______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 novembre 2018.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 24 octobre 2017
sur l’avenir de la zone euro
Co-rapporteurs
M. Christophe NAEGELEN
M. Sylvain WASERMAN
Députés
——
— 1 —
SOMMAIRE
___
Pages
4 axes clefs pour renforcer la zone euro
Première partie : La zone euro, un bouclier économique à renforcer
I. la zone euro, une nécessité pour l’avenir économique et politique de ses États-membres
A. l’euro, symbole d’une puissance politique et Économique
B. L’EURO, un levier de croissance pour les entreprises
C. L’euro, un bouclier pour les citoyens
D. L’euro, outil essentiel à la stabilité financière
A. Les fragilités de la zone euro : facteurs aggravants des crises de 2008 et des dettes souveraines
1. Des faiblesses institutionnelles et structurelles
2. Une rigueur budgétaire aux effets déflationnistes
1. La mise en place de mécanismes d’assistance financière
2. La création d’une Union bancaire
a. Premier pilier, la supervision bancaire : le Mécanisme de supervision unique (MSU)
b. Deuxième pilier, la résolution des crises bancaires : le Mécanisme de résolution unique (MRU)
3. Le rôle de la Banque centrale européenne
4. Une relance de l’investissement au niveau de l’Union européenne
C. Les règles encadrant la coordination des politiques économiques nationales ont été revues
1. Le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC)
3. Le rôle du Semestre européen
4. Bilan des réformes de l’architecture de la zone euro, un manque de lisibilité démocratique
a. Un ensemble de règles complexe et peu lisible
b. Un ensemble de règles aux effets limités
c. Des sanctions au bien-fondé discutable
D. L’inachèvement de l’union bancaire fragilise la stabilité financière de la zone euro
1. L’Union bancaire reste inachevée
E. Une intention de convergence pour une rÉalitÉ de divergences
1. La création de la zone euro n’a pas permis d’assurer une véritable convergence des économies
b. La double récession connue par la zone euro a accentué les divergences économiques et financières
a. Des choix nationaux de politique économique qui ont alimenté les divergences
b. Des divergences favorisées en partie par les règles de l’Union économique et monétaire
b. Les fragilités de la convergence en zone euro plaident pour des avancées en cercles restreints
Deuxième partie : quatre propositions pour renforcer à moyen et à long terme la zone euro
A. le couple franco-allemand, moteur de la convergence en zone euro.
1. L’impulsion franco-allemande
2. un groupe de pays volontaristes
B. Accélérer la convergence pour ASSEOIR L’EURO SUR UNE IDENTITÉ ÉCONOMIQUE FORTE
1. une convergence fiscale pour une meilleure compétitivité de la zone euro
2. Une convergence sociale pour renforcer le bouclier économique qu’est l’euro
B. Une convergence des rÈgles favorisant l’union des marches des capitaux
III. Consolider et renforcer la zone euro en tant que bouclier économique autour de 3 piliers
A. achever d’urgence la consolidation de l’Union Bancaire
1. Renforcer la supervision bancaire pour une diminution globale du niveau de risque
2. Poursuivre l’assainissement des bilans des banques de la zone euro
3. Communautariser le Mécanisme européen de stabilité et le transformer en Fonds monétaire européen
B. doter la zone euro d’un stabilisateur budgétaire autour d’un fonds de stabilisation pour l’emploi
1. Une idée plusieurs fois réaffirmée depuis la crise mais pas encore mise en œuvre
3. Un budget pour stabiliser les chocs conjoncturels
b. Comment stabiliser les chocs conjoncturels
C. Élaborer un budget structurel pour préparer l’économie de demain
2. Le budget structurel doit préparer la zone euro à l’économie de demain
3. Un budget structurel seul ne suffit pas pour favoriser l’émergence de champions européens
4. Les modalités de financement du budget de la zone euro
D. ouvrir la réflexion sur les règles budgétaires en vigueur
1. L’intégration du TSCG au droit européen
2. La nécessité d’une réflexion sur les règles budgétaires pour l’avenir
A. Une réforme institutionnelle, à traités constants
B. Les réformes institutionnelles à moyen et long terme
1. Associer les parlements nationaux à la politique de la zone euro
2. Ministre des finances ou haut représentant ?
Liste des personnes AUDITIONNées
annexe n° 1 : carte de la zone euro
ANNEXE N° 2: Déclaration de Meseberg
ANNEXE N° 3 : Accord parlementaire franco-allemand
ANNEXE N° 4 : Proposition de résolution – Assemblée nationale n°542 (rectifié) :
Pour un nouveau Traité de l’Élysée.
ANNEXE N° 5 : “Papier” franco-allemand
— 1 —
Les 13 et 14 décembre prochains, le Conseil européen se prononcera sur l’avenir de la zone euro, désignée également « Union économique et monétaire » (UEM). Les 19 pays membres devront s’accorder sur une feuille de route claire et concrète pour répondre aux fragilités qui subsistent dans cet espace et donner un nouvel élan à sa compétitivité et à sa croissance dans le cadre d’une forte concurrence mondiale.
Si la zone euro a survécu à deux crises profondes depuis 2008, elle reste particulièrement vulnérable. Les divergences économiques, sociales et fiscales continuent leur progression, l’unification et la consolidation du système bancaire peinent à aboutir au profit d’un risque réel pour la stabilité financière de la zone, son architecture institutionnelle est ses instruments de réponse aux crises ne sont pas suffisants pour faire face à une nouvelle crise d’ampleur etc.
Dans ce contexte, la promesse d’une prospérité partagée reste à réaliser ainsi que l’édification d’une véritable union économique. Surtout, l’état actuel des fragilités de la zone ne lui permettra pas d’être suffisamment armée dans l’éventualité d’une nouvelle crise systémique.
Pour toutes ces raisons, il est plus que jamais le moment d’agir maintenant pour développer les instruments et mener les réformes nécessaires à la consolidation et au renforcement de la zone euro.
Vos rapporteurs, au-delà de leurs différences, partagent cette conviction ; d’autant que des solutions innovantes et concrètes existent aujourd’hui :
– Les parlements allemand et français s’apprêtent à donner un nouvel élan à leur coopération en proposant la création prochaine d’une Assemblée parlementaire franco-allemande chargée, notamment, de rapprocher les deux droits et d’élaborer des positions communes sur les dossiers européens ;
– Près de 200 juristes franco-allemands travaillent depuis deux ans à l’élaboration, à terme, d’un Code européen du droit des affaires afin de simplifier et faciliter les relations économiques entre les pays membres au profit du développement économique de la zone euro.
Aussi, la combinaison de plusieurs autres facteurs doit favoriser l’émergence rapide de décisions pour renforcer la zone euro dans les mois à venir :
– Les exécutifs allemand et français se sont accordés le 28 juin 2018 à Meseberg sur une feuille de route ambitieuse et historique pour réformer la zone euro et travaillent à l’élaboration d’un nouveau Traité de l’Elysée ;
– Le contexte politique européen, en particulier au regard de la situation italienne, et la situation de forte concurrence internationale appellent à une action rapide.
C’est pourquoi, vos rapporteurs formulent dans ce rapport, sur la base d’un diagnostic clair, quatre axes de réformes pour mener à bien la consolidation et le renforcement de la zone euro.
Sans plus attendre et sans craindre d’initier un nouvel élan réformateur par l’impulsion d’un groupe restreint de pays autour de l’initiative franco-allemande, ces propositions appellent à une action résolue : il en va de notre stabilité économique et politique.
— 1 —
4 axes clefs pour renforcer la zone euro
1. Accélérer la convergence d’un groupe de pays volontaristes de la zone euro autour de l’initiative franco-allemande
Constat : Pour prospérer, la zone euro doit être assise sur une identité économique forte dans une logique de convergence d’États qui partagent la même monnaie. Or, si la zone euro a une intention de convergence, elle fait aujourd’hui face à une réalité de divergences. Cette situation fait peser un risque réel sur la stabilité économique et politique de la zone.
Proposition : Alors que les solutions institutionnelles actuelles ne sont pas en capacité de remédier à cette réalité, pour vos rapporteurs, il faut accélérer la convergence dans la zone euro via un nouveau modèle par cercles restreints pour obtenir des progrès plus rapides. En particulier, l’axe franco-allemand, dans l’esprit des Pères fondateurs, doit être le moteur de cette nouvelle dynamique de convergence.
Le projet innovant et historique d’une Assemblée parlementaire franco-allemande, qui sera soumis au vote des deux assemblées le 22 janvier 2019, constitue une opportunité pour initier un nouvel élan de convergence des modèles économiques, sociaux et fiscaux des deux pays, notamment en matière d’environnement réglementaire des entreprises.
Le couple franco-allemand, pour jouer ce rôle, doit réussir à fédérer un groupement de pays volontaristes au sein de la zone euro, qui de facto s’engageront ensemble, sans contrainte institutionnelle, dans cette démarche de convergence.
2. Promouvoir la naissance d’un Code européen des affaires pour donner un nouvel élan au développement économique de la zone euro
Constat : Pour accroître son potentiel de croissance, la zone euro a plus que jamais besoin de simplifier et faciliter les relations économiques entre ses pays membres. Aujourd’hui, les entreprises, et tout particulièrement les PME, font face à une mosaïque complexe de règles européennes, entravant de manière considérable leur développement économique sur le territoire européen. La zone euro a besoin d’un développement dynamique qui ne soit pas sans cesse entravé par 19 législations différentes sur les conditions de vente, 19 règles sur les faillites etc. C’est un élément clef des gains de compétitivité des entreprises de la zone euro.
Proposition : Alors que « la réalisation d’un espace économique franco-allemand avec des règles harmonisées ([1]) » est encouragée des deux côtés du Rhin, vos rapporteurs appellent à accompagner l’initiative visant à l’émergence d’un droit des affaires unifié en Europe qui profitera au développement économique de la zone euro. Dans un premier temps, il faut porter l’initiative citoyenne de juristes franco-allemands qui travaillent depuis près de deux ans à l’élaboration à terme d’un véritable Code européen des affaires.
L’objectif est que ce travail d’harmonisation rende les règles du droit des affaires plus simples et plus efficaces au service du développement économique des entreprises au sein de la zone euro.
Vos deux rapporteurs regrettent que ce sujet, peu médiatique, soit absent du débat politique, alors qu’une telle harmonisation serait un instrument facilitateur, garant d’une plus grande efficacité et d’une plus grande simplicité, notamment pour les entreprises.
