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N° 1057

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 juin 2018.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 24 octobre 2017 (1)

sur l’aide publique au développement 

 

 

 

Co-rapporteurs

Mme Bérengère poletti

M. Rodrigue kokouendo

 

 

Députés

 

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.


 

La mission d’information sur l’aide publique au développement est composée de :
Mme Bérengère Poletti et M. Rodrigue Kokouendo.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

Les objectifs de l’aide publique au développement

I. Bilan des politiques d’aide

A. Un bilan en demi-teinte au cours des dernières années

B. Quelle efficacité de l’aide jusqu’à aujourd’hui ?

C. Le constat des inégalités de développement

II. La dispersion des objectifs de l’aide

A. Un accompagnement de la croissance

B. Le manque de hiérarchisation des objectifs

C. Le CICID affiche de nouvelles ambitions pour l’aide française

La trajectoire budgétaire de l’aide française : objectifs, contraintes, évaluation

I. La comptabilisation de l’aide

A. L’objectif du 0,7 %

1. L’origine de cet objectif

2. Les limites de la cible

B. Les limites des statistiques du CAD

1. Une fonction comparative

2. Un outil de mesure insatisfaisant au niveau national

II. Rectifier la trajectoire budgétaire de l’aide française

A. Une présentation excessivement complexe

B. Une trajectoire nettement infléchie ces six dernières années

a. Un décrochage d’ensemble

b. Le nécessaire rééquilibrage au profit du bilatéral

c. Repenser les dons

C. Une rectification à encourager

1. Respecter la trajectoire budgétaire annoncée par le gouvernement

2. Gérer l’augmentation

3. L’exemple du Royaume-Uni

La complexité du pilotage de l’aide publique au développement : lever les obstacles

I. La longue réforme du pilotage de l’aide

1. Les étapes de la réorganisation institutionnelle

a. La réforme de 1998

b. La réforme de 2004 et de 2005

c. Le décret du 5 juin 2009

d. La Loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale de 2014

2. Unifier le pilotage politique

II. Une stratégie claire vis-à-vis des institutions internationales et des acteurs non étatiques

A. Une stratégie multilatérale plus concentrée

B. Une meilleure coordination avec les acteurs non étatiques

1. La coopération décentralisée

2. Les ONG

III. Renforcer l’expertise française

A. Achever la fusion des opérateurs

B. Veiller à l’efficacité du rapprochement d’Expertise France et de l’AFD

La démographie, pierre angulaire du développement : quelles nouvelles approches ?

I. Développement et démographie : un défi

A. Une fécondité élevée

B. La transition démographique, symbole du développement

C. Le défi migratoire

1. Les migrations intra-africaines

2. L’aide peut-elle réduire les migrations ?

3. Le cas des Comores

II. La démographie : un sujet tabou pour le développement

A. Un sujet politiquement délicat

B. Une thématique mal maîtrisée

1. L’accès à la contraception

2. L’accès à l’éducation

3. Un sujet complexe

Développement et secteur régalien : une aide à renforcer

I. l’objectif sécuritaire de l’aide au développement

A. Les enjeux politiques de l’aide au développement

B. L’approche globale

II. La coordination entre l’aide au développement et les politiques de stabilisation

A. La coordination au niveau multilatéral – exemple de la Banque mondiale

B. G5 Sahel et Alliance pour le Sahel

C. Le HACP au Niger

Conclusion

EXAMEN EN COMMISSION

Synthèse des propositions

Annexe 1 : Principaux acronymes utilisés dans le rapport

Annexe 2 : Liste des personnes rencontrées

annexe 3 : Organismes ayant fourni des éléments écrits à la mission d’information

Annexe 4 : la réforme relative à l'éligibilité des prêts en APD adoptée en décembre 2014 au CAD de l'OCDE, et ses conséquences.

Annexe 5 : contribution de la région Grand Est en matière de coopération décentralisée


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   Introduction

L’aide publique au développement française se trouve aujourd’hui à un moment décisif de son histoire. Au terme d’un déclin qui a vu sa part dans notre revenu national tomber de 0,50 à 0,36  % de 2010 à 2016, le gouvernement a annoncé pour les quatre prochaines années un effort budgétaire sans précédent qui devrait amener cette part à 0,55  % du revenu national en 2022, avant de se poursuivre pour atteindre 0,7  % à une date qui reste à déterminer.

Cet effort interviendrait alors que le paysage de l’aide publique au développement dans le monde a profondément évolué, et à un moment où les besoins du monde en développement ont également considérablement changé. Alors que l’aide au développement a longtemps été conçue comme un simple transfert de richesse du Nord vers le Sud, il est devenu évident que rien n’est simple en matière de développement. La rapide croissance mondiale observée depuis 2000 a été accompagnée par une croissance démographique sans précédent en Afrique subsaharienne, une progression des inégalités dans de nombreuses régions, l’arrivée de nouveaux acteurs de premier plan sur la scène internationale et le déclenchement de crises et de situations d’instabilité dont on peine à sortir.

Dans ce contexte, l’aide publique au développement a plus que jamais un rôle à jouer, mais un rôle qui évolue continuellement, dans un paysage institutionnel de plus en plus éclaté et face à des situations de plus en plus variées et complexes. L’aide française, en projet de se reconstruire, doit donc définir ses orientations à venir de façon sélective en privilégiant les domaines d’intervention où son action aura la plus grande utilité. Il a donc été décidé de limiter le champ de ce rapport à cinq thèmes qui ont paru essentiels à la mission.

La première partie de ce rapport pose très simplement la question de la finalité de l’aide publique au développement et de son bilan au cours des dernières années. Alors que le monde évolue et que le développement progresse d’une manière globale, l’aide publique au développement doit s’adapter aux multiples évolutions qui ont lieu, parfois très rapidement. C’est ce que tentent de faire les acteurs de l’aide en adoptant des feuilles de route successives comme les objectifs du millénaire adoptés en 2000, puis les Objectifs du Développement durable de 2015.

Mais il importe de ne pas lâcher la proie pour l’ombre et de ne pas perdre de vue les objectifs premiers de l’aide, qui visent à sortir de la pauvreté les pays qui en ont le plus besoin. Multiplier les objectifs, les sous-objectifs et les indicateurs peut conduire à une dispersion qu’il faut éviter.

La deuxième partie du rapport concerne la trajectoire programmée de l’aide française et vise à rappeler que l’augmentation prévue ne saurait être simplement quantitative, mais doit s’accompagner à la fois des rééquilibrages nécessaires demandés depuis longtemps par le parlement, et de mesures d’accompagnement qui paraissent indispensables à la lumière des expériences étrangères, notamment allemande et britannique.

La troisième partie du rapport traite du pilotage de l’aide française, qui a fait l’objet depuis maintenant vingt ans d’une série de réformes n’ayant jamais abouti à un résultat pleinement satisfaisant, notamment parce qu’elles n’ont jamais remis en cause l’éclatement administratif de l’aide, pendant de son éclatement budgétaire. Ce rapport recommande le regroupement des principales administrations de l’aide publique au développement au sein d’un ministère de plein exercice, seul moyen pour qu’une véritable stratégie d’aide publique au développement, plutôt qu’une série de compromis, puisse être conçue et mise en œuvre.

Les quatrième et cinquième parties du rapport concerne deux thématiques qui ont paru à la mission fondamentales, la démographie et la sécurité.

La démographie, qui fait l’objet de la quatrième partie, conditionne largement les chances de développement d’un pays. L’exemple du Niger, où la mission s’est rendue au mois de mai 2018, permet d’illustrer la complexité et l’importance de cette thématique. La maîtrise de la fécondité dans les États du Sahel paraît en effet indispensable à une véritable sortie de la pauvreté, mais les clefs de cette maîtrise, qui passe entre autres choses par un meilleur accès à l’éducation et à la santé, sont complexes. L’aide au développement est ici confrontée à un défi qui demande à la fois une volonté politique claire de la part de tous les acteurs, bailleurs comme bénéficiaires de l’aide, mais également une compréhension et une connaissance intimes des pays et des sociétés concernés, et c’est justement ce que l’aide au développement, dans sa configuration actuelle, peine à mettre en œuvre.

La sécurité, qui fait l’objet de la cinquième et dernière partie, est quant à elle à la fois une condition indispensable au développement et une des conséquences que l’on peut en attendre. Contrairement à la démographie, la sécurité a toujours été au cœur de l’aide au développement, mais cette thématique demande aujourd’hui une approche renouvelée, et notamment la disparition de certaines barrières juridiques comme psychologiques, qui ont longtemps empêché les acteurs de l’aide de travailler avec ceux de la sécurité.

Ce rapport forme le vœu que la trajectoire budgétaire assignée par le gouvernement à l’aide publique au développement française soit accompagnée à la fois des rééquilibrages nécessaires entre ses différentes composantes et de la mise en œuvre d’une véritable stratégie d’aide qui produise des effets concrets et non un simple affichage.

   Les objectifs de l’aide publique au développement

L’aide publique au développement a émergé progressivement entre la fin de la Seconde guerre mondiale et la fin de la décolonisation. Indépendamment de ses finalités politiques, qui s’inscrivaient pendant longtemps dans le cadre de la Guerre froide, l’aide au développement consistait à aider des pays « en développement » à sortir de la pauvreté par des transferts financiers qui pouvaient prendre des formes diverses et qui pouvaient alimenter directement les budgets nationaux des États en développement, ou être dirigés vers des projets d’infrastructure, ou encore prendre la forme d’une coopération mise en œuvre par des personnels venus des pays riches et participant directement à l’administration du pays bénéficiaire.

Les modalités de l’aide ont depuis lors considérablement évolué, mais ce sont surtout ses finalités qui ont connu d’importants bouleversements.

I.   Bilan des politiques d’aide

Le paysage du développement a en effet connu une évolution spectaculaire depuis la fin de la décolonisation, en particulier au cours des vingt dernières années. Alors qu’il était encore possible à la fin du XXe siècle, par facilité, de diviser le monde en une partie « développée » et une partie « en voie de développement », cette distinction a perdu tout son sens au cours des deux premières décennies du troisième millénaire.

A.   Un bilan en demi-teinte au cours des dernières années

Entre le 6 et le 8 septembre 2000 s’est tenu, au Siège de l’Organisation de Nations unies, à New York, le Sommet du Millénaire, à l’issue duquel les 189 États Membres ont adopté la Déclaration du Millénaire, dans laquelle étaient énoncés les huit objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).

Ces huit objectifs, qu’il s’agissait d’atteindre en 2015, ont constitué le cadre commun de développement mondial pendant quinze années, jusqu’à l’élaboration des Objectifs du Développement durable définis en 2016.

En 2015, le rapport des Nations unies sur les objectifs du Millénaire pour le Développement a dressé le bilan de ces huit objectifs. Le tableau qui suit résume succinctement les progrès réalisés entre 2000 et 2015 en matière de développement, en s’appuyant sur les principaux indicateurs correspondant aux huit objectifs du millénaire :

 

Objectifs

Principaux indicateurs

Objectif 1: Éliminer l'extrême pauvreté et la faim

Le nombre de personnes touchées par l’extrême pauvreté dans les pays en développement est ainsi passé de 1 926 millions à 136 millions, ou de 47 % à 14  % de la population.

Objectif 2: Assurer l'éducation primaire pour tous

Le nombre d’enfants non scolarisés en âge d’aller à l’école primaire dans le monde est passé de 100 à 57 millions, tandis que le taux net de scolarisation dans l’enseignement primaire en Afrique subsaharienne passait de 52 % à 80  %.

Objectif 3: Promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes

Le taux de scolarisation des filles par rapport aux garçons en Asie du Sud est passé de 74 filles à 103 filles pour 100 garçons.

Objectif 4: Réduire de deux tiers, entre 1990 et 2015, le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans

Le nombre de décès d’enfants de moins de cinq ans dans le monde est passé de 12,7 à 6 millions.

Objectif 5: Améliorer la santé maternelle

Le taux de mortalité maternelle, c’est-à-dire le nombre de décès de la mère pour 100 000 naissances vivantes, est passé de 380 en 1990 à 213 en 2013.

Objectif 6: Combattre le VIH/sida, le paludisme et d'autres maladies

L’administration de traitements antirétroviraux concernait 0,8 millions de personnes en 2003, puis 13,6 millions de personnes en 2014.

Objectif 7: Assurer un environnement durable

Le nombre de personnes disposant d’eau potable courante est passé de 2,3 milliards en 1990 à 4,2 milliards en 2015.

Objectif 8: Mettre en place un partenariat mondial pour le développement

Le montant global de l’aide est en diminution, et va de moins en moins aux pays les plus pauvres.

 

Les sept premiers objectifs, qui concernent directement la qualité de vie des populations et le développement des économies, ont généralement été en grande partie atteints, mais l’objectif n°8, qui ressortit aux conditions de développement plus qu’au développement lui-même, présente un bilan contrasté. L’aide au développement mondiale est décrite dans le rapport comme stable en proportion des revenus nationaux, mais certaines conditions de développement se sont améliorées, avec notamment un meilleur climat commercial, une baisse des droits de douane ou une forte augmentation des connexions par téléphone portable.

B.   Quelle efficacité de l’aide jusqu’à aujourd’hui ?

Le développement a donc été extrêmement rapide pendant cette période mais l’aide publique au développement n’a probablement pas joué le rôle principal dans cette évolution.

Parmi les différentes cibles, selon Mme Claire Baudot, responsable plaidoyer pour la France de l’ONG Action Santé mondiale, les objectifs de santé sont pratiquement les seuls qui aient été atteints grâce à l’aide publique au développement, soit tout de même trois indicateurs sur huit. Les progrès concernant l’objectif 6 (« Combattre le VIH/sida, le paludisme et d'autres maladies ») doivent en particulier beaucoup à la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dans lequel la France a joué un rôle important. Selon Claire Baudot, « La France a fait le choix du multilatéral dans ce domaine, notamment au début de l’épidémie de VIH avec la création du Fonds mondial. La France a été un des pays fondateurs de ce fonds, dont elle accueillera en 2019 la conférence de reconstitution. Aujourd’hui, la France est le deuxième contributeur historique au Fonds mondial, avec 350 millions d’euros par an ».

L’aide en matière de santé peut cependant être dispensée, dans une certaine mesure, indépendamment de la situation économique du pays bénéficiaire. Même dans un pays très démuni, il est toujours possible si les moyens sont suffisants de livrer et distribuer des médicaments et de faire intervenir un personnel médical étranger si nécessaire, ce qui ne suffit pas nécessairement à assurer un niveau de santé satisfaisant, mais doit permettre de faire des progrès notables.

Réduire la pauvreté est en revanche un objectif qui implique nécessairement un développement général de l’économie. Les objectifs en matière d’éducation impliquent pour leur part la prise en charge permanente d’une partie de la population de plus en plus importante dans les pays à forte croissance démographique. Ces objectifs sont difficiles à atteindre sans un développement général de l’économie du pays concerné.

De fait, la croissance mondiale, positive presque chaque année depuis 1990, a été principalement « tirée » par les économies émergentes. Si ces dernières ne contribuaient que pour 36  % à la croissance mondiale dans les années 1980, leur contribution s’élève à 41 % pour les années 90, 70 % pour les années 2000 et environ 80 % depuis la crise financière de 2008. En 2012, la croissance des pays émergents en termes réels compte pour 2,5 points dans une croissance mondiale de 3,2 points, et le taux de croissance des économies émergentes depuis 1980 atteint presque 5  % tandis que celui des économies avancées ne dépasse pas 2,5  %.

Indépendamment des facteurs endogènes, il convient de noter que l’aide publique au développement ne représente qu’une partie des transferts financiers du monde « développé » vers le monde « en développement ». La Banque mondiale estime en effet en 2017 à 450 milliards de dollars les envois privés de fonds officiellement enregistrés vers les pays en voie de développement, c’est-à-dire pour l’essentiel les envois des diasporas vers leurs pays d’origine. Ces envois sont en forte augmentation, avec une hausse de 4,8 % par rapport à l’année 2016. La Banque mondiale et les Nations Unies estiment ainsi que les envois destinés aux familles dans les pays en développement s’élèvent en 2016 à 429 milliards de dollars, soit un volume trois fois supérieur à celui de l’Aide Publique au Développement (APD), qui s’élève pour cette année à 142,6 milliards de dollars.

Concernant la France, le Rapport annuel 2011 de la balance des paiements publié par la Banque de France évoquait ainsi des transferts vers l’Afrique à hauteur de 3,7 milliards d’euros, dont 3,1 milliards d’euros vers le Maghreb.

Les flux financiers ainsi engendrés constituent une source de financement significative pour réduire la pauvreté, mais aussi pour financer le développement économique. Du fait du soutien apporté par les migrants à leurs familles, ils présentent aussi l’avantage d’être globalement stables et pérennes, ou tout au moins indépendants des éventuelles crises ou catastrophes pouvant survenir dans les pays destinataires. La plus grande partie des montants transférés est dépensée en biens de consommation courante (jusqu’à 80 % dans certaines régions d’Afrique subsaharienne), tandis qu’une fraction plus réduite est épargnée ou investie en capital humain (éducation, santé) ou en infrastructures (logement).

C.   Le constat des inégalités de développement

Le groupe des « pays émergents » forme par ailleurs un ensemble disparate. Les deux tiers de la croissance de ce groupe en 2012 ont eu lieu en Asie, principalement en Chine, mais également, dans une moindre mesure, en Inde, deux pays dont la taille explique en grande partie l’importance de leur contribution à la croissance mondiale, les économies émergentes des autres grandes zones géographiques étant d’une taille inférieure.

La disparité est encore plus importante si l’on s’intéresse non plus aux États mais aux régions qui les forment. Les disparités à l’intérieur même des deux principaux responsables de la croissance mondiale pendant la période considérée sont considérables : elles sont particulièrement visibles entre villes et campagnes ou, dans le cas de la Chine, entre provinces industrielles et provinces agricoles, mais elles s’accompagnent d’écarts de richesse importants à l’intérieur même de ces sous-ensembles.

Le même constat peut être fait dans des économies dont le niveau de développement demeure très inférieur à celui de la Chine. Le développement, malgré tous les bienfaits qu’il implique, s’accompagne généralement d’une croissance urbaine importante et d’une augmentation des écarts de richesse au sein de chaque sous-ensemble géographique, quelle qu’en soit l’échelle. C’est ainsi qu’un pays comme le Niger, où la mission s’est rendue au mois de mai 2018, malgré le niveau de vie très bas du pays dans son ensemble, présente un contraste élevé entre sa capitale, Niamey, et les zones rurales, où les populations ne disposent généralement ni de l’eau courante, ni d’un accès au réseau électrique national, ni d’un niveau de services publics comparable à celui dont disposent les habitants des villes.

Ces inégalités sont difficiles à éviter. Les écarts de revenu, d’espérance de vie ou de niveau d’éducation tendent à s’accroître mécaniquement pendant les périodes de croissance économique, du simple fait de la stagnation de certains secteurs. Des écarts peuvent ainsi être observés, d’une part entre les régions urbanisées, connectées au reste du monde et où sont localisés les sièges sociaux des entreprises et des administrations, et les zones rurales, et d’autre part à l’intérieur même des zones urbanisées et développées, notamment du fait de l’exode rural et de l’installation difficile de populations en provenance des zones rurales.

En effet, le développement, quels que soient les facteurs qui y président, n’est pas un processus homogène permettant une élévation générale et régulière du niveau de vie de chacun, mais un processus extrêmement complexe et dynamique qui s’accompagne de bouleversements sociaux dont les conséquences politiques peuvent être importantes.

Le caractère disparate du développement relève du constat mais soulève cependant la question de la finalité de l’aide publique au développement. À mesure que le paysage du développement se diversifie, l’aide publique au développement doit de plus en plus faire face à des situations qui n’appellent pas nécessairement les mêmes solutions.

D’un côté, les économies émergentes ou enregistrant une forte croissance peuvent avoir besoin d’une aide pour faire face aux problèmes résultant de cette dernière, à plus forte raison quand elle est rapide : exode rural et développement urbain rapide, inégalités croissantes menaçant de déstabiliser les sociétés, problèmes environnementaux en sont les principaux exemples. Le développement peut aussi être à l’origine de transitions démographiques, périodes de forte croissance démographique du fait de la baisse de la mortalité infantile, qui prennent fin lorsque la société s’adapte aux nouvelles conditions. Lorsque la fécondité demeure élevée pendant longtemps, l’augmentation de la population peut devenir un obstacle au développement et un facteur de déstabilisation politique.

De l’autre côté, les économies qui ont le moins bénéficié de la croissance mondiale ont besoin que l’aide au développement conserve ses objectifs classiques de lutte contre la pauvreté, mais dans des conditions qui ne sont souvent plus les mêmes que dans la seconde moitié du XXe siècle. Le faible développement de la région du Sahel s’accompagne en effet d’une croissance démographique extrêmement élevée et de situations d’instabilité politique complexes qui ne permettent pas de s’en tenir à une aide telle qu’elle était pratiquée il y a un demi-siècle, consistant largement en transferts de fonds vers des États parfois autoritaires mais relativement stables, dans un contexte de Guerre froide très différent du contexte actuel.

 


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II.   La dispersion des objectifs de l’aide

Prenant acte de la diversification des situations et de la complexité croissante des problèmes à traiter, les acteurs de l’aide publique au développement ont adopté en 2015 un nouveau texte qui succédait aux Objectifs du Millénaire pour le développement. Les dix-sept Objectifs du Développement durable (ODD) ne se résument cependant pas à un simple prolongement des Objectifs du Millénaire. Alors que ces derniers consistaient essentiellement en une liste d’indicateurs quantitatifs, les ODD adoptent une vision beaucoup plus inclusive et beaucoup plus large du développement.

A.   Un accompagnement de la croissance

À l’objectif classique de croissance économique là où elle est trop faible, les ODD ajoutent donc celui de « corriger » en quelque sorte les défauts du modèle classique de croissance, en la rendant mieux partagée et plus soutenable.

Les ODD incorporent ainsi de nouvelles thématiques, qui n’étaient pas présentes dans les OMD. On y trouve ainsi des objectifs plus précis concernant la pauvreté, la santé ou l’éducation. Sont prises en compte les migrations et les mobilités en tant que ressource pour le développement. Cinq des dix-sept objectifs sont liés à la préservation de l’environnement, thématique approfondie un an plus tard par l’accord de Paris. Un objectif vise la réduction des inégalités sociales, mais aussi des inégalités de genre. Enfin, l’objectif 16, lié à la gouvernance et à l’état de droit, introduit pour la première fois le pilier « paix, sécurité et justice » à côté des piliers traditionnels de nature économique, sociale et environnementale.

Les ODD sont également plus ambitieux que ne l’étaient les OMD. Là où ces derniers visaient une diminution des problèmes, les ODD ont souvent l’ambition de les faire disparaître. Là où l’OMD 1 visait à réduire la pauvreté et la faim, l’ODD 1 vise à les éliminer. En matière de santé, l’objectif 3 vise à promouvoir le bien-être de tous à tous les âges alors que les OMD visaient de façon ponctuelle à réduire la mortalité infantile (OMD 4), à améliorer la santé maternelle (OMD 5) et à combattre le VIH, le paludisme et d’autres maladies (OMD 6). L’OMD 7B visait à diminuer la perte de la biodiversité tandis que l’ODD 15 vise à y mettre fin. L’OMD 2, relatif à l’éducation primaire pour tous, est également « dépassé » par l’ODD équivalent qui vise à « ce que tous puissent suivre une éducation de qualité dans des conditions d’équité ». Enfin, à la différence des OMD, les ODD appellent à prendre des mesures relatives aux changements climatiques (ODD 13).

La structure même des ODD reflète la volonté de traiter l’ensemble des problèmes de façon intégrée, et non plus comme des objectifs indépendants les uns des autres. Les objectifs proprement dits sont au nombre de dix-sept, mais ils se décomposent en 169 cibles et près de 230 indicateurs, et les cibles associées à un objectif renvoient souvent elles-mêmes implicitement à d’autres objectifs. C’est ainsi que l’objectif 16 (« Promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et inclusives aux fins du développement durable, assurer l’accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous ») vise explicitement à une meilleure mise en œuvre de l’ensemble des objectifs et, plus précisément, une meilleure gestion de l’aide financière.

Enfin, les ODD se veulent universels. Ils s’appliquent également à tous les États, abandonnant la distinction entre pays développés et en développement, qui doivent tous mettre en œuvre l’agenda 2030, chez eux comme dans les pays tiers.  La distinction Nord-Sud est ainsi abolie, mais c’est également le cas de la distinction entre acteurs étatiques et non-étatiques, puisque la mise en œuvre des ODD est confiée non seulement aux États, mais également à l’ensemble de la société civile, qui a été fortement associée aux discussions ayant présidé à leur adoption.

B.   Le manque de hiérarchisation des objectifs

Si l’on peut se satisfaire de ce que les ODD prennent acte de la diversité des situations et des problèmes en matière de développement, le risque est celui d’un manque de hiérarchisation entre les différents objectifs et, pour cette raison, d’un affaiblissement du texte dans son ensemble.

En premier lieu, les ODD tendent à mettre sur le même plan des objectifs dont le degré d’urgence n’est pas nécessairement le même. Faut-il ainsi accorder le même niveau de priorité à un objectif relevant quasiment de l’urgence humanitaire comme l’objectif 2 « Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable » et à des objectifs environnementaux et sociétaux ?

La mise en avant d’objectifs sociétaux ne doit en effet pas faire oublier que la lutte contre la pauvreté doit rester la priorité de l’aide au développement. Selon des données transmises par l’ONG Action contre la Faim, 812 millions de personnes sont aujourd’hui touchées par l’insécurité alimentaire dans le monde, soit 10,7 % de la population mondiale, dont une personne sur quatre dans les pays les moins avancés. Selon le Programme Alimentaire Mondial, environ 6,8 millions de personnes pourraient souffrir d’insécurité alimentaire en 2018 au Niger, tandis qu’un enfant sur quatre, soit 155 millions d’enfants de moins de 5 ans, souffrent encore d’un retard de croissance.

En deuxième lieu, aussi ambitieux soit-il, l’agenda 2030 demeure un texte non contraignant, et son caractère très général et très large peut inciter les États à en faire une application sélective en choisissant parmi les 169 cibles celles qui leur sembleront les plus faciles à atteindre. La première cible de l’objectif n°1,  « D’ici à 2030, éliminer complètement l’extrême pauvreté dans le monde entier (moins de 1,25 dollar/jour/personne) », implique par exemple des efforts plus importants que certaines cibles consistant non pas à obtenir des résultats mais à prendre des mesures. Là où une liste courte d’objectifs concrets rend visible l’éventuelle passivité d’un État, une liste de 169 cibles très diverses et inégalement ambitieuses, peut permettre de la masquer plus facilement.

L’ambition de l’agenda des ODD porte donc en elle-même certains éléments de fragilité qui doivent attirer notre attention. Sans aller jusqu’à reprendre à son compte la critique qu’en fait Serge Michailof dans son ouvrage Africanistan ([1]) , où il décrit les ODD comme « une liste de vœux pieux mélangeant allègrement objectifs microéconomiques mesurables, louables ambitions en matière de biens publics mondiaux et rêves universalistes », il convient de demeurer réaliste à leur égard et de ne pas perdre de vue les éventuelles faiblesses d’un tel dispositif.

Le caractère universel des ODD en fait un vaste ensemble d’objectifs qui se retrouvent nécessairement mis sur un même plan. Si tous les objectifs sont prioritaires, aucun ne l’est plus que les autres.

C.   Le CICID affiche de nouvelles ambitions pour l’aide française

Les ODD forment donc un agenda très large et très général avec lequel les stratégies des États doivent être compatibles ([2]) . Les conclusions du dernier Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui s’est tenu le 8 février 2018, ne se contentent heureusement pas d’un alignement strict sur les ODD.

Le relevé de conclusions du CICID s’efforce de présenter la nouvelle orientation de l’aide française en fixant à la fois une trajectoire budgétaire et des mesures de pilotage de l’aide qui seront examinées plus loin dans le présent rapport, et en établissant une liste des priorités stratégiques de l’aide au développement de la France.

S’il est fait référence aux ODD au début du relevé de conclusions, le document présente une liste sélective de priorités, en tête desquelles figure le traitement des crises et des fragilités, et rappelle la priorité géographique africaine de l’aide française. Il dresse ainsi une liste de cinq priorités :

– Traiter les crises et les fragilités ;

– Renforcer notre effort sur l’éducation, l’enseignement supérieur et professionnel, la recherche et l’innovation, au profit de l’employabilité des jeunes ;

– Agir avec une ambition renouvelée au lendemain du Sommet One Planet en faveur du climat, mais également au profit de la biodiversité et de l’accès aux énergies renouvelables ;

– Soutenir la grande cause du quinquennat qu’est l’égalité femmes/hommes ;

– Maintenir une action résolue au profit du renforcement des systèmes de santé ;

Ces cinq priorités sont suivies d’une deuxième liste en quelque sorte subsidiaire comprenant la sécurité alimentaire et nutritionnelle et la gouvernance démocratique. Le relevé de conclusion du CICID mentionne enfin que « l’aide au développement est un facteur déterminant pour favoriser l’emploi et l’insertion professionnelle ce qui contribue à réduire les incitations aux départs par les réseaux de passeurs et, ce faisant, l’immigration irrégulière. ».

Si le document présente bien une liste de priorités suffisamment brève pour que ces dernières ne soient pas noyées et apparaissent effectivement comme telles, l’impression demeure d’un certain manque de hiérarchisation. Le point sur le traitement des crises et des fragilités renvoie ainsi à une liste d’outils comme l’Alliance pour le Sahel et la récente Facilité d’atténuation des vulnérabilités et promet un plan d’action interministériel, mais le lien n’est pas fait avec les sujets socio-économiques comme l’accès à l’éducation, qui constitue la priorité suivante, ou l’accès à l’emploi, qui est cité dans le dernier point. Pourtant, les actions requises dans le cadre de la lutte contre les fragilités concernent très largement ces thématiques.

L’extension de la liste des pays prioritaires, qui étaient au nombre de 17 et qui sont désormais 19 ([3]), pose d’autres questions. L’inclusion de la Gambie et de l’Éthiopie, après celles du Liberia et d’Haïti, soit trois pays non francophones et un pays non africain, laisse supposer que les critères d’appartenance à la liste deviennent moins stricts. Mais on aurait surtout pu souhaiter que les pays prioritaires, plutôt que de devenir plus nombreux, fasse l’objet d’une priorité plus effective, puisque malgré les règles applicables aux pays prioritaires ([4]), la structure de l’aide française est aujourd’hui telle qu’aucun de ces pays ne figure parmi les dix premiers bénéficiaires de l’aide publique au développement française. Élargir leur liste ne peut qu’accentuer cette tendance.

Le CICID de février 2018 comporte d’autres éléments qui seront examinés plus loin dans le présent rapport et va, pour l’essentiel, dans la bonne direction. Il aurait toutefois été souhaitable qu’il s’efforce de corriger le problème de hiérarchisation des priorités que rencontre aujourd’hui l’aide publique au développement.

Enfin, ni le CICID de février 2018, ni les ODD, ne considèrent la baisse de la fécondité démographique, qui fait l’objet d’une partie spécifique du présent rapport, comme une priorité en tant que telle. Il est vrai que tous les États bénéficiaires de l’aide ne sont pas affectés par une croissance démographique pénalisante, et que ceux qui le sont ne voient pas toujours l’augmentation rapide de la population comme un problème. C’est ainsi que M. Elhadji A. Traoré, chargé d’Affaires du Mali en France auditionné par la mission, estime que « La question démographique doit être prise en compte, mais la démographie en tant que telle n’est pas le problème. ». Compte tenu du caractère politiquement délicat de cette thématique, il est compréhensible qu’elle ne soit pas toujours citée en tant que telle dans les documents officiels décrivant la politique d’aide des bailleurs. Le contrôle des naissances est souvent abordé de façon indirecte, à travers les thématiques de l’égalité entre hommes et femmes et de la santé maternelle et reproductive. Il est toutefois difficile de résoudre les problèmes quand on ne les nomme pas, et l’on peut regretter que le relevé de conclusion du CICID n’évoque la question qu’en filigrane.

Recommandations :

 1. Définir une stratégie d’aide pour la France basée sur une véritable stratégie plutôt que sur une simple série d’objectifs.

 2. Établir des critères stricts d’appartenance à la liste des pays pauvres prioritaires.


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   La trajectoire budgétaire de l’aide française : objectifs, contraintes, évaluation

Les moyens de l’aide publique au développement française ont évolué depuis les années soixante de façon irrégulière, avec des périodes de hausse et de baisse, et une forte diminution des budgets pendant la première moitié des années 2010. La stabilisation, puis l’augmentation, engagée depuis 2016 sont encourageantes et doivent être poursuivies. L’aide publique au développement ne peut ni ne doit se résumer à un objectif chiffré tel que celui consistant à consacrer 0,7  % ou une proportion quelconque du RNB à l’aide publique au développement. L’augmentation du budget de l’aide doit en effet aller de pair avec un rééquilibrage entre les différentes composantes de l’aide, tout en s’accompagnant de mécanismes d’évaluation permettant de s’assurer de sa qualité, c’est-à-dire de son utilité.

I.   La comptabilisation de l’aide

La trajectoire ambitieuse fixée par le gouvernement est à saluer, mais ne doit pas se contenter de viser un simple objectif chiffré, sans quoi la tentation peut être forte de maximiser la dépense affichée sans fournir réellement les efforts nécessaires à une véritable montée en puissance de notre aide. Il n’est donc pas inutile de rappeler brièvement quels sont les fondements et les limites des traditionnelles cibles de dépenses exprimées en pourcentage du revenu  national brut.

A.   L’objectif du 0,7 %

1.   L’origine de cet objectif

L’objectif de 0.7 % a été officiellement reconnu en octobre 1970 lorsque l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une Résolution selon laquelle « chaque pays économiquement avancé accroîtra progressivement son aide officielle au développement des pays en voie de développement et s’efforcera particulièrement d’atteindre, au milieu de la Décennie au plus tard, un montant minimum en valeur nette de 0.7  % de son produit national brut aux prix du marché ». L’adoption de l’objectif de 0.7 % s’appuie sur la définition de l’aide publique au développement que le Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE a élaborée en 1969, c’est-à-dire l’apport de dons et de prêts assortis de conditions favorables provenant du secteur public des pays donneurs, aux fins du développement, hors remboursement du capital, abstraction faite des intérêts. La définition a été resserrée en 1972 par l’ajout d’un niveau minimum d’élément de libéralité que les prêts doivent avoir pour être comptabilisés dans l’APD, ce dernier critère étant à nouveau en cours de révision.

