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N° 3251

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juillet 2020

 

 

RAPPORT DINFORMATION

 

DÉPOSÉ

 

 

en application de larticle 145 du Règlement

 

 

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

 

 

en conclusion des travaux du Printemps social de lévaluation

 

Présenté par M. Julien Borowczyk, M. Marc Delatte, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Gilles LURTON, co-président de la Mecss, M. Thomas Mesnier, rapporteur général, M. Boris Vallaud, Mme Annie VIDAL, co-présidente de la Mecss, et M. Stéphane Viry.

 

Députés.

 

——


 

 

 

 


—  1  —

 

 

SOMMAIRE

___

Pages

avant-propos du rapporteur général de la commission des affaires sociales                            5

avant-propos des co-présidents de la mission dévaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale                            7

Évaluations des rapporteurs................................. 9

Exonération de cotisations sociales salariales sur les heures supplémentaires (M. Boris Vallaud)                            11

La réforme de la sécurité sociale des travailleurs indépendants (M. Gilles Lurton, co-président, et M. Stéphane Viry)                            21

Nouveaux modes de financement de l’hôpital (M. Julien Borowczyk, M. Marc Delatte et Mme Audrey Dufeu Schubert)                            33

La mise en place du « 100 % Santé » (M. Cyrille Isaac-Sibille)................. 43

Le financement des services d’aide et d’accompagnement à domicile (Mme Agnès Firmin Le Bodo et Mme Annie Vidal, co‑présidente)                            53

 

 

 

 


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avant-propos du rapporteur général
de la commission des affaires sociales

Soucieuse de renforcer sa mission de contrôle et d’évaluation, la commission des affaires sociales a inauguré en 2019 à l’initiative de son rapporteur général d’alors, Olivier Véran, un nouveau « rendez-vous » dédié à la mise en œuvre des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), le « Printemps social de l’évaluation ». Le principe est simple : organiser annuellement une discussion à la fois dense et approfondie sur les dispositions les plus emblématiques votées par le Parlement dans le cadre des LFSS, en présence des directeurs d’administrations centrales et des branches de la sécurité sociale chargées de l’application de ces dispositions.

Ce premier exercice fut globalement un succès, salué comme tel par le Bureau de la commission : il a permis de nourrir des échanges riches et exigeants, à titre d’exemple, sur les compensations des réductions ou exonérations de cotisations ou contributions sociales, sur les mesures prises en faveur du pouvoir d’achat ou encore sur la mise en œuvre de l’article 51 de la LFSS pour 2018 créant un cadre pour des expérimentations organisationnelles dans le système de soins. Il avait également fait naître un besoin de meilleure association de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) ainsi qu’un travail plus approfondi en amont. Enfin, le Règlement de l’Assemblée nationale avait été modifié pour que le Printemps social de l’évaluation puisse faire l’objet, au même titre que son équivalent à la commission des Finances, d’un débat en séance publique en présence du Gouvernement.

L’exercice « 2020 » a été consolidé et, dans le même temps, fortement marqué par le contexte de la crise sanitaire.

La consolidation est venue des excellentes initiatives de la MECSS qui a assuré avec ses rapporteurs un suivi plus approfondi de certains articles, sans préjudice de questions plus générales posées à l’occasion des échanges avec les administrations présentes. Le rapporteur général souhaite d’ailleurs les remercier d’avoir été présentes, tout en constatant que l’évolution du format vers des échanges plus complets et plus précis sur des sujets donnés n’avait peut-être pas été complètement intégrée dans les réponses apportées.

La crise sanitaire, particulièrement critique de mars à mai, a néanmoins immanquablement bouleversé le calendrier qui se voulait moins serré et moins tardif. Elle a ainsi rendu difficile le plein déploiement de l’exercice, notamment au regard du souhait qu’il débouche sur un moment plus solennel dans l’hémicycle, en présence du Gouvernement. L’absence de ces échanges plus politiques et plus prospectifs peut d’ailleurs expliquer que la séquence n’ait pas encore apporté toutes les réponses attendues par les commissaires.

En espérant que le premier semestre 2021 permettra de mettre en place tout ce que le premier semestre 2020 a empêché, le rapporteur général estime que le Printemps social de l’évaluation s’appuie d’ores et déjà sur de solides acquis : un moment, permettant de faire le point en amont des débats de l’automne et, le cas échéant, d’en tirer les conséquences à cette occasion ; une méthode, reposant à la fois sur la vision globale du rapporteur général, sur le travail méticuleux de la MECSS sur quelques articles prédéfinis et sur la vigilance de l’ensemble des membres de la commission ; un cadre clair, celui des lois de financement de la sécurité sociale, dont l’examen justifie la singularité des compétences de la commission des affaires sociales, à la fois commission financière et commission spécialisée sur des politiques de fond qui engagent fortement notre pays en matière de solidarité, de justice ou d’efficacité économique.

 

Thomas MESNIER

 


avant-propos des co-présidents de la mission dévaluation et de contrôle des lois de financement
de la sécurité sociale

L’organisation en juin 2019 du nouvel exercice du Printemps social de l’évaluation, qui visait à examiner les principales dispositions des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) et à obtenir les éclairages des administrations centrales et des organismes de protection sociale sur leur mise en œuvre, a mis en évidence que certains thèmes pouvaient être opportunément abordés et examinés en amont par la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), dans la perspective de l’exercice du Printemps en 2020.