Ils proposent que l’Assemblée parlementaire franco-allemande, dont l’une des missions sera de veiller à une meilleure coordination sur la transposition des directives de l’Union européenne dans les deux pays, soit l’instance facilitatrice de l’unification des droits des affaires allemand et français.
La constitution d’un code européen des affaires doit donner lieu à une harmonisation et non pas à un ajout aux droits nationaux existants. Il faut en effet, pour une plus grande simplicité et une plus grande efficacité, se garder de créer encore davantage de normes contraignantes pour les entreprises, ce qui serait à l’opposé du but recherché. Il s’agit au contraire d’harmoniser pour diminuer la complexité inutile à laquelle font face les entreprises. L’harmonisation des règles doit contribuer à court terme à favoriser le développement économique et à moyen terme, à réduire les « dumping » fiscal et social existant actuellement.
3. Consolider et renforcer la zone euro en tant que bouclier économique autour de 3 piliers :
La notion de bouclier économique est essentielle pour l’adhésion des citoyens à la zone euro. Or, dans l’état actuel des fragilités de la zone, l’Union économique et monétaire n’est toujours pas en capacité de jouer pleinement ce rôle, notamment dans l’éventualité d’une nouvelle crise systémique. C’est pourquoi, il nous faut appeler à la consolidation et au renforcement du bouclier autour des 3 piliers suivants :
a. Achever d’urgence la consolidation du système bancaire européen
Constat : L’inachèvement de l’Union bancaire fragilise la stabilité financière de la zone euro. Nous ne sommes pas aujourd’hui suffisamment armés pour faire face à une nouvelle crise systémique. Le retard de consolidation du système ne relève pas de freins techniques mais uniquement politiques.
Proposition : Au regard de la crise de 2008 et de la crise de 2010 et des risques qui pèsent encore actuellement sur le système bancaire, il nous faut, dès aujourd’hui, achever l’Union bancaire pour être en capacité de prévenir les futures crises et limiter leurs impacts sur l’économie de la zone euro. Cela est d’autant plus urgent que toutes les solutions techniques sont déjà sur la table et que nous connaissons une période d’accalmie et de rebond propice au développement des outils permettant d’éviter la faillite future de banques européennes. Il nous faut désormais une réelle volonté politique pour mener à bien la consolidation inéluctable du système bancaire européen (ex : clore le chapitre portant sur les mécanismes de résolution en accélérant, notamment, la montée en charge du Fonds de résolution unique avec une décision dès cette fin d’année). Nous devons l’inscrire au plus haut des priorités de l’agenda franco-allemand.
À date, le Fonds de résolution unique financé par le secteur bancaire (et pas par le contribuable) n’a pas atteint l’objectif des 60 milliards d’euros prévus et le « backstop » complémentaire de 60 milliards d’euros n’est toujours pas acté. C’est sur ces deux points précis qu’il faut mobiliser les décideurs politiques.
b. Doter la zone euro d’un stabilisateur budgétaire autour d’un Fonds de stabilisation pour l’emploi sous trois conditions :
Constat : En tant que zone monétaire non optimale, la zone euro a besoin d’un mécanisme de stabilisation pour être en mesure de répondre aux chocs asymétriques (rôle du stabilisateur budgétaire).
Proposition : Pour M. Sylvain Waserman, ce mécanisme de stabilisation pourrait prendre la forme d’un Fonds de stabilisation pour l’emploi en capacité de réduire les fluctuations des revenus en période de crise, et donc, d’une part, accélérer le retour à l’emploi et, d’autre part, éviter la chute brutale du pouvoir d’achat associée à la hausse du chômage. Par ailleurs, avec ce dispositif, nous avons l’opportunité de donner corps à l’Europe sociale et d’établir un lien direct entre l’Europe et le citoyen.
La mise en œuvre de ce Fonds devrait répondre à trois conditions :
– Visibilité citoyenne : le citoyen européen chômeur qui bénéficie du dispositif d’aide du Fonds de stabilisation pour l’emploi doit savoir qu’elle lui vient de l’Europe ;
– Conditionnalité positive : la mise en œuvre d’un tel mécanisme doit se faire dans le cadre d’engagements clairs des États qui en bénéficient en matière de réglementation de la fluidité du marché du travail, dans une logique d’harmonisation au niveau de la zone euro ;
– Une intervention financière focalisée sur le retour à l’emploi qui prendrait la forme suivante :
M. Christophe Naegelen est plus réservé sur cette proposition, car la question du périmètre est loin d’être résolue : il pourrait être celui du groupe franco-allemand, ou du groupe restreint de pays volontaires ou de la zone euro dans son ensemble. Le coût n’en n’a pas non plus été étudié, ni aucune étude d’impact encore réalisée : il importerait de déterminer si ce mécanisme serait à la charge du contribuable français - et des contribuables des pays concernés – ou du contribuable européen. M. Christophe Naegelen ne souhaite pas la création d’un mécanisme coûteux pour les finances publiques françaises.
c. Élaborer un budget structurel pour préparer l’économie de demain
Constat : En complément d’une capacité budgétaire destinée à répondre aux crises asymétriques, la zone euro doit se doter d’un budget structurel au service du développement de sa compétitivité, de la convergence et de son potentiel de croissance via des dépenses d’investissements dans l’économie de demain et axées sur le capital humain.
Ce budget pourra également contribuer à la stabilisation des chocs conjoncturels, car ces dépenses sont souvent celles qui sont les plus réduites en cas de crise.
Proposition : Il faut projeter nos ressources dans l’accompagnement de l’humain vers l’économie de demain à travers l’émergence d’un budget d’investissements pour la zone euro (innovation, R&D, formations, etc.). La légitimité d’investissements spécifiques à la zone euro est liée au fait que partager la même monnaie induit moins de marge de manœuvre en matière de compétitivité pour les différents pays et donc des investissements focalisés sur les gains de compétitivité. Deux exemples illustrent cette logique : le projet de Centre de recherche franco-allemand sur l’intelligence artificielle et des projets de formations massives de codeurs (automaticiens etc.) pour reprendre la main sur les fondamentaux de l’économie de demain.
Pour alimenter ce budget, des ressources fiscales propres pourraient résulter d’actions collectives au niveau de l’Union européenne ou de la zone euro : taxes sur les GAFA, sur les transactions financières ou bien encore sur le carbone. La taxe sur l’activité financière, moyen de corriger les distorsions liées aux exemptions de TVA dans le secteur financier, constitue une autre possibilité qui permettrait, par ailleurs, d’approfondir l’Union bancaire.
Si l’option du budget « version Meseberg » était retenue (moins de 100 Mds€), ce budget devrait en priorité être tourné vers les mécanismes de stabilité, notamment le Fonds de stabilisation pour l’emploi.
Dans ce cadre aussi, une partie de cette capacité budgétaire pourrait être utilisée pour des investissements d’ordre structurel, le reste du budget n’étant débloqué qu’en cas de crise.
Pour M. Christophe Naegelen, si budget de la zone euro il doit y avoir, son montant devrait être déduit de celui de l’Union européenne : il ne peut s’agir d’un budget s’ajoutant à celui de l’Union.
M. Sylvain Waserman, quant à lui, pense qu’un véritable budget supplémentaire est indispensable pour développer significativement les actions en faveur de la compétitivité de la zone euro.
4. Procéder à une première étape, à traités constants, pour renforcer la gouvernance de la zone euro
Constat : Pour que la fonction de bouclier protecteur de la zone euro soit pleinement ancrée chez le citoyen, la zone euro doit être concrètement incarnée par un exécutif identifié, et ce avec une plus forte implication des parlements nationaux. Or, aujourd’hui, la zone euro n’a pas de « visage » et l’Eurogroupe est une instance trop technique qui n’est pas en mesure de donner la visibilité nécessaire aux enjeux des projets pour renforcer la zone euro. Les parlementaires nationaux, quant à eux, sont cantonnés à un rôle marginal sur ces dossiers, notamment dans le cadre des Conférences de l’article 13.
La mise en œuvre du projet institutionnel porté par le Président de la République, Emmanuel Macron, pour la zone euro nécessitera une révision des traités, en particulier à moyen terme avec l’idée d’un Parlement de la zone euro. Cependant, il est nécessaire et possible de mettre en place dès maintenant des solutions institutionnelles opérantes sur le court terme.
Proposition : A traités constants, M. Sylvain Waserman envisage la première étape suivante, en complément du format intergouvernemental actuel de l’Eurogroupe :
1- Une commission des finances interparlementaire de la zone euro. Cette formation parlementaire serait focalisée sur les enjeux financiers de la zone euro et sur son budget. Elle serait constituée de membres permanents des commissions des finances des parlements nationaux et de membres de la commission ECON du Parlement européen. Elle aurait pour but le suivi des décisions impactant directement la zone euro au regard des enjeux économiques et budgétaires, ainsi que d’améliorer le lien entre l’échelon national et européen en matière budgétaire. Elle serait force de propositions (rédaction de rapports et propositions sur l’évolution de la zone euro) ;
2- Un commissaire dédié à la zone euro plus visible, en dialogue direct avec les parlements de la zone euro et de la commission des finances interparlementaire de celle-ci ;
3- Le budget version « Meseberg » (moins de 100 Mds€) en attendant la mise en place d’une capacité budgétaire substantielle pour à la fois absorber les chocs conjoncturels et investir dans le capital humain.
M. Christophe Naegelen n’est pas a priori favorable à la création d’un organisme en plus ; la création d’une commission des finances interparlementaire lui paraîtrait toutefois possible, si elle n’induisait pas de coût supplémentaire, ce dont il doute, car son fonctionnement en induirait probablement. Pour plus d’efficacité, cette commission, si elle existait, devrait être instaurée au niveau du groupe de pays restreint.
— 1 —
Première partie : La zone euro, un bouclier économique à renforcer
I. la zone euro, une nécessité pour l’avenir économique et politique de ses États-membres
Introduite par le traité de Maastricht en 1992, la zone euro également désignée sous le terme d’Union économique et monétaire, se compose de 19 pays membres de l’Union européenne et de quatre micros États (annexe n° 1).
A. l’euro, symbole d’une puissance politique et Économique
« L’euro est un projet économique et politique inédit ([2]) ». La zone euro a su conquérir une place importante au niveau mondial, si l’on considère son PIB : elle arrive en seconde place du classement des économies les plus productives avec 12 589,50 milliards de dollars, derrière les États-Unis (19 390,60 milliards de dollars), et à quasi-égalité avec la Chine (12 362 milliards de dollars). Sa population est légèrement supérieure à celle des États-Unis.
Environ 340 millions de citoyens utilisent quotidiennement l’euro, aussi bien pour consommer qu’investir.