La Suède est le premier pays à avoir atteint cet objectif en 1975, tandis que les Pays-Bas, la Norvège et le Danemark ont réalisé cet objectif en 1976 et 1978 respectivement, et ces quatre pays ne s’en sont pas écartés depuis. La Finlande l’a atteint une seule fois en 1991. Le Luxembourg y est parvenu en 2000 et a maintenu sa position.

Le Royaume-Uni est le premier pays du G7 à avoir atteint ce résultat en 2013. L’Allemagne a quant à elle atteint 0,7 % de son RNB en 2016, mais cette augmentation était principalement due à l’arrivée sur le territoire allemand d’un grand nombre de réfugiés, puisque les dépenses faites en vue de leur installation sont prises en compte par les statistiques du CAD pour le calcul des montants d’aide publique au développement.

L’objectif du 0,7 % est un indicateur de l’effort consenti par les pays donateurs en faveur du développement. Appuyé sur les statistiques annuelles du CAD, il permet une comparaison rapide entre des politiques d’aide au développement qui diffèrent les unes des autres aussi bien du point de vue de l’équilibre entre prêts et dons ou entre financements bilatéraux et multilatéraux, que du point de vue des régions prioritaires, de la proportion de l’aide transitant par la société civile ou du poids des pays les plus pauvres ou des pays émergents parmi les bénéficiaires de l’aide.

2.   Les limites de la cible

Comme tout chiffre simple déduit d’une réalité complexe, le ratio RNB/APD doit être utilisé prudemment pour évaluer les politiques d’aide, dont les fluctuations s’expliquent souvent non pas par une évolution des choix politiques des gouvernements, mais par des circonstances conjoncturelles telles que la constitution d’un nouveau fonds international, une série de remises de dettes importantes ou une aide aux réfugiés accrue dans l’urgence.

Quant à la cible de 0,7  % du RNB, il s’agit avant tout d’un objectif politique qui ne peut à lui seul constituer une stratégie d’aide au développement. Cette cible présente en effet plusieurs faiblesses.

En premier lieu, comme l’ont montré les économistes Michael A. Clemens et Todd J. Moss dans un article datant de 2006 ([5]), les modèles économiques sur lesquels elle s’appuie datent des années soixante et ne reflètent plus la réalité d’aujourd’hui. En utilisant la méthodologie d’alors avec les données d’aujourd’hui, les auteurs aboutissent à une cible non plus de 0,7  %, mais de 0,01  %, voire à une cible négative dans certains cas, ce qui ne signifie évidemment pas que ce dernier chiffre doive remplacer l’ancien, mais simplement que le fondement scientifique de la cible de 0,7  % n’est plus d’actualité.

En deuxième lieu, il semble peu logique de fixer un objectif de montant d’aide au développement en l’appuyant non pas sur les besoins des pays bénéficiaires, mais sur la richesse des pays donateurs. Outre le fait que les besoins des pays bénéficiaires n’évoluent pas nécessairement dans le même sens que la prospérité des pays riches, un tel objectif n’incite pas à évaluer précisément les besoins en question.

Politiquement, la cible de 0,7 % apparaît dès lors non plus comme un montant correspondant à un besoin précis et identifié, mais comme une sorte d’impôt automatique, sans doute plus difficile à justifier aux yeux d’une partie de l’opinion qu’il ne correspond à aucun besoin concret. Surtout, la cible de 0,7  % semble plus difficile à justifier aux yeux de l’opinion lorsqu’elle a effectivement été atteinte. M. Matthew Rycroft, Secrétaire permanent du Department for International Development (DFID), auditionné à Londres par la mission d’information, estime ainsi que « Le secteur est trop focalisé sur les dépenses et pas assez sur les résultats. Je crains que cette cible numérique ne soit pas très bonne pour l’opinion publique. »

Par ailleurs, du fait que la cible de 0,7  % vise un volume de dépenses, elle crée une incitation à rechercher des décaissements importants, voire simplement des engagements, indépendamment de toute recherche d’efficacité. Or, l’aide au développement utile est celle qui se traduit par la mise en œuvre effective de projets au bon endroit et au bon moment, avec un effet réel sur le développement de l’économie bénéficiaire.

Enfin, le fait même de mettre en avant un volume global de dépenses en faveur du développement semble de moins en moins correspondre à la réalité du développement dans le monde. Comme cela a été mentionné dans la première partie du présent rapport, les niveaux de développement se sont en effet fortement diversifiés au cours des dernières décennies.

La liste de bénéficiaires de l’aide publique au développement produite par le Comité d’aide au développement de l’OCDE compte ainsi, pour la période 2014-2016, 48 États dans la catégorie des pays les moins avancés, quatre dans la catégorie des « pays à faible revenu », 36 dans la catégorie des « pays et territoires à revenu intermédiaires, tranche inférieure » et 58 dans celle des « pays et territoires à revenu intermédiaire, tranche supérieure », cette dernière catégorie incluant des États aussi divers que l’Argentine, Cuba, le Belize ou la Chine. Cette liste, qui sert de référence à plusieurs traités internationaux, comporte donc un total de 146 États dont les économies sont à des stades de développement extrêmement divers. Or, la même dépense ne produira pas le même effet dans un pays à faible revenu comme un État du Sahel ou dans un pays à revenu intermédiaire comme l’Argentine.

Cette liste très large des pays bénéficiaires reflète également la disparition progressive, entérinée par les ODD de 2015, de la distinction entre pays « développés » et « en développement ». Si l’idée d’un continuum du développement permet une meilleure prise en compte de problématiques qui ont pu être négligées auparavant, comme celle du développement urbain, de la préservation de l’environnement ou des évolutions sociétales, cette idée s’articule difficilement avec la cible de 0,7  % du RNB, objectif fixe qui repose sur une distinction claire mais datée entre pays fournisseurs d’aide et pays destinataires.

Quelle que soit l’utilité politique d’une cible telle que celle du 0,7  %, il importe donc de demeurer attentifs à sa fragilité. Mesurer les résultats d’une politique par ce qu’elle coûte est rarement un gage de succès, et si l’aide française atteint effectivement les objectifs de dépense énoncés par le CICID de février 2018, l’utilité de cette augmentation dépendra autant de sa composition que de son ampleur.

B.   Les limites des statistiques du CAD

La collecte même des données permettant de mesurer l’effort fourni par chaque pays donateur, effectuée par les statisticiens du Comité d’aide au Développement (CAD) de l’OCDE, doit prendre en compte une réalité de plus en plus complexe et s’efforcer de compenser les incitations politiques créées par l’effet d’affichage de la cible de 0,7 % du RNB.

1.   Une fonction comparative

Les statistiques du CAD visent surtout à permettre une comparaison entre des États dont les dépenses d’APD présentent des structures très différentes et visent à servir des priorités politiques qui ne sont pas les mêmes.

Les données collectées par le CAD proviennent de trente États membres du CAD, vingt États non membres du CAD, une fondation privée (la Fondation Bill & Melinda Gates) et 35 organisations multilatérales. Les vingt États non membres du CAD notifient leurs dépenses d’aide publique au développement, comme ils en ont la faculté, mais leurs notifications ne sont pas toujours aussi complètes ou détaillées que celles produites par les États membres du CAD. D’autres États peuvent également contribuer à l’aide publique au développement mondiale, et certaines dépenses effectuées par des contributeurs non membres du CAD, comme la Chine ou la Russie, peuvent ne pas être notifiées.

Les statisticiens du CAD vérifient ainsi environ 250 000 activités chaque année et doivent déterminer si une activité, c’est-à-dire une dépense destinée à un usage particulier, relève ou non de l’aide publique au développement.

Selon la définition du CAD, une dépense d’aide publique au développement :

– est une dépense émanant des organismes publics, y compris les États et les collectivités locales, ou d'organismes agissant pour le compte d'organismes publics ;

– a pour but essentiel de favoriser le développement économique et l'amélioration du niveau de vie des pays en développement ;

– est assortie de conditions favorables ;

– est destinée au secteur public ou privé d’un pays en développement appartenant à la liste des bénéficiaires d’APD du CAD.

Le deuxième critère, qui renvoie à la finalité de la dépense, peut poser un certain nombre de questions. En cas de désaccord concernant la notification d’une dépense par un contributeur, un groupe de travail du CAD sur les statistiques, qui se réunit une fois par an, prend une décision, mais ce cas de figure est relativement rare. Le fait qu’un consensus existe ou que des compromis soient facilement trouvés entre membres du CAD ne signifie cependant pas nécessairement que les définitions utilisées soient parfaitement fondées.

Ainsi, des dépenses notifiées par les pays européens en faveur de la Turquie visant à amener cette dernière à garder des réfugiés qui autrement chercheraient à gagner l’Europe, ont fait l’objet d’un compromis, avec finalement l’application d’un coefficient représentant la part d’aide humanitaire de ces dépenses. D’une manière générale, la méthodologie en matière de dépenses liées à l’immigration n’est pas encore finalisée, selon Mme Yasmine Ahmad, statisticienne de la Direction de la coopération pour le développement de l’OCDE, auditionnée par la mission. L’inclusion de dépenses destinées à la maîtrise de l’immigration fait notamment l’objet de divergences de vue, un certain nombre d’ONG craignant que les dépenses d’aide ne soient en quelque sorte détournées à des fins autres que le développement.

Il en va de même des problématiques de paix et de sécurité, qui font l’objet d’une répartition fine entre différents types de dépenses. Les choses ont évolué ces dernières années en faveur d’une prise en compte de certaines dépenses liées à la sécurité, malgré les réticences de la société civile. Les frais liés aux opérations de maintien de la paix peuvent ainsi être notifiés pour 15  %, proportion que l’on estime correspondre à la part humanitaire de ces dépenses. Des formations dispensées aux militaires sur des sujets tels que le respect des droits de l’homme ou l’égalité entre hommes et femmes peuvent être prises en compte, à condition qu’elles soient supervisées par la société civile (mais la dépense doit être publique, conformément au premier critère cité plus haut), ainsi que le coût de l’aide humanitaire fournie par les militaires, mais uniquement en dernier recours. La formation de la police d’un pays destinataire peut être comptabilisée comme dépense d’APD, mais pas la formation de son armée, une distinction qui n’est pas nécessairement claire dans tous les pays.

Des dépenses comme celles faites en faveur des étudiants en provenance de pays bénéficiaires dans les pays donneurs, le financement de campagnes de sensibilisation ou les coûts liés à l’accueil des réfugiés sont également prises en considération, mais doivent souvent faire l’objet de conventions raisonnables mais quelque peu arbitraires. Ainsi, il a été récemment décidé d’accepter la notification des dépenses faites pour l’accueil des réfugiés dans la limite d’un an après leur arrivée sur le territoire de l’État, ceci afin de fixer une règle permettant les comparaisons internationales, même si la durée en question ne semble pas plus justifiée qu’une autre. Les dépenses dites « d’écolage », c’est-à-dire liées aux étudiants étrangers, forment également un total dont l’impact sur le développement des pays d’origine des étudiants en question paraît difficile à mesurer, puisque ces étudiants n’y retournent pas toujours.

La méthodologie du CAD est cependant particulièrement délicate s’agissant de la prise en compte des prêts. La méthodologie en vigueur jusqu’à présent consistait à prendre en considération les prêts comportant un élément-don (c’est-à-dire, en quelque sorte, ce que le prêt coûtera au prêteur) d’au moins 25  %, puis à soustraire les remboursements des décaissements. Désormais, l’élément-don permettant ou non la prise en compte du prêt variera selon le niveau de développement du pays bénéficiaire (45 % pour les pays les moins avancés, 15  % pour les pays à revenu intermédiaire et 10  % pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure), et sera comptabilisé l’équivalent-don des décaissements du prêts, sans soustraction ultérieure des remboursements. Cette réforme vise entre autres choses à inciter les bailleurs à consentir plus de prêts fortement concessionnels aux pays les moins avancés, en permettant un meilleur affichage de ces prêts ([6]) .

2.   Un outil de mesure insatisfaisant au niveau national

Cette brève description de la méthodologie du CAD n’en constitue pas une critique d’ensemble. L’existence d’un outil de collecte de statistiques est à l’évidence d’une grande utilité et il est parfaitement normal qu’un ensemble aussi disparate de dépenses fasse à un moment donné l’objet d’une méthodologie complexe.

Il est également difficilement évitable que les statistiques du CAD fassent l’objet de compromis politiques qui peuvent paraître insatisfaisants d’un strict point de vue scientifique.

Il importe cependant de remarquer que l’inclusion ou non de certaines catégories de dépenses dépend également de l’orientation que chacun espère donner à l’aide au développement en général. Ainsi, l’exclusion de la plus grande partie des dépenses de sécurité pourrait ou non se justifier selon la situation du pays en faveur duquel ces dépenses sont effectuées : une aide militaire à un pays stable a peu de rapport avec son développement tandis que la stabilisation d’un État fragile lui est indispensable, auquel cas l’aide délivrée à ses forces de sécurité y contribue très directement. Dans de tels cas, le choix méthodologique retenu d’une exclusion des dépenses de sécurité peut être regrettable, et certaines distinctions, comme celle entre dépenses de formation de la police (qui peuvent être incluses) et de l’armée (qui ne le sont pas) peuvent sembler artificielles.

Par ailleurs, l’argument de plusieurs ONG entendues par la mission, selon lequel l’inclusion des dépenses de sécurité risquerait d’aboutir à une baisse des « vraies » dépenses d’aide au développement pour un affichage équivalent, mérite certainement d’être pris en considération, mais s’articule mal avec l’esprit dans lequel ont été conçus les Objectifs du développement durable, qui visent justement à élargir le champ de l’aide au développement et à y inclure des sujets qui auraient été auparavant considérés comme connexes. Si l’environnement, les thématiques sociétales comme les inégalités de genre, la gouvernance ou le pilier « paix et sécurité » sont désormais inclus dans cette conception large de l’aide au développement, on comprend moins facilement que la sécurité doive être laissée de côté du point de vue statistique.

D’une manière ou d’une autre, la comptabilisation internationale de l’aide et sa méthodologie sont étroitement liées à la définition même de l’aide publique au développement, et surtout du développement lui-même. Il serait donc souhaitable qu’une plus grande cohérence puisse exister entre les objectifs de l’aide adoptés par l’ensemble des États et sa comptabilisation par le CAD.

 


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II.   Rectifier la trajectoire budgétaire de l’aide française

Si la complexité des statistiques du CAD peut s’expliquer par la nécessité de retracer en un même ensemble les dépenses d’aide effectuées par une cinquantaine d’États et d’organismes, il est beaucoup moins acceptable que la présentation budgétaire de l’aide au développement française soit aussi complexe et parfois à la limite de l’illisibilité.

Le budget annuel de l’aide se présente sous la forme de deux missions budgétaires distinctes : le programme 110 « Aide économique et financière au développement », mis en œuvre par le ministère des Finances et des comptes publics, et le programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement », mis en œuvre par le ministère des affaires étrangères et du développement international.

Cette mission ne correspond cependant qu’à environ 30  % du montant total de l’aide publique au développement, tel qu’il est déclaré au CAD de l’OCDE, cet ensemble correspondant à la « politique transversale » « Politique française en faveur du développement », composé de 24 programmes rattachés à 14 missions, parmi lesquelles les programmes 110 et 209 qui forment la mission « Aide publique au développement », dépenses auxquelles il faut ajouter les prêts de l’AFD, comptabilisés sur la base de l'équivalent don, le produit des taxes innovantes consacré à l’aide au développement et les dépenses d’aide des collectivités territoriales.

À titre de comparaison, le DFID britannique est pour sa part responsable des trois quarts environ de l’APD britannique, le reste se répartissant entre 14 autres ministères et entités gouvernementales. Le fait de regrouper les dépenses en un nombre moins important de rubriques n’entraîne pas nécessairement que ces rubriques soient pertinentes, mais permet déjà un certain degré de clarification.

A.   Une présentation excessivement complexe

L’examen, chaque année, du projet de loi de finances, devrait être l’occasion pour les parlementaires des deux assemblées d’examiner la stratégie d’aide publique au développement poursuivie par la France. Cependant, un tel examen n’est facilité ni par la répartition des dépenses décrite plus haut, ni par les documents budgétaires produits par le gouvernement. Le « Projet annuel de performance », rédigé conjointement par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de l'économie et des finances, ne retrace que la « mission Aide publique au développement », et traite cette dernière en deux parties distinctes sans qu’une véritable stratégie d’ensemble puisse être réellement déduite des listes de chiffres et d’indicateurs figurant dans le document. Le document de politique transversale « Solidarité à l’égard des pays en développement » vise à récapituler l’ensemble des dépenses d’aide de la France, mais ce document, qui n’est guère plus clair que le projet annuel de performance, est généralement publié très peu de temps avant l’examen en commission de la mission « Aide publique au développement ». L’examen en commission, que ce soit au fond ou pour avis au sein de la commission des Affaires étrangères, qui ne porte que sur les crédits de la mission, offre aux parlementaires une marge de manœuvre très limitée.

Cette question a fait l’objet d’une recommandation dans le rapport pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sur la loi de finances pour 2012 qui indique que « La politique d’aide au développement a longtemps été synonyme d’opacité, opacité du budget dont les enjeux ne peuvent être compris que d’un nombre restreint de spécialistes, opacité des statistiques qui agrègent des données hétérogènes ».

M. Serge Michailof, que la mission a auditionné dans le cadre de la préparation du présent rapport, a souligné le fait que la présentation budgétaire de l’aide française, de par sa complexité, masque des aspects importants de sa structure, en particulier la faiblesse réelle des dons-projets consacrés à ses priorités géographiques.

La revue des pairs du CAD de l’OCDE, qui vient d’être rendue publique, fournit une appréciation globale plus claire de l’évolution de l’aide publique française au cours des dernières années. Elle aboutit aux conclusions suivantes :

Selon les auteurs de ce rapport, la France a commencé à rationaliser le dispositif de l'APD et dispose d’une importante palette d'instruments pour répondre aux besoins des pays en développement (comme les prêts souverains et non souverains, la coopération décentralisée, le montage de projets prêt-dons et l’assistance technique). La France a par ailleurs élaboré avec succès des mécanismes innovants de financement du développement (ex: la taxe sur les transactions financières, la taxe de solidarité sur les billets d’avion).

La France s’est par ailleurs engagée à consacrer 0.55  % de son RNB à l’APD d’ici à 2022 soit une augmentation de près de 6 milliards EUR en volume par rapport à 2016, et selon les chiffres provisoires pour 2017, le rapport APD/RNB a atteint 0.43  % du RNB, ce qui constitue un pas dans la bonne direction.

Le rapport note toutefois plusieurs évolutions inquiétantes :

         L'APD française a reculé de 0.45  % à 0.38  % du RNB, au cours de la période 2012-2016 soit une baisse en volume de 10.6 milliards de dollars à 9.6 milliards de dollars ;

         14  % du volume d’APD bilatérale est allouée aux 17 pays prioritaires en 2016. Aucun de ces pays ne figurait parmi les dix principaux bénéficiaires de l’APD française, qui sont tous des pays à revenu intermédiaire. 

         L’aide aux pays les moins avancés (PMA) représentait seulement 19  % de l’APD bilatérale ventilable de la France en 2016 (contre une moyenne de 37  % pour l’ensemble des pays membres du Comité d’aide au développement de l’OCDE), soit 0.08 % du RNB de la France, bien en dessous de la cible de 0.15  % ;

         Le faible niveau d’aide humanitaire (153 millions USD en 2016, soit 1.3  % de l’APD, contre 11  % en moyenne pour l’ensemble du CAD) contredit les objectifs stratégiques de la France.

         Les prêts représentaient 28  % de l’APD brute totale de la France, et 45  % de son APD brute bilatérale en 2016 ;

         En 2012-16, la libéralité de l’APD française est d’ailleurs restée tous les ans en dessous de la norme établie par le CAD.

         64  % du portefeuille d’APD de l’AFD était composé de prêts, un modèle, fondé davantage sur les prêts que les dons qui incite l’AFD à investir dans les pays à revenu intermédiaire et dans des secteurs potentiellement profitables.

La revue des pairs de l’OCDE aboutit donc à des conclusions qui rejoignent le constat fait, année après année, par les parlementaires : l’aide française a subi un déclin rapide et profond au cours de la décennie passée, qui appelle un rattrapage à la fois quantitatif et qualitatif.

B.   Une trajectoire nettement infléchie ces six dernières années

Comme cela est rappelé à l’occasion de chaque examen de la loi de finances, l’aide française a subi depuis le début des années 2010 un déclin régulier, avec quelques timides amorces de rattrapage qui n’ont pour l’instant pas donné lieu à la véritable montée en puissance de l’aide dont nous avons maintenant besoin.

a.   Un décrochage d’ensemble

Le tableau suivant retrace l’évolution des dépenses d’aide publique au développement de la France depuis 2010, telle que mesurées par le CAD, et comparée à l’évolution des dépenses de l’ensemble des pays du CAD :

 

Versements, en millions de dollars

 

 

Année

APD nette totale des pays du CAD

APD nette de la France

Ratio APD en  % RNB de la France

2010

128 484

12 915

0,50

2011

135 111

12 997

0,46

2012

127 030

12 028

0,45

2013

134 847

11 339

0,41

2014

137 581

10 620

0,37

2015

131 555

9 039

0,37

2016*

142619

9501

0,38

Source: OCDE CAD1

Selon les chiffres provisoires pour 2017, transmis à la mission d’information par l’OCDE, le rapport APD/RNB aurait atteint 0.43  % du RNB, ce qui constitue un pas dans la bonne direction, mais aboutit à un chiffre inférieur à celui de 2012.

Les conséquences de la baisse des dépenses d’aide de la France au cours de cette période ne doivent pas être sous-estimées. Par rapport aux autres donneurs, la part de l’aide française dans le total des dépenses des pays du CAD a diminué de façon irrégulière mais très nette depuis les années soixante, et surtout depuis les années quatre-vingt-dix, puisqu’elle est passée entre 1990 et 2015 de 13,3  % du total du CAD à 7,4  %.

Part en pourcentage des cinq principaux donneurs dans l’APD du CAD

Source : CAD OCDE

La baisse de l’aide française peut sans doute être attribuée à la crise de la fin des années 2000, mais les autres pays du CAD, qui ont aussi été touchés par la crise, n’ont pas suivi une évolution similaire. Leurs dépenses sont au contraire restées stables, voire ont fortement augmenté comme au Royaume-Uni. Le tableau ci-dessous illustre la divergence entre les trajectoires des deux pays :

en millions de dollars

2012

2013

2014

2015

2016

France

12 028

11 339

10 620

9 039

9 531 **

Royaume-Uni

13 891

17 871

19 306

18 545

18 013 *

en  % RNB

2012

2013

2014

2015

2016

France

0,45 %

0,41 %

0,37  %

0,37 %

0,38 % **

Royaume-Uni

0,56 %

0,71 %

0,70 %

0,70 %

0,70 % *

Source : OCDE, Cad2a et DG Trésor

b.   Le nécessaire rééquilibrage au profit du bilatéral

Le décrochage de l’aide publique au développement française s’est accompagné d’une diminution de l’aide bilatérale, dont la part était de plus de 78 % dans l’APD nette de la France en 1990, et n’était plus qu’à 57 % en 2014.

Le choix entre aide bilatérale et multilatérale fait l’objet d’un débat ancien dont les termes sont connus. L’aide multilatérale selon ses partisans, doit permettre une démultiplication de l’influence de la France qui, à condition de verser des contributions significatives, se trouve représentée au sein des grandes instances internationales dont elle peut alors contribuer à définir l’orientation, ce qui en retour nous permet de bénéficier de leur soutien pour l’atteinte de nos objectifs.

La participation à l’aide multilatérale, si elle est bien conduite, permet également d’initier des projets et d’en conserver le leadership en exerçant un effet de levier important. Cela suppose toutefois de concentrer ses contributions vers certains organismes ou fonds. La participation importante de la France au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, qui lui permet d’y exercer un rôle directeur, est un exemple d’une telle stratégie. Le canal multilatéral permet par conséquent à la France d’être présente de façon globale et peut, le cas échéant, contribuer à ses objectifs en matière d’aide publique au développement.

Une véritable influence globale suppose toutefois une présence significative au sein de multiples institutions onusiennes, banques de développement ou fonds verticaux. Une présence ainsi démultipliée au sein d’organismes dont il est parfois délicat de se retirer peut entraîner, par effet d’inertie, une certaine dispersion de l’aide, ce que la France peut difficilement se permettre aujourd’hui.

Par ailleurs, l’aide multilatérale implique des échelons bureaucratiques multiples et complexes, entraînant à la fois des dépenses de fonctionnement mécaniquement plus importantes et, surtout, une faible réactivité. En d’autres termes, l’aide multilatérale semble mieux convenir aux objectifs de long terme tels que ceux figurant dans les ODD, mais peut se révéler inadaptée à la résolution rapide de situations de crises, ou même à la définition de politiques adaptées à la situation particulière d’un État, du fait de la difficulté à coordonner des bailleurs multiples dont les objectifs et les préoccupations ne convergent pas nécessairement.

Plus préoccupant encore, du fait de la complexité politique inhérente à des institutions dont les décisions font en permanence l’objet de compromis entre États, les institutions internationales tendent à éviter les sujets considérés comme sensibles, c’est-à-dire, en particulier, ce qui relève du régalien et de la sécurité. Serge Michailof a ainsi souligné l’absence de reconstruction de la police en Afghanistan après 2001, malgré l’ampleur de l’enjeu en termes de stabilisation. Il est plus facile d’« injecter » des crédits que d’en faire un usage politiquement délicat.

Répartition de l’APD française entre aide bilatérale et aide multilatérale depuis 1990

Répartition de l'APD nette de la France

Versements, en millions $

APD totale

APD bilatérale

APD multilatérale

Total

 %

Total

 %

dont aide européenne

CE

FED

Total

1990

7 163

5 612

78 %

1 551

22 %

391

373

764

1991

7 386

5 772

78 %

1 614

22 %

456

440

896

1992

8 270

6 302

76 %

1 968

24 %

398

507

905

1993

7 915

6 154

78 %

1 761

22 %

392

443

835

1994

8 466

6 611

78 %

1 855

22 %

404

512

915

1995

8 443

6 429

76 %

2 015

24 %

461

524

984

1996

7 451

5 754

77 %

1 697

23 %

554

290

845

1997

6 307

4 777

76 %

1 530

24 %

551

330

881

1998

5 742

4 185

73 %

1 557

27 %

426

356

782

1999

5 639

4 128

73 %

1 512

27 %

513

286

799

2000

4 105

2 829

69 %

1 276

31 %

540

251

792

2001

4 198

2 596

62 %

1 602

38 %

647

396

1 043

2002

5 486

3 615

66 %

1 871

34 %

725

561

1 286

2003

7 253

5 213

72 %

2 040

28 %

807

504

1 311

2004

8 473

5 567

66 %

2 906

34 %

1 046

818

1 863

2005

10 026

7 239

72 %

2 787

28 %

1 031

781

1 811

2006

10 601

7 919

75 %

2 681

25 %

1 106

832

1 938

2007

9 884

6 258

63 %

3 625

37 %

1 201

955

2 156

2008

10 908

6 669

61 %

4 239

39 %

1 407

1 121

2 528

2009

12 602

7 187

57 %

5 415

43 %

1 734

1 166

2 900

2010

12 915

8 056

62 %

4 860

38 %

1 457

1 204

2 661

2011

12 997

8 495

65 %

4 503

35 %

1 468

954

2 422

2012

12 028

7 929

66 %

4 099

34 %

1 356

741

2 097

2013

11 339

6 801

60 %

4 538

40 %

1 425

846

2 272

2014

10 620

6 514

61 %

4 107

39 %

1 500

850

2 349

2015*

9 037

5 156

57 %

3 881

43 %

1 278

663

1 942

Source : OCDE (CAD1) et DG Trésor

Il ne s’agit donc pas dans le présent rapport de trancher de façon définitive entre aide bilatérale et multilatérale, ni même de les opposer. Les deux modalités de l’aide sont complémentaires et la stratégie d’aide française peut s’appuyer avec profit sur les organismes multilatéraux ou agir en étroite coopération avec eux.

Il s’agit plutôt en premier lieu d’observer que la part multilatérale de l’aide est actuellement excessive et qu’un rééquilibrage s’impose, si nous souhaitons que l’aide française soit en mesure de répondre aux crises de façon rapide et efficace. Le CICID de février 2018 a du reste pris note de cet impératif en notant dans le point 1.2.1 de son relevé de conclusions que « Les deux-tiers de la hausse moyenne cumulée des autorisations d’engagement de la mission budgétaire APD d’ici à 2022 contribueront à la composante bilatérale de l’APD ».

Il s’agit en deuxième lieu de rappeler que la baisse de l’aide bilatérale n’a pas tant été le résultat d’un véritable choix stratégique que celui d’ajustements successifs en réponse aux diminutions budgétaires de ces dernières décennies. Lorsque le budget de l’aide diminue, il est en effet beaucoup plus facile de faire peser cette diminution sur l’aide bilatérale que sur l’aide multilatérale, qui consiste généralement en engagements pluriannuels dont la France ne peut pas se libérer de façon immédiate. Le « choix » du multilatéral dans la stratégie d’aide française n’en est donc pas nécessairement un, mais s’identifie en partie à une justification a posteriori de décisions prises sous une contrainte budgétaire de plus en plus pénalisante.

Il est donc important que la trajectoire budgétaire envisagée par le gouvernement s’accompagne d’une montée en puissance de la part bilatérale de l’aide afin de retrouver un équilibre plus favorable, qui donnera à la politique d’aide française une plus grande marge de manœuvre.

c.   Repenser les dons

Le CIDID de février 2018 indique dans le point 12.3 de son relevé de conclusion que « La composante don de notre aide au développement sera renforcée. En vue d’engager résolument la hausse de notre aide bilatérale et des dons projets vers les pays prioritaires, l’AFD bénéficiera de moyens accrus, y compris au moins un milliard d’autorisations d’engagements dès 2019, dans le cadre d’un effort qui sera soutenu sur l’ensemble du quinquennat. Afin d’accompagner la hausse de l’aide française, des moyens supplémentaires seront consacrés par l’AFD au renforcement des capacités et à l’aide à la préparation des projets. »

Une telle évolution est bienvenue et malheureusement tardive. Les dons-projets de l’AFD constituent en effet l’essentiel de ce qui, dans l’aide française, peut être directement et rapidement consacré à des projets dans les pays les plus pauvres, notamment ceux figurant sur la liste des pays pauvres prioritaires, que leur situation financière n’autorise pas à emprunter.

Le tableau suivant présente les autorisations en dons projets par groupe de pays et par région, pour 2015 et 2016 :

Source : Agence française de Développement

Les ordres de grandeurs paraissent faibles au regard du volume de l’aide française comme des enjeux. Avec une moyenne de 10 millions d’euros par pays pauvre prioritaire, on est en droit de s’interroger sur le sens du mot « prioritaire », et l’on comprend mieux pourquoi 14  % seulement du volume d’APD bilatérale est allouée aux 17 pays prioritaires en 2016, et pourquoi aucun de ces pays ne figurait parmi les dix principaux bénéficiaires de l’APD française.

C.   Une rectification à encourager

1.   Respecter la trajectoire budgétaire annoncée par le gouvernement

Le relevé de conclusions du CICID de février 2018 prévoit une augmentation budgétaire devant amener les dépenses d’aide françaises à 0,55 % du RNB en 2022, en suivant la trajectoire suivante :

– 0,44 % en 2018 ;

– 0,44 % en 2019 ;

– 0,47 % en 2020 ;

– 0,51 % en 2021 ;

– 0,55 % en 2022.

Quelques remarques s’imposent. En premier lieu, l’augmentation n’est pas immédiate et devra être d’autant plus rapide à partir de 2019. On ne peut qu’espérer que le gouvernement tiendra son engagement, et il ne s’agit pas ici d’émettre un doute particulier sur ce point, mais il reste qu’une augmentation budgétaire sur une plus longue période serait plus facile à mettre en œuvre d’année en année.

En volume, l’augmentation envisagée revient à passer d’une APD totale de 10,588 milliards d’euros à une APD de 14,270 milliards, soit une augmentation de près de 3,682 milliards d’euros, ou environ 35 % en quatre ans, ce qui est considérable.

L’augmentation prévue peut s’appuyer sur les différentes composantes de l’APD française que sont la mission APD, les autres dépenses incluses dans la politique transversale « Politique française en faveur du développement » (principalement l’aide aux réfugiés, l’écolage et certaines dépenses en faveur des territoires d’outre-mer), le Fonds de Solidarité pour le Développement alimenté par les taxes innovantes (taxe sur les transactions financières et taxe sur les billets d’avion), sachant que les « prêts déclarés en APD nets du coût budgétaire » et les contributions françaises aux budgets communautaires devraient demeurer stables.

Les dépenses « pilotables » dans cet ensemble sont celles correspondant à la mission APD et au Fonds de Solidarité pour le Développement (FSD), puisque les dépenses telles que les aides aux réfugiés et les frais d’écolage ne dépendent que très partiellement des politiques suivies. En d’autres termes, la mission APD et le FSD devront assumer l’essentiel de l’augmentation.

D’après les calculs réalisés par l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI) et l’ONG Action Santé mondiale, auditionnés par la mission, le scénario d’augmentation budgétaire le plus réaliste consisterait à faire porter l’augmentation principalement sur la mission APD et sur la TTF, dont une part plus importante, voire la totalité, serait allouée à l’aide publique au développement, au lieu des 50  % actuels.

En tout état de cause, la manière dont l’augmentation sera anticipée par une augmentation des autorisations d’engagement à la mesure des crédits de paiement envisagés les années suivantes sera déterminante en ce qui concerne sa composition. Le CICID de février 2018 a ainsi entériné une augmentation d’un milliard d’euros des autorisations d’engagement dès 2019, et cet effort doit être poursuivi si l’on souhaite que l’augmentation de l’APD française aboutisse effectivement au rééquilibrage entre prêt et don souhaité par le CICID.