Ce nouveau rendez-vous constitue en effet l’occasion pour la MECSS de recentrer ses travaux sur son cœur de mission : le contrôle et l’évaluation des lois de financement de la sécurité sociale. L’évaluation constitue une mission essentielle du Parlement, alors qu’aux termes de l’article 24 de la Constitution, celui-ci « vote la loi. Il contrôle laction du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». L’exercice de cette mission doit lui permettre d’identifier les difficultés éventuelles dans la mise en œuvre des dispositions qu’il vote, de mesurer précisément leur efficacité, leurs incidences et leurs effets de bord, qui ne sont pas toujours anticipés ou bien appréciés dès l’origine, et le cas échant, de formuler des propositions d’amélioration et d’amender les dispositifs adoptés.

Dès l’automne dernier, en étroite concertation avec le rapporteur général, la MECSS a engagé un travail de préparation de ce Printemps, en identifiant plusieurs thèmes pouvant faire l’objet de travaux : cinq articles des dernières lois de financement de la sécurité sociale ont ainsi été retenus, pour faire l’objet de travaux par plusieurs rapporteurs membres de la MECSS. Si la crise sanitaire majeure que nous traversons a bien évidemment bouleversé l’organisation de ces travaux et le calendrier du Printemps, décalé en été, il a été décidé de maintenir ce rendez-vous, tout en prenant en compte les enjeux soulevés par la crise dans les travaux conduits. Les rapporteurs ont ainsi procédé à des auditions de différents acteurs et parties prenantes concernés par les articles choisis, puis ont présenté lors du Printemps leurs premières conclusions et ont interrogé les administrations et organismes présents sur les enjeux et difficultés qu’ils ont identifiés lors de leurs travaux.

Les évaluations conduites par les rapporteurs de la MECSS s’inscrivent dans les trois thématiques autour desquelles s’est articulé le Printemps social de l’évaluation. S’agissant du financement de la sécurité sociale, deux articles de LFSS ont donné lieu à des travaux, l’un prévoyant l’exonération des heures supplémentaires de cotisations sociales salariales (article 7 de la LFSS pour 2019), confié à M. Boris Vallaud, l’autre relatif à l’adossement du régime social des indépendants (RSI) au régime général (article 15 de la LFSS pour 2018, complété par l’article 76 de la LFSS pour 2019), pris en charge par MM. Gilles Lurton et Stéphane Viry. Il s’agit de deux réformes majeures : l’une tendait à donner du pouvoir d’achat aux salariés du secteur privé comme du secteur public à compter du 1er janvier 2019, tandis que l’autre visait à résoudre les difficultés récurrentes rencontrées par le RSI, en l’adossant au régime général par étapes, entre le 1er janvier 2018 et le 1er janvier 2020.

Sur la thématique de l’offre de soins, Mme Audrey Dufeu Schubert, M. Julien Borowczyk et M. Marc Delatte ont mené des travaux sur la transformation du financement de notre système de santé, telle que proposée par les articles 37 et 38 de la LFSS pour 2019 : le premier article étend le dispositif de paiement à la qualité des établissements de santé tandis que le second prévoit un financement forfaitaire pour les pathologies chroniques. M. Cyrille Isaac-Sibille a quant à lui évalué la mise en œuvre du « reste à charge 0 » prévu par l’article 51 de la LFSS pour 2019, pour les soins dentaires, les aides auditives et l’optique. Dans ces trois domaines, le reste à charge après l’intervention des complémentaires santé reste particulièrement important, ce qui peut conduire les assurés à renoncer aux soins pour des raisons financières. La bonne mise en œuvre de ce dispositif constitue donc un important enjeu de santé publique.

Enfin, s’agissant des enjeux liés à l’autonomie, Mme Annie Vidal et Mme Agnès Firmin Le Bodo ont évalué les effets du financement exceptionnel de 50 millions d’euros apporté par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) aux services d’aide et d’accompagnement à domicile, en application de l’article 26 de la LFSS pour 2019, alors que la réforme du secteur de l’aide à domicile est un sujet de premier plan, notamment du fait de la situation financière dégradée de nombre de ses acteurs.

L’ensemble de ces travaux d’évaluation sont réunis dans le présent rapport d’information et ont vocation à alimenter les débats de la commission des affaires sociales lors de l’examen du prochain PLFSS, cet automne, en fournissant des éléments concrets et précis à la lumière desquels apprécier les mesures proposées par ce texte.

 

Annie VIDAL et Gilles LURTON

 


 

 

 

 

 

 

 

ÉVALUATIONS
DES RAPPORTEURS

 

 

 

 

 


—  1  —

 

Mission dévaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

 

 

 

 


—  1  —

 

 

Notre Assemblée a adopté, au sein de la LFSS pour 2019, un dispositif dexonération de cotisations sociales salariales sur la rémunération des heures supplémentaires. Dans la perspective de mesurer les résultats de cette désocialisation, la mission dévaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a confié à M. Boris Vallaud (rapporteur, Socialistes et apparentés), lévaluation de larticle 7 de la LFSS pour 2019, portant cette exonération pour les travailleurs des secteurs privé et public.

En amont de laudition des administrations centrales lors du Printemps de lévaluation, le rapporteur a sollicité des organismes publics statistiques (lINSEE, la DARES) et lACOSS pour établir le recours effectif aux heures supplémentaires, ainsi que le coût de cette exonération. En outre, le rapporteur a entendu les organisations patronales et syndicales, tant dans le secteur privé que dans la fonction publique, ainsi que des économistes membres dorganes indépendants tels que lOffice français de conjoncture économique (OFCE).

 

LE DISPOSITIF ADOPTÉ

 

Larticle 7 de la LFSS pour 2019 prévoyait une exonération de cotisations sociales salariales sur les heures supplémentaires et complémentaires, initialement à partir du 1er septembre 2019. Cette exonération concerne autant les salariés du régime général que ceux qui relèvent du régime agricole, ainsi que les agents de la fonction publique, quils soient à temps complet ou à temps partiel. Ce champ très large des personnes concernées était équilibré par un ciblage de lexonération sur les seules cotisations de financement de la branche assurance-vieillesse, dans la limite dun taux de 11,31 %. En ce qui concerne les agents statutaires de fonction publique, lexonération porte sur la cotisation au régime additionnel de la fonction publique (RAFP), au taux de 5 % de la rémunération, ensuite imputée sur la cotisation du régime dassurance vieillesse de base.

