N° 2625

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 janvier 2020.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 17 octobre 2018

sur la France et le Moyen-Orient

par

M. Claude GOASGUEN et M. Bruno JONCOUR

Députés

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SOMMAIRE

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Pages

introduction

I. La rivalitÉ Iranosaoudienne, facteur structurant de la gÉopolitique au Moyen-Orient

A. Deux États au faÎte de leur puissance rÉgionale en dÉpit dimportantes difficultÉs intÉrieures et extÉrieures

1. LArabie saoudite : un royaume qui se transforme entre véritables avancées et fauxsemblants

a. Une société saoudienne en pleine mutation

i. Vision 2030 : un ambitieux programme de refonte du système économique et social saoudien

ii. Un recul de lemprise de lislam rigoriste sur la société saoudienne

b. Un pays à la tradition rigoriste et autoritaire

i. La persistance de restrictions apportées aux droits humains

ii. Les répercussions négatives de laffaire Khashoggi sur limage du Royaume

()Déclaration du Président Donald Trump, 20 novembre 2018.

c. Un renforcement progressif des relations francosaoudiennes

2. LIran : une république islamique isolée ayant su renforcer ses positions en se projetant vers lextérieur

a. Une société iranienne en grande difficulté économique et sociale

i. Les espoirs déçus de laccord de Vienne

ii. La mobilisation des Européens et notamment de la France en faveur de la préservation de laccord de Vienne

b. Un régime politique résilient sachant parfaitement jouer sur le fort sentiment nationaliste de la population iranienne

i. Un régime qui en dépit des nombreuses crises internes et externes a su perdurer depuis quarante ans

ii. Une « théocratie constitutionnelle » autoritaire

iii. Un pays se vivant comme une nation assiégée

c. Des relations francoiraniennes en proie à un dilemme

B. Une opposition entre Riyad et TÉhÉran qui irrigue lensemble des tensions rÉgionales

1. Une nouvelle guerre froide au Moyen-Orient

a. Lantagonisme iranosaoudien, lopposition de deux systèmes politiques et culturels

b. Linstrumentalisation des minorités confessionnelles

c. Les affrontements indirects des deux blocs saoudosunnite et iranochiite

i. La Syrie

ii. LIrak

iii. Le Yémen

iv. Le Liban

v. Le cas particulier du conflit israélo-palestinien

2. Une polarisation confessionnelle exacerbée

a. Les origines de la fitna « grande discorde » – entre chiites et sunnites et ses conséquences

b. La contribution des récits de cette opposition à la construction et à lexacerbation des tensions confessionnelles

i. Facteur historique

ii. Facteur institutionnel

iii. Facteur économique

II. Les stratÉgies de la France dans un MoyenOrient instable

A. Les intÉrÊts stratÉgiques de la France au Moyen-Orient

1. Une instabilité et une violence qui menacent directement notre sécurité nationale

a. Les intérêts de la France dans la région

i. La sécurisation de la navigation

ii. La lutte contre le terrorisme international

b. Limportance du dispositif militaire

i. Laccord de défense avec les Émirats arabes unis

ii. Laccord de défense avec le Qatar

iii. Laccord de défense avec le Koweït

2. Des enjeux économiques dimportance pour la France

a. Des faiblesses qui ninterdisent pas un potentiel de croissance élevé

i. Des faiblesses structurelles

ii. De nombreux atouts économiques et un potentiel de croissance élevé

b. Des relations économiques privilégiées avec les pays de la région quil nous faut renforcer et dynamiser

i. Des relations commerciales dynamiques avec la plupart des pays de la région

ii. Des actions de lAgence française de développement qui permettent de faire valoir les compétences et lexpertise de « léquipe France »

iii. Un marché iranien prometteur qui nous a échappé suite au retrait des Américains du JCPoA

B. Le pouvoir de sÉduction et dattraction de la France au Moyen-Orient

1. Une coopération culturelle dynamique avec les pays du Golfe : renforcement de notre influence ou création dune dépendance économique

a. Le développement de partenariats culturels denvergure dans la région

i. Le Louvre dAbou Dabi

ii. Le projet alUla en Arabie saoudite

b. Le caractère primordial de la préservation de notre indépendance et du prestige de nos institutions culturelles

2. Des coopérations en matière déducation de plus en plus nombreuses

a. Le développement dantennes de lenseignement supérieur français au MoyenOrient

i. La Sorbonne Abou Dabi

ii. Lantenne de lÉcole des hautes études commerciales de Paris (HEC) à Doha au Qatar

b. Lenseignement de la langue française qui doit en retour saccompagner dune diffusion de la langue arabe en France

i. La promotion de la francophonie au MoyenOrient

ii. La nécessaire promotion de la langue arabe en France

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexes

annexe  1 : Liste des personnes auditionnÉes

Annexe  2 : contributions Écrites


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RECOMMANDATIONS DES RAPPORTEURS

1) Maintenir un dialogue exigeant et constructif avec l’ensemble des acteurs au Moyen‑Orient et veiller à accompagner les transformations des sociétés iranienne et saoudienne ;

2) Œuvrer comme puissance médiatrice dans le Golfe afin de favoriser l’apaisement et le dialogue entre l’Arabie saoudite et l’Iran, l’avenir de la paix dans la région dépendant en grande partie d’une coexistence pacifique entre ces deux puissances régionales ;

3) La France, dans le cadre du conflit israélo‑palestinien, doit résolument et publiquement œuvrer en faveur d’une réconciliation entre les deux peuples. Forte de ses liens historiques avec la région, la France doit apparaître comme une nation médiatrice entre Israël et les pays arabes. Une telle action pourrait utilement être menée, en coordination, avec nos partenaires européens les plus engagés sur ce dossier. Pour que cette réconciliation puisse s’opérer, le principe préalable d’une reconnaissance mutuelle et d’une acceptation des négociations sur l’ensemble des grandes questions paraît indispensable ;

4) Recourir avec prudence et discernement à la grille d’analyse faisant de l’affiliation confessionnelle – chiite‑sunnite – un déterminant central des dynamiques géopolitiques à l’œuvre dans la région ;

5) Favoriser et accélérer la mise en place du mécanisme Instex destiné à faciliter les transactions commerciales légitimes entre les acteurs économiques européens et l’Iran. Un tel outil pourrait, par ailleurs, constituer le laboratoire d’une réponse européenne à l’application extraterritoriale des lois américaines ;

6) Intensifier, en renforçant notamment nos capacités de projection militaire dans la région, la lutte contre le terrorisme au Moyen‑Orient afin d’œuvrer pour que les différents foyers terroristes ne soient pas en mesure de fusionner et de menacer plus encore notre sécurité nationale ;

7) En matière économique, « l’équipe France », qui apparaît comme un challenger dans un univers anglo‑saxon, doit, pour renforcer sa position dans les pays du Golfe se mobiliser plus fortement ; faire preuve de réactivité et d’une meilleure capacité d’adaptation aux attentes locales ;

8) Veiller à ce que notre présence culturelle exceptionnelle dans les pays du Golfe s’accompagne, sur l’ensemble des dossiers stratégiques, d’un renforcement de la position de la France et de ses valeurs sur la scène régionale ;

9) Soutenir et promouvoir la diffusion et l’enseignement de la langue française au Moyen‑Orient en ciblant prioritairement la jeunesse et en s’appuyant sur l’ensemble des acteurs (réseau diplomatique, instituts culturels, réseau associatif, enseignement confessionnel…) ;

10) Renforcer l’enseignement de la langue arabe dans les établissements secondaires publics – valorisant ainsi les 3 à 4 millions d’arabophones vivant en France – afin de faciliter le dialogue, les échanges et l’intercompréhension avec les pays du Moyen‑Orient.


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   introduction

Les contours géographiques du Moyen‑Orient ont évolué au cours de l’histoire. En fonction du point de vue adopté, la région sera plus ou moins étendue du Levant (Machrek) au Golfe (al-Khalij). Cette conception plus ou moins vaste de la région est régulièrement attribuée à des divergences culturelles de conception entre la diplomatie française et la diplomatie américaine. Les rapporteurs ont choisi d’adopter, dans le cadre de leurs travaux, l’approche la plus large possible, allant des rives de la Méditerranée orientale au plateau iranien, en passant par la Mésopotamie.

Une telle démarche leur a permis d’analyser les dynamiques complexes se déployant dans l’ensemble de cette région où les frontières nationales sont souvent perçues par les populations concernées comme de simples limites administratives ([1]) . Les transformations politiques, économiques, sociales et culturelles à l’œuvre dans les différents États de la région, bien qu’obéissant à des logiques locales, partagent de nombreux ressorts communs. En outre, la rivalité irano‑saoudienne est devenue un prisme de lecture incontournable des nombreux foyers de tensions ou conflits ouverts en cours au Moyen‑Orient, que ce soit en Irak, au Liban, en Syrie ou au Yémen. Tensions qui ont également des répercussions sur le conflit israélo‑palestinien ainsi que sur les jeux d’alliances dans cette partie du monde. Cette nouvelle donne géopolitique est source de frictions à l’échelle régionale mais également mondiale, comme a pu le montrer la récente escalade entre les États-Unis et l’Iran suite à l’élimination du général iranien Ghassem Soleimani, commandant des forces spéciales du Corps des Gardiens de la révolution islamique (Pasdaran), le 3 janvier 2020, à Bagdad, sur ordre de la Maison‑Blanche. Cet événement fait suite à un enchaînement d’accrochages entre les États-Unis et leurs alliés d’une part et l’Iran et ses soutiens d’autre part : attaque contre des tankers dans le détroit d’Ormuz, bombardements d’installations pétrolières de la Saudi Aramco sur le sol saoudien, attaques américaines contre les brigades du Hezbollah irakien, violences contre l’ambassade américaine en Irak perpétrées par les milices paramilitaires Hachd al-Chaabi ([2]). Ce vif regain de tensions, qui a fait craindre au début de l’année 2020, un embrasement général de la région, fait naître des interrogations sur le positionnement adopté par la France dans un Moyen‑Orient en profonde mutation.

La France dispose de relations privilégiées au Levant qu’il s’agisse d’Israël, du Liban ou des Territoires palestiniens. Elle entretient par ailleurs, depuis plusieurs décennies, d’intenses relations diplomatiques, militaires et culturelles avec les monarchies du Golfe. D’autre part, et en dépit de dissensions récentes avec l’Iran, la France continue de soutenir vigoureusement l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, estimant disposer d’un instrument juridique international solide et efficace contre le risque de prolifération. La France, avec ses partenaires européens, considère que la politique de « pression maximale » à l’encontre de l’Iran adoptée par les États-Unis suite à son désengagement de l’accord nucléaire constitue une erreur et pourrait se révéler contre‑productive pour la stabilité de la région en particulier et pour celle du monde en général. La France souhaite, par ailleurs, apparaître comme une nation médiatrice au Moyen-Orient, capable de nouer en toute indépendance un dialogue constructif mais exigeant avec l’ensemble des acteurs en présence.

Les rapporteurs estiment que la France dispose au Moyen‑Orient, grâce à son histoire et à ses valeurs, d’une influence particulière. Elle bénéficie d’une légitimité historique unique que ne peuvent éventuellement lui disputer que les États-Unis et le Royaume‑Uni. Il est essentiel, aux yeux des rapporteurs, de souligner l’ancienneté et la spécificité de notre relation avec le Moyen‑Orient. Ces liens remontent aux rapprochements diplomatiques, militaires et économiques avec l’Empire ottoman et plus particulièrement aux accords de capitulations signés entre le roi de France, François I er, et le sultan ottoman, Soliman le Magnifique, au sujet de la protection des communautés non musulmanes de l’Empire. Cette passion française pour l’Orient a été renouvelée à l’occasion de la campagne d’Égypte menée par le général Bonaparte, à la suite de laquelle la France s’est distinguée par un fort investissement dans les affaires du Moyen-Orient, région à laquelle elle est depuis restée étroitement liée.

La politique de la France au Moyen-Orient est essentielle pour la préservation de nos intérêts stratégiques, concernant notamment la stabilité de la zone, l’approvisionnement en matières premières ou le développement des échanges commerciaux. Elle est aussi primordiale pour la sauvegarde de notre sécurité nationale, qu’il s’agisse de la lutte contre le terrorisme ou le risque de prolifération. Les rapporteurs soulignent, par ailleurs l’impact que notre relation au Moyen‑Orient peut produire sur la société française elle-même. Du fait des migrations, de nombreux musulmans principalement en provenance du Maghreb, se sont installés en France. Selon les estimations de l’Observatoire de la laïcité ([3]), en 2019, 4,1 millions de Français environ (soit 6 % de la population totale) seraient de confession musulmane et auraient donc potentiellement en partage une histoire, une culture et une langue avec les sociétés du Moyen‑Orient et de la rive sud de la Méditerranée. Les rapporteurs appellent, sur ce sujet, à dépasser toute frilosité et à faire de cette réalité une opportunité pour notre pays. Un enseignement plus soutenu de la langue arabe dans les établissements secondaires publics pourrait constituer une chance pour la France en permettant de faciliter le dialogue, les échanges et l’intercompréhension avec les pays du Maghreb (le Couchant) et du Moyen‑Orient. Un tel geste d’ouverture à l’égard de la langue arabe serait assurément apprécié au‑delà de nos frontières et pourrait par un effet de miroir renforcer au Moyen‑Orient, l’influence, la diffusion et l’enseignement de la langue française, qui n’a eu de cesse, ces dernières décennies, de reculer dans les sociétés concernées. La défense du français au Moyen‑Orient, comme vecteur de notre influence et des valeurs humanistes qui sont les nôtres, apparaît aux yeux des rapporteurs comme une priorité. Dans ce domaine, ils estiment qu’il n’y a aucune place pour le fatalisme. Certes, l’anglais domine de plus en plus au Moyen‑Orient, comme partout ailleurs mais le français jouit encore d’une aura particulière dans la région. La France doit se mobiliser en s’appuyant sur l’ensemble des acteurs (réseau diplomatique, instituts culturels, réseau associatif, enseignement confessionnel…) pour promouvoir le rayonnement de la langue française. En la matière, des perspectives positives existent et pour les faire advenir, la France doit, en priorité, s’adresser à la jeunesse et favoriser les échanges entre la société française et celles du Maghreb, du Machrek et de l’al‑Khalij.

Le travail des rapporteurs s’est, dans un premier temps, concentré sur l’Arabie saoudite et sur l’Iran, qui apparaissent désormais comme les deux puissances rivales de la région. Les rapporteurs ont eu l’opportunité dans leurs travaux de se rendre à Riyad et Djeddah en Arabie saoudite, en décembre 2018. Ils ont pu également se rendre en Iran, à Téhéran et à Kachan, en juin 2019, avec une délégation de la commission des affaires étrangères. Ces deux États, situés de part et d’autre du Golfe, ont su profiter pour s’imposer au Moyen‑Orient de l’effacement de l’Égypte et de l’Irak, anciennes puissances régionales désormais empêchées par d’importantes difficultés politiques, socio‑économiques et sécuritaires. Cette nouvelle donne régionale, irriguée par une rivalité aux racines anciennes comporte d’importants risques de déstabilisation pour la région et pour le monde et impose une réflexion sur la stratégie de la France dans un contexte géopolitique renouvelé.

Dans un second temps, les rapporteurs se sont appliqués à analyser plus globalement les intérêts de la France dans l’ensemble de la région tant du point de vue stratégique qu’économique et culturel. Ils se sont efforcés de cerner les atouts et faiblesses de la France au Moyen‑Orient et ont tenu à formuler plusieurs pistes de réflexion en vue de renforcer notre pouvoir de séduction et d’attraction en direction des pays du Levant et du Golfe.

I.   La rivalitÉ Irano‑saoudienne, facteur structurant de la gÉopolitique au Moyen-Orient

A.   Deux États au faÎte de leur puissance rÉgionale en dÉpit d’importantes difficultÉs intÉrieures et extÉrieures

1.   L’Arabie saoudite : un royaume qui se transforme entre véritables avancées et faux‑semblants

L’Arabie saoudite qui a su, grâce à ses importantes ressources pétrolières, asseoir son influence économique, politique et religieuse demeure finalement un pays méconnu du monde occidental auquel restent attachés un certain nombre de préjugés. Or cet État – le seul au monde à porter le nom d’une famille, les alSaoud – semble vivre depuis la désignation, le 21 juin 2017, de Mohammed Ben Salmane Ben Abdelaziz al‑Saoud en tant que prince héritier une véritable « révolution culturelle ».

Le jeune prince héritier ([4]) qui cumule les fonctions de vice‑Premier ministre et de ministre de la défense affiche depuis sa prise de pouvoir, finalement très récente, son intention de diversifier l’économie du Royaume afin de lui permettre de dépasser sa très grande dépendance économique vis-à-vis du pétrole. Il semble également miser sur la transformation de la société saoudienne pour assurer son avenir politique en plaçant la jeunesse, qui représente 57 % de la population, au cœur de ses réformes. Il a ainsi initié plusieurs changements en matière d’égalité femme‑homme, a fait preuve d’une volonté d’ouverture s’agissant de l’accès à la culture et aux loisirs et affiché sa détermination à renouer avec un « islam modéré, tolérant et ouvert sur le monde et toutes les autres religions » ([5]). Approche qui s’est notamment accompagnée, depuis quelques années, d’une certaine mise au pas de la police religieuse (muttawa).

Ces évolutions positives sont de plus en plus perceptibles. Cependant de colossaux progrès restent à réaliser. Les rapporteurs tiennent notamment à exprimer leurs vives préoccupations sur certains sujets à l’image de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi ou de la détention arbitraire de militantes féministes. Les rapporteurs estiment que ces dramatiques événements ont malheureusement porté atteinte à la crédibilité du Royaume et à sa capacité de transformation.

a.   Une société saoudienne en pleine mutation

i.   Vision 2030 : un ambitieux programme de refonte du système économique et social saoudien

En 2016, Mohammed Ben Salmane, a présenté un ambitieux plan visant à transformer les fondements de l’économie saoudienne avec comme principal objectif la diversification et la réduction de sa très forte dépendance au pétrole. Les revenus pétroliers financent actuellement 90 % des revenus de l’État et lui permettent ainsi de redistribuer une part importante de cette rente par le biais d’un État‑providence extrêmement généreux. Le modèle saoudien se distingue nettement du modèle d’État‑providence tel qu’il s’est développé en Europe au lendemain de la Deuxième guerre mondiale mais correspond plus à une forme d’État allocataire ([6]) s’engageant auprès de ses citoyens à offrir des emplois et à accorder gratuitement l’accès à de nombreux services sociaux comme le précise, d’ailleurs, la Loi fondamentale du Royaume.

La forte présence de l’État dans l’économie saoudienne se traduit par une marginalisation du secteur privé et par l’existence d’une fonction publique pléthorique : 70 % des Saoudiens actifs sont ainsi employés par le gouvernement alors que la moyenne internationale est de l’ordre de 20 % et les dépenses pour les salaires publics représentent en moyenne 45 % du budget de l’État saoudien.

Le plan Vision 2030, porté par le prince héritier et élaboré en partenariat par le cabinet de conseils américain McKinsey & Company, repose sur trois piliers :

– l’émergence d’une société saoudienne dynamique fondée sur une approche modérée de l’islam promouvant un mode de vie durable, l’accès à des services publics de qualité ainsi qu’à la culture et aux loisirs ;

– la mise en œuvre d’une économie diversifiée, solide et performante prenant appui sur le secteur privé et impliquant une meilleure utilisation de la main d’œuvre saoudienne ainsi qu’une exploitation plus efficiente des ressources naturelles et de la richesse patrimoniale du pays ;

– la consolidation de l’identité nationale du Royaume en se fondant notamment sur la jeunesse, les 0‑29 ans représentant 58,5 % de la population saoudienne ([7]).

Le plan Vision 2030 vise ainsi à faire passer l’Arabie saoudite d’une économie de rente et de redistribution à une économie productive, reposant essentiellement sur le secteur privé et caractérisée par une forte capacité à innover. Cette politique de modernisation implique également la suppression progressive des subventions et l’instauration de taxes, jusque‑là inexistantes dans le Royaume.

La trop forte dépendance de l’économie saoudienne au cours du pétrole a incité les autorités à proposer une diversification et une refondation de la structure économique du pays en cherchant à rendre majoritaire la contribution du secteur privé au produit intérieur brut (PIB). En décembre 2019, la compagnie Saudi Aramco, qui est l’entreprise la plus bénéficiaire au monde ([8]), a fait son entrée en bourse en mettant en vente 1,5 % de son capital, ce qui constitue une importante rupture. Cette introduction en bourse doit permettre d’initier le vaste mouvement des réformes en faveur de la diversification de l’économie saoudienne souhaitée par le prince héritier.

Par ailleurs, une des autres priorités du plan Vision 2030 vise à faire du secteur privé le premier pourvoyeur d’emploi pour les jeunes arrivants sur le marché du travail, qui sont de l’ordre de 300 000 par an environ. Actuellement, le secteur privé, qui propose des salaires moins attractifs, emploie essentiellement des étrangers, de l’ordre de 84 %. L’ambition du plan vise à renverser cette tendance en procédant à une « saoudisation » des emplois : à terme le taux d’emplois des nationaux dans le secteur privé devrait atteindre les 62 %. Dans le même temps, les autorités ambitionnent une réduction drastique de l’emploi public qui devrait passer, en un peu moins de quinze ans, à 38 % alors qu’il s’élève actuellement à 70 %. Ces objectifs extrêmement ambitieux semblent peu réalistes pour les rapporteurs mais ils témoignent d’une véritable volonté de changement au sommet de l’État.

Ces réformes d’ampleur, qui doivent permettre à l’Arabie saoudite de se projeter dans l’après‑pétrole, ne sont pas exemptes de risques politiques, la population saoudienne étant habituée depuis de nombreuses années à un haut niveau de redistribution des richesses. De plus, pour calmer des tensions ou accompagner l’introduction d’un nouveau pouvoir, les autorités saoudiennes ont régulièrement eu recours à des dispositifs particuliers qu’il était aisé de créer mais qui seront difficiles à supprimer. Ainsi, en 2011, pour faire face aux revendications sociales dans le contexte international des « printemps arabes », le gouvernement saoudien a décidé la création de nouvelles mesures de redistribution à destination des couches les moins favorisées de la population (salaire minimum, allocation‑chômage, constructions de logements destinés aux jeunes foyers). De la même manière, en 2015, au moment de son accession au trône, le roi Salmane a accordé une prime à l’ensemble des fonctionnaires du Royaume. L’État‑providence constituant l’une des pierres angulaires de la légitimité du régime saoudien, une telle remise en cause pourrait rencontrer de très fortes résistances. À titre d’illustration, les précédentes tentatives de « saoudisation » des emplois ont échoué. Le programme, initié en 2005, qui se fondait sur une stricte politique de quotas, s’est ainsi révélé très difficile à mettre en œuvre et a dû être sérieusement revu à la baisse par le gouvernement. L’obligation de recrutement de jeunes Saoudiens dans le secteur privé étant passé de 35 % des effectifs, au moment du lancement de la réforme, à 5 % dès le début de l’année 2007. Ainsi, sur la période 2003‑2013, les politiques de « saoudisation » des emplois ont affiché des résultats décevants : 1,7 million d’emplois créés pour des nationaux – dont 1,1 dans le secteur public – contre 2,7 pour les expatriés dans le secteur privé([9]).

Conscientes du scepticisme de certains investisseurs internationaux, les autorités saoudiennes ont annoncé, le 28 janvier 2019, un ambitieux programme visant à injecter 427 milliards de dollars d’investissements dans les secteurs de l’industrie, des infrastructures et des services, afin de réduire la dépendance au pétrole et accélérer le cycle des réformes.

Les rapporteurs estiment que l’Arabie saoudite est restée bien trop longtemps statique. Elle a enclenché le train des réformes et de la diversification de son économie avec un certain retard par rapport à certains de ses voisins comme les Émirats arabes unis ou le Qatar. Forte de ses richesses en pétrole, de l’importance de son territoire et de sa démographie ainsi que de son prestige religieux lié à la présence sur son territoire des lieux les plus saints de l’islam, l’Arabie saoudite semble s’être appesantie dans un certain immobilisme. En sens inverse, ses voisins, bien plus petits en taille et en population et à la position géographique plus précaire ont lancé parfois avec vingt ans d’avance, les réformes que l’Arabie saoudite s’apprête seulement à engager. Ainsi, le Qatar a fait, dès les années 1990, certains choix stratégiques, lui ayant permis de diversifier fortement son économie et expliquant, en partie, sa capacité de résilience face au blocus décrété à son encontre par l’Arabie saoudite et ses alliés. La chaîne d’information saoudienne al-Arabiya, dont les rapporteurs ont pu visiter les locaux à Riyad, constitue, à leurs yeux, une illustration flagrante du retard pris par le Royaume vis‑à‑vis de son voisin qatarien et de sa chaîne d’information al-Jazeera dont la puissance d’influence et les moyens sont sans commune mesure avec sa très modeste homologue saoudienne.

ii.   Un recul de l’emprise de l’islam rigoriste sur la société saoudienne

L’État moderne saoudien a pu voir le jour grâce à l’alliance nouée, en 1744, entre la famille des al‑Saoud et du prédicateur salafiste Mohammed Ben Abdelwahhab. Ce pacte liant militantisme politique et religieux a permis à l’émir Mohammed ibn Saoud – fondateur du premier État saoudien – d’étendre son territoire, initialement limité à l’oasis de Dariya à proximité l’actuelle Riyad, et de conférer une légitimité à son pouvoir. Il a permis, dans le même temps, au cheikh Abdelwahhab et à ses descendants – la famille al‑ach‑Cheikh signifiant la maison du Cheikh – de diffuser largement leur doctrine religieuse s’inspirant des principes théologiques et juridiques de l’école hanbalite ([10]). L’approche wahhabite ([11]) de l’islam vise à purifier le dogme et  à retrouver la pratique de l’islam de Mahomet et des pieux ancêtres (« alsalaf alsalih ») et pourrait être qualifiée d’« originalisme islamique ». Le wahhabisme apparaît comme une « philosophie qui croit en la progression par la régression, où la vie parfaite nest réalisée quen faisant renaître lislam des trois premières générations […] une philosophie rédemptrice fondée sur une version idéalisée de lislam qui garantit à la fois lauthenticité et la pureté » ([12]). Au‑delà de la sphère religieuse, les principales fonctions dans l’enseignement et la magistrature restent dominées en Arabie saoudite par l’élite wahhabite.

Ainsi, ces deux familles se soutiennent mutuellement et se partagent le pouvoir – politique pour la famille royale et religieux pour la famille al‑ach‑Cheikh – depuis un peu moins de trois cents ans. Cependant, des intérêts contraires ont suscité, ces dernières années, des dissensions entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux. De plus, ces divergences ont eu tendance à se renforcer depuis l’accession aux responsabilités du prince héritier Mohammed Ben Salmane qui souhaite moderniser l’État et la société saoudienne et vient donc, de ce fait, contrarier l’emprise des religieux wahhabites sur la société.

Le prince héritier semble attacher à donner une nouvelle image du fait religieux en Arabie saoudite en prônant le retour à « un islam du juste milieu, modéré, ouvert sur le monde, à lensemble des religions et à lensemble des traditions et des peuples » ([13]). Pour répondre à cette volonté, a notamment été placé à la tête de la Ligue islamique mondiale (LIM), en 2016, Mohammed al‑Issa, ancien ministre de la justice du Royaume, qui fait figure de réformiste. La LIM, qui se présente comme une organisation non gouvernementale et dont le personnel provient de l’ensemble des pays musulmans, se trouve dans les faits sous le contrôle des autorités saoudiennes. Fondée en 1962 à La Mecque par des proches du roi Fayçal, elle avait initialement pour objectif de lutter contre la montée des nationalismes arabes laïques. Cette structure panislamique, engagée dans une stratégie d’encadrement associatif à l’échelle mondiale, est actuellement présente dans près de cent vingt pays et contrôle une cinquantaine de lieux de culte. Elle fonctionne comme le bras religieux de la diplomatie saoudienne et a longtemps été accusée par ses détracteurs de « wahhabiser » les communautés musulmanes d’Afrique et d’Asie via ses bureaux et centres culturels. Le nouveau Secrétaire général de l’institution, que les rapporteurs ont eu l’opportunité de rencontrer, incarne en effet ce visage ouvert et tolérant que le prince héritier appelle de ses vœux. Ils ont pu noter, au cours de leur entretien à Riyad avec Mohammed al-Issa, son souci de dénoncer l’extrémisme, le rigorisme et le conservatisme à travers un appel à tous les musulmans à vivre en société en se conformant aux lois des pays dans lesquels ils vivent. Les rapporteurs saluent cette nouvelle approche qui succède à des décennies de diffusion d’une doctrine de l’islam particulièrement rigoriste et intolérante. Cependant certains spécialistes appellent à la vigilance, notamment Stéphane Lacroix, politologue, qui souligne le manque de crédibilité de ces figures au sein de la société saoudienne. Il précise que « le discours quelles produisent est destiné à plaire aux oreilles occidentales : ils dénoncent le terrorisme, appellent à la tolérance religieuse, et défendent les réformes sociales de Mohammed Ben Salmane » ([14]). Il ajoute, toutefois, que « si la réforme nest quune campagne imposée den haut et non le résultat dun véritable dialogue social, il nest pas difficile de linvalider ». Or, en effet, pour le moment, rien dans les faits ne démontre un renoncement au contenu doctrinal classique du wahhabisme.

