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N° 2190

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juillet 2019.

RAPPORT  DINFORMATION

DÉPOSÉ

en application de larticle 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ([1])

sur le tourisme

ET PRÉSENTÉ PAR

Mme Marguerite Deprez-Audebert et M. Didier Martin,

Députés

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La mission dinformation sur le tourisme est composée de : M. Vincent Rolland, président ; Mme Marguerite Deprez-Audebert et M. Didier Martin, co-rapporteurs ; Mmes Anne Blanc, Marie-Noëlle Battistel, Annaig Le Meur, Monique Limon, Graziella Melchior, Valérie Oppelt et Anne-Laurence Petel, MM. Dino Cinieri, Roland Lescure, Richard Lioger, Éric Pauget, François Ruffin et Jean-Bernard Sempastous, membres.

 


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SOMMAIRE

 

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Pages

avant propos du président m. Vincent rolland

introduction

premiÈre partie : le constat : La France ne peut se contenter de son titre de « première destination mondiale »

I. La France, premiÈre destination mondiale : une chance pour lÉconomie

A. 89,3 millions de visiteurs Étrangers accueillis en 2018 : un record pour la France qui conserve sa première place

B. 7,2 % du PIB : lÉconomie touristique reprÉsente une part considÉrable de lactivitÉ

1. La consommation touristique intérieure

2. Une contribution favorable au rééquilibrage de la balance courante

3. Un secteur créateur demplois et de richesses dans les territoires

II. CES BONS RéSULTATS masqueNT des difficultÉs nombreuses

A. La France nest que troisiÈme en termes de recettes Économiques tirÉes du tourisme

1. Des recettes décevantes

2. Deux facteurs dexplication principaux : la France est une destination de transit et noffre pas aux touristes toutes les opportunités de consommation

B. La France perd des parts de marchÉ

1. La France peine à capter les fruits de la croissance du tourisme au niveau mondial

2. La France se laisse distancer en termes de recettes

C. LÉconomie touristique française souffre de faiblesses bien connues

1. Des difficultés structurelles anciennes et bien identifiées

2. Des difficultés conjoncturelles avec les mouvements sociaux et la crise des « gilets jaunes » dont les effets pourraient se poursuivre à plus long terme

III. Un potentiel de croissance à capter dans un environnement fortement concurrentiel

A. Les flux touristiques vont croître

B. Un environnement fortement concurrentiel

1. Des destinations toujours plus nombreuses

2. Une intensité concurrentielle accentuée par les usages numériques

deuxiÈme partie : promouvoir une croissance soutenable pour UN TOURISME EN QUÊte de sens

I. Les aspirations nouvelles pour le tourisme de demain

A. des aspirations À rebours du tourisme de masse

B. AuthenticitÉ, expÉrience et durabilitÉ

1. Lauthenticité et lexpérience : des valeurs devenues incontournables

2. Les aspirations aux voyages durables, éthiques et responsables

II. Pour une croissance soutenable du tourisme

A. Le dÉfi climatique

1. Le tourisme de masse, un risque pour lécologie

2. Les bouleversements climatiques, une menace pour le développement touristique

B. construire Une stratégie pour le tourisme durable

C. Encourager une répartition équilibrÉe des flux sur les territoires

1. Reconquérir la clientèle de proximité et la clientèle française

2. Développer une politique des transports adaptée

a. La desserte des territoires touristiques par le train

b. Encourager le développement des aéroports régionaux

troisiÈme PARTIE : LE TOURISME DES SENS : MISER SUR LES ATOUTS FRANÇAIS POUR DIFFÉRENCIER NOTRE OFFRE

I. miser sur loffre culturelle dans les territoires

II. LART de vivre à la française doit Être valorisÉ dans loffre touristique

A. Lart de vivre, une force française

B. Lexemple de lœnotourisme et du tourisme de gastronomie

1. La gastronomie, un vecteur de rayonnement économique et culturel

2. Développer lœnotourisme

QUATRIÈme partie : insuffler Du bon sens dans les politiques touristiques

I. Construire une culture de laccueil

A. faire naître et valoriser une culture française de laccueil

1. Sortir de la défiance française pour le tourisme

2. Diffuser une culture de laccueil à léchelle de la société

3. Encourager lamélioration de la qualité de laccueil chez les professionnels du tourisme

B. Renforcer lattractivitÉ des mÉtiers du tourisme

C. Faire des mÉtiers du tourisme une filiÈre dexcellence

D. Assurer la qualitÉ du primo-accueil

II. encourager la consommation touristique

A. Assurer la compÉtitivitÉ française en matiÈre de détaxe

1. Des annonces récentes pour élargir le dispositif de la détaxe

2. Des pistes existent encore pour élargir la détaxe et simplifier le circuit

B. lOuverture des commerces : des Évolutions salutaires, encore à parfaire

1. Un cadre législatif désormais davantage propice à la consommation des touristes

2. La question du travail le 1er mai : une clarification nécessaire de la loi

III. assurer les conditions du renouvellement de loffre dhÉbergement

A. Loffre dhÉbergement touristique française est confrontÉe à un double dÉfi quantitatif et qualitatif

B. Garantir une rÉgulation équilibrÉe entre les acteurs traditionnels de lhÉbergement et les acteurs du numÉrique

1. Acteurs traditionnels et agences de réservations en ligne

2. Acteurs traditionnels et plateformes de réservation en ligne

C. Maintenir les dispositifs financiers mis en place pour soutenir le renouvellement de lhébergement touristique

D. RÉpondre au besoin de simplification des normes des professionnels

E. Des pistes pour rÉpondre À la problÉmatique des « lits froids et volets clos »

IV. repenser la gouvernance pour gagner en efficacité et construire une vision commune

A. À lÉchelle nationale, donner une nouvelle impulsion publique et politique au tourisme

1. Renforcer le portage politique et administratif de la politique du tourisme

2. Conforter la dimension partenariale du tourisme avec Atout France

a. Atout France : le succès dun modèle qui associe acteurs publics et privés

b. Des moyens qui doivent rester à la hauteur des ambitions de la stratégie touristique pour la France

B. À lÉchelle locale, clarifier les responsabilitÉs de chacun

1. Lorganisation territoriale du tourisme est complexe et éclatée

2. Des efforts de clarification et de rationalisation sont encore nécessaires

a. La question du transfert de compétences de la commune à lintercommunalité : une réforme juste dans son principe, complexe dans son application

b. La région doit devenir chef de file de la politique touristique

c. Une politique de contractualisation impliquant les acteurs publics et privés

d. Dautres pistes de simplification et de rationalisation

3. Donner aux communes touristiques les moyens de jouer un rôle moteur pour leur territoire

a. La nécessaire prise en compte des dépenses supportées par les communes touristiques

i. Des évolutions bienvenues en faveur des communes touristiques dans le cadre du dernier projet de loi de finances

ii. La réforme de la taxe de séjour

b. Mieux représenter les communes touristiques dans les instances de décision des intercommunalités

V. amÉliorer les chiffres et la connaissance : un prÉalable inndispensable pour léconomie touristique de demain

A. Des statistiques insuffisantes

B. Un observatoire national pour le tourisme

1. Un pilotage unifié

2. Améliorer la qualité et la pertinence des statistiques sur le tourisme

3. Diffuser les données auprès des entreprises en approfondissant la politique dopen data

les préconisations

ANNEXE 1 : simulation de réalisation de la proposition n° 24

ANNEXE 2 : ÉVOLUTION DES RECETTES DE LA TAXE DE SEJOUR et principaux départements bénéficiaires

ANNEXE 3 : Liste des personnes auditionnées

ANNEXE 4 : LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES LORS DES DÉPLACEMENTS DE LA MISSION

ANNEXE 5 : liste des récents rapports parlementaires sur le tourisme


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   avant propos du président m. Vincent rolland

Malgré ses nombreux atouts et contrairement à une idée reçue, la France nest pas la première économie touristique : elle n’est que troisième en termes de recettes tirées du tourisme. Pourtant, elle a certainement les capacités pour le devenir : la France offre une variété de paysage d’une grande richesse, une offre culturelle mondialement réputée, et une diversité de l’offre qui lui permet de conquérir des clientèles multiples.

Le tourisme en France reste encore une « belle endormie » : le développement de l’économie touristique en France est donc un enjeu stratégique de taille, qui justifie pleinement la création de la présente mission d’information.

Cette mission d’information s’est attachée à aborder les enjeux touristiques dans leur globalité. Nous avons pour cela auditionné plus d’une cinquantaine d’organismes. Nous avons tenu à entendre les professionnels du secteur, concernés au premier chef, mais également les administrations compétentes et les acteurs de terrain. En effet, le tourisme est une politique profondément ancrée dans les territoires, et qui constitue pour ces derniers un vecteur important de développement. C’est dans cet esprit que la mission a également effectué quatre déplacements, organisés autour de thématiques spécifiques : le tourisme de montagne, le tourisme urbain, le tourisme de patrimoine, l’œnotourisme, et le tourisme ultramarin.

