuis décembre 2023. J’ai une formation de néphrologue et je me suis principalement occupé de transplantations rénales. Je suis impliqué dans la vie universitaire depuis de nombreuses années.

Deux universités très proches peuvent avoir une organisation un peu différente. À Bordeaux, le collège des sciences de la santé est l’équivalent de la faculté de santé décrite par M. Pomar. Il comprend notamment les unités de formation et de recherche des sciences médicales, des sciences odontologiques et des sciences pharmaceutiques.

Je m’occupe essentiellement des 6 500 étudiants en médecine. Ils sont 4 500 dans les deux premiers cycles et environ 2 000 en le troisième cycle. Nous nous appuyons sur 190 chefs de clinique, 173 PU-PH et 72 MCU-PH. L’offre de formation comporte 44 DES (diplômes d’études spécialisés) et 257 DU (diplômes d’université).

M. Christophe Naegelen, rapporteur. On entend souvent dire que les études de médecine sont celles qui coûtent le plus cher à la collectivité.

Le confirmez-vous ? Pouvez-vous indiquer quel est grosso modo le coût annuel d’un étudiant en médecine ? Êtes-vous en mesure d’affiner cette estimation selon l’année d’études ?

M. Philippe Pomar. Avant de parler du coût, il faut rappeler qu’en France les études de médecine et de santé sont presque gratuites. Les droits d’inscription s’élèvent à environ 300 euros par étudiant et par an.

Nous n’effectuons pas un suivi permettant de répondre précisément à votre question, mais nous sommes à peu près tous d’accord pour dire qu’il faut compter entre 10 000 et 15 000 euros par an et par étudiant, voire plus selon les cycles en fonction de besoins techniques particuliers.

M. Pierre-Gilles Merville. Je pense effectivement la même chose. Je ne connais pas d’étude économique sur le coût d’un étudiant en médecine.

En revanche, je peux dire que cette dépense va en augmentant avec la mise en œuvre des différentes réformes – et notamment de celle du deuxième cycle, qui a entraîné des dépenses supplémentaires pour les facultés. Il a fallu acquérir du matériel de simulation pour entraîner les étudiants à passer les examens cliniques objectifs structurés (Ecos), qui nécessitent parfois des mannequins très chers.

Par ailleurs, la plupart des examens sont numérisés et effectués sur tablette, ce qui nous a amenés à réaliser des investissements importants.

M. Sébastien Boyer. Les Ecos prévus par la réforme du deuxième cycle ont conduit les universités à acheter énormément de matériels de simulation. Surtout, l’organisation de ces examens suppose de mobiliser un certain nombre de personnels pour des journées entières, de 6 heures à 19 heures. À Toulouse, il faut 150 personnes par jour – auxquelles nous payons le repas – lorsque l’on fait passer les Ecos. Ce sont des dépenses que nous ne supportions pas auparavant.

Il faut également du personnel, pour surveiller, et faire venir des formateurs de Bordeaux et de Montpellier, tout en envoyant nos formateurs dans ces universités. Il faut payer les frais de déplacement et d’hôtel.

La réforme du premier cycle, dite Pass/LAS, a entraîné moins de coûts d’acquisition de matériels. Mais elle impose de louer beaucoup d’espaces. À Toulouse, nous dépensons entre 200 000 et 250 000 euros par an pour louer des centres de congrès afin de faire passer des examens pendant trois jours en décembre et deux jours en mars. Cet argent pourrait être utilisé autrement. S’y ajoute le coût des personnels administratifs et des enseignants mobilisés pour assurer la surveillance. Ce sont aussi bien des personnels administratifs que des enseignants qui, pendant ce temps, n’accomplissent pas leur travail habituel.

Tout cela coûte très cher et suppose une organisation et une logistique très exigeantes.

M. le président Jean-François Rousset. Cela a toujours été le cas.

M. Sébastien Boyer. C’est nouveau s’agissant des Ecos, prévus par la réforme du deuxième cycle.

Les compétences des étudiants sont évaluées grâce à huit ou dix ateliers. Or il faut faire passer 400 étudiants dans chacun de ces ateliers, ce qui nécessite de faire venir des enseignants de Bordeaux et de Montpellier et de mobiliser un grand nombre de personnes pour des journées entières, au cours desquelles elles n’occupent pas à leur poste habituel. Tout cela a un coût et c’est une organisation très lourde. Nous trouvons que beaucoup d’argent public est dépensé dans l’organisation des examens.

M. Pierre-Gilles Merville. C’est effectivement une dépense d’argent public. La scolarité a été fortement éprouvée par les réformes des trois cycles, lesquelles se traduisent par la succession tout au long de l’année d’examens dont l’organisation demande une logistique très lourde.

Nous avons 1 400 étudiants en Pass et il faut louer le parc des expositions dans le quartier de Bordeaux-Lac pour arriver à les caser. Un mannequin pour entraîner les étudiants à réagir en cas d’arrêt cardiaque coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros. Or il en faut entre huit et dix, ce qui représente une dépense très importante.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. C’est pour cela que j’ai posé cette question.

Un ancien doyen de faculté de médecine nous a dit avoir évalué le coût des études à 27 000 euros par élève et par an – ce qui fait une certaine différence par rapport aux 10 000 euros que vous avez mentionnés. Il est dommage de ne pas avoir une évaluation plus fine, d’autant qu’il suffit de diviser le coût total par le nombre d’étudiants. J’aurais aimé disposer d’éléments plus précis, afin de pouvoir mieux mesurer la part respective des droits d’inscription et de la solidarité nationale dans le financement des études.

M. Philippe Pomar. Quand on devient doyen, on voit le fonctionnement des choses d’un peu plus haut. Je me rends compte qu’à la faculté de Toulouse on ne fait quasiment que faire passer des examens – et les services administratifs ne me contrediront pas.

Une faculté a-t-elle vocation à faire passer des examens ou à former des professionnels de santé ? A-t-on besoin de tous ces examens pour former ces derniers ? C’est la vraie question, par-delà celle des coûts. Il est clair qu’il y aura toujours des coûts, mais le calendrier des examens dans une faculté de santé est ahurissant. Nos personnels ne font que ça.

Pourrait-on un jour réformer les études de santé en faisant passer moins d’examens qu’actuellement ? Cela suppose peut-être d’en finir avec les examens terminaux, d’abolir les cours magistraux et de s’appuyer davantage sur le contrôle continu. Pour y arriver, il faut une vraie refonte des études, et pas du saupoudrage comme on l’a fait jusqu’à présent.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Encore une fois, il ne faut pas mal interpréter ma question, qui découle d’une véritable curiosité. On connaît le coût exact d’une année d’études dans certaines filières. On sait qu’il est important en médecine et il aurait été intéressant d’avoir des données précises.

Estimez-vous que les établissements de santé privés devraient contribuer davantage au financement des études de médecine ? On sait très bien qu’après leur internat un certain nombre de médecins iront directement exercer dans ces établissements, ce qui amoindrit la capacité des hôpitaux publics à assurer la permanence des soins. Il ne serait donc pas incohérent que le secteur privé participe plus, puisqu’il bénéficie des investissements dans la formation, payés par les finances publiques.

Quel bilan tirez-vous de la transformation du numerus clausus en numerus apertus depuis 2019 ? Se traduit-elle par davantage de complexité ? A-t-elle permis d’augmenter le nombre d’étudiants ? Ma question est très ouverte.

Vous avez abordé le sujet de la refonte des études de médecine. On a récemment ajouté une année au cursus, alors qu’en Allemagne ces études durent six ans. Serait-il possible de réduire leur durée en France ? Peut-on les raccourcir sans pour autant baisser le niveau technique et d’expertise des diplômés ? Je pense notamment au premier cycle : ce que l’on prévoit en trois ans ne pourrait-il pas être fait en deux ans ? Avez-vous d’autres idées ?

M. Philippe Pomar. Il importe de conserver le caractère public des formations de santé en France.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ma question portait sur la participation des établissements privés de santé au financement de la formation publique.

M. Philippe Pomar. J’y reviendrai. Pour le premier cycle, il est hors de question de faire partir les étudiants dans les territoires, en dehors de stages de découverte. Pour les deuxième et troisième cycles, il serait bien sûr intéressant de faire participer à la formation des maîtres de stages universitaires (MSU) issus de grands cabinets privés ou de cliniques privées et de développer les stages territoriaux public-privé. Le rapport de l’Académie nationale de médecine, à l’élaboration duquel j’ai participé, revient en profondeur sur ces pistes. Nous pouvons aussi compter sur les unions régionales des professionnels de santé (URPS) et la coordination assurée par les conseils de l’ordre. Nous avons beaucoup de propositions dans nos tiroirs à ce sujet et nous tenons prêts à les présenter.

S’agissant de la réforme Pass/LAS, je vous dirai que le numerus clausus et le numerus apertus, c’est bonnet blanc et blanc bonnet : pour l’examen d’entrée, qui reste sélectif, nous devons retenir les étudiants ayant obtenu les meilleures notes en fonction de nos possibilités de les former de manière raisonnable et intelligente, c’est-à-dire en fonction des capacités d’accueil dans les stages hospitaliers, du nombre de salles de simulation et bien sûr de la volumétrie de l’équipe pédagogique. Tout cela suppose des moyens humains et financiers et je préférerais bien sûr que les sommes colossales que nous dépensons pour la location de salles d’examen soient affectées à ces postes budgétaires. Le bilan de cette réforme est catastrophique. Les retours des étudiants et des familles le confirment. Certes, il y a eu une certaine diversification des profils mais d’autres problèmes sont apparus : les étudiants accueillis en deuxième année doivent rattraper les enseignements de la première année, par exemple. Cela crée du mal-être partout. Nous sommes vraiment passés à côté de ce qu’il fallait faire.

J’en viens à la refonte des études. Ce n’est pas pour rien que nous avons créé à Toulouse une faculté de santé regroupant l’ensemble des formations médicales et paramédicales. Je suis favorable à ce que les études dans les filières médicales épousent le modèle licence-master-doctorat (LMD), proposition détaillée dans le rapport que j’ai évoqué.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pourriez-vous développer ce point ?

M. Philippe Pomar. Il s’agirait d’instaurer une licence commune aux filières médicales comportant des stages dès la première année et des points d’étape, avec des choix à effectuer en première, deuxième et troisième années. Elle serait suivie d’un master de deux ans et d’un doctorat dont la durée varierait entre quatre et six ans.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quelles seraient les parts respectives de l’université et du terrain ?

M. Philippe Pomar. Les étudiants resteraient à l’université pendant leur licence et pourraient, à partir du master, aller dans les territoires, avec l’appui toutefois des centres hospitaliers universitaires (CHU) et des facultés.

M. Pierre-Gilles Merville. Je suis d’accord avec mon collègue : la participation des établissements privés doit commencer à partir de la quatrième année. Elle sera nécessaire car les effectifs d’étudiants ne font que croître, du fait des conséquences de la loi de juillet 2019 mais pas seulement. Ce qui différencie le deuxième cycle du premier, c’est la nécessité d’organiser des stages. Comme les CHU sont saturés, cela implique de faire appel aux centres hospitaliers généraux (CHG) quand c’est possible. Quant aux stages en cliniques privées, ils seraient envisageables à condition qu’ils soient supervisés par des maîtres de stage universitaires ayant suivi la formation adéquate.

Le bilan de la refonte du premier cycle n’est pas bon. Complexe à expliquer, la réforme est difficilement lisible pour les étudiants et leurs parents et génère des recours multiples. Elle n’a pas atteint ses deux objectifs principaux. Pour le premier, la diversification géographique, académique et socio-économique, rien n’a changé : les étudiants qui réussissent continuent d’appartenir aux catégories socioprofessionnelles les plus favorisées (CSP+) ; peu viennent de milieux ruraux alors que ce sont eux dont on aura besoin pour s’installer sur les territoires. Quant au deuxième objectif, l’amélioration du bien-être étudiant, il passe au second plan : dans les grosses facs, les étudiants de première année sont plus d’un millier et passent leur temps à travailler chez eux à partir de cours en visio et de capsules. Aucun lien social ne se crée.

Vous posez la question du raccourcissement des études. Il faut bien avoir à l’esprit les différences qui séparent la France d’autres pays européens comparables : chez nous, tous les étudiants sont spécialistes alors que dans des pays comme l’Allemagne, il est possible d’exercer en tant que médecin si l’on ne choisit pas d’être spécialiste. Cela explique sans doute qu’ils aient pu réduire la longueur de la formation. En outre, les étudiants français ont déjà le sentiment qu’on a diminué la durée de leurs études : avec la réforme du deuxième cycle, le concours très sélectif de l’internat a été déplacé du mois de juin au mois d’octobre de la sixième année, autrement dit huit mois ont disparu dans leur préparation. Dans ces conditions, il paraît difficile de réduire plus.

M. le président Jean-François Rousset. Seriez-vous prêts à supprimer le concours d’entrée pour les études médicales et à regrouper au sein d’une même licence tous les étudiants se formant aux métiers de la santé ? L’idée serait que ces jeunes passent du temps ensemble, apprennent à se connaître avant de se diriger vers la médecine, la pharmacie, la kinésithérapie ou les soins infirmiers. À la fin des trois années de licence, un classement fondé sur le contrôle continu déterminerait les possibilités de choix et une évaluation régionale des besoins en postes, branche par branche, serait effectuée. Cela assurerait à tous d’avoir une licence. Ce sont les conclusions auxquelles le groupe de travail que j’ai formé a abouti. Les partagez-vous ?

Pour le deuxième cycle, nous pourrions nous inspirer de pratiques passées. À côté de ceux qui empruntaient la voie dite royale conduisant de l’internat au professorat, en passant par les postes de chef de clinique et d’assistant, existaient des médecins titulaires de certificats d’études spécialisées (CES) servant d’intermédiaires entre la médecine générale et la médecine hyperspécialisée. Un nouveau corps intermédiaire pourrait œuvrer au dépistage, à l’organisation des soins, à la vaccination et à la prévention.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je reviens au modèle LMD. Que pensez-vous d’une licence de santé rassemblant les formations aux professions médicales et paramédicales sans concours d’entrée ? Les infirmiers pourraient exercer au bout de ces trois années, durée actuelle de leur formation, ou bien poursuivre au sein du master pour suivre une formation plus poussée et devenir infirmiers en pratique avancée (IPA). Le doctorat concernerait les futurs médecins et pharmaciens. On ne laisserait personne au bord de la route tout en offrant un socle commun de formation à tous les professionnels de notre système de santé.

M. Philippe Pomar. J’adhère tout à fait à cette idée. À la faculté de santé de Toulouse, nous expérimentons une licence de sciences pour la santé qui réunit les formations aux professions paramédicales suivantes : orthoptistes, audioprothésistes, manipulateurs en radiologie, pédicures-podologues, ergothérapeutes, psychomotriciens, et bientôt infirmiers. Le problème, c’est que cette licence ne débouche pour l’instant sur rien. Or la force des études de santé, qu’elles soient médicales ou paramédicales, c’est qu’elles sont professionnalisantes : les étudiants peuvent exercer un métier tout de suite. Pour la licence que vous envisagez, on ne pourra pas ouvrir les vannes et accueillir 10 000 ou 15 000 étudiants. Il faudra mettre en place des sélections sur Parcoursup.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quelle est votre position sur la territorialisation ?

M. Philippe Pomar. Tout dépend de ce qu’on entend par territorialisation des études de santé. Le territoire ne doit pas être une punition. Pour un professionnel de santé, cela peut aussi constituer un retour heureux à la maison.

J’ajoute que les études de santé ont aussi leur place au lycée, en première et en terminale. Des cordées de la réussite existent déjà mais la mise en place d’options serait aussi envisageable. L’organisation de stages chez un professionnel de santé de proximité permettrait, quant à elle, de faire connaître certains métiers comme ceux de la pharmacie, qui souffrent d’un manque d’attractivité parce que les jeunes ne savent pas ce que c’est, notamment du fait de la confusion avec les parapharmacies.

M. le président Jean-François Rousset. À Millau, avec le concours du recteur, des élus et des professionnels du monde médial, le lycée Jean Vigo a ouvert en 2023 une préparation aux études de santé en seconde, première et terminale. Nous constatons que les premières cohortes à s’être inscrites en fac poursuivent leur préparation au concours d’études médicales alors qu’en première année, le taux d’abandon se situe généralement entre 30 % et 40 % dès la Toussaint. Il y a aussi, en effet, les stages de découvertes, qui sont très faciles à organiser.

M. Philippe Pomar. Grâce aux stages de découverte, dans un cabinet médical, dans une clinique, dans une pharmacie, les jeunes auraient la possibilité de savoir vraiment ce qui leur plaît.

M. Pierre-Gilles Merville. Nous ne pouvons qu’être favorables à la territorialisation, qui doit intervenir aux deux extrémités des études de médecine. Des cordées de la réussite seraient mises en place dans quelques lycées choisis avec le rectorat pour offrir un accompagnement aux élèves susceptibles d’être sélectionnés sur Parcoursup, sur lequel nous n’avons pas la main. Dans le territoire qui me concerne, il s’agirait de cibler des établissements dans le Lot-et-Garonne ou les Landes, zones sous-denses où les élèves, issus de milieux ruraux et dont les parents ont moins de moyens que ceux des Pyrénées-Atlantiques ou de Gironde, ont tendance à s’autocensurer pour les études de médecine. Pour la territorialisation en fin d’études, la Conférence des doyens de médecine a formulé une proposition reprise par la Cour des comptes : la création d’un assistanat territorial. Les jeunes médecins choisissant d’exercer dans des zones sous-denses recevraient une aide pour faciliter leur installation et leur organisation familiale et personnelle.

S’agissant d’une licence qui accueillerait sans concours initial l’ensemble des formations aux professions de santé, je dois dire avoir du mal à voir comment on parviendrait à sélectionner les étudiants pour les orienter vers telle ou telle filière. Depuis la réforme du premier cycle, les étudiants se dirigent en majorité vers la médecine, ce qui a mis en difficulté la pharmacie et la maïeutique.

M. Sébastien Boyer. La faculté de santé de Toulouse a mis en place des cordées de la réussite pour inciter les élèves des territoires ruraux à s’orienter vers les études de santé. La réforme Pass/LAS n’a pas atteint son objectif de diversification des profils : à Toulouse, nos effectifs sont composés à 70 % de filles, appartenant plutôt à des milieux urbains et des CSP+ et titulaires d’un bac scientifique. Les étudiants issus de l’immigration ou enfants d’agriculteurs sont minoritaires.

M. Pierre-Gilles Merville. Les choses n’ont pas changé depuis le système de la Paces (première année commune aux études de santé) : les étudiants qui réussissent sont ceux issus du Pass. Nous constatons que 80 % de ceux ayant échoué abandonnent leur licence d’accès santé, qui constituait avant tout pour eux un choix stratégique pour accéder aux épreuves d’accès au cursus de médecine. Cette proportion interroge.

M. Philippe Pomar. L’universitarisation doit aller de pair avec la médicalisation. Il importe de médicaliser les études paramédicales pour assurer une meilleure coordination des soins. Aujourd’hui, quand un patient a plusieurs rendez-vous médicaux dans la même journée, il est pris en charge par des professionnels de santé qui ne se sont jamais croisés. Mettre tout le monde dans la même formation changerait les choses.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pour continuer sur la territorialisation universitaire, je citerai le cas de la faculté de droit de Nancy qui laisse aux étudiants le choix de faire leur licence soit à Épinal soit à Nancy. Pour la licence commune de santé, nous pourrions nous appuyer sur les équipes enseignantes des nombreux instituts de formation en soins infirmiers (Ifsi), ce qui garantirait une forte territorialisation pendant les trois premières années. Les effectifs se resserrant pour les masters et les doctorats, la centralisation en un seul lieu ne poserait pas de problème de capacités d’accueil.

Avec la réforme du lycée, les options se sont multipliées. Serait-il pertinent d’y ajouter une option santé en vue d’un cursus LMD en santé ?

Sur l’ajout à partir de 2026 d’une quatrième année à l’internat de médecine générale, quelle est votre position et quelles sont les réactions de vos étudiants ? Réalité importante à prendre en compte : sept médecins généralistes sur dix vont s’installer dans la zone où ils ont effectué leur internat. S’ils passent pendant leurs études par des hôpitaux plus ruraux, les chances qu’ils y retournent sont donc plus grandes. Il ne faudrait pas gâcher cette possibilité.

M. Philippe Pomar. J’ai toujours tendance à écouter les étudiants : ils vivent les choses différemment et n’ont pas la même vision que nous. Les internes de médecine générale refusent qu’on se serve d’eux pour aller boucher des trous dans les hôpitaux ou ailleurs. Ils veulent que cette quatrième année allie consolidation grâce à un doctorat junior, pratique professionnelle en ambulatoire et apprentissages orientés vers l’installation libérale – gestion du cabinet, comptabilité – absents de nos formations. La rémunération mixte fait débat mais il ne me paraît pas compliqué de mêler salaire d’interne et rémunération à l’acte ou reversement d’honoraires.

Pour la mise en place d’options santé dans les lycées, il ne me semble pas pertinent de passer par une loi car il ne faudrait pas que ce soit coercitif.

M. le président Jean-François Rousset. Cela se fait déjà actuellement sans qu’il y ait eu besoin d’une loi.

M. Philippe Pomar. Il faudrait choisir des lycées bien caparaçonnés mais beaucoup de choses sont possibles avec le numérique.

M. Pierre-Gilles Merville. Je suis favorable à l’extension de l’option santé au lycée mais, à mon sens, il faut cibler l’effort sur les territoires où l’on veut augmenter la démographie médicale, et non pas faire du saupoudrage. Il n’y a aucun intérêt à surpréparer des étudiants à Bordeaux ou à Bayonne, mais il serait judicieux de le faire dans des villes comme Dax, Mont-de-Marsan ou Agen.

Les étudiants souhaitent être véritablement professionnalisés au cours de cette quatrième année de médecine générale : ils désirent faire essentiellement de la médecine ambulatoire et effectuer des stages qu’ils n’auraient pu accomplir auparavant, notamment en pédiatrie ou en gynécologie. La Conférence des doyens est peu favorable à une rémunération à l’acte, de crainte que d’autres spécialités ne formulent cette demande, qu’il serait difficile de satisfaire.

La réforme du deuxième cycle, qui a entraîné un découplage entre les deuxième et troisième cycles, a des effets relativement pernicieux. En effet, deux facteurs essentiels déterminent le lieu d’installation d’un médecin : son lieu de naissance – il a en effet tendance à y revenir – et l’endroit où il a effectué son internat – car il a commencé à y tisser son réseau. Le fait qu’un étudiant passe de Bordeaux à Marseille, par exemple, ne favorisera pas son installation en Gironde. Il conviendrait donc, selon moi, de revenir sur la réforme et d’associer à nouveau les deuxième et troisième cycles afin de favoriser la territorialisation.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Comment évalue-t-on les besoins en formation des spécialistes ? La semaine dernière, en commission, j’ai demandé un rapport sur les besoins en formation des médecins qui assurent le fonctionnement d’une maternité, à savoir les pédiatres, les anesthésistes et les gynécologues obstétriciens. On m’a répondu qu’un rapport n’était pas nécessaire car les formations étaient en augmentation. Évalue-t-on les besoins indépendamment des moyens nécessaires à la réalisation des formations ? Avez-vous procédé à cette évaluation ? Avez-vous les moyens d’assurer les formations, sachant que l’on manque cruellement de certains spécialistes ?

Comment expliquez-vous que de nombreux jeunes doivent encore partir à l’étranger pour étudier la médecine ? Cela concerne également les futures sages-femmes, ce qui me paraît assez problématique. Y a-t-il un moyen d’éviter cela ?

On dit que le temps de travail d’un médecin qui exerçait il y a trente ans correspond à l’activité de 2,3 médecins aujourd’hui. Quelles conditions de travail, quel temps de travail annonce-t-on aux jeunes étudiants qui commencent leurs études de médecine ?

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je voudrais compléter votre question. De jeunes médecins que j’ai auditionnés me disaient qu’au cours de leurs études, on leur expliquait que la santé n’a pas de prix et que tout ce qui est rare est cher. Cela a tendance à nourrir une forme d’inflation, comme on le voit avec les intérimaires et la concurrence entre établissements. Délivre-t-on ce type de messages aux étudiants ? Si c’était le cas, cela pourrait contribuer à expliquer, au moins en partie, la situation dans laquelle nous nous trouvons.

M. Philippe Pomar. À mon niveau, je n’entends pas ce genre de messages.

L’ONDPS (Observatoire national de la démographie des professions de santé) fait remonter les besoins en formation des spécialistes, mais les moyens ne suivent jamais, en dehors de quelques postes que l’on parvient parfois à obtenir dans des spécialités en tension. En psychiatrie, nous avions demandé des créations de postes de MCU-PH ou de PU-PH : le ministère nous en a accordé deux ou trois. Toutefois, de manière générale, on nous attribue rarement de nouveaux moyens. L’ONDPS, avec les ARS, gère les besoins. Je n’ai pas l’impression que l’on interroge les facultés à ce sujet, hormis dans le cadre des réunions auxquelles elles participent avec l’observatoire et les agences régionales.

Je pense que les jeunes partent à l’étranger car ils sont rebutés par le système de sélection. On en a, tout de même, qui restent et qui réussissent la première année. Certains jeunes sont admis tout de suite, sans avoir à passer d’oral, au niveau du Pass – ce sont les « grands admis ». Le numerus apertus est de l’ordre de 800 étudiants, pour l’ensemble des filières MMOPK (médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie, kinésithérapie), en deuxième année. Cela signifie que, chaque année, 800 étudiants sont diplômés de la faculté de Toulouse.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Les jeunes qui partent étudier à l’étranger deviennent de très bons médecins. La question est de savoir pourquoi on ne réussit pas à les garder, alors même que l’on manque de praticiens. Le concours n’est-il pas en cause ?

M. Sébastien Boyer. On a constaté à Toulouse – sans doute est-ce la même chose à Bordeaux – que les étudiants qui veulent vraiment faire médecine entrent en Pass. S’ils n’accèdent pas à la filière médecine à l’issue de leur Pass, ils vont en LAS 2, où ils se voient offrir une deuxième chance. S’ils ne réussissent toujours pas le concours, ils vont à l’étranger – dans des pays comme la Roumanie ou la Belgique –, car ils ne souhaitent pas changer complètement d’orientation. Ils sont très motivés mais le système les éjecte.

M. Pierre-Gilles Merville. Je suis tout à fait d’accord avec ce qui a été dit. J’ajouterai que cela correspond à une sélection par les moyens des parents, certains pouvant payer 8 000 euros au titre des frais de scolarité annuels, sans compter les dépenses de transport et le reste, ce qui n’est pas très équitable.

S’agissant de la formation des spécialistes, l’ARS et les coordonnateurs de DES accomplissent chaque année un travail approfondi, en amont, pour évaluer les capacités, qui peuvent fluctuer d’une dizaine d’étudiants sur l’année à un étudiant tous les deux ans. Les chiffres sont communiqués à l’ONDPS en juin ou en juillet, avant qu’une décision ministérielle ne fixe, dans le courant de l’été, le nombre de postes d’internes attribués à chaque spécialité. L’ONDPS joue un rôle crucial dans cette mécanique.

On passe certains messages aux étudiants mais l’évolution de la société explique que le travail ne constitue pas leur seul objectif. Une fracture s’est instaurée entre la vision du grand public, qui ne comprend pas pourquoi il ne dispose pas de recours médicaux, et celle des étudiants, qui estiment en avoir bavé pendant leurs études et n’admettent pas qu’on ne les laisse pas choisir leur lieu d’installation. Je n’ai pas de position par rapport à cela.

M. Théo Bernhardt (RN). Pensez-vous que les moyens alloués aux formations en biologie-santé sont suffisants, notamment concernant la recherche fondamentale et la recherche clinique ? Existe-t-il des difficultés d’accès à ces formations ? Depuis 2010, la France est passée de la sixième à la treizième place pour le nombre de publications scientifiques, ce qui s’explique en partie par la fuite des cerveaux. Quelles mesures préconisez-vous, en lien avec la médecine et l’accès aux soins, pour limiter cette baisse ?

M. Philippe Pomar. Permettez-moi de compléter au préalable ma réponse à la question précédente. La sélection à l’entrée des études de santé est à l’emporte-pièce. En effet, elle est fondée sur la mémorisation instantanée : les candidats apprennent un certain nombre de notions en quelques semaines avant de les oublier très rapidement. Comme nous l’avons préconisé dans le rapport de l’Académie de médecine, il conviendrait d’organiser de mini-entretiens. C’est certes compliqué à réaliser mais on sait le faire puisque, pour les Pass/LAS, on fait passer de courts oraux à plusieurs centaines de personnes. Il est important qu’un étudiant qui souhaite accéder aux études de médecine ou de santé, ou qui va entrer en deuxième ou en troisième année, passe de tels entretiens avec un enseignant ou un groupe d’enseignants afin que l’on puisse faire un point d’étape et que le jury soit à même de juger de la motivation et de la qualité de l’étudiant.

Les facultés sont étroitement accolées aux centres hospitaliers universitaires ; or, il ne saurait exister d’université sans recherche. En matière de recherche, nous avons un double cursus dérogatoire qui fonctionne très bien – du moins est-ce le cas à Toulouse ; je ne sais pas ce qu’il en est à l’échelle nationale. Nous avons une offre de formation très large, qui va de la biosanté à l’ingénierie en passant par l’informatique, et qui concerne tant la recherche fondamentale que la recherche appliquée – elle peut parfois même s’étendre à la recherche translationnelle. À cela s’ajoutent les doubles cursus de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), pour lesquels nous disposons, chaque année, de cinq places que nous avons encore du mal à pourvoir.

M. Théo Bernhardt (RN). Pourquoi ?

M. Philippe Pomar. Cela tient à diverses raisons, parmi lesquelles un manque de motivation des étudiants. Le président du comité scientifique transversal de la faculté de santé de Toulouse, qui est responsable du double cursus avec l’Inserm, organise des conférences dès la première année d’études, va au-devant des étudiants pour leur parler de la recherche. Ceux que nous recrutons sont brillantissimes, mais il reste des places vacantes.

M. le président Jean-François Rousset. Les principales publications sont anglo-saxonnes, à l’image du New England Journal of Medicine and Surgery ou du British Journal of Surgery. Beaucoup de publications françaises ont décliné. Il nous faudrait avoir une ou deux revues françaises de haut niveau, ce qui attirerait nos jeunes.

M. Philippe Pomar. Oui, mais tout le monde ne peut pas accéder aux revues à fort impact. Même si l’étude menée est de très haute qualité, le fait qu’elle vienne d’une université française peut rendre sa publication difficile.

M. Pierre-Gilles Merville. Créer une revue de fort impact française serait en effet souhaitable, même si cela relève du vœu pieux.

Il existe une bonne articulation entre la médecine et la recherche. Des masters 1, mais aussi des doubles cursus – comme celui proposé par l’École Bettencourt – fonctionnent bien. On arrive à pourvoir les places. Les étudiants concernés acquièrent, au fil de leur formation, un niveau exceptionnel. Les internes ont la possibilité de décrocher des années de recherche pour suivre des masters 2 adaptés à leur cursus. Dans certaines disciplines, l’accession à un poste de chef de clinique est conditionnée à l’obtention de ce type de diplôme.

Tout cela marche bien dans les grosses facultés, qui ont un potentiel de recherche suffisant. Il en va parfois différemment dans les universités plus réduites, qui abritent moins d’EPST (établissements publics à caractère scientifique et technologique). Il arrive ainsi que Bordeaux récupère des années de recherche non utilisées par Poitiers ou Limoges pour des candidats bordelais. La masse critique est essentielle, ce qui explique la grande capacité de l’Île-de-France à assurer cette articulation et à favoriser la production des hospitalo-universitaires. Cela participe considérablement à l’attractivité d’une université. En effet, ce qui maintient un hospitalo-universitaire à l’hôpital – alors que son taux de rémunération pourrait être le triple ou le quadruple s’il allait dans le privé –, c’est le contact avec une équipe de recherche et l’encadrement d’étudiants dans son secteur de recherche.

M. Philippe Pomar. Il faut vraiment que les facultés, en particulier dans le domaine de la santé, soient des vecteurs de la recherche, mais il est également nécessaire d’opérer une coordination nationale. Or celle-ci n’existe pas, en France, dans le secteur de la recherche : des sites et des thèmes émergent un peu partout. Il convient de définir les sites sur lesquels doit être menée telle ou telle activité en fonction du contexte historique, de l’expertise et des structures que l’on y trouve, etc. D’autres pays assurent une telle coordination, allant parfois jusqu’à mener une politique coercitive concernant les thématiques de recherche – on le voit, par exemple, sur l’IA (intelligence artificielle). Il y a vraiment des choses à accomplir en la matière et on peut s’appuyer, pour ce faire, sur les facultés de santé, qui peuvent jouer un rôle de vecteur.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Avez-vous connaissance d’une étude sur les catégories socioprofessionnelles auxquelles appartiennent les étudiants qui partent à l’étranger ? Il me semble que les familles aisées ont plutôt tendance à payer des écuries très coûteuses pour permettre à leurs enfants de réussir le concours dès la première année. Par ailleurs, le coût de la vie est moindre en Roumanie. Plus généralement, existe-t-il des études sur les catégories socioprofessionnelles dont sont issus les étudiants en médecine ? En effet, tout le monde ne peut pas financer des études qui s’étirent sur une dizaine d’années. Avez-vous des leviers d’action en la matière ? Que préconisez-vous pour faciliter l’accès aux études ?

M. Philippe Pomar. Votre question englobe, je suppose, le problème de la précarité étudiante.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Absolument.

M. Philippe Pomar. Le prix des cours privés peut atteindre 8 000 euros par semestre mais, contrairement à ce que suggèrent les publicités, le résultat n’est pas garanti. Chez nous, un de ces cours est installé sur un terrain privé qui se trouve, à peu de chose près, sur le parking de la faculté ; cette entreprise a quasiment la même adresse que la faculté, ce qui explique que l’on puisse facilement les confondre. Ils viennent faire leur publicité d’une façon pour le moins agressive en période de rentrée, ce qui nous contraint à faire appel aux vigiles.

Les droits d’inscription à l’étranger peuvent atteindre 20 000 euros par an, ce qui montre que des facultés sont là pour faire du fric.

Les cours privés se gardent bien de fournir la moindre statistique. Sébastien Boyer vous a indiqué le profil caractéristique de l’étudiant en santé à Toulouse, qui est, dans 70 % des cas, une femme, et qui appartient plutôt à une catégorie socioprofessionnelle aisée.

M. Sébastien Boyer. Les étudiants paient 170 euros de droits d’inscription en première année, auxquels s’ajoutent 92 euros de contribution de vie étudiante et de campus (CVEC), mais les familles sont prêtes à verser 8 000 euros à un cours privé. C’est le privé qui, finalement, récupère l’argent des familles, tandis que l’État finance la formation.

M. Pierre-Gilles Merville. On pourrait presque dire que les études de médecine, en France, sont semi-privées. Si un étudiant ne dispose pas de beaucoup de moyens, il s’inscrit au tutorat, qui présente un faible coût et fonctionne bien. Si sa famille en a la possibilité, elle lui paie une officine, qui va le faire bachoter une année durant ; s’il échoue, il va suivre, à l’étranger, des études coûteuses – sur ce point, je n’ai pas de statistiques sous la main mais je peux essayer de les trouver. Toutefois, lorsqu’ils rentrent d’un pays européen pour passer les EDN (épreuves dématérialisées nationales), les étudiants n’ont pas un bon niveau : ils se classent, pour la quasi-totalité d’entre eux, à partir du 9000e rang. La formation qu’ils ont reçue en Roumanie, par exemple, les place en queue de classement – le meilleur candidat a dû se situer aux alentours de la 3500e place. Le niveau des études en France est, selon moi, exceptionnel.

M. Philippe Pomar. Je suis tout à fait d’accord. Cela renvoie aussi à la question des Padhue (praticiens à diplôme hors Union européenne).

M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie beaucoup, messieurs, pour ces échanges nourris. N’hésitez pas à nous faire parvenir des informations complémentaires.

 

*

*     *


–  1  –

13.   Table ronde, ouverte à la presse, réunissant des syndicats de jeunes médecins : le Dr Sayaka Oguchi, présidente du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG), M. Lucas Poittevin, président de l’Association nationale des étudiants de médecine de France (ANEMF), M. Killian L’helgouarc’h, président de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI), M. Raphaël Dachicourt, président du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR), M. Bastien Bailleul, président de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG)

M. le président Jean-François Rousset. Mes chers collègues, nous poursuivons les travaux de cette commission d'enquête consacrée à l'organisation du système de santé et aux difficultés d'accès aux soins avec une table ronde réunissant des syndicats d'étudiants et de jeunes médecins. Nous accueillons Sayaka Oguchi, présidente du syndicat national des jeunes médecins généralistes, Lucas Poittevin, président de l'association nationale des étudiants en médecine de France, Killian L’Helgouarc’h, président de l'intersyndicale nationale des internes, Raphaël Dachicourt, président du regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants, et Bastien Bailleul, président de l'intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale.

Je vous remercie de prendre le temps de répondre à nos questions. Je tiens à préciser que, bien que la profession médicale soit directement concernée par l'actualité législative et gouvernementale, le travail de cette commission s'inscrit dans une démarche plus large et systémique, englobant tous les aspects du système de santé et de l'accès aux soins. Je vous invite à faire une brève intervention liminaire de cinq minutes, avant de laisser place aux échanges sous forme de questions-réponses, en commençant par celles de notre rapporteur.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Dr Sayaka Oguchi, M. Lucas Poittevin, M. Killian L’Helgouarc’h, M. Raphaël Dachicourt, M. Bastien Bailleul prêtent serment.)

Dr Sayaka Oguchi, présidente du Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG). La situation démographique médicale actuelle est particulièrement préoccupante. Bien que le nombre de médecins soit similaire à celui de 2010, la configuration de la population a considérablement évolué. Nous avons connu une augmentation de 8 millions d'habitants, avec une progression significative de la population âgée de plus de 70 ans, passant de 7 millions en 2000 à 11 millions aujourd'hui.

Cette évolution démographique engendre une demande de soins nettement supérieure à celle de 2010.

Dans ce contexte, nous constatons une diminution de 20 000 médecins généralistes en proportion, ce qui complique l'accès aux soins primaires pour la population.

Parmi les 45 700 généralistes actuels, environ un tiers ne pratique plus la médecine générale traditionnelle. Cette réalité accentue les difficultés d'accès aux soins, malgré les apparences statistiques.

Il convient cependant de souligner les efforts considérables fournis par les généralistes en exercice. Ils ont augmenté leur prise en charge de patients, notamment ceux atteints d'affections de longue durée (ALD). Cette mobilisation a permis de réduire le nombre de patients en ALD sans médecin traitant.

M. Lucas Poittevin, président de l’Association nationale des étudiants de médecine de France (Anemf). Je tiens à vous remercier, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, de nous donner l'opportunité d'être entendus sur ces sujets qui nous concernent directement. Cette démarche contraste avec celle de certains parlementaires qui ont rédigé des propositions de loi s'appliquant à nous, les nouvelles générations de soignants, sans nous consulter.

Les difficultés d'accès aux soins que connaît la population s'aggravent, creusant les inégalités territoriales. Il est impératif de trouver des solutions pour endiguer ces problèmes, sachant que la résolution à long terme passera nécessairement par une augmentation du nombre de professionnels de santé, notamment de médecins.

Récemment, diverses initiatives législatives et un pacte gouvernemental ont proposé des mesures pour lutter contre les déserts médicaux. Nous estimons qu'il est crucial de baser notre réflexion sur des faits concrets : comprendre les causes de la situation actuelle pour construire l'avenir et garantir à chaque citoyen, dans la mesure du possible, une offre de soins adaptée à ses besoins. Les solutions sont nombreuses, nous en avons proposé et continuerons à le faire.

Il est important de souligner le contexte dans lequel évoluent les étudiants en médecine. Ils ont subi plusieurs réformes successives : réforme de l'entrée dans les études de santé, du deuxième cycle, du troisième cycle, allongement des DES, notamment la quatrième année de médecine générale. Ces changements, bien qu'ayant pour objectif d'améliorer l'accès aux soins, ont considérablement alourdi leur parcours.

Aujourd'hui, face aux discussions sur la régulation à l'installation et d'autres contraintes, les étudiants ont le sentiment d'être injustement désignés comme responsables des difficultés d'accès aux soins accumulées depuis quarante ans. Ceci alors qu'ils s'engagent dans des études déjà très exigeantes, parfois au détriment de leur propre santé, comme en témoignent les résultats de notre enquête sur la santé mentale.

Nous nous interrogeons sur la pertinence de faire porter le poids des erreurs passées sur cette seule catégorie de population. C'est un reproche que les étudiants adressent à certaines initiatives parlementaires. Nous sommes prêts à approfondir ces points et à proposer des solutions constructives tout au long de cette commission.

M. Killian L’Helgouarc’h, président de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni). Je vous remercie, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés. En préambule, je rejoins Lucas sur le fait que la santé constitue la préoccupation majeure des Français, mais également celle des médecins et des internes. Les internes représentent 40 % du personnel médical dans les hôpitaux publics. En ambulatoire, nous assurons aujourd'hui 200 000 consultations quotidiennes, principalement en médecine générale. Nous sommes donc pleinement concernés par la problématique d'accès aux soins, que nous vivons au quotidien.

Nous rencontrons quotidiennement des patients qui se présentent aux urgences faute de médecin traitant. En cabinet de ville, lors de remplacements, les patients nous interrogent fréquemment sur nos projets d'installation, soulignant le manque de médecins dans leur secteur.

Face à cette situation, nous avons collectivement conscience des enjeux et avons formulé à plusieurs reprises des solutions que nous pourrons détailler ultérieurement. Deux éléments essentiels guident notamment les positions de l'Intersyndicale que je préside. Premièrement, nous nous appuyons sur la littérature scientifique, française et internationale, pour identifier les moyens d'améliorer l'accès aux soins. Deuxièmement, nous cherchons à maintenir une cohérence sur le long terme, un point crucial souligné par le Président de l'Anemf.

Au cours de mes dix années d'études de santé, j'ai vécu quatre réformes, chacune donnant l'impression d'un manque de cohérence entre les cycles et d'absence de réflexion globale. La réflexion s'est peut-être trop focalisée sur les spécialités au détriment des besoins de santé dans les territoires.

Concernant les propositions parlementaires, notamment transpartisanes, nous nous y opposons car elles ne ciblent pas la population qui en a le plus besoin, à savoir les cinq à six millions de Français sans médecin traitant, dont je fais partie. Ces propositions se basent sur un zonage inefficient, dont la mise à jour par les ARS s'avère déjà problématique. Lorsque l’on voit les difficultés des ARS pour construire un seul zonage et à le mettre à jour tous les deux ans, ce qui n’est pas fait, je doute de la capacité des ARS à établir et actualiser annuellement 44 zonages distincts.

De plus, ces mesures ciblent encore une fois la jeunesse médicale, qui alerte systématiquement les pouvoirs publics sur le non-respect du temps de travail des internes et l'existence de violences à l'hôpital, problèmes pour lesquels des solutions concrètes tardent à être mises en œuvre. Ajouter de nouvelles contraintes à des études déjà éprouvantes semble contre-productif, d'autant plus que notre enquête conjointe sur la santé mentale révèle que sept internes sur dix ont déjà envisagé d'abandonner leurs études de médecine, ce qui est particulièrement préoccupant dans un contexte de pénurie médicale.

M. Raphaël Dachicourt, président du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR). Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les Députés, pour cette audition. Il me paraît essentiel de revenir sur le diagnostic de la crise de l'accès aux soins, car un diagnostic erroné conduit à un traitement inadapté.

Cette crise n'est pas simplement une question de répartition, mais une triple crise. C’est d’abord une crise démographique médicale, conséquence du numerus clausus. C’est aussi une crise populationnelle liée au vieillissement de la population et à l'augmentation des pathologies chroniques. Enfin, c’est une crise de l'attractivité de la médecine de ville, résultant de l'hospitalocentrisme des dernières décennies, qui a entraîné une diminution de l'exercice libéral, pourtant pilier de la médecine de ville, notamment pour l'activité de médecin traitant.

S'ajoute à cela une crise de l'activité médicale, avec une multiplication d'actes superflus qui surchargent les professionnels de santé en ville, contribuant à une perte de sens et détournant de l'activité essentielle de médecin traitant.

Le contexte actuel est marqué par une transition de l'exercice ambulatoire vers une meilleure organisation, avec une logique de regroupement, la création de parcours de soins et une coordination interprofessionnelle accrue. L'arrivée de nouveaux acteurs soulève cependant le risque de financiarisation, alors même que les jeunes médecins aspirent à un meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle.

Le rôle du médecin évolue également vers une approche plus préventive et de santé publique. Le colloque singulier et la consultation pour pathologie unique ne sont plus la norme.

On parle désormais de logique populationnelle, alors que les outils de mesure se basent sur des approches d'accès aux soins qui ne prennent pas encore pleinement en compte ces besoins de santé dépassant la simple production de soins. Il est impératif d'opérer un véritable virage préventif et de se concentrer sur la santé plutôt que sur le rendement.

Par ailleurs, le rôle des autres professionnels de santé évolue, avec une approche par compétences et une extension de leur champ d'action. Cependant, l'absence de concertation réfléchie entre les différents acteurs a créé des tensions au niveau national, bien que celles-ci soient moins présentes sur le terrain.

Face à ce diagnostic complexe, il n’existe pas de solution miracle. La régulation de l'installation en contexte de pénurie est un non-sens, car elle contribue à détourner les médecins vers d'autres modes d'exercice. Il est donc nécessaire d'adopter une stratégie globale, en mobilisant de nombreux leviers que nous préconisons depuis des années. Malheureusement, nous avons perdu dix ans à tergiverser sur leur mise en place.

M. Bastien Bailleul, président de l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG). Je tiens à exprimer ma gratitude pour votre accueil et à souligner que mes propos s'inscrivent dans la continuité de ceux de mes collègues, notamment Killian de l’Isni. En tant que scientifiques, nos propositions reposent systématiquement sur des données issues de la littérature, c’est pourquoi je vous remercie de l'attention que vous nous accordez aujourd'hui et depuis longtemps.

En ma qualité de représentant de l'Intersyndicale des internes de médecine générale, je souhaite mettre en lumière l'aspiration croissante des internes à accéder à des stages en ambulatoire dans les territoires. Cependant, pour que ces expériences soient fructueuses, il est impératif de nous en donner les moyens concrets. Un interne affecté à un territoire doit pouvoir s'y rendre aisément, s'y loger convenablement et y transposer sa vie personnelle. À plus de 25 ans, nous avons souvent des conjoints, des amis, de la famille, parfois des enfants. Pouvoir concilier notre parcours personnel avec notre réussite professionnelle est ainsi déterminant.

Dans cette optique, nous soutenons plusieurs réformes, dont certaines sont déjà en œuvre, telle la mise en place des guichets uniques départementaux. Bien que rendus obligatoires par la loi de finances de la Sécurité sociale 2023, ces guichets n'ont pas été suffisamment développés et déployés dans les territoires. Nous préconisons que les internes soient mis en relation avec ces guichets dès le début de leur internat, avec une approche personnalisée selon leur projet professionnel. Pour ceux ayant déjà un projet défini, un accompagnement immédiat peut être mis en place. Pour les autres, ces guichets peuvent présenter les opportunités du territoire et aider à construire un projet professionnel au fil de l'internat, facilitant ainsi une installation future qui deviendrait une évidence plutôt qu'une contrainte.

Concernant la quatrième année de médecine générale en cours d'imposition, nous exprimons de vives inquiétudes. Les contours de cette année supplémentaire demeurent flous depuis son annonce. Nous n'avons aucune garantie quant au bon fonctionnement de la rémunération proposée, ni sur le recrutement des maîtres de stage nécessaires pour nous accueillir en novembre 2026. Les informations que nous recevons de nos enseignants suggèrent que la rémunération proposée aux maîtres de stage est insuffisante, compromettant non seulement la mise en place de cette quatrième année en 2026, mais aussi pour les années suivantes. Cette situation génère une anxiété considérable parmi nous, car nous sommes dans l'incapacité de nous projeter professionnellement.

Cette incertitude s'ajoute à une succession de réformes que nous avons subies tout au long de notre parcours, contribuant à la détérioration de notre santé mentale, comme le révèle l'enquête de 2024. Nous restons à votre disposition pour aborder en détail les points du questionnaire que vous nous avez transmis.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs représentant les syndicats, pour votre présence et la concision de votre introduction, ce qui nous permettra d'avoir un échange plus approfondi. Au-delà du questionnaire, qui sera précieux pour nourrir notre rapport, je souhaite profiter de cet échange pour explorer avec vous des solutions potentielles.

Vous avez évoqué une triple crise : démographique, d'attractivité, et hospitalocentrée. Ne pensez-vous pas qu'il y a également une évolution significative dans la conception du temps de travail ? La pratique des jeunes médecins diffère considérablement de celle de leurs prédécesseurs, sans porter de jugement de valeur. Cette transition rapide d’une génération à l’autre, combinée à la réduction du nombre de médecins formés entre 1983 et 2003, a accentué, non pas la désertification médicale, mais la difficulté d'accès aux soins pour de nombreux citoyens.

Face à la multiplication des réformes partielles, ne serait-il pas opportun d'envisager une refonte complète de la formation médicale ? Par exemple, nos voisins allemands forment leurs médecins en six ans, contre neuf à dix ans en France, sans pour autant compromettre la qualité des soins. Nous réfléchissons à une restructuration selon le modèle LMD (Licence, Master, Doctorat), avec potentiellement une base commune aux différentes professions de santé pour favoriser une meilleure compréhension mutuelle.

J'aimerais connaître votre opinion sur cette approche. Pensez-vous qu'une réinvention totale du système de formation médicale serait préférable à l'accumulation de mesures parcellaires qui, in fine, ne satisfont personne ?

M. Raphaël Dachicourt. Je souhaite apporter des précisions concernant votre première question sur le temps de travail des jeunes médecins. Effectivement, les jeunes praticiens travaillent moins, ce qui reflète une volonté louable d'équilibrer vie professionnelle et vie privée, notamment pour des raisons de santé physique et mentale. Les données de 2021 sont alarmantes : 45 % des médecins généralistes libéraux présentaient des symptômes de burn-out. L'enjeu actuel pour les jeunes médecins est donc de pouvoir soigner mieux et plus longtemps. Un médecin en bonne santé est plus à même de prodiguer des soins de qualité à ses patients.

Concernant la différence de temps de travail des médecins généralistes entre générations, l'enquête conjointe du Collège de la médecine générale et de l'Ordre des médecins apporte un éclairage intéressant. Le delta n'est pas aussi important qu'on pourrait le penser : les moins de 40 ans travaillent en moyenne 8,1 demi-journées par semaine, contre 8,9 demi-journées pour les plus de 60 ans. Ces chiffres nuancent considérablement l'idée qu'il faudrait deux, voire deux jeunes médecins et demi pour remplacer un praticien plus âgé. Il convient donc d'être prudent avec cette affirmation.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il est primordial de prendre en compte l'augmentation de la population, qui nécessite naturellement plus de médecins. Le ratio de 2,3 jeunes médecins pour remplacer un praticien expérimenté ne s'explique pas uniquement par l'accroissement des tâches administratives. Il résulte de la combinaison de plusieurs facteurs, dont la féminisation de la profession et l'augmentation démographique. Les études scientifiques qui avancent ce ratio de 2,3 pour 1 intègrent en réalité trois à cinq critères cumulatifs.

M. Raphaël Dachicourt. Il est essentiel d'éviter une interprétation erronée basée uniquement sur le temps de travail apparent. Mes propos concernent spécifiquement les médecins généralistes traitants installés en médecine de ville. Nous observons actuellement une orientation vers d'autres modes d'exercice, précisément parce que certains acteurs proposent des conditions de travail plus compatibles avec une vie de famille. Par exemple, les centres de santé offrent des contrats de 35 à 39 heures, tout comme certaines structures médico-sociales telles que les soins de suite et de réadaptation. Dans ces contextes, la définition du temps plein correspond au droit du travail classique, alors qu'un médecin généraliste libéral travaille en moyenne 54 heures par semaine.

Cette disparité explique en grande partie la crise d'attractivité que connaît la médecine libérale. Actuellement, ce mode d'exercice n'est pas compatible avec un temps de travail de 35 à 39 heures, ce qui influence naturellement les choix d'installation des jeunes praticiens.

M. Bastien Bailleul. Je souhaite compléter les propos de Raphaël en évoquant des chiffres antérieurs concernant le temps de travail. L'étude de 2019 indiquait que les médecins de moins de 50 ans travaillaient en moyenne 41,5 heures par semaine, auxquelles s'ajoutaient 7 heures et 30 minutes pour les tâches annexes telles que la gestion, la coordination, la formation et la comptabilité. Pour les praticiens de plus de 50 ans, ces chiffres s'élevaient respectivement à 46,5 heures et 7 heures 30 minutes. Ces données illustrent la charge de travail significative des médecins généralistes, toutes générations confondues.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il serait intéressant de disposer des données concernant les médecins âgés de plus de 60-65 ans.

M. Bastien Bailleul. Il est important de souligner l'évolution de la nature même de la consultation et de la relation médicale. Notre formation actuelle met l'accent sur une approche radicalement différente de celle des générations précédentes. Nous passons d'un modèle descendant, où le médecin imposait le traitement qu'il jugeait le meilleur, à un modèle de décision médicale partagée. Cette nouvelle approche nécessite davantage de temps pour expliquer au patient la nature de son affection et les options thérapeutiques envisageables, lui permettant ainsi de participer activement à la décision.

Cette relation médicale renouvelée favorise une meilleure appréhension de l'ensemble des pathologies du patient, y compris celles qui ne sont pas évoquées spontanément, et permet de mettre en place des stratégies de prévention efficaces. Bien que les bénéfices de cette approche ne soient pas immédiatement visibles, elle contribuera à réduire le nombre de consultations à long terme. Il est donc essentiel de ne pas se limiter à une comparaison quantitative du nombre de consultations entre générations, mais de prendre en compte la qualité des soins prodigués.

M. le président Jean-François Rousset. Votre intervention précédente a soulevé trois points cruciaux. Premièrement, vous avez mentionné des actes superflus. Il serait intéressant de préciser lesquels, selon vous. Deuxièmement, vous avez évoqué des leviers existants, mais sous-exploités. Pourriez-vous les identifier ? Enfin, vous avez abordé la question des guichets uniques, un sujet discuté depuis 2022. Quelle est la situation actuelle de leur mise en place, et quel rôle l’ARS pourrait-elle jouer dans ce contexte ?

M. Killian L’Helgouarc’h. La désaffection des internes et des étudiants pour l'exercice libéral s'explique principalement par le manque de préparation dans notre cursus de formation. Nous attendons de voir les effets de la réforme prévoyant une quatrième année de médecine générale, censée nous préparer au monde libéral, bien que les premières orientations ne semblent pas aller dans la bonne direction. Actuellement, nous ne sommes absolument pas formés à l'installation en libéral, qui implique de devenir chef d'entreprise, avec les responsabilités que cela comporte, comme la gestion du personnel. Cette situation est d'autant plus paradoxale que nous évoluons principalement en milieu hospitalier universitaire, où nous n'avons même pas de contrat de travail à proprement parler.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il est frappant de constater que dans un cursus de dix ans, il n'y a pas une seule année, ni même un semestre, consacrée à l'apprentissage des compétences essentielles en gestion, comptabilité et management. La quatrième année envisagée vise à combler cette lacune, mais cela soulève une question plus large : pourquoi n'y a-t-il aucun enseignement en relations humaines ou en management, des compétences pourtant cruciales même dans un contexte hospitalier, où les médecins peuvent être amenés à occuper des postes de chef de service ou de pôle ? Cette absence de formation aux aspects non médicaux de la profession est une lacune majeure dans la préparation des futurs praticiens.

M. Killian L’Helgouarc’h. En matière de relations humaines, nous disposons certes de simulations pour l'annonce de diagnostics graves, notamment de cancers, aux patients. Cependant, nous manquons cruellement de formations spécifiques. Concernant les praticiens hospitaliers, nous insistons précisément sur la nécessité de former les chefs de service au management, compétence fondamentale dans l'exercice de leurs fonctions. Un temps dédié au management leur est d’ailleurs alloué dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.

Nous sommes particulièrement favorables à une réforme en profondeur de la formation, axée sur une approche territoriale. Pour illustrer ce point, permettez-moi de partager mon expérience personnelle. En tant qu'interne de médecine générale, j'ai été amené à changer fréquemment de lieu d'exercice, passant de l'Aveyron à Perpignan, puis à Nîmes, Mayotte, à nouveau à Nîmes, à Béziers, et enfin à Paris. Chaque affectation ne durant que six mois, il m'a été impossible de créer des liens durables, qu'ils soient amicaux ou familiaux, dans ces différents territoires.

Notre proposition vise à établir un cursus médical davantage ancré dans les territoires, permettant aux étudiants issus d'un bassin de vie spécifique d'y effectuer des stages tout au long de leur formation. Actuellement, cette approche est entravée par le manque de terrains de stage disponibles dans les territoires. La Conférence des doyens s'est largement penchée sur cette question fondamentale de la territorialisation des formations. Cette démarche est fondamentale pour favoriser l'installation des médecins. Les études le démontrent clairement : un praticien familier d'un territoire a trois à quatre fois plus de chances de s'y installer définitivement.

L'exemple de Mayotte, que je connais bien, est particulièrement éloquent. Lors de mon passage, un interne originaire de l'île y développait sa maison de santé pluriprofessionnelle. Il est peu probable qu'un praticien extérieur décide spontanément de s'installer à Mayotte pour y créer une MSP. Cela souligne l'importance capitale de la territorialisation dans toute réforme approfondie de la formation médicale.

M. Lucas Poittevin. Concernant la formation, et plus particulièrement la formation initiale, il convient de souligner que nous avons déjà entrepris une refonte complète. Tous les cycles ont été successivement réformés. Néanmoins, on peut reprocher à ces réformes un manque de coordination, ce qui a pu nuire à leur efficacité globale. En effet, nous avons procédé à un morcellement des différentes réformes.

Vous suggérez de réduire la durée des études pour s'aligner sur les pratiques européennes. Paradoxalement, nos enseignants justifient l'allongement des diplômes d'études spécialisées (DES) qu'ils proposent par la nécessité de se conformer aux normes européennes. Chaque année, nous recevons des demandes d'enseignants de diverses spécialités d’ajouter une année supplémentaire à leur cursus, que ce soit en dermatologie, en psychiatrie - comme cela s'est produit récemment -, en neurologie ou en cardiologie. Il semble y avoir une course à l'allongement des DES.

Aujourd'hui, la question n'est pas tant de réduire ni d’augmenter la durée des études que de stabiliser le cursus actuel. L’essentiel de l'apprentissage en médecine se fait dans la pratique, au contact des patients, que ce soit en cabinet ou en service hospitalier. C'est dans ces situations concrètes que l'on acquiert véritablement des connaissances.

Force est de constater que les réformes n'ont peut-être pas tenu toutes leurs promesses. Prenons l'exemple de la réforme du deuxième cycle : nous avions demandé un cycle plus professionnalisant, avec une hiérarchisation des connaissances en trois niveaux - fondamentales (rang A), spécialisées, mais essentielles (rang B), et spécifiques à chaque spécialité (rang C). Malgré l’introduction de cette réforme, nous nous sommes heurtés à la réticence des collèges de spécialités à réduire leur socle de connaissances. Chaque discipline, de la cardiologie à la dermatologie en passant par la pneumologie, a considéré l'ensemble de ses connaissances comme fondamentales, rendant la réduction du volume de connaissances superficielle, voire ineffective.

Face à ce constat, nous nous interrogeons sur la pertinence de déconstruire entièrement un système déjà fragile dans l'espoir de l'améliorer, alors que l'expérience récente révèle les nombreuses difficultés, pédagogiques, politiques ou autres, auxquelles nous nous heurtons.

Quant à votre proposition d'adopter un modèle Licence/Master/Doctorat, je tiens à exprimer une réserve. Bien que je comprenne votre volonté d'aligner les études médicales sur le modèle universitaire classique, il faut rappeler que les études de santé ne se sont jamais adaptées à ce modèle. La formation des professionnels de santé est guidée non seulement par des impératifs pédagogiques visant à former des praticiens compétents et prêts à exercer, mais aussi par les besoins en santé de la population. Ce qui n'est pas le cas dans d'autres filières universitaires, concentrées sur l’apport d’un bagage pédagogique permettant la diversification d’exercice.

Ne serait-il pas plus judicieux de maintenir notre focus sur ces deux principes fondamentaux - les besoins des territoires et les exigences pédagogiques - plutôt que de tenter d'imposer un système qui n’est pas nécessairement utile ? Un étudiant en médecine n'aura généralement pas besoin de se confronter à d'autres filières ou de transposer son parcours. Cette proposition risque alors de créer plus d'obstacles qu'elle n'apporte de solutions, alors que d'autres approches pourraient être plus pertinentes et efficaces.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. J'entends vos arguments, mais permettez-moi d'apporter quelques nuances. Vous avez évoqué à plusieurs reprises des études sur la santé mentale des étudiants. Or, il est fort probable que, comme dans de nombreuses professions, certains médecins soient amenés à changer de voie, que ce soit suite à un burn-out ou pour d'autres raisons. Dans cette optique, si nous mettions en place le type de formation que nous proposons, ces passerelles deviendraient envisageables et potentiellement bénéfiques.

Par ailleurs, considérant que le socle de base est commun à toutes les études de santé, l'intégration de cours sur les relations humaines et le management serait globale. Ces compétences sont indispensables dès lors qu'on est amené à interagir avec autrui, que ce soit avec les patients, les secrétaires, les infirmières, ou les aides-soignantes. Les bases managériales sont particulièrement importantes dans un contexte où des liens hiérarchiques, formels ou informels se créent, notamment en milieu hospitalier.

Dans cette perspective, une refonte plus globale de la formation aurait toute sa cohérence. Cela n'invalide en rien vos propos précédents. Au contraire, cette approche globale nous permettrait d'intégrer la territorialisation que vous préconisez, ainsi que les aspects managériaux, peut-être dans les années 4-5 ou 7-8 du cursus. Ainsi, nous pourrions concilier les différents objectifs que nous avons évoqués, tout en préservant la spécificité et la qualité de la formation médicale.

Il s'agit d'une refonte complète plutôt que d'une simple adaptation du système actuel. L'intégration de la territorialisation soulève des questions cruciales. Les professeurs des DES souhaitent une spécialisation accrue, ce qui prolongerait la durée des études. J'ai échangé avec des coordinateurs de DES qui expriment le vœu d’enseigner à leurs étudiants plus longtemps, du fait de la complexité croissante des connaissances scientifiques. Ils reconnaissent cependant la nécessité d'une opérationnalité rapide et le besoin des étudiants d'acquérir une expérience de terrain. Cette dualité entre le souhait d'une formation approfondie et l'impératif d'une mise en pratique rapide crée une tension évidente dans la conception du cursus.

Mme Géraldine Bannier (Dem). En tant que députée de la Mayenne, je suis particulièrement concernée par la problématique de la répartition des médecins. Notre proximité avec les citoyens nous confronte directement à la réalité des territoires sous-dotés, bien en deçà de la moyenne nationale. Cette situation engendre une véritable souffrance. Dans notre département, la pénurie touche de nombreuses spécialités : des délais importants, jusqu’à un an, auprès des dentistes, ophtalmologues, gynécologues. Seulement 10 % de nos habitants ont un médecin traitant, et ce malgré l'attractivité de notre territoire qui offre de l'emploi, de la sécurité et un cadre de vie agréable.

Nous sommes pris en étau entre les demandes pressantes de nos concitoyens et notre reconnaissance envers les médecins présents, dont nous apprécions l'engagement. Cette situation nous contraint parfois à soutenir des mesures par défaut, faute de propositions concrètes émanant de la profession pour améliorer l'accès aux soins.

Concernant la territorialisation des études, je propose deux pistes de réflexion. Premièrement, ne devrions-nous pas étendre le cursus à Laval, qui affiche déjà d'excellents résultats, en proposant une deuxième année pour les étudiants issus de milieux défavorisés, voire l'intégralité du cursus ? Cette option serait particulièrement bénéfique pour cette population, réduisant les coûts et renforçant leur attachement au territoire. Deuxièmement, j'émets des réserves quant à l'efficacité de la quatrième année d'études en zones sous-dotées. Par exemple, j’ai échangé avec deux psychiatres en fin de carrière, qui estiment ne pas être en mesure d'accueillir des stagiaires du fait de leur âge et de l’absence d’un confrère dans leur cabinet ; ce qui illustre les limites de cette approche. Je crains que cette expérience ne dissuade les jeunes de s'installer durablement dans ces régions.

Je préconise plutôt l'instauration d'un service médical post-diplôme d'un an. Ce dispositif, proposé au volontariat, offrirait aux jeunes médecins une solution clé en main, que ce soit sous forme de salariat ou d'exercice libéral facilité, dans des zones préalablement identifiées comme prioritaires. Cette expérience pourrait s'avérer enrichissante et ouvrir de nouvelles perspectives professionnelles, à l'instar de mon propre parcours d'enseignante.

Notre objectif est de collaborer avec vous pour trouver des solutions constructives, au-delà des conflits.

M. Raphaël Dachicourt. Je vous remercie pour ces questions pertinentes. Je tiens à clarifier que je n'ai pas nié l'existence d'inégalités de répartition, mais plutôt souligné que ce n'est pas le cœur du problème. La difficulté d'accès aux soins relève principalement d'un déficit quantitatif. Les chiffres sont éloquents : entre 2012 et 2021, la démographie des médecins généralistes a chuté de 5,6 %, tandis que celle des sages-femmes en libéral a augmenté de            144 %, des dentistes de 51 % et des infirmiers de 49 %. Ces dynamiques démographiques divergentes rendent toute comparaison hasardeuse.

Malgré cette baisse, les médecins généralistes demeurent la profession de santé la mieux répartie sur le territoire. Selon les données de l'Assurance maladie, l'écart entre les départements les mieux et les moins bien dotés n'est que de 1,7 pour les médecins généralistes, contre plus de 2, voire 3, pour les autres professions de santé.

Concernant la territorialisation, je soutiens pleinement votre proposition. C'est effectivement un axe d'action prioritaire sur le long terme, sur lequel nous avons malheureusement perdu une décennie. Il est désormais urgent d'établir des antennes universitaires couvrant l'intégralité du cursus, pas uniquement la première année. Nous nous appuyons sur les données de la Dress, dans une revue de littérature internationale, qui démontrent l'impact significatif de cette approche sur la rétention des médecins dans les territoires sous-dotés. L'expérience de pays comme l'Australie, le Japon et le Canada, avec leurs facultés de médecine rurales, est particulièrement probante.

Notre proposition privilégie des antennes universitaires rattachées à des pôles existants, combinées à un virage ambulatoire de la formation. Il est en effet contre-productif de former des étudiants majoritairement à l'hôpital pour ensuite s'étonner qu'ils ne s'installent pas en ville ou qu'ils restent cantonnés aux grands campus universitaires où ils ont passé une décennie de leur vie. Cette approche constitue un levier puissant pour augmenter l'offre de soins dans les territoires qui en ont le plus besoin.

Il est impératif de revaloriser le rôle du médecin traitant face à la prolifération d'activités annexes. Nous constatons un effondrement de la médecine libérale, particulièrement chez les médecins traitants, en raison de l'émergence d'offres alternatives nécessitant également des médecins. Il importe de prendre en compte les données suivantes : l'activité salariée hospitalière a augmenté de 17 %, tandis que l'activité libérale a diminué de 15 %. Ces chiffres démontrent clairement que si nous concentrons tous les effectifs à l'hôpital, nous vidons les cabinets de ville, et vice versa. Il est donc essentiel de considérer l'ensemble de ces dynamiques.

Concernant l'organisation du système de santé, de nombreuses mesures doivent être mises en place pour favoriser la coopération interprofessionnelle. Cependant, cette coopération doit se fonder sur la confiance et la flexibilité accordées aux équipes qui se forment sur le terrain, telles que les équipes de soins primaires, les maisons de santé et les centres de santé. Il est illusoire de concevoir une coopération à l'échelle nationale en supposant qu'elle s'appliquera uniformément partout. La souplesse est indispensable dans ce domaine.

Quant au service médical à la nation que vous avez évoqué, nous préconisons une approche basée sur un statut plutôt que sur une année de service. Le statut de médecin-assistant, similaire à celui de remplaçant, mais exercé en parallèle, pourrait servir de modèle. Ce statut a pour vocation principale d'apporter un renfort, notamment dans les territoires en tension, comme les zones sous-dotées. En développant ce concept autour du statut d'assistant, nous pourrions créer un système de volontariat attractif dans les zones sous-dotées, offrant plus de souplesse qu'une installation classique et atténuant les appréhensions des jeunes médecins face à l'installation. Cette approche pourrait être intégrée dans le cadre du pacte de François Bayrou sur le statut de praticien territorial de médecine ambulatoire.

Pour répondre à la demande de soins, il est nécessaire de libérer du temps médical en éliminant les consultations inutiles et administratives. Hadrien Clouet a déposé une proposition de loi à ce sujet. Des mesures concrètes peuvent être envisagées, telles que l'autodéclaration pour les arrêts de travail de courte durée, déjà mise en place dans des pays comme le Portugal ou la Belgique, la suppression des certificats pour enfants malades et des certificats sportifs, la simplification des prescriptions de transport, et l'assouplissement des renouvellements de soins pour les auxiliaires médicaux concernant les patients en ALD. Nos propositions en ce sens pourraient permettre d'économiser environ dix millions de consultations par an. Il est impératif d'agir sur ce levier pour optimiser notre système de santé.

M. Lucas Poittevin. Concernant la formation, il est essentiel de ne pas concevoir un modèle visant uniquement à permettre aux étudiants en difficulté de santé mentale de se réorienter. Notre objectif doit être de construire un cursus permettant aux étudiants de s'épanouir et d'être formés adéquatement, tout en reconnaissant les défis à relever dans ce domaine.

L'idée de cours communs entre différentes filières est déjà une réalité. Par exemple, les étudiants en médecine suivent des cours de chirurgie maxillo-faciale avec les étudiants en dentaire, et des cours de gynécologie avec les étudiants en maïeutique. Le service sanitaire constitue également un excellent exemple de coopération. Il convient de poursuivre dans cette voie plutôt que de se focaliser sur un tronc commun au-delà de la première année, qui est déjà interfilière (MMOPK : médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kinésithérapie).

Concernant la territorialisation, deux aspects sont à considérer. Premièrement, l'universitarisation des territoires, qui implique le développement de stages en périphérie, dans des centres hospitaliers non universitaires et en ambulatoire. Cette approche revêt une importance majeure et doit être accélérée, malgré les difficultés liées notamment au recrutement de maîtres de stage. Cette évolution est d'autant plus nécessaire que les promotions de facultés de médecine ont augmenté de 20 % en 2020, et que les CHU ne peuvent plus accueillir l'ensemble des étudiants.

Deuxièmement, il faut veiller à ce que la territorialisation de la formation offre toutes les garanties de réussite aux étudiants, notamment en termes de services universitaires. Cette démarche doit être basée sur des études et une concertation, plutôt que sur des initiatives parlementaires imposant arbitrairement une faculté de médecine ou une antenne par département. La pertinence doit primer sur une mesure nationale uniforme, d'autant plus que le contexte budgétaire actuel de l'enseignement supérieur rend de telles initiatives difficilement réalisables.

Mme Anne Le Hénanff (HOR). En tant que députée du Morbihan, je tiens à souligner que malgré l'apparente attractivité de notre région, nous sommes confrontés à des défis similaires à ceux évoqués par ma collègue de Mayenne. Notre territoire, bien qu'attractif, est vieillissant et certains secteurs, comme la presqu'île de Rhuys, sont considérés comme des zones tendues en termes d'accès aux soins.

Notre priorité, en tant que députés, est de garantir la satisfaction et l'accès aux soins de nos concitoyens, quel que soit leur lieu de résidence. C'est cette préoccupation qui guide nos actions quotidiennes.

Je tiens à souligner le rôle essentiel joué par les collectivités locales dans ce domaine. Les maires, en particulier, déploient des efforts considérables pour répondre aux besoins de leurs administrés. Ils mettent à disposition des locaux, des terrains, et vont jusqu'à salarier des médecins. Il est important de reconnaître et de valoriser ces initiatives locales.

Face à la multiplication des réformes, je rejoins l'avis de ma collègue, mais je l'exprimerai peut-être plus directement : si la profession médicale ne prend pas elle-même les choses en main, il n'est pas surprenant que les législateurs s'emparent du sujet et tentent de trouver des solutions. Ces solutions peuvent parfois sembler inadaptées ou injustifiées, et je comprends que vous puissiez les vivre difficilement. Cependant, cette situation découle directement de l'absence d'initiatives suffisantes de la part de votre profession pour résoudre ces problématiques.

Je souhaite vivement que nous collaborions pour trouver des solutions communes. Il est essentiel de comprendre que nous accomplissons simplement notre devoir d'élus, mandatés par les citoyens. J'attends avec grand intérêt vos propositions détaillées par écrit, émanant de votre profession. La médecine avancée et la délégation de certaines tâches à d'autres professionnels de santé retiennent particulièrement mon attention, car elles répondent à des besoins concrets. Nous, parlementaires, réfléchissons activement à élargir les compétences des infirmières, des pharmaciens et des kinésithérapeutes. Cette approche vise à vous libérer du temps pour vous concentrer sur l'essentiel de votre pratique, notamment les aspects cruciaux précédant l'hospitalisation.

Concernant la territorialisation, je peux vous présenter l’exemple du centre hospitalier de Vannes dans ma circonscription. Son directeur et ses équipes travaillent assidûment sur l'aménagement du territoire en santé, un concept que nous, élus, promouvons également. Le médecin généraliste joue un rôle central dans cette stratégie d'aménagement. J'aimerais connaître votre point de vue sur ce sujet et savoir si vous menez des réflexions similaires.

Enfin, j'adresse une question simple, mais cruciale à vous cinq, futurs médecins : quels facteurs détermineront votre choix d'installation dans un territoire plutôt qu'un autre ?

Raphaël Dachicourt. Je suis profondément déconcerté par cette demande réitérée de propositions. Depuis cinq à six ans, nous soumettons inlassablement des documents détaillés. Rien que cette année, nous avons produit quatre rapports substantiels sur l'accès aux soins, dont un spécifiquement consacré aux déterminants de l'installation des jeunes médecins. Ces travaux s'alignent parfaitement avec les conclusions des rapports internationaux, la Drees, le Hcaam, l'Irdes et d'autres organismes reconnus, identifiant systématiquement les mêmes facteurs clés.

Nous avons même élaboré une proposition de loi prête à l'emploi, transmise aux députés, synthétisant les mesures nécessaires. Malheureusement, aucun retour ni soutien n'ont été apportés à cette initiative. Des actions politiques concrètes sont indispensables, car les médecins sur le terrain sont déjà surchargés.

Prenons l'exemple du golfe du Morbihan. Le zonage actuel, basé sur la proposition de loi Garot, considère comme surdotées des zones qui, en réalité, ne connaissent aucunement une surabondance de médecins. Je peux témoigner personnellement de cette situation, étant installé dans la métropole lilloise, dans une zone d’action renforcée (ZAR), une catégorie intermédiaire spécifique à la Bretagne et aux Hauts-de-France. Bien que non classée comme sous-dotée selon la PPL Garot, je vois quotidiennement des patients en difficulté pour trouver un médecin traitant, certains recherchant six mois ou plus.

Le problème est fondamentalement quantitatif. Les solutions passent inévitablement par la formation, la réorganisation du système de santé et la libération du temps médical. Les autres mesures, bien que potentiellement utiles, ne répondent qu'à des problématiques spécifiques. Par exemple, les consultations avancées ou les médicobus ciblent principalement l'éloignement géographique, une problématique qui ne concerne qu'une minorité des territoires sous-dotés ; d’où l’élaboration d’un autre zonage en cours visant 2,8 % de la population.

L'approche la plus prometteuse réside dans le soutien aux structures existantes et le développement de dynamiques territoriales, s'appuyant sur des leaders locaux et des équipes performantes. Les guichets uniques, déjà mis en place avec succès dans certaines régions comme les Pyrénées-Atlantiques avec Présence Médicale 64, démontrent l'efficacité d'un accompagnement personnalisé et d'une mise en adéquation précise entre les besoins identifiés des territoires et les attentes des jeunes professionnels.

Le défi actuel réside dans l'absence d'un organisme centralisant efficacement ces informations. Les ARS ne remplissent pas pleinement ce rôle, et les zonages actuels offrent une vision biaisée de la réalité territoriale. Une véritable territorialisation nécessite une identification directe des besoins sur le terrain et une mise en relation efficace avec les professionnels de santé.

M. le président Jean-François Rousset. Je tiens à souligner la continuité et les ruptures dans l'approche politique de cette question. Le concept de guichets uniques, initialement évoqué par le ministre François Braun, illustre la persistance de certaines idées malgré les changements fréquents de ministres de la Santé. En tant que députés, nous avons mené de nombreuses consultations auprès des étudiants, des jeunes praticiens et des médecins expérimentés, constituant une base de données substantielle. Cependant, la transformation de ces informations en propositions concrètes a été entravée par l'instabilité ministérielle. Actuellement, avec le ministre en place depuis six mois, nous nous trouvons dans une situation où chacun peut légitimement affirmer avoir fait des propositions ou mené des consultations, sans pour autant avoir pu les concrétiser pleinement.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je me remémore un débat récent sur Sud Radio, autour de la période de la crise du Covid, où le président d'honneur de la Fédération des médecins argumentait contre les mesures coercitives, citant l'exemple de Belle-Île-en-Mer. Il expliquait que la commune avait réussi à attirer des médecins en offrant un logement de fonction et un véhicule de service. J'ai dû lui faire remarquer que cette approche risquait de créer une médecine à deux vitesses, discriminant les collectivités n'ayant pas les moyens de proposer de tels avantages.

Concernant les propositions évoquées, je ne remets pas en question le travail des syndicats étudiants. Cependant, je peux témoigner que certaines propositions émanant d'autres représentants, non étudiants, manquaient de cohérence et s'avéraient inacceptables pour nous, élus.

M. Killian L’Helgouarc’h. En tant qu'interne en médecine générale, je souhaite partager mon expérience personnelle concernant mon choix d'installation. J'ai décidé de m'établir à Langogne, en Lozère, une zone d'intervention prioritaire classée rouge, donc plus critique encore que dans votre circonscription. Ce choix s'explique par deux facteurs principaux qui influencent généralement les décisions d'installation des médecins : le lieu de naissance ou les lieux de stage. Dans mon cas, bien que natif du Finistère, j'ai opté pour la Lozère suite à un stage qui m'a particulièrement plu.

La transition de la Bretagne à la Lozère a été facilitée par la mise à disposition d'un logement dès mon premier stage. Sachant que pour de nombreux étudiants, même des déplacements relativement courts peuvent sembler considérables, surtout en début de cursus. L’enjeu consiste à proposer des opportunités de formation proches du lieu d'origine des étudiants dans les premières années, tout en encourageant une installation future dans ce même bassin de vie.

J'ai également souscrit au contrat d’engagement de service public (CESP), un dispositif étatique visant à attirer les médecins dans les zones sous-dotées en échange d'une rémunération mensuelle. Cependant, je dois souligner que l'accompagnement promis dans le cadre de ce contrat s'est avéré inexistant. Le suivi par l’ARS de rattachement est minimal, se limitant au mieux à un e-mail annuel. Cette situation met en lumière les défaillances d'un système conçu pour améliorer l'attractivité des territoires en difficulté, mais qui, dans les faits, se résume à une simple incitation financière sans réel accompagnement.

Dans ma recherche d'un lieu d'exercice, j'ai contacté de multiples ARS pour obtenir des informations sur les possibilités correspondant à mon projet professionnel. Malheureusement, aucune n'a été en mesure de me fournir des réponses satisfaisantes et personnalisées. Cette expérience m'a convaincu de la nécessité de repenser l'échelle d'action, en privilégiant peut-être un niveau départemental, impliquant davantage les collectivités locales et les Unions régionales des professionnels de santé (URPS), qui ont une connaissance plus fine des réalités du terrain.

Il est également primordial de maintenir le lien entre les étudiants en médecine et leur territoire d'origine. Actuellement, il n'existe pas de suivi systématique des étudiants originaires d'un territoire donné qui poursuivent leur parcours ailleurs. Cette lacune empêche les collectivités de rappeler à ces futurs médecins que leur région natale a besoin d'eux. L'enjeu n'est pas de dérouler le tapis rouge, mais de cultiver un sentiment d'appartenance territoriale tout au long du cursus, facteur déterminant dans le choix final d'installation.

Mme Béatrice Bellamy (HOR). Je vous remercie pour vos interventions. En tant que députée de la Vendée et mère d'un interne en médecine générale et belle-mère d'une interne en oncologie, je suis particulièrement sensible aux enjeux que vous soulevez. J'ai naturellement soutenu leur opposition à la proposition de loi Garot, que je n'ai pas votée.

En revanche, concernant la proposition du ministre Yannick Neuder d'imposer deux jours par mois d'exercice dans une zone sous-dense, je pense qu'il faut repenser notre approche de la classification des territoires. Avec 90 % du territoire français considéré comme en désertification médicale, il serait plus pertinent de considérer l'ensemble du pays comme zone d'installation potentielle, à l'exception des zones surdenses où l'installation serait déconseillée.

Un sujet qui m'inquiète particulièrement est la pénurie d'internes en psychiatrie, notamment en pédopsychiatrie. Compte tenu de la durée de formation nécessaire, entre douze et quatorze ans, pour exercer et enseigner dans ce domaine, nous accusons un retard préoccupant. Je m'interroge sur les raisons de ce désintérêt pour la psychiatrie chez les futurs médecins.

Par ailleurs, je constate des incohérences dans la classification des zones. Par exemple, La Roche-sur-Yon est désormais considérée comme zone surdense, alors que nous avons encore dix mille patients sans médecin traitant. Cette situation m'a conduite à ne pas voter la loi, malgré la pression de certains élus locaux, car elle risquerait de freiner l'installation de nouveaux médecins dans notre ville.

Enfin, je note une tendance chez certains médecins à privilégier des zones touristiques pour leur installation, comme Les Sables-d'Olonne ou La Tranche-sur-Mer, attirés par la possibilité de combiner exercice professionnel et loisirs. Cette tendance soulève des questions sur l'équilibre entre attractivité du cadre de vie et répartition équitable des professionnels de santé sur le territoire.

J'entends fréquemment ce discours, tant de la part des médecins que des paramédicaux. Ils expriment le désir légitime d'avoir une vie équilibrée, ce que je comprends parfaitement. Mon père, médecin généraliste de campagne, menait une vie professionnelle intense, pratiquant aussi bien des accouchements à domicile que des interventions vétérinaires en l'absence de spécialiste. Je conçois donc aisément que les nouvelles générations aspirent à un mode d'exercice différent.

Les internes que je rencontre manifestent clairement leur préférence pour un exercice en cabinet médical pluridisciplinaire, entourés de divers professionnels de santé. Ils privilégient un exercice partagé, une tendance que nous devons prendre en compte. Malheureusement, il semble que les élus locaux n'aient pas anticipé cette évolution, probablement par manque de concertation concrète sur le terrain. Nous constatons ainsi la création de maisons de santé, financées par les ARS, qui demeurent vides faute de médecins. Cette situation est regrettable et représente un gaspillage de ressources.

Concernant les délégations de tâches, nous avons réalisé des avancées significatives, notamment avec les pharmaciens pour la vaccination, et avec les infirmiers en pratique avancée (IPA) pour le suivi des maladies chroniques. Cependant, nous nous heurtons encore à la réticence de certains médecins, invoquant des locaux inadaptés ou une résistance au changement pour les plus expérimentés. Quelle est la position de la jeune génération sur ces délégations et sur l'intégration des assistants médicaux, qui peuvent considérablement alléger la charge de travail des praticiens ?

Des progrès ont été réalisés, comme la possibilité pour les infirmiers d'établir des certificats de décès. Je soutiens également l'idée d'autoriser les arrêts de travail de courte durée sans consultation médicale. Je suis convaincue que les salariés sauront faire preuve de responsabilité, peut-être même davantage que certains médecins qui, par précaution, prescrivent systématiquement des arrêts plus longs.

La situation des maisons de santé municipales mérite notre attention. À La Roche-sur-Yon, par exemple, une telle structure, employant 15 médecins pour environ 11 équivalents temps plein, génère un déficit annuel d'environ 1,5 million d'euros pour la ville. Ce modèle attire divers profils, y compris des médecins en fin de carrière cherchant un exercice et une qualité de vie plus confortable.

Concernant le pacte médical et la quatrième année d'internat, Yannick Neuder a annoncé des propositions pour juin, qui devraient être attractives, notamment en termes de rémunération. Rappelons que l'augmentation prévue du nombre d'internes, passant d'environ 7 000 en 2017 à potentiellement 16 000 en 2027, pourrait à terme conduire à un surplus de médecins.

Enfin, nous travaillons à l'universitarisation du département de la Vendée pour les deux premières années d'études médicales, ainsi qu'à l'intégration des deux années de master d'IPA. Ce processus est complexe, mais le changement récent de doyen à l'université de Nantes ouvre de nouvelles perspectives encourageantes.

M. Bastien Bailleul. Je vais tâcher de répondre à l'ensemble des questions pertinentes que vous avez soulevées. Concernant le pacte médical de lutte contre les déserts médicaux, annoncé par François Bayrou et porté par le ministre de la Santé, il ne se limite pas à la mesure des deux jours en zone sous-dotée. Nous avons constaté avec satisfaction que ce pacte intègre de nombreuses propositions que nous avions soumises au gouvernement en avril dernier lors des auditions. Cela témoigne d'une réelle écoute de nos recommandations.

Parmi les avancées notables, citons la suppression des certificats médicaux jugés superflus pour le sport, ainsi que la perspective d'étendre cette simplification aux arrêts de travail de courte durée, ce qui pourrait considérablement augmenter le temps médical disponible. Cependant, la mesure des deux jours en zone sous-dense. Elle ne résout pas le problème de fond, mais déplace simplement les médecins vers les patients, sans augmenter le nombre total de consultations. De plus, pendant ces déplacements, les patients du cabinet d'origine se retrouvent sans médecin.

Néanmoins, nous percevons des opportunités dans ces consultations avancées, notamment en termes de simplification des démarches administratives pour l'exercice dans ces territoires, ce qui pourrait inciter les remplaçants à se déplacer. Raphaël pourra certainement apporter son éclairage sur ce point spécifique.

Cette mesure doit reposer sur le volontariat pour la rendre attractive et redonner de l'intérêt aux médecins pour ce type d'exercice. L'objectif est de leur permettre de s'épanouir davantage dans leur travail et de consulter efficacement. Nous nous efforcerons de travailler dans cette direction pour optimiser l'impact de ces nouvelles dispositions.

La problématique du recrutement en psychiatrie s'apparente à celle d'autres spécialités. Le manque de familiarisation des étudiants à cette discipline est un facteur déterminant. La psychiatrie est généralement enseignée tardivement dans le cursus médical, et les opportunités de stages sont limitées. Cette situation s'explique en partie par la nature particulière de la pratique psychiatrique, qui ne permet pas d'accueillir un grand nombre d'étudiants auprès d'un même patient, contrairement à d'autres spécialités.

Une piste intéressante pour revaloriser l'attrait des stages en psychiatrie serait de développer des stages auprès de psychiatres exerçant en ambulatoire. Ces praticiens, en tant que médecins qualifiés, sont parfaitement aptes à former les futurs psychiatres. Cette approche offrirait aux étudiants l'opportunité de découvrir l'exercice de la psychiatrie en dehors du cadre hospitalier et universitaire.

Il convient de souligner que cette problématique de l'exercice ambulatoire ne se limite pas à la psychiatrie, mais concerne l'ensemble des spécialités médicales. La médecine générale n'est pas la seule à s'exercer en dehors des structures hospitalières.