Les enquêtes menées auprès de la jeunesse saoudienne entre 2012 et 2017 attestent en l’occurrence de l’existence d’un désir de changement et d’ouverture de la société ([15]). Selon une étude menée auprès de la jeunesse arabe, début 2016, l’échantillon des 18‑24 ans ressortissants des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) estimait à 66 % que la religion jouait un rôle trop important au Moyen‑Orient. L’échantillon saoudien souhaitait, par ailleurs, à hauteur de 90 % une amélioration du statut des femmes ([16]).

Mohammed Ben Salmane déclarait ainsi dans une entrevue accordée au journal The Economist à l’occasion de la présentation du plan Vision 2030 : « Comme tous les jeunes Saoudiens, qui représentent 70 % de la population, je souhaite une Arabie saoudite qui ne dépende pas du pétrole, une Arabie saoudite avec une économie en croissance, une Arabie saoudite avec des lois transparentes, une Arabie saoudite disposant dune position forte dans le monde, une Arabie saoudite à même de permettre la réalisation des rêves ou des ambitions de tous les Saoudiens grâce à des incitations adéquates, à un bon environnement, à une Arabie saoudite durable, une Arabie saoudite qui garantit la participation de chacun dans la prise des décisions, une Arabie saoudite qui compte à linternational et participe à la marche du monde et simplique pour faire face aux obstacles ou aux défis qui se présentent. »

Ce désir de changement semble renforcé par l’utilisation massive que font les jeunes Saoudiens des possibilités offertes par internet, qui ont tendance à estomper la ségrégation par genre imposée par la doctrine wahhabite en ouvrant des canaux de communication directe entre les hommes et les femmes. L’Arabie saoudite dispose de l’un des taux de pénétration d’internet les plus élevés au monde, avec 25 millions de comptes de réseaux sociaux actifs représentant 75 % de la population. Avec près de 90 millions de vidéos visionnées par jour sur YouTube, le Royaume se classe à la première place des pays utilisateurs de cette plateforme par tête d’habitant dans le monde ([17]). YouTube comptabilise, en Arabie saoudite, 24 millions de visiteurs (71 % de la population), Facebook compte 22 millions d’utilisateurs (66 % de la population), Instagram est utilisé par 18 millions de personnes (54 % de la population) et Twitter par 17 millions (52 % de la population). Le suivi des publications sur les réseaux sociaux fait l’objet d’un contrôle strict des autorités lorsqu’il s’agit d’activités militantes politiques et civiques. En revanche, elles font preuve d’une certaine tolérance vis‑à‑vis des autres contenus, notamment en matière de divertissements. Ce type de publications leur permet, par ailleurs, de mieux cerner les attentes de la jeunesse saoudienne.

Les projets du prince héritier se trouvent donc en parfaite adéquation avec les aspirations de ses jeunes concitoyens, lui permettant ainsi de se doter d’une nouvelle légitimité. Une telle approche, extrêmement novatrice, comporte néanmoins des risques dans le cas où les immenses attentes créées viendraient à être déçues.

Des réformes à pas comptés, en matière dégalité femmeshommes

En raison d’une application stricte de la doctrine wahhabite qui relève plus des traditions conservatrices du Nejd – région centrale de l’Arabie saoudite – que de critères religieux, les femmes sont privées de certains droits individuels fondamentaux et font l’objet de nombreuses discriminations notamment en matière d’accès à l’emploi – la magistrature, par exemple, est interdite aux femmes ([18]) – ou sont entravées dans leur liberté de circulation par le principe du mahram ([19]) qui fait des Saoudiennes des mineures à vie.

La condition des femmes saoudiennes a très progressivement commencé à s’améliorer sous le règne du roi Fayçal (1964‑1975) qui a promu l’éducation de masse y compris pour les filles qui sont désormais scolarisées à 97 % et représentent 60 % des effectifs dans l’enseignement supérieur. Cette évolution positive a été poursuivie sous la régence et le règne du roi Abdallah (2005‑2015) qui a initié plusieurs réformes en leur faveur, notamment en leur ouvrant la possibilité de travailler dans le commerce ou en autorisant leur participation aux élections municipales. Ainsi, lors des élections locales de 2015, une vingtaine de femmes ont été élues représentant néanmoins un pourcentage extrêmement faible du total des sièges (de l’ordre de 1 %) ([20]). Par ailleurs, en janvier 2013, le roi Abdallah a décidé de réserver trente sièges pour des femmes au sein du Conseil de la Choura, assemblée consultative du Royaume comptant cent cinquante membres. Ces avancées, somme toute assez relatives, ont permis de conférer aux Saoudiennes une visibilité dont elles ne bénéficiaient pas auparavant dans l’espace public, ouvrant ainsi la voie à d’autres changements plus significatifs. Cependant, il a été, à plusieurs reprises, indiqué aux rapporteurs par certaines de leurs interlocutrices saoudiennes que ces bouleversements devaient se faire au rythme choisi par la société saoudienne en tenant compte de ses particularismes tribaux et religieux.

L’amélioration de la condition féminine fait partie intégrante des projets de réformes emblématiques que souhaite porter le prince héritier depuis son accession aux responsabilités. Le volontarisme affiché en la matière a conduit à la levée de certains tabous symboliques comme l’interdiction faite aux Saoudiennes de conduire. Il y a été mis fin par un décret royal du 26 septembre 2017, rendu effectif le 24 juin 2018. Par ailleurs, les règles régissant le tutorat masculin ont été allégées en février 2018 en permettant aux femmes de se passer de l’autorisation de leur mahram (mari, père, frère, fils ou tout autre homme de la famille) dans l’accomplissement de certaines tâches administratives ou de leur activité professionnelle. En revanche, cette autorisation demeure nécessaire pour la délivrance d’un passeport, l’autorisation de voyager ou de se marier. Situation récemment illustrée par la fuite de Rahaf Mohammed Al-Qunun, jeune saoudienne de dix-huit ans, ayant obtenu l’asile au Canada, en janvier 2019 ([21]).

Ainsi, l’amélioration de la condition de la femme en Arabie saoudite mise en avant par les autorités, bien qu’allant dans le bon sens, reste aux yeux des rapporteurs, particulièrement fragile et ne répond que partiellement aux attentes formulées par les militantes des droits des femmes dont certaines se sont vues récemment emprisonnées (cf. infra). Elles réclamaient notamment l’abolition totale du tutorat masculin.

L’une des difficultés que souhaitent souligner les rapporteurs réside dans le fait que les évolutions actuelles sont le fait de la volonté d’une seule personne, le prince héritier. Une telle situation démontre la fragilité de ces avancées et l’absence de réelles ouvertures et de dialogues avec la société le. Elles constituent, par ailleurs, des éléments de communication des autorités saoudiennes vis‑à‑vis desquels nous devons rester prudents. Ces quelques réformes essentiellement symboliques sont positives mais elles demeurent néanmoins indéniablement insuffisantes.

 

 

Un recul des prérogatives de la police religieuse

Le comité pour le commandement de la vertu et la répression du vice (la hisba) et son bras armé la police religieuse (la muttawa), qui comptait, en 2015, environ 4 000 agents, ont vu leurs prérogatives réduites, sur décision du prince héritier. Ces institutions sont chargées de faire respecter la charia dans l’espace public, c’est-à-dire d’interdire tout comportement contrevenant aux bonnes mœurs comme l’homosexualité, la prostitution et le trafic de drogue. Elles veillent par ailleurs à la bonne application des codes vestimentaires, des prescriptions alimentaires islamiques et des heures de fermeture de magasins durant les temps de prière et peuvent opérer des saisies de produits de consommation et des médias interdits considérés comme anti‑islamiques.

La hisba et la muttawa ont ainsi été réformées, le 11 avril 2016, suite à un décret pris en Conseil des ministres leur retirant toutes prérogatives exécutives ainsi que leur rôle d’intervention sur la voie publique. Elles sont désormais dans l’obligation de reporter les contraventions observées à la police d’État ou aux autorités compétentes et ne peuvent plus intervenir directement.

Ces évolutions importantes, qui ne se produisent pas sans frictions, ne constituent pas pour autant une rupture totale entre la famille royale et les autorités religieuses wahhabites, qui sont traditionnellement légitimistes. Le soutien de l’élite religieuse à l’action politique du prince héritier demeure, par ailleurs, indispensable compte tenu du poids déterminant de la religion au sein d’une société saoudienne qui demeure conservatrice.

Une ouverture en matière daccès à la culture et aux loisirs

En vertu de la conception rigoriste de la doctrine wahhabiste, les spectacles, concerts et films étaient jusqu’à présent interdits dans le Royaume. Ce concept connu sous le nom d’alwalaa walbaraa (loyauté et dissociation) et formalisé par la doctrine wahhabite encourage, en effet, les fidèles à se distancier résolument des non‑musulmans et de leur monde. À titre d’illustration, les dernières salles de cinéma du Royaume avaient ainsi fermé au début des années 1980, par réaction religieuse des autorités faisant suite d’une part à la prise de la prise de la grande mosquée de La Mecque par des militants extrémistes et d’autre part à la révolution islamique iranienne.

Afin de répondre aux attentes de la jeunesse et sortir le pays de l’enfermement doctrinaire wahhabite, le prince héritier souhaite désormais promouvoir l’accès à la culture, aux loisirs et au divertissement. La première projection publique d’un film en salle a ainsi eu lieu, le 18 avril 2018 à Riyad avec la diffusion du film américain Black Panther. Autre illustration de ces profonds changements, alors que les rapporteurs se trouvaient à Riyad dans le cadre de leur déplacement, se tenait en plein air et sans ségrégation, un festival de musique électronique en présence de nombreux artistes internationaux, dont David Guetta. Ces innovations permettent ainsi de satisfaire les aspirations des jeunes Saoudiens et visent également à améliorer l’image du Royaume et à diversifier son économie en stimulant son industrie des loisirs.

Selon la même logique, les réformes actuellement promues par les autorités saoudiennes cherchent à valoriser les patrimoines naturel et culturel – islamique et pré‑islamique – de l’Arabie saoudite, afin d’en faire dans les années à venir une destination touristique de premier ordre. Devraient notamment être mis en valeur les sites archéologiques exceptionnels de la région d’al‑Ula classés au patrimoine mondial de l’UNESCO (cf. infra) ainsi que des îlots de la mer Rouge dans le cadre du développement d’un tourisme balnéaire haut de gamme.

Si le tourisme représente actuellement 3,3 % du PIB du pays et emploie directement 603 500 personnes, cette activité repose aujourd’hui essentiellement sur la venue de pèlerins (11 millions accueillis par an pour le hajj et la omra). L’objectif est désormais d’accueillir 30 millions de touristes en 2030, mais aussi de satisfaire la demande intérieure, qui en l’absence d’offres se tourne notamment vers Bahreïn et les Émirats arabes unis. Ainsi 4,5 millions de touristes saoudiens ont dépensé 35 milliards de dollars à l’étranger en 2015 dont 18 milliards dédiés aux activités de divertissement, ce qui représente aux yeux des autorités saoudiennes un immense manque à gagner.

Afin de développer le développement du tourisme non musulman, l’Arabie saoudite a annoncé à l’occasion de la journée mondiale du tourisme, le 27 septembre 2019, le lancement d’un visa de tourisme pour les ressortissants de quarante-neuf pays, dont la France. Jusqu’alors, seuls les pèlerins et les personnes rendant visite à des proches étaient autorisés à entrer sur le territoire. Par ailleurs, le ministère de l’intérieur saoudien a également publié, au même moment, un tableau des bonnes mœurs publiques. Ce document, inspiré des réglementations en cours dans les autres pays du Golfe, liste une série de comportements passibles d’amendes, notamment en matière vestimentaire (« port de vêtements indécents dans un lieu public », « port unique de sous-vêtements ou vêtements de nuit », « port de vêtements avec des langages ou images obscènes »), de courtoisie (« cracher et uriner sur la place publique », « occuper des emplacements réservés aux personnes âgées et handicapés ») ou de sécurité (« allumer un feu dans des espaces non prévus à cet effet »). Si le document est présenté comme visant à sensibiliser les futurs touristes aux règles en vigueur dans le Royaume, il crée un précédent significatif en dispensant les femmes étrangères, touristes et résidentes, de l’obligation du port de l’abaya, la longue tunique traditionnelle que portent les Saoudiennes. À la place, la réglementation n’exige plus que le port de vêtements « pudiques » couvrant les genoux et les épaules. Ces changements symboliques dénotent une véritable volonté de changement et d’ouverture sur le monde.

b.   Un pays à la tradition rigoriste et autoritaire

i.   La persistance de restrictions apportées aux droits humains

L’Arabie saoudite, qui n’est pas signataire de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, fait partie des pays disposant d’un des plus faibles « indices de démocratie » élaborés par l’hebdomadaire britannique The Economist. Le Royaume se situait, en 2018, à la 159e place sur 167 ([22]) de ce classement qui prend en compte les cinq critères suivants : processus électoral et pluralisme, libertés civiles, fonctionnement du gouvernement, participation politique et culture politique.

Amnesty International mettait en avant, dans son rapport 2017‑2018 sur la situation des droits humains dans le monde, le fait que les autorités saoudiennes « imposaient des restrictions sévères à la liberté dexpression, dassociation et de réunion » ([23]). L’association faisait également valoir des cas de discriminations à l’égard de la minorité chiite en raison de leur conviction religieuse (limitation de leur liberté d’expression religieuse, restriction en matière d’accès à la justice et au droit d’occuper un emploi et de bénéficier de services publics...).

Un grand nombre de défenseurs des droits humains, journalistes, ou opposants politiques sont détenus en Arabie saoudite, certains condamnés à de longues peines d’emprisonnement à l’issue de procès inéquitables. La presse se fait régulièrement l’écho de cas de torture ou de mauvais traitements en détention. L’année 2019 aura été marquée, aux yeux des rapporteurs, par une série de signaux contradictoires en la matière : après plusieurs vagues de libération de personnalités début 2019 à la suite de l’affaire Khashoggi et la libération de plusieurs militantes des droits des femmes en mars et mai 2019, de nouvelles arrestations d’intellectuels, écrivains, universitaires et blogueurs saoudiens ont eu lieu en avril 2019.

S’agissant plus particulièrement des droits des femmes, une répression de grande ampleur a touché, à partir du mois de mai 2018, les militantes de la cause féminine. De manière contradictoire, ces arrestations sont intervenues un mois avant la promulgation du décret royal autorisant les femmes saoudiennes à conduire, cause pour laquelle certains militants s’étaient mobilisés, notamment sur les réseaux sociaux. Loujain al-Hathloul, figure emblématique des droits des femmes en Arabie saoudite et dans l’ensemble du monde arabe est, à l’heure actuelle, toujours maintenue en détention, malgré la mobilisation de la communauté internationale en sa faveur. Sur ces dossiers les autorités saoudiennes apparaissent fluctuantes et la garantie des droits fondamentaux se révèle pour le moins imprévisible si ce n’est évanescente.

Par ailleurs, l’Arabie saoudite ne reconnaît aucune liberté de culte, l’islam étant la seule religion autorisée dans le Royaume. Contrairement au reste du monde arabe, la péninsule arabique a vu le nombre des chrétiens, qui avaient disparu avec l’islamisation, fortement augmenter ces dernières décennies. Ce sont pour la plupart des travailleurs étrangers. L’Arabie saoudite compterait 1,4 million de chrétiens ([24]), en provenance d’Asie, d’Afrique, du Moyen‑Orient ou d’Occident. La pratique de tout autre culte que l’islam étant interdite, il n’existe par conséquent aucune église sur le sol saoudien. Cependant, la pratique d’un autre culte est, depuis quelques années, tolérée par les autorités, ce qui constitue une réelle amélioration. Pour autant, si la célébration collective et discrète de messes dans des lieux privés n’est, apparemment, plus ouvertement réprimée, la menace d’une arrestation, sinon d’une expulsion, plane toujours. Les fidèles se trouvent, par exemple, dans l’obligation de communiquer entre eux de manière codée, afin de pouvoir se réunir pour célébrer leur culte, la peur dominant au sein des communautés concernées. Les rapporteurs estiment que la simple tolérance des cultes autre que musulman est largement insuffisante, cette situation maintenant les fidèles d’autres religions dans une situation d’insécurité juridique. La modernisation voulue et afficher par le prince héritier devrait s’accompagner d’une reconnaissance législative de la liberté de culte. À titre de comparaison, les offices peuvent se dérouler dans les autres monarchies du Golfe dans de véritables églises, même si le culte reste soumis à un certain nombre de conditions restrictives : absence de sonnerie des cloches, absence de croix visibles à l’extérieur, interdiction de tout prosélytisme. Le Qatar, État pourtant wahhabite comme l’Arabie saoudite, a inauguré en 2008 l’église Notre‑Dame du‑Rosaire dans un vaste mais discret complexe permettant l’accueil de tous les chrétiens résidant au Qatar. Lors du déplacement à Riyad des rapporteurs, M. Claude Goasguen a souligné devant ses homologues saoudiens du Conseil de la Choura, le signal positif que pourrait revêtir la construction d’un lieu de culte pour les chrétiens dans le Royaume. L’Arabie saoudite, en tant que nation chef de file dans le monde musulman, doit montrer l’exemple. Un tel geste d’ouverture et de tolérance constituerait un symbole en faveur du dialogue des cultures et des religions.

ii.   Les répercussions négatives de l’affaire Khashoggi sur l’image du Royaume

Le journaliste Jamal Khashoggi, qui résidait aux États-Unis et travaillait pour le Washington Post, disposait d’excellents contacts à l’étranger et restait une figure importante dans le Royaume. Loin d’être un dissident, il était connu pour avoir entretenu de bonnes relations avec les autorités saoudiennes, notamment le prince Turki al‑Fayçal, ancien directeur du renseignement et ambassadeur à Londres et Washington dont il fut le porte‑parole et le conseiller en communication. Il avait, par la suite, fini par adopter un ton critique vis‑à‑vis du prince héritier et de ses méthodes, l’obligeant à s’exiler hors du Royaume. Dans ses chroniques, Jamal Khashoggi soulignait les contradictions de Mohammed Ben Salmane entre volonté d’ouverture et de modernisation et répression brutale à l’égard de toute opposition. Par ailleurs, s’il avait initialement soutenu l’intervention militaire de l’Arabie saoudite au Yémen, il avait par la suite changé de position en appelant régulièrement son gouvernement à un retrait des troupes ([25]).

Le 2 octobre 2018, Jamal Khashoggi est assassiné, alors qu’il se rendait au consulat saoudien d’Istanbul pour effectuer des formalités administratives. Les révélations sur l’affaire relayées par la presse turque ont suscité plusieurs dénégations de la part de l’Arabie saoudite, qui s’est par la suite confondue en déclarations contradictoires. Dans un premier temps, Riyad a d’abord affirmé que le journaliste avait quitté le consulat sans encombre, tout en niant fermement la thèse de l’assassinat politique ([26]). Acculée par la pression internationale, Riyad a finalement reconnu la mort du journaliste le 20 octobre, en l’attribuant à une bavure non préméditée survenue au cours d’une rixe qui se serait déclenchée suite à son refus de rentrer en Arabie saoudite ([27]). Le 23 octobre 2018 devant le Parlement turc, le président Recep Tayyip Erdogan a qualifié l’opération de « meurtre politique », « planifié des jours à lavance » ([28]). En Arabie saoudite, les autorités ont réagi en arrêtant dix-huit exécutants et en limogeant Ahmed al-Assiri, directeur adjoint du renseignement, et Saoud al-Qahtani, proche conseiller de Mohammed Ben Salmane ([29]). Le procureur général d’Arabie saoudite a depuis lors annoncé, dans un communiqué publié le 23 décembre 2019, les conclusions du procès : la peine de mort a été prononcée contre cinq accusés qui auraient directement participé à l’assassinat, et faute de preuves, Ahmed al-Assiri et Saoud al-Qahtani ont été acquittés ([30]) : « Nous avons conclu que le meurtre de Khashoggi na pas été prémédité et quil a été commis dans le feu de laction. ».

Cette affaire a jeté un lourd discrédit sur le Royaume et sur sa volonté de transformation. Le président américain Donald Trump, s’il avait initialement menacé Riyad d’un « châtiment sévère » ([31]), a paradoxalement infléchi son discours après la confirmation de la mort du journaliste. Le 20 novembre 2018, il a ouvertement relativisé l’importance de l’évènement au regard de l’alliance liant les États-Unis et l’Arabie saoudite face à l’Iran. Après avoir accablé Téhéran pour son implication au Yémen et rappelé l’importance des contrats d’armements signés avec l’Arabie saoudite, le président américain a précisé que les États-Unis « napprouvaient pas » l’exécution de Jamal Khashoggi, tout en reprenant les allégations saoudiennes qualifiant Jamal Khashoggi « dennemi de lÉtat » et de « membre des Frères musulmans ». Avant de conclure : « Il se pourrait très bien que le prince héritier ait eu connaissance de cet événement tragique — peut-être quil la fait et peut-être pas ! » ([32]). Cependant sous la pression du Congrès, l’administration Trump a finalement engagé des sanctions financières contre dix‑sept responsables saoudiens impliqués dans l’affaire. En outre, à la suite d’une alliance de circonstance entre élus républicains et démocrates, le Sénat a adopté à l’unanimité le jeudi 13 décembre 2018 une double résolution – attribuant le meurtre du journaliste au prince Mohammed Ben Salmane et demandant l’arrêt du soutien logistique américain à l’intervention saoudienne au Yémen ([33]).

Les réactions européennes ont également été nombreuses et marquées : dans une déclaration commune du 14 octobre 2018, l’Allemagne, la France et le Royaume‑Uni ont appelé à la défense de la liberté d’expression et de la liberté de la presse en exigeant une enquête crédible et transparente, dans la droite ligne des déclarations de Federica Mogherini, Haute représentante de l’Union européenne et d’António Guterres, Secrétaire général des Nations unies. Le 21 octobre 2018, la chancelière allemande Angela Merkel a annoncé que son pays suspendait ses exportations d’armement à destination du Royaume, et a invité ses partenaires européens à faire de même ([34]). Le 18 novembre 2018, le Quai d’Orsay a précisé, dans un communiqué de presse, que le ministère de l’intérieur avait adopté des sanctions contre dix‑huit Saoudiens impliqués dans l’affaire, leur interdisant notamment l’accès au territoire national. Parallèlement, la France a étudié avec ses partenaires européens « la possibilité dun mécanisme de sanctions de nature transversale, permettant à lUnion européenne de prendre à lavenir les mesures qui simposent en cas de violations graves des droits de lHomme » ([35]).

Le 19 juin 2019, la rapporteure spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires, Agnès Callamard, a remis son rapport sur la mort de Jamal Khashoggi. Publié au terme de six mois d’enquête, le rapport conclut que le journaliste a été « victime dune exécution extrajudiciaire préméditée dont lÉtat dArabie saoudite est responsable », en violation de la Charte des Nations unies, de la convention de Vienne sur les relations consulaires et de la convention contre la torture. Si « aucune conclusion nest donnée quant à la culpabilité » du prince héritier et de son conseiller Saud al‑Qahtani, la rapporteure spéciale indique qu’il existe « des éléments de preuve crédibles justifiant une enquête supplémentaire sur la responsabilité individuelle des hauts responsables saoudiens, y compris celle du prince héritier ». Estimant les enquêtes menées par l’Arabie saoudite et la Turquie non conformes aux normes internationales, elle a critiqué la procédure judiciaire et a appelé le Conseil des droits de l’homme, le Conseil de sécurité et le secrétaire général des Nations unies à mener « une enquête internationale pénale de suivi », afin d’établir des dossiers solides sur chacun des auteurs présumés et formuler des propositions pour mener des poursuites pénales et établir des mécanismes de reddition de comptes tels qu’un tribunal ad hoc ou hybride.

Selon Stéphane Lacroix, politologue et spécialiste de l’Arabie saoudite, l’affaire Khashoggi a durablement entaché l’image du Royaume et porte, sur le long terme, un risque réel pour la confiance des investisseurs étrangers, dont l’engagement est un facteur déterminant pour la réussite des projets économiques du prince héritier ([36]). La conférence internationale sur l’investissement, organisée par le Royaume du 23 au 25 octobre 2018 à Riyad, a ainsi vu plusieurs de ses invités de marque annuler leurs déplacements à la suite de l’affaire. Parmi eux, figuraient le président de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, la directrice du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, le ministre français de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, et le secrétaire au Trésor américain, Steven Mnuchin. De nombreux dirigeants d’entreprises ont également annulé leur participation, craignant une atteinte à leur réputation commerciale, à l’instar de Frédéric Oudéa, le directeur général de Société générale, Jean Lemierre, président de BNP Paribas, Patrice Caine, PDG de Thales, et Jean-Bernard Levy, PDG d’EDF ([37]).

En résumé, l’affaire Khassoggi constitue un élément supplémentaire dans la crise de confiance qui a frappé le Royaume depuis l’accession aux responsabilités du prince héritier donnant à voir une autre image du pouvoir saoudien en contradiction avec les vastes opérations de communication déployées au moment de la mise en œuvre du plan Vision 2030. Toute forme de contestation ou d’opposition peut entraîner une brutale réaction des autorités à l’image de la purge anti‑corruption de la fin de l’année 2017, au cours de laquelle plusieurs princes, hommes d’affaires et anciens ministres se sont retrouvés prisonniers, pendant plusieurs mois, dans l’enceinte du Ritz‑Carlton de Riyad.

Certains interlocuteurs des rapporteurs ont clairement mis en exergue le danger que pouvait représenter le fait d’émettre publiquement une opinion critique vis‑à‑vis des nouvelles orientations ou méthodes du pouvoir saoudien. Il leur a même été précisé, que pour une personnalité publique, le simple fait de garder le silence pendant un certain laps de temps pouvait être considéré par les autorités comme l’expression d’une opposition. Une journaliste saoudienne, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a ainsi déclaré dans une enquête du Monde diplomatique de juin 2018 : « À létranger, on présente " MBS " comme un jeune prince réformateur qui lutte contre la corruption. Oui, jai plus de liberté en tant que femme, mais notre espace dexpression à tous sest rétréci. Je nai plus peur de marcher dans la rue, mais jai peur de vous parler à visage découvert. Je crains que larbitraire ne règne ici comme jamais. » ([38])

c.   Un renforcement progressif des relations franco‑saoudiennes

En quelques décennies, la France est parvenue à devenir un acteur politique, stratégique et économique important, dans une région – le Golfe – où son influence est longtemps restée marginale en comparaison de celle des Britanniques et des Américains. Elle a su devenir un partenaire de premier ordre pour l’Arabie saoudite grâce à son rayonnement culturel, sa coopération militaire et à ses qualités de puissance médiatrice dans de nombreuses crises ayant affecté la région. En 2014, l’Arabie saoudite était le premier fournisseur en pétrole de la France, tandis que celle‑ci représentait le troisième investisseur étranger dans le Royaume pour un volume d’échange global évalué à 10 milliards d’euros ([39]). Les relations bilatérales entre la France et l’Arabie saoudite se révèlent ainsi denses et diversifiées. Elles reposent également sur la confiance et la franchise. En effet, la France souhaite pleinement conserver son indépendance et rester une puissance médiatrice, dans la région, comme elle a pu l’illustrer au moment de la crise suscitée par la démission, depuis Riyad, du Premier ministre libanais, Saad Hariri, le 4 novembre 2017. La France veut, et doit pour les rapporteurs, demeurer en position de parler avec l’ensemble des acteurs de la région, notamment l’Iran et le Qatar avec lesquels l’Arabie saoudite entretient des relations difficiles si ce n’est conflictuelles.