Si la trajectoire budgétaire annoncée par le gouvernement est donc à saluer, son ampleur demandera beaucoup de persévérance et de vigilance. Il serait donc souhaitable que cette trajectoire puisse d’abord être encore précisée, avec une anticipation plus précise des autorisations d’engagement et des crédits de paiement année par année et une plus grande précision quant à la provenance et à l’allocation des crédits à venir.

Une telle anticipation pourrait faire l’objet d’une loi de programmation plus précise et plus complète que le document du CICID, et surtout soumise à l’examen du Parlement, ce qui permettra d’éliminer une grande partie des incertitudes et des zones d’ombre. La révision de la loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, prévue par son article 15, pourrait être l’occasion d’inscrire dans la loi une programmation budgétaire plus complète et plus rigoureuse que celle en vigueur actuellement, et précisant par exemple, comme le suggère l’ONG Groupe Initiatives dans un document fourni à la mission d’information, la part des dons, celle de l’aide transitant vers la société civile ainsi que « le profil de la contribution française à la fois en termes de mobilisation des divers acteurs, de modalités des partenariats, de priorités, de pilotage, d’efficacité, de cohérence et de redevabilité. » Il paraît en tout état de cause important de disposer d’une feuille de route budgétaire précise dans les années à venir.

2.   Gérer l’augmentation

La trajectoire budgétaire annoncée par le gouvernement demandera un effort financier sans précédent, quel que soit le mode de financement retenu. Mais il ne s’agit pas simplement d’augmenter les montants déclarés au CAD. Il importe que l’effort financier qui sera demandé à la nation soit utile et n’ait pas lieu au détriment de la qualité de l’aide.

Le CICID prévoit ainsi que « La composante bilatérale de notre aide au développement retrouvera une part plus importante », et que « Les deux-tiers de la hausse moyenne cumulée des autorisations d’engagement de la mission budgétaire APD d’ici à 2022 contribueront à la composante bilatérale de l’APD ». L’augmentation de la part bilatérale de l’aide est, comme cela a été dit plus haut, nécessaire et représente essentiellement un rééquilibrage.

L’augmentation de l’aide bilatérale implique toutefois un travail plus important qu’une augmentation de l’aide multilatérale. Augmenter l’aide multilatérale consiste principalement à augmenter les contributions françaises à des organismes qui se chargeront de la mise en œuvre des projets. Augmenter l’aide bilatérale implique d’identifier et de superviser plus de projets, ce qui demande une adaptation du dispositif français, et notamment un renforcement des administrations chargées de l’aide bilatérale et des moyens de l’AFD.

L’augmentation de l’aide bilatérale ne peut également avoir lieu que si la capacité d’absorption des pays ou institutions partenaires, c’est-à-dire leur capacité à recevoir de l'aide et à l'utiliser efficacement, est suffisante. Les projets de développement sont par définition des projets de long terme, et injecter des fonds ne suffit pas pour obtenir des résultats rapides. Un pays ou une institution doit d’abord former ses ressources humaines, construire les infrastructures nécessaires et améliorer l'efficacité de sa structure administrative pour que l’aide ait effectivement un impact à la hauteur de l’investissement réalisé.

Enfin, tout afflux de liquidités peut conduire à des allocations de ressources sous-optimales. M. Matthew Rycroft, Secrétaire permanent du Department for International Development (DFID) britannique, que la mission a rencontré à Londres, a tenu à mettre en garde la France à cet égard en faisant remarquer qu’« Une augmentation comme celle que vous envisagez implique presque nécessairement une baisse de qualité. » La logique de la recherche du décaissement et de l’affichage d’une dépense la plus élevée possible peut inciter à se montrer moins sélectif dans le financement de projets. Il faudra donc rester vigilant sur ce point.

3.   L’exemple du Royaume-Uni

L’exemple du Royaume-Uni est à cet égard instructif. Troisième donateur du CAD en valeur, le Royaume-Uni s’est distingué en faisant passer son aide de 0,56  % à 0,7 % entre 2012 et 2013, puis en consacrant ce montant dans la loi de programmation sur la cible d’aide publique au développement de mars 2015.Peu après sa nomination à la tête du Gouvernement, Theresa May a indiqué à Paris le 21 juillet 2016 que l’objectif de 0,7 % serait maintenu. L’APD constitue une « exception budgétaire » au sein d’un État qui a réduit ses dépenses dans beaucoup d’autres domaines.

Toutefois, comme l’a souligné M. Rycroft, si l’APD fait l’objet d’un consensus au sein du personnel politique, il n’en va pas de même dans l’opinion publique, et le gouvernement doit fournir un effort considérable pour que ce montant important soit accepté. La France doit probablement s’attendre à une même exigence de la part de l’opinion publique si le montant de son aide suit la trajectoire envisagée, et à plus forte raison si l’aide atteint un jour 0,7  % du RNB.

Les gouvernements successifs, d’abord travaillistes, puis conservateurs, ont donc dû soumettre l’aide britannique à une forte exigence de « value for money », c’est-à-dire de résultats, chaque penny dépensé devant pouvoir être justifié. L’éradication de la pauvreté a ainsi été placée au cœur de la politique d’aide britannique, avec le souci permanent d’intervenir là où la valeur ajoutée de l’aide britannique est la plus forte.

Concernant l’appréciation de l’opinion publique, comme indiqué dans la partie précédente du présent rapport, M. Rycroft s’est montré critique vis-à-vis de la cible de 0,7  %, qui est inscrite dans la loi depuis mars 2015 ([7]), l’obligation d’atteindre un niveau de dépenses donné était selon lui peu mobilisateur pour l’opinion publique. Cette préoccupation pourrait rejoindre celle des dirigeants français si l’augmentation de notre budget d’aide n’est pas accompagnée d’une exigence de qualité suffisante.

L’aide britannique diffère de l’aide française sur plusieurs points. Ses priorités géographiques ne sont pas les mêmes, le Commonwealth faisant l’objet d’un effort particulier là où l’Afrique francophone est prioritaire du point de vue de l’aide française, et les priorités thématiques sont également distinctes. Toutefois, si la part bilatérale de l’aide britannique, d’environ 56  %, est supérieure à la part bilatérale de l’aide française actuelle, cette différence devrait être moindre lorsque l’augmentation de l’aide française aura eu lieu conformément aux conclusions du CICID de février 2018.

La France gagnerait par conséquent à s’inspirer de la politique d’aide britannique sur deux points importants.

Tout d’abord, le DFID dépense aujourd’hui environ 72  % du budget de l’aide, le reste dépendant d’autres ministères, soit sa plus grande partie, ce qui lui donne une importante marge de manœuvre dans la définition de la stratégie d’aide britannique et lui donne une lisibilité et une cohérence dont nous sommes très loin. La proportion de l’aide placée sous le contrôle du DFID était toutefois de 80  % il y a quelques années, et selon M. Rycroft, l’état de choses actuel est « est assez compliqué et la gouvernance n’est pas très claire », commentaire qui ne peut que laisser songeur le lecteur français. Comparée à la France, l’aide britannique présente un ordre de bataille limpide. La question du pilotage de l’aide française sera toutefois traitée ultérieurement dans le présent rapport.

En deuxième lieu, le Royaume-Uni dispose de trois dispositifs d’évaluation externe, dont le travail s’ajoute aux évaluations internes du DFID.

– La Commission parlementaire chargée du développement (International Development select Committee, IDSC), devant laquelle le ministre chargé du développement est redevable (ainsi que devant la Commission des comptes publics).

– L’équivalent de la Cour des comptes (National Audit Office) dont le Contrôleur et auditeur général établit de manière indépendante des rapports soumis par la suite aux commissions parlementaires et que celles-ci peuvent reprendre.

– Enfin, la Commission indépendante sur l’impact de l’aide (Independent Commission on Aid Impact, ICAI), qui présente ses rapports à la Commission parlementaire chargée du développement.

La particularité de l’ICAI est qu’elle concentre ses analyses sur l’efficacité et l’impact de l’aide plus que sur la conformité aux règles comptables. Dirigée par trois commissaires, l’ICAI dispose d’un secrétariat de dix membres et fait appel à des consultants externes pour conduire les évaluations. Ces consultants externes sont renouvelés tous les quatre ans afin d’éviter que une trop grande familiarité avec l’objet de la supervision.

Huit revues sont conduites chaque année, selon un plan de travail de six mois, permettant de réagir rapidement à l’apparition d’un sujet d’actualité pouvant mériter un examen approfondi, comme une urgence humanitaire soudaine ou un changement de stratégie.

Les revues sont présentées devant la Commission parlementaire chargée du développement, qui auditionne simultanément l’ICAI et le ministre environ une fois par mois. Les recommandations produites par l’ICAI doivent donner lieu à une réponse de chaque département détaillant les mesures prises, et sont suivies d’une revue de suivi (follow up review) douze mois après la revue initiale, également présentée devant la commission parlementaire, et ainsi de suite jusqu’à ce que cette dernière soit satisfaite des mesures prises. L’ensemble de ces documents sont publics.

L’ICAI évalue la mise en œuvre des décisions politiques, et non les décisions politiques elles-mêmes. Toutefois, le Dr Alison Evans, Chief commissionner de l’ICAI, rencontrée à Londres par la mission d’information, a insisté sur le fait que le processus d’évaluation vise la plus grande indépendance possible. Les visites de terrain sont ainsi organisées, dans la mesure du possible, indépendamment des ambassades et des gouvernements locaux.

Le dispositif britannique d’évaluation de l’aide est jugé satisfaisant par les ONG britanniques, et cette réputation de transparence facilite sans aucun doute la reconduite tous les ans d’un budget d’aide élevé. Le Dr. Evans a également indiqué que l’ICAI maintient une relation suivie avec les médias et affecte aux différentes analyses une notation simple (basée sur quatre couleurs), dans un souci de clarté vis-à-vis de l’opinion.

Si la trajectoire d’aide annoncée par le gouvernement est suivie d’effet, la France aura tout intérêt à se doter en amont de dispositifs d’évaluation inspirés de l’exemple britannique.

Comme le rappelle UNICEF-France dans une contribution écrite parvenue à la mission d’information, la France est encore régulièrement critiquée par des organisations telles que l’ONG Publish What You Fund (PWYF) pour « ne pas respecter ses engagements en matière de transparence de l’aide ». En 2016, le Ministère des affaires étrangères (MAEDI) et le Ministère de l’économie et des finances (Minefi) ont vu leurs performances en matière de transparence respectivement qualifiées de « pauvre » et « très pauvre ». Si le niveau d’information fourni par l’AFD est considéré comme « correct » depuis 2016, où elle a notamment rejoint la plateforme Initiative sur la Transparence de l’Aide internationale (IATI), des progrès sont encore souhaitables. La performance du DFID était en revanche qualifiée de « très bonne ».

L’intérêt d’un organisme tel que l’ICAI est qu’il combine un haut niveau d’indépendance avec des moyens suffisants pour conduire de véritables évaluations de terrain, tandis que la présentation publique de ses revues devant la commission parlementaire lui offre une tribune permanente.

Recommandations :

 3. Proposer à l’échelon international la définition d’une cible d’aide publique au développement basée non sur la richesse des pays riches mais sur les besoins des pays pauvres

 4. Voter une loi de programmation de l’aide publique au développement afin d’inscrire dans la loi la trajectoire budgétaire de l’aide ainsi qu’une trajectoire d’augmentation de l’aide direct à destination des pays pauvres prioritaires

 5. Fixer une proportion minimale de l’aide bilatérale à allouer aux pays pauvres prioritaires

 6. S’assurer de l’accroissement des dons et de l’aide bilatérale dans le cadre de la trajectoire d’augmentation budgétaire adoptée par le Gouvernement.=

 7. Doter la France d’une agence indépendante d’évaluation de l’aide publique au développement en s’appuyant sur l’exemple de l’ICAI britannique


—  1  —

 

 

   La complexité du pilotage de l’aide publique au développement : lever les obstacles

Au cours du dernier demi-siècle, l’aide au développement française a connu une triple évolution :

– Ses grandes orientations stratégiques ont évolué en même temps que les priorités assignées à l’aide internationale par les États et les principaux bailleurs ;

– Son montant global et les montants de ses différentes composantes ont évolué de façons divergentes, modifiant mécaniquement l’équilibre entre les différentes administrations chargées de la mettre en œuvre ;

– Son pilotage a fait l’objet de réformes successives qui s’efforçaient de l’adapter aux nouvelles réalités, mais qui n’ont pas à ce jour abouti à un dispositif clair et capable de concevoir et de mettre en œuvre une véritable stratégie d’ensemble.

Dans le contexte de la montée en puissance à venir de l’aide française, il est plus que temps d’évoluer vers un pilotage plus simple et plus lisible articulé autour d’un ministère de plein exercice et de stratégies claires et réalistes vis-à-vis de l’aide multilatérale et des acteurs non-étatiques de l’aide.

I.   La longue réforme du pilotage de l’aide

Le dispositif français d’aide publique au développement a évolué de façon constante depuis la réforme de 1998. Cette réforme a marqué la rupture la plus profonde avec l’ancienne politique de coopération, et demeure à ce jour l’objet d’une évaluation critique, notamment du fait de la disparition d’un ministère de plein exercice qui a laissé la place à un dispositif reposant sur plusieurs mécanismes de coordination entre différents acteurs responsables chacun d’un aspect particulier de la politique d’aide.

1.   Les étapes de la réorganisation institutionnelle

a.   La réforme de 1998

La réforme de 1998 a mis fin au dispositif en vigueur depuis 1961, au sein duquel le ministère de la Coopération, héritier indirect du ministère des Colonies, autonome administrativement et budgétairement, gérait les dons, tandis que la Caisse centrale de coopération économique, future Agence française de Développement, octroyait et gérait les prêts, les ministères des Affaires étrangères et des Finances jouant un rôle secondaire. Les appels successifs à une meilleure coordination au sein du dispositif avaient abouti à la création en 1996 du Comité interministériel de l’aide au développement (CIAD), présidé par le Premier ministre.

La réforme du 4 février 1998 prolonge cette démarche selon trois axes :

– La fusion entre le ministère de la Coopération et le ministère des Affaires étrangères, qui visait à lier institutionnellement les objectifs d’influence et de solidarité, le ministère des Finances conservant de son côté ses anciennes compétences, notamment la représentation de la France au sein des institutions financières internationales.

– La dissociation de la fonction stratégique de conception et d’orientation de l’aide d’un côté, et de la fonction opérationnelle de mise en œuvre et de gestion des outils de l’autre, confiée à l’Agence française de développement (AFD), « opérateur pivot » chargé de gérer les projets et les programmes d’aide sous la tutelle des deux ministères, l’État conservant toutefois le domaine régalien.

– L’évolution des dispositifs d’orientation, d’arbitrage et de coordination entre les acteurs, avec la création du Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID), ainsi que d’un Haut Conseil de la coopération internationale placé auprès du Premier ministre créé en 1999 afin de permettre un débat entre la coopération publique, la coopération décentralisée, les organisations non gouvernementales (ONG), les parlementaires, les membres du Conseil économique et social, les représentants de la recherche et de l’université, des syndicats et du secteur privé.

La réforme de 1998 est jugée dans un rapport remis en 1999 au Premier ministre par Yves Tavernier positive pour avoir permis une réorganisation pérenne du dispositif autour de deux pôles ministériels et d’un opérateur pivot, mais trop timide car n’ayant pas permis l’émergence d’une stratégie mobilisatrice. Il lui est également reproché d’avoir laissé en place des centres de décisions multiples et insuffisamment coordonnés. ([8])

b.   La réforme de 2004 et de 2005

La seconde étape de la réforme entamée en 1998 a été décidée par les CICID du 20 juillet 2004 et du 18 mai 2005. Elle comporte deux axes principaux :

– Le rôle du CICID est renforcé dans la définition de ses grandes orientations, tandis que le pilotage institutionnel de l’aide publique au développement est confié à un secrétaire d’État ou ministre délégué qui préside la Conférence d’orientation stratégique et de programmation (COSP), laquelle coordonne l’action de l’ensemble des ministres.

– Le rôle de l’AFD est renforcé tandis que les rôles sont répartis par secteurs. Le ministère des Affaires étrangères conserve la mise en œuvre de la coopération en matière de gouvernance, de justice, de police, de sécurité, de culture, de recherche et d’enseignement supérieur, tandis que l’AFD se voit transférer le développement économique et social.

c.   Le décret du 5 juin 2009

Le décret du 5 juin 2009 modifie les missions et la gouvernance de l’AFD, qui reçoit la plupart des moyens opérationnels de l’aide au développement, avec notamment le transfert du ministère des Affaires étrangères à l’AFD du cofinancement des initiatives des ONG. Le texte crée également un Conseil d’orientation stratégique présidé par le ministre chargé de la coopération et composé des représentants de l’État au conseil d’administration de l’AFD.

d.   La Loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale de 2014

Enfin, la loi du 7 Juillet 2014, première loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement, vise à renforcer le contrôle démocratique et d’améliorer l’évaluation de l’aide au développement et crée à cette fin deux nouvelles instances :

– le Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI), instance de concertation pérenne sur les orientations de la politique d’aide au développement qui réunit les représentants du président de la République, du gouvernement, du Parlement, des ONG, des syndicats, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, des organismes de formation, des entreprises et des collectivités territoriales ;

– l’Observatoire des politiques de développement, présidé par un parlementaire, réunit des représentants de l’ensemble des acteurs de la société civile et des trois directions d’évaluation du ministère des Affaires étrangères et du développement international, de la direction du Trésor du ministère de l’Économie et des finances, et de l’Agence française de développement. L’observatoire est composé de onze membres désignés intuitu personae pour un mandat de trois ans renouvelable, dont quatre parlementaires – deux députés et deux sénateurs – désignés par le premier collège du Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) et sept autres membres, chacun issu des sept autres collèges du CNDSI.

2.   Unifier le pilotage politique

Il convient de rappeler que ces réformes successives visaient à l’origine à rendre plus cohérente et plus claire la politique d’aide publique au développement française. Il est regrettable que les efforts successifs dans ce sens semblent n’avoir abouti qu’à la création d’organismes supplémentaires, tous chargés à un degré ou à un autre, de « coordonner » l’action de différents acteurs. La multiplication des organes de coordination n’est en effet pas nécessairement le meilleur moyen de simplifier un paysage institutionnel ([9]).

La partition du pilotage de l’aide répond certes à la répartition au sein de l’administration française des compétences existantes et requises pour assurer le suivi de certaines politiques particulières. Il n’est pas absurde que la Direction générale du Trésor soit chargée du suivi en matière économique et financière, notamment de la représentation de la France au sein des banques de développement, ainsi que des aides budgétaires globales qui aident les pays destinataires à rééquilibrer leur situation budgétaire.

Le pilotage de l’aide publique au développement française a par ailleurs visé à adapter cette dernière à l’évolution du paysage international de l’aide, qui s’est complexifié.

Il reste que le pilotage actuel de l’aide française pose plusieurs problèmes.

En premier lieu, il a été impossible jusqu’à présent de sortir du bicéphalisme entre la direction du Trésor et le ministère des Affaires étrangères. Le secrétariat d’État au développement, qui devait remplir la difficile tâche de coordonner l’action de deux administrations appartenant à deux ministères différents, s’est caractérisé entre 2012 et 2017 par la nomination de quatre Secrétaires d’État successifs pendant cette période, qui n’ont pas été en mesure de définir et d’imposer une stratégie de long terme dans ce domaine. Le fait d’avoir placé en 2017 la politique d’aide française sous l’autorité directe du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères est en soi une reconnaissance du caractère insatisfaisant de l’ancien système, mais ne règle pas la question du pilotage de l’aide.

Il ne s’agit pas en effet d’une simple question d’autorité politique. Pour que l’augmentation prévue de l’aide française n’aboutisse pas à déséquilibrer le dispositif actuel, il est important que ce dernier soit cohérent du triple point de vue politique, administratif et budgétaire.

Du point de vue politique, le ministre en charge de l’aide publique au développement devrait effectivement occuper un rang qui lui permette de placer la politique d’aide au niveau qui doit être le sien, et qui lui donne les moyens d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies de long terme à côté de celles qui seront adoptées en matière de défense ou de diplomatie. Placer l’aide publique au développement sous l’autorité du ministre des Affaires étrangères ne résout cependant que partiellement le problème. La multiplication des crises internationales exigeant une réponse immédiate de la France laisse en effet difficilement à un ministre le temps et la disponibilité nécessaires pour se consacrer pleinement à la définition et à la mise en œuvre d’une stratégie d’aide publique au développement.

Du point de vue administratif, l’éclatement de l’aide en plusieurs services dépendant de ministères différents, s’il est inévitable dans une certaine mesure, doit cependant être réduit au minimum. Dans ce domaine, la coordination interministérielle ne suffit pas et risque trop souvent d’aboutir à des documents d’orientation qui s’identifient plus à des compromis entre priorités divergentes, chacun s’efforçant de bonne foi de remplir au mieux sa mission, qu’à de véritables stratégies. Or, ce qui peut fonctionner quand l’aide représente 0,36  % du RNB risque de ne plus fonctionner quand le montant s’élève à 0,55  %, voire à 0,7  %, l’opinion publique réclamant alors que ces dépenses soient justifiées de façon compréhensible. La complexité du pilotage de l’aide peut alors être un handicap considérable.

Du point de vue budgétaire enfin, il semble difficile de prétendre disposer d’une véritable stratégie d’aide lorsque les deux ministères devant la mettre en œuvre contrôlent à eux deux environ 30  % de son montant total. Le fait que le DFID britannique dépense 72  % du budget de l’aide britannique, et que ce chiffre soit considéré comme trop bas et générateur de confusion, devrait nous alerter. L’éclatement budgétaire de l’aide, qui est le reflet de son éclatement administratif, voire politique, ne peut que rendre plus difficile la montée en puissance à venir de l’aide publique au développement de la France.

Vos rapporteurs estiment par conséquent que la création d’un ministère de plein exercice, regroupant en son sein les principales branches de l’administration en charge de l’aide publique au développement, s’impose dans le contexte de la montée en puissance de l’aide française.

Confier le pilotage de l’aide publique au développement à une seule instance politique au sein du gouvernement renforcera la cohérence de notre action et mettra fin, entre autres choses, à l’opposition artificielle entre les « deux » budgets de l’aide publique au développement que sont les programmes 110 et 209.

Un tel ministère, doté d’un poids politique plus important au sein de l’appareil institutionnel français, disposera vis-à-vis de nos partenaires étrangers et multilatéraux d’une crédibilité accrue qui lui donnera plus de poids dans les relations de notre pays avec les principaux bailleurs et instruments de l’aide auxquels nous participons.

Un tel ministère permettra en troisième lieu de donner plus de visibilité à notre action en faveur du développement et par conséquent, d’en renforcer la légitimité auprès de l’opinion publique, un objectif que la complexité et la dispersion actuelles des moyens rendent difficile à atteindre, mais dont l’importance sera accrue par l’augmentation prévue des dépenses d’aide publique au développement.

Ces trois arguments n’en font qu’un. Il s’agit simplement de se donner la capacité d’élaborer une véritable stratégie de l’aide publique au développement et d’être capable de la présenter à l’opinion publique comme à nos partenaires.

Il s’agit également d’être capables de coordonner l’action des acteurs non-étatiques de l’aide au développement, en particulier les ONG et les collectivités territoriales. Insérer leur action dans une stratégie cohérente suppose que l’interlocuteur étatique n’agisse pas lui-même en ordre dispersé.

Enfin, les grandes politiques multilatérales demeurent essentielles à long terme. Par conséquent, notre pays doit être capable à la fois d'anticiper et de prévenir des crises qui ne manqueront pas de se produire, tout en poursuivant et en améliorant notre stratégie d’influence auprès des organisations multilatérales, ce qui implique au minimum que nos relations avec ces dernières ne soient pas éclatées en deux ministères comme c’est le cas aujourd’hui.


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II.   Une stratégie claire vis-à-vis des institutions internationales et des acteurs non étatiques

Même à s’en tenir aux acteurs publics de l’aide au développement, c’est-à-dire aux États et aux institutions internationales, l’aide au développement est un domaine d’une remarquable complexité d’un point de vue institutionnel. Cette complexité peut s’expliquer par la diversité croissante des objectifs de l’aide et par le fait que chaque acteur public de l’aide au développement tend à influer sur l’orientation de l’aide internationale en prenant des initiatives qui viennent s’ajouter aux initiatives existantes. L’empilement des priorités et des organismes risque cependant d’être un obstacle majeur à une montée en puissance ordonnée et rationnelle de l’aide française.

A.   Une stratégie multilatérale plus concentrée

Le déséquilibre de l’aide française en faveur du multilatéral ne signifie pas nécessairement l’abandon des objectifs propres de la politique française en matière de développement. Certains objectifs sont en effet mieux servis par l’aide multilatérale ou le sont de façon satisfaisante, ce qui peut notamment être le cas en matière de santé ou d’éducation.

Par ailleurs, en permettant la mobilisation de montants importants, l’aide multilatérale est a priori avantageuse pour les pays disposant d’un savoir-faire important et d’une présence permanente dans les pays destinataires de l’aide. Une bonne stratégie multilatérale doit donc permettre à un pays contributeur de l’aide d’agir au mieux lorsque ses propres objectifs coïncident avec ceux de l’ensemble des pays contributeurs.

L’aide multilatérale se caractérise cependant par une prolifération d’institutions qui rend son pilotage difficile, voire impossible. Le comité d’aide au développement de l’OCDE répertorie ainsi près de 200 organisations multilatérales éligibles à l’aide publique au développement (APD) et plus de 1700 fonds fiduciaires rattachés. Une telle diversification institutionnelle entraîne des coûts de transaction et des frais de gestion considérables, non seulement pour les bailleurs, mais également pour les pays bénéficiaires qui doivent, à un moment ou à un autre, prendre réception des fonds qui leurs sont transférés.

C’est ainsi que le projet de barrage de Kandadji, au Niger, se heurte entre autres choses au fait qu’il est financé par une dizaine de bailleurs différents qui ont chacun leurs procédures. La multiplication des bailleurs, multilatéraux ou bilatéraux, est un obstacle important à la réalisation rapide de projets dans les pays ne disposant pas des capacités administratives pour les instruire.

Les organismes multilatéraux jouent également un rôle central dans la définition des orientations prises sur certaines thématiques, mais ces décisions sont souvent prises d’en haut et peuvent être sujettes à des modifications qui ne sont pas toujours comprises sur le terrain. M. Yannick Jaffré, anthropologue, auditionné par la mission d’information, fait ainsi remarquer que les orientations de la Banque mondiale en matière de construction de systèmes de santé peuvent changer du tout au tout en quelques années : « le problème est la succession des recettes – soins de santé primaire dans les années 90, santé pour tous en 2000, recouvrement des coûts, gratuité, gratuité des soins aux points de contact – avec un problème constant : si les programmes passent, les populations restent ».

Les « fonds verticaux », créés précisément afin de sanctuariser certaines priorités comme l’a fait le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, tendent à mettre en œuvre des politiques plus constantes et plus efficaces, mais, selon M. Jaffré, peuvent également se heurter à l’incompréhension des populations qui ne comprennent pas pourquoi une pathologie plutôt qu’une autre fait l’objet d’un traitement particulier.

La stratégie française en matière d’aide multilatérale doit par conséquent tenir compte des limites de l’aide multilatérale et s’efforcer d’en maximiser les avantages.

En premier lieu, contrairement à d’autres États, la diplomatie française n’a pas besoin d’une forte insertion dans les instances multilatérales pour « rentrer » dans certains pays car son réseau est universel et la diplomatie française est d’entrée de jeu présente sur l’ensemble des crises. En cela, la situation de la France diffère par exemple de celle de l’Espagne, qui a pu étendre sa coopération via certains canaux multilatéraux, et atteindre ainsi des destinataires avec lesquels elle entretenait très peu de relations bilatérales.

La France peut donc se permettre de concentrer son aide multilatérale sur un nombre limité d’institutions. Une telle orientation n’est cependant pas nécessairement facile à mettre en œuvre. Beaucoup d’institutions sont tout d’abord anciennes, avec une présence française parfois résiduelle mais historique qu’il peut être délicat de diminuer. En deuxième lieu, il est difficile d’anticiper les évolutions futures de la sphère multilatérale et il peut être tentant de maintenir une présence dans le plus grand nombre possible d’organisations, et en particulier dans celles qui se créent et qui peuvent devenir dominantes dans certains domaines particuliers.

Il est cependant plus opportun d’éviter la dispersion de notre aide et de favoriser les organisations dont les priorités se rapprochent des objectifs de l’aide française et avec lesquelles la France peut mettre en place une coordination permettant de mobiliser les montants importants dont elles disposent tout en valorisant le savoir-faire français au service des objectifs de la stratégie d’aide française.

Un bon exemple d’une telle stratégie est celui de la coordination désormais étroite entre la Banque mondiale et la France vis-à-vis des États fragiles en Afrique subsaharienne. La Banque mondiale, qui agit dans le cadre de son mandat, s’occupe principalement de gestion fiduciaire et intervient peu dans le domaine régalien ou de la gouvernance. Le renforcement de ses actions vis-à-vis des États fragiles, décidé avec l’appui de la France qui est le cinquième actionnaire de la Banque, se combine cependant avec une coordination plus étroite dans les pays bénéficiaires entre la Banque et les acteurs qui, comme la France, bénéficient d’une plus grande présence sur le terrain et d’une pratique de longue durée dans la région.

Un autre exemple est celui de la place occupée par la France au sein du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, dont la France est l’un des principaux contributeurs, à hauteur de 360 millions d’euros annuels. Depuis 2011, l’« initiative 5  % » permet à Expertise France d’utiliser une partie de ce fonds, à hauteur de 18 millions d’euros, pour répondre aux besoins en expertise technique des pays francophones mettant en œuvre les subventions allouées par le Fonds mondial pour la lutte contre les trois pandémies.

La défense des intérêts français dans l’enceinte multilatérale peut également s’appuyer sur des mesures de bon sens, telles que la diffusion d’informations clefs afin de favoriser le positionnement stratégique de nos acteurs nationaux, qu’il s’agisse des ONG, des entreprises ou d’opérateurs comme Expertise France, dans la participation ou la mise en œuvre de projets financés par des contributions multilatérales. Le renforcement des équipes françaises au sein de ces institutions, à la fois au sein de leurs administrations propres et au sein des représentations françaises, doit donc être une priorité de notre stratégie multilatérale,

B.   Une meilleure coordination avec les acteurs non étatiques

1.   La coopération décentralisée

La coopération décentralisée échappe par définition au pilotage national de l’aide publique au développement. S’agissant d’actions menées à l’initiative des collectivités territoriales régies par le principe constitutionnel de libre administration, les initiatives des territoires ne peuvent faire l’objet d’une stratégie nationale mise en œuvre d’en haut.

Cette liberté d’initiative n’enlève rien à l’utilité de ces actions ni à l’importance du rôle que la coopération décentralisée peut être amenée à jouer dans le cadre de la montée en puissance de l’aide publique au développement française.

Les collectivités territoriales disposent de compétences appelées à devenir de plus en plus utiles en raison de l’urbanisation croissante des sociétés des pays bénéficiaires de l’aide, alors que la population urbaine de l’Afrique est sur le point de dépasser sa population rurale, Dans les grandes villes, la coopération décentralisée permet un transfert de compétences direct en matière de développement urbain, tandis que la faiblesse de certains États dans les régions du monde ayant le plus besoin de l’aide internationale entraîne un besoin d’expertise important dans les petites communes, où l’administration locale est souvent la seule présente.

La coopération décentralisée se heurte cependant à deux problèmes. En premier lieu, les montants semblent en diminution : l’aide publique au développement des collectivités territoriales ainsi comptabilisée s’élevait à 57,2 millions d’euros en 2015, contre un maximum de 88 millions d’euros en 2008. Cette diminution observée par la Délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales (DAECT), qui se livre à un difficile recueil d’informations dans ce domaine, peut probablement s’expliquer par l’évolution de la situation financière des territoires ou par leur évolution politique, mais semble en tout état de cause indépendante de l’évolution des moyens et des objectifs de l’aide au niveau national ou international.

En deuxième lieu, la coopération décentralisée est un outil difficile d’emploi, notamment parce qu’elle est difficile à mobiliser pour des objectifs définis au niveau national. La coopération décentralisée dépend par définition d’initiatives locales et les liens historiques, voire personnels, entre territoires du Nord et du Sud sont généralement plus déterminants que les objectifs de l’aide définis au niveau mondial ou national. La répartition des projets français de coopération décentralisée dans le monde est ainsi fortement déséquilibrée, le Sénégal et le Vietnam figurant en tête des pays destinataires de ces initiatives, tandis que des régions entières ne sont pas couvertes. Un autre facteur contribuant à ce déséquilibre est à l’évidence le fait que les zones où les interventions seraient le plus utiles sont parfois des zones instables où il est difficile d’assurer aussi bien la sécurité des personnes susceptible de se rendre sur place que le suivi effectif des projets.

La stratégie française dans ce domaine peut néanmoins s’appuyer sur certains instruments existants. En premier lieu, des efforts ont été faits pour structurer la coopération décentralisée, avec notamment la création de la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD), organisme rattaché au Premier ministre et réunissant tous les acteurs de la coopération décentralisée, dont le secrétariat est assuré par la DAECT, qui dispose également d’une petite enveloppe de cofinancement d’un montant de 8 à 9 millions d’euros par an. La CNCD dispose d’un Comité d’expansion économique créé par la loi de juillet 2014, présidé par le Secrétaire d’état au commerce extérieur, qui a donc pour mission de rassembler les acteurs territoriaux et nationaux afin de coordonner leur action pays par pays.

La coordination peut également s’effectuer au niveau des grandes collectivités territoriales. Parmi les acteurs de la coopération décentralisée, les régions disposent ainsi d’une capacité d’action particulière pour deux raisons. En premier lieu, elles ont l’habitude de l’équilibre entre urbain et rural, enjeu important dans certains domaines affectant les environnements de manière différenciée, mais continue et intégrée (comme les filières alimentaires ou les transports). En deuxième lieu, le périmètre régional est suffisamment étendu pour mobiliser de nombreux acteurs au service de coopérations d’ampleur. À titre d’exemple, l’association Grand Est solidarités & coopérations pour le développement (GESCOD) assure une coordination au niveau de la région de l’ensemble des acteurs de la coopération, notamment les collectivités territoriales - dont la Région, les Départements, les Communes et leurs Intercommunalités. La politique française d’aide au développement peut gagner à s’appuyer sur de telles instances de coordination.