Nos travaux nous ont permis d’aboutir aux conclusions suivantes :

La France tire aujourdhui insuffisamment profit de la demande touristique mondiale. Elle souffre notamment d’un parc d’hébergement vieillissant et d’une desserte des territoires encore trop limitée. Les efforts de promotion peuvent encore gagner en efficience, tout comme la qualité de l’accueil.

Ces défis se posent dans un contexte où la concurrence internationale s’accroît, et où notre économie touristique fait face à de nouveaux risques. À ce titre, votre président est particulièrement sensible à la question du Brexit, qui nécessite de renforcer les efforts de promotion à destination des clientèles britanniques, et d’anticiper, pour mieux en diminuer la portée, les contraintes administratives nouvelles qui en résulteront.

Les rapporteurs font des propositions tout à fait pertinentes pour améliorer la qualité et la compétitivité de l’offre touristique française. Votre président souhaiterait insister sur quelques-unes d’entre elles :

– Un secrétaire dÉtat rattaché au Premier ministre est aujourd’hui nécessaire, pour redonner au secteur toute l’impulsion publique et politique dont il a besoin. La France doit en effet afficher une ambition politique volontariste, à l’image des plans « neige » et « littoral » mis en place dans les années 1960 ;

– Il apparaît tout à fait prioritaire de libérer les acteurs du tourisme des contraintes réglementaires et administratives, encore trop nombreuses ;

– L’offre pour un tourisme durable et authentique, fondée sur l’expérience, doit être valorisée pour marquer les esprits des vacanciers ;

– La question du parc dhébergement mérite en attention particulière, et le sujet des « lits froids et volets clos » doit faire l’objet d’une action forte des pouvoirs publics. C’est toute la boîte à outils de l’action publique qui doit être mobilisée pour répondre à cette problématique ;

Enfin, votre président souhaiterait mettre en garde contre une vision trop administrative de l’organisation des compétences liées au tourisme sur les territoires. En la matière, cest le pragmatisme qui doit lemporter, et lorganisation des compétences doit être capable de sassouplir et de sadapter selon les spécificités locales. Cette approche territoriale doit aussi primer en matière de promotion. À ce titre, votre président estime que la promotion de la France auprès des Français doit revenir aux acteurs de terrain, que sont les comités régionaux et départementaux du tourisme.


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introduction

La France bénéficie, par son histoire et sa géographie, d’une diversité inégalée de ressources, de paysages et de sites d’intérêt touristique. Le désir de découvrir la France est profondément inscrit dans l’imaginaire touristique. La diversité de l’offre française lui permet de n’être pas dépendante d’un seul type de clientèle, mais de conquérir des segments de marchés ciblés, des populations différentes. La France peut miser sur son offre culturelle, de loisir, sportive, sur le tourisme urbain et rural, le tourisme balnéaire ou encore le tourisme de montagne. Elle séduit des visiteurs français, européens, ou venus d’horizons plus lointains, qui se rendent en France pour le tourisme d’agrément ou le tourisme d’affaires, et bien souvent les deux à la fois. Elle attire des clientèles à fort pouvoir d’achat, grâce à la renommée du secteur du luxe, mais également des clientèles plus modestes, grâce notamment à la vaste gamme de son offre d’hébergement.

Le tourisme est donc une chance pour la France. C’est également un secteur stratégique de l’économie française. Avec 7,2 % du PIB, le secteur représente plus de deux fois la part du secteur agricole. L’économie touristique contribue également de façon structurelle au rééquilibrage de la balance courante.

Pourtant, et c’est probablement là le plus grand paradoxe du tourisme en France, ce secteur tend souvent à être laissé de côté par les pouvoirs publics. Or, le « laisser faire » ne suffira pas à maintenir notre place.

La France s’est certes fixée pour objectif d’accueillir 100 millions de touristes d’ici 2020, et de lever 60 milliards d’euros de recettes. Mais au-delà de ces objectifs chiffrés, l’ambition politique pour le tourisme reste insuffisamment affirmée. La France tend en effet à se reposer de façon excessive sur son rang de première destination mondiale. Ces bons résultats véhiculent l’idée selon laquelle le tourisme en France « marche tout seul », sans qu’une stratégie politique forte n’est nécessairement besoin d’être élaborée.

Or les défis sont aujourdhui nombreux. En effet, et c’est un point qui figure au cœur de ce rapport, si la France est première destination en termes de fréquentation touristique, elle nest que troisième en termes de recettes tirées de léconomie touristique. Ce décalage entre le nombre de touristes accueillis, et les recettes que notre pays parvient à en tirer est très ancien. Des marges de manœuvre considérables existent encore pour exploiter tout le potentiel du développement de l’offre touristique française. Ce rapport a vocation à présenter plusieurs leviers pour que la France puisse franchir une nouvelle marche du podium.

Alors que la croissance touristique des flux est en pleine progression au niveau mondial, la France peine à se positionner face aux destinations concurrentes, et perd des parts de marché. Dans ce contexte, il est aujourd’hui temps de définir les grandes lignes dune stratégie pour le tourisme de demain.

La stratégie pour le tourisme de demain doit nous permettre d’envisager une croissance soutenable de ce secteur d’activité. C’est ce que vos rapporteurs entendent par l’idée d’un tourisme « en quête de sens ».

C’est d’abord en répondant aux aspirations des touristes pour un tourisme « de sens » que la France sera à même de construire une stratégie touristique véritablement compétitive. La France doit en effet miser sur les atouts d’une destination verte, et faire du tourisme durable une priorité.

La question de la juste répartition des flux touristiques doit être placée au cœur de la stratégie pour le tourisme de demain. Elle répond à un double impératif : lutter contre la concentration excessive des touristes sur certaines zones délimitées, mais surtout, permettre aux territoires de tirer tout le potentiel qu’offre le développement de l’offre touristique pour le développement économique local.

Pour construire la stratégie touristique de demain, la France doit jouer sur les atouts qui peuvent lui permettre de se différencier et de gagner en compétitivité hors prix. C’est pour cela que vos rapporteurs appellent au développement du tourisme « des sens ». La France a tout à gagner en misant sur la valorisation de l’offre touristique construite autour de « l’art de vivre » à la française. Ces atouts, qui ne peuvent être reproduits ailleurs, permettent en outre de valoriser une offre partout sur les territoires, et méritent donc d’être développés.

Enfin, vos rapporteurs ont identifié de nombreuses mesures « de bon sens », pour répondre aux grands défis auxquels l’économie touristique fait aujourd’hui face. Ils ont établi cinq grandes orientations pour que l’économie touristique de demain puisse gagner en compétitivité :

– la France doit se donner les moyens de construire une vraie culture de laccueil, du service, et de lhospitalité. C’est une faiblesse française avérée qui pénalise aujourd’hui lourdement notre économie et le secteur touristique en particulier ;

– la consommation touristique peut être encore davantage encouragée. Vos rapporteurs identifient ainsi plusieurs leviers pour que la France puisse augmenter les recettes tirées des flux touristiques. Il convient également de tirer parti des nouvelles façons de vendre des produits touristiques mises en œuvre par les opérateurs en ligne ;

– la France doit également offrir aux professionnels du secteur de lhébergement un cadre approprié pour financer le renouvellement d’un parc vieillissant, qui ne répond pas suffisamment aux nouvelles attentes des touristes ;

– la connaissance des phénomènes touristiques doit être considérablement approfondie, pour renforcer la pertinence de l’offre par rapport aux évolutions de la demande ;

– enfin, la gouvernance du tourisme aux échelles nationale et locales doit être profondément repensée, afin de donner une nouvelle impulsion politique pour le tourisme de demain et envoyer un signal fort aux acteurs du secteur.

 


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   premiÈre partie :
le constat : La France ne peut se contenter de son titre de « première destination mondiale »

La France forte de ses nombreux atouts est la première destination touristique mondiale. Ces bons résultats français en matière de tourisme doivent certes nous réjouir, mais ils doivent également être nuancés.

La France ne tire pas tout le potentiel que le tourisme peut offrir pour la croissance et lemploi. Si la France est bien première destination mondiale, elle n’est que troisième en termes de recettes tirées du tourisme. La France perd des parts de marché, alors que la concurrence s’accroît du fait du développement de nouvelles destinations et des exigences croissantes des touristes. Dans ce contexte, les faiblesses structurelles de la France l’empêchent d’exploiter tout le potentiel offert par le développement de l’économie touristique.

I.   La France, premiÈre destination mondiale : une chance pour l’Économie

La France conserve en 2018 son rang de première destination touristique mondiale. Le nombre de touristes dépasse du reste largement les 89,3 millions recensés pour cette année, puisque ce chiffre ne prend pas en compte les touristes domestiques.