Concernant les maisons de santé pluridisciplinaires, leur création a souvent été réalisée sans projet médical préalable. Cette approche est inadéquate. Il est essentiel que la création d'une maison de santé découle d'un projet médical concret. Il faut accompagner les médecins dans l'élaboration de leur projet avant de mettre en place la structure physique.

Quant à la question de la délégation des tâches, à l'Isnar-IMG, nous préférons parler de partage des tâches. Les jeunes générations de médecins sont davantage orientées vers un apprentissage collaboratif, impliquant à la fois les différentes spécialités médicales et les professions paramédicales. Cette approche nécessite une nouvelle organisation du système de santé, qui doit être testée et ajustée de manière appropriée.

L'élément essentiel à retenir est la nécessité d'une coordination efficace. Un exercice non coordonné serait contre-productif et risquerait de créer une concurrence non souhaitable entre les différents acteurs de santé. À l'inverse, une approche coordonnée, donnant du pouvoir décisionnel aux équipes locales, permettrait une organisation plus efficace et efficiente. Il est préférable de laisser les acteurs locaux s'organiser plutôt que d'imposer un modèle rigide au niveau national.

Concernant la quatrième année de formation, les chiffres récemment publiés soulèvent des interrogations. Cette année supplémentaire était initialement présentée comme une opportunité de préprofessionnalisation, visant à faciliter l'installation dans le secteur libéral, comme c’est le cas pour nos aînés rémunérés à l’acte. Cependant, le modèle de rémunération proposé, avec un salaire de 4 500 euros versé par le CHU, maintient un système de salariat qui ne prépare pas réellement à l'exercice libéral.

De plus, les conditions financières annoncées hier pour les maîtres de stage universitaires sont jugées insuffisantes par l'ensemble des représentants de la profession et le collège national des généralistes enseignants. L'indemnité de 1 200 euros pour les charges liées au cabinet ne couvre pas les frais réels et engendre même un déficit. Cette situation risque de dissuader les praticiens d'accueillir des docteurs juniors, compromettant ainsi la mise en place effective de cette quatrième année.

Face à ces difficultés, deux options se présentent : soit diriger les docteurs juniors de médecine générale vers l'hôpital, ce qui serait en contradiction avec l'objectif initial de formation à l'exercice libéral, soit reporter la mise en place de cette quatrième année, les conditions actuelles ne permettant pas sa réalisation effective.

M. le président Jean-François Rousset. Concernant la rémunération des maîtres de stage, il convient de préciser qu'elle s'élève à près de 3 000 euros par mois. Cette somme se décompose en 1 800 euros de base, auxquels s'ajoutent 800 euros par zone d'intervention et 400 euros pour la supervision.

Dr Sayaka Oguchi. En tant que maître de stage, engagée dans l'enseignement, je dois exprimer mes réserves quant aux conditions proposées actuellement. Les coûts liés à l'accueil d'un étudiant sont considérables : le loyer médical avoisine les 900 euros, auxquels s'ajoutent les frais de logiciel médical, de matériel, de secrétariat et de système de prise de rendez-vous. Dans ces conditions, je ne suis pas disposée à engager davantage de recherches. J'accueille déjà des internes de niveau 1 et 2 ainsi que des externes. Pour accueillir des docteurs juniors, il faudrait que je trouve un local supplémentaire, ce que je peux par ailleurs envisager en collaboration avec les collectivités locales.

M. le président Jean-François Rousset. Les députés ont évoqué la possibilité d'un soutien de la part des collectivités locales dans ce contexte. Des mesures ont été votées au fil des années. Certaines CPTS, par exemple, fonctionnent efficacement, finançant des assistants médicaux et d'autres dispositifs mis en place par les lois récentes.

Dr Sayaka Oguchi. Cependant, il faut noter que les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ne sont pas encore opérationnelles dans tous les secteurs. De plus, la difficulté réside dans la flexibilité nécessaire pour les projets des docteurs juniors. Ces projets peuvent nécessiter une présence dans différents lieux selon les jours, ce qui complique l'organisation sous le format actuel.

Mme Géraldine Bannier (Dem). Je souhaite soulever une question complémentaire concernant le statut d'assistant territorial ou de remplaçant. L'attribution de ces statuts est-elle corrélée au nombre de médecins existants dans une zone donnée ? Dans les départements déjà en déficit médical, les chances d'avoir des assistants médicaux territoriaux pourraient être réduites. Cette situation rappelle le déploiement de la télémédecine, où les zones les mieux dotées en médecins ont été privilégiées, en Loire-Atlantique en l’occurrence, laissant les départements en difficulté comme la Mayenne en dernière position. L'attribution de ces statuts devrait prendre en compte la densité médicale existante. C'est pourquoi je suis favorable à un statut totalement décorrélé de la présence d'un médecin sur place, car notre objectif principal est d'augmenter le nombre de médecins dans les zones sous-dotées.

M. Killian L’Helgouarc’h. Concernant les assistants, nous avons élaboré une proposition avec l’Anemf au début de l'année, en collaboration avec les médecins et les doyens, portant sur les assistants territoriaux. Cette initiative a ensuite évolué, prenant diverses appellations. Le pacte du Premier ministre sur les déserts médicaux évoque aujourd'hui des praticiens territoriaux, ce qui revient essentiellement au même concept. Notre proposition initiale visait à cibler des zones spécifiques en concertation avec les collectivités territoriales, les ARS et l'ensemble des acteurs concernés, afin d'identifier les besoins et d'orienter ces postes en conséquence.

Nous avons repris le statut d'assistant des hôpitaux existant, en le transposant au secteur libéral. Il est indéniable que les internes choisissant le statut d'assistant spécialiste des hôpitaux le font généralement dans l'optique d'une future installation en libéral. Ils seraient donc naturellement enclins à accepter ce type de poste. Pour la médecine générale, nous avons envisagé une évolution du statut d'assistant actuel, actuellement soumis à trois conditions strictes, en y ajoutant une quatrième option. Celle-ci permettrait, sous validation de l'ARS, d'exercer dans des zones considérées comme très déficitaires, offrant ainsi au médecin remplaçant la possibilité d'améliorer l'offre de soins sur le territoire plutôt que de se limiter à un simple remplacement. Nous sommes tout à fait favorables à cette approche et nous vous transmettrons nos propositions détaillées à ce sujet.

Quant aux collectivités territoriales, leur implication est déterminante. Certaines ont pris des initiatives remarquables, comme en Vendée, où un maire particulièrement engagé a repris notre charte du logement de 2018, cosignée par l'ensemble des structures concernées. Cette charte visait à définir les attentes des internes et des étudiants en matière d'accueil dans les territoires. Ce maire a même créé un label basé sur cette charte pour l'accueil des internes, une démarche fortement soutenue dans le département de la Vendée.

Concernant la rémunération de 4 500 euros, notre principale préoccupation porte sur les maîtres de stage universitaires, essentiels à la formation. Nous avons évoqué la possibilité de créer un statut de médecins accueillants, permettant à des praticiens plus âgés, peu enclins à encadrer des étudiants, de partager leurs locaux sans assurer de supervision directe.

Nous sommes particulièrement favorables aux assistants médicaux, qui permettent un gain de temps médical significatif sans ajouter de contraintes excessives pour le médecin. Bien que cela nécessite une formation adéquate et implique des responsabilités de management pour lesquelles nous ne sommes pas nécessairement préparés, il a été démontré que cette approche permet d'augmenter efficacement le nombre de patients pris en charge.

Concernant la proposition de loi Garot, nous y sommes fermement opposés pour les raisons que j'ai déjà exposées, notamment son inefficacité à résoudre les problèmes d'accès aux soins.

En revanche, nous sommes favorables à la proposition de loi Mouiller, qui sera bientôt examinée par la commission des affaires sociales.

La solidarité, portée dans le plan Bayrou, est au cœur de notre éthique médicale, comme en témoigne notre engagement constant dans les services hospitaliers. Je tiens à souligner l'initiative remarquable de Médecins solidaires, portée par le docteur Martial Jardel, qui a mis en place des centres de santé où les médecins, bien que modestement rémunérés, assurent une présence médicale continue tout au long de l'année grâce à un système de rotation hebdomadaire. De telles initiatives démontrent qu'il est possible d'améliorer l'accès aux soins sans recourir à une obligation de solidarité imposée par le gouvernement.

Une coordination territoriale efficace, probablement au niveau départemental, soutenue par les URPS et les guichets uniques, est essentielle. Il s'agit de réunir tous les acteurs concernés pour identifier les besoins en médecins dans chaque territoire et élaborer des solutions collectives clé en main, notamment en proposant des cabinets qui facilitent l'installation des praticiens sans leur imposer de charges supplémentaires. Cette approche collaborative nous semble être la voie la plus prometteuse pour résoudre les défis actuels d'accès aux soins.

M. Lucas Poittevin. Nous avons également élaboré une contre-proposition concernant la question de la solidarité territoriale. Notre opposition au principe initial repose sur plusieurs points de vigilance, notamment le fait que, dans sa forme actuelle, le plan prévoit qu'un médecin se déplace dans une zone sous-dotée tout en se faisant remplacer dans son cabinet d'origine. Cette approche présente plusieurs inconvénients : elle engendre une surcharge administrative, rompt la continuité des soins pour les patients et, in fine, ne génère pas d'augmentation du nombre de consultations comme le plan le prévoit.

Nous proposons de renverser cette logique en confiant aux ARS, en collaboration étroite avec les élus locaux qui connaissent parfaitement leur territoire, la mission d'établir une cartographie précise des zones en tension. Sur la base de cette cartographie, les ARS seraient chargées de coordonner la mise à disposition de centres de consultation avancée, c'est-à-dire des locaux équipés où les médecins pourraient exercer. Il incomberait ensuite aux médecins, par exemple par le biais du Conseil départemental de l’ordre des médecins, d'établir les plannings de garde pour assurer la continuité des soins dans ces territoires identifiés comme prioritaires.

M. le président Jean-François Rousset. Je me permets de nuancer votre propos concernant le rôle du Conseil de l'Ordre, qui me semble quelque peu éloigné des réalités territoriales. À mon sens, les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont mieux placées pour remplir ce rôle de coordination. Leur vocation est précisément de donner aux professionnels de santé, dont vous êtes, la liberté d'organiser la permanence des soins en s'adaptant aux besoins locaux, y compris pour ces consultations avancées.

Nous avons d'ailleurs formulé une proposition, acceptée par Yannick Neuder et élaborée en collaboration avec la CPTS du Sud-Aveyron, permettant à un étudiant docteur junior d'accompagner son maître de stage dans des zones dépourvues de médecins, sans nécessité d'ouvrir un cabinet secondaire. Cette approche offre la possibilité de couvrir intégralement le temps de formation d'un an auprès de plusieurs maîtres de stage.

Je vous rappelle que nous avons soumis cinq propositions cosignées, toutes acceptées par Yannick Neuder. Je vous propose de saisir les opportunités législatives qui peuvent vous soutenir dans votre mission. Les CPTS représentent un outil précieux, à condition que vous acceptiez de vous y investir pleinement. Vouloir conjuguer l'action des CPTS avec celle des conseils de l'ordre, des ARS et des maires pour organiser tout cela me semble revenir à un système déjà obsolète.

M. Lucas Poittevin. Notre proposition vise à garantir la continuité des soins dans les zones les plus en tension, en s'appuyant sur la responsabilité des médecins. Il est indéniable que les médecins, y compris les jeunes générations, font preuve d'un grand sens des responsabilités. En effet, 80 % des nouvelles installations en médecine générale se font dans les zones sous-denses. Nous avons également démontré précédemment que la durée de travail est loin d'être aussi faible qu'on pourrait le penser.

Le gouvernement a repris notre proposition de manière imparfaite dans la proposition de loi Mouiller, en l'ajoutant à la mesure initiale de l'article 3. Cette situation crée une confusion et rend la mesure inapplicable en l'état. J'anticipe que nous aurons l'occasion d'en discuter lors de sa mise en place.

Concernant la psychiatrie, bien qu'elle soit la troisième spécialité recevant le plus d'internes, entre 450 et 500, elle ne parvient pas à pourvoir à tous les postes ouverts face à des besoins considérables. Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Les étudiants en médecine, à l'instar de la population générale, ont souvent des préjugés sur la psychiatrie, en partie dus à certaines pratiques passées peu adaptées. Cependant, des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières années.

Une étude menée auprès des internes en psychiatrie révèle que l'expérience d'un stage dans cette spécialité peut changer positivement la perception des étudiants et potentiellement susciter des vocations. De plus, l'implication des médecins généralistes dans des activités psychiatriques contribue à améliorer l'offre de soins dans ce domaine.

Un autre enjeu majeur est le manque de financement pour la recherche en psychiatrie, ce qui freine l'amélioration des traitements. En comparaison avec d'autres spécialités comme la cardiologie, les options thérapeutiques en psychiatrie semblent parfois limitées, ce qui peut décourager les étudiants.

La santé mentale érigée en grande cause nationale en 2025 a permis d’actionner certains leviers. Ces efforts doivent être impérativement à poursuivre. Bien que la psychiatrie ne soit pas la branche qui apporte le plus de bénéfices en termes financiers, elle est partie intégrante de l’accès aux soins pour la population. C'est un enjeu d'avenir dont l'importance est désormais largement reconnue.

M. le président Jean-François Rousset. Madame Oguchi, pourriez-vous préciser vos attentes concernant l'accueil d'un docteur junior, notamment en termes financiers ? Nous sommes ouverts à l'idée d'augmenter les enveloppes, mais nous aimerions comprendre les critères que vous jugez essentiels pour prendre en charge un docteur junior.

Dr Sayaka Oguchi. Pour comprendre la situation, il est important d'expliquer le fonctionnement de la prise en charge des internes jusqu’alors.

En niveau 1, les internes consultent peu et principalement avec nous. Lorsqu'ils consultent seuls, l'acte qu'ils effectuent nous rémunère, en plus de notre rémunération mensuelle d'environ 100 euros en tant que maître de stage universitaire (MSU). Cela permet d'équilibrer notre engagement pédagogique.

En niveau 2, la situation est plus déséquilibrée, car les internes sont plus autonomes. Nous supervisons tous les actes à la fin de la journée ou intervenons ponctuellement en cas de besoin. La rémunération mensuelle reste inchangée, entre 100 et 150 euros, mais les actes sont plus intéressants. On demande alors aux MSU de s’engager auprès d’un externe, ce qui représente une charge supplémentaire de travail, bien qu’elle soit très enrichissante.

Le passage à un montant fixe pour les docteurs juniors soulève des inquiétudes. Il dissocie le maître de stage de la rémunération liée aux actes et soulève des questions sur les attentes pédagogiques. Notre engagement en tant que MSU est motivé par le désir d'apporter une formation de qualité, pas uniquement par des considérations financières.

Nous nous interrogeons également sur la pertinence de cette quatrième année pour la formation des étudiants. Notre objectif est de les préparer efficacement à s'installer, en leur donnant les outils nécessaires pour devenir chefs d'entreprise et managers, compétences essentielles pour l'avenir de la profession médicale.

M. Killian L’Helgouarc’h. Pour compléter les propos de ma collègue, le rapport sur la quatrième année recommandait une compensation des charges comprise entre 2 000 et 3 000 euros, variant selon le secteur d'exercice. Cette fourchette prend en compte les disparités géographiques, les charges étant naturellement différentes entre un cabinet du 16eme arrondissement de Paris et une zone rurale comme l’Aveyron.

M. Raphaël Dachicourt. Les charges d'un cabinet médical sont les suivantes. Elles comprennent le loyer ou les frais fonciers, l'équipement informatique, le secrétariat, les logiciels, les divers abonnements, les salaires des assistants médicaux, les frais de nettoyage, tous les coûts inhérents au fonctionnement de l'entreprise. Selon les chiffres de l’ARAPL des dernières années, ces charges s'élèvent en moyenne à 2 500 euros mensuels. Par conséquent, une rémunération de 1 200 euros pour accueillir un interne en quatrième année serait largement insuffisante et entraînerait un déficit. Un interne nécessite son propre espace de travail pour exercer en parallèle, ce qui implique des coûts supplémentaires. Il est donc inconcevable qu'un maître de stage accepte de perdre des milliers d'euros chaque mois pour accueillir un interne en docteur junior.

Concernant les aides financières à l'installation, notre rapport sur les déterminants à l'installation a démontré qu'elles ne constituent pas le facteur principal de décision. Nous ne préconisons pas une surenchère d'aides financières de la part des collectivités. Des initiatives intéressantes émergent sur le terrain, comme des chartes de non-concurrence entre territoires, visant à éviter cet effet d'aubaine qui ne répond pas aux véritables attentes des médecins. Ces dernières relèvent davantage de l'accompagnement humain et de la mise à disposition de locaux adaptés au projet professionnel, plutôt que l'inverse.

L'installation d'un médecin sur un territoire s'inscrit dans une dynamique locale. Mon expérience personnelle illustre ce phénomène. J'ai choisi de rester dans la maison de santé où j'ai effectué mon dernier stage d'internat, séduit par l'équipe et la cohérence avec mon projet personnel. Aujourd'hui, cette structure est victime de son succès et fait face à des problèmes de locaux, ne pouvant plus accueillir d'assistants médicaux ou d'infirmières Asalée faute d'espace. Cette situation est fréquente dans les structures créées il y a 10 à 15 ans, qui n'ont pas anticipé ce développement, abordant d’abord la question du local et de son coût. Pour résoudre ce problème, nous collaborons avec notre CPTS et les communes environnantes pour créer une nouvelle maison de santé à proximité, sur un territoire ZAC, illustrant ainsi les dynamiques territoriales qui se mettent en place.

Concernant les consultations avancées, l'appui sur les CPTS est pertinent, mais insuffisant. L'échelle départementale semble plus appropriée pour mutualiser efficacement les ressources, en zone critique notamment. Ce qui rejoint effectivement la logique du guichet unique évoqué précédemment.

Quant à la délégation de tâches, je préfère parler de partage de compétences ou de transfert de tâches. Un point de vigilance doit être porté à la réflexion sur l'évolution des professions de santé et à la préservation de leur expertise spécifique. Prenons l'exemple des pharmaciens : leur nouvelle implication dans la vaccination et les tests rapides est positive, mais ne doit pas se faire au détriment de leur expertise pharmaceutique, notamment dans les bilans de médication dont nous avons grandement besoin, bien qu’ils soient moins rentables. Tâchons ainsi d’attribuer de manière cohérente les missions de chacun. Un de nos besoins principaux se situe sur l’allégement des tâches administratives.

En outre, le modèle des infirmiers Asalée est particulièrement apprécié des médecins généralistes. Ces professionnels assurent l'éducation thérapeutique, en suivi gériatrique par exemple, des tâches chronophages, mais essentielles que les médecins peinent à assurer faute de temps. Leur statut salarié par l'association Asalée offre une flexibilité appréciable.

Enfin, concernant les assistants médicaux, outre la problématique des locaux, se pose la question de l'augmentation de la patientèle exigée par l'Assurance maladie. Il est légitime de s'interroger sur la pertinence d'accroître encore la charge de travail des médecins généralistes, alors que leur patientèle a déjà augmenté de 8,5 % depuis 2016 et que la durée moyenne de consultation est de 16 minutes. Quel est l'objectif ? Souhaitons-nous réduire la durée des consultations à 8 minutes comme en Allemagne ? Ces questions fondamentales méritent d'être débattues publiquement.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je souhaite revenir sur un point évoqué précédemment concernant les aides financières à l'installation. Depuis 2017, la CPAM a distribué plus de 124 millions d'euros d'aides à l'installation, sans compter les aides étatiques et celles des collectivités locales. Cependant, il a été noté que ces aides ne constituent pas un argument déterminant pour l'installation des médecins. En tant que représentant syndical, notamment des jeunes médecins, quelle est votre position sur ce sujet ? Dans un contexte où nous devons réaliser de plus en plus d'économies, ne serait-il pas pertinent de proposer la suppression de ces aides à l'installation ? Cette concurrence entre collectivités ne fait que créer des « mercenaires » - j'emploie ce terme à dessein - sans apporter de réelle valeur ajoutée, si j'en crois vos propos.

M. Raphaël Dachicourt. Il existe effectivement plusieurs types d’aides : les aides conventionnelles, celles des collectivités et celles des ARS. Le problème majeur réside dans le fait qu'aujourd'hui, un interne ou un étudiant ignore totalement l'existence et la nature de ces aides. C'est un véritable chaos au niveau national. Les aides financières ne sont pas dénuées d'utilité. Notre rapport les décrit comme un « plus » sans pour autant les identifier comme déterminantes pour le choix du lieu d'installation. Elles peuvent avoir un impact entre deux zones frontalières, mais pas entre deux territoires éloignés aux caractéristiques différentes.

Par conséquent, nous préconisons un dosage judicieux de ces aides, en les intégrant de manière à répondre à un besoin réel. Nous avons travaillé sur les aides conventionnelles en les différenciant selon le statut des médecins s'installant, qu'ils soient collaborateurs ou titulaires, et en tenant compte de leurs projets, notamment fonciers. Pour un jeune médecin à l’issue de ses études, une aide est pertinente pour investir dans une société médicale, acquérir des locaux ou disposer d'une enveloppe d'amorçage pour lancer son activité.

Le statut de collaborateur présente des spécificités intéressantes, notamment une montée en charge plus progressive de la patientèle médecin traitant, sans nécessiter d'investissements initiaux importants. Une valorisation accrue du forfait patientèle médecin traitant sur les premières années pourrait constituer une aide à l'installation compensant cette progression plus graduelle. L'enjeu des aides à l'installation réside dans leur capacité à répondre précisément aux attentes des jeunes médecins, plutôt que dans une surenchère financière.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je constate un problème qui dépasse le cadre de votre profession : en France, il semble que nous ayons créé une dépendance généralisée aux aides publiques, que ce soit pour les entreprises, les associations ou l'installation des médecins. On entretient l'illusion que l'État et la solidarité nationale, financés par les impôts des citoyens, sont toujours là pour soutenir. Je comprends les arguments en faveur de l'utilité des aides, mais je n'entends aucun argument démontrant leur caractère indispensable. Autrement dit, sans ces aides, n'aurions-nous plus de médecins en France ? C'est cette réflexion qui m'interpelle.

M. Raphaël Dachicourt. Sans ces aides, nous aurions toujours des médecins en France. Cependant, ils ne pratiqueraient pas en libéral et n'exerceraient pas en tant que médecins traitants. C'est précisément le risque lié à la financiarisation du secteur. Sans un accompagnement ciblé pour orienter les médecins vers les modes d'exercice nécessaires en termes de santé publique, nous assistons à l'arrivée massive d'acteurs privés qui offrent des conditions de travail et des rémunérations attractives aux jeunes médecins. Ces acteurs mettent en avant l'absence d'aides pour l'exercice libéral pour inciter les médecins à rejoindre leurs cliniques. Cette situation entraîne inévitablement une financiarisation et un détournement vers d'autres modes d'exercice.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ne serait-il pas alors plus judicieux de revoir à la hausse le prix de la consultation pour rendre le métier de médecin généraliste plus attrayant, plutôt que d'offrir des aides avant même le début de l'activité ? À l'instar de tout chef d'entreprise ou indépendant qui se lance, ne devrait-on pas valoriser les années d'études et le savoir sur le long terme, plutôt que d'accorder des avantages immédiats à l'installation, alors que le médecin n'a pas encore fait ses preuves ? Dans le secteur privé, on attend généralement qu'un employé démontre son utilité avant de le revaloriser. Ne serait-il pas préférable de supprimer ces aides et d'utiliser ces fonds pour revaloriser l'acte médical ? Je suis conscient que cette idée peut sembler audacieuse, mais j'aimerais connaître votre opinion à ce sujet.

M. Raphaël Dachicourt. Votre question soulève deux points importants. Premièrement, concernant l'enveloppe d'amorçage, il faut considérer la diversité économique des profils d'étudiants en médecine. Sans aide initiale, seuls ceux disposant de moyens financiers personnels ou de garants solides pourraient s'installer en libéral. Cela risquerait de limiter l'accès à la profession aux seuls étudiants issus de milieux favorisés, ce qui n'est pas souhaitable. La question est de savoir si un médecin fraîchement diplômé doit être considéré comme un auto-entrepreneur à part entière ou si nous devons diversifier les profils et adapter l'accompagnement en fonction des besoins individuels. C'est un débat complexe qui mérite réflexion.

Concernant la revalorisation du tarif de la consultation, certains syndicats y sont effectivement favorables. Cependant, la question est plus nuancée. Une augmentation significative du tarif pourrait avoir un effet inflationniste sur le nombre d'actes réalisés. C'est pourquoi nous explorons des modèles de rémunération mixte, incluant le développement de forfaits patientèle médecin traitant, mieux adaptés au suivi des maladies chroniques. Ces modèles sont en constante évolution.

La perception du médecin libéral comme étant subventionné par l'aide publique, avec des assistants médicaux financés, etc., peut effectivement inciter certains à réclamer une augmentation du tarif de la consultation. C'est aussi une question d'image de la profession. Le statut de médecin libéral est particulier.

Monsieur le président, Jean-François Rousset. L'intérêt d'une commission telle que la nôtre réside précisément dans sa capacité à aborder ouvertement ces sujets complexes, qui ne sauraient être traités de manière superficielle. Après deux heures d’échanges particulièrement denses, je propose de clore cette séance. Je tiens à exprimer mes remerciements à nos députés pour la pertinence de leurs interrogations. Je m'adresse maintenant aux étudiants présents : votre engagement et vos études sont cruciaux pour notre société. Sachez que notre rôle n'est pas nécessairement d'être un obstacle, mais plutôt d'assumer notre responsabilité envers les citoyens qui nous interpellent quotidiennement.

 

*

*     *


–  1  –

14.   Table ronde, ouverte à la presse, sur « les centres hospitaliers généraux » réunissant : M. Thierry Godeau, président de la Conférence nationale des Présidents de CME de CH et M. Francis Saint-Hubert, président de la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers (CNDCH).

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons les travaux de cette commission d'enquête consacrée à l'organisation du système de santé et aux difficultés d'accès aux soins, avec une table ronde dédiée aux centres hospitaliers généraux, plaques tournantes de l'accès aux soins sur notre territoire. Nous accueillons Thierry Godeau, président de la Conférence nationale des présidents de CME de centres hospitaliers, et Francis Saint-Hubert, président de la Conférence nationale des directeurs de centres hospitaliers. Je vous invite à faire une brève intervention liminaire, avant de laisser place aux échanges sous forme de questions-réponses, en commençant par celles de notre rapporteur.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Thierry Godeau et M. Francis Saint-Hubert prêtent serment.)

Je vous remercie. La parole est à vous, dans l'ordre que vous souhaitez.

M. Thierry Godeau, président de la Conférence nationale des présidents de CME de CH. Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les députés, notre système de santé, autrefois source de fierté pour sa nature protectrice et solidaire, ne tient plus pleinement ses promesses. Sur le terrain, les professionnels, tant hospitaliers que libéraux, malgré leur détermination, sont entravés dans l'exercice de leur métier par une organisation défaillante, entraînant un accroissement de l’épuisement et une perte de sens.

Le manque de moyens souvent évoqué n’est qu’une partie du problème. La France consacre des ressources importantes à la santé, supérieures à de nombreux pays européens, sans pour autant obtenir de meilleurs résultats. C'est l'organisation qui est principalement en cause. Dans un système désorganisé, l'ajout de moyens est vain.

L’hôpital public se trouve à un carrefour décisif. Malgré ses difficultés et ses doutes, il demeure, grâce à l'engagement sans faille de ses professionnels, un pilier essentiel de notre pacte républicain. Cependant, ce pilier vacille car on a cessé de le considérer pour ce qu'il est réellement : un lieu d’excellence, d'engagement et de soin inconditionnel. L'hôpital ne sélectionne jamais ses patients.

Trop souvent, l'hôpital est perçu comme un problème, un gouffre financier, réduit à un tableau Excel. Pourtant, la crise du Covid a démontré que l’hôpital est le pilier de notre système de santé, le dernier recours quand tout vacille. Si l'hôpital est trop onéreux, c’est parce qu’on lui demande constamment de se substituer à toutes les carences du système. Il étouffe sous le poids de missions qui ne sont pas les siennes. Les déficits hospitaliers sont quasi généralisés, car le financement n'est pas à la hauteur des exigences imposées. Il faut certes moins d’hôpital, mais pour un meilleur hôpital.

L’hôpital est en « qualité empêchée ». Ce qu'on qualifie souvent de manque de lits reflète en réalité la présence de patients sans solution adaptée qui bloquent les lits. L’hôpital est constamment saturé de patients pour lesquels il n'est pas le lieu approprié, faute de soins à domicile, de solutions sociales adaptées, d’hospitalisation à domicile suffisamment développée, de soins médicaux de réadaptation ou d'EHPAD médicalisés. La solution ne réside donc pas dans l'ouverture inconsidérée de lits de médecine aiguë, mais dans la refonte de son environnement pour améliorer l'accès aux soins hospitaliers.

L’hôpital doit néanmoins se réorganiser. Il doit poursuivre le développement de l'ambulatoire dans tous les secteurs d'activité et accroître l'hospitalisation à domicile. Il est nécessaire d'adapter les capacités existantes, de repenser la répartition des lits au profit de la médecine polyvalente et de la gériatrie. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) doivent développer de véritables équipes spécialisées territoriales, capables de mutualiser les expertises et de les rendre accessibles partout.

Il faut cesser d'entretenir l’illusion que tout peut être fait partout. Ce discours est à la fois démagogique et dangereux. La gradation des soins n'est pas une punition territoriale, mais une garantie de qualité. L’efficience de l’hôpital public réside aujourd’hui dans une offre de soins territoriale, graduée, portée par le projet médical des GHT et soutenue par les agences régionales de santé (ARS). L'objectif n'est pas de fermer des hôpitaux, mais de repenser l'offre de soins.

La gestion des lits à travers un ordonnancement des parcours patients est impérative au sein de chaque établissement, mais doit également être gérée de manière solidaire entre tous les acteurs du territoire.

Nous devons également mettre fin à l'absurdité du recours systématique aux urgences. Le système de soins non programmés fonctionne mal. Malgré le service d'accès aux soins (SAS) et une permanence des soins ambulatoires couvrant presque tout le territoire, 30 à 40 % des passages aux urgences pourraient être évités, notamment du fait d’une prise en charge trop tardive. Le réflexe du « tout urgence » reste trop ancré dans la population. Tous les médecins doivent participer à l'organisation des soins non programmés, y compris les hospitaliers, et ce même en journée. C’est un principe éthique et professionnel. Cessons de parler de crise des urgences : les urgences sont un symptôme, pas la solution.

L’attractivité médicale est une condition sine qua non de l’accès aux soins. Or, le modèle hospitalier n'attire plus suffisamment. Pourquoi ? Parce que c'est souvent le seul endroit où la contrainte est la règle, sans une reconnaissance à la hauteur de l'engagement. Mes propres enfants m'ont dit : « Nous ne resterons pas à l'hôpital, car nous ne voulons pas la vie que tu as eue ». Trop souvent, l'hôpital est piloté d'en haut, dans une logique technocratique et comptable étouffante.

Il faut inverser cette logique, faire confiance aux collectifs de soins, décentraliser les décisions, encourager les délégations de gestion contractualisées en interne. La crise sanitaire nous l'a montré : quand on libère les énergies, les solutions émergent. Les médecins, comme tous les professionnels hospitaliers, aiment leur métier, mais ils veulent être des acteurs et non des exécutants. Leur désir d'engagement est fort, mais nécessite reconnaissance, confiance et moyens d'action. C'est en redonnant du sens à la qualité de leur exercice professionnel qu'on les fidélisera. Un hôpital attractif pour ses professionnels est un hôpital qui soigne et qui répond au mieux à l'accès aux soins.

En outre, le numérique en santé est à la fois une jungle et un désert. Le manque de partage d'informations entre les acteurs crée des dysfonctionnements majeurs. Le numérique doit être un levier de la transformation hospitalière, de l'efficience, de la qualité, de la sécurité et de la pertinence des soins, mais aussi de la qualité de vie au travail. Il faut un dossier patient unique, interopérable, intégré entre tous les acteurs. Chaque séjour hospitalier ou intervention de tous les professionnels de santé devrait donner lieu à un compte rendu versé au dossier partagé du patient. La télémédecine et l'intelligence artificielle sont des outils au service de l'accès aux soins, à condition de les concevoir comme tels et non comme des gadgets. Le numérique doit libérer du temps aux soignants pour mieux et plus soigner.

Par ailleurs, former davantage de médecins ne suffira pas. Il faut former autrement, en ancrant la formation dans les territoires dès le début et tout au long du cursus. Formons selon les besoins réels : plus de généralistes, de gériatres, de psychiatres, de pédiatres. Formons mieux à la polyvalence et à la polypathologie. Cela favorisera aussi la pertinence des soins. La médecine polyvalente, indispensable à l'hôpital, est presque absente des formations. C'est un non-sens urgent à corriger. La coordination et le partage des compétences entre les professionnels doivent être redéfinis, mais pas au cas par cas, selon les corporatismes et les défaillances démographiques.

Le rôle de chacun doit conduire à définir plus précisément les besoins en formation de chaque catégorie de professionnels, plutôt que de recourir à une augmentation généralisée, non régulée, non coordonnée et à terme non pertinente. L’organisation des parcours doit se concevoir au niveau du territoire, moteur essentiel de la prévention. Un projet territorial de santé doit être rendu obligatoire et articulé à tous les dispositifs existants, les CPTS, les contrats locaux de santé, les projets, de santé mentale par exemple, les GHT, qui doivent se coordonner pour répondre collectivement aux besoins des territoires. Partout, la responsabilité populationnelle, vectrice d'accès aux soins, de pertinence et d'efficience, doit se mettre en œuvre. À ce niveau, le rôle des élus, mais aussi des patients, doit être renforcé.

Les financements doivent être fléchés, contractualisés et évalués et inciter à la coopération plutôt qu’à la concurrence. La gouvernance actuelle du système est illisible et elle comporte trop d'intervenants, trop de strates. Les ARS doivent évoluer vers un rôle de régulation, d'accompagnement des transformations, et non d'un contrôle quasi permanent dont la pertinence reste à démontrer.

Plus largement, il faut fusionner les agences d'État redondantes, unifier la stratégie entre le ministère et l'Assurance maladie, évoluant a posteriori sur des résultats concrets. L’efficience ne se limite pas aux actes de soins. Enfin, si tous les territoires sont différents, l’engagement efficace des acteurs requiert une politique nationale, claire et assumée. Pour cela, il faut une vision stratégique à travers une loi de programmation pluriannuelle dotée d’un cap, d’une cohérence et de courage.

Mesdames et Messieurs les députés, notre système de santé a besoin d'un choc d'organisation et d'un choc de confiance. Il ne s'agit plus de colmater, mais de refonder un système resté inchangé. Les besoins financiers ne cesseront d'exploser, notamment à l'hôpital public. Si la quête de rentabilité au sein de l'hôpital public est une aspiration légitime, les politiques centrées uniquement sur la performance financière ont contribué à une dégradation progressive des finances hospitalières et à un désengagement croissant des professionnels.

Contrairement aux idées reçues, de nombreuses études attestent d'une amélioration significative de la productivité au sein de l'hôpital public ces dernières années. L'échec des réformes successives tient à une approche cloisonnée, déconnectée d’une mutation profonde du système de soins. Elle n’a pas su accompagner le passage d'un modèle centré sur les maladies aiguës où l'interaction entre la ville et l’hôpital était limitée à un modèle dominé par les maladies chroniques et la polypathologie. Ce nouveau contexte exige une interdépendance accrue de tous les acteurs. Or, la gouvernance, les mécanismes de financement et les leviers d’action demeurent segmentés entre ville et hôpital ; générant des silos étanches et des logiques divergentes.

La véritable source d'efficience réside dans les coopérations étroites entre les acteurs, les complémentarités et la gradation des soins. Moins de cloisonnements, mais plus de responsabilités partagées et d'incitations à agir ensemble. Moins de technocratie, mais plus de confiance. Moins d'hôpital, mais recentré sur ses missions d’excellence, de complexité, de recherche et d'innovation, de soin sans discrimination et d’humanité. Un hôpital plus intégré aux territoires où les professionnels retrouvent le sens et la fierté d’exercer ce métier exigeant, mais tellement formidable. Cet hôpital, malgré ses difficultés, incarne encore la fierté des Français.

M. Francis Saint-Hubert, président de la Conférence nationale des directeurs des centres hospitaliers (CNDCH). Je tiens tout d'abord, au nom de l'ensemble des hospitaliers, à remercier sincèrement le groupe LIOT d'avoir utilisé son droit de tirage pour la mise en place de cette commission, qu’il était urgent d’entreprendre. Nous avons examiné attentivement l'ensemble de vos travaux menés jusqu'à présent. Nous sommes véritablement impressionnés par le sérieux de vos questions et votre écoute attentive aux propositions formulées.

La Conférence que je représente regroupe 100 chefs d'établissement représentant l'ensemble des centres hospitaliers, soit environ 800 structures en dehors des CHU. Notre force, mais aussi notre défi, réside dans la grande diversité des centres hospitaliers représentés, allant des plus importants aux plus petits hôpitaux de proximité. Nous sommes fiers d'assurer un maillage complet du territoire.

Diriger un hôpital implique de relever simultanément trois défis majeurs, dont le traitement séparé est souvent source d'échec. En premier lieu, nous devons constamment améliorer la prise en charge de nos patients en garantissant l'égalité d'accès aux soins. Deuxièmement, comme l'a souligné Thierry Godeau, nous devons assurer la qualité de vie au travail, car dans notre secteur plus qu'ailleurs, le bien-être des soignants influence directement la qualité des soins. Enfin, pour renforcer cette qualité de vie au travail, nous devons maintenir nos établissements de santé en bonne santé financière. Ces trois défis sont indissociables et doivent être traités de concert.

Notre rôle est de permettre à l'ensemble des équipes, en première ligne les soignants et les médecins, mais aussi les 130 autres métiers présents dans nos établissements, de remplir leur mission de service public hospitalier. Notre objectif principal reste de soigner, même si l'équilibre budgétaire est une nécessité.

Le système dans lequel nous évoluons, où l'État définit nos missions et nos moyens, est marqué par trois paradoxes majeurs.

Premièrement, nous devons gérer des moyens nécessairement limités face à des missions potentiellement illimitées. Notre système de santé doit permettre un recours aux soins sans restriction.

Deuxièmement, bien que nous ne soyons pas les seuls acteurs de la prise en charge des patients, les règles diffèrent selon les intervenants. Certains cumulent les avantages, comme le paiement à l'acte et le choix des activités, tandis que d'autres cumulent les contraintes, devant tout traiter avec des enveloppes limitées.

Troisièmement, nous devons constamment concilier les enjeux locaux et globaux, les lois étant élaborées pour gérer un système dans sa globalité, ce qui peut parfois créer des tensions au niveau local. Notre système de formation vise l’excellence. Pour autant, elle doit être accessible à tous.

Notre conférence est profondément attachée au service public hospitalier. Certes, nous devons être performants et rechercher l'efficience, mais notre mission va bien au-delà de la simple gestion financière. Un hôpital n'est pas une entreprise où chaque service gère son profit et son activité comme dans un centre commercial. L'interdépendance des services hospitaliers est une réalité incontestable. Par conséquent, cette vision cloisonnée a été particulièrement préjudiciable à nos établissements. Je souhaite aborder trois points essentiels.

Tout d’abord, la circulaire du premier ministre Bayrou évoque, pour la première fois, la restructuration de l'offre sanitaire. Cette réorganisation, que nous attendons depuis longtemps, est aujourd'hui indispensable. En effet, tous les hôpitaux et tous les services ne pourront être maintenus, ce qui revient à faire des choix difficiles mais nécessaires. Que ferons-nous des maternités dangereuses ou des services d'urgence fonctionnant de manière intermittente ? Ces problèmes ne sont que la partie émergée de l'iceberg.

Notre proposition consiste à créer, à l'instar de ce que nous avons fait pour les hôpitaux de proximité, des ensembles homogènes, des matrices d'activité avec différents niveaux pour les centres hospitaliers. Nous devons réfléchir à l'organisation des typologies des CH, en nous inspirant par exemple du modèle des maternités. Il est crucial d'imaginer des ensembles d'hôpitaux répondant à cette graduation des soins.

Deuxièmement, s’agissant du territoire, les coopérations sont essentielles mais ne peuvent être décrétées. Les conflits interpersonnels et les parcours professionnels complexes rendent parfois difficile la collaboration entre équipes. Les GHT, mis en place il y a presque dix ans, doivent évoluer. Nous ne plaidons pas pour un simple GHT. 2, mais pour des GHT de deuxième génération. Certains choix initiaux d’uniformisation, comme le concept d'établissement support au lieu de la personnalité morale, ont montré leurs limites.

Nous proposons de repenser complètement les GHT en imaginant une véritable gouvernance territoriale. L'idée serait de supprimer la vision monolithique actuelle des GHT pour concevoir plusieurs types de groupements adaptés aux réalités locales. Par exemple, des GHT regroupant quelques établissements aux forces et faiblesses complémentaires, d'autres avec un établissement principal et plusieurs structures plus petites, ou encore des GHT incluant ou non des CHU. Il est ainsi impératif de créer des outils, des personnalités morales et des systèmes de gouvernance permettant une prise de décision collective impliquant élus, professionnels de santé et représentants des usagers.

Enfin, le troisième point concerne l'évolution des métiers et de la formation. Nous devons rapidement développer de nouveaux métiers intermédiaires. Le système actuel, dont les formations paramédicales durent de trois à quatre ans et les cursus médicaux de dix à douze ans, n'est plus adapté. Les sages-femmes, qui suivent six à sept ans d’études, constituent un exemple intéressant. Bien que la mise en place du diplôme d’infirmiers en pratique avancée (IPA) représente un premier pas, nous devons aller plus loin dans cette direction.

En conclusion, si la performance et l'efficience sont importantes, la pertinence doit primer. Nous devons notamment repenser la régulation des arrivées aux urgences. Un véritable changement de paradigme s'impose.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Je vous remercie, Monsieur le président, ainsi que Messieurs les intervenants, pour vos propos éclairants, chacun dans votre domaine de compétence. Vous avez su exprimer votre attachement à l'hôpital, et notamment à l'hôpital public. J'aimerais vous poser quatre questions.

Premièrement, concernant la formation, pensez-vous qu'une refonte soit nécessaire ? Je suis surpris de constater l'absence de cours de management et de relations humaines dans le cursus médical, alors que ces compétences sont inhérentes au métier de chef de service hospitalier ou de médecin généraliste gérant son cabinet. Ne serait-il pas pertinent d'intégrer ces enseignements ? De plus, pourquoi ne pas envisager une organisation en licence/master/doctorat, avec des cours communs entre différentes professions de santé durant le premier cycle ? Cela favoriserait les échanges et établirait des bases communes.

Ma deuxième question porte sur le pouvoir disciplinaire des directeurs d'établissements. Les auditions ont révélé des difficultés dans l'exercice de l'autorité du directeur sur le personnel médical. Ne faudrait-il pas renforcer les compétences du binôme président de la commission médicale d'établissement (PCME)/directeur pour une meilleure gestion quotidienne ? Le recours systématique au centre national de gestion (CNG) n'est-il pas trop lent et problématique ?

Troisièmement, comment équilibrer le service rendu à la population entre hôpitaux privés et publics, notamment en termes d'investissement et de permanence des soins ?

Enfin, vous avez souligné que les coopérations ne se décrètent pas. Comment faciliter les discussions et le travail commun au sein des GHT, souvent entravés par des conflits interpersonnels entre PCME ou chefs de service par exemple ? Comment améliorer la répartition des activités dans une logique territoriale, en gardant à l'esprit que le patient n'appartient pas à un hôpital spécifique ?

M. Thierry Godeau. La formation au management dans le milieu hospitalier a considérablement progressé ces dernières années. Auparavant, les responsables de service et les chefs de pôle n'étaient pas formés à cette discipline, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. De même, les présidents de CME bénéficient désormais de formations spécifiques, comblant ainsi une lacune importante.

Cependant, il subsiste une difficulté majeure dans l'exercice médical, tant à l'hôpital qu'en dehors : l'absence d'une véritable formation au management et au travail en équipe, y compris pluridisciplinaire, durant les études. Cette carence est particulièrement problématique au regard des enjeux actuels liés aux coopérations professionnelles. Il est donc impératif d'intégrer dans le cursus médical des modules dédiés au management, à la pédagogie, et à la communication avec les patients. En effet, la relation médecin-patient n'est pas suffisamment enseignée de manière structurée à l'heure actuelle.

Pour remédier à ces lacunes, nous pourrions envisager la mise en place de modules communs à différentes professions de santé, abordant les sujets précédemment évoqués. Cette approche pourrait s'inspirer de l'expérience des internats pluriprofessionnels, permettant aux étudiants de différentes disciplines de se côtoyer et d'apprendre à travailler ensemble. Il me semble effectivement nécessaire de briser les silos existants entre les professions médicales et paramédicales.

Néanmoins, cette formation ne doit pas se limiter aux études initiales. Il est essentiel d'inculquer une culture de collaboration interprofessionnelle tout au long de la carrière. Par ailleurs, l'organisation du système de santé doit être consolidée pour clarifier les rôles et responsabilités de chacun, afin que la formation corresponde aux réalités du terrain.

En ce qui concerne les pratiques avancées, je suis convaincu que les IPA sont sous-exploités en France. Bien que des questions subsistent quant au modèle économique, il est crucial de recentrer le temps médical sur sa plus-value. Nous devons nous interroger sur la valeur ajoutée spécifique du médecin, tout comme nous devons définir celle de l'hôpital et la préserver à l’extérieur.

Il est urgent d'organiser une véritable concertation entre les différents acteurs du système de santé pour définir précisément les rôles de chacun. Cette clarification aura un impact direct sur la formation, car il est essentiel d'anticiper les besoins en professionnels pour les années à venir. Nous devons éviter de former trop de professionnels dans certains domaines, même si les besoins de santé augmentent globalement.

En somme, la formation doit être repensée en fonction d'une définition claire des rôles au sein du système de santé. Cette réflexion doit être menée de manière globale et cohérente pour répondre efficacement aux défis à venir.

M. Francis Saint-Hubert. Dans nos établissements, nous encourageons la formation au management, notamment pour les chefs de service nouvellement nommés. Les cadres soignants, quant à eux, bénéficient déjà d'une formation de base en management lors de leur cursus à l'école des cadres. Cependant, il est important de souligner que le management ne se résume pas à la simple transmission d'informations. Il s'agit d'une compétence qui s'acquiert et se développe au fil du temps.

Le management requiert des connaissances spécifiques sur les relations humaines, la sociologie, et la compréhension des systèmes et des acteurs. Ces compétences s'acquièrent non seulement par la formation initiale, mais aussi par un développement continu, notamment à travers des pratiques comme le co-développement.

La suppression de fait de la notion de service lors de la mise en place des pôles a eu des conséquences néfastes sur l'organisation de nos établissements. Il est nécessaire de réinstaurer une structure claire et une autorité managériale légitime.

Concernant le pouvoir disciplinaire, il est important de l'aborder conjointement avec la question de l'intéressement. Dans toute équipe, on observe généralement trois catégories de personnes : 10 % qui sont exemplaires et autonomes, 10 % qui résistent à tout changement, et 80 % qui constituent le cœur de l'équipe sur lequel il faut se concentrer. L'enjeu est d'inciter cette majorité à tendre vers l'exemplarité plutôt que vers les comportements problématiques.

Le pouvoir disciplinaire concerne tous les niveaux hiérarchiques, y compris les directeurs. Le statut de la fonction publique, bien que nécessaire pour protéger les agents, doit évoluer. Le CNG ne peut plus gérer efficacement toutes les situations individuelles. Une réflexion sur la régionalisation de certaines compétences s'impose, tout en maintenant la gestion de certains aspects au niveau des établissements, y compris pour les médecins et les directeurs.

La prévention et l'accompagnement doivent être privilégiés aux mesures disciplinaires. La détection précoce des difficultés est essentielle, notamment pour gérer les personnalités potentiellement toxiques, estimées à environ 8 % dans notre société. Par conséquent, nous devons disposer de moyens pour mettre en place des mécanismes de détection et d'accompagnement des situations problématiques.

M. Thierry Godeau. La portée du disciplinaire dans nos établissements mérite une réflexion approfondie. Pour des cas mineurs, un blâme ou un avertissement du centre national de gestion n'a pas nécessairement d'impact significatif, surtout lorsque ces décisions sont notifiées avec un retard considérable. Toutefois, nous pratiquons déjà une forme de disciplinaire en interne. Le directeur et le président de la Commission médicale d'établissement convoquent régulièrement des praticiens pour des entretiens de recadrage, accompagnés de courriers officiels. J'ai personnellement mené plusieurs entretiens de ce type. Bien que ces actions ne relèvent pas strictement du disciplinaire, leur impact peut être comparable à celui d'un avertissement formel. Concernant les cas plus graves, notamment les violences sexistes, ils nécessitent évidemment une procédure distincte et ne sont pas l'objet de cette discussion.

Un défi majeur du disciplinaire dans nos établissements réside dans la garantie du droit à la défense. L'absence d'une représentation syndicale structurée pour les médecins au niveau local soulève des questions d'équité. Les commissions régionales paritaires, où les syndicats sont présents, offrent une alternative, mais il serait judicieux d'envisager une procédure plus souple tout en préservant les droits de la défense.

Par ailleurs, de nombreuses affaires médiatisées résultent souvent de situations mal gérées en amont, principalement en raison d'un management déficient ou mal formé. Les responsables d'équipe, parfois mal préparés, ont tendance à éluder les problèmes jusqu'à ce qu'ils deviennent ingérables. C'est pourquoi un travail approfondi sur le management, axé sur la prévention, la légitimité, la posture et les compétences des managers médicaux est primordial.

Un autre point capital concerne les moyens alloués aux managers médicaux. Actuellement, ils exercent souvent leurs responsabilités managériales en plus de leurs fonctions cliniques, sans temps dédié, ce qui compromet leur efficacité. Dans un contexte de tension démographique médicale, cela complique davantage l'investissement dans le management.

Il est également impératif que les managers médicaux disposent d'une réelle capacité décisionnelle. Les délégations de gestion et la contractualisation restent des points faibles de l'hôpital public. Malgré la loi sur le projet de gouvernance et de management participatif, notre enquête, corroborée par celle de la Fédération hospitalière de France, révèle que seul un tiers des établissements l'ont mise en œuvre. Ces initiatives sont pourtant essentielles pour donner du sens aux professionnels et améliorer la cohérence organisationnelle de l'hôpital.

Les véritables enjeux ne se situent pas nécessairement au niveau de la gouvernance supérieure, mais plutôt dans la déclinaison opérationnelle au sein des services et des unités. Il est crucial de restaurer un véritable travail d'équipe, inscrit dans un cadre stratégique institutionnel, tout en permettant une flexibilité interne et des circuits décisionnels courts.

Thierry Frappé (RN). Je vous remercie, pour votre présence et vos propos francs et directs qui nous permettent de mieux appréhender la situation. En tant que député du Pas-de-Calais et ancien médecin généraliste, j'aimerais aborder deux points.

Premièrement, concernant les maternités considérées comme dangereuses, vous semblez favorable à la poursuite de leur fermeture. Sur quels critères vous basez-vous ? Cette position ne semble-t-elle pas en contradiction avec notre récente proposition de moratoire sur ces fermetures, dans le cadre de notre étude sur la mortalité infantile ?

Deuxièmement, j'estime qu'une réforme globale des études de médecine est nécessaire. Dans cette optique, que pensez-vous de l'universitarisation des hôpitaux généraux dont vous faites partie ? Cette mesure pourrait faciliter l'accueil d'internes et d'étudiants en médecine, tout en permettant une meilleure application du numerus apertus que nous avons voté, mais qui reste limité dans les faits.

M. Francis Saint-Hubert. Monsieur le député, je tiens à préciser que nous pesons soigneusement nos mots lorsque nous évoquons des maternités dangereuses. Une maternité requiert la présence de pédiatres, d'anesthésistes et de gynécologues obstétriciens. Lorsque l'une de ces compétences fait défaut, la situation devient préoccupante. Nous connaissons des cas où des maternités fonctionnent avec des praticiens dont les antécédents professionnels sont problématiques, simplement pour maintenir le service ouvert. Cette situation engendre des difficultés considérables, notamment pour les sages-femmes qui se retrouvent en première ligne pour compenser ces lacunes.

Il est important de souligner que notre approche ne se fonde pas uniquement sur des critères quantitatifs. Une maternité réalisant 400 accouchements par an peut être viable dans certains territoires. Notre préoccupation principale porte sur la qualité de la prise en charge, indépendamment des considérations budgétaires. L'essentiel est d'assurer la présence d'équipes compétentes, en lien avec d'autres centres hospitaliers. Pour évaluer la situation réelle d'une petite maternité, il est judicieux de consulter l'avis des équipes des établissements plus importants à proximité.

Je tiens à exprimer ma réserve quant à l'établissement d'un lien direct entre la fermeture des maternités et l'augmentation du taux de mortalité infantile. Bien que ces phénomènes puissent être corrélés dans certains cas, il serait imprudent de généraliser. Notre Conférence met en garde contre des lois imposant des moratoires généraux. Je peux vous assurer que nous maintenons certaines maternités en activité, mais dont le maintien n'est pas justifié, et nous devons l'admettre en toute transparence.

M. Thierry Godeau. La question des maternités est complexe et mérite une attention particulière. Notre contribution à la mission du Sénat sur la périnatalité l'année dernière a été substantielle, et l'Igas nous consulte demain en tant que conférence des présidents de CME de CH. Nous pouvons vous transmettre des documents complémentaires sur ce sujet si nécessaire.

Le problème majeur réside dans notre manque d'anticipation et d'organisation. Certaines fermetures de maternités sont probablement injustifiées, mais elles résultent d'un repli général. Il est impératif de repenser la gradation des soins en établissant une cartographie précise des territoires pour mieux anticiper et organiser les services.

Nous sommes confrontés à de réels défis démographiques et de compétences médicales et d’équipe. Les jeunes professionnels, et de plus en plus les praticiens expérimentés, aspirent à travailler au sein d'équipes importantes. Cette évolution nous oblige à reconsidérer notre organisation. Quant à l'idée d'un moratoire, elle semble difficilement applicable en l'absence de professionnels qualifiés. Il est en effet plus dangereux de maintenir ouvertes des structures sans personnel adéquat que de les fermer.

Cette problématique des maternités illustre parfaitement la nécessité de revoir la gradation des soins. Nous maintenons diverses activités reposant parfois sur un ou deux médecins, voire uniquement sur des intérimaires. Il est urgent de repenser l'organisation des soins dans son ensemble.

À la conférence des présidents de CME, nous insistons particulièrement sur l'importance de la médecine polyvalente. Les besoins spécialisés s'orientent de plus en plus vers l'ambulatoire, tandis que l'hospitalisation complète concerne majoritairement des patients polypathologiques et vieillissants. Il est donc primordial de développer la gériatrie et d'augmenter le nombre de lits dans ce domaine.

Dans mon établissement, j'ai déjà procédé à une redistribution des lits de spécialité au profit de la gériatrie et de la médecine polyvalente. Pour que cette réorganisation soit efficace, il est essentiel que des équipes spécialisées de territoire, au niveau des GHT, interviennent dans tous les établissements. Ces équipes doivent être en mesure d'apporter leur expertise technique en fonction des plateaux techniques disponibles et des besoins spécifiques. Le succès de cette réorganisation dépend de l’intervention de spécialistes pour fournir des avis complémentaires. C'est là que réside l'enjeu majeur.

M. le président Jean-François Rousset. Je vous invite à répondre aux deux questions du rapporteur. Ensuite, chaque député aura l'opportunité de poser ses propres questions.

M. Thierry Godeau. Concernant le service rendu, la permanence des soins constitue actuellement l'un de nos défis majeurs. Les contraintes liées à cette permanence sont l'une des principales causes de départ de l'hôpital public. Bien que favorable au volontariat, je constate que ce système atteint ses limites lorsqu'il n'y a plus de volontaires. C'est pourquoi je préconise l'instauration d'une obligation qui s'activerait en l'absence de volontaires suffisants.

En matière d’établissements de santé, il est nécessaire d'impliquer davantage les praticiens privés dans la permanence des soins, probablement dans le cadre d'une mutualisation des équipes plutôt que d'une dispersion des astreintes. La difficulté réside dans les plateaux techniques des établissements. Les cliniques sont souvent orientées vers la chirurgie et l'ambulatoire, ce qui est indispensable. L'hôpital public, confronté aux soins non programmés, voit son efficience diminuée par la désorganisation inhérente à ces situations. Le ministère avait prévu des enveloppes financières pour les soins non programmés, mais leur mise en place est actuellement en suspens.

Concernant les coopérations, il est essentiel de promouvoir collectivement le concept de gradation des soins, au-delà des seuls GHT. La modification de la structure des GHT ne suffira pas si nous ne bénéficions pas du soutien des ARS et d'une volonté politique forte de réorganisation. Actuellement, le manque d'incitations concrètes freine les actions.

L’évolution des GHT est nécessaire, notamment en termes de personnalité morale, de gouvernance médicalisée, de pôles de territoire. Cependant, cette évolution doit s’inscrire dans une démarche globale, soutenue politiquement. Les résistances au changement sont nombreuses, tant au niveau des établissements que des praticiens.

L’exemple des communautés hospitalières de territoire (CHT) illustre l'importance d'une ligne politique claire. Les GHT ont été rendus obligatoires, ce qui était une bonne décision. Néanmoins, l’hétérogénéité actuelle des GHT pose problème. La création d'un établissement unique pour des GHT regroupant un CHU et de nombreux établissements ne semble pas pertinente. Il faut repenser le périmètre de certains GHT pour assurer une cohérence dans la prise en charge des patients.

La fusion des établissements MCO, comme celle en cours entre La Rochelle et Rochefort, peut avoir du sens sur des territoires homogènes. Cependant, il faut être prudent quant à l’idée d’un établissement unique pour des GHT de grande taille. L’expérience des pôles, censés remplacer les services, a montré les limites d'une approche trop descendante.

En revanche, un cadrage et une volonté politique forte, accompagnés de financements incitatifs pour faciliter les réorganisations nécessaires, apparaissent nécessaires. La question de l’immobilier hospitalier est également centrale. Les restructurations ne peuvent se décréter sans prendre en compte les contraintes matérielles et financières.

Enfin, la notion d’hôpital de proximité mérite d’être repensée. Les soins de proximité concernent l'ensemble des établissements, et il serait plus pertinent de parler de services de proximité, à l'image de nos services de médecine polyvalente, présents dans tous les établissements.

M. Francis Saint-Hubert. Notre pays a fait le choix démocratique d’avoir à la fois un service public et une offre libérale avec des établissements privés, tout en conservant un financement entièrement socialisé. Nous ne remettons pas en question l'existence de ces deux types d'organisations, chacune ayant ses avantages et ses inconvénients. Cependant, nous demandons davantage d'équité. Dans certains secteurs d'activité, le paiement à l'acte nuit gravement à l'hôpital public. Prenons l'exemple des urgences : lorsque les services hospitaliers sont débordés, certains urgentistes, heureusement peu nombreux, ouvrent des centres de soins non programmés à proximité, où ils sont payés à l’acte. Ils peuvent ainsi gagner trois à quatre fois plus, avec la participation d'infirmiers libéraux et le financement de fonds de pension étrangers. Cette situation est inacceptable et nous avons les moyens d'y mettre fin rapidement en donnant aux agences régionales de santé le pouvoir d'intervenir.

Je tiens à préciser que je ne remets pas en cause tous les centres de soins non programmés. Il existe des structures montées en collaboration avec la médecine de ville, où la rémunération est basée sur le temps passé plutôt que sur les actes effectués. Nous pouvons aujourd'hui identifier les secteurs d'activité problématiques, comme la radiothérapie ou l'imagerie, où il est nécessaire de repenser le système pour plus d'équité.

Concernant les coopérations, il est essentiel de partir de l'humain pour aller vers le système, car il existe une interaction entre les deux. Si le système ne favorise pas les coopérations, nous n’avancerons pas. Nous devons tenir compte à la fois des dimensions individuelles et mettre en place un système qui les encourage. La coopération suscite généralement trois types de réactions : la peur (crainte de fermeture d'activités), la tentation (risque d'accaparement des actes par des établissements plus importants), et l'attrait (reconnaissance des bénéfices du travail en commun). Il est crucial de prendre en compte ces émotions et ces sentiments pour construire des coopérations efficaces.

Comme l'a souligné Thierry Godeau, nous devons tenir compte de l'hétérogénéité des territoires. Il faut donc abandonner l'idée de GHT monolithiques au profit de GHT diversifiés. Trois ou quatre types suffisent. Il est également impératif d'intégrer les élus dans ce processus, car ils ont été trop souvent écartés des décisions. Les choix concernant les territoires ne doivent pas être uniquement validés par les professionnels et les directeurs, mais doivent impliquer les élus locaux.

Enfin, nous devons développer le concept d'équipes territoriales. Actuellement, les soignants ont une forte identité professionnelle liée à leur service ou leur établissement. À l’avenir, nous devons créer un sentiment d'appartenance à une entité territoriale plus large, permettant aux professionnels d'intervenir naturellement dans plusieurs établissements au sein d'un même territoire.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Messieurs les présidents, j’aimerais connaître votre position sur la tarification à l'activité (T2A) et ses conséquences sur la qualité des soins et les conditions de travail des professionnels. Nous constatons un taux élevé de burn-out et, lors de nos échanges avec les professionnels, ils évoquent souvent une perte de sens au travail, voire une déshumanisation.

Vous nous avez conseillé d'interroger les professionnels. C’est précisément ce que je fais en visitant les maternités menacées de fermeture. Récemment, à Sarlat, une sage-femme m'a confié ne pas vouloir retourner dans une grande maternité où elle travaillait auparavant, préférant Sarlat où elle dispose de plus de temps pour s'occuper des patientes et des nouveau-nés. Comment réagissez-vous à ce témoignage ?

Il soulève également la question du critère de la taille de la maternité. Nous sommes d'accord sur l'importance du trio médical, mais il y a 20 ans, on fermait déjà de petites maternités malgré la présence de ce trio. Ne serait-ce pas plutôt la pérennité de ce trio qui est cruciale ? La T2A ne contribue-t-elle pas à un manque d'attractivité qui empêche ensuite la stabilisation de ces équipes, indépendamment de la taille de la maternité ?

Vous avez évoqué le problème de la démographie médicale, tout en mettant en garde contre un possible excédent de médecins en 2030. Cependant, la formation n'augmente pas si rapidement. En tant que législateurs, dans l'intérêt général, ne vaut-il pas mieux avoir trop de médecins que pas assez ?

M. Thierry Godeau. Je précise qu’il s'agit de former le nombre de professionnels de santé nécessaires, pas uniquement des médecins, mais aussi des infirmiers et toutes les autres professions de santé. La T2A a initialement représenté un progrès pour l'hôpital. Les problèmes sont survenus avec son application, notamment les baisses de tarifs qui ont contraint à travailler plus pour gagner moins. Néanmoins, on constate que cela a un impact sur la production des actes, même si l'effet sur la qualité reste à démontrer.

Le défi de la T2A réside dans son utilisation. De nombreux séjours ne sont pas financés à leur juste coût. L'objectif de la T2A n'est pas de générer des bénéfices, mais de couvrir les dépenses engagées. Certaines spécialités, comme les maternités et la réanimation, ne sont pas correctement rétribuées par rapport aux coûts réels. Des évolutions du financement avaient été envisagées, notamment l'introduction de dotations socle combinées à une part de T2A en fonction du volume d'activité.

Il faut également prendre en compte les réalités géographiques. Certains territoires nécessitent des soins malgré une activité réduite, en raison de leur éloignement. Dans ces cas, une dotation socle est nécessaire pour garantir des soins de qualité à la population. Malheureusement, les avancées sur ce sujet tardent à se concrétiser.

Nous sommes favorables à une évolution vers des dotations populationnelles, des soins au parcours, du financement à la qualité. La problématique de la qualité des soins est intrinsèquement liée au numérique. Actuellement, nous ne disposons pas de moyens fiables pour mesurer les résultats concrets des soins prodigués. Prenons l'exemple des maternités : nous manquons de données précises sur les taux de complications et de mortalité néonatale par établissement. De même, dans le domaine de la chirurgie oncologique, nous ne suivons pas systématiquement le taux de survie à cinq ans des patients opérés. Pour des interventions plus courantes, comme les prothèses de genou ou la chirurgie bariatrique, nous ne disposons pas non plus d'indicateurs fiables sur la récupération post-opératoire ou l'efficacité à long terme des traitements.

Cette incapacité à produire des données de qualité par équipe constitue un véritable enjeu. Nous savons que la qualité des soins est corrélée au volume d'actes pratiqués, avec une courbe en U inversé : trop peu d’actes nuisent à la qualité, mais un volume excessif peut également entraîner une dégradation.

Concernant la problématique évoquée à Sarlat, elle illustre parfaitement les difficultés liées à la charge de travail dans les hôpitaux, qui dépasse la problématique du financement. Ce phénomène s'inscrit dans un cercle vicieux : un financement insuffisant entraîne un sous-effectif, qui à son tour impacte la qualité des soins. Cependant, je ne suis pas convaincu que les dotations alternatives à la tarification à l'activité (T2A) pour l'hôpital public soient plus efficaces. Paradoxalement, ce sont souvent les missions d'intérêt général qui posent le plus de difficultés en termes de financement.

Bien que la volonté de réduire la part de la T2A soit présente, sa mise en œuvre reste complexe. Ce système, malgré ses défauts, demeure le moins mauvais à ce jour. Néanmoins, des évolutions sont nécessaires. Des progrès semblent se dessiner dans les domaines de la psychiatrie et des soins de suite. Il est impératif d'avancer sur ces questions de dotation populationnelle et de qualité des soins. Ces évolutions permettront de mettre l'accent sur la qualité, la sécurité et la pertinence des soins, aspects pour lesquels il n'existe actuellement pas d'incitation réelle.

Le système actuel n'encourage pas la coopération, que ce soit entre établissements publics ou avec le secteur privé. Au contraire, il favorise la concurrence. Quelle que soit la nature des réformes envisagées pour restructurer la médecine de ville et hospitalière, sans une incitation forte à la collaboration entre tous les acteurs, les améliorations resteront limitées et de court terme.

Mme Géraldine Bannier (MoDem). Je m’appuie sur un témoignage personnel concernant la fermeture des maternités. Je dois ma vie à la présence d'un hôpital à proximité de mon domicile. Née prématurément à six mois et demi, j'ai bénéficié d'une prise en charge rapide grâce à cet établissement situé à seulement 15 minutes de mon domicile. Cette expérience soulève la question cruciale de l'accessibilité aux soins d'urgence, particulièrement en milieu rural.

Je ne m'oppose pas fondamentalement à la fermeture de petites maternités si elles ne disposent pas des équipements ou du personnel qualifié nécessaires. Cependant, il est impératif de maintenir une capacité d'accueil d'urgence pour éviter des situations dramatiques, notamment pour les femmes en zones rurales. À l'époque de ma naissance, l'hôpital de Laval, en Mayenne, disposait d'un service de néonatalogie très développé, répondant aux besoins d'une population où le travail des femmes était courant, entraînant un taux élevé de naissances prématurées. Le suivi pédiatrique sur cinq ans dont j'ai bénéficié serait aujourd'hui impossible à mettre en place.

Dans notre département, nous avons récemment traversé une période difficile avec la réorganisation des urgences dans nos trois hôpitaux et la mise en place de la régulation qui a engendré des complications. Nous avons même connu des journées de fermeture totale des urgences, nécessitant une coordination avec les départements voisins pour rediriger les patients. Cette situation soulève des inquiétudes légitimes parmi la population et le personnel soignant.

La mise en place de la régulation s'accompagne malheureusement de démissions, rendant les postes plus complexes à pourvoir. Les établissements tentent de pallier ces défections, mais la situation reste préoccupante.

M. Francis Saint-Hubert. Permettez-moi d'apporter quelques précisions sur l'évolution du financement hospitalier. Ayant débuté ma carrière comme soignant dans les années 80, j'ai connu le système du prix de journée. Ce modèle incitait à prolonger les séjours des patients, parfois au-delà du nécessaire, car cela générait des revenus pour l'hôpital. Nous sommes ensuite passés à la dotation globale. Dans ce système, les directeurs étaient incités à fermer des services et à limiter les embauches pour éviter les déficits, au détriment de l'activité.

Aujourd'hui, nous avons la T2A. Certes, elle présente des effets pervers, principalement liés à l’Ondam. On nous demande d'augmenter l'activité, mais les tarifs sont ajustés à la baisse pour contenir les dépenses globales. C'est là que réside le véritable problème.

On évoque maintenant la dotation populationnelle, un nouveau mot-valise. Pour éviter tout amalgame, on peut noter que la T2A ne représente que 50 à 60 % du financement des hôpitaux.

S’agissant des maternités, Madame la députée, vous avez raison de souligner qu'il y a peu de temps encore, nous disposions des ressources nécessaires : pédiatres, anesthésistes, médecins acceptant de travailler 100 heures par semaine. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. La question n'est pas de fermer systématiquement les maternités réalisant moins de 300 accouchements par an, mais plutôt de réfléchir à l'amélioration du système dans son ensemble.

Nous disposons aujourd'hui d'outils qui n'existaient pas auparavant pour renforcer le suivi pendant la grossesse. Les évolutions en matière de prise en charge médicale et d'examens nous permettent d'anticiper de nombreuses situations. Cependant, il convient de ne pas tomber dans l'excès inverse en créant ce que certains qualifient abusivement d'« usines à maternité ». Je réfute catégoriquement cette expression. Notre devoir est de nous donner les moyens d'accompagner adéquatement toutes les mères et leurs familles, notamment dans le cas d'une maternité réalisant 1 800 accouchements.

Concernant la question de la charge de travail, je souhaite exprimer notre point de vue sur la loi récemment votée sur les ratios de personnel. Il serait simpliste de croire que l'on peut résoudre les problèmes de charge de travail à l'hôpital par la simple instauration de ratios. La réalité est plus complexe et implique quatre paramètres essentiels. Certes, les effectifs sont importants, mais les organisations, qu'elles soient cloisonnées ou décloisonnées, jouent également un rôle crucial. L'architecture et les équipements constituent le troisième facteur. Enfin, le climat social et l'ambiance au sein d'un service sont déterminants.

Les ratios peuvent s’avérer utiles dans certains domaines spécifiques, comme la réanimation, où ils sont déjà en place. Néanmoins, légiférer sur l'instauration généralisée de ratios et laisser croire que cela résoudra l’ensemble des problèmes dans nos hôpitaux est une approche à laquelle nous nous opposons fermement.

Monsieur le président Jean-François Rousset. Je propose de clore les débats. Je vous remercie de vos interventions, consistantes et clairement exprimées, au sujet des maternités, des ratios, de la coopération, la nécessité d’évoluer sur la personnalité des structures, entre autres. Si vous souhaitez nous faire parvenir des compléments d’information, nous les recevrons avec plaisir. Les travaux se poursuivront demain, à neuf heures, sur le parcours périnatal. Nous aurons donc l’occasion d’aborder de nouveau le sujet des maternités.


–  1  –

15.   Table ronde, ouverte à la presse, sur « le parcours périnatal » réunissant : le Dr Margaux Creutz Leroy, présidente de la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP), Mme Caroline Combot, présidente de l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF), le Dr Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France et M. Antony Cortes, journaliste à l’Humanité et coauteur du livre « 4,1. le scandale des accouchements en France »

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons nos travaux par une table ronde consacrée au parcours périnatal. L’Assemblée nationale vient d’adopter une proposition de loi visant à lutter contre la mortalité infantile. Notre commission s’inscrit, quant à elle, dans une démarche plus large et plus systémique englobant tous les aspects du système de santé et de l’accès aux soins.

Mesdames, monsieur – le docteur Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau nous rejoindra ultérieurement –, avant de vous donner la parole, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Margaux Creutz Leroy, Mme Caroline Combot et M. Antony Cortes prêtent successivement serment.)

Mme Margaux Creutz Leroy, présidente de la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP). Pour la FFRSP, qui représente les dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité, les principaux enjeux sont au nombre de trois : la révision des décrets de périnatalité, qui datent de 1998, la réorganisation de l’offre de soins et la diminution de la mortalité périnatale. La périnatalité est une question d’actualité : elle fait l’objet d’un livre récent, dont l’auteur est présent parmi nous, ainsi que de nombreux rapports émanant tant de sociétés savantes que de l’Académie de médecine ou, pour le dernier en date, du Sénat et d’une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui est en cours.

Je ne m’attarderai pas sur la révision des décrets.

La réorganisation de l’offre de soins, qui est actuellement en grande difficulté, doit faire l’objet d’un travail de fond car les modes d’exercice ont changé. Désormais, les professionnels de santé souhaitent exercer dans la sécurité, au sein d’équipes stables, complètes et compétentes, effectuer un nombre de gardes acceptable et être assurés de bénéficier du repos de sécurité. Or ce n’est plus le cas partout : de nombreux plateaux techniques de naissance ne sont plus sûrs, ce qui accroît, du reste, les inégalités territoriales d’accès aux soins et les inégalités sociales en matière de santé. De fait, lorsque l’équipe d’une maternité est instable et recourt aux intérimaires, le nombre des accouchements pratiqués dans cette maternité baisse et sa part de marché diminue. Les familles qui ont accès à ces informations préfèrent alors se rendre dans un établissement plus sûr, quitte à faire un trajet de trois quarts d’heure ou d’une heure, tandis que les familles les plus défavorisées continuent de recourir à ces équipes moins stables.

On observe également des fermetures de maternité non choisies et non anticipées. Soit la maternité concernée est isolée et sa disparition crée un désert médical, soit il s’agit d’une maternité de référence, de type 2 ou 3, et les patientes sont mises en danger du fait de la perte de cette expertise. Par ailleurs, selon une enquête de la FFRSP, en deux ans, 43 établissements, sur 468 maternités, ont suspendu leurs activités de maternité ou de néonatologie, à une ou à plusieurs reprises. Il s’agit, dans la majorité des cas, de maternités de type 1 – sans néonatologie – mais aussi de type 2A, 2B et 3. L’ensemble du territoire est touché, à l’exception du réseau de la région Normandie et de ceux de Mayotte, de la Guyane et de la Guadeloupe, qui sont cependant des territoires très spécifiques. Le nombre de naissances annuelles dans les maternités concernées, compris entre 121 et 2 800, est en moyenne de 797 – il ne s’agit donc pas de petits établissements – et la durée de la suspension, comprise entre 1 et 426 jours, est en moyenne de 33 jours, ce qui est long.

On recense, en outre, 19 fermetures définitives, soit 4 % des établissements. Elles concernent essentiellement des maternités de type 1 – quatre d’entre elles sont de type 2A –, qui sont également plus petites puisqu’on y réalisait 42 à 949 accouchements par an, soit une moyenne de 400.

Les suspensions sont majoritairement dues à un tableau de garde incomplet, faute de médecins ou de sages-femmes en nombre suffisant. On relève également quelques fusions d’établissements, mais c’est un phénomène marginal.

S’agissant de la mortalité périnatale, il est intéressant de noter que la moitié des nouveau-nés décèdent entre leur premier et leur vingt-septième jour. Les décès ont des causes multiples. Ils peuvent résulter, d’abord, de facteurs sociaux et démographiques, mais ceux-ci existent également dans les autres pays européens, et nous figurons parmi les derniers du classement. Ils peuvent s’expliquer également par la baisse du nombre des interruptions médicales de grossesse. Toutefois, d’autres pays européens ont connu la même évolution et sont néanmoins parvenus à faire baisser la mortinatalité. C’est pourquoi nous estimons, avec d’autres sociétés savantes telles que la Société française de néonatologie (SFN) et le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), que la dégradation de l’offre de soins est la première cause de l’augmentation de la mortalité infantile.

Pour la faire diminuer, il est donc essentiel d’analyser les pratiques, afin de les améliorer, et les facteurs qualitatifs qui peuvent expliquer ces décès. Notre fédération s’est beaucoup intéressée aux cas des bébés nés à terme ou proches du terme. Dans ce cas, il s’agit d’événements indésirables graves. Il est donc primordial d’améliorer les pratiques ; c’est la mission que nous remplissons au sein des réseaux.

Pour remédier à ces problèmes, nous croyons beaucoup à la réalisation de diagnostics territoriaux partagés avec les agences régionales de santé (ARS), les réseaux et les politiques. Ces diagnostics permettraient d’établir les véritables besoins du territoire, d’identifier les solutions possibles, en gardant en tête les indicateurs de périnatalité, et de sécuriser les maternités essentielles. En effet, nous ne croyons pas aux seuils : une maternité doit fermer, non pas parce qu’elle réalise peu d’accouchements, mais parce que la sécurité des femmes et des enfants n’y est plus assurée, faute d’une équipe pluriprofessionnelle stable et compétente.

Une femme doit être suivie tout au long de sa vie par des professionnels de proximité exerçant en ville ou à l’hôpital ou par la protection maternelle et infantile (PMI). Une femme accouche en moyenne une à deux fois au cours de sa vie ; elle doit bénéficier, à cette occasion, d’un plateau technique sécurisé et être prise en charge par une équipe stable et compétente, dont les membres savent travailler ensemble et ont accès aux produits sanguins labiles, à la réanimation, à l’imagerie… Nous croyons donc aux équipes médicales hospitalières uniques de territoire, qui permettront d’assurer ce suivi de proximité et de sécuriser l’accouchement grâce à un plateau technique, même s’il est isolé.

Il est également urgent de développer la coordination des parcours par les sages-femmes référentes – la loi a été adoptée, mais cela ne se pratique pas encore beaucoup. Notre rapport consacré à l’analyse de la mortalité périnatale comporte des recommandations qu’il nous paraît essentiel de suivre.

Enfin, beaucoup de femmes se trouvent dans une situation de vulnérabilité médicale ou psychosociale ; elles doivent absolument être prises en charge de manière adaptée, car une femme en difficulté a besoin de consultations plus longues, plus nombreuses, et ses séjours sont plus longs. Or ce temps n’est pas valorisé financièrement, de sorte que la gradation des soins n’est pas toujours respectée.

L’offre d’accompagnement à domicile doit être développée, dans le cadre de l’hospitalisation à domicile (HAD), de la PMI ou du projet article 51 CoPa (coaching parental), qui vise à offrir à toutes les femmes un accompagnement à domicile par une auxiliaire de puériculture hospitalière à domicile.

Il convient enfin de valoriser les actions de prévention, de promotion et d’éducation à la santé, de renforcer le « aller vers », notamment dans les contextes d’addiction et de précarité, et de développer la littératie en santé car on ne communique pas de manière suffisamment adaptée en direction des populations les plus vulnérables.

Mme Caroline Combot, présidente de l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF). Je concentrerai mon propos sur la profession de sage-femme, qui a considérablement évolué au cours des dernières années. En effet, l’exercice hospitalier, d’abord majoritaire, diminue progressivement au profit de la ville, au point que la répartition territoriale des sages-femmes permettrait d’appliquer les préconisations des schémas régionaux de prévention (SRP) grâce à une prise en charge de proximité.

Il est actuellement difficile pour les établissements de recruter des sages-femmes. En outre, lorsqu’une maternité ferme, on n’observe pas forcément un transfert de son personnel vers l’établissement qui accueillera les futures naissances, lequel se retrouve, pour cette raison, dans une situation encore plus délicate : la charge de travail de ses équipes s’accroît, ce qui peut conduire à un défaut ou à un retard de prise en charge. Le ratio du nombre de professionnels rapporté à celui des naissances est en effet très inférieur en France à ce qu’il est dans d’autres pays d’Europe, où il est d’une sage-femme pour une femme. Or cette situation incite de nombreuses praticiennes à quitter les structures hospitalières : selon une enquête menée par notre syndicat l’an dernier, le départ d’un établissement est moins lié à la rémunération qu’à la qualité de la prise en charge des patientes.

Par ailleurs, nous avons besoin d’un réseau solide en ville pour faciliter la prise en charge de proximité, à savoir le suivi anténatal et postnatal par un professionnel qui connaît parfaitement le couple et la situation et peut intervenir aux côtés de la PMI notamment.

Le problème de l’exercice hospitalier tient à son manque d’attractivité. C’est pourquoi nous prônons, depuis plus de vingt ans, un changement du statut des sages-femmes hospitalières, qui sont fonctionnaires, afin de leur permettre d’avoir une activité mixte, libérale et hospitalière, pour laquelle elles manifestent une appétence. De même, beaucoup de celles qui ont une activité libérale après avoir exercé à l’hôpital regrettent de ne plus pouvoir assurer des gardes dans les établissements publics alors qu’elles peuvent le faire dans les établissements privés – c’est une pratique courante. Les y autoriser permettrait de remédier en partie au problème du manque de personnels.

Quant à la révision des décrets de périnatalité, qui est un enjeu majeur, nous y avons travaillé avec des médecins notamment. On a ainsi proposé d’augmenter le ratio soignants-patients mais, dans une période de pénurie d’effectifs, une telle augmentation pourrait mettre les établissements en difficulté. Toutefois, selon le Conseil national de l’ordre des sages-femmes, 70 % d’entre elles devraient avoir un exercice libéral dans les vingt à trente années à venir. De fait, pour nous, la prise en charge doit se faire le plus possible en ville par les personnels compétents de proximité, l’activité technique étant réservée aux plateaux sécurisés.

La typologie des naissances et de l’organisation des prises en charge a évolué du fait d’une réduction importante des durées de séjour. Or les sages-femmes disposent des outils conventionnels pour prendre en charge des femmes qui accoucheraient en ambulatoire. En effet, certaines patientes demandent un retour très précoce à domicile. Des expérimentations ont été menées ; il nous faut encore sécuriser le dispositif, mais cette pratique peut être envisagée pour diminuer les coûts.

Enfin, vous avez sans doute suivi la fermeture de la maternité d’Autun, qui a provoqué d’importants problèmes d’organisation. Une Smur (structure mobile d’urgence et de réanimation) obstétricale a été créée, qui mobilise des équipes vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; elle répond à un véritable besoin mais son coût est considérable. Nous proposons donc que certaines sages-femmes soient correspondantes du Samu : elles seraient formées à une prise en charge de proximité en collaboration avec les équipes pour transporter les patientes vers les plateaux techniques sécurisés, de façon à adapter la qualité de l’intervention aux besoins dès la prise en charge à domicile.

M. Antony Cortes, journaliste à L’Humanité et coauteur du livre 4,1. Le scandale des accouchements en France. Je tiens, tout d’abord, à saluer le docteur Creutz Leroy, Mme Combot et le docteur Lacroix de Vimeur de Rochambeau, qui nous alertent depuis de nombreuses années sur la dégradation de la situation des maternités et de la mortalité infantile. Pourtant, leur action a, hélas, provoqué moins de réactions dans le monde politique que la publication de notre livre. Il faut croire que le battage médiatique est bien plus audible que les alertes quotidiennes ; je m’en désole.

Le projet du livre que j’ai écrit avec Sébastien Leurquin est né d’un constat. Lorsque nous avons commencé notre enquête, à l’été 2023, le taux de mortalité infantile était de 3,9 décès pour 1 000 naissances, soit près de 2 700 bébés morts avant leur premier anniversaire. Il est désormais de 4,1 pour 1 000, et devrait, hélas, continuer d’augmenter. Nous avons donc voulu nous pencher sur les raisons structurelles de ce phénomène car, dans le monde médiatique et politique, on mettait surtout en avant des causes individuelles, liées à la santé des femmes, à leur âge, parfois à leurs addictions. Les questions du financement des établissements, des moyens et des conditions de travail du personnel hospitalier ainsi que le choix de fermer des maternités étaient totalement ignorés.

Or le fait est qu’en l’espace de cinquante ans, 75 % des maternités ont fermé. Nous n’affirmons pas que ce fait explique tout, mais c’est un point de départ. Ce mouvement de fermeture a été amorcé dans les années 1970, d’abord pour de bonnes raisons : il fallait élever les standards de sécurité. Cette politique a produit des résultats : le taux de mortalité, qui était de 18 pour 1 000 dans les années 1970, a été ramené à 9 pour 1 000 en 1998-1999. Mais on est allé beaucoup trop loin : à partir de 1998, on a appliqué une logique de seuil, en décidant de fermer les maternités pratiquant moins de 300 accouchements par an. On a, de ce fait, créé des déserts. Actuellement, 900 000 femmes en âge de procréer vivent à plus de trente minutes d’une maternité et le nombre de celles qui se trouvent à plus de quarante-cinq minutes d’un tel établissement a bondi de 40 % depuis le début des années 2000. En outre, cette évolution a entraîné un afflux vers les structures plus importantes. Celles-ci sont surchargées et leurs personnels, sous pression, dénoncent des cadences infernales et parlent de leurs établissements comme d’usines à bébés.

Nous nous retrouvons donc dans un entre-deux mortifère : d’un côté, des déserts provoqués par la fermeture des petites maternités et, de l’autre, de grandes structures inspirées du modèle suédois où se produisent pourtant des incidents.

On relève, par ailleurs, des problèmes de fonctionnement, des difficultés de recrutement et un recours massif à l’intérim qui met en péril les finances des plus petites maternités. Or les réponses politiques ne sont pas à la hauteur. La loi du 19 mai 2023 portant amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite loi Rist, a tenté de proposer des solutions, mais son application a été suspendue par le Conseil d’État, ce qui démontre qu’elle a été mal conçue.

Il convient de souligner également le rôle du secteur privé – peut-être y reviendrons-nous –, qui est un véritable impensé : il est totalement absent du débat politique et médiatique. Pourtant, dans ce secteur, on préfère, considérant que la maternité n’est pas assez rentable – en raison de la tarification à l’acte (T2A) –, fermer les petites structures pour privilégier des actes chirurgicaux qui le sont beaucoup plus, si bien qu’on ne compte plus que 107 maternités privées. Ces décisions contribuent à la désertification car les maternités qui ferment sont situées, pour la plupart, en zone rurale.

Enfin, je souhaite avoir un mot pour les parents endeuillés. S’il est évidemment beaucoup question, dans notre livre, du personnel soignant, en particulier des sages-femmes, qui tiennent les maternités à bout de bras, on ne parle pas suffisamment des parents. Le deuil périnatal, n’est, hélas, pas du tout reconnu. Dans ce domaine aussi, on observe des inégalités flagrantes : les structures sont en nombre insuffisant et les associations ont peu de moyens. Nos choix, nos abandons ont des conséquences : 2 800 bébés perdent la vie chaque année et autant de familles voient leur destin fracassé.

M. le président Jean-François Rousset. Docteur Lacroix de Vimeur de Rochambeau, nous vous souhaitons la bienvenue. Je dois vous demander, avant de vous donner la parole, de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau prête serment.)

M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau, président du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France. Le syndicat que je représente est le seul syndicat représentatif de la spécialité de gynécologie-obstétrique, dans le secteur privé comme dans le secteur public.

Pour comprendre la situation actuelle, il faut en faire l’historique. En 1990, lorsque je me suis installé, les enfants naissaient pour moitié à l’hôpital public, pour moitié dans les maternités privées. En 2024, selon les chiffres de la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), 82 % des naissances ont eu lieu à l’hôpital public. L’évolution de cette répartition est concomitante de la baisse du nombre de maternités.

Ce n’est pas nouveau : la désertification médicale est la conséquence d’un choix du législateur, qui, année après année, vote un budget de la santé qui contraint nos établissements à pratiquer la politique du rabot. À cet égard, le seuil des 1 000 accouchements annuels, longtemps considéré comme un totem, est en fait un seuil financier. En 1998, dès la publication du décret qui régit encore nos établissements, il a été calculé qu’au-delà de ce seuil, on pouvait rentrer dans ses frais : la maternité ne perdait pas d’argent et ne plombait donc pas les finances de l’établissement, qu’il soit privé ou public. Mais on ne gère pas les déficits de la même manière dans l’un et l’autre secteur : dans l’hôpital public, on creuse le déficit des comptes sociaux ; dans l’hôpital privé, on revoit les exigences à la baisse et, si ce n’est décidément pas viable, on finit par fermer l’établissement.

Cette politique du rabot explique la disparition progressive des maternités : dans le silence lorsque la décision concerne un établissement privé, en provoquant des manifestations d’élus locaux lorsqu’il s’agit d’un établissement public. De fait, il est difficile de fermer une maternité publique, car la représentation nationale se sent menacée. Pourtant, les conditions financières et l’organisation ne changent pas : notre activité est toujours régie par un décret datant de 1998.

Ce décret détermine les conditions dans lesquelles une maternité est autorisée à exercer son activité. Cette activité soumise à autorisation est la seule dont la réglementation n’a pas été revue depuis 1998 ! Les professions concernées – sages-femmes, pédiatres, gynécologues, anesthésistes… –, qui constatent depuis de nombreuses années des dysfonctionnements, ont longtemps discuté avec la direction générale de l’offre de soins (DGOS) pour que ce décret soit modifié et réponde aux attentes sociétales des patientes. Le texte est prêt depuis 2018, mais les négociations se sont arrêtées : à la crise du covid, a succédé l’instabilité politique que nous connaissons actuellement.

Encore une fois, les décrets régissant les activités soumises à autorisation ont tous été publiés, sauf celui concernant la maternité, dont la publication a été reportée sine die. Nous devons donc nous organiser selon un modèle issu de la croissance épidémiologique, alors que la natalité baisse et que les résultats périnataux se dégradent. C’est terrible !

Au cours des derniers mois, sept ministres différents se sont succédé. Notre syndicat a rencontré chacun d’entre eux, que j’ai alerté sur la nécessité de revoir le décret de 1998. Le blocage est dû au fait que nos demandes de réorganisation pour une maternité digne de 2025 coûtent de l’argent. Or, je ne vous fais pas un dessin, les déficits des comptes sociaux sont tels que la maternité n’est clairement pas une priorité. Je ne peux pas penser autre chose : on nous dit que ce n’est pas d’actualité. La situation actuelle, nous l’avons créée.

Ce n’est pas une question de seuil. La demande des patientes suppose, comme cela a été dit, que l’on respecte le ratio d’une sage-femme pour une maman, dans le privé comme dans le public. Or on est incapable de le financer. À l’heure actuelle, si une maternité dans laquelle le ratio est d’une sage-femme pour quatre patientes ne parvient pas à réaliser 1 000 naissances par an, son déficit se creuse. Il faut donc revoir l’ensemble du système, et c’est le rôle du gouvernement, stimulé par le législateur. Les textes sont prêts.

Le désert médical en périnatalité est terrible : 20 départements n’ont plus de maternité privée et 60 ont des maternités qui réalisent moins de 1 000 accouchements par an – certaines, qui en font moins de 400, vont disparaître dans les 5 ans, même si on établit un moratoire. Ce dernier figera la situation qui nous a conduits à ces mauvais résultats.

Les accidents surviennent dans ces maternités en raison d’un défaut de ressources humaines, qui concerne tant les sages-femmes que les médecins gynécologues-obstétriciens qualifiés, les anesthésistes et les pédiatres. Ces derniers sont le maillon faible de la chaîne. Quelle maman accepterait qu’à la naissance, son enfant, qui n’est pas forcément en très bon état, ne soit pas vu par un pédiatre ? Or, parfois, il n’y en a pas sur place. Lorsqu’un pédiatre exerce en ville, il est compliqué pour lui de se déplacer à toute heure du jour et de la nuit. Dans tous ces établissements, ne vous leurrez pas, il n’y a plus de pédiatres. Réanimer un enfant, lui apporter les soins grâce auxquels on a atteint ce niveau d’excellence quand on disposait des ressources humaines nécessaires, cela exige des médecins spécialisés et entraînés.

C’est à ce titre que le seuil de 300 accouchements – soit moins d’un accouchement par jour – est critique. Comment voulez-vous qu’une équipe soit performante vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept si elle effectue moins d’un acte par jour ? Comment peut-elle, dans ces conditions, s’entraîner sur des cas difficiles ? Il faut revoir notre organisation et faire de ces petites structures, situées au plus près de la population, des centres de suivi et de consultation composés de sages-femmes et de médecins qui consultent, surveillent, orientent les grossesses à risque vers les centres équipés.

Il ne faut toutefois pas s’illusionner : dans une grande partie des départements, un seul centre sera capable de subvenir à tous les besoins vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous avons en effet de grands départements et des moyens de transport parfois limités. C’est un dispositif qu’il faut imaginer, à l’instar de ce qu’on fait la Finlande et la Suède, qui connaissent des conditions de transport délicates une grande partie de l’année. Ils n’ont pas bâti cette organisation à coups de rabot : ils l’ont créée en faisant en sorte que les patients puissent être dirigés grâce à des moyens de transport adaptés.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Monsieur Cortes, nous n’avons pas attendu le battage médiatique pour nous pencher sur cette question. La commission d’enquête avait en effet commencé ses travaux au cours de la législature précédente ; la dissolution nous a contraints de l’arrêter mais mon groupe a unanimement accepté de la recréer. Les députés ici présents sont en relation quasi quotidienne avec les forces vives de nos hôpitaux et avec nos médecins de ville. C’est une question qui nous concerne tous car les premières victimes en sont nos concitoyens.

S’agissant de l’intérim, les dispositions de la loi Rist restent en vigueur ; le Conseil d’État a simplement précisé des éléments de procédure. Les dispositions de la loi ont, à l’origine, engendré quelques problèmes – je pense en particulier aux services d’urgence – mais la gronde des médecins s’apaise quelque peu. La situation demeure très tendue mais c’est un peu moins le fait de la loi. Pour un hôpital, le fait de recruter quelqu’un au treizième échelon au titre du motif 2 coûte tout aussi cher, voire plus cher, que de recourir à un intérim. Il faudra sans doute aussi fixer ce cadre de manière un peu plus stricte.

On manque de professionnels dans tous les secteurs. En raison de la création du numerus clausus dans les années 1980, on a formé moins de 4 000 médecins par an pendant vingt ans, soit un nombre plus faible que dans les années 1970. Le numerus clausus est le fruit de la volonté commune des syndicats de médecins et des élus de l’époque : la responsabilité en est donc partagée.

On devrait être amené à fermer des maternités en raison du manque de professionnels, notamment de pédiatres et de gynécologues. Toutefois, le nombre d’étudiants est reparti à la hausse : on en compte 12 000 cette année. Par ailleurs, les maternités que l’on fermera ne rouvriront probablement pas. Dès lors, la question est de savoir quel équilibre trouver. Faut-il travailler au sein de ces maternités dans des conditions tendues ou vaut-il mieux les fermer, au risque qu’elles ne rouvrent pas ? La disparition de ces structures accentuerait, à long terme, la désertification médicale, que l’on espère réduire au cours des prochaines années.

Serait-il envisageable d’accroître encore les compétences des sages-femmes – qui font partie du personnel médical et ont fait six ans d’études – pour pallier le manque de pédiatres et de gynécologues ? On pourrait également parler des infirmières puéricultrices. Pourrait-on concevoir des formations en ce sens ?

Mme Caroline Combot. Les sages-femmes disposent déjà des compétences. En premier lieu, nous assurons le suivi de la grossesse. On parle toujours du suivi physiologique mais nous continuons à accompagner les patientes lorsque la grossesse n’est plus physiologique – autrement dit, lorsqu’un problème survient – en collaboration avec les spécialistes de la pathologie que sont les gynécologues-obstétriciens.

Au-delà de ce suivi, le champ de nos compétences s’est largement étendu à la santé génésique de la femme, plus précisément au suivi gynécologique de prévention et à la contraception, depuis 2009, et à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) médicamenteuse, depuis 2016. Par ailleurs, depuis l’année dernière, les sages-femmes hospitalières peuvent pratiquer des IVG chirurgicales au sein des établissements. En outre, nous prenons en charge la réanimation du nouveau-né en salle de naissance dans l’attente du pédiatre. Nous assurons également le suivi du nouveau-né lors des visites au domicile ; nous effectuons des consultations et des examens cliniques complets du nouveau-né et de la maman. En revanche, nous n’avons pas le droit de signer le certificat de santé du huitième jour ni de faire la visite du quinzième jour dans les territoires où il manque des médecins généralistes et des pédiatres ; c’est une question sur laquelle on pourrait éventuellement avancer.

Ainsi notre domaine de compétences va-t-il de la très jeune fille à la ménopause et au-delà, en passant par la naissance et la prise en charge du nouveau-né. C’est un champ très large et très complet, qui n’est pas toujours connu : chaque jour, des patientes découvrent nos compétences en gynécologie. Nous ne demandons pas plus pour le moment.

Notre travail n’est pas de pallier l’absence des gynécologues-obstétriciens. Nous travaillons en collaboration avec eux. Nous suivons dans un premier temps, en toute autonomie, le déroulé de la grossesse, qui se passe bien dans 70 % des cas, heureusement. En cas de pathologie, nous avons besoin des médecins spécialisés en chirurgie gynécologique et obstétricale. Nous travaillons ensemble. Je ne vois pas comment nous pourrions aller gratter sur leur ligne : ce n’est pas absolument pas la volonté de la profession. Au contraire, nous souhaitons que les choses soient bien organisées et clairement définies.

Les femmes ont la liberté, dans notre pays, d’être suivies par différents types de professionnels de santé, qu’il s’agisse de sages-femmes, de médecins généralistes ou de gynécologues-obstétriciens. Il n’y a pas forcément de gradation des soins. Dans certains territoires, des consœurs regrettent parfois que des grossesses qui se passent particulièrement bien ne soient pas suivies par les bonnes personnes et que des grossesses pathologiques soient suivies par les mauvaises personnes. Il faut réécrire les textes et réorganiser cela. La profession a saisi la Haute Autorité de santé (HAS) pour essayer de mettre les choses à plat.

Mme Margaux Creutz Leroy. Le collège des gynécologues a travaillé sur la question de la démographie des professionnels. On compte de plus en plus d’internes de gynécologie-obstétrique, depuis quelques années. Les jeunes médecins veulent majoritairement travailler en équipe dans des maternités de type 2 ou 3, au moins, du fait de la distinction réglementaire entre garde et astreinte. Beaucoup de jeunes professionnels ne veulent plus être d’astreinte et demandent à assurer des gardes sur place pour sécuriser le parcours des patientes. En effet, lorsque vous êtes d’astreinte et que l’on vous appelle parce qu’un accouchement se passe mal, il vous faut dix, quinze ou vingt minutes pour arriver dans l’établissement, ce qui peut être fatal. En revanche, si vous êtes de garde sur place et bénéficiez de la présence de l’anesthésiste et du pédiatre, c’est très sécurisant, tant pour le professionnel que pour la patiente.

Je ne suis pas sûre que le nombre de professionnels constitue le principal enjeu. Les données du problème résident plutôt dans le virage sociétal du mode d’exercice des médecins, qui veulent travailler dans un environnement sûr, ce qui implique des équipes complètes, des gardes sur place et un accès rapide à des produits sanguins labiles. En certains endroits, il est très difficile d’obtenir des plaquettes, ce qui, en cas de grosse hémorragie, placera la patiente, mais aussi le professionnel, en difficulté. Les médecins veulent également un accès à la réanimation maternelle et pouvoir compter sur un professionnel compétent en chirurgie obstétricale – car on peut parfois aller jusqu’à l’hystérectomie. Il faut renforcer l’attractivité du métier et la sécurité des prises en charge. Même si les gynécologues étaient plus nombreux, je ne suis donc pas sûre que cela résoudrait le problème : certaines maternités n’arriveraient pas à recruter des professionnels titulaires.

M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau. La loi Rist, dont on peut penser ce que l’on veut, est contournée par les directeurs, qui arrivent à obtenir leurs remplaçants, leurs intérimaires en les finançant par d’autres moyens. J’ai été surpris par la vitesse à laquelle ils se sont adaptés.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. On est passé à des contrats motif 2.

M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau. Exactement. L’intérim n’est pas la norme : c’est le début du mode dégradé. La norme, c’est une équipe de gens qualifiés au complet. Dans beaucoup de nos établissements publics, les gynécologues-obstétriciens qui assurent les gardes ne sont pas qualifiés : ils ne pourraient pas travailler, dans le privé, en leur nom propre. Ceux qui ont permis d’obtenir les bons résultats périnataux dans les années 1990 et 2000 sont devenus plus rares. On se contente de ce mode dégradé parce qu’on ne peut pas faire autrement ; lorsqu’on n’y arrive plus, on finit par fermer.

Les médecins ont poussé pour que l’on instaure le numerus clausus mais le drame est de l’avoir gardé trop longtemps. Or l’Assemblée nationale vote le budget. Chaque année, on devrait se poser la question. Voilà dix à quinze ans que nous alertons les pouvoirs publics. Il a fallu longtemps pour avoir le numerus apertus. C’est le cas à présent, mais on n’a plus les mêmes gynécologues-obstétriciens. On n’en a certes jamais formé autant, ce qui est positif, mais les études nous montrent que la durée moyenne de l’activité des jeunes en obstétrique, en salle de naissance – ce qui est le plus prenant et entraîne le plus de sujétions – est de dix ans. Pour ma part, lorsque j’ai commencé, je souhaitais faire de l’obstétrique pendant vingt ou trente ans. Pour former un gynécologue-obstétricien, il faut dix ans ; après avoir travaillé pendant dix ans en obstétrique, il va faire autre chose : de la chirurgie, de la PMA (procréation médicalement assistée), du diagnostic anténatal, etc. C’est parce qu’il a été très bien formé qu’il peut accomplir tous ces actes.

Les gynécologues-obstétriciens quittent la salle de naissance, qui est le cœur du métier, parce que les conditions qu’on leur réserve ne correspondent absolument plus à ce qu’ils espéraient ; de ce fait, on doit les remplacer à des postes de garde par des gens qu’on est parfois allé chercher très loin, qui n’ont ni notre formation, ni notre culture – on en est là. Cette situation est perverse. À l’heure actuelle, un gynécologue-obstétricien doit débourser en moyenne, chaque année, 30 000 euros au titre de la prime d’assurance responsabilité civile professionnelle : c’est une condition indispensable à l’exercice de la profession. Le renversement du système de la responsabilité civile remonte aux années 2000 ; il a été l’œuvre du législateur, en accord avec les assureurs. Résultat : dix confrères sont encore menacés de ruine du fait d’un trou assurantiel que le législateur n’a pas comblé. Il est difficile d’expliquer aux jeunes qu’ils devront verser, en moyenne, une prime de 30 000 euros alors que l’assurance maladie paie un accouchement 363 euros. Il faut réaliser un certain nombre d’accouchements ne serait-ce que pour payer sa prime, ce qui n’est pas tenable.

On a certes créé, conventionnellement, une aide au paiement de la prime, ce qui est astucieux. Toutefois, le législateur a posé des conditions qui ont pour effet d’empêcher ceux qui ont une activité modérée en obstétrique de percevoir l’aide, alors même qu’ils paient leur prime d’assurance plein pot. Pour l’assureur, en effet, on doit s’acquitter de la prime dès le premier accouchement. Les gens de ma génération ne sont plus incités à rester ; ils n’entendent pas continuer à exercer dans ces conditions. On essaie de faire changer ce très mauvais accueil, mais rien n’est fait. On se heurte au mur de Bercy. Les confrères et les consœurs quittent de plus en plus l’hôpital, du fait des conditions d’exercice qui y règnent, pour les établissements privés ; là, ils peuvent choisir leur activité, qui est rarement l’obstétrique : ils réalisent plutôt des actes autour de la naissance. Ils ne changent pas de métier : ils vont faire ce pour quoi ils ont été formés mais pas là où ils encourent le risque maximum, où ils ont été abandonnés, livrés à eux-mêmes sans que le système fasse quoi que ce soit pour améliorer leurs conditions d’exercice.

Nos confrères praticiens hospitaliers ont menacé de faire grève le 1er mai pour que leur astreinte soit réévaluée : elle l’a été avant même qu’ils ne cessent le travail. En revanche, on n’a pas touché à la rémunération de l’astreinte de nos confrères du privé. Assurer la sujétion de garde dans les maternités privées dans le cadre des horaires de la PDSES (permanence des soins en établissement de santé) au tarif opposable n’est pas viable. La réforme de la permanence des soins en établissement de santé, concernant les activités non réglementées, comme la maternité, est un sujet dans le sujet. Beaucoup d’établissements privés n’assureront pas la PDSES et continueront à bricoler parce qu’on refuse de leur financer une sujétion majeure. Il est vraiment dommage de se passer du privé mais ce sera de plus en plus le cas dans la mesure où nos effectifs fondent.

Une recherche rapide dans le Sniram (système national d’information inter-régimes de l’assurance maladie) permet de savoir combien d’accouchements ont réalisé les gynécologues-obstétriciens année après année dans le secteur privé –  on ne peut pas avoir accès à cette information dans le public, faute de traçabilité. En 2022, 943 obstétriciens ont codé pour au moins un accouchement ; en 2023, ils n’étaient plus que 900 et, en 2024, 843. Cette baisse régulière est l’illustration de ce que je vous expliquais.

Pour tenir une garde dans le secteur privé, il faut six accoucheurs, contre dix à l’hôpital public. Il en va de même pour les anesthésistes, et je ne parle pas des pédiatres. On ne trouve plus de pédiatres car c’est la spécialité médicale qui perçoit les revenus les plus faibles. Ils sont contestés systématiquement par les généralistes, qui disent que l’on n’a pas besoin de pédiatres. Dans les négociations conventionnelles que nous avons eues l’année dernière, nous avons eu beaucoup de mal à faire revaloriser les activités des pédiatres parce que les généralistes s’y sont opposés. Or les syndicats les plus influents sont ceux des généralistes. Il ne faut donc pas s’attendre à une augmentation du nombre de pédiatres dans les années à venir. Dès lors, il convient de les concentrer dans les maternités qui doivent demeurer, là où on a besoin de leur spécialisation au moment de la naissance. On ne les trouvera donc pas dans les petits établissements. Voilà le deal qui est devant nous.

M. Anthony Cortes. Je précise, monsieur le rapporteur, que je ne visais évidemment pas la commission et le pouvoir législatif mais le pouvoir exécutif. La loi Rist est toujours en vigueur, en effet, mais son application est suspendue pour une durée de six mois, le temps que l’on se conforme aux observations du Conseil d’État.

Les contrats conclus au titre du motif 2 ne sont pas le seul moyen de contourner cette loi. Au cours de l’enquête que Sébastien Leurquin et moi-même avons menée, on nous a souvent fait part d’une autre technique, qui consiste à déclarer de fausses heures supplémentaires. Un cadre d’un grand service de maternité, au sein d’un CHU, nous a expliqué les choses ainsi : « On passe des contrats de gré à gré pour une garde de vingt-quatre heures au plafond Rist mais avec la possibilité de faire des heures en plus. À la fin de la garde de l’intérimaire, on lui paie un certain nombre d’heures supplémentaires, sauf qu’en réalité, il ne les a pas faites. Le but, c’est de gonfler ses revenus artificiellement pour le rémunérer bien au-delà des plafonds. » Ce n’est qu’un exemple des possibilités de contournement existantes. Il y a de nombreuses failles dans le secteur de l’intérim. Ce sont souvent les structures les plus fragiles, les maternités de proximité qui paient le prix de l’absence de réponse face à la surenchère pratiquée autour des intérimaires, que certains appellent des mercenaires.

Dans certaines régions, telle la Bourgogne-France-Comté, 97 % des besoins sont comblés par l’intérim, ce qui a plusieurs conséquences. D’une part, c’est très coûteux. L’État assume une dépense comprise entre 1,5 et 2 milliards d’euros par an. D’autre part, cela déstabilise les équipes, ce qui entraîne des conséquences très graves. La Cour des comptes a relevé, sur la base d’un échantillon de la HAS, qu’un tiers des événements graves surviennent en présence de personnels non habituels, autrement dit d’intérimaires.

Vous demandiez comment trouver un équilibre, ce qui est effectivement la bonne question à poser. Pour trouver l’équilibre, il faut d’abord se donner les moyens de constater l’étendue des dégâts, de partir des besoins. En décidant un moratoire sur la fermeture des maternités réalisant moins de 1 000 accouchements par an, on se donne les moyens et le temps de constater concrètement, sur le terrain, ce qu’il en est. Certes, cela ne réglera pas les problèmes mais cela permettra d’objectiver une situation pour apporter des réponses, qu’il s’agisse de l’instabilité des équipes, de la possibilité d’incidents ou de la qualité des soins, notamment.

M. le président Jean-François Rousset. La loi met en danger les directeurs d’hôpitaux lorsqu’ils prennent le risque de recourir à l’intérim et que des heures supplémentaires ne sont pas effectuées. Ils sont responsables de la gestion de ces dernières et sont de plus en plus embêtés. Ceux que je rencontre me disent que cela leur pose un réel problème.

Lors de l’examen en commission de la proposition visant à lutter contre la mortalité infantile, nous avons réussi à faire adopter un amendement qui, au lieu d’instaurer un moratoire – ce qui suspend d’office toute fermeture de maternité et conduit à laisser fonctionner des structures qui n’offrent pas toutes les garanties de sécurité –, rend obligatoire une évaluation préalable des solutions de remplacement. Cette solution de bon sens a été votée presque à l’unanimité.

Il ne faut jamais sacrifier la sécurité à la proximité, en particulier dans le domaine qui nous intéresse.

Mme Margaux Creutz Leroy. Les maternités dans lesquelles les accouchements sont suspendus ne sont jamais choisies. Je suis très favorable aux diagnostics, mais il faut anticiper les mesures de suspension. Nous le disons depuis longtemps.

En Lorraine, les suspensions n’ont jamais été le fruit d’un choix mûri. Elles ont toujours eu lieu brutalement et parce que l’on n’arrivait plus à remplir le tableau de gardes. C’est d’autant plus désolant que l’on autorise ensuite de nouveau les accouchements, simplement parce que l’on a trouvé des gens pour assurer les gardes. Il n’y a aucune réflexion. On se contente de poser un sparadrap sur une fissure, en espérant que cela suffira.

On subit au lieu de réfléchir et d’anticiper. Le moratoire ne servira pas à grand-chose, parce qu’on ne suspend jamais l’activité d’accouchement au motif que le nombre de naissances est trop faible, mais bien en raison du tableau de gardes. Instaurer des moratoires ne permettra pas de trouver plus de professionnels.

En revanche, il est nécessaire d’établir des diagnostics territoriaux en associant les ARS et les réseaux de manière structurée, puis de prendre des décisions – ce qui ne signifie pas forcément fermer une maternité.

M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau. La solution sera territoriale.

Nous étions très sceptiques lorsqu’on a supprimé les réseaux périnataux territoriaux en nous annonçant qu’on allait faire autre chose. Il faut réfléchir à la répartition territoriale des maternités et des services de la PMI. Ces derniers sont en déshérence, alors qu’il s’agit de structures qui travaillent au plus près des populations les plus défavorisées. On n’arrive plus à recruter des sages-femmes et des médecins pour y travailler. Si nos résultats étaient auparavant aussi bons, c’est parce qu’un travail de fourmi était fait par la PMI, aussi bien dans les zones urbaines que rurales.

L’ARS peut certes jouer un rôle actif, mais il appartient au réseau périnatal de réfléchir et de réorganiser les flux de patientes pour mieux accompagner la naissance. Dans la Drôme, le réseau périnatal avait fini par arriver à fermer la maternité de Die en orientant vers celle de Valence les flux de patientes qui habitent dans des vallées enclavées. Cela suppose, de prévoir des transports et de conserver des services à proximité. La maternité de Die a ainsi été transformée en centre de consultation périnatale. Cela doit être anticipé. Les praticiens de Die continuent à assurer des gardes dans le centre de référence, à Valence. Mais, comme elles sont beaucoup moins fréquentes, ils vont continuer à exercer.

C’est un exemple de ce qui peut être mis en place lorsqu’il y a une volonté et que l’on associe le réseau périnatal et tous les acteurs qui connaissent le sujet.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous dites que l’équipe doit être la norme. Je ne peux qu’être d’accord. Que proposez-vous pour réduire beaucoup plus largement le recours aux intérimaires, qui s’est développé depuis les années 1990 ? Comment faire pour éviter de survaloriser la présence d’un médecin – à laquelle beaucoup de praticiens et de syndicats sont attachés – alors que l’on tend dans beaucoup d’hôpitaux publics à renforcer le rôle des infirmières ? Il me semble que les sages-femmes exerçant dans les hôpitaux publics ne sont pour l’instant pas très concernées par ce mouvement. Quoi qu’il en soit, il correspond à un changement des mentalités et à des considérations financières.

Le procureur de la République d’Épinal a très récemment reçu un signalement au titre de l’article 40 du code de procédure pénale à propos d’heures supplémentaires qui ont été déclarées mais pas effectuées. Lorsque certaines personnes ne respectent pas la loi, il appartient à la justice de faire son travail.

Je voudrais connaître votre avis sur plusieurs propositions visant à réformer la formation.

En Allemagne, les études de médecine durent six ans, auxquels peuvent s’ajouter d’autres années pour devenir spécialiste. En France, ces études durent plutôt une dizaine d’années. Pourrait-on en réduire la durée ?

En outre, j’ai été surpris de constater qu’aucun enseignement n’était dispensé en matière de relations humaines ou de management au cours de cette formation de dix ans. On doit pourtant gérer sa petite entreprise lorsque l’on s’installe en tant que généraliste. De même, le travail à l’hôpital implique d’interagir beaucoup avec d’autres personnels, comme les infirmières, les aides-soignantes ou les sages-femmes. Ce manque de formation contribue-t-il aux tensions qui existent parfois entre différentes catégories de professionnels au sein des services hospitaliers ?

Sans aller jusqu’à mettre en place un cursus complet commun pour les études de santé, ne pourrait-on pas prévoir, lors du premier cycle, des périodes de formation théorique réunissant les différents étudiants, ce qui permettrait de les préparer au travail collectif quotidien qui les attend ensuite ?

Mme Caroline Combot. Je reviens sur le sujet central de la morbidité périnatale pour apporter des précisions sur la situation outre-mer. Les chiffres y sont encore plus mauvais car les problèmes médicaux et sociaux de la population sont plus importants. Comme l’a relevé M. Rochambeau, la PMI joue un rôle extrêmement important. Elle relève des départements et l’on observe des différences notables entre eux s’agissant des moyens consacrés aux équipes, avec des rémunérations qui ne correspondent pas toujours aux attentes des médecins et des sages-femmes.

Nous souhaiterions harmoniser les choses en matière médico-sociale et de PMI, afin d’appréhender le suivi médical des grossesses de manière beaucoup plus globale. C’est une question primordiale. Une naissance ne se résume pas au développement d’un fœtus dans un utérus. C’est une famille en train de se constituer autour d’un enfant, et il va falloir l’accompagner. Les aspects médico-sociaux sont essentiels. Il est vraiment nécessaire de progresser en la matière.

La réforme des études de maïeutique concerne les étudiants qui ont intégré une école de sage-femme à la rentrée 2024. La durée totale des études passe à six ans. Issue d’une proposition d’Annie Chapelier, la loi visant à faire évoluer la profession de sage-femme a été votée à l’unanimité – ce dont nous vous remercions. Elle répond à la demande des étudiants. Leur formation est en effet extrêmement exigeante, en raison du volume horaire de formation théorique et de stages. Le mal-être des étudiants était très important. Le champ des compétences qui sont désormais requises est très large et il était nécessaire de prévoir une année supplémentaire d’études.

La réforme est en cours de mise en place, même si les travaux du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche sur le programme et la réorganisation des études ont pris un peu de retard.

Nous sommes surtout inquiets de ce que l’on va offrir aux jeunes diplômés qui auront un diplôme de docteur en maïeutique au bout de six ans. Quelles seront leurs conditions d’emploi ? Quel sera leur statut, notamment à l’hôpital ? Quelle rémunération pourront-ils obtenir ?

Vous avez évoqué la fuite des sages-femmes vers la médecine de ville. Les sages-femmes libérales sont très mal payées. Elles font partie des professionnels de santé les moins bien rémunérés, leur revenu moyen net s’élevant à 2 500 euros par mois. Des progrès ont certes été accomplis, notamment grâce à la signature avec l’assurance maladie d’un intéressant avenant à la convention. Néanmoins, les charges augmentent en permanence et la rémunération que j’ai évoquée n’est pas à la hauteur des compétences et des très vastes responsabilités confiées à des personnes qui auront suivi une formation en six ans. Nous avons donc du mal à recruter en formation initiale et à garder nos étudiants. Heureusement, des passerelles existent pour que ceux qui le souhaitent puissent se réorienter vers d’autres filières.

Le nombre de sages-femmes a augmenté de 4,3 % selon les dernières données publiées par la Drees (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques). C’est assez satisfaisant, mais cette évolution résulte du retour de sages-femmes qui sont allées suivre leur formation à l’étranger. Leurs compétences sont très différentes de celles des sages-femmes formées en France. En effet, elles ne font pas de suivi gynécologique, assurent rarement des consultations et, parfois, ne participent pas aux accouchements. Le Conseil national de l’Ordre des sages-femmes nous a alertés à propos du cas d’infirmières qui suivent un complément de formation de dix-huit mois dans des pays voisins pour devenir sage-femme. Cela peut suffire à peu près pour un exercice à l’hôpital limité à la naissance, mais elles ne peuvent pas assurer l’ensemble des fonctions d’une sage-femme qui a étudié en France. C’est un point qui nous inquiète beaucoup, car le fossé entre les deux types de formation va encore se creuser dans les années à venir. Il faut donc être très vigilant en ce qui concerne l’emploi de sages-femmes formées à l’étranger.

M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau. Comment faire pour reconstituer les équipes ? Tout d’abord en arrêtant de les décourager. Et qu’est-ce qui les décourage le plus ? C’est l’ingérence des responsables politiques locaux.

Je prends un exemple. En Bretagne, il y a eu plusieurs cas de mort maternelle en cours d’été. Il a été mis en évidence qu’ils étaient liés à des insuffisances d’équipes locales. Tout le réseau périnatal local estimait qu’il était utile de fermer une maternité située dans un village de la côte de la Manche, parce qu’on n’avait pas les moyens de la maintenir et qu’il existait une offre de soins dans la zone. L’ARS était d’accord et tout était prêt.

À la fin des fins, l’ancien maire a appelé l’Élysée et a obtenu le maintien de sa maternité, à Guingamp. C’était au moment de la Coupe du monde de football, en 2022.

Qu’est-il arrivé ? On a remis des équipes en veux-tu en voilà, comme on pouvait. Et la maltraitance a continué. Dans ces conditions, les équipes ne veulent plus servir de prétexte au pouvoir des politiques sur les ARS et les directeurs d’hôpitaux.

Ma critique est claire et simple, tout en n’étant pas connotée politiquement. Ces ingérences découragent les équipes qui se démènent chaque jour pour faire fonctionner les maternités.

J’en viens à la formation. L’université est un modèle de maltraitance. Je suis désolé de le dire de cette manière, mais je tiens des propos qui sont assez souvent carrés.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Disons plutôt qu’ils sont parfois caricaturaux.

M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau. La direction et le pouvoir de décision y sont organisés de manière verticale. Or l’université pilote l’ensemble de la formation des médecins.

Le taux de suicide des internes me préoccupe. Ces suicides ne devraient pas avoir lieu. Un soutien devrait être organisé pour les jeunes qui rencontrent des difficultés au cours de leur formation à des métiers difficiles. On n’y parvient pas.

Il n’y a aucun enseignement de management pour préparer l’après, qu’il s’agisse de l’installation en ville ou de l’exercice à l’hôpital. Durant les dernières années d’internat, il est possible de faire une partie de ses stages dans le privé. Mais, alors que des stages sont proposés, ceux qui coordonnent ces DESC (diplômes d’études spécialisées complémentaires) veulent garder les internes dans leurs établissements pour les faire fonctionner. C’est également vrai dans les maternités. Je suis responsable d’une URPS (union régionale des professionnels de santé) en Île-de-France et nous voyons que l’on n’y arrive pas. D’autres régions y parviennent mieux, dont notamment l’Occitanie.

L’université impose sa manière de voir.

Mme Géraldine Bannier (Dem). Je reviens sur le sujet de l’analyse de l’offre de soins dans les territoires. Des sages-femmes de la Mayenne m’ont indiqué qu’il était difficile de savoir combien d’entre elles sont installées dans le département. Aucun outil ne serait d’ailleurs disponible au niveau national. Ne faudrait-il pas en mettre un en place pour savoir où sont installés les gynécologues, les pédiatres et les sages-femmes ?

Mme Caroline Combot. Grâce à CartoSanté, on y voit désormais un peu plus clair s’agissant des sages-femmes qui ont une activité libérale. On peut aussi se référer aux annuaires de l’assurance maladie, disponibles sur Ameli (assurance maladie en ligne).

Les effectifs de sages-femmes sont très réduits, puisque l’on en compte 24 500 en France. Les conseils de l’Ordre des sages-femmes ont une vision exhaustive de la répartition des forces vives sur l’ensemble du territoire. Les DSRP (dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité) disposent également de ces informations et peuvent répondre aux questions des professionnels. Il en est bien entendu de même des organisations syndicales.

M. Antony Cortes. Je n’ai pas eu l’occasion de répondre à l’importante question précédente sur la formation.

Près de la moitié des services de soins intensifs et de réanimation ont un taux d’occupation supérieur à 95 %. Ils fonctionnent grâce à des pédiatres néonatologistes, mais aussi à des infirmiers. Ces personnels sont tous en nombre insuffisant. De plus, on sait qu’il faut deux années d’expérience pour qu’un infirmier soit pleinement efficace dans ce type de service. Or 80 % des infirmiers qui y sont employés ne disposent pas d’un tel bagage. S’ajoute à cela un problème de formation initiale, puisque la pédiatrie et la néonatologie ne font plus partie des programmes dans les écoles d’infirmiers depuis 2009. Il faut donc également se pencher sur ce sujet.

J’abonde dans le sens de Mme Combot : la PMI joue un rôle important, mais elle est dans un état de délitement absolu. Michèle Peyron l’a exposé très clairement dans son rapport remis en 2019 lorsqu’elle a relevé que, depuis 1995, on suit moitié moins de femmes et d’enfants. Elle a également pointé les inégalités territoriales et le manque de moyens. C’est encore un point à aborder.

Enfin, je ne partage pas du tout l’avis du Dr Lacroix de Vimeur de Rochambeau sur le rôle des élus. L’accouchement est certes une affaire médicale, mais c’est aussi un sujet politique et social. Il n’est pas réservé aux seuls représentants de la science. Il est tout à fait normal que les élus locaux se penchent sur cette question et essaient de sauver ce qui est le dernier patrimoine commun dans beaucoup de territoires.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Je suis députée d’une circonscription des Côtes-d’Armor qui comprend Guingamp. Depuis 2018, les élus locaux et la population luttent pour sauvegarder la maternité. M. Le Graët avait en effet demandé à M. Macron de la sauver et il a obtenu un sursis de six mois.

Je suis élue depuis seulement trois ans et toutes mes questions au gouvernement ont porté sur le thème de la fermeture de cette maternité. – j’ai même demandé si M. Le Graët allait sauver toutes les maternités de France. Nous sommes d’accord : il ne s’agit pas de s’en remettre au fait du prince, mais bien de mettre en place une politique de santé publique.

Vous avez pointé du doigt l’insuffisance des crédits prévus par les projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Je rappelle que je n’ai jamais eu l’occasion de voter sur ces textes, puisqu’ils sont chaque année adoptés en ayant recours au 49.3. Venez nous soutenir lors de l’examen du prochain PLFSS pour obtenir des moyens. Nous avons démontré qu’il était possible de financer la santé publique, mais on refuse de partager les richesses.

Vous avez reconnu que c’est une question de coût, docteur Rochambeau, puisqu’une maternité n’est pas rentable en dessous de 1 000 accouchements par an. Il est dramatique d’entendre ça, car notre pays est très riche et a les moyens de financer la santé.

Comment faire pour rendre plus attractives les petites maternités si un rapport de l’Académie nationale de médecine préconise de fermer toutes celles qui effectuent moins de 1 000 accouchements par an ? Les professionnels vont forcément être découragés d’y travailler. C’est un cercle vicieux. Nous avons besoin de maternités de proximité.

Votre vision médicale est évidemment plus que nécessaire et il faut agir si l’on constate des problèmes de sécurité. Mais il faut aussi se placer du point de vue des mamans, qui est tout autre. Devoir parcourir une longue distance lorsque l’on est enceinte et stressée n’est pas une bonne solution. D’autant que ce n’est pas beaucoup mieux s’agissant du coût si l’on doit avoir recours à des transports sécurisés spécialement pour l’obstétrique. N’est-ce pas contre-productif et ne vaut-il pas mieux conserver nos petites structures de proximité ?

M. Margaux Creutz Leroy. Notre fédération propose que des équipes territoriales assurent des consultations de proximité, pour éviter que les femmes aient à faire de longs trajets lors du suivi de leur grossesse. Ces équipes seraient notamment chargées des différentes échographies, de la préparation à l’accouchement et des entretiens.

L’accouchement a une tout autre importance, car en moyenne une femme n’en vit qu’une ou deux fois. Nous pensons que l’on peut s’organiser pour qu’elle accouche sur le plateau technique sûr le plus proche. Dans beaucoup d’endroits, les femmes resteraient à moins d’une heure de transport d’une maternité si celle de proximité disparaissait.

Je souhaite revenir sur la notion d’« usines à bébé ». C’est un terme horrible. On peut avoir de très bonnes maternités où ont lieu beaucoup de naissances, tout en ayant une prise en charge globale et un bel accompagnement.

Si l’on dispose des ressources nécessaires et que l’on concentre les moyens, on sécurise l’enfant tout en humanisant l’accueil. Nous sommes de toute manière contraints d’aller dans cette direction. Si nous le faisons de manière posée, réfléchie et structurée, en tenant compte de la réalité des établissements et des besoins, nous réussirons.

Par-delà les freins politiques, la principale difficulté réside dans la nécessité de faire travailler ensemble des équipes qui ont parfois du mal à collaborer. La création des GHT (groupements hospitaliers de territoire) nous aide un peu. Mais il appartient aussi aux réseaux de santé en périnatalité d’œuvrer au rapprochement d’établissements qui vont finir par devoir collaborer, afin de mettre en place une équipe territoriale chargée à la fois d’assurer les consultations de proximité et les gardes au sein d’un seul plateau technique – et non plus de trois, comme c’est parfois le cas. J’y crois beaucoup.

L’hébergement n’est pas un véritable problème. Des femmes qui habitent loin s’organisent déjà.

Il faut mettre fin au fantasme de l’accouchement extrahospitalier inopiné. Nous avons mis en place un observatoire au sein de notre fédération et l’analyse des données montre que ces accouchements sont très rarement liés à un temps de transport trop important. Ils ont fréquemment lieu dans les grandes métropoles, alors qu’une maternité n’est pas loin. Les accouchements extrahospitaliers s’expliquent le plus souvent par la précarité sociale, par un défaut de suivi de la grossesse ou par une éducation à la santé insuffisante.

Mme Caroline Combot. Comme l’a décrit M. Cortes dans son livre, l’une des difficultés réside dans le fait que des médecins ne veulent plus travailler dans les petites maternités, car l’organisation de celles-ci les met en danger. Je l’entends.

En revanche, des sages-femmes qui travaillent dans des maternités de niveau 1 ne veulent pas rejoindre celles de niveau 3. Ces dernières sont destinées à prendre en charge les pathologies sévères et sont réputées au sein de la profession pour la surcharge de travail – ce qui n’est pas toujours avéré.

On aurait tout à gagner à avoir des effectifs suffisants pour permettre un accompagnement de qualité, humain et qui corresponde aux souhaits des femmes.

La dernière enquête périnatale indiquait qu’environ 65 % d’entre elles souhaitent accoucher sans péridurale. En réalité, dans la maternité où je travaille, près de 90 % des femmes accouchent avec une péridurale. Peut-être ne se rendaient-elles pas compte de l’intensité de ce qu’elles allaient vivre. Mais on peut aussi se demander si l’équipe était suffisamment disponible pour les aider à aller au bout de leur projet. Si l’on examine le taux de péridurale en fonction du niveau des maternités, on s’aperçoit que ces anesthésies sont moins nombreuses dans celles de niveau 1.

Il y a quelques années, on s’était aperçu que le taux de péridurale était très faible à la maternité de Vitré. Beaucoup s’en étaient émus, pensant que cela traduisait un refus d’intervenir des anesthésistes. La véritable raison était que les femmes ne souhaitaient pas accoucher avec une péridurale et que les sages-femmes étaient suffisamment disponibles pour les accompagner dans ce projet. Une petite enquête avait été conduite : à chaque fois qu’une femme accouchait sans péridurale, un formulaire devait être rempli pour savoir si cela correspondait au désir de celle-ci, s’il était trop tard ou si l’anesthésiste n’était pas disponible.

La différence entre les attentes des couples et la réalité de ce que nous pouvons leur proposer me choque. Ce n’est pas normal. C’est une source de déception et, parfois, de dépression post-partum. Il faut trouver une solution pour mettre en adéquation la réalité de nos pratiques avec leurs demandes.

Je suis bien davantage inquiète à propos des accouchements non accompagnés que des accouchements inopinés. Même si l’on ne dispose pas de données précises, on constate que des couples évitent les maternités car ils n’ont absolument pas confiance dans le monde médical. Il s’agit encore heureusement d’une minorité, mais elle utilise les réseaux sociaux pour partager des recettes pour accoucher à domicile. Il faut avoir une réflexion globale sur ce phénomène très inquiétant.

Quant aux hôtels hospitaliers à proximité des maternités, c’est une fausse bonne idée. Ça ne marche pas. Le projet de décret nous avait été présenté. Il prévoyait que la femme pouvait être hébergée pendant cinq jours avant d’accoucher. Mais une femme est susceptible d’accoucher à n’importe quel moment dès lors que sa grossesse est arrivée à terme, c’est-à-dire au cours du dernier mois. Elle ne va pas tout quitter du jour au lendemain pour attendre dans un hôtel. Dans certains territoires, comme la Guyane, on peut anticiper ces séjours et cela peut marcher. Mais on voit bien que dans les cas où des conventions ont été signées entre des maternités et des hôtels, personne n’utilise ces derniers. Il faut peut-être rapprocher les femmes des maternités, mais il faut le faire en s’organisant de manière pragmatique, ce qui implique probablement d’améliorer les modalités de transport.

M. Antony Cortes. On entend beaucoup dire – comme vous l’avez fait vous-même, monsieur le président – qu’il faut privilégier la sécurité plutôt que la proximité. Il faut absolument en finir avec ces dogmes.

On peut parfaitement allier sécurité et proximité, même si, j’en conviens, cela demande un travail massif qui consiste tout d’abord à revoir complètement le maillage territorial.

Au cours de cette table ronde, on a beaucoup parlé de transformer en centres périnataux et de consultation les petites maternités que l’on estime ne plus pouvoir faire fonctionner. C’est prendre le problème à l’envers. Il ne faut pas renoncer à la possibilité d’accoucher sur tous les territoires – c’est-à-dire d’avoir au moins une maternité par département. Un territoire dans lequel on ne peut plus donner la vie est un territoire que l’on condamne à mort.

Encore une fois, le sujet de l’accouchement est également politique et démocratique. Il s’agit de l’égalité de tous les territoires. J’en sais quelque chose puisque je suis originaire des Pyrénées-Orientales. Je peux vous dire que la volonté du pouvoir central de transférer les accouchements vers les grandes métropoles suscite un véritable ras-le-bol. Nous voulons naître et vivre dans notre département.

Il est exact que le pourcentage des accouchements inopinés est très faible. Mais, dans certaines régions comme la Bourgogne ou la Franche-Comté, il a doublé en seulement dix ans. La précarité joue bien entendu un rôle, mais l’éloignement des maternités aussi. Les deux vont malheureusement de pair.

M. le président Jean-François Rousset. Je n’ai jamais dit que j’étais contre le fait de concilier la proximité et la sécurité. Tout le monde est d’accord avec ces beaux objectifs.

J’ai dit qu’il fallait évaluer au cas par cas et qu’il ne fallait pas tromper les gens si la sécurité n’est pas assurée – le plus souvent en raison de l’absence d’un anesthésiste ou d’un chirurgien capable d’intervenir en cas de rupture utérine ou d’hémorragie.

Nous avons tous les mêmes objectifs. Les atteindre est une affaire de moyens et d’organisation territoriale de la santé. Mais, en tant qu’ancien praticien, je ne transigerai jamais sur la sécurité.

Si l’on a mis en place des Samu et des Smur (structures mobiles d’urgence et de réanimation) mais aussi prévu des hélicoptères dans des territoires très ruraux, c’est justement parce qu’ils permettent de prendre en charge les patients et de les transporter de façon optimale. Dans l’Aveyron, plus personne ne meurt d’infarctus du myocarde, parce que les équipes du Samu pratiquent des fibrinolyses in situ et que l’hélicoptère amène le patient soit au centre hospitalier de Rodez – qui est parfaitement équipé –, soit à Toulouse ou à Montpellier.

Il est peut-être encore plus important de raisonner de cette manière en matière d’accouchement, car il s’agit de la vie de mères et d’enfants.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Quel est votre avis sur les conséquences de la T2A sur les conditions de travail des professionnels, et donc sur la qualité des soins ? Faut-il abandonner cette tarification dans le secteur périnatal ?

M. Bertrand Lacroix de Vimeur de Rochambeau. Je reviens tout d’abord sur votre question précédente. Le rapport de l’Académie nationale de médecine a fixé un seuil de 1 000 accouchements afin d’identifier les établissements qui sont menacés dans les cinq ans qui viennent. Comme l’a très bien expliqué ma consœur Creutz-Leroy, il s’agit de se faire une idée du nombre de ceux qu’il faudrait transformer en centre périnatal de proximité afin de ne pas amoindrir le suivi des grossesses dans le territoire concerné. Selon moi, ce rapport constitue une bonne feuille de route.

S’agissant de la qualité des soins, des progrès ont été réalisés en travaillant sur la qualité des équipes des plateaux techniques lourds– et donc dans les maternités comme dans les blocs opératoires. La HAS pilote des programmes d’amélioration de la qualité destinés à certifier les établissements et à accréditer les médecins. Cette accréditation peut être individuelle, mais elle peut aussi concerner une équipe médicale – c’est le cas depuis désormais sept ans. Nous soutenons cette procédure d’accréditation d’une équipe au sein d’une maternité, car c’est seulement grâce à l’équipe que l’on arrivera à améliorer la qualité.

Dans le cadre actuel, seules des équipes composées de médecins peuvent être accréditées. Nous demandons que l’on raisonne à l’échelle de la salle de naissance et que l’on inclue les sages-femmes, voire les puéricultrices. C’est sur leur travail collectif que repose la qualité.

Partant de ce constat, je défends depuis quelques années – même si mon point de vue est encore très minoritaire – l’idée d’une tarification des actes entourant la naissance assise sur les tâches réalisées par l’équipe collégiale. Ce n’est pas sans poser problème, mais si l’on veut organiser des projets autour d’une maternité, il faut inventer de nouvelles modalités pour les soutenir.

En tant que syndicaliste, je préviens tout de suite que cela ne doit pas servir de prétexte pour sous-financer l’équipe – d’autant qu’avec les tarifs acceptés par l’assurance maladie en matière de naissance tout est déjà sous-financé.

Dans certaines spécialités, on peut réduire le prix de l’acte en se disant que le praticien se rattrapera sur leur nombre. Avec la naissance, ce n’est pas possible. Pour un gynécologue-obstétricien, le tarif conventionnel d’un accouchement est fixé à 369 euros, que cet accouchement soit difficile ou pas. Et que l’on ne dise pas que l’on fait des césariennes pour gagner plus, car les honoraires ne changent pas par rapport à un accouchement normal. La tarification n’a donc jamais eu d’influence sur le nombre de césariennes. La décision de pratiquer une césarienne repose sur une analyse médicale. Cet acte est parfois programmé, afin de mieux faire face aux aléas. On nous a reproché pendant dix ans de programmer trop de césariennes. Mais les équipes effectuent tous les jours une balance bénéfice-risque.

On a fait baisser le nombre de césariennes programmées. Dans votre questionnaire écrit, vous avez demandé si cela avait eu un effet sur la qualité de la prise en charge périnatale. Vous avez raison de poser cette question, mais il est très difficile d’y répondre. D’autres pays ont réussi à avoir des taux de césariennes programmées très bas, avec des résultats périnataux corrects. Mais l’organisation n’est peut-être pas la même. Il faut travailler sur ce point, car c’est une affaire d’organisation – et cette organisation doit reposer sur l’équipe. C’est la raison pour laquelle je propose de renverser la perspective habituelle : ne pourrait-on pas envisager un financement par équipe ?

M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie pour cette conclusion qui synthétise d’une certaine manière ce que nous pensons tous : l’efficacité de l’équipe repose sur les compétences de tous ses partenaires.

Merci à tous.

 

*

*     *


–  1  –

16.   Audition, ouverte à la presse, de Mme Sophie Lebret, secrétaire générale des ministères chargés des affaires sociales, et M. Yann Debos, chef de service et responsable du pôle santé

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons aujourd’hui les travaux de la commission d’enquête consacrée à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Nous accueillons Madame Sophie Lebret, secrétaire générale des ministères chargés des affaires sociales, et Monsieur Yann Debos, chef de service et responsable du pôle santé. Le secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales (SGMAS) se distingue au sein des administrations centrales par son autorité sur les fonctions transversales et support des ministères sociaux, ainsi que ses compétences de pilotage et d’animation, notamment pour le réseau des dix-sept agences régionales de santé (ARS).

Conformément à l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je vous invite à prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(Mme Sophie Lebret et M. Yann Debos prêtent serment.)

Mme Sophie Lebret, secrétaire générale des ministères chargés des affaires sociales. Le SGMAS se distingue par sa mission transversale : il ne porte pas directement de politiques publiques, mais il coordonne l’action des directions en charge de celles-ci, notamment la direction générale de la santé (DGS), la direction générale de l’offre de soins (DGOS) et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Notre rôle consiste à assurer la cohérence de leurs actions et la pertinence des instructions transmises aux ARS.

Le conseil national de pilotage (CNP) prévu par le code de la santé publique examine chaque instruction destinée aux ARS. Ce processus implique des échanges entre les directeurs généraux spécialistes, les directions centrales et la direction du budget, garantissant ainsi l’efficacité et la conformité des directives. Ces instructions, limitées à trois pages, définissent des objectifs clairs et précis. En tant que présidente du CNP, je contresigne ces instructions.

Le secrétariat général anime également le collège des directeurs généraux d’ARS, qui se réunit mensuellement au ministère pendant deux jours. Ces réunions, souvent en présence du ministre, permettent de traiter les dossiers d’actualité et de transmettre des instructions, constituant ainsi un outil précieux de pilotage du réseau.

Monsieur Yann Debos et son équipe animent des comités techniques spécialisés, réunissant des membres de l’administration centrale et des experts de chaque ARS, représentant l’ensemble du réseau.

Le Secrétariat général gère également l’allocation des moyens aux ARS, notamment via une subvention de service public annuelle, portée par le programme 155 du budget du ministère. Nous veillons au respect du plafond d’emploi et à l’évolution de la masse salariale. Cette subvention couvre les frais de fonctionnement et la masse salariale, les autres crédits provenant de la sécurité sociale.

Nous assurons également le pilotage du fonds d’intervention régional (FIR), définissant ses orientations annuelles et supervisant les discussions au niveau régional.

M. Yann Debos, chef de service et responsable du pôle santé. Je n’ai rien à ajouter à cette présentation.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Vous avez évoqué en introduction un champ d’action plus large que la seule santé. Dans le contexte actuel, ne pensez-vous pas qu’il serait judicieux de le resserrer ? Ne faudrait-il pas privilégier une gestion de l’offre de soins par les ARS ? Actuellement, on a l’impression d’une compétence extrêmement large, comme une très grosse entreprise touchant à tout, qui se déconcentre et se déconnecte des priorités des Français en matière de santé et d’offre de soins.

Mme Sophie Lebret. Il faut se rappeler le contexte de création des ARS en 2009. L’objectif était de regrouper un ensemble de fonctions pour obtenir une vision régionale de l’organisation de l’offre de soins, dépassant l’ancienne approche départementale. Cette vision élargie ne se limite pas au sanitaire, mais englobe également l’offre de soins en ville et le médico-social, ce qui est particulièrement pertinent aujourd’hui avec le développement de nouvelles pratiques.

L’avantage des ARS réside dans leur capacité à avoir une vision globale, permettant de faire le lien entre l’hôpital, la médecine de ville et le médico-social. Cette approche est essentielle pour aborder les nouvelles problématiques telles que les soins ambulatoires, le suivi post-hospitalier dans les territoires et le maintien à domicile.

L’éloignement du terrain dans les grandes régions est effectivement un défi auquel nous sommes confrontés. La question de l’articulation entre le niveau départemental et l’échelon régional est cruciale. Nous devons trouver le bon équilibre pour être proches des demandes des citoyens et des élus locaux, tout en maintenant une vision suffisamment large pour les établissements sanitaires, qui nécessite souvent une perspective régionale, voire interrégionale. Cette approche justifie le champ d’action actuel des ARS et explique également pourquoi nous avons aujourd’hui un grand ministère regroupant la santé et la solidarité. Les liens entre le sanitaire et le médico-social sont de plus en plus étroits et nécessitent une gestion intégrée.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il n’est jamais trop tard pour reconnaître qu’on a commis une erreur et apprendre de ses nouvelles expériences. Vous avez souligné que l’organisation d’un système de santé ne peut aujourd’hui se concevoir que par une régionalisation, ne serait-ce que pour établir un lien entre les centres hospitalo-universitaires et les hôpitaux départementaux. Cependant, ne sommes-nous pas allés trop loin dans la régionalisation au détriment de la départementalisation ? Ne serait-il pas judicieux de trouver un équilibre entre le modèle d’il y a une vingtaine d’années et celui d’aujourd’hui avec les ARS ? L’objectif serait de combiner les avantages des deux systèmes : conserver le schéma régional tout en renforçant significativement la présence départementale, particulièrement sur les questions de santé.

Les préoccupations actuelles de nos concitoyens portent sur les difficultés liées aux déserts médicaux, l’accès aux soins dans les hôpitaux publics, les différences entre cliniques privées et hôpitaux publics, tant en termes de services d’urgence que d’activités quotidiennes, les remboursements et les délais d’obtention de rendez-vous. Ne serait-il pas pertinent de rechercher un juste milieu pour répondre à ces interrogations quotidiennes ?

Mme Sophie Lebret. Tous les échelons sont interconnectés. Nous disposons de plusieurs schémas et contrats qui permettent d’affiner une stratégie nationale de santé et de la décliner au niveau régional via les plans régionaux de santé. Au niveau local, les contrats locaux de santé constituent aussi des outils puissants pour instaurer un dialogue au plus près du terrain. Ces instruments sont adaptés aux spécificités locales et négociés à différents niveaux selon les régions et les départements.

Le sujet des déserts médicaux est une préoccupation majeure tant pour le Parlement que pour les ministres en fonction. Des échanges ont récemment débuté pour identifier les zones nécessitant la mise en place d’une solidarité entre médecins. Ce dialogue s’établit entre l’ARS, la préfecture et les élus, y compris au niveau des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), permettant ainsi des échanges à un niveau suffisamment fin. Certains directeurs généraux d’ARS ont également développé des pratiques innovantes, telles que l’organisation de réunions de concertation régulières au niveau d’un EPCI ou d’un département, s’adaptant à chaque réalité locale. Cette approche permet de répondre au plus près des besoins et de développer des solutions innovantes, comme des médicobus ou de l’imagerie par résonance magnétique mobile, qui vont à la rencontre des citoyens. Ces innovations sortent de l’ancienne carte des établissements, qui ne correspond plus à la réalité actuelle de l’organisation des soins.

M. Yann Debos. La stratégie d’organisation est effectivement régionalisée, avec un directeur général responsable de l’ensemble de la région et des directeurs départementaux. Cependant, cela n’empêche pas une action fine au niveau des départements et des contrats locaux de santé signés partout en France.

Durant la pandémie, j’ai pu observer le travail complémentaire des échelons départemental et régional dans la gestion quotidienne de la crise. Une collaboration étroite s’est établie avec les communes et les conseils départementaux pour la vaccination, le dépistage, etc. Cette réactivité très fine sur le terrain, bien qu’imparfaite, nécessite du temps pour dialoguer avec tous les acteurs : élus, professionnels de santé et usagers. Il serait erroné de penser que la présence du « R » de régional dans « ARS » signifie l’absence d’actions précises au niveau départemental.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Néanmoins, on évoque souvent des stratégies extrêmement larges, définies au niveau national, englobant des domaines tels que la médicalisation et la prévention. Ces objectifs, fixés de manière très générale, sont parfois difficilement compréhensibles. Bien que leur déclinaison au niveau régional les rende plus concrets, ne serait-il pas judicieux de mieux cloisonner la stratégie nationale de santé, plutôt que d’y inclure tous les aspects ? Ne devrions-nous pas opter pour une approche plus ciblée et donc plus compréhensible, plutôt que de viser une couverture exhaustive mais potentiellement confuse ?

Mme Sophie Lebret. Bien que nous ne soyons pas décideurs des politiques publiques  ̶  la direction générale de la santé et la direction de l’offre de soins sont mieux placées pour en parler  ̶ , nous adoptons aujourd’hui une vision holistique de la santé. Cette approche intègre toute la logique de prévention, prenant en compte l’alimentation, la pratique sportive et l’environnement. Un cloisonnement n’est plus envisageable car l’état de santé de la population résulte de multiples facteurs. C’est précisément pour cette raison qu’il est pertinent que les ARS puissent intervenir sur cette logique de prévention plutôt que de cloisonner.

Par ailleurs, chaque politique de santé n’est pas nécessairement appréhendée de manière uniforme. Certes, il existe des directives nationales, mais prenons l’exemple de la vaccination : l’approche en Bretagne, où les taux de vaccination et d’adhésion sont élevés, diffère de celle adoptée dans d’autres régions où la résistance à la vaccination est traditionnellement plus forte. L’intérêt réside dans l’existence de lignes directrices que les ARS, en tant qu’établissements publics dotés d’une certaine indépendance, suivent tout en les adaptant aux spécificités de leur territoire. C’est précisément la raison d’être des ARS.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pourriez-vous nous en dire plus sur les contrats d’objectifs et de performance qui sont signés avec les ARS ? En quoi consistent-ils concrètement ?

Mme Sophie Lebret. Ces contrats comportent une multitude d’indicateurs permettant de piloter et de comparer les performances de chaque région dans l’atteinte de ses objectifs. Nous organisons chaque année un dialogue stratégique réunissant les directions et moi-même, au cours duquel nous échangeons avec les ARS sur leurs points forts et leurs points faibles. Nous identifions les facteurs de blocage et cherchons à transposer les bonnes pratiques d’une région à l’autre. Les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) constituent la base de cette évaluation et servent également à l’évaluation des directeurs généraux, en examinant le niveau d’atteinte des indicateurs.

M. Yann Debos. Ces contrats courent sur cinq ans et ceux qui sont actuellement en vigueur ont été signés il y a deux ans. Ils couvrent l’ensemble des compétences des ARS et fixent des objectifs assortis d’un certain nombre d’indicateurs précis pour évaluer leur réalisation.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de ces objectifs et indicateurs ?

M. Yann Debos. Les objectifs couvrent l’ensemble des compétences des ARS. Nous disposons d’une dizaine d’objectifs correspondant à divers domaines. Ils englobent la santé publique, le médico-social, notamment pour les personnes âgées et handicapées, ainsi que l’utilisation efficiente des moyens alloués aux ARS. Chaque année, une lettre de mission est adressée à chaque directeur général d’ARS par les ministres. Cette lettre, bien que liée au CPOM, actualise et précise les priorités du moment. Chaque année également, un dialogue stratégique a lieu entre chaque directeur général d’ARS et les membres du CNP. Ce conseil comprend les directions d’administration centrale, les caisses de protection sociale et la direction du budget. Lors de ce dialogue, le directeur général présente le bilan de l’année écoulée et les perspectives pour l’année à venir. À l’issue de cette rencontre, une évaluation du directeur général est proposée par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui s’appuie sur les grandes lignes du CPOM.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ne pensez-vous pas qu’il serait envisageable d’étendre le pouvoir de dérogation des directeurs généraux des ARS ou celui d’une fonction similaire à l’avenir, afin d’accentuer la décentralisation ?

Mme Sophie Lebret. Leur pouvoir de dérogation est complexe et limité. Il s’apparente à celui des préfets, permettant des dérogations sur des questions de procédures ou de délais, mais pas sur les principes fondamentaux établis par la loi. Par exemple, les règles régissant les pharmacies ne peuvent faire l’objet de dérogations. En revanche, il est possible de déroger sur les délais de réponse ou des aspects similaires.

Cette limitation s’explique par le statut administratif des ARS, qui n’ont pas de pouvoir réglementaire étendu. De plus, de nombreuses règles dans le domaine de la santé publique sont de nature législative. Nous avons poussé le pouvoir de dérogation aussi loin que possible dans le cadre juridique actuel.

Néanmoins, dans la pratique quotidienne, les directeurs généraux des ARS peuvent être amenés à prendre des décisions dérogatoires en cas de danger imminent, par exemple pour assurer le fonctionnement d’un établissement ou garantir l’accès aux soins dans un territoire. Ces situations exceptionnelles seraient évaluées par un juge en cas de contestation.

En tout cas, leur pouvoir de dérogation reste légitimement très encadré, la plupart des règles étant d’origine législative.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Parmi les compétences des ARS, vous avez mentionné la prévention comme l’une de leurs missions principales. Pouvez-vous nous éclairer davantage sur la part du budget allouée à la prévention ? Quel pourcentage du personnel des ARS travaille spécifiquement sur ce sujet ? Quelles sont les actions concrètes menées au quotidien dans ce domaine ?

Mme Sophie Lebret. Je ne dispose pas des chiffres précis sous les yeux, mais nous vous les communiquerons ultérieurement. Le rapport parlementaire sur le FIR détaille la proportion exacte consacrée aux politiques de prévention. Nous vérifierons également les effectifs dédiés à cette mission pour vous fournir des données exactes.

Concernant les actions concrètes, nous menons de nombreuses initiatives, particulièrement dans les quartiers prioritaires. Nous nous concentrons sur l’amélioration de l’alimentation, la promotion de la pratique sportive et l’engagement des jeunes. Nous organisons également des campagnes de vaccination et relayons au niveau régional les campagnes nationales.

M. Yann Debos. Nous collaborons étroitement avec les collectivités locales, les associations et d’autres acteurs de la santé publique. Ces partenariats permettent de mettre en place des actions ciblées et efficaces sur le terrain.

Mme Sophie Lebret. Nous travaillons également en collaboration avec les unions régionales des professionnels de santé (URPS) au niveau régional. Par exemple, les URPS de sages-femmes mènent de nombreuses actions en matière de contraception et de santé des femmes, dans une logique de proximité avec les usagers et les patients. Nous établissons également des conventions avec ces unions régionales, notamment celles des médecins.

Cette approche permet de mener des actions impliquant directement les professionnels de santé sur le terrain, plutôt que de passer uniquement par les établissements. Nous observons ce type d’initiatives particulièrement dans les campagnes de vaccination, notamment dans les territoires d’outre-mer.

Nous collaborons aussi avec des associations sportives, par exemple, qui peuvent relayer des messages de santé publique par des canaux différents. C’est ce genre d’actions diversifiées que nous encourageons sur les territoires.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Agissez-vous directement ou financez-vous les associations qui mettent en œuvre ces actions ?

Mme Sophie Lebret. Notre approche ne se limite pas aux financements, bien qu’ils jouent un rôle important. Les URPS, par exemple, disposent de leurs propres fonds, alimentés par une contribution prélevée sur les honoraires de chaque professionnel de santé. Elles peuvent donc mener des actions indépendantes.

Dans le cadre de nos partenariats, qu’il s’agisse d’URPS, de conseils départementaux ou de communes, nous privilégions souvent des actions conjointes sans nécessairement impliquer de financement direct. L’objectif est de s’allier autour d’un programme commun ciblant une population spécifique, que ce soit l’intérêt d’une commune ou d’une URPS en particulier.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quelle est la place des élus, et donc de la démocratie, dans cette sphère administrative complexe de la santé ? On a souvent l’impression que ceux sur le terrain qui connaissent les réalités locales sont négligés au profit d’une approche descendante venant de Paris et parfois déconnectée des réalités du terrain.

Ne pensez-vous pas qu’il faudrait améliorer le système pour accorder une écoute plus attentive aux élus locaux et favoriser une réflexion commune plus approfondie ? D’ailleurs, lors de nos auditions, nous avons appris que de vos prédécesseurs avaient pour consigne de ne pas répondre aux élus. Comment envisagez-vous d’améliorer cette situation pour une meilleure prise en compte des réalités locales ?

Mme Sophie Lebret. Je reconnais que de telles pratiques ont pu exister par le passé, et j’espère sincèrement qu’elles ne sont plus d’actualité. Les orientations que nous impulsons, ainsi que le discours porté avec force par les ministres, visent à encourager un rapprochement avec les élus. J’ai précédemment souligné l’importance des échelons régional et départemental. À titre personnel, j’estime qu’un rôle crucial doit être conféré au niveau départemental et que nous n’avons pas toujours disposé de personnes capables d’établir ce dialogue essentiel avec les élus. Il est impératif de faire évoluer le profil des agents que nous positionnons à ce niveau.

Nous avons initié ce changement en recrutant des diplômés de l’Institut national du service public (INSP) qui s’intégreront naturellement dans une dynamique d’échanges avec le préfet, le sous-préfet et les élus, ces derniers constituant leurs interlocuteurs quotidiens. C’est précisément cette approche que nous cherchons à développer. Nous n’avons peut-être pas encore généralisé cette démarche à l’ensemble des territoires, mais il faut poursuivre ce chantier de montée en compétences et d’ouverture vers les élus à l’échelon départemental.

Il est fondamental d’instaurer un dialogue avec les élus, même si parfois cela implique de leur opposer un refus lorsque nous ne sommes pas en mesure de répondre favorablement à leurs demandes. Néanmoins, nous devons toujours être en capacité de leur expliquer les raisons de notre impossibilité et de rechercher, dans la mesure du possible, des solutions alternatives. Cette approche n’a peut-être pas toujours été la nôtre, mais elle est désormais activement promue par le secrétariat général, notamment à travers la modification des profils recrutés pour ces territoires.

Je suis convaincue que cette stratégie porte ses fruits. Nous la mettons en œuvre depuis maintenant trois ans et les résultats sont positifs, y compris dans des territoires réputés difficiles. À titre d’exemple, nous avons un jeune diplômé qui a choisi de s’installer en Lozère, ce qui n’était pas une évidence. Il y a quelques années, une telle affectation aurait été difficilement envisageable ; et pourtant, aujourd’hui, cela se passe remarquablement bien.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez commencé votre réponse en évoquant les discussions entre l’administration et les préfets. Puis, vous avez abordé le dialogue avec les élus, mentionnant que vous échangez avec eux, même pour leur opposer un refus. Cependant, est-ce véritablement le cas ? En ce qui concerne la prise de décision, comme on peut l’observer dans d’autres instances où un pilotage conjoint entre élus et administration est mis en place, ne serait-il pas pertinent, pour certaines politiques de santé, plutôt que de se contenter de discussions où l’on peut exprimer un désaccord tout en maintenant sa position, d’instaurer des processus décisionnels collectifs ? Je pense notamment à l’allocation des fonds, où les décisions pourraient être prises conjointement par l’administration et les élus, plutôt que de se limiter à un avis consultatif.

Mme Sophie Lebret. Il convient tout d’abord de préciser que les élus occupent aujourd’hui une place significative au sein des conseils d’administration des ARS. Nous avons largement ouvert ces instances aux représentants des trois niveaux de collectivités. Ainsi, une parole peut s’exprimer à ce niveau sur les grandes orientations et sur le budget.

Concernant les échanges sur l’allocation des financements, je peux vous assurer qu’ils ont lieu. Par exemple, lorsqu’il s’agit de rénover un établissement hospitalier, un dialogue s’instaure nécessairement avec les élus du territoire concerné. Cependant, et vous comprendrez certainement cette position, l’utilisation des crédits de l’État ne peut être décidée conjointement avec les élus. Ces derniers n’ont pas de pouvoir décisionnel sur l’allocation des fonds étatiques. Une discussion sur les orientations a lieu, mais en fin de compte, c’est bien l’État qui décide de l’attribution des crédits. Cela n’exclut pas un dialogue préalable, mais l’État, à l’instar d’un conseil régional ou départemental pour ses propres fonds, conserve la décision finale quant à l’allocation de ses financements.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quels process mettez-vous en place pour recruter des profils de délégués territoriaux qui correspondent non seulement aux exigences du métier, mais aussi aux attentes spécifiques du territoire, l’objectif étant d’établir des liens les plus respectueux et harmonieux possibles entre l’autorité de tutelle nationale et les élus locaux ? Comment parvenez-vous à recruter des délégués territoriaux qui s’apparentent à de véritables directeurs généraux ou directeurs départementaux, dotés de réelles compétences et bénéficiant de délégations effectives ?

Mme Sophie Lebret. Cette politique a été initiée récemment. Notre approche repose sur la logique de parcours. L’objectif est de permettre à des agents actuellement en poste en administration centrale d’accéder à ces fonctions territoriales, tout en favorisant les allers-retours. Cette mobilité est source d’enrichissement mutuel : elle permet de « territorialiser » l’administration centrale en y intégrant des personnes ayant une expérience concrète du terrain et, inversement, d’avoir sur le terrain des agents qui comprennent le fonctionnement du ministère et ses contraintes, aspects parfois méconnus lorsqu’on n’a connu que le niveau local.

En tant que secrétaire général, mon rôle est de faciliter la création de ces parcours professionnels cohérents. Nous avons posé les premières pierres de cette démarche, et je constate que les directeurs généraux ont bien saisi cet enjeu. Dans plusieurs ARS, on observe déjà des mouvements fréquents entre les niveaux départemental et régional, permettant à chacun de comprendre l’importance de cette proximité avec le terrain.

Il faut noter que chaque directeur général d’ARS, étant responsable de son établissement, dispose d’une liberté d’organisation. Certaines régions ont fait le choix de constituer des équipes très solides au niveau départemental, avec parfois jusqu’à 40 % des effectifs positionnés à cet échelon. Dans ces cas, on observe également une délégation importante du pouvoir décisionnel, conférant une réelle autonomie et capacité d’action au niveau départemental.

Ces choix organisationnels font actuellement l’objet de discussions avec les directeurs généraux d’ARS, car ils s’inscrivent dans un débat plus large sur le dimensionnement des ARS, régulièrement questionné. Notre objectif est de parvenir à structurer un échelon départemental qui constitue un vrai échelon de dialogue et d’action.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. J’aimerais connaître votre avis personnel sur les pistes d’amélioration des ARS. J’ai entendu diverses propositions qui semblaient suggérer que la situation actuelle est satisfaisante. Cependant, force est de constater qu’elle ne convient pas à une majorité des patients, des usagers, de ceux qui sont en droit d’attendre un certain niveau de service. N’oublions pas que ce sont ces mêmes personnes qui, par leurs impôts, financent les budgets de l’État et sont donc en droit d’exiger des réponses adaptées à leurs problématiques.

Considérez-vous que le fonctionnement actuel est optimal ou bien identifiez-vous des axes d’amélioration ? Si oui, lesquels ?

Mme Sophie Lebret. Il est essentiel de remettre constamment en question toutes les organisations, pas uniquement les ARS. À leur création, elles étaient effectivement très technocratiques et procédurières, mais cette approche évolue actuellement. Sans nécessairement modifier leur organisation, c’est la manière d’aborder les sujets et les dossiers qui change. Cette évolution passe notamment par le recrutement des directeurs généraux des ARS et le recrutement conjoint au niveau départemental. Il s’agit davantage d’une question de culture que d’organisation. Nous devons développer une culture d’écoute du territoire.

Cependant, soyons clairs : il est impossible de satisfaire pleinement tous les élus et tous les citoyens. Des décisions difficiles, comme la fermeture de services ou d’établissements, seront toujours nécessaires, que ce soit pour des raisons sanitaires, de protection de la population, ou simplement en raison d’une baisse démographique. Ces décisions s’inscrivent dans une évolution structurelle de notre système de santé.

De mon point de vue, le modèle des ARS fonctionne. Il faut continuer à l’améliorer en termes d’écoute des élus locaux et de proximité, sans pour autant remettre en cause la logique régionale qui présidait à leur création. Cette approche permet d’avoir une vision régionale cohérente et d’adapter les actions et l’accompagnement des personnels de santé et des usagers, ce qui constitue l’une des missions essentielles des ARS.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous sommes tous conscients de la nécessité de fermer certains services en raison de l’évolution démographique. Cependant, je doute que l’affichage brutal de ces décisions soit la méthode la plus appropriée pour faire passer un message bienveillant et justifier la nécessité de l’action. Il faut distinguer le fond de la forme. Même si nous pouvons être d’accord sur le fond, c’est principalement la forme qui est reprochée aux ARS. Leur communication reste aujourd’hui très technocratique, ce qui entraîne une déconnexion avec nos concitoyens. Il est crucial de prendre cet aspect en compte, car la forme est extrêmement importante.

Vous avez beaucoup évoqué la régionalisation et la structuration de la santé à l’échelle régionale. Dans ce contexte, ne serait-il pas judicieux de transférer cette compétence santé aux conseils régionaux ? Cela permettrait à la collectivité de structurer son système de santé, avec des dotations provenant de crédits ou de fonds étatiques, laissant ainsi à la collectivité régionale la liberté de gérer sa santé.

Mme Sophie Lebret. La majorité des fonds ne sont pas étatiques, mais proviennent de la Sécurité sociale. Les fonds relevant directement de l’État sont minimes en comparaison, que ce soit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) ou dans le projet de loi de finances (PLF). Je ne peux pas affirmer que les partenaires sociaux approuveraient si je qualifiais la Sécurité sociale d’étatique. Il s’agit véritablement de crédits de la sécurité sociale.

Transférer ces fonds aux collectivités impliquerait une évolution majeure de notre modèle social. Actuellement, la sécurité sociale est gérée de manière paritaire avec les partenaires sociaux. Confier cette gestion à la collectivité impliquerait de leur retirer une responsabilité qu’ils assument actuellement. La grande majorité des crédits distribués par les ARS proviennent de la sécurité sociale. L’État, quant à lui, se contente de verser une subvention pour le fonctionnement de ce service public, couvrant essentiellement la masse salariale et les frais de fonctionnement, tandis que la sécurité sociale fournit tous les crédits d’intervention.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ces fonds proviennent des impôts d’un côté et des cotisations de l’autre, avant d’être répartis. C’est dans cette optique que j’utilisais le terme « étatique », dans le sens où il s’agit du budget national, certes réparti différemment entre les sources, mais avec des ciblages spécifiques.

Nous pourrions parfaitement maintenir les budgets de la Sécurité sociale tels qu’ils sont aujourd’hui, tout en décidant que leur fléchage, au lieu d’être dirigé vers les ARS, soit orienté vers les conseils régionaux. Ces derniers seraient alors chargés d’organiser et de distribuer ces fonds. Il ne s’agirait pas de créer un niveau intermédiaire supplémentaire, mais de transférer simplement une partie de la compétence sans nécessairement modifier le fléchage en amont, le transfert n’étant pas total.

Mme Sophie Lebret. Mon ministère englobe également la direction de la sécurité sociale. Votre proposition impliquerait de confier une partie des cotisations sociales aux collectivités. Ce serait une démarche sans précédent. Personnellement, j’estime que les cotisations sociales font partie intégrante de la Sécurité sociale. Il existe un équilibre global entre les différentes branches. Extraire la santé de ce fonctionnement de la sécurité sociale ne me semble pas pertinent. Ce que vous proposez s’apparenterait à un nouveau modèle social, plutôt qu’à une décentralisation telle que nous en avons connu jusqu’à présent.

Il s’agirait d’une innovation majeure où une partie des crédits de la sécurité sociale serait gérée par les collectivités territoriales. De mon point de vue, cette évolution n’est pas souhaitable. Au minimum, elle nécessiterait l’accord des partenaires sociaux, qui sont parties prenantes dans la gestion de la sécurité sociale, puisqu’il s’agit de cotisations sociales.

 

 

*

*     *


–  1  –

17.   Table ronde, ouverte à la presse, sur « l’accompagnement de la dépendance » réunissant Mme Joëlle Martinaux, vice-présidente de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCCAS), M. Louis Champion, président de la Fédération des prestataires de santé à domicile (Fedepsad), Mme Alexandra Duvauchelle, déléguée générale, Mme Céline Boreux, directrice par intérim de la Fondation Aulagnier, membre du Collectif des directeurs d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux (COD3S), Mme Jade Lemaire, présidente du Cercle des proches aidants en Ehpad (CPAE), et M. Mathurin Laurin, délégué général de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad)

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons aujourd’hui les travaux de notre commission d’enquête consacrée à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins, en nous concentrant sur l’accompagnement de la dépendance. Nous accueillons pour cette table ronde le Dr Joëlle Martinaux, vice-président de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCCAS), M. Louis Champion, président de la Fédération des prestataires de santé à domicile (Fedepsad), Mme Alexandra Duvauchelle, déléguée générale, Mme Céline Boreux, directrice par intérim de la Fondation Aulagnier, membre du Collectif des directeurs d’établissements sanitaires sociaux et médicaux sociaux (COD3S), Mme Jade Lemaire, cofondatrice du Cercle des proches aidants en Ehpad (CPAE), et M. Mathurin Laurin, délégué général de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad).

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Joëlle Martinaux, M. Louis Champion, Mme Alexandra Duvauchelle, Mme Céline Boreux, Mme Jade Lemaire et M. Mathurin Laurin prêtent serment.)

M. Mathurin Laurin, délégué général de la Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile (Fnehad). La Fédération nationale des établissements d’hospitalisation à domicile regroupe 280 établissements de santé et couvre l’ensemble du territoire métropolitain et ultramarin, des grandes villes aux zones les plus reculées. Notre réseau se compose d’établissements publics (40 %), privés non lucratifs (38 %) et privés lucratifs (22 %), tous soumis aux mêmes conditions de fonctionnement et critères d’admission, ce qui représente une particularité dans le champ hospitalier.

En 2024, nous avons réalisé 7,6 millions de journées au bénéfice de 184 000 patients, pour un budget d’environ 2 milliards d’euros, soit une part modeste des 263 milliards d’euros alloués à l’hôpital pour 2025. Nos principaux modes de prise en charge incluent les soins palliatifs (32-33 % de notre activité) et le nursing lourd (25 %). Nous développons également des activités en croissance comme l’ante partum et le post-partum, la réadaptation post-accident vasculaire cérébral, la pédiatrie pour les moins de 3 ans et la chimiothérapie à domicile.

L’hospitalisation à domicile se distingue des soins ambulatoires classiques. Nous prenons en charge des patients qui, sans notre intervention, seraient hospitalisés en établissement. Nous assurons des soins complexes comme la transfusion, le traitement de l’insuffisance cardiaque ou l’administration de médicaments à usage hospitalier. Notre rôle n’est pas le maintien à domicile à long terme, mais plutôt de permettre des soins hospitaliers dans l’environnement du patient, lorsque c’est possible et souhaitable.

Il est crucial de comprendre la spécificité de l’hospitalisation à domicile par rapport au secteur médico-social, tout en reconnaissant l’importance de la collaboration entre ces différents acteurs pour une prise en charge optimale des patients à l’échelle territoriale, régionale et nationale.

Mme Jade Lemaire, présidente du Cercle des proches aidants en Ehpad (CPAE). Mon engagement découle d’une expérience personnelle douloureuse : la maltraitance subie par ma grand-mère en Ehpad. Le CPAE, né en 2020 durant la crise sanitaire, s’est initialement mobilisé contre l’isolement forcé des résidents en Ehpad et la privation de leurs droits à maintenir des liens avec leurs proches. Notre mission s’est ensuite élargie pour lutter contre toutes formes de maltraitance et promouvoir la bientraitance des résidents en Ehpad. Bien que le CPAE ne soit pas une entité juridique, nous agissons comme un soutien, une écoute et un relais pour faire remonter les dysfonctionnements et œuvrer à l’amélioration des conditions de vie en Ehpad.

Nos objectifs principaux sont de veiller à ce que l’accompagnement des personnes âgées soit compatible avec leurs besoins et leur dignité, d’assurer des conditions d’hébergement adéquates, de défendre leurs droits citoyens et fondamentaux, et de promouvoir l’application des bonnes pratiques recommandées. Cela inclut le respect du droit à l’information, le maintien des liens avec les proches et une prise en charge visant à préserver l’autonomie des résidents autant que possible.

Le Cercle des proches aidants est intervenu dans plusieurs commissions parlementaires et a participé aux états généraux des maltraitances, initiés par le ministre Combe. Malheureusement, trois ans après le scandale et les promesses de transparence, notre organisation demeure active, car les problèmes persistent. Nous constatons toujours des soins inadéquats, des traitements mal administrés et un manque de personnel entraînant la souffrance des résidents. Cette situation est particulièrement préoccupante dans les unités protégées des Ehpad, où les résidents, souvent vulnérables et non communicants, peinent à faire valoir leurs droits et besoins, avec des conséquences extrêmement néfastes.

Nous observons des défaillances tant dans l’accès aux soins au sein même des Ehpad, où l’on s’attendrait pourtant à une prise en charge médicale adaptée, que dans le fonctionnement institutionnel. Les familles qui dénoncent ces problèmes se retrouvent fréquemment isolées. Malgré leurs alertes auprès des agences régionales de santé (ARS) et des conseils départementaux, elles ne constatent aucune amélioration. Elles ne sont pas consultées, les procédures manquent de contradictoire, et leurs témoignages et attentes restent généralement sans réponse. De plus, dans les établissements, ces familles sont souvent discréditées et perçues comme gênantes. C’est pourquoi le CPAE vous exprime sa gratitude pour cette opportunité de s’exprimer aujourd’hui.

Mme Céline Boreux, directrice par intérim de la Fondation Aulagnier, membre du Collectif des directeurs d’établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux (COD3S). Je représente aujourd’hui le COD3S, qui regroupe les directeurs d’établissements publics relevant de la fonction publique hospitalière. Notre champ d’action couvre aussi bien le secteur de l’enfance que celui des personnes âgées, englobant des établissements publics, des services de soins à domicile, ainsi que d’autres offres gérontologiques. Notre collectif, relativement récent, se caractérise par sa jeunesse. À 41 ans, je fais figure de doyenne.

Nous constatons une tendance inquiétante : huit directeurs ont quitté le secteur médico-social pour l’hôpital, probablement en quête d’une meilleure valorisation et d’un environnement moins isolé. Les directeurs d’Ehpad publics se trouvent actuellement pris en étau entre des contraintes réglementaires croissantes et une situation financière extrêmement préoccupante. C’est précisément sur cette crise financière que le COD3S souhaite attirer votre attention aujourd’hui. La situation des Ehpad publics est catastrophique et nous sommes profondément inquiets quant à l’avenir du secteur public dans ce domaine. Pourtant, nous restons convaincus de l’importance de notre mission d’intérêt général, qui s’apparente de plus en plus à une véritable mission de service public.

Pour illustrer l’ampleur de la crise, je souhaite vous livrer quelques chiffres alarmants : à l’heure actuelle, 95 % des Ehpad franciliens sont en déficit hors aides pour l’année 2024. Au niveau national, le déficit cumulé des Ehpad publics atteint près de 500 millions d’euros, s’ajoutant aux déficits déjà conséquents des deux années précédentes.

Ces difficultés financières s’expliquent par plusieurs facteurs. Du côté des dépenses, nous subissons des charges fiscales particulièrement lourdes dans le secteur de la fonction publique hospitalière. Nos Ehpad supportent une taxe sur les salaires bien plus élevée que les autres types d’établissements et ne bénéficient pas des allègements de cotisations sociales introduits par la loi de financement de la sécurité sociale de 2019. De plus, comme tous les acteurs économiques, nous avons subi l’impact de l’inflation, qui n’a été que partiellement compensé par nos financeurs. Nous saluons les mesures de revalorisation salariale, essentielles pour l’attractivité de nos métiers. Cependant, lorsque nous sommes contraints de dépenser 100 et que nous ne recevons que 50 en recettes, le déficit est inévitable.

Nos difficultés financières sont également liées à nos recettes. L’évolution de nos prix de journée est limitée, bien en deçà des taux d’évolution accordés au secteur privé  ̶  je rappelle qu’il était de 3,25 % pour 2025. Nos tarifs d’hébergement, fixés par les présidents de conseils départementaux, restent inférieurs à ceux des autres établissements. En moyenne, nos Ehpad publics génèrent 1 000 euros de moins par mois et par résident que les Ehpad commerciaux et 150 euros de moins que les Ehpad associatifs.

Nous restons largement habilités à l’aide sociale, ce qui nous permet d’accueillir des personnes âgées sans condition de ressources, le conseil départemental complétant les frais de séjour. Ainsi, nous accueillons un public souvent plus précaire, ce qui explique en partie pourquoi nous n’avons pas la maîtrise de l’augmentation de nos recettes.

Nous souhaitons également souligner la lenteur de l’adaptation du financement de la cinquième branche au regard des besoins en soins requis dans nos établissements. Bien que le code de l’action sociale et des familles prévoie une réévaluation des besoins en soins et des moyens financiers associés tous les deux ans et demi, nous constatons dans la réalité que cette revalorisation n’intervient que tous les sept ans en moyenne dans nos Ehpad. À titre d’exemple, dans mon établissement, la dernière validation date de 2017, alors que depuis, nous avons traversé une crise sanitaire majeure et accueilli des résidents aux profils différents. Par conséquent, les moyens alloués aux soins ne sont plus en adéquation avec les besoins réels.

Enfin, concernant l’allocation personnalisée d’autonomie versée à l’établissement, elle s’appuie sur une grille nationale Autonomie gérontologie groupes iso-ressources (Aggir) qui peut être sujette à interprétation.

Certaines pistes d’amélioration ont été envisagées. La loi sur le bien vieillir nous autorise désormais à appliquer un tarif différencié. Cependant, cette mesure ne peut pas s’appliquer uniformément à tous les Ehpad publics. Par exemple, dans un Ehpad public de Seine-Saint-Denis accueillant jusqu’à 80 % de résidents bénéficiaires de l’aide sociale, l’impact d’un tarif différencié pour les nouveaux résidents payants serait minime. De plus, le plein effet de cette mesure ne se fera sentir que dans quatre ans, compte tenu du temps de renouvellement de nos résidents.

Nous avons bénéficié de nombreuses aides d’urgence dans le secteur public, notamment via la cinquième branche et certains conseils départementaux, ce dont nous sommes reconnaissants. Nous soutenons également la fusion des sections dépendance et soins, mesure que nous jugeons cruciale. La plupart de nos établissements ont pu profiter du Ségur investissement, bien que les montants alloués restent insuffisants pour rénover en profondeur notre outil de travail. Beaucoup de nos bâtiments, datant parfois de la fin du XIXe siècle, nécessitent d’importantes rénovations pour offrir des conditions d’accueil dignes à nos résidents, avec encore trop de chambres doubles et de salles de bains collectives.

Cette situation critique des Ehpad intervient dans un contexte où les politiques publiques s’orientent vers le virage domiciliaire. Nous accompagnons cette évolution avec intérêt et bienveillance, participant activement à la réforme des services autonomes à domicile et à la mise en place des centres de ressources territoriaux. Nous saluons également la volonté de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées et la meilleure reconnaissance du statut d’aidant pour les 8 à 12 millions de personnes concernées en France.

Cependant, nous tenons à souligner plusieurs points de vigilance concernant ce virage domiciliaire. Il ne peut se réaliser sans prendre en compte le rôle crucial des aidants, eux-mêmes vieillissants et nécessitant des mesures de prévention liées au vieillissement. De plus, les moyens accordés pour le baluchonnage ou le répit des aidants restent insuffisants. Enfin, il est important de noter que, lorsqu’on parle d’aidants, on fait généralement référence aux aidantes, ce qui soulève la question de l’inégalité de genre dans ce domaine, aspect que nous estimons nécessaire de mettre en lumière.

Nous tenons à rappeler l’importance cruciale des Ehpad publics dans notre système de santé. Ces établissements accueillent des personnes âgées dont l’âge moyen à l’entrée ne cesse d’augmenter, atteignant désormais 88 ans. Il est impératif de maintenir et de renforcer la place de ces structures publiques. Nous sommes aujourd’hui face à un choix de société fondamental : souhaitons-nous disposer d’une offre publique robuste, soutenue par un financement conséquent, pour garantir à nos aînés une fin de vie digne ? C’est là notre mission essentielle. Nous plaidons en faveur d’un service public du grand âge qui redéfinirait et améliorerait le rôle des Ehpad publics. Ces établissements accueillent souvent une population plus précaire et devraient également devenir des terrains de recherche et de formation pour les étudiants. Nous appelons à une réflexion approfondie sur ces enjeux cruciaux pour notre société.

M. Louis Champion, président de la Fédération des prestataires de santé à domicile (Fedepsad). En tant que président de la Fedepsad, je représente deux syndicats professionnels : le Snadom, regroupant des entreprises, et le Synapsad, composé de structures associatives.

Permettez-moi de vous présenter l’ampleur et l’importance du secteur de la prestation de santé à domicile (PSAD). Chaque année, nous prenons en charge près de                    4 millions de patients en France, ce qui représente environ 4 milliards d’euros de dépenses pour l’assurance maladie. Notre activité se concentre principalement sur des patients atteints de maladies chroniques, dont 80 % ont plus de 60 ans. Nos interventions se font exclusivement sur prescription médicale, selon les critères définis par la liste des produits et prestations remboursables (LPPR). Cette liste est élaborée par la Haute Autorité de santé (HAS) et le Comité économique des produits de santé (CEPS), ce dernier fixant également les tarifs. Notre prestation englobe la mise à disposition de dispositifs médicaux, leur installation et l’accompagnement thérapeutique du patient.

Nos principaux domaines d’intervention sont le respiratoire, le diabète avec les pompes à insuline et la perfusion. Ce dernier secteur connaît une croissance particulièrement forte, supérieure à 10 % par an, illustrant parfaitement le virage ambulatoire en cours. Nous comptons actuellement environ 558 000 patients dans ce domaine.

Le secteur des PSAD comprend 2 400 structures, entreprises ou associations, employant 33 000 salariés, dont 6 000 professionnels de santé. Nous travaillons en étroite collaboration avec les professionnels de santé libéraux, notamment les infirmiers diplômés d’État libéraux (IDEL). Cette synergie entre PSAD et IDEL est au cœur du virage domiciliaire.

Notre croissance annuelle de 7,8 % en volume reflète le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques. Bien que les PSAD ne soient pas officiellement reconnus comme des acteurs de santé, notre apport au système de santé est considérable. Nous assurons un accès équitable aux soins sur l’ensemble du territoire français, y compris dans les zones ultramarines. Aucun Français ne se trouve à plus d’une demi-heure d’un PSAD, ce qui fait de nous un acteur clé dans la lutte contre les déserts médicaux.

Les PSAD se distinguent également par leur efficience. Nous gérons le plus grand programme de télé-suivi au monde dans le domaine de l’apnée du sommeil, avec 1,6 million de patients et un taux d’observance remarquable de 80 %. Notre rémunération à la performance garantit un niveau d’efficacité élevé.

Face à ces constats, il est impératif de redéfinir le statut des PSAD pour refléter leur rôle réel d’acteurs de santé de proximité. Cette reconnaissance est essentielle pour réduire la pression sur l’hôpital et favoriser le maintien à domicile des patients.

Nous recommandons également que la direction générale de l’offre de soins (DGOS) intègre davantage les PSAD dans ses réflexions sur l’organisation des soins, particulièrement concernant la fin de vie et les soins palliatifs à domicile. Le droit de mourir chez soi doit être garanti et les PSAD peuvent jouer un rôle crucial dans sa mise en œuvre.

Enfin, il est urgent de prendre en compte les innovations dans notre domaine. La France accuse un retard significatif par rapport à d’autres pays européens, notamment dans le domaine de la dialyse à domicile. Alors que certains pays du Nord pratiquent la dialyse à domicile pour 50 % de leurs patients, la France reste en-deçà des 10 %. Cette situation est préjudiciable tant sur le plan économique que sociologique.

Les PSAD sont des vecteurs d’innovation essentiels dans le domaine de la santé à domicile. Il est temps de reconnaître pleinement leur rôle et de les intégrer davantage dans la stratégie de santé nationale.

Mme Joëlle Martinaux, vice-présidente de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCCAS). En tant que médecin urgentiste et généraliste en activité, j’ai un double regard sur les enjeux que nous abordons.

Les CCAS constituent le premier point de contact dans chaque ville pour les personnes en grande difficulté sociale, économique ou en situation de dépendance. Traditionnellement, ils prennent en charge les personnes les plus démunies, les plus âgées et les plus dépendantes. Cependant, la crise économique actuelle a élargi le spectre des bénéficiaires, incluant désormais des citoyens ordinaires confrontés à des difficultés financières majeures. Les CCAS gèrent environ 10 % des Ehpad publics, dont 80 % connaissent des difficultés économiques.

Malgré ces défis, je tiens à souligner les aspects positifs des dispositifs mis en place ces trente dernières années. Le volet soins, géré par les ARS, est relativement équilibré grâce à un budget réglementé. Néanmoins, des inégalités territoriales persistent, notamment dans le financement départemental, où la valeur du point GIR varie considérablement d’un département à l’autre (de 7 à 10 euros), sans nécessairement refléter la richesse du territoire. Cette disparité soulève des questions d’équité qu’il faudra garder à l’esprit si l’on envisage une simplification administrative par le regroupement des dotations.

Les résidents des Ehpad publics n’ont souvent pas les ressources suffisantes pour contribuer significativement au budget de l’établissement. Bien que nous puissions aspirer à un fonctionnement idéal, la réalité économique impose des contraintes, indépendamment du statut public ou privé de l’établissement.

Un défi majeur auquel nous sommes confrontés est la pénurie de médecins traitants. Environ 25 à 30 % de la population n’ont plus de médecin attitré, une situation particulièrement critique pour les personnes âgées dont le médecin habituel a pris sa retraite. Cette pénurie entraîne une rupture dans le suivi médical, notamment pour les visites à domicile, essentielles pour cette population. J’ai personnellement constaté ce phénomène en créant une plateforme de téléconsultation dans les Alpes-Maritimes, destinée aux patients sans solution médicale. La majorité de ces patients ont plus de 80 ans et peuvent rester sans suivi médical pendant plusieurs années, compromettant ainsi le renouvellement de leurs ordonnances et la continuité de leurs traitements.

Cette situation est exacerbée par la surcharge de travail des médecins en exercice, qui limite leur capacité à accepter de nouveaux patients ou à effectuer des visites à domicile. Les contraintes liées aux déplacements, au stationnement et aux coûts associés aggravent ce problème, affectant également d’autres professionnels de santé comme les infirmières.
 

Néanmoins, des progrès significatifs ont été réalisés. L’accompagnement des personnes dépendantes, notamment celles souffrant de troubles psychiatriques, s’est considérablement amélioré. Les prestations d’aide à domicile, incluant les auxiliaires de vie et les infirmières, ont transformé positivement la qualité de vie de ces patients. Le virage domiciliaire, bien que complexe, présente des avantages économiques et humains indéniables comparés aux hospitalisations répétées.

L’introduction des infirmiers en pratique avancée (IPA) représente une avancée majeure. Initialement perçues avec scepticisme, elles se révèlent être un soutien précieux. Il serait judicieux d’assouplir la réglementation pour faciliter leur déploiement au-delà des structures actuellement autorisées.

La collaboration entre les différents acteurs de santé, notamment à travers les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), a démontré son efficacité dans l’amélioration du fonctionnement des territoires. Cette synergie, incluant la collaboration avec la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) et les prestataires à domicile, est essentielle pour répondre efficacement aux besoins de santé.

Je souhaite également souligner l’importance des assistantes médicales. Leur rôle pourrait être étendu et mutualisé entre plusieurs praticiens ou au sein des Ehpad, permettant ainsi d’alléger la charge administrative des médecins et d’optimiser leur temps de travail effectif.

Enfin, le rôle des CCAS dans le repérage des situations à risque est crucial. Cette fonction de veille doit être étendue à tous les acteurs du système de santé. Par exemple, en tant que régulateur, je constate l’importance d’une communication efficace avec les CCAS pour identifier et prendre en charge les situations complexes, comme celles impliquant des personnes âgées avec des troubles du comportement.

Enfin, il serait judicieux de reconsidérer l’utilisation systématique des ambulances, dont le coût peut atteindre 150 à 200 euros par trajet, en faveur de solutions plus économiques comme les taxis ou les véhicules sanitaires légers (VSL) pour certains cas moins urgents, permettant ainsi une optimisation des ressources.

Le maintien à domicile des personnes âgées présente de nombreux avantages. Le CCAS joue un rôle crucial de coordination suite aux signalements reçus. Il effectue un bilan social, coordonne les soins et l’accompagnement, sans pour autant se substituer aux autres acteurs mentionnés précédemment. Le CCAS s’implique également dans la prévention, notamment à travers divers ateliers visant à réduire les risques de chutes et à améliorer l’accompagnement des personnes âgées.

Il est essentiel de souligner l’importance de lutter contre l’isolement social, un facteur souvent négligé mais déterminant dans la dégradation de l’état de santé des personnes âgées, pouvant mener au syndrome de glissement. À cet égard, il serait judicieux de promouvoir le renforcement des liens familiaux. Les interactions intergénérationnelles, où grands-parents et petits-enfants prennent soin les uns des autres, contribuent significativement au bien-être de chacun.

Concernant la grille AGGIR, il serait pertinent d’y intégrer un critère évaluant l’isolement social, actuellement absent de cet outil d’évaluation de la dépendance.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. L’objectif de notre commission d’enquête parlementaire est d’analyser et de proposer des solutions pour améliorer l’organisation du système de santé et faciliter l’accès aux soins. Un aspect crucial de cette réflexion concerne la formation des professionnels de santé.

Nous nous interrogeons sur la pertinence d’instaurer des modules de formation communs pour les différentes professions médicales et paramédicales, que ce soit au niveau du lycée ou durant les premières années d’études supérieures. L’idée n’est pas de fusionner entièrement les cursus, mais plutôt de créer des espaces d’apprentissage partagés. Cela pourrait-il, selon vous, favoriser une meilleure collaboration et une plus grande efficacité dans le travail quotidien des professionnels de santé ?

Par ailleurs, nous souhaiterions recueillir vos avis sur d’éventuelles améliorations à apporter aux formations actuelles des infirmiers, des soignants et des médecins, dans l’optique de faciliter l’accès aux soins pour tous.

Mme Joëlle Martinaux. Il existe déjà un tronc commun de formation pour certaines professions paramédicales. Étendre ce principe à d’autres métiers, comme les infirmiers ou les kinésithérapeutes, pourrait effectivement générer des économies en termes de coûts de formation et améliorer la cohésion entre les différents acteurs de santé.

Il est également crucial de revaloriser les métiers d’accompagnement à domicile. Les auxiliaires de vie, souvent en première ligne, mériteraient une formation plus poussée, à l’instar de ce qui a été fait pour les assistants de régulation médicale (ARM). Cette évolution a permis une meilleure reconnaissance de leur rôle. Je préconise par ailleurs la création d’un statut d’aide-soignant libéral, qui pourrait prendre en charge les soins d’hygiène et l’accompagnement des patients très dépendants à domicile.

La séance est suspendue de dix-huit heures quinze à dix-huit heures quarante-quatre.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Madame Boreux, vous avez évoqué les difficultés financières auxquelles sont confrontés les établissements de santé et proposé certaines pistes d’amélioration. Pourriez-vous développer votre vision d’un accompagnement plus efficace ? Au sein de votre collectif de directeurs d’établissements sanitaires, avez-vous réfléchi à des sources de financement potentielles ? En effet, bien que nous reconnaissions la nécessité d’améliorer de nombreux aspects de notre organisation sanitaire, il est impératif d’identifier des moyens de financement viables.

Mme Céline Boreux. Notre collectif, initialement créé pour promouvoir et défendre le métier de directeur d’établissement public de santé, s’aligne sur les propositions récemment présentées par la Fédération hospitalière de France (FHF) concernant la recherche de financements supplémentaires.

En tant que gestionnaires d’établissements publics, notre priorité est de veiller à l’application rigoureuse du cadre réglementaire existant, notamment le Code de l’action sociale et des familles. Nous constatons que certains outils prévus pour revaloriser les financements de nos établissements sont sous-utilisés.

Notre engagement envers le service public est au cœur de notre démarche. Bien que nous reconnaissions la place légitime des secteurs privé et associatif dans la prise en charge des personnes âgées, notre philosophie diffère en ce que nous visons l’équilibre financier plutôt que la recherche de profits excessifs.

Une piste de réflexion pourrait être de reconsidérer certaines exonérations fiscales et sociales actuellement accordées, au profit d’un réinvestissement dans le secteur public. Cependant, sur ces questions de financement, nous nous en remettons principalement aux propositions de la FHF, qui possède une expertise plus approfondie en la matière.

Notre objectif est avant tout de tirer la sonnette d’alarme sur la situation financière des établissements. Nous sommes confrontés à des limitations dans l’augmentation des prix de journée imposées par les conseils départementaux. Notre financement repose principalement sur la cinquième branche de la Sécurité sociale et sur des crédits complémentaires alloués par les ARS en fin d’année.

Nous plaidons pour une fusion des sections dépendance et soins afin de simplifier la gestion financière. Bien que certains conseils départementaux nous apportent un soutien précieux, nous constatons de fortes disparités territoriales, souvent liées à des choix politiques locaux. Par exemple, les orientations politiques des départements peuvent influencer significativement le niveau de soutien accordé aux établissements.

Notre revendication principale porte sur une harmonisation des pratiques à l’échelle nationale. Les disparités actuelles, notamment dans la gestion de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) par les départements, peuvent entraîner des inégalités de traitement pour les personnes âgées selon leur lieu de résidence. Nous appelons donc à une plus grande équité et à une harmonisation des politiques en faveur des personnes âgées sur l’ensemble du territoire.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je souhaite aborder la question des disparités entre établissements publics et privés concernant la permanence des soins. Dans le cadre de vos missions, constatez-vous effectivement ces différences ? Quelles actions pourrions-nous envisager pour simplifier et harmoniser ces pratiques ?

Je pense notamment à un exemple concernant les infirmières relevant de la fonction publique hospitalière et celles de la fonction publique territoriale. L’obligation de passer un concours administratif pour exercer en tant qu’infirmière crée une inégalité de traitement manifeste. Cette situation peut mettre en difficulté certains établissements de la fonction publique territoriale. Avez-vous identifié d’autres exemples, que ce soit en termes de rémunération ou de réglementation, qu’il serait pertinent d’harmoniser pour une meilleure cohérence du système ?

Mme Céline Boreux. L’augmentation annoncée des cotisations retraite va malheureusement nous contraindre à limiter les concours de titularisation. Nous serons amenés à recruter davantage de contractuels, le coût étant moindre que la titularisation d’agents. Il est important de souligner que ces concours ne visent pas à évaluer les compétences infirmières déjà acquises, mais à intégrer la fonction publique et à adhérer à ses valeurs.

Cette situation est alarmante pour l’ensemble du secteur public. En tant que directeurs d’établissements, nous sommes confrontés à un défi perpétuel : chaque année, nous devons trouver de nouvelles économies, supprimer des postes de direction et administratifs, alors même que ces fonctions sont essentielles au regard des exigences croissantes en termes de justification, d’indicateurs et d’argumentaires. Nous ne pouvons plus mener à bien notre métier de directeurs sans personnel administratif conséquent. C’est pourquoi nous sommes favorables aux groupements territoriaux de coopération, qu’ils soient sanitaires ou médico-sociaux, car il n’est plus possible de fonctionner de manière isolée.

Pour favoriser l’attractivité des métiers, il est crucial de recentrer chaque professionnel sur son cœur de métier. Par exemple, nous déployons de plus en plus de secrétaires médicaux dans nos services pour décharger les infirmiers des tâches administratives et rendre nos établissements plus attractifs pour les médecins. C’est une mesure concrète que nous portons fermement au sein du collectif, en demandant le financement de ces postes par l’assurance maladie.

La problématique du recrutement a évolué. Auparavant, nous peinions à recruter en raison de salaires trop bas. Aujourd’hui, malgré une amélioration des rémunérations suite aux mesures post-covid, nous rencontrons des difficultés de recrutement liées à la charge de travail excessive et à nos déficits importants. Les postes supplémentaires annoncés sont souvent absorbés par nos déficits plutôt que traduits en personnel additionnel.

L’attractivité de nos métiers repose désormais davantage sur le sens du travail que sur l’aspect financier. Nous parvenons encore à recruter des personnes engagées, même si nous sommes limités dans le recrutement de médecins, ne pouvant rivaliser avec certains grands groupes privés en termes de salaires. Nous attirons des médecins engagés dans le secteur hospitalier, mais cela fonctionne principalement dans les zones à forte densité médicale.

Notre principal défi est de redonner du sens aux métiers du soin. La présence de secrétaires médicaux est un atout majeur pour recruter des médecins et permettre aux infirmiers de se concentrer sur leurs missions de soins, sachant que la gestion administrative peut occuper jusqu’à un tiers de leur temps. Face à la pénurie d’infirmiers, il est crucial de récupérer ce temps pour le consacrer aux patients et aux résidents.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Madame Lemaire, pourriez-vous nous détailler davantage vos interactions avec les directeurs d’Ehpad et les professionnels de       santé ? Votre champ d’action se limite-t-il aux Ehpad ou s’étend-il également aux prestations de soins à domicile ? Comment votre organisation est-elle structurée ? Quelles relations entretenez-vous, en tant que représentante des usagers ou des aidants, avec les pouvoirs publics et l’administration ?

Mme Jade Lemaire. Notre action se concentre sur les familles et les proches qui apportent leur soutien aux résidents d’Ehpad. Nous n’intervenons pas dans le domaine du maintien à domicile, qui bénéficie déjà d’une meilleure représentation à travers diverses associations.

Avant la crise du Covid-19 et les scandales qui ont suivi, les familles étaient relativement invisibilisées. Contrairement à l’opinion répandue selon laquelle les familles « placent » leurs proches en Ehpad puis disparaissent, la réalité est bien différente. Les familles que nous représentons sont confrontées à des établissements dysfonctionnels et maintiennent souvent une implication importante auprès de leurs parents.

Cette implication prend deux formes principales. D’une part, certaines familles poursuivent naturellement le soutien qu’elles apportaient déjà avant l’entrée en établissement, dans une logique de réciprocité intergénérationnelle. D’autre part, face aux dysfonctionnements, de nombreuses familles se retrouvent à assumer des missions qui relèvent normalement du personnel soignant ou d’aide de l’établissement. Par exemple, elles interviennent pour compléter l’alimentation et prévenir la dénutrition, palliant ainsi le manque de personnel ou la qualité insuffisante des repas.

Je suis convaincue que si les familles étaient plus investies et présentes, les dérives que nous constatons aujourd’hui n’auraient jamais atteint une telle ampleur. Malheureusement, toutes les familles ne peuvent pas être aussi présentes qu’elles le souhaiteraient.

Nous partageons tous l’espoir d’une meilleure prise en charge, mais force est de constater que nous sommes face à un échec collectif. J’ai entendu madame Boreux évoquer le fait que les conditions dans certains établissements conduisaient parfois à des situations de maltraitance, que ce soit du fait des structures ou d’autres facteurs. C’est une réalité terrible à laquelle nous sommes confrontés et qui nécessite une action urgente et concertée de tous les acteurs concernés.

Notre action se concentre sur les proches aidants en Ehpad. Nous souhaitons obtenir une meilleure visibilité car la place des aidants dans ces établissements manque d’harmonisation. Certains Ehpad accueillent favorablement les familles, les considérant comme un soutien précieux qui peut indirectement libérer du temps pour le personnel soignant et les résidents ayant des besoins plus importants. À l’inverse, des établissements dysfonctionnels ou maltraitants voient d’un mauvais œil la présence des familles, craignant qu’elles ne constatent et signalent des problèmes.

Dans ces situations problématiques, les alertes auprès des ARS restent souvent sans réponse, entraînant une détérioration du dialogue. C’est là que le CPAE intervient, notamment via notre groupe Facebook privé où les familles partagent leurs observations. Nous n’intervenons qu’après nous être assurés que les familles ont d’abord tenté d’alerter par elles-mêmes et que les faits dénoncés sont documentés.

Notre action consiste alors à rappeler les textes de loi aux directions, particulièrement concernant le conseil de vie sociale (CVS), parfois détourné de sa fonction initiale. Nous relayons également les informations aux ARS, aux conseils départementaux et à nos contacts au ministère. Notre intervention vise souvent à rétablir le dialogue, mais nous souhaiterions que les ARS proposent rapidement des mesures de médiation entre les établissements et les familles.

Notre objectif n’est pas de dénigrer systématiquement, mais de faire progresser la situation en rappelant les dispositions légales et la réalité vécue par les usagers. Nous constatons que certains établissements publics, avec des moyens équivalents ou moindres, fonctionnent mieux que certaines structures privées plus coûteuses. Cette situation crée une déception légitime chez les familles, confrontées à un décalage entre le discours commercial et la réalité de la prise en charge.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il est important de souligner, comme vous l’avez fait, que ces problèmes ne concernent pas la majorité des établissements, où le personnel accomplit un travail remarquable dans des conditions souvent difficiles, toujours dans l’intérêt des patients et des résidents.

J’aimerais maintenant m’adresser à la Fedepsad et à la Fnehad pour mieux comprendre le système de financement. Pouvez-vous m’éclairer sur la part de financement public, l’existence éventuelle d’un reste à charge, et si celui-ci dépend des revenus ? S’agit-il d’un système concurrentiel à but lucratif ou uniquement associatif ? Je souhaiterais avoir une vision plus claire de la structuration de ce marché.

M. Louis Champion. Pour la Fedepsad, le financement est relativement simple. Les prestataires de santé à domicile sont rémunérés par l’assurance maladie selon des tarifs définis par le comité économique des produits de santé (CEPS), de manière similaire aux médicaments ou aux actes médicaux. La prise en charge est à 100 %, sauf pour l’apnée du sommeil où les mutuelles interviennent au-delà de 65 % pour les patients qui ne sont pas en affection de longue durée (ALD). Le reste à charge est donc marginal, voire inexistant dans la plupart des cas. Le financement est essentiellement public, avec une participation mineure des mutuelles.

M. Mathurin Laurin. Le financement de l’hospitalisation à domicile, le financement repose à 98 % sur la tarification à l’activité (T2A). Les 2 % restants sont liés à des critères de qualité et d’emploi. Cette tarification est identique pour tous les établissements, qu’ils soient publics, privés non lucratifs ou privés lucratifs. C’est un système uniforme qui simplifie grandement la lecture et la gestion sur le terrain. Les autorités de tutelle n’ont pas à se préoccuper du statut de l’établissement lors de l’orientation d’un patient, ce qui est un avantage considérable. Cette homogénéité et cette simplicité de financement sont assez rares dans le monde de la santé pour être soulignées. Il est important de noter que nous fonctionnons comme des établissements hospitaliers et non comme des structures commerciales, malgré la diversité de nos statuts juridiques.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous évoquez la tarification des actes. Existe-t-il une différence de valorisation par rapport aux mêmes actes réalisés en milieu hospitalier traditionnel ?

M. Mathurin Laurin. La différence est majeure et est à l’avantage de l’hospitalisation à domicile. Selon les estimations du Conseil de l’assurance maladie, le coût en hospitalisation à domicile (HAD) est de 1 pour un coût hospitalier équivalent de 3,5.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous voulez dire que pour une même hospitalisation, le même acte est valorisé 3,5 fois plus en milieu hospitalier traditionnel qu’en HAD ?

M. Mathurin Laurin. Un même séjour est valorisé à 3,5 fois plus lorsqu’il est effectué en milieu hospitalier. Cette différence s’explique par l’absence de structures, d’entretien, de chauffage et de bâtiments dans le cadre de l’HAD, puisque les soins sont prodigués au domicile du patient.

Prenons l’exemple de la réhabilitation améliorée après chirurgie cardiaque (RAC). Un professeur à Strasbourg a mis en place un protocole où, sur un parcours d’un mois, la dernière semaine se déroule en HAD plutôt qu’à l’hôpital. La différence de coût est significative : une journée de RAC en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) coûte 1 250 euros, contre 196 euros en HAD pour des soins identiques. Le professeur à l’origine de cette initiative a ainsi orienté 3 100 patients vers l’HAD sur cinq ans, générant une économie de 18 millions d’euros pour son établissement et l’assurance maladie. Cette différence structurelle de coûts s’explique simplement par le mode de fonctionnement distinct des établissements. L’hôpital traditionnel implique des infrastructures coûteuses, tandis que l’HAD utilise le domicile du patient comme lieu de soins.

Cette approche permet donc à l’assurance maladie de réaliser des économies substantielles pour les patients éligibles à l’hospitalisation à domicile, tout en maintenant la qualité des soins.

M. Louis Champion. Je souhaite apporter un complément d’information concernant la prise en charge des patients à domicile. Les PSAD assurent le suivi d’un nombre croissant de patients sortant de l’hôpital. Cette tendance s’est accélérée durant la crise du Covid-19, démontrant l’efficacité de ce mode de prise en charge. Actuellement, près de 600 000 patients bénéficient de ce type de soins, avec une croissance annuelle de 10 %. Cette augmentation témoigne de la confiance accordée par les services hospitaliers à ce dispositif. Les médecins hospitaliers ne confieraient pas leurs patients à ce système s’il présentait un risque de perte de chance ou de ré-hospitalisation.

D’un point de vue économique, cette stratégie s’avère dominante, c’est-à-dire la moins coûteuse. Bien que la comparaison avec l’hôpital soit complexe en raison de la T2A et de la durée moyenne de séjour (DMS), les soins à domicile représentent une alternative nettement moins onéreuse. Pour les patients communs à l’HAD et aux PSAD, les coûts sont similaires, mais toujours inférieurs à ceux de l’hospitalisation traditionnelle.

Cette approche répond à l’objectif de maintenir le patient à son domicile le plus longtemps possible, tout en étant économiquement viable. Deux voies principales se dessinent : l’HAD pour certains patients et la combinaison PSAD/IDEL/services d’aide à domicile (SAD) pour d’autres. L’efficacité de ce système est telle qu’il passe souvent inaperçu, à l’instar des trains qui arrivent à l’heure. La question qui se pose désormais est de savoir comment amplifier ce mouvement et le comparer à d’autres modèles.

Plusieurs pistes d’amélioration se présentent, notamment dans la diffusion de l’innovation. Par exemple, les traitements d’immuno-oncologie pourraient être administrés à domicile plutôt qu’à l’hôpital. De même, l’accompagnement de la fin de vie à domicile pourrait être optimisé, en s’appuyant sur les infirmières déjà présentes auprès des patients. L’hémodialyse à domicile représente également une opportunité prometteuse, offrant une qualité de soins équivalente à celle des centres spécialisés.

En conclusion, il est crucial de réfléchir à des propositions concrètes pour développer et améliorer ces services de santé à domicile, qui représentent un enjeu majeur de santé publique.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Existe-t-il une coordination ou une complémentarité entre l’HAD et les PSAD ?

M. Mathurin Laurin. Nous traitons parfois les mêmes patients, mais à des moments différents de leur parcours de soins. Concernant les chimiothérapies évoquées, la Haute Autorité de santé a publié en 2015 un rapport détaillé de près de 500 pages. Ce document expose clairement les raisons pour lesquelles l’administration de chimiothérapies injectables à domicile ne peut intervenir que dans le cadre d’une prise en charge par un établissement hospitalier. Si ces patients ne sont pas pris en charge par un établissement d’hospitalisation à domicile, ils se retrouvent en hôpital de jour classique. Les prestataires de santé à domicile ne sont actuellement pas habilités à administrer ces chimiothérapies, dont la toxicité et la sensibilité, notamment lors de la reconstitution, sont bien connues. La HAS a établi des protocoles très précis concernant la reconstitution des produits cytotoxiques, ainsi que des recommandations strictes sur leur administration, la surveillance des patients et le recours médical.

Cependant, nous disposons de médecins salariés, d’une expertise médicale et d’un conseil médical disponible 24 heures sur 24. Bien que nous n’assurions pas une permanence des soins, nous garantissons leur continuité. L’ensemble de ces éléments souligne la nature hospitalière de ces prestations. Nous traitons potentiellement les mêmes patients, mais pas au même moment, pas pour les mêmes pathologies, et certainement pas pour l’administration des mêmes médicaments.

M. Louis Champion. Je suis d’accord avec vous, mais mon point est légèrement différent. Je soutiens que nous pouvons considérablement améliorer la prise en charge initiale des patients à domicile. En comparaison avec nos voisins européens, notamment l’Allemagne et le Royaume-Uni, qui ne sont pas nécessairement des pays plus riches, la France accuse un retard significatif dans les prises en charge à domicile. Cet écart a non seulement un impact économique important en surchargeant nos hôpitaux, mais affecte également la qualité de vie des patients. Nous avons évoqué la dignité et le désir de vivre chez soi. Or nous privons actuellement ces patients de cette chance, particulièrement importante lorsqu’ils sont entourés de leur famille.

M. le président Jean-François Rousset. La richesse de notre pays réside dans sa capacité à offrir les deux options, car certaines situations géographiques, immobilières ou familiales ne permettent pas toujours un maintien à domicile permanent et viable. Certaines personnes, une fois placées en structure, peuvent voir leur état se dégrader plus rapidement que si elles étaient restées chez elles. J’ai personnellement visité les établissements de soins de suite et de réadaptation (SSR) dans ma région, et je constate que la comparaison est pertinente. Vous avez raison tous les deux, mais l’objectif de cette commission d’enquête est précisément de recueillir vos témoignages pour élaborer un rapport qui s’appuiera sur vos contributions.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. J’aimerais poser une dernière question au docteur Martinaux. Il est important d’impliquer les élus dans les prises de décision et dans l’élaboration de l’offre de santé. On évoque souvent les départements pour le volet sanitaire et de plus en plus des régions, bien que ce ne soit pas de leur compétence directe, en raison de la structuration des ARS. Concernant les CCAS, certains Ehpad en dépendent. Quelle est votre vision de leur rôle, de leurs compétences, et de leur collaboration potentielle avec les autres collectivités, départements et régions ?

Mme Joëlle Martinaux. Je commencerai par évoquer un outil que j’ai ardemment défendu lorsque je présidais l’UNCCAS : l’analyse des besoins sociaux. Cet outil permet d’établir une cartographie complète d’un territoire, notamment en termes de démographie et d’évaluation de la dépendance. Réalisé par les CCAS, il sert de base aux travaux menés au niveau local et départemental.

L’implication des CCAS dans les contrats locaux de santé est essentielle mais pas systématique selon les territoires. De même, leur participation aux commissions départementales traitant de la dépendance n’est pas toujours acquise, parfois en raison d’inimités politiques qui entravent la communication entre les travailleurs sociaux.

Le travail en réseau est absolument indispensable. Les assistantes sociales peuvent identifier des besoins de soins qui passent inaperçus. En France, nous disposons de solutions d’accès aux soins, mais il faut savoir les mobiliser. La participation aux contrats locaux de santé et à divers réseaux permet de construire un maillage adapté à chaque territoire, qu’il s’agisse d’acteurs associatifs ou autres.

Le CCAS joue un rôle crucial dans le repérage des besoins et la construction de l’accompagnement social, pilier indispensable des soins. Bien que nous disposions de dispositifs d’orientation domiciliaire pour la prise en charge des soins, leur mise en place effective reste inégale. Dans les cas idéaux, tout est programmé avant la sortie de l’hôpital, voire avant une intervention, avec une équipe infirmière prête à assurer le suivi du patient à domicile. Malheureusement, cette situation n’est pas généralisée, et on constate encore trop de « sorties blanches » où l’analyse globale du retour à domicile n’est pas effectuée.

Lorsque cette analyse est réalisée et que la collaboration entre partenaires est effective, les résultats sont positifs, tant pour le patient que sur le plan économique, en évitant des allers-retours inutiles à l’hôpital. Cependant, il persiste des situations où des patients âgés sont renvoyés des urgences dans des conditions inadéquates, malgré les outils et moyens mis en place pour améliorer leur prise en charge.

Le CCAS peut également intervenir via sa commission permanente pour aider financièrement les personnes en difficulté face aux coûts des soins. Il agit comme un coordinateur social essentiel au bon déroulement des soins. De plus, le CCAS peut organiser des hébergements adaptés, comme les pensions de famille, qui accueillent des personnes âgées relativement indépendantes mais nécessitant un certain encadrement. Je tiens à souligner l’excellence des pensions de famille, qu’elles soient situées dans des zones de mobilité ou dans des environnements plus urbains. Ces structures, ainsi que les appartements regroupant plusieurs personnes, présentent de nombreux avantages. Elles permettent notamment à une infirmière libérale de prendre en charge efficacement un groupe de patients, évitant ainsi des déplacements multiples. Les pensions de famille, en particulier, offrent un excellent rapport coût-bénéfice. La présence d’une maîtresse de maison, qui supervise et gère le quotidien des résidents, s’avère extrêmement bénéfique pour leur santé et leur prise en charge médicale.

Bien entendu, je soutiens le maintien à domicile des personnes âgées, y compris en fin de vie, lorsque les conditions le permettent. Cependant, il est impératif de renforcer les équipes de soins palliatifs dans certains territoires où elles sont insuffisantes. De même, il faut développer les équipes innovantes d’accompagnement de fin de vie, qui apportent un soutien crucial aux proches parfois désorientés face à cette situation. Généralement, ces dispositifs fonctionnent très bien, mais il est important de noter qu’ils sont souvent gérés par des associations.

L’objectif principal est d’éviter l’isolement des personnes âgées. Les CCAS jouent un rôle essentiel dans cet accompagnement social au sens large. Leur proximité avec la population leur permet d’identifier précisément les besoins et de mobiliser les ressources nécessaires pour y répondre efficacement.

Mme Jade Lemaire. La position du CPAE sur le virage domiciliaire se veut une position d’alerte. Certes, cette orientation politique répond à une aspiration largement partagée par l’opinion publique : la volonté de vieillir et de finir ses jours chez soi. Cet objectif largement partagé est louable, mais il nécessite un encadrement rigoureux.

Contrairement à certains discours optimistes, la réalité du terrain est plus nuancée. Des mesures concrètes s’imposent pour lutter contre le turn-over du personnel, car les personnes âgées ont besoin d’une prise en charge continue et stable, respectant leurs habitudes. Il est également crucial de renforcer le contrôle des obligations de formation initiale et continue, particulièrement dans les domaines de la prévention des maltraitances et de la dénutrition.

Notre principale inquiétude tient au risque de déplacer des problématiques systémiques, potentiellement sources de maltraitance, dans un huis clos. Nous constatons déjà une certaine invisibilisation des maltraitances en établissement, et nous sommes conscients des dangers que peuvent représenter les huis-clos familiaux, comme en témoigne la problématique des violences intrafamiliales. Il serait dramatique d’ouvrir la porte à des situations d’abandon et de maltraitance au domicile, où les personnes âgées se retrouveraient isolées, sans témoin, et où les familles qui alerteraient se heurteraient à l’absence de soutien.

Par ailleurs, nous craignons que les Ehpad ne deviennent des lieux accueillant uniquement des résidents lourdement grabataires, dont la société et les familles se désintéressent, transformant ces établissements en véritables mouroirs et déplaçant le risque de maltraitance au sein des structures publiques.

De nombreux rapports attestent que la situation dans les Ehpad est loin d’être optimale. Il est important de le souligner, sans pour autant tomber dans la généralisation.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je partage votre point de vue, mais j’ai toujours eu pour principe d’éviter les généralisations hâtives. Ainsi, je refuse de parler de « violences policières » systémiques, préférant évoquer des cas individuels de policiers commettant des actes répréhensibles. Je pense qu’il convient d’appliquer la même logique aux Ehpad. Il existe certainement des problèmes dans certains établissements, mais cela ne justifie pas une généralisation à l’ensemble du secteur.

Mme Céline Boreux. Sans adhérer totalement aux propos de ma collègue, je partage une grande partie de son analyse. Certes, il existe des Ehpad exemplaires, qui mettent en place des politiques bienveillantes, valorisent la parole des résidents et les impliquent activement dans la vie de l’établissement. C’est d’ailleurs l’approche que je m’efforce d’appliquer dans mes propres structures.

Néanmoins, force est de constater l’émergence d’une maltraitance systémique, résultant d’un manque de moyens pour assurer une prise en charge véritablement personnalisée. Les conditions de travail pénibles en Ehpad sont devenues un constat quasi unanime, tout comme la problématique du sous-effectif chronique. Cette réalité compromet notre capacité à mettre en œuvre des politiques efficaces, notamment en matière de lutte contre la dénutrition. Nourrir une personne âgée grabataire peut nécessiter jusqu’à cinquante minutes, temps dont nous ne disposons tout simplement pas pour chaque résident lourdement dépendant. Sans l’aide précieuse des familles, nous nous trouvons dans l’incapacité de répondre pleinement à ces besoins.

Concernant le virage domiciliaire, je rejoins les inquiétudes exprimées précédemment. Son fonctionnement actuel repose largement sur une génération encore habituée à vivre à proximité de ses parents. Cependant, avec l’arrivée des baby-boomers dans le grand âge, nous faisons face à une nouvelle configuration : des enfants souvent éloignés géographiquement, devant jongler entre l’aide à leurs parents âgés et l’éducation de leurs propres enfants, parfois encore jeunes. Si le virage domiciliaire se traduit par l’isolement des personnes âgées, ne recevant que des visites ponctuelles d’auxiliaires de vie souvent différentes, nous risquons d’aboutir à un modèle sociétal en contradiction avec nos valeurs d’accompagnement des aînés.

Pourquoi n’aurions-nous pas droit à un véritable accompagnement de qualité ? Nous devons être extrêmement vigilants quant à la mise en œuvre du virage domiciliaire, en veillant à ne pas créer des situations d’isolement et de maltraitance invisibles, faute de regard extérieur sur ce qui se passe au sein des foyers.

M. Mathurin Laurin. À force d’invoquer le concept de virage domiciliaire, nous risquons de tourner en rond. Il est temps de passer à l’action concrète. Malgré les défis indéniables en termes de recrutement et de financement, des pistes d’amélioration tangibles s’offrent à nous.

En ce qui concerne l’hospitalisation à domicile, nous disposons de pistes opérationnelles prometteuses. Au-delà de la chirurgie cardiaque déjà évoquée, des avancées significatives sont possibles dans des domaines tels que la pédiatrie, la physiothérapie ou encore la prévention des passages aux urgences. Nos tutelles sont désormais sensibilisées à l’importance de l’hospitalisation à domicile.

Un enjeu majeur réside dans l’intégration de cette approche dans la formation initiale des professionnels de santé. Il est crucial d’implémenter de manière plus volontariste l’hospitalisation à domicile dans les cursus académiques des médecins et des soignants. En effet, ce qui n’est pas abordé durant la formation a peu de chances d’être appliqué ensuite dans la pratique professionnelle.

Enfin, je tiens à rappeler les bénéfices considérables de l’hospitalisation à domicile pour les patients. Cette dimension ne saurait être trop soulignée dans nos réflexions et nos recommandations. Vous avez parfaitement souligné la volonté croissante des patients d’être soignés à domicile. Cette demande est non seulement légitime, mais également réalisable dans le contexte actuel en France. Elle bénéficie aux établissements hospitaliers en fluidifiant leur activité pour certaines prises en charge, permettant d’orienter des patients vers des soins à domicile plutôt que de les maintenir dans nos structures. Elle répond de plus à une nécessité incontournable, car aucune alternative ne s’avère plus pertinente. Enfin, elle génère un bénéfice financier substantiel pour l’assurance maladie, comme le souligne le rapport du Haut Conseil de l’assurance maladie que j’ai précédemment mentionné. Dans un contexte où nous cherchons à réaliser des économies considérables, estimées à 40 milliards d’euros pour l’année à venir, cette approche offre des pistes d’efficacité budgétaire non négligeables, bien que nous ne soyons pas l’unique source de ces économies potentielles.

Virage domiciliaire, oui, mais allons-y vraiment, de sorte qu’il bénéficie au plus grand nombre de patients.


–  1  –

18.   Table ronde, ouverte à la presse, sur « l’état des lieux de l’industrie des produits de santé » réunissant Mme Laurence Peyraut, directrice générale du Leem, Mme Juliette Moisset, directrice de l'Accès et des affaires économiques du Leem et M. Pierre Mezeray, directeur exécutif de Roche Diagnostics.

M. le président Jean-François Rousset. Je vous souhaite la bienvenue et vous rappelle que cette séance est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Laurence Peyraut, Mme Juliette Moisset et M. Pierre Mezeray prêtent serment.)

Mme Laurence Peyraut, directrice générale du Leem. Je vous remercie de nous donner l'opportunité de nous exprimer devant cette assemblée. Le Leem est une organisation professionnelle représentant les entreprises du médicament dont la mission est de garantir l'accès quotidien des patients à leurs traitements sur l'ensemble du territoire français.

Le Leem représente plus de 100 000 personnes en France, réparties sur 271 sites de production, dont 32 dédiés à la bioproduction. Nos 150 métiers, bien qu'orientés vers l'avenir, sont actuellement sous tension. Nos objectifs principaux sont d'assurer la viabilité économique de nos entreprises, de contribuer à la souveraineté sanitaire et de mener les transitions sociales, sociétales et environnementales nécessaires.

L'accès aux soins inclut indéniablement l'accès aux médicaments. Nos défis couvrent l'intégralité de la chaîne de valeur du médicament, de la recherche à la production et à la distribution. Je souhaite mettre en lumière certains points essentiels, notamment dans le contexte de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour l’année 2026.

Concernant la recherche, nous constatons un déplacement massif des investissements vers les États-Unis qui dépasse les 250 milliards de dollars. Il est donc impératif que la France et l'Europe reprennent le leadership dans ce domaine. Les entreprises pharmaceutiques françaises investissent annuellement 6 milliards d'euros en R&D, en interne ou par l’intermédiaire de partenariats public-privé, collaborant avec 147 établissements.

Je souhaiterais formuler un point d’alerte, qui concerne la recherche en matière d’essais cliniques. Dans la chaîne de production du médicament, investir en France dans la phase des essais cliniques permet, en aval, de créer les conditions favorables à l’investissement en production. Il est donc essentiel de préserver notre position de leadership dans ce domaine. Or la France, auparavant leader dans ce domaine, est désormais reléguée à la troisième place, derrière l’Allemagne et l’Espagne, et talonnée de près par l’Italie. Il est donc urgent d’engager une réflexion avec vous sur les leviers permettant de remettre notre pays en capacité d’être aussi performant qu’il l’a été par le passé en matière d’essais cliniques. À cet effet, nous avons proposé, dans le cadre du projet de loi de simplification, un ensemble de mesures ne générant aucun coût budgétaire mais visant à alléger les procédures, dans le but de réattirer des essais cliniques sur notre territoire.

Quant à la production de médicaments, nous visons à relocaliser en France et en Europe. Cependant, l'absence d'une loi de programmation en santé entrave nos efforts. L'ouverture d'une usine nécessitant sept à dix ans avant d'être pleinement opérationnelle, une visibilité à long terme est essentielle. La France est actuellement sixième en Europe pour la production pharmaceutique, une position que nous devons améliorer.

Dans la mesure où l'accès aux médicaments est financé par les cotisations sociales, la régulation du secteur est essentielle. Toutefois, nous observons aujourd’hui une réelle difficulté à anticiper les évolutions du cadre réglementaire, car celui-ci, modifié d’année en année, s’alourdit progressivement, ce qui réduit considérablement la capacité de projection sur le marché français.

Cela étant, il faut souligner que certaines mesures d’accès aux soins mises en œuvre en France sont scrutées avec attention par nos voisins européens, notamment en matière d’accès précoce. Ce dispositif, auquel nous sommes particulièrement attachés, concerne aujourd’hui près de 50 000 patients qui ont pu bénéficier d’un traitement anticipé. Nous avons démontré, par ce biais, notre capacité à inventer de nouveaux mécanismes favorisant l’accès rapide des patients aux traitements.

En ce qui concerne la régulation, il convient toutefois de rappeler quelques données essentielles. Les quatre leviers principaux qui sont mobilisés sont les remises, les baisses de prix, les actions sur les volumes et la clause de sauvegarde. En conséquence, nous sommes devenus les champions d’Europe en matière de pression fiscale sur l’industrie pharmaceutique. Aujourd’hui, 60 % de l’excédent brut d’exploitation des entreprises du secteur sont soumis à des mécanismes fiscaux, tandis que les prix pratiqués en France sont les plus bas d’Europe. Les études que nous menons chaque année confirment l’existence d’un véritable effet de ciseaux avec, d’un côté, une fiscalité parmi les plus élevées et, de l’autre, des prix parmi les plus faibles. Cette double contrainte empêche notre pays de retrouver la souveraineté sanitaire dont les patients ont pourtant cruellement besoin.

Malgré ces défis, nous restons engagés. Nous avons lancé des initiatives visant à soulager le secteur comme le programme de bon usage du médicament, visant à optimiser les prescriptions pour les personnes âgées. Ce programme, initialement destiné à 20 000 médecins, sera étendu à 40 000 cette année. Notre objectif est d'assurer une prescription plus judicieuse, résumée par notre slogan : « Moins de médicaments, c'est médicamieux ».

En conclusion, notre industrie s'efforce de surmonter les nombreux obstacles auxquels elle fait face. Nous sommes prêts à collaborer pour simplifier ces processus et à répondre à vos questions afin d’améliorer la situation.

M. Pierre Mezeray, directeur exécutif de Roche Diagnostics. Je vous remercie d'avoir accepté notre demande d'audition du 20 mars dernier, visant à mettre en lumière une dimension souvent négligée des inégalités territoriales que sont les déserts diagnostiques. Notre intervention se concentrera spécifiquement sur cette problématique et sur la biologie délocalisée hors les murs. Il est important de noter que nos propos s'inscrivent dans le prolongement de l'analyse des déserts médicaux présentée par l'UFC-Que Choisir le 14 mai dernier devant cette commission.

Notre conviction est qu'il est possible d'améliorer significativement la situation en allant vers les populations et en fournissant des outils pour répondre aux défis posés par les déserts médicaux. En tant que leader mondial du diagnostic in vitro et membre du groupe Roche, leader en santé à la fois sur le médicament et sur le diagnostic, nous abordons ces enjeux dans une perspective de parcours, du dépistage au suivi des maladies chroniques et de la réponse aux traitements.

Il nous a semblé essentiel de mener une première étude et de réintroduire des éléments scientifiques dans le débat relatif à ce que nous avons identifié comme des déserts diagnostiques, qui sont étroitement liés aux déserts médicaux. L’objectif était de replacer ces données objectivées au cœur des discussions, afin de permettre les prises de décision qui s’imposent. Il y a un peu plus de trois ans, nous avons ainsi lancé des études concrètes fondées sur des données statistiques issues de l'Insee, de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) et de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes), afin d’évaluer le maillage territorial des laboratoires de biologie médicale, de leurs sites de prélèvement, ainsi que le déploiement des infirmiers et infirmières mobiles. Nous avons comparé ces éléments à la densité géographique observée dans nos territoires, en nous appuyant sur la même méthode que celle utilisée par la Drees pour identifier les déserts médicaux, mais en l’appliquant à l’accès aux diagnostics.

Nous avons mobilisé la notion d’accessibilité potentielle localisée (APL) en la fondant sur deux variables principales que sont la densité démographique des laboratoires et leur répartition sur le territoire d’une part, et la distance géographique entre la population et les structures de biologie médicale d’autre part. L’une des limites de notre analyse est que nous n’avons pas pu intégrer la volumétrie des actes, faute d’accès aux données du système national des données de santé (SNDS).

Néanmoins, les conclusions de cette première étude, que nous avons partagée dès 2023 puis actualisée, sont claires. Aujourd’hui, 7,8 millions de nos concitoyens, soit 12 % de la population, n’ont pas accès à un laboratoire de biologie médicale et, par conséquent, aux actes diagnostics correspondants.

Nous avons simulé différents scénarios permettant de répondre à ces déserts diagnostiques. Concrètement, nous avons étudié les effets d’une ouverture de biologie hors les murs visant à la rendre accessible là où se trouvent les professionnels de santé, que ce soit dans les maisons de santé pluridisciplinaires, les Ehpad ou chez les médecins généralistes. Cette modélisation démontre clairement qu’une telle ouverture permettrait de faire passer la part de population sans accès à la biologie de 12 % aujourd’hui à seulement 0,5 %, voire de résorber totalement cette inégalité géographique.

En 2024, nous avons enrichi notre travail par une analyse du profil social et sanitaire des populations concernées. Parmi ces 7,8 millions de personnes, plus de 74 % vivent en zone rurale, dont 54 % dans des zones rurales subies. Il s’agit majoritairement d’une population plus âgée, connaissant un taux de chômage plus élevé et un revenu médian inférieur à la moyenne nationale. Ces personnes, qui sont davantage exposées aux effets de l’inflation et aux difficultés de mobilité, accèdent ainsi moins aux parcours de soins proposés par notre système de santé.

Cette deuxième étude a également examiné l’état de santé de ces populations. Nous avons observé une forte corrélation entre l’éloignement des services de biologie médicale et la prévalence de certaines pathologies telles que les affections de longue durée, les maladies cardiovasculaires, les cancers ou le diabète. Dans les quinze départements les plus touchés, les taux de maladies cardiovasculaires et de cancers sont systématiquement supérieurs à la moyenne nationale.

Ces populations ont donc besoin de davantage de biologie, de davantage de suivi, et il est manifeste que des investissements dans la prévention et dans des dispositifs de dépistage concrets auraient un impact extrêmement fort sur leur santé.

Pour conclure, nous disposons aujourd’hui de tous les outils nécessaires, qu’il s’agisse des technologies, des innovations, des instruments, ou des solutions numériques, pour déployer une biologie médicale accessible sur l’ensemble du territoire. Comme je l’ai mentionné précédemment, l’intégration de cette biologie délocalisée dans les structures déjà existantes du système de santé telles que les maisons de santé pluridisciplinaires ou les Ehpad, permettrait de réduire à néant les inégalités d’accès. Nous avons donc, autour de cette table et au sein de cette commission d’enquête, l’opportunité de résoudre cette difficulté de manière concrète, car cette contrainte repose aujourd’hui sur un seul obstacle juridique, à savoir un décret de 2014, qui limite l’usage de la biologie hors les murs aux seules situations d’urgence.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Pourriez-vous tout d’abord nous indiquer quelles sont les principales pénuries de médicaments ou de dispositifs médicaux auxquelles nous sommes actuellement confrontés en France ?

Ensuite, madame Peyraut, vous avez évoqué la nécessité de réindustrialiser la France dans le domaine de l'industrie médicamenteuse. Pouvez-vous nous informer d’éventuels projets en cours dans ce domaine ? Plus précisément, quelles molécules sont concernées, quel est le potentiel d'emploi espéré de ces éventuelles relocalisations et, surtout, quels sont les délais envisagés pour leur mise en œuvre ?

Mme Laurence Peyraut. J’ai pris mes fonctions il y a tout juste dix-huit mois. Dès ma première semaine, j'ai participé à une réunion initiée par le ministre de la santé de l'époque, M. Rousseau, rassemblant l’ensemble des acteurs impliqués dans la production et la distribution de médicaments. Cette collaboration a abouti à l'élaboration d'une charte d'engagement contre les pénuries et d'une feuille de route gouvernementale. Depuis lors, nous travaillons étroitement avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur cette problématique.

Les données récentes communiquées par l'ANSM révèlent une diminution des risques de rupture et un retour des ruptures effectives à un niveau comparable à celui d'avant 2019. Bien que cette situation soit encourageante, elle n'est pas encore satisfaisante, car notre objectif est de garantir un accès sans faille aux médicaments pour tous les patients français. Néanmoins, nous avons réussi à stabiliser la situation.

Il est essentiel de comprendre que la disponibilité des médicaments repose sur une chaîne de valeur impliquant de nombreux acteurs. Les entreprises du médicament et les distributeurs ont chacun leur part de responsabilité dans ce processus. Pour améliorer la traçabilité des stocks, nous avons développé pour l'ANSM un outil baptisé TRACStocks, qui centralise toutes les déclarations de nos laboratoires et remplace l'ancien système de fichiers Excel individuels. Nous préconisons l'extension de cet outil à l'ensemble de la chaîne de distribution afin d’obtenir une vision globale des stocks à tout moment sur le territoire français.

Bien que le plan hivernal mis en place cette année ait permis une meilleure gestion des pénuries, des tensions persistent, notamment dans le domaine de la santé mentale. Par exemple, pour la quétiapine, principalement produite en Grèce, nous avons mis en place avec l'ANSM des plans de remédiation visant à limiter les exportations parallèles et à ajuster les prescriptions au plus près des besoins des patients.

Pour conclure, j'insiste sur le fait que la réindustrialisation et la sécurisation de l'approvisionnement nécessitent une révision de l'économie du médicament. Nous sommes confrontés à cet effet ciseau entre les prix les plus bas et la fiscalité la plus élevée d'Europe. Cette situation est particulièrement problématique pour les molécules anciennes, dont les prix ont tellement baissé que nous n'avons plus les moyens de réinvestir dans leur production, ce qui contribue aux pénuries. Il est donc impératif de revaloriser le médicament pour permettre aux industriels de maintenir et de moderniser leurs chaînes de production, assurant ainsi l'accès aux traitements pour nos concitoyens, notamment face au vieillissement de la population et aux défis de santé mentale chez les jeunes.

M. Pierre Mezeray. En tant que représentant de Roche Diagnostic France, je tiens à préciser que je ne suis pas en mesure de m'exprimer au nom de l'ensemble de la filière du diagnostic in vitro. Pour une vision plus complète sur les pénuries dans ce secteur, il serait plus pertinent de consulter le Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (Snitem) ou le Syndicat de l'industrie du diagnostic in vitro (Sidiv), dont nous sommes membres.

M. le président Jean-François Rousset. Je vous invite à nous communiquer les éléments de réponse par écrit.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Concernant les organisations professionnelles que vous représentez, s'agit-il uniquement d'organisations françaises ou disposez-vous également d’une vision globale de la production mondiale incluant les produits importés en France ? Cette perspective est essentielle pour comprendre l'étendue des pénuries au-delà du contexte national.

Vous avez par ailleurs mentionné à plusieurs reprises les prix les plus bas d'Europe et l'effet de ciseau. Dans vos comparaisons entre pays, avez-vous pris en compte les différences de taux de prise en charge par la solidarité nationale ? Pourriez-vous préciser quelle est la part restant à la charge des patients français par rapport aux autres pays européens que vous avez étudiés ?

Mme Laurence Peyraut. Les entreprises du médicament en France représentent l'ensemble des acteurs pharmaceutiques opérant sur le territoire français, des plus petites entreprises locales aux grands groupes internationaux. Toutes ces entreprises, quelle que soit leur taille ou leur origine, sont pleinement engagées dans la mise en œuvre de notre feuille de route, articulée autour des trois piliers précédemment mentionnés.

Les 271 entreprises sont, tout d’abord, engagées en faveur de leur compétitivité économique, afin de pouvoir produire et répondre à leurs engagements. Elles sont également engagées en faveur de la souveraineté sanitaire, notamment face aux pénuries, et cela indépendamment de leur lieu de production ou de l’usage qui est fait de leurs produits. Enfin, elles sont engagées sur les transitions sociales, sociétales et environnementales.

Concernant les systèmes de protection sociale et de prise en charge, il est effectivement vain d’effectuer des comparaisons directes entre pays en raison des différences significatives dans les modèles de couverture santé. Même au sein de l'Europe, où les systèmes sont globalement plus protecteurs qu'aux États-Unis, les modalités de prise en charge varient considérablement. Il est ainsi difficile d'établir une comparaison précise entre le prix facial et le prix net, qui reflète la prise en charge par l'État, d'autant plus que le droit de la concurrence limite l'accès à certaines informations. Nous pouvons néanmoins affirmer qu'en comparaison avec d'autres pays européens, les prix des médicaments en France sont généralement inférieurs d'environ 20 %. Cette estimation se base sur les données dont nous disposons, bien que la comparaison ne soit pas toujours parfaitement équivalente en raison des différences de systèmes.

Mme Juliette Moisset, directrice de l'Accès et des affaires économiques du Leem. Une récente étude de la Toulouse School of Economics a comparé les ruptures d'approvisionnement en France et au Royaume-Uni en fonction des prix observés. Cette recherche démontre que les ruptures sont plus fréquentes et plus intenses lorsque les prix en France sont bas, particulièrement quand ils sont inférieurs à ceux d'autres pays européens. Ainsi, des prix français inférieurs à ceux de nos voisins européens entraînent des ruptures plus importantes et plus difficiles à résoudre que dans d'autres territoires. Cette étude constitue actuellement la référence scientifique la plus pointue sur l'impact des prix et des comparaisons internationales sur les ruptures d'approvisionnement en France.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Bien que je comprenne la logique économique derrière les ruptures d'approvisionnement, ma question porte sur la structure du prix du médicament pour le patient final. Ce dernier se décompose généralement en trois parties, à savoir une prise en charge par la solidarité nationale issue des cotisations, une part couverte par les mutuelles et potentiellement un reste à charge pour le patient. Dans la mesure où ces éléments devraient être facilement accessibles pour vos organisations professionnelles présentes dans différents pays, j'aimerais comprendre comment la France se positionne par rapport à ses voisins. La part prise en charge par la solidarité nationale est-elle plus importante en France ? Est-elle comparable à celle d'autres pays ou, au contraire, est-elle moindre, avec une plus grande contribution des mutuelles ou un reste à charge individuel plus élevé dans d'autres pays ?

Mme Juliette Moisset. Effectivement, plusieurs rapports publics, notamment ceux de la Drees, examinent régulièrement les taux de prise en charge des différents soins, y compris les produits de santé et les médicaments. À ma connaissance, la France figure aujourd’hui parmi les pays européens où le taux de prise en charge par l'assurance maladie obligatoire est l'un des plus élevés. Bien que je ne dispose pas des chiffres détaillés pour une comparaison précise, nous pourrons vous fournir les rapports de la Drees qui établissent ces comparaisons.

M. Pierre Mezeray. Concernant la problématique d'accès aux soins due aux pénuries et la comparaison avec nos voisins européens, je souhaite souligner la situation en Allemagne, en Suisse et en Italie, où la biologie délocalisée hors les murs est disponible et prise en charge. Concrètement, lorsqu'un patient consulte un professionnel de santé, qu'il s'agisse d'un médecin généraliste ou d'un gynécologue, il a accès à des solutions de biologie délocalisée directement au sein du cabinet. Cela permet d'obtenir des résultats lors de la consultation initiale, améliorant ainsi le dépistage et le suivi des maladies chroniques, sans nécessiter de visite supplémentaire au laboratoire pour certains tests de base. Cette approche résout efficacement la problématique d'accès aux soins de proximité dans ces pays.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. J'aimerais également obtenir une comparaison entre l'Allemagne, la Suisse et l'Italie concernant la répartition entre la prise en charge individuelle, la solidarité nationale et la couverture mutualiste.

M. Pierre Mezeray. Les modèles de prise en charge diffèrent significativement entre ces pays et le nôtre, tant en termes de couverture généralisée que de système mutualiste. Néanmoins, ces solutions de biologie délocalisée ont été pleinement intégrées à l'offre de base, ou bénéficient du moins d'une couverture pour les soins primaires. Nous pourrons vous fournir des informations plus détaillées sur les modalités de couverture, notamment concernant la nomenclature des tests et les niveaux de remboursement associés, pour une analyse plus approfondie.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Puisque nous abordons l'aspect financier, pouvez-vous nous indiquer la marge moyenne des entreprises de votre organisation professionnelle, et plus particulièrement celle de Roche ? De même, quel est le ratio résultat net sur chiffre d'affaires pour ces entreprises et pour Roche spécifiquement ?

Mme Laurence Peyraut. En tant qu'organisation professionnelle, je ne suis malheureusement pas en mesure de vous communiquer ces données. Pour des raisons de droit de la concurrence, je n'ai pas accès aux prix nets par entreprise et ne peux donc pas calculer les marges. Les seules informations dont nous disposons sont les chiffres d'affaires bruts, mais nous n'avons pas les données de rentabilité par entreprise.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le chiffre d'affaires à lui seul n'est que peu significatif. Ce qui m'intéresse davantage, ce sont les marges et les résultats. Concernant les entreprises de votre organisation professionnelle, disposez-vous uniquement d'un chiffre d'affaires cumulé ou pouvez-vous fournir un chiffre d'affaires moyen ?

Mme Laurence Peyraut. Le chiffre d'affaires remboursé par l'assurance maladie, qui est une donnée connue et sur lequel nous basons nos discussions annuelles dans le cadre du PLFSS, s'élève à environ 27 milliards d'euros pour l'ensemble des entreprises en France. Calculer une moyenne serait toutefois peu pertinent compte tenu de la diversité des modèles d'affaires, allant de la production de produits matures ou génériques à celle de produits hautement innovants. Je ne dispose pas de chiffre d'affaires moyen et je doute de sa pertinence étant donné les différences significatives entre les modèles d'entreprises.

Mme Juliette Moisset. Pour compléter ces informations, je précise que l'Insee fournit des données comparatives sur les excédents bruts d'exploitation, que nous pourrons vous communiquer ultérieurement. Il est important de rappeler que la France applique l'une des fiscalités spécifiques les plus lourdes d'Europe à l'industrie du médicament, ce qui impacte significativement cet excédent brut d'exploitation.

Je confirme l'ordre de grandeur de 27 milliards d'euros pour le chiffre d'affaires net de l'ensemble des entreprises du médicament en France, concernant la partie remboursable par l'assurance maladie.

M. Pierre Mezeray. Roche étant une entreprise publique, nos comptes globaux et détaillés par entité et division sont publics et disponibles. Nous pourrons vous les transmettre ultérieurement.

Par ailleurs, il est pertinent de considérer l'industrie du diagnostic in vitro dans son ensemble, qui représente aujourd'hui un peu plus de 1,5 milliard d'euros, soit moins de 2 % des dépenses de santé. Cependant, pour ce chiffre d'affaires relativement modeste, l'industrie du diagnostic in vitro informe plus de 70 % des décisions des professionnels de santé. Ces décisions orientent ensuite le pilotage de l'allocation du reste des dépenses publiques, qu'il s'agisse d'hospitalisations, de choix de traitements ou de suivis médicaux. Il est essentiel de replacer ces chiffres dans ce contexte plus large pour en saisir toute l'importance.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. J'imagine que de grandes entreprises telles que la vôtre disposent d'une comptabilité analytique détaillée. Si le chiffre d'affaires global pour le diagnostic in vitro atteint 1,5 milliard d'euros, pouvez-vous nous donner une idée de la part que cela représente dans le résultat global ?

M. Pierre Mezeray. Le chiffre d’1,5 milliard d’euros mentionné concerne l'ensemble de l'industrie du diagnostic in vitro, et pas uniquement Roche. Notre part de marché oscille entre 17 et 20 % selon les gammes de produits mais nous ne sommes pas présents sur tous les types de tests, d’autant que la valeur de ces tests peut varier. Bien que les chiffres spécifiques par pays ne soient généralement pas rendus publics, je peux confirmer que votre estimation est dans le bon ordre de grandeur.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Dans cette optique de comptabilité analytique, si nous considérons environ 300 millions d'euros pour Roche, soit 20 % de 1,5 milliard, pouvez-vous nous donner une idée de la part que cela représente dans le résultat final et de la marge nette sur les diagnostics in vitro ?

M. Pierre Mezeray. Je ne suis pas en mesure de vous fournir une réponse précise concernant ces 300 millions d'euros. En effet, ce chiffre représente le chiffre d'affaires généré en France alors que les investissements du groupe Roche sont répartis à l'échelle mondiale, avec une petite partie en France et une partie importante en Allemagne. Je ne peux donc pas, de mémoire, appliquer le pourcentage de profitabilité de notre division diagnostic à ces 300 millions d'euros. Nous pouvons cependant effectuer ce calcul et vous le communiquer ultérieurement pour vous donner un ordre de grandeur.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez évoqué à plusieurs reprises la question du poids de la fiscalité française sur les entreprises du médicament. S'agit-il d'une fiscalité spécifique ou sommes-nous dans le cadre de la fiscalité générale applicable à toutes les entreprises ? Dans votre analyse, prenez-vous en compte les 800 millions d'euros de crédit d'impôt recherche (CIR) dont bénéficient les entreprises du médicament ? Avez-vous une idée du nombre d'entreprises qui en bénéficient et de la répartition de ce crédit d'impôt ? Existe-t-il des entreprises qui en profitent de manière plus importante ?

Mme Laurence Peyraut. Permettez-moi d'abord de préciser que nous publions chaque année, au mois de juin, notre baromètre de l'attractivité en France qui fournit des données précises et actualisées sur ces sujets. Nous pourrons donc vous communiquer des chiffres plus détaillés après cette commission d'enquête.

Concernant la fiscalité, la France impose non seulement la fiscalité générale la plus lourde d'Europe, mais également une fiscalité spécifique à notre secteur. Celle-ci comprend plus de cinq taxes additionnelles, incluant la clause de sauvegarde et divers systèmes de remises. Cette fiscalité sectorielle, qui absorbe environ 60 % de l'excédent brut d'exploitation des entreprises, s'applique en fonction de la capacité de production, d'innovation ou de la production elle-même.

Mme Juliette Moisset. Nous sommes notamment soumis à une taxe spécifique sur le chiffre d'affaires des entreprises pharmaceutiques ainsi qu'à une taxe sur les dépenses de promotion. Certaines de ces taxes ont d'ailleurs été mentionnées dans un récent rapport de la Cour des comptes sur les taxes à faible rendement. Nous pourrons vous fournir un panorama plus complet dans l’étude actualisée de la fiscalité que nous mettons régulièrement à jour.

Mme Laurence Peyraut. S'agissant du crédit d'impôt recherche, je ne dispose pas immédiatement des informations précises sur le nombre de laboratoires qui y ont recours. Je rappelle que ce dispositif est une déduction fiscale accordée après la réalisation des investissements. Je m'engage à me renseigner et à vous communiquer les éléments dont nous disposons sous réserve qu’ils soient accessibles publiquement.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je souhaiterais connaître votre avis sur le conditionnement unitaire des médicaments, voire la distribution en vrac, comme cela se pratique dans certains pays pour des médicaments spécifiques. Quels sont les obstacles qui rendent aujourd'hui la production à conditionnement unitaire si complexe en France ? Pensez-vous que cela pourrait générer des économies pour la sécurité sociale ?

Mme Laurence Peyraut. Cette question est complexe. Je tiens tout d’abord à souligner que notre secteur n'est pas opposé à l'idée d'envisager une dispensation à l'unité lorsque cela est possible, et que nous collaborons d'ailleurs actuellement avec l'ANSM sur ce sujet. Il faut cependant comprendre que toutes les formulations médicamenteuses ne se prêtent pas à ce type de conditionnement.

La principale difficulté réside dans le caractère mondial, ou du moins européen, des modes de fabrication actuels, ce qui implique que les chaînes de production ne puissent pas être modifiées uniquement pour répondre aux exigences françaises. Si nous décidons d'explorer cette voie et de mener des projets pilotes, nous devrons pouvoir compter sur l'engagement des entreprises et de l'ensemble de leurs groupes.

Cette mesure, qui pourrait sembler simple en termes d'économies et de simplification, s'avère en réalité complexe à mettre en œuvre. Néanmoins, nous l'étudions car nous sommes conscients de notre responsabilité en tant qu'acteurs du secteur. C'est à la fois un enjeu économique et écologique, car nous savons que la surproduction et le stockage excessif de médicaments représentent un réel problème. D’ailleurs, nous utilisons déjà ce principe de dispensation limitée en collaboration avec l'ANSM lors des périodes de pénurie, afin de gérer au mieux les difficultés d'approvisionnement.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je m'interroge sur l'impact économique de ce conditionnement unitaire. En effet, la production à grande échelle avec des conditionnements par six ou douze permet généralement aux entreprises pharmaceutiques de réaliser des économies d'échelle. Le passage à un conditionnement unitaire entraînerait-il une hausse ou une baisse du prix du produit fini, ou l'impact serait-il relativement neutre ? Cette question soulève trois aspects importants que sont le prix de vente, le coût de revient pour l'entreprise et le coût pour la solidarité nationale, c'est-à-dire pour le patient final. De plus, comme vous l'avez mentionné, il faut également prendre en compte l'impact écologique de ce changement.

Mme Laurence Peyraut. Intuitivement, on peut penser qu'une production ajustée au plus près de la demande génère des économies. Bien que je ne dispose pas de données précises sur les comptes d'exploitation comparés entre un conditionnement unitaire et un conditionnement groupé, il est généralement admis qu'une production mieux ajustée à la demande est économiquement avantageuse.

Par ailleurs, nous devons également travailler à l'adéquation entre les indications de prescription et le conditionnement. Actuellement, des écarts persistent et il serait bénéfique de les réduire.

J’attire toutefois votre attention sur le point essentiel de la sécurité sanitaire. La vente en vrac soulève des questions importantes en termes de traçabilité des médicaments, qui est un gage de sécurité pour nos concitoyens. Il est donc essentiel de ne pas prendre de décisions qui pourraient potentiellement compromettre la santé publique en entravant notre capacité à suivre le parcours d'un médicament de bout en bout.

Pour toutes ces raisons, ce sujet est plus complexe qu'il n'y paraît, et des solutions apparemment évidentes peuvent en réalité soulever de nouvelles problématiques. Néanmoins, lorsque cela possible et sans compromettre la sécurité, nous pouvons effectivement envisager ces ajustements.

Mme Géraldine Bannier (Dem). Dans le secteur vétérinaire, il est courant de voir les praticiens découper les blisters pour fournir le nombre exact de médicaments nécessaires au traitement de l'animal. Ne serait-il pas envisageable d'appliquer un système similaire pour les médicaments à usage humain ? Cela permettrait de vendre à l'unité tout en préservant une certaine rentabilité des conditionnements.

J’aimerais également aborder une polémique récente concernant des lots de médicaments destinés à l'exportation qui auraient été détruits en raison de problèmes de conditionnement. Des mesures sont-elles prises pour éviter le gaspillage de médicaments dû à de simples défauts de conditionnement, comme l'a récemment rapporté la presse ?

Enfin, étant originaire d’un territoire considéré comme un désert médical, je souhaiterais savoir s’il existe une corrélation directe entre le manque de médecins traitants et les problèmes de diagnostic. Ces deux phénomènes sont-ils étroitement liés ?

Mme Laurence Peyraut. N'étant ni médecin ni pharmacien, je ne suis pas en mesure de répondre de manière exhaustive à la première partie de votre question. Je peux néanmoins confirmer que nous commençons à mettre en place des systèmes de dispensation à l'unité basés sur un découpage.

Concernant l'incident médiatisé que vous évoquez, il est important de préciser qu'il s'agissait d'une exportation vers le Japon. Le problème ne se limitait pas uniquement à une question d'emballage puisque la formulation du médicament en question était spécifiquement adaptée au marché japonais et n'était donc pas réutilisable pour d'autres usages.

M. Pierre Mezeray. Concernant la corrélation entre les déserts médicaux et les problèmes de diagnostic, nos données démontrent que le coefficient atteint 0,98, ce qui indique un lien extrêmement étroit entre ces deux phénomènes.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je souhaite approfondir le point soulevé par Mme Bannier. Concernant les autorisations de mise sur le marché (AMM), vous avez évoqué les difficultés fiscales rencontrées par les entreprises. Observez-vous des différences significatives entre les procédures d'enregistrement des AMM dans les différents pays voisins ? Bien que ces autorisations soient souvent délivrées au niveau européen, constatez-vous des écarts importants avec les pays situés en dehors de l’Europe ? Par ailleurs, constatez-vous des différences notables entre l'industrie médicamenteuse humaine et vétérinaire en termes de procédures d'AMM ?

M. Pierre Mezeray. En tant que représentant de Roche Diagnostics, je ne suis pas compétent pour répondre aux questions relatives aux médicaments.

Concernant le packaging, il ne s’agit pas d’un enjeu prioritaire, ni pour les laboratoires, ni pour les industriels du diagnostic.

Mme Laurence Peyraut. Concernant les AMM, entre nos process d'accès au marché et la compétitivité des prix finalement octroyés, 60 % des innovations médicamenteuses n'atteignent pas le marché français. Ainsi, seules 40 % des nouveautés parviennent effectivement aux patients, en raison notamment de nos processus d'évaluation et de fixation des prix. Par conséquent, de plus en plus d'entreprises se détournent du marché français.

Nous saluons cependant la nouvelle approche d'accès précoce, qui permet de contourner les obstacles de l'accès en droit commun et offre à près de 50 000 patients en France l'accès à de nouveaux médicaments. Ce qui fonctionne dans ce cas mériterait d'être étendu car, pour les patients français, ne pas avoir accès aux dernières innovations représente une réelle perte de chance.

Mme Géraldine Bannier (Dem). Concernant la question du gaspillage, qu'en est-il du retour des médicaments non utilisés en pharmacie ? Cette pratique a-t-elle progressé ? S’agit-il réellement d’une solution efficace ?

Mme Laurence Peyraut. Auparavant, nous pouvions effectivement rapporter nos médicaments en pharmacie pour qu'ils soient recyclés. Aujourd'hui, nous pouvons toujours les rapporter mais ils sont incinérés pour des raisons de sécurité. Nous travaillons actuellement sur les questions de réemploi et de reconditionnement. C'est un sujet complexe et très encadré, qui mériterait d'être réexaminé pour lutter contre ce gaspillage et la non-consommation des médicaments.

C'est également pour cela que nous sommes engagés dans une campagne de promotion du bon usage du médicament, notamment auprès des personnes âgées, car nous savons qu’elles ont tendance à stocker davantage de médicaments chez elles. Il est donc important d'influencer les comportements pour que les patients n’achètent que ce dont ils ont réellement besoin.

Le recyclage des médicaments reste un sujet complexe, principalement pour des raisons de sécurité sanitaire.

Mme Juliette Moisset. Je souhaite rectifier les chiffres mentionnés par Laurence Peyraut. Actuellement, 60 % des nouveaux médicaments sont disponibles sur le territoire français, ce qui signifie que 40 % des médicaments ayant obtenu une AMM n'arrivent pas sur notre marché.

Pour être plus précis, sur l'ensemble des nouveaux médicaments obtenant une AMM en Europe, seuls 60 % intègrent le circuit de remboursement en France. Ce taux est supérieur à la moyenne européenne qui s'établit à 50%, mais reste inférieur à celui de nos principaux voisins.

40 % des nouveaux médicaments ayant obtenu une AMM européenne n'entrent pas dans le circuit de remboursement français car, après l'obtention de l'AMM au niveau européen, le processus comprend encore une évaluation par la Haute Autorité de santé (HAS), suivie d'une négociation des prix avec le Comité économique des produits de santé (CEPS). Certains laboratoires ne s'engagent pas dans ces étapes supplémentaires, ou leurs produits ne les franchissent pas, pour diverses raisons.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Si je comprends bien votre explication, il existe une autorisation potentielle, mais sans remboursement. Cela entraîne deux conséquences possibles. Premièrement, les Français pourraient ne pas avoir accès à ces produits, les entreprises jugeant leur commercialisation peu rentable sur le marché français en raison du faible nombre de patients susceptibles de les acheter sans remboursement. Deuxièmement, ces médicaments pourraient être produits, mais leur absence de remboursement exclurait de fait une partie de la population. Aussi, le non-remboursement n’est-il pas justifié par des données scientifiques qui, sans remettre en cause l'efficacité du produit, indiqueraient que celle-ci ne justifie pas nécessairement une prise en charge par la solidarité nationale ?

Mme Juliette Moisset. Effectivement, bien que l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché européen permette la commercialisation, la prescription et la délivrance d'un médicament aux patients, cela n'implique pas automatiquement son remboursement par l'assurance maladie.

En France, la première étape du processus de remboursement consiste en une évaluation par la HAS, qui évalue et émet un avis sur l'intégration du médicament dans le système de sécurité sociale français. Le non-remboursement peut résulter de plusieurs facteurs. Certains industriels, anticipant les exigences méthodologiques strictes de la HAS, renoncent d'emblée à demander le remboursement. Dans d'autres cas, la HAS peut conclure à un service médical rendu insuffisant et ne pas recommander le remboursement par l’assurance maladie. Des situations plus complexes surviennent lorsque la HAS recommande le remboursement, mais que l'évaluation ne permet pas de trouver un accord tarifaire entre le CEPS et l'industriel, empêchant ainsi le remboursement.

Notre baromètre de l'attractivité, en cours de mise à jour, fournira des données chiffrées sur ces différentes étapes, notamment sur les négociations de prix actuellement bloquées ou n'aboutissant pas depuis longtemps après l'évaluation de la HAS.

Mme Géraldine Bannier (Dem). La pénurie de médecins entraîne parfois l'autodiagnostic et l'automédication. Bien que certaines pratiques, comme la prise régulière de tension ou le suivi du rythme cardiaque, puissent être bénéfiques, l'automédication comporte également des risques. Disposons-nous de données chiffrées sur ces risques et les dérives potentielles liées au manque de médecins pour conseiller les patients ?

M. Pierre Mezeray. Même si notre étude n'a pas spécifiquement abordé la question de l'automédication, des analyses mondiales révèlent que le manque d'accès au diagnostic entraîne des conséquences graves pour les patients, avec plus d'1,1 million de décès annuels attribuables à des diagnostics tardifs ou erronés. Malheureusement, nous ne disposons pas de données aussi détaillées pour la France, notamment concernant l'impact dans les zones de déserts diagnostiques.

Mme Laurence Peyraut. Pour compléter cette réponse, il faut noter que la France élargit le rôle des pharmacies dans l'accompagnement des diagnostics. Nous avons proposé aux autorités de santé de promouvoir un parcours de soins par le biais des pharmacies, qui sont des professionnels de santé, afin de réduire la pression sur les médecins et de pallier les déserts médicaux. Nous encourageons les Français à consulter leurs pharmaciens, ce qui peut constituer une alternative à l'autodiagnostic dans les zones de désert médical, en s'adressant à de véritables professionnels de santé.

M. le président Jean-François Rousset. Vous pouvez, au besoin, compléter nos échanges par écrit avec tout sujet ou toute recommandation que vous jugerez utile.

 

 


–  1  –

19.   Table ronde, ouverte à la presse, sur « le transport médical et les urgences » réunissant : M. Marc Van Driesten, représentant le président de l’Association française des ambulanciers SMUR et hospitaliers (AFASH), le Dr Laurent Maillard, président de la Fédération des observatoires régionaux des urgences (Fedoru) et le Dr Marc Noizet, président de Samu urgences de France

M. le président Jean-François Rousset. Je vous souhaite la bienvenue et vous rappelle que cette séance est retransmise en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale. L’enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Marc Van Driesten, le Dr Laurent Maillard et le Dr Marc Noizet prêtent serment.)

M. Marc Van Driesten, représentant le président de l’Association française des ambulanciers SMUR et hospitaliers (AFASH). Je suis ambulancier en structure mobile d’urgence et de réanimation (Smur) à Marseille et je représente le président qui n'a pu être présent

Dr Laurent Maillard, président des Observatoires régionaux des urgences (FEDORU). Je suis également responsable du Samu et des urgences à Agen et coordonnateur médical de l'observatoire régional des urgences de Nouvelle-Aquitaine.

Notre fédération vise à améliorer la qualité des soins en analysant les informations remontées par nos observatoires. Nous évaluons l'adéquation de l'offre de soins aux évolutions du système de santé et fournissons des données essentielles à nos institutions pour faciliter leur analyse de notre réalité quotidienne.

Dr Marc Noizet, président de Samu urgences de France. Je suis chef de service des urgences du Samu et du Smur à Mulhouse, dans le Haut-Rhin, et président de Samu urgences de France, principale organisation professionnelle et syndicale représentant les urgentistes sur le territoire français.

Depuis 2022, les urgences traversent une période particulièrement difficile, exacerbée par les conséquences de la crise du covid. Elles se retrouvent en première ligne d'un système de santé éprouvé, servant de tampon entre une population en difficulté d'accès aux soins et un système peinant à répondre à ses besoins.

Nous, urgentistes, appelons à une véritable transformation du système de santé, au-delà des réformes déjà engagées. Il est impératif de recentrer les urgences sur leur cœur de métier, en évitant de les solliciter pour des missions qui ne leur incombent pas. Le système et le maillage actuels, mis en place il y a plus de vingt-cinq ans, ne sont plus adaptés aux ressources actuellement disponibles. Nous manquons de 30 à 35 % des praticiens nécessaires au bon fonctionnement de nos services d'urgence. Cette pénurie a entraîné, depuis 2022, des fermetures de services, de Smur ou de ligne, et une dégradation globale de l'offre de soins, démontrant que le système est à bout de souffle. Nous avons besoin d'un véritable changement de paradigme et d'un véritable courage politique pour mettre en œuvre les outils dont nous disposons déjà, en dépassant les protectionnismes territoriaux qui, bien qu'animés de bonnes intentions, ne permettent pas toujours d'offrir la meilleure réponse possible à l'échelle nationale.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Pourriez-vous tout d’abord préciser quelles sont ces missions actuellement assumées par les urgences mais qui, selon vous, ne devraient pas leur incomber ?

Pensez-vous par ailleurs que la suppression du statut d'intérimaire, voire des motifs 2, pourrait contribuer à un fonctionnement plus fluide et moins stressant des       urgences ?

Enfin, ne serait-il pas pertinent d'envisager une régionalisation de la formation médicale et de la première affectation, en imposant aux médecins nouvellement diplômés de rester dans leur région de formation pendant une certaine période ? Cette approche pourrait-elle, à terme, permettre d'adapter les formations aux besoins spécifiques des régions et ainsi pallier les déficits, non seulement dans les urgences, mais également dans d'autres       spécialités ?

Dr Marc Noizet. Bien que les services d'urgence aient été structurés à la suite du rapport Steg de 1993, la spécialité de médecine d'urgence est relativement récente, puisqu’elle a été créée en 2017. Depuis 1995, nous avons construit un système autour de deux axes, qui sont le service rendu à la population et la viabilité financière. Initialement financés à l'activité, les services d'urgence ont progressivement élargi leur champ d'action pour répondre aux besoins tant de la ville que du système hospitalier. Aujourd'hui, nous prenons en charge de nombreux soins non programmés qui ne nécessitent pas nécessairement le plateau technique d'un service d'urgence ni l'expertise d'un urgentiste. Notre spécialité se concentre sur la prise en charge des détresses vitales, mais nous gérons également de nombreuses filières d'hospitalisation qui, il y a trente ans, ne passaient pas par les urgences.

Bien que nous soyons en partie responsables de cette évolution, il est aujourd’hui temps d’assumer la maturité du système et de recentrer chaque acteur sur ses compétences spécifiques. C'est dans cette optique que le service d'accès aux soins (SAS) a été initié, avec l’objectif d'orienter les patients vers la filière de soins la plus adaptée, évitant ainsi qu'ils ne se retrouvent dans un environnement technique ou de spécialité inadapté à leurs besoins. Le SAS vise à optimiser l'orientation des patients, les dirigeant vers l'offre de soins la plus appropriée, plutôt que de laisser le choix au patient qui, naturellement, tend à privilégier les structures les plus équipées, même si ce n'est pas toujours dans son intérêt ou dans celui du système de santé.

Concernant l'hospitalisation, la Cour des comptes préconise d'éviter le passage par les urgences pour les patients âgés, sauf en cas de détresse avérée. Cette recommandation se fonde sur des données statistiques probantes, puisque les services d'urgence s'avèrent être l'environnement le moins adapté pour cette catégorie de patients. Les personnes âgées y connaissent les séjours les plus longs et rencontrent davantage de difficultés à obtenir un lit d'hospitalisation. Une étude scientifique récente, menée dans 92 services d'urgence, a mis en évidence un risque accru de mortalité de 46 % pour les patients âgés contraints de passer une nuit sur un brancard. Le passage par les urgences représente donc une réelle perte de chances pour ces patients.

Paradoxalement, le fait que les urgences constituent aujourd'hui la principale, voire l'unique, voie d'admission hospitalière pour les personnes âgées dans certains établissements révèle un détournement flagrant de la mission première des services d'urgence. Nous devrions nous recentrer sur nos cœurs de métier, qui sont l'accueil des patients nécessitant une évaluation rapide de la gravité de leur état de santé, la réalisation des examens indispensables et leur orientation vers le service de soins approprié. Bien entendu, nous devons également assurer les gestes d'urgence vitale lorsque la situation l'exige.

Ces exemples illustrent la nécessité impérieuse de réorganiser nos filières de prise en charge. Même si le SAS constitue une piste intéressante, l'hôpital doit également repenser en profondeur son mode de fonctionnement. La problématique de l'aval des urgences reste également un enjeu majeur à adresser.

Dr Laurent Maillard. Je précise que nous parlons désormais de filières pour les personnes âgées, et non plus simplement de gériatrie, afin d’impliquer l'ensemble des spécialités d'un établissement dans la prise en charge de ces patients. Une segmentation excessive risquerait de concentrer la responsabilité sur un nombre restreint de professionnels, compliquant ainsi les hospitalisations ultérieures.

Nous observons une évolution sociétale marquée concernant les personnes âgées, caractérisée par une précarisation et un isolement croissants. La Fedoru a constaté, malgré les différents dispositifs mis en place, une augmentation significative des passages aux urgences des patients de plus de soixante-quinze ans. Force est de constater que l'organisation actuelle de nos établissements de santé ne répond pas adéquatement à cette problématique.

Deux facteurs principaux expliquent cette inadéquation. Premièrement, l'hôpital s'est orienté vers l'hyperspécialisation, ce qui conduit parfois au refus de patients polypathologiques. Deuxièmement, il existe un manque de dispositifs adaptés pour la prise en charge des problématiques médicosociales de ces patients. Il devient évident que l'hôpital n'est pas toujours la réponse la plus appropriée pour les personnes âgées en perte d'autonomie.

Une réflexion approfondie sur la prise en charge médicosociale au sein de nos établissements s'impose. Dans cette optique, le concept de Samu-SAS offre des perspectives intéressantes en développant une filiarisation en amont des structures d'urgence, permettant une évaluation optimale des patients dès la phase préhospitalière. L'objectif est de les orienter vers des filières spécifiques à leur pathologie, en envisageant éventuellement la création d'espaces tampons, au sein ou en dehors des établissements, dans l'attente d'une orientation définitive.

Il devient par ailleurs impératif, face à l'élargissement constant des missions de nos services d'urgence, de mettre en place une régulation efficace des admissions. Cette approche, déjà expérimentée avec succès dans plusieurs établissements, permet non seulement un filtrage pertinent des patients nécessitant réellement une prise en charge urgente, mais offre également des solutions adaptées aux personnes désorientées dans notre organisation actuelle.

Il est donc, en parallèle, nécessaire d'améliorer la compréhension du fonctionnement de notre système de santé par la population, car la complexité croissante de notre organisation engendre une confusion grandissante chez les usagers. Des efforts significatifs en matière de communication et d'organisation sont nécessaires, de même qu'une meilleure anticipation de l'évolution de nos établissements par rapport à l'hyperspécialisation.

Dr Marc Noizet. Lorsque nous parlons de régulation d'accès, notre objectif n'est en aucun cas d'entraver l'accès aux soins des patients, mais plutôt de les orienter vers les structures de soins les plus adaptées à leurs besoins spécifiques. Cette approche vise à construire un système qui accompagne véritablement le patient, avec potentiellement des vertus pédagogiques. Elle pourrait ainsi contribuer à réduire le nomadisme médical observé chez certains patients, notamment dans les zones où l'accès à un médecin traitant ou à un suivi des maladies chroniques est devenu problématique. Le système que nous envisageons a pour but de réintégrer ces patients dans un parcours de soins cohérent et adapté à leurs besoins.

Concernant la problématique de l'intérim et des contrats de motif 2, la question de la rémunération à l'hôpital public reste indéniablement un sujet de préoccupation constant. L'application de la loi Rist par François Braun en 2023 a considérablement perturbé l'écosystème de l'emploi à l'hôpital public. En effet, de nombreux services fonctionnaient auparavant avec des médecins remplaçants ou intérimaires, dont les rémunérations n'étaient pas encadrées et pouvaient atteindre des niveaux très élevés, même si cela ne concernait pas la majorité des praticiens. La suppression du système d'intérim médical a engendré des difficultés significatives pour de nombreux établissements de santé, mettant en lumière notre incapacité à attirer et retenir les médecins dans le secteur public, que ce soit par des conditions de travail attractives ou des rémunérations compétitives.

Nous devons nous attaquer à ces problèmes fondamentaux plutôt que de stigmatiser les médecins remplaçants, dont le rôle reste essentiel dans certaines situations, notamment dans les zones à forte affluence saisonnière ou pour pallier les absences imprévues. La solution des praticiens contractuels, bien que mieux rémunérés que les praticiens hospitaliers titulaires, présente ses limites avec une durée maximale et non renouvelable de six ans. Cette approche risque de créer une nouvelle crise en 2029, lorsque de nombreux établissements verront ces contrats arriver simultanément à échéance.

Le cœur du problème réside dans la rémunération des praticiens du service public. L’exemple frappant qui illustre cette problématique est celui du temps de travail additionnel des urgentistes, au-delà des quarante-huit heures hebdomadaires conventionnelles, qui est moins bien rémunéré que le taux horaire du premier échelon des praticiens hospitaliers. Cette situation est aberrante et démotivante. Comment peut-on inciter les médecins à effectuer des heures supplémentaires pour assurer le fonctionnement de leur service, alors qu'ils sont moins payés pour ce temps additionnel que pour leurs heures normales ?

Il est donc impératif de repenser en profondeur la valorisation et l'attractivité du travail médical dans le service public. La question n'est pas tant de débattre sur la pertinence de l'intérim médical, dont une certaine forme reste nécessaire, mais plutôt de réformer fondamentalement le système de rémunération des médecins dans le secteur public pour le rendre plus juste et plus attractif.

Dr Laurent Maillard. La problématique de l'intérim médical soulève la question essentielle de la répartition des médecins sur le territoire, particulièrement dans les services d'urgence. Nous constatons une hétérogénéité alarmante dans cette distribution, avec certaines zones qui se trouvent complètement démunies.

Notre approche actuelle d’évaluation de la situation des services d'urgence doit évoluer. Plutôt que de nous focaliser uniquement sur les fermetures de services, nous devrions analyser leur dégradation progressive en termes d'effectifs par rapport aux besoins théoriques. Un service ouvert mais sous-doté en personnel médical peut entraîner des conséquences tout aussi graves à moyen terme qu'une fermeture complète.

Le recours à l'intérim révèle une autre problématique, qui est celle de la dépendance de nos structures à un nombre restreint de médecins investis localement. Les médecins intérimaires, par définition, n'ont pas vocation à s'impliquer durablement dans l'établissement, ce qui fragilise l'organisation et la continuité des soins.

Un autre aspect à considérer concerne les responsables de service. Ces praticiens, qui s'investissent davantage dans le fonctionnement global de l'établissement et effectuent moins de gardes, se retrouvent paradoxalement moins bien rémunérés que leurs collègues. Cette situation mérite une réflexion approfondie pour valoriser justement leur engagement.

Il est enfin nécessaire de reconnaître la spécificité des services d'urgence au sein de nos établissements. Avec des équipes importantes et un rôle essentiel d'interface entre la ville et l'hôpital, ces services nécessitent une attention particulière dans l'organisation et la gestion des ressources humaines.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Au-delà de l'augmentation de la rémunération des urgentistes, comment pouvons-nous concrètement mettre en œuvre les suggestions évoquées ?

Concernant la médecine de ville et la réorientation des patients, il semble que l'objectif soit de responsabiliser davantage les médecins libéraux grâce aux SAS pour réduire l'afflux direct aux urgences et orienter de façon pertinente les patients en amont. Comment structurer efficacement ce lien entre médecine de ville et hôpital ?

Quant à la prise en charge des personnes âgées, nous devons définir clairement les critères d'orientation. Qu'entendons-nous exactement par « personne âgée » ? À partir de quel âge applique-t-on ce critère ? Si nous décidons de ne plus les orienter systématiquement vers les urgences, vers quels services spécifiques les diriger ? Ne risquons-nous pas de créer une discrimination basée sur l'âge plutôt que sur la pathologie ?

La régulation des entrées aux urgences fait consensus, mais sa mise en œuvre concrète reste à définir. Quelles sont vos propositions précises pour réaliser cette régulation efficacement ?

Enfin, concernant l'intérim médical et les contrats de praticiens contractuels, j'estime la réponse apportée insuffisante. Certes, la revalorisation des praticiens hospitaliers est nécessaire, mais elle ne peut à elle seule résoudre le problème, et aligner la rémunération des praticiens hospitaliers sur celle des intérimaires ou des contractuels serait financièrement insoutenable pour les hôpitaux. Aussi, si nous supprimions le statut d'intérimaire et les contrats de praticiens contractuels, que deviendraient ces médecins ? Se tourneraient-ils vers le secteur privé, renforçant ainsi l'argument en faveur d'une permanence des soins assurée par les établissements privés, ou opteraient-ils pour d'autres voies ? Il est essentiel de comprendre les conséquences potentielles de tels changements sur l'offre de soins globale.

Dr Laurent Maillard. Nous constatons actuellement des départs de plus en plus précoces des praticiens des services d’urgence. S’il était, auparavant, courant de voir des médecins urgentistes poursuivre leur carrière jusqu'à la retraite dans ces structures, cette réalité n'existe plus aujourd'hui. Les jeunes praticiens optent désormais majoritairement pour des temps partiels, ce qui témoigne d'une évolution significative des pratiques professionnelles.

Concernant la question de la rémunération, certains praticiens ont trouvé des alternatives en dehors des services d'urgence traditionnels, où ils peuvent continuer à exercer dans le domaine des soins non programmés. Ces opportunités existent car ils ne parviennent plus à exercer leur activité de manière satisfaisante au sein des établissements hospitaliers. La pénibilité du travail, avec des conséquences tant sur le plan personnel que professionnel, est indéniable et impacte fortement leur qualité de vie. Une préoccupation récurrente concerne donc la possibilité de vieillir dans ces structures d'urgence, compte tenu des conditions de travail actuelles.

Dr Marc Noizet. Je ne préconise pas d'aligner la rémunération des praticiens hospitaliers sur celle des intérimaires, car une telle mesure serait financièrement insoutenable pour notre système de santé. Néanmoins, si nous souhaitons disposer de médecins du service public accomplissant leurs missions avec excellence, il est impératif de les rémunérer de manière adéquate.

Concernant la grille salariale actuelle, je la considère comme globalement satisfaisante. Les médecins hospitaliers ne peuvent pas affirmer être mal rémunérés, bien que l'on puisse toujours aspirer à une meilleure rétribution. Cependant, le véritable problème réside dans la rémunération du temps de travail additionnel. Il est inacceptable qu'un praticien expérimenté soit rémunéré pour ces heures supplémentaires à un taux inférieur à celui du premier échelon. Cette situation est unique dans notre société et n'est tolérée que par nécessité de maintenir le fonctionnement de nos structures de soins.

Face à cette problématique, certains établissements ont pris l'initiative de contourner les règles en doublant ou triplant les indemnités de temps additionnel. Cette pratique, bien qu'irrégulière, vise à préserver l'attractivité des postes qui, j’en suis convaincu, passe essentiellement par une juste rémunération, particulièrement pour le temps additionnel qui cristallise actuellement les tensions.

Un autre aspect essentiel est la reconnaissance de la pénibilité spécifique au métier d'urgentiste. Nous sommes les seuls professionnels de santé à travailler plus de nuits et de week-ends que de jours ouvrables. Dans un service d'urgence, l'activité nocturne est désormais quasiment équivalente à celle de la journée, nécessitant un effectif constant. Ainsi, environ 60 % de notre temps de travail s'effectue de nuit et les week-ends. Les études scientifiques démontrent clairement que ce rythme de travail à contre-courant impacte négativement l'espérance de vie. Cette pénibilité particulière doit être reconnue, comme pour d'autres professions bénéficiant soit d'un départ en retraite anticipé soit d'une majoration de l'abondement retraite. Compte tenu de la pénurie actuelle de médecins, il serait plus judicieux d'opter pour un abondement plus généreux de la retraite plutôt que pour des départs anticipés. Cette mesure serait particulièrement pertinente pour les médecins travaillant majoritairement de nuit et les week-ends, dans un contexte sociétal où le travail en horaires atypiques est de moins en moins prisé.

Ces enjeux d'attractivité sont cruciaux pour les nouvelles générations de praticiens, car les jeunes médecins aspirent aujourd'hui à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Les carrières aux urgences telles que nous les avons connues, caractérisées par un volume horaire important, ne correspondent plus à leurs attentes.

Parallèlement à ces considérations, il est essentiel d'améliorer la qualité de l'exercice professionnel dans nos services. Nos structures font face à de réelles difficultés, notamment en termes de fluidité des parcours patients, en raison d'une organisation hospitalière parfois inadaptée. Ces dysfonctionnements contribuent à l'épuisement rapide des urgentistes, les poussant à se réorienter professionnellement après une dizaine d'années d'exercice.

Notre objectif n'est pas de mettre les établissements en difficulté ni de revendiquer des rémunérations exorbitantes. Nous ne cherchons pas à nous aligner sur les niveaux de rémunération du secteur privé ou de certains pays voisins. Notre demande porte sur une juste revalorisation de la pénibilité de notre métier, particulièrement lorsqu'il nous est demandé d'effectuer des heures supplémentaires.

Dr Laurent Maillard. Concernant la régulation des services d'urgence, je souhaite partager l'expérience de mon département, où nous avons mis en place depuis trois ans une régulation permanente de l'ensemble des services d'urgence, publics et privés, de dix-huit heures à huit heures du matin. Ce créneau horaire a été choisi pour optimiser la coordination avec les médecins libéraux.

Avant d'implémenter ce système, nous nous sommes assurés que le Samu avait la capacité d'assurer cette régulation, que la plateforme du SAS était opérationnelle, et que les médecins libéraux étaient prêts à collaborer. Ce dispositif fonctionne remarquablement bien, avec une diminution significative du nombre de passages aux urgences ne relevant pas de la médecine d'urgence en soirée. Des solutions alternatives sont proposées à l'ensemble des patients, avec un taux d'acceptation très élevé et des évaluations de satisfaction qui démontrent une appréciation positive du service. Cela souligne que de nombreux patients qui se présentaient auparavant aux urgences étaient en réalité désorientés dans notre système de santé et bénéficient désormais d'une meilleure prise en charge.

D'autres territoires ont étendu cette régulation à une couverture 24 heures sur 24.

Notre expérience nous a permis d'identifier les facteurs clés de réussite d'un tel dispositif, qui doit impérativement être pensé et mis en œuvre à l'échelle d'un territoire entier. La communication auprès de la population et des élus locaux est essentielle, nécessitant un message cohérent et unifié de la part de tous les acteurs impliqués.

Une fois ces organisations mises en place et comprises par tous, elles s'intègrent naturellement dans le fonctionnement quotidien de nos services de santé. Nous avons observé que, lorsque la régulation était limitée à un seul établissement, son impact restait limité. En revanche, l'extension du dispositif à l'ensemble du territoire a entraîné, après quelques mois, une diminution significative des appels au niveau de la régulation. Cette baisse s'explique probablement par une meilleure compréhension du fonctionnement du système Samu-SAS par la population, qui privilégie désormais les appels depuis leur domicile plutôt que de se rendre directement aux urgences.

Le Samu-SAS joue aujourd'hui un rôle essentiel de tour de contrôle de notre système de santé, avec les moyens dont nous disposons. C'est un lieu où nous pouvons accomplir de nombreuses tâches, notamment des démarches de repérage, déjà initiées par plusieurs établissements. À titre d’exemple, nous rappelons les patients chuteurs, identifions leurs besoins et évaluons la possibilité de les orienter vers une filière appropriée sans passer par les structures d'urgence. Ces processus se mettent progressivement en place.

Il manque sans doute une coordination plus étroite avec la médecine libérale. Bien que nos principaux interlocuteurs soient aujourd’hui les médecins libéraux, nous devons également impliquer les professionnels paramédicaux pour être en mesure d'organiser le maintien à domicile en attendant de pouvoir intégrer les patients dans les filières adéquates.

Concernant les personnes âgées, j'ai précédemment affirmé qu'il ne fallait pas se limiter à la gériatrie. En effet, lorsque nous parlons de personnes âgées, nous incluons des individus de soixante-cinq ans qui peuvent présenter des troubles cognitifs, des problèmes psychiatriques ou des difficultés d'autonomie, et pas nécessairement des patients de plus de soixante-quinze ans. Dans nos services, nous sommes constamment confrontés à ce type de discussions. Un patient de soixante-quatorze ans et demi n'est pas considéré comme relevant de la gériatrie alors que, s'il a soixante-quinze ans et présente le même problème, il entre soudainement dans cette catégorie. Je le répète, si nous nous cantonnons à une dichotomie entre gériatrie et urgences, nous ne répondrons pas efficacement au problème. Or c’est précisément ce qui se passe actuellement dans les services d'urgence. En l'absence de solution adaptée, les patients sont systématiquement orientés vers les urgences, ou dirigés vers la gériatrie s’ils ont plus de soixante-quinze ans. Il s'agit là d'un problème institutionnel qui concerne l'ensemble du système de santé, et chaque acteur doit réfléchir à la manière dont il peut contribuer à sa résolution.

Les solutions peuvent prendre diverses formes telles que des hospitalisations directes, des consultations programmées ou encore un ensemble de propositions mises à la disposition des Samu-SAS ou des services d'urgence pour permettre une réorientation ultérieure. Nous avons récemment discuté d'une approche innovante adoptée par certains services d'urgence, qui développent un concept davantage médicosocial consistant à gérer le problème aigu et la problématique sociale, puis à permettre au patient de retourner à son domicile, avant d’organiser sa prise en charge vers la filière la plus adaptée.

Nous devons repenser nos modèles sans pour autant retomber dans la logique de silos qui constitue trop souvent notre écueil. Aujourd'hui, la gériatrie concerne l'ensemble du système de santé. En ce qui concerne le préhospitalier, nous avons effectivement d'importants progrès à réaliser dans nos organisations avec la médecine libérale.

Dr Marc Noizet. Notre objectif n'est pas d'opposer les systèmes. Vous évoquiez les liens entre la ville et l'hôpital, entre la médecine libérale et la médecine hospitalière, mais je pense que le véritable enjeu se situe ailleurs. Dans la mesure où la demande de soins dépasse aujourd’hui largement ce que notre système de santé est en mesure d'offrir, il est impératif de répartir cette charge de manière équitable, tant pour les patients que pour les professionnels de santé. L'attractivité est un défi commun à l'hôpital et à la médecine de ville, particulièrement auprès des jeunes praticiens. Nous devons réfléchir collectivement pour apporter des solutions à l'échelle du système tout entier.

C'est pourquoi nous affirmons que les patients relevant des soins non programmés, qui n'ont pas réellement besoin de passer par un service d'urgence, doivent trouver leur place en ville, au sein de la médecine libérale. Dans mon département, j'ai coutume de dire que si chaque médecin libéral consacrait ne serait-ce qu'un créneau par semaine aux consultations non programmées, nous disposerions de 600 créneaux hebdomadaires. Cela suffirait amplement à répondre aux besoins de répartition des patients orientés par la régulation du Samu-SAS. Il apparaît clairement que le problème n'est pas tant quantitatif qu'organisationnel.

Les soins non programmés ne devraient plus être pris en charge à l'hôpital car, lorsqu'un patient se présente aux urgences pour une pathologie donnée, le coût est quatre à huit fois supérieur à celui d'une consultation en cabinet libéral. Cela s'explique par notre obligation de moyens, souvent source de reproches, car l'accès systématique à la biologie et à l'imagerie entraîne inévitablement un nombre d'actes plus élevé. De plus, le coût d'un service d'urgence inclut une masse salariale et des frais de structure différents de ceux d'un cabinet. Dans le contexte actuel de tensions financières, il est essentiel de rationaliser l'utilisation de l'offre de soins. Le SAS a précisément ce rôle à jouer.

Pour conclure, j'insiste sur la nécessité de développer des centres de soins primaires ou de proximité. J'évite délibérément l'expression « centres de soins non programmés » en raison de la multiplicité des structures existantes aux philosophies de fonctionnement diverses. Quoi qu'il en soit, nous avons besoin de centres dotés de ressources d'imagerie simples et d'un accès direct à la biologie pour assurer des soins de proximité. Je le répète, il ne s'agit pas de médecine d'urgence. Ces structures peuvent aisément mailler le territoire, comblant les lacunes actuelles en termes d'accès aux soins pour la population.

Les jeunes praticiens s'épanouissent dans ce type d'exercice, qui leur offre une alternative stimulante à leur pratique quotidienne en cabinet de médecine générale. Ils retrouvent un travail en équipe, bénéficient d'un plateau technique et ont la possibilité de réaliser des actes qu'ils ne peuvent pas toujours effectuer dans leur cabinet. Je reste convaincu que cette approche permet de répondre aux besoins de la population tout en évitant la multiplication de services d'urgence de faible activité, qui mobilisent souvent beaucoup de ressources pour peu de résultats. Cette organisation permettrait également un meilleur maillage territorial.

Il ne s'agit pas d'opposer la ville à l'hôpital, mais de répartir différemment l’activité afin que chacun puisse se concentrer sur son cœur de métier, y compris pendant les horaires de permanence des soins.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Permettez-moi de rappeler que le sous-objectif de l'objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) concernant les établissements hospitaliers s'élève à 105 milliards d'euros. Aussi, sommes-nous réellement confrontés à un problème de moyens ou plutôt à un enjeu de répartition de ces moyens ?

Je regrette que nous n'ayons abordé qu'une partie de la problématique, malgré les questions soulevées sur le sujet de la revalorisation des praticiens hospitaliers. Certes, nous sommes tous d'accord sur la nécessité de revaloriser les heures supplémentaires. Il existe effectivement une cohérence avec ce qui peut être observé dans le secteur hospitalier privé, notamment concernant la majoration des heures supplémentaires. Je trouve cependant regrettable que nous ayons occulté la problématique qui, sur le terrain, est au cœur des préoccupations des praticiens hospitaliers, qui est la profonde injustice ressentie dans le traitement par rapport aux contractuels motifs 2 et aux intérimaires.

Il est temps de réfléchir, à budget constant, à une solution qui permettrait de remédier à cette situation. Il est certes nécessaire d'agir en faveur des praticiens hospitaliers, mais il faudrait également se pencher sur la question de l'intérim et des contrats motifs 2, dont les conditions sont perçues comme injustes au regard de l'investissement quotidien des praticiens.

Monsieur Van Driesten, la formation des ambulanciers vous paraît-elle adéquate, notamment pour intervenir en contexte d'urgence ? Selon vous, dans quelle mesure faudrait-il renforcer la coordination entre les ambulanciers, la médecine de ville et la médecine d'urgence dans la gestion des soins ?

M. Marc Van Driesten. La formation actuelle des ambulanciers est, à mon sens, totalement inadaptée face à l'évolution des urgences auxquelles nous sommes confrontés. Il existe une disparité flagrante entre le secteur privé et le milieu hospitalier. Dans le privé, une fois le diplôme obtenu, la formation continue est quasiment inexistante. Certains modules, notamment ceux concernant l'évaluation de l'état clinique, que je juge essentiels, devraient être considérablement renforcés. Nous constatons encore trop d'erreurs sur le terrain, non par incompétence, mais en raison de ce manque de formation. Le contenu actuel, qui est inadapté, insuffisant, et ne répond pas aux exigences du terrain, doit être revu en profondeur.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pouvez-vous préciser la différence entre la formation dispensée dans les établissements privés et celle des établissements publics ?

M. Marc Van Driesten. En tant qu'ambulancier au Smur, je peux affirmer que notre formation et notre activité diffèrent radicalement de celles du secteur privé. Bien que le terme ne soit pas officiellement reconnu, nous sommes de fait des urgentistes, spécialisés dans la prise en charge des urgences vitales. Notre formation au sein du Smur est nettement plus poussée et diversifiée que celle du privé, qui n'a aucune obligation de suivre ces formations complémentaires.

Il existe également une différence statutaire majeure, puisque nous sommes fonctionnaires, contrairement aux ambulanciers du privé, ce qui implique des grilles salariales distinctes. Je tiens à préciser que mon propos n'est nullement irrespectueux envers les collègues du privé, mais vise à clarifier les contextes d'exercice très différents, car notre travail s'effectue en étroite collaboration avec des infirmiers et des médecins. Notre champ d'action dans le domaine paramédical s'est récemment élargi avec l'introduction des transferts interhospitaliers paramédicalisés (T2IH) et des unités mobiles hospitalières paramédicalisées (UMHP). Ces dernières, bien qu’encadrées par des protocoles stricts, nous amènent à effectuer des missions sans médecin, ce qui représente une évolution significative de notre rôle.

Je peux personnellement témoigner de la différence de formation considérable entre le privé et le public. Après avoir obtenu mon diplôme d'État d'ambulancier (DEA) il y a plus de cinq ans, j'ai réalisé lors de ma première intervention dans le privé que ma formation initiale était largement insuffisante pour faire face aux réalités du terrain. Ce n'est pas une question de qualité de formation, mais plutôt de son inadéquation avec les exigences pratiques du métier.

Notre problématique principale reste la reconnaissance de notre statut car, malgré l'évolution de nos compétences et de nos responsabilités, nous sommes confrontés à un refus de revalorisation équitable de notre profession.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Si je comprends bien, la formation des ambulanciers du Smur est adéquate, mais celle du secteur privé présenterait d’importantes lacunes ?

M. Marc Van Driesten. En réalité, la formation initiale est inadaptée pour tous les ambulanciers, qu'ils se destinent au Smur ou au privé. Cette inadéquation est particulièrement problématique dans certaines régions où les ambulanciers privés sont fréquemment sollicités pour l'aide médicale urgente, notamment dans les zones où les pompiers ne peuvent intervenir rapidement. Ces ambulanciers peuvent être amenés à effectuer des interventions de prompt secours en tant que premiers intervenants.

La formation initiale doit être renforcée afin que tous les ambulanciers, quel que soit leur futur cadre d'exercice, soient véritablement préparés aux situations d'urgence qu'ils pourraient rencontrer. La différence majeure réside dans les formations complémentaires spécialisées que nous, ambulanciers Smur, suivons par la suite, telles que le PHTLS pour la gestion des polytraumatisés, ouvert également aux infirmiers et médecins, ou encore le TEC, une formation initialement militaire adaptée aux civils pour la médecine de catastrophe. Malgré ces compétences accrues, notre statut reste inadapté. En 2023, nous avons été officiellement reconnus comme soignants, mais sans aucune revalorisation salariale significative. Nous restons classés en catégorie C sédentaire, ce qui est en contradiction flagrante avec la réalité de notre métier, qui est tout sauf sédentaire, et avec le décret de 2011 sur les catégories actives, qui concerne les emplois exposant les agents publics à des fatigues exceptionnelles ou des risques particuliers.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Compte tenu de l'évolution significative du métier d'ambulancier Smur, la formation initiale de dix-huit semaines ne vous semble-t-elle pas être devenue largement insuffisante ? Ne faudrait-il pas envisager une professionnalisation accrue de la formation, peut-être en l'allongeant et en l'enrichissant, afin de répondre aux exigences actuelles du métier ?  Ne serait-il pas pertinent d'aligner la durée et le contenu de votre formation sur ces nouveaux besoins, en incluant par exemple une partie en alternance, combinant théorie et pratique sur le terrain ? Cette approche pourrait-elle répondre aux nouvelles missions qui vous sont confiées, notamment en raison du manque d'urgentistes ?

M. Marc Van Driesten. Le DEA a été récemment revalorisé, passant à six mois de formation avec l'intégration de nouvelles techniques. Nous sommes désormais formés à l'aspiration endotrachéale ou encore aux électrocardiogrammes, des actes que nous pratiquons quotidiennement en Smur. En intervention, nous travaillons fréquemment en trinôme ou en binôme avec l'infirmier et sommes constamment actifs.

Pour intégrer un Smur, la formation d'adaptation à l'emploi (FAE) spécifique est obligatoire. Elle dure cinq semaines, ce qui porte la formation totale à environ sept mois. Une fois en poste, nous suivons des formations complémentaires, notamment l'attestation de formation aux gestes et soins d'urgence pour les situations sanitaires exceptionnelles (AFGSU SSE), particulièrement pertinente dans le contexte actuel de risque terroriste accru. L'attentat de Nice a malheureusement mis en lumière notre manque de préparation face à ce type de catastrophe.

Il serait toutefois complexe d'exiger ces formations spécifiques au Smur pour les ambulanciers privés, qui n'exercent pas en équipe médicale. Nous pourrions cependant envisager d'adapter certaines formations propres au Smur et au prompt secours pour les intégrer au cursus de base, car toute formation supplémentaire visant à améliorer la prise en charge des patients est bénéfique. Actuellement, la formation diplômante d'État d'ambulancier est la plus courte parmi les professions de santé.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous proposez donc que tous les ambulanciers reçoivent une formation minimale de type Smur. Vos arguments portent sur le fait que certaines formations ne sont dispensées qu'une fois en poste, ce qui signifie qu'un ambulancier pourrait potentiellement intervenir sans avoir reçu toutes les formations nécessaires. Vous suggérez donc d'intégrer ces formations en amont, dans la formation initiale, éventuellement sous forme de spécialité Smur optionnelle. Cela garantirait que les ambulanciers soient pleinement formés dès leur prise de poste au Smur, évitant ainsi le risque d'intervenir sur des cas nécessitant des compétences non encore acquises.

M. Marc Van Driesten. Votre suggestion est tout à fait pertinente. Les formations que j'ai mentionnées étant spécifiquement conçues pour les interventions médicales, elles devraient effectivement être adaptées pour intégrer la formation initiale. Toutefois, tous les ambulanciers ne feront pas du prompt secours car certaines sociétés privées se concentrent uniquement sur des rendez-vous programmés et des hospitalisations planifiées, sans jamais intervenir dans l'urgence.

Néanmoins, adapter la formation est nécessaire car un incident peut toujours arriver et nous avons malheureusement trop souvent vu des ambulanciers du privé mis en cause par manque de formation. Intégrer la FAE Smur dans la formation initiale pourrait donc être une bonne idée, car elle couvre les aspects de l'urgence et permettrait à ceux qui envisagent cette carrière de disposer d’une base solide.

Cependant, l'expérience sur le terrain reste essentielle, et le travail en Smur est probablement la profession qui confronte le plus à des situations difficiles. Nous sommes les premiers sur les lieux, devant gérer non seulement les patients mais également les familles dans des circonstances souvent traumatisantes.

Mme Géraldine Bannier (Dem). En tant que députée de la Mayenne, je peux témoigner de la complexité de l'organisation des services d'urgence et de la régulation dans notre département. Malgré de nombreuses réunions visant à assurer une couverture quotidienne des services d'urgence et du Smur, nous nous retrouvons en avril avec deux jours de fermeture des urgences et trois périodes de douze heures sans Smur. Cette situation est aggravée par des interventions tardives signalées par le centre hospitalier universitaire (CHU) d’Angers, dues à l’obligation d'envoyer des patients dans les départements voisins.

Selon vous, ne faudrait-il pas réformer le pilotage et la gouvernance lorsque le système dysfonctionne, afin de permettre une prise de décision efficace et la mise en place d'un calendrier opérationnel ? Par ailleurs, comment surmonter le problème récurrent de la pénurie de professionnels ?

La situation s'est encore détériorée avec la démission de cinq médecins sur quarante par suite de la mise en place de la régulation, nous laissant face à une situation extrêmement tendue. Les médecins libéraux, bien qu'engagés dans la permanence des soins, menacent de se retirer si la situation s'aggrave. De plus, nous constatons des pratiques différentes selon les hôpitaux, certains médecins acceptant de quitter leurs services pour travailler aux urgences, d'autres non, ce qui engendre des difficultés supplémentaires. Cette situation complexe affecte à la fois les patients et les soignants, mettant une pression considérable sur l'ensemble du système de santé local.

Dr Marc Noizet. L'investissement de Samu Urgences de France dans votre département a été considérable. Nous y avons consacré six mois, travaillant étroitement avec les communautés hospitalières, les urgentistes, les élus et les patients pour améliorer la situation. Cette expérience illustre parfaitement la problématique du courage politique que j'évoquais précédemment. Votre département incarne les difficultés d'un petit territoire rural confronté à une démographie médicale en souffrance, tant à l'hôpital qu'en ville, où l’on s'efforce de maintenir une offre de soins inchangée sur l'ensemble du territoire malgré les obstacles.

Les communautés médicales, qui souhaitent perpétuer leurs pratiques antérieures, représentent bien souvent le premier frein au changement. Les questions de rémunération représentent un autre obstacle majeur. À mon sens, les contrats motif 2 doivent effectivement être supprimés, car ils engendrent une concurrence déloyale au sein du système public. Il est néanmoins essentiel de conserver des remplaçants avec une rémunération encadrée, car nous avons toujours besoin de remplaçants.

Concernant la Mayenne, nous faisons face à trois principaux obstacles, qui sont le monde hospitalier lui-même, la population qui défend le maintien d'une offre de soins identique dans les trois secteurs du département, et le monde politique, particulièrement influent dans votre département, composé de personnalités ayant mené des carrières brillantes et dont l'autorité est reconnue. Ces acteurs s'opposent à toute réforme du système de santé sur le territoire.

Au niveau national, la France compte environ 700 services d'urgence, que nous ne sommes plus aujourd’hui en mesure de maintenir dans leur intégralité. Or si chacun refuse le changement, nous resterons dans l'impasse. Depuis la modification du décret relatif aux autorisations de médecine d’urgence, intervenue le 29 décembre 2023, les établissements peuvent désormais créer des antennes de médecine d’urgence. Cette disposition permet, par exemple, de fermer un service durant la nuit lorsque l’activité y est très faible, ce qui libère des ressources humaines précieuses pour d’autres besoins du territoire.

Pourtant, force est de constater que cette possibilité reste très peu utilisée. L’analyse conduite auprès des agences régionales de santé (ARS) montre que rares sont les territoires à avoir engagé cette réorganisation, alors même que de nombreux services affichent une fréquentation nocturne extrêmement limitée. Deux raisons principales expliquent cette situation. D'une part, les médecins apprécient le confort d'un service fonctionnant en continu, même avec une activité nocturne réduite, tout en bénéficiant d'une rémunération identique à celle de services plus sollicités. D'autre part, la population et les élus s'opposent fermement à toute modification de leur service d'urgence, invoquant des motifs de sécurité.

Il est impossible de maintenir le maillage territorial tel qu'il a été conçu il y a vingt ou vingt-cinq ans et nous devons désormais faire preuve de courage politique pour transformer notre système de santé et rationaliser l'accès aux soins. Cela implique la création de centres de soins de proximité répondant à 80 % des besoins actuellement traités par les services d'urgence. L'urgence vitale, quant à elle, reste assurée par le Smur, capable d'intervenir rapidement sur l'ensemble du territoire.

Cette approche reste malheureusement difficile à faire accepter, tant par la population que par les élus locaux. J’ai personnellement rencontré des maires et des députés résolument opposés à toute évolution de leur hôpital, y compris lorsque l’établissement présente une activité très faible. Nous portons pourtant une responsabilité collective face à cette transformation devenue indispensable. Si nous souhaitons éviter de reproduire les fermetures aléatoires de services observées au cours des derniers étés, parfois dans des départements particulièrement sollicités comme le Var, nous devons imaginer ensemble des solutions lucides et courageuses.

Je reste convaincu que l'approche que nous avons adoptée en Mayenne, si elle est poursuivie et approfondie par les professionnels, les établissements de santé et les élus, permettra de repartir sur des bases saines et stables, redonnant ainsi de l'attractivité au territoire. Car lorsqu'un territoire est en grande difficulté, il n'attire plus personne.

Dr Laurent Maillard. L'égalité d'accès aux soins doit impérativement être maintenue. Aujourd’hui, nous ne sommes même pas certains de pouvoir conserver 600 services sur les 700 actuellement recensés. Si nous devons nous limiter à 600 services, est-il juste que seuls les territoires ruraux en fassent les frais, ou tous les territoires doivent-ils contribuer à l'effort ? Cette réflexion est essentielle. Certains territoires sont convaincus d’être suffisamment attractifs et dotés pour ne pas être concernés par le risque de fermeture, mais des situations telles que celle du Var montrent que nous risquons de créer des déséquilibres majeurs au niveau régional. Nous devons adopter une vision globale et considérer que chacun doit contribuer équitablement aux efforts nécessaires dans nos régions.

M. le président Jean-François Rousset. Nous traversons effectivement une période de profonde mutation, tant sur le plan professionnel, les praticiens aspirant à de nouvelles méthodes de travail, que sur le plan organisationnel, les structures actuelles n'étant pas toujours efficientes.

Vous pouvez, au besoin, compléter nos échanges par écrit avec tout sujet ou toute recommandation que vous jugerez utile.

 

 

 


–  1  –

20.   Table ronde, ouverte à la presse, en présentiel et visioconférence, sur « les perspectives internationales de l’organisation du système de soins » réunissant : M. Francis Bouyer, conseiller aux affaires sociales de l’ambassade de France en Allemagne et M. Xavier Schmitt, conseiller aux affaires sociales de l’ambassade de France en Suède

M. le président Jean-François Rousset. Nous accueillons pour cette table ronde sur les perspectives internationales de l'organisation du système de soins M. Francis Bouyer, conseiller aux affaires sociales de l'ambassade de France en Allemagne, et M. Xavier Schmitt, conseiller aux affaires sociales de l'ambassade de France en Suède, qui nous rejoint en visioconférence. Je vous propose de commencer par une brève intervention liminaire de cinq minutes chacun, avant de passer aux échanges sous forme de questions-réponses, en commençant par notre rapporteur.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Francis Bouyer et Xavier Schmitt prêtent serment.)

M. Francis Bouyer, conseiller aux affaires sociales de l’ambassade de France en Allemagne. Je propose d'aborder directement les grands défis auxquels le système de santé allemand est actuellement confronté.

Il est intéressant de constater que, dans le cadre de la dynamique de relance de la relation franco-allemande et de la convergence des modèles sociaux souhaitée par le président de la République et le chancelier, les problématiques sanitaires et les agendas de politique publique en France et en Allemagne présentent de plus en plus de similitudes.

L'Allemagne, bien qu'étant le pays européen consacrant la plus grande part de son PIB aux dépenses de santé, fait face à des indicateurs de santé qui ne justifient pas ce niveau de dépense. L'espérance de vie moyenne a diminué, notamment à l'est de l'Allemagne où elle a chuté de 9 % en un an. L'espérance de vie en bonne santé à 65 ans est inférieure à celle de la France. Les maladies de l'appareil circulatoire constituent la première cause de décès en Allemagne, contrairement à la France. Les indicateurs oncologiques sont également moins favorables, avec 236 décès pour 100 000 habitants liés au cancer chaque année en Allemagne, contre 222 en France.

Le surpoids est plus fréquent en Allemagne, avec une augmentation du diabète de type 2 à tous les âges et une consommation de tabac plus élevée. Les indicateurs se dégradent fortement chez les plus de 65 ans en situation de pauvreté, qui représentent environ 20 % de la population allemande.

La démographie médicale et l'attractivité du secteur constituent un deuxième défi majeur, dans un contexte de croissance forte des besoins liée à l'évolution démographique. Paradoxalement, bien que le nombre de médecins conventionnés ait augmenté de plus de 23 % en dix ans et le nombre d'étudiants en médecine de 17 %, le nombre de patients par médecin atteint un niveau inédit. Un quart des patients relevant de l'assurance maladie publique doivent attendre plus de trente jours pour obtenir un rendez-vous médical, et 60 % patientent plus de quinze minutes avant une consultation.

Cette situation s'inscrit dans un contexte où le nombre de personnes de plus de 67 ans augmentera de 4 millions d'ici 2035, et où 31 % des médecins sont âgés de plus de 55 ans. L'hôpital et le secteur médico-social sont particulièrement touchés par les pénuries de main-d'œuvre.

Le troisième défi concerne l'équilibre des finances de l'assurance maladie, qui devient de plus en plus fragile au moment où la nouvelle coalition gouvernementale se met en place. L'assurance maladie légale est redevenue déficitaire en 2019, avec un déficit des caisses atteignant plus de 6 milliards d'euros en 2024. Leur trésorerie est désormais réduite à 20 % de la dépense mensuelle de santé. En 2023, 78 % des hôpitaux étaient déficitaires, avec un déficit global atteignant 9 milliards d'euros selon la Société nationale hospitalière.

Le taux légal de cotisation d'assurance maladie de 14,6 % peut être complété par un taux complémentaire décidé individuellement par chacune des 95 caisses d'assurance maladie en concurrence. Ce taux complémentaire moyen est passé de 0,9 % en 2019 à 2,5 % actuellement, portant le taux moyen global effectif de cotisation à 17,1 %.

Enfin, la digitalisation du système de santé représente un enjeu majeur. L'Allemagne accuse un retard dans son infrastructure digitale et numérique, qui n'est pas spécifique au secteur de la santé. Si la mise en place d'une ordonnance électronique fonctionne bien, le déploiement du dossier électronique du patient, équivalent du dossier médical partagé (DMP) français, n'en est qu'à ses débuts. Sa généralisation, désormais obligatoire avec une option de retrait, se heurte à de nombreuses failles de sécurité et à une certaine réticence de la profession médicale à s'approprier cet outil.

L'Allemagne, en tant qu'État fédéral, confère à chaque Land des compétences propres, y compris des parlements votant leurs propres lois, notamment dans le domaine de la santé. L'État fédéral allemand ne dispose pas de services déconcentrés. Cela signifie qu'il n'existe pas d'équivalent aux agences régionales de santé (ARS) françaises. Ce sont les collectivités territoriales, à savoir les Länder et les communes, qui sont chargées de l'exécution des lois fédérales, agissant en partie comme des circonscriptions administratives du Land.

Un autre aspect fondamental du système allemand réside dans la délégation par le législateur d'une grande partie de sa compétence normative aux organisations professionnelles. Dans le domaine des politiques de santé, nous observons un système largement autorégulé par les acteurs eux-mêmes, principalement à travers le comité fédéral conjoint. Cet organisme regroupe la fédération nationale des caisses d'assurance maladie, l'association nationale des médecins conventionnés, celle des dentistes conventionnés, et la fédération nationale hospitalière. Ainsi, de nombreuses décisions qui relèveraient du pouvoir politique en France sont, en Allemagne, du ressort de ce comité, auquel le législateur a délégué ses compétences.

M. Xavier Schmitt, conseiller aux affaires sociales de l’ambassade de France en Suède. Je vous remercie de me permettre d'apporter des précisions sur le système de santé suédois, ses atouts, ses lacunes et les éléments qui pourraient inspirer la France. Pour mieux appréhender la méthode suédoise, je propose de l'aborder à travers dix mots-clés.

Premièrement, la décentralisation. Le système de santé suédois est décentralisé, relevant de la compétence des 21 régions. Les activités médico-sociales, telles que la petite enfance, le handicap et le grand âge, sont du ressort des 290 communes. Les régions sont responsables de l'organisation et du financement de la santé, ce qui représente en moyenne 90 % de leur budget. Ces régions prélèvent une partie de l'impôt, faisant de la Suède le pays de l'Union européenne où la part des recettes fiscales revenant aux administrations locales est la plus élevée. Dans ce contexte, l'association des communes et des régions joue un rôle crucial dans l'administration territoriale des soins et dans les négociations avec les professionnels de santé.

Deuxièmement, l'agenciarisation. En Suède, les ministères sont de taille modeste. Le gouvernement et le parlement fixent la législation et les grandes orientations stratégiques, mais ce sont les agences, mieux dotées en ressources humaines, qui disposent de pouvoirs étendus et pilotent les politiques sanitaires et sociales. Chaque sujet est géré par une agence spécifique. Dans le domaine de la santé, deux agences jouent un rôle pivot, complétées par quatorze autres couvrant des domaines tels que la pharmacovigilance, l'inspection des établissements et le numérique en santé.

Troisièmement, le virage ambulatoire. La Suède a opté pour un transfert massif des activités hospitalières vers les soins primaires. Le pays ne compte aujourd'hui que deux lits pour 1 000 habitants à l'hôpital, le chiffre le plus bas des pays de l'OCDE. Parallèlement, 1 234 centres de soins primaires maillent le territoire, chacun prenant en charge en moyenne 8 400 patients.

Quatrièmement, le salariat. La médecine libérale existe en Suède, mais de manière très limitée. Sur les 46 000 médecins en activité, seuls 700 exercent sous forme libérale. La grande majorité des professionnels de santé sont salariés, exerçant soit à l'hôpital, soit dans un centre de soins primaires, presque toujours dans un cadre d'exercice collectif et coordonné.

Cinquièmement, l'horizontalité. Les systèmes de santé nordiques sont moins verticaux et cloisonnés que le système français. Le terme « paramédical » n'existe pas en suédois, il n’y a que des professionnels de santé exerçant l’une des 22 professions de santé prévues et encadrées par l’agence de la santé et des affaires sociales. Cette approche se traduit par une coordination plus directe et moins hiérarchique entre les professions, avec notamment la possibilité pour les infirmières de prescrire certains médicaments depuis 1994.

Sixièmement, la régulation. L'accès au système de santé est régulé par une plateforme nationale, le 1177, qui offre des conseils de santé publique et oriente les patients vers les services appropriés. Pour les soins non programmés, une stricte régulation est appliquée, limitant les arrivées non orientées aux urgences. Certaines régions, notamment celle de Stockholm, ont développé des urgences de proximité, intermédiaires entre les centres de soins primaires et les services d'urgence traditionnels.

Septièmement, la numérisation. La société suédoise est très numérisée, y compris dans le secteur de la santé. Chaque citoyen suédois dispose d'un dossier médical partagé, accessible immédiatement à tous les professionnels de santé qui l'accompagnent. À la sortie d'un centre de soins, le patient peut se rendre dans n'importe quelle pharmacie et, en fournissant son numéro personnel d'identification, le pharmacien accède à l'historique des prescriptions. Ce système, simple et efficace, repose sur le portail 1177 auquel le patient se connecte de manière sécurisée pour accéder à toutes ses informations de santé.

Huitièmement, les inégalités. Des disparités importantes existent entre les territoires et les catégories sociales, particulièrement entre les plus hauts et les plus bas revenus, comme l'a révélé la crise sanitaire. Bien que 87,5% des Suédois estimaient en 2024 avoir accès aux services dont ils avaient besoin, selon une enquête de l'association des communes et des régions, le sentiment d'une dégradation progressive du système est présent. Les enjeux d'accès aux soins dans les zones sous-denses, de démographie médicale et de files d'attente sont devenus des réalités en Suède. Pour répondre à ces défis, le législateur a instauré une garantie de soins, un droit des patients censé leur permettre d'accéder aux soins selon une approche graduée avec des délais fixes. Cette garantie prévoit un contact téléphonique ou par tchat dans la journée avec le centre de soins primaires, un rendez-vous dans ce centre dans les trois jours, un rendez-vous chez un spécialiste dans les quatre-vingt-dix jours, et l'accès à un traitement ou une opération également dans le même délai. Bien que pas totalement respectée, cette garantie constitue un outil de mesure et d'évaluation intéressant.

Neuvièmement, la prévention. Elle occupe une place prépondérante en Suède. Des politiques anti-tabac très restrictives et un monopole d'État sur la vente d'alcool sont en place. La promotion des modes de vie actifs et de la pratique sportive est fortement encouragée, avec la possibilité pour les employés de consacrer une heure par semaine sur leur temps de travail à des activités physiques. La couverture vaccinale est très élevée, malgré l'absence d'obligation, grâce à un haut niveau de confiance dans les institutions et la parole publique.

Dixièmement, la confiance. Cette confiance, atout considérable pour l'efficacité de l'action publique dans le domaine de la santé comme dans d'autres, a notamment permis aux autorités sanitaires de gérer la crise sanitaire de manière moins contraignante qu'ailleurs. Néanmoins, la Suède fait face à des défis similaires à ceux d'autres pays : pénurie de soignants, santé mentale des jeunes, délais d'attente, disparités sociales et territoriales, dans un contexte de vieillissement de la population qui met sous tension le système de santé.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Je souhaite aborder plusieurs points concernant les modèles allemand et suédois. Tout d'abord, concernant la formation des médecins, j'aimerais savoir comment elle se déroule dans ces deux pays. En Suède, vous avez mentionné une formation qui ne présentait pas de différences majeures pour les 22 professions de santé. Existe-t-il des modules de formation communs entre infirmières, aides-soignantes et médecins, quelle que soit leur spécialité, durant les premières années d'études ? Plus précisément sur la formation des médecins, pouvez-vous détailler la durée totale des études, la répartition entre théorie et pratique, et le moment où ils peuvent commencer à exercer sur le terrain ?

Ma deuxième question porte sur les différents types d'hôpitaux. Quelle est la répartition entre hôpitaux publics et privés ? La permanence des soins est-elle assurée de manière similaire dans les deux types d'établissements ? Enfin, le financement par la solidarité nationale est-il identique pour une clinique privée et un hôpital public ?

Je laisse de côté pour l'instant la question des centres de soins suédois, qui semblent avoir une organisation différente de ce que nous connaissons en France. Nous pourrons y revenir ultérieurement si nécessaire.

M. Xavier Schmitt. Concernant la formation des médecins en Suède, le processus est le suivant. L'admission aux études de médecine requiert l'équivalent d'un baccalauréat scientifique avec d'excellentes notes. Bien qu'il n'y ait pas de concours, la filière reste très sélective. La formation s'étend sur douze semestres, soit six ans. Elle comprend une période de formation de base, suivie d'un service général équivalent à notre externat, durant de dix-huit à vingt-et-un mois, puis d'un service spécialisé comparable à notre internat, d'une durée d'environ cinq ans. Les périodes d'apprentissage pratique se déroulent dans divers établissements et centres de santé ou accueils spécialisés. À l'issue de ces six années, les médecins peuvent s'engager dans un cursus de spécialité.

Concernant les blocs de formation communs entre les différentes professions de santé, il n'en existe pas à proprement parler, car ce sont des filières distinctes. Cependant, il est important de souligner que l'exercice collectif est fondamental dans le système de santé suédois. Que ce soit à l'hôpital ou dans les centres de soins primaires, il n'y a pas de cloisonnement entre les professions. On observe une réelle collaboration entre les professionnels de santé, qui n'hésitent pas à échanger et à se consulter mutuellement en cas de doute sur un diagnostic.

Cette approche horizontale ne se limite pas au domaine de la santé, mais caractérise la société suédoise dans son ensemble. On la retrouve dans le management des entreprises et des organisations à tous les niveaux, reflétant une culture de collaboration et d'échange qui transcende les hiérarchies traditionnelles. Cette horizontalité est profondément ancrée dans la société suédoise.

En Suède, l'approche des soins de santé est remarquablement directe. Dans les centres de soins primaires, on ne vous annonce pas l'arrivée d'un médecin spécifique, mais plutôt qu'un professionnel de santé, désigné par son prénom, va s'occuper de vous. Cette pratique illustre bien la culture suédoise de proximité et d'égalité.

Concernant l'organisation hospitalière, la Suède dispose de 60 hôpitaux régionaux, sept centres hospitaliers universitaires et six hôpitaux privés. Ces derniers ont un statut particulier : ce sont des établissements publics dont la gestion est confiée à des opérateurs privés.

La politique de santé suédoise vise à réduire drastiquement les durées d'hospitalisation. Par exemple, après un accouchement par voie basse, le séjour hospitalier moyen est de 2,3 jours, alors qu'en France, les recommandations de la Haute Autorité de santé préconisent entre 72 et 96 heures. Cette tendance à raccourcir les séjours hospitaliers est encore plus marquée au Danemark, où 25 % des femmes rentrent chez elles seulement 12 heures après avoir accouché.

Le financement des hôpitaux est assuré par les régions, qui perçoivent des impôts. La majeure partie de leurs budgets est consacrée aux dépenses de santé. Les élections régionales, qui se tiennent tous les quatre ans simultanément aux élections municipales et nationales, sont donc largement centrées sur les questions de santé. Ainsi, lorsque les citoyens votent aux élections régionales, ils sont pleinement conscients que leur choix aura un impact direct sur la gestion des soins de santé.

M. Francis Bouyer. En Allemagne, la formation médicale diffère significativement de celle de la Suède. Les cycles de formation sont distincts pour les différentes professions médicales, sans tronc commun entre infirmières et médecins, par exemple.

La durée standard des études de médecine en Allemagne est de douze semestres, soit six ans. Cette formation initiale est suivie d'une formation continue équivalente à notre spécialisation. Il est important de noter que la médecine générale est considérée comme une spécialité à part entière en Allemagne.

Le contenu et la durée de cette formation continue varient selon la spécialité choisie et le Land concerné, chaque région ayant ses propres règles. D'après nos recherches, cette formation complémentaire dure entre vingt-quatre et soixante-douze mois selon la spécialité et le Land, soit de deux à six ans supplémentaires après les six années d'études initiales.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Une fois les six années d'études de base achevées, les médecins allemands sont tenus de se spécialiser. Ils ne sont pas autorisés à pratiquer des actes médicaux sans cette spécialisation.

M. Francis Bouyer.  Effectivement, la spécialisation est obligatoire en Allemagne, y compris pour la médecine générale qui est considérée comme une spécialité à part entière.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je m'interroge sur la nature des six années initiales d'études médicales en Allemagne. S'agit-il uniquement d'enseignements théoriques ou y a-t-il également une composante pratique, similaire à ce qui se fait en Suède ou en France, avec des stages externes et internes ?

M. Francis Bouyer.  Les six années d'études médicales en Allemagne combinent théorie et pratique. Elles se divisent en trois phases distinctes. Les cinq premiers semestres sont principalement théoriques, dispensés à l'université, mais incluent néanmoins un stage pratique de soins aux patients d'au moins trois mois.

Du cinquième au dixième semestre, les étudiants effectuent de nombreux stages courts, d'une à six semaines, dans diverses spécialités médicales telles que la médecine interne, la chirurgie, la pédiatrie, la gynécologie et la médecine générale. Ces stages visent à développer leurs compétences en diagnostic clinique. Durant cette période, ils participent également à la Famulatur, un service au contact direct des patients pour améliorer leurs compétences relationnelles.

Les deux derniers semestres constituent une année pratique exclusive, réalisée dans des centres hospitaliers universitaires ou des hôpitaux d'enseignement dédiés, s'apparentant à une formation en alternance.

Concernant la permanence des soins en établissement de santé (PDSES), ce système n'existe pas en tant que tel en Allemagne. Le pays maintient une séparation stricte entre médecine hospitalière et médecine de ville, contrairement au modèle français des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).

La permanence des soins est organisée différemment : d'un côté, le 116-117 gère les soins non urgents en ville, organisés par les associations régionales de médecins conventionnés, avec des disparités importantes selon les régions. De l'autre, le 112 est dédié aux urgences, tous les hôpitaux étant tenus d'accueillir les urgences avec un système de garde et d'astreinte.

Il faut noter que l'Allemagne dispose de 1,5 fois plus de lits d'hôpitaux par habitant que la France, ce qui facilite la gestion des urgences. Une réforme visant à créer des centres d'urgence intégrés, combinant médecine de ville et hospitalière, a été proposée mais reportée à la suite de changements politiques.

Enfin, concernant le statut des établissements hospitaliers, la part des hôpitaux privés a doublé en Allemagne au cours des vingt dernières années. Cependant, l'encadrement normatif, le système de tarification et le régime des contrats sont identiques quel que soit le statut juridique de l'hôpital, public ou privé. Il n'existe pas de fonction publique hospitalière spécifique comme en France.

Mme Géraldine Bannier (MoDem).  Ma question porte sur les zones les moins attractives pour les professionnels de santé. Existe-t-il, dans vos pays, des systèmes de solidarité, à l’instar des médecins solidaires en France ou de la possibilité d’installer, deux jours par mois, des médecins dans ces territoires ?

M. Xavier Schmitt. Je tiens à apporter des précisions concernant la situation des zones sous-denses en Suède et les dispositifs mis en place pour attirer les professionnels de santé. En comparant les densités médicales entre la région de Stockholm et celle du Norrbotten, la plus septentrionale de Suède, j'ai constaté que l'écart n'est pas aussi important qu'on pourrait le penser. Stockholm compte 4,4 médecins et 9,5 infirmières pour 1 000 habitants, tandis que le Norrbotten en dénombre respectivement 3 et 11,8. Cette densité médicale du Norrbotten est comparable à celle de départements français comme le Haut-Rhin ou le Gard, qui ne sont certes pas en tête du classement national, mais ne sont pas non plus considérés comme des territoires en pénurie de professionnels de santé.

Pour attirer les praticiens dans ces zones, plusieurs leviers sont actionnés. Les régions, qui gèrent le financement de la santé, peuvent augmenter les salaires, un outil rapidement mobilisable. Il est important de noter que les écarts de rémunération entre médecins restent contenus à l'échelle nationale. Les régions confrontées à des difficultés de recrutement peuvent également instaurer des primes, notamment des primes de maintien en poste pour inciter les médecins plus âgés à prolonger leur activité de deux à trois ans.

Concernant la formation, l'université d'Umeå, dans la région du Västerbotten, a mis en place un programme spécifique intitulé « filière de médecine rurale », visant à former des médecins spécialisés dans l'exercice en zones rurales potentiellement sous-dotées.

Les centres de santé peuvent aussi proposer des avantages pour attirer les professionnels, tels que la gratuité de l'hébergement ou l'abonnement à une salle de sport, un élément particulièrement apprécié en Suède. Ces éléments, bien que pouvant paraître anecdotiques, peuvent peser dans la décision d'un jeune médecin quant à son lieu d'installation.

L'argument principal reste qu'il n'existe pas de différentiel significatif de rémunération entre les régions suédoises. Les collectivités territoriales, disposant du pouvoir de lever l'impôt, ont la capacité d'ajuster les rémunérations, si nécessaire, pour attirer les praticiens.

M. Francis Bouyer.  En ce qui concerne l'Allemagne, je n'ai pas connaissance d'un dispositif équivalent à celui des médecins solidaires. Il est important de souligner qu'en Allemagne, contrairement à la France, il n'existe pas de liberté d'installation pour les médecins. La question des déserts médicaux, bien que présente dans le débat public et dans le nouveau contrat de coalition, doit être relativisée au regard de la situation française.

En effet, l'Allemagne compte 4,5 médecins pour 1 000 habitants contre 3,4 en France, 116 spécialistes contre 82, et 12 infirmiers contre 2,3. Ces chiffres sont à mettre en perspective avec la superficie de l'Allemagne, qui représente 65% de celle de la France, tout en ayant 22 % d'habitants supplémentaires. Cette configuration démographique et géographique différente implique naturellement une approche distincte de la problématique. Il est à noter que 90 % des patients allemands ont accès à un médecin en moins de dix minutes de route.

Le système de contrôle de l'installation des médecins en Allemagne a été mis en place il y a environ trente ans. La formation des médecins relève de la compétence des Länder, ce qui signifie qu'un médecin formé dans un Land donné exercera généralement dans ce même Land. Au niveau fédéral, le Gemeinsamer Bundesausschuss (G-BA) établit un modèle de planification des besoins, déterminant une échelle territoriale par spécialité avec un nombre de médecins à couvrir.

Sur cette base, les associations régionales de médecins conventionnés identifient les zones sous-denses et celles qui ne sont plus ouvertes à l'installation. Dès lors qu'une zone atteint 110 % de la cible de couverture, elle n'est plus ouverte à l'installation de nouveaux médecins conventionnés. À l'inverse, lorsqu'une zone est couverte à moins de 50 %, des dispositifs incitatifs sont mis en place pour encourager l'installation.

Il est important de noter qu'en Allemagne, lorsqu'un médecin dépasse de 150 % l'enveloppe d'actes négociée avec les caisses d'assurance maladie, le remboursement intégral des actes n'est plus assuré. Cette règle de régression du remboursement ne s'applique pas dans les zones sous-denses. De plus, un fonds de santé structurel au niveau fédéral, alimenté par une partie des cotisations, permet de financer des aides à l'installation.

Certains Länder, notamment à l'est de l'Allemagne, ont mis en place des dérogations au principe de sélection basé sur les notes pour les études de médecine, à condition que les étudiants s'engagent à exercer pendant au moins dix ans dans une zone sous-dense.

Malgré ces dispositifs, l'Allemagne fait face à des défis en matière de répartition des médecins. Une étude de la Fondation Bosch estime qu'il manquera 11 000 médecins généralistes en 2035 et que 40 % des territoires équivalents aux cantons seront sous-dotés. Cependant, il convient de relativiser ces projections, car le nombre de médecins et d'étudiants en médecine continue d'augmenter.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. À la suite de l'audition de ce matin des représentants des industries du médicament, je souhaiterais obtenir des informations concernant le remboursement des médicaments dans chacun des deux pays. Plus précisément, je voudrais connaître la répartition entre la part remboursée par la solidarité nationale via les cotisations, celle prise en charge par les mutuelles, et le reste à charge pour la population, exprimée en pourcentage. De plus, si vous disposez de données similaires pour la consultation d'un médecin généraliste, cela serait également très intéressant à analyser.

M. Xavier Schmitt. En Suède, le financement du système de santé est très majoritairement public, les assurances privées ne couvrant que 12 % de la population. Le mécanisme de remboursement suédois, tant pour les médicaments que pour les consultations médicales, repose sur un système de franchise plafonnée, s'apparentant à un ticket modérateur dégressif. Concrètement, le patient s'acquitte d'une somme modique, généralement d'une vingtaine d'euros, à chaque consultation. Une fois atteint un plafond prédéfini, tous les soins ultérieurs deviennent gratuits grâce à la carte de gratuité. Ce système concerne aussi les médicaments. Le plafond est fixé, sur une période de douze mois, à 1 450 couronnes (environ 140 euros) pour les soins primaires et à 2 900 couronnes (environ 280 euros) pour les médicaments. Concernant les hospitalisations, le plafond est fixé à 12 euros par jour.

La philosophie sous-jacente à ce bouclier sanitaire est d'éviter que les contraintes financières ne deviennent un frein à l'accès aux soins. L'objectif est de protéger le patient d'une charge financière excessive tout en maintenant une forme de responsabilisation dans la consommation de soins.

M. Francis Bouyer.  En Allemagne, 90 % de la population relève de l'assurance maladie publique, tandis que 10 % bénéficient d'une assurance maladie privée. Cette dernière catégorie concerne principalement les fonctionnaires, les personnes dont les revenus dépassent certains plafonds, et quelques autres groupes spécifiques.

Le prix des médicaments est libre, mais la base de remboursement fait l'objet d'une négociation directe entre la fédération des caisses d'assurance maladie et les industriels. Si le prix de vente excède cette base, le patient assume la différence. Dans la pratique, l'accès aux soins et aux médicaments est quasiment gratuit pour le patient, ce qui explique l'absence de mutuelles complémentaires en Allemagne.

Le reste à charge pour le patient est plafonné à 10 euros par boîte de médicament, ou 5 % du prix du médicament dans cette limite. Les médicaments prescrits aux mineurs sont entièrement gratuits.

L'évaluation du service médical rendu est effectuée par le G-BA, et la base de remboursement est négociée entre l'assurance maladie et le fabricant, sauf durant les six premiers mois suivant l'autorisation de mise sur le marché, où le remboursement est intégral.

Concernant les consultations de médecins libéraux, une liste d'actes remboursés et leur tarification sont négociées entre la fédération nationale des associations de médecins conventionnés et la fédération nationale des caisses d'assurance maladie.

M. le président Jean-François Rousset. Qu'en est-il des transports sanitaires dans vos pays respectifs ?

M. Francis Bouyer. En Allemagne, les transports sanitaires relèvent de la compétence des Länder, avec des règles qui varient d'un Land à l'autre. Une réforme des transports sanitaires, initiée par le gouvernement précédent, est en cours de redéfinition. Cette question soulève des enjeux de coordination transfrontalière, notamment entre le Samu français et les services d'urgence allemands.

M. Xavier Schmitt. En Suède, les transports sanitaires sont une compétence des régions.

M. Francis Bouyer. Le système allemand fonctionne efficacement. À Berlin, par exemple, le système d'alerte est tel que plusieurs ambulances arrivent simultanément sur les lieux d'intervention. Bien que l'efficience de cette approche puisse être questionnée, elle assure une réponse rapide et visible. L'organisation des transports d'urgence varie selon les Länder : certains les gèrent en régie, d'autres les délèguent à des opérateurs comme la Croix-Rouge ou à des entreprises privées.

M. Xavier Schmitt. En Suède, le système de régulation par une infirmière via le numéro 1177 offre une gamme de réponses adaptées aux situations. Parmi ces options, l'envoi d'une équipe d'ambulanciers au domicile du patient pour effectuer des contrôles ou lever un doute médical est possible. Cette approche transforme le transport sanitaire en un outil de régulation et d'aide au diagnostic, permettant d'évaluer sur place la nécessité d'un transfert aux urgences.

M. le président Jean-François Rousset. Je tiens à vous remercier pour la qualité de vos interventions. Cette comparaison entre les systèmes allemand, suédois et français s'avère particulièrement enrichissante, mettant en lumière à la fois des différences significatives et des similitudes intéressantes. N'hésitez pas à compléter vos propos par des envois ultérieurs si nécessaire. Nous allons maintenant enchaîner avec la table ronde sur l'hospitalisation privée.

 

 

 


–  1  –

21.   Table ronde, ouverte à la presse, sur l’hospitalisation privée, réunissant : M. Patrick Jourdain, directeur médical France de Ramsay Santé ; M. Benjamin Guiraud-Chaumeil, président de Clinavenir et M. Bernard Assoun, président directeur général ; Dr François-Bruno Le Bot, médecin, administrateur du groupe Vivalto ; M. Sébastien Proto, président du groupe Elsan et M. Lamine Gharbi, président de la Fédération hospitalière privée (FHP)...

M. le président Jean-François Rousset. Messieurs, je vous remercie de votre présence et chacun d’entre vous disposera d'une intervention liminaire de cinq minutes, suivie d'une séance de questions-réponses, initiée par notre rapporteur.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(MM. Patrick Jourdain, Benjamin Guiraud-Chaumeil, Bernard Assoun, François-Bruno Le Bot, Sébastien Proto et Lamine Gharbi prêtent serment.)

Dans un souci de transparence, je tiens à préciser que j'ai exercé en tant que chirurgien libéral à Toulouse jusqu'en 2014, après une carrière au CHU. Cette information n'a pour but que de contextualiser mes propos et d'éviter toute polémique inutile.

M. Lamine Gharbi, président de la Fédération hospitalière privée (FHP). En tant que président de la FHP, je souhaite présenter notre secteur. La Fédération représente 1 030 cliniques et hôpitaux privés qui prennent en charge annuellement 9 millions de patients, dont 3 millions en urgence. Notre secteur assure 35 % de l'activité hospitalière avec seulement 17 % des ressources allouées par l'État, démontrant ainsi notre efficience. Nous employons 170 000 professionnels de santé, dont 55 000 infirmières et 30 000 aides-soignantes. La qualité de nos soins est attestée par le fait que 88 % de nos établissements sont certifiés avec mention par la Haute Autorité de santé (HAS), dont 34 % avec la mention « très haute qualité des soins ».

Contrairement à certaines idées reçues, notre activité ne se limite pas à la chirurgie esthétique. Nous réalisons 56 % de la chirurgie toutes spécialités confondues, 65 % de la chirurgie ambulatoire, 42 % des soins de réadaptation, 22 % de la psychiatrie et 20 % de l'hospitalisation à domicile. Malheureusement, nous ne représentons plus que 16 % des naissances, une situation qui nous préoccupe en raison des difficultés de recrutement et de financement dans ce domaine.

Notre engagement dans l'accès aux soins se traduit par 122 services d'urgence, un chiffre qui pourrait être plus élevé si l'histoire n'avait pas privilégié le secteur public dans ce domaine. Malgré cela, 55 millions de Français se trouvent à moins de 30 minutes d'une clinique privée, ce qui souligne notre rôle crucial dans l'aménagement du territoire et l'accès aux soins de proximité.

Notre revendication principale est simple : nous souhaitons pouvoir accomplir l'ensemble des missions de service public. Bien que la loi Touraine nous ait exclus du service public hospitalier en raison de la présence de médecins en secteur 2, nous prenons en charge une part importante des patients et assurons de fait une mission de service public. Cette exclusion est d'autant plus paradoxale que 4 000 praticiens hospitaliers exercent en dépassement d'honoraires dans les hôpitaux publics.

Concernant la permanence des soins, nos médecins assurent entre 20 et 30 % de cette mission, souvent de manière bénévole, alors que seulement 6 % de cette activité est financée pour notre secteur. Cette situation contraste avec celle du secteur public qui reçoit 90 % des financements pour la permanence des soins. La réforme en cours de cette permanence des soins représente une opportunité de rééquilibrer la charge et le financement entre les secteurs.

Nous demandons à être soumis aux mêmes contraintes et obligations que le secteur public, mais également à bénéficier des mêmes tarifications, dans un souci d'équité et d'efficience du système de santé français.

La Fédération exprime une demande forte pour une harmonisation des conditions entre les secteurs public et privé, notamment en termes de contraintes, de patientèle et de tarification. Actuellement, des écarts tarifaires significatifs persistent : 20 à 30 % en chirurgie, médecine et obstétrique, 85 % en soins médicaux et de réadaptation (SMR) et 200 à 300 % en psychiatrie.

Nous sollicitons également une vision pluriannuelle, sans nécessairement passer par une loi de programmation, qui nous permettrait d'anticiper nos budgets sur les trois prochaines années.

La préparation de la campagne tarifaire nous mobilise intensément pendant six mois, en collaboration avec la commission des affaires sociales. S’ensuivent généralement trois mois de contestation de ladite campagne, une situation qui perdure. L’augmentation actuelle de nos tarifs de 0,5 %, face à une inflation non compensée de 1,5 %, engendre des difficultés financières majeures. Il est crucial que vous saisissiez l'ampleur de la situation : 45 % de nos établissements sont déficitaires aujourd'hui, contre 25 % en 2023. Nous prévoyons que ce taux atteindra 50 % en 2025. Contrairement au secteur public, ces déficits doivent être compensés par l'actionnaire, sans quoi nous risquerions des fermetures ou des suspensions d'activité, comme ce serait le cas pour des hôpitaux publics en situation similaire. La situation sociale est également préoccupante. Nous menons des discussions pour réviser notre convention collective, notamment concernant des coefficients actuellement inacceptables.

Notre présence sur les territoires est significative, représentant 35 % de l'activité. J'insiste sur le fait que notre absence entraînerait un surcoût de 5 à 7 milliards d'euros pour la collectivité si nos activités devaient être transférées au secteur public. Je milite depuis trente-cinq ans pour l'égalité de traitement entre le public et le privé, non pas pour annoncer notre disparition, mais pour souligner notre pertinence et notre fierté d'accomplir nos missions quotidiennes au service du bien collectif. Mon souhait est que nous évoluions vers un véritable service public de santé, où nous serions considérés à égalité avec le service public hospitalier. Nous assurons également une présence continue, notamment dans les services d'urgence, de réanimation, d'obstétrique, et garantissons la continuité des soins pour nos patients opérés, y compris les week-ends.

En conclusion, je tenais à souligner à la fois la beauté de notre métier et les défis auxquels nous sommes confrontés.

M. Sébastien Proto, président du groupe Elsan. En tant que dirigeant du groupe Elsan, qui prend en charge annuellement 5 millions de patients, je souhaite vous présenter les caractéristiques distinctives de notre organisation.

Premièrement, notre groupe couvre l'intégralité des parcours de soins, depuis les soins primaires et l'imagerie en amont de l'hospitalisation, jusqu'aux soins de suite et l'hospitalisation à domicile en aval, en passant par l'hospitalisation elle-même en médecine, chirurgie et obstétrique.

Deuxièmement, nous collaborons avec 7500 médecins libéraux qui assurent la majorité des spécialités médicales dans nos établissements. Nous sommes notamment le deuxième acteur dans le domaine du cancer en France, prenant en charge un patient sur huit opérés pour cette pathologie. De plus, nous gérons 29 services d'urgence et sommes le premier acteur privé en obstétrique avec 24 maternités.

Troisièmement, notre ancrage territorial est fondamental. Contrairement à une présence concentrée dans les grandes métropoles, 60 % de nos établissements sont situés dans des villes de moins de 50 000 habitants, et 30 % dans des communes de moins de 20 000 habitants.

Quatrièmement, cette implantation territoriale fait de nous un acteur majeur de l'accès aux soins et de la proximité. Présents dans 61 départements, nous sommes souvent le seul acteur privé aux côtés du public, voire parfois l'unique prestataire de soins hospitaliers dans certaines zones.

Cinquièmement, en tant que groupe privé, nous jouons un rôle majeur dans la diffusion de l'innovation et de la qualité des soins sur l'ensemble du territoire. Nous investissons annuellement 185 millions d'euros dans nos équipements, permettant l'acquisition de technologies de pointe comme la robotique chirurgicale ou la télésurveillance en chimiothérapie, et ce, dans des zones souvent éloignées des grands centres urbains.

Concernant l'accès aux soins, nous partageons avec le secteur public des défis communs : le contexte économique difficile, la pénurie de personnel médical et paramédical, et la nécessité d'orienter le système de santé vers davantage de prévention et de coopération. Dans ce contexte, l'opposition entre public et privé me semble contre-productive. Cette opposition repose sur des présupposés erronés. Contrairement aux idées reçues, nous ne versons aucun dividende à nos actionnaires et ne tirons aucun profit des dépassements d'honoraires, qui reviennent intégralement aux praticiens libéraux.

Je tiens à réfuter deux idées préconçues majeures. D'abord, l'assertion selon laquelle le privé se cantonnerait aux activités les plus lucratives, privant ainsi l'hôpital public de ressources financières, est inexacte.

Notre secteur assure 35 % des prises en charge et représente 16 % de l’objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), avec un écart tarifaire oscillant entre 20 et 30 %, parfois davantage, pour des actes identiques entre public et privé. Concernant la nature des prises en charge, les chiffres démentent l'idée d'un recentrage du privé sur les interventions les plus légères ou rentables. Le taux de chirurgie lourde dans le secteur privé lucratif est resté stable depuis 2019. Notre part dans les urgences a même augmenté. Pour les endoscopies, les opérations de la cataracte, les prothèses - actes parfois considérés à tort comme moins nobles mais essentiels face au vieillissement démographique - notre part n'a pas évolué depuis 2019. Cette prétendue course aux actes les plus rentables n'est donc pas avérée et ne correspond pas à notre politique.

Concernant la permanence des soins, il est logique que celle réglementée, liée aux autorisations en réanimation, urgences et cardiologie, se retrouve majoritairement dans le public qui détient ces autorisations. La Cour des comptes l'a d'ailleurs souligné dans son rapport sur la complémentarité public-privé. Quant à la permanence non réglementée, de nombreux professionnels libéraux l'assurent sans reconnaissance ni financement des agences régionales de santé (ARS), ce qui n'apparaît pas dans les statistiques malgré sa réalité sur le terrain.

Plutôt qu'une opposition stérile, nous avons un besoin impérieux de coopération accrue entre public et privé. Cela implique de reconnaître la valeur de chaque secteur. Par exemple, le privé a atteint 70 % de chirurgie ambulatoire, y compris pour des prises en charge complexes, augmentant ainsi la capacité quotidienne des établissements, réduisant les délais d'attente et améliorant l'accès aux soins. C'est un atout indéniable.

Notre groupe, par son maillage territorial, a particulièrement développé les coopérations locales, notamment via des groupements de coopération sanitaire, pour maintenir ou améliorer l'offre de soins. Ces coopérations, bien que complexes, sont essentielles. Leur simplification est nécessaire : actuellement, l'envoi d'un praticien d'une clinique vers un hôpital public ne requiert aucune structure juridique particulière, alors que l'inverse nécessite la création d'un groupement de coopération sanitaire, processus qui peut prendre jusqu'à un an.

Sur le plan financier, il est indispensable de ne pas opposer public et privé. Les deux secteurs sont économiquement fragilisés, alors que nous entrons dans la phase la plus critique du vieillissement démographique, enjeu territorial majeur. Cette situation résulte d'un sous-financement chronique. Sans la capacité des groupes à soutenir certains établissements déficitaires, nous aurions bien plus que les quinze établissements privés lucratifs actuellement en redressement ou liquidation judiciaire.

Aborder le vieillissement démographique avec une offre hospitalière publique et privée aussi fragilisée nous condamne à le subir dans les années à venir.

Dr François-Bruno Le Bot, médecin, administrateur du groupe Vivalto. Je suis le docteur François-Bruno Le Bot, ophtalmologiste à Saint-Malo depuis vingt-sept ans et médecin administrateur au sein du groupe Vivalto Santé depuis sa création.

Vivalto Santé, troisième groupe d'hospitalisation privée français, compte 53 établissements, plus de 7 000 lits, 11 000 salariés, 5 000 médecins et prend en charge 2 millions de patients. Contrairement à ce que son nom pourrait suggérer, Vivalto est un groupe d'origine bretonne, né en 2009 de la fusion de trois cliniques à Rennes, Saint-Malo et Brest.

La création du groupe répondait à un besoin de renouvellement générationnel et de développement, les actionnaires historiques souhaitant partir à la retraite et les jeunes médecins n'ayant pas les moyens financiers pour reprendre les parts. L'association avec des investisseurs s'est faite sous deux conditions essentielles : maintenir une voix prépondérante des médecins dans la gouvernance et permettre leur participation au capital. Actuellement, plus de mille médecins sont actionnaires, représentant 30 % du capital du groupe. Cette participation significative garantit que notre voix est entendue sur tous les projets importants. L'actionnariat, stable depuis quinze ans, inclut des institutions financières françaises comme Arkéa, BNP, Crédit Agricole, auxquelles se sont joints la MACSF, la BPI et, récemment, un fonds danois. Aujourd'hui, plus de 80 % du capital est détenu par des fonds français, dont 30 % par les médecins.

Cette structure de gouvernance et d'actionnariat partagé est cruciale pour nous. Une carrière médicale s'étendant sur trente à trente-cinq ans, il est essentiel d'assurer la pérennité de notre outil de travail. Notre participation au capital nous protège des aléas du marché et des changements de propriétaire potentiellement préjudiciables. Nous disposons même d'un droit de veto au conseil de surveillance pour empêcher toute vente à des fonds que nous jugerions inadéquats.

La gouvernance partagée est également fondamentale, car elle ancre notre action dans les territoires. En tant que médecins libéraux, nous connaissons précisément les besoins locaux et les coopérations nécessaires avec nos collègues de ville pour optimiser l'organisation des soins. Nous sommes en première ligne pour répondre à une demande sanitaire considérable.

Ce modèle de gouvernance partagée, loin d'être une innovation de notre part, s'inspire de pratiques éprouvées. Dès 2003, le député René Couanau évoquait dans son rapport d’information sur l'organisation interne de l'hôpital l'importance d'associer les médecins aux conseils de surveillance hospitaliers.

Il est nécessaire que toutes les personnes travaillant dans le secteur de la santé, qu'il s'agisse d'hôpitaux ou de cliniques, de soignants ou d'administratifs, comprennent qu'elles sont là pour le soin. Ces entreprises ou organisations de soins doivent s'intégrer pleinement dans la cité, au sens grec antique du terme, en participant activement à la citoyenneté et à la société.

C'est dans cet esprit qu'en 2019, à la suite de la promulgation de la loi Pacte sur l'entreprise à mission, Vivalto a immédiatement postulé et obtenu ce statut. Nous sommes fiers d'être la première entreprise de santé accréditée comme entreprise à mission et d'avoir récemment été renouvelés avec une note exceptionnelle de 96 %, la plus élevée tous secteurs confondus.

La lutte contre les déserts médicaux est au cœur de notre action quotidienne. Nous organisons 161 consultations avancées, projetant des médecins ou des chirurgiens dans les zones qui en ont besoin, sans recourir à la télémédecine. Nous structurons des filières de soins et des services de soins non programmés, avec une trentaine de dispositifs d'urgence dans nos cliniques. Nous assurons plus de 50 lignes de permanence des soins et optimisons l'organisation des soins pour réduire les durées de séjour. Nous améliorons constamment la qualité chirurgicale, notamment grâce à la récupération améliorée après chirurgie et au fast-track.

Notre secteur nécessite des investissements conséquents en matériel et nouvelles technologies. Sur les treize dernières années, nous avons investi plus d'un demi-milliard d'euros en équipements médicaux dans nos établissements.

En tant que professionnel de santé libéral, je constate que nous passons souvent notre temps à nous justifier d'exercer en clinique privée ou en libéral. Pourtant, nous accomplissons notre mission, et nous le faisons bien. Notre action ne s'oppose pas à l'hôpital public ; au contraire, nous avons besoin d'un hôpital public fort, source d'innovations et de formations. Nous appelons à une articulation basée sur l'équité de traitement et le respect mutuel.

Je tiens à souligner que l'expression « établissement privé à but lucratif » me heurte profondément. Je ne considère pas travailler dans un tel établissement, mais dans un hôpital dédié aux soins des patients.

M. Patrick Jourdain, directeur médical France de Ramsay Santé. Je suis professeur de cardiologie, formé à Saclay, et j'ai l'honneur de représenter Ramsay Santé en tant que directeur médical. Ramsay Santé, c'est un réseau de 156 établissements de soins couvrant le territoire en médecine, chirurgie, obstétrique (MCO), SMR et psychiatrie. Notre entreprise à mission vise à offrir aux médecins libéraux une organisation optimale pour la prise en charge des patients.

Nous sommes un facilitateur de soins, avec un engagement social fort : 11 % de nos patients bénéficient de la complémentaire santé solidaire, ce chiffre atteignant 19 % en santé mentale. Notre groupe intervient dans toutes les spécialités autorisées par les ARS. Nos revenus proviennent à 85 % de financements publics, basés sur l'activité et la qualité des soins, cette dernière étant évaluée par la HAS. Nos comptes sont publics, comme pour toute entreprise cotée.

Nous avons récemment augmenté significativement les salaires de notre personnel paramédical, avec des hausses allant jusqu'à 30 % pour les sages-femmes. Nous sommes le principal offreur de soins privés en Seine-Saint-Denis et nous investissons dans des centres de santé en zones déficitaires, expérimentant de nouveaux modes de financement. Nous gérons également des centres en zones tendues, avec des médecins exerçant en secteur 1, obtenant un taux de satisfaction patient très élevé. Nous sommes aussi un acteur clé de la recherche médicale, en collaboration avec le secteur public.

Notre réalité quotidienne, c'est la gestion de millions de séjours avec un financement inférieur à celui du public, pour une prise en charge équivalente. Nos médecins assurent une continuité des soins 24h/24, 7j/7, y compris les jours fériés. Cette continuité s'applique également en psychiatrie, même sans garde sur place.

Concernant la participation aux gardes, notre implication dépend largement des choix des ARS, expliquant les variations régionales importantes. Par exemple, le privé assure 3 % des permanences des soins en établissements de santé (PDSES) en Bourgogne-Franche-Comté contre 28 % en Occitanie. Cette différence est le choix de l’ARS, et non pas des établissements privés.  Il est important de noter que le budget alloué à la PDSES par les ARS a diminué de près de 25 % entre 2018 et 2022, comme le souligne le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas).

Le choix d'ouvrir des lignes de garde s'effectue davantage dans le secteur public, malgré un coût nettement supérieur. En effet, selon le rapport de l'Igas, une ligne de garde coûte 182 000 euros dans le public contre 105 000 euros dans le privé. Néanmoins, nous parvenons à assurer 12 % des activités de garde, ce qui est significatif. Il convient cependant de nuancer cette comparaison, car la nature des gardes diffère sensiblement entre les deux secteurs.

Notre secteur dispose de moins de services de médecine, mais davantage de services de chirurgie hautement spécialisés. Ainsi, pour l'activité interventionnelle, notre part s'élève à 23 %, bien au-delà des 8 % globaux, car nous accueillons de nombreux patients en urgence dans ce domaine.

La composition des équipes de garde constitue une autre différence majeure. Dans le public, 25 % des gardes sont assurées par des internes ou des médecins extérieurs, ce qui augmente la présence médicale d'environ 20 %. De plus, le système public bénéficie de 5 200 volontaires supplémentaires grâce aux docteurs juniors pour la PDES. Nous ne disposons pas de cette ressource, car on nous interdit de les recruter, tout comme les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue).

Notre engagement dans la continuité des soins s'étend également aux zones défavorisées, particulièrement celles avec un faible taux d'accessibilité potentielle localisée (APL). Plus de 60 établissements de notre réseau se situent dans des zones à APL très sévère, considérées comme zones d'intervention prioritaires ou d'actions concertées. De même, nous avons repris des centres Cosem pour offrir un accès à un médecin de premier recours à des milliers de patients.

La qualité des soins est un autre aspect crucial de notre contribution à la continuité des soins. Nous bénéficions d'une reconnaissance par la certification, comme l'a souligné mon confrère. La sévérité des cas que nous traitons est également notable, avec 33 % de nos patients en cardiologie admis en soins intensifs. Nos résultats en termes de mortalité sont constamment bons, avec un taux de mortalité pour un infarctus du myocarde classique d'environ 3,2 %, nettement inférieur à la moyenne européenne. Nous obtenons également d'excellents résultats concernant les taux d'infection sur prothèses de genoux et de hanches.

Nous développons des parcours d'excellence dans l'ensemble de nos groupes, notamment en obésité, orthopédie, cardiologie et cancérologie, et ce, pas uniquement dans les grandes métropoles. Cependant, nous sommes confrontés à des difficultés liées à des tarifs qui ne couvrent pas l'inflation et à des limitations dans les soins, imposées au niveau régional par le choix des autorisations. La politique de la PDES en est un exemple flagrant.

Pour conclure, je tiens à rappeler l'esprit de solidarité qui nous a unis pendant la crise du Covid-19. Nous étions tous frères dans l'épreuve, soignants de cœur et d'esprit. Il est crucial de retrouver cet état d'esprit et de repenser notre approche à l'échelle d'un territoire de santé. Au-delà des querelles de chapelle, nous devons nous concentrer sur l'objectif de garantir à nos citoyens, dans chaque territoire, une prise en charge minimale d'un panier de soins essentiels.

M. Benjamin Guiraud-Chaumeil, président de Clinavenir. Le docteur Bernard Assoun et moi-même vous présentons aujourd'hui un témoignage à deux voix sur un exemple de coopération territoriale en Haute-Garonne et dans le nord du Tarn-et-Garonne.

Clinavenir, notre groupement, comprend onze établissements couvrant l'ensemble du spectre des disciplines et des secteurs hospitaliers : médecine, chirurgie, obstétrique, soins médicaux d'adaptation, psychiatrie et hospitalisation à domicile. Nous avons constitué un groupement de coopération sanitaire de moyens. Notre activité se chiffre à 160 000 séjours par an, avec 2 000 lits et places, 3 000 collaborateurs et plus de 650 médecins, pour un volume d'activité de 330 millions d'euros. À titre de comparaison, le CHU de Toulouse dispose de 3 000 lits et places pour un volume d'activité de 1,5 milliard d'euros.

L'ancienneté moyenne de nos établissements est de 57 ans. Nous desservons un bassin de population incluant la métropole toulousaine, qui compte plus de 1,4 million d'habitants et accueille 17 000 nouveaux résidents chaque année. Notre zone d'intervention s'étend également aux départements limitrophes : l'Ariège, le Gers, le Tarn et le Tarn-et-Garonne. Cette responsabilité populationnelle nous oblige à faire preuve d'inventivité et de coopération.

Notre ambition allie la recherche d'excellence par l'innovation médicale et organisationnelle à un humanisme de proximité. Notre gouvernance, bien que non monolithique, repose sur des acteurs locaux qui poursuivent l'œuvre des médecins fondateurs. L'actionnariat varie selon les établissements : médical, familial ou croisé entre structures. Le pilotage est toujours bicéphale, associant médecin et gestionnaire, avec le projet médical au cœur de la collaboration interne pluridisciplinaire.

L'objectif de notre alliance coopérative est de décloisonner nos organisations pour faciliter la collaboration interne et externe, incluant les acteurs privés, publics et les professionnels de ville. Nous avons mis en place plusieurs initiatives pour améliorer l'accès aux soins.

Nous avons créé Emy Santé, une plateforme gratuite permettant aux médecins généralistes de prendre des rendez-vous sur l'ensemble des plateaux techniques d'imagerie et de consultations spécialisées, y compris hors de nos établissements. Cette plateforme, mise à disposition de la coordination des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) de la métropole toulousaine, permet chaque année à 2 500 patients d'obtenir des rendez-vous plus rapidement.

Nous organisons également des journées de sensibilisation à l'antibiorésistance pour le grand public. Trois de nos établissements sont reconnus comme hôpitaux de proximité, offrant une réponse hospitalière de premier recours.

Nos établissements accueillent et prennent en charge les publics les plus vulnérables. Par exemple, après la crise du Covid-19 et dans le contexte de la guerre en Ukraine, nous avons collaboré avec la permanence d'accès aux soins de santé du CHU de Toulouse pour organiser l'accueil et l'entrée dans le parcours de soins des réfugiés ukrainiens.

Dans nos centres de santé, 19 % de nos patients bénéficient de la complémentaire santé solidaire. 22 % de nos patients en situation de précarité sont pris en charge dans notre dispositif article 51 pour les maladies chroniques. Dans nos cliniques psychiatriques, 25 % des patients ont la complémentaire santé solidaire, contre 12 % dans la population générale. Nos services sociaux sont très actifs et des référents handicap sont nommés dans toutes nos cliniques.

M. Bernard Assoun, président directeur général de Clinavenir. Je souhaite exposer cinq axes concrets mis en place dans notre structure pour améliorer l'accès aux soins. En tant que cardiologue depuis trente ans et président du conseil d'administration depuis dix ans à la clinique Pasteur, membre de l'Alliance, je peux témoigner de notre modèle unique. Notre clinique indépendante fonctionne avec un actionnariat médical et une gouvernance partagée efficacement entre un directeur administratif et un conseil d'administration médical. Depuis près de soixante-dix ans, nous réinvestissons intégralement nos résultats dans l'innovation, l'outil de travail et les mesures sociales, sans aucun reversement de dividendes.

Premièrement, pour répondre à l'augmentation de la demande, nous avons optimisé la disponibilité de notre plateau technique sans augmenter notre capacité en lits. Nous avons ainsi développé l'ambulatoire, atteignant 40 % d'hospitalisations le jour même de l'intervention en 2024. Nous utilisons également le dispositif d'hôtel hospitalier, comptabilisant 1 130 nuitées en 2024. La coordination s'avère fondamentale dans ce processus et mériterait d'être valorisée comme un véritable métier.

Deuxièmement, nous nous impliquons territorialement en investissant dans des consultations avancées de spécialistes en cardiologie, diabétologie et urologie. Nous avons également développé l'AI Center et les téléconsultations. Il est crucial d'établir des organisations et des réflexions locales impliquant tous les acteurs, y compris les municipalités, pour créer des modèles attractifs, étant donné la surcharge de travail des spécialistes. Parallèlement, nous préconisons une uniformisation du support numérique, notamment via le développement optimal de « Mon espace santé ».

Troisièmement, nous nous engageons fortement dans la prise en charge non programmée, bien que nous ne disposions pas de service d'urgences. Depuis près de dix ans, nous avons développé cette approche en cardiologie, puis en urologie et gastroentérologie. Dans notre modèle d'établissement à plateau technique, le non-programmé nécessite une régulation téléphonique médicale. Notre centre de la douleur thoracique, qui a accueilli 5 000 patients en 2024, illustre parfaitement ce concept. Nous disposons d'un numéro de régulation téléphonique direct avec le Samu, SOS Médecins et l'ensemble de la communauté médicale.

Quatrièmement, nous avons considérablement développé notre activité à domicile. Notre service d'hospitalisation à domicile (HAD) réalise 40 000 séjours par an. Un point crucial de cette activité est la mise en place d'une astreinte infirmière de nuit. Nous avons établi des conventions avec 103 Ehpad, assurant ainsi le suivi de 8 000 résidents chaque nuit. En 2024, ce service a traité environ 400 appels sans déplacement, permettant le maintien à domicile dans 85 % des cas.

Enfin, nous nous concentrons sur la gestion des maladies chroniques et la prévention. Nous avons initié une activité pluridisciplinaire basée sur un article 51, offrant un soutien sur deux ans pour la prise en charge des maladies chroniques. Cette approche implique divers professionnels tels que des infirmières, médecins, diététiciens, tabacologues et psychologues. Face au succès de ce dispositif, nous avons créé un centre dédié aux maladies chroniques et à la prévention, proposant des parcours pluridisciplinaires d'une demi-journée. Il est essentiel de promouvoir ce type d'activité tout en réfléchissant collectivement à un modèle médico-économique adapté.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Je souhaite soulever plusieurs points critiques concernant les interventions précédentes. Tout d'abord, malgré l'affirmation de M. Gharbi sur l'engagement du secteur privé dans la permanence des soins, les chiffres révèlent une réalité différente. En effet, 69 % des prises en charge en soirée et le week-end sont assurées par le secteur public. Cela soulève la question de la rémunération de la permanence des soins, qui ne devrait pas se limiter aux horaires les plus commodes, mais s'étendre aux périodes de plus forte demande.

Par ailleurs, je m'interroge sur la raison pour laquelle les établissements de santé privés en psychiatrie, malgré leur rentabilité élevée, participent peu ou pas du tout à la prise en charge des urgences psychiatriques.

Concernant la solidarité évoquée par M. Jourdain en référence à la période Covid, les faits contredisent cette vision. Un article du Monde du 10 avril 2020 rapporte que le secteur privé francilien n'a pris en charge que 20 % des hospitalisations et 13 % des réanimations liées au Covid, alors que l'Île-de-France était la région la plus touchée.

Ces observations mettent en lumière un écart significatif entre les discours et la réalité des chiffres. En tant que chef d'entreprise, je constate une différence notable entre les secteurs public et privé. Alors que la dette des hôpitaux publics s'élève à 3 milliards d'euros en 2024, le résultat cumulé net des établissements privés atteint 627 millions d'euros.

Je pose donc la question suivante : quelle est la recette miracle permettant aux établissements privés d'obtenir de tels résultats financiers tout en assurant un service équivalent à la population ? Comment l'hôpital public pourrait-il atteindre une telle performance économique tout en maintenant une permanence des soins 24h/24 et 7j/7, ainsi qu'un accueil aux urgences plus conséquent que dans le privé ?

M. Lamine Gharbi. Vous dites que 70 % de la permanence des soins sont assurés par le public, ce qui correspond à mes propos. Nous assurons effectivement 30 %, mais avec une rémunération aléatoire à hauteur de 6 %. Actuellement, la permanence des soins dans le privé repose sur le volontariat des médecins et l'accord entre un directeur et les praticiens. Cette approche artisanale n'est plus acceptable.

La réforme de la PDSES en cours va clarifier cette organisation par l'introduction d'appels d'offres. Concrètement, les ARS détermineront les besoins en lignes de garde pour chaque spécialité dans une zone donnée. Les établissements publics et privés pourront alors candidater, et l'ARS choisira en fonction de la qualité des dossiers présentés. Cette approche, inédite jusqu'à présent, devrait apporter une transparence bienvenue.

Il est vrai que le secteur public prend en charge 20 millions de patients aux urgences, en partie parce que, pendant des années, on nous a refusé l'ouverture de services d'urgence dans le privé.

La crise du Covid a mis en lumière notre capacité d'adaptation. Avant la pandémie, nous disposions de 500 lits de réanimation autorisés, contre 5000 dans le public. Nous sommes parvenus à augmenter notre capacité à 2500 lits. 80 services de réanimation ont été créés de manière dérogatoire et immédiate dans le privé, démontrant la capacité de l'administration à agir rapidement en cas de nécessité. Malheureusement, sur ces 80 services, un seul a été pérennisé, le mien à Montpellier, malgré l'intérêt d'une quinzaine d'établissements pour maintenir cette activité.

La réforme de la PDSES, avec son système d'appels d'offres, devrait apporter plus de transparence et d'équité dans la répartition des lignes de garde. Les disparités régionales actuelles, comme les 3 % de PDSES en Bourgogne-Franche-Comté contre 27 % en Occitanie, s'expliquent en partie par le nombre de services d'urgence privés. En Occitanie, nous avons 27 services d'urgence privés sur 122, ce qui justifie mathématiquement une plus forte participation à la PDSES.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous soulignez à juste titre que les discussions avec les ARS peuvent aboutir à l'établissement de plusieurs lignes de garde dans un même département si le volume d'activité le justifie.

M. Lamine Gharbi. Il est effectivement important de se baser sur la réalité des volumes d'activité. Il n'est pas pertinent d'avoir deux lignes de garde pour une même spécialité sur une même agglomération, à dix kilomètres de distance. La rationalisation des ressources de la permanence des soins est essentielle, compte tenu de son coût élevé.

Par ailleurs, nous rencontrons des difficultés avec nos médecins libéraux dans les services d'urgence, qui souhaitent obtenir un statut salarié. Notre rémunération actuelle ne nous permet pas de répondre à cette demande. La rémunération des gardes à l'hôpital public étant plus élevée que dans le privé, nous demandons un rattrapage. Des progrès ont été réalisés, mais ils doivent se poursuivre, conformément à l'engagement du ministre Valletoux l'année dernière.

Dr François-Bruno Le Bot. Je souhaite apporter un exemple concret. À Saint-Malo, dix praticiens du privé assurent depuis trente ans la permanence des soins en ophtalmologie via les urgences de l'hôpital. Ce système permet à l'hôpital de couvrir toutes les spécialités, tandis que nous prenons en charge les patients. Ainsi, bien que la permanence soit officiellement assurée par l'hôpital, ce sont les ophtalmologistes de la clinique qui interviennent. Cette collaboration fonctionne remarquablement bien.

M. Sébastien Proto. Il est important de distinguer la permanence des soins réglementée de celle qui ne l'est pas. Je pourrais citer de nombreux exemples similaires. Dans notre établissement, nous assurons la permanence en cardiologie, bien qu'elle ne soit ni rémunérée ni reconnue officiellement. Au Puy-en-Velay, nous sommes les seuls à assurer la permanence en neurologie pour l'ensemble du territoire, sans reconnaissance ni financement. Ces contributions, bien que bénévoles, ne sont pas reflétées dans les statistiques officielles.

Concernant la situation financière, le déficit des hôpitaux publics à la fin de l'année 2024 s'élève à 3 milliards d'euros. Il convient de distinguer ce déficit de la dette, qui fait l'objet de reprises régulières par le gouvernement, comme ce fut le cas en 2020 à hauteur de 6 milliards d'euros.

Pour les établissements privés lucratifs, la situation s'est considérablement dégradée. En 2019, 10 % des établissements étaient en perte. Fin 2024, ce chiffre atteint 45 %. Cette dynamique extrêmement négative nous concerne tous, quel que soit le modèle d'établissement.

Il est important de noter que le déficit de 3 milliards dans le public existe malgré un niveau de financement par acte substantiellement supérieur à celui du privé. Cette différence ne s'explique pas par des missions spécifiques, celles-ci étant financées par d'autres mécanismes tels que les missions d'intérêt général et d'aides à la contractualisation (Migac).

La situation est préoccupante pour l'ensemble de l'infrastructure hospitalière, publique et privée. Après quatre années d'inflation forte, l'indexation des tarifs n'a couvert en moyenne que 50 % de l'augmentation des coûts. Cette situation contraste fortement avec d'autres secteurs bénéficiant de délégations de service public, où les clauses d'indexation sur l'inflation sont systématiquement intégrées aux mécanismes contractuels.

Les sociétés d'autoroutes bénéficient d'une couverture de l'inflation à hauteur de 90 %, tandis que l'infrastructure de santé n'est couverte qu'à 50 %, ce qui est manifestement insuffisant. Les prix ne baissent pas, c'est simplement l'augmentation qui est moins prononcée. Les établissements publics et privés subissent une perte définitive, un appauvrissement structurel. C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité de ne pas opposer le secteur public au secteur privé.

Concernant le secteur privé, dont je parle spécifiquement ici, la situation est inquiétante. Nous sommes passés de 10 % à 45 % d'établissements déficitaires en quelques années, avec une accélération marquée ces trois dernières années. Cela démontre clairement que le système de financement actuel est obsolète. Je suis convaincu que les mécanismes doivent être revus en profondeur, et pas simplement en supprimant un tiers des établissements hospitaliers sur le territoire. Une telle approche serait particulièrement problématique dans les zones où l'accès aux soins est déjà difficile.

Il convient de repenser les mécanismes de financement de l'infrastructure et le fonctionnement de l'assurance maladie obligatoire, qui sont complémentaires. Les établissements de santé, rappelons-le, n'ont pas de liberté tarifaire et ne peuvent donc pas répercuter l'inflation. Pendant ce temps, les Français voient les tarifs de leurs assurances complémentaires augmenter significativement : 3 à 4 % en 2022, 6 % en 2023, et 8 % prévus pour 2024. Ces mécanismes de répercussion expliquent l'appauvrissement du système hospitalier, tant public que privé. Je le répète, c'est une menace grave pour l'accès aux soins, et nous devons y faire face dès maintenant.

M. Lamine Gharbi. Je souhaite apporter un complément d'information. Nous avons tous constaté la diminution de l'excédent de la branche hospitalière privée. Je crains que les chiffres de 2024, qui malheureusement ne seront disponibles que tardivement, ne révèlent une branche déficitaire. Sans vouloir opposer le public et le privé, je tiens à souligner que si un jour une délégation de service public était envisagée pour le secteur hospitalier, nous serions candidats pour reprendre la gestion de certains hôpitaux. Nous pensons en effet que nos méthodes pourraient être plus productives dans le secteur public.

Je me permets de faire une observation : 70 % des ressources humaines, incluant les salaires, sont allouées à l'hôpital public, qui ne réalise pourtant que 50 % de l'activité. Cette disparité entre notre branche et le secteur public mérite d'être soulignée.

M. Christophe Naegelen, rapporteur.  Ma dernière question porte sur la méthode spécifique aux établissements privés, sans chercher à les opposer au public. Je suis toujours surpris, de manière pragmatique, par certains aspects. Il faut reconnaître que le service rendu à la population aujourd'hui est majoritairement assuré par les hôpitaux publics, et ce pour diverses raisons que vous avez en partie évoquées, bien que la liste ne soit probablement pas exhaustive.

Il existe certainement des différences dans la gestion quotidienne, que ce soit au niveau managérial ou en termes d'effectifs par rapport au nombre de patients. Ma question est la suivante : avez-vous, notamment au sein de la Fédération, effectué des comparaisons sur des ratios par spécialité, sur le nombre d'interventions ou de personnel médical par rapport au nombre de patients ? Je serais intéressé de connaître la méthode permettant d'atteindre cette rentabilité nettement supérieure.

M. Sébastien Proto.  Ces dernières années, le secteur privé a entrepris un effort de réorganisation considérable. Le taux de chirurgie ambulatoire en est un excellent indicateur : nous atteignons 70 % dans notre secteur. Il est intéressant de noter que la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) a développé un outil appelé Visuchir, accessible en ligne, qui évalue le potentiel de chirurgie ambulatoire en France, acte par acte et spécialité par spécialité. Bien que nous soyons à 70 %, la Cnam estime que le potentiel dépasse 80 %. Cette estimation s'applique tant au privé qu'au public, sans distinction. Actuellement, le secteur public n'atteint pas encore 50 % de chirurgie ambulatoire, un écart qui ne peut s'expliquer uniquement par des prises en charge spécifiques.

Concernant le non-programmé, souvent cité comme une spécificité du public, je tiens à préciser que le privé lucratif gère également des actes non programmés, hors services d'urgence. J'estime que ce qui est non programmé n'est pas nécessairement non programmable, ce qui soulève des questions d'organisation.

Il est important de ne pas opposer systématiquement public et privé, d'autant que les contraintes de gestion peuvent différer. Néanmoins, dans le privé, l'accent mis sur l'efficience est considérable, notamment en raison de financements par acte nettement inférieurs à ceux du public. Par exemple, pour une opération du rachis, nous percevons 40 % de moins que le public, et pour un cancer des voies digestives, 33 % de moins. Cette contrainte financière pousse naturellement le système à s'adapter, exigeant une plus grande efficience.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je suis entièrement d'accord sur le fait qu'il ne faut pas opposer les secteurs public et privé. C'est une approche que je m'efforce d'adopter depuis le début de cette commission. Néanmoins, nous devons reconnaître que le secteur public fait face à des contraintes plus importantes sur certains aspects.

Je souhaite aborder la question de la fermeture de la maternité du groupe Ramsay à Versailles, qui réalisait 900 accouchements par an. Il est évident que dans le domaine MCO, particulièrement en obstétrique et dans la filière mère-enfant, les maternités ne sont pas les services les plus rentables actuellement. Nous observons un certain désengagement des cliniques privées dans ce domaine. J'ai pu le constater dans les Vosges, mon département de référence. Des accords entre le public et le privé sont mis en place pour maintenir un service adéquat, notamment parce que le privé constate une baisse du nombre d'accouchements. Ces partenariats public-privé deviennent intéressants, alors qu'auparavant, lorsque le nombre d'accouchements était plus élevé, entre 1300 et 1500, le privé assurait ce service de manière autonome et plus rentable.

M. Lamine Gharbi. Je tiens à apporter quelques précisions sur les maternités. Au cours des vingt dernières années, 45 services de maternité ont été fermés, répartis équitablement entre le public et le privé. Il est donc important de ne pas se fier aux idées préconçues. Ces données sont factuelles. Quant au taux de césarienne, souvent critiqué dans le privé, il s'élève à 23 % dans notre secteur contre 21 % dans le public. Là encore, il faut se méfier des idées reçues et ne pas généraliser à partir de certains cas de fermeture politiquement sensibles. J'aimerais maintenant que nous abordions la question de la psychiatrie, puis que nous revenions sur la carte sanitaire, si vous le voulez bien.

M. Christophe Naegelen, rapporteur J'insiste sur le fait que notre approche se veut factuelle et dénuée de tout préjugé. Notre objectif est d'élaborer un rapport permettant de formuler des propositions concrètes dans l'intérêt de nos territoires et de leurs habitants. Concernant les maternités, je note que le pourcentage évoqué est effectivement moins élevé que pour d'autres types d'opérations. J'entends vos observations sur les fermetures et je m'engage à vérifier précisément les chiffres, que je n'ai pas en mémoire actuellement. Nous prenons bonne note de tous ces éléments.

M. Benjamin Guiraud-Chaumeil. Concernant la participation des cliniques psychiatriques aux urgences psychiatriques, je vais illustrer mon propos par l'exemple du territoire toulousain que je connais bien en tant que directeur d'un établissement psychiatrique. En février dernier, à la suite d’incidents graves au CHU de Toulouse, une crise a éclaté, entraînant l'intervention du ministre et mobilisant l'ensemble des acteurs publics et privés pour trouver des solutions. Cette séquence a abouti à deux avancées significatives. Premièrement, lorsqu'on accorde du temps et de la confiance aux acteurs, comme l'a fait le directeur général de l'ARS dans notre région, ceux-ci s'investissent considérablement. Ainsi, huit établissements privés, en collaboration avec le CHU de Toulouse et le CHS Gérard Marchant, sont sur le point de signer un groupement de coopération sanitaire (GCS) pour améliorer la gestion des urgences psychiatriques.

Il est important de préciser que les urgences psychiatriques ne font pas l'objet d'une autorisation spécifique. Elles nécessitent un service d'urgence générale avec un plateau technique complet. Néanmoins, nous pratiquons quotidiennement des admissions directes, c'est-à-dire des hospitalisations non programmées. Pour chaque patient passant par un service d'urgence, trois ou quatre sont directement admis dans nos structures pour une hospitalisation rapide. Cette contribution est transparente et quantifiée.

Je considère que l'exemple toulousain démontre comment une période de crise a pu être transformée positivement grâce à la confiance, la visibilité et l'allocation de moyens adéquats. Actuellement, un établissement supplémentaire du groupe Ramsay a demandé l'autorisation pour les soins sans consentement auprès de l'ARS, ce qui portera à quatre le nombre d'établissements autorisés sur les huit existants. Notre contribution s'étend ainsi à tous les niveaux de la gradation des urgences psychiatriques.

M. Patrick Jourdain. Pour compléter les propos de mon collègue, je tiens à souligner que la complexité de la situation ne se résume pas à l'identification des établissements disposant d'une ligne de garde. Il s'agit plutôt de déterminer qui, en pratique, accepte les patients non programmés. La question cruciale est de savoir qui prendra en charge un patient nécessitant une hospitalisation, y compris en dehors des heures ouvrables, les week-ends et jours fériés. Cela implique la présence d'un médecin sur place, capable d'évaluer et d'admettre le patient.

Concernant la gynécologie et la fermeture de la maternité à Versailles, il convient de noter que nous ne sommes pas dans une zone défavorisée comme les Vosges, mais dans une région où les services seront simplement déplacés vers Le Chesnay, à une distance relativement courte. Il faut prendre en compte les recommandations et les résultats des études scientifiques, notamment concernant la mortalité maternelle qui est malheureusement en augmentation en France, avec environ 8,1 cas pour 100 000 grossesses.

Plusieurs facteurs influencent ces résultats, tels que l'âge de la mère, les critères de périnatalité habituels comme le poids et l'obésité, le pays de naissance, mais aussi la taille de l'établissement. En France, il existe une gradation des maternités, allant des petites structures aux établissements de haut niveau capables de gérer des cas complexes. Notre responsabilité est d'offrir non seulement une présence, mais surtout des soins de qualité visant à réduire les risques pour la mère et l'enfant.

Dans cette optique, la réflexion territoriale consiste à évaluer si le regroupement de deux petites maternités ne permettrait pas d'améliorer la qualité des soins. Cette logique sous-tend la création des groupements hospitaliers de territoire. Il ne s'agit pas simplement de considérer les chiffres, mais d'examiner si le temps de transport pour les patientes sera significativement modifié entre Versailles et Le Chesnay, ce qui ne semble pas être le cas.

Notre approche ne vise pas la rentabilité, mais plutôt à optimiser la prestation de soins avec les ressources disponibles. Cela nous ramène à la psychiatrie, où nous adoptons une approche plus moderne et holistique, moins axée sur la camisole chimique. De plus, l'appartenance à un groupe nous permet de négocier plus efficacement l'achat de médicaments, à l'instar de la logique des groupements hospitaliers de territoire dans le secteur public.

Enfin, concernant la gestion de la crise du Covid-19, je tiens à souligner que Ramsay Santé a pris en charge 17 % des patients franciliens atteints du Covid. Le secteur privé a pleinement assumé sa part de responsabilité, malgré des ressources initialement plus limitées en termes de services de soins critiques et de médecine.

Dr François-Bruno Le Bot. Je souhaite apporter un éclairage supplémentaire sur la situation en gynécologie-obstétrique, fort de mon expérience et de celle de mes collègues dans ces services. Le problème majeur n'est pas d'ordre financier, mais se situe à deux niveaux distincts. D'une part, il s'agit d'un enjeu de sécurité. D'autre part, nous faisons face à un manque criant de personnel qualifié. Pour assurer le fonctionnement sûr d'une maternité, il est impératif de disposer d'une équipe complète comprenant une ligne de garde de pédiatres, des anesthésistes-réanimateurs formés spécifiquement à la réanimation pédiatrique ainsi que des gynécologues-obstétriciens. La réforme de l'internat a malheureusement conduit à la formation de gynécologues médicaux qui ne sont plus en mesure de prendre en charge les aspects chirurgicaux tels que les césariennes ou les complications hémorragiques. Cette situation rend extrêmement complexe la gestion des maternités où l'on ne compte qu'un ou deux accouchements quotidiens, généralement sans complication. Cependant, lorsqu'une situation critique survient, une équipe complète et compétente doit impérativement être présente. Malheureusement, nous ne disposons plus des effectifs nécessaires pour faire fonctionner ce type de maternité. Bien que regrettable, cette réalité s'impose à nous.

M. Sébastien Proto. Concernant la situation des maternités, il est crucial de souligner que 70 % des établissements privés sont déficitaires. Si le critère financier était le seul déterminant des regroupements, on pourrait légitimement s'interroger sur la persistance de notre engagement dans le domaine obstétrical. Prenons l'exemple du groupe Elsan : nous gérons 24 maternités et consacrons une part importante de notre temps à revitaliser ces structures, alors même qu'elles subissent une baisse d'activité plus marquée que dans le secteur public. Cette diminution des accouchements résulte en partie des politiques publiques ayant instauré une hiérarchisation des maternités par niveau.

J'attire votre attention sur le débat actuel concernant les causes de l'augmentation de la mortalité infantile. Les chiffres varient considérablement entre les DOM-TOM et la métropole, ainsi qu'au sein même du territoire métropolitain. Ce constat alimente des arguments en faveur du maintien des petites maternités et du renforcement des exigences en matière de personnel, au-delà des normes établies ou modifiées en 1998. Il convient d'être extrêmement prudent sur ces deux aspects, car nous risquons d'exacerber davantage les difficultés existantes.

Je réitère que le maintien de maternités réalisant seulement 300 accouchements par an s'avère extrêmement complexe. Cependant, il est essentiel de comprendre que cette problématique ne se résume aucunement à des considérations économiques.

M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie pour la richesse de vos propos.

 

 

 

 


–  1  –

22.   Audition de M. Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po

 

Mme la présidente Murielle Lepvraud. Nous accueillons M. Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po, qui a notamment dirigé le laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques. Je vous donne immédiatement la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes, afin de laisser ensuite place aux échanges sous forme de questions et réponses, à commencer par celle de notre rapporteur.

Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Bruno Palier prête serment.)

M. Bruno Palier, directeur de recherche du CNRS à Sciences Po. Compte tenu de mon expertise, je souhaite aborder la question de l'accès aux soins sous un angle comparatif, en examinant la situation de la France par rapport à d'autres pays européens, notamment la Suède et l'Allemagne, avec quelques références à la Grande-Bretagne.

Il convient tout d'abord de rappeler le préambule de la Constitution de la Ve République, qui affirme le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé et son bien-être, notamment en matière de soins médicaux, ainsi que le droit à la sécurité en cas de maladie. Ce droit constitutionnel s'applique à tous les citoyens sans distinction.

La France se caractérise par des résultats de santé globalement bons, bien que non optimaux, au regard des données de l'OCDE. Ces résultats se situent dans la moyenne des pays de l'OCDE, alors même que les dépenses de santé françaises figurent parmi les plus élevées d'Europe. Ce constat souligne que l'efficacité d'un système de santé ne dépend pas uniquement du niveau des dépenses, qu'elles soient privées ou publiques. Les États-Unis, par exemple, présentent des résultats de santé nettement inférieurs à ceux de l'Europe malgré des dépenses considérablement plus élevées.

La France, l'Allemagne et la Suisse constituent le trio de tête en termes de dépenses de santé en Europe, tant en part du PIB qu'en montant par habitant. Cependant, cette situation ne se traduit pas nécessairement par une performance proportionnelle du système de santé. Il s'agit donc moins d'une question de moyens que d'une problématique d'organisation et d'utilisation efficiente des ressources disponibles.

Un autre aspect préoccupant concerne les inégalités sociales de santé en France, qui se manifestent notamment par des écarts significatifs d'espérance de vie entre les différentes catégories socioprofessionnelles. Bien que nous ne disposions pas d’études spécifiques démontrant un accès différencié aux soins selon les groupes sociaux, des indicateurs indirects, tels que l’accès aux mutuelles de qualité, révèlent une corrélation entre le statut social et l’accès effectif aux soins de santé.

Les travaux de Florence Jusot ont mis en évidence un gradient social dans l'accès aux mutuelles et à leur qualité, ce qui impacte directement les résultats de santé et l’accès aux soins. Ce phénomène s’observe également en fonction de l’âge, les personnes âgées étant confrontées à des coûts de mutuelle nettement plus élevés que les actifs, une disparité qui s'est accentuée depuis l'instauration des mutuelles obligatoires pour les actifs en 2013.

Un indicateur particulièrement alarmant est le taux de mortalité infantile en France, qui s'élève à 4,1 pour mille, soit près du double de celui observé en Suède ou au Japon, et bien au-dessus de la moyenne européenne. Ce chiffre est révélateur non seulement du niveau d'éducation des parents, mais aussi de la performance et de l'accessibilité du système de santé.

Concernant spécifiquement l'accès aux soins, trois hypothèses principales peuvent être avancées pour expliquer les difficultés rencontrées : une insuffisance globale ou locale de l'offre de soins, une inadéquation entre l'offre et la demande, ou encore un refus de certains prestataires de proposer des soins malgré leur présence.

Quant à la question de la suffisance de l'offre de soins au niveau global, la situation a évolué. Il y a encore cinq à dix ans, la France se situait dans la moyenne des pays de l'OCDE avec 3,3 médecins pour 1 000 habitants. Cependant, la situation actuelle nécessite une analyse plus approfondie pour déterminer si cette offre reste adéquate face aux besoins croissants de la population.

En actualisant mes données, j'ai constaté que l'offre de soins a augmenté dans la plupart des pays de l'OCDE au cours des quatre à cinq dernières années. La moyenne actuelle dans ces pays s'élève à 4,2 médecins pour 1 000 habitants. En France, cependant, l'offre de soins a stagné, maintenant un ratio de 3,2 médecins pour 1 000 habitants. Cette situation révèle un problème démographique évident, une réalité que je n'aurais pas énoncée il y a cinq ans.

Il est probable que vous ayez examiné la question du numerus clausus et l'absence de vision à moyen et long terme des autorités responsables de notre système de santé. La gouvernance complexe de ce système, impliquant plusieurs acteurs, a manifestement entravé notre capacité à anticiper les mouvements démographiques. Depuis deux décennies, nous lisons des rapports prédisant un départ massif à la retraite des médecins, sans pour autant voir émerger de solutions concrètes. La position des médecins sur le numerus clausus a, quant à elle, évolué au fil du temps.

Concernant l'offre de soins, la France présente une particularité : une répartition à parité entre généralistes et spécialistes. Cette configuration est unique, car dans d'autres pays, on observe soit une prédominance de spécialistes, soit une majorité de généralistes, notamment dans les systèmes nationaux de santé. La France occupe donc une position intermédiaire.

Pour ce qui est des lits d'hôpitaux, la France se situe légèrement au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE, mais loin derrière les leaders comme l'Allemagne. Il faut noter que, depuis vingt à trente ans, une politique de réduction du nombre de lits d'hôpitaux a été menée dans tous les pays de l'OCDE, y compris en France. Les années 1990 ont été particulièrement marquées par cette tendance, notamment sous le mandat de Martine Aubry, avec une suppression de 19 % des lits d'hôpitaux. D'autres pays ont été encore plus drastiques, comme la Suède qui a supprimé 50 % de ses lits durant la même période.

Cette politique de réduction a principalement ciblé les petits hôpitaux locaux, notamment les maternités, sous prétexte qu'un faible volume d'activité pouvait compromettre la sécurité des soins. Cependant, des analyses ultérieures suggèrent que cette approche a peut-être été trop arithmétique, négligeant les besoins et les configurations locales spécifiques. Cette situation soulève des questions cruciales sur la gouvernance : où et comment ces décisions sont-elles prises ? Au niveau national, régional ou local ? Ces enjeux dépassent le cadre purement sanitaire pour englober des considérations d'emploi et de prestige politique local.

Un autre aspect crucial de l'offre de soins concerne la répartition géographique des médecins. Même avec un nombre suffisant de praticiens au niveau national, leur distribution sur le territoire peut être problématique. La France se distingue comme le seul pays développé offrant une liberté d'installation totale aux médecins. Cette particularité, qui n'existe même pas aux États-Unis, constitue une véritable anomalie parmi les pays riches de l'OCDE.

Cette liberté d'installation, bien que non explicitement mentionnée dans la Charte de la médecine libérale, a été farouchement défendue par les professions médicales, en particulier par les internes. Toute tentative de régulation, même modérée, a systématiquement rencontré une forte opposition. Les conséquences de cette politique sont évidentes : des disparités marquées dans l'offre de santé, avec une concentration de médecins dans les zones urbaines aisées et une pénurie dans les territoires ruraux et défavorisés.

Il est important de souligner que l'offre de soins ne suit pas les mécanismes classiques du marché. Dans un marché traditionnel, une offre abondante entraînerait une baisse des prix. Or, ce n'est pas le cas dans le domaine de la santé, considéré comme un bien supérieur pour lequel les individus sont prêts à payer un prix élevé, dans la limite de leurs moyens.

Les écarts dans l'offre de soins peuvent atteindre des proportions considérables, allant parfois du simple au double, voire au double et demi, entre les régions rurales et urbaines. Ces disparités s'observent même au sein de grandes villes comme Paris, où certains arrondissements bénéficient d'une concentration nettement plus élevée de médecins que d'autres.

La liberté d'installation des médecins constitue, à mon sens, le facteur essentiel du différentiel d'accès aux soins en France. Cette liberté engendre une offre de soins disparate sur le territoire. Concernant l'évolution de l'hôpital et sa concurrence avec le secteur privé, ce sujet mériterait une discussion approfondie ultérieure.

J'attire votre attention sur la problématique du refus de soins, un phénomène bien documenté par le fonds de la couverture maladie universelle (CMU) à travers de nombreux tests. Les chiffres pour Paris et sa région sont particulièrement alarmants. Environ la moitié des spécialistes refusent de soigner les bénéficiaires de la protection universelle maladie (Puma). Leurs motivations sont doubles : d'une part, le refus du tiers payant qui les empêche de pratiquer des dépassements d'honoraires, et d'autre part, une perception négative des patients en situation de précarité, jugés moins observants et moins assidus dans leur suivi médical. Ce phénomène touche également les généralistes, bien que dans une moindre mesure, avec 25 à 30 % de refus constatés en région parisienne.

Ces difficultés d'accès aux soins révèlent l'incapacité de notre système à réguler efficacement l'offre de soins. Cette situation découle d'un modèle de gouvernance particulièrement complexe, voire défaillant, qui mériterait d'être comparé aux systèmes britannique, suédois ou allemand. Je reste à votre disposition pour approfondir ces points lors de la discussion.

Mme la présidente Murielle Lepvraud. Avant de donner la parole au rapporteur, permettez-moi d'aborder la question du financement de la sécurité sociale. Vous affirmez que le problème ne se résume pas à une question de moyens. Pourtant, de nombreuses auditions ont mis en lumière un manque de financement. Vos travaux soulignent le rôle central de la sécurité sociale dans l'accès universel aux soins. Or, nous constatons une diminution progressive de la part des cotisations sociales dans son budget, passant de 57 % en 2015 à 48 % en 2023, au nom de la compétitivité économique.

Dans quelle mesure cette évolution remet-elle en question le modèle solidaire de la sécurité sociale ? Quelles conséquences cela peut-il avoir sur l'équité d'accès aux soins ? Par ailleurs, vous avez comparé la France aux pays de l'OCDE. Existe-t-il des systèmes solidaires similaires dans d'autres pays ?

M. Bruno Palier. Je tiens à clarifier mon propos : je n'ai pas affirmé que le financement n'était pas un enjeu, mais plutôt qu'il ne s'agissait pas de l'unique problème. En effet, certains pays obtiennent de meilleurs résultats de santé avec des structures démographiques similaires et des dépenses légèrement inférieures aux nôtres.

Concernant la question des moyens, il est important de noter qu'après le pic de dépenses lié à la crise du Covid-19, commun à tous les pays, la France est revenue à un niveau de dépenses de santé légèrement supérieur à celui d'avant-crise. Cependant, cette progression ne suit pas nécessairement l'augmentation de la demande en matière de santé, notamment visible à travers la hausse du nombre d'affections de longue durée, en partie liée au vieillissement de la population.

Bien que les moyens consacrés à la santé en France restent relativement élevés, ils ne semblent pas suivre la courbe ascendante de la demande. Il convient donc de souligner que les problèmes d'organisation du système de santé jouent également un rôle crucial.

Concernant le financement de la santé, je ne pense pas que la diminution de la part des cotisations sociales remette en cause la dimension solidaire de notre système. Au contraire, cette évolution reflète un changement dans la nature des dépenses de santé. Dans les années 1940-1950, la majorité des dépenses était consacrée aux indemnités journalières, remplaçant le salaire pendant la maladie. Il paraissait alors logique de les financer par des cotisations sociales payées par les salariés et les employeurs.

Aujourd'hui, plus de 90 % des dépenses sont consacrées aux soins, qui doivent être garantis à l'ensemble des citoyens, conformément à notre Constitution. De nombreux législateurs ont donc estimé qu'il était plus pertinent d'asseoir le financement de l'assurance maladie sur d'autres ressources que celles du travail, d'où l'importance croissante de la contribution sociale généralisée (CSG).

La CSG reste un mode de financement solidaire, puisqu'elle est prélevée sur tous les revenus, y compris les revenus indirects comme les retraites et les allocations chômage, ainsi que sur une partie des revenus du patrimoine. Cette particularité française de faire contribuer les revenus du capital au financement des dépenses sociales est assez unique.

Le véritable enjeu réside dans la volonté des gouvernements successifs de limiter les prélèvements obligatoires, quels qu'ils soient, pour des raisons de compétitivité économique. Cette approche a pu restreindre les ressources allouées à la santé, indépendamment de leur nature.

Dans les autres pays, on observe différentes configurations. Les systèmes organisés comme des services publics, appelés systèmes nationaux de santé (comme au Royaume-Uni, dans les pays nordiques, et en grande partie en Espagne et en Italie), sont financés quasi intégralement par l'impôt, à la fois national et souvent local. Cette approche est justifiée par un souci de solidarité : tous les citoyens contribuent via l'impôt pour financer les soins de l'ensemble de la population.

À l'opposé, les systèmes issus d'une logique d'assurance maladie, dits bismarckiens comme en Allemagne ou en France, reposent davantage sur un financement par cotisations sociales. Ces systèmes rencontrent cependant des difficultés pour couvrir les personnes non affiliées à un régime professionnel, telles que les veuves sans profession, les chômeurs de longue durée, ou les personnes en situation de grande précarité.

Pour répondre à ce défi, la France a mis en place successivement le revenu minimum d'insertion (RMI) associé à une inscription automatique au régime général, puis la CMU, et enfin la Puma. L'Allemagne a rencontré des problèmes similaires. Les systèmes nationaux de santé, quant à eux, ne connaissent pas ce type de discrimination à l'entrée.

En conclusion, notre système, bien qu'ayant évolué vers une couverture universelle, continue de faire face à des défis d'organisation et d'allocation des ressources, plutôt qu'à des limitations strictes de la demande de soins.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Je prends note de votre affirmation selon laquelle il ne s'agit pas uniquement d'une question de moyens. Je partage votre point de vue et j'estime qu'il aurait été pertinent d'approfondir cette réflexion. En effet, le problème concerne principalement les ressources humaines, l'utilisation et l'organisation de ces ressources, plutôt que les aspects purement financiers.

Vous avez souligné que la France est le seul pays où la liberté d'installation des médecins est totale. Compte tenu des statistiques que vous avez présentées, à savoir 3,2 médecins pour 1 000 habitants en France contre 4,2 pour 1 000 dans l'OCDE, soit une différence de 30 %, pensez-vous réellement qu'une obligation d'installation ou une régulation forte produirait des résultats positifs à court terme, étant donné la situation actuelle du nombre de médecins par habitant ? Les chiffres semblent indiquer une pénurie généralisée sur l'ensemble du territoire, à l'exception de certaines zones que vous avez mentionnées, notamment celles avec une population âgée et disposant de moyens suffisants.

Par ailleurs, concernant votre comparaison avec les autres pays européens, vous avez évoqué le système mutualiste français et son impact. Pourriez-vous nous éclairer sur la structure de la solidarité nationale dans les autres pays de l'OCDE ? En France, nous savons que cette solidarité est très développée, avec un ticket modérateur relativement faible et une prise en charge majoritaire par la solidarité nationale. Qu'en est-il dans les autres pays européens ?

Enfin, vous avez abordé la notion d'usage, ce qui m'amène à vous interroger sur la consommation de soins de santé. Existe-t-il des différences significatives dans les habitudes de consommation de soins entre la France et les autres pays de l'OCDE ?

M. Bruno Palier. Nous nous éloignons quelque peu de la question de l'accès aux soins pour nous concentrer sur la structure des consommations de santé. Concernant le premier point, il est important de noter que la moyenne de 4,2 médecins pour 1 000 habitants dans l'OCDE s'explique en partie par l'intégration récente de pays moins développés économiquement mais disposant d'un nombre plus élevé de médecins. Il y a quelques années, avec un ratio de 3,2 médecins pour 1 000 habitants, la situation française n'aurait pas été considérée comme problématique si la répartition avait été plus équilibrée.

Je maintiens qu'une meilleure distribution des médecins sur le territoire résoudrait une partie significative du problème. Il serait inexact d'affirmer qu'il y a une pénurie de médecins partout en France. La question centrale réside dans les disparités d'offre de soins par habitant entre les différentes régions. Les rapports que vous mentionnez mettent en évidence ces écarts importants, tant pour les médecins généralistes que pour les spécialistes selon les zones géographiques.

Concernant la régulation de l'installation des médecins, je n'ai pas employé le terme de coercition. J'ai simplement rappelé que dans de nombreux pays, comme aux États-Unis, il est courant de devoir obtenir l'autorisation de l'autorité compétente avant de s'installer, celle-ci pouvant refuser si le secteur est déjà suffisamment pourvu en médecins. Ce système est similaire à celui en vigueur pour les pharmaciens en France.

Quant à la prise en charge des soins, il convient de distinguer la médecine de ville des soins hospitaliers et des affections de longue durée (ALD). La France offre une couverture exceptionnelle pour les ALD. Cependant, il faut noter que les personnes atteintes d'ALD ont souvent des dépenses de santé plus élevées, non couvertes par l'ALD, en raison de comorbidités.

Je suis toujours surpris par la façon dont la France parvient à convaincre les organisations internationales que le reste à charge des patients n'est que de 7 %. Cette statistique inclut les mutuelles dans la solidarité nationale, ce qui est discutable. Les mutuelles sont des assurances privées, certes à but non lucratif, mais qui pratiquent une sélection des risques, notamment en faisant payer plus cher les personnes âgées. Elles ne sont pas obligatoires pour tous les Français, malgré une tentative de généralisation pour les actifs.

En réalité, pour les soins courants, la situation est bien différente. Dans une version antérieure de leur ouvrage, Didier Tabuteau et Hervé Lebrun estimaient que la sécurité sociale ne couvrait que 55 % des dépenses de santé pour les soins de ville courants. Bien que ce chiffre ait probablement augmenté depuis l'instauration du 100 % santé pour les lunettes et les soins dentaires, nous sommes encore loin d'une prise en charge totale.

La France a fait le choix implicite de bien couvrir les affections de longue durée et les maladies graves, mais de moins bien prendre en charge les soins courants. Cette approche peut conduire à des renoncements aux soins pour des raisons financières, notamment pour les personnes aux revenus modestes ou sans mutuelle adéquate. Ce renoncement peut entraîner des diagnostics tardifs et l'aggravation de pathologies qui auraient pu être traitées plus tôt.

Il est important de souligner que le ticket modérateur, censé modérer la consommation de soins, n'a cet effet que pour ceux qui n'ont pas de mutuelle ou qui ont une couverture insuffisante. Pour les autres, il est pris en charge par les mutuelles et n'a donc pas d'effet modérateur sur la consommation de soins.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je tiens à préciser que mes propos antérieurs concernaient une majeure partie du territoire, et non sa totalité. J'ai effectivement souligné que dans les zones où résident des populations plus âgées et aisées, la pénurie de médecins ne se fait pas ressentir.

Concernant les mutuelles, je me référais spécifiquement à l'accès aux médecins généralistes, pour lequel la mutuelle n'intervient pas directement, le remboursement étant assuré par la sécurité sociale.

J'aurais souhaité que vous développiez davantage, dans votre introduction, l'expertise que vous avez mentionnée sur l'Allemagne, l'Angleterre et la Suède, notamment en ce qui concerne la structuration des remboursements dans ces pays. En France, nous distinguons généralement trois pôles de financement : la solidarité nationale, les mutuelles, et le reste à charge. La part de la solidarité nationale y est relativement importante comparée à d'autres pays, où la répartition entre ces trois pôles varie. Pourriez-vous nous éclairer sur la structure des coûts de santé dans ces pays ?

Par ailleurs, j'aimerais que vous abordiez l'évolution des comportements en matière de santé. Lors de nos différentes auditions, des professionnels ont évoqué un changement dans la perception de la santé et dans le recours aux soins, notamment aux urgences. Votre avis sur ces deux points serait précieux.

M. Bruno Palier.  Il est crucial de souligner l'importance des mutuelles dans l'accès à la médecine de ville en France. En effet, c'est précisément dans ce domaine que la couverture de la sécurité sociale est insuffisante. Une estimation, bien qu'ancienne, indiquait que seulement 55 % des dépenses courantes de santé, principalement en médecine de ville, étaient prises en charge par la sécurité sociale. Le reste doit être couvert soit par les mutuelles, soit directement par les patients. Cette situation diffère pour les soins hospitaliers et les pathologies graves, où la couverture est plus complète.

Concernant le Royaume-Uni, nous sommes face à un modèle radicalement différent. Les consultations chez les généralistes et les soins hospitaliers y sont entièrement gratuits. Les patients ne paient que des forfaits pour les médicaments et les lunettes. Ce système de santé est véritablement universel et solidaire. De plus, l'installation des médecins y est régulée de manière plus stricte qu'en France, permettant une meilleure répartition géographique des praticiens. Le financement de ce système repose entièrement sur l'impôt, avec une logique de redistribution tant au niveau du financement que de l'accès aux soins.

Les pays nordiques, comme la Suède, ont également opté pour un système national de santé, considérant les soins comme un service public. La particularité de ces pays réside dans la décentralisation massive de leur système de santé. Les régions ont la compétence et les moyens de mener leur propre politique de santé, financée par des impôts locaux. Bien qu'universel, ce système comporte un ticket modérateur plafonné, visant à responsabiliser les patients sans pour autant créer d'obstacle financier majeur à l'accès aux soins.

En Allemagne, le système se rapproche de celui de la France, mais avec un taux de prise en charge des dépenses courantes de santé plus élevé. Cela réduit la nécessité de recourir à des mutuelles complémentaires, qui ne concernent qu'environ un tiers de la population et couvrent principalement des soins moins essentiels, comme les cures thermales.

Il est important de noter que tant au Royaume-Uni qu'en Suède, des assurances privées existent, principalement utilisées par les populations aisées pour contourner les listes d'attente, qui constituent un défi majeur dans ces systèmes de santé universels.

Mme la présidente Murielle Lepvraud. J'aimerais maintenant aborder la question de la tarification à l'activité (T2A). Avez-vous mené des travaux sur ce sujet, notamment concernant ses impacts sur les conditions de travail et l'accès aux soins ? Pourriez-vous également nous éclairer sur les enjeux liés à la rentabilité de certains soins par rapport à d'autres, en particulier dans le contexte de la comparaison entre secteurs privé et public ?

M. Bruno Palier. La T2A présente deux inconvénients majeurs : elle est chronophage et inflationniste. Son caractère chronophage se traduit par une réduction du temps consacré aux patients, le personnel étant contraint de remplir des fichiers Excel au détriment du soin. Son aspect inflationniste découle de la nécessité de générer de l'activité pour assurer le financement de l'hôpital, ce qui peut conduire à des actes non essentiels.

Ce mode de financement, inspiré du système DRG (diagnosis related groups) américain des années 1970, s'est répandu dans les pays développés avec des conséquences observables. En France, l'introduction de la T2A a entraîné une augmentation des césariennes, plus rémunératrices pour l'hôpital. Ce phénomène illustre parfaitement l'effet inflationniste de ce système.

La rémunération à l'acte, tant pour les établissements que pour les professionnels de santé, incite à multiplier les interventions pour accroître les revenus. Cette approche soulève des interrogations sur la pertinence des soins prodigués. Une étude de l'OCDE a d'ailleurs démontré que la tarification à l'activité était responsable d'une augmentation de 11 % des dépenses de santé dans les pays concernés, sans pour autant améliorer les résultats en termes de santé publique.

Ce système encourage également la spécialisation dans les activités les plus rentables, au risque de négliger certains soins essentiels, mais moins bien rémunérés. Il induit une concurrence entre établissements, non pas basée sur les besoins réels en soins, mais sur la rentabilité des actes.

Il est intéressant de noter que dès 1995, soit vingt ans après l'introduction du DRG aux États-Unis, les effets inflationnistes étaient déjà constatés. Les assureurs privés américains commençaient à envisager un retour vers un financement plus stable des hôpitaux. Paradoxalement, c'est à cette période que la France initiait le programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), prélude à la T2A.

Lors de la mise en place effective de la T2A en France entre 2003 et 2008, les évaluations internationales mettaient déjà en garde contre ses effets inflationnistes. Malgré ces avertissements, les responsables du ministère de la santé ont persisté, arguant que ce système garantissait au moins l'activité des hôpitaux.

Aujourd'hui, face à ce constat largement partagé, de nombreux pays s'orientent vers un financement basé sur la qualité des soins. Cette approche soulève cependant de nouveaux défis, notamment en termes de mesure de la qualité. Le NHS britannique a exploré cette voie, et en France, des réflexions ont été initiées sous l'impulsion d’Agnès Buzyn. Le président Emmanuel Macron a également évoqué la possibilité de revoir le mode de financement des hôpitaux pour ne plus dépendre exclusivement de la T2A.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je ne peux souscrire entièrement à votre analyse, bien que je reconnaisse la pertinence de certains points. Il est vrai que des directeurs d'hôpitaux et des médecins ont pu considérer que la T2A a, à une certaine époque, contribué à sauver l'hôpital public. Cependant, nous constatons aujourd'hui ses effets néfastes.

Si la T2A s'avère inadaptée pour certaines activités, comme la maternité et l'obstétrique dans leur ensemble, elle a néanmoins permis de quantifier le travail effectué par les médecins et d'augmenter la capacité de prise en charge des patients. Cette motivation tarifaire a eu des effets positifs qu'il ne faut pas négliger.

En conclusion, comme on le dit souvent, il faut savoir user de tout sans abuser de rien. La T2A fait partie de ces outils qui, utilisés avec discernement, peuvent avoir leur utilité.

M. Bruno Palier. Je suis d'accord avec votre analyse. Je n'ai pas défendu les modes de financement antérieurs à la T2A, conscient de leurs défauts respectifs. Le prix de journée incitait à prolonger inutilement les séjours hospitaliers, tandis que l'enveloppe globale récompensait paradoxalement les établissements qui dépassaient leur budget, tout en pénalisant les bons gestionnaires. De plus, ce système était sujet à des pressions politiques, avec des interventions directes auprès du ministre pour augmenter les budgets.

Le véritable enjeu réside dans notre incapacité à mettre en place un cocktail équilibré de modes de financement. Nous avons tendance à adopter des approches uniformes, alors qu'il faudrait trouver la combinaison optimale. Certes, nous disposons du financement des missions de service public, mais il faudrait trouver une part d'incitation à l'activité, sans tomber dans les travers inflationnistes et de spécialisation excessive.

Trouver ce juste équilibre est un défi majeur pour de nombreux systèmes de santé. Heureusement, nous commençons à évoluer dans cette direction de réflexion. Il y a encore cinq ou dix ans, on croyait avoir trouvé la solution miracle avec la T2A, tout comme on avait précédemment misé sur le budget global.

Mme la présidente Murielle Lepvraud. Je vous remercie pour votre contribution. Je vous invite à compléter vos propos par écrit en répondant aux questions du rapporteur, si vous le souhaitez. N'hésitez pas à transmettre au secrétariat tout document que vous jugerez utile pour la commission d'enquête et à répondre aux questionnaires qui vous ont été envoyés.

 

 

 

 

 


–  1  –

23.   Table ronde sur les « acteurs de proximité / centres de santé / communautés professionnelles territoriales en santé » réunissant : M. Frédéric Villebrun, président de l’Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS) ; M.  Jean-François Moreul, président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS) ; le Dr Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS) ; Mme Emmanuelle Barlerin, coprésidente de AVECsanté et le Dr Margot Bayart, présidente de la Fédération des soins primaires

M. le président Jean-François Rousset. Je déclare ouverte la séance de notre commission d’enquête sur l’organisation du système de santé et les difficultés d’accès aux soins. Nous accueillons aujourd’hui une table ronde réunissant des acteurs de proximité, en présentiel et en visioconférence.

Je vous invite à prononcer une brève intervention liminaire d’environ cinq minutes, avant de passer aux échanges sous forme de questions-réponses, en commençant par notre rapporteur.

Je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Frédéric Villebrun, M. Jean-François Moreul, Mme Hélène Colombani, Mme Emmanuelle Barlerin et Mme Margot Bayart prêtent serment.)

M. Frédéric Villebrun, président de l’Union syndicale des médecins de centres de santé (USMCS). Je suis Frédéric Villebrun, médecin généraliste et directeur de la santé dans une ville du Val-de-Marne, responsable notamment d’un centre municipal de santé. J’interviens aujourd’hui en tant que coprésident de l’Union syndicale des professionnels des centres de santé, anciennement Union syndicale des médecins de centres de santé. Notre organisation, qui représente plus de 54 000 professionnels, a récemment élargi son champ d’action à l’ensemble des professionnels des centres de santé.

Depuis plus d’une décennie, nous constatons une augmentation significative du nombre de centres de santé et des professionnels y exerçant. Notre syndicat, fondé en 1946, s’est toujours engagé pour la défense des médecins de centres de santé. En décembre dernier, nous avons étendu notre action à l’ensemble des professionnels de ces structures. Notre mission est double : défendre les intérêts de nos collègues et promouvoir les centres de santé, que nous considérons comme un maillon essentiel du système de soins français.

Nous aspirons à développer un maillage territorial complet de centres de santé, qu’ils soient publics ou à vocation de service public, en complément de l’hôpital public. Nos efforts ont permis des avancées significatives, notamment en matière de rémunération des médecins de centres de santé. Nous avons obtenu la possibilité d’un salariat pour les maîtres de stage, une mesure appréciée également par les médecins libéraux. De plus, la maîtrise de stage et la permanence de soins ambulatoires ont été intégrées au système des collaborateurs occasionnels de services publics, grâce à notre action.

En collaboration étroite avec la Fédération nationale des centres de santé, nous plaidons pour une révision du modèle médico-économique et du financement des centres de santé. Notre syndicat reste vigilant et souhaite participer activement aux négociations en cours sur ces questions.

Enfin, nous militons pour la création d’un statut spécifique pour l’ensemble des professionnels des centres de santé, actuellement inexistant, notamment dans les services publics. Malgré nos interpellations répétées auprès du ministère et de la direction générale des collectivités locales (DGCL), nous n’avons pas encore obtenu de réponse positive. Un tel statut permettrait d’établir des passerelles entre différents domaines comme la protection maternelle et infantile (PMI), la médecine scolaire ou la médecine du travail, renforçant ainsi l’attractivité du service public de santé. Nous espérons que cette commission pourra contribuer à faire avancer ce projet, qui serait un véritable levier pour améliorer l’attractivité de l’ensemble du service public de santé ambulatoire.

Dr Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS). Je suis le docteur Hélène Colombani, médecin généraliste et spécialiste en santé publique. J’interviens au nom de la Fédération nationale des centres de santé, une organisation créée il y a plus de 60 ans et reconnue comme représentative par le ministère. Cette reconnaissance nous confère le droit de négocier l’accord national des centres de santé.

Notre fédération se distingue par sa représentation des centres médicaux et polyvalents, avec plus de 400 structures adhérentes réparties sur l’ensemble du territoire national. Nous comptons parmi nos membres un nombre important d’acteurs publics, dont 171 collectivités territoriales : 133 communes, 22 intercommunalités, 13 départements, ainsi que des groupements d’intérêt public régionaux comme ceux du Centre-Val de Loire et de l’Occitanie. Nous représentons également dix hôpitaux, dont l’Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM), et six universités.

Au-delà du secteur public, notre fédération inclut diverses associations et fondations, telles que le Comité pour les exilés (Comede), l’Association de lutte contre le sida (Aides) et l’Institut Vernes à Paris. Cette diversité reflète la variété des structures médicales et polyvalentes implantées dans différentes régions de France.

Il est important de souligner que, depuis 2016, nous avons observé une croissance remarquable de 169 % du nombre de centres de santé médicaux et polyvalents, selon les données de l’Observatoire des centres de santé. Cette augmentation significative témoigne de l’importance croissante de ces structures dans notre système de santé.

Le modèle économique des centres de santé, bien que fragile, est adopté par de nombreux porteurs de projets pour développer une offre de soins primaires sur les territoires.

La gouvernance de la FNCS repose sur un conseil d’administration de cinquante membres, reflétant une grande diversité d’acteurs. Je préside cette fédération, épaulée par deux vice-présidents, dont André Accary, président du conseil départemental de Saône-et-Loire. Cette composition variée constitue la force de notre organisation.

La FNCS accompagne ses adhérents dans le développement de leurs missions et participe activement aux travaux sur les soins primaires au sein du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) depuis trois ans. Notre vision des soins primaires s’articule autour du concept d’unités de soins primaires, visant à assurer un maillage territorial équitable. Bien que le contenu précis de ces unités reste à définir, le rapport du HCAAM souligne l’importance de partir des besoins des patients. Cela englobe les consultations, les visites à domicile, la permanence des soins, la prévention, l’éducation thérapeutique, et bien d’autres aspects.

Notre projet se concentre sur ce maillage territorial comme réponse aux difficultés d’accès aux soins. Nous sommes prêts à approfondir ce sujet et à répondre à vos questions.

Mme Emmanuelle Barlerin, coprésidente de AVECsanté. Je suis Emmanuelle Barlerin, coprésidente de la fédération AVECsanté, qui représente les maisons de santé à l’échelle nationale. Cette coprésidence, que j’assure avec Pascal Gendry, médecin en Mayenne, et Patrick Vuattoux, médecin à Besançon, reflète notre engagement envers la pluriprofessionnalité, élément clé pour améliorer l’accès aux soins. Dans ma vie professionnelle, j’exerce en tant qu’infirmière à Saint-Just-en-Chevalet, dans la Loire.

Notre fédération, récemment reconnue comme structure représentative, participe désormais aux négociations de l’accord conventionnel interprofessionnel. Nous revendiquons le droit d’être signataires de cet accord qui nous concerne directement, car actuellement, malgré notre présence à la table des négociations, notre voix n’est pas toujours entendue.

Au 31 décembre 2024, on dénombre 2 850 maisons de santé, assurant un maillage territorial complet. Notre gouvernance nationale reflète cette diversité régionale, les fédérations régionales étant nos adhérents directs. Nous aspirons à renforcer davantage l’aspect pluriprofessionnel de notre action, en proposant des solutions à court et long terme, adaptées aux besoins des patients, notamment ceux souffrant de pathologies chroniques.

Les maisons de santé accordent une importance particulière à la prévention, à l’éducation thérapeutique et à l’accueil des étudiants en stage. Cet accueil est crucial pour former la nouvelle génération de professionnels de santé, bien que nous soyons limités par des contraintes administratives. Nous souhaitons pouvoir accueillir les étudiants en tant que structure pluriprofessionnelle, et non seulement individuellement par chaque praticien.

L’exercice coordonné et pluriprofessionnel est particulièrement plébiscité par les jeunes professionnels de santé. Ils y trouvent sécurité, confort de travail, et un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle, grâce notamment aux délégations de tâches, au travail coopératif et aux fonctions de support.

Dr Margot Bayart, présidente de la Fédération des soins primaires. Je vous remercie de me donner la parole au nom de la Fédération des soins primaires. Je suis médecin généraliste à Réalmont dans le Tarn, présidente de cette fédération, mais également présidente d’Asalée et du groupement d’employeurs d’assistants médicaux, ainsi que première vice-présidente du syndicat MG France. Cette triple légitimité me permet de m’exprimer au nom des professionnels de santé de terrain, des équipes pluriprofessionnelles innovantes, et des usagers que nous côtoyons quotidiennement.

L’accès aux soins est devenu un enjeu majeur, reflétant notre capacité à maintenir l’égalité sociale et territoriale, ainsi que notre aptitude à organiser la solidarité collective. Nous constatons actuellement un système de santé en grande difficulté : six millions de Français sont sans médecin traitant, la désertification médicale s’accélère avec des départs massifs à la retraite, et de nombreux professionnels de santé sont isolés, surchargés administrativement, et en perte de sens, conduisant souvent à l’épuisement professionnel. Pour les usagers, le système de santé devient de plus en plus complexe et opaque.

Face à ces défis, la Fédération des soins primaires défend plusieurs principes fondamentaux pour améliorer l’accès aux soins et réorganiser notre système de santé.

La Fédération, fondée en 2016, s’est initialement constituée autour d’un collectif interprofessionnel regroupant médecins, infirmiers, pharmaciens, sages-femmes, ainsi que des organisations telles que la FNCS, l’Union nationale des médecins de centres de santé et la Fédération des maisons et pôles de santé. Notre objectif premier était de structurer les soins de proximité en misant sur la complémentarité des professionnels de santé plutôt que sur leur simple juxtaposition. Nous visions à faciliter le dialogue interprofessionnel pour améliorer la coordination des soins, renforcer la prévention et réduire les inégalités sociales et territoriales de santé.

Notre ambition initiale consistait à donner une visibilité accrue aux soins primaires et à contribuer à l’organisation du système de santé autour d’une gradation des soins. Nos valeurs fondamentales reposent sur l’accessibilité universelle aux soins primaires, la continuité et la coordination des soins, l’autonomie des équipes pluriprofessionnelles, un financement basé sur des missions de santé publique plutôt que sur des actes isolés, la reconnaissance du travail de coordination et de prévention, et l’implication active des usagers.

Ces dernières années, nos travaux, comme ceux d’autres collectifs, ont été fortement impactés par des évolutions législatives et réglementaires. Bien qu’animées de bonnes intentions, certaines réformes ont malheureusement introduit des logiques de compétition entre professionnels et fragmenté davantage l’organisation des soins, là où il aurait fallu encourager la coopération et la coconstruction des réponses aux besoins de santé.

Le mouvement actuel de dérégulation, que j’oserais qualifier d’ubérisation, risque de freiner encore davantage l’accès aux soins en désorganisant ce qui doit demeurer le socle de notre système : une approche coordonnée, territorialisée et centrée sur les besoins réels des patients.

Néanmoins, nous avons des raisons de rester optimistes et constructifs. Des initiatives comme l’association Asalée, forte de vingt ans d’expérience, démontrent l’efficacité d’un modèle de coopération entre médecins et infirmiers axé sur la prévention et l’éducation thérapeutique. Ce modèle, qui touche aujourd’hui des millions de patients, a prouvé son efficience en réduisant les hospitalisations et les complications.

Le déploiement des assistants médicaux constitue également une avancée significative, permettant aux médecins généralistes de se recentrer sur leur cœur de métier et d’accueillir davantage de patients complexes ou multimorbides. Cependant, nous avons constaté que sans un portage RH structuré, la mise en place de ce dispositif reste difficile, ce qui nous a conduits à créer un groupement d’employeurs.

Enfin, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) représentent des espaces de coordination essentiels. Il est toutefois crucial de veiller à ce qu’elles conservent un ancrage réel dans les soins primaires de terrain, pour éviter qu’elles ne deviennent de simples coquilles administratives surchargées de projets déconnectés des réalités locales.

En conclusion, nous sommes convaincus que pour répondre efficacement à la crise de l’accès aux soins, il est impératif de miser sur l’intelligence collective et la proximité. J’ai des propositions concrètes à soumettre à la commission, que je peux présenter maintenant ou ultérieurement, selon votre préférence.

M. le président Jean-François Rousset. Je suggère que nous abordions certains points spécifiques par le biais d’un échange de questions et réponses.

M. Jean-François Moreul, président de la Fédération des communautés professionnelles territoriales de santé (FCPTS). La FCPTS est aujourd’hui convaincue que la situation financière de notre pays ne nous permet plus une quelconque concurrence dans le domaine de la santé. Notre objectif, qui est au cœur de la mission des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), est de promouvoir une coordination efficace entre tous les acteurs du système de santé.

Le système de santé français, bien que doté d’outils performants, nécessite une meilleure coordination pour optimiser son efficacité. C’est précisément la raison d’être des CPTS. Bien que la FCPTS ne dispose pas encore d’une représentativité officielle et ne participe pas aux négociations conventionnelles, elle accompagne près de 500 CPTS sur les 650 ayant signé leur convention. Notre rôle est de soutenir leur montée en compétences et de les aider à remplir leurs missions essentielles : améliorer l’accès aux soins, optimiser les parcours de santé, gérer les crises sanitaires, renforcer la prévention, et, de manière optionnelle, améliorer la qualité des soins et accompagner les professionnels de santé.

Nous nous apprêtons à adresser aux parlementaires un plaidoyer visant à mieux faire comprendre le rôle crucial des CPTS et à proposer des pistes d’amélioration. Parallèlement, nous avons lancé une vaste campagne d’évaluation de l’impact des CPTS, en collaboration notamment avec la Fédération nationale des observatoires régionaux de santé (Fnors). Cette démarche nous permettra de mesurer concrètement les résultats obtenus après cinq ans d’existence pour les CPTS les plus anciennes.

Nos enquêtes préliminaires révèlent déjà des résultats encourageants. Contrairement à certaines craintes, les CPTS ne sont pas suradministrées, employant en moyenne seulement 1,9 équivalent temps plein. Elles permettent aux professionnels libéraux de terrain de s’impliquer davantage dans la gestion de la santé de la population, comme en témoigne l’augmentation du taux d’adhésion des professionnels de santé, passant de 39 % lors de la création d’une CPTS à 65 % après 5 ans.

Les CPTS se sont également révélées être de véritables catalyseurs de partenariats. Initialement centrées sur les professionnels libéraux, elles ont progressivement intégré les centres de santé, les maisons de santé, les hôpitaux, les établissements médico-sociaux, ainsi que les usagers et les élus. Plus de 80 % des CPTS incluent ces partenaires dans leurs projets, et 25 % les intègrent même dans leur conseil d’administration.

En termes d’impact concret, les CPTS ont démontré leur efficacité dans l’amélioration de l’accès aux soins. Par exemple, une vingtaine de CPTS ont réussi à réintégrer plus de 17 000 usagers exclus du système de santé. Environ 80 CPTS ont développé des outils spécifiques pour faciliter l’accès aux médecins traitants, permettant à près de 20 000 patients de retrouver un médecin référent.

Les CPTS s’impliquent également dans l’accueil des docteurs juniors, bien que les modalités précises restent à définir en fonction des décrets à venir. Elles sont prêtes à jouer un rôle dans la répartition territoriale de ces jeunes médecins et à faciliter leur installation, notamment en termes d’immobilier et de support logistique, comme la mise à disposition d’assistants médicaux.

En conclusion, les CPTS démontrent leur capacité à répondre concrètement aux défis d’accès aux soins et de coordination des acteurs de santé sur les territoires, tout en s’adaptant aux besoins spécifiques de chaque région.

La prévention, initialement absente de la convention des CPTS, y a été réintégrée grâce à un lobbying efficace. Bien que souvent évoquée, la prévention souffre d’un financement dispersé et d’une gouvernance territoriale déficiente. Pour remédier à cette situation, les CPTS s’efforcent d’instaurer une gouvernance quadripartite de la prévention, impliquant usagers, élus, CPTS et établissements de santé. Cette approche vise à optimiser la mutualisation des ressources, à commander des actions préventives ciblées et à améliorer l’efficacité des interventions au bénéfice de la population.

Ce modèle de gouvernance quadripartite pourrait potentiellement s’étendre à l’ensemble de l’organisation territoriale de santé. Les CPTS se fédèrent de plus en plus au niveau départemental et inter-CPTS afin d’interagir efficacement avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT), les services d’accès aux soins (SAS) et les dispositifs d’appui à la coordination (DAC). L’objectif est de structurer le lien entre ces dispositifs départementaux et les soins de premier recours.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Concernant les centres de santé, je souhaiterais obtenir des précisions sur le nombre exact de médecins salariés et la proportion de ceux pratiquant la télémédecine, sachant que cette dernière est plafonnée à 20 % de l’activité.

Je soutiens la proposition de Mme Barlerin concernant l’affectation d’un médecin à une structure plutôt qu’à plusieurs centres. Cette approche, similaire à celle observée en entreprise, pourrait potentiellement s’étendre aux CPTS, bien que cela puisse s’avérer complexe à mettre en œuvre sur différents sites.

Étant donné que votre coprésident est originaire de la Mayenne, j’aurais souhaité connaître votre avis sur la proposition de loi Garot, un sujet probablement discuté au sein de votre organisation.

Madame Bayart, vous avez évoqué une « ubérisation ». Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par là ? S’agit-il de l’augmentation du recours à l’intérim ou de la hausse du nombre de contractuels par rapport aux titulaires ?

Concernant les CPTS, vous avez mentionné l’état des finances de la France. Quel est votre point de vue sur le coût de l’intérim, tant pour les médecins que pour les infirmières, notamment dans le cadre des CPTS ?

Comment envisagez-vous la permanence des soins ambulatoires (PDSA), dont l’obligation a été supprimée, mais qui reste une solution potentielle pour désengorger les services d’urgence ? Quelle est la position des professionnels de santé à ce sujet ?

Enfin, pouvez-vous nous éclairer sur l’état actuel des liens entre les CPTS et les hôpitaux, et sur les retours d’expérience au niveau national concernant ces collaborations ?

M. Frédéric Villebrun. Concernant les effectifs, nous disposons de chiffres précis. En 2024, on compte 10 614 médecins salariés en centres de santé, dont 5 933 médecins généralistes. Cette dernière catégorie a connu une augmentation remarquable de plus de 210 % en huit ans. Malheureusement, nous ne disposons pas de données spécifiques sur le nombre de médecins pratiquant la télémédecine.

Dr Hélène Colombani. Il convient de préciser que ces chiffres proviennent de la plateforme de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih), mise en place en 2016. Les centres de santé sont tenus de renseigner annuellement un ensemble de données sur cette plateforme pour bénéficier de la rémunération prévue par l’accord national. Cela nous permet d’obtenir des informations détaillées, notamment sur les professionnels exerçant dans ces structures.

En moyenne, on observe un ratio d’un mi-temps de médecin généraliste par professionnel de santé dans les centres. À titre d’exemple, à Nanterre, où je dirige les centres de santé municipaux, nous intégrons divers services tels que la PMI, le planning familial et le centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic (CeGIDD). Cette diversité est attractive pour les médecins, leur offrant une pratique variée.

Pour les spécialistes, le ratio est d’environ un tiers-temps (0,35 exactement) par professionnel de santé. Ces spécialistes exercent en secteur 1, ce qui facilite l’accès aux soins à des tarifs conventionnés. Ils peuvent travailler dans plusieurs centres ou à l’hôpital. Environ 60 % des centres de santé ont établi des conventions avec des hôpitaux, permettant des consultations avancées de praticiens hospitaliers dans les centres. Cette organisation favorise la création de parcours de soins coordonnés entre les centres de santé et les hôpitaux.

Bien que ces professionnels exercent souvent à temps partiel dans chaque structure, leur activité globale peut être à temps plein, répartie entre différents lieux d’exercice, ce qui contribue à améliorer l’accès aux soins en secteur 1.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pour approfondir ces informations, j’aimerais savoir si vous disposez de données sur la répartition du temps de travail des médecins en dehors de leur activité en centre de santé. Combien cumulent avec une activité libérale et combien se limitent à ce temps partiel en centre ? Par ailleurs, avez-vous des informations sur l’âge moyen des 10 614 médecins mentionnés ?

Dr Hélène Colombani. Je ne dispose pas de chiffres exhaustifs résumant la situation globale. Néanmoins, l’atlas de l’Ordre des médecins fournit des indices significatifs. Il révèle une augmentation de l’activité salariée dans les centres de santé ambulatoires, incluant mais ne se limitant pas à la PMI. L’activité mixte connaît également une croissance notable.

Il est important de souligner la diversité des parcours professionnels. À titre d’exemple, je collabore avec une dermatologue qui exerce simultanément en libéral, en centre de santé et à l’hôpital. De même, une endocrinologue de mon réseau partage son activité entre le libéral, l’hôpital et un centre de santé. Ces professionnelles, qui exercent ainsi depuis 25 ans, illustrent parfaitement cette tendance à combiner une pratique libérale avec un travail en équipe au sein de structures variées.

Concernant la répartition par tranches d’âge, nous disposons de données récentes de l’agence des systèmes d’information partagés de santé (Asip-Santé) traitées par la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Ces statistiques comparent la distribution par âge des médecins, tous modes d’exercice confondus, à celle spécifique aux médecins exerçant en centre de santé. L’analyse de la période 2012-2022 révèle une proportion plus élevée de médecins de plus de 60 ans dans les centres de santé.

Concrètement, en 2022, la proportion de médecins de plus de 65 ans atteint 29,5 % dans les centres de santé, contre 15,9 % tous modes d’exercice confondus. Cette différence significative s’explique probablement par l’attrait qu’exercent les centres de santé sur les médecins en fin de carrière, qu’ils soient issus du libéral ou de l’hôpital. Ces structures offrent un cadre d’exercice allégé des contraintes administratives, permettant aux praticiens de se concentrer exclusivement sur leur activité médicale, tout en bénéficiant d’un environnement pluriprofessionnel, réduisant ainsi leur charge mentale.

Je tiens à préciser que ces éléments seront intégrés dans le document que nous vous transmettrons. Par ailleurs, une thèse sociologique approfondie sur l’exercice salarié apporte un éclairage complémentaire, notamment sur la diversité des parcours professionnels au sein de nos structures.

M. Frédéric Villebrun. Concernant les praticiens plus jeunes, il est important de souligner l’attrait particulier des centres de santé pour les médecins universitaires. Dans certaines facultés, jusqu’à 30 % des maîtres de stage exercent en centre de santé. Cette configuration répond parfaitement à leur besoin d’équilibre entre activités de soins, enseignement et recherche, optimisant ainsi leur vie professionnelle et personnelle.

Ce phénomène s’étend à l’ensemble des jeunes professionnels de santé. Ils recherchent activement une diversification de leur pratique, que le salariat en centre de santé, en PMI, en médecine scolaire ou à l’hôpital peut leur offrir. Cette flexibilité répond à une demande croissante d’activité variée, comme l’ont probablement confirmé les jeunes médecins que vous avez interrogés.

L’attractivité des centres de santé ne se limite pas à la diversification des pratiques. Ils jouent également un rôle crucial dans le maintien de l’activité professionnelle de certains médecins qui, sans cette option, pourraient se détourner de la médecine générale.

Concernant la rémunération, nous disposons de données chiffrées. Les modalités varient selon les centres, certains optant pour une rémunération au pourcentage de l’acte, d’autres pour un salaire horaire. Je vais céder la parole à Hélène Colombani pour des précisions sur les taux horaires, basées sur les informations collectées par la FNCS.

Dr Hélène Colombani. Effectivement, les modes de rémunération dans les centres de santé se répartissent entre paiement à la fonction et paiement à l’acte. La majorité des adhérents de la FNCS privilégie le paiement à la fonction, bien que ce ne soit pas une règle absolue.

Les salaires proposés oscillent généralement entre 43 et 50 euros bruts de l’heure, ce qui correspond approximativement aux échelons 7 à 9 de la grille des praticiens hospitaliers (PH). Pour certaines spécialités particulièrement recherchées, la rémunération peut atteindre jusqu’à 80 euros bruts de l’heure.

Il convient de noter que, pour les médecins spécialistes, ces niveaux de rémunération, bien que compétitifs, peuvent parfois sembler insuffisamment attractifs comparés à ce qui est pratiqué dans le secteur libéral ou dans d’autres structures.

Mme Emmanuelle Barlerin. Je tiens à exprimer ma satisfaction quant à votre reconnaissance de l’importance des maisons de santé comme lieux de stage. C’est un point crucial que nous, à AVECsanté, considérons comme particulièrement positif.

Concernant la loi Garot, il est essentiel de contextualiser la situation. Nous savons que 87 % du territoire français est qualifié de zone en souffrance ou de désert médical. Cependant, cette terminologie centrée sur une seule profession peut être réductrice et ne reflète pas la réalité globale de l’accès aux soins. En effet, pour une prise en charge efficace et une prévention optimale, c’est l’approche en équipe pluridisciplinaire qui s’avère la plus pertinente.

Face à l’ampleur du défi, il paraît peu réaliste d’attendre des seuls jeunes diplômés qu’ils régulent cette situation. Chez AVECsanté, nous pensons que la proposition de loi transpartisane reflète peut-être une compréhension incomplète du fonctionnement complexe de l’accès aux soins.

En tant que maire d’une commune de 1 250 habitants, je suis particulièrement sensible à ces enjeux. Malgré la présence d’une maison de santé et l’existence d’une CPTS, notre territoire est encore considéré comme en manque d’accès aux soins. Cette situation illustre la complexité du problème et la nécessité d’une approche plus globale.

Concernant spécifiquement la PPL Garot, nous estimons qu’il faut privilégier des solutions à long terme. Nous préconisons le développement de l’exercice en équipe coordonnée pluriprofessionnelle, un concept sur lequel nous insistons particulièrement. La régulation de l’installation telle que proposée nous semble trop court-termiste et insuffisamment ancrée dans la réalité du terrain.

L’analyse des récents zonages confirme cette complexité : les zones rouges ou orange foncé sont souvent entourées de zones bleues, plus claires, avec seulement quelques zones blanches. Cette répartition hétérogène souligne la nécessité d’une approche plus nuancée et adaptée aux réalités locales, plutôt qu’une solution uniforme qui risquerait de déplacer le problème sans le résoudre véritablement.

Je tiens à souligner que les modalités du plan gouvernemental et leur application demeurent floues. Nous considérons que la régulation proposée n’est pas la solution adéquate. Nous préconisons plutôt de miser sur la démonstration des avantages de l’accueil pluriprofessionnel dans les territoires. Il est crucial de collaborer avec les élus locaux et de se concentrer sur l’attractivité des zones moins prisées initialement. Notre approche vise le long terme et l’installation durable des professionnels de santé.

Nous estimons que l’obligation de permanence des soins, intégrée dans la loi Rist, est essentielle. Les professionnels de santé ont le devoir de garantir un accès aux soins de qualité pour tous les usagers. Cette responsabilité devrait être partagée par l’ensemble des praticiens. La régulation, telle qu’envisagée actuellement, ne nous semble pas apporter de réelle plus-value.

L’organisation de la PDSA doit s’articuler avec le SAS et les CPTS. Il s’agit d’une approche collaborative qui ne peut reposer uniquement sur les médecins isolés. Notre vision englobe l’ensemble de l’écosystème de prise en charge, de la prévention jusqu’à l’urgence.

Il est impératif de prendre en compte tous les acteurs du territoire, y compris les élus locaux, qui peuvent jouer un rôle significatif en termes d’immobilier et d’attractivité globale.

Dr Margot Bayart. Concernant la question de l’ubérisation soulevée par M. le rapporteur, il est important de clarifier ce concept dans le domaine de la santé. Nous avons observé l’émergence de nombreuses plateformes numériques et d’acteurs privés proposant des solutions rapides face à la désertification médicale. Ces services, accessibles à la demande, tendent à encourager la surconsommation et à contourner les circuits traditionnels de soins.

Bien que ces solutions donnent l’illusion de fournir des soins, nous constatons généralement une dégradation de la qualité. Je fais notamment référence aux plateformes de téléconsultation et aux centres de soins à horaires élargis. Il est crucial de nous interroger sur la nature de l’accès aux soins dont nous avons réellement besoin. Devons-nous répondre à la demande immédiate des patients ou plutôt nous concentrer sur leurs besoins réels, en particulier pour les patients chroniques et multimorbides qui nécessitent une approche globale et pluriprofessionnelle dans le cadre d’un exercice coordonné ?

L’ubérisation risque de consommer des ressources de manière inefficace et d’accentuer la fragmentation des soins et de leur accès. De plus, elle entraînerait des dépenses financières qui ne seraient pas en adéquation avec les enjeux que nous défendons.

Mme Géraldine Bannier (Dem). Concernant les centres de santé, je m’interroge sur leur potentiel en tant que solution facilitante pour une première installation en début de carrière, post-diplôme. Vous avez évoqué la fin de carrière, mais l’intérêt en début de parcours professionnel mérite d’être exploré. Existe-t-il un outil pour répertorier les places disponibles dans les centres de santé et les faire connaître aux jeunes diplômés en quête d’installation ?

Ma deuxième question porte sur les critères d’évaluation du succès des CPTS. Quels indicateurs allons-nous mesurer, notamment en Mayenne ? S’agira-t-il de l’accès aux médecins traitants, de la prise en charge des maladies chroniques, ou encore de la réduction de l’exode médical vers d’autres départements ?

Je tiens à souligner que les élus des déserts médicaux et des zones sous-dotées ont une connaissance approfondie du système de santé, étant confrontés quotidiennement à ces problématiques. Malgré nous, nous sommes devenus experts de la réalité de nos territoires.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). En tant que députée de la circonscription de Guingamp-Rostrenen, je souhaite aborder la question de vos relations avec les élus locaux. Dans mon département, plus d’une cinquantaine de maires ont pris des arrêtés pour exhorter l’État à agir urgemment en faveur de l’accès aux soins pour tous. Ces arrêtés ont été annulés par le tribunal administratif au motif que la santé ne relève pas de leur compétence. Paradoxalement, ces mêmes élus se voient contraints d’allouer des sommes conséquentes de leurs budgets communaux pour répondre aux besoins en médecins et créer des centres de santé.

J’aimerais connaître votre point de vue sur ce paradoxe. Avez-vous la capacité de réguler les demandes parfois excessives de certains médecins ? On constate une surenchère entre communes. Pouvez-vous jouer un rôle modérateur face à ces praticiens qui exigent parfois trop des municipalités, alors qu’auparavant, les médecins ne sollicitaient rien des communes ?

Mme Emmanuelle Barlerin. Je tiens à préciser que notre rôle n’est pas de réguler, étant donné que nous sommes un mouvement représentant les maisons de santé et les fédérations régionales. Cela ne fait pas partie de nos missions. Nous accompagnons les fédérations régionales et nationales à travers d’autres outils, et nous soutenons la création d’équipes.

Nous assistons également les élus locaux, maires ou intercommunalités, dans la création d’équipes de santé. Nous les guidons sur les éléments nécessaires pour rendre une maison de santé attractive. Nous mettons souvent l’accent sur l’accueil des étudiants, suggérant par exemple la mise à disposition de logements pour faciliter l’accès aux stages. Ces aspects sont connus, mais l’investissement des élus dans ces domaines peut avoir un impact significatif sur les installations futures.

Cependant, nous n’abordons pas la question du financement, car comme vous l’avez souligné, il s’agit d’une compétence étatique. La surenchère entre communes ou départements est, à notre sens, regrettable. Nous tentons de sensibiliser les acteurs au fait qu’une approche trop individualiste risque d’être contre-productive.

Nous promouvons l’idée que l’organisation en maison de santé ne se limite pas à un lieu physique, mais représente une équipe structurée autour de la patientèle et des activités des professionnels. Nous expliquons que le modèle d’un médecin par village n’est plus viable. Nous préconisons plutôt une organisation centrée sur la structuration de l’équipe, avec potentiellement une installation dans un lieu central pouvant desservir une zone de dix à quinze kilomètres, selon qu’il s’agisse d’un milieu rural ou urbain.

Bien que nous n’ayons pas de rôle de régulation, nous constatons que lorsque les élus nous contactent en proposant des avantages financiers ou matériels importants, ils sont souvent déçus car ces incitations ne suffisent pas à garantir le succès de l’installation.

Il est évident que le seul levier financier ne suffit pas à garantir l’attractivité d’un territoire. Notre mission consiste à mettre en lumière les multiples avantages du travail en équipe : son intérêt, son confort, son potentiel d’innovation et sa capacité à générer collectivement des solutions pour améliorer nos méthodes de travail. Nous devons également guider les élus pour qu’ils ne se tournent pas systématiquement vers des organismes de recrutement ou de télémédecine. Ces derniers prétendent souvent disposer d’un grand nombre de professionnels de santé, notamment des médecins salariés, très disponibles pour des soins immédiats, mais pas nécessairement adaptés aux besoins réels de la population.

Certains élus se sentent démunis face à la pression qu’ils subissent. Il est important de comprendre que la complexité ne réside pas tant dans un manque de connaissance que dans la difficulté à naviguer dans ce que j’appellerais une véritable jungle organisationnelle. Notre rôle consiste donc à apporter des éléments de compréhension et de réflexion, à proposer des pistes d’action et à identifier les solutions les plus appropriées pour chaque territoire. L’objectif est d’assurer l’accès aux soins de la population, tout en veillant à ne pas entrer en concurrence avec les centres de santé existants.

Si un centre de santé s’avère être la solution la plus adaptée, c’est cette option qui sera privilégiée. Nous nous efforçons de travailler en collaboration avec la CPTS locale, étant donné que le territoire est largement couvert par ces structures. Notre ambition est d’articuler l’ensemble de cet écosystème de santé. Enfin, nous insistons auprès des élus sur la nécessité de ne pas systématiquement recourir à des incitations financières, car cette approche s’est révélée inefficace.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Pourriez-vous apporter des précisions concernant les aides à l’installation des médecins, que ce soit dans les centres de santé ou dans les centres de santé pluridisciplinaires, en comparaison avec les aides à l’installation d’une infirmière, par exemple ?

Dr Hélène Colombani. Il convient de rappeler que les communes disposent de la compétence générale, ce qui leur permet de faire le choix politique d’investir dans le domaine de la santé. C’est une option que de nombreux élus retiennent actuellement pour répondre aux besoins de leur territoire, qu’il s’agisse de communes, d’intercommunalités ou de départements. Ces derniers ont d’ailleurs vu leur compétence générale renforcée par la loi 3DS. Les régions, bien qu’elles ne disposent pas de cette compétence, ont pu mettre en place des centres de santé via des groupements d’intérêt public (GIP).

Une commune a donc toute latitude pour agir dans ce domaine si elle le souhaite. La question du financement se pose, certes, mais elle ne constitue pas un obstacle insurmontable. On peut faire un parallèle avec la police municipale, qui n’est pas non plus, stricto sensu, une compétence communale, mais qui permet de pallier certaines faiblesses en matière de sécurité sur les territoires. Il s’agit avant tout d’une question de posture et de vision.

Concernant les centres de santé, notre démarche est similaire à celle adoptée pour les maisons de santé. La fabrique des centres de santé accompagne les porteurs de projets. Nous conseillons aux élus locaux désireux de mettre en place de telles structures de rester raisonnables en termes de fourchettes salariales, tout en tenant compte des attentes vis-à-vis des professionnels recrutés. Nous portons ce message de prévention, tout en reconnaissant que les élus peuvent faire le choix de répondre favorablement à certaines demandes, même si cela se solde souvent par des déceptions.

Quant à votre question sur les maîtres de stage, il est vrai que de nombreux jeunes médecins commencent leur carrière dans les centres de santé. Cela s’explique notamment par le fait que beaucoup de nos centres sont maîtres de stage universitaire, accueillant des externes, des internes de premier niveau, et bientôt des docteurs juniors. Naturellement, les internes qui terminent leur formation sur un territoire s’y attachent souvent et sont heureux de pouvoir rester au sein d’une équipe qu’ils connaissent.

Pour faciliter la recherche d’opportunités, la FNCS dispose d’un site d’annonces géolocalisées. Les professionnels peuvent ainsi cibler un territoire spécifique et trouver les offres disponibles dans la zone souhaitée.

M. Jean-François Moreul. Concernant la régulation des médecins, il n’existe pas de possibilité directe de contrôle. Cependant, la création d’espaces d’échange et de démocratie, où l’on peut se rencontrer et discuter des problématiques du territoire, permet d’éviter ce que l’on appelle communément les « guerres de clocher ». C’est précisément ce que nous faisons au sein des CPTS.

Les contrats locaux de santé (CLS) jouent également un rôle important. Il est particulièrement intéressant de faire collaborer les professionnels de santé et les élus dans ce cadre. Je suggère d’ailleurs que les agences régionales de santé (ARS) fassent signer ces contrats par l’ensemble des parties prenantes. Dans ma région, les Pays de la Loire, les CLS ne sont actuellement signés que par les élus, ce qui est regrettable. En impliquant tous les acteurs dans une responsabilité collective, nous pourrions réfléchir ensemble à l’offre de soins et à sa répartition sur le territoire.

Dans les CPTS, nous avons un certain nombre d’élus qui siègent. Personnellement, je m’efforce de rencontrer chaque élu individuellement pour comprendre leurs problématiques spécifiques. Je voudrais également attirer votre attention sur une initiative intéressante menée dans le Rhône. L’inter-CPTS du département a mis en place ce qu’ils appellent des « incubateurs de santé solidaire ». Par exemple, dans une CPTS de 60 000 habitants, la commune de Grigny-sur-Rhône s’est soudainement retrouvée en situation de désert médical. En réponse, les trente médecins de la CPTS se sont mobilisés collectivement pour assurer des consultations à Grigny. Progressivement, ils ont atteint l’équivalent de quatre temps pleins, ce qui a abouti, au bout de 12 mois, à l’installation de quatre médecins et à la création d’une maison de santé.

Ces incubateurs de santé solidaire se multiplient dans le Rhône grâce à l’inter-CPTS et au partenariat avec l’ARS, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) et les élus. L’idée est de travailler collectivement et en intelligence collective pour trouver des solutions, plutôt que de se mettre en concurrence. Cette approche démontre que nous pouvons, ensemble, élaborer des réponses innovantes aux défis de l’offre de soins sur nos territoires.

Concernant les critères d’évaluation des CPTS, le premier élément à considérer est la convention. Celle-ci, relativement rigide, établit des critères annuels sur lesquels nous nous engageons. L’évaluation de ces critères détermine le financement de l’année suivante. Cependant, cette approche s’avère insuffisante. En effet, ces critères intègrent principalement des éléments comme le nombre de patients sans médecin traitant ou le nombre de médecins installés sur les territoires, ce qui donne une vision très médico-centrée. Or, comme l’a souligné Emmanuelle, le travail en CPTS est réellement pluriprofessionnel. De plus, l’état de santé de la population est peu pris en compte dans cette évaluation conventionnelle. C’est pourquoi nous travaillons actuellement à l’évaluation de l’état de santé de la population, notamment en collaboration avec les observatoires régionaux.

Quant aux relations entre les CPTS et les hôpitaux, elles concernent 80 % des CPTS, voire 90 % pour les hôpitaux. La collaboration avec les hôpitaux de proximité est généralement plus aisée, souvent facilitée par des liens historiques entre les territoires et ces établissements. Nous observons de nombreuses conventions entre les hôpitaux de proximité, les CPTS et le territoire. En revanche, la coopération avec les GHT et les centres hospitaliers universitaires (CHU) s’avère plus complexe, nécessitant une volonté explicite de l’hôpital de travailler avec son territoire.

La Fédération hospitalière de France (FHF) a mis en place un dispositif nommé « responsabilité populationnelle ». Il s’agit d’une convention signée entre la FHF et les GHT, fournissant à ces derniers une méthodologie pour collaborer avec le territoire. Cette approche se concentre sur les recommandations et la structuration des parcours de soins, notamment pour l’insuffisance cardiaque et le diabète. Bien que cette initiative présente l’avantage d’inciter les GHT à s’adresser à leur territoire pour organiser les parcours de soins, elle risque de recréer un système de réseaux spécifiques, alors que les territoires privilégient une approche transversale axée sur la santé globale de la population.

L’objectif actuel est de travailler directement avec la FHF et chaque GHT. Certains projets de responsabilité populationnelle, comme à Nice, ont évolué grâce à la collaboration avec l’inter-CPTS, intégrant la prévention primaire et des prises en charge plus globales du système cardiovasculaire. Cette approche présente un intérêt particulier lorsqu’une inter-CPTS peut interagir avec le projet.

Concernant les lois et la PDSA, la FCPTS, n’étant ni un syndicat ni un mouvement, ne porte pas de jugement mais s’adaptera à la législation à venir. Ces dernières années, nous avons développé divers dispositifs pour optimiser le temps médical, tels que les assistants médicaux, et pour renforcer les compétences des paramédicaux, comme les infirmiers en pratique avancée ou l’extension des prérogatives des pharmaciens, kinésithérapeutes et orthophonistes.

Les CPTS, à l’instar des centres de santé et des maisons de santé, sont des structures qui adaptent ces outils aux besoins spécifiques de la population locale. Nous nous engageons à nous adapter à toute nouvelle législation. Néanmoins, il serait judicieux d’adopter une vision à long terme, contrairement à ce qui s’est passé avec le numerus clausus. Certains prédisent une arrivée massive de médecins sur le marché dans les cinq prochaines années, ce qui pourrait soit créer un chômage médical, soit remettre en question les dispositifs mis en place. Il serait regrettable de voir disparaître ces dispositifs qui ont amélioré l’accès aux soins pour de nombreux patients.

Pour éviter cela, nous devrions repenser la formation initiale et l’accueil des docteurs juniors. En les formant à de nouvelles pratiques comme l’éducation thérapeutique et en leur fournissant des outils modernes comme des échographes plutôt que de simples stéthoscopes, nous pourrions élever globalement les compétences de l’ensemble du système de santé dans la décennie à venir.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Je souhaiterais obtenir des précisions concernant les aides à l’installation, non seulement pour les médecins dans les centres de santé, mais également pour d’autres professionnels de santé, tels que les infirmières, dans le cadre des centres pluridisciplinaires.

Dr Hélène Colombani. Actuellement, nous disposons de ce que l’on nomme des aides démographiques, destinées aux médecins, infirmiers, sages-femmes, infirmiers en pratique avancée et chirurgiens-dentistes. Pour la plupart des professions, l’aide à l’installation est équivalente à celle proposée aux professionnels libéraux. Cependant, ce n’est pas le cas pour les médecins exerçant en centres de santé, pour lesquels l’aide est significativement inférieure à celle offerte à leurs homologues libéraux.

Il convient de préciser que ces aides à l’installation, sous leur forme actuelle, sont appelées à disparaître avec l’application de la nouvelle convention médicale. Le système sera restructuré, avec la mise en place d’une aide à l’installation, mais la suppression de l’aide au maintien de l’offre de soins telle qu’elle existe aujourd’hui.

En ce qui concerne spécifiquement les centres de santé, les aides proposées aux médecins étaient jusqu’à présent nettement inférieures à celles offertes dans d’autres contextes. Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) a d’ailleurs souligné ce point dans ses recommandations, préconisant un alignement de ces aides.

Mme Emmanuelle Barlerin. Concernant les installations en libéral, il n’existe pas de distinction fondamentale entre l’exercice isolé et l’exercice en maison de santé pour les aides à l’installation. Comme l’a mentionné ma collègue Hélène, les mêmes professions sont éligibles à ces aides, mais les montants varient considérablement entre les médecins et les professionnels paramédicaux.

De plus, le zonage de ces aides diffère : nous avons les zones d’intervention prioritaire (ZIP) pour les médecins, et d’autres zonages spécifiques pour les professionnels paramédicaux. Ces aides sont gérées et financées par les ARS, représentant l’État en région.

Il existe également des aides à l’installation proposées par les collectivités territoriales. Par exemple, dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, le conseil régional offre des aides spécifiques selon la profession du praticien s’installant.

Nous disposons aussi de mesures de défiscalisation liées à la classification des communes, notamment ce qui était auparavant connu sous le nom de zone de revitalisation rurale (ZRR) et qui est devenu France ruralités revitalisation (FRR). Ces dispositifs sont considérés comme des incitations attractives.

Cependant, nous constatons que ces aides financières ne garantissent pas toujours la pérennité de l’installation ni la qualité des soins dispensés. Il est donc essentiel de réfléchir à des approches plus globales pour assurer une offre de soins durable et de qualité sur l’ensemble du territoire [suggestion du glossaire].

Les avantages accordés aux zones identifiées comme en difficulté sont très mono-professionnels et disparates. Les maisons de santé pluriprofessionnelles offrent une approche bien plus globale, favorisant l’innovation plutôt que de simplement allouer des fonds publics à des professionnels de santé isolés. L’octroi de moyens plus structurants et pérennes pour le collectif et la coopération pourrait considérablement accroître l’attractivité de l’exercice pluriprofessionnel, particulièrement dans les zones dites en difficulté. Les maisons de santé constituent un véritable terreau d’innovation, proposant de nouveaux modèles d’organisation et de rémunération pour les professionnels de santé. Le fonctionnement au forfait, testé par certaines équipes, peut séduire des praticiens davantage intéressés par l’aspect organisationnel que financier. L’article 51 nous permet d’ailleurs d’expérimenter ces nouveaux modèles.

Dr Margot Bayart. Certes, les maisons de santé regroupent environ 25 % des médecins, mais il ne faut pas négliger les 70 % restants dans notre réflexion sur l’accès aux soins. Bien que l’accès aux soins ne se limite pas aux médecins, leur présence demeure cruciale. Notre défi consiste à impliquer ces 70 % de professionnels qui ne souhaitent pas nécessairement intégrer des modèles organisés, tout en reconnaissant les avantages et les contraintes des maisons de santé.

À la Fondation des soins primaires, nous avons beaucoup travaillé sur les équipes de soins primaires, considérées comme une première étape accessible. Ce modèle, inscrit dans la loi de 2016, permettait à deux professionnels, dont un médecin généraliste, d’élaborer un projet simple et adaptable. Malheureusement, malgré des expérimentations prometteuses dans les Pays de la Loire et en Centre-Val de Loire, l’absence de modèle économique a freiné leur développement.

Il est important de souligner que de nombreux cabinets de médecins généralistes collaborent efficacement avec divers professionnels sans nécessairement s’intégrer dans une maison de santé. Ils travaillent avec des assistants médicaux, des infirmières Asalée, des infirmiers en pratique avancée (IPA), et coordonnent leurs actions avec d’autres professionnels. Les maisons de santé ne sont donc pas l’unique solution pour améliorer l’accès aux soins, bien qu’elles jouent un rôle complémentaire essentiel.

Notre objectif à la Fédération des soins primaires est d’accompagner l’ensemble des professionnels de santé vers un exercice coordonné. Cela inclut des formes de coopération variées, comme le dispositif Asalée qui implique 9 000 médecins et 2 000 infirmières, dont une part significative exerce en maisons de santé.

Nous devons réfléchir au cadre à donner à ces initiatives. Faut-il abandonner définitivement le concept d’équipes de soins primaires ou leur offrir un cadre souple et adaptable répondant aux enjeux actuels ? Il est crucial d’élargir notre vision de l’accès aux soins pour englober tous les professionnels de santé.

M. Jean-François Moreul. Concernant les aides disponibles, le rôle d’une CPTS est d’identifier et de centraliser ces informations. Nous élaborons un livret d’accueil pour les professionnels de santé souhaitant s’installer sur le territoire, agissant ainsi comme un guichet d’entrée. Notre objectif est de faciliter l’accès à ces aides et de s’assurer qu’aucune opportunité n’est négligée. Cependant, il est difficile d’affirmer avec certitude que ces aides influencent réellement les choix d’installation.

M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie pour ces précisions. En effet, il est souvent rapporté que ces aides ne sont pas déterminantes dans le choix d’installation. Néanmoins, leur existence est appréciée. Vous avez également souligné l’importance du guichet unique, qui centralise de nombreuses informations utiles tant pour les CPTS dans la formation de leurs membres que pour les futurs installés. Passons à une dernière question.

M. Frédéric Villebrun. Je souhaite apporter un éclairage sur les zones franches urbaines (ZFU). En tant que directeur de la santé, je constate un réel effet d’aubaine : de nombreux médecins cherchent spécifiquement à s’installer dans ces zones, principalement pour des raisons fiscales. Cette situation crée un déséquilibre marqué. Dans la partie de notre ville classée en ZFU, nous n’avons pratiquement plus de locaux disponibles, tandis que le reste de la ville peine à attirer des praticiens. Bien que les aides à l’installation évoluent, ce phénomène persiste et complique notre tâche pour maintenir une répartition homogène des installations sur l’ensemble du territoire.

M. le président Jean-François Rousset. En effet, dans les zones urbaines, la délimitation des zones d’aide peut créer des situations paradoxales, où d’un côté d’une rue à l’autre, les conditions d’installation diffèrent radicalement. Je vous remercie vivement pour la qualité de vos interventions. N’hésitez pas à transmettre tout complément d’information à notre secrétariat.

 

 

 

 

 

 


–  1  –

24.   Audition de Mme Sarah Sauneron, directrice générale de la Santé par intérim (DGS)

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons les travaux de cette commission d'enquête en accueillant Madame Sarah Sauneron, directrice générale de la santé par intérim. Je vous donne immédiatement la parole pour une intervention liminaire d'environ dix minutes, afin de laisser ensuite toute sa place aux échanges sous forme de questions-réponses, à commencer par celles de notre rapporteur. 

Auparavant, je vous rappelle que l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(Mme Sarah Sauneron prête serment.)

Mme Sarah Sauneron, directrice générale de la santé par intérim (DGS). Je vais vous présenter succinctement comment nos missions participent à l'accès aux soins, bien que nous ne soyons pas la direction d'administration centrale du ministère de la santé, chef de file en la matière.

La Direction générale de la santé est chargée de préparer la politique de santé publique. Nous intervenons dans tous les champs de la prévention, des maladies chroniques aux risques infectieux, des crises sanitaires aux effets sanitaires des risques environnementaux. Cette approche globale contribue à réduire la pression sur notre système de soins en diminuant la demande, améliorant ainsi l'accès aux soins.

Nos quatre missions principales sont les suivantes. Premièrement, nous coordonnons la préparation du système de santé face aux menaces et aux crises sanitaires. Notre action se fonde sur un triptyque : anticipation, préparation, gestion. Le centre de crise sanitaire, créé en mars 2024 à la suite de la crise Covid, assure cette mission. Il centralise les alertes, coordonne les réponses, anticipe les risques sanitaires et élabore des plans de préparation.

Deuxièmement, nous protégeons les Français en favorisant un environnement propice à leur santé. Nous prévenons les risques sanitaires liés à l'alimentation et aux pollutions des milieux de vie, notamment l'air et l'eau. Dans ce cadre, nous menons des politiques « une seule santé », intégrant les enjeux de santé environnementale, humaine et des écosystèmes.

Troisièmement, nous garantissons la sécurité et la qualité des produits de santé, particulièrement les médicaments et les dispositifs médicaux. Nous agissons pour assurer la disponibilité des médicaments sur notre territoire, un sujet de préoccupation majeure face aux tensions et pénuries actuelles.

Quatrièmement, nous favorisons le virage préventif en santé publique. Cela inclut des aspects médicaux comme les politiques de dépistage et de vaccination, ainsi que la structuration d'un parcours de prévention. Nous mettons également en place des dispositifs intersectoriels visant à agir sur les déterminants de santé tels que l'alimentation, l'activité physique, la santé mentale et la lutte contre les addictions.

Cette stratégie préventive est fondamentale pour le système de santé. Elle améliore la santé de la population, réduit les inégalités de santé, diminue la demande de soins et contribue au rétablissement des comptes sociaux. Parmi nos actions concrètes, citons la campagne de vaccination contre les papillomavirus humains (HPV) au collège, l'immunisation contre le virus respiratoire syncytial (VRS), et la lutte contre le tabagisme avec les récents décrets « Espaces sans tabac ».

Ces politiques sont essentielles face au vieillissement de la population et à la transition écologique, qui impactent directement le fardeau des maladies chroniques et les risques épidémiques.

La DGS exerce également la tutelle de six agences sanitaires, dont l'Établissement français du sang (EFS), l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), l'Agence de la biomédecine (ABM), Santé publique France, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et l'Institut national du cancer (Inca). Nous collaborons étroitement avec les acteurs territoriaux, notamment les Agences régionales de santé (ARS) et les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) pour déployer nos politiques sur le terrain.

M. Christophe Naegelen, rapporteur de la commission d’enquête relative à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins. Il est intéressant de noter que dans le cadre de ce rapport qui comportera sans doute des préconisations contre l'intérim, nous recevons justement la directrice générale par intérim. J'aimerais aborder deux points essentiels avant de laisser la parole à mes collègues.

Premièrement, concernant votre champ de compétences qui couvre l'ensemble de la prévention, nous constatons que les budgets alloués à ce domaine restent relativement modestes par rapport au budget total des dépenses de santé. De plus, il est difficile d'évaluer concrètement le retour sur investissement de ces actions préventives. Quelles seraient vos recommandations pour accroître les investissements dans la prévention ? Quels domaines considérez-vous comme prioritaires ?

Deuxièmement, en lien avec l’éducation et le ministère de l'éducation nationale, vous avez évoqué la vaccination des jeunes. Au-delà de cet aspect, le sport joue un rôle crucial dans la prévention de diverses maladies. Quelle est la nature de la collaboration entre la DGS et le ministère de l'éducation nationale pour encourager les jeunes à pratiquer une activité sportive régulière et à adopter une alimentation équilibrée ? Comment abordez-vous également les questions de la consommation d'alcool et de tabac chez les adolescents ? Pouvez-vous nous éclairer sur les interactions existantes avec le ministère de l'éducation nationale, le ministère des sports, et les associations concernées ?

Mme Sarah Sauneron. Je vous remercie pour ces questions pertinentes qui soulèvent effectivement trois points essentiels.

Concernant le financement de la prévention, il est important de souligner la complexité de l'évaluation précise des montants alloués. La nature intersectorielle de la prévention et la difficulté de traçage des dépenses, même au sein des comptes de la sécurité sociale, rendent cette tâche ardue. La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) estime ces dépenses entre 8 et 9 milliards d'euros par an. La Cour des comptes, en approfondissant l'analyse, arrive à un chiffre d'environ 15 milliards d'euros. Ces montants nous placent dans la moyenne des pays de l'OCDE. Néanmoins, il est indéniable que notre système reste trop axé sur le curatif, ce qui se reflète dans la répartition des dépenses.

Pour réorienter les dépenses vers plus de prévention, nous devons surmonter plusieurs obstacles. Le principal défi réside dans la nature même de la prévention : c'est un investissement à long terme, dont les bénéfices ne sont pas immédiatement visibles. Dans un contexte de contraintes budgétaires, il est parfois difficile pour les décideurs de privilégier ces dépenses malgré leur efficience prouvée. Nous disposons de nombreuses études démontrant l'efficacité économique de certaines stratégies préventives, telles que la vaccination, les dépistages néonataux, ou la lutte contre le tabagisme.

Il convient d'adopter une approche basée sur l'efficience pour toutes nos stratégies de prévention. Nous ne pouvons pas nous contenter d'une vision simpliste où toute action préventive serait nécessairement bénéfique. Le rapport de la Cour des comptes nous invite à optimiser nos dépenses plutôt que de simplement les augmenter. Cela implique une évaluation rigoureuse de nos politiques et leur ancrage dans les territoires, avec une attention particulière portée aux publics les plus difficiles à atteindre.

Nous pouvons également gagner en efficience en personnalisant nos stratégies préventives. L'exploitation des données de santé offre des opportunités considérables en ce sens. Nous travaillons activement, en collaboration avec l'assurance maladie, pour que l'espace santé de chaque citoyen devienne un vecteur de messages de prévention personnalisés en fonction de son profil.

Par ailleurs, il est essentiel de développer la recherche sur les actions probantes en matière de prévention. Santé publique France évalue très positivement certains dispositifs, comme le développement des compétences psychosociales. Cependant, l'évaluation des dispositifs de prévention reste complexe, nécessitant une approche à long terme et la prise en compte d'impacts multisectoriels. Nous travaillons donc à l'élaboration de guides d'évaluation pour ces actions de prévention.

Un autre levier important concerne les modèles de financement de notre système de soins. Actuellement, le financement à l'acte ne valorise pas suffisamment les conseils de prévention. Nous cherchons à modifier ces incitations, notamment à travers la nouvelle convention médicale qui revoit les objectifs de santé publique associés à la rémunération des médecins.

Concernant notre collaboration avec l'éducation nationale, elle est effectivement primordiale. Les actions de prévention les plus efficaces sont celles qui ciblent les enfants, permettant d'ancrer des comportements favorables à la santé dès le plus jeune âge et de lutter contre les inégalités de santé. Notre partenariat s'illustre particulièrement dans la lutte contre le HPV. Cette collaboration, qui fonctionne depuis deux ans au niveau national avec la direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) et au niveau local entre les ARS et les rectorats, a permis des avancées significatives. Alors qu'en 2022, la France était classée 27e pays de l'Union européenne en termes de taux de couverture du HPV, nous avons réussi en un an à augmenter ce taux de plus de 20 points chez les jeunes de 12 ans. Nous sommes passés à 62 % de couverture pour les jeunes femmes et 48 % pour les hommes, ce qui démontre l'efficacité de notre approche conjointe.

Nous déployons également des programmes de développement des compétences psychosociales pour renforcer la confiance des jeunes et leur capacité d'empathie. La lutte contre les addictions constitue un autre axe majeur de notre action commune.

Concernant l’activité physique, c'est effectivement un enjeu crucial sur lequel les deux ministères se sont engagés. Nous cofinançons des programmes et l'éducation nationale est très investie, notamment avec l'instauration des 30 minutes de sport quotidiennes au collège. D'autres initiatives sont en cours de développement pour renforcer cette dynamique.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pensez-vous que les ARS sont les organismes idoines pour s'occuper de la prévention ? On voit qu'elles font énormément de choses. Ne devraient-elles pas se spécialiser ou se consacrer beaucoup plus à ce que l'on leur demande sur l'offre de soins, qui est sans doute la principale attente de nos concitoyens, et donc peut-être créer des directions régionales de l'offre de soins (Dros) ou des directions départementales de l'offre de soins (Ddos) qui soient en capacité de répondre vraiment à cette attente fondamentale et peut-être de leur enlever la partie environnementale ? Pour moi, cela paraît évident, mais pourquoi pas également la partie prévention, sachant que 4 à 6 % des effectifs des ARS y sont consacrés ?

Mme Sarah Sauneron. Je pense que les ARS ont toute leur légitimité sur le champ de la prévention en ce qu'elles sont l’interlocuteur au quotidien des élus et que, sans les élus, les stratégies préventives ne trouvent pas à s'appliquer de la même manière. Le lien avec l'éducation nationale, quand je dis que cela se fait avec le rectorat, c'est le bon échelon d'interface avec les ARS. A contrario, il faut se poser la question de qui porterait des stratégies préventives territorialisées sans que ce soit dégradé en termes de portage et d'implication politique. Je ne suis pas certaine que les CPAM, si c'est le schéma que vous aviez en tête, voudraient porter tous nos programmes. Ce sont des alliés, sur plein de politiques, mais sur ce type de programme territorialisé de prévention en santé publique.

Mme Murielle Lepvraud (NFP-LFI). Pour rester sur la prévention, je souhaite vous entendre sur la réintroduction des néonicotinoïdes, dont l’acétamipride, par la proposition de loi Duplomb sur la santé humaine. De nombreux collectifs dénoncent les effets de l'utilisation des pesticides sur la santé humaine, et pourtant le gouvernement, aidé par la droite et l’extrême-droite, décide de les réintroduire. J'aimerais connaître votre position, ou la position de la DGS, sur cette situation.

Deuxième question, nous avons traversé, ces mois derniers, une pénurie préoccupante de plusieurs médicaments psychotropes, notamment la quétiapine et la venlafaxine, essentiels pour la prise en charge de pathologies psychiatriques lourdes. Leur indisponibilité à entraîner des décompensations cliniques graves, des passages aux urgences et une mise en danger de la vie des patients. Bien que la situation semble s'améliorer ces dernières semaines, elle a mis en lumière la grande vulnérabilité de notre système d'approvisionnement pour des traitements de fonds essentiels.

Quelles mesures de prévention concrètes la DGS entend-elle mettre en place pour éviter qu'un tel scénario se reproduise à l'avenir ?

Mme Sarah Sauneron. Concernant la stratégie Écophyto 2030, nous sommes pleinement engagés dans sa mise en œuvre. Nous pilotons les agences sanitaires, dont l'Anses, qui mènent diverses études sur l'impact sanitaire et l'exposition aux pesticides. Nous prévoyons d'établir un comité de suivi sous ma présidence d'ici septembre, dès réception de l'étude de l'Anses. Ce comité examinera notamment les résultats attendus en 2025 sur l'imprégnation des riverains et les éventuels impacts sanitaires, afin de définir les mesures de gestion appropriées.

Quant aux néonicotinoïdes, je note que les débats au niveau européen se poursuivent, notamment sur leurs effets sur les pollinisateurs. Des études complémentaires sont en cours sur les aspects sanitaires, et nous suivrons attentivement l'évolution de la position européenne sur ce sujet.

Concernant les tensions d'approvisionnement en antipsychotiques et antidépresseurs, il s'agit effectivement d'une préoccupation majeure. Nous faisons face à des défis structurels, comme l'augmentation de la demande mondiale de médicaments, et conjoncturels, tels que des difficultés d'approvisionnement locales. Dans le cas spécifique de la quétiapine, un problème d'accréditation chez un fabricant grec, fournisseur de 60 % du marché français, a provoqué ces tensions.

L'ANSM a réagi de manière proactive en mettant en place un plan de suivi comprenant plusieurs mesures : l'interdiction d'exportation de ces produits, la sollicitation de la solidarité européenne, l'instauration de contingentements quantitatifs et qualitatifs, et l'incitation des pharmaciens à produire des préparations magistrales. Nous espérons une amélioration de la situation d'ici l'été, bien que nous restions vigilants sur d'autres molécules potentiellement concernées, comme la sertraline.

Nous assurons un suivi étroit de la situation au plus haut niveau. Un comité de liaison réunissant prescripteurs et associations de patients se tiendra le 5 juin pour garantir la transparence sur les actions entreprises et les perspectives d'évolution.

Mme Géraldine Bannier (Dem). En tant qu'ancienne enseignante ayant exercé plus de quinze ans dans les collèges et lycées, j'ai constaté une augmentation significative des cas de jeunes nécessitant un suivi psychologique, et ce, à un âge de plus en plus précoce. Bien que la santé mentale ait été désignée grande cause nationale 2024 et que le dispositif « mon soutien psy » ait été mis en place, comment gérons-nous la situation dans les territoires en pénurie de médecins, comme la Mayenne que je représente, où l'accès aux centres médico-psychologiques (CMP) est particulièrement difficile ? Pouvez-vous nous informer sur l'utilisation de « mon soutien psy » et sur la disponibilité des jeunes professionnels de santé face à l'explosion de la demande ?

Mme Sarah Sauneron. Je partage votre constat alarmant concernant la santé mentale des jeunes, particulièrement des jeunes femmes, dont la situation ne s'est pas améliorée cinq ans après la crise du Covid. La DGS se mobilise sur ce sujet, notamment à travers le développement des compétences psychosociales et d'autres déterminants de santé.

Bien que je ne sois pas directement responsable du dispositif « mon soutien psy », je peux vous indiquer que des mesures ont été prises pour améliorer son accessibilité. Nous avons revalorisé le nombre de séances et le forfait pour attirer davantage de psychologues. De plus, l'obligation d'adressage systématique par les médecins a été supprimée pour faciliter l'accès aux soins. L'assurance maladie a lancé une campagne de communication importante sur ce dispositif en début d'année.

Je ne dispose pas des chiffres précis sur l'utilisation du dispositif, mais je peux vous assurer que le ministère et l'assurance maladie sont mobilisés sur cette question. Nous pourrons vous transmettre ultérieurement des données plus détaillées via la direction compétente.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Permettez-moi de revenir sur votre propos concernant les ARS et leur relation avec les élus locaux. Je me dois de contester votre affirmation selon laquelle les ARS seraient l'administration la plus à même de conduire les politiques de prévention du fait de leurs liens avec les élus. D'après les retours que je reçois des élus de ma circonscription, l'ARS figure parmi les administrations avec lesquelles les échanges sont les plus difficiles, particulièrement pour les maires et les dirigeants de collectivités.

Ne serait-il pas plus judicieux de confier ces moyens directement aux collectivités, dans le cadre d'une véritable décentralisation ? En donnant aux communes la responsabilité de mener ces politiques de prévention, avec bien entendu le budget correspondant, ne serions-nous pas plus efficaces ? Les collectivités possèdent les compétences nécessaires et sont au plus près du terrain. Cette approche ne permettrait-elle pas une meilleure mise en œuvre des politiques de prévention ?

Mme Sarah Sauneron. Les collectivités jouent un rôle majeur dans la mise en œuvre des stratégies de prévention en santé publique et la gestion des crises sanitaires. À la DGS, nous collaborons étroitement avec les réseaux villes-santé pour déployer nos principales politiques de santé publique. Il est logique que le ministère de la santé coordonne ses actions avec ses services déconcentrés pour assurer une mise en œuvre efficace jusqu'au dernier kilomètre. Par exemple, il serait inconcevable de demander aux collectivités de déployer la campagne HPV sans établir un lien direct avec elles.

L'action déconcentrée de l'État en matière de prévention sanitaire est pleinement justifiée. Il serait incohérent de maintenir l'offre de soins dans les ARS tout en retirant la prévention du giron du ministère de la santé. Les ARS constituent notre bras armé sur le terrain. Nous leur transmettons des instructions quotidiennes, mais elles nous fournissent également de précieuses remontées du terrain qu'il conviendrait de mieux structurer.

Concernant la campagne HPV, il conviendrait d'organiser un retour d'expérience sur son déploiement dans chaque région. Je doute que les préfets, déjà très sollicités, souhaitent prendre en charge les politiques de prévention en santé. De plus, il est logique que l’acteur responsable de l'offre de soins s'occupe également de la prévention. Une séparation de ces deux aspects risquerait de perpétuer une dichotomie curatif-préventif, entraînant une hiérarchisation qui nuirait à une vision globale de notre système de santé. Les ARS ont donc toute légitimité à conserver l'intégralité de leurs compétences en matière de santé.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je tiens à préciser que je ne remets pas en cause le principe même des ARS. Fort de mon expérience de parlementaire depuis huit ans, je cherche à identifier des propositions qui permettraient à nos concitoyens de se sentir mieux écoutés sur les questions de santé, de bénéficier de politiques sanitaires au plus près de leurs préoccupations, et d'améliorer les interactions avec les élus.

Je reconnais la pertinence de la structuration régionale des ARS, notamment en raison de l'organisation régionale des centres hospitaliers universitaires (CHU). Cependant, ne serait-il pas judicieux de renforcer considérablement l'échelon départemental, en lui accordant davantage de moyens et d'autonomie ? Je propose la création d'un poste de sous-préfet sanitaire, qui dépendrait à la fois du préfet et d'une structure régionale. Cette organisation permettrait d'atteindre efficacement le dernier kilomètre dont vous parliez.

Les préfectures constituent le point d'entrée privilégié pour les élus et les citoyens dans de nombreux domaines. À l'instar des secrétaires généraux pour l'économie ou des directeurs de cabinet pour le régalien, ne serait-il pas pertinent de placer un domaine aussi crucial que la santé sous l'égide des préfets ? Que penseriez-vous de la création d'une direction spécifique de la santé rattachée à la préfecture ? Cette proposition vous semble-t-elle utopique ou difficilement structurable ? Ou estimez-vous que l'organisation actuelle est optimale et ne nécessite aucun changement ?

Mme Sarah Sauneron. Bien que cette question dépasse largement mes attributions en tant que directrice générale de la santé par intérim, je pense que votre interrogation soulève principalement la nécessité de renforcer l'échelon départemental des ARS. Nous constatons effectivement que les délégations départementales n'ont pas été suffisamment dotées en moyens ni valorisées dans leur action territoriale jusqu'à présent.

Cette problématique soulève également des questions d'articulation de l'action, notamment en matière de gestion des crises sanitaires, peut-être en lien avec les centres opérationnels départementaux (COD). Je partage entièrement votre avis sur la nécessité de valoriser les délégations départementales des ARS. Quant à savoir si elles doivent dépendre du préfet ou des ARS, je ne me prononcerai pas sur ce point organisationnel.

Néanmoins, je tiens à souligner l’importance de l'échelon départemental. Les ARS sont des partenaires quotidiens indispensables. Elles font preuve de disponibilité, de réactivité et nous fournissent des retours de terrain particulièrement pertinents et efficaces. Je ne peux donc que réaffirmer l'excellence de notre collaboration avec les ARS, avec lesquelles nous travaillons de manière extrêmement positive.

M. le président Jean-François Rousset. Lorsque nous évoquons les soins, nous cernons précisément les dispositifs et les établissements sous l’égide du ministère de la santé. En revanche, dès que nous abordons la prévention, nous touchons à plusieurs ministères. Prenons l'exemple du sport-santé : cela concerne le ministère de l'éducation nationale pour le sport à l'école, au collège, au lycée et à l'université, mais aussi le ministère des sports et les fédérations sportives. De même, la prévention par l'alimentation et l'hygiène, notamment pour lutter contre l'obésité, implique les écoles, les élus et les producteurs.

Ne sommes-nous pas confrontés à un système excessivement complexe qui pourrait bénéficier d'une séparation nette entre le soin et la prévention ? Cette séparation pourrait-elle aller jusqu'à un financement totalement distinct ? S'agit-il d'une utopie ou d'une simplification potentiellement très intéressante à explorer, voire à modéliser avant une éventuelle mise en œuvre concrète ?

Mme Sarah Sauneron. Votre proposition n'est pas utopique, elle reflète en réalité la situation actuelle. La prévention s'étend au-delà du seul champ sanitaire, comme je l'ai souligné précédemment. Nous avons des programmes médicaux spécifiques, mais aussi des volets plus larges concernant les déterminants de santé, qui nécessitent une approche intersectorielle. Les financements associés suivent cette logique : nous disposons à la fois de crédits spécifiques et de crédits intersectoriels, que nous nous efforçons de retracer dans un document budgétaire qui vous est soumis chaque année, malgré la complexité de l'exercice.

Cependant, je ne crois pas en une dissociation totale de l'offre préventive et de l'offre de soins, et je ne la souhaite pas. Les professionnels de santé doivent également être responsables de ce discours préventif. Les Français attendent cela d'eux, car ce sont des personnes de confiance dont le message a un impact significatif sur leur santé. Dire aux acteurs de soins que la prévention n'est pas de leur ressort et qu'ils doivent se concentrer uniquement sur le curatif ne nous aidera ni à mettre en place des politiques efficaces, ni à transmettre le message à nos concitoyens.

L'intersectorialité est déjà une réalité. Toutes nos stratégies sont portées par plusieurs ministères. Par exemple, une stratégie sport-santé sera présentée à la rentrée prochaine, conjointement portée avec la direction des sports du ministère des sports. Vous verrez qu'elle comporte des mesures prometteuses. Il en va de même pour les questions d'alimentation. Nous menons une prévention intersectorielle, mais je reste convaincue que l'offre de soins a toute sa place dans les sujets préventifs et qu'il ne faudrait pas remettre cela en question.

Mme Murielle Lepvraud (NFP-LFI). Je souhaite revenir sur la question de la prévention, notamment concernant la réintroduction des pesticides et leurs conséquences sur la santé humaine. Vous avez mentionné les études de l'Anses, or la proposition de loi Duplomb remet en cause l'indépendance de l'Anses en la plaçant sous la tutelle du ministère de l'agriculture. Quelle est la position de la DGS sur cet affaiblissement de l'indépendance de l'Anses concernant les études et les conséquences sur la santé humaine ?

Mme Sarah Sauneron. La DGS est très vigilante quant à la préservation de l'indépendance scientifique de nos agences sanitaires. Ces dernières ont été créées précisément dans ce but, afin de protéger les citoyens et les ministres, à la suite de divers scandales sanitaires. L'Anses fait partie intégrante de ce dispositif. Nous veillerons scrupuleusement au maintien de cette indépendance scientifique, quelles que soient les décisions prises et les vecteurs choisis. Pour nous, c'est un principe non négociable, et je suis convaincue que la représentation nationale partage cette conviction quant à la nécessité absolue de cette indépendance.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous avons d’ores et déjà transmis toute une série de questions par écrit. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas souhaité les aborder ici, préférant élargir le champ de notre discussion. Concernant les propos de notre collègue, il est crucial de souligner l'importance du poids de l'Anses. Bien que la décision ne soit pas encore définitivement entérinée, puisque nous aurons probablement une commission mixte paritaire ou une autre procédure, je souhaite aborder la question de vos relations avec vos homologues européens. Il est à noter que 26 des 27 pays de l'Union européenne avaient autorisé l'acétamipride, la France étant l'unique exception. Nous sommes souvent dans une position singulière, mais pouvez-vous nous éclairer sur la nature de vos échanges avec les autres pays européens ? Comment expliquer cette divergence entre la décision française et celle prise par 26 autres États membres ?

Mme Sarah Sauneron. La différence s'explique par la logique distincte des autorisations de mise sur le marché (AMM) entre les produits phytosanitaires et vétérinaires d'une part, et les médicaments d'autre part. L'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) établit des AMM, mais les États membres conservent la possibilité d'adopter des mesures plus protectrices, en s'appuyant sur les avis de leurs agences sanitaires nationales. Dans le cas présent, la France a opté pour une approche plus prudente en 2018 ou 2019.

Néanmoins, nous accordons une grande importance à l'harmonisation de nos positions avec celles des autres États membres. Nous adressons fréquemment des notes aux autorités françaises et à la Commission européenne pour solliciter cette harmonisation. Nous demandons notamment que l’ECHA soit saisie afin d'uniformiser les approches concernant les pesticides.

Un autre sujet qui nous préoccupe concerne l'eau potable, où nous avons constaté des divergences entre les positions des États membres. C'est par l'intermédiaire de la Commission européenne et de l'Anses, qui siège au sein de l'agence européenne, que nous portons ces demandes d'harmonisation. Notre objectif est d'assurer, dans la mesure du possible, un traitement équitable des acteurs économiques tout en garantissant une protection optimale des citoyens.

Mme Géraldine Bannier (Dem). Je souhaite poser une question complémentaire, bien que j'ignore si elle relève de votre domaine de compétence. Elle concerne la santé professionnelle. Dans ma précédente carrière, nous ne bénéficiions d'aucun suivi médical tout au long de notre parcours professionnel. Une visite en début de carrière était prévue, mais elle a été supprimée. En revanche, lorsque je suis devenue maire, j'ai découvert que mes agents municipaux bénéficiaient d'une visite médicale tous les deux ans.

Il existe une disparité flagrante dans le suivi médical des fonctionnaires selon leur affectation, certains bénéficiant d'un suivi régulier tandis que d'autres n'en ont aucun, principalement pour des raisons financières. C'est d'ailleurs dans ce contexte que je porte une proposition de loi visant à instaurer une visite médicale obligatoire après 20 ans de carrière pour les enseignants. Cette mesure me semble justifiée, compte tenu des maladies professionnelles spécifiques à ce métier. Par exemple, les professeurs d'éducation physique sont sujets à des problèmes de voix, et de nombreux enseignants rencontrent des difficultés de santé au cours de leur carrière. Cette situation est pour le moins surprenante. Avez-vous un avis sur ces disparités de suivi médical entre les différentes professions ?

Mme Sarah Sauneron.  Bien que cette question ne relève pas directement de mes attributions, qui sont rattachées à la direction générale du travail, je peux vous informer que nous sommes associés à l'élaboration de leurs plans de santé au travail.

M. le président Jean-François Rousset. Je propose de conclure cette audition. Je vous rappelle que vous avez la possibilité de nous transmettre des informations complémentaires via notre secrétariat.

 

 


–  1  –

25.   Audition de M. Pierre Pribile, directeur de la sécurité sociale (DSS)

M. le président Jean-François Rousset. Dans le cadre des travaux de notre commission d’enquête consacrée à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins, nous recevons aujourd’hui M. Pierre Pribile, directeur de la sécurité sociale.

Avant de vous céder la parole pour un propos liminaire, monsieur Pribile, je rappelle que cette audition est diffusée en direct sur le site de l’Assemblée nationale, qu’elle y sera consultable en vidéo et fera l’objet d’un compte-rendu écrit. L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées dans le cadre de travaux d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Pierre Pribile prête serment.)

M. Pierre Pribile, directeur de la sécurité sociale. Je m’emploierai durant ce propos liminaire à répondre aux principales questions que vous m’avez transmises en amont de cette audition, concernant la situation financière de la sécurité sociale, en particulier celle de la branche maladie, ainsi que la nécessité et les moyens d’un retour à l’équilibre. J’aborderai également la question de la tarification à l’activité des hôpitaux.

La commission des comptes de la sécurité sociale, réunie hier à Bercy, a actualisé la trajectoire financière jusqu’en 2029. Pour 2025, le déficit global de la sécurité sociale est confirmé à 22 milliards d’euros, dont 16 milliards pour la seule branche maladie, l’autre branche pesant lourdement sur le déficit étant la branche vieillesse. À l’horizon 2029, ce déficit pourrait, sous certaines hypothèses, s’aggraver pour atteindre 25 milliards d’euros, dont près de 20 milliards d’euros pour la seule branche maladie.

Le retour à l’équilibre de la sécurité sociale dans son ensemble suppose un effort sur la branche vieillesse. À cet égard, le dialogue social est ouvert dans le cadre de la délégation paritaire permanente souhaitée par le premier ministre. Mais bien évidemment, un retour à l’équilibre de la sécurité sociale n’est pas concevable sans un retour à l’équilibre de la branche maladie elle-même.

Il importe de souligner que les projections que je viens de mentionner reposent sur des hypothèses macroéconomiques formulées par le gouvernement, qui pourraient être affectées par la situation internationale. En outre, elles supposent une maîtrise de la dynamique des dépenses d’assurance maladie, avec un objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) contenu à 2,9 % par an jusqu’en 2029. Cette hypothèse implique déjà la réalisation de près de 20 milliards d’euros d’efforts par rapport à l’évolution spontanée des dépenses.

Pour ramener la branche maladie à l’équilibre d’ici 2029, il faudrait non seulement réaliser ces 20 milliards d’euros d’efforts pour satisfaire l’Ondam, mais aussi combler le déficit persistant de près de 20 milliards d’euros. Cela représente un effort total de l’ordre de 40 milliards d’euros, soit l’équivalent de toute la dépense d’assurance maladie en remboursement de produits de santé.

Je partage l’avis de la Cour des comptes sur la nécessité absolue de ramener la sécurité sociale à l’équilibre. Il ne s’agit pas là, et je tiens à le souligner, d’une obsession comptable. Au contraire, au moins trois raisons fondamentales rendent ce défi indispensable. Premièrement, il s’agit d’assurer la pérennité de notre protection sociale, pilier de notre République. Deuxièmement, la persistance des déficits contribue à une perte de confiance de nos concitoyens dans la solidité de leur protection sociale, ce qui fragilise notre pacte social. Troisièmement, financer notre protection sociale à crédit revient à faire payer aux générations futures les soins d’aujourd’hui, ce qui contredit nos valeurs de solidarité intergénérationnelle de notre système et fait peser sur elles une charge d’autant plus démesurée qu’elles devront à leur tour faire face à des dépenses de santé, plus élevée encore en raison des progrès médicaux.

Retrouver ce chemin d’équilibre passe par une amélioration significative de l’efficience de notre système de santé, ce qui implique de payer les soins à leur juste coût. Cette approche peut sembler consensuelle dans son principe, mais en réalité elle se heurte à des résistances lors de sa mise en œuvre, notamment lors de la renégociation annuelle du prix de certaines prestations ou produits de santé.

Trois grands leviers sont à notre disposition pour améliorer l’efficience de notre système de santé. Le premier consiste à maîtriser les volumes de soins en se concentrant sur leur pertinence. Le deuxième, plus controversé, vise à réexaminer le périmètre de notre protection sociale et le niveau de socialisation des dépenses. Le troisième s’attache à augmenter les recettes de la branche maladie, ce qui soulève inévitablement des débats sur le consentement à l’impôt et aux contributions sociales.

Ces trois leviers sont légitimes, mais leur mise en œuvre et leur dosage font l’objet de discussions politiques. Compte tenu de l’ampleur des efforts nécessaires, il apparaît inévitable de les combiner. Le récent rapport de la Cour des comptes sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale propose des actions visant à maîtriser l’évolution des dépenses d’assurance maladie. Ces mesures, principalement axées sur l’efficience, pourraient permettre de contenir la croissance des dépenses à 2,9 % par an sur les quatre prochaines années, générant ainsi une économie d’environ 20 milliards d’euros. Cependant, une meilleure efficience ne suffira pas à rétablir l’équilibre de la branche maladie, ce qui implique la nécessité d’activer d’autres mécanismes.

J’en viens à la tarification à l’activité (T2A), dont il importe de considérer qu’elle constitue avant tout un modèle d’allocation et de répartition des ressources, et non un outil de régulation budgétaire ou un mode de régulation des dépenses. Ce modèle, actuellement en pleine évolution, permet de répartir les financements sans pour autant déterminer le montant global que la nation décide d’allouer aux soins hospitaliers.

La critique souvent formulée à l’encontre de la tarification à l’activité, mais aussi, de manière générale, à toute tarification hospitalière, se rapporte à ce que l’on pourrait appeler une régulation prix-volume : plus les volumes augmentent, plus les prix varient. Ce mécanisme vise à capter des gains de productivité dans notre système de santé. Bien que le terme de productivité puisse paraître inapproprié dans le contexte des soins, il est essentiel de rechercher une optimisation permettant de soigner mieux et davantage nos concitoyens tout en maîtrisant les dépenses publiques alors que l’augmentation spontanée des dépenses de santé dépasse 4 % par an.

Cette augmentation n’est pas le fruit d’une gabegie, mais s’explique par plusieurs facteurs : le vieillissement de la population, l’évolution épidémiologique avec l’essor des maladies chroniques, et le progrès médical. Ce dernier, naturellement précieux, contribue à transformer certaines pathologies aiguës autrefois mortelles en maladies chroniques, augmentant ainsi l’espérance de vie et, par conséquent, les dépenses de santé.

Pour pérenniser notre système de protection sociale et garantir l’accès aux soins de qualité pour tous, il est impératif de freiner la dynamique des dépenses, les recettes n’évoluant pas spontanément au même rythme. Aussi, la recherche des gains de productivité n’a pas pour fin de rémunérer quelque actionnaire du système de santé, mais à assurer la durabilité de notre système de sécurité sociale.

En conclusion, l’enjeu consiste à rechercher des gains d’efficience dans l’ensemble du système de santé. Cela permettra de maintenir un financement solidaire et une égalité d’accès aux soins, conformément aux attentes de nos concitoyens.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Votre analyse des enjeux à l’horizon 2026-2029 et la nécessité de trouver des pistes d’amélioration sont particulièrement éclairantes. Permettez-moi de me concentrer sur l’efficience de nos dépenses de santé et sur certains coûts qui semblent relever de l’anomalie, et à propos desquels la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) pourrait avoir son mot à dire.

Je souhaite aborder spécifiquement la question de la tarification de certaines activités médicales. Au fil des années, nous avons observé que certaines pratiques ont considérablement gagné en efficacité et en rapidité d’exécution. Cette évolution a engendré l’émergence de spécialistes se consacrant à ces opérations devenues particulièrement lucratives. Parmi les exemples notables, on peut citer la dialyse ou la chirurgie de la cataracte.

Dans ce contexte, comment envisagez-vous d’ajuster la tarification pour refléter ces gains d’efficience, tout en maintenant un équilibre entre la juste rémunération des professionnels de santé et la maîtrise des dépenses de l’assurance maladie ? Cette question de la remise à niveau de la tarification se pose depuis longtemps. Concrètement, quand allons-nous voir une actualisation qui tienne compte non seulement de l’inflation monétaire, mais aussi de la réduction du temps nécessaire pour réaliser certaines opérations ?

Au fil de nos auditions, il m’apparaît que tous les acteurs sont conscients du problème lié à la tarification de certains actes – j’ai cité la dialyse et la chirurgie de la cataracte, mais j’aurais pu évoquer d’autres interventions similaires –, mais que la complexité du système empêche de prendre à bras-le-corps ce problème. Il est nécessaire d’identifier les activités dont la rémunération devrait être ajustée, ce qui implique un travail important. Vous évoquiez l’efficience, et c’est précisément de cela qu’il s’agit : établir un juste prix pour une activité donnée. Or, pour ces pratiques, nous sommes loin de cette adéquation.

M. Pierre Pribile. Vous soulevez un point pertinent. Nous accusons effectivement un certain retard par rapport à l’évolution des pratiques et des technologies, ce qui ne doit pas nous empêcher de chercher à le combler. Concernant les activités que vous mentionnez, plusieurs chantiers sont en cours pour répondre à cette préoccupation, notamment dans les domaines de la dialyse et de la radiothérapie. Une réforme du financement est actuellement menée, visant à la fois des gains d’efficience et un mode de financement plus incitatif à la qualité. La direction générale de l’offre de soins (DGOS) y travaille activement.

Nous sommes également engagés dans une révision de la nomenclature des actes pris en charge. Ce processus, bien qu’il ne génère pas nécessairement des économies immédiates, permettra de rééquilibrer la rémunération de certains actes et d’intégrer de nouveaux actes innovants. C’est un mécanisme comparable à celui des médicaments : une innovation est initialement coûteuse, mais l’évolution des pratiques permet ensuite de réaliser des gains susceptibles d’être réalloués vers de nouvelles technologies porteuses de progrès médical.

Enfin, un dernier point, qui engage nos collègues de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), se rapporte à notre capacité à mener des enquêtes de coûts suffisamment fréquentes. Ces enquêtes sont essentielles pour éviter des distorsions dans la tarification à l’activité au fil du temps. L’objectif est de répartir équitablement l’enveloppe allouée aux soins en fonction des coûts réels supportés par les établissements de santé. Sans ces enquêtes régulières, des décalages peuvent apparaître entre les tarifs et les coûts effectifs, créant des rentes pour certaines activités ou rendant d’autres chroniquement déficitaires. Ces deux situations envoient des signaux inadéquats à notre système hospitalier, pouvant conduire à une concentration sur certaines activités au détriment d’autres, alors que l’intérêt général exige une couverture complète des besoins de santé de la population.

L’actualisation régulière des connaissances des coûts, et donc des tarifs adaptés, constitue bien un sujet d’efficience. Malheureusement, ces enquêtes de coûts n’ont pas pu être réalisées aussi fréquemment que souhaité ces dernières années. Une enquête est en cours, dont les résultats seront disponibles l’année prochaine, permettant ainsi de réajuster le modèle pour un financement plus équitable et représentatif des coûts réels.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. À quel rythme sont lancées ces enquêtes de coûts ?

M. Pierre Pribile. De mémoire, il me semble que l’ATIH entreprend ces études de coûts selon un rythme triennal.

Mme Capucine Grégoire, adjointe à la sous-directrice du financement du système de soins. Les tarifs sont actualisés annuellement dans le cadre des campagnes budgétaires hospitalières. Cependant, depuis 2020, en raison de la crise du covid, nous n’avons pas été en mesure d’utiliser les études nationales de coûts, les données collectées n’étant pas exploitables. De plus, trois années de recul sont généralement nécessaires pour utiliser ces données de manière fiable et fonder des décisions de tarif.

Cela ne signifie pas l’absence de toute évolution tarifaire. Des ajustements ont été effectués pour certaines activités lors des récentes campagnes budgétaires, notamment en pédiatrie et en obstétrique. Ces ajustements ont été motivés par la constatation de déficits dans ces secteurs, particulièrement dans les établissements de santé publique, et par des considérations de santé publique prises en compte par le ministère.

Concernant la nomenclature en ville, sur laquelle vous nous aviez interrogés lors de votre visite au ministère, une mise à jour est en cours après une longue période sans révision. Les évolutions tarifaires qui en découleront relèvent du champ conventionnel et des négociations entre l’assurance maladie et les représentants des professions de santé. L’enjeu est donc double : non seulement mettre à jour la nomenclature, mais aussi s’assurer que cette mise à jour se traduise par des évolutions tarifaires appropriées dans le cadre conventionnel, ou selon d’autres modalités si elles venaient à être décidées à l’avenir.

M. le président Jean-François Rousset. Pour prolonger la question de M. le rapporteur, qui citait l’exemple de la chirurgie de la cataracte, j’aimerais évoquer le cas de la chirurgie robotisée. Lorsque les investissements matériels pour de nouvelles techniques opératoires sont particulièrement élevés, disposez-vous d’une évaluation de la rentabilisation de ces investissements en fonction du nombre d’actes réalisés ?

Par exemple, dans une structure privée, l’acquisition d’un laser pour la chirurgie de la cataracte ou d’un robot chirurgical implique une durée d’exploitation quotidienne ou hebdomadaire nettement supérieure à celle d’autres structures. Ne s’agit-il pas là de pistes potentielles pour améliorer l’efficience des investissements, au-delà de la seule considération du soin ?

M. Pierre Pribile. Votre réflexion soulève un point intéressant concernant un mode de régulation qui prendrait en compte le niveau de rentabilité des activités. Actuellement, ce n’est pas directement le cas, mais cela se fait indirectement par le biais des enquêtes de coûts que nous venons d’évoquer. Ces enquêtes permettent de hiérarchiser les coûts des différents actes et d’ajuster les tarifs en conséquence, notamment en identifiant et en captant les gains de productivité.

En effet, lorsqu’une activité se généralise ou se massifie, son coût unitaire tend à diminuer. Si nous sommes suffisamment réactifs, nous devrions être en mesure de capter ces gains de productivité dans notre échelle des coûts. C’est précisément ce à quoi devrait aboutir une enquête de coûts régulière, couplée à une réactivité adéquate de notre part pour ajuster les tarifs. Cependant, il convient de reconnaître que la temporalité de ce processus reste assez longue. À cet égard, réguler par les marges des opérateurs pourrait constituer une alternative.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. J’aimerais à présent aborder la question du suivi budgétaire de l’Ondam, et obtenir des informations précises sur le coût de l’intérim dans le secteur hospitalier, ainsi que sur les dépenses liées aux contrats de motif 2, de manière à calculer le surcoût par rapport à l’activité d’un praticien hospitalier traditionnel.

Je trace un parallèle avec mon propos précédent relatif à la tarification de certaines activités médicales parce qu’il me semble que, depuis des années, et comme le montrent nos auditions, la plupart des acteurs sont en réalité parfaitement conscients des économies potentielles à réaliser dans notre système de santé, notamment dans la branche maladie. Aussi, je peine à comprendre si nous nous heurtons à un manque de volonté ou à l’influence de lobbys qui freinent les avancées dans ce domaine. Dans tous les cas, la situation révèle un manque de courage.

De manière très concrète, certaines activités requièrent deux à trois fois moins de temps qu’auparavant. Et même si le matériel peut être plus onéreux, la marge sur ces activités a augmenté, conduisant à un développement presque industriel de ces pratiques. Pour rétablir une véritable justice sanitaire, ne faudrait-il pas diminuer la part remboursable de ces activités ?

De même, j’estime qu’en matière d’intérim et de contrats de motif 2, une égalité de traitement doit prévaloir. À cet égard, il me semble que nous pourrions réduire le recours à ces modes de recrutement et réduire la rémunération de ces praticiens, de manière à éviter l’éveil d’un sentiment de frustration chez les praticiens hospitaliers qui effectuent correctement leur travail mais sont payés deux à trois fois moins que des personnes intervenant ponctuellement dans leurs hôpitaux. Cela pourrait également contribuer à rééquilibrer la situation entre le secteur privé et le secteur public.

M. Pierre Pribile. Je ne dispose pas des chiffres exacts concernant le coût de l’intérim hospitalier, qui concerne à la fois les personnels médicaux et paramédicaux. Cependant, il s’agit effectivement d’une source importante de surcoûts pour les hôpitaux, contribuant ainsi à leurs déficits. D’ailleurs, j’aimerais faire observer que pour aboutir à une vision globale des équilibres économiques de notre système de santé et de ses besoins de financement, il convient d’additionner le déficit de la sécurité sociale et celui de notre système hospitalier.

La question de l’intérim fait partie des pistes d’efficience potentielles. D’ailleurs, nous avons intégré dans la construction de l’Ondam des sources d’économies liées à la régulation des dépenses d’intérim. Il convient de saluer le travail de nos collègues de la DGOS sur ce sujet. De leur côté, les pouvoirs publics n’ont pas été inactifs face à cette problématique. Nous sommes passés d’une situation relativement anarchique concernant les dépenses et les tarifs de l’intérim à une régulation plus encadrée de ce secteur. Une loi a été votée et des décrets ont été rédigés pour mettre en place certaines limites et éviter les abus.

Cependant, il est important de noter que le recours à l’intérim est aussi le symptôme de difficultés plus profondes : problèmes de recrutement, enjeux démographiques pour certaines professions de santé, et une organisation hospitalière qui consomme parfois excessivement des ressources humaines. Souvent, l’intérim est utilisé pour pallier des organisations hospitalières qui ne peuvent fonctionner avec les ressources humaines disponibles.

Pour lutter efficacement contre les abus de l’intérim, il ne suffit pas de réguler les rémunérations. Il faut également veiller à ce que l’organisation hospitalière permette d’assurer le meilleur service possible avec les ressources médicales et paramédicales disponibles. Ces ressources seront amenées à évoluer et à augmenter, comme en témoignent les hausses du nombre de professionnels formés. Néanmoins, notre organisation hospitalière ne doit pas reposer sur l’hypothèse de ressources humaines indisponibles, car cela conduirait inévitablement soit à des excès d’heures travaillées pour les professionnels en poste, soit à un recours démesuré à l’intérim. Ces deux options sont préjudiciables, tant pour la santé financière des hôpitaux que pour la qualité des soins prodigués.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je comprends que cette question relève davantage de la DGOS. Toutefois, j’aimerais vous soumettre un scénario.

Imaginons que, par voie légale, nous soyons en mesure de limiter la rémunération des professionnels de santé, notamment des médecins, dans les hôpitaux privés et les cliniques. Cette limitation serait basée sur leur source principale de revenus, à savoir la sécurité sociale et les mutuelles. Prenons en compte également le fait qu’une majorité de praticiens hospitaliers ne se plaignent pas de leur rémunération, qu’ils considèrent confortable. Dans ce cadre hypothétique, nous pourrions également prévoir que les remplacements et l’intérim seraient limités en termes de rémunération à ce que gagne un praticien hospitalier traditionnel, particulièrement s’ils ne participent pas à la permanence des soins en établissements de santé (PDSES) et à la continuité des services. Imaginons, donc, que tous ces professionnels de santé se trouvent sur un pied d’égalité en termes de rémunération.

Dans un tel scénario, quelles seraient les problématiques potentielles ? Certes, à court terme, certains professionnels pourraient exprimer leur mécontentement. Mais à moyen et long terme, quelle autre option auraient-ils que de pratiquer avec des rémunérations convenables, correspondant à celles des praticiens des hôpitaux publics ? Quelles seraient, selon vous, les implications et les conséquences d’une telle approche sur notre système de santé ?

M. Pierre Pribile. La problématique que vous soulevez dépasse effectivement la seule question de l’intérim pour englober la rémunération des professionnels de santé, tant en ville que dans le système libéral. Il est indéniable que les modes de régulation de ces secteurs diffèrent considérablement. Les praticiens libéraux voient leurs revenus influencés par la tarification des actes qu’ils réalisent, établie par la sécurité sociale. Plusieurs rapports ont mis en lumière des écarts de rémunération significatifs, non seulement entre le secteur public et le secteur privé, mais également entre les différentes spécialités médicales. Notre système actuel ne régule pas ces disparités. Il serait pertinent de s’interroger sur la mise en place d’une forme d’équité dans la rémunération des professionnels médicaux, qui ont tous suivi de longues études. La question se pose notamment sur les raisons pour lesquelles, dans notre pays, un ophtalmologue bénéficie une rémunération supérieure à celle d’un pédiatre.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Je tiens à préciser que je ne cherche pas à comparer des spécialités différentes, mais plutôt à souligner la nécessité d’une équité au sein d’une même spécialité. En d’autres termes, je ne dis pas qu’un pédiatre doit gagner plus qu’un ophtalmologue, je dis qu’un pédiatre exerçant dans un hôpital public devrait percevoir une rémunération équivalente à celle d’un pédiatre intervenant en tant que praticien sous contrat de motif 2, en intérim, ou dans une clinique privée. Une uniformisation des rémunérations au sein des spécialités, à formation égale, et indépendamment du cadre d’exercice auprès des patients, me semble souhaitable.

M. Pierre Pribile. Aujourd’hui, notre système ne permet pas de garantir l’équité ou l’égalisation des rémunérations que vous proposez. L’hôpital public s’appuie sur sa propre réglementation, à laquelle s’ajoutent des régulations visant à limiter les inégalités, notamment dans l’intérim médical. Parallèlement, le secteur de l’hospitalisation privée fonctionne sur un modèle différent, basé sur la tarification d’actes de soins par des professionnels libéraux. Ce système peut être complété par des dépassements d’honoraires, pratique également observée dans les activités libérales à l’hôpital public.

Atteindre l’uniformisation des revenus que vous évoquez supposerait par conséquent de revoir l’ensemble du système. Cela pourrait constituer un objectif envisagé par la représentation nationale, mais vous voyez bien quelles difficultés se dressent.

M. le président Jean-François Rousset. Concernant les dispositifs médicaux, notamment chirurgicaux, il semble qu’une marge d’économie substantielle existe. La question se pose quant à l’évaluation rigoureuse de ces dispositifs. Prenons l’exemple des interventions chirurgicales qui peuvent être réalisées de différentes manières, soit avec du matériel d’auto-suture complexe et onéreux, souvent importé, soit avec des fils de suture traditionnels, moins coûteux. Ne serait-il pas judicieux d’engager une collaboration avec les sociétés savantes pour déterminer la meilleure approche chirurgicale ou médicale, en tenant compte non seulement de l’efficacité clinique, mais aussi des coûts et de l’impact environnemental ? Cette réflexion devrait inclure les aspects liés au recyclage et à la destruction de ces matériaux, dont les coûts induits ne sont pas négligeables. Cette piste ne mériterait-elle pas d’être explorée plus en profondeur ?

M. Pierre Pribile. La Haute Autorité de santé (HAS) joue un rôle éminent dans l’évaluation de la valeur en santé des dispositifs médicaux et des médicaments. Pour les produits remboursés à 100 % ou les dispositifs médicaux implantables, une négociation de prix s’ensuit entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et l’industriel. Cette négociation, loin d’être arbitraire, se fonde sur l’évaluation de la HAS, prenant en compte les indications pertinentes et les progrès apportés pour chaque pathologie.

Toute décision est prise en vertu d’un principe directeur voulant que tout nouveau produit n’apportant pas d’amélioration significative voit son tarif établi de sorte qu’il permette une économie pour l’assurance maladie. À l’inverse, une innovation apportant une réelle amélioration fait l’objet d’une négociation basée sur la valeur ajoutée pour le traitement des patients. Ces tarifs sont régulièrement renégociés, notamment lors de l’établissement de l’Ondam, en tenant compte des nouvelles données en vie réelle et de l’arrivée d’alternatives concurrentes.

Cette dynamique de renégociation et de réévaluation des produits permet de dégager des gains d’efficience. Il est important de souligner que ces économies ne sont pas des coupes sèches. Elles ne servent pas à baisser les dépenses, mais à financer l’accès à de nouvelles innovations médicales. Ce système d’autofinancement vise à permettre aux patients d’accéder aux meilleurs soins disponibles, y compris aux dernières technologies, dans les meilleurs délais possibles.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Face aux informations récentes concernant une possible restriction de l’accès au dispositif des affections de longue durée (ALD), il convient de souligner que ce régime, censé garantir une prise en charge à 100 %, laisse en réalité de nombreux patients exposés à des restes à charge conséquents. Ces coûts supplémentaires proviennent notamment des dépassements d’honoraires non couverts et des soins de support non remboursés, obligeant souvent les patients à souscrire à des complémentaires santé onéreuses. Dès lors, comment justifier une diminution de la prise en charge des ALD ? Ne risque-t-on pas d’aggraver la vulnérabilité de ces patients, tant sur le plan médical que financier ?

Concernant les transports sanitaires, la récente mobilisation des chauffeurs de taxi contre la nouvelle tarification soulève des questions importantes. L’augmentation des coûts de transport sanitaire ne peut être dissociée de la réalité structurelle de l’éloignement croissant des soins pour de nombreux assurés, résultant de la désertification médicale, des fermetures de lits et du recentrage hospitalier. Comment justifier une volonté de restreindre la prise en charge des transports sans s’attaquer à la racine du problème, à savoir l’organisation territoriale de l’offre de soins ? N’assistons-nous pas à un paradoxe où les patients sont rendus dépendants de transports coûteux par les politiques publiques elles-mêmes, avant d’être pénalisés pour y avoir recours ?

Enfin, concernant la tarification à l’acte, une révision des tarifs est-elle envisagée dans le secteur périnatal, manifestement en difficulté financière chronique, comme en témoigne le nombre important de fermetures de maternités observées ces dernières années ?

M. Pierre Pribile. La croissance des coûts de transports sanitaires pour la sécurité sociale s’explique en partie par la nécessité pour les patients d’accéder à une offre de soins parfois plus éloignée. Il convient cependant de préciser que cet éloignement résulte principalement du progrès médical. En effet, le traitement de certaines pathologies requiert désormais le recours à des spécialités de haut niveau, qui ne peuvent être disséminées dans l’ensemble du territoire. La nécessité pour les patients de consulter un spécialiste uniquement disponible dans un centre hospitalier universitaire (CHU) n’est pas le fruit d’une décision visant à éloigner l’offre de soins, mais plutôt la conséquence du développement de spécialités médicales pointues. Ces spécialités, qui n’existaient peut-être pas auparavant ou ne disposaient pas de moyens d’action sur certaines pathologies, sont aujourd’hui un recours utile pour les patients. Cependant, elles ne peuvent être exercées efficacement que dans des centres où le volume de cas traités est suffisant, d’où leur concentration dans des structures telles que les CHU.

Cette évolution génère inévitablement des besoins accrus en matière de transports, et par conséquent des coûts supplémentaires pour l’assurance maladie. Les économies recherchées à travers la nouvelle convention liant l’assurance maladie aux transporteurs et aux taxis ne visent pas à remettre en cause la légitimité de cette croissance des coûts. Nous reconnaissons que cette augmentation est en grande partie justifiée par la nécessité d’accès aux soins, même s’il est également nécessaire de lutter contre les fraudes.

Néanmoins, cette croissance doit s’accompagner de gains de productivité, comme dans tout secteur économique. Il est légitime que la puissance publique et la sécurité sociale en bénéficient. C’est précisément l’objectif recherché, par exemple, en encourageant le transport partagé de patients. Cette approche permettra de réaliser des économies, non pas en diminuant la dépense absolue, mais en ralentissant sa croissance. Ce principe s’applique tant aux taxis qu’à l’ensemble du secteur de la santé.

Il est important de souligner qu’il n’y a pas de réduction du périmètre de prise en charge des transports sanitaires par la sécurité sociale. Cette démarche illustre parfaitement la recherche de gains d’efficience dans un système de santé en croissance. Aucun sous-secteur de notre système de santé ne peut s’exonérer de cette quête d’efficience, indispensable pour assurer le financement pérenne de notre système de santé.

En ce qui concerne les ALD, je voudrais faire observer que, sur le long terme, le taux de prise en charge des dépenses de santé par la sécurité sociale augmente. Il atteint aujourd’hui environ 80 %, un niveau bien supérieur à celui d’il y a cinq, dix ou quinze ans. Cette évolution s’explique par l’augmentation de la part des dépenses de santé liée aux personnes en situation d’ALD, due à la fois à leur nombre croissant et au fait qu’elles nécessitent les soins les plus coûteux.

Ce phénomène entraîne une concentration de la dépense publique sur les patients souffrant d’ALD. Si cette tendance est en grande partie normale et souhaitable, elle soulève néanmoins des questions importantes. En effet, dans un contexte où nous devons réguler l’évolution des dépenses de santé, cette concentration pourrait conduire à recentrer l’intervention de l’assurance maladie principalement, voire exclusivement, sur les patients les plus malades. Bien que ce choix puisse être politiquement défendable, il comporte le risque de voir la sécurité sociale se désengager progressivement de la prise en charge des soins courants, essentiels pour prévenir l’apparition de pathologies chroniques.

La réflexion sur le rôle respectif de l’assurance maladie obligatoire et complémentaire dans la prise en charge des soins pour les patients en ALD est donc légitime et nécessaire. Il est important de rappeler que la dynamique des dépenses de santé est amplifiée par l’augmentation du taux de prise en charge par l’assurance maladie obligatoire, un fait souvent méconnu du grand public, qui a tendance à penser le contraire.

J’en viens à la révision des tarifs associés à la périnatalité, pour dire que deux facteurs expliquent les difficultés financières rencontrées par les hôpitaux publics dans ce domaine. D’une part, la baisse de la natalité entraîne une augmentation du coût unitaire de cette activité, les coûts fixes restant importants. D’autre part, il existe un décalage entre les coûts réels et la rémunération accordée aux hôpitaux. La réactualisation en cours de l’enquête de coûts permettra de réajuster les tarifs consentis aux hôpitaux pour différentes activités, y compris la périnatalité. Dans l’intervalle, des hausses de tarifs ponctuelles ont été accordées pour soutenir ces secteurs en difficulté, en attendant une révision plus globale basée sur des études de coûts actualisées.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il apparaît que les membres de notre commission s’accordent sur plusieurs points, notamment la nécessité de revaloriser certains actes médicaux. Pour compléter la remarque de Mme Lepvraud sur le secteur de la périnatalité, il nous semble qu’une augmentation des moyens alloués à ce secteur permettrait probablement d’attirer davantage de pédiatres, une spécialité actuellement en pénurie. De même, un rééquilibrage des tarifications dans la nomenclature de l’ATIH pourrait influencer les choix de spécialisation des étudiants en médecine.

Êtes-vous en mesure de nous donner une estimation précise du calendrier de mise en œuvre de la revalorisation de ces actes et de la nomenclature ? Nous avons été informés qu’un travail avait été initié il y a quatre ans, qu’il avait été interrompu par la crise du covid, et qu’il venait de reprendre depuis un an. Concrètement, quand pouvons-nous espérer l’instauration d’une tarification plus équitable ?

Ma seconde question s’inscrit dans notre recherche commune d’efficience. Quel est votre avis sur le concept d’une « grande sécu » issue de la fusion des différentes branches d’assurance maladie ? Certaines analyses suggèrent que cette approche présenterait un double avantage, ou du moins un avantage certain et un statu quo. L’avantage financier, selon diverses estimations, se chiffrerait entre trois et six milliards d’euros d’économies potentielles. Parallèlement, le statu quo se manifesterait par le maintien du niveau actuel de remboursement et de protection pour nos concitoyens. Cette fusion pourrait même être étendue pour englober la prise en charge de l’ensemble du volet mutualiste.

M. Pierre Pribile. À ma connaissance, les premières étapes de révision de la nomenclature sont prévues dès l’année prochaine dans le cadre des négociations conventionnelles. Cela permettra d’intégrer ces révisions dans la tarification. Comme évoqué précédemment, le processus se déroule en deux phases : d’abord la révision de la nomenclature, puis la renégociation de la tarification des actes sur cette nouvelle base. Vous devriez constater certaines évolutions dès l’année prochaine.

Quant à l’idée d’une « grande sécu », je vous renvoie à un excellent rapport du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), publié il y a quelques années, qui analyse en détail les avantages et les inconvénients de ce modèle.

En substance, cette réflexion émerge du constat qu’en France, contrairement à d’autres pays, nous avons une superposition de l’assurance maladie obligatoire, c’est-à-dire la sécurité sociale, et de l’assurance maladie complémentaire. Cette configuration engendre des coûts de gestion très élevés. Il est en effet naturel que l’assurance maladie complémentaire fasse valoir des frais de gestion plus importants que l’assurance maladie obligatoire, puisque n’étant pas obligatoire elle doit, contrairement à la sécurité sociale, supporter des coûts d’acquisition des contrats, de publicité, d’affiliation et de désaffiliation.

Les partisans d’une unification en un système obligatoire argumentent, à juste titre sur le plan intellectuel, que cela permettrait de réallouer les cotisations actuellement consacrées à ces frais de gestion vers le financement direct des soins. Cependant, il ne faut pas négliger que ces frais de gestion financent actuellement de l’emploi chez les opérateurs de l’assurance maladie complémentaire. Une telle réforme entraînerait donc une restructuration majeure de ce secteur.

Dans ce scénario, côté dépenses, les fonds actuellement alloués aux frais de gestion pourraient être réorientés vers les soins. Côté recettes, il faudrait transformer les cotisations actuellement versées aux assurances complémentaires en prélèvements obligatoires. Ces fonds restent nécessaires pour financer la partie complémentaire des soins qui deviendrait alors obligatoire.

L’idée d’une « grande sécu » représenterait un changement fondamental de notre système de protection sociale, et si cette option est intellectuellement envisageable, en revanche sa mise en œuvre pratique serait complexe. Il est à noter, enfin, qu’à l’issue d’un examen approfondi de cette hypothèse, les membres du HCAAM ne sont pas parvenus à un consensus.

Mme Annie Vidal (EPR). Ma question, qui revient malheureusement de façon récurrente, concerne l’accès aux soins des personnes en situation d’obésité. Cette problématique est d’autant plus pressante que le nombre de personnes concernées est en augmentation.

Actuellement, pour les soins non programmés, ces personnes peuvent bénéficier de transports en ambulance bariatrique pris en charge. Cependant, pour tous les soins programmés, le transport en ambulance bariatrique, qui est onéreux en raison des équipements spécifiques et du personnel supplémentaire requis, reste à leur charge. Les coûts peuvent atteindre 400 ou 500 euros, voire davantage.

Nous avons fréquemment soulevé cette question, notamment concernant la convention avec les ambulanciers, sur laquelle nous n’avons pas, sauf erreur de ma part, obtenu de retour. Quelles mesures concrètes peuvent être ou seront prises pour mettre fin à cette inégalité d’accès aux soins entre les personnes malades et les personnes malades en situation d’obésité ?

M. Pierre Pribile. Pour répondre à cette problématique, nous envisageons la mise en place d’une tarification spécifique pour la prise en charge de ces patients, qui relèverait de dispositions conventionnelles. Cette piste me semble pertinente et je peux vous confirmer que nous y travaillons actuellement. C’est une approche similaire à celle adoptée pour les transports sanitaires urgents. En effet, les transports sanitaires programmés, régis différemment, relèvent de la convention entre l’assurance maladie et les transporteurs sanitaires. Cette voie semble être la plus appropriée pour résoudre cette problématique.

Mme Annie Vidal (EPR). Pardonnez-moi, monsieur le directeur, de vous le dire ainsi, mais votre réponse, il me semble l’avoir entendue huit ou dix fois. Or nous en sommes toujours au même point. Nous sommes confrontés à des situations véritablement dramatiques pour les patients en situation d’obésité, avec un non-recours aux soins et parfois même des décès à domicile, faute de pouvoir se rendre en consultation. Cette situation affecte particulièrement les personnes les plus vulnérables et les plus précaires. Dès lors, pouvez-vous nous donner une indication précise sur les délais ?

M. Pierre Pribile. Je comprends votre impatience. Bien que je ne puisse pas vous donner une réponse extrêmement précise, je puis vous assurer que nous travaillons activement sur ce sujet. J’espère que nous serons en mesure d’apporter à cette question prioritaire une réponse dans un délai raisonnable.

Mme Murielle Lepvraud (LFI-NFP). Le déficit actuel de la branche maladie est fréquemment invoqué pour justifier des réformes à court terme. Cependant, comme l’ont souligné plusieurs experts et responsables hospitaliers, une part importante de ce déficit découle du financement non pérenne du Ségur de la Santé, notamment en ce qui concerne les revalorisations salariales dans les établissements publics et médico-sociaux. À Saint-Brieuc, ce matin même, « le collectif breton CGT des discriminés du Ségur » s’est mobilisé pour obtenir un décret mettant fin à l’injustice privant 3 000 agents du complément de traitement indiciaire. Ce cas n’est qu’un exemple parmi d’autres.

J’aimerais également vous entendre, monsieur le directeur, sur l’impact des baisses de cotisations, de l’ubérisation du travail, et du recours aux primes plutôt qu’aux augmentations de salaires, qui entraînent une diminution des cotisations dans les caisses de la sécurité sociale. N’est-il pas permis de voir dans ces dispositions un refus de financer durablement le système, compromettant ainsi son équilibre et son accessibilité ?

M. Pierre Pribile. Le coût du Ségur de la Santé pour l’assurance maladie cette année s’élève à environ 13 milliards d’euros. Une grande partie de ces dépenses est effectivement pérenne, s’agissant principalement de revalorisations salariales. Certaines dépenses sont plus ponctuelles, notamment celles liées à l’investissement, bien que l’on puisse considérer que les investissements sont récurrents dans un système de santé. Face à ces coûts, aucun nouveau financement n’a été alloué à l’assurance maladie, ce qui explique en partie la dégradation des comptes depuis la crise du covid.

À cet égard, il est important de rappeler qu’en 2019, la sécurité sociale était quasiment à l’équilibre et avait presque remboursé sa dette. Ramener la sécurité sociale à l’équilibre n’est donc pas un vœu pieux, mais un retour à la situation d’avant la crise du covid. Cet objectif est atteignable, mais nécessite des efforts importants, compte tenu des changements intervenus depuis, notamment les revalorisations qui ont engendré des coûts sans ressources supplémentaires correspondantes.

Concernant les recettes de la sécurité sociale, nous sommes confrontés à une contradiction sociétale : d’un côté, l’aspiration à une sécurité sociale toujours plus protectrice, impliquant davantage de dépenses collectives, et de l’autre, le désir de nos concitoyens d’avoir plus de pouvoir d’achat et donc de payer moins de cotisations. Concilier ces deux aspirations est un défi complexe.

Lorsque l’Assemblée nationale décide d’exonérations qui privent la sécurité sociale de ressources, c’est souvent pour favoriser l’emploi, ce qui génère indirectement des ressources, ou pour augmenter le pouvoir d’achat via des compléments de salaire exonérés de cotisations. Cependant, on ne peut pas utiliser l’argent à deux fins : soit il sert à un gain de pouvoir d’achat immédiat, soit il garantit l’ampleur de notre protection sociale. C’est la question de la socialisation des dépenses, mais il est impossible de réduire les impôts tout en augmentant la protection sociale. Cette quadrature du cercle reste un défi majeur.

M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie, monsieur le directeur, pour vos réponses détaillées. Je rappelle que vous pouvez envoyer par écrit tout complément de réponse que vous jugerez utile de porter à la connaissance de notre commission.

 


–  1  –

26.   Audition de M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d’État, ministre de l'éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

M. le président Jean-François Rousset. Nous poursuivons nos travaux en accueillant M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Philippe Baptiste prête serment.)

M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Vous posez la question de l’organisation du système de santé et des difficultés, largement observées, dans l’accès aux soins. Vous le savez, 6 millions de nos concitoyens n’ont pas de médecin traitant, et des territoires entiers peuvent être considérés comme des déserts médicaux, tant il est difficile d’y avoir recours à un médecin, notamment dans certaines spécialités. C’est un sujet majeur, sur lequel le premier ministre, que j’ai accompagné il y a quelques semaines lors d’un déplacement dans le Cantal, a pris un engagement fort.

La France n’est malheureusement pas la seule dans cette situation. Tous les pays du monde peinent à satisfaire leurs besoins en professionnels de santé, en particulier dans les territoires éloignés des grands centres urbains.

Au-delà du nombre et de la répartition territoriale des médecins, l’enjeu le plus complexe est sans doute de bien couvrir tout le spectre des besoins de santé.

Vous m’avez surtout invité pour évoquer le lien entre formation des médecins et accès aux soins. La formation des professionnels de santé dépend très largement du ministère chargé de l’enseignement supérieur, puisque les médecins sont d’abord formés dans le cadre universitaire, même si elle se poursuit également dans le cadre professionnel, puisque l’apprentissage en lien avec les pairs est permanent.

Notre responsabilité est donc importante. Nous devons nous demander si nous pouvons améliorer la situation sanitaire de nos concitoyens par la formation, son contenu ou son organisation.

Le premier enjeu, quantitatif, réside dans le nombre de professionnels que nous formons. Si cette question est fondamentale, elle est aussi d’une grande complexité. Elle a d’ailleurs fait l’objet de nombreux débats, ici même, mais aussi parmi les professionnels de santé et, plus largement, dans la société française au cours des dernières années voire des dernières décennies. Elle est traitée en priorité par le ministère chargé de la santé, qui définit les besoins de santé.

Le deuxième enjeu est qualitatif : nous devons former des médecins dans le but de couvrir l’ensemble du spectre des disciplines et des champs de la santé, c’est-à-dire veiller en permanence à une bonne répartition entre les spécialités et nous assurer que chaque professionnel remplira effectivement les missions pour lesquelles il a été formé.

Enfin, la question de la répartition territoriale est importante : en plus d’être suffisamment nombreux au niveau national, les médecins doivent être répartis sur le territoire de manière à répondre aux besoins locaux. Force est de constater que ce n’est pas le cas.

Face à ce constat, de quels outils et de quels leviers l’université dispose-t-elle ?

Nous pouvons agir pour former au plus près des territoires. Tel est le sens de notre action en faveur de la diversification du recrutement des jeunes se destinant aux métiers de la santé. Cette diversification concerne leurs territoires d’origine, mais aussi leurs milieux sociaux ; elle peut être obtenue en étendant, par exemple, l’accès à des options santé dans les lycées, en amont des études supérieures, afin d’accompagner les élèves les plus éloignés des carrières dans la santé.

Durant les études de santé, nous pouvons aussi favoriser davantage la pratique dans tous les territoires, pour augmenter, à terme, le nombre d’installations de professionnels de santé dans des déserts médicaux.

L’ouverture d’une première d’année d’accès aux études de santé par département constitue une mesure phare. Cette première année pourra être organisée dans une université ou un autre lieu de formation – je pense par exemple aux instituts de formation aux soins infirmiers (Ifsi) –, voire dans des campus connectés, qui ont fait leurs preuves en tant que dispositifs de remédiation et qui gagneraient à toucher davantage d’étudiants.

Je travaille aussi à simplifier l’accès aux études de santé en rendant les parcours plus lisibles. C’est tout l’objet de la réforme de la première année que nous menons actuellement. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet devant vos collègues du Sénat.

En effet, le système de la première année commune aux études de santé (Paces) présentait de nombreux inconvénients. Il était extraordinairement déterministe socialement et provoquait l’échec individuel de nombreux étudiants méritants, sans pour autant répondre aux besoins des territoires en ce qui concerne le nombre de personnes formées.

Nous avons fait évoluer ce modèle d’accès aux études de santé, ce qui a produit plusieurs effets très concrets. Le premier concerne les étudiants : les redoublements ont baissé et les profils en première année de licence accès santé (LAS) se sont diversifiés.

Mais il fallait aller plus loin pour sortir d’une complexité devenue trop importante et dont pâtissaient certains étudiants. Nous travaillons donc, avec le ministre de la santé, Yannick Neuder, sous l’autorité du premier ministre, à ajuster la réforme précédente, à brève échéance. Nous souhaitons également simplifier un dispositif parfois insuffisamment lisible en raison de la diversité des parcours permettant d’accéder aux études de santé.

Au-delà de cette simplification, nous entendons également adapter les parcours de santé aux réalités locales afin de répondre dès la formation aux besoins des territoires.

Il est essentiel que, pendant leur parcours, les étudiants puissent découvrir les territoires, mais aussi les différents modes d’exercice et les disciplines insuffisamment couvertes – gériatrie, soins palliatifs, santé mentale, santé scolaire, santé au travail, etc.

Moins de 40 % de l’offre de stage est proposée en dehors des centres universitaires hospitaliers (CHU). Nous changerons cet état de fait, afin que les stages soient organisés dans l’ensemble du territoire, et non uniquement dans des centres urbains déjà mieux dotés en professionnels. Cela se traduira par la généralisation d’un stage en dehors des CHU et en territoire sous-dense au cours de la formation, en deuxième ou troisième cycle. Enfin, dès novembre 2026, lors de leur quatrième année d’internat de médecine générale, les docteurs en formation seront incités à réaliser des stages en zone fortement sous-dense.

L’accès aux soins est également déterminé par la tendance des professionnels de santé à quitter le système de santé. Pour les convaincre de poursuivre leur pratique, il faut assurer leur développement professionnel continu dans le but de maintenir leurs compétences. Nous devons aussi faciliter les passerelles entre les formations, pour permettre des évolutions de carrière à ceux qui le souhaitent.

De plus, il est fondamental que l’enseignement supérieur anticipe les besoins de formation en santé. En effet, la pratique des médecins actuellement en formation différera nécessairement de celle des médecins en activité. Nous avons longtemps réagi trop tard, voire à contretemps, par manque d’anticipation et parfois à cause d’une mauvaise compréhension ou d’un manque de dialogue avec les acteurs du système de santé, pour adapter les formations en qualité ou en quantité. L’anticipation des besoins de compétences au sein de notre système de santé est essentielle pour éviter de répéter les erreurs du passé.

L’une des principales difficultés auxquelles nous devrons faire face, dans l’anticipation des ruptures à venir, mais aussi dans la détermination de la quantité de formations à dispenser, est la conséquence de « l’effet retard ». En effet, former un médecin prend une dizaine d’années, alors que nous observons toujours la situation actuelle ou le futur proche.

Voilà le cœur de l’action du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche en faveur d’un meilleur accès aux soins pour chaque personne sur notre territoire.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il était important de vous entendre et d’échanger avec vous, dans la mesure où la situation actuelle résulte principalement de décisions relatives à la formation des médecins prises dans les années 1980.

Au cours de nos travaux, nous nous sommes efforcés d’adopter une vision globale en nous affranchissant des lobbys, des interpellations intéressées et même de toute contrainte, y compris personnelle.

Nous souhaitons vous soumettre différentes propositions, alors que le parcours d’accès spécifique santé (Pass) a été la formation la plus demandée dans Parcoursup cette année – il a même suscité 50 000 demandes de plus qu’en 2024, ce dont nous pouvons nous réjouir. Je note d’ailleurs que les Ifsi arrivent en troisième position. Deux des trois formations les plus demandées concernent donc la santé.

Une réforme globale et profonde du système, plutôt que des mesurettes, est-elle envisageable ? L’ouverture d’une Paces dans chaque département est une première annonce tout à fait satisfaisante et qui dénote un changement de paradigme. Dans le même esprit, vous paraît-il envisageable qu’un étudiant admis en Pass, qui choisirait d’emblée la médecine générale comme spécialité, puisse accomplir l’intégralité de son cursus en alternance ? L’alternance n’est pas adaptée à toutes les spécialités, mais elle l’est à la médecine générale, à plus forte raison à la médecine de ville.

Il est par ailleurs surprenant que les médecins ne reçoivent aucune formation relative aux relations humaines ou au management. Une bonne qualité de relations humaines aide à tous les moments de la vie ; de telles formations seraient donc fort utiles tant à un médecin de ville, qui gère son cabinet comme une entreprise, qu’à un praticien exerçant au contact d’autres médecins, d’infirmières et d’aides-soignantes, à l’hôpital ou dans une maison de santé, ou à plus forte raison à un chef de service ou à un président de commission médicale d’établissement (CME). Ne serait-il pas nécessaire de proposer de tels enseignements, notamment dans les trois premières années de formation ? Pour les médecins libéraux, des cours de gestion d’entreprise paraissent également pertinents.

Vous avez indiqué que d’autres pays rencontraient les mêmes difficultés que la France. Je ne suis pas sûr qu’il faille nous en satisfaire – bien au contraire ! Nous nous sommes livrés au jeu des comparaisons, notamment avec l’Allemagne et la Suède. Le nombre de médecins par habitant est bien inférieur en France : il est de 3,3 ‰, contre 4,3 ‰ en Allemagne, soit une différence de l’ordre de 25 %. Nous devons donc former davantage de médecins.

Les universités étant autonomes, comment pouvons-nous les obliger à former plus ? C’est nécessaire, puisque la population a augmenté, qu’un retard doit être rattrapé et que la façon de vivre des médecins a changé depuis trente ans, compte tenu notamment de la place qu’ils accordent aux loisirs et à leurs relations familiales – ce que j’entends tout à fait. Les tâches administratives qu’ils doivent accomplir sont en outre plus nombreuses.

Enfin, disposons-nous d’une évaluation du coût d’un étudiant pour une année de médecine ? J’entends par coût non pas ce dont s’acquitte l’étudiant, mais le coût pour la société, puisque le financement de ces études se fait par le biais de l’impôt et de la solidarité nationale.

M. Philippe Baptiste, ministre. Je ne dis pas que la façon dont la formation est actuellement assurée est idéale. De nombreux éléments doivent certainement être améliorés.

La question de l’alternance est au cœur des enjeux. Plus un étudiant en médecine avance dans ses études, plus il passe de temps à l’hôpital ou en stage. Il est vrai que la première année est très théorique et éloignée des patients ; très rapidement, cependant, et même dès la deuxième année, les étudiants effectuent des stages, lesquels prennent de plus en plus d’importance au fil du cursus.

S’agissant des aspects quantitatifs, il convient tout d’abord de fixer la trajectoire. Combien de médecins souhaitons-nous former chaque année ? Lorsque nous aurons répondu à cette question, nous pourrons déterminer les ressources à mobiliser pour atteindre cet effectif. La formation académique, au sein des universités, est relativement élastique et directement corrélée aux ressources disponibles – taille des locaux, nombre d’enseignants, etc. L’organisation de l’alternance et des stages est un autre problème : l’identification d’encadrants et la proposition de stages de qualité sont parfois complexes.

Le numerus clausus, ou numerus apertus désormais, a atteint un point très bas dans les années 1990 : il était de 3 500 médecins formés lors de l’année universitaire 1992-1993, le nombre de médecins étant alors réputé trop élevé, contre près de 11 000 par an désormais. L’effort a donc été important, mais il convient de rester conscient de l’effet retard créé, puisque dix ans séparent le début de la formation du début de la vie professionnelle des jeunes médecins.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Combien y a-t-il eu de diplômés l’année dernière ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément, mais 9 000 étudiants passent le concours de l’internat – cela peut donner une idée du nombre de diplômés.

Les sciences humaines et sociales, les interactions entre le soignant et le patient, entre le soignant et ses pairs, ainsi que les questions relatives à l’entrepreneuriat sont désormais abordées dès le premier cycle, notamment au travers des questions d’éthique. Des formations à la gestion de cabinet sont, quant à elles, dispensées en fin de troisième cycle, au moment où les étudiants se préparent à s’installer. Les formations que vous appelez de vos vœux sont donc déjà en place, même si les maquettes pourraient sans doute être modifiées ou améliorées. Un nouvel enseignement a été récemment mis en place en deuxième cycle.

Je crains que ma réponse sur le coût de formation d’un médecin soit décevante, car je ne suis pas en mesure de vous l’indiquer. Le coût moyen d’un étudiant s’élève à environ 12 000 euros par an, mais ce chiffre recouvre des réalités différentes en fonction des domaines de formation. De plus, si ces étudiants représentent un coût, ils contribuent aussi directement, par leurs stages, au bon fonctionnement du système hospitalier et sont donc très utiles.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Dans un rapport de 2022, le sénateur Bruno Rojouan préconisait d’accroître le nombre d’étudiants en médecine générale en élevant de 40 % à 50 % le nombre de places dédiées lors des épreuves de fin de deuxième cycle.

Vous avez évoqué la difficulté à trouver des stages et à placer les internes. Cet argument, que j’ai déjà entendu, m’étonne, car il est contredit par mon expérience d’élu de terrain. Dans ma circonscription, l’hôpital de Remiremont, qui accueillait voici quelques années une trentaine ou une quarantaine d’internes, n’en reçoit plus suffisamment, alors même que les médecins sont désireux d’en encadrer. Aujourd’hui, les internes sont principalement alloués aux CHU, où travaille leur directeur de diplôme d’études spécialisées (DES). Ce fonctionnement pose problème, car l’égal accès aux soins est, pour ainsi dire, un principe constitutionnel. Tous les établissements de santé doivent donc être maintenus. Je comprends que les CHU soient bien dotés en internes, mais les hôpitaux de province doivent l’être aussi, d’autant qu’ils comptent des médecins et des chefs de service prêts à les accompagner. Comment réformer l’orientation de ces internes en faveur d’une répartition géographique plus équitable ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Je partage votre constat. Comme je l’ai dit dans mon propos liminaire, les stages vont devenir obligatoires dans les zones sous-denses, où ils sont naturellement difficiles à pourvoir, ce qui permettra de revitaliser ces zones. Pour garantir un fonctionnement harmonieux et un accueil convenable de ces stagiaires, un intérêt particulier devra être porté aux aspects logistiques, car il est plus facile pour les étudiants d’effectuer leur stage dans leur CHU habituel ou dans des grandes villes. Cette première mesure ne sera peut-être pas suffisante.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez aussi évoqué la départementalisation de la première année. Pour poursuivre cette décentralisation des études de médecine, il pourrait être envisagé, peut-être dans des départements pilotes, d’orienter les étudiants en première année non vers les préfectures, mais vers des territoires plus ruraux. Il leur serait ainsi plus aisé de comprendre que leur vie professionnelle ne se déroulera pas nécessairement dans une grande ville, tout le monde ayant droit à un égal accès aux soins. Cette mesure, appliquée dès la première année d’études, enverrait un signal fort.

M. Philippe Baptiste, ministre. Je souscris à vos propos, tout en appelant votre attention sur un point. Alors que ce système a été développé dernièrement, et pas uniquement pour les études de médecine, nous constatons que des effets de masse sont nécessaires au fonctionnement, même à distance, d’un centre de formation. Autrement dit, un nombre minimum d’étudiants présents sur place est indispensable, et nous devrons veiller à le garantir.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quel est l’effectif minimum ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Le fonctionnement des campus connectés comptant moins d’une cinquantaine de jeunes sur place est très compliqué.

Nous pouvons aussi organiser ces formations au sein des Ifsi. Ce fonctionnement présente l’avantage d’augmenter la perméabilité entre les différents parcours.

À terme, l’objectif de cette première année en département, si elle se révèle satisfaisante, pourrait être de délocaliser totalement le premier cycle, ce qui poserait toutefois de nombreux problèmes supplémentaires. Quoi qu’il en soit, nous ouvrirons bien, dès la rentrée prochaine, une première année d’accès aux études de santé par département.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Les sites ont-ils déjà été identifiés pour tous les départements ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Non, pas encore.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Pour le département des Vosges, il paraît pertinent d’installer cette formation à Remiremont, d’autant que s’y trouvent un Ifsi et un institut de formation d’aides-soignants (Ifas) en mesure d’accueillir les étudiants à proximité de l’hôpital.

Une quatrième année vient d’être intégrée à la maquette de formation des médecins généralistes en France. Dans d’autres pays européens, comme l’Allemagne et la Suède, un généraliste est formé en huit ans – six ans de cursus initial et deux ans de spécialisation en Allemagne. Or des études plus courtes permettent aux médecins d’exercer plus tôt. Au lieu d’ajouter des années au cursus, ne conviendrait-il pas que la réforme globale des cours – première partie théorique puis alternance avec la pratique – tende à réduire la durée des études, afin de gagner une ou deux années de formation, sachant qu’en médecine comme dans d’autres domaines, on apprend tout au long de la vie ?

M. Philippe Baptiste, ministre. La comparaison internationale n’est pas totalement pertinente. En Belgique et en Allemagne, les étudiants peuvent obtenir leur diplôme de docteur en médecine dès la sixième année, mais celui-ci ne leur permet pas d’accomplir l’intégralité des gestes médicaux. Ils ne sont donc pas médecins de plein exercice, même en médecine générale.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Mais même en ajoutant deux années, le cursus ne dure que huit ans !

M. Philippe Baptiste, ministre. Il semble difficile de raccourcir le premier cycle, au cours duquel sont enseignées des disciplines fondamentales à l’exercice de la médecine, comme l’anatomie, la physiologie ou la sémiologie médicale. Parallèlement, la durée de la formation des médecins généralistes a été allongée d’un an afin de mieux répondre à la complexité croissante du métier, ces professionnels étant de plus en plus souvent directement confrontés à des pathologies longues ou à des pathologies du vieillissement. Cette année supplémentaire permet aussi de mieux répondre aux besoins de soins puisque, dès la rentrée 2026, 3 700 docteurs juniors en médecine générale exerceront en cabinet et en maison de santé. Cette année additionnelle, véritablement professionnalisante, n’est donc pas du temps perdu pour la nation !

M. le président Jean-François Rousset. En médecine, la formation par alternance paraît vraiment constituer une piste d’avenir. Les étudiants interrogés rapportent tous avoir le sentiment d’être mal formés, de ne pas être préparés à la pratique médicale de terrain. Il en résulte une certaine angoisse et un retard à l’installation, qui expliquent l’accroissement de la durée et de la fréquence des remplacements. Il est donc grand temps de mener une réflexion globale sur l’organisation des études de médecine.

Tous les médecins passés par l’exercice hospitalo-universitaire ont envie de former des étudiants et de leur faire profiter de l’expérience acquise tout au long de leur vie professionnelle. Tel est l’intérêt de la quatrième année. Il semble cependant pertinent d’aller plus loin encore.

Le modèle de la formation comporte un premier cycle incontournable, qui pourrait d’ailleurs être mutualisé avec celui d’autres futurs professionnels de santé pour être constitué en tronc commun menant à une licence en santé. De surcroît, ce système favoriserait le travail en commun.

À partir du moment où l’étudiant commence à entrer en contact avec des patients, sa formation s’organise en stages de six mois, qu’il effectue prioritairement dans les différents services, unités ou étages des CHU. Une formation en dehors des CHU n’est envisagée que dans un second temps, alors même que la majorité des nouveaux médecins exerceront en dehors de ces centres. En plus de ces stages de spécialité de six mois incontournables en CHU, une formation différenciée, par mission, doit être envisagée. Ainsi, en tant que chirurgien digestif, je pratiquais chaque semaine, en dehors d’un CHU, une vingtaine d’opérations de hernie inguinale, qui constituaient mon activité principale ; si j’avais eu un interne à mes côtés, il aurait vu en une semaine autant de ces opérations qu’en deux ans de stage universitaire. Dans les universités en chirurgie digestive sont en effet pratiquées des transplantations hépatiques, des hépatectomies, des pancréatectomies et des chirurgies du rectum, les hernies inguinales n’étant inscrites au programme que de temps à autre.

Il faut se servir du vivier des médecins n’exerçant pas en CHU. Je ne dis pas que nous ne devons pas privilégier ces établissements, qui témoignent de l’excellence de notre système de santé et accueillent des chercheurs de haut niveau, mais que nous devons tout faire pour qu’ils ne soient pas le lieu exclusif de la formation des médecins. Incidemment, nous pourrions résoudre le problème du manque de maîtres de stage universitaire pour encadrer les docteurs juniors en quatrième année de médecine générale. En effet, ceux-ci expriment un besoin de formation spécifique, de qualification et de reconnaissance.

La question des épreuves classantes nationales se pose également. Par le passé, le concours de l’internat, comme celui de l’externat, était lié à un territoire, à une région. Les besoins de spécialistes étaient déterminés et les études organisées au niveau régional, ce qui n’empêchait ni la mobilité géographique ni la possibilité de suivre, durant quelques semaines, une formation spécifique. Un retour à la territorialisation de la formation par le biais de l’internat paraît pertinent. En effet, à la fin du deuxième cycle, les étudiants en médecine doivent réussir un concours difficile et parfois déménager à 800 kilomètres de chez eux pour suivre leur spécialité, à un âge où ils sont parfois déjà mariés, pacsés, fiancés ou même parents. Ensuite, leur retour dans les territoires s’avère parfois impossible, ce qui participe sans doute de la désertification médicale.

Une grande réflexion sur la réorganisation des études est donc nécessaire.

M. Philippe Baptiste, ministre. En deuxième cycle, les étudiants passent 50 % de leur temps en stage, puis 80 % en troisième cycle. La dimension pratique de leur formation est donc très importante. Je partage entièrement votre point de vue concernant l’utilisation de toutes les potentialités et de toutes les pratiques médicales comme support pour la formation, au-delà des CHU. L’exemple que vous avez donné est tout à fait pertinent.

Les stages durent six mois en internat, contre deux mois pendant l’externat. Les pratiques sont donc diversifiées.

Enfin, le statut de docteur junior octroyé aux étudiants en médecine générale en quatrième année d’internat vise à répondre au besoin de pratique médicale. De ce point de vue, les réformes en cours répondent, au moins en partie, aux besoins que vous avez énoncés.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Oui, elles y répondent en partie.

Un cursus dans l’enseignement supérieur traditionnel comprend presque systématiquement un stage, cependant bien différent d’une formation en alternance, dans laquelle l’étudiant partage son temps entre l’école et le monde professionnel. L’alternance que nous proposons d’instaurer doit être réelle, avec un temps équivalent à l’école et devant les patients, dès la première année. Certes, les étudiants sont souvent en situation, mais nos propositions tendent à développer sensiblement la formation sur le terrain.

En outre, le développement de l’alternance permettrait d’ouvrir l’accès aux études de médecine à des jeunes qui, faute de moyens, n’envisageaient pas d’emprunter cette voie. L’éloignement géographique peut aussi dissuader de choisir ces parcours, mais la création des premières années départementales remédie en partie à ce problème. Du reste, certains étudiants choisissent l’alternance parce qu’elle permet, dès la première année, de percevoir une petite rémunération ; l’élargissement de ce modèle aux études de médecine serait ainsi, d’une certaine manière, une mesure de justice sociale.

J’aimerais enfin vous entendre sur les options santé au lycée. Comment seront-elles généralisées et structurées ? Des interventions extérieures seront-elles prévues en plus des cours classiques ?

M. Philippe Baptiste, ministre. L’instauration d’une alternance, avec des jeunes rémunérés dès la première année, nécessiterait de revoir complètement le système d’accès à la première année, car il est impossible d’organiser de tels stages pour 40 000 élèves. Par ailleurs, il serait difficile de confier autre chose que des tâches d’observation à des étudiants en tout début de premier cycle. Peut-être faut-il développer davantage les stages en deuxième année, mais cela paraît plus compliqué dès la première.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Il ne s’agirait pas d’organiser 40 000 stages, puisque les étudiants faisant le choix de l’alternance seraient largement minoritaires ; je ne suis même pas sûr qu’ils seraient plusieurs centaines. Pour ceux-là, il faudrait trouver un médecin qui accepte un alternant. Je pense surtout à ces médecins proches de la retraite, souvent installés dans des territoires ruraux, qui souhaitent former un futur confrère pour reprendre ensuite leur patientèle. Dès la première année, ils pourraient accepter de former quelqu’un dans ce but, notamment parce que les coûts seraient modérés. En plus de former à la pratique, le médecin resterait ainsi au contact des nouvelles méthodes.

Cette formation en alternance pourrait être une option, mise en œuvre au sein d’une seule faculté de médecine en France afin de ne pas désorganiser tout le système. Les modalités précises restent à définir, mais les élèves, qui composeraient une petite promotion de 50, 100 ou 150 jeunes, pourraient étudier deux semaines à l’université puis deux semaines sur le terrain.

Cette idée novatrice est tout à fait réalisable. Il suffit de trouver des médecins généralistes libéraux qui accepteraient de prendre en charge ces étudiants. Dans nos territoires ruraux, de nombreux médecins seraient volontaires. Aussi me paraît-il nécessaire de créer cette option et de constater ensuite si elle donne, ou non, satisfaction.

M. Philippe Baptiste, ministre. Je n’exclus pas totalement cette possibilité, qui suppose cependant une véritable ingénierie de formation. Il conviendrait en outre de déterminer les tâches que le jeune pourrait accomplir auprès du médecin, puisqu’il ne se trouverait alors pas dans un cadre d’enseignement intégrant simulations et apprentissage progressif. En outre, ce système doit répondre à l’enjeu, majeur, de territorialisation.

Les options santé au lycée ont été ouvertes dans une trentaine d’établissements volontaires depuis 2024, au sein des académies de Bordeaux, Nancy-Metz, Toulouse et Montpellier. Sept autres académies – Amiens, Guyane, Lille, Mayotte, Nantes, Orléans-Tours et Rennes – ont signalé leur intérêt. Le dispositif doit encore monter en puissance, et les académies disposent d’une large autonomie pour le déployer. Le but est de présenter les différents métiers du secteur de la santé, y compris aux lycéens des filières professionnelles, si possible dans des zones peu denses, pour favoriser la future territorialisation. Un référent a été désigné dans chaque académie concernée, afin de dresser un bilan et un état du déploiement de l’expérimentation. Les premières remontées interviendront à l’automne, si bien qu’il est un peu trop tôt pour établir un bilan.

La disparité des étudiants inscrits dans les facultés de médecine et les Ifsi rend difficile la création d’un premier cycle conjoint à toutes les professions de santé. Les élèves n’ont pas nécessairement les mêmes capacités ni le même goût pour l’abstraction ou certaines disciplines. Il me paraît en outre un peu délicat de consacrer trois ans de la formation des infirmiers à des apprentissages théoriques. Les métiers et les formations étant de nature assez différente, une différenciation précoce semble nécessaire, même s’il reste indispensable de créer des passerelles.

M. le président Jean-François Rousset. Dans l’Aveyron, les classes options santé ont été mises en place dès 2022. Le lycée Jean Vigo de Millau en a d’ailleurs accueilli l’une des premières. L’option est aujourd’hui suivie par des élèves de seconde, de première et de terminale : elle est donc désormais proposée pendant tout le second cycle d’enseignement secondaire. Sa mise en place a été assez facile : le recteur, la direction académique des services de l’éducation nationale (Dasen), le directeur et des enseignants volontaires de l’établissement se sont mobilisés, dans le cadre des cordées de la réussite, et le dispositif fonctionne très bien.

J’ai défendu l’amendement prévoyant cette expérimentation, qui se généralise désormais – c’est une très belle avancée. D’après les retours dont je dispose, les jeunes qui avaient choisi l’option santé et qui suivent une première année d’études de médecine à Montpellier ou à Toulouse n’ont pas démissionné à la Toussaint, comme c’est souvent le cas. Nous saurons prochainement s’ils sont admis en deuxième année. J’espère que la généralisation de l’option sera rapide, car aucun obstacle ne s’y oppose réellement.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous évoquiez tout à l’heure 9 000 diplômés. À l’entrée ou à la sortie du troisième cycle ?

M. Philippe Baptiste, ministre. À l’entrée.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Le nombre de diplômés ayant terminé leur troisième cycle n’est donc pas encore connu ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Je vous le communiquerai.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. S’agissant de la formation commune, j’entends bien vos explications, mais nous constatons que depuis la création du statut d’infirmier en pratique avancée (IPA), certaines infirmières reprennent des études, jusqu’à bac + 5, et suppléent très efficacement les médecins dans la réalisation de certains actes. Pourriez-vous envisager un parcours de formation transverse ou des équivalences permettant à un infirmier de devenir médecin ? Une partie de cycle commun faciliterait les choses.

M. Philippe Baptiste, ministre. Il existe des passerelles, notamment en premier cycle d’études d’infirmier. Plus tard, les infirmiers diplômés peuvent suivre des études médicales, mais ce cas de figure reste marginal. Je suis partisan du développement de ces passerelles entre les métiers de la santé, entre ceux d’infirmier et de médecin, mais aussi entre ceux d’ingénieur ou de scientifique et de médecin. Nous aurions tout intérêt à avoir des voies d’accès parallèles, à ce que les cursus soient moins tubulaires.

J’ai rappelé que la Paces présentait un certain nombre de travers. Généralement, ceux qui s’engagent dans ce parcours sont plutôt de bons, voire de très bons, étudiants. Pourtant, deux tiers d’entre eux échouent après un an, voire deux, et sont contraints de recommencer leurs études à zéro. Un nombre significatif d’entre eux quittent même l’enseignement supérieur. Nous avons mis en place, en 2019, la réforme des études de santé pour répondre à ce constat.

Une réflexion est nécessaire pour simplifier les parcours, qui pourraient reposer sur deux piliers : la santé, d’une part, et quelques disciplines scientifiques comme les mathématiques ou la physique, d’autre part. En cas d’échec dans le domaine de la santé, cette répartition permettrait de rebondir et d’accéder à une deuxième année dans un autre domaine d’études supérieures si les modules nécessaires ont été validés. Il me paraît important de donner cette possibilité aux étudiants.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Ne serait-il pas nécessaire de supprimer le concours à l’issue de la première année ou de l’ouvrir davantage, sachant que nous avons besoin de plus de médecins ? Je comprends mal que la poursuite de ces études puisse se jouer à un dixième de point alors que le cursus dure dix ans, pendant lesquels les écarts peuvent se combler, voire s’inverser. Le nombre d’étudiants en début d’internat – 9 000 environ – ne couvre pas les besoins. Le but n’est pas d’abaisser le niveau, mais de permettre une progression tout au long de la formation. Le concours pourrait être remplacé par un accès sur dossier ou par un simple examen.

M. Philippe Baptiste, ministre. Je souscris totalement à vos propos : les systèmes doivent être beaucoup plus ouverts. Les étudiants doivent bénéficier de plusieurs chances : s’ils ne valident pas leur première année, ils doivent pouvoir poursuivre leur licence dans une autre discipline, comme les mathématiques, avant de revenir vers des études de médecine en troisième année, par exemple. Cela suppose qu’un jury puisse permettre à certains jeunes, sur le fondement d’un dossier et non du résultat d’un concours, de poursuivre leur cursus, sachant que deux dossiers sont souvent difficiles à comparer. Il s’agit d’un point sensible puisque nous, parents compris, entretenons un véritable culte de la note et du concours.

M. le président Jean-François Rousset. Ce concours ne sélectionne pas nécessairement de bons médecins. D’une part, les classes préparatoires privées augmentent les chances de réussite, mais sont extrêmement onéreuses. D’autre part, un candidat recalé qui dispose des moyens financiers nécessaires peut poursuivre ses études à l’étranger, en Espagne ou en Roumanie notamment, avant de revenir exercer en France. Nous devons mener à son terme la réflexion relative à la sélection des étudiants capables de faire de bons médecins.

M. Philippe Baptiste, ministre. À nouveau, je partage complètement vos propos. Dans certaines universités, plusieurs LAS sont en concurrence pour attirer les mêmes étudiants, ce qui alimente des polémiques relatives à la difficulté ou à la facilité d’en obtenir certaines. La fascination pour la note et le concours unique constitue un obstacle important.

L’existence de classes préparatoires privées et la fuite des étudiants à l’étranger montrent bien que la politique du numerus clausus instaurée dans les années 1970 a atteint ses limites.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Puisque nous sommes d’accord, quand pouvons-nous espérer qu’une réforme voie le jour ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Nous défendons, avec Yannick Neuder, la réforme des études de santé. Elle pourrait donc être engagée très prochainement.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Nous ne maîtrisons que très peu les choix que font les étudiants, en fonction des places disponibles notamment, alors que les territoires et la population sont en demande de certains spécialistes. La répartition territoriale de ces derniers est d’ailleurs encore plus difficile à contrôler que celle des médecins généralistes. Comment le ministère envisage-t-il d’orienter les étudiants en fonction des besoins du terrain ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Les places ouvertes à l’internat sont réparties par spécialité et par région, mais la somme des places dans une région donnée est légèrement supérieure au nombre d’étudiants afin de ménager une légère flexibilité. Cette dernière conduit à des déséquilibres : certaines spécialités sont moins choisies que d’autres. Tel est le cas de la psychiatrie : il est difficile d’inciter les étudiants à se former dans cette spécialité, qui demeure donc en souffrance.

Il existe deux manières de régler le problème. La première consiste à réduire les marges, et donc à limiter le nombre total de places au nombre d’étudiants. La seconde consiste à rendre attractives des formations perçues comme très difficiles. Je suis plutôt favorable à cette deuxième approche, plus libérale, mais si elle ne porte pas ses fruits, nous serons contraints d’adopter une approche plus stricte.

M. le président Jean-François Rousset. Un retour aux certificats d’études spéciales, dont les détenteurs étaient pour ainsi dire des intermédiaires entre les généralistes de terrain et les hyperspécialistes de CHU, est-il envisageable ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Je crains d’atteindre, à ce sujet, les limites de mes connaissances.

M. le président Jean-François Rousset. On demande au médecin généraliste d’être un véritable spécialiste de la médecine générale, mais aussi d’orienter ses patients vers des spécialistes. Ainsi, le système rend nécessaire un grand nombre de spécialistes, pour des consultations parfois inutiles ou des indications qui n’en sont pas.

Il existait jadis une spécialisation intermédiaire, sanctionnée par des certificats d’études spéciales – en gastroentérologie ou en dermatologie, entre autres –, qui permettait un premier tri des malades, lesquels pouvaient être pris en charge de manière efficiente par des médecins spécialisés mais ayant étudié moins longtemps que les hyperspécialistes des CHU ou des hôpitaux. Ne faudrait-il pas réfléchir au rétablissement de cette certification ? Nous pourrions ainsi éviter une hyperspécialisation des médecins au détriment d’un corps intermédiaire de praticiens.

M. Philippe Baptiste, ministre. Il m’est difficile de répondre à cette question.

M. le président Jean-François Rousset. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour vos réponses très précises. Vous pouvez adresser des compléments d’information au secrétariat de notre commission d’enquête.

 

 

 

 


–  1  –

27.   Audition de M. Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du Travail, de la Santé, de la Solidarité et des Familles, chargé de la Santé et de l’Accès aux soins

M. le président Jean-François Rousset. Monsieur le ministre, c’est un plaisir de vous accueillir aujourd’hui, pour notre vingt-septième et dernière audition, afin d’échanger avec vous sur notre système de santé et l’accès aux soins de l’ensemble de nos compatriotes, ainsi que sur les évolutions qui pourraient en améliorer l’efficience et la soutenabilité pour l’ensemble des acteurs.

L’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d’enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Yannick Neuder prête serment.)

M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins. Je tiens tout d’abord à saluer la qualité du travail de votre commission d’enquête. Vous avez entendu un panel de personnalités et de responsables tout à fait représentatifs de la grande diversité d’acteurs qui constitue notre système de santé et sa gouvernance. C’est le cœur de votre mission constitutionnelle que de contrôler l’action publique. Vous l’avez accomplie de manière approfondie et avec un grand sérieux. Je ne doute pas que le rapport qui sera tiré de ces travaux éclairera utilement mon action et celle de mon ministère sur le sujet urgent et essentiel qu’est l’accès aux soins.

J’ai souvent dit que je veux construire avec le Parlement ma politique de santé et d’accès aux soins. Les nombreux textes sur lesquels nous avons travaillé depuis presque six mois que je suis ministre le prouvent. Je salue le dernier en date : l’accord trouvé en commission mixte paritaire (CMP) concernant la proposition de loi sur la profession d’infirmier, qui projettera ce métier dans la modernité en confiant à ces professionnels des missions rénovées et des compétences élargies au service de la santé des Français au quotidien.

L’accès aux soins est le plus grand et le plus important défi de notre système de santé. Ce sujet figure tout en haut de la liste de mes priorités et de celles de nos concitoyens, mais aussi, malheureusement, de la liste de nos préoccupations car, trop souvent, pour les Français, l’accès aux soins se heurte à des délais inacceptables, à des distances infranchissables et à des découragements silencieux. Cette réalité, je l’ai vécue comme médecin, comme élu local et comme député d’une circonscription rurale et un peu montagneuse. Le sujet n’est donc pas nouveau pour moi. Ses causes sont anciennes et entraînent une perte de chances pour les Françaises et les Français.

Cette situation va nécessairement s’aggraver si nous n’activons pas tous les leviers, dans le cadre d’une action globale qui mobilise l’ensemble des acteurs – pouvoirs publics, professionnels de santé et élus. Il ne s’agit plus de colmater les brèches mais de rebâtir les organisations à la hauteur des défis de notre époque : vieillissement de la population, maladies chroniques et attentes nouvelles de nos concitoyens et de nos soignants. Toutes les politiques que je mets en œuvre sont tournées vers cet objectif. Je pense en premier lieu au pacte de lutte contre les déserts médicaux que j’ai présenté en avril dernier et qui est issu de larges concertations auxquelles les élus et les parlementaires ont été associés.

Ce pacte est à l’origine d’une mesure inédite de solidarité territoriale que la proposition de loi défendue par le président de la commission des affaires sociales du Sénat, Philippe Mouiller, a déjà permis d’entériner en première lecture. Cette disposition instaure une obligation collective qui engagera l’ensemble de la communauté médicale en fonction des besoins identifiés localement.

Mieux répartir la ressource médicale est naturellement une priorité à court terme mais nous ne pourrons remporter la bataille de l’accès aux soins que si nous parvenons à renforcer structurellement nos effectifs sur le terrain. C’est pourquoi j’ai fait de la formation le centre de gravité de mon action. Former plus, former mieux, former partout : ce sont les termes du choc de formation – de l’électrochoc – que nous allons réussir.

Ce choc de formation se décline en plusieurs mesures : premièrement, la mise en œuvre de la quatrième année d’internat de médecine générale, qui permettra à 3 700 docteurs juniors d’arriver dans vos circonscriptions dès novembre 2026 ; deuxièmement, la réforme des voies d’accès aux études de santé, que je porte avec Philippe Baptiste ; troisièmement, la suppression définitive de toute forme de numerus : cette mesure, contenue dans la proposition de loi que j’avais défendue, a été votée par l’Assemblée en décembre 2023 et sera examinée au Sénat le 17 juin ; quatrièmement, le retour de près de 10 000 étudiants français partis se former à l’étranger – en Belgique, en Pologne et en Roumanie ; cinquièmement, la sécurisation des financements du protocole État-région de création de places de formation paramédicale, avec plus 5 870 places en institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) depuis 2020.

Un autre axe majeur de ma politique d’accès aux soins réside dans le fait de mieux utiliser les nombreuses ressources et compétences déjà existantes. Je citerai par exemple le décret et l’arrêté que j’ai signés concernant l’accès direct et la primo-prescription des infirmières en pratique avancée (IPA). Ces dispositions attendues sont issues, il faut le souligner, de textes d’initiative parlementaire. Je pense aussi à la sécurisation de l’exercice des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) et à la réforme de l’examen de vérification des connaissances, pour lesquels les textes viennent de paraître – je crois que c’était dimanche.

J’en viens à l’efficience, à l’organisation et la simplification de nos organisations, sujets qui ont été au cœur de vos travaux et de vos nombreuses auditions.

S’agissant des organisations locales, ma ligne est claire : je veux être le ministre qui leur facilite la vie et leur permet d’innover et de conduire des projets collectifs. Il faut que, sur le terrain, on puisse s’organiser en fonction des réalités, des contraintes, des opportunités et, surtout, des besoins identifiés.

Concernant la gouvernance du système et du ministère, je n’ai pas de position de principe. Comme pour toutes nos administrations, il est sain que nous puissions procéder à notre autoexamen et, parfois, à notre autocritique. Je suis tout à fait ouvert à l’idée de lancer un vrai chantier de simplification du système de santé, mais ce que je vis au quotidien depuis que je suis ministre me montre que nos administrations sont une véritable force. Nos directions centrales sont dotées de spécialistes très pointus de chaque sujet tandis que nos agences régionales de santé (ARS) et leurs délégations territoriales sont nos bras armés dans les territoires. À titre d’exemple, l’autonomie juridique et financière et le pouvoir de dérogation que nous avons accordés aux directeurs généraux d’ARS se traduisent par plus de latitude, plus de moyens et plus d’équivalents temps plein (ETP) pour la santé sur le terrain ; ils constituent l’application de cette subsidiarité qui nous est chère.

Le ministère de la santé est une grosse machine, mais il représente surtout des milliers d’agents engagés chaque jour pour faire fonctionner le système de santé et améliorer l’accès aux soins de nos concitoyens. Le chantier de l’organisation de la gouvernance et de sa simplification doit avant tout être un levier pour maximiser le potentiel et l’efficacité de cette belle et solide administration de la santé publique dont nous avons la chance de disposer.

En évoquant les lignes de force de mon action, je n’ai fait qu’effleurer, tant ils sont vastes, certains sujets que j’estime majeurs. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Les sujets sont vastes, en effet, et cette commission d’enquête parlementaire a tenté de trouver des pistes, des fils rouges, afin de répondre aux préoccupations de nos concitoyens.

Vous avez évoqué votre volonté de former plus et de former mieux. Combien de médecins ont été diplômés cette année et combien le seront l’année prochaine ? Votre collègue ministre de l’enseignement supérieur, que nous avons interrogé hier, nous a indiqué le nombre de médecins qui arrivaient en internat, mais pas le nombre de ceux qui étaient formés cette année. Ce chiffre nous permettra d’établir des comparaisons avec les effectifs de médecins formés dans les années 1970 – où ils s’élevaient à près de 7 000 par an –, puis entre 1983 et 2003 – où ils ont connu un point bas – et de déterminer les perspectives d’augmentation de la formation.

Nous saluons l’instauration de la première année dans chaque département, idée novatrice qui fait droit à une demande de décentralisation des études de médecine. Dans la mesure où on est toujours décentralisé par rapport à quelqu’un, ce serait un signal fort d’organiser la première année en dehors d’une ville-préfecture : cela permettrait à nos étudiants et futurs médecins de mieux connaître la réalité des territoires plus ruraux – à condition, évidemment, que ceux-ci disposent des infrastructures nécessaires pour les accueillir.

Les études de médecine sont plus courtes en Suède et en Allemagne qu’en France et la quatrième année de médecine que vous avez ajoutée ne fait pas l’unanimité parmi les syndicats. Plutôt que de toujours allonger les études, ne faudrait-il pas les rétrécir – plus précisément les ramener à huit ans, spécialité comprise, comme dans de nombreux autres pays ?

Depuis cette année, la formation des médecins comprend des cours de sciences humaines, de relations humaines. Un médecin généraliste peut avoir à gérer une petite entreprise, ou du moins à établir un bilan d’activité. Un chef de service entretient des liens avec ses pairs et avec d’autres professionnels, comme les infirmiers et les aides-soignants. Ne faudrait-il pas pousser un peu plus la formation dans le domaine des relations humaines, du management, voire de l’entreprenariat ? Il ne s’agit pas nécessairement d’y consacrer une année entière, mais de tels cours pourraient aider les médecins. Le management n’est pas donné à tout le monde ; le fait d’avoir des bases scolaires dans ce domaine mettrait de l’huile dans les rouages des relations à l’hôpital, qui sont parfois compliquées – on y observe un écart important entre le corps médical pur et les autres personnels soignants.

M. Yannick Neuder, ministre. J’étais médecin en CHU (centre hospitalier universitaire) lorsqu’a été votée la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST), qui prévoyait la désignation de chefs de pôle, lesquels devaient accomplir un parcours de formation. Du fait des contraintes horaires, il était difficile, dans mon hôpital comme dans beaucoup d’autres, de trouver des médecins prêts à assumer ces responsabilités. Ayant été sollicité, je suis devenu chef de pôle. Nous avions, au titre de la formation obligatoire, le choix entre Sciences Po, en lien notamment avec un master en politiques de santé, et HEC. Sciences Po ayant l’avantage d’être en région et, qui plus est, à deux arrêts de tramway de mon CHU, c’est ce parcours que j’ai choisi. Dans le cadre du master en santé, j’ai consacré mon mémoire aux trois missions incombant aux CHU créés par l’ordonnance de 1958, à savoir le soin, la recherche et l’enseignement ; j’ai posé comme postulat qu’il fallait réformer le système en reconnaissant l’existence d’une quatrième mission : le management.

Comme vous l’avez dit, il manque à nos études médicales, qui sont de nature scientifique, une formation à cet aspect de l’exercice professionnel. En effet, le médecin libéral, s’il dispose d’un secrétariat, d’assistants médicaux et de remplaçants, est confronté aux besoins d’une organisation qui est quasiment celle d’un chef d’entreprise, avec une gestion comptable et administrative, à quoi s’ajoutent les relations avec la patientèle ainsi qu’avec les tutelles et les organismes. Les médecins hospitaliers sont moins confrontés à la gestion des aspects financiers, des fiches de paye ou des interfaces, mais ils doivent susciter le dynamisme et assurer une gouvernance efficace pour que l’ensemble des personnels soient partie prenante aux projets médicaux. Les pôles hospitaliers peuvent être très importants – celui que je gérais comptait plus de 600 personnes. La formation doit donc apporter aux professionnels de santé de demain des compétences nouvelles ou complémentaires. Je sais que les doyens y travaillent.

Vous avez parlé de « rétrécir » les études ; j’aurais plutôt, pour ma part, employé le mot « raccourcir » car il me semble qu’il faut, au contraire, diversifier les profils. Je ne peux pas dire que je souhaitais forcément cette quatrième année de médecine générale, mais mon rôle de ministre était naturellement de tout faire pour la mettre en application et faire en sorte qu’elle se passe dans de bonnes conditions. Il faudra, surtout, évaluer l’intérêt de cette année de professionnalisation. La prudence s’impose toutefois car, s’il est vrai que faire et défaire, c’est toujours travailler, nous devons aussi donner de la stabilité à notre système. Voilà dix-huit mois que nous parlons des décrets qui permettront de calibrer les conditions d’exercice de ces docteurs juniors et de leurs maîtres de stage. J’ai promis que ces textes sortiraient avant l’été. Je me suis rendu dans de nombreux congrès, notamment de médecine générale, et j’ai rencontré un certain nombre d’étudiants en médecine ainsi que les membres du Collège national des généralistes enseignants. À ces occasions, j’ai constaté que les médecins généralistes ont aussi besoin de stabilité pour pouvoir se projeter.

Nous devons faire en sorte que la médecine générale soit considérée comme une spécialité à part entière, conformément au vœu initial du Collège national des généralistes enseignants, afin d’assurer à cette spécialité médicale, au même titre qu’aux autres, une juste reconnaissance et un cursus propre. Cela peut toutefois susciter des interrogations ; il faudra évaluer l’intérêt de cette démarche.

En tout cas, ces 3 700 docteurs juniors sont très attendus dans les territoires – cela représente, sur 100 départements et avec des variations selon la taille de ces derniers, une moyenne de 37 par département. Nous avons là une carte maîtresse pour améliorer la formation de ces médecins sur le terrain, au contact des réalités d’un cabinet – car il s’agit bien, je le rappelle pour lever les craintes de l’écosystème, d’affecter ces 3 700 docteurs juniors à l’exercice libéral, et non à des services hospitaliers. Cette quatrième année de médecine générale est bien une année de professionnalisation au sein des territoires dans le mode d’exercice libéral auquel ces étudiants se sont formés, avec l’aide et l’accompagnement de maîtres de stage ; ils seront ainsi confrontés aux réalités de leur pratique professionnelle. Il faudra naturellement évaluer leur niveau d’insertion dans l’écosystème et voir dans quelle mesure ils contribueront à l’accroissement de l’offre de soins tout en continuant à parfaire leurs connaissances.

Ce sujet intéresse la population qui, si elle est peut-être moins au fait du terme de « docteurs juniors », n’en veut pas moins une amélioration et une plus grande proximité de l’offre de soins. Il intéresse aussi les élus. Les maires, les présidents d’intercommunalités, d’agglomérations ou de métropoles – les déserts médicaux n’étant malheureusement pas réservés aux zones rurales –, les élus des départements et des régions ainsi que les parlementaires veulent trouver les meilleurs endroits pour installer ces futurs docteurs juniors le 2 novembre 2026.

J’en profite pour saluer le travail important réalisé par les agences régionales de santé et par les universités, notamment par les facultés de médecine, les doyens et les responsables de la discipline de médecine générale, mais aussi par les élus locaux. Nous parlons en effet de « grands étudiants », qui sont en dixième année, qui ont une moyenne d’âge de 30 ans – d’autres années ayant pu s’intercaler – et qui peuvent avoir une famille. Il faut leur assurer un an de stage sans négliger leurs conditions de logement, de transport, de garde d’enfants, etc. Les nombreuses visites que j’ai effectuées et ma connaissance du monde médical m’ont montré que de nombreux élus locaux et de collectivités investissent pour pouvoir accompagner et loger des professionnels de santé, souvent dans des équipements qui accompagnent des maisons de santé pluriprofessionnelles.

Vous avez comparé la durée des études en France à celle existant dans d’autres pays. J’ai beaucoup échangé avec mes homologues, notamment à Varsovie, lors du dernier conseil des ministres européens, pour savoir quels étaient le niveau et la durée de la formation dans les autres pays européens.

Certains ministres, notamment celui de l’Espagne, souhaitaient savoir quand la France récupérerait ses étudiants, lesquels occupent des places dans les formations de santé dans leur pays. De fait, nous avons un peu perdu le contrôle du système de formation de nos professionnels de santé. À l’heure où nous parlons de souveraineté sanitaire, le fait que la septième puissance mondiale dépende d’autres pays pour la formation de ses soignants pose question. Ainsi, 54 % des dentistes qui s’inscrivent à l’ordre en France sont formés à l’étranger. Nous ne pouvons donc pas rester insensibles à cette question, que nous n’avons pas assez prise en considération.

La cause fondamentale des déserts médicaux est liée au fait que la capacité de formation n’a pas su s’adapter aux besoins des populations – je ne cherche, en disant cela, aucun coupable : c’est un constat que bien d’autres ont fait avant moi.

J’en viens à votre question relative au nombre d’étudiants. En fixant en 1993 le numerus clausus à 3 500, on n’avait évidemment pas anticipé trois facteurs. Le premier est l’augmentation de la population : alors que notre pays compte 15 millions d’habitants de plus depuis 1970, le nombre de professionnels de santé formés est resté quasiment identique.

Le deuxième facteur qu’il aurait été indispensable de prendre en compte est le vieillissement de la population, le développement des polypathologies et l’émergence des maladies chroniques. J’ai ainsi constaté lors de mon dernier déplacement à La Réunion qu’outre le chikungunya, le diabète y constitue un problème majeur, qui affecte pas moins de 10 % de la population.

Le troisième facteur qui n’a pas du tout été anticipé tient aux 35 heures et au fait que le rapport au travail a changé en France, en particulier au sein des professions de santé. Dans les professions paramédicales et hospitalières, le passage aux 35 heures a pu nécessiter des créations de postes – et, lorsque ce n’a pas été le cas, cela a provoqué des désorganisations structurelles à l’origine de bien des difficultés actuelles. C’est surtout au niveau du corps médical que l’anticipation a fait défaut : quand un médecin généraliste part en retraite, il en faut désormais 2,3 pour le remplacer. Depuis maintenant trente ans que j’exerce – et je pense que le président Rousset fait la même analyse –, j’observe l’évolution du volume de la patientèle de nos confrères généralistes en ville : alors que certains avaient jusqu’à 3 000 patients, ce qui était peut-être beaucoup, et même trop, il est des praticiens, aujourd’hui, qui n’en ont plus que 500. Au-delà donc du nombre de médecins, cette évolution suscite des interrogations.

C’est pourquoi le pacte de lutte contre les déserts médicaux s’inspire du principe énoncé par le président de Médecins solidaires, selon lequel il vaut mieux demander un peu à beaucoup de médecins que beaucoup à trop peu d’entre eux. La génération qui termine ses études correspond à ce « très peu » ; elle ne doit pas faire les frais des nombreuses années d’errance en matière de formation médicale. Tant que le nombre de médecins n’a pas augmenté, la régulation de l’installation et la coercition ne sauraient être de bonnes méthodes.

Vous me demandez le nombre de médecins formés : en 2025, les internes sont au nombre de 9 000 ; ils seront 10 900 dès 2026, en raison des effets de la transformation du numerus clausus en numerus apertus, survenue en 2019.

Cette première étape, dont je me réjouis, nous conduira à proposer, le 17 juin prochain au Sénat, la suppression totale du numerus apertus, dans l’objectif de définir les besoins de formation en fonction de ceux des territoires. Cette adaptation est indispensable : un territoire montagneux n’a pas les mêmes besoins qu’un territoire touristique ou métropolitain. Il importe de tenir compte des capacités d’accueil des universités, qu’il s’agisse du nombre de postes de maîtres de conférences des universités (MCU), de maîtres de conférences des universités-praticiens hospitaliers (MCU-PH), de personnels hospitalo-universitaires (HU), mais aussi du nombre de maîtres de stages dans les territoires.

Cette évolution du numerus en fonction des besoins de chaque territoire et des capacités d’accueil du système de formation s’accompagnera d’un renforcement des moyens.

Parce que le renforcement de l’accès aux soins et la disparition des déserts médicaux sont des priorités pour nos compatriotes, nous devons, malgré la situation budgétaire, reprendre le contrôle sur l’enjeu de souveraineté sanitaire qu’est la formation des professionnels de santé.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Quel est votre objectif en nombre de médecins diplômés, en incluant les étudiants français en formation à l’étranger et les Padhue ? De quelle manière pourrions-nous faciliter l’intégration de ces derniers sans revenir sur nos exigences en matière de compétences ? Lors des auditions, des praticiens nous ont raconté qu’il était parfois demandé aux Padhue de pratiquer des actes qu’eux-mêmes n’étaient pas capables d’accomplir ; pourquoi ne pas créer des équivalences reposant davantage sur la pratique que sur la théorie ?

En France, il est possible de suivre des études en alternance dans pratiquement tous les domaines. De nombreux médecins, assez âgés, ne demanderaient pas mieux que d’accompagner un étudiant et lui transmettre leur pratique, en complément de l’enseignement dispensé à la faculté, avant de lui transférer ensuite leur patientèle.

En effet, il est très différent d’effectuer régulièrement des stages – comme c’est le cas dans le cursus médical – et de suivre une véritable alternance, de la deuxième année jusqu’à l’obtention du diplôme. Une telle alternance serait trop complexe à organiser pour les spécialités hospitalières et ne concernerait donc que la médecine de ville. Une expérimentation en ce sens, dans une faculté de médecine volontaire, serait-elle envisageable ? Ce serait une mesure de justice sociale, puisque de nombreux étudiants se tournent vers l’alternance pour des raisons financières ; ils n’ont pas toujours les moyens de louer un appartement à proximité de la faculté de médecine.

Même si la plus-value pour le médecin est limitée au cours des premières années, l’alternance serait pour eux une manière de transmettre le flambeau.

M. Yannick Neuder, ministre. Les étudiants en médecine sont également des apprentis, puisque dès la quatrième année, les externes passent la moitié de leur temps en stage hospitalier. En comparaison, dans certains cursus longs, les étudiants – à l’exception des alternants – ne découvrent le milieu professionnel qu’au terme de leur master, c’est-à-dire au cours de leur sixième année d’études.

Nous sommes d’accord sur un point : nous devons faire en sorte qu’un deuxième cycle en alternance puisse être effectué en ville aussi bien qu’à l’hôpital. Ce n’est pas après dix ans d’études dans un hôpital – souvent un CHU – que les étudiants s’intéresseront aux territoires. Ils doivent pouvoir sortir de l’hôpital et être externes en ville dès la quatrième année ; j’y suis très favorable. Pour cela, il faut identifier suffisamment de lieux de stage et de maîtres de stage formés. Des concepts similaires sont déjà prévus dans des décrets, mais il est très difficile de les appliquer. Ainsi, dans certains territoires, des dispositifs prévoient la création de maisons de santé pluridisciplinaires, qui pourraient être dotées de postes hospitalo-universitaires, notamment en médecine générale, et qui pourraient accueillir les étudiants dès la quatrième année. Une organisation doit être trouvée en concertation avec les acteurs du territoire.

J’ai intégré au pacte de lutte contre les déserts médicaux une mesure issue de la proposition de loi Garot, visant à créer une première année d’études de médecine dans chaque département. De facto, cela amènera les territoires à développer des cursus plus étoffés – une sorte d’universitarisation du territoire, pourrait-on dire – et à identifier les lieux d’accueil des stages. Des expérimentations sont allées plus loin : il est déjà possible, dans certains départements, de suivre les trois premières années des études de médecine, qui correspondent au premier cycle.

Je suis donc favorable à faire sortir les étudiants de l’hôpital plus tôt, mais pas dès la deuxième année, comme vous le proposez. Avant d’entamer la pratique, il est indispensable d’acquérir un socle de connaissances scientifiques fondamentales, qui permettront au médecin d’étayer un raisonnement solide et de prendre les bonnes décisions, dans les différents domaines qu’il aura à embrasser. La physiologie, l’anatomie, la biochimie, la biophysique constituent ce socle fondamental ; elles ne s’apprennent pas dans le cadre d’une alternance.

En deuxième année de médecine, il est possible de faire un stage de découverte chez un généraliste, formé pour accueillir les étudiants, mais il est trop tôt pour s’engager dans une alternance. Il faut d’abord intégrer les connaissances nécessaires pour poursuivre le cursus.

La sémiologie clinique est abordée en troisième année ; des tutorats sont alors habituellement confiés à des professionnels de santé dans les hôpitaux. À partir de cette troisième année, les étudiants voient la traduction clinique de leurs apprentissages, dans les centres de simulations ou auprès des patients.

Je suis favorable à ce que l’on développe l’alternance dans le cadre de la médecine de ville, auprès de maîtres de stage, mais sans négliger le socle de connaissances fondamentales indispensables, dont l’acquisition pourrait cependant être accélérée si l’on devait raccourcir la durée des études de médecine.

Il me semble difficile de déterminer le nombre idéal de médecins formés chaque année. Nous devons tout d’abord apprécier l’efficacité des mesures instaurées et leurs résultats. J’ai procédé à des calculs pour les trois prochaines années – 2025, 2026 et 2027. Avec 11 000 à 12 000 médecins en formation initiale, nous en aurons 33 000 à 36 000 au terme de ces trois ans. En 2025, 4 000 Padhue ont réussi les épreuves de vérification des connaissances (EVC) ; à ce jour, il en reste 160 à affecter. Nous avons ouvert des postes, parce que je veux que nous tenions nos promesses. Il faut savoir reconnaître le rôle des Padhue, qui représentent 30 à 40 % de la masse salariale médicale dans beaucoup d’hôpitaux.

J’ai voulu simplifier leur reconnaissance, sans diminuer le niveau de compétences ; un Padhue bien formé est un médecin comme les autres. Pour ce faire, les voies réglementaire et législative doivent être mobilisées. La première étape a consisté à simplifier, par décret, le contrôle de leurs connaissances, mais un véhicule législatif sera nécessaire pour que l’examen en soit véritablement un, plutôt qu’un concours dans lequel le jury est souverain. Ainsi, des situations dans lesquelles une note de 14 sur 20 est insuffisante ne se reproduiront pas.

Par ailleurs, ce même véhicule législatif pourrait également relocaliser l’évaluation des compétences, qui est actuellement effectuée par une commission nationale ; les responsables d’unités fonctionnelles, les chefs de service, les chefs de pôles, les présidents de commission médicale d’établissement (CME) et les doyens devraient pouvoir valider les Padhue affectés dans leur service de la même manière que les internes et les externes – ce que je faisais il y a encore quelques mois. Les modalités de cette évaluation doivent être déterminées localement, selon qu’il s’agit d’un hôpital universitaire ou non.

Si le chiffre de 4 000 Padhue réussissant chaque année les EVC est maintenu, ils seront 12 000 d’ici à 2027, qui viendront s’ajouter aux 33 000 médecins formés que nous avons comptés tout à l’heure, soit un total de 45 000.

Par ailleurs, en raison de l’impossibilité de redoubler la première année, environ 5 000 étudiants français poursuivent leurs études à l’étranger, notamment à Cluj en Roumanie, en Belgique ou en Espagne. L’Association des maires ruraux de France (AMRF) a envoyé des délégations de maires ruraux et d’hôpitaux dans ces universités ; ainsi, de jeunes Français étudiant à Cluj effectuent leur stage dans les hôpitaux de Moulins et de Vichy durant les mois d’été. J’ai moi-même accueilli dans mon service, aux côtés des externes, des internes et des Padhue, des étudiants français rattachés à l’université de Cluj effectuant leur Erasmus en France. C’est à ce moment-là que j’ai compris que nous avions un peu perdu le contrôle de notre système de formation.

La réforme de simplification du contrôle des compétences et des connaissances des Padhue, les effets du numerus apertus et le transfert des étudiants formés à l’étranger – moyennant l’évaluation de leurs compétences et de leurs connaissances, prévue dans la loi Valletoux de 2023, coconstruite avec les doyens de médecine –, nous permettront d’avoir, en 2027, 12 000 Padhue, 33 000 médecins issus de la formation initiale en France et 5 000 médecins formés à l’étranger, soit un total d’environ 50 000 médecins supplémentaires. De plus, quelle que soit sa spécialité, lorsqu’un étudiant revient de Cluj, par exemple, pour suivre en France sa sixième année de formation, il ne lui faudra que quatre ans pour être opérationnel.

Un autre dispositif sera proposé dans le cadre de la formation continue : les passerelles. La crise du covid a modifié le rapport au travail : si certains soignants ont changé de domaine d’activité, d’autres personnes, en quête de sens, se sont engagées dans les métiers du soin. La majorité de celles-ci sont des professionnels paramédicaux souhaitant évoluer vers la pratique de la médecine. Des passerelles existent déjà, mais demeurent anecdotiques : elles doivent être massivement élargies et tenir compte des compétences de ces professionnels.

Je crois beaucoup à cette voie d’accès par la formation continue, notamment pour alimenter des secteurs considérés comme peu attractifs, tels que la santé publique, la médecine du travail, la gériatrie, les soins palliatifs ou encore la psychiatrie. Ces disciplines, orientées davantage vers le palliatif que le curatif, sont très peu choisies durant la formation initiale ; les étudiants privilégient les disciplines de soin, plutôt que celle visant à l’accompagnement. Ces dernières sont plutôt privilégiées, en deuxième partie de carrière, par des praticiens tels que des urgentistes, des anesthésistes, des oncologues, des hématologues pour lesquels la technicité n’est plus la priorité. Des passerelles permettraient de créer de nouvelles vocations pour les professionnels de santé.

La crise du covid a fait émerger un autre profil, en lien avec l’évolution technologique de la médecine : des ingénieurs recherchant une deuxième qualification de médecin.

Lorsque j’étais vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes chargé de l’enseignement supérieur, j’ai lancé une expérimentation : un partenariat a été noué entre les facultés de médecine et, notamment, l’École centrale de Lyon pour proposer un double diplôme d’ingénieur et de médecin. La combinaison des deux cursus a montré tout son intérêt pour des sujets comme l’intelligence artificielle ou la médecine augmentée, et pour des spécialités s’y prêtant particulièrement – la radiologie, la biophysique, la médecine nucléaire, etc. J’aurais adoré suivre ce double cursus s’il avait existé lorsque j’étais étudiant !

En tout état de cause, il m’est difficile de répondre à votre question sur l’objectif chiffré de médecins diplômés.

Compte tenu de l’augmentation de la population et de l’évolution des pathologies chroniques – obésité, diabète, hypertension artérielle, dyslipidémie –, nous faisons face à des enjeux majeurs. J’espère que de nombreuses mesures préventives seront intégrées aux futurs projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

De plus, le rapport au travail a changé et les soignants cherchent une meilleure combinaison entre vie professionnelle et vie privée. Enfin, la médecine a évolué grâce à l’intelligence artificielle et à l’exercice pluriprofessionnel coordonné.

Nous dresserons un bilan après trois ou quatre ans, durant lesquels nous aurons essayé de former plus, de former mieux et de former partout. Nous évaluerons également la création d’une première année d’accès aux études de santé dans tous les départements, qui est une importante mesure d’égalité sociale. Pendant mes études de médecine, 3 % seulement des étudiants étaient issus du monde ouvrier ; aujourd’hui encore, nombre d’étudiants estiment que ce cursus n’est pas fait pour eux.

Plutôt que de déterminer le nombre de médecins de façon trop théorique, il est préférable de se donner du temps et de rester flexibles. Nous faisons face à un besoin criant de médecins supplémentaires : formons-en davantage et voyons à quel point nous pouvons intégrer les Padhue et faire revenir les étudiants formés à l’étranger, tout en restant réactifs pour nous adapter au plus près des évolutions de notre société et des progrès de la recherche. De nouvelles thérapeutiques, notamment concernant des maladies métaboliques, transforment déjà la donne.

Je préfère être prudent. Il nous faudra analyser finement l’ensemble des facteurs. En tout état de cause, je ne crois pas que nous nous exposons au risque de compter trop de médecins dans notre pays.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Outre la formation, je souhaite que nous évoquions les ARS. Vous avez salué le travail des fonctionnaires de votre ministère, en précisant que les ARS jouent un rôle de bras armé dans les territoires. Lors de leur création, leur mission de structuration de l’offre de soins et de coordination des acteurs du secteur avait été mise en exergue. Toutefois, après de nombreuses auditions et visites de terrain, il nous est apparu que ces agences étaient unanimement considérées comme étant trop grandes et déconnectées du terrain.

Les ARS évoquent leurs liens avec les élus, mais ces derniers, comme les professionnels de santé, se plaignent de ne recevoir de leur part ni son ni image. Cette différence de perception soulève des interrogations.

Les compétences des ARS se répartissent en quatre catégories : la prévention et la promotion de la santé ; la prise en charge de la dépendance ; l’organisation de l’offre de soin ; l’organisation de la veille et de la sécurité sanitaires.

Il me semble qu’il serait plus logique de leur demander de se concentrer sur les priorités de nos concitoyens et de faire davantage confiance aux autres acteurs, qui connaissent le terrain : les départements s’agissant de la dépendance, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) s’agissant de la prévention – vous avez vous-même été maire et président d’EPCI. Les ARS conserveraient leur mission d’organisation de l’offre de soin, qui devrait être leur principale préoccupation. Qu’en pensez-vous ?

Tout en conservant la dimension régionale des ARS, ne faudrait-il pas rétablir les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass) ou créer un sous-préfet sanitaire, lesquels seraient plus en lien avec les territoires ?

M. Yannick Neuder, ministre. S’agissant du rôle des ARS, je citerai quelques chiffres qui reflètent une réalité qu’on ne connaît pas toujours. À leur création, en 2010, elles employaient 9 500 ETP, contre près de 8 000 en 2025. Leurs effectifs ont donc baissé de 15 % alors que leurs missions ont été étendues.

Pour avoir exercé ces fonctions pendant près de vingt ans, je sais que le maire a le réflexe d’échanger avec le département et le préfet – c’est le fruit de notre histoire, puisque les limites des départements ont été fixées à la Révolution de telle sorte qu’il soit possible de se rendre à la préfecture en moins d’une journée à cheval. En revanche, le maire s’adressera beaucoup moins spontanément à l’ARS – c’est surtout l’antenne départementale qui est concernée.

On peut donc encourager et renforcer, en effet, la proximité entre les élus locaux et les représentants de l’ARS. Je passe ce message régulièrement aux directeurs des agences, que je vois chaque mois en séminaire et avec lesquels mon cabinet s’entretient tous les quinze jours. Lorsque nous avons élaboré le pacte de lutte contre les déserts médicaux, qui définit les zones pour lesquelles nous ferons de premières propositions, je l’espère, dès septembre, nous avons décloisonné le travail afin d’y associer élus locaux et représentants de l’État. De manière assez inédite, j’ai organisé une réunion en visioconférence avec les préfets et les directeurs généraux et départementaux d’ARS, ce qui a permis de bénéficier de leur regard croisé – celui des préfets, dans leur rôle d’aménageurs du territoire, et celui des ARS, en charge de l’offre de soins. Ce n’est pas toujours évident. On observe une grande hétérogénéité territoriale. En certains endroits, la communication entre l’ARS, les élus et la préfecture se passe très bien. Je suis sûr que l’on peut renforcer les liens de proximité au sein du périmètre le plus efficace, à savoir le département.

La dimension régionale offre une vision globale, qui permet d’appréhender l’articulation entre les différents niveaux. C’est la raison qui a motivé la création des grandes régions. Toutefois, ces dernières ont de facto renforcé les échelons de proximité que sont les EPCI et le département. Il est difficile de se parler à l’échelon régional, qui est trop vaste ; le département est, globalement, le niveau le plus adapté.

Je suis d’accord avec vous sur le fait qu’il faudrait s’interroger sur les nombreuses missions exercées par les ARS. J’ai examiné la ventilation des 8 000 ETP en fonction de ces missions : 2 300 ETP assurent la mission santé publique-veille ; 1 800 ETP, la mission offre de soins – au travers de laquelle on voit souvent les ARS – ; 1 300 ETP, la mission médico-sociale ; 1 300 ETP également, les missions transversales ; 1 000 ETP occupent des fonctions support ; enfin, 350 ETP assurent des fonctions d’encadrement.

Lorsque j’ai présidé un EPCI, j’ai constaté que l’ARS abordait des sujets comme l’eau et l’assainissement – en particulier la question de la qualité de l’eau – sous l’angle sanitaire. À côté de cela, une vision plus préfectorale se concentrait sur les réseaux d’eau et d’assainissement, sur l’aménagement du territoire. À cet égard, on peut se demander si, compte tenu des nombreuses missions des ARS, un rapprochement avec les préfectures ne permettrait pas de gagner en efficience pour l’exercice de la mission environnementale. En outre, cela permettrait peut-être aux ARS de se concentrer davantage sur les missions relatives à l’offre de soins et au médico-social. Cela fait partie des hypothèses auxquelles il est intéressant de réfléchir. Je pourrai interroger les directeurs des ARS sur cette question à l’occasion du prochain séminaire.

On gagnerait à renforcer le dialogue entre les élus locaux et le directeur départemental de l’ARS, que les premiers nommés ne doivent pas considérer uniquement comme la courroie de transmission de leurs problèmes locaux. Le directeur départemental doit aussi avoir la capacité de répondre à leurs attentes.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Lors des auditions que nous avons menées, le directeur d’une ARS nous expliquait que son prédécesseur avait transmis à son directeur de cabinet et à son équipe une directive simple : on ne répond pas aux élus. Eu égard aux propos que vous venez de tenir, cela interroge.

M. Yannick Neuder, ministre. Ce n’est absolument pas ma vision des choses : les services de l’État et les élus locaux, quels que soient le rôle et les missions qui leur sont dévolus, doivent travailler ensemble. Ils forment un binôme qui permet de mieux répondre aux besoins. L’approche dont vous me faites part reflète une vision sans doute ancienne et déconnectée des réalités ; pour ma part, j’aurais donné la directive inverse. La principale difficulté que l’on rencontre lorsqu’on veut conduire le changement et résoudre des difficultés provient souvent du manque de dialogue. Lorsque le dialogue s’engage autour des questions locales, chacun comprend les contraintes rencontrées par les uns et les autres.

Cela étant, je ne souhaite pas que les ARS accèdent à des demandes déraisonnables, notamment en matière d’équipements et de sécurité, au prétexte qu’elles seraient formulées par des élus locaux. À titre d’exemple, lorsqu’on envisage d’ouvrir ou de fermer une maternité, ce serait une erreur de ne pas recueillir l’avis du maire mais, ce qui doit prévaloir, c’est le respect des conditions de sécurité requises pour prodiguer des soins – c’est mon rôle d’y veiller, car je me dois de protéger la santé des Français. Si une structure ne respectait pas ces conditions, il faudrait la fermer, malgré l’avis éventuellement défavorable du maire. Les structures doivent prendre en charge les patients en offrant un niveau de sécurité maximal ; nous avons une responsabilité médicale et sanitaire en la matière. Parfois, l’ARS prend des décisions difficiles qui ne vont pas dans le sens souhaité par les élus locaux ; de là naissent les tensions.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Les élus ne demandent pas qu’on leur donne satisfaction mais, à tout le moins, qu’on leur réponde.

L’échelon départemental est essentiel, comme vous l’avez dit. Or le système des ARS est très régionalisé ; le délégué départemental n’est pas apprécié à sa juste valeur. Ne pensez-vous pas qu’il pourrait être utile de créer une fonction de sous-préfet sanitaire ? Les questions régaliennes, au nombre desquelles figure la santé, sont gérées par le directeur de cabinet du préfet, tandis que le secrétaire général traite des questions économiques. Alors que la santé est l’une des priorités des Français, la création d’un sous-préfet sanitaire serait un symbole important. Elle présenterait le double intérêt de resserrer le lien avec le terrain et les élus et de renforcer l’attractivité des métiers de l’ARS. Le statut du sous-préfet se distinguerait en effet de celui du délégué départemental de l’agence. Il serait souhaitable, je pense, de maintenir l’échelon régional. La question est de savoir quel rôle doit jouer le préfet de région. Les ARS sont plutôt favorables à l’intégration des préfets de région au sein du Conseil national de pilotage. Il faudrait valoriser davantage l’échelon départemental en lui accordant de véritables compétences et en lui permettant de nouer un lien plus étroit avec les professionnels du territoire.

Par ailleurs, pourrait-on envisager que les départements assurent une prise en charge totale de la dépendance et que les EPCI assument la responsabilité de la prévention, afin que les ARS – ou, le cas échéant, le sous-préfet sanitaire – se concentrent sur l’offre de soins ? En effet, cette dernière a partie liée à l’aménagement du territoire et, à ce titre, relève pleinement des compétences préfectorales.

M. Yannick Neuder, ministre. Je ne peux qu’être favorable à une réorganisation de la représentation des services de l’État dans les territoires pour améliorer le service rendu à la population. J’ignore si cela passe par la création d’un sous-préfet sanitaire. Compte tenu des fonctions que j’ai exercées en tant que professionnel de santé et élu local, je ne peux qu’encourager l’application du principe de subsidiarité : les services de l’État doivent être les plus déconcentrés possible et les plus proches possible de la population et des élus qui la représentent.

La question de la répartition des tâches est plus compliquée. Je ne sais pas si la dépendance doit être prise en charge par le département ; je suis surtout préoccupé par son mode de financement. Si une seule collectivité la pilotait, sa gestion serait peut-être plus proche du terrain et donc plus efficace. D’ailleurs, plus d’une vingtaine de départements se sont portés volontaires pour expérimenter la fusion des forfaits soins et dépendance. Il sera intéressant de tirer les enseignements de cette expérimentation lancée par Paul Christophe.

L’association Départements de France, avec laquelle je travaille beaucoup au sujet des docteurs juniors et de l’amélioration sanitaire, a une position très partagée. Certains départements sont très intéressés par la compétence dépendance mais se heurtent à une insuffisance de moyens, d’autres le sont beaucoup moins. Les départements disposent de moyens très hétérogènes. La question n’est pas tant de déterminer qui assume la compétence que la manière de la financer. Lorsque j’étais président d’EPCI, il m’est arrivé de devoir renoncer à une compétence intéressante au profit des communes car nous n’avions pas les moyens de l’exercer. Cela renvoie à la question du cinquième risque ; le Parlement avait voté l’obligation de présentation d’un projet de loi de programmation pluriannuelle relatif au grand âge dans un certain délai.

Je me demande qui est le meilleur effecteur en matière de prévention – je ne suis pas convaincu que ce soit les soignants ; je n’ai pas vraiment réfléchi à la question. Lorsque j’étais maire, j’ai mené de nombreuses campagnes de prévention sur les maladies cardiovasculaires – à propos des gestes qui sauvent, du dépistage du cholestérol et de la tension – et le cancer du sein – Octobre rose – sur les marchés et les places publiques ; cela marche très bien. Je ne sais pas s’il y a un échelon plus adapté mais, en tout état de cause, c’est le maire qui détient le plus gros capital sympathie et confiance auprès des élus. Je crois en la parole des maires, dont la voix porte auprès de nos concitoyens, et, plus généralement, en celle des élus locaux.

Certaines professions de santé, telles que les biologistes et les pharmaciens, pourraient jouer un rôle en matière de prévention au côté des élus locaux, dans le cadre d’une juste répartition des tâches à laquelle il faudra réfléchir. Les laboratoires et les pharmacies sont des lieux ouverts qui maillent le territoire et qui, à ce titre, sont précieux, en particulier en zone rurale. On voit que certaines pharmacies ont du mal à se maintenir à flot – certaines ne trouvent plus de repreneurs.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. La période budgétaire approche à grands pas. Pensez-vous qu’il faudrait lancer le chantier de la « grande sécu », qui implique la mutualisation des caisses et, sans doute, des mutuelles ? Les économies attendues sont estimées entre 3 et 6 milliards, selon les rapports. Certes, il s’agirait d’une petite révolution du modèle de financement mais celle-ci n’entraînerait aucune conséquence négative pour nos concitoyens puisque la couverture et le remboursement des soins resteraient similaires.

M. Yannick Neuder, ministre. Le sujet est évoqué depuis une dizaine d’années. Nous allons fêter les 80 ans de la sécurité sociale, qui a été créée à l’issue de la seconde guerre mondiale à partir du projet du Conseil national de la Résistance, à un moment où il fallait rassembler les Français sur des sujets sensibles : la sécurité, l’éducation et la protection sociale. Nous vivons une situation assez similaire aujourd’hui.

L’avenir de la sécu est clairement en danger : il faut oser le dire. C’est le discours de vérité que j’ai tenu lors de la réunion à Bercy, avant-hier, de la Commission des comptes de la sécurité sociale (CCSS) en présence, notamment, des représentants des syndicats de l’ensemble des acteurs du système de santé. En effet, la capacité de reprise de la dette sociale par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) est saturée – le montant de la dette amortie s’élève à 231 milliards d’euros.

Par ailleurs, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) va se trouver confrontée à une situation difficile. Dans le dernier PLFSS, nous avons prévu des mesures pour augmenter sa capacité d’emprunt mais la Cour des comptes nous indique que la sécurité sociale pourrait connaître une crise de liquidité en 2027. Rappelons que le déficit de la sécurité sociale est dû non seulement à la branche maladie mais également à la branche retraite.

Nous pouvons envisager d’autres pistes, à commencer par un renforcement de la lutte contre la fraude, laquelle ne représente pas moins de 13,5 milliards d’euros. La question est de savoir si nous disposons de l’ensemble des moyens nécessaires à cette politique. À l’heure de l’intelligence artificielle (IA), on doit pouvoir effectuer des contrôles en croisant les données du système d’assurance maladie obligatoire et du système d’assurance maladie complémentaire : j’ai demandé à la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) de se pencher sur la question. La carte Vitale digitalisée constitue un autre outil de contrôle. Par ailleurs, l’idée a été émise de réunir la carte Vitale et la carte d’identité. Enfin, il convient de rendre infalsifiables les arrêts de travail et les ordonnance, en particulier grâce à la numérisation.

Nous disposons donc de nombreux outils pour renforcer la robustesse et la sûreté de nos systèmes, qu’il s’agisse de l’IA, du déploiement informatique ou de la numérisation. Parallèlement, il faut être attentif au risque de fracture numérique et accompagner les patients qui pourraient se trouver en difficulté. Nous n’avons toutefois pas déployé la numérisation autant que d’autres pays l’ont fait. Seuls 18 millions de Français, me semble-t-il, ont renseigné Mon espace santé. Si l’ensemble des Français entraient leurs données dans cet espace numérique consultable par le professionnel de santé, on saurait que tel patient consulte un médecin ou passe un scanner quatre ou cinq fois par semaine – ces situations, malheureusement, existent. Cela permettrait d’éviter la redondance des examens et d’améliorer l’efficience et la pertinence des soins.

Les dépenses de prévention représentent près de 8 milliards. Plutôt que de réfléchir à la création d’une « grande sécu », ne pourrait-on pas discuter avec les mutuelles de la possibilité de leur confier le champ de la prévention ? Cette réforme me paraîtrait intéressante mais, comme pour d’autres, il faut s’assurer de son acceptabilité par l’ensemble de la population. En outre, elle requiert une certaine stabilité, alors que l’on a connu quatre ministres chargés de la santé en 2024 – j’occupe mes fonctions depuis décembre. Compte tenu de cette instabilité, je vois mal comment on pourrait envisager de mener des réformes aussi structurelles.

En matière de prévention, je suis favorable à une meilleure différenciation entre l’assurance maladie obligatoire et l’assurance maladie complémentaire. L’efficacité des contrôles sera améliorée par la numérisation du système et l’utilisation de l’IA, qui sont en cours. On estime à 700 millions d’euros le montant des indus frauduleux récupérés en 2024 ; je souhaiterais qu’on en recouvre 1,5 milliard en 2026. Nous avons une marge de progression considérable puisque, je le rappelle, le total de la fraude est estimé à 13,5 milliards. En outre, des actions de prévention, notamment la vaccination, doivent être effectivement menées. Moins de 50 % de la population cible réalise des dépistages du cancer. Quant à la vaccination, les objectifs ne sont pas non plus atteints, s’agissant tant de la population cible, qui présente de forts risques d’hospitalisation, de décompensation, de morbidité ou de mortalité, que de celle des soignants. Nous avons à notre portée des outils qui permettraient de gagner en efficacité et d’améliorer la santé de nos concitoyens, mais qui sont peu utilisés.

M. le président Jean-François Rousset. Par analogie avec d’autres secteurs, on peut considérer la prévention comme un investissement. Il est classique de dire que 1 euro investi dans la prévention permet d’économiser 10 euros dans le soin. Nous devons poser les bases de cette réflexion indispensable qui demande du temps, bien que le temps presse.

En ce qui concerne la prévention et la prise en charge de la solidarité, la situation actuelle est diamétralement opposée à celle de l’après-guerre. Il régnait, durant cette période de reconstruction, qui allait déboucher sur les Trente Glorieuses, une énergie et une capacité de travail hors du commun.

M. Damien Maudet (LFI-NFP). Ma première question a trait au ratio de soignants par patient. La direction générale de l’offre de soins (DGOS) n’a toujours pas saisi la Haute Autorité de santé (HAS) à ce sujet. Dans quel délai pensez-vous que cette saisine interviendra ?

Deuxièmement, qu’en est-il de la pénurie d’antidépresseurs et de quétiapine ? La situation, vous le savez, est déplorable.

Enfin, deux pharmaciens exerçant à Bugeat, dans le Limousin, ont été interdits d’exercice pendant six mois par leur ordre pour avoir dispensé des médicaments à l’unité en période de pénurie. Que pensez-vous de cette sanction qui frappe deux praticiens qui n’ont fait qu’anticiper la législation actuelle puisque cette pratique est désormais encouragée ?

M. Yannick Neuder, ministre. S’agissant du ratio soignants-patients, je ne veux pas polémiquer mais je souhaite que l’on se rappelle bien ce que j’ai déclaré en séance publique lorsque la proposition de loi de M. Jomier relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé a été adoptée conforme par l’Assemblée nationale. Je précise, du reste, que la date d’entrée en vigueur de sa principale disposition était dépassée lorsque la loi a été promulguée.

La DGOS va saisir pour avis la HAS au cours du mois de juin. Soyons clairs : les différentes directions faisaient face à un véritable encombrement et il a fallu établir un ordre de priorité parmi les multiples questions dont la Haute Autorité de santé devait être saisie. J’assume notamment d’avoir sollicité en urgence ses recommandations en matière de stratégie vaccinale contre le méningocoque, compte tenu de l’augmentation du nombre de décès – actuellement supérieur à soixante – dus à cette bactérie. Entre autres actions, nous avons ainsi pu déployer, dans la métropole de Rennes, une campagne de vaccination des 14-25 ans dont le succès a dépassé nos attentes puisqu’elle a permis, grâce à la mobilisation de tous, de vacciner 88 500 jeunes. J’ai également, au titre de ces priorités, saisi la HAS de la question du cannabis thérapeutique, comme je l’avais annoncé dans une lettre de couverture du 31 décembre.

Cela étant dit, la loi prévoit un ratio de qualité puisqu’il s’agit d’un ratio minimal de soignants par lit ouvert. Or je ne souhaite pas que cette disposition aboutisse à la fermeture de lits au motif que le ratio ne serait pas atteint. Elle doit donc être appliquée de manière progressive. Comme je l’ai indiqué lors de l’examen du texte, il convient de donner la priorité à deux catégories de personnels – aides-soignants et infirmiers – et à certains secteurs tels que la néonatologie – la question sera abordée lors de la révision du décret de 1998 – et les soins palliatifs, voire la santé mentale. La loi ayant fixé un principe général, il me paraît judicieux de procéder de cette manière.

S’agissant de la pénurie de médicaments, l’enjeu dépasse le cadre strictement français : il y va de la souveraineté sanitaire. La solution ne pourra être trouvée qu’à l’échelon européen. Néanmoins, nous avons pris les mesures qui pouvaient l’être pour juguler cette pénurie, particulièrement alarmante en ce qui concerne les médicaments psychotropes : substitution thérapeutique, non-introduction de nouvelles molécules, interdiction faite aux grossistes répartiteurs de livrer à l’étranger, autorisation de préparations magistrales en cas de nécessité et dispensation des médicaments à l’unité, adoptée dans le cadre de la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

Cela étant, il convient de relocaliser en Europe la production des principes actifs, qui sont, pour la plupart, fabriqués en Asie ou aux États-Unis. Ainsi, l’implantation d’une usine dans ma circonscription permettra de produire suffisamment de paracétamol pour couvrir 60 % des besoins européens. La pénurie à laquelle vous faites référence est due à une rupture de production dans une usine située en Grèce – ce qui illustre l’interdépendance qui prévaut dans ce secteur. La question sera évoquée lors du Conseil européen des ministres de la santé qui se tiendra prochainement au Luxembourg, dans le cadre des propositions de la présidence polonaise sur le paquet pharmaceutique. Dans le contexte géopolitique actuel et face à la menace du président des États-Unis de taxer les médicaments, l’Europe doit rester compétitive, ce qui suppose de renforcer la recherche et développement et d’être suffisamment attractif pour relocaliser la production des molécules et, surtout, éviter les délocalisations de notre industrie pharmaceutique.

La solution est complexe et ne dépend pas uniquement de la volonté de la France. Encore une fois, nous avons pris toutes les mesures que nous pouvions prendre pour juguler la pénurie de médicaments, mais elles sont forcément insuffisantes dès lors que nous ne maîtrisons pas l’ensemble de la chaîne de production.

S’agissant des pharmaciens sanctionnés par l’ordre, je serai prudent, puisque je m’exprime devant une commission d’enquête. Ces faits ont fait l’objet, hier, d’une question au gouvernement qui m’a été posée par une sénatrice, élue d’un autre département que celui où ces pharmaciens exercent. La loi autorise bien les pharmaciens à dispenser les médicaments à l’unité en cas de pénurie ; aucun d’entre eux ne doit donc être sanctionné pour cette raison, s’il respecte la loi et les recommandations de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Dans le cas d’espèce, je puis vous dire, puisque j’en connais les tenants et les aboutissants, que la sanction prononcée par le Conseil national de l’ordre des pharmaciens, qui fera d’ailleurs l’objet d’un recours, porte sur des faits qui ne se limitent pas à la dispensation de médicaments à l’unité. Elle obéit à des motifs disciplinaires et concerne, non pas deux pharmacies distinctes, mais une pharmacie et son antenne. Je n’en dirai pas davantage.

M. Guillaume Garot (SOC). Je souhaite revenir, non pas sur la question de la régulation de l’installation des médecins – vous avez exprimé votre point de vue à ce sujet ce matin –, mais sur l’application de certaines dispositions adoptées par le législateur. Je pense en particulier à la loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux. Diverses mesures y ont été introduites à la suite de l’adoption d’amendements déposés par un groupe transpartisan, qui prévoient, d’une part, l’ouverture du contrat d’engagement de service public (CESP) dès la deuxième année d’étude afin de démocratiser l’accès aux études de médecine, d’autre part, la limitation du cumul dans le temps des aides à l’installation, qui ont produit un effet d’aubaine sans améliorer réellement la répartition des installations de nos médecins. Où en est l’application de ces deux mesures ?

M. Yannick Neuder, ministre. Je ne veux pas m’exonérer de mes responsabilités mais, je le répète, je suis le quatrième ministre de la santé à avoir été nommé en 2024. J’ai donc dû faire face à un encombrement de dossiers. Néanmoins, les décrets relatifs à la primo-prescription par les infirmiers en pratique avancée (IPA) et aux Padhue ont été publiés et ceux qui portent sur la quatrième année de médecine générale et les docteurs juniors, attendus depuis dix-huit mois, le seront avant le 14 juillet.

S’agissant de l’attribution du CESP dès la deuxième année d’étude, le décret devrait être publié en juin en vue d’une application en septembre. Quant à la limitation du cumul des aides dans le temps, j’ai l’intention de l’appliquer au plus vite, mais je ne peux pas vous citer une date précise.

M. le président Jean-François Rousset. Yannick Monnet et moi travaillons à un rapport de la Mecss (mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale) sur l’évaluation des aides à l’installation des médecins, qui devrait être publié la semaine prochaine. Nous y abordons les deux questions soulevées par M. Garot. Un peu de patience, donc.

M. Guillaume Garot (SOC). Je parlais de dispositions que nous avons adoptées.

M. le président Jean-François Rousset. J’apportais cette précision pour souligner l’existence de réflexions transpartisanes sur ces questions.

M. Yannick Neuder, ministre. J’ai la réponse, monsieur Garot : le décret relatif à la limitation du cumul des aides dans le temps a été publié le 12 mars.

M. Guillaume Garot (SOC). Parfait. Merci !

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Force est de constater qu’il est très difficile pour les directeurs d’hôpital public d’avoir un management efficace des praticiens hospitaliers (PH), qui sont soumis au pouvoir disciplinaire du Centre national de gestion (CNG). Sans aller jusqu’à mettre en œuvre une organisation analogue à celle des cliniques privées, ne faudrait-il pas renforcer les pouvoirs du directeur de manière à étendre ses compétences au personnel médical ?

M. Yannick Neuder, ministre. La question de la gouvernance a fait l’objet de différents travaux. La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) a fixé un principe – un seul patron à l’hôpital – qui a suscité beaucoup d’interrogations. J’entends les difficultés que vous évoquez, mais je connais de nombreux établissements où les choses se passent bien.

À l’instar d’un maire et de son secrétaire général ou de son directeur général des services, le directeur de l’hôpital et la communauté médicale forment un couple qui doit faire avancer les choses, chacun dans son rôle. Si l’on aborde l’efficacité du couple sous le seul angle du pouvoir, on se trompe. Il n’y a pas d’enjeux de pouvoir. En tant que chef de pôle, j’avais besoin du directeur pour appliquer l’organisation de l’offre de soins qui me paraissait la plus efficiente, dont il était chargé de l’aspect opérationnel – il m’indiquait parfois que les contraintes budgétaires rendaient impossible l’application d’une mesure. Olivier Claris, président de la CME des Hospices civils de Lyon, a produit un rapport intéressant sur la gouvernance de l’hôpital public.

Force est de constater que le modèle des centres de cancérologie, dont le directeur est de formation médicale, fonctionne bien. Nous l’avons testé, du reste : le directeur général du CHU de Strasbourg, comme certains directeurs d’ARS, est un médecin. Toutefois, je n’ai pas perçu de différences notables avec les autres établissements. Il s’agit surtout, me semble-t-il, d’une affaire de personne.

Faut-il renforcer les pouvoirs du directeur ? Je ne sais pas. Le Centre national de gestion gère les carrières et exerce un pouvoir disciplinaire, le président de la CME assure la bonne conduite de la politique médicale de l’établissement… Je serais davantage partisan d’une acculturation du monde médical à l’aspect extramédical de la gestion d’un établissement, car si la médecine n’a pas de prix, elle a un coût. D’un côté, le directeur n’est pas là pour empêcher systématiquement l’action des équipes médicales et paramédicales. De l’autre, ces équipes doivent comprendre les contraintes auxquelles il est soumis. Je ne sais pas si cela peut se régler par un rapport de force.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Vous avez fait référence au couple que forment le maire et son directeur général des services. Mais le maire est le seul patron de sa commune. S’il faut parler d’un couple à propos de l’hôpital, ce serait de celui que forment le directeur et le président de la CME.

N’est-il pas contradictoire de souhaiter que l’offre de soins soit organisée au plus près des territoires et de s’en remettre au CNG, qui est une instance nationale ? Certes, c’est en partie une question de personne. Mais le manque de médecins est tel que ces derniers ont acquis un pouvoir injuste et inégalitaire, puisqu’ils peuvent, même si c’est loin d’être une généralité, se livrer à un chantage au départ pour refuser des directives du directeur de l’établissement. Peut-être un renforcement du couple formé par le directeur et le président de la CME permettrait-il de mettre de l’huile dans les rouages. En tout cas, il conviendrait, à tout le moins, que le pouvoir disciplinaire ne soit pas forcément exercé au niveau national par le CNG mais puisse être transféré au conseil de l’ordre départemental, ce qui permettrait d’ailleurs de réduire le délai dans lequel les décisions sont prises, qui est parfois très long.

M. Yannick Neuder, ministre. Je vais aborder le sujet sous un autre angle. Au-delà de la question de la gouvernance et du rapport de force, il serait intéressant de développer la délégation de gestion au pôle ou au service, en particulier dans les grands établissements, dont l’organisation pyramidale peut gêner les équipes médicales et paramédicales. Un tel mécanisme de subsidiarité permet à un trio de pôle – composé d’un chef de pôle, d’un cadre paramédical et d’un directeur administratif – ou à un trio de service de gérer les ressources humaines, les moyens matériels, l’investissement et la réorganisation de l’offre de soins. Dans l’établissement où j’exerçais, qui emploie 10 000 personnes, il est beaucoup plus facile de s’organiser ainsi. Ce mécanisme, qui n’exclut pas les contrôles, permettrait, me semble-t-il, de régler bon nombre de problèmes.

Par ailleurs, il est vrai que l’autorité ne s’exerce pas de la même façon selon qu’il s’agit d’un praticien hospitalier, qui relève du CNG, ou d’un praticien hospitalo-universitaire, qui relève d’une juridiction propre. Peut-être le CNG pourrait-il être un peu plus proche du terrain. En tout cas, je le rappelle, la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite Rist 1, a réaffirmé que le binôme composé du directeur général et du président de la CME est une instance de gouvernance de l’établissement.

M. Christophe Naegelen, rapporteur. Dans le cadre de la permanence des soins en établissement de santé (PDSES), les praticiens, qu’ils travaillent dans le public ou le privé, sont majoritairement rémunérés par la solidarité nationale. Pourtant, on ne demande pas la même chose aux uns et aux autres, et l’on constate une petite carence de l’hôpital public dans le domaine de la permanence des soins, voire dans l’accueil aux urgences.

Comment la relation entre les secteurs public et privé doit-elle être organisée au niveau départemental pour améliorer le service rendu à la population ? On constate en effet un essoufflement des praticiens hospitaliers du public : moins bien rémunérés, ils assurent des permanences plus importantes et ressentent donc un profond sentiment d’injustice et d’inégalité.

Pour revenir rapidement sur les questions de gouvernance, les problématiques ne sont pas les mêmes dans un CHU comme celui dans lequel vous travailliez et l’hôpital de ma circonscription, qui emploie 700 personnes. Les problèmes de main-d’œuvre médicale sont certainement moins aigus dans le premier que dans le second établissement. C’est en pensant à ces petits établissements que j’évoquais la nécessité de renforcer le pouvoir de la direction.

M. Yannick Neuder, ministre. Vous avez raison : les enjeux de gouvernance, voire de pouvoir, dépendent en partie de la taille des établissements. Je crois que le groupement hospitalier de territoire (GHT) renforcé, c’est-à-dire un GHT de deuxième génération, peut être une solution. J’ai en effet pu constater que la dualité – pour le dire ainsi – qui peut exister entre la communauté médicale et le directeur général d’un établissement de proximité était atténuée dans ce cadre, grâce à la dynamique territoriale impulsée par le directeur du centre hospitalier voisin plus important ou du centre hospitalier universitaire qui se trouve à la tête du GHT, et à la concertation entre les équipes médicales des différents établissements. Le fait que la gouvernance soit assurée au niveau du GHT apaise les tensions.

Par ailleurs, nous ne pouvons plus nous permettre une guerre entre le privé et le public. Dans ma circonscription, par exemple, la seule offre d’hospitalisation est celle d’une structure privée : si, demain, elle devait disparaître, l’hôpital public ne serait pas en mesure d’absorber la file active de patients. Il faut donc trouver le moyen de les faire travailler ensemble. Je crois beaucoup, à cet égard, à la subsidiarité. Je rencontre chaque mois les directeurs généraux des CHU et, chaque trimestre, les directeurs de l’ensemble des autres établissements. Je souhaite rassembler prochainement ces directeurs et les présidents de CME pour discuter de ces projets de territoire, qui incluraient, à terme, les acteurs du privé.

S’agissant de la permanence des soins en établissement de santé, nous devons être vigilants sur deux points. D’abord, il faut s’interroger sur la nécessité de maintenir cette permanence aux heures de nuit profonde. En effet, je ne suis pas certain que nous utilisions au mieux la ressource médicale en mobilisant, pour deux interventions nocturnes, un praticien qui, le lendemain, bénéficiera d’un repos de garde, s’il est hospitalier, ou devra assurer cinquante consultations, s’il est libéral.

Ensuite, il y a des limites à la mutualisation. Pardon de me référer à mon expérience personnelle mais, lorsque vous accueillez au milieu de la nuit un patient qui fait un infarctus, il est préférable que vous soyez dans votre bloc ou votre salle de coronarographie, entouré de votre personnel et équipé de votre matériel. On peut prévoir que, telle nuit, le médecin public sera de garde et que, le lendemain, ce sera au tour du médecin libéral. Mais si cela fonctionne sur le papier, car les pratiques sont relativement standardisées, chacun utilise le matériel de manière différente ; de plus, on se trouve dans une situation d’extrême urgence où chaque minute compte : il s’agit d’avoir le bon guide, le bon stent, la bonne voie d’abord. Intervenir une nuit tous les dix jours dans un bloc ou une salle de coronarographie que vous ne connaissez pas, avec du personnel que vous ne connaissez pas davantage, ne permet pas de garantir la sécurité des patients. Peut-être, même si je ne sous-estime pas les difficultés d’organisation administrative, est-ce envisageable dans le cadre d’équipes de prise en charge aux urgences. Mais s’agissant d’actes très techniques – le président Rousset, en tant que chirurgien, en parlerait mieux que moi –, les personnes ne sont pas interchangeables.

On ne peut qu’être favorable à une meilleure collaboration entre médecine publique et médecine privée à l’échelon territorial, mais cette évolution se heurte à des limites qui tiennent à des considérations techniques et à la sécurité des patients.

M. le président Jean-François Rousset. Il ne faut en effet jamais mélanger sécurité, proximité et disponibilité. La médecine ou la chirurgie est un art ; il est certes fondé sur la science, mais les artistes ont besoin de leurs propres pinceaux et chevalet.

Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre disponibilité, la qualité et la longueur de vos réponses. Je rappelle que vous pouvez nous transmettre par écrit toute information complémentaire que vous jugerez utile de porter à notre connaissance.

Puisque nous examinerons le rapport dans un mois, je tiens à remercier tous ceux qui nous ont permis de réaliser nos auditions, lesquelles se sont enchaînées à un rythme parfois soutenu, ainsi que les personnes que nous avons entendues pour le temps qu’elles nous ont consacré.