Le dispositif sapplique à des heures supplémentaires dont la définition est désormais inscrite à larticle L. 241-17 du code de la sécurité sociale. La majoration de rémunération qui y correspond sinscrit donc dans la limite des taux prévus par la convention ou laccord collectif, de branche ou dentreprise. À défaut, les taux légaux de majoration légalement applicables dans le secteur privé dont de 25 % pour les huit premières heures supplémentaires travaillées et de 50 % au-delà. Pour ce qui est des heures complémentaires, qui sont effectuées par les salariés employés à temps partiel, cette majoration est ramenée à 10 % dans la limite du dixième des heures prévues au contrat de travail et à 25 % au-delà.

Sagissant de la fonction publique, il faut noter que les contractuels qui cotisent, pour ce qui est de leur retraite complémentaire, auprès de lIRCANTEC peuvent bénéficier dune exonération de cotisations sociales qui peut sélever jusquà 10,1 %.

 

  1. Un dispositif adopté en urgence supposé répondre à une demande de pouvoir dachat

La contestation sociale auquel le Gouvernement a été confronté la amené à anticiper lapplication de cette exonération au 1er janvier 2019, dans le cadre de la loi portant mesures durgence économiques et sociales ([1]), pour un coût supplémentaire d1,3 milliard deuros. Contrairement au dispositif initial, les rémunérations au titre des heures supplémentaires ont également été exonérées dimpôt sur le revenu.

Un décret a précisé, dès le 24 janvier 2019, les modalités dapplication de lexonération et son caractère rétroactif, au 1er janvier de la même année ([2]). Il a étendu son dispositif aux salariés du régime général, du régime agricole et des régimes spéciaux et précisé que lapplication de lensemble des exonérations de cotisations sociales et de taux réduits ne pouvait conduire à une réduction supérieure au montant des cotisations effectivement dues, soit, dans le cas général, un taux de 11,31 %.

Il a été ensuite complété par un décret pris le 25 février 2019 dextension du dispositif aux agents publics titulaires et non titulaires des trois versants de la fonction publique ([3]). Ce décret a notamment visé à préciser les éléments de la rémunération des agents publics qui sont éligibles à lexonération, ainsi que les modalités de calcul du montant de la réduction. Ce dernier est le produit des cotisations versées dans le cadre du RAFP ou des régimes de retraite spéciaux, dans la limite des cotisations effectivement dues. Pour rappel, ce décret a également prévu les modalités de déclaration et donc de contrôle de la bonne recension des heures supplémentaires effectuées, par le biais de :

-          la mise en œuvre par lautorité hiérarchique de moyens de contrôle permettant de comptabiliser de façon exacte les heures supplémentaires ou le temps de travail additionnel effectivement accomplis ;

-          létablissement, par lemployeur, dun document indiquant, pour chaque agent civil, le nombre dheures ou le temps de travail supplémentaire effectivement accomplis, ainsi que la rémunération afférente.

La rapidité de publication de ces décrets na toutefois pas empêché une application rétroactive des dispositions réglementaires, en raison de linscription précipitée dans la loi du début du dispositif au 1er janvier.

  1. Un dispositif ciblé aggravant le déficit de la sécurité sociale

Contrairement au principe inscrit à larticle L. 131-7 du code de la sécurité sociale de compensation par lÉtat des allégements et exonérations, issu de la loi dite « Veil » de 1994, le dispositif, qui était initialement estimé à deux milliards deuros en année pleine, est intégralement porté par les finances sociales.

Le rapporteur remarque à cet égard que le dispositif précédent comparable, issu de la loi dite « TEPA » ([4]), navait entraîné aucune exception dans le principe de la compensation à la sécurité sociale des exonérations de cotisations. Ce mécanisme laisse donc penser, dans un premier temps, au salarié, quil bénéficie dun gain de pouvoir dachat. Cest pourtant ce même salarié qui, en tant quaffilié à la sécurité sociale, voit les ressources de cette dernière diminuer, et nécessairement, dans le même mouvement, ses droits sociaux.

Le coût de cette exonération sélève finalement à 1,8 milliard deuros en 2019, pour le total de 995 millions dheures supplémentaires effectuées. Selon les réponses données par le Gouvernement au rapporteur, 12,7 millions de salariés ont effectué des heures supplémentaires ou complémentaires, ce qui représente 37 % des effectifs du secteur privé.

 

LIMPACT DE LEXONÉRATION : UN EFFET COMPORTEMENTAL QUASI-NUL ; UN GAIN DE POUVOIR DACHAT LARGEMENT INFÉRIEUR AUX PRÉVISIONS

 

  1. Le dispositif na pas atteint ses objectifs en matière de pouvoir dachat

Sagissant de la question du pouvoir dachat, le rapporteur souhaite rappeler, à titre liminaire, que le gain permis par lexonération de cotisations salariale est en tous les cas illusoire, à deux titres :

-          en premier lieu, lexonération revient à baisser le salaire brut, et finalement le salaire réel, versé en échange de la réalisation des heures supplémentaires ;

-          ensuite, ce « gain » immédiat simpute, comme il a été vu, sur les ressources de la sécurité sociale, et augmente donc les ressources du salarié en baissant les droits de lassuré, créant une illusion de gain monétaire quand il sagit en réalité, dans le meilleur des cas, dun jeu à somme nulle.

En définitive, lon pourrait dire que les salariés se paient dune certaine manière eux-mêmes leurs gains de pouvoir dachat.