L’euro occupe une place importante dans les échanges internationaux, comme monnaie de paiement mondiale et est de plus en plus utilisé pour les prêts internationaux. Il s’est en outre avéré peu sensible aux fluctuations sur les marchés des changes. En effet, la parité dollar/euro est restée comprise entre 0,8 et 1,6 depuis son introduction durant la période 1999-2017.
La zone euro a une balance commerciale excédentaire de 170 milliards d’euros ([3]) avec le reste du monde. À noter que le commerce intra-zone euro représente 141 milliards d’euros.
La diffusion de la monnaie unique et la taille de la zone euro ouvrent de nouvelles perspectives dans l’économie mondiale : la monnaie unique rend la zone attrayante pour les entreprises des pays tiers et stimule de ce fait le commerce et l’investissement ([4]). L’euro, devenu monnaie internationale de référence, confère à la zone et à l’Union européenne un plus grand poids sur la scène économique mondiale.
De surcroît, la taille et la puissance de la zone euro la rendent plus résistante aux chocs économiques extérieurs, qu’il s’agisse de l’augmentation du prix du pétrole ou des turbulences sur les marchés monétaires.
Enfin, c’est un signe tangible de l’identité européenne, ce qui est certainement un de ses plus grands acquis.
B. L’EURO, un levier de croissance pour les entreprises
L’Union européenne a commencé en 1957 à mettre en place un « marché commun » pour favoriser les échanges commerciaux. Il est peu à peu devenu évident qu’une coopération économique et monétaire plus étroite était nécessaire pour permettre au marché intérieur de continuer à se développer et ainsi favoriser la croissance des États membres.
En effet, avant l’euro, la nécessité de procéder à des changes de devises entraînait des surcoûts, des risques et un manque de transparence dans les transactions transfrontalières : désormais, grâce à la suppression des variations de change, qui pouvaient être parfois brutales et coûteuses, les activités commerciales dans la zone euro sont plus rentables et moins risquées. En levant ces freins aux échanges, la concurrence entre les firmes s’est accrue et a dynamisé les échanges entre les pays membres. La France aurait ainsi vu ses exportations croître de 5 % ([5]).
L’euro offre de nombreux avantages aux entreprises :
– il réduit les coûts liés aux opérations de change aux seules transactions hors de la zone euro, et donc limite fortement les frais de couverture contre le risque de change c’est-à-dire le risque de perte en cas de variation du taux de change à court ou moyen terme ;
– il facilite, combiné à la libération du mouvement des capitaux, la recherche de financement auprès d’un plus grand nombre d’interlocuteurs (banques ou marchés financiers) ;
– il accroît la concurrence entre les entreprises sur le sol européen, ce qui renforce leur compétitivité en les incitant à améliorer leur productivité et la qualité de leurs biens ;
– il offre une plus grande sécurité et davantage de débouchés pour les entreprises ainsi qu’une stabilité économique induisant donc une croissance plus forte. En effet, la stabilité économique permet, en particulier, tant aux économies des États-membres qu’aux entreprises, dont l’horizon est moins incertain, de mieux planifier l’avenir et d’investir davantage. Cette stabilité s’exprime aussi pour les consommateurs via la stabilité de l’inflation inférieure à l’inflation moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) ([6]).
L’euro, en facilitant les investissements, est une incarnation de la notion de valeur ajoutée européenne qui permet « de dépasser la traditionnelle opposition entre contributeurs nets et bénéficiaires nets du budget européen » ([7]).
C. L’euro, un bouclier pour les citoyens
L’adoption de l’euro a entraîné une réduction des coûts de transaction et donc des prix stables pour les consommateurs et les citoyens. Il a permis l’augmentation des échanges, de la compétitivité et par conséquent de l’emploi. Même si son impact sur le pouvoir d’achat des citoyens des États membres reste modéré ([8]), ses avantages apparaissent au quotidien, ou presque ; voyager devient moins onéreux grâce à la suppression des commissions de change et des paiements transfrontaliers par carte bancaire. Comparer les prix entre pays est plus facile. On peut imaginer à terme, notamment en renforçant la convergence fiscale, une certaine convergence entre les prix pratiqués, en particulier dans les zones frontalières.
M. Jérôme Creel, directeur du département des études à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), a fait remarquer, lors de son audition, que l’une des périodes pendant laquelle le pouvoir d’achat a le plus augmenté en France est celle des premières années de la zone euro.
Les citoyens apprécient l’euro car c’est une commodité notamment dans des pays épargnants comme la France. Cependant le fait que l’euro soit une monnaie stable est « une divine surprise », selon les termes de M. François Heisbourg, président de l’International Institute for Strategic Studies de Londres au cours d’une audience. On doit en effet vivre avec une monnaie qui n’a ni le gouvernement fédéral ni les mécanismes de transfert et de péréquation qui existent aux États-Unis. De plus, il est à noter que le Brexit renforce ces sentiments pro-européens ([9]) car chacun voit combien il est difficile et périlleux de défaire le réseau d’interdépendances tissé entre les États membres de l’Union européenne.
L’euro est en effet reconnu comme une protection : Selon un sondage récent auquel Mme Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a fait référence lors d’un discours à Berlin le 26 mars 2018 ([10]), 74% des personnes interrogées dans la zone euro se prononcent en faveur d’une union économique et monétaire dotée d’une monnaie unique. Sur tous les Européens interrogés, 71 % estiment que la région est une zone de stabilité dans un monde en difficulté.
M. Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, a souligné que, même en Italie, la majorité des Italiens ([11]) veulent rester dans l’euro. La perception est que l’union fait la force, mais qu’elle ne permet pas de faire face aux divergences, entre pays, régions et catégories sociales, une réalité qui favorise l’essor du populisme. Ces divergences sont les facteurs de scepticisme ou de rejet de l’Europe comme l’illustre la situation italienne avec un PIB toujours loin de son niveau de 2008.
D. L’euro, outil essentiel à la stabilité financière
L’euro a permis de mettre fin à la fluctuation des taux de change qui, malgré le système monétaire européen, constituait un frein aux échanges. Au-delà, il a facilité l’emprunt sur les marchés financiers certains pays de la zone euro profitant par exemple la solidité de l’économie allemande pour avoir des taux plus avantageux. L’euro a également pour partie amorti le choc de la crise de 2008 en empêchant les dévaluations monétaires même si certains État notamment au Sud de l’Europe ont dû réaliser des dévaluations salariales pour essayer de regagner des points de compétitivité ([12]). Le rôle de la Banque centrale européenne (BCE) est aussi à saluer ([13]). Elle a démontré pendant la crise des dettes souveraines de 2010 la solidité de la zone euro. Cependant plusieurs mesures, notamment avec la création de l’Union bancaire, ont dû être prises après la crise pour accroître la stabilité financière tout particulièrement de la zone euro (voir infra).
L’euro a renforcé le marché unique, resserré la coopération entre les États membres et permis la stabilité de l’économie. Il a conduit à l’émergence de marchés financiers mieux intégrés.
L’économie de la zone euro a repris sa phase de croissance depuis 2014, à la faveur d’une politique monétaire accommodante, d’une politique budgétaire modérément expansionniste et du redressement de l’économie mondiale. Il n’en reste pas moins que la zone euro reste une zone monétaire non optimale souffrant de nombreuses failles comme le soulignait déjà le rapport parlementaire des députés Philip Cordery et Arnaud Richard en 2016 : « ce constat, dressé à la lumière des apports de la théorie économique et, plus particulièrement, de celle de Robert Mundell ([14]), est unanimement partagé. En l’absence de mécanismes internes à la zone permettant d’en assurer la stabilisation macroéconomique, l’Union économique et monétaire est incomplète, déséquilibrée et donc fragile. » ([15])
Toutefois pour M. Nicolas Véron, cofondateur du think thank européen Bruegel à Bruxelles et chercheur au Peterson Institute for International Economics à Washington, DC, la zone euro a démontré sa capacité de survie ; le simple fait d’avoir survécu à deux crises très graves depuis une dizaine d’années a créé une vraie légitimité, rendant la zone euro « irréversible ».
— 1 —
II. La zone euro a connu plusieurs réformes d’envergure depuis la crise de 2008, cependant elle continue d’être marquée par d’importantes fragilités
A. Les fragilités de la zone euro : facteurs aggravants des crises de 2008 et des dettes souveraines
L’équilibre initial du traité de Maastricht prévoyait :
– une seule politique monétaire pour toute la zone, en charge de la régulation des chocs symétriques ;
– des politiques budgétaires nationales chargées de la régulation conjoncturelle des chocs asymétriques ;
– une politique budgétaire encadrée, avec un déficit de 3 % et une cible de dette indicative de 60 %, ces marges étant considérées comme suffisantes pour mener des politiques de stabilisation ;
– une clause de non-renflouement : chacun est responsable de sa dette, et le financement monétaire des dépenses publiques est interdit.
Source : France Stratégie ([16])
1. Des faiblesses institutionnelles et structurelles
La crise de 2008 dite des « subprimes » et celle des dettes souveraines en 2010 ont souligné la fragilité architecturale de la zone euro.
À la suite de la crise financière internationale, certains États ayant accumulé par le passé au sein de leurs économies des déséquilibres structurels importants ont été jugés fragiles par les marchés. Ces pays se sont alors retrouvés exposés à une hausse importante des taux d’intérêt sur les emprunts qu’ils effectuaient sur les marchés financiers. De ce fait, ils ont dû mettre en place des restrictions budgétaires fortement procycliques, les entraînant dans une spirale négative de récession. Les stabilisateurs automatiques nationaux n’ont pas pu jouer pleinement leur rôle dans ces pays, dans un contexte où les mécanismes d’ajustement traditionnels de zone monétaire (budget commun, mobilité des facteurs de production, notamment le travail, et flexibilité des prix et des salaires) sont toujours imparfaits ou absents. Sans possibilité de dévaluation compétitive ([17]), les taux directeurs étant décidé par la BCE, les États faisant face à un choc asymétrique doivent mener des stratégies d’ajustement interne particulièrement coûteuses en termes de croissance et d’emploi.
La crise financière internationale déclenchée en 2007 a ainsi révélé les faiblesses institutionnelles et structurelles de la zone euro : faible confiance dans l’usage des politiques budgétaires pour atténuer un choc macro-économique et divergences dans l’évolution du coût unitaire de la main-d’œuvre entre pays du nord et pays de la périphérie. Il en a résulté des déséquilibres macroéconomiques importants : excédents commerciaux et position extérieure nette ([18]) positive pour les pays du nord, tout particulièrement pour l’Allemagne, et déficits commerciaux et position extérieure nette négative pour les pays de la périphérie. L’une des difficultés est que les excédents des pays du nord n’ont pas été réinvestis dans la zone euro après la crise, mais qu’ils servent à financer les investissements du reste du monde ([19]).
