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N° 895

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 avril 2018

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

 

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1),

sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes,

PAR

M. Erwan BALANANT et Mme Marie-Pierre RIXAIN,

Députés

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(1) La composition de la Délégation figure au verso de la présente page.

 


 

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Marie-Pierre Rixain, présidente ; Mme Marie‑Noëlle Battistel, Mme Valérie Boyer, M. Pierre Cabaré, Mme Fiona Lazaar, vice-présidents ; Mme Isabelle Florennes, Mme Sophie Panonacle, secrétaires ; Mme Emmanuelle Anthoine ; Mme Sophie Auconie ; M. Erwan Balanant ; Mme Valérie Beauvais ; Mme Huguette Bello ; Mme Céline Calvez ; M. Luc Carvounas ; Mme Annie Chapelier ; Mme Bérangère Couillard ; Mme Virginie Duby-Muller ; Mme Pascale Fontenel-Personne ; Mme Laurence Gayte ; Mme Annie Genevard ; M. Guillaume Gouffier-Cha ; Mme Nadia Hai ; M. Yves Jégo ; Mme Sonia Krimi ; M. Mustapha Laabid ; Mme Nicole Le Peih ; Mme Jacqueline Maquet ; Mme Cécile Muschotti ; M. Mickaël Nogal ; Mme Bénédicte Peyrol ; Mme Josy Poueyto ; Mme Isabelle Rauch ; Mme Laëtitia Romeiro Dias ; Mme Bénédicte Taurine ; Mme Laurence Trastour‑Isnart ; M. Stéphane Viry.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

introduction

SynthÈse des propositions

I. renforcer la protection des mineurs contre les violences sexuelles

A. Les particularitÉS des crimes sexuels sur mineurs

1. L’ampleur des violences sexuelles sur mineurs

2. La nécessité d’une prise en charge adaptée

B. Les dispositions prÉvues par le projet de loi

1. Allonger à 30 ans le délai de prescription des crimes sur mineurs

2. Renforcer la répression des abus sexuels sur mineurs

a. L’état du droit

b. Préciser les notions de contrainte et de surprise

c. Une plus forte répression des atteintes sexuelles sur mineurs

C. Sanctuariser l’enfant contre les violences sexuelles imposées par un adulte

1. Inscrire dans la loi l’interdiction absolue d’un rapport sexuel entre un adulte et un enfant.

2. Inclure tous les types de pénétration dans la définition du viol afin de garantir une meilleure protection des victimes

3. Approfondir la prévention des violences sexuelles et améliorer l’éducation à la sexualité et au respect d’autrui

II. mieux rÉprimer les cyberviolences

A. Les problÉmatiques spÉcifiques du harcÈlement en ligne

1. Un phénomène massif

2. La spécificité des cyberviolences

3. Les femmes, victimes privilégiées avec de lourdes conséquences

B. Étendre la rÉpression pénale aux raids numÉriques

1. Une progressive prise en compte de la dimension numérique

2. Le dispositif du projet de loi

3. Mieux former les acteurs de la lutte contre les violences en ligne

III. crÉer une infraction pour rÉprimer l’outrage sexiste

A. Un cadre juridique incomplet pour réprimer un phénomène massif

1. Appréhender le harcèlement de rue

2. Un cadre juridique insuffisant

B. Les dispositions prÉvues par le projet de loi

1. La définition de l’infraction

2. La répression de l’infraction

a. Une contravention de 4e classe

b. Les peines encourues et les circonstances aggravantes

TRAVAUX DE LA dÉlÉgation

annexe 1 : Compte rendu de l’audition de Mme Marlène Schiappa, Secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes

annexe 2 : Liste des personnes auditionnÉes par lA dÉlÉgation et par les RAPPORTEURs


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introduction

Lors de son discours prononcé le 25 novembre 2017, à l'occasion de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes et du lancement de la grande cause du quinquennat, le Président de la République s’engageait fermement en faveur de la lutte contre toutes les violences sexistes à travers une « une action résolue fondée sur trois priorités : la première, l'éducation et le combat culturel en faveur de l'égalité ; la deuxième, celle qui consiste à mieux accompagner les victimes et la troisième, celle de renforcer l'arsenal répressif » ([1]).

Les violences faites aux femmes, qu’elles soient verbales, physiques ou sexuelles, sont une entrave inacceptable à leur liberté et à leur sécurité, ainsi qu’une atteinte intolérable à leur intégrité et à leur dignité. Toutes ces violences, insupportables et extrêmement destructrices pour les victimes, sont aujourd’hui encore extrêmement nombreuses dans une société qui reste finalement empreinte de sexisme.

Il s’agit en effet d’une réalité massive et protéiforme qui touche une très grande majorité des filles et des femmes au cours de leur vie. Les chiffres sont accablants : en France, 250 000 personnes sont victimes de viols chaque année ; une femme meurt tous les 2,7 jours sous les coups de leurs conjoints ; 20 % des femmes ont subi au moins une situation de harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle ; 25 % des jeunes filles ont subi une forme de cyberharcèlement.

Ces phénomènes et leurs conséquences sont de mieux en mieux connus, en particulier grâce aux grandes enquêtes nationales, telles que l’enquête Virage (violences et rapports de genre) conduite par l’Institut national des études démographiques (INED) qui permet d’appréhender l’ampleur des violences faites aux femmes, mais également leur coût humain, social et économique.

Ces violences contribuent à renforcer les inégalités entre les femmes et les hommes et doivent être combattues le plus sévèrement possible. Ce combat contre les violences faites aux femmes est sans doute aujourd’hui le plus fondamental pour faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a souhaité être saisie de ce texte, considérant en effet que la lutte pour l’élimination de toutes les violences faites aux femmes doit être une priorité. Comportant cinq articles, le projet de loi se fonde essentiellement sur trois axes :

 renforcer la protection des mineurs contre les crimes sexuels ou particulièrement violents ;

 améliorer la répression des cyberviolences et notamment du cyberharcèlement ;

 réprimer le harcèlement sexiste dans l’espace public par la création d’une nouvelle infraction dite d’outrage sexiste.

Vos Rapporteurs ont ainsi souhaité analyser et compléter chacun des dispositifs proposés dans ce projet de loi, en portant une attention particulière à la protection des victimes, d’une part, et à la répression des agresseurs, d’autre part. Dans cette perspective, une dizaine de personnes ont été entendues au cours de trois réunions de la Délégation, qui ont été complétées par huit auditions conduites par vos Rapporteurs.

Au terme de leurs travaux, vos Rapporteurs tiennent à souligner que ce projet de loi constitue une véritable avancée qui renforce le droit existant, répondant à certains vides juridiques, et envoie un signal extrêmement fort : les violences faites aux femmes sont intolérables ; elles ne sauraient persister dans une société démocratique du XXIe siècle et feront donc l’objet d’une réponse pénale sans faille.

Il leur semble toutefois nécessaire d’amplifier les dispositifs retenus, notamment par un approfondissement de la répression de tous les types de violences faites aux femmes et une véritable sanctuarisation de l’enfant contre les violences sexuelles imposées par un adulte.

 

 


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   SynthÈse des propositions

 

Recommandation n° 1 : Améliorer le recueil de données statistiques sur les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs.

Recommandation n° 2 : Généraliser le programme Nénuphar dans toutes les unités médico-judiciaires (UMJ) et diffuser les supports auprès de tous les professionnels de santé prenant en charge des mineurs victimes de violences sexuelles.

Recommandation  3 : Garantir une prise en charge spécialisée à toutes les étapes de la procédure judiciaire dans les cas de violences sexuelles commises à l’encontre de mineurs, en particulier lorsqu’il s’agit de viols sur mineurs.

Recommandation  4 : Corriger le troisième alinéa de l’article 1er du projet de loi, afin de conserver les autres délais de prescription prévus à l’article 9‑1 du code de procédure pénale (délits et crime de clonage reproductif).

Recommandation  5 : Remplacer le titre du chapitre II du projet de loi par « Dispositions relatives à la répression des violences sexuelles sur mineurs ».

Recommandation  6 : Simplifier et clarifier le fait que la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l’écart d’âge entre un mineur de 15 ans et un majeur dans les cas de viol ou d’agression sexuelle en :

− simplifiant la formulation de l’alinéa 2 de l’article 2 du projet de loi ;

− ajoutant un alinéa à l’article 2 du projet de loi afin de préciser à l’article 222‑22‑1 du code pénal que ces notions font référence non seulement à l’article 222‑22 définissant l’agression sexuelle, mais également à l’article 222‑23 définissant le viol, les deux articles faisant référence aux mêmes notions de violence, menace, contrainte ou surprise.

Recommandation  7 : Insérer dans le code pénal une nouvelle infraction selon laquelle tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, imposé par un majeur à un enfant de treize ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

Recommandation  8 : Insérer dans le code pénal une nouvelle infraction selon laquelle tout acte sexuel sans pénétration imposé par un majeur à un enfant de treize ans est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

Recommandation  9 : Engager une réflexion pour inclure dans la définition du viol tous les types de pénétration.

Recommandation  10 : Renforcer la politique interministérielle d’éducation à la sexualité, en prévoyant un apprentissage du respect de soi et d’autrui dès l’école primaire, et s’assurer de l’effectivité de la mise en œuvre des séances d’éducation à la sexualité dans tous les établissements scolaires.

Recommandation  11 : Améliorer les connaissances sur les violences en ligne et le cybersexisme :

 en complétant le champ des enquêtes sur les violences faites aux femmes de type Virage pour mieux prendre en compte toutes les violences en ligne ;

 en saisissant le Conseil national du numérique d’une étude sur le sexisme et les violences sur Internet, les réseaux sociaux et les jeux vidéo en ligne.

Recommandation  12 : Élargir les missions du Conseil national du numérique pour qu’il soit chargé de rendre publics des avis et des recommandations sur toute question relative à l’impact du numérique sur la société et sur l’économie en « prenant en compte les enjeux liés à l’égalité femmes-hommes ».

Recommandation  13 : Créer une plateforme de signalement des cyberviolences intégrée à un portail d’information et de pré-dépôt de plainte contre toute forme de violence.

Recommandation  14 : Poursuivre les actions de formation de tous les acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes en prenant en compte la question des cyberviolences spécialement en direction des femmes.

Recommandation  15 : Lancer une grande campagne d’information et de sensibilisation pour le grand public sur les cyberviolences et les violences faites en ligne aux femmes.

Recommandation n° 16 : Permettre aux agents de police judiciaire adjoints et aux agents assermentés agissant dans les transports en commun de relever cette contravention.

 


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I.   renforcer la protection des mineurs contre les violences sexuelles

Les violences sexuelles sur mineurs sont un phénomène criminel, massif et spécifique, aujourd’hui encore insuffisamment saisi par les enquêtes statistiques. L’ampleur et la gravité de ces crimes sexuels, qui se traduisent le plus souvent par des conséquences physiques et psychologiques extrêmement profondes, sont néanmoins de mieux en mieux connues et dévoilées, notamment grâce au travail précieux et conjoint des professionnels de santé et des associations d’aide aux victimes.

Les problématiques particulières liées aux crimes sexuels commis par des personnes majeures sur des personnes mineures ont été au cœur des travaux de vos Rapporteurs, qui ont souhaité compléter les avancées proposées par le projet de loi, afin de mieux protéger les mineurs victimes de violences sexuelles.

L’interdiction de tout acte sexuel d’un majeur sur un mineur de 15 ans doit faire l’objet d’une affirmation encore plus claire dans notre code pénal et l’enfance doit être sanctuarisée en renforçant strictement la protection des enfants de moins de 13 ans face à la sexualité de certains adultes.

A.   Les particularitÉS des crimes sexuels sur mineurs

1.   L’ampleur des violences sexuelles sur mineurs

Si les violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs constituent une réalité difficile à mesurer précisément, il semble toutefois que ces derniers soient les principales victimes des infractions sexuelles. « En France métropolitaine, 3,7 % des femmes et 0,6 % des hommes déclarent avoir été victimes de viols ou de tentatives de viol au cours de leur vie. Pour plus de la moitié des femmes et pour les trois quarts des hommes victimes, cette agression a eu lieu alors qu’elle ou il était âgé.e de moins de 18 ans » ([2]).

Selon les premiers résultats de l’enquête « violences et rapports de genre » (Virage) conduite par l’Institut national d’études démographiques (INED), 52,7 % des actes de viol ou de tentative de viol déclarés par les femmes et 75,5 % de ceux déclarés par les hommes, ainsi que 54,9 % des autres actes d’agressions sexuelles déclarés par les femmes et 50,7 % de ceux déclarés par les hommes surviennent avant l’âge de 18 ans. Le tableau suivant détaille la répartition par groupe d’âge des victimes de violences sexuelles.

RÉpartition par groupe d’Âge de victimes de violences sexuelles (hors harcÈlement ou exhibitionnisme) au cours de la vie

Selon le sexe de la personne victime, en %

Groupe d’âge

Viol et tentative de viol

Autre agression sexuelle

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

0 – 10 ans

27,0

34,1

23,3

20,4

11 – 14 ans

11,3

25,1

15,3

17,8

15 – 17 ans

14,4

16,3

16,3

12,5

18 – 24 ans

21,3

5,7

19,5

17,2

25 ans & +

25,8

18,8

25,0

32,0

NSP / NVPD (1)

0,3

0,0

0,6

0,1

Total

(effectif observé)

100,0

(632)

100,0

(77)

100,0

(3 422)

100,0

(567)

Champ : Femmes et hommes âgés de 25 à 69 ans vivant en France métropolitaine, en ménage ordinaire, ayant subi au moins une violence sexuelle au cours de leurs vies.

(1) : NSP : ne sait pas – NVPD : ne veut pas dire.

Source : INED, enquête Virage, 2015.

Ce tableau « présente les âges [auxquels sont subies les] violences ou [les] premières violences pour les viols, les tentatives de viol et les autres agressions sexuelles. Il souligne le poids des violences sexuelles subies aux plus jeunes âges. En effet, plus d’un quart des femmes et un tiers des hommes déclarent que les viols et tentatives de viol ont commencé avant leurs 11 ans. […] Le fait que les victimes de viols ou de tentatives de viol aient moins de 15 ans au moment des faits constitue une circonstance aggravante. C’est le cas de presque 40 % de ces actes déclarés par les femmes, et près de 60 % de ceux déclarés par des hommes, notamment en raison du poids important des violences subies dans le cadre de la famille, qui surviennent avant les 15 ans de la victime dans plus de 80 % des cas pour les femmes et 86 % pour les hommes » ([3]).

Lors de son audition par vos Rapporteurs, Mme Marie-France Casalis, porte‑parole de l’association Collectif féministe contre le viol (CFCV) a indiqué que 62 % des appels reçus par leur plateforme proviennent de femmes majeures qui parlent d’un (ou de plusieurs) viol qu’elles ont subi quand elles étaient mineures. Pour les quelques hommes qui appellent la plateforme (7 % des appels reçus), 97 % des viols ont eu lieu pendant l’enfance ou l’adolescence.

Ces différentes données statistiques confirment la prévalence des violences sexuelles contre les mineurs. En données brutes, l’enquête réalisée en 2015 par l’institut IPSOS et l’association Mémoire traumatique et victimologie ([4]) estime qu’il y aurait environ chaque année 124 000 filles et 30 000 garçons victimes de viols ou de tentatives de viol ([5]). Cela correspondrait à plus de 150 000 mineurs victimes de viol ou tentative de viol chaque année.

Ces différentes données sont très éclairantes et soulignent le poids prépondérant des violences sexuelles commises contre des mineurs. Toutefois, au cours des travaux menés, il est apparu à vos Rapporteurs que les données numériques fiables sur les violences sexuelles contre des mineurs semblent insuffisantes et ils considèrent donc qu’il est aujourd’hui impératif de mieux mesurer ces crimes pour mieux les prévenir et pour mieux en réprimer les auteurs.

Recommandation n° 1 : Améliorer le recueil de données statistiques sur les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs.

2.   La nécessité d’une prise en charge adaptée

Dans le cadre des travaux précédemment menés sur le viol par la Délégation ([6]), les conséquences psychologiques et physiques engendrées par les viols ont été largement évoquées, notamment à l’occasion des tables rondes organisées les 16 et 18 janvier 2018 réunissant plusieurs médecins (psychiatres, neurologues, médecins généralistes, médecins légistes…) spécialistes des violences sexuelles.

Les violences sexuelles se traduisent par de très lourds dommages qui sont protéiformes : d’une part, des conséquences physiques et physiologiques (troubles immunitaires, gynécologiques, gastro-entérologiques, allergiques, ou encore cardiovasculaires) ; d’autre part, de nombreuses conséquences psychologiques (dépressions, idées ou actes suicidaires, conduites addictives, etc.) ([7]).

Lors de la table ronde du 16 janvier 2018 réunissant trois médecins spécialisés sur ces questions, les Dr Murielle Salmona, Dr Gérard Lopez et Dr Gilles Lazimi ([8]), l’importance des troubles d’amnésie traumatique a unanimement été mise en avant. Ils conduisent les victimes à se protéger en occultant leurs agressions et sont particulièrement importants dans les cas de violences sur mineurs, notamment quand ces dernières sont commises au sein d’un cercle familial ou de confiance. Or, les violences sexuelles sur mineurs sont majoritairement commises dans un cadre familial ou par une autre personne de l’entourage immédiat.

Le rapport de la mission de consensus présidée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes souligne également ces spécificités et rappelle que « dans le cas d’agressions commises au sein de la famille, d’une communauté ou d’une institution, la victime mineure est confrontée en permanence à la présence de l’agresseur et à la répétition du fait traumatique. En effet, les crimes sexuels sur mineur.e.s sont souvent commis par un même auteur sur de nombreuses victimes et pendant plusieurs années. Le phénomène d’emprise de l’agresseur sur sa victime, et l’efficacité de sa stratégie pour la contraindre au silence, sont alors décuplés » ([9]).

La problématique spécifique de l’inceste

Dans le code pénal, l’inceste est une circonstance aggravante d’un viol ou d’une agression sexuelle. L’article 222‑31‑1 précise que « les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis sur la personne d’un mineur par :

1° Un ascendant ;

2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ;

3° Le conjoint, le concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait ».

Comme cela a été souligné par M. Patrick Loiseleur et Mme Isabelle Aubry, représentants de l’Association internationale des victimes de l’inceste (AIVI), lors de la table ronde organisée le jeudi 12 avril 2018 ([10]), l’inceste est un crime encore répandu en France. Selon l’AIVI, quatre millions de personnes, soit 6 % des Français, hommes et femmes, auraient été victimes d’inceste.

L’inceste, comme toute violence sexuelle sur mineur, se traduit par des conséquences psychiques et physiques extrêmement profondes, qui sont alors aggravées par la proximité de l’enfant avec son agresseur. Lors de cette table ronde, l’AIVI a rappelé que l’inceste implique le plus souvent pour l’enfant victime de fréquenter son agresseur jusqu’à sa majorité.

Comme cela a été constaté par Mmes Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain, corapporteures d’information sur le viol, ces spécificités impliquent une prise en charge adaptée, tant du point de vue médical et psychologique, que dans le cadre des procédures judiciaires. « Ainsi, la prise en charge par les forces de police ou de gendarmerie, au sein des UMJ [Unités médico-judiciaires], puis au cours des procès, doit être adaptée à ces spécificités. Lors de déplacement de terrain, elles ont pu constater que certains professionnels étaient particulièrement bien formés sur la prise en charge des enfants dans les cas de viols sur mineurs. Cette formation ne semble toutefois pas uniforme sur le territoire et il apparaît nécessaire de développer les spécialisations des personnels de santé et des forces de l’ordre dans ce domaine. Elles considèrent que ce sujet doit encore être approfondi pour améliorer la prise en charge des victimes mineures de violences sexuelles » ([11]).

L’interrogatoire par les forces de l’ordre ou encore l’examen médico-légal gynécologique doivent en effet faire l’objet d’une attention toute particulière lorsqu’il s’agit d’enfants, voire de très jeunes enfants, qui sont victimes de violences sexuelles. Tout professionnel au contact de victimes mineures devrait donc être formé à ces situations, afin de garantir une prise en charge spécifique.

Lors de leur audition par vos Rapporteurs, le 16 avril 2018, la Dr Caroline Rey-Salmon, pédiatre et légiste, à l’origine de l’ouverture des premières urgences médico-judiciaires pour mineurs, et Mme Mélanie Dupont, docteure en psychologie, psychologue pour les mineurs victimes à l’UMJ de l’Hôtel-Dieu, ont d’ailleurs insisté sur cette prise en charge spécifique.

Elles ont également présenté le programme Nénuphar, développé dans le cadre du Centre de victimologie pour mineurs, qui s’adresse spécifiquement aux mineurs victimes de violences sexuelles et à leurs proches. Ce programme a permis notamment de développer des films et des fascicules d’information, disponibles pour l’UMJ de l’Hôtel-Dieu, adressés aux enfants ou aux adolescents, ainsi qu’à leurs parents. Ces différents guides fournissent des indications précises et adaptées sur l’examen médical sur réquisition et les éventuels troubles ou symptômes que les victimes pourraient développer à la suite de violences sexuelles. Cette initiative extrêmement positive devrait être étendue à toutes les UMJ et les supports devraient être diffusés auprès de tous les professionnels de santé amenés à prendre en charge des mineurs victimes de violences sexuelles.

Recommandation n°2 : Généraliser le programme Nénuphar dans toutes les unités médico-judiciaires (UMJ) et diffuser les supports auprès de tous les professionnels de santé prenant en charge des mineurs victimes de violences sexuelles.

Reprenant à leur compte la recommandation précédemment formulée dans le rapport d’information sur le viol ([12]), vos Rapporteurs considèrent qu’il conviendrait aujourd’hui d’approfondir la formation de tous les agents impliqués dans la prise en charge des mineurs victimes de violences sexuelles.

Recommandation n° 3 : Garantir une prise en charge spécialisée à toutes les étapes de la procédure judiciaire dans les cas de violences sexuelles commises à l’encontre de mineurs, en particulier lorsqu’il s’agit de viols sur mineurs.

B.   Les dispositions prÉvues par le projet de loi

1.   Allonger à 30 ans le délai de prescription des crimes sur mineurs

La prescription en matière pénale correspond à l’extinction de l’action publique après un certain délai écoulé depuis le jour de la commission de l’infraction. Elle se fonde traditionnellement sur le principe d’une forme de droit à l’oubli et sur l’idée plus pragmatique d’un dépérissement des preuves. Enfin la prescription serait également un moyen de sanctionner l’inaction publique et d’encourager ainsi à un jugement dans un délai raisonnable.

Toutefois, au travers des diverses auditions menées, vos Rapporteurs constatent que ce principe de prescription est de plus en plus décrié, notamment pour les crimes. En effet, comme l’avait mentionné Mme Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol (CFCV), lors d’une précédente audition ([13]), l’idée d’une forme de « paix des agresseurs » semble de plus en plus inacceptable, voire intolérable lorsqu’il s’agit de crimes sexuels commis sur des enfants.

Avant 2017, les délais de prescription de droit commun pour les crimes et délit étaient respectivement de dix ans et de trois ans, tandis qu’existait pour les infractions sexuelles sur mineurs un délai de prescription dérogatoire de vingt ans. La loi du 27 février 2017 ([14]) a doublé ces délais de droit commun, qui sont donc passés à six ans pour les délits et vingt ans pour les crimes, mais elle a également gommé la spécificité des crimes sexuels contre les mineurs en maintenant le droit de prescription dérogatoire à vingt ans. Les délais de prescription pour les crimes et délits sont donc aujourd’hui les mêmes pour les victimes mineures et les victimes majeures, y compris pour les crimes sexuels. Si cette réforme avait comme objectif de limiter les exceptions et d’ainsi harmoniser le droit de la prescription, il apparaît aujourd’hui que cette absence de distinction entre les crimes sexuels sur mineurs et ceux commis sur des majeurs n’est pas adaptée.

L’article 1er du projet de loi porte de vingt à trente ans le délai de prescription de l’action publique de certains crimes commis sur mineurs. Il s’agit des crimes suivants :

− meurtre ou assassinat précédés ou accompagnés d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie, ou lorsqu’ils sont commis en état de récidive légale ;

− torture ou acte de barbarie ;

− viol ;

 violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente.

Ce nouveau dispositif prévoit donc que l’action publique des crimes sexuels ou particulièrement violents commis sur mineurs se prescrit par trente ans révolus à compter de la majorité de la victime. Selon vos Rapporteurs, l’allongement de ce délai de vingt à trente ans est pertinent et ils saluent ici une réforme importante qui se place dans le camp des victimes.

Il leur semble en effet approprié de recréer un régime de prescription dérogatoire au droit commun pour les crimes sexuels sur mineurs, en raison des spécificités précédemment mentionnées. Des délais dérogatoires de trente ans existent d’ailleurs déjà pour certains crimes (à caractère terroriste ou en matière de trafic de stupéfiants par exemple ([15])) ; il apparaît justifié de garantir un délai comparable pour les crimes sexuels sur mineurs.

Il s’agit en outre de la recommandation de la mission de consensus présidée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes, qui insiste notamment sur la nécessité d’allonger ce délai de prescription pour mieux tenir compte des nombreux cas d’amnésie traumatique. En raison de leur âge et de liens souvent familiaux avec l’auteur des violences, les victimes mineures peuvent en effet se retrouver en incapacité de révéler les violences subies et de dénoncer l’auteur de ces violences. « Les crimes sexuels commis sur les mineur.e.s présentent des spécificités telles que le phénomène de l’emprise, le conflit de loyauté, la honte et parfois une amnésie traumatique. Il ressort des témoignages des victimes, des auditions réalisées dans le cadre de la mission de consensus et de plusieurs études et travaux scientifiques que :

 le délai en vigueur ne prend pas suffisamment en compte le caractère tardif de la révélation ;

 l’âge limite de 38 ans correspond à une période de la vie des victimes où elles ont des enfants relativement jeunes et des contraintes familiales importantes, ce qui peut les décourager à engager des procédures judiciaires longues et souvent difficiles ;

 l’amnésie traumatique est souvent levée après 40 ans, soit quand les faits sont déjà couverts par la prescription » ([16]).

La plupart des personnes rencontrées au cours des auditions conduites par vos Rapporteurs ont souligné la pertinence de l’allongement du délai de prescription. Mme Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF) et Mme Clémentine Labatut, avocate et membre de la commission justice de la FNSF, ont signalé qu’il s’agit d’une véritable avancée, pratiquement et symboliquement très importante pour les victimes.

Lors des travaux de la Délégation aux droits des femmes sur le viol ([17]), plusieurs objections avaient néanmoins été soulevées contre l’allongement du délai de prescription à trente ans, notamment en termes de validité des preuves et de pertinence des procédures judiciaires.

« M. Jacky Coulon, secrétaire national de l’Union syndicale des magistrats (USM), a lui aussi rappelé que cet allongement n’était pas nécessairement une bonne solution, car plus les faits sont anciens plus ils sont difficiles à prouver. Maître Jérôme Karsenti, [représentant du Conseil national des barreaux (CNB), membre des commissions « égalité » et « libertés et droits de l’Homme »,] a qualifié ce projet de « mauvais traitement de victime », considérant qu’il ne faudrait pas que cela conduise à leur faire croire qu’il va être possible de recevoir et de faire aboutir sa plainte aussi tardivement après les faits. Il souligne que cet allongement pourrait également renforcer l’actuel engorgement de la justice.

Lors de déplacements de terrain, ces mêmes inquiétudes se sont exprimées, ainsi que la difficulté de conduite des enquêtes judiciaires sur des faits aussi anciens et le risque d’aggravation du traumatisme que cela pourrait faire courir aux victimes. Sur cette idée qu’un jugement de non-lieu ou de classement sans suite constituerait un traumatisme supplémentaire pour la victime, Mme Flavie Flament a expliqué clairement : « je pense que c’est faux, je pense qu’une victime est tout à fait en mesure d’apprécier le risque qu’elle court si elle est prévenue, si elle est accompagnée » ([18]). Elle a en outre ajouté que « quand la porte de la justice se referme sur le visage d’une victime en demande, c’est la porte de l’impunité qui s’ouvre sur les auteurs de crimes sexuels ». Allonger le délai de prescription permet selon elle d’envoyer un signal clair : « le monde sera plus juste envers les victimes […] et le temps de l’impunité est révolu » et cette mesure est, selon elle, très attendue par la société.

Les échanges avec les personnels de police et de gendarmerie travaillant sur le terrain ont également permis d’identifier un intérêt très important de l’allongement de ce délai. Dans les cas de viols en série, qui ne sont pas rares comme l’a rappelé le CFCV puisque les violeurs d’enfants sont souvent récidivistes et ne font pas qu’une victime, l’allongement du délai de prescription permettrait de pouvoir inclure dans le cadre de la procédure judiciaire un plus grand nombre de victimes, facilitant ainsi le travail des enquêteurs et des magistrats et permettant une justice pour toutes les victimes. Maître Jérôme Karsenti, représentant du CNB auditionné par vos Rapporteures, a également confirmé que pour les violeurs en série, le prolongement de ce délai présente un réel intérêt » ([19]).

Comme cela a également été souligné par M. Christian De Rocquigny du Fayel, procureur de la République à Colmar, vice-président du conseil d’administration de la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR), lors de son audition par vos Rapporteurs, la prolongation de ce délai de prescription traduit une volonté claire de faire avancer la lutte contre les infractions sexuelles.

À la lumière de leurs travaux, vos Rapporteurs considèrent l’allongement du délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs de vingt à trente ans comme une évolution indispensable. Le projet de loi permet en ce sens de faire progresser la lutte contre les violences faites aux enfants, mais aussi contre les violences faites aux femmes qui représentent la majorité des victimes de violences sexuelles.

Ils soulignent toutefois qu’en l’état actuel de sa rédaction, le troisième alinéa de l’article 1er du projet de loi conduirait non seulement à prolonger le délai de prescription des crimes sexuels ou particulièrement violents commis sur des mineurs, mais également à supprimer le délai de prescription de vingt ans des délits qui étaient également inclus dans l’article 9‑1 du code de procédure pénale. En outre, cela supprimerait aussi le délai de prescription prévu pour les crimes de clonage reproductif (article 214‑2 du code pénal), également mentionné à l’article 9‑1 du code pénal. Il conviendrait donc de corriger ces deux imprécisions.

Recommandation n° 4 : Corriger le troisième alinéa de l’article 1er du projet de loi, afin de conserver les autres délais de prescription prévus à l’article 9‑1 du code de procédure pénale (délits et crimes de clonage reproductif).

2.   Renforcer la répression des abus sexuels sur mineurs

En amont de la présentation des dispositifs prévus par l’article 2 du projet de loi, vos Rapporteurs souhaitent souligner que le titre du chapitre II « Dispositions relatives à la répression des abus sexuels sur les mineurs » ne leur semble pas adapté, car il ne renvoie pas suffisamment précisément aux cas qui sont ici pris en compte, à savoir le viol, l’agression sexuelle et l’atteinte sexuelle. Ils considèrent qu’il serait plus adéquat d’utiliser le terme de « violences sexuelles ».

Recommandation n° 5 : Remplacer le titre du chapitre II du projet de loi par « Dispositions relatives à la répression des violences sexuelles sur mineurs ».

Afin de renforcer les dispositions du code pénal relatives à la répression du viol, des agressions sexuelles et des atteintes sexuelles commis sur des mineurs de 15 ans, l’article 2 du projet de loi prévoit trois évolutions législatives :

− il précise que la contrainte morale ou la surprise (qui, avec la menace et la violence, font partie des éléments constitutifs des agressions sexuelles et des viols) peut résulter « de l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes » lorsque la victime est un mineur de 15 ans ;

− il porte de 5 à 10 ans d’emprisonnement la sanction du délit d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans lorsque l’atteinte comporte un acte de pénétration sexuelle (ces cas concernent donc les situations dans lesquelles le viol ne peut être constitué en l’absence de violence, contrainte, menace ou surprise) ;

− il permet à la cour d’assises statuant sur un viol commis sur mineur de 15 ans de condamner la personne du chef d’atteinte sexuelle si elle estime que le viol n’est pas caractérisé afin d’éviter son acquittement.

a.   L’état du droit

L’article 222‑23 du code pénal définit le viol comme un « acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise » et l’article 222‑22 définit l’agression sexuelle comme une « atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ». Ces quatre notions de violence, contrainte, menace ou surprise permettent d’englober les différentes incidences d’un rapport sexuel imposé et ainsi de caractériser l’absence de consentement à l’acte sexuel – alors qualifié de viol ou d’agression sexuelle.

Toutefois, l’absence de consentement n’est pas simple à établir au cours des procès, y compris lorsqu’il s’agit d’un rapport sexuel impliquant une personne majeure et une personne mineure. Cela a d’ailleurs été récemment le cas lors de procès pour viol qui n’ont pas conduit à une condamnation de l’auteur présumé majeur, alors que les victimes étaient âgées de moins de 15 ans. Ces différentes affaires ont conduit à réinterroger la capacité d’un mineur, notamment lorsqu’il est âgé de moins de 15 ans, à consentir de manière pleinement éclairée à une relation sexuelle avec un majeur. Auditionné par la Délégation le 14 novembre 2017 dans le cadre des travaux d’information sur le viol, M. Édouard Durand, juge des enfants, a expliqué que ces cas ont mobilisé la société « parce que nous avons été capables de nous représenter la scène, de nous représenter l’adulte de 30 ans et la petite fille de 11 ans dans cette scène sexuelle et que ceci a heurté nos consciences » ([20]).

Si le droit pénal prend déjà en compte l’immaturité physique et psychique des mineurs à travers plusieurs dispositions ([21]) et s’il ne semble pas exister de véritable vide juridique, il apparaît tout de même que, dans certains cas, un acte sexuel d’un majeur sur un mineur puisse échapper à une condamnation adaptée. En ce sens, il existe une marge de progrès pour expliciter dans le droit pénal la spécificité des violences sexuelles commises sur les mineurs de 15 ans, afin de mieux les en protéger.

Cette même logique avait d’ailleurs été suivie en 2010 ([22]) avec la création de l’article 222‑22‑1 du code pénal pour préciser la notion de contrainte : elle peut être physique ou morale et l’article précise que « la contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ». Il est donc clair que l’écart d’âge entre un majeur et un mineur peut impliquer une contrainte et conduire à caractériser un acte sexuel comme une agression sexuelle ou comme un viol s’il y a pénétration. Toutefois, cette disposition ne semble pas permettre de tenir systématiquement compte des contraintes induites par un tel écart d’âge lors d’un acte sexuel. En particulier dans les cas de crimes de viol, qui sont jugés en cour d’assises, la contrainte induite par la différence d’âge n’est, par exemple, pas clairement définie pour imposer à un jury populaire de condamner un acte sexuel commis par un adulte sur un enfant.

b.   Préciser les notions de contrainte et de surprise

Afin de mieux protéger les mineurs et d’expliciter en droit le type de contrainte exercée par un majeur sur un mineur lors d’un acte sexuel, l’article 2 précise deux notions constitutives des crimes de viols et délits d’agressions sexuelles : la contrainte et la surprise. Lorsque les faits sont commis sur un mineur de 15 ans, la contrainte – morale en ce cas – ou la surprise peut résulter de « l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ».

Vos Rapporteurs tiennent à souligner qu’introduire une telle précision dans le code pénal permet de mieux tenir compte de l’immaturité sexuelle, non pas seulement physique, mais également psychologique, des enfants et des adolescents. Cela garantit ainsi de questionner systématiquement la contrainte qui a pu peser sur un enfant ou un adolescent dans de telles situations et d’interroger leur capacité de consentement à un acte sexuel avec un majeur. Une telle précision est donc de nature à renforcer la protection des mineurs de 15 ans contre les crimes et délits sexuels.

Vos Rapporteurs soulignent que cette démarche est d’autant plus pertinente que la contrainte et la surprise sont majoritairement employées comme moyen de pression pour imposer un acte sexuel à un mineur. En effet, une enquête sur les viols commis à Paris en 2013 et 2014 et enregistrés par les services de police ([23]) permet de caractériser plus spécifiquement les viols sur mineurs ([24]) qui sont commis à 75 % dans des espaces privés. Au sens du code pénal, seulement 9 % des viols ont été commis « avec violence », c’est-à-dire avec une violence physique destinée à imposer l’acte sexuel ; 49 % ont eux été commis par « contrainte ou menace » et 42 % par « surprise » (la même enquête relève que pour les victimes majeures, la surprise est utilisée dans 15 % des cas). Cette enquête estime enfin que « dans 42 % des situations, l’auteur a donc usé de stratagèmes (jeux, initiations) ou a profité de la difficulté de la victime à appréhender la situation pour agir ».

Les premiers résultats de l’enquête Virage conduisent aux mêmes conclusions : « les modes de contrainte mentionnés le plus fréquemment lors des viols et tentatives de viol rapportés par les femmes et les hommes relèvent de l’abus de confiance : le fait de « profiter [du] jeune âge » est cité 7 fois sur 10, celui de « profiter de [la] confiance » est cité plus d’une fois sur deux. Cet abus de confiance est d’autant plus fréquent que la victime est jeune et que les faits se sont déroulés dans l’espace familial ou des relations avec les proches. Pour les jeunes, et dans le cadre familial, le fait de profiter du jeune âge est cité plus de 8 fois sur dix, notamment par les hommes agressés pendant leur enfance ou adolescence » ([25]).

Fréquence des modes de contrainte lors des viols et tentatives de viol selon le sexe et l’âge de la victime au moment des faits

en %

Mode de contrainte

Femmes

Hommes

Avant 18 ans

18 ans et +

Ensemble

Avant 18 ans

18 ans et +

Ensemble

En profitant de votre jeune âge(2)

80,7

24,1

69,8

84,9

NS (3)

70,7

En profitant de votre conscience

60,8

40,4

51,7

64,3

58,0

Par le chantage affectif ou la culpabilisation

51,0

48,5

49,9

41,7

36,3

Par le chantage économique

53,9

15,6

37,0

51,1

43,4

Par la menace ou l’intimidation

49,5

44,2

47,2

33,7

27,0

Par la force physique

46,4

60,4

56,7

28,8

32,4

En vous menaçant avec une arme

7,2

8,2

7,6

2,0

1,5

Il/elle vous a fait boire de l’alcool ou drogué.e

7,5

12,0

9,5

12,2

12,3

Vous étiez sous l’emprise de l’alcool, d’une drogue, de médicaments

10,8

15,7

13,0

14,0

16,9

Vous étiez endormi.e

9,7

15,9

12,4

7,1

5,8

Champ : Femmes et hommes âgé.e.s de 20 à 69 ans vivant en France métropolitaine en ménage ordinaire, ayant subi au moins un viol ou une tentative au cours de la vie.

Lecture : 80,7 % des femmes qui ont subi au moins un viol ou une tentative de viol avant leurs 18 ans, déclarent que l’auteur.e a profité de leur jeune âge.

Notes : 1. Si le fait a été répété, on considère l’âge à la première fois. Pour chaque fait, plusieurs modes de contraintes pouvaient être cités.

2. Modalité de question proposée uniquement pour les violences déclarées avant les 12 derniers mois.

3. Non significatif car effectif trop faible.

Source : INED, enquête Virage 2015.

Ces enquêtes montrent la prévalence des situations dans lesquelles l’auteur des violences a effectivement usé de contrainte ou de surprise, profitant du manque de discernement du mineur pour lui imposer un acte sexuel. Ces notions peuvent donc être les plus utiles pour caractériser un viol ou une agression sexuelle sur mineur. Vos Rapporteurs se félicitent de l’ajout dans le code pénal d’une telle précision permettant d’indiquer clairement que l’écart d’âge entre un mineur de 15 ans et un majeur peut constituer une contrainte ou une surprise.

Les travaux et les auditions menés conduisent néanmoins vos Rapporteurs à considérer la formulation retenue comme trop complexe, ce qui risque d’être utilisé au bénéfice des mis en cause. Il leur semblerait donc pertinent d’utiliser une formulation plus simple pour garantir la clarté de la loi et faciliter l’application de ce dispositif.

Par ailleurs, la modification de l’article 222‑22‑1 gagnerait à être complétée pour indiquer explicitement dans le code pénal que ces précisions sur les notions de contrainte et de surprise ne portent pas seulement sur l’article 222‑22, qui définit les agressions sexuelles, mais également sur l’article 222‑23 qui définit le viol. Vos Rapporteurs considèrent qu’une telle précision garantira une meilleure utilisation des notions de contrainte et de surprise.

Recommandation n° 6 : Simplifier et clarifier le fait que la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l’écart d’âge entre un mineur de 15 ans et un majeur dans les cas de viol ou d’agression sexuelle en :

− simplifiant la formulation de l’alinéa 2 de l’article 2 du projet de loi ;

− ajoutant un alinéa à l’article 2 du projet de loi afin de préciser à l’article 222‑22‑1 du code pénal que ces notions font référence non seulement à l’article 222‑22 définissant l’agression sexuelle, mais également à l’article 222‑23 définissant le viol, les deux articles faisant référence aux mêmes notions de violence, menace, contrainte ou surprise.

c.   Une plus forte répression des atteintes sexuelles sur mineurs

L’article 2 prévoit deux autres dispositions qui visent à garantir une juste condamnation des actes sexuels sur mineurs quand ils ne sont finalement pas qualifiés de viols ou d’agressions sexuelles. Vos Rapporteurs considèrent qu’en effet, pour garantir une juste condamnation des majeurs ayant commis des actes sexuels sur des mineurs de 15 ans, sans que la contrainte, la menace, la surprise ou la violence ait pu être prouvée, il est indispensable de renforcer également la notion d’atteinte sexuelle ([26]).

Le projet de loi ne modifie pas la définition de l’atteinte sexuelle, mais complète l’article 227‑26 du code pénal afin d’aggraver la peine d’emprisonnement et l’amende en cas d’atteinte sexuelle lorsqu’un acte de pénétration sexuelle a été commis par un majeur sur un mineur de 15 ans. Les peines encourues sont ainsi doublées : l’emprisonnement passe de cinq à dix années et l’amende de 75 000 à 150 000 euros.

Si la violence, la contrainte, la menace ou la surprise lors d’un acte sexuel avec pénétration d’un majeur sur un mineur de 15 ans n’a pas pu être démontrée au cours d’une procédure judiciaire, cette aggravation de la peine pour atteinte sexuelle garantit une répression plus sévère des faits.

Dans la même logique, le III de l’article 2 du projet de loi, complétant l’article 351 du code de procédure pénale, permet à la cour d’assises statuant sur un viol commis sur mineur de 15 ans de condamner la personne du chef d’atteinte sexuelle si elle estime que le viol n’est pas caractérisé afin d’éviter son acquittement.

Vos Rapporteurs se réjouissent de ces deux ajouts du projet de loi. Ils considèrent qu’ils permettent de renforcer la notion d’atteinte sexuelle, envoyant un signal clair en termes de protection des mineurs de 15 ans contre les violences sexuelles.

C.   Sanctuariser l’enfant contre les violences sexuelles imposées par un adulte

Le projet de loi renforce bien la limite d’âge de 15 ans et rappelle qu’un adulte ne peut pas avoir de relation sexuelle avec un mineur de moins de 15 ans. Il renforce les condamnations puisqu’il va faciliter les condamnations pour viol en prenant clairement en compte l’écart d’âge comme un élément qui contraint le mineur de moins de 15 ans à céder à une relation sexuelle avec un majeur. Les auteurs majeurs de viols et les agressions sexuelles commis sur un mineur de moins de 15 ans seront donc plus facilement condamnés. Et si toutefois dans certains cas, le viol ne pouvait malgré tout pas être prouvé, le projet de loi renforce en plus automatiquement la sanction du majeur.

À la suite des auditions menées par vos Rapporteurs, il leur a semblé nécessaire de ne tout simplement plus poser la question du viol quand un enfant de moins de 13 ans est concerné : il s’agit alors incontestablement d’une situation sexuelle qui implique un enfant, situtation totalement intolérable. Ils proposent de créer un crime nouveau, spécifique, punissant les violences sexuelles commises par un majeur sur un enfant de moins de 13 ans.

Comme l’ont relevé les psychiatres et spécialistes de l’enfance rencontrés par vos Rapporteurs, l’âge de 13 ans est en effet une limite indiscutable de l’enfance. En dessous de l’âge de 13 ans, tous les mineurs sont, sans conteste, encore des enfants et doivent donc impérativement être protégés contre la sexualité des adultes qu’ils ne peuvent pas comprendre et dont ils ne peuvent pas mesurer la réalité. Vos Rapporteurs proposent donc de compléter le code pénal avec des infractions nouvelles pour poser un interdit très clair de toute relation sexuelle entre un majeur et un enfant de moins de 13 ans, la violation de l’interdit constituant un crime.

1.   Inscrire dans la loi l’interdiction absolue d’un rapport sexuel entre un adulte et un enfant.

Vos Rapporteurs considèrent comme extrêmement positif le renforcement dans le code pénal du seuil d’âge de 15 ans, au travers des précisions apportées aux notions de contrainte et de surprise et de l’aggravation des peines en cas d’atteinte sexuelle avec pénétration.

Ces modifications renforcent la clarté de notre droit : il rappelle solennellement que tout acte sexuel d’une personne majeure avec un mineur de 15 ans est interdit. Un tel acte sexuel est puni automatiquement du chef d’atteinte sexuelle (article 227‑25 du code pénal) dont les peines sont aggravées en cas de pénétration grâce au présent projet de loi.

Vos Rapporteurs souhaitent néanmoins aller plus loin dans cette logique de protection et inscrire dans la loi l’interdiction absolue d’un rapport sexuel entre un adulte et un enfant.

Les différentes expertises apportées au cours des auditions conduites par vos Rapporteurs ont permis de montrer clairement qu’en dessous de treize ans, tant d’un point de vue clinique que d’un point de vue de la construction psychologique, l’écrasante majorité des enfants n’a pas la maturité et le discernement pour consentir de manière éclairée à un rapport sexuel avec un individu majeur de plus de cinq ans son aîné.

Comme cela a par exemple été expliqué par Mme Mélanie Dupont, psychologue pour les mineurs victimes à l’UMJ de l’Hôtel-Dieu, les enfants de moins de 13 ans n’ont pas conscience de ce qu’est la sexualité. Elle relève qu’un enfant ne dispose pas d’une compréhension cognitive de la réalité ni des implications de l’acte sexuel.

Même s’ils s’intéressent à ces sujets, notamment par le biais d’Internet, et s’ils connaissent de nombreux mots désignant des pratiques sexuelles, ils n’ont pratiquement jamais conscience de ce que sont concrètement ces pratiques. Ainsi, le visionnage d’images pornographiques ou la connaissance d’un vocabulaire sexuel ne présument en rien d’une compréhension de la réalité de la sexualité.

Mme Mélanie Dupont et Mme Rey‑Salmon, pédiatre et médecin légiste, ont également insisté lors de leur audition sur la confusion que font les enfants entre tendresse et sexualité qui peut parfois les conduire à accepter des pratiques sexuelles, car ils sont à la recherche d’une forme de tendresse mais ne comprennent pas pour autant la réalité du monde adulte de la sexualité.

La définition et la représentation des mots et des actes de la sexualité n’ont en effet pas la même signification pour un enfant et pour un adulte. Quand bien même un enfant croit connaître un mot à connotation sexuelle ou désignant une pratique sexuelle, il n’en connaît pas pour autant la signification in concreto et n’a pas conscience de ce que cela implique vis-à-vis de son propre corps et de ses propres sentiments. Il existe ainsi un véritable décalage, dont le droit doit aujourd’hui tenir compte, entre les mots de l’enfant, qui ne se rattachent à aucune réalité physique, et les mots de l’adulte qui font référence à une vie sexuelle réelle et comprise. 

Ces constats de l’évidence d’un seuil d’âge de 13 ans en deçà duquel la maturité sexuelle n’est clairement pas atteinte sont largement partagés par les associations et les spécialistes de l’enfance et de l’adolescence.

En outre, selon le régime de responsabilité pénale actuellement en vigueur, les mineurs peuvent être condamnés à une peine d’emprisonnement à partir de l’âge de 13 ans. Il semble logique de considérer que si un mineur délinquant peut être considéré comme suffisamment mature pour une peine d’emprisonnement à partir de 13 ans, un même seuil d’âge soit également retenu pour appréhender sa maturité en termes sexuels.

Vos Rapporteurs estiment donc qu’il est aujourd’hui nécessaire de compléter le seuil de 15 ans, précédemment évoqué et qui reste le fondement de la définition de la majorité sexuelle en droit français, par un seuil de 13 ans en deçà duquel tout rapport sexuel commis par un majeur est criminalisé.

Recommandation n° 7 : Insérer dans le code pénal une nouvelle infraction selon laquelle tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, imposé par un majeur à un enfant de treize ans est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

Cette nouvelle infraction contribuera à définir un interdit clair et absolu : un enfant de moins de 13 ans n’est pas apte à avoir un rapport sexuel avec un majeur et donc ce type de rapport sexuel est interdit.

En cohérence avec cette nouvelle infraction, vos Rapporteurs tiennent à appliquer la même logique aux actes sexuels sans pénétration qui ont lieu entre un majeur et un enfant de 13 ans. Ces actes doivent en effet être sévèrement punis afin de garantir les droits de l’enfant dans notre société. Comme cela a d’ailleurs été relevé par l’AIVI lors de la table ronde du 12 avril 2018 ([27]), les violences sexuelles sur des enfants peuvent avoir des conséquences particulièrement dramatiques, y compris quand elles ne comprennent pas de pénétration.

Recommandation n° 8 : Insérer dans le code pénal une nouvelle infraction selon laquelle tout acte sexuel sans pénétration imposé par un majeur à un enfant de treize ans est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

Ainsi, un double seuil d’âge est ici retenu, permettant de garantir une protection appropriée aux enfants et aux adolescents contre les violences sexuelles commises par des majeurs.

Quatre hypothèses doivent être distinguées lorsque la victime est un mineur âgé de 13 ans à moins de 15 ans :

− lorsqu’un acte sexuel sans pénétration est commis par un majeur sur un mineur de 15 ans sans contrainte, menace, violence ou surprise, il est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende (il s’agit d’une atteinte sexuelle réprimée par l’article 227‑25 du code pénal) ;

− lorsqu’un acte sexuel sans pénétration est commis par un majeur sur un mineur de 15 ans avec contrainte, menace, violence ou surprise, il est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende (il s’agit d’une agression sexuelle « aggravée » réprimée par l’article 222‑29‑1 du code pénal) ;

− lorsqu’un acte sexuel avec pénétration est commis par un majeur sur un mineur de 15 ans sans contrainte, menace, violence ou surprise, il est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende (il s’agit d’une atteinte sexuelle « aggravée » réprimée par l’article 227‑26 du code pénal tel que modifié par le présent projet de loi) ;

− lorsqu’un acte sexuel avec pénétration est commis par un majeur sur un mineur de 15 ans avec contrainte, menace, violence ou surprise, il est puni de vingt ans de réclusion criminelle (il s’agit d’un viol aggravé réprimé par l’article 222‑24 du code pénal, cas dans lequel l’écart d’âge entre le mis en cause et la victime devra être pris en compte dans la qualification de la contrainte ou de la surprise, en accord avec l’article 222‑22‑1 tel que modifié par le présent projet de loi).

Deux hypothèses seulement seraient donc envisageables lorsque la victime est un enfant de moins de 13 ans :

− lorsqu’un acte sexuel sans pénétration est commis par un majeur sur un enfant de 13 ans, la question de la contrainte, de la surprise, de la menace ou de la violence ne se pose pas : il est dans tous les cas puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende (nouvel article créé dans le code pénal selon la recommandation n° 7 présentée ci-avant) ;

− lorsqu’un acte sexuel avec pénétration est commis par un majeur sur un enfant de 13 ans, la question de la contrainte, de la surprise, de la menace ou de la violence ne se pose pas : il est dans tous les cas puni de vingt ans de réclusion criminelle (nouvel article créé dans le code pénal selon la recommandation n° 6 présentée ci-avant).

Vos Rapporteurs relèvent que ce mécanisme a été approuvé par l’ensemble des personnes rencontrées au cours de leurs auditions et qu’il s’inscrit à la fois dans la logique du présent projet de loi et dans la continuité des précédentes recommandations formulées, d’une part, par la Délégation aux droits de femmes de l’Assemblée nationale ([28]) et, d’autre part, par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ([29]).

Le droit pénal, ainsi renforcé par ces deux nouvelles infractions, permettrait de sanctuariser l’enfance, en protégeant tous les enfants contre les crimes et délits sexuels commis par un adulte. Cette protection serait ainsi absolue et assurerait le respect des droits de l’enfant dans notre pays, le protégeant de tout type de sévices sexuels commis par des adultes criminels, y compris dans des cas où l’acte sexuel fait l’objet d’une transaction financière.

Lors de leur audition par vos Rapporteurs, les représentants de la direction des affaires criminelles et des grâces, M. Manuel Rubio Gullon, sous‑directeur de la négociation et de la législation pénales, et M. Francis Le Gunehec, chef du bureau de la législation pénale générale, ont en outre considéré que ce dispositif respecte les principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité des peines.

2.   Inclure tous les types de pénétration dans la définition du viol afin de garantir une meilleure protection des victimes

Il importe aujourd’hui de traiter les victimes de viol de manière plus homogène en prenant en compte des situations qui sont actuellement exclues de la définition du viol.

En effet, selon l’article 222‑23 du code pénal, le viol est un acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. Cette définition exclut donc par exemple les rapports sexuels avec pénétration vaginale imposés par une femme à un homme. Cela exclut également les actes de fellation qui sont imposés par un homme ou une femme sur le pénis d’un garçon ou d’un homme. En effet, dans ces deux types de situation, c’est l’agresseur qui est pénétré et non pas la victime.

Il semble peu cohérent de qualifier de viol les cas où un homme est forcé de faire une fellation à autrui, subissant alors une pénétration buccale, mais pas les cas où un homme subit une fellation contre son gré.

Afin de gagner en cohérence juridique et de garantir une meilleure protection aux victimes de violences sexuelles, vos Rapporteurs souhaitent engager une réflexion pour englober ces différentes situations dans la définition du viol.

Recommandation n° 9 : Engager une réflexion pour inclure dans la définition du viol tous les types de pénétration.

3.   Approfondir la prévention des violences sexuelles et améliorer l’éducation à la sexualité et au respect d’autrui

Dans le cadre de leurs travaux sur le viol, les rapporteurs de la Délégation Mmes Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain, ont pu constater l’ampleur des violences sexuelles en France. Comme elles l’ont constaté dans leur rapport, « les statistiques alarmantes et les nombreux témoignages et travaux soulignant l’existence aujourd’hui d’une “ culture du viol ” qui développe une forme de tolérance et de banalisation des violences faites aux femmes, y compris des violences sexuelles, rend nécessaire une réaction rapide et de grande ampleur pour remplacer cette “ culture du viol ” par une “ culture de l’égalité ” et pour assurer une amélioration rapide de la détection et de la prise en charge des victimes de violences sexuelles » ([30]).

Sans revenir de manière exhaustive sur ces problématiques, qui sont néanmoins fondamentales pour lutter contre les violences sexuelles, vos Rapporteurs souhaitent souligner l’extrême nécessité d’une amélioration de l’éducation à la sexualité. L’école doit être le lieu d’un apprentissage du vivre ensemble et du respect de soi et d’autrui dès le plus jeune âge.

Comme l’a rappelé le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport sur le sujet en 2016 ([31]), l’éducation à la sexualité est une manière d’aborder l’enseignement de la sexualité et des relations interpersonnelles en se fondant sur l’égalité des sexes et des sexualités, adaptée à l’âge, et assise sur des informations scientifiques, sans jugement de valeur.

Or, il semble qu’aujourd’hui seule une minorité de jeunes scolarisés bénéficie de séances annuelles d’éducation à la sexualité, qui sont pourtant prévues par la loi ([32]).

Vos Rapporteurs estiment que cette situation n’est pas acceptable et qu’il est aujourd’hui nécessaire de développer de manière homogène ces séances d’éducation à la sexualité. Dans la continuité du rapport de la Délégation sur le viol, vos Rapporteurs considèrent que « chaque jeune [doit bénéficier] d’au moins quatre séances au cours de sa scolarité : une à l’école primaire, deux durant le collège et une au lycée. Ces séances doivent intégrer une formation sur ce qu’est une relation sexuelle désirée et consentie par les deux parties et rappeler à cette occasion la définition du viol et les quatre éléments constitutifs de ce crime : surprise, menace, violence, contrainte » ([33]). En outre, ces séances pourront permettre, notamment à l’école primaire, d’éduquer les enfants au respect de leur propre corps, de leur apprendre qu’un adulte n’a pas de droit sur leur corps, de leur donner les clefs pour être en mesure de parler s’ils subissent une agression.

Vos Rapporteurs reprennent à leur compte la recommandation n° 3 du rapport d’information sur le viol de la Délégation ([34]), soulignant que l’éducation à la sexualité est une priorité pour lutter contre les violences sexuelles.

Recommandation n° 10 : Renforcer la politique interministérielle d’éducation à la sexualité, en prévoyant un apprentissage du respect de soi et d’autrui dès l’école primaire, et s’assurer de l’effectivité de la mise en œuvre des séances d’éducation à la sexualité dans tous les établissements scolaires.


II.   mieux rÉprimer les cyberviolences

Si Internet et l’usage des réseaux sociaux peuvent constituer un espace d’émancipation pour les jeunes femmes ainsi qu’un support militant de premier plan, il demeure primordial de prendre conscience des risques liés au développement du cybersexisme et des cyberviolences afin de les encadrer au mieux. Les conséquences de ces violences se révèlent en effet très lourdes pour les victimes qui sont, le plus souvent, des femmes.

A.   Les problÉmatiques spÉcifiques du harcÈlement en ligne

Comme le relevait Mme Aurélie Latourès, chargée d’étude à l’observatoire régional des violences faites aux femmes (ORVF) du Centre Hubertine Auclert, « les outils numériques n’ont pas fait apparaître de nouveaux comportements mais ils leur ont donné une nouvelle visibilité et des moyens pour se renforcer » ([35]). Il convient de distinguer cyberviolence et cybersexisme. La cyberviolence peut être définie comme un acte agressif intentionnel utilisant des outils numériques. Le cybersexisme désigne quant à lui l’ensemble des comportements et propos sexistes diffusés sur un support numérique ; ils ne visent pas nécessairement une personne en particulier mais participent d’un environnement intimidant ou entretiennent une atmosphère oppressante.

Les violences numériques apparaissent comme un phénomène en forte augmentation, difficiles à appréhender dans leur diversité et leur complexité. Elles se doublent d’un sentiment d’impunité lié à l’absence de proximité physique et à l’anonymat prévalant dans le monde numérique. Au vu des conséquences lourdes pour les victimes, il convient de mieux réprimer ces dérives.

1.   Un phénomène massif

Peu d’études se sont focalisées sur les violences numériques, rendant leur appréhension difficile. Un groupe de travail des Nations Unies sur les cyberviolences estimait en 2015 que 73 % des femmes auraient été confrontées à des violences en ligne ou en auraient été directement victimes. La même étude relève que dans les 28 pays de l’Union européenne, 18 % des femmes auraient subi une forme grave de violence sur Internet dès l’âge de 15 ans ([36]).

Le rapport du Haut Conseil à l’égalité sur les violences faites aux femmes en ligne ([37]) de novembre 2017 renvoie quant à lui à la publication d’un rapport du Lobby européen des femmes d’octobre 2017 dressant un panorama de l’ampleur de ces violences. Le tableau suivant présente les principales conclusions de ce travail.

La prévalence des cyberviolences
 

Dans le monde entier, les femmes sont 27 fois plus susceptibles d’être harcelées en ligne que les hommes.

En Europe, 9 millions de filles ont déjà été victimes d’une forme de violences en ligne quand elles avaient 15 ans.

Selon un rapport récent des Nations‑Unies, 73 % de femmes ont déclaré avoir été victimes de violence sexuelle en ligne, et 18 % d’entre elles ont été confrontées à une grave violence sur internet.

Malgré le nombre croissant de femmes victimes de violences en ligne, seulement 26 % des organismes d’application de la loi dans les 86 pays étudiés prennent des mesures appropriées.

93 % des victimes de diffusion d’images intimes à caractère sexuel ont déclaré avoir souffert d’une détresse émotionnelle importante.

70 % des femmes victimes de harcèlement sexiste et sexuel en ligne ont également subi au moins une forme de violence physique et/ou sexuelle de la part d’un partenaire intime.

1 adolescent.e sur 5 en Europe est victime d’intimidation en ligne et parmi eux.elles, les filles sont plus à risque (23,9 % pour les filles contre 18,5 % pour les garçons).

En 2014, 87 % des images de violence sexuelle d’enfants représentaient des filles.

1 jeune fille sur 4 a été harcelée ou harcelée sexuellement au moins une fois.

 

Source : Lobby Européen des Femmes, Cartographie de l’état de violence en ligne contre les femmes et les filles en Europe, cité par HCEfh, En finir avec l’impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes, rapport n° 2017‑11‑16 du 16 novembre 2017.

Au‑delà du difficile consensus sur les données statistiques, un accord existe sur le caractère massif du phénomène et sur l’augmentation des faits au cours des dernières années. L’université ouverte d’Israël estimait ainsi que, pour un même échantillon, 8 % des sondés déclaraient avoir subi une cyberviolence en 2008 ; en 2014, ils étaient 27 % à le déclarer, soit un triplement statistique en six ans.

Le phénomène touche toutes les générations. Selon les données du ministère de l’éducation nationale figurant dans la dernière enquête « victimation et climat scolaire » de décembre 2017, 18 % des collégiens déclarent avoir subi au moins une atteinte via les réseaux sociaux ou par téléphone portable (usurpation d’identité, vidéos humiliantes ou diffusion de rumeurs). Ils sont 11 % à déclarer avoir été insultés ou humiliés via ces nouvelles technologies (10 % pour les garçons et 13 % pour les filles). Pour 7 % des collégiens en classe de troisième, ce nombre d’atteintes peut s’apparenter à du cyber-harcèlement : 8 % pour les filles contre 6 % pour les garçons ([38]).

Dans son rapport d’information de 2015, la Délégation recommandait d’améliorer la connaissance statistique sur les violences numériques. L’enquête Virage sur les violences faites aux femmes, dont les premiers résultats ont été dévoilés en 2016, n’a pas pris en compte les cyberviolences, à l’exception de celles en lien avec le lieu de travail (harcèlement, les rumeurs, par téléphone, par Internet ou en face-à-face ne concernent que le lieu de travail). Ce travail pourrait par exemple faire l’objet d’une saisine du conseil national du numérique (CNNum) sur l’image des femmes sur le web ainsi que sur la question des cyberviolences.

Vos Rapporteurs adhèrent à cette recommandation qu’ils reprennent à leur compte.

Recommandation n° 11 : Améliorer les connaissances sur les violences en ligne et le cybersexisme :

 en complétant le champ des enquêtes sur les violences faites aux femmes de type Virage pour mieux prendre en compte toutes les violences en ligne ;

 en saisissant le Conseil national du numérique d’une étude sur le sexisme et les violences sur Internet, les réseaux sociaux et les jeux vidéo en ligne.

Plus largement, dans ses précédents travaux, la Délégation avait proposé de compléter les missions du Conseil national du numérique pour l’inciter à prendre en compte la situation des femmes et les enjeux relatifs à l’égalité dans le cadre de ses travaux. En effet, le décret du 13 décembre 2012 précise que cette instance a « pour mission de formuler de manière indépendante et de rendre publics des avis et des recommandations sur toute question relative à l’impact du numérique sur la société et sur l’économie. À cette fin, il organise des concertations régulières, au niveau national et territorial, avec les élus, la société civile et le monde économique. Il peut être consulté par le Gouvernement sur tout projet de disposition législative ou réglementaire dans le domaine du numérique »  ([39]).

Vos Rapporteurs estiment que cette recommandation était judicieuse et, prolongeant les travaux entrepris en 2015, la reprennent à leur compte.

Recommandation n° 12 : Élargir les missions du Conseil national du numérique pour qu’il soit chargé de rendre publics des avis et des recommandations sur toute question relative à l’impact du numérique sur la société et sur l’économie en « prenant en compte les enjeux liés à l’égalité femmes-hommes ».

2.   La spécificité des cyberviolences

Les cyberviolences peuvent revêtir des formes multiples, se manifester de manière ponctuelle ou de façon répétée. Elles s’inscrivent fréquemment dans le continuum des violences, soit qu’elles soient à l’origine du processus, soit qu’elles viennent prolonger d’autres violences physiques ou psychologiques.

Deux exemples illustrent bien la nouveauté du phénomène :

-         le revenge porn (vengeance pornographique) désigne la pratique consistant, en représailles après une rupture, à diffuser auprès d’un large public, notamment sur les réseaux sociaux, des photographies ou vidéos intimes qui avaient été réalisées dans le cadre du couple. Comme le relevait l’association Stop au cyberharcèlement lors de leur audition par vos Rapporteurs, ces agissements sont une forme nouvelle de violences conjugales puisqu’ils sont le fait d’un ex-conjoint ;

-         le happy slapping désigne la diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos d’actes violents et provoqués. Les personnes réalisant de telles images cherchent à s’amuser de la situation de faiblesse de la victime et, partant, à exercer une pression sur elle.

Dans les deux cas, on constate en effet que la diffusion de ces images s’inscrit dans une logique de chantage. Elles ne peuvent cependant pas être assimilées à des pratiques qui pré-existaient en raison de l’ampleur de la diffusion. Comme le rappelait justement Mme Aurélie Latourès, « les violences sexistes et sexuelles présentent des spécificités par rapport à celles qui existent dans la vie réelle : elles peuvent être diffusées à une très vaste audience en quelques secondes et rester publiques pendant très longtemps, voire à jamais, tant il est difficile de les faire retirer ; elles sont favorisées par l’anonymat qui facilite le passage à l’acte ; elles échappent au contrôle et à la vigilance des adultes qui ne sont pas toujours éduqués aux pratiques numériques qui évoluent rapidement ; l’agresseur ressent un sentiment d’impunité plus fort et une empathie plus faible avec la victime du fait de la distance créée par l’outil ; il y a une dilution de la responsabilité avec une multiplication des agresseurs dans un phénomène qui devient viral » ([40]).

Les cyberviolences se caractérisent en effet par la durabilité de leur exposition. Comme l’ont rappelé les représentantes de l’association Stop au cyberharcèlement, le retrait de ces documents est la première demande des victimes. Pour autant, elles peinent souvent à obtenir satisfaction. Par ailleurs, dans le cadre d’une procédure pénale, le retrait des éléments constitutifs peut soulever des difficultés en matière de charge de la preuve. Il n’est pas forcément possible de retrouver un message qui a été supprimé par l’hébergeur et une capture d’écran n’est pas forcément considérée comme recevable.

De surcroît, le retrait peut devenir impossible lorsque la publication initiale est largement relayée ou diffusée sur des supports multiples et sans limite horaire. La dimension « virale » devient alors impossible à enrayer et ce d’autant plus qu’elle dépasse les frontières nationales et que les mêmes règles ne s’appliquent pas partout.

3.   Les femmes, victimes privilégiées avec de lourdes conséquences

Les jeunes filles et les femmes sont les victimes privilégiées de ce type de harcèlement. Mme Aurélie Latourès fait valoir que les études internationales et européennes mentionnent des taux de prévalence variables selon la définition retenue des cyberviolences mais « dans tous les cas, les jeunes filles et les femmes sont davantage victimes que les garçons et elles sont exposées à des violences spécifiques : sollicitation à caractère sexuel, commentaires basés sur des stéréotypes sexistes, sur leur manière de s’habiller, sur leur apparence ou sur leur comportement sexuel ou amoureux » ([41]).

Au niveau européen, une enquête sur les violences faites aux femmes à l’initiative de l’agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) en 2014 montrait que le cyberharcèlement au moyen de courriers électroniques, de SMS ou sur Internet « affecte avant tout les jeunes femmes ». Dans l’Union européenne, 4 % des femmes âgées de 18 à 29 ans, soit 1,5 million de femmes en ont été victimes au cours des 12 mois précédant l’entretien ([42]).

Enfin, concernant le cas particulier des « vengeances pornographiques », les victimes sont très majoritairement des femmes. Selon une étude commandée par la DMCA, une association qui vient en aide aux victimes de revenge porn aux États‑Unis, plus de 90 % des victimes seraient des femmes ([43]).

Les conséquences des cyberviolences sur les victimes sont extrêmement lourdes. M. Mathieu Cordelier, avocat, entendu par la Délégation en 2015, rappelait que ses « clientes se comportent comme des victimes de viol. Même si elles n’ont pas été physiquement touchées, les victimes de cyberharcèlement ou de cyberviolence sur internet sont atteintes dans leur intimité » ([44]). Elles se traduisent souvent par de la souffrance émotionnelle, de l’anxiété, de l’angoisse, induisent perte de l’estime de soi, isolement, décrochage scolaire et absentéisme, problèmes de santé de nature psychosomatique, automutilations, voire actes suicidaires.

En 2012 au Canada le suicide d’Amanda Todd avait fortement ému la communauté internationale. Victime d’un chantage la menaçant de diffuser une photographie de sa poitrine prise sur une webcam, elle avait posté une vidéo sur Youtube racontant son calvaire ([45]). En 2013, Marion Fraisse a mis fin à ses jours après avoir été insultée et menacée par les élèves de sa classe et via son téléphone et sa page Facebook.

Le cyberharcèlement, qui cible préférentiellement les femmes, est donc loin d’être un phénomène marginal ou anodin et comporte des conséquences lourdes pour les victimes.

B.   Étendre la rÉpression pénale aux raids numÉriques

Le dispositif proposé par le Gouvernement produit des effets dans le code pénal. Il propose de compléter la définition du harcèlement sexuel et du harcèlement moral pour intégrer des phénomènes nouveaux tels les « raids numériques », lorsque plusieurs internautes décident d’un commun accord d’adresser des courriels offensants à une personne particulière.

1.   Une progressive prise en compte de la dimension numérique

Depuis 2004, les hébergeurs ont une responsabilité particulière et doivent participer effectivement à la répression des infractions en ligne en veillant tout particulièrement à la diffusion de contenus incitant « à la violence, notamment [incitant] aux violences faites aux femmes » ([46]). Depuis la loi du 13 avril 2016 ([47]), ils doivent également mettre en place un dispositif actif de lutte contre la traite d’êtres humains et contre le proxénétisme dans toutes ses formes.

La loi de 2014 ([48]) a par ailleurs complété les dispositifs répressifs existant pour mieux prendre en compte l’utilisation d’outils numériques dans les harcèlements. Le 4° de l’article 222-33‑2‑2 du code pénal prévoit désormais une circonstance aggravante dès lors que « les faits ont été commis par l’utilisation d’un service de communication en ligne » ; l’amende est portée à 45 000 euros et la peine d’emprisonnement à trois ans.

Comme le relève le rapport du HCEfh, « toutes [les] formes [du harcèlement] doivent être prises en considération dans le droit français, en particulier lorsqu’il prend la forme de « raids », c’est-à-dire la publication par plusieurs auteurs différents de propos sexistes et violents proférés une seule fois à l’encontre d’une même cible. Une telle forme de violence n’entre pas dans les définitions actuelles du harcèlement » ([49]).

Ces raids sont majoritairement dirigés contre des femmes, prennent généralement la forme d’insultes liées au sexe et comprenant des références très crues et explicites. Ils comprennent parfois des menaces, notamment de viol ou de mort. Ils s’opèrent par le croisement de plusieurs médias sociaux ou plateformes. Ils surviennent à des niveaux inhabituellement élevés d’intensité et de fréquence (nombreuses menaces ou messages par jour ou même par heure) et sont perpétrés sur une durée inhabituelle (des mois ou même des années). Enfin, ils impliquent de nombreux agresseurs dans une démarche concertée et souvent coordonnée.

Les contenus ciblant une seule personne ne font que rarement l’objet de signalements à la plateforme PHAROS ([50]) car elle n’est pas d’abord destinée à traiter de ces violences, se concentrant d’abord sur la lutte contre la pédo-pornographie ou le terrorisme.

À ce jour, un seul dossier lié à un « raid en ligne » a été identifié par PHAROS. En novembre 2017, la plateforme a reçu onze signalements qui ont été transmis à la direction régionale de la police judiciaire de Paris, déjà saisie d’une enquête sur plainte de la victime.

Vos Rapporteurs souhaitent la mise en place d’une plateforme plus générale permettant de signaler tous les comportement répréhensibles commises par voie numérique. Sur le modèle de PHAROS, il faudrait pouvoir signaler un contenu problématique, demander son retrait et ainsi permettre à l’action publique de se mettre en mouvement. De façon plus globale, cette plateforme devrait être inscrite dans un portail détaillant à la fois les voies d’action et de recours (y compris le pré‑dépôt d’une plainte en ligne), les démarches à engager mais aussi donnant aux victimes les contacts pour être accompagnées.

Recommandation n° 13 : Créer une plateforme de signalement des cyberviolences intégrée à un portail d’information et de pré-dépôt de plainte contre toute forme de violence.

Les raids numériques sont difficiles à réprimer dans la mesure où il faut pouvoir démontrer le caractère concerté des messages, chaque auteur n’étant parfois responsable que d’une seule publication. Le harcèlement naît de leur accumulation et de leur répétition.

2.   Le dispositif du projet de loi

L’article 3 du projet de loi complète les dispositifs relatifs aux délits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral en assimilant à ces deux formes de harcèlement des propos ou comportements de même nature, même non réitérés, imposés à une victime de manière concertée par plusieurs personnes.

Selon les termes de l’étude d’impact jointe au projet de loi il « s’agit de préciser la définition des délits de harcèlement sexuel ou moral en indiquant que ces infractions seront également constituées lorsque les propos ou comportements seront imposés à une même victime de manière concertée par plusieurs personnes, alors même que chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée. L’élément constitutif de répétition est ainsi, en cas de concertation, réparti sur l’ensemble des coauteurs ».

Le Conseil d’État constate que la recherche des auteurs de tels actes et la preuve de ceux-ci sont matériellement possibles. Dans son avis, il remarque également que la notion d’infraction commise « de manière concertée » figure déjà dans le code pénal par exemple en ce qui concerne les entraves aux libertés, à l’article 431‑1.

L’action concertée suppose, de façon cumulative, la commission des faits par plusieurs personnes et une entente préalable entre elles. Autrement dit, il faut réunir à la fois la préméditation et des échanges d’instruction.

Si l’objectif principal est de réprimer le harcèlement en ligne, le texte proposé a des conséquences plus larges puisqu’il permet de réprimer toute forme de harcèlement réalisée de façon concertée par des personnes ne commettant chacune qu’un seul acte (par exemple, dans une entreprise, une dizaine d’employés se mettent d’accord pour harceler un collègue, chacun ne commettant cependant qu’un seul acte). Il n’y a en effet pas de raison de laisser impunis de tels faits, même si, en pratique, la probabilité qu’ils soient commis est plus faible que celle du harcèlement en ligne.

Le projet de loi prévoit les mêmes peines pour tous les auteurs agissant de concert : jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende et, en cas de circonstances aggravantes, jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Le projet de loi laisse au juge la possibilité de distinguer l’instigateur et les comparses et de différencier et proportionner les peines à la gravité des actes commis, à la personnalité des auteurs et à leurs ressources.

Vos Rapporteurs considèrent ce complément particulièrement bienvenu : il permet de réprimer des comportements qui ne relevaient qu’imparfaitement des catégories existantes. De plus, le projet de loi envoie un signal clair : les violences et le harcèlement sont poursuivis avec résolution et détermination, quels que soient les supports mobilisés. Internet n’est nullement un espace de nondroit ; les règles applicables dans la société physique ont également cours dans le monde numérique.

3.   Mieux former les acteurs de la lutte contre les violences en ligne

La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle a introduit une formation obligatoire pour tous les acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes ([51]). Vos Rapporteurs estiment que ces actions de formation doivent être poursuivies et amplifiées et prendre en compte désormais la question nouvelle des violences faites aux femmes en ligne, aux moyens des nouvelles technologies. Ces modules doivent par ailleurs intégrer une information sur les évolutions législatives en matière de répression des cyberviolences.

Recommandation n° 14 : Poursuivre les actions de formation de tous les acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes en prenant en compte la question des cyberviolences spécialement en direction des femmes.

Plus généralement vos Rapporteurs estiment que la lutte contre les cyberviolences passe par une politique de sensibilisation générale. Les infractions doivent être connues, les interdits rappelés et les utilisateurs incités à signaler toute dérive. Cet effort doit en particulier viser les jeunes générations qui ne mesurent pas toujours les règles applicables et risques liés à l’usage des outils numériques.

Recommandation n° 15 : Lancer une grande campagne d’information et de sensibilisation pour le grand public sur les cyberviolences et les violences faites en ligne aux femmes.


III.   crÉer une infraction pour rÉprimer l’outrage sexiste

Apparue dans l’espace médiatique dans les années 2010, la question du harcèlement dit « de rue » a fait l’objet de plusieurs publications, d’abord par des associations ou des collectifs, notamment au travers du documentaire Femmes de la rue de la belge Sofie Peteers, de la pétition « Stop aux violences sexuelles dans les transports en commun » ([52]) ou de la campagne d’Osez le Féminisme « #TakeBackTheMetro » ([53]). Comme le relève Osez le Féminisme, cette campagne fait référence aux mouvements initiés dans les années 1970 aux États‑Unis lorsque des femmes ont lancé des marches noctures pour « affirmer leur droit de faire usage des espaces publics sans crainte de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle » ([54]). Ces initiatives, si elles mettent l’accent sur l’enjeu spécifique de la rue ou des transports en commun, s’inscrivent en effet dans une lutte plus générale visant à dénoncer une occupation inégalitaire des espaces publics.

Dans le cadre du comité national de la sécurité dans les transports en commun (CNSTC) qui réunit depuis 2010 les pouvoirs publics et les opérateurs de transports, la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, la secrétaire d’État en charge des Droits des femmes, ont saisi le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh) le 28 janvier 2015 sur le harcèlement sexiste dans l’espace public ([55]). Comme il l’avait relevé en 2014 ([56]) , le Haut Conseil note que « la répartition traditionnelle et prescriptive des rôles sociaux se matérialise par des usages différenciés entre les femmes et les hommes. Par exemple, les femmes occupent l’espace public plus par besoin que par plaisir (en lien généralement avec les enfants, les tâches domestiques, etc.), et les hommes y stationnent quand les femmes ne font que le traverser » ([57]).

Dans ce contexte, Mme Marlène Schiappa, Secrétaire d’État auprès du Premier ministre en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes a annoncé, le 19 septembre 2017, la constitution d’un groupe de travail sur la « verbalisation du harcèlement de rue », composé de députés des groupes La République en Marche, Modem, Nouvelle gauche et UDI, Agir et Indépendants. Leur rapport fait valoir qu’il existe un arsenal législatif qui peut permettre de « sanctionner une partie des comportements pouvant être constitutifs d’un “ harcèlement de rue ”. Pour autant, face à son inapplication, il est nécessaire de simplifier la poursuite des auteurs et de créer un interdit clair qui doit permettre d’éviter un risque de manque d’effectivité » ([58]).

Le présent projet de loi prévoit donc un dispositif à même de réprimer efficacement ce phénomène qui, s’il est massif, reste mal appréhendé et multiforme.

A.   Un cadre juridique incomplet pour réprimer un phénomène massif

1.   Appréhender le harcèlement de rue

Ainsi que le relève à juste titre le HCEfh, « si les violences sexuelles sont clairement définies en droit [français…] il n’existe pas […] de définition du harcèlement sexiste ». Le harcèlement sexiste dans l’espace public « se caractérise par le fait d’imposer tout propos ou comportement, à raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle supposée ou réelle d’une personne, qui a pour objet ou pour effet de créer une situation intimidante, humiliante, dégradante ou offensante portant ainsi atteinte à la dignité de la personne. [Il] peut prendre des formes diverses comme par exemple des sifflements ou des commentaires sur le physique, non punis par la loi, ou des injures, punies par la loi » ([59]).

Comme le souligne le groupe de travail, cette définition « permet de mettre en exergue un faisceau d’indices concordants regroupant des manifestations variées du phénomène : des comportements verbaux ou non, se traduisant par des regards insistants, lubriques, des sifflements, des commentaires évaluatifs sur la tenue vestimentaire, l’attitude ou le physique, une invitation insistante, une présence envahissante (obstruction du passage, suivre quelqu’un), non punis par la loi, sachant que dans d’autres formes (injures, agressions sexuelles…), elles font l’objet de poursuites ».

La diversité du phénomène a été mise en évidence par les travaux de l’enquête Virage, notamment dans le n° 550 de Population et sociétés ([60]). Le tableau ci‑après détaille la proportion de personnes ayant déclaré avoir subi une violence dans les espaces publics au cours des douze derniers mois.

Proportion de femmes et d’hommes ayant déclaré au moins une violence dans les espaces publics au cours des 12 derniers mois

En % des personnes interrogées

Au cours des 12 derniers mois,

Femmes

Hommes

avez-vous été sifflé.e, interpellé.e sous un prétexte de drague ?

20 %

3 %

avez-vous été insulté.e par exemple dans la rue, les transports ou les lieux publics ou près de chez vous ?

8 %

8 %

avez-vous été suivi.e avec insistance, à pied ou par un véhicule ?

3 %

1 %

vous a-t-on fait des propositions sexuelles insistantes malgré votre refus ?

1 %

1 %

vous êtes-vous battu.e, avez-vous échangé des coups avec une ou plusieurs personnes lors d’une bagarre ?

0 %

3 %

vous-a-ton giflé.e, secoué.e brutalement, frappé.e ou exercé d’autres brutalités physiques contre vous dans un espace public ?

1 %

2 %

vous a-t-on menacé.e avec un objet ou une arme, a-t-on tenté de vous étrangler, de porter atteinte à vote vie ou de vous tuer ?

0 %

1 %

avez-vous eu affaire à un exhibitionniste ou à un voyeur, dans un espace public ?

1 %

1 %

quelqu’un a-t-il contre vote gré, touché vos seins ou vos fesses, vous a coincé.e pour vous embrasser, s’est frotté ou collé contre vous ? ()

2 %

0 %

vous a-t-on forcé.e à faire ou à subir des attouchements du sexe, a-t-on essayé est-on parvenu à avoir un rapport sexuel avec vous ?

< 0,1 %

0 %

quelqu’un vous a-t-il forcé.e à d’autres actes ou pratiques sexuels ?

< 0,1 %

0 %

Au moins un des faits

25 %

14 %

Au moins un fait considéré comme grave

8 %

5 %

() Pour les hommes, la question se limitait à « s’est frotté ou collé contre vous »

Champ : femmes et hommes âgés de 20 à 69 ans vivant en France métropolitaine.

Source : INED, enquête Virage 2015, in Population et sociétés, n° 550, décembre 2017.

Ces données révèlent un phénomène massif, surtout pour les femmes, touchant plus de 5 millions d’entre elles et 2,6 millions d’hommes. L’étude précise que les violences dont sont victimes les femmes « ont trait le plus souvent à leur sexualité et [que] des faits apparemment anodins, comme la drague importune, sont fortement corrélés à des faits plus graves de harcèlement ou de violences sexuels » ([61]). Le tableau suivant montre la différence de répartition des violences subies dans les espaces publics entre les hommes et les femmes.

Proportion et effectifs de personnes selon  la situation de violence subie dans les espaces publics dans les 12 derniers mois

Situations de violence

Femmes

Hommes

en % (1)

effectifs

en % (1)

effectifs

Insultes seulement

4 %

805 000

6 %

1 071 000

Drague importune seulement

15 %

2 969 000

2 %

442 000

Violences physiques

1 %

206 000

4 %

745 000

Harcèlement et atteintes sexuelles

5 %

1 082 000

2 %

409 000

Violences sexuelles

0,1 %

15 500

< 0,1 %

4 000

Total

25 %

5 077 500

14 %

2 671 000

(1) En pourcentage des personnes interrogées.

Champ : femmes et hommes âgés de 20 à 69 ans vivant en ménage en France métropolitaine

Source : INED, enquête Virage 2015, in Population et sociétés, n° 550, décembre 2017.

La répartition géographique de ces violences dans les espaces publics est par ailleurs assez inégale, le phénomène apparaissant plus concentré dans les grands centres urbains et notamment dans les transports en commun. En Île‑de‑France, 37 % des femmes et 18 % des hommes déclarent avoir subi au moins un fait de violence dans les 12 derniers mois. Chez les personnes âgées de 20 à 24 ans, les taux atteignent 68 % pour les femmes et 34 % pour les hommes. En zone rurale, tous âges confondus, seuls 17 % des femmes et 9 % des hommes déclarent avoir subi au moins une violence dans un espace public au cours des douze derniers mois ([62]). Cette inégalité spatiale se retrouve dans les violences commises dans les transports en commun. Selon l’observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, au moins 267 000 personnes âgées de 18 à 75 ans se déclarent victimes d’atteintes sexuelles dans les transports en commun sur une période de deux ans, dans 85 % des cas les victimes étant des femmes. Le taux de victimation varie : au total, une femme victime sur deux est francilienne ([63]).

Vos Rapporteurs relèvent que cette concentration ne doit cependant pas laisser croire que ces violences n’existent pas dans les autres espaces. Malheureusement ces violences touchent aussi les zones rurales et la réponse pénale doit permettre de couvrir les faits commis sur l’ensemble du territoire.

Au‑delà de ces données statistiques, l’étude met en évidence la façon dont ces comportements sont ressentis individuellement et collectivement. Si « les mobilisations publiques ont contribué à une prise de conscience collective du caractère insupportable de ces actes, amenant les femmes à les déclarer et à les dénoncer plus souvent », elle montre que ces agissements restent encore socialement tolérés, « la moitié des femmes insultées (55 %) déclar[a]nt que ce n’est pas grave » ([64]).

2.   Un cadre juridique insuffisant

Le droit français dispose d’un arsenal conséquent de répression des violences sexuelles ou des phénomènes de harcèlement mais il ne permet pas de répondre à l’ensemble des situations. Le schéma ci‑après détaille les différentes infractions applicables et fait apparaître les vides juridiques.


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En l’état du droit, des initiatives ont été prises pour lutter contre ces harcèlements sexistes. La loi reste néanmoins encore trop mal connue et insuffisamment appliquées. Plusieurs transporteurs publics ont développé des outils d’alerte, comme par exemple le 3117. Le HCEfh déplore cependant que sont présentés « comme seuls motifs d’urgence les “ accidents et malaises ”, ou laiss[e]nt à la libre interprétation des usager.ère.s la notion “ d’urgence ” tout en mettant en garde contre tout abus entraînant sanction ». De ce fait, « ces dispositifs ne semblent pas aujourd’hui utilisés pour les cas de harcèlement sexiste et agressions sexuelles » ([65]) . En mars 2018, une grande campagne de lutte contre le harcèlement dans les transports a été lancée par la région Île‑de‑France, la RATP et la SNCF Transilien. Cette campagne de sensibilisation prévoit  l’affichage et la sensibilisation par le biais d’agents. Elle s’accompagne également de la diffusion de messages sonores sur l’ensemble du réseau RATP appelant à la vigilance et à la dénonciation de ces agissements.

Pour positifs que soient ces dispositifs d’alerte, ils ne suffisent pas à enrayer le phénomène ni à marquer l’interdit de façon suffisamment solennelle. Il importe donc d’engager une politique majeure de communication et de sensibilisation à ces enjeux dans tous les espaces en généralisant les outils de signalement et d’alerte. Vos Rapporteurs adhèrent aux recommandations du HCEfh qui préconise, d’une part, de donner à tous les professionnels les outils adaptés pour réagir aux situations de harcèlement et pour orienter les victimes et, d’autre part, de « réduire l’exposition de toutes et tous à des slogans et images sexistes ».

Sur le plan juridique, le caractère intersticiel de ces agissements doit faire l’objet d’un traitement spécifique car, comme le souligne le groupe de travail, « ce fléau se positionne dans une zone grise située entre d’une part, la séduction, les échanges, les rapports et les contacts consentis et d’autre part, l’injure publique ou l’agression sexuelle, déjà caractérisées par la loi » ([66]).

L’ensemble des rapports et des personnes auditionnées par vos Rapporteurs s’accordent sur la nécessité de lutter contre les harcèlements sexistes, dans les espaces publics ou non, car ils s’inscrivent dans le continuum des violences, une même agression pouvant « commencer par du harcèlement sexiste et se poursuivre par des violences sexuelles ». Ils concourent ainsi « à créer un sentiment d’insécurité chez les femmes et à maintenir les inégalités et les discriminations entre les femmes et les hommes » ([67]).

B.   Les dispositions prÉvues par le projet de loi

Vos Rapporteurs adhèrent pleinement à l’objectif identifié par le groupe de travail : en faisant évoluer le cadre répressif, le projet de loi permet de « poser dans la loi un interdit social gradué au regard des faits incriminés ». Si le harcèlement de rue constitue un fléau qu’il faut combattre, il convient d’appréhender les phénomènes de harcèlement dans leur globalité. Vos Rapporteurs se réjouissent que le projet de loi ait privilégié une approche large de ces agissements qui ne se résument pas à des comportements « de rue », pas plus qu’ils ne se limitent aux espaces publics. L’étude d’impact précise d’ailleurs que « certaines infractions pénales proches […] sont punies par la loi qu’elles soient publiques ou non ».

1.   La définition de l’infraction

Le projet de loi a choisi à raison de s’appuyer sur la définition générale du harcèlement figurant dans la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 ([68]). Son article 2 stipule que le harcèlement désigne « la situation dans laquelle un comportement non désiré lié au sexe d’une personne survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’une personne et de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

Il convient en effet de distinguer le harcèlement sexiste des autres formes de harcèlement déjà réprimées par le code pénal. La répression du harcèlement sexuel, hors les cas de harcèlement grave, repose en effet sur une notion de répétition qui n’est généralement pas établie dans le harcèlement de rue. Ce critère figure également dans les conditions de répression du harcèlement moral.

Le projet de loi ne modifie donc en rien les dispositifs répressifs existant, il vient utilement les compléter pour couvrir l’ensemble des situations en créant une infraction « d’outrage sexiste ».

La rédaction de l’alinéa 3 de l’article 4 mentionne d’ailleurs explicitement cette logique additionnelle en écartant les cas déjà prévus qu’il s’agisse des violences, de l’exhibition sexuelle, du harcèlement sexuel ou du harcèlement moral. Sont ainsi visés les « propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui porte atteinte à la dignité » de la personne « en raison de son caractère dégradant ou humiliant » ou soit créent « à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

Ils relèvent par ailleurs que les notions de « propos » et de « comportement » doivent être entendues au sens large. L’envoi, par exemple, d’images offensantes par voie électronique (sans dimension répétitive) doit être pris en compte dans ce cadre.

2.   La répression de l’infraction

a.   Une contravention de 4e classe

Le projet de loi a fait le choix de qualifier cette infraction en contravention de 4e classe. Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d’État rappelle que « la détermination des contraventions ainsi que des peines qui leur sont applicables relève, en application des articles 34 et 37 de la Constitution, de la compétence du pouvoir règlementaire » et, partant, « suggère au Gouvernement de […] présenter […] un projet de décret créant cette nouvelle contravention ». Dans sa décision du 15 mars 2012, le Conseil constitutionnel a rappelé que « la Constitution n’a pas […] entendu frapper d’inconstitutionnalité une disposition de nature réglementaire contenue dans une loi » ([69]). Dans la mesure où les outrages sexistes constituent un phénomène massif et que le présent projet de loi entend manifester fortement la volonté de mettre fin à ces comportements, vos Rapporteurs considèrent qu’il est pertinent que la loi détermine à la fois le champ et les sanctions applicables pour cette contravention.

Plusieurs des personnes auditionnées par vos Rapporteurs ont souhaité que cette contravention soit passée en 5e classe, estimant que seules des atteintes aux biens sont réprimées par des contraventions de 4e classe. Avec le dispositif du projet de loi, la verbalisation peut intervenir immédiatement dans le cadre de la procédure de forfaitisation contraventionnelle qui est pleinement opérationnelle pour les contraventions de 4e classe. Ce mécanisme s’inscrit dans l’objectif de faire cesser dans les meilleurs délais l’infraction, combinant vitesse, efficacité et visibilité de la réponse pénale.

Par ailleurs, la forfaitisation n’est applicable aux mineurs que pour les contraventions des quatre premières classes, l’article 20‑1 de l’ordonnance du 2 février 1945 excluant ce mécanisme pour les contraventions de 5e classe ([70]).

Dans cette logique de réponse pénale immédiate, il conviendrait de prévoir la possibilité pour tout agent de police judiciaire adjoint de constater cette infraction en complétant l’article 21 du code de procédure pénale, assurant ainsi l’efficacité opérationnelle du dispositif. De même, les agents assermentés agissant dans les transports en commun devraient être habilités à relever cette contravention.

Recommandation n° 16 : Permettre aux agents de police judiciaire adjoints et aux agents assermentés agissant dans les transports en commun de relever cette contravention.

De façon plus générale, il importe que l’ensemble des agents des forces de l’ordre et les magistrats aient connaissance au plus vite de cette nouvelle infraction et de ses modalités de mise en œuvre. Interrogé, le secrétariat d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes a indiqué que « la sensibilisation et la formation [des] professionnels a vocation à prendre appui sur les travaux de la mission interministérielle pour la protection des femmes et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) qui adaptera les outils déjà existants en lien avec les ministères concernés et les autorités organisatrices des transports ».

b.   Les peines encourues et les circonstances aggravantes

Le contrevenant est passible d’une amende de 750 euros au plus. L’alinéa 4 de l’article 4 prévoit que s’appliqueront les dispositions relatives à l’amende forfaitaire, y compris celles concernant l’amende forfaitaire minorée. Si l’amende est payée dans un délai de 3 jours, son montant est ramené à 90 euros ; s’il intervient dans les 45 jours, l’amende est de 135 euros. Au‑delà de 45 jours, l’amende atteint 375 euros.

Le projet de loi prévoit que cette infraction est réprimée comme une contravention de 5e classe lorsqu’elle est commise par une personne abusant de son autorité, qu’elle vise un mineur de 15 ans ou une personne vulnérable, qu’elle est commise par plusieurs personnes agissant comme auteur ou complices ou qu’elle intervient dans un transport en commun.

Outre l’amende, le tribunal de police peut condamner l’auteur à des peines complémentaires, notamment d’accomplir, à ses frais, un stage ou d’effectuer un travail d’intérêt général d’une durée comprise entre 20 et 120 heures.

Ces stages ne pourront être prononcés que si la procédure d’amende forfaitaire n’est pas utilisée. Cette exception pourra intervenir dès le début au regard des instructions de politique pénale du procureur, l’agent verbalisateur n’établissant pas un avis d’amende forfaitaire mais dressant une procédure normale transmise au parquet qui procédera alors par ordonnance pénale ou par poursuites devant le tribunal de police. Ils pourront aussi être prononcés lorsque l’auteur conteste l’amende forfaitaire et qu’il est alors jugé par le tribunal de police.

Le projet de loi identifie quatre catégories de stages :

       un stage de lutte contre le sexisme et de sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes ;

       un stage de citoyenneté ;

       un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels ;

       un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes.

 


   TRAVAUX DE LA dÉlÉgation

 

Lors de sa réunion du 19 avril 2018 sous la présidence de Mme Marie‑Pierre Rixain, la Délégation a adopté le présent rapport et les recommandations présentées supra (pages 7 et 8).

La vidéo de cette réunion est accessible en ligne sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante : http://videos.assemblee-nationale.fr/video.5770767_5abc93c249d77.delegation--aux-droits-des-femmes--pour-une-immigration-maitrisee-et-un-droit-d-asile-effectif--29-mars-2018


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   annexe 1 : Compte rendu de l’audition de Mme Marlène Schiappa, Secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes  

Compte rendu de l’audition du mardi 17 avril 2018

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain, co-rapporteure. Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes.

Lors de la journée internationale contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre dernier, le Président de la République a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause du quinquennat. Dès le mois de janvier, vous avez annoncé un projet de loi pour renforcer le dispositif de lutte contre les violences sexuelles et sexistes, autour de quatre objectifs : l’allongement du délai de prescription pour les violences sur les mineurs, la répression des violences sexuelles sur les mineurs, la répression des agissements sexistes – au moyen de la contravention pour outrage sexiste –, et la lutte contre les nouvelles formes de harcèlement, passant notamment par les outils numériques. Je crois pouvoir vous assurer du plein et entier soutien de notre délégation pour améliorer notre arsenal et pour mieux lutter contre cette violence.

Comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire, notamment dans le cadre du rapport d’information sur le viol que Sophie Auconie et moi-même avons présenté en février dernier, notre priorité doit être de mieux protéger les victimes et de mieux réprimer les auteurs. « La violence sexuelle est bien devenue la violence de notre temps » : si Georges Vigarello conclut son ouvrage sur l’histoire du viol par cette phrase, c’est qu’il perçoit dans les violences sexuelles une dimension sociétale et politique qui dépasse les seuls chiffres. Ces violences deviennent de plus en plus insupportables à la société moderne, dont les rapports individuels et collectifs se transforment. Dès lors, il devient crucial de s’interroger sur la manière de définir et de juger des crimes dont l’indicible et l’insupportable retiennent l’attention de chacun aujourd’hui.

Cet impératif qui s’est construit au fil des années, en parallèle de l’autonomisation et de l’émancipation de la femme, laisse entrevoir comment prévention et répression des violences sexuelles sont un préalable à l’égalité entre les femmes et les hommes. L’égalité rend intolérables des violences qui représentent un modèle de domination passé et une négation de l’autonomie du sujet.

C’est pourquoi une société moderne doit prévenir ces violences et mieux les sanctionner. Cela dit, la problématique actuelle ne doit pas se restreindre au seul renforcement de l’arsenal juridique : il s’agit aussi de faire en sorte que les violences sexuelles soient mieux poursuivies dans les faits. Je rappelle que seulement 10 % des victimes portent plainte, que 3 % des plaintes font l’objet d’un jugement et que seulement 1 % des viols aboutit à une condamnation. Cette situation inacceptable pose la question du type de société que nous voulons. C’est à nous qu’il revient d’y répondre collectivement, à nous, représentants de la puissance publique qui avons été invités par la société à penser autrement les interactions qui nous lient, afin de faire advenir une société d’égalité entre les femmes et les hommes, dont la banalisation des violences faites aux femmes est encore le premier obstacle. La loi doit pouvoir refléter les mues de notre communauté et protéger les droits de l’individu jusque dans son intimité. C’est d’autant plus évident quand on sait que 91 % des victimes connaissent leur agresseur : dans ces conditions, il faut pouvoir encourager la libération de la parole et lui trouver un exutoire judiciaire.

Avant de vous laisser la parole, madame la secrétaire d’État, je souhaite vous lire un extrait d’un ouvrage que je recommande à chacune et à chacun : publié récemment, il s’agit de La Petite Fille sur la banquise, d’Adélaïde Bon.

« Je suis Méduse, petite fille de la terre et de l’océan. Violée par Poséidon dans le secret d’un temple, je suis l’innocence profanée, jugée coupable et condamnée à voir mes longs cheveux transformés en serpents. Je suis celle dont on raconte que le regard pétrifie qui me croise. Je suis la femme sauvage contrainte à se cacher dans une grotte humide. Je suis celle à qui l’on coupe la tête quand elle dort, celle dont la dépouille mutilée terrifie les armées. Je suis ce qu’il reste d’une femme après qu’on l’a violée. »

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Je remercie la délégation aux droits des femmes de me recevoir aujourd’hui afin de me permettre de vous présenter ce projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Je remercie également chacune et chacun d’entre vous pour votre engagement, car je sais que vous avez énormément travaillé pour préparer la présente audition et, surtout, le débat parlementaire qui va suivre.

Comme l’a annoncé le Président de la République le 25 novembre 2017 à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination des violences envers les femmes, l’égalité entre les femmes et les hommes est la grande cause de ce quinquennat. Dans ce cadre, l'accent sera mis en tout premier lieu sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, dont les femmes représentent l’immense majorité des victimes.

Le projet de loi dont nous allons parler constitue l’un des outils pour réaliser notre ambition commune, consistant à mieux condamner les violences sexistes et sexuelles – en l’occurrence, en sanctionnant mieux les agresseurs. Nous avons assisté à un grand mouvement dit de « libération de la parole » et que j’appelle plutôt, pour ma part, « libération de l’écoute », sur lequel je ne reviendrai pas, puisque nous en avons déjà largement débattu. Il est salutaire qu’autour des mouvements #Metoo et #Balancetonporc, un grand nombre de femmes aient pu s’exprimer sur les violences qu’elles vivaient, ce qui a pu contribuer à ouvrir les yeux de la société sur l’ampleur de ce phénomène que sont les violences sexistes et sexuelles.

Si ce phénomène était salutaire, il n’était cependant qu’une première étape. Les parlementaires attachés à l’État de droit que vous êtes savent que Twitter et les réseaux sociaux ne sont pas des tribunaux et que seule la justice de la République a vocation à prononcer des condamnations. Malheureusement, il existe actuellement une relative impunité sur le plan judiciaire, ou du moins une insuffisance des sanctions prononcées à l’encontre des auteurs de violences sexistes et sexuelles, notamment parce que les textes ne permettent pas de prononcer suffisamment de condamnations. Cela crée un cercle vicieux, du fait du renforcement du sentiment de honte éprouvé par les femmes.

L’idée qui fonde ce projet de loi, c’est de donner tous les outils aux magistrats pour qu’ils puissent juger et mieux condamner les violences sexistes et sexuelles, afin qu’aucun acte de cette nature ne reste sans réponse face à la loi. Vous l’avez très justement souligné dans votre rapport d’information, la loi ne suffit pas à elle seule à lutter contre les violences sexistes et sexuelles, c’est pourquoi, en parallèle de ce projet de loi, le Gouvernement engage un plan ambitieux de lutte pour mieux détecter les violences sexistes et sexuelles et pour mieux accompagner les victimes, conformément aux engagements pris par le Président de la République.

Votre rapport contient de nombreuses recommandations extrêmement pertinentes, dont certaines font d’ailleurs déjà l’objet d’une application par le Gouvernement. Je pense à l’expérimentation de dix centres de soins du psychotraumatisme pour les victimes de violence, qui sera annoncé au cours de l’année ; au lancement prochain d’une plateforme de signalement en ligne destinée aux victimes de violences sexistes et sexuelles et gérée par les forces de l’ordre ; à l'ouverture d’une campagne de communication de vaste ampleur pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles – un budget de 4 millions a été dégagé par le Premier ministre –, au lancement d’un grand plan de formation initiale et continue des professionnels du secteur public, conformément à la circulaire publiée le 9 mars dernier. Par ailleurs, un certain nombre de plans contre les violences sexistes et sexuelles vont être engagés dans l’enseignement supérieur et la recherche, et au moins trois séances annuelles vont être consacrées à l’éducation à la sexualité dans les collèges et les lycées, comme l'a décidé le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Je vois déjà un motif de satisfaction dans le fait qu’il y ait un accord entre le législateur et le Gouvernement, à la fois sur l’objectif et sur la méthode que nous allons pouvoir employer pour abaisser le seuil de tolérance de toute la société aux violences sexistes et sexuelles.

Le projet de loi que je présente est un texte équilibré, fruit d’une large et longue concertation. Les mesures qu’il contient s’inspirent des attentes exprimées par les citoyennes et les citoyens lors du Tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a constitué la plus grande consultation gouvernementale jamais organisée, avec plus de 55 000 participants recensés en métropole et en outre-mer. Il s’inspire aussi des travaux de nombreux experts, tels la mission de consensus sur la prescription applicable aux crimes sexuels commis sur mineurs, menée au cours de la précédente législature sous la présidence de Flavie Flament et du magistrat Jacques Calmettes, la mission pluridisciplinaire sur les infractions sexuelles à l’encontre des mineurs, installée par le Premier ministre en février, et différents rapports rendus par d’autres instances.

Bien sûr, ce projet s’inspire également des travaux des parlementaires, notamment du rapport de Mme la présidente Marie-Pierre Rixain et Mme la députée Sophie Auconie, au nom de la délégation aux droits des femmes, mais aussi de celui du groupe de travail constitué de cinq députés, consacré à la verbalisation du harcèlement de rue. Enfin, nous avons repris les idées qui avaient été formulées dans le cadre de certaines propositions de lois – parfois restées à l’état d’esquisse – sur ces sujets qui nous mobilisent.

Le projet de loi s’articule autour de quatre dispositions principales. C’est un texte assez court, qui vise à être le plus efficace et le plus clair possible – des qualités dont je vais m’efforcer de faire preuve dans ma présentation, même si certains de ses articles sont assez techniques et nécessiteront peut-être d’entrer dans des explications juridiques.

Tout d’abord, nous proposons d’allonger de dix ans le délai de prescription applicable aux crimes commis sur des mineurs, en le portant à trente ans à compter de la majorité de la victime, qui pourra donc porter plainte jusqu’à l’âge de quarante-huit ans. Cette évolution reprend les préconisations de la mission de consensus sur l’allongement des délais de prescription que j’évoquais tout à l’heure.

Elle vise aussi à répondre à deux cas de figure, le premier étant celui de l’amnésie traumatique, un phénomène encore méconnu par la science il y a quelques années et que les travaux menés par des chercheurs et des associations ont permis de mettre en évidence. Il consiste pour certaines victimes à refouler jusqu’à l’oublier, sous l’effet de la sidération provoquée par le traumatisme, le souvenir d’une agression subie. Il arrive que ce souvenir ne ressurgisse qu’à l’âge adulte, ce qui justifie d’allonger les délais de prescription afin de pouvoir judiciariser le crime se trouvant à son origine.

Le second cas est celui de la victime qui se souvient d’un viol subi quand elle était enfant, mais qu’elle n’a pas pu judiciariser dès son entrée dans l’âge adulte parce qu’elle n’en avait pas les moyens financiers ou psychologiques – c’est souvent le cas quand le violeur est quelqu’un de proche, un membre ou un ami de la famille, un éducateur ou quelqu’un faisant figure d’autorité. Plusieurs victimes nous ont fait part du fait qu’elles avaient d’abord dû construire leur vie professionnelle, sociale et familiale, avant de se sentir suffisamment armées pour affronter la judiciarisation de ce qu’elles avaient subi.

Pour toutes ces raisons, nous croyons que cette évolution est nécessaire et, au-delà des crimes sexuels à l’encontre des mineurs, nous avons voulu étendre l’allongement du délai de prescription à l’ensemble des crimes commis sur les mineurs.

Nous souhaitons également renforcer la pénalisation des abus sexuels commis sur des mineurs de quinze ans. Le texte renforce la portée symbolique, mais importante, de l’interdit des relations sexuelles entre un adulte et un mineur de quinze ans – autrement dit, un mineur de moins de quinze ans. Afin d’accroître de manière effective la protection des mineurs tout en évitant les traumatismes d’un trop long débat judiciaire au sujet de l’éventuel consentement de la victime – une notion qui ne figure pas dans le texte, ce qui me paraît correspondre à ce que vous souhaitez, madame la présidente –, elle se fonde sur deux propositions complémentaires.

Il s’agit d’abord de prendre en compte la vulnérabilité particulière des mineurs de quinze ans : grâce aux précisions apportées, nous pensons qu’il n’y aura plus d’ambiguïté sur les capacités de discernement ou de consentement du mineur de moins de quinze ans à un acte sexuel, puisque la contrainte morale ou la surprise pourront résulter de l’abus d’ignorance de la victime, qui ne dispose pas de la maturité et du discernement nécessaires pour consentir à ses actes – telle est la formulation que nous proposons dans ce projet de loi. Il est important de rappeler que cette disposition sera applicable dès la promulgation de la loi, y compris à des faits antérieurs, voire très anciens : les juges pourront donc s’en saisir pour toute affaire, y compris pour les affaires en cours, grâce à la formulation comprenant un article interprétatif, qui permettra que la mesure soit efficace dès sa promulgation.

Il s’agit ensuite de mieux sanctionner ce qu’on appelle en droit le délit d’atteinte sexuelle. Nous avons voulu renforcer ce délit, qui existe déjà, en doublant les peines encourues pour faire en sorte que toutes les situations trouvent une réponse judiciaire. Je sais qu’il y a des divergences quant à la formulation du mécanisme juridique à privilégier, mais je crois que toutes poursuivent un objectif similaire, qui est de renforcer la protection des mineurs de moins de quinze ans et de donner aux magistrats les outils pour juger les viols sur mineurs en les considérant comme ce qu’ils sont, à savoir des viols, qui doivent être jugés comme des actes gravissimes et inacceptables. Sur ce point, nous avons tous en tête des affaires qui ont récemment mis en lumière les faiblesses du droit positif.

Troisièmement, conformément à nos engagements, le projet de loi viendra aussi élargir la définition du harcèlement moral et sexuel, afin de permettre la répression des « raids numériques » – expression recouvrant les phénomènes de cyber-harcèlement en meute qui se développent sur les réseaux sociaux. Cette disposition facilitera la plainte des victimes et permettra aux juges de condamner l’ensemble des auteurs ayant participé à une attaque de manière concertée – proportionnellement, bien sûr, à la gravité de leurs agissements. Les auteurs d’un harcèlement de concert seront punis de deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende et, en cas de circonstances aggravantes, encourront des peines pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Il nous est apparu nécessaire de sanctionner plus efficacement le cyber-harcèlement en meute, un phénomène touchant fréquemment des journalistes et d’autres catégories de femmes publiques, mais aussi énormément de très jeunes femmes. Au cours du Tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes, dans tous les lycées, où qu’ils soient situés et quelle que soit la catégorie sociale des parents et des élèves – qu’il s’agisse du lycée français à Londres, de lycées en zone rurale ou en banlieue –, tous les jeunes sans exception nous ont parlé du cyber-harcèlement en meute comme d’un phénomène extrêmement traumatisant et auquel la loi n’apporte pas de réponse quand il résulte d’une action concertée : c’est donc un article de loi citoyen et visant à répondre à la demande formulée par ces jeunes, que nous proposons.

Enfin, la dernière disposition de ce projet, qui correspond à un engagement de campagne du Président de la République, vise à réprimer le harcèlement dit « de rue » en créant une nouvelle infraction que nous proposons d’appeler l’« outrage sexiste », afin de remédier à ce qui constitue actuellement l’un des angles morts de notre droit – et un sujet sur lequel les citoyennes et les citoyens se sont beaucoup exprimés au cours du Tour de France de l’égalité entre les femmes et les hommes. Il s’agit de réprimer l’ensemble des comportements à connotation sexiste ou sexuelle, jusqu’alors impunis parce qu’ils ne relèvent pas des incriminations existantes. L’idée est d’envoyer un signal fort aux agresseurs, d’inscrire dans la loi que l’outrage sexiste n’est pas une simple incivilité, mais une infraction attentatoire à la liberté des femmes partout et tout le temps.

Cette question est tout à fait liée aux autres questions d’égalité entre les femmes et les hommes. Comme je le répète souvent, le harcèlement de rue est directement lié à l’égalité professionnelle, parce qu’on ne peut pas, d’un côté, vouloir lutter contre l’autocensure des femmes dans le monde professionnel et, de l’autre, admettre que pendant leur trajet pour aller travailler, pour passer des examens ou des entretiens d’embauche, ou tout simplement pour sortir, les femmes puissent craindre pour leur intégrité physique. Il y a quelques semaines, une étude de l’IFOP et de la fondation Jean Jaurès a montré que huit jeunes femmes sur dix expriment un fort sentiment d’insécurité lorsqu’elles sont seules dans l’espace public le soir – un chiffre inacceptable. Il est important que les lois de la République interdisent d’intimider, de menacer, de suivre des femmes dans l’espace public, afin que cet espace public devienne un espace de sécurité plutôt qu’un espace d’intranquillité pour les femmes.

J’ai la ferme conviction que, par sa portée pédagogique, cette nouvelle infraction va permettre aux femmes d’avoir le droit de leur côté. Comme le Président de la République le dit souvent, la honte doit changer de camp : nous ne pouvons plus laisser des femmes baisser la tête lorsqu’elles sont suivies dans la rue. Nous recherchons bien évidemment l’efficacité de la mesure, c’est pourquoi les 10 000 policières et policiers de la sécurité du quotidien qui seront recrutés, comme l’a annoncé le ministre d’État, ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, seront également formés et équipés, notamment numériquement, pour repérer et verbaliser immédiatement l’outrage sexiste, selon un mécanisme correspondant aux préconisations faites par les députés du groupe de travail sur le harcèlement de rue.

Pour conclure, même si ce projet de loi se concentre sur la juste condamnation des violences sexistes et sexuelles, l’idée sous-jacente est bien évidemment de faire entrer ces thématiques dans le débat public, car c’est seulement lorsque nous aurons réussi à interpeller l’ensemble de la société française sur ces questions que nous pourrons abaisser son seuil de tolérance. Nous voulons donc agir à la fois avec la loi, l’action publique et la parole publique pour lutter contre ce que j’appelle la culture du viol, c’est-à-dire tout ce qui excuse, minimise, relativise, voire promeut les violences sexistes et sexuelles. Pour cela, la loi ne suffit pas à elle seule, mais elle doit tout prévoir pour assurer une meilleure condamnation des violences sexistes et sexuelles.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain, co-rapporteure. Merci, madame la ministre, pour cet exposé qui permet de faire le point de vos intentions et sur le contenu du projet de loi. Avant de laisser la parole à mon collègue Erwan Balanant, j’ai deux questions à vous poser.

J’aimerais d’abord savoir quels vont être les changements induits par l’allongement de la prescription à trente ans, et si vous avez estimé le nombre d’affaires qui pourront être ouvertes grâce à ce nouveau délai.

Ma deuxième question est en lien avec le rapport sur le viol que Sophie Auconie et moi-même avons rendu en février dernier. Pour ce qui est des violences faites aux mineurs, que penseriez-vous de compléter le dispositif prévu par le projet de loi en instituant un deuxième seuil d’âge à treize ans ? Toute relation sexuelle d’un majeur avec un mineur de quinze ans resterait interdite, avec un renforcement de l’arsenal prévu par le projet de loi ; en complément, toute relation sexuelle d’un majeur avec un enfant de treize ans et comportant une pénétration serait réprimée comme un crime, c’est-à-dire par une peine de vingt ans de réclusion.

M. Erwan Balanant, co-rapporteur. Ne pourrait-on envisager un dispositif plus général que celui prévu, qui couvrirait également les cas où un raid de cyber-harcèlement – moral et sexuel – serait commis par plusieurs personnes qui ne se seraient pas réellement concertées mais qui auraient agi par effet d’entraînement ?

Ma seconde question porte sur la mise en place par l’État d’une plateforme qui permettrait de signaler rapidement les outrages commis, notamment le harcèlement sexuel ou, parfois, scolaire. Ne peut-on prévoir une plateforme générale permettant de signaler toutes les dérives commises sur internet ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Pour ce qui est de l’allongement des délais de prescription, le texte poursuit un double objectif : d’efficacité, d’une part, et de pédagogie symbolique, de l’autre. L’idée est de permettre à toutes les victimes de viol d’aller déposer plainte même si toutes ne le feront pas. J’ai pu observer, au cours des travaux que j’ai menés – comme vous avez pu le noter également au cours des vôtres –, que certains ont évoqué l’engorgement des tribunaux. Le seul domaine pour lequel on déplore le surcroît de dépôts de plaintes est celui des violences sexistes et sexuelles ! Quand quelqu’un se fait voler son téléphone, on ne lui dira jamais que s’il va porter plainte il engorgera les tribunaux…

Ensuite, les délais de prescription ont déjà été allongés au cours de la précédente législature. Notre action s’inscrit par conséquent dans la même logique et nous constatons que l’allongement des délais n’entraîne pas un surcroît de dépôt de plaintes. Reste qu’il est important, j’insiste, de permettre aux victimes de déposer plainte car, souvent, ceux qui violent des enfants ne se contentent pas d’en violer un mais en violent plusieurs. Or, même quand la victime n’est pas en mesure de rassembler les preuves du viol qu’elle a subi, le dispositif prévu permet de créer un faisceau d’indices concordants, de recueillir des témoignages concordants au point d’éventuellement aboutir aux aveux de l’agresseur, donc de le mettre hors d’état de nuire même des années après les faits. On sait en effet, d’après les chiffres, d’après les associations et la justice que, très souvent, les prédateurs sexuels récidivent et font donc de nombreuses victimes.

Il s’agit, en somme, de créer un effet d’entraînement, de systématiser la plainte pour viol au point qu’elle ne soit plus l’exception mais devienne bien la règle.

J’en viens à la question des seuils d’âge. Trois possibilités s’offraient à nous : placer le seuil à treize, quinze ou dix-huit ans. Nous avons choisi l’âge de quinze ans parce que le rapport de la mission pluridisciplinaire commandé par le Premier ministre le recommandait. La plupart des experts de cette mission, pédiatres, magistrats, représentants d’associations…, considèrent que l’âge de quinze ans est celui de la maturité affective et il correspond du reste à l’âge de la majorité sexuelle. En outre, quand on interroge nos concitoyens, ils préconisent en moyenne 16,8 ans. On doit néanmoins, ici, tenir compte d’un biais : les personnes interrogées répondent en fonction de leurs propres enfants et sont conduites à indiquer l’âge le plus avancé possible. Aussi l’âge de quinze nous a-t-il paru un bon compromis et la formule retenue par la chancellerie et mon ministère nous a-t-elle semblé efficace. Le Gouvernement n’en examinera pas moins avec la plus grande attention les amendements qui, en la matière, viseront à améliorer le texte.

Pour ce qui est du cyber-harcèlement, vous avez raison, monsieur le co-rapporteur : nous souhaitons que toutes les actions menées en meute, sous forme de raid, puissent être condamnées. Le magistrat doit néanmoins jouir d’une certaine liberté d’interprétation en ce qui concerne la manière dont s’effectue la concertation. Nous avons donc volontairement retenu la définition la plus large possible afin de ne pas enfermer le magistrat dans un cadre trop rigide.

Enfin, deux initiatives sont en cours au sujet des plateformes. L’une est à l’initiative de l’État – en particulier sous l’égide du ministère de l’Intérieur : il s’agit d’une plateforme de dialogue devant permettre aux femmes victimes de violences sexistes et sexuelles de parler en ligne avec des policiers formés. D’autres, dont nous sommes partenaires, sont privées ; je pense également à la Régie autonome des transports parisiens (RATP) qui a noué un partenariat avec les créateurs de l’application « HandsAway », que nous avons auditionnés, laquelle permet de signaler des harcèlements de rue ou des « outrages sexistes », comme il faudra désormais les appeler.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain, co-rapporteure. Afin qu’il n’y ait pas d’ambiguïté pour les internautes qui nous regardent en direct sur le site de l’Assemblée, ou pour les membres de la délégation, pour Sophie Auconie et moi-même, qui avons conclu dans ce sens dans notre rapport, mais aussi pour M. Balanant, il ne s’agit pas d’opter pour le seul seuil de treize ans mais bien de retenir celui de quinze ans et d’ajouter, en plus, un second seuil à treize ans.

Mme Bérengère Couillard. Ma question concerne les personnes victimes d’agressions sexuelles pour lesquelles le délai de prescription de vingt ans à partir de leur majorité est écoulé. Le texte propose de porter ce délai à trente ans – et je m’en réjouis – mais ces femmes qui sont aujourd’hui âgées de trente-huit à quarante-huit ans craignent de ne pas pouvoir porter plainte du fait que le code civil précise que « la loi ne dispose que pour l’avenir [et qu’]elle n’a point d’effet rétroactif ». Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous assurer et assurer à ces femmes âgées de trente-huit à quarante-huit ans que la loi leur permettra tout de même de porter plainte ?

Mme Huguette Bello. Je suis ces questions depuis longtemps et ce qui me tracasse vraiment, c’est la correctionnalisation du viol, seuls 3 % des viols étant jugés en cour d’assises. De plus, cette correctionnalisation ne suit aucune règle écrite. Vous savez que le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, autorité administrative indépendante, a plaidé en 2016 pour une juste condamnation du viol, recommandant de demander, « par voie de circulaire pénale aux parquets, à ce que la qualification criminelle du viol soit retenue et poursuivie en cour d’assises ». Ce qui me tracasse aussi, ce sont les 57 % de viols commis sur des mineurs. Je souhaite savoir si nous disposons de statistiques par tranche d’âge.

Une procédure a été expérimentée à La Réunion en 1990 par le procureur Laborde, la procédure « Mélanie ».

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain, corapporteure. Nous avons visité, avec Mme Auconie, des salles « Mélanie ».

Mme Huguette Bello. Elle consiste en un enregistrement audio d’un entretien.

Mme Sophie Auconie. L’enregistrement est vidéo.

Mme Huguette Bello. J'évoquais les débuts de cette méthode…

Une psychologue remarquait que si l’on avait utilisé la procédure « Mélanie » dans l’affaire Outreau on n’en serait pas arrivé aux extrémités que l’on sait. Je souhaite donc savoir ce qu’il en est de cette procédure.

Mme Valérie Boyer. Voilà plusieurs mois, madame la ministre, que vous vous exprimez sur les violences faites aux femmes. Je vous présente à l’avance mes excuses pour mon absence pour l’examen du texte en séance, au mois de mai – j’ai en effet un engagement auprès de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN). Je ferai néanmoins plusieurs remarques à propos du projet de loi.

Certes, les violences faites aux femmes sont un combat de société mais c’est aussi un combat universel.

Vous mettez en avant la lutte contre le harcèlement de rue mais je souhaite m’exprimer sur le viol. Légalement un crime et devant être jugé par les cours d’assises, il fait de plus en plus l’objet d’une correctionnalisation judiciaire : le parquet ou le juge d’instruction poursuit cette infraction sous une qualification délictuelle afin de porter l’affaire devant un tribunal correctionnel plutôt que devant une cour d’assises, et cela concerne 80 % des cas de viol pour lesquels une plainte a été déposée. Ce chiffre est très inquiétant. Le désengorgement des tribunaux, notamment des cours d’assises, ne doit pas se faire au détriment des victimes. Or le viol, je le répète, est un crime et qui doit être jugé comme tel. Aussi quelles mesures proposez-vous pour que ce soit bien le cas dans la réalité ?

Pourquoi, par ailleurs, avez-vous abandonné l’idée d’une présomption irréfragable de non-consentement pour les viols sur les mineurs de moins de quinze ans ? Je me permets d’insister sur le fait que la proposition de loi que j’avais déposée visant à protéger les victimes de viol, mentionnait les trois cas que nous devons, il me semble, examiner : les relations sexuelles entre un mineur de moins de quinze ans et un majeur, les relations sexuelles entre un mineur âgé de quinze à dix-huit ans et un majeur ayant sur lui une autorité de droit ou de fait – c’est à dire, une personne appartenant au cercle familial ou un familier –, et les relations sexuelles entre mineurs. Nous devons, j’insiste, examiner ces questions en détail.

J’aurais aimé par ailleurs que figurent dans ce texte des propositions concernant les mutilations génitales féminines, sujet hélas abordé en passant par le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif, et qui n’y a du reste pas du tout sa place, pour des raisons que nous aurons l’occasion de développer dès ce soir dans l’hémicycle. Je rappelle deux chiffres : 60 000 femmes excisées vivent sur le territoire national et 500 000 au sein de l’Union européenne. Ce problème dépasse l’opposition droite-gauche ; il n’y a pas de clivage politique, ici, qui tienne : quand des jeunes filles sont mutilées, nous devons le dénoncer pour l’empêcher ; elles ont des parents qui eux aussi doivent être partie prenante du dispositif. C’est pourquoi je me permets d’appeler votre attention sur mes propres travaux – auxquels plusieurs de nos collègues se sont associés – réalisés entre 2007 et 2012, en 2012 et en 2017, sans oublier un nouveau texte que je présenterai dans les jours qui viennent. Il est nécessaire que les pouvoirs publics s’expriment haut et fort et manifestent leur volonté de mettre concrètement un terme à ces pratiques odieuses car dénoncer c’est bien, mais c’est agir qui doit être la priorité.

Nous devons en outre nous poser la question de la place des femmes dans l’armée mais aussi dans l’espace politique, dans l’entreprise et dans certaines cités. Dans certains quartiers, les femmes ne peuvent plus porter de jupe – je fais allusion à ce magnifique film interprété notamment par Isabelle Adjani, qui résumait bien une partie du quotidien de ces quartiers. Le projet de loi mettra-t-il un terme à cette situation ? J’en doute.

Je reviens sur un événement : en juillet 2016, dans un centre aéré de Reims, la direction a envoyé un courrier aux parents pour leur déconseiller d’habiller leurs filles avec des jupes afin qu’elles évitent d’être confrontées « aux comportements déplacés de certains garçons ». Nous avons également appris qu’il existait des cafés, à deux heures de Paris, où les femmes ne sont pas les bienvenues. On sait aussi qu’il y a des quartiers où elles ne s’habillent pas comme elles le souhaitent, ne travaillent pas quand elles le veulent, ne scolarisent pas leurs enfants dans les écoles de la République parce que c’est mal perçu par leur entourage. Qui aurait pu penser, il y a vingt ans, que nous devrions à nouveau nous battre pour le port de la jupe et, plus largement, pour nos droits et ceux de nos enfants ? Je ne peux accepter que, dans notre pays, nous fassions naître un sentiment de culpabilité chez celles qui portent une jupe ou qui, simplement, veulent vivre leur vie.

Disons franchement les choses : il existe une vision radicale de l’islam hostile à l’émancipation de la femme, vision peut-être minoritaire mais qui gagne du terrain, notamment chez les jeunes. Après la loi de 2004 sur les signes religieux ostentatoires et celle de 2010 sur le voile intégral, nous devons reprendre ce combat en redoublant d’énergie contre les dérives d’un communautarisme qui retire sournoisement aux femmes leurs droits les plus fondamentaux. Cette pression n’a rien à voir avec la spiritualité,

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain, co-rapporteure. Merci, madame Boyer.

Mme Valérie Boyer. Je termine, madame la présidente.

Cela s’appelle du machisme, de la misogynie et de la contrainte sociale. Ces jeunes femmes doivent d’autant plus être protégées qu’elles sont les cibles de prédilection des fanatiques. Je souhaite savoir ce vous envisagez de faire car, en la matière, je n’ai rien vu dans votre texte.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. On ne peut qu’être d’accord avec vous, madame Boyer, concernant le port de la jupe et, plus généralement, le droit des femmes de se vêtir comme elles l’entendent. Si le projet de loi ne prévoit rien en la matière, c’est qu’il n’a pas vocation à tout traiter mais à mieux condamner en justice les violences sexistes et sexuelles – lesquelles ne figurent pas dans la loi en vigueur. En revanche, avec Mme Muriel Domenach, secrétaire générale du comité interministériel pour la prévention de la délinquance et de la radicalisation, nous travaillons à un plan très concret relatif aux femmes. Nous travaillons également, sous la houlette du ministère de l’Intérieur, sur ce que nous avons appelé les quartiers de reconquête républicaine où 10 000 policiers de la sécurité du quotidien verbaliseront, notamment, le harcèlement de rue.

De la même manière, si l’excision n’a pas sa place dans ce texte, cela ne signifie pas que les politiques publiques doivent l’ignorer. Je partage du reste tout à fait votre indignation : 53 000 femmes excisées vivent en France. Le plan contre l’excision est le premier que j’ai lancé en prenant mes fonctions, avec une communication directe de grande ampleur à l’attention des jeunes filles susceptibles d’être excisées lors de « vacances » passées dans leur pays d’origine. Il est très important de rappeler que les lois de la République interdisent l’excision sur le territoire national mais aussi l’excision de petites filles françaises à l’étranger. L’été approche et comme il s’agit de la période la plus à risque pour les excisions, nous entendons amplifier ce plan. Si vous avez des propositions à faire, je les examinerai avec grand plaisir. Ensuite, la lutte contre les mutilations génitales doit être menée au plan international. C’est pourquoi nous avons commencé à y travailler avec le Royaume-Uni, mais aussi avec les pays du G7, présidé par le Canada : Justin Trudeau est à Paris ces jours-ci et nous avons, avec le président Macron, abordé directement la question avec lui. La France, qui présidera à son tour le G7, l’année prochaine, doit porter une voix forte et c’est dans cette perspective que je suis intervenue il y a quelques semaines auprès la Commission de la condition de la femme (CSW), aux Nations Unies, car il s’agit de montrer, au sein de tous les organismes internationaux, comme l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), que la France ne lâche rien.

Ensuite, vous évoquiez le parallèle entre le harcèlement de rue et le viol. Je partage ce qui a été dit sur la correctionnalisation du viol : nous travaillons, avec Nicole Belloubet, pour faire valoir le fait que les viols sont des crimes et doivent être jugés comme tels. La logique « pragmatique » des tribunaux consistant à les correctionnaliser ne peut être entendue. Ma conviction, celle des experts, est qu’il existe un véritable continuum des violences, depuis le harcèlement de rue jusqu’au viol : ces comportements ne sont pas décorrélés, la plupart des violeurs avaient en effet déjà agressé sexuellement ou déjà harcelé. Tous les policiers que nous avons auditionnés nous expliquent que les violences sexuelles suivent une forme de gradation exponentielle. C’est ce que déclarent également les victimes lorsque les violeurs ont été condamnés. Quand j’évoque un continuum, je n’avance pas que quelqu’un qui harcèle dans la rue va devenir systématiquement un violeur mais je soutiens qu’il faut bloquer le processus immédiatement et pour cela ne rien laisser passer, même la plus « petite » des agressions ou des atteintes sexuelles à l’encontre des femmes. C’est donc une manière de marquer une barrière.

Nous ne disposons pas de statistiques précises par tranches d’âge, madame Bello. Je note en tout cas votre demande et nous allons tâcher de savoir comment il sera possible, sur la base des condamnations, de vous apporter des réponses.

Pour ce qui est des salles « Mélanie », nous suivons ce dispositif de très près. On en compte 275 en France et nous nous efforçons de mieux les faire connaître.

Enfin, concernant l’allongement des délais de prescription, madame Couillard, je vous confirme que nous avons l’intention de partir de l’âge de la majorité, donc de faire en sorte que toutes les femmes, jusqu’à l’âge de quarante-huit ans, puissent aller déposer plainte, y compris celles qui, aujourd’hui, ont entre trente-huit et quarante-huit ans et, pour l’heure, ne le peuvent pas.

Mme Sophie Panonacle. Madame la ministre, je tiens à vous remercier pour le travail que vous avez effectué en amont de la présentation de ce projet de loi.

J’ai eu le plaisir de vous recevoir au bord du bassin d’Arcachon le 19 février dernier, et je tiens à souligner la qualité de l’écoute dont vous avez fait preuve, auprès tant des associations engagées dans la défense et la protection des femmes, que des élus locaux ainsi que des forces de police et de gendarmerie.

Je pense que ce projet est un texte majeur dans cette législature, un signal fort envoyé aux femmes et aux hommes de notre pays. Je souhaite saluer ici la décision du Gouvernement d’allonger le délai de prescription de vingt à trente ans pour les crimes sexuels commis sur les mineurs. Cet allongement permettra aux victimes de bénéficier d’un environnement juridique de nature à mieux prendre en considération le temps relatif au choc traumatique subi par la victime et à la reconstruction psychologique qui doit mener au dépôt de plainte. Que cela entraîne une augmentation du volume des plaintes irait dans le bon sens.

La loi est indispensable, mais elle ne fera pas tout. Aussi, pour faciliter ce dépôt de plainte, des mesures d’accompagnement sont prévues dans les écoles, les universités ou encore les hôpitaux. Pouvez-vous nous rassurer quant aux moyens qui seront alloués pour rendre opérationnels ces dispositifs ?

Par ailleurs, nous sommes confrontés à Arcachon à une situation particulièrement dramatique. Cinq très jeunes enfants, de trois à cinq ans au moment des faits, ont subi une agression sexuelle par un moniteur du centre de loisirs. Faute de structure locale adaptée, l'examen médical n’a pu être effectué dans l’hôpital de la commune, et il a ainsi eu lieu trop tardivement, c’est-à-dire dans des conditions qui ne sont pas les meilleures pour de si jeunes victimes.

Pouvez-vous nous rassurer quant aux moyens qui seront engagés pour pallier ce type de situation ?

M. Pierre Cabaré. Le projet de loi prévoit une pénalisation des raids numériques, mais l’association contre le cyber-harcèlement a montré, en s’appuyant sur le hashtag #twitteragainstwomen que les réseaux sociaux prennent peu en compte le harcèlement sur internet ou agissent peu contre lui.

Va-t-on créer une plateforme ou un dispositif pour pénaliser – et non seulement signaler – les cyber-harceleurs ?

Mme Emmanuelle Anthoine. J'appelle votre attention sur les difficultés que rencontrent les femmes pour déposer plainte lorsqu’elles vivent sous le même toit que le compagnon, le conjoint ou l’époux qui leur fait subir des violences. Quelles mesures d’accompagnement envisagez-vous, tels des centres d’hébergement pour ces femmes victimes de violences ?

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Je commencerai par l’accompagnement de plaintes. Afin qu’elles puissent déposer plainte dans de bonnes conditions, ce qui demande une préparation, une plateforme sera créée, qui permettra aux femmes de dialoguer avec des policiers et des policières.

Un certain nombre d’associations que l’État accompagne permettent ainsi aux femmes de préparer leur plainte. Si elles vivent sous le même toit que celui contre qui elles veulent déposer plainte, il faut préparer des dossiers, parfois demander des passeports et éventuellement régler les affaires des enfants. Il est important qu’une association permette aux femmes d’être accompagnées. C’est pourquoi l’État soutient ces associations et créera cette plateforme.

En ce qui concerne l’hébergement, 2 000 places seront réservées aux femmes victimes de violences conjugales et à leurs enfants, cela a été rappelé lors du comité interministériel sur l’égalité hommes-femmes du 8 mars 2018. Nous créerons surtout une plateforme de localisation des hébergements d’urgence. C’est une demande qui est remontée lors du tour de France des inégalités femmes-hommes, tant autour du bassin d’Arcachon qu’à d’autres endroits.

Je l’avais moi-même observé en tant qu’élue locale : des places d’hébergement existent souvent, mais elles ne sont pas connues des professionnels. Cette plateforme repose donc sur l’idée que, département par département, autour des préfets, chacun – services de la préfecture ou de l’État, associations, travailleurs sociaux, urgentistes, services de la police et de la justice – aura accès, en temps réel, à une géolocalisation des places.

La construction de cette plateforme est en cours et nous veillons à ce qu’elle soit sécurisée car l’endroit où les femmes sont hébergées doit être maintenu secret pour qu’elles restent éloignées de leur conjoint violent.

Par ailleurs, le dispositif téléphone grave danger (TGD) sera reconduit cette année et pris en charge par le ministère de la Justice. La garde des Sceaux a en effet décidé d’investir 900 000 euros dans ce dispositif, pour faire en sorte que le TGD soit généralisé. Nous travaillons à l’assouplissement de son financement, certaines des conventions actuelles nous paraissant un peu rigides car elles ne permettent pas de dépasser un certain montant de frais téléphoniques par département. Nous voulons au contraire répondre aux besoins réels des départements, notamment le Nord et les Bouches-du-Rhône, qui doivent faire face à une demande bien supérieure à la dotation actuelle.

In fine, il doit y avoir autant de services d’accueil téléphonique et autant de places d’hébergement pour les femmes que nécessaire. L’hébergement est vraiment une question de vie ou de mort. Si une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint, cela est dû aussi au fait qu’elle n’a pas été extraite du domicile conjugal avant le coup final, malgré des faisceaux d’indices concordants.

J’en viens au cyber-harcèlement, monsieur Cabaré. Nous menons un travail avec les géants de l’internet, tout particulièrement avec les réseaux sociaux. Je n’ai pas hésité à convoquer les responsables du forum 18-25 ans du groupe Webedia quand il a été mis en cause dans des faits de raids numériques et de cyber-harcèlement en meute.

Le Gouvernement agit en coopération avec ses homologues partout dans le monde, notamment dans les pays qui hébergent ces réseaux sociaux, pour faire en sorte que des sanctions soient prises. Celles-ci peuvent être d’ordre judiciaire ; tout se passe alors devant un tribunal saisi d’une plainte. D’autres sanctions ne passent pas par la justice : suppression du compte, modération des contenus… C’est à ce niveau que nous connaissons les plus importants problèmes. Actuellement, les plaintes pour cyber-harcèlement sont largement enregistrées en France par les policiers, mais elles restent sans suite faute de textes protecteurs. Les contenus restent aussi bien trop longtemps en ligne.

Voilà le travail auquel nous nous attelons, mon collègue Mounir Mahjoubi, secrétaire d’État au numérique, et moi-même : assurer de réelles condamnations et faire disparaître les contenus litigieux.

Vous avez raison, madame Panonacle : il faut accompagner les femmes désireuses de porter plainte. Un certain nombre de plans ont été adoptés en ce sens, notamment le plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et la recherche, lancé avec ma collègue Frédérique Vidal. Il ouvre la voie à un double circuit de sanctions : d’un côté, la judiciarisation ; de l’autre côté, des sanctions disciplinaires extrêmement fermes et importantes.

Le plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans la fonction publique ouvre également un circuit d’alerte directe des services de ressources humaines permettant de contourner la hiérarchie pour arriver in fine à de véritables sanctions. Contrairement à ce qui est dit et répété depuis plusieurs mois, les moyens mis à disposition par l’État sont en augmentation.

Notre budget propre de subventions est en augmentation légère, tandis que le budget interministériel progresse fortement, pour atteindre 420 millions. Il est d’autant plus important de prendre en compte ce budget interministériel que beaucoup ne relèvent pas directement du programme 137, mais de celui la Justice, pour les TGD, de celui de l’Intérieur, pour la plateforme dont je parlais, ou encore de l’Éducation nationale.

Permettez-moi de vous donner quelques chiffres s’agissant des moyens humains : la police compte 183 brigades de protection de la famille et 228 référents locaux, ce qui représente 1281 policiers. C’est énorme. Il y a aussi 132 correspondants départementaux et 414 correspondants locaux sur ces sujets. En 2019, on passera de 263 à 358 intervenants sociaux présents dans les services de police et de gendarmerie. De cette manière, davantage de professionnels seront mobilisés.

De même, le nombre des psychologues sera porté en 2020 de 73 à 86. Les démarches de dépôt de plainte relèvent en effet non seulement de l'aspect légal, mais aussi de l’accompagnement psychologique. En enregistrant la plainte, le policier pose la première pierre de la judiciarisation. Mais une victime de viol ou d’abus sexuel a besoin d’écoute, d’accompagnement et d’empathie. Nous jugeons donc important que des travailleurs sociaux et des psychologues puissent accompagner des victimes au-delà de la judiciarisation.

Mme Laëtitia Romeiro Dias. Je vous remercie de votre présentation qui démontre la détermination du Gouvernement à lutter contre toute forme de violences envers les femmes, volonté parfaitement traduite dans ce projet de loi sur les violences sexistes et sexuelles.

Parmi les mesures phares du texte, j’aimerais revenir sur le délai de prescription pour les crimes commis sur des mineurs. Je souhaiterais, ce faisant, utiliser le symbole de la justice, celui de la balance de Thémis. D’un côté de la balance, nous avons les conséquences des viols sur mineurs jusqu’à la fin de leur vie : amnésie traumatique, syndrome post-traumatique, difficulté d’insertion sociale, difficultés scolaires, situations professionnelles et financières parfois dramatiques, maladies chroniques, dégâts psychologiques, réduction de l’espérance de vie, suicides.

Sur l'autre plateau de la balance, nous trouvons les arguments régulièrement utilisés contre l’imprescriptibilité : une symbolique aujourd’hui réservée aux seuls crimes contre l’Humanité ; des difficultés à rassembler des preuves ; la prétendue inconstitutionnalité de l’imprescriptibilité, ce qu’ont parfaitement contredit la Cour de cassation en 2012 et le Conseil constitutionnel en 2015.

Il y aurait aussi un plus grand risque de ne pas aboutir à une condamnation. Mais c’est le propre de toute procédure judiciaire : on n’en connaît jamais l’issue au commencement. Est-ce à dire que nous devons renoncer au droit à agir ou à être écouté ?

Je suis certaine que, dans ce dossier, la balance de la justice penche incontestablement en faveur de l’imprescriptibilité, au regard des conséquences abominables et perpétuelles de ces crimes sur des êtres en construction, mais aussi de la durée souvent indéterminée de l’emprise de l’agresseur sur la victime.

Aussi j'aimerais comprendre pourquoi vous n’avez pas retenu l’imprescriptibilité : qu’est ce qui a emporté votre conviction ?

Mme Nadia Hai. Je vous remercie de votre présentation synthétique et néanmoins très claire. Elle ne laisse que peu, voire pas, de place au doute quant à vos intentions en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. J’en profite pour saluer votre action et votre implication sur ces sujets. Sans votre volonté de mettre fin à ces actes de violence, nous n’aurions peut-être pas ce débat aujourd’hui.

Vous avez évoqué dans votre présentation la manifestation des lycéens contre le cyber-harcèlement à l'occasion lors du tour de France de l’égalité. Des lycéennes se sont manifestées par d’autres actes, de manière plus directe, en dénonçant publiquement des actes de harcèlement et d’humiliation dans des lycées, plus particulièrement dans des lycées militaires.

Je veux parler des actes qui se sont déroulés au lycée de Saint-Cyr-l’École. Lors des questions au Gouvernement, j’ai interpellé Mme Florence Parly, ministre des Armées, à propos des actions qu’elle comptait entreprendre pour garantir une sécurité et une sérénité à toutes les jeunes femmes qui choisiraient de suivre leur scolarité dans un lycée militaire.

Ma question aurait également pu vous être adressé car elle est transverse à l’ensemble des ministères. Pouvez-vous nous éclairer sur le travail réalisé par l’ensemble du Gouvernement, en parallèle à ce projet de loi.

Mme Laurence Gayte. Je veux moi aussi, madame la ministre, saluer votre travail : grâce à vous, nous renforçons la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

N’est-il pas nécessaire de définir le champ d’action du projet de loi, ou du moins de poser un cadre, plutôt que d’évoquer seulement le « harcèlement de rue » ? Car cela a l’air mal perçu par les associations. Ne vaut-il mieux pas mentionner, dans le titre même, le harcèlement dans l’espace public et dans l’espace virtuel ? Cela aurait le mérite de montrer que des protections peuvent être apportées aux femmes dans cet espace-là aussi.

S’agissant de la prévention, vous avez évoqué les actions de sensibilisation qui sont menées auprès des enfants. Mais ces derniers sont plus souvent sensibilisés à l’éducation sexuelle qu’à la notion de consentement qui pourrait être développée davantage. Il faudrait aussi faire en sorte que cette sensibilisation des enfants soit toujours effective – parfois, elle est seulement préconisée, mais non mise en œuvre.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain, co-rapporteure. Vos interrogations sur les lycées militaires, madame Hai, trouveront certainement des réponses dans le rapport sur les femmes et les forces armées auquel notre Délégation travaillera bientôt.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. Je sais, madame Romeiro Dias, que la question de l’imprescriptibilité des crimes commis sur les mineurs vous tient à cœur. Néanmoins, le Gouvernement n’a effectivement pas retenu cette piste, pour plusieurs raisons.

D’abord, le débat sur la question de savoir s’il fallait aller vers l’imprescriptibilité ou au contraire ne pas toucher au délai de prescription s’est déjà tenu lors des travaux de la mission de consensus conduite sous la précédente législature. Certes, je ne suis pas partisane de la préservation de l’existant pour le principe, mais, quand un travail de fond a été effectué auparavant, il me semble qu’il faut en tenir compte et non le balayer.

Je reprends donc bien volontiers les conclusions de la mission coprésidée par Jacques Calmettes et Flavie Flament, qui sont arrivés à un consensus sur l’allongement à trente ans de la durée de la prescription. Ce compromis paraît valable à toutes et à tous et notre ligne est donc de le suivre. C’est un pas important vers l’allongement du délai de prescription.

En ce qui concerne l’imprescriptibilité, le risque de censure constitutionnelle est élevé, puisque le Conseil constitutionnel n’admet l’imprescriptibilité que pour les crimes touchant l’ensemble de la communauté internationale, c’est-à-dire les crimes contre l’Humanité. Cela ne signifie certes pas qu’un viol sur mineur n'est pas grave. Je crois au contraire que c’est l’un des pires crimes qui puissent exister, puisqu’il détruit la psyché d’une personne en construction, sa confiance en soi et dans les autres, qu’il s’agisse d’adultes de sexe opposé ou de même sexe. En effet, les viols sur mineurs ne suivent pas de schéma traditionnel, tous sont aussi odieux et ont des conséquences gravissimes.

C’est pourquoi nous devons y apporter une solution judiciaire qui corresponde à une réalité mais aussi qui soit traduite en droit et directement applicable, donc qui n’encoure pas la censure du Conseil constitutionnel. L’imprescriptibilité ayant été aussi rejetée pour les crimes de guerre, le Gouvernement, parce qu’il entend protéger les enfants et les victimes mineures de la manière la plus effective possible, ne veut pas prendre le risque d’inconstitutionnalité et il n'a donc pas opté pour l’imprescriptibilité.

S'agissant des violences commises au lycée de Saint-Cyr, je connais votre engagement, madame Hai. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’échanger avec vous à ce sujet, ainsi qu’avec monsieur Gouffier-Cha. Nous devons faire en sorte que les individus, notamment les femmes, soient respectés dans les lycées militaires et plus généralement au sein des armées. C’est une question très importante à laquelle je travaille avec mes collègues Florence Parly et Geneviève Darrieussecq. Plusieurs ateliers du Tour de France de l’égalité femmes-hommes ont été animés dans des lycées militaires et avec des jeunes engagés en service militaire volontaire. Ce qui s’est passé est tout à fait contraire aux valeurs des armées ; c’est le fait d’une minorité mais ce n’est pas excusable pour autant. La ministre a réagi d’une manière très ferme en demandant des sanctions disciplinaires très fortes : on doit faire preuve d’une tolérance zéro et veiller à ce que les jeunes filles puissent s’épanouir dans ce lycée et dans le cadre de toutes les formations militaires. La place des femmes est très importante et l’action engagée par le ministère des armées est vraiment primordiale. Je pense notamment à la cellule Thémis, qui a été créée par Jean-Yves Le Drian lorsqu’il était ministre de la Défense, mais aussi à d’autres actions très concrètes, comme la campagne de pédagogie, assez exemplaire au niveau mondial, qui est lancée dans les armées françaises contre la transphobie, à l’initiative de Florence Parly. J’ajoute que l’homophobie prend ses racines dans les mêmes phénomènes que le sexisme et les violences contre les femmes.

J’entends les interrogations sur l'expression « harcèlement de rue », madame Gayte. J’étais plutôt encline à ce qu'on l’inscrive dans la loi, mais les auditions qui ont été menées, notamment par les parlementaires, ont fait apparaître qu’une telle expression peut prêter à polémique – même s’il y a quelque ironie à ce que des associations l'utilisant dans leur propre titre soient finalement opposées à son usage dans la loi. Parce que je cherche avant tout l’efficacité, donc le consensus, et que je n’ai pas d’idéologie particulière dans ce domaine, nous avons choisi, avec Gérard Collomb et Nicole Belloubet, de retenir la proposition du groupe de travail de votre assemblée, à savoir l’outrage sexiste, de manière à ne pas désigner la rue en particulier, mais plutôt un phénomène en général. Si j’ai parlé de « harcèlement de rue » tout à l’heure, c’est donc par abus de langage et afin d’être intelligible par toutes et tous : ce n’est pas ce qui figurera dans la loi car nous avons retenu les propositions de ce groupe de travail qui est vraiment allé au fond des choses.

En ce qui concerne l’éducation, je suis tout à fait en phase avec ce que vous avez dit. Nous devons faire en sorte qu’il y ait une éducation plus efficace contre les violences sexistes et sexuelles. C’est dans cet esprit que nous instaurons, avec le ministère de l’éducation nationale, les trois séances d’éducation à la vie affective et sexuelle : une circulaire adressée aux recteurs comporte notamment une liste des associations ayant un agrément pour les interventions en milieu scolaire (IMS). Ces trois séances, qui sont déjà prévues par la loi, doivent avoir lieu dans des conditions encadrées, avec des intervenants validés par le ministère de l’Éducation nationale. Jean-Michel Blanquer gère ce dossier d’une manière extrêmement rigoureuse. Il faut notamment veiller à ce que les parents soient parties prenantes.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain, co-rapporteure. Merci d’avoir rappelé l’importance de ces trois séances d’éducation à la vie affective et sexuelle, qui faisaient partie des recommandations de notre rapport d’information : la prévention est essentielle, notamment en milieu scolaire.

Mme Annie Chapelier. Je voudrais vous interroger sur l’article 2 du projet de loi, relatif à la répression des abus sexuels commis sur des mineurs, notamment l’inceste. Depuis que notre Assemblée a décidé d’inscrire dans le code pénal l’inceste commis sur les mineurs, l’article 44 de la loi relative à la protection de l’enfant a créé une surqualification de l’inceste sans modifier les peines qui existaient déjà. Selon un sondage réalisé en 2009 par l’IPSOS, les actes d’inceste commis sur des mineurs constituent un phénomène massif : au moins deux millions de personnes en auraient été victimes, plus de la moitié des violences sexuelles subies dans l’enfance ayant lieu dans le cadre de la famille. Certaines associations estiment que cela représente 75 % des viols sur mineurs.

Les infractions sexuelles sont généralement sanctionnées plus sévèrement lorsqu’elles sont commises par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime, à l’exception du viol commis sur un enfant de moins de 15 ans : on applique une peine de vingt ans de réclusion criminelle, quel que soit l’auteur. Dès lors que l'on ne va pas au-delà de ce seuil, la surqualification pénale de l’inceste n’est pas suivie d’effets. Dans certains cas, la peine peut néanmoins être plus lourde : si les actes commis ont entraîné la mort, la peine peut être portée à trente ans, et à la perpétuité en cas de torture ou d’actes de barbarie. Ne peut-on pas considérer qu’il y a torture psychologique lorsqu’un viol est perpétré dans le cadre d’un inceste ? L’atrocité de l’acte, en soi, se double en effet d’un dérèglement psychologique majeur qui est aggravé lorsque l’auteur est un proche.

Il n’y a inceste, au sens pénal du terme, que s’il est commis par une des personnes spécifiquement désignées dans la liste établie par le code. En sont exclus les cousins et les personnes n’ayant aucun lien de sang avec la victime mais qui peuvent, néanmoins, l’avoir côtoyée du fait des recompositions familiales qui sont très nombreuses. Ne pourrait-on compléter la liste ? En effet, la gravité des faits tient à la proximité avec leur auteur, que l’on a côtoyé et en qui on avait confiance, parce qu’il appartient à la famille.

Mme Pascale Fontenel-Personne. Je voudrais associer Bérengère Couillard à ma question. Le projet de loi n’évoque pas le traitement des auteurs de violences sexuelles. Les peines de prison sont exécutées avec des détenus condamnés pour d’autres faits et il n’existe pas d’accompagnement dans le cadre d’un parcours de soins. Ne pensez-vous pas qu’il serait utile de créer une unité de soins test, qui serait rattachée à un centre de détention ou à une maison d’arrêt ?

Mme Nicole Le Peih. Merci, madame la ministre, d’être venue présenter ce projet de loi sur un sujet extrêmement important et urgent, pour lequel je dois reconnaître votre pugnacité.

Je souhaite aborder la question des violences faites aux femmes dans le milieu agricole, car les violences sexuelles et sexistes ne concernent pas que les villes. La reconnaissance du rôle et du travail des femmes dans l’agriculture a été tardive en France : elle date de la création du statut juridique de l’entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) en 1985 – à titre personnel, je suis directement concernée. L’épouse de l’exploitant a alors été reconnue comme associée. En 1999, une loi d’orientation agricole a créé le statut de conjointe collaboratrice, qui constitue un progrès réel en matière de protection sociale. Le monde agricole s’est heureusement ouvert aux femmes ces dernières années : elles dirigent désormais un quart des exploitations françaises, contre 8 % il y a quarante ans. L’agricultrice est aux avant-postes, notamment dans les négociations entre les organisations agricoles, les fournisseurs et les prestataires – j'y participe moi-même en tant qu’agricultrice dans le Morbihan. Devenus tabous, la misogynie et le harcèlement persistent néanmoins dans ce milieu, ce qui reste très discriminant pour les femmes. Quelle action comptez-vous mener pour assurer une plus grande égalité hommes-femmes dans l’agriculture ?

Mme Bérengère Couillard. Merci de me permettre de poser une deuxième question – je regrette que nous ayons un temps limité, même si je comprends bien les impératifs horaires des uns et des autres.

J’ai la chance d'avoir dans mon territoire le centre d’accueil en urgence des victimes d’agression (CAUVA). Ce dispositif, qui est rattaché au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, est unique en France : il est en effet considéré comme en phase d’expérimentation depuis 1999… J’ai eu l’occasion de visiter cette structure en présence de Marie-Pierre Rixain et Sophie Auconie dans le cadre de leur rapport d’information sur le viol. Le CAUVA est le fruit d’une volonté pluri-institutionnelle qui s’est concrétisée par la signature d’une convention avec les ministères de la santé, de la justice, de l’intérieur et de la défense. L’objectif est d’accompagner les femmes victimes de violences conjugales et sexuelles sur le plan médical mais aussi judiciaire en leur proposant une procédure unique, qui leur épargne des parcours plus fastidieux. Grâce au CAUVA, 9 femmes concernées sur 10 portent plainte, contre seulement une sur dix dans l’ensemble du pays. On estime que chaque année en France, 223 000 femmes sont victimes de violences conjugales et 84 000 d’un viol. En 15 ans, le CAUVA de Bordeaux a accueilli 30 000 patients. Ne pensez-vous pas que la CAUVA est une bonne réponse pour la prise en charge des femmes victimes de violence ? N’est-il pas possible de généraliser ce dispositif au niveau de tous les CHU et de tous les centres hospitaliers régionaux (CHR) de la France métropolitaine et d’outre-mer ? Je rappelle qu’il n’y a que 30 CHU et 2 CHR au total

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes. S’il y a encore des questions ou des points à approfondir à l’issue de cette audition, je resterai bien sûr à votre entière disposition.

En ce qui concerne le CAUVA, nous sommes ouverts à toutes les bonnes pratiques. Le Tour de France de l’égalité femmes-hommes a aussi pour principe de les repérer et de les généraliser. Nous avons ainsi décidé de mettre l’accent sur la géolocalisation des hébergements d’urgence, que j’ai évoquée tout à l’heure, et sur ce que nous avons observé à Angoulême en compagnie de votre collègue Thomas Mesnier, à savoir une forme de secret professionnel partagé et de travail conjoint, notamment entre les urgentistes, les policiers, les magistrats et les travailleurs sociaux, afin de créer un dispositif d’alerte extrêmement efficace – mais nous pourrons évidemment généraliser d’autres systèmes. Je vous propose d’en parler directement et d’organiser une visite. Nous pourrons regarder dans quelle mesure des dispositifs approchants sont susceptibles d’être instaurés dans l’ensemble du territoire.

En ce qui concerne la qualification de l’inceste, madame Chapelier, j’entends bien votre proposition. Nous avons voulu nous concentrer sur la condamnation de certains types de violences sexistes et sexuelles qui ne figurent pas actuellement dans la loi. Je ne peux que vous proposer de déposer un amendement pour que ce sujet soit débattu et que l’ensemble des parlementaires se prononcent. Je partage l’objectif général, compte tenu du caractère particulièrement abominable des viols commis par des membres de la famille ayant autorité.

Le traitement des auteurs de violences sexuelles ne figure pas dans le projet de loi, mais nous n’éludons pas ce sujet important : nous y travaillons avec Nicole Belloubet et Agnès Buzyn dans le cadre du deuxième temps de notre plan d’action. Vous avez raison de souligner qu’une question se pose, en particulier pendant la phase de l’incarcération. Nous devons apporter des réponses, notamment en nous inspirant de ce qui existe dans d’autres pays : nous n’avons pas une culture de soins pour les auteurs de violences sexuelles – en tout cas, nous ne le faisons que dans une moindre mesure par rapport à certains exemples étrangers. Nous sommes en train de voir comment cela pourrait se mettre en place.

L’agriculture est une priorité, notamment en ce qui concerne le congé maternité – le Premier ministre vous a d’ailleurs confié une mission à ce sujet, madame la présidente. Il a été décidé que les agricultrices constitueraient un public prioritaire, et le ministère de l’agriculture est par ailleurs le premier à expérimenter un budget sensible au genre, qui permettra notamment de regarder comment on peut résorber les inégalités financières entre les femmes et les hommes dans l’agriculture. Je n’ai pas le temps de tout détailler, mais nous avons eu au Sénat un débat sur les liens entre femmes et agriculture, qui nous a permis de revenir sur l’ensemble des engagements du Gouvernement, et je pourrai vous faire parvenir un compte rendu de cette réunion. L’idée est de renforcer les droits sociaux des agricultrices. Nous sommes conscients que cela doit être une priorité : nous devons faire en sorte que nos dispositifs n’oublient pas les femmes dans les zones rurales.

Mme la présidente Marie-Pierre Rixain, co-rapporteure. Merci beaucoup pour ces échanges passionnants et d’une grande transparence, et plus généralement pour votre engagement sans faille en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes, en particulier contre les violences faites aux femmes.


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   annexe 2 : Liste des personnes auditionnÉes par lA dÉlÉgation et par les RAPPORTEURs

I.   PERSONNES ENTENDUES PAR LA DÉLÉGATION

 Jeudi 12 avril 2018

– Mme Isabelle Aubry et M. Patrick Loiseleur, représentants de l’Association internationale des victimes de l’inceste (AIVI)

 Mme Inès Révolat, chargée de mission plaidoyer du Conseil français des associations pour les droits de l’enfant (COFRADE)

 Mme Claire Endberg-Bouteille, responsable du pôle juridique de l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE), membre du COFRADE

 Mme Martine Brousse, présidente de l’association La voix de l’enfant

● Mardi 17 avril 2018

 Mme Chris Blache, consultante en socio-ethnographie, co-fondatrice et coordinatrice de l’association Genre et ville

– Mme Tiphaine Riou, M. Adrien Chaboche et Mme Stéphanie Archat représentants de l’association Stop harcèlement de rue

– Mme Ernestine Ronai, présidente de la commission violences de genre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh)

 

Les vidéos de ces auditions sont disponibles en ligne sur le site de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, à l’adresse suivante : http://assnat.fr/iOp6P3.


II.   PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURs

● Jeudi 12 avril 2018

 Mme Elisabeth Moiron-Braud, secrétaire générale de la Mission interministérielle de protection des femmes contre les violences et de lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF)

 Mme Ketsia Mutombo, présidente du collectif « Féministes contre le cyberharcèlement », et Mme Laure Salmona, secrétaire générale adjointe du collectif

 Mme Marie-France Casalis, porte-parole de l’association Collectif féministe contre le viol (CFCV)

− Mme Danielle Bousquet, présidente du HCEfh, et Mme Claire Guiraud, secrétaire générale du HCEfh

● Lundi 16 avril 2018

 M. Christian De Rocquigny du Fayel, procureur de la République à Colmar, vice-président du conseil d’administration de la Conférence nationale des procureurs de la République (CNPR)

 M. Manuel Rubio Gullon, sous-directeur de la négociation et de la législation pénales, et M. Francis Le Gunehec, chef du bureau de la législation pénale générale, de la direction des affaires criminelles et des grâces

 Mme Caroline Rey-Salmon, pédiatre et médecin légiste, à l’origine de la création des premières unités médico-judiciaires pour mineurs

 Mme Mélanie Dupont, docteur en psychologie, psychologue pour les mineurs victimes à l’unité médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu

− Mme Françoise Brié, directrice générale de la Fédération nationale Solidarité Femmes (FNSF) et Mme Clémentine Labatut, avocate et membre de la commission justice de la FNSF. 

 


([1]) Voir le compte rendu du discours du Président de la République du 25 novembre 2017, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et du lancement de la grande cause du quinquennat.

([2]) Rapport de la mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur.e.s, présidée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes, remis à la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes le 10 avril 2017.

([3]) Document de présentation de l’enquête Virage et premiers résultats sur les violences sexuelles, Ined, Janvier 2017.

https://virage.site.ined.fr/fichier/s_rubrique/20838/doc.travail_2017_229_violences.sexuelles_enquete.virage_1.fr.fr.pdf  [URL consultée le 15 février 2018].

([4]) Enquête « les Français-e-s et les représentations sur le viol et les violences sexuelles », Association mémoire traumatique et victimologie, 2015.

([5]) Cette enquête précise que cette estimation est faite en croisant faite en croisant les données des enquêtes « cadre de vie et sécurité ( 2010-2015 INSEE ONDRP) présentées dans la lettre de l’Observatoire national des violences faites aux femmes n° 8 de novembre 2015 et les données de l’enquête « Contexte de la Sexualité en France », réalisée en 2006 par l’Ined.

([6]) Rapport d’information n° 721 de Mmes Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain au nom de la Délégation aux droits des femmes (février2018).

([7]) À ce sujet, voir la première partie du rapport d’information n° 721 de Mmes Sophie Auconie et Marie-Pierre Rixain au nom de la Délégation aux droits des femmes du 28 février2018.

([8]) Voir la vidéo de cette table ronde.

([9]) Rapport de la mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur.e.s, présidée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes, remis à la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes le 10 avril 2017.

([10]) Voir la vidéo de cette table ronde.

([11]) Rapport d’information n° 721, op. cit..

([12]) Ibid.  

([13]) Audition du 9 novembre 2017 dans le cadre des travaux d’information sur le viol - voir la vidéo de cette audition.

([14]) Loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale.

([15]) Voir l’article 7 du code de procédure pénale.  

([16]) Rapport de la mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineur.e.s, présidée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes, remis à la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes le 10 avril 2017.

([17]) Rapport d’information n° 721, op. cit.

([18]) Voir la vidéo de cette audition.

([19]) Rapport d’information n° 721, op. cit.

([20]) Voir la vidéo de cette audition.

([21]) L’article 222‑22‑1 retient le critère de la différence d’âge entre la victime mineure et l’auteur pour caractériser la contrainte ; l’article 222‑24‑2 fait de la minorité de 15 ans une circonstance aggravante du viol ; l’article 227‑25 du code pénal réprime le fait pour un majeur d’exercer sans violence, contrainte, menace, ni surprise une atteinte sexuelle sur un ou une mineur de 15 ans.  

([22]) Loi n° 2010‑121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux.

([23]) Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), Grand angle n° 37 (janvier 2016), « Les viols commis à Paris en 2013 et 2014 et enregistrés par les services de police ».

([24]) Ces données ne s’appuient toutefois que sur des faits déclarés et pour lesquels une enquête a été menée et transmise au Parquet ; l’enquête comporte donc un biais méthodologique qui conduit possiblement à sous-estimer les violences sexuelles intra-familiales.

([25]) Document de présentation de l’enquête Virage et premiers résultats sur les violences sexuelles, INED, Janvier 2017.

https://virage.site.ined.fr/fichier/s_rubrique/20838/doc.travail_2017_229_violences.sexuelles_enquete.virage_1.fr.fr.pdf  [URL consultée le 11 avril 2018].

([26]) L’article 227‑25 du code pénal dipose que « le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ».

([27]) Voir la vidéo de cette table ronde.

([28]) Rapport d’information n° 721, op. cit.

([29]) HCEfh, Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et autres agressions sexuelles n° 206‑09‑30‑VIO-022 publié le 5 octobre 2016.

([30]) Rapport d’information n° 721, op. cit.

([31]) Rapport n° 2016-06-13-SAN-021 relatif à l’éducation à la sexualité – Répondre aux attentes des jeunes, construire l’égalité femmes-hommes, Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 13 juin 2016.

([32]) Article L. 312-16 du code de l’éducation.

([33]) Rapport d’information n° 721, op. cit.

([34]) Ibid.

([35]) Audition du 6 octobre 2015 devant la Délégation de Mme Aurélie Latourès dans le cadre des travaux sur Femmes et numériques. Voir le rapport d’information n° 3348 de Mme Catherine Coutelle du 15 décembre 2015.

([36]) Lutter contre la violence en ligne à l’égard des jeunes filles, appel à une prise de conscience mondiale, groupe de travail de la commission des Nations Unies sur le haut débit, septembre 2015.

([37]) HCEfh, En finir avec l’impunité des violences faites aux femmes en ligne : une urgence pour les victimes, rapport n° 2017‑11‑16 du 16 novembre 2017.

([38]) Ministère de l’éducation nationale, Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, Note d’information, n° 17.30, décembre 2017.

([39]) Article 1er du décret n° 2012‑1400 du 13 décembre 2012.

([40]) Audition du 6 octobre 2015 de la Délégation aux droits des femmes, dans le cadre des travaux sur femmes et numériques, op. cit.

([41]) Audition du 6 octobre 2015 de la Délégation aux droits des femmes, dans le cadre des travaux sur femmes et numériques, op. cit.

([42]) Violence à l’égard des femmes : une enquête à l’échelle de l’Europe, Agence pour les droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) mars 2014.  

([43]) http://dmcadefender.com/victim-of-revenge-porn/  [URL consultée le 17 avril 2018].

([44]) Audition du 6 octobre 2015 de la Délégation aux droits des femmes, dans le cadre des travaux sur femmes et numériques, op. cit.

([45]) Intitulée « My story struggling, bullying, suicide and self-harm (mon histoire : lutte, harcèlement, suicide et auto-mutilation), cette vidéo a été diffusée à travers le monde avec des millions de consultations.

([46]) Article  de la loi n° 2004‑575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

([47]) Loi n° 2016‑444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.

([48]) Loi n° 2014‑873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes.

([49]) HCEfh, En finir avec l’impunité des violences faites aux femmes en ligne, op. cit.

([50]) Lancée le 6 janvier 2009, la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (PHAROS), au sein de l’office central de lutte contre la criminalité liée aux téchnologies de l’information et de la communication, a pour mission de recueillir, traiter et rediriger vers les services adéquats, en France ou à l’étranger, les signalements faits par les particuliers et les fournisseurs d’accès.

([51]) L’article 51 de la loi n° 2014‑873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dispose en effet que « la formation initiale et continue des médecins, des personnels médicaux et paramédicaux, des travailleurs sociaux, des magistrats, des fonctionnaires et personnels de justice, des avocats, des personnels enseignants et d’éducation, des agents de l’état civil, des personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs, des personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale, des personnels de préfecture chargés de la délivrance des titres de séjour, des personnels de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et des agents de service pénitentiaire comporte une formation sur les violences intrafamiliales, les violences faites aux femmes ainsi que sur les mécanismes d’emprise psychologique ».

([52]) https://www.mesopinions.com/petition/droits-homme/stop-aux-violences-sexuelles-transports-commun/12152 [URL consultée le 14 avril 2018].  

([53]) http://osezlefeminisme.fr/take-back-the-metro/ [URL consultée le 14 avril 2018].

([54]) Ibid.

([55]) Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Avis sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun : Se mobiliser pour dire stop sur toute la ligne au harcèlement sexiste et aux violences sexuelles dans les transports, 16 avril 2015.

([56]) Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, Rapport EGAliTER : « Combattre maintenant les inégalités sexuées, sociales et territoriales dans les quartiers politique de la ville et dans les territoires ruraux fragilisés », 19 juin 2014.

([57]) HCEfh, Avis sur le harcèlement sexiste, op. cit.

([58]) Rapport du groupe de travail « verbalisation du harcèlement de rue », Mme Sophie Auconie, Mme Laetitia Avia, M. Erwan Balanant, Mme Élise Fajgeles et Mme Marietta Karamanli, députés, 28 février 2018.

([59]) HCEfh, Avis sur le harcèlement sexiste, op. cit.

([60]) INED, Population et sociétés, n° 550, décembre 2017.

([61]) Ibid.

([62]) Données tirées de Population et sociétés, n° 550, op. cit.

([63]) M. Scherr, « Les atteintes sexuelles dans les transports en commun », in Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, Repères, n° 34, décembre 2017.

([64]) Ibid.

([65]) HCEfh, Avis sur le harcèlement sexiste, op. cit.

([66]) Rapport du groupe de travail « verbalisation du harcèlement de rue », op. cit.

([67]) HCEfh, Avis sur le harcèlement sexiste, op. cit.

([68]) Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (refonte).

([69]) Décision n° 2012‑649 DC du 15 mars 2012, Loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives.

([70]) L’article 20‑1 de l’ordonnance n° 45‑174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquantedispose que « les contraventions de la 5e classe commises par des mineurs, sont instruites et jugées dans les conditions prévues aux articles 8 à 19 de la présente ordonnance ».