Le dispositif a par ailleurs entraîné une augmentation immédiate de pouvoir dachat bien moindre quanticipé, au stade de létude dimpact. Alors quil était annoncé que cette exonération devait entraîner un gain moyen de 199 euros par an par salarié du secteur privé non agricole, celui-ci na été que de 138 euros, soit 70 % de la cible initiale.

Ce gain moindre de pouvoir dachat sexplique notamment par un moindre recours que ce qui était anticipé aux heures supplémentaires elles-mêmes. Alors que la rémunération moyenne dune heure supplémentaire est proche de ce qui avait été anticipé, les salariés ayant effectué des heures supplémentaires en ont effectué 78 en moyenne sur lannée, contre une prévision de 109 heures.

Cet écart sest également produit dans les secteurs dont le recours aux heures supplémentaires est traditionnellement plus important. Ainsi, le gain moyen, qui avait été estimé à 250 euros par an dans le secteur de la construction ou celui des entreprises de linformation et de la communication, na été en réalité que de 220 euros, sur la base dune moyenne de 121 heures supplémentaires effectuées par an. Les secteurs des industries du meuble ou des activités juridiques ont connu un écart comparable avec les prévisions initiales.

Cet écart sest reproduit aux différents niveaux de rémunération sur lesquelles portaient les hypothèses de base, selon le tableau suivant :

 

Écart entre les prévisions et lexécution de lexonération de cotisations salariales sur les heures supplémentaires pour des rémunérations de 1 et de 1,8 SMIC

Niveau de rémunération

Gains prévus lors de lexamen du PLFSS pour 2019

Gains réalisés au cours de lannée 2019

Base de calcul du nombre dheures supplémentaires effectuées

1 SMIC

155

111

78

1,8 SMIC

279

200

78

Source : réponses au questionnaire du rapporteur

 

Le recours aux heures supplémentaires lui-même varie grandement en fonction de la taille des entreprises. Ainsi que le montre le tableau ci-dessous, issu de données agrégées sur lannée 2019, la part des salariés effectuant des heures supplémentaires est la plus grande dans les PME comprenant entre 10 et 49 salariés (taux moyen de 45 % des salariés effectuant des heures supplémentaires). À linverse, si les salariés des entreprises de plus de 2 000 collaborateurs recourent, pour près de 40 % dentre eux, aux heures supplémentaires, le gain moyen par salarié au sein de ces entreprises est le plus faible de toutes les tranches de taille dentreprise (67 euros par salarié), amoindrissant encore pour les plus grandes entreprises le gain de pouvoir dachat que pourraient espérer les salariés.

 

Répartition du nombre dheures supplémentaires en fonction de la taille de lentreprise

 

Tranche de taille dentreprise

Nombre de salariés bénéficiaires (en milliers)

Nombre dheures supplémentaires (en milliers)

Nombre dheures supplémentaires moyen par salarié

Taux horaire moyen (en euros)

Gain moyen par salarié (en euros)

Part des salariés effectuant des heures supplémentaires

0  à    9

2 108

211 012

100,1

15,6

177

31,9%

10  à   19

1 334

153 426

115,0

16,5

214

45,5%

20  à   49

1 827

193 116

105,7

16,9

202

44,7%

50  à   99

1 217

97 895

80,5

14,9

136

40,8%

100  à  249

1 422

100 442

70,6

15,5

124

36,3%

250  à  499

862

57 668

66,9

14,5

109

34,7%

500  à 1999

1 200

68 337

57,0

14,8

96

30,8%

2 000 et plus

2 755

112 881

41,0

14,4

67

38,6 %

Total

12 725

994 776

78,2

15,7

138

37,4 %

Source : ACOSS- champ du régime général

 

              Le recours supplémentaire aux heures supplémentaires contribue enfin à laugmentation des inégalités de rémunération entre les hommes et les femmes. Dans le champ du régime général, les hommes représentent 62 % des salariés effectuant des heures supplémentaires, alors quils ne représentent que 55 % des effectifs globaux. De plus, ils effectuent un bien plus grand nombre dheures supplémentaires ou complémentaires : 91 heures en moyenne par salarié et par an pour les hommes, contre 58 pour les femmes. La rémunération moyenne de ces heures est également légèrement plus élevée. En conséquence, le gain moyen de pouvoir dachat est plus important en moyenne pour un homme que pour une femme.

 

  1. Le dispositif na entraîné aucun recours supplémentaire significatif aux heures supplémentaires dans le secteur privé

Ainsi quil a été vu ci-dessus, 12,7 millions de salariés ont effectué des heures supplémentaires ou complémentaires, ce qui représente 37 % des effectifs du secteur privé. Sagissant du secteur privé agricole, 32 millions dheures supplémentaires et complémentaires ont été effectuées en 2019 par 306 000 salariés, ou 18 % des effectifs du secteur privé agricole. Le coût pour ce secteur est de 34,2 millions deuros.

Les données fournies par la DARES laissent apparaître une légère augmentation en 2019 du recours moyen aux heures supplémentaires, concernant les salariés à temps plein travaillant dans des entreprises de plus de 10 salariés, de 40,3 heures par salarié et par an en 2018 à 42,8 heures. Cette très légère augmentation ne laisse pas dinterroger le rapporteur, dès lors que :

-          le dispositif mis en place en 2007 dans le cadre de la loi dite « TEPA », qui portait certes sur un champ plus large, avait entraîné une augmentation de 29,3 heures par salarié et par an en 2007 à 38,6 heures par salarié et par an ;

-          le graphique ci-dessous montre que leffet comportemental de recours aux heures supplémentaires pourrait être de lordre du conjoncturel. En effet, la comparaison entre le dernier trimestre de lannée 2019 et le dernier trimestre de lannée 2018 montre même une baisse de 0,7 %.

