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N° 2249

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 septembre 2019.

 

 

RAPPORT  D’INFORMATION

 

 

 

DÉPOSÉ

 

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

 

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

 

 

en conclusion des travaux de la mission relative
à l’organisation de la santé mentale,

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

président

M. Brahim Hammouche

 

Rapporteures

MmesCaroline Fiat et Martine Wonner

 

Députés

 

——


 

 


  1  

SOMMAIRE

___

Pages

Avant-propos De M. Brahim Hammouche, prÉsident

SYNTHÈSE DU RAPPORT

DÉplacements effectuÉs par la mission

Introduction

I. L’organisation quasi-intangible de la santÉ mentale depuis 1960

A. La notion de secteur structure l’organisation de la psychiatrie

1. La circulaire de 1960 et ses prolongements : l’acte de naissance du secteur ou la psychiatrie, précurseure en matière de territorialisation

2. La circulaire du 14 mars 1990

a. Un bilan sévère, et plus que jamais d’actualité

b. La définition des objectifs attendus de la sectorisation

3. Une parenthèse dans les années 2000 que referme la loi de modernisation de notre système de santé

a. La brève disparition de la notion de secteur dans les textes

b. Le secteur définitivement réhabilité, et redéfini

B. Lorganisation de la santÉ mentale sur le terrain

1. Un « millefeuille » indigeste de structures et d’acteurs

a. Des structures, des dispositifs et des mécanismes, à foison

i. Acteurs et structures du champ sanitaire dans le domaine de la santé mentale

ii. De multiples parties prenantes hors du champ sanitaire

b. Le Projet territorial de santé mentale, ou comment ajouter une couche au millefeuille

i. La finalité du Projet territorial de santé mentale

ii. Larticulation entre PTSM et secteur

c. Le PTSM : un outil qui doit être consolidé

2. L’instauration d’outils de coordination et mutualisation dans la loi de 2016

a. Les groupements hospitaliers de territoire et les établissements publics de santé mentale

b. Les communautés psychiatriques de territoire, une réponse possible au risque de dilution dans un GHT

3. La mise en place dinstances consultatives

a. Une lente montée en puissance sur le terrain

i. Des prémices balbutiantes

ii. Le CLSM, outil majeur de la concertation légalisée

b. Des processus participatifs parfois encore insatisfaisants

i. Une concertation « entre professionnels de la profession »

ii. Un fonctionnement qui ne répond pas toujours aux attentes des participants

II. Une réalitÉ alarmante, bien loin de l’ambition affirmÉe

A. Le parcours du combattant du patient

1. Un virage ambulatoire au milieu du gué

a. Une baisse du nombre de lits non compensée par le développement de lambulatoire

i. Une diminution du nombre de lits qui n’a pas été suffisamment compensée par une augmentation de l’offre extrahospitalière

ii. Un secteur qui reste trop hospitalocentré

iii. Un engorgement inéluctable de l’hôpital psychiatrique lié à l’insuffisance de l’ambulatoire

b. Le développement de l’ambulatoire : une injonction contradictoire ?

i. Un exemple d’injonction contradictoire au développement de l’ambulatoire : la suppression de l’hospitalisation à domicile

ii. La préférence pour l’enfermement

2. L’insuffisance criante des solutions alternatives à l’hospitalisation

3. Un système cloisonné

a. Les effets délétères du cloisonnement avec la médecine générale

b. Mens insana in corpore insano ? L’insuffisante prise en charge somatique des patients souffrant de troubles psychiques

c. Une trop faible coordination entre les acteurs

d. Un accès trop partiel à une prise en charge spécialisée

B. Une prise en charge trop hÉtÉrogÈne

1. Malgré la sectorisation psychiatrique, une offre de soins mal répartie sur le territoire

a. Des structures inégalement réparties

b. Des psychiatres nombreux mais inégalement répartis

c. Une offre privée inégalement répartie

2. Des pratiques hétérogènes

C. Patients et soignants en grande souffrance

1. Une perte de chances réelle pour les patients

a. Le retard au diagnostic

b. La fabrique de la chronicisation ou les patients malades de l’hôpital

2. Une filière au bord de l’implosion

III. pour une nouvelle organisation de la santÉ mentale

A. LimpÉratif dune politique nationale de santÉ mentale

1. En terminer avec l’hétérogénéité des prises en charge

a. En premier lieu, la nécessité de lignes directrices

b. Au-delà des lignes directrices, une politique nationale de psychiatrie et de santé mentale

i. Entendre une demande unanime

ii. Définir des axes dépassant le strict champ sanitaire

c. Limportance dun pilotage interministériel

i. Élargir le périmètre du pilotage

ii. Une agence interministérielle

2. Conforter les instruments existants pour décliner la politique nationale sur le terrain

a. Le PTSM à l’épreuve du terrain : Un outil particulièrement prometteur selon l’ensemble des acteurs

b. Mobiliser tous les acteurs de terrain

i. Les CLSM, des espaces de concertation remarquables qu’il importe de soutenir

ii. Soutenir les initiatives les plus innovantes, les faire connaître et les intégrer à la politique

B. RÉorganiser l’offre de soins autour du patient

1. Expériences étrangères : les observations de la mission

a. « La libertà è terapeutica ()» : l’exemple pionnier de Trieste

b. La Belgique : la réforme initiée en 2009

2. En France, sortir enfin la psychiatrie de l’hôpital,

a. Un objectif à moyen terme : 80 % du personnel de l’hôpital psychiatrique sur l’ambulatoire

b. En France aussi, c’est possible : l’exemple du secteur 59G21 à Lille

3. Réorganiser le secteur pour garantir légal accès de tous à des soins innovants et adaptés

a. Organiser une véritable gradation des soins

i. Le développement de soins plus spécialisés

ii. Développer le premier recours et la prévention en santé mentale

iii. Le secteur public de psychiatrie ne peut pas tout faire… les psychiatres non plus

b. Réaffirmer le libre choix du patient

PROPOSITIONS

Annexe 1 : Liste des personnes auditionnÉes

AnnexE n°2 : Liste des dÉplacements

1. En France

2. À l’étranger

3. Déplacements complémentaires effectués par le président Brahim Hammouche

4. Déplacements complémentaires effectués par la rapporteure Martine Wonner

Annexe n° 3 : les Établissements psychiatriques


  1  

Avant-propos De M. Brahim Hammouche, prÉsident

 

« La maladie mentale n’est pas une maladie comme les autres. Elle éloigne du groupe social, ce qui est sa gravité majeure. Mais elle nécessite aussi l’effort du groupe social pour élaborer ce qu’on appelle une guérison »

Edouard Zarifian, Les Jardiniers de la folie.

La psychiatrie est en crise, les soignants au bord –  voire pour certains déjà – en épuisement professionnel et les patients en grande souffrance. L’OMS estime qu’une personne sur cinq sera affectée au cours de sa vie par un trouble psychique. Selon les projections du Haut conseil de santé publique (HCSP), les maladies psychiatriques pourraient augmenter de 11 % d’ici 2020. Or, elles représentent déjà la première cause d’entrée en invalidité, et, avec 22,5 milliards d’euros, le plus gros poste de dépenses de l’assurance maladie, sans compter les comorbidités qui aggravent ce poids, devant le cancer (16,8 milliards d’euros) ou les maladies cardio-vasculaires (15,8 milliards d’euros). Les pathologies mentales constituent déjà un fardeau humain, social, économique. La demande en soins psychiatriques est en constante augmentation et croît de 5 % par an essentiellement en ambulatoire.

Les causes de la crise sont multifactorielles et largement partagées avec celles de tout le système de santé : inégale répartition des moyens, désertification médicale, difficultés d’assurer la continuité et la gradation des soins, engorgement des urgences, cloisonnement entre la ville et l’hôpital, cloisonnement entre les disciplines, entre le somatique et la psychiatrie et même au sein de la santé mentale elle-même. À ces éléments s’ajoute une organisation territoriale peu efficiente, extrêmement complexe, illisible et à bien des égards peu cohérente et peu ou mal coordonnée par la puissance publique.

C’est pourquoi la mission préconise une réorganisation territoriale de l’offre de soins autour du patient, qui doit en plus être territoriale et en responsabilité populationnelle.

Pour une nouvelle politique publique de santé mentale, territoriale et en responsabilité populationnelle

Selon l’Organisation mondiale de la santé, OMS, « la santé mentale est un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de la communauté » ([1]). Cette définition positive et holistique s’efforce de prendre en compte l’ensemble des déterminants de santé permettant d’améliorer la qualité de la vie.

Si cette définition fait l’unanimité, force est de constater que la déclinaison des politiques publiques de santé mentale ne l’intègre pas complètement. L’interaction entre le somatique, le psychique et le social, et la dimension transversale des problématiques de santé mentale qu’implique cette vision se traduisent péniblement dans l’organisation actuelle des soins.

I.   RedÉfinir le pilotage national de la politique publique de santÉ mentale

A.   Une politique interministÉrielle

La mission plaide utilement pour une approche interministérielle, impliquant l’Éducation nationale, l’administration pénitentiaire, la politique de la ville, le logement… et une extension des missions du délégué ministériel récemment nommé.

Par ailleurs, la création, peu coûteuse, d’une agence interministérielle sur le modèle de l’Institut national du cancer, INCa, dotée de missions stratégiques en matière de recherche scientifique, d’expérimentation, de démocratie sanitaire, d’appui organisationnel et de diffusion des bonnes pratiques, est un point majeur des recommandations de la mission. Elle s’attacherait à développer la recherche et les innovations en ambulatoire et en prévention, ainsi que des préconisations pour décloisonner les équipes de recherche et les équipes des soins ([2]). Elle creuserait également toutes les potentialités offertes par le numérique pour faciliter les prises en charge à domicile et, selon les principes de la remédiation cognitive et de la réinsertion psychosociale - promesse de la sectorisation, ne l’oublions pas - augmenter les moyens actuels de la psychiatrie en matière de suivi extrahospitalier pluridisciplinaire, ou encore améliorer la prévention, voire même aider l’anticipation des crises en traitant les premiers symptômes et éviter les hospitalisations.

B.   La nÉcessaire clarification des missions et des champs d’intervention des acteurs en santÉ mentale

La succession de stratégies et de plans ne constitue pas une définition claire de la politique publique de la santé mentale. L’Inspection générale des affaires sociales, IGAS, notait déjà dans son rapport de 2017 que les fonctions à exercer pour mettre en œuvre les missions et les objectifs de la politique de secteur, tels que définis dans les plans stratégiques, n’étaient pas identifiées, pas plus que leur organisation correspondante. Cette situation ne favorise pas la lisibilité des choix de la puissance publique en matière de santé mentale (et de santé) et, par conséquent, l’appropriation de son rôle et de son champ d’action par les professionnels et la population.

L’IGAS dégageait quatre fonctions de l’offre de soins publique et privée, destinée aux enfants et aux adultes : les soins, les urgences, le soutien partenarial et l’action inter-partenariale.

En s’inspirant de la recommandation de l’OMS de 1997 pour rénover les politiques de santé, il est proposé une conception plus large, incluant un plus grand nombre de fonctions : la surveillance (surveillance des maladies, prévention des risques, maîtrise des épidémies, vaccination…), le soin (primaire, d’expertise ponctuelle et de recours spécialisé), la prévention (repérage précoce, dépistage, éducation et promotion de la santé), les urgences, l’accompagnement (réhabilitation, réinsertion), la recherche, la formation, la santé au travail, la santé des populations vulnérables, la protection de l’environnement.

Il conviendrait de croiser ces fonctions avec les domaines d’intervention : le sanitaire, la santé mentale, le social, le médico-social, la justice, la politique de la ville, l’éducation, la recherche et l’enseignement….

Ce cadre de référence pourrait être collectivement défini après concertation avec l’ensemble des acteurs et les représentants des usagers. Il permettrait de mieux identifier le rôle de chaque professionnel, de distinguer les métiers et les disciplines ainsi que les compétences requises et éventuellement les besoins de formation.

C.   Un État chef d’orchestre, amÉnageur et rÉgulateur

Le président de la mission en appelle à un vrai leadership de l’État pour mener à bien l’orchestration jusqu’au niveau local de la politique publique de santé mentale. Pour aller plus loin, disons qu’un État chef d’orchestre est un État qui assume et assure ses fonctions d’aménageur et de régulateur.

Il conviendrait que, dans un délai de cinq ans, en concertation avec les acteurs, l’État présente une cartographie sanitaire et en santé mentale simplifiée et commune, structurant l’offre de soins sur trois niveaux (primaire : de soins globaux et d’accompagnement ; secondaire : d’expertise ponctuelle et tertiaire : de recours spécialisé de référence), afin de mettre un terme notamment au cloisonnement entre le somatique et la santé mentale, dont nous avons vu qu’il était délétère pour les patients atteints de troubles psychiques. Il est à préciser que ces trois niveaux ne sont aucunement hiérarchiques et pyramidaux : ils représentent au contraire une vraie transversalité des savoirs qui permet de fédérer les compétences selon ce sens du travail en équipe et cette richesse d’une clinique du quotidien. Les périmètres des groupements hospitaliers de territoire, GHT, des projets territoriaux de santé mentale, PTSM, et des communautés psychiatriques de territoire, CPT, pourraient être fusionnés, comme le préconisait l’IGAS dans son rapport de 2017 ([3]), et se fondre peu ou prou avec ceux des départements. Ce travail de concertation préalable serait un moyen de briser le glacis juridique et professionnel entre, d’une part, la profession médicale et les autres professions du soin, d’autre part.

En tant que chef d’orchestre, l’État doit parler d’une seule voix mais de manière concertée. Le comité de pilotage, Copil, qui doit trouver une articulation avec la nomination du délégué ministériel, Franck Bellivier, doit aussi permettre l’expression ([4]) de l’ensemble des professionnels de la santé mentale. La dénomination « santé mentale » paraît donc plus appropriée et la composition devrait être élargie, en sus des psychologues cliniciens et neuropsychologues, aux psychologues scolaires et du travail ainsi qu’aux psychothérapeutes institutionnels et relationnels, aux travailleurs sociaux et aux médiateurs-pairs.

Cet État aménageur, devra assumer aussi les lacunes des acteurs locaux lorsque ces derniers n’auront pas réussi à engager un diagnostic partagé sur l’offre et les besoins des populations. Quand le pilotage automatique de la co-participation ne se fait pas, le pilote doit reprendre la main. C’est d’ailleurs chose faite pour les PTSM qui sont rendus obligatoires pour juillet 2020. Les agences régionales de santé, ARS, amenées à conduire la politique publique de santé mentale de l’État au niveau local, doivent être outillées et en capacité de répondre aux sollicitations des acteurs locaux parfois désemparés devant la tâche et les démarches jugées absconses. À cet égard, une mission de l’IGAS pourrait être diligentée pour examiner plus précisément leur fonctionnement au regard des missions qui leur sont confiées, identifier les freins mais aussi leurs besoins, notamment financiers, en particulier pour mieux accompagner le développement des PTSM.

Un État chef d’orchestre est aussi un État régulateur. En la matière, il dispose d’un levier d’action financier pour :

● Mieux articuler l’offre publique du secteur et celle du privé au travers des mécanismes de financement en cours de révision, en organisant aussi la participation du secteur privé à la permanence des soins, par exemple en rééquilibrant l’installation des libéraux, en contrôlant l’hospitalisation à temps plein dans le privé (qui, de 2003 à 2016, a augmenté de 8 % là où elle diminuait de 13 % dans secteur public).

● Parachever la péréquation de la dotation annuelle de financement, DAF, entre les régions, voire en infra régional quand cela est nécessaire.

● Pérenniser, voire augmenter, la DAF afin d’entamer le développement par exemple de l’extrahospitalier tel que préconisé par la mission, et la flécher sur les secteurs où les délais pour un premier rendez-vous excèdent trois mois. A ce jour, la ministre de la santé a alloué 100 millions d’euros de crédits pérennes supplémentaires en 2019.

● Assurer la transparence des moyens financiers, autrement dit, la traçabilité analytique de la DAF, dont l’évaporation a été rappelée par les personnes auditionnées.

● Et parce qu’il ne pourrait y avoir de santé mentale hors contexte social, traduire la dimension de précarité et de pauvreté dans les crédits de la Mission Solidarité, insertion et égalité des chances ([5]) pour réaffirmer le lien à la société et le contractualiser avec les collectivités territoriales.

II.   Retisser le maillage territorial de la santÉ mentale sur la base du secteur extrahospitalier avec l’aide des PTSM

L’expérience probante de la psychiatrie sociale menée à Trieste, initiée par Franco Basaglia ([6]), ou encore celle du secteur 59G21 à Lille, dont la mission se fait l’écho, repose sur une division en secteurs, qui loin de faire débat est considérée comme le socle de la réussite de ces deux dispositifs sanitaires extrahospitaliers.

A.   Le secteur, l’ossature de l’offre de proximitÉ gÉnÉraliste

Plusieurs intervenants ont défendu l’idée d’un guichet unique de secteur, sorte de plateforme de soins de proximité, généraliste, en santé mentale, largement accessible (en termes d’horaires d’ouverture et de soins non programmés), sans liste d’attente, au cœur de la cité, organisée en équipes pluridisciplinaires, en liaison avec les associations, les familles et les autres acteurs locaux.

Selon les configurations locales et les contextes, ce guichet unique pourrait être implanté dans plusieurs antennes locales, dans un centre médico-psychologique, CMP, un CMP-IJ (infanto-juvénile), ou toute autre antenne de soins primaires, sanitaire, ou médico-sociale (maisons des adolescents, centres sociaux…) pour peu que l’équipe intervenante soit interdisciplinaire (composé de psychiatres, psychologues, infirmiers, psychomotriciens, travailleurs sociaux, médiateurs santé pairs, secrétaires).

Il serait renforcé par une équipe dédiée aux soins mobiles.

Il serait articulé avec un service de diagnostic et de soins, et un autre d’urgences dont l’implantation n’est pas forcément hospitalière, générale ou psychiatrique. En cette période de volonté politique d’un pacte de refondation des urgences, il serait utile d’inscrire aussi les urgences psychiatriques dans des structures extrahospitalières disposant d’une équipe clinique pluridisciplinaire et d’un recours à un plateau technique de biologie et d’imagerie.

Ce secteur conserverait des fonctions de soins aigus et chroniques, d’urgences, de prévention et d’accompagnement de proximité. Proximité et réactivité permettraient de sortir de la vision d’une psychiatrie générale et répétitive, ou plutôt cédant à cette pulsion de répétition, pénalisant l’intégration d’interventions plus spécialisées ([7]).

B.   Le PTSM, outil de liaison, garant de la gradation des soins jusqu’au niveau 3

Là où le secteur est le garant d’un maillage de tout le territoire et le socle des mises en réseau pour les soins primaires, le PTSM serait le garant de la bonne gradation des soins entre les niveaux d’adaptation aux besoins des patients et des logiques interstitielles. Ce faisant, il s’assurerait que les logiques intersectorielles, de secteurs ou de pôles, intra ou extrahospitalières, et spécialisées (sur certaines pathologies ou prenant en charge un public particulier…) soient bien prises en compte dans les diagnostics de territoire.

Le PTSM serait ainsi en responsabilité des fonctions de soins (de second niveau et spécialisés), des urgences, de prévention, d’accompagnement et insertion, de recherche, de formation.

C.   DÉvelopper le secteur extrahospitalier

La recommandation vise d’abord à étoffer le secteur extrahospitalier (et revenir à l’esprit du secteur à sa création) avant d’envisager tout gel des lits dans le public ce qui aggraverait considérablement les tensions aux urgences, générales et  psychiatriques. Reprenant les données transmises par la Direction générale de l’offre de soins, DGOS ([8]), la mission a démontré que les solutions alternatives à l’hospitalisation à temps plein restent marginales. Elle rappelle à juste titre que le rapport Piel-Roelandt de 2001 ([9]) fixait déjà comme objectif de répartir les personnels entre l’hospitalisation à temps plein d’une part, les soins ambulatoires et d’insertion d’autre part, selon une proportion de 40/60. Or, en 2017, seulement 43 % du personnel soignant non médical exerçaient hors unité d’hospitalisation à temps plein en psychiatrie générale. Les rapporteures fixent au terme d’une dizaine d’années un objectif de 80 % du personnel de l’hôpital psychiatrique sur l’ambulatoire. Pour le président, cet objectif pourrait être réalisé plus progressivement, après établissement d’objectifs intermédiaires sans omettre toutefois que le recours à l’hôpital, conformément à son sens étymologique, reste pour les plus démunis et ceux qui n’ont déjà plus de médecins traitants, le lieu de l’hospitalité. Le palmarès hospitalier récemment et annuellement publié dit aussi beaucoup de ce rapport ambivalent à l’hôpital : un lieu idéalement vu comme temple de l’excellence pour tous et vécu par les initiés comme marché du temple de la consommation et de la concurrence entre établissements. Veillons à ce que cette marchandisation n’emporte pas nos principes et nos valeurs de solidarité au profit d’une performance ([10]) bien souvent contraire à la singularité de la relation de soins.

Comme indiqué précédemment, il conviendrait de développer les potentialités offertes par le numérique pour faciliter les prises en charge à domicile telle l’HAD (hospitalisation à domicile) ou, si on préfère une appellation moins hospitalocentrée et pour en faciliter le développement, en SIPAD (Service Intensif de Psychiatrie À Domicile). Enfin, selon les principes de la remédiation cognitive et de la réinsertion psychosociale, le numérique peut aussi être utilisé pour augmenter les moyens actuels de la psychiatrie en matière de suivi extrahospitalier pluridisciplinaire, ou encore de la prévention ou d’éducation thérapeutique voire même de l’anticipation des crises en traitant les premiers symptômes pour éviter les hospitalisations.

Le président de la mission pense d’ailleurs qu’un changement de paradigme s’avère nécessaire dans les parcours en psychiatrie. Nous sommes encore trop souvent à envisager la réhabilitation dans le meilleur des cas dans un schéma médical de prévention secondaire de l’après-coup, ou pire, dans une prévention tertiaire de réparation. Il convient en réalité de refonder toute la santé mentale autour de cette réhabilitation qui doit être repositionnée au centre des pratiques de soins et d’accompagnement. Cette nouvelle vision de la santé mentale, ce nouveau paradigme, permettrait de moins se centrer sur la maladie que sur les répercutions fonctionnelles et le travail d’adaptation aux incapacités ([11]). Mais surtout sur l’expérience de vie des patients et la trajectoire qui restent d’espoir et de réalisation.

Le parcours de soins et de santé se porteraient mieux en les intégrant dans une trajectoire de vie !

C’est toute une nouvelle approche non seulement inclusive du handicap psychique mais régulièrement adaptative aux complexités existentielles du temps vécu ([12]) qui ne se limiterait alors plus seulement à la rémission des signes fonctionnels positifs ou négatifs. La psychiatrie et les patients ne sortiront de la stigmatisation que lorsque la folie, condition ordinaire de l’humanité, deviendra  un sujet de droit et non pas seulement un objet de soin. Pour convaincre la population, pour sortir du jeu des fantasmes, il est nécessaire de remettre le fou dans la ville et démontrer ainsi que le problème des impulsions agressives et des états réputés dangereux ne sont pas propres à la folie mais à la condition humaine ([13]).

La psychiatrie française doit prendre son virage citoyen, c’est-à-dire être soucieuse d’une autonomie restaurée. Dans cette approche, les associations et la pair-aidance sont des médiateurs incontournables dans le savoir pratique du vécu, du parcours de soins et de vie, des rechutes et du rétablissement. L’expertise expérientielle paraît la plus indiquée pour l’élaboration des politiques de santé publique ; elle participe directement à leur efficience et leur efficacité.

Lors du déplacement de la mission d’information à Limoges, un bilan du fonctionnement du Pôle des Usagers du centre hospitalier Esquirol a été présenté. Créé à l’origine en 2005 sous forme d’une Maison des Usagers pour développer la démocratie sanitaire et l’alliance thérapeutique, il est devenu un pôle en 2014 au même titre que les autres pôles de l’hôpital et développe dorénavant également des formations aux usagers, un accompagnement social, familial, culturel, juridique et individuel ainsi que  des actions de déstigmatisation. Une dynamique de bientraitance est à souligner avec la présence d’un référent bientraitance et l’élaboration d’une charte bientraitance pour améliorer les pratiques professionnelles dans le respect de chacun dans son individualité, son intégrité physique et psychique, dans sa dignité et son intimité.

On peut aussi s’étonner que tous les diplômes d’études spécialisées, DES, de psychiatrie n’élaborent pas un séminaire de psychiatrie communautaire qui aborderait :

– Le rétablissement et les dispositifs existants de réhabilitation psychosociale ;

– Les pratiques institutionnelles et la fonction de contenance qu’il ne faut pas confondre avec la maîtrise et sa forme sécuritaire ;

‑ Et enfin la sectorisation, en rappelant que ce qu’il s’y passe n’est pas symptomatique du secteur mais bien l’expression de la crise profonde que connaît notre système de santé et particulièrement son hôpital public qui peine à recruter des praticiens hospitaliers. 27,4 % de postes de praticiens hospitaliers, PH, à temps plein soit 19 000 places toutes spécialités confondues, non pas été pourvus statutairement en 2018 ([14]). 12 000 contractuels et PADHUEs (praticiens à diplômes hors Union européenne), viennent compléter les effectifs malgré des contrats d’une grande précarité au regard du recours à des intérimaires et à des praticiens cliniciens. Pour le président de la mission, les difficultés du secteur psychiatrique sont aussi celles de notre fonctionnement sanitaire, social et démocratique. Il est aussi utile de se souvenir qu’au cours de la Seconde guerre mondiale, pas moins de 45 000 internés sont morts de faim dans les asiles en France rendant la prise de conscience qu’après la barbarie d’un système, les solidarités devaient l’emporter sur l’exclusion. Cette politique d’égalité dans l’accès aux soins psychiatriques et d’une éthique de l’accueil et de la disponibilité, véritable antidote à l’aliénation sociale, a un nom dans notre République : le service public et son pendant en psychiatrie que constitue le secteur ([15]) !

Enfin, en matière de formation, il conviendrait d’encourager les stages des internes en psychiatrie et en médecine générale dans les structures extrahospitalières ou en cabinets de psychiatres libéraux, maîtres de stages. Les étudiants auditionnés durant la mission ont particulièrement insisté sur le besoin en formations transdisciplinaires et en psychothérapies.

III.   Restaurer la qualitÉ de la relation : pour une relation plus bienveillante

Le soin est un humanisme ([16]), une praxis humaniste. En ce qui concerne la santé mentale plus particulièrement, se joue une éthique de la relation qui engage un collectif de soignants, impliqués en tant que corps social dans une rencontre avec d’autres corps organiques, des sujets en souffrance. Cela nécessite du temps. Et, à bien des égards, le manque de temps, les contraintes normatives excessives, les procédures de soins sans consentement et leur inflation sur le mode du péril imminent ou des soins à la demande d’un représentant de l’État, l’engorgement des services, altèrent cette qualité de la relation. Le soin, en ne faisant plus sens, peut devenir maltraitant. Il devient alors urgent de redonner du sens pour les soignants ([17]).

Cette qualité de la relation, plus bienveillante, doit être restaurée à trois niveaux :

● Entre l’administration et les professionnels ;

● Entre les professionnels entre eux, ceux du champ sanitaire et tous les autres ;

● Entre les professionnels et les patients et leurs familles.

A.   Restaurer la qualitÉ de la relation entre l’administration et les professionnels : refonder l’Évaluation sur des valeurs partagÉes

La méfiance ne date pas d’hier : l’administration reproche aux professionnels de la santé mentale d’être rétifs à toute évaluation tandis que ces derniers se sentent maltraités par une administration, qui tout en appelant les professionnels à mettre en œuvre des bonnes pratiques, renforce les contraintes organisationnelles, contraint les budgets, réduit le temps disponible, en somme dénature les conditions mêmes de la réalisation des bonnes pratiques. Les professionnels se sentent pris en étau, sommés de suivre des injonctions contradictoires : assurer la qualité des soins d’un côté, et d’un autre, appliquer des protocoles dont la mise en œuvre détachée d’une clinique du sujet nuit à la qualité des soins.

Une organisation territoriale de la santé mentale qui n’aborderait pas cette éthique de la reconnaissance des singularités se verrait bien volontiers heurtée par un « ça dépend ». Un « ça dépend » qui fait souvent écho à une tentative pragmatique de solutions suite à une rencontre inattendue du vendredi soir en centre médico-psychologique (CMP). Une telle organisation viendrait à banaliser la rencontre, l’accueil, l’humanité du soin en une simple offre de services désincarnée dans un regard non plus empathique mais bureaucratique. Plus de quinze années de psychothérapies ont d’abord appris au président de la mission que l’alliance thérapeutique débute dès l’accueil et qu’une organisation doit être suffisamment souple pour permettre cet accueil tout particulièrement avec les adolescents et dans les cliniques de la précarité. A tel point que certains secteurs ont su déjà développer un vrai travail de disponibilité ([18]) grâce aux équipes mobiles qui se sont engagées dans un « aller vers » ces populations spécifiques. Ces situations de précarité non seulement des plus démunis mais aussi des plus vulnérables, permettent d’apporter un éclairage novateur en santé mentale : la grille de lecture n’est plus seulement psychopathologique mais décentrée en contexte socioculturel ([19]).

Entre l’administration et les professionnels, l’enjeu se cristallise donc autour de l’évaluation.

La Haute Autorité de Santé (HAS) le reconnaissait bien volontiers, ses recommandations ne « s’implémentent » pas bien et font l’objet d’une déperdition de l’ordre de 50 %. Elle relevait cependant lors de son audition que cela n’était pas propre au champ de la santé mentale, rappelant que les cardiologues étaient encore moins prompts à suivre leurs bonnes pratiques et préférait mettre en exergue un problème de culture des professionnels médicaux.

Pour résoudre ce hiatus, il conviendra de répondre collectivement à ces questions : qu’entend-on par évaluation ? Qu’en attend-t-on ? Sur quelles valeurs s’appuie-t-on pour évaluer ?

Sans prétendre répondre de manière exhaustive, nous pouvons souligner trois points qui devront être pris en compte :

 D’une part, la reconnaissance pleine et entière que le soin en santé mentale est par nature relationnel et existentiel ([20]). Il s’inscrit dans un temps long « du prendre soin relationnel » ([21]) distinct du « temps court du diagnostic-traitement-orientation ». Le cœur du métier en psychiatrie est d’abord une relation, qu’elle soit d’aide et d’accompagnement, psychothérapique (elles sont respectables sous toutes leurs formes) ou même de prescription biologique. Toutes ces dimensions ne peuvent prétendre à elle seules suffire dans un projet de soins et encore moins de vie. Toutes, y compris les méta-analyses, sont en réalité difficiles à traduire en actes cliniques du quotidien malgré de nombreux algorithmes décisionnaires. Il n’y a que dans les essais cliniques que l’on retrouve des groupes homogènes de patients, en clinique c’est plutôt l’essai de la singularité qui l’emporte…

Sans relation, aucun changement n’est possible et aucun dispositif n’est tenable. Toute tentative normative ne respectant pas ce postulat serait disqualifiée et n’aurait guère plus de chance de s’« implémenter ». Rêver à une organisation idéale qui satisferait à tous les indicateurs au risque d’une rigidité extrême ne doit pas faire oublier que ce sont des femmes, des hommes et des enfants qu’il s’agit d’accompagner dans un parcours de soins personnalisés venant s’inscrire dans une histoire de vie particulière.

● D’autre part, la pertinence des actes et leurs indicateurs doivent être évalués en lien avec une clinique du sujet singulier et non plus seulement en référence à des fins médico-économiques. De même, l’accréditation des établissements de santé ne saurait se contenter d’une évaluation médico-économique mais devrait prendre en compte la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance car la qualité de vie au travail ou le climat social d’un établissement conditionne à bien des égards la qualité de la relation, et par conséquent du soin.

● Enfin, l’évaluation de la qualité des soins, attendue par les patients, doit pouvoir accueillir plus largement la parole du patient ([22]) même si cette parole nous heurte notamment dans notre raisonnement médical hypothético-déductif. Cette évaluation passe aussi par des espaces d’échanges et de travail entre professionnels, où chacun peut exprimer ses doutes, les freins aux interventions quotidiennes face à des situations complexes et qui permettent de reconstruire le sens des actions et de l’ajuster si besoin. On ne le répètera jamais assez, cette qualité apportée aux soins tout comme à son évaluation nécessite du temps long alors que beaucoup d’équipes en souffrance ne bénéficient plus d’un temps de supervision où exprimer leur malaise. Et, permettre de repartir plus à l’aise avec les situations réputées difficiles.

B.   Restaurer la qualitÉ de la relation entre professionnels : renforcer les partenariats et le travail collaboratif et pluridisciplinaire

Disons-le en préalable, sur le terrain, les praticiens sont pragmatiques et la collaboration pluridisciplinaire, particulièrement chez les jeunes générations de psychiatres, est une pratique quotidienne. Cependant l’enjeu est important car il s’agit ni plus ni moins d’accueillir le plus librement possible la souffrance psychique.

Dans cette optique, la mission se prononce pour le remboursement des psychothérapies effectuées par les psychologues, en pérennisant les expérimentations actuellement en cours, l’une menée par l’assurance maladie dans quatre départements qui concerne les adultes souffrant de troubles légers à modérés, et l’autre, « Ecout’Emoi » issue de la LFSS pour 2017, qui se poursuit dans trois départements et concerne les jeunes de 11 à 21 ans en situation de souffrance psychique.

La collaboration entre professionnels suppose que chacun intervienne dans les limites de son champ de compétences et dans le respect de celui des autres. Ce faisant, on comprend mal le verrou de la prescription médicale qui peut encore exister dans les CMP afin d’accéder à une consultation de psychologue.

La mission préconise aussi un rôle accru des infirmiers en pratique avancée en psychiatrie dont la formation devra être étoffée autour, notamment, de l’alliance thérapeutique, de la relation d’aide et d’entraide mutuelle, du rétablissement, de la psychoéducation, de l’accompagnement social et des familles, de l’« aller vers », de la lutte contre la stigmatisation et les préjugés, de la promotion de la prévention en santé mentale.

Le renforcement des partenariats et du travail collaboratif passe aussi par le développement des formations interdisciplinaires, pluriprofessionnelles, comme les formations actions.

C.   Restaurer la qualitÉ de la relation entre les professionnels et les patients 

Ce travail pourrait s’articuler autour de trois axes :

1.   La lutte contre le retard au diagnostic qui constitue une réelle perte de chances pour le patient

75 % des maladies psychiatriques débutent avant l’âge de vingt-cinq ans ([23]). Dans le cadre des troubles du spectre de l’autisme, l’âge moyen au diagnostic est de cinq ans et demi (contre six mois selon les recommandations de la HAS) et 10 % des enfants sont diagnostiqués huit ans après la détection des premiers symptômes ([24]). Le retard de diagnostic serait entre huit et dix ans pour ce qui concerne les troubles bipolaires et de deux ans la durée de la psychose non traitée ([25]). Pour les populations précaires, les SDF par exemple, les résultats de l’étude Samenta ([26]), réalisée en 2009 en Île-de-France, était déjà sans appel : un tiers de cette population souffrait d’un trouble psychiatrique sévère, soit une prévalence dix fois plus importante qu’en population générale mais la majorité d’entre elles n’étaient pas suivies. La prévention est insuffisante et ses conséquences tragiques et alarmantes, en particulier pour les populations les plus vulnérables.

Certes la formation des médecins généralistes doit être renforcée ([27]) comme le préconise la mission. Mais il serait illusoire de leur confier une mission de diagnostic au regard du temps moyen de leur consultation. En revanche, une cartographie sanitaire simplifiée et lisible, articulée autour d’un guichet unique de secteur en soins primaires en santé mentale, et diffusée largement auprès des praticiens libéraux, pourrait favoriser leur intégration dans les réseaux de soins et l’orientation plus rapide et efficace des patients souffrant de troubles psychiques.

Pour améliorer la prévention, la question de la psychoéducation, ou éducation thérapeutique à la santé mentale, mérite d’être posée également. Est plébiscitée toute mesure contribuant à renforcer la mise en réseau entre les professionnels de la santé, du soin et l’Éducation nationale. L’implication plus étroite des psychologues scolaires au sein du comité stratégique de pilotage de la psychiatrie (COPIL) à la DGOS pourrait notamment y contribuer. La création d’une mission de psychologue conseiller technique auprès du ministre, du recteur et du directeur du service départemental de l'Éducation nationale paraît également souhaitable ([28]).

Enfin, la prévention passe par une diffusion plus large des gestes qui sauvent, y compris en santé mentale, telle que l’avait déjà annoncé le gouvernement en mars 2018 dans son plan Priorité Prévention. À terme, le référentiel des secouristes en équipe pourrait être réactualisé et étoffé en matière de troubles psychiques.