Par ailleurs, si la zone euro a une politique monétaire commune gérée par la BCE, elle ne dispose pas d’une politique budgétaire, celle-ci demeurant de la compétence de chaque État. L’absence du pilier budgétaire a fragilisé l’espace économique dans son ensemble, malgré des fondamentaux relativement sains à quelques exceptions comme la dette grecque. La monnaie commune seule n’a ainsi pas suffi à limiter les divergences économiques entre les pays de la zone euro.
Comme l’a souligné la Commission européenne ([20]), du fait de l’absence de politique budgétaire commune et du manque de coordination, voire des divergences, des politiques nationales, seule la BCE dispose d’un rôle de stabilisation macroéconomique au niveau de la zone euro. Cette situation a fait peser « de manière excessive sur la politique monétaire la responsabilité d’amortir et de corriger les fluctuations du cycle économique » alors que l’existence de transferts budgétaires temporaires depuis le niveau central aurait permis d’atténuer l’effet de ces chocs asymétriques.
De surcroît, en choisissant de construire une Union monétaire et économique sans instances de coordination des différentes politiques nationales, la zone euro est confrontée à de multiples défis économiques et financiers. En 2010, la Grèce, au bord de la faillite, a été le premier État membre de la zone euro à solliciter l’aide du Fonds monétaire international – un fait unique qui a illustré les limites de la gouvernance européenne. Il en résulte ainsi des contradictions entre les objectifs fixés par les différentes institutions européennes et les gouvernements des États-membres, ainsi que l’ont fait valoir les économistes de l’Université de Strasbourg rencontrés par votre rapporteur M. Sylvain Waserman.
Le diagnostic est sévère mais il illustre le besoin d’une réforme rapide et en profondeur de la zone euro.
2. Une rigueur budgétaire aux effets déflationnistes
Les règles du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) ont fait peser une contrainte supplémentaire sur les États les incitant fortement à mettre en œuvre une politique de restriction budgétaire. La crise économique a ainsi fait apparaître une nouvelle fois que les dépenses publiques les plus sacrifiées lors d’une période d’austérité budgétaire sont les dépenses d’investissement. Dans un rapport remis en 2016, l’OFCE montrait par exemple qu’en France, l’investissement public net était de 0,2 % du PIB en 2015 : les investissements bruts ne faisaient donc que compenser la dépréciation du capital public préalablement accumulé ([21]) :
Dans d’autres pays de la zone euro, comme l’Italie, l’investissement net était même négatif.
Cette tendance est d’autant plus regrettable que l’investissement public a des effets positifs sur le PIB. Toujours selon le rapport de l’OFCE la hausse du PIB par euro public dépensé (appelée multiplicateur budgétaire) peut engendrer en « période de crise et, en particulier lorsque la politique monétaire atteint la borne zéro des taux d’intérêt, un multiplicateur pouvant atteindre des valeurs plus élevées comprises entre 1,3 et 2,5. » L’investissement public est donc avec les transferts directs aux ménages les plus défavorisés, la politique économique dont l’effet multiplicateur est le plus élevé, à court et moyen terme. Il participe à développer la croissance sur le long terme via les investissements sur les infrastructures ou encore l’équipement numérique.
Comme l’a souligné M. Jérôme Creel, on ne disposait pas des outils suffisants pour répondre à la crise et faire face à une chute de la demande. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) a été créé seulement en 2014, même s’il était déjà évoqué dans le Traité sur la stabilité, la coordination et la Gouvernance de 2012. De ce fait, la zone euro a été la seule à subir une double récession. Il en conclut que le problème n’est donc pas l’euro mais ses institutions ou leur absence, ou bien encore, dans une certaine mesure l’action non coordonnée des États membres. D’ailleurs, la BCE n’a pas pu venir au secours des pays en difficulté autant que cela aurait été nécessaire, puisque les traités lui interdisent d’aider directement un État-membre. La crise a donc montré que la zone euro n’était pas coordonnée et que la solidarité budgétaire n’était pas envisagée, ce qui a inquiété les marchés.
En l’absence d’une possibilité de dépréciation de la monnaie, la solution a donc consisté à mener des politiques déflationnistes internes, en diminuant la demande interne par une baisse des salaires parfois des retraites, en réduisant les dépenses publiques, en augmentant les impôts, ce qui conduit à un biais déflationniste dans les pays de la périphérie. Cette situation a alors renforcé les divergences au sein de la zone euro.
Selon France Stratégie ([22]), les enseignements de la crise sont les suivants :
– la clause de non-renflouement n’est pas crédible, car il est trop coûteux pour tous de laisser un État faire défaut sur sa dette ; d’ailleurs comme l’ont souligné MM. Moise Sidiropoulos et Meixing Dai, maîtres de conférences à l’Université de Strasbourg, la crise a contraint les Européens à admettre que les règles posées par le traité de Maastricht faisaient face à un triple déni en ce qui concerne la zone euro, à savoir pas de clause de sortie, pas de renflouement des pays membres, et pas de défaut de paiement. Cette situation est difficilement tenable, l’un des trois objectifs devant potentiellement être sacrifié pour que la monnaie unique puisse faire face à la prochaine crise.
– des niveaux de dettes élevés sont source d’inquiétude en l’absence d’un prêteur en dernier ressort ;
– la crise a conduit à des ajustements budgétaires pro-cycliques, avec une réduction des dépenses publiques au moment où elles auraient été le plus utiles ;
– une boucle de rétroaction entre les banques et les dettes publiques est apparue, c’est-à-dire un « problème d’interaction négative entre la crise de la dette souveraine et la crise bancaire » l’une renforçant l’autre ([23]) ;
En outre, la solidarité est limitée à une assistance d’urgence et aucun instrument de soutien budgétaire centralisé n’a vu le jour.
B. La crise de 2008 et la crise des dettes souveraines ont donné lieu à un renforcement de l’architecture institutionnelle de l’Union économique et monétaire
La crise de 2008 a constitué un véritable test de la solidité de la zone euro, qui a failli disparaître. Il a donc paru urgent de la doter de nouveaux instruments pour la renforcer. De nouvelles règles communes, établies conjointement par les États-membres et les institutions européennes ont été mises en œuvre par la Commission renforçant au passage la complexité de l’Union économique et monétaire.
1. La mise en place de mécanismes d’assistance financière
En réponse à la crise de 2008 ayant obligé les États à renflouer certaines banques et à soutenir financièrement leurs économies, grevant ainsi lourdement leur dette publique, plusieurs mécanismes visant à soutenir les États de la zone euro les plus en difficulté ont été créés. ([24])
En premier lieu, le fonds européen de stabilité financière (FESF), qui a été « créé dans l’urgence lors d’un sommet exceptionnel des chefs d’État et de gouvernement à Bruxelles le 9 mai 2010 est devenu opérationnel dès le 4 août, après la ratification de ses statuts par l’ensemble des pays de la zone euro. Le FESF pouvait contracter des emprunts, avec la garantie des États membres de la zone euro, en faveur d’un pays rencontrant des difficultés de solvabilité. » Ce fond a été complété, en 2010, par le Mécanisme européen de stabilité financière afin, là aussi, d’aider les États en difficulté avec des prêts à taux faibles. « Ces deux entités bénéficiaient chacune d’un capital garanti – le FESF par les États membres et le FMI, le MESF par la Commission européenne. Elles étaient des instruments ponctuels, instaurés temporairement. » Finalement ces deux mécanismes ont été fusionnés pour faire émerger en 2012 le mécanisme européen de stabilité.
Le mécanisme européen de stabilité (MES) est ouvert aux États-membres de la zone euro et peut coopérer avec le Fonds monétaire international (FMI). Il vise à « fournir une aide financière à ceux qui connaissent ou risquent de connaître de graves problèmes de financement et, d’autre part, de maintenir la stabilité financière de la zone euro. »
Le MES intervient lorsque les États ne peuvent plus emprunter sur les marchés en raison de taux d’intérêt trop élevés à l’image de ce qui s’est passé en Grèce. Les MES permet donc « d’accorder des prêts à un État en difficulté, d’acheter des obligations des États-membres bénéficiaires (sur les marchés primaire et secondaire) ou encore de fournir des prêts pour assurer la recapitalisation d’établissements financiers tels que les banques. Il peut également, en cas de risque d’endettement trop important, octroyer une assistance financière à titre de précaution. L’expertise technique de l’institution est également mise à profit, notamment au sein de la troïka (Commission-BCE-FMI) pour évaluer la situation financière de l’État demandeur et veiller au respect de la conditionnalité dont est assortie la facilité d’assistance financière. » notamment avec un programme de réformes structurelles. À noter que « les plans de redressement et l’intervention du MES sont uniquement décidés par les ministres des finances de la zone euro. Le Parlement européen n’a aucun droit de regard, seuls les parlements nationaux peuvent donner leur avis. »
Les moyens du MES sont conséquents à savoir 700 milliards d’euros avec « 620 milliards de capital exigible des États et de 80 milliards d’euros de fonds propres. Ce fonds est alimenté par les États membres en fonction de leur richesse : l’Allemagne y contribue par exemple à 27 %, la France à 20,5 %. Un grand nombre de décisions relevant de la majorité qualifiée (80 % ou 85 % des voix exprimées selon les cas), l’Allemagne, la France et l’Italie, disposent d’un droit de véto pour celles-ci. »
Si cette « force de frappe » importante a été un progrès, certains éléments font débat : l’existence d’un droit de véto est mal vécue par certains pays, les réformes exigées aux États en difficulté ont pu être perçues comme une perte de souveraineté nationale et d’autonomie, enfin, les contreparties demandées aux pays emprunteurs peuvent s’avérer contreproductives notamment sur la question des restrictions budgétaires. Cela a été le cas pour la Grèce dont la situation économique s’est aggravée depuis 2010, date du début de l’aide financière du MES et des réformes qui lui ont été imposées.
2. La création d’une Union bancaire
a. Premier pilier, la supervision bancaire : le Mécanisme de supervision unique (MSU)
La crise de 2008 a été sur la question de la supervision bancaire et plus largement sur l’instabilité financière un révélateur des graves défaillances de la zone euro et de l’Union européenne. Afin de corriger ces défaillances a été créé en 2014 le MSU, mécanisme composé de la BCE et des autorités nationales de supervision des pays participants de l’Union européenne.
Sur le fond, ses principaux objectifs sont la sauvegarde et la solidité du système bancaire européen, le renforcement de l’intégration et de la stabilité financières et la cohérence de la supervision bancaire.
En pratique, l’harmonisation de la règlementation prudentielle avait déjà été entamée avant la définition du MSU en 2013. Il faut mentionner la directive CRD IV sur les fonds propres règlementaires (2012), et le règlement CRR sur les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement (2013), qui ont permis d’intégrer dans le droit européen les réglementations dites de Bâle III. En complément du MSU a été créé le Mécanisme de résolution unique.
b. Deuxième pilier, la résolution des crises bancaires : le Mécanisme de résolution unique (MRU)
Le MRU vise à permettre la résolution des éventuelles crises bancaires qui pourraient toucher la zone euro à l’avenir. Ses objectifs sont ([25]) :
Le MRU comporte un Conseil de résolution unique (CRU) qui réunit notamment un représentant de chaque État participant à l’Union bancaire. Le CRU décide des dispositifs de résolution pouvant être appliqués à des banques défaillantes, y compris le recours au Fonds de résolution unique, et en est le responsable.
Le Fonds de résolution unique (FRU) est abondé par les contributions des banques faisant partie de l’Union bancaire (banques, établissements de crédit, entreprises d’investissement etc.). Sa mission est d’apporter les fonds nécessaires au sauvetage des établissements dont la situation est jugée critique. À noter que « les dirigeants européens ont adopté le principe du « bail in » qui prévoit, à compter du 1er janvier 2016, qu’en cas de faillite probable ou avérée, les actionnaires, les créanciers et les déposants dont les avoirs dépassent 100.000 euros devront assumer en première ligne les coûts de la résolution à concurrence de 8 % du total de bilan. Ce n’est qu’au-delà de ce plafond que le fonds de résolution unique interviendrait. » ([26]). En tant qu’autorité prudentielle, la BCE apporte une expertise importante dans l’évaluation de la situation des banques couvertes et signale au CRU la défaillance avérée ou potentielle d’une banque. Pour bénéficier de ce fonds les banques doivent respecter plusieurs règles européennes et appliquer des règles de renflouement internes ([27]). Le FRU disposera d’ici à 2024 de 60 milliards d’euros pour intervenir soit l’équivalent de 1 % du montant total des dépôts bancaires couverts au sein de l’Union bancaire. Il n’est actuellement que de 24,9 milliards d’euros ([28]) alors même que la fragilité de certaines banques de l’Union européenne pose question à l’image de la Deutsch Bank.
c. Troisième pilier, l’adoption d’un corpus règlementaire unique et la création d’une garantie des dépôts
Les deux premiers piliers de l’Union bancaire s’appuient sur le troisième, qui consiste à définir « un recueil de règles juridiques et administratives permettant de réglementer, superviser et gouverner plus efficacement le secteur financier dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. » ([29]) Il comprend notamment des règles relatives aux exigences de fonds propres et aux procédures de redressement de résolution.
Le troisième pilier n’est pas achevé au regard de l’enjeu de l’adoption d’un système européen de garanties des dépôts (SEGD). Ce système constituerait une garantie commune des dépôts et permettrait de rassurer les épargnants et les déposants sur la solidité du système bancaire européen. Le SEGD garantirait en principe jusqu’à 100 000 euros de dépôts en cas de défaillance de la banque où ils auraient ouvert un compte.
3. Le rôle de la Banque centrale européenne
La BCE a joué un rôle ambivalent lors de la crise de 2008 mais a clairement sauvé la zone euro lors de la crise des dettes souveraines qui a commencé en 2010.
Les règles d’intervention de la Banque centrale européenne s’inspirent largement de plusieurs théories économiques notamment celles développées par les prix Nobel d’économie Milton Friedman, Edmund Phelps, ou encore les économistes John Taylor, George Akerlof, William Dickens, et George Perry ([30]). De ce fait, la BCE est indépendante, a un objectif de stabilité des prix avec un taux d’inflation fixé à 2 % et ne peut pas prêter directement aux États de la zone euro.
En raison de ces règles et de son mode de prise de décision, qui repose essentiellement sur le Conseil des gouverneurs composé des « six membres du directoire, et des gouverneurs des banques centrales nationales des 19 pays de la zone euro » ([31]), la BCE a réagi avec lenteur aux crises comme l’illustre le graphique ci-dessous qui représente la différence entre les taux directeurs décidés par la BCE et la Réserve fédérale américaine (FED). Il est possible de constater un décalage important alors même que les deux économies étaient frappées durement par ces crises.
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Taux_directeur#/media/File:LeitzinsenFR.png
Si la BCE a bien injecté dans le système bancaire d’importantes liquidités pour éviter un resserrement du crédit entre les banques qui ne se faisaient plus confiance lors de la crise, elle a été moins réactive que la FED et a dû trouver de nouveaux moyens pour remplir son rôle et sauver la zone euro.
Ces nouveaux instruments d’intervention de la BCE ont pris plusieurs formes :
Enfin la BCE a utilisé l’effet signal, c’est-à-dire indiquer aux marchés financiers et autres investisseurs la politique de la BCE à court et moyen terme. Cet outil a parfaitement fonctionné avec la déclaration de Mario Draghi le 26 juillet 2012 : « ready to do wathever it takes », prêt à faire tout ce qu’il faut pour sauver la zone euro.
Certains pays de la zone euro dont l’Allemagne ont estimé que la BCE avait outrepassé son mandat alors même que la BCE est indépendante. Cette question pourrait être importante pour l’avenir : la zone euro est la seule zone monétaire au monde à ne pas avoir de prêteur en dernier ressort pour ses États membres. Si la BCE pouvait jouer pleinement le rôle de prêteur en dernier ressort, le MES ne serait pas nécessaire, selon M. Jérôme Creel.
4. Une relance de l’investissement au niveau de l’Union européenne
La mise en œuvre du Plan Juncker ou Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) a eu pour objectif, par l’intermédiaire d’un mix de financement public et privé, de relancer les investissements qui avaient beaucoup chuté du fait de la crise (-15 % les premières années de la crise de 2008). Cependant, cette relance n’est pas spécifique à la zone euro, elle couvre l’ensemble de l’Union européenne et vise à financer de grands projets portant sur un secteur d’avenir (infrastructures, ressources et énergies renouvelables, recherche, innovation…) et des projets innovants portés par des petites et moyennes entreprises ou des entreprises de taille intermédiaire. Ces projets sont généralement financés via le Fonds européen d’investissement (FEI), filiale de la Banque européenne d’investissement, qui apporte sa garantie aux banques nationales souhaitant prêter à ces entreprises.
Au 1er janvier 2018, le plan Juncker a permis de lever un total de 257 milliards d’euros au sein de l’Union européenne. La France apparaît comme le premier bénéficiaire en volume, avec 8,7 milliards de financements reçus. Elle devance l’Italie (6,6 milliards) et l’Espagne (5,6 milliards). Les eurodéputés ont adopté la nouvelle version du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS 2.0), afin de le prolonger jusqu’en 2020, avec pour objectif de mobiliser 500 milliards d’euros d’investissements d’ici là.
Le plan Juncker, par son succès, démontre le besoin de coordonner des investissements publics sur des projets offrant une croissance économique potentiellement importante pour les pays qui en bénéficient. Si un budget de la zone euro devait être créé, il devrait, sur les dépenses visant des projets structurels, s’articuler avec le plan Juncker.
C. Les règles encadrant la coordination des politiques économiques nationales ont été revues
La coordination des politiques économiques des pays de la zone euro repose sur la base du Traité de Maastricht signé par les membres de l’Union européenne le 7 février 1992.
Les critères de Maastricht de 1992 visent à faire converger nominalement les pays de la zone euro. Ces critères sont fondés sur des indicateurs économiques, que doivent respecter les pays membres de l’Union européenne candidats à l’entrée dans la zone euro. Ils imposent la maîtrise de l’inflation, de la dette publique et du déficit public, la stabilité du taux de change et la convergence des taux d’intérêt.
● Stabilité des prix : le taux d’inflation d’un État membre donné ne doit pas dépasser de plus de 1,5 point celui des trois États membres présentant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix.
● Situation des finances publiques :
– Interdiction d’avoir un déficit public annuel supérieur à 3 % du PIB.
– Interdiction d’avoir une dette publique supérieure à 60 % du PIB.
● Taux d’intérêt à long terme : ils ne doivent pas excéder de plus de 2 % ceux des trois États membres présentant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix.
Par la suite, différents traités se sont succédé pour renforcer la coordination économique des politiques nationales.
1. Le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC)
Adopté en 1997, le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) était, jusqu’à la crise économique, le principal instrument de la coordination des politiques budgétaires nationales. Il s’agit d’un cadre réglementaire pour la coordination et la surveillance des politiques nationales des finances publiques au sein de l’Union européenne principalement destiné aux pays de la zone euro. Il n’est donc pas réservé à la seule zone euro, même s’il a été conclu après le Traité de Maastricht, en 1997 afin de garantir la solidité des finances publiques, condition importante pour le bon fonctionnement de l’Union économique et monétaire. Il impose aux États de la zone euro d’avoir à terme des budgets proches de l’équilibre ou excédentaires. « Il correspond au souci de l’Allemagne d’éviter qu’une fois entrés dans la monnaie unique, certains pays profitent de leur appartenance à la zone euro pour mener des politiques laxistes. En effet, les critères de Maastricht réglementaient l’entrée dans l’Union économique et monétaire mais aucune règle n’avait été fixée pour contrôler les finances publiques des États une fois qu’ils en étaient membres. » Le PSC prévoit ([35]):
Dès septembre 2002, l’Allemagne qui avait pourtant milité en faveur d’une politique budgétaire stricte, échappe in extremis à un avertissement préventif préparé par la Commission. En octobre, la même année, la France, l’Italie et le Portugal rejoignent le groupe des pays en difficulté. Seule la France refuse de réduire son déficit structurel d’au moins 0,5 % par an à partir de 2003 sans réserve, ni conditions particulières.
Le PSC a été réformé une première fois en 2005 pour l’assouplir, il l’a été à nouveau en 2011 pour tirer les enseignements de la crise des dettes souveraines.
En 2005 les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne entérinent au Conseil européen de Bruxelles la réforme assouplissant le pacte de stabilité, d’abord adoptée par les ministres des finances. Cet accord met fin à un difficile débat entamé trois ans auparavant. Les modifications du pacte prévoient d’accorder, dans certaines conditions, des circonstances atténuantes aux pays dont le déficit dépasse temporairement la barre des 3 % du PIB, tout en restant proche de cette valeur de référence.
En réaction à la crise et à la faiblesse du pilier économique de l’Union économique et monétaire, le Parlement européen et le Conseil de l’UE mettent en place (adopté en novembre 2011) un ensemble de six textes (cinq règlements et une directive) censés renforcer la coordination des politiques économiques, ainsi que la discipline budgétaire. Deux textes concernent spécifiquement les États membres de la zone euro : ils prévoient un régime de sanction accru dès la phase de prévention des déficits publics ou des déséquilibres macroéconomiques. Plusieurs dispositions du Pacte ont ainsi été modifiées et renforcées :
Au 1er janvier 2015, 11 États-membres (dont la France) sur 28 étaient en procédure pour déficit excessif au titre du PSC. Ils étaient 24 sur 27 au 1er janvier 2011 ([36]).
Comme le précise la Direction du budget ([37]), « les nouvelles dispositions relatives au volet préventif renforcent la surveillance des budgets des États membres et introduisent un mécanisme de sanction en cas de non-respect de l’objectif budgétaire imposé par l’Union. Le « 6 pack » a en outre prévu des sanctions au sein du volet préventif du PSC. Ainsi, si le Conseil constate qu’un État membre n’a pas pris de mesures à la suite d’une recommandation visant à remédier à un écart à la trajectoire, il peut imposer à l’État membre concerné de constituer un dépôt portant intérêt auprès de la Commission à hauteur de 0,2 % du PIB. Cette décision se prend à la majorité qualifiée inversée ([38]). Ce dépôt peut ensuite être converti en dépôt ne portant pas intérêt dans le cadre du volet correctif du pacte de stabilité. Les dispositions relatives au volet correctif renforcent les sanctions en cas de déficits excessifs. »
Une procédure pour déséquilibre macroéconomique (PDM) a été introduite en 2011 dans le cadre du « 6-Pack ». Elle comporte, comme le PSC, un volet préventif et un volet correctif.
Le volet préventif s’appuie sur un mécanisme d’alerte fondé sur l’analyse, par la Commission européenne, d’un tableau de bord d’indicateurs de risque (11 indicateurs principaux et 29 indicateurs complémentaires). Après discussion au sein de l’Eurogroupe, il est éventuellement décidé de réaliser une analyse approfondie pour les pays à risque. Ils sont alors classés en 6 groupes, suivant le niveau d’alerte ([39]).
Comme indiqué sur le site du Parlement européen ([40]), « La Commission n’a pas encore proposé de lancer la procédure concernant les déséquilibres excessifs, bien que le Conseil et la BCE aient demandé que le potentiel de cette procédure soit pleinement exploité, en appliquant le volet correctif le cas échéant. Tous les pays connaissant des déséquilibres font l’objet d’un suivi spécifique, qui est plus strict pour les pays enregistrant des déséquilibres excessifs et prévoit des dialogues avec les autorités nationales, des missions d’experts et des rapports d’avancement réguliers. Cela devrait également permettre de suivre la mise en œuvre des recommandations par pays dans les États membres concernés. »
Application de la PDM
Depuis l’introduction de la PDM en 2012 :
• le nombre d’États membres ayant fait l’objet d’un examen approfondi est passé de 12 à 19 entre 2012 et 2016, puis à 13 en 2017 et à 12 en 2018 ;
• le nombre d’États membres considérés comme connaissant des déséquilibres est passé de 12 à 16 entre 2012 et 2015, puis à 11 en 2018 ;
• le nombre d’États membres considérés comme connaissant des déséquilibres excessifs est passé de 0 à 6 entre 2012 et 2017, puis à 3 en 2018
En 2018, sur la base des examens approfondis, la Commission a conclu que:
• 3 États membres connaissaient des déséquilibres macroéconomiques excessifs, (la Croatie, l’Italie et Chypre) ;
• 8 États membres connaissaient des déséquilibres macroéconomiques, (la Bulgarie, la France, l’Allemagne, l’Irlande, l’Espagne, les Pays-Bas, le Portugal et la Suède);
• 16 États membres ne couraient pas le risque de connaître des déséquilibres excessifs, (la Belgique, la République tchèque, le Danemark, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, la Hongrie, Malte, l’Autriche, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, la Finlande et le Royaume-Uni);
• un État membre, (la Grèce), faisait l’objet d’une surveillance dans le cadre d’un programme d’ajustement macroéconomique
source : Parlement européen ([41])
Selon le conseil d’analyse économique le volet correctif - déclenché en cas de déséquilibres excessifs requérant une action décisive et l’activation de la procédure pour déséquilibre excessif - impose au pays concerné de rédiger un plan de correction du déséquilibre. S’il ne réussit pas à mettre en place les mécanismes correctifs adéquats, il risque des sanctions votées par le Conseil à la majorité qualifiée inversée.
Mme Agnès Bénassy-Quéré, Présidente déléguée du Conseil d’analyse économique, juge les objectifs de la PDM peu clairs, dans la mesure où l’on mélange des objectifs principaux et secondaires (objectifs relatifs à la prévention des crises et objectifs plus larges concernant Europe 2020 par exemple). Elle propose de simplifier en ne prenant qu’un seul indicateur, concernant par exemple le déficit extérieur ; le compte courant est un bon indicateur même si une analyse fine est nécessaire car il existe des bons et mauvais déficits. C’est une variable facile à observer car son évolution figure dans la balance des paiements. L’idée sous-jacente est de séparer la surveillance des indicateurs économiques fondamentaux qui concernent les crises et les autres indicateurs qui ont davantage trait à la croissance à long terme (recherche et innovation, éducation, emploi).
À noter que le « 2-pack » entré en vigueur en 2013 a complété « le 6-pack » : « Il se compose de deux règlements communautaires. Le premier, qui impose à tous les États membres de la zone euro un calendrier budgétaire commun ([42]), prévoit également des dispositions particulières pour les États membres faisant l’objet d’une procédure de déficit excessif. Le second renforce le contrôle et la surveillance des États membres qui traversent - ou risquent de traverser - des difficultés financières majeures. » ([43])
2. Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire (TSCG)
À la suite du Pacte pour l’euro de 2011, le TSCG a été signé par 25 États membres en 2012 ([44]). Les objectifs du TSCG sont identifiés dans son article 1er « renforcer le pilier économique de l’Union économique et monétaire en adoptant un ensemble de règles destinées à favoriser la discipline budgétaire […] et à renforcer la coordination de leurs politiques économiques et la gouvernance de la zone euro ». Ce traité constitue « un engagement solennel des États signataires à gouverner ensemble la zone Euro, à se concerter sur toutes les mesures économiques, budgétaires et fiscales susceptibles d’avoir un impact sur les autres partenaires et sur l’Euro, donc à remettre de l’ordre dans la gestion de leurs finances publiques et à réduire leur endettement. » ([45])
Le TSCG introduit une règle d’or, à la demande de l’Allemagne, en échange de sa solidarité financière avec ses partenaires de la zone euro : cette règle engage les États signataires à avoir des comptes publics « en équilibre ou en excédent » sur l’ensemble d’un cycle économique, ainsi le déficit structurel des administrations publiques ne devra pas dépasser 0,5 % du PIB. Cependant si le pays a une dette inférieure à 60 % le déficit structurel pourra être de 1 % afin de soutenir son économie L’emprunt doit permettre de financer uniquement l’investissement public. Cette règle d’or est inscrite – de préférence – dans la Constitution.
Il est prévu des sanctions quasi-automatiques pour les pays qui ne respectent pas le traité. La Cour de justice européenne peut infliger une amende allant jusqu’à 0,1 % du PIB en cas de non-transposition du texte dans le droit national. En cas de déficit budgétaire trop important, le Conseil européen peut infliger une sanction financière allant de 0,2 à 0,5 % du PIB, après que la Commission européenne ait adressé des avertissements aux pays concernés.
3. Le rôle du Semestre européen
Créé à la suite de la crise économique, le Semestre européen est un cycle de coordination des politiques économiques et budgétaires au sein de l’Union européenne se concentrant sur les six premiers mois de chaque année. Il s’inscrit dans le cadre de la gouvernance économique de l’Union, afin de prévenir les divergences entre les États-membres qui ont estimé nécessaire de synchroniser les objectifs de politiques nationales en matière de budget, de croissance et d’emploi.
Il s’articule autour de trois axes de coordination des politiques économiques ([46]) :
Comme le souligne la Direction du budget ([47]) : complété avec le 2-Pack, « le 6-Pack donne une assise juridique au Semestre européen : il permet de coordonner ex ante les politiques économiques et budgétaires des États membres de l’Union européenne et par conséquent de renforcer le contrôle des politiques budgétaires des États membres au stade de la préparation du budget annuel.
Auparavant, les programmes de stabilité (pour les États membres de la zone euro) ou de convergence (pour les autres États) comportant des prévisions à la fois macro-économiques et budgétaires, n’étaient présentés par les États membres à la Commission qu’au mois de novembre. Ils retraçaient l’année écoulée et présentaient des projections pour les 3 années suivantes. Désormais, dans le cadre du « semestre européen », les États membres transmettent chaque année avant la fin avril aux autorités européennes leur programme de stabilité de convergence, ainsi que leur programme national de réforme (PNR). »
Concrètement, il s’agit de faire dialoguer la Commission, chargée du respect du pacte de stabilité et de croissance, et les États membres tout au long de leur processus d’élaboration budgétaire. Les prévisions économiques sont ainsi produites trois fois par an par la Commission avec, en janvier, un « Examen annuel de croissance » (EAC) pour les États membres. Cet EAC souligne les réformes et les efforts à effectuer. Il débouche sur l’établissement de priorités par le Conseil européen, priorités qui sont ensuite transmises, en mars, aux États.
4. Bilan des réformes de l’architecture de la zone euro, un manque de lisibilité démocratique
a. Un ensemble de règles complexe et peu lisible
De l’avis de nombreuses personnes auditionnées par vos rapporteurs, l’architecture institutionnelle de la zone euro souffre aujourd’hui d’un manque de lisibilité, qui tient essentiellement à l’accumulation et à l’articulation des règles créées suite à la crise économique et financière de 2008.
Comme a pu le déplorer en audition M. Philippe Martin, président délégué du Conseil d’analyse économique, les règles budgétaires actuelles sont devenues illisibles, et cela pose un problème en termes de légitimité démocratique. Le vote du budget est une dimension essentielle de nos démocraties et l’existence de règles à la fois contraignantes et difficiles à appréhender peut entamer la souveraineté des parlements nationaux, en plus de favoriser la montée du populisme en Europe.
Des règles sont indispensables, car un cadre budgétaire a deux objectifs fondamentaux : lutter contre l’aléa moral pour assurer la soutenabilité à long terme de la dette publique et jouer un rôle contra cyclique. Mais la complexité est devenue un problème majeur – le vade-mecum atteint aujourd’hui 244 pages ! ([48]) Elles ne sont pas en outre conçues pour le type de récession persistante connue après 2008. Elles devraient être transparentes et simples, et ne pas limiter les choix démocratiques. Par ailleurs, comme la ajouté M. Philippe Martin, « le non–respect est devenu la norme », ce qui soulève des questions sur l’efficacité des règles.
Dans le détail, certaines modifications récentes, comme l’importance accrue accordée après la crise au solde structurel, sont venues accroître la complexité de l’architecture institutionnelle de l’Union économique et monétaire.
Cet indicateur, qui désigne le solde budgétaire d’un État corrigé de sa dimension conjoncturelle, comporte en effet plusieurs limites. Le solde structurel est particulièrement difficile à appréhender, pour le citoyen mais aussi pour un œil expert : son évaluation repose sur une variable qui ne peut pas être observée, la croissance potentielle, et dont l’estimation dépend d’hypothèses sujettes à évolution. Vos rapporteurs ont pu être alertés en audition sur ce point. À noter que la notion de solde structurel contraint les prévisions budgétaires des États. Pour Mme Agnès Bénassy-Quéré, il est problématique de constater que des gouvernements nationaux puissent être contraints parce que l’estimation de la Commission européenne sur la croissance potentielle du pays a évolué, alors même que l’exécution du budget national serait conforme aux prévisions de croissance initiales.
b. Un ensemble de règles aux effets limités
En plus d’être complexes, les règles budgétaires de la zone euro ont fait preuve d’une efficacité limitée. Au-delà de leur incapacité à empêcher les dérapages des finances publiques des États membres, les règles budgétaires en vigueur n’ont pas réussi le pari de la contra cyclicité. La politique budgétaire européenne a été globalement neutre entre 1999 et 2007, à l’exception d’une brève période d’expansion budgétaire très pro cyclique en 2001. Compte tenu d’une situation économique assez favorable, une politique plus restrictive aurait toutefois été justifiée, et aurait permis de se désendetter.
Pour M. Philippe Martin, la règle des 3 % est à la fois trop dure en phase de récession et trop souple en phase de croissance, elle est résolument acyclique là où l’objectif principal de la politique budgétaire est la stabilisation des cycles.
Par ailleurs, malgré les souplesses introduites dans le Pacte de stabilité et de croissance, peu de distinctions sont faites entre les différents types de dépenses publiques, dont les effets sur la croissance des États sont pourtant très variables. La Commission européenne a proposé, dans sa communication du 13 janvier 2015 ([49]), de ne pas tenir compte des contributions nationales au FEIS dans son évaluation de la situation budgétaire des États, et donc d’adopter une lecture plus souple du PSC concernant ces investissements. Cette proposition reste toutefois limitée face à la contrainte exercée par la règle des 3 %. De même que la notion de « circonstances exceptionnelles » mériterait d’être davantage précisée.
c. Des sanctions au bien-fondé discutable
Dans son volet dit correctif, le PSC prévoit des sanctions en cas de non-respect des règles budgétaires par les États membres de la zone euro.
Or, aucune procédure de sanction n’a jamais été menée à son terme. Si des procédures relatives aux déficits excessifs ont été engagées au début des années 2000 contre la France et l’Allemagne, l’influence de ces deux États au Conseil avait alors permis d’écarter l’application éventuelle de sanctions. Le fait que l’Espagne et le Portugal n’aient pas non plus été sanctionnés malgré l’absence de mesures budgétaires correctrices entre 2013 et 2015 soulève également des interrogations. En effet, les sanctions prévues dans le cadre de l’Union monétaire et économique ont un caractère pro cyclique, et risqueraient donc d’aggraver la situation financière de pays déjà fragilisés.
Dès lors la situation actuelle invite à s’interroger tant au plan politique et qu’économique sur la pertinence de ces règles, et plus particulièrement de ces sanctions.
D. L’inachèvement de l’union bancaire fragilise la stabilité financière de la zone euro
1. L’Union bancaire reste inachevée
Le projet d’Union bancaire européenne (UBE) a été décidé sous impulsion du Conseil européen, en réponse à la crise financière et à la crise des dettes souveraines.
L’UBE vise à répondre à deux objectifs principaux : la stabilité financière de la zone euro d’une part, et la diversification du financement d’autre part. L’un des enjeux majeurs étant d’éviter la faillite des banques européennes et donc un possible renflouement par les États. L’UBE s’attache à la supervision et à l’uniformisation du système bancaire, à la révision de son architecture et à la création de moyens communs pour gérer d’éventuelles crises bancaires.
Elle repose sur trois piliers, dont le troisième est encore en cours d’élaboration (cf supra).
Concernant le premier pilier, un important travail d’harmonisation de la supervision des banques de la zone euro et d’agrément des établissements de crédits a été engagé. Le Mécanisme de surveillance unique (MSU) remplit également un rôle de supervision directe pour les principaux groupes bancaires, dits « systémiques ». Néanmoins, il existe encore d’importants biais nationaux dans les règlementations en vigueur, qui freinent l’intégration du marché bancaire européen et par là-même la répartition des risques au sein de la zone euro. Les exigences applicables aux banques en niveau de capital et de liquidité restent appréciées sur une base nationale, ce qui n’incite pas les banques à développer une activité européenne.
En matière de résolution des crises bancaires, le principal enjeu actuel porte sur l’adossement au Fonds de résolution unique (FRU) d’un filet de sécurité ou « backstop ». Le système actuel de résolution devrait fonctionner comme suit : mise en œuvre d’outils de résolutions en interne, recours au FRU, mobilisation des instruments du MES si la situation l’exige, sous d’importantes contraintes de restructuration pour les banques concernées. Le MES a ainsi été doté d’un instrument lui permettant, en cas de besoin, d’entrer directement au capital d’une banque.
Toutefois, les ressources du FRU demeurent limitées (son abondement graduel devrait atteindre 60 milliards d’euros en 2024) et ne permettraient pas de faire face à une nouvelle crise systémique. D’où l’urgence à mettre un place un filet de sécurité, qui permettrait, en dernier recours, d’apporter une aide au secteur bancaire sans mobiliser les contribuables. Il s’agit d’une priorité portée par la déclaration de Meseberg (cf annexe n°2).
L’aboutissement du FRU et la mise en place du backstop, qui ont fait l’objet d’importants travaux cette année, constituent selon vos rapporteurs une priorité. Au-delà de la portée opérationnelle de cet outil, sa consolidation aurait également une valeur de signal très forte pour les marchés et les investisseurs, au sein et en dehors de la zone euro.
Enfin, le troisième pilier est aujourd’hui le moins abouti des trois. La mise en place d’un système européen de garantie des dépôts (« EDIS ») suscite encore beaucoup de réticences, notamment en Allemagne. Or, l’introduction progressive d’un système européen de garantie des dépôts (SEGD) permettrait de réduire les risques de contagion des crises bancaires aux finances publiques. En effet, une garantie européenne des dépôts contribuerait à prévenir les paniques bancaires (dénommées également « bank run ») pour les épargnants et déposants. En outre, la création d’un SEGD faciliterait aussi le développement du marché bancaire européen. Il faut toutefois mentionner que la directive relative au système de garantie des dépôts a été révisée en 2014 pour renforcer la protection des déposants jusqu’à 100 000 euros par personne, afin d’éviter les risques de panique bancaire. En pratique, cette modification correspondait déjà aux dispositions nationales françaises.
Si la question du SEGD reste aujourd’hui l’un des points les plus sensibles de la réforme de la zone euro, notamment dans notre coopération avec l’Allemagne, le simple fait qu’il soit mentionné dans la déclaration franco-allemande de Meseberg constitue un signal positif et encourageant.
2. L’achèvement de l’Union bancaire est indispensable pour se préparer à l’éventualité d’une nouvelle crise
L’achèvement de l’Union bancaire est indispensable pour répondre tant aux faiblesses structurelles de l’UEM qu’au risque actuel d’une nouvelle crise bancaire dans la zone euro.
Tout d’abord, le risque de boucle de rétroaction (« doom loop »), c’est-à-dire le risque de rétroaction entre risque bancaire et risque souverain, qui reste bien réel en zone euro. C’est un mécanisme qui s’est enclenché à la suite de la crise financière de 2007-2008. Le gel du marché interbancaire, indispensable dans le refinancement à court terme des banques, a contraint les États à intervenir dans l’urgence pour limiter la défiance des investisseurs vis-à-vis des banques européennes. Ces interventions ont eu un coût considérable pour les finances publiques, et se sont traduites par une dégradation de la valeur des portefeuilles de titres souverains dans les bilans des banques, d’où une rétroaction négative entre crise bancaire et crise souveraine, qui se renforcent mutuellement.
Le renflouement en 2017 par l’État italien de la banque Monte dei Paschi di Siena, quatrième banque italienne, illustre l’importance de ce risque. Les montants alloués ont atteint 5,4 milliards d’euros, alors même que l’Italie est l’un des États les plus endettés de la zone euro. Pour rappel, l’État italien avait également dû intervenir pour sauver les établissements Veneto Banca et Banca Popolare di Vicenza pour 4,7 milliards d’euros. Même si depuis 2015 « les banques italiennes ont beaucoup travaillé, […] les problèmes les plus aigus ont été traités, mais nous sommes au milieu du gué, il reste beaucoup de restructurations à mener », note M. Nicolas Véron ([50]).
Le lien entre risque bancaire et dette souveraine est accentué par l’implication des banques européennes dans le financement des États de la zone euro, notamment via les hedge funds. Le risque à la fois d’une crise bancaire et de forte spéculation se trouve donc renforcé. À nouveau l’Italie est une illustration de ce risque majeur avec un bond à 3,3 % de rendement des obligations d’État à 10 ans (encore à 1,7 % en avril 2018), et une hausse de l’écart de taux – le spread - avec les obligations d’État allemandes à 10 ans (soit 340 points de base en octobre 2018, son plus haut niveau depuis plus de cinq ans). Les banques françaises, espagnoles et allemandes sont particulièrement exposées à ce risque à l’image de la BNP Paribas qui possède la sixième banque italienne, BNL, rachetée en 2006, ou encore du Crédit agricole pour qui l’Italie est le deuxième marché domestique.