 

Nombre moyen dheures supplémentaires trimestrielles déclarées par salarié à temps complet

Champ : France (hors Mayotte), salariés des établissements dentreprises de 10 salariés ou plus (y compris syndicats de copropriété et associations de type loi 1901 de laction sociale)".

Source : Dares, enquête trimestrielle Acemo.

Les données concernant lévolution des conventions collectives depuis lapplication de lexonération demeurent relativement floues à ce stade. Le rapporteur a toutefois pu analyser le secteur de lartisanat et des entreprises de proximité, dans lequel la plupart des conventions collectives reprennent simplement les taux de majoration de rémunération inscrits dans la loi.

Le rapporteur ne peut donc que constater que ce dispositif semble, a minima, dépourvu de pertinence dans le secteur privé, et le sera moins encore avec la dégradation très forte de la conjoncture économique en 2020 résultant de la crise de la Covid 19 (voir supra)

 

UN DISPOSITIF INADAPTÉ AUX ENJEUX DE LA VALORISATION DES AGENTS DE LA FONCTION PUBLIQUE ET À LA CONJONCTURE ÉCONOMIQUE FRANÇAISE

  1. Lexonération de cotisations sociales dans la fonction publique aggrave une situation de lacunes dans leur prise en compte et dinégalité entre agents

Lextension du dispositif à lensemble des agents publics a entraîné, en 2019, un recours aux heures supplémentaires de 32 % des agents rémunérés au cours de lannée. Il atteint 38 % dans la fonction publique dÉtat et 35 % dans la fonction publique hospitalière.

  1. Les manques dans la comptabilisation des heures supplémentaires : un problème récurrent

Le rapporteur se fait toutefois lécho des fortes inquiétudes des agents de la fonction publique sur les modalités de comptabilisation de ces heures supplémentaires. Il a en effet été alerté sur labsence récurrente de leur prise en compte, et donc de la majoration salariale afférente, dans des secteurs particulièrement sollicités comme ceux de la santé, de la police et de lenseignement. Cette situation a déjà été signalée par M. Philippe Laurent, dans son rapport sur le temps de travail dans la fonction publique, qui signalait que « labsence de maîtrise des heures supplémentaires se traduit à lhôpital et dans la police nationale par un stock important dheures supplémentaires ni payées ni récupérées » ([5]). Lauteur du rapport estimait ainsi que les heures supplémentaires générées dans la police par les prolongations de services ou les retours sur repos ou les nécessités de service dans les hôpitaux, constituaient un enjeu majeur dont les administrations ne sétaient pas pleinement saisies pour assurer leur bonne prise en compte et leur rémunération adéquate.

Il sagit donc de sassurer, dans létat actuel de la législation, que chaque agent public qui effectue une heure supplémentaire puisse être indemnisé en conséquence. Il serait particulièrement inquiétant que lÉtat tout comme lensemble des organisations publiques, ne soient pas exemplaires dans la prise en compte des heures supplémentaires.

  1. Un facteur aggravant des inégalités substantielles dans la fonction publique

Ce recours aux heures supplémentaires est soumis à un certain nombre dinégalités, la première dentre elles étant entre les hommes et les femmes. Les données fournies au rapporteur pour lannée 2019 concernant les agents de lÉtat rémunérés par la DGFiP (Direction générale des finances publiques) dont apparaître un recours de 37 % pour les hommes contre 29 % pour les femmes. Ces données chiffrées confirment les déclarations des organisations syndicales de la fonction publique, qui avaient attiré lattention du rapporteur sur :

-          la plus grande difficulté pour les femmes de concilier le recours aux heures supplémentaires avec leur vie personnelle, entraînant nécessairement un moindre recours au dispositif dexonération ;

-          une diminution par ce biais de la part statutaire de la rémunération au profit de la part indemnitaire, qui entraîne nécessairement une plus grande inégalité entre les agents de la fonction publique.

Ces inégalités se retrouvent également en matière dâge, puisque le recours aux heures supplémentaires augmente avec le niveau dancienneté. Ainsi, 18 % des moins de 30 ans en ont bénéficié contre 38 % des 45-54 ans. Ce niveau baisse ensuite pour les agents qui ont plus de 55 ans.

  1. Un palliatif inadapté à labsence de revalorisation salariale des agents de la fonction publique

Lexonération de cotisations sociales salariales dans la fonction publique vient compenser, par un gain apparent de pouvoir dachat, une politique de « gel » du point dindice, sur lequel sont indexées les rémunérations des fonctionnaires. Ce « gel » comprime ce qui pourrait sapparenter à une véritable augmentation des rémunérations, qui ne se fasse pas aux dépens des ressources de la sécurité sociale, pour plus de cinq millions de fonctionnaires et dagents participant du service public depuis le 1er juillet 2010, à lexception des années 2016 et 2017.

Le rapporteur sinquiète également de ce que le recours aux heures supplémentaires dans la fonction publique puisse, ainsi que le lui ont signalé les organisations syndicales rencontrées, empêcher le recrutement de fonctionnaires dans des corps pourtant lourdement sollicités et subissant une situation notoire de sous-effectif. Il semble ainsi que les heures supplémentaires effectuées chaque année au sein de la fonction publique hospitalière équivalent à 50 000 ETP (équivalent temps plein). De la même manière, alors même que, dans ce domaine, la deuxième heure supplémentaire est moins bien rémunérée que la première, le volume dheures supplémentaires effectuées au sein de lEducation nationale correspond au volume de suppression des postes. On a donc remplacé des postes denseignants par des heures supplémentaires. Ainsi que la précisé notamment la CGT, le niveau global dheures supplémentaires effectué dans certains secteurs correspond à des besoins de création de postes permanents. La durée annuelle effective de travail serait ainsi de :

-          1 990 heures par an dans le secteur de la justice ;

-          1 825 heures par an dans le domaine des services à la personne ;

-          1 808 heures par an dans le domaine de la sécurité et de la défense.