L’ascendant exercé dans le golfe Persique par les puissances anglo‑saxonnes trouve son origine, pour le Royaume‑Uni, dans son histoire coloniale et en raison de son positionnement stratégique de la région sur la route des Indes. S’agissant des États‑Unis, devenus soucieux d’assurer leur approvisionnement en hydrocarbures, il s’explique par le nouveau statut acquis par la région et plus particulièrement par l’Arabie saoudite. Dès 1933, des concessions pétrolières avaient été octroyées à la Standard Oil of California (Socal), rebaptisée en janvier 1944 Arabian American Oil Company (Aramco). Au retour d’une expédition dans le Golfe missionnée par le secrétaire à l’Intérieur américain Harold Ickes, en 1943, le géologue Everett Golyer déclare : « le centre de gravité de la production pétrolière mondiale est en train de se déplacer de laire du golfe des Caraïbes vers le MoyenOrient et les régions du golfe Persique ; selon toute vraisemblance, il continuera de se déplacer jusquà ce quil soit solidement établi dans cette zone » ([40]). La rencontre entre le président le président des États-Unis Franklin D. Roosevelt et le roi d’Arabie saoudite Ibn Saoud, le 14 février 1945, sur le croiseur américain Quincy, stationné sur le grand lac Amer dans le canal de Suez, marque le début de la relation stratégique américano‑saoudienne et constitue son mythe fondateur. Les États-Unis garantissent alors à la monarchie saoudienne une protection militaire en échange d’un accès privilégié à leurs ressources naturelles.

Les relations de la France avec l’Arabie saoudite sont anciennes mais restèrent longtemps bien plus modestes. Dès 1931, avant même la création du Royaume, la France scelle un « traité dentente et damitié entre la république française et le royaume du Hedjaz, du Nedj et autres dépendances ». La crise du canal de Suez, en 1956, entraîne cependant la suspension des relations diplomatiques qui devront attendre la fin de la guerre d’Algérie pour être rétablies.

Les relations entre la France et l’Arabie saoudite se sont très nettement renforcées à la suite du concours apporté par le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), en 1979, lors de la prise de la grande mosquée de La Mecque par un commando terroriste qui dénonçait la corruption de la famille al‑Saoud et la compromission de l’élite religieuse.[41] L’issue positive de cette crise, après dix‑huit jours de siège, a contribué au rapprochement entre la France et l’Arabie saoudite et a permis de raffermir nos relations dans plusieurs domaines. Les années 1980 voient ainsi se renforcer les relations commerciales entre Paris et Riyad et un accord de coopération et d’assistance militaire est signé en octobre 1982.

Le plan Vision 2030 lancé en 2016, et qui ambitionne de refonder l’économie saoudienne, représente une réelle opportunité pour les entreprises françaises dans les domaines de la ville durable, du tourisme, de la santé ainsi qu’en matière de formation. Les rapporteurs appellent néanmoins à la vigilance. Lors de leur déplacement à Djeddah, des hommes d’affaires saoudiens leur ont fait part du manque d’entrain et de la pusillanimité des investisseurs français. La France a indéniablement des atouts à faire valoir mais elle apparaît en Arabie saoudite comme un challenger par rapport aux Britanniques et aux Américains qui bénéficient de relais anciens ou par rapport à de nouvelles puissances comme la Chine, qui entend renforcer ses relations économiques sans pour autant exiger de contrepartie dans le domaine des droits humains ([42]). « L’équipe France » doit, pour renforcer sa position économique en Arabie saoudite, se mobiliser plus fortement, faire preuve de réactivité et veiller à se conformer à la nouvelle configuration économique souhaitée par les autorités saoudiennes comprenant notamment des transferts de technologie et une politique de « saoudisation » des emplois.

2.   L’Iran : une république islamique isolée ayant su renforcer ses positions en se projetant vers l’extérieur

L’Iran qui compte plus de 83 millions d’habitants, soit une population plus importante que celles combinées de l’ensemble de ses voisins du Golfe, dispose de nombreux atouts.

Le pays jouit d’une position géographique stratégique puisqu’il constitue un carrefour entre l’Europe, le Moyen‑Orient, le Golfe, le Caucase, la mer Caspienne, l’Asie centrale et l’Asie du Sud. Le pays dispose, par ailleurs, de ressources naturelles exceptionnelles. S’agissant du pétrole, l’Iran possédait à la fin de l’année 2016, 158,4 milliards de barils de pétrole de réserves prouvées, soit 9,3 % des réserves mondiales occupant ainsi le quatrième rang mondial derrière le Venezuela, l’Arabie saoudite, le Canada et juste devant l’Irak. S’agissant du gaz, l’Iran détenait en 2016, 33,5 billions de mètres cubes de gaz de réserves prouvées, représentant 18 % des réserves mondiales, le plaçant en la matière, juste derrière la Russie. Par ailleurs, l’Iran détiendrait environ 7 % des ressources minérales et se classerait parmi les quinze pays les plus riches en minerais ([43]) .

À la faveur des interventions américaines à ses frontières, en Afghanistan et en Irak, les autorités iraniennes ont vu tomber, un à un, des régimes qui lui étaient hostiles et lui ont ainsi permis de renforcer sa position à l’extérieur de ses frontières notamment en Irak et en Syrie et d’étendre son influence des rives du golfe Persique jusqu’à celles de la Méditerranée.

Depuis l’avènement de la République islamique, en 1979, l’Iran n’a eu de cesse de s’isoler du monde empêchant le pays de pouvoir pleinement s’ouvrir et se développer, afin d’occuper la juste place qui pourrait être la sienne, c’est‑à‑dire celle d’une ancienne et riche civilisation. La conclusion de l’accord sur le nucléaire iranien, en 2015, avait laissé entrevoir une ouverture du pays et un espoir d’évolution politique au profit des franges les plus modérées et pragmatiques du régime. Le désengagement américain et l’application d’une « pression maximale » à l’encontre de Téhéran laisse désormais augurer un retour des provocations et du repli nationaliste. Les rapporteurs insistent sur ce point, la pression systématique de l’étranger sur l’Iran a pour effet, contre‑productif, de contraindre les Iraniens partisans d’un changement politique à s’opposer à l’agression extérieure et in fine à soutenir le régime comme ont pu le montrer les manifestations ayant entouré les funérailles du général Soleimani.

a.   Une société iranienne en grande difficulté économique et sociale

i.   Les espoirs déçus de l’accord de Vienne

L’accord conclu sur le dossier nucléaire iranien, entre d’une part l’Iran et de l’autre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et l’Allemagne, le 14 juillet 2015, après plus de douze ans de négociations, a suscité, au moment de sa conclusion, d’immenses espoirs pour la stabilité de la région et le développement économique de l’Iran, Téhéran ayant accepté de réduire ses activités nucléaires en échange d’une levée progressive de la majeure partie des sanctions internationales qui le visaient.

Ainsi cet accord, tout en permettant une étroite surveillance du programme nucléaire de l’Iran – qui doit impérativement rester pacifique et civil – ouvrait la voie au développement économique du pays grâce à la suspension des sanctions internationales. Selon certains experts, cette levée des sanctions aurait pu apporter à l’Iran, de manière échelonnée, jusqu’à 150 milliards de dollars, représentant environ six points de croissance supplémentaires ([44]).

Les autorités iraniennes ont longtemps nié les effets de l’embargo pétrolier et bancaire mis en place par les Occidentaux avant d’en dénoncer les conséquences désastreuses pour leur économie ([45]) . Ainsi, en décembre 2012, le ministre de l’économie de la République islamique avait déclaré que les sanctions imposées par les États‑Unis et l’Union européenne avaient engendré une chute de 50 % des revenus pétroliers de l’Iran. En 2011, avant le renforcement des sanctions internationales, les recettes pétrolières de l’Iran représentaient 55 % des recettes budgétaires de l’État et 80 % des exportations du pays ([46]). Selon certains observateurs, le régime de sanctions a entraîné pour le pays une perte de l’ordre de 5 milliards de dollars par mois. L’économie iranienne étant une économie de rente, la chute des exportations des hydrocarbures a engendré des réactions économiques en chaîne (forte dépréciation du rial iranien, inflation galopante, effondrement de la production industrielle, augmentation du chômage…), favorisé l’essor du marché noir et rendu la vie quotidienne des Iraniens plus précaire. Cependant, les sanctions internationales sont apparues comme la seule option permettant d’éviter un conflit ouvert. Elles ont indéniablement poussé le régime iranien à faire certaines ouvertures ayant conduit, au final, à la conclusion de Vienne.

Cet accord, également dénommé Plan d’action global commun (Joint Comprehensive Plan of Action – JCPoA en anglais) a été entériné, le 20 juillet 2015, à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies dans sa résolution 2231. Il prévoit notamment la limitation des capacités d’enrichissement de l’Iran, la mise en place de mesures de vérifications efficaces et transparentes par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et la possibilité de rétablissement automatique de sanctions dans le cas où Téhéran ne respecterait pas ses obligations. La diplomatie française, dont les positions fermes au cours des négociations avaient permis de renforcer les termes de l’accord, estime disposer avec le JCPoA d’un bon accord, robuste et solide.

Néanmoins, après plusieurs mois de menaces de retrait, le président américain Donald Trump a mis en œuvre, le 8 avril 2018, une de ses promesses de campagne en annonçant le désengagement des États-Unis de l’accord de Vienne. Il a, à cette occasion, qualifié le JCPoA, conclu sous la présidence de son prédécesseur Barack Obama, de « pire accord de lhistoire ». À la suite de cette annonce, les signataires européens de l’accord ont dans une déclaration commune indiqué leurs « regret et préoccupations » et souligné leur « engagement continu en faveur du JCPoA [qui] revêt une importance particulière pour notre sécurité partagée ».

La décision américaine de retrait de l’accord de Vienne a été accompagnée par la mise en place d’une politique de « pression maximale » exercée par les États‑Unis sur l’Iran dans le but de contraindre Téhéran à accepter de négocier un nouvel accord nucléaire plus contraignant que celui de 2015 élargi à d’autres questions notamment à son programme balistique et à sa politique régionale. La décision du président Donald Trump s’est accompagnée du rétablissement progressif des sanctions américaines suspendues dans le cadre du JCPoA entraînant de lourdes conséquences pour l’économie iranienne. Elle a anéanti par la même occasion les espoirs d’amélioration de la vie quotidienne, qui avaient poussé de nombreux Iraniens à célébrer, dans la liesse, la conclusion de l’accord de Vienne ([47]). Les sanctions américaines visent des secteurs clés de l’économie iranienne (énergie, transport, finances) et ont provoqué le retrait de nombreux investisseurs étrangers, dont plusieurs acteurs français. Suite au rétablissement des sanctions, le niveau des échanges commerciaux a chuté de manière spectaculaire et l’inflation a atteint des niveaux particulièrement élevés de l’ordre de + 63 % entre décembre 2017 et décembre 2018 occasionnant des effets négatifs très forts sur le pouvoir d’achat des ménages. Selon le Fonds monétaire international (FMI), l’économie iranienne est entrée dans une phase de dépression en 2018 avec une diminution de son PIB de l’ordre de 3,6 %, tendance qui se serait encore amplifiée en 2019. Selon les chiffres, produits par l’Organisation internationale du travail (OIT), suite à des transmissions possiblement sous-évaluées par Téhéran, le taux de chômage s’élevait à 11,40 % en 2017 et touchée plus significativement les jeunes, puisque plus d’un quart (26,70 %) des 15‑24 ans étaient sans emploi cette même année.

Ce contexte difficile favorise la corruption ([48]) et a fait progressivement basculer l’Iran vers une économie de guerre profitant aux Gardiens de la révolution islamique qui renforcent ainsi leur emprise sur l’économie du pays et les sphères du pouvoir. Il faut également souligner l’emprise économique et financière exercée par les réseaux para‑étatiques, notamment les fondations religieuses ou révolutionnaires qui peuvent bénéficier d’exemptions d’impôts, d’allocations budgétaires ou de facilités en matière de crédits bancaires grâce à leurs appuis politiques ([49]).

L’augmentation des prix de certains produits de première nécessité, comme les œufs ou le carburant, a généré d’importants mouvements de contestation contre le gouvernement du président iranien Hassan Rohani, élu pour un premier mandat en 2013 sur un discours d’ouverture et de dialogue avec l’Occident. Le pays a ainsi connu, ces deux dernières années d’importantes vagues de manifestations, qui avaient démarré avant même le retrait américain du JCPoA, traduisant l’importance de la crise socio‑économique que traverse actuellement le pays.

ii.   La mobilisation des Européens et notamment de la France en faveur de la préservation de l’accord de Vienne

La position de la France vis‑à‑vis de l’Iran est claire et constante. Le double objectif de notre diplomatie demeure le même : empêcher que l’Iran ne se dote de l’arme nucléaire et éviter que l’escalade des tensions de ces derniers mois ne débouche sur un conflit armé dans la région.

Comme l’a confirmé l’AIEA, l’Iran a pris depuis le mois de mai 2019 des mesures qui marquent une poursuite accélérée de son désengagement de l’accord de Vienne aux conséquences potentiellement graves en matière de prolifération nucléaire. La France a ainsi exprimé sa vive préoccupation suite aux nombreuses mesures prises par Téhéran, depuis juin 2019, dans le cadre de sa politique dite de « less for less » c’est‑à‑dire moins d’engagements sur le plan nucléaire de la part de l’Iran si moins d’engagements économiques en retour de la part des autres signataires du JCPoA.

Lors de la commission conjointe du JCPoA qui s’est tenue le 6 décembre 2019 à Vienne, la France, avec ses partenaires allemand et britannique, a rappelé son extrême préoccupation face à ces mesures et a appelé à nouveau l’Iran à revenir sans délai au respect de l’ensemble de ses engagements. Cependant, le 5 janvier 2020, à la suite de l’élimination du général iranien Soleimani, sur ordre de la Maison‑Blanche, l’Iran a annoncé que son programme n’était dorénavant plus soumis à « aucune des limites opérationnelles fixées par le JCPoA ».

Dans ce contexte, les trois signataires européens de l’accord de Vienne n’avaient pas d’autre choix pour tenter de préserver l’accord que de déclencher, le 14 janvier 2020, le mécanisme de règlement des différends prévu par le JCPoA. Cette décision n’implique pas de retourner devant le Conseil de sécurité en vue de rétablir les sanctions internationales et ne constitue pas non plus pour la diplomatie française un ralliement à la politique de « pression maximale » des États-Unis contre l’Iran. Comme réaffirmé, le 12 janvier 2020, par le Président de la République dans une déclaration conjointe avec ses homologues allemand et britannique, la France reste pleinement engagée en soutien au JCPoA. La France estime que l’accord de Vienne est un instrument essentiel en faveur de la non‑prolifération et représente une contribution indispensable à la sécurité régionale et internationale.

Les rapporteurs tiennent à souligner que, de leur côté, les trois signataires européens de l’accord ont, contrairement à ce qu’a pu affirmer Téhéran, pleinement respecté leurs engagements au titre du JCPoA, y compris la levée des sanctions prévue par l’accord.

Par ailleurs, la France, l’Allemagne et le Royaume‑Uni, conformément à leur ferme engagement et à leurs efforts constants visant à sauvegarder JCPoA ont créé et mis en œuvre la société de droit français INSTEX (Instrument for Supporting Trade Exchanges ou, en français, Instrument de soutien aux transactions commerciales), véhicule spécial destiné à faciliter les transactions commerciales légitimes entre les acteurs économiques européens et l’Iran. Actionnaires fondateurs d’INSTEX, la France et ses partenaires allemand et britannique, ont salué la décision de la Belgique, du Danemark, de la Finlande, de la Norvège, des Pays‑Bas et de la Suède de rejoindre INSTEX en qualité d’actionnaires. Dans un premier temps, INSTEX doit soutenir les transactions commerciales dans certains secteurs essentiels pour la population iranienne, tels que les produits pharmaceutiques, les dispositifs médicaux et les produits agroalimentaires. À plus long terme, INSTEX devrait s’ouvrir à d’autres acteurs économiques de pays tiers désireux de commercer avec l’Iran.

La mise en place opérationnelle de ce mécanisme innovant, sans précédent et d’ampleur européenne se fait de manière progressive. La France avec ses partenaires britannique et allemand ainsi que l’équipe dirigeante d’INSTEX continuent d’œuvrer pour permettre la réalisation de premières transactions en lien avec la structure miroir iranienne, dénommée STFI (Special Trade and Finance Institute). INSTEX fonctionne en conformité avec les normes financières internationales s’agissant notamment de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et dans le respect des sanctions de l’Union européenne et des Nations unies.

Une telle démarche marque l’affirmation bienvenue d’une souveraineté économique européenne face au principe d’extraterritorialité du droit américain imposé par les États-Unis et qui a conduit de nombreuses entreprises européennes à quitter précipitamment le marché iranien par crainte de lourdes représailles américaines à l’image de l’amende de 8,974 milliards de dollars infligée, en 2014, par la justice américaine à la banque française BNP‑Paribas. Du point de vue iranien, INSTEX ne paraît pas combler les attentes des autorités qui ont salué sa mise en place mais déploré une certaine lenteur et un décalage avec les promesses européennes.

Dans le contexte actuel de montées des tensions, l’approche choisie par le Président de la République – qui n’a pas ménagé ses efforts sur ce dossier – apparaît désormais particulièrement ardue. Elle n’en demeure pas moins pertinente aux yeux des rapporteurs. Il nous faut favoriser le dialogue, exhorter Téhéran à respecter ses engagements en matière nucléaire, exiger de sa part un arrêt de toutes les opérations de déstabilisation dans la région et lui permettre d’en retirer des bénéfices économiques. Pour être efficace, notre action diplomatique se doit d’être résolument indépendante et audacieuse. Si l’Iran n’a rien à espérer de la France et de l’Europe et si les États-Unis n’ont nul besoin de prendre en considération notre position, alors le risque est grand que nous soyons relégués, au Moyen‑Orient en particulier et sur la scène internationale en général, au rang de simples spectateurs.

b.   Un régime politique résilient sachant parfaitement jouer sur le fort sentiment nationaliste de la population iranienne

i.   Un régime qui en dépit des nombreuses crises internes et externes a su perdurer depuis quarante ans

Le 11 février 2019 a marqué le 40e anniversaire de la révolution islamique. En dépit de difficultés économiques et sociales considérables et d’un isolement international qui dure depuis 1979, la théocratie portée au pouvoir à la suite du renversement de Mohammad Reza Pahlavi, dernier Chah d’Iran, continue de résister aux soubresauts internes et aux menaces extérieures. La longévité de la République islamique d’Iran s’explique par au moins par trois facteurs :

1) L’absence d’une opposition iranienne crédible à l’étranger : l’Organisation des moudjahidines du peuple iranien (OMPI) apparaît comme une mouvance sectaire, discréditée en raison de son passé terroriste et de ses liens avec le régime de Saddam Hussein du temps de la guerre Iran‑Irak. La mouvance royaliste bénéficie d’un sentiment diffus de nostalgie auprès de certains Iraniens mais ne semble pas à même de le transformer en capital politique. En définitive, les mouvements d’opposition iraniens à l’étranger se sont peu renouvelés et manquent de contacts directs avec l’Iran depuis quarante ans. Ils sont inévitablement coupés des réalités politiques intérieures, de l’opinion publique et des évolutions de la société iranienne. Par ailleurs, ils ne sont pas parvenus à intégrer les nouvelles générations d’exilés politiques iraniens, notamment certains réformateurs qui ont fui l’Iran en 2009 dans la foulée de la répression du Mouvement vert. Pour les rapporteurs, à l’heure actuelle, les transformations politiques ne pourront émerger que de la société iranienne elle‑même, toute tentative d’imposition d’un changement de régime en provenance de l’extérieur risquerait d’être vécue comme une agression et serait donc rejetée ;

2) L’existence d’une forte répression politique, d’un contrôle social constant et d’un solide appareil sécuritaire. Ce dernier repose notamment sur le Corps des Gardiens de la révolution islamique, force armée dévouée à la défense du régime et placée sous l’autorité directe du Guide suprême, comptant 125 000 hommes et disposant de ses propres forces terrestres, navales et aériennes. L’appareil sécuritaire iranien s’appuie également sur les Basiji (mobilisés), milices populaires chargées d’exercer un contrôle sur la société et d’intervenir, si besoin par la force, pour disperser tout rassemblement ou manifestation non autorisé.

3) La forte habileté politique et la réelle capacité d’adaptation du clergé chiite depuis la révolution de 1979. L’élite religieuse, véritable structure sociale et politique, a toujours su appréhender les rapports de force et dispose d’une fine connaissance du terrain ainsi que d’une indéniable capacité à contrôler la société. Éléments qui avaient fait défaut au dernier Chah d’Iran, notamment au moment de la mise en place, de manière autoritaire, des réformes de la « révolution blanche » imposant une modernisation à marche forcée d’une société encore très religieuse et traditionnelle.

Cependant, malgré une longévité qui a pu surprendre de nombreux commentateurs, le régime théocratique actuel est quotidiennement confronté à d’importantes difficultés politiques, économiques et sociales. Si l’islam chiite a pu permettre à une révolution d’advenir, il semble se révéler incapable d’assurer la direction d’un pays moderne. La religion ne joue plus désormais le rôle de vecteur du changement social qu’elle avait pu revêtir au début de la révolution. D’ailleurs, il est important de noter qu’une opposition grandissante apparaît entre les religieux de Qom – centre religieux du chiisme – et les factions cléricalistes qui dirigent l’appareil étatique. Pour certains, la République islamique, en liant religion et politique, a eu pour effet de provoquer une sécularisation de l’islam plus qu’une islamisation de la société et a ainsi pris le risque de mettre en danger l’islam chiite duodécimain, comme force sociale et culturelle, en cas de renversement du régime ([50]) .

ii.   Une « théocratie constitutionnelle » autoritaire

La révolution iranienne de 1979 a permis l’avènement d’un régime politique hybride – la République islamique – mêlant pouvoir républicain renvoyant à la souveraineté du peuple et pouvoir islamique renvoyant à la souveraineté divine exercée grâce à l’intercession des détenteurs de l’autorité religieuse, c’est‑à‑dire des mollahs. Tout l’appareil étatique iranien fonctionne ainsi de manière dédoublée – armée nationale et Corps des Gardiens de la révolution islamique, tribunaux classiques et tribunaux révolutionnaires, gouvernement et bureau du Guide – rendant d’ailleurs parfois très difficile la compréhension et l’analyse de son fonctionnement interne.

Le régime iranien est fondé depuis l’avènement de la République islamique sur le principe du velayate faqih (« tutelle du juriste‑théologien ») mis en avant par l’ayatollah Khomeyni qui confère la primauté du religieux sur le pouvoir politique. Le Guide suprême, désigné à vie par une assemblée de 86 membres religieux, ne peut être démis de ses fonctions que dans des circonstances exceptionnelles. Il trace les lignes directrices de la politique intérieure et extérieure du pays et domine les trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire dans les activités desquelles il peut intervenir directement ou indirectement. Il apparaît ainsi comme la clé de voûte du régime et comme le véritable détenteur du pouvoir au sein de la République islamique d’Iran. L’ayatollah Khomeyni fut le premier titulaire de la fonction. Il disposait d’une véritable légitimité personnelle et religieuse. Peu de temps avant sa mort, il a désigné comme successeur Ali Khamenei, membre du clergé de rang intermédiaire, qui a su faire preuve, depuis son accession au pouvoir, d’un véritable sens politique et de pragmatisme lui permettant de compenser habilement une aura politique et religieuse plus faible que celle de son prédécesseur. Il a d’ailleurs été surnommé par l’expert irano‑américain Karim Sadjadpour, spécialiste de l’Iran, de « prince de Perse » en référence au « prince » de Machiavel ([51]). La question de sa succession se pose avec acuité, le Guide suprême étant malade et âgé de plus de quatre-vingts ans. D’un point de vue juridique, les modalités de désignation de son successeur sont théoriquement définies par la Constitution de la République islamique, qui confie à l’Assemblée des experts la compétence de la désignation, mais cette enceinte sera sans doute amenée à n’être qu’une chambre d’enregistrement. D’un point de vue politique, le choix du futur Guide suprême nécessitera sans doute qu’un consensus se forme entre trois cercles de pouvoir les plus déterminants sur cette question : le clergé chiite, les Gardiens de la révolution islamique et les ultra‑conservateurs. Enfin, l’enjeu résidera essentiellement dans le choix du profil du futur Guide suprême, entre Guide de transition préparant l’effacement progressif de la fonction ou nouvel homme fort incarnant un choix stratégique de la République islamique pour les prochaines décennies. Compte tenu de la situation de crise actuelle aussi bien intérieure qu’extérieure, la mort d’Ali Khamenei pourrait déclencher une forte période d’instabilité pour le régime né de la révolution de 1979. Un risque qui ne peut que renforcer la détermination des cercles du pouvoir actuel à organiser, à l’abri des regards, la succession de la Guidance de manière ordonnée.

Parallèlement à la nature théocratique du régime, les institutions mises en place à la suite de la révolution de 1979, présentent une certaine dimension représentative se fondant sur une conception extrêmement encadrée de la souveraineté du peuple en recourant à des dispositifs électoraux s’inspirant de manière très partielle des modèles occidentaux. En effet, le Président de la République – qui est responsable devant le Guide et devant le Parlement – et les membres de l’Assemblée consultative islamique (Majiles) – qui légifèrent sous l’influence indirecte du Guide via le Conseil des gardiens de la Constitution et le Conseil de discernement de l’intérêt du régime – sont élus au suffrage universel direct pour une durée de quatre ans. Par ailleurs, il est important de souligner que toutes les candidatures font l’objet d’un contrôle effectué par le Conseil des gardiens, impliquant de fait une présélection des candidats par le clergé chiite. L’examen actuellement mené par le Conseil des gardiens des candidatures aux élections législatives de février 2020 suscite, d’ailleurs, un certain émoi en raison du nombre élevé de rejet parmi les députés réformateurs et modérés de l’actuelle législature.

Ainsi, en dépit d’un caractère démocratique insatisfaisant, les Iraniens disposent désormais d’une certaine expérience politique ([52]) . Les élections font, depuis l’avènement de la République islamique, partie intégrante de vie publique nationale iranienne et mobilisent la population en soutien à certain candidat (comme en 1997 à l’occasion de l’élection surprise du réformateur Mohammad Khatami ou en 2013 à l’occasion de l’élection du modéré Hassan Rohani) ou contre la fraude électorale (comme en 2009 à l’occasion du Mouvement vert qui avait suivi l’élection contestée de Mahmoud Ahmadinejad à un deuxième mandat).

Néanmoins, ces outils d’expression politiques atteignent très rapidement leurs limites dans le cadre d’un pouvoir despotique, toute contestation d’ampleur entraînant une brutale répression à l’image des dernières vagues de manifestations de la mi‑novembre 2019 qui avaient fait suite à la décision des autorités iraniennes d’augmenter le prix du carburant dans un contexte économique dégradé. Les autorités iraniennes ont durement réprimé les manifestations par des tirs à balles réelles et procédé à 7 000 arrestations. L’interruption de l’accès à internet dans tout le pays pendant plus d’une semaine a, par ailleurs, permis au régime d’étouffer la contestation en empêchant la diffusion des images des manifestations.

De nombreuses victimes sont à déplorer, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies a fait état, le 6 décembre 2019, d’au moins 208 personnes tuées quand l’opposition et certaines sources de presse évoquent le chiffre de 1 500 morts. La France a vigoureusement condamné ces violences ainsi que l’usage disproportionné de la force à l’encontre des manifestants et appelé les autorités iraniennes à respecter le droit de manifester pacifiquement, la liberté d’expression, et le libre accès aux moyens de communication.

Plus généralement, les autorités iraniennes se montrent implacables à l’égard des défenseurs des droits, qu’il s’agisse des avocats, journalistes, militants écologistes, syndicalistes ou chercheurs, qui font l’objet d’un harcèlement judiciaire ou sont régulièrement arrêtés. La liberté d’expression demeure en permanence menacée en Iran. S’agissant des droits des femmes, si des améliorations peuvent être constatées, en matière de divorce notamment, certains points restent préoccupants tels que l’âge légal du mariage pour les filles fixé à treize ans et la prévalence des violences domestiques. En revanche, le nombre de femmes parmi les étudiants est en constante augmentation. Elles représentaient ainsi, en 2014, 47 % des étudiants au sein des universités iraniennes. Cependant l’Iran semble gâcher une part de son capital humain, puisque la même année, le taux d’activité des femmes en Iran était de 16,7 % contre 64 % en Chine en raison des lois discriminatoires de la République islamique les empêchant de pleinement participer à l’économie du pays et à son développement ([53]) .

Par ailleurs, malgré les engagements du gouvernement, aucun progrès en matière de droits des minorités religieuses n’a été observé. En particulier, la minorité bahaïe qui est toujours victime des persécutions les plus violentes. Seule la diminution significative du nombre d’exécutions, de 517 à 223 entre 2017 et 2018, conséquence de l’amendement à la législation de lutte contre les drogues, constitue un développement positif. Le président Hassan Rohani avait fait des déclarations encourageantes sur les droits de l’homme, cependant le pouvoir judiciaire qui est aux mains des conservateurs et les autorités religieuses du pays bloquent toute réforme en ce sens.

iii.   Un pays se vivant comme une nation assiégée

L’habileté des dirigeants de la République islamique, qui permet en partie d’expliquer sa longévité malgré le mécontentement de la population, réside dans la mise en œuvre d’une « politique nationaliste radicale » pourtant en contradiction avec les idéaux premiers du régime qui souhaitait exporter son projet islamique révolutionnaire. Cette politique nationaliste s’appuie, en fait, sur un des traits caractéristiques de l’identité iranienne : le sentiment de constituer une entité géographique, ethnique, culturelle originale entourée de nations hostiles. L’Iran se vit comme une nation assiégée et semble alterner entre « la mise en valeur dune nation exceptionnelle et le dolorisme triste dune nation sans cesse martyrisée » ([54]).

La construction du nationalisme iranien date du XXe siècle et de la fondation de l’État‑nation moderne. C’est à cette période que le pays choisit d’être désormais dénommé Iran et non plus Perse et se forge une nouvelle identité nationale face à l’émergence de nouveaux États arabes et turc et à l’apparition des enjeux géopolitiques liés à l’exploitation du pétrole. Le coup d’État orchestré par les États-Unis et le Royaume-Uni, en 1951 à l’encontre du Premier ministre Mohammad Mossadegh, qui avait pris la décision de nationaliser l’Anglo-Iranian Oil Company, a constitué aux yeux des Iraniens une agression contre leur indépendance et continue de nourrir une véritable rancœur à l’encontre des ingérences étrangères occidentales.

La guerre Iran‑Irak entre 1980 et 1988 – qui aurait entraîné la mort de 680 000 personnes (480 000 Iraniens, 150 000 Irakiens et 50 000 Kurdes) ([55]) – constitue également un traumatisme national dont mesurons trop faiblement la portée en Occident. Cette guerre, qui est le plus long et l’un des plus meurtriers conflits conventionnels du XXe siècle après la Deuxième guerre mondiale, a durablement marqué les équilibres au Moyen‑Orient. Elle constitue une clé de lecture indispensable permettant de mieux comprendre le fonctionnement de la société iranienne. Les hostilités provoquées par Saddam Hussein, au prétexte d’un conflit frontalier, ont provoqué la mise en place d’une unité nationale derrière la jeune et encore fragile République islamique. À titre d’illustration, l’armée nationale créée par le dernier Chah d’Iran et qui fut victime d’une importante épuration, s’est mobilisée à cette occasion sans coup férir contre l’ennemi. Certains officiers et sous‑officiers, écartés au début de la révolution, furent même réintégrés, afin de pouvoir combattre les troupes irakiennes. Cette guerre a ainsi joué un rôle fédérateur derrière le régime et permis aux nouvelles autorités d’affermir leur pouvoir et d’éliminer les différentes oppositions. C’est pendant ce conflit que se sont constitués et se renforcés des éléments structurants du régime tels que le Corps des Gardiens de la révolution islamique ou les milices populaires des Basiji.

Du point de vue idéologique, le conflit a permis au régime de renouveler le culte des martyrs, élément essentiel dans la mystique chiite. Ce culte, qui constitue un véritable outil de contrôle social et se matérialise par la présence dans l’espace public de nombreux portraits des soldats tombés au combat, perdure toujours dans la société iranienne plus de trente ans après la fin du conflit. Il a, d’ailleurs, été pleinement déployé à la suite de la mort du général Soleimani, au début de l’année 2020. Ainsi la dépouille du général a été présentée à Ahvaz (haut lieu de la guerre Iran-Irak où le général s’était illustré), à Machhad (vite sainte du chiisme) et dans la capitale Téhéran à l’occasion de cérémonies qui ont rassemblé des foules nombreuses. L’élimination sur ordre de la Maison‑Blanche d’un personnage clef du régime, artisan de la politique impérialiste de Téhéran au Proche et au Moyen‑Orient, a eu dans un premier temps pour effet de fédérer la population derrière le régime, malgré le fort mécontentement exprimé quelques semaines auparavant à l’occasion des manifestations contre l’augmentation des prix du carburant. Il est essentiel de prendre en compte l’importance du fait nationaliste au sein de la société iranienne, entretenu par des traumatismes récents et par la conviction d’être une nation isolée, pour mieux comprendre le fait que la population iranienne puisse, en période de crise, faire bloc derrière un pouvoir oppressant.

La crainte permanente de la menace extérieure permet, par ailleurs, d’expliquer l’obsession sécuritaire du régime. La relance du programme nucléaire par l’ayatollah Khomeiny date de la guerre Iran‑Irak et le large soutien apporté par la population à la détention de missiles balistiques s’explique notamment par le souvenir des bombardements subis par les villes iraniennes à l’occasion de ce conflit. C’est là pour le régime une question de souveraineté et de sécurité nationales. Cependant les rapporteurs soulignent que les missiles balistiques ne sont pas des armes comme les autres car ils constituent des vecteurs potentiels d’armes de destruction massive. Ces missiles ne peuvent pas être assimilés à de simples systèmes défensifs comme peuvent l’être les systèmes de défense aérienne ou de défense antimissile ; il s’agit là de matériels sophistiqués dont les applications militaires dépassent de simples missions de défense. Ils représentent donc un risque spécifique de prolifération et sont par nature un enjeu de sécurité internationale et une menace grave pour la stabilité régionale, en particulier au Moyen-Orient où ils peuvent faire l’objet de transferts vers des groupes infra‑étatiques comme les rebelles Houthis au Yémen ou le Hezbollah libanais ([56]). Pour cette raison, les questions relatives au programme balistique iranien doivent faire l’objet, pour les rapporteurs, d’un dialogue ferme mais constructif avec Téhéran.

c.   Des relations franco‑iraniennes en proie à un dilemme

Les relations entre la France et l’Iran sont anciennes. C’est sous le règne de Louis XIV que sont établis les premiers véritables contacts commerciaux et diplomatiques entre les deux nations. L’audience de Mohammad Reza Beg, ambassadeur extraordinaire de Perse et représentant de l’empereur safavide Hussein, le 19 février 1715, a constitué la dernière réception officielle de Louis XIV avant son décès survenu le 1er septembre 1715. Afin de marquer l’importance du représentant d’un grand empire d’Orient, la cérémonie s’est déroulée avec faste dans la Galerie des Glaces. En trente‑trois ans de vie à Versailles, seules deux autres audiences diplomatiques avaient eu droit à cet honneur : le doge de Gênes en 1685 et la délégation du roi de Siam en 1686. Le traité de commerce et d’amitié entre la France et la Perse, signé à la suite de cette réception, prévoyait notamment l’établissement d’un consulat de Perse à Marseille, principal port de commerce français avec l’Orient. Cette réception n’avait pas manqué de susciter la curiosité des contemporains et aurait d’ailleurs directement inspiré Montesquieu pour la rédaction de son roman épistolaire Les lettres persanes (1721) annonçant l’engouement du public français pour les cultures de l’Orient. La Perse a de nouveau suscité l’intérêt de la France sous le règne de Napoléon Ier qui avait esquissé un rapprochement avec le souverain qadjar Fath Ali Shah, dans le but de nouer une alliance tactique contre le Royaume‑Uni et la Russie. Par ailleurs, à la différence de ces deux derniers États, la France n’est jamais intervenue politiquement et militairement en Perse. Le désintéressement politique de notre pays ainsi que ses relations essentiellement culturelles avec la Perse lui ont conféré une place particulière ainsi qu’une certaine capacité d’influence. À titre d’illustration, la diffusion de la langue française auprès des élites locales a entraîné un certain nombre d’emprunts lexicaux du persan au français, notamment pour certains termes de la vie quotidienne à l’image du mot « merci » devenu courant en Iran.

Le véritable renforcement des relations bilatérales a eu lieu sous la Ve République. C’est en 1963, avec le déplacement du général de Gaulle que fut effectuée la toute première visite officielle d’un Président français en Iran. Ce voyage s’inscrivait dans la « politique de grandeur » voulue par le général et avait pour objectif de permettre à la France de renouer avec le monde musulman au lendemain de la guerre d’Algérie. Le Président français avait également pour ambition de relancer la présence de la France au Moyen‑Orient et souhaitait voir se rééquilibrer la politique extérieure de l’Iran au profit des Européens. Sous le règne du dernier Chah, la France et l’Iran ont entretenu d’excellentes relations avec de nombreux échanges bilatéraux dans les domaines culturels, énergétiques et économiques. Un accord technique et scientifique franco-iranien a été signé en 1967. Mais c’est sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing que la France s’est le plus nettement rapprochée de l’Iran à la faveur de la crise pétrolière de 1973. C’est également à cette période qu’ont été nouées de nombreuses coopérations franco‑iraniennes notamment dans le domaine du nucléaire civil. C’est dans ce cadre, qu’a été accordé par l’Iran au Commissariat de l’énergie atomique un prêt d’un milliard de dollars pour obtenir un droit d’entrée dans la société d’enrichissement d’uranium Eurodif qui devait servir à alimenter les centrales nucléaires que la France s’était engagée à vendre à l’Iran.

À la suite de la révolution islamique, les nouvelles autorités iraniennes ont aussitôt dénoncé unilatéralement la coopération nucléaire civile liant Paris et Téhéran en réclamant le remboursement du prêt accordé par l’ancien régime, ce qui a constitué le cœur de l’affrontement franco‑iranien de 1979 à 1989. L’accueil accordé par la France, avec l’accord du Chah, à l’ayatollah Khomeiny lors de son exil à Neauphle-le-Château, n’aura finalement conféré aucun avantage comparatif à la France, la République islamique classant dès son avènement, notre pays dans le camp des « petits Satans » alignés sur les États-Unis. Téhéran, pendant cette période, a orchestré de nombreux attentats contre les intérêts français, notamment au Liban, en 1983, contre l’immeuble Drakkar qui abritait les parachutistes français à Beyrouth et à Paris en 1986 faisant 13 morts et 300 blessés déclenchant « la guerre des ambassades » et la rupture des relations diplomatiques ([57]). Le différend de l’affaire Eurodif n’a été finalement résolu que par le remboursement du prêt iranien en échange de l’arrêt des attentats et des prises d’otages.

De 2005 à 2015, la France s’est montrée particulièrement ferme dans les négociations avec l’Iran mais la conclusion de l’accord de Vienne permet de solder le dernier différend entre Paris et Téhéran. En dépit de la persistance de plusieurs irritations, dont la plus sensible a trait à la position iranienne vis‑à‑vis d’Israël, la France et l’Iran ont exprimé, à partir de la conclusion de cet accord, la volonté d’ouvrir un nouveau chapitre dans leur relation. Le désengagement américain du JCPoA et les tensions qui ont suivi la mise en œuvre de la politique de « pression maximale » ont globalement perturbé les relations de Téhéran avec l’Occident quand bien la France et ses partenaires européens continuent d’appeler à la sauvegarde de l’accord. Il faut souligner que les relations entre les États‑Unis et l’Iran, qui étaient excellentes sous le Chah, se sont très fortement dégradées à la suite de la révolution islamique. La prise de l’ambassade américaine de Téhéran, à partir du 4 novembre 1979, au cours de laquelle 52 otages américains furent retenus pendant 444 jours a profondément marqué les Américains et continue de constituer une humiliation permettant d’expliquer nombre des décisions prises dans de la politique extérieure américaine en direction de l’Iran depuis près de quarante ans. L’élimination du général iranien Soleimani, qui est intervenue peu de temps, après une série d’attaques répétées de milices pro‑iraniennes contre l’ambassade des États‑Unis à Bagdad, trouve une part de sa justification dans ce souvenir traumatisant.

S’agissant de nos relations à venir avec l’Iran, les rapporteurs sont convaincus que la France a tout intérêt à continuer à maintenir un dialogue ferme mais constructif avec l’Iran. Tout en nous gardant de toute naïveté vis‑à‑vis du régime iranien, la France a intérêt a discuté avec l’Iran, tout particulièrement sur les dossiers touchant au Levant. Par ailleurs, les avantages seraient nombreux en matière de coopérations économiques, scientifiques, environnementales ou touristiques ([58]) . De telles relations pourraient assurément bénéficier à la population iranienne et permettre au pays de progressivement s’ouvrir et potentiellement de se transformer. Les rapporteurs sont convaincus que la politique de « pression maximale » américaine est une erreur et pourrait se révéler source de graves tensions, comme l’ont hélas prouvé les récents événements dans le Golfe. En revanche, pour la stabilité du Moyen‑Orient, un tel dialogue exigeant devra nécessairement porter, pour les rapporteurs, sur un renforcement de l’accord nucléaire, s’agissant notamment de la question de l’après-2025, sur la question du programme balistique de l’Iran et sur l’arrêt de ses actions déstabilisatrices dans la région.

B.   Une opposition entre Riyad et TÉhÉran qui irrigue l’ensemble des tensions rÉgionales

1.   Une nouvelle guerre froide au Moyen-Orient

a.   L’antagonisme irano‑saoudien, l’opposition de deux systèmes politiques et culturels

La montée en puissance régionale de l’Iran depuis les années 2000 a ravivé un antagonisme irano‑saoudien ancien, ancré dans le temps et l’espace. L’empire des Sassanides (de – 224 av. J.‑C. à 642 apr. J.‑C.) s’est effondré à la suite de l’invasion arabe de la Perse au VIe siècle. S’en est suivie une lente et progressive islamisation de la société persane. Le ressentiment des Iraniens à l’égard des Saoudiens puise ses racines dans ce reproche fait aux Arabes au sujet de la conquête de leur pays, qui s’est prolongée par la suite tout au long du règne des Omeyyades et en partie sous celui des Abbassides en raison des discriminations dont étaient victimes les convertis musulmans d’origine non arabe ([59]). Un mouvement de résistance des non‑Arabes s’est d’ailleurs développé sous le califat abbasside, appelée Shuubiyya en référence à un verset du coran distinguant les peuples (Shuub) des tribus (Qabail), sous-entendues arabes. Ainsi, l’arabisation de l’Empire perse s’est heurtée à de nombreuses difficultés. La langue arabe, bien qu’imposée comme langue officielle à la suite de la conquête assurée par les Rachidoun – les premiers califes de l’islam – n’est pas parvenue à supplanter le persan, langue indo‑européenne. Le persan a néanmoins effectué, à cette période, de nombreux emprunts lexicaux à la langue des envahisseurs et adopté l’alphabet arabe avec quelques adaptations afin de lui permettre de retranscrire certains sons qui lui étaient propres. Ainsi, la langue et la culture persane, issues d’une civilisation très ancienne et structurée, ont survécu à la domination arabe qui a suivi la conquête et à ce que certains auteurs iraniens nomment « les deux siècles de silence » ([60]). La décision, en 1501, du Chah safavide Ismaël faisant du chiisme duodécimain la religion d’État de la Perse a, par ailleurs, permis de renforcer la singularité de l’identité nationale persane vis‑à‑vis de ses voisins arabes.

Au XXe siècle, au moment où le Royaume‑Uni s’est progressivement retiré de la région du Golfe, entre la fin des années 1960 et le début des années 1970, les États‑Unis ont décidé dans le cadre de la « doctrine Nixon » de s’appuyer sur leurs alliés dans la région pour préserver leurs intérêts. Ainsi, au Moyen‑Orient, Washington a choisi de faire reposer la sécurité régionale sur l’Arabie saoudite et sur l’Iran dans le cadre de la politique dite des « piliers jumeaux » (twin Pillars([61]). Alors qu’en 1970 les États-Unis avaient fourni moins de 16 millions de dollars à l’Arabie saoudite en aide militaire, la somme s’élevait à 312 millions en 1972 et son essor ne s’est pas infléchi depuis. L’autre pilier, l’Iran, a profité pendant cette période d’une quasi-carte blanche pour l’achat d’armes américaines. La chute du Chah et la proclamation de la République islamique ont ébranlé cette donne géopolitique. La révolution islamique iranienne a provoqué l’effroi chez ses voisins du Golfe qui craignaient une contagion du mouvement et a poussé les États‑Unis, très dépendants en matière énergétique, à réviser leur doctrine dans la région. Ainsi la « doctrine Carter » dispose, en 1980, que Washington utilisera la force militaire si nécessaire pour défendre ses intérêts vitaux dans le golfe Persique.

L’antagonisme opposant l’Arabie saoudite et l’Iran dans sa structure actuelle date de cette époque. Depuis 1979, le modèle iranien, fondé sur l’exportation de la révolution et sur le soutien à des relais comme le Hezbollah libanais, inquiète l’Arabie saoudite. De son côté, l’Iran s’est toujours senti menacé, notamment du fait de son expérience lors de la guerre l’ayant opposé à l’Irak et des tensions récurrentes avec les États‑Unis depuis la prise de l’ambassade américaine de Téhéran.

Les relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran sont rompues depuis 2016, à la suite de violences contre des postes diplomatiques saoudiens en Iran au lendemain de l’exécution par Riyad du cheikh chiite saoudien al-Nimr. Après les efforts infructueux de plusieurs États du Golfe (Irak, Koweït, Oman), le Pakistan s’est engagé, à partir de la mi-octobre, dans une action de facilitation entre Riyad et Téhéran au niveau de son Premier ministre.

La politique de « pression maximale » menée par le président américain Donald Trump incite le régime iranien à utiliser tous ses leviers pour résister à la pression américaine, actions régionales qui ont pour effet d’aviver les inquiétudes de l’Arabie saoudite que les attaques contre deux sites pétroliers saoudiens, en septembre 2019, n’ont fait que confirmer.

Dans ce contexte la France a développé, à juste titre, aux yeux des rapporteurs, une stratégie de dialogue avec l’ensemble des acteurs en vue de permettre les conditions d’une désescalade régionale. Ainsi, le Président de la République n’a eu de cesse de s’investir avec force afin de convaincre l’Iran de s’engager dans des négociations visant à encadrer sur le long terme son programme nucléaire iranien, à limiter son programme balistique et ses activités régionales déstabilisantes, en échange d’une levée des sanctions économiques américaines. Par ailleurs, la France a soutenu, sans ambiguïté, l’Arabie saoudite au lendemain des frappes ayant atteint les sites de la Saudi Aramco, le 14 septembre 2019.

Les rapporteurs estiment qu’il ne peut y avoir de stabilisation dans la région que si les deux puissances émergentes que sont l’Arabie saoudite et l’Iran trouvent un point d’accord. Une coexistence pacifique est possible et doit être encouragée. L’avenir de la paix au Moyen‑Orient en particulier et dans le monde en général dépend en grande partie de l’apaisement puis du dialogue entre ces deux puissances régionales.

b.   L’instrumentalisation des minorités confessionnelles

L’instrumentalisation confessionnelle à des fins politiques n’est pas récente dans le monde musulman. Elle s’est notamment illustrée, par le passé, dans l’opposition entre l’Empire ottoman, dépositaire du califat, et la Perse des Safavides puis des Qadjars qui ont fait du chiisme duodécimain le ciment de l’identité nationale persane. Ainsi, l’Empire ottoman a développé une attitude hostile à l’égard de ses sujets chiites sur l’ensemble de son vaste territoire, qui comprenait notamment l’actuel Irak, berceau du chiisme, avec ses quatre villes saintes de Nadjaf, Kerbala, Kazimayn et Samarra. À l’inverse, les communautés chrétiennes et juives de l’Empire bénéficiaient de droits reconnus en vertu de leur statut de dhimmi et pouvaient dans le cadre des millet bénéficier d’une certaine autonomie dans l’organisation de leurs affaires internes. De manière parallèle, en Perse, les sujets sunnites, essentiellement situés aux marges de l’Empire (Arabes de la rive nord du Golfe, Baloutches, Kurdes, Turkmènes…) ont également fait l’objet de traitements discriminatoires.

L’utilisation du facteur confessionnel dans un but politique est une réalité qui s’est à nouveau illustrée, ces dernières années, au Moyen‑Orient. Plusieurs acteurs régionaux, notamment l’Iran et la Turquie et dans une moindre mesure certains États arabes du Golfe, ont mis à profit le déclenchement des « printemps arabes » de 2011 pour renforcer des alliances, souvent établies de longue date (liens entre Téhéran avec le Hezbollah libanais, avec le régime syrien de la famille al‑Assad…), ou pour activer des liens plus lâches avec des acteurs se situant à la marge de leur sphère d’influence historique à l’image de la relation entretenue par l’Iran avec les rebelles Houthis au Yémen.

Nous assistons dans la région au déploiement de stratégies de deux blocs
– saoudo‑sunnite et irano‑chiite – ayant chacun des partenaires ou des « obligés », selon des logiques avant tout politiques, et accessoirement confessionnelles. Le cas libanais, où Riyad et Téhéran disposent de relais et de soutiens au sein de franges rivales parmi les chrétiens, en est l’illustration la plus aboutie.

L’Iran est sans doute la puissance régionale qui est allée le plus loin dans la construction dans les pays en crise ou fragile d’une alliance structurée avec des acteurs locaux d’obédience chiite ou « assimilés » comme les Alaouites ou les Zaydites donnant ainsi corps à l’expression du roi Abdallah II de Jordanie relative à l’émergence d’un « croissant chiite » ([62]). Le chef de l’État jordanien faisait alors part de son inquiétude vis-à-vis de l’influence régionale grandissante de la République islamique d’Iran au Moyen-Orient, notamment en Irak, en Syrie et au Liban et de sa crainte de voir Téhéran instrumentaliser les divers courants chiites à son profit.

L’activisme régional iranien

Sources : Le Figaro et Le Monde diplomatique.

De même, la Turquie s’est appuyée et continue de le faire sur les populations avec lesquelles elle a des liens historiques soit confessionnels
– populations sunnites – soit ethniques – comme les Turkmènes de Syrie et d’Irak, qui sont par ailleurs également sunnites.

Il faut cependant souligner que les mouvements de contestation à l’œuvre en Irak et au Liban, depuis octobre 2019, attestent du refus grandissant d’une partie de la population, et notamment de la jeunesse, des logiques confessionnelles qui tendent à perpétuer les systèmes en place et des modes de gouvernance défaillants. Un renforcement des notions de citoyenneté et d’égalité constituerait aux yeux des rapporteurs, une évolution particulièrement bénéfique. Un mouvement en ce sens pourrait représenter un facteur de stabilité durable dans la région via une démocratisation des sociétés du Moyen‑Orient. Un tel processus pourrait, par ailleurs, favoriser l’intégration des minorités, à commencer par les plus exposées et les plus fragiles à l’image des Yézidis et des chrétiens d’Orient. Les rapporteurs estiment que la France devrait s’efforcer de soutenir les revendications populaires en faveur des notions de citoyenneté et d’égalité dans les pays multi-confessionnels.

c.   Les affrontements indirects des deux blocs saoudo‑sunnite et irano‑chiite

i.   La Syrie

D’ici quelques mois, le conflit syrien entrera dans sa neuvième année. L’année 2019 aura été particulièrement meurtrière en Syrie avec plus d’un millier de victimes civiles supplémentaires, pour un bilan déjà estimé à plus de 350 000 morts. De nouvelles vagues de déplacés sont également à déplorer, notamment dans le Nord‑Ouest (600 000) et le Nord‑Est (100 000) en particulier. Sur le terrain, les combats se poursuivent, avec une préoccupation particulière sur la situation à Idlib où le régime syrien mène une offensive violente contre une province où se concentrent trois millions de civils vivant dans des conditions extrêmement précaires. À l’heure actuelle, 11 millions de civils auraient un besoin urgent d’aide humanitaire dans l’ensemble du pays.

Le conflit syrien est également marqué par les implications multiples de puissances étrangères. La Russie est intervenue aux côtés des forces pro‑gouvernementales à partir du 30 septembre 2015, en réponse à la demande officielle du régime syrien. Par ailleurs, à la suite du retrait unilatéral des troupes américaines, la Turquie a mené une offensive militaire dans le Nord‑Est syrien contre les Forces démocratiques syriennes (FDS), dont les Kurdes et leurs alliés arabes, offensive unanimement condamnée par l’Assemblée nationale par une résolution en date du 30 octobre 2019 adoptée à l’initiative de la présidente de notre commission, Marielle de Sarnez. En outre, l’Iran est présent depuis le début de la répression des manifestations par le gouvernement de Bachar al‑Assad. En application des accords techniques de défense signés entre Damas et Téhéran, le Corps des Gardiens de la révolution islamique a été déployé en Syrie dès 2011, sous le commandement du général Soleimani. Aux côtés du Hezbollah libanais, les Pasdarans iraniens supervisent notamment l’entraînement des combattants hazaras afghans de confession chiite, recrutés en Iran. La Brigade des Fatimides (Liwa Fatemiyoun) est ainsi créée à la fin de l’année 2013. Leurs effectifs varient entre 3 000 et 20 000 combattants, ce qui en ferait la deuxième force étrangère en Syrie après le Hezbollah libanais. Déployés sur les fronts les plus exposés, ces derniers sont sous‑équipés et leur rôle consiste principalement à limiter les pertes iraniennes.

L’influence iranienne en Syrie est ancienne. Déstabilisé en interne par la révolte populaire des Frères musulmans, dans les années 1980, Hafez-al Assad avait déjà noué un partenariat stratégique avec la jeune République islamique d’Iran en misant d’une part sur la parenté historique entre chiisme duodécimain et alaouisme et d’autre part sur le rejet commun du régime de Saddam Hussein.

ii.   L’Irak

L’Iran a consolidé son influence en Irak à la suite de l’intervention américaine de 2003, qui a substitué au régime ennemi de Saddam Hussein une majorité chiite attachée à l’Iran – où nombre de ses dirigeants s’étaient exilés – par des liens politiques, culturels et religieux. Il y est aujourd’hui une puissance influente, disposant d’un vaste relais de réseaux politiques et miliciens.

Cette influence se heurte toutefois au poids des États-Unis en Irak, et surtout à la résurgence du nationalisme irakien : depuis plusieurs années, des mouvements de protestation, dont le plus important dure depuis début octobre 2019, s’en prennent à l’influence iranienne. L’hostilité qu’ils affichent à l’encontre de Téhéran (slogans, affiches, caricatures…) va parfois jusqu’à la violence (incendie et mise à sac de consulats iraniens), et s’est beaucoup accrue avec la répression dont ils ont été l’objet et qui a fait des centaines de morts.

L’escalade des tensions entre Américains et Iraniens en Irak, marquée notamment par l’élimination du général Soleimani, à Bagdad, le 3 janvier 2020, a conduit au vote d’une résolution par le Parlement irakien, le 5 janvier, en faveur d’un retrait d’Irak des forces armées étrangères. La mise en œuvre d’une telle résolution pourrait remettre en cause non seulement les acquis de cinq années de combat commun contre Daech, mais aussi l’indépendance de l’Irak.

iii.   Le Yémen

Initialement, le conflit yéménite était avant tout lié à des rivalités opposant des élites politiques dans le cadre du processus de transition politique entamé dans le contexte des « printemps arabes ». Ce n’est que progressivement qu’il s’est confessionnalisé et a débouché sur une terrible guerre civile opposant les rebelles Houthis aux forces du président Abdrabbo Mansour Hadi. À la demande de ce dernier, l’Arabie saoudite, à la tête d’une coalition de neuf pays, a lancé une opération militaire pour endiguer l’avancée des Houthis. Depuis le conflit s’est enlisé et de nouvelles lignes de fractures sont apparues avec des affrontements entre loyalistes et séparatistes du Sud laissant craindre un risque de dislocation du pays.

Lors son audition, Laurent Bonnefoy, politologue et spécialiste du Yémen, a insisté sur la confessionnalisation tardive de la guerre civile au Yémen. Il a dans un premier temps souligné un phénomène de convergence, qui tout au long du XXe siècle avait eu tendance à effacer les différences, la plupart des Yéménites se considéraient alors avant tout comme musulmans. Néanmoins le conflit actuel et les récits qui l’entourent – encouragés par les acteurs extérieurs tels que l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis d’une part et l’Iran d’autre part –  ont eu tendance à réactiver les particularismes et ont encouragé les acteurs en présence à se réclamer soit du sunnisme, soit du zaydisme – une branche du chiisme –, qui est la confession des rebelles Houthis. Il est intéressant de noter qu’historiquement les Saoudiens entretenaient de bonnes relations avec les Yéménites zaydites et que leur pratique de l’islam est très éloignée de l’islam duodécimain pratiqué par les Iraniens.

Depuis 2015, la guerre civile yéménite aurait fait plus de 100 000 morts dont de très nombreux civils. L’effondrement du système sanitaire, la destruction des infrastructures à laquelle s’ajoute une situation économique désastreuse ont conduit à plonger le Yémen dans une grave crise humanitaire. Selon un récent rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le Yémen risque, si le conflit perdure, de devenir le pays le plus pauvre du monde avec 79 % de sa population vivant sous le seuil de pauvreté. Actuellement, 80 % des 28 millions d’habitants du Yémen dépendent de l’aide humanitaire et 5 millions d’enfants sont en grave danger de famine.

Par ailleurs, l’insécurité est généralisée sur l’ensemble du territoire. La polarisation confessionnelle et l’effondrement de l’État ont profité aux groupes terroristes, notamment à al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) et à Daech. Ces djihadistes sont une menace pour les populations locales mais également pour notre propre sécurité. Les rapporteurs tiennent à rappeler que l’attentat commis, en janvier 2015, contre la rédaction de Charlie Hebdo avait été revendiqué par AQPA.

Par ailleurs, la situation au Yémen devrait, si elle ne s’améliore pas significativement, constituer un véritable sujet en matière migratoire. Le pays compte environ 30 millions d’habitants et la question des réfugiés pourrait in fine se révéler problématique pour les pays voisins que sont l’Arabie saoudite et le sultanat d’Oman qui ont tout intérêt à une stabilisation dans la région. De même, l’Union européenne a intérêt à peser en faveur d’une résolution du conflit pour éviter toute nouvelle crise migratoire similaire à celle qui a été provoquée par les horreurs de la guerre civile syrienne.

Cependant, depuis quelques mois, comme M. Martin Griffiths, envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour le Yémen, l’a rappelé devant notre commission, lors de son audition du 12 novembre dernier, un certain nombre de signaux encourageants apparaissent. Les rebelles Houthis ont proposé, en septembre dernier, de cesser leurs attaques contre le territoire saoudien. Par ailleurs, la mise en œuvre des accords de Stockholm se poursuit malgré des combats sporadiques, y compris à Hodeïda, gouvernorat pourtant soumis à un cessez‑le‑feu. Un accord, parrainé par l’Arabie saoudite, a été signé à Riyad entre le gouvernement du Yémen et le Conseil de Transition du Sud (CTS). Cet accord représente une étape importante pour la préservation de l’unité et de l’intégrité territoriale du Yémen, condition nécessaire à la reprise des négociations pour une sortie de crise incluant l’ensemble des composantes de la société yéménite. L’ensemble de ces éléments redonnent de l’espoir sur la possibilité d’une issue politique à cette guerre qui n’a que trop duré.

La France est pleinement mobilisée dans la recherche d’une solution politique globale et inclusive au conflit yéménite, dans le cadre plus large de ses efforts de désescalade régionale. Elle soutient donc la médiation de l’envoyé spécial des Nations unies, Martin Griffiths, en vue d’une reprise sans préconditions des discussions sur un accord politique global et inclusif.

iv.   Le Liban

Le Liban, qui compte une part importante de musulman chiite au sein de sa population (de l’ordre de 31 % contre 29 % pour les sunnites et 20 % de chrétiens maronites) fait partie de ces territoires du Moyen‑Orient sur lequel l’Iran a progressivement étendu son influence au lendemain de la révolution islamique en s’appuyant sur une des entités de cet « archipel des minorités » lui étant favorable.

La figure emblématique de Moussa Sadr, religieux né à Qom en Iran en 1926, qui œuvra dans les années 1960 en faveur de la minorité chiite libanaise qu’il considérait lésée dans ses droits, illustre les liens religieux, culturels et politiques reliant les communautés chiites iraniennes et libanaises.

Avant l’avènement de la République islamique, en 1979, les théologiens chiites libanais se caractérisaient par leur quiétisme. Cependant, la révolution islamique iranienne a eu pour effet de galvaniser la rue chiite libanaise.

À la suite de l’invasion israélienne du Liban, est né, en 1982, le Hezbollah (« Parti de Dieu ») qui apparaît comme l’un des plus puissants relais de Téhéran au Proche‑Orient. Le Hezbollah s’est initialement fondé, comme la République islamique iranienne, sur le principe velayate faqih (« tutelle du juriste‑théologien ») promu par l’ayatollah Khomeiny. En se référant à ce principe, le Hezbollah libanais reconnaissait ainsi l’autorité du Guide suprême iranien incarné par Khomeiny jusqu’à sa mort en 1989 puis par Ali Khamenei.

Cependant, malgré cette approche transnationale correspondant bien à l’esprit de la révolution islamique iranienne et des convergences d’intérêts notamment dans la lutte contre l’État hébreu ou en soutien au régime de Bachar al‑Assad en Syrie, le discours et les actions du Hezbollah([63]), qui représente désormais une des principales forces politiques du Liban, s’inscrivent avant tout dans une perspective proprement nationale.

v.   Le cas particulier du conflit israélo-palestinien

La perception du conflit israélo‑palestinien semble, après des années d’enlisement, avoir évolué aux échelles régionale et internationale. Elle paraît notamment plus secondaire dans les médias et l’on constate une normalisation de fait des relations entre Israël et les pays arabes du Golfe, en raison de convergences de vues vis‑à‑vis de la menace iranienne. En sens inverse, les autorités iraniennes maintiennent une propagande violente à l’égard d’Israël et apportent leur soutien à des acteurs infra‑étatiques, d’obédience sunnite, comme le Hamas ou le djihad islamique palestinien dans la bande de Gaza. Cette posture vis‑à‑vis de l’État hébreu leur permet de créer un consensus islamique à peu de frais à l’intérieur et à l’extérieur des frontières du pays. Cette rhétorique semble cependant de moins en moins porter auprès de la population.

Pour les rapporteurs, ceux qui croient en une banalisation de la question israélo‑palestinienne ou à son règlement de fait s’exposent à d’importantes déconvenues. Ce dossier, malgré une exposition moindre, reste central au Proche et au Moyen‑Orient et demeure de premier ordre pour la stabilité de la région dans son ensemble. Il demeure fondamentalement une question politique qui ne pourra en aucun cas être résolue uniquement grâce à des considérations économiques. La question de la Palestine constitue toujours un symbole pour l’ensemble des capitales arabes comme en atteste le scepticisme affiché lors de la conférence de Manama, en juillet 2019, à l’occasion de laquelle a été présenté le volet économique du plan de paix américain pour le Proche‑Orient et où les pays arabes se sont montrés extrêmement discrets. La question de la Palestine constitue toujours, pour les dirigeants arabes, une ligne rouge, à l’instar de ce qu’avait exprimé le roi Ibn Saoud à l’occasion de sa rencontre avec le président américain Franklin D. Roosevelt sur le croiseur Quincy, en février 1945 ([64]).

L’absence de négociations directes entre Israéliens et Palestiniens et l’attente de la présentation d’un plan de paix américain ont nourri la paralysie de la communauté internationale. M. Bruno Joncour reste attaché à une résolution du conflit fondée sur la solution des deux États et les paramètres agréés internationalement. M. Claude Goasguen estime, à cette heure, cette solution pour le moins hypothétique mais soutient avec son co‑rapporteur la nécessité d’un dialogue entre les parties, d’une concorde impliquant une reconnaissance mutuelle, afin que puisse se dessiner la résolution politique d’un conflit qui perdure depuis plus de soixante-dix ans. M. Claude Goasguen déplore, par ailleurs, une américanisation de plus en plus marquée de la société israélienne et insiste pour que nous renforcions nos échanges notamment éducatifs, scientifiques et culturels, dans la droite ligne de la saison croisée France‑Israël de 2018 mise en œuvre avec succès par l’Institut français.

Pour les rapporteurs, la France doit plus fortement apparaître comme le pays faisant le lien entre les Israéliens et les Palestiniens. Elle doit résolument et publiquement œuvrer en faveur d’une réconciliation entre les deux peuples. Mais pour qu’une réconciliation s’opère, le principe préalable d’une acceptation des négociations sur l’ensemble des grandes questions est indispensable.

Pour les deux rapporteurs, la situation actuelle n’est pas soutenable sur le long terme, elle ne fait que renforcer la polarisation des différents acteurs, aggrave le risque de violences, nuit à la légitime sécurité des Israéliens et conduit à une détérioration continue des conditions de vie des Palestiniens, notamment dans la bande de Gaza où se concentre l’une des populations les plus denses et les plus pauvres au monde. Par ailleurs, cette situation n’est pas sans répercussion sur les sociétés européennes en général et la société française en particulier. En effet, nous constatons une inquiétante montée de l’antisémitisme ([65]) et relevons l’importance que cette question peut revêtir, à un moment ou à un autre, dans l’itinéraire personnel de certains jeunes radicalisés. C’est un discours porteur, aussi biaisé soit‑il. Il est pour cette raison d’autant plus important pour la France et l’Europe d’œuvrer pour l’émergence d’une solution politique afin d’assurer la paix et la sécurité dans cette région du monde.

2.   Une polarisation confessionnelle exacerbée

a.   Les origines de la fitna – « grande discorde » – entre chiites et sunnites et ses conséquences

Les deux grandes branches de l’islam, chiite et sunnite, se réclament du même socle et reconnaissent la recension du Coran établie sous le califat d’Othmân. En revanche, leurs approches théologiques et dogmatiques divergent. Ainsi « au fil des siècles, les divergences dogmatiques, rituelles et cultuelles se sont multipliées jusquà en faire plus que deux branches de la même religion, deux religions véritablement différentes » ([66]).

La confrontation historique entre les chiites et les sunnites remonte au premier siècle de l’islam et s’est déclenchée au moment de la disparition de Mahomet (632), chef spirituel et politique de la toute jeune communauté musulmane. Deux courants se sont alors opposés sur le choix de son successeur à sa tête. Les futurs chiites sont les héritiers des partisans d’Ali (chiiat Ali), cousin et gendre de Mahomet, seul descendant masculin appartenant aux gens de la Maison (ahl al-bayt), alors que les futurs sunnites sont les héritiers des premiers musulmans ayant soutenu Abou Bakr, compagnon de Mahomet, qui considéraient dans le respect des traditions tribales que le calife pouvait être élu ou désigné par son prédécesseur.

Le sunnisme a d’abord représenté le choix de la majorité de la communauté musulmane (oumma) contre les minorités accusées de susciter la division. Les ancêtres des sunnites ont fait primer, à la mort de Mahomet, la préservation de l’unité de l’oumma, le consensus (ijmâ) et le respect vis‑à‑vis du pouvoir en place. Le corpus doctrinal du sunnisme a été forgé à la fin de la dynastie des Omeyyades et au début du règne des Abbassides. Il repose sur quatre rites qui portent le nom des théologiens qui en sont à l’origine : hanafite ([67]), malikite ([68]), chaféite ([69]) et hanbalite ([70]). La sunna (tradition) fait référence à un corpus établi sur la base des actes et paroles de Mahomet. Ils constituent après le Coran, le fondement de la loi religieuse.

Pour les chiites, l’Imam, depuis la mort de Mahomet, est le dépositaire de la loi religieuse, le gardien et l’interprète de cette loi en raison de l’impuissance du Coran et de la sunna à prévoir tous les cas particuliers. La fonction de l’Iman est de guider la communauté des croyants dans les différents aspects de leur existence. L’Imam, à l’instar du Prophète, est désigné par Dieu.

Aujourd’hui, 85 % des musulmans dans le monde appartiendraient à la communauté sunnite, 13 % à la communauté chiite et 2 % à la communauté kharidjite ([71]). Cependant ces chiffres ne sont pas très fiables et certains auteurs mettent en avant une minoration du nombre de fidèles chiites depuis la révolution islamique iranienne de 1979, estimant pour leur part la proportion des chiites entre 15 % et 20 % ([72]).

Le chiisme au Moyen‑Orient

Sources : Le Figaro et Le Monde diplomatique.

Par trois fois, la jeune communauté musulmane a désigné successivement à sa tête des compagnons de Mahomet : Abou Bakr, Omar, Othmân. À la suite de l’assassinat de ce dernier, Ali est désigné calife. Mais ce dernier est accusé par Moawiyya, le gouverneur de la province de Damas d’être impliqué, en 656, dans l’assassinat d’Othmân, son cousin et troisième calife. La communauté des croyants connaît alors la « fitna » ou « grande discorde » qui va durablement scinder l’islam en plusieurs courants. À la suite de la bataille de Siffîn, situé sur la rive droite de l’Euphrate à proximité de l’actuelle Raqqa, Ali accepte un arbitrage avec les troupes de Moawiyya. Cette décision entraîne une première scission avec une partie de ses soutiens qui ne comprenant pas que l’on puisse privilégier la sagesse des hommes au « jugement de Dieu » vont se retourner contre lui. Ils formeront les kharidjites (« ceux qui sortent » en arabe). Ils représentent aujourd’hui un courant minoritaire de l’islam et sont essentiellement présents dans le sultanat d’Oman, à travers la branche des ibadites, sur l’île de Djerba en Tunisie, dans le Mzab algérien et dans les montagnes de Nefousa en Libye. C’est un kharidjite qui assassinera Ali en 661. À la mort de ce dernier, Moawiyya s’autoproclamera calife et fondera la dynastie des Omeyyades. Les partisans d’Ali refuseront de lui prêter allégeance et ses fils Hassan et Hussein seront portés à la tête de cette révolte qui au‑delà d’une dimension politique revêt une dimension spirituelle et religieuse. Les successeurs d’Ali estimant être les dépositaires de la véritable foi de leur grand‑père Mahomet. Les chiites seront finalement défaits par les troupes du calife Yazid, fils de Moawiyya, en 680 au cours de la bataille de Karbala, dans l’actuel Irak, où Hussein périra décapité avec une partie de sa famille. C’est là un événement fondateur qui va inspirer toute la martyrologie propre au chiisme et qui se trouve être totalement étrangère au sunnisme.

Pour l’ensemble des chiites, Ali, Hassan et Hussein représentent les trois premiers imams. Pour les chiites duodécimains ou « imamites » – représentant environ 80 % des chiites – suivront neuf autres imams. Le douzième et dernier imam, Muhammad al‑Mahdî (le bien guidé), « occulté » à partir de 874, représente pour eux le Sauveur eschatologique sensé réapparaître à la fin des temps pour instaurer le règne de la justice et de la vérité. Les imamites seraient plus de 120 millions dans le monde dont la moitié serait localisée en Iran. Le chiisme duodécimain est devenu religion d’État en Perse à partir du XVIe siècle, en en faisant de facto le seul État chiite au monde. Les chiites duodécimains sont par ailleurs majoritaires au Bahreïn, en Irak et en Azerbaïdjan.

Le mouvement chiite au cours de son histoire a connu de nombreux schismes à l’occasion desquels se sont développés d’autres courants minoritaires dont les zaydites appelés par commodité les « chiites à cinq imams ». La répression féroce dont ils furent l’objet les poussa à se réfugier dans des endroits éloignés notamment dans les montagnes du Yémen. Le dernier chef zaydite du Yémen ne fut renversé qu’en 1962 à la faveur d’une révolution pro‑nassérienne. En 2014, leur nombre était estimé à 5 millions de personne, soit environ la moitié de la population yéménite. Le zaydisme, qui au fil des siècles a perdu nombre de ses spécificités chiites, constitue la principale confession des rebelles Houthis. De même, les ismaéliens appelés par commodité les « chiites à sept imams » dont le poids politique et culturel fut majeur au Moyen-Âge, notamment sous le califat des Fatimides, fondateurs de l’université al-Azhar, l’un des plus anciens établissements d’enseignement au monde. Subdivisés en plusieurs branches, ce courant originellement rigoriste a évolué vers l’ésotérisme. Les ismaéliens seraient aujourd’hui environ un million répartis principalement entre l’Inde, l’Asie centrale et l’Iran oriental. Le courant des Muwahhidun (Unitaires) plus connus sous le nom de Druzes, découle également du chiisme ismaélien. Au cours de leur histoire, ils prirent progressivement leur distance avec le chiisme et l’islam en général pour apparaître comme une religion à part. Ils seraient actuellement plusieurs centaines de milliers dans le sud de la Syrie, au Liban et en Israël.

b.   La contribution des récits de cette opposition à la construction et à l’exacerbation des tensions confessionnelles

Le clivage entre chiites et sunnites sert souvent d’explication commode pour justifier la conflictualité au Moyen‑Orient en faisant de l’affiliation confessionnelle un déterminant central des dynamiques géopolitiques à l’œuvre dans la région. Cependant, cette représentation d’une nouvelle « grande discorde » entre chiites et sunnites, partagée par de nombreux dirigeants, n’est pas neutre et il semble essentiel pour les rapporteurs d’y recourir avec prudence et discernement. En effet, cette grille d’analyse confessionnelle n’épuise pas toute la réalité des équilibres régionaux et tend au contraire à masquer les ressorts internes des différentes crises au Proche et au Moyen‑Orient. De plus, une telle approche peut paradoxalement avoir pour effet de contribuer à façonner la réalité qu’elle est censée décrire. Cette grille de lecture confessionnelle que l’on a trop souvent tendance à appliquer sans nuance a un effet de réalité que l’on ne saurait sous-estimer.

Certains discours sur le sectarisme au Moyen‑Orient font de l’opposition confessionnelle entre chiites et sunnites un facteur inné de conflit insurmontable, perpétuant ainsi le différend de la grande discorde qui a déchiré la communauté musulmane primitive à la mort de Mahomet. D’autres discours, en revanche, font de cette opposition un phénomène construit qui peut être mobilisé par les élites dirigeantes en fonction des époques et des enjeux politiques. Un tel narratif aurait alors pour fonction de pérenniser leur pouvoir ou de promouvoir les intérêts géopolitiques de leur pays face à des puissances concurrentes. Tous ces discours ont en commun de faire du facteur confessionnel un déterminant de la conflictualité au Moyen-Orient. En fondant certaines décisions politiques, ils en accroissent encore davantage la centralité. Ainsi, loin d’être de simples descriptions de la réalité, ces discours participent de sa construction et ont pour effet de renforcer le sectarisme au Moyen‑Orient. Une approche dynamique de l’antagonisme confessionnel opposant chiites et sunnites au Moyen‑Orient semble donc plus opportune. Le phénomène sectaire dans la région paraît, en effet, façonné par plusieurs facteurs historique, institutionnel et économique.

i.   Facteur historique

Le clivage chiite-sunnite paraît étroitement lié à l’histoire, y compris contemporaine, des différents pays de la région. Staci Strobl, chercheuse et spécialiste des identités arabe et persane, montre ainsi comment les discriminations dont sont victimes les populations chiites au Bahreïn et dans les provinces orientales de l’Arabie saoudite sont la conséquence directe d’une double rupture historique : d’une part, l’arrivée, au début du XXe siècle, des tribus sunnites dans ces régions littorales et, d’autre part, l’impérialisme britannique et la constitution d’États indépendants qui ont institutionnalisé l’hégémonie sunnite([73]). En ne prenant pas en compte cette dimension historique, on s’interdit pour l’auteure de comprendre « linteraction profonde de conceptions de lidentité ancrées culturellement et socialement, qui se sont développées à travers lhistoire du Golfe arabe et ont façonné lÉtat-nation comme sectaire » ([74]). Des événements historiques plus récents permettent également de mieux comprendre l’opposition chiite-sunnite au Moyen‑Orient à l’instar de l’évolution de la politique extérieure de l’Iran dont la dimension sectaire s’est considérablement renforcée ces dix dernières années. Initialement, l’exportation de sa révolution constituait l’objectif premier de la République islamique d’Iran, ambition qui excluait par définition toute approche sectaire. Mais les « printemps arabes » et plus particulièrement le conflit syrien ont conduit Téhéran à renforcer la dynamique sectaire de sa politique extérieure. Face à une rébellion syrienne – majoritairement sunnite – bénéficiant du soutien des États arabes du Golfe, l’Iran a eu recours à une rhétorique sectaire de plus en plus marquée, utilisant le levier de la solidarité chiite en appui au régime de Bachar al‑Assad, renforçant par là-même une lecture sectaire de sa politique extérieure. Frederic Wehrey, chercheur spécialiste du Moyen‑Orient, souligne que « ces partenariats [avec des groupes non étatiques chiites] paraissent, en particulier pour les ennemis et rivaux sunnites de lIran, être en train de se transformer en un mouvement transnational de militantisme chiite sous le commandement de lIran. Ce nest pas une erreur de perception, mais plutôt quelque chose que les Gardiens de la révolution estiment eux aussi avoir atteint » ([75]).

ii.   Facteur institutionnel

L’antagonisme confessionnel entre chiites et sunnites a pu, par ailleurs, être renforcé par les structures institutionnelles des États de la région à l’image de la situation qui prévaut actuellement en Irak. La reconstruction de l’État irakien à la suite de la chute de Saddam Hussein après 2003 a ainsi eu tendance à favoriser la communauté chiite en réaction à marginalisation dont ils avaient pu être les victimes sous le régime précédent. Cette construction « chiito-centrée » a eu pour effet d’alimenter en retour une mobilisation de la communauté sunnite autour de leur identité confessionnelle.

iii.   Facteur économique

Le sectarisme dans les pays du Golfe peut également se voir renforcé par un facteur économique. L’économie politique pourrait ainsi sous‑tendre les antagonismes confessionnels dans un certain nombre de cas, notamment au Bahreïn, au Koweït et au Qatar. Ainsi, Justin Gengler, politologue et spécialiste du Moyen‑Orient, explore l’hypothèse selon laquelle les gouvernants tendraient à mettre l’accent sur les tensions sectaires et l’instabilité régionale pour s’assurer à moindre coût du soutien de leurs populations, en dépit de leurs performances économiques. L’auteur indique qu’en « alimentant la défiance intercommunautaire, en semant la crainte de menaces extérieures et en soulignant leur capacité exceptionnelle à garantir la sécurité, les élites peuvent renforcer le soutien des loyalistes et contenir les incitations à la protestation parmi réformistes à un coût moindre que celui quinduirait la fourniture normale de bénéfice matériel » ([76]). L’exemple de la Syrie permet également de mieux comprendre comment l’économie politique d’un système de domination peut générer des clivages sectaires au sein d’une société donnée qui ne feront que s’aggraver en période de conflit. Heiko Wimmen, chercheur spécialiste du Moyen‑Orient, montre ainsi comment la montée du phénomène sectaire en Syrie est très antérieure à la guerre civile et constitue directement le produit du système politique mis en place par Hafez al-Assad([77]). La pérennité du régime est passée par le recrutement de parents et d’alliés, généralement alaouites, de la famille al-Assad. Une telle position s’accompagnant généralement d’un accès privilégié aux ressources économiques, la communauté alaouite en est venue à symboliser aux yeux du reste de la population les privilèges et abus du régime, alors même que seule une minorité des Alaouites était effectivement associée à celui-ci ([78]).

Le cas syrien illustre de manière exemplaire, aux yeux des rapporteurs, les dangers d’une compréhension hasardeuse du phénomène sectaire au Moyen‑Orient. Croire que la conflictualité est consubstantielle à l’antagonisme confessionnel conduit à fermer les yeux sur la manière dont les régimes autoritaires génèrent, par la nature de la domination qu’ils exercent et par leur mode de fonctionnement, des tensions qui peuvent prendre la forme de clivages confessionnels. Les graves conséquences d’une telle lecture des événements doivent conduire à une approche la plus fine possible des phénomènes sectaires à l’œuvre dans chacun des pays concernés en prenant en compte chacun des facteurs les ayant façonnés et les alimentant.


II.   Les stratÉgies de la France dans un Moyen‑Orient instable

A.   Les intÉrÊts stratÉgiques de la France au Moyen-Orient

1.   Une instabilité et une violence qui menacent directement notre sécurité nationale

a.   Les intérêts de la France dans la région

i.   La sécurisation de la navigation

Les intérêts stratégiques de la France au Moyen‑Orient concernent de moins en moins les approvisionnements énergétiques mais portent plus nettement sur la liberté de navigation dans la région – canal de Suez, mer Rouge, mer d’Arabie, golfe Persique.

Le golfe Persique représente, en effet, un couloir maritime stratégique, par lequel transite notamment un cinquième de la consommation mondiale de pétrole. Suite aux graves incidents sécuritaires qui se sont déroulés dans cette zone au printemps et à l’été 2019, il paraît primordial d’œuvrer en faveur d’un apaisement des tensions afin que ce passage stratégique ne puisse pas être entravé, ce qui ne manquerait pas de conduire à d’importantes perturbations économiques.

Les États-Unis ont mis en place une mission maritime dans le Golfe baptisée IMSC (International Maritime Security Construct). L’Arabie saoudite, l’Australie, Bahreïn, les Émirats arabes unis, Israël et le Royaume‑Uni notamment y participent. La France a choisi de ne pas y prendre part et les rapporteurs saluent cette décision car une telle initiative ne semble pas à même de contribuer à une désescalade des tensions dans la région mais pourrait bien au contraire les aggraver en cas d’accrochage.

Le président iranien, Hassan Rohani, a pour sa part, présenté, lors de la dernière l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2019, un plan de sécurité régionale, baptisé HOPE (HOrmuz Peace Endeavor). Cette initiative inclut l’ensemble des États de la région mais rejette tout soutien de puissances extérieures. Cependant, à ce stade, aucun des pays de la région n’a exprimé publiquement son soutien au plan iranien.

La France a fait le choix, en promouvant la mise en place d’une mission européenne de surveillance maritime dans le Golfe, d’agir avec certains de ses partenaires européens, en faveur d’une amélioration des conditions de navigation dans la région du détroit d’Ormuz, tout en favorisant une désescalade des tensions. Le dispositif ainsi mis en place, dont le poste de commandement est installé dans la base navale française d’Abou Dabi, devrait principalement consister en une collecte de renseignements et une surveillance des navires iraniens évoluant dans le golfe Persique.

ii.   La lutte contre le terrorisme international

Les intérêts stratégiques de la France au Moyen‑Orient concernent également la sécurisation de la zone et la lutte contre le terrorisme, le djihadisme et l’islamisme radical et plus particulièrement la lutte contre Daech en Irak et en Syrie.

À ce titre, les conséquences du retrait unilatéral des Américains et l’offensive militaire turque dans le Nord‑Est syrien à l’automne 2019 inquiètent significativement les rapporteurs. Situation qui s’est récemment trouvée aggravée par le vote déjà évoqué, le 5 janvier 2020, d’une résolution du Parlement irakien exigeant le retrait des troupes étrangères d’Irak suite à l’élimination du général Soleimani sur ordre de la Maison‑Blanche. En conséquence, des missions de la Coalition internationale contre Daech ont été suspendues. Cette situation représente, hélas, une aubaine pour les cellules clandestines de Daech, qui, en Irak et en Syrie, ne manqueront pas de profiter de cette opportunité qui leur est donnée pour se reconstituer.

Il paraît primordial pour les rapporteurs que la lutte contre Daech soit maintenue, voire intensifiée, afin d’empêcher le groupe terroriste de s’étendre, notamment en direction de la Méditerranée. La France doit continuer à porter et défendre la vision géopolitique réaliste qui est la sienne s’agissant de l’immense zone allant de l’Afrique du Nord aux confins de la péninsule arabique, en passant par le Levant. Elle doit continuer de veiller et d’œuvrer pour que les foyers terroristes ne soient pas en mesurer de fusionner entre la bande saharo‑sahélienne, le chaos libyen, l’instabilité au Levant et le conflit au Yémen.

 

Le rôle de la France auprès des chrétiens d’Orient

Les communautés chrétiennes orientales n’apparaissent pas comme un ensemble homogène. Elles englobent plusieurs confessions (grecs orthodoxes et catholiques, syriaques catholiques et orthodoxes, arméniens apostoliques, catholiques et protestants, maronites, catholiques latins, coptes catholiques, orthodoxes et protestants…) et se trouvent géographiquement réparties entre l’Égypte, l’Irak, Israël, la Jordanie, le Liban, la Syrie, les Territoires palestiniens et la Turquie.

L’investissement de la France aux côtés des communautés chrétiennes d’Orient est ancien comme l’atteste la signatature, sous le règne de François Ier, des capitulations liant le royaume de France et l’Empire ottoman portant sur la protection des sujets non musulmans de l’Empire ou l’envoi, sous le règne de Napoléon III, d’un corps expéditionnaire français en Syrie, en soutien aux troupes du sultan, pour mettre fin aux massacres des populations chrétiennes.

Les rapporteurs estiment que les différentes minorités au Moyen‑Orient, dépositaires d’un patrimoine bimillénaire, représentent une richesse pour les sociétés concernées. Ils considèrent, en outre, que le caractère multiconfessionnel de la région ainsi que sa diversité ethnique représentent un gage de stabilité.

Ces communautés ont été, ces dernières années, grandement éprouvées par les exactions commises par Daech en Irak et en Syrie. En outre, le groupe terroriste a commis des violences iconoclastes à l’encontre du patrimoine des communautés chrétiennes mais également yézidies ainsi que musulmanes, chiites et sunnites.

La France, fidèle à son engagement séculaire en faveur des minorités du Moyen‑Orient, s’est fortement engagée pour les soutenir, ce que les rapporteurs tiennent à saluer. Ainsi, en septembre 2015, la conférence internationale sur les victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen‑Orient a eu lieu à Paris afin de prendre des mesures pour leur venir en aide. Par ailleurs, en 2015, un fonds de soutien aux victimes religieuses au Moyen‑Orient a été créé et a notamment permis de soutenir des projets mis en œuvre en faveur des réfugiés déplacés chrétiens. Enfin, l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (Alliance for the Protection of Heritage in Conflict Areas ALIPH en anglais) a été mise en place, en 2016. L’une des premières actions de ce fonds a consisté à soutenir la rénovation de la mosquée de Mossoul.

Pour les rapporteurs, la France doit continuer à s’engager aux côtés des minorités opprimées au Moyen‑Orient en renforçant et en diversifiant ses actions notamment dans le domaine de l’éducation et de la protection du patrimoine.

b.   L’importance du dispositif militaire

i.   L’accord de défense avec les Émirats arabes unis

Les Émirats arabes unis apparaissent comme le premier partenaire militaire de la France au Moyen‑Orient. La coopération de défense entre nos deux pays est l’une des plus denses et diversifiées que la France ait dans le Golfe. L’accord franco‑émirien relatif à la coopération en matière de défense a été signé en 2009 et a été complété par un accord par échange de lettres signées en 2010. Il reprend notamment la clause d’assistance prévue dans l’accord de défense antérieur datant de 1995. Il formalise, par ailleurs, l’installation militaire française à Abou Dabi avec la base permanente des Forces françaises aux Émirats arabes unis (FFEAU) et fixe le statut des forces appelées à mettre en œuvre des actions de coopération sur les territoires français et émirien. Environ 650 militaires français sont stationnés sur la base des FFEAU, composée d’une base aérienne, d’une base navale et du 5e régiment de Cuirassiers.

L’accord, entré en vigueur le 1er mai 2012, a été conclu pour une durée de quinze ans, renouvelable par notification écrite. Il arrivera à échéance le 30 avril 2027 et sa prorogation devra être explicite. À ce stade, elle n’a pas encore fait l’objet de discussions formelles.

Au cours de ces dix dernières années, la présence des FFEAU a facilité et renforcé notre coopération opérationnelle. En premier lieu, cette implantation constitue un point d’appui stratégique pour nos opérations dans la région. Elle offre une capacité de déploiement rapide qui s’est révélée indispensable dans le cadre de l’opération Chammal contre Daech en Irak et en Syrie. Elle s’avère également utile en vue de l’implantation future de l’état-major de la mission européenne de surveillance maritime (EMASoH) dans le golfe Persique, au sein de la base navale française d’Abou Dabi. En second lieu, la présence des FFEAU aux Émirats facilite la projection de nos forces vers la zone indopacifique. En effet, la base navale d’Abou Dabi accueille conjointement l’état-major de la zone maritime de l’océan Indien (ZMOI) et le commandement supérieur des forces françaises aux Émirats arabes unis (ALINDIEN/COMFOR FFEAU) constituant une base complémentaire à celle de Djibouti pour assurer la coopération avec nos partenaires dans cette zone de responsabilité. Enfin, la base des FFEAU à Abou Dabi joue un rôle clé dans la mise en œuvre de notre coopération militaire bilatérale avec les Émirats. Celle-ci s’articule notamment autour d’exercices bilatéraux qui permettent de renforcer l’interopérabilité de nos deux armées. Dans ce cadre, un exercice interarmées a lieu tous les quatre ans. De plus, un exercice d’état-major quadripartite (Émirats arabes unis, États-Unis, France, Royaume‑Uni) se déroule régulièrement aux Émirats. Cette implantation facilite également les entraînements au combat en zones désertique et urbaine et permet de dispenser des formations dans le domaine de la santé, des opérations aériennes et terrestres. Par ailleurs, les bâtiments de la Marine nationale opérant dans la zone effectuent régulièrement des escales à Abou Dabi.

Compte tenu de l’utilité avérée de cette base et de son importance stratégique dans une région particulière instable, les rapporteurs préconisent que les discussions visant au renouvellement de notre partenariat de défense avec les Émirats débutent le plus en amont possible.

ii.   L’accord de défense avec le Qatar

Depuis le 5 juin 2017, le Qatar fait l’objet d’un embargo imposé à la suite d’une crise diplomatique l’opposant à trois de ses voisins – l’Arabie saoudite, le Bahreïn et les Émirats arabes unis – ainsi qu’à l’Égypte. Ces derniers critiquent le soutien que le Qatar a apporté à la mouvance des Frères musulmans au moment des « printemps arabes », le rôle de sa chaîne satellitaire alJazeera et lui reprochent une certaine proximité avec l’Iran et la Turquie.

Afin de compenser cet isolement, qui dure depuis plus de deux ans, le Qatar a cherché à diversifier ses partenariats de défense et a intensifié ses demandes de coopération de défense avec ses alliés traditionnels. Dans ce contexte, le Qatar a souhaité afficher la solidité de notre coopération militaire bilatérale qui est ancienne puisque l’accord de défense liant la France et le Qatar date de 1994. Il a été prorogé, en juillet 2019 jusqu’au 31 juillet 2024. Par ailleurs, après plusieurs années de négociations, un accord sur le statut des forces a été signé le 25 novembre 2019, il devrait permettre de mieux encadrer les exercices et activités militaires bilatéraux franco‑qatarien.

iii.   L’accord de défense avec le Koweït

La France a noué un accord de défense avec le Koweït, en 2009, faisant de cet État du Golfe un autre partenaire privilégié de la France dans la région. Ce pays se trouve notamment au cœur du dispositif français mis en place dans le cadre des opérations de lutte contre Daech en Irak et en Syrie.

L’accord noué avec le Koweït a également rendu possible le succès des exercices interarmées bilatéral quadriennal dénommés Pearl of the West (PoW) qui visent à renforcer l’interopérabilité de nos armées. Par ailleurs, cet accord de défense facilite opportunément les escales des bâtiments de la Marine nationale.

2.   Des enjeux économiques d’importance pour la France

a.   Des faiblesses qui n’interdisent pas un potentiel de croissance élevé

i.   Des faiblesses structurelles

D’une manière générale, les économies du Moyen-Orient restent très fortement exposées aux tensions géopolitiques régionales. L’instabilité politique généralisée, d’une part, et la multiplication des conflits armés ou des foyers de tensions, d’autre part, notamment en Irak, au Liban, en Syrie, au Yémen et dans les Territoires palestiniens, exacerbent les difficultés économiques de la région. C’est notamment le cas au Liban, où le redressement économique du pays, dans la ligne des engagements de la conférence internationale « CEDRE » ([79]) de Paris du 6 avril 2018, se heurte aux clivages communautaires et aux échecs de la politique de dissociation à l’égard du conflit syrien. Dans la région du Golfe, l’économie du Qatar subit depuis le 5 juin 2017 les effets du blocus imposé par l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les Émirats arabes unis et l’Égypte qui comprend notamment la fermeture des frontières terrestres et maritimes, l’interdiction de survol du territoire ainsi que des restrictions imposées aux déplacements des personnes.

La découverte de gisements d’hydrocarbures considérables dans la région depuis le début du XXe siècle a entraîné, chez les pays exportateurs, une forte dépendance aux hydrocarbures et une faible diversification de leur économie. Comme nous l’avons déjà vu, l’Arabie saoudite est le premier exportateur mondial de pétrole, dont la production représentait en 2018, 31 % du PIB et 79 % des recettes d’exportation. Depuis 2006, le Qatar est pour sa part le premier producteur et exportateur de gaz naturel liquéfié (GNL), grâce à l’exploitation des troisièmes réserves mondiales situées dans le golfe Persique sur le champ offshore North Field ([80]). Les hydrocarbures représentent ainsi 47 % du PIB qatarien et 85 % de ses exportations en 2017 ([81]). L’Iran conserve également un fort potentiel mais accuse un retard ou des difficultés liés aux sanctions internationales qui ciblent son économie.

Par ailleurs, la forte volatilité du cours du pétrole, et notamment sa très grande réactivité aux crises politiques et sécuritaires, constitue un facteur de vulnérabilité pour les économies régionales. Ainsi, les attaques menées, à l’aide de drones, contre les installations pétrolières de la Saudi Aramco, le 14 septembre 2019, avaient fait bondir les prix du baril de 15 % à 19 % ([82]). En outre, la rente énergétique favorise le maintien de régimes autoritaires, la concentration des pouvoirs ([83]) et le développement d’un clientélisme d’État, la redistribution de la rente jouant un rôle d’amortisseur social ([84]).

Enfin, il faut mentionner des vulnérabilités intérieures spécifiques à certaines économies du Proche et du Moyen‑Orient engendrées par des problèmes de gouvernance, touchant notamment à la corruption et à la bureaucratie, provoquant un climat instable pour les affaires et générant une économie informelle parallèle. Dans un rapport du Cercle des économistes arabes, intitulé Le travail informel dans les pays arabes, faits et droits, présenté en octobre 2017 devant le Bureau international du travail (BIT), le travail dissimulé est présenté comme un phénomène global touchant l’ensemble des économies de la région, à l’exception des monarchies du Golfe dans lesquels la demande de travail s’ajuste à l’offre via l’afflux et le reflux de travailleurs étrangers. La part du travail informel s’élèverait ainsi à 52 % des actifs en Irak, contre 50 % en Jordanie, 60 % dans les Territoires palestiniens, 73 % au Liban et 81 % au Yémen.

D’autres font face à des difficultés d’ordre budgétaire dans un contexte de croissance insuffisante pour supporter le poids des dépenses publiques. Le Liban se trouve actuellement dans une telle situation avec une forte dégradation de sa situation économique et financière en 2018 avec une hausse de sa dette publique, qui s’élève à plus de 86 milliards de dollars, soit un peu plus de 150 % du PIB et un déficit budgétaire important ([85]). Cette crise socio‑économique s’est depuis muée en une véritable crise politique à la suite de l’annonce, en octobre 2019, de l’introduction d’une taxe nouvelle sur les appels via les messageries par internet. Ce projet, rapidement retiré, a provoqué un mouvement de contestation populaire à l’encontre de la classe dirigeante libanaise qui n’a cessé de gagner en ampleur, ces dernières semaines.

Par ailleurs, la baisse durable des prix du baril de pétrole a contraint les pays du Moyen‑Orient riches en hydrocarbures à s’engager dans des réformes structurelles de leur économie. En effet, cette baisse a mécaniquement entraîné une réduction des revenus liés aux exportations, qui a mis en évidence des déséquilibres budgétaires récurrents et une faible diversification de leur économie. Si le Qatar et le Koweït bénéficient encore de leurs excédents budgétaires passés, Bahreïn et Oman sont désormais confrontés à des déficits significatifs, et l’Arabie saoudite doit également surveiller l’augmentation de sa dette publique. Les réformes structurelles des économies du Golfe annoncées, ces dernières années, notamment en Arabie saoudite et au Koweït, offre de nouvelles perspectives pour les entreprises françaises, notamment dans les secteurs liés au développement durable, aux industries innovantes, à la gestion des ressources, à la santé et au tourisme. Sur ce point, les Émirats arabes unis et le Bahreïn se sont distingués par une diversification économique plus précoce que les autres États du Golfe. Dès le début des années 1980, les Émirats ont anticipé la transformation de leur modèle économique en développant une plateforme de services, notamment à Dubaï autour des secteurs portuaires et aéroportuaires, financiers et touristiques. Aujourd’hui, les réexportations de biens comptent pour 35 % des exportations totales, quand la part des hydrocarbures dans le PIB est inférieure à 30 % depuis 2015 ([86]). Le marché des nouvelles technologies est particulièrement dynamique et bénéficie d’une politique gouvernementale volontariste ([87]). En outre, de nombreux projets d’envergure sont prévus à l’approche de l’Exposition universelle Dubaï 2020. Le Bahreïn est également un cas particulier, ayant choisi pour priorité le développement de son industrie et des services financiers depuis les années 1970, secteurs qui représentent respectivement 16,5 % et 14,8 % du PIB en 2018.

ii.   De nombreux atouts économiques et un potentiel de croissance élevé

La situation géographique du Proche et Moyen-Orient se révèle exceptionnelle du point de vue commercial, la région se situant au carrefour de plusieurs mers – dont la Méditerranée et l’océan Indien – et de trois continents
– l’Afrique, l’Asie et l’Europe. La région abrite, par ailleurs, deux détroits constituant des verrous stratégiques pour le commerce mondial : le détroit de Bab el‑Mandeb, par lequel a transité, en 2018, un volume de pétrole de l’ordre de 5,5 millions de barils par jour, et celui d’Ormuz, où le volume transporté était de l’ordre de 18,5 millions ([88]). En outre, le canal de Suez, ouvert en 1869, en raccourcissant considérablement les délais de transport entre l’Europe et l’Asie a grandement renforcé la valeur géostratégique de la région. À son sujet, Ernest Renan dira à juste titre, à l’occasion de l’admission de Ferdinand de Lesseps, promoteur du canal, à l’Académie française, le 23 avril 1885 : « Un seul Bosphore avait suffi jusquici aux embarras du monde ; vous en avez créé un second, bien plus important que lautre, car il ne met pas seulement en communication deux parties de mer intérieure ; il sert de couloir de communication à toutes les grandes mers du globe. En cas de guerre maritime, il serait le suprême intérêt, le point pour loccupation duquel tout le monde lutterait de vitesse. Vous aurez ainsi marqué la place des grandes batailles de lavenir » ([89]).

La démographie dynamique de la région représente également un fort potentiel de croissance mais constitue dans le même temps un véritable défi pour les pouvoirs publics. Les pays du Moyen‑Orient peuvent compter sur des marchés intérieurs significatifs disposant d’une demande en biens d’équipements et de consommation en forte croissante, à l’image de l’Égypte (98 millions d’habitants), de l’Iran (83,3 millions), de l’Irak (37,2 millions) et de l’Arabie saoudite (32,9 millions). À l’exception de la Syrie, qui a vu sa population décroître en raison de la guerre civile syrienne ravageant le pays depuis 2011, tous les États du Moyen‑Orient affichent une croissance démographique continue. Ces populations sont urbanisées, jeunes et de plus en plus éduquées. Selon des données de la Banque mondiale, le taux d’urbanisation moyen de la zone s’élevait, en 2018, à 65 % ([90]). En 2017, le pourcentage des personnes de moins de vingt-cinq ans au sein des différentes populations s’élevait à 30 % en Arabie saoudite, 31 % en Égypte, 37 % en Jordanie, 40 % en Irak, 40 % dans les Territoires palestiniens et 40 % au Yémen ([91]). Les données de la Banque mondiale font état d’une alphabétisation croissante de la zone Afrique du Nord‑Moyen‑Orient en 2018 avec un taux moyen de 97 % dans les Territoires palestiniens, 98 % en Jordanie, 96 % au Koweït et à Oman, 95 % au Liban et en Arabie saoudite et de 93 % au Qatar ([92]).

Pour autant, ces populations sont confrontées à un fort taux de chômage structurel, notamment en Jordanie (de l’ordre de 15 % en 2018), en Égypte (de l’ordre 11,4 % en 2018), en Iran (de l’ordre de 13,9 % en 2019) ([93]). Dans un rapport publié en octobre 2019, le FMI a estimé que le chômage – conjugué à une croissance en berne – alimentait durablement la contestation sociale dans les États du Moyen‑Orient. C’est cette situation qui déstabilise aujourd’hui fortement l’Irak, l’Iran et Liban.

 

 

 

 

 

 

Tensions géopolitiques autour des réserves de gaz en Méditerranée orientale

La découverte d’importants gisements gaziers offshore israéliens(1), égyptiens(2), et dans une moindre mesure chypriotes(3) est porteuse d’opportunités économiques mais attise les convoitises internationales. D’un potentiel estimé à 3 500 milliards de mètres cubes (m3) selon l’Institut géologique des États-Unis (USGS), soit presque autant que les réserves prouvées en Algérie, ces réserves sont stratégiques pour les États côtiers. L’Égypte aurait, exemple notable, recouvré son indépendance énergétique et viserait désormais à développer une filière d’exportation de gaz liquéfié. Mais ces découvertes ont également entraîné une forte concurrence régionale. Alors qu’Athènes, Nicosie et Le Caire ont joint leurs efforts, la Turquie mène sa propre diplomatie, motivée tant par ses intérêts économiques (gazoducs TANAP et à présent Turkstream, opéré par Gazprom et BOTAS et inauguré le 8 janvier 2020 par les présidents russe et turc) que par ses revendications de souveraineté (campagnes de forage et « contre-forage » en zone économique exclusive chypriote, malgré les condamnations répétées de l’Union européenne). La France a, par ailleurs, tenu le 13 octobre 2019 un exercice naval conjoint dans les eaux chypriotes (4).

Face à ces défis, une diplomatie gazière s’est développée en Méditerranée orientale. La Grèce et Chypre mènent une diplomatie active, par la mise en place d’un réseau de formats trilatéraux depuis 2014, auxquels participent l’Égypte, mais aussi Israël, les Territoires palestiniens, la Jordanie et le Liban. Par ailleurs, l’Égypte s’est placée au centre du jeu en créant le Forum du gaz de la Méditerranée orientale, dont le siège est basé au Caire. Ce Forum a vocation à être une organisation internationale avec l’objectif de créer un marché régional intégré du gaz. Fondée sur une charte et des institutions, elle associerait États, industriels et bailleurs. C’est dans ce cadre que sont intervenues les signatures des accords d’approvisionnement entre Israël et l’Égypte en février 2018 pour la remise en service du gazoduc reliant Arish et Ashkelon, puis entre Chypre et l’Égypte prévoyant la construction d’un gazoduc reliant le champ gazier chypriote Aphrodite à l’Égypte. Enfin, le projet de gazoduc EastMed, infrastructure de 1 872 kilomètres au coût estimé entre 5 et 7 milliards d’euros, devrait permettre la création d’un hub gazier méditerranéen dès 2025. Il vise à acheminer entre 9 et 11 milliards de mètres cubes par an de gaz naturel en provenance d’Israël et de Chypre et en direction de la Grèce, puis de rejoindre les projets de gazoducs Poséidon (interconnexion entre la Grèce et l’Italie) et IGB (interconnexion entre la Grèce et la Bulgarie)(5).

(1) Israël dispose des premières réserves de la zone à la suite de la découverte des gisements de Tamar en 2009 puis Leviathan en 2010. Tamar a été mis en production en 2013, et exporte 40 % de sa production. Leviathan devrait consacrer la majeure partie de sa production à l’export. L’Égypte et la Jordanie sont les principaux destinataires de ces exportations.

(2) Le gisement de Zohr a commencé à alimenter le marché égyptien début 2018. Son opérateur, l’Italien ENI annonce des réserves gazières assez importantes pour permettre à l’Égypte d’assurer son indépendance énergétique, voire, à terme, d’exporter son gaz.

(3) Chypre disposerait des troisièmes réserves de gaz de la Méditerranée orientale ; toutefois, les réserves de son champ Aphrodite sont en-deçà du volume espéré ; celles du gisement Calypso, découvert par Total et ENI, demeurent incertaines.

(4) « La frégate La Fayette a mené un exercice bilatéral avec les forces armées chypriotes », Col Bleu, octobre 2019.

(5) Franck Stassi, « Le gazoduc EastMed se précise en Méditerranée, sur fond de tensions », Usine Nouvelle, 2 janvier 2020.

 

La France est investie en Méditerranée orientale en tant que membre de l’Union européenne, qui voit dans le projet Eastmed l’opportunité de diversifier et de sécuriser son approvisionnement énergétique afin de limiter la dépendance au gaz russe, et subventionne le projet à hauteur de 34,5 millions d’euros[94]. Par ailleurs, la France est concernée par l’implication de ses entreprises nationales. L’opérateur Total est positionné à Chypre sur sept des treize blocs attribués et au Liban avec l’exploitation de deux blocs en partenariat avec ENI. Total est le premier acteur étranger en Égypte pour la distribution de produits pétroliers. Le groupe IFPEN est présent et bien connu en Égypte, notamment à travers ses filiales commerciales. Les rapporteurs estiment que la France doit continuer à soutenir le projet du gazoduc Eastmed, une étape majeure en faveur de la souveraineté et de la diversification énergétique européenne, tout en rappelant son attachement aux règles du droit maritime international dans cette zone conflictuelle.

 

b.   Des relations économiques privilégiées avec les pays de la région qu’il nous faut renforcer et dynamiser

i.   Des relations commerciales dynamiques avec la plupart des pays de la région

Si les relations commerciales de la France avec les pays du Moyen‑Orient sont sans commune mesure avec celles que nous partageons avec nos partenaires européens, les exportations et importations de la France en direction du Moyen‑Orient, hors matériel militaire, se révèlent dynamiques. L’Arabie saoudite représente à l’échelle régionale notre premier partenaire commercial régional et notre vingtième partenaire à l’échelle mondiale avec 9,9 milliards d’euros échangés en 2018, soit une augmentation de 15 % par rapport à l’année 2017 ([95]). La France représente pour sa part 3,4 % des importations saoudiennes en 2018, et constitue son sixième fournisseur ([96]). La France exporte majoritairement à destination de ce pays, hors matériel militaire, du matériel de transport (aéronautique) et des produits informatiques, électroniques et optiques. Il faut souligner que notre relation reste fortement tributaire des contrats d’envergure. En retour, les importations françaises concernent quasi exclusivement, de l’ordre de 98 % en 2018, des produits pétroliers, l’Arabie saoudite représentant le premier pays de provenance du pétrole brut importé en France ([97]). Après avoir fortement baissé entre 2016 et 2017, ces importations ont explosé de 55 % en 2018 pour atteindre à 6,5 milliards d’euros.

En outre, en 2018, le total des exportations françaises d’armement s’est élevé à 9,1 milliards d’euros en augmentation de 30% par rapport à 2017([98]). Les prises de commande émanant du Moyen‑Orient ont constitué, cette même année, 45% du montant total des ventes françaises. À titre de comparaison, les exportations à destination de nos alliés européens représentaient 25% des exportations totales d’armement. Une part importante de ces prises de commande était constituée de deux contrats majeurs signés avec le Qatar, pour un total d'environ 2,5 milliards d'euros, portant sur la livraison de 28 hélicoptères de type NH 90 d’une part, et pour la livraison de 12 Rafales d’autre part. Ces deux contrats font partie des cinq contrats supérieurs à un montant de 500 millions entrés en vigueur en 2018, en plus de ceux concernant des navires patrouilleurs à destination de l’Arabie saoudite. Le Qatar représente le premier client des industries d’armement françaises avec un total de 2,37 milliards d’euros de commande en 2018 – contre 1,1 milliard en 2017, soit une augmentation de plus de 100%. L’Arabie saoudite constitue notre troisième client, avec des prises de commandes de 949,3 millions d'euros en 2018 contre 626,3 en 2017.

À l’exception de la Syrie et du Yémen, qui connaissent actuellement de graves situations de conflits armés, la France entretient également d’excellentes relations économiques avec l’ensemble des autres États de la région. Les Émirats arabes unis représentent le deuxième partenaire de la France à l’échelle régionale, avec 4,4 milliards d’euros échangés en 2018. Les échanges réalisés avec le Qatar dépassent systématiquement les 2 milliards par an, et ont enregistré un pic de l’ordre de 3,5 milliards d’euros en 2018, soit une augmentation de 33 % par rapport à 2017. Les échanges commerciaux réalisés avec Israël et les Territoires palestiniens atteignent pour leur part 2,6 milliards en 2018. L’Égypte quant à elle représente à l’échelle du Moyen‑Orient notre cinquième partenaire régional avec des échanges de l’ordre de 2,47 milliards d’euros en 2018, échanges qui se révèlent stables depuis 2014. Enfin, il faut également noter une progression spectaculaire de l’ordre de 27 % des échanges franco‑koweïtiens en 2018 par rapport à l’année précédente et qui ont atteint 976,7 millions d’euros.

Par ailleurs, nos échanges commerciaux avec l’Iran, équivalant à 2,4 milliards d’euros en 2018, ont chuté de 47 % par rapport à 2017 suite au durcissement des sanctions internationales. En outre, il faut également noter une progression spectaculaire de 27 % des échanges franco-koweïtiens en 2018 par rapport à 2017, pour atteindre 976,7 millions d’euros.

Dans le contexte général d’un solde commercial français en déficit de l’ordre de 5,584 milliards d’euros en novembre 2019 ([99]), il est particulièrement intéressant de noter que la France dispose, en sens inverse, d’un excédent avec de nombreux pays du Moyen‑Orient. Nos principaux surplus commerciaux dans la région concernent nos échanges avec les Émirats arabes unis, l’Égypte, le Qatar et enfin le Liban. Notre solde commercial vis-à-vis du Qatar est régulièrement excédentaire. En 2018, il constituait le quatrième excédent de la France dans le monde, à 2,5 milliards d’euros ([100]). Ce solde se révèle également conséquent vis‑à‑vis des Émirats arabes unis, avec 1,9 milliard d’euros, soit une baisse de 18 % par rapport à l’année précédente ou le surplus était de 2,3 milliards d’euros. L’Égypte se classe en troisième position avec 937 millions d’euros de surplus en 2018, contre 1,2 milliard d’euros en 2017, soit 24 % de moins. Enfin, la France réalise un excédent de 694 millions d’euros avec le Liban en 2018, en légère progression par rapport à 2017 où il s’élevait à 686 millions d’euros.

Par ailleurs, le développement de la présence des entreprises françaises dans la région et la progression des investissements croisés sont autant de signaux encourageants. Les groupes français sont solidement et durablement implantés dans la région et opèrent dans des secteurs diversifiés, tels que l’agroalimentaire, l’eau et l’assainissement (Suez, Veolia) l’énergie (Total, Engie), les télécommunications (Orange), les services financiers (Mazars), la construction (Saint‑Gobain, Lafarge), le transport (Alstom), le luxe (L’Oréal, LVMH, Dior). En outre, la présence des petites et moyennes entreprises ainsi que celle des entreprises de tailles intermédiaires se renforcent progressivement.

Il faut également relever une forte progression des investissements bilatéraux, notamment avec les monarchies du Golfe. Cette progression des investissements croisés est particulièrement appuyée avec le Qatar. Les stocks des investissements directs à l’étranger (IDE) français au Qatar ont ainsi été multipliés par trois depuis 2008, avec 2,7 milliards d’euros en 2018. Ces investissements sont principalement ciblés vers le secteur des hydrocarbures, l’industrie manufacturière et les services financiers. En retour et notamment sous l’impulsion du fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA), le stock d’IDE qatariens a augmenté depuis 2011, pour atteindre 3,6 milliards d’euros en 2018 ([101]). Il faut également noter que la France est le quatrième pays investisseur aux Émirats arabes unis, avec un stock d’IDE qui s’élevant à 1 245 millions d’euros en 2018, contre un stock d’IDE émiriens en France s’élevant à 1 460 millions d’euros en 2018. La présence française est également très dynamique au Koweït. Le stock d’IDE français au Koweït ayant doublé entre 2017 et 2018 en s’élevant à 185,3 millions d’euros contre 92,4 millions d’euros l’année précédente. Ainsi, notamment sous l’impulsion de l’industrie manufacturière, la France est devenue le premier investisseur européen au Koweït. Parallèlement, les stocks d’IDE koweïtiens en France ont également fortement progressé, passant à 406,2 millions d’euros en 2017 contre 131,8 millions d’euros en 2016 (soit une augmentation de 208 % sur un an) ([102]). Enfin, les investissements saoudiens en France atteignent 428 millions d’euros en 2018 et gagneraient à être renforcés en comparaison à l’important stock d’IDE français en Arabie saoudite qui s’élevait à 5 milliards d’euros en 2018.

ii.   Des actions de l’Agence française de développement qui permettent de faire valoir les compétences et l’expertise de « l’équipe France »

Au Moyen‑Orient, la France a pris de nombreux engagements au titre de l’aide publique au développement, dont le montant net des engagements cumulés représente 3,6 milliards d’euros.

Historiquement très centrée sur l’appui aux infrastructures dans les secteurs de l’eau et de l’assainissement, de l’énergie, du développement urbain, l’action de l’Agence française de développement (AFD) s’intensifie depuis 2015 sur les priorités thématiques françaises (santé, éducation, gouvernance, appui à la société civile), tout en conservant un engagement fort sur les infrastructures prioritaires et l’appui aux réformes via des prêts de politiques publiques. L’AFD reconstitue également un portefeuille dans des secteurs phares en matière de lutte contre les inégalités (éducation, santé, développement urbain). En matière de gouvernance, les priorités de l’Agence au Moyen-Orient sont le renforcement des institutions et des opérateurs en charge de la conduite des politiques publiques, l’amélioration les services de base aux populations et la résilience des acteurs.

Au Liban, la conférence CEDRE, tenue le 6 avril 2018 à Paris, a permis de renouveler le soutien de la France avec un engagement de financements mobilisés par l’AFD à hauteur de 550 millions d’euros en prêts souverains sur quatre ans et 150 millions d’euros en don sur la même durée. La France contribue également au développement économique des Territoires palestiniens et au renforcement des institutions, conformément aux engagements pris lors du Séminaire intergouvernemental franco‑palestinien tenu à Paris le 7 décembre 2018. L’AFD s’est engagée à contribuer à hauteur de 40 millions d’euros en 2019 et en 2020, et notamment à hauteur de 10 millions d’euros au financement du projet d’usine de dessalement à Gaza d’ici 2020‑2021. En Égypte, un milliard d’euros sur cinq ans ont été annoncés au cours de la visite présidentielle au Caire en janvier 2019. Par ailleurs, les rapporteurs insistent sur la nécessité du renforcement de nos liens avec la Jordanie et souligne l’engagement important de la France auprès d’Amman. En effet, suite à la conférence de Londres de février 2019, l’AFD s’est engagée auprès des autorités jordaniennes pour un montant de 650 millions d’euros en prêts souverains, 300 millions d’euros non souverains, et 50 millions d’euros de subventions sur quatre ans. En Irak, la France est pleinement investie dans la reconstruction et le développement du pays, avec l’octroi d’un prêt d’un milliard d’euros aux autorités irakiennes annoncé en janvier 2019.

La France a mis à disposition une enveloppe globale de financements pour un montant d’un milliard d’euros sur quatre ans, de 2019 à 2022. Ce soutien mobilise l’ensemble des outils de financements français ouverts en Irak : prêts du Trésor, assurance‑crédit de BPI France assurance export, prêt‑projets souverains de l’AFD, principalement dans les secteurs de l’eau et de l’énergie pour un montant de 430 millions d’euros. Ces prêts s’ajoutent aux subventions à destination de projets dans des localités sécurisées pour un montant de 25 millions d’euros ([103]). Les projets prioritaires sont identifiés dans un dialogue permanent avec les autorités irakiennes : secteurs de l’eau et de l’énergie pour les prêts, aide aux localités libérées et aux déplacés pour les subventions. L’AFD fait valoir l’expertise technique française pour assister les autorités irakiennes dans l’élaboration d’une stratégie nationale, comme par exemple la société Egis dans le secteur de l’eau. Les rapporteurs sont convaincus que l’expertise des grands opérateurs français, notamment dans des domaines de l’eau, de l’énergie et de l’aménagement urbain, doit faire l’objet d’une promotion renouvelée afin qu’ils jouent pleinement leur rôle dans le processus de reconstruction en Irak.

La mise en œuvre rapide des projets fait de l’AFD un outil d’influence pour la diplomatie. Afin d’assurer une mise en œuvre rapide de ses activités en don, comme c’est le cas pour l’initiative Minka – contribution de l’AFD à la réponse française face à la crise syrienne des réfugiés – l’agence instruit des opérations dont la composante sur subventions peut démarrer dans des délais moins contraints que ceux imposés aux prêts. L’AFD déploie également des fonds d’expertise technique et d’échange d’expériences sur la zone qui permettent de répondre aux demandes et besoins d’expertise et d’expérience française dans les secteurs (eau, déchets, transports) où les avantages comparatifs d’une offre française sont établis. À travers ses concours financiers et actions de communication, elle contribue à promouvoir l’expertise et les modes opératoires français et à présenter les opportunités d’investissements, notamment sur l’ensemble de la chaîne (études, travaux et exploitation), dans le respect des règles de confidentialité et d’impartialité qui s’imposent. Ainsi en Égypte, entre 2014 et 2018, elle a financé 43 marchés nationaux et internationaux pour un montant total de 453 millions d’euros, dont 313 millions d’euros en faveur d’entreprises françaises.

iii.   Un marché iranien prometteur qui nous a échappé suite au retrait des Américains du JCPoA

Les espoirs liés à la suspension des sanctions prévues dans l’accord de Vienne laissaient entrevoir de véritables opportunités en matière de développement économique, à telle enseigne que les délégations étrangères, notamment européennes, s’étaient multipliées dans le pays au lendemain de la conclusion de l’accord. Une telle ouverture aurait, par ailleurs, permis de faire évoluer l’Iran en entraînant l’arrivée d’une forte communauté d’expatriés, qui était limitée à 3 000 personnes environ en 2019 et qui a dû fortement décroître en raison de l’escalade des tensions dans la région. Une telle situation aurait pu se révéler d’autant plus bénéfique que les élites iraniennes ne disposent que d’une très faible expérience à l’international, la majorité des Iraniens n’ayant jamais quitté le pays. La fragilisation du JCPoA provoquée par le retrait américain a dans le même temps affaibli le président Hassan Rohani et le camp modéré, qui comptaient sur les dividendes économiques de l’accord de Vienne pour renforcer leur position politique face aux conservateurs qui semblent désormais bien placés pour remporter les élections législatives de février 2020 et se préparent en vue de l’élection présidentielle de 2021.

Annoncé le 8 mai 2018, le rétablissement des sanctions américaines
– accompagnant le retrait américain de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien – a été ravageur pour l’économie iranienne. Il faut rappeler que l’Iran avait déjà connu une contraction significative de 8 % en 2012‑2013 et en 2013‑2014 en raison du renforcement des sanctions américaines sous la présidence de Barack Obama. Les années 2016 et 2017 avaient, au contraire, marqué une reprise considérable de l’économie iranienne, avec une croissance estimée à 12,5 % selon le Fonds monétaire international (FMI), principalement liée à la relance de la production et de l’exportation d’hydrocarbures et notamment de pétrole brut ([104]). Cette croissance s’est stabilisée en 2017‑2018 à 3,7 %, avec un développement notable du PIB hors hydrocarbure. Le retrait américain de l’accord de Vienne et le rétablissement progressif des sanctions sont venus interrompre cette relance économique, à commencer par les secteurs pétroliers, gaziers et maritime (fret, construction navale) qui ont été directement touchés. Si plusieurs secteurs, dont l’agroalimentaire ou le secteur pharmaceutique, n’étaient pas couverts par les sanctions, les restrictions imposées au secteur financier iranien compromettent durement tout envoi ou réception de paiements. Dans ce contexte, le FMI a revu ses prévisions à la baisse s’agissant du PIB iranien pour 2018‑2019 (- 3,9 % au lieu de - 1,5 %) et prévoit un recul de 9,5 % du PIB en 2019‑2020.

En effet, le rétablissement de dispositif de sanctions extraterritoriales par l’administration américaine entraîne une paralysie totale de l’ensemble des secteurs économiques iraniens, du fait de l’addition de différentes mesures aux effets complémentaires :

– le rétablissement des quatre sanctions législatives levées en 2016, concernant le secteur des transports, de l’énergie, des services de messagerie financière et des services d’assurance et de réassurance ;

– le rétablissement des décrets exécutifs prohibant l’acquisition de dollars ; les transactions concernant l’or et les métaux précieux, les métaux bruts ou semi‑finis ; l’acquisition et le maintien de compte en rials hors du territoire iranien ; l’acquisition de titres de dette souveraine iranienne et les transactions concernant le secteur automobile iranien ;

– le rétablissement des sanctions individuelles, tout particulièrement sur les acteurs du secteur financiers et notamment à l’encontre de la Banque centrale d’Iran ;

– l’abrogation des licences délivrées en application du JCPoA, notamment sur le secteur de l’aéronautique civile avec de lourdes implications pour les entreprises françaises ([105]).

Il faut préciser que l’application de sanctions américaines sur l’Iran remonte à la révolution islamique de 1979, et plus précisément à la prise d’otage de l’ambassade américaine à Téhéran. Déjà en 1996, la loi « d’Amato-Kennedy » – qui prohibe tout investissement en Iran supérieur à 20 millions de dollars dans le secteur des hydrocarbures – contraignait le groupe Total à s’acquitter d’une amende de 300 millions de dollars ([106]).

La sécurité nationale américaine est fréquemment invoquée par Washington, pour justifier une extraterritorialité illimitée du droit américain ([107]). Cependant les rapporteurs dénoncent avec force une conception extensive de l’extraterritorialité du droit américain, qui se substitue à l’ordre international au mépris des souverainetés nationales.

Ainsi le rétablissement des sanctions a durablement hypothéqué les échanges commerciaux franco‑iraniens, qui devraient atteindre leur plus bas niveau en 2019. Les exportations françaises en Iran ont reculé d’environ 40 % entre 2017 et 2018, avec un manque à gagner estimé d’1,5 milliard d’euros de projets d’exportations françaises en Iran remis en cause par la décision du président américain Donald Trump ([108]). Sur la même période, les importations iraniennes vers la France ont chuté de 33 %. Le total de nos échanges commerciaux avec l’Iran, 3,8 milliards d’euros en 2017, a chuté de 47 % en 2018 pour retomber à 3,4 milliards d’euros, loin derrière l’Inde avec 12,9 milliards de dollars sur la même période ([109]). Près du tiers de la valeur des exportations françaises en 2018 fait désormais l’objet de sanctions sectorielles américaines directes. La France recule ainsi au rang de quatrième fournisseur européen et compte pour 10 % des exportations européennes (mars 2019) vers l’Iran (contre 14 % en 2017).

Évolution annuelle des échanges commerciaux France - Iran depuis 2009

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Source : DG Trésor, mars 2018.

En conséquence, la présence économique de la France recule durablement en Iran. Les stocks d’IDE français, qui avaient atteint un volume non négligeable de 1,4 milliard d’euros en 2002, s’établissaient à 710 millions d’euros en 2018. En effet, les grands groupes français et européens, également très implantés aux États‑Unis, ont préféré suspendre leurs activités en Iran. S’ils peuvent théoriquement contester la sanction devant les tribunaux américains, ils choisissent dans l’ensemble les transactions avec le Département américain du Trésor – potentiellement moins pénalisantes financièrement ([110]). Dans le secteur automobile, Renault a ainsi annulé un projet d’installation du site de production de voitures (350 000 par an) ([111]) et PSA s’est retiré – alors que la marque avait vendu 443 000 véhicules en 2017 (un tiers du marché iranien) ([112]). Dans le secteur de l’aéronautique, Airbus a annulé plusieurs contrats auprès des compagnies Iran Air et Zagros Airlines qui portaient sur 106 Airbus, estimés à 10 milliards de dollars ([113]). Dans le secteur gazier, Total a abandonné un l’investissement de 100 millions de dollars pour l’exploitation du gisement gazier South Pars, golfe Persique ([114]). Enfin, dans le secteur du transport maritime, le groupe CMA‑CGM a cessé la desserte de l’Iran ([115]).

Certaines puissances émergentes – au premier rang desquelles la Chine, et l’Inde dans une moindre mesure – semblent d’ores et déjà contourner les sanctions américaines. Selon une enquête du New York Times, douze pétroliers auraient livré leurs cargaisons en Chine et en Méditerranée orientale entre mai et août 2019 en mettant hors service leurs transpondeurs pour éviter tout suivi des systèmes de localisation ([116]). L’Iran accepterait de vendre son pétrole en roupies à New Delhi, et d’acheter du sucre indien en retour ([117]). Téhéran aurait également recours au stockage dans des tankers en mer, afin de procéder plus rapidement aux livraisons ([118]).

La Chine, dont la diplomatie s’oppose par principe aux sanctions unilatérales américaines, est aujourd’hui le premier partenaire de l’Iran. Représentant 22 % des échanges commerciaux de Téhéran ([119]), Pékin s’engage dans la droite ligne du « partenariat stratégique complet » conclu en janvier 2016 à l’occasion de la visite du président Xi Jinping, qui ambitionne de porter les échanges commerciaux bilatéraux à 600 milliards de dollars ([120]). Il faut également noter l’expression d’un soutien militaire, par l’exercice de manœuvres navales conjointes dans le détroit d’Ormuz entre la Chine, l’Iran et la Russie en décembre 2019. Toutefois, l’ouverture du marché iranien aux opérateurs étrangers doit être modérée par le risque crédible de perdre l’accès au marché américain, qui reste pour n’importe quel acteur économique sans équivalent. Ainsi, après le groupe Total, la China National Petroleum Corporation (CNPC) a également abandonné le projet gazier de South Pars en octobre 2019 ([121]).

B.   Le pouvoir de sÉduction et d’attraction de la France au Moyen-Orient

1.   Une coopération culturelle dynamique avec les pays du Golfe : renforcement de notre influence ou création d’une dépendance économique

Les grands projets culturels mis en œuvre en coopération avec les États du Golfe constituent un vecteur d’influence essentiel pour la France. Ils font la preuve que l’expertise française est reconnue et prisée dans cette région et que ses marques et son savoir‑faire s’exportent dans des projets à fort impact, notamment auprès des populations locales.

Ils illustrent également la diversification en cours de nos relations avec les États du Golfe et notre capacité à investir les champs de l’économie de la connaissance et du divertissement et de favoriser les échanges humains. Cette diversification est essentielle pour l’avenir de nos relations avec les pays du Golfe qui cherchent à accroître leur visibilité internationale dans le domaine de la culture et du patrimoine.

a.   Le développement de partenariats culturels d’envergure dans la région

i.   Le Louvre d’Abou Dabi

Le Louvre Abou Dabi constitue la vitrine des partenariats culturels mis en place avec les États du Golfe. Issu d’un accord intergouvernemental signé en 2007, il est le plus grand projet culturel porté par la France au Moyen‑Orient. Il constitue un succès remarquable sur le plan bilatéral et un instrument majeur de rayonnement pour l’expertise culturelle française au niveau régional. Il s’agit d’un projet collectif dans lequel le Louvre joue un rôle de chef de file mais qui engage également dix-sept autres institutions culturelles françaises – dont le château de Versailles, le Centre national d’art et de culture Georges‑Pompidou, le musée d’Orsay, le musée du Quai Branly‑Jacques‑Chirac – sous l’égide opérationnelle de l’Agence France‑Muséums (AFM).

Le Louvre Abou Dabi a été ouvert au public le 11 novembre 2017. Cela a été un évènement d’une importance mondiale, couvert par l’ensemble des médias internationaux qui ont salué presque unanimement « le premier musée universel du monde arabe » ou encore « le plus grand projet culturel de la France à létranger ». D’autres grands musées, tels que le Getty Center de Los Angeles, le Metropolitan Museum of Art de New York ou le musée de l’Ermitage de Saint‑Pétersbourg ont tous des liens scientifiques anciens dans la région. Cependant leur action internationale n’a pas l’ampleur de celle du Louvre qui organise une dizaine d’expositions à l’étranger par an, prête près de 2 000 œuvres, organise des expertises dans treize pays, mène des fouilles dans huit pays et dispose plus globalement de partenariats avec soixante-quinze pays.

La création ex nihilo d’un musée universel, ouvert à toutes les civilisations et à toutes les époques – le premier du monde arabe – constitue un formidable exemple de la manière dont la culture peut être mise au service du rayonnement international de la France. Ce musée représente un modèle intéressant de soft power en plaçant l’expertise culturelle française sur un piédestal international, tout en nous permettant de défendre nos valeurs. Les équipes du Louvre ont précisé aux rapporteurs qu’aucune restriction n’avait été imposée par la partie émirienne. Pour autant, il a été tenu compte des particularismes du public local et toute provocation a été évitée, le musée s’adressant, par ailleurs, en priorité aux familles d’Abou Dabi.

Lors du premier anniversaire du Louvre Abou Dabi, le 9 novembre 2018, les chiffres de fréquentation ont été dévoilés : nous avons pu constater un énorme succès de fréquentation, tant en nombre qu’en diversité : un million de visiteurs dont 40 % résidents et 60 % touristes. Les Français, qui ont été 80 000 à visiter le musée, constituent la deuxième nationalité étrangère après les Indiens.

Des œuvres majeures issues des collections permanentes du musée du Louvre ont déjà été exposées sur place, comme une statue de Goudéa, prince de Lagash, une statue colossale de Ramsès II, l’Athéna Mattéi, le Lion de Monzón, La Belle Ferronnière de Léonard de Vinci, La Femme au miroir de Titien, la Diane de Versailles, et La Dentellière de Vermeer, entre autres. Par ailleurs, le Louvre Abou Dabi poursuit actuellement sa politique ambitieuse d’acquisitions. Il possède aujourd’hui plus de 630 œuvres et ensembles d’œuvres dont certains chefs‑d’œuvre de l’histoire de l’art, comme le Lion de Mari‑Cha ou le Dragon Stoclet.

La coopération franco‑émirienne s’inscrit sur le long terme avec une triple temporalité : dix ans de prêts français pour le Louvre Abou Dabi (300 œuvres par an les premières années), quinze ans d’expositions temporaires (quatre par an), et enfin trente ans et six mois pour l’usage du nom du Louvre. Le Louvre est donc lié à celui d’Abou Dabi pour des prêts d’œuvres jusqu’en 2027 et pour la production d’expositions temporaires jusqu’en 2032. Depuis l’ouverture du musée, six expositions ont déjà été organisées par l’AFM, dont trois portées par le Louvre (Dun Louvre à lautre, Routes dArabie et Rembrandt, Vermeer et lâge dor de la peinture néerlandaise), une par la Bibliothèque nationale de France (Le monde en sphères), une par le musée d’Orsay (Affinités japonaises : vers le décor moderne) et une par le musée du quai Branly‑Jacques Chirac (Ouvrir lalbum du monde, sur la naissance de la photographie).

L’accord intergouvernemental de 2007 prévoit, par ailleurs, une clause d’exclusivité, la partie française garantissant qu’aucune opération identique ou analogue comportant le droit d’utilisation du nom du Louvre ne soit réalisée pendant la durée de l’accord dans les autres pays de la région (autres émirats de la fédération des Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Bahreïn, Égypte, Irak, Iran, Jordanie, Koweït, Liban, Oman, Qatar, Syrie).

Pour autant, les équipes du Louvre estiment que l’ouverture de ce musée a permis de donner une nouvelle impulsion aux relations culturelles entretenues de longue date avec l’ensemble des pays de la région. La direction du Louvre a indiqué aux rapporteurs que l’ouverture du musée d’Abou Dabi avait poussé l’établissement public à s’interroger sur le sens d’un musée universel au XXIe siècle, à décentrer son regard pour élaborer une nouvelle manière de présenter l’histoire de l’art et des arts visuels afin de toucher un public particulier, dans un contexte historique et géographique particulier. Dans cette droite ligne, les équipes du Louvre ont mis en place un partenariat, au Liban, s’agissant de la création d’un musée pour la mise en valeur du site de Byblos et ont ouvert de nouvelles fouilles. En Égypte, le Louvre poursuit sa coopération multiséculaire avec plusieurs missions de fouilles archéologiques (Saqqarah, Baouit...), de formation des personnels de musées (Musée des arts islamiques du Caire et du futur grand musée et égyptien entre autres) et participe avec un consortium de cinq musées européens à un grand projet de rénovation du musée égyptien de la place Tahrir. Malgré la situation actuelle, le Louvre maintient, par ailleurs, des relations avec l’Irak en matière notamment de formation et se montre très impliqué avec la Smithsonian Institution américaine le cadre de la reconstruction du musée du Mossoul.

De plus, la création de ce musée au Moyen‑Orient et les liens culturels noués avec les Émirats ont facilité la mise sur pieds de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (ALIPH). En effet, cette alliance a pu voir le jour à l’initiative de la France et des Émirats arabes unis suite à la tenue de deux conférences internationales menées, une à Abou Dabi en 2016 et une à Paris en 2017. La fondation de l’ALIPH est dotée, pour mener à bien ses actions, de plus de 80 millions de dollars grâce au financement de plusieurs États – dont une contribution de la France de 30 millions de dollars – et de quelques donateurs privés. Son comité scientifique a sélectionné, en 2018, les premiers projets prioritaires, dont la réhabilitation du musée de Mossoul (Irak), la réhabilitation du tombeau des Askia à Gao (Mali) et la réhabilitation du sanctuaire de Mar Behnam (Irak).

ii.   Le projet al‑Ula en Arabie saoudite

Dans le cadre du projet Vision 2030 visant à transformer la société saoudienne, le prince héritier Mohammed Ben Salmane a souhaité confier à la France un rôle « leader » dans le projet emblématique de développement de la région de al‑Ula. Ce projet doit combiner activité touristique, économique et culturelle, dans une optique de développement innovant et durable et de protection et de valorisation du site archéologique de Hégra ou Mada’in Saleh selon la dénomination qui lui a été donnée à l’époque ottomane. Ce site qui comporte, en particulier, des vestiges d’une ancienne cité nabatéenne, est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Dans sa volonté d’ouverture et de modernisation de la société saoudienne, le prince héritier souhaite valoriser les sites archéologiques du pays qui sont dans leur très grande majorité des vestiges pré-islamiques. Cette évolution représente une véritable rupture dans une société wahabbite qui a longtemps renié son passé pré‑islamique.

La région d’al-Ula, constituée d’une vallée de 30 kilomètres de long, est situé au nord‑ouest de l’Arabie saoudite sur les contreforts nord des montagnes du Hedjaz est grande comme la Belgique. Des fouilles archéologiques y sont menées depuis quatorze ans par l’université du Roi Saoud. Depuis 2002, la mission archéologique française est la première mission étrangère autorisée à travailler sur le sol saoudien sans être mandatée par les autorités locales. La mission archéologique franco‑saoudienne de Madâ’in Sâlih, co‑dirigée par Laïla Nehmé, obtient des résultats scientifiques très intéressants au sujet notamment des origines de l’écriture arabe. Les équipes franco‑saoudiennes pourraient ainsi être en mesure de déterminer qui a élaboré, au Ve siècle de notre ère, l’alphabet arabe.

Le projet est développé de manière autonome par le biais d’une commission royale – la commission royale pour al-Ula – présidée par le Prince Bader Ben Abdullah Al Farhan al-Saoud, gouverneur d’al-Ula et ministre de la culture.

L’accord intergouvernemental ambitieux signé en avril 2018, à l’Élysée en présence du chef de l’État et du prince héritier, a posé les premières bases d’un partenariat unique et exclusif entre nos deux pays au service du développement de ce site qui devrait engendrer des retombées positives pour l’ensemble de l’Arabie saoudite. Tout comme le Louvre Abou Dabi a créé un précédent et une référence mondiale en matière muséale, la France œuvre pour que ce projet conjoint puisse également devenir une référence internationale en matière de développement culturel durable, responsable et innovant. Les autorités saoudiennes ambitionnent d’accueillir 2 millions de touristes sur le site d’al-Ula à l’horizon 2030‑2035 dont un tiers de touristes internationaux. Il paraît impératif pour les rapporteurs que cet accord intergouvernemental soit transformé, dans les prochaines années, en un véritable accord de coopération en matière culturelle, afin de pérenniser ces relations bilatérales fructueuses et de renforcer l’influence de la France dans la péninsule arabique.

Les autorités saoudiennes se sont tournées vers la France car notre pays dispose d’une image extrêmement positive s’agissant de la mise en valeur des sites culturels. Les Saoudiens avaient notamment en tête lorsqu’ils se sont rapprochés des Français, le travail accompli pour le Jardin Majorelle à Marrakech au Maroc, qui l’avait été dans le respect des traditions, des formes et des couleurs.

Présidée et dirigée par Gérard Mestrallet, l’Agence française pour le développement dal-Ula (AFALULA), créée en juin 2018 par les deux ministères de tutelle que sont le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et le ministère de l’économie et des finances. Du point de vue de la méthode, la volonté était de réitérer ce qui avait été fait, avec succès, avec l’opérateur France‑Muséum qui avait piloté la création du musée du Louvre Abou Dabi. AFALULA est une société privée détenue à 100 % par l’État français mais intégralement financée par l’Arabie saoudite. Les frais de fonctionnement de l’agence s’élèvent à 30 millions d’euros par an. Lors de leurs auditions, il a été indiqué aux rapporteurs que la mise en place de l’agence avait dû coûter en tout et pour aux alentours de 1000 euros au Quai d’Orsay.

L’agence française accompagne la commission royale dans la définition du projet et s’efforce de positionner l’expertise française, aussi bien sur le long terme dans la perspective des futurs appels d’offres, que sur le court terme comme l’illustre le positionnement réussi de l’offre française pour l’organisation du Festival d’hiver Winter at Tantora destiné à donner de la visibilité au projet al-Ula. Sur le terrain, les dernières annonces architecturales concernent notamment l’agence française paysagiste TER, chargée de développer le plan d’urbanisme du site, qui conditionnera de nombreux autres aspects. Sont également mobilisés sur le projet quelques grands groupes tels qu’Accor, Thalès, Havas, Setec, et la SNCF.

Les enjeux économiques de ce projet sont importants puisque les Saoudiens projettent d’investir près de 30 milliards de dollars pour la valorisation du site, via notamment la reconstruction de la ligne de chemin de fer du Hedjaz qui reliait au début du XXe siècle Damas à Médine. L’ensemble du projet présente donc des perspectives économiques extrêmement intéressantes pour nos entreprises, en priorité dans le secteur des infrastructures, puisque tout est à construire, mais également dans le secteur du tourisme et de la formation en hôtellerie et en gastronomie. En revanche, les rapporteurs insistent sur la nécessité pour les entreprises françaises de faire preuve de réactivité et de capacité d’adaptation aux attentes saoudiennes à l’image de ce qu’AFALULA est parvenue à faire, ces derniers mois, en se frayant une place dans un univers totalement anglo‑saxon.

b.   Le caractère primordial de la préservation de notre indépendance et du prestige de nos institutions culturelles

Ces nouvelles institutions culturelles prestigieuses représentent, à l’évidence, des instruments de rayonnement pour les pays les accueillant sur leur sol. Lors de son audition, le politologue Alexandre Kazerouni a mis en garde sur les risques que pouvaient également comporter de tels projets utilisant certaines marques de la culture européenne. En effet, ce qu’il nomme les « musées-miroir » des dirigeants locaux comportent une dimension éminemment politique, puisqu’ils ont pour objectif de renforcer le charisme des émirs et des princes en apportant un élément matériel à la vision culturelle qu’ils veulent promouvoir ([122]).

La construction de ces lieux de culture sur le territoire des monarchies du Golfe peut aussi être considérée comme une source de légitimation de l’action politique des dirigeants et d’amélioration de leur image. Cependant, la plupart de ces institutions culturelles se sont développées dans un contexte politique de renforcement de l’autoritarisme. En outre, ces institutions, de par les effets économiques qu’elles génèrent, permettent également de mettre en scène la sagesse des dirigeants dans leur anticipation des conséquences de l’après‑pétrole sans nécessairement se rallier aux valeurs d’inclusivité et d’universalité de l’art défendues par la France ([123]). Dans cet ordre d’idée, Henri Loyrette, ancien président‑directeur du Louvre, avait insisté dans un discours prononcé, le 15 octobre 2011, sur la mission universelle des musées français portant « les promesses de la Révolution et de lEmpire » et qu’il nous faut impérativement garder à l’esprit.

La clientèle visée par ces institutions culturelles paraît, par ailleurs, essentiellement occidentale et aisée, comme le montrent les réticences des autorités d’Abou Dabi et de Doha à accorder des visas aux classes moyennes des régions environnantes. En sens inverse, Bahreïn et Doha semblent développer une approche de l’art plus inclusive en s’ouvrant aux flux de touristes originaires d’Iran, de l’Inde, du Pakistan ([124]).

Le politologue Alexandre Kazerouni a également mis en garde, au cours de son audition, sur les risques de dépendance économique que pourraient générer de tels projets en transformant la France ou ses plus belles institutions en de simples prestataires de service au profit des dirigeants locaux. Le gain économique pour la partie française est indéniable et c’est là un élément que les rapporteurs tiennent à saluer et à encourager mais celui‑ci ne doit en aucun cas engendrer une relation de sujétion. Ces partenariats doivent pouvoir profiter économiquement à la France, à ses institutions et aux entreprises tricolores mais elles doivent également servir notre influence diplomatique et politique dans la région. Cette présence culturelle plus marquée et les relations de proximité que nous développons avec les capitales concernées doivent permettre à la France de peser plus fortement sur la scène régionale sur l’ensemble des dossiers. Le gain ne doit pas être seulement économique, il faut impérativement que celui‑ci soit politique et diplomatique et qu’il soit au service des valeurs que nous défendons.

2.   Des coopérations en matière d’éducation de plus en plus nombreuses

a.   Le développement d’antennes de l’enseignement supérieur français au Moyen‑Orient

En l’absence d’établissements d’enseignement supérieur et de structures universitaires de qualité dans l’ensemble des monarchies du Golfe, la région souffre historiquement d’un déficit de formation et de qualification de sa jeunesse et de sa population – en particulier dans la perspective de nouveaux modèles économiques de création de richesse. Cette faiblesse initiale a ainsi constitué pour la France et certaines de ses universités ou grandes écoles une véritable opportunité à l’heure où les pays de la région ont décidé d’opérer un changement de stratégie en prévision de l’après pétrole.

i.   La Sorbonne Abou Dabi

Paris Sorbonne Université Abou Dabi (PSUAD) a été fondée en 2006 à l’initiative du prince héritier. La Sorbonne Abou Dabi est née d’un partenariat signé entre l’Université Paris-Sorbonne, devenue depuis Sorbonne‑Université, et le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche des Émirats. C’est un établissement de droit émirien entièrement financé par les Émirats, auquel Sorbonne‑Université apporte son expertise et son ingénierie au travers de missions d’enseignement.

En 13 ans, l’université s’est intégrée au paysage de l’enseignement supérieur des Émirats avec la construction d’un campus ultra‑moderne comprenant des résidences étudiantes et un centre sportif, la création de 25 programmes de licence (bachelor) et master. Elle accueille 943 étudiants de 90 nationalités différentes et compte 46 professeurs permanents et 300 professeurs invités par an. Les disciplines enseignées relèvent essentiellement des domaines des lettres, des arts et sciences humaines, mais également des sciences avec une licence de physique ainsi que le droit et l’économie grâce à un partenariat avec l’Université de Paris.

Malgré des débuts prometteurs, le développement de l’Université semble actuellement stagner entraînant une insatisfaction voire une déception de la part des autorités émiriennes. Afin de répondre à ces inquiétudes, à la suite de l’achèvement du processus de fusion de l’Université Paris-Sorbonne et l’Université Pierre et Marie Curie, Jean Chambaz, président de la nouvelle entité Sorbonne‑Université a choisi d’effectuer sa première mission à l’étranger à Abou Dabi afin de rassurer les autorités locales. Depuis lors, l’université a mis en place un plan qui devrait lui permettre de doubler ses effectifs dans les prochaines années. Le nouveau plan stratégique 2019-2023 a ainsi pour objectif de faire de la Sorbonne Abou Dabi un pôle d’excellence régionale dans les sciences humaines et les secteurs à forte employabilité.

Modèle unique d’implantation de notre système d’enseignement supérieur public dans la région, la Sorbonne Abou Dabi apparaît pour les rapporteurs comme un vecteur d’influence essentiel auprès des futures élites émiriennes et de la région.

ii.   L’antenne de l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC) à Doha au Qatar

L’implantation de HEC Paris au Qatar s’inscrit dans le cadre de la création par l’émirat d’un pôle d’enseignement supérieur à Doha dès la fin des années 1990. Le développement et le financement de ce pôle, sous le nom de « Education City », ont été confiés à la Qatar Foundation, dirigée alors par l’épouse de l’émir de l’époque, la princesse Sheikha Moza. La stratégie de l’émir était, en avance sur ses voisins, notamment saoudiens, de préparer la transition d’une économie du Qatar entièrement construite sur les ressources en gaz, vers une économie du savoir.

Pour construire le pôle universitaire de « Education City », la Qatar Foundation a décidé d’inviter une université de renom mondial pour chacune des grandes disciplines d’enseignement, avec comme obligation pour l’université de mettre en place un diplôme de licence (bachelor) et une faculté permanente. Dans la première tranche de « Education City » à la fin des années 1990, la Qatar Foundation a invité de grandes universités américaines : Texas A&M (ingénierie), Northwestern (média), Georgetown (relations internationales), Carnegie Mellon (sciences, business et technologies), Virginia Commonwealth University (arts et sciences humaines), Cornell (médecine). L’ensemble des coûts étaient pris en charge par la Qatar Foundation, avec des financements très généreux, et des bâtiments luxueux.

Dans le même temps, le Qatar créait une nouvelle université, la Hamad Bin Khalifa University (HBKU), avec l’objectif d’organiser à long terme des coopérations et un transfert de savoir-faire des universités invitées (les « branch campuses ») vers l’université qatarienne HBKU.

Au début des années 2000, la Qatar Foundation a cherché à attirer une grande école de commerce internationale. Les premières discussions ont été entamées avec l’Institut européen d'administration des affaires (INSEAD) et des écoles américaines. De longues années de négociation ont suivi, au cours desquelles HEC a été fortement soutenue par de grandes entreprises françaises, en particulier Total, et par l’ambassade de France à Doha, ainsi que par la présidence de la République. Finalement, en 2010, le premier contrat de cinq ans a été signé avec HEC Paris.

Les exigences de la Qatar Foundation étaient les suivantes :

– délivrer les mêmes diplômes qu’à Paris, avec les mêmes professeurs et les mêmes exigences de sélection et de qualité ;

– obtenir de HEC une exclusivité géographique pour la mise en place de ces programmes, pour une vaste zone du monde musulman allant du Maroc au Pakistan.

Les exigences de HEC Paris étaient les suivantes :

– avoir une totale liberté académique sur les contenus des cours, la sélection et l’évaluation des étudiants ;

– avoir une totale autonomie de décision et de gestion administrative pour son site de Doha.

De 2015 à 2018, une nouvelle phase de négociation a été menée pour le renouvellement du contrat. En particulier, HEC Paris a obtenu la révision de la zone d’exclusivité géographique, en retirant les régions de tradition francophone comme le Maghreb et le Liban.

Le succès de HEC Paris au Qatar a dépassé les espérances de l’école. Son nom était pratiquement inconnu au Qatar et la région du Golfe il y a dix ans. Or, aujourd’hui, ses programmes sont parmi les plus recherchés pour les formations de haut niveau et les taux de sélection sont identiques à ceux de la France. Des anciens élèves très influents figurent parmi la classe dirigeante qatarienne des entreprises privées et publiques. Symbole du prestige des diplômes de HEC, la fille de l’ancien émir et de la Sheika Moza, la Sheikha Hind, aujourd’hui Présidente de Qatar Foundation, ainsi que son mari sont diplômés de HEC Paris. La section internationale « maîtrise en administration des affaires pour les cadres » (executive master of business administration – EMBA en anglais), délivrée en France et au Qatar, a été classée numéro 1 mondial des EMBA par le Financial Times en 2019. Cette reconnaissance a eu un retentissement considérable au Qatar et dans la région du Golfe.

De cette manière, le développement de l’antenne de HEC Paris à Doha a permis de renforcer le soft power de la France. Pour les rapporteurs, l’enseignement supérieur est l’une des voies d’influence qui précède la diplomatie économique et la diplomatie politique. Former les dirigeants des entreprises et des administrations qatariennes dans une grande école française est une façon de les inscrire durablement dans les réseaux de la France.

Il est remarquable de constater que parmi toutes les universités internationales implantées à « Education City » à Doha, seules deux sont européennes : University College London pour l’archéologie et qui quittera le Qatar en 2020 et HEC Paris pour le management.

b.   L’enseignement de la langue française qui doit en retour s’accompagner d’une diffusion de la langue arabe en France

i.   La promotion de la francophonie au Moyen‑Orient

La langue française a longtemps compté au Proche et au Moyen‑Orient. Elle était alors la langue des élites politiques, diplomatiques et intellectuelles. En 1914, 75 000 jeunes Levantins et Égyptiens étaient scolarisés dans les écoles des congrégations catholiques françaises. Il faut également souligner l’action des écoles des Alliances israélites universelles, dont la langue d’enseignement de toutes les matières fut longtemps le français, en en faisant ainsi l’un des plus puissants vecteurs de l’influence française en Méditerranée et au Moyen-Orient([125]).

À la fin du XIXe siècle, le français jouissait d’un certain prestige au sein de l’Empire ottoman. Il était la langue de l’intelligentsia et s’était imposé, en 1854, comme la langue de travail au sein du ministère des affaires étrangères de la Sublime Porte. La fondation, à Istanbul, en 1868, du lycée français de Galatasaray a eu pour effet de renforcer la position de la langue française au sein de l’élite administrative ottomane.

Elle a hélas fortement reculé dans la deuxième partie du XXe siècle face aux langues nationales, en raison notamment de l’arabisation syrienne et égyptienne dans les années 1950. Elle a également, comme partout ailleurs, cédé du terrain face à l’anglais devenu la lingua franca internationale. Désormais la présence du français au Moyen‑Orient apparaît comme résiduelle : en 2015, on dénombrait 2,8 millions de francophones en Égypte (3 % à 4 % de la population) et 1,8 million au Liban (40 % de la population). Le français garde une bonne image mais il est désormais perçu comme une langue de distinction ([126]).

La défense du français au Moyen‑Orient représente pour les rapporteurs un vecteur de notre influence et des valeurs humanistes. La France doit se mobiliser en s’appuyant sur l’ensemble des acteurs (réseau diplomatique, institut culturel, réseau associatif, enseignement confessionnel…) pour promouvoir le rayonnement de la langue française. En la matière, des perspectives positives existent et, pour les faire advenir, la France doit, en priorité, s’adresser à la jeunesse.

Le soutien à la langue française et au plurilinguisme constitue l’une des priorités de la diplomatie française formulée par le Président de la République dans son Plan pour la langue française et le plurilinguisme présenté en 2018. Au Proche et au Moyen-Orient, région de longue tradition francophone (Liban) ou porteuse d’opportunités (monarchies du Golfe, Irak), la promotion de la francophonie est un enjeu prioritaire de notre diplomatie d’influence.

Environ 80 000 élèves, dont 51 000 au Liban – premier réseau mondial – sont scolarisés dans 81 établissements homologués. Une croissance des effectifs est enregistrée dans l’ensemble de la zone, particulièrement forte en Égypte (+ 5 % pour une progression mondiale moyenne de + 1 %). Aux Émirats arabes unis, le réseau d’établissements – qui est désormais le 6e au monde en termes d’effectifs – regroupe sept établissements homologués et près de 9 500 élèves.

Au-delà des effectifs, c’est aussi le nombre d’établissements ou de niveau homologués qui se développe. Ainsi, dans les Territoires palestiniens, le lycée français de Ramallah qui a ouvert en 2013 est en cours d’homologation.

Cette promotion de la langue française passe également par le développement de filières bilingues dans les établissements à travers l’octroi du Label France Éducation. Ce dispositif concerne dix-huit écoles au Liban (dont trois nouvelles en 2018‑2019), dix-sept en Égypte, deux au Qatar (dont une nouvelle en 2018-2019), deux en Iran et une en Arabie saoudite.

Enfin cette action passe aussi par le développement de l’enseignement du français‑langue étrangère (FLE), grâce au réseau des instituts français et à la création de nouvelles Alliances françaises. Plusieurs ouvertures d’antenne ont été enregistrées ces dernières années : en Égypte et aux Émirats arabes unis où l’Alliance française de Dubai a ouvert une nouvelle antenne dans l’émirat d’Ajman en mai 2019. La création d’une antenne de l’Alliance française d’Arabie saoudite à al-Ula est prévue dans le cadre de l’accord intergouvernemental signé en 2018.

Par ailleurs, la défense du français passe également par le soutien à la diffusion d’œuvres francophones, à travers des manifestations inscrites dans le paysage culturel de plusieurs pays, comme le Salon du livre francophone de Beyrouth, qui reste un marqueur dans le paysage francophone mondial depuis plus de vingt ans. Le cinéma français est bien diffusé dans la zone grâce notamment aux accords de coproduction et aux programmes de formation dans ce domaine. En Israël, la France est le troisième pays en termes de nombre de films distribués, derrière les États-Unis et la production locale. Au Qatar, deux accords majeurs ont été signés entre le Doha Film Institute, l’Institut français, l’École nationale supérieure des métiers de l'image et du son (la Fémis) et la Fnac et un autre avec les Gobelins en 2018‑2019.

Les grands projets, tels que le Louvre Abou Dabi ou l’année culturelle croisée France Qatar 2020, sont aussi le moyen de diffuser les œuvres françaises.

La croissance observée, à la fois du nombre d’établissements homologués pour l’enseignement bilingue et des effectifs dans les établissements du Moyen‑Orient témoigne de l’attractivité de notre modèle dans les pays de tradition francophone (Liban, Égypte) mais aussi dans les pays avec lesquels nous conduisons une coopération bilatérale structurée. Ainsi aux Émirats arabes unis, pays avec lequel nous conduisons un dialogue stratégique, la population francophone est estimée en 2018 à 250 000 personnes. L’enseignement du français fait l’objet d’un effort particulier de la part des autorités émiriennes, avec la réintroduction du français dans l’enseignement public dans dix écoles pilotes réparties sur l’ensemble du territoire en 2019-2020, après son retrait des programmes émiriens en 1988. Le français est désormais la troisième langue d’enseignement, après l’arabe et l’anglais, avec 60 000 apprenants.

ii.   La nécessaire promotion de la langue arabe en France

L’importance du nombre d’arabophones en France, estimée entre 3 et 4 millions de personnes qui ont donc des liens avec l’histoire et la culture des sociétés du Moyen‑Orient et de la rive sud de la Méditerranée, constitue pour les rapporteurs une chance pour la France.

Ils invitent sur ce sujet le Gouvernement à dépasser toute frilosité et à faire de cette réalité une réelle opportunité pour notre pays. Un enseignement plus soutenu de la langue arabe dans les établissements secondaires publics pourrait utilement permettre de faciliter le dialogue, l’intercompréhension et les échanges culturels et commerciaux et avec les pays du monde arabo‑musulman. Un tel geste d’ouverture à l’égard de la langue arabe serait assurément apprécié au‑delà de nos frontières et pourrait, par parallélisme, encourager certains pays du Moyen‑Orient à promouvoir l’enseignement et la diffusion de la langue française.

Présentement, cet enseignement semble essentiellement assuré dans un cadre associatif, souvent confessionnel, en dehors de tout contrôle sur les méthodes et les idéologies véhiculées. Il paraît essentiel pour les rapporteurs que l’État prenne, en la matière, ses responsabilités et promeuve efficacement l’enseignement de la langue arabe. Certes, cet enseignement dans le cycle secondaire est déjà une réalité, voire une singularité française en Europe, que les rapporteurs saluent. Mais cet enseignement paraît très limité et circonscrit territorialement. En effet, la langue arabe n’est actuellement enseignée dans le secondaire, depuis la rentrée 2019, qu’à 14 978 élèves seulement. Effectifs qui paraissent dérisoires au regard des 3 390 703 collégiens et 2 240 355 lycéens bénéficiant d’un enseignement de langues vivantes étrangères. En outre, cet enseignement est essentiellement implanté dans certaines régions et plus particulièrement dans les grandes agglomérations (académies de Versailles, Créteil, Aix‑Marseille, Paris, Lyon, Strasbourg, Montpellier, etc.) et à Mayotte.

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa séance du mercredi 29 janvier 2020, la commission examine le présent rapport :

 

http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8660608_5e313f6c09a05.commission-des-affaires-etrangeres--rapport-d-information-sur-la-france-et-le-moyen-orient-29-janvier-2020

 

 


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   annexes

   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnÉes

 

Déplacement en Arabie saoudite du 17 au 21 décembre 2018

 


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   Annexe n° 2 :
contributions Écrites

 Agence française de développement (AFD);

 École des hautes études commerciales de Paris (HEC Paris) ;

 Établissement public du musée du Louvre ;

 Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse ;

 Ministère des armées ;

 Sorbonne‑Université.

 


([1]) Mathieu Guidère, Atlas des pays arabes, Autrement, 2012  

([2]) Unités de mobilisation populaire.

([3]) Rapport annuel de l’Observatoire de la laïcité 2018-2019.

([4]) Il est né le 31 août 1985 du troisième mariage du roi Salmane Ben Abdelaziz al-Saoud.

([5]) Propos du prince héritier, Mohammed Ben Salmane, à Riyad, octobre 2017.

([6]) Hazem Beblawi et Giacomo Luciani The Rentier State, Routledge, 1987 cité dans Malise Ruthven, L’Arabie des Saoud, La Fabrique éditions, 2019.

 

([7]) Enquête sur la démographie de l’Autorité générale des statistiques de l’Arabie saoudite (2016).

([8]) Au premier semestre 2019, malgré la chute continue des prix du pétrole, la compagnie a affiché 46,9  milliards de dollars de résultat, soit 42 milliards d’euros.

([9]) Fatiha Dazi‑Héni, L’Arabie saoudite en 100 questions, Tallandier, 2018.

([10]) Le hanbalisme est un des quatre rites sunnites aux côtés du hanafisme, du malikisme et chaféisme. Il constitue l’école la plus stricte et la plus conservatrice.

([11]) Cette dénomination est considérée comme péjorative par ses adeptes qui lui préfèrent les termes de « muwwahidûn » (ceux qui prêchent l’unicité divine) ou de salafiste.

([12]) Shiraz Maher, The Salafi-Jihadism, The History of an Idea, Oxford university press, 2016, cité dans Malise Ruthven, L’Arabie des Saoud, La Fabrique éditions, 2019.

([13]) « L’Arabie Saoudite veut « revenir à un islam du juste milieu », 25 octobre 2017, Courrier international.

([14]) Malise Ruthven, L’Arabie des Saoud, La Fabrique éditions, 2019.

([15]) Fatiha Dazi‑Héni, Op. cit.

([16]) Ibid.

([17]) Ibid.

([18])Florence Beaugé, « Une libération très calculée pour les Saoudiennes », Le Monde diplomatique, 1er juin 2018.

([19]) Autorité tutélaire masculine s’imposant aux femmes dans le cadre familial.

([20]) Fatiha Dazi‑Héni, Op. cit.

([21]) Rahaf Mohammed Al-Qunun, « Saoudienne réfugiée au Canada, raconte son ancienne vie « d’esclave » », Le Monde, 15 janvier 2019.

([22]) Democracy Index 2018: Me too? Political participation, protest and  democracy.

([23]) Rapport 2017-2018 sur la situation des droits humains dans le monde.

([24]) Estimation de l’association Portes ouvertes – Open doors.

([25]) « Pourquoi l’assassinat de Jamal Khashoggi n’émeut pas les Yéménites », Orient XXI, 26 novembre 2018

([26]) « De la disparition à la crise diplomatique : l’affaire Khashoggi en quatre dates », Le Monde, 22 octobre 2018.

([27]) « Détails macabres et responsabilité de l’Arabie saoudite : le cinglant rapport de l’ONU sur la mort de Jamal Khashoggi », Le Monde, 20 juin 2019.

([28]) « Meurtre de Jamal Khashoggi était « politique » et « prémédité » selon Erdogan », Le Monde, 23 octobre 2019

([29]) « Mort de Jamal Khashoggi : qui sont les deux hauts responsables saoudiens limogés ? », Le Monde, 20 octobre 2018.

([30]) « Affaire Khashoggi, de vives critiques accueillent le verdict saoudien », La Croix, 24 décembre 2019.

([31]) « Disparition de Khashoggi : Trump menace Riyad qui réplique », Le Figaro, 14 octobre 2018.

([32])Déclaration du Président Donald Trump, 20 novembre 2018.

([33]) « Le Sénat demande l’arrêt du soutien apporté par Washington à l’Arabie saoudite », Le Monde, 14 décembre 2018

([34]) « Mort de Jamal Khashoggi : l’Allemagne suspend ses ventes d’armes à l’Arabie saoudite », Le Monde, 22 octobre  2018

([35]) Affaire Khashoggi - mesures individuelles, 22 novembre 2018.

([36]) « L’affaire Khashoggi empoisonne les relations entre Riyad et ses alliés », RFI, 16 octobre 2018.

([37]) « Le «Davos du désert» terni par l’affaire Khashoggi », Le Figaro, 15 octobre 2018.

([38]) Florence Beaugé, Loc. cit., Le Monde diplomatique.

([39]) Agnès Levallois, Paris et Riyad : un « partenariat de référence » ? , L’Harmattan, 2016.

([40]) Malise Ruthven, Op. cit.

([41])Denis Bauchard,. Le jeu de la France dans le Golfe : entre continuité et rupture, L’Harmattan, 2016.

([42]) Malise Ruthven, Op. cit.

([43]) Mohammad-Reza Djalili, et Thierry Kellner, L’Iran en 100 questions, Tallandier, 2018.

([44])  Audition de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, mercredi 22 juillet 2015.

([45]) Mohammad-Reza Djalili, et Thierry Kellner, Op. cit.

([46]) Mehrdad Vahabi et Thierry Coville, L’économie politique de la République islamique d’Iran, Revue internationale des études du développement, 2017.

([47]) « Les Iraniens célèbrent l’accord sur le nucléaire », Le Monde, 15 juillet 2015.

([48]) En 2016, Transparency International a classé l’Iran à la 131e place sur 176 pays examinés dans son Indice de perceptions de la corruption classant la République islamique au même rang que le Kazakhstan, le Népal, la Russie ou l’Ukraine.

([49])  Mehrdad Vahabi et Thierry Coville, Loc. cit.

([50]) Bernard Hourcade, Géopolitique de l’Iran, Armand Colin, 2016.

([51]) Mohammad-Reza Djalili, et Thierry Kellner, Op. cit.

([52]) Bernard Hourcade, Op. cit.

([53]) Mohammad-Reza Djalili, et Thierry Kellner, Op. cit.

([54]) Bernard Hourcade, Op. cit.

([55]) Pierre Razoux, « La guerre Iran-Irak a façonné la géopolitique actuelle du Golfe », Le Monde, 12 décembre 2013.

([56]) Pour mémoire, la résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations unies prohibe les transferts d’armements en provenance d’Iran, et en particulier les transferts de missiles et de technologies balistiques. De plus, la résolution 1540 du Conseil de sécurité interdit les transferts de vecteurs d’armes de destruction massive vers les acteurs non‑étatiques. Enfin, la résolution 2216 impose un embargo sur les armes à destination des Houthis et de leurs alliés.

([57]) Pierre Razoux, Loc. cit, Revue des deux mondes, septembre 2018.

([58]) Ibid.

([59]) Mohammad-Reza Djalili, La politique arabe de l’Iran, A contrario, 2008.

([60]) Abdolhossein Zarrinkoub, Two Centuries of Silence, Mazda Pub, 2017.

([61]) Lara Al Raisi, IranArabie saoudite, le choc des titans, Erickbonnier, 2018.

([62])  Interview du roi Abdallah II de Jordanie, « Hardball with Chris Matthews », MSNBC News, septembre 2004.

([63]) dont la branche militaire est considérée comme terroriste par le règlement d’exécution du Conseil de l’Union européenne du 13 janvier 2020 mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3, du règlement 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

([64]) Malise Ruthven, Op. cit.

([65]) Les actes antisémites en hausse de 74 % en France en 2018 Ces actes sont passés de 311 en 2017 à 541 l’an passé, selon les données du ministère de l’intérieur.

([66]) Antoine Sfeir, Sunnites contre chiites : la lutte fratricide, Revue des deux mondes, 10 septembre 2018.

([67]) Abou Hanîfa (699-767).

([68]) Mâlik (711-795).

([69]) al‑Shâfi’i (767-820).

([70]) Ibn Hanbal (780-855).

([71]) Antoine Sfeir, Loc. cit.

([72]) Mohammad Ali Amir-Moezzi, Qu'est-ce que le shî'isme ?, Cerf, 2014.

([73]) Frederic Wehrey et al., Beyond Sunni and Shia : The Roots of Sectarianism in a Changing Middle East, Oxford University Press, 2018.

([74]) Ibid.

([75]) Ibid.

([76]) Ibid.

([77]) Ibid.

([78]) Ibid.

([79]) Conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises.

([80]) « Situation économique du Qatar », Trésor international, juillet 2019.

([81]) « Le secteur des hydrocarbures au Qatar », Trésor international, avril 2019.

([82]) France Perrin, « Attaques contre des sites pétroliers », Iris pour Le Point international, novembre 2019.

([83]) Jean-Paul Chagnollaud et Pierre Blanc, Atlas du Moyen-Orient, Autrement, 2019.

([84])  Stéphane Lacroix, Les islamistes saoudiens : une insurrection manquée, PUF, 2010.

([85]) « Situation économique du Liban », Trésor International, avril 2019.

([86]) « Situation économique des Émirats arabes unis », Trésor International, février 2019.

([87]) « Le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) et « La French Tech » aux Émirats arabes unis (EAU) », Trésor International, juin 2018.

([88]) Jean-Paul Chagnollaud et Pierre Blanc, Op. cit.

([89]) Ernest Renan Réponse au discours de réception de Ferdinand de Lesseps, Académie française, 23 avril 1885.

([90]) Population urbaine mondiale, Banque mondiale, 2018.

([91])François Bost et al., Images économiques du monde, Armand Colin, 2018.

([92])Taux d’alphabétisation mondial, Banque mondiale, 2018.

([93]) « Fiches repères économiques », France Diplomatie, septembre 2019.

([94]) Ibid.

([95]Fiche pays sur l’Arabie saoudite, direction de la diplomatie économique, septembre 2019

([96]) Ibid.

([97]) Provenance du pétrole brut importé en France, INSEE, décembre 2019.

([98]) Rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France 2019 ; juin 2019.

([99]) Résultats du commerce extérieur de la France, DGDDI, novembre 2019.

([100]) « Relations bilatérales France-Qatar », Trésor International, juillet 2019.

([101]) « Relations bilatérales France-Qatar », Trésor International, juillet 2019.

([102]) « Relations bilatérales France-Koweït », Trésor International, septembre 2019.

([103]) « Situation économique et financière de l’Irak », Trésor International, août 2019.

([104]) Situation économique de l’Iran, Trésor International, décembre 2019.

([105])Philippe Bonnecarrère, rapporteur, Rapport d’information sur l’extraterritorialité des sanctions américaines, commission des affaires européennes du Sénat, 2018.

([106]) Ibid.

([107])Karine Berger, rapporteure, Philippe Lellouche, président, Rapport d’information sur l’extraterritorialité de la législation américaine, commission des affaires étrangères et commission des finances de l’Assemblée nationale, 2016.

([108]) Gilles Guillaume, Jean-Michel Bélot, « 1,5 milliard d’euros de projet d’exportations françaises en Iran remis en cause par la décision de Trump », Usine nouvelle, 9 mai 2018.

([109]) « L’Inde fait fi des sanctions américaines contre l’Iran et le Venezuela », AFP cité dans l’Express, 28 mai 2018.

([110]) Philippe Bonnecarrère, Op. cit.

([111]) Anne Feitz, « Iran, premier couperet sur l’automobile et l’aéronautique », Les Échos, 7 août 2018.

([112]) Laurent Martinet, « Iran, Ces entreprises françaises qui s’accrochent », L’Express, 20 septembre 2018.

([113]) Anne Feitz, Loc. cit.

([114]) « Iran, coup de massue pour les entreprises françaises », France Info, 6 août 2018.

([115]) Pascale Denis, « Tout comme total CMA CMG abdique en Iran », Usine nouvelle, 7 juillet 2018.

([116]) Fabrice Nodé-Langlois, « Pétrole: la Chine contourne l’embargo sur l’Iran », Le Figaro, 7 août 2019.

([117]) Rajendra Jadhav, « L’Iran achète du sucre indien pour contourner les sanctions US », Reuters, 26 février 2019.

([118]) Nicolas Stiel, « Pétrole : comment l’Iran contourne les sanctions américaines », Challenges, 5 novembre 2018.

([119]) « Le commerce extérieur de l’Iran en 2018‑2019 », Trésor International, août 2019.

([120]) «  L’Iran et la Chine nouent un "partenariat stratégique », France 24, 23 janvier 2016.

([121])Florentin Collomp, « Après Total, la Chine abandonne un projet gazier géant en Iran », Le Figaro, 6 octobre 2019.

([122])  Alexandre Kazerouni, Le miroir des cheikhs, PUF, 2017.

([123]) Ibid.

([124]) Ibid.

([125]) Valérie Assan, Judaïsme et entrée dans la modernité : le projet de l’Alliance israélite universelle, Le Télémaque, 2017.

([126]) Olivier Bouquet et al., Histoire du Moyen-Orient de l'Empire ottoman à nos jours: au-delà de la question d’Orient, Publications de la Sorbonne, 2016.