En l’absence de finalisation du FRU, le risque de boucle de rétroaction reste donc bien réel. Il est également entretenu par l’absence de banques paneuropéennes, dont les risques seraient plus diversifiés. La probabilité d’un gel du marché interbancaire et d’un gel du crédit en serait considérablement réduite au sein de la zone euro. L’absence de système européen de garantie des dépôts joue aussi un rôle dommageable, dans le contexte d’un marché bancaire fragmenté, qui s’est renationalisé depuis la crise financière.
Si l’achèvement de l’Union bancaire est capital, c’est aussi face aux vestiges de la crise financière qui a ébranlé la zone euro.
En effet, dans certains pans du système bancaire, l’assainissement des bilans reste très lent. Or, des niveaux élevés de créances douteuses et de prêts non performants pèsent sur la profitabilité des banques et sur leur capacité à remplir leur rôle de financement de l’économie réelle. Le poids des prêts non performants est un problème directement lié au précédent : la banque Monte dei Paschi di Siena disposait ainsi de 28 milliards de prêts non performants, qu’elle a dû céder à des investisseurs privés.
Les prêts non performants
Les contrôleurs bancaires européens considèrent généralement un prêt comme non performant lorsque des indications montrent que l’emprunteur est incapable de rembourser le prêt en raison de difficultés financières ou quand plus de 90 jours se sont écoulés sans qu’il ait versé les tranches prévues. Ce cas de figure peut se présenter, par exemple, si un particulier perd son travail et ne peut rembourser à la banque son prêt hypothécaire dans les délais ou lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés financières. Une résolution rapide des prêts non performants est essentielle pour faciliter de nouvelles activités de prêt bancaire dans les pays sortis de la crise et améliorer la transmission de la politique monétaire dans la zone euro.
Source : Banque centrale européenne ([51]).
Le niveau des prêts non performants dans le bilan des banques européennes a considérablement diminué, mais l’on constate toutefois d’importantes disparités entre les pays, ce qui ne facilite pas l’avancée des négociations sur les mécanismes de l’UBE impliquant une mutualisation des ressources. Selon la Banque centrale européenne, ces prêts non performants représentaient en 2016 un encours de 1 000 milliards d’euros et pour « les plus grandes banques de la zone euro, ce montant s’élevait à environ 880 milliards d’euros, soit près de 6,2 % du montant total des prêts (contre en moyenne environ 1,3 % pour les États-Unis et 0,9 % pour le Royaume-Uni en 2016). Si le pourcentage des prêts considérés comme non performants a baissé depuis (5,2 % du montant total des créances au troisième trimestre 2017), l’Europe a beaucoup de retard dans ce domaine ».
Certains secteurs bancaires, principalement en Italie, au Portugal, en Irlande et en Grèce, restent ainsi exposés aux risques induits par les prêts non performants et les créances douteuses :
D’autres pays sont concernés dans une moindre mesure, et ne doivent pas être négligés. Les récents tests de résistance menés par l’Autorité bancaire européenne montrent ainsi que certaines banques systémiques comme la Deutsch Bank, classée 40ème sur 48, restent fragiles.
Enfin, il faut également mentionner le risque constitué par le « shadow banking », c’est-à-dire le système bancaire « parallèle » qui finance l’économie en dehors du système bancaire traditionnel. Le shadow banking opère principalement à travers les fonds d’investissements (hedges funds, fonds monétaires, fonds obligataires, fonds diversifiés), souvent avec une forte participation financière des banques classiques. Ces fonds ne sont pas régulés et ne bénéficient pas des mécanismes de refinancement des banques centrales. Du fait de son opacité, et d’une absence de régulation et de données précises, le shadow banking constitue un risque pour le système bancaire européen. Actuellement, il est donc extrêmement difficile de savoir si ces fonds pourraient être à l’origine d’une prochaine crise, ou de connaître les conséquences d’une crise sur eux.
E. Une intention de convergence pour une rÉalitÉ de divergences
Parmi les principaux objectifs du projet initial de création d’une monnaie unique, figurait la convergence des économies européennes, comme l’illustre le traité de Maastricht. La convergence désigne le processus de rattrapage par lequel les pays les moins prospères atteignent le niveau des économies les plus avancées.
Or, tant au plan économique qu’au plan financier, cet objectif de convergence s’est traduit dans les faits par une réalité de divergences, que la crise de 2008 a contribué à accentuer.
Ce phénomène a plusieurs explications, qui tiennent en grande partie aux choix de politique économique des États membres d’une part, et, plus problématique encore, aux mécanismes conçus dans le cadre de l’Union économique et monétaire d’autre part.
Cette réalité de divergences est d’autant plus problématique qu’elle concerne tout particulièrement la zone euro. À l’échelle de l’Union européenne, il est possible de constater une dynamique de convergence entre les nouveaux entrants d’Europe de l’Est et les pays d’Europe de l’Ouest. Les fonds structurels européens ont joué un rôle dans cette convergence. En effet, chaque année les fonds transférer à la Pologne ou la Hongrie représentent entre 2 % et 3 % du PIB de ces pays ([52]). Cependant, il est possible de constater que ces fonds ne peuvent être utilisés qu’à la marge en faveur des pays de la zone euro les moins prospères, tels que l’Italie. Alors que celle-ci a été fortement impactée par la crise et peine à redresser son économie, elle reste contributrice nette au budget de l’Union européenne. Tant économiquement que politiquement, cela crée une situation peu satisfaisante pour les citoyens et les contribuables de la zone euro, tout particulièrement depuis la crise.
1. La création de la zone euro n’a pas permis d’assurer une véritable convergence des économies
En matière de convergence, on peut distinguer la période ouverte par le traité de Maastricht d’une part, et la dynamique initiée par la crise financière et économique de 2008 d’autre part.
a. Malgré une dynamique de croissance globalement positive jusqu’en 2008, la convergence obtenue en zone euro est restée très limitée
Le traité de Maastricht instaure des critères dits de convergence, qui doivent être remplis par les États préalablement à leur intégration dans la zone euro. Il s’agit de fixer des critères de convergence nominale, selon une logique confortée par le PSC, afin de favoriser la réalisation d’une convergence réelle. Comme le précise l’économiste M. Benoit Dicharry de l’Université de Strasbourg, « les autorités européennes ont misé sur le fait que si tous les pays membres de l’Union européenne menaient ces politiques macroéconomiques « saines », les performances de croissance seraient convergentes, ce qui mènerait vers l’homogénéisation des niveaux de PIB/hab. » Or, aucun mécanisme d’ajustement aux divergences n’était prévu. Plus encore, plusieurs États ont été intégrés dans la zone euro alors qu’ils ne respectaient pas complètement les critères de convergence. C’est le cas par exemple de l’Italie et la Grèce, dont le niveau d’endettement public dépassait alors 60 % du PIB.
Dans les faits, le pari d’une convergence spontanée s’est avéré être un échec, l’hétérogénéité des économies s’étant accrue après l’introduction de la monnaie unique, malgré quelques phénomènes de rattrapage. Surtout, la dynamique de croissance favorable observée entre 2000 et 2008 s’est accompagnée de plusieurs dérèglements, qui ont favorisé l’apparition de déséquilibres entre les économies.
Comme précédemment indiqué, la création de la zone euro a été suivie d’une période de croissance, qui s’est traduite dans plusieurs pays par une hausse du PIB par habitant et une hausse de l’accès à l’emploi de la population en âge de travailler. Pour autant, cette dynamique ne peut pas vraiment être qualifiée de rattrapage, dans la mesure où les économies les plus prospères ont connu une évolution du même ordre.
Surtout, l’introduction de l’euro et la convergence qui en a en partie résulté a favorisé l’apparition de nouveaux déséquilibres. Il est possible de le constater sur le plan financier. L’intégration financière d’une part, et l’homogénéité des taux d’emprunt sur les marchés financiers pour les États – en 2007, les taux d’emprunt de long terme grec et allemand étaient similaires – ont contribué à l’apparition de déséquilibres structurels. L’afflux de capitaux provenant de l’épargne constituée dans certains États, comme l’Allemagne, a pu être utilisé dans d’autres États comme l’Espagne avec le développement d’une spécialisation dans l’immobilier, jusqu’à l’apparition d’une « bulle » immobilière. Une bulle immobilière s’est également formée en Irlande, et cette expansion de l’immobilier s’est faite au détriment de secteurs plus productifs et plus porteurs pour la croissance. Sur la crise des dettes souveraines, l’apparente harmonie des économies de la zone euro a joué un rôle majeur comme l’a souligné le député Jean Arthuis dans son rapport de 2012, « la principale explication de la crise des dettes souveraines a donc été l’indistinction des risques souverains. Autrement dit, la zone euro a été perçue, dans son ensemble, comme représentant un risque homogène. Dans un contexte financier favorable, le discernement des marchés n’a pas joué son rôle. À titre d’illustration, les spreads grecs ont diminué, d’un niveau de 1 100 points de base début 1998 à environ 10 points de base un an avant leur entrée dans la zone euro, et entre 2002 et 2007, ils sont restés compris entre 10 et 30 points de base. » ([53])
Les divergences structurelles entre les économies, qui ont pu également être stimulées par la création du marché unique, par des phénomènes de spécialisations, se sont accompagnées de divergences sur les taux d’inflation. Là où l’inflation est restée plutôt modérée en Allemagne, elle était en moyenne plus forte dans le reste de la zone euro et notamment en Espagne, en Grèce ou en Irlande.
ÉVOLUTIONS DE L’inflation en zone euro ([54])
b. La double récession connue par la zone euro a accentué les divergences économiques et financières
Depuis la crise économique et financière de 2008, on observe un important décrochage des économies du sud, plus durement touchées par la double récession qu’a connue la zone euro. Le PIB/habitant de la Grèce correspondait à 85 % de celui de la zone euro en 2008, pour 63 % en 2017. À l’inverse, le PIB/habitant allemand représentait en 2017 116 % du PIB de la zone euro, pour 107 % en 2008. Aujourd’hui, le décrochage de l’Italie symbolise cette faille de l’Union économique et monétaire, et les inquiétudes qu’il suscite ont été communiquées à vos rapporteurs à de nombreuses reprises en audition. Le PIB/habitant de l’Italie connaît même une diminution dans l’absolu : toute la population, y compris dans les régions du nord réputées plus prospères, s’est appauvrie.
Aujourd’hui, les États de la zone euro apparaissent de plus en plus comme des entités autonomes et hétérogènes, au regard de plusieurs indicateurs : l’investissement productif, la productivité par tête, les spécialisations productives et le niveau de vie.
Une hétérogénéité accrue en zone euro