La prise en charge par les secouristes et les pompiers en lien avec les centres de régulation 15/SAMU pourrait être améliorée afin d’une part, de sécuriser l’intervention des secouristes et d’autre part, d’orienter les patients vers les bonnes structures. Le président de la mission souligne à cet égard l’expérience en cours entre la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et le centre psychiatrique d’orientation et d’accueil (CPOA) de l’hôpital Saint-Anne, qui permet de fournir une évaluation et un avis psychiatrique téléphonique aux équipes de secours et favorise la prise en charge de situations complexes, y compris pour les patients non coopérants.

2.   La réaffirmation du libre choix du patient

L’article L. 3211-1 du code de la santé publique affirme clairement que « toute personne faisant l’objet de soins psychiatriques ou sa famille dispose du droit de s’adresser au praticien ou à l’équipe de santé mentale, publique ou privée, de son choix tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du secteur psychiatrique correspondant à son lieu de résidence ». La sectorisation, comme les textes l’indiquent, ne s’oppose pas au libre choix du patient, mais les contraintes organisationnelles, financières qui pèsent sur certains secteurs rendent délicate son application.

3.   La réaffirmation de la liberté thérapeutique

La pluralité des thérapies doit être reconnue et toute thérapie dominante et exclusive doit être condamnée comme abusivement dangereuse. La place des psychothérapies, pourtant bien identifiées par les patients, doit être reconnue. Les psychothérapies doivent être institutionnalisées, enseignées et remboursées.

Comme la mission l’y invite, la question du recours à la contrainte et la question de l’augmentation des soins sans consentement doit être à nouveau posée.

Selon l’étude de l’IRDES, le nombre de personnes hospitalisées sans leur consentement tend à augmenter plus vite que la file active hospitalisée à temps plein ([29]), ce qui n’est pas sans incidence sur la pression qui pèse sur l’hôpital psychiatrique public. La mission relève également une prédominance des questions d’ordre public sur celles de santé publique, à telle enseigne que le nombre de patients déclarés pénalement irresponsables augmente, que les demandes de second avis médical en cas de levée d’une mesure de soins sans consentement à la demande du représentant de l’État sont elles aussi en hausse et que, de plus en plus régulièrement, le préfet rejette des demandes de permissions non accompagnées. Enfin, la hausse des procédures simplifiées dites de péril imminent serait directement liée à un report des urgences sur la psychiatrie faute de lits disponibles.

Plus globalement, l’hétérogénéité des pratiques sur le territoire en matière de soins sans consentement ne cesse d’interroger sur les fondements réellement cliniques de cette pratique qui a pourtant de graves conséquences en termes de privation de liberté et de droits pour les patients. À cet égard, il apparaît incongru pour le président de la mission, à l’instar de ses prédécesseurs Denys Robillard et Denis Jacquat ([30]), que les frais d’avocat pour les patients en soins sans consentement ne soient pas pris totalement en charge par la puissance publique, ou de manière inégale selon les tribunaux, dans la mesure où c’est la loi qui rend obligatoire l’assistance d’un avocat.

Enfin, si le COPIL s’est emparé de la thématique « limitation et encadrement du recours aux soins sans consentement et aux pratiques de contention et d’isolement », le sujet mérite un suivi interministériel, voire un débat parlementaire annuel, sur la base des données fournies par l’Observatoire des soins sans consentement en cours d’installation. 

4.   La restauration du pouvoir d’agir ou empowerment du patient : la pair-aidance

Bien que le concept de pair-aidance existe depuis le XIXe siècle, qu’il ait été largement plébiscité par les associations d’usagers en santé mentale dès 1950 et que son développement ait été recommandé par la mission Couty ([31]) dans la foulée de la loi du 11/02/2005 ([32]), il peine à se généraliser en France ([33]).

Il repose sur l’idée qu’à partir de son expérience de la maladie psychique et de sa compréhension de son propre processus de rétablissement, le patient peut aider un autre patient à surmonter les obstacles et identifier les ressorts d’un mieux-être. La thérapie s’appuie sur les ressources propres du patient et contribue ainsi à rompre avec l’isolement et la stigmatisation des malades psychiques.

La mission et son président préconisent un essor plus important de ces initiatives telles que le « Relayaz 974 » porté par l’APAJH de la Réunion qui fait intervenir des pairs-aidants en binôme avec un assistant social professionnel dans le cadre d’interventions mobiles, à domicile, sur demande d’un patient ou de son entourage, ou encore « un chez soi d’abord », ou enfin le Pôle des usagers au Centre hospitalier Esquirol de Limoges. Ce dernier pousse l’expérience de démocratie sanitaire jusque dans la stratégie thérapeutique. Les usagers sont ainsi activement intégrés à la vie de l’hôpital ainsi que dans « une alliance thérapeutique » entre médecin et malade pour améliorer la prise en charge des patients.

IV.   En guise d’ouverture : pour « aller vers »

En guise d’ouverture, un questionnement semble nécessaire. Comment se fait-il que malgré les nombreux rapports remis depuis vingt ans aucune mesure structurante n’ait été portée par la puissance publique ? Pourtant, l’enjeu majeur que constitue la santé mentale est unanimement reconnu. Tout comme est partagé ce diagnostic selon lequel il est impératif de créer les conditions pour qu’un même panier de soins soit proposé sur l’ensemble du territoire.

Faut-il y voir une résistance aux changements des acteurs ? Les nombreux déplacements effectués dans le cadre de la mission et toutes les rencontres faites avec ces mêmes acteurs témoignent du contraire. Des innovations parfois confidentielles voient le jour pour épouser au plus près les interstices de la vie quotidienne. Des outils et des dispositifs sont élaborés souvent dans un bricolage financier non pérenne fragilisant des projets pourtant utiles et nécessaires telles les équipes mobiles.

Les acteurs sont appelés à approfondir les coopérations en co-construisant un PTSM au niveau d’un territoire, en général départemental et, au niveau intercommunal, un CLSM. Ces deux outils doivent être élaborés dans un esprit transdisciplinaire et de diagnostic partagé à l’initiative des professionnels et des établissements partenaires. La fonction de coordination revient de fait à un des partenaires de terrain.

Il appartient dès lors aux tutelles de modéliser cette nouvelle offre expérientielle, issue du terrain clinique et garantissant à tous l’égal accès à des soins de qualité et de proximité tant dans les soins primaires, d’expertise ponctuelle et de recours spécialisés si besoin.

Il appartient à la puissance publique de rétablir durablement l’organisation en santé mentale des territoires.

Il en va du parcours de soins et de vie des patients. Il en va du rétablissement, ce nouveau paradigme, où l’espoir de se remettre se lie au désir de transmettre des pairs-aidants. Il en va de la dignité du patient qui est préservée, de la reconnaissance de sa singularité et du respect de son identité.

Il en va de la reconnaissance aussi de ces femmes et de ces hommes, professionnels, familles et aidants, qui rendent possible cette trajectoire de vie !

Il en va enfin de la fameuse parole de François Tosquelles (1912-1994) ([34]), psychiatre catalan, militant communiste et républicain engagé, qui a fui l’Espagne franquiste que « sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c’est la notion même d’homme qui disparaît ».

Il en va que cette sentence ne puisse devenir une prophétie ….

 

 

 

 

 

 


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SYNTHÈSE DU RAPPORT

 

 

Dans un contexte de tensions sociales très fortes, notamment au sein de la communauté hospitalière, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a lancé en janvier 2019 une mission « flash » sur le financement de la psychiatrie.

 

Les conclusions de cette première mission amenaient autant de réponses que de nouvelles questions : financer plus et mieux, oui, mais que financer, comment, pour quels objectifs ? Cette mission concluait à la nécessité absolue de refonte du modèle de financement de la psychiatrie, tout en invitant à aller beaucoup plus loin et à réfléchir aux forces et aux faiblesses de l’organisation des soins psychiatriques en France et, plus largement, de la santé mentale.

 

Suite à ces propositions, la commission des affaires sociales a décidé de la création d’une mission d’information relative à l’organisation territoriale de la psychiatrie.

 

Tout au long de cette mission, les rapporteures ont été guidées par une question : l’offre de services en santé mentale correspond-elle aux besoins de la population ? La prise en charge psychiatrique offerte à nos concitoyens est-elle de qualité sur l’ensemble du territoire ? Pour répondre à ces questions cruciales, la mission a choisi, en plus d’auditions indispensables à Paris, d’axer ses travaux sur des visites « de terrain », qui l’a menée dans plusieurs régions de France métropolitaine ainsi qu’à La Réunion et à l’étranger, en Italie et en Belgique.

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*     *

L’organisation territoriale de la psychiatrie est extrêmement spécifique du fait de sa structuration depuis le siècle dernier en « secteurs ». Cette notion de sectorisation structure la prise en charge, le secteur étant l’aire géographique au sein de laquelle l’offre de soins de proximité est proposée. Sur chacun des secteurs, des hôpitaux publics - ou privés assurant des missions de service public - sont chargés d’organiser le parcours des patients domiciliés sur ce territoire, en gérant à la fois l’hospitalisation mais également une multiplicité des services « hors les murs » : centres médico-psychologiques, centres d’accueil thérapeutiques à temps partiel, appartements thérapeutiques, etc. Progressivement consacrée dans les textes à partir de 1960, cette notion de secteur a été supprimée par la loi HPST de 2009, avant d’être réintroduite et précisée par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016, sans toutefois qu’elle ait jamais disparu sur le territoire.

 

Du fait de la nature même de la santé mentale, de très nombreux autres acteurs que ceux de la psychiatrie sectorisée interviennent sur le terrain : établissements de santé publics et privés, acteurs du médico-social chargés du handicap psychique, psychiatres et généralistes libéraux, mais aussi, et beaucoup plus largement, de nombreux professionnels de santé libéraux. S’ajoutent de nombreuses autres parties prenantes éloignées du domaine de la santé mais tout aussi concernées : Éducation nationale, police, justice, bailleurs sociaux… Des dispositifs innovants ont été mis en place pour coordonner ces acteurs : les conseils locaux de santé mentale (CLSM), tout d’abord, puis, depuis la loi de modernisation de notre système de santé de 2016, les projets territoriaux de santé mentale (PTSM).

 

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*     *

Lors de leurs déplacements, les rapporteures ont pu constater les nombreux dysfonctionnements qui jalonnent le parcours du patient.

 

- Le développement du suivi ambulatoire, ainsi que des structures d’amont et d’aval, reste très largement insuffisant par rapport à la demande de soins. De ce fait, la pression que subit toute la filière de soins se concentre sur l’hôpital psychiatrique.

 

Alors que le nombre de lits d’hospitalisation en psychiatrie par habitant a diminué de moitié depuis les années 1990, la densité de lits d’hospitalisation en France reste parmi les plus élevées de l’OCDE. Parallèlement, des structures ambulatoires ont été développées, qui ne permettent pas de répondre à la demande croissante. Partout, les CMP, pivots de la prise en charge ambulatoire, sont saturés. En psychiatrie générale le premier rendez-vous avec un psychiatre peut atteindre trois mois, et parfois bien plus. En libéral, les délais de prise en charge peuvent également être très longs, et, dans les faits, les témoignages recueillis par la mission montrent que les psychiatres libéraux semblent prendre peu d’urgences et de nouveaux patients. Le résultat est évident : face à l’impossibilité d’avoir rendez-vous au CMP ou chez un psychiatre libéral au début de la crise, en particulier le soir et le week-end, les patients n’ont d’autre solution que les urgences, puis d’être hospitalisés, alors que la crise aurait pu être évitée si elle avait été traitée en amont.

 

Parallèlement, le recours à l’hospitalisation sans consentement s’accroît, faisant peser une pression supplémentaire sur un hôpital public déjà embolisé.

 

Enfin, l’absence de structures d’aval, notamment médico-sociales, conduit à des durées d’hospitalisation beaucoup trop longues pour des patients « chronicisés », stabilisés et n’ayant plus besoin d’un lieu de soin, mais d’un simple lieu de vie adapté à leurs besoins.

 

Enfin, s’il ne s’agit pas ici de nier que le principal problème de la santé mentale est avant tout l’insuffisant accès aux soins primaires pour un plus grand nombre, la prise en charge spécialisée apparaît également comme insuffisante : si la structuration en secteurs promeut une psychiatrie généraliste accessible à tous sur l’ensemble du territoire, elle a pu freiner le développement d’une expertise plus spécialisée, indispensable pourtant pour certains patients.

 

- L’hôpital psychiatrique est saturé mais aussi très isolé dans la prise en charge des patients souffrant de troubles psychiques, dans un système très cloisonné dans lequel les acteurs peinent à se coordonner : le « secteur » se retrouve alors contraint de tout faire, sans en avoir les moyens.

 

Ainsi, les médecins généralistes, qui sont souvent le premier recours dans la prise en charge des troubles psychiques (20 % à 30 % des consultations des médecins généralistes seraient liées à ces troubles), sont bien peu armés pour les repérer et les prendre en charge et orienter leurs patients dans le labyrinthe de la psychiatrie.

 

Le cloisonnement entre les disciplines, la complexité des parcours et la stigmatisation des patients atteints de troubles psychiques ont également pour conséquence dramatique la très mauvaise prise en charge somatique de ces personnes. Un chiffre suffit à s’en convaincre : la réduction de l’espérance de vie des personnes suivies pour des troubles psychiques atteint en moyenne 16 ans chez les hommes et 13 ans chez les femmes. Ici encore, l’hôpital psychiatrique se retrouve contraint d’assurer une grande partie des soins somatiques dont les patients ont besoin.

 

- Si le constat d’une structuration territoriale inadaptée aux besoins du patient est valable dans l’immense majorité des territoires visités par la mission, les différences se creusent par ailleurs en fonction des régions, des départements et même entre secteurs, créant ainsi de fortes inégalités dans les prises en charge.

 

En dépit de l’ambition initiale du secteur de proposer des soins de proximité sur tout le territoire, l’offre intra-hospitalière, ambulatoire, comme celle des cliniques privées, est en réalité très inégalement répartie. Et cela, alors même que, tout comme les lits d’hospitalisation, les psychiatres sont nombreux en France…

Enfin, au-delà de la question des structures de soins sur l’ensemble du territoire, les pratiques médicales sont également excessivement hétérogènes, notamment d’un secteur à un autre.

 

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L’organisation territoriale de la santé mentale est donc tout à la fois inefficiente et inefficace. Il en résulte une prise en charge des patients catastrophique.

 

Du fait du dédale du parcours en psychiatrie, de l’encombrement des CMP mais aussi de l’insuffisance formation des professionnels en première ligne (médecins généralistes, médecins scolaires, professionnels de la petite enfance, enseignants…), le retard au diagnostic est beaucoup trop important et le repérage des signaux faibles est inexistant. Par exemple, dans le cas de la schizophrénie, la durée de la psychose non traitée est évaluée à deux ans, et, en ce qui concerne les troubles bipolaires, le retard est estimé entre huit et dix ans. Cette longue errance que vivent les patients avant d’être diagnostiqués est évidemment source d’une grande souffrance, mais aussi d’une importante perte de chance, un traitement mis en place tardivement ayant beaucoup moins d’efficacité.

 

L’observation de terrain lors des nombreux déplacements effectués par la mission, amène vos rapporteures à s’interroger : l’hôpital psychiatrique, tel qu’il existe aujourd’hui en France, peut-il encore soigner les malades ?

 

Le constat est sans appel : la filière psychiatrique, et en particulier la psychiatrie publique, est au bord de l’implosion, et la sur-occupation des lits est un fléau pour les patients comme pour les soignants. Dans plusieurs établissements visités, les soignants ont expliqué que, du fait de la sur-occupation des lits, les patients placés en chambre d’isolement ou « d’apaisement » ne peuvent parfois plus revenir dans leur chambre initiale car celle-ci a entretemps été attribuée à un autre patient… Dans certains des établissements visités, les rapporteures ont même pu constater que des patients en soins libres étaient placés en unité fermée, les chambres en unités ouvertes étant toutes occupées !

 

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Face à ces constats désastreux, les rapporteures appellent à un changement structurel de l’offre de soins en santé mentale, qui doit être organisée autour du patient, et non plus autour de structures.

 

1/ Les rapporteures insistent sur l’importance de réaffirmer le libre-choix du patient.

2/ Fortes de leurs déplacements à l’étranger, elles sont convaincues de la nécessité d’opérer un virage ambulatoire beaucoup plus poussé et de s’orienter vers un travail « en réseau ».

 

Il est urgent de déployer des moyens importants sur les structures extrahospitalières, qu’elles soient sanitaires, sociales ou médico-sociales. Ce changement de paradigme doit notamment passer par le développement massif d’équipes mobiles sur l’ensemble du territoire mais aussi de structures d’amont et d’aval.

 

Sans forcément partager tous les axes des solutions possibles qu’elles présentent, les rapporteures sont unanimes quant aux éléments qui fondent leur diagnostic et leur constat.

 

3/ Les rapporteures insistent sur la nécessité de conforter les instances de concertation et de proximité que sont les conseils locaux de santé mentale et les projets territoriaux de santé mentale. Pour les rapporteures, ces PTSM sont porteurs de grands espoirs, mais ils doivent être accompagnés par les ARS et leur mise en œuvre doit être dotée de moyens, sauf à courir le risque de n’être que des coquilles vides, malgré un investissement très fort – et chronophage – des acteurs sur le terrain. Ils seront animés par des coordonnateurs territoriaux.

 

Pour plus de cohérence, ces politiques locales auront besoin d’une politique nationale de santé mentale. Dès lors, elles proposent notamment la création d’une agence nationale de la santé mentale et d’un délégué interministériel.

 

4/ Enfin, les rapporteures insistent sur la nécessité d’organiser une meilleure gradation des soins, de garantir un accès aux soins de proximité pour tous, mais aussi de permettre le développement d’une expertise spécialisée accessible à tous et de développer des solutions de soins accessibles à tous.

 


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   DÉplacements effectuÉs par la mission

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


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Ce rapport est dédié à tous les malades, d’hier, d’aujourd’hui, et de demain, et à leurs proches.

Il est aussi dédié à Christine, cadre de santé en psychiatrie, qui a mis fin à ses jours, et dont le décès tragique a endeuillé les travaux de la mission. Que ce rapport fasse que cela n’arrive plus.    

 


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Introduction

« On juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses marges, ses fous et ses déviants »

Lucien Bonnafé, Désaliéner ? Folie(s) et société(s), 1991.

En janvier 2019, un mouvement social intitulé « Le Printemps de la psychiatrie », émergeant après des mouvements sociaux d’ampleur dans plusieurs établissements, a mis en lumière l’importance des difficultés rencontrées par cette discipline. Le manifeste de ce « Printemps » débutait par ces mots : « la psychiatrie et la pédopsychiatrie n’en peuvent plus. Depuis déjà plusieurs décennies, ceux qui les font vivre ne cessent de dénoncer leur désagrégation et de lutter contre le déclin dramatique des façons d’accueillir et de soigner les personnes qui vivent au cours de leur existence une précarité psychique douloureuse ».

C’est dans ce contexte de tensions sociales fortes, notamment au sein de la communauté hospitalière, que la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale s’est emparée de ce sujet dès le début de l’année, en lançant une mission « flash » sur le financement de la psychiatrie.

Les travaux issus de cette mission ([35]) ont clairement démontré que le modèle financier retenu pour les établissements de santé autorisés en psychiatrie nuisait à l’organisation de l’offre de soins, en freinant l’innovation, en pérennisant les inégalités territoriales préexistantes et en envoyant un message différent au secteur public et au secteur privé. Autant de réponses que de nouvelles questions : financer plus et mieux, oui, mais que financer, comment et pour quels objectifs ? Cette première mission concluait donc à la nécessité absolue de refonte du modèle de financement de la psychiatrie, tout en invitant à aller beaucoup plus loin et à réfléchir aux forces et aux faiblesses de l’organisation des soins psychiatriques et, plus largement, de la santé mentale.

Pour répondre à cet impératif, la commission des affaires sociales a donc décidé le 4 avril 2019 la création d’une mission d’information sur l’organisation territoriale de la santé mentale.

Contrairement à la première mission, qui portait uniquement sur la psychiatrie, le choix a été ici de s’intéresser à la santé mentale, et donc de dépasser le champ du sanitaire pour s’inscrire dans une perspective beaucoup plus globale.

Si l’on se réfère au Plan psychiatrie et santé mentale de 2011-2015, le concept de santé mentale comporte en effet trois dimensions :

– la santé mentale positive, s’approchant de la définition que donne l’Organisation mondiale de la santé de la santé mentale, « un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de la communauté ». Cette définition s’intéresse à l’ensemble des déterminants de santé mentale conduisant à améliorer l’épanouissement personnel ;

– la détresse psychologique réactionnelle, qui correspond aux situations éprouvantes et aux difficultés existentielles ;

– les troubles psychiatriques, qui se réfèrent à des classifications diagnostiques renvoyant à des critères, à des actions thérapeutiques ciblées et qui correspondent à des troubles de durée variable plus ou moins sévères et handicapants.

Tout au long de cette mission, vos rapporteures ont été guidées par une question : l’offre de services en santé mentale correspond-elle aux besoins de la population ? La question de l’organisation territoriale de la psychiatrie est évidemment centrale pour y répondre, compte tenu notamment de la spécificité de cette discipline, radicalement différente des autres du fait de son organisation depuis le siècle dernier en « secteurs », unités fondamentales d’organisation de la psychiatrie.

Pour mener à bien cette tâche, la mission a choisi, en plus de quelques auditions nécessaires à Paris, d’axer ses travaux sur des visites « de terrain ». Cette méthode originale semblait indispensable au vu de la dimension territoriale du sujet retenu.

Ces déplacements ont successivement conduit les membres de la mission dans le Val-de-Marne, dans la Somme, dans les Pyrénées-Orientales, en Haute-Garonne, dans le Tarn, dans le Rhône, en Moselle, dans la Haute-Vienne et dans le Nord, dans des établissements considérés comme pionniers pour certains, et en grande difficulté pour d’autres. La mission ne s’est pas cantonnée à l’Hexagone, puisqu’elle a également effectué un déplacement sur l’île de la Réunion, incluant un regard sur Mayotte, considérant que les problématiques sanitaires de l’outre-mer devaient faire l’objet d’un traitement à part entière. Les membres de la mission ont par ailleurs effectués chacun de leur côté plusieurs déplacements, détaillés en annexe du présent rapport.

Désireuse de prendre du recul sur le modèle français d’organisation de la psychiatrie, la mission s’est également rendue en Italie et en Belgique. Ces deux pays européens sont des sources d’inspiration passionnantes pour la France. L’Italie, précurseure, a adopté dès 1978 la loi 180 ou loi « Basaglia » sur la santé mentale, prévoyant le remplacement progressif des hôpitaux psychiatrique par des services communautaires. En Belgique, une réforme importante de l’organisation de la santé mentale est en cours depuis 2009.

Lors de ses déplacements en France, la mission s’est attachée à visiter systématiquement à la fois des structures hospitalières et extrahospitalières, et, lorsque la durée du séjour le permettait, à rencontrer des acteurs de la santé mentale en dehors du champ sanitaire. Elle a également tenu à ne pas s’entretenir exclusivement avec des médecins ou des équipes de direction, mais bien avec l’ensemble des personnels des établissements ou structures visités, ainsi que les patients et leurs familles, qui sont évidemment les mieux placés pour parler de la qualité de la prise en charge proposée.

Vos rapporteures tiennent à rendre un hommage appuyé et ému à tous ces patients, à leurs proches mais également aux soignants rencontrés. Leur regard et leurs témoignages ont énormément apporté et ont nourri ce rapport. Ce n’est pas en tant que tel le sujet du présent rapport, mais la souffrance de ces personnels est apparue insoutenable aux rapporteures, et il est impossible de ne pas l’évoquer.

Leurs mots se suffisent à eux-mêmes :

« On va presque aussi mal que les patients. »

« On dit aux familles venant pour un proche avec un comportement suicidaire : on ne peut pas accueillir dignement votre proche ici, prenez plutôt des jours de congés. »

« Faute de lits, on a renvoyé une dame, elle sest jetée le soir même dans la Garonne. »

« Je manage une équipe au bord de la rupture. Pour la première fois, à quelques années de la retraite, jenvisage de quitter le service public hospitalier »

« Si on devait faire une fiche dévénement indésirable grave systématiquement, on en ferait tous les jours »

« On a le sentiment que ce quon fait ne sert plus à rien. »

« Avant, il y avait des difficultés. Maintenant, il y a de la souffrance. »

« Enceinte de plusieurs mois, je me suis fait agressée par un patient, j’étais seule dans l’unité. »

« À quatre dans une chambre, comment stabiliser un patient ? »

« Je n’hospitaliserais pas quelqu’un de ma famille dans mon service ».

Pourtant, si les sous-effectifs et la sur-occupation des lits apparaissent à première vue comme les premiers maux dont souffrent patients comme soignants, rajouter des lits d’hospitalisation et des moyens humains à l’hôpital psychiatrique ne suffira pas à long terme. Si les positions des rapporteures convergent sur le modèle idéal à atteindre à moyen-terme, elles divergent en revanche sur la transition nécessaire. Pour la rapporteure Martine Wonner, l’augmentation du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques, même comme palliatif à court-terme, n’est surtout pas la solution et ne fera, au contraire, que reporter les tensions de quelques années. La rapporteure Caroline Fiat pense en revanche que cette augmentation des lits et celle du nombre de soignants à l’hôpital psychiatrique est, à court-terme au moins, une nécessité absolue.

C’est une vraie réorganisation du système de prise en soins qui est aujourd’hui nécessaire pour sauver un système à bout de souffle. C’est ce que propose ce rapport.

Beaucoup de difficultés de la psychiatrie et de la santé mentale sont communes avec l’ensemble des spécialités médicales.

Comme tout notre système de santé, la psychiatrie souffre de la désertification médicale. Au-delà du personnel médical – et en premier lieu des médecins généralistes, en première ligne dans le repérage des troubles psychiques – qui se raréfie, il est difficile de recruter ou de fidéliser des soignants, des orthophonistes, des psychomotriciens. Comme pour les autres maladies chroniques, la France peine à prendre en charge des parcours complexes en psychiatrie, et à trouver la bonne articulation entre la ville et l’hôpital, encore beaucoup trop cloisonnés. Comme pour le reste de la médecine, il en est de même pour les soins non programmés, et la psychiatrie contribue de ce fait à l’engorgement des urgences.

D’autres difficultés, plus spécifiques à la santé mentale cette fois, viennent aggraver la situation. N’oublions pas que la souffrance psychique est aussi le réceptacle des maux de notre société, de ses peurs, de ses crises, de l’isolement, de la précarité. Surtout, la stigmatisation de la maladie mentale pénalise l’ensemble de la psychiatrie et de la santé mentale. Cette stigmatisation est encore bien réelle : ainsi, selon une enquête IPSOS réalisée en 2014, 74 % des Français pensent que les malades mentaux sont dangereux pour eux-mêmes ou pour les autres, et 52 % déclarent qu’ils se sentiraient gênés de vivre sous le même toit qu’une personne atteinte de troubles mentaux  ([36]). Cette stigmatisation n’épargne pas les professionnels de santé eux-mêmes.

De nombreux rapports sur l’organisation de la santé mentale ont précédé celui-ci. Citons ainsi, sans prétendre à l’exhaustivité :

– le rapport « De la psychiatrie vers la santé mentale », présenté par Éric Piel et Jean-Luc Roelandt à Bernard Kouchner, ministre de la santé, en 2001 ;

– le rapport « Plan dactions pour le développement de la psychiatrie et la promotion de la santé mentale » présenté par Philippe Clery-Melin, Vivianne Kovess et Jean-Charles Pascal à Jean-François Mattéi, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, en 2003 ;

– le rapport « Mission et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie », présenté par Édouard Couty à Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, en 2009 ;

– le rapport de la mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie présenté par Denys Robiliard devant la commission des affaires sociales de notre Assemblée en 2013 ;

– le rapport relatif à la santé mentale de Michel Laforcade présenté à Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits de femmes, en 2016 ;

– le rapport « Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960 » de l’Inspection générale des affaires sociales, en 2017…

Les questions et les constats qui ressortent de ces rapports sont malheureusement identiques à ceux que vos rapporteures dressent aujourd’hui : « Pourquoi encore tous ces hôpitaux psychiatriques en France ? Pourquoi le secteur psychiatrique sest-il souvent développé en réseau fermé ? Pourquoi tant de difficultés pour appliquer la politique de sectorisation ? Pourquoi les évolutions inscrites dans cette "bonne" politique sont-elles trop souvent dépendantes de lengagement dune ou deux personnes motivées ? Comment rendre ce dispositif, dans son essence, apte à lutter contre lexclusion des soins liée à la stigmatisation des personnes ? », s’interrogent ainsi Éric Piel et Jean-Luc Roelandt dès 2001.

Loin de décourager vos rapporteures, cette bibliographie déjà trop longue confirme que les problèmes sont identifiés et les solutions connues. Ce qui a manqué jusque-là, c’est une volonté politique suffisamment forte pour faire changer les choses de manière radicale.

Après des dizaines d’années de réflexion, l’urgence à agir est bien là.

Au-delà de l’émotion provoquée par la souffrance des soignants et des patients, quelques chiffres suffisent à s’en convaincre :

 un Français sur trois souffrira de troubles mentaux à un moment de sa vie 

–  chaque année, le suicide entraîne la mort de plus de 10 000 personnes en France, et 200 000 tentatives de suicide sont recensées ;

– les maladies psychiatriques et les traitements chroniques par psychotropes constituent le premier poste de dépense de l’assurance maladie – 23 milliards d’euros annuels–  loin devant les dépenses liées au cancer ou aux maladies cardio-vasculaires ; le coût total direct et indirect, des maladies mentales approche les 110 milliards ;

– les maladies mentales représentent la première cause d’invalidité en France ;

– les pathologies psychiques liées à la souffrance et à l’épuisement au travail sont en augmentation ;  ([37])

– alors que la Haute Autorité de santé recommande un diagnostic des troubles du spectre de l’autisme avant trois ans, l’âge moyen au diagnostic – quand celui-ci est effectué – est de cinq ans et demi. Pour la schizophrénie et les troubles bipolaires, la durée de l’errance diagnostique, et donc de la psychose non traitée, est évaluée à respectivement deux et dix ans.

Ce rapport n’a pas la prétention d’apporter des éléments nouveaux qui n’auraient pas encore été décrits.

Il n’a pas non plus vocation à répondre à tous les problèmes que rencontrent aujourd’hui la psychiatrie et la santé mentale : le regard que notre société porte sur la maladie mentale, l’insuffisant investissement dans la recherche, la formation des soignants depuis la suppression du métier d’infirmier de secteur psychiatrique…

Ce rapport est avant tout un manifeste politique et un cri d’alarme pour un indispensable changement de paradigme, urgent tant d’un point de vue de santé publique que d’un point de vue éthique.

Les solutions existent, et ne demandent pas forcément beaucoup plus de moyens. Elles nécessiteront toutefois une volonté politique très forte, capable de dépasser divergences et réticences, dans le but de mieux soigner, dépister et repérer les troubles et d’accompagner les patients vers la réinsertion par le biais de méthodes de réhabilitation et de permettre aux soignants de retrouver de la dignité au travail.

 

 


–  1  –

I.   L’organisation quasi-intangible de la santÉ mentale depuis 1960

Il ne s’agit pas ici pour vos rapporteures de refaire l’historique de la sectorisation de la psychiatrie, mais d’en rappeler les principaux jalons et de montrer que, près de soixante ans après sa création, la notion de « secteur » reste un des fondements essentiels de l’organisation du dispositif de santé mentale.

Avant d’aller plus loin, il importe de donner une définition de ce que l’on entend par « secteur », notion que l’on ne trouve en tant que telle précisément formulée dans aucun texte.

Concrètement, il s’agit de l’organisation administrative et géographique de la psychiatrie assurant le service public, et structurant la prise en charge des patients. Chaque patient relève d’un « secteur » psychiatrique déterminé en fonction de son domicile. Il existe ainsi une unité hospitalière de référence et des soins « hors les murs » de référence pour chaque citoyen ayant besoin d’être pris en charge par la psychiatrie publique. Concrètement, un habitant du 7ème arrondissement de Paris sera dirigé vers le centre médico-psychologique du 7ème arrondissement correspondant à ce secteur s’il a besoin d’une consultation de psychiatrie gratuite et sera pris automatiquement en charge dans le « secteur 4 » de l’hôpital Saint-Anne s’il doit être hospitalisé.

La gestion de chaque secteur et de toutes les activités ambulatoires qui lui sont rattachées est centralisée à l’hôpital.

 Plusieurs types de secteurs coexistent : les secteurs de psychiatrie générale adultes, autorisant la prise en charge dès seize ans, de pédopsychiatrie, de psychiatrie pénitentiaire.

Les fondements historiques et politiques du secteur ([38])

 « Le passage de l’asile à la ville, du "fou" à l’aliéné, puis de l’usager des services de santé au citoyen prend son départ dans les années 1940 et n’est pas encore achevé. Lent mouvement, inexorable et souhaitable mais avec des avancées et des régressions. L’idée du "secteur" germe lors de la guerre civile en Espagne et se réfère à l’organisation cantonale de la psychiatrie mise en œuvre par les Républicains en Catalogne (la psychiatrie comarcale) dans les cantons et non pas en référence à l’hospitalisation. La rencontre de Lucien Bonnafé, psychiatre désaliéniste et communiste et de François Tosquelles, figure du désaliénisme, responsable de la psychiatrie et de la généralité de Catalogne, à l’hôpital de Saint-Alban pendant la guerre, a été le point de départ de cette révolution. En France à cette époque, 40 000 malades sont morts de faim dans les asiles d’aliénés, du fait de leur abandon et du rationnement alimentaire imposé dans des lieux clos. L’opération T4 en Allemagne avait conduit à l’extermination organisée des malades mentaux et handicapés. Grâce à l’action des psychiatres engagés de l’époque et d’administratifs du ministère de la Santé, est née l’idée de sectorisation de la psychiatrie publique : il s’agit à la fois de prendre en charge la santé mentale globale de toute une population qui réside sur un secteur géographique déterminé, le "secteur", et d’organiser la continuité des soins, de la prévention à la postcure, l’adaptation et l’hospitalisation, effectuée par une même équipe. La création de structures dans la communauté, entendue comme le lieu et le milieu de vie des usagers-citoyens, hors des murs de l’hôpital, était inscrite dans ce projet très détaillé depuis la circulaire de 1960. L’approche territoriale contenait en elle-même à terme la fin des concentrations asilaires par redéploiement vers des structures de soins de proximité. Tout le dispositif hospitalier spécialisé devait être progressivement restructuré en ville pour les soins ambulatoires (CMP, CATTP, etc.) et à l’hôpital général pour les lits d’hospitalisation. »

Le secteur, dont la notion et les caractéristiques fondamentales ont été définies en 1960, a évolué. Un temps, il a été remis en cause et affaibli. Il n’a cependant jamais cessé d’être, jusqu’à aujourd’hui, le pivot du système de soins psychiatriques dans notre pays.

le découpage en secteurs psychiatriques à Paris

http://www.ch-maison-blanche.fr/var/ch_maison_blanche/storage/images/mediatheque/carte-arrondissements-et-secteurs2/391585-1-fre-FR/Carte-Arrondissements-et-Secteurs_lightbox.jpg

Source : http://www.ch-maison-blanche.fr/Soins/Psychiatrie-adulte/Decoupage-en-secteurs

A.   La notion de secteur structure l’organisation de la psychiatrie

Apparu en 1960 dans une circulaire de Bernard Chenot, ministre de la santé, le secteur a connu des évolutions et des vicissitudes. Supprimé au tournant des années 2000, il a été réhabilité en 2016 dans la loi de modernisation de notre système de santé.

1.   La circulaire de 1960 et ses prolongements : l’acte de naissance du secteur ou la psychiatrie, précurseure en matière de territorialisation

La circulaire du 15 mars 1960 « relative au programme dorganisation et déquipement des départements en matière de lutte contre les maladies mentales » est le texte fondateur, « acte de naissance administrative du "secteur" » ([39]).

Rappelant les innovations importantes, notamment thérapeutiques, qui ont réduit sensiblement la durée d’hospitalisation, les améliorations des conditions de vie et de soins des malades hospitalisés, le ministre constate que l’hospitalisation n’est plus qu’une étape du traitement.

Il importe en conséquence de penser « lorganisation à prévoir pour permettre de réaliser de nouveaux progrès dans la lutte contre les maladies mentales », de définir la politique à suivre dans chaque département et « la mise en place d’un dispositif mieux adapté et plus efficace que jusquà présent ». Ce qui est visé avec cette nouvelle organisation se résume à deux buts : «  Entreprendre les soins des malades mentaux à un stade plus précoce, avec de plus grandes chances de succès, et apporter aux anciens malades un appui médico-social efficace leur évitant des récidives. Cette conception entraîne la nécessité de confier à la même équipe médico-sociale la charge du malade en cure hospitalière et en pré- et postcure. (…) 2° Éviter la désadaptation qu’entraîne l’éloignement du malade de son milieu naturel. ».