L’économie touristique est une chance pour notre économie : le secteur représente 7,2 % du PIB, 2 millions d’emplois directs et indirects, 313 000 entreprises, principalement des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME) qui participent au dynamisme des tissus économiques locaux.

A.   89,3 millions de visiteurs Étrangers accueillis en 2018 : un record pour la France qui conserve sa première place

Avec 89,3 millions de touristes étrangers accueillis pour lannée 2018, la France maintient son titre de première destination mondiale. Le volume de la fréquentation touristique atteint ainsi un nouveau record, avec une augmentation de 3 % par rapport à l’année précédente (86,9 millions de touristes en 2017). C’est une augmentation significative, bien que moindre que celle de 2017, année au cours de laquelle les flux des visiteurs étrangers avaient progressé de 5,1 %, soit la hausse la plus marquée depuis 10 ans. Les bons chiffres de l’année 2018 montrent qu’au-delà des effets de rattrapage, la fréquentation touristique s’inscrit globalement dans une tendance positive durable. La France devance ainsi l’Espagne, qui a accueilli 82,8 millions de touristes internationaux, et les États‑Unis, qui en ont reçu 80,1 millions ([2]). Les recettes augmentent de 6,5 % pour atteindre 55,5 milliards d’euros.

 

 

Avec 79 % des arrivées, la clientèle européenne représente lessentiel des flux. Elle a progressé de 2,4 % en 2018. Selon les derniers chiffres, les principaux visiteurs internationaux en France sont ainsi les visiteurs britanniques (13 millions d’arrivées), puis allemands (12,3 millions d’arrivées). Les Belges, les Suisses, et les Italiens représentent également une part importante du contingent ([3]).

 

La clientèle extra-européenne représente une proportion plus faible du nombre de visiteurs, mais croît à une vitesse plus rapide que la clientèle européenne. En 2018, les arrivées des touristes extra-européens ont été très dynamiques, avec une progression de 4,9 % ([4]). On note une augmentation de 5,8 % des visas délivrés. La clientèle asiatique progresse de 7,4 %, la clientèle japonaise de 11 %, la clientèle indienne de 16,4 % ([5]). On peut toutefois noter sur ce dernier chiffre qu’en nombre, la France peine encore à conquérir la clientèle indienne, davantage conquise par le Royaume-Uni.

 

Les chiffres des flux aériens et de lhébergement confirment globalement cette tendance. Selon les conclusions du conseil interministériel du tourisme (CIT) du 19 juillet 2018, sur l’année 2017, les arrivées aériennes ont enregistré une hausse de 9,1 % par rapport à 2016, avec une augmentation plus marquée pour Paris (+ 11,2 %) que pour les régions (+ 4%). Les réservations aériennes depuis les États-Unis, première clientèle extra européenne, ont augmenté de 3,4 % ([6]). S’agissant de l’hébergement, en 2018, le nombre de nuitées de touristes internationaux a augmenté de 5,4 %, et le revenu par chambre disponible de 6,6 %, de manière égale entre toutes les catégories d’hôtellerie ([7]).

Sur le segment particulier du tourisme daffaires, Paris a reconquis la première place en termes de nombre de congrès internationaux organisés par une ville, avec 212 congrès en 2018, devant Vienne, Madrid et Barcelone ([8]). En matière de tourisme d’affaires au niveau international, la France détient la troisième place ([9]).

B.   7,2 % du PIB : l’Économie touristique reprÉsente une part considÉrable de l’activitÉ

L’économie touristique compte pour 7,2 % du PIB. C’est en un sens une véritable industrie de service, qui contribue à l’activité de nombreux secteurs économiques et notamment l’hébergement, la restauration, le transport, le loisir, l’évènementiel, et la culture. Pour certains territoires en particulier, le tourisme représente un vecteur de développement économique considérable.

1.   La consommation touristique intérieure

La consommation touristique intérieure (CTI), indicateur géré par la direction générale des entreprises (DGE), retrace la consommation, au titre du tourisme, des Français comme des étrangers sur le territoire national ([10]). Elle sétablit à 168 milliards deuros (Md€) selon les chiffres provisoires de la DGE pour lannée 2017 (contre 159 Md€ en 2016), soit 7,2 % du PIB. Les dépenses des Français représentent deux tiers de cette consommation touristique intérieure (103,7 milliards d’euros), soit 4,5 % du PIB ([11]).

Le rapport de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur le tourisme ([12]), d’octobre 2017, détaille la décomposition de cette consommation touristique : en 2016, pour un montant total de 159 Md€, 24 Md€ ont été dépensés en hébergement touristique marchand et 19 Md€ en hébergement non marchand (valorisation de l’hébergement gratuit dans un cadre familial ou amical et loyer fictif des résidences secondaires) ; 21 Md€ ont été dépensés dans des restaurants et cafés ; 28 Md€ ont été dépensés en transports collectifs non urbains ; 9 Md€ ont été dépensés en services culturels ou sportifs (musées, parcs d’attractions, forfaits de ski...) ; 46 Md€ ont été affectés à des dépenses ne relevant pas spécifiquement du tourisme (alimentation, essence, etc.).

2.   Une contribution favorable au rééquilibrage de la balance courante

Léconomie touristique contribue également de façon structurelle au rééquilibrage de la balance courante. En 2017, le solde de la balance « voyages » était excédentaire de 17 Md€ ([13]), les touristes internationaux ayant dépensé davantage en France que les touristes français à l’étranger. Cette tendance, qui se confirme en 2018, est une tendance de fond. Comme l’indique l’alliance 46.2 dans un document de juin 2017, « la balance des services de voyage a été excédentaire sur toute la période (2008-2016), même lors des deux dernières années marquées par un ralentissement des arrivées et des recettes du tourisme, notamment en raison des attentats. Ce poste a dégagé un excédent total de 70,3 Md€ depuis 2008 » ([14]).

Selon la Banque de France, le « redressement des recettes est attribuable à laugmentation de la clientèle chinoise (+0,7 Md€), mais aussi des clientèles voisines : Allemagne (+1,2 Md€), Suisse (+1,0 Md€) et Belgique (+0,9 Md€). En ajoutant le Royaume-Uni, ce groupe de quatre pays représente plus de 40 % des recettes touristiques de la France en 2017 » ([15]).

 

Source : Banque de France, fiche thématique « les services de voyage », édition 2018

 

Il est toutefois à noter que les dépenses des Français à l’étranger augmentent tendanciellement d’année en année, cette augmentation étant, certaines années, plus rapide que la progression des dépenses des touristes internationaux en France. Faute dune réaction adaptée, et si cette tendance se poursuivait, le solde pourrait donc, dans les prochaines années, se réduire, sa part dans le PIB diminuant déjà depuis 2012, à l’exception de l’année 2016.

Source : Rapport dinformation sur la promotion de la destination France, de MM. Maurice Leroy et Jean-François Portarrieu doctobre 2017.

3.   Un secteur créateur d’emplois et de richesses dans les territoires

La France compte 313 000 entreprises parmi les secteurs d’activité caractéristiques du tourisme (la grande majorité étant dans les secteurs de l’hébergement et de la restauration, représentant à eux seuls près de 220 000 entreprises). Celles-ci représentent 172 Md€ de chiffre d’affaires et 68,1 Md€ de valeur ajoutée ([16]). Ce sont principalement des TPE et PME, qui contribuent au dynamisme économique local.

Le secteur touristique contribue de façon importante à l’emploi, avec plus de deux millions demplois directs et indirects (ou 1,127 million d’effectifs salariés en équivalent temps plein) ([17]). La croissance du secteur est dynamique. Dans l’hôtellerie et la restauration, sur les 12 derniers mois (glissants), 17 700 emplois ont été créés ([18]).

Cet emploi dans le secteur touristique couvre, dans certaines régions, plus de 7 % de l’emploi salarié total. C’est le cas, notamment, en Île-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes ou en région Occitanie. L’Île-de-France comptabilisait ainsi, au 1er janvier 2018, plus de 420 000 emplois dans le secteur du tourisme, soit 9 % de l’emploi total de la région ([19]).

II.   CES BONS RéSULTATS masqueNT des difficultÉs nombreuses

Les bons résultats français en matière de tourisme doivent toutefois être nuancés. Les recettes sont largement en deçà de leur potentiel, la France perd globalement des parts de marché et souffre de difficultés structurelles qui nuisent au développement de l’économie touristique.

A.   La France n’est que troisiÈme en termes de recettes Économiques tirÉes du tourisme

1.   Des recettes décevantes

Avec 55,5 milliards deuros de recettes tirées de lactivité touristique, la France se situe non plus sur la première marche du podium, mais sur la troisième loin derrière les États-Unis (180 milliards de dollars en 2017) et talonnant l’Espagne (60 Md€). La France aurait ainsi une moindre capacité à générer des retombées économiques de la fréquentation touristique. Si elle a, un temps, été quatrième et qu’il faut donc se féliciter des progrès accomplis, la France ne saurait se satisfaire d’une troisième place au regard de sa première position en termes d’arrivées internationales.