Le ministère des Affaires étrangères a également, depuis 2015, placé des conseillers diplomatiques auprès des préfets de région afin de coordonner l’action internationale des collectivités territoriales, ainsi que des « correspondants coopération décentralisée » dans les postes diplomatiques concernés, disponibles pour les collectivités territoriales mettant en œuvre des projets.

L’appui direct aux projets de coopération décentralisée est également possible mais demeure limité.

Le travail avec les opérateurs placés sous tutelle du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères joue un rôle d’appui important. Les relations entre l’AFD, en particulier, et les collectivités territoriales se sont intensifiées du fait de la mise en place en 2014 de la Facilité de financement des collectivités françaises (FICOL), par laquelle l’AFD finance des initiatives portées par des collectivités.

Le rapprochement avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC) devrait enfin permettre un renforcement de l’ancrage territorial de l’AFD. En théorie, les synergies potentielles entre les deux groupes sont fortes, la CDC pouvant faire bénéficier l’AFD de son réseau en France et de sa connaissance fine des collectivités locales françaises pour améliorer son ancrage territorial, tandis que l’AFD peut mobiliser son réseau international et sa compréhension des environnements des pays du Sud pour accompagner la projection internationale des collectivités.

2.   Les ONG

Par rapport aux principaux pays contributeurs, l’aide française se caractérise par la faiblesse de sa dimension non-gouvernementale, la France étant avant-dernière de l’OCDE dans ce domaine, avec environ 1,3 % de l’aide publique transitant par la société civile française, pour une moyenne de l’OCDE d’environ 16 %.

Coordination Sud, dont le président Philippe Jahshan a été auditionné par la mission d’information, a publié une enquête sur les ressources financières des ONG d’aide au développement et des ONG humanitaires ([10]), qui fait apparaître que la part d’origine publique dans le budget des ONG est de 11 %, 51 % venant de France et 49 % de l’étranger, principalement de l’Union européenne pour environ 17 %.

Cette situation tient probablement en partie au fait que le paysage français des ONG est plus atomisé que chez certains de nos partenaires, qui disposent d’ONG historiques de très grandes tailles telles qu’Oxfam, Save The Children ou le Catholic international development charity (CAFOD), dont la mission d’information a rencontré des représentants à Londres, et qui ont été en mesure d’établir une relation étroite et ancienne avec l’administration britannique. Les ONG françaises se retrouvent donc fréquemment en « concurrence » avec ces grandes ONG vis-à-vis des bailleurs multilatéraux, auprès desquelles elles parviennent malgré tout à obtenir une quantité non négligeable de financement en raison de leur savoir-faire et de leurs compétences qui sont reconnus. Selon Philippe Jahshan, « les ONG "du dernier kilomètre", dans le domaine humanitaire, sont souvent françaises et très appréciées. »

L’autre raison tient selon M. Jahshan au caractère « jacobin » de la politique française dans ce domaine. Quelle qu’en soit la raison, les ONG, d’une façon comparable aux collectivités territoriales, apparaissent comme un potentiel quelque peu sous-exploité. Les ONG constituent un vivier de compétences important et mobilisable que l’aide française gagnerait à mieux employer.


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III.   Renforcer l’expertise française

L’activité d’Expertise France est la forme qu’a maintenant prise l’ancienne assistance technique de l’époque de la décolonisation, qui employait alors environ 30 000 experts français. L’expertise est depuis devenue un marché très concurrentiel et les pouvoirs publics français ont cherché à adapter l’offre française dans ce domaine à cette évolution.

L’importance de l’expertise a fait l’objet d’une prise de conscience tardive de la part de la France. Lorsque le ministère de la coopération a été supprimé en 1998, son activité d’expertise a été profondément modifiée. La présence de plusieurs dizaines de milliers de coopérants français dans les pays bénéficiaires, principalement en Afrique francophone, s’apparentait aux yeux des critiques à une forme de néocolonialisme, ou du moins à une forme d’aide par substitution qui ne favoriserait pas l’acquisition par ces pays d’une véritable autonomie en matière de développement.

La coopération technique s’est cependant poursuivie, mais avec des effectifs très inférieurs et sous la forme d’une activité assurée par chaque ministère concerné dans son domaine propre, avec la création de plusieurs groupements d’intérêt public (GIP). Le regroupement de six de ces GIP au sein d’Expertise France a résulté du souhait de disposer d’un opérateur capable d’agir dans un marché devenu très concurrentiel, avec des opérateurs étrangers disposant de moyens souvent très supérieurs. Ainsi, la Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), homologue allemand d’Expertise France, traitait en 2016 pour environ 2,1 milliards d’euros de contrats par an contre 21 millions d’euros pour Expertise France.

De fait, les objectifs du Contrat d’objectifs et de Moyens (COM) passé par Expertise France et l’État et approuvé par la Commission des Affaires étrangères en juin 2016, consistent à doubler le chiffre d’affaire d’Expertise France et à atteindre l’autofinancement en cinq ans tout en répondant aux quatre priorités sectorielles ([11]).

En d’autres termes, on a créé à peu de frais une agence française d’expertise capable de fonctionner principalement sur les financements internationaux ou sur des commandes issues de l’État et de l’AFD (pour environ 20  % de son activité). Il est certes satisfaisant que l’expertise française ait pu être remise en ordre de bataille de cette manière et que la France dispose d’un outil dynamique et réactif dans ce domaine pour un coût réduit, mais l’importance de l’expertise dans la politique d’aide de la France demande un effort plus important. L’outil d’expertise doit donc être renforcé.

L’expertise est en effet ce qui permet aux pays bénéficiaires de l’aide de renforcer leur capacité d’absorption. En d’autres termes, l’expertise est la contrepartie logique de l’augmentation prévue des dépenses d’aide de la France, et le moyen par lequel l’aide publique au développement peut être en mesure d’anticiper les défis à venir. L’organisme français d’expertise étant désormais opérationnel, il est temps d’organiser sa montée en puissance.

A.   Achever la fusion des opérateurs

En premier lieu, il convient d’achever la fusion des opérateurs, conformément à la lettre et à l’esprit de la loi de juillet 2014, qui dispose qu'Expertise France a vocation à rassembler au 1er janvier 2016 l'ensemble des opérateurs spécialisés de coopération technique « selon des modalités adaptées à leurs missions et statuts ».

Il reste aujourd’hui sept opérateurs techniques rattachés à des ministères :

– Civipol, rattaché au ministère de l’Intérieur ;

– Justice Coopération Internationale (JCI), rattaché au ministère de la Justice ;

– L’Agence pour le développement de la coopération internationale dans les domaines de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (ADECIA) et France Vétérinaire International (FVI), rattachés au ministère de l’Agriculture ;

– Le Centre international d’Études pédagogiques (CIEP) et la Société Française d'Exportation des Ressources Éducatives (SFERE), rattachés au ministère de l’Éducation nationale ;

– L’Agence française de développement médias (CFI), rattaché au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

Un récent rapport de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat ([12]) détaille les modalités envisageables d’une telle fusion, qui pose plusieurs séries de problèmes. Les statuts de ces différents organismes varient et certains sont majoritairement privés, leurs activités ne sont pas toujours majoritairement internationales et lorsqu’elles le sont, leurs priorités ne relèvent pas nécessairement de l’aide publique au développement. L’examen au cas par cas des différentes modalités de rattachement envisageables sort du cadre du présent rapport, mais il convient de souligner que le souhait ici exprimé d’un achèvement de la fusion de l’expertise française repose sur la nécessité pour l’aide française de disposer d’un outil d’expertise plus complet dans plusieurs domaines, et notamment en matière de gouvernance.

L’intégration à Expertise France de l’expertise en matière de police (avec Civipol), de justice (avec JCI) ainsi qu’en matière agricole (avec ADECIA et FVI) apparaît donc prioritaire et permettra à Expertise France de développer son offre dans deux domaines essentiels en matière de stabilisation (police et justice) et dans un domaine essentiel pour faire face à l’expansion démographique de la région du Sahel. Cette deuxième vague d’intégration apparaît donc prioritaire et doit intervenir rapidement.

B.   Veiller à l’efficacité du rapprochement d’Expertise France et de l’AFD

En deuxième lieu, la relation entre Expertise France et l’AFD a besoin d’être clarifiée et renforcée, dans l’intérêt des deux acteurs. L’AFD et Expertise France ont signé le 18 novembre 2015 une convention de coopération fixant un accord-cadre entre les deux établissements. Cette convention prévoit que l'AFD confie à l'Expertise France en gré à gré un volume de 25 millions d'euros de projets dans le domaine de la gouvernance, secteur transféré du ministère des Affaires étrangères à l’AFD en 2016. Toutefois, alors que la convention entre les deux organismes prévoit 25 millions d'euros de financement en matière de gouvernance confiés à EF, ce montant atteignait à peine les 5 millions d'euros en 2017. Malgré une volonté de coopération de part et d’autre, cette insuffisante mise en œuvre de la convention passée entre les deux organismes semble s’expliquer par leur non-complémentarité dans certains domaines. Des chevauchements existent et il peut arriver aux deux agences d'être en concurrence pour l'accès aux financements européens, notamment ceux qui relèvent de la gestion déléguée.

Le rapport du Sénat recommande de veiller dans un premier temps à la bonne mise en œuvre de la convention de novembre 2015, et de procéder alors au rapprochement organique des deux agences.

Le CICID de février 2018 a cependant tranché sur ces deux points, puisque le point 23 de son relevé de conclusion indique :

– que « des conventions seront conclues entre les ministères disposant d’opérateurs non intégrés à Expertise France (CIVIPOL, JCI, Adecia, FVI) en vue de permettre à Expertise France une mobilisation directe de l’expertise publique via les ministères techniques concernés dans le cadre d’actions agréées à l’avance avec eux, »

– que « le gouvernement décide de procéder à l’intégration d’Expertise France au sein d’un groupe AFD élargi à horizon mi-2019 ».

Il est regrettable que la fusion de l’expertise française ne puisse avoir lieu dès maintenant au sein d’un opérateur unique, car il ne s’agit pas simplement de rationaliser le fonctionnement actuel de l’expertise, objectif qu’une convention est sans doute en mesure d’atteindre au moins partiellement, mais bien de disposer à terme d’un outil d’expertise à la hauteur des enjeux à venir en matière de développement. Encore une fois, la différence d’échelle entre l’expertise française et celle dont disposent des partenaires comme l’Allemagne doit nous faire réfléchir, et la montée en puissance prévue de l’aide au développement de la France doit être considérée comme l’occasion de nous doter d’un outil puissant et cohérent au service de nos objectifs.

Recommandations

 8. Regrouper les administrations en charge de l’aide publique au développement au sein d’un ministère de plein exercice

 9. Poursuivre la fusion de l’expertise française en intégrant à Expertise France les opérateurs CIVIPOL, JCI, Adecia et FVI

 10. Hiérarchiser et sélectionner strictement les contributions françaises en matière d’aide multilatérale afin d’éviter une dispersion de l’aide multilatérale française, et concentrer cette aide sur les organisations dont les objectifs correspondent aux objectifs prioritaires de l’aide française

 11. Accompagner les principales contributions financières françaises aux grandes institutions d’aide internationales d’une présence accrue au sein de leurs structures

 12. Renforcer l’accompagnement des ONG et des acteurs de la société civile recherchant des financements au sein des grandes organisations

 13. Augmenter le montant du FICOL et des subventions de la DAECT afin de soutenir le développement de la coopération décentralisée


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   La démographie, pierre angulaire du développement : quelles nouvelles approches ?

Les pays qui ont le moins bénéficié de la croissance mondiale pendant la période 2000-2015 sont souvent également ceux où la croissance démographique a été forte, c’est-à-dire les États d’Afrique subsaharienne. Avec une croissance du revenu national parfois élevée, mais souvent largement basée sur l’exportation de matières premières, les pays d’Afrique subsaharienne ont cependant vu leur revenu par habitant stagner ou augmenter faiblement en raison de l’accroissement rapide de leur population. Une croissance démographique excessive, outre la stagnation mécanique du revenu par tête, peut également avoir d’autres conséquences néfastes moins directes mais tout aussi préoccupantes, comme l’impossibilité pour les systèmes scolaires de suivre l’augmentation du nombre d’élèves à scolariser, et la difficulté croissante à trouver un emploi pour les jeunes arrivant sur le marché du travail.

Bien que la réduction de la croissance démographique relève clairement de la souveraineté des États, cet objectif pourrait être envisagé comme partie intégrante des politiques d’aide publique au développement.

I.   Développement et démographie : un défi

A.   Une fécondité élevée

La population de l’Afrique subsaharienne a dépassé le milliard d’habitants en 2017, avec une fécondité d’environ cinq enfants par femme. Les projections tendancielles des Nations unies prévoient que la population de l’Afrique subsaharienne atteindra en 2050 entre deux et deux milliards et demi d’habitants, selon que la fécondité aura décru d’environ 5 enfants par femme à 2,6 ou à 3,6 enfants par femme. En 2100, en prenant pour hypothèse une fécondité moyenne de 2,1 enfants par femme, la population de l’Afrique subsaharienne pourrait être de 4 milliards d’habitants et représenter près de 40 % de la population mondiale, contre 14 % aujourd’hui.

La transition démographique est amorcée en Afrique subsaharienne, mais demeure très lente, alors qu’on est passé en Asie et en Amérique latine de six enfants par femme dans les années soixante et soixante-dix à deux enfants aujourd’hui, c’est-à-dire d’une fécondité non contrôlée à une fécondité maîtrisée en trente à quarante ans.

L’Afrique subsaharienne ne semble pas suivre ce modèle. Historiquement, selon M. Jean-Pierre Guengant, Directeur de Recherche émérite de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), auditionné par la mission d’information, on n’a jamais observé une transition aussi lente combinée avec des taux de croissance démographique aussi élevés. La croissance démographique de l’Afrique subsaharienne se maintient depuis cinquante ans au-dessus de 2,5 % par an et s’élève aujourd’hui à 2,7 % par an, contre 1 % par an en Asie et en Amérique latine. En comparaison, la baisse de la fécondité en Europe s’est étalée sur une centaine d’années, au XIXe siècle et début du XXe siècle, mais avec des croissances démographiques maximales de 1 % à 1,5 % par an.

Il s’agit donc d’une situation historiquement unique dont les conséquences sont considérables. Une telle évolution implique, par exemple, un doublement des effectifs scolarisables tous les quinze ou vingt ans. Jean-Michel Sévérino, dans son ouvrage le Temps de l’Afrique ([13]), indique à ce sujet que la population de la Côte d’Ivoire a été multipliée par six depuis 1960, et souligne que si la France avait connu une évolution similaire sa population serait aujourd’hui non pas de 65 millions mais d’environ 300 millions d’habitants.

La baisse rapide de la fécondité a été obtenue dans certains pays en développement par la mise en œuvre de politiques coercitives (en particulier en Chine), mais cela est resté l’exception, y compris en Inde, ou les tentatives en ce sens ont rapidement été abandonnées, et où la fécondité est aujourd’hui de 2,4 enfants par femme.

Selon M. Guengant, trois ensembles de facteurs expliquent les transitions rapides de la fécondité, et a contrario la lenteur des transitions.

Le premier ensemble de facteurs est lié au développement économique, en particulier au niveau d’éducation de la population, à son état de santé général, à son degré d’urbanisation ou au taux d’emploi des femmes. Or, tous ces facteurs ou déterminants d’une fécondité maitrisée sont défavorables dans le cas de l’Afrique subsaharienne.

Le deuxième ensemble de facteurs concerne les normes sociales valorisant les femmes ayant beaucoup d’enfants, le statut défavorable de la femme dans la société et son faible pouvoir de décision dans le ménage. Les femmes d’Afrique subsaharienne expriment généralement un désir d’enfant élevé, généralement égal ou supérieur à quatre enfants. Au Niger, le nombre idéal d’enfants indiqué lors des enquêtes « Démographiques et de Santé » est de neuf chez les femmes et de treize chez les hommes. Ces chiffres élevés tiennent selon Jean-Pierre Guengant « à la tradition, à la valorisation de la femme en tant que procréatrice et à sa minoration en tant que productrice, et cela va de pair avec une faible utilisation de la contraception ».

Le troisième ensemble de facteurs est le faible engagement des autorités à promouvoir la maîtrise de la fécondité et les avantages de la famille réduite, ainsi que la qualité souvent médiocre des services de santé sexuelle et reproductive au sein de systèmes de santé souvent défaillants. La réticence vis-à-vis de la maîtrise de la fécondité, présentée par divers groupes (religieux ou autres) comme un contrôle des naissances imposé par l’extérieur, reste sensible, et les autorités politiques préfèrent le plus souvent, selon M. Guengant, garder le silence à ce sujet.

B.   La transition démographique, symbole du développement

Il importe donc de savoir si la croissance de la population de l’Afrique subsaharienne sera à moyen terme un atout ou un handicap, et si cette population aura atteint un niveau de vie décent, sera solvable, et pourra donc constituer un moteur de l’économie mondiale, ou au contraire si elle sera toujours largement touchée par la pauvreté et nécessitera toujours une aide internationale croissante.

L’attitude des autorités politiques des pays de la région à ce sujet est variable. Si plusieurs gouvernements disent vouloir limiter la croissance démographique de leur population, certains mettent également en avant l’atout que peut en théorie constituer une population nombreuse.

L’enfant doit certes être considéré comme une richesse, en Afrique comme ailleurs, mais cette richesse ne tient pas au nombre d’enfants, mais à leurs niveaux de santé et d’éducation. Le Mali avec une fécondité de plus de 6 enfants par femme, est classé par l’ONU parmi les pays les moins avancés et selon la Banque mondiale parmi les quelques trente « pays fragiles » du monde, avec en 2016 un revenu par tête inférieur à 800 dollars (contre plus de 8 000 dollars en Chine et 37 000 dollars en France).

Il est vrai que l’Afrique subsaharienne a connu une croissance économique importante ces dernières années, avec des taux entre 5  % et 6  % entre 2000 et 2015. Cette croissance a cependant été principalement portée par le prix élevé des matières premières et est demeurée inférieure à celle de l’Asie du Sud et de l’Est.

Par ailleurs, si l’on prend en compte une croissance démographique entre 2,5  % et 3  %, la croissance du revenu par habitant est diminuée d’autant. Enfin, en raison de la baisse du prix des matières premières, la croissance de la région s’est trouvée ralentie depuis 2015 et en 2016, la croissance du PIB en Afrique subsaharienne devenant inférieure à la croissance démographique, avec par conséquent un revenu par habitant en diminution.

Les projections de la Banque mondiale et du FMI font ainsi état d’une trajectoire désormais beaucoup moins favorable, avec une croissance estimée de 2,9  % en 2017, soit un chiffre voisin de la croissance démographique estimée à 2,7 %, ne permettant par conséquent pratiquement aucune augmentation du revenu par habitant. Les projections de croissance économique jusqu’en 2020 sont voisines de 3,5 %, ce qui aboutit à une augmentation du revenu par habitant inférieure à 1 %.

Pour comparer cette situation à celle de la France, avec une croissance économique d’environ deux pour cent par an et une croissance démographique d’environ 0,4 % par an, le revenu par tête des Français (de 37 000 dollars par an) pourrait doubler tous les 40 ans si ces taux se maintenaient. Dans le cas de l’Afrique subsaharienne, si les taux projetés se maintenaient, le revenu moyen par habitant, qui était en 2015 de 1 500 dollars, ne doublerait que tous les soixante-dix ans.

Un tel scénario signifierait que pour beaucoup de pays africains, l’aide au développement restera nécessaire pendant de nombreuses décennies, du moins si les économies de l’Afrique subsaharienne demeurent fortement dépendantes de l’exportation des matières premières.

Il ne s’agit cependant pas ici de prédire l’évolution future des économies africaines, et encore moins de les condamner à la stagnation économique. Les économies de l’Afrique subsaharienne, et en particulier de la zone sahélienne, peuvent être stimulées par une diversification sectorielle, un renforcement des échanges internationaux et l’amélioration de la gouvernance des États, autant d’éléments que l’aide au développement peut renforcer. Par ailleurs, comme le rappelle Jean-Pierre Guengant, les populations africaines, habituées à la pauvreté, sont résilientes, mais la pauvreté a un coût humain important, notamment la mortalité prématurée à tous les âges de la vie. Les solidarités traditionnelles qui prévalent en milieu rural facilitent cette résilience des populations face à la pauvreté, mais ces solidarités s’émoussent et tendent à disparaitre en milieu urbain, et la plupart des pays concernés seront majoritairement urbains dans un proche avenir.

C.   Le défi migratoire

Le lien entre croissance démographique et migration est moins simple qu’il n’y paraît. Si la croissance démographique est généralement susceptible d’accroître l’émigration en provenance du pays concerné, il reste à déterminer quelle partie de la population est la plus concernée par ce phénomène, et quelles sont les destinations principales de ces migrations.

1.   Les migrations intra-africaines

On estime ainsi aujourd’hui qu’environ 80  % des migrants en provenance de pays d’Afrique se trouvent dans d’autres pays d’Afrique. Ce chiffre ne signifie cependant pas que les migrations en provenance d’Afrique vers l’Europe sont insignifiantes. Il souligne cependant le fait que les deux phénomènes ne sont pas séparables et que les migrations en provenance d’Afrique ne se divisent pas en deux flux distincts, mais correspondent à des parcours individuels souvent complexes, le même migrant s’éloignant souvent par étapes de son pays d’origine.

En réalité, selon M. Guengant, ces chiffres se réfèrent généralement à des « stocks » de migrants et non à des flux qui sont difficiles à mesurer. Ainsi, en Côte d’Ivoire, on a recensé en 2014, 24 % d’« étrangers », la plupart arrivés dans les années soixante-dix ou avant. Mais parmi ceux-ci, la moitié sont nés en Côte d’Ivoire, qui par ailleurs compte toujours une population d’apatrides estimés à environ 700 000 personnes. Peu de pays d’Afrique sont encore capables d’accueillir des migrants en nombres importants comme cela a été le cas par le passé. Les pays traditionnels d’immigration en Afrique (notamment la Côte d’Ivoire, mais également le Ghana, et l’Afrique du Sud) n’attirent plus autant que par le passé les migrants des pays voisins pour plusieurs raisons, qui incluent le renforcement des contrôles, des montées xénophobes souvent violentes dans les pays d’accueil, et le fait que les pays d’accueil sont aujourd’hui, du fait de leur propre croissance démographique, « démographiquement pleins », c’est à dire qu’ils n’ont plus autant besoin de main d’œuvre étrangère, notamment dans les plantations de Côte d’Ivoire et du Ghana et dans les mines d’Afrique du Sud. Dans ce contexte les candidats à la migration ont plus intérêt à migrer soit dans les zones urbaines et les capitales de leurs propres pays, soit au Nord via les filières en place.

On estime qu’il y a aujourd’hui environ quinze millions d’arrivées par an sur les marchés du travail en Afrique subsaharienne. Compte tenu de la fécondité élevée des trente dernières années, et des nombreuses naissances correspondantes, ce nombre va quasiment doubler d’ici 2030. Les arrivées annuelles sur les marchés du travail pourraient éventuellement se stabiliser, voire diminuer dans les années 2030, si la fécondité diminue rapidement d’ici là mais cette hypothèse ne correspond pas aux tendances actuelles.

2.   L’aide peut-elle réduire les migrations ?

Concernant le lien entre niveau de développement et migration, Stephen Smith, auteur de l’ouvrage La Ruée vers l’Europe auditionné par la mission d’information, rejoint de nombreux spécialistes de la question et rappelle qu’un niveau de vie minimal est nécessaire pour envisager de migrer. « Si l’immigration était engendrée par la pauvreté et l’instabilité, toute l’Afrique serait venue en Europe dès la fin de la guerre froide. » La migration s’inscrit dans un projet, qui implique souvent un projet personnel nourri par une connaissance du monde et du pays de destination résultant elle-même d’un niveau d’accès minimal à l’information. Migrer demande aussi des moyens financiers que la partie la plus pauvre de la population n’est pas en mesure de mobiliser.

C’est ainsi que l’on trouve parmi les migrants africains traversant la Méditerranée nombre de ressortissants de pays ayant les plus fortes croissances économiques ou les revenus par tête les plus élevés d’Afrique (Côte d’Ivoire, Ghana, Nigéria, Éthiopie). Il semble donc illusoire, d’après M. Guengant, de penser que l’aide publique au développement puisse freiner l’immigration, légale ou illégale à court et moyen terme. Au contraire, si une partie importante de la population passe d’un revenu de subsistance à un revenu permettant un début d’épargne, l’immigration ne peut, selon M. Smith, qu’augmenter dans un premier temps.

L’idée d’utiliser l’aide publique au développement comme instrument de contrôle direct des migrations est donc à la fois impopulaire auprès de nombreuses ONG et jugée peu réaliste par plusieurs spécialistes. Cela n’empêche cependant pas de considérer les migrations, en provenance d’Afrique comme d’autres régions, comme un phénomène pouvant lui-même influer sur le développement des pays d’origine, s’il est correctement pris en considération.

Le présent rapport n’entend pas traiter en profondeur du sujet migratoire, mais il paraît pertinent de rappeler que les migrations au XXIe siècle, contrairement à ce qui était le cas au XIXe siècle et pendant la plus grande partie du XXe siècle, impliquent de moins en moins une rupture définitive avec le pays d’origine, et s’inscrivent fréquemment dans un projet personnel incluant soit un retour, soit le maintien de liens permanents avec ce dernier.

La migration légale présente en effet plusieurs aspects positifs pour les pays de départ et d’arrivée. Les envois de fonds des émigrés peuvent ainsi représenter jusqu’à 15 à 20 % des PIB des pays d’origine, avec un impact positif sur leur développement, et sur la réduction de la pauvreté. Les migrants qui retournent au pays, contribuent aussi au développement de leur pays d’origine, en particulier lorsqu’ils ont acquis des qualifications dans le pays d’accueil.

L’aide au développement peut également s’appuyer sur les migrations et sur l’entretien du lien avec le pays d’origine du migrant pour lutter contre la fuite des cerveaux endémique en Afrique subsaharienne. M. Guengant comme M. Smith ont rappelé lors de leurs auditions que les personnes originaires des anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne pouvaient obtenir facilement jusqu’aux années soixante-dix des visas temporaires leur permettant de s’installer en France pendant une durée limitée, et qu’il leur était dès lors possible de retourner dans leur pays d’origine sans craindre de ne plus pouvoir revenir en France, la fin de cette possibilité ayant eu pour effet paradoxal des installations plus définitives.

On estime en effet qu’environ 70 000 professionnels qualifiés émigrent d'Afrique chaque année, provoquant ainsi une « fuite des cerveaux » dont le renversement a été reconnu par le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) comme une priorité sectorielle. À l’inverse, le retour en Afrique de personnes ayant acquis une formation en Europe peut être un atout important.

Jusqu’au milieu des années soixante-dix, les migrants africains pouvaient aller et venir entre la France et leurs pays d’origine de façon assez fréquente. Dès lors que cela n’a plus été possible, nombre de migrants ont choisi de rester en France et d’y faire venir leur famille. La réduction de l’immigration légale a donc eu comme effets pervers d’augmenter l’immigration via les regroupements familiaux d’une part, de rendre plus difficile la circulation des personnes qualifiées entre la France et leurs pays d’origine d’autre part.

La création d’un visa étudiant impliquant un retour dans le pays d’origine du migrant, suivi de la possibilité de circuler entre les deux pays, pourrait à la fois être un moyen d’aider à la formation des cadres africains et d’augmenter les chances pour que les personnes concernées retournent dans leurs pays d’origine pour contribuer à leur développement. Un tel système de « visas de circulation » pourrait alors être étendu non plus aux seuls étudiants, mais aux personnes mettant en avant un projet professionnel de toute nature.

3.   Le cas des Comores

À une échelle plus réduite, la question de l’immigration clandestine entre les Comores et le département français de Mayotte offre une expérience riche d’enseignements. Avec un indice de fécondité estimé à 4,3 enfants par femme, les Comores connaissent une croissance démographique plus modérée que les États du Sahel, mais avec un taux de croissance économique ne dépassant guère les 3,5  % d’une année à l’autre, le revenu par habitant, aujourd’hui estimé à environ 730 euros, se trouve mécaniquement en diminution, et est en tout état de cause beaucoup plus faible que celui du département de Mayotte, qui est estimé à 4150 euros.

L’analyse détaillée de la question de l’immigration illégale depuis les Comores vers Mayotte sort du cadre du présent rapport. Il est toutefois pertinent de s’interroger sur le rôle que peut jouer l’aide publique au développement dans une telle situation, et plus généralement dans les régions voisines des outre-mer français.

L’immigration en provenance des Comores est motivée à la fois par des considérations économiques d’ordre général, comme la recherche d’un meilleur niveau de vie et de meilleures opportunités, mais également par des objectifs plus ponctuels, par exemple d’ordre médical, qui occasionnent cependant des traversées risquées et coûteuses, suivies de réadmissions qui pèsent également sur les ressources de l’État.

Accroître l’aide à destination des Comores serait donc l’une des pistes à explorer si l’on souhaite améliorer la situation du département comme de l’archipel voisin. Cette idée se heurte cependant à deux obstacles.

En premier lieu, l’attitude du gouvernement comorien, qui a décidé le 21 mars 2018 d’interdire les reconduites des Comoriens entrés illégalement à Mayotte, n’est pas de nature à faciliter un dialogue susceptible d’aboutir à une coopération fructueuse entre la France et les Comores.

En deuxième lieu, si l’aide à destination des Comores existe, avec une aide française de 135 millions d’euros sur la période 2014-2020 en appui au programme national de développement comorien, la coordination entre les programmes de développement à destination des outre-mer et l’aide publique au développement à destination de leurs régions environnante demeure difficile car les deux flux empruntent des canaux administratifs différents, le premier passant par le ministère des Outre-mer, le second par les différents circuits de l’aide publique au développement.

Or, nos outre-mer peuvent gagner à ce qu’une stratégie particulière destinée à leurs voisinages respectifs puisse être mise en place, impliquant à la fois des actions dans nos territoires et dans les territoires des États géographiquement proches. Une telle approche se justifierait non seulement dans la région de Mayotte, mais également en Guyane, qui connaît une problématique migratoire comparable, ou dans les Caraïbes, où les écarts de richesse entre les territoires français et les États voisins peuvent être importants. Il serait par conséquent opportun que la commission des Affaires étrangères puisse approfondir cette question.


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II.    La démographie : un sujet tabou pour le développement

Si le constat de la nécessaire maîtrise de la fécondité en Afrique subsaharienne est généralement partagé en Europe, il se heurte cependant à deux séries de problèmes. En premier lieu, la nécessité de la maîtrise de la croissance démographique n’est pas toujours comprise ou admise par les gouvernements et par les sociétés africaines. En deuxième lieu, la maîtrise de la fécondité est un sujet complexe et les moyens par lesquels cet objectif peut être atteint ne sont pas aussi clairs que dans d’autres domaines.

A.   Un sujet politiquement délicat

Plusieurs déclarations et débats ont marqué les douze derniers mois concernant la maîtrise de la fécondité en Afrique subsaharienne. Tout d’abord, la déclaration du président Emmanuel Macron au sommet du G20 à Hambourg début juillet 2017 indiquant que « quand des pays ont encore 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d'y dépenser des milliards d'euros, vous ne stabiliserez rien » déclaration qui a suscité certaines réactions hostiles en Afrique. L’engagement des parlementaires de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) réunis à Ouagadougou fin juillet 2017 à « promouvoir la norme de trois enfants par femme d’ici 2030 dans leurs pays », a également fait l’objet de critiques. Les propos du Président Macron ont été plus nuancés à Ouagadougou fin novembre 2017 quand il a déclaré que « partout où vous avez 7,8, 9 enfants par femme, est-ce qu’à chaque fois, dans chaque famille, vous êtes bien sûr que c’est le choix de cette jeune femme? ». Puis, lors du sommet Union européenne-Union africaine à Abidjan fin novembre le Président Macron a simplement indiqué que chaque enfant devrait être désiré, avant d’annoncer sa volonté de promouvoir l’éducation des jeunes filles et leur maintien à l’école jusqu’à l’âge de seize ans. Ce propos a été renouvelé à l’occasion d’une visite au Niger en décembre, où il a déclaré souhaiter « qu'il y ait la possibilité pour les jeunes filles, partout en Afrique, de choisir le nombre d'enfants qu'elles veulent ». Enfin, en février 2018 à l’occasion de la réunion du Partenariat mondial pour l’Éducation à Dakar, le Président français a renouvelé l’engagement de la France à soutenir l’éducation, notamment des filles.

La problématique de la maîtrise de la fécondité est de fait controversée, beaucoup de responsables politique du Nord estimant que le rôle de l’aide publique au développement n’est pas de dire aux Africains s’ils doivent ou non promouvoir la planification familiale. Cette idée est inégalement répandue chez les bailleurs et parmi de nombreux responsables politiques et cadres africains. Selon M. Guengant, les différentes agences du système des Nations unies  défendent sur cette question des positions divergentes en fonction de leurs mandats spécifiques. , l’UNFPA, dont la démographie constitue le mandat, et le Secrétariat général des Nations unies prenant en compte cet aspect.

Il importe donc de rappeler que les sujets tels que la santé sexuelle et reproductive et de planification familiale concernant l’Afrique, concernent des droits humains fondamentaux de portée universelle dont il n’y a aucune raison de ne pas débattre avec nos partenaires africains, et qui sont du reste pris en compte par les ODD.

B.   Une thématique mal maîtrisée

Il n’est cependant pas certain que les progrès en matière d’accès à la contraception et à l’éducation se traduisent mécaniquement par une meilleure maîtrise de la fécondité.

1.   L’accès à la contraception

Les deux tiers de la population de l’Afrique subsaharienne vivent aujourd’hui dans des pays où la prévalence de la contraception moderne ne concerne que 30 % des femmes. Pour passer à une utilisation informée et responsable de la contraception comme c’est aujourd’hui le cas dans la plupart des autres pays en développement, il faudrait doubler ou tripler son utilisation, ce qui n’est pas garanti dans les conditions actuelles, avec une autonomie de décision parfois réduite pour les femmes et des services de santé sexuelle et reproductive défaillants et en nombre insuffisant.