Ces durées de travail annuelles sont bien supérieures à la limite légale du temps de travail 1 607 heures et signalent donc des besoins pressants de recrutement dans ces corps.

Au total, lexonération de cotisations salariales sur les heures supplémentaires dans la fonction publique, en plus des problématiques de diminution des ressources de la sécurité sociale quelle contribue à aggraver, semble particulièrement malvenue en comparaison dune politique résolue en faveur du gain de pouvoir dachat dans tous les pans de la fonction publique.

  1. Un dispositif inutile en période économique récessive

Le rapporteur sest également attaché à recueillir le point de vue déconomistes et de chercheurs sur cette mesure dexonération, afin den apprécier la validité économique. Il est apparu que ce dispositif aurait pu produire un effet sur lannée 2019, qui se caractérisait en particulier par une tension de recrutement dans certains secteurs, potentiellement favorable à un plus grand recours aux heures supplémentaires. Labsence de recours supplémentaire dans le secteur privé laisse toutefois entendre que ce dispositif, même dans ces conditions, na pas rencontré son public.

À linverse, en période de forte augmentation du taux de chômage, comme la France en connaît depuis le début de la crise épidémique de la Covid, lintérêt de cette exonération disparaît complètement. Ainsi que lont prouvé Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, en analysant le dispositif mis en place en 2008 dans une période récessive pourtant moins forte que celle que traverse actuellement notre pays, aucune différence notable na été constatée pour la plupart des salariés. Ils notaient au contraire que la « défiscalisation des heures supplémentaires sest essentiellement traduite par une optimisation fiscale, sans réel impact sur la durée du travail. ([6])»

Le maintien de ce dispositif semble donc parfaitement incompatible avec les enjeux liés à lemploi des prochaines années. Le Gouvernement a mis en place, après le dispositif de prise en charge de lactivité partielle, dont le coût peut être estimé à plus de 35 milliards deuros en prenant en compte la baisse de recettes de la sécurité sociale, un dispositif dactivité partielle de longue durée pour les entreprises qui demeurent confrontées à de graves difficultés économiques. Il serait a minima paradoxal, voire incohérent, de faire subventionner par la puissance publique, à hauteur d1,8 milliard deuros dun côté et dun montant au moins équivalent de lautre, des dispositifs incitant à la fois à une réduction négociée du temps de travail et, dans le même temps, à une augmentation unilatérale du même temps de travail.

 

LINEFFICACITÉ DU DISPOSITIF COMME SON COÛT PLAIDENT POUR SA SUPPRESSION

Le rapporteur estime, en conclusion de son étude sur lapplication du dispositif dexonération de cotisations sociales salariales voté au sein de la LFSS pour 2019, que ce dispositif sest révélé inefficace, voire néfaste, pour un ensemble de raisons qui tiennent à :

-          linefficacité du dispositif dans le secteur privé ;

-          son coût pour les finances sociales ;

-          lillusion de gain de pouvoir dachat quil entretient ;

-          sa contribution à laugmentation des inégalités et de la précarité au sein de la fonction publique ;

-          son caractère néfaste en période de récession économique sur la création demplois.

Il conviendra en cohérence, à loccasion de lexamen du PLFSS pour 2021, de supprimer cette exonération. Il faudra en effet lui préférer une véritable politique de gain de pouvoir dachat pour les salariés et les agents de la fonction publique, reposant notamment sur une meilleure répartition des salaires au sein des entreprises pour les premiers et une augmentation de la rémunération statutaire comme des recrutements pour les seconds.

 

 

 


 

 


Mission dévaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Deux ans et demi après ladoption dun article « fleuve » réformant la protection sociale des travailleurs indépendants, la mission dévaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a confié le soin à M. Gilles Lurton (co-président de la MECSS et rapporteur, Les Républicains) et à M. Stéphane Viry (rapporteur, Les Républicains) de faire le point sur la mise en œuvre de cette réforme aussi vaste que risquée, consistant notamment à ce que le premier régime de sécurité sociale, le régime général (28 millions de cotisants en 2017), « absorbe » le deuxième, celui des artisans-commerçants affiliés au régime social des indépendants (RSI) (2,8 millions de cotisants et 6,6 millions de ressortissants en 2017).

Dans le souci dune approche globale des enjeux liés au rapprochement des régimes de sécurité sociale des travailleurs indépendants et des salariés, la MECSS a entendu évaluer non seulement larticle 15 de la LFSS pour 2018 relatif à la fin du RSI et à ladossement du régime des artisans-commerçants au régime général mais aussi larticle 76 de la LFSS pour 2019 qui a organisé la convergence des règles en matière dindemnités journalières maladie-maternité.

Une série dauditions a été menée préalablement à celle des administrations centrales lors du Printemps de lévaluation. Elle a permis de rencontrer notamment les organisations patronales les plus représentatives, les syndicats représentant les salariés de lex-RSI, la présidente du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI), le président du Haut conseil au financement de la protection sociale (HCFiPS) dont les travaux sont tournés depuis plusieurs mois vers la question des travailleurs indépendants ainsi que plusieurs directeurs de caisses locales de sécurité sociale, au cœur de la mise en œuvre de la réforme.


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LES DISPOSITIFS ADOPTÉS

Larticle 15 de la LFSS pour 2018 portait en réalité une triple réforme : une réforme de lorganisation de la sécurité sociale, une réforme de son périmètre et une expérimentation dun nouveau mode de déclaration et de paiement des cotisations. Sy est ajoutée dans la foulée lesquisse dune réforme des droits, placée sous le sceau de la convergence, avec larticle 76 de la LFSS pour 2019.

