N° 1822

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 mars 2019

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146-3, alinéa 6, du Règlement

PAR le comitÉ d’Évaluation et de contrÔle des politiques publiques

 

sur l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. Ugo Bernalicis et Jacques MAIRE

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE

PROPOSITIONS DES RAPPORTEURS

INTRODUCTION

I. LA DÉLINQUANCE FINANCIÈRE : UN PHÉNOMÈNE HÉTÉROGÈNE EN CROISSANCE TENDANCIELLE

A. DES PÉRIMÈTRES ET DES INSTRUMENTS DE MESURE À GÉOMÉTRIE VARIABLE

1. Lagrégat « escroqueries et infractions économiques et financières » du ministère de lintérieur

2. Labsence de suivi statistique particulier du ministère de la justice

3. La mesure élargie des enquêtes de victimation

B. UNE AUGMENTATION GLOBALE DES FAITS DÉCLARÉS OU CONSTATÉS EN DEÇÀ DE LA RÉALITÉ DES INFRACTIONS COMMISES

1. Bien quen baisse, limpact toujours massif des fraudes aux moyens de paiement

a. Une fraude à la carte bancaire élevée mais en recul

b. Une hausse paradoxale de la fraude au chèque

2. La diversification des escroqueries

a. Les chiffres du ministère de lintérieur

b. Les chiffres de lenquête de victimation de 2018

3. Les atteintes aux finances publiques et la lutte contre la fraude fiscale

a. La fraude fiscale, un serpent de mer

b. La fraude à la TVA

4. Les atteintes à la probité et le cas de la corruption dagent public étranger

a. Les atteintes à la probité

b. La corruption dagent public étranger

C. DES PRATIQUES FRAUDULEUSES DE PLUS EN PLUS SOPHISTIQUÉES ET REPOSANT LARGEMENT SUR LE NUMÉRIQUE

1. Un renouvellement technologique permanent

a. Le miroir aux alouettes

b. « Hameçonnage » et captation des données

c. Les nouveaux produits

2. Des techniques de blanchiment en mutation

a. Les différentes phases du blanchiment

b. Les possibilités offertes par les nouvelles technologies pour brouiller les pistes

II. UNE POLITIQUE PUBLIQUE RÉCEMMENT RÉORGANISÉE MAIS QUI RISQUE LA THROMBOSE

A. LA DÉTECTION REPOSE LARGEMENT SUR DES ACTEURS PRIVÉS

1. La mobilisation différenciée de professions réglementées

a. Les obligations communes aux professions assujetties

b. Les professions financières

c. Les professions non financières

2. Le contrôle des administrations ou des autorités de supervision

a. LAutorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)

b. LAutorité des marchés financiers (AMF)

c. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

d. La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI)

3. Le rôle préventif de lAgence française anticorruption

a. La prévention

b. Le contrôle de l’exécution des décisions judiciaires

c. Les activités de conseil

4. Des résultats du contrôle fiscal en demi-teinte

a. Une transformation des méthodes

b. Un engagement réel contre la fraude à la TVA

c. La levée partielle du verrou de Bercy

d. Léchange automatique des informations fiscales et le renouvellement de la programmation du contrôle

5. Les capacités de traitement de Tracfin

6. La place des lanceurs dalerte reste à confirmer

B. LES SERVICES ENQUÊTEURS ONT ATTEINT LEURS LIMITES

1. Une performance globale difficile à mesurer

a. Un taux de plainte probablement très faible

b. Des taux délucidation médiocres

c. Des coûts inconnus

2. Une organisation éclatée

a. Les aléas des services de premier ressort

b. La nécessaire rationalisation des services spécialisés à vocation nationale

3. Une charge de travail qui augmente

4. Une crise des vocations

C. LES JURIDICTIONS SPÉCIALISÉES : LARBRE QUI CACHE LA FORÊT ?

1. Des juridictions interrégionales spécialisées fortement mobilisées par la criminalité organisée

2. Un parquet national financier menacé dengorgement par sa rapide montée en puissance

3. La difficile coordination des parquets sur lensemble du territoire

4. Labsence dune filière économique et financière dans la magistrature

III. DEUX ACTIONS PRIORITAIRES POUR AMÉLIORER LES RÉSULTATS

A. ACCÉLÉRER LA RÉPONSE PÉNALE

1. Lorientation par les parquets

2. Les condamnations

3. La durée excessive des procédures

B. ATTAQUER AU PORTEFEUILLE EN RENFORÇANT LEFFICACITÉ DES SAISIES, DES AMENDES ET DES CONFISCATIONS

1. Les procédures de saisie doivent encore être améliorées

2. Le rôle déterminant de lAgence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués mérite dêtre conforté

3. La convention judiciaire dintérêt public

EXAMEN PAR LE COMITÉ

ANNEXE N° 1 : LINCIDENCE DU PROJET DE LOI RELATIF À LA CROISSANCE ET À LA TRANSFORMATION DES ENTREPRISES (PACTE) SUR LES OBLIGATIONS DÉCLARATIVES DES ENTREPRISES

ANNEXE  2 : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES

CONTRIBUTION

du groupe La France Insoumise

au rapport d’information déposé par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

sur l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière

I. Faire de l’Etat le premier acteur dans l’identification des infractions financières

I.A. S’organiser pour mieux cerner la délinquance et la criminalité financière

 En établissant un outil opérationnel d’analyse de l’ensemble de la délinquance financière

 En ciblant également certaines infractions en particulier, comme la fraude fiscale

Proposition FI n° 1 : établir une liste unique et exhaustive de paradis fiscaux selon trois ensembles de critères (équité fiscale, lutte contre le blanchiment et prudentiel) comme l’indique la deuxième proposition du rapport n° 1423 du Sénateur Eric Bocquet sur la Lutte contre les paradis fiscaux en date d’octobre 2013.

I.B. Faciliter le signalement des infractions

 En imposant davantage de transparence aux entreprises

Proposition FI n° 2 : systématiser la publication en données ouvertes (open data) des informations et documents détenus par les autorités publiques, et le cas échéant, par les entreprises, lorsqu'elles sont astreintes à la publication de certaines informations, comme par exemple les industries extractives.

 En mettant en place une véritable protection des lanceurs d’alerte

Proposition FI n° 3 : étendre le périmètre de la protection effective des lanceurs d’alerte à toute situation dans laquelle un salarié porte à la connaissance des autorités une situation susceptible de constituer un crime ou un délit en matière de délinquance financière.

II.  Adapter les moyens dont disposent les services d’enquête à la réalité de la délinquance financière

II.A. Remédier à l’inefficacité et à l’éparpillement de l’action publique, entravée par un manque structurel de moyens et diluée dans une multitude de dispositifs

 En inversant la tendance à la diminution des effectifs

Proposition FI n° 4 : mettre en place un plan pluriannuel de montée en charge des effectifs des différents services qui concourent à la lutte contre les infractions financières.

Proposition FI n° 5 : créer une chambre nationale de l’instruction financière spécialisée en complément du parquet national financier

 En mettant un terme à la logique d’éparpillement des moyens

Proposition FI n° 6 : mettre un terme à la logique d’éparpillement des moyens par un plan de rationalisation des services en privilégiant le renforcement des moyens humains et de l’efficacité dans la lutte contre la délinquance financière.

II.B. Renforcer l’efficacité des techniques d’enquête dans la lutte contre la délinquance financière

 En développant les dispositifs de croisement de fichiers

Proposition FI n° 7 : maintenir l’accès aux agents détachés à leurs bases et applications professionnelles.

Proposition FI n° 8 : constituer une base de données commune aux différents services engagés dans la lutte contre la délinquance financière permettant le partage d’informations opérationnelles, ainsi qu’une base de données nationale commune portant sur les procédures.

 En revoyant certains objectifs chiffrés inadaptés qui introduisent un biais écartant les dossiers complexes

Proposition FI n° 9 : associer la mesure des montants recouvrés à la prise en compte du taux d’élucidation, dans la conception des indicateurs de performance.

 En développant les techniques d’infiltration et d’enquête sous pseudonyme

Proposition FI n° 10 : élargir dans le code de procédure pénale le cadre d’utilisation de l’enquête sous pseudonyme et de l’infiltration pour les infractions financières les plus graves (notamment le blanchiment de fraude fiscale) et les développer.

III.A. Supprimer les procédures dérogatoires qui entretiennent un système de “pénalisation à deux vitesses

 En levant le secret qui protège les délinquants financiers

Proposition FI n° 11 : réformer la Commission nationale du secret défense et lui donner les moyens de décider en toute indépendance ce qui doit être ou non déclassifié.

 En supprimant les procédures dérogatoires que constituent les CJIP

Proposition FI n° 12 : supprimer le dispositif de la convention judiciaire d’intérêt public.

III.B. Garantir le dévouement des acteurs de la lutte contre la délinquance financière, au seul objectif d’intérêt général

 En confiant à l’Etat la détection de la délinquance financière, qui  repose actuellement sur le  bon vouloir des opérateurs privés

Proposition FI n° 13 : transférer progressivement la charge du contrôle interne vers un contrôle externe par les agences prudentiels (ACPR, AMF, etc…) en renforçant significativement leurs moyens humains.

 En supprimant entièrement le verrou de Bercy

Proposition FI n° 14 : suppression totale du principe de “Verrou de Bercy”, y compris pour les procédures incidentes assorties d’une obligation de saisine de l’administration fiscale pour avis préalablement aux poursuites.

 En mettant un terme à l’initiative de l’exécutif sur la carrière des magistrats, afin d’éloigner tout risque de mise en cause

IV. Une politique publique ambitieuse et performante pour lutter contre la délinquance financière

IV.A. Les propositions de l’Avenir en commun

La République doit être garante des biens communs (point n° 9)

Reconnaître la citoyenneté dans l’entreprise et des droits nouveaux aux salariés (point n° 10)

Mettre fin au pillage économique de la nation (point n° 16)

Mettre au pas la finance (point n° 19)

Instaurer un salaire maximum pour les dirigeants d’entreprise (point n° 29)

Faire la révolution fiscale (point n° 36)

Terrasser l’évasion et la fraude fiscales (point n° 37)

Proposer une refondation démocratique, sociale et écologique des traités européens (point n° 51)

IV.B. Les propositions formulées par le groupe de la France insoumise depuis le début de la mandature en complément du programme l’Avenir en commun


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   SYNTHÈSE



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   PROPOSITIONS DES RAPPORTEURS

Proposition n° 1 : assujettir les plateformes d’échange de cryptomonnaies entre elles et de crypto-actifs contre cryptomonnaies au dispositif de lutte contre le blanchiment, conformément aux recommandations du GAFI.

Proposition n° 2 : mettre en œuvre un dispositif d’identification numérique publique certifiée pour y soumettre la dématérialisation de la gestion des comptes bancaires.

Proposition n° 3 : mettre en œuvre une politique interministérielle de lutte contre la délinquance économique et financière reposant sur :

– un dispositif partagé de mesure et de suivi statistique ;

– un document de politique transversale annexé au projet de loi de finances ;

– une délégation interministérielle regroupant la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) et le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB).

Proposition n° 4 : assujettir les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) à la déclaration de soupçon.

Proposition n° 5 : soumettre la poursuite des prestataires juridiques ayant conduit à un abus de droit ou à une fraude fiscale à la condamnation définitive de leurs clients.

Proposition n° 6 : consolider le positionnement de l’Agence française anticorruption :

– en lui attribuant un droit de communication pour que le secret professionnel ne lui soit pas opposable dans le cadre de ses missions ;

– en lui confiant la constitution d’une base de données relative aux atteintes à la probité pour établir une cartographie des risques.

Proposition n° 7 : pour lutter contre la fraude à la TVA et dans la perspective de l’assujettissement des livraisons intracommunautaires à la TVA, mettre à l’étude le paiement scindé.

Proposition n° 8 : rétablir le principe d’un secours financier au profit des lanceurs d’alerte en difficulté, complété par la possibilité d’un accès facilité à l’emploi public.

Proposition n° 9 : mettre à l’étude l’harmonisation des conditions de recevabilité de l’action civile associative.

Proposition n° 10 : simplifier l’organisation des services d’enquête spécialisés dans la délinquance financière en intégrant la sous‑direction des affaires économiques et financières de la préfecture de police de Paris dans la direction centrale de la police judiciaire.

Proposition n° 11 : rationaliser le traitement des réquisitions des services de police aux établissements bancaires par la mise en place :

– d’une procédure et d’un format normalisés de transmission des réponses ;

– d’une plateforme unifiée de traitement des flux sous la responsabilité du ministère de la justice.

Proposition n° 12 : développer les outils d’exploitation et de croisement de données reposant notamment sur l’intelligence artificielle afin de contribuer au ciblage des enquêtes.

Proposition n° 13 : confier l’intégralité du traitement judiciaire de la fraude fiscale à des services d’enquête constitués d’officiers fiscaux judiciaires.

Proposition n° 14 : intégrer des agents de certaines administrations spécialisées (inspection du travail, direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes) dans des brigades de police judiciaire avec la qualité d’officiers de police judiciaire, sur le modèle des inspecteurs des finances publiques ou des agents des douanes.

Proposition n° 15 : doter l’Autorité des marchés financiers d’une unité d’investigations judiciaires afin de lui permettre d’assurer l’intégralité du traitement pénal des délits boursiers.

Proposition n° 16 : augmenter les effectifs des services de police spécialisés.

Proposition n° 17 : mettre en place une politique de ressources humaines renforçant l’attractivité de la police judiciaire financière (prime de technicité, adaptation des conditions d’avancement, formation initiale et continue).

Proposition n° 18 : augmenter et diversifier les effectifs du parquet national financier (magistrats, assistants spécialisés, personnel de greffe).

Proposition n° 19 : reconnaître au parquet national financier un pouvoir d’évocation des affaires sur l’ensemble du territoire.

Proposition n° 20 : mettre en place une gestion plus active (appels à candidatures profilés, suivi du vivier, adaptation des conditions d’avancement) de la spécialité économique et financière dans la magistrature.

Proposition n° 21 : adapter la conduite des enquêtes aux spécificités des dossiers économiques et financiers en recourant au devis judiciaire.

Proposition n° 22 : simplifier la procédure des saisies‑attributions au bénéfice des services de l’État.

Proposition n° 23 : développer les ventes avant jugement de biens mobiliers (véhicules notamment) afin de maîtriser les coûts de gestion.

Proposition n° 24 : mettre en place une base de données assurant la traçabilité des actifs saisis puis confisqués, partagée entre l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), les juridictions et les services d’enquête.

Proposition n° 25 : créer un régime juridique spécifique aux cessions des biens immobiliers de l’État issus de confiscations pénales, par dérogation aux dispositions du code général de la propriété des personnes publiques.

 


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   INTRODUCTION

Lors de sa réunion du 5 octobre 2017, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) a inscrit à son programme de travail une évaluation de la lutte contre la délinquance financière, à la demande du groupe La France insoumise. L’intuition de départ était que, malgré la multiplicité des acteurs, leur volontarisme, leur détermination et leur professionnalisme, les moyens mis en œuvre n’ont permis de s’attaquer qu’à la partie émergée de l’iceberg de cette délinquance. Par ailleurs, la lutte contre la délinquance financière ne se résume pas à un enjeu de politique pénale et de finances publiques ; elle est aussi un facteur de cohésion sociale. En effet, l’impunité réelle ou supposée des délinquants en col blanc tend à discréditer l’idée de justice quand, en parallèle, l’administration fiscale et le juge pénal sont très fermes envers le délinquant lambda. Aussi les rapporteurs ont‑ils souhaité analyser l’ensemble des composantes de la délinquance financière car elle fait de nombreuses victimes.

M. Ugo Bernalicis (groupe La France Insoumise) et M. Jacques Maire (groupe La République en marche) ont été désignés comme rapporteurs le 27 septembre 2018. Le groupe de travail constitué pour les assister, en vertu de l’article 146‑3 du Règlement de l’Assemblée nationale, était composé de Mme Anne Brugnera (groupe La République en marche) et de Mme Stéphanie Do (groupe La République en marche).

Par son intensité, la crise financière de 2007‑2008 a gravement ébranlé les économies occidentales et obéré les finances des États, pourtant sollicités pour prévenir l’effondrement du système financier ou soutenir des populations menacées par le chômage de masse ; en somme, éviter une crise aussi grave que celle de 1929 qui avait ouvert la voie au second conflit mondial. Dans ce contexte, plusieurs scandales, en particulier Luxleaks et les Panama papers, ont porté à la connaissance du public les stratégies déployées par les entreprises et les très riches particuliers pour éviter de payer des impôts, suscitant des réactions politiques au vu de l’ampleur du phénomène. Elles se sont traduites par un regain d’activité législative au niveau national dépassant le cadre strict de la fraude fiscale, et par des tentatives plus ou moins abouties d’actions concertées au niveau international depuis le G20 qui s’est tenu à Londres en 2009.

Sur un plan national, la crise politique déclenchée par l’affaire Cahuzac a également eu des conséquences sur le dispositif de lutte contre la corruption.

De fait, la quatorzième législature a été jalonnée par des textes sur le sujet :

– loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (loi n° 2013‑1117 du 6 décembre 2013) et loi organique relative au procureur de la République financier (loi n° 2013‑1115 du 6 décembre 2013) ;

– loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale (loi n° 2016‑731 du 3 juin 2016) ;

– loi réformant le système de répression des abus de marché (loi n° 2016‑819 du 21 juin 2016) ;

– loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016), dite loi « Sapin 2 ».

Le tableau ne serait pas complet si manquait à cette liste le projet de loi contre la fraude ([1]), définitivement adopté le 10 octobre dernier, qui a pour objectif d’en faciliter la détection et d’en alourdir la sanction pour viser plus efficacement les acteurs économiques qui, par leur comportement, contreviennent délibérément aux principes fondamentaux d’égalité devant les charges publiques et de consentement à l’impôt.

Aussi est‑il apparu opportun aux rapporteurs, qui ont tenu compte des rapports parlementaires les plus récents sur des problématiques voisines ([2]), de dresser un bilan des mesures votées sous la précédente législature et d’apprécier les moyens que le pouvoir exécutif et l’autorité judiciaire y avaient consacrés, d’autant que la France sera soumise en 2020 à une évaluation mutuelle ([3]) dans le cadre du Groupe d’action financière (GAFI), cet organisme intergouvernemental créé en 1989 avec pour objectif d’élaborer des normes et de promouvoir l’action de ses membres en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les autres menaces liées à l’intégrité du système financier international.

Pour mener leurs travaux, les rapporteurs ont procédé, d’octobre 2018 à février 2019, à un cycle d’auditions des principales parties prenantes ([4]) à cette politique :

– la société civile avec les principales ONG, des universitaires ou des journalistes d’investigation spécialistes de l’économie, ou l’association de défense des consommateurs UFC‑Que Choisir ;

– les principaux responsables administratifs de la politique publique :

Ils ont également entendu les représentants des principales professions assujetties à une obligation de vigilance (établissements de crédit, avocats, commissaires aux comptes,…) ainsi que leurs autorités de tutelle (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, Autorité des marchés financiers, Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, Douanes…).

Ils se sont aussi déplacés à Nanterre, dans les locaux des offices centraux spécialisés, à la rencontre des enquêteurs en prise directe avec les réseaux délinquants, de même qu’à Lille où ils ont échangé avec la direction régionale de la police judiciaire, la direction départementale de la sécurité publique, la direction interrégionale des douanes et les magistrats de la juridiction interrégionale spécialisée.

Enfin, un questionnaire a été adressé aux organisations syndicales représentatives ([5]) pour obtenir une information proche du terrain et connaître les principales préoccupations des fonctionnaires qui, par leur action conjuguée, mènent la lutte contre la délinquance financière.

Les rapporteurs se sont également appuyés sur le relevé d’observations définitives rédigé par la Cour des comptes à la suite de son enquête relative aux moyens consacrés à la lutte contre la délinquance économique et financière.

Les rapporteurs tiennent à remercier l’ensemble de leurs interlocuteurs pour leur disponibilité et les informations abondantes et circonstanciées qu’ils leur ont apportées.

Il ressort de ce tour d’horizon que la délinquance financière est un phénomène hétérogène, en croissance tendancielle (I). Bien que récemment réorganisée pour y faire face, la politique publique risque la thrombose (II). Pour améliorer les résultats, priorité doit être donnée à l’accélération de la réponse pénale et au renforcement de l’efficacité des sanctions financières, que sont les amendes, les saisies et les confiscations (III).


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I.   LA DÉLINQUANCE FINANCIÈRE : UN PHÉNOMÈNE HÉTÉROGÈNE EN CROISSANCE TENDANCIELLE

Avant d’examiner la politique publique qui doit fournir une réponse efficace à ce fléau, il convient d’adopter une définition précise du périmètre de la délinquance financière, et d’en mesurer les évolutions quantitatives et qualitatives.

A.   DES PÉRIMÈTRES ET DES INSTRUMENTS DE MESURE À GÉOMÉTRIE VARIABLE

La délinquance financière est un phénomène criminologique complexe à définir. Certains travaux de sociologie ont permis d’identifier une partie de la délinquance financière en s’attachant à considérer le traitement de ce que le sociologue Edwin Sutherland définit comme les « actes commis par des individus de statut social élevé en rapport avec leurs activités économiques et professionnelles ».

Cette conception conserve une certaine réalité mais elle ne rend compte que d’une très faible proportion d’un phénomène plus composite dont il n’existe pas de définition unique et partagée.

Une façon synthétique d’en délimiter les contours consiste à essayer d’en esquisser les caractéristiques criminologiques qui la distingueraient d’autres formes de délinquance, comme les atteintes aux biens ou à l’intégrité physique des personnes. On peut ainsi schématiquement affirmer que la délinquance économique et financière a pour objectif de mettre en place des flux financiers illégaux sans porter atteinte aux personnes ni faire usage de violence, et qu’elle s’accompagne souvent d’une difficile identification des victimes et d’une complexité particulière des investigations.

Une méthode plus analytique consiste à essayer d’en lister précisément les composantes, parmi les quelque 700 infractions criminelles, 8 000 infractions délictuelles et 6 000 contraventions qui constituent notre riche et proliférant écosystème d’incriminations pénales. Cette tâche est particulièrement difficile, du fait de la profusion des incriminations, définies dans une grande diversité de codes législatifs, et des différences d’approche ou de conception des ministères en charge de lutter contre la délinquance financière.

De même, les outils et conventions de mesure statistique ne sont pas partagés entre les ministères de l’intérieur et de la justice.

Enfin une partie du phénomène, comme souvent en matière de délinquance, échappe à tout instrument de mesure, ce qui peut susciter des débats sans fin sur le volume de l’iceberg immergé.

1.   L’agrégat « escroqueries et infractions économiques et financières » du ministère de l’intérieur

La base de données de référence sur la délinquance repose sur l’enregistrement, par les services de police et les unités de gendarmerie, des procédures relatives aux infractions pénales, avant leur transmission à l’administration judiciaire. Ces infractions ont pu être constatées à la suite d’une plainte déposée par une victime, d’un signalement, d’un témoignage, d’un délit flagrant, d’une dénonciation, mais aussi à l’initiative des forces de sécurité.

À partir de 1972, les forces de sécurité se sont en effet dotées d’un outil standardisé de mesure de l’activité judiciaire des services basé sur des comptages mensuels, appelé « état 4001 ». Ce document administratif porte sur les crimes et les délits (à l’exclusion donc des contraventions), enregistrés pour la première fois par les forces de sécurité (afin d’éviter une double comptabilisation si une même infraction est traitée successivement par des services différents) et portés à la connaissance de l’institution judiciaire (n’y sont donc retracées que les infractions suffisamment constituées juridiquement pour pouvoir être poursuivies par un tribunal).

Ce dispositif de suivi statistique des infractions distingue un agrégat « escroqueries et infractions économiques et financières » ou EIEF qui constitue le référentiel du ministère de l’intérieur en matière de délinquance économique et financière.

Cet agrégat compte 19 index qui regroupent chacun une liste précise de nature d’infractions (NATINF). Lors de l’enregistrement d’un fait de délinquance dans le logiciel de rédaction de procédure par les services de police ou de gendarmerie, l’enquêteur saisit une NATINF mais c’est sa hiérarchie qui assume le choix de l’indexation.

À la clôture de l’enquête, le magistrat de permanence confirme la NATINF choisie lors de l’enregistrement du fait. C’est à ce moment que la NATINF et l’indexation sont saisies dans la base de données utilisée pour établir les statistiques.

Le mode de computation des unités de compte peut varier selon les natures d’infraction : par exemple, un fait par chèque volé ou falsifié dans les affaires de falsification et d’usage de chèques volés, un fait par plaignant dans les affaires comportant une ou plusieurs victimes (escroquerie, falsification et usage de cartes de crédit, contrefaçon, escroqueries), et un fait par procédure pour les autres infractions qui n’ont le plus souvent pas de victime directe (infractions à la législation sur le travail, banqueroute, fraude fiscale…).

Agrégat « escroqueries et infractions économiques et financières »
faits constatés en 2018

Source : service statistique ministériel de la sécurité intérieure.

L’index 106 est une catégorie qui regroupe plus de 200 NATINF dont les plus nombreuses sont les ventes à la sauvette sans autorisation (plus de 7 500 faits constatés en 2018), la non‑justification de ressources (notamment en rapport avec une activité illicite), l’importation en contrebande de marchandise prohibée ou encore le blanchiment d’argent.

Une première approche statistique met en évidence le poids des affaires d’escroqueries et d’abus de confiance qui totalisent près de 56 % des faits constatés en matière de délinquance financière, suivies par les affaires de falsifications de moyens de paiement, avec 17 % du total pour les chèques et 14 % pour les cartes de crédit.

Ces chiffres ne mesurent toutefois que l’activité des forces de sécurité dans ce domaine, à l’exclusion de celle des juridictions qui repose sur d’autres conventions.

2.   L’absence de suivi statistique particulier du ministère de la justice

À la différence du ministère de l’intérieur, le ministère de la justice n’identifie pas un agrégat statistique mesurant spécifiquement la délinquance financière qui constituerait pour lui un indicateur de pilotage, ce qui est en soi révélateur d’un degré de priorité relatif.

Il dispose en revanche d’une définition législative de la compétence de ses juridictions spécialisées en matière économique et financière ou de criminalité organisée, et notamment des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS).

L’article 704 du code de procédure pénale énumère ainsi les escroqueries, les abus de confiance, les abus de faiblesse, les manquements au devoir de probité, le recel de délits commis par un mineur, l’entrave à la liberté des enchères publiques, les atteintes aux systèmes automatisés de traitement des données, les infractions en matière de fausse monnaie, la non‑justification de ressources, le blanchiment, la fraude fiscale, la fraude électorale, les délits prévus par le code de commerce, le code monétaire et financier, le code de la construction et de l’habitation, le code des douanes, le code de la propriété intellectuelle, le code de l’urbanisme, le code de la consommation, les délits en matière de marchés à terme, les délits en matière de jeux de hasard, et les délits relatifs au régime juridique de la presse.

De même, l’article 705 du code de procédure pénale qui fonde la compétence du Parquet national financier vise les manquements au devoir de probité, les fraudes électorales, la fraude fiscale, les escroqueries à la TVA, l’association de malfaiteurs et le blanchiment lié à ces délits.

Comme l’observe le Syndicat de la magistrature (SM) dans sa réponse écrite au questionnaire des rapporteurs, ces périmètres de compétence ne sauraient suffire à définir la délinquance financière : « Sur le plan légal, un renvoi au périmètre de compétence matérielle du Parquet national financier (PNF) serait beaucoup trop restrictif en ce quil exclurait par exemple toutes les infractions au droit pénal des sociétés (abus de biens sociaux, banqueroute…). Un renvoi au périmètre de compétence matérielle des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) en matière financière serait quant à lui à la fois trop extensif, en ce quil inclurait par exemple certains délits en matière dédition, et trop restrictif, en ce quil exclurait notamment le travail dissimulé. En pratique, les périmètres de compétence des sections financières des parquets varient significativement dune juridiction à lautre, pouvant inclure par exemple, au gré des organisations internes, les délits en matière de chasse et de pêche, la discrimination, les délits de presse ou les accidents du travail. Surtout, de nombreux délits (escroquerie, abus de confiance, recel, blanchiment…) sont susceptibles de relever alternativement de la délinquance de droit commun ou de la délinquance économique et financière, selon le contexte de leur commission, si bien quil nest pas possible denvisager une catégorisation réductible à une liste déterminée dinfractions ».

À la demande de la Cour des comptes, dans le cadre de son enquête consacrée à la lutte contre les infractions économiques et financières, la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice a toutefois identifié un périmètre d’infractions qui regroupe les contentieux suivants :

– les atteintes aux biens : détournements de fonds et escroqueries ;

– les atteintes à l’autorité de l’État : devoir de probité, faux documents, infractions sur les jeux de hasard, infractions au financement des partis politiques ;

– les infractions financières : législation sur les sociétés, infractions fiscales ou douanières, sur les moyens de paiements, sur les établissements de crédit et d’assurance, infractions boursières, etc. ;

– les infractions économiques : concurrence et prix, consommations, règlementation des professions industrielles, commerciales et agricoles, contrefaçon etc. ;

– les infractions à la législation du travail : législation sur l’emploi, réglementation du travail, infractions à la protection sociale et aux prestations sociales ;

– les infractions à la réglementation des professions de transports ;

– les infractions à l’urbanisme, aux permis de construire et à la protection du patrimoine architectural.

C’est ce même périmètre, sauf mention expresse contraire, qui sera utilisé dans la suite du rapport afin de mesurer l’orientation statistique des affaires par les parquets et la réponse pénale des juridictions à ce type de délinquance.

Au‑delà des différences de périmètre, la comparaison des données entre les ministères de l’intérieur et de la justice est rendue très difficile, voire impossible, du fait de divergences dans les unités de compte.

La DACG utilise les unités de compte des affaires et des auteurs ou personnes mises en cause, à partir de la source fournie par le logiciel de traitement des affaires pénales Cassiopée. La présentation des affaires orientées permet d’appréhender le volume global des affaires soumises aux parquets et, par conséquent, l’activité des juridictions pénales. L’analyse par auteur est quant à elle pertinente afin d’analyser la structure des orientations décidées par les parquets. Il est précisé que ces données, relatives à l’activité des parquets, ne comportent pas les contraventions des quatre premières classes, traitées par les officiers du ministère public.

Il est rappelé qu’en matière de falsification et d’usage de chèques volés, la statistique du ministère de l’intérieur retient pour sa part un fait par chèque. Dans les matières comportant une ou plusieurs victimes (escroquerie, falsification et usage de cartes de crédit, contrefaçon, escroqueries) l’unité de compte est le plaignant. Pour les autres infractions, en général sans victime directe (infractions à la législation sur le travail, banqueroute, fraude fiscale…), l’unité de compte est la procédure.

Ces différences de computation expliquent que les statistiques concernant les escroqueries font état de plus de 216 000 faits constatés selon le ministère de l’intérieur en 2017, soit 55 % de l’ensemble des faits constatés en matière économique et financière, alors que le ministère de la justice évalue à 157 000 le nombre d’affaires nouvelles d’escroqueries pour cette même année 2017, soit 42 % des affaires économiques et financières de son périmètre de référence.

Si affaires judiciaires et faits constatés par les services de sécurité intérieure peuvent difficilement être comparés, l’observation des dénombrements d’auteurs permet en général une comparaison plus pertinente. Cependant, la justice oriente, pour des infractions économiques et financières, environ 2,5 fois plus d’auteurs que les services de police et de gendarmerie n’en ont mis en cause (248 000 contre 100 000).

En effet, ce champ infractionnel échappe très largement aux services de police et de gendarmerie, une part importante des affaires adressées aux parquets provenant notamment d’autres services administratifs (douanes, administration fiscale, environnement, inspection du travail), contrairement aux autres matières où 90 % des affaires transmises aux parquets proviennent des services du ministère de l’intérieur.

On estime ainsi que seules deux affaires nouvelles sur trois de ce champ proviennent de la police ou de la gendarmerie, une sur trois provenant d’autres administrations ou de victimes adressant leur plainte directement au procureur de la République.

Par ailleurs, les affaires transmises par les services de police et de gendarmerie diffèrent considérablement de celles transmises par les autres administrations ou directement par les victimes, notamment en ce qu’elles sont moins souvent élucidées : dans les affaires économiques et financières enregistrées par les parquets, seuls 53 % des auteurs sont mis en cause par les services de police et de gendarmerie, contre 88 % des auteurs s’agissant des affaires d’autre nature.

En effet, police et gendarmerie enregistrent très majoritairement des plaintes pour escroquerie, dont les auteurs sont rarement identifiés, quand les autres services sont chargés de contentieux en général systématiquement élucidés au moment de la découverte des faits (fraudes fiscales, infractions douanières…).

Pour ces différentes raisons, il n’existe pas de table de concordance ou de matrice de transfert permettant de rapprocher immédiatement les nomenclatures du ministère de l’intérieur et celles du ministère de la justice et donc d’assurer une traçabilité statistique du traitement des dossiers, tout au long de la chaîne pénale.

Si des travaux ont été entrepris depuis 2015 pour rapprocher les statistiques produites par les deux ministères, les champs privilégiés à ce jour ne traitent pas de la délinquance financière puisqu’il s’agit des infractions liées aux stupéfiants et des violences conjugales.

Si les chiffres reflétant l’activité des services d’enquête d’une part et des juridictions d’autre part ne sont guère comparables pour les raisons techniques précédemment décrites, ils ne suffisent pas non plus à refléter la réalité du volume de la délinquance financière et ils doivent être complétés par d’autres sources, notamment par des enquêtes de victimation.

3.   La mesure élargie des enquêtes de victimation

Mesurer la réalité du volume de la délinquance financière, au‑delà du prisme de l’activité policière ou juridictionnelle, est notamment envisageable, pour une partie de son périmètre, par l’enquête annuelle de victimation qui repose sur les déclarations de nos concitoyens et leur ressenti.

L’enquête « Cadre de vie et sécurité » est ainsi conduite chaque année depuis 2007 par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), en partenariat avec l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) et avec le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI).

Cette enquête nationale a pour objectif d’évaluer et de décrire les infractions dont sont victimes les ménages et les individus. Elle complète ainsi les données administratives sur les infractions enregistrées au quotidien par les services de police et de gendarmerie car les victimes ne déposent pas toujours plainte.

L’enquête est menée au premier trimestre de chaque année auprès d’environ 25 500 ménages résidant en France métropolitaine dont 16 000 seulement répondent effectivement. Au sein de chaque ménage, une personne de plus de 14 ans choisie aléatoirement répond aux questions portant sur les victimations individuelles (vols personnels, violences).

La mesure de certains actes relevant de la délinquance financière est permise par cette enquête depuis 2011 avec l’introduction de questions relatives aux débits frauduleux sur les comptes bancaires, complétées en 2018 par des questions relatives aux arnaques.

En 2017, 1,2 million de ménages métropolitains ont déclaré avoir été victimes d’une escroquerie bancaire, soit 4,2 % de l’ensemble des ménages. Cette proportion est un peu plus élevée (4,3 % en 2017) si l’on rapporte le nombre de ménages victimes au nombre de ménages possédant un compte bancaire. Plus d’un ménage victime sur dix (11 %) a subi plusieurs escroqueries bancaires distinctes au cours de l’année.

Ce chiffre illustre une autre réalité que celle remontant des plaintes auprès des forces de sécurité. Pour ce type d’escroqueries en effet, le signalement auprès des services de police ou de gendarmerie n’est pas un préalable obligatoire pour obtenir le remboursement des sommes débitées indûment sur le compte bancaire de la victime. De fait, ces escroqueries bancaires sont peu fréquemment enregistrées : en moyenne, entre 2015 et 2017, 37 % des ménages victimes se sont déplacés au commissariat ou à la gendarmerie, 26 % ont effectivement déposé une plainte, et 8 % ont fait une déclaration de type main courante.

Par ailleurs, un questionnaire spécifique a pour la première fois été consacré aux arnaques dans l’enquête conduite en 2018. Le terme arnaque désigne les fraudes et les escroqueries en dehors des débits frauduleux sur les comptes bancaires. Il peut s’agir par exemple d’une commande qui n’a jamais été livrée ni remboursée, d’une annonce qui s’est révélée être frauduleuse, d’un service qui n’a jamais été rendu, de fausses factures ou d’appels malveillants demandant d’appeler un numéro surtaxé, etc. Cela a pu se passer sur internet, par téléphone, par courrier ou par contact direct.

1,7 million de personnes âgées de 14 ans et plus (3,3 % de la population) se sont dites victimes d’une arnaque en 2017 dont 12 % l’ont été plusieurs fois au cours de cette même année. 15 millions (30 % de la population) ont été victimes d’une arnaque au cours de leur vie.

Avec un taux de déclaration à la police ou à la gendarmerie de 11 %, les arnaques sont un contentieux largement sous-déclaré par les victimes. Parmi les déclarants auprès de la police ou de la gendarmerie, plus des deux tiers (68 %) déposent effectivement plainte.

Ces enquêtes démontrent que la délinquance financière a plusieurs visages puisqu’il peut aussi s’agir d’une délinquance de masse, frappant une proportion importante de la population avec des faits parfois individuellement d’une gravité relative mais collectivement très lourds financièrement.

L’un des grands défis posés à la politique publique de lutte contre ce fléau est bien de prendre en compte l’ensemble du spectre des comportements délictueux et de s’adapter à leur montée en puissance quantitative et à leur sophistication permanente.

B.   UNE AUGMENTATION GLOBALE DES FAITS DÉCLARÉS OU CONSTATÉS EN DEÇÀ DE LA RÉALITÉ DES INFRACTIONS COMMISES

Le maniement des chiffres, on l’a vu, est délicat car les recensements effectués par les différents acteurs impliqués ne retracent pas les mêmes faits, ni ne procèdent aux mêmes regroupements.

Les principaux acteurs sont la police et la gendarmerie nationales, et le ministère de la justice qui apporte une réponse pénale aux auteurs déférés devant l’autorité judiciaire. Mais ils n’en ont qu’une connaissance partielle. Ils traitent les « grosses affaires » et des pans plus obscurs de la délinquance leur échappent.

La délinquance financière fait peu de bruit ; à l’exception de quelques affaires retentissantes impliquant des personnalités, elle n’a rien de spectaculaire et ne trouble pas – en apparence – l’ordre public. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le sujet soit rarement évoqué devant l’opinion, d’autant que, souvent, les victimes ne veulent pas se faire connaître, soit qu’elles éprouvent de la honte à « s’être fait avoir », soit que les autorités ne souhaitent pas faire de la publicité pour tel ou tel type d’escroquerie. Aussi le croisement des statistiques publiques avec les chiffres obtenus à partir des enquêtes de victimation est‑il instructif.

Quelles que soient les sources, la tendance dégagée est un accroissement du phénomène dont les auteurs font preuve d’une capacité d’adaptation, voire d’anticipation en perpétuel renouvellement.

Nombre d’ESCROQUERIES ET INFRACTIONS économiques et financières (EIEF) par index de 2013 à 2018

 

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Variation 2018/2013

Escroqueries et infractions assimilées :

Faux en écriture publique et authentique (84)

2 085

1 530

1 100

865

878

873

– 58,1 %

Autres faux en écriture (85)

7 637

9 923

7 347

8 148

8 557

9 072

+ 18,8 %

Fausse monnaie (86)

1 723

2 170

3 062

2 599

2 410

1 847

+ 7,2 %

Falsifications et usages de chèques volés (89)

60 130

67 220

69 795

73 764

75 011

70 120

+ 16,6 %

Falsifications et usages de cartes de crédits (90)

42 165

49 986

56 197

58 424

58 372

57 708

+ 36,8 %

Escroqueries et abus de confiance (91)

184 532

187 938

201 920

212 609

222 063

229 186

+ 24,2 %

Infractions à la législation sur les chèques (92)

7 355

6 114

4 959

4 331

3 863

3 147

– 57,2 %

Soustotal 1

305 627

324 881

344 380

360 740

371 154

371 953

+ 21,7 %

Infractions économiques et financières :

Contrefaçons et fraudes industrielles et commerciales (87)

1 212

1 235

1 406

1 536

2 268

2 482

+ 104,8 %

Contrefaçons littéraires et artistiques (88)

216

215

270

330

328

409

+ 89,3 %

Travail clandestin (93)

11 872

11 620

11 861

11 665

10 468

10 287

– 13,3 %

Emploi d’étranger sans titre de travail (94)

3 396

2 975

3 131

2 807

2 867

3 137

– 7,6 %

Marchandage – prêt de main d’œuvre (95)

301

234

181

134

106

98

– 67,9 %

Banqueroutes, abus de bien sociaux et autres délits de société (98)

1 643

1 745

1 520

1 649

1 659

1 748

+ 6,4 %

Prix illicites, publicité fausse et infractions aux règles de la concurrence (101)

744

774

811

911

930

971

+ 30,5 %

Achats et vente sans factures (102)

309

341

289

205

163

192

– 37,8 %

Infractions à l’exercice d’une profession réglementée (103)

1 348

1 340

1 862

1 777

1 423

1 812

– 34,4 %

Infractions au droit de l’urbanisme et de la construction (104)

3 204

3 550

3 902

4 524

4 300

4 692

+ 46,4 %

Fraudes fiscales (105)

742

822

633

634

604

609

– 17,9 %

Autres délits économiques et financiers (106)

10 600

11 406

9 884

8 499

9 920

10 584

– 0,1 %

Soustotal 2

35 587

36 257

35 750

34 671

35 036

37 021

+ 4,0 %

Total

341 214

361 138

380 130

395 411

406 190

408 974

+ 19,8 %

Source : ministère de l’intérieur, SSMSI.

1.   Bien qu’en baisse, l’impact toujours massif des fraudes aux moyens de paiement

Les sources statistiques sont de trois ordres : les déclarations auprès des autorités, les enquêtes de victimation du ministère de l’intérieur, en net décalage, et les statistiques dressées par l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement créé par la loi Sapin 2, qui a succédé à l’Observatoire de la sécurité aux cartes bancaires, au périmètre plus étroit. Il n’existe donc pas de série sur l’ensemble des moyens de paiement avant cette date.

Les fraudes aux moyens de paiement, mesurées par les faits signalés, ont progressé de 19 % au cours des cinq dernières années. La hausse concerne principalement les falsifications et utilisations de carte bancaire, dont l’usage continue de s’étendre. Plus inattendue est celle liée aux chèques dont l’usage est, lui, en recul.

Évolution de la fraude aux moyens de paiement 2013‑2018

NOMBRE DE FAITS CONSTATÉS

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Variation 2018/2013

Falsifications et usages de cartes de crédit (90)

42 165

49 986

56 197

58 424

58 372

57 708

+ 37 %

Falsifications et usages de chèques volés (89)

60 130

67 220

69 795

73 764

75 011

70 120

+ 17 %

Infractions à la législation sur les chèques (92)

7 355

6 114

4 959

4 331

3 863

3 147

 57 %

Total

109 650

123 320

130 951

136 519

137 246

130 975

+ 19 %

Source : ministère de l’intérieur.

Si l’on se réfère aux montants de la fraude globale, elle a atteint en 2017 744 millions d’euros, un montant considérable, bien qu’en recul par rapport à 2016 où elle s’était montée à 798 millions, soit une baisse de 6,8 %.

La carte bancaire est le vecteur le plus courant de la fraude. Même si le montant moyen de l’escroquerie est faible et en diminution (84 euros en 2017), elle reste courante et c’est le nombre qui explique que le préjudice total se soit monté à 361 millions d’euros. Le chèque, à l’inverse, est de moins en moins utilisé mais le montant de la fraude correspondante augmente.

Fraude aux moyens de paiement

 

 

Montant total

(en millions d’euros)

Prévalence de la fraude
(1 euro fraudé pour X euros de transaction)

Montant moyen de la fraude
(en euros)

Carte bancaire

(émise en France)

2017

361

1 850 euros

84

2016

399

1 580 euros

95

Chèque

2017

296

3 500 euros

2 580

2016

272

4 050 euros

2 300

Virement

2017

78

300 000 euros

16 884

2016

86

275 000 euros

15 500

Prélèvement

2017

9

180 000 euros

340

2016

40

37 000 euros

34 000

TOTAL

2017

744

NS

NS

2016

798

a.   Une fraude à la carte bancaire élevée mais en recul

Par rapport à des pays comparables, la France se caractérise par la part toujours plus élevée de la carte bancaire dans les règlements scripturaux, et son succès auprès du public est sans doute imputable en grande partie à la protection élevée offerte au porteur. De fait, quand il est victime d’une fraude, celui‑ci est souvent dédommagé sans avoir à faire de démarche auprès de la police ou de la gendarmerie.

Depuis 2015, année record, le montant de la fraude à la carte bancaire s’inscrit en recul, à 361 millions d’euros pour l’année 2017, même si l’usage de ce moyen de paiement continue de s’étendre, grâce notamment au paiement sans contact. En 2017, la fraude était revenue à son niveau de 2007‑2008, alors que, dans l’intervalle, le flux de transactions a augmenté de 50 %. Malgré des dispositifs de sécurité de plus en plus perfectionnés, elle reste le vecteur principal de la fraude au moyen de paiement.

Montant de la fraude à la carte bancaire

(En millions d’euros)

Source : Observatoire de la sécurité des moyens de paiement.

La fraude est très réduite pour les paiements au point de vente (1 euro fraudé pour 12 500 euros de transactions), et elle se concentre sur les ventes à distance où elle atteint un euro pour 620 euros de paiement. La mise en place du paiement sans contact n’a apparemment pas suscité de fraude correspondante. En outre, la limitation à cinq paiements ([6]) consécutifs en une journée permettait de circonscrire le risque correspondant à 100 euros. Symétriquement, ce plafond était suffisamment bas pour dissuader une fraude qui aurait sans doute demandé des investissements importants.

L’enquête Cadre de vie et sécurité (CVS) de 2018 a été réalisée auprès des victimes des escroqueries à la carte bancaire ([7]). Même si le nombre de victimes s’est stabilisé en 2017, il a très fortement augmenté au cours de la période récente puisqu’il est passé de 851 000 en 2013 à 1 219 000 en 2017, ce qui correspond à une augmentation de 43,2 % en cinq ans, et à plus d’un doublement en dix ans (500 000 victimes recensées en 2010), qu’il faut rapporter au nombre de transactions qui a progressé de 50 % en une décennie. Le décalage, un écart de 1 à 10 environ, entre les faits constatés (de l’ordre de 128 000) et le nombre de victimes (plus de 1,2 million) laisse songeur.

Nombre annuel de ménages victimes de débit frauduleux sur leur compte bancaire et proportion de ménages victimes entre 2010 et 2017

Champ : ménages ordinaires de France métropolitaine.

Source : enquêtes Cadre de vie et sécurité 2011‑2018, Insee-ONDRP-SSMSI.

La fraude à la carte bancaire est un phénomène de grande ampleur, relativement bien toléré malgré sa prévalence parce que la charge en incombe presqu’entièrement aux émetteurs de carte bancaire (78 % en moyenne des victimes entre 2015 et 2017 ont été indemnisées pour la totalité du préjudice subi, ce qui explique que seulement 37 % d’entre elles se soient manifestées auprès de la police ou de la gendarmerie). Le montant total du préjudice justifie les investissements dans la sécurisation des opérations dont la facture est présentée in fine aux clients des banques, comme le souligne l’association UFC‑Que choisir dans le document qu’elle a envoyé aux rapporteurs.

Ce ne sont pas moins de 4,3 % des ménages bancarisés qui ont déclaré avoir été victimes d’escroqueries bancaires dans l’année, et plus d’un ménage sur dix (11 %) a subi plusieurs escroqueries bancaires distinctes au cours de l’année.

Plus des deux tiers des victimes (68 %) s’aperçoivent du préjudice, qui se présente dans 56 % des cas sous la forme d’un achat sur un site de commerce en ligne, en recevant ou en consultant leur relevé tandis que 24 % d’entre elles sont prévenues par leur banquier. En outre, 62 % des victimes déclarent ignorer de quelle façon les informations confidentielles ont été obtenues par les escrocs.

Compte tenu des modes opératoires, les victimes sont plutôt jeunes, actives (le taux de victimation annuel monte à 5,1 % dans cette population entre 2015 et 2017), et la proportion augmente avec le niveau de vie. Inversement, les personnes âgées de plus de 60 ans et les retraités sont moins touchés.

D’après les personnes interrogées qui ont accepté de répondre à l’enquête CVS 2018, le montant du (ou des) débit(s) observé(s) se ventilent de la façon suivante :

Source : SSMI – Enquête CVS 2018.

Un chiffrage sommaire, et volontairement minimaliste compte tenu de l’étendue de la dernière tranche ([8]), du préjudice moyen déclaré, de l’ordre de 400 euros, se situe à un niveau pratiquement quadruple de celui qui résulte de l’évaluation de l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement.

Par ailleurs, les infractions constatées sur les distributeurs de billets et les terminaux de paiement ont très fortement diminué. La technique la plus répandue consiste à connecter un ordinateur portable aux terminaux pour en récupérer les données ou injecter un virus. Ces résultats positifs sont à mettre au crédit de l’adoption de la norme EMV par plusieurs pays extra‑européens et par le renforcement des mesures de sécurité physique des terminaux.

Nombre d’infractions constatées
sur les distributeurs de billets et les terminaux de point de vente

(En unités)

Source : Observatoire de la sécurité des moyens de paiement.

À son initiative et pour répondre de façon circonstanciée aux rapporteurs, l’association UFC‑Que Choisir a analysé un échantillon de 410 litiges qu’elle a traités au cours des trois premiers trimestres de l’année 2018. Il ressort de cette étude que le montant individuel des fraudes est élevé, plus que la moyenne qui se dégage des chiffres nationaux. S’agissant de la fraude à la carte bancaire, UFC‑Que Choisir considère que les banques n’appliquent qu’imparfaitement les dispositions protectrices du code monétaire et financier. Si elle n’a à connaître que des cas où les clients n’ont pas obtenu satisfaction, son expérience mérite attention. Elle relève que trop souvent encore les établissements exigent un dépôt de plainte de la part des victimes ; elle conteste la pertinence de l’offre d’assurance complémentaire des moyens de paiement et déplore les délais et les modalités de remboursement.

L’association UFC‑Que Choisir a en outre dressé une typologie de la fraude au distributeur de billets. Elle relève que le vol par ruse est le plus fréquent (60 % de l’échantillon) ; les retraits frauduleux, sans dépossession de la carte bancaire, représentent un petit tiers des dossiers alors que les vols avec violence sont rares.

b.   Une hausse paradoxale de la fraude au chèque

Le chèque est le seul moyen de paiement où une progression de la fraude a été enregistrée en 2017. Bien que son utilisation régresse, le montant de la fraude correspondante augmente : elle est passée de 272 millions en 2016 à 296 millions en 2017, soit + 8,8 %. Cette année‑là, le chèque a représenté 40 % de la fraude, pour 8 % des transactions, contre respectivement 34 % et 9 % l’année précédente. Logiquement, le montant moyen du chèque frauduleux a augmenté de 2 300 euros à 2 580 euros.

Deux grandes techniques sont utilisées :

– la falsification des montants, par surcharge, gommage, grattage des mentions portées sur un chèque valide, pour 43 % des montants ;

– le vol de chéquiers soit directement auprès du titulaire, soit surtout dans les circuits de distribution, pour 44 % des montants.

2.   La diversification des escroqueries

a.   Les chiffres du ministère de l’intérieur

Les escroqueries et les abus de confiance, qui représentent 95 % de l’agrégat « escroqueries et infractions assimilées » si l’on enlève les fraudes aux moyens de paiement, ont augmenté de 24 % en cinq ans. La part des escroqueries et abus de confiance dans le total EIEF est de 90 % quelle que soit la zone de compétence, police ou gendarmerie, et la proportion est stable sur la période 2013‑2018. Autrement dit, le territoire est frappé de façon homogène en raison des modes opératoires, ce qui n’est pas le cas pour tous les types de délinquance.

ÉVOLUTION DES ESCROQUERIES HORS MOYENS DE PAIEMENT 2013‑2018

NOMBRE DE FAITS CONSTATÉS

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Variation 2018/2013

Faux en écriture publique et authentique (84)

2 085

1 530

1 100

865

878

873

- 58 %

Autres faux en écriture (85)

7 637

9 923

7 347

8 148

8 557

9 072

+ 19 %

Fausse monnaie (86)

1 723

2 170

3 062

2 599

2 410

1 847

+ 7 %

Escroqueries et abus de confiance (91)

184 532

187 938

201 920

212 609

222 063

229 186

+ 24 %

Total

195 977

201 561

213 429

224 221

233 908

240 978

+ 23 %

Source : ministère de l’intérieur.

b.   Les chiffres de l’enquête de victimation de 2018

L’enquête CVS 2018 a consacré pour la première fois un chapitre à ces escroqueries appelées familièrement « arnaques », un terme qui regroupe les fraudes et les escroqueries en dehors des débits frauduleux sur les comptes bancaires. Bien que moins nombreuses que celles de la fraude aux moyens de paiement, les victimes demeurent très nombreuses puisque, en 2017, 3,3 % des personnes âgées de quatorze ans ou plus déclarent avoir été victimes d’au moins une arnaque, ce qui correspond à 1 700 000 personnes. Parmi les personnes interrogées, 25 % reconnaissent avoir été victimes d’une arnaque et 7 % d’une tentative : pratiquement une personne sur trois. La même question a été posée, mais sans intervalle de temps, et l’extrapolation fournit le chiffre de 15 millions de victimes âgées de plus de quatorze ans.

La moitié des victimes de l’année 2017 estime leur préjudice supérieur ou égal à 60 euros, et les trois quarts d’entre elles se sont vu soutirer moins de 300 euros. Seule une arnaque sur dix est signalée aux forces de l’ordre (un peu plus, une sur sept, d’après les chiffres de la police). Les signalements sont suivis d’un dépôt de plainte dans 68 % des cas ; et, parmi eux, neuf sur dix sont toujours dans l’attente des suites de l’enquête, une proportion manifestement décourageante.

En 2017, les arnaques les plus courantes consistent à ne pas fournir les produits ou les services attendus (36 %), ou à les proposer avec une qualité ou des quantités non conformes (16 %) ou encore avec des frais supplémentaires (14 %). Il peut également s’agir d’un chantage ou d’un piège (par exemple : fausse demande d’aide, fausse romance, ou extorsion), auquel cas une relation personnelle s’amorce par l’intermédiaire de sites de rencontre par exemple, pour rendre possible l’escroquerie (14 %).

Parmi les autres enseignements de cette enquête, figurent les modes opératoires. Ainsi, quatre fois sur cinq, la victime n’a pas rencontré physiquement l’auteur de l’escroquerie et, dans plus de la moitié des escroqueries (51 %), le contact se fait par internet, ce qui est confirmé par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). En matière d’arnaque, celle‑ci estime que, pour une plainte, le nombre de victimes varie de 1 000 à 10 000.

3.   Les atteintes aux finances publiques et la lutte contre la fraude fiscale

Les fraudes fiscale et sociale sont les principales atteintes aux finances publiques. Selon les chiffres de la Délégation nationale de lutte contre la fraude, l’ensemble des montants de fraude détectée atteint 8,6 milliards d’euros en 2017 en matière fiscale et sociale. Concernant la fraude fiscale, les opérations de contrôle sur place ont permis d’identifier 6,45 milliards (de droits et pénalités) contre 4,9 milliards en 2016 (+ 31,43 % en un an).

Pour ce qui est des redressements douaniers réalisés dans le cadre de contrôles et d’enquêtes de nature administrative (droits et taxes redressés), ceux‑ci s’élèvent à 268,5 millions d’euros. L’implication de la DGDDI se matérialise également à travers les enquêtes judiciaires réalisées par le service national de douane judiciaire (SNDJ). En 2017, le préjudice aux finances publiques identifié par ce service porte sur un montant de 626 millions. À ces chiffres, doivent être ajoutés les redressements douaniers de nature administrative si bien que la fraude globale s’est élevée à 894,5 millions en 2017 contre 778,1 en 2016 (+ 14,95 % en un an).

Concernant la fraude sociale détectée dont le montant global s’élève à 1,29 milliard d’euros, l’évolution est la suivante : sur le volet fraude aux cotisations (droits et pénalités), le montant détecté s’élève à 589,7 millions en 2017 contre 601 en 2016 soit une légère baisse de 1,89 % ; sur le volet fraude aux prestations sociales la tendance est plutôt à la hausse : les fraudes relevées atteignent 700,8 millions en 2017 contre 663,5 l’année précédente (+ 5,6 %).

a.   La fraude fiscale, un serpent de mer

Les rapporteurs ont fait le choix de ne pas s’appesantir sur le sujet de la fraude fiscale d’autant que la question de son évaluation, très complexe, est traitée de façon détaillée dans le rapport de la mission d’information relative à l’évasion fiscale internationale des entreprises, publié le 12 septembre 2018. Y sont notamment exposées les méthodes directes, à partir de l’étude d’un échantillon aléatoire de contribuables ou de l’extrapolation du contrôle fiscal, et les méthodes indirectes qui croisent données fiscales et celles issues de la comptabilité nationale. Sont aussi soulignées les différences dans les définitions utilisées, dans les périmètres, qui aboutissent à des fourchettes d’évaluation extrêmement larges. Le tableau synthétisant les estimations est reproduit ci‑dessous.

SYNTHÈSE DES ÉTUDES MENTIONNÉES PORTANT
SUR LE CHIFFRAGE DES COMPORTEMENTS D’ÉVITEMENT DE L’IMPÔT

CPO : Conseil des prélèvements obligatoires.

SSFP : Solidaires Finances publiques.

Source : Assemblée nationale, rapport d’information n° 1236 de Mme Bénédicte Peyrol et M. Jean‑François Parigi.

Le rapport recommande d’ailleurs la mise en place d’un groupe d’experts « pour mettre au point une méthode dévaluation de la fraude et de lévasion fiscales faisant consensus, et systématiser lévaluation annuelle de ces comportements ». En attendant, il est impossible de faire mieux.

b.   La fraude à la TVA

La fraude à la TVA est, à bien des égards, emblématique. Cet impôt sur la consommation est la principale ressource de l’État puisqu’elle a rapporté en 2017 plus de 150 milliards d’euros. Frappant les achats des particuliers et les importations à l’entrée sur le territoire français, sa collecte repose généralement ([9]) sur le vendeur final qui reverse le produit de la taxe au Trésor ou aux douanes, selon qu’il s’agit d’une livraison intracommunautaire ou d’une importation.

La fraude à la TVA est ancienne, elle est apparue aussitôt l’impôt mis en place au début des années 1950, mais l’instauration du marché unique en 1993 a créé un véritable appel d’air auquel il est difficile de mettre un terme, malgré les efforts prodigués au niveau tant communautaire que national. L’augmentation du volume des importations intracommunautaires est aussi un facteur de fragilité, car la fraude est plus facile dans le cadre d’échanges communautaires.

Dans le rapport d’information précité de M. Parigi et Mme Peyrol, qui suggère par ailleurs que des travaux ultérieurs pourraient être menés sur le sujet, les chiffres de la fraude estimée étaient les suivants :

– Solidaires Finances publiques (2013) : 15 à 19 milliards d’euros ;

– Conseil des prélèvements obligatoires (2007) : 7,3 à 9 milliards d’euros, fourchette revalorisée en 2015 à 10,7‑16,6 milliards d’euros ([10]) ;

– la Commission européenne, partie prenante puisque la TVA représente 12 % des recettes du budget de l’Union, procède à une évaluation annuelle de l’écart TVA ([11]). Son dernier rapport ([12]), publié en septembre 2018, fait état de 147 milliards d’euros de pertes dans l’UE et de 20 milliards d’euros de pertes pour la France, un chiffre relativement stable depuis 2012.

Dans son dernier rapport d’analyse des risques ([13]), Tracfin souligne le « caractère toujours endémique des fraudes à la TVA, qui constituent un enjeu financier de premier ordre. […] Si les circuits de type carrousel ont été médiatisés et décrits à plusieurs reprises, ils ne constituent pas la seule typologie de fraude à la TVA. De nombreuses fraudes à la TVA sont mises en œuvre par des sociétés agissant seules, de manière autonome. Elles reposent sur des faux en écriture, et se conjuguent à dautres infractions (abus de biens sociaux, abus de confiance, banqueroute…) ».

Les principaux schémas de fraude

 Le carrousel de TVA :

La fraude « carrousel » est une fraude à la TVA, impliquant plusieurs entreprises d’une même chaîne commerciale généralement établies dans au moins deux États membres de l’Union européenne. Cette fraude consiste à obtenir, de façon abusive, la déduction ou le remboursement de la TVA afférente à une livraison de biens, qui n’est pas toujours réalisée, alors que la taxe n’a pas été reversée au Trésor par le fournisseur. Outre que les finances publiques sont pénalisées, les règles de la concurrence sont également faussées par une diminution artificielle des prix.

Schéma simplifié dun carrousel de TVA

Source : DGFiP.

Une entreprise (1) située dans un État membre autre que la France vend des marchandises à une entreprise (2) établie en France (il s’agit en l’occurrence d’une livraison intracommunautaire de 100 000 euros hors taxe, exonérée dans l’autre État membre), laquelle revend pour 83 612 euros HT les marchandises à l’un de ses clients (3), également établi en France, à qui la taxe est facturée, sans avoir été ni déclarée ni acquittée par le revendeur (2). Le client final (3) demande alors le remboursement de la taxe qui lui a été facturée par 2 et revend les marchandises éventuellement à lentreprise (1) en exonération de TVA (livraison intracommunautaire) ou à un autre client établi en France. En pratique, plusieurs entreprises écran peuvent s’intercaler entre les entreprises (2) et (3) afin de masquer leurs relations.

La fraude repose sur le non‑reversement à l’État de la TVA par celui qui l’a collectée (entreprise 2 ou société taxi ou missing trader) et qui dans la majorité des cas disparaît, rendant difficile ou impossible le recouvrement de cette taxe, alors que le client (entreprise 3) la déduit ou en demande le remboursement.

Il arrive que de véritables circuits se mettent en place, impliquant plusieurs entreprises installées dans divers pays – l’interposition de sociétés écran ou buffers brouillant les pistes, dans l’Union ou en dehors : les facturations réciproques s’enchaînent, dans le but de créer des droits à déduction, qui serviront à réamorcer la pompe ([14]).C’est de ce type d’escroquerie que relevait la fraude aux quotas carbone qui a coûté aux finances publiques françaises 1,6 milliard d’euros, d’après les estimations de la Cour des comptes.

En l’absence de carrousel, l’entreprise déductrice, véritable bénéficiaire du mécanisme puisqu’elle a généré un profit artificiel, peut « casser les prix » pour tuer la concurrence et déstabiliser le marché, en particulier si les marges sont faibles.

 Le régime 42, qui autorise les marchandises à circuler au sein de l’Union en suspension du régime de TVA, dans l’attente de l’arrivée dans le pays de destination où l’impôt sera acquitté. Soit la marchandise reste dans le pays membre par lequel elle est entrée, soit elle est acheminée dans un autre pays membre, soit, enfin, elle est expédiée vers une destination autre que celle qui avait été déclarée, sans que, dans chacun des trois cas, la TVA ne soit acquittée. La Cour des comptes, dans un rapport de janvier 2015 ([15]), destiné au CEC, concluait que la France était particulièrement vulnérable à la fraude au régime 42.

 La revente de véhicules doccasion, en fait des véhicules quasiment neufs, car, dans ce cas, seule la marge du revendeur étant assujettie à la TVA, la TVA ayant été en principe déjà acquittée lors de la vente des véhicules neuf

 Les fausses factures qui créent artificiellement de la TVA déductible ([16])

 Les ventes sans facture

La Commission relève dans son rapport annuel que l’écart de la France est stable, avec une légère tendance à la dégradation. Le système actuel, qui repose sur des déclarations d’échange de biens ([17]) et sur les déclarations des prestations informatiques sur le mini‑guichet ([18]), ne donne pas satisfaction dans la mesure où il ne laisse pas suffisamment de temps à l’administration pour intervenir précocement.

L’écart TVA de la France

Gap : écart TVA entre les ressources collectées (revenues) et la TVA théorique calculée d’après la valeur ajoutée issue de la comptabilité nationale à laquelle est appliqué le taux moyen de TVA (VAT Total Tax Liability).

Source : Study and Reports on the VAT Gap in the EU 28 Member States, 2018 Final Report.

4.   Les atteintes à la probité et le cas de la corruption d’agent public étranger

a.   Les atteintes à la probité

Paradoxalement, les atteintes à la probité ne sont pas recensées dans la délinquance financière retracée par l’agrégat EIEF. Elles recouvrent pourtant des infractions de corruption nationale ou internationale, de trafic d’influence, de détournement de fonds publics, et de favoritisme des marchés publics, à forte, parfois très forte, incidence financière. Cette exclusion se justifie sans doute du fait que les forces de police et de gendarmerie reçoivent peu de plaintes dans ce domaine : le procureur est informé directement par le biais de signalement ou dépôt de plainte. Chaque année, Tracfin transmet aux autres administrations entre quarante et cinquante dossiers directement liés à des soupçons de manquements au devoir de probité, dont près de la moitié a concerné en 2017 des personnes politiquement exposées étrangères, ou leur entourage, qui sont soupçonnées de s’être livrées à des détournements de fonds publics dans leur pays, puis d’en avoir investi le produit en France. La sensibilité du public s’est aiguisée au fil du temps, avec l’impératif de mieux gérer les deniers publics et la dimension médiatique de certains dossiers.

Tracfin a exposé, dans son analyse annuelle des risques de blanchiment de capitaux de l’année 2015, plusieurs cas d’atteinte à la probité sur le territoire. Il s’agissait, d’une part, d’une prise illégale d’intérêt de la part d’un élu local se faisant rémunérer pour une mission de conseil dans le cadre de l’implantation d’une maison de retraite dans la commune ; d’autre part, d’abus de confiance dans des associations recevant des subventions publiques, qui profitaient in fine aux responsables, parmi lesquels se comptaient un élu et un fonctionnaire territorial. En 2017, la cellule de renseignement financier (CRF) déplore que ne figurent pas parmi les personnes politiquement exposées (PPE) – soumises à une surveillance particulière de la part des professions assujetties, et énumérées à l’article R. 561‑18 du CMF ([19]) – les responsables exécutifs de collectivités locales (pas même les plus importantes d’entre elles) ou les présidents de sociétés d’économie mixte, qui présentent des risques compte tenu de leur rôle dans le vote des budgets et l’attribution de marchés publics. Ils sont seulement tenus à une déclaration de patrimoine et d’intérêt auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique au début de leur entrée en fonction.

Sur la période 2012‑2016, le nombre d’affaires est en hausse, dans des proportions comparables à celles des autres formes de délinquance financière puisque le taux de progression est de 22,2 %.

Affaires de manquements à la probité reçues par les parquets

 

2012

2013

2014

2015

2016

Variation

2016/2012

Affaires orientées

620

658

726

773

758

+ 22,2 %

Personnes orientées

940

1 037

1 038

1 114

1 101

+ 17,1 %

Personnes poursuivables

495

502

432

434

475

–  4,1 %

Personnes poursuivies

462

473

402

386

429

–  7,1 %

Source : DACG, ministère de la justice.

Le taux de personnes poursuivies, parmi les personnes qui peuvent l’être, oscille sur la période entre 90 % et 95 %, ce qui est une proportion particulièrement élevée.

Parmi les chefs d’inculpation, la corruption est la plus courante (un peu moins de 40 %), suivie du détournement de fonds publics (27,8 %) et de la prise illégale d’intérêt (pour plus d’un quart des mises en cause). Le trafic d’influence explique le reliquat.

Sur les 1 101 personnes prises en charge par la justice en 2016, 215 étaient des personnes morales, soit près de 20 % des affaires orientées. En revanche, elles ne sont que rarement poursuivables (20 %), contre plus de la moitié pour les personnes physiques.

Focus sur le traitement des manquements au devoir de probité

Les dossiers les plus complexes de manquement au devoir de probité sont naturellement confiés aux juridictions financières spécialisées, en revanche, les infractions qu’ils recouvrent n’entrent pas dans le champ statistique des EIEF.

Les infractions de concussion (art. 432‑10 CP), corruption, trafic d’influence (art. 432‑11 CP), prise illégale d’intérêt (art. 432‑12 à 432‑13 CP), atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics (art. 432‑14 CP) et soustraction et détournement de biens (art. 432‑15 à 432‑16 CP) sont représentées dans le suivi statistique par 54 natures d’infractions (Natinf). Elles sont recensées dans les quatre principaux index suivants (données institutionnelles 4001) :

– index 107 « autres délits » : 52 %

– index 44 « recels » : 39 %

– index 106 « autres délits économiques et financiers » : 6 %

– index 104 « infractions au droit de l’urbanisme et de la construction » : 2 %

Seuls les deux derniers index (104 et 106) entrent dans l’agrégat « EIEF ».

430 enquêtes sur des manquements au devoir de probité par personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ont été recensées en 2018 au niveau national (+ 29 % sur un an).

La gendarmerie a été saisie dans 51 % des cas (221 procédures).

Les condamnations pour atteinte à la probité marquent un reflux après avoir enregistré un pic en 2011. En 2016, le nombre d’infractions était le même qu’en 2013. La corruption reste l’infraction la plus courante, représentant une proportion comprise entre un tiers en 2007 et 47,5 % en 2013 ; elle atteignait 41 % en 2016.

Condamnations pour manquement à la probité

* 2016 : données provisoires.

Source : Casier judiciaire nationale – Traitement DACG-PEPP.

b.   La corruption d’agent public étranger

Une des évolutions marquantes, concernant les atteintes à la probité, réside dans l’accélération des procédures fondées sur la corruption d’agent public étranger, autorisant les poursuites en France à l’encontre d’entreprises françaises au titre de leurs contrats internationaux. La législation française a évolué sous la pression internationale, provenant des ONG et d’institutions telles que l’OCDE, mais surtout de la justice américaine.

Le corpus législatif s’est bâti à partir des années 2000 :

– la première loi n° 2000‑595 du 30 juin 2000 relative à la lutte contre la corruption résulte de la transposition des engagements de la France découlant de la convention du 26 mai 1997 relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l’Union européenne et de la convention du 17 décembre 1997 relative à la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, adoptée dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

– la seconde étape marquante a été la loi n° 2007‑1598 du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption qui transpose les obligations contractées au titre de la convention pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption du 27 janvier 1999 et de son protocole additionnel du 15 mai 2003 ainsi que de la convention des Nations unies contre la corruption, adoptée le 31 octobre 2003 à New York (dite convention de « Mérida »).

– la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin 2, constitue la dernière pierre : elle introduit en droit français un dispositif innovant de transaction pénale, recommandé de longue date par les ONG pour mettre fin à l’impunité des entreprises françaises impliquées dans la corruption d’agents publics étrangers, et particulièrement vulnérables compte tenu de leur positionnement traditionnel sur les marchés de génie civil, de traitement des eaux ou d’armement. D’autres mesures significatives concernent la prévention de la corruption : création de l’Agence française anticorruption (AFA) et mise en place d’un registre des représentants d’intérêt tenu par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

L’action déterminée du Department of Justice, et dans une moindre mesure du Serious Fraud Office britannique, a opéré comme un aiguillon redoutable en matière de corruption internationale. La loi américaine autorise en effet la poursuite de toute entreprise dont le comportement altère les conditions de concurrence sur les marchés internationaux. Les autorités américaines n’hésitent pas à faire de cet instrument juridique une arme économique ([20]) et de grandes entreprises françaises ont dû s’acquitter d’amendes astronomiques pour rester présentes aux États‑Unis. À cet égard, la loi Sapin 2 ne fait que rapprocher le droit français du droit des pays les plus influents économiquement.

Il a donc été nécessaire de monter un dispositif comparable en droit français, et c’est l’Agence française anticorruption (cf. infra) qui en est la clef de voûte. Pour elle, l’enjeu est double.

D’une part, elle doit trouver sa place dans le jeu international et prouver à ses homologues qu’elle ne fait preuve d’aucune complaisance, de façon à éviter qu’ils ne poursuivent eux‑mêmes car l’un des prétextes mis en avant par les autorités américaines est la passivité des autorités françaises en la matière. L’Agence entend se positionner sur une ligne défensive, c’est‑à‑dire ne pas faire entrave aux poursuites américaines, la plupart du temps légitimes dans leur fondement, mais limiter les dégâts en encourageant les entreprises à se tourner vers elle, à admettre leurs torts et à privilégier une amende payée au Trésor français.

D’autre part, l’Agence doit convaincre les entreprises françaises. Devant les juridictions américaines qui sont extrêmement sévères, elles transigent et acceptent de payer des amendes parfois exorbitantes. Souvent, elles n’informent même pas les autorités françaises se privant ainsi du droit de blocage ([21]). La loi interdit de solliciter ou d’obtenir des informations jugées sensibles, et pourrait être opposée aux services d’enquête américains. Si elle était appliquée par la France, les entreprises pourraient refuser, face aux autorités américaines, d’agir de manière à entraîner des sanctions dans leur pays. Néanmoins, les autorités américaines, et même britanniques, n’en font aucun cas car elles considèrent que la loi de blocage n’est pas appliquée. L’AFA essaye de reprendre la main sur ces questions. Elle a rencontré tous les services de renseignement en leur disant qu’il serait bon qu’ils communiquent avec elle.

L’AFA préconise une démarche plus offensive de la justice française consistant à enquêter sur les pratiques des entreprises étrangères installées en France.

C.   DES PRATIQUES FRAUDULEUSES DE PLUS EN PLUS SOPHISTIQUÉES ET REPOSANT LARGEMENT SUR LE NUMÉRIQUE

Des centaines de millions d’euros, voire des milliards, dérobés et blanchis, des victimes innombrables, tel est le constat. Mais de quels stratagèmes les escrocs usent‑ils pour parvenir à leurs fins ? Ils rivalisent d’ingéniosité pour tromper leurs proies ; leur agilité à exploiter les failles dans les législations nationales qu’ils connaissent sur le bout des doigts, et leur maîtrise des nouvelles technologies leur donnent souvent, mais pas toujours, une longueur d’avance sur leurs poursuivants. Les auditions ont été l’occasion d’un passage en revue des affaires qui font le quotidien des services de police et de justice, et elles font ressortir plusieurs caractéristiques, parfois à l’opposé les unes des autres, d’une délinquance en perpétuel renouvellement.

À chaque extrémité du spectre, la délinquance financière repose sur une exploitation judicieuse et massive des nouvelles technologies ; les innovations servent de support à de nouvelles formes d’escroquerie qui organisent, à partir de l’actualisation de schémas classiques, à la fois des « casses » spectaculaires et des rapines à grande échelle qui ont en commun d’être silencieux. Enfin, les acteurs du blanchiment trouvent des alliés chez les nouveaux prestataires de services de paiement dont les clients (re)gagnent un anonymat bien souvent gage d’impunité.

1.   Un renouvellement technologique permanent

Internet offre aux escrocs un terrain de chasse idéal, pratiquement sans limite, sur lequel ils entrent anonymement dans l’intimité de chacun, sans violence et sans effraction. Le panorama des arnaques en tous genres peut se classer en trois grandes catégories, dont les frontières sont parfois floues, et qui se recoupent.

a.   Le miroir aux alouettes

La première technique est classique : elle consiste à appâter l’internaute ou le correspondant téléphonique et à le tromper, en lui présentant un « miroir aux alouettes » avec lequel il se piège lui‑même, de façon active ou passive.

De façon active, quand des sites commerciaux illégaux (ils ne sont pas agréés par l’AMF) font de la publicité pour des produits financiers extrêmement risqués (options binaires sur le Forex, ou marché des changes, terres rares, placement en diamants, cryptoactifs depuis l’envolée des cours en 2017), surtout en cette période où les taux d’intérêt offerts par les produits classiques peinent à maintenir le capital en euros constants.

Les escroqueries aux sites non régulés de trading d’options binaires principalement sur le marché des changes et dont le mécanisme est détaillé dans le rapport d’analyse des risques de Tracfin pour l’année 2015 sont emblématiques. Leur préjudice en France était estimé à la fin de l’année 2015 par les services judiciaires spécialisés à plus de 200 millions d’euros et les victimes se compteraient par milliers. À l’échelle mondiale, les revenus annuels dépasseraient le milliard de dollars. Pour ce qui est de la France, Tracfin estime, pour chaque site, le préjudice compris entre 200 000 et 3 millions d’euros.

Les escrocs achètent ou créent des sites de trading par internet, qui proposent des placements sur des produits de marché. Pour investir, il suffit de se connecter sur une plateforme et de miser sur une prédiction d’évolution de cours d’un actif, le plus souvent une devise, dans un intervalle de temps très court (quelques minutes). Si le client prédit correctement, il fait un bénéfice d’un certain pourcentage, et s’il se trompe, il perd sa mise au profit de la société qui fait office de contrepartie. Contrairement à d’autres types de contrats d’options, les options binaires présentent un risque très élevé car elles forment des propositions de type « tout ou rien » et l’intervalle de temps est trop court pour que la fluctuation des cours reflète un raisonnement économique sous‑jacent ; aucun financier ne s’y aventurerait. La transaction n’est rien d’autre qu’un pari. D’après l’AMF, sur les plateformes autorisées, 90 % des clients sont perdants ; sur les plateformes non autorisées, 100 %.

Les auteurs de ces escroqueries ouvrent des centres d’appel où ils emploient du personnel formé à démarcher les particuliers de manière offensive. Les premiers placements se révèlent en général positifs pour mettre le client en confiance. Puis viennent les premières pertes. Les opérateurs téléphoniques appellent alors le client pour le convaincre de continuer à investir afin d’effacer ses pertes. Dans les faits, sa situation ne s’améliore pas.

Les clients n’ont jamais été informés des risques particulièrement élevés des produits financiers qui leur ont été proposés. De plus, sur de nombreux sites, le jeu est faussé. Le paiement potentiel pour une prédiction correcte est calculé pour minimiser les pertes de la société qui commercialise les produits. Si un actif se comporte de manière trop prévisible, il est retiré de la vente.

Il est en pratique impossible aux clients de retirer leur argent ; pour ne pas payer, les entreprises réclament toujours des documents ou des pièces justificatives jusqu’à ce que les appels des clients ne soient même plus pris et leur compte fermé, sans que ceux‑ci aient récupéré leurs fonds.

Il existerait plusieurs centaines de compagnies de ce type. Beaucoup ne sont pas régulées par des autorités de marché. Certaines sont immatriculées dans des juridictions de l’Union européenne où la régulation est particulièrement faible, mais qui leur donne le droit de vendre leurs produits dans tous les pays de l’Union européenne, selon le régime de la libre prestation de service. La réaction des autorités se concentre désormais sur le blocage des sites décidé par le tribunal et les poursuites, quand elles sont possibles, pour pratique commerciale trompeuse.

Dans son dernier rapport d’analyse, Tracfin observe même une seconde vague qui a vu les escrocs reprendre contact avec leurs victimes, en se faisant passer pour des conseils ou des avocats qui se chargeraient de recouvrer les fonds, moyennant des commissions. Quant aux investisseurs en diamants qui seraient prétendument placés dans des zones franches, une TVA de 20 % leur a été réclamée, conséquence d’une pseudo-directive européenne !

Cet exemple montre le professionnalisme et le caractère très organisé de ces fraudes. Toutefois, il y a aussi, dans les deux cas, de faux sites qui ne vendent rien et se contentent de soutirer de l’argent à leurs « clients ».

Bien que les enjeux financiers soient moindres au niveau individuel pour les victimes, la DGCCRF a souhaité mettre en avant d’autres arnaques de grande ampleur, dénommées « pièges à la souscription », qui se révèlent extrêmement lucratives parce que, d’une part, les très nombreuses victimes ne sont pas prises en charge par des autorités occupées ailleurs qui, dans le meilleur des cas, font preuve d’une écoute indulgente, mais guère plus, devant tant de crédulité (supposée) ; d’autre part, parce que ces escroqueries se caractérisent par leur sophistication et leur professionnalisme. Le montant du préjudice, largement inconnu, se chiffre en centaines de millions d’euros.

Il s’agit, à partir d’une prise de contact en ligne, d’amener les consommateurs à souscrire des abonnements ou à effectuer des paiements sans qu’ils en aient conscience. L’appât est le plus souvent constitué d’offres au contenu très alléchant pour le consommateur (smartphone à un euro, faux bons d’achat/cadeau, chaussures à prix réduits) ; il peut aussi concerner l’offre de divers services dont le caractère parfois délicat contribue à une faible victimologie (essai de produits cosmétiques/produits minceur/produits miracle, formalités administratives facilitées, sites de rencontres, sites de pornographie, sites de voyance…).

Au prétexte d’une participation symbolique aux frais (de un à cinq euros), les cibles communiquent les coordonnées de leur carte bancaire qui sont ensuite utilisées pour un ou plusieurs paiements différés. Ce paiement scelle généralement un prétendu contrat d’abonnement qui constitue en réalité la véritable intention commerciale du professionnel et conditionne la rentabilité du piège.

Le phénomène observé constitue de façon plus structurelle une manifestation d’une nouvelle forme de criminalité courante, très rentable et qui bénéficie d’une large impunité parce qu’elle échappe aux différentes autorités en charge de l’ordre public.

Diverses raisons peuvent expliquer cette large impunité :

– de très nombreuses victimes réparties sur tout le territoire (des centaines de milliers) ;

– un préjudice individuel faible (de un euro, à cinquante/cent euros) ;

– un taux de plainte très faible (les victimes n’osent pas porter plainte par peur d’exposer leur crédulité, ne savent pas où, ni comment, porter plainte, se font rejeter par des services qui considèrent qu’il s’agit de préjudices commerciaux individuels) ;

– le service après‑vente très étudié des escrocs (mentions « marchandes » sous la ligne de flottaison, plateformes de résiliation en ligne – sur la base du libellé du prélèvement, centres d’appel au Maghreb…) permet de contenir la colère des victimes et les risques de médiatisation liés à son expression ;

– il s’agit d’arnaques internet à dimension internationale à base de paiements dématérialisés qui requièrent des équipes d’enquête spécialisées ;

– les principaux services de police judiciaire « cyber » sont accaparés par des formes de criminalité plus graves et immédiates ;

– les services de police généralistes peuvent ne pas percevoir les artifices utilisés pour masquer la réalité de l’offre commerciale et disqualifient les plaintes des personnes jugées insuffisamment attentives ;

– pour autant que la plainte soit jugée fondée, le faible préjudice individuel ne permet pas de justifier une mise en enquête par le parquet et le dossier est renvoyé comme « litige commercial ».

Le tableau ci‑dessous détaille les escroqueries que la DGCCRF a pu faire sanctionner.

Principales escroqueries à la souscription détectées par la DGCCRF

Raison sociale

Domiciliation PM/PP(*)

Appât

Abonnement/ piège

CA infractionnel

Prédation pure/
pour partie

Nombre de victimes

Préjudice individuel

Saisies

pénales

Société A

UK/F

iPhone à 1 €

conciergerie

8 M€

66 000

121 €

465 K€ France

311 K€ Espagne

Société B

Espagne

Chaussures à
– 60 %

Cagnotage forcé

1,1 M€

11 000

100 €

1,8 M€

Société C

UK/Spain

Produits techno à 4,99€

Streaming

2,1 M€

27 000

77 €

Appart Bordeaux

180 K€

Société D

NL, UK/ UK, F

Documents administratifs

Assistance administrative

100 M€

>150 000

193 €

Saisie pénales prévues

Société E

IRL/F

Documents administratifs

Assistance administrative

2,3 M€

56 000

41 €

Comptes étrangers saisis en CRI

Société F

F

Pilules minceur + 1 mois coaching gratuit

Coaching

1,73 M€

19 000

91 €

1,8 M€

Société G

Malte/Belgique, Monaco, F

Documents administratifs

Assistance administrative

13 M€

>67 000

194 €

Saisie pénale en cours

(*) PM = personne morale. PP = personne physique.

Source : DGCCRF.

De façon passive aussi, avec la multiplication des faux sites administratifs.

Les particuliers cherchent à renouveler leurs papiers d’identité, obtenir la carte grise de leur nouveau véhicule et se connectent sur un site, généralement bien référencé par les moteurs de recherche. Le préjudice individuel n’est pas énorme, mais les victimes sont nombreuses.

De cette catégorie relèvent aussi les fraudes aux numéros surtaxés, qui se dissimulent derrière l’appellation officielle de services à valeur ajoutée (SVA), et sur lesquelles la DGCCRF enquête, là aussi, en raison de l’importance du phénomène.

Ces pratiques commerciales déloyales consistent, dans un premier temps, à démarcher le consommateur par courriel ou sur son téléphone (SMS, message vocal). Un message contenant de fausses informations ou de faux noms de sociétés est alors laissé à la personne appelée la conduisant ensuite à composer un numéro payant dit « surtaxé ». Pensant que le message est authentique, la victime appelle ledit numéro et peut parfois rester en ligne plusieurs minutes avant de comprendre qu’il s’agit en fait d’une arnaque et de raccrocher.

Le caractère de plus en plus sophistiqué de ces fraudes rend les investigations complexes : localisation des escrocs en dehors de l’Union européenne, multiplication des numéros surtaxés et des sociétés afin de noyer les services d’enquête sous des informations multiples, succession de professionnels œuvrant en cascade, masquage du numéro qui émet le premier appel, rotation rapide des numéros surtaxés (quelques minutes).

Tous ces délinquants se rémunèrent sur le prix des appels passés par les consommateurs et génèrent un chiffre d’affaires annuel de plusieurs dizaines de millions d’euros par an. Le préjudice individuel est faible (quelques dizaines d’euros), il est en revanche multiplié par le volume de victimes qui se comptent en millions. Dans un dossier de 2016, le service national des enquêtes (SNE) de la DGCCRF a constaté que 3 millions d’euros ont été reversés à un opérateur tunisien. Dans un autre dossier, ce sont 1,2 million d’euros qui ont été encaissés illégalement par un opérateur ayant élaboré une fraude destinée à faire croire aux consommateurs qu’un colis est en instance dans leur bureau de Poste et qu’il leur faut appeler un numéro (surtaxé) pour programmer une livraison.

b.   « Hameçonnage » et captation des données

Les escrocs cherchent à se procurer les données, bancaires dans la plupart des cas mais pas toujours, des victimes. La gamme des possibilités est très étendue, la fraude « au président » ou « faux ordre de virement » étant la plus importante et l’une des plus persistantes.

Cette escroquerie de grande ampleur a fait beaucoup parler d’elle, et, si elle est de moindre envergure aujourd’hui, elle continue de faire des victimes car elle s’est sophistiquée au fil du temps.

Apparues en 2010, les escroqueries aux ordres de virement ont enregistré leur pic en 2013‑2014, mais elles se maintiennent à un niveau élevé. Il n’existe pas de profil type de la victime, chacun peut être frappé, des entreprises de toute taille de même que des collectivités publiques (hôpitaux, départements), et même des particuliers. Au départ, les escrocs opéraient par téléphone en se faisant passer pour le président ou le directeur général et demandaient le virement de sommes importantes sous couvert d’une opération urgente ou confidentielle. En utilisant des cartes téléphoniques prépayées ou en passant par l’intermédiaire de plateformes téléphoniques, les numéros de l’expéditeur s’affichant sur le téléphone du destinataire correspondaient à une localisation géographique proche.

Le hacking, ou piratage des données, a permis ensuite de sophistiquer la technique : les escrocs ont accédé aux organigrammes détaillés, aux courriers à en‑tête, aux documents comptables et aux coordonnées bancaires des fournisseurs. L’escroc prétexte alors un changement de coordonnées bancaires du fournisseur pour réclamer un virement en urgence qui finira, naturellement, sur ses propres comptes. Le hacking permet également, après envoi d’un lien relié à un logiciel espion, d’inviter les victimes à se connecter à leur portail bancaire, pour leur subtiliser leurs identifiants et codes d’accès internet, qui serviront aux escrocs à établir des ordres de paiement à leur propre profit.

Selon Tracfin, le préjudice global était estimé fin 2015 à environ 500 millions d’euros pour plus de 1 550 victimes, les tentatives représentant plus de 860 millions d’euros. Dès 2015, Tracfin a repéré une réorientation des escroqueries FOVI sur des entités de plus petite dimension (les cibles sont plus petites et plus diversifiées, en particulier des PME et les comptables publics d’établissements de santé). Bien que les statistiques de la police judiciaire fassent état d’un tassement du phénomène des FOVI depuis quatre ans (près de 900 faits commis ou tentés lors du pic de 2014, contre 640 en 2016 et 430 en 2017), Tracfin ne constate pas de diminution sensible et reçoit depuis 2014 entre 70 et 120 signalements par an. Le préjudice cumulé évoqué par la directrice de l’OCRGDF était de 700 millions, pour des tentatives se montant à 1,3 milliard.

Citons aussi, pour mémoire, la fraude un peu fruste au regard de ce qui vient d’être décrit, mais efficace, consistant sous prétexte d’alerte de la part de la banque ou de la police, à soutirer les coordonnées bancaires. L’opération, plus rare aujourd’hui grâce aux mesures de sécurité prises par les établissements bancaires, peut aussi se faire à partir des distributeurs, les professionnels distinguant le skimming qui consiste à installer sur les appareils un dispositif qui recueille le numéro de la carte et le code confidentiel quand le client le compose, et le jackpotting qui consiste à pirater les données du distributeur à partir d’un ordinateur portable. Comme ces préjudices sont couverts par les assurances, ce sont principalement les établissements distributeurs de moyens de paiement qui assurent la prévention.

c.   Les nouveaux produits

Chaque innovation technologique ou économique suscite l’imagination des escrocs, comme l’atteste la gigantesque escroquerie sur les quotas carbone, dont les auteurs ont réussi à soustraire 1,6 milliard d’euros à l’État français, en recyclant le schéma du carrousel de TVA aussi ancien que l’impôt lui‑même.

En matière de technologie, ce sont les cryptomonnaies qui ont attiré l’attention et les certificats d’économie d’énergie qui sont le dernier avatar du marché en tant qu’instrument de politique économique.

Les cryptomonnaies intriguent ; elles suscitent aussi des débats très vifs. Le terme est volontairement accrocheur. La monnaie, l’argent suscitent curiosité, intérêt, convoitise. En plus, « crypto » veut dire « caché ». Alors, que cachent‑elles au juste ? Une mission d’information s’est employée à y répondre : le titre du rapport se termine par un point d’interrogation ([22]), reflet des potentialités équivoques de l’objet analysé. Le terme de « monnaie virtuelle » est d’ailleurs trop restrictif, car il met exclusivement l’accent sur un seul des usages de cette technologie. Or ils sont multiples même si le crypto-actif le plus célèbre, le bitcoin, a été conçu dès l’origine pour devenir un instrument de règlement et s’il a aussitôt servi des projets criminels. « Bitcoin a immédiatement été perçu comme un outil de libération qui permettrait aux criminels de camoufler leurs traces et déchapper aux autorités compétentes » ([23]). Un paradoxe pour une technologie inviolable et infalsifiable.

Une seule technologie, plusieurs usages

Une technologie : la chaîne de bloc, traduction littérale de block chain. Cette expression désigne un programme informatique d’enregistrement et de stockage de données ayant pour caractéristique de ne pouvoir fonctionner qu’en réseau. Chaque transaction initiée par l’un des membres du réseau doit être validée par de nombreux autres. Ce réseau fonctionne de façon très souple dans la mesure où il est accessible de n’importe quel terminal par le biais d’un identifiant public. En revanche, l’intervention sur le programme n’est possible que par le biais d’un mot de passe proprement individuel. L’enregistrement sera ensuite validé collectivement et lisible à condition d’utiliser un identifiant, distinct de celui utilisé pour l’enregistrement. On parle de chiffrement asymétrique.

Par rapport à d’autres programmes, la block chain présente des avancées indiscutables. Premièrement, elle fonctionne de façon décentralisée si bien qu’elle n’est à la merci ni d’un opérateur central, dénommé habituellement « tiers de confiance », qui gérerait le système, y exercerait un contrôle ou qui pourrait être vulnérable, ni d’une attaque puisque toute anomalie serait aussitôt décelée par comparaison avec le registre dupliqué chez les autres membres du réseau. Deuxièmement, les transactions stockées sont inviolables et infalsifiables. Elles sont enregistrées une fois pour toutes, ce qui confère au système une fiabilité incomparable. En fait, le seul risque réside dans une action concertée entre membres du réseau pour prendre le pouvoir. Pour parer à cette éventualité, l’accès au réseau n’est accordé qu’après avoir apporté une preuve de travail, c’est-à-dire mobilisé une capacité de calcul déterminée de sorte qu’une attaque massive soit matériellement impossible ou que son prix exorbitant soit véritablement dissuasif. La contrepartie, et elle est de taille, est la quantité d’énergie et les capacités de stockage considérables requises par cette technologie qui ne vaut par ailleurs que si le réseau sur lequel elle s’appuie atteint une taille critique.

Les origines de la block chain remontent aux début des années 1990, quand des informaticiens talentueux ont voulu utiliser les potentialités des nouvelles technologies pour instaurer une société plus libre et plus décentralisée, échappant à l’emprise des autorités et des multinationales. Au départ, leur objectif était surtout de garder leur indépendance vis‑à‑vis des institutions et de préserver le caractère privé des informations échangées avec leurs pairs. Le Manifeste de la crypto-anarchie a été rédigé en 1989 et ce n’est que par la suite que des libertariens se sont emparés de l’idée de concevoir un système de paiement qui sera finalement mis au point avec le lancement du bitcoin en 2008 par Satoshi Nakamoto, en perfectionnant les versions antérieures de monnaie virtuelle, telle que le DigiCash ou le BitGold.

Les utilisations de la block chain :

Outre son usage en tant que monnaie, voulu par ses promoteurs, la block chain a déjà été utilisée par les établissements financiers, au sein d’un réseau fermé, qui étudient comment transférer des fonds sans passer par des intermédiaires et payer des commissions. Elle a aussi servi à établir le cadastre au Ghana, et pourrait se révéler très utiles pour enregistrer les transactions immobilières, par exemple, ou encore gérer des droits de propriété en permettant la circulation de certificats, des « tokens » ou encore jetons, d’un bout à l’autre de la planète sans avoir à les dupliquer.

Les jetons, ou « tokens », sont devenus des actifs numériques, porteurs de droits, et ont acquis ainsi une fonction d’actif dont la circulation repose sur un circuit analogue à celui des cryptomonnaies. Ils peuvent donc être utilisés comme elles en tant que moyen de règlement ou réserve de valeur, mais aussi en tant que moyen d’accès aux fonctionnalités offertes par la blockchain.

Les différentes fonctions du token :

– le token applicatif qui permet d’utiliser une application donnée sur la blockchain, par exemple un service de stockage décentralisé de données ;

– le token de participation qui permet à son détenteur de voter ou de participer à la gouvernance d’une application par exemple les choix d’investissement d’un fonds participatif ;

– le token de réputation sert à déterminer la fidélité ou la fiabilité d’un utilisateur ;

– le token d’investissement représente la part d’une initiative ou d’un projet qui pourra donner lieu à distribution de bénéfice sous une forme ou sous une autre, et à droit de vote. Sa valeur est donc étroitement dépendante de celle des produits auquel il est associé.

La plupart des tokens sont aujourd’hui utilisés comme instrument de levée de fonds destinés à financer le développement d’applications sur la blockchain ; il s’agit en quelque sorte d’un mode de financement participatif appelée offre publique de jetons (Initial Coin Offering ou ICO). Les opérations les plus importantes dépassent largement la centaine de millions de dollars. Certaines d’entre elles ont été initiées par des pionniers des nouvelles technologies.

D’après « Blockchain et cryptomonnaies » de Primavera De Filippi, Que sais-je ? sept. 2018

Les rapporteurs n’ont examiné les cryptomonnaies stricto sensu que par le prisme de la délinquance financière et constatent l’unanimité de la défiance qu’elles soulèvent. Tracfin a détaillé les modus operandi dans son rapport annuel 2017, soulignant l’organisation de l’anonymat ; le GAFI a lui aussi insisté sur les risques potentiels ; la Fédération bancaire française a rappelé qu’il était paradoxal de soumettre ses adhérents à des règles rigoureuses d’identification du client liées à la lutte contre le blanchiment et vouloir ensuite, comme cela a été évoqué un temps, les obliger à ouvrir des comptes à des entités qui géraient des instruments de règlement et qui échappaient à la législation ad hoc. Elle a également mentionné que 400 individus détenaient un quart des cryptomonnaies, un ratio qui fait écho à l’histoire du bitcoin, que le grand public a appris à connaître en 2012 pour avoir été la seule monnaie de règlement de la plateforme Silk Road, où s’échangeait tout ce qui était interdit (drogues, outils de piratage des systèmes informatiques, papiers d’identité,…) avant d’être fermée par le FBI.

Les rapporteurs soutiennent les dispositions adoptées au Sénat par un amendement gouvernemental lors de l’examen du projet de loi PACTE et proposant une solution équilibrée. Il s’agit, conformément aux recommandations du GAFI d’octobre 2018, de soumettre à une obligation d’enregistrement les services de plateforme d’échange de cryptomonnaies entre elles, parce qu’elles permettent l’acquisition de cryptomonnaies intraçables. En revanche, s’agissant des crypto‑actifs définis comme des jetons, Tracfin considère que les risques sont moindres et il est proposé de prendre le temps de la réflexion.

À l’issue du vote en nouvelle lecture à l’Assemblée, le dispositif adopté est résumé dans le tableau ci‑joint :

Règles d’agrément et de surveillance
des acteurs du secteur des crypto-actifs
au titre de la lutte contre le blanchiment
et le financement du terrorisme (LCB‑FT)

Métiers

Formalités AMF

Obligations de surveillance

Agrément facultatif

Enregistrement obligatoire

Jurisprudence de l’ACPR sur les services de prestation de paiement

5e directive anti-blanchiment

Recommandation du GAFI

Projet de loi PACTE

Émetteur

Visa facultatif sur les opérations

 

 

 

 

Oui si visa

Conservation

Oui

Oui

 

Oui

Oui

Oui

Achat/vente contre monnaie légale

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Achat/vente contre crypto-actifs ou cryptomonnaie

Oui

 

 

 

Oui

Oui si agrément

Exploitation de plateforme de négociation

Oui

 

 

 

Oui

Oui si agrément

Autres, dont :

 

 

 

 

 

 

– conseil

Oui

 

 

 

 

Oui si agrément

– « marché gris »

Oui

 

 

 

Oui

Oui si agrément

Proposition n° 1 : assujettir les plateformes d’échange de cryptomonnaies entre elles et de crypto-actifs contre cryptomonnaies au dispositif de lutte contre le blanchiment, conformément aux recommandations du GAFI.

Pour assurer la transition énergétique, les pouvoirs publics obligent les producteurs d’énergie, les obligés, à financer des travaux d’économie d’énergie, en contrepartie de quoi sont émis des certificats d’économie d’énergie (CEE) dont ils doivent se procurer un montant proportionnel au volume de leurs ventes. Quand ils ne peuvent réaliser ces travaux eux‑mêmes, les producteurs peuvent les faire faire par des entreprises, à qui ils donnent délégation, d’où leur nom de délégataires.

Ces dernières prennent en charge la réalisation des opérations d’économie d’énergie ou leur sous‑traitance et obtiennent en échange des CEE auprès du ministère de l’écologie, qu’elles revendent ensuite aux obligés. Les délégataires ont été identifiés comme le maillon faible du système dans la mesure où ils peuvent ne pas effectuer les travaux et présenter des dossiers fictifs pour obtenir des CEE.

Tracfin a mis en évidence des schémas de fraude au préjudice des énergéticiens, portant sur plusieurs millions d’euros, qui ont ainsi financé des réseaux criminels transnationaux. D’autre part, leur valorisation se fondant sur la performance énergétique des travaux, et non sur le coût, des intervenants opportunistes se sont engouffrés dans la faille et ont fait de la publicité auprès du public pour tirer avantage des distorsions, d’autant que, pour venir en aide aux ménages en situation de précarité énergétique, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance a contraint les fournisseurs d’énergie à consacrer, en deux ans environ, un milliard d’euros d’aides aux travaux en leur faveur, contribuant à l’atomisation du marché. Les CEE « précarité » sont mieux valorisés que les CEE classiques, ce qui augmente le risque de distorsion coût/bénéfice et l’incitation pour des acteurs mal intentionnés.

La réglementation a été resserrée autour des délégataires pour limiter les possibilités de fraude et faciliter les contrôles mais les fraudeurs s’adaptent de sorte à passer sous les radars en devenant des sous‑traitants des délégataires.

En 2017, Tracfin a effectué quatorze transmissions d’informations portant sur des enjeux cumulés supérieurs à 80 millions d’euros, dont douze étaient en lien avec la criminalité organisée. Six dossiers ne portaient aucune trace de travaux effectués, et le service a exercé cinq fois son droit d’opposition dans le cadre de cette thématique pour un montant total de fonds supérieur à 4 millions. Les services judiciaires ont in fine procédé, dans le cadre de ces dossiers, à des saisies supérieures à 10 millions d’euros.

2.   Des techniques de blanchiment en mutation

Une fois leur forfait commis, les délinquants doivent impérativement blanchir le produit de leurs méfaits, pour pouvoir en profiter. Cette étape est décisive dans la lutte contre la délinquance financière.

Les nouvelles technologies, en assurant des mouvements de capitaux rapides et sûrs ainsi que des nouveaux services de paiement, contribuent à faciliter les manœuvres des blanchisseurs.

a.   Les différentes phases du blanchiment

L’article 324‑1 du code pénal définit le délit de blanchiment comme « le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de lorigine des biens ou des revenus de lauteur dun crime ou dun délit ayant procuré à celuici un profit direct ou indirect. Constitue également un blanchiment le fait dapporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect dun crime ou dun délit. »

Il distingue donc les trois étapes du processus de blanchiment destiné à donner une apparence légale à des actifs dont la provenance ne l’est pas.

Le « placement », appelé aussi « prélavage » ou « immersion », consiste à introduire des fonds provenant d’un crime ou d’un délit dans le système bancaire et financier, pour transformer la monnaie fiduciaire en monnaie scripturale ou justifier la détention d’importantes sommes en espèces.

Les paiements en espèces sont toujours très présents. Ces flux d’argent liquide, d’origine délictueuse ou criminelle, sont souvent blanchis par des circuits de collecte et de transferts d’espèces, qu’il s’agisse de transport physique ou de compensation informelle de type hawala, qui brouille les pistes en réduisant les flux.

Schéma de fonctionnement de la hawala

Il s’agit de réaliser deux opérations distinctes : un travailleur souhaite virer 700 euros dans un pays A pour aider sa famille, tandis qu’une autre famille souhaite transférer 1 000 euros en France où étudie un de ses membres. La compensation aura lieu en France pour 300 euros et les codes transmis par téléphone sécuriseront les transactions.

Source : Tracfin, Tendances et analyse des risques de blanchiment, 2015.

S’agissant des espèces, les vecteurs classiques du blanchiment sont le jeu, par le biais notamment de rachats de tickets gagnants ou la prise de paris sportifs peu risqués, la marge de l’opérateur de jeu constituant en quelque sorte la commission de blanchiment ou la rémunération du travail clandestin

L’offre de cartes prépayées élargit l’éventail des possibilités car certaines d’entre elles sont délivrées sans contrôle d’identité fiable, et les plafonds de chargement dans certains pays hors Union européenne sont élevés ; la directrice de l’OCRGDF a parlé de 200 000 euros pour celles émises au Panama et souligné qu’elles compliquaient la tâche des enquêteurs car elles sont plus faciles à dissimuler que des liasses de billets. Rien n’empêche d’en acheter plusieurs et de se les faire envoyer soit par courrier soit par porteur. Qui plus est, elles peuvent être utilisées par des « mules », ces convoyeurs de drogue ou d’espèces, ou encore servir à régler des achats sur les sites de vente d’options binaires (cf. supra), les pertes du porteur se transformant en autant de bénéfices pour l’actionnaire… Ces cartes présentent un attrait avéré, tant auprès des réseaux criminels que des organisations terroristes.

Autre classique pour dissimuler des recettes, les fausses factures payées en liquide qui retourne ainsi d’où il vient, comme le retrace le schéma ci‑dessous.

circuit de Fausse facturation

Source : Tracfin.

Les transports d’argent liquide en provenance de trafics illicites, en sens inverse de la marchandise, se poursuivent et les douaniers continuent d’intercepter aux frontières des individus transportant des liasses de billets. L’expérience des douaniers et des policiers a permis de faire évoluer la législation puisque ces mouvements sont soumis à obligation déclarative à partir de 10 000 euros. Quand elle n’est pas respectée, les douaniers ont ainsi un premier motif pour retenir le porteur et lui infliger une amende ; et depuis la loi de 2013, qui a inversé la charge de la preuve, c’est à ce dernier de justifier l’origine des fonds. Cette approche permet d’amorcer des enquêtes pour remonter les réseaux. Autre aménagement réglementaire après une enquête de l’OCRGDF : l’inclusion de l’or dans la liste des valeurs soumises à déclaration alors qu’il était jusqu’alors traité comme une marchandise. Il s’agissait d’interrompre un circuit de blanchiment en direction de l’Asie du sud‑est dirigé en France par un homme dont la famille dominait le marché de l’or dans son pays d’origine, et qui confiait de l’or physique à des petites mains.

De tels circuits sont discrets mais les mécanismes sur lesquels ils reposent sont simples. Or les enquêteurs constatent que les circuits se sont complexifiés du fait de l’hybridation des réseaux entre eux et de l’ancrage des trafics dans l’économie légale qui rendent plus difficiles à la fois la détection et l’administration de la preuve. Tracfin détaille dans son analyse de 2015 le fonctionnement des réseaux asiatiques.

Les réseaux de fraude implantés au sein de ces communautés conjuguent des activités légales (import-export, textile, agro-alimentaire), des fraudes fiscales et sociales (fraude douanière, dissimulation de chiffre d’affaires, fraudes à la TVA, travail clandestin, fraude aux organismes sociaux), et des activités illégales (contrefaçon, immigration clandestine, prostitution, blanchiment et exercice illégal de la profession d’intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement).

Ils sont particulièrement implantés autour des zones de fret et des zones marchandes qui concentrent grossistes et sociétés d’import/export de produits asiatiques. Une partie notable des volumes de marchandises importées (entre 20 et 40 % des volumes totaux selon les estimations), contrefaites ou non, n’est pas déclarée en douane. Les marchandises sont revendues hors comptabilité, sans TVA ni charges sociales, générant de grandes quantités de liquidités.

Dans plusieurs de ces zones marchandes européennes, les flux issus de ces fraudes douanières et fiscales ont été estimés par différents services judiciaires à plus d’un million d’euros par jour dans chacune de ces places, soit des flux annuels de plusieurs milliards d’euros de l’Europe vers l’Asie. Une partie des revenus est renvoyée en Asie pour y être réinjectée dans l’économie réelle locale (règlement des fournisseurs, investissement productif ou immobilier, remboursement de dettes,…). L’acheminement se fait directement au sein de la sphère marchande, sans passer par le système bancaire classique. Un réseau de collecteurs et de banques occultes s’est instauré pour effectuer les transferts qui se font par plusieurs canaux, utilisés conjointement :

– envois fractionnés par des prête‑noms via les sociétés de transmission de fonds ;

– porteurs physiques, dont certains passent par des pays d’Europe de l’Est où ils déposent les fonds dans des filiales locales de banques asiatiques, qui vireront ensuite les fonds vers l’Asie ;

– virements bancaires via des pays relais.

L’argent non déclaré, généré en Europe, est donc centralisé par des intermédiaires faisant office de banquiers occultes, chargés de transférer ces fonds vers l’Asie. Le rôle de banquier occulte peut être tenu par des agences de transmission internationale de fonds, par des ententes informelles entre commerçants qui mutualisent leurs transferts pour leur propre compte, avec leurs propres moyens, ou par des individus qui se sont spécialisés dans l’exercice illégal ([24]) de la profession d’intermédiaire en opérations de banque. L’activité des banquiers occultes peut reposer sur des pratiques familiales, ou être de grande envergure et très structurée.

La « dissimulation », aussi connue sous le terme d’« empilement » ou de « lavage », est la réalisation de transactions successives au profit de multiples personnes physiques ou morales dans différents pays. À la fin du périple, l’argent aura une apparence légale et sera prêt à être recyclé ou investi. Cette opération complique la traçabilité des fonds pour le juge pénal, qui devra recourir à l’assistance judiciaire de plusieurs pays.

Le mécanisme des comptes rebond est simple ; son succès réside dans la rapidité d’exécution et une très bonne organisation fondée sur des sociétés éphémères. Il s’agit d’ouvrir de très nombreux comptes qui drainent des fonds importants au moyen de virements fractionnés de façon à ne pas susciter l’attention ; puis de les fermer une fois les soldes virés dans un pays tiers. Des pays européens, qui n’ont pas la réputation d’être particulièrement conciliants avec les fraudeurs, ont à leur insu servi de base arrière à de telles opérations. Le phénomène est si rapide que, le temps que l’information remonte aux autorités de supervision, les fonds se sont envolés.

Les comptes rebond

Source : Tracfin.

Les autorités ont, depuis plusieurs années, observé un phénomène d’hybridation des différents réseaux à des fins de blanchiment. D’une part, le développement des flux d’importation en provenance des pays asiatiques, et l’écoulement non déclaré d’une partie notable de ces marchandises, ont conduit les grossistes asiatiques établis en Europe à détenir des quantités d’espèces croissantes à blanchir. D’autre part, la montée en puissance des escroqueries financières de grande envergure (fraudes à la TVA, FOVI, sites de trading d’options binaires) et des réseaux d’évasion de fonds a permis à des réseaux criminels spécialisés d’accumuler d’importants capitaux, se comptant en centaines de millions d’euros, sur des comptes bancaires asiatiques. Se pose alors avec acuité la question de leur décaissement.

Ces phénomènes concomitants ont abouti à une rencontre d’intérêts, les besoins de compensation des différents réseaux se complétant. Les réseaux affairistes européens spécialisés dans les escroqueries financières de grande envergure ont mis en place leurs circuits de façon à ce que les fonds détournés arrivent par voie bancaire sur des comptes bancaires asiatiques, dans un pays donné. Ils les transfèrent alors sur les comptes de banquiers occultes, toujours dans le même pays, qui les virent sur les comptes ouverts en Asie par leurs clients commerçants établis en Europe. Parallèlement, en Europe, les banquiers occultes collectent les espèces auprès de leurs clients commerçants asiatiques, et les remettent aux réseaux d’escroquerie européens. Pour les commerçants asiatiques actifs en Europe, il n’y a pas eu de flux bancaires internationaux traçables. Pour les réseaux d’escroquerie européens, il n’y pas eu de transport transnational d’espèces soumis à obligation déclarative, ou susceptible d’être intercepté.

Le même type de circuits sert également au blanchiment des espèces issues du trafic de stupéfiants en Europe. Les réseaux de distribution des stupéfiants remettent les fonds en espèces aux commerçants et banquiers occultes asiatiques, qui les transfèrent en Asie via des fausses factures et des crédits documentaires ([25]) fictifs, et créditent les comptes bancaires étrangers des trafiquants, moyennant des commissions.

La « conversion », ou « intégration », consiste à investir l’argent blanchi dans l’économie légale, le plus souvent dans l’immobilier (de luxe ou non), l’achat d’entreprises ou de commerces, d’objets d’art ou de biens précieux, les placements financiers. Pour les organisations criminelles, ces produits serviront également à corrompre pour faciliter leur activité.

b.   Les possibilités offertes par les nouvelles technologies pour brouiller les pistes

Des développements qui précèdent, il ressort que le blanchiment repose largement sur l’internationalisation des flux, ce qui complique le travail des enquêteurs et des magistrats du fait des différences de réglementation entre les pays. Des décalages existent entre les législations et dans les modalités de supervision.

L’apparition de nouveaux acteurs, autorisée pour instiller une dose de concurrence dans l’espoir de faire baisser les frais bancaires – mais le pourront‑ils jamais puisque leurs obligations se renforcent régulièrement que ce soit en termes prudentiels ou sécuritaires ? – a ouvert le marché à des entreprises moins habituées à la régulation. Les prestataires de services de paiement, qui exercent souvent en France par le biais de la libre prestation de service, donc sous la supervision d’autres autorités plus ou moins sourcilleuses, proposent des produits comme les cartes prépayées en s’appuyant sur des petits commerçants, et ne présentent pas les mêmes garanties de contrôle que des banques qui tiennent les comptes courants de leurs clients depuis longtemps.

Tracfin signale aussi que la directive DSP2 sur les services de paiement, en autorisant les services des agrégateurs de comptes et des initiateurs de paiement qui s’interposent entre les clients et les établissements teneurs de comptes, détériore la relation entre les deux, les banques n’ayant plus affaire qu’à l’intermédiaire par lequel transitent les ordres de paiement.

Circulent également en France des cartes proposées à l’étranger et accessibles via internet, qui servent à régler des achats et à retirer des espèces au distributeur, et sont adossées à des bitcoins ou des matières premières ([26]).

Le régime de la libre prestation de service permet aussi d’ouvrir des comptes qui ne sont pas enregistrés dans le fichier des comptes FICOBA puisqu’ils sont du ressort du pays où le prestataire a son siège social. La transposition de la 5ème directive anti‑blanchiment et la création d’un fichier européen devraient en principe corriger ces failles et fluidifier les échanges entre les différentes autorités nationales.

Source : Tracfin, 2018.

En définitive, la généralisation des offres en ligne, si elle a simplifié considérablement les démarches des clients, a eu pour corollaire un affaiblissement de la vigilance des établissements teneurs de compte qui, parallèlement, se sont multipliés. Les personnes auditionnées n’ont d’ailleurs pas manqué de souligner l’accroissement très sensible des fraudes documentaires ou d’usurpation de documents et le risque accru présenté par les banques et services en ligne. À telle enseigne que les policiers de l’OCRGDF rencontrés par les rapporteurs à Nanterre se sont plaints de ne pas pouvoir consulter directement le fichier des titres électroniques sécurisés (TES) dont l’accès est en effet restrictif.

Les rapporteurs recommandent que l’accès à l’ensemble des services en ligne soit subordonné à la mise en œuvre d’un dispositif d’identification numérique public qu’il importe de finaliser rapidement.

Proposition n° 2 : mettre en œuvre un dispositif d’identification numérique publique certifiée pour y soumettre la dématérialisation de la gestion des comptes bancaires.


II.   UNE POLITIQUE PUBLIQUE RÉCEMMENT RÉORGANISÉE MAIS QUI RISQUE LA THROMBOSE

Les divergences d’appréhension statistique de la délinquance financière mises en évidence entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice révèlent une absence préoccupante de coordination interministérielle de la politique publique de lutte contre cette forme de délinquance.

La carence constatée en matière de statistiques est un premier sujet d’inquiétude puisqu’il est impossible de fonder solidement une politique publique si l’on ne dispose pas de données fiables sur les différents contours du phénomène que l’on s’efforce de traiter. Les rapporteurs ont observé ce manque de données tout au long de leurs auditions, et notamment lors de l’analyse de la chaîne pénale (voir infra). Le groupe d’action financière (GAFI) avait déjà relevé cette lacune dans son évaluation de la lutte contre le blanchiment menée par la France ; en prévision de la prochaine évaluation qui aura lieu en 2020, le Gouvernement a mandaté une mission de l’inspection générale des finances sur ce point précis. Les rapporteurs souhaitent que cette mission se traduise par un plan d’actions d’urgence ayant pour objectif la mise en œuvre d’un dispositif partagé de mesure et de suivi statistique.

Le constat de carence existe aussi en matière d’identification des coûts. Il n’existe pas d’outils comptables ou financiers permettant de consolider les moyens consacrés à cette politique car elle repose largement sur des organes qui ne sont pas spécialisés sur cette action, notamment en matière de police judiciaire et de juridictions répressives. Il est donc impossible de se prononcer sur son efficience. Les rapporteurs souhaiteraient donc un progrès dans l’analyse des coûts, éventuellement sous forme de définition de clés proportionnelles de répartition, fondées sur une analyse fonctionnelle des organes polyvalents. Une annexe au projet de loi de finances consacrée à cette politique, sous forme de document de politique transversale (DPT), fusionnée avec celle actuellement consacrée à la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, permettrait d’y voir plus clair et de mieux mesurer la performance de nos services publics dans ce domaine.

Enfin, la question de la gouvernance d’une réelle animation interministérielle se pose.

Il existe quelques instances très légères de coordination, comme la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) en matière de lutte contre la fraude sociale, ou le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB), mais sur des segments très étroits et sans vocation opérationnelle.

Si l’on souhaite réellement impulser et orienter cette politique interministérielle, en associant plus étroitement les ministères de l’intérieur, de la justice mais aussi des comptes publics ou des affaires sociales, il convient de nommer un délégué interministériel, placé sous l’autorité du Premier ministre, et qui sera responsable d’un plan global dont l’exécution fera l’objet d’un suivi régulier sous forme de comités interministériels.

Cette nouvelle délégation interministérielle aura vocation à absorber les structures de coordination existantes comme la DNLF et le COLB afin de rationaliser le dispositif et de ne pas multiplier les petites entités pilotées par un cadre supérieur sans troupes et sans levier d’action.

Proposition n° 3 : mettre en œuvre une politique interministérielle de lutte contre la délinquance économique et financière reposant sur :

– un dispositif partagé de mesure et de suivi statistique ;

– un document de politique transversale annexé au projet de loi de finances ;

– une délégation interministérielle regroupant la délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) et le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (COLB).

A.   LA DÉTECTION REPOSE LARGEMENT SUR DES ACTEURS PRIVÉS

Face à un phénomène aussi protéiforme et agile que la délinquance financière, le choix a été fait, en raison des engagements internationaux souscrits par la France (Union européenne, mais aussi G7) mais peut-être aussi pour des considérations budgétaires, de mettre l’accent sur une prévention largement déléguée à des acteurs privés. À chacun de se responsabiliser et de mettre en place des mécanismes de détection et de prise en charge, la puissance publique n’intervenant qu’en aval. C’est ainsi qu’elle a confié le soin de l’alerter, par le biais de déclarations de soupçon adressées à la cellule de renseignement financier qui les centralise et les analyse, à des professions, nombreuses, dont la liste est énumérée à l’article L. 561‑2 du code monétaire et financier.

Il s’agit des établissements recueillant des dépôts et gérant des instruments de paiement, comme les banques, les assurances ou les gestionnaires de patrimoine, mais aussi les professionnels de l’immobilier, les marchands de biens précieux, les sociétés de domiciliation, les opérateurs de jeu ou encore les professions assermentées (professions du chiffre, avocats, notaires). La liste s’est encore allongée avec la loi n° 2018‑700 qui ratifie l’ordonnance transposant en droit français la directive UE 2015/2366 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (DSP2). Aujourd’hui 40 secteurs professionnels sont concernés, soit 200 000 déclarants potentiels même si tous ne sont pas actifs, comme le secteur immobilier ou le marché de l’art.

1.   La mobilisation différenciée de professions réglementées

a.   Les obligations communes aux professions assujetties

Depuis la troisième directive anti‑blanchiment, l’ensemble des professionnels doit engager les démarches pour connaître son client (know your customer ou KYC) et identifier le bénéficiaire final de l’opération qu’il conclut.