Cette moindre performance s’explique par le fait que les dépenses moyennes par visiteur sont plus faibles en France qu’en Espagne ou aux États‑Unis. Selon la Banque de France, ces dépenses se sont élevées en moyenne à 260 € par visiteur en France (un montant relativement stable depuis 2013) ([20]). Cette dépense moyenne varie fortement selon les nationalités des visiteurs, ceux provenant des pays les plus lointains dépensant le plus, comme en témoigne le tableau suivant.

Source : Banque de France, fiche thématique « les services de voyage », édition 2018

La France se placerait en soixante-troisième position sagissant des dépenses journalières des touristes étrangers sur le sol national. Si l’Institut Montaigne avance des chiffres différents, le constat est significatif : « en moyenne, un touriste international en France génère 490 € quand lEspagne génère 746 € de chacun de ses touristes internationaux, soit 50 % de plus. Cet écart sexplique, pour partie, par le fait que de nombreux visiteurs en France ne font que transiter par notre pays, par une durée de séjour plus longue en Espagne (en moyenne 8,7 jours contre 7,2 jours en France) mais aussi par une dépense quotidienne plus élevée » ([21]).

En outre, ces recettes présentent des caractéristiques qui fragilisent léconomie touristique de la France :

 elles sont très concentrées dans lespace, et profitent essentiellement à certains territoires. Selon l’Institut Montaigne ([22]), 60 % des nuitées des touristes internationaux se concentrent sur quatre régions (Île-de-France, Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon) ;

– elles sont également très concentrées dans le temps, les mois de juillet et d’août enregistrant presque 7 fois plus de nuitées qu’en décembre (en dehors de la région parisienne), selon l’INSEE.

2.   Deux facteurs d’explication principaux : la France est une destination de transit et n’offre pas aux touristes toutes les opportunités de consommation

Deux facteurs dexplications principaux permettent de mieux comprendre ces résultats décevants.

En premier lieu, la France peine à retenir ses voyageurs : la durée de séjour est globalement faible et stagne. Elle s’établit en 2018 à 6,7 jours, soit le même niveau qu’en 2017. C’est considérablement moins que l’Espagne qui, par exemple, a misé sur un tourisme de villégiature : 43 % des séjours ne durent quentre 1 et 3 nuits.

Du fait de sa position centrale en Europe, la France est une destination propice aux courts séjours pour les visiteurs européens. Elle est également une étape dans le parcours de nombreux touristes, et endosse donc aussi le rôle de destination de transit. Plus de la moitié des touristes espagnols viennent en France pour des voyages inférieurs à 3 jours. Le graphique ci-dessous illustre l’arrivée des touristes étrangers européens selon leur pays de provenance. Les courts séjours ne se limitent toutefois pas aux clientèles européennes : 56 % des visiteurs chinois viennent pour un séjour inférieur à trois nuits, dans le cadre de circuits vendus par des tours opérateurs ([23]).

En deuxième lieu, la France peine à inciter à la dépense : elle n’offre pas nécessairement toutes les opportunités pour faire dépenser, s’agissant, par exemple, de l’ouverture des commerces le dimanche ou des facilités de détaxe, bien que des évolutions significatives aient récemment été actées en la matière. D’autres États sont en pointe sur cet aspect et parviennent à tirer des recettes plus importantes d’un nombre de touristes moindre. Le tourisme n’étant pas une compétence européenne, un alignement ne semble pas d’actualité.

B.   La France perd des parts de marchÉ

1.   La France peine à capter les fruits de la croissance du tourisme au niveau mondial

Si la France reste la première destination pour les arrivées de touristes étrangers, son avance se réduit et ses parts de marché, au niveau mondial, diminuent : la croissance mondiale des flux touristiques bénéficierait moins à la France qu’à d’autres États. Selon les chiffres de lOrganisation mondiale du tourisme, la France, qui représentait 8 % du tourisme en 1978, nen représenterait plus que 3,5 % aujourdhui.

Ainsi, la demande mondiale globale pour le tourisme croît plus rapidement que la demande pour la France. En conséquence, l’augmentation du tourisme en France est sans commune mesure avec son augmentation au niveau mondial. Comme l’indique le rapport de la rapporteure spéciale de la commission des finances de l’Assemblée nationale sur les crédits consacrés au tourisme pour le projet de loi de finances de 2019 ([24]), sur la période 2005-2016, le tourisme mondial a connu une augmentation de 53 % (passant de 809 millions à 1,239 milliard de visiteurs), cette augmentation s’accélérant même une nouvelle fois sur l’année 2017 (pour atteindre une croissance de + 7 % contre + 4 % en moyenne sur les années 2005-2016). La France sest laissée distancer dans sa capacité à capter ces flux de clientèles nouvelles : sur cette période, alors que le flux de touristes internationaux arrivant aux États-Unis a augmenté de 54 %, et de 35 % en Espagne, il n’a progressé que de 10 % en France. Ceci n’est pas le seul fruit du développement de nouvelles destinations touristiques en Asie ou en Afrique. Le rapport précité de la commission des affaires étrangères sur la promotion de la destination France, d’octobre 2017 ([25]), précise que « le nombre de touristes internationaux estimé en 2017 dans notre pays, soit 86,9 millions, nest que de 16 % supérieur à celui estimé en 2005, soit 75 millions, quand ce même nombre a augmenté au niveau mondial de 64 % ».

La France a également pu perdre certains de ses visiteurs habituels. À titre d’illustration, le nombre de visiteurs néerlandais a considérablement baissé entre 2010 et 2016. Si les chiffres enregistrent désormais un rebond, les arrivées en 2018 ne représentent que les deux tiers des arrivées du début de la décennie. Pour cette clientèle, considérée par les professionnels comme sensible au prix des prestations, à la qualité et aux nouveautés de l’offre d’hébergement, la concurrence avec d’autres destinations se fait sentir.

2.   La France se laisse distancer en termes de recettes

Les recettes issues de l’activité touristique, non seulement moins élevées que chez ses concurrents qui accueillent pourtant moins de visiteurs internationaux, progressent également moins rapidement, causant le risque dune distanciation progressive de la France dans le trio de tête.

Source : Rapport dinformation sur la promotion de la destination France, de MM. Maurice Leroy et Jean-François Portarrieu doctobre 2017.

Comme l’indique le rapport de la commission des affaires étrangères d’octobre 2017 ([26]), le graphique ci-dessus montre « non seulement que la France arrive en 3ème position, mais aussi que les recettes touristiques y évoluent moins dynamiquement que chez certains concurrents. Depuis 2005, les recettes touristiques internationales ont plus que doublé aux États-Unis et ont même été multipliées par sept en Thaïlande, quand lévolution était beaucoup plus modérée en France (+ 52 %) [...]. De 2010 à 2017, ces recettes nont crû que de 18 % en France, contre 45 % en Espagne et plus de 90 % au Portugal », pour une augmentation de près de 60 % au niveau mondial.

Au sein de l’Europe, le poids de la France dans l’ensemble des recettes des services de voyage a diminué, de 16 % en 2010 à 14,3 % en 2017. Sur la même période, celui de l’Espagne a progressé de 15,2 à 15,9 % ([27]).

C.   L’Économie touristique française souffre de faiblesses bien connues

1.   Des difficultés structurelles anciennes et bien identifiées

Ces difficultés se comprennent au regard des faiblesses structurelles du secteur touristique français.

L’image de la France tend à se dégrader de manière latente. Notre pays souffre d’une réputation mêlant qualité de laccueil insuffisante, déficit de propreté et mauvais positionnement en termes de compétitivité-prix.

Un très grand nombre de visiteurs estiment que le rapport qualitéprix est moins favorable que dautres destinations, et que la France serait trop chère pour la qualité qu’elle offre (en matière d’hébergement, de restauration, de transport, etc.). Comme l’indique le classement du World Economic Forum pour 2015, paru en 2016, la France serait le 139ème pays sur 141 en termes de compétitivité-prix. L’Espagne se positionne au 105ème rang et les États-Unis au 102ème rang.

Des efforts sont réalisés en ce sens, mais ils sont encore insuffisants. Comme l’indique la Banque de France, « depuis 2015, les prix de lhôtellerierestauration ont globalement moins progressé en France quau Portugal ou quen Grèce. La hausse des prix est quasiment égale à celle de lEspagne et lItalie affiche une hausse plus faible sur cette période. Toutefois, cette relative stabilité des prix relatifs sur la période récente ne compense pas la tendance passée. Depuis 2008, les prix de lhôtellerie-restauration en France ont progressé de 20 %, contre 14 % en Espagne ou 13 % en Italie » ([28]).

Selon lUnion des métiers et des industries de lhôtellerie (UMIH), Paris reste la ville la plus chère de France et la 5ème ville la plus chère au monde (le prix moyen de la chambre s’élève à 144 € en 2018, soit une hausse de 6 points par rapport à 2017). Si, au global, l’hôtellerie française n’est pas nécessairement plus onéreuse que l’hôtellerie allemande (le prix moyen de la chambre, en 2018, s’élève à 125 €, soit 4,2 points de plus qu’en 2017) ([29]), c’est plutôt avec l’Espagne, la Grèce et l’Italie que se font les comparaisons.

La diversité de la France, qui est indéniablement un atout, peut également devenir une faiblesse lorsqu’elle conduit à une dispersion de l’offre et à un manque de visibilité. Beaucoup des acteurs auditionnés ont regretté le millefeuille administratif caractéristique du système français, qui rend complexe une structuration vers une stratégie unique et une promotion structurée, faisant perdre en cohérence et en efficacité. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères le confirme : la diversité peut aussi être une faiblesse, en raison du manque de lisibilité qu’elle entraîne à l’international.

Les visiteurs potentiels voient la France comme Paris et la Côte d’Azur, mais il demeure une grande difficulté à faire connaître le reste des territoires, à clarifier le message et à unifier la multitude d’initiatives qui se chevauchent.

Enfin, la France pâtit également dun manque plus global de vision ambitieuse portée au niveau national en matière de tourisme. Ce relatif désintérêt des pouvoirs publics pour le tourisme constitue une erreur stratégique importante. La France tend à se reposer sur ces acquis, alors que d’autres destinations concurrentes mettent en place des stratégies bien plus offensives.

Vos rapporteurs estiment qu’il est aujourd’hui nécessaire de construire cette stratégie pour le tourisme de demain : le tourisme recèle un potentiel encore trop inexploité pour créer de la richesse dans lensemble des territoires.


 

Les difficultés et les défis du tourisme ultramarin – lexemple des Antilles

Alors que le tourisme ultramarin a connu un premier essor dans les années 1990, le secteur traverse une période difficile depuis le courant des années 2000. La Cour des comptes appelait en ce sens, dans un rapport de 2014, le tourisme ultramarin à un indispensable sursaut.

Vos rapporteurs, qui se sont déplacés en Guadeloupe et à SaintMartin, ont pu mesurer lampleur des défis, mais aussi du potentiel de développement quoffre léconomie touristique dans ces territoires.

Des difficultés similaires à celles qui existent dans lhexagone peuvent être notées. Cest notamment le cas pour ce qui concerne la qualité de laccueil, et les difficultés de positionnement en termes de compétitivité prix et hors prix. Ces difficultés prennent toutefois une ampleur plus grande du fait de la spécificité de ces territoires :

 Les Antilles françaises se situent dans un environnement concurrentiel exacerbé. Elles sont notamment confrontées à la concurrence des îles caribéennes voisines (République dominicaine, Porto Rico, Cuba, Jamaïque, Bahamas), qui présentent un positionnement prix et hors prix plus compétitif. Au-delà de la concurrence de ces îles proches, les Antilles, encore très centrées sur le tourisme balnéaire, doivent faire face à la concurrence de lensemble des destinations « plage » qui existent à léchelle mondiale ;

 Une autre spécificité tient à limportance que tient de façon globale le tourisme affinitaire (population venue de métropole rendre visite à des proches). Cette clientèle engendre des recettes économiques proportionnellement plus faibles que le tourisme dagrément classique, car les visiteurs sont souvent logés et nourris chez leurs proches.

Le tourisme fait face à un double défi de diversification de loffre et de la clientèle.

En premier lieu, l’offre touristique des territoires ultramarins reste globalement centrée sur le tourisme balnéaire. Cet état de fait accroît les problèmes liés à la saisonnalité de la fréquentation. Il rend surtout difficile la mise en place d’une véritable politique de différenciation, qui pourrait conduire la clientèle à choisir cette destination plutôt qu’une autre. Pourtant, les atouts des Antilles françaises et plus globalement des territoires ultramarins dépassent de loin le simple tourisme balnéaire. Vos rapporteurs ont pu le mesurer au cours de leur déplacement. La Guadeloupe offre, en particulier, un potentiel de diversification conséquent, dont on peut citer quelques exemples :

 le tourisme vert : la Guadeloupe dispose notamment d’un parc national inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1992, au sein duquel culmine le volcan de la Soufrière, terreau propice au développement du tourisme de randonnée. Il s’agit du parc national français ultramarin le plus ancien (1989) ;

 Le tourisme culturel : Des efforts budgétaires conséquents ont également été fournis pour développer des infrastructures de qualité. Le Mémorial ACTE, inauguré en 2015 et consacré à l’histoire de l’esclavage, en est l’exemple le plus emblématique, le coût du projet s’élevant au total à 83 millions d’euros. Encore faut-il que ces offres fassent l’objet d’une promotion adaptée. Vos rapporteurs ont ainsi été frappés par le faible nombre de visiteurs ;

– un tourisme de niche se développe également : spiritourisme (cf. infra) ou le tourisme de bien-être (thalasso thérapie, eaux soufrées, etc.)

En deuxième lieu, le défi de la diversification de la clientèle est également de taille. La majorité des flux touristiques à destination de la Guadeloupe sont des flux métropolitains. L’enjeu est aujourd’hui de parvenir à élargir la palette des marchés émetteurs, en développant notamment les flux avec la Belgique, l’Italie, le Canada, les États-Unis, mais également les flux à l’échelle des Caraïbes. Cette question soulève des enjeux importants en matière de desserte aérienne (cf. infra).

Le tourisme doit être mobilisé comme un levier de développement économique. La région de la Guadeloupe a à ce titre fixé des objectifs ambitieux avec 1 million de touristes pour 2020, auxquels devront correspondre 1 milliard de recettes.

2.   Des difficultés conjoncturelles avec les mouvements sociaux et la crise des « gilets jaunes » dont les effets pourraient se poursuivre à plus long terme

L’année 2018 a, en effet, été marquée par les effets négatifs des grèves dites « perlées » du printemps 2018, qui ont conduit beaucoup de Français, mais également de visiteurs internationaux, à annuler ou à reporter leurs déplacements prévus sur cette période. Elle a également été touchée, plus récemment, par les mouvements sociaux de l’automne et de l’hiver 2018, émaillés d’actes de violence fortement relayés par les médias, qui ont également poussé un certain nombre de visiteurs à annuler ou à différer leurs vacances ou déplacements en France. En effet, si l’effet des attentats est désormais complètement absorbé (l’impact de l’attentat de Strasbourg n’a duré que quelques jours), à celui-ci s’est substitué l’image délétère de la France véhiculée par la violence qui a entouré les mouvements sociaux (les clientèles n’étant pas affectées par les mouvements sociaux en eux-mêmes, mais par la violence qui les a accompagnés).

Atout France a notamment fait état d’une baisse de 9 % darrivées aériennes internationales sur le mois de décembre.

Les effets sur la fréquentation touristique se sont poursuivis au premier trimestre de l’année 2019, avec une baisse de 2,5 % de la fréquentation, qui marque une rupture après deux ans de hausse continue. Cette diminution est particulièrement marquée pour la clientèle étrangère qui enregistre une baisse de 4,8 %.

Les professionnels rencontrés, tous très marqués, regrettent que la réponse du Gouvernement en matière de promotion et de communication pour rassurer les clientèles étrangères n’ait pas été plus significative, à tout le moins pas aussi ambitieuse qu’elle ne l’a été dans le passé, à la suite notamment d’attentats aux conséquences désastreuses pour le tourisme. Ainsi, les représentants du secteur du tourisme d’affaires estiment notamment que les pouvoirs publics ne prennent pas de mesures suffisantes pour relancer la dynamique touristique, à l’image du comité d’urgence pour le tourisme qui avait été initié à la suite des attentats de 2015. Ils auraient souhaité qu’un véritable contre-feu médiatique et promotionnel soit allumé par les pouvoirs publics pour rassurer l’ensemble des acteurs.

Ces difficultés empêchent aujourd’hui la France de tirer tout le potentiel offert par le développement du tourisme à l’échelle mondiale.

III.   Un potentiel de croissance à capter dans un environnement fortement concurrentiel

Le nombre de touristes au niveau mondial continuera à augmenter pendant les années à venir, dans un environnement concurrentiel toujours plus exacerbé.

A.   Les flux touristiques vont croître

Selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), le nombre de touristes au niveau mondial atteint 1,4 milliard en 2018, une progression de 5,6 % par rapport à l’année précédente. C’est la plus forte croissance de ces dix dernières années. L’objectif fixé pour 2020 est donc atteint avec deux ans d’avance. Selon les prévisions de l’OMT, le nombre de touristes internationaux devrait atteindre 1,8 milliard en 2030.

Le développement du tourisme est amené à encore croître dans les années à venir, à mesure que les classes moyennes dans les pays émergents se développent, et avec elles, le désir de voyage et de loisirs. Les prévisions des professionnels du secteur anticipent cette croissance des flux. L’aspiration au voyage arrive en troisième position des désirs poursuivis par les citoyens chinois. À titre d’exemple, l’entreprise Expedia dresse le constat suivant : « Le nombre de voyageurs dans le monde augmente à un rythme soutenu, grâce notamment au développement de classes moyennes dans les pays en développement des continents asiatiques et sud-américains. Ces voyageurs sont de plus en plus connectés à tous les stades de leur voyage depuis la réservation au moment de leur séjour ([30]) ».

L’Afrique est le continent qui capte le plus les fruits de cette croissance, avec une augmentation de 7 % des flux touristiques en 2018, portée par l’attractivité de ses côtes méditerranéennes. L’Asie et le Pacifique connaissent une croissance de l’ordre de 6,5 % des arrivées. L’Europe quant à elle voit ses flux augmenter de 6,1 %. Le continent européen reste première destination, avec 51 % des arrivées mondiales.

B.   Un environnement fortement concurrentiel

1.   Des destinations toujours plus nombreuses

Ce potentiel de croissance à saisir se situe néanmoins dans un environnement fortement concurrentiel, où les destinations sont de plus en plus nombreuses et mettent en place des stratégies offensives pour capter la demande.

Pour la DGE, « deux phénomènes se conjuguent : le déplacement du barycentre économique du monde vers lAsie et limportance structurel du tourisme régional : il est donc logique que les touristes asiatiques se déplacent principalement en Asie et en Océanie ». De nouveaux marchés apparaissent et attirent davantage de voyageurs, notamment en Asie. Ces destinations nouvelles répondent aux attentes des voyageurs et savent faire connaître leurs atouts. Ce phénomène s’observe de façon plus globale dans l’ensemble des pays émergents. Un certain nombre de ces pays ont fait du tourisme le cœur de leur activité économique, en proposant une offre misant sur la compétitivité prix. Ces pays mettent en place des faibles niveaux de charges sociales et des exemptions fiscales nombreuses pour encourager le développement de l’activité touristique, ce qui rendent les conditions de concurrence particulièrement difficiles.

La concurrence est aussi le fruit de destinations se positionnant sur une offre proche de l’offre française. Comme l’indique la DGE, « certaines destinations se donnent les moyens de leur politique dattraction, comme lEspagne, qui a toujours consacré des budgets publics importants au tourisme » ([31]).

2.   Une intensité concurrentielle accentuée par les usages numériques

Cette intensité concurrentielle s’accentue considérablement avec le développement de l’usage du numérique dans la préparation du voyage. Non seulement l’offre mondiale augmente aussi vite – voire plus rapidement – que la demande, mais les nouvelles clientèles peuvent, surtout, faire des arbitrages très rapides entre destinations et offres touristiques, toute l’information étant disponible et accessible instantanément. La très grande majorité des touristes préparent et achètent une partie de leur voyage sur internet. Selon une étude du cabinet Raffour Interactif parue en septembre 2018 ([32]), 79 % des Français partis en 2017 ont préparé en ligne leurs séjours de loisir et 58 % des Français partis ont utilisé leur smartphone ou tablette pour préparer ou réserver leurs séjours de loisir en 2017, soit une hausse de 5 points par rapport à 2016. Tout porte à croire que cette tendance se poursuivra dans les années à venir.

Les fédérations des professionnels font toutes le même constat. Ainsi, comme l’indique le syndicat national des résidences de tourisme (SNRT), « les touristes sont de plus en plus exigeants en matière de confort, de services. Ils comparent tous les produits et tous les tarifs sur internet. Globalement, cela tire les prix vers le bas » ([33]).

Le numérique renforce les exigences vis-à-vis des professionnels, qui sont confrontés à une concurrence qui peut être exercée à tout moment, mais également au poids des avis en ligne, des blogs, ou des images et commentaires relayés sur les réseaux sociaux. Parmi les 80 % de Français qui consultent internet pour préparer leurs voyages, beaucoup consultent les sites d’avis en ligne, à l’image de Tripadvisor. Ces consultations, loin d’être anecdotiques, ont un véritable effet sur la décision de consommation ou d’achat : selon Tripadvisor, 93 % des voyageurs estiment que la consultation des commentaires déposés a eu un effet sur leur choix de réservation. D’après la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), 74 % des internautes auraient déjà renoncé à acheter un produit à cause de commentaires ou d’avis négatifs et 41 % auraient déjà réalisé un achat spontané à la suite d’un avis positif.

La France devra donc, impérativement, appréhender les attentes de ces nouveaux touristes, et y apporter une réponse de qualité et abordable, faute de quoi d’autres destinations lui seront inévitablement préférées.

 

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Malgré les bons résultats français, une analyse détaillée permet en réalité de tirer le constat suivant : le tourisme représente un potentiel encore sous exploité pour la vitalité de la croissance économique des territoires français.

De nouveaux leviers doivent être trouvés pour lever davantage de recettes du fait des activités touristiques. Pour cela, c’est d’une stratégie de long terme dont la France a besoin. Comme l’exprime justement l’institut français du tourisme, il s’agit, de manière générale, de « passer du tourisme de cueillette à un tourisme de culture ». Il n’est plus possible, aujourd’hui, de se contenter de « ramasser les fruits », mais indispensable de cultiver l’économie touristique en s’appuyant sur les atouts dont bénéficie la France. Ceci requiert de définir une véritable stratégie et de ne plus faire, comme par le passé, des ajustements « au coup par coup ».

Les pouvoirs publics ne doivent plus voir le secteur touristique comme une économie de rente, mais prendre la part qui leur revient – et que dautres États concurrents ont su prendre.

Cette stratégie nécessite d’abord de comprendre les attentes des touristes de demain, et de poser les jalons pour une croissance soutenable du secteur.

 


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   deuxiÈme partie :
promouvoir une croissance soutenable pour UN TOURISME EN QUÊte de sens

Pour lever des recettes et gagner des parts de marché, la France doit analyser et comprendre de quoi sera faite la demande de demain. C’est en allant à rebours du tourisme de masse et en répondant aux aspirations des touristes pour un tourisme de sens que la France sera à même de construire une stratégie touristique véritablement compétitive. La France doit en effet miser sur les atouts d’une destination verte.

La France doit s’engager pour une croissance soutenable du tourisme, construite sur deux piliers :

– le développement d’une stratégie pour le tourisme durable ;

– la reconquête des clientèles et la juste répartition des flux, pour faire du tourisme un vecteur dattractivité dans les territoires.

I.   Les aspirations nouvelles pour le tourisme de demain

A.   des aspirations À rebours du tourisme de masse

Le tourisme a connu un formidable essor au XXème siècle, avec la démocratisation des vacances et le développement des transports bon marché. À l’aune du XXIème siècle, la croissance exponentielle du nombre de touristes, le développement du numérique, et le celui des transports et destinations low cost n’ont fait qu’accroître cette tendance.

Cette croissance sans précédent du phénomène touristique comporte une face plus sombre, celle des excès du tourisme de masse. La massification du tourisme s’est accompagnée d’une standardisation, voire d’une folkorisation de l’offre, à l’opposé des aspirations contemporaines des touristes. Le tourisme de masse a en outre affecté le patrimoine culturel et naturel, de façon parfois irréversible. Il est aussi à l’origine du phénomène de « surtourisme », qui nourrit les tensions entre les habitants et les touristes et épuise les capacités d’accueil de plusieurs zones hautement touristiques.

En résumé, le tourisme de masse nest plus une stratégie payante, car il ne répond plus aux demandes des touristes de demain. C’est particulièrement vrai pour la France, qui souffre d’une faible compétitivité prix et qui doit donc miser sur ses capacités de différenciation.

Le tourisme de masse n’est du reste pas non plus une stratégie soutenable, au vu des enjeux environnementaux et sociétaux auxquels nous devons aujourd’hui faire face.

La question du « surtourisme »

La demande touristique a tendance à se concentrer sur un nombre limité de destinations, jusquau risque de saturation des capacités daccueil de certains lieux. Ce phénomène a donné naissance au néologisme de « surtourisme ».

Des villes entières sont concernées, comme Venise ou Dubrovnik. Ce phénomène ne se limite du reste pas aux zones urbaines, plusieurs sites naturels étant également concernés par ces risques.

Ces excès nourrissent le ressentiment des populations locales, qui craignent pour la dégradation de leur environnement, et qui subissent les effets collatéraux de ces afflux. Dans les villes, la surfréquentation touristique a pour effet direct une forte inflation des prix de l’immobilier. Dans ce contexte, l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) alerte régulièrement sur le développement de la tourismophobie.