Les diverses agences des Nations unies, en particulier le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) et la plupart des partenaires au développement des pays africains mettent en avant l’éducation des jeunes filles et des jeunes en général, comme un facteur important de promotion du statut de la femme et de diffusion de nouvelles normes familiales. M. Guengant a toutefois exprimé un doute sur l’efficacité de ces orientations : « Mon expérience de vingt ans sur le terrain en Afrique, m’a amené à penser que si l’éducation des jeunes filles est bien un objectif prioritaire qu’il faut poursuivre, cela ne fait pour autant de l’éducation un contraceptif. J’ai pu ainsi constater que des jeunes femmes de niveau BEPC ou plus voulant utiliser la contraception, ne pouvaient pas le faire car leurs maris s’y opposaient. » Selon M. Guengant, les résultats des enquêtes « Démographiques et de Santé » indiquent aussi que les jeunes femmes éduquées de niveau BEPC ou plus font état de nombres d’enfants souhaités toujours élevés, seulement légèrement inférieurs aux nombres donnés par les autres jeunes femmes, et qu’elles se conforment ainsi pour l’essentiel aux normes natalistes ambiantes. Il y a en Afrique subsaharienne à la fois un problème de qualité de l’information donnée aux femmes sur la planification familiale et un problème d’accès, physique et financier, à des services de qualité en la matière.

La Fondation Bill & Melinda Gates défend cependant un point de vue différent, puisque selon elle, le problème principal ne tient pas tant au manque d’enthousiasme pour la contraception et le contrôle des naissances mais tout simplement au manque de disponibilité des moyens  contraceptifs dans les centres de santé, qui souvent ne sont pas en mesure de répondre aux demandes des femmes s’adressant à eux, à l’absence de personnel qualifié en mesure de les conseiller, ou tout simplement à l’absence d’un centre de santé à proximité.

Quelle qu’en soit la raison, l’usage du contraceptif est réduit dans certains pays d’Afrique subsaharienne. D’après le Dr. Saabou, responsable du programme « Ecole des maris » mis en place au Niger avec le soutien du  Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), estime la proportion de femmes utilisant des moyens contraceptifs à 12 %.

Que le problème soit lié à l’offre ou à la demande, il importe que l’offre puisse répondre à la demande lorsque celle-ci se manifeste. Si, comme cela est probable, le problème tient aux deux causes à la fois, il est peu acceptable que les femmes souhaitant utiliser la contraception, à plus forte raison si elles sont minoritaires et subissent une forte pression sociale, ne soient pas en mesure d’y accéder. Il importe donc de fournir un effort particulier sur la disponibilité de moyens contraceptifs.

2.   L’accès à l’éducation

Le lien entre éducation et maîtrise de la fécondité est à double sens : la croissance démographique accroît les besoins éducatifs d’une façon souvent insoutenable dans les pays à forte croissance, et l’éducation peut contribuer à une modération de la croissance démographique. Il convient donc de sortir du cercle vicieux et qui verrait un pourcentage toujours plus faible de la population accéder à l’éducation et rendrait encore plus difficile la maîtrise de la fécondité.

Au Niger, où la mission d’information s’est rendue dans le cadre de la rédaction du présent rapport, le professeur Galy kadir Abdelkader, coordonnateur de la Cellule d’appui à la mise en œuvre et au suivi (CAMOS) de la Politique Sectorielle Éducation et Formation (PSEF), a par ailleurs indiqué qu’une récente évaluation avait montré que le niveau des enseignants nigériens était beaucoup trop faible. L’une des premières étapes de la mise en place d’un système éducatif  doit donc consister à recruter et former des enseignants dans le domaine de l’éducation primaire, ce qu’un projet appuyé par l’AFD devrait faire en offrant prochainement une formation diplômante à 20 000 enseignants. Les obstacles sont toutefois nombreux et relèvent aussi bien de la sécurité, qui absorbe une partie importante des ressources de l’État ([14]), que de la croissance démographique.

Les objectifs de la politique éducative sont multiples. Il s’agit à la fois de fournir une éducation primaire à l’ensemble de la population, de développer l’enseignement supérieur, aujourd’hui très faible dans les pays du  Sahel ([15]) , mais également de fournir des formations professionnelles au niveau du secondaire. Selon le professeur Galy, « C’est un grand défi, mais on fait aujourd’hui appel à des Béninois ou des Togolais pour réparer un climatiseur ». L’émergence de l’économie nigérienne peut difficilement avoir lieu en l’absence d’une main-d’œuvre qualifiée.

L’annonce faite par le président Macron à l’occasion de la conférence du Partenariat mondial pour l’éducation, qui s’est tenue à Dakar le 2 Février 2018, d’une augmentation à hauteur de 200 millions d’euros de la contribution française au Partenariat mondial pour l’Éducation est donc tout à fait bienvenue et doit être saluée. L’aide française dans ce domaine a cependant diminué et il serait souhaitable que sa part dans l’aide française, actuellement d’environ 15 %, soit également augmentée dans le cadre de la trajectoire budgétaire annoncée par le Gouvernement.

 

2010

2011

2012

2013

2014

2015

APD totale nette

9 751

9 350

9362

8 540

8 005

8 149

Aide totale à l’éducation*

1 555

1 254

1 256

1 235

1 216

1 183

Total Éducation de base ([16])  (primaire, 1er niveau du secondaire, infrastructures, enseignants)

 

483

 

337

 

322

 

298

 

264

 

276

Enseignement supérieur

Dont écolages (versements nets)

819

697

799

694

793

715

799

641

795

640

746

585

Part de l’éducation de base dans l’aide totale à l’éducation ( %)

 

31

 

27

 

26

 

24

 

22

 

23

Part de l’éducation dans l’APD totale (en  %)

16

13

13

14

15

15

Part de l’éducation de base dans l’APD totale (en  %)

5

4

3

3

3

3

Source : OCDE

Le rôle de l’éducation dans la maîtrise de la fécondité doit cependant être relativisé. L’éducation des jeunes filles est un objectif incontournable pour de multiples raisons, mais ne constitue pas nécessairement le levier principal pour changer les normes et les valeurs en matière de fécondité. La sensibilisation des hommes aux avantages de la maîtrise de la fécondité peut jouer à cet égard un rôle au moins aussi important Ainsi, au Niger, on a développé « l’école des maris », évoquée plus haut, afin de les sensibiliser, mais les progrès sont lents et difficiles selon le Dr Issa Sabo, responsable de la mise en place de ce programme rencontré à Niamey par la mission d’information, malgré le soutien de l’État et de plusieurs bailleurs, dont l’AFD, et bien que le programme ait été étendu aux centres de santé du pays.

Selon le Dr. Sabo, « le contexte politique est favorable, mais le consensus n’a pas été atteint ». Encore une fois, les difficultés liées aux habitudes et aux coutumes s’ajoutent aux difficultés matérielles. L’importance d’une scolarisation prolongée des jeunes filles est ainsi bien comprise par beaucoup de parents, mais la scolarisation a un coût que les familles ne peuvent pas toujours assumer.

Par ailleurs, comme le rappelle M. Guengant, prolonger l’éducation des jeunes filles peut permettre de réduire le nombre de grossesses précoces, mais relève de la planification familiale plus que de la maîtrise de la fécondité. Une femme peut avoir un nombre élevé d’enfants sur une période de vingt ans, par exemple entre l’âge de vingt et l’âge de quarante ans. « Le concept de planification familiale est en effet relativement bien accepté en Afrique subsaharienne, même au Niger, mais il est vu surtout comme un moyen de mieux espacer les naissances, et permettre ainsi d’atteindre dans de meilleures conditions le nombre d’enfants toujours élevé qui est souhaité. La maitrise informée et responsable de la fécondité doit de se faire tout au long de la vie féconde des femmes avec des messages adaptés à chaque âge. »

3.   Un sujet complexe

La maîtrise de la fécondité ne semble donc pas se réduire à un problème de disponibilité des moyens contraceptifs, éducatifs et sanitaires, même si elle constitue une condition indispensable à des politiques efficaces dans ce domaine.

Changer les comportements démographiques implique des changements d’habitudes, voire de mentalités, profonds dans des sociétés vastes et complexes, et il n’est pas certain qu’un tel objectif soit à la portée des programmes d’aide publique au développement existant aujourd’hui, du moins tels qu’ils sont actuellement mis en œuvre. Pour M. Yannick Jaffré, les programmes actuels de maîtrise de la fécondité se heurtent à plusieurs problèmes.

En premier lieu, les programmes mis en œuvre par les grandes organisations internationales échappent difficilement à un certain éloignement entre le centre de décision à l’origine d’un programme et le lieu où le programme doit être concrètement mis en œuvre, avec un décalage important entre l’état d’esprit de démographes à l’origine du programme et celui des bénévoles travaillant pour des ONG locales chargés de le mettre en œuvre sur place.

En deuxième lieu, selon M. Jaffré, les changements de comportement dans le domaine démographique sont largement venus d’évolutions sociétales qui paraissent difficiles à maîtriser. M. Jaffré cite ainsi le Brésil, où les « telenovelas » semblent avoir joué un rôle important en offrant l’image d’une société plus moderne à laquelle une partie de la société brésilienne a cherché à s’identifier, influant sur les comportements sociaux, familiaux et, finalement, démographiques. Mais un tel processus est largement spontané et semble difficile à mettre en œuvre depuis l’extérieur.

D’une manière générale, la maîtrise de la fécondité a été historiquement le plus souvent spontanée, dans certains cas isolés le fruit de programmes autoritaires difficilement supportables pour les populations, mais elle n’a pas à ce jour été le résultat de politiques d’aide au développement. Si cet objectif doit être atteint, il faudra au minimum que le sujet fasse l’objet d’un consensus parmi les gouvernements des États concernés.

Le caractère à ce jour mal maîtrisé du sujet démographique appelle également à un effort dans le domaine de la recherche, avec la formation d’équipes de chercheurs du Nord et du Sud chargés d’étudier les ressorts de la question démographique et de produire des pistes de réflexion qui permettront d’éviter les quelques pièges dans lesquels les programmes d’aide peuvent tomber dans ce domaine.

Le rôle de l’absence de systèmes de retraites dans la fécondité est fréquemment cité comme un facteur jouant un rôle important dans la croissance démographique, les populations comptant traditionnellement sur leurs descendants pour les aider pendant la dernière partie de leur vie. Les avis sont cependant partagés sur cette question, M. Guengant ayant fait valoir que la diminution des taux de mortalité en bas âge, toujours inacceptables mais plus faibles qu’auparavant, ne semblait pas avoir entraîné de diminution de la fécondité.

Il est toutefois recommandable d’amplifier la coopération dans ce domaine avec les États d’Afrique subsaharienne, pour lesquelles la mise en place de systèmes de retraites présente à l’évidence un intérêt bien plus large qu’une simple mesure indirecte de maîtrise de la fécondité. Un tel effort irait du reste de pair avec la construction de systèmes fiscaux dans ces États, recommandée plus loin dans le présent rapport.

Recommandations

 14. Créer un « visa de circulation » permettant des séjours multiples de durée limitée à destination des étudiants et des personnes ayant un projet professionnel afin de favoriser la circulation dans les deux sens entre la France et les pays prioritaires de l’aide

 15. Approfondir, dans le cadre de la commission des Affaires étrangères, la question des actions d’aide au développement dans le voisinage des outre-mer français

 16. Augmenter la part du secteur éducatif dans l’aide française

 17. Accroître la recherche visant à identifier les véritables leviers dans le domaine de la maîtrise de la fécondité démographique, en formant des équipes pluridisciplinaires de recherche nord-sud

 18. Améliorer la disponibilité des moyens contraceptifs pour les femmes dans les pays dont la fécondité démographique est particulièrement élevée

 19. Inciter les gouvernements des pays bénéficiaires dont la croissance démographique est élevée à assumer l’objectif de réduction du nombre de naissances, un tel objectif ne pouvant être imposé de l’extérieur.

 20. Faire inscrire l’objectif de réduction de la fécondité parmi les objectifs officiels de l’aide française.

 21. Aider les pays dont la croissance démographique est élevée à mettre en place des systèmes de retraite nationaux.


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   Développement et secteur régalien : une aide à renforcer

Qu’un État en mesure de fonctionner soit indispensable au développement économique relève de l’évidence, notamment dans son rôle de garant de la sécurité : sécurité des biens, des investissements et des personnes sans laquelle le développement économique est difficilement concevable, et sécurité juridique, sans laquelle le développement d’une économie peut difficilement aller au-delà du stade de l’économie informelle ou de subsistance.

Il s’agit cependant d’un domaine d’intervention délicat, car situé à l’intersection de trois domaines qui demeurent généralement séparés : le développement, la souveraineté et la sécurité. Les actions de développement dans les États fragiles et en crise présentent une gamme de difficultés particulières. Elles touchent de près aux fonctions régaliennes de l’État, elles peuvent mettre en jeu la sécurité des personnels chargés de leur mise en œuvre, et elles font plus difficilement l’objet de consensus au niveau international, ce qui peut rendre difficile la mobilisation des grandes organisations internationales d’aide au développement telles que la Banque mondiale, dont le mandat exclut généralement les considérations sécuritaires et dont le pilotage doit faire l’objet d’un consensus minimal entre les États-membres.

L’exemple de l’Afghanistan, évoqué plus haut dans le présent rapport, a montré que ces conditions pouvaient être difficiles à réunir. Néanmoins, l’expérience de ces dernières années a permis la mise en place de coordinations plus efficaces entre acteurs de la sécurité et du développement, dans le respect des mandats des différents bailleurs et en tenant compte du rôle que chacun est en mesure de jouer.

I.   l’objectif sécuritaire de l’aide au développement

Que l’aide publique au développement n’ait jamais été dépourvue d’une préoccupation sécuritaire n’est que rarement contesté, comme l’indique l’existence parmi les ODD d’un pilier « paix et sécurité ». La vocation sécuritaire de l’aide est toutefois longtemps restée très indirecte. L’évolution de la situation internationale a cependant conduit les bailleurs à s’impliquer plus directement dans les zones en crise.

A.   Les enjeux politiques de l’aide au développement

L’intégration croissante des politiques de développement aux efforts de stabilisation menés dans les régions comme le Sahel n’est pas réellement une nouveauté. Malgré les réticences de plusieurs ONG entendues par la mission d’information vis-à-vis du « mélange des genres » que constitue à leurs yeux l’utilisation de l’aide au développement à des fins sécuritaires, il n’est pas certain que l’aide publique au développement ait jamais été conçue indépendamment des réalités politiques.

Pendant la période de la guerre froide, les politiques d’aide publique au développement tenaient compte de deux préoccupations politiques :

– La volonté de contrecarrer l’influence de l’URSS et de ses alliés dans le monde ;

– Après la décolonisation, la volonté de la part des anciennes puissances colonisatrices comme la France et le Royaume-Uni de conserver une influence auprès de leurs anciennes colonies.

Pour ce qui concerne l’aide française, la stabilité politique de l’Afrique francophone est au moment de la décolonisation globalement assurée et les politiques de développement peuvent s’appuyer sur leurs appareils d’État, souvent renforcés par les coopérants français, dans la perspective d’un développement venant d’en haut et devant suivre une trajectoire linéaire sous la conduite de l’État et de l’administration. Des États tels que l’Iran et l’Afghanistan comptent dans les années 60 et 70 parmi les pays considérés comme prometteurs en termes de développement, du moins aussi longtemps que leurs gouvernements seront en mesure de faire usage de l’aide internationale afin de poursuivre la modernisation de l’économie.

À partir des années quatre-vingt-dix, la fin de l’ordre international très imparfait mais relativement prévisible de la Guerre froide et la multiplication des conflits locaux et des opérations de stabilisation ont créé une situation dans laquelle l’aide au développement a assumé de façon croissante une fonction de stabilisation des États en place qu’elle n’assumait pas auparavant.

L’exemple de l’Afghanistan, sur lequel s’appuie Serge Michailof dans son ouvrage Africanistan pour souligner la faible adaptation d’une partie du dispositif international d’aide aux objectifs que doivent viser ces politiques, est particulièrement instructif puisqu’il s’agit d’une situation dans laquelle l’aide internationale a été importante, s’est fixé un objectif clair de stabilisation et a été mise en œuvre dans le cadre d’une opération qui comportait un volet militaire important.

Or, pour M. Michailof, les résultats ont été décevants. Le pays n’a pas été stabilisé, l’Afghanistan n’est pas doté d’institutions stables, son économie stagne, alors même que ce pays a bénéficié d’une aide internationale dont le volume promis, pour la période 2002-2007, était de 23 milliards de dollars, soit l’équivalent de cinq ans d’aide de la Banque mondiale à l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, ainsi que d’une présence militaire censée assurer un niveau de sécurité suffisant pour permettre la reconstruction et le développement du pays.

Selon son analyse, l’échec s’explique par plusieurs séries de facteurs parmi lesquels le retard dans la prise de certaines décisions présentant un caractère politique, comme la reconstruction de forces de maintien de l’ordre locales et, plus généralement, une certaine réticence à s’occuper des aspects les plus régaliens de la reconstruction de l’État, du fait notamment du caractère politiquement complexe de la situation interne du pays.

En d’autres termes, obtenir des engagements financiers considérables de la part des principaux donneurs était plus simple que mettre en œuvre une aide au développement efficace et aboutissant réellement à la stabilisation du pays.

Les politiques d’aide destinées aux pays fragiles ou instables présentent en effet des difficultés particulières.

En premier lieu, lorsque l’État n’est pas en mesure de constituer un relais efficace des politiques d’aide, ce sont les intervenants extérieurs qui doivent soit se substituer aux structures administratives manquantes, soit les reconstruire aussi bien au niveau national que local. Les obstacles politiques aux interventions de ce type sont évidemment nombreux et beaucoup de problèmes présentant principalement un caractère économique ou humanitaire sont susceptibles d’entraîner des conséquences politiques. La façon dont sont réglés les problèmes dus à des déplacements de population peut ainsi avoir des conséquences sur les éventuels processus électoraux organisés dans le cadre du règlement négocié d’un conflit. Les politiques de réintégration des personnes ayant combattu lors d’une guerre civile  sont essentielles lorsqu’il s’agit d’éviter une reprise du conflit, mais sont également politiquement sensibles.

Plus généralement, les fonctions régaliennes de l’État, lorsqu’elles sont à reconstruire comme c’était le cas en Afghanistan à partir de la fin 2001, ne peuvent pas être laissées de côté mais impliquent souvent de véritables choix politiques devant lesquels les coalitions complexes d’acteurs, composées à la fois d’États et d’acteurs multilatéraux, tendent à reculer.

En deuxième lieu, les problèmes à régler ont souvent besoin de l’être rapidement, notamment lorsque la situation politique de l’État destinataire n’est pas stabilisée de façon définitive. Il est donc essentiel que les institutions chargées de mettre en œuvre l’aide au développement soient réactives et, dans la mesure du possible, habituées à la région dans laquelle elles agissent.

B.   L’approche globale

La nécessité d’une « approche globale » des crises a émergé à la suite d’une série de crises et de conflits au cours desquels la communauté internationale est intervenue militairement et n’a pas été en mesure de transformer des succès militaires parfois rapides et complets en succès politiques durables, faute d’avoir pris en compte les autres facteurs nécessaires à la stabilisation durable de l’État ou de la région concernée.

Deux objectifs principaux sont assignés à l’approche globale :

 prévenir les conflits pour ne pas avoir à s’y impliquer militairement : prévenir un conflit est en effet bien moins coûteux à tous points de vue que d’intervenir militairement pour tenter de le résoudre. Ainsi, le coût de l’opération Serval en 2013 s’est élevé à environ 650 millions d’euros et le coût de Barkhane à environ 550 millions d’euros par an ! Il faut ajouter à ces sommes la participation aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, soit à nouveau plus de 500 millions d’euros en 2016.

– transformer un succès militaire en succès politique. Les exemples de l’Afghanistan et de l’Irak montrent la difficulté de l’opération.

Mettre en œuvre une « approche globale » implique ainsi de mieux prévenir les crises, par des actions de coopération structurelle militaire, de coopération civile et de développement. Le développement économique, la construction des structures de l’État, de l’administration, de la justice, sont en effet les plus sûrs moyens de prévenir les crises. Mais il s’agit aussi d’aller plus loin en analysant systématiquement, selon les concepts désormais mis en œuvre par l’AFD, les « facteurs de crise » et les « facteurs de résilience » de chaque situation.

Il faut en outre mieux détecter les signaux avant-coureurs des crises et savoir aussi, dès les débuts de l’intervention militaire quand celle-ci s’avère inévitable, déployer, en coordination avec l’action militaire, des capacités civiles pour créer les conditions d’une stabilisation durable. La France puis l’Union européenne à sa suite ont aussi mis en place des stratégies intégrées pour le Sahel (respectivement en 2008 et en 2011), qui ont toutes les deux pour caractéristique d’inclure un large périmètre d’États dans leur réflexion et d’ambitionner de mener une approche transversale alliant développement, sécurité et gouvernance.

Le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale de 2008, puis celui de 2013 ([17]), avaient déjà mis en avant cette nécessité d’une approche globale, qui avait conduit à l’adoption, en 2009, d’une stratégie interministérielle de gestion civilo-militaire de gestion des crises extérieures.

Le Livre blanc de 2013 indique notamment que « Le renforcement de l’action civile sur le terrain passe surtout par une mobilisation rapide des expertises civiles, notamment dans les spécialités critiques (sécurité publique, douanes, administration publique, magistrature, génie civil, etc.) ». La mobilisation des expertises citées est en effet essentielle dans les situations de sortie de crise, mais elle l’est tout autant sur le long terme, non seulement pour prévenir les crises, mais également pour permettre un développement économique véritable et de plus en plus endogène, contribuant à éloigner de plus en plus la possibilité d’une crise politique.

Un domaine crucial à cet égard est celui de la coopération fiscale. L’aide à la mise en place d’administrations fiscales dans les pays les plus pauvres est en effet à la croisée de plusieurs préoccupations, parmi lesquelles la lutte contre les flux financiers illicites, qui représentent en Afrique subsaharienne, selon certaines estimations, 5,5  % du revenu global de la région. Mais la mise en place d’administrations fiscales présente un intérêt beaucoup plus large. Il s’agit en effet d’abord de permettre aux États africains de rééquilibrer leur fiscalité, qui repose aujourd’hui de façon quasi exclusive sur la taxation de grandes entreprises étrangères et sur les douanes, alors que la diminution des barrières douanières serait utile dans certains domaines au développement des économies de la région. Certains États voient également leur financement reposer de façon quasi exclusive sur les matières premières, c’est-à-dire sur des rentes, avec tous les risques qu’elles comportent.

Il s’agit aussi, plus fondamentalement de faire des citoyens des contribuables, c’est-à-dire des participants actifs à la vie politique et administrative de leur pays dont le bien-être économique ait une influence directe sur les recettes fiscales de l’État, et vis-à-vis desquels l’État doive rendre compte. La coopération fiscale, loin de se limiter à une politique de lutte contre la fraude, est au cœur de la construction de l’État et du renforcement de la communauté politique sur laquelle il repose. Le rôle central que peut jouer la coopération fiscale pour lever les obstacles techniques dans ce domaine illustre le caractère stratégique de l’expertise, que ce rapport préconise de renforcer.


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II.   La coordination entre l’aide au développement et les politiques de stabilisation

Cette approche globale doit être menée par des acteurs très différents, dont les missions et les mandats ne sont pas les mêmes, mais qui doivent agir de façon complémentaire et en étroite coordination. L’expérience difficilement acquise depuis la fin des années quatre-vingt-dix dans des pays tels que l’Afghanistan ou la Somalie a conduit les États contributeurs et bénéficiaires ainsi que les bailleurs multilatéraux à rechercher des moyens d’agir à la fois efficacement et dans le cadre de leurs mandats respectifs dans les régions instables. La coordination entre les différents acteurs de l’aide n’est cependant pas automatique et dépend souvent des circonstances.

Trois exemples sont cités ici : celui de la Banque mondiale, grande organisation multilatérale disposant de moyens importants mais d’un mandat strictement encadré, celui de l’Alliance Sahel, initiative multi-bailleurs ayant pour but la mise en œuvre plus efficace de projets existants afin d’appuyer les efforts de stabilisation dans le Sahel, et enfin la Haute Autorité pour la Consolidation de la Paix du Niger, administration réactive et de petite taille créée pour renforcer la présence de l’État dans des régions les plus menacées par des phénomènes de déstabilisation.

A.   La coordination au niveau multilatéral – exemple de la Banque mondiale

La France est le cinquième actionnaire de la Banque mondiale, au sein de laquelle elle est par conséquent en mesure d’exercer une certaine influence. Le fait que l’approche de la Banque sur les États fragiles soit très proche de celle de la France et de l’AFD tient cependant largement au fait que les principaux contributeurs partagent une partie des priorités politiques de la France en matière de stabilisation, notamment les États-Unis et l’Allemagne. Les États fragiles sont une priorité pour la Banque mondiale, qui s’apprête à faire passer ses financements dans ce domaine de sept à quatorze milliards de dollars dans les trois ans qui viennent.

La stratégie de la Banque consiste à s’attaquer de plus en plus aux causes de la fragilité en amont. Selon le rapport sur la prévention, « Pathway to peace » ([18]) , récemment publié et présenté à l’Assemblée générale de l’ONU, l’humanitaire et le développement ne doivent plus être vus comme deux mondes disjoints ne communiquant pas entre eux, et les acteurs de la sécurité doivent également être impliqués dans la prévention à long terme.

Ce rapport, en effet, prend acte de la multiplication des conflits de basse intensité et de leur complexité croissante, cherche à en identifier les facteurs de déclenchement, puis s’efforce de déterminer les actions susceptibles de les prévenir. Parmi les recommandations regroupées à la fin du rapport figure l’intégration de la réforme du secteur de la sécurité aux autres réformes institutionnelles (« Integrate security sector reform with other institutional reforms »), idée dont il faut souhaiter qu’elle puisse influencer la méthodologie statistique du CAD.

La Banque mondiale doit cependant demeurer dans le cadre de son mandat. M. Franck Bousquet, directeur principal de la cellule Fragilité, conflits et violence (FCV) à la Banque mondiale, auditionné par la mission d’information, indique que : « Concernant le mandat de la banque, les aspects sécuritaires et développement ont été séparés et nous avons trop longtemps opéré en silos. Le mandat de la Banque ne doit pas changer, mais il faut comprendre ce que font les autres acteurs et l’impact de ce qu’ils font. La limitation de notre mandat nous oblige à faire attention aux partenariats et à chercher des échanges d’information, et à nous coordonner avec d’autres acteurs. On peut atteindre les mêmes objectifs avec une bonne coordination. »

La Banque mondiale recherche par conséquent des partenariats avec les acteurs de la sécurité. La place qu’occupe la banque dans le dispositif local varie selon le pays et la situation. Ainsi, en République centrafricaine, la Banque mondiale a un partenariat avec les Nations unies et l’Union européenne tandis que la Minusca lui signale les actions de développement nécessaires. Le partenariat avec l’ONU et l’Union européenne, qui s’exerce dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, permet à la Banque mondiale permet d’inclure indirectement l’humanitaire et le sécuritaire dans son périmètre.

B.   G5 Sahel et Alliance pour le Sahel

La région du Sahel présente une série particulière de défis en matière de développement comme de sécurité.

La sécurité des États de la région est menacée à la fois par la montée du djihadisme, par des conflits locaux et par la criminalité internationale, avec un trafic d’êtres humains et de migrants qui s’est également densifié. La gouvernance d’une partie des États du Sahel pose également des problèmes complexes.

En matière de développement, la région du Sahel se caractérise par l’enjeu de transition démographique le plus important au monde, la population des états du G5 Sahel ([19])  doublant tous les vingt ans. Le taux de pauvreté est d’environ 50  %, les taux d’accès à des centres de santé et les taux d’éducation sont les plus faibles du monde ([20]). La malnutrition est par ailleurs chronique.

Ainsi, au Niger, selon les données fournies par l’ONG Action contre la Faim, 11,3 % de la population est sous-alimentée soit 2,2 millions de personnes, tandis que 18,7 % des enfants de moins de 5 ans souffrent d’émaciation, que 43 % des enfants de moins de 5 ans souffrent encore d’un retard de croissance et qu’une femme sur deux en âge de procréer souffre d’anémie.

La densité de population dans cette région en grande partie désertique est enfin extrêmement réduite ([21])  et les infrastructures sont très insuffisantes. Enfin, le changement climatique fait craindre une baisse importante de la productivité agricole dans les prochaines années.

Dans ce contexte, comme l’a rappelé M. Jean-Marc Châtaigner, ambassadeur, envoyé spécial pour le Sahel, auditionné par la mission d’information, l’apparition de deux poches d’insécurité – l’extension des actions du mouvement nigérian Boko Haram aux États voisins, puis, en 2012, la perspective d’un effondrement de l’État malien, a d’abord amené la France à intervenir militairement. Une intervention ponctuelle ne suffisant pas à rétablir la situation durablement, les États de la région ont formé en février 2014 le G5 Sahel, cadre institutionnel de coordination et de suivi de la coopération régionale en matière de politiques de développement et de sécurité.

Ce cadre a permis la mise en place progressive d’une stratégie d’ensemble pour la région, avec une coordination étroite entre les cinq États membres et la communauté internationale, visant à traiter les causes profondes de déstabilisation dans la région en mettant en place les modes de coordination adéquats entre les acteurs de la sécurité et ceux du développement.

Dans le domaine de la sécurité, la France est très engagée, d’une part avec l’opération Barkhane, d’autre part aux côtés de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) qui s’efforce de garantir l’application de l’accord d’Alger, et qui est une des missions les plus meurtrières des Nations unies, avec plus de 130 victimes à ce jour.

Mais selon M. Châtaigner, l’avis général est que l’intervention militaire ne résoudra pas l’ensemble des problèmes et ne peut durer indéfiniment. Il faut donc organiser un passage de relais et faire en sorte que les Sahéliens puissent assurer leur défense eux-mêmes. Pour cela, il faut d’une part qu’ils puissent disposer d’un outil militaire local opérationnel, ce vers quoi s’efforce de tendre la force conjointe du G5 Sahel, d’autre part que des progrès rapides soient effectués sur les thématiques les plus importantes du développement. C’est à cette fin qu’a été créée l’Alliance Sahel.

Lancée par la France et l’Allemagne le 13 juillet 2017 à Paris, l’Alliance pour le Sahel n’est pas une nouvelle structure ni une enceinte de plaidoyer financier, mais un mécanisme de renforcement de la coordination des partenaires pour une aide plus rapide, plus efficace et mieux ciblée en faveur des zones vulnérables. Cinq secteurs clefs sont ciblés : employabilité des jeunes, éducation et formation, agriculture, développement rural et sécurité alimentaire, énergie et climat, gouvernance, décentralisation et appui au déploiement des services de base.

L’objet de l’Alliance est d’obtenir une mise en œuvre plus rapide des projets, des résultats plus rapides et des impacts plus importants sur les populations sahéliennes exposées à la fois au sous-développement et à l’insécurité. L’Alliance pour le Sahel est le deuxième pilier de l’Initiative Sahel, le premier étant le G5 Sahel. On est donc en présence d’une parfaite illustration de la complémentarité existant, dans certaines situations, entre l’aide au développement et la stabilisation.

La création de l’Alliance pour le Sahel n’a pas été associée à celle d’un fonds fiduciaire, le problème à résoudre n’étant pas le manque de ressources mais la capacité à les mobiliser et à les utiliser à bon escient. L’Alliance a disposé dès sa création d’un portefeuille de projets en cours de sept milliards et demi d’euros, à des stades d’avancement divers et se heurtant à toute une série de freins tenant à la fois aux bailleurs, qu’aux pays partenaires.

Les procédures de passation de marchés peuvent ainsi être très pénalisantes. Le passage par la mise en concurrence est une bonne démarche, mais implique une procédure complexe qui peut prendre des mois, voire des années lorsque les administrations sont faibles.

Si les bailleurs peuvent être compliqués et procéduriers, les pays bénéficiaires ont souvent de leur côté des difficultés à mettre en place de bonnes conditions d’exécution des projets.

M. Jean-Marc Gravellini, coordonnateur de l’Alliance pour le Sahel auditionné par la mission d’information, a ainsi pris l’exemple du domaine de l’énergie, dans lequel les besoins sont considérables, « Les solutions techniques existent, on peut financer des opérations qui ont une rentabilité, mais il faut créer un cadre institutionnel qui garantisse une certaine profitabilité à long terme. Or, si la tarification n’est pas claire et si le gouvernement ne s’engage pas clairement, on manque d’investisseurs. »

Selon M. Gravellini, la priorité de l’Alliance étant la réalisation effective des projets, des pratiques différentes des habitudes de travail des bailleurs peuvent être nécessaires dans certaines situations. Ainsi, s’il est généralement déconseillé de travailler dans des endroits où l’administration n’existe pas, il est néanmoins possible de travailler avec les ONG locales lorsque c’est le cas. La Banque mondiale réalise ainsi des opérations au Mali avec des agences d’exécution locales, voire des ONG étrangères, qui prennent en quelque sorte la place du Gouvernement. Une telle situation contrevient au principe d’appropriation mais peut être le seul moyen disponible pour réaliser un projet.

L’Alliance pour le Sahel s’est fixé une double priorité : en premier lieu, mettre en œuvre rapidement les projets disponibles aujourd’hui, ce qui nécessite de procéder à des revues sectorielles, afin de déterminer ce qui fonctionne et ne fonctionne pas et d’identifier les bonnes pratiques.

En deuxième lieu, l’Alliance doit montrer sa capacité à intervenir dans les zones les plus fragiles et exposées au terrorisme, et montrer qu’il est possible d’y intervenir.

C.   Le HACP au Niger

La coordination entre projets d’aide au développement et activités de sécurisation d’une zone peut également avoir lieu au niveau régional dans le cadre des politiques nationales, comme l’illustre l’exemple de la Haute Autorité pour la Consolidation de la Paix du Niger (HACP) dont la mission d’information a pu rencontrer à Niamey le Président, le Général de brigade Mahamadou Abou Tarka.

Créée il y a vingt-cinq ans, la HACP est une administration de mission directement rattachée à la présidence de la République et généralement dirigée par un officier ou un diplomate. Le personnel vient en partie de la défense, en partie de l’agriculture ou des secteurs du développement.

Selon le général de brigade Mahamadou Abou Tarka, le Niger a hérité à son indépendance en 1960 de toutes les institutions françaises. Le pays s’est alors fixé deux objectifs :

– Créer un État et forger la nation, c’est-à-dire faire vivre ensemble des groupes assez disparates ;

– Améliorer les conditions de vie de la population, c’est-à-dire se développer.

Pendant longtemps, ces deux objectifs ont été considérés comme séparés, mais tel n’est plus le cas. La construction de l’État, dont l’élément le plus important est la mise en place d’institutions régaliennes, a dû faire face à des défis dès les années 90, avec la rébellion touareg et la rébellion toubou. Ces dernières années, l’arrivée du djihadisme a aggravé la situation.

Il a cependant été observé que les problèmes tendent à diminuer quand le niveau de vie de la population augmente. Le développement vise donc à la fois à améliorer les conditions de vie et à renforcer l’État.

Le développement a beaucoup bénéficié de l’assistance française, l’AFD étant le deuxième bailleur du pays après le Fonds européen de Développement (FED). Cependant, pendant longtemps, les forces de défenses étaient appelées les « forces de répression » et les bailleurs ne souhaitaient pas les financer, l’aide au développement étant alors consacrée exclusivement à des secteurs comme l’école, l’agriculture et la santé. L’outil de sécurité s’est cependant délité, et on a alors pris conscience de ce qu’il était indispensable pour que l’État puisse subsister et pour que le développement puisse avoir lieu. Aujourd’hui, les acteurs du développement cherchent le meilleur moyen de financer la sécurité.

La HACP est née de la nécessité de suivre les accords de paix avec les Touaregs. Il a rapidement été constaté que cela ne serait possible qu’à condition de soutenir les populations qui peuvent être victimes de manipulations. Les groupes armés qui s’installent dans ces zones offrent en effet une alternative aux populations qui peuvent ainsi bénéficier de ressources grâce aux trafics ou aux activités criminelles. Si l’État n’est pas entendu, ces populations sont perdues au profit des groupes armés.

Le rôle de la HACP, créée en 1995 afin de faciliter l’application de l’accord de paix, revêtait donc une importance telle qu’il fallait qu’elle soit institutionnellement proche du Président de la République, donc influente et en mesure de l’informer de la bonne ou mauvaise application de l’accord par un ministère. Le président de la Haute Autorité est ainsi membre du Conseil national de Sécurité, ce qui lui permet un accès au Président qui peut faciliter la résolution de certains problèmes.

La politique de mise en œuvre de l’accord de paix comportait trois axes :

– des politiques d’intégration ;

– une réforme institutionnelle, avec une décentralisation à trois niveaux (communes élues, préfets chefs coutumiers) ;

– le développement économique, afin d’éviter que certaines zones ne demeurent abandonnées par le pays, donc développement.

La HACP a eu pour mandat de mettre en œuvre ces trois axes, soit en coordonnant avec d’autres ministères, soit sur fonds propres quand il s’agissait de sujets rendus urgents pour des raisons sécuritaires.

Il y a au Niger 76 communes identifiées comme instables ou pouvant échapper à l’État dans des zones faillies. La présence de réfugiés dans certaines de ces zones aggrave la situation du fait de la ponction qu’elle entraîne les ressources locales. C’est dans ces zones prioritaires qu’il faut conjuguer les actions.

 

Selon le Général de brigade Mahamadou Abou Tarka, l’institution fonctionne de façon satisfaisante et parvient à travailler dans ces zones. Ce sont les ressources qui peuvent manquer, mais le Niger reçoit l’aide de ses partenaires, avec notamment un soutien de l’ambassade de France dans la zone où va s’installer le G5.

L’objectif de la HACP est de montrer aux populations que l’État est présent, crédible et en mesure d’agir. Pour ce faire, la HACP s’efforce d’impliquer directement les populations et d’en faire les acteurs principaux du développement. Les demandes des populations peuvent varier selon les zones et peuvent inclure des forages de puits, des vaccinations, des délimitations entre les champs ou des aménagements agricoles, ou encore, dans certaines régions périurbaines, l’aide aux coopératives ou des aides ponctuelles permettant aux jeunes d’atteindre leurs objectifs.

Il est important de noter que l’aide au développement dans les zones fragiles ou instables fait face à un problème particulier. Les mouvements insurrectionnels cherchant à contester la légitimité de l’État, il est important que ce dernier puisse non seulement délivrer une aide dans ces régions, mais que l’origine de cette aide soit visible. Or, plus le niveau d’insécurité est élevé dans une région, plus il est tentant, et souvent indispensable, de s’appuyer sur des ONG locales pour apporter une aide.

Cela n’est toutefois pas sans inconvénients. L’évaluation de l’aide est plus difficile lorsque ce sont des ONG locales qui la mettent en œuvre. Les risques d’irrégularités, volontaires ou non, sont plus élevés. M. Jean Christophe Maurin, directeur du bureau de l’AFD à Niamey, a indiqué à la mission qu’il ne pouvait se rendre dans certaines zones frontalières du Niger qu’accompagné d’une escorte.

Or, c’est précisément dans ces zones que la présence de l’État doit être affirmée et rendue visible aux yeux des populations. C’est pourquoi la HACP s’efforce d’être visible et identifiable là où elle intervient, avec, par exemple, un logo visible sur les véhicules qu’elle utilise.

La HACP est cependant conçue pour intervenir de façon ponctuelle. Le Général de brigade Mahamadou Abou Tarka a ainsi déclaré : « J’ai beaucoup travaillé dans l’Azawad nigérien vers 2012-2013. On craignait qu’il se passe la même chose qu’au Mali et nous avons beaucoup investi. Mais l’irrédentisme touareg ne s’est pas manifesté de la même façon et nous sommes partis, ce qu’on nous reproche, mais c’est aux acteurs normaux d’y travailler maintenant. »

Il convient cependant de se demander si le modèle de la HACP peut être reproduit dans d’autres pays. Selon le général de brigade Mahamadou Abou Tarka, la CEDEAO a demandé aux États membres de créer des structures identiques au HACP, mais bien que des « zones grises » existent dans de nombreux États de la région, les réalités locales ne sont pas toujours les mêmes. « Le nom sera peut-être le même dans les autres pays, mais la réalité sera nécessairement différente. »

En matière de sécurité, ces zones sont le talon d’Achille des États fragiles, car ce sont les endroits où peu de personnes souhaitent travailler, alors que c’est précisément dans ces zones que les projets de développement seraient le plus utile. L’objectif d’un organisme tel que la HACP est précisément de montrer que cela est possible, et que l’État peut être présent dans les régions difficiles, en particulier dans la mesure où les djihadistes cherchent justement à valoir que l’État est absent.

Recommandations

 22. Renforcer l’expertise en matière de renforcement des administrations fiscales dans les pays d’Afrique subsaharienne

 23. Poursuivre les efforts pour obtenir l’inclusion de certaines dépenses régaliennes et de sécurité dans le calcul des montants de l’APD par le CAD

 24. Faire reconnaître les objectifs de stabilisation comme prioritaires au sein des grandes organisations internationales de développement

 

 

 


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   Conclusion

Au fil des travaux, la mission d’information sur l’aide publique au développement a pris conscience du fait que l’aide publique au développement de la France est maintenant à un moment décisif de son histoire.

Au terme d’un déclin  de six ans, avec une part dans le revenu national qui est passée de 0,50 à 0,36  % de 2010 à 2016, la trajectoire budgétaire annoncée lors du CICID de février 2018 doit lui redonner les moyens de remplir ses objectifs.

Il a donc semblé urgent à la mission d’information, en premier lieu, de souligner l’engagement du gouvernement et de l’encourager. Mais il a semblé tout aussi urgent de rappeler qu’il ne suffit pas d’augmenter le budget de l’aide pour qu’elle soit en mesure de jouer le rôle qui est le sien. Il importe tout autant, en effet, de s’assurer d’abord que cette augmentation ne soit pas en trompe-l’œil et renforce les composantes de l’aide au développement qui ont le plus souffert des années de baisse. L’aide française doit retrouver un équilibre entre sa composante directe, qui permet à la France d’intervenir là où c’est le plus urgent et de maintenir une présence utile dans les régions prioritaires.

Mais il est tout aussi important que l’aide française soit enfin pilotée d’une manière qui lui permette d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie d’aide cohérente, ce qui implique de mettre fin à son éclatement administratif et budgétaire, et de lui donner la direction politique unifiée dont elle a besoin.

En se déplaçant au Niger, la mission d’information a pu mesurer l’importance de l’aide au développement dans les pays prioritaires, dont les économies n’ont pas encore accédé au rang d’économies émergentes, et où la consolidation de l’État n’est pas encore pleinement achevée.

La mission d’information a donc jugé utile de rappeler l’importance des thématiques démographique et régalienne, qui doivent occuper une place prioritaire dans la stratégie de développement de la France, et d’insister sur le fait que les difficultés inhérentes à leur traitement, difficultés politiques autant que pratiques, ne doivent pas faire perdre de vue leur caractère essentiel, en particulier dans les pays prioritaires de l’aide française.

La mission d’information s’est également rendue au Royaume-Uni, où elle a pu rencontrer les principaux responsables de la politique d’aide au développement britannique. L’expérience d’un pays qui a augmenté rapidement le budget de son aide et l’a maintenu depuis lors à un niveau élevé est particulièrement utile à la France si elle souhaite mettre en œuvre la trajectoire prévue du budget de l’aide de façon utile et efficace.

À travers les différentes recommandations faites dans le présent rapport, il s’agit donc de donner à la France les moyens de redevenir un acteur majeur de l’aide au développement tout en faisant de la politique d’aide française une composante à part entière de sa politique étrangère. L’augmentation du budget de l’aide doit comporter un rééquilibrage de ses principales composantes et s’accompagner à la fois de la mise en place de moyens d’évaluation et d’une réforme du pilotage de l’aide. La stratégie d’aide publique au développement que la France sera ainsi en mesure de mettre en œuvre doit s’orienter massivement vers l’élimination des obstacles au développement que sont la croissance démographique excessive, l’instabilité politique et la faiblesse des États.

La mission d’information sur l’aide publique au développement, qui entend assurer un suivi de la politique d’aide française tout au long de la présente législature, espère donc avoir contribué par ce rapport à ce que la France puisse se donner les moyens de déployer une aide au développement plus équilibrée, plus cohérente et articulée autour d’une stratégie claire.

 


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   EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères a examiné le présent rapport d’information au cours de sa séance du mardi 12 juin 2018.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. L’ordre du jour appelle l’examen du rapport d’information confié à Mme Bérengère Poletti et M. Rodrigue Kokouendo, co-rapporteurs, sur les nouvelles approches de l’aide publique au développement.

M. Rodrigue Kokouendo, rapporteur. Madame la Présidente, chers collègues, Mesdames et Messieurs, nous sommes heureux, Bérengère Poletti et moi-même, de vous présenter le résultat des travaux de la mission d'information sur l'aide publique au développement;

Cette mission a été constituée le 24 octobre 2017 par la Commission des affaires étrangères.

Tout au long de cette mission, nous avons eu conscience de l'importance et de la complexité de ce dossier qui  mobilise nombre d'administrations dans des domaines majeurs, affaires européennes et étrangères, finance, justice, immigration, défense, et qui véhicule l'image et les valeurs de la France dans le monde.

Cette mission s'est déroulée dans un contexte particulier. L’aide publique au développement (APD) se trouve en effet à un moment charnière de son histoire. Alors que son budget avait fortement diminué, la France a l'ambition de revenir au premier plan international.

Cette volonté s'est exprimée l'an dernier lors du discours annuel du Président de la République devant les ambassadeurs. Il a alors annoncé un objectif d'engagement annuel de 0,55 % du revenu national en 2022, pour, à terme, atteindre 0,70 %.

Cette trajectoire budgétaire ambitieuse replacera la France parmi les grands intervenants et permettra d’améliorer l'efficience de ses actions sur la scène internationale, en particulier en Afrique subsaharienne. 

Elle ne constitue toutefois qu’un élément parmi d’autres de la montée en puissance de l’aide française. Celle-ci implique en effet que des mesures soient prises pour anticiper et  accompagner cette trajectoire budgétaire.

Ainsi, comme vous le savez, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) de février a pris plusieurs décisions importantes du point de vue budgétaire et en ce qui concerne le pilotage de l’aide.

Cinq orientations majeures que je voudrais rappeler ont été fixées.

En premier lieu donc, une trajectoire portant l’aide de 0,37 % à 0,55 % en 2022 avec un échéancier dûment établi.

Le CICID a ensuite énuméré les thèmes principaux sur lesquels l’APD doit être centrée : la santé, l’égalité femmes-hommes, l’éducation, le climat et la fragilité institutionnelle de certains pays.

Ce CICID a déterminé, en troisième lieu, la liste de 19 pays cibles, en donnant priorité aux pays les moins avancés et, les concernant,  en privilégiant les dons sur les prêts.

Quatrièmement, une autorisation d’engagement d’un milliard d’euros a été actée pour soutenir l’Agence française du développement (AFD) dans ses actions.

Enfin, l’aide qui transitera par les Organisations non gouvernementales (ONG) sera doublée.

Nous nous sommes appuyés sur ces nouvelles orientations de la politique de l’aide, attendues depuis de nombreuses années, pour formuler des propositions pertinentes destinées  à accompagner et anticiper cette trajectoire budgétaire.

Il faut en effet insister sur le fait qu’une trajectoire budgétaire ne donne qu’une indication très partielle de la politique d’aide d’un pays. Le fameux objectif de 0,7% du RNB est certes un repère utile pour mesurer les efforts respectifs des uns et des autres, mais il présente l’inconvénient d’être un objectif de dépense, en clair l’addition de budgets très divers aux ordres de grandeurs divergents. Se référer exclusivement à un tel indicateur pourrait faire illusion en privilégiant l'importance des dotations au détriment de leur efficacité.

C’est pourquoi il nous a semblé important d’insister sur le contenu de l’aide publique au développement.

En premier lieu, conformément à la décision du CICID, l’APD doit être rééquilibrée en faveur du bilatéral. L’augmentation, au fil des ans, de la part multilatérale de l’aide, n’a pas été véritablement le reflet d’un choix stratégique, mais est plus probablement liée au fait que les contributions multilatérales, qui sont des engagements pluriannuels, résistent plus facilement aux arbitrages budgétaires difficiles.

Le renforcement de l’aide bilatérale nous semble donc nécessaire, même si elle est plus contraignante car elle implique de sélectionner des projets à financer et de surveiller leur mise en œuvre. L’augmentation rapide de l’aide bilatérale, et en particulier des dons bilatéraux, devra donc à la fois être anticipée par des autorisations d’engagement permettant de réaliser dans les temps les crédits de paiement prévus, et s’accompagner d’une montée en puissance de nos capacités de maîtrise d'œuvre.

L’augmentation des dons-projets, aujourd’hui marginale dans l'aide française, doit également faire partie des priorités de la mise en œuvre de cette trajectoire budgétaire, car ils permettent de faire face à des situations d'urgence dans les pays les plus pauvres.

Notre mission a ainsi pu constater avec surprise que les pays les plus pauvres, naturellement prioritaires de l’aide publique au développement française et dont la liste s’allonge d’année en année, ne reçoivent que 14 % de l’aide bilatérale totale de la France. Nous recommandons un net rééquilibrage sur ce point.

Sur les différents aspects de l'accompagnement de la trajectoire budgétaire que je viens d’évoquer, il est une recommandation qui nous paraît déterminante, c’est celle de la mise en place d’une véritable loi de programmation de l’aide publique au développement, sur le modèle de la loi de programmation militaire.

Toutefois, l’augmentation des budgets ne produira une amélioration de notre aide au développement que si elle s’accompagne d’une réforme de fond de son pilotage. Lors du déplacement que nous avons effectué au Royaume-Uni, pays dont le volume d’aide est passé de 0,56% à 0,7% du RNB en une année et s’est ensuite maintenu à ce niveau, nous avons pris conscience de l’importance de ce sujet.

La mise en œuvre de l’aide française n’a en effet jamais pu trouver une organisation pleinement satisfaisante. Les différentes réformes engagées depuis la suppression du ministère de la Coopération en 1998 n’ont jamais mis fin à la dualité ministérielle qui n’est qu’un aspect de l'atomisation administrative de l’aide française, d'autant que les deux ministères en question ne gèrent qu’environ 30% du budget total de l’aide. Ce chiffre étonnant s’explique en partie par le fait que ce fameux ratio, qui indique la part du revenu national consacrée à l’aide, s’obtient par l’addition de dépenses diverses et variées ; mais cette explication n’est que partielle puisqu’au Royaume-Uni, ce sont environ les trois quarts de l’aide qui sont directement gérés par le Department for international Development (DFID), une proportion que M. Rycroft, Secrétaire permanent du DFID, trouve cependant encore trop faible.

Placer l’aide publique au développement française sous l’autorité d’un ministère dédié nous semble par conséquent une nécessité. La coordination entre les deux ministères responsables de la politique d’aide peut être en effet satisfaisante dans les conditions actuelles, mais risque de ne plus l’être dans un contexte d’augmentation rapide des montants et une orientation politique plus ciblée exigeant d'importants rééquilibrages budgétaires.

J'ajoute que, dans le contexte actuel et au regard de l'importance stratégique de l'aide au développement relevée plus haut, la création d'un ministère de plein exercice serait un signal fort à la communauté internationale de la détermination politique de la France.

D'ici là, afin de structurer plus efficacement l’organisation administrative de l’aide, la mission recommande d'acter rapidement, conformément aux décisions du CICID, le rapprochement d’Expertise France avec l’AFD, mais aussi de pousser plus loin la fusion des opérateurs au sein d’Expertise France en ne se contentant pas de simples conventions avec les quatre opérateurs mentionnés par le CICID.

Enfin, un sujet d’une importance particulière dans le contexte de l’augmentation de l’aide française est celui de l’évaluation. Dans ce domaine, l’exemple du Royaume-Uni mérite également d’être noté, car ce pays s’est doté d’une commission indépendante d’évaluation, l’ICAI, qui présente régulièrement, devant le Parlement et en présence du ministre, des rapports d’évaluation sur des politiques d’aide en cours, le ministère étant censé réagir aux observations qui sont ainsi faites. L’ICAI travaille de façon indépendante et se fixe pour objectif d’évaluer l’efficacité réelle des politiques d’aide, et non leur simple régularité comptable.

Le rôle des évaluations sera crucial dans un contexte d’augmentation budgétaire car, comme l’a remarqué avec honnêteté M. Rycroft, « Une augmentation comme celle que vous envisagez entraine presque invariablement une dilution au détriment de la qualité ». Cela sera encore plus vrai si priorité est donnée à l’aide bilatérale sous forme de dons.

C'est ainsi que l’aide française, renforcée et mieux pilotée, ne sera vraiment utile que si elle respecte des priorités stratégiques clairement identifiées.

Avant de laisser la parole sur ce sujet, deuxième partie de ce rapport, à ma collègue Bérengère Poletti, je tiens à lui exprimer ici mes plus chaleureux remerciements pour notre collaboration confiante et toujours constructive, j'espère que les suites de cette mission  nous permettrons d'affiner ensemble nos réflexions et de vivre leur mise en œuvre.

Je remercie également les rapporteurs et nos assistants qui ont apporté leurs expériences, leurs lumières, leur efficacité dans la réalisation de cette mission.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Je commencerai également par remercier mon collègue Rodrigue Kokouendo, car c’était une mission dense et très intéressante, et nous avons partagé énormément de choses. Aller au Niger et à Londres a été très important pour nous, car c’est en allant sur le terrain qu’on peut se faire une idée des choses.

Le second axe de travail de la mission a consisté à s’intéresser, en plus du cadre institutionnel et budgétaire de l’aide, à ses priorités thématiques.

Il nous a donc paru utile de revenir sur l’évolution récente de l’aide publique au développement. Avec l’adoption des objectifs du développement durable, ou ODD, en 2015, l’aide au développement a pris un caractère universel et s’identifie désormais à un champ infiniment vaste où figurent à la fois la base de l’aide au développement, c’est-à-dire les objectifs de lutte contre la pauvreté traditionnels de l’aide, et des objectifs plus variés, environnementaux ou sociétaux. Sans nier en aucune façon l’importance de ces nouvelles thématiques, il nous a semblé que l’aide au développement ne devait pas faire passer au second plan ce qui a été sa première vocation : la sortie du sous-développement des pays qui n’y sont pas encore parvenus. Alors que la plus grande partie de l’Asie et de l’Amérique latine ont accompli des progrès énormes au cours des vingt dernières années, l’Afrique subsaharienne, en particulier le Sahel reste une zone de grande pauvreté, d’instabilité politique et de forte croissance démographique.

Le déplacement que nous avons effectué au Niger visait ainsi à nous permettre d’observer une région où la question du développement se pose en termes d’accès aux besoins premiers de la population : la nutrition, l’éducation de base, l’accès aux soins, la sécurité.

C’est pourquoi nous avons choisi d’insister sur deux thématiques très larges mais qui nous ont paru devoir occuper une place centrale dans la stratégie d’aide au développement de la France.

La première concerne les secteurs régaliens et la gouvernance. Le développement favorise la stabilité, mais la stabilité est une condition nécessaire au développement. Le rôle de l’aide publique au développement dans ce domaine passe d’abord par l’expertise, et ce de plusieurs manières.

Tout d’abord, l’expertise doit permettre aux États destinataires de l’aide de faire en sorte que les projets puissent être véritablement mis en œuvre. En effet, des projets peuvent être bloqués pendant des mois en raison de la faiblesse des administrations locales. Or, si les budgets consacrés à notre aide directe augmentent au cours des prochaines années, il faudra que les administrations des pays destinataires soient renforcées, ne serait-ce que pour permettre leur simple mise en œuvre.

Mais plus généralement, et particulièrement dans le Sahel, c’est la présence même de l’État qui fait défaut dans des régions entières, et ces dernières ont besoin d’un renforcement urgent des administrations locales, un domaine dans lequel la coopération décentralisée peut jouer un rôle essentiel

L’action des collectivités territoriales s’avère être une contribution significative à la coopération française, dans l’esprit d’une diplomatie démultipliée. C’est parce qu’elles sont plus près du terrain, des acteurs universitaires, économiques, associatifs, hospitaliers, touristiques et dans les dynamiques de croissance et de compétence comme l’aide aux entreprises, les infrastructures de transport, la formation, l’eau, l’assainissement, la gestion des déchets, que leurs approches et leurs expertises sont véritables.

Elles mènent ainsi les interactions de pair à pair avec les collectivités du sud, permettant le renforcement de la démocratie et du développement à la base, y compris auprès de la société civile, qui pallie parfois la faiblesse des institutions décentralisées.

Encore faut-il que nous puissions suffisamment mobiliser suffisamment le vivier d’expertise que constituent nos propres collectivités territoriales.

Un domaine particulièrement essentiel de la gouvernance est celui de l’administration fiscale. Le financement des États d’Afrique subsaharienne repose aujourd’hui pour l’essentiel sur l’aide internationale, les douanes, l’imposition de grandes entreprises étrangères et, dans certains cas, des rentes tirées de l’exportation de matières premières. La mise en place de fiscalités et d’administrations fiscales dans ces États permettrait à la fois de lutter contre les flux financiers illégaux, une véritable saignée qui représenterait plus de 5 % du revenus de ces États, mais aussi et surtout d’impliquer la population et de faire des citoyens des contribuables dont le bien-être économique serait dans l’intérêt des gouvernements.

On nous a indiqué par exemple, pendant le déplacement au Niger, que si ces pays réussissaient à installer une fiscalité performante, le revenu pourrait atteindre dix fois les montants de l’aide publique au développement. C’est dire l’importance de ce type de mesures.

La sécurité est bien sûr un autre domaine dans lequel l’aide aux pays en développement peut prendre plusieurs formes. L’aide au développement n’a pas vocation à devenir une composante des opérations militaires de stabilisation, mais de l’avis même des acteurs de la sécurité, elle forme un élément indispensable à la stabilisation à long terme des régions concernées. C’est un sujet particulièrement important pour la France.

Nous avons pu examiner l’articulation entre aide au développement et sécurité sous trois aspects. L’exemple de la politique suivie par la Banque mondiale vis-à-vis des États fragiles nous a fourni un exemple de coordination entre une grande organisation internationale qui agit strictement dans le cadre de son mandat, et d’autres acteurs qui peuvent agir directement dans le domaine de la sécurité, comme l’Union européenne ou la France, à travers l’AFD. L’Alliance Sahel nous a fourni l’exemple d’une structure de coordination qui cherche à accélérer la mise en œuvre de projets dans une région menacée par l’instabilité, avec un objectif de stabilisation à long terme de la région. Enfin, la Haute autorité à la Consolidation de la Paix du Niger, dont nous avons rencontré le président à Niamey, nous a fourni l’exemple d’un organisme qui met en œuvre des projets de développement ciblés, à la fois dans le temps et dans l’espace, afin de restaurer la présence de l’État dans les régions les plus démunies et les plus menacées par l’instabilité politique et l’insécurité.

Dans chacun de ces cas, l’aide au développement doit être disponible et rapide. Elle doit répondre à des besoins locaux qu’il faut évaluer, et elle doit souvent s’appuyer sur des ONG locales car des projets doivent souvent être mis en œuvre dans des régions où la sécurité de personnels étrangers ne peut être assurée de façon satisfaisante. Tout cela demande non seulement des financements, mais surtout une véritable vision stratégique basée sur des objectifs clairement identifiés. Ainsi, la création de l’Alliance Sahel n’a pas donné lieu à la constitution d’un nouveau fonds, mais s’est appuyé sur un portefeuille de projets en cours de sept milliards et demi d’euros, qui demandait simplement à être mis en œuvre plus rapidement et plus efficacement, en mettant la priorité sur l’effet stabilisateur de ces projets.

La deuxième thématique qui nous a paru fondamentale est celle de la démographie. C’est un sujet à la fois délicat et complexe. Délicat parce que les États, de façon compréhensible, ne souhaitent pas toujours qu’on leur demande de faire en sorte que leur population soit moins nombreuse. Complexe parce que la maîtrise de la fécondité démographique ne répond pas à une recette connue.

Mais c’est un sujet qu’il faut regarder en face. Avec une fécondité proche de huit enfants par femme, comme c’est le cas au Niger où nous nous sommes rendus, le développement ne peut avoir lieu, les besoins augmentant plus vite que le revenu national.

L’une des conséquences de la croissance démographique de l’Afrique subsaharienne est l’augmentation de l’immigration vers l’Europe, mais également vers d’autres régions. L’immigration peut avoir un effet favorable sur le développement de la région, à condition toutefois qu’elle soit gérée de façon adéquate. C’est pourquoi nous proposons de réfléchir à un type de visa permettant à des étudiants africains de circuler plus facilement au cours de leur vie entre la France et l’Afrique, à la fois pour éviter qu’ils ne restent en France par simple crainte de ne pas pouvoir revenir s’ils quittent le territoire, mais aussi et surtout pour les inciter à contribuer au développement de leur pays d’origine, afin de lutter contre la fuite des cerveaux qui pénalise aujourd’hui ce continent.

Les besoins d’une population en croissance rapide peuvent être différés dans le temps, comme en matière d’emploi, ou immédiats comme en matière d’éducation, et notamment d’éducation primaire.

Par exemple, la ville de Niamey est débordée car 500 000 enfants supplémentaires arrivent chaque année sur les bancs de l’école en raison d’une fécondité particulièrement dynamique. Il faut former chaque année 10 000 instituteurs pour répondre à cette pression démographique.

C’est en effet dès maintenant qu’il faut multiplier le nombre d’écoles et d’enseignants pour que la population puisse bénéficier d’un niveau d’éducation suffisant au développement économique, même dans les secteurs les moins exigeants en termes de formation. Or, avec une population qui double quasiment à chaque génération, l’effort à fournir est immense. L’accroissement de la contribution française au Partenariat mondial pour l’éducation, annoncée récemment, est donc à saluer mais il faudra aller plus loin si nous voulons que notre action dans ce domaine ait un effet mesurable. Nous recommandons par conséquent que la part de l’aide allouée à l’éducation soit augmentée.

S’il est facile d’expliquer pourquoi il est nécessaire de maîtriser la fécondité, il est plus difficile d’expliquer comment on y parviendra. Les mentalités jouent un rôle important et la thématique de l’égalité entre hommes et femmes prend évidemment ici toute sa place. Nous recommandons toutefois de favoriser l’appropriation de cet objectif par les gouvernements des pays destinataires et par les populations en le rendant plus explicite.

La maîtrise de la fécondité est indispensable au développement, mais le développement peut aussi y contribuer. L’accès à l’éducation, rendu plus difficile par la croissance démographique, peut aussi contribuer à la réduire si l’accent est mis sur l’éducation des jeunes filles et si ces dernières s’orientent plus souvent vers une participation active à la vie professionnelle, avec notamment un mariage plus tardif. La proportion du budget national allouée à l’éducation est d’ailleurs plus élevée au Niger qu’en France. Chaque année, le budget nigérien de l’éducation augmente, et chaque année, le budget par enfant diminue. Le Niger vient également de publier un décret interdisant les mariages précoces, espérant ainsi retarder la date des premières naissances.

Des initiatives existent aussi en direction des hommes, comme « l’école des maris », une initiative soutenue par le gouvernement du Niger et mise en œuvre par une ONG locale. Toute cette activité vise essentiellement à convaincre une population dont les traditions et les habitudes plaident généralement en faveur de familles nombreuses, et les résultats ne sont pas garantis à ce stade.

Cependant, un autre obstacle, cette fois-ci bien identifié, à la maîtrise de la fécondité, est tout simplement le manque de centres de soins et la faible disponibilité de moyens contraceptifs pour les femmes qui souhaitent en disposer. C’est un point sur lequel la Fondation Bill et Melinda Gates insiste, et il nous paraît urgent d’améliorer la disponibilité des moyens contraceptifs pour les femmes dans les pays dont la fécondité démographique est particulièrement élevée. La Fondation Gates nous dit en effet que des programmes sont commencés, des centres de soins mis en place, puis, une fois le programme terminé, on passe à autre chose et ce qui a été mis en place disparaît et les femmes ne bénéficient pas de la continuité qui serait indispensable. La continuité et la persévérance dans ces domaines sont absolument fondamentales.

Pour conclure cette présentation, je dirai simplement que l’ensemble des recommandations contenues dans ce rapport visent à inscrire visent à donner à notre politique d’aide les moyens et les objectifs dont elle a besoin pour jouer son rôle dans le monde d’aujourd’hui. Il s’agit de faire en sorte que la trajectoire d’augmentation budgétaire ne se réduise pas finalement à un simple affichage, que l’aide française soit un outil à part entière de notre politique étrangère et que les fameux « trois D », défense, diplomatie, développement, forment un ensemble à la fois coordonné et équilibré.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Merci à vous deux pour ce travail de grande qualité sur ce sujet crucial. Je regardais la liste des nombreux déplacements et auditions que vous avez eus : je vous encourage à l’inclure dans votre rapport car cela montre l’intensité du travail fourni dans le cadre de cette mission d’information.

Mme Amal-Amélia Lakrafi. Merci aux rapporteurs pour le travail accompli. L’aide publique au développement souffre d’un pilotage dispersé qui fait intervenir plusieurs acteurs. Le paysage institutionnel censé mettre en œuvre l’aide publique au développement n’a cessé d’évoluer, comme souligné dans le rapport. Expertise France a été créé il y a 4 ans et le CICID du mois de février dernier a prévu qu’on allait l’intégrer au groupe AFD élargi, alors même qu’Expertise France n’a pas été en mesure de procéder à l’intégration des autres opérateurs comme cela était prévu auparavant. Je voudrais savoir si les modalités du rapprochement entre l’AFD et Expertise France sont aujourd’hui mieux connues qu’avant, notamment pour ce qui est de leur capacité à mobiliser toute l’expertise française sur les sujets de développement.

En tant que députée de la 10e circonscription des Français établis hors de France, je vais très souvent en Afrique : j’ai effectué 18 déplacements en 7 mois. J’ai pu observer sur le terrain que les nombreux bureaux de l’AFD, du fait de l’importance de ses capacités financières, occupent une place de plus en plus importante à côté des services de coopération de nos ambassades, dont les moyens sont de plus en plus limités, ce qui m’inquiète beaucoup, notamment pour le PLF 2019. Je voulais savoir ce que devraient être, selon nos rapporteurs, les liens entre les bureaux de l’AFD et ceux des ambassades, notamment dans la perspective que vous évoquez, et la création de ce ministère dédié à l’aide au développement.

Je voudrais finir par donner un avis personnel : dans de nombreux pays, le directeur de l’AFD fait ce qu’il veut. Il peut rencontrer des présidents et des ministres sans rencontrer l’ambassadeur. La diplomatie française s’en retrouve malheureusement dispersée. On a deux langages, deux visions, deux actions, à tel point que les ministres préfèrent souvent s’adresser au directeur de l’AFD, parce qu’il a le carnet de chèque, et beaucoup moins aux ambassadeurs. Je serais d’avis que l’AFD dépende du ministère des affaires étrangères.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Je siège à Expertise France et à l’AFD. Le travail de l’AFD est remarquable, mais historiquement et factuellement, c’est avant tout une banque. Le fait que ce soit une banque et que la France ait historiquement davantage consenti des prêts fait que l’aide française n’est pas forcément visible, notamment sur des pays prioritaires, à savoir les pays les plus pauvres. L’AFD va intégrer Expertise France, qui va rester une entité à l’intérieur de l’AFD. Même si cela pose quelques problèmes, notamment vis-à-vis du personnel, cela se fait sans difficulté. Il reste maintenant à intégrer les dernières missions d’expertise du ministère de l’agriculture, du ministère de l’intérieur, du ministère de la justice et du ministère de l’intérieur. Il va y avoir des conventions entre l’AFD, Expertise France et ces missions d’expertise. Il faudra effectivement que tout cela soit regroupé. Notre préoccupation est qu’il y ait un ministère dédié à l’aide au développement, parce qu’il y a tellement peu de visibilité sur les différents niveaux d’aide au développement que la création d’un ministère semble utile. En tant que députés, nous ne votons que 30% des montants de l’aide publique au développement, tout le reste n’étant pas forcément visible pour nous. Si on avait un ministère dédié comme les Anglais, on pourrait rendre plus visible la politique française d’aide au développement.