1/ Une réforme de lorganisation de la sécurité sociale des travailleurs indépendants : ladossement au régime général

Laspect le plus important de la réforme consistait à supprimer le RSI, au profit dun adossement au sein du régime général pour les trois risques qui étaient couverts auparavant par linterlocuteur social unique (ISU).

Les affiliés étaient transférés au régime général selon un calendrier échelonné, reproduit ci-dessous.

Ladossement ne sest pas traduit seulement par une intégration, mais aussi par la création dune gouvernance spécifique, incarnée par le CPSTI, chargé de veiller à la préservation des spécificités des règles « de fond » applicables aux travailleurs indépendants, et qui nétaient pas modifiées en tant que telles par la réforme. Le Conseil est notamment chargé de déterminer les orientations générales relatives à laction sanitaire et sociale de manière autonome par rapport à celle conduite par les caisses du régime général, et de gérer les régimes complémentaires de retraite, le régime invalidité-décès des travailleurs indépendants ainsi que les réserves de ces régimes.

Calendrier de mise en œuvre de la réforme

Source : dossier de presse du Gouvernement, 6 janvier 2020

2/ Une réforme du périmètre de la protection sociale des travailleurs non-salariés

Ladossement a été accompagné dune mesure moins visible de périmètre puisque la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et dassurance vieillesse (CIPAV) a vu son champ daffiliation réduit à un « cœur » dune vingtaine de professions libérales, alors quelle accueillait jusquici lensemble des professionnels libéraux, y compris en statut de micro-entrepreneur, qui ne relevaient pas dautres caisses.

Là encore, cette évolution avait été échelonnée sur deux ans puisquau 1er janvier 2018 étaient transférés les nouveaux micro-entrepreneurs et au 1er janvier 2019 les autres professionnels libéraux, sous réserve de lexercice de leur droit doption ouvert pendant une durée de 5 ans, soit jusquau 1er janvier 2023. 

3/ Lesquisse dune réforme du paiement des cotisations : lexpérimentation de lauto-modulation des prélèvements

Le XVII de larticle 15 avait également prévu lexpérimentation dun dispositif permettant de proposer aux travailleurs indépendants dacquitter leurs cotisations et contributions sociales sur une base mensuelle ou trimestrielle à partir des informations quils communiquaient sur leur activité et leurs revenus sur la même période. Initialement prévue jusquau 30 juin 2019, lexpérimentation a été reconduite par larticle 22 de la LFSS pour 2019, puis par larticle 19 de la LFSS pour 2020, jusquau 31 décembre 2020.

4/ Lesquisse dune réforme de la convergence des droits : le rapprochement des indemnités journalières maladie-maternité

Larticle 76 de la LFSS pour 2019 a permis de faire converger certaines règles applicables aux travailleurs indépendants vers les règles applicables aux salariés en matière de prestations en espèces. Le dispositif recouvre en réalité deux mesures distinctes.

Cet article simplifie les conditions douverture du droit aux indemnités journalières maladie et maternité pour les travailleurs indépendants en supprimant la condition dêtre à jour des cotisations annuelles pour bénéficier du versement des indemnités journalières maladie et maternité, pour les arrêts de travail débutant après le 1er janvier 2019.

Jusqualors, larticle L. 622-3 du code de la sécurité sociale prévoyait une condition propre aux travailleurs indépendants pour bénéficier de ces indemnités journalières, selon laquelle lassuré doit « être à jour de ses cotisations annuelles » à la date du constat médical de lincapacité de travail. Lorsque des majorations de retard de versement des cotisations restaient dues, le bénéfice des indemnités journalières était suspendu dans lattente du paiement des sommes par lassuré, le privant ainsi de ses droits.

Désormais, comme pour les salariés, seules deux conditions sappliquent aux indépendants pour pouvoir bénéficier du règlement des indemnités journalières au titre de lassurance maladie et maternité :

 laffiliation au régime dassurance maladie-maternité depuis une durée minimale ;

 le paiement dun montant minimal de cotisations.

Pour maintenir lincitation au versement des cotisations par les indépendants, larticle 76 prévoit toutefois que les indemnités journalières sont calculées sur la base des revenus sur lesquels lassuré aura effectivement payé ses cotisations. Cette disposition sappliquera à compter du 1er janvier 2020.

Par ailleurs, aux termes de larticle 76, la pension de vieillesse pour inaptitude au travail se substitue désormais automatiquement à la pension dinvalidité des travailleurs indépendants à latteinte de lâge légal de départ à la retraite, comme pour les travailleurs salariés.

Le décret n° 2019-529 du 27 mai 2019 relatif à lamélioration de la protection sociale au titre de la maladie et de la maternité des travailleurs indépendants a permis de préciser les conditions de mise en œuvre de cet article mais aussi de prendre des mesures autonomes.

Il a ainsi modifié larticle D. 613-16 du code de la sécurité sociale ([7]), en réaffirmant la condition daffiliation depuis au moins un an à la date du constat médical de lincapacité de travail. Il a également défini le revenu pris en compte pour le calcul de cette prestation en modifiant à compter du 1er janvier 2020 larticle D. 613-21 du code de la sécurité sociale ([8]) : lorsque lensemble des cotisations dues naura pas été acquitté, les indemnités journalières seront rapportées au montant des cotisations effectivement acquittées.

Dans « lesprit » de la réforme, le décret a également procédé à deux modifications indépendantes de la lettre de larticle 76 :

     il a aligné la durée réglementaire dindemnisation du congé maternité des travailleuses indépendantes sur celles des salariés, soit 112 jours au lieu de 74 jours précédemment pour le premier ou le deuxième enfant ;

     il a permis le fractionnement des 30 jours supplémentaires dindemnisation dont peut bénéficier la travailleuse indépendance en cas détat pathologique dû à la grossesse ou à laccouchement attesté par un certificat médical.