Tous les professionnels ont un devoir de vigilance à l’égard de leurs clients, de passage ou de longue date. Elle est modulée selon le risque : allégée quand le risque de blanchiment de capitaux, ou de financement du terrorisme, est faible ; normale dans la plupart des cas ; renforcée notamment dans les cas où :

– le client n’est pas physiquement présent aux fins d’identification ;

– la personne est politiquement exposée ;

– le produit ou l’opération favorise l’anonymat ;

– les opérations sont réalisées avec des personnes situées dans un État dont la législation ou les pratiques font obstacle à la lutte anti‑blanchiment et le financement du terrorisme ;

– il s’agit d’une opération particulièrement complexe ou d’un montant inhabituellement élevé ou ne paraissant pas avoir de justification économique ou d’objet licite.

La vigilance s’exerce en analysant les opérations car la fixation de seuil a été abandonnée au profit d’une approche par les risques qui est un exercice plus subtil.

Si une opération suscite l’attention, par sa nature, son montant, ou les personnes qu’elle implique, le professionnel doit d’abord interroger son client. S’il n’obtient pas de réponse satisfaisante, il est tenu de procéder à une déclaration de soupçon auprès de la cellule de renseignement financier, Tracfin en France.

L’article L. 561‑15 du code monétaire et financier distingue selon qu’il s’agit :

– d’opérations portant sur des sommes dont les professions assujetties « savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner quelles proviennent dune infraction passible dune peine privative de liberté supérieure à un an ([27]) ou sont liées au financement du terrorisme » ;

– d’opérations soupçonnées de provenir « dune fraude fiscale lorsquil y a présence dau moins un critère défini par décret » ([28]).

En cas d’opération suspecte, les professionnels doivent envoyer la déclaration de soupçon sans en aviser le client et s’efforcer de retarder la transaction. Dans tous les cas, la transmission découle d’une analyse du risque.

Les déclarations de soupçon constituent donc la matière première de Tracfin, puisqu’elles ont représenté en 2017 96 % des informations reçues, les autres sources résiduelles provenant des services de l’État et des informations en provenance des cellules de renseignement financier (CRF) étrangères. Même si l’augmentation des déclarations reçues se ralentit quelque peu (+ 10 % en 2017 par rapport à 2016), elle a été particulièrement accentuée depuis 2012, puisqu’elles ont été multipliées par plus de 2,5 en six ans pour dépasser le chiffre considérable de 70 000.

Si l’augmentation en volume est spectaculaire, en revanche, la structure demeure extrêmement stable : en 2017, comme en 2012, les professions financières sont à l’origine de 93,3 % des déclarations.

La qualité de cette ressource conditionne celle du travail mené en aval par l’administration. À cet égard, toutes les professions ne sont pas logées à la même enseigne.

Nombre et origines des déclarations de soupçon reçues par Tracfin

Source : Tracfin, RAN 2017.

La question cruciale est de savoir où les professions placent le curseur : les moins impliquées font peu ou pas de déclarations, les plus impliquées en envoient beaucoup, mais le font‑elles toujours à bon escient ? Pour améliorer la qualité de ses sources, Tracfin rédige avec les autorités de tutelle des lignes directrices expliquant comment le risque doit être apprécié et participe à des actions de formation. En aval, le service suit le taux de mise en investigation, c’est‑à‑dire le rapport entre le nombre de déclarations de soupçon (DS) envoyées en enquête (préliminaire ou approfondie) et le nombre total de DS.

b.   Les professions financières

Les professions financières représentent incontestablement la source majeure d’information de Tracfin, ce qui n’est guère surprenant dans la mesure où c’est par elles que les fonds transitent.

La place des établissements de crédit tend à s’éroder puisqu’elle est passée de plus de 79 % des déclarations à un peu plus de 73 %, sous l’effet surtout de l’apparition de nouveaux établissements offrant des services de paiement. Le nombre de leurs déclarations de soupçon est resté stable entre 2016 et 2017, autour de 47 000.

Le taux de mise en investigation est très variable, mais globalement il demeure faible, autour de 10 %. Si Tracfin observe avec satisfaction une augmentation du montant moyen des opérations signalées puisque les tranches de montant supérieur ont augmenté, passant à 21,3 % sur les enjeux compris entre 100 000 et 500 000 euros (21 % en 2016), à 3,8 % entre 500 000 et 1 million d’euros (3 % en 2016), il déplore l’irrégularité dans les transmissions ; elles sont faites souvent par bloc, entraînant fatalement des retards préjudiciables à l’action du service puisque la rapidité est essentielle pour empêcher les actes délictueux ou récupérer des fonds. La qualité des déclarations ayant été médiocre en 2016, Tracfin a rappelé, à l’occasion de la transposition de la quatrième directive anti‑blanchiment et de l’actualisation des recommandations, appelées lignes directrices conjointes rédigées avec les autorités de tutelle, ce qu’il attend des établissements.

Une lecture rapide des rapports annuels d’activité de Tracfin montre de fortes variations d’une année sur l’autre tant en volume qu’en qualité. Les établissements de crédit sont certainement les plus impliqués et le secteur qui investit le plus dans la conformité ; les résultats demeurent assez aléatoires. Cela dit, la pertinence n’est pas le seul critère car trop peu de déclarations de soupçon, même débouchant sur des procédures, ne suffirait pas à qualifier l’efficacité de la lutte contre la délinquance financière.

L’activité déclarative du secteur, en croissance depuis 2012, s’est encore accrue en 2017 avec 5 283 déclarations de soupçon (contre 3 520 en 2016), soit une augmentation de 50 % des signalements, plus marquée encore qu’en 2016 (38 %). Cela correspond à un rattrapage de la part des compagnies d’assurance dont les produits de placement peuvent servir de vecteur au blanchiment.

Si le flux de l’activité déclarative est en constante progression, il ne s’est pas encore accompagné d’une amélioration de la qualité des signalements. Entre autres facteurs, le manque de connaissance du dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB‑FT) est régulièrement relevé et emporte des conséquences majeures sur la pratique déclarative. Le taux de mise en investigation est tombé à 7,2 %, contre un peu plus de 10 % en 2016.

Cela étant, dans ce secteur également, les mutations sont rapides et significatives.

Le paysage a considérablement évolué depuis quelques années :

– l’environnement réglementaire d’abord, qui a accru les obligations de vigilance avec la 4ème directive : élargissement des personnes politiquement exposées au champ national, bénéficiaires effectifs de personnes morales pour les changements les plus significatifs ;

– l’entrée en vigueur du régime prudentiel dans l’assurance, Solvabilité 2, qui a consacré l’approche par les risques ;

– et enfin, l’élément sans doute le plus significatif, la sensibilité des opinions publiques sur les sujets de délinquance financière. La jurisprudence de la commission des sanctions de l’ACPR en matière de LCB‑FT en témoigne, notamment les décisions récentes. Le signal envoyé au marché est clair : tolérance zéro, où, et c’est bien normal, le droit à l’erreur n’existe pas. Mais le risque est diffus, difficile à cerner car l’approche statistique n’est pas valide : une défaillance sur une seule opération peut avoir des conséquences dramatiques. Il n’en demeure pas moins que les marges de progression dans la qualité des déclarations de soupçon est substantielle.

Ce sont deux secteurs à forte intensité capitalistique, et plusieurs des acteurs ont un caractère systémique. Aussi la vigilance est‑elle de mise, et les établissements ont‑ils pu mettre au point des systèmes experts de détection des anomalies qui se superposent aux responsabilités confiées aux équipes opérationnelles, au contrôle de deuxième niveau par un service conformité, voire des inspections périodiques dans les grands établissements.

La tendance au renforcement de la fonction contrôle est très générale, au moins dans les plus grandes structures, traduisant une plus grande rigueur dans les exigences réglementaires. Ce n’est toutefois pas la garantie d’un risque zéro comme en témoigne la récente affaire des « CumEx files ».

Ainsi, s’agissant de l’augmentation des fonds propres au titre du risque opérationnel demandée aux établissements assujettis à une réglementation prudentielle, la situation est la suivante :

– l’exigence additionnelle en fonds propres, lié à la refonte de la méthodologie de mesure du risque opérationnel dans le cadre des accords Bâle 3 (substitution d’un modèle d’évaluation standard aux modèles internes), est estimé, d’après les comptes arrêtés au 30 juin 2018, à 8, 4 milliards d’euros, qui devront être réunis à l’horizon 2020‑2022 ;

– pour l’ensemble des organismes d’assurance utilisant la formule standard de Solvabilité II, les modules de risque opérationnel introduisent une exigence nouvelle estimée à 9,8 milliards d’euros supplémentaires de fonds propres.

La conformité chez BNP Paribas

Les effectifs dédiés

– La fonction conformité s’est métamorphosée au cours des dernières années avec un doublement de ses effectifs depuis 2013 pour atteindre 3 370 équivalents temps plein à fin 2017, soit 3 % des effectifs du groupe, dont une part significative est dédiée à la LCB‑FT. Depuis 2015, elle est de plus devenue une fonction hiérarchiquement intégrée. Cette indépendance par rapport au management opérationnel vise à donner aux dirigeants du groupe une assurance raisonnable que les risques de non‑conformité et de réputation sont dûment surveillés, contrôlés et atténués.

– L’Inspection générale a également fait l’objet d’un programme de transformation avec une augmentation des effectifs de 35 % depuis 2013 pour atteindre 1 296 équivalents temps plein à fin 2017 et un investissement conséquent en matière de formation (12 600 jours en 2017) notamment dédiée à la conformité. En plus des missions réalisées en la matière par les autres équipes de l’Inspection générale, une filière spécifiquement dédiée à la réalisation de missions sur la LCB/FT et les sanctions financières internationales a été créée dès 2014. Cette filière est composée de quatre équipes pour un total de 45 auditeurs couvrant l’ensemble des entités du Groupe. En 2017, l’Inspection générale a réalisé 180 missions portant au moins partiellement sur les processus de sécurité financière dont 75 réalisées par la filière dédiée.

Lindustrialisation et lautomatisation des processus pertinents

Des solutions automatisées (intégrant pour certaines, mises en place dernièrement, de l’intelligence artificielle) permettent ainsi par exemple la détection d’opérations inhabituelles, la détection de personnes faisant l’objet de gel des avoirs ou encore de certaines caractéristiques de risque (personnes politiquement exposées…). Pour un groupe tel que BNP Paribas le déploiement de ce type de solutions est parfois très lourd, compte tenu de la nécessité de les intégrer dans des systèmes déjà complexes, et coûteux.

De manière générale, il est difficile d’isoler les coûts engendrés spécifiquement par la LCB‑FT. Pour donner un ordre de grandeur, le budget dédié à la fonction Conformité (n’incluant donc pas les coûts engendrés au sein des équipes opérationnelles ou de l’Inspection générale) pour l’année 2017 était d’environ 660 millions d’euros, dont 75 millions d’euros pour les outils dédiés à la sécurité financière. Les rapporteurs rappellent que les charges générales d’exploitation du groupe BNP Paribas s’élevaient en 2017 à 28,2 milliards d’euros.

c.   Les professions non financières

Les avocats sont soumis à une obligation de vigilance au titre de la lutte anti‑blanchiment, mais elle est assortie de restrictions. Leurs activités de conseil, dans le cadre d’une consultation, et d’assistance dans celui d’une procédure judiciaire ne sont pas concernées pour préserver le secret professionnel et les droits de la défense. Par ailleurs, leurs déclarations de soupçon passent par l’intermédiaire du bâtonnier qui décide ou non de transmettre au procureur général de la cour d’appel de son ressort et c’est ce dernier qui les fera parvenir à Tracfin. De fait, leurs déclarations de soupçon sont très rares, elles ont même été nulles en 2017.

Au cours des auditions, s’est posée la question de l’assujettissement des Caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), créées par le barreau français il y a plus de soixante ans pour garantir la représentation des fonds reçus par les avocats pour le compte de leurs clients. Tout maniement de fonds opéré par un avocat pour le compte de ses clients doit impérativement passer par leur intermédiaire, sous peine de représenter un délit d’abus de confiance. Ces caisses, encadrées par la loi du 31 décembre 1971, ont le statut juridique non pas d’établissement financier mais d’associations déclarées de type loi 1901. De ce fait, elles ne sont pas assujetties à l’obligation de déclaration de soupçon.

La situation peut paraître incohérente dans la mesure où les mouvements de fonds gérés par les CARPA proviennent ou sont destinés à des professions soumises à cette obligation (les avocats et les établissements financiers), mais les CARPA disposent de données dont il faudrait impérativement faire usage en cas d’assujettissement à l’obligation de déclaration de soupçon. En effet, elles centralisent des informations qui permettraient plus facilement d’identifier l’origine et les motifs des transferts de fonds que celles, plus fragmentées, des établissements financiers qui les exécutent.

Le Conseil national des barreaux (CNB) prône quant à lui le statu quo. Il fait valoir que les CARPA doivent déjà, après avoir contrôlé à la fois le motif, la provenance, la destination et le bénéficiaire effectif des fonds, interrompre une opération en cas d’irrégularité et en informer le bâtonnier. Ce dernier est légalement tenu, pour des cas de blanchiment de capitaux, d’alerter un procureur général près la cour d’appel (article L. 561‑28 du code monétaire et financier). De plus, chaque CARPA est elle-même contrôlée par un commissaire aux comptes qui remet un rapport annuel au procureur général près la cour d’appel. Ainsi, l’obligation de déclaration de soupçon ne ferait que formaliser légalement et systématiser les transferts de dossiers suspects qu’opèrent d’ores et déjà les CARPA. En outre, Tracfin peut, depuis 2016, se faire communiquer tout dossier qu’il juge suspect. Le CNB estime indispensable d’associer les avocats aux déclarations de soupçon, afin de s’assurer de leur pleine coopération et de maintenir un rapport de confiance. En effet, les CARPA sont avant tout les « prestataires » des avocats, qui leur fournissent des services de contrôle des fonds qu’ils gèrent, en garantissant le respect du secret professionnel. Si les CARPA étaient tenues de saisir l’ordre à leur insu, elles deviendraient à leurs yeux une instance « punitive » et ils pourraient être tentés de laisser leurs clients opérer ces règlements directement entre eux, hors du champ de contrôle des CARPA.

Les rapporteurs entendent l’argument mais ils considèrent que la règle doit être étendue aux CARPA dans un souci de parallélisme des formes. De même que le bâtonnier est laissé juge de transmettre les déclarations de soupçon de ses pairs, il devrait l’être pour celles de la CARPA, de façon à assurer une cohérence dans le dispositif de vigilance que doivent respecter les professions du droit.

Proposition n° 4 : assujettir les caisses autonomes des règlements pécuniaires des avocats (CARPA) à la déclaration de soupçon.

Un autre point mérite d’être souligné, les rapporteurs ayant été alertés sur l’article 19 de la loi relative à la lutte contre la fraude. Il introduit un article 1740 A bis au sein du code général des impôts, qui prévoit d’infliger aux intermédiaires dont les services ont contribué aux manœuvres frauduleuses de leurs clients une sanction fiscale, d’un montant de 50 % des revenus tirés de la prestation, avec un seuil de 10 000 euros. Un amendement a supprimé la mention précisant que l’amende ne pouvait pas être prononcée avant la condamnation définitive du client. Le motif invoqué par la rapporteure, Mme Émilie Cariou, était que l’intentionnalité était suffisante pour justifier une sanction, en particulier en matière pénale où la complicité pouvait être sanctionnée indépendamment de l’acte qu’elle avait aidé à accomplir. Les rapporteurs font cependant observer que, d’une part, il s’agit en l’espèce d’une sanction administrative, et que, d’autre part, il est paradoxal de sanctionner la complicité d’un acte qui n’a pas été condamné par les juges. En outre, pour assurer sa défense un avocat risquerait de se voir contraint de communiquer les noms de ses clients, et partant, de violer le secret professionnel. Aussi les rapporteurs invitent‑ils à modifier le texte pour que le versement de l’amende soit subordonné à la condamnation définitive du client.

Proposition n° 5 : soumettre la poursuite des prestataires juridiques ayant conduit à un abus de droit ou à une fraude fiscale à la condamnation définitive de leurs clients.

En 2017, les professionnels du chiffre ont envoyé 665 déclarations de soupçon à Tracfin, soit une augmentation de 16 % par rapport à 2016. La tendance haussière constatée sur les derniers exercices se poursuit mais dans une moindre mesure que l’augmentation des signalements relevée en 2016 (+ 53 %).

Tracfin relève l’implication inégale des deux professions : les experts comptables, souvent plus proches de leurs clients, transmettent plus de déclarations de soupçon, et leur démarche de formation est apparemment plus dynamique et mieux organisée que chez les commissaires aux comptes. Toutefois, comme les deux professions sont pratiquement exercées par les mêmes personnes, cette remarque est à relativiser. Un point relevé par Tracfin, à savoir l’inégale présence sur le territoire, a été confirmé par les experts comptables qui ont déclaré que le nombre de déclarations de soupçon par expert comptable était relativement homogène, mais pas le nombre d’experts comptables par nombre d’entreprises. Dans certaines zones telles que l’Outre‑mer et la Seine‑Saint‑Denis, le maillage des experts comptables est lâche.

Bien que ce point se situe à la périphérie de la mission, les rapporteurs souhaitent néanmoins appeler l’attention sur l’incidence d’une mesure du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (dit « PACTE »). Il est proposé à l’article 9 de relever les seuils au‑delà desquels une entreprise est tenue de faire certifier ses comptes par un commissaire aux comptes afin de les aligner sur ceux de la directive UE 2013/34 du 26 juin 2013, dite « directive comptable », et éviter ainsi la « surtransposition » des textes européens. Une telle décision, assez paradoxale après la transposition de la réforme européenne de l’audit qui visait à renforcer les pouvoirs de l’organe de tutelle de la profession, le Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C), pourrait conduire à un relâchement de la vigilance sur les entreprises en allégeant pour un nombre très important d’entre elles les obligations de certification des comptes, du fait en particulier de la démographie des entreprises françaises, beaucoup plus petites que dans les autres grands pays européens. À terme ([29]), 120 000 des 260 000 mandats détenus par les commissaires aux comptes, soit près de la moitié, sont appelés à disparaître. Les obligations des experts comptables qui pourraient succéder aux commissaires aux comptes ne sont pas comparables (cf. annexe n° 1).

De nombreux autres secteurs font face à des risques élevés de blanchiment ; si les jeux sont traditionnellement surveillés tant le risque est majeur, d’autres peinent à s’impliquer malgré une problématique évidente. L’immobilier, bien sûr, mais aussi les sociétés de domiciliation, tous deux sous la supervision de la DGCCRF, et les marchands d’art sous celle des douanes.

2.   Le contrôle des administrations ou des autorités de supervision

Trois entités se distinguent par leur action dans le domaine de la lutte contre la délinquance financière, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), l’Autorité des marchés financiers (AMF) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). La qualité du contrôle qu’elles exercent dépend des moyens dont elles disposent, mais aussi du secteur qu’elles contrôlent. Leur travail est facilité par la concentration des entreprises qui va aussi de pair avec des risques plus élevés, voire systémiques. L’atomisation des entreprises avec laquelle doit composer la DGCCRF qui a la charge de surveiller l’ensemble des entreprises et des produits non financiers et les sociétés de domiciliation, ne lui facilite pas la tâche. En revanche, si les contrôles menés par l’ACPR et l’AMF sont plus balisés par l’internalisation de l’analyse des risques, via les exigences de conformité, les deux instances doivent s’adapter aux innovations financières permanentes et ultra sophistiquées, aux évolutions rapides de la réglementation ainsi qu’à une internationalisation du secteur et à l’application inégale de règles pourtant uniformes. Si toutes deux mènent une action résolue contre la délinquance financière, notamment en matière de lutte contre le blanchiment, elles ont aussi la responsabilité de la stabilité du système financier et de la place de Paris.

a.   L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)

L’ACPR est une autorité administrative, adossée à la Banque de France pour ses moyens, qui a des missions et des pouvoirs spécifiques inscrits dans le code monétaire et financier. Pour ces contrôles, elle perçoit des taxes affectées auprès de ses assujettis.

Trois missions essentielles lui sont confiées par le législateur :

– la surveillance de la situation financière des établissements de crédit au sens large et des entreprises du secteur de l’assurance quelle qu’en soit la forme juridique (société anonyme ou mutuelle) qui occupe l’essentiel de ses moyens ;

– la protection de la clientèle au titre du contrôle des pratiques commerciales ;

– la vérification du respect du dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme par les organismes soumis au contrôle de l’ACPR, parmi lesquels se trouvent, outre ceux soumis au contrôle prudentiel, des activités risquées comme les changeurs manuels.

 Les contrôles

L’ACPR exerce à cet effet un contrôle permanent ([30]) et des contrôles sur place. Un effectif de 80 agents temps plein est affecté à la LCB‑FT.

Conformément au principe international (GAFI) et européen (4ème directive) de supervision par les risques, elle adapte l’intensité et la fréquence de ses contrôles, d’une part, aux risques présentés par les différents secteurs (banque, services de paiement, de monnaie électronique, assurance‑vie etc.) et, d’autre part, aux profils de risque de chacun des organismes.

Des contrôles sur place ont par ailleurs été engagés, soit à la suite de signalements adressés par Tracfin à l’ACPR, dont la plupart ont concerné les secteurs de la banque et des services de paiement, soit sur la base d’une approche sectorielle, en ciblant les secteurs les plus exposés au risque LCB‑FT. À ce dernier égard, les services de transmission de fonds et de distribution de monnaie électronique continuent de faire l’objet d’une attention spécifique. Plusieurs missions ont ainsi concerné des entités agréées dans d’autres pays de l’Union européenne et agissant en France en ayant recours à des agents de service de paiement ou à des distributeurs de monnaie électronique. Au total, 24 missions de contrôle sur place ont été menées en 2017 en matière de LCB‑FT.

Par ailleurs, l’ACPR est également chargée de veiller à la protection de la clientèle. Elle diligente à cet effet des contrôles dédiés aux pratiques commerciales et à la protection de la clientèle. Elle en a ainsi effectué 81 en 2017 et quasi autant en 2018. Une attention particulière a été accordée au sujet des populations vulnérables : une étude sur les majeurs protégés a montré que leurs relations avec les établissements financiers étaient globalement satisfaisantes, même si des voies d’amélioration existent, notamment sur la connaissance des mesures spécifiques de protection par les personnels. Ce thème des personnes vulnérables sera poursuivi en 2019 notamment pour les personnes vieillissantes.

 La prévention

Outre que les contrôles ont tout autant pour but de prévenir que de sanctionner, l’ACPR développe une action préventive auprès des personnes soumises à son contrôle visant à les guider dans la mise en œuvre de la règlementation. Elle publie ainsi des lignes directrices, conjointement avec Tracfin pour les obligations déclaratives, et avec la direction générale du Trésor, en matière de gel des avoirs, après les avoir élaborées en concertation avec les représentants des professions dans le cadre de sa Commission consultative de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (CCLCB-FT). Elle participe également à de nombreuses actions de communication (conférences, interventions diverses, articles).

Dernièrement par exemple, l’ACPR a mis à jour ses lignes directrices sur les personnes politiquement exposées (PPE), fait des interventions devant des organisations professionnelles et publié sur son site internet une fiche d’information sur le nouveau régime.

Elle publiera prochainement des lignes directrices sur l’identification, la vérification d’identité et la connaissance de la clientèle.

 Les sanctions

En 2017, la Commission des sanctions de l’ACPR a prononcé et publié six sanctions disciplinaires pour non‑respect de la législation relative à la LCB‑FT, ce qui a porté à vingt‑huit le nombre total de sanctions prononcées par l’ACPR en cette matière depuis 2011 ; les six sanctions prononcées en 2017, dont le montant unitaire est plafonné à 100 millions d’euros, ont inclus des sanctions pécuniaires, comprises entre 80 000 euros et 10 millions d’euros. En 2018, leur nombre est passé à huit. Le montant cumulé des sanctions pécuniaires correspondantes a atteint près de 18 millions d’euros en 2017 et environ 70 millions ([31]) pour l’année 2018, traduisant une intensification des poursuites et des sanctions. Toutes les décisions de sanction prononcées sont publiées sur le site de l’ACPR et le sont, sauf exception, sous une forme nominative.

Sanctions prononcées par l’APCR pour manquement
aux obligations de la lutte contre le Blanchiment

 

2016

2017

2018

Décisions de sanctions en matière de LCB‑FT

6

6

8

Décisions de sanctions en matière de LCB‑FT incluant un grief sur le gel des avoirs

4

1

4

Décisions portant exclusivement sur des lacunes en matière de gel

0

0

1

Montant total des amendes prononcées

4,9 millions d’euros

17,9 millions d’euros

69,7 millions d’euros *

* En 2018, ce montant a atteint 69,66 millions, en raison de l’amende de 50 millions d’euros prononcée à l’encontre de La Banque postale, sanctionnant l’absence d’un dispositif de gel des avoirs couvrant son activité de « mandats cash ».

Source : APCR.

Les insuffisances des dispositifs de détection et d’analyse des opérations atypiques et de déclaration de soupçon, à la fois en termes de délais, de moyens humains, d’accès à l’information par les déclarants Tracfin et de qualité des informations communiquées à Tracfin, figurent parmi les griefs fréquemment retenus par la Commission des sanctions, de même que les manquements aux obligations d’identification et de connaissance de la clientèle, en particulier dans le secteur des services de paiement.

L’ACPR a, de plus, ciblé une partie de ses contrôles sur place au cours des dernières années sur les établissements présentant un profil de risque élevé, tels que les prestataires de services de paiement et les émetteurs de monnaie électronique. Plusieurs d’entre eux ont été sanctionnés pour manquement à leurs obligations LCB‑FT et insuffisances de leur dispositif LCB‑FT et de contrôle interne, y compris des établissements européens qui exerçaient dans le cadre du passeport européen (cf. décisions de sanction à l’encontre de Sigue SAS et Sigue Ltd, Dirham, LemonWay, TicketSurf, Isbank AG, Bank of Africa, des changeurs MERSON, Quick Change, Ambition des Frères, toutes consultables sur le site internet de l’ACPR).

 Les relations avec Tracfin et les parquets

À l’issue des contrôles sur place, l’ACPR a transmis à Tracfin les défauts de déclaration de soupçon relevés au cours des missions, ainsi qu’à l’administration fiscale en présence d’un critère de fraude fiscale. En 2017, 288 dossiers ont été transmis et 122 pour l’année 2018 à ce jour.

Tracfin adresse, pour sa part, à l’ACPR des signalements, qui peuvent être d’ordre général (typologies) ou d’ordre individuel (pratique de certains établissements). L’ACPR engage un suivi systématique du signalement qui peut, selon la gravité des faits signalés, consister en une mission de contrôle sur place, susceptible de déboucher sur une action disciplinaire. Tracfin est informé du suivi. À la fin de 2018, onze signalements de Tracfin avaient conduit à un contrôle sur place, dont huit ont donné lieu à une procédure disciplinaire.

 Les points de vigilance

Selon l’ACPR, la culture de la conformité est bien installée dans l’ensemble dans les grands établissements de crédit, et se développe dans les grands organismes d’assurance, notamment à la suite des contrôles LCB‑FT dans le secteur de l’assurance-vie. En revanche, elle peine encore à s’affirmer dans des structures de plus petite taille et/ou plus récentes au vu notamment de la faiblesse de leurs moyens humains et de leurs outils. Ce constat se pose avec davantage d’acuité à l’égard des succursales de pays tiers ou des établissements européens qui exercent en France dans le cadre du passeport européen, en libre établissement, sous la forme d’une succursale ou en ayant recours à des agents de services de paiement ou des distributeurs de monnaie électronique situés sur notre territoire national, en raison de l’insuffisante connaissance de la réglementation LCB‑FT française et/ou du niveau parfois dégradé de culture de la conformité du siège social/de l’entreprise‑mère.

L’ACPR constate en outre des insuffisances, les principales portant sur :

– les mesures de gel des avoirs, notamment nationales, qui sont parfois insuffisamment mises en œuvre : le dispositif de détection des personnes « gelées » ou des opérations en provenance ou à destination de ces personnes mis en place est perfectible, compte tenu de son paramétrage, de la qualité des systèmes d’information, des délais de criblage des bases de client ;

– la classification des risques auxquels les organismes sont exposés, qui est parfois incomplète ou insuffisamment adaptée aux produits, services ou catégories de clientèles, porteurs de risques particuliers ;

– la mise à jour du stock de dossiers clients, qui n’est pas encore complète ;

– le pilotage du dispositif LCB‑FT par les entreprises mères de groupe qui manque de maturité et apparaît parfois insuffisant, en particulier en ce qui concerne le contrôle interne de la mise en œuvre par les entités étrangères des procédures définies au niveau du groupe et l’organisation des échanges d’informations avec les entités étrangères (notamment pays tiers, hors UE/EEE) ;

– la qualité et les délais de transmission des déclarations de soupçon qui doivent être encore améliorés.

b.   L’Autorité des marchés financiers (AMF)

La lutte contre la délinquance financière est une composante importante des missions de l’AMF puisque la loi lui demande de veiller à la protection de l’épargne investie dans les instruments financiers, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d’instruments financiers. Elle lui demande également de coopérer avec les autorités compétentes des autres pays.

À ce titre, elle exerce une fonction de contrôle de la réglementation prudentielle en vigueur par les professionnels ([32]) pour assurer la stabilité de la place de Paris, et la protection de l’épargne. Elle fonctionne sur ressources propres, qu’elle tire des redevances payées par les assujettis, et éprouve des difficultés à équilibrer son budget, de l’ordre de 120 millions, compte tenu des investissements considérables qu’elle doit consentir pour surveiller les marchés.

L’action des 470 collaborateurs de l’AMF se déploie dans trois domaines et en trois étapes.

Les trois domaines sont :

– les abus de marché, notion qui recouvre deux types de délinquance financière : la manipulation de marché (y compris la diffusion de fausses informations) et le manquement d’initié ;

– les manquements aux règles d’information du public ;

– les manquements aux règles applicables aux professionnels.

Les deux premiers types de manquement font l’objet d’enquêtes, le troisième de contrôles. Les contentieux découlant des premières relèvent de la juridiction judiciaire ; ceux découlant des contrôles de la juridiction administrative.

La détection de possibles manquements peut provenir de plusieurs sources : la surveillance des marchés à partir du suivi de l’évolution des cours, du détail des transactions, des positions et des carnets d’ordre, des informations transmises au marché ; le suivi régulier des acteurs régulés et des émetteurs ; enfin les alertes issues du suivi de la commercialisation des produits, de la veille sur internet et les réseaux sociaux, des signalements des intermédiaires réalisant des transactions pour le compte de leurs clients, des investisseurs eux‑mêmes.

En effet, l’AMF, avec l’ACPR, gère le centre de contact Épargne Info Service ([33]) qui a reçu en 2017 11 346 demandes, dont 80 % émanant de particuliers, contre respectivement 12 393 et 77 % l’année précédente. Le trading spéculatif sur le Forex et les options binaires ont représenté moins du quart des appels reçus, soit un reflux des deux tiers par rapport à 2015 ; les réclamations concernaient des sites non autorisés à 72 %.

L’AMF a également monté un dispositif spécifique pour les lanceurs d’alerte de façon à garantir leur anonymat ([34]). En dix‑huit mois, une quarantaine de signalements ont été reçus, correspondant à des informations non publiques auxquelles l’informateur a eu personnellement accès.

En fonction des sujets et des compétences de l’AMF, les outils suivants sont mobilisés (avec possibilité de les combiner).

L’AMF peut en premier lieu publier des alertes (communiqués de presse éventuellement avec l’ACPR ou la DGCCRF), ou inscrire sur des listes noires des sites non autorisés ([35]). Les listes noires recensent des sites qui exercent une activité illégale, mais aussi des sites d’escrocs.

L’AMF peut en outre saisir le tribunal de grande instance de Paris pour demander le blocage des sites d’acteurs exerçant illégalement l’activité de prestataire de service d’investissement (la loi Sapin 2 a autorisé cette procédure, calquée sur celle de l’Autorité de régulation des jeux en ligne). En trois ans, 138 sites ont été bloqués.

Les autres transmissions sont destinées à la DGCCRF quand elles concernent des pratiques commerciales trompeuses réprimées par le code de la consommation, au procureur de la République lorsqu’il y a identification d’un probable délit qui ne relève pas du périmètre des abus de marché, à Tracfin avec lequel un protocole a été signé, au H3C (pour les commissaires aux comptes).

Par ailleurs, L’AMF diligente des enquêtes et des contrôles sur pièces et sur place, dont les conclusions font l’objet d’une procédure contradictoire avant d’être présentées au collège de l’AMF pour poursuites éventuelles. L’AMF ouvre entre 60 et 80 enquêtes par an, dont entre 40 et 50 à la demande d’autorités de régulation étrangères, et entre 20 et 30 de sa propre initiative. Sur ces dernières, environ la moitié donne lieu à poursuites.

Quand le collège décide qu’il y a matière à griefs, une composition administrative est proposée. L’accord sera ensuite homologué par la commission des sanctions et publié sur le site de l’AMF sans anonymisation. Cette voie présente l’avantage de la rapidité et de l’efficacité, d’autant que l’accord peut intégrer des mesures de réparation à l’égard des victimes.

Les autres dossiers suivent la voie normale : ils sont transmis à la Commission des sanctions avec, dans le cas des abus de marché, une étape devant le parquet national financier (PNF) pour arrêter le choix de la filière répressive, administrative ou pénale, afin de respecter le principe du non bis in idem. Le PNF retient en principe le dossier lorsque des peines privatives de liberté peuvent être envisagées ou lorsque les interactions avec des enquêtes judiciaires sont telles que le dossier ne peut être découpé. Cette étape dure deux mois maximum. Le nombre de transmissions diminue du fait de la jurisprudence du ne bis in idem. En cas d’aiguillage du dossier vers le PNF, l’AMF peut exercer les droits des parties civiles et se trouver ainsi associée à la procédure.

Depuis le début de l’année 2018, 23 dossiers ont été clôturés par l’AMF, 10 par une composition administrative et 13 par une décision de la Commission des sanctions. Au total, 5,7 millions d’euros de sanctions ont été prononcées. Ce montant varie fortement d’une année sur l’autre en fonction des dossiers (43,5 millions d’euros en 2017).

c.   La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

La DGCCRF a une compétence extrêmement large puisqu’elle est chargée à la fois de veiller à la conformité des pratiques commerciales dans une optique de protection du consommateur et de surveiller les professions sous son contrôle au titre de la législation anti‑blanchiment, c’est‑à‑dire les professions immobilières, et les sociétés de domiciliation, deux secteurs particulièrement exposés à des risques en la matière.

S’agissant d’arnaques, quand la DGCCRF reçoit des signalements (une centaine par an, portant surtout sur les produits de placement), le service national des enquêtes (SNE) entreprend des investigations en se faisant communiquer des documents ou en procédant à des auditions, des visites ou des saisies. Ses agents ne disposent pas de la qualité d’officier de police judiciaire (OPJ). Quand ils soupçonnent de la fraude fiscale, du blanchiment d’argent ou tout autre délit, ils transmettent aux autorités compétentes, Tracfin ou parquet territorialement compétent au titre de l’article 40 du code de procédure pénale.

Les arnaques peuvent être poursuivies sous le chef de pratique commerciale trompeuse (article L. 121‑1 du code de la consommation), pour laquelle il n’est pas indispensable de prouver la manœuvre frauduleuse, ni la remise d’argent.

Dans son rôle d’autorité de régulation, la DGCCRF effectue des enquêtes nationales, afin de vérifier le respect par les professionnels de leurs obligations : mise en place d’un système d’identification, d’évaluation et de gestion des risques ; obligation de former et d’informer les collaborateurs ; obligation de vigilance ; obligation de déclaration de leurs éventuels soupçons à Tracfin.

Il s’agit de contrôles de second niveau, visant à vérifier la fiabilité et l’effectivité des dispositifs mis en place par les assujettis. En cas de manquement d’un professionnel à l’une de ses obligations, un rapport est transmis à la Commission nationale des sanctions (CNS), seule compétente pour prendre des sanctions à l’encontre de ces assujettis.

Depuis 2014, le service national des enquêtes a procédé à la transmission à la CNS de 23 rapports dans le secteur immobilier et de 42 rapports concernant des domiciliataires d’entreprises. Par ailleurs, le SNE a transmis 14 déclarations de soupçon à TRACFIN.

S’agissant des domiciliataires (50 contrôles par an), l’enquête menée chaque année depuis 2012 par le SNE auprès d’un échantillon d’une quarantaine de professionnels fait apparaître une appropriation partielle de leurs obligations légales. Les anomalies relevées mettent en évidence une méconnaissance de leur obligation de mettre en place un système d’évaluation des risques liés au blanchiment, ainsi que de leur obligation de vigilance constante (vérification de la validité et mise à jour des pièces contenues dans les dossiers qu’elles doivent détenir pour chacun de leurs clients). La tendance indique néanmoins une diminution du taux d’anomalie, notamment de la part des réseaux les plus importants.

Chez les professionnels de l’immobilier, les contrôles réalisés par la DGCCRF en 2016 ont mis en évidence une appropriation des obligations en matière de LCB‑FT en légère progression. Si la connaissance de la réglementation s’améliore au fil des années, principalement dans les réseaux et l’immobilier de prestige, les insuffisances sont particulièrement notables dans les structures indépendantes. Le taux d’établissements en anomalie, qui est passé de 80 à 63 % entre 2010 et 2016, demeure élevé.

d.   La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI)

La direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) participe à la lutte contre la délinquance financière, d’une part dans le cadre du contrôle des flux financiers illicites, à la frontière et sur l’ensemble du territoire national, et d’autre part lors d’enquêtes douanières ou judiciaires conduites par ses services spécialisés (voir infra) tels que la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) ou le service national de douane judiciaire (SNDJ).

Concernant le contrôle des flux, la stratégie développée par la DGDDI s’appuie aussi bien sur la caractérisation du blanchiment douanier (article 415 du code des douanes), du blanchiment général (article 324‑1 du code pénal), du blanchiment lié à un trafic de stupéfiants (article 222‑38 du code pénal) ou du blanchiment en relation avec une entreprise terroriste (article 421‑1, 6° du code pénal), que sur la réglementation relative à  l’obligation déclarative des sommes, titres ou valeurs d’un montant égal ou supérieur à 10 000 euros, en cas de franchissement de frontière.

Des enquêtes administratives, conduites par la DNRED et les services régionaux d’enquêtes (SRE), peuvent être diligentées d’initiative ou après analyse de risque, à la suite de la constatation de manquements à l’obligation déclarative (MOD).

action de la DGDDI contre les flux financiers illicites
(Manquement à l’obligation déclarative et blanchiment)

 

2013

2014

2015

2016

2017

Nombre de constatations

MOD

1 443

1 387

1 406

1 835

2 028

Nombre de constatations

blanchiment

23

18

69

154

173

Montant des sommes en jeu MOD

71 M€

64 M€

61 M€

64 M€

64 M€

Montant des sommes en jeu blanchiment

4 M€

2 M€

12 M€

13 M€

14 M€

Source : direction générale des douanes et des droits indirects.

Le nombre de constatations de manquement à l’obligation déclarative de capitaux (MOD) est en progression constante. En 2017, la DGDDI a ainsi relevé 2 028 MOD, correspondant à 64 millions d’euros, soit une augmentation de 41 % du nombre de constatations en cinq ans.

Près de la moitié des constatations donne lieu à la consignation des sommes, les autres faisaient l’objet d’un règlement transactionnel qui s’accompagne d’une pénalité pouvant aller jusqu’à 50 % de la somme sur laquelle a porté l’infraction.

En cas de constatation d’un manquement à l’obligation déclarative, l’infracteur peut être placé en retenue douanière, dont la durée est fixée à 24 heures ou 48 heures sur autorisation du procureur de la République. Si les nécessités de l’enquête le justifient, cette retenue peut le cas échéant être prolongée sous le régime de la garde à vue : le SNDJ se voit ainsi confier par le parquet plus d’une centaine de ces procédures chaque année.

Les suites données aux procédures MOD avec consignation dépendent des résultats de l’enquête qui a été conduite : les dossiers sont soit portés en justice, soit réglés par voie transactionnelle.

Les résultats de la DGDDI en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux ont nettement augmenté depuis 2015, puisque le nombre de constatations en matière de blanchiment douanier a été multiplié par 7,5 en quatre ans, passant de 23 constatations en 2013 à 173 constatations en 2017. Le montant des sommes en jeu est quant à lui passé de 4 millions d’euros en 2013 à 14 millions d’euros en 2017, soit une hausse de 250 %.

3.   Le rôle préventif de l’Agence française anticorruption

L’Agence française anticorruption (AFA) a été créée par la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique du 9 décembre 2016, dite « Sapin 2 ». Elle a remplacé le Service central de prévention de la corruption, qui était placé sous l’autorité du Garde des sceaux.

Apparue dans un paysage en pleine mutation, marqué par la création de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique et du parquet national financier, l’Agence est un dispositif inspiré de modèles étrangers, conçu dans le souci d’offrir une alternative crédible aux poursuites américaines contre les entreprises françaises soupçonnées d’avoir corrompu des agents publics étrangers dans le cadre de négociations de contrats internationaux, mais aussi de créer une culture de la prévention, passant par la formalisation des procédures, dans les entreprises, les administrations et les collectivités. Selon l’article 1er de la loi « Sapin 2 », l’Agence a pour mission d’ « aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic dinfluence, de concussion, de prise illégale dintérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme ». Trois axes ont été retenus : la prévention, le contrôle des décisions judiciaires et les activités de conseil.

Un contrôle diligenté par l’AFA s’apparente à un audit externe, et les manquements constatés sont passibles de sanctions administratives. Les agents ne disposent pas de pouvoirs de police judiciaire. Toutefois, ils ont un droit de communication et le secret professionnel ne peut leur être opposé. Afin de clarifier la procédure, l’Agence a publié en 2017 une charte des droits et devoirs des parties prenantes au contrôle.

Moyens de l’AFA

Moyens matériels

Les moyens budgétaires affectés à l’Agence sont retracés dans le programme n° 218 « Conduite et pilotage des politiques économiques et financières ». Le bleu budgétaire pour 2019 annonce une montée en puissance : « Enfin, lAFA, créée en mars 2017, a engagé en 2018 une centaine de contrôles qui se poursuivront sur 2019. Elle devrait ainsi contrôler sur une période de trois ans plus de 120 acteurs publics et plus de 170 acteurs économiques (soit lintégralité du périmètre SBF 120, ainsi quenviron 50 établissements publics et sociétés non cotées ou signalées). LAFA prendra part en 2019 à la préparation des évaluations de la France dans les enceintes internationales. »

Il est prévu en 2019 une ligne de 300 000 euros pour le système d’information de l’Agence.

Moyens humains

En 2017, le plafond d’emplois était de 70 agents et l’Agence a procédé au recrutement de 52 personnes, provenant d’horizons différents – publics comme privés – de façon à diversifier les expériences et les compétences.

S’agissant du programme budgétaire, à l’intérieur d’un plafond d’emplois stable, des redéploiements et une montée en compétences par substitution de catégories B et C par des catégories A et A+ devraient avoir lieu au profit des organes de contrôle que sont Tracfin et l’AFA.

a.   La prévention

La prévention s’exerce sur un périmètre de surveillance très large.

Dans le secteur privé, l’Agence supervise les dispositifs destinés à prévenir la corruption dans les sociétés employant au moins 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros. Lorsque la société établit des comptes consolidés, les obligations portent sur la société elle‑même ainsi que sur l’ensemble de ses filiales.

Les dispositifs anticorruption du secteur privé

Ils doivent comporter les huit points suivants :

1) un code de conduite définissant et illustrant les différents types de comportements à proscrire comme étant susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence ;

2) un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés et relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la personne morale ;

3) une cartographie des risques prenant la forme d’une documentation régulièrement actualisée et destinée à identifier, analyser et hiérarchiser les risques d’exposition de la personne morale à des sollicitations externes aux fins de corruption, en fonction notamment des secteurs d’activités et des zones géographiques dans lesquels la personne morale exerce son activité ;

4) des procédures d’évaluation de la situation des clients, fournisseurs de premier rang et intermédiaires au regard de la cartographie des risques ;

5) des procédures de contrôles comptables, internes ou externes, destinées à s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence. Ces contrôles peuvent être réalisés soit par les services de contrôle comptable et financier propres à la personne morale, soit en ayant recours à un auditeur externe à l’occasion de l’accomplissement des audits de certification de comptes ;

6) un dispositif de formation destiné aux cadres et aux personnels les plus exposés aux risques de corruption et de trafic d’influence ;

7) un régime disciplinaire permettant de sanctionner les salariés de la personne morale en cas de violation du code de conduite de la personne morale ;

8) un dispositif de contrôle et d’évaluation interne des mesures mises en œuvre.

À l’issue d’un contrôle, le directeur de l’Agence peut adresser un avertissement aux entités contrôlées, de façon à ce qu’elles se conforment aux recommandations du rapport qui leur a été remis, en programmant un nouveau contrôle. Ces rapports sont transmis à des tiers sur réquisition judiciaire.

En cas de manquement grave, le directeur saisit la commission des sanctions, qui peut :

– enjoindre la société d’adapter les procédures internes dans un certain délai, plafonné à trois ans ;

– infliger des sanctions pécuniaires, ne pouvant dépasser 200 000 euros pour les personnes physiques et 1 million d’euros pour les personnes morales ;

– ordonner la publication de la décision d’injonction ou de sanction disciplinaire.

Quant au secteur public, il couvre les administrations civiles et militaires de l’État, notamment :

– les administrations centrales ;

– les services à compétence nationale (SCN) ;

– les services déconcentrés ;

– les opérateurs de l’État, les autorités administratives indépendantes (AAI) et les autorités publiques indépendantes (API) ;

– les collectivités territoriales, dans leur totalité ;

– les établissements publics, qui comprennent notamment :

Le 3° de l’article 3 de la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique charge l’AFA de contrôler « la qualité et lefficacité des procédures mises en œuvre au sein des administrations de lÉtat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et sociétés déconomie mixte, et des associations et fondations reconnues dutilité publique pour prévenir et détecter les faits de corruption, de trafic dinfluence, de concussion, de prise illégale dintérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme ».

Les huit points imposés aux entreprises ne sont pas opposables au secteur public et le mécanisme des sanctions administratives (cf. infra) ne lui est pas applicable. Les contrôles donnent lieu à l’établissement de rapports transmis aux représentants de l’entité contrôlée ainsi qu’aux autorités à l’initiative du contrôle lorsque ce dernier résulte d’une saisine du Premier ministre, d’un ministre, du président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ou d’un préfet. Ces rapports contiennent les observations de l’Agence concernant la qualité du dispositif de prévention et de détection de la corruption mis en place au sein des entités contrôlées, ainsi que des recommandations.

À la fin de l’année 2017, cinq entreprises privées et une entreprise publique s’étaient vues notifier un contrôle. Leur chiffre d’affaires était compris entre 1,2 et 49 milliards d’euros, employant entre 2 000 et 80 000 collaborateurs. Les contrôles d’initiative se sont intensifiés en 2018 puisque l’AFA en a lancé quarante‑sept, dont quatre dans le cadre d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Les quarante‑trois autres se ventilent entre vingt‑huit dans le secteur privé, et quinze dans le secteur public (six établissements publics opérateurs de l’État, une association reconnue d’utilité publique, deux centres hospitaliers universitaires, deux régions, deux départements, une métropole, une société d’économie mixte locale).

b.   Le contrôle de l’exécution des décisions judiciaires

L’AFA contrôle les dispositifs anticorruption mis en œuvre en exécution des conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP) et des peines de programme de mise en conformité (PPMC) prononcées par le juge.

La CJIP est inspirée du modèle des « deferred prosecution agreements » (DPA) américains ou britanniques, qui permettent à la personne morale, par la conclusion d’une transaction judiciaire, d’échapper à la poursuite pénale en contrepartie du paiement d’amendes souvent très importantes et de sa soumission à un programme de conformité anticorruption sous le contrôle d’un moniteur.

La CJIP répond, comme la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), au souci de rapidité, partagé par le ministère public et la personne en cause.

La loi autorise le procureur de la République à proposer aux personnes morales publiques ou privées, quelle que soit leur nationalité, quel que soit leur chiffre d’affaires ou le nombre de leurs salariés, lorsqu’elles sont mises en cause pour des faits de corruption, de trafic d’influence, de blanchiment de fraude fiscale, et de fraude fiscale depuis le vote de la loi relative à la lutte contre la fraude ([36]), de conclure une convention dont l’exécution aura pour effet d’éteindre l’action publique.

Dans le cadre d’une CJIP, l’AFA contrôle l’obligation des personnes morales condamnées à se soumettre à un programme de mise en conformité pendant une durée maximale de trois ans. Dans cette hypothèse, les frais occasionnés par le recours par l’AFA à des experts ou à des personnes ou autorités qualifiées, pour l’assister dans la réalisation d’analyses juridiques, financières, fiscales et comptables nécessaires à sa mission de contrôle, sont supportés par la personne morale mise en cause, dans la limite d’un plafond fixé par la convention.

Les personnes morales déclarées responsables des délits de corruption et de trafic d’influence peuvent être sanctionnées d’une « peine de programme de mise en conformité » (PPMC) qui leur impose de se soumettre, pendant une durée maximale de cinq ans, à l’obligation de mettre en œuvre un programme de conformité anticorruption, sous le contrôle de l’AFA.

Cette peine a pour objectif de s’aligner sur certains modèles étrangers, afin d’éviter aux entreprises françaises d’être soumises au monitoring de la justice américaine.

c.   Les activités de conseil

L’Agence est chargée de la centralisation des informations sur la corruption et les atteintes à la probité, et de la diffusion des bonnes pratiques. Elle apporte son soutien à tous ceux qui la sollicitent et participe ainsi à des formations et des actions de sensibilisation tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Elle a, à ce titre, publié des chartes, des codes de bonne conduite, et conçu une formation en ligne. L’Agence contribue en outre à définir la position de la France dans les instances internationales et participe à des actions de coopération, d’appui et de soutien auprès d’autorités étrangères.

Pour asseoir son autorité, l’AFA a besoin de moyens supplémentaires, juridiques et pratiques.

Ainsi, le directeur de l’Agence a déclaré s’être vu opposer le secret statistique par la Direction générale des entreprises et le secret fiscal par la DGFiP, quand il leur avait demandé la liste des entreprises sous son contrôle. De même, le secret professionnel complique parfois les relations avec les établissements relevant de la tutelle administrative de l’ACPR et de l’AMF, qui partagent pourtant avec elle un objectif de conformité. Pour faciliter son travail, l’Agence demande que l’article 4 de la loi Sapin 2 soit complété de façon que le secret professionnel ne puisse lui être opposé et qu’elle puisse obtenir toute information nécessaire à l’accomplissement de ses missions.

L’AFA est également chargée de concevoir un plan national pluriannuel de lutte contre la corruption, tâche à laquelle elle s’est attelée depuis le début de l’année 2017 et qui devrait aboutir au cours de l’année 2019.

Par ailleurs, l’AFA observe dans son dernier rapport d’activité qu’« une évaluation objective est un préalable indispensable à la lutte contre la corruption », l’information provenant actuellement essentiellement des sanctions pénales qui ont été prononcées, ce qui est insuffisant. Ce constat est partagé par les rapporteurs qui considèrent qu’une cartographie de la corruption serait nécessaire pour mieux appréhender le phénomène et ajuster en conséquence le plan pluriannuel que l’AFA est chargé d’élaborer.

Proposition n° 6 : consolider le positionnement de l’Agence française anticorruption :

– en lui attribuant un droit de communication pour que le secret professionnel ne lui soit pas opposable dans le cadre de ses missions ;

– en lui confiant la constitution d’une base de données relative aux atteintes à la probité pour établir une cartographie des risques.

4.   Des résultats du contrôle fiscal en demi-teinte

a.   Une transformation des méthodes

Entre 2009 et 2016, les effectifs de la DGFiP ont baissé de 17 %, soit une baisse continue et régulière de quelque 2 000 agents par an. Cette décroissance qui a touché davantage les implantations locales ([37]) doit être replacée dans le contexte de la préparation de la réforme du prélèvement à la source qui, au‑delà des péripéties politiques, a mobilisé les forces vives de la DGFiP depuis 2015. Il est prévu d’y affecter encore 500 ETPT en 2019.

Évolution du nombre d’ETP avec base 100 en 2009

DGFiP CC effectifs comparés

FPE : fonction publique d’État.

MINEFI : ministère de l’économie et des finances.

Source : Cour des comptes, La DGFiP dix ans après la fusion, une transformation à accélérer, juin 2018.

Selon le document de politique transversale, environ 10 000 agents sont affectés au contrôle fiscal, un effectif stable, déclare la DGFiP, en raison « des enjeux politiques et budgétaires majeurs de cette mission ». Sur les 6 000 fonctionnaires qui participent au contrôle externe, elle dénombre plus de 4 000 vérificateurs, les autres étant chargés de la programmation et des recherches.

La Cour des comptes relève que, « sur le plan des effectifs, lengagement de sanctuarisation des emplois du contrôle fiscal na pas été tenu. Entre 2012 et 2016, les effectifs du contrôle fiscal ont diminué de 12 %, soit une baisse plus que proportionnelle à la baisse globale des effectifs de la DGFiP (– 9 %) » ([38]). Elle ajoute que les brigades de contrôle et de vérification n’ont été épargnées que dans un premier temps, mais que les suppressions de postes dans les services chargés de la programmation et de la planification n’ont pas été sans conséquence sur les contrôles en aval. Les rangs des pôles de contrôle s’étant éclaircis, les contrôles menés ont été ciblés moins finement et leur efficacité s’en est ressentie.

Par ailleurs, la Cour des comptes relève également un fort recul des investissements informatiques, condition sine qua non de la modernisation des outils du contrôle. Ont donc subsisté des systèmes informatiques calqués sur l’ancienne organisation duale (DCP‑Direction du Trésor), compliquant encore les travaux. Dans le rapport précité, la Cour considère, comme en 2016 où elle avait consacré un chapitre de son rapport annuel à la lutte contre la fraude fiscale, que les faiblesses des systèmes d’information sont telles qu’elles se ressentent sur le contrôle fiscal : « la rupture de la chaîne informatique entre les applications de suivi des opérations de contrôle (Alpage) et celles de recouvrement (Erica et Medoc), relevée à plusieurs reprises par la Cour, limite linformation sur létat du recouvrement et génère des risques derreurs liés à lobligation de ressaisir les données dun système à lautre. »

Lors de son audition par les rapporteurs, le sous‑directeur du contrôle fiscal a déclaré que la baisse des effectifs de programmation – le nombre de vérificateurs est, lui, sanctuarisé – devrait être compensée par la montée en charge des techniques de data mining avec pour objectif qu’elles soient à l’origine de 20 % des contrôles et qu’ils soient mieux ciblés. En effet, la réduction des équipes en amont du contrôle s’est traduite par celle du nombre de contrôles programmés et par des affaires de moindre qualité. Non seulement il faut que les nouvelles méthodes de programmation prennent de l’ampleur mais aussi qu’elles soient de meilleure qualité. La deuxième condition sine qua non relève de l’informatique : le décloisonnement des bases. Les bases de données des sociétés, d’une part, des particuliers, d’autre part, sont cloisonnées, ce qui est très pénalisant pour l’administration puisque le recoupement se fait de façon artisanale. Une base de données commune est en cours de constitution.

Dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2019, le rapporteur spécial M. Laurent SaintMartin na dailleurs pas manqué dalerter sur la faiblesse des dépenses informatiques de la DGFiP. À cet égard, les concours financiers du Fonds pour la transformation de l’action publique au projet « Ciblage de la fraude et valorisation des requêtes » (CFVR) et au projet PILAT – Refonte des systèmes d’information du contrôle fiscal – pour respectivement 5,2 millions d’euros et 13,4 millions d’euros constitueront un ballon d’oxygène bienvenu.

Les moyens humains et matériels ne sont pas le seul levier sur lequel s’appuie le contrôle fiscal. Afin de s’adapter à l’environnement, le fisc s’est doté de nouveaux outils juridiques.

 Une extension du droit de communication introduit par la loi de finances rectificative pour 2014 ([39])

L’administration fiscale peut désormais exercer son droit de communication à l’égard de personnes non identifiées ([40]) dans le cadre de l’établissement de l’assiette ou du contrôle de l’impôt. L’objectif est de lutter contre la fraude commise dans le domaine du commerce en ligne où les acteurs sont difficilement identifiables (utilisation d’un pseudonyme…).

Par ailleurs, les agents chargés du recouvrement ont dorénavant accès aux mêmes documents et renseignements que les agents en charge de l’établissement de l’assiette ou du contrôle de l’impôt.

Enfin, l’administration peut également demander aux entreprises industrielles ou commerciales, en plus des documents dont la tenue est obligatoire, les documents relatifs à leur activité.

 Lexamen de comptabilité

Entré en vigueur en 2017, l’examen de comptabilité correspond à une procédure plus simple et mieux adaptée aux PME dans la mesure où le vérificateur peut procéder au contrôle à distance, après s’être fait remettre la comptabilité de l’entreprise, obligatoirement sous forme dématérialisée.

La fusion des services de gestion des impôts et de leur recouvrement devait en principe renforcer l’efficacité du contrôle fiscal, en permettant un recentrage des moyens sur les actions répressives grâce au maintien des moyens humains du contrôle fiscal. Dix ans après, les résultats ne sont pas conformes aux attentes.

Ils se sont maintenus notamment grâce au service de traitement des déclarations rectificatives (STDR), qui recevait les déclarations des détenteurs d’avoirs non déclarés à l’étranger, qui a fermé ses portes le 31 décembre 2017 et dont le rendement a atteint près de 8,5 milliards d’euros.

 Les droits rappelés et les pénalités tendent à séroder

De fait, le produit du contrôle fiscal tend à s’éroder.

Les droits notifiés résultent de la somme des droits rappelés et des pénalités dont la décomposition est présentée ci‑dessous.

Évolution du produit DU contrÔle fiscal

(droits rappelés et pénalités)

(En M€)

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Moyenne annuelle 20122017

Variation 2017/moyenne annuelle 2012‑2017

Contrôles sur place

12 312

11 592

10 885

12 435

10 770

10 724

11 453

– 6,37 %

Contrôles sur pièces

Hors STDR

5 824

6 292

6 499

6 105

6 221

5 863

6 134

– 4,42 %

STDR (sommes recouvrées)

 

116

1 914

2 654

2 476

1 316

1 413

NS

Total

18 136

18 000

19 298

21 194

19 467

17 903

19 000

 5,77 %

Source : Projet de loi de finances, Voies et moyens I.

Le projet de loi de finances ventile les droits rappelés dans le cadre des contrôles sur place selon l’origine des contrôleurs.

Droits simples rappelÉs À l’issue des contrÔles sur place
selon l’origine du contrÔle

(En M€)

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Moyenne annuelle 20122017

Variation 2017/moyenne annuelle 2012–2017

DDFiP

1 778,8

1 974,2

1 874,4

1 849,9

1 791,6

1 721,6

1 831,8

– 2,89%

DIRCOFI

2 047,0

2 146,7

2 132,1

2 292,1

2 234,2

2 267,1

2 186,5

+ 3,69%

Dir. Nat.

5 250,7

4 344,2

3 970   

4 523,6

3 966,6

3 720,9

4 296   

– 13,39%

Total

9 076,5

8 465,1

7 976,5

8 665,6

7 992,4

7 709,6

8 314,3

 7,27 %

Source : Résultats du contrôle fiscal PLF, Voies et moyens I.

Si cet indicateur est pertinent, il montre que ce sont les enquêtes des directions nationales qui se sont révélées au fil du temps les moins fructueuses, ce qui va à l’encontre de l’efficacité recherchée par le biais de la spécialisation. Cela étant, c’est aussi au niveau national que les variations d’une année sur l’autre sont les plus fortes puisqu’une seule opération, par exemple l’annulation par le tribunal de l’amende d’1 milliard infligée à Google, peut influencer très sensiblement le résultat d’une année sur l’autre.

C’est pourquoi l’administration estime que l’indicateur devrait corréler le montant des droits mis en redressement et le montant des droits qui, in fine, est encaissé après contentieux. Pour cela, il faudrait faire évoluer le système d’information. Aujourd’hui, la saisine du juge, qui fait ipso facto perdre la main au comptable public et entraîne un sursis de paiement, fait sortir les créances contentieuses de l’indicateur ; sortent aussi les créances sur des contribuables placés en redressement judiciaire. Il faudrait s’en tenir à des créances sur lesquelles le contrôle fiscal a une forme de pouvoir. Une fois le contentieux achevé, les sommes sont réintégrées, d’où les effets de rebond de l’indicateur. Dans l’affaire Google, si la cour d’appel valide l’approche de l’administration fiscale, le montant sera réintégré et cela pourrait faire baisser l’indicateur si le temps manque pour engager la procédure de recouvrement. Cet indicateur est volatil et couvre des procédures qui échappent au contrôle fiscal. C’est précisément pour cette raison que la variation a été calculée sur une moyenne annuelle sur la période.

Parallèlement, le nombre de contrôles s’inscrit en baisse, une baisse plus accentuée que les montants redressés.

Évolution du nombre de contrÔles fiscaux externes

DGFiP CC contrôles sur place

Source : Cour des comptes.

La tendance sest poursuivie en 2017 avec 47 900 contrôles sur place. Par rapport à 2012, la diminution du nombre de contrôles sur place atteint est de – 8,5 %.

Les contrôles sur pièces accusent un repli encore plus accentué, puisque, par rapport à la moyenne 2012‑2017, ils ont reculé de 12 % en 2017. En rapprochant avec les montants, il semble que ce soit les contrôles sur pièces qui aient gagné en efficacité au cours des six dernières années puisque, hors STDR, les montants réclamés correspondants n’ont diminué que de 4,4 %, ce qui semble plaider pour le data mining.

Nombre de contrÔles sur piÈces

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Moyenne 2012‑2017

Contrôles sur pièces (tous types d’opérations)

794 465

821 566

762 007

752 868

690 705

657 047

746 443

Base 100 2012

100

103,4

95,9

94,8

86,9

82,7

94,0

Source : DGFiP.

Si la variation des montants peut être sujette à interprétation ([41]), celle du nombre de contrôles est éloquente et traduit bel et bien une réduction de l’activité de contrôle fiscal, dont les effets ont été atténués, d’une part, par les résultats du STDR ; d’autre part, par une plus grande efficacité des contrôles effectués.

 Le recouvrement reste médiocre

montant des droits notifiÉs et recouvrÉs au titre du contrÔle fiscal

(En Md€)

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Montant des droits notifiés

18,136

18

19,298

21,194

19,467

17,903

dont STDR

 

0,1

1,9

2,7

2,5

1,316

hors STDR

18,136

17,9

17,398

18,494

16,967

16,587

Montant recouvrés

9

10,1

10,4

12,2

11,1

9,4

dont STDR

 

0,1

1,9

2,7

2,5

1,3

hors STDR

9

10

8,5

9,5

8,6

8,1

Taux de recouvrement hors STDR

49,63 %

55,87 %

48,86 %

51,37 %

50,69 %

48,8 %

Source : Cour des comptes, La DGFiP, dix ans après la fusion, juin 2018 et DPT 2019.

Le montant des droits notifiés, c’est‑à‑dire des redressements effectués, a baissé sur la période sous revue. Hors STDR, le montant des droits notifiés a évolué dans une fourchette de 16,9 à 18,5 milliards par an et affichait en 2016 un résultat inférieur de 6,9 % à celui de 2012. En 2017, le montant des droits notifiés est tombé à 17,9 milliards, dont 1,3 milliard par le STDR, et les sommes recouvrées ont atteint 9,4 milliards, ce qui fait tomber le taux de recouvrement hors STDR à 48,8 %.

b.   Un engagement réel contre la fraude à la TVA

La direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), qui perçoit la TVA à l’importation, a érigé pour la troisième année consécutive la lutte contre la fraude fiscale comme orientation prioritaire de renseignement et de contrôle pour ses services.

 Lattribution du numéro de TVA intracommunautaire nest plus automatique

La loi n° 2013‑1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière ([42]) autorise l’administration à demander des renseignements complémentaires avant de se prononcer sur l’attribution ou le maintien d’un numéro de TVA intracommunautaire. L’UNSA Douanes a d’ailleurs signalé que le numéro de TVA intracommunautaire était attribué parfois trop facilement et les officiers rencontrés à l’OCRGDF ont signalé que certaines entreprises en sommeil étaient réactivées uniquement en vue d’organiser des fraudes à la TVA. Plusieurs instructions internes en 2012 et 2013 relatives à la détection précoce des sociétés et réseaux impliqués dans des circuits de fraude de type carrousel ont redéfini la mise en œuvre du dispositif de suspension du numéro de TVA intracommunautaire des opérateurs présumés frauduleux. Désormais coexistent la possibilité d’une suspension immédiate sur demande de la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) et celle d’une suspension immédiate à l’initiative du SIE (service des impôts des entreprises) ou du PCE (pôle de contrôle et d’expertise). Cette évolution répondait en particulier à la recommandation de la Cour des comptes de déconcentration de cette procédure au niveau des directions territoriales.

À partir de 2015, un changement de stratégie s’opère : jusque‑là, l’action de l’administration visait le « carrouséliste » lui‑même, au moyen d’un contrôle fiscal qui durait un an et qui était passible de tous les recours dont bénéficie le contribuable. Une fois la créance émise, la Commission des infractions fiscales (CIF) était saisie d’une demande de plainte pour fraude fiscale. Ensuite venait la phase judiciaire. Le contribuable disposait de tout le temps nécessaire pour organiser son insolvabilité ou pour s’enfuir. Désormais, l’administration fiscale demande simplement la suspension du numéro de TVA intracommunautaire qui interrompt immédiatement le carrousel (l’entreprise ne peut plus facturer la TVA ni l’autoliquider) et casse donc la fraude. Parallèlement, une plainte pour escroquerie est déposée, rendant inutile le passage devant la CIF. Le juge est saisi et le SNDJ intervient dans son sillage. La procédure permet en effet de gagner en rapidité, donc en efficacité. L’administration engage alors un contrôle fiscal classique du déducteur, puisque la législation permet de récupérer les sommes en suspendant la déductibilité. Les carrousels ne sont plus aussi massifs qu’au début des années 2010. Ainsi, ces mécanismes permettent de casser la fraude dans un certain nombre de secteurs.

Dans ce cadre, le délai de suspension des numéros de TVA intracommunautaire entre la détection de l’opérateur frauduleux par la DNEF et la suspension effective est de 15 jours en 2017.

Les suspensions réalisées par la DNEF sont en très forte progression depuis 2013 (+ 195 %). Le nombre de demandes de suspension continue à progresser en 2017, en raison de la poursuite de la réalisation d’opérations préventives de suspension des numéros de TVAI des sociétés défaillantes sélectionnées au travers des requêtes ALTARES, y compris dans le secteur du BTP ; ou par la suspension systématique des opérateurs défaillants détectés dans le cadre des enquêtes ou des contrôles des brigades de la DNEF.

Procédures de suspension du numéro de TVA intracommunautaire
par la DGFiP

Source : DGFiP.

 Linstruction sur place des remboursements de crédit de TVA

L’article 17 de la loi de finances rectificative pour 2016 prévoit pour l’administration fiscale la possibilité de procéder à une instruction sur place des demandes de remboursement de crédit de TVA. Il s’agit là d’un enjeu majeur puisque plus de 52 milliards d’euros ont été remboursés en 2016.

Cette procédure d’instruction sur place permet aux services, en cas de doute sur la sincérité de la demande de remboursement, de se rendre dans l’entreprise et de procéder à un contrôle rapide mais complet de la demande, au lieu de procéder à une vérification de comptabilité, procédure souvent longue et complexe.

Cette nouvelle procédure permet aux agents, en cas de complexité ou de doute sur la sincérité de la demande de remboursement de crédit de TVA, d’approfondir leurs travaux d’expertise, de sécuriser davantage leur prise de décision et d’effectuer des constatations sur place, via une procédure plus souple et plus rapide que celle d’un contrôle fiscal externe.

Les directions s’approprient progressivement cette nouvelle procédure, mise effectivement en place à compter de mars 2017. Les résultats obtenus sont prometteurs, avec un taux de rejet des demandes de remboursement de 40 % pour la période examinée, très supérieur à celui de l’ensemble des demandes expertisées par les pôles de contrôle, soit 17 % pour l’année 2017.

 La Task force TVA

La lutte contre la fraude à la TVA représente un axe stratégique pour la DGFiP mais également pour ses partenaires réunis au sein d’une « Task force TVA ». Structure de coordination interministérielle et opérationnelle spécifiquement dédiée à la lutte contre la fraude à la TVA, elle réunit régulièrement l’ensemble des partenaires de la DGFiP (justice, police, douanes et Tracfin) et les services de contrôle de l’administration fiscale.

Elle a vocation à déceler de nouveaux cas de fraude et à identifier des pistes d’amélioration de l’action des services de l’État. Selon le document de politique transversale de 2018, treize signalements de procédés de fraude à la TVA ont été signalés, ayant impliqué 387 entreprises, qui ont alors fait l’objet d’un contrôle fiscal, suivi éventuellement de poursuites. Pour les huit premiers mois de 2017, dix signalements de procédés de fraude à la TVA ont été effectués, mettant en cause 262 entreprises impliquées.

La DGFiP a défini des axes prioritaires concernant certains secteurs à risques, en particulier celui des ventes à distance, le bâtiment, le négoce de véhicules d’occasion.

Toutes les entreprises qui figurent dans une alerte Task Force TVA font l’objet d’un marquage spécifique dans l’application informatique dédiée aux remboursements de crédit de TVA : identifiées à risque, leurs demandes de remboursement de crédit de TVA font systématiquement l’objet d’un traitement en circuit long. Plus de 10 000 entreprises ont été étiquetées à risque dans l’applicatif. Les alertes déjà publiées en 2018 ont ainsi permis de rejeter ou de bloquer les demandes de 63 entreprises (517 depuis la création du marquage).

En 2017, ce sont plus de 1,88 milliard d’euros qui n’ont pas été remboursés du fait de contrôles approfondis de sociétés faisant l’objet d’une alerte de la Task Force. Ainsi, près de 20 % des remboursements de crédits de TVA demandés par les sociétés citées dans les alertes ont été rejetés ou bloqués après examen dans le cadre d’un contrôle fiscal approfondi.

Au niveau de la Task Force TVA, outre l’aspect pécuniaire, la DGFiP se concentre sur l’engagement de poursuites pénales à l’encontre des acteurs de la fraude.

 La lutte contre les logiciels frauduleux

Une des fraudes les plus coûteuses pour le Trésor est celle qui consiste pour les entreprises à occulter une partie de leurs recettes encaissées en espèces, et d’échapper ainsi à la TVA. Cette fraude a été facilitée par le développement de certains systèmes de caisse frauduleux qui permettent d’effacer des recettes déjà enregistrées.

Plusieurs actions vigoureuses ont été engagées pour mettre fin à ce type de fraude.

L’article 20 de la loi n° 2013‑1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière permet de sanctionner les éditeurs et concepteurs de systèmes de caisse frauduleux : l’administration peut leur appliquer une amende égale à 15 % du chiffre d’affaires provenant de la commercialisation de ces logiciels frauduleux et peut les rendre solidaires pour le paiement des droits dus par les entreprises qui ont fraudé grâce à ces logiciels.

Poursuivant la recommandation du rapport OCDE de décembre 2013, ce dispositif a été complété par une mesure qui vise désormais les utilisateurs de système de caisse frauduleux, dernier maillon de la chaîne de la fraude. Afin de traiter la question de l’utilisation de logiciels frauduleux le plus en amont possible, les entreprises devront obligatoirement détenir un logiciel de caisse sécurisé, sous peine d’une amende de 7 500 euros par logiciel (article 88 de la loi n° 2015‑1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 et décision du ministre de l’action et des comptes publics du 15 juin 2017).

Face à cette fraude, l’administration fiscale mène des actions d’envergure, régulièrement relayées par la presse (affaires récentes dans le secteur des pharmacies ou des restaurants). L’administration fiscale procède par voie de contrôles inopinés ou de perquisitions pour éviter la destruction de toute trace. Neuf vagues de contrôles concernant l’utilisation de logiciels permissifs ont été engagées dans différents secteurs professionnels.

Pour lutter contre les fraudes à la TVA, plusieurs systèmes ont été imaginés : le plus perfectionné, le système de déclaration des achats et des ventes, en vigueur en Espagne ; le plus simple, le système de déclaration des achats, partant du principe que les acheteurs qui déduisent la TVA n’ont guère d’intérêt à frauder, ce qui peut se discuter.

La déclaration électronique des achats et des ventes, en vigueur depuis le 1er juillet 2017 en Espagne ([43]), consiste à transmettre simultanément les commandes à l’administration fiscale en même temps qu’aux fournisseurs. Le système oblige les entreprises réalisant plus de 6 millions de chiffres d’affaires à transmettre l’ensemble des données des factures qu’elles émettent et qu’elles reçoivent. L’administration fiscale détermine ainsi le montant de TVA collectée et le montant déductible. Cette obligation porte actuellement sur 57 000 entités (grandes entreprises, sociétés intégrées et exportateurs), mais permet d’avoir une visibilité sur 85 % des transactions en montants. 160 000 factures sont ainsi reçues par l’administration chaque mois. Il n’est pas prévu de généralisation à l’ensemble des entreprises à court terme. La transmission des informations doit se faire en temps réel (dans un délai de quatre jours). Un tel système permet de repérer rapidement – la rapidité est déterminante pour lutter contre la fraude à la TVA – les données suspectes, par exemple quand une entreprise passe des commandes disproportionnées par rapport à son capital, et, éventuellement, de procéder à des vérifications.

Une mesure voisine a été proposée en France dans la loi de finances pour 2017, mais la disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel. Les seuils étaient beaucoup plus bas qu’en Espagne mais ne portaient que sur les achats. Le dispositif avait été introduit par un amendement ([44]) des députés dans le projet de loi de finances pour 2017 ([45]). Sa mise en œuvre était initialement prévue pour les transactions intervenant à compter du 1er janvier 2018. La déclaration devait obligatoirement être effectuée dans les vingt‑quatre heures suivant l’inscription de l’opération en comptabilité ou dans les contrôles documentés. Il était prévu de rendre cette procédure obligatoire pour toutes les opérations dont le montant était supérieur à 863 000 euros. La déclaration devait préciser le numéro de TVA du vendeur et la base d’imposition de l’opération. Le non‑respect de cette obligation était assorti d’une sanction spécifique. Ainsi, pour chaque achat non signalé, une amende équivalente à 1 % du montant supérieur à 863 000 euros était prévue. En parallèle, lorsque l’opérateur effectuait une déclaration valable, il ne pouvait pas voir son droit à déduction remis en cause. De même, l’administration ne disposait plus de la faculté de mettre en œuvre la procédure de solidarité en paiement à son encontre.

S’il n’a pas sanctionné le mécanisme en lui‑même, le Conseil constitutionnel a estimé qu’« en prévoyant une amende proportionnelle non plafonnée, pour un manquement à une telle obligation de signalement, alors même que la personne sanctionnée ne pouvait savoir que son cocontractant ne reverserait pas la taxe sur la valeur ajoutée, le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits quil a entendu réprimer ». ([46])

Faute d’une solution européenne que les rapporteurs appellent de leurs vœux, la déclaration des transactions pourrait être remise à l’étude dans un cadre national.

La lutte contre la fraude à la TVA est une affaire européenne et les instances européennes ont bien conscience du problème. Le cadre est fixé par le plan d’action sur la TVA lancé en avril 2016, face à la nécessité de remédier aux insuffisances du système en place, trop poreux à la fraude qui a atteint des niveaux considérables (de l’ordre de 150 milliards d’euros).

L’un des piliers de ce plan est l’adoption à terme d’un espace TVA unique qui soit plus simple pour les entreprises et plus robuste aux attaques.

Le pivot du système serait l’assujettissement des livraisons intracommunautaires à la TVA, à rebours de ce qui se fait actuellement dans les relations commerciales inter-entreprises (BtoB).

Il s’agirait de généraliser les mécanismes déjà en vigueur pour les ventes à distance à destination des particuliers (BtoC) de prestations de service électroniques ou de télécommunication, du type vidéo à la demande ou téléphonie mobile. Ces ventes sont déjà assujetties à la TVA du lieu de consommation. Dans ce cas, et pour faciliter les démarches des entreprises, a été ouvert dans l’État d’implantation du prestataire un « mini‑guichet » qui recense l’ensemble des prestations assujetties par État et par taux de TVA. La TVA est payée en totalité au fisc national, celui‑ci se chargeant de régler ses homologues étrangers. Pour le moment, il ne s’agit que de transactions BtoC (entre entreprises et particuliers) destinées à des particuliers.

La conséquence serait que chaque État membre accepterait de déléguer à ses homologues à la fois la collecte de l’impôt et le contrôle des entreprises déclarantes alors que les sommes sont d’une tout autre ampleur. De même, lorsqu’il engagerait des procédures pour recouvrer l’impôt non versé, il n’en serait pas forcément le bénéficiaire. Pour autant, les possibilités de fraude ne disparaîtraient pas fatalement : par exemple, une société taxi déclarerait au mini‑guichet du pays où elle est implantée une vente intracommunautaire TTC, encaisserait la TVA mais disparaîtrait avant d’effectuer le versement, auquel cas l’État de consommation ne percevrait pas la TVA due sur le produit final. La France propose donc que les États soient contraints d’accepter la réalisation sur leur sol d’une enquête administrative (c’est‑à‑dire d’un contrôle) lorsque plusieurs autres États membres (au moins deux) le réclament. Dans un cadre où l’État collecteur de la TVA n’en serait pas le bénéficiaire, il s’agit tout de même d’une précaution minimale, surtout que les expériences précédentes ont montré une sous‑estimation systématique des risques.

Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) de 2007 ([47]) est à cet égard éclairant. Il soulignait à l’époque que « la mise en place du marché commun avait ouvert des opportunités de fraude pour les contribuables mal intentionnés et que les administrations en charge du recouvrement des prélèvements obligatoires avaient eu du mal à adapter leur mode de fonctionnement et le niveau de leur coopération européenne à cette nouvelle réalité ». À la lumière de cette expérience, il craignait qu’une poursuite des réformes, sous la houlette de la Commission, dans le souci de favoriser les échanges n’aggrave la situation. Deux d’entre elles était dans sa ligne de mire : le projet de guichet unique et le projet de directive sur les services dans le marché intérieur. Une décennie plus tard, force est de constater que ses appréhensions n’étaient pas sans fondement. S’agissant du premier, le CPO considérait que « au regard de la lutte contre la fraude à la TVA, lexistence dun guichet unique suscite de nombreuses questions. Dabord, il rendrait quasiment inopérants tous les systèmes destinés à empêcher les fraudeurs potentiels de sidentifier à la TVA et dutiliser un numéro de TVA intracommunautaire. » À telle enseigne qu’il a fallu revenir sur son attribution automatique.

C’est pourquoi l’adoption du projet de généralisation du guichet unique doit être subordonnée à l’assurance que des précautions suffisantes seront prises pour préserver à la fois les intérêts financiers de l’Union et ceux de ses membres.

Le parquet européen, dont le principe a été validé par le règlement UE 2017/1939 le 12 octobre 2017, plus de vingt ans après avoir été proposé par le comité d’experts réunis autour de Mireille Delmas‑Marty, pourrait contribuer à rendre la lutte contre la fraude plus efficiente. Ce projet, fruit d’une coopération renforcée entre seize États membres ([48]) qui ont été rejoints par six autres ([49]), devrait se concrétiser à la fin de l’année 2020. Il sera compétent notamment pour les infractions graves contre les intérêts financiers de l’Union. La directive 2017/1371 du 5 juillet 2017 précise qu’ « Il convient de considérer comme graves les infractions contre le système commun de TVA qui ont un lien avec le territoire de deux États membres ou plus, qui résultent dun système frauduleux dans lequel ces infractions sont commises de manière structurée avec pour objectif de tirer indûment profit du système commun de TVA et qui entraînent un préjudice dun montant total dau moins 10 millions deuros ». Il disposera de pouvoirs d’enquête et pourra engager des poursuites devant les juridictions nationales.

S’il s’agit d’une avancée incontestable, il n’en demeure pas moins qu’il n’interviendra qu’une fois la fraude commise. Or, le temps que les procédures judiciaires soient menées à leur terme, les fraudeurs et le produit de leur fraude se sont parfois envolés.

Aussi serait‑il préférable de trouver une solution préventive : le paiement scindé. D’aucuns se demandent pourquoi l’État persiste à confier la collecte de sa principale ressource aux fraudeurs eux‑mêmes. Ne faudrait‑il pas envisager d’intégrer un nouvel acteur, en l’occurrence les banques ? Elles pourraient, à chaque transaction, scinder le paiement en deux. D’un côté, elles verseraient au vendeur le prix hors taxe, et de l’autre côté elles verseraient directement la TVA à l’administration fiscale. Ce système a été mis en place dans plusieurs États : en Bulgarie avant son intégration dans l’UE en 2007, en Roumanie et en Pologne depuis 2018, et en Italie (où le mécanisme ne concerne que les marchés publics). La commission des finances du Sénat avait proposé d’instaurer ce système pour les paiements dématérialisés sur internet, dans un rapport de 2015 ([50]), sous la forme d’un « prélèvement à la source de la TVA ». Les « carrouselistes » perdraient leur intérêt à agir puisqu’ils ne percevraient plus la TVA.

Un retour d’expérience du cas italien de paiement scindé fait par la Commission européenne a soulevé une seule difficulté : son impact sur la trésorerie des entreprises, qui devra être étudié de près.

En tout état de cause, l’assujettissement des livraisons intracommunautaires à la TVA doit être assorti de garanties suffisantes pour les États bénéficiaires.

Proposition n° 7 : pour lutter contre la fraude à la TVA et dans la perspective de l’assujettissement des livraisons intracommunautaires à la TVA, mettre à l’étude le paiement scindé.

c.   La levée partielle du verrou de Bercy

La levée partielle du verrou de Bercy, qui datait de 1920 et de la création de l’impôt sur le revenu, a été introduite et votée dans le cadre de la loi n° 2018‑898 relative à la lutte contre la fraude. Désormais, les autorités judiciaires pourront poursuivre les infractions lorsque les droits rappelés auront dépassé 100 000 euros et qu’ils auront été frappés de pénalités allant de 40 % à 100 %.

Le terrain avait été préparé par un rapport d’information ([51]) de Mme Émilie Cariou qui fait la synthèse des positions sur le sujet. Le dispositif antérieur, qui posait une question de principe, était critiqué pour son opacité et les risques d’arbitraire qu’il recélait, malgré le contrôle de la Commission des infractions fiscales (CIF) ouverte à des tiers, qui transmettait au parquet un millier de dossiers par an avec une remarquable constance.

Un tel calibrage serait dû à ses moyens limités. Par ailleurs, les dossiers transmis au juge pénal auraient concerné souvent des cas relativement simples (secteurs automobile, du BTP ou des services), dans la crainte de ne pas voir aboutir les procédures judiciaires à l’encontre des montages frauduleux les plus complexes. Paradoxalement, cette mise à l’écart de l’appareil judiciaire aurait pu affaiblir la sanction de la fraude, notamment les plus sophistiquées d’entre elles, puisque le fraudeur n’aurait de fait couru aucun risque de se voir infliger des sanctions pénales. C’est pour cette raison que la Cour des comptes avait recommandé l’approfondissement des échanges entre l’administration et le Parquet, dans la mesure où « ladministration ne peut pas toujours avoir de vision densemble sur les dossiers de fraudes les plus complexes » alors que « lautorité judiciaire dispose de moyens denquête (…) qui lui permettent dappréhender la totalité dun réseau de fraude » ([52]).

La question se pose désormais de savoir si les magistrats du Parquet seront en mesure de traiter rapidement et efficacement les nouveaux dossiers, qui seraient sélectionnés parmi les 15 000 faisant chaque année l’objet de pénalités d’au moins 40 % des droits éludés. En ne retenant que ceux qui dépasseraient les 100 000 euros de droits, le nombre de dossiers transmis au parquet pourrait ainsi passer à 4 000, d’après les chiffres évoqués devant le Sénat par le président de la CIF, M. Marc El Nouchi ([53]). Un allongement du délai moyen de jugement est à craindre, ce dernier étant déjà, avant la réforme, de trois ans dans les procès correctionnels pour fraude fiscale, pour la seule première instance.

d.   L’échange automatique des informations fiscales et le renouvellement de la programmation du contrôle

Les Panama puis les Paradise papers, en 2016 et 2017, révélés par des journalistes, qui ont alerté l’opinion publique, mais avant eux, la très forte pression des États‑Unis résolus à lutter contre la fraude fiscale sur laquelle avaient prospéré des banques étrangères, ont montré l’importance stratégique des échanges d’informations pour lutter contre la fraude à grande échelle.

Des accords internationaux d’échanges d’information se sont succédé et les États doivent désormais être capables non seulement d’alimenter les flux mais aussi de les exploiter. Il a fallu au préalable mettre les pays à un même niveau de réglementation et rappelons le rôle de la France pour mettre en place l’équivalent d’un fichier des comptes bancaires (FICOBA), qui n’existait que dans huit pays, et FICOVIE pour les assurances vie chez tous ses partenaires. L’harmonisation se fera dans le cadre de la 5ème directive anti‑blanchiment.

Les dispositifs internationaux déchange automatique
dinformations fiscales

• Échanges automatiques au sein de lUnion européenne sur cinq catégories de revenus

Depuis 2015 (pour l’année 2014), les États membres s’échangent chaque année les informations disponibles dans les bases de données des administrations fiscales européennes sur les montants des salaires, jetons de présence, pensions, produits d’assurance-vie et revenus de la propriété immobilière.

• Échanges automatiques sur les comptes financiers (comptes bancaires et contrats dassurance-vie) DAC 2

Depuis 2015 (pour l’année 2014), la France et les États‑Unis s’échangent de façon bilatérale des informations sur les comptes financiers détenus directement ou indirectement au sein de leurs établissements financiers par les contribuables de l’autre État ([54]).

À compter de 2017 (pour l’année 2016), 49 États, dont l’ensemble des États membres de l’Union européenne, procédent à ce type d’échanges sur les comptes financiers. Depuis 2018, ces échanges s’effectuent entre une centaine d’États, dont la Suisse. La France reçoit  ainsi des informations sur les comptes détenus, même indirectement, par les contribuables français dans ces États. Ils ont été rejoints en septembre 2018 par 53 autres États.

Les données transmises comportent notamment le numéro du compte, le montant du solde à la fin de l’année concernée, le montant et le type de revenus générés par ce compte.

• Échanges automatiques relatifs aux entités

Les échanges relatifs aux rescrits fiscaux ([55]) DAC 3

Les États membres de l’Union européenne sont tenus d’échanger automatiquement, à compter de 2017, les informations sur les décisions fiscales anticipées (tax rulings) accordées à des entreprises pour le traitement fiscal d’opérations transfrontalières. Ces mesures sont enregistrées sur un registre central européen, qui recueille à la fois les nouvelles décisions mais aussi celles déjà en vigueur. Le périmètre des décisions concernées par cet échange est très large puisqu’il s’agit de toutes les décisions émises par l’administration fiscale sur lesquelles le contribuable est en droit de s’appuyer : accords préalables en matière de prix de transfert (APP), rescrits relatifs à l’existence ou à l’absence d’établissement stable, décisions relatives aux fusions transfrontalières, etc.

Ce type d’échange s’effectue également, depuis 2016, avec les États non européens participant à la mise en oeuvre de BEPS ([56]).

Depuis 2016, la France a transmis 49 décisions fiscales anticipées et en a reçu plus de 2 000.

• Échanges sur la déclaration pays par pays

La directive 2016/881/UE du Conseil impose aux groupes multinationaux établis dans l’Union européenne ou y exerçant des activités et dont le chiffre d’affaires consolidé total est égal ou supérieur à 750 millions d’euros, de déposer un rapport pays par pays. L’autorité compétente de l’État membre qui a reçu le rapport pays par pays communique, par échange automatique, le rapport à tout autre État membre dans lequel une ou plusieurs entités constitutives du groupe multinational sont soit résidentes fiscales, soit assujetties à l’impôt en ce qui concerne les activités exercées par l’intermédiaire d’un établissement stable du groupe multinational.

Le rapport pays par pays doit être déposé dans l’État membre dans lequel l’entité mère ultime du groupe d’entreprises multinationales, ou toute autre entité déclarante, est un résident fiscal.

Le rapport pays par pays comprend des informations pour chaque juridiction fiscale dans laquelle le groupe exerce ses activités sur le montant des recettes, le bénéfice avant impôt, l’impôt sur le revenu payé et à payer, le nombre d’employés, le capital déclaré, les bénéfices non répartis et les immobilisations corporelles.

Depuis 2017, le groupe multinational doit déposer un rapport pays par pays concernant son exercice financier.

En ce qui concerne les Paradise Papers, la DGFiP a ouvert 500 dossiers pour chacun des contribuables identifiés, étant précisé que toutes les personnes citées au départ n’étaient pas forcément françaises, ni ne résidaient en France ni même n’étaient résidentes fiscales en France. Dans un premier temps, le contribuable a été interrogé pour savoir s’il voulait régulariser spontanément la situation. Si oui, il était dirigé vers le STDR ; sinon, une procédure de contrôle classique a été engagée qui supposait au préalable de compléter les dossiers par le biais d’une assistance administrative très lourde puisqu’elle se fait en direction d’États qui ne sont pas toujours reconnus comme des plus coopératifs (le Panama est toujours sur liste noire). Les sociétés écran peuvent, certes, être au Panama, mais les avoirs n’y sont pas nécessairement ; il faut alors faire d’autres demandes, et ainsi de suite, ce qui explique que des affaires en cours n’aient pas encore abouti. Certains contribuables ont régularisé leur situation ; d’autres pas. Il faut savoir que certains pays n’y mettent pas beaucoup de bonne volonté.

La mise en place progressive des différents registres d’identification des bénéficiaires économiques de sociétés ou d’entités juridiques peu transparentes a également contribué à renouveler les moyens d’investigation du contrôle fiscal.

Les différents registres facilitant la traçabilité des opérations financières

Le registre des fiducies

Un registre national des fiducies accessible à l’administration fiscale, aux douanes, aux magistrats et officiers de police judiciaire, et à Tracfin a été mis en place en 2010. Même si la fiducie est peu utilisée dans notre pays puisqu’on en compte seulement une soixantaine, la France doit transmettre à la Commission une liste précise et documentée des fiducies établies sur son territoire d’ici juin 2019 et élargir l’accès au registre à toute personne physique pouvant démontrer un intérêt légitime.

Le registre des trusts

Le registre des trusts a été créé par l’article 11 de la loi n° 2013‑1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière. L’article 1649 AB du code général des impôts impose aux administrateurs d’un trust, dont le constituant ou au moins un bénéficiaire a son domicile fiscal en France, ou qui comprend un bien ou droit y étant situé, de déclarer le nom du constituant ainsi que ceux des bénéficiaires, la date de constitution, de modification ou d’extinction du trust, ainsi que sa valeur vénale. Actuellement, 16 000 entités sont identifiées comme des trusts et connues de l’administration fiscale française.

Le registre des bénéficiaires effectifs des sociétés

L’article 30 de la directive 2015/849 du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme impose la mise en place d’un registre central des bénéficiaires effectifs des sociétés dans chaque État membre. Il a été transposé en droit français par l’article 8 de l’ordonnance du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, et il est entré en vigueur le 1er avril 2018.

Le registre français des bénéficiaires effectifs comprend notamment des informations sur l’identification et l’adresse du bénéficiaire effectif, ainsi que les modalités du contrôle qu’il exerce. Ces informations sont transmises au greffe du tribunal et annexées au registre du commerce et des sociétés (RCS).

Elles sont accessibles aux professionnels assujettis aux obligations de vigilance anti‑blanchiment, ainsi qu’à leurs autorités de contrôle, aux autorités compétentes (autorité judiciaire, cellule de renseignement financier, douanes, et administration fiscale), et, sous la surveillance du juge commis au RCS, à toute autre personne justifiant d’un intérêt légitime.

La France a instauré des sanctions dissuasives significatives en cas de défaut de déclaration ou de dépôt d’un document comportant des informations inexactes ou incomplètes :

– l’article L. 561‑48 du code monétaire et financier nouvellement créé permet au président du tribunal, d’office ou sur requête du procureur de la République ou de toute personne intéressée, d’enjoindre à une société de procéder ou faire procéder aux dépôts de pièces relatifs au bénéficiaire effectif, au besoin sous astreinte. Le président peut aussi désigner un mandataire pour accomplir ces formalités ;

– l’article L. 561‑49 du même code sanctionne d’un emprisonnement de 6 mois et d’une amende de 7 500 euros le fait de ne pas déposer au RCS le document relatif au bénéficiaire effectif ou de déposer un document comportant des informations inexactes ou incomplètes. Des peines complémentaires d’interdiction de gérer et de privation partielle des droits civils et civiques peuvent également être prononcées. Le montant maximum de la sanction pécuniaire est multiplié par cinq dans le cas où l’auteur du manquement est une personne morale.

La cinquième directive anti‑blanchiment prévoit plusieurs modifications du registre, que les États membres doivent transposer d’ici janvier 2020, comme l’ouverture au grand public de l’accès à la plupart des informations et des mesures de simplification permettant aux personnes morales de s’acquitter plus facilement de l’obligation de déclaration des informations relatives à leurs bénéficiaires effectifs.

Plus généralement, la DGFiP reçoit :

– un flux d’informations provenant de l’étranger par le biais de l’échange automatique d’informations, dans le cadre de l’accord de Berlin, de plus en plus important, qui correspond aux revenus de source européenne perçus par des résidents fiscaux français. Les premières transmissions ont eu lieu l’an dernier (2017 sur les revenus 2015‑2016) ;

– un flux sur les avoirs détenus à l’étranger (comptes, contrats d’assurance‑vie qui concerne les revenus intra-européens de l’an dernier (2017 sur les revenus 2016) des clients ou ayants droit identifiés comme résidents français par les autorités des pays émetteurs, et ce dans le cadre de l’OCDE (110 pays) dont la Suisse fait à présent partie ;

– un flux dans le cadre de la DAC 3 (directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE) qui concerne les rulings.

Le premier travail, très long et très minutieux, compliqué par les règles françaises d’accès aux données personnelles, consiste à mettre un identifiant fiscal en face des noms. Il a permis de déceler des cas suspects, par exemple des contribuables qui ont des revenus très faibles déclarés en France mais qui possèdent des sommes très importantes dans d’autres États. La phase suivante est la demande d’assistance pour obtenir plus d’informations aux pays étrangers, pour vérifier les données et évaluer l’enjeu. Ce traitement correspond à 100 ou 200 dossiers. D’autres contribuables avec une surface financière plus large ont été détectés, et il leur a été demandé, comme pour les Panama papers, s’ils voulaient régulariser la situation, mais avec des arguments qui pourront être transmis au juge si nécessaire.

Cela étant posé, il faut garder en tête que, d’une part, le STDR a déjà permis de récolter des sommes considérables et que la source est tarie ; d’autre part, la transformation de l’ISF aboutit à la non‑imposition des avoirs placés à l’étranger. Il faudra « seulement » vérifier comment ils ont été acquis : s’ils sont le résultat d’une fraude constante qui finit par constituer un fonds, s’il s’agit d’une succession non déclarée, ou de fonds déclarés en France et transférés ensuite à l’étranger.

Par ailleurs, le data mining, ou fouille de données, désigne les travaux d’exploration de données d’origine et de nature différentes grâce à des techniques statistiques ou mathématiques. La DGFiP les utilise pour lutter contre la fraude fiscale depuis 2014, date où a été créé un service dédié, la mission « requêtes et valorisation » (MRV), désormais rattachée au service du contrôle fiscal.

La DGFiP a ainsi réuni dans un entrepôt unique des données auparavant cloisonnées au sein de différentes applications de la DGFiP : les données utilisées sont référencées dans l’arrêté du 21 février 2014 portant création par la DGFiP d’un traitement automatisé de lutte contre la fraude dénommé « ciblage de la fraude et valorisation des requêtes » (CFVR). Il s’agit des données relatives aux personnes physiques ou morales permettant leur identification (état civil, adresse…) mais également d’appréhender leurs situations de revenus, financières et patrimoniales.

La MRV a tout d’abord détecté des anomalies basiques (incohérences entre différentes déclarations, erreurs…) puis enrichi et automatisé certaines requêtes d’analyse risque actuellement élaborées dans les services déconcentrés. À titre d’exemple, le décloisonnement des données a permis d’analyser de façon conjointe la situation fiscale des dirigeants et associés d’entreprises et la situation des entreprises dans lesquelles ils sont impliqués, faisant ressortir ainsi des incohérences traduisant des anomalies soit dans la situation personnelle de ces personnes, soit dans celle de l’entreprise. De la même façon, les informations économiques et financières des entreprises mais également les liens entre les personnes physiques sont désormais mieux pris en compte pour analyser, de façon plus systématique qu’auparavant, les transactions sur les titres des sociétés.

Des travaux d’analyse prédictive ont également été engagés. Ils ont pour but d’identifier, par des méthodes statistiques ou mathématiques, les critères caractérisant une personne fraudeuse et établir ainsi un profil de fraude qui sera appliqué à une population cible. Ces techniques reposent sur :

– des méthodes supervisées qui partent de l’analyse des contrôles réalisés au cours des années antérieures ;

– des méthodes non supervisées qui consistent principalement à détecter des groupes d’entreprises ou de particuliers qui ont un comportement dit « atypique » ou « incohérent » qui peut être assimilé, après analyse, à de la fraude ;

– une analyse de réseaux (à partir de la théorie des graphes) pour faire ressortir les entités ayant une proximité forte avec des personnes fraudeuses ou suspectes.

Ces travaux permettent désormais de déterminer, automatiquement, pour chaque entreprise relevant d’un régime déclaratif réel, une cotation traduisant son exposition à une cinquantaine de risques fiscaux.

L’objectif est de réaliser 20 % de la programmation grâce aux listes établies par la MRV, sachant que, pour le moment, le système d’information ne permet pas un suivi aisé des suites fiscales données aux différents axes de programmation identifiés. Le projet PILAT devrait apporter des améliorations significatives dans le suivi des axes de programmation issus de l’exploitation des données et d’en mesurer l’impact dans les résultats du contrôle fiscal.

Pour mettre en œuvre les échanges automatiques, la DGFiP a mis en place une application informatique dédiée, EAI, qui lui a coûté environ 4,5 millions d’euros. MRV estime que 0,75 ETP sera consacré à l’exploitation des données EAI.

5.   Les capacités de traitement de Tracfin

Tracfin, la cellule de renseignement financier, est la clef de voûte du système de lutte contre le blanchiment de capitaux puisque ce service à compétence nationale centralise les déclarations de soupçon (DS), les analyse et diffuse le résultat de ses investigations auprès des administrations (police, justice, Trésor, et organismes sociaux) et de ses homologues étrangers dans le cadre de la coopération internationale. Son activité est en constante et très forte progression, comme le révèlent les chiffres ci‑dessous.

TRACFIN

Volume d’activité

 

2014

2015

2016

2017

2017/2014

Moyenne lissée ([57])

Flux entrants :

Déclarations de soupçon

36 715

43 231

62 259

68 661

+ 87,1 %

+ 30,2 %

Demandes d’entraide internationale et réquisitions judiciaires

1 125

1 414

1 451

1 398

+ 24,3 %

+ 3,8 %

Informations administratives

579

621

1 105

1 011

+ 74,6 %

+ 22,0 %

Analyse :

Enquêtes

9 782

10 556

13 592

12 518

+ 28,0 %

+ 35,5 %

Actes d’investigation, dont :

41 747

51 401

57 706

61 128

+ 46,4 %

+ 15,3 %

Droits de communication

8 302

25 654

30 785

29 194

+ 251,6 

+ 24,3 %

Requêtes adressées aux homologues étrangers

1 569

2 192

1 454

1 762

+ 12,3 %

+ 1,0 %

Recherches

31 876

23 555

25 467

30 172

 5,3 

+ 8,7 %

Flux sortants :

Transmissions judiciaires dont :

592

595

662

891

+ 50,5 %

+ 30,1 %

Présomption dinfractions pénales

464

448

448

468

 

 

Autres transmissions aux autorités policières et judiciaires

128

147

214

423

 

 

Transmissions administratives

931

1 187

1 441

1 725

+ 85,3 %

+ 30,6 %

Source : Tracfin, rapports annuels d’activité.

La matière première de Tracfin, ce sont les déclarations de soupçon. Si leur nombre augmente très fortement, leur qualité mérite d’être évaluée.

Le service fournit quelques précisions à ce sujet dans son rapport d’activité. Il suit notamment le taux de mise en investigation, c’est‑à‑dire le ratio entre le nombre de DS envoyées en enquête (préliminaire ou approfondie) et le nombre total de déclarations de soupçon adressées par un déclarant. Or les ratios annoncés sont faibles, de l’ordre de 10 % dans le secteur financier, qui est pourtant à la pointe. En outre, il est très hétérogène selon le type d’établissement et entre établissements d’une même catégorie même si la fourchette se resserre, et il fluctue dans le temps. Ainsi, le rapport d’activité 2017, à propos des banques en ligne qui font l’objet d’une attention particulière compte tenu de l’absence de liens physiques avec la clientèle, relève « lécart très marqué concernant le taux de mise en investigation sur ces déclarations, compris entre 3,8 % et 52,4 % », et « la forte chute de ce taux (– 20 points) pour un établissement ». Il est aussi souligné que l’année 2016 avait été marquée par un bond dans les déclarations de soupçon (+ 44 %) par rapport à l’année précédente, mais par une dégradation de la qualité. Il ne s’agit pas de porter un jugement péremptoire sur une matière très complexe (l’approche par les risques et la modélisation qu’elle sous‑tend ne peuvent pas progresser de manière strictement linéaire). Tracfin travaille également avec l’APCR pour comprendre et corriger les trajectoires. De même, on comprend bien que la communication sur le sujet soit limitée, car elle contribuerait à affaiblir le système. Toutefois, les responsables, publics ou privés, doivent porter une attention toute particulière à cet indicateur car il pointe le talon d’Achille du système de détection.

Cela dit, il ne faudrait tout de même pas se focaliser exclusivement sur cet indicateur et pousser ainsi les établissements, même indirectement, à moins déclarer, pour avoir l’assurance d’un excellent taux de mise en investigation. Le risque serait alors de passer à côté de dossiers qui pourraient ensuite prendre plus d’importance.

Par ailleurs, il est un autre critère décisif, le délai de transmission des déclarations de soupçon qui mérite, lui aussi, d’être réduit selon Tracfin et l’APCR. Des signalements rapides sont le gage de la réactivité de Tracfin.

Tracfin enrichit les renseignements qu’il reçoit en les complétant par le biais notamment du droit de communication.

S’agissant des destinataires des transmissions judiciaires, le nombre de dossiers de soupçon d’infraction pénale est assez stable sur la période, autour de 450 par an, dont 30 % ont, selon le directeur de Tracfin, « lodeur, la saveur, la couleur de la fraude fiscale grave ». Les montants en jeu avoisinent 1 milliard d’euros. En 2017, comme les années précédentes, les cinq catégories d’infractions sous‑jacentes les plus représentées sont, outre le blanchiment de capitaux, le travail dissimulé, l’escroquerie (simple ou aggravée), l’abus de confiance, la fraude fiscale et l’abus de biens sociaux. Les notes concernent tous les parquets de France, mais 40 % des signalements restent en Île‑de‑France, dans les grosses juridictions, et 60 % en régions.

En ce qui concerne les autres transmissions judiciaires de l’année 2017, 224 sur 423 étaient en lien avec le terrorisme, soit plus de la moitié.

L’essentiel des transmissions administratives est destiné, d’une part à la communauté du renseignement, d’autre part à l’administration fiscale, enfin aux aux organismes de protection sociale.

Ventilation des transmissions administratives en sortie

 

2014

2015

2016

2017

2017/2014

Transmissions administratives, dont :

931

1 187

1 441

1 725

+ 85,3 %

C renseignement

213
(22,9 %)

349
(29,4 %)

488
(33,9 %)

614
(35,6 %)

+ 188,3 %

Administration fiscale

365
(39,2 %)

410
(34,5 %)

350
(24,3 %)

625
(36,2 %)

+ 71,2 %

Protection sociale

83
(8,9 %)°

109
(9,2 %)

165
(11,5 %)

223
(12,9 %)

+ 168,7 %

Source : Tracfin.

Depuis quatre ans, Tracfin a incontestablement renforcé son dispositif de transmission. La première bénéficiaire a été la communauté du renseignement dans un contexte marqué par des attentats très meurtriers et les départs de terroristes en Syrie, et la DGFiP n’est devenue la principale destinataire des informations qu’en 2017, avec la nouvelle procédure des transmissions « flash », accélérées, de façon à permettre une intervention rapide.

Enfin, Tracfin publie une étude annuelle sur les risques liés au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme dont le titre est un peu réducteur car sa teneur dépasse ce cadre. Elle contient une typologie des risques et présente des schémas frauduleux utiles tant pour les professions assujetties que pour les services d’enquête.

Le directeur de Tracfin considère, et il n’a pas tort, que le seul indicateur de performance qui tienne réside dans les suites qui sont données aux transmissions du service et qui sont la principale source de motivation du personnel. Si les réunions périodiques avec l’administration fiscale et le parquet national financier, et les autorités de régulation, peuvent donner lieu à des échanges sur les dossiers, il ne serait pas inutile de concevoir un instrument de liaison, qui pourrait aussi servir de base à un recueil de bonnes pratiques. D’après la loi, le parquet doit aussi faire un retour à Tracfin mais, dans les faits, il n’est pas organisé. Depuis quatre ans, le service travaille avec le ministère de la justice au projet « Trajet », mais, faute de pilote, les expérimentations avec le parquet ont échoué jusqu’à présent. La justice est la seule institution avec laquelle les transmissions ne sont pas dématérialisées, et donc sécurisées. Il est à espérer que, avec les budgets alloués pour sa numérisation, le projet finisse par aboutir.

Pour faire face à l’augmentation de ses activités, Tracfin a bénéficié d’un effort budgétaire considérable, puisque ses crédits ont plus que doublé en cinq ans, mais nul n’en contestera la nécessité car le traitement de flux de masse exige des investissements considérables et des personnels très qualifiés. Les budgets sont regroupés dans le programme 218 « Conduite et pilotage des politiques économique et financière ».

Évolution de 2014 à 2018 des crédits budgétaires de Tracfin

 

 

Exécuté 2014

Exécuté 2015

Exécuté 2016

Exécuté 2017

Dotation 2018

TITRES

Titre 2 - Dépenses de personnel

7,01 M€

8,24 M€

9,22 M€

10,44 M€

12,0 M€

Titre 3 - Dépenses de fonctionnement

0,43 M€

0,62 M€

2,38 M€

2,73 M€

1,792 M€

Titre 5 - Dépenses d’investissement

1,40 M€

3,45 M€

2,77 M€

3,43 M€

 

Total

7,44 M€

10,26 M€

15,05 M€

15,94 M€

17,22 M€

Source : Tracfin – 15/11/2018.

En 2018, les deux plus importants postes de dépenses ont concerné la masse salariale (près de 69 %) et ses dépenses informatiques (20 %). La hausse continue des effectifs (+59 % de 2014 à 2018) conduit à une augmentation des dépenses pesant sur le Titre 2. Par ailleurs, Tracfin va disposer de manière imminente d’un nouveau système d’information qui offrira des fonctionnalités nouvelles en termes de traitement de l’information et a nécessité des dépenses d’investissements et de fonctionnement importantes.

La véritable force de Tracfin est la ressource humaine. En cinq ans, elle a augmenté de plus de 60 %, une exception dans le paysage administratif français. En outre, sa qualité réside dans la pluridisciplinarité des effectifs (30 % de douaniers, 25 % d’inspecteurs des finances publiques, 15 % d’éléments émanant de Bercy, 15 % de contractuels indispensables pour développer les techniques informatiques, les data sciences, et l’intelligence artificielle, des éléments provenant du secteur privé ; et enfin des personnes détachées venant d’autres administrations). À cet égard, le rattachement fonctionnel à Bercy a incontestablement facilité les choses.

6.   La place des lanceurs d’alerte reste à confirmer

L’architecture de la lutte contre la délinquance financière repose sur la responsabilité des acteurs : les contraintes légales et réglementaires invitent chacun à mettre de l’ordre chez soi, à prendre des mesures de prévention, de détection et à trouver des solutions ; y compris avec l’aide des régulateurs qui participent à ce travail de mise en conformité, notamment en jouant un rôle actif de conseil et de formation. C’est le principe de subsidiarité. Mais il arrive que cela ne suffise pas et les lanceurs d’alerte doivent pouvoir prendre le relais pour mettre fin à des agissements, sans doute discrets, mais qui sapent la confiance sur laquelle repose tout pacte social et contribuent à une atmosphère délétère.

En France, la consécration du statut de lanceur d’alerte est tardive puisque c’est la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », qui reconnaît, pour la première fois, la spécificité du statut de lanceur d’alerte dans la législation française. Défini à l’article 6, le lanceur d’alerte est une personne physique, agissant « de manière désintéressée et de bonne foi dénonçant un crime, un délit, une violation grave et manifeste dun engagement international, une menace ou un préjudice grave pour lintérêt général ».

Le dispositif de protection des lanceurs d’alerte ne s’applique à l’heure actuelle que si le salarié adresse la dénonciation dans un premier temps à sa hiérarchie, sauf « danger grave et imminent ou en présence dun risque de dommages irréversibles ». Sont également exclus les cas d’évasion fiscale agressive, dont la qualification pénale peut être incertaine. S’il était avéré que ces restrictions avaient pour conséquence de dissuader certains lanceurs d’alerte de passer à l’action, ou bien de les exclure de la protection accordée par la loi, il conviendrait alors de les reconsidérer.

La définition même du lanceur d’alerte exclut qu’il soit rémunéré. Néanmoins, le débat parlementaire a évoqué la possibilité d’octroyer une aide financière, sous la forme d’une avance sur les frais de procédure exposés ou d’un secours financier temporaire pour une personne physique répondant aux critères du statut de lanceur d’alerte.

L’article 14 de la loi précisait les conditions d’attribution de cette aide financière sous la responsabilité du Défenseur des droits : elle pouvait être accordée sans préjudice de l’aide juridictionnelle et son montant variait selon les ressources de la personne et l’impact de l’alerte sur les revenus de son auteur constaté lors de la procédure judiciaire.

Cet article a été censuré par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016–740 DC du 6 décembre 2016, au motif que les dispositions de l’article 71‑1 de la Constitution n’attribuent pas au Défenseur des droits la compétence d’apporter lui‑même une aide financière qui pourrait s’avérer nécessaire aux personnes qui peuvent le saisir. C’est pour des raisons tenant à la compétence du Défenseur des droits que l’article 14 a été censuré, laissant le champ libre à un autre moyen d’attribution de cette aide financière aux lanceurs d’alerte. Les rapporteurs considèrent qu’il convient de rétablir le principe de ce secours financier, qui pourrait même être complété par l’institution d’un accès facilité à l’emploi public pour le lanceur d’alerte mis au ban de sa communauté professionnelle à la suite de la publication de son signalement.

Proposition n° 8 : rétablir le principe d’un secours financier au profit des lanceurs d’alerte en difficulté, complété par la possibilité d’un accès facilité à l’emploi public.

Depuis le vote de la loi Sapin 2, plusieurs lanceurs d’alerte ont eu la vie dure. L’article 75 de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil 2018/0106 (COD) sur la protection de personnes dénonçant les infractions au droit de l’Union réactive l’idée d’une assistance financière pour les lanceurs d’alerte couvrant les frais de procédure en écartant la piste d’une rémunération d’informations. Actuellement en discussions au Conseil de l’Union européenne, ce texte pourrait faire évoluer la législation en vigueur en France.

La récompense financière pour rémunérer des informations d’intérêt général :
le cas des États-Unis

Les États‑Unis ont une vieille tradition d’incitations financières pour les lanceurs d’alerte dénonçant des fraudes fiscales. Le False Claims Act, dite « loi Lincoln », de 1863 consacre la procédure de quidam ([58]) dans la loi fédérale afin de protéger l’État contre la fraude des entreprises disposant de contrats publics. Il s’agissait alors de dénoncer la livraison de marchandises frauduleuses dans le cadre de contrats d’approvisionnement de l’armée lors de la guerre de Sécession. Le FCA donne la possibilité à tout citoyen américain d’intenter un procès quand il estime que l’Etat fédéral a été lésé. Le ministère de la Justice décide alors de la recevabilité de la plainte en accédant aux éléments du dossier. Si l’État fédéral décide de poursuivre le fraudeur présumé, le procureur général rend publique la plainte et se saisit de l’enquête. Le lanceur d’alerte qui sort victorieux de l’action en justice peut récupérer une récompense financière allant jusqu’à 30 % du montant de dommages et intérêts. En 2006, la IRS Whistleblower Law simplifie la procédure de dénonciation pour les soupçons de fraude fiscale de personnes avec un revenu brut dépassant les 200 000 dollars pour l’année d’imposition concernée. Les plaintes sont directement traitées par l’administration, sans passage devant le tribunal, et les lanceurs d’alerte conservent le même système de récompenses.

En 2011, le Whistleblower program prévu dans le Dodd Frank Act autorise la  Securities and Exchange Commission (SEC) à rémunérer des renseignements relatifs à une violation des règles de fonctionnement des marchés financiers des États‑Unis en incluant le principe de l’extra‑territorialité ([59]). L’aviseur fiscal de la SEC est une personne physique, sans restriction de nationalité, qui échange directement des informations à la SEC dans le but de faire sanctionner des comportements illégaux. Il garde son anonymat pendant l’enquête et peut toucher de 10 à 30 % du montant recouvré si celui excède un million de dollars ([60]).

Ces récompenses financières encouragent l’alerte et accélérent les procédures judiciaires car les lanceurs d’alerte deviennent moteurs dans le traitement de la plainte. Par ailleurs, la rémunération des lanceurs d’alerte est une arme efficace de l’administration pour engranger de fortes recettes fiscales ([61]) et mettre la pression sur les fraudeurs.

La doctrine américaine d’incitations financières relative aux lanceurs d’alerte fiscaux s’est exportée dans des pays asiatiques, Corée, Malaisie notamment, mais elle suscite encore aujourd’hui le rejet de la majorité des pays européens. En effet, ces pays pointent les effets néfastes de ce système de rémunération qui crée une inégalité de traitement entre les différents lanceurs d’alerte ; génère un système de délation dont les principaux gagnants sont les « chasseurs de primes » qui traquent les infractions fiscales ; multiplie le risque d’alertes abusives ou malveillantes du fait de l’appât du gain ; incite les lanceurs d’alerte à se tourner vers l’administration fiscale au détriment des voies internes, qui existent dans certaines législations, dont l’avantage est de mettre fin à des comportements nuisibles pour la collectivité sans détruire la réputation d’une entreprise. Ainsi, la jurisprudence de la CEDH du 12 février 2008, Guja contre République de Moldova, insiste sur le désintéressement de la démarche de dénonciation et la nécessité de ne pas tirer un avantage personnel dans le cadre de divulgation d’informations d’intérêt général.

Il existe, dans la législation française, des cas où la rémunération des informateurs est prévue.

Ainsi, dans le cadre d’enquêtes fiscales, l’article 109 de la loi de finances n° 2016‑1917 du 29 décembre 2016 autorise, à titre expérimental et pour une durée de deux ans, l’administration fiscale à indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques, dès lors qu’elle lui a fourni des renseignements concernant des faits graves et précis de fraude pouvant servir d’éléments d’enquête. Ils doivent s’adresser directement à l’administration fiscale, sans garder l’anonymat. Ces aviseurs sont rémunérés par l’administration fiscale dont les crédits et les procédés de paiement sont précisés par l’arrêté du 5 mai 2017 pris pour l’application du décret n° 2017‑601 ([62]).

De même, pour lutter contre le trafic de drogue, les services de police, de gendarmerie ou des douanes recourent à des informateurs, indicateurs ou autres aviseurs, qui peuvent être rémunérés ([63]), sans avoir pour autant un statut bien défini.

La législation actuelle est récapitulée dans le tableau ci‑après.

 


DISPOSITIF ACTUEL DES LANCEURS D’ALERTE

 

DÉCLENCHEMENT INTERNE

DÉCLENCHEMENT EXTERNE

Statut

Salarié du secteur privé

Agent public
(fonctionnaires ou contractuel)

Personne physique
hors le cadre du travail

Informateur fiscal

Cadre législatif

Loi Sapin 2

Loi Sapin 2

Loi Sapin 2

Article 109 de la loi de finances pour 2017 n° 2016‑1917 : expérimentation de 2 ans

Rémunération

Pas de rémunération

Pas d’aides financières dans le cadre de la procédure judiciaire

Pas de rémunération

Pas d’aides financières dans le cadre de la procédure judiciaire

Pas de rémunération

Pas d’aides financières dans le cadre de la procédure judiciaire

Indemnisation par l’administration fiscale (crédits prélevés sur le programme 156)

Anonymat

Garantie de confidentialité

Possibilité d’anonymat

Garantie de confidentialité

Possibilité d’anonymat

Garantie de confidentialité

Possibilité d’anonymat

Pas d’anonymat

Procédure

Alerte graduée :

– voie interne ;

– signalement au régulateur (autorité judiciaire ou administrative) ;

– société civile

Existence d’une procédure d’urgence en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles

Alerte graduée :

– voie interne ;

– signalement au régulateur (autorité judiciaire ou administrative) ;

– société civile

Existence d’une procédure d’urgence en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles

Signalement au Défenseur des droits afin d’être orientée vers l’organisme approprié de recueil de l’alerte

Uniquement des personnes étrangères aux administrations

Transmission des informations spontanément et directement à l’administration fiscale

Informations sur des faits graves et décrits avec précision

Suites judiciaires

Divulgation : irresponsabilité pénale (article 7)

Divulgation : irresponsabilité pénale (article 7)

Divulgation : irresponsabilité pénale (article 7)

La personne n’intervient pas dans l’enquête

Uniquement les informations divulguées servent d’éléments de l’instruction

Protection

Défenseur des droits ([64])

Articles 10, 11, 12, 15 : le lanceur dalertes ne peut être licencié, sanctionné ou discriminé (d’aucune manière, directe ou indirecte)

Défenseur des droits ([65])

Articles 10, 11, 12, 15 : le lanceur dalertes ne peut être licencié, sanctionné ou discriminé (d’aucune manière, directe ou indirecte)

 

Pas de protection particulière

Ne relevant pas du statut de lanceur d’alertes

Exceptions

Employés dans le domaine de la banque et assurances ([66])

Informations couvertes par le secret médical, le secret de défense nationale ou le secret des relations entre un avocat et son client

Les personnels des services spécialisés de renseignement

Informations couvertes par le secret médical, le secret de défense nationale ou le secret des relations entre un avocat et son client

Informations couvertes par le secret médical, le secret de défense nationale ou le secret des relations entre un avocat et son client

Uniquement des personnes étrangères aux administrations


—  1  —

S’agissant des associations, le cas est différent dans la mesure où elles sont autorisées à agir par le code de procédure pénale (art. 2‑1 à 2‑24). La liste est longue car, en fonction de leur objet, elles sont autorisées à se porter partie civile pour poursuivre des infractions bien précises.

Les associations de lutte contre la corruption ont été introduites dans cette longue liste par la loi n° 2013‑1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. En 2016, trois associations avaient été agréées : Anticor, Sherpa et Transparency International. Quand il a été entendu par Mme Sandrine Mazetier et M. Jean‑Claude Warsmann, pour leur rapport de suivi de l’application de cette loi, le procureur général près la Cour de cassation avait émis des réserves parce qu’il redoutait que ces associations ne s’érigent en procureur devant l’opinion publique et qu’il craignait que d’éventuelles actions n’affaiblissent le dispositif de la convention judiciaire d’intérêt public. Ses craintes peuvent être dissipées d’autant que la jurisprudence de la Cour de cassation ([67]) a adopté une interprétation très restrictive de la loi. Changer l’orientation de ce texte apparaît nécessaire pour harmoniser les conditions de recevabilité entre les différentes associations.

Proposition n° 9 : mettre à l’étude l’harmonisation des conditions de recevabilité de l’action civile associative.

B.   LES SERVICES ENQUÊTEURS ONT ATTEINT LEURS LIMITES

Les rapporteurs ont rencontré de nombreux enquêteurs de tout grade lors de leurs auditions et à l’occasion de tables rondes, avec les offices centraux spécialisés à Nanterre ou avec les services de premier ressort à Lille.

Le constat unanime est que la filière écofi est en crise. Même si nombre d’entre eux aiment leur métier et le font bien, les enquêteurs expriment parfois du découragement devant les difficultés de leur tâche et estiment que leur spécialité n’a pas fait l’objet d’une véritable priorité ces dernières années.

Les rapporteurs partagent ce diagnostic : ils jugent ainsi que cette activité très particulière au sein des forces de sécurité se caractérise par une performance globale médiocre quoique difficile à évaluer et qu’elle souffre d’une organisation très complexe ainsi que d’une surcharge d’activité, ce qui suscite une crise des vocations.

Il est de la responsabilité des pouvoirs publics de répondre rapidement à cette crise. Pour leur part les rapporteurs avanceront quelques propositions très pragmatiques, directement inspirées soit des échanges approfondis qu’ils ont eus avec les enquêteurs et leur encadrement, soit des réponses écrites au questionnaire envoyé aux organisations syndicales représentatives au sein de la police nationale.

1.   Une performance globale difficile à mesurer

a.   Un taux de plainte probablement très faible

Le rapprochement entre le volume des faits constatés en matière d’escroquerie (222 000 en 2017) et le nombre de personnes se disant victimes d’une arnaque dans l’enquête de victimation de 2017 (1,7 million), laisse penser que le taux de plainte auprès des forces de sécurité est très faible pour cette délinquance de masse.

L’enregistrement de ce type de plainte n’est toutefois pas un exercice très simple car il convient de caractériser l’infraction et de bien mesurer le degré d’implication du plaignant. On peut s’estimer victime d’une escroquerie alors qu’il peut s’agir d’une mauvaise perception ou compréhension de la transaction qu’on a effectuée. De même, certains plaignants ne sont pas à 100 % des victimes, dans la mesure où ils ont fait preuve soit de grande légèreté, soit d’une forme de complicité avec le délinquant, par exemple quand ils encaissent en leur nom un chèque (qui se révélera volé et dont ils devront rembourser le montant), ne correspondant à aucune contrepartie sinon une promesse, de la part d’un inconnu qui les a sollicités sur internet, de toucher une commission sur la somme qu’ils devront lui rétrocéder.

Il est néanmoins possible de fluidifier le processus du dépôt de plainte pour les escroqueries et les infractions aux moyens de paiement, comme s’apprêtent à le faire les pouvoirs publics avec le projet de plainte en ligne pour les escroqueries commises sur internet. Il pourrait être pertinent d’étendre cette procédure de signalement à toutes les formes d’escroquerie.

Le projet THESEE

Le projet « Traitement harmonisé des enquêtes et des signalements pour les e‑escroqueries » (THESEE) a pour but de simplifier le dépôt des plaintes, d’améliorer la qualité des procédures et de développer les capacités d’analyse des éléments d’enquête.

La victime d’infractions aura la possibilité de déposer une plainte en ligne, depuis son domicile, sa tablette, son smartphone, en renseignant un formulaire dédié, validé in fine par un back office localisé au sein de la sous‑direction de lutte contre la cybercriminalité (SDLC) de la direction centrale de la police judiciaire à Nanterre. Les services de police disposeront du même outil afin de recueillir les plaintes des victimes se présentant directement dans les commissariats, lesquelles seront traitées par la SDLC selon le même processus.

THESEE aura pour objet d’effectuer les premières investigations afin de déterminer l’opportunité d’une enquête. Si des éléments intéressants apparaissent (identification de l’auteur, rapprochement entre plusieurs plaintes, détermination d’un point de compromission…), THESEE transmettra après avis du parquet la procédure aux services d’enquête territorialement compétents afin de poursuivre les investigations. Si la plainte est classée en vaines recherches par le parquet de Nanterre, référent pour THESEE, les éléments de cette plainte seront conservés dans une base de données.

Concrètement, la victime, personne physique majeure, se connectera sur service‑public.fr afin de déposer sa plainte. Une première phase permettra de déterminer la qualification juridique de la situation de l’internaute permettant de l’orienter sur le site « internet-signalement » de la plateforme PHAROS ou sur THESEE.

Si l’internaute est orienté sur THESEE, il devra s’identifier via l’application France Connect. Ensuite il pourra renseigner le formulaire de plainte. 10 formulaires ont été confectionnés : faux site de vente ; piratage boîte mail propriétaire; piratage boîte mail contact ; hameçonnage ; fausse location ; chantage en ligne ; romance scam ; romance scam + chantage en ligne ; faux vendeur et faux acheteur.

La dématérialisation des dépôts de plaintes en matière d’e‑escroqueries permettra :

– une simplification des démarches pour les victimes en dispensant une grande partie des justiciables des contraintes d’attente dans les services de police ;

– une meilleure qualité du recueil des faits, les formulaires dédiés contenant des rubriques obligatoires et facultatives (numéros de téléphone, adresses mails, noms de domaine, etc. utilisés par les escrocs) pouvant être renseignées sans limite de temps et enrichies postérieurement.

De même, la gendarmerie a développé et mis en place en juin 2018 le téléservice PERCEV@L disponible sur le site www.service-public.fr et destiné à répondre à l’augmentation des usages frauduleux des cartes bancaires.

Les objectifs de cette plateforme sont doubles :

– offrir un nouveau téléservice aux justiciables puisqu’il s’agit de permettre aux victimes d’escroquerie à la carte bancaire, toujours en possession de leur moyen de paiement, de signaler les faits et d’obtenir en retour un récépissé nécessaire au remboursement du préjudice ;

– optimiser la résolution de faits en effectuant des rapprochements : un groupe d’enquêteurs spécialisés en délinquance écofi a pour mission d’exploiter les signalements effectués pour établir des liens permettant l’identification des auteurs.

Après sept mois de fonctionnement, le dispositif PERCEV@L a permis 69 036 signalements (268 515 usages frauduleux pour un préjudice total supérieur à 33 millions d’euros), soit une moyenne de 310 signalements par jour depuis la création de la plateforme, et 455 signalements par jour pour le mois de décembre 2018, confirmant une progression en constante augmentation. Ces signalements ont conduit à ce jour à l’ouverture de 55 enquêtes.

Ces nouveaux modes de fonctionnement dans le traitement des e‑escroqueries devraient permettre d’améliorer considérablement le taux d’élucidation de ce type de fraudes qui reste médiocre.

b.   Des taux d’élucidation médiocres

À partir des données collectées par le service statistique du ministère de l’intérieur relatives à l’activité des services de police et de gendarmerie, et notamment du nombre de faits constatés et du nombre de faits élucidés par année, il est possible de faire un ratio et de calculer le taux d’élucidation par index ou nature d’infraction.

activité 2018 des forces de sécurité intérieure en matière d’escroqueries
et d’infractions économiques et financières

Source : service statistique ministériel de la sécurité intérieure, calcul des rapporteurs.

Ce calcul n’est qu’une approximation car il repose sur des données qui ne reflètent pas un suivi chronologique de chacun des faits constatés mais une activité globale pour une année donnée. C’est la raison pour laquelle le ratio peut être supérieur à 100 % : en 2018 par exemple, on a élucidé plus de faits relatifs à des contrefaçons industrielles et commerciales qu’on a enregistré de faits constatés relevant de cet index (111 %), ce qui veut dire qu’on a élucidé des faits constatés antérieurement à 2018.

On peut toutefois tirer quelques enseignements utiles de ces approximations.

Il apparaît ainsi que ce sont bien les escroqueries et les fraudes aux moyens de paiement – dont les taux d’élucidation sont particulièrement bas, avec 33 % pour les escroqueries, 51 % pour les usages de chèques volés et seulement 8 % pour les usages frauduleux de cartes de crédit – qui tirent les résultats moyens vers le bas, au regard de la volumétrie globale de ces infractions.

On constate également une tendance négative puisque les escroqueries se caractérisent à la fois depuis plusieurs années par une augmentation des faits constatés (229 000 en 2018 contre 184 000 en 2013) et une baisse du taux d’élucidation (il était de 44 % en 2013). Si le taux de plainte augmente dans les années à venir sur ce type d’infractions, on peut peut‑être s’attendre à une nouvelle baisse du taux d’élucidation.

Les résultats sont différents selon les forces de sécurité, le taux d’élucidation est plus faible dans les services de premier ressort qui traitent la grande masse des affaires que dans le réseau de la police judiciaire spécialisé dans les affaires complexes. Il est également plus faible dans le ressort de la préfecture de police de Paris : 22 % en moyenne contre 37 % pour la direction centrale de la sécurité publique pour l’ensemble de la France, et seulement 4 % pour les chèques volés, 3 % pour les usages frauduleux de cartes de crédit et 22 % pour les escroqueries contre 34 % pour la sécurité publique France entière.

Enfin les résultats sont plutôt meilleurs en zone gendarmerie qu’en zone police puisque la gendarmerie compte un taux d’élucidation moyen de 50 % contre 34 % pour la police, avec 80 % pour les chèques volés (contre 38 % en zone police), 25 % pour les usages frauduleux de cartes bancaires (contre 5 % en zone police) mais un résultat identique de 32 % pour les escroqueries. Les rapporteurs n’ont pas identifié d’explications définitives sur les causes de ces écarts de performances entre les deux forces de sécurité.

La gendarmerie traite en moyenne un tiers des affaires EIEF et, s’il est difficile de distinguer une typologie particulière pour les escroqueries, la dissymétrie des données en matière de chèques volés entre la zone gendarmerie et le ressort de la préfecture de police de Paris, traduit les modes opératoires de cette délinquance. Il apparaît ainsi que les chéquiers sont principalement volés dans les centres de tri postal de la région parisienne et notamment en Seine‑Saint‑Denis par des réseaux spécialisés et écoulés ensuite chèque par chèque par des complices ou des vraies fausses « victimes » hameçonnées sur internet partout sur le territoire. Des plaintes peuvent être déposées dans le commissariat le plus proche de leur domicile et, lorsque le réseau est identifié, l’ensemble des faits élucidés (un par chèque du chéquier) est mis au crédit du service enquêteur qui procède à l’identification ou à l’interpellation.

S’agissant des cartes bancaires, le fait que les victimes soient plutôt bien remboursées en France par les établissements bancaires et ce sans même se voir imposer un dépôt de plainte préalable, n’incite vraisemblablement pas les services enquêteurs à consacrer un temps prolongé à ce type d’investigation.

Le plus préoccupant est la croissance des escroqueries sur internet, le plus souvent à dimension internationale, que les services d’enquête ont de plus en plus de mal à contrer. En l’absence le plus souvent de tout lien entre la victime et l’auteur des faits, du fait de la volatilité des fonds transférés par virement bancaire, de l’extranéité des moyens de l’escroquerie (serveurs, lignes téléphoniques) et de la rapidité d’exécution des délinquants, les difficultés s’additionnent pour les enquêteurs et leurs résultats s’en ressentent.

Les rapporteurs tiennent à rappeler la prudence avec laquelle il convient de considérer les indicateurs de performance tels que les taux d’élucidation. En effet, le glissement vers une politique du chiffre, déconnectée de la réalité, peut avoir pour conséquence d’inciter dans de nombreux cas les services d’enquête à focaliser leur attention sur les infractions dont le caractère frauduleux est le plus évident. Sont ainsi écartés les dossiers les plus complexes, qui se caractérisent également souvent par leur impact financier.

c.   Des coûts inconnus

Il est impossible de mesurer l’efficience des services d’enquête qui traitent de la délinquance financière puisqu’on ne dispose pas d’une estimation solide de leurs coûts consolidés.

S’agissant des effectifs, la polyvalence des services de premier ressort, notamment au sein de la gendarmerie et de la direction centrale de la sécurité publique de la police, empêche de quantifier les personnels en équivalents temps plein consacrés à la lutte contre la délinquance financière, a fortiori d’évaluer leur masse salariale.

Seuls les effectifs des services spécialisés au sein des cellules nationales d’enquête de la gendarmerie ou de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) sont connus avec précision, mais leur volume d’affaires reste statistiquement marginal au regard du total des faits constatés.

S’agissant des frais de justice occasionnés par ce type d’enquête, la direction des services judiciaires (DSJ) du ministère de la justice, interrogée par les rapporteurs, les évalue à 716 000 euros en 2018 en ne prenant en compte que les seuls coûts d’expertise comptable. Le nombre d’expertises, à l’initiative du parquet ou des juges d’instruction, varie selon les années (329 expertises en 2016, 428 en 2017 et 231 en 2018) et le coût est orienté à la baisse, du fait des actions de contrôle de gestion mises en place par la Chancellerie.

Il existe ainsi un conseiller financier de la Chancellerie qui peut être consulté quant à l’opportunité d’engager ou non une expertise comptable, quant au choix du ou des experts, quant à la pertinence du calendrier de réalisation d’expertise ou du volume horaire proposé par l’expert. Sa saisine est obligatoire avant la taxation des mémoires de frais concernant des expertises comptables et financières d’un montant supérieur ou égal à 7 000 euros hors taxes.

En second lieu, la cellule d’appui à la prescription de la DSJ, dont l’activité est de fournir un appui logistique aux magistrats amenés à engager des dépenses importantes en matière de frais de justice, intervient régulièrement sur les expertises financières. Cette prestation d’analyse des devis est délicate à mener car les experts judiciaires spécialisés en comptabilité financière sont peu nombreux et tentent de monopoliser certaines prestations, à des tarifs plus élevés que la moyenne.

Enfin le recrutement d’assistants spécialisés au sein des parquets (voir infra) ayant à connaître d’un nombre important d’affaires économiques et financières a permis d’internaliser une partie de l’exploitation des documents comptables saisis lors des enquêtes.

Ces chiffres sont évidemment très minorés car d’autres catégories de frais de justice sont mobilisées par ces enquêtes et notamment des frais d’interception téléphonique, mais faute de comptabilité analytique, il n’est pas possible de les mesurer.

2.   Une organisation éclatée

L’organisation des services de police est le fruit d’une incrémentation résultant d’un processus bien connu : un scandale ou une crise politique, une loi, une structure nouvelle censée répondre au problème.

Appartenant à plusieurs directions centrales différentes, reposant sur des schémas modulables selon la typologie de la délinquance locale, la police économique et financière est très éclatée. Ce constat vaut aussi bien pour les services de premier ressort que pour les services spécialisés à vocation nationale.

a.   Les aléas des services de premier ressort

Les unités territoriales de premier ressort, tant les directions départementales de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) de la police que les groupements de gendarmerie, sont réputés polyvalentes et généralistes et ne disposent pas systématiquement d’enquêteurs spécialisés alors qu’elles traitent la grande masse des affaires de faible ou moyenne complexité (95 % des faits constatés).

Interrogée par la Cour des comptes sur ce point, la DCSP a indiqué qu’une unité financière était identifiée dans 34 sûretés départementales sur 54, avec diverses dénominations (brigade financière, brigade de la délinquance astucieuse) et a vocation à traiter des affaires de moyenne intensité. Ce dispositif est complété, dans 17 départements, par la présence d’équipes spécialisées dans une ou plusieurs circonscriptions de sécurité publique. Les rapporteurs ont ainsi pu rencontrer une équipe d’enquêteurs spécialisés au sein de la DDSP du département du Nord et ont pu mesurer l’intérêt d’une telle spécialisation au regard de la spécificité des affaires traitées, notamment en matière d’escroqueries sur internet.

En revanche, dans le périmètre de la préfecture de police, les directions territoriales de la sécurité publique (DTSP) ne comprennent pas d’unités financières, à l’exception de certains commissariats des Hauts‑de‑Seine.

Les affaires complexes relèvent au niveau territorial de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) dont les unités (11 directions régionales ou interrégionales, 8 services régionaux et 38 antennes) disposent toutes de divisions ou d’unités spécialisées en matière financière. La DCPJ estime à 11,60 % la proportion de ses agents territoriaux (512 sur 4 415) qui sont mobilisés par la délinquance économique et financière.

Toutefois dans le ressort de la préfecture de police, les groupes écofi des trois districts de Paris ont été supprimés en 2012 et le volume d’affaires traité par ces structures reste faible et ne porte que sur des faits simples, pour des préjudices, la plupart du temps, peu élevés. Quant aux services départementaux de la petite couronne (SDPJ), ils disposent de groupes spécialisés dotés d’effectifs très variés puisque les SDPJ des Hauts‑de‑Seine et du Val‑de‑Marne disposent de douze à quatorze enquêteurs dont certains dotés d’une solide formation spécifique, alors que le SDPJ de Seine‑Saint‑Denis a vu sa capacité de traitement de ces enquêtes drastiquement réduite avec des effectifs variant entre 6 et 10 et un taux de détenteurs du brevet d’investigateur en matière économique et financière (IMEF) faible. Au regard du volume de la délinquance financière dans ce département, cette situation n’est pas satisfaisante et a des répercussions sur la charge de travail des brigades spécialisées de la direction régionale dont la vocation devrait être de se focaliser sur des affaires plus complexes.

S’agissant de la gendarmerie, le dispositif repose sur le principe de subsidiarité. Si les groupements départementaux ne disposent pas d’unités spécialisées, ils peuvent mobiliser des renforts de personnel formés en faisant appel en tant que de besoin aux brigades de recherche.

Cette organisation repose sur un vivier de gendarmes ayant suivi une formation spécifique conçue autour de trois niveaux redéfinis en 2017 :

– « DÉFI 1 » : stage de trois semaines dont l’objectif est de donner aux enquêteurs les compétences pour traiter l’aspect patrimonial des enquêtes pénales, au niveau notamment des brigades de recherches des compagnies de gendarmerie. Le cycle de formation, intense (huit heures par jour), comprend à la fois une présentation du droit pénal financier et celle des techniques d’enquêtes et de recherche des preuves, ainsi que de certaines administrations partenaires (administration fiscale, SNDJ, AGRASC) ;

– « DÉFI 2 » : ce niveau intermédiaire entièrement nouveau repose sur une formation de quatre semaines dont l’objectif est de savoir traiter les infractions financières les plus courantes, au niveau des groupements départementaux. Cette formation comprend un important volet de droit commercial et des sociétés, de comptabilité et d’analyse financière, et l’étude des infractions principales du droit des sociétés ainsi que des manquements à la probité ;

– « DÉFI 3 » : cette formation issue de la formation longue antérieure a été ré-internalisée, le cursus universitaire étant apparu insuffisamment opérationnel. Elle s’adresse aux enquêteurs des sections de recherches et des offices centraux, en poste ou en cours d’affectation. La formation dure trois semaines et elle est centrée sur l’étude de cas complexes (faux virements internationaux, escroqueries à la TVA, etc.) et la présentation de certains partenaires (CRC, OCLCIFF, DNEF).

En fonction du niveau technique requis, les gendarmes formés « Défi » peuvent diriger ou venir en appui des enquêtes. Les objectifs de formation que la gendarmerie s’est donnée sont de disposer, au minimum et avant la fin de l’année 2024, de 30 % des effectifs des brigades de recherches formés Défi 1 (900), de 2 gendarmes qualifiés Défi 2 par groupement départemental (200) et de 100 % des effectifs des unités financières des sections de recherche et des offices centraux formés Défi 3 (200).

b.   La nécessaire rationalisation des services spécialisés à vocation nationale

Le paysage institutionnel des services de police judiciaire spécialisés dans la délinquance économique et financière est d’une rare complexité, comme le montre le schéma infra qui ne traite que de ceux qui ont une compétence nationale (offices) ou dont l’implantation parisienne les désigne pour traiter des dossiers complexes de portée nationale et internationale (direction de la police judiciaire de Paris).

 



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Ce foisonnement résulte de la création successive de nouvelles entités qui se sont progressivement ajoutées au dispositif précédent sans examen de la cohérence globale du système, la dernière étape étant la création d’un service de police fiscale rattaché à la direction générale des finances publiques (DGFiP) par la loi n° 2018‑898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

Créée en 1907, la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) est une des directions opérationnelles de la direction générale de la police. Elle a la particularité d’intervenir sur le haut du spectre de la délinquance et de traiter ses formes les plus graves : criminalité organisée, terrorisme, cybercriminalité, délinquance spécialisée dont la délinquance financière.

La DCPJ regroupe environ 7 700 personnels, qui sont présents à la fois en administration centrale et en administration territoriale, et elle comprend plusieurs sous‑directions, dont la sous‑direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière (SDLCODF).

Parmi les services opérationnels qui lui sont rattachés, la SDLCODF regroupe huit offices centraux spécialisés à compétence nationale qui traitent la grande délinquance ou les affaires complexes avec des ramifications nationales ou internationales. Deux offices centraux sont focalisés sur la grande criminalité financière : l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) et l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Elle estime à 28 % la proportion de ses agents (soit 212 sur un total de 752) qui se consacrent à la délinquance économique et financière.

L’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF)

Créé en 1990, l’OCRGDF a pour domaine de compétence les infractions à caractère économique, commercial et financier liées à la criminalité professionnelle et organisée, notamment celles en relation avec le trafic de stupéfiants, le grand banditisme, le terrorisme. Il est ainsi chargé de lutter contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme, les fraudes communautaires – à ce titre, il est le correspondant en France de l’office européen de lutte antifraude (OLAF) – et les escroqueries transnationales comme les faux ordres de virement internationaux (FOVI).

L’OCRGDF traite aussi des enquêtes dites des « biens mal acquis » (au nombre de 22 actuellement) confiées par le parquet national financier, portant sur les conditions dans lesquelles des chefs d’États ou de hauts responsables de ministères étrangers et leur entourage ont acquis un conséquent patrimoine immobilier et mobilier sur le territoire national. Par exemple, faisant suite à la plainte d’associations humanitaires (Sherpa et Transparency), ce groupe a diligenté l’enquête concernant M. Teodoro Obiang, vice‑président de la Guinée équatoriale, condamné par le tribunal correctionnel de Paris en octobre 2017 à 3 ans d’emprisonnement avec sursis et à la confiscation de ses biens à hauteur de 150 millions d’euros. Il a fallu démontrer que le blanchiment avait été réalisé en France mais les infractions avaient été commises en Guinée équatoriale, et dans d’autres pays à travers des sociétés offshore. L’immeuble du 42 avenue Foch était la propriété de plusieurs sociétés de droit suisse. Grâce à une collaboration internationale efficace, notamment avec la Suisse, il a été possible d’établir le lien juridique entre M. Obiang et les sociétés suisses. Ensuite, il a fallu prouver que les fonds qui avaient financé l’achat étaient illégaux, qu’ils provenaient de détournements de fonds publics issus des ministères guinéens et transférés à des sociétés offshore. Des documents bancaires récupérés à l’occasion des perquisitions en France, notamment ceux d’une filiale d’une banque connue en Guinée équatoriale, ont permis de l’établir.

L’OCRGDF impulse aussi la systématisation de l’enquête patrimoniale sur le plan national et international, via la plateforme d’identification des avoirs criminels (PIAC).

Enfin l’OCRGDF, très orienté vers la criminalité organisée, dispose de la brigade de recherche et dintervention financière nationale (BRIFN), composée de 14 fonctionnaires, en charge d’assister opérationnellement toute unité en matière de filatures, surveillances et interpellations d’objectifs avec si besoin le recours à des techniques spéciales d’enquêtes, car, contrairement à ce qu’on peut parfois penser, la police financière est loin de se cantonner à un travail sur dossier au bureau, il s’agit d’une activité qui impose aussi d’avoir parfois recours aux techniques policières les plus opérationnelles.

Créé en même temps que le parquet national financier par la loi n° 2013‑117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, adoptée à la suite de l’affaire Cahuzac, l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) a pour domaine de compétence les infractions relevant du droit pénal des affaires, les fraudes fiscales complexes, les atteintes à la probité et aux règles sur le financement de la vie politique. Il traite également du blanchiment de ces infractions.

Il est composé de deux brigades : la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), dite « police fiscale », créée le 6 novembre 2010 et la brigade nationale de lutte contre la corruption et la criminalité financière (BNLCF) divisée en deux sections, la section financière nationale, compétente pour les infractions à la législation sur les sociétés, le financement de la vie politique et les délits boursiers, et la section centrale de lutte contre la corruption, compétente pour traiter les atteintes à la probité (corruption nationale et internationale, trafic d’influence national et international, favoritisme, détournement de fonds publics). À ce titre, cette section traite des affaires de corruption d’agents publics étrangers confiées par le PNF.

Il faut aussi mentionner les 50 attachés d’enquête de la brigade nationale d’enquêtes économiques (BNEE) qui viennent en soutien des officiers de police judiciaire (OPJ) partout sur le territoire national. Ces inspecteurs des finances publiques qui ne sont pas eux‑mêmes OPJ, mettent leurs compétences en matière fiscale, financière, comptable et juridique au service de l’enquête : analyse de bilan, des montages juridiques et des circuits financiers, détermination de l’environnement patrimonial et professionnel des personnes physiques et de leurs revenus, notamment dans des dossiers d’abus de biens sociaux ou d’escroqueries. Ils peuvent être amenés à participer à des perquisitions avec les enquêteurs et les OPJ, aux auditions, ou à l’exploitation des scellés saisis.

Consciente de la faible visibilité des services spécialisés dans l’écofi au sein de cette vaste sous‑direction qui compte notamment plusieurs autres offices centraux (faux-monnayage, trafic illicite des stupéfiants, trafic des biens culturels…), la DCPJ a engagé une réforme organisationnelle consistant à créer deux sous‑directions différentes, l’une consacrée à la criminalité organisée et l’autre à la criminalité financière, cette dernière rassemblant uniquement les deux offices et la BNEE.

Dans un deuxième temps, il est prévu de diviser l’OCLCIFF en deux offices différents, avec un office central de lutte contre la délinquance fiscale et un office central de lutte contre la corruption et les infractions financières, correspondant aux deux brigades actuelles, et d’ériger la PIAC en un office central d’identification et de saisies des avoirs criminels, le reste de l’OCRGDF restant inchangé.

Les rapporteurs ont bien compris les objectifs de cette réforme, tels qu’ils leur ont été exposés par les équipes de l’OCLCIFF lors d’une table ronde organisée à Nanterre le 10 janvier 2019. Il s’agit essentiellement d’assurer une meilleure visibilité à ces métiers en interne et vis‑à‑vis de l’extérieur et de prendre acte de la spécialisation déjà observée entre les brigades. Le changement de statut de la PIAC, qui se consacre à l’identification des patrimoines des justiciables, est aussi un excellent signal envoyé sur l’importance de cette problématique. Ils estiment néanmoins que la réforme pourrait viser une rationalisation plus ambitieuse en intégrant les brigades spécialisées de la préfecture de police de Paris.

La préfecture de police dispose en effet de six brigades entièrement consacrées à la lutte contre la délinquance écofi au sein de la sous‑direction des affaires économiques et financières (SDAEF) de la direction régionale de la police judiciaire qui ne relève pas de la DCPJ.

Les périmètres de ces brigades sont soit redondants, soit complémentaires de ceux des offices centraux.

Les brigades écofi de la préfecture de police de Paris

La brigade financière (BF) est en charge des infractions au droit pénal des affaires et de l’entreprise, des infractions boursières et de tout dossier économique ou financier revêtant une sensibilité particulière, notamment en fonction de la personnalité des auteurs.

La brigade de répression de la délinquance économique (BRDE) traite des délits relatifs à la corruption, aux atteintes à la probité et à la violation des règles relatives aux marchés publics, à l’activité des professions réglementées, et des infractions à la consommation et des fraudes fiscales.

La brigade de recherches et d’investigations financières (BRIF) est compétente en matière de blanchiment et de fausse monnaie.

La brigade des fraudes aux moyens de paiement (BFMP) traite des contrefaçons et utilisations frauduleuses de données de carte bancaire, notamment pour le e‑commerce, des faux ordres de virements, des faux dossiers de crédit et d’utilisation de chèques volés ou falsifiés. Elle dispose depuis le 1er septembre 2018 d’un groupe cyber, de veille de recherche et d’enquête sous pseudonyme.

La brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA) couvre la plupart des escroqueries, abus de confiance, abus de faiblesse et faux et usage de faux et dispose d’un groupe consacré à la fraude sociale (CODAF).

Enfin la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP) consacre une dizaine de ses enquêteurs au domaine économique et financier à travers le travail dissimulé, notamment via des notes de signalement de Tracfin.

Interrogé par les rapporteurs sur le projet de création d’une sous‑direction spécialisée à la DCPJ et sur l’état des relations actuelles avec les offices, le sous‑directeur des affaires économiques et financières de la direction régionale de la police judiciaire de Paris a répondu en ces termes :

« Actuellement les relations entre les différentes brigades parisiennes et les offices sont bonnes, il ny a pas de guerre de territoire ou dégos mal placés des chefs. Les échanges sont réguliers, de même que les réunions ponctuelles ou institutionnelles.

La DRPJ Paris sera néanmoins attentive lors de la réforme structurelle de la DCPJ pour éviter le transfert subi de nombreux enquêteurs chevronnés en matière purement écofi vers ces nouveaux services. Comme cest déjà arrivé par le passé, harponnés par la centrale et ses offices, les enquêteurs les plus compétents quittent la DRPJ Paris pour rejoindre la DCPJ. Les magistrats peuvent ensuite être tentés de confier les dossiers les plus complexes (et les plus intéressants) aux offices.

La brigade financière est favorable à la création dune SDAEF au niveau central. Cette réforme lui parait indispensable, car cest à ce niveau que sélaborent les doctrines et se rédigent les textes qui régissent la matière. Ce domaine doit être suivi par des spécialistes pour ne pas courir le risque de négliger des évolutions importantes.

En principe, la BF devrait être en concurrence avec lOCLCIFF puisque certaines de leurs compétences se recoupent (notamment la section financière nationale qui traite du droit pénal des affaires au sein de lOCLCIFF). En fait, compte tenu de lengorgement de la BF et de lOCLCIFF, les seuls conflits qui apparaissent sont négatifs, en ce sens que chacun cherche subtilement (aux dépens de lautre) à ne pas se voir attribuer un dossier sans intérêt et/ou excessivement chronophage. La BF na aucune relation avec lOCRGDF, nayant pas de compétence commune.

La BRDE trouve une complémentarité tant sur le plan géographique quorganisationnel avec la SDAEF centrale : géographique, loffice anticorruption traitant des affaires de malversations dampleur nationale ou internationale, la BRDE traitant des affaires du bassin parisien (Paris et les trois départements de la petite couronne) ; organisationnelle puisque loffice et la BRDE sont les seuls services à traiter de manière spécialisée et régulière des manquements à la probité ou des irrégularités dans les marchés publics. La section de recherches de Paris comme les services de PJ territoriaux sont en effet rarement saisis pour de telles infractions.

La BRDA entretient des rapports de complémentarité avec lOCRGDF au travers déchanges réguliers principalement sur la thématique des escroqueries aux placements : contacts téléphoniques, organisation de réunions pour échanger sur les dossiers et voir et si des recoupements sont possibles afin dorienter le Parquet sur le traitement des plaintes de particuliers.

La coopération BFMP/DCPJ se matérialise dune part avec lOCRGDF sur les faux ordres de virement (FOVI) et dautre part avec lOCLCTIC sur la problématique de la carte bancaire et de la cybercriminalité.

Ainsi, la BFMP alimente et interroge la base nationale de lOCRGDF pour chaque nouveau FOVI (faits commis ou tentatives) reçu au service afin détablir tout rapprochement utile. La répartition initiale mise en place par le Parquet de Paris attribuait à loffice les FOVI dont les fonds étaient dirigés vers la Chine mais cette règle nest plus strictement appliquée à ce jour. La BFMP informe lOCRGDF de toute audition ou interpellation susceptible de lintéresser. La collaboration existe sans être spontanée et fluide. Linterruption, depuis 2014, du principe des bureaux de liaison FOVI nuit à la qualité et à la multiplication des échanges qui servaient la connaissance du phénomène, et la BFMP est peu informée des actions de coopération menées par la DCPJ auprès de pays impactés par la problématique.

La réorganisation de la DCPJ na aucune incidence sur le fonctionnement de la BRIF. Son seul interlocuteur est lOCRGDF avec lequel les échanges sont réguliers quant aux demandes faites à linternational. Il ny a pas eu de concurrence ou de conflit dans les dossiers BRIF dune part et lOCRGDF dautre part, depuis plusieurs années, mais les cibles, notamment dans le milieu francoisraélien, sont souvent les mêmes.

Dans la même logique que pour le service national de douane judiciaire (SNDJ), et pour favoriser la complémentarité, la mise en place dune réunion régulière déchanges et de partages permettrait de prendre du recul sur létat de la délinquance en cette matière et de proposer des stratégies. »

Cette analyse montre bien que, s’il n’est pas question de guerre des polices dans la configuration actuelle, la fluidité des échanges et la mobilisation des enquêteurs qui sont rares et précieux, passent par une rationalisation de l’organisation, consistant à intégrer dans la nouvelle sous‑direction de la DCPJ la sous‑direction financière de la police judiciaire parisienne.

Cette réforme permettrait de mettre en place des groupes d’enquêteurs à la taille critique sur des segments de délinquance particuliers, de gagner des effectifs d’état-major et d’assurer une meilleure visibilité à la spécialité écofi qui en a bien besoin.

Interrogés par les rapporteurs sur cette perspective, les magistrats les plus concernés par cette réorganisation des services d’enquête ne s’y sont pas opposés en admettant que la dispersion actuelle n’était pas idéale, car elle ne permettait pas toujours de connaître la réalité du portefeuille d’affaires des enquêteurs, ce qui affaiblissait les représentants du parquet dans la discussion préalable à la saisine des services de police.

Proposition n° 10 : simplifier l’organisation des services d’enquête spécialisés dans la délinquance financière en intégrant la sous‑direction des affaires économiques et financières de la préfecture de police de Paris dans la direction centrale de la police judiciaire.

Une certaine forme de concurrence serait maintenue puisque cette réforme ne concernerait ni la gendarmerie ni le service national de la douane judiciaire (SNDJ).

Ainsi au 1er janvier 2019, la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) dispose de 15 cellules nationales d’enquête dans le contentieux écofi sur un total de 40 cellules nationales existantes, devant le trafic international de stupéfiants (12 cellules) et les crimes de sang (10 cellules). Les infractions principales des cellules écofi portent sur des faits d’escroquerie en bande organisée (7 cellules), des faits d’atteintes à la probité (4 cellules), des faits de blanchiment aggravé en bande organisée (3 cellules) et des faits de faux et usage de faux (1 cellule). S’ajoutent à ces cellules nationales certaines sections de recherche dotées de groupes d’enquêteurs écofi importants (Paris, Marseille, Versailles).

Au‑delà de la police et de la gendarmerie, il faut compter avec un autre acteur dans la lutte judiciaire contre la délinquance financière, le ministère de l’action et des comptes publics, dont les interventions se diversifient et montent en puissance.

La direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) a toujours mené une action répressive contre les infractions douanières mais cette action s’est progressivement amplifiée et diversifiée depuis la création des officiers de douane judiciaire (ODJ) en 1999 et du service national de douane judiciaire (SNDJ) en 2002.

Le SNDJ a un positionnement administratif unique : dirigé par un magistrat et composé d’ODJ qui disposent des mêmes prérogatives et obligations que celles des OPJ, il s’agit d’un service d’enquête spécialisé dans la délinquance économique et financière mais pour un champ d’attribution limité aux infractions douanières comme la contrebande, les contrefaçons, la fraude aux droits indirects, ou encore l’escroquerie à la TVA, et le blanchiment.

Service à compétence nationale comme les offices centraux de la police judiciaire, pouvant être saisi par l’ensemble des parquets et des juges d’instruction de France, le SNDJ repose aussi sur le réseau douanier qui peut l’alimenter à partir des constatations des manquements à l’obligation déclarative (franchissement de frontière avec 10 000 euros en liquide) justifiant une enquête approfondie.

Le service est progressivement monté en puissance, il dispose actuellement de 272 agents et de neuf implantations dont celle d’Antilles Guyane créée à Fort‑de‑France le 1er septembre 2018. Depuis sa création, le service a su faire preuve de dynamisme en traitant un volume croissant d’affaires dont certaines fort complexes, comme celles relatives aux escroqueries à la TVA et à la taxe carbone. C’est également le SNDJ qui a enquêté sur des faits de démarchage illégal de prospects en France ou de blanchiment de fraude fiscale par UBS. Son ministère de tutelle a su mettre à sa disposition des moyens humains et matériels (applications informatiques notamment) conséquents, permettant d’accompagner favorablement cette croissance. Cette réussite est un des arguments utilisés par le ministère des comptes publics pour convaincre le législateur de réitérer l’expérience, cette fois au profit de la direction générale des finances publiques (DGFiP), avec la création d’une police fiscale échappant au ministère de l’intérieur.

La loi n° 2018‑898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude a ainsi autorisé la création, au sein du ministère des comptes publics, d’une police fiscale compétente pour enquêter sur des présomptions de fraude fiscale. Cette décision fut contestée au motif principal qu’il existe déjà, et depuis 2010, une brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), actuellement dépendante de l’OCLCIFF. Cette duplication a notamment suscité les critiques du Conseil d’État dans son avis du 22 mars 2018, exprimées comme suit : « la création dun second service denquête judiciaire fiscale hors du ministère de lintérieur ne serait pas conforme aux impératifs de bonne administration et susciterait de sérieux problèmes de concurrence entre services et de coordination de leurs interventions ».

Les rapporteurs ont interrogé les enquêteurs de la BNRDF lors d’une table ronde organisée à Nanterre le 10 janvier 2019, sur la portée de cette décision. Il ressort de cette discussion que le grand acquis de la BNRDF est d’avoir réussi l’intégration d’inspecteurs des finances publiques au sein d’un service de police judiciaire. La brigade est en effet composée paritairement de 21 officiers fiscaux judiciaires (OFJ), créés en 2010 sur le modèle des ODJ, et de 22 OPJ. L’enrichissement croisé est unanimement salué par ses membres : les uns ont appris la procédure pénale et les techniques policières (filatures, perquisitions, conduites d’audition), les autres les montages juridiques et fiscaux ou les enquêtes patrimoniales. Les OFJ sont devenus autonomes et peuvent s’appuyer dans leurs enquêtes sur des renforts locaux d’OPJ en province, car ils se déplacent beaucoup sur le territoire et le réseau policier (national et international) est un gros atout pour la conduite des enquêtes.

Les OFJ rencontrés à Nanterre remarquent que cet acquis ne sera pas transposable à Bercy même si les ODJ disposent de compétences voisines de celles des OPJ. Aucun d’entre eux n’envisage de demander sa mutation dans le nouveau service en voie de création dans leur maison mère.

La BNRDF craint plus que tout l’assèchement progressif de son volume d’affaires au profit du nouveau service, du fait de la position déterminante de la DGFiP comme apporteur d’affaires. De fait, en 2010, lors de la création de la brigade, les plaintes émanant de la DGFiP s’élevaient à 37 ; en 2015, elles atteignaient un pic avec 89 dossiers et ce chiffre est tombé à 8 en 2018, ce que les enquêteurs de la BNRDF interprètent comme un stockage préventif d’affaires, dans l’attente de l’entrée en service de la police fiscale de Bercy.

Le portefeuille en cours (394 affaires) est composé à 75 % de dossiers de présomption de fraude fiscale émanant de la DGFiP et à 25 % de dossiers de blanchiment de fraude fiscale émanant de saisines directes du parquet notamment suite à des articles de presse. À compter de 2014, les saisines en blanchiment de fraude fiscale ont représenté plus du tiers des saisines de la BNRDF et cette tendance semble donc appelée à s’accélérer du fait du tarissement constaté des affaires apportées par la DGFiP.

La BNRDF est saisie principalement d’affaires reposant sur des suspicions d’avoirs dissimulés à l’étranger, de montages juridiques organisant l’opacité ou de fausses domiciliations et de blanchiment de fraude fiscale.

De son côté, le ministère des comptes publics a pris des engagements devant le Parlement sur le maintien des effectifs d’OFJ de la BNRDF, et observe que la nouvelle entité bénéficiera du dynamisme du SNDJ puisqu’elle sera intégrée dans un nouveau service commun avec lui.

La nouvelle police fiscale de Bercy : les synergies avec le SNDJ

La nouvelle police fiscale implantée au ministère des comptes publics bénéficiera de l’expérience réussie du SNDJ.

Le nouveau service commun d’enquêtes judiciaires regroupant les ODJ et les OFJ, disposera d’un état‑major unique, de moyens d’enquête mutualisés et de deux pôles d’investigation, l’un de douane judiciaire constitué de l’actuel SNDJ et l’autre fiscal judiciaire, dont les 25 premiers enquêteurs sont en formation pour une prise de poste début juillet 2019.

Le service sera implanté dans les locaux actuels du SNDJ, afin de lui permettre d’exercer immédiatement son activité, sans contrainte matérielle.

Ces locaux sécurisés implantés à Ivry‑sur‑Seine sont spécialement aménagés pour permettre l’exécution des investigations et des actes d’enquêtes judiciaires dans des conditions conformes aux exigences du code de procédure pénale : locaux d’audition, locaux de garde à vue, locaux dédiés aux entretiens des gardés à vue avec leur avocat dans le respect du secret de leurs relations, locaux dédiés aux examens médicaux lorsque le gardé à vue sollicite un médecin dans le respect du secret médical.

Les fonctions support (secrétariat judiciaire, budget, ressources humaines, formation) seront communes à l’ensemble des ODJ et des OFJ. Il en ira de même des fonctions opérationnelles comme :

– un logiciel de rédaction des procédures de la douane judiciaire ;

– une cellule documentation et analyse ;

– un groupe opérationnel et technique en appui des enquêteurs dans leurs investigations pouvant consister, notamment, dans la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquêtes comme la captation des données informatiques (article 706‑102‑1 du code de procédure pénale). Ces dispositifs pourraient être mis en œuvre par les OFJ par exemple pour caractériser un délit d’escroquerie en bande organisée connexe à un délit de fraude fiscale (article 706‑73‑1 du code de procédure pénale).

Par ailleurs, le contrôle interne assurera la gestion des risques pour l’ensemble des ODJ et OFJ dans l’exercice de leur mission de police judiciaire, par exemple pour la gestion des scellés judiciaires.

Le magistrat chef du service commun regroupant les ODJ et les OFJ affectés au ministère chargé du budget, sera destinataire des réquisitions du procureur de la République et des commissions rogatoires du juge d’instruction. La compétence légale d’attribution des ODJ et des OFJ étant inchangée, seul le magistrat pourra désigner un OFJ directeur d’enquête sur une affaire de présomption caractérisée de fraude fiscale  (article 28‑2 CPP) mais également co-désigner un ODJ (article 28‑1 CPP) lorsque les aspects du blanchiment ou l’identification du patrimoine des mis en cause nécessiteront le savoir‑faire développé par les ODJ en ces matières.

3.   Une charge de travail qui augmente

La charge de travail des services d’enquête spécialisés dans les affaires écofi augmente, comme le montrent les différents indicateurs que sont le nombre de dossiers par enquêteur, la durée moyenne des investigations ou la proportion du portefeuille d’affaires dont l’ancienneté est supérieure à 1 an.

Ce constat vaut, à des degrés variables selon les composantes ou les brigades, pour la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), pour la sous‑direction des affaires économiques et financières (SDAEF) de la préfecture de police de Paris et pour les sections de recherche de la gendarmerie.

S’agissant de la DCPJ, les données reflètent l’activité des groupes spécialisés des directions régionales ainsi que de la direction centrale.

nombre d’enquêteurs spécialisés de la direction centrale
de la police judiciaire

Source : DCPJ.

Après avoir connu un creux en 2015, le nombre d’enquêteurs est remonté depuis pour atteindre le chiffre de 547 en 2018, dépassant le pic de 2013. Cet effort sur les effectifs n’a pas suffi à faire face à l’évolution de la charge de travail mesurée par la différence entre les flux d’affaires entrants et sortants.

flux entrants - procédures établies DCPJ

flux sortants - procédures clôturées DCPJ

stock de dossiers en portefeuille (procédures) DCPJ

stock de dossiers en cours par enquêteur dcpj

Ce constat d’engorgement est surtout vérifié dans les offices centraux et notamment à l’OCLCIFF, ce qui l’a conduit à ne prendre quasiment aucune affaire d’initiative depuis 2013 afin de réguler ses flux entrants, ce qui est un signe manifeste de dysfonctionnement. De même, la proportion de son portefeuille d’affaires dont l’ancienneté est supérieure à un an atteint 77 % en 2018, contre moins de 42 % dans les services territoriaux et 27 % à l’OCRGDF. L’engorgement de l’OCLCIFF n’est pas sans conséquence sur celui du PNF (voir infra) dont il est le premier service enquêteur (plus de 60 % des affaires traitées par le PNF).

Dans les services territoriaux de la DCPJ, le constat est plus nuancé, même si l’indicateur du nombre de dossiers par enquêteur doit être relativisé au regard de la complexité des dossiers attribués à ces services. Inversement, les enquêteurs des services de premier ressort comme ceux de la DCSP traitent un nombre moyen de dossiers bien supérieur (souvent plusieurs dizaines, 140 dossiers par enquêteur pour la cellule spécialisée de la DDSP du Nord) mais réputés moins complexes et avec des taux d’élucidation inférieurs aux services spécialisés.

Le constat est plus préoccupant encore pour la SDAEF de la préfecture de police de Paris où la situation se dégrade dangereusement puisque le nombre de dossiers par enquêteur est passé de 9,7 en 2016 à 12,4 en 2018. Ceci résulte de la baisse du nombre d’enquêteurs (de 282 à 247) que n’a pas permis de compenser la baisse significative des procédures ouvertes (de 3 353 à 2 748).

La proportion du stock de procédures datant de plus d’un an est de 53 % avec des niveaux d’alerte de 60 % ou plus à la BF, à la BFMP, et à la BRDE. Dans cette dernière brigade, la crise est manifeste dans la section consacrée aux enquêtes de présomption de fraude fiscale. De 2006 à 2010, la BRDE comptait 13 enquêteurs consacrés à la fraude fiscale. L’effectif a progressivement fondu pour ne plus compter que trois fonctionnaires début 2019, dont un seul véritablement formé.

200 saisines nouvelles par an sont en moyenne transmises à la BRDE, soit environ 20 % des 1 000 plaintes annuelles pour fraude fiscale simple déposées par la DGFiP. En 2018, la BRDE a encore reçu 183 saisines des parquets parisiens, dont 154 du TGI de Paris, et le portefeuille actuel de dossiers de fraude fiscale s’élève à 468 dossiers alors qu’en 2018, seulement 50 enquêtes ont été clôturées.

Ce différentiel entre le nombre de saisines et le volume d’enquêtes traitées génère une augmentation annuelle du portefeuille de 80 à 100 dossiers, statistique de nature à démotiver les enquêteurs.

La situation est davantage maîtrisée à la gendarmerie même si la tendance est plutôt également à la dégradation.

La DGGN ne suit pas l’activité judiciaire des sections de recherches de manière séparée de celle des régions ou groupements (une réflexion a toutefois été engagée pour construire un tel outil de suivi). Les données présentées ci‑dessous sont issues d’une enquête spécifique menée pour répondre à la Cour des comptes.

L’activité des sections de recherches est en hausse avec une progression cumulée du stock de dossiers économiques et financiers de 23 % entre 2013 et 2017, et une forte progression du nombre de dossiers par enquêteur qui s’établit à 6 en 2018, en dépit de la hausse des effectifs spécialisés qui sont passés de 164 enquêteurs en 2015 à 191 en 2018. Le délai moyen de traitement d’un dossier était de 14 mois en 2018, dans la moyenne des dernières années pour cet indicateur propre à la gendarmerie (13 mois en 2017 mais 14,8 mois en 2016).

L’activité de l’office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) et des sections de recherches de la DGGN
en matière économique et financière

 

2013

2014

2015

2016

2017

stock des affaires en cours

714

857

1008

999

880

nombre daffaires clôturées

320

378

460

452

366

nombre daffaires/enquêteur

3,85

4,78

5,27

5,35

5,30 ([68])

Source : DGGN, réponse écrite à la Cour des comptes.

Ces différents indicateurs reflètent les difficultés des enquêteurs spécialisés. À l’issue des nombreux échanges qu’ils ont eus avec eux et avec les magistrats qui les orientent, les rapporteurs souhaitent contribuer à fluidifier leur travail en proposant quelques mesures d’amélioration dans ce domaine.

Le premier grief exprimé par les enquêteurs porte sur la complication de la procédure pénale constatée au fil des années et des différentes réformes législatives opérées en vue de réaffirmer les droits de la défense. Parce que ce sujet concerne l’ensemble de la police judiciaire et pas seulement la spécialité écofi, les rapporteurs ne l’ont pas étudié en détail mais ils renvoient à la lecture des débats du projet de loi portant organisation de la justice.

Les policiers se sont également plaints de certains outils mis à leur disposition pour travailler et notamment de la lourdeur d’utilisation du logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) qui ne serait pas adapté à la prise en charge de milliers de procès‑verbaux et de dossiers de plusieurs tomes souvent constatés dans le domaine écofi.

L’accès aux fichiers des comptes bancaires (FICOBA) et des contrats d’assurance‑vie (FICOVIE) ne semble plus poser de problème, alors que celui des interdits de gérer (FNIG) n’est pas très aisé.

Mais la demande principale dans ce domaine porte paradoxalement sur un fichier géré par le ministère de l’intérieur, celui des titres électroniques sécurisés (TES). Le décret n° 2016‑1460 du 28 octobre 2016 autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif aux passeports et aux cartes nationales d’identité précise ainsi que n’y ont accès que les agents de la DCPJ chargés des relations avec Interpol et « les personnels chargés des missions de recherche et de contrôle de lidentité des personnes, de vérification de la validité et de lauthenticité des passeports au sein des services de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes ».

Les enquêteurs de l’OCRGDF ont ainsi regretté devoir désormais passer par le formalisme d’une réquisition judiciaire pour avoir accès à ce fichier qui contient des informations utiles sur l’état civil et les photographies des personnes sur lesquelles ils enquêtent. Il conviendrait donc de modifier la rédaction du décret afin d’autoriser cet accès direct.

La Fédération bancaire a présenté une demande portant sur le même fichier : ses adhérents, qui reçoivent les documents scannés, n’ont pas la possibilité de vérifier que les titres d’identité qui leur sont présentés n’ont pas été perdus ou volés.

L’OCRGDF éprouve les mêmes difficultés pour accéder aux dossiers de l’URSSAF. Le fichier RNCPS (répertoire national commun de la protection sociale) ne centralise aucune information. Les enquêteurs doivent donc procéder à l’examen de tous les départements où la fraude a été possiblement réalisée selon les dossiers.

Ils déplorent aussi beaucoup le temps passé à rédiger des réquisitions aux établissements bancaires, une fois identifiés les comptes dans FICOBA, afin d’obtenir le relevé des opérations bancaires sur les comptes d’un suspect. Les établissements bancaires mettent du temps à répondre et le font dans un format différent, parfois par simple scan, ne permettant pas une exploitation informatique, ce qui implique un long et fastidieux travail d’analyse. Les délais peuvent dépasser un an car les enquêteurs doivent faire une réquisition judiciaire pour toute information manquante.

À l’initiative de M. Jean‑Noël Barrot, un amendement a été adopté lors de la discussion du projet de loi de réforme de la justice, prévoyant la normalisation règlementaire des transmissions des réponses aux réquisitions. En complément de cette avancée, l’expérimentation d’une plateforme d’échanges entre banques et administration (PEBA) a pour objectif de dématérialiser l’envoi des réquisitions judiciaires adressées aux banques.

La plateforme d’échanges entre banques et administration (PEBA)

Porté par la DGGN, le projet PEBA devrait faciliter les échanges entre les OPJ et les établissements bancaires (réquisitions judiciaires) dans des conditions de sécurité techniques et juridiques accrues.

Il a pour objectif de mettre fin à l’envoi des réquisitions vers les organismes bancaires sous forme papier en lui substituant un envoi dématérialisé et sécurisé depuis les logiciels de rédaction de procédure (GN‑PN‑DJ). La réponse se fera également dans un format électronique et sera directement exploitable en analyse financière.

Ceci devrait se traduire par :

– une accélération du traitement des procédures grâce à la libération du temps consacré aujourd’hui par les enquêteurs à la saisie des données reçues sur support papier ;

– une fiabilisation des données par l’élimination des erreurs découlant de la saisie manuelle ;

– une homogénéisation des processus et des économies d’échelle dans le traitement des réquisitions.

Les fonctionnalités et développements de la PEBA ont été définitivement intégrés dans le logiciel de rédaction des procédures de la gendarmerie durant le second semestre 2018.

La Société Générale et le Crédit Lyonnais achèvent leurs travaux techniques pour une phase de tests à blanc courant avril 2019. À son issue débutera la phase d’expérimentation globale des échanges d’informations entre les banques (les deux mentionnées plus BNP Paribas et la Banque postale) et les administrations.

Le déploiement final de la PEBA est prévu début du premier semestre 2020.

Les rapporteurs appuient fortement ces initiatives et souhaitent qu’elles aboutissent rapidement à une normalisation de ces échanges. Ils appellent même de leurs vœux une plateforme automatisée qui permettrait une plus grande réactivité, du type de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ).

Proposition n° 11 : rationaliser le traitement des réquisitions des services de police aux établissements bancaires par la mise en place :

– d’une procédure et d’un format normalisés de transmission des réponses ;

– d’une plateforme unifiée de traitement des flux sous la responsabilité du ministère de la justice.

De même, les services de police judiciaire, à l’instar des services des douanes ou du contrôle fiscal, devraient se doter d’outils d’exploitation de données afin d’améliorer le ciblage de leurs enquêtes. L’accès des services de lutte contre la délinquance financière à ces informations demeure en effet largement entravé par la lenteur des procédures nécessaires à leur obtention. Notons qu’en matière de lutte contre la « fraude sociale », les données de l’administration fiscale sont transmises de manière automatique aux agents en charge du contrôle des bénéficiaires de prestations sociales. La détection de la « fraude sociale » repose donc sur des dispositifs beaucoup plus performants que ceux dont disposent les services de détection de la délinquance financière, en dépit de la réalité des enjeux financiers en question.

Proposition n° 12 : développer les outils d’exploitation et de croisement de données reposant notamment sur l’intelligence artificielle afin de contribuer au ciblage des enquêtes.

L’une des raisons pour lesquelles les services spécialisés en écofi peinent à séduire de nouveaux enquêteurs est le caractère parfois peu valorisant du travail proposé, notamment lorsqu’il s’agit d’instruire des plaintes introduites par des administrations dotées de pouvoir de police judiciaire en vertu de lois spéciales. Ce travail n’apporte pas de valeur ajoutée car il consiste principalement à judiciariser le dossier, c’est‑à‑dire à organiser de nouvelles auditions dans le cadre du code de procédure pénale de personnes déjà entendues par les services administratifs, sans guère d’éléments nouveaux.

Ce phénomène s’observe notamment en matière fiscale et il est à l’origine de la crise subie par la BRDE de la préfecture de police de Paris. La BRDE avait historiquement le monopole de la prise en charge du traitement de la fraude fiscale et disposait d’un réel savoir‑faire pour traiter des affaires complexes de type carrousel de TVA. Avec la création du SNDJ puis de la BNRDF, les affaires les plus techniques et les plus sensibles lui ont progressivement échappé. La BRDE ne traite désormais que les dossiers dans lesquels l’administration fiscale a effectué des vérifications et reçu les observations écrites du contribuable visé. De plus, entre la période de la fraude et la réception de la plainte, plusieurs mois voire des années se sont écoulés, rendant plus délicat le traitement de l’enquête pénale.

Dès lors, il serait plus simple et efficace de confier aux OFJ l’intégralité du traitement judiciaire de la fraude fiscale. Leur maîtrise naturelle du sujet (ils connaissent à la fois le formalisme des vérifications fiscales, le vocabulaire fiscal et les différents cas de fraudes fiscales) n’est en effet pas partagée par les OPJ.

Cette simplification correspondrait à un parallélisme des formes avec le fonctionnement des douanes judiciaires puisque les ODJ prennent automatiquement les enquêtes portant sur des délits douaniers. Un manquement aux obligations déclaratives (MOD) révélé administrativement par des douaniers est ainsi immédiatement orienté vers le SNDJ, sans envisager qu’un service de police soit saisi.

Elle éviterait surtout l’écueil de la distinction entre contentieux techniques ou nobles traités par des OFJ (suspicion de fraudes fiscales, fraudes fiscales complexes nécessitant une véritable enquête avec des techniques spéciales) et contentieux simples et d’intérêt modeste traités par des OPJ (mise en forme judiciaire d’un contrôle fiscal intégralement mené par les finances publiques). La création de la police fiscale à Bercy qui s’ajoute à la BNRDF devrait permettre de mettre en œuvre cette réforme sans trop de difficultés.

Proposition n° 13 : confier l’intégralité du traitement judiciaire de la fraude fiscale à des services d’enquête constitués d’officiers fiscaux judiciaires.

Plus largement, le modèle réussi de la BNRDF, qui s’est traduit par une bonne intégration des OPJ et des OFJ, devrait être étendu à d’autres administrations dotées de pouvoir de police judiciaire afin de les associer plus étroitement au traitement pénal de leurs dossiers et de bénéficier de l’expertise de leurs agents. Les orientations actuelles du ministère de la justice, notamment la circulaire DACG du 20 mars 2017 relative à l’organisation d’auditions par les administrations dotées de pouvoirs de police judicaire en vertu de lois spéciales, qui cherchent à privilégier l’exploitation des actes administratifs d’instruction des dossiers dans le cadre de l’enquête judiciaire, sont en effet peu appliquées par les magistrats qui exigent des services de police la reprise intégrale des investigations dans le formalisme exigé par le code de procédure pénale.

Si le modèle séquentiel ne fonctionne pas, il faut sans doute privilégier le modèle intégré en créant des brigades conjointes d’OPJ avec des officiers judiciaires émanant de l’inspection du travail (pour les dossiers de travail dissimulé), ou de la DGCCRF (pour les dossiers de pratiques commerciales trompeuses).

Cette intégration passerait par l’extension des pouvoirs actuels des agents de ces administrations.

S’agissant des agents de la DGCCRF, il conviendrait de leur conférer des pouvoirs de coercition comme la faculté de mener des perquisitions, et d’élargir leur domaine d’intervention à deux délits connexes, souvent sous‑jacents dans les dossiers de pratiques commerciales trompeuses : les délits d’escroquerie et d’abus de faiblesse.