Pour ce faire, le nouveau dispositif proposé, présenté comme constituant une organisation de lutte contre les maladies mentales, « consiste essentiellement à diviser le département en un certain nombre de secteurs géographiques, à lintérieur de chacun desquels la même équipe médico-sociale devra assurer, pour tous les malades, hommes et femmes, la continuité indispensable entre le dépistage, le traitement sans hospitalisation quand il est possible, les soins avec hospitalisation et, enfin, la surveillance de postcure. » ([40]).

En termes structurels, l’établissement psychiatrique doit donc désormais desservir une aire géographique délimitée, proportionnée à son importance, le secteur, qui correspondra souvent au département d’implantation ([41]), chaque service ou groupe de services prenant en charge une partie déterminée de ce secteur, le « sous-secteur », au sein duquel doivent se trouver des organismes de traitement, de prévention et de postcure nécessaires. Le secteur est donc en premier lieu une notion géographique structurant le service public psychiatrique de proximité.

Pour le ministre, la réussite du changement est conditionnée à « la mise en place dun dispositif extrahospitalier satisfaisant », dans la mesure où « la plupart des malades mentaux posent des problèmes médico-sociaux importants qui ne sont pas réglés par l’hospitalisation, et même que l’hospitalisation rend plus aigus encore. ». En conséquence, l’insuffisance d’un tel dispositif « entraînerait inéluctablement à plus ou moins brève échéance une surpopulation de lhôpital psychiatrique, annihilant ainsi les efforts faits par la collectivité. ». On ne saurait être plus clair.

Telle qu’elle est conçue, la sectorisation propose en conséquence une approche innovante, cohérente et coordonnée de la maladie mentale, de la prévention à la réhabilitation et à la réinsertion des patients dont le triptyque précocité de la prise en charge, suivi médico-social et proximité s’appuie sur deux piliers indispensables : un territoire précisément défini et un dispositif extrahospitalier indispensable. Elle vient en réaction aux pratiques asilaires alors dénoncées par les promoteurs d’une psychiatrie « communautaire » qui proposent une nouvelle façon d’appréhender la maladie mentale et des soins ouverts – « hors les murs » – au cœur de la cité. Il s’agit également de mettre en place « le principe essentiel de lorganisation de la lutte contre les maladies mentales (…) de séparer le moins possible le malade de sa famille et de son milieu », la notion de proximité étant au cœur du système que l’on prétend instaurer, comme l’a rappelé le ministre.

Tout y est et pourtant, soixante ans plus tard, c’est un échec.

Au fil des années, un patchwork d’arrêtés, de décrets et de circulaires ([42]) se met en place dont chaque pièce vient compléter et préciser le cadre initial général tracé en 1960, dont l’encadré ci-dessous présente les principaux.

Le secteur dans les principaux textes

Selon une circulaire du 14 mars 1972, « la sectorisation constitue un des éléments essentiels de la politique sanitaire à appliquer en vue de l’organisation de la lutte contre les maladies mentales et l’alcoolisme » et la toxicomanie. Ce document précise que « le "secteur" constitue la base du service public destiné à répondre à la demande de soins de la population qui y réside ». Confié « à un médecin psychiatre chef de secteur, qui a la responsabilité d’une équipe composée de médecins, assistantes sociales, psychologues, infirmières, etc. », il est « constitué de divers services destinés à permettre l’exercice des activités de prévention, de cure (y compris les traitements ambulatoires) et de postcure que nécessite l’état du malade. ».

Statut législatif est donné au secteur vingt-cinq ans après la première circulaire par la loi n° 85-572 du 25 juillet 1985 (article L. 326 du code de la santé publique) qui rappelle que la lutte contre les maladies mentales comporte des actions de prévention, de diagnostic et de soins. Les établissements assurant le service public hospitalier, les services dépendant de l’État et toute personne de droit public ou privé ayant passé avec l’État une convention dans le domaine de la santé mentale, « exercent leurs missions dans le cadre de circonscriptions géographiques, appelées secteurs psychiatriques ».

La loi n° 85-1468 du 31 décembre 1985 relative à la sectorisation psychiatrique complète le dispositif en révisant dans son article 1er la « carte sanitaire ([43]) de la France déterminant des régions et des secteurs sanitaires ainsi que des secteurs psychiatriques » ([44]). Il est également précisé à l’article 3 que « chaque établissement assurant le service public hospitalier et participant à la lutte contre les maladies mentales est responsable de celle-ci dans les secteurs psychiatriques qui lui sont rattachés », et qu’il met pour ce faire à la disposition de la population des services et équipements de prévention, de diagnostic et de soins, qui exercent leurs activités tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’établissement.

Dans une finalité de cohérence, l’hôpital est désormais également responsable de l’extrahospitalier. De la sorte se voit achevée l’organisation du dispositif dans la logique posée par la circulaire de 1960.

2.   La circulaire du 14 mars 1990

Trente ans, jour pour jour, après la circulaire Chenot, une autre circulaire, du 14 mars 1990, relative aux orientations de la politique de santé mentale, en tire cependant un bilan pour le moins mitigé, tant en ce qui concerne la mise en œuvre du dispositif qu’en termes de performances de la politique de santé mentale dont les résultats sont très loin d’être jugés satisfaisants. La sectorisation, pour être supposément au plus près des patients et de leurs familles, peine à l’évidence à produire des résultats à la hauteur de ce que l’on en attendait. Les buts définis en 1960 sont encore loin d’être atteints et les progrès espérés ne se sont pas concrétisés.

a.   Un bilan sévère, et plus que jamais d’actualité

Si le secteur « constitue un profond mouvement de progrès et anime les institutions psychiatriques où il réalise un large consensus », « les observations montrent que dimportants besoins de santé mentale restent mal couverts, notamment chez les jeunes enfants, adolescents ou personnes âgées. », écrit le ministre Claude Évin. Plus précisément, « notre dispositif public de psychiatrie est, en létat actuel, pour partie encore inadéquat pour atteindre les objectifs de santé mentale (…). Il est encore beaucoup trop concentré et si on le compare avec les possibilités techniques actuelles, trop consacré à lhospitalisation à temps complet, supportée par une lourde infrastructure de services généraux et dentretien. ».

Nombre d’atouts du système de soins sont vus comme mal utilisés, en particulier la recherche et l’évaluation, l’équilibre entre les soins généraux et les soins spécialisés ou encore le potentiel des centres hospitaliers spécialisés. Dans ce constat « malgré les progrès accomplis depuis trente ans », persistent de nombreux problèmes :

– une connaissance très insuffisante des problèmes de santé mentale de la population ;

– une utilisation imparfaite des services par la population (recours tardifs, utilisation trop importante des voies de « l’urgence »…) due, pour partie du moins, à une insuffisance d’accessibilité des services et à un manque d’information ;

– une disparité très importante du dispositif de soins, source d’iniquité pour la population ;

– des lacunes dans la qualité des services ;

– une motivation et une compétence très inégale vis-à-vis des problèmes de santé mentale dans le secteur des soins généraux ;

– des réponses du système de soins encore trop rigides, ne prenant pas assez en considération la situation des personnes dans l’ensemble de ses composantes ;

– des prises en charge à temps complet encore trop fréquentes et prolongées, ajoutant la chronicisation à la chronicité propre au processus de la maladie ;

– un manque de coordination au sein des services et entre les services ou acteurs de santé mentale ;

– une prise en compte insuffisante des demandes d’information des familles ;

– un manque de solidarité dans la communauté ; une représentation dépréciative de troubles de santé mentale… ([45]).

En d’autres termes, conclut le ministre de la santé, « il reste encore beaucoup à accomplir » et « le secteur psychiatrique doit se centrer sur les centres médico-psychologiques afin doffrir des soins de santé primaire près de la population, et faire contrepoids à lhospitalocentrisme ; développer des soins plus complexes dans certains domaines en valorisant les savoir-faire du personnel, en structurant des unités fonctionnelles spécialisées et en mettant en commun des moyens avec dautres secteurs ; développer des liens avec les autres praticiens de santé, les acteurs sociaux, les établissements médico-sociaux et la population. » Par rapport à la circulaire de 1960, celle de 1990 renforce donc la dimension extrahospitalière en insistant fortement sur les CMP et la nécessité de sortir de l’hospitalocentrisme.

Comme on le verra plus loin, ce constat sans appel rédigé il y a quasiment trente ans est d’une troublante actualité et ne dépare en rien de ceux posés tant par les auteurs contemporains les plus critiques que par vos rapporteures. Il montre aussi que les promoteurs français de cette réforme qui a fortement inspiré les bouleversements qu’un Franco Basaglia a réussi à mettre en œuvre en Italie dans les années 1975, ont tardé à être suivis et avec des résultats à l’évidence très éloignés de leurs espérances initiales.

b.   La définition des objectifs attendus de la sectorisation

La circulaire du 14 mars 1990 pose les « principes généraux dorganisation et de coordination du dispositif public et privé de santé mentale » et reprécise la notion de secteur selon une triple définition. Il s’agit toujours d’une « circonscription géographique élémentaire » qui sert de base, avec le département et la région, à la planification de l’ensemble des équipements de lutte contre les maladies mentales, mais c’est aussi « un mode dorganisation privilégié permettant aux établissements hospitaliers publics et privés participant au service public de mettre à la disposition dune population résidant sur une aire géographique donnée une gamme de prestations diversifiée de prévention, de diagnostic, de soins et de réinsertion » et « une aire de concertation et de coordination des actions à conduire au plan local avec lensemble des partenaires directement ou indirectement concernés par les problèmes de santé mentale. »

Cette circulaire précise également que la sectorisation vise trois objectifs principaux :

– la promotion d’actions propres à éviter l’émergence, le développement et la persistance d’affections mentales : prévention, prestation de soins ambulatoires, hospitalisation recentrée sur sa vocation thérapeutique ;

– la participation à la meilleure insertion sociale possible des malades mentaux ; une proximité des services auprès de la population propre à faciliter l’accès aux soins pour la population, à permettre des soins plus précoces, des suivis ambulatoires et un maintien des malades dans leur milieu naturel, et à favoriser pour les équipes une juste appréhension des besoins de la population et une juste évaluation de leurs actions ;

– la coordination entre acteurs de santé et autres intervenants dans le champ de la santé mentale.

Pour les atteindre, cinq principes d’organisation sont retenus : un partage de chaque département en territoires daction nommés secteurs psychiatriques ; la mise en place d’une équipe pluridisciplinaire ; le développement d’un équipement diversifié placé au plus près des populations à servir ; une intégration aux soins généraux soit directement (présence de l’équipe spécialisée dans les services), soit indirectement (prestations de conseil et de formation auprès des médecins et de l’ensemble du personnel soignant) ; la mise en place d’instances de concertation au plan départemental et local.

Cela suppose d’organiser l’accès aux soins et la réponse à l’urgence. Ainsi, parmi les objectifs à atteindre dans les cinq ans selon la circulaire de 1990, l’accessibilité aux soins, qui « suppose que léquipe psychiatrique se trouve disponible, là, et au moment où la population peut aisément accéder, et quune information ait été faite au public. Lorgane principal de laccueil ainsi défini est le centre médico-psychologique. Cest pourquoi il convient quen tout secteur de psychiatrie générale existe au moins un centre médico-psychologique implanté au sein du secteur ou à proximité immédiat, en un lieu facile daccès par les transports en commun, et ouvert au moins cinq jours par semaine (…). Les jours et heures douverture doivent être tels quils permettent un contact hors heures de travail ou heures scolaires. » ([46]).

En d’autres termes, cette circulaire trace un certain nombre d’axes importants. La santé mentale y apparaît comme une préoccupation majeure qui nécessite entre autres le développement de programmes de prévention, le décloisonnement entre la psychiatrie et les soins généraux. Les adolescents et les personnes âgées y sont présentés comme des publics cibles et plusieurs principes sont rappelés, comme la nécessité déviter une psychiatrie à deux vitesses, lattention au risque de dérives que peuvent induire certaines pratiques, la situation des SDF, le respect du libre choix des patients, etc.

3.   Une parenthèse dans les années 2000 que referme la loi de modernisation de notre système de santé

a.   La brève disparition de la notion de secteur dans les textes

Comme le rappelle la Cour des comptes dans son rapport thématique publié en 2011 sur « L’organisation des soins psychiatriques », dans les années 1990 s’est développée « une remise en cause progressive et profonde du secteur » ([47]) en tant que modalité d’organisation des soins psychiatriques. Cette remise en cause s’est traduite par des révisions importantes.

L’ordonnance du 4 septembre 2003 a tout d’abord supprimé la carte sanitaire et, par conséquent, le cadre légal du secteur psychiatrique.

La loi  2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de lhôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, HPST, est venue confirmer cette évolution en décloisonnant les différents secteurs de santé. Le territoire de santé est désormais le cadre global dans lequel la psychiatrie sexerce. Enfin, sont également supprimées les commissions régionales de santé mentale ([48]) et la loi confie aux ARS lorganisation de la concertation sur les questions psychiatriques. Quelques mois plus tard, une ordonnance du 23 février 2010 achevait cette remise en cause du secteur en supprimant de larticle L. 3221-1 du code de la santé publique toute référence « aux circonscriptions géographiques appelées secteurs psychiatriques ».

Pour autant, force est de constater, indiquait la Cour en 2011, que « supprimés par lordonnance de 2010 en tant quunité territoriale de planification sanitaire, les secteurs perdurent a minima dans l’organisation interne de l’hôpital, sans support juridique. ». À cela s’ajoute le fait que le toilettage des textes n’a pas été exhaustif.

Le dispositif est en conséquence source d’incohérences juridiques, certains textes, fussent-ils postérieurs, telle la loi ([49]) sur l’hospitalisation sans consentement, évoquant explicitement la coordination avec la sectorisation psychiatrique ([50]).

C’est la raison pour laquelle la Cour des comptes appelait à lever « impérativement et rapidement » ces ambiguïtés, « pour redonner un cadre dexercice stable et clair aux professionnels et permettre aux patients et à leurs familles de comprendre aisément le mode daccès aux soins en psychiatrie, ainsi que la manière dont sorganise la prise en charge. ». Aux yeux de vos rapporteures, cette exigence de la Cour était d’autant plus justifiée que dans la pratique les professionnels n’ont en fait jamais renoncé au secteur et l’ont au contraire toujours prôné. Sa remise en cause ne s’est jamais manifestée qu’au niveau de l'État qui, d’atermoiements en renoncements, n’a pas su faire preuve du courage politique nécessaire ou, à tout le moins, expliciter suffisamment la vision alternative qu’il aurait pu défendre.

b.   Le secteur définitivement réhabilité, et redéfini

La disparition du secteur sera de courte durée et la clarification de ces ambiguïtés interviendra avec la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, qui revient sur cette évolution et réaffirme les principes de la sectorisation psychiatrique. Encore que l’on puisse se demander ce que recouvre à ce moment-là réellement la volonté du législateur, qui redit l’intérêt du secteur sans lui donner les moyens dont il aurait besoin.

En premier lieu, il convient de souligner que l’article 69 de la loi de modernisation de notre système de santé donne, pour la première fois, 56 ans après sa création, une définition juridique précise de la psychiatrie de secteur, et en énumère les missions.

Les textes précédents, notamment l’article 8 de la loi du 26 juillet 1985 notamment, ne mentionnaient le secteur que comme circonscription géographique dans le cadre duquel les établissements exerçaient leurs missions comportant des actions de prévention, de diagnostic et de soins.

La loi n° 85-1468 du 31 décembre 1985 relative à la sectorisation psychiatrique ne comportait pas non plus les précisions développées par les circulaires de 1960 et, surtout, de 1990.

Il en est désormais autrement.

Aux termes du nouvel article L. 3221-3 du code de la santé publique, « (…) la mission de psychiatrie de secteur, qui concourt à la politique de santé mentale définie à larticle L. 3221-1, consiste à garantir à lensemble de la population : 1° Un recours de proximité en soins psychiatriques, notamment par lorganisation de soins ambulatoires de proximité, y compris sous forme dintervention à domicile, assuré par des équipes pluriprofessionnelles, en coopération avec les équipes de soins primaires (…) et les communautés professionnelles territoriales de santé (…) ; 2° Laccessibilité territoriale et financière des soins psychiatriques ; 3° La continuité des soins psychiatriques, notamment pour les patients dont les parcours de santé sont particulièrement complexes, y compris par recours à lhospitalisation, avec ou sans consentement, en assurant si nécessaire lorientation vers dautres acteurs afin de garantir laccès à des prises en charge non disponibles au sein des établissements assurant la mission de psychiatrie de secteur. La mission de psychiatrie de secteur se décline de façon spécifique pour les enfants et les adolescents. ».

D’une certaine manière, le législateur a ainsi réaffirmé les principes que les circulaires précédentes avaient posés ([51]). À ce propos, Magali Coldefy fera remarquer devant les membres de la mission d’information ([52]) que les dispositions introduites par la loi de 2016 réhabilitent l’esprit de 1960, avec une différence importante : à l’époque, seule la psychiatrie était concernée quand aujourd’hui de très nombreux acteurs jouent leur partition.

La dimension géographique était autrefois au cœur de la définition du secteur. Sans qu’elle ait totalement disparu, ce sont désormais d’autres critères, tenant plus à ses finalités, qui prédominent.

Source : ARS de l’Océan indien.

B.   L’organisation de la santÉ mentale sur le terrain

1.   Un « millefeuille » indigeste de structures et d’acteurs

La grande complexité du système précédemment décrit  résulte du caractère pluridisciplinaire des intervenants, de la contrainte de proximité et de l’impératif de coordination entre les différents types de soins. Aux yeux de la rapporteure Martine Wonner, cette organisation ne peut être viable eu égard à la grande liberté laissée aux professions médicales dans notre pays, combinée à l’insuffisance en matière d’évaluation de politiques publiques.

Les structures qui participent, à un titre ou à un autre, sanitaire, social ou médico-social, à la politique de santé mentale, sont nombreuses et fort variées, tant dans leurs missions que dans leurs statuts ou leur niveau d’intervention dans la chaîne de prise en charge des patients.

Cet enchevêtrement requiert la mise en place de mécanismes de programmation et de coordination très lourds qui se révèlent difficiles à mettre en œuvre.

C’est le cas notamment du Projet territorial de santé mentale, PTSM, innovation majeure, jugé très prometteur par l’ensemble des acteurs, la mise en place de cet instrument essentiel se heurte encore fréquemment à des difficultés de lancement, dues à son ambition, à sa complexité, et au manque d’outils à disposition des acteurs de terrain le plus souvent très volontaires mais auxquels le quotidien laisse peu de marges de manœuvre et de loisirs pour un investissement à la hauteur de la dimension d’un tel projet.

a.   Des structures, des dispositifs et des mécanismes, à foison

La complexité des problématiques de santé mentale, le fait qu’elles doivent être prises en compte de manière complémentaire à divers stades et que cela nécessite d’offrir aux patients et à leurs familles une large gamme de services, explique la multiplicité des structures qui interviennent dans le champ de la santé mentale. La diversité des offres de soins et la liberté des approches possibles n’est pas sans incidence sur cette multiplication des structures.

i.   Acteurs et structures du champ sanitaire dans le domaine de la santé mentale

« En vue de répondre aux besoins de la population et dassurer la continuité des soins aux malades, de la prévention à la postcure, le secteur doit comporter (…) des institutions hospitalières et extrahospitalières diversifiées », rappelait l’arrêté du 14 mars 1972.

Parmi les dispositifs développés par les secteurs et donc gérés par l’hôpital public ou les établissements assurant des missions de service public, on trouve évidemment, les centres médico-psychologiques - unités de coordination et d’accueil en milieu ouvert ; mais aussi des centres d’accueil permanent habilités à répondre à l’urgence 24 heures sur 24 ; des hôpitaux de jour ; des ateliers thérapeutiques ; des centres d’accueil thérapeutiques à temps partiel et enfin des services d’hospitalisation à domicile. Selon le même arrêté, les dispositifs comportant hébergement pouvaient entre autres comprendre : des unités d’hospitalisation à temps complet ; des centres de crise ; des hôpitaux de nuit ; des appartements thérapeutiques ; des centres de postcure ou encore des services de placement familial thérapeutique.

À ces dispositifs développés par le secteur s’ajoutent les multiples acteurs sanitaires agissant dans le domaine de la psychiatrie, et en premier lieu les établissements de santé autorisés en psychiatrie mais non sectorisés : certains hôpitaux généraux ayant une activité de psychiatrie en plus de leurs autres activités mais également les cliniques psychiatriques privées, qui ne peuvent par définition pas aujourd’hui exercer les activités dévolues au secteur. Sans compter les multiples professionnels de santé libéraux prenant en charge les patients !

Ainsi, la Direction générale de l’offre de soins, DGOS, publiait récemment une instruction dans laquelle figurait à titre indicatif la liste non exhaustive des parties prenantes au PTSM. L’encadré ci-dessous présente en détail celle des acteurs sanitaires.

Il illustre le fait que, en trente ans, le millefeuille a donc progressivement, inexorablement et considérablement, épaissi. Il en résulte aujourd'hui – et il pourrait difficilement en être autrement – une incompréhension totale du dispositif de la part des patients et de leurs familles. Le sujet est d’autant plus préoccupant lorsque les professionnels, qu’ils appartiennent au secteur sanitaire ou administratif, confient aussi à vos rapporteures se perdre dans ces méandres.

La prolifération des acteurs sanitaires dans le champ de la santé mentale ([53])

 

Établissements de santé autorisés en psychiatrie, publics, ESPIC et privés ;

Établissements de santé exerçant une activité de médecine, chirurgie, obstétrique ;

Communautés psychiatriques de territoire ;

Maison des adolescents ;

Psychiatres libéraux ;

Médecins généralistes ;

Médecins pédiatres et gériatres ;

Équipes de soins primaires (dont centres de santé et maisons de santé pluri-professionnelle), communautés professionnelles territoriales de santé et plates-formes territoriales d’appui ;

Officines de pharmacie ;

Psychologues ;

Caisses primaires d’assurance maladie et mutualité sociale agricole ;

Unités sanitaires en milieu pénitentiaire, service médico-psychologique régional et unité hospitalière spécialement aménagée ;

Acteurs du service de santé au travail ;

Personnels psychologues, sociaux et de santé (infirmiers et médecins) de l’éducation nationale et des services universitaires de médecine préventive et de promotion de la santé ;

Services de soins infirmiers à domicile ;

CeGGID ;

PASS et EMPP

Source : Instruction n° DGOS/R4/DGCS/3B/DGS/P4/2 018/137 du 5 juin 2018 relative aux PTSM, annexe 1.

ii.   De multiples parties prenantes hors du champ sanitaire

Si le champ sanitaire est « encombré » d’institutions et d’acteurs, nombre d’autres parties prenantes interviennent aussi à un titre ou à un autre dans les problématiques de santé mentale, que ce soit en matière de prévention ou de réhabilitation.

Ainsi, selon cette instruction de la DGOS, la liste des parties prenantes, hors secteur sanitaire, à un PTSM est impressionnante. Y figurent : Les représentants des personnes et des familles ; les acteurs sociaux et médico-sociaux ; les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ; les collectivités territoriales ; les services préfectoraux, dont la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) et les directions départementales de la cohésion sociale (DDCS) ; les acteurs de la promotion de la santé mentale et de la prévention, notamment ceux travaillant dans la prévention du suicide ; les acteurs de la lutte contre les addictions ; les acteurs de la lutte contre la précarité et l’exclusion, dont ceux des Programmes régionaux pour l’accès à la prévention et aux soins des plus démunis, PRAPS ; les acteurs impliqués dans la démarche « Réponse accompagnée pour tous » ; les autres acteurs concourant à la politique de santé mentale, notamment pour une continuité scolaire, d’apprentissage, d’études adaptées et choisies ; le conseil territorial de santé et sa commission spécialisée en santé mentale ; les conseils locaux de santé mentale (CLSM) ou toute autre commission créée par les collectivités territoriales pour traiter des sujets de santé mentale ; les centres de ressources pour le handicap psychique (CRéHPsy) et autres dispositifs ayant une fonction d’appui aux acteurs du parcours de santé des personnes présentant des troubles psychiques.

b.   Le Projet territorial de santé mentale, ou comment ajouter une couche au millefeuille

Introduit dans le dispositif par la loi de 2016, le Projet territorial de santé mentale, PTSM, est désormais l’instrument qui permet de définir, et d’articuler les différentes actions que requiert la politique de santé mentale dans un espace géographique qui ne recoupe pas nécessairement celui défini par les secteurs.

i.   La finalité du Projet territorial de santé mentale

Défini à l’article L. 3221-2 du code de la santé publique, le Projet territorial de santé mentale, PTSM, a pour objet d’améliorer de manière « continue laccès des personnes concernées à des parcours de santé et de vie de qualité, sécurisés et sans rupture (…) » ([54]). Concrètement, « il organise les conditions daccès de la population : 1° À la prévention et en particulier au repérage, au diagnostic et à lintervention précoce sur les troubles ; 2° À lensemble des modalités et techniques de soins et de prises en charge spécifiques ; 3° Aux modalités daccompagnement et dinsertion sociale. », selon ce que précise le III du même article.

Ces objectifs sont ensuite déclinés aux articles R. 3224-5 à R. 3224-10 du code de la santé publique ([55]), qui précisent que le PTSM a pour priorités l’organisation :

– des conditions du repérage précoce des troubles psychiques, de l’élaboration d’un diagnostic et de l’accès aux soins et aux accompagnements sociaux ou médico-sociaux, conformément aux données actualisées de la science et aux bonnes pratiques professionnelles ; (R. 3224-5)

– du parcours de santé et de vie de qualité et sans rupture, notamment pour les personnes souffrant de troubles psychiques graves et s’inscrivant dans la durée, en situation ou à risque de handicap psychique, en vue de leur rétablissement et de leur inclusion sociale ; (R. 3224-6)

– des conditions de l’accès des personnes présentant des troubles psychiques à des soins somatiques adaptés à leurs besoins ; (R. 3224-7)

– des conditions de la prévention et de la prise en charge des situations de crise et d’urgence ; (R. 3224-8)

– des conditions du respect et de la promotion des droits des personnes présentant des troubles psychiques, du renforcement de leur pouvoir de décider et d’agir et de la lutte contre la stigmatisation de ces troubles ; (R. 3224-9)

– des conditions d’action sur les déterminants sociaux, environnementaux et territoriaux de la santé mentale ; (R. 3224-10).

Le PTSM couvre l’intégralité du spectre des problématiques à prendre en compte pour la prise en charge des maladies mentales et les dispositions qui l’instituent mettent l’accent sur la dimension de proximité, en prévoyant expressément la prise en charge sanitaire l’accompagnement médico-social des malades dans leur milieu de vie ordinaire ([56]).

En outre, il ressort de l’article R. 3224-1-I du code de la santé publique que le projet territorial doit donner la priorité à une prise en charge non hospitalière. ([57])

En cela s’illustre la continuité avec ce qui, dans la circulaire de 1960, et surtout celle de 1990, a toujours été au cœur des préoccupations : l’impératif de sortir d’une prise en charge hospitalocentrée. Comme on le verra, la manière dont cette question continue d’être traitée, malgré ces textes, n’est cependant pas toujours sans contradiction.

ii.   L’articulation entre PTSM et secteur

Le secteur a retrouvé sa place dans la loi et l’importance qu’il avait perdue quelques années plus tôt (supra). Pour autant, ce n’est pas à ce seul niveau que se structure et se décline désormais la politique de santé mentale.

Il faut tout d’abord souligner que si les dispositions qui instituent le PTSM font référence aux territoires de proximité que sont les secteurs, il n’y a malgré tout pas de coïncidence entre PTSM et secteur, qui ne se recoupent pas. À cet égard la situation est différente de celle qui prévalait dans la loi de 1985 aux termes de laquelle était instituée « une carte sanitaire de la France déterminant des régions et des secteurs sanitaires ainsi que des secteurs psychiatriques. » Depuis la loi de 2016, ce sont les établissements qui déterminent les secteurs ([58]). De fait, sur le terrain, les situations sont très variables. Comme le feront remarquer, entre autres intervenants, les responsables de l’Association des établissements du service public de santé mentale ([59]), (ADESM) les notions de territoires se révèlent très différentes d’une région à l’autre, et, sauf exception, il manque une réflexion globale sur ce sujet. Dans certains cas, il apparaît évident que certains territoires de PTSM ne sont pas signifiants, et consécutivement peu pertinents, car des diagnostics qui auraient dû être croisés ne l’ont pas été alors même que des bassins de populations et d’attractivité auraient justifié d’être pris en compte. Ainsi, par exemple, la situation n’est pas simple pour l’hôpital Paul Guiraud de Villejuif, participant à deux PTSM sur deux départements différents, le Val-de-Marne et les Hauts‑de‑Seine.

les secteurs couverts par l’hôpital paul guiraud ([60])

L’article L. 3221-2-I prévoit en effet que la détermination du territoire dans lequel le PTSM est élaboré et mis en œuvre se fait « à un niveau territorial suffisant » pour permettre le travail participatif souhaité. C’est aux acteurs eux-mêmes, c’est-à-dire aux professionnels de santé et aux établissements, de préciser au directeur général de l’ARS de manière consensuelle ([61]) la délimitation du territoire de santé mentale qu’ils envisagent pour le PTSM qu’ils proposent ([62]). Les activités de prévention, de soins et d’insertion exercées par les établissements de santé assurant les missions de secteur s’inscrivent en revanche, selon l’article 69 de la loi de 2016, dans le cadre du PTSM ([63]).

En d’autres termes, ce qui était autrefois de la compétence du secteur ressort désormais d’un cadre territorial quelque peu différent. En effet, toutes choses égales, les objectifs du PTSM ne diffèrent pas de ceux que la circulaire de 1990 avait définis ([64]), qui devaient être « à atteindre en tout secteur psychiatrique dans les cinq ans à venir ».

Projet territorial de santé mentale : un état des lieux

73 territoires sont aujourd’hui concernés par des PTSM.

Pour l’essentiel, l’échelon est départemental. Dans de rares cas, deux, il est prévu que le PTSM soit bi-départemental, en Corse, ainsi qu’en Occitanie, ou un PTSM est porté par la CPT de Haute-Garonne et du Tarn ouest. En Limousin, le PTSM porté par le centre hospitalier Esquirol sera décliné sur trois départements : la Creuse, la Haute-Vienne et la Corrèze.

L’engagement des travaux s’échelonne sur une période large, les premiers ayant débuté très tôt, parfois dès l’année 2016, cependant que dans certains territoires, les premières réunions n’ont commencé qu’au deuxième trimestre 2019. Dans certains cas, le processus est même au point mort. Dans d’autres, la démarche se trouve encore au stade de pré-diagnostic, faute par exemple d’appui de la part d’une ARS peu mobilisée qui n’apporte aucun soutien méthodologique, et aucune visibilité n’est possible quant à son issue. Le comité de pilotage n’est parfois pas encore constitué, ou l’identification des parties prenantes en cours.

Source : Conférence nationale des présidents de commission médicale d’établissement (CME) de centres hospitaliers spécialisés (CHS) en psychiatrie

c.   Le PTSM : un outil qui doit être consolidé

Pour prometteur qu’il soit, le PTSM est un outil qui mérite d’être consolidé. En effet, il y a encore loin de la coupe aux lèvres dans beaucoup de régions et nombreuses sont les critiques formulées sur la manière dont les PTSM font leurs premiers pas.

En premier lieu, l’unanimité est parfaite sur les défauts du processus : Que ce soit pour des questions de disponibilité, de moyens, de manque de formation ou, surtout, de complexité du document à élaborer, chacun s’accorde à dire que, sans appui, les parties prenantes ne sont pas en mesure de le mener à bien. Les professionnels de santé, en premier lieu, sont par exemple nombreux, quel que soit leur domaine de compétence, à souligner la complexité de la démarche du PTSM, qu’ils jugent extrêmement chronophage compte tenu de la multiplicité des interlocuteurs qui y participent, avec des priorités différentes et sans l’habitude de travailler en commun. Le risque est que l’exercice ne se révèle que formellement participatif, faute pour certains de pouvoir y apporter réellement leur pierre – en partie parfois par manque de reconnaissance professionnelle, cf. les psychiatres vis-à-vis des psychologues, ou repris en mains par une forme de technocratie. Il faut sans doute voir dans cet état de fait l’une des raisons pour lesquelles à ce jour, à un an de l’échéance, aussi peu, 7 %, de PTSM ont été conclus.

En Limousin, par exemple, où s’est rendue la mission, le PTSM est considéré comme un outil très positif. La démarche y est aujourd’hui bien avancée, grâce à la forte mobilisation de la communauté des acteurs. Elle s’est engagée dès septembre 2016, portée par les cinq établissements, dont quatre publics, ayant une autorisation de psychiatrie de territoire, coordonnée par le centre hospitalier Esquirol, avec l’appui d’un cabinet de conseil. Cela étant, les préalables qu’il a été nécessaire de définir montrent la complexité de ce travail. Comme l’indique un document remis à la mission, les partenaires ont tout d’abord dû se mettre d’accord de nombreux points : les axes de travail et les objectifs prioritaires à assigner au PTSM, la définition des territoires que concernerait le PTSM, le schéma d’arborescence des filières de soins, la gradation et la modélisation de l’offre de soins. Sur un autre plan, il a également fallu aborder la question du renforcement de l’attractivité pour améliorer la démographie médicale et enfin s’entendre sur une approche quantifiée. Toutes choses qui requièrent un temps considérable et nécessitent de surmonter de nombreux obstacles. Ainsi s’explique que, même s’il est considéré comme en phase avancée et travaillé par des partenaires motivés, le processus ne soit pas achevé trois ans après ses débuts.

Pour certains, le PTSM relève même de l’utopie, compte tenu des conditions, de fond comme de forme, et des délais dans lesquels il doit être élaboré. C’est pour ces raisons cumulatives que la démarche a pris un retard important : selon les indications données par la DGOS ([65]), environ 50 % des départements sont encore en phase de diagnostic, 25 % en cours de rédaction, un dixième seulement ayant été validés. La situation est telle que le PTSM pourrait très bien se révéler n’être qu’un vœu pieux, voire même, selon certains interlocuteurs, associatifs notamment, entraîner en cas d’échec de douloureuses désillusions, à la hauteur des espérances que son instauration a suscitées ([66]). Le processus manque encore à ce jour d’un minimum de lignes directrices qui auraient pu être émises au niveau national pour servir de guidance au processus. En leur absence, le risque existe que les PTSM se traduisent finalement par une succession de projets juxtaposés sans cohérence, et sans que la réduction des inégalités territoriales, notamment, ne soit le moins du monde abordée. Les personnels de l’hôpital Paul Guiraud de Villejuif ont exprimé cette difficulté et regretté le manque de méthodologie, qui rend la démarche d’autant plus délicate que les multiples participants n’ont pas l’habitude de travailler en commun et ne savent pas à qui revient la coordination.

En l’état actuel, domine une grande hétérogénéité des diagnostics, certains révélant, a priori, de graves lacunes qui n’ont pu être comblées comme elles l’auraient dû, par manque de pilotage et de règles communes.

Pour que la conclusion d’un PTSM puisse aboutir, un soutien technique des parties prenantes dans leur démarche est indispensable. Cela suppose que les ARS apportent une aide aux acteurs qui, selon les dispositions législatives, sont à l’initiative de la démarche. Nombreux sont heureusement les départements dans ce cas, mais les situations sont en fait très variables, et tous ne sont pas aujourd’hui au même stade d’avancement dans l’élaboration de leur projet, toutes les agences n’étant pas engagées de la même manière et avec la même volonté. Selon les territoires, l’accompagnement de l’ARS est en effet très variable ([67]) : enveloppe consacrée à l’ingénierie du projet (également très variable dans son montant, de 20 000 à 50 000 euros selon les territoires visités par la mission d’information, parfois développés uniquement a posteriori comme dans les Pyrénées-Orientales), contractualisation avec un cabinet de conseil, recours à une fédération de recherche pour élaborer le diagnostic territorial... Dans certains autres départements, l’ARS apparaît comme trop directive aux yeux des acteurs (dans le Tarn, où le PTSM peine à décoller, le projet a ainsi été qualifié par des acteurs de terrain de « nouveau SROS »). Dans beaucoup de territoires visités par la mission, l’échelle du département semble ainsi avoir été imposée par l’ARS. Or, un PTSM doit se concevoir comme un outil global qui requiert un véritable partenariat afin de proposer des solutions novatrices et structurantes pour l’ensemble des parties prenantes.

Or, l’aspect participatif de la démarche s’avère finalement très formel, pour diverses raisons. En premier lieu, l’insuffisance de pilotage est frustrante pour les acteurs « non-sachants » qui se trouvent démunis face à la parole des médecins, inévitablement de plus de poids, et contre laquelle il est difficile de s’imposer, que l’on soit représentant de patients ou psychologue : les familles, notamment, expriment fortement leur désarroi face au manque d’écoute du corps médical. Le travail n’est collaboratif que dans la forme entre acteurs supposément partenaires. En outre, dans les faits, les acteurs se trouvent souvent dépossédés de leurs prérogatives au profit de cabinets de conseils privés, recrutés par les ARS pour les assister. Il est fréquent qu’ils proposent des orientations opérationnelles « clefs en mains » très morcelées, traduisant ainsi une technocratisation rampante du processus qui échappe par là même à ceux qui devraient en être les seuls artisans, ainsi qu’ont notamment pu l’exprimer les représentants des syndicats de psychiatres. ([68])

Pour être une réussite, ce doit être une démarche collective, associant notamment les familles et les usagers et articulée sur les recommandations de la HAS. Or, les ARS, couvrant désormais des territoires très vastes, bien plus étendus que le périmètre des PTSM, ne sont aujourd'hui pas en mesure d’accompagner les acteurs locaux dans leur démarche. Pour cette raison, il est indispensable qu’elles mobilisent des coordonnateurs territoriaux, à l’instar de ce qui se fait par exemple avec grand succès à La Réunion, pour accompagner quotidiennement le processus dans ses différentes phases. En ce sens, la psychiatrie ne peut rester à la marge de la démarche adoptée par Ma santé 2022, qui, selon la rapporteure Martine Wonner, vient précisément de consacrer l’échelon de proximité et de renforcer les mécanismes de coopération au niveau des territoires au plus près des patients, en associant l’ensemble des acteurs des diverses filières sanitaires et médico-sociales.

Au-delà de leur niveau de réalisation très différente, se pose la question immédiate suivante : comment faire vivre les PTSM ?

2.   L’instauration d’outils de coordination et mutualisation dans la loi de 2016

Longtemps, les organes et mécanismes de concertation destinés à faciliter la mise en œuvre de la politique de santé mentale sur les territoires sont restés assez informels. La loi de 2016 les a confortés et développés ; elle a notamment institué des instances de coordination novatrices, dont certaines, cependant, appliquées à la psychiatrie, font encore débat.

a.   Les groupements hospitaliers de territoire et les établissements publics de santé mentale

Aux termes du nouvel article L. 6132-1 du code de la santé publique, sauf dérogation due à sa spécificité, chaque établissement public de santé relève d’une convention de groupement hospitalier de territoire. Cette disposition s’applique normalement aux établissements publics de santé mentale, bien que plusieurs d’entre eux aient obtenu une dérogation de l’ARS. Ce groupement « a pour objet de permettre aux établissements de mettre en œuvre une stratégie de prise en charge commune et graduée du patient, dans le but dassurer une égalité daccès à des soins sécurisés et de qualité. Il assure la rationalisation des modes de gestion par une mise en commun de fonctions ou par des transferts dactivités entre établissements. ».

Un « projet médical partagé » est élaboré par les établissements appartenant à un GHT, pour garantir une offre de soins de proximité. Selon les dernières données de la DREES ([69]), au 1er juillet 2016, les quelque 891 institutions hospitalières publiques étaient regroupées en 135 GHT dont quatre sont constitués uniquement d’établissements spécialisés en psychiatrie : le GHT Psychiatrie Nord–Pas-de-Calais qui regroupe quatre établissements, le GHT Paris psychiatrie et neurosciences (réunissant trois établissements), le GHT Psy-Sud-Paris (trois établissements) et le GHT psychiatrie Doubs-Jura (deux établissements). De l’avis de participants, ces regroupements renforcent la cohérence de l’action sur le territoire.

Des inquiétudes se sont néanmoins exprimées sur le risque de dilution de la spécificité psychiatrique au sein d’un GHT. Toutes choses égales, se voit de nouveau réitérée ici la crainte ancienne ([70]) que la psychiatrie, faute de moyens clairs et sanctuarisés, puisse de nouveau faire office de variable d’ajustement financière.

C’est pour cette raison précise que la rapporteure Caroline Fiat souhaite exprimer son opposition au regroupement en GHT d’hôpitaux psychiatriques et d’hôpitaux généraux, les témoignages reçus par la mission lors de ses déplacements étant à cet égard éloquents. Elle considère que les GHT associant des établissements psychiatriques ne sont envisageables qu’à la stricte condition que les budgets dédiés à la psychiatrie soient sanctuarisés et que les personnels ne voient pas leurs conditions de travail dégradées. Plusieurs des acteurs de terrain rencontrés partagent cette position et considèrent que, à la condition qu’il n’y ait pas de fongibilité et que les besoins de la filière psychiatrique soient satisfaits, il n’y a pas de réel souci, même si la situation est nécessairement différente par rapport à la période antérieure où l’autonomie des établissements était totale. Cela étant, c’est loin d’être le cas en pratique et l’autonomie financière des établissements participants au GHT est loin d’être préservée. Pour la rapporteure Martine Wonner, la fin de la dotation globale en psychiatrie, la transparence des modalités de financement et l'évolution de la tarification à l’activité en médecine-chirurgie-obstétrique (MCO) devraient garantir un équilibre au sein des GHT.

Les associations de patients et de familles ne sont pas les moins préoccupés, pour qui la psychiatrie doit se défendre face au GHT.

La constitution d’un GHT est considérée comme une réelle plus-value à la condition qu’un pilotage en santé mentale soit effectif, afin que les besoins soient réellement et formellement pris en compte. C’est la raison pour laquelle certains plaident fortement pour l’inclusion des communautés psychiatriques de territoire (CPT), au sein des GHT, comme cela a pu être expérimenté, par exemple dans le nord.

b.   Les communautés psychiatriques de territoire, une réponse possible au risque de dilution dans un GHT

Une disposition a été introduite concernant le champ psychiatrique, les établissements publics de santé autorisés en psychiatrie pouvant être associés à l’élaboration du projet médical partagé de groupements d’établissements auxquels ils ne sont pas partie, dans le cadre des communautés psychiatriques de territoire.

Créée par la loi de modernisation de notre système de santé, la communauté psychiatrique de territoire, CPT, réunit les établissements de service public hospitaliers qui le souhaitent, dans la mesure où ils sont signataires d’un même contrat territorial de santé mentale, les autres parties signataires
– représentants des patients, des familles, professionnels, établissements et services sociaux et médico-sociaux – pouvant être associés pour la déclinaison des actions du PTSM auxquels ils participent.

À ce jour, un peu plus d’une trentaine de CPT ont été constituées, le plus souvent sur une base départementale. Il apparaît que ce sont parfois des problèmes de démographie médicale qui sont allégués pour indiquer que la constitution d’une CPT n’est pas envisagée, comme c’est par exemple le cas dans plusieurs départements du Grand-Est.

Le cas de la Communauté psychiatrique de territoire de La Réunion

L’établissement support de la CPT, constituée en juin 2017 pour cinq ans, est l’Établissement public de santé mentale de La Réunion, EPSMR. Y participent en outre :

– Trois établissements : le CHU de La Réunion, le CHM et la clinique des Flamboyants, établissement privé.

– Huit associations gestionnaires de structures sociales et médico-sociales,

– Deux associations de professionnels de santé de ville

– L’UNAFAM, représentant les usagers et leurs familles

L’objectif de la CPT est de contribuer à la mise en œuvre du PTSM, de s’assurer de la prise en compte de la santé mentale par le Projet médical partagé, PMP, et de concourir à la mise en œuvre opérationnelle du PTSM et à son suivi-évaluation

Pour les acteurs réunionnais et notamment l’ESPMR, la CPT est partie intégrante de la politique partenariale qui doit être l’instrument de réalisation de la politique régionale de santé, déclinée à travers les PRS, PMP et autre PTSM.

La CPT en est l’un des nouveaux supports de coopération au même titre que le GHT.

Source : Conférence nationale des présidents de commission médicale d’établissement (CME) de centres hospitaliers spécialisés (CHS) en psychiatrie et Projet d’établissement de l’EPSMR 2017-2021

La situation que les membres de la mission ont observée lors de leur déplacement à La Réunion peut être qualifiée d’idyllique. Tout ce qui est mis en œuvre est empreint d’une grande cohérence. Sans doute le fait que le territoire concerné soit une île a-t-il joué dans le fait que tous les acteurs présents, tant publics que privés, ont appris à se connaître depuis longtemps et travaillent ensemble depuis toujours. Cette antériorité, ce travail commun entrepris depuis plusieurs décennies ont inévitablement facilité la cohérence des projets qui devaient être élaborés. Bien différent est évidemment le cas de nombreux autres territoires dans lesquels les acteurs rencontrés ont eu l’occasion de confier à vos rapporteures que c’est la dynamique du PTSM qui a permis que les acteurs se rencontrent enfin et apprennent à se connaître. Le degré d’avancement aussi varié dans les projets que l’on constate s’explique évidemment et grandement par ces réalités de terrain aussi différentes. C'est la raison pour laquelle la rapporteure pour la majorité, Martine Wonner, considère qu’il est impératif que la composition des CPT évolue et inclue systématiquement les acteurs privés. Elle invite à cet effet à une révision du décret du 26 octobre 2016.

3.   La mise en place d’instances consultatives

a.   Une lente montée en puissance sur le terrain

i.   Des prémices balbutiantes

C’est une circulaire du 12 décembre 1972 qui recommanda en premier « la création dorganismes consultatifs qui pourraient être dénommés "conseil de santé mentale de secteur" » ([71]).

Il fallut toutefois attendre la loi du 25 juillet 1985 pour que cette préconisation commence à être traduite dans les faits, son article 8 disposant qu’« il est institué un conseil départemental de santé mentale qui comprend notamment des représentants de lÉtat, des collectivités territoriales, des caisses dassurance maladie, des représentants des personnels de santé mentale, des établissements dhospitalisation publics ou privés. ». Ainsi institué, le conseil donne notamment des avis sur le nombre, la configuration des secteurs psychiatriques, la planification des équipements comportant ou non des possibilités d’hospitalisation nécessaires à la lutte contre les maladies mentales.

Un décret du 14 mars 1986 précisa ensuite que ce Conseil départemental pouvait être consulté sur l’ensemble des problèmes relatifs à l’organisation et au fonctionnement des équipements et services de lutte contre les maladies mentales, ainsi que sur les projets de création d’établissements sociaux et médico-sociaux. La composition du conseil, détaillée à l’article 4 du décret, frappe par la part très importante qu’y occupent les professionnels ([72]).

Cela étant, l’échelon départemental a été rapidement considéré comme trop éloigné du terrain. C’est pourquoi la circulaire de 1990 indiquait que « les équipes de secteur psychiatrique peuvent très utilement compléter le dispositif de concertation départementale par des instances de coordination à un échelon suffisamment proche des préoccupations locales et largement ouvertes aux acteurs de santé mentale », pour notamment, « étudier et résoudre les problèmes darticulation, de coordination et de coopération entre ces divers acteurs ; mobiliser les complémentarités entre les praticiens libéraux et les infrastructures publiques ou associatives (sanitaires, sociales et médicosociales) pour faciliter les orientations des malades ; produire les informations et les propositions nécessaires aux travaux des conseils départementaux de santé mentale et concrétiser sur le terrain les recommandations de cette instance. ».

Pour autant les choses ont été lentes à se mettre en place. Si le secteur psychiatrique, entendu comme aire géographique spécifique, est apparu très tôt comme l’échelon idéal pour organiser ces échanges sur le terrain et le « conseil de secteur » une instance à promouvoir, 25 ans après la circulaire de 1990, le développement de ces instances de concertation apparaissait à la fois modeste et encore relativement informel.

Ainsi, selon une étude ([73]), seuls 120 conseils locaux de santé mentale, CLSM, étaient recensés en 2015 , une soixantaine étant en cours de création –  en regard des quelque 830 secteurs existants –  très diversifiés en termes de nombre de lits, de structures extrahospitalières, d’équipes mobiles, etc. Une vingtaine de CLSM seulement avaient été créés dans les années 2000 et plus de 80 % après 2008, la loi HSPT ayant accéléré le mouvement, avant que la loi de modernisation de notre système de santé, en 2016, positionne explicitement les CLSM dans la politique de santé mentale et donne un cadre à leur déploiement. La montée en puissance des CLSM depuis les origines s’est donc faite sur un rythme très lent, ne serait-ce que parce que l’expérience a montré que plusieurs mois, voire plusieurs années de réunions de travail préparatoire, étaient parfois nécessaires pour la mise en place de la démarche.

La situation des conseils locaux de santé mentale qui ont de facto succédé aux conseils de secteur, est en outre, selon cette étude, extrêmement variable, les territoires couverts allant de 5 000 à 850 000 habitants, 60 % d’entre eux couvrant toutefois un territoire peuplé de moins de 90 000 habitants.

En d’autres termes, si certains CLSM recouvrent exactement le territoire d’un secteur, il n’en est pas de même d’autres, qui peuvent concerner plusieurs secteurs, comme c’est par exemple le cas à Toulouse ou à Marseille. Selon l’étude précitée, 60 % des CLSM couvrent un territoire communal, 32 % sont sur une échelle intercommunale et 8 % infra-communale. Inévitablement, ces aspects ne peuvent qu’influer considérablement sur leur mode de fonctionnement concret, comme on le verra plus loin. À l’instar de ce que l’on a pu constater concernant les PTSM, l’appui d’une ARS peut se révéler déterminant pour la consolidation d’un CLSM. Ainsi, en région Auvergne-Rhône-Alpes, le CLSM existe depuis longtemps et l’ARS, convaincue de son importance, lui apporte un soutien conséquent depuis bien avant la loi de 2016, notamment en cofinançant des postes de coordinateurs depuis 2010.

ii.   Le CLSM, outil majeur de la concertation légalisée

En 2011, compte tenu des opportunités qu’ils offrent en termes de décloisonnement de la psychiatrie, et dans le prolongement des recommandations du rapport Couty deux ans plus tôt, la Cour des comptes recommandait la généralisation des CSLM ([74]). Elle rappelait les constats faits quelques années plus tôt quant à la trop faible implication du secteur associatif, au demeurant peu développé dans le champ de la santé mentale, et quant à l’inadaptation des modalités d’implication des représentants d’associations d’usagers. Ultérieurement, Jean-Luc Roelandt et Laurent El Ghozi considéreront dans leur étude le CLSM comme « le chaînon manquant de la politique de sectorisation psychiatrique depuis sa naissance. » ([75]).

Des changements importants ont finalement été apportés à l’organisation et au fonctionnement des CLSM, par la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016, qui pourraient opportunément accélérer ce mouvement. ([76])

Sans toutefois les définir ([77]), la loi de 2016 a en effet introduit des précisions quant au rôle des CLSM en les associant à l’élaboration du projet territorial de santé mentale, PTSM, selon l’article L. 3221-2-II. du code de la santé publique. Il est ainsi prévu que « le projet territorial associe notamment les représentants des usagers, les professionnels et les établissements de santé, les établissements et les services sociaux et médico-sociaux, les organismes locaux dassurance maladie et les services et les établissements publics de lÉtat concernés, les collectivités territoriales, ainsi que les conseils locaux de santé, les conseils locaux de santé mentale ou toute autre commission créée par les collectivités territoriales pour traiter des sujets de santé mentale, dès lors quils comprennent en leur sein les représentants des usagers et les professionnels de santé, sociaux et médicosociaux. ».

Les CLSM sont également chargés de donner un avis sur le diagnostic territorial partagé et le PTSM, avant qu’ils soient arrêtés par le directeur général de l’ARS. Enfin, les actions de mise en œuvre du PTSM, qui font l’objet d’un contrat territorial de santé mentale, peuvent également être déclinées au sein des CLSM.

En outre, une instruction de la Direction générale de la santé ([78]) indique que, à partir du diagnostic des besoins et ressources du territoire, le CLSM « définit des objectifs qui ont comme lignes directrices la prévention en santé mentale et le développement de lautonomie des personnes », avec un focus spécifique sur les adolescents et les jeunes, et autres publics identifiés comme prioritaires. Le CLSM doit également s’engager à mener des actions d’amélioration de l’accès et du maintien dans le logement, des actions destinées à faciliter le recours aux structures et aux professionnels concernés et enfin à permettre la continuité et la coordination des soins et de l’accompagnement social et médico-social.

Cela étant, le décret n° 2017-1200 du 27 juillet 2017 relatif au PTSM, semble au contraire circonscrire le rôle des conseils locaux de santé mentale. C’est en effet sur le seul volet de « l’organisation des conditions du respect et de la promotion des droits des personnes présentant des troubles psychiques, du renforcement de leur pouvoir de décider et d’agir et de la lutte contre la stigmatisation de ces troubles » ([79]), qu’il est spécifié que le PTSM vise à développer des espaces de concertation et de coordination locales, notamment, les CLSM.

Ainsi que le rappelle l’IGAS dans son rapport ([80]), deux niveaux de concertation coexistent en matière de santé mentale : le niveau du territoire de santé, c’est-à-dire généralement le département, où la commission spécialisée en santé mentale du conseil territorial de santé est concertée sur la stratégie régionale de l’ARS ; cependant qu’au niveau inférieur, le CLSM est l’espace de concertation sur le PTSM. Alors que son niveau d’élaboration est départemental, c’est effectivement par une déclinaison de proximité dans les CLSM que le PTSM pourra pleinement vivre et exprimer ses potentialités.

On verra cependant plus loin qu’un certain nombre de travers que la Cour des comptes avait soulignés en 2011 – par exemple en matière de lieux, d’horaires ou de périodicité des réunions – persistent, comme en témoignent les nombreux acteurs auditionnés par les membres de la mission d’information, qui rendent ces espaces de concertation pour l’heure encore souvent décevants. Les rapporteures considèrent qu’il est essentiel que les réunions soient organisées en tenant le plus grand compte de l’intérêt des usagers et de leurs contraintes.

Le CLSM, pour les rapporteures, est l’outil majeur de l’analyse concertée et transversale des parcours complexes où les acteurs de la Justice, de l’Éducation nationale peuvent côtoyer le soin.

b.   Des processus participatifs parfois encore insatisfaisants

De nombreuses, voire trop nombreuses, instances de consultation participent désormais au processus décisionnel. Sous l’égide de l’ARS qui anime et supervise la démarche, l’élaboration du PTSM résulte ainsi d’un travail qui se veut participatif et associe notamment les usagers. Cela étant, on peut qualifier ce mécanisme de lourd, voire de complexe et le bilan n’apparaît pas encore réellement positif.

i.   Une concertation « entre professionnels de la profession »

Une bonne coordination est depuis longtemps, dès 1972, la préoccupation des tutelles.

Si à l’époque, comme vos rapporteures l’ont rappelé ([81]), ce sont essentiellement des psychiatres et directeurs d’établissements spécialisés, ou des représentants des personnels de santé mentale non médicaux mais travaillant en établissement assurant le service public hospitalier qui siégeaient par exemple au conseil départemental de santé mentale, cette donnée n’a fondamentalement pas varié et comme le dit aujourd’hui Michel Laforcade : « Le parcours de soins implique une bonne articulation des dispositifs de soins entre eux (médecine générale, établissements hospitaliers publics et privés, médecine somatique, psychiatrie et autres spécialités). La qualité de cette articulation dépend dune formation initiale (universités, IFSI, etc.) prenant en compte la connaissance de ces dispositifs et de leur indispensable complémentarité. Elle nécessite également, au sein de chaque dispositif, une bonne articulation des différentes catégories de métier, de fonctions clairement définies et connues de tous et des délégations de tâches lorsquelles simposent » ([82]).

Le paysage n’ayant fait que se complexifier au fil du temps, l’exigence de coordination n’en a que plus d’acuité, et les textes les plus récents prévoient ainsi maints mécanismes de concertation.

Ainsi, aux termes du I de l’article L. 3221-2, l’élaboration et la mise en œuvre du PTSM se font « à linitiative ([83]) des professionnels et établissements travaillant dans le champ de la santé mentale à un niveau suffisant pour permettre lassociation de lensemble des acteurs mentionnés à larticle L. 3221-1 », c’est-à-dire « les établissements de santé autorisés en psychiatrie, des médecins libéraux, des psychologues et lensemble des acteurs de la prévention, du logement, de lhébergement et de linsertion. ».

Le rôle dominant des instances hospitalières dans l’élaboration du PTSM se retrouve dans les dispositions régissant le fonctionnement des communautés psychiatriques de territoire ([84]), qui invitent aux mêmes conclusions : le premier rôle dans l’exécution d’un contrat territorial de santé mentale, par exemple, leur appartient, les autres signataires, « notamment les représentants des patients et des familles, les professionnels et les établissements de santé, les établissements et services sociaux et médico-sociaux », pouvant être associés à la déclinaison des actions auxquelles ils participent ([85]).

Ce processus participatif est réaffirmé et confirmé à divers autres stades de la procédure, et notamment, dès l’élaboration du diagnostic territorial partagé en santé mentale, étape préalable qui vise à « établir létat des ressources disponibles, identifier les insuffisances dans loffre de prévention et de services sanitaires, sociaux et médico-sociaux et dans laccessibilité, la coordination et la continuité de ces services, et préconiser des actions pour y remédier » ([86]).

Au terme de ce processus dont on verra plus loin les difficultés qu’il pose très concrètement aux acteurs de terrain à quelque cercle qu’ils appartiennent, tant le diagnostic que le projet sont arrêtés par le directeur général de l’ARS, après avis des conseils locaux de santé ou des CSLM. Un contrat territorial de santé mentale est ensuite conclu entre l’ARS et les acteurs de territoire pour la mise en œuvre des actions prévues.

ii.   Un fonctionnement qui ne répond pas toujours aux attentes des participants

Un tel processus, associant autant de participants, est nécessairement complexe. Cela est notamment mis en évidence dans le fait que des questions majeures de cohérence entre de multiples projets sont à prendre en compte, comme le précisent les articles L. 3221-2-II et R. 3224-2-II du code de la santé publique : cohérence entre le PTSM et le projet médical partagé du ou des GHT présents sur le territoire de santé mentale ; prise en compte des projets des équipes de soins primaires, des communautés professionnelles territoriales de santé et des plateformes territoriales d’appui.

La nécessité de tenir compte de tant d’éléments ne peut que complexifier l’articulation et la coordination des structures concernées dont les rôles risquent de se chevaucher. Il est certain que le paysage est aujourd’hui illisible. Nombre d’analyses et interlocuteurs de la mission d’information se sont faits l’écho de ce constat.

À un stade ou à un autre, conseils, commissions, communautés, groupements et autres comités contribuent désormais à la définition et à la mise en œuvre de tel ou tel projet, sur tel ou tel territoire, avec telle ou telle finalité, à tel ou tel niveau, avec tels ou tels partenaires, à l’initiative de tel ou tel pilote et sous l’égide de telle ou telle autorité... Parmi d’autres observateurs, l’IGAS estime que « l’enchevêtrement des outils d’organisation n’a d’égal que l’enchevêtrement des territoires » ([87]) et souligne que cet état de fait oblige les acteurs à des exercices délicats de planification qui sont loin d’être exempts de risques de discordances, voire d’enlisement généralisé, la coordination devenant particulièrement ardue, dans un panorama que même les professionnels peinent désormais à trouver lisible.

ReprÉsentation schÉmatique de l’enchevÊtrement des outils de planification en psychiatrie

Source : rapport IGAS 2017, organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960 (page 37) ([88])

Cette profusion de structures, de commissions et de dispositifs est facteur de découragement pour des instances aussi solides que la FEHAP ou la FHP qui peinent à voir la cohérence des messages délivrés dans les différentes instances. Dans quelques ARS visitées au cours de ce travail, des responsables ont indiqué ne pas être loin de partager cet avis, et certains autres acteurs, comme le professeur Pierre Fourneret ([89]), plaident ardemment pour que l’on arrête d’empiler des étages supplémentaires au millefeuille de dispositifs d’ores et déjà surchargé, arguant qu’il gagnerait grandement à être simplifié, ne serait-ce que pour que les parents et les patients puissent enfin s’y retrouver.

Au-delà de cette illisibilité flagrante, les membres de la mission dinformation ont également reçu maints témoignages des difficultés que ces multiples dispositifs induisaient. Au sein des CLSM, les associations d’usagers et de familles se sentent notamment en nette infériorité vis-à-vis des acteurs professionnels du secteur sanitaire. Elles estiment n’être pas assez représentées et mal armées pour traiter des dossiers techniquement complexes. Certaines ont indiqué à la mission d’information ([90]), qu’elles considéraient être invitées à faire de la figuration, malgré l’énergie qu’elles y consacrent, et que les professionnels cherchaient avant tout à se faire entendre et faire prévaloir leurs vues. Ce surcroît d’activité est épuisant et chronophage ([91]), dans la mesure où il requiert aussi de participer à de nombreux groupes de travail. Or, les modes de fonctionnement de ces instances ne tiennent aucunement compte des contraintes qui peuvent peser sur les responsables associatifs, comme sur les professionnels de santé libéraux.


1

 

II.   Une réalitÉ alarmante, bien loin de l’ambition affirmÉe

A.   Le parcours du combattant du patient

Le parcours du patient en psychiatrie est un véritable parcours du combattant.

– malgré l’ambition du secteur, les transitions entre la ville et lhôpital ne sont pas fluides ;

 les médecins généralistes, qui sont le premier recours pour le patient, peinent à diagnostiquer les troubles psychiques et à orienter le patient vers le bon professionnel dans le labyrinthe que constitue l’offre de soins en santé mentale ;

– la prévention est extrêmement limitée voire inexistante ;

– loffre de soins non programmés et léducation thérapeutique sont très largement insuffisantes, ce qui ne permet pas de contenir les crises, et amène les malades aux urgences ou à l’hôpital alors qu’une prise en charge plus tôt en ambulatoire aurait permis d’éviter cette hospitalisation ;

– les solutions daval, notamment dans le médico-social, manquent cruellement, ce qui fait que de nombreux patients restent à l’hôpital beaucoup plus longtemps que nécessaire ;

– la prise en charge somatique des patients souffrant de troubles psychiques est désastreuse.

1.   Un virage ambulatoire au milieu du gué

Comment expliquer qu’alors que le nombre de lits d’hospitalisation en France est particulièrement élevé, l’ensemble des interlocuteurs des établissements visités par la mission ont évoqué une sur-occupation permanente de ces lits d’hospitalisation ? Cette question est d’autant plus intéressante que c’est la même raison qui a présidé à la création du secteur en 1960 ([92]).

Le développement du suivi ambulatoire, ainsi que des structures d’amont et d’aval, reste en réalité très largement insuffisant par rapport à la demande de soins, et la pression que subit toute la filière de soins psychiatriques se concentre donc sur l’hôpital psychiatrique.

a.   Une baisse du nombre de lits non compensée par le développement de l’ambulatoire

Entre 1990 et 2016, le nombre de lits dhospitalisation en psychiatrie pour 100 000 habitants en France a diminué de moitié.

Malgré cette diminution drastique, la densité de lits dhospitalisation en France reste parmi les plus élevées de lOCDE, et le système français de prise en charge de la psychiatrie reste, malgré les ambitions initialement exprimées par le secteur, extrêmement hospitalocentré.

i.   Une diminution du nombre de lits qui n’a pas été suffisamment compensée par une augmentation de l’offre extrahospitalière

En 2001, le rapport Piel-Roelandt fixait comme objectif une répartition du personnel à 60 % sur l’ambulatoire et 40 % sur l’hospitalisation. Aujourd’hui, cette proportion reste malheureusement inverse,  avec 43 % seulement du personnel soignant non médical exerçant hors unité d’hospitalisation à temps plein en psychiatrie générale.

Densité des lits d’hospitalisation dans les pays de l’OCDE en 2011

Source : OCDE.

Comme le souligne une note de l’IRDES, le virage ambulatoire psychiatrique en France s’est davantage caractérisé par la restructuration que par la suppression des hôpitaux. Peu d’hôpitaux psychiatriques ont été fermés, la plupart ont simplement fortement décru en taille. ([93])

La diminution du nombre de lits est principalement le fait des établissements publics et privés non lucratifs, le nombre de lits offerts par les cliniques privées étant resté stable sur toute la période. Sur une plus courte période, ce fossé s’est même creusé entre le secteur public et le secteur privé : depuis 2003, le nombre de lits dans les cliniques privées a augmenté de 24 %, alors que celui des établissements publics et privés non lucratifs a diminué de 12 %. Cette différence dans l’évolution du nombre de lits s’explique par la combinaison d’un régime d’autorisations très limité pour les cliniques privées, qui ne permet pas à ces dernières de monter des projets ambulatoire et les restreint à l’hospitalisation ou à l’hospitalisation de jour, et d’un financement « au prix de journée » qui a pu avoir un effet inflationniste, les ARS pouvant aisément jouer sur l’enveloppe ONDAM.

ÉVOLUTION du nombre de lits pour 100 000 habitants

Source : Rapport IGAS 2017, organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960.

On ne peut nier que le plateau technique psychiatrique, 100 % humain, est coûteux. Cela étant,  le manque de  transparence quant aux moyens n’a pas permis d’amorcer le virage ambulatoire tant attendu, et le développement de loffre ambulatoire, trop souvent autorisé sous conditions de redéploiement, reste largement insuffisant par rapport aux besoins.

Malgré cela, la plus grande partie de la file active ([94]) (80 %) est désormais prise en charge exclusivement en ambulatoire. Le taux de recours aux soins ambulatoires (3 100 patients pour 100 000 habitants) est, aujourd’hui, cinq fois plus important qu’en hospitalisation (630 patients pour 100 000 habitants).

Toutefois, si les structures de prise en charge à temps complet en dehors de l’hôpital ont été développées ([95]), comme les centres de postcures ou les appartements thérapeutiques, elles restent beaucoup moins nombreuses qu’en Angleterre et en Italie ([96]) et ne peuvent satisfaire une demande croissante.

Le tableau ci-dessous montre clairement la prévalence de l’hospitalisation au sein de la prise en charge à temps complet, les solutions alternatives restant extrêmement marginales. Cet hospitalocentrisme des structures est renforcé par le régime d’autorisation limité applicable aux établissements de santé privés, qui ne dispose en majorité que d’autorisations portant sur l’hospitalisation à temps complet.

Nombre de placeS en prise en charge à temps complet (Nombre de lits ou places installés)

Hospitalisation à temps plein

Placement familial thérapeutique

Accueil en appartement thérapeutique

Accueil en centre de post cure

Accueil en centre de crise et structure d’accueil des urgences

Hospitalisation à domicile

20 411

183

191

926

54

57

Source : Données transmises à la mission par la DGOS.

La demande, sans cesse croissante, ne relève en réalité pas toujours de la psychiatrie, notamment en pédopsychiatrie où certaines s’apparentent plus à de l’aide à la parentalité, comme cela a été relevé à l’occasion de plusieurs visites de terrain. Pour autant, cette situation, symbolique de l’insuffisance de l’offre ambulatoire, contribue à l’engorgement des CMP, pivots de la prise en charge ambulatoire au niveau du secteur.

Selon la mission de l’IGAS précitée, l’attente moyenne entre la prise de contact et le premier rendez-vous avec un psychiatre peut atteindre trois mois en psychiatrie générale : cela correspond aux délais observés par la mission dans la plupart des CMP visités. Ces délais sont encore plus longs en pédopsychiatrie. Face à cet engorgement, beaucoup de CMP s’organisent pour prévoir un rendez-vous avec un infirmier, avant un premier rendez-vous médical : c’est le cas au CMP Fernand Léger que la mission a visité à Perpignan, où, si la liste d’attente est de six mois, les équipes parviennent à réduire à deux mois le premier accueil au CMP.

Comme le soulignent de nombreux rapports, la fermeture des CMP le soir, le week-end et les jours fériés aggrave cette situation de saturation. ([97]) 

L’augmentation de ces délais ne touche évidemment pas que les CMP, mais également les structures assurant une prise en charge dans le secteur médico-social. Par exemple, le Dr Patrick Belamich, président de la fédération des centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), a indiqué lors de son audition par la mission que le délai d’attente en CMPP était d’un an en moyenne. Dans certains CMPP, les familles viennent de départements limitrophes, et sont prêtes à faire régulièrement plus d’une heure de trajet afin d’obtenir un rendez-vous pour leur enfant.

En libéral, les délais de prise en charge par un psychiatre peuvent également être très longs. Malgré la création d’une consultation spécifique mieux valorisée pour favoriser la prise en charge sans délai par les psychiatres, dans les faits, les témoignages recueillis par la mission montrent que les psychiatres libéraux semblent prendre peu d’urgences et de nouveaux patients.

ii.   Un secteur qui reste trop hospitalocentré

Malgré la diversité de structures qui le compose et, surtout, malgré les ambitions affichées depuis maintenant des décennies, il n’est pas niable que le système, tant dans les textes que dans son mode de fonctionnement, reste encore beaucoup trop hospitalocentré.

Alors que la circulaire de 1960 appelait déjà de ses vœux au développement soutenu d’un dispositif extrahospitalier conséquent, celle de 1990 dressait un constat mitigé de ce point de vue, considérant expressément elle aussi que le secteur devait faire contrepoids à l’hospitalocentrisme et pour cela se centrer sur les centres médico-psychologiques afin d’offrir des soins de santé primaire. Si l’on en croit la Cour des comptes, ces constats n’ont cependant pas réussi à faire évoluer les pratiques. Dans son rapport de 2011, elle faisait remarquer que « les moyens dégagés par la réduction des lits dhospitalisation complète sont donc loin davoir été entièrement reconvertis vers les solutions alternatives, pourtant plus pertinentes », et que l’on n’était pas « parvenu à inverser les tendances lourdes, souvent dénoncées, à une forme dhospitalocentrisme. » ([98]). Pour les magistrats de la Cour, il pouvait difficilement en être autrement, dans la mesure où l’organisation de la quasi-totalité de l’offre publique de soins et le mode de fonctionnement des secteurs ont été structurés sur les hôpitaux psychiatriques ([99]).

Aux critiques de lhospitalocentrisme médical se sont ajoutées celles tenant à la gestion même du dispositif, également hospitalocentrée. La gouvernance du système a en effet souvent été considérée comme faisant la part trop belle à l’hôpital. Les constats réitérés au long des décennies ne se sont pas traduits par des changements fondamentaux en ce qui concerne les dispositifs juridiques, tout au contraire : c’est toujours l’hôpital qui a la responsabilité des différents types de secteurs de psychiatrie - générale, infanto-juvénile et pénitentiaire ([100]). De sorte que, comme certains auteurs l’ont souligné, la responsabilité de gestion du secteur relève toujours de l’hôpital et un paradoxe apparaît dans le fait que « le secteur est en quelque sorte sommé de se reconstruire hors l’hôpital, tout en conservant son défaut d’origine, le rattachement hospitalier » ([101]), au risque de rendre illisible le dispositif.

Cet hospitalocentrisme de fait du secteur a été aggravé par les difficultés financières que celui-ci rencontre. Tous les dispositifs ambulatoires nécessaires existent, mais le manque de moyens du secteur a conduit le service public psychiatrique à se recentrer sur l’hospitalier, où les coûts sont incompressibles, notamment les coûts immobiliers : plus les moyens du secteur se rétrécissent, plus la part de l’hospitalier est importante. Parallèlement, les moyens ont été « saupoudrés » sur l’ambulatoire, qui reste donc constamment surchargé et sous-dimensionné. Dans les faits, les secteurs disposent donc d’une palette ambulatoire très large, et pouvant couvrir énormément de besoins (CMP, CATTP, hôpitaux de jour, équipes mobiles précarité ou gériatrie), mais chacun de ces dispositifs apparaît submergé. Pour la rapporteure Caroline Fiat, cette insuffisance de moyens confirme la nécessité d’un plan d’urgence pour les structures publiques en charge de la psychiatrie. Pour Martine Wonner, l’urgence est manifeste et globale, au-delà de la seule question de la psychiatrie, quels que soient les statuts ou les champs concernés.

iii.   Un engorgement inéluctable de l’hôpital psychiatrique lié à l’insuffisance de l’ambulatoire

Cette insuffisance des moyens donnés à l’ambulatoire conduit inéluctablement à un engorgement des urgences psychiatriques et à des hospitalisations qui auraient pu être évitées. Le phénomène de report de ces soins non programmés sur les urgences est bien connu en médecine somatique, pourquoi en serait-il différemment en psychiatrie ?

Une étude menée sur les hospitalisations pour dépression montre qu’un psychiatre a été consulté en amont par trois patients hospitalisés sur dix seulement ([102]).

Face à l’impossibilité d’avoir rendez-vous au CMP ou chez un psychiatre libéral au début de la crise, en particulier le soir et le week-end, les patients se retrouvent inévitablement aux urgences, puis hospitalisés, alors que la crise, si elle avait été traitée en amont, aurait pu être évitée.

b.   Le développement de l’ambulatoire : une injonction contradictoire ?