Certains lieux particulièrement confrontés à cette problématique ont dû mettre en place des mesures spécifiques. Venise qui compte 55 000 habitants est visitée par près de 30 millions de personnes chaque année.  Pour préserver la lagune, qui risquait d’être inscrite sur la liste du patrimoine mondial en péril de l’Unesco, la ville a mis en place depuis le 1er septembre 2019 un droit d’entrée de visite allant de 3 à 10 euros selon la saison. 50 millions de recettes sont attendues, qui devront servir à financer les coûts de nettoyage du centre historique.

La France est pour l’instant globalement à l’abri face aux risques du « surtourisme ». Grâce à la grande diversité territoriale de son offre, elle parvient, bien qu’en étant première destination mondiale, à assurer une répartition globalement soutenable de ses flux, même si certains lieux, comme le Mont Saint-Michel, appellent à une vigilance particulière. Selon une étude du comité régional du tourisme (CRT) en Île-de-France, seuls 3 % des habitants sont hostiles à l’essor du tourisme, contre 20 % à Venise ou à Amsterdam.

B.   AuthenticitÉ, expÉrience et durabilitÉ

1.   L’authenticité et l’expérience : des valeurs devenues incontournables

Si lexigence dauthenticité connaît des racines anciennes, elle prend aujourd’hui une ampleur nouvelle. On constate ainsi que les voyageurs prêtent une plus grande attention à loffre individualisée et à l’authenticité du séjour. Certains veulent redécouvrir un terroir oublié plus qu’une métropole, ou vivre selon les usages locaux. L’engouement des consommateurs pour Airbnb ([34]) en est certainement l’exemple le plus marquant. La plateforme, dans son idée originelle, offre un séjour chez l’habitant, une immersion dans une culture nouvelle.

Vos rapporteurs tirent la conviction profonde de leurs mois de travaux que le tourisme de demain reposera la recherche dexpériences.  Le touriste veut, et voudra, « vivre comme un autochtone ([35]) ». Si cette tendance est venue, notamment, dAirbnb, elle se diffuse et doit se diffuser dans des segments plus traditionnels de l’économie touristique, notamment l’hôtellerie, la restauration ou la culture. Les produits à développer en ce sens sont, par exemple, les ateliers de « savoir-faire » ou de « savoir-vivre », les visites théâtralisées, les rencontres et échanges avec les habitants. L’Alliance du commerce auditionnée par votre mission le confirme : « même si le tourisme de masse via les tour-opérateurs continue de se développer, il y a une évolution vers une clientèle plus éduquée, voyageant individuellement, à la recherche dune expérience, prête à visiter dautres quartiers ou dautres villes au-delà des grandes destinations habituelles » ([36]). Cette dynamique a vocation à se renforcer dans les années à venir. Comme l’indique l’Institut Montaigne, dans son rapport de mars 2017 précité, « dici à 2020, une partie significative des voyageurs seront des millenials, ces personnes âgées de 18 à 35 ans nées avec le numérique, en quête dinstantanéité, dauthenticité, démotion et de personnalisation de leur expérience touristique » ([37]).

Le numérique accélère ce mouvement. En effet, les nouvelles technologies ont permis aux voyageurs de s’affranchir des enseignes internationales et des circuits classiques, mais ont également permis à des enseignes indépendantes de gagner en visibilité. Comme l’a indiqué France Vélo Tourisme lors de son audition, « pour les nouvelles clientèles, les mots clés sont : Airbnb, bloggers, greeters, communauté ». Cette nouvelle clientèle présente ainsi des besoins spécifiques liés au numérique : tourisme immersif, activités dites « instagrammables », hors des sentiers battus, etc. L’Institut Montaigne le résume ainsi : « le numérique permet de proposer des parcours personnalisés et cohérents à chaque profil de touriste tout en développant davantage de valeur par visiteur » ([38]).

Loffre touristique de demain devra donc répondre à un besoin expérientiel. Les professionnels du tourisme ont, dès lors, la responsabilité de faire évoluer leur offre afin de répondre à cette nouvelle exigence.

2.   Les aspirations aux voyages durables, éthiques et responsables

Les voyageurs aspirent également à un tourisme plus durable et plus éthique. En effet, un nombre croissant de voyageurs cherchent à redonner du sens à leurs déplacements, à leurs voyages, au même titre qu’ils sont de plus en nombreux à vouloir le faire en matière d’alimentation ou d’habillement, sans pour autant vouloir dépenser davantage. Les voyageurs sont de plus en plus sensibles aux critères environnementaux (notamment l’empreinte carbone de leurs déplacements), mais également sociaux. Les aspirations pour ces nouvelles manières de faire du tourisme se déclinent sous plusieurs formes :

 le tourisme vert, assis sur la découverte d’espaces naturels, au travers d’activités et de structures respectueuses de l’environnement, et de rencontres avec les hommes qui habitent ces espaces. Cette préoccupation écologique pousse à l’augmentation des séjours de courte durée et de proximité pour limiter les déplacements polluants ([39]) ;

 le slow tourisme, reposant sur l’utilisation de mobilités douces. Ce tourisme se développe, notamment en France, autour du vélotourisme et du tourisme fluvial, qui connaissent un grand succès. Le tourisme de randonnée en fait également partie ;

Des exemples de slow tourisme

Le vélotourisme

L’offre d’itinéraires à vélo en France dépasse aujourd’hui les 15 000 km. La niche représenterait 2 milliards d’euros et 9 millions de séjours touristiques, dont 25 % d’étrangers.

Les professionnels ciblent la clientèle domestique, perçue comme un potentiel encore largement inexploité : « 21 millions de français font du vélo, 5 % pratiquent litinérance. Le principal défi est de les amener à la pratique du vélo-loisir et du vélo en itinérance ». Comme le notent les spécialistes du secteur entendus par vos rapporteurs : « Lattrait des touristes pour la France à vélo plutôt que dautres pays européens résidera dans sa capacité à valoriser les patrimoines à découvrir le long des véloroutes, mais aussi par la qualité des offres proposées : qualité des aménagements cyclables, accès à la location de vélos, transport de bagages, solutions intermodales pour repartir au point de départ du vélotouriste ou à son domicile ». En ce sens, des progrès significatifs sont contenus dans le projet de loi d’orientation des mobilités, qui prévoit notamment de faciliter l’embarquement des vélos non-démontés à bord des trains.

La France au fil de leau : le tourisme fluvial et « fluvestre ([40]) »

Le tourisme fluvial comptabilise 11 millions de passagers chaque année (dont 95 % pour la filière des bateaux promenades qui comprend notamment les bateaux mouche parisiens).  Les touristes étrangers représentent plus de 70 % de la clientèle pour les filières proposant de l’hébergement (hors bateaux promenade).

La France « au fil de leau » constitue une alternative aux autres grandes destinations françaises que sont la mer, la montagne et Paris. La France peut encore gagner en notoriété, en particulier auprès de la clientèle domestique.

Les offres du slow tourisme méritent dêtre décloisonnées. Vélotourisme et tourisme fluvial ont ainsi naturellement vocation à se combiner, d’autant plus que 87 % du réseau confié par l’État en gestion à voie navigable de France est longé par un itinéraire inscrit au schéma national des véloroutes voies vertes.

Vos rapporteurs appellent de façon générale à encourager et favoriser le développement de ces offres vertes.

Proposition  1 : Favoriser le développement du tourisme vert et du slow tourisme

 le tourisme solidaire et équitable, mettant en avant la communauté, le partage, il conduit, par exemple, à échanger sa maison ou à vivre chez l’habitant plutôt qu’en hôtel. Ce tourisme conduit également certains vacanciers à consacrer leurs jours de congé à la réalisation d’une action bénévole au service de la protection de l’environnement ou du développement durable. Les projets de volontariat se sont progressivement développés en France et répondent à l’envie de vivre des vacances « utiles », ayant un sens.

Selon une étude conduite par Booking, cette mouvance de fond pour le tourisme vert prend une ampleur croissante. Parmi 12 marchés géographiques interrogés, 87 % des touristes souhaitent limiter leur impact sur l’environnement ([41]).

II.   Pour une croissance soutenable du tourisme

Ces aspirations croissantes doivent servir de fondement pour construire la stratégie touristique de demain. Alors que certaines voix s’élèvent pour fustiger l’impact du tourisme sur la planète et que les bouleversements climatiques constituent un risque pour l’industrie touristique, le tourisme doit sengager dans le sens dune croissance soutenable.