S’agissant des inspecteurs du travail, ils pourraient se voir confier des pouvoirs coercitifs similaires à ceux détenus par les OPJ, bien évidemment soumis au contrôle d’un magistrat (parquet ou juge des libertés et de la détention) et dans un champ de compétence limitativement défini.

Leurs prérogatives pourraient être développées ainsi :

– extension du pouvoir de se faire produire des pièces à un pouvoir de saisie judiciaire ;

– extension du droit d’entrer dans les lieux d’hébergement avec accord des occupants à un pouvoir d’entrée sans assentiment avec une autorisation judiciaire, autrement dit un pouvoir de perquisition encadré ;

– extension du pouvoir de communication avec l’ensemble des partenaires et administrations à un pouvoir de réquisition y compris envers des organismes privés, notamment en matière bancaire ;

– extension du pouvoir d’audition libre et de contrôle d’identité à un pouvoir d’auditions dans un cadre de rétention exercé sous le contrôle de l’autorité judiciaire ;

– extension du pouvoir de redressement à un pouvoir de saisies mobilières et immobilières d’avoirs criminels.

L’attribution de ces nouveaux pouvoirs de police devrait également s’étendre à certains délits connexes du travail illégal et difficilement dissociables de celui‑ci, notamment le blanchiment ou les faux permettant de dissimuler l’activité illicite.

Proposition n° 14 : intégrer des agents de certaines administrations spécialisées (inspection du travail, direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes) dans des brigades de police judiciaire avec la qualité d’officiers de police judiciaire, sur le modèle des inspecteurs des finances publiques ou des agents des douanes.

De même, il pourrait être envisagé de confier à l’Autorité des marchés financiers (AMF) des pouvoirs de coercition afin d’achever le transfert du traitement pénal des délits boursiers à cette autorité de régulation. Ce transfert permettrait à la BF de se décharger totalement de ces dossiers pour lesquels elle dépend fortement de l’expertise des agents de l’AMF et de se consacrer exclusivement à son cœur de métier, le droit pénal des sociétés.

Si l’on observe les sanctions administratives ou pénales prononcées dans le passé, il apparaît désormais que les amendes infligées par l’AMF sont beaucoup plus lourdes que celles prononcées par la justice. L’AMF dispose de plus de moyens, d’effectifs et de compétence. Elle diligente la plupart des investigations boursières à l’issue desquelles elle prononce elle‑même les sanctions.

Choisir la voie judiciaire ne présente dès lors un intérêt que parce que la justice pénale est la seule à disposer de certains moyens d’administration de la preuve (coercition, écoutes téléphoniques notamment) et à pouvoir prononcer des sanctions (emprisonnement) adaptées aux comportements les plus fautifs. Ce n’est que si les fraudeurs n’ont aucune attache en France ou sont inaccessibles aux sanctions financières de l’AMF (patrimoine inexistant en France) que la voie pénale (PNF‑BF) est enclenchée. Cette nouvelle approche résultant des travaux préparatoires à la loi de 2016 sur la répression des délits de marchés a mis fin aux tensions entre la répression administrative et judiciaire en instaurant une réelle répartition des tâches entre l’AMF et la justice qui repose notamment sur :

– un recours par le parquet et l’instruction à des enquêteurs de l’AMF en tant que personnes qualifiées (article 77‑1 du code de procédure pénale) ou experts (article 164 du code de procédure pénale) ;

– la procédure d’aiguillage telle que prévue par le code monétaire et financier (article L. 465‑3‑6), qui permet au collège de l’AMF de transmettre directement le rapport d’enquête de ses services au PNF s’il considère que la voie pénale est la plus appropriée, sans aller plus loin dans la procédure AMF afin de gagner du temps.

Le transfert intégral consisterait à autoriser l’AMF à se doter d’une unité d’investigations judiciaires compétente uniquement pour les délits boursiers visés à l’article L. 465‑3‑1 et suivants du code monétaire et financier (diffusion d’informations fausses et trompeuses, manipulation de cours, délit d’initié), composée d’agents issus du ministère de l’économie auxquels le législateur accorderait les pouvoirs d’OPJ, à l’instar des ODJ et OFJ, et qui pourrait être saisie par le PNF ou les juges d’instruction.

Si l’on voit bien l’intérêt d’une telle rationalisation des enquêtes pour la police judiciaire, le modèle appliqué à la DGDDI et à la DGFiP n’est toutefois pas immédiatement transposable à l’AMF, dont le statut d’autorité publique indépendante lui interdit de travailler sous l’autorité du PNF ou de juges d’instruction. Il conviendrait dès lors de prévoir des modalités d’organisation de ses services d’enquête compatibles avec la possibilité de cette double subordination, collège et commission des sanctions de l’AMF d’une part, autorités judiciaires d’autre part.

La conception du dispositif devrait permettre le maintien du bénéfice de l’appartenance à une autorité indépendante de régulation financière, et notamment la connexion étroite avec les services en charge de la surveillance des marchés et des émetteurs et le recueil des informations en provenance de l’étranger par le biais des homologues de l’AMF.

Proposition n° 15 : doter l’Autorité des marchés financiers d’une unité d’investigations judiciaires afin de lui permettre d’assurer l’intégralité du traitement pénal des délits boursiers.

Les différentes mesures techniques présentées par les rapporteurs sont de nature à alléger la contrainte subie par les services d’enquête, mais elles devraient s’accompagner d’un effort d’augmentation des effectifs des services spécialisés afin d’afficher un signal positif et de répondre à la demande sociale d’une justice efficiente, notamment face aux délits économiques et financiers.

Proposition n° 16 : augmenter les effectifs des services de police spécialisés.

Cette proposition devra toutefois s’accompagner d’une véritable politique des ressources humaines ciblée sur ces métiers car la crise des vocations est telle que les postes récemment créés n’ont pas tous été pourvus faute de candidats.

4.   Une crise des vocations

La police judiciaire en général et la police financière en particulier traversent une crise des vocations qui doit trouver rapidement des réponses.

Les candidats sont découragés par le formalisme et les lourdeurs de la procédure pénale, la disponibilité exigée dans les services d’enquête dont les horaires ne sont pas toujours prévisibles, la faible attractivité indemnitaire, les contraintes de l’avancement qui exigent des mobilités fréquentes, la technicité de la matière financière et la sociologie particulière des mis en cause dans ce type de dossier dont la combativité et le professionnalisme des avocats mettent une forte pression sur leurs accusateurs.

D’autres spécialités de police judicaire comme les stupéfiants ou la brigade criminelle correspondent davantage à la formation ou aux attentes des jeunes policiers, mais la police judiciaire est elle‑même en difficulté car elle subit l’attractivité d’autres métiers comme le renseignement ainsi que l’a bien résumé le sous‑directeur de la police judiciaire financière parisienne dans sa réponse aux rapporteurs :

« La désaffection concerne tous les services et tout le territoire. Seules tirent encore leur épingle du jeu les unités de police judiciaire du sud de la France, offrant des postes en régime hebdomadaire et traitant des procédures sur saisine. En Île-de-France, la DRPJ est particulièrement touchée, les viviers naturels que constituent les services de laccueil et de linvestigation de proximité (SAIP) des commissariats sombrant un peu plus chaque année, accablés par le volume dactivité croissant et le souseffectif chronique, et les rares candidats encore intéressés par les directions spécialisées choisissant les postes dépourvus de contraintes procédurales quoffrent les services de renseignement.

La désaffection touche tous les corps, à commencer par ceux des officiers, des gradés et gardiens. Les jeunes officiers, plus attirés par la dimension managériale que par la technique procédurale, sortent décole en sécurité publique. Deux ans après, ils nosent plus candidater sur des postes où ils devront rapidement montrer des signes de compétence pour être reconnus. Les candidatures se raréfient et les départs se multiplient. Les gardiens ont quant à eux limpression quils seront durablement pénalisés à lavancement. Les gradés les plus expérimentés se sentent enfin victimes dun plafond de verre, lié à la présence dofficiers à la tête des groupes, sentiment préjudiciable à la fidélisation des personnels. Sur le plan indemnitaire, la suppression en 2011 des frais denquêtes et de surveillance, récompensant un investissement personnel, et son remplacement par un dispositif de remboursement sur présentation de justificatifs, a été amèrement ressentie. »

De même, les dirigeants et cadres des offices centraux ont appelé l’attention des rapporteurs sur le turn over de leurs jeunes recrues qui demandent leur mutation à peine formées, au bout de deux ans, alors qu’on estime à cinq ans le délai moyen pour être pleinement opérationnel dans ce type d’activité.

Cette situation très préoccupante appelle une réaction de la part des pouvoirs publics qui doivent s’attacher à revaloriser l’image de la police financière, ce qui passe par des réformes organisationnelles mais aussi par une politique de ressources humaines ambitieuse qui traite tous les aspects du problème : la formation, initiale et continue, les conditions d’avancement, et le régime indemnitaire.

La question se pose de rétablir une filière police judicaire dès le passage en école de police afin de fidéliser des fonctionnaires qui auront été formés spécifiquement dès leur recrutement. Actuellement la DCPJ propose un stage initial « investigateur en matière économique et financière » ou IMEF, d’une durée de sept semaines depuis 2016, qui fait principalement intervenir des enquêteurs expérimentés. Cette formation comprend trois modules répartis sur un semestre, est sanctionnée par une évaluation des compétences acquises et conduit à la délivrance d’un diplôme en cas de réussite aux épreuves finales. Dans un but d’efficacité, les stagiaires ne sont envoyés en formation qu’après plusieurs mois d’affectation dans les services chargés d’enquêtes économiques et financières où ils sont accompagnés par des enquêteurs chevronnés. Le taux de brevetés IMEF est de 70 % à la DCPJ, il est inférieur à l’OCRGDF, probablement en raison du turn over qui l’affecte. Depuis 2015, une certification professionnelle de niveau 3 (équivalent bac +2) peut être obtenue par les enquêteurs détenteurs du brevet IMEF au vu du diplôme et d’un stage probatoire de 36 mois. La certification peut également être obtenue sur reconnaissance des acquis de l’expérience au vu d’un dossier qui est alors examiné par un jury. À ce jour, 32 dossiers ont été examinés par le jury et 26 titres ont été décernés depuis 2015.

On pourrait imaginer d’imposer un engagement de maintien dans le poste d’une durée de trois ans pour les fonctionnaires ayant bénéficié d’un stage IMEF. De même, une prime de technicité pourrait être créée afin de renforcer l’attractivité de ces affectations qui, pour l’essentiel, sont localisées en Île‑de‑France où le coût de la vie est élevé. La gendarmerie dispose ainsi d’une prime de 200 euros mensuels pour les sous‑officiers formés à la police financière et qui comptent plus de cinq ans d’ancienneté dans le poste. Il pourrait être envisagé d’instituer un dispositif comparable pour la police judiciaire. Enfin une adaptation des conditions d’avancement, notamment à partir du grade de brigadier, un accès possible au grade supérieur sur place, devrait être étudiée, afin d’éviter les demandes de mutation simplement motivées pour des raisons de carrière.

Proposition n° 17 : mettre en place une politique de ressources humaines renforçant l’attractivité de la police judiciaire financière (prime de technicité, adaptation des conditions d’avancement, formation initiale et continue).

C.   LES JURIDICTIONS SPÉCIALISÉES : LARBRE QUI CACHE LA FORÊT ?

Pas plus que le ministère de l’intérieur, le ministère de la justice ne dispose de données sur les moyens qu’il consacre à la lutte contre la délinquance financière puisque ces contentieux ne font pas l’objet d’une identification statistique particulière dans la masse des affaires traitées par la justice.

Il existe toutefois des juridictions partiellement spécialisées dans la délinquance financière, comme les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ou, plus récemment, le parquet national financier (PNF) totalement consacré à cette activité, mais ces organes ne traitent qu’une faible proportion de la masse des affaires financières, même si ce sont les plus importantes et les plus visibles.

Certains interlocuteurs des rapporteurs ont regretté que la création des JIRS en 2004 se soit accompagnée de la suppression d’un maillage territorial plus dense avec la disparition progressive de nombreuses sections spécialisées de parquets dans les tribunaux de grande instance.

D’autres, comme le syndicat de la magistrature dans sa réponse écrite au questionnaire adressé aux organisations syndicales de magistrats, estiment que les juridictions spécialisées sont l’arbre qui cache mal la forêt : « La performance de la politique publique de lutte contre la délinquance économique et financière apparaît difficile à évaluer sur une base précise et objective, compte tenu de lextrême hétérogénéité de ce contentieux aux limites par ailleurs mal définies. Elle peut être néanmoins intuitivement perçue comme faible par les acteurs de terrain, compte tenu des lacunes observées dans la détection, de taux de poursuite faibles et de délais de procédure importants. À ce titre, il convient de noter que lactivité  particulièrement visible  des services spécialisés (PNF, JIRS) ne porte en tout que sur quelques centaines de dossiers par an et nest en aucun cas représentative des conditions dans lesquelles est traitée la grande masse de la délinquance économique et financière, portant sur des enjeux chiffrés en dizaine ou centaine de milliers deuros et mettant en cause de petites et moyennes entreprises ou des particuliers anonymes. »

Le même syndicat observe également que les indicateurs de performance applicables aux juridictions (délai moyen de traitement, dépense moyenne de frais de justice par affaire) peuvent dissuader des arbitrages favorables au traitement de la délinquance financière puisqu’il s’agit souvent d’affaires complexes qui exigent des temps de traitement longs et constituent donc des « boulets statistiques ».

Faute de données disponibles sur les moyens consacrés par l’ensemble des juridictions, les rapporteurs ont été contraints de se focaliser sur les JIRS et le PNF, tout en essayant de dégager de cet examen ciblé quelques orientations applicables à l’ensemble de l’organisation judiciaire.

1.   Des juridictions interrégionales spécialisées fortement mobilisées par la criminalité organisée

Par dérogation au critère de compétence territoriale qui fonde la compétence des tribunaux de grande instance (TGI), le législateur a confié à un nombre réduit de TGI une compétence exclusive ou concurrente pour la poursuite et le jugement de certains délits financiers limitativement énumérés.

les juridictions spécialisées en matière économique et financière

 

Principe général

Mise en œuvre sur le territoire

Compétences

Modalités de transferts des affaires par les TGI territorialement compétents

Pôles économiques et financiers (PEF)

1 TGI devient compétent sur la totalité du ressort d’une cour d’appel déterminée

– suppression quasi totale des PEF en 2013 mais maintien de la base juridique ([69])

– un PEF conservé à Bastia (ressort de la cour d’appel de Bastia)

– un PEF nouveau créé en 2017 au TGI de Nanterre (ressort de la cour d’appel de Versailles, cf. infra)

Le PEF est compétent sur :

– les infractions listées à l’article 704 du CPP (champ large couvrant l’essentiel de la délinquance économique et financière)

– avec un critère de grande complexité.

Compétence concurrente : le renvoi au PEF est facultatif pour le TGI territorialement compétent ; il doit en pratique être accepté par le PEF.

Juridictions interrégionales spécialisées (JIRS)

1 TGI désigné avec une compétence interrégionale (ressorts de plusieurs cours d’appel). Dispositif créé en 2004.

8 JIRS en 2017, 7 en métropole (Paris, Lyon, Marseille, Lille, Nancy, Rennes, Bordeaux) et 1 en outre-mer (Fort de France) ([70]) avec un périmètre fixé par l’article D. 47‑3 du CPP.

Le TGI désigné comme JIRS est compétent sur :

– les infractions de l’article 704 du CPP

– si l’affaire est de grande complexité ([71]).

Les JIRS sont parallèlement compétentes pour la criminalité organisée complexe.

Compétence concurrente : le renvoi à la JIRS ([72]) est facultatif pour le TGI territorialement compétent ; il doit être accepté par la JIRS.

Parquet national financier rattaché au TGI de Paris

Compétence nationale donnée à un seul TGI

Parquet autonome spécialisé placé auprès du TGI de Paris ([73]).

Les juges d’instruction et formations de jugement correctionnelles sont celles du TGI de Paris.

Le PNF, les juges d’instruction et les formations correctionnelles du TGI de Paris sont compétents pour :

– les infractions des articles 705 et 705‑1 du CPP (périmètre plus restreint que celui des JIRS) ;

– avec un critère de grande complexité ou de bande organisée pour certaines infractions du périmètre, mais pas la totalité ([74]).

Compétence exclusive en matière de délits boursiers (les autres TGI sont incompétents).

Compétence concurrente dans les autres domaines (soit l’essentiel du champ de l’article 705).

Source : Cour des comptes.

Les pôles économiques et financiers ont été supprimés en 2013, à l’exception de celui de Bastia et de la création en 2017 d’un nouveau pôle à Nanterre, quoique sans moyen nouveau ou spécifique à ce jour.

Les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) ont été créées par la loi n° 2004‑204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et ont été mises en place à compter du 1er octobre 2004. Elles sont au nombre de 8 sur le territoire français. Leur compétence matérielle regroupe des délits financiers mais aussi et surtout dans la pratique des délits relevant de la criminalité organisée.

L’organisation interne des TGI ayant la compétence JIRS, de même que l’affectation précise des magistrats ayant l’habilitation JIRS, relèvent des chefs de cour et de juridiction. Dès lors, il est difficile d’identifier des effectifs travaillant à plein temps pour la JIRS, une certaine forme de polyvalence pouvant persister tant pour les magistrats du parquet que pour ceux du siège.

Ainsi, les magistrats du parquet habilités sont fréquemment amenés à assurer des audiences sur d’autres affaires, voire à participer à la permanence commune, à la différence des magistrats du PNF, entièrement spécialisés. Les juges d’instruction suivent fréquemment un portefeuille d’affaires relevant partiellement du champ de compétence des JIRS.

Interrogée par la Cour des comptes, la direction des services judiciaires (DSJ) a évalué l’effectif total des JIRS à 392 ETPT en 2017 dont 91 magistrats du parquet, 71 juges d’instruction, 63 membres des formations de jugement, 167 fonctionnaires de greffe ou assistants spécialisés.

De son côté, la DACG, interrogée par les rapporteurs, a identifié 416 magistrats habilités JIRS en TGI ou en cour d’appel, dont 206 à Paris et elle a ajouté dans sa réponse écrite le commentaire suivant : « Le nombre de magistrats spécialisés, tant au parquet quà linstruction, en matière économique et financière, est faible, ce que déplorent plusieurs JIRS, faisant le constat dune certaine déshérence des dossiers. Seuls les TGI de taille importante (Paris, Marseille) sont en capacité de créer une section financière JIRS à part entière. »

Lors de leur déplacement à Lille le 1er février 2019, les rapporteurs ont été surpris de constater que la JIRS ne comptait que 5 magistrats du parquet, 5 juges d’instruction, 2 fonctionnaires et 3 assistants spécialisés. Les rapporteurs tiennent à rappeler le manque structurel de procureurs en France qui entrave largement l’efficacité de la lutte contre la délinquance financière.

Ces faibles moyens expliquent une certaine sélectivité des dossiers par les parquets des JIRS, constatée par la Cour des comptes à Lyon et à Marseille et dans une moindre mesure à Paris ou à Bordeaux, au détriment des autres parquets du ressort. Un véritable effet de ciseau est néanmoins constaté avec une progression globale du nombre d’affaires nouvelles (319 en 2016) et une baisse du nombre d’affaires clôturées (143 en 2016), signe d’engorgement du dispositif, notamment à la JIRS de Marseille.

La Cour des comptes relève aussi que la criminalité organisée est prédominante dans le portefeuille des JIRS puisqu’elle totalise 79 % des affaires contre seulement 21 % pour les affaires économiques et financières. Parmi ces dernières, en prenant en compte les dossiers traités depuis fin 2004, au nombre de 1 123, on constate une part importante des escroqueries en bande organisée (40 %), de blanchiment (24 %), de contrebande en bande organisée (10 %) ou d’abus de biens sociaux (8 %). Les JIRS comptent actuellement de l’ordre de 420 dossiers économiques et sociaux, moins que les 508 du PNF dont le portefeuille est toutefois complémentaire, puisqu’il porte sur les atteintes à la probité et les fraudes aux finances publiques.

Comme le remarque enfin la Cour, il n’existe pas de dispositif d’animation du dispositif JIRS qui permettrait d’échanger sur les critères de saisine, le suivi de l’activité ou les bonnes pratiques. Interrogés sur ce point, les magistrats de la JIRS de Lille ont cité un forum partagé sur l’intranet justice qui permettait d’échanger sur les bonnes pratiques en citant l’exemple d’un tableau de suivi de leur portefeuille d’affaires, mis au point sur leurs seules ressources, et qu’ils se proposaient d’exporter vers les autres JIRS.

Les parquets généraux ont initié cette démarche à travers la création le 6 avril 2018 d’un « collège des procureurs généraux JIRS » qui doit recenser les phénomènes de criminalité organisée et de grande délinquance financière.

Quinze ans après la création des JIRS, cette fonction de coordination et d’information doit faire l’objet d’une prise en charge effective, afin d’avoir une vision globale de l’efficacité du dispositif.

2.   Un parquet national financier menacé d’engorgement par sa rapide montée en puissance

Instauré par la loi organique n° 2013‑1115 du 6 décembre 2013, le procureur de la République financier est une institution sui generis puisqu’il dirige un parquet autonome spécialisé, sous l’autorité hiérarchique du procureur général près la Cour d’appel de Paris, mais placé auprès du Tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Les affaires qu’il traite sont renvoyées à des juges d’instruction et à des formations de jugements désignés par le Premier président de la Cour d’appel de Paris, après avis du président du TGI. Une 32ème chambre correctionnelle a ainsi été créée au sein du TGI de Paris à laquelle sont confiées en priorité les affaires du parquet national financier (PNF).

Cette créativité institutionnelle a d’abord surpris le monde judiciaire. Elle semble désormais admise, au regard des acquis de cette innovation qui, au terme de cinq ans d’existence, peut faire l’objet d’un premier bilan reposant sur le recul nécessaire.

Spécialisé dans la délinquance financière complexe et à forte visibilité (sa création est l’une des conséquences de l’affaire Cahuzac et personne n’a oublié son rôle dans le traitement judiciaire de l’affaire Fillon en 2017, au cœur de la campagne présidentielle), le PNF se voit reconnaître deux types de compétences sur l’ensemble du territoire national :

– une compétence exclusive pour les délits boursiers ;

– une compétence concurrente avec d’autres parquets pour les atteintes à la probité et pour les atteintes aux finances publiques.

Le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, déposé le 30 mars 2016, avait souhaité accroître fortement la compétence exclusive du procureur de la République financier en l’étendant aux délits de corruption, de trafic d’influence, de fraude fiscale, d’omission d’écritures ou de passation d’écritures inexactes ou fictives, dès lors qu’ils étaient commis en bande organisée, et au blanchiment de ces délits.

Dans sa décision du 8 décembre 2016, le Conseil constitutionnel a toutefois jugé ces dispositions contraires à la Constitution au motif qu’ « en ne prévoyant pas de dispositions transitoires de nature à prévenir les irrégularités procédurales susceptibles de résulter de ce transfert de compétence, le législateur a méconnu à la fois lobjectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et celui de lutte contre la fraude fiscale ».

De ce fait, la question de la compétence concurrente avec d’autres parquets, et notamment avec les JIRS, perdure, même si la circulaire de la Garde des sceaux du 31 janvier 2014 a permis de fixer des repères pragmatiques en précisant que le procureur de la République financier « a par essence vocation à connaître des affaires susceptibles de provoquer un retentissement national ou international de grande ampleur ». Elle ajoute que « compte tenu de son autonomie, de sa spécialisation, de ses moyens et de lexpertise dont il dispose, il a pleinement vocation à intervenir dans les affaires se distinguant par la complexité des montages financiers, la technicité de la matière, lenchevêtrement des sociétés ou des structures impliquées, et, plus largement, lorsque le recours à un parquet hautement spécialisé est indispensable au bon déroulement des investigations et à une bonne administration de la justice. »

La circulaire du 31 janvier 2014 précise encore que le procureur de la République financier aura vocation à être saisi dans les cas suivants :

– les dossiers de corruption d’agents publics étrangers ;

– les dossiers relatifs aux autres atteintes à la probité lorsqu’ils révèlent l’implication d’un agent mis en cause exerçant des responsabilités de haut niveau ou en présence d’entreprises et de dirigeants à forte visibilité économique dont la mise en cause peut provoquer d’importantes répercussions financières ou sociales ;

– les dossiers de fraude fiscale complexe ou internationale, ou commise en bande organisée ;

– les escroqueries à la TVA du type « carrousel », les escroqueries à la taxe carbone, commises en bande organisée et revêtant une dimension internationale se distinguant par l’ampleur du préjudice et par l’implication de multiples entreprises, avec des montages financiers et des circuits de blanchiment ayant recours à des structures écrans et des comptes bancaires ouverts dans plusieurs pays.

La composition du portefeuille d’affaires du PNF au 31 décembre 2018 reflète exactement la typologie définie par la circulaire.

Répartition des procédures en cours selon la nature du contentieux

Source : Parquet national financier.

Sur les 508 procédures en cours :

– 239 (47 %) concernent des atteintes à la probité : corruption publique, concussion, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, pantouflage, favoritisme, détournement de fonds publics, corruption de personnes privées n’exerçant pas une fonction publique, corruption en matière de paris sportifs ;

– 226 (44,5 %) concernent des atteintes aux finances publiques : fraude fiscale aggravée, blanchiment de fraude fiscale aggravée, escroquerie à la TVA ;

– 43 (8,5 %) se rapportent à des abus de marché : délit d’initié, manipulation de cours, diffusion d’informations fausses ou trompeuses, manipulation d’indices.

S’agissant des atteintes à la probité, une part importante des dossiers porte sur les conditions d’attribution des marchés publics et de délégation des services publics faisant apparaître des soupçons d’actes de corruption. Par ailleurs, au cours des deux dernières années, le PNF a initié de nombreuses enquêtes du chef de détournement de fonds publics, visant à vérifier les conditions dans lesquelles des emplois publics contractuels sont pourvus et aussi l’affectation de certains postes de dépenses par des élus.

Le PNF traite également 90 procédures de corruption d’agent public dans un État étranger ou au sein d’une organisation internationale dont 68 reliées à la passation d’un contrat et 22 du fait d’un enrichissement illicite de dirigeants publics étrangers ou de leurs proches (biens mal acquis). Trois secteurs d’activité sont principalement représentés : les services, l’industrie et la défense. Les contrats objet des soupçons de corruption portent sur des enjeux financiers supérieurs à un million d’euros et peuvent atteindre la somme d’un milliard d’euros.

Ce segment d’activité est déterminant afin de conforter la crédibilité de la France dans la lutte contre la corruption internationale, telle qu’elle est exigée par nos engagements au sein de l’OCDE. Cette crédibilité reposera sur le nombre et la sévérité des sanctions qui seront prononcées dans ces dossiers.

Une première amende d’un montant de 500 millions d’euros a sanctionné la Société générale pour des faits de corruption d’agents publics libyens par convention judiciaire d’intérêt public en date du 4 juin 2018. Le produit de cette amende a été partagé paritairement avec le Trésor des États‑Unis, du fait des apports à la procédure du département de la justice de ce pays.

Cette première réussite, qui sera probablement suivie d’autres coopérations internationales, comme par exemple avec le Royaume‑Uni pour Airbus, montre que notre pays n’est plus le mauvais élève que nos partenaires étrangers se plaisaient à critiquer sur la scène internationale dans ce domaine. Certains d’entre eux motivaient leur approche unilatérale par ce reproche d’inaction française. Cette nouvelle approche devrait les convaincre d’adopter désormais une attitude plus coopérative.

Avec 103 demandes d’entraide internationales émises et 61 demandes d’entraide internationale reçues, le PNF est en train de s’ériger en interlocuteur de premier rang pour les services d’enquête et les juridictions étrangères, ce qui est un atout essentiel pour ce type de délinquance.

Les atteintes aux finances publiques sont à 46 % des plaintes pour fraude fiscale, à 30 % des blanchiments de fraude fiscale et à 24 % des escroqueries à la TVA.

Depuis 2010, les services fiscaux peuvent déposer plainte sur la base de présomptions caractérisées de fraude fiscale, sans information préalable du contribuable. 95 des 104 dossiers ouverts à la suite d’une plainte de l’administration fiscale l’ont été sur le fondement de cette nouvelle procédure. 26 dossiers (11 %) ont été initiés par le PNF sur la base d’informations issues d’autres procédures, de données collectées en source ouverte (site internet, base de données publiques, etc.), ou d’articles de presse lorsque les révélations étaient suffisamment circonstanciées.

Deux dossiers sur trois concernent la fiscalité des particuliers (impôt sur le revenu, impôt de solidarité sur la fortune et droits de succession) pour un montant de droits éludés supérieur à 500 000 euros. Ils visent surtout des faits de fausse domiciliation fiscale et de dissimulation à l’étranger de revenus et d’éléments du patrimoine par le recours à des trusts ou des structures offshore. Les autres dossiers portent sur la fiscalité des entreprises (impôt sur les sociétés, TVA), en lien avec des problématiques de prix de transfert, d’établissement stable et de fausse facturation via des sociétés écrans.

Dans ce domaine, les rapporteurs tiennent à signaler l’éclatant succès que représente, pour le PNF et pour l’État, la condamnation sévère mais à la mesure du préjudice subi, de la banque UBS à une amende historique de 3,7 milliards d’euros et à 800 millions d’euros de dommages et intérêts, par jugement de première instance en date du 20 février 2019.

Pour les escroqueries à la TVA, le PNF est saisi des cas les plus graves et les plus complexes, pour lesquels la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête (interceptions de communications, perquisitions, géolocalisation, etc.), ou de mesures de contrainte (contrôle judiciaire, détention provisoire, mandat d’arrêt) s’avère nécessaire. Il traite actuellement 54 procédures faisant apparaître un manque à gagner moyen pour les finances publiques de 17 millions d’euros. Près de trois affaires sur quatre sont signalées par un service du ministère des finances, en particulier par la direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF, 35 %) et par Tracfin (26 %). Le quart restant est à l’initiative du PNF, des autorités étrangères ou de particuliers.

Le carrousel de TVA dans le commerce des produits informatiques et électroniques est le schéma de fraude le plus courant. 10 enquêtes concernent également le régime de taxation sur la marge des véhicules d’occasion. Deux importants procès d’escroquerie à la TVA taxe carbone (« carbone Marseille » et « global énergie ») ont eu lieu en 2018 se soldant en première instance par des condamnations d’emprisonnement, des amendes et confiscations élevées. Un autre (« B.Concept ») s’est conclu le 21 février 2019 par d’autres condamnations sévères (amendes, confiscations et emprisonnement), très proches des réquisitions du PNF.

L’importance du portefeuille d’affaires, les premiers succès des procès en première instance mesurés par des condamnations proches de ses réquisitions, la bonne réputation, nationale et internationale de cette jeune institution, tout tend à montrer que le PNF a su se montrer à la hauteur des attentes, pourtant très élevées, que les pouvoirs publics et les citoyens ont placées en lui.

Au regard des chiffres caractérisant son activité, les rapporteurs craignent cependant que le PNF ne soit victime de son succès et de son ambition légitime. Ils estiment ainsi que, sauf à mettre en place rapidement un plan d’actions volontaire, la montée en puissance rapide ne débouche sur un véritable engorgement, comme le montre l’augmentation du portefeuille de ce parquet très particulier dont les dossiers sont par essence complexes et les affaires soumises à des procédures particulièrement longues.

Évolution du stock d’affaires en cours au Parquet national financier

 

Mars 2014

2014

2015

2016

2017

2018

Nombre de procédures en cours à la fin de la période

108

211

315

392

478

508

Taux d’évolution du nombre de procédures en cours au regard de l’année passée

 

 

+ 49,2 %

+ 24,4 %

+ 21,9 %

+ 6,3 %

Source : Parquet national financier.

Le PNF a commencé son activité opérationnelle en mars 2014 avec le transfert de 108 dossiers dont 101 en provenance du parquet de Paris. Dès la fin 2014, il avait quasiment doublé son stock d’affaires pour atteindre 211 dossiers et la montée en puissance du stock a suivi une forte croissance jusqu’à la fin 2017, l’année 2018 observant une décélération (+ 6,3 %).

Le PNF ne dispose pas d’outil de gestion lui permettant d’établir l’ancienneté moyenne du stock d’affaires, mais il a développé un prototype d’applicatif de suivi et de pilotage de l’activité qui devrait lui permettre d’assurer prochainement un suivi du délai moyen des procédures en stock. Faute de cet outil, une première approche portant sur l’examen détaillé des flux entrants et sortants suscite des inquiétudes sur la capacité du PNF et du TGI à traiter ce portefeuille d’affaires dans des délais raisonnables, sauf à limiter drastiquement le nombre de nouvelles procédures, ce qui n’est pas souhaitable.

En cinq années d’activité, le PNF a enregistré de l’ordre de 1 400 affaires et il en a clôturé 900.

nombre de nouvelles procédures

Source : Parquet national financier.

nombre de procédures clôturées

Source : Parquet national financier.

On constate que l’année 2018 s’est caractérisée par des entrées peu élevées (199, soit un niveau comparable à 2014, première année d’activité). Cette baisse pourrait expliquer à elle seule la plus faible croissance du stock observée cette année car le nombre de procédures clôturées en 2018 est resté à un niveau inférieur à la moyenne des années précédentes (185 contre 204 en moyenne en excluant l’atypique année 2014).

Les apporteurs d’affaires du PNF sont essentiellement les autorités publiques, au premier rang desquelles la DGFiP et, dans une moindre mesure, Tracfin, la Haute autorité pour le financement de la vie politique et l’Autorité des marchés financiers. Ces dossiers sont généralement bien étayés mais appellent des investigations complémentaires, ils font peu l’objet de classements sans suite (infraction pas caractérisée ou impossibilité d’identifier les auteurs) ou de dessaisissements (incompétence du PNF qui renvoie à un autre parquet). Il en va de même pour les dossiers transmis par les autres parquets.

L’autre source d’affaires est les particuliers qui continuent à approvisionner le PNF à un rythme élevé avec un pic à 147 affaires en 2017, souvent interprété comme une conséquence de l’affaire Fillon sur la notoriété du PNF. Une part très significative des classements sans suite et des dessaisissements correspond à des plaintes de particuliers qui n’apparaissent pas fondées ou ne relèvent pas du champ de compétence du PNF.

Les ouvertures d’initiative du PNF sont assez faibles ce qui est un indice de son activité élevée, lui imposant une maîtrise de ses flux entrants.

S’agissant des procédures clôturées, les jonctions consistent en des fusions de dossiers de plaintes fiscales émanant de la DGFiP qui dépose une plainte par individu alors que l’enquête et le traitement judiciaire peuvent regrouper plusieurs individus dans la même affaire. Ce flux de sortie, essentiellement procédural et ne reflétant pas véritablement un traitement au fond, est donc directement indexé sur le volume d’affaires DGFiP et il a tendance à baisser.

Ce qui frappe les rapporteurs, c’est le niveau très bas du nombre de procès (c’est la date du délibéré qui fait foi pour l’année de référence) qui tourne autour de la dizaine par an (12 en comptant les CRPC et les CJIP), et ce chiffre constitue une inquiétude majeure pour la résorption du stock d’affaires du PNF.

Ces données appellent une réaction qui doit à la fois porter sur l’amélioration des durées de traitement des procédures et sur les moyens mis à la disposition du PNF.

Du fait de la création d’une chambre correctionnelle dédiée aux dossiers du PNF, l’audiencement de ses procès, pourtant d’une durée très supérieure à la moyenne (six semaines d’audience pour UBS, cinq semaines pour B.Concept), ne constitue pas véritablement un goulet d’étranglement. La difficulté immédiate est en amont, au stade de l’enquête.

En privilégiant l’enquête préliminaire plutôt que l’information judicaire, le PNF a toutefois adopté une stratégie procédurale qui permet de raccourcir les délais, du moins dans un premier temps.

L’intervention du juge d’instruction est circonscrite aux affaires nécessitant la mise en œuvre de pouvoirs ou prérogatives spécifiques : délivrance de mandats d’arrêt, placement sous contrôle judiciaire, saisine du juge des libertés et de la détention aux fins de placement en détention provisoire, prorogation de techniques spéciales d’enquête au‑delà de la durée prévue en matière préliminaire.

Le taux des enquêtes préliminaires est passé de 37 % en février 2014 à 67 % à la fin de l’année 2015, pour atteindre 78,8 % au 31 décembre 2018. La moitié des affaires ayant abouti à une réponse pénale en 2017 et 2018 résulte ainsi d’enquêtes préliminaires.

Contrairement aux informations judiciaires, l’issue des enquêtes préliminaires n’est pas retardée par l’examen de recours multiples et ce choix peut avoir un impact significatif sur la durée de traitement des procédures.

Durée de traitement de la procédure

Source : Parquet national financier.

S’agissant des enquêtes préliminaires, le PNF a fourni par écrit aux rapporteurs une analyse très proche de celle qu’ils ont eux‑mêmes développée sur l’état des services enquêteurs :

« LOCLCIFF traite 61 % des enquêtes préliminaires. Malgré les efforts consentis par le ministère de lintérieur, ses effectifs ne permettent pas dassurer une prise en charge des enquêtes dans des délais satisfaisants. Chaque enquêteur de la section corruption gère en moyenne six procédures portant sur des faits datteintes à la probité très complexes.

Ces difficultés deffectifs ne peuvent être compensées par un accroissement des saisines des autres services denquête dont les forces sont également comptées. En 2017, les parquets généraux ont souligné de manière unanime la faiblesse et même la diminution des effectifs des enquêteurs spécialisés en matière économique et financière, tant en zone police quen zone gendarmerie.

Ce sousdimensionnement des services, particulièrement criant en matière économique et financière, rend difficile la réduction des délais de traitement des procédures.

Le traitement des procédures implique un travail danalyse approfondi tout au long du dossier. Lexpérience démontre que si les services denquête peuvent déployer rapidement des mesures de police judiciaire (perquisitions, interceptions, etc.), ils sont plus lents dans la phase dexploitation et danalyse des éléments de preuve. Cette phase, plus fastidieuse, concentre tous les risques denlisement et de retard. »

Ce constat est d’autant plus étayé que le PNF, contrairement à bien d’autres parquets submergés par la gestion des urgences, assure une étroite conduite des enquêtes, ce qui mobilise beaucoup ses 18 magistrats. Leur engagement se concrétise tout au long des étapes par un véritable processus de direction d’enquête : analyse juridique initiale, points d’étape réguliers avec les enquêteurs, participation aux perquisitions les plus sensibles, rédaction des requêtes au juge des libertés et de la détention, décisions de saisies conservatoires, rédaction et gestion des demandes d’entraide internationale, auditions dans certaines conditions, mise en état des procédures, rédaction d’une note ou d’un dossier de synthèse aux fins de poursuite.

À titre d’illustration, un dossier judiciaire d’une importance moyenne au PNF fait l’objet d’un rapport de synthèse de 60 à 150 pages qui mobilise un magistrat pendant un mois à temps plein. Certains dossiers totalisent entre 30 et 40 tomes et regorgent de difficultés techniques. Les statistiques du PNF ne peuvent donc pas être comparées avec celles d’un parquet de droit commun : à titre d’exemple, la section financière du parquet de Paris, comptant le même nombre de magistrats que le PNF, a enregistré en 2018 un total de 38 795 procédures, contre 199 pour le PNF.

Outre la création d’effectifs dans les services d’enquête, il est particulièrement nécessaire de mettre au niveau les effectifs du PNF lui‑même. Les rapporteurs ont par exemple été particulièrement surpris de constater la faiblesse des moyens mis sur le dossier Airbus au regard de ses enjeux diplomatiques, économiques et financiers. Avec un chiffre d’affaires de 70 milliards d’euros et 135 000 salariés, un portefeuille de contrats commerciaux dans le monde entier, la charge de travail pour détecter d’éventuelles pratiques de corruption est gigantesque.

Une équipe commune d’enquête a été constituée avec le Serious Fraud Office (SFO) britannique, au sein de laquelle cet équivalent du PNF a dédié 15 agents à temps plein – pour mémoire, le SFO compte 400 ETP pour un stock de 60 affaires selon son site internet – contre 2 agents de l’OCLCIFF supervisés par deux procureurs à temps partiel et un assistant juridique à temps plein. Face aux bataillons d’avocats contractualisés par la direction d’Airbus, le rapport de force est éloquent, la justice dépendant fortement de la bonne volonté de l’entreprise et de sa détermination à aller jusqu’au bout des investigations.

Afin d’accélérer cette phase d’enquête, le PNF souhaite augmenter le rôle et le nombre de ses assistants spécialisés, conformément aux recommandations du groupe de travail de 2017 sur le traitement de la délinquance financière piloté par la DACG qui prônait une clarification de leur statut afin qu’ils puissent intervenir davantage dans le traitement de l’enquête (assistance à perquisition avec analyse in situ des pièces saisissables, analyse et exploitation des documents saisis, rédaction de notes versées en procédure).

Depuis quelques années, la Chancellerie a fortement augmenté le nombre de ces experts de haut niveau puisqu’ils sont passés de 32 pour l’ensemble de la France en 2014 à 102 en juillet 2018. Toutefois, la spécialité écofi n’en mobilise qu’un gros tiers (36 assistants spécialisés), derrière la lutte contre la radicalisation (39 auxquels s’ajoutent 4 assistants spécialisés dans la lutte contre le terrorisme) et devant la santé publique (11 assistants spécialisés).

Le PNF est aujourd’hui doté de 5 assistants spécialisés (en droit boursier, droit des marchés publics, fiscalité internationale, analyse financière et informatique) et d’un juriste assistant. Un plan de recrutement sur 5 ans de 8 assistants spécialisés et de 4 juristes assistants a été présenté par le PNF à l’automne 2018 dans le cadre du dialogue de gestion.

Les rapporteurs soutiennent totalement ce plan dont le coût annuel, estimé à 1,2 million d’euros, serait largement compensé par des rentrées financières supérieures pour le Trésor public, sous forme d’amendes pénales, de confiscations et de dommages-intérêts (voir infra). Le PNF estime que ce plan, qui a reçu un début d’application, avec l’autorisation donnée de recruter en 2019 deux nouveaux assistants spécialisés, devrait lui permettre de doubler le nombre de réponses pénales.

Le PNF compte actuellement 18 magistrats dont le procureur financier et le secrétaire général (soit 16 procureurs chargés de dossiers), 5 greffiers et 5 fonctionnaires, pour un portefeuille de 508 procédures. Les rapporteurs rappellent que l’étude d’impact associée au projet de loi portant création du procureur de la République financier de mai 2013 postulait qu’un parquetier ne pouvait assurer le suivi de plus de 8 affaires de grande complexité (suivi et règlement complexe, audiences longues pouvant mobiliser plus d’un parquetier). Elle évaluait à 263 au maximum le nombre de dossiers susceptibles d’entrer dans le champ de compétence du PNF et fixait les besoins humains à 22 magistrats, 21 fonctionnaires de greffe et 5 assistants spécialisés, en précisant qu’ils devraient évoluer en fonction de la réalité de l’activité et du rythme de montée en puissance du parquet.

Avec une moyenne de 32 dossiers par magistrat, soit quatre fois le ratio de 8 dossiers prévu par l’étude d’impact, le sous‑effectif est manifeste. L’expérience acquise permet toutefois d’estimer entre 25 et 28 le ratio satisfaisant du nombre de dossiers traités par magistrat. S’agissant des effectifs de greffe, un ratio de 50 dossiers par greffier (soit un greffier pour deux magistrats) semble approprié. Les rapporteurs souhaitent donc la mise en place très rapide d’un plan de créations d’effectifs portant sur 5 magistrats et 5 personnels de greffe au PNF, en plus du plan portant sur les assistants spécialisés, afin de lui permettre d’assurer ses missions dans des conditions satisfaisantes. Cet effort est bien modeste au regard de la visibilité des affaires qu’il traite et des moyens récemment accordés à la justice.

Proposition n° 18 : augmenter et diversifier les effectifs du parquet national financier (magistrats, assistants spécialisés, personnel de greffe).

Tout au long de leurs auditions, les rapporteurs ont bien noté la place particulière qu’avait prise le PNF notamment aux yeux des représentants de la société civile, ONG ou journalistes d’investigation. Le PNF est vu comme le bras armé de la justice face aux puissants, qu’ils soient politiques, financiers ou dirigeants d’entreprise, qu’en langage technocratique on appelle le haut du spectre de la délinquance financière. Si nombre de ces observateurs avertis ne doutent pas de son professionnalisme ou de sa combativité, beaucoup regrettent la discrétion de sa politique de communication qui ne permet pas toujours de s’assurer que la justice suit son cours sans faille.

De fait, si le PNF publie une brochure d’activité annuelle de plus en plus étoffée, il ne mène pas une vraie politique de communication. À la différence du SFO britannique qui publie sur son site une liste des affaires en cours accompagnée d’appels à témoins, il est impossible pour le commun des mortels de disposer d’une liste des affaires en cours au PNF. Interrogé sur ce point, celui‑ci observe que l’article 11 du code de procédure pénale protégeant le secret de l’instruction ne lui permet pas de communiquer, sauf à rectifier des informations publiées afin d’éviter des risques à l’ordre public (disposition fondant la politique de communication du parquet en matière de terrorisme). Il se contente d’infirmer ou confirmer des informations avancées par des journalistes qui l’appellent régulièrement sur l’ouverture d’une procédure.

Les rapporteurs estiment qu’une marge de progrès existe sur ce point. Le PNF doit pouvoir, tout en respectant le secret de l’instruction, publier une liste des procédures en cours, peut‑être ne concernant que les personnes morales, afin de porter à la connaissance du public le plus large l’avancée et le déroulement de ses travaux. Cette forme de publicité apparaît comme un corollaire de sa responsabilité particulière et de sa compétence sur les affaires « provoquant un retentissement national ou international de grande ampleur ».

3.   La difficile coordination des parquets sur l’ensemble du territoire

La coordination des parquets et la rationalisation des poursuites est une préoccupation constante de la politique pénale. S’agissant de la délinquance financière, cette problématique revêt une importance particulière du fait, d’une part, de délits de masse qui font de nombreuses victimes disséminées sur le territoire et de l’existence, d’autre part, de juridictions spécialisées qui disposent de compétences concurrentes avec les juridictions territorialisées de droit commun.

Les enquêteurs ont souvent exposé aux rapporteurs leurs difficultés à consolider l’information sur les affaires d’escroqueries de masse ; il n’est pas rare qu’une juridiction ou service d’enquête étranger, saisi d’une demande d’entraide internationale, leur apprenne qu’ils ont déjà été saisis de demandes similaires pour les mêmes faits de la part d’autres services d’enquête ou parquets français. Le plus souvent la coordination se fait au niveau des services d’enquête qui proposent à leur parquet une stratégie de rationalisation en fonction des caractéristiques de l’affaire et du degré d’avancement de l’enquête dans les différents endroits saisis.

C’est aussi l’affaire des offices centraux, et notamment de l’OCRGDF, du fait de leur compétence nationale, de centraliser et recouper l’information, mais encore faut‑il qu’il soit saisi par les services d’enquête territoriaux. Il arrive fréquemment à l’OCRGDF de se heurter au refus des différents parquets lorsqu’il leur propose de consolider une affaire avec de nombreuses victimes disséminées sur le territoire et que cette fin de non‑recevoir se termine par des classements sans suite. Ceci n’est évidemment pas acceptable.

Le groupe de travail de la DACG avait identifié le sujet et proposé quelques mesures afin de prendre en charge les parties civiles de ce genre d’affaires, comme la promotion de l’action civile de groupe devant le juge pénal, sous réserve des règles déontologiques des barreaux relatives au démarchage, la délégation du recensement des victimes et de la notification aux parties civiles à des associations habilitées ou à la DGCCRF, ou encore la création d’un logiciel de traitement des parties civiles adapté, Cassiopée se révélant insuffisant pour ce type de procédures. À la connaissance des rapporteurs, aucune de ces pistes ne semble avoir abouti.

S’agissant des conflits de compétences entre les différents parquets, il faut distinguer les conflits positifs (deux parquets souhaitent traiter le même dossier) et les conflits négatifs (aucun ne souhaite traiter le dossier).

Dans le premier cas, en application des circulaires du Garde des sceaux en date du 31 janvier 2014 et du 24 avril 2017, le conflit doit être réglé par les procureurs généraux, ce qui est simple au sein d’une même cour d’appel, mais plus délicat lorsque deux cours d’appel différentes sont concernées, car il n’existe pas vraiment d’arbitre si le désaccord persiste, la DACG ne donnant qu’un éclairage non décisionnel. Le cas peut se produire entre deux juridictions de compétence concurrente appartenant à deux cours d’appel différentes, par exemple entre le PNF et la JIRS de Marseille.

Le projet de loi portant réforme de la justice adopté par le Parlement prévoit de créer une compétence nationale concurrente au profit du procureur de Paris dans les affaires JIRS « d’une très grande complexité », en raison notamment du ressort géographique sur lequel elles s’étendent.

Il est ainsi proposé de centraliser certaines procédures exceptionnellement lourdes et complexes au sein de la JIRS de Paris. Cette mesure constitue une adaptation nécessaire à la réalité de certaines affaires de grande criminalité organisée, notamment financière, qui dépassent largement l’échelle régionale comme certaines escroqueries en bande organisée. Une mission actuellement confiée au procureur général près la Cour de cassation est chargée de définir les conséquences de cette mise en œuvre.

Le principe de la compétence concurrente nécessite une circulation optimale de l’information. Cet objectif n’est pas totalement atteint malgré plusieurs circulaires qui ont défini, et rappelé à plusieurs reprises, les règles de circulation de l’information entre les parquets territoriaux et le PNF. Si les conflits de compétence sont rares (deux en cinq ans), l’efficacité du principe de la compétence concurrente, dans un fonctionnement institutionnel où le partage spontané de l’information est difficile, demeure insuffisante.

Il apparaît nécessaire de réfléchir à l’introduction d’un droit d’évocation des affaires au bénéfice du PNF, sans remettre en cause le principe de la compétence concurrente comme le proposait le législateur en 2016.

Ce droit d’évocation présenterait plusieurs avantages, parmi lesquels :

– permettre au PNF de mieux définir sa compétence sur la base d’un principe de subsidiarité reposant sur des critères objectifs (par exemple le préjudice, la peine encourue, la qualité de l’auteur de l’infraction), tout en lui laissant la faculté de s’affranchir des règles de subsidiarité dans des situations où les intérêts nationaux sont particulièrement exposés, ou du fait de la technicité et de la complexité des investigations et des règles juridiques applicables ;

– favoriser un traitement harmonisé des affaires similaires ;

– éviter les difficultés institutionnelles et juridiques posées par les règles en vigueur de règlement des conflits de compétence positifs ou négatifs entre juridictions spécialisées.

Proposition n° 19 : reconnaître au parquet national financier un pouvoir d’évocation des affaires sur l’ensemble du territoire.

4.   L’absence d’une filière économique et financière dans la magistrature

La polyvalence reste la règle de base dans la gestion de la carrière des magistrats et il semble difficile d’accomplir un cursus optimal en se spécialisant dans les affaires économiques et financières. Au regard du niveau élevé du coefficient d’apprentissage dans ces domaines, les rapporteurs souhaiteraient que des aménagements soient consentis afin de rendre ces carrières désormais possibles.

Ils rejoignent ainsi l’Union syndicale des magistrats (USM) qui, dans sa réponse au questionnaire envoyé aux organisations syndicales de magistrats, écrit :

« Dune façon générale, il nexiste pas de valorisation de la carrière des fonctionnaires spécialisés en matière financière.

LAdministration ne cherche pas à fidéliser les fonctionnaires dans ces services ; elle devrait valoriser leur carrière en la mettant en adéquation non seulement avec la difficulté de la matière mais aussi le coût de la formation quils ont suivie.

On observe dans les juridictions tribunaux de taille moyenne, le même phénomène pour les magistrats : ils sont affectés dans un service non en fonction de leur expérience et des formations quils ont suivies, mais en fonction des besoins les plus urgents. Ainsi tel spécialiste de droit fiscal peut être affecté au sein dun parquet moyen au service de permanence générale !

De plus, en raison de la lourdeur des tâches des parquets et du nombre de postes vacants, un magistrat spécialisé ne peut le plus souvent être dispensé de sa participation au service général (permanences, audiences du service général etc...).

La formation délivrée par lENM est, dans cette matière comme dans dautres, de grande qualité et doit être maintenue. Elle doit contribuer à la spécialisation des magistrats qui est une condition de lamélioration de la lutte contre la délinquance financière.

LUSM regrette que la nécessaire mobilité géographique pour obtenir un avancement constitue souvent un frein à la spécialisation et considère quun avancement sur place devrait pouvoir être privilégié dans certains cas, afin de maintenir les magistrats qui ont développé une expertise particulière là où cest le plus pertinent. »

La formation initiale (31 mois) à l’École nationale de la magistrature (ENM) est fondée sur le concept de magistrat généraliste et exclut toute spécialisation.

La diversité des voies de recrutement dans la magistrature permet toutefois de profiler davantage des compétences recherchées en matière écofi comme le relève la Direction des services judiciaires (DSJ) dans sa réponse écrite aux rapporteurs :

« Une attention particulière est portée aux parcours des magistrats issus des voies latérales de recrutement (article 181 de lordonnance statutaire, intégration) et du concours complémentaire, voies ouvertes à des professionnels bénéficiant de 7 ou 15 années minimum dexercice professionnel qualifiant afin de détecter des compétences particulières, notamment en matière économique et financière. La voie de détachement dans le corps judiciaire permet également de sélectionner des spécialistes et notamment en matière économique et financière, pour faire bénéficier la magistrature judiciaire de cette expérience.

En outre, une réflexion relative à la réforme des voies de recrutement est actuellement menée au sein des services judiciaires, en lien avec lENM (à la suite du rapport Ludet présenté au CA de lENM fin 2017). Lun des axes majeurs de cette réflexion consiste à adapter au mieux les recrutements aux besoins du corps judiciaire et de mobiliser un vivier de candidats de qualité, motivés et au plus près des besoins identifiés, particulièrement en matière économique et financière. Dans ce cadre, la question des profils des candidats et de leur expertise dans un domaine particulier est centrale. »

La formation continue en revanche propose des modules qui rencontrent un succès croissant, comme l’a relevé la Cour des comptes. L’ENM propose ainsi une offre assez complète :

– des séquences de sensibilisation à la délinquance financière d’une demi-journée lors des formations au changement de fonction « parquet » ou « instruction » ; des interventions sur les spécificités du champ financier lors des formations sur le traitement judiciaire du renseignement ou l’audience correctionnelle ;

– un cursus spécifique de formation avec un premier niveau « approche du droit pénal économique et financier » de neuf jours, et un parcours d’approfondissement également de neuf jours. Il existe aussi trois formations plus spécialisées créées en 2015 : « grande délinquance économique et financière : technique et stratégie denquête » (cinq jours), « lutte contre les différentes formes de fraude aux finances publiques » (cinq jours) et, depuis 2017, « marchés publics et juge pénal » (trois jours). Chacune des formations est proposée une fois par an ;

– l’ENM a même développé un parcours qualifiant, le « cycle approfondi d’études en droit de l’entreprise », avec un nombre de places limité (15) ;

– enfin, l’ENM propose une série de formations en comptabilité, analyse financière, droit des affaires et de la concurrence, ainsi qu’une série de stages de découverte d’une semaine dans des institutions financières ou économiques ; mais aussi des séminaires spécifiques, comme en 2017 sur la lutte contre le blanchiment, la délinquance financière, la saisie et la confiscation des avoirs.

Selon la Cour des comptes, le nombre de magistrats formés aux cycles longs (9 jours) a doublé entre 2013 et 2017, puisqu’il est passé de 89 à 180.

Si un certain nombre de magistrats sont habilités JIRS, leur affectation effective dépend des chefs de juridiction et des chefs de cour et aucun suivi ou consolidation de leur nombre, ou de leur carrière, n’est spécifiquement assuré par la DSJ qui ne pratique donc pas une politique de vivier. La DSJ affirme toutefois pratiquer davantage les appels à candidatures profilés pour ce type de poste, mais les décisions de mutation ou de promotion relèvent du Conseil supérieur de la magistrature qui reste vigilant sur d’autres critères (ancienneté, notations).

Les rapporteurs souhaiteraient une gestion un peu plus active de ce vivier de magistrats spécialisés en matière financière qui, quinze ans après la création des JIRS et cinq ans après celle du PNF, commence à atteindre la taille critique.

Proposition n° 20 : mettre en place une gestion plus active (appels à candidatures profilés, suivi du vivier, adaptation des conditions d’avancement) de la spécialité économique et financière dans la magistrature.


III.   DEUX ACTIONS PRIORITAIRES POUR AMÉLIORER LES RÉSULTATS

Dans une démarche pragmatique, les rapporteurs souhaiteraient mettre l’accent sur deux axes stratégiques qui devraient structurer une redynamisation de la politique publique de lutte contre la délinquance financière : l’accélération de la réponse pénale et l’amélioration des outils de captation des bénéfices générés par cette forme de délinquance.

A.   ACCÉLÉRER LA RÉPONSE PÉNALE

La réponse pénale est fragmentaire, notamment en raison du faible taux d’élucidation des escroqueries (voir supra), mais elle est surtout trop lente, ce qui nuit à l’efficacité du système répressif et permet trop souvent aux délinquants d’échapper à la sanction, notamment en organisant leur insolvabilité financière.

1.   L’orientation par les parquets

Le périmètre de la délinquance financière en matière de réponse pénale

Délinquance astucieuse :  abus de confiance et abus de confiance aggravé ; extorsion ; fraude industrielle et commerciale ; organisation d’insolvabilité ; escroquerie simple et aggravée ;

Atteinte à la probité : corruption ; trafic d’influence ; ingérence ; prise illégale d’intérêt ; détournement de biens publics ; conflit d’intérêts ;

Délinquance financière : abus de biens sociaux ; faux bilan ; autres infractions au droit des sociétés ; banqueroute ; violation d’interdiction de gérer ; infraction à la législation relative aux commissaires aux comptes ; délit d’initié ; manipulation de cours ; diffusion de fausses informations ; obstacle au contrôle de l’Autorité des marchés financiers ; infraction en matière de placement en biens divers ; infraction en matière de démarchage financier ; autres infractions en matière d’appel public à l’épargne ;

Infractions fiscales et douanières : fraude fiscale ; infraction douanière ; blanchiment de capitaux ;

Infractions à la législation du travail : entrave à la liberté du travail ; travail dissimulé ; travail temporaire, portage salarial ; infraction sur l’emploi d’étranger ; marchandage ; infraction sur le licenciement ; infractions en matière d’hygiène, sécurité, médecine du travail ; infractions aux conditions de travail (contrat, salaire, horaire, congé, femmes) ; atteinte, entrave à la représentation des travailleurs, à l’inspection du travail ; infraction à la protection sociale.

Sur la période 2013‑2017, le nombre d’affaires économiques et financières orientées par les parquets est en hausse d’environ 25 %. La délinquance financière connaît la plus forte hausse (+ 66 %), devant les infractions fiscales et douanières (+ 36 %) et la délinquance astucieuse (+ 29 %).

Sur l’ensemble de la période, la quasi‑totalité des contentieux économiques et financiers connaît une augmentation, à l’exception des infractions à la législation du travail qui sont en diminution (– 5 000 affaires orientées entre 2013 et 2017).

La délinquance astucieuse représente la majorité des affaires économiques et financières, et plus particulièrement les escroqueries simples qui, à elles seules, équivalent à plus de la moitié des affaires économiques et financières orientées chaque année par les parquets.

évolution du nombre d’affaires économiques et financières
orientées par les parquets de 2013 à 2017

Affaires orientées

2013

2014

2015

2016

2017

Délinquance astucieuse

130 256

143 887

147 109

170 910

168 629

dont abus de confiance

27 167

27 967

29 371

33 215

31 263

dont extorsion

5 318

5 823

6 114

7 112

6 682

dont escroquerie simple

95 566

107 682

109 102

127 592

127 639

Atteinte à la probité

660

725

774

765

816

Délinquance financière

9 149

12 374

13 987

17 341

15 225

Infractions fiscales et douanières

3 011

2 963

2 923

3 220

4 107

Infractions à la législation du travail

19 453

19 429

17 755

17 143

14 662

dont travail dissimulé

11 379

11 727

10 971

11 193

9 690

Total des affaires

162 529

179 378

182 548

209 379

203 439

Source : Cassiopée-SID – DACG, traitement PEPP.

En 2017, parmi les 203 439 affaires économiques ou financières orientées, seules 65 525, soit un peu moins d’une sur trois (32 %), étaient poursuivables, ce qui est proche du taux moyen (29 %), toutes catégories d’infractions confondues. La grande majorité de ces affaires sont donc classées, faute d’auteur connu ou parce que l’infraction n’est pas suffisamment caractérisée. Le taux d’affaires poursuivables est particulièrement faible en matière de délinquance astucieuse (24 %), en particulier pour les escroqueries (20 %).

En revanche, en matière de délinquance financière (81 %) et d’infractions fiscales ou douanières (79 %), l’auteur est en général identifié au moment de la mise au jour de l’infraction.

S’agissant des auteurs, une réponse pénale a été apportée à 82 % des mis en cause en moyenne dans les affaires poursuivables et les poursuites représentent environ 41 % des réponses pénales. Les rapporteurs relèvent le taux particulièrement élevé (90 %) du taux d’alternative aux poursuites pour les délits relevant de la délinquance financière stricto sensu (infractions au droit des sociétés notamment) et le recours élevé aux régularisations sur demande du parquet ou des rappels à la loi, ce qui peut renforcer l’idée d’une justice à deux vitesses.


Structure des orientations d’affaires économiques et financières en 2017

AFFAIRES

Délinquance astucieuse

dont abus de confiance

dont extorsion

dont escroquerie simple

Atteinte à la probité

Délinquance financière

Infractions fiscales et douanières

Infractions à la législation du travail

dont travail dissimulé

Total

Affaires orientées

168 629

31 236

6 682

127 639

816

15 225

4 107

14 662

9 690

203 439

Affaires non poursuivables

128 217

19 944

4 523

101 853

535

2 870

842

5 450

3 078

137 914

dont absence d’infraction / infraction insuffisamment caractérisée

37 983

14 067

1 286

21 680

477

1 927

427

4 465

2 581

18 056

dont défaut d’élucidation

85 281

4 726

3 128

76 614

22

100

277

154

106

85 834

Affaires poursuivables

40 412

11 319

2 159

25 786

281

12 355

3 265

9 212

6 612

65 525

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AUTEURS

Délinquance astucieuse

dont abus de confiance

dont extorsion

dont escroquerie simple

Atteinte à la probité

Délinquance financière

Infractions fiscales et douanières

Infractions à la législation du travail

dont travail dissimulé

Total

Auteurs orientés

95 662

26 916

4 560

60 898

1 134

22 060

6 106

19 237

12 852

144 199

Auteurs poursuivables

37 877

11 100

2 743

22 139

467

18 491

4 958

12 217

8 735

74 010

Classement sans suite inopportunité

10 475

2 774

283

7 242

24

1 044

127

1 305

826

12 975

dont recherches infructueuses

6 284

1 269

107

4 807

10

349

97

602

489

7 342

dont préjudice ou trouble peu important causé par l’infraction

1 337

277

21

1 019

 

198

22

298

171

1 855

Réponse pénale

27 402

8 326

2 460

14 897

443

17 447

4 831

10 912

7 909

61 035

Taux de réponse pénale

72,3%

75,0%

89,7%

67,3%

94,9%

94,4%

97,4%

89,3%

90,5%

82,5%

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Procédures alternatives

12 525

4 393

407

7 389

105

15 808

544

6 976

4 811

35 958

Taux de procédures alternatives

45,7%

52,8%

16,5%

49,6%

23,7%

90,6%

11,3%

63,9%

60,8%

58,9%

dont composition pénale

839

164

5

623

5

171

47

1 941

1 456

3 003

dont plaignant désintéressé sur demande du parquet

2 078

772

15

1 262

2

26

3

66

29

2 175

dont régularisation sur demande du parquet

4 030

1 790

24

2 138

13

8 695

63

1 009

477

13 810

dont rappel à la loi / avertissement

3 160

788

194

2 078

44

4 281

134

2 780

2 065

10 399

dont autres poursuites ou sanctions de nature non pénale

2 050

778

90

1 115

41

2 623

287

1 149

765

6 150

Poursuites

14 877

3 933

2 053

7 508

338

1 639

4 287

3 936

3 098

25 077

Taux de poursuites

54,3%

47,2%

83,5%

50,4%

76,3%

9,4%

88,7%

36,1%

39,2%

41,1%

dont saisines du JI

3 645

977

338

1 523

185

138

1 116

81

52

5 165

dont poursuites correctionnelles

10 016

2 816

894

5 742

152

673

3 135

3 702

3 034

17 678

- CRPC

2 245

696

51

1 408

21

90

200

783

671

3 339

- Comparutions immédiates

739

50

449

211

1

2

1 214

5

5

1 961

- COPJ/CPPV

5 402

1 551

360

3 174

69

361

807

1 734

1 516

8 373

- Citations directes

1 581

502

31

920

61

211

906

1 150

828

3 909

dont poursuites mineurs

1 215

140

821

242

1

 

31

1

1

1 248

dont poursuites devant le TP

1

 

 

1

 

828

5

152

11

986

Source : Cassiopée-SID – DACG, traitement PEPP.

 


—  1  —

2.   Les condamnations

Les condamnations inscrites au casier judiciaire observent une tendance décroissante depuis une dizaine d’années : elles étaient inférieures à 22 000 en 2017, soit 22 % de moins qu’en 2010, alors que les faits constatés ou que les affaires orientées progressent.

17 peines de réclusion ont été prononcées, visant principalement des crimes d’extorsion, pour un quantum moyen de réclusion de 13 années.

14 020 peines d’emprisonnement, dont 6 306 fermes ont, en outre, été prononcées. Le taux de recours à l’emprisonnement s’élève à 65 % en 2017, et le taux d’emprisonnement ferme à 29 %. Le quantum moyen de l’emprisonnement ferme est de 13,3 mois.

S’agissant des amendes, 8 318 peines d’amendes fermes ont également été prononcées, pour un montant moyen de 17 558 euros, en forte progression depuis plusieurs années.

condamnations judiciaires en matière économique et financière

Année

2000

2005

2010

2016

2017*

Condamnation (infraction principale)

26 653

25 331

27 914

23 044

21 685

Réclusion

7

12

11

12

17

Quantum moyen réclusion (années)

13

14

15

14

13

Emprisonnement

15 120

15 832

16 687

14 587

14 020

Dont ferme (tout ou partie)

5 102

5 075

5 604

6 282

6 306

Taux de prononcé dune peine privative de liberté ferme

19,2 %

20,1 %

20,1 %

27,3 %

29,2 %

Quantum emprisonnement ferme (mois)

8,9

9,8

11,0

13,1

13,3

Ensemble des amendes

13 234

11 123

12 441

9 740

9 281

Dont amende ferme

11 569

9 850

10 951

8 743

8 318

Montant moyen de l’ensemble des amendes fermes

36434 F

7846 €

9751 €

15797 €

17558 €

* Données provisoires.

Source : Casier judiciaire national – Traitement DACG-PEPP.

3.   La durée excessive des procédures

La durée excessive des procédures en matière de délinquance financière est dénoncée par de nombreux acteurs et observateurs du système judiciaire. Faute de données statistiques consolidées, nous ne disposons que d’une étude ponctuelle réalisée par la Cour d’appel de Versailles portant sur l’échantillon constitué des dossiers financiers audiencés devant la 9ème chambre de la Cour pendant les mois de mai et juin 2015 et qui concluait à un délai total moyen de plus de six ans (plus de 8 ans dans 22 % des cas) dont 3,5 ans entre la fin de l’enquête et le délibéré d’appel.

Comme le relevait le groupe de travail conduit par la DACG en 2017, « Lutilisation abusive des voies de recours peut constituer un frein au bon déroulement des informations judiciaires. Découlant parfois de véritables stratégies dilatoires, les recours multiples sont alors utilisés comme un moyen de paralyser lavancée des dossiers par une saisine systématique de la chambre de linstruction. Par ailleurs, à laudience, des conclusions de nullité, des exceptions de procédure ou des questions prioritaires de constitutionnalité sont fréquemment déposées in extremis dans les dossiers économiques et financiers, sans avoir été évoquées au cours de lenquête ou de linstruction, entraînant le renvoi inéluctable de la procédure. »

Afin de limiter l’effet de ce genre de stratégie tout en respectant les droits de la défense, le groupe de travail a fait des propositions comme celle d’instaurer des audiences de mise en état pénale, afin de permettre aux parties de matérialiser leur volonté de soulever l’ensemble des nullités, questions prioritaires de constitutionnalité, exceptions et demandes de renvoi ; à défaut d’être soulevées lors de cette audience, ces requêtes seraient irrecevables.

Il avait également prôné une purge des nullités, des questions prioritaires de constitutionnalité et des demandes d’actes à l’expiration d’un délai de six mois. Les recours relatifs à l’ordonnance de règlement pourraient par ailleurs être soulevés dans le cadre d’une audience de mise en état. On pourrait enfin étendre le filtre du président de la chambre de l’instruction prévu à l’article 186 du code de procédure pénale aux requêtes en nullité, ainsi qu’au refus d’expertise ou de contre-expertise.

Dans le même registre, le PNF a évoqué la possibilité d’imposer à la chambre de l’instruction de statuer dans un délai de deux mois pour les recours déposés après la délivrance du dossier par le juge d’instruction au parquet aux fins de réquisition conformément à l’article 175 du code de procédure pénale.

Outre ces modifications de la procédure pénale qui sont lourdes de conséquences, une autre piste d’amélioration pourrait consister à changer les méthodes de travail des services d’enquête et notamment le cadrage et l’orientation de leurs travaux par les parquets ou les juges d’instruction. La gendarmerie a ainsi évoqué la pratique du devis judiciaire, consistant à définir avec les magistrats dès la saisine de l’affaire les objectifs et les étapes de l’enquête à mener.

Dès la réception d’une grosse enquête, la gendarmerie analyse le dossier et propose une forme de contrat au parquet. Elle s’attache à cibler un certain nombre d’infractions, les plus graves et qui appellent le plus gros quantum de peines. Cet effort de rationalisation de l’enquête est destiné à en maîtriser les délais car les affaires interminables sont souvent délicates à juger.

Le principe d’une amélioration des modalités des saisines des services d’enquête avait aussi été validé par le groupe de travail conduit par la DACG. Ses propositions en détaillaient les modalités, notamment sous forme d’une phase d’évaluation brève par les enquêteurs, permettant d’examiner l’opportunité des actes d’enquête après exploration des premières pistes suggérées par la plainte, ou la promotion des contrats d’objectif permettant d’adapter les moyens d’enquête à la délimitation des actes d’investigation demandés et au délai de traitement effectif de la procédure, tout en permettant une réévaluation des moyens des services au cours de la procédure.

Il évoquait aussi la mise à disposition des parquets de « soit-transmis » c’est‑à‑dire de consignes méthodologiques d’enquête afin de normaliser le processus notamment par les services non spécialisés ; cette dernière mesure a connu un début d’application comme le montrent les exemples transmis aux rapporteurs par la DACG en matière de fraude fiscale ou fraudes aux prestations sociales.

Il conviendrait d’en rappeler périodiquement la nécessité aux parquets. Ceci pose la question plus globale du contrôle des services d’enquête par les parquets dont un récent rapport de l’inspection générale de la justice « Mission sur lattractivité des fonctions de magistrat du ministère public » a souligné les lacunes et les insuffisances.

Proposition n° 21 : adapter la conduite des enquêtes aux spécificités des dossiers économiques et financiers en recourant au devis judiciaire.

B.   ATTAQUER AU PORTEFEUILLE EN RENFORÇANT LEFFICACITÉ DES SAISIES, DES AMENDES ET DES CONFISCATIONS

La saisie et la confiscation des actifs sont des sanctions particulièrement adaptées aux délinquants financiers dont le patrimoine est souvent conséquent et parfois le produit direct des agissements pour lesquels ils sont poursuivis.

Les progrès de l’action publique sont réels dans ce domaine, notamment depuis la création de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) par la loi n° 2010‑768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale et son décret d’application n° 2011‑134 du 1er février 2011.

La création de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) par la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016 permet de diversifier les sanctions frappant les personnes morales.

1.   Les procédures de saisie doivent encore être améliorées

Les services d’enquête, qui sont à l’origine des saisies des avoirs criminels, même si, formellement, c’est le juge des libertés et de la détention qui les prononce sur saisine du parquet, utilisent fréquemment ce mode d’action. Le montant des saisies constitue même un de leurs indicateurs de performance figurant dans les projets et rapports annuels de performances associés à la discussion des lois de finances.

Évolution des avoirs criminels saisis par les services de police
et de gendarmerie

En M€

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

Police

195

256

458

421

291

329

388

Gendarmerie

97

101

134

162

230

211

257

Total

292

357

592

583

521

540

645

Source : rapports annuels de performance de la mission « sécurités ».

Avec un montant de 645 millions d’euros, l’année 2018 fut particulièrement performante dans ce domaine, puisque le tableau des avoirs criminels appréhendés (TACA) est en progression de 19 % par rapport à 2017 et de 24 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années (519 millions d’euros). Encore faut‑il préciser que ces chiffres n’intègrent pas les saisies exceptionnelles, d’un montant unitaire supérieur à 20 millions d’euros, afin d’assurer la lisibilité des séries statistiques. La DCPJ a ainsi opéré deux saisies exceptionnelles en 2017 pour un montant total de 150,5 millions d’euros et une saisie exceptionnelle en 2018 pour un montant de 25,5 millions d’euros.

Au sein de la police, c’est la plateforme d’identification des avoirs criminels (PIAC) de l’OCRGDF, qui procède à l’identification et à la valorisation des actifs au sein du TACA. Le service policier détecte ou dépiste les avoirs et les identifie, c’est‑à‑dire qu’il s’efforce de mettre en évidence le lien juridique et fonctionnel entre un suspect et un actif donné. Ce bien peut être localisé ou domicilié à l’étranger, c’est la raison pour laquelle la PIAC, de même que l’AGRASC, est reconnue comme bureau de recouvrement des avoirs au sens de l’Union européenne et donc point d’entrée et de sortie des échanges d’information entre services enquêteurs et juridictions européens.

Les statistiques sur les avoirs criminels « appréhendés » (notion qui n’existe pas dans le code de procédure pénale) peuvent être imparfaites, en ceci qu’un montant saisi n’est pas un montant confisqué. Elles reflètent l’activité policière, et non l’activité juridictionnelle. Tous les services de police et de gendarmerie remontent leurs chiffres sur une base mensuelle et selon une méthodologie standardisée pour établir, à une périodicité trimestrielle mais qui pourrait être réduite, le TACA. La PIAC vérifie au fil de l’eau que la valorisation des biens est conforme aux règles, qu’une ordonnance a bien été prise par un magistrat, condition sine qua non d’une saisie, enfin s’assure auprès de l’AGRASC que le bien a fait l’objet d’une publicité foncière. Si plusieurs services sont co‑saisis, la PIAC fait des recoupements pour éviter les doubles comptabilisations, et la valorisation est répartie entre les services.

Aux yeux de l’AGRASC néanmoins, les services d’enquête ne peuvent pas donner des informations fiables car ils n’exécutent pas les décisions de saisie. Ils surestiment les chiffres puisqu’ils ne prennent pas en compte ce qui se passe ensuite, comme les appels ou les restitutions éventuelles. De plus, il est possible d’identifier un bien qui ne sera jamais saisi ni confisqué. L’AGRASC a présenté l’exemple suivant aux rapporteurs : les juges français ont demandé aux autorités roumaines l’exécution de la confiscation d’un bien immobilier, situé à Craiova, identifié par la PIAC dans le cadre des échanges entre polices. Mais les Roumains ont informé l’AGRASC que la maison était implantée sur un terrain de la municipalité de Craiova. Les policiers avaient identifié un bien que l’AGRASC ne parviendra jamais à vendre.

Par ailleurs, peuvent se poser des problèmes de valorisation des actifs, particulièrement des biens immobiliers, rarement perceptibles au moment de l’identification des biens. Les policiers et les gendarmes communiquent sur la valeur d’acquisition des biens qu’ils ont identifiés dans le patrimoine des criminels, mais ces actifs peuvent être grevés d’hypothèques ou des droits des créanciers privilégiés et notamment des banques qui ont financé un emprunt pour l’acquisition du bien. Cette problématique est loin d’être marginale car les biens immobiliers représentent une proportion importante des saisies en valeur (53 % en 2018, 44 % en 2017).

Il est difficile d’estimer la proportion d’actifs saisis relevant de la délinquance financière, faute d’un système d’information retraçant le cheminement des biens tout au long de la chaîne pénale (voir infra). À partir des infractions associées, la gendarmerie estime que cette proportion se situe entre 60 et 70 % (60 % en 2018). Les saisies sont principalement réalisées dans le cadre des incriminations de blanchiment, d’escroqueries et de travail illégal.

Les enquêteurs ont également appelé l’attention des rapporteurs sur la lenteur de la procédure de saisie-attribution qui permet à un magistrat (parquet ou juge d’instruction selon le cadre procédural de l’enquête) d’attribuer à un service enquêteur des biens (véhicules, ordinateurs) qui appartiennent à des délinquants et qui ont fait l’objet d’une saisie.

Il s’avère en effet que le processus interne au ministère de l’intérieur est particulièrement chronophage, du fait du nombre d’étapes de validation. La procédure, destinée à s’assurer que le bien correspond à la politique d’acquisition de l’administration et ne génère pas de coût d’entretien prohibitif, remonte en fait à la direction générale de la police nationale après validation de plusieurs échelons déconcentrés, ce qui peut prendre une année entière. Les rapporteurs estiment qu’une simplification pourrait être opérée car ces délais dissuadent les enquêteurs d’entreprendre la démarche et sont eux‑mêmes générateurs de surcoûts (frais de parking des véhicules, défaut d’entretien).

Les saisies‑attributions n’entrent pas dans les chiffres de la PIAC ; leur comptabilisation est centralisée par le service de l’achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI) du ministère de l’intérieur. Elles portent sur quelques dizaines de véhicules par an pour l’ensemble de la police nationale mais leur volume monte progressivement en puissance. On comptait ainsi 134 véhicules mis à disposition des services de police avant jugement en 2017, dont 99 pour la DCPJ.

Proposition n° 22 : simplifier la procédure des saisies‑attributions au bénéfice des services de l’État.

2.   Le rôle déterminant de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués mérite d’être conforté

La loi de 2010 a réformé la procédure de saisie pénale et a créé une agence spécialisée, l’AGRASC, avec un statut d’établissement public administratif lui permettant de disposer de la souplesse de gestion nécessaire à l’accomplissement de ses missions.

Avant 2010, les juridictions éprouvaient de véritables difficultés pour saisir et confisquer des biens complexes, notamment immobiliers, dans la mesure où elles devaient faire application de procédures civiles d’exécution, lesquelles se coordonnaient très mal avec la procédure pénale en termes de délais et de rôle des différents protagonistes, notamment du ministère public. Par exemple, si un procureur ou un juge d’instruction souhaitait saisir un immeuble, il fallait qu’il établisse un dialogue avec la conservation des hypothèques qu’il ne connaissait pas, en particulier pour faire publier la saisie obéissant à des règles civiles d’exécution, et obtenir la prolongation de la durée des hypothèques, une diligence souvent oubliée, si bien qu’au stade du jugement, le bien ne pouvait pas être confisqué.

L’AGRASC, qui compte 35 collaborateurs, a pour mission de promouvoir la procédure de saisie et de confiscation pénale par un rôle de conseil des juridictions ou des services d’enquête, de valoriser les actifs tout au long de la procédure pénale qui dure souvent plusieurs années, de céder les actifs confisqués, et d’affecter les produits des cessions à différents intervenants.

Les chiffres montrent la croissance du montant des actifs saisis mais aussi les difficultés de sortie du dispositif et donc une certaine tendance au grossissement du stock d’actifs gérés.

L’AGRASC dispose d’un compte rémunéré à la Caisse des dépôts dont les entrées sont constituées du montant des sommes pénalement saisies (numéraire, comptes bancaires, saisies de créances…), des produits des ventes mobilières avant jugement ainsi que des produits des ventes immobilières issues des confiscations et les sorties des sommes issues du produit des confiscations qui ont été versées au budget général de l’État, à la MILDECA et à l’Agence, mais aussi aux parties civiles, dans le cadre de leur indemnisation, ainsi que des sommes, issues des saisies pénales, restituées aux mis en cause et aux créanciers publics.

Le solde de ce compte de transit augmente régulièrement depuis 8 ans ce qui traduit une augmentation des entrées et donc des saisies, mais aussi un volume insuffisant des sorties, résultant de la durée des procédures judiciaires et des difficultés de cession de certains actifs, notamment immobiliers.

Montant des fonds du compte de l’agrasc à la caisse des dépôts

Source : AGRASC.

Le côté positif de cette montée en puissance est que la rémunération du compte (7 millions d’euros en 2017) contribue à assurer l’autofinancement de l’agence, mais le constat d’un certain enlisement est confirmé par les chiffres relatifs aux cessions de biens mobiliers et immobiliers.

Biens mobiliers

Précision : depuis 2017, l’AGRASC comptabilise le nombre de scellés vendus et non plus le nombre de biens, afin d’assurer une plus grande cohérence dans le relevé de ses statistiques. Pour information, le nombre de scellés vendus était de 2 461 en 2016.

Source : AGRASC.

Le produit de cession des biens mobiliers est ainsi très faible au regard du nombre de biens saisis. Outre que l’AGRASC doit gérer des catégories d’actifs très variés (véhicules, mobilier, bijoux, œuvres d’art), elle ne dispose pas toujours des informations indispensables pour procéder à leur cession et notamment pas des décisions de justice les concernant. Elle a ainsi dû mener un combat de plusieurs années pour disposer de l’accès au système d’information relatif à la gestion des affaires pénales Cassiopée, qui ne s’est achevé qu’à l’été 2017, alors que ce système a précisément pour vocation d’assurer la traçabilité des affaires dans la chaîne pénale. Plus précisément, son raccordement au module Cassiopée scellés, qui traite des informations les plus pertinentes pour elle mais qui n’est pas déployé dans la totalité des juridictions à ce jour, n’a été possible que début 2019.

Dans sa mission de conseil, l’intervention de l’agence devrait pouvoir avoir lieu le plus tôt possible afin d’orienter le choix des magistrats et des enquêteurs en fonction des contraintes de gestion et du produit plausible des actifs saisis. Faut‑il par exemple saisir des sommes en numéraire d’un petit montant au regard des charges de gestion que ces décisions vont entraîner d’ici la clôture de la procédure pénale ?

La vente avant jugement de biens meubles, pour laquelle l’AGRASC bénéficie d’une compétence exclusive, à la différence des cessions de biens confisqués qui est une compétence partagée avec France Domaine, est l’activité majoritaire du pôle de gestion mobilière.

L’AGRASC incite les magistrats à décider de la cession de certains actifs saisis et notamment les véhicules, avant la fin du processus judiciaire, afin d’éviter des coûts d’entretien ou de stationnement à la charge de la justice. Dans ce cas de figure, le produit de la saisie est gelé et peut faire l’objet d’une restitution à son propriétaire si le jugement définitif en décide ainsi, mais la cession permet d’éviter une dégradation de la valeur du véhicule durant la procédure. Rares sont en effet les juridictions qui savent faire face avec efficacité au flux de véhicules saisis comme la Cour d’appel de Douai avec le centre d’entreposage des véhicules relevant d’un centre de gestion des scellés.

Proposition n° 23 : développer les ventes avant jugement de biens mobiliers (véhicules notamment) afin de maîtriser les coûts de gestion.

Faute d’un système d’information adapté, l’agence n’est pas en mesure de fournir des statistiques détaillées sur les actifs saisis, ni de présenter une typologie des infractions ayant donné lieu à telle ou telle catégorie de saisies. L’AGRASC a toutefois indiqué dans son rapport d’activité 2016 que, sur la période 2011‑2016, parmi l’ensemble des infractions ayant donné lieu à une saisie transférée à l’agence, on comptait 70 445 cas de trafic de stupéfiants, 8 153 cas d’escroqueries, 2 661 cas de travail clandestin et environ 1 000 cas d’autres infractions financières, sans plus de précisions sur les montants saisis.

L’AGRASC développe actuellement un projet d’infocentre destiné à permettre des restitutions statistiques.

Le projet d’infocentre de l’AGRASC

L’agence est dotée d’une application informatique, nommée « Base AGRASC », d’enregistrement et de traitement des biens confiés par les juridictions pénales. Cette base contient des données relatives :

– aux affaires (juridiction, cadre juridique, infractions, mis en cause, décisions…) ;

– aux biens et à leur gestion (saisie, confiscation, vente, restitution, indemnisation des parties civiles) ;

– aux mouvements financiers impactant ces biens.

Cette base compte un nombre croissant de biens enregistrés (plus de 230 000 à ce jour) mais présente des insuffisances, notamment en termes de production de statistiques et de mise à disposition d’outils de pilotage.

Pour pallier ces difficultés, l’agence modernise son outil informatique à compter de l’année 2019 et compte mettre en place un infocentre qui lui permettra de réaliser des requêtes afin d’en extraire des restitutions statistiques.

Cet infocentre sera particulièrement utile pour les juridictions et administrations partenaires, qui n’ont actuellement pas accès aux données de l’AGRASC.

L’infocentre devrait notamment permettre aux juridictions et aux services d’enquête d’obtenir :

– les données statistiques correspondant à leur activité, afin d’orienter le cas échéant leur politique pénale ;

– la situation et l’ancienneté des biens de leur ressort confiés à l’AGRASC, afin de mieux suivre leurs dossiers et la transmission des informations indispensables à l’agence.

Les rapporteurs soutiennent ce projet qui devrait permettre une dynamisation de la gestion des actifs saisis associant l’ensemble des parties prenantes de la chaîne pénale, et notamment les juridictions et les services enquêteurs.

Proposition n° 24 : mettre en place une base de données assurant la traçabilité des actifs saisis puis confisqués, partagée entre l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), les juridictions et les services d’enquête.

S’agissant des biens immobiliers, les difficultés sont encore plus grandes et  résumées par l’AGRASC comme suit : délai de transmission très long des décisions de confiscation par les juridictions, état général des biens parfois insalubre, occupation irrégulière, obstruction du condamné, voire acte de vandalisme, contentieux sur les charges avec les syndics de copropriété, situation des créanciers inscrits, notamment des établissements bancaires…

Les juridictions hésitent à prononcer la confiscation des biens immobiliers saisis, soit par souci d’équité vis‑à‑vis du justiciable, notamment quand sa famille habite l’immeuble saisi, soit par crainte de la technicité de la mesure malgré les conseils avisés de l’AGRASC. Une restitution ou décision de mainlevée peut également être prise, au cours de l’enquête, par une ordonnance du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention. Les restitutions stricto sensu ne concernent toutefois que les biens meubles puisque, pour les biens immobiliers, la saisie pénale est une mesure conservatoire qui n’entraîne pas dépossession du bien pour le mis en cause. Mais elle peut être également prononcée par la juridiction de jugement qui peut décider, soit de ne pas prononcer de peine complémentaire de confiscation, soit de mettre hors de cause le prévenu. L’AGRASC relève dans son rapport d’activité 2017 que, fréquemment, la mainlevée de la saisie immobilière est prononcée dans les procédures dans lesquelles le blanchiment a été poursuivi pour faciliter les saisies, sans toutefois que les éléments constitutifs de ce délit soient suffisamment caractérisés.

Pendant ce temps, les biens se dégradent car les propriétaires ou les occupants, se sachant sous le coup d’une saisie pénale, ne financent plus l’entretien et ne contribuent plus aux charges de copropriété.

Le montant des ventes est très faible au regard du portefeuille de biens saisis, même si la situation s’est améliorée par rapport au constat fait par la Cour des comptes dans son référé consacré à l’AGRASC en date du 20 juin 2016 et portant sur la période 20112015. Dans ce référé, la Cour relevait que « […] quand bien même la confiscation serait prononcée et le jugement transmis à lagence, les chiffres dactivité mettent en évidence la très faible réalisation des ventes immobilières. Alors que 126 biens confisqués ont été confiés à IAGRASC entre 2011 et 2015, seules 15 ventes avaient été réalisées au cours de cette période, dont trois nont rien rapporté en raison des créances inscrites préalablement à la saisie pénale ou de la nécessité de désintéresser des tiers. Les délais de vente se révèlent particulièrement longs, allant même jusquà 68 mois. Une fois confisqués, les biens immobiliers sont pourtant pour lÉtat une source de coûts directs : il est en effet tenu dassumer, à travers IAGRASC, les charges liées à la propriété du bien (charges dentretiens, assurance, imposition). En pratique, la longueur des délais de transmission des jugements (sept mois en moyenne, avec un maximum à plus de deux ans) ou de réalisation des ventes par les notaires (20 mois en moyenne) retarde et complexifie la vente des biens, qui se déprécient et sont source croissante de coûts pour IAGRASC (occupation sans titre ; destruction ou dégradation des biens ; poursuite de la location par les condamnés qui perçoivent les loyers ; existence de créances hypothécaires antérieures ou de charges de copropriété impayées ; existence dindivisions). »

Comme il n’existe pas de système d’information assurant la traçabilité des actifs, il est impossible de calculer des ratios entre le volume de biens saisis, de biens confisqués et de biens cédés, ni même de disposer d’indicateurs sur l’ancienneté moyenne du portefeuille d’actifs immobiliers sous gestion ou sur la durée moyenne des procédures de cession.

Comme l’écrit l’AGRASC dans son rapport annuel 2017, « le stock dimmeubles apparaissant toujours saisis demeure anormalement important, même si lon tient compte de la durée des procédures, augmentée de lexercice désormais systématique des voies de recours dès que des saisies sont opérées. Cette réalité interroge une nouvelle fois la régularité de la transmission de linformation entre les juridictions et lAGRASC. »

Quand la peine de confiscation est prononcée, de nombreuses juridictions oublient en effet d’en informer l’agence, ou le font avec des mois ou des années de retard.

Biens immobiliers

Source : AGRASC.

Une fois la décision de confiscation notifiée, l’agence entame le processus de cession, désormais et depuis 2018, avec l’aide de notaires qu’elle a choisis sur appels d’offres et qui constituent un réseau couvrant l’ensemble du territoire.

Elle se heurte toutefois aux procédures figurant au code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) qui ne sont pas adaptées aux actifs qu’elle traite. En l’état des textes, le CG3P précise que lorsque l’État veut céder des biens immobiliers issus de son domaine privé, il doit suivre une procédure strictement encadrée, avec publicité et mise en concurrence, la vente de gré à gré n’étant réservée qu’à des cas très limités, alors que les actifs que l’AGRASC est en charge de céder devraient davantage relever de cette procédure. Il pourrait notamment être prévu une cession de gré à gré :

– directement à un indivisaire, en cas d’indivision entre l’État et une ou plusieurs personnes physiques ou morales ;

– à toute personne ayant des droits de nue‑propriété ou d’usufruit sur le bien ;

– à un locataire, en cas d’occupation régulière du bien ;

– lorsqu’il résulte d’un rapport d’expertise ou de tout autre constat que l’état du bien immobilier est très dégradé et nécessite des travaux importants ;

– lorsque le bien est constitué par un terrain enclavé de faible valeur.

Les caractéristiques des biens immobiliers confisqués qui relèvent davantage des biens de tout un chacun que des immeubles traditionnels du domaine de l’État justifient une dérogation au CG3P et un régime spécifique plus souple et permettant davantage des cessions de gré à gré.

Proposition n° 25 : créer un régime juridique spécifique aux cessions des biens immobiliers de l’État issus de confiscations pénales, par dérogation aux dispositions du code général de la propriété des personnes publiques.

L’article 706‑164 du code de procédure pénale permet à l’AGRASC d’indemniser des parties civiles dans un délai de deux mois à compter du jour où la décision leur allouant des dommages et intérêts est devenue définitive, sur les biens de leurs débiteurs qui ont été définitivement confisqués et que l’agence a eu à gérer.

Cette procédure se développe puisqu’elle a porté sur un montant de 23,8 millions d’euros depuis 2013 dont 8,1 millions en 2018 ; la moitié de cette somme relève d’affaires d’escroquerie dont un gros dossier comptant 229 parties civiles. Ces montants restent toutefois marginaux au regard du nombre d’escroqueries et des préjudices subis.

3.   La convention judiciaire d’intérêt public

L’article 22 de la loi n° 2016‑1691 du 9 décembre 2016, précisé par son décret d’application du 27 avril 2017, insère dans le code de procédure pénale les articles 41‑1‑2 et 180‑2 qui créent une nouvelle procédure, la CJIP.

Le législateur s’est ouvertement inspiré du modèle des « deferred prosecution agreements » (DPA), américains ou britanniques, qui permettent à la personne morale, par la conclusion d’une transaction judiciaire, d’échapper à la poursuite pénale en contrepartie du paiement d’amendes souvent très importantes et de sa soumission à un programme de conformité anticorruption sous le contrôle d’un superviseur.

Ce dispositif ne s’appliquant qu’aux personnes morales et pour des infractions (corruption, blanchiment de fraude fiscale et fraude fiscale depuis 2018) relevant de la délinquance financière, il est apparu souhaitable, sinon d’en dresser un véritable bilan du fait de son entrée en vigueur récente, au moins d’en tirer les premiers enseignements.

Avant la mise en mouvement de l’action publique, cette procédure permet au parquet de proposer à une personne morale mise en cause pour les délits mentionnés, une convention qui prévoit de verser une amende d’intérêt public, de se soumettre à un programme de mise en conformité aux normes anticorruption sous le contrôle de l’AFA, et de fixer le montant et les modalités de la réparation des dommages subis par les victimes.

Après avoir vérifié le fondement du recours à cette procédure, la régularité de son déroulement, la conformité du montant de l’amende aux plafonds prévus par le texte et la proportionnalité des mesures prévues aux avantages tirés des manquements, le président du tribunal prend une ordonnance de validation de la convention qui n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a ni la nature ni les effets d’un jugement de condamnation. Elle n’a aucune conséquence non plus sur le traitement pénal des personnes physiques dont la responsabilité serait mise en cause pour les mêmes faits.

Depuis l’entrée en vigueur du dispositif, cinq CJIP ont été publiées, deux à l’initiative du PNF qui prévoit d’en publier d’autres prochainement, et trois à l’initiative du parquet de Nanterre.

Les trois CJIP de Nanterre traitent des faits de corruption active d’un acheteur d’EDF par trois entreprises différentes et se sont soldées par des amendes d’un montant respectif de 420 000, 800 000 et 2,7 millions d’euros.

La première CJIP du PNF, en date du 14 novembre 2017, traite de faits de blanchiment de fraude fiscale et de démarchage bancaire et financier illicite de prospects français reprochés à la banque HSBC. Elle s’est soldée par une amende de 158 millions d’euros et des dommages-intérêts d’un montant de 142 millions d’euros pour l’État en réparation du préjudice subi.

La seconde CJIP du PNF, en date du 4 juin 2018, traite de faits de corruption d’agents publics libyens reprochés à la Société générale. Elle s’est soldée par une amende de 500 millions d’euros, partagée à parité entre le Trésor français et le Trésor américain, et des dommages-intérêts d’un montant de 963 millions d’euros notifié au fonds d’investissement libyen.

Lorsqu’il a créé ce nouveau dispositif inspiré du droit des États‑Unis, le législateur poursuivait trois objectifs :

– améliorer l’efficacité de la réponse pénale dans ce type de procédures ;

– afficher des résultats en matière de lutte contre la corruption conformes aux exigences et standards de l’OCDE ;

– répondre aux grands opérateurs économiques français confrontés à un usage extensif de la compétence extraterritoriale des autorités américaines.

Sur le premier point, il est incontestable que la CJIP est plus rapide qu’une procédure classique qui prend, dans ce genre de circonstances, systématiquement plusieurs années.

Elle permet aussi dobtenir le paiement damendes et de dommagesintérêts conséquents et recouvrés ou payés rapidement. Le montant de l’amende est en effet fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers exercices de l’entreprise. Cette règle, parce qu’elle fixe un plafond théorique élevé et une règle de calcul peu précise, laisse une grande latitude au parquet pour adapter sa proposition aux caractéristiques du dossier.

Elle a abouti pour le PNF à deux reprises à des montants très élevés, notamment par rapport au reste de son activité puisqu’il estime à 2,039 milliards d’euros le montant total des sommes prononcées en faveur du Trésor depuis sa création. Les deux CJIP totalisent à elles seules 550 millions d’euros, soit 27 % du total.

Sommes prononcées en faveur du Trésor public dans les affaires suivies
par le PNF

Source : PNF.

Jusqu’à récemment, aucune formation de jugement n’avait prononcé des amendes aussi élevées que celles figurant dans les deux CJIP ; depuis le jugement du tribunal correctionnel de Paris en date du 20 février 2019 qui a condamné UBS à une amende d’un montant de 3,7 milliards d’euros, ceci n’est toutefois plus exact. Ce jugement renforce toutefois le mécanisme de la CJIP dans la mesure où il accrédite la menace d’une condamnation par une formation de jugement à une amende élevée, voire très élevée. En l’espèce, elle pourrait même se révéler très supérieure au montant proposé par le parquet lors de la négociation avortée d’une CJIP avec UBS, si l’on en croit la presse (2 milliards d’euros selon Les Échos du 21 février 2019).

Jusqu’ici la règle de droit commun proposée par le code pénal est le principe du quintuple, qui consiste à multiplier par cinq le quantum de peine applicable aux personnes physiques (article 131‑38 du code pénal). Cette règle peut aboutir à des montants relativement peu élevés et peu dissuasifs au regard de la surface financière de certaines entreprises et du profit qu’elles ont tiré de ces délits, sauf à augmenter singulièrement le quantum de la peine frappant les personnes physiques, comme l’a fait la loi n° 2016‑819 du 21 juin 2016 réformant le système de répression des abus de marché en prévoyant pour ce délit (naguère appelé délit d’initié) une amende de 100 millions d’euros, montant pouvant être porté jusqu’au décuple du montant de l’avantage retiré du délit, sans que l’amende puisse être inférieure à cet avantage (article L. 465‑1 du code monétaire et financier).

C’est la raison pour laquelle certains aménagements, consistant à ne plus raisonner avec des peines d’amendes exprimées en valeur absolue mais en proportion du montant des fonds constitutifs de l’infraction ou du produit tiré de l’infraction, ont été progressivement apportés :

– en matière de blanchiment, l’article 324‑3 du code pénal, qui résulte de la loi n° 1996‑392 du 13 mai 1996, prévoit que les peines d’amende mentionnées aux articles 324‑1 (blanchiment simple) et 324‑2 (blanchiment aggravé) peuvent être élevées « jusquà la moitié de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment » ;

– les amendes qui répriment les différents manquements au devoir de probité peuvent, quant à elles, être portées au « double du produit tiré de linfraction », en application de la loi n° 2013‑1117 du 6 décembre 2013.

L’introduction dans le droit pénal d’amendes proportionnelles au chiffre d’affaires est étroitement surveillée par le Conseil constitutionnel, qui l’a estimée contraire au principe de proportionnalité des peines dans une décision DC n° 2013‑679 du 4 décembre 2013 sur la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière au motif que le législateur avait « retenu un critère de fixation du montant maximum de la peine encourue qui ne dépend pas du lien entre linfraction à laquelle il sapplique et le chiffre daffaires et est susceptible de revêtir un caractère manifestement hors de proportion avec la gravité de linfraction constatée ».

La règle plafonnant l’amende prévue à la CJIP à 30 % du chiffre d’affaires n’a pas fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel qui n’a pas soulevé d’office son inconstitutionnalité dans sa décision DC n° 2016‑741 du 8 décembre 2016 sur la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Il est vrai qu’il s’agit d’une amende d’intérêt public librement acceptée par la personne morale signataire de la convention et non d’une amende pénale stricto sensu.

Une autre méthode pour adapter le montant de l’amende pénale au préjudice subi et à la gravité des manquements constatés du fait d’une personne morale consisterait à additionner les aménagements précédemment décrits et portant sur des formes d’amendes proportionnelles, à la règle du quintuple.

Cette combinaison est expressément exclue pour le délit d’abus de marché puisque l’article L. 465‑3‑5 du code monétaire et financier dispose que la règle du quintuple s’applique uniquement à l’amende exprimée en valeur absolue (elle est donc portée à 500 millions d’euros pour les personnes morales), à l’exclusion de l’amende portée au décuple du montant de l’avantage tiré du délit, ce qui aurait porté le montant de l’amende applicable aux personnes morales à 50 fois le montant de l’avantage tiré du délit, proportion jugée disproportionnée par le rapporteur du texte au Sénat.

A contrario, cette combinaison pourrait être choisie, de manière un peu audacieuse, car si rien ne l’interdit, rien ne l’autorise expressément non plus, par des juridictions répressives ayant à statuer sur des comportements particulièrement graves relevant de délits de blanchiment ou d’atteintes à la probité commis par des personnes morales.

C’est cette option que le tribunal correctionnel de Paris a choisi d’appliquer dans son jugement contre UBS en date du 20 février 2019, pour la première fois en France à la connaissance des rapporteurs. Le plafond de l’amende a en effet été calculé en combinant les dispositions de l’article 324‑3 du code pénal qui prévoit que les peines d’amende punissant le blanchiment peuvent s’élever jusqu’à la moitié des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment, et celles de l’article 131‑38 du code pénal qui dispose que le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui des personnes physiques.

Ce cumul de dispositions aboutit à un total maximal de 2,5 fois (50 % fois 5) le montant des fonds blanchis, en l’occurrence 2,5 fois 3,7 milliards d’euros, soit un montant maximal de 9,250 milliards d’euros. L’application du seul article 324‑3 du code pénal aurait conduit à un plafond de l’amende de 50 % des 3,7 milliards d’euros blanchis, soit 1,85 milliard d’euros.

La CJIP a pour vocation d’aboutir à un équilibre entre les deux parties : niveau moins élevé d’exigence de la preuve et recouvrement rapide d’une amende élevée pour le parquet, discrétion, levée de l’aléa et absence de reconnaissance de culpabilité pour la personne morale, ce qui lui permet de continuer à exercer son activité sur des marchés importants et dans des pays très exigeants sur ce point comme les États‑Unis.

Sur le second point, et corrélativement à l’efficacité de cette forme de réponse pénale, il est désormais possible à la France de démontrer que son système judiciaire est capable de prononcer des sanctions sévères contre des personnes morales pour des faits de corruption et notamment de corruption d’agents publics étrangers, tels que la convention OCDE de 1997 lui enjoint de les réprimer.

Jusqu’à la CJIP Société générale, seul Total avait été condamné en France, par la Cour d’appel de Paris, en février 2016, en tant que personne morale et pour corruption d’agent public étranger, à une amende de 750 000 euros correspondant à l’amende maximale encourue à cette époque, plus de quinze ans après les faits, dans l’affaire des détournements du programme onusien en Irak dit « pétrole contre nourriture ». Encore faut‑il rappeler que Total avait été relaxé en première instance en 2013. En 2014, le compteur de la France était encore à zéro dans ce domaine alors que celui de l’Allemagne était à 209, et celui des États‑Unis à 92 (données de l’OCDE reprises par l’inspection générale des finances dans son rapport de 2016).

Sur le troisième point et la réponse aux opérateurs français face à l’intrusion de la justice américaine, la démonstration reste à faire. Certes la CJIP Société générale a permis une collaboration avec le département de la justice américain, qui avait engagé des investigations avant la France, se traduisant par un partage de l’amende entre nos deux pays, mais rien ne dit que ce modèle se reproduira, encore moins que cette nouvelle approche française suffira à convaincre les États‑Unis de renoncer à cette arme juridique qui leur a si bien servi dans des dossiers récents dont Alsthom constitue l’archétype.

En revanche, cette nouvelle approche peut légitimer l’utilisation par la France de la loi de blocage du 26 juillet 1968 qui interdit aux personnes de nationalité française de « communiquer à des autorités publiques étrangères les documents ou les renseignements dordre économique, commercial, industriel, financier ou technique dont la communication est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, aux intérêts économiques essentiels de la France ou à lordre public », sous peine de condamnation à six mois de prison et à une amende de 18 000 euros.

Avec la création de l’Agence française anticorruption (AFA), les agents économiques disposent d’un interlocuteur qui peut les orienter sur la doctrine d’emploi de cette loi de blocage et les inciter à refuser de communiquer certaines informations à des services d’investigation étrangers en accréditant l’hypothèse de poursuites éventuelles par des juridictions françaises. Une forme de coopération pourrait être envisagée sur ce point avec le PNF qui pourrait engager des poursuites en cas de violations des consignes de l’AFA.


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   EXAMEN PAR LE COMITÉ

Le Comité a procédé à l’examen du présent rapport d’information lors de sa réunion du jeudi 28 mars 2019. Au cours de cette réunion, il a autorisé la publication du présent rapport.

Les débats qui ont eu lieu au cours de cette réunion sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.7469075_5c9c7cb1c90f0.comite-d-evaluation-et-de-controle-des-politiques-publiques--lutte-contre-la-delinquance-financiere-28-mars-2019

 


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   ANNEXE N° 1 :
LINCIDENCE DU PROJET DE LOI RELATIF À LA CROISSANCE
ET À LA TRANSFORMATION DES ENTREPRISES (PACTE)
SUR LES OBLIGATIONS DÉCLARATIVES DES ENTREPRISES

Les seuils des obligations de certification des comptes seraient modifiés comme suit :

Forme juridique

Seuil de désignation d’un commissaire
aux comptes

Législation actuelle

Projet de loi PACTE

EURL, SARL, société en nom collectif et société en commandite simple

En cas de dépassement de deux des seuils suivants :

– 1 550 000 € de bilan

– 3 100 000 € de chiffre daffaires HT

– 50 salariés

En cas de dépassement de deux des seuils suivants :

– 4 millions € de bilan

– 8 millions € de chiffre daffaires HT

– 50 salariés

Société par actions simplifiée

En cas de dépassement de deux des seuils suivants :

– 1 000 000 € de total de bilan

– 2 000 000 € de chiffre daffaires HT

– 20 salariés

Harmonisation des seuils au même niveau que ci-dessus.

SA et société en commandite par actions

Obligatoire dès la création de la société sans condition de seuils

Abrogation de l’obligation et alignement sur les seuils ci‑dessus.

Cette mesure sappuie sur un rapport de linspection générale des finances (IGF) ([75]) de mars 2018, qui estime quun tel changement allégerait les contraintes procédurales et financières qui pèsent sur les petites entreprises, sans altérer la qualité de leurs comptes et de leurs déclarations fiscales ni pénaliser leur accès au crédit. Elle sappuie sur lanalyse de deux échantillons dentreprises se situant autour du seuil, mais de part et dautre, qui ne trouve pas de différence significative entre les deux populations. Par ailleurs, les déclarations de soupçon correspondantes transmises à Tracfin ne représentent que 0,2 % des déclarations reçues par le service en 2016. LIGF conclut que « ces résultats ne permettent pas de mesurer si la présence dun commissaire aux comptes a pu avoir un effet préventif » ([76]).

Ce rehaussement écarterait potentiellement jusqu’à 117 200 entreprises du contrôle des commissaires aux comptes (CAC) ([77]), mettant ainsi un terme à près de 120 000 mandats, ce qui représente 46 % des 260 000 mandats actuellement gérés par la profession. Il est possible que les entreprises aient alors recours un expert comptable, mais rien ne le garantit, s’agissant essentiellement d’entreprises moyennes, dont les plus importantes peuvent internaliser la fonction comptable. Or la profession d’expert comptable, qui est un prestataire de services, certes avec une qualification comparable à celle des commissaires aux comptes ([78]), présente de moindres garanties d’indépendance.

Comparaison entre les commissaires aux comptes
et les experts comptables

 

Commissaires aux comptes

Experts comptables

Effectif

13 500

21 000

Volume dactivité et CA

– 263 527 mandats (2017)

– 2,4 milliards d’euros (2016)

– 2 millions de liasses fiscales

– 11,5 milliards d’euros (2016)

 

Obligations vis-à-vis des tiers

Nature du mandat

– Mission légale obligatoire au‑delà des seuils de certification des comptes

– Garantit l’égalité entre les actionnaires

– Pas de révocation possible jusqu’à la fin du mandat de 6 ans

– Prestataire de service en conformité avec le droit fiscal ou social, obligatoire si l’entreprise externalise la comptabilité et la paie

– Présence facultative, mandat révocable à tout moment

Obligations légales

– Certification des comptes

– Information de l’organe de décision de l’entreprise

Régularité des prestations (comptabilité, liasse fiscale…)

Fixation des honoraires

Barème réglementaire (article R823‑12 du code de commerce)

Libre et contractuel

LCB-FT

Déclaration de soupçon

Déclaration de soupçon

Signalement/alerte

Obligatoire (art. L. 823‑12 du code de commerce)

Secret professionnel (art. 21 de l’ordonnance n° 45‑2138 du 19 septembre 1945)

 

Organisation de la gouvernance et de la profession

Ordre professionnel

– 33 compagnies régionales

– Chambre nationale des commissaires aux comptes

– Haut conseil du commissariat aux comptes

– 23 conseils régionaux (bientôt 16)

– Conseil supérieur de l’ordre des experts comptables

Formation initiale

Diplôme d’expertise comptable et stage de 2 à 3 ans

Diplôme d’expertise comptable

Formation continue

40 h par an, 120 h sur 3 ans

40 h par an, 120 h sur 3 ans

Contrôle qualité

En moyenne 6 ans, et 3 ans pour les CAC des EIP

Objectif à terme, tous les 6 ans

Procédure disciplinaire

– Signalement à la compagnie régionale ou au H3C saisi par le président de l’AMF

– Instruction par la compagnie régionale ou par le rapporteur général du H3C qui dispose depuis 2016 d’un pouvoir d’enquête

 Jugement par le H3C en formation restreinte

– Appel devant le Conseil d’État

– Signalement au conseil régional (client, pair…)

– Instruction par le conseil régional et jugement par la chambre régionale de discipline présidée par un magistrat de l’ordre judiciaire

– Appel devant le Conseil national de l’ordre (présidé par un magistrat de l’ordre judicaire où les professionnels sont en minorité)

– Cassation au Conseil d’État

 

Légende :

 

Différences significatives entre les deux professions.

Ainsi, bien que les exigences en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux soient identiques, les deux professions étant assujetties aux articles L. 561‑2 et suivants du code monétaire et financier, les CAC présentent une plus grande indépendance vis‑à‑vis de l’entreprise auditée, du fait des exigences légales exposées à l’article L. 822‑10 du code de commerce, l’encadrement de leurs honoraires ou encore leur irrévocabilité pendant leur mandat de six ans. De même, ils sont tenus de déclarer toute opération frauduleuse au procureur de la République, ce qui n’est pas le cas des experts comptables.

Cet assouplissement des normes de contrôle pose d’autant plus question qu’il s’appliquerait à des entreprises de taille moyenne, assez peu contrôlées dans la pratique. En effet, si la comptabilité des petites entreprises est largement externalisée, donc assurée par des experts comptables, celles qui ont quelques salariés peuvent embaucher un comptable, dont les qualifications ne sont pas comparables, et dont le travail ne sera plus examiné par un commissaire aux comptes.

Par ailleurs, l’efficacité même de cette réforme peut être questionnée. L’IGF mentionne ainsi une étude de 2018 conduite par une agence parlementaire suédoise, le Riksrevisionen, sur la suppression de l’obligation d’audit pour les petites sociétés par actions, opérée en 2010 ([79]). Elle conclut que cette réforme, qui a concerné les trois quarts des entreprises à responsabilité limitée, s’est révélée finalement coûteuse et peu rentable. L’agence propose même de rétablir le système de contrôle antérieur ([80]). Outre le fait que les économies réalisées en moyenne par les petites entreprises représentaient en moyenne 1 000 euros ([81]), les fraudes sont désormais facilitées : les entreprises s’étant affranchies des audits relèvent majoritairement de secteurs utilisant beaucoup d’argent liquide (restaurants, taxis…) où les fraudes sont plus répandues. Simultanément, le volume de leur chiffre d’affaires déclaré s’est contracté juste après la réforme, laissant soupçonner des déclarations moins complètes pour échapper à l’impôt. Enfin, la réforme a entraîné une hausse des erreurs dans les déclarations transmises aux administrations, ce qui mobilise davantage les employés devant effectuer les corrections ainsi que l’administration fiscale. Cette dernière est ainsi moins disponible pour se concentrer sur des cas plus graves et découvre plus tardivement certaines situations frauduleuses ou financièrement fragiles, lorsqu’une entreprise se déclare en faillite.

Toutefois, l’IGF tempère les conclusions de cette étude du Riksrevisionen en soulignant qu’elle ne tient pas compte, dans son évaluation, de « lapport de la compétence dexpert-comptable », une profession (« revisorer ») qui est soumise à des obligations légales comparables à celles de leurs homologues français, en termes de prestations, de compétences, de formation et d’objectivité ([82]).

L’IGF soutient également cette mesure par les garanties importantes qu’offrent les experts comptables : ils sont ainsi tenus de démissionner s’ils constatent des actes frauduleux et opèrent sous le contrôle de l’Ordre des experts comptables. Concernant leurs méthodes de travail, ils ont adopté les mêmes normes qualitatives de contrôle des petites entreprises que les CAC (la norme « d’audit contractuel des petites entités » ou NP 2910) ; et le Conseil supérieur de l’Ordre a même publié avec Tracfin des lignes directrices conjointes sur les déclarations de soupçon, ce qui n’est pas encore le cas pour les commissaires aux comptes.

Au‑delà d’un impact pécuniaire indéniable, bien qu’inverse sur les commissaires aux comptes et leurs clients, le relèvement des seuils n’a pas été envisagé sous l’angle de la délinquance financière qui ne se résume pas à la fraude fiscale. Or le recours à un expert comptable n’est obligatoire que si la fonction comptabilité est externalisée. Rien n’empêche un entrepreneur de faire sa comptabilité lui-même ou d’embaucher un comptable.

Dès lors, établir une cartographie des entreprises en fonction du niveau de surveillance dont elles font l’objet de la part des tiers, qu’il s’agisse d’experts comptables, de commissaires aux comptes, ou de l’administration fiscale ne serait pas inutile compte tenu du caractère très agile et opportuniste des délinquants financiers. A priori, le risque serait plus élevé chez les très petites entreprises où le chef d’entreprise fait lui‑même sa comptabilité et chez les entreprises qui ont leur propre comptable, profession moins encadrée que les experts comptables. Une des organisations syndicales consultées a d’ailleurs signalé que certains délits mineurs, telle l’absence de désignation d’un commissaire aux comptes, pouvaient servir à en masquer de plus sérieux. Et l’analyse des risques de l’année 2016 rédigée par Tracfin lui fait conclure : « La gestion de PME permet de blanchir le produit de tout crime ou délit en utilisant la fraude comptable, la fraude fiscale et labus de bien social. »

 


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   ANNEXE  2 :
PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

1. Table ronde :

        M. Éric Alt, vice-président d’Anticor *, accompagné de Mme Beverly Zehia, juriste ;

        M. Dominique Plihon, porte-parole d’Attac ;

        Mme Manon Aubry, responsable de plaidoyer Justice fiscale & inégalités d’Oxfam France * ;

        Mme Elsa Foucraut, responsable de plaidoyer vie publique de Transparency International *.