Y a-t-il une véritable volonté politique, en France, de développer l’ambulatoire et de diminuer les hospitalisations ? Lors de leurs déplacements, vos rapporteures ont pu constater que les hôpitaux psychiatriques sont soumis à des injonctions contradictoires très fortes. Ces injonctions se retrouvent dans les faits : ainsi, selon les derniers chiffres publiés par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), le nombre d’actes effectués en ambulatoire a diminué entre 2017 et 2018, passant de 21,4 à 21,3 millions.

i.   Un exemple d’injonction contradictoire au développement de l’ambulatoire : la suppression de l’hospitalisation à domicile

On peut se demander si le développement de l’ambulatoire et de la psychiatrie « hors les murs » est une priorité politique lorsque l’on constate que dans plusieurs établissements, les équipes ont expliqué avoir dû fermer les dispositifs dhospitalisation à domicile du secteur sous la pression des ARS –notamment à Amiens et à Thuir.

Un exemple particulièrement réussi d’hospitalisation à domicile a été présenté aux rapporteures en Haute-Garonne, réalisé conjointement par la clinique de Beaupuy et par le centre hospitalier Gérard Marchant. Toutefois, des incertitudes pèsent sur le financement de ce dispositif, assuré par l’ARS via le fonds d’intervention régional.

L’exemple de l’hospitalisation à domicile proposée par le GCS PsyDom31 en Haute-Garonne

Depuis 2015, en Haute-Garonne, la clinique de Beaupuy et son antenne de la clinique les Cèdres ainsi que le Centre hospitalier spécialisé Gérard Marchant, gèrent en collaboration une activité d’hospitalisation à domicile (HAD) avec une capacité de 15 lits, dans le cadre d’un groupement de coopération sanitaire intitulé PSYDOM 31. Ce dispositif public-privé est unique en France.

Le dispositif est destiné aux patients de la ville de Toulouse ou habitant dans un rayon de 30 km autour. Le centre hospitalier Gérard Marchant et la clinique de Beaupuy disposent chacun de quinze places pour leurs patients.

En plus de l’équipe infirmière, un psychiatre coordonnateur, ainsi qu’un psychiatre et un interne à temps plein sont détachés pour l’hospitalisation à domicile.

Le psychiatre ou l’interne se rendent une fois par semaine au domicile du patient pour la consultation et réévaluer le traitement. Un infirmier se rend une ou deux fois par jour, 7 jours sur 7 (jours fériés inclus), au domicile du patient pour évaluer son état, distribuer les médicaments et s’entretenir avec lui.

Par ailleurs, un appel est passé chaque soir vers 19 heures à chaque patient pour s’assurer avant la nuit de son état sauf dans le cas où il bénéficie de deux consultations journalières.

De plus, une astreinte téléphonique de nuit est assurée par un infirmier de 21h à 7h du matin ; en cas de nécessité d’un psychiatre, c’est celui d’astreinte dans l’établissement de référence du patient qui est sollicité ; durant la semaine en journée c’est le psychiatre de la HAD qui est sollicité par l’infirmier s’il en constate la nécessité.

Le financement de cette expérimentation est assuré par le fonds d’intervention régional (FIR), il ne s’agit donc pas de crédits pérennes.

Pour la HAD, le tarif pris en charge par le FIR est de 183 € par jour et par patient. C’est un tarif forfaitaire, prenant en compte toutes les dépenses, y compris médicales. En hospitalisation à la même clinique, la dépense par jour, prenant en compte les honoraires médicaux et toutes dépenses associées, est de 210 €.

ii.   La préférence pour l’enfermement

Au-delà de discours empreints de bonne volonté, il semble parfois que notre société soit davantage rassurée de savoir ses malades à lintérieur des murs dun hôpital que dans la Cité. En 2004, le tournant ambulatoire que prenait progressivement la psychiatrie française a été brusquement freiné par une décision du ministre de la Santé de l’époque, qui, suite au double homicide de soignants à Pau, a décidé d’un « moratoire sur la fermeture des lits » de psychiatrie, entretenant l’ambiguïté entre dangerosité et maladie mentale.

Dans son dernier rapport annuel, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dresse un constat sans appel, dont vos rapporteures partagent chaque mot : « En France la situation a bien changé : les préoccupations sécuritaires se sont substituées à lobjectif de réinsertion, la plupart des services sont des structures closes, limitant sans raison la liberté daller et venir des patients ; le nombre dhospitalisations sans consentement connaît une croissance sans précédent, facilitée par la procédure allégée dite de " péril imminent "; faute de structures médico-sociales, les séjours en hôpital se prolongent, la continuité des soins est incertaine. La France est progressivement devenue lun des pays européens qui enferme le plus les personnes atteintes de troubles mentaux. »

L’augmentation des hospitalisations sans consentement n’est évidemment pas compatible avec la volonté d’amorcer un vrai virage ambulatoire, même si celles-ci, réglementairement, peuvent être réalisées en ambulatoire, et fait peser une contrainte de plus en plus forte sur les établissements. Elle est révélatrice de l’injonction contradictoire permanente que ceux-ci subissent.

Les différents modes d’hospitalisation sans consentement

L’admission en soins sans consentement repose sur le constat que le patient ne dispose pas des facultés nécessaires pour consentir librement à une prise en charge.

Différentes procédures coexistent.

1/ L’admission décidée par le directeur d’établissement n’est possible que si les troubles mentaux rendent impossible le consentement du patient, et que l’état mental de la personne concernée « impose des soins immédiats assortis soit dune surveillance médicale constante […] soit dune surveillance médicale régulière […] » (article  L. 3212-1 du code de la santé publique).

Elle peut prendre plusieurs formes.

La procédure d’hospitalisation à la demande dun tiers constitue le principal mode d’admission. Elle est fondée sur la décision du directeur d’un établissement, qui repose sur une demande formulée par un tiers assortie de deux certificats médicaux établis par deux médecins distincts (1° du II de l’article L. 3212-1 du code de la santé publique).

Cette procédure de droit commun coexiste avec deux procédures exceptionnelles et allégées. Tout d’abord, la procédure d’admission sur le fondement du péril imminent (2° du II du même article L. 3212-1), qui devait dans l’esprit du législateur être strictement réservé aux personnes socialement isolées : ce régime ne requiert qu’un seul certificat médical, qui doit être établi par un médecin n’exerçant pas dans l’établissement d’accueil, et n’intervient qu’après avoir recherché un tiers.

L’admission à la demande d’un tiers en procédure durgence est quant à elle motivée par le « risque grave d’atteinte à l’intégrité du malade » (article L. 3212-3 du même code). Elle n’exige que la production d’un seul certificat qui peut être établi par un médecin exerçant dans l’établissement d’accueil.

2/ Parallèlement, ladmission en soins psychiatriques sur demande du représentant de l’État est une particularité française. Elle est prononcée sur la base d’un certificat médical « circonstancié » établi par un psychiatre qui ne peut exercer dans l’établissement accueillant le malade. Elle doit être à la fois motivée par l’existence de troubles mentaux nécessitant des soins et par les risques d’atteinte à la sûreté des personnes ou à l’ordre public (article L. 3213-1 du code de la santé publique). Comme pour les admissions sur décision du directeur d’établissement, des mesures durgences peuvent être diligentées par le maire (ou par le commissaire de police pour la ville de Paris) « en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, attesté par un avis médical », en en référant dans les vingt-quatre heures au représentant de l’État.

3/ Il faut enfin y ajouter le cas particulier des personnes placées en détention ainsi que des personnes déclarées pénalement irresponsables ([103])  dont la procédure d’admission nécessite une décision préfectorale établie dans les conditions précitées.

Selon une étude de l’IRDES, le nombre de personnes hospitalisées sans leur consentement tend à augmenter plus vite que la file active hospitalisée à temps plein : ainsi, entre 2012 et 2015, le nombre de personnes hospitalisées à temps plein a augmenté de 13 %, alors que la file active des personnes hospitalisées est restée stable. Alors qu’en 2012, 4,8 % des patients étaient suivis sans leur consentement, ils représentaient 5,4 % des patients en 2015, soit une hausse du recours à la contrainte en psychiatrie. Selon la même étude, les personnes hospitalisées sans leur consentement représentaient 24 % de la file active des personnes hospitalisées à temps plein, et les journées d’hospitalisation pour les personnes hospitalisées sans leur consentement représentaient 25 % du total des journées d’hospitalisation à temps plein ([104]).

Enfin, selon les derniers chiffres publiés par l’ATIH, ce sont 1 000 patients de plus qui ont été hospitalisés sans consentement entre 2017 et 2018. 

À de rares exceptions près – notamment celle de la clinique de Beaupuy à Toulouse, visitée par la mission – ces hospitalisations reposent exclusivement sur l’hôpital public.

L’augmentation de ces hospitalisations sous contrainte est l’une des raisons de la pression qui pèse aujourd’hui sur l’hôpital psychiatrique public.

Pour vos rapporteures, cet effet délétère est apparu très clairement lors de leur déplacement au centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse, où, en 2018, les hospitalisations sous contraintes représentaient 60,4 % des journées d’hospitalisation en unité d’admission, alors que le taux d’occupation de ces unités est supérieur à 95 %. Parallèlement à cette part importante des soins sous contrainte, l’établissement a également souligné les difficultés liées à :

– l’augmentation régulière du nombre de patients déclarés irresponsables pénalement (40 patients pris en charge en 2018 en unités d’hospitalisation) ;

– l’augmentation croissante des demandes de seconds avis médicaux en cas de levée d’une mesure de soins sans consentement à la demande du représentant de l’État, qui a des conséquences directes sur les durées moyennes de séjours ;

– le rejet régulier par le préfet des demandes de permissions non accompagnées, entraînant des difficultés sur les projets de soins et des retards de sortie.

L’assimilation entre santé publique et ordre public est donc sans aucun doute l’une des raisons de la sur-occupation des lits dans certains établissements, comme c’est le cas à Toulouse.

Toutefois, pour vos rapporteurs, si l’augmentation du nombre d’hospitalisation sous contrainte est l’une des raisons de la pression qui pèse sur l’hôpital psychiatrique, elle en est également une conséquence.

Ainsi, au terme des déplacements effectués par la mission, il semblerait que l’augmentation du recours à la procédure simplifiée dite de péril imminent (SPI) depuis son introduction soit en grande partie liée à une volonté, notamment au sein des services d’urgences, de « forcer à l’admission » lorsque peu de lits sont disponibles sur le territoire.

Si elle est difficilement quantifiable, cette tendance était déjà évoquée dans la note de l’IRDES précitée, qui supposait que « ce dispositif déployé de façon hétérogène sur le territoire semble être utilisé (…) pour faciliter le circuit d’admission dans un contexte durgence ». Denys Robiliard et Denis Jacquat l’avaient déjà clairement évoqué dans un rapport parlementaire de 2017 : « Environ les deux tiers des admissions en SPI seraient ainsi émises à loccasion dun passage aux services durgence. Le flux des patients transitant par les services durgence ne permet pas aux personnels soignants de connaître le patient qui se présente, son passé médical et son environnement familial et social. En proie à un état de crise, le patient nest pas non plus en mesure dapporter toute information utile au personnel du service durgence. Le choix le plus rationnel, dicté aussi bien par létat du patient – circonscrire la crise – que par celui du service – traiter la file dattente –, consiste à proposer une admission en soins sans consentement en péril imminent. » ([105]).

La désorganisation du parcours de soins du patient et de l’offre de soins sur les territoires a donc pour conséquence de favoriser l’hospitalisation sous contrainte, parfois au détriment de raisons médicales. Au vu des conséquences en termes de privation de liberté et de droits pour les patients, cela ne peut qu’interpeller.

La « préférence pour l’enfermement » ne s’arrête pas là : en visitant l’unité pour malades difficiles (UMD) ([106]) de Sarreguemines, vos rapporteures ont été choquées d’y rencontrer des patients qui auraient visiblement pu être pris en charge en secteur fermé traditionnel, ou même en soins libres – voire dans le médico-social –  si les moyens humains de ces derniers avaient été à la hauteur. Des soignants ont relaté que si les unités d’hospitalisation classiques refusent parfois de ré-hospitaliser les patients au sein de leur secteur d’origine, ce sont parfois les patients eux-mêmes qui expriment le désir de rester à l’UMD, où de très nombreuses activités physiques et manuelles leur sont proposées et où le taux d’encadrement est supérieur, plutôt que de retourner en hospitalisation classique, propos corroborés par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté lors de son audition par la mission. La France, seul pays démocratique à développer ce genre de structures, peut-elle se satisfaire que des patients souhaitent sacrifier leurs libertés pour être mieux soignés ? N’oublions pas que l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté en juin 2019 une résolution exhortant les États membres à mettre fin aux soins sans consentement.  ([107])

2.   L’insuffisance criante des solutions alternatives à l’hospitalisation

Au-delà du développement insuffisant de l’ambulatoire, ce sont les solutions d’amont comme d’aval qui sont insuffisamment développées.

Ce constat a été unanime dans l’ensemble des visites de terrain de la mission comme en audition. Comme l’a souligné l’ADESM lors de son audition « ce qu’il nous faut, aujourd’hui, c’est avant tout un virage inclusif, plus qu’un virage ambulatoire ».

En aval comme en amont de l’hospitalisation, il existe certes un manque criant de structures sanitaires alternatives à l’hospitalisation, mais aussi de structures sociales et médico-sociales, qui explique le fait que de nombreux enfants et adultes psychotiques déficitaires ou autistes sont pris en charge en Belgique, faute de structures adaptées dans notre pays.

L’absence de structures d’aval, notamment médico-sociales, conduit à des durées beaucoup trop longues d’hospitalisation pour des patients « chronicisés », stabilisés et n’ayant plus besoin d’un lieu de soin, mais simplement d’un lieu de vie adapté à leurs besoins.

Selon une étude de l’IRDES, en 2011, les hospitalisations au long cours en psychiatrie – d’un an ou plus, en continu ou non, et associées à une présence en hospitalisation l’année précédente – ont concerné près de 12 700 patients en 2011. Si ce poids est faible dans la file active – 0,8 % des patients pris en charge en établissements de santé –, il représente en revanche un quart des journées d’hospitalisation et un quart des lits ([108]).

La plupart de ces hospitalisations sont considérées comme « inadéquates ».

La mission a pu constater la réalité de ce phénomène lors de ces déplacements, en particulier au centre hospitalier Philippe Pinel d’Amiens, où, selon un rapport de la chambre régionale des comptes des Hauts de France de 2018, 70 à 100 patients étaient, chaque mois, hospitalisés de manière inadéquate, et 52 % des lits d’hospitalisation à temps plein étaient occupés par des patients hospitalisés depuis plus d’un an.

La même étude de l’IRDES sur les hospitalisations au long cours donne des éléments d’explication de ces séjours :

– toutes choses égales par ailleurs, plus l’offre de lits en hospitalisation à temps plein sur le territoire est importante, plus le recours à l’hospitalisation au long cours est élevé et inversement. « Dans un territoire où les capacités dhospitalisation en psychiatrie sont plus réduites, les équipes soignantes vont avoir tout intérêt à favoriser la fluidité des parcours et à éviter les séjours prolongés en organisant la sortie dhospitalisation des patients » ;

– dans les territoires accueillant une densité supérieure de personnes souffrant de troubles psychiques dans le secteur médico-social, le taux de recours à l’hospitalisation au long cours est plus faible.

Au-delà du manque de structures médico-sociales dans de nombreux départements, les équipes des établissements visités ont également souligné le manque de temps dans les hôpitaux psychiatriques pouvant être consacrés à la recherche de solution sur mesure pour les patients.

Par ailleurs, les structures médico-sociales ne doivent pas simplement être vues comme des solutions d’aval, mais également comme des solutions d’amont, qui doivent permettre un meilleur accompagnement des personnes au quotidien.

Le manque de maisons d’accueil médicalisées et de foyers d’accueil médicalisés a notamment été pointé dans la plupart des établissements visités par la mission.

Le manque de structures médico-sociales est également criant en pédopsychiatrie. Dans les Pyrénées-Orientales, la durée d’attente pour obtenir une place dans le médico-social pour les enfants atteints d’un handicap psychique a été qualifiée de « catastrophique » par le personnel du Centre hospitalier de Thuir et du CMP Fernand Léger.

Cet accompagnement en amont et en aval ne doit pas être seulement médico-social mais également social : pour mémoire, au moins un tiers des personnes sans domicile serait concerné par un trouble psychiatrique.

Ainsi, au Centre Hospitalier Paul Guiraud dans le Val-de-Marne, les équipes ont indiqué à la mission que les personnes sans domicile représentent aujourd’hui plus de 20 % des hospitalisations : comment espérer que ces personnes puissent se stabiliser à leur sortie de l’hôpital, lorsqu’elles retournent à la rue ? Les initiatives telles que « Un chez-soi d’abord » répondent à ce besoin mais restent insuffisamment développées.

«  Un chez-soi d’abord »

Né en 1992 aux États-Unis, le dispositif du « housing first » vise à loger directement des personnes sans domicile fixe atteintes de troubles psychiques ou d’addictions, tout en les accompagnant.

Le programme « Un chez-soi d’abord » est la traduction française de dispositif. Il s’est d’abord agi d’un programme expérimental mis en place en 2011 dans quatre villes (Lille, Marseille, Paris, Toulouse). Il propose un accès direct à un logement ordinaire depuis la rue, moyennant un accompagnement pluridisciplinaire au domicile. Ces expérimentations avaient fait leurs preuves avec la stabilité dans le logement de plus de 80 % des personnes accompagnées, l’amélioration de leur état de santé et de leur qualité de vie.

Le décret n° 2016-1940 du 28 décembre 2016 relatif aux dispositifs d’appartements de coordination thérapeutique « Un chez-soi d’abord » a permis de pérenniser ce dispositif.

Ce dispositif est destiné à des personnes majeures, durablement sans abri et atteintes d’une ou plusieurs pathologies mentales sévères.

Le gestionnaire du dispositif est un groupement social et médico-social créé spécifiquement et composé d’au moins d’un hôpital, d’une structure médico-sociale et d’un gestionnaire de logement facilitant le décloisonnement des pratiques professionnelles sur le territoire. Chaque personne intégrée dans le dispositif se voit proposer un logement dans la Cité. L’équipe médico-sociale assure des visites au domicile au moins une fois par semaine et une astreinte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour répondre aux situations de crise.

L’équipe de l’appartement thérapeutique doit être composée a minima d’un médecin psychiatre, d’un médecin généraliste, d’un cadre coordonnateur, d’un intervenant en addictologie, d’un médiateur de santé-pair, d’un travailleur social et d’une personne en charge de la recherche des logements et de l’intermédiation locative. La capacité d’accompagnement de chaque dispositif est comprise entre 90 et 105 personnes.

Le financement de ce dispositif est assuré à la fois par l’ONDAM médico-social et par l’État via le programme 177 s’agissant du volet logement. Le déploiement de ce dispositif a commencé en 2018.

Selon les informations transmises à la mission par la Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement, l’année 2018 a permis la pérennisation des sites expérimentaux et la création des sites de Bordeaux, Dijon, Lyon et Grenoble puis en 2019 le déploiement sur Nantes, Nice, Montpellier et Strasbourg. Sont prévus en 2020 le déploiement de deux sites en Ile-de-France et sur l’île de La Réunion et le doublement du site de Marseille. À terme, 2 000 places devraient être créées (20 sites de 100 places chacun).


3.   Un système cloisonné

a.   Les effets délétères du cloisonnement avec la médecine générale

Les médecins généralistes sont souvent le premier recours dans la prise en charge des troubles psychiques. Entre 20 % à 30 % des consultations des médecins généralistes seraient liées à ces troubles, et selon une étude de la DREES, « plus de la moitié des patients déclarent (…) quils iraient chez leur généraliste sils étaient confrontés à un problème de santé mentale et 47 % voudraient que celui-ci assure leur prise en charge » ([109]).

Pour autant, les médecins généralistes peinent à repérer et à prendre en charge ces troubles psychiques et à orienter leurs patients dans le labyrinthe de la psychiatrie.

Toujours selon la DREES ([110]), d’après une étude de 2008, les médecins généralistes ont souvent des relations peu fluides avec le secteur psychiatrique : si moins de 1 % d’entre eux dit ne pas savoir ce que c’est, seuls 35 % déclarent être suffisamment informés sur leurs missions et leurs activités. Alors que plus de 90 % déclarent avoir des patients qui y sont suivis, seulement 40 % disent pouvoir contacter facilement le secteur psychiatrique en cas de besoin et 22 % être régulièrement informés de la situation de leurs patients qui y sont suivis.

Par ailleurs, selon une autre étude de la DREES ([111]), 48 % des médecins généralistes qui prennent en charge des patients atteints de dépression proposent exclusivement un traitement médicamenteux. En cas de dépression non sévère, 50 % déclarent prescrire des antidépresseurs et des anxiolytiques.

Allant dans le même sens, une étude de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur les benzodiazépines (anxiolytiques) a montré que ces traitements sont initialement prescrits par un médecin généraliste dans environ 82 % des cas ([112]). On peut s’interroger sur ces prescriptions, qui ont concerné 13,4 % de la population française en 2015, lorsque l’on sait que la France se situe derrière l’Espagne au 2ème rang de la consommation de ces médicaments. Selon la même étude de l’ANSM, de 2012 à 2014, 15 % des nouveaux utilisateurs ont eu un premier épisode de traitement d’une durée non conforme avec les recommandations.

En ce qui concerne les antidépresseurs, les traitements sont également trop souvent prescrits de façon inadéquate. Selon une étude récente de l’assurance maladie, « beaucoup des prescriptions dantidépresseurs en France correspondent à des épisodes dépressifs légers pour lesquels le traitement médicamenteux ne doit pas être systématique et une psychothérapie est recommandée en première ligne, ou des symptômes dépressifs ou anxieux transitoires entrant dans le cadre de troubles de ladaptation pour lesquels il nest pas recommandé dinstaurer de traitement antidépresseur. Les antidépresseurs sont donc probablement trop fréquemment prescrits de manière inadéquate dans la population générale. Inversement, il y a probablement également une sous-prescription chez les patients ayant un épisode dépressif modéré à sévère » ([113]). Si cette inadéquation de la prescription de psychotropes n’est évidemment pas du seul fait des généralistes, l’insuffisante formation des médecins généralistes en psychiatrie explique une partie de ces prescriptions inadaptées.

b.   Mens insana in corpore insano ? L’insuffisante prise en charge somatique des patients souffrant de troubles psychiques

Le cloisonnement entre les disciplines, la complexité des parcours des patients et la stigmatisation des patients atteints de troubles psychiques ont pour conséquence dramatique une très mauvaise qualité des soins somatiques apportés à ces personnes.

Les chiffres sont édifiants :

– la réduction de l’espérance de vie des personnes suivies pour des troubles psychiques atteint en moyenne 16 ans chez les hommes et 13 ans chez les femmes. Chez ces personnes, le taux de mortalité prématuré est quatre fois supérieur à la moyenne ([114]) ;

– les personnes ayant une pathologie psychiatrique ont un risque plus élevé de développer une pathologie cardio-neurovasculaire, et en particulier une embolie pulmonaire ([115]) ;

– selon une étude réalisée par la Fondation FondaMental, la prévalence du syndrome métabolique est de 20 % chez les patients bipolaires et 22 % chez les patients schizophrènes, contre 10 % de la population générale. Ce syndrome multiplie par deux le risque de développer une maladie cardio-vasculaire et par cinq le risque de développer un diabète.

Part des dÉcÈs prÉmaturÉs (avant 65 ans) parmi les dÉcÈs de 2014, selon les groupes pathologiques traitÉs

Source : IRDES. (SLM : Sections locales mutualistes)

De nombreux facteurs propres à la maladie psychiatrique expliquent évidemment une part de ces chiffres désastreux : les addictions, une grande sédentarité, une moindre observance aux traitements, la prévalence des troubles psychiques chez les personnes les plus précaires. Toutefois, ces mauvais résultats s’expliquent également par une mauvaise prise en charge somatique de ces patients. Les maladies somatiques des personnes atteintes de troubles psychiatriques sont souvent ignorées, leurs symptômes ne sont parfois pas pris au sérieux et le suivi de ces maladies est très insuffisant.

Les personnes rencontrées dans les établissements visités par la mission ont été unanimes : les hôpitaux psychiatriques manquent de personnel et d’accès à certains équipements (IRM par exemple) pour soigner les pathologies somatiques de leurs patients, et il est souvent difficile de décrocher une consultation chez un spécialiste pour ces patients. Même à Lille, où la clinique psychiatrique Jérôme Bosch se trouve au sein même du CHU, l’équipe de l’hôpital a constaté lors de la visite de la mission avoir du mal à obtenir une consultation au CHU pour les patients : « C’est presque plus facile de faire venir les spécialistes chez nous que de faire consulter nos patients chez eux, parce quils ont peur davoir des malades psychiatriques dans leur service ».

c.   Une trop faible coordination entre les acteurs

La société attend aujourd’hui de la psychiatrie qu’elle réponde à toutes les problématiques de santé mentale. Or, pour vos rapporteures, la psychiatrie ne peut pas tout faire et, pour la rapporteure Martine Wonner, la psychiatrie publique « de secteur » non plus. Il convient d’arrêter de « mettre la pressions » en permanence sur les soignants sans ajuster les organisations et les moyens y afférant.

La psychiatrie est aujourd’hui coupée du reste de la médecine (médecine générale, spécialistes, mais aussi médecine scolaire, médecine du travail), mais également de l’éducation nationale, de la justice, de la police, de l’administration pénitentiaire, les citoyens eux-mêmes… Pourtant, tous ces acteurs ont un rôle clé à jouer dans la promotion de la santé mentale, dans la détection précoce des troubles et dans le repérage indispensable des signaux faibles.

Or, la coordination et le passage de relais restent largement insuffisants entre ces différents univers, et très dépendants de la volonté de chacun.

Comme l’a souligné la professeure Marion Leboyer lors de son audition par la mission, un exemple flagrant d’absence de coordination est celui des maisons des adolescents. Il existe aujourd’hui un peu plus d’une centaine de ces maisons, adossées à un service hospitalier ou associatives. Il s’agit d’un dispositif très innovant mais leurs missions, leur organisation et leurs actions sont très hétérogènes. Pour beaucoup d’entre elles, leurs liens avec l’Éducation nationale mais aussi avec la psychiatrie sont trop distendus.

d.   Un accès trop partiel à une prise en charge spécialisée

Le principal problème de la santé mentale est avant tout, sans aucun doute, l’insuffisant accès aux soins primaires pour un plus grand nombre.

Toutefois, en France, la prise en charge spécialisée apparaît également comme insuffisante : la structuration en secteurs promeut une psychiatrie généraliste accessible à tous sur l’ensemble du territoire, mais a freiné le développement d’une expertise spécialisée, indispensable pourtant pour certains patients. Cette position, défendue par la rapporteure Martine Wonner, n’est pas partagée par Caroline Fiat, qui ne souhaite pas opposer psychiatrie généraliste et psychiatrie spécialisée.

Pourtant, en psychiatrie comme pour toutes les spécialités médicales, la spécialisation apparaît aujourd’hui comme nécessaire. Des dispositifs « intersecteurs » spécialisés se sont développés, mais restent aujourd’hui insuffisants.

La professeure Marion Leboyer, auditionnée par la mission, a ainsi estimé que les « Centres Experts » mis en place par la Fondation Fondamental, qui proposent une expertise médicale spécialisée pour plusieurs pathologies, avaient un impact positif. Il existe ainsi quarante-trois centres experts sur tout le territoire, chacun spécialisé sur la schizophrénie, les troubles bipolaires, la dépression résistante ou l’autisme de haut niveau.

La professeure Leboyer a ainsi décrit le fonctionnement du centre expert à la mission lors de son audition : adressé par un médecin généraliste, un psychiatre ou une association de malades, chaque patient y a accès à un bilan exhaustif de sa pathologie psychiatrique, somatique et cognitive, associé à un bilan biologique. Le centre réalise en quarante-huit heures un diagnostic, établit des recommandations thérapeutiques personnalisées qui sont ensuite partagées avec le patient, sa famille et son médecin traitant. Toutes les données sont également intégrées dans un dossier médical informatisé et dans une base de données anonymisées pour la recherche.

Source : Fondation FondaMental.

D’après les données transmises par la professeure Leboyer, douze mois après une évaluation en centre expert, les journées d’hospitalisation diminuent de moitié pour les personnes atteintes de troubles bipolaires, et les troubles s’améliorent (diminution des symptômes dépressifs et maniaques, des troubles du sommeil, des troubles anxieux, de la consommation de substances et de tabac…).

Malheureusement, l’accès à une telle expertise spécialisée reste très limité pour les patients du fait du faible nombre de ces centres, et les délais d’obtention d’un rendez-vous sont de plus en plus importants (plus de deux ans d’attente pour un premier rendez-vous dans les centres experts autisme de haut niveau d’Île‑de‑France par exemple). Elle est même menacée, puisque la coordination de ces centres, financée par le Labex BioPsy (programme Investissement d’Avenir) s’achève en 2019.

Le développement insuffisant d’une expertise spécialisée ne résulte pas uniquement de l’organisation sectorielle, mais également d’une insuffisance de la recherche en psychiatrie et surtout des moyens qui lui sont alloués. Pour mémoire, en France, 4 % du budget public de la recherche médicale sont alloués à la recherche psychiatrique, contre 7 % en Grande-Bretagne et 16 % aux États-Unis.

La rapporteure Caroline Fiat désire ne pas s’associer aux précédents développements.

Par ailleurs, un récent rapport de l’Académie de médecine souligne, le faible nombre de professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) en psychiatrie générale et en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Selon le même rapport, on comptait en 2017 88 PU-PH en psychiatrie générale (soit 1 pour 25 étudiants comparativement à un PU-PH pour quatre étudiants en neurologie ou cardiologie) et 36 PU-PH en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (avec neuf facultés de médecine n’ayant pas de PU-PH dans ce domaine) ([116]).

La place de la France dans la recherche en psychiatrie s’en ressent inéluctablement, comme le montre le graphique ci-dessous.

La place de la France dans la recherche en psychiatrie à partir du nombre de publications

Source : Mission IGAS de 2017, d’après des données transmises à la mission par la fondation Fondamental, issue d’une enquête internationale sur la recherche en santé mentale (ROAMER).

B.   Une prise en charge trop hÉtÉrogÈne

Si le constat d’une structuration territoriale labyrinthique et inadaptée aux besoins du patient est valable dans l’immense majorité des territoires visités par la mission, les différences se creusent par ailleurs en fonction des territoires, des départements et même entre secteurs, créant ainsi de fortes inégalités dans les prises en charge.

1.   Malgré la sectorisation psychiatrique, une offre de soins mal répartie sur le territoire

a.   Des structures inégalement réparties

En dépit de l’ambition initiale du secteur qui est d’offrir une offre de soins de proximité sur tout le territoire, l’offre intra hospitalière comme ambulatoire est en réalité très inégalement répartie.

L’offre intra hospitalière est plus importante dans les départements ruraux du centre de la France. Le taux de places d’hospitalisation pour 100 000 habitants est ainsi de 279 dans l’Allier, contre 83,2 en Meurthe-et-Moselle. À Mayotte, elle est de 5,1 lits seulement… Le nombre de patients effectivement pris en charge en hospitalisation complète varie également considérablement selon les départements.

DensitÉ de lits et de places d’hospitalisation en psychiatrie en 2016

Source : DREES, panorama des établissements de santé, 2018.

La densité de structures ambulatoires varie elle aussi en fonction des départements : elle va de trois structures pour 100 000 habitants en Eure-et-Loir à 22,5 structures pour 100 000 habitants en Corse du Sud (on ne dispose pas de chiffres pour Mayotte). Le plus souvent, elles ne compensent pas, sur certains territoires, l’offre déficitaire.

DensitÉ de lieux de prise en charge en ambulatoire en 2016 (CMP, CATTP, UnitÉs de consultation)

Source : DREES, panorama des établissements de santé, 2018.

b.   Des psychiatres nombreux mais inégalement répartis

Ainsi, comme les lits d’hospitalisation, les psychiatres sont nombreux en France… mais mal répartis sur le territoire.

Avec plus de 15 000 psychiatres en exercice, la France compte près de 23 psychiatres pour 100 000 habitants. En 2015, les seuls pays de l’OCDE où la densité de psychiatres était supérieure à celle de la France étaient la Suisse, la Finlande et la Norvège.

Selon le rapport de Michel Laforcade précité, exception faite de Paris, la densité de psychiatres varie de un à quatre, avec 6,9 psychiatres pour 100 000 habitants dans les Ardennes et 32 dans le Rhône. À Paris, il y a 70,9 psychiatres pour 100 000 habitants, soit un écart de 1 à 10. Pour les pédopsychiatres, ces écarts sont encore plus forts : alors qu’il n’y a que 2,7 pédopsychiatres pour 100 000 jeunes de moins de 20 ans dans le territoire de Belfort, on en trouve 13 fois plus en Gironde (36,1) et 37 fois plus à Paris (98,9). Selon l’ensemble des personnes auditionnées par la mission, dans certains endroits, comme dans la Creuse, il est devenu quasiment impossible d’obtenir une consultation en pédopsychiatrie.

c.   Une offre privée inégalement répartie

Du fait de la sectorisation psychiatrique, l’offre publique, si elle est inégalement dense en fonction des départements, est présente sur tout le territoire. Elle représente 68 % des capacités d’accueil (lits et places) en hospitalisation. L’offre privée lucrative, en revanche, est très variable selon les départements. D’après le rapport de l’IGAS précité, 27 départements n’ont qu’une clinique, 9 départements en ont 5 et plus. Le nombre des cliniques est supérieur à 20 dans 4 régions (Ile-de-France, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et PACA). La rapporteure Caroline Fiat souhaite souligner que cette offre, si elle est minoritaire, a fortement augmenté ces dernières années. 

Les cliniques psychiatriques en France

Source : carte transmise par la FHP Psy à la mission.

Au sein de la région Occitanie, les membres de la mission ont pu constater lors de leur déplacement des structures d’offre de soins très différentes :

– en Haute-Garonne, le secteur privé représente trois quart des lits de psychiatrie générale du département ;

– dans les Pyrénées-Orientales, trois cliniques privées sont implantées dans le département mais le seul établissement public du département, le centre hospitalier de Thuir, prend en charge 50 % de la file active à temps complet ;

 dans le Tarn, département plus rural, aucune clinique privée n’est implantée.

2.   Des pratiques hétérogènes

- Comment se passe la prise en charge du patient qui arrive après la fermeture du CMP ? »

- Ça dépend. »

- Que se passe-t-il lorsque les parents d’un adolescent en crise appellent les urgences de l’hôpital ? »

- Ça dépend. »

Combien de fois, au long des auditions, des rencontres dans chacun de leurs déplacements sur le terrain, les membres de la mission ont-ils entendu cette réponse à une, ou plusieurs, de leurs questions : « Ça dépend. » ?

Le problème, selon vos rapporteures, c’est que ça dépend beaucoup trop souvent du bon vouloir de tel ou tel praticien, de tel ou tel type d’organisation qui a été décidée dans tel ou tel secteur, dans telle ou telle institution ou structure.

Le problème, c’est que les patients, et leurs familles, ne savent plus, s’ils l’ont jamais su, ce qui les attend, et qu’ils sont perdus dans les méandres du labyrinthe.

Le problème c’est que l’offre de soins est aujourd’hui très fortement hétérogène et incohérente.

Le problème, c’est que la qualité de la prise en charge en pâtit fortement, tout comme l’égalité entre les patients, et que l’on peut considérer que les concepts de « parcours de soins » et de « parcours de vie » sont dans les faits purement et simplement bafoués.

Au-delà de la question des structures de soins sur l’ensemble du territoire, les pratiques médicales sont également excessivement variées, et notamment d’un secteur à un autre, et le manque de personnel soignant explique bien sûr une grande part de ces différences de pratiques. Toutefois, à moyens équivalents, les pratiques peuvent parfois être extrêmement différentes. Ainsi la contention, qui varie de un à six selon les territoires… Selon que vous serez pris en charge à tel ou tel endroit du territoire national, vous aurez jusqu’à six fois plus de chances de devoir subir des traitements psychiatriques auxquels vous ne consentez pas. Ce seul exemple illustre les disparités criantes existant entre les territoires. L’ADESM, lors de son audition, a également dénoncé une hétérogénéité très importante des pratiques : « on peut être soigné très différemment selon son lieu de résidence. Il y a eu des progrès pour l’autisme, mais qu’en est-il des autres pathologies ? ».

Selon le rapport de l’IGAS déjà cité, « lévaluation des organisations et des pratiques souffre encore d’un manque de légitimité culturelle et dun déficit dinvestissement dans la recherche ». De nombreuses initiatives existent sur l’ensemble du territoire, mais il est difficile de distinguer ce qui marche de ce qui ne marche pas, et il existe un manque de cohérence nationale dans le contenu des soins proposés. À Lille, lors de la visite de la mission au secteur 59G21, les professionnels de santé et le centre collaborateur de l’OMS de l’établissement public de santé mentale Lille-Métropole ont même regretté de n’avoir aucun moyen pour réaliser une étude médico-économique de leur organisation.

La psychiatrie française semble rester rétive aux recommandations internationales : une étude menée en France sur 210 psychiatres montre par exemple que 41 % des médecins interrogés s’appuient sur leur expérience pour le choix d’une prescription médicamenteuse, quand seuls 17 % s’appuient sur les directives nationales, 12,5 % sur les informations communiquées lors de congrès et 12,5 % sur les recommandations internationales ([117]).

Est-il normal de ne pas avoir accès aux mêmes méthodes de soins selon que l’on habite un quartier ou celui d’à côté ?

Pour vos rapporteures, s’il est évident que le soin en santé mentale doit s’adapter à chaque patient et nécessite une grande souplesse, cette hétérogénéité des pratiques induit une perte de chances pour les patients, l’accès à certaines thérapies étant trop dépendant des choix personnels du psychiatre à la tête du service ou du secteur de prise en charge. Cette grande hétérogénéité est au moins aussi problématique dans la prise en charge par les psychiatres libéraux, peu friands d’évaluation et dont la pratique pourrait même parfois, pour la rapporteure Martine Wonner, être qualifiée de « libertaire ».

C.   Patients et soignants en grande souffrance

Le résultat de cette inefficience de l’organisation territoriale de la santé mentale est catastrophique pour la prise en charge des patients.

1.   Une perte de chances réelle pour les patients

a.   Le retard au diagnostic

En 2009, un rapport sénatorial l’écrivait déjà ; « Lignorance dans lequel se trouve lentourage pour identifier les premiers symptômes, la tendance à banaliser la première crise font perdre un temps précieux avant la consultation dun médecin spécialiste. Ainsi, pour les patients ayant finalement fait lobjet dune prise en charge psychiatrique, il est souvent trop tard pour espérer agir efficacement sur la maladie. » ([118]).

Comme le soulignent les professeurs Marion Leboyer et Pierre-Michel Llorca dans leur ouvrage « Psychiatrie, létat durgence », 75 % des maladies psychiatriques de l’adulte débutent avant l’âge de vingt-cinq ans, et, en psychiatrie comme pour d’autres maladies chroniques, la rapidité de la prise en charge est impérative afin d’éviter l’aggravation des symptômes.

Or, du fait du labyrinthe décrit précédemment, de l’encombrement des CMP mais aussi de l’insuffisance formation des professionnels en première ligne (médecins généralistes mais également médecins scolaires, professionnels de la petite enfance, enseignants…), le retard au diagnostic est beaucoup trop important et le repérage des signaux faibles est inexistant. Dans le cadre des troubles du spectre de l’autisme, alors que la HAS recommande un diagnostic au plus tard à six mois, l’âge moyen au diagnostic est de 5 ans et demi, et 10 % des enfants sont diagnostiqués huit ans après la détection des premiers symptômes. ([119]) Selon les informations transmises à la mission par la professeure Leboyer, dans le cas de la schizophrénie, la durée de la psychose non traitée est évaluée à deux ans, et, en ce qui concerne les troubles bipolaires, le retard est estimé entre huit et dix ans.

La longue errance que vivent les patients avant d’être diagnostiqués est évidemment source d’une grande souffrance, mais aussi d’une importante perte de chance, un traitement mis en place tardivement ayant beaucoup moins de chances de fonctionner.

b.   La fabrique de la chronicisation ou les patients malades de l’hôpital

Au terme des nombreux déplacements effectués par la mission, vos rapporteures ne peuvent que s’interroger : l’hôpital psychiatrique, tel qu’il existe aujourd’hui en France, peut-il encore soigner les malades ?

Si la majorité des établissements visités par la mission proposait des conditions d’hébergement dignes, il est certain aujourd’hui que ce n’est pas encore le cas partout. Claude Finkelstein, présidente de la FNAPSY, a ainsi évoqué lors de son audition par la mission des conditions d’accueil scandaleuses dans certains établissements, en particulier dans les hôpitaux généraux.

Aux urgences psychiatriques de Toulouse, la mission a pu voir des patients ayant dormi dans des salles de consultation la veille, des liens de contention sur des brancards et non pas sur de vrais lits, et une unité fermée totalement dégradée, sans aucun accès à un espace extérieur.

Dans son dernier rapport annuel, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté décrit ainsi les pavillons de certains hôpitaux psychiatriques contrôlés : « chambres dans un état de vétusté avancé, salles communes ou dactivités en nombre insuffisant, absence daccès pour personnes à mobilité réduite ou dascenseurs, moisissures dans des salles de bains communes, chambres doubles et triples sans sanitaires avec des rideaux de fortune pour protéger un minimum lintimité, problèmes de chauffage ».

Des pratiques surprenantes comme la mise en pyjama obligatoire ou la suppression d’effets personnels comme le téléphone portable sont encore tolérées voire organisées dans certains établissements psychiatriques : l’accepterait-on pour des patients diabétiques ?

Dans ces conditions, comment peut-on imaginer que les patients puissent aller mieux ?

À cela s’ajoute le fait que l’organisation par secteurs conduit en général à organiser l’hospitalisation par lieu de domiciliation, et non pas par âge ou pathologie. Cohabitent donc dans une même unité des patients aux profils très différents, des malades parfois violents en pleine crise avec des personnes âgées dépressives ou des jeunes souffrant de troubles du comportement alimentaire…

Enfin, il faut mentionner le traumatisme suscité par l’hospitalisation sous contrainte, surtout lorsqu’elle n’est pas nécessaire et a principalement pour but de forcer à l’admission en urgence, et, plus encore, par l’isolement et la contention, souvent comme premiers contacts avec le soin.

2.   Une filière au bord de l’implosion

Au terme de leurs visites, pour vos rapporteures, le constat est sans appel : la filière psychiatrique, et en particulier la psychiatrie publique, est au bord de l’implosion.

À l’hôpital, la sur-occupation des lits est un fléau pour les patients comme pour les soignants. À l’hôpital Philippe Pinel d’Amiens, visité par la mission, le taux d’occupation des lits en hospitalisation à temps complet s’est établi entre 114 % et 123 % à certains moments de l’année 2017…

Dans plusieurs établissements visités, les soignants ont expliqué que, du fait de la sur occupation des lits, les patients placés en chambre d’isolement ou « d’apaisement » ne peuvent parfois plus revenir dans leur chambre initiale car celle-ci est désormais occupée… Cela ne manque pas d’interroger, alors que les recommandations de la HAS préconisent une durée d’isolement inférieure à douze heures.

Dans certains des établissements visités, vos rapporteures ont même pu constater que des patients en soins libres étaient placés en unité fermée, les chambres en unités ouvertes étant toutes occupées.

Ces dysfonctionnements sont directement liés à la désorganisation de l’offre de soins en santé mentale sur notre territoire.

Face à ces constats, il est temps d’agir pour changer le système car ce dernier a touché le fond.

 

 


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III.   pour une nouvelle organisation de la santÉ mentale

Il n’est plus possible de se satisfaire de loffre et des conditions de soins proposées aux patients ni des conditions de travail des personnels soignants, d’autant plus inadmissibles au regard des montants investis par les pouvoirs publics dans la santé mentale.

Pour les rapporteures, il est urgent de rénover en profondeur le système, en réorganisant loffre de soins autour du patient, et non plus autour des structures. Pour qu’une telle transformation puisse opérer, cette réforme devra faire lobjet dun véritable portage politique au niveau national, et lensemble des acteurs de terrain devront se lapproprier.

A.   L’impÉratif d’une politique nationale de santÉ mentale

1.   En terminer avec l’hétérogénéité des prises en charge

a.   En premier lieu, la nécessité de lignes directrices

La très grande liberté laissée aux professionnels de santé induit des pratiques de soins hétérogènes. Elle a pour conséquence de profondes et préoccupantes situations de ruptures d’égalité entre patients qui sont porteuses de conséquences importantes, voire extrêmement graves, sur la qualité de leur prise en charge et partant, de leur parcours de soins et de vie. Vos rapporteures ont montré plus haut ce qu’il en était notamment des soins sans consentement. Elles ont par ailleurs reçu maints témoignages de la part de patients rencontrés lors de leurs déplacements, qui ont indiqué n’avoir été correctement diagnostiqués de leur pathologie qu’avec dix, voire vingt ans de retard. Les professeurs Marion Leboyer et Pierre-Michel Llorca ([120]) concluent également à la très mauvaise qualité de la prise en charge dans notre pays et parlent à ce sujet de « grande loterie ». Il suffit de citer quelques-uns des titres qu’ils donnent aux paragraphes de leur ouvrage qui abordent ces questions pour constater que cette préoccupation est largement partagée : « Le règne de lapproximation » ou encore « Des soins parfois non conformes aux recommandations »([121]) De ce fait,  certains, à l’image du professeur Pierre Fourneret, PUPH ([122]), considèrent qu’une sectorisation trop rigide contribue aujourd’hui à une offre de soins inégale et mal répartie, à la différence de ce qui se pratique pour n’importe quelle autre pathologie, dans la mesure où, comme on le verra, elle n’est pas sans incidence sur la liberté de choix du patient. Les inégalités territoriales en psychiatrie sont indéniables et c’est l’une des principales critiques que l’on peut porter à l’encontre du système français. Au-delà du strict aspect sanitaire, il s’agit aussi d’un problème d’éthique, dans la mesure où l’on peut considérer que le secteur prend de facto en otage ceux qui n’ont pas les moyens financiers de s’orienter vers une offre de soins privée. À l’instar d’autres domaines, les structures devraient en conséquence être labellisées et développer les bonnes pratiques reconnues.

Pour remédier à cette situation, il est urgent que, a minima, des lignes directrices soient élaborées par la Haute Autorité de santé, ou une autre instance, qui définissent des critères nationaux, des référentiels à respecter, encadrant notamment les pratiques des professionnels comme leurs formations. Il est tout aussi nécessaire que, à l’instar de ce que certains pays ont d’ores et déjà mis en place, par exemple le Canada, les bonnes pratiques en santé mentale soient largement partagées et diffusées, notamment s’agissant des relations avec les patients et les usagers.

La rapporteure Caroline Fiat tient à exprimer une opinion divergente sur cet aspect. Elle estime qu’il existe déjà suffisamment de référentiels de bonnes pratiques et que, en l’état actuel, la labellisation et l’évaluation ne peuvent être mises en place que dans un second temps, lorsque les équipes soignantes auront les moyens suffisants pour répondre aux exigences. Elle précise notamment à ce sujet que, selon certains syndicats auditionnés par la mission, la standardisation des tâches infirmières, via des processus traçables et identifiés, ôte une part de la dimension humaine à l’accueil du sujet par un collectif soignant ([123]). Afin de réduire l’hétérogénéité des pratiques et de l’offre sur le territoire, elle considère nécessaire de :

– Augmenter le nombre de psychiatres formés, notamment spécialisés en gérontopsychiatrie et en pédopsychiatrie.

– Instaurer un conventionnement sélectif pour l’ensemble des médecins

– Maintenir et développer une offre publique partout sur le territoire et pallier les inégalités d’accès aux soins ;

– À défaut, faire en sorte que les établissements et structures privées lucratives prennent en charge des cas aussi lourds que les établissements et structures publiques, et que les dépassements d’honoraires soient interdits ;

– Arrêter les financements « par projet » qui se font au détriment de la prise en charge d’autres pathologies.

b.   Au-delà des lignes directrices, une politique nationale de psychiatrie et de santé mentale

i.   Entendre une demande unanime

L’ensemble des acteurs que les membres de la mission ont rencontrés – qu’ils soient professionnels de santé, hauts responsables d’ARS, usagers, chercheurs ou autres –  se sont montrés unanimes dans leurs appréciations : notre pays manque cruellement dune grande politique nationale de psychiatrie et de santé mentale. Tous y voient l’une des raisons principales de l’état de délabrement dans lequel se trouve aujourd’hui la psychiatrie publique.

Aujourd’hui encore, rien ne définit une vision d’ensemble élaborée au niveau national, indispensable à des pratiques médicales raisonnablement unifiées sur le terrain.

C’est en effet faute de cette vision nationale claire et précise, faute de référentiels ou de tronc commun, que chacun agit sur le terrain comme il l’entend ou comme il le peut, en fonction de ses propres critères d’appréciation, de sa formation, ou de ses moyens. L’exemple des soins sans consentement est de ce point de vue particulièrement éclairant.

La politique nationale devrait définir à un horizon donné de temps la psychiatrie que l’on entend développer en France et les grands objectifs de santé mentale à atteindre. Cela requiert une impulsion politique forte et un leadership constant dans sa mise en œuvre.

À cet égard, on ne redira jamais assez que la circulaire de 1990 avait tracé de tels objectifs politiques. Ils n’ont malheureusement pas été déclinés dans leur intégralité avec la cohérence nécessaire. Notamment quant au fil rouge de la réduction des lits psychiatriques et du développement de l’ambulatoire. Claude Évin définissait en effet les lignes directrices qui devaient donner à la politique de sectorisation sa cohérence : « Fonte des capacités dhospitalisation complète et construction dun système diversifié propre à mieux répondre aux besoins de santé de la population sont interdépendantes et devront évoluer de pair : en effet, pour un moindre recours à lhospitalisation à temps complet, et une moindre durée, il faut mettre en place les structures et actions de réadaptation et de soins ambulatoires nécessaires aux personnes accueillies. (…). ». Concrètement, le redéploiement des moyens supposait « de poursuivre un effort rigoureux », insistant notamment sur les créations de structures d’hébergement, d’aide à la vie quotidienne et au travail, dont manquent les personnes en état de dépendance du fait de leur pathologie mentale.

Pourtant, trente ans plus tard, un plaidoyer pour le développement de l’ambulatoire tel que celui que viennent de présenter vos rapporteures est encore nécessaire. Cela illustre cruellement le manque de leadership politique dont a souffert la politique nationale de psychiatrie et de santé mentale.

Car faute de cette impulsion politique nationale, notre pays est resté au milieu du gué : Les réformes successives se sont certes appliquées à mettre en œuvre cet effort rigoureux de diminution de capacités d’hospitalisation, mais sans traiter le second élément de la stratégie, complément indispensable à son équilibre. Il en est toujours ainsi et la question reste entière lorsque l’on voit par exemple l’hospitalisation à domicile en matière psychiatrique ne prendre son essor que très lentement, un certain nombre d’ARS étant aujourd’hui encore réticentes.

Encore une fois, « ça dépend »…

Il importe désormais que cette politique de santé mentale soit définie et réellement appliquée.

ii.   Définir des axes dépassant le strict champ sanitaire

Compte tenu de la dimension transversale des problématiques de santé mentale, il est indispensable que cette politique nationale soit définie dans une logique inclusive et par conséquent, interministérielle.

Plusieurs ministères doivent impérativement être partis prenantes de sa définition et de son exécution, au premier rang desquels l’Éducation nationale compte tenu de l’importance cardinale de la prévention. Dans la mesure où, depuis le premier Plan psychiatrie et santé mentale, la problématique est abordée sous l’angle de parcours de vie entendu comme « lensemble des événements qui affectent la vie dune personne, tels que son bien-être physique, mental et social, sa capacité à prendre des décisions, à maîtriser ses conditions de vie », la seule dimension sanitaire serait en effet très insuffisante et réductrice.

Dans d’autres pays, cet aspect se traduit par une coordination étroite et un travail en commun sur le terrain, parfois quotidien, entre acteurs d’horizons divers et complémentaires. C’est par exemple le cas en Italie où le choix qui a été fait depuis longtemps d’éviter toute forme de discrimination des patients, se décline tant via la politique de logement que dans les actions développées en matière de réhabilitation par la formation et lemploi, qui évitent absolument tout type d’ateliers protégés. Comme le docteur Mario Colucci le faisait remarquer aux membres de la mission lors du déplacement à Trieste, on peut parfaitement entendre des voix et être un excellent cuisinier ou un très bon ouvrier.

Dans le même esprit, une attention particulière est par exemple portée en Italie à linsertion scolaire des enfants souffrant de pathologies psychiques, fussent-elles graves, moyennant une assistance en classe sans commune mesure avec ce qui se pratique dans notre pays. De ce fait, le nombre d’enfants non scolarisés y est extrêmement faible, l’immense majorité d’entre eux suivant une scolarité dans le circuit normal. Les « classes différentielles » ont en effet été abolies après la révolution initiée par Franco Basaglia, au point que, si besoin, les enseignants peuvent être amenés à dispenser des médicaments. Ces différents aspects soulignent, comme le rappelait le professeur Roberto Mezzina, directeur du département de santé mentale de Trieste, la nécessité dune intégration très forte du secteur sanitaire avec les services sociaux, d’autant plus nécessaire que le travail sur les patients souffrant de maladies mentales se fait la vie durant.

Toutes choses égales par ailleurs, doit s’appliquer ici la pratique pluridisciplinaire en vigueur au niveau sanitaire que l’on a décrite. La prise en charge de la santé mentale ne s’écarte en aucun cas de la logique holistique qui permet une appréhension globale des problématiques et leur traitement commun.

c.   L’importance d’un pilotage interministériel

i.   Élargir le périmètre du pilotage

La nomination d’un délégué ministériel à la psychiatrie et à la santé mentale est une excellente décision de la ministre de des solidarités et de la santé.

Pour autant, il y a une forme d’incohérence, au moins une insuffisance, dans cette nomination, en regard du mandat qui a été donné au professeur Bellivier et du périmètre sur lequel le pilotage doit pouvoir s’exercer pour le bénéfice d’une politique de santé publique qui englobe autant de problématiques.

La feuille de route « Santé mentale et psychiatrie » de la Stratégie nationale de santé que le délégué ministériel est chargé de mettre en œuvre est notamment articulée sur la nécessité de développer une approche transversale de la question, associant l’ensemble des acteurs. Il doit, entre autres, impulser la dynamique de transformation et d’ouverture de la psychiatrie et participer au développement de la stratégie dans les régions et les territoires.

Il est en conséquence indispensable que cette fonction soit de nature interministérielle et non pas cloisonnée au seul champ sanitaire, au risque de perdre de vue la coordination qui doit être mise en œuvre avec des départements ministériels aussi différents que peuvent l’être l’Éducation nationale, le travail ou l’administration pénitentiaire.

Cet aspect est aux yeux de vos rapporteures une priorité administrative. Elle est garante de la cohérence des approches et des pratiques mises en œuvre au profit des patients. Tout comme le sera la clarification administrative entre les directions qui sont amenées à intervenir à un titre ou à un autre dans la conduite de cette politique, DGCS et DGOS en premier lieu.

Cela étant, au-delà de l’élargissement du périmètre de la fonction confiée au professeur Bellivier, la réflexion doit être menée sur une seconde étape, plus ambitieuse, qui porte sur le pilotage et la coordination de la politique de santé mentale sur les territoires.

ii.   Une agence interministérielle

Partant du constat qu’il n’existe pas de stratégie ministérielle sur la recherche en santé mentale, que la coordination entre les administrations centrales est faible, qu’il n’y a pas de mutualisation des budgets autour de projets communs ou encore que le lien entre chercheurs et décideurs n’est pas organisé, le rapport de l’IGAS formule entre autres propositions celle de « créer une agence sur la santé mentale ou, à tout le moins, de constituer au niveau du ministère de la santé une mission recherche et expérimentation en santé mentale, orientée par une instance stratégique, sappuyant sur un conseil scientifique ». Il manque en France, conclut l’IGAS, un dispositif spécifique à la santé mentale, comparable à celui mis en place pour le cancer avec l’Institut national du cancer, INCa.

Vos rapporteures partagent entièrement ce constat et plaident à leur tour pour la création d’une telle agence nationale, que défendent d’autres observateurs, tels les professeurs Marion Leboyer et Pierre-Michel Llorca. En plus d’un conseil scientifique, elles estiment que cette instance devrait aussi compter sur un conseil citoyen, associant les usagers et leurs proches

En outre, la proposition élaborée par l’IGAS semble essentiellement centrée sur les problématiques tenant à la stratégie de recherche et d’expérimentation en santé mentale.

C’est la raison pour laquelle vos rapporteures invitent de préférence à répliquer autant que faire se peut le modèle de l’INCa qui, pour un coût modeste, de quelque 87 millions d’euros annuels, a en quelques années, non seulement permis à la cancérologie française de faire de remarquables progrès, reconnus internationalement, grâce aux initiatives lancées en matière de recherche, mais aussi de développer de très opportunes actions en direction d’un réseau d’acteurs de terrain qu’il coordonne, que ce soit du secteur strictement sanitaire ou des champs institutionnel et associatif. Non seulement, l’INCa soutient fortement et coordonne la recherche scientifique, mais il appuie aussi maintes organisations et concourt à la diffusion de bonnes pratiques.

Ainsi que le précise le contrat d’objectifs et de moyens de l’institut actuellement en cours d’exécution ([124]), quatre axes stratégiques sont déclinés :

– Consolider une approche intégrée de la lutte contre le cancer – conforter la qualité de l’expertise et améliorer la performance de l’Institut

– Promouvoir une recherche de pointe au profit de tous les patients dans « une société innovante, intégrative et adaptative »

– Renforcer la démocratie sanitaire et partager les résultats de l’expertise : accroître la pertinence des actions de l’Institut par l’implication des citoyens et des professionnels dans les processus de travail.

Ce sont autant d’éléments qui précisément se révèlent faire défaut dans notre pays en matière de santé mentale et que la création d’une instance similaire à l’INCa permettrait de prendre en compte.

L’enjeu le mérite très largement. À l’argument financier qui pourrait éventuellement être allégué pour discuter cette proposition, vos rapporteures rappelleront que la dépense globale induite par les maladies psychiatriques est, de très loin, la première de toutes les pathologies : quelque 109 milliards d’euros, nettement supérieure au coût du cancer. Il en est de même si l’on ne prend en compte que les seules dépenses à la charge de l’assurance maladie, comme le montre le graphique reproduit ci-dessous.

Source : Assurance maladie : Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses, juillet 2018.

2.   Conforter les instruments existants pour décliner la politique nationale sur le terrain

a.   Le PTSM à l’épreuve du terrain : Un outil particulièrement prometteur selon l’ensemble des acteurs

De leurs déplacements, les membres de la mission d’information retirent le sentiment que le PTSM est généralement considéré par les parties prenantes comme un outil très intéressant, tant dans la forme que dans le fond. Si quelques critiques peuvent être émises, certains acteurs regrettant par exemple une approche souvent « très psychiatrique » ou hospitalocentrée, nombreux sont ceux qui ne tarissent pas d’éloge sur les potentialités de ce nouvel instrument.

Ceux du secteur médical ([125]) en premier lieu, qui y voient une opportunité de décloisonner les secteurs, ou considèrent qu’il s’agit d’une idée qui peut permettre de porter des enjeux forts ; les associations d’usagers ([126]), en second lieu, pour qui le dialogue institutionnalisé peut permettre de développer une culture participative commune qui finira par tirer les choses vers le haut. Nombre d’observateurs, enfin, pour lesquels le PTSM est un outil qui permet une meilleure connaissance de l’ensemble des parties prenantes, quand bien même le processus peine à décoller ou se révèle chaotique, faute de soutien matériel ou d’aide ([127]).

Pour cette raison, de la même manière que naguère les ARS pilotaient les schémas régionaux d’organisation des soins (SROS), il est des régions où les ARS ont opté pour diverses modalités d’encadrement du processus et se sont plus ou moins impliquées. Dans ceux-ci, de l’avis unanimement partagé, les choses se passent bien. Il n’en est évidemment pas de même, comme on le verra, lorsque les ARS laissent les acteurs démunis à charge pour eux de se débrouiller comme ils le peuvent de la lourde tâche de mener à bien le processus, sans moyens ni encadrement ou lignes directrices.

Lorsque l’accompagnement de l’ARS est adapté aux nécessités, les choses se passent bien. C’est notamment le cas du département des Pyrénées-Orientales, où le PTSM a été finalisé et transmis à l’ARS en mai 2018, et arrêté par l’ARS en mars suivant. Le processus d’élaboration de ce PTSM a été favorisé par l’existence d’un acteur public unique et prédominant dans la région, le centre hospitalier de Thuir. Six groupes de travail ont été constitués, correspondants aux six axes du PTSM définis par la loi, puis un plan d’action a été défini, axé notamment autour de la formation.

Les objectifs du plan d’action du PTSM des Pyrénées-Orientales

1.  Développer un dispositif de formation territorial

2. Adapter l’offre de soins et l’offre de service sur le territoire : déployer un dispositif de télémédecine en psychiatrie ; développer un réseau de réhabilitation psycho-sociale sur le territoire ; intervenir précocement en prévention des situations de crise ou dans les situations complexes ; promouvoir les programmes d’éducation thérapeutique ; généraliser une prise en chargepsychiatrique dans l’ensemble des établissements MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) ; élargir le dispositif d’accueil non programmé des patients connus aux structures de soins privées ; proposer un égal accès aux consultations en santé mentale à destination de populations spécifiques ; renforcer la prise en charge des adolescents ; refonder le dispositif territorial de prise en charge des addictions ; accroître le nombre de places en logements adaptés réservés aux personnes en situation de handicap psychique

3. Promouvoir l’accessibilité aux soins : Réaffirmer l’importance et la place des professionnels du premier recours dans le repérage précoce ; adapter l’offre de soins ambulatoire aux besoins de la population ; développer des dispositifs d’accompagnement aux soins ; finaliser le maillage territorial des Conseils locaux de santé mentale, (CLSM) ; Inciter et accompagner l’implantation des Groupements d’entraide mutuelle, (GEM) ; promouvoir un plan de communication et d’information territorial ; Inciter au développement de l’aide aux aidants.

4. Coordonner les parcours de soin et de vie entre les structures et les acteurs : renforcer le rôle central de la Maison départementale des personnes handicapées, (MDPH), dans la coordination ; créer un outil dématérialisé d’information et d’orientation ; développer la culture des Retours d’Expérience territoriaux ; disposer d’outils communs d’évaluation, étendre le case management aux parcours de vie ; favoriser les échanges d’informations entre les structures et les professionnels ; définir des chemins cliniques de prise en charge ; favoriser l’accès et le maintien dans le logement.

C’est également le cas de la région Auvergne-Rhône-Alpes, où la démarche rencontre l’assentiment général.

Faute d’initiative de la part des acteurs, c’est l’ARS, comme la loi lui en fait obligation, qui a lancé processus de PTSM. Une commission territoriale de santé mentale a été créée, et une référente santé mentale nommée. L’ensemble des parties prenantes est associé, publiques comme privées, ainsi que des acteurs tels que l’Éducation nationale, la justice ou les usagers. Si tout n’a pas été simple au début, le processus est très positif. Un cadre existe aujourd’hui, qui reste encore à consolider, ce à quoi s’emploie l’ARS.

Après les premiers jalons posés par les travaux de la commission territoriale, le processus a en effet été lancé dans les départements de la région à l’été 2018, l’ARS jouant le rôle de facilitateur, grâce à la mise à disposition d’éléments de réflexion, tels des diagnostics et, le cas échéant, à la fourniture d’un accompagnement externe dans les quelques territoires les plus en difficulté, par la mise à disposition d’ingénierie ou de suivi à distance.

Ce processus est perçu par les parties prenantes comme positif dans la région, ne serait-ce que parce qu’il a d’ores et déjà permis à des acteurs de terrain qui ne se connaissaient pas de devenir des partenaires en mesure de travailler ensemble dans une logique unifiée. Le PTSM offre l’opportunité de forger une communauté de territoire permettant d’aboutir à la définition de réponses harmonisées et non plus fondamentalement différentes. Ce travail se fait en partenariat étroit avec les usagers qui ont constitué un collectif participant aux travaux.

Le soutien institutionnel est global, et reçoit l’appui, outre de l’ARS, de la métropole et du département.

Sur l’île de La Réunion, le processus d’élaboration du PTSM, qui n’est pas encore achevé, est également intéressant à observer. La Réunion a été l’une des régions-pilote dans lesquelles l’Agence nationale d’appui à la performance, ANAP, a apporté un soutien technique pendant trois ans et, de l’avis unanime des parties prenantes, même si des difficultés persistent, cette période leur a permis de mieux se connaître, de pouvoir travailler, au-delà de leurs différences, sur la co-construction de projets communs et de créer des liens qui leur permettent aujourd’hui de pouvoir gérer les situations et les différends. S’agissant plus spécifiquement du PTSM, les partenaires ont montré leur volonté de travailler ensemble et l’ARS les a laissés agir, mettant à leur disposition un facilitateur à temps complet, sans intervenir sur les contenus, avec le seul souci de voir se concrétiser les projets. La participation des partenaires, tant publics que privés, a été nombreuse, soutenue, et la dynamique est jugée bonne par tous. Un calendrier serré a pu être fixé et respecté, les priorisations de l’ARS en réponse aux projets qui lui seront remis devant être formulées avant la fin de l’année 2019, après une phase de diagnostic qui s’est étendue entre octobre 2018 et avril 2019.

b.   Mobiliser tous les acteurs de terrain

i.   Les CLSM, des espaces de concertation remarquables qu’il importe de soutenir

Certains CLSM sont plébiscités par les acteurs qui y prennent part.

C’est par exemple le cas dans les Pyrénées-Orientales où les interlocuteurs rencontrés par la mission ont souligné le rôle majeur joué par les CLSM existant à Perpignan, Argelès-sur-Mer, Canet-en-Roussillon et Prades, tout en déplorant qu’une grande partie des communes du territoire ne disposent pas encore de cet outil. Ces CLSM ont été décrits comme facilitant le repérage des troubles et l’accès aux soins, mais également comme permettant aux acteurs territoriaux de mieux se connaître, et aux élus de mieux appréhender les questions liées à la santé mentale.

Ces CLSM sont le lieu de réalisations concrètes : ainsi, à Prades, Perpignan et Canet-en-Roussillon, le CLSM dispose d’une cellule opérationnelle de gestion des cas complexes qui se réunit régulièrement. Une étude menée sur Prades a montré que la mise en place du CLSM a coïncidé avec la diminution du nombre d’hospitalisations sous contrainte décidées par arrêté municipal. À Perpignan, une commission logement a récemment été constituée au sein du CLSM et enfin, à Perpignan et Argelès-sur-Mer, le CLSM a été à l’origine de la création d’équipes mobiles d’intervention précoce.

Un autre exemple de coopération réussie avec les élus locaux du Nord-Pas-de-Calais : Dès 1977, les villes de Ronchin, Lezennes, Faches-Thumesnil, Mons-en-Barœul et Hellemmes ont mis en place l’Association Intercommunale de Santé, Santé Mentale et Citoyenneté (AISSMC). Cette association a pris la forme d’un CLSM en 2010. L’AISSMC travaille principalement sur trois axes :

– lhabitat, la prévention et la culture : elle travaille en lien avec les bailleurs sociaux pour favoriser l’accès à des logements associatifs conventionnés en colocation et gère à ce titre une vingtaine de logements ; – la prévention et linformation. L’association organise notamment des ateliers « Mieux être » avec des professionnels de santé et des associations d’usagers (par ailleurs membres de l’association) ; – la culture : l’association gère notamment un fonds d’art contemporain ayant pour objet de sensibiliser la population à l’art contemporain et de lutter contre la stigmatisation des troubles psychiques.

ii.   Soutenir les initiatives les plus innovantes, les faire connaître et les intégrer à la politique

Dans certaines régions des mécanismes novateurs de concertation ont par ailleurs pu être créés qui font une place très importante aux patients. C’est notamment le cas du Pôle des usagers d’Esquirol, expérience unique en France.

Le projet en a été lancé en 2004 au Centre hospitalier Esquirol de Limoges dans le double objectif de développer la démocratie sanitaire en dépassant la représentation classique et réglementaire des usagers, pour aboutir à une véritable appropriation de l’alliance thérapeutique ([128]) au sein de l’établissement. Depuis lors, les initiatives intégrant les usagers ont été multipliées : une Maison des usagers a été ouverte au cœur de l’hôpital, en 2005 date à partir de laquelle leur représentation dans les commissions et groupes de travail de l’hôpital n’a cessé de croître, comme le développement de leurs échanges avec les professionnels. Un Comité des usagers, composé de dix associations, a été institué en 2006. Dès 2009, un partenariat était mis en œuvre par le centre hospitalier avec l’ordre des avocats pour qu’une permanence gratuite soit assurée à la Maison des usagers permettant aux patients d’accéder à un conseil juridique. En 2012, une commission permanente professionnels – usagers a été créée et des formations professionnelles ont été proposées aux représentants d’usagers. La création du Pôle des usagers en 2014 a été l’aboutissement de la politique innovante et volontariste d’associer les usagers pour améliorer la prise en charge des patients.

Un autre dispositif expérimental mérite d’être mentionné, le « Relayaz 974 », qui est porté par l’APAJH de La Réunion, d’autant plus qu’il intervient essentiellement sur la question ambulatoire, suite à la mission que l’ANAP a menée sur ce territoire ultramarin. Afin de fluidifier les parcours en évitant les ruptures et les recours systématiques à l’hospitalisation en cas de crise, un dispositif transversal a été institué qui associe des établissements, des services sociaux, médico-sociaux et sanitaires. Ils mutualisent leurs moyens afin d’apporter une réponse accompagnée et adaptée aux personnes en situation de handicap psychique qui ont un besoin temporaire et d’un relais dans la cité.

Actuellement en fin de phase expérimentale, le dispositif est surtout intéressant en ce qu’il fonctionne concrètement sur la base d’interventions de pairs-aidants, œuvrant en binôme avec un assistant social professionnel dans le cadre d’interventions mobiles, à domicile, en réponse à l’appel du patient ou de son entourage. Compte tenu des retours positifs de l’expérimentation, il est d’ores et déjà envisagé de la pérenniser et de la modéliser afin qu’elle soit dupliquée sur le territoire métropolitain.

De telles expérimentations, qui mettent notamment des ex-patients au cœur de l’intervention, méritent la plus grande attention. Il en est de même des groupes d’entraide mutuelle, GEM, dispositifs de solidarité de proximité au sein desquels d’anciens patients réussissent à maintenir le lien avec leurs pairs et à leur éviter exclusion et décrochage. Les actions très concrètes qu’ils mènent – en faveur du logement, notamment – contribuent grandement à prévenir l’exclusion sociale ou à réinsérer des exclus. Lors de leur déplacement à La Réunion, les membres de la mission ont ainsi pu recueillir des témoignages émouvants d’anciens patients sans domicile fixe pour lesquels le relogement obtenu grâce à la médiation du GEM qui travaille sur cette question dans le cadre d’un partenariat étroit et remarquable avec des acteurs du logement social très impliqués, a fortement contribué à la stabilisation. Cela met en lumière tout l’intérêt d’associer des médiateurs-pairs et des médiateurs-bailleurs dont le travail inlassable, sur le terrain, au plus près des patients, donne des résultats aussi remarquables que durables.

À l’heure où les maître-mots sont ceux d’intégration, de déstigmatisation, de parcours de vie, il paraît indispensable, aux yeux de vos rapporteures, que la politique de santé mentale s’articule de façon cohérente autour d’axes simples, définis nationalement et déclinés sur les territoires en associant plus étroitement que jamais les premiers intéressés, les patients. Ces derniers exemples montrent l’intérêt de soutenir leurs initiatives.

Quoi qu’il en soit de ces exemples positifs, les questions de complexité des processus et d’empilements des structures de diverse nature sont suffisamment sérieuses pour inviter à une simplification du paysage. Les interlocuteurs de la mission d’information ont été nombreux à regretter la confusion « catastrophique » dans laquelle le système se trouve de ce seul fait, personne ne sachant plus qui est le pilote de l’avion au niveau national, de la DGS ou de la DGOS, ou lorsque deux Comités de pilotage, COPIL, comme cela a été le cas un temps, coexistent.

Accessoirement, comme les membres de la mission ont pu l’entendre de responsables d’ARS lors de déplacements, compte tenu de l’architecture du système, beaucoup de dispositifs de coordination doivent être financés, et il ne serait sans doute pas superflu de consacrer une part de ces ressources à l’amélioration de l’offre de soins, par exemple, plutôt qu’au soutien de dispositifs finalement ingérables.

Indépendamment de cet aspect, la profusion de structures et commissions décourage les plus motivées des parties prenantes qui se perdent et s’épuisent dans le labyrinthe des dispositifs et la cacophonie des messages incohérents.

B.   RÉorganiser l’offre de soins autour du patient

1.   Expériences étrangères : les observations de la mission

Plusieurs déplacements ont convaincu vos rapporteures de la nécessité d’opérer un virage ambulatoire beaucoup plus poussé et de s’orienter vers un travail « en réseau ». C’est notamment le cas de leurs déplacements à Trieste, en Belgique et à Lille.

a.   « La libertà è terapeutica ([129])» : l’exemple pionnier de Trieste

La réforme de la psychiatrie italienne initiée par Franco Basaglia à Trieste à partir de 1971 dépasse largement la seule question de l’ambulatoire, tout en lui étant étroitement liée.

Fortement préoccupé par les effets néfastes de l’institution psychiatrique sur le malade, qui n’apporte pas de solution pertinente au patient fréquemment enfermé pour de très longues durées sous l’empire de la loi psychiatrique sécuritaire alors en vigueur ([130]), Franco Basaglia avait, dès 1964, développé la notion de « psychiatrie sociale » à Gorizia avec l’objectif de lutter contre lexclusion des malades, question centrale dans sa réflexion. En 1971, nommé à la direction de l’hôpital psychiatrique San Giovanni de Trieste, où plus de 1 200 patients sont alors enfermés, il lance une véritable révolution qui aboutira au vote de la loi 180, adoptée en mai 1978 à la quasi-unanimité du parlement, dont la disposition la plus emblématique sera la suppression progressive des hôpitaux psychiatriques publics, dont les derniers ont fermé en 2000. Aujourd’hui, l’Italie est l’un des pays européens ayant le moins de lits de psychiatrie.

L’Évolution du nombre de lits dans les hÔpitaux psychiatriques en italie

Source : Dr Roberto Mezzina, directeur du Département de santé mentale de Trieste

La loi 180 pose tout d’abord comme principe le caractère volontaire des soins, tout traitement obligatoire nécessaire devant être entrepris dans le respect de la dignité de la personne et de ses droits civils et politiques garantis par la Constitution. ([131]) Consécutivement, le système de soins psychiatriques repose en partie sur des objectifs éthiques et politiques articulés autour de la personne souffrant de troubles mentaux et de ses droits dont il s’agit d’assurer l’effectivité. C’est de la place du malade mental dans la communauté qu’il s’agit et, pour éviter de nouvelles formes d’exclusion, les services de santé mentale doivent constituer un système solidaire de proximité avec une présence et une réponse qualifiée. Cela suppose entre autres de sensibiliser la population pour faire évoluer les préjugés traditionnels quant à la dangerosité ([132]) des troubles mentaux.

En matière de dispositif sanitaire, plusieurs conséquences en découlent, et en tout premier lieu, un fort accent mis sur l’ambulatoire : la porte ouverte est désormais le principe thérapeutique clef autour duquel est déclinée la politique de santé mentale. Cela se traduit par une organisation sanitaire articulée sur plusieurs instruments travaillant en relation étroite, responsables de dispenser les traitements psychiatriques, et qui, historiquement, s’est faite avec le personnel provenant de l’hôpital psychiatrique :

– le Centre de santé mentale est la clef de voûte du système. Il est structuré de manière flexible, privilégiant une relation informelle, afin de pouvoir offrir un service de proximité accessible, sans liste dattente, en immersion dans la communauté. Au cœur de la ville, ouvert 24h/24, 7j/7, il assure la prise en charge gratuite, sans rendez-vous, et l’assistance continue des patients. Il est organisé en équipes pluridisciplinaires travaillant sur l’ensemble des problématiques en réseau avec les autres acteurs, avec un objectif : éviter au maximum toute forme dinstitutionnalisation. Le CSM joue le rôle de « gare de triage » opérationnelle du système, qui répond aux demandes des usagers en déclinant différentes solutions dans un but de réhabilitation, en étroite collaboration avec un réseau dense d’acteurs sociaux, d’associations, de familles. La pluridisciplinarité des équipes qui y travaillent permet de ne pas appliquer une grille de lecture exclusivement médicale de la pathologie, de rechercher des solutions de soins personnalisées, non stéréotypées, évitant au maximum l’hospitalisation.

– le service psychiatrique de diagnostic et de soins, non hospitalier bien qu’installé au sein de l’hôpital général de la ville, est le trait d’union entre le CSM et l’hôpital. Il collabore avec les différents départements de l’hôpital, notamment les urgences, ainsi qu’avec les forces de l’ordre, l’institution judiciaire et pénitentiaire.

– l’hospitalisation, lorsqu’elle est nécessaire, est effectuée en unités psychiatriques d’au maximum 15 lits situées au sein des hôpitaux généraux.

– des structures résidentielles, qui permettent d’assurer au maximum l’hébergement des patients dans leur milieu naturel, que ce soit en résidences privées, associatives ou publiques, ou via des dispositifs d’hébergements aidés. À Trieste, 98 patients sont ainsi actuellement hébergés en ville, répartis en 44 logements.

En outre, des programmes spécifiques de soutien aux familles de patients ont été progressivement développés, qui ont contribué au succès du virage ambulatoire et mettent en lumière l’importance de l’accompagnement des proches.

Cette structuration invite à plusieurs remarques. En premier lieu, la division de l’aire géographique concernée en zones est essentielle. Elle garantit la proximité du dispositif avec les patients et la communauté. La province de Trieste compte 235 000 habitants. Elle est divisée en quatre zones d’environ 60 000 habitants. Le partement de santé mentale, responsable au niveau régional, est composé de quatre centres de santé mentale, disposant chacun de six lits, 24 au total pour la région. Le service psychiatrique de diagnostic et de soins, au sein de l’hôpital général, dispose de son côté de quatre lits. Lors de la visite que les membres de la mission ont effectuée, deux chambres sur six étaient occupées au CSM, et le service psychiatrique n’accueillait qu’un seul patient.

Pour autant, à elle seule, cette « sectorisation » n’est pas suffisante pour permettre le développement de l’ambulatoire ([133]), indispensable compte tenu de la fermeture des hôpitaux psychiatriques. Elle s’accompagne de l’organisation d’équipes de proximité pluridisciplinaires travaillant en réseau au niveau du centre de santé mentale. 

Au niveau régional, le département de santé mentale compte un effectif total de 216 personnes réparties sur les quatre CSM. Par catégorie professionnelle, les effectifs se répartissent ainsi : vingt-deux psychiatres, huit psychologues, 123 infirmiers dont huit coordonnateurs. S’y ajoutent neuf assistants sociaux, neuf thérapeutes en réhabilitation psychiatrique et éducative et vingt-huit opérateurs sociaux. Au sein de chaque CSM quatre psychiatres, une trentaine d’infirmiers, dont un cadre, deux assistants sociaux et deux thérapeutes.

Le travail au sein du CSM est collectif. Il se fait en articulation étroite avec le service psychiatrique de diagnostic et de soins de l’hôpital. Les interlocuteurs de la mission ont insisté sur l’intérêt extrême de l’interdisciplinarité et sur l’enrichissement qu’apporte à la prise en charge des patients l’échange d’expériences professionnelles diverses et de connaissances du territoire des divers acteurs qui sont amenés à intervenir, que ce soit dans le champ sanitaire ou extra sanitaire.

C’est la raison pour laquelle le secteur de chaque CSM est divisé en zones plus petites –  deux à Trieste – avec chacune quatre psychiatres, pour l’accueil de première instance. Cette division en sous-secteurs, comparable à celle que définissait la circulaire de 1960, permet notamment l’identification plus rapide de responsables susceptibles d’intervenir sur une problématique donnée dans la communauté, qui ont une connaissance quasi individuelle des cas les plus sensibles. Le dépistage précoce et l’accompagnement des patients dans leur parcours de soins strictement individualisé en fonction de ses besoins et de l’évolution de sa maladie et leur suivi en est facilité.

Au CSM, comme au service psychiatrique de diagnostic et de soins, un briefing très court a lieu tous les matins à 8 h 30, qui permet d’informer l’ensemble de l’équipe sur la situation des patients et ce qui peut s’annoncer sur le territoire. Dans cette organisation, par rotation, chaque jour, un des psychiatres n’a pas d’agenda et peut, le cas échéant, apporter une réponse flexible d’urgence, étant entendu par ailleurs que la présence des infirmiers est organisée en 3x8 ([134]). Le CSM est ouvert au public, en accès direct pour des consultations, des ateliers, des distributions de médicaments. Les médecins et infirmiers effectuent également des soins sur place et des visites à domicile si besoin.

La répartition des postes budgétaires du DSM régional illustre limportance du travail social fait en direction des patients en vue de leur insertion dans la communauté, des ressources importantes étant fléchées en ce sens. Pour quelque 5 000 patients, sur un budget de 17 M€ annuels ([135]), plus du cinquième
 3,6 M€  sont en effet consacrés à des actions socio-sanitaires – logement, assistance, travail, etc. destinées à l’insertion et à la réhabilitation des patients. Cette rubrique est véritablement considérée comme une composante majeure des projets thérapeutiques et des parcours. Elle permet en outre un travail en partenariat étroit entre secteurs public et privé, que ce soit en matière de logement ou de travail : la réinsertion par le travail se fait en Italie essentiellement par le réseau très dense des coopératives sociales, à but non lucratif mais insérées dans le tissu économique normal, qui doivent employer 30 % de personnes défavorisées ([136]). Inversement, la rubrique consacrée aux dépenses de pharmacie ne représente que 2 % du total, soit 0,4 M€ ([137]).

Lhospitalisation judiciaire

Les hôpitaux psychiatriques judiciaires italiens ont également été fermés en 2015. Ils ont été remplacés par des « résidences pour lexécution des mesures de sécurité », REMS, petites unités sanitaires ouvertes de vingt lits au maximum, gérées exclusivement par du personnel médical.

La région de Trieste fait de ces dispositions légales une application particulière : dix lits en tout et pour tout sont disponibles dans la région, répartis en trois établissements, dont les portes sont ouvertes, y compris pour les irresponsables pénaux. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, il n’y a eu qu’un incident (évasion) à Trieste.

En application du principe selon lequel « la liberté est thérapeutique », les REMS, à l’instar des autres institutions du système, sont ouvertes, accessibles, organisées sur un mode flexible et tournées vers les besoins de la personne.

b.   La Belgique : la réforme initiée en 2009

La mission a pu rencontrer, lors d’un déplacement à Bruxelles, le coordinateur fédéral de la nouvelle politique de soins de santé mentale et son équipe. Cette réforme de la santé mentale, initiée en 2009 par le gouvernement fédéral belge, vise à réallouer une partie des moyens financiers des hôpitaux vers de nouveaux services organisés en réseaux et vers des équipes mobiles, et à geler le nombre de lits sans toutefois aller vers le modèle de Trieste. Lors de la conception de cette réforme, la Belgique était l’un des pays comptant le plus grand nombre de lits d’hospitalisation psychiatrique rapportés à la population.

Dans le cadre de cette réforme, l’offre de services en santé mentale a été conçue autour de cinq « fonctions » : 1/ des équipes dédiées aux aspects sanitaires (la prévention, la promotion des soins, la détection précoce, le dépistage et l’établissement d’un diagnostic) ; 2/ des équipes mobiles ou ambulatoires, à la fois dédiées aux situations de crises et à des suivis de longue durée ; 3/ des équipes de réhabilitation, de réinsertion et d’inclusion socio-professionnelle ; 4/ des « unités intensives » (hospitalières) lorsqu’une hospitalisation s’avère nécessaire ; 5/ des formules alternatives à l’hospitalisation, si une hospitalisation n’est pas indispensable mais que l’organisation des soins nécessaires n’est pas possible à domicile.

La rÉforme de l’organisation de la santÉ mentale en Belgique

Source : schéma fourni à la mission par le coordinateur fédéral de la nouvelle politique de soins de santé mentale belge.

Le territoire a été découpé en « réseaux », chaque réseau devant être composé de ces cinq fonctions, et des équipes mobiles ont été déployées sur tout le territoire. Pour chaque réseau, un coordonnateur de réseau a été désigné, chargé de la coordination des différentes « fonctions ». Au sein du réseau, chaque patient dispose d’un référent de soins : ce dernier est chargé de la liaison entre les différentes structures intervenant auprès du patient.

2.   En France, sortir enfin la psychiatrie de l’hôpital,

a.   Un objectif à moyen terme : 80 % du personnel de l’hôpital psychiatrique sur l’ambulatoire

Pour vos rapporteures, la France doit urgemment prendre le virage ambulatoire que la circulaire de 1990 appelait déjà de ses vœux. La sectorisation psychiatrique est porteuse d’une idée forte : la prise en charge du malade dans la Cité, l’hôpital n’étant vu que comme une étape éventuelle de ce parcours. Il est temps de faire de cette idée une réalité concrète.

Si les revendications des personnels hospitaliers en faveur de plus de lits sont parfaitement compréhensibles au vu de la situation actuelle, à moyen et long terme, la réponse ne se trouve pas dans l’hôpital mais en dehors de l’hôpital. Pour Martine Wonner, rapporteure de la majorité, augmenter le nombre de lits ne fera que repousser de quelques années la saturation de l’hôpital psychiatrique.

Il est urgent de déployer des moyens importants sur les structures extrahospitalières, quelles soient sanitaires, sociales ou médico-sociales. Ces structures doivent être des structures daval mais également de prévention.

Pour la rapporteure de la majorité précitée, la solution ne se trouve donc pas dans l’ouverture de nouveaux lits d’hospitalisation à temps complet, qui doivent être gelés sauf, au cas par cas, sur certains territoires subissant une pression démographique particulière.

Ce changement de paradigme doit notamment passer par le développement massif déquipes mobiles sur lensemble du territoire. Ces équipes mobiles doivent être à la fois dédiées à l’urgence, à « l’aller-vers » cher à la psychiatrie (ce que font déjà les équipes mobiles « précarité » ou spécialisées en gériatrie) et aux soins intensifs (proche de l’hospitalisation à domicile).

Le développement de l’ambulatoire et des actions de prévention doit être un préalable à la fermeture de lits qui ne pourra intervenir que dans un deuxième temps. Agir en sens inverse ne pourrait que conduire à l’implosion de l’hôpital psychiatrique.

En tout état de cause, pour les rapporteures, ce gel de lits n’est concevable que si des moyens importants sont parallèlement mis sur le développement de la psychiatrie dans la Cité. Le mouvement conduisant à fermer des lits sans avoir préalablement développé massivement l’ambulatoire a déjà montré ses effets désastreux et il ne saurait en effet être question de ne pas préserver, voire même de ne pas augmenter les moyens des établissements psychiatriques et de continuer à mener une politique timide voir attentiste de soutien au développement de la psychiatrie hors les murs.

Si cette réforme est primordiale sur le plan humain et de la qualité de la prise en charge, sur le plan budgétaire, il s’agit d’un véritable investissement. Ainsi, à court terme, il conviendra d’accompagner financièrement la transformation vers des dispositifs ambulatoires, et, à long-terme, une telle prise en charge sera moins dispendieuse : pour mémoire, comme l’a montré un rapport de la Cour des comptes en 2011, le coût d’une hospitalisation complète en psychiatrie est de l’ordre de 450 € par jour, soit plusieurs fois le coût complet, intervenants sociaux inclus, d’une prise en charge ambulatoire ou à temps partiel ([138]).

Plusieurs expériences, tant à l’étranger qu’en France, ont convaincu vos rapporteures de cette nécessité d’opérer un virage ambulatoire radical. Au terme d’une dizaine d’années, lobjectif, pour vos rapporteures, devrait être de déployer 80 % des moyens de lhôpital psychiatrique sur lambulatoire.

b.   En France aussi, c’est possible : l’exemple du secteur 59G21 à Lille 

À Lille, l’action du secteur 59G21, qui relève de l’établissement de santé mentale de Lille-Métropole, s’inspire directement de l’expérience de Trieste.

Sur ce secteur, près de 80 % des effectifs soignants interviennent désormais en extrahospitalier.

Le secteur n’est pas organisé autour de CMP mais autour d’un « service médico-psychologique de proximité » et d’antennes de consultations multiples, par exemple dans les maisons médicales de garde ou dans le centre social. Ce service médico-psychologique de proximité est composé d’une équipe pluridisciplinaire (médecins, infirmiers, travailleurs sociaux, psychomotriciens, médiateurs santé-pairs, secrétaires). Les soignants de ce secteur sont tous mobiles, et interviennent sur l’ensemble du territoire. Le délai d’attente pour un premier contact est d’environ 48h, et donne accès à une consultation infirmière d’environ 1 h 30, qui permet notamment d’analyser le risque suicidaire. Si la situation n’est pas urgente, le délai pour obtenir un rendez-vous médical est d’environ un mois.

Les soignants n’intervenant pas tous au même endroit, la communication est donc centrale : sur le modèle triestin, une conférence téléphonique permettant d’évoquer tous les événements ayant eu lieu sur le secteur dans la journée est ainsi organisée deux fois par jour du lundi au samedi pour évoquer les cas les plus complexes. Cette conférence téléphonique permet notamment de chercher les solutions d’aval adaptées au parcours de chaque patient. Chaque matin, un membre du service appelle également tous les services d’urgence pour repérer les patients hospitalisés dans la nuit du fait de troubles psychiques. Pour chaque patient, un référent clairement identifié est chargé du projet thérapeutique.

Parallèlement, une équipe mobile de « soins intensifs intégrés dans la cité » assure la gestion ambulatoire des urgences, en intervenant de façon précoce et renforcée au domicile des usagers. Cette équipe pluridisciplinaire assure des soins de proximité au domicile, pour une durée qui s’étend de quelques jours à quelques semaines, avec une durée moyenne de prise en charge de douze jours. Une permanence de nuit permet à ce service de fonctionner 24h/24. Un travail est réalisé avec les acteurs du territoire (pharmacies, infirmiers libéraux notamment) afin de garantir la continuité de la prise en charge une fois le patient sorti du dispositif. Cette équipe mobile parvient chaque année à intervenir sur environ 700 urgences par an, et 250 patients sont suivis de manière intensive (le service disposant de douze places dans ce service de soins intensifs).

Le secteur ne dispose pas non plus d’un hôpital de jour ou d’un CATTP classique : une équipe intitulée « service d’activités d’insertion et des soins intégrés à la cité » propose des activités thérapeutiques en groupes, dans des espaces où sont proposées des activités de droit commun. Ces activités doivent être temporaires, l’idée étant d’accompagner progressivement les usagers vers des activités en milieu ordinaire. Des activités de retour à l’emploi sont également portées par le secteur.

Enfin, le secteur 59G21 dispose de dix lits d’hospitalisation seulement, dans la clinique Jérôme Bosch, où la durée moyenne de séjour ne dépasse pas 6,5 jours. La clinique dispose de trois équivalents temps plein par place d’hospitalisation. De nombreuses mesures de gestion de la violence en amont ont été mises en œuvre à l’hôpital, ce qui a permis de n’installer aucune chambre d’isolement, et de limiter le recours à la contention : en 2018, selon les informations transmises à la mission, seul un recours à la contention a eu lieu. Parmi ces mesures permettant de limiter la violence, des « directives anticipées » sont établies avec chaque patient, afin que des mesures lui correspondant lui soient proposées en cas de crise. Par ailleurs, bien que la clinique accueille des usagers en soins sous contraintes, la clinique reste ouverte, et la liberté d’aller et venir est garantie au sein de l’établissement.

Grâce à l’intervention le plus en amont possible, et à la mobilité du personnel soignant, le secteur est loin de connaître la sur-occupation que vos rapporteures ont pu observer dans le reste de leurs déplacements : lorsque la mission s’est rendue dans la clinique, seulement six de ces dix lits étaient occupés.

3.   Réorganiser le secteur pour garantir l’égal accès de tous à des soins innovants et adaptés

a.   Organiser une véritable gradation des soins

La sectorisation psychiatrique avait pour objectif l’accès aux soins pour tous, mais elle a eu comme inconvénient de tout faire reposer sur les équipes soignantes rattachées au secteur de psychiatrie, des soins primaires aux soins les plus complexes. Le secteur public de psychiatrie peut-il vraiment tout faire aujourd’hui ?

Comme toutes les disciplines médicales, la psychiatrie requiert aujourd’hui, aux côtés des soins primaires, une plus grande spécialisation. L’accès aux soins et au diagnostic doit évidemment rester la première des priorités, mais, pour mieux soigner, une véritable gradation des soins apparaît nécessaire.

Idéalement, les soins en santé mentale devraient être structurés sur l’ensemble du territoire selon un schéma pyramidal, et proposer différents niveaux de recours. Pour le niveau de soins le plus spécialisé, le secteur psychiatrique tel qu’il a été construit en France n’est pas la bonne échelle.

Source : mission d’information, d’après l’OMS (2009).

i.   Le développement de soins plus spécialisés

Aujourd’hui, de nombreux dispositifs intersectoriels se multiplient déjà sur le territoire pour répondre à ce besoin de spécialisation, mais sans que cela fasse l’objet d’orientations politiques claires, ce qui explique qu’ils se développent de manière inégale sur les territoires, sans véritable cohérence d’ensemble.

Toutefois la rapporteure Caroline Fiat rappelle l’importance que cette expertise spécialisée soit financée dans la plus grande transparence et que les recherches réalisées soient totalement indépendantes. Elle rappelle à ce titre que la fondation FondaMental, créée en 2007, est présidée par David de Rothschild et puise plus de trois-quarts de ses ressources dans des fonds privés ([139]). Sans préjuger de la qualité des recherches réalisées par la fondation, Caroline Fiat estime que ces fonds privés font courir le risque d’orienter les recherches dans un sens qui n’est pas celui de l’intérêt général. La rapporteure Martine Wonner indique qu’elle ne partage pas ce point de vue et ne souhaite pas s’y associer. Caroline Fiat souhaite en outre que les recherches en sciences humaines soient davantage promues, la relation sociale étant au cœur de la guérison et l’usage de psychotropes devant être réduit au maximum.

Des équipes spécialisées et multidisciplinaires, expertes de certaines pathologies, doivent être déployées au niveau régional.

Cette prise en charge spécialisée ne devrait pas se réduire à une prise en charge psychiatrique. Ainsi, la professeure Marion Leboyer et le docteur Christian Muller, lors de leurs auditions respectives par la mission, ont proposé de mettre en place, pour les parcours les plus complexes, des réunions de concertation pluridisciplinaires en psychiatrie, à l’image de ce qui existe aujourd’hui pour le cancer. Ces réunions devraient permettre une meilleure prise en charge somatique et psychiatrique des patients, tout en organisant de manière plus efficiente les parcours de soins les plus complexes.

ii.   Développer le premier recours et la prévention en santé mentale

Parallèlement, à l’autre bout de la pyramide, ce sont les soins de premier recours en santé mentale qui doivent être améliorés.

Tout d’abord, alors que la prévention primaire est quasiment inexistante aujourd’hui, le repérage des troubles psychiques et leur prévention doit devenir l’affaire de tous : comme dans certains pays comme l’Australie, chacun, en France, devrait être formé aux premiers secours en santé mentale. Le dépistage devrait également être beaucoup plus systématique, et la formation des médecins et infirmiers scolaires, et des personnels des SST, notamment, devrait être renforcée en conséquence.

La prévention secondaire doit également être renforcée. Cette nécessité est aujourd’hui clairement identifiée. « Promouvoir le bien être mental, prévenir et repérer précocement la souffrance psychique, et prévenir le suicide » sont d’ailleurs parmi les principaux axes de travail définis par le Gouvernement dans sa feuille de route de juin 2018, qui prévoit notamment la généralisation du dispositif de recontact des personnes ayant fait une tentative de suicide (« Vigilans »), dont l’efficacité a été soulignée par les personnes auditionnées.

La prévention de la récidive suicidaire, un exemple de prévention secondaire : le dispositif Vigilans

Le programme VigilanS est un dispositif de veille des suicidants sur une période de six mois. Une carte comprenant le numéro d’appel de la cellule régionale de veille est initialement transmise à chaque participant par l’établissement dans lequel il est hospitalisé. Les médecins traitants, psychiatres et psychologues traitants des suicidants sont prévenus de la mise en place du dispositif de veille.

Les patients primosuicidants sont recontactés par la cellule de veille par téléphone six mois après la tentative afin d’effectuer un bilan de leur situation personnelle et décider, ou non, de leur sortie du dispositif.

Les patients récidivistes sont recontactés par la cellule de veille téléphone entre le 10ème et le 21ème jour après la tentative afin d’effectuer un bilan. Si le patient est injoignable, des cartes postales lui sont envoyées à son domicile à raison d’une par mois pendant 4 mois. Il est à nouveau contacté par téléphone six mois après la tentative pour un bilan de sa situation personnelle et décider, ou non, de sa sortie du dispositif.

La cellule évalue la situation du patient pendant les appels et ces derniers font l’objet d’une classification qui va de « tout va bien » à « situation de risque suicidaire majeure nécessitant l’envoi d’une équipe du Samu ».

Le dispositif a d’abord été mis en place en janvier 2015 dans la région des Hauts‑de‑France, puis, à partir de 2016, dans les régions Normandie, Bretagne, Occitanie et dans le département du Jura. En 2018, la ministre des Solidarités et de la Santé a annoncé sa généralisation sur l’ensemble du territoire national.

Si la prévention et la promotion du bien-être doivent évidemment être des priorités, une question se pose rapidement : le secteur, dont lobjet est avant tout de prendre en charge les troubles psychiques, a-t-il vocation à prendre en charge toutes les situations de « mal être » ? Pour vos rapporteures, la prévention et les soins primaires ne peuvent sinscrire que dans un cadre plus global, dans une logique de réseau, au sein duquel le secteur serait un acteur parmi dautres.

En premier lieu, il est impératif et urgent de mieux former les généralistes aux questions de santé mentale, car ceux-ci sont le premier recours pour une grande majorité des patients.

La formation en psychiatrie des médecins généralistes, comme d’ailleurs celle des autres professionnels de santé, doit impérativement être renforcée si l’on souhaite être en mesure de diagnostiquer au plus vite et de mieux prendre en charge les troubles psychiques,. La feuille de route présentée par le Gouvernement en juin 2018 a bien identifié cette problématique puisqu’elle prévoit de « favoriser un stage en santé mentale pendant le second cycle des études de médecine et pendant le 3ème cycle des études de médecine générale ». Pour vos rapporteures, un tel stage devrait être obligatoire.

Des initiatives d’accompagnement et de formation sur le terrain des médecins généralistes par les psychiatres pourraient également servir d’exemple, à l’image du « dispositif de soins partagés » qui existe dans les Yvelines et en Haute-Garonne.

Le dispositif de soins partagés à Toulouse

À Toulouse, la mission a pu découvrir, au CHU Purpan, le dispositif de soins partagés mis en place en collaboration avec le centre hospitalier spécialisé Gérard Marchant.

Ce dispositif, inspiré d’un dispositif similaire mis en place dans les Yvelines, a été ouvert à Toulouse en 2017. Il permet à l’hôpital de répondre aux demandes d’avis des médecins généralistes rencontrant des difficultés dans la prise en charge des troubles psychiques de leurs patients.

Une permanence téléphonique est assurée par deux infirmiers, une psychologue, un psychiatre libéral et un psychiatre du CHU.

Le médecin généraliste a un premier contact avec l’infirmier, qui évalue ensuite le patient au cours d’une consultation téléphonique d’une trentaine de minutes. Le patient peut ensuite être reçu au CHU pour une évaluation si nécessaire.

L’objet de ce dispositif est d’améliorer par la pratique la formation des généralistes en santé mentale tout en les accompagnant, et de les aider à se prononcer sur le degré d’urgence de la prise en charge de leurs patients. À la suite de l’évaluation, 38 % des patients sont orientés vers la psychiatrie libérale.

Le dispositif réunit plus de 350 médecins généralistes qui travaillent dans l’agglomération toulousaine. Une formation en ligne ouverte est proposée à tous les médecins généralistes et un projet de télépsychiatrie est actuellement à l’étude.

Ce dispositif est principalement financé par le FIR.

Par ailleurs, comme l’a proposé l’association Française Fédérative des Étudiants en Psychiatrie (AFFEP), lors de son audition par la mission, des « guichets uniques » de santé mentale devraient être mis en place – par exemple dans les centres de santé ou les centres communaux d’action sociale – offrant un premier recours en santé mentale, une écoute et une orientation vers les bonnes structures.

Les maisons des adolescents pourraient notamment jouer ce rôle en ce qui concerne cette tranche d’âge spécifique. Si ces maisons étaient développées au niveau national et qu’une coordination structurée était organisée, elles pourraient jouer un rôle majeur dans la prévention, les soins primaires en psychiatrie et le diagnostic précoce de certains troubles chez les jeunes. C’est notamment ce qu’a développé l’Australie avec ses centres « Headspace » mis en place au niveau national et spécialisés dans la santé mentale des adolescents.

D’autres interlocuteurs ont évoqué l’idée d’un numéro réservé aux urgences en santé mentale, sur le modèle du « 15 ». Si cette idée paraît séduisante à première vue, cela pourrait stigmatiser d’autant plus la psychiatrie et la priorité semble davantage de mieux former les régulateurs médicaux du SAMU à la prise en charge des troubles psychiques mais aussi à l’organisation de la psychiatrie afin qu’ils puissent orienter les patients vers les structures appropriées.

Le positionnement des CMP et leur fonctionnement devrait également évoluer pour s’articuler avec la médecine de ville et réciproquement, en leur permettant notamment soit :

-         d’intégrer les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ; les professionnels libéraux (psychiatres et psychologues ) pouvant consacrer des créneaux horaires pour des consultations non programmées

-         ou de s’associer à des centres de santé communautaires de proximité à développer dans certains quartiers ou des maisons de santé.

iii.   Le secteur public de psychiatrie ne peut pas tout faire… les psychiatres non plus

L’organisation pyramidale du soin en santé mentale doit aller de pair avec une réorganisation des métiers et un renforcement du rôle des professionnels non médicaux. En effet, la présence du psychiatre n’est pas nécessaire à tous les stades de la prise en charge, notamment au niveau du soin primaire. Comme l’a souligné Claude Finkelstein lors de son audition par la mission, « le patient na pas tout le temps besoin dun psychiatre senior ».

Le rôle que jouent et pourront jouer les infirmiers en psychiatrie est ainsi primordial, et l’expérience lilloise évoquée ci-dessus montre que ces derniers jouent un rôle de premier recours et de coordination décisif. Au cours des déplacements, de nombreuses personnes auditionnées par la mission ont regretté la disparition du diplôme d’infirmier de secteur psychiatrique, supprimé en 1992. Si un retour à ce diplôme tel qu’il existait alors n’est pas forcément souhaitable selon la rapporteure Martine Wonner, vos rapporteures se félicitent de l’ajout récent de la psychiatrie et de la santé mentale au domaine d’intervention des infirmiers de pratique avancée, qui permettra de développer ce rôle clinique et de coordination.

Les infirmiers de pratique avancée en psychiatrie et santé mentale

A la suite de longues négociations, le décret n° 2019-835 du 12 août 2019 relatif à l'exercice infirmier en pratique avancée et à sa prise en charge par l'assurance maladie a permis l’extension de la pratique infirmière avancée à la psychiatrie et la santé mentale. Dans le même temps, le décret n° 2019-836 du 12 août 2019 relatif au diplôme d'Etat d'infirmier en pratique avancée mention psychiatrie et santé mentale précise que les infirmiers titulaires du diplôme d'Etat d’infirmier de secteur psychiatrique pourront ainsi accéder à la formation exclusivement en vue de l'obtention du diplôme d'Etat d'infirmier en pratique avancée mention psychiatrie et santé mentale.

L’arrêté du 12 août 2019 modifiant les annexes de l'arrêté du 18 juillet 2018 fixant les listes permettant l'exercice infirmier en pratique avancée en application de l'article R. 4301-3 du code de la santé publique précise que « les thymorégulateurs, psychostimulants, antipsychotiques atypiques, neuroleptiques conventionnels, antiépileptiques approuvés dans le traitement de troubles psychiatriques et traitement de substitution aux opiacés, le renouvellement ou l’adaptation de la prescription peut, à lappréciation du médecin, s'effectuer dans le cadre d'une procédure écrite établie par ce dernier ».

Le rôle des autres professionnels agissant dans le domaine de la santé mentale doit également être renforcé. C’est le cas des travailleurs sociaux, dont l’action est fondamentale, mais également des psychologues. La rapporteure Martine Wonner s’était ainsi exprimée dès la mission « flash » sur le financement de la psychiatrie en faveur du remboursement des psychothérapies effectuées par les psychologues, en pérennisant les expérimentations actuellement en cours ([140]), et l’importance de cette démarche et de la pluriprofessionnalité a été confirmée lors des auditions et déplacements de la mission. La question de la formation des psychologues devrait également être posée, comme l’a souligné lors de son audition Senja Stirn, en proposant, comme ce qui existe aujourd’hui en Amérique du Nord, le développement des doctorats d’exercice de psychologie, inspiré du doctorat de médecine, permettant le développement d’une formation plus homogène et plus spécialisée.

Enfin, la rapporteure Caroline Fiat souligne l’importance de développer des métiers centrés sur la continuité des prises en charge, à l’image de référents désignés pour suivre un patient tout au long de son parcours.

b.   Réaffirmer le libre choix du patient

Dépasser le principe de la sectorisation psychiatrique, c’est aussi réaffirmer le libre-choix du patient.

Pour Martine Wonner, rapporteure de la majorité, réaffirmer ce libre-choix, c’est d’abord permettre au secteur privé de proposer la même offre que celle du secteur public, en ouvrant l’accès à toutes les autorisations, selon les procédures en vigueur, tout en lui imposant les contraintes nécessaires, notamment dans la qualité et l’accessibilité de la prise en charge. C’est aussi permettre au privé de véritablement s’intégrer dans le paysage de la prise en charge psychiatrique, notamment en leur permettant d’intégrer les CPT.

La rapporteure de l’opposition Caroline Fiat ne partage pas cette vision et, au contraire, s’oppose vivement au développement de l’offre privée lucrative, car personne ne devrait pouvoir gagner de l’argent sur la maladie psychiatrique.

A contrario, les moyens doivent aujourd’hui être mis sur l’hôpital public, seul à même de garantir un accès aux soins pour tous, et aujourd’hui délabré. En l’état actuel de la psychiatrie, il serait aberrant de raisonner à moyens constants, et le nombre de soignants doit urgemment être augmenté. La relation sociale est au cœur de la guérison et l’usage de psychotropes ne peut ni ne doit y pallier. La prise en charge ambulatoire est nécessaire, mais elle ne garantira pas, à elle seule, la diminution de l’usage de psychotropes, que seule l’augmentation du nombre de personnels pourra permettre.

Enfin, le principe du libre-choix du patient est affirmé avec force par la loi. Ainsi, l’article L. 1110-8 consacre le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de santé et de son mode de prise en charge, « principe fondamental de la législation sanitaire ».

Dans la pratique, ce droit fondamental nest aujourdhui pas respecté pour les malades mentaux, alors même que l’article L. 3211-1 du code de la santé publique affirme très clairement que « toute personne faisant lobjet de soins psychiatriques ou sa famille dispose du droit de sadresser au praticien ou à léquipe de santé mentale, publique ou privée, de son choix tant à lintérieur quà lextérieur du secteur psychiatrique correspondant à son lieu de résidence ».

Appliquée strictement, la logique de la sectorisation psychiatrique entre frontalement en contradiction avec ce principe : chaque secteur est responsable dans une zone géographique d’une population, et les fluctuations de demandes liées au libre choix risqueraient de grandement déséquilibrer le système et de mettre en difficulté les établissements les plus attractifs, déséquilibre qui serait inéluctable au vu de l’hétérogénéité des prises en charge. S’inscrivant dans cette logique, les établissements refusent le plus souvent les patients qui ne relèvent pas de leur secteur, et, petit à petit, s’est développée l’idée qu’un patient « appartient » à son secteur.

Par ailleurs, comme le souligne le rapport de l’IGAS précité, « aucun texte n’oblige à ce qu’un patient hospitalisé sans son consentement, du fait d’un tiers ou d’une décision préfectorale, soit admis dans le service du secteur correspondant à son lieu d’habitation. Et pourtant cette pratique est générale, strictement respectée, quand celle consistant à ne pas admettre en soins librement consentis un patient d’un autre secteur peut connaître des exceptions ». Évidemment, les patients hospitalisés sans leur consentement, dans beaucoup de cas, souffrent d’une aliénation relativement grave de leurs capacités de jugement, et la question du libre choix semble à première vue ne pas se poser pour ces malades. Pourtant, selon le même rapport, « est-il satisfaisant que le tiers, qui aura pris l’importante responsabilité de réclamer des soins contraints, ne soit pas autorisé, encore une fois sans raison légale, à choisir l’équipe médicale qui prendra en charge son parent ou son proche ? Quant au patient lui-même, traité sans son consentement, est-il vraiment certain que toute part de raison soit abolie en lui au point de toujours lui interdire d’indiquer des préférences quant à l’équipe qui le traitera, une fois décidé qu’il ne saurait se soustraire à des soins ? ».

Pour vos rapporteures, il convient de réaffirmer cette liberté de choix, en informant mieux les patients de cette liberté mais également en rappelant le cadre juridique existant aux établissements sectorisés.

La file active réellement prise en charge par les établissements et structures devra être un élément non négligeable de l’allocation des moyens.