Sur le terrain, ce que vous dites est juste : on l’a constaté au Niger. On a même constaté qu’il y avait des petites tensions et de la concurrence entre l’ambassade et les services de l’AFD sur place. Autrefois, dans les ambassades, il y avait énormément de missions d’expertises qui dépendaient de l’ambassade, ce qui lui donnait une puissance importante. Si on regroupe auprès de l’AFD l’ensemble des missions d’expertise, je trouve qu’effectivement, il va falloir qu’il y ait un rapprochement entre l’AFD et l’ambassade afin que la voix de la France soit correctement portée. Faire de l’aide au développement, c’est effectivement aider les pays pauvres mais c’est aussi étendre l’influence de la France dans ces pays.

M. Rodrigue Kokouendo, rapporteur. Au niveau des liens entre l’AFD et certains services, on a vraiment senti que l’AFD voulait avancer sur certains projets mais que les ambassades les bloquaient parfois. Le souci avec l’AFD est celui de la dimension politique. L’AFD étant une société financière, elle ne peut pas avoir une dimension politique. C’est à ce niveau-là qu’on doit réfléchir pour savoir comment avancer, afin qu’on sache comment les projets sont évalués sur le plan comptable et sur le plan politique. La question de l’impact d’un projet sur le terrain est centrale. On n’a pas la capacité de le faire actuellement. Demain, il faudra réfléchir une façon d’y arriver. Cela fait également partie de nos propositions.

M. Michel Herbillon. Je voudrais féliciter nos rapporteurs pour leur présentation passionnante. Je crois que c’est utile pour notre commission d’avoir un point complet sur cette question. Vous faites 24 propositions qui vont vraiment dans le sens d’une refondation de l’aide publique au développement. Vous avez eu raison d’insister sur certaines recommandations. Quelles sont cependant les chances que vos propositions soient retenues ? Vous évoquez la possibilité de faire une loi de programmation de l’aide publique au développement ou encore de créer un ministère dédié à l’aide publique au développement. J’aimerais savoir quelle réponse du ministère vous avez eu à ce type de proposition, alors même qu’on considère que le nombre de ministères ne doit pas être trop important. Il faut absolument y voir plus clair dans le pilotage de l’aide publique au développement, car on a toute une série d’organismes, d’agences, ce qui altère sa lisibilité et son efficacité. En attendant qu’on ait un ministère dédié, quelle est l’organisation institutionnelle que vous recommandez afin d’être plus opérationnel et plus efficace ?

Ne serait-il pas également intéressant qu’à la suite du rapport de nos rapporteurs, notre commission puisse assurer le suivi de la mise en place des propositions recommandées. Il faudrait pouvoir auditionner les responsables de l’aide publique au développement pour leur demander ce qu’ils pensent et où ils en sont de la mise en œuvre des propositions de nos collègues.

Vous avez également eu raison d’insister sur le fait qu’on a un certain nombre de besoins de base dont il convient de s’occuper, notamment la nutrition, la santé et la sécurité.

J’ai été tout à fait intéressé par votre évocation de l’enjeu démographique. Que vous ont dit les autorités nigériennes quand vous avez parlé de ce sujet ? On a un problème culturel, que le développement des moyens contraceptifs ou le fait de repousser l’âge du mariage ne pourra pas totalement régler. Un autre aspect est important : en Afrique, les parents font beaucoup d’enfants car ils pensent que les enfants sont indispensables ensuite pour les aider lorsqu’ils deviennent vieux. Face à ce problème culturel, avez-vous eu le sentiment que les autorités en avaient conscience et avaient la volonté de mettre en place des mesures pour y remédier ?

M. Rodrigue Kokouendo, rapporteur. Sur la démographie et la maitrise de la natalité, en effet, les autorités nigériennes sont mobilisées sur cette question. C’est vrai que la dimension culturelle du problème est réelle. Nous avons nous-même constaté sur le terrain une grande différence entre les cadres, qui avaient en moyenne deux enfants, et ceux qui étaient non-cadres qui avaient entre 11 et 18 enfants. Dans ce domaine-là, l’éducation jouera un rôle essentiel. C’est dans ce domaine que l’aide publique au développement doit aider ces pays. Mais il y a aussi les enjeux de planification familiale. La transition démographique va se faire d’elle-même car les autorités et la société ont pris conscience de ce problème. Le Niger a mis en place des structures qui aident les familles, qui vont dans les villages et font de la pédagogie. Mais comme c’est un problème culturel sensible, il faut évoquer ces sujets avec précaution.

Concernant le suivi des moyens de base dans ces pays, on a visité un centre éducatif qui se met en place petit à petit. Jusqu’au primaire, les enfants vont à l’école normalement. Arrivés au collège, ça se complique car les enfants, surtout les filles, ont leur puberté. Les parents retirent donc les filles de l’école, ce qui les empêche d’accéder aux études supérieures. Avec le soutien de l’AFD, le Niger a mis en place une école dite « de la deuxième chance », qui accueille des enfants déscolarisés et qui réintroduit les filles dans le circuit éducatif. Mais ces sujets relatifs à l’éducation demandent à la fois beaucoup d’argent et de temps : ce sont des projets à soutenir mais qui sont de long terme. L’AFD travaille de concert avec les autorités nigériennes pour permettre cela.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je voulais simplement ajouter que cela ne demande pas seulement de l’argent mais aussi des enseignants et de la formation, ce qui est toujours difficile. Ce sont des enjeux absolument majeurs.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Le Niger a fait une étude au cours de laquelle il s’est aperçu que le niveau des élèves diminuait d’année en année. Cela s’explique par le fait qu’ils sont dépassés par le nombre d’élèves qui augmente chaque année. Mais il y a un autre problème relatif à la qualité des enseignants. Ils ont fait une étude qui a montré que les deux tiers des enseignants nigériens n’ont pas le niveau requis. Ce sont en réalité des gens qui ont acheté des diplômes, avec des réseaux qui ont permis à certains d’avoir un titre qu’ils ne méritaient pas. Nous avons donc aussi un problème de qualité des enseignants.

Pour répondre à M. Michel Herbillon, je pense qu’il faudrait que tous les élus, quelque puisse être leur sensibilité politique, soient d’accord sur les objectifs de l’aide publique au développement et les modalités de son amélioration. Nous ne pouvons que nous réjouir que le Président de la République ait annoncé une augmentation du budget de l’aide publique au développement. Les Anglais mettent en avant le fait que grâce à l’union sacrée de tous les politiques sur l’aide publique au développement, ils ont pu tenir l’objectif des 0,7% dans le temps, et ce malgré la crise économique. Je pense qu’on peut déjà se réjouir de cela.

Cela étant, entre l’annonce des moyens supplémentaires et leur inscription effective dans le budget, notamment en crédits de paiement, il y a un espace. On sait comment Bercy fonctionne, et il est important que la commission suive cela de manière attentive. Il serait effectivement intéressant qu’on puisse suivre la mise en œuvre de nos différentes propositions avec le rapporteur budgétaire, notamment en ce qui concerne la loi de programmation.

Sur l’évaluation, il faut en effet non seulement programmer nos dépenses et les dépenser, ce qui ne dépend pas que de nous. En effet, dépenser des moyens très importants dans certains pays n’est pas forcément chose facile. Comme le disait mon collègue rapporteur, la qualité de notre aide risque de baisser quand on augmentera les moyens. Si on met beaucoup d’argent et que ce n’est pas fait de manière coordonnée avec les pays, avec un suivi efficace sur le plan administratif de la part des pays récipiendaires de l’aide publique au développement, on risque de donner des aides directes qui risquent de ne pas toujours être correctement dépensées. Il doit donc y avoir une évaluation. On a vu à Londres une commission indépendante qui organise régulièrement l’évaluation de l’aide, ce qui est très intéressant. Les Anglais, qui font beaucoup d’aide directe, commencent à réfléchir en se disant qu’ils devraient s’organiser différemment.

Sur les besoins de base, tels que l’accès à l’alimentation ou aux soins, la France a eu une action politique très bonne, notamment par le biais du multilatéral. Sur les problématiques d’accès aux soins, le multilatéral s’avère efficace. Sur toutes les épidémies, notamment le SIDA, la France a été efficace en multilatéral.

M. Sylvain Waserman. Je voudrais saluer le travail des rapporteurs. Je voudrais partager une interrogation sur laquelle je n’ai toujours pas eu d’éclaircissement, notamment de la part du ministre des affaires étrangères. Je souhaiterais comprendre la ventilation exacte des 0,38% en 2016. Personne ne sait donner le détail de ces 0,38%, ne serait-ce que par pays et par secteurs d’action. Le Quai d’Orsay n’a pas une pleine compréhension de la répartition de ces 0,38%, ce qui m’incite à me tourner vers Bercy. Or, je me suis rendu compte que dans l’aide à la scolarisation inclue dans l’aide publique au développement, les 17 pays prioritaires de l’aide publique au développement ne bénéficient que de 17% - donc moins de 20% - de l’enveloppe totale dédiée à la scolarisation, tandis qu’on dépense des dizaines de millions d’euros pour les bourses et les frais de scolarité des étudiants chinois qui étudient en France. Je n’ai rien contre les étudiants chinois, mais je me demande si c’est bien la priorité de dépenser la majeure partie de notre aide à la scolarisation pour les étudiants chinois qui étudient en France. Nous sommes là au comble de l’absurdité. Comment progresser collectivement sur cette maitrise des chiffres ? On se dit toujours que cette absence de compréhension complète par typologie et par secteur géographique ne fait que rajouter un doute sur le pilotage réel de ces sujets-là. Est-ce un sujet identifié ? Est-ce que vous avez des pistes de solutions sur ces sujets-là ? Je ne désespère pas qu’on puisse connaître cette répartition précise avant la fin de notre mandat.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Nous avons évoqué cela dans notre rapport : l’opacité de l’aide publique au développement en France. Dans les 10 premiers pays aidés par la France, il n’y a pas un seul pays prioritaire. On a 14 missions, qui se déclinent en 24 programmes, sur l’aide publique au développement. Vous avez cité la problématique de l’écolage avec les étudiants chinois, mais ils ne sont pas les seuls. Former des étudiants peut être intéressant dans le cadre de l’aide publique au développement mais à condition qu’ils ne restent pas en France une fois qu’ils sont diplômés. C’est ce que j’expliquais tout à l’heure : il faut permettre à ces étudiants, grâce à un visa spécifique, d’aller dans leur pays et de pouvoir revenir sans les menacer de ne plus jamais pouvoir revenir. S’ils ont des difficultés à avoir un visa et pensent qu’ils ne pourront pas revenir en France, ils ne partent pas et se maintiennent sur le territoire, alors que c’est une richesse pour les pays dont ils sont originaires. C’était un peu le but de notre proposition de mettre en place un ministère dédié : aller chercher toutes ces petites lignes qui ne sont pas forcément visibles, les rendre visibles et rendre l’organisation de l’aide au développement transparente. Les demandes d’asile font partie du budget de l’aide au développement : tous les dossiers de demande d’asile déposés sont financés par l’aide au développement. C’est ainsi que l’Allemagne a pu obtenir l’année dernière les 0,7% car il y a eu énormément de demandes d’asile pour l’Allemagne. On a quand même augmenté notre pourcentage en 2017 puisqu’on est à 0,44%, l’objectif étant d’atteindre 0,55% en 2022. Mais ce sera compliqué parce qu’il reste 4 ans pour augmenter le budget de plus d’un milliard d’euros chaque année, ce qui est très conséquent. L’intention est donc bonne, mais techniquement, ce ne sera pas facile et ça nécessitera de notre part une grande vigilance.

M. Alain David. Merci Madame et Monsieur les co-rapporteurs, je vous remercie pour le rapport et la présentation. Je salue l’objectif d’atteindre les 0,7  du PNB consacré à l’aide au développement défini dès 1970 par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Au-delà de cet aspect quantitatif, je remarque l’attention consacrée à l’amélioration qualitative de nos politiques d’aides. Je voudrais néanmoins explorer deux questionnements. D’abord concernant la hausse promise à l’aide au développement d’atteindre 0,55 % du revenu national brut d’ici 2022. Le meilleur moyen pour réaliser cet objectif serait, me semble-il, de se repencher sur la taxation des opérations financières intra-journalières, sur la hausse du taux de la taxe sur les transactions financières et sur l’affection des recettes de cette taxe. Or, des amendements dans ce sens avaient été repoussés lors de l’examen de notre dernière loi de finances. Concernant le ciblage et l’amélioration qualitative de notre aide public au développement, je note avec satisfaction votre seizième proposition visant à améliorer la part du secteur éducatif dans l’aide française. Je tenais à évoquer à ce sujet le rôle que certaines collectivités locales engagées dans des programmes de coopérations internationales peuvent jouer dans la matière.

M. Rodrigue Kokouendo, rapporteur. Merci pour ces questions. Pour revenir sur ce qui a été affirmé auparavant : notre but avec ce rapport c’est d’avoir ensuite un suivi, et nous remercions Madame la présidente de nous permettre de suivre nos recommandations en effectuant ce suivi. Nous avons constaté que sur la ventilation des 0,38 % nous n’avons pas beaucoup de détails et que c’est un agrégat de dépenses qui sont issues de différentes institutions. C’est pourquoi nous avons formulé cette recommandation en faveur d’un ministère dédié. Avant cela, il faudrait poursuivre la fusion d’Expertise France en intégrant les grands opérateurs. Cela simplifiera beaucoup la mise en œuvre de l’aide. Vous avez parlé de la taxe sur les taxations financières ou, comme on disait à l’époque, de la « taxe Chirac ». Nous sommes effectivement dans l’optique de demander un véritable changement de la part du gouvernement sur l’appréciation de ce qui devrait être consacré à l’aide publique au développement. Nous allons nous battre afin de réussir. Nous comptons sur votre soutien dans la période à venir.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Je voudrais ajouter un petit mot sur l’objectif du 0,7%, qui est reporté à une date ultérieure. On comprend bien que l’effort pour arriver à 0,55 % est déjà important car, comme je disais tout à l’heure, nous parlons de plus d’un milliard d’euros par an. C’est vrai que c’est un critère très ancien, sur lequel on peut s’interroger. Quand nous sommes allés à Londres, ils nous ont expliqué que cela devenait en soi un objectif alors que le véritable objectif serait plutôt d’aider les pays, d’évaluer leurs besoins et, à partir de là, de définir les politiques. Or, nous raisonnons à rebours : on commence par dire qu’il faut donner 0,7% du PIB alors que ce chiffre s’appuie sur des calculs anciens qui aboutiraient aujourd’hui à un chiffre inférieur à 0,1 %. Il faut vraiment, au niveau international, essayer de redéfinir ces objectifs.

Concernant le financement, nous nous sommes posé la question. Il y avait bien évidement deux sources de financement : la taxe sur la transition financière qui est une ressource intéressante pour pouvoir augmenter l’aide et la taxe sur les billets d’avion qu’il faudrait également augmenter. Je voulais évoquer la manière dont les Anglais nous ont parlé de la réaction de leur population vis-à-vis du 0,7 %. Comme la loi les oblige à maintenir ce niveau de dépense, ils l’ont maintenu, même pendant la crise. Politiquement ils subissent cependant une pression importante de la part de leur population, alors qu’ils doivent chaque année faire en sorte d’atteindre le 0,7%. Ils dépensent pour cela une énergie terrible. Or, ce n’est pas la bonne méthode pour annoncer que nous développons nos efforts. En même temps, ils mettent aussi des moyens sur le bilatéral. Alors que nous passons aux 0,55 %, nous devons viser davantage le bilatéral que le multilatéral et aider prioritairement les pays qui sont le plus dans le besoin. En augmentant l’aide directe pour les pays en difficulté, nous les aiderons davantage.

M. Hervé Berville. Merci Rodrigue et Bérengère pour votre rapport et la qualité de votre travail. Je trouve intéressant ce que vous mentionnez dans le rapport, ainsi que le fait d’avoir focalisé le travail sur deux aspects que nous pourrons creuser. Nous sommes l’un des seuls pays qui a fait la promesse d’augmenter l’aide publique au développement. Quand on regarde l’écosystème européen et international, nous sommes à contre-courant. J’imagine que vous l’avez vu en Angleterre et dans les institutions internationales. En deuxième lieu, il faut sortir de la logique quantitative et vous l’avez montré avec l’exemple de la Grande Bretagne. Et nous, en donnant une aide plus prévisible sur plusieurs années, nous pourrons inciter les ONG à sortir du débat et à implémenter les objectifs. Dernier point, il y avait dans la loi de 2014 un observatoire des coûts qui devait déterminer combien il fallait acheminer par le canal multilatéral, par le canal bilatéral et par le canal européen. Et cela, en termes de crédibilité c’est important car il y a une espèce d’enchevêtrement de fonds fiduciaires, de partenariats qui fait que tout le monde a envie de faire tout, mais il faut se poser la question du canal le plus efficace. Est-ce que vous avez eu l’occasion d’approfondir le calcul coûts-bénéfices de l’aide ? Est-ce que dans votre mission au Niger vous avez eu l’occasion d’évoquer, de faire un premier bilan de l’Alliance pour le Sahel pour ce qui concerne l’efficacité et les résultats sur le terrain ? Concernant le  fonds d’urgence de l’AFD, avez-vous des retours ?

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Je voudrais remercier Hervé Berville d’être présent parmi nous aujourd’hui et de donner son avis éclairé. Je me réjouis qu’on augmente l’aide publique au développement mais il est vrai qu’on était descendu assez bas. Ces six dernières années, la baisse avait porté sur les aides directes. Les fonds multilatéraux avaient été moins touchés car il est plus difficile de baisser les aides sur les fonds multilatéraux puisqu’il y a des partenaires en face. Nous n’avons pas évoqué la question des coûts respectifs du bilatéral et du multilatéral. J’ai envie de dire que c’est peut-être plus facile de faire du multilatéral. La preuve en est que quand les choses sont devenues compliquées, les politiques en place se sont davantage tournées vers le bilatéral. Concernant l’Alliance Sahel, il est vrai qu’il y existait des moyens, mais qu’ils n’étaient pas forcément distribués facilement. Il y avait besoin d’un facilitateur pour faire aboutir des grands projets de développement. C’est le but facial de l’Alliance Sahel, qui vise à mettre en œuvre des fonds importants qui sont en attente. Les partenaires que nous avons rencontrés au Niger sont satisfaits.

Le fonds AFD en est vraiment au début. Il faut savoir que l’AFD avec sa partie bancaire dispense finalement assez peu d’aide directe et ce fonds va justement permettre de l’augmenter. Le projet éducatif que nous avons eu l’opportunité de visiter dans la banlieue de Niamey, par exemple, est un projet financé directement par l’AFD. C’était très intéressant, nous avons pu voir des jeunes entre dix et quatorze ans qui pour certains d’entre eux n’avaient jamais été à l’école. Le phénomène ne fait que s’aggraver du fait de l’augmentation de la population. Il est urgent que la France soit directement impliquée sur ce genre de projets, même si nous nous rendons compte qu’il s’agit d’une goutte d’eau. Nous avons entendu des avis dissonants, selon lesquels l’aide au développement ne sert pas à grande chose tandis que les pays qui s’en sont sortis n’en avaient pas forcément bénéficié, mais se sont plutôt appuyés sur des moteurs internes plus efficaces. Il faut en tout cas continuer à soutenir les gouvernements sur l’accès aux soins, l’éducation, la nutrition. Humainement, l’aide au développement c’est surtout cela.

M. Rodrigue Kokouendo, rapporteur. Je voudrais mentionner ce que nous avons constaté, par exemple au Niger, concernant les engagements de l’aide au développement à l’échelle internationale. Souvent les financements sont là mais sont confrontés à des problèmes d’ordre administratif, si bien que seulement 20% environ des sommes engagées sont décaissées. Il y a un problème réel sur le terrain et il est important de rendre plus efficaces le contrôle et l’évaluation de l’aide, et peut-être d’aider les pays destinataires en formant le personnel sur place.

M. Frédéric Barbier. Félicitations pour votre rapport. Vous proposez la création d’un ministère unique. J’y vois plusieurs intérêts : il y a celui de l’affichage qui résulterait du fait d’avoir un ministère indépendant sur ces questions. Je vois aussi l’intérêt d’avoir un guichet unique pour l’ensemble des acteurs qui pourraient alors s’adresser à ce ministère qui centraliserait toutes les demandes. Enfin, je vois aussi l’avantage d’avoir une ligne directrice claire pour l’aide public au développement. A ce titre-là, de quelle façon serait définie les lignes directrices concernant la politique de long terme ? Est-ce qu’on pourrait imaginer une concertation entre différents acteurs de l’aide au développement françaiss afin de définir une ligne directrice ? À mon sens, les politiques de long terme portent des fruits.  Le multilatéral au long terme semble plus efficace : est-ce que vous avez travaillé sur le bilatéral et multilatéral ? Quel est votre avis sur cette question.

M. Rodrigue Kokouendo, rapporteur. Le multilatéral est très efficace pour l’aide d’urgence. Par rapport aux catastrophes naturelles par exemple. L’aide bilatérale permet des dons directs aux État qui ont besoin d’un soutien financier. L’aide multilatérale a l’inconvénient, pour la France, de diluer l’aide dans tous les domaines. On ne peut pas cibler. Or, la France aujourd’hui veut cibler son aide sur certains secteurs. C’est pourquoi, dans nos propositions, nous disons que l’aide doit être dirigée vers le bilatéral. J’ajouterai qu’on nous a dit au Niger que l’aide budgétaire directe à l’État est très importante pour eux car elle donne la possibilité de mener des actions sur le terrain. Je pense qu’on doit aller plutôt vers ce type d’aide directe vers les États concernés les plus pauvres.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Je pense que la différence se résume en trois points : l’influence de la France, le  respect de ses priorités et la visibilité. C’est pour cela dans certains cas qu’il faut choisir le bilatéral car on peut alors piloter l’aide. Quand on est dans du multilatéral, sauf à être un très grand donateur, on ne pilote plus. Nous avons été bons dans le multilatéral dans le domaine de la santé mais nous avons contribué avec des moyens très importants. La France a ainsi été placée dans une position d’arbitre. Cependant,  le multilatéral a des limites car on ne peut pas être les meilleurs dans tout. Quand on ne fait que participer un peu, on se disperse et surtout on n’est plus en mesure de défendre l’influence de la France. C’est pour cela qu’il faut faire du bilatéral, des aides directes, et c’est cette part qu’il faudra augmenter dans le cadre de l’augmentation budgétaire qui est prévue.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. C’est très intéressant de voir la décomposition bilatéral-multilatéral. La Grande Bretagne a une aide bilatérale importante et, en même temps, les Britanniques sont assez astucieux pour flécher leur aide multilatérale, ce qui leur donne un certain levier dans ce domaine, contrairement à la France qui donne beaucoup plus en proportion à l’échelle multilatérale. Ainsi il y a une manière d’utiliser le multilatéral et de flécher, de prioriser, de hiérarchiser, afin d’obtenir un effet de levier important. Je pense que la France devrait prioriser davantage et au fond, et flécher l’aide multilatérale. Dans le passé, nous ne l’avons pas fait suffisamment et nous devons désormais nous concentrer sur nos priorités afin que l’aide multilatérale devienne efficace. En même temps, il est important d’avoir de l’aide bilatérale. Si l’on prend l’exemple de la crise des réfugiés syriens, dans les premières semaines et les premiers mois, la Grande Bretagne a fourni une aide bilatérale aux trois pays voisins de la Syrie. Ils ont été les premiers à aider ces populations alors que nous avons été absents à ce moment-là.

M. Rodrigue Kokouendo, rapporteur. Le poids de la France dans l’aide multilatérale dépend de ses contributions, qui déterminent son influence au sein des conseils d’administrations. Sa capacité à orienter les politiques multilatérales dépend pour chaque organisation de sa contribution financière.

M. Frédéric Petit. Je vous remercie pour le dynamisme de ce rapport, qui intègre tous les rapports antérieurs. Vous avez pu rentrer dans des détails, par exemple votre analyse sur l’Afghanistan, les calculs du Comité d’aide au développement. Je voudrais revenir sur cette histoire de pilotage, peut-être pour apporter un peu de contradiction. Je ne sais pas si c’est un ministère de plein droit qui est le plus important, je pense que c’est une mission de plein droit qui est nécessaire, au sens de la LOLF. Il faut une réorganisation de la dépense publique. Ce sera bien d’avoir un rapporteur, même avant d’avoir un ministre. Si l’on a un ministre avant d’avoir repensé l’organisation de la mission « aide au développement », on risque de figer un particularisme au lieu de gagner une force de pilotage. Ce que l’on souhaite, c’est d’avoir une stratégie, des objectifs hiérarchisés, d’avoir des échéanciers, un contrôle. C’est exactement ce que permet une mission. Si je reprends vos objectifs n° 4 et 7, c’est exactement une mission. L’objectif n° 4, c’est voter une loi programmatique, l’objectif n° 7 c’est doter la France d’une agence indépendante d’évaluation. Dans une mission, il y a une évaluation qui est faite automatiquement, et en plus par les parlementaires. Egalement, notre APD doit être coordonnée en tant qu’action extérieure de l’Etat. Il faut donc une coordination avec la diplomatie d’influence, dans le domaine de l’éducation et la formation des cadres locaux. Si l’on a une mission, ses programmes pourront être coordonnés les uns avec les autres. On va pouvoir chercher le Centre international d’études pédagogiques (CIEP) et les autres tiroirs de l’Etat qui ne sont pas mis sur la table lorsque l’on contrôle l’APD. C’est inadmissible que nous ne contrôlions que 30 %. En Allemagne, l’agence d’aide au développement coordonne une cinquantaine de clients publics. Le problème de notre APD, c’est qu’il faut pouvoir intégrer les territoires. Si on a une mission avec un opérateur, il est plus facile de coordonner ce qui se fait dans les territoires que si l’on a un ministère qui n’a pas d’influence sur ces derniers.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Ce que dit notre collègue est sage, nous ne sommes pas acharnés en faveur d’un ministère. C’est vrai que derrière cette proposition d’avoir un ministère, nous avons la même intention que Frédéric Petit lorsqu’il évoque une mission, c’est-à-dire de regrouper l’ensemble des missions budgétaires en une seule, et avoir une visibilité pour tout le monde. Nous avons le même objectif, je ne peux que partager ce que vient de dire notre collègue. Il nous a semblé que, politiquement, le fait que quelqu’un du gouvernement puisse piloter l’APD la rendrait plus forte et plus visible. Mais ce n’est qu’une question de visibilité et de regroupement budgétaire.

M. Jacques Maire. C’est une bataille que nous ne pourrons gagner que si nous avons un consensus politique. Ce sont des sujets extrêmement forts. De ce point de vue, je voudrais problématiser votre rapport sur la question de l’objectif des 0,55 %. Vous avez esquissé cet axe, mais vous auriez pu aller plus loin en affirmant que nous ne réussirons les 0,55% que si les Français sont convaincus que cette dépense correspond à des enjeux stratégiques nationaux, la contrainte budgétaire étant ce qu’elle est. Vous avez esquissé les différents enjeux : éducation, santé, sécurité, développement, démographie. Des blocs d’intérêts stratégiques français sont présent, et je crois que cela légitime l’objectif des 0,55%. Deuxièmement, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre ; on ne peut pas avoir un outil bureaucratique, une institution de financement, une absence de portage politique, et un 0,55 %, par la seule grâce de la magie du Président. Cette politique doit s’incarner à travers la vision d’un porte-parole, et aussi auprès des Etats partenaires. Interrogez les ambassadeurs français en Afrique, ils sont orphelins du ministre du Développement. On ne visite plus le Sahel, on visite Gao, éventuellement, plus que Bamako, quand on est ministre de la Défense. Troisièmement, sur la question des opérateurs, là aussi il y a un petit paradoxe. Au moment où on veut reproblématiser des enjeux politiques, on extra-territorialise tous nos outils d’influence chez des opérateurs qui ont une totale indépendance institutionnelle. C’est un problème pour notre champ régalien. Sur le fond, l’AFD ou Expertise France sont peu intéressées par le régalien et les logiques de rapprochement de ministère. Ces opérateurs sont dans une attitude de part de marché. Concernant l’Alliance Sahel, pour simplifier le rapport entre le gouvernement et les bailleurs de fonds, ils faut que ces derniers délèguent à un bailleur chef de file, par exemple que sur la santé ou l’éducation, l’argent de l’AFD aille à l’Union européenne, ou l’argent de la banque aille à l’AFD. C’est en cours. Oublions nos égos, ayons plus d’impact.

M. Rodrigue Kokouendo, rapporteur. Ce qui nous manque, c’est une évaluation politique. Il nous faut une autorité qui puisse l’incarner.

Mme Samantha Cazebonne. Je voudrais revenir sur l’éducation, notamment au primaire et secondaire. C’est le premier levier pour sortir les populations de la pauvreté. Au-delà du taux de scolarité, c’est la qualité des apprentissages qu’il faut améliorer. Estimez-vous que le réseau éducatif français à l’étranger, dont l’excellence pédagogique n’est plus à démontrer, et qui est présent dans plusieurs pays bénéficiaires de l’aide au développement, puisse jouer un rôle dans la coopération scolaire, en partenariat avec le CIEP et la Société française d’exportation des ressources éducatives, à l’image de la coopération universitaire par exemple ?

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Par rapport aux enjeux stratégiques nationaux, il faut convaincre nos concitoyens de l’utilité. Ce n’est pas une chose facile, surtout lorsque nos concitoyens souffrent. C’est le cas en Grande Bretagne, où ils doivent se justifier sans cesse. Cela tient, je pense, à l’Union sacrée. Je pense qu’on ne peut pas convaincre nos concitoyens, alors que ces questions d’éducation et de migration sont au cœur des problématiques d’emploi. Je ne suis cependant pas pessimiste, nous pouvons réussir.

D’un autre côté, la bombe démographique est là. La question de la présence d’enseignants de qualité dans les lycées français, et de la possibilité pour ces derniers de former les enseignants locaux, n’a pas été posée lorsque nous étions au Niger. Mais je voudrais dire aussi qu’il faut défendre la qualité de nos enseignements à l’étranger. Il faut défendre la qualité de notre culture et de nos valeurs. C’est incontournable, il faut continuer d’être très présents. Mais je ne sais pas si l’on peut leur demander de contribuer à l’aide au développement, je ne maitrise pas assez le sujet. Cependant, de manière intuitive, je trouve que c’est une bonne idée. C’est une question que j’aurais dû et que j’aurais aimé poser. Il y a la question de l’enseignement, la question des diplômes, c’est un vrai sujet.

Mme Mireille Clapot. Vous avez insisté sur la question démographique. Je voudrais me placer du point de vue des droits sexuels et reproductifs. En octobre 2016, le gouvernement a publié la stratégie de l’action extérieure de la France sur les enjeux de population, de droit et de santé sexuels et reproductifs 2016-2020. Ce document constitue un vrai progrès pour la position de la France, mais aucun budget ne lui était associé. Deux contributions ont été annoncées, l’une de 10 millions d’euros pour le fonds français Muskoka. Je rappelle que ce fonds a été créé en 2010 lors du sommet du G8 à Muskoka, et était doté de 500 millions d’euros additionnels sur 2011-2015. Il repose sur le travail conjoint de quatre agences onusiennes. En 2017, il a contribué à 10 millions d’euros pour l’action menée dans 8 pays africains. L’autre action était chiffrée à un million d’euros pour le Fonds des nations unies pour les populations, le FNUAP. Est-ce que ces deux engagements isolés sont suffisants ? En effet, ces droits sexuels et reproductifs, à la croisée de la politique du gouvernement en matière d’aide publique au développement, la santé, l’égalité femme-homme, devrait être une priorité. Quelles sont vos recommandations, dans un contexte de raréfaction des financements français ?

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. Je suis également sensible à ces questions de droits sexuels et reproductifs et d’égalité. Nous avons mentionné que le Niger a récemment passé un décret sur le mariage précoce ou forcé. Mais en même temps, nous avons eu une autre audition qui m’a inquiété. Le représentant de l’ambassadeur du Mali en France a répondu, lorsqu’on lui a demandé quelle priorité il donnait à ces questions de contrôle de naissances, que c’était une richesse pour un pays d’avoir beaucoup d’enfants, et que l’augmentation de la population était formidable, qu’il suffisait de regarder la Chine ou l’Inde. Nous avons été respectueux avec lui, mais nous ne partageons pas du tout cet avis. Comme je le disais tout à l’heure, ce sont des sujets très délicats et il presque impossible d’imposer une politique. Stephen Smith nous disait qu’on devrait au minimum pratiquer une aide liée, afin que les pays destinataires développent des politiques de contrôle de la natalité. Le seul levier qui pourrait être utilisé, c’est bien celui-ci. Sinon il faut leur faire confiance, c’est ce qu’ils demandent. Nous avons vu les responsables du Niger, ils nous disent : « aidez-nous mais laissez-nous décider de nos priorités et de ce dont notre pays a besoin », ce qui est très compliqué là où les familles ont 7 ou 8 enfants. On sait très bien que cela empêche le développement, mais jusqu’où peut-on aller pour demander à ces pays de mettre en place des politiques ? C’est une question très difficile, à laquelle nous n’avons pas vraiment de réponse. Parmi nos propositions, il y l’idée qu’il faut convaincre les gouvernements et les responsables politiques qu’il y a là une urgence. Ensuite, il y a les moyens donnés aux ONG localement. Il y a un nombre non négligeable de femmes qui seront, intéressées si on propose des moyens contraceptifs. Or, pour celles qui le souhaitent, ces moyens ne sont pas toujours disponibles. Il faut que l’on préserve les fonds donnés pour ces objectifs, que nos moyens ne soient pas dispersés, et que les moyens destinés à la contraception soient toujours présents. Je suis convaincue que ce sujet est capital, mais je ne suis pas sûre de l’efficacité des aides liées.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je voudrais vous remercier pour ce rapport, et nous sommes tous d’accord pour que vous assuriez le suivi de la politique d’aide publique au développement. Je voudrais dire trois choses.

La première est qu’en matière d’aide publique, on peut et on doit faire beaucoup mieux. On est dans un système éclaté, avec des budgets dispersés. Nous devons assurer une meilleure lisibilité de notre aide publique au développement. Je reconnais que je ne suis pas toujours favorable à la multiplication des postes dans l’exécutif, mais ici la question d’un ministère dédié se pose, à l’instar de ce qui est fait en Allemagne.

Deuxièmement, la question de l’appropriation de l’aide publique au développement par l’opinion publique française. Là, nous avons un vrai retard par rapport aux britanniques. Ces questions sont là-bas au cœur des débats et des médias. Nous en sommes loin.

Enfin, la question de l’efficacité. A certains endroits, les aides ne sont pas dépensées faute d’infrastructure, de moyens humains, d’investissement. Nous devons donc avoir un vrai pilotage de nos aides au développement. Il y a une absence de lisibilité, d’appropriation, de contrôle sérieux et profond. Il y a énormément à faire. Nous ne pourrons continuer comme ça sans prioriser et hiérarchiser. Il faut des priorités géographiques et sectorielles. Il faut repenser l’esprit de l’aide au développement. Ce sera fondamental pour les décennies à venir.

Mme Bérengère Poletti, rapporteure. J’aimerais ajouter un point concernant la hiérarchisation. Nous avons fait une proposition qui concerne notre commission, à propos des problématiques d’aide au développement dans le voisinage de l’Outre-mer français, notamment la Guyane et Mayotte. Nos compatriotes vivant dans ces territoires sont confrontés à des problèmes difficiles très près de chez eux, et je pense que ce serait intéressant que la Commission des affaires étrangères se saisisse davantage de la question de l’aide dans le voisinage de nos outre-mer.

La commission autorise la publication du rapport de la mission d’information.


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   Synthèse des propositions

Partie I

– 1. Définir une stratégie d’aide pour la France basée sur une véritable stratégie plutôt que sur une simple série d’objectifs.

– 2. Établir des critères stricts d’appartenance à la liste des pays pauvres prioritaires.

Partie II

– 3. Proposer à l’échelon international la définition d’une cible d’aide publique au développement basée non sur la richesse des pays riches mais sur les besoins des pays pauvres

– 4. Voter une loi de programmation de l’aide publique au développement afin d’inscrire dans la loi la trajectoire budgétaire de l’aide ainsi qu’une trajectoire d’augmentation de l’aide direct à destination des pays pauvres prioritaires

– 5. Fixer une proportion minimale de l’aide bilatérale à allouer aux pays pauvres prioritaires

– 6. S’assurer de l’accroissement des dons et de l’aide bilatérale dans le cadre de la trajectoire d’augmentation budgétaire adoptée par le Gouvernement.

– 7. Doter la France d’une agence indépendante d’évaluation de l’aide publique au développement en s’appuyant sur l’exemple de l’ICAI britannique

Partie III

– 8. Regrouper les administrations en charge de l’aide publique au développement au sein d’un ministère de plein exercice

– 9. Poursuivre la fusion de l’expertise française en intégrant à Expertise France les opérateurs CIVIPOL, JCI, Adecia et FVI

– 10. Hiérarchiser et sélectionner strictement les contributions françaises en matière d’aide multilatérale afin d’éviter une dispersion de l’aide multilatérale française, et concentrer cette aide sur les organisations dont les objectifs correspondent aux objectifs prioritaires de l’aide française

– 11. Accompagner les principales contributions financières françaises aux grandes institutions d’aide internationales d’une présence accrue au sein de leurs structures

– 12. Renforcer l’accompagnement des ONG et des acteurs de la société civile recherchant des financements au sein des grandes organisations

– 13. Augmenter le montant du FICOL et des subventions de la DAECT afin de soutenir le développement de la coopération décentralisée

Partie IV

– 14. Créer un « visa de circulation » permettant des séjours multiples de durée limitée à destination des étudiants et des personnes ayant un projet professionnel afin de favoriser la circulation dans les deux sens entre la France et les pays prioritaires de l’aide

– 15. Approfondir, dans le cadre de la commission des Affaires étrangères, la question des actions d’aide au développement dans le voisinage des outre-mer français.

– 16. Augmenter la part du secteur éducatif dans l’aide française

– 17. Accroître la recherche visant à identifier les véritables leviers dans le domaine de la maîtrise de la fécondité démographique, en formant des équipes pluridisciplinaires de recherche nord-sud.

– 18. Améliorer la disponibilité des moyens contraceptifs pour les femmes dans les pays dont la fécondité démographique est particulièrement élevée.

– 19. Inciter les gouvernements des pays bénéficiaires dont la croissance démographique est élevée à assumer l’objectif de réduction du nombre de naissances, un tel objectif ne pouvant être imposé de l’extérieur.

– 20. Faire inscrire l’objectif de réduction de la fécondité parmi les objectifs officiels de l’aide française.

– 21. Aider les pays dont la croissance démographique est élevée à mettre en place des systèmes de retraite nationaux.

Partie V

– 22. Renforcer l’expertise en matière de renforcement des administrations fiscales dans les pays d’Afrique subsaharienne

– 23. Poursuivre les efforts pour obtenir l’inclusion de certaines dépenses régaliennes et de sécurité dans le calcul des montants de l’APD par le CAD

– 24. Faire reconnaître les objectifs de stabilisation comme prioritaires au sein des grandes organisations internationales de développement


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   Annexe 1 :
Principaux acronymes utilisés dans le rapport

ADECIA : Agence pour le développement de la coopération internationale dans les domaines de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux

AFD : Agence française de développement

CAD : Comité d’Aide au  Développement

CAFOD : Catholic international Development Charity

CAMOS : Cellule d’appui à la mise en œuvre et au suivi

CDC : Caisse des dépôts et consignations

CEDEAO : Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest

CIAD : Comité interministériel de l’aide au développement

CICID : Comité interministériel de la coopération internationale et du développement

CIEP : Centre international d’Études pédagogiques

CNCD : Commission nationale de la coopération décentralisée

CNDSI : Conseil national du développement et de la solidarité internationale

COSP : Conférence d’orientation stratégique et de programmation

DAECT : Délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales

DFID : Department for International Development

FED : Fonds européen de Développement

FICOL : Facilité de financement des collectivités françaises

FSD : Fonds de Solidarité pour le Développement

FVI : France Vétérinaire International

GESCOD : Grand Est solidarités & coopérations pour le développement

GIZ : Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit

HACP : Haute Autorité pour la Consolidation de la Paix du Niger

IATI : Initiative sur la Transparence de l’Aide internationale

ICAI : Independent Commission on Aid Impac t

IDDRI : Institut du Développement Durable et des Relations Internationales

IDSC : International Development select committee

IRD : Institut de Recherche pour le Développement

JCI : Justice Coopération Internationale

MINUSMA : Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali

NEPAD : Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique

OCDE : Organisation pour la Coopération et le Développement économique

ODD : Objectifs du Développement durable

OMD. : Objectifs du Millénaire pour le développement

ONG : organisations non gouvernementales

PMA : pays les moins avancés

PSEF : Politique Sectorielle Éducation et Formation

PWYF : Publish What You Fund

SFERE : Société Française d'Exportation des Ressources Éducatives

UNFPA : Fonds des Nations unies pour la population


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   Annexe 2 : Liste des personnes rencontrées

1) A Paris

– M. François Pacquement, chargé de mission à la cellule « Histoire et patrimoine » de l’Agence Française de Développement (AFD) (20 décembre 2017) ;

– M. Cyril Rousseau, sous-directeur Affaires financières internationales et développement, Direction générale du Trésor, sous-direction des Affaires financières internationales et du développement, accompagné de M. Alexandre Tavin, adjoint au chef du bureau MULTIFIN2 et de Mme Dalcie Thézénas, adjointe au chef du bureau MULTIFIN5 (7 février 2018) ;

– M. Rémy Rioux, directeur général de l’Agence Française de développement (AFD), accompagné de M. Charles Trottmann, directeur de cabinet et de Mme Zolika Bouabdallah, chargée des relations avec le Parlement (7 février 2018) ;

– M. François Légué, sous-directeur du développement à la Direction du développement durable, au Ministère de l’Europe et des affaires étrangères (14 février 2018) ;

– M. Yannick Jaffré, directeur de recherche au CNRS (21 février 2018) ;

– M. El Hadji Alhousseini Traoré, chargé d’affaires à l’ambassade du Mali en France, accompagné de M. Balla Oumar Cissé, deuxième conseiller (7 mars 2018) ;

– M. Serge Michailof, chercheur associé à l’IRIS et de M. Olivier Lafourcade, président du conseil d'administration d'I&P Développement (7 mars 2018) ;

– M. Philippe Jahshan, président de Coordination SUD, accompagné de Mme Bénédicte Hermelin, directrice exécutive (14 mars 2018) ;

– Docteur Jean-Pierre Guengant, démographe, économiste du développement, directeur de recherche émérite (15 mars 2018) ;

– M. Sébastien Mosneron-Dupin, directeur d’Expertise France, accompagnée de Mme Debiah Krouk, responsable des affaires institutionnelles et européennes (20 mars 2018) ;

– M. Franck Bousquet, directeur principal, Fragilités, Conflit et Violence à la Banque mondiale, accompagnée de Mme Cristina Mejia, Senior International Affairs Officer et de Mme Laure de Petiville, International Affairs Associate (21 mars 2018) ;

– M. Michael Siegel, chargé de Plaidoyer APD et financement du développement (16 mai 2018) ;

– M. Jean-Marc Gravellini, responsable de l’Unité de Coordination de l’Alliance Sahel (16 mai 2018) ;

– Mme Yasmin Ahmad, direction de la coopération pour le développement, à l’OCDE, accompagnée de M. Olivier Bouret, statisticien (17 mai 2018) ;

– M. Tancrède Voituriez, directeur du programme Gouvernance à l’Action Santé Mondiale et Mme Claire Baudot, responsable plaidoyer (23 mai 2018) ;

– M. Stephen Smith, auteur de La ruée vers l’Europe (30 mai 2018) ;

– M. Jean-Marc Châtaigner, ambassadeur, envoyé spécial pour le Sahel (5 juin 2018).

2) au Niger (du 8 au 10 mai 2018)

– M. Hassoumi Massoudou, ministre des finances ;

– Professeur Galy kadir Abdelkader, coordonnateur de la cellule d’appui à la mise en œuvre et au suivi (CAMOS) de la Politique Sectorielle Éducation et Formation (PSEF) ;

– M. Antoine Tétaud, conseiller du DGPN ;

– M. Ibrahim LAOUALY, chef de projet adjoint PAFAN ;

– M. Ibrahim Idrissa, responsable de l’organisation et la gestion des unités de production (GRET) ;

– Mme Morgane Chaperon, stagiaire à l’Institut de Recherches sur le Développement ;

– M. Giuseppe Loprete, chef de mission de l’Office international des Migrations à Niamey ;

– M. Damien Heindrickx, chef de l’unité migration de la Mission de soutien aux capacités des intervenants nigériens en matière de sécurité en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée (EUCAP Sahel Niger) ;

- Mr Tcha Berei, Directeur Pays de l’ONG Aide et Action Niger ;

- Mme Katoumi Abdou Sirfi, Responsable de la Mission Éducative d’Aide et Action  Niger ;

- Mr Mounkaila Gourouza, Superviseur du projet PassEduc ;

- Mr Moumouni Braham, Coordinateur de l'ONG RECAC ;

- Mr  Adamou Saley, Chef du village de Gabagoura ;

- Mr  Boreima Harouna, Inspecteur de l'enseignement primaire ;

- Mme  Kaka Doka, Directrice d'école ;

- Dr Issa Sabo, président de l’ONG Lafia Matassa ;

- Mohamed Haidara, Directeur Exécutif de l’ONG Songes ;

– Mme Saadatou Barmou, directrice adjointe de cabinet en second du premier ministre, coordinatrice du pôle interministériel « transition démographique, santé, éducation et formation » ;

– Général de brigade Mahamadou Abou Tarka, Président de la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix ;

– M. Yves Manville, Chargé d’affaires de l’ambassade de France ;

– Colonel Franck Fouillet, Attaché de défense ;

– M. Franck Haaser, Conseiller de coopération et d’action culturelle (COCAC) ;

– Commissaire divisionnaire Pascal Loriot, attaché de sécurité intérieure adjoint ;

– M. Jean Christophe Maurin, directeur du bureau de l’AFD à Niamey ;

3) à Londres (24 mai 2018)

– M. Stephen Twigg, député britannique, président du International Development Committee

– Mme Pauline Latham OBE, députée britannique ;

– Matthew Rycroft, Permanent Secretary du Department for International Development (DFID) ;

– Graham Gordon, Head of Public Policy, ONG CAFOD ;

– Alastair Russell, Government Relations Adviser, ONG Save the children ;

– Margaret Batty, directrice du département Global Policy and Campaigns, Wateraid ;

– Andrew Norton, directeur de l’International Institute for Environment and Development ;

– Dr Alison Evans, Chief Commissionner de l’Independent Commission for Aid Impact (ICAI) ;

– M. Olivier Lacroix, Premier conseiller.


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   annexe 3 :
Organismes ayant fourni des éléments écrits à la mission d’information

– Action contre la Faim

– Organisation mondiale de la Santé

– Groupe Initiatives

– Collectif santé mondiale

– Lancet Commissions

– CCFD Terre solidaire

– Grand Est Solidarités et Coopérations pour le Développement (GESCOD)

– UNICEF France


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   Annexe 4 :
la réforme relative à l'éligibilité des prêts en APD adoptée en décembre 2014 au CAD de l'OCDE, et ses conséquences.

Les membres du Comité d’aide au développement (CAD), dans le Communiqué final de la réunion à haut niveau du CAD (HLM) des 15-16 Décembre 2014, ont amorcé une réforme de la comptabilisation et de l’éligibilité des prêts à l’aide publique développement (APD). Le communiqué final indique ainsi :

« Si l’APD est dispensée en majeure partie sous la forme de dons, les prêts concessionnels y occupent une grande place. Toutefois, des divergences sont apparues entre les membres quant à leur interprétation du critère peu clair du « caractère concessionnel » qui entre dans la définition de l’APD. Par conséquent, nous convenons de moderniser la notification des prêts concessionnels de façon à faciliter la comparaison de l’effort auquel ils donnent lieu avec celui qui est associé à l’octroi de dons. »

La réforme touche deux points principaux :

 l’éligibilité des prêts tenant compte à la fois du respect i) d’un seuil de concessionnalité - c’est-à-dire un seuil minimal d’élément-don ou de libéralité ([22])  - du prêt selon le pays destinataire et ii) de l’application d’un taux d’actualisation différent selon le pays destinataire, taux d’actualisation servant à déterminer cet élément-don du prêt ;

 la méthode de comptabilisation des prêts : passage des flux nets actuellement déclarés à des équivalents-dons à partir des chiffres relatifs à l’année 2018 qui seront connus en 2019 (en outre, les deux systèmes –comptabilisation des flux nets et comptabilisation en équivalents-dons- coexisteront pendant une période transitoire pour l’aide publique au développement relative aux années 2015, 2016 et 2017, les chiffres relatifs à ces trois années seront connus respectivement en 2016, 2017 et 2018).

A) Éligibilité des prêts

Selon les règles d’éligibilité des prêts en APD actuellement en vigueur, un prêt peut être déclaré en APD dès lors qu’il présente un élément-don d’au moins 25 % (le seuil de concessionnalité est fixé à 25 % quel que soit le pays destinataire de l’aide), mesuré par rapport à un taux d’actualisation fixe de 10 %.

Les nouvelles règles d’éligibilité entrant en vigueur pour les concours d’APD relatifs à l’année 2018 (qui seront donc connus et notifiés en 2019) introduisent des variations de ces deux paramètres : 1) seuil de concessionnalité et 2) taux d’actualisation pour le calcul de l’élément-don, en fonction dans les deux cas de la catégorie à laquelle le pays receveur de l’aide appartient.

Ainsi, pour les pays les moins avancés et les pays à faible revenu (PMA et PFR), un prêt devra, pour être comptabilisé en APD, avoir un élément-don d’au moins 45 % (c’est-à-dire un seuil de concessionnalité de 45 %), calculé avec un taux d’actualisation de 9 %. Le seuil de concessionnalité pour les pays à revenu intermédiaire de tranche inférieure (PRITI) est désormais de 15 %, calculé avec un taux d’actualisation de 7 % ; celui pour les pays à revenu intermédiaire de tranche supérieur (PRITS) est de 10 %, avec un taux d’actualisation de 6 %.

 

 

Avant la réforme

Après la réforme

 

PMA/PFR

PRITI

PRITS

Seuil de concessionnalité (ou élément-don minimal)

25 %

45 %

15 %

10 %

Taux d'actualisation correspondant pour le calcul de l’élément-don

10 %

9 %

7 %

6 %

 

B) Mode de comptabilisation des prêts

La méthode de comptabilisation actuelle des prêts consiste à prendre en compte les flux décaissés nets des remboursements. Un financement par prêt est donc notifié sur la durée entière du prêt, en flux. La réforme introduit une notification en équivalent-don (la comptabilisation se fera au moment des décaissements) : cette méthode permettra de mettre fin au système consistant à notifier des flux nets positifs dans un premier temps puis à soustraire des flux négatifs au fur et à mesure des remboursements d’un prêt : dorénavant, seule la partie correspondant à l’équivalent-don de chaque prêt sera comptabilisée. L’équivalent-don est en effet le produit du montant engagé du prêt – sa valeur nominale – et de son élément-don ; il dépend directement du mode de calcul de l’élément-don.

La méthode de comptabilisation de l’aide sera désormais plus cohérente : seul l’équivalent-don des prêts contribuera à la mesure de l’effort des bailleurs, et viendra s’ajouter aux dons. Auparavant, tout prêt dont l’élément-don était supérieur à 25 % était entièrement déclarable en APD, indépendamment de ses conditions financières. Désormais, un prêt sera comptabilisé à hauteur de son niveau de concessionnalité.

La différenciation des taux d’actualisation et l’instauration de seuils différenciés devrait donner des incitations aux bailleurs à octroyer davantage de financements aux pays les plus pauvres.

En outre, pour un bailleur, l’effort financier minimum afin de rendre un financement éligible à l’APD a été considérablement renforcé, notamment pour les plus pauvres (PMA et PFR, cf. ci-dessus) où le seuil minimum de concessionnalité passe de 25 % à 45 %.

La réforme de comptabilisation et d’éligibilité des prêts à l’APD présente ainsi de nombreux points méritant d’être soulignés : (i) elle permet en effet de valoriser positivement notre contribution d’APD sous forme de prêt à long terme (alors que l’APD issue des prêts est actuellement nulle à long terme dans le système actuel, les remboursements venant en déduction des versements au cours du temps) ; (ii) elle rendra mieux compte des efforts des pays bailleurs et de la diversité des pays partenaires ; (iii) elle incitera les bailleurs à prêter aux pays ayant le plus de difficultés à financer leurs projets ou à des conditions correspondant à leur revenu, notamment les PMA, dans le strict respect des règles d’endettement soutenable (le CAD lie pour la première fois explicitement sa politique de comptabilisation des prêts d’APD au respect des règles d’endettement soutenable promues par le FMI et la Banque mondiale) ; (iv) elle introduit une réelle possibilité de comparabilité des données annuelles entre instruments (les dons et prêts souverains bilatéraux sont concernés par la décision de la réunion HLM de décembre 2014, des précisions méthodologiques sur la comptabilisation des prêts d’APD réalisés en faveur des organisations internationales ont été actées en 2016) ; (v) elle met fin aux fluctuations intervenant en lien avec les flux négatifs liés aux remboursements de prêts.

 

C) Précisions méthodologiques apportées en 2016 pour la comptabilisation des prêts en faveur d’organisations internationales.

Dans la continuité de la réforme adoptée en décembre 2014 pour les prêts souverains bilatéraux, le CAD a également modernisé en avril 2016 les règles applicables à la comptabilisation en APD des prêts en faveur d’organisations internationales. Ainsi, adoptant la logique de la comptabilisation en équivalent-don des prêts, la différenciation en fonction du type de récipiendaire et un seuil minimum de concessionnalité, les paramètres en vigueur depuis mi-avril 2016 sont les suivants :

 l’équivalent-don des prêts aux organismes multilatéraux sera dorénavant comptabilisé,

– avec un taux d’actualisation de 5 % pour les « Global institutions and multilateral development banks » (FMI, Association internationale de développement -AID, Banque internationale pour la reconstruction et le développement -BIRD, Société financière internationale -SFI, Fonds international de développement agricole -FIDA, Banque africaine de développement -BAfD, Banque asiatique de développement -BAsD, Banque européenne pour la reconstruction et le développement -BERD, Banque interaméricaine de développement -BID, Banque islamique de développement, Fonds vert pour le climat),

– avec un taux d’actualisation de 6 % pour les autres organisations (Afreximbank, CAF Corporacion Andina de Fomento, Black Sea Trade and Development Bank, Caribbean Development Bank, Banque de développement des États de l’Afrique centrale -BDEAC, Banco Centroamericano de Integracion Economica -BCIE, Banque ouest-africaine de développement -BOAD…),

– avec un seuil minium de concessionnalité de 10 %.

Comme pour les prêts souverains bilatéraux, cette mesure en équivalent-don coexiste avec la mesure actuelle en flux pour une période de transition de trois ans (chiffres définitifs 2015 puis 2016 et 2017) et sera appliquée à partir de l’APD relative à l’année 2018.

Pour information, une réforme est également en cours au CAD de l’OCDE concernant la comptabilisation en APD des prêts en faveur du secteur privé.

***

Les chiffres d’APD pour les années 2015 à 2017 seront rendus publics entre 2016 et 2018 selon les deux méthodes de comptabilisation (cf. supra). Afin que les pays membres du CAD et que les différents opérateurs d’APD puissent adapter leurs pratiques aux nouvelles règles de comptabilisation, le chiffre officiel d’APD pour les années 2015 à 2017 est celui élaboré à partir de l’ancien système de comptabilisation pendant la période de transition, avant un basculement dans le nouveau système à partir des données d’APD relatives à l’année 2018 (publication en 2019).


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   Annexe 5 :
contribution de la région Grand Est en matière de coopération décentralisée

La région Grand Est s’est positionnée dès sa constitution comme acteur majeur de l’aide française au développement, avec :

- un engagement réaffirmé dans les semaines ayant suivi la fusion des régions, alors que certaines collectivités revoient leurs interventions à la baisse, et l’un des premiers dispositifs mis en place ;

- un engagement assumé dans un domaine politiquement parfois exposé.

 

1.Politique internationale de la collectivité

1.1.Principes

La politique internationale de la collectivité a pour objet général de co-construire et mettre en pratique une stratégie d’internationalisation qui prenne en compte la réalité de son territoire et de ses populations aussi bien que de l’environnement international.

Cet environnement international en constitue un atout majeur. Elle est en effet, avec des frontières avec quatre États étrangers, la région la plus frontalière de France. Strasbourg accueille dix-sept organisations à vocation européenne, dont le Parlement européen, le Conseil de l’Europe et la Cour européenne des droits de l’homme. Elle est aussi le deuxième centre diplomatique du pays après Paris, avec trente-deux consulats et représentations permanentes. De plus, de nombreuses de collectivités locales et d’institutions de la région sont engagées à l’international, et elle dispose également d’un tissu dense et dynamique de la société civile qui œuvre dans ce domaine.

L’objectif est donc de dépasser la culture ponctuelle de projets et d’actions isolées, pour développer une approche plus large basée sur une véritable stratégie de long terme.

 

1.2.Structuration

Notre action relevant de l’aide publique au développement s’inscrit dans une politique ambitieuse, cohérente et multi-facettes élaborée depuis deux ans et qui doit sera présentée en assemblée dans le courant de l’année :

Axe 1 :Coopération internationale

Coopération internationale d’attractivité, visant à développer l’attractivité de notre territoire par des échanges gagnant-gagnant notamment en matière économique avec des zones notées pour leur dynamisme et leur potentiel.

Coopération interrégionale européenne, visant à développer la citoyenneté et l’intégration européenne, la mobilité notamment des jeunes, et les échanges d’expériences, de savoir-faire et de bonnes pratiques avec des régions européennes.

Coopération co-développement, mobilisant les acteurs de notre territoire dans un échange contribuant au développement solidaire des populations des régions des pays défavorisés, principalement du Sud.

Axe 2 :Solidarité internationale et mise en réseau des acteurs locaux

Appui aux projets des associations, lycées et autres collectivités ainsi qu’à la plate-forme régionale Gescod.

Axe 3 :Mise en réseau au niveau national, européen et international

Participation à l’Association française du Conseil des communes et régions d’Europe (AFCCRE), à l’Assemblée des régions d’Europe (ARE), à l’Association internationale des régions francophones (AIRF), à Cités unies France (CUF), de Cités et Gouvernements locaux unis (CGLU), à la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD), à Régions de France (ex-ARF), etc.

Des partenariats avec vingt-huit régions étrangères ont été repris des trois ex-régions Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine. Après une évaluation en profondeur, priorité sera donnée à une douzaine particulièrement dynamiques.

2.Engagement pour l’aide publique au développement

2.1.Partenariats

Le Grand Est a repris des trois ex-régions des partenariats avec quatre régions de pays en développement, et une déclaration d’intention avec une cinquième :

 

Région

Pays

Origine

Départements de l’Alibori et du Borgou

Bénin

1993

Départements de Bignona, d’Oussouye et de Ziguinchor

Sénégal

1996

Région Centrale

Togo

1986

Région de l’Oriental

Maroc

1991

Gouvernorat de Zaghouan (déclaration d’intention)

Tunisie

 

Elle mène avec ses régions partenaires, et avec l’appui des acteurs techniquement compétent des deux territoires, des projets dans divers domaines du développement local : agriculture, santé, développement durable, patrimoine et tourisme, gouvernance locale, etc.

Nos coopérations bénéficient spécialement de cofinancements du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, grâce aux appels à projets généralistes, géographiques et thématiques mis en place par la délégation pour l’Action extérieure des collectivités territoriales (DGM/AECT). D’autres financeurs publics, telles que les agences de l’eau (Rhin-Meuse et Seine-Normandie) au titre du « 1 % eau » (loi Oudin/Santini) sont également sollicités.

 

2.2.Soutien aux acteurs du territoire

Notre action dans le cadre de ces partenariats est complétée par un appui aux projets des acteurs de notre territoire (associations, lycées, communes), dans le cadre d’un appel à projets organisé en deux sessions annuelles. Nous soutenons ainsi des projets de solidarité internationale dans un grand nombre de pays, et des actions d’éducation à la citoyenneté et à la solidarité internationale (ESCI) sur tout notre territoire.

 

2.3.Participation au réseau multi-acteurs

Nos projets sont mis en œuvre par Grand Est Solidarités et Coopérations pour le développement (Gescod), plate-forme constitué en juillet 2017 par la fusion de différentes organisations des trois ex-régions travaillant dans ce domaine : Arcod et Réciproc’ en Champagne-Ardenne, Ircod en Alsace, et MultiCooLor en Lorraine. L’expérience accumulée par ces structures remonte à 1986, et en a fait un précurseur en France pour la mise en œuvre concertée et mutualisée d’actions au service de la coopération et du développement.

L’association, qui a son siège à Strasbourg, s’appuie également sur des antennes à Châlons-en-Champagne et Nancy afin de couvrir au mieux l’ensemble du territoire régional et d’assurer une réelle proximité pour l’ensemble de ses membres. Elle gère également huit délégations à l’étranger afin d’assurer un suivi technique et financier rapproché de l’ensemble des coopérations, dont celles appuyant nos coopérations au Bénin, au Maroc, au Sénégal et au Togo. Elle rassemble à ce jour près de deux cent membres.

Reconnu réseau régional multi-acteurs (RRMA) par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Gescod présente un modèle original, suivi avec attention par l’État et les autres réseaux régionaux. Il remplit en effet, à l’échelle de l’ensemble du Grand Est, deux missions étroitement imbriquées :

- opérateur délégué des projets de coopération au développement des collectivités territoriales ;

- mise en réseau des acteurs du développement et de la solidarité internationale, quels que soient leur statut (collectivités, associations et ONG, institutions consulaires, hospitalières, scolaires, universitaires et économiques, experts individuels etc.) et leurs activités.

La collectivité est un contributeur majeur au fonctionnement de Gescod, dont elle est le seul membre de droit. Le fonctionnement de Gescod bénéficie également du financement du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, et des membres de l’association, notamment des collectivités territoriales.

 

2.4.Chiffres 2017

Objet

Nombre de nouveaux projets

Montant
engagé

Partenariats avec des régions de pays en développement

9

577 900 

Soutien au fonctionnement de Gescod

442 400 

Contribution aux coopérations d’autres collectivités

3

130 600 

Soutien aux projets des acteurs du territoire

46

410 247 

Soutien à des projets d’aide humanitaire d’urgence

1

100 000 

Total

 

1 661 147 

 

3.Enjeux pour la coopération française

L’action des collectivités territoriales est une contribution significative à la coopération française, dans l’esprit de la « diplomatie démultipliée » :

- Elles sont proches du terrain, des acteurs universitaires, économiques, associatifs, hospitaliers, touristiques etc. au Nord dans le cadre de leurs politiques.

- Elles apportent une expertise en matière de développement économique durable en raison de leurs compétences croissantes dans divers domaines y concourant : aide aux entreprises, infrastructures de transports, formation, eau et assainissement, gestion des déchets etc.

- Elles mènent des interactions de pair à pair avec les collectivités au Sud, permettant le renforcement de la démocratie et du développement à la base, y compris auprès de la société civile qui pallie parfois la faiblesse des institutions décentralisées.

Ceci est d’autant plus pertinent à notre échelon avec la reconnaissance renforcée du « fait régional » :

- Il assure un équilibre entre urbain et rural, enjeu important dans certains domaines affectant les environnements de manière différenciée, mais continue et intégrée (p.ex. filières alimentaires, transports).

- Le périmètre régional est suffisamment étendu pour mobiliser de nombreux acteurs au service de coopérations d’ampleur.

-Le rôle d’« assemblier » des régions sur le territoire est particulièrement pertinent dans un domaine reposant sur le partenariat.

Les dispositifs de soutien aux collectivités du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères sont un outil pertinent pour et appuyer et valoriser l’engagement des pouvoirs locaux, en conciliant priorités de l’État et libre administration des collectivités. Au-delà de l’apport financier concret, il contribue d’ailleurs à la légitimation des programmes soutenus pour les citoyens et la société civile.

 


([1]) Serge Michailof, Africanistan, Fayard, 2015.

([2]) Ainsi qu’avec l’accord de Paris sur le climat de décembre 2015.

([3]) Bénin, Burkina Faso, Burundi, Comores, Djibouti, Éthiopie, Gambie, Guinée, Haïti, Liberia, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, République démocratique du Congo, Sénégal, Tchad, Togo.

([4]) Ces pays reçoivent au moins la moitié des subventions de l’État et les deux tiers de celles mises en œuvre par l’Agence française de Développement (AFD).

([5]) Le mythe des 0,7 % : origines et pertinence de la cible fixée pour l’aide internationale au développement, Afrique contemporaine, 2006/3 (n° 219)

([6]) Voir note en annexe.

([7]) Le chiffre de 0,7 % est par ailleurs à la fois un plafond et un plancher, ce qui oblige le DFID et les autres ministères responsables de l’aide à ajuster strictement les dépenses d’une année fiscale afin qu’elles correspondent précisément à ce chiffre.

([8]) La coopération française au développement. Bilan, analyse, perspectives, Yves Tavernier, 1999.

([9]) À plus forte raison lorsque les organes en question demeurent inactif. Le Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID), qui devrait se réunir tous les ans, ne s’est ainsi réuni qu’une fois sous le mandat de Nicolas Sarkozy et deux fois sous celui de François Hollande.

([10]) Les financements accessibles aux ONG françaises : panorama général et conseils méthodologiques, disponible à l’adresse :             
https://www.coordinationsud.org/wp-content/uploads/Guide-complet-panorama-des-financements-2017-vf-4.pdf

([11]) La gouvernance démocratique et les finances publiques ; le développement durable et l’agriculture ; la santé ; la stabilité et la sécurité

([12]) M. Jean-Pierre VIAL et Mme Marie-Françoise PEROL-DUMONT, Rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur la poursuite de la réforme de l’expertise internationale française, janvier 2018.

([13]) Le temps de l’Afrique, Jean-Michel Sévérino, Olivier Ray, Odile Jacob, 2010.

([14]) D’après le chiffre cité par le professeur Galy, 19,85 % du budget de l’État est consacré à l’éducation, pour un besoin évalué à 27%.

([15]) D’après le chiffre cité par M. Jean-Marc Châtaigner, ambassadeur, envoyé spécial pour le Sahel, auditionné par la mission d’information, on compte 28 chercheurs pour un million d’habitants au Mali (contre environ 4000 aux États-Unis).

([16]) Dans ses calculs, l’OCDE ne prend  en compte que l’éducation pré-primaire et l’éducation primaire dans la définition de l’éducation de base. La définition adoptée ici est celle prévalant au sein de l’Unesco et du Partenariat mondial pour l’éducation, l’éducation de base comprenant une année de pré-primaire, le primaire et le premier niveau de l’enseignement secondaire. Le montant total est calculé comme suit : 100% de l’éducation primaire et pré-primaire + 50% de l’éducation secondaire + 75% du niveau non spécifié  = montant alloué à l’éducation de base.

([17]) Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationales, 2013, disponible à l’adresse : 
https://www.defense.gouv.fr/actualites/memoire-et-culture/livre-blanc-2013

([18]) Pathways for Peace: Inclusive Approaches to Preventing Violent Conflict, disponible à l’adresse :             
http://www.worldbank.org/en/topic/fragilityconflictviolence/publication/pathways-for-peace-inclusive-approaches-to-preventing-violent-conflict

([19]) Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad

([20]) Ainsi, dans la province de Zinder, au Niger, sur 4,5 millions d’habitants, 65%, soit trois millions, ont moins de quinze ans, et seuls un million d’entre eux vont à l’école.

([21]) La province de Faya-Largeau, au Tchad, compte ainsi  100 000 habitants pour une superficie représentant la moitié de la France.

([22]) Cette mesure correspond à la différence entre la valeur nominale du prêt et la valeur nette actualisée compte tenu des caractéristiques dudit prêt (taux d’intérêt, période de grâce, échéance, type de remboursement etc.).