 

LES OBJECTIFS POURSUIVIS PAR CES MESURES

 

Plusieurs séries dengagements ou dobjectifs sous-tendaient ainsi lensemble de ces dispositifs :

       lamélioration de la qualité de service était évidemment au cœur de la réforme, après des années de dysfonctionnements au sein du RSI ;

       le respect des spécificités des travailleurs indépendants dans cette nouvelle organisation ;

       le Gouvernement avait estimé dans son étude dimpact que la réforme se ferait à coût nul ;

       il sest également engagé à ce que le transfert des personnels de lex-RSI se fasse dans les meilleures conditions possibles, et notamment sur le plan de la mobilité géographique ;

       la convergence des indemnités journalières, adoptée en cours de discussion du PLFSS 2019, visait manifestement plus déquité entre travailleurs indépendants et salariés.

 

LES CONSTATS ET INTERROGATIONS DES RAPPORTEURS DE LA MECSS 

 

Un message de satisfaction globale se dégage au sujet de cette réforme, venant à la fois des intéressés mais aussi des organismes locaux de sécurité sociale. Pour les rapporteurs, les clés de ce relatif succès tiennent à deux années très utiles de transition et à une certaine modestie vis-à-vis des changements informatiques, les outils ayant été maintenus et améliorés plutôt que remplacés, contrairement à ce qui sétait produit pour la création du RSI en 2008. La gouvernance, incarnée par le CPSTI, semble également donner pleine satisfaction en tant quelle permet de veiller aux spécificités des travailleurs indépendants au sein du régime général et de prendre des initiatives fortes les concernant : ainsi, le CPSTI a mis en place une aide spécifique directe pendant la crise financée sur les réserves de lex-RSI, pour un montant total dun milliard deuros.

Cette relative réussite a été également étayée par ces chiffres issus du dossier de presse du 6 janvier 2020 et qui ont été repris par le directeur de la sécurité sociale au moment du Printemps de lévaluation.


Les chiffres cités par le Gouvernement dans son dossier de presse du 6 janvier 2020

      Hausse de 14,18 points du taux dappels téléphoniques « décrochés » par rapport à 2017 (92,5 %) ;

      Baisse de 17 % des réclamations par rapport à 2017 ;

      90 % des demandes de délais de paiement traitées dans les 15 jours mi-2019 ;

       1,7 jour de règlement des indemnités journalières par rapport à 2019 ;

       1,2 jour de traitement des feuilles de soins par rapport à 2019 ;

      + 6,36 points de pensions versées dans les délais par rapport à 2018 (74 %).

7 indépendants sur 10 considèrent que la réforme du RSI est prioritaire avec des attentes fortes sur la simplification de la gestion au quotidien de leur protection sociale.

Les rapporteurs souhaitent apporter un nécessaire tempérament de méthode : la réforme nest véritablement achevée que depuis le 1er janvier 2020, et nécessitera, compte tenu à la fois de ce facteur temporel et de sa nature multidimensionnelle une vigilance maintenue dans les années à venir.

Par ailleurs, ils souhaitent attirer lattention sur plusieurs points plus précis.

 

1/ Lamélioration du service aux assurés : un objectif globalement atteint, qui doit inciter à revoir à la hausse les ambitions initiales

Premier paradoxe de la réforme, celle-ci a remplacé de fait un interlocuteur, le RSI, qui pour être dysfonctionnel nen était pas moins unique, en multiples guichets, correspondant aux différentes branches/réseaux de la sécurité sociale (URSSAF, CPAM, CARSAT). Si chacun de ces réseaux semble avoir correctement intégré ces nouvelles fonctions, la réforme ne peut être considérée totalement comme un progrès sans quun travail complémentaire dorganisation soit conduit autour de laccès à cette nouvelle organisation.

Loutil de cette offre complémentaire existe et consiste dans les « accueils communs », expérimentés avec succès en Gironde, qui devraient intégrer :

     lensemble de loffre « sécurité sociale » (y compris sur le champ « famille ») mais aussi dautres partenaires (service des impôts, Pôle emploi, chambres consulaires) ;

     une offre en accueil physique et en e-services.

Le réseau « URSSAF » qui devait porter la généralisation de ce dispositif (au moins un accueil par région, complété par des accueils intermittents dans chaque département) semble avoir été fortement entravé dans sa démarche par la crise sanitaire et a de fait pris un certain retard. Le directeur de lACOSS, auditionné lors du Printemps social de lévaluation, estime néanmoins quil sera possible de déployer ce réseau à relativement brève échéance, une fois la crise passée. La direction de la sécurité sociale a précisé par écrit aux rapporteurs que ce déploiement généralisé pourrait être atteint à la fin octobre 2020. Les rapporteurs prennent acte de ce « rendez-vous » et ne manqueront pas de réinterroger le Gouvernement à cette échéance.

Sur le plan de lassurance retraite, un régime complémentaire spécifique coexiste encore avec le régime de base commun avec les salariés du secteur privé. Cette coexistence a pour miroir « technique » celle de deux systèmes dinformation, celui de lex-RSI « Azur » et celui de la CNAV, ce qui complique encore le travail des agents des CARSAT, pas toujours formés à utiliser « Azur », et le bon traitement des dossiers. Plus difficiles à gérer en raison de la nécessaire reconstitution des carrières, les prestations vieillesse semblent donc avoir été les plus difficiles à transférer au nouveau réseau, même si aucune hausse particulière des délais de traitement nest à constater. Ceci étant, cette complexité par les systèmes dinformation est en partie compensée par le fait que nombre des travailleurs indépendