N° 1241

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 septembre 2018.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 24 octobre 2017 (1)

sur la diplomatie économique

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. Pierre CORDIER et Denis MASSÉGLIA

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

Synthèse du rapport

introduction

I. éléments de bilan : face à un enjeu crucial, le dispositif public reste à parfaire

A. la persistance du déficit extérieur

1. Derrière les fluctuations conjoncturelles, une situation préoccupante du commerce extérieur de biens

2. La dégradation du solde des services

B. Les déterminants structurels du commerce extérieur

1. L’histoire et la géographie

2. Les enjeux de compétitivité

a. Les coûts

b. Les enjeux plus qualitatifs

3. La question de la désindustrialisation : avons-nous encore une offre industrielle suffisante ?

4. Une prise de conscience quant aux enjeux « culturels » et éducatifs

5. La politique commerciale internationale : à court terme, un impact mesuré sur l’équilibre extérieur

6. L’accompagnement de nos entreprises à l’international : des progrès restent à faire

a. Le concept de « diplomatie économique » est généralement salué

b. Les opérateurs publics ont amélioré leur efficacité

c. Mais il reste d’évidentes marges d’amélioration

i. Un dispositif qui reste insuffisamment lisible

ii. Des coopérations plus ou moins effectives

iii. Une pénétration limitée sur le « marché » des exportateurs

iv. La question du coût des prestations dans un contexte de désengagement budgétaire

v. Un dispositif qui n’appréhende pas globalement l’internationalisation des entreprises

II. Mieux préparer et accompagner nos entreprises

A. Un ensemble complet de réformes engagées par le Gouvernement

1. La compétitivité au cœur de l’action du Gouvernement

2. Une innovation : la prise en compte de la dimension internationale dans les politiques d’éducation et de formation

3. L’accompagnement des entreprises : vers un dispositif unifié, complet, lisible pour les entreprises

a. Des outils numériques nouveaux

b. Un guichet unique régional : l’« aspirateur » à entreprises vers l’export

c. Un guichet unique dans chaque pays étranger

4. La poursuite de l’élargissement et de l’assouplissement des outils financiers

a. Une assurance prospection plus attractive

b. L’assouplissement des exigences en matière de courant d’export généré par les opérations couvertes par une garantie publique

i. La création d’un « Pass’Export » : un contrôle plus souple de la « part française »

ii. La possibilité de couvrir certains projets même sans contrat export

c. Les autres dispositions

5. Le rapprochement entre Expertise France et l’Agence française de développement

6. Une meilleure protection de nos entreprises stratégiques

B. Les propositions de la mission : placer la dimension internationale au cœur des politiques publiques

1. Mieux prendre en compte la dimension internationale dans les mesures générales de compétitivité

2. Mieux intégrer la dimension internationale aux politiques d’éducation et de formation

a. Renforcer l’enseignement de l’anglais et plus généralement des langues étrangères

b. Renforcer la culture de l’international

c. Développer les réseaux des anciens étudiants étrangers en France

3. Donner toute sa force au « guichet unique » de l’export

a. S’appuyer sur la diplomatie parlementaire

b. Disposer d’outils numériques efficaces

i. Des outils financés

ii. Des outils attractifs et pertinents

c. Dans les territoires : tout faire pour mobiliser de nouveaux exportateurs

d. Les implantations à l’étranger : favoriser une présence plus complète et plus dynamique de la « Team France »

i. Assurer une représentation plus unifiée, plus complète, plus efficace de la « Team France » dans chaque pays

ii. Mettre en œuvre le rapprochement Expertise France-Agence française de développement et garantir une part de financement public national à Expertise France

iii. Élargir l’offre d’accompagnement pour nos entreprises

e. Poursuivre la dynamisation des instruments financiers publics et de leur gestion

i. Le contexte : un accès insuffisant des PME aux assurances export publiques et la suppression du crédit d’impôt pour dépenses de prospection commerciale

ii. Prendre en compte l’économie digitale dans les dépenses de prospection

iii. Revoir la gouvernance des assurances export publiques

iv. Dans le même esprit, rationaliser la gestion des différents dispositifs qui coexistent

v. Orienter l’épargne des Français vers les entreprises à potentiel international

ConClusion : synthèse des propositions

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Contributions

I. Contribution présentée par le groupe La république en marche

II. Contribution présentée par le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés (MODEM)

III. Contribution présentée par le groupe la France insoumise

annexe : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs


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   Synthèse du rapport

Le présent rapport part de deux constats :

– celui du déficit commercial récurrent de notre pays depuis une quinzaine d’années, qui atteint un niveau préoccupant à plus de 60 milliards d’euros pour les marchandises, d’autant que les échanges de services, dont l’excédent traditionnel se rétracte, compensent de moins en moins ce déficit ;

– celui des tensions commerciales croissantes entre grands pays ou blocs. Jamais l’expression de « guerre économique » n’a paru si justifiée, légitimant dès lors une « diplomatie économique ».

L’analyse des déterminants du solde extérieur renvoie à un ensemble de facteurs conjoncturels et surtout structurels : facteurs quantitatifs (coûts) et qualitatifs de la compétitivité, pour lesquels la situation de notre pays apparaît très (trop…) « moyenne », impact de la désindustrialisation, importance de la « culture de l’international » et plus prosaïquement de la maîtrise des langues étrangères. À court terme, si la guerre commerciale pourrait être désastreuse, les accords commerciaux, en revanche, ont un impact assez limité.

Enfin, les dispositifs spécifiques d’incitation – par le conseil, les aides ciblées, le financement ou l’assurance – des entreprises à l’export, s’ils ont gagné en efficacité depuis quelques années avec l’émergence d’opérateurs publics plus puissants et efficaces, restent largement perfectibles : les acteurs restent nombreux et le système pas toujours lisible pour les entreprises ; les prestations proposées, en partie facturées dans un contexte budgétaire contraint, sont souvent jugées coûteuses par les entreprises ; en fin de compte, la pénétration (rapport du nombre d’entreprises aidées par les dispositifs publics au nombre total d’entreprises exportatrices ou potentiellement exportatrices) reste faible, avec par exemple seulement 10 000 entreprises aidées annuellement par Business France et moins de 3 000 entreprises souscrivant une assurance-export publique.

Outre les mesures générales de compétitivité prises depuis un an, le Gouvernement a engagé, comme les gouvernements précédents, un ensemble de réformes ambitieuses au service de l’internationalisation de nos entreprises, centrées notamment sur la maîtrise de la langue anglaise au terme des cursus de formation, la mise en place d’un véritable « guichet unique » public pour l’accompagnement à l’export des entreprises et la poursuite de l’élargissement et de l’assouplissement des outils financiers publics.

La mission présente dix-neuf recommandations (voir au terme du rapport leur récapitulation) qui visent à assurer le succès des réformes engagées et à les amplifier. La dimension internationale doit être placée au cœur de toutes les politiques publiques, y compris de la diplomatie parlementaire, et plus systématiquement prise en compte dans toutes les décisions concernant ces politiques, que ce soit en matière économique, sociale ou éducative. Il faut également donner toute sa force au nouveau guichet unique de l’export, notamment pour mobiliser de nouveaux exportateurs dans les territoires et faire travailler ensemble tous les opérateurs publics présents à l’international. Enfin, s’agissant des dispositifs publics de crédit et d’assurance-export, les modes de gouvernance pourraient être revus et l’épargne des Français réorientée.

 


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   introduction

 

Mesdames, Messieurs,

 

Cela fait plus de quinze ans que les échanges extérieurs de biens (marchandises) de la France sont déficitaires, tandis que ceux de services, qui compensent en partie ce déficit, voient leur excédent fondre. D’après les derniers chiffres publiés par l’administration des douanes, le solde négatif sur les biens (solde dit FAB/FAB) a atteint 63,1 milliards sur l’année glissante juillet 2017-juin 2018.

Cette situation difficile de notre commerce extérieur, qui contraste avec les excédents enregistrés par la majorité de nos voisins européens, est aggravée à court terme par des éléments conjoncturels – en particulier les fluctuations du cours du pétrole et des taux de change –, mais sa récurrence implique une analyse des facteurs plus structurels qui l’expliquent, ainsi que des politiques mises en œuvre pour améliorer la situation – mesures générales de compétitivité et dispositifs spécifiques de soutien à nos exportateurs. L’expression « diplomatie économique », qui est l’objet du présent rapport, renvoie d’abord à ces dispositifs, car elle a été popularisée durant la précédente législature pour désigner la mobilisation accrue qui a été, avec succès, demandée à notre appareil diplomatique pour aider nos entreprises sur les marchés internationaux.

À l’enjeu de l’équilibre extérieur, s’ajoutent cette année d’autres enjeux, plus directement politiques, concernant le commerce international. Il s’agit d’une part, selon les cas, de l’entrée en vigueur, de la signature, ou de la négociation d’un certain nombre d’accords commerciaux de l’Union européenne (avec le Canada, le Japon, le Mercosur, l’Australie, la Nouvelle-Zélande…). D’autre part de la remise en cause par l’administration du président Trump d’arrangements multilatéraux durement acquis, comme celui avec l’Iran, et du développement d’une politique commerciale unilatérale agressive qui fait craindre une « guerre commerciale » généralisée. On constate en effet que les États-Unis sont amenés à prendre des positions extrêmement dures non seulement contre la Chine, mais aussi contre leurs plus fidèles alliés, Union européenne ou Canada. Des prises de position justifiées, selon le président des États-Unis, par l’ampleur des déséquilibres commerciaux bilatéraux en viennent ainsi à affecter les alliances les plus anciennes, donc les fondements des relations internationales. C’est l’autre versant de la « diplomatie économique » : les questions économiques et commerciales peuvent être au cœur des rapports de force entre puissances et c’est ce qui se passe actuellement. La mission de l’État est de mettre en mesure et préparer les entreprises à affronter les marchés internationaux, puis de les y accompagner avec des dispositifs spécifiques, mais aussi de les protéger contre les pratiques déloyales et les mesures unilatérales et parfois extraterritoriales de leurs concurrentes et des puissances étrangères.

Sans ignorer cette dimension de la diplomatie économique, vos rapporteurs ont centré leurs travaux sur les missions de préparation et d’accompagnement à l’international, en relevant que la mission de protection, également essentielle, devrait prochainement être l’objet d’un rapport que le Premier ministre a confié en juillet dernier à deux de leurs collègues, le député Raphaël Gauvain et le sénateur Christophe-André Frassa, lequel portera (selon le décret relatif à leur mission) sur « les mesures de protection des entreprises françaises confrontées à des procédures judiciaires ou administratives donnant effet à des législations de portée extraterritoriale ». De plus, cette question a également été l’objet à la fin de la précédente législature d’un rapport d’information conjoint des commissions des affaires étrangères et des finances, confié à nos anciens collègues Karine Berger et Pierre Lellouche ([1]).

Les politiques visant à préparer et accompagner nos entreprises ont fait l’objet d’annonces précises de réforme de la part du Gouvernement, notamment le 23 février dernier, lorsque le Premier ministre a présenté à Roubaix la « Stratégie du Gouvernement en matière de commerce extérieur ». Elles ont également été débattues dans le cadre de la consultation sur le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) et l’examen du projet de loi du même nom permettra sera également l’occasion d’en délibérer. Les propositions de vos rapporteurs, récapitulées en conclusion de leur rapport, s’inscrivent dans la lignée des réformes engagées, qu’elles visent à amplifier. La situation de notre commerce extérieur le justifie.

 


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I.   éléments de bilan : face à un enjeu crucial, le dispositif public reste à parfaire

A.   la persistance du déficit extérieur

Le commerce extérieur des biens a été constamment déficitaire depuis 2004. Celui des services, qui a longtemps apporté un excédent régulier, connaît également une évolution décevante.

1.   Derrière les fluctuations conjoncturelles, une situation préoccupante du commerce extérieur de biens

Après avoir augmenté progressivement jusqu’en 2008, le déficit de nos échanges de biens s’est momentanément réduit en 2009, dans un contexte général de réduction des échanges internationaux après la crise financière, puis a de nouveau progressé jusqu’en 2011, où l’on a atteint un niveau record à 74 milliards d’euros. On constate ensuite une amélioration régulière jusqu’en 2015, où le déficit a été ramené à 45 milliards d’euros, puis une nouvelle dégradation conduisant à plus de 62 milliards d’euros de déficit en 2017.

Ces fluctuations à l’échelle d’une, deux ou trois années s’expliquent largement par des facteurs conjoncturels contingents, notamment les taux de change ou les cours du pétrole. Ainsi, on a constaté tout à la fois, en 2013-2014, une forte appréciation du dollar par rapport à l’euro qui a dopé la compétitivité des produits européens, puis à partir de mi-2014 un effondrement des cours du pétrole qui a réduit la facture énergétique de notre pays. Mais ces facteurs positifs peuvent se retourner : l’année 2017 a été marquée par un net redressement de l’euro face au dollar (environ + 14 % sur l’année civile) et un rebond des prix du pétrole (+ 28 % pour le prix moyen du baril de « brent » en euros entre juin et décembre 2017) qui a entraîné une dégradation de 7,5 milliards d’euros du solde énergétique de la France.

D’autres facteurs de court terme ont parfois un impact significatif, mais peu durable, sur le solde commercial : par exemple, celui-ci a été dégradé en 2016-2017 par l’effet des accidents climatiques de l’été 2016, qui ont entraîné une forte baisse de la récolte de céréales (– 32 % en tonnage récolté pour le blé tendre en 2016 par rapport à 2015) et donc des exportations de celles-ci ; l’arrêt prolongé des raffineries de pétrole lors du mouvement social du printemps 2016 et celui d’un grand nombre de réacteurs nucléaires pour des vérifications de sûreté à l’automne ont de même eu un impact significatif (recul de 3 milliards d’euros des recettes d’exportations du secteur de l’énergie en 2016)…

Comme on peut le constater sur le graphique ci-après, le solde commercial de notre pays hors énergie (et armes) a connu ces dernières années une évolution assez différente du solde global et plus inquiétante, puisque ce solde n’a quant à lui cessé de se dégrader depuis 2013 et a atteint en 2017 un niveau négatif record inégalé à 41 milliards d’euros.

Échanges de biens : exportations, importations et solde

Source : Gouvernement (« Commerce extérieur – Résultats 2017 – 7 février 2018 »).

De plus, un autre facteur conjoncturel, plus général, ne peut être ignoré : lorsque la demande intérieure repart dans un pays, cela entraîne en général une hausse de ses importations, laquelle, si elle n’est pas accompagnée d’une hausse égale des exportations, signifie une dégradation du solde extérieur. Il y a donc un lien conjoncturel entre niveau de croissance et solde extérieur.

Un pays dont la croissance est inférieure à celle de la plupart de ses partenaires tend généralement à améliorer ce solde, mais au prix, bien sûr, des conséquences négatives d’une croissance faible sur l’emploi et le pouvoir d’achat. C’est de cette manière que les pays d’Europe du Sud ont amélioré leurs soldes commerciaux après la crise de l’euro au début des années 2010.

S’agissant de la France, on observe que sa croissance a depuis 2010 été généralement inférieure à celle de la moyenne de ses partenaires, même si cet écart diminue actuellement : le graphique ci-après le montre en comparant la croissance française à celle de l’Union européenne prise dans son ensemble ou du « G7 ».

Taux de croissance du PIB : comparaison entre la France, l’Union européenne et le G7

(en %)

Source : extraction à partir de la base de données du FMI (World Economic Outlook Database, avril 2018).

Notre pays a du mal à équilibrer sa balance commerciale même lorsque sa croissance est faible. A fortiori, il existe un risque que le retour à une croissance plus forte, que l’on constate aujourd’hui, n’entraîne une dégradation accrue de cette balance à défaut d’une action vigoureuse pour redresser celle-ci. Cette situation se traduit dans les comptes nationaux par le constat d’une contribution généralement négative du commerce extérieur à la croissance : cela signifie que la dégradation du solde commercial « mange », en termes de croissance du PIB, les gains liés à des facteurs tels que la consommation et l’investissement, car les surplus de biens consommés et d’équipements nouveaux sont fournis pour une part excessive par les importations plutôt que par la production nationale. Entre 2014 et 2017, cette contribution négative a fait « perdre » annuellement entre 0,4 % et 0,8 % (selon les années) de croissance.

2.   La dégradation du solde des services

Traditionnellement, les échanges de services de la France, portés notamment par l’accueil des visiteurs étrangers, dégagent un excédent, qui a longtemps oscillé entre 15 et 25 milliards d’euros par an, compensant en partie le déficit sur les biens. Mais là-aussi, on relève une tendance récente à la dégradation, très visible sur le graphique ci-après, même s’il faut relever deux points : l’encoche (solde nul) de 2016 s’explique largement par l’effet très sévère, mais peu durable, des terribles attentats de 2015-2016 sur l’accueil des touristes étrangers ; par ailleurs, depuis la présentation des statistiques qui sont à la base de ce graphique, la Banque de France a réévalué à la hausse de plus de 10 milliards d’euros les dépenses en France des visiteurs étrangers, ce qui devrait se traduire dans les prochaines statistiques de la balance des services par une nette amélioration du solde présenté.

Échanges de services : exportations, importations et solde

Source : Gouvernement (« Commerce extérieur – Résultats 2017 – 7 février 2018 »).

B.   Les déterminants structurels du commerce extérieur

Quels sont les facteurs qui déterminent structurellement la situation de notre commerce extérieur ? Il est généralement admis que prédominent des facteurs très généraux de compétitivité, d’organisation du système productif, voire culturels. Vient ensuite ce qui relève plus strictement de la diplomatie économique, à savoir la politique commerciale et les mesures spécifiques d’accompagnement à l’international de nos entreprises.