A.   Le dÉfi climatique

1.   Le tourisme de masse, un risque pour l’écologie

L’ONU indique que le tourisme représente 5 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde ([42]). Selon les méthodes de calcul, ce chiffre peut atteindre 8 % ([43]). L’empreinte carbone du tourisme résulte de l’ensemble des transports, mais également de la consommation touristique de façon plus globale (nourriture, hébergement, shopping). L’avion est devenu le moyen de transport privilégié pour les touristes, et le développement de séjours de plus en plus courts et de plus en plus lointains, avec un coût significatif pour la planète.

Au-delà de cet effet global, le tourisme de masse conduit également à l’érosion de la biodiversité de certains sites touristiques. La bétonisation de côtes espagnoles, ou la fragilisation de certains sites naturels en sont des exemples. Lors de leur déplacement ultramarin, vos rapporteurs ont à ce titre entendu les craintes du parc national de Guadeloupe, qui a fait état des risques de dégradation de la biodiversité particulièrement marqués dans les lieux du parc les plus fréquentés.

2.   Les bouleversements climatiques, une menace pour le développement touristique

Si le tourisme est susceptible de perturber les écosystèmes, les bouleversements climatiques représentent également une menace considérable pour le tourisme. À titre d’illustration, et comme cela a été mentionné lors des auditions, plusieurs centaines de campings sont menacés du fait de l’avancée des traits de côte. Le tourisme de montagne doit également faire face aux effets du réchauffement sur le volume d’enneigement.

Deux exemples tirés des déplacements de vos rapporteurs illustrent ces risques avec acuité :

 Le phénomène des sargasses, dans les Antilles, nuit considérablement à l’attractivité touristique des îles, qui repose en grande partie sur le tourisme balnéaire. Les sargasses sont des algues brunes qui s’amoncellent le long du littoral,  au-delà d’une durée de 72 heures, elles entrent en putréfaction, deviennent toxiques (sulfure d’hydrogène et ammoniaque) et dégagent des odeurs nauséabondes. Les sargasses entraînent donc une pollution visuelle et olfactive, ainsi qu’une mortalité importante de la faune. Le monde scientifique estime que « ce phénomène est probablement lié à lélévation des températures de leau, due au changement climatique et aux nutriments charriés jusquà locéan par les grands fleuves, en particulier ceux lessivés par les pluies sur les sols déforestés de lAmazonie ([44]) ». Si vos rapporteurs ont pu mesurer le volontarisme des pouvoirs publics pour répondre à cette problématique – une enveloppe de 10 millions d’euros a été débloquée par l’État pour mettre en place des programmes de ramassage en 48 heures de ces algues – il n’en demeure pas moins que l’attractivité des îles concernées en ressort affaiblie ;

 Louragan Irma, avec des vents atteignant plus de 350 km/h, a fait onze morts à Saint-Martin et endommagé 95 % du bâti les 5 et 6 septembre 2017, affectant considérablement les capacités d’accueil sur une île où le tourisme représente une part substantielle du PIB local.

La situation touristique de Saint-Martin

Aujourd’hui, l’activité touristique reprend partiellement, avec environ 800 chambres opérationnelles (hôtels, chambres d’hôte, villas en location, etc), soit les deux tiers de ce qui existait avant le passage de l’ouragan. Il faut toutefois noter que ces difficultés sont intervenues alors que l’économie touristique de l’île souffrait déjà de faiblesses structurelles,  avec des infrastructures vieillissantes, ne correspondant plus aux attentes des touristes. Les enjeux de soutenabilité et de montée en gamme sont au cœur des préoccupations dans le cadre de la reconstruction.

Au-delà de la destruction des infrastructures touristiques, l’image de l’île pâtit également de la gestion encore insuffisante des déblais et des épaves de voitures, et de bâteaux, malgré des campagnes de nettoyages nombreuses. Une proportion importante de copropriétés sont laissées à l’abandon par leurs propriétaires, qui après avoir investi dans des programmes de défiscalisation, délaissent leurs biens.

Face à ces constats, vos rapporteurs souhaitent formuler deux remarques et une proposition :

– Il n’est pas question de remettre en cause l’apport du tourisme, non seulement pour l’économie, mais aussi pour l’enrichissement culturel qu’il apporte, à la fois aux voyageurs et aux pays d’accueil. Toutefois, dans le cadre de la construction d’une stratégie à long terme pour le tourisme de demain, la France ne peut ignorer les potentiels risques pour l’environnement que comporte le développement d’un tourisme « incontrôlé ». Ces enjeux de durabilité doivent être intégrés dans une stratégie globale pour une croissance du tourisme prospère et soutenable.

Pour cela, vos rapporteurs estiment quil serait souhaitable de calculer lempreinte carbone de lensemble de la consommation touristique. L’empreinte carbone permet de mesurer  la quantité de dioxyde de carbone émis par une activité, un produit ou une prestation. Ce calcul de l’empreinte carbone s’inscrirait dans une logique de responsabilisation des touristes. L’article L. 1431‑3 du code des transports dispose notamment que « toute personne qui commercialise ou organise une prestation de transport de personnes, de marchandises ou de déménagement doit fournir au bénéficiaire de la prestation une information relative à la quantité de gaz à effet de serre émise par le ou les modes de transport utilisés pour réaliser cette prestation ». Les articles D. 1431-1 à D. 1431-23 du code des transports déterminent les règles de calcul communes à tous les modes de transport (ferroviaire ou guidé, routier, fluvial, maritime, aérien). Vos rapporteurs considèrent que ces dispositions mériteraient d’être étendues à l’ensemble de la consommation touristique, et notamment à l’hébergement touristique.

Proposition  2 : Généraliser le calcul de l’empreinte carbone à l’ensemble de la consommation touristique.

– Les risques environnementaux menacent certains pans de l’économie touristique. Les pouvoirs publics doivent là aussi construire une vision stratégique de long terme, en anticipant les bouleversements encore à venir, et leurs effets sur le tourisme. L’offre touristique doit se construire de façon réfléchie, en intégrant dans une vision de long terme l’ensemble de ces problématiques.

B.   construire Une stratégie pour le tourisme durable

Le tourisme durable est, aujourdhui, défini par lOrganisation mondiale du tourisme (OMT) comme « un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de lenvironnement et des communautés daccueil » ([45]).

Construire la stratégie française du tourisme de demain autour du tourisme durable est doublement stratégique :

 Le tourisme durable répond aux attentes des touristes daujourdhui et de demain. La France, pour se différencier de ses concurrents, devra, dans les années à venir, être en mesure de proposer une offre qui réponde à ces nouvelles attentes. Si le caractère « durable » ne constitue pas le premier élément de choix d’une destination, il peut, incontestablement, être un élément d’arbitrage en cas d’hésitation entre deux propositions concurrentes ;

– Le tourisme durable est la seule manière de faire face aux réalités écologiques avec lesquels nous devons désormais composer.

Le tourisme durable – définitions

Le tourisme durable n’est pas une notion récente, mais sa définition a progressivement été clarifiée et précisée.

Lobjectif du développement touristique durable a été défini par l’Agenda 21 de l’Organisation des Nations Unies, adopté au Sommet de Rio en 1992. Il s’agissait alors de « rendre compatible lamélioration des conditions environnementales et sociales qui résulte du développement touristique avec le maintien de capacités de développement pour les générations futures ».

Les principes du tourisme durable ont ensuite été définis en 1995 lors de la conférence mondiale du tourisme durable de Lanzarote (Canaries) dans la Charte du tourisme durable, puis actualisés en 2004 par le comité de développement durable du tourisme de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) : ils sont applicables à toute forme de tourisme, y compris le tourisme de masse, et à tous types de destinations. Les principes du développement durable concernent les aspects environnementaux, économiques et socioculturels du développement du tourisme. Le tourisme, pour être qualifié de durable, doit ainsi :

 exploiter de façon optimale les ressources de l’environnement qui constituent un élément clé de la mise en valeur touristique, en préservant les processus écologiques essentiels et en aidant à sauvegarder les ressources naturelles et la biodiversité ;

– respecter l’authenticité socioculturelle des communautés d’accueil, conserver leurs atouts culturels bâtis et vivants et leurs valeurs traditionnelles et contribuer à l’entente et à la tolérance interculturelles ;

– assurer une activité économique viable sur le long terme offrant à toutes les parties prenantes des avantages socioéconomiques équitablement répartis, notamment des emplois stables, des possibilités de bénéfices et des services sociaux pour les communautés d’accueil, et contribuant ainsi à la réduction de la pauvreté ([46]).

Comme le précise toutefois l’OMT, « le tourisme durable doit également maintenir un haut niveau de satisfaction des touristes et leur permettre de vivre des expériences intéressantes, en les sensibilisant aux problèmes de développement durable et en leur faisant mieux connaître les pratiques de tourisme durable ».

Enfin, l’année 2010 a vu le lancement du Partenariat mondial pour le tourisme durable (PMTD), piloté par programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), et l’année 2017 a été proclamée « année internationale du tourisme durable pour le développement » par l’ONU.