La réforme incontournable du financement de la psychiatrie devra prendre en compte ces impératifs et accompagner la transformation profonde attendue par les rapporteures

 


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PROPOSITIONS

Proposition 1 : réaffirmer le libre choix et les droits du patient

Proposition 2 : définir une politique nationale de santé mentale

Proposition 3 : déstigmatiser la psychiatrie et intégrer la santé mentale dans « Ma Santé 2022 »

Proposition 4 : créer une agence nationale en charge des politiques de santé mentale

Proposition 5 : renforcer le pilotage interministériel via l’évolution du délégué à la santé mentale

Proposition 6 : créer des coordonnateurs territoriaux en santé mentale garants de la déclinaison de la politique nationale et du suivi de la mise en œuvre des PTSM 

Proposition 7 : soutenir et développer les CLSM pour faciliter la concertation entre les tous les acteurs de proximité (sanitaires, médico-sociaux, sociaux, élus, usagers, etc.)

Proposition 8 : organiser une véritable gradation des soins en faisant évoluer le secteur :

Développer la prévention primaire et secondaire en santé mentale 

Développer le premier recours et l’accès aux soins de proximité 

Moratoire sur la création de lits supplémentaires en psychiatrie (proposition de la rapporteure Martine Wonner) les deux rapporteures demandent un renforcement de moyens affectés aux équipes de secteur mais la rapporteure Caroline Fiat souhaite que cela puisse se faire en deux temps : pour qu'elles puissent sortir de l'intra-hospitalier et fermer des lits dans un deuxième temps)

Déployer des équipes spécialisées multidisciplinaires à l’échelon départemental voire régional

Proposition 9 : accélérer le virage ambulatoire en redéployant 80% du personnel de l’hôpital psychiatrique sur l’ambulatoire à l’horizon 2030

 


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Annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes

(par ordre chronologique)

 

     Table ronde réunissant des syndicats de psychiatres

 Syndicat des psychiatres d’exercice public (SPEP) – Dr Michel Triantafyllo, président, et Dr Jean Ferrandi, secrétaire général

 Syndicat des psychiatres Français (SPF)  Dr Maurice Bensoussan, président, et Pr Emmanuelle Corruble, vice-présidente

 Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH)  Dr Marc Betremieux, président, et Dr Bernard Odier, conseiller national

 Union syndicale de la psychiatrie (USP) Dr Pascal Boissel, président, et Dr Philippe Gasser, vice-président

     Cour des Comptes  M. Laurent Rabaté et Mme MarieClaire CarrèreGée, conseillers maîtres, et Mme Coralie Cuif, rapporteure extérieure

     Table ronde réunissant des associations d’usagers

 Fédération nationale des associations d’usagers en psychiatrie (FNAPSY)  Mme Claude Finkelstein, présidente

 Union nationale des amis et familles de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM)  Mme MarieJeanne Richard, présidente

 Schizo-espoir – Mme Nathalie Prunier, présidente

     Mme Magali Coldefy, géographe, maître de recherche, chercheure associée UMR Géographie-Cités, et Mme Coralie Gandré, chargée de recherche à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), docteure en santé publique


     Association des établissements participant au service public de santé mentale (ADESM)  M. Pascal Mariotti, président, M. Jean-Yves Blandel, directeur de l’établissement public de santé mentale (EPSM) de Caen, Mme Doris Gillig, directrice adjointe du centre hospitalier Erstein, Mme Heidi Giovacchini, directrice de l’établissement de santé mentale « Portes de l’Isère », M. Jean-Yves Boisson, directeur de l’établissement public de santé mentale Georges Daumezon à Fleury les Aubrais

     M. Frank Bellivier, délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie auprès de la ministre des solidarités et de la santé, Mme Sylvie Escalon, sous-directrice adjointe à la direction générale de l’offre de soins (DGOS), M. Raphaël Capian, chef du bureau de la santé mentale à la direction générale de la santé (DGS) et M. Laurent Dubois Mazeyrie, adjoint au chef du bureau de l'insertion, de la citoyenneté et du parcours de vie des personnes handicapées, sous-direction de l'autonomie des personnes handicapées et des personnes âgées, service des politiques sociales et médico-sociales à la direction générale de la cohésion sociale (DGCS)

     Syndicat national des psychologues (SNP)  M. Jacques Borgy,
secrétaire général, Mme Maryline Pinet-Viotti, secrétaire de la commission « Exercice libéral », Mme Céline Zadigue, secrétaire de la commission « Salariés du privé -associatif, lucratif, entreprise », M. Guillaume Lugez, secrétaire de la commission « Fonction publique hospitalière »

     Table ronde réunissant des syndicats santé-sociaux

 Confédération générale du travail (CGT) Fédération Santé Action Sociale  M. Philippe Burgaud Grimart, infirmier, M. Pierre du Mortier, psychologue, et M. Benoît Marsault, médecin psychiatre, chef de pôle

 Fédération Force Ouvrière (FO) des Personnels des Services Publics et des Services de Santé – M. Emmanuel Tinnes, assistant du secrétaire général, M. Jean-Jacques Peaud, secrétaire régional région Pays de Loire branche santé, et M. Franck Houlgatte, secrétaire général de l’Union nationale de la santé privée

 Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) santé et sociaux publics et privé – M. Gilles Duffour, directeur, conseiller technique et Mme Francoise Kalb, secrétaire nationale

 CFDT Fédération Confédération française démocratique du travail (CFDT) Santé-Sociaux – M. Bruno Lamy, secrétaire général adjoint

     Pr. Marion Leboyer, responsable du pôle de psychiatrie et addiction, CHU H Mondor – Université Paris Est Créteil


     Table ronde réunissant des fédérations hospitalières

 Fédération hospitalière de France (FHF) – Mme Zaynab Riet, déléguée générale, et Pr Olivier Bonnot, psychiatre au CHU de Nantes, Dr Radoine Haoui, psychiatre au centre hospitalier Gérard Marchant de Toulouse

 Fédération de l’Hospitalisation Privée (FHP) Psy  Cliniques Psychiatriques De France – M. David Castillo, délégué général, Dr Vincent Masetti, médecin coordinateur national CLINEA Psychiatrie, et Mme Béatrice Noellec, responsable de la veille sociétale et des relations institutionnelles de la FHP

 Fédération des établissements hospitaliers et d’assistance privés à but non lucratif (FEHAP) (*) Mme Christine Schibler, directrice de l’offre de soins et des parcours de santé, Dr Fabien Juan, directeur de l’institut MGEN La Verrière

     Ministère des Solidarités et de la Santé – Direction générale de l’offre de soins (DGOS) – Mme Sophie Terquem, adjointe au chef de bureau prises en charge post aiguës, pathologies chroniques et santé mentale, et Mme Sylvie Escalon, adjointe à la sous-direction de la régulation de l’offre de soins

     Dr Patrick Belamich, président de la fédération des centres médico-psycho-pédagogiques

     Mme Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté

     Mme Stirn Senja, psychologue au centre hospitalier de Rouffach, et M. Emmanuel Garcin, psychologue

     Association Française Fédérative des Étudiants en Psychiatrie – Mme Audrey Fontaine, présidente, et MM. Robin Jouan et Joël Buisson, membres du bureau

     Dr Mony Elkaim, professeur honoraire et professeur invité, service de psychiatrie de l’hôpital Érasme, Université libre de Bruxelles, Mme Olga Elkaïm, assistante du Dr Mony Elkaim, Dr Alain Mercuel, président de la CME du centre hospitalier Sainte-Anne, médecin-chef du pole psychiatrie-précarité du GHU psychiatrie et neurosciences de Paris, et Dre Dominique Brengard, psychiatre émérite des hôpitaux, ancien médecin-chef du pole pédopsychiatrie des 9ème et 10ème arrondissements et de l’hospitalisation mère-bébé de Paris, pédopsychiatre consultante au pôle psychiatrie-précarité du GHU psychiatrie et neurosciences de Paris et à l’IME de Montreuil

     Conférence nationale des présidents de commission médicale d'établissement (CME) de centres hospitaliers spécialisés (CHS) en psychiatrie  Dr. Christian Muller, président, président de la commission médicale d’établissement à l’établissement public de santé mentale de l’agglomération lilloise à Saint-André-lez-Lille, et Dr. Radoine Haoui, membre de la conférence nationale, président de la commission médicale d’établissement du centre hospitalier Marchant à Toulouse.

***

En outre, le président Brahim Hammouche a également rencontré :

 

     Mme Marie-Hélène Rodde-Dunet, cheffe du Service Évaluation de la pertinence des soins et Amélioration des pratiques et des parcours, haute autorité de santé, HAS

 

     Dr. Pascal-Henri Keller, psychologue clinicien et psychanalyste, et Dr Patrick Landman, psychiatre et psychanalyste

 

     Dr Raphaël Gourevitch, Chef du Pôle CPOA-SMPR de Saint-Anne

 

(*) Ce représentant d’intérêts a procédé à son inscription sur le répertoire de la Haute Autorité de transparence pour la vie publique s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


1

 

   AnnexE n°2 :
Liste des dÉplacements

1.   En France

– Val de Marne, 14 mai : CH Paul Guiraud (Villejuif), CMP et hôpital de jour (Vitry)

– Somme, 21 mai : CH Philippe Pinel, CAPAS, clinique du Campus

– Pyrénées-Orientales, 27 mai : CH Léon-Jean Grégory (Thuir), CMP Fernand Léger (Perpignan), CHU de Perpignan

– Haute-Garonne, 28-29 mai : CH Gérard Marchant (Toulouse), CMP des Arènes, CHU de Toulouse (Hôpital de jour spécialisé en pédopsychiatrie Boris Vian, Dispositif de Soins Partagé en Psychiatrie, urgences psychiatriques), clinique de Beaupuy

– Tarn, 30 mai : Fondation du Bon sauveur d’Albi, CMP d’Albi

– Moselle, 14 juin : centre Mathilde Salomon de Phalsbourg, CH de Sarreguemines, SMPR de Metz

– La Réunion, 17-18 juin : CHU Sud (Saint Pierre), Clinique des Flamboyants Sud, Clinique des Flamboyants Ouest, visioconférence avec Mayotte, SMPR DOMENJOD / UCSA – Saint Denis, rencontre de l’association Allons Déor, rencontre avec le Rectorat, APAJH dispositif Relayaz974

– Haute-Vienne, 27 juin : CH Esquirol, Centre de Proximité en Santé Mentale Van Gogh, ESAT l’Envol – PRISM

– Nord, 11 juillet : Secteur 59G21, Fédération Régionale de Recherche en Psychiatrie et Santé Mentale Hauts-de-France

2.   À l’étranger 

– Trieste, 4-5 juillet

– Bruxelles, 12 juillet

3.   Déplacements complémentaires effectués par le président Brahim Hammouche

– Moselle, 25 juillet : CHS de Jury-les-Metz, UHSA et CPN de Nancy

4.   Déplacements complémentaires effectués par la rapporteure Martine Wonner

– Deux-Sèvres : 7 février, centre hospitalier de Niort

– Aisne : 18 juillet, Établissement public de santé mentale de Prémontré

– Ille-et-Vilaine : 26 juillet, Centre hospitalier de Saint Malo

– Corse : 29-30 juillet, Ajaccio et Centre hospitalier de Bastia

– Bas-Rhin : 12 février, EPSAN et 2 juillet SMPR de Strasbourg

 


   Annexe n° 3 :
les Établissements psychiatriques

répartition des établissements par statut juridique en 2005

Source : IGAS, rapport 2016, annexe 15 ; (données DREES 2005)

 


([1]) Elle ajoute « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».  

([2]) Rappelons que  la recherche se fait dans les CHU qui n’accueillent guère plus de 10 % des patients ce qui conduit à une recherche trop « neuroscientrée » et pas assez ouverte aux dimensions existentielles et relationnelles de la spécialité.

([3]) IGAS, Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960, n°2017-064R, nov 2017.

([4]) Keller P-H, Landman P. Ce que les psychanalystes apportent à la société, Erès, Paris, 2019.

([5]) Rapport pour avis présenté au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2019 sur la mission Solidarité, insertion et égalité des chances, Documents législatifs, présenté par Brahim Hammouche, député.

([6]) Colucci M, Di Vittorio P. Franco Basaglia, portrait d’un psychiatre intempestif, Eres, Toulouse, 2018.

([7])  Laforcade M. Rapport relatif à la santé mentale, Ministère des affaires sociale et de la santé, Paris, 2016.

([8]) Nombre de places en prise en charge à temps complet (nombre de lits ou places installées) ; hospitalisation à temps plein = 20 411, placement familial thérapeutique = 183, accueil en appartement thérapeutique = 191, accueil en centre de postcure = 926, accueil en centre de crise et structure d’accueil des urgences = 54, hospitalisation à domicile = 57.  

([9]) Piel E, Roelandt J-L. Rapport mission gouvernementale : « Réflexion et prospective en santé mentale : De la Psychiatrie vers la Santé Mentale », Paris, 2001.

([10]) Domin J-P. Une histoire économique de l’hôpital (XIXe-XXe siècles), une analyse rétrospective du développement hospitalier, tome 2, Paris, Comité d’histoire de la Sécurité Sociale, 2013.

([11]) Franck N. Traité de réhabilitation psychosociale, Elsevier Masson, Paris, 2018.

([12]) Minkowski E. Le temps vécu, Paris, PUF Quadrige, 2013.

([13])  Basaglia F. Psychiatrie et démocratie, Erès, Ramonville Saint-Agne, 2007.

([14])  Centre National de Gestion (CNG). Statistiques et Rapport d’activités, 2018, www.cng.sante.fr

([15])  Pour le président de la mission, l’esprit du secteur reste inachevé et les secteurs très inégaux devraient évoluer vers une fédération de secteurs regroupant plusieurs pôles hospitaliers et permettant une dynamique des savoir-faire en réseaux et de développer des dispositifs intersectoriels innovants.

([16]) Cynthia Fleury. Le soin est un humanisme, Gallimard, Paris, 2019, (Coll. Tracts).

([17]) Delion P. Mon combat pour une psychiatrie humaine, Paris, Albin Michel, 2016.

([18]) Demailly L, Dembinski O, Déchamp-Le Roux. Les équipes mobiles en psychiatrie, John Libbey Eurotext, Montrouge, 2014.

([19])  Furtos J. Les cliniques de la précarité, contexte social, psychopathologie et dispositifs, Masson, Issy-Les-Moulineaux, 2008.

([20])  Binswanger L. Rêve et existence, Paris, Vrin, 2013.

([21]) « Il s’appuie sur un cadre qui pour vocation de contenir, d’élaborer et de transformer les tensions, conflits, émotions et affects, entre le professionnel et la personne soignée », Hélène Liotard, Santé mentale : l’incertitude comme principe du travail interinstitutionnel, Les cahiers du Rhizome, Paris, 2018, n°67, pp. 68-73.

([22]) Keller P-H, Landman P. Ce que les psychanalystes apportent à la société, Érès, Toulouse, 2019.

([23]) Leboyer M, Llorca P-M. Psychiatrie, l’état d’urgence, Fayard, Paris, 2018.

([24])  Enquête réalisée par Doctissimo et la Fondation FondaMental, L’autisme en France, diagnostic et parcours de soins, 28 mars 2013.

([25]) Selon les informations données par le Pr. Leboyer en audition.

([26]) Laporte A, Le Méner e, Détrez MA, Douay C, Le Strat Y Vandentorren S, et al. La santé mentale et les addictions chez les personnes sans logement personnel en Ile-de-France : l’enquête Samenta de 2009. Bull Epidemiol Hebd. 2015 ; (36-37) : 693-7.

([27]) Selon une étude de la DRESS, « La prise en charge de la dépression en médecine générale de ville », Études et résultats, septembre 2012 : 58 % des médecins généralistes qui prennent en charge des patients atteints de dépression proposent exclusivement un traitement médicamenteux. En cas de dépression non sévère, 50 % d’entre eux déclarent prescrire des antidépresseurs et des anxiolytiques alors même que les études montrent une efficacité des psychothérapies dans les dépressions d’intensité légère à modérée (Inserm, Psychothérapies, trois approches évaluées, Inserm, 2004). On rappellera que la France se situe au deuxième rang, derrière l’Espagne, pour la consommation d’anxiolytiques (benzodiazépines). Ainsi en 2015, 13,4 % de la population se sont vus prescrire des anxiolytiques. L’assurance maladie dénonçait également une prescription inadéquate d’antidépresseurs.

([28]) Les psychologues conseillers techniques ont été oubliés dans le décret n° 2017-120 du 1er février 2017 portant dispositions statutaires relatives aux psychologues de l'Éducation nationale. Or, ils interviennent auprès des élèves en difficulté, des élèves en situation de handicap, des élèves en risque de décrochage ou des élèves présentant des signes de souffrance psychique. Il apparaît donc important que ces professionnels participent au sein des différents échelons administratifs de l'Éducation nationale, tant national que régional et départemental, aux réflexions, à l'élaboration, à la mise en œuvre, au suivi et à l'évaluation de la politique de l'Éducation nationale en matière de santé mentale, de prévention, d'inclusion ou d'aide à l'apprentissage et à l'orientation.

([29])  Entre 2012 et 2015, le nombre de personnes hospitalisées à temps plein a augmenté de 13% alors que la file active des personnes hospitalisées est restée stable.

([30]) Dans leur rapport d’information n°4486 du 15/02/2017 en conclusion des travaux de la mission d’évaluation de la loi n°2013-869 du 27/09/2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi n°2011-803 du 5/07/2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalité de leur prise en charge, les rapporteurs D. Robillard et D. Jacquat recommandaient de reconnaitre le bénéficie de l’aide juridictionnelle de plein droit aux personnes admises en soins psychiatriques sans consentement.

([31]) Couty E. Rapport « Mission et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie », janvier 2009 : le conseiller maître à la Cours des Compte recommandait entre autres le développement des Groupes d’entraide mutuels (GEM) dans l’objectif est de rompre l’isolement social des personnes présentant un handicap psychique et/ou cognitif. Ce sont des lieux non médicalisés de convivialités et de lutte contre la solitude.

([32]) La loi n°2005-102 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées permet la création des GEM.

([33]) Selon la DIHAL, en 2015, on comptait dans le domaine psychiatrique environ 10000 travailleurs pairs aux États-Unis contre une trentaine en France.

([34]) Tosquelles Fr. Le travail thérapeutique en psychiatrie, érès, Toulouse, 2017.

([35]http://www2.assembleenationale.fr/content/download/75538/775110/version/3/file/Communication+mission+flash+financement+de+la+psychiatrie+finale+modifi%C3%A9e.pdf.

([36])  Enquête IPSOS pour la fondation FondaMental et Klesia, 2014 : https://www.fondation-fondamental.org/sites/default/files/rapport_ipsos_fondamental_1.pdf.

([37]) Rapport fait par le député François Ruffin au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi sur le burnout visant à faire reconnaître comme maladies professionnelles les pathologies psychiques résultant de l’épuisement professionnel, janvier 2018.

([38]) Jean-Luc Roelandt et Laurent El Ghozi, « Santé mentale et citoyenneté : une histoire française », L’information psychiatrique, août-septembre 2015, page 541.

([39]) Marc Dupond et Audrey Volpe, « Que reste-t-il de la sectorisation psychiatrique ? », RDDS, Septembre-Octobre 2017, page 891.

([40]) Étant entendu que ce dispositif doit aussi respecter un certain nombre de principes, au rang desquels la liberté de choix des patients

([41]) Sans que l’adéquation au département soit impérative. L’important étant de réussir la distribution des soins psychiatriques par rapport aux besoins de la population, le critère géographique n’est pas strict et l’adaptation aux réalités de terrain prévaut. Un arrêté du 14 mars 1972 de Robert Boulin, ministre de la santé, le précisera en 1972 aux termes duquel « en raison des circonstances locales, certaines zones frontières d’un département pourront être rattachées à des départements voisins. » « Modalités du règlement départemental de lutte contre les maladies mentales, l’alcoolisme et les toxicomanies », JORF du 21 avril 1972.

([42]) Ainsi, en 1974, une circulaire du 9 mai, relative à la mise en place de la sectorisation psychiatrique, non parue au JORF, définissant la composition type d’un secteur de psychiatrie générale.

([43]) La carte sanitaire « déterminant des régions et des secteurs d’action sanitaire » avait été instaurée par l’article 5 de la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière. Il faudra toutefois attendre le décret N° 86-602 du 14 mars 1986 pour que soient précisés trois types de secteurs psychiatriques : « secteurs de psychiatrie générale », c’est-à-dire pour adultes de plus de seize ans ; « secteurs de psychiatrie infanto-juvénile » pour enfants et adolescents, couvrant une aire géographique desservie par un ou plusieurs secteurs de psychiatrie générale ; « secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire ». Ces dispositions relèvent aujourd’hui de l’article R. 3221-1 du code de la santé publique.

([44]) Ici aussi, les choses tarderont cependant quelque peu, dans la mesure où c’est dans la circulaire de 1990 qu’en sera annoncée la mise en place : « Les premières cartes sanitaires de psychiatrie devraient être arrêtées dans le courant de l’année 1990. »

([45]) Circulaire du 14 mars 1990 relative aux orientations de la politique de santé mentale, JORF, 3 avril 1990, pages 4061-4062.

([46]) « Objectifs à atteindre en tout secteur psychiatrique dans les cinq années à venir », ibid., JORF, pages 4067 et 4068.

([47]) Cour des comptes, op. cit., page 130.

([48]) Instaurées par un décret du 6 mai 2005.

([49]) Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge

([50]) « La zone géographique dans laquelle l’établissement de santé exerce cette mission de service public est précisée dans le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens mentionné à l’article L. 6114-1 signé avec l’agence régionale de santé. Son projet d’établissement détaille les moyens mis en œuvre pour l’accomplissement de ladite mission et les modalités de coordination avec la sectorisation psychiatrique dans les conditions définies à l’article L. 3221-4. » Article 8, loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge

([51]) « La loi de modernisation de notre système de santé a l’ambition, dans son article 69, de mettre en œuvre cette rénovation du secteur, tout en restant dans la ligne des circulaires fondatrices du 15 mars 1960 et du 14 mars 1972, et de la loi du 31 décembre 1985 relative à la sectorisation psychiatrique (…). », Michel Laforcade, rapport relatif à la santé mentale, octobre 2016, page 84.

([52]) Audition du 21 mai 2019.

([53])  Instruction n° DGOS/R4/DGCS/3B/DGS/P4/2018/137 du 5 juin 2018 relative aux PTSM, annexe 1.

([54]) I de l’article L. 3221-1 du code de la santé publique.

([55]) Décret n° 2017-1200 du 27 juillet 2017.

([56]) Article R. 3224-1-1 du code de la santé publique.

([57]) Étant précisé dans cet article que le projet territorial « 1° Favorise la prise en charge sanitaire et laccompagnement social ou médico-social de la personne dans son milieu de vie ordinaire, en particulier par le développement de modalités dorganisation ambulatoires dans les champs sanitaire, social et médico-social ; 2° Permet la structuration et la coordination de loffre de prise en charge sanitaire et daccompagnement social et médico-social ; 3° Détermine le cadre de la coordination de second niveau et la décline dans lorganisation des parcours de proximité, qui sappuient notamment sur la mission de psychiatrie de secteur. »

([58]) Article L. 3221-4 du code de la santé publique

([59]) Audition du 21 mai 2019

([60]) https://www.gh-paulguiraud.fr  

([61]) Instruction n° DGOS/R4/DGCS/3B/DGS/P4/2018/137 du 5 juin 2018 relative aux PTSM.

([62]) Article R. 3224-2-I du code de la santé publique.

([63]) Article L. 3221-3-II du code de la santé publique.

([64]) Pour mémoire, ces objectifs étaient ainsi présentés : l’accessibilité aux soins ; la réponse à l’urgence ; les prestations ambulatoires et à temps partiel ; les soins à temps complet ; la réadaptation ; la coordination avec les autres dispositifs de soins et de prévention ; les interventions dans les structures sociales (ou éducatives et médico-sociales ; la participation à des programmes de santé particuliers). Circulaire du 21 mars 1990 ; JORF du 3 avril 1990, pages 4067-4068.

([65]) Audition du 2 juillet 2019.

([66]) Représentants des associations d’usagers, Fnapsy, Unafam et Schyzo-Espoir, audition du 21 mai 2019.

([67]) Fin juillet ? La DGOS a indiqué à vos rapporteures avoir lancé une enquête auprès des ARS pour connaître leur politique d’appui au développement des PTSM mais ne pas être encore en mesure de donner d’information

([68]) Table ronde du 21 mai 2019.

([69]) Direction de la recherche, des études, de lévaluation et des statistiques (DREES), « Les établissements de santé », édition 2018.

([70])  Claude Évin dans la circulaire de 1990 en faisait déjà le constat : « Le dispositif de soins psychiatriques a pu apparaître comme un réservoir de moyens utilisables à d’autres fins que celle d’une politique de santé mentale. ».

([71]) http://clsm-ccoms.org/quest-ce-quun-clsm/historique-et-cadre-legislatif-des-clsm/

([72]) Avec notamment la présence de dix psychiatres, ainsi que celle de plusieurs médecins et représentants des personnels. Inversement, les non-professionnels n’occupent que des strapontins : seuls deux représentants d’organisations de familles, en effet, et cinq élus locaux – deux maires et trois conseillers généraux – sont présents. Aux termes de l’article 6, le commissaire de la république du département préside le conseil.

([73]) Pauline Guézennec et Jean-Luc Roelandt, CCOMS, « Les conseils locaux de santé mentale en France : état des lieux en 2015 », L’information psychiatrique, 2015-7, pages 549-556.

([74]) Cour des comptes, op. cit., pages 135 et suiv.

([75]) Jean-Luc Roelandt et Laurent El Ghozi, « Santé mentale et citoyenneté : une histoire française », op.cit., page 546.

([76]) Avant l’adoption de cette loi, les CLSM n’étaient encadrés par aucune loi, et les acteurs avaient toute liberté dans leur organisation et leur activité, et ce flou juridique a sans doute joué sur leur démarrage difficile

([77]) Ni apporter d’autre précision quant à leur mode de création par exemple. Comme le soulignaient Pauline Guézennec et Jean-Luc Roelandt dans l’article précité, « ce sont les acteurs qui définissent le périmètre le plus pertinent pour leur dynamique. Au-delà de la collectivité locale, les territoires de la psychiatrie publique (secteur adulte/secteur infanto-juvénile), de l’action sociale du conseil général, du contrat local de santé, du CLIC (centre local d’information et de coordination) ont pu être pris en compte... La souplesse de la démarche de création d’un CLSM permet de ne pas figer un territoire qui peut d’ailleurs évoluer au cours des années. ».

([78]) Instruction n° DGS /SP4/CGET/2016/289 du 30 septembre 2016 relative à la consolidation et à la généralisation des Conseils locaux de santé mentale en particulier dans le cadre des contrats de ville.

([79]) Article R. 3224-9 du code de la santé publique.

([80]) « Organisation et fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, 60 ans après la circulaire du 15 mars 1960 », Alain Lopez et Gaëlle Turan-Pelletier, IGAS, n° 2017-064R, novembre 2017, annexe 11, page 131.

([81]) Selon les dispositions du décret n° 86-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales.

([82]) Michel Laforcade, op. cit., pages 47-48.

([83]) En cas de carence des professionnels, le directeur général de l’ARS prend les dispositions nécessaires (article L. 3221-2-I).

([84]) Décret n° 216-1445 du 26 octobre 2016.

([85]) Article D. 6136-2 du code de la santé publique.

([86]) Article R. 3224-3.

([87]) IGAS, op. cit., page 36.

([88]) PRS : Projet régional de santé ; PMP : Projet médical partagé ; GHT : Groupement gospitalier de territoire ; CPT : Communauté psychiatrique de territoire

([89]) Audition lors du déplacement de la Mission d’information à Lyon, le 13 juin 2019.

([90]) Ainsi les associations d’Auvergne-Rhône-Alpes, déplacement du 13 juin.

([91]) Compte tenu aussi du nombre important de CLSM dans certains départements, 7 par exemple dans le Haut-Rhin.

([92]) « Il est bien évident que, sur le plan général, malgré la mise en place des organismes de pré- et postcure et l’accélération du "rendement" des hôpitaux psychiatriques, le nombre de lits dont notre pays dispose pour l’hospitalisation des malades mentaux est très insuffisant. Dans bien des départements, le hiatus restera marqué entre la population hospitalisée à prévoir et le nombre de lits modernisés dont l’hôpital psychiatrique disposera. ».

([93]) Questions d’économie de la santé, Lévolution des dispositifs de soins psychiatriques en Allemagne, Angleterre, France et Italie : similitudes et divergences, octobre 2012.

([94])  En psychiatrie, on entend par « File active » le total des patients vus au moins une fois dans l’année soit en hospitalisation, soit en consultation, soit en visite à domicile.

([95]) Selon la professeure Marion Leboyer, auditionnée par la mission, ce seraient ainsi moins de 13 000 lits qui auraient été créés en dehors de l’hôpital entre 1990 et 2016.

([96]) Questions d’économie de la santé, Lévolution des dispositifs de soins psychiatriques en Allemagne, Angleterre, France et Italie : similitudes et divergences, octobre 2012.

([97]) Alors même qu’il y a trente ans, la circulaire de 1990 insistait déjà sur la nécessité de jours et d’heures d’ouverture les plus larges, pour permettre un contact hors des heures de travail ou des heures scolaires

([98]) Cour des comptes, rapport public thématique, op. cit., page 43.

([99]) Cour des comptes, rapport public thématique, op. cit., page 124.

([100]) Article R. 3221-2 du code de la santé publique.  

([101]) Marc Dupont et Audrey Volpe, « Que reste-t-il de la sectorisation psychiatrique ? », RDSS, septembre-octobre 2017

([102]) Questions d’économie de la santé, Une hétérogénéité des hospitalisations pour dépression liée aux parcours de soins en amont, juin 2017.

 

([103]) Aux termes de l’article 122-1 du code pénal, n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. 

([104]) Questions d’économie de la santé, Les soins sans consentement en psychiatrie : bilan après quatre années de mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011, Magali Coldefy (Irdes), Sarah Fernandes (ORU-Paca, Université Aix-Marseille), avec la collaboration de David Lapalus (ARS Paca).

([105]) Rapport d’information en conclusion des travaux de la mission d’évaluation de la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, 15 février 2017.  

([106]) Pour mémoire, l’article L. 3222-3 du code de la santé publique relatif aux unités pour malades difficiles prévoit que les personnes faisant l’objet d’une hospitalisation sans consentement et qui présentent pour autrui un danger tel que les soins, la surveillance et les mesures de sûreté nécessaires ne peuvent être mis en œuvre que dans une unité spécifique.

([107]) Recommandation 2158, Mettre fin à la contrainte en santé mentale: nécessité d'une approche fondée sur les droits humains : http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-DocDetails-FR.asp?FileID=28041&lang=1

([108])  Questions d’économie de la santé, Lhospitalisation au long cours en psychiatrie : analyse et déterminants de la variabilité territoriale, octobre 2014.

([109]) DREES, Organisation de l’offre de soins en psychiatrie et santé mentale, avril 2014.

([110]) DREES, Organisation de l’offre de soins en psychiatrie et santé mentale, avril 2014.

([111]) DREES, « La prise en charge de la dépression en médecine générale de ville », Études et résultats, septembre 2012.

([112]) ANSM, État des lieux de la consommation des État des lieux de la consommation des benzodiazépines en France, avril 2017.

([113]) Caisse nationale d’assurance maladie, Rapport « charges et produits », juillet 2018.  

([114]) IRDES, Questions d’économie de la santé, Personnes suivies pour des troubles psychiques : une espérance de vie fortement réduite et une mortalité prématurée quadruplée, septembre 2018.  

([115]) Caisse nationale d’assurance maladie, Rapport charges et produits, juillet 2018.  

([116]) Académie de Médecine, Soigner les maladies mentales : pour un plan de mobilisation nationale, juin 2019.

([117]) L. Samalin et al., « Adherence to guidelines by french psychiatrists in their real world of clinical pratice », The Journal of nervous and Mental Disease, avril 2011, cité par Marion Leboyer et Pierre-Michel Llorca dans Psychiatrie, L’État d’urgence, Fayard, 2018.

([118]) Rapport d’Alain Milon pour l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé, La psychiatrie en France, de la stigmatisation à la médecine de pointe, avril 2009.

([119]) Enquête réalisée par Doctissimo et la Fondation FondaMental, L’autisme en France, diagnostic et parcours de soins, 28 mars 2013.  

([120]) Marion Leboyer et Pierre-Michel Llorca, « Psychiatrie : l’état d’urgence » ; Fondation FondaMental-Institut Montaigne, Fayard, septembre 2018.

([121]) Cela dit pour ne pas parler de certaines pratiques absolument condamnables. Voir par exemple : « Didier, autiste et enchaîné », XXI, juillet-août-septembre 2018, pages 107-117.

([122]) Service de psychopathologie du développement de l’enfant et de l’adolescent des Hospices civils de Lyon, audition du 13 juin 2019, à Lyon.

([123]) Ce qui est surtout vrai, selon la rapporteure Martine Wonner, dans le contexte actuel de pénurie de soignants.

([124]) https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Qui-sommes-nous/Missions  

([125]) Tels les acteurs de santé mentale rencontrés lors du déplacement des membres de la Mission d’information sur le site du groupe hospitalier Paul Guiraud, à Villejuif, le 14 mai 2019, ou les représentants d’établissements (FEHAP, FHP et FHF).

([126]) Représentants des associations d’usagers, Fnapsy, Unafam et Schyzo-Espoir, audition du 21 mai 2019.

([127]) Magali Coldefy, audition du 21 mai 2019.

([128]) On entend par alliance thérapeutique la relation médecin-malade basée sur une confiance réciproque et une capacité d’écoute mutuelle, et leur accord sur les objectifs thérapeutiques et les moyens d’y parvenir.

([129])  « La liberté est thérapeutique ». Slogan écrit sur les murs de l’ancien hôpital psychiatrique de Trieste

([130]) « Votée le 12 février 1904, la loi Giolitti, qui restera en vigueur jusquen 1978 à quelques variations près, fut la première loi en Italie visant à encadrer et à réguler les conditions dinternement des malades mentaux. Mettant particulièrement laccent sur la dangerosité, tout internement fera lobjet dune mention dans le casier judiciaire. Par ailleurs, le médecin directeur aura "pleine autorité sur le service sanitaire et plein contrôle sur léconomique pour tout ce qui concerne le traitement des malades" », Patrick Faugeras, « Da vicino nessuno è normale », ERES, 2013, n° 31

([131]) http://www.salute.gov.it/imgs/C_17_normativa_888_allegato.pdf , article 1er

([132]) Cette notion, centrale dans la loi de 1904, a d’ailleurs disparu dans la loi 180. Les traitements sans consentement sont aujourd’hui réduits au maximum et autorisés par le maire, autorité démocratique élue, après demande des deux psychiatres. Police, justice et administration restent désormais hors du système.

([133]) « À la psychiatrie de secteur, il [Franco Basaglia] reprocha – tout en appréciant son organisation en réseau – de maintenir au cœur de cette organisation, "sans que soient modifiées sa logique et sa réalité", l’hôpital psychiatrique, lequel, prophétisa-t-il, tôt ou tard reprendrait sa place centrale, charriant avec lui l’idéologie médicale qui le soutient et le justifie. » Patrick Faugeras, op. cit.

([134]) En Italie, les infirmiers jouissent d’une grande autonomie et sont par exemple habilités à intervenir seuls, souvent à domicile, où ils dispensent une médication de base.

([135]) À titre de comparaison, l’établissement de Rouffach (Haut-Rhin) dispose d’un budget de 48 M€ pour 370 patients. 

([136]) Le système d’ateliers protégés, type ESAT, est en revanche considéré comme porteur de discriminations.

([137]) Le reste de la dépense se décompose comme ceci : 10 M€ de masse salariale ; 2,3 M€ de charges générales ; 0,7 M€ d’autres prestations

([138]) L’organisation des soins psychiatriques : les effets du plan « psychiatrie et santé mentale » (2005-2010), décembre 2011.

([139])  En 2017, ces fonds provenaient de mécènes, parmi lesquels des entreprises majeures du CAC40 (Dassault, la financière de la famille Pinault, Bouygues, la fondation Bettencourt) des groupes de cliniques psychiatriques privées, tels Clinea – filiale du groupe Orpea, leader des maisons de retraites privées – et OC Santé, ainsi que des laboratoires pharmaceutiques (Servier, Roche, Sanofi, Lilly – producteur, entres autres, du Prozac – , et d’autres comme Lundbeck, Otsuka Pharmaceutical – fabriquant le neuroleptique connecté Abilify MyCite – AstraZeneca, Janssen, et Takeda.

([140]) Deux expérimentations relatives au remboursement des psychothérapies réalisées par des psychologues sont actuellement en cours : une expérimentation menée par l’assurance maladie dans les Bouches-du-Rhône, en Haute-Garonne, dans les Landes et dans le Morbihan, qui concerne les adultes souffrant de troubles légers à modérés et l’expérimentation « Écout’Émoi », issue de la LFSS pour 2017, en Ile-de-France, dans le Grand Est et les Pays de la Loire, qui concerne les jeunes de 11 à 21 ans en situation de souffrance psychique.