2. Auditions :

        M. Jacques Rigaudiat, économiste, Fondation Copernic, et M. Damien Falco, enseignant chercheur à la faculté de droit de l’université Toulouse Capitole (18 octobre 2018)

        Mme Anne Michel, M. Maxime Vaudano et M. Jérémie Baruch, journalistes dinvestigation du journal Le Monde (18 octobre 2018)

        M. Thomas de Ricolfis, chef de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) (18 octobre 2018)

        M. Jean-François Gayraud, commissaire divisionnaire (25 octobre 2018)

        Mme Corinne Bertoux, chef de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) (25 octobre 2018)

        M. Charles Duchaine, directeur de l’Agence française anticorruption (AFA) (31 octobre 2018)

        Mme Laura Rousseau, responsable du pôle Flux financiers illicites de Sherpa * (31 octobre 2018)

        Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), accompagnée de M. Didier Gautier, chef du service national des enquêtes (15 novembre 2018)

        M. Bruno Dalles, directeur du service TRACFIN (15 novembre 2018)

        Mme Nathalie Bécache, sous‑directrice déléguée aux missions judiciaires de la douane à la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) (22 novembre 2018)

        M. Bastien Llorca, sous‑directeur du contrôle fiscal à la direction générale des finances publiques (DGFiP) (22 novembre 2018)

        Mme Jeanne‑Marie Prost, déléguée nationale à la lutte contre la fraude (DNLF), accompagnée de M. Alexandre Bullier, chargé de mission (22 novembre 2018)

        M. Vincent Schmoll, secrétaire exécutif adjoint du GAFI (29 novembre 2018)

        M. Pierre‑Mathieu Duhamel, président du Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, accompagné de Mme Pauline Ennouchy, adjointe au chef du bureau de la lutte contre la criminalité financière et des sanctions internationales à la direction générale du Trésor (29 novembre 2018)

        M. Robert Ophèle, président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), accompagné de M. Dominique Baert, conseiller du président, et de Mme Laure Tertrais, conseillère parlementaire et législation (29 novembre 2018)

        M. Olivier Filatriau, chef du bureau de la méthodologie et des études statistiques (BMES), service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI – ministère de l’intérieur), accompagné de M. André Moreau, adjoint au chef du BMES, chargé des indicateurs statistiques (6 décembre 2018)

        M. Patrice Dang Van Nhan, président de la commission des études juridiques de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) *, accompagné de Mme Sabine Rolland, directrice du service juridique (6 décembre 2018)

        M. Patrick Montagner, premier secrétaire général adjoint de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), accompagné de Mme Véronique Bensaid‑Cohen, conseillère parlementaire auprès du gouverneur de la Banque de France (6 décembre 2018)

        Mme Anne Kostomaroff, directrice générale de l’Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), accompagnée de M. Etienne Donat, chargé de la communication et de la formation (12 décembre 2018)

        M. Benoît de la Chapelle Bizot, directeur général délégué de la Fédération bancaire française (FBF) *, accompagné de M. Nicolas Bodilis-Reguer, directeur relations institutionnelles, M. Christian Lothion, directeur sécurité, Mme Judith Azevedo, chargée de mission juridique et conformité, et Mme Christel Gourlet, chargée de mission au département numérique, systèmes et moyens de paiement (12 décembre 2018)

        Colonel Marc de Tarlé, adjoint au sous‑directeur de la police judiciaire à la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) (20 décembre 2018)

        Mme Catherine Pignon, directrice des affaires criminelles et des grâces, accompagnée de Mme Sophie Lacote, cheffe du bureau du droit économique, financier et social, de l’environnement et de la santé publique (20 décembre 2018)

        Mme Éliane Houlette, procureur de la République financier, accompagnée de M. JeanLuc Blachon, premier vice‑procureur de la République financier, et de M. Jean‑Marc Toublanc, secrétaire général du parquet national financier (20 décembre 2018)

        MM. Jean‑Luc Girardi et Thierry Vught, conseillers maîtres, et Mme Marie‑Aimée Gaspari, conseiller référendaire, 4ème chambre de la Cour des comptes (10 janvier 2019)

        M. Peimane Ghaleh‑Marzban, directeur des services judiciaires (DSJ), ministère de la justice (10 janvier 2019)

        Mme Sandrine Duchêne, secrétaire générale, et M. Hubert Marck, directeur de la déontologie, des affaires publiques et de la conformité, AXA France * ; M. Jean-Jacques Santini, directeur des relations institutionnelles du groupe BNP Paribas *, accompagné de M. Henri Quintard, responsable de la conformité ; M. Xavier Musca, directeur général délégué de Crédit agricole SA *, accompagné de M. Stéphane Priami, directeur en charge de la conformité (17 janvier 2019)

        M. Emmanuel Gagnier, rédacteur en chef de l’émission Cash Investigation, et MM. Benoît Bringer et Édouard Perrin, journalistes à PLTV (17 janvier 2019)

        M. Christian Sainte, directeur régional de la police judiciaire, et M. Marc Thoraval, sous‑directeur chargé des affaires économiques et financières, préfecture de police de Paris (24 janvier 2019)

        Mme Catherine Champrenault, procureure générale près la Cour d’appel de Paris, accompagnée de M. Jacques Carrère, premier avocat général central, et de Mme Muriel Fusina, avocate générale, chef du département des affaires économiques et financières (24 janvier 2019)

        Mme Christine Guéguen, présidente du Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C), accompagnée de Mme Axelle Montanié, chef de cabinet (24 janvier 2019)

        M. Marc Bornhauser, président de l’Institut des avocats conseils fiscaux (IACF) *, accompagné de M. Charles Ménard, président de la commission Fiscalité des entreprises, et de M. Frédéric Teper, secrétaire général (31 janvier 2019)

        MM. Xavier Autain, Vincent Pénard et Jacques Taquet, membres élus, M. Jean‑Charles Krebs, expert, et M. Jacques‑Édouard Briand, directeur des affaires législatives, Conseil national des barreaux (CNB) * (31 janvier 2019)

        M. Gil Lorenzo, sous‑directeur des affaires juridiques et de la lutte contre la fraude à la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) (31 janvier 2019)

3. Déplacements :

        M. Thomas de Ricolfis, chef de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), accompagné d’enquêteurs spécialisés

        M. William Hippert, directeur adjoint de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), accompagné d’enquêteurs spécialisés

Direction départementale de la sécurité publique :

        M. Loïc Barbotte, adjoint au directeur, accompagné d’enquêteurs spécialisés

Direction interrégionale des douanes :

        Mme Frédérique Durand, adjointe au directeur, accompagnée de membres de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières et du Service national de douane judiciaire

Direction régionale de la police judiciaire :

        M. Romuald Muller, directeur, accompagné d’enquêteurs spécialisés

Juridiction interrégionale spécialisée :

        M. Thierry Pocquet du Haut Jussé, procureur de la République

        M. Jean‑Marc Cathelin, Premier vice‑président, doyen en charge du pôle de l’instruction

        Mme Cécile Soriano, vice‑présidente JIRS

        M. Bruno Dieudonné, procureur de la République adjoint en charge de la JIRS

        M. Antoine Berthelot, vice‑procureur, chef de la section JIRS

        Mme Noémie Roche, vice‑procureure JIRS

4. Organismes ayant répondu au questionnaire écrit des rapporteurs :

        SGP Police FO

        UNSA Police

        Alternative Police (CFDT)

        USM (Union syndicale des Magistrats)

        Syndicat de la Magistrature

        Unité Magistrats (FO)

        Solidaires Finances publiques (ex Syndicat national unifié des Impôts SNUI)

        Syndicat national CGT Finances publiques

        CFDT Finances publiques

        Syndicat national CFTC Finances publiques

        Solidaires Douanes

        UNSA Douanes

        Douanes SND FO

 

 

* Ces organismes ont procédé à leur enregistrement au répertoire des représentants dintérêts géré par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.


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   CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES

 


 

 

Comité d’Évaluation et de Contrôle des politiques publiques (CEC)

Contribution du groupe La République en Marche au rapport d'évaluation sur la lutte contre la délinquance financière

 

La délinquance financière est diffuse et croissante, mais elle crée de très nombreuses victimes silencieuses. Car ses victimes s’identifient mal : on porte rarement plainte en tant que contribuable ou lorsque l’on se fait escroquer d’une petite somme. Mais, cette délinquance met en péril le financement des services publics et de la protection sociale. Elle provoque également le sentiment d’une rupture d’égalité entre les différents citoyens et fragilise la cohésion nationale, car elle donne, de façon souvent fausse, l’image d’une délinquance en col blanc. Ainsi, un sentiment d’impunité pour les fraudeurs fiscaux et délinquants financiers s’est installé et érode la confiance de nos concitoyens en l’administration. Le consentement à l’impôt s’en retrouve d’autant plus dégradé. La lutte contre la délinquance financière est donc au cœur de l’engagement du gouvernement et de la majorité parlementaire.

 

L’électrochoc de « l’Affaire Cahuzac », lors de la dernière législature, a amené la création de plusieurs outils de lutte contre la fraude fiscale et la délinquance financière et économique. On relève notamment le Parquet National Financier (PNF), ou l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) créés à la suite de la loi du 6 décembre 2013. Ces outils ont été complétés par des textes de lois votés sous notre législature.

 

  1. Des lois votées et une coopération internationale renforcée

 

Les députés de la majorité se sont mobilisés pour faire progresser notre législation en matière de lutte contre la fraude fiscale et la délinquance financière. Citons en particulier le rapport de la députée LaREM Emilie Cariou sur la « mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales » n°982 du 23 mai 2018.

 

Dans le sillage des travaux de notre collègue Emilie Cariou, la majorité et le gouvernement ont adopté des lois visant à renforcer la lutte contre la fraude fiscale.

 

-          Une loi relative à la lutte contre la fraude

 

La première d’entre elles est la loi de lutte contre la fraude, adoptée définitivement le 10 octobre 2018, qui prévoit un renforcement de la lutte contre la fraude fiscale à travers plusieurs moyens :

 

-          Une mobilisation du gouvernement et de la majorité sur les sujets internationaux

 

La majorité s’est engagée à ratifier dans les meilleurs délais les conventions internationales relatives à la lutte contre l’évasion fiscale. La France a été un moteur des travaux menés dans le cadre de l’OCDE qui ont abouti à 15 actions et à la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives au convention fiscale pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS).

 

Cette convention a deux objectifs :

 

Dès le 5 juillet 2018, l’Assemblée nationale a ratifié cette convention qui a nécessité la mise-à-jour d’un certain nombre de conventions internationales. A ce titre, l’Assemblée nationale a ratifié, le 14 février 2019, la Convention France-Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscale en matière d’impôt sur le revenu et la fortune.

 

  1. Des moyens en augmentation à mieux orienter vers la lutte contre la délinquance financière

 

Dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques (2018-2022), adoptée le 22 janvier 2018, le gouvernement et la majorité ont prévu une augmentation des moyens en matière de justice et de sécurité sur l’ensemble du quinquennat. Elle prévoit une augmentation du budget de la justice de 6,98 milliards d’euros en 2018 à 7,65 milliards d’euros en 2020, ainsi que la création de 6 500 postes d’ici à la fin du quinquennat. Du côté de la sécurité, le budget est également en augmentation devant passer de 13,32 milliards d’euros en 2018 à 13,66 milliards d’euros en 2020. D’ici à 2022, 10 000 postes de policiers et de gendarmes seront créés.

 

Cette loi de programmation s’est traduite par le renforcement des moyens dans le cadre de la loi de finances 2019, votée le 28 décembre 2018, et de la loi de programmation et de réforme de la justice (2018-2022), votée le 23 janvier 2019.

 

-          Loi de finances 2019 : de nouveaux dispositifs et des moyens renforcés

 

La loi de finances 2019 prévoit la mise en place de plusieurs dispositifs de lutte contre la délinquance financière :

 

La majorité et le gouvernement, en votant la loi de finances 2019, réaffirme également que la sécurité des français est une priorité absolue. En effet, le budget « sécurité » est en augmentation de 11,9% (environ 13 milliards d’euros, soit près de 80% du budget du ministère de l’Intérieur). Cela permettra de recruter 2 500 personnes en 2019 dont 1 108 policiers et 589 militaires qui seront affectés à la lutte contre la délinquance et la criminalité. Ce budget renforcera les moyens et de moderniser les équipements des forces de sécurité.

 

-          Loi de programmation et de réforme de la justice (2018-2022) 

 

La justice s’est elle aussi mis au diapason de la loi de programmation pluriannuelle en matière de renforcement des moyens. Il est prévu de doter le service public de la Justice des moyens nécessaires à son action. La loi de programmation sur la justice prévoit un financement ambitieux sur le long terme avec une augmentation de 1,3 milliard d’euros du budget (soit + 25% sur la durée du quinquennat) et la création de 6 500 emplois, la construction de 15 000 places de prison construites et plus de 500 millions d’euros affectés à la numérisation, d’ici à la fin du quinquennat.

 

-          Des moyens supplémentaires à mieux flécher

 

Les efforts pour rationaliser et augmenter les moyens des services publics de la Justice et de la Police que nous portons depuis le début du quinquennat peuvent et doivent justement trouver sens et concrétisation dans les effectifs en charge de la lutte contre la délinquance économique, financière et fiscale. Mieux flécher les budgets alloués permettra de donner plein effet par exemple à la réorganisation voulue et projetée avec la fin du Verrou de Bercy et les nouvelles complémentarités organisées entre administration fiscale, d'une part, et, d'autre part, les services judiciaires, autant au sein du Ministère de l'Intérieur que de la Justice.

 

 

Face à cette forte évolution du cadre réglementaire, et à la multiplication des acteurs (la Police Fiscale en dernier lieu), il était essentiel d’examiner l’organisation de l’État et les moyens consacrés à la lutte contre la délinquance financière. Ce fut l’objet principal de cette mission, qui a constaté un certain nombre de points critiques : la création d’outils de lutte contre le haut du spectre de cette délinquance a constitué un vrai progrès, tant au plan judiciaire que des services d’enquête, mais l’embolie guette les services concernés. Plus grave, la délinquance financière de masse s’intensifie et se complexifie. Or, l’organisation administrative et la gestion des ressources humaines font de cette délinquance une non priorité, entrainant par la même sa croissance. La mission d’évaluation édicte un certain nombre de proposition fortes pour briser ce cercle vicieux à travers une organisation simplifiée, une meilleure gestion des personnels, des moyens de lutte renforcés (transmission et exploitation des données, saisie des actifs).

 

  1. Un enjeu de moyens mais aussi de simplification et d’organisation des services de l’État

 

Par ce présent rapport, la majorité souligne l’importance du développement des moyens et des services d’enquêteurs. C’est pourquoi nous proposons :

-          D’augmenter et diversifier les effectifs des différents services d’enquête (Autorité des marchés financiers, Parquet national financier, services de police spécialisés, etc) ;

-          De développer les outils nécessaires au bon déroulement des enquêtes (constitution de base de données, utilisation de l’intelligence artificielle, etc) ;

-          De doter l’Autorité des marchés financiers (AMF) d’une unité d’investigations judiciaires afin de lui permettre d’assurer l’intégralité du traitement pénal des délits boursiers.

 

Nous proposons également un effort d’amélioration de l’organisation des services avec :

-          La mise en œuvre d’une politique interministérielle de lutte contre la délinquance économique et financière (regroupant la DNLF et le COLB) ;

-          La rationalisation du traitement des réquisitions des services de police aux établissements bancaires via une procédure normalisée et une plateforme unifiée.

 

Enfin, nous appuyons sur le besoin de simplification des services concernés par la lutte contre la délinquance financière :

-          Simplification de l’organisation des services d’enquête spécialisés dans la délinquance financière ;

-          Simplification de la procédure des saisies-attributions au bénéfice des services de l’État.

 

Cette mission d’évaluation, menée par Jacques Maire, avec M. Ugo Bernalicis du groupe de La France Insoumise, est une nouvelle étape dans la mobilisation du groupe parlementaire de la République en Marche sur les sujets de lutte contre la fraude fiscale et la délinquance financière et économique. Cet effort doit nous permettre d’amplifier les réels résultats. Son coût serait très probablement largement compensé par les rentrées fiscales, condamnations et pénalités qui en résulteraient. Investir dans la lutte contre la délinquance financière est rentable puisque cela rapport, in fine, à l’État.

 


Contribution du groupe La France Insoumise au rapport d’information sur l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière

 

 

 

 

 

CONTRIBUTION

 

du groupe La France Insoumise

 

au rapport d’information déposé par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques

 

sur l’évaluation de la lutte contre la délinquance financière


 

La délinquance financière est un phénomène hétérogène, qui regroupe de nombreux comportements et qualifications pénales, intervenant à différentes échelles. Elle désigne de manière générale toute infraction permettant l’acquisition ou l’utilisation frauduleuse de richesses. Malgré les récentes évolutions législatives, la réponse de l’Etat demeure largement insuffisante. Face à cette inefficacité révélatrice d’une absence de véritable volonté politique, le groupe parlementaire de la France insoumise a choisi de porter la lutte contre la délinquance financière au coeur de son action politique afin de répondre à un certain nombre d’enjeux, au premier rang desquels figure le manque à gagner pour les services publics.

L’ampleur de cette délinquance est difficile à mesurer, de par son aspect essentiellement occulte et son périmètre en constante évolution. L’identification du phénomène constitue donc un véritable enjeu et une étape indispensable afin de le combattre efficacement. Pourtant, en dépit de l’engagement du ministre de l’Action et des comptes publics M. Gérald Darmanin, qui a annoncé le 13 septembre 2018 la mise en place d’un observatoire de la fraude fiscale, ce dispositif n’a toujours pas vu le jour. Nous ne disposons donc d’aucun chiffre officiel permettant de quantifier la délinquance financière dans son ensemble, mais les montants révélés par les différents scandales financiers montrent l’immensité de l’iceberg qui se dresse devant nous.

Le groupe de la France insoumise insiste donc sur l’enjeu que représente l’efficacité de la lutte contre la délinquance financière. Elle constitue non seulement un défi financier de premier plan, mais aussi un enjeu d’égalité devant la loi et de cohésion sociale. En effet, l’inefficacité de l’action de l’Etat renvoie l’image d’une complaisance à l’égard des “criminels en cols blancs”, qui nuit largement à la légitimité du système fiscal français pour la majorité des contribuables. Cette injustice apparaît d’autant plus grande, lorsqu’on la compare à la sévérité qui caractérise la répression des infractions financières commises par des citoyens en situation de précarité (par exemple, une erreur de déclaration auprès d’une caisse d’allocation de prestation sociale). Le sociologue Alexis Spire parle à ce titre d’une forme de “pénalisation à deux vitesses”.

Face à ces enjeux, la France insoumise est donc à l’initiative d’une mission dans le cadre du Comité d'Évaluation et de Contrôle, sur les moyens mis en oeuvre par l’État dans la lutte contre la délinquance financière, pour laquelle M. Ugo Bernalicis est co-rapporteur, aux côtés de M. Jacques Maire.

Le présent rapport permet de dresser un bilan de l’organisation de l’Etat dans l’ensemble de ses composantes pour lutter contre la délinquance financière. Il pointe ainsi, conformément aux indications des co-rapporteurs, certaines des défaillances et insuffisances des moyens mis en oeuvre par l’Etat et formule des propositions visant à renforcer l’efficacité de l’action menée. Cependant, les analyses réalisées par messieurs Ugo Bernalicis et Jacques Maire à l’issue des auditions varient sur un certain nombre de points, qu’il s’agisse du diagnostic de la situation ou des propositions concernant les réponses à apporter. Autant d’éléments portés par M. Ugo Bernalicis, qui ne figurent donc pas dans le rapport.

Par cette annexe, le groupe de la France insoumise, s'appuie sur les observations de M. Ugo Bernalicis, co-rapporteur de cette mission, afin d’apporter des éléments supplémentaires, indispensables pour mener une véritable politique de lutte contre la délinquance financière, qui réponde aux enjeux économiques et de justice sociale.

I. Faire de l’Etat le premier acteur dans l’identification des infractions financières

I.A. S’organiser pour mieux cerner la délinquance et la criminalité financière

     En établissant un outil opérationnel d’analyse de l’ensemble de la délinquance financière

L’absence de dispositif institutionnel de mesure de la délinquance financière, que ce soit à l’échelle nationale ou supra-nationale, constitue une entrave majeure à la connaissance de cette réalité. Face à cette carence structurelle d’information, le Ministre de l’Action et des Comptes Publics, Gérald Darmanin pense y répondre en s’engageant le 13 septembre 2018, à créer un observatoire de la fraude fiscale. Cependant celui-ci n’est toujours pas en place ; et il ne recouvre qu’une partie du phénomène, qui s’avère bien plus ample avec le travail dissimulé, la corruption, les atteintes à probité, le blanchiment, etc…

Concrètement, les actuelles données disponibles concernent un périmètre restreint de la délinquance financière, à savoir la fraude fiscale. Les montants sont fluctuants, mais la donnée la plus sérieuse actuellement reprise est donnée par le syndicat Solidaires Finances Publiques, qui  estime les pertes liées à l’évitement illégal de l’impôt à environ 100 milliards d’euros en France.

Si l’identification de la délinquance financière dans toute son ampleur est une première étape indispensable à l’action de l’Etat, cette dernière ne saurait se limiter à la simple observation du phénomène. En conséquence, le groupe de la France insoumise considère qu’un observatoire est insuffisant car dépourvu de toute prise sur l’action publique et ne disposant d’aucun pouvoir d’injonction. Plus qu’un observatoire, nous recommandons la création d’un service intégré qui participe directement à l’action de l’Etat, rattaché aux services du premier ministre, associant les chercheurs, les journalistes d’investigation et les associations anti-corruption, permettant de connaître la réalité de cette délinquance et pouvant interagir avec les services de prévention et d’enquête.

La proposition n° 3 du rapport nous apparaît donc centrale. Sans sa mise en oeuvre, on peut douter de la volonté d’agir de ce gouvernement. Par ailleurs nous proposons de l’ouvrir aux acteurs extérieurs à l’Etat comme indiqué ci-dessus.

 

     En ciblant également certaines infractions en particulier, comme la fraude fiscale

La nécessité de renforcer la mesure de la délinquance financière dans son ensemble n’est en aucun cas incompatible avec la mise en oeuvre et l’amélioration de dispositifs participant au ciblage de certains types d’infractions en particulier. A ce titre la détermination de listes objectives de paradis fiscaux y participe, ainsi que la nécessité de sanctionner effectivement les pays qui y figurent et les sociétés ou particuliers qui y ont des activités financières suspectes.

Or, les listes existantes se caractérisent actuellement par leur variabilité selon les critères de mesures retenus par l’organisation en charge de son élaboration (OCDE, ECOFIN, FMI, UE), ainsi que par leur non non-exhaustivité. A titre d’exemple, la liste établie par l’Union européenne ne comporte aucun Etat membre, en dépit de la réalité des dispositifs d’évitement de l’impôt par le biais de l’Irlande, du Luxembourg, des Pays-Bas, etc…

Il s’agit pourtant d’un enjeu majeur de transparence fiscale. La crédibilité de cette liste noire est un moyen efficace de pression pour inciter les Etats voyous à changer leur réglementation anti-démocratique et mettre un terme à l’ère des paradis fiscaux.

Afin de lutter efficacement contre les paradis fiscaux, cette liste noire doit se baser sur des critères objectifs et transparents et s'affranchir des intérêts particuliers ou de toute ingérence politique.

 

Proposition FI n° 1 : établir une liste unique et exhaustive de paradis fiscaux selon trois ensembles de critères (équité fiscale, lutte contre le blanchiment et prudentiel) comme l’indique la deuxième proposition du rapport n° 1423 du Sénateur Eric Bocquet sur la Lutte contre les paradis fiscaux en date d’octobre 2013.

I.B. Faciliter le signalement des infractions

     En imposant davantage de transparence aux entreprises

Au cours des auditions, les difficultés qui entourent le signalement des infractions sont apparues à M. Bernalicis comme une entrave majeure à la détection des manquements. Au vu de l’importance de cette étape en matière de délinquance financière, la question de la protection et de l’encouragement des lanceurs d’alerte est centrale.

Pourtant, les mesures prises par le gouvernement, telles que la loi sur le “secret des affaires” ne font que renforcer les obstacles rencontrés par les lanceurs d’alerte et entretiennent une opacité propice à la prolifération de la délinquance financière.

 

Proposition FI n° 2 : systématiser la publication en données ouvertes (open data) des informations et documents détenus par les autorités publiques, et le cas échéant, par les entreprises, lorsqu'elles sont astreintes à la publication de certaines informations, comme par exemple les industries extractives.

     En mettant en place une véritable protection des lanceurs d’alerte

Le dispositif de protection des lanceurs d’alerte ne s’applique à l’heure actuelle que si le salarié adresse la dénonciation dans un premier temps à son supérieur hiérarchique, sauf “danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles”. Sont également exclus les cas d’évasion fiscale agressive, dont la qualification finale peut être incertaine.

La place des lanceurs d’alerte dans la détection des situations de fraude fiscale et de délinquance financière n’est plus à démontrer compte tenu des nombreux scandales financiers qui ont été révélés ces dernières années. Au-delà d’une défaillance du système, il faut se rendre à l’évidence que la complexité de ce type de délit nécessite une intervention des personnes issues de ces systèmes et qu’il faut leur garantir une protection particulière.

Pour le groupe de la France insoumise, il est donc impératif d’étendre le périmètre de la protection effective des lanceurs d’alerte à toute situation dans laquelle un salarié porte à la connaissance des autorités une situation susceptible de constituer un crime ou un délit en matière de délinquance financière.

 

Proposition FI n° 3 : étendre le périmètre de la protection effective des lanceurs d’alerte à toute situation dans laquelle un salarié porte à la connaissance des autorités une situation susceptible de constituer un crime ou un délit en matière de délinquance financière.

Le signalement de manquements observés par un lanceur d’alerte dans le cadre de son activité professionnelle entraîne des répercussions immédiates sur sa situation professionnelle et financière. Le groupe de la France insoumise considère donc qu’il convient de permettre la rémunération des lanceurs d’alerte à titre expérimental, pour leur transmission d’information, comme c’est déjà le cas dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogues. Cette inégale possibilité de recours aux dispositifs de protection des lanceurs d’alerte est une entrave majeure à la détection des infractions à caractère économique et illustre une vision erronée de la délinquance financière, qui tend à minimiser sa charge criminelle.

Les difficultés rencontrées par les lanceurs d’alerte se traduisent également souvent par la perte de leur emploi, à la suite de leur démarche. Il convient donc, comme l’indique la proposition n° 8 du rapport, de garantir aux lanceurs d’alerte la possibilité d’un accès à l’emploi public facilité.

II.  Adapter les moyens dont disposent les services d’enquête à la réalité de la délinquance financière

II.A. Remédier à l’inefficacité et à l’éparpillement de l’action publique, entravée par un manque structurel de moyens et diluée dans une multitude de dispositifs

     En inversant la tendance à la diminution des effectifs

Au cours des différentes auditions, M. Ugo Bernalicis a pu noter le manque de moyens humains et matériels qui constitue une entrave majeure à la lutte contre la délinquance financière. En effet les nombreux directeurs et responsables de services d’enquête auditionnés nous ont fait part de manière quasiment unanime d’une situation de sous-effectif structurel affectant leur activité.

Par exemple, la DGFiP fait face à une baisse d’effectif massive et constante de 17% entre 2009 et 2016, soit 2 000 agents en moins chaque année et les baisses d’effectifs vont s’accélérer d’ici à 2022. Une configuration représentative de la carence chronique et croissante qui affecte l’ensemble des services de lutte contre la délinquance financière.

Au regard des différentes auditions menées, il apparaît nécessaire de doubler a minima les effectifs des différents services qui concourent à la lutte contre les infractions financières. En termes de conduite de politique publique, il est donc indispensable de mettre en place un plan pluriannuel de montée en charge permettant de cibler les postes nécessaires et les cadres d’emploi adaptés.

 

Proposition FI n° 4 : mettre en place un plan pluriannuel de montée en charge des effectifs des différents services qui concourent à la lutte contre les infractions financières.

Le groupe de la France insoumise rappelle qu’à cette situation s’ajoute le manque structurel de procureurs en France, qui nuit notamment à l’efficacité de la lutte contre la délinquance financière. Comme le souligne le dernier rapport d’octobre 2018, de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) du Conseil de l’Europe, la situation de la justice française est particulièrement préoccupante en termes budgétaires et de moyens humains. La France consacre moins de 66 euros par an et par habitant à son système judiciaire (alors que l’Allemagne y consacre 122 euros, l’Autriche 107 euros, l’Espagne 79 euros et l’Italie 75 euros). Les efforts budgétaires de la France sont très insuffisants au regard de sa richesse, puisqu’elle ne consacre que 0,2% de son PIB au système judiciaire.

Les effectifs de magistrats français (siège et parquet) ont baissé au regard du précédent rapport de la CEPEJ datant d’il y a 2 ans (10,4 et non plus 10,5) alors que pendant la même période, la moyenne européenne a augmenté de 20,9 à 21,5. Elle compte ainsi toujours 2 fois moins de juges que la moyenne européenne pour 100 000 habitants.

En particulier le rapport de la CEPEJ démontre l’urgence concernant les magistrats du parquet. La France compte presque 4 fois moins de procureurs pour 100 000 habitants que ses voisins européens (2,9 procureurs pour 100 000 habitants alors que la moyenne européenne augmente de 11,3 à 11,7).

Le rôle majeur des procureurs dans la conduite des enquêtes notamment en ce qui concerne la lutte contre la délinquance financière ne peut être déconnecté de cette situation dramatique. Si ce n’est l’impératif social, à tout le moins l’efficacité de la lutte impose une autre politique de recrutement des magistrats en ce domaine.

Par ailleurs, l’enquête préliminaire pour le haut du spectre des infractions financières sous la houlette du Parquet National Financier (PNF) ne saurait être le seul moyen judiciaire à notre disposition. En effet, la stratégie du PNF est de clôturer l’enquête pour la présenter directement à l’audience sans passer par l’information judiciaire. Deux écueils peuvent survenir : un affaiblissement des droits de la défense qui n’a de facto pas accès au dossier au stade de l’enquête préliminaire, et par conséquence un allongement du temps d’audience car  tous les moyens de droit de la défense ne pourront être soulevés qu’à ce moment-là. Nous proposons donc de créer une chambre nationale d’instruction financière en complément du PNF pour permettre une phase d’instruction judiciaire avec des juges spécialisés.

 

Proposition FI n° 5 : créer une chambre nationale de l’instruction financière spécialisée en complément du parquet national financier

     En mettant un terme à la logique d’éparpillement des moyens

Ce manque structurel de ressources est accentué par une dilution des moyens à mesure que se multiplient les différentes lois et donc les différents services.

En effet la création d’un nouveau dispositif est l’occasion pour l’exécutif de faire valoir publiquement une certaine forme de volontarisme. Par exemple, la création de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) comme une réponse à l’affaire Cahuzac en 2013 s’inscrit davantage dans une stratégie de communication que dans une véritable démarche de lutte contre la fraude fiscale, ce qui n’enlève rien au professionnalisme des agents en poste. De la même manière, la création en mars 2018 d’une nouvelle police fiscale rattachée au ministère de l’économie et des finances apparaît principalement comme un énorme coup de communication pour le ministre Darmanin et une manoeuvre de Bercy pour disposer d’un service sur lequel elle aura la mainmise, contrairement à d’autres services tels que l’OCLCIFF et l’office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF), rattachés au ministère de l’intérieur.

Le groupe de la France insoumise regrette donc que les querelles institutionnelles et les manoeuvres de communications priment sur le renforcement des moyens disponibles pour combattre la délinquance financière.

 

Proposition FI n° 6 : mettre un terme à la logique d’éparpillement des moyens par un plan de rationalisation des services en privilégiant le renforcement des moyens humains et de l’efficacité dans la lutte contre la délinquance financière.

II.B. Renforcer l’efficacité des techniques d’enquête dans la lutte contre la délinquance financière

     En développant les dispositifs de croisement de fichiers

L’accès des services de lutte contre la délinquance financière aux informations économiques et financières des entreprises mais également aux liens entre les personnes physiques constitue un enjeu majeur dans la détection des infractions. Cet accès demeure cependant largement entravé par la lenteur des procédures nécessaires à leur obtention. La proposition n° 12 du rapport, visant à “développer les outils d’exploitation et de croisement de données reposant sur l’intelligence artificielle afin de contribuer au ciblage des enquêtes” nous semble donc essentielle, et devra évidemment être réalisée sous le contrôle étroit de la CNIL.

Il faut relever qu’en matière de lutte contre la “fraude sociale”, les données de l’administration fiscale sont transmises de manière automatique aux agents en charge du contrôle des bénéficiaires de prestations sociales, par croisement de fichiers. La détection de la “fraude sociale” repose donc sur des dispositifs beaucoup plus performants que ceux dont disposent les services de détection de la délinquance financière, en dépit de la réalité des enjeux financiers en question. Cela contrevient également de manière criante au principe d’égalité devant la loi.

 

Proposition FI n° 7 : maintenir l’accès aux agents détachés à leurs bases et applications professionnelles.

 

Proposition FI n° 8 : constituer une base de données commune aux différents services engagés dans la lutte contre la délinquance financière permettant le partage d’informations opérationnelles, ainsi qu’une base de données nationale commune portant sur les procédures.

 

     En revoyant certains objectifs chiffrés inadaptés qui introduisent un biais écartant les dossiers complexes

Le groupe de la France insoumise tient à rappeler la nécessaire prudence avec laquelle il convient de considérer les indicateurs de performance évoqués dans le cadre du rapport, tels que les taux d’élucidation. En effet, le glissement vers une politique de chiffre peut avoir pour conséquence d’inciter dans de nombreux cas les services d’enquête à focaliser leur attention sur les infractions dont le caractère frauduleux est le plus évident et relève parfois de la simple ignorance de la règle.

Cela permet de gonfler artificiellement le taux d’élucidation observable, sans qu’il n’y ait de véritable amélioration au regard de l’objectif de lutte contre la délinquance financière.  Au contraire, considérer la hausse du taux d’élucidation comme une fin en soi et non comme un moyen dans le cadre de la lutte contre la délinquance financière, produit un certain nombre d’effets pervers, contre productifs. On observe notamment :

-          Une déconnexion entre la répartition socioprofessionnelle des dossiers traités, et l'importance réelle de ces secteurs dans le tissu économique : surreprésentation de certains secteurs d'activités spécifiques (comme par exemple les secteurs du bâtiment ou du gardiennage), au détriment d'autres (comme le secteur de l’immobilier).

-          Une surreprésentation des dossiers constituant un moindre enjeu financier, au détriment des infractions émanant de grandes entreprises, ou des contribuables les plus fortunés.

 

Proposition FI n° 9 : associer la mesure des montants recouvrés à la prise en compte du taux d’élucidation, dans la conception des indicateurs de performance.

     En développant les techniques d’infiltration et d’enquête sous pseudonyme

Contrairement aux infractions relevant des atteintes aux biens et aux personnes, la délinquance financière se caractérise par une absence de matérialité et de victime directe, autre que l’Etat. Ces spécificités constituent des obstacles à la détection de ces infractions. En découlent des taux de plaintes déposées et de poursuites engagées particulièrement faible. Les techniques d’enquête doivent donc être adaptées à la particularité de ce type de délinquance.

L’infiltration et l’enquête sous pseudonyme (consistant à infiltrer les réseaux de délinquance ou à se faire passer pour une partie intéressée par les services qu’ils proposent, afin d’en identifier les protagonistes) apparaissent comme des techniques d’enquête particulièrement adaptées dans le cadre de la lutte contre la délinquance financière. Ces méthodes largement utilisées par certains services de police, comme les brigades de lutte contre les stupéfiants se sont en effet illustrées comme d’excellents moyens de compenser les entraves à l’identification des infractions entraînées par la faiblesse des dépôts de plainte. C’est par ces méthodes que les journalistes d’investigation ont pu montrer des mécanismes d’évitement de l’impôt avec une facilité déconcertante. Les services de lutte contre la délinquance financière gagneraient donc à développer ces techniques spécifiques.

 

Proposition FI n° 10 : élargir dans le code de procédure pénale le cadre d’utilisation de l’enquête sous pseudonyme et de l’infiltration pour les infractions financières les plus graves (notamment le blanchiment de fraude fiscale) et les développer.

III. Répondre au défi de cohésion sociale, pour apporter une réponse efficace à la délinquance financière

III.A. Supprimer les procédures dérogatoires qui entretiennent un système de “pénalisation à deux vitesses

     En levant le secret qui protège les délinquants financiers

D’une manière générale, la classification “secret défense” d’un dossier empêche la poursuite d’une enquête pénale. Si l’autorité judiciaire demande la levée de cet obstacle, la décision revient exclusivement au ministre compétent. Il s’agit donc d’une décision discrétionnaire, non soumise au contrôle. La France se distingue de ce point de vue de ses principaux voisins européens. Le groupe de la France insoumise considère qu’il appartient à un juge, seul protecteur des libertés, de trancher entre l’intérêt public allégué par un ministre et celui de la justice.

De manière spécifique en matière de délinquance financière, ces dispositifs juridiques sont des obstacles à l’efficacité de l’action menée, comme en témoignent certaines enquêtes pénales emblématiques, comme par exemple celle concernant “les frégates de Taïwan”.

L’opacité est donc de mise en matière de délinquance financière, qu’il s’agisse d’entraver la détection des manquements avec la loi “secret des affaires” évoquée ci-avant, ou d’empêcher l’action pénale avec une classification “secret défense” dont l’appréciation de la pertinence est parfaitement arbitraire.

Le groupe de la France insoumise regrette l’existence de ces obstacles à la transparence, érigée en vertu démocratique de premier plan par Jeremy Bentham, dans le premier traité sur la publicité des opérations parlementaires : “Pour lui, les opposants à la transparence ne pouvaient se ranger que dans trois catégories peu recommandables : celle des malfaiteurs, qui cherchent à se dérober au regard d'un juge ; celle des despotes, désireux d'étouffer une opinion publique dont ils redoutent la force ; celle des incapables enfin, qui ne cessent de justifier leur inaction par la prétendue irrésolution du public[83]

 

Proposition FI n° 11 : réformer la Commission nationale du secret défense et lui donner les moyens de décider en toute indépendance ce qui doit être ou non déclassifié.

     En supprimant les procédures dérogatoires que constituent les CJIP

La création de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) par la loi n° 20161691 du 9 décembre 2016, prévoit la possibilité pour le procureur de la République de passer avec une personne morale mise en cause pour des faits de corruption, fraude fiscale ou blanchiment de fraude fiscale, une convention entraînant l’abandon des poursuites sans déclaration de culpabilité, contre le versement d’une amende et/ou la mise en place d’un programme de mise en conformité confié à l’Agence française anti-corruption. Ce type de procédure dérogatoire constitue une entrave majeure à la lutte contre la délinquance financière à de nombreux égards.

La CJIP sacrifie l’aspect dissuasif de la sanction pénale (perte de réputation, inscription au casier judiciaire, interdiction de candidater à des marchés publics, etc…) et contrevient au principe d’égalité devant la loi, en participant à la faible pénalisation des infractions à caractère économique.

Cette complaisance à l’égard des grands délinquants financiers apparaît d’autant plus injuste, lorsqu’on la compare à la sévérité qui caractérise la répression des infractions de faible enjeu financier. Lorsqu’elle vise ce type de transgressions, émanant le plus souvent des citoyens les plus précaires, l’administration met en avant la dimension morale de son action et privilégie la répression dans une perspective dissuasive, qui se traduit par la sanction systématique. Lorsqu’il s’agit d’infractions beaucoup plus importantes, commises par des entreprises ou des contribuables fortunés, la lutte contre la fraude perd sa dimension morale et préfère la voie de la négociation, largement profitable aux “délinquants en col blanc”, non seulement d’un point de vue pénal, mais également sur le plan financier[84].

D’autre part, la CJIP ne présente aucun avantage d’un point de vue économique. En effet, les contreparties financières à l’abandon des poursuites sont négociables, anticipables et souvent largement inférieures aux montant des amendes qui auraient pu être prononcées. En témoigne la récente condamnation d’UBS à une amende record d’un montant de 3,7 milliards d’euros, près de deux fois supérieur à celui évoqué dans le cadre de la CJIP[85]. Le seul argument recevable en faveur de la CJIP est celui de la rapidité du recouvrement, puisque le procès est évité. Une bien maigre consolation au vu des éléments évoqués ci-dessus.

La création de la CJIP s’inscrit donc davantage dans un processus de dépénalisation de la “délinquance en col blanc[86], que dans une véritable politique de lutte contre la délinquance financière. Les crimes commis par des individus de statut social élevé, en rapport avec leurs activités économiques et professionnelles, sont traités comme s’ils n’en étaient pas, avec pour effet d’éliminer tous les stigmates faisant référence au crime.

Pour le groupe de la France insoumise, il faut renforcer les sanctions contre les fraudeurs pour les rendre réellement dissuasives et supprimer toute possibilité de “négociation” de peine.

 

Proposition FI n° 12 : supprimer le dispositif de la convention judiciaire d’intérêt public.

III.B. Garantir le dévouement des acteurs de la lutte contre la délinquance financière, au seul objectif d’intérêt général

     En confiant à l’Etat la détection de la délinquance financière, qui  repose actuellement sur le  bon vouloir des opérateurs privés

Plutôt que de doter les services de détection de la délinquance financière des moyens nécessaires à l’accomplissement de leur mission, la loi Sapin II de 2016 a imposé à chaque entreprise une charte de protection collective, visant à prévenir les comportements frauduleux. Autrement dit, il revient aux entreprises de se contrôler elles même, dans une logique complètement schizophrénique. Certes, cette tâche incombe souvent à des départements conformité ou prudentiels qui sont distincts de la hiérarchie opérationnelle, mais ils sont internes à l’entreprise et sous les ordres de la même direction.

Le risque manifeste de conflit d’intérêt qu’induit cette configuration illustre parfaitement les défaillances qu’entraîne la délégation des missions de l’Etat aux opérateurs privés, quitte à abandonner au passage ce qui fait l’essence même du service public : la poursuite d’un intérêt général. En témoigne par exemple la récente affaire des “CumEx Files”, dans laquelle sont impliquées de nombreuses banques françaises telles que la BNP Paribas, la Société Générale ou encore le Crédit Agricole.

Pour le groupe de la France insoumise, ce constat n’a malheureusement rien d’étonnant, dans la mesure où le respect des obligations de conformité repose en grande partie sur le bon vouloir des établissements potentiellement mis en cause. En l’absence d’un dispositif public assurant véritablement ces obligations, il semble difficile d’envisager une amélioration significative.

 

Proposition FI n° 13 : transférer progressivement la charge du contrôle interne vers un contrôle externe par les agences prudentiels (ACPR, AMF, etc…) en renforçant significativement leurs moyens humains.

     En supprimant entièrement le verrou de Bercy

La levée partielle du verrou de Bercy dans le cadre de la loi n° 2018898 relative à la lutte contre la fraude est une avancée, mais elle demeure insuffisante. Ce principe constitue en effet une confiscation de l’opportunité des poursuites par l’administration fiscale, une atteinte à l’égalité devant la loi et un point de faiblesse majeur dans la lutte contre la délinquance fiscale.

 

Proposition FI n° 14 : suppression totale du principe de “Verrou de Bercy”, y compris pour les procédures incidentes assorties d’une obligation de saisine de l’administration fiscale pour avis préalablement aux poursuites.

     En mettant un terme à l’initiative de l’exécutif sur la carrière des magistrats, afin d’éloigner tout risque de mise en cause

Afin de mettre l’autorité judiciaire à l’abri des suspicions et mises en causes dans les affaires économiques et financières les plus sensibles, nous estimons qu’il est indispensable de retirer au pouvoir exécutif la maîtrise qu’il exerce actuellement sur le déroulement de la carrière des magistrats du siège et du parquet. L’initiative des nominations des magistrats du siège et du parquet doit appartenir non plus à la chancellerie, mais à un Conseil supérieur de la magistrature à la composition rénovée afin de garantir le pluralisme et marginaliser l’entre-soi. Dans la même perspective, il est indispensable d’interdire les remontées d’informations sur les affaires individuelles et de reconnaître l’autonomie des magistrats du parquet vis-à-vis de leur chef de juridiction en organisant un système transparent et objectif d’affectation des dossiers.

 

Proposition FI n° 15 : confier la maîtrise du déroulement de la carrière des magistrats du siège et du parquet à un Conseil supérieur de la magistrature à la composition rénovée.

 

Proposition FI n° 16 : organiser un système transparent d’affectation des dossiers, afin d’empêcher les remontées d’informations sur les affaires individuelles et de reconnaître l’autonomie des magistrats du parquet vis-à-vis de leur chef de juridiction.

 

IV. Une politique publique ambitieuse et performante pour lutter contre la délinquance financière

La lutte contre la délinquance financière constitue un enjeu de premier plan, au sein du projet de politique global de la France insoumise, qui se doit d’être à la hauteur de l’exaspération des citoyens face à l’impunité des puissants et du manque à gagner pour l’Etat d’un point de vue financier. Cette ambition implique également de lutter efficacement contre les pratiques d’optimisation fiscale, à la frontière du légal, et en dehors de toute forme d’éthique. Un certain nombre de propositions du programme défendu par notre candidat Jean-Luc Mélenchon lors de l’élection présidentielle de 2017, l’Avenir en commun, s’inscrivent dans cette perspective.

En outre, depuis le début de la mandature, notre groupe parlementaire porte l’ambition de répondre efficacement aux insuffisances de la lutte contre la délinquance financière et l’évitement de l’impôt. A ce titre, nous avons formulé un certain nombre de propositions, notamment dans le cadre d’amendements de textes de loi, visant à agir véritablement contre ce fléau.

IV.A. Les propositions de l’Avenir en commun

 

La République doit être garante des biens communs (point n° 9)

-          Protéger les biens communs : l’air, l’eau, l’alimentation, le vivant, la santé, l’énergie, la monnaie ne sont pas des marchandises. Ils doivent être gérés démocratiquement : le droit de propriété doit être soumis à l’intérêt général, la propriété commune protégée et les services publics développés.

 

Reconnaître la citoyenneté dans l’entreprise et des droits nouveaux aux salariés (point n° 10)

-          Accorder de nouveaux droits de contrôle aux comités d’entreprise sur les finances de leur entreprise.

 

Mettre fin au pillage économique de la nation (point n° 16)

-          Créer une mission parlementaire spéciale pour faire le bilan de toutes les privatisations et faveurs fiscales décidées au cours des trois décennies passées.

-          Décréter un moratoire sur les partenariats public-privé (PPP), abroger les dispositions législatives les permettant et pratiquer un audit de ceux qui sont en cours.

-          Mettre en place une commission d’enquête parlementaire sur le pillage économique et industriel des dernières années (abandons de fleurons comme Alstom, Alcatel, EADS…) et permettre la mise en examen et la détention préventive des suspects.

 

Mettre au pas la finance (point n° 19)

-          Séparer les banques d’affaires et de détail.

-          Contrôler les mouvements de capitaux.

-          Identifier et interdire les produits dérivés toxiques et inutiles au financement ou à la couverture des flux économiques.

 

Instaurer un salaire maximum pour les dirigeants d’entreprise (point n° 29)

-          Fixer un salaire maximum autorisé pour limiter l’écart de 1 à 20 entre le salaire le plus bas et le salaire le plus haut dans une entreprise.

 

Faire la révolution fiscale (point n° 36)

-          Refonder l’imposition sur les revenus grâces à un impôt citoyen garantissant les recettes de l’Etat et celles de la Sécurité sociale et en conservant leur affectation distincte.

-          Évaluer chacune des niches fiscales et supprimer les niches injustes, inefficaces socialement ou nuisibles écologiquement.

-          Augmenter les droits de succession sur les gros patrimoines et créer un héritage maximum pour les fortunes les plus importantes (égal au patrimoine des 0,01% les plus riches, soit 33 millions d’euros en 2012).

 

Terrasser l’évasion et la fraude fiscales (point n° 37)

-          Mettre en place la taxation différentielle permettant de soumettre chaque citoyen français aux impôts français quel que soit son pays de résidence.

-          Obliger les entreprises à déclarer leurs résultats pays par pays et taxer les bénéfices des entreprises là où ils sont réalisés.

-          Interdire aux banques françaises toute activité dans les paradis fiscaux en retirant les licences bancaires des établissements récalcitrants.

-          Agir contre l’évasion fiscale au niveau international, notamment en organisant le blocus des paradis fiscaux.

 

Prendre les mesures immédiates et unilatérales de sauvegarde des intérêts de la Nation et d’application de notre projet (point n°49)

-          Encadrer les mouvements de capitaux pour éviter l’évasion fiscale et les attaques spéculatives contre la France.

 

Proposer une refondation démocratique, sociale et écologique des traités européens (point n° 51)

-          Mettre fin à l’indépendance de la Banque centrale européenne, modifier ses missions et statuts, autoriser le rachat de la dette publique directement aux Etats, interdire à la BCE de couper les liquidités à un Etat membre.

-          Mettre au pas la finance, prohiber les instruments financiers toxiques, taxer les transactions financières, contrôler les mouvements de capitaux pour empêcher les attaques spéculatives.

-          Abandonner le marché carbone et mettre en oeuvre une véritable politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre avec des critères de convergence impératifs.

IV.B. Les propositions formulées par le groupe de la France insoumise depuis le début de la mandature en complément du programme l’Avenir en commun

Redéfinir le cadre de la délinquance financière au regard de la réalité et de sa nécessaire réorganisation

-          Créer un pôle public bancaire, dont l’objet sera de peser sur l’orientation du crédit et de l’épargne dans l’ensemble du système financier.

-          Inclure dans la définition de fraude fiscale, l’évasion fiscale illégale : très précisément il s’agit de renforcer l’abus de droit fiscal, pour punir les montages financiers qui auraient pour motif “principal” (et non seulement “exclusif” comme prévu dans le droit actuel) d’échapper à l’impôt. C’est également la nécessité de modifier le régime mère-fille afin de le rendre plus contraignant.

-          Interdire d’exercer un mandat social pour les dirigeants de sociétés qui ont exercé dans un paradis fiscal.

Renforcer l’action judiciaire et les sanctions pénales

-          Permettre aux associations de lutte contre la délinquance financière d’intervenir dans les dossiers de fraude fiscale.

-          Sanctionner davantage les intermédiaires complices de montages frauduleux (avec également interdiction temporaire d’exercer) et les rendre solidairement redevables des pénalités fiscales du contribuable auteur de la fraude, avec la création d’un délit d’incitation à la fraude fiscale.

-          Allonger la durée de prescription en matière de fraude fiscale à 10 ans pour les cas normaux et à 20 ans pour les activités occultes.

-          Augmenter le plafond des sanctions applicables par l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) aux banques.

 

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([1]) Loi n° 2018‑898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

([2]) Rapports d’information n° 982 de Mme Émilie Cariou en conclusion des travaux de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales et n° 1236 de Mme Bénédicte Peyrol et M. Jean‑François Parigi en conclusion des travaux d’une mission d’information relative à l’évasion fiscale internationale des entreprises.

([3]) La dernière en date remonte à 2010 et a fait l’objet d’un rapport en février 2011 : http://www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/reports/mer/MER%20France%20ful.pdf

([4]) Voir le détail en annexe n° 2.

([5]) Syndicats représentés dans les comités techniques paritaires des trois ministères.

([6]) Le paiement était à l’époque plafonné à 20 euros.

([7]) Définies comme des « débits frauduleux, à savoir des retraits ou des paiements effectués sur le compte bancaire des victimes sans leur accord en utilisant des informations personnelles comme un numéro de carte bancaire obtenu illégalement…[, à lexclusion des] litiges avec les créanciers, les débits résultant de la perte ou du vol dun chèque ou dune carte bancaire ainsi que les cas dextorsion de données confidentielles par la violence ou la menace. »

([8]) Somme des montants moyens de chaque tranche, la dernière étant fixée arbitrairement à 1 500 ou 1 750 euros, pondérés par la probabilité d’occurrence, soit plus de 400 euros.

([9]) La loi n° 2014‑1655 de finances rectificative pour 2014 autorise, à partir du 1er janvier 2015, un régime d’autoliquidation qui permet au consommateur final de payer lui‑même la TVA sur ses achats, pour éviter aux importateurs de s’implanter en France.

([10]) André Barilari, « La fraude fiscale : les mots et les chiffres » in Gestion des Finances publiques, n° 3‑2018.

([11]) L’écart de TVA est la différence entre le montant théorique estimé à partir des données de la comptabilité nationale et le montant effectivement collecté.

([12]) Study and Reports on the VAT Gap in the EU28 Member States, 2018 Final Report.

([13]) Tracfin, Tendances et analyse des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en 20172018.

([14]) Cf. Tracfin, Rapport annuel d’activité 2016 p. 45 ‑ Cas typologique 7 Réseau de carrousel TVA dans le domaine du commerce de matériel informatique.

([15]) Cour des Comptes, Laction de la douane dans la lutte contre les fraudes et trafics, janvier 2015.

([16]) Tracfin, Tendances et analyse des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme en 20172018, p. 88.

([17]) Livraisons intracommunautaires supérieures à 460 000 euros au cours de l’année civile, et totalités des expéditions intracommunautaires.

([18]) Livraisons intracommunautaires passibles de la TVA du lieu de consommation, mais déclarées dans le pays de production (cf. infra).

([19]) Pourtant modifiée par le décret n° 2018‑284 du 18 avril 2018 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la liste ne comprend que des élus nationaux ou européens et des dirigeants de parti politique.

([20]) Cf. rapport d’information n° 4082 sur l’extraterritorialité de la loi américaine, 5 octobre 2016.

([21]) Loi n° 68‑678 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, renforcée par la loi n° 80‑538 du 16 juillet 1980.

([22]) Assemblée nationale, rapport d’information n° 1624 de MM. Pierre Person et Eric Woerth, « Les monnaies virtuelles : vers un nouveau paradigme sociétal, économique et monétaire ? », 30 janvier 2019.

([23]) Primavera De Filippi « Blockchain et cryptomonnaies » Que sais-je ?, sept. 2018.

([24]) Au Royaume‑Uni, cette activité ne relève pas de la profession d’intermédiaire en opération de banque et ne nécessite donc d’agrément ni n’implique de contrôle.

([25]) Un crédit documentaire est un crédit accordé à un importateur sur présentation de factures et de documents douaniers par un règlement direct de la banque de l’importateur à la banque de l’exportateur.

([26]) Commodities to plastic.

([27]) Principalement : l’abus de confiance, le trafic de stupéfiants, la corruption, l’escroquerie, l’abus de biens sociaux, le détournement de fonds publics, le trafic d’êtres humains, le travail dissimulé.

([28]) Décret n° 2009‑1087 du 2 septembre 2009.

([29]) Le Sénat a étalé la réforme, afin de préserver la profession.

([30]) Seuls les courtiers/intermédiaires ne sont pas soumis à un contrôle permanent mais peuvent être soumis ponctuellement à un contrôle sur pièces et/ou sur place.

([31]) En raison d’une amende de 50 millions infligée à la Banque postale pour défaillance dans les procédures de gel des avoirs.

([32]) Les intermédiaires financiers autorisés à fournir des services d’investissement ou des conseils en investissements financiers énumérés au II de l’article L. 621‑9 du code monétaire et financier, à savoir :

– 200 établissements de crédit autorisés à fournir des services d’investissement,

– 79 entreprises d’investissement,

– 645 sociétés de gestion de portefeuille,

– environ 5 300 conseillers en investissements financiers (CIF), démarcheurs.

([33]) Sur les 10 premiers mois de l’année : 7 000 demandes d’informations, 2 100 réclamations dont 950 sur les crypto-actifs, 500 signalements.

([34]) Avec notamment une ligne téléphonique et une boîte mail dédiées.

([35]) Quatre listes noires publiées par l’AMF actuellement : Forex (commun avec l’ACPR), options binaires, biens divers, crypto-actifs.

([36]) Loi n° 2018‑898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

([37]) Les trésoreries assurent d’autres services que le contrôle fiscal, en particulier la comptabilité des collectivités locales et des établissements publics, ainsi que le cadastre.

([38]) Source : Cour des comptes, La DGFiP dix ans après la fusion, une transformation à accélérer, juin 2018.

([39]) Loi n° 2014‑1655 du 29 décembre 2014.

([40]) Ou droit de communication non nominatif.

([41]) La stagnation du produit du contrôle fiscal peut aussi être consécutive à une modification de l’assiette, qu’elle soit d’origine législative ou économique.

([42]) Article L. 10 BA du livre des procédures fiscales.

([43]) La baisse de l’écart de TVA de l’Espagne ne résulte pas de la mise en place de la déclaration des achats, mais cette mesure fait partie d’un plan global de lutte contre la fraude à la TVA.

([44]) Amendement n° II‑779 présenté par Mme Rabault, rapporteure générale au nom de la commission des finances, M. Dosière et M. Muet, Ass. nat., 11 novembre 2016.

([45]) Projet de loi de finances rectificative pour 2017, texte n° 865, 20 décembre 2016, art. 115 I.

([46]) Cons. const., Déc. 29 décembre 2016, n° 2016‑744 DC, cons. 92.

([47]) Op. cit.

([48]) À l’origine Allemagne, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Espagne, Finlande, France, Grèce, Lituanie, Luxembourg, Portugal, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.

([49]) Autriche, Estonie, Italie, Lettonie, Malte, Pays‑Bas.

([50]) « Le ecommerce : propositions pour une TVA payée à la source », rapport d’information fait au nom de la commission des finances du Sénat, n° 691 (2014‑2015). 17 septembre 2015. Consultable ici.

([51]) N° 982 – Rapport d’information de Mme Émilie Cariou déposé en application de l’article 145 du règlement en conclusion des travaux de la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales.

([52]) Cour des Comptes, référé du 10 octobre 2013 sur les services de l’État et la lutte contre la fraude fiscale internationale, 10 octobre 2013.

([53]) Sénat, rapport n° 602, fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, p. 219.

([54]) Accord de mise en œuvre du FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act).

([55])  Ou rulings.

([56]) Cycle de négociation au sein de l’OCDE visant à limiter l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS).

([57]) Le dénominateur est la moyenne arithmétique des quatre années.

([58]) Abréviation latine de qui tam pro domino rege quam pro se ipso in hac parte sequitur ou « qui poursuit en justice pour le roi comme pour lui‑même ».

([59]) Sarbanes Oxley Act (2002) contre les comportements frauduleux des sociétés (étatsunienne ou étrangère) cotées sur un marché des États‑Unis.

([60]) https://www.sec.gov/whistleblower/frequently-asked-questions#faq-3

([61]) En 2018, le FCA a récupéré 2,8 milliards de dollars - https://www.justice.gov/opa/pr/justice-department-recovers-over-28-billion-false-claims-act-cases-fiscal-year-2018 et la SEC 1,7 milliards de dollars - https://www.sec.gov/files/sec-2018-annual-report-whistleblower-program.pdf

   Pour aller plus loin : https://journals.openedition.org/revdh/2383?lang=en

([62]) 450 000 euros prélevés sur le programme 156.

([63]) Il s’agit d’une rémunération discrétionnaire qui ne peut excéder la somme de 3 100 euros sauf décision contraire du directeur général des douanes et droits indirects. Cette rémunération est fixée de façon discrétionnaire et ne peut faire l’objet d’aucun recours.

([64]) https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/12/9/2016-1690/jo/texte

([65]) https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2016/12/9/2016-1690/jo/texte

([66]) https://www.amf-france.org/Formulaires-et-declarations/Lanceur-d-alerte.html?xtcr=3&isSearch=true&lastSearchPage=http%3A%2F%2Fwww.amf-france.org%2FmagnoliaPublic%2Famf%2FResultat-de-recherche.html%3FTEXT%3Dalerte%26LANGUAGE%3Dfr%26isSearch%3Dtrue%26simpleSearch%3Dtrue%26valid_recherche%3DValider&xtmc=alerte

([67]) Cour de cassation, Chambre criminelle, 31 janvier 2018, 17‑80659.

([68]) Ce pourcentage est très variable selon les unités. Ainsi, la section de recherches de Paris traite d’affaires particulièrement complexes, d’où un ratio plus bas (en novembre 2017 : 24 affaires en cours pour 14 enquêteurs).

([69]) Article 704 du CPP. La liste des PEF est fixée par le pouvoir réglementaire (article D. 47‑2 du CPP).

([70]) La JIRS de Paris est compétente pour une partie de l’outre-mer (Réunion et Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, collectivités du Pacifique), mais n’est saisie à ce titre que d’un nombre très réduit de dossiers.

([71]) « très grande complexité » avant la loi du 6 décembre 2013. Cette adaptation rédactionnelle n’a pas eu de conséquences significatives.

([72]) Au niveau du parquet, ou du juge d’instruction si celui‑ci a déjà été saisi.

([73]) Le procureur de la République financier est, comme le procureur de la République de Paris, placé sous l’autorité du procureur général de Paris.

([74]) Exemple : ce critère n’est pas requis en matière de corruption.

([75]) IGF, La certification légale des comptes des petites entreprises françaises, mars 2018.

([76]) Ibid.

([77]) Les commissaires aux comptes, dans leur quasi-totalité, sont aussi experts comptables.

([78]) Les deux professions sont exercées, dans 90 % des cas, par les mêmes personnes.

([79]) Abolition of audit obligation for small limited companies – a reform where costs outweigh benefits, Riksrevisionen, février 2018. URL : https://www.riksrevisionen.se/en/audit-reports/audit-reports/2017/
abolition-of-audit-obligation-for-small-limited-companies---a-reform-where-costs-outweigh-benefits.html

([80]) The audit obligation for small companies should be reintroduced, Riksrevisionen, février 2018. URL : https://www.riksrevisionen.se/en/about-the-swedish-nao/communication-and-media/nyhetsarkiv-eng/2018-02-05-the-audit-obligation-for-small-companies-should-be-reintroduced.html

([81]) En 2015.

([82]) Cf. la Revisorslag 2001 883 (« loi sur l’audit ») du 29 novembre 2001, notamment les sections 19 à 27 : http://www.riksdagen.se/sv/dokument-lagar/dokument/svensk-forfattningssamling/revisorslag-2001883_sfs-2001-883

Pour une synthèse en anglais, voir : https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwii7azE3NbgAhUGmRQKHbhKDLkQFjABegQICBAC&url=http%3A%2F%2Fwww.track.unodc.org%2FLegalLibrary%2FLegalResources%2FSweden%2FLaws%2FSweden%2520Auditors%2520Act%25202001.pdf&usg=AOvVaw2iZW1i5R8adbsRQ8APwWfq

[83]  Jeremy Bentham, in Pierre Rosanvallon, le bon gouvernement, Seuil, 2015, pp.211

[84] Alexis SPIRE - Fraude fiscale, une régulation à deux vitesses, Revue Projet, n°341, p.23-30 (2014]

https://www.cairn.info/revue-projet-2014-4-page-23.htm

[85] Condamnation de la banque Suisse UBS à une amende de 3,7 milliards d’euro

https://mobile.francetvinfo.fr/economie/fraude/fraude-fiscale-la-banque-suisse-ubs-est-condamnee-par-la-justice-francaise-a-une-amende-record-de-3-7-milliards-d-euros_3199115.html#

 

[86] Thierry GODEFROY - La délinquance économique et financière serait-elle en voie de disparition ?, Revue Après-Demain, n°16, p.31-34 (2010)

https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2010-4-page-31.htm