1.   L’histoire et la géographie

Il n’est pas inutile de rappeler que les flux de commerce international entre les pays sont d’abord déterminés par deux facteurs :

– la taille des économies ;

– la distance entre les pays.

Le poids de ces facteurs est attesté par la possibilité d’élaborer une « équation de gravité du commerce international » qui prétend prédire le commerce entre deux pays à partir du produit de leur PIB divisé par la distance entre eux ([2]). Plus la taille des partenaires économiques est importante, plus ils échangent entre eux ; mais plus ils sont éloignés l’un de l’autre, moins leurs échanges sont importants. Or les études économétriques constatent que cette équation est ex-post largement vérifiée dans la réalité.

L’histoire et la géographie, qui font ce que sont nos pays – leurs frontières et leurs voisins, leur population et leur taille économique –, ont donc un impact déterminant sur les échanges commerciaux. D’autant que d’autres facteurs historiques comptent aussi à cet égard, même s’ils sont moins déterminants : par exemple, le fait d’avoir la même langue en partage ou bien une histoire commune liée à une colonisation passée.

Cette réalité du poids de la géographie et de l’histoire explique sans doute pour une large part la situation de l’Allemagne d’après la chute du bloc soviétique : ce pays s’est retrouvé avoir pour voisins immédiats un ensemble de pays d’Europe centrale qui disposaient d’une main d’œuvre bien formée et qualifiée, de cadres juridiques nouvellement libéralisés très favorables aux entreprises et cependant de coûts très compétitifs. L’industrie allemande a su tirer parti de cette situation en intensifiant les échanges avec ces pays dans le cadre d’une division du travail optimale. Il faut observer que l’Allemagne n’obtient pas ses excédents commerciaux actuels en limitant ses importations, loin de là : ce pays, avec un PIB environ 1,4 fois plus élevé que celui de la France, importe 1,9 fois plus de biens que nous, mais parvient aussi à en exporter 2,7 fois plus ([3]). L’une des clefs du succès de l’économie allemande tient donc à son intégration dans son environnement.

2.   Les enjeux de compétitivité

La notion de compétitivité renvoie à celle de rapport « qualité-prix » : sommes-nous capables de proposer des produits meilleurs ou au moins « aussi bons » que ceux de nos concurrents à un prix attractif ?

On entend parfois dire que « la France produirait aux coûts allemands des produits dont la qualité serait plutôt celle de pays d’Europe du Sud ». Parmi les interlocuteurs de la mission, ce type de réflexions a toutefois été rare.

a.   Les coûts

S’agissant des coûts, les comparaisons, même entre pays européens ayant en principe des méthodes statistiques normalisées, restent délicates. D’après les dernières données d’Eurostat, présentées ci-après, la France reste, pour les coûts de main d’œuvre, parmi les pays européens « chers », du fait notamment des coûts indirects (charges sociales et impôts liés aux salaires). Les mesures prises depuis quelques années et accentuées sous la présente législature en matière de charges et de fiscalité ont toutefois permis à notre pays de revenir à un niveau globalement très proche de ses voisins tels que l’Allemagne ou les pays du Benelux.

Coûts horaires de la main d’œuvre dans l’ensemble de l’économie en 2017

(hors agriculture et administration publique, entreprises de 10 salariés et plus)

(en euros)

Source : Eurostat (communiqué de presse 60/2018 du 9 avril 2018).

S’agissant du coût du travail, toutefois, il faut aussi prendre en compte les différences entre pays selon les secteurs et les niveaux de qualification. De manière générale, comme on y reviendra, l’industrie exporte (et importe) beaucoup plus que les services ; par ailleurs, les entreprises les plus internationalisées et exportatrices se caractérisent souvent par des niveaux de qualification et donc de salaires plus élevés que la moyenne.

Dans ces conditions, les entreprises exportatrices bénéficient moins que la moyenne des allégements de charges sociales centrés sur les bas salaires qui sont privilégiés en France (en raison de leur impact sur l’emploi). Cet effet a été particulièrement documenté concernant le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) en vigueur sous la précédente législature, qui consistait en un crédit d’impôt calculé sur la seule base des rémunérations inférieures à 2,5 fois le SMIC.

Les évaluations de l’impact du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) sur les exportations

Dès le premier rapport (octobre 2013) du Comité de suivi du CICE, il a été relevé (à partir d’une exploitation théorique de données de 2011) que la part de la masse salariale éligible au CICE serait en moyenne de 79 % pour les entreprises non exportatrices, mais de seulement 58 % pour l’ensemble des entreprises exportatrices et 46 % pour celles exportant plus de 35 % de leur chiffre d’affaires ! Cette situation était directement corrélée aux niveaux moyens de salaires, supérieurs de 35 % au niveau national dans les entreprises fortement exportatrices, mais inférieurs de 17 % à ce niveau national dans les entreprises non exportatrices.

Selon des données ex post pour l’année 2014 ([4]), il y aurait eu cette année 55 000 entreprises dont moins du tiers de la masse salariale était éligible au CICE. Or, ces entreprises auraient assuré 26 % de la valeur ajoutée marchande totale et surtout 48 % (!) du total de nos exportations avec seulement 10 % des emplois et en bénéficiant de 6 % seulement du produit du CICE.

Ces différents éléments ont amené France Stratégie à mettre en lumière concernant le CICE « l’absence d’effet visible sur les exportations » ([5]).

La concentration des allégements de charges sur les salaires les plus modestes, justifiée par la politique de l’emploi, est dans ce contexte fortement critiquée par certains observateurs. Le think tank libéral « Fondation Concorde » a ainsi pu arriver à cette conclusion sans doute excessive, mais qui met en lumière une vraie question : « au total, les allégements de charges sur les basses qualifications ont créé une économie duale inadaptée à la compétition mondiale avec une faible taxation des emplois peu qualifiés mais qui seront toujours plus chers que les salariés roumains et vietnamiens et une surtaxation des salariés hautement qualifiés qui sont ainsi plus chers que les salariés allemands (+ 26 % à 40 000 euros de salaire annuel, + 41 % à 90 000 euros). Nous ne sommes donc ni compétitifs dans le low cost, ni compétitifs dans la haute qualité (…) » ([6]).

Enfin, on ne doit pas oublier que la question des coûts renvoie à d’autres enjeux que ceux du coût du travail : il y a aussi l’impact des impôts sur la production, des prix de l’énergie, de ceux du foncier…

b.   Les enjeux plus qualitatifs

S’agissant maintenant du « rapport qualité-prix » des produits français, il a été jugé assez bon par la plupart des personnes rencontrées par la mission, même si les résultats de certaines enquêtes, nécessairement subjectives, sont plus inquiétants, comme on le voit sur le graphique ci-après rendant compte d’une étude de « ressenti » parmi des directeurs d’achats. On voit qu’en termes de rapport qualité-prix comme d’innovation, l’offre française est systématiquement perçue comme moins bonne que l’offre allemande, mais aussi, très souvent, que l’offre italienne, voire espagnole.

Écart ressenti de rang (*) avec les concurrents de la France en zone euro, pour deux critères

(*) Rang des pays dans le classement établi par 500 directeurs d’achats interrogés dans les principaux pays européens.

Le graphique se lit ainsi : pour le rapport qualité prix des biens intermédiaires, la France se situe au septième rang alors que l’Allemagne est au deuxième rang (-5), l’Espagne au quatrième rang (-3) et l’Italie au cinquième (-2).

Source : COE REXECODE « La compétitivité en 2017 » – Classement déclaré par les directeurs d’achat des clients européens – dossier de présentation de la Banque de France : « La balance des paiements de la France – Résultats 2017 ».

Au-delà du rapport qualité-prix, il y a la question de la capacité à avoir une offre suffisante et/ou à s’organiser pour vendre à l’étranger.

3.   La question de la désindustrialisation : avons-nous encore une offre industrielle suffisante ?

L’un des interlocuteurs de la mission, lui-même industriel et exportateur, estime que ses produits valent bien ceux de ses concurrents européens. Mais il constate qu’il est devenu à peu près le seul producteur français sur son créneau, alors qu’il trouve face à lui cinq ou dix concurrents allemands.

Lorsque l’on compare le poids de l’industrie dans les différentes économies, on observe que la France est, en Europe, l’une de celles où ce poids est le plus faible, l’un des pays les plus « désindustrialisés » (au bénéfice du secteur des services).

Et il est significatif de relever la corrélation relative qui existe entre degré de désindustrialisation et solde extérieur. Le graphique ci-après rapproche le poids de l’industrie manufacturière dans la richesse nationale et la balance des transactions courantes des principaux pays d’Europe occidentale. La corrélation n’est bien sûr que partielle, mais force est de noter que des pays où l’industrie reste très puissante, comme l’Allemagne, la Suisse, l’Autriche, l’Italie, des pays scandinaves, dégagent aussi de confortables excédents extérieurs, tandis que la France et le Royaume-Uni, fortement désindustrialisés, sont en situation de déficit. Et s’il est vrai que certains pays où le poids de l’industrie manufacturière est relativement faible parviennent toutefois à dégager des excédents commerciaux significatifs, cela peut s’expliquer : s’agissant de la Norvège, par exemple, par l’impact des exportations massives d’hydrocarbures ; s’agissant des Pays-Bas, par l’importance des activités commerciales et portuaires (générant des réexportations) ainsi que d’un secteur agricole très compétitif et tourné vers l’export.

Poids de l’industrie dans le PIB et solde courant de la France et de ses principaux partenaires européens

(2017, en %)

Source : extraction des bases  de données Eurostat et FMI.

La corrélation entre poids de l’industrie dans l’économie et équilibre extérieur peut être expliquée : structurellement, le commerce international des services reste moins développé, de sorte que pour un pays très « tertiarisé », il est difficile de compenser par ce commerce, dont les flux restent moindres, les déficits industriels. Pour prendre l’exemple de la France, malgré le degré très élevé de tertiarisation de son économie, les échanges de services ne représentent que 30 % de la totalité des échanges (biens + services) : en 2017, la somme des importations et exportations de biens a dépassé 1 000 milliards d’euros quand celle des importations et exportations de services représentait un peu moins de 440 milliards.

Un autre constat conforte l’interrogation sur la désindustrialisation : le nombre relativement faible d’entreprises françaises qui exportent. Ces entreprises sont beaucoup moins nombreuses que chez tous nos grands voisins de taille économique comparable (Allemagne, Italie, Royaume-Uni et Espagne), comme le montre le graphique ci-après.

Nombre d’entreprises exportatrices

(en milliers)

Source : dossier de présentation de la Banque de France : « La balance des paiements de la France – Résultats 2017 ».

Le graphique ci-après montre que si les flux d’export de notre pays ont régulièrement augmenté, le nombre d’exportateurs a faiblement fluctué depuis deux décennies. Nous sommes aujourd’hui à 124 000, en-deçà d’un maximum historique à près de 132 000 au tournant du millénaire. Les exportations françaises sont, en volume, concentrées sur un nombre assez limité de grandes entreprises, qui représentant 0,4 % des exportateurs, mais 52 % des volumes. 70 % des exportations sont le fait de 1 000 entreprises.

Évolutions comparées du nombre d’exportateurs et des flux d’exportations

Source : Gouvernement (« Commerce extérieur – Résultats 2017 – 7 février 2018 »).

Ces observations légitiment pleinement l’objectif central du Gouvernement, qui est d’augmenter massivement le nombre d’entreprises exportatrices pour atteindre 200 000. Mais elles montrent aussi que c’est un objectif très ambitieux, dont la réalisation demandera une très forte implication de tous.

4.   Une prise de conscience quant aux enjeux « culturels » et éducatifs

Les personnes rencontrées par la mission ont fréquemment mis en avant, au-delà des seuls enjeux de compétitivité, des facteurs plus profonds, que l’on pourrait qualifier de « culturels », dans les déterminants de l’internationalisation des entreprises.

Selon certains, les entreprises françaises concevraient encore souvent leurs produits avant tout pour le marché intérieur : l’export permettrait d’écouler des surplus et de réaliser de temps en temps une bonne affaire. Cela alors que chez nos concurrents européens, on aurait pris plus précocement l’habitude de concevoir et de produire en vue du marché mondial (ou du moins européen) ; ce genre d’analyse est bien sûr difficile à vérifier et vos rapporteurs ont aussi rencontré des chefs d’entreprise français qui inscrivent d’entrée de jeu le développement de leur activité dans une perspective internationale. L’existence, ou non, d’un grand nombre de « pépites », d’entreprises françaises qui ignoreraient leur potentiel à l’international malgré l’excellence de leurs produits, est sujette à discussion : certains le pensent, d’autres non. Mais ce point ne peut de toute façon pas être ignoré.

À ce type d’appréciations sur la « psychologie » des entreprises, on peut rattacher des éléments plus matériels tels que le développement plus ou moins grand des services commerciaux internationaux des entreprises, leur présence multilingue (ou du moins en anglais) ou non sur internet, plus généralement la maîtrise ou non des langues étrangères, l’anglais en particulier.

L’insuffisante maîtrise des langues étrangères par les chefs d’entreprises petites et moyennes et les salariés français a constitué une observation récurrente durant les auditions. Pour certains intervenants, ce serait l’un des principaux déterminants de nos performances moyennes à l’international.

La question concerne au premier chef la maîtrise de la langue anglaise. Selon une étude récente ([7]), la France serait juste devant l’Italie l’avant-dernier pays de l’Union européenne pour la maîtrise moyenne de l’anglais par les adultes. Certes ce genre de classement, réalisé par une entreprise privée à partir de tests d’anglais, peut être discuté. Par ailleurs, le niveau en anglais des jeunes élèves s’accroît régulièrement selon les études de la direction générale de l’enseignement scolaire.

La maîtrise d’une seconde langue étrangère est également un enjeu déterminant. Le déclin de l’enseignement de l’allemand, en particulier, est regrettable au regard de l’ampleur de nos échanges économiques avec l’Allemagne (et d’autres pays au moins en partie germanophones tels que la Suisse et le Luxembourg). Il y a dans l’industrie une forte demande de salariés germanophones.

5.   La politique commerciale internationale : à court terme, un impact mesuré sur l’équilibre extérieur

Le cadre formé au fil des ans par l’ensemble des accords internationaux ayant un volet commercial auxquels la France est partie a globalement un impact considérable sur l’orientation et le volume de nos échanges internationaux. Il faut en particulier rappeler que l’Union européenne a été conçue originellement comme un « marché commun » commercial et que la libre circulation des hommes, des biens, des services et des capitaux reste l’un de ses acquis principaux, avec un impact considérable sur l’orientation des flux commerciaux de ses membres : l’Union européenne représente 59 % de nos échanges extérieurs.

Cela dit, à relativement court terme et en prenant chaque négociation ou mesure commerciale séparément, on constate que leur impact sur les flux et soldes commerciaux est mesuré : il est essentiel de négocier de bons accords et/ou de prendre éventuellement de bonnes mesures de défense commerciale, mais il ne faut pas imaginer qu’à elles seules ce genre de dispositions pourraient redresser le solde extérieur d’un grand pays (ou a contrario le dégrader massivement) – sauf à envisager des mesures massives, comme vient d’en prendre l’administration américaine en décidant de surtaxer pour 200 milliards de dollars d’importations chinoises, avec le risque de provoquer des « guerres commerciales » incontrôlables et perdantes pour tous, comme l’a récemment évalué le Conseil d’analyse économique. Selon cette évaluation ([8]), le « scénario catastrophe » d’une guerre commerciale totale dans lequel les tarifs douaniers sur les produits industriels augmenteraient de 60 points dans le monde entier (sauf à l’intérieur de l’Union européenne) conduirait à des pertes de PIB (récession) de l’ordre de 3 % à 4 % dans l’Union européenne, en France en particulier, de même d’ailleurs qu’en Chine ou aux États-Unis ; le revenu annuel moyen des Français diminuerait (toutes choses égales par ailleurs) de plus de 1 100 euros et le commerce de la France hors Union européenne baisserait d’environ 42 %.

Dans ce contexte, les experts du Conseil d’analyse économique recommandent de poursuivre la signature d’accords commerciaux, non pas dans une optique de gains directs substantiels (« les gains éco­nomiques que nous prédisons sont modestes »), mais parce qu’« ils peuvent jouer un double rôle de "police d’assurance" en cas de guerre commerciale généralisée et ils peuvent être utilisés comme un levier sur des sujets non commerciaux [la promotion de l’Accord de Paris et l’action contre l’évasion et l’optimisation fiscales menée notamment dans le cadre de l’OCDE] ».

On peut illustrer l’impact relativement limité, en termes macro-économiques et en dehors du genre de scénario susmentionné, des accords et mesures commerciales pris individuellement par quelques exemples.

● L’accord économique et commercial global (AECG ou CETA) de l’Union européenne avec le Canada est l’un des textes qui suscitent aujourd’hui le plus de débats. Sans entrer dans ceux-ci, il faut observer que son impact potentiel sur les flux et partant le solde commercial de notre pays devrait toutefois être assez modeste. En effet, en s’en tenant à l’une des études préalables les plus « optimistes » quant aux effets du CETA sur les flux commerciaux, celle commanditée en 2008 par la Commission européenne et le gouvernement canadien ([9]), les échanges entre l’Union et le Canada augmenteraient de 20 % à 25 % suite à l’accord, ce, on le rappelle, dans la meilleure des hypothèses. Or, si l’on considère que l’on peut transposer cet impact au commerce bilatéral franco-canadien, cela signifierait tout au plus environ 2 milliards d’euros de progression des échanges, puisque les échanges bilatéraux de biens et services sont de l’ordre de 10 milliards : ce n’est pas déterminant au regard d’un total de flux de biens et services de la France à l’international (import et export) qui dépasse 1 400 milliards par an.

● Les relations commerciales avec l’Iran constituent un autre exemple. La plus grande part des sanctions européennes qui avaient été mises en place contre ce pays, dont un embargo pétrolier, ont été levées suite à l’accord du 14 juillet 2015 sur la limitation et le contrôle du programme nucléaire iranien ([10]). Mais aujourd’hui, le retrait des États-Unis de cet accord entraîne un retrait massif des entreprises européennes des échanges avec l’Iran par crainte des sanctions extraterritoriales des États-Unis. Il y a là des enjeux fondamentaux sur le plan politique ; c’est également le cas sur le plan micro-économique : des entreprises sont confrontées à des choix risqués et coûteux. Mais sur le plan macro-économique, l’enjeu doit être relativisé : l’application de l’embargo pétrolier en 2012 et la restriction de certaines exportations et des opérations financières avec l’Iran avaient eu pour conséquence une baisse de nos exportations vers ce pays de 1,7 milliard d’euros (en 2011, avant l’embargo) à 0,45 milliard (en 2014) ; en 2017, elles étaient remontées à 1,5 milliard suite à l’accord nucléaire ([11]). Ces variations sont certes impressionnantes, mais un milliard d’euros d’exportations en plus ou en moins ne sont pas déterminants pour l’équilibre général d’un pays qui exporte pour près de 500 milliards d’euros de biens par an et souffre d’un déficit commercial de plus de 60 milliards…

● Les taxes décidées par les États-Unis sur l’acier et l’aluminium devraient toucher environ 670 millions d’exportations françaises. Selon une analyse du CEPII, ces taxes entraîneraient une baisse d’environ 300 millions d’euros de nos exportations d’acier vers les États-Unis, soit 45 % du total de ces exportations, mais seulement 0,8 % de notre production ([12]). Là-aussi les enjeux macro-économiques directs sont donc assez modestes ; les enjeux plus massifs sont indirects et/ou politiques (quelle réaction européenne face à cette attitude agressive ? Comment éviter une dérive conduisant à une « guerre commerciale » généralisée ? Quel impact sur la confiance des agents économiques et donc la croissance ?).

● Le même type de relativisation vaut enfin lorsque l’on examine le coût pour l’économie française des sanctions économiques en place depuis 2014 contre la Russie et des contre-mesures russes (embargo sur une grande partie de nos produits agricoles et agro-alimentaires) : ce seraient environ 300 millions d’euros d’exportations agro-alimentaires qui ont été « perdues » vers la Russie et, plus globalement, l’impact direct et indirect des sanctions et contre-sanctions avec la Russie pourrait être de l’ordre de 600 millions à un milliard d’euros pour nos exportateurs ([13]).

6.   L’accompagnement de nos entreprises à l’international : des progrès restent à faire

Les pouvoirs publics français (comme ceux des autres grands pays) ont progressivement mis en place à la fois des moyens humains et des instruments financiers destinés spécifiquement à accompagner à l’international nos entreprises.

Ce type de mesures semble avoir une réelle efficacité, même si c’est à une échelle mesurée : les diverses études économétriques qui se sont efforcées d’évaluer l’impact des dispositifs existants concluent, selon les cas, que 5 à 70 euros de chiffre d’affaires à l’export supplémentaire seraient générés par une mise d’un euro. Il faut cependant être conscient des limites intrinsèques des dispositifs spécifiques d’accompagnement : ils représentent des coûts budgétaires de quelques dizaines ou au plus centaines de millions d’euros et donc, même avec les excellents taux de retour susmentionnés, peuvent générer au plus quelques centaines de millions, peut-être un milliard d’euros d’affaires. Ce n’est pas de quoi rééquilibrer notre solde extérieur. Par ailleurs, l’efficacité marginale de ce genre de dispositifs est fortement décroissante : on ne peut pas augmenter massivement leur volume sans perdre rapidement en efficacité.

Sous réserve de ces limites inhérentes, il faut évidemment tout faire pour que notre accompagnement des entreprises à l’international soit pleinement efficace.

Le bilan des évolutions des dernières années est plutôt positif, mais fait apparaître encore de graves lacunes.

a.   Le concept de « diplomatie économique » est généralement salué

Le concept de « diplomatie économique » a été mis en avant par M. Laurent Fabius lorsqu’il est devenu ministre des affaires étrangères au début de la législature précédente, puis a vu ses compétences étendues au commerce extérieur (et au tourisme) en 2014.

La promotion de la diplomatie économique a d’abord visé à mobiliser nos ambassadeurs sur les sujets économiques et le soutien à nos entreprises sur les marchés internationaux. Il leur a été demandé, dans tous les pays représentant des flux commerciaux non négligeables, soit une centaine, d’élaborer des plans d’action économique et de constituer des conseils économiques pour réunir régulièrement les opérateurs et entreprises français présents ; ils ont dû rendre compte et être évalués sur la mise en œuvre de ces mesures. Selon une enquête interne du ministère des affaires étrangères, les ambassadeurs consacreraient désormais près de 40 % de leurs temps de travail, en moyenne, à la diplomatie économique.

Cette évolution est très généralement appréciée. La mobilisation des ambassadeurs, outre qu’elle démultiplie les moyens de soutien à nos entreprises, a deux avantages : celui de désigner clairement un chef de file, dans chaque pays étranger, de la promotion économique de notre pays ; et celui de mettre à la disposition de nos entreprises des personnalités qui ont un « carnet d’adresses » de haut niveau et peuvent leur ouvrir des portes qui resteraient fermées pour les chefs de service locaux des services économiques du Trésor ou de Business France.

Nos ambassadeurs peuvent par ailleurs s’appuyer sur le réseau des services économiques régionaux dépendant de la direction générale du Trésor, qui disposent (chiffres de fin 2017) d’environ 600 agents et de 131 implantations dans 108 pays.

b.   Les opérateurs publics ont amélioré leur efficacité

Le dispositif administratif et les soutiens financiers spécifiquement dédiés à l’internationalisation de nos entreprises ont été l’objet de nombreuses réformes au cours des dernières décennies, lesquelles visaient généralement à regrouper des structures pour les rendre plus puissantes et plus professionnelles. Ces évolutions institutionnelles fréquentes ne sont d’ailleurs pas propres à la France, comme l’a relevé notre collègue Buon Tan dans son avis budgétaire pour 2018 sur les crédits du commerce extérieur et de la diplomatie économique ([14]) : il existe dans ce domaine de multiples types d’organisation et les réformes institutionnelles sont également fréquentes chez nos partenaires européens.

De l’avis dominant, les réformes menées ont permis l’émergence de plusieurs opérateurs performants.

● L’établissement public Business France est né du regroupement progressif de divers organismes préexistants, tels que l’Agence pour la coopération technique, industrielle et économique (ACTIM), le Comité français des manifestations économiques à l’étranger (CFME) et le Centre français du commerce extérieur (CFCE), qui ont fusionné en deux phases pour former en 2004 l’établissement public Ubifrance, lequel a également bénéficié du transfert de personnels qui servaient dans les services économiques extérieurs dépendant du ministère de l’économie et des finances (entre 2008 et 2010). En 2015, Ubifrance a fusionné à son tour avec l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII), pour former Business France. Enfin, ce dernier a absorbé début 2017 les activités d’accompagnement international de la Sopexa, structure publique spécifique de promotion des produits agro-alimentaires.

Suite à tous ces regroupements, Business France représente une force de frappe significative : 1 500 agents, localisés en majorité dans ses bureaux à l’étranger (plus de 900 personnes). Son réseau international permettait fin 2016 à l’opérateur d’être présent directement sur 93 sites dans 68 pays et indirectement (en comptant les pays couverts depuis un pays voisin ou par des partenaires conventionnés) dans plus de 120 pays. Business France dispose d’un budget total d’un peu plus de 200 millions d’euros, provenant pour moitié de fonds publics (104 millions d’euros dans son budget 2017), le reste provenant de services facturés aux entreprises.

● De même, une série de regroupements d’institutions publiques préexistantes (la Banque des PME, l’ANVAR, CDC Entreprises, le Fonds stratégique d’investissement) a conduit en 2012 à la constitution d’un établissement financier public dédié aux PME, Bpifrance. Cette institution est devenue un acteur financier majeur dont le total de bilan atteignait 72,4 milliards d’euros fin 2017.

Son activité a continué à se développer en 2017, notamment sur le champ international. Bpifrance a développé sur ses ressources propres des instruments financiers (crédits et garanties) adaptés aux PME exportatrices. En particulier, l’institution accorde des crédits export pour financer des opérations d’exportation sur des contrats de montant faible ou moyen (jusqu’à 25 millions d’euros, voire 75 millions en cofinancement avec d’autres banques) pour lesquels le secteur bancaire classique est souvent défaillant. Le volume de crédits export a atteint 186 millions d’euros en 2017, contre 28 millions en 2016 ; 119 millions d’euros d’avances à l’export ont également été octroyés.

Par ailleurs, Bpifrance gère pour le compte de l’État, depuis début 2017, les « garanties publiques » qui étaient antérieurement gérées par la Coface. Il s’agit de dispositifs développés de longue date (ils ont été créés après la Seconde guerre mondiale) par lesquels l’État assure certaines opérations à l’international pour lesquelles l’offre de marché des assureurs privés est considérée comme défaillante. Ces garanties publiques, que l’on peut regrouper sous le vocable d’assurance export publique, ont été l’objet à partir de 2012 de plusieurs trains de réformes visant pour la plupart à les élargir et les diversifier afin de répondre aux besoins des entreprises. On distingue notamment : l’assurance-crédit, qui consiste à couvrir, à moyen ou à long terme, les exportateurs contre le risque d’interruption de leur contrat et/ou les banques contre le risque de non remboursement des crédits à l’exportation octroyés à un acheteur étranger ; l’assurance prospection, qui permet de prendre en charge des dépenses de prospection sur un marché étranger, les remboursements de l’entreprise étant liés au chiffre d’affaires qui en résulte ; la garantie de change ; la garantie du risque exportateur, qui couvre les cautions et les préfinancements bancaires des contrats d’export.

Près de 2 700 entreprises ont recouru en 2017 à l’un ou l’autre de ces dispositifs. Le montant annuel de garanties émises, qui est fluctuant, est en augmentation tendancielle forte : 20,4 milliards d’euros de garanties octroyées en 2017 contre 18 milliards en 2016 et 14,4 milliards en moyenne sur 2010-2016. Au total, via l’assurance export publique et les autres dispositifs de Bpifrance, 22,7 milliards d’euros ont été mobilisés pour accompagner l’internationalisation des entreprises françaises en 2017.

● L’établissement public Expertise France a été créé en même temps que Business France (au 1er janvier 2015) par la fusion d’un précédent opérateur et de cinq petites agences d’expertise créées antérieurement par différents ministères financiers et sociaux ([15]).

Cette opération a permis de constituer une agence dynamique, avec une activité en forte croissance puisque le chiffre d’affaires global devrait être de l’ordre de 200 millions d’euros en 2018, alors qu’il n’était encore en 2016 que de 124 millions.

Expertise France constitue une expérience intéressante car l’agence se place tout à la fois au service de la politique d’aide au développement et de la diplomatie économique, réconciliant deux objectifs parfois présentés comme incompatibles. Selon son texte statutaire, en effet, l’agence « participe à des missions d’intérêt public au service de la politique de coopération au développement et de rayonnement économique de la France » ([16]).

Se comportant en matière d’expertise technique comme un « ensemblier » capable de proposer des offres aussi globales que possible, Expertise France retraite une partie (20 % à 30 %) de son activité avec des entreprises françaises de conseil, ingénierie, formation, voire des entreprises industrielles ou du BTP. Par exemple, l’agence a obtenu un important contrat avec les Nations-Unies pour assister la MINUSMA (force de maintien de la paix au Mali) dans ses projets logistiques et d’infrastructures (bases), dont une part a bénéficié à des entreprises françaises du BTP ou de la sécurisation des sites. Expertise France peut aussi favoriser les offres françaises par un second biais, indirect, en favorisant la diffusion des normes et des pratiques françaises, dans des domaines tels que l’urbanisme et les transports (il existe notamment un programme de coopération en matière d’urbanisme avec Bahreïn), l’agriculture (normes phytosanitaires) ou encore la mise en œuvre de partenariats public-privé (diffusion du « modèle » français de délégation de service public, qui peut ensuite faciliter l’accès d’entreprises françaises à des appels d’offres).

L’autre spécificité d’Expertise France est d’avoir un fonctionnement proche de celui d’une entreprise et des liens avec les entreprises, tout en pouvant valoriser son statut d’agence officielle de la France et le maintien de liens avec les administrations régaliennes. C’est un modèle favorable pour obtenir des marchés tels que ceux mentionnés supra, qui ont un fort contenu régalien (le marché d’urbanisme avec Bahreïn provient ainsi, à l’origine, d’une demande exprimée lors d’une rencontre des chefs d’État des deux pays ; quant à celui avec la MINUSMA, il n’est bien sûr pas sans lien avec le rôle particulier de la France au Mali).

● Par ailleurs, nos entreprises peuvent aussi s’appuyer sur des réseaux plus anciens, mais qui ont développé et modernisé leur action. Dans les territoires, environ 400 conseillers travaillant pour les chambres de commerce et d’industrie seraient spécialisés sur les enjeux internationaux. Dans les pays étrangers, le réseau des chambres de commerce et d’industrie françaises à l’international (CCI-FI) est constitué de structures de droit local qui s’autofinancent (cotisations des membres, vente de prestations), ne bénéficiant pas de financements publics (ou très marginalement). Il comprend 120 chambres employant en 2016 1 165 collaborateurs et qui ont réalisé globalement celle année-là un chiffre d’affaires de 68,5 millions d’euros ; 87 incubateurs sont en place dans 62 pays ([17]).

● Les conseillers du commerce extérieurs de la France sont une autre institution vénérable : ils ont été créés en 1898. Il s’agit de professionnels, en majorité implantés à l’étranger, qui acceptent d’apporter une assistance bénévole aux entreprises françaises. À ce titre, ils sont nommés et donc reconnus par l’État. Ils sont plus de 4 000 en France et dans 149 pays. Durant ces dernières années, le réseau a été rajeuni (la moyenne d’âge est passée de 60 à 52 ans depuis 2004), féminisé (le taux de femmes étant passé depuis 2010 de 10 % à 20 %) et doté d’une charte de déontologie.

● Enfin, les régions ont été dotées par une série de lois successives de décentralisation de compétences en matière d’aides aux entreprises, comprenant notamment le soutien à l’export et l’attraction des investissements étrangers. La loi NOTRe ([18]) a parachevé ce processus et affirmé la compétence exclusive de la région pour la définition des orientations en matière de développement économique. Cette définition est l’objet du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII), lequel doit notamment traiter des orientations en matière de « soutien à l’internationalisation » des entreprises et d’« attractivité du territoire régional ».

Les régions ont saisi pleinement leurs missions en adoptant des modes d’organisation variés pour mettre en œuvre celles-ci : certaines les gèrent dans le cadre d’agences aux compétences plus larges couvrant le développement économique et/ou l’innovation. D’autres ont créé des agences ad hoc, dotées parfois de bureaux à l’étranger. Toutefois la déconfiture en 2015 d’Entreprise Rhône-Alpes International (ERAI), l’agence mise en place par la région du même nom, qui était manifestement surdimensionnée (de nombreuses antennes à l’étranger, plus de 200 emplois, 11 millions d’euros de budget), conduit aujourd’hui la plupart des régions à s’appuyer plutôt sur les réseaux existants à l’étranger (réseau consulaire et Business France).

Les régions ont en commun de financer (le plus souvent à 50 % mais d’autres formules existent) le programme du volontariat international en entreprise (VIE), qui constitue à la fois un moyen d’accéder à l’emploi pour les jeunes et une facilité donnée aux entreprises pour bénéficier d’une représentation physique sur un nouveau marché à frais réduits. Le nombre des VIE a régulièrement augmenté : ils étaient presque 10 000 fin 2017, contre 6 300 fin 2009 et 8 000 fin 2013.

c.   Mais il reste d’évidentes marges d’amélioration

Les progrès réalisés ne peuvent dissimuler la persistance d’indéniables lacunes.

i.   Un dispositif qui reste insuffisamment lisible

Tout d’abord, le dispositif public ou parapublic d’accompagnement à l’international reste complexe. De très nombreux intervenants potentiels y figurent, certains mis en place ces dernières années. En effet, à ceux mentionnés supra, il faut ajouter, entre autres :

– les bureaux spécialisés propres à certains secteurs, comme le Bureau Export pour la filière musicale, le Bureau international de l’édition française pour le secteur du livre, UniFrance pour la promotion internationale du cinéma français, Adepta pour celle de notre machinisme agricole et agro-alimentaire…

– les personnalités désignées, sous la précédente législature, comme « fédérateurs » de « familles » professionnelles à l’export ou encore les « représentants spéciaux » nommés dans une douzaine de pays (ou regroupements de pays) pour y promouvoir l’offre française…

La mise en place de la « diplomatie économique » telle que promue par M. Laurent Fabius s’est par ailleurs accompagnée d’une complexification de la gestion du dispositif au sommet, dans la mesure où la compétence « commerce extérieur », revendiquée alors par le ministre, n’a en réalité été que partiellement transférée du pôle « économie et finances » (« Bercy ») au pôle « affaires étrangères » (le « Quai d’Orsay »). Cela apparaît bien dans les décrets d’attribution des différents ministres, ceux pris en 2017 pour le nouveau Gouvernement reprenant le compromis trouvé en 2014. Selon le décret d’attribution de l’actuel ministre de l’Europe et des affaires étrangères ([19]), il est chargé de conduire les négociations commerciales, mais ce « en liaison » avec son collègue chargé de l’économie ; il est seulement « associé » à la politique de financement des exportations, qui est gérée par la direction générale du Trésor ; il « a autorité », mais « conjointement avec le ministre de l’économie », sur les services économiques régionaux dépendant de la direction générale du Trésor ; il « dispose », sans les diriger, des directions générales du Trésor et des entreprises (toutes deux rattachées à « Bercy ») pour l’exercice de ses compétences en matière de commerce extérieur et de tourisme, de sorte que le Quai d’Orsay s’est lui-aussi doté d’une direction économique concurrente (la direction des entreprises, de l’économie internationale et de la promotion du tourisme) ; il exerce seulement une co-tutelle sur Business France, etc.

Cette complexité se retrouve dans l’imputation des différents crédits budgétaires que l’on peut rattacher à la mission générale d’aide à l’internationalisation des entreprises : il n’y a pas de « budget du commerce extérieur » (ou de la diplomatie économique) identifié, mais des lignes de crédits dispersées (voir pour leur détail l’avis budgétaire précité de M. Buon Tan).

ii.   Des coopérations plus ou moins effectives

Officiellement, les différents opérateurs ou réseaux mis en place coopèrent harmonieusement pour rendre aux entreprises le meilleur service.

Cette coopération a été formalisée par un certain nombre de « chartes », « convention » ou « partenariats.

Par exemple, en juillet 2011, la « Charte nationale de l’exportation » a prévu la mise en place de « guichets uniques régionaux » ayant vocation à être animés par le réseau consulaire ; elle avait été signée par l’ensemble des acteurs d’alors (Ubifrance, Coface, Oséo, Association des régions de France, Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie, etc.). Dans le même esprit, a été créé en 2013 le label « Bpifrance export » dans une optique de guichet unique entre Ubifrance, Coface et Bpifrance. Par ailleurs, dans sept pays (République démocratique du Congo, Jordanie, Madagascar, Maroc, Nigeria, Pérou et Venezuela) où elle n’avait pas de bureau, l’agence Ubifrance a délégué la mise en œuvre de ses missions de services publics aux CCI-FI locales.

La création de Business France en 2015 a de même été suivie en 2015-2016 de la signature de partenariats avec CCI International et CCI France, (têtes de réseau consulaires), le Comité national des conseillers du commerce extérieur, Régions de France, les Opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI), c’est-à-dire le syndicat des acteurs privés de l’accompagnement international, les douanes, etc.

Mais les réalisations concrètes consécutives à tous ces accords restent limitées. Ils se sont inscrits dans une tension entre la volonté des pouvoirs publics d’offrir aux entreprises un service plus lisible, voire un « guichet unique », et le conservatisme des structures existantes qui cherchaient à perdurer.

Ainsi, les délégations de service public opérées dans quelques pays au bénéfice des CCI-FI ont-elles souvent donné des résultats limités (hormis au Maroc) compte tenu du choix de pays « difficiles » (potentiel économique limité et/ou problèmes politiques et sécuritaires). De même, la volonté de mettre fin aux rivalités entre bureaux de Business France et CCI-FI dans la soixantaine de pays où les uns et les autres coexistaient a donné des résultats inégaux : si une cinquantaine de conventions locales ont été signées à cette fin, deux ont rapidement été dénoncées et les négociations ont achoppé dans près d’une dizaine de sites. Une enquête interne menée auprès des responsables locaux de Business France et des CCI-FI a montré une amélioration des modes de coopération, mais des concrétisations assez limitées en termes de transfert de chiffres d’affaires (ce qui était l’objectif : confier la réalisation de telle ou telle prestation pour telle ou telle entreprise à l’autre partenaire en fonction des compétences de chacun).

Plusieurs personnes auditionnées par la mission ont fait état des relations parfois difficiles qui subsistent localement, dans tel ou tel pays étranger par exemple, entre réseaux et opérateurs, de la nécessité de ne pas « piétiner les plates-bandes » de tel ou tel si l’on voulait avancer…

iii.   Une pénétration limitée sur le « marché » des exportateurs

Ce dispositif public et parapublic encore complexe et fragmenté reste globalement relativement peu connu et utilisé par les entreprises. Par exemple, Business France touche avec ses prestations diverses (opérations collectives, prestations individualisées, mise à disposition de VIE…) environ 10 000 PME et entreprises de taille intermédiaire (ETI) distinctes par an, 18 000 environ en cumul sur trois ans ; autre exemple, moins de 3 000 entreprises souscrivent annuellement l’une des assurances export publiques gérées par Bpifrance ; seul le réseau consulaire revendique un nombre plus significatif d’entreprises touchées par ses actions internationales, avec 68 000 « structures » ayant bénéficié en 2016 d’une prestation de CCI-International, mais encore faudrait-il savoir précisément ce que cela recouvre.

En tout état de cause, ces effectifs d’entreprises concernées par les différentes prestations apparaissent modestes au regard des 124 000 entreprises exportatrices que compte la France, dont environ les deux tiers sont des exportateurs réguliers (exportant tous les ans). La majorité des exportateurs ne recourent donc pas aux dispositifs publics de soutien et d’accompagnement. Pour certains, peut-être parce qu’ils n’en ont pas l’usage. Mais aussi parce qu’ils ignorent l’offre qui leur est faite, du fait de son manque de visibilité et de lisibilité, ou encore la trouvent trop coûteuse.

iv.   La question du coût des prestations dans un contexte de désengagement budgétaire

Sur ce dernier point, il y a en effet des critiques récurrentes quant aux tarifs demandés par Business France pour les prestations de conseil (études de marchés) et de mise en relation (« B to B ») qu’il propose aux entreprises. Certaines de ces prestations sont réalisées aux prix du marché en direction de grandes entreprises. D’autres, destinées aux PME, sont subventionnées, mais avec un reste à charge qui est souvent jugé excessif. De fait, d’après un document de benchmark produit par Business France (reproduit ci-après), il semble que cet opérateur soit en Europe et peut-être dans le monde l’un des opérateurs publics comparables dont le budget repose le plus sur la facturation aux entreprises : quand les facturations représentent près de la moitié du budget de Business France, la situation ne serait comparable que pour son homologue suédois (42 % de facturations dans son budget), tandis que la part des facturations ne serait que de 20 % pour l’organisme espagnol, 13 % pour les organismes allemands, 11 % pour l’agence italienne, 4 % au Royaume-Uni, 12 % en Corée du Sud, 11 % en Australie, 0 % au Japon et au Canada…

Source : Business France.

Pour être plus précis s’agissant de la comparaison avec l’Allemagne, on voit que dans ce pays, l’agence publique GTAI (German Trade and Invest), sorte d’homologue de Business France, ne facture quasiment pas de prestations aux entreprises, tandis que le réseau consulaire international allemand, largement subventionné, ne tire que 25 % de ses ressources de telles facturations. On rappelle qu’en revanche, le réseau français homologue des CCI-FI ne bénéficie quasiment pas de fonds publics (il doit donc être financé par les cotisations des entreprises affiliées à ces chambres et par les prestations facturées).

La comparaison avec l’Allemagne est également édifiante en matière d’expertise technique.

Ainsi, en 2016 (dernières années pour laquelle les rapports financiers ont été publiés) :

– Expertise France a bénéficié de ressources d’exploitation à hauteur de 124 millions d’euros, générées essentiellement par la vente de ses prestations ; les subventions n’ont en effet apporté sur ce total que 12,5 millions ;

– son homologue allemand GIZ (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit) a affiché la même année un carnet de commandes de 3,2 milliards d’euros (en progression de 38 % par rapport à l’année précédente !) et un chiffre d’affaires de 2,4 milliards d’euros, dont 2,25 milliards, soit 94 % du total, provenant du secteur non marchand (ministère de la coopération et du développement, commande publique et subventions), ce qui lui permet de déployer des moyens et une activité considérables (plus de 130 pays couverts, 18 000 collaborateurs…). L’Allemagne a de longue date fait de l’expertise technique un outil public d’influence ; elle finance massivement des programmes dans de nombreux pays en développement, lesquels lui permettent de diffuser mondialement ses normes techniques et plus généralement sa culture technique et administrative, au grand bénéfice ensuite de ses entreprises.

Il est à noter que les agences d’expertise technique sont également principalement financées sur fonds publics dans d’autres pays européens (selon un récent rapport d’information du Sénat ([20]), à plus de 96 % pour celle de la Belgique, à 100 % pour l’agence suédoise, 85 % pour l’agence italienne..).

v.   Un dispositif qui n’appréhende pas globalement l’internationalisation des entreprises

Il convient enfin d’observer que ce dispositif public d’accompagnement n’appréhende pas encore globalement l’internationalisation des entreprises.

Business France d’une part cherche à favoriser les investissements étrangers en France, d’autre part aide les entreprises françaises à exporter en leur proposant des prestations telles que des études de marché, la participation à des salons ou la recherche de premiers clients. Mais l’agence ne s’occupe pas de la phase ultérieure qui peut prendre la forme d’une implantation locale. Cette limitation est justifiée en principe par la présence d’une offre commerciale pour les prestations (conseil, domiciliation, fourniture de locaux, aide aux démarches…) visant cet objectif – offre assurée par des opérateurs privés et/ou par les chambres de commerce et d’industrie françaises à l’international.

De même, le bénéfice des assurances export publiques gérées par Bpifrance est lié à des exigences de « part française », c’est-à-dire de part minimale des contrats commerciaux assurés qui donne lieu à une valeur générée en France.

Tout cela se comprend : les outils publics doivent servir l’emploi en France et il existe toujours une interrogation par rapport à la tentation de la délocalisation que peuvent connaître certaines entreprises, cas de figure où le développement d’implantations à l’étranger se fait au détriment de l’emploi en France aussi bien que de la balance commerciale (si les biens fabriqués à l’étranger par des entreprises françaises sont destinés au marché français).

Cependant, certaines études économiques démentent l’idée selon laquelle les investissements à l’étranger d’entreprises françaises se feraient généralement au détriment de l’emploi national et de l’export depuis la France. Natixis a ainsi publié une analyse ([21]) comparant des entreprises s’implantant à l’étranger avec un échantillon d’entreprises qui le pourraient mais ne le font pas (cette comparaison étant censée supprimer le biais lié au fait que les entreprises qui s’implantent à l’étranger sont ex ante plus performantes que la moyenne, de sorte que l’on ne sait pas à quel facteur précisément attribuer leurs résultats ultérieurs). Selon ce document, les entreprises qui réalisent pour la première fois un investissement à l’étranger connaissent « après leur implantation, une croissance ([22]) de leur chiffre d’affaires, de leur valeur ajoutée, de leurs exportations et de leur emploi plus rapide que celle des entreprises domestiques [comparables mais sans investissement à l’étranger]. Ainsi, nous constatons non seulement une complémentarité entre IDE et emploi national, mais aussi une complémentarité entre IDE et exportations. La thèse selon laquelle l’implantation à l’étranger détruit l’activité domestique ne semble donc pas vérifiée ; empiriquement, c’est même l’inverse que nous observons pour les primo-investisseurs ».

On peut bien sûr discuter ce type de résultats, qui auraient à être confirmés par des analyses complémentaires. Il n’empêche que cela doit sans doute nous amener à un jugement plus nuancé quant à l’impact des investissements et implantations des entreprises françaises à l’étranger, qui sont souvent la suite logique d’un courant d’export et permettent de conforter ce courant. Il n’est pas opportun de distinguer strictement commerce et investissement, flux d’import-export et flux d’investissement (depuis ou vers les entreprises françaises) : le développement des uns et des autres est bien le signe d’un mouvement plus global, celui d’internationalisation des entreprises, et c’est ce mouvement global que les politiques publiques doivent appréhender.

 


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II.   Mieux préparer et accompagner nos entreprises

Sans ignorer les réformes menées durant les dernières années pour mieux préparer et accompagner nos entreprises à l’international, le constat est là : les résultats ne sont pas encore là en termes de commerce extérieur et nos dispositifs souffrent encore de lacunes et de faiblesses.

Depuis un an, nombre de mesures ont été mises en œuvre, ou au moins lancées, pour répondre à cette situation. Elles sont nécessaires car le retour à la confiance, donc de la croissance, qui est au centre des objectifs de la politique menée, ne doit pas conduire à un niveau de déséquilibre extérieur qui serait incompatible avec la poursuite de cette croissance.

Vos rapporteurs proposent de compléter et d’enrichir ces mesures, car l’internationalisation de nos entreprises est une priorité essentielle.

A.   Un ensemble complet de réformes engagées par le Gouvernement

Le Gouvernement a progressivement dégagé, depuis un an, les grandes lignes d’une réforme de l’accompagnement à l’international de nos entreprises. Nous en arrivons maintenant au stade des décisions concrètes dans ce domaine.

Un rapport ([23]) a été demandé au directeur général de Business France, M. Christophe Lecourtier, et remis en novembre dernier en vue de décrire de manière opérationnelle comment un véritable « guichet unique » pourrait être proposé aux entreprises en matière d’internationalisation. Le 23 février, le Premier ministre a présenté à Roubaix la « Stratégie du Gouvernement en matière de commerce extérieur », comprenant une série de décisions précises. Le 8 février, la réunion du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) avait également été l’occasion de décisions intéressant la diplomatie économique. La consultation sur le Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE) a aussi traité de ces questions et le projet de loi PACTE en comprend les traductions législatives.

Enfin, d’autres dispositions, de portée plus générale, ont trouvé place dans des véhicules législatifs tels que les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2018.

1.   La compétitivité au cœur de l’action du Gouvernement

De nombreuses mesures dédiées à la compétitivité générale des entreprises (sans viser spécifiquement l’export) ont été prises ou présentées depuis un an. Sans en faire la liste exhaustive, on peut rappeler :

– les mesures fiscales et sociales prises à l’automne 2017 – élargissement des allégements de charges sociales sur les salaires modestes (3,9 points supplémentaires d’allégements), réduction progressive du taux normal de l’impôt sur les sociétés à 25 % d’ici 2022, réforme de la fiscalité du capital…

– le lancement du Grand plan d’investissement public de 57 milliards d’euros, centré sur la transition écologique, la société des compétences, l’innovation et l’État numérique ;

– les mesures inscrites dans le projet de loi PACTE telles que l’aménagement des coûts liés aux seuils d’effectifs, la facilitation des accords d’intéressement dans les PME avec la suppression du « forfait social » dans les entreprises de moins de 250 salariés, la création d’une plate-forme en ligne unique pour les formalités des entreprises, etc.

2.   Une innovation : la prise en compte de la dimension internationale dans les politiques d’éducation et de formation

Les annonces faites à Roubaix le 23 février par le Premier ministre intègrent tout un volet de mesures de formation aux langues et au commerce international, ce qui constitue une innovation dans le cadre d’un plan concernant le commerce extérieur.

Ces annonces sont particulièrement précises concernant l’amélioration du niveau en anglais dans l’enseignement. Il est prévu que l’État finance pour chaque étudiant, avant d’entrer en premier cycle universitaire ou à défaut avant la fin de ce premier cycle, une certification internationale en anglais. L’objectif est que tous les étudiants puissent attester d’un niveau B2 (au moins). Cela concernera d’abord, en terminale, les élèves qui suivent un cursus à dimension internationale (près de 60 000 en sections européennes et près de 10 000 en sections internationales) avant une généralisation progressive prévue en trois ans. Dans l’enseignement supérieur, l’exigence de certification de niveau au moins B2 s’appliquera aux diplômes délivrés par les écoles d’ingénieurs, celles de management et les masters. Le dispositif sera déployé aussi dans les BTS commerce et vente (environ 50 000 étudiants), accueil, hôtellerie et tourisme (environ 15 000 étudiants), technico-commerciaux agricoles (environ 3 200 étudiants), ainsi que les licences professionnelles orientées vers le commerce international.

Le Gouvernement entend également développer la reconnaissance des compétences linguistiques des salariés dans le cadre de la formation continue, cela valant aussi d’ailleurs pour les compétences en français des salariés étrangers des entreprises françaises.

Enfin, il est envisagé de mettre en place un programme de formation à l’internationalisation qui serait spécifiquement élaboré pour répondre aux besoins propres des PME et bénéficierait notamment à leurs dirigeants. Une réflexion a été engagée avec les différentes administrations et institutions qui y seraient parties prenantes (agences régionales de développement, réseau consulaire, Business France, conseillers du commerce extérieur de la France, etc.).

On peut relever par ailleurs que plusieurs des dispositions du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, qui porte la réforme de la formation et est en cours de navette parlementaire, vont dans le sens d’une meilleure prise en compte de la dimension internationale dans les formations ainsi que, plus généralement, des besoins des entreprises. Par exemple, les articles 8 et 13 organisent la possibilité de mobilités internationales dans le cadre des contrats d’apprentissage et de professionnalisation, tandis que l’article 14 renforce le rôle des entreprises dans la définition des formations en exigeant désormais un avis conforme des commissions professionnelles consultatives sur la création des diplômes ou titres à finalité professionnelle et leurs référentiels.

3.   L’accompagnement des entreprises : vers un dispositif unifié, complet, lisible pour les entreprises

La mise en place, enfin, d’un « guichet unique » pour l’accompagnement à l’export est sans doute le point central du plan annoncé le 23 février dernier. C’est aussi un élément important de la démarche PACTE. La mise en œuvre pratique de ce guichet unique sera inspirée des propositions présentées dans le rapport susmentionné de M. Lecourtier.

L’objectif est de regrouper l’offre des réseaux et opérateurs existants – dans une « Team France Export » – afin que les entreprises se voient proposer pour l’export un accompagnement global cohérent, dans lequel le rôle de chacun sera clair.

a.   Des outils numériques nouveaux

Ce dispositif devrait reposer sur deux outils numériques :

– une « plateforme des solutions », qui permettra de répondre aux questions simples des entreprises, notamment celles qui ne se sont pas encore lancées à l’export, et d’orienter vers tous les outils d’accompagnement et de soutien financier disponibles ;