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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 juillet 2025.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE visant
à condamner la politique de ségrégation imposée aux femmes afghanes par le régime des talibans et à prendre des mesures appropriées pour mettre un terme aux atteintes à leurs droits fondamentaux,
PAR Mme Caroline YADAN,
Députée
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Voir les numéros : 1150 et 1572.
SOMMAIRE
Pages
I. Une régression sans précédent pour les femmes afghanes
A. Une oppression systématique dans tous les domaines de la vie
2. L’exclusion du travail et de la vie publique
3. Des restrictions de liberté et un isolement forcé
4. L’oppression dans la sphère privée
5. Un climat de terreur et des violences de genre
B. Des conséquences humanitaires et sociétales dramatiques
II. Une condamnation mondiale qui ne suffit pas à briser l’intransigeance des talibans
A. Une réprobation internationale quasiment unanime
B. L’immobilisme d’un régime indifférent aux pressions
III. Des mesures renforcées et actualisées
A. Accentuer la pression internationale
1. Isoler diplomatiquement le régime taliban
2. Mobiliser la justice internationale contre l’impunité
B. Accueillir en priorité les femmes afghanes les plus menacées
C. Soutenir la société civile afghane, y compris en exil
1. Maintenir un lien avec le peuple afghan par l’aide humanitaire
2. Appuyer les médias libres et l’éducation à distance en exil
D. Assurer un suivi diplomatique renforcé et coordonné dans la durée
À partir d’août 2021, le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan a provoqué une régression brutale et sans précédent des droits des femmes et des filles afghanes. En l’espace de quelques semaines, celles-ci ont été quasiment effacées de la vie publique : exclusion des écoles et universités, interdiction de la plupart des emplois, obligation de porter le voile intégral, restriction drastique de la liberté de mouvement et d’expression, etc.
Cette politique systématique de ségrégation de genre – que l’on peut qualifier d’« apartheid de genre » – vise à faire disparaître les Afghanes de tous les domaines de la vie sociale. Elle constitue une atteinte profonde aux droits humains les plus fondamentaux, en violation flagrante de la Déclaration universelle des droits de l’homme et de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. De plus en plus de voix considèrent qu’il s’agit d’une persécution fondée sur le genre pouvant relever des crimes contre l’humanité au sens du statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), et le procureur de cette même cour a d’ailleurs requis des mandats d’arrêt le 23 janvier 2025 contre deux dirigeants talibans pour persécution de genre, une première historique.
Face à cette situation dramatique, la communauté internationale a largement condamné les agissements du régime taliban. Les Nations unies, l’Union européenne, la France et de nombreux États, y compris des pays à majorité musulmane, ont exigé à maintes reprises l’abrogation des mesures liberticides visant les Afghanes.
Malgré ces pressions diplomatiques et des sanctions ciblées, les talibans persistent et ont même durci leur politique au fil du temps. Cette intransigeance appelle à renforcer et à repenser l’action internationale en faveur des Afghanes.
C’est dans cette logique que la rapporteure a déposé, dès 2024, la proposition de résolution européenne en discussion, visant à condamner fermement la ségrégation imposée aux femmes afghanes et à promouvoir des mesures concrètes pour y mettre un terme.
Adoptée en commission des affaires européennes et enrichie de plusieurs amendements le 11 juin 2025, cette résolution a été débattue le 8 juillet suivant par la commission des affaires étrangères, qui a souhaité elle-aussi se saisir de la question.
I. Une régression sans précédent pour les femmes afghanes
La prise de Kaboul par les talibans le 15 août 2021 a brutalement interrompu les progrès, fragiles mais bien réels, accomplis en Afghanistan entre 2001 et 2021 en matière de droits des femmes. Durant ces deux décennies, sous la République islamique d’Afghanistan soutenue par la communauté internationale, les Afghanes avaient progressivement retrouvé une place dans la société : les filles ont pu retourner à l’école et accéder à l’enseignement supérieur ; des femmes ont exercé des emplois publics et privés et se sont impliquées dans la vie culturelle, économique et politique du pays. À titre d’illustration, le nombre de femmes inscrites dans l’enseignement supérieur avait été multiplié par près de vingt entre 2001 et 2021 en passant d’environ 5 000 à plus de 100 000 étudiantes, juste avant le retour des talibans. De même, les écoles primaires accueillaient plus de 2,5 millions de filles en 2018 alors qu’elles étaient quasi inexistantes en 2001.
Ces avancées s’accompagnaient d’une amélioration du taux d’alphabétisation féminin, passé d’environ 17 % à 30 % entre 2001 et 2021, et d’une présence significative des femmes dans la fonction publique, où elles représentaient près du quart des agents de l’État en 2021 ([1]). Certaines occupaient des postes de responsabilité – députées, magistrates, professeures, médecins, journalistes – et la Constitution afghane de 2004 garantissait l’égalité des droits (dans les limites de la charia). Bien sûr, la situation des Afghanes restait difficile dans de nombreuses régions rurales mais l’accès à l’éducation et au travail était progressivement reconnu comme un droit fondamental, et une génération de femmes instruites était née.
L’arrivée des talibans a mis fin à ces avancées en un temps record. Malgré quelques déclarations initiales se voulant rassurantes – promettant entre autres de respecter « les droits des femmes dans le cadre des règles de l’islam » –, le nouveau régime fondamentaliste a très vite renoué avec les pratiques extrémistes de son premier règne (1996-2001). Dès septembre 2021, les premiers décrets ont donné le ton : les femmes travaillant dans l’administration ont été renvoyées chez elles, le ministère des affaires féminines a été supprimé et remplacé par le ministère de la promotion de la vertu et de la prévention du vice, chargé de faire respecter une interprétation rigoriste de la charia, et un rappel à l’ordre général a enjoint les Afghanes de se conformer strictement aux codes vestimentaires et de conduite imposés. En quelques semaines, le régime taliban a ainsi délibérément exclu les femmes de l’espace public, rompant brutalement avec vingt ans de progrès. Ce retour en arrière est d’une ampleur et d’une soudaineté sans équivalent dans l’histoire contemporaine des droits des femmes.
A. Une oppression systématique dans tous les domaines de la vie
En un peu plus de trois ans, les talibans ont édicté une multitude de règles et d’interdictions ayant toutes le même objectif : confiner les femmes à la maison et les rendre invisibles dans la société afghane. Cette entreprise assumée de négation des femmes s’est déployée méthodiquement dans tous les domaines de la vie quotidienne, plongeant les Afghanes dans un régime de terreur et de soumission totale.
À partir de septembre 2021, les écoles secondaires (collèges et lycées) ont cessé d’admettre les filles. En mars 2022, les talibans ont officiellement interdit aux adolescentes d’étudier au-delà de la 6e année, ce qui les exclut en pratique de toutes les écoles secondaires. En décembre 2022, un décret a banni les jeunes femmes de l’enseignement supérieur, qu’il soit public ou privé : en conséquence, 1,1 million de filles se sont vu privées d’enseignement secondaire et environ 100 000 jeunes femmes ont été empêchées de poursuivre leurs études universitaires.
L’Afghanistan est ainsi devenu le seul pays au monde où les filles n’ont plus le droit d’aller à l’école après l’enfance ni d’accéder à l’université. Cet anéantissement du droit à l’éducation pour la moitié de la jeunesse constitue sans doute la mesure la plus symbolique et la plus lourde de conséquences à long terme.
2. L’exclusion du travail et de la vie publique
Les talibans ont banni les femmes de la quasi-totalité des emplois rémunérés. Dès août-septembre 2021, les employées de la fonction publique ont été écartées, hormis quelques rares soignantes et enseignantes du primaire. Fin 2021, plusieurs ex-policières ou fonctionnaires ayant protesté ont été arrêtées et certaines assassinées impunément. Par la suite, les interdictions de travailler se sont étendues à d’autres secteurs : en décembre 2022, les Afghanes ont perdu le droit de travailler pour des organisations non gouvernementales (ONG) nationales ou internationales, ce qui a conduit de nombreuses organisations humanitaires à suspendre leurs activités faute de personnel féminin autorisé. Puis en avril 2023, les talibans ont étendu cette interdiction aux postes au sein des agences des Nations unies, provoquant une condamnation mondiale : une résolution spécifique du Conseil de sécurité en avril 2023 a dénoncé cette mesure sans précédent ([2]).
En pratique, aujourd’hui aucune femme ne peut plus exercer d’activité professionnelle en Afghanistan en dehors de quelques métiers de santé ou de l’éducation primaire tolérés. Tous les postes de responsabilité – par exemple ceux de juge, directrice d’administration, d’élue locale – occupés par des femmes sous le gouvernement précédent ont été attribués à des hommes.
Politiquement, le « gouvernement » taliban formé à Kaboul est exclusivement masculin : pas une seule femme n’y figure, ni ne figure à aucun échelon de l’administration de l’Émirat islamique. De manière générale, les femmes sont bannies de toute participation à la vie publique, que ce soit dans les médias, les arts, les institutions ou tout espace collectif. Même des activités modestes ont été visées puisque, par exemple, en juillet 2023, un décret a ordonné la fermeture de tous les salons de beauté tenus par des femmes, supprimant l’une des dernières sources de revenu indépendantes pour des milliers d’entre elles (environ 60 000 emplois féminins perdus du jour au lendemain).
3. Des restrictions de liberté et un isolement forcé
La volonté d’invisibiliser les Afghanes passe aussi par un strict contrôle de leurs déplacements et de leur apparence. Les femmes ne peuvent plus se déplacer librement à l’extérieur de leur domicile. Les talibans ont ainsi très rapidement réinstauré l’obligation pour une femme d’être accompagnée d’un mahram (gardien masculin de la famille) pour tout trajet, d’abord au-delà d’une distance de 72 kilomètres, puis pour n’importe quel voyage quelle qu’en soit la distance. Sortir de chez soi sans être couverte de pied en cap est passible de sanctions sévères : depuis mai 2022, un décret impose le port d’un voile intégral (burqa couvrant le visage, ou a minima un hijab assorti d’un masque épais dissimulant tout le visage) à toute Afghane quittant son domicile. Les contrevenantes s’exposent à des châtiments corporels (arrestations et fouet en public ont été documentés à l’encontre de femmes dont le voile était jugé « mal ajusté »).
En novembre 2022, les talibans ont de surcroît interdit l’accès des femmes à la plupart des lieux publics : parcs et jardins, salles de sport, bains publics (hammams), même lorsque ces espaces étaient non mixtes. Les femmes n’ont plus le droit non plus de prendre les transports interurbains seules. En 2024, les restrictions se sont encore accentuées : un nouveau « code de conduite » promulgué à l’été 2024 – surnommé « loi du voile et du silence » – prohibe tout contact visuel entre une femme et un homme qui n’est pas de sa famille et interdit aux femmes de chanter, de réciter des poèmes ou de faire entendre leur voix en public.
En somme, hors de leur foyer, les Afghanes n’ont quasiment plus le droit ni d’être vues, ni d’être entendues.
4. L’oppression dans la sphère privée
Enfermées chez elles, privées d’éducation et de travail, des millions de femmes et de jeunes filles se retrouvent entièrement dépendantes de leurs familles et à la merci des rapports de force traditionnels. L’absence totale de perspectives d’études ou d’emploi a favorisé une recrudescence des mariages précoces et forcés, ainsi que d’autres pratiques néfastes comme le travail des enfants. Des familles appauvries et désespérées en viennent à marier leurs filles mineures afin d’alléger leurs charges ou d’obtenir la dot, exposant ces enfants à des abus, à des grossesses adolescentes et à l’abandon de toute instruction.
Selon les données d’ONU Femmes, environ 80 % des filles et jeunes femmes afghanes en âge d’être scolarisées ne le sont plus, et 61 % de l’ensemble des Afghanes avaient déjà perdu leur emploi ou leur source de revenu dès la fin 2022 ([3]).
Le système de santé étant par ailleurs en plein effondrement, les Afghanes rencontrent d’énormes difficultés d’accès aux soins, en particulier dans les domaines de la santé maternelle et reproductive. Elles ne peuvent plus consulter de médecins hommes, sauf en présence d’un chaperon, ce qui est un frein majeur, tandis que les femmes médecins sont de moins en moins nombreuses à exercer : à Kaboul, un règlement impose même une stricte ségrégation dans les hôpitaux, empêchant les soignants masculins de traiter des patientes et vice versa.
Cette conjonction de facteurs (confinement à domicile, dépendance accrue, absence de soins, peur permanente) a créé un terreau propice à la multiplication des violences domestiques et aux abus intrafamiliaux, d’autant que les mécanismes d’aide aux victimes (centres d’accueil, lignes d’assistance, structures juridiques) ont été démantelés ou interdits par les autorités de fait.
5. Un climat de terreur et des violences de genre
Le régime taliban gouverne par la peur, n’hésitant pas à recourir à la violence physique pour imposer ses règles sexistes. La police des mœurs traque activement les contrevenantes : des femmes accusées d’avoir enfreint le code vestimentaire ou d’être sorties sans chaperon ont été publiquement battues pour l’exemple. Des vidéos clandestines authentifiées montrent des agents talibans fouettant des passantes dans la rue pour un voile considéré comme inadéquat. Par ailleurs, toute protestation féminine, même pacifique, est brutalement réprimée. Les rares manifestations de rue organisées par des femmes courageuses ont été dispersées par la force. Des dizaines de militantes et d’enseignantes qui réclamaient le droit à l’éducation ont été arrêtées arbitrairement, emprisonnées dans des conditions dégradantes, et parfois torturées pendant leur détention. Si quelques-unes ont fini par être relâchées, ce fut au prix de menaces et de la promesse arrachée de garder le silence. Le sort tragique de plusieurs figures du combat féministe afghan illustre la cruauté du régime : en novembre 2021, quatre militantes des droits des femmes, dont la célèbre Frozan Safi, ont été attirées dans un guet-apens à Mazar-i-Sharif et assassinées par des agents talibans ([4]). Ce climat de violence et d’impunité vise à étouffer toute contestation : la plupart des Afghanes n’ont désormais d’autre choix que de se cacher ou de se soumettre, dans la peur quotidienne des représailles.
En somme, les talibans ont méthodiquement supprimé, un à un, tous les droits et libertés dont avaient pu bénéficier les femmes afghanes pendant les vingt années précédentes. Dès juin 2022, la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme de l’époque, Mme Michelle Bachelet, dénonçait « une oppression institutionnalisée et systématique des femmes » en Afghanistan. Chaque aspect de la vie d’une Afghane est désormais contrôlé et restreint : habillement, déplacements, droit à l’éducation, au travail, aux loisirs, à la parole, et même droit à l’intégrité de son foyer. Aucune autre population féminine au monde n’est actuellement soumise à un régime aussi extrême. Comme l’a souligné en 2023 le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme en Afghanistan, « nulle part ailleurs on n’observe une attaque aussi large, systématique et exhaustive contre les droits des femmes et des filles qu’en Afghanistan » ([5]). Les talibans cherchent littéralement à faire disparaître les femmes de l’espace public, voire à nier leur humanité. Cette situation constitue, de l’avis de nombreux observateurs, l’une des plus graves régressions en matière de droits humains de ce début de XXIe siècle.
B. Des conséquences humanitaires et sociétales dramatiques
Au-delà de la violation directe des droits fondamentaux des Afghanes, la ségrégation instaurée par les talibans entraîne des conséquences humanitaires et sociétales désastreuses pour l’ensemble de la population afghane. En excluant 50 % des habitants de presque toutes les sphères de la vie, le régime a plongé le pays dans une crise profonde dont les femmes et les enfants sont les premières victimes.
Sur le plan économique et social, l’interdiction de travail frappant la majorité des Afghanes a privé des millions de familles du revenu que ces femmes apportaient auparavant. Dans un contexte de grave crise économique et d’isolement international, cette perte a fait basculer d’innombrables foyers dans la misère. On estime qu’en 2023, 58 % des ménages afghans ne parvenaient pas à couvrir leurs besoins alimentaires et vitaux de base.
Beaucoup de foyers sont aujourd’hui dirigés par des veuves ou des femmes (après des décennies de guerre ayant décimé une partie des hommes) ; or ces femmes cheffes de famille n’ont plus le droit de gagner leur vie du tout. Il en résulte une dépendance accrue à l’égard de l’aide humanitaire internationale, laquelle peine cependant à parvenir jusqu’aux intéressées du fait des restrictions imposées aux ONG (interdiction d’employer des femmes, entraves bureaucratiques, climat d’intimidation). Les Nations unies estiment qu’en 2023‑2024, environ 20 millions d’Afghans – soit la moitié de la population du pays – dépendaient de l’assistance humanitaire pour survivre, les femmes
– notamment les mères isolées – figurant parmi les plus exposées au risque de malnutrition dans ce contexte ([6]). L’absence de revenus féminins, conjuguée à l’arrêt de la plupart des financements internationaux, a donc un impact direct sur la faim et la pauvreté en Afghanistan.
Sur le plan sanitaire, la situation des Afghanes s’est également fortement détériorée. La mortalité maternelle, déjà très élevée, s’est aggravée faute de soins disponibles pour les femmes enceintes. On observe aussi une dégradation alarmante de la santé mentale des femmes et des jeunes filles. Les associations font état d’une recrudescence de la dépression, du stress post-traumatique et même de tentatives de suicide chez de jeunes femmes soudain privées d’éducation, d’emploi et d’espoir d’avenir. « Le seul droit qu’il nous reste est celui de respirer » ([7]), confiait amèrement une ex-étudiante contrainte à l’oisiveté forcée.
Les privations et violences subies ont également accru les violences domestiques, beaucoup de femmes se retrouvant enfermées avec des conjoints ou parents potentiellement maltraitants sans possibilité de chercher du secours à l’extérieur. L’accès aux soins étant de plus en plus difficile – seules 10 % des Afghanes déclarant pouvoir couvrir leurs besoins de santé essentiels en 2022 ([8]) –, la détresse physique et psychologique des femmes atteint un niveau critique.
Enfin, c’est toute une génération de jeunes Afghans qui grandit dans un environnement dévasté sur le plan éducatif et social. Les petites filles, bien sûr, pâtissent en premier lieu de l’absence d’éducation et de perspectives ; on parle déjà d’une génération perdue de filles analphabètes, dont le potentiel sera très difficile à rattraper. Mais les garçons eux-mêmes subissent les effets de cette politique discriminatoire : élevés dans l’idée que leurs mères et sœurs n’ont aucun droit ni aucune valeur sociale, ils sont privés d’une éducation à l’égalité et au respect. Eux aussi voient leurs opportunités compromises par l’effondrement du système scolaire, beaucoup d’écoles étant transformées en madrassas prônant une idéologie extrémiste au détriment des matières générales. Faute d’alternatives, nombre de jeunes garçons sont retirés de l’école pour travailler ou même recrutés dans les rangs talibans. Cela semble indiquer qu’en plus de détruire les vies des femmes afghanes, la politique de ségrégation de genre des talibans compromet l’avenir du pays dans son ensemble.
Aucun développement significatif n’est envisageable lorsque la moitié de la population est systématiquement exclue de l’éducation et de la vie active. L’Afghanistan d’aujourd’hui se prive des talents, du travail et de la contribution de millions de femmes instruites qui auraient pu aider à redresser le pays. À terme, cette situation risque aussi d’alimenter l’extrémisme et l’instabilité : un pays ne peut trouver la paix en maintenant une partie de sa population dans l’ignorance, l’exclusion et la frustration. La condition faite aux femmes afghanes n’est donc pas qu’une question sociale interne, elle est également étroitement liée à la stabilité, à la prospérité et à la sécurité de l’Afghanistan et, par ricochet, de toute la région. La cause des femmes afghanes recoupe directement l’intérêt stratégique d’un Afghanistan pacifié et développé. C’est pourquoi le sort qui leur est réservé doit être au cœur des priorités internationales.
Face à la tragédie en cours, une mobilisation internationale a en effet eu lieu et le sort réservé aux Afghanes a suscité une indignation mondiale ainsi qu’une condamnation quasi unanime. Ces réactions se heurtent cependant jusqu’à présent à l’obstination du régime taliban, ce qui appelle un réexamen lucide des moyens d’action disponibles.
II. Une condamnation mondiale qui ne suffit pas à briser l’intransigeance des talibans
Face à cette politique d’effacement, la communauté internationale a réagi par des condamnations claires et répétées mais ces prises de position, si fermes soient-elles dans les mots, peinent à produire des effets concrets. Ni la pression diplomatique, ni les sanctions, ni les appels à la raison n’ont infléchi la ligne des talibans.
A. Une réprobation internationale quasiment unanime
Dès les premiers jours suivant la prise de pouvoir des talibans, la communauté internationale s’est mobilisée pour dénoncer ce régime arrivé par la force, lié à des réseaux terroristes et coupable de violations systématiques des droits humains, en particulier ceux des femmes et des filles. De nombreux États et organisations ont exprimé, en des termes sans équivoque, leur refus de reconnaître ou de légitimer l’autorité de fait installée à Kaboul.
Sur le plan multilatéral, l’Organisation des Nations unies (ONU) a adopté plusieurs textes fermes à l’encontre du régime taliban afin de poser des lignes rouges claires. Le 30 août 2021, quelques semaines après la chute de Kaboul, le Conseil de sécurité a ainsi voté la résolution 2593, qui exige le respect des droits humains fondamentaux en Afghanistan, « notamment les droits des femmes et des filles », comme condition essentielle de la stabilité du pays ([9]). Soutenue par l’ensemble des membres du Conseil, cette résolution a fixé cinq critères explicites à remplir par le régime afghan, incluant : la garantie de la liberté de circulation pour ceux qui souhaitent quitter le territoire, l’accès sans entrave de l’aide humanitaire, la formation d’un gouvernement représentatif et, bien sûr, la protection des droits des femmes.
Face à la dégradation continue de la situation, le Conseil de sécurité a dû revenir sur le sujet : le 27 avril 2023, il a adopté la résolution 2681 ([10]), qui condamne explicitement « l’interdiction sans précédent imposée aux femmes afghanes de travailler pour les Nations Unies » ainsi que les « violations systématiques des droits des femmes et des filles » commises par les talibans. Le Conseil a souligné que ces mesures rétrogrades « auraient un impact négatif sévère sur les opérations d’assistance en Afghanistan » et a enjoint les talibans d’y mettre fin sans délai. Parallèlement, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a mis en place en 2022 un mécanisme de suivi de la situation en Afghanistan, et a adopté en juillet 2023 une résolution condamnant la discrimination de genre imposée par les autorités de fait ([11]). Plus récemment, en septembre 2024, lors d’une session spéciale à Genève consacrée aux femmes afghanes, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, M. Volker Türk, a exprimé sa « répugnance » face à la promulgation de la nouvelle loi morale talibane, y voyant « une répression sans équivalent des femmes dans le monde ». Il a explicitement qualifié la politique des talibans d’« apartheid de genre » et a appelé tous les États à agir de concert pour y mettre fin et pour demander des comptes aux responsables de ces atteintes aux droits humains.
De nombreux acteurs du monde musulman ont également condamné les pratiques talibanes à l’égard des femmes, ce qui illustre l’isolement de Kaboul, y compris sur le plan religieux. L’Organisation de la Coopération Islamique (OCI), qui rassemble 57 pays musulmans, a publiquement désapprouvé les interdictions d’éducation imposées aux filles. Son secrétaire général a déclaré à plusieurs reprises, en décembre 2022 et en janvier 2023, que « la décision d’interdire aux femmes et aux filles l’accès à l’éducation est contraire à l’enseignement islamique » et a exhorté les talibans à revenir sur ces mesures injustifiables. Des dignitaires religieux de pays à majorité musulmane – y compris d’Arabie saoudite, d’Égypte, du Pakistan – ont émis des fatwas ou des déclarations rappelant que rien, dans l’islam, n’interdit l’éducation des filles ni le travail des femmes. Ainsi, la rhétorique des talibans prétendant justifier leur politique au nom de la religion a été publiquement réfutée par des autorités islamiques éminentes, ce qui prive le régime de la caution religieuse qu’il cherche souvent à invoquer.
L’Union européenne (UE), de son côté, a adopté une ligne très ferme. Dès le 16 septembre 2021, le Parlement européen a voté une résolution appelant à la protection des femmes afghanes et à la mise en place d’un programme spécial de visas humanitaires en leur faveur, ainsi qu’envers les personnes vulnérables menacées par le nouveau régime ([12]). L’UE a rapidement fait savoir qu’aucune reconnaissance du régime taliban n’était envisageable, ni aucun contact officiel avec lui, tant que les droits fondamentaux des femmes ne seraient pas rétablis.
Au fil des mois, le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères, M. Josep Borrell, est intervenu à de multiples reprises pour dénoncer l’« effacement » en cours des Afghanes. En mars 2022, au lendemain de la fermeture des collèges de filles, puis en décembre 2022 après l’interdiction universitaire, il a condamné la privation d’éducation infligée à plus d’un million de jeunes Afghanes. Le 26 août 2024, Josep Borrell a exprimé sa consternation après la promulgation de la fameuse loi du voile et du silence, imposée aux femmes, estimant qu’elle « prive effectivement les Afghanes de leur droit fondamental à la liberté d’expression ». L’Union européenne a réaffirmé à cette occasion « se tenir aux côtés des femmes et des filles d’Afghanistan » et a enjoint les talibans de « mettre un terme immédiat à ces abus systématiques ». Des déclarations similaires ont été adoptées par tous les États membres de l’UE, témoignant d’un front uni européen.
Il convient de souligner que la France, en particulier, a adopté l’une des attitudes les plus fermes envers le régime de Kaboul. Le gouvernement français, dès août 2021, a déclaré qu’il ne reconnaîtrait pas l’Émirat islamique des talibans. Le 15 août 2024, à l’occasion du triste troisième anniversaire de la chute de Kaboul, le porte-parole du ministère français des affaires étrangères a rappelé le « refus de toute reconnaissance internationale des talibans » tant qu’ils ne respecteraient pas les obligations fixées par l’ONU, condamnant « les violations graves et répétées » des droits des femmes et affirmant qu’« aucun retour à la normale ne sera envisageable sans l’arrêt de ces violences ».
De manière générale, les pays occidentaux ont maintenu le régime taliban dans un isolement diplomatique quasi-total : la plupart ont fermé leurs ambassades à Kaboul, suspendu toute coopération politique ou économique, en dehors de l’aide humanitaire d’urgence, et continuent de considérer l’ancien drapeau et l’ancien gouvernement afghan comme les représentants légitimes dans certaines instances. Ainsi, le siège de l’Afghanistan à l’ONU reste occupé par un représentant de l’ancien gouvernement, les talibans n’ayant pas été accrédités. Aucun pays, y compris les voisins de l’Afghanistan, n’a à ce jour reconnu officiellement l’autorité des talibans, pas même le Pakistan, pourtant historiquement proche de ce mouvement, ni le Qatar, pourtant hôte d’un bureau politique taliban.
Cet unanimisme mondial, rare, a délégitimé le régime taliban sur la scène internationale et a fait des droits des Afghanes un enjeu universel, dépassant le cadre d’une affaire « interne ».
En parallèle des États et organisations internationales, de nombreuses ONG et voix de la société civile mondiale se sont mobilisées pour alerter sur le sort des Afghanes. Des prix et distinctions ont été décernés à des militantes afghanes, afin de braquer les projecteurs sur leur combat : le prix Sakharov 2023 du Parlement européen, par exemple, a honoré « les femmes d’Afghanistan qui luttent pour l’égalité ». Des organisations de défense des droits humains telles qu’Amnesty International ou Human Rights Watch publient régulièrement des rapports détaillant les abus commis et appelant à une action internationale plus vigoureuse. Des campagnes médiatiques et pétitions mondiales dénoncent ce qu’on n’hésite plus à appeler le « génocide culturel » des femmes afghanes. Cette solidarité internationale, moralement précieuse, maintient la visibilité du drame afghan et confirme qu’aucune puissance significative ne défend publiquement les mesures misogynes de Kaboul. Bien au contraire, un consensus global
– transcendant les clivages géopolitiques, culturels ou religieux – considère ces actes comme inacceptables et contraires aux valeurs universelles.
Ce consensus de principe a permis d’isoler politiquement le régime taliban et de poser un cadre de non-reconnaissance clair. Pour autant, il faut constater qu’il n’a pas suffi jusqu’ici à changer la réalité sur le terrain. L’unanimité de la condamnation verbale ne s’est pas encore traduite par des avancées concrètes pour les Afghanes, ce qui amène la communauté internationale à s’interroger sur l’efficacité de sa réponse.
B. L’immobilisme d’un régime indifférent aux pressions
Malgré l’indignation générale et les innombrables déclarations de principe, la situation concrète des femmes en Afghanistan n’a connu aucune amélioration depuis août 2021 ; elle s’est au contraire détériorée mois après mois. Ce constat amer souligne les limites de la réponse internationale actuelle et les obstacles qui entravent une action plus efficace.
En effet, les talibans demeurent sourds aux pressions morales. Les condamnations verbales – y compris les résolutions onusiennes – ont eu peu ou pas d’impact observable sur leur comportement. Retranchés dans une posture idéologique inflexible, les dirigeants talibans – au premier rang desquels le « commandeur des croyants » Haibatullah Akhundzada – se montrent indifférents à leur isolement diplomatique. Chaque critique étrangère de leur politique est balayée d’un revers de main comme une ingérence occidentale ou une attaque contre leur interprétation de la charia. Ainsi, après presque chaque appel international en faveur des Afghanes, le régime a publiquement réaffirmé qu’il « ne fera pas de compromis sur l’application de la loi islamique ».
Concrètement, depuis leur retour au pouvoir, les talibans n’ont annulé aucune de leurs interdictions majeures concernant les femmes. Aucune école ni université n’a rouvert pour les filles, aucun décret discriminatoire n’a été abrogé. Bien au contraire, ils ont systématiquement durci leur position en adoptant de nouvelles restrictions à chaque fois que la pression extérieure augmentait ; on l’a vu avec la loi morale de 2024 introduite en pleine controverse internationale. On est donc forcés de constater que l’approche purement déclarative, si ferme soit-elle dans les mots, a atteint ses limites.
En matière de sanctions, la communauté internationale a certes pris quelques mesures mais elles restent limitées et d’une efficacité discutable face à un régime aussi autarcique. Rappelons que, dès 1999, les Nations unies avaient placé le mouvement taliban (à l’époque insurgé) sous un régime de sanctions pour son soutien au terrorisme, avec des interdictions de voyage pour les responsables, un embargo sur les armes et un gel des avoirs financiers à l’étranger. Ce régime de sanctions – connu sous le nom de « régime 1988 » au Conseil de sécurité – a été maintenu et même renforcé après 2021. En 2022 et 2023, le Conseil de sécurité a actualisé la liste noire des individus et entités associés aux talibans, faisant l’objet de sanctions ciblées : plus de 130 dirigeants ou proches du pouvoir sont aujourd’hui visés par un gel international de leurs avoirs et une interdiction de déplacement à l’étranger.
L’efficacité de ces mesures est cependant toute relative. Nombre des personnes sanctionnées ne possèdent pas de fonds identifiables hors d’Afghanistan ou savent les dissimuler via des prête-noms, et la plupart n’envisagent pas de voyager au-delà de quelques pays voisins. En outre, jusqu’en 2022, le Conseil de sécurité avait octroyé des exemptions de voyage à certains responsables talibans pour leur permettre de participer à des discussions diplomatiques – exemptions qui, certes, ont été suspendues lorsque les talibans ont interdit l’éducation des filles mais dont l’existence passée a pu brouiller la clarté du message international. Par ailleurs, il faut noter que les sanctions onusiennes sont administratives et non pénales : elles stigmatisent et isolent les dirigeants mais ne peuvent les conduire devant la justice ni empêcher directement les exactions à l’intérieur du pays.
L’autre levier de pression utilisé est l’absence totale de reconnaissance internationale et l’isolement économique du régime. Aucun État ne reconnaissant l’« Émirat islamique » proclamé par les talibans, le régime précédent demeure officiellement reconnu par la communauté internationale, bien qu’il ne contrôle plus le territoire. Même les pays qui entretiennent des contacts pratiques avec les talibans, comme le Qatar ou la Chine, n’ont pas reconnu formellement l’Émirat islamique d’Afghanistan.
Cette non-reconnaissance prive le régime de légitimité diplomatique mais aussi de l’accès aux instances officielles et aux ressources financières des anciens partenariats. Ainsi, l’aide publique au développement, qui faisait vivre l’économie afghane jusqu’en 2021, a été interrompue presque du jour au lendemain par les principaux bailleurs (Banque mondiale, Union européenne, États-Unis). Il convient de rappeler que plus de 75 % du budget national afghan provenait des financements internationaux avant 2021 ; cette manne s’est tarie, exerçant une énorme pression financière sur le régime.
L’effet dissuasif de cette posture est cependant resté limité : les talibans semblent davantage disposés à gouverner un pays isolé et appauvri qu’à accepter des remettant en cause leurs dogmes. Ils ont par ailleurs trouvé quelques sources de revenus alternatives (notamment via le commerce informel, la taxation des flux aux frontières, la vente de ressources minières, et peut-être des trafics illicites) et comptent sur une aide discrète de certains partenaires (la Chine a ainsi conclu des contrats miniers avec eux et le Qatar continue d’apporter une aide humanitaire et logistique). Surtout, les aides d’urgence continuent d’entrer dans le pays pour éviter une famine généralisée ; les talibans y consentent car elles soulagent la pression sur leur propre gestion et ils peuvent chercher à les contrôler ou à les utiliser à leur avantage. En définitive, l’absence de reconnaissance et l’assèchement financier n’ont pas non plus amené de changement de cap politique à ce jour.
En réalité, le régime taliban semble prêt à accepter son isolement international pour maintenir son modèle théocratique. Cette situation oblige la communauté internationale à repenser sa stratégie. Le sentiment d’impuissance ne doit pas mener au renoncement mais au contraire encourager à explorer toutes les options susceptibles d’améliorer le sort des Afghanes et de faire comprendre aux talibans que leur politique a un coût croissant.
C’est dans cet esprit que s’inscrit la proposition de résolution européenne examinée par les commissions des affaires européennes puis des affaires étrangères.
Constatant l’impasse actuelle, le texte propose l’adoption de mesures fortes et ciblées pour défendre les droits fondamentaux des femmes afghanes. Ces mesures s’articulent autour de plusieurs leviers complémentaires : accentuer la pression politique et judiciaire sur les talibans pour entamer leur sentiment d’impunité ; offrir une protection et un refuge aux Afghanes persécutées pour sauver des vies et envoyer un signal d’espoir ; soutenir activement la société civile afghane malgré l’exil et les entraves afin de maintenir un lien avec le peuple afghan et préparer l’avenir ; maintenir un effort diplomatique soutenu et coordonné sur la durée pour ne pas laisser cette cause s’éteindre et pour mobiliser les partenaires internationaux. L’objectif ultime est de mettre un terme aux atteintes intolérables contre les Afghanes, en combinant fermeté et assistance humanitaire.
III. Des mesures renforcées et actualisées
Face à l’intransigeance du régime, condamner ne suffit plus, il faut agir. Plusieurs leviers sont à la disposition de la France et de ses partenaires pour soutenir concrètement les Afghanes. Le texte de la résolution propose ainsi de désigner les talibans comme responsables de violations graves, de soutenir les procédures engagées devant la justice internationale, d’accueillir les femmes les plus menacées, et de renforcer l’aide humanitaire ainsi que le soutien à la société civile en exil.
A. Accentuer la pression internationale
1. Isoler diplomatiquement le régime taliban
La première série de mesures consiste à durcir la position internationale envers les talibans afin de les délégitimer pleinement sur la scène mondiale et de renforcer leur isolement.
Cela passe d’abord par la continuité de la non-reconnaissance : la France et l’Union européenne doivent réaffirmer clairement qu’aucune reconnaissance diplomatique du régime taliban ne sera envisagée tant que les droits fondamentaux des femmes ne seront pas rétablis. Cette ligne est déjà la nôtre mais il est essentiel de la maintenir sans ambiguïté ni signe d’assouplissement. Le message doit être que le régime de Kaboul ne retrouvera aucune légitimité tant qu’il persistera dans sa politique barbare.
La proposition de résolution propose cependant d’aller plus loin en qualifiant officiellement le mouvement taliban de groupe terroriste. Au-delà de l’oppression des femmes, les talibans continuent en effet d’accueillir sur le sol afghan et de soutenir plusieurs groupes jihadistes (Al-Qaïda notamment reste présente en Afghanistan), tandis que leurs méthodes de gouvernement, par la terreur et la violation systématique des droits humains, peuvent être assimilées à du terrorisme d’État.
Classer les talibans comme organisation terroriste, que ce soit au niveau national français, au niveau de l’UE, ou via les Nations unies, aurait plusieurs effets concrets : cela renforcerait le régime de sanctions (gel des avoirs, interdiction de tout soutien financier direct ou indirect, surveillance accrue des réseaux de financement) et contribuerait à dissuader tout État ou entité tentée de normaliser ses relations avec eux. Une telle désignation marquerait aussi symboliquement la gravité de leurs actes aux yeux de la communauté internationale. Certains partenaires peuvent hésiter par crainte de fermer la porte au dialogue mais le dialogue humanitaire peut être maintenu même avec des acteurs non reconnus, comme cela a été fait avec d’autres groupes armés.
2. Mobiliser la justice internationale contre l’impunité
Le deuxième axe majeur consiste à faire usage du droit pénal international face aux crimes commis en Afghanistan, en particulier les crimes visant les femmes. L’impunité dont jouissent aujourd’hui les auteurs de ces violations massives doit en effet prendre fin.
Concrètement, il s’agit d’appuyer et de renforcer la saisine de la Cour pénale internationale, afin d’enquêter et de poursuivre les dirigeants talibans responsables des crimes les plus graves. Cette démarche est non seulement légitime mais juridiquement possible : rappelons que l’Afghanistan est partie au statut de Rome depuis 2003. La CPI a donc compétence pour juger les crimes, relevant du statut, commis sur le territoire afghan ou par des ressortissants afghans – y compris les crimes commis aujourd’hui par les talibans – sans qu’il soit besoin d’une saisine du Conseil de sécurité de l’ONU, contrairement à des situations comme celle de la Syrie.
La Cour pénale internationale elle-même a déjà entamé des démarches en ce sens, le procureur de la CPI ayant rouvert en 2021 une enquête sur la situation en Afghanistan (enquête initialement ouverte dès 2006, alors à propos des crimes de guerre commis durant le conflit). Depuis la chute de Kaboul, le focus est mis sur les exactions du nouveau régime, et notamment sur les persécutions de genre. Dernière avancée en date : le 23 janvier 2025, le procureur Karim Khan a annoncé avoir déposé une requête de mandats d’arrêt à l’encontre de deux hauts dirigeants talibans – à savoir le chef suprême Haibatullah Akhundzada et le président de la Cour suprême Abdul Hakim Haqqani – pour crimes contre l’humanité, incluant la persécution fondée sur le genre. Il s’agit d’une initiative sans précédent, qui montre que la justice internationale commence à se saisir de ces atrocités. Désormais, il appartient aux juges de la CPI d’examiner ces requêtes et, espérons-le, de délivrer formellement ces mandats d’arrêt internationaux.
La résolution propose donc que la France, avec ses partenaires européens, appuie toute action devant les juridictions internationales visant les crimes commis en Afghanistan. Cela inclut, bien sûr, une pleine coopération avec la CPI : faciliter la collecte des preuves, transmettre des informations ou témoignages en possession de nos services, soutenir financièrement et politiquement le travail du bureau du procureur, et encourager les États de la région à laisser la CPI opérer.
Une modalité d’action consisterait à promouvoir l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU apportant un soutien explicite à l’enquête de la CPI sur la persécution des femmes en Afghanistan, ce qui lui donnerait un poids politique majeur et soumettrait les dirigeants talibans à une pression supplémentaire. Certes, obtenir l’unanimité – ou du moins l’absence de veto – au Conseil de sécurité sur un tel texte n’est pas garanti mais la seule tentative pourrait contribuer à mobiliser l’opinion mondiale.
Plus largement, la France et l’UE sont appelées à prendre le leadership sur ce front judiciaire, en cohérence avec leurs valeurs proclamées. Cette démarche compléterait la stratégie de sanctions et d’isolement diplomatique en y ajoutant la dimension indispensable de la responsabilité pénale individuelle.
Les talibans doivent comprendre que leurs actes ne resteront pas impunis indéfiniment et que les auteurs de crimes graves – qu’il s’agisse de tortures, d’exécutions, de violences sexuelles ou de persécutions systématiques contre les femmes – rendront des comptes tôt ou tard. En somme, la mobilisation de la justice internationale vise à briser le sentiment d’impunité dont se nourrit le régime. Elle envoie également un message de soutien aux victimes : le monde reconnaît leurs souffrances et s’engage à les traduire dans le langage du droit.
B. Accueillir en priorité les femmes afghanes les plus menacées
Le deuxième axe d’action avancé par la proposition de résolution insiste sur un impératif humanitaire fondamental, celui d’offrir refuge aux Afghanes en danger. Il s’agit de mettre en place une politique d’asile et d’accueil plus ambitieuse à destination des femmes afghanes persécutées, afin de leur permettre d’échapper au régime et de reconstruire leur vie en sécurité. La résolution préconise en particulier de lancer, au niveau national ou européen, un programme d’accueil humanitaire spécifique pour les Afghanes (femmes et filles) menacées. Ce programme pourrait prendre la forme de visas humanitaires délivrés de manière proactive, en lien avec les organisations de défense des droits des femmes et les ONG actives sur le terrain.
L’idée centrale est de cibler en priorité les profils les plus à risque, par exemple les militantes et activistes connues pour leur engagement, les journalistes, sportives ou artistes ayant reçu des menaces directes, les anciennes fonctionnaires, magistrates ou policières de l’ancien régime aujourd’hui traquées, ou encore de jeunes étudiantes brillantes dont l’avenir a été brisé et qui risquent des mariages forcés. La France pourrait, à cet égard, s’engager à accueillir chaque année un contingent déterminé de réfugiées afghanes particulièrement vulnérables, en plus du flux spontané de demandeurs d’asile qui arrivent par leurs propres moyens. Ce geste s’inscrirait dans un effort plus large à partager avec nos partenaires. Le Parlement européen a d’ailleurs explicitement appelé en septembre 2021 à la mise en place d’un programme spécial de visas pour les femmes afghanes en danger, appel qui n’a cependant pas été suivi d’effet au niveau européen jusqu’à présent. La France a donc l’opportunité de montrer l’exemple en agissant unilatéralement ou avec un groupe de pays volontaires, sans attendre un hypothétique accord à vingt-sept.
Sur le plan juridique, le devoir de protection des Afghanes persécutées ne fait aucun doute. La convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés s’applique pleinement, la persécution pour appartenance à un groupe social étant un motif d’asile reconnu, et la jurisprudence française récente considère les femmes afghanes comme constituant précisément un groupe social menacé. En effet, par une décision de principe du 11 juillet 2024, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a jugé que « l’ensemble des femmes afghanes refusant de se plier aux mesures talibanes constitue un groupe social susceptible d’être protégé au titre de l’asile » ([13]). Autrement dit, toute Afghane en danger du seul fait d’être une femme sous le régime taliban peut prétendre au statut de réfugiée en France. Cette décision majeure consacre juridiquement ce que dicte la réalité : les femmes en Afghanistan sont persécutées collectivement en raison de leur genre.
Concrètement, la mise en œuvre d’un tel programme d’accueil pourrait s’appuyer sur les acteurs déjà mobilisés : associations d’aide aux réfugiés, diasporas afghanes, ONG internationales. Il conviendrait également de faciliter l’octroi de visas d’urgence via nos ambassades ou consulats, notamment dans les pays tiers où se trouvent des Afghanes réfugiées. Par exemple, lorsqu’une militante ou une journaliste se cache au Pakistan voisin sans garantie de long terme, il faut pouvoir lui délivrer rapidement un visa pour la France si son profil correspond aux critères de vulnérabilité. Par ailleurs, un soutien particulier doit être prévu pour l’intégration de ces femmes réfugiées en France : cours de français, hébergement, formation professionnelle, accompagnement psychologique (beaucoup arrivent traumatisées). Nombre d’entre elles sont éduquées, anglophones, et étaient actives professionnellement ; certaines, déjà accueillies ces dernières années, ont repris des études ou trouvé un emploi en France, témoignant de leur volonté de reconstruire leur vie et de contribuer à la société d’accueil.
Accueillir davantage d’Afghanes en détresse serait à la fois un geste humanitaire fort et un acte politique symbolique. Cela permettrait de sauver des vies, de protéger celles qui sont directement menacées, et d’affirmer que les femmes opprimées peuvent trouver ailleurs refuge et liberté. C’est aussi un moyen de préserver le potentiel humain afghan : les exilées d’aujourd’hui pourront contribuer demain à la reconstruction du pays. En poursuivant ainsi l’engagement initié avec les évacuations de 2021, la France honorerait sa tradition de défense des droits humains. Cette politique gagnerait à être coordonnée au niveau européen, dans un esprit de solidarité. L’Allemagne, par exemple, a accueilli environ 30 000 ressortissants afghans depuis 2021. La résolution propose que la France prenne l’initiative sans attendre : il y va de notre cohérence et de notre responsabilité.
Il convient également d’appeler nos partenaires à la responsabilité en matière d’asile. L’accueil des Afghanes en danger doit en effet être envisagé non seulement en France et en Europe mais également de façon globale. Il est crucial que tous les pays en capacité d’accueillir des réfugiés ne ferment pas leur porte aux Afghanes persécutées. À cet égard, certaines évolutions récentes sont préoccupantes et ont donné lieu à des amendements adoptés par la commission des affaires européennes le 11 juin 2025.
En particulier, la décision annoncée en mai 2025 par l’administration américaine de mettre fin au Temporary Protected Status (TPS, statut de protection temporaire) accordé aux réfugiés afghans a suscité une vive inquiétude. De même, un décret signé le 4 juin 2025 aux États-Unis prévoit des restrictions générales d’entrée sur le sol américain pour les ressortissants de plusieurs pays, dont l’Afghanistan. Prises ensemble, ces mesures risquent d’entraîner l’expulsion ou la non-admission de milliers d’Afghanes vers un pays où leur vie et leur liberté sont gravement menacées. Sans volonté d’ingérence dans la politique migratoire d’un pays souverain, la France se doit d’exprimer sa préoccupation et d’inviter son partenaire américain à reconsidérer ces dispositions à l’égard des femmes afghanes.
Un amendement adopté le 11 juin par la commission des affaires européennes vise précisément à appeler les États-Unis à maintenir des dispositifs de protection pour les Afghanes, notamment en renonçant à leur retirer le bénéfice du TPS tant que la situation en Afghanistan demeure inchangée, ainsi qu’à prévoir, pour l’Afghanistan, une dérogation humanitaire aux mesures générales d’interdiction d’entrée. En d’autres termes, il est demandé à l’administration américaine de prendre conscience du danger mortel que courraient les femmes renvoyées de force en Afghanistan et d’ajuster sa politique en conséquence. Ce message se veut constructif et ciblé : il s’agit de la vie de personnes concrètes, pas d’une remise en cause globale de la politique migratoire des États-Unis, qui n’entre pas dans le champ de notre résolution. La France, alliée des États-Unis, peut jouer un rôle d’avertissement amical sur ce point, afin que la solidarité envers les Afghanes menacées reste un objectif partagé.
Le texte ainsi amendé de la proposition de résolution attire également l’attention sur la situation dans les pays voisins de l’Afghanistan, principalement l’Iran et le Pakistan, qui accueillent depuis des décennies des millions de réfugiés afghans. Or, ces deux pays ont entamé récemment des campagnes d’expulsion massive de réfugiés afghans, souvent au motif qu’ils sont en situation irrégulière. Plusieurs centaines de milliers de personnes, dont une majorité de femmes et d’enfants, risquent ainsi un retour forcé en Afghanistan, en violation manifeste du principe de non-refoulement inscrit dans le droit international des réfugiés. Des rapports indiquent qu’au cours de l’année 2024, des trains entiers de réfugiés ont été renvoyés d’Iran vers la frontière afghane ([14]), et que le Pakistan a fixé des échéances obligatoires de départ pour des centaines de milliers d’Afghans ([15]), décisions profondément alarmantes qui exposent des familles entières à la persécution qu’elles tentaient précisément de fuir. La rapporteure s’associe par conséquent à l’amendement adopté par la commission des affaires européennes sur ce sujet, qui invite les gouvernements de l’Iran et du Pakistan à reconsidérer ces mesures d’expulsion annoncées ou déjà en cours. Il s’agit de remplacer les formules diplomatiques convenues par une demande claire et concrète de suspendre ces expulsions tant que la situation n’offre aucune garantie de sécurité pour les personnes concernées.
La France et l’Union européenne, grands pourvoyeurs d’aide humanitaire et de soutien économique à ces pays, disposent d’un levier pour plaider en faveur du respect des droits des réfugiés. Il convient de faire comprendre à Téhéran et à Islamabad que la solidarité internationale n’est pas à sens unique : la communauté mondiale prend sa part en accueillant des réfugiés, et attend d’eux qu’ils en fassent autant et s’abstiennent de procéder à des retours forcés contraires au droit humanitaire. En outre, pousser des foules de réfugiés désespérés à retraverser la frontière ne ferait qu’aggraver la crise humanitaire et renforcer les talibans, qui de plus exploiteront ces retours pour nourrir leur propagande.
L’accueil et la protection des Afghanes les plus menacées doit devenir une priorité de l’action internationale. La France doit montrer l’exemple en ouvrant largement ses portes à ces femmes en danger, tout en œuvrant pour qu’au niveau européen et mondial, aucun refuge ne leur soit refusé. Cet effort humanitaire est non seulement un devoir éthique mais également un investissement sur l’avenir de l’Afghanistan : chaque femme sauvée aujourd’hui est une voix libre de plus pour défendre demain les droits de toutes.
C. Soutenir la société civile afghane, y compris en exil
Le troisième axe d’action s’articule autour de deux priorités complémentaires : maintenir un accès effectif à l’aide humanitaire pour les Afghanes malgré les entraves imposées par le régime, et soutenir la société civile en exil.
1. Maintenir un lien avec le peuple afghan par l’aide humanitaire
La proposition de résolution appelle à intensifier et à réorienter l’aide de manière à soutenir au mieux les femmes et les filles, malgré les entraves imposées par les talibans. Il s’agit de secourir les Afghanes dans leur vie quotidienne et de préserver ce qui peut l’être de leurs droits fondamentaux (santé, éducation de base, autonomie économique) via des programmes humanitaires adaptés.
Actuellement, l’Afghanistan traverse l’une des pires crises humanitaires au monde : près des deux-tiers de la population ont besoin d’une assistance d’urgence en raison des pénuries alimentaires, de l’effondrement des services de santé, de la sécheresse et de la pauvreté extrême. Dans ce contexte, les femmes et les enfants sont souvent les plus durement touchés, et aussi les plus difficiles à atteindre. En effet, l’interdiction faite aux ONG d’employer du personnel féminin depuis décembre 2022 a conduit de nombreuses organisations à suspendre ou limiter leurs activités car, sans travailleuses humanitaires, il est quasiment impossible d’atteindre les bénéficiaires féminines. Par exemple, les femmes afghanes ne peuvent pas être examinées ou conseillées par des travailleurs humanitaires masculins, surtout dans les zones rurales conservatrices. En avril 2023, lorsque les talibans ont étendu cette interdiction aux agences de l’ONU elles-mêmes, la situation a failli provoquer une rupture complète de l’aide internationale.
Des organismes tels que le Programme alimentaire mondial (PAM), le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) ou l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont craint de devoir cesser leurs opérations vitales faute de pouvoir déployer leurs employées. Finalement, grâce à des dérogations locales, des aménagements discrets et la persévérance des équipes sur place, certaines activités ont pu se poursuivre partiellement mais l’aide aux femmes a concrètement été nettement réduite par ces interdictions. Par exemple, des programmes d’éducation informelle pour les filles, menés clandestinement par des ONG, ont dû fermer par manque de personnel féminin autorisé. De même, des cliniques mobiles pour femmes ont dû cesser leurs activités.
Face à cela, la proposition de résolution propose un renforcement ciblé de l’aide, en développant des mécanismes de contournement si nécessaire. Il convient d’abord d’augmenter les financements humanitaires alloués à l’Afghanistan, en veillant à flécher ces fonds vers des projets bénéficiant directement aux femmes et aux enfants. Malgré la difficulté, des solutions innovantes existent pour continuer à aider les Afghanes sans passer par les canaux officiels contrôlés par les talibans. Par exemple, s’il est impossible de faire opérer des travailleuses humanitaires sur place, on peut acheminer l’aide via les agences de l’ONU depuis les pays voisins (Pakistan, Tadjikistan, Ouzbékistan) pour atteindre les populations frontalières. Il est également possible de soutenir financièrement des organisations de la diaspora afghane, qui disposent souvent de réseaux informels dans le pays. La diaspora, forte de millions d’Afghans exilés, constitue en effet un relais important : beaucoup d’Afghans à l’étranger font parvenir des fonds aux familles restées au pays, tandis que certaines associations de la diaspora montent des projets éducatifs ou sanitaires clandestins sur place. Notre aide publique au développement peut utilement appuyer ces initiatives de solidarité.
Il s’agit ensuite de conditionner strictement toute aide internationale résiduelle aux talibans (par exemple, l’accès à certains actifs financiers gelés) au respect d’un minimum de critères en matière de droits des femmes. La résolution appelle ainsi à maintenir la pression politique sur le régime des talibans et à subordonner tout engagement à une amélioration tangible des droits fondamentaux, en particulier ceux des femmes et des filles. À ce titre, l’aide internationale ne devrait ainsi continuer que si un minimum d’accès humanitaire est garanti, incluant la participation des femmes. Il s’agit en effet de mettre les talibans face à leurs responsabilités : s’ils refusent catégoriquement que des femmes travaillent dans l’aide, alors les donateurs devront trouver d’autres moyens de la distribuer, voire la rediriger vers l’extérieur (zones frontalières, camps de réfugiés).
2. Appuyer les médias libres et l’éducation à distance en exil
Parallèlement à l’aide humanitaire de base, il est crucial de soutenir la société civile afghane en exil, notamment dans les domaines de l’information et de l’éducation, afin de maintenir un lien avec ceux restés au pays. Des milliers d’Afghans, parmi les plus instruits et actifs, ont quitté l’Afghanistan depuis 2021 pour échapper à la répression. Parmi eux se trouvent des journalistes, des enseignants, des artistes, des défenseurs des droits humains. Ces exilés s’organisent pour continuer leur mission depuis l’extérieur, ce qu’il convient d’encourager.
On voit par exemple des initiatives d’enseignement en ligne pilotées depuis l’étranger pour les jeunes en Afghanistan. Il existe des « universités en ligne » créées par des professeurs réfugiés, qui donnent des cours par internet à des étudiants et étudiantes en Afghanistan de façon discrète. De même, des médias libres en exil tentent de briser l’isolement informationnel imposé par les talibans. C’est par exemple le cas de Radio Begum, une radio fondée à Paris par des journalistes afghanes exilées, qui émet en langues dari et pachtoune vers l’Afghanistan. Malgré un public restreint, l’écoute se faisant souvent en secret, elle fournit chaque jour aux femmes restées sur place des programmes éducatifs, des conseils pratiques, du soutien psychologique et des témoignages de résistance.
Ce type d’initiatives, tout comme les sites internet ou chaînes YouTube tenus par des Afghanes à l’étranger, mérite un appui financier et logistique accru car il maintient un lien crucial d’information et d’espoir avec celles restées au pays. Entendre, via la radio, la voix de femmes libres, diffuser des cours audio aux jeunes filles, partager des nouvelles du monde extérieur, tout cela aide les Afghanes à ne pas se sentir entièrement abandonnées et à continuer à s’instruire autant que possible. La France et l’Europe peuvent soutenir ces médias et plateformes éducatives par des subventions spécifiques : par exemple via nos fonds de soutien à la liberté de la presse, ou via l’UNESCO en ce qui concerne l’éducation. De même, il convient d’appuyer les ONG de femmes exilées qui se mobilisent pour leurs compatriotes. La société civile afghane en exil est aujourd’hui la porte-parole de celles qui sont réduites au silence à l’intérieur du pays. En la soutenant, on amplifie la voix des Afghanes sur la scène internationale et on prépare l’avenir d’un Afghanistan pluraliste.
En définitive, aider les femmes afghanes sur le terrain est difficile mais pas impossible. Malgré les obstacles imposés par le régime, des millions de personnes dépendent de cette aide pour survivre et garder espoir. Chaque fille qui parvient encore à suivre des cours informels en cachette, chaque femme qui reçoit des soins médicaux par une voie détournée, chaque famille secourue représente une victoire contre la stratégie talibane de destruction.
D. Assurer un suivi diplomatique renforcé et coordonné dans la durée
Aucun des efforts ne produira d’effet du jour au lendemain. Il est donc indispensable d’inscrire l’action internationale dans la durée et d’assurer un suivi diplomatique rigoureux de la situation des Afghanes. La France doit veiller, aux côtés de ses partenaires, à ce que la cause des femmes d’Afghanistan reste au premier plan de l’agenda international, et ce tant que leurs droits ne seront pas rétablis.
Concrètement, cela implique d’abord de continuer à porter ce sujet dans toutes les instances multilatérales pertinentes. La France et l’UE doivent user de leur voix à l’ONU (Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, Conseil de sécurité) pour multiplier les déclarations, résolutions et mécanismes de suivi concernant la situation des Afghanes. Une action possible consisterait ainsi à plaider pour la nomination d’un envoyé spécial de l’ONU pour les femmes en Afghanistan, qui coordonnerait les efforts internationaux et dialoguerait avec tous les acteurs concernés (y compris certains talibans modérés potentiels, autorités religieuses, etc.) sur ce sujet spécifique.
Il est ensuite crucial de coordonner nos positions avec nos partenaires européens et internationaux. L’articulation entre la position de la France et celle de l’UE doit être exemplaire : l’Europe, qui se veut un champion des droits humains, se doit de parler d’une voix forte et unie.
La proposition de résolution s’inscrit dans la continuité du Plan d’action « Femmes, paix et sécurité » 2019–2024 de l’Union européenne qui promeut l’inclusion des femmes dans les processus de paix et la protection de leurs droits dans les contextes de conflit, et plus généralement de la diplomatie féministe revendiquée par plusieurs États membres dont la France. Au-delà de l’Europe, il faut aussi travailler avec les alliés du G7, du G20, et d’autres pays influents, notamment dans le monde musulman, pour maintenir une pression collective. Chaque rencontre diplomatique bilatérale avec des pays qui ont un canal vers Kaboul – par exemple le Qatar, la Turquie, l’Ouzbékistan, la Chine, la Russie – doit être utilisée pour rappeler le caractère inacceptable de la situation faite aux femmes afghanes. Même si nos valeurs diffèrent, il existe un intérêt commun à stabiliser l’Afghanistan et à éviter qu’il ne devienne un État failli ou un foyer d’extrémisme incontrôlé. Or, comme on l’a vu, il ne peut y avoir de stabilité durable sans un respect minimal des droits de la moitié de la population. C’est un argument qui peut être avancé auprès de tous nos interlocuteurs : soutenir les femmes afghanes, ce n’est pas imposer un modèle occidental, c’est œuvrer pour la paix et le développement, objectifs auxquels tout le monde peut souscrire en principe.
En interne, un suivi diplomatique renforcé signifie aussi que la représentation française (ambassadeur, envoyés spéciaux) et nos services consulaires dans la région puissent surveiller l’évolution de la condition féminine en Afghanistan et faire remonter les informations, afin d’ajuster nos actions si nécessaire. Le Parlement devrait également se saisir régulièrement de ce sujet pour s’assurer de la mise en œuvre des recommandations. Il serait ainsi utile que le gouvernement présente dans six mois, puis un an, un bilan des mesures prises suite à cette résolution afin que les nobles intentions affichées aujourd’hui ne s’étiolent pas avec le temps ou l’usure médiatique.
Enfin, affirmer une ligne claire et cohérente implique de ne pas envoyer de signal contradictoire. La France – comme l’UE – doit parler d’une seule voix sur ce dossier, en alignant ses actes sur ses discours. Si nous proclamons que « Oui, les droits des femmes et des filles sont universels, comme le sont l’ensemble des droits humains partout, tout le temps » ([16]), alors nous devons refuser toute concession qui contredirait ce principe, par exemple, exclure toute reprise d’une coopération politique ou économique plus large avec les talibans tant qu’aucun progrès tangible n’aura lieu sur les droits des femmes. Cette cohérence est essentielle pour notre crédibilité internationale et pour celle de l’Occident aux yeux des Afghanes. Ces dernières nous jugeront sur nos actes, plus particulièrement sur notre capacité à tenir nos promesses d’aide et sur la constance de notre soutien.
Nous ne devons pas sous-estimer le poids symbolique de nos décisions. Ainsi, en 2022, plusieurs hauts responsables talibans ont bénéficié d’exemptions temporaires aux sanctions de voyage imposées par l’ONU, afin de se rendre à Doha pour des rencontres diplomatiques. Ces déplacements, censés porter sur des enjeux humanitaires ou administratifs, ont été très mal perçus par les Afghanes, qui y voyaient un double discours : alors qu’on leur interdisait d’étudier ou de travailler, leurs oppresseurs étaient reçus à l’étranger dans un cadre quasi officiel. Apprenons de ces erreurs et maintenons une politique sans ambiguïté : aucune normalisation sans droits des femmes mais soutien continu à celles qui luttent. Le combat pour les Afghanes s’inscrit dans la durée mais nous devons être déterminés à l’accompagner jusqu’au bout.
L’instauration par le régime taliban d’un véritable apartheid de genre en Afghanistan constitue l’une des plus graves atteintes aux droits humains de ce début de XXIe siècle. En l’espace de trois ans, des millions de femmes et de filles ont été privées de presque tous leurs droits fondamentaux et réduites au rang de citoyennes de seconde zone, confinées et bâillonnées. Face à cette situation intolérable, la communauté internationale a exprimé une condamnation quasi unanime. Pourtant, les actions entreprises jusqu’ici n’ont pas infléchi l’attitude du régime de Kaboul. Les talibans continuent d’ignorer les appels et de braver les sanctions, enfermant obstinément leur pays dans l’obscurantisme et la misère.
Dans ce contexte, la proposition de résolution européenne soumise aux commissions des affaires européennes puis des affaires étrangères invite, en premier lieu, à ne pas se résigner. Elle plaide pour un sursaut de la part de la France, de l’Europe et de la communauté internationale, combinant la fermeté envers les bourreaux et la solidarité envers les victimes. Il est proposé de franchir plusieurs paliers significatifs : d’abord, qualifier officiellement le régime taliban de groupe terroriste, afin de le délégitimer encore davantage et de renforcer l’isolement des extrémistes au pouvoir ; ensuite, mobiliser les instruments de la justice internationale pour poursuivre les responsables de ces atteintes massives aux droits humains, notamment en soutenant activement l’enquête de la Cour pénale internationale sur les crimes commis en Afghanistan ; puis ouvrir nos frontières et nos structures d’accueil aux femmes afghanes en danger en reconnaissant la persécution spécifique dont elles sont victimes et en leur offrant l’asile qu’elles méritent au nom de nos valeurs ; et enfin intensifier l’aide humanitaire directement en faveur des femmes et des filles, ainsi que le soutien à la société civile afghane en exil, pour atténuer leurs souffrances quotidiennes et préserver l’espoir d’un avenir meilleur. Toutes ces mesures visent un même objectif ultime : mettre un terme aux atteintes aux droits fondamentaux des Afghanes et empêcher que le sort qui leur est fait ne soit banalisé ou oublié.
Il serait illusoire de penser qu’un changement de politique des talibans surviendra du jour au lendemain mais, en accroissant la pression politique, économique et judiciaire sur ce régime, on peut espérer fissurer progressivement l’impunité et l’intransigeance dont il bénéficie. Par ailleurs, en soutenant les Afghanes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, on sauve des vies et on prépare l’avenir.
Cet avenir – nous pouvons l’espérer – verra un jour les femmes afghanes recouvrer les droits qui leur sont dus. Rien ne pourra effacer totalement les acquis et les aspirations de liberté d’une génération entière de femmes instruites entre 2001 et 2021. Malgré la répression, beaucoup d’entre elles continuent de se battre courageusement, à l’instar de ces enseignantes qui organisent des cours clandestins pour les filles, de ces étudiantes réfugiées qui témoignent sur la scène internationale, ou de ces mères afghanes qui élèvent leurs fils dans le respect des femmes envers et contre tout. La France et l’Europe ont le devoir de se tenir à leurs côtés.
En adoptant cette résolution puis en mettant en œuvre ses recommandations, notre pays rappellera qu’à ses yeux, les droits des femmes sont universels et inaliénables, et qu’aucune considération culturelle ou politique ne saurait justifier qu’on les piétine. Nous enverrons aussi un message clair de cohérence : la solidarité internationale n’est pas un vain mot, et nous alignons nos actes sur nos principes.
Ce qui est en jeu n’est pas seulement la survie et de la dignité de millions d’Afghanes mais également la défense de nos propres valeurs. L’histoire jugera la communauté internationale sur sa capacité à ne pas abandonner les femmes d’Afghanistan. La France, pour sa part, doit être à la hauteur de ce défi moral et humanitaire.
Au cours de sa réunion du mardi 8 juillet 2025, à 16 heures 30, la commission a examiné la proposition de résolution européenne visant à condamner la politique de ségrégation imposée aux femmes afghanes par le régime des talibans et à prendre des mesures appropriées pour mettre un terme aux atteintes à leurs droits fondamentaux (n° 1572).
M. le président Bruno Fuchs. Le bureau de notre commission s’est saisi, la semaine passée, de la proposition de résolution européenne (PPRE) de Mme Caroline Yadan et des membres du groupe Ensemble pour la République, adoptée par la commission des affaires européennes le 12 juin dernier et visant à condamner la politique de ségrégation imposée aux femmes afghanes par le régime des talibans et à prendre des mesures appropriées pour mettre un terme aux atteintes à leurs droits fondamentaux.
Conformément aux principes retenus en pareilles circonstances par le bureau de la commission, je propose que Mme Caroline Yadan soit désignée rapporteure sur ce texte. Je constate qu’il n’y a pas d’objection à cet égard.
En application de l’article 151-6 du règlement de l’Assemblée nationale, toute commission permanente compétente au fond sur une proposition de résolution européenne dispose d’un délai d’un mois à compter de son renvoi à l’issue de l’examen par la commission des affaires européennes pour, le cas échéant, l’examiner à son tour et adopter un texte, éventuellement après l’avoir amendé. En l’occurrence, une trentaine d’amendements et de sous-amendements ont été déposés.
Pour mémoire, le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan, après la prise de Kaboul, le 15 août 2021, a entraîné une régression brutale des droits des femmes et des filles afghanes. En l’espace de quelques semaines, celles-ci ont été quasiment effacées de la vie publique, se trouvant exclues des écoles, des universités ainsi que de nombreux emplois et privées de leurs libertés de mouvement et d’expression.
Cette proposition de résolution européenne, qui rejoint d’autres initiatives parlementaires similaires, vise à condamner fermement la politique de ségrégation instituée par les talibans et à promouvoir des mesures concrètes afin de mettre un terme aux atteintes aux droits fondamentaux dans le pays.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Cette proposition de résolution n’est ni une déclaration de principe ni une dénonciation symbolique. Elle ne cherche pas à redéfinir l’ordre du monde. Elle propose simplement et concrètement que nous prenions notre part de responsabilité face à une réalité que plus personne ne peut ignorer : en Afghanistan, le régime au pouvoir efface les femmes. Cela se passe sous nos yeux, dans une indifférence grandissante.
Depuis août 2021, les talibans ont entrepris une politique systématique d’exclusion des femmes de toutes les sphères de participation sociale. Loin de n’être qu’un ensemble de mesures isolées, il s’agit d’un dispositif structuré qui repose sur l’intimidation, l’interdiction, l’humiliation et la punition. Les femmes sont exclues de l’enseignement secondaire et supérieur et des emplois publics. Il leur est interdit de travailler dans les organisations non gouvernementales (ONG). Elles sont empêchées d’accéder aux soins dans de nombreuses zones du pays. Elles ne peuvent voyager seules ni sortir sans porter le voile intégral et être accompagnées d’un chaperon masculin. Ces atteintes ne se limitent pas aux libertés : elles touchent directement à la dignité, à l’existence même. Ce n’est pas seulement une politique de contrôle mais une entreprise d’effacement. Il s’agit de faire disparaître les femmes de l’espace public mais aussi du récit national. Les privations sont multiples, matérielles comme symboliques. Ce que l’on tente de tuer en Afghanistan, c’est la parole, la présence, la transmission féminines.
Nous ne découvrons pas cette situation. Depuis deux ans, la communauté internationale manifeste son indignation. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Union européenne et nombre d’États membres, dont la France, ont dénoncé la régression imposée aux Afghanes. À juste titre, le régime a été qualifié d’« apartheid de genre ». La Cour pénale internationale (CPI) a émis aujourd’hui même des mandats d’arrêt contre des dirigeants talibans pour leur persécution des femmes, qualifiée de crime contre l’humanité.
Hélas, ces déclarations n’ébranlent pas le pouvoir taliban, pas plus qu’elles ne soulagent celles qui, chaque jour, sont empêchées de vivre librement. Au contraire, la politique du régime se durcit. C’est pourquoi cette proposition de résolution cherche à aller au-delà, à tracer des orientations précises et à mobiliser les leviers concrets à la disposition de la France et de ses partenaires. Le texte ne prétend évidemment pas résoudre le problème afghan à lui seul et ne nie pas la complexité diplomatique, régionale et sécuritaire de la situation. Son seul objet est d’aider celles qui vivent désormais dans un silence et un enfermement imposés. Il se veut réaliste dans ses moyens comme dans ses finalités. Il s’agit non pas de reconstruire un État mais de soutenir celles qui résistent encore et d’éviter que l’effacement ne soit complet et irréversible.
Enrichie de plusieurs amendements et adoptée en commission des affaires européennes, la proposition de résolution articule cette ambition autour de quatre priorités claires.
Premièrement, elle appelle l’Union européenne à qualifier politiquement le régime taliban pour ce qu’il est. Le reconnaître comme une organisation terroriste, ce que certains pays ont déjà fait, n’est pas une mesure symbolique mais un outil juridique qui permettrait de renforcer la traçabilité des financements, de cibler les soutiens actifs du régime et de refuser clairement toute forme de soutien implicite. La négociation n’exclut pas la fermeté et aucune normalisation ne saurait s’envisager en l’absence de garanties minimales sur les droits fondamentaux.
Deuxièmement, le texte affirme que justice doit être rendue. Il soutient les procédures en cours devant la Cour pénale internationale, qui enquête notamment sur des faits de persécution systématique contre les femmes. Longues et complexes, ces enquêtes n’en demeurent pas moins essentielles en ce qu’elles documentent, donnent la parole aux victimes et tracent une ligne de responsabilité. À l’effacement, il faut opposer la mémoire et le droit.
Troisièmement, la proposition de résolution insiste en faveur de la protection des Afghanes les plus exposées. Il ne s’agit pas ici d’ouvrir un droit d’asile généralisé mais de prioriser l’accueil des femmes menacées. Je pense aux militantes, aux avocates, aux étudiantes, aux magistrates, aux journalistes : celles qui ont été les visages du progrès afghan entre 2001 et 2021 et qui sont désormais les premières visées. La France a un rôle à jouer mais ne peut agir seule, raison pour laquelle les amendements adoptés en commission des affaires européennes soulignent la nécessité d’un effort partagé. Le texte appelle donc les États-Unis, l’Iran et le Pakistan à cesser les expulsions d’Afghanes vers leur pays d’origine. Nous savons que, dans ces pays, elles sont des milliers à vivre dans l’angoisse d’être renvoyées en un lieu où leur vie est en danger. Le message est simple : la solidarité ne s’arrête pas à nos frontières.
Quatrièmement, la proposition de résolution européenne met l’accent sur les formes d’aide qui, dès à présent, peuvent être déployées ou renforcées. L’aide humanitaire reste un levier vital mais elle est entravée. Depuis qu’il est interdit aux femmes de travailler pour une ONG ou une agence de l’ONU, l’aide n’atteint plus correctement les bénéficiaires féminines. Il faut donc trouver de nouvelles voies, en travaillant depuis les pays voisins, en soutenant les réseaux de la diaspora, en renforçant les programmes informels d’éducation, de santé et de soutien psychologique. C’est possible et cela se fait déjà à petite échelle ; il faut soutenir, amplifier et sécuriser ces initiatives.
Le texte mentionne en outre les plateformes éducatives à distance et les médias en exil, qui permettent de maintenir un lien d’espoir avec celles restées au pays ; Radio Begum, fondée à Paris par des journalistes afghanes réfugiées, en est une illustration vivante. Ce type d’initiatives mérite un soutien actif, y compris grâce aux instruments déjà existants de notre diplomatie culturelle, de l’aide au développement ou de l’Union européenne.
J’y insiste : ce texte n’est ni idéologique ni technocratique. Il regarde la situation telle qu’elle est et réfléchit à ce qu’il est possible de faire maintenant pour que celles qui vivent sous la domination talibane ne se sentent pas abandonnées. Il ne prétend pas que cela sera suffisant mais affirme que cela compte. À l’indignation doit succéder l’engagement. À la parole doit succéder l’action. Et à la résignation il faut préférer la cohérence. Puisque nous affirmons que les droits des femmes sont universels, nous devons agir là où ils sont niés de la façon la plus brutale.
M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes, en commençant par M. Jean-Paul Lecoq qui, le 10 février dernier, a déposé une proposition de résolution sur le même sujet.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Je vous remercie pour vos mots, madame la rapporteure.
Comme nous l’évoquions dans notre proposition de résolution, élaborée en parallèle du colloque organisé en décembre 2024 par Marie-George Buffet sur la situation des femmes en Afghanistan, la reprise du pouvoir par la force par les talibans a exacerbé la crise dans ce pays, marqué par l’aggravation de la situation économique, sociale et humanitaire, de l’insécurité alimentaire, ainsi que par les violations massives des droits humains. Notre texte avait été rédigé avec des organisations internationales, des associations, des élus locaux, des syndicats, des réfugiées afghanes, des sportives.
Cette situation plus qu’alarmante nous oblige moralement à agir. Agir pour la population afghane, c’est principalement agir pour les filles et les femmes mais aussi pour l’ensemble de la population. Il faut agir aujourd’hui pour répondre à l’urgence mais aussi pour préparer l’avenir.
Bien que le statut de réfugié soit accordé automatiquement aux filles et aux femmes afghanes en raison de leur genre, elles ne peuvent en faire la demande qu’une fois sur le territoire français. Or de nombreuses Afghanes et de nombreux Afghans ont fui leur pays en se réfugiant dans un État voisin. Ils font face à des situations très précaires sur les plans économique, sécuritaire et légal et attendent des mois pour obtenir parfois une réponse de la part de notre gouvernement. Pour que leurs dossiers soient traités plus rapidement, car il y va de leur sécurité, il nous faudra être vigilants, lors de l’examen du budget pour 2026, afin que les crédits alloués au ministère chargé des affaires étrangères, notamment aux services consulaires, soient rehaussés.
Le groupe GDR votera cette proposition de résolution européenne. Nous nous interrogeons néanmoins sur l’inscription des talibans sur la liste des organisations terroristes. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement visant à supprimer cette recommandation du texte. En effet, alors que notre diplomatie affirme ne jamais discuter ni négocier avec des terroristes, cette disposition n’aurait de sens que si nous n’envisageons aucune relation avec les talibans à l’avenir. Mais, dans l’éventualité où nous aurions besoin ou envie de faire bouger les choses sur place, peut-être faudrait-il ne pas faire ce choix, sans leur reconnaître, pour autant, une quelconque légitimité ? Ce n’est là qu’une question.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je vous remercie pour vos observations. Je vois que nous sommes en phase.
L’inscription des talibans sur la liste des organisations terroristes est au cœur de cette proposition de résolution européenne. Au-delà du symbole, elle aurait des conséquences concrètes : elle permettrait de déclencher un ensemble de sanctions ciblées, telles que le gel des avoirs, l’interdiction d’entrer sur le territoire européen ou des sanctions économiques visant directement les dirigeants et responsables du régime, ainsi que leur circuit de financement. Cet élément me semble donc très important, étant rappelé que la France ne reconnaît pas la légitimité du régime en place depuis août 2021.
M. Michel Guiniot (RN). Le texte, que nous étudions dans des circonstances hâtives alors qu’il n’est pas inscrit à l’ordre du jour de la séance publique, vise à condamner les politiques menées par le gouvernement des talibans à l’encontre des femmes et des libertés individuelles. Tout le monde s’accorde sur le fait que l’application stricte de la charia nuit gravement aux pratiques démocratiques, aux libertés individuelles, à l’organisation de la société dans son ensemble et particulièrement aux femmes. Il s’agit là d’apporter le plein soutien de l’Assemblée nationale à ces femmes qui luttent pour leur liberté et qui subissent le joug des islamistes les plus durs.
Les multiples guerres, internationales et civiles, qui ont eu lieu en Afghanistan depuis la fin des années 1970 ont mis au pouvoir les talibans qui, désormais, représentent le pays à l’étranger et administrent la société. Cependant, l’application stricte des lois islamiques n’apparaît manifestement pas compatible avec la vie d’une société, au point que le pays connaît une crise humanitaire majeure et que les États du monde entier, dont la France, se mobilisent afin de l’aider à la surmonter et de soutenir son développement.
S’il est souhaitable de montrer notre soutien à celles qui souffrent et vivent dans la terreur sous le régime des mollahs, il est également nécessaire de dénoncer les dérives islamistes qui ont conduit à chasser les étudiantes des universités et interdit à la majorité des femmes de travailler, d’aller dans l’espace public sans tuteur ou de détenir un téléphone portable, sans compter l’obligation qui pèse sur elles de se voiler en signe de soumission à Dieu. Je le répète, nous devons prendre conscience des dérives de l’idéologie islamiste dans ces pays pour s’en prémunir sur notre territoire.
De plus, il n’est pas concevable que la France accueille 28 millions de femmes afghanes car elles subissent une oppression terrible dans une société opposée à la vision que nous prônons.
Aussi, le Rassemblement national est pleinement en phase avec l’esprit de la proposition de résolution européenne, qui est de soutenir les Afghanes et de condamner les pratiques des talibans, mais ne saurait être en accord avec tous les points techniques du texte. Nous y reviendrons lors de la discussion des amendements.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je note votre plein soutien et vous en remercie au nom des femmes – j’en ai auditionné plusieurs – qui subissent le joug des talibans et leurs dérives islamistes. Cependant, je regrette votre « mais » car, je l’expliciterai lors de l’examen de vos amendements, ce ne sont pas 28 millions de femmes qui seront accueillies en France ; vous n’avez pas à avoir peur. La proposition de résolution européenne affirme simplement que, en tant que pays d’accueil, nous devons être particulièrement indulgents à leur égard.
Mme Constance Le Grip (EPR). Je tiens d’abord à vous remercier, madame la rapporteure, pour cette initiative et le travail important que vous avez déjà accompli. Vous l’avez dit, les Afghanes sont les premières et principales victimes du retour des talibans au pouvoir, le 15 août 2021, et de l’instauration de l’émirat islamique d’Afghanistan. Elles sont la cible d’une politique d’exclusion, d’invisibilisation, d’effacement systématique et méthodique. Les fillettes n’ont plus accès à l’éducation au-delà de 12 ans. Les femmes n’ont plus accès à l’emploi, à la culture, aux soins, sauf dans des conditions extrêmement restrictives. Elles sont invisibilisées non seulement dans l’espace public mais aussi au sein du huis clos de leur maison. On construit des maisons sans fenêtres, les femmes ne pouvant plus être vues en train de lire, de réciter des poèmes ou de chanter.
Toutes ces restrictions et violations absolument intolérables de leurs libertés, tant publiques que privées, et de leurs droits fondamentaux ne sauraient nous laisser indifférents. C’est pourquoi, à vos côtés, madame la rapporteure, nous souhaitons nous élever avec beaucoup de force contre ce régime théocratique qui applique la charia d’une manière très organisée. Comme nous l’avons fait en commission des affaires européennes, nous soutiendrons votre proposition de résolution et ses préconisations, à commencer par celle visant à inscrire le mouvement islamique des talibans sur la liste des organisations terroristes. Nous lançons cet appel tant aux autorités nationales qu’européennes.
Enfin, le sens du texte et de notre travail est de dire aux Afghanes qui nous entendent qu’elles ne sont pas seules et que nous réaffirmons solennellement et définitivement notre soutien et notre solidarité. Nous sommes à leurs côtés.
M. le président Bruno Fuchs. Je vous remercie pour ce témoignage, auquel nous souscrivons tous.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Vous avez absolument raison, chère collègue : solidarité et soutien ne sont pas de vains mots. Les femmes que j’ai auditionnées et avec lesquelles je suis en contact savent que ce texte ne va pas tout changer. Mais parler de leur situation, affirmer que la représentation nationale est à leurs côtés et leur reconnaître le statut de victimes de l’oppression talibane ne sont pas des choses inutiles.
M. Alain David (SOC). Depuis août 2021 et le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan, c’est une chape de plomb qui s’est abattue sur la population, plus particulièrement sur les femmes. En l’espace de quelques mois, les Afghanes ont été effacées de la vie publique. Elles n’ont plus le droit de travailler, de circuler librement, de se réunir, de faire du sport, d’avoir une autonomie financière. L’éducation des filles a également été attaquée : elles n’ont plus le droit d’aller à l’école après 12 ans. Plusieurs millions de jeunes filles sont ainsi privées d’éducation et de perspectives. Pour survivre, les Afghanes fuient vers l’Iran ou le Pakistan mais, là encore, les portes se ferment, puisque le Pakistan procède actuellement à des renvois de réfugiés afghans.
Face à cette tragédie, la Cour de justice de l’Union européenne a reconnu, en octobre dernier, que les Afghanes constituaient un groupe social pouvant prétendre au statut de réfugié sur la seule base de leur sexe et de leur nationalité. C’est une avancée majeure qui oblige notre pays à ouvrir des voies d’accès sûres et légales.
Alors que la France s’apprête à accueillir pendant l’été la quatrième conférence consacrée aux politiques étrangères féministes, les visas qui permettraient aux Afghanes de rejoindre la France depuis un pays voisin du leur ne sont délivrés qu’au compte-gouttes : 1 000 à ce jour.
Le groupe Socialistes et apparentés estime que les autorités françaises ne sont pas à la hauteur de l’enjeu de protéger la vie des femmes afghanes. Il est urgent que notre pays facilite la délivrance de visas. Nous demandons au gouvernement non seulement de poursuivre sa politique d’accueil des Afghanes mais également de l’intensifier pour offrir refuge et protection à ces personnes persécutées uniquement parce qu’elles sont des femmes.
Compte tenu de ces éléments et même si cette proposition de résolution européenne n’est que purement symbolique, nous la voterons avec enthousiasme et détermination.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je suis entièrement d’accord avec l’ensemble de vos propos. À cet égard, il ne vous aura pas échappé que le texte encourage notre gouvernement à accueillir des Afghanes ; j’y reviendrai.
Mme Maud Petit (Dem). Madame la rapporteure, merci pour les femmes afghanes.
Interdiction d’étudier, obligation de porter le voile intégral hors du domicile, intensification des mariages forcés et précoces, interdiction d’utiliser les transports publics sans l’accompagnement d’un tuteur masculin, exclusion de la majorité des emplois, interdiction de chanter et de lire à haute voix en public, enfermement et suppression des fenêtres donnant sur la rue… Depuis la prise de Kaboul, le 15 août 2021, les talibans ont édicté des règles et interdictions dont le but est de confiner les femmes à leur domicile et de les rendre invisibles au sein de la société afghane.
L’Afghanistan est ainsi devenu le seul pays au monde où les filles n’ont pas le droit d’aller à l’école au-delà de 12 ans ni d’étudier à l’université. Les femmes, elles, ont été progressivement exclues du travail et de la vie publique. Effacer leurs visages et maintenant leur voix : l’objectif des talibans est bien d’étouffer les femmes.
Face à cette situation insupportable et intolérable, la communauté internationale se montre quasiment unanime pour dénoncer la politique des talibans. Le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté plusieurs résolutions qualifiant de systématiques les violations des droits des femmes et des filles. Le haut‑commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a dénoncé un apartheid de genre. La France, quant à elle, a été l’un des pays européens les plus fermes à l’égard du régime de Kaboul, auquel elle refuse toute reconnaissance internationale.
Cependant, les sanctions internationales, telles que la suspension de l’aide au développement, n’ont que des effets limités. Cette proposition de résolution européenne est donc la bienvenue, en ce qu’elle propose l’adoption de mesures fortes et ciblées pour défendre les droits fondamentaux des Afghanes. Elles s’articulent autour de quatre leviers : la désignation du régime taliban comme organisation terroriste ; le recours à la justice pénale internationale ; l’organisation d’une priorité d’accueil pour les femmes afghanes en danger ; le renforcement d’une aide humanitaire spécifiquement destinées aux femmes et aux filles.
Le groupe Les Démocrates salue le combat des Afghanes pour leur liberté et de tous ceux qui les rejoignent. Nous les assurons de tout notre soutien et voterons ce texte.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je me félicite que nous soyons sur la même longueur d’onde. La situation des Afghanes nous touche en tant que femmes mais heurte aussi notre universalité, indépendamment de notre sexe.
M. Bertrand Bouyx (HOR). Depuis le retour des talibans au pouvoir, le sort des femmes et des filles afghanes s’est dramatiquement détérioré. Leur effacement de l’espace public n’est plus une crainte mais une réalité brutale, méthodique et systématique. Interdiction d’étudier, de travailler, d’accéder aux soins dans des conditions dignes, de s’exprimer, d’exister en tant que citoyennes et de circuler librement : c’est un apartheid de genre qui s’installe sous nos yeux, dans une indifférence insupportable.
Le groupe Horizons & indépendants estime que la proposition de résolution européenne est plus que bienvenue : elle est nécessaire. Elle réaffirme notre attachement aux droits fondamentaux, notre solidarité envers les Afghanes et notre refus de normaliser ce régime de ségrégation.
Cependant, ce texte ne peut être que symbolique et doit permettre d’activer des leviers concrets. L’Union européenne doit renforcer ses dispositifs d’accueil pour les réfugiées afghanes, conditionner toute aide humanitaire au respect minimal des droits humains, soutenir les acteurs de terrain, notamment les ONG, qui travaillent depuis l’extérieur pour maintenir un lien avec la société civile afghane. Il nous revient aussi de maintenir la pression diplomatique, d’interpeller sans relâche les institutions internationales, de dénoncer la stratégie d’effacement systématique qui n’a d’autre but que l’installation d’une domination totale et sans le moindre contre-pouvoir dans un pays où les femmes paient le prix fort.
Les Afghanes demandent notre soutien, notre relais, notre voix ; leur combat est aussi le nôtre. Au-delà du signal politique fort que cette proposition de résolution européenne envoie, notre groupe souhaite savoir quels moyens concrets vous préconisez d’utiliser pour que les recommandations qui figurent dans le texte aient des effets tangibles, notamment à l’échelle européenne.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Face à la politique d’apartheid de genre qui est menée dans une indifférence quasi généralisée – certains à l’Assemblée nationale semblent choisir les droits humains qu’ils défendent –, quatre leviers sont à notre disposition pour garantir une action efficace, au-delà du symbole. Je les ai déjà mentionnés : la reconnaissance des talibans comme une organisation terroriste ; l’aboutissement des procédures devant la CPI – la Cour a émis ce jour des mandats d’arrêt contre deux dirigeants – ; la facilitation du droit d’asile ; l’aide humanitaire et le soutien aux médias en exil ainsi qu’à l’opposition.
M. le président Bruno Fuchs. Je passe à présent la parole à celles et ceux de nos collègues qui souhaitent s’exprimer et intervenir à titre individuel.
M. Stéphane Hablot (SOC). La situation des femmes afghanes – déshumanisées, bafouées, enfermées – est horrifiante. Pourtant leur détresse, aussi violente soit-elle, devient progressivement inaudible. La République française, si fière de ses droits fondamentaux, peut-elle rester immobile alors que le pire s’installe ? Il faut combattre les talibans. Nous soutenons à 100 % votre proposition de résolution.
Madame la rapporteure, vous faites référence à la CPI, qui émet des mandats d’arrêt contre les talibans. Je vous le demande sans esprit polémique : pourquoi n’accordez-vous pas le même crédit à cette Cour lorsqu’elle condamne des exactions dans d’autres pays ? Y aurait-il deux poids, deux mesures ?
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je regrette votre intervention polémique, cher collègue. Il n’y a jamais eu deux poids, deux mesures. Simplement, je respecte le droit.
Puisque vous faites allusion – disons les choses – aux mandats d’arrêt émis par la CPI contre des dirigeants israéliens, la décision – je vous invite à la lire comme je l’ai fait – ne mentionne à aucun moment un risque de génocide ou un génocide. Par ailleurs, ces mandats d’arrêt viennent d’être annulés par la Cour. Je vous engage donc à être précis lorsque vous m’adressez des critiques, au demeurant infondées puisque je suis une femme de droit et que je m’y tiens systématiquement.
M. le président Bruno Fuchs. Nous en venons à l’examen du texte de la proposition de résolution européenne et des amendements qui ont été déposés.
*
Texte de la proposition de résolution européenne
Amendement AE24 de M. Michel Guiniot
Mme Sylvie Josserand (RN). Cet amendement vise à préciser le contexte dans lequel s’inscrit la proposition de résolution. Il replace l’engagement européen en faveur de l’Afghanistan et de sa population dans une perspective historique en rappelant que, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), près de 8 milliards d’euros ont été versés au pays depuis l’an 2000 au titre de l’aide publique au développement.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je ne comprends pas cet amendement ni les suivants poursuivant un but similaire puisqu’ils n’ont pas de lien avec l’objet du texte ni avec son orientation politique. Je doute de sa valeur ajoutée et je m’interroge sur vos intentions : vous semblez suggérer, à tort, que les femmes afghanes bénéficieraient déjà d’une aide suffisante. Un tel ajout risque de brouiller le message politique de l’alinéa 26, qui encourage à maintenir l’aide humanitaire en faveur des populations afghanes, en portant une attention particulière aux femmes et aux filles.
Le texte rappelle clairement l’impératif de solidarité internationale face à une situation d’urgence. Il serait contre-productif d’y introduire une dimension budgétaire. Avis défavorable.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Cet amendement semble vouloir démontrer que l’aide au développement ne sert à rien – c’est ainsi que je l’ai compris – puisque les talibans reviennent toujours. Or l’aide au développement est utile aux populations. Nous combattons le pouvoir taliban, pas les Afghans ni a fortiori les Afghanes. Au contraire, nous voulons les protéger.
Madame la rapporteure, votre réponse ne me suffit pas. Si nous voulons aider le peuple afghan à se séparer de ses dirigeants, le fait qu’ils soient placés sur la liste des organisations considérées comme terroristes par le Conseil de l’Union européenne est problématique. Je comprends votre volonté d’isoler les dirigeants – la France a, à juste titre, refusé de reconnaître le régime – mais comment faire, dès lors, pour aider demain les Afghans ? Nous savons que les interventions militaires sont vouées à l’échec ; les expériences russe et américaine l’ont démontré. Des années de guerre n’ont pas fait évoluer la situation d’un iota. Il faut donc trouver d’autres moyens, et cela suppose de faire de la dentelle.
Mme Sylvie Josserand (RN). Cet amendement vise à ajouter un considérant à votre proposition de résolution qui en comporte déjà un certain nombre. Comment envisager l’avenir si on ne rappelle pas le passé, dont ces 8 milliards d’euros sont un élément important ?
La commission rejette l’amendement.
Amendement AE22 de M. Michel Guiniot
Mme Sylvie Josserand (RN). Dans la même logique que le précédent, cet amendement vise à rappeler que l’Union européenne a promis 1,2 milliard d’euros pour la période 2021-2025 lors de la conférence 2020 sur l’Afghanistan organisée par les Nations unies et baptisée « Paix, prospérité et autonomie ».
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Même avis que précédemment. Vous rappelez un engagement européen connu. Je ne vois pas l’utilité d’un tel ajout, qui s’apparente à un détournement du débat pour remettre en cause l’aide au développement.
Monsieur Lecoq, au-delà de sa portée symbolique, à laquelle l’opposition afghane est attachée, la classification des talibans parmi les organisations terroristes emporte des conséquences importantes pour les dirigeants : des sanctions financières peuvent être prononcées contre eux ; les financements peuvent être tracés ; leurs soutiens ciblés. Autrement dit, on peut les atteindre directement au portefeuille.
M. Pierre Pribetich (SOC). Monsieur le président, d’importants votes s’annoncent dans l’hémicycle et je sollicite une suspension de séance pour nous permettre d’y prendre part.
M. le président Bruno Fuchs. Je fais droit à votre demande.
La réunion est suspendue de 17 h 20 à 17 h50.
M. le président Bruno Fuchs. Avant de poursuivre les échanges de fond, la commission doit formellement se prononcer sur l’amendement AE22.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AE21 de M. Michel Guiniot
M. Michel Guiniot (RN). Il s’agit de mettre en avant le fait que la France a versé plus de 1,5 milliard d’euros au titre de l’aide publique au développement depuis l’année 2000. Cette somme considérable, prélevée sur les deniers publics, était destinée à aider la population afghane à supporter le régime des talibans ainsi qu’à apporter un soutien aux femmes soumises, contre leur gré, à la charia et aux déviances islamistes. Or les fonds sont soit mal dirigés, soit mal utilisés.
Selon Fondapol et l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), en 2007, soit six ans après l’intervention des États-Unis en Afghanistan, quatorze ans après la prise du pouvoir par les talibans et vingt-huit ans après la prise des armes par les rebelles moudjahidines contre les communistes, près de 1 600 Afghans vivaient sur le territoire français. Quinze ans et plus de 1 milliard d’euros plus tard, la situation n’est pas stabilisée, les islamistes se sont importés chez nous et les Afghans sont devenus la première population demandeuse d’asile.
Il apparaît donc important de le rappeler : malgré les milliards que nous dépensons, aucune amélioration n’est notable, malheureusement pour les habitants de ce pays.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Même avis que précédemment.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AE20 de M. Michel Guiniot
M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement vise à souligner le versement par la France, entre 2018 et 2023, de plus de 100 millions d’euros au titre de l’aide publique au développement. Cette somme devait permettre aux femmes afghanes de se libérer du joug islamiste et à la population d’envisager une reconstruction, voire, dans le meilleur des cas, un développement de leur pays. Or rien de tout cela n’est advenu et la situation se dégrade considérablement. L’Europe semble unanime pour apporter un soutien aux populations victimes du régime taliban.
Je le répète, les financements sont soit mal dirigés, soit mal utilisés. Après vingt-huit ans de conflit, les Afghans étaient 1 600 à chercher l’asile en France. Aujourd’hui, ils sont 100 000, dont près des trois-quarts sont arrivés après 2016. Les Afghans sont plus nombreux à demander l’asile que les Syriens ou les Ukrainiens alors que les conflits qui les ont poussés hors de leur pays sont plus récents.
Malgré les centaines de millions d’euros que nous avons dépensés entre 2018 et 2021, aucune amélioration n’est notable pour le peuple afghan, notamment pour les femmes.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.
Amendement AE23 de M. Michel Guiniot
M. Michel Guiniot (RN). En 2023, la France a versé plus de 22 millions d’euros au titre de l’aide publique au développement. Elle a enregistré 13 000 demandes d’asile de la part d’Afghans, pour lesquels le taux de protection s’établit à 70 %, contre 63 % pour la moyenne européenne et 40 % en Suède.
L’aide est soit mal dirigée, soit mal utilisée. Les Afghans, à qui nous versons des milliards depuis l’année 2000, cherchent, toujours et encore, à fuir le régime islamiste imposé par les talibans, sans pour autant en abandonner les préceptes. Selon une étude de 2013, 99 % des Afghans arrivant en France sont favorables à l’instauration de la charia et 40 % des Afghans interrogés par l’OFII ont déclaré ne jamais avoir été scolarisés. L’intégration de ces immigrés dans notre société est donc particulièrement difficile.
Malgré les dizaines de millions d’euros que nous avons dépensés en 2023, aucune amélioration n’est notable pour le peuple afghan, notamment pour les femmes.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement.
Amendement AE1 de M. Jean-Paul Lecoq
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Cet amendement vise à compléter la proposition de résolution européenne en invitant le gouvernement à proposer l’extension de la convention internationale de 1973 sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid à l’apartheid de genre. La politique d’apartheid de genre que mènent certains États est inédite. Il est souhaitable que la convention de 1973 couvre cette nouvelle forme.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je partage l’objectif de rendre visible la persécution systématique et organisée des femmes en Afghanistan. La notion d’apartheid de genre figure dans mon rapport sur la proposition de résolution européenne, notamment lorsque je cite les propos du haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme.
Néanmoins, votre amendement soulève des questions diplomatiques et juridiques complexes qui dépassent l’objet de la résolution. Je crains qu’il ne vienne brouiller le message, qui est clair, bref, ciblé et porteur de recommandations d’application immédiate. En outre, on pourrait nous reprocher un terme qui, à ce jour, n’est pas juridiquement défini.
Pour préserver la cohérence et la rigueur juridique du texte, j’émets un avis défavorable.
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Mon groupe voit dans cette résolution un outil politique et non juridique. C’est le rôle de notre Assemblée d’émettre des messages politiques. Celui invitant le gouvernement à interpeller les Nations unies a du sens à nos yeux. Il n’est pas question, à ce stade, de discussions juridiques ni de tenir la plume, comme la France le fait souvent. Cet appel politique vise à enrichir la résolution afin que l’action de la France soit à la fois localisée et multilatérale.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. L’une n’exclut pas l’autre. La notion d’apartheid de genre figure déjà dans la proposition de résolution européenne. Votre amendement est donc satisfait.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AE16 de M. Michel Guiniot
M. Nicolas Dragon (RN). L’alinéa que nous proposons de supprimer invite le gouvernement des États-Unis d’Amérique à maintenir des dispositifs de protection pour les femmes afghanes. Cette formulation semble inappropriée eu égard à notre cadre constitutionnel.
En vertu du premier alinéa de l’article 88-4 de la Constitution, le gouvernement soumet à l’Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l’Union européenne, les projets d’actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d’actes de l’Union européenne. C’est donc bien au gouvernement français qu’il appartient d’interagir avec les instances européennes, et non à celui des États-Unis d’Amérique. L’Assemblée nationale n’a pas à inviter le gouvernement des États-Unis dans une résolution européenne, au risque d’affaiblir la portée contraignante de notre constitution.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Votre remarque est pertinente. L’alinéa 21 – comme l’alinéa 27 – interpelle directement des gouvernements non européens, ce qui n’est pas conforme au cadre juridique d’une résolution européenne. Pour parfaire la rédaction et éviter toute ambiguïté, j’ai proposé au président de la commission de déposer deux amendements que nous allons examiner juste après. Je vous invite donc à retirer le vôtre.
M. Nicolas Dragon (RN). À la lumière des explications de la rapporteure, nous retirons l’amendement.
L’amendement est retiré.
Amendement AE27 de M. Bruno Fuchs et sous-amendement AE32 de M. Michel Guiniot, soumis à une discussion commune avec l’amendement AE17 de M. Michel Guiniot
M. le président Bruno Fuchs. J’ai déposé cet amendement à la demande de la rapporteure, qui ne pouvait matériellement pas le faire, faute d’avoir été officiellement désignée avant le début de l’examen du texte.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Cet amendement, rédactionnel, vise à insérer, après le mot : « Invite », les mots : « les institutions européennes, et en particulier la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à encourager ».
M. Nicolas Dragon (RN). Puisque vous en partagez l’esprit, pourquoi ne votez-vous pas l’amendement poursuivant un objet similaire du Rassemblement national ? Avez-vous peur de reconnaître que, même sur le plan technique, nous avons raison ?
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je ne suis pas à ce point dogmatique. Vous avez raison : une précision rédactionnelle était indispensable. Le président de la commission et moi avons fait le nécessaire. Je suis donc favorable à la rédaction de l’amendement AE27.
Pour le reste, une résolution européenne exprime la position de l’Assemblée nationale à l’intention des institutions de l’Union. Votre sous‑amendement sort de ce périmètre.
De plus, une position européenne unifiée donnera au message une plus grande portée. Ajouter une adresse au gouvernement affaiblirait la lisibilité du texte ; demander une démarche bilatérale supplémentaire nuirait à la cohérence de l’ensemble.
Enfin, puisque la France invite les institutions européennes à adopter une position, elle ne pourra que s’y conformer elle-même. Les précisions que vous proposez d’ajouter sont donc superfétatoires.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de retirer votre sous-amendement.
M. Nicolas Dragon (RN). Sur le plan constitutionnel, il serait plus cohérent de demander au gouvernement d’inviter formellement le gouvernement des États-Unis à coopérer pour mettre en œuvre les dispositifs évoqués, dans la mesure où il s’agit d’un partenaire extérieur à l’Union européenne.
L’article 88-4 de la Constitution, qui fonde l’association du Parlement aux affaires européennes et formalise le rôle du gouvernement dans la transmission des textes européens, nous impose un cadre. L’article 151-5 du règlement de l’Assemblée nationale confirme que c’est la commission des affaires européennes qui suit les travaux concernés, dans le cadre d’un dialogue formel entre les institutions.
L’amendement AE17 vise à faire respecter les compétences de l’Assemblée nationale et à inciter le gouvernement français à prendre une initiative diplomatique.
La commission adopte successivement le sous-amendement AE32 et l’amendement AE27 sous-amendé.
En conséquence, l’amendement AE17 tombe.
Amendement AE11 de M. Jean-Paul Lecoq
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Je ne perdrai pas de temps à défendre cet amendement ni les suivants puisque la rapporteure a déjà arrêté ses réponses. Même l’amendement AE1, qui ne gênait personne et ne dévalorisait pas le texte, a reçu un avis défavorable.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je le redis, votre amendement est sans objet : la France n’a pas reconnu le régime des talibans comme gouvernement légitime de l’Afghanistan. À mon avis, ce n’est pas près de changer.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AE13 de M. Jean-Paul Lecoq
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Je partage l’intention de M. Lecoq. Son amendement vise ici à réaffirmer une position de principe sur un régime qui viole systématiquement les droits humains, notamment ceux des femmes et des filles, en invitant la France à condamner les reconnaissances des pays tiers. L’actualité lui donne un relief particulier : en acceptant les lettres de créance de l’ambassadeur des talibans, le 3 juillet, la Russie a officiellement reconnu leur gouvernement. D’autres pays entretiennent des relations diplomatiques pragmatiques avec le régime, sans toutefois le reconnaître. Il est donc essentiel de faire passer un message fort au seul pays à l’avoir reconnu car le processus est peut-être en cours ailleurs.
Pour ces raisons, j’émets un avis favorable sur cet amendement.
Mme Constance Le Grip (EPR). Nous voterons cet amendement. Il faut dire clairement que la reconnaissance du gouvernement des talibans est inacceptable. Kaboul a souligné tout de suite la décision de la Fédération de Russie, disant que c’était une très bonne chose. La République populaire de Chine l’a également saluée sans tarder.
M. Laurent Mazaury (LIOT). Une nouvelle fois, la Fédération de Russie, par l’intermédiaire de son président Vladimir Poutine, révèle toute sa dimension terroriste ; je n’ai pas peur d’employer ce mot. Nous voterons également cet amendement.
La commission adopte l’amendement.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette successivement les amendements AE12, AE9 et AE8 de M. Jean-Paul Lecoq.
Amendement AE25 de M. Kévin Pfeffer
Mme Sylvie Josserand (RN). Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 25 qui invite le gouvernement à poursuivre sa politique d’accueil des femmes afghanes, ce qui est totalement irréaliste. Soutenir ces femmes et dénoncer les exactions du régime des mollahs ne permet pas à la France d’accueillir sans limite toutes les Afghanes qui voudraient l’être. Dans une publication de juin, l’Office français de l’immigration et de l’intégration explique que, après les Ukrainiens, les Afghans sont les demandeurs d’asile les plus nombreux. Il précise que le phénomène est « massif, récent, inattendu par son ampleur ».
Madame la rapporteure, vous avez indiqué qu’il n’était pas question d’accueillir 28 millions d’Afghanes en France mais, si toutes demandent l’accueil, l’alinéa 25 permettra de le leur accorder. Irréaliste, il affaiblit l’autorité de la PPRE et le crédit de notre Assemblée.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Le régime des mollahs est celui de l’Iran. Même si son idéologie est proche de celle des talibans, ce n’est pas la même chose. Attention aux approximations.
Par ailleurs, votre raisonnement est erroné, voire contradictoire. Vous dénoncez à juste titre les dérives d’un régime totalitaire islamiste, plus particulièrement ce qu’il fait subir aux femmes, pour mieux refuser toute solidarité avec ces dernières en disant qu’il n’est pas question de les laisser venir. Or votre opposition est sans fondement : ces femmes fuient la terreur islamiste qu’imposent les talibans et celles qui arrivent à nos frontières partagent largement nos valeurs et notre attachement profond à la République. Pour avoir rencontré certaines d’entre elles, je peux en témoigner.
Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendements AE26 de M. Sébastien Chenu et AE10 de M. Jean-Paul Lecoq soumis à une discussion commune
Mme Sylvie Josserand (RN). L’amendement AE26, de repli, vise à inviter le gouvernement non plus à « poursuivre sa politique d’accueil des femmes afghanes » mais à leur « manifester un soutien », ce qui sera plus approprié et réaliste. La rédaction actuelle crée une ambiguïté sur l’engagement de la France en matière d’accueil.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette successivement les amendements.
Amendement AE5 de M. Jean-Paul Lecoq
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Trop de femmes afghanes sont bloquées derrière la frontière de l’Afghanistan, notamment au Pakistan. Pour elles, le chemin qui mène à la demande d’asile en France est impossible à parcourir. Marie-George Buffet vous dirait que c’est le cas même pour celles qui appartiennent à des équipes sportives. On ne peut pas publier que nous sommes prêts à accueillir les femmes afghanes quand leur chemin est semé de tant d’embûches. Les délais sont longs. Dans les pays où elles attendent la réponse de la France, elles vivent dans la précarité, parfois exploitées. C’est la double peine : elles sont sorties d’Afghanistan pour trouver la paix mais leur vie est infernale. Si nous voulons sauver les femmes afghanes, il faut nous en donner les moyens.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Le dispositif de votre amendement concerne non seulement les femmes mais aussi les journalistes, les militants, les activistes et les familles des personnels et des auxiliaires de l’armée française. Or le texte est consacré aux violations des droits fondamentaux des femmes afghanes : adopter votre amendement élargirait considérablement son périmètre, ce que je ne souhaite pas.
Par ailleurs, des voies d’accès prioritaires existent déjà pour les Afghanes les plus menacées, notamment avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
La commission rejette l’amendement.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette l’amendement AE3 de M. Jean-Paul Lecoq.
Amendement AE6 de M. Jean-Paul Lecoq
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Vous venez de voter contre un amendement visant à inviter le gouvernement à reconnaître systématiquement le statut de réfugié aux femmes et aux filles afghanes qui le demandent, alors que c’est l’exacte position de la France et que nous souhaitions l’inscrire dans la résolution européenne. C’est ballot !
Mme Caroline Yadan, rapporteure. L’amendement AE3 était satisfait.
L’amendement AE6, qui concerne les études, est également satisfait. Le ministère chargé de l’enseignement supérieur et Campus France ont déjà déployé des programmes spécifiques pour accueillir des étudiants afghans, en proposant notamment des bourses, des aides à la reprise d’études et un accompagnement social.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AE2 de M. Jean-Paul Lecoq et sous-amendement AE29 de Mme Caroline Yadan
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Mon sous-amendement vise à adapter la rédaction de l’alinéa proposé dans l’amendement AE2 pour qu’il « Invite le gouvernement à faciliter le traitement des demandes de visa des femmes et filles afghanes en vue d’une demande d’asile, ainsi que celui de leur demande d’asile une fois sur le territoire ». Avec cette rédaction, il sera ainsi plus restrictif et conforme au droit en vigueur.
Mme Maud Petit (Dem). Qu’entendez-vous par « dans un délai raisonnable » ? Dans certaines préfectures, un tel délai est très difficile à définir.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Justement, le sous-amendement supprime cette expression qui n’est pas assez précise et ne veut pas dire grand‑chose.
La commission adopte successivement le sous-amendement et l’amendement sous-amendé.
Suivant l’avis de la rapporteure, la commission rejette successivement les amendements AE7 et AE4 de M. Jean-Paul Lecoq.
Amendement AE14 de M. Jean-Paul Lecoq
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). Lorsque nous ne soutenons pas le gouvernement d’un pays, il faut néanmoins prendre en compte sa population. L’amendement AE8, déjà, tendait à le souligner. Celui-ci vise à inviter le gouvernement français à maintenir et à renforcer l’aide et l’action humanitaire auprès de la population afghane. Cela entre dans le cadre des dérogations que la Commission européenne prévoit. Évidemment, il faut veiller à ce que ces aides ne reviennent pas, par la bande, aux talibans et à les suspendre au moindre doute. D’ailleurs, les ONG qui mènent les actions humanitaires sont contrôlées.
Il s’agit donc d’affirmer que nous allons dans le même sens que la Commission européenne. On a le droit d’avoir un avis en France et s’il correspond en plus à celui de la Commission européenne, nous ne pouvons que nous en réjouir.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. Tel qu’il est rédigé, l’alinéa 26 satisfait votre demande : il prévoit que la France, aux côtés de l’Union européenne, maintienne et renforce l’aide humanitaire. Nous n’avons pas besoin d’alourdir le texte par une rédaction sans plus-value juridique ni politique, d’autant que la caractérisation des principes de l’aide humanitaire est toujours susceptible d’évoluer. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
Amendement AE19 de M. Michel Guiniot
M. Michel Guiniot (RN). Cet amendement est purement technique. Je suis content de voir que le président de la commission a identifié le même problème que moi. Lors de l’examen préalable du texte par la commission des affaires européennes, madame la rapporteure, vous avez fait adopter l’amendement n° 6, afin d’affirmer la nécessité de protéger les Afghanes. Je vous rejoins : nous ne devons pas laisser réduire au silence ou condamner à mort celles et ceux qui défendent la liberté et l’égalité, sans leur tendre la main.
Toutefois, en vertu de l’article 88-4 de la Constitution, les résolutions européennes ne peuvent concerner que les projets d’actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d’actes de l’Union européenne. En application de l’article 151-1-1 du règlement de l’Assemblée nationale, les propositions de résolution européenne doivent relever d’un domaine couvert par l’activité de l’Union. Sauf erreur de ma part, tel n’est pas le cas des politiques des gouvernements de l’Iran et du Pakistan. L’Assemblée nationale n’a pas à encourager des gouvernements étrangers.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. La question du périmètre juridique que vous soulevez est pertinente. L’amendement AE28 tend à y répondre en modifiant la rédaction de l’alinéa 27. Je vous propose de retirer votre amendement à son profit.
L’amendement est retiré.
Amendement AE28 de M. Bruno Fuchs et sous-amendement AE31 de M. Michel Guiniot, amendement AE18 de M. Michel Guiniot soumis à une discussion commune
M. Michel Guiniot (RN). J’imagine la réaction du gouvernement français si la Verkhovna Rada ou le Bundestag se mêlaient de sa façon de gérer le pays. C’est une question de souveraineté et de séparation des pouvoirs autant que de respect et de diplomatie.
Le sous-amendement vise ici à inscrire l’alinéa 27 dans la continuité des alinéas 22 à 26 : l’Assemblée nationale interpelle aussi bien le gouvernement de la République française que les institutions européennes. Comme le Rassemblement national, elle s’oppose à toutes les persécutions et ne peut qu’inviter le gouvernement à agir à leur encontre.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. J’émets un avis défavorable sur le sous-amendement.
La commission adopte successivement le sous-amendement AE31 et l’amendement AE28 sous-amendé.
En conséquence, l’amendement AE18 tombe.
Amendement AE15 de M. Jean-Paul Lecoq
M. Jean-Paul Lecoq (GDR). L’alinéa 27 cite des pays qui expulsent des femmes afghanes. L’Allemagne ayant annoncé qu’elle ferait de même, ce qui a provoqué l’indignation de l’ONU le 4 juillet, nous vous proposons de mettre à jour la proposition de résolution européenne.
Mme Caroline Yadan, rapporteure. C’est tout à fait inapproprié. Il y a une différence fondamentale entre la politique de l’Allemagne et celle du Pakistan, par exemple. Ce dernier a procédé à des expulsions de masse, systématiques, fondées sur la nationalité. En revanche, l’Allemagne, qui fait partie de l’Union européenne – je ne vous l’apprends pas –, a reconduit à la frontière un nombre limité de personnes condamnées à l’issue de procédures équitables. Ce n’est pas parce qu’on a la nationalité afghane que l’on ne peut pas être condamné. C’est ce que nous faisons qui compte, non ce que nous sommes. Avis défavorable.
La commission rejette l’amendement.
La commission adopte le texte de la proposition de résolution européenne modifié.
L’ensemble de la proposition de résolution est ainsi adopté.
([1]) Estimations compilées d’après les rapports de la Banque mondiale (Education Sector Analysis), UNICEF Afghanistan Annual Reports, UNESCO Institute for Statistics et UN Women Afghanistan (2001–2021).
([2]) Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution 2681 (2023), 27 avril 2023, S/RES/2681 (2023).
([3]) ONU Femmes, Gender alert: Women’s Rights in Afghanistan — One year after the Taliban Takeover, août 2022.
([4]) BBC News, « Afghan women’s rights activist Frozan Safi shot dead », 5 novembre 2021.
([5]) Nations unies, Rapport A/HRC/53/21 du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’Homme en Afghanistan et du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles, 15 juin 2023.
([6]) OCHA, Afghanistan Humanitarian Response Plan 2023–2024, United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs.
([7]) Human Rights Watch, « Afghanistan: Taliban Deprive Women of Livelihoods, Identity », 23 août 2022.
([8]) OCHA, Humanitarian Response Plan 2022, op. cit.
([9]) Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution 2593 (2021), adoptée le 30 août 2021.
([10]) Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution 2681 (2021), adoptée le 27 avril 2023.
([11]) Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Résolution 53/2, 12 juillet 2023.
([12]) Parlement européen, Résolution du 16 septembre 2021 sur la situation en Afghanistan (2021/2877(RSP)).
([13]) Cour nationale du droit d’asile, décision n° 23075266 du 11 juillet 2024, reconnaissant que les femmes afghanes constituent un groupe social au sens de la Convention de Genève de 1951. Disponible en ligne : https://www.cnda.fr/decisions-de-justice/jurisprudence/decisions-jurisprudentielles/afghanistan-la-cour-reconnait-la-qualite-de-refugiee-a-une-demandeuse-afghane-en-raison-de-son-appartenance-au-groupe-social-des-femmes2
([14]) Organisation internationale pour les migrations (OIM), Afghanistan: Flash Update #1 – Return of Undocumented Afghans from the Islamic Republic of Iran, 12 juin 2025. Disponible en ligne : https://afghanistan.iom.int/sites/g/files/tmzbdl1071/files/documents/2025-06/iom-afghanistanflash-update-1.pdf
([15]) OCHA, Pakistan: Population Movement – Forced Repatriation of Afghan Nationals, avril 2025, indiquant plus de 840 000 retours enregistrés depuis novembre 2023. Disponible en ligne : https://reliefweb.int/report/pakistan/pakistan-population-movement-04-2025-forced-repatriation-afghan-nationals-pakistan-april-2025
([16]) Emmanuel Macron, discours sur l’égalité femmes‑hommes, 30 juin 2021. Disponible sur Vie-publique.fr : https://www.vie-publique.fr/discours/280665-emmanuel-macron-30062021-egalite-femmes-hommes?utm_source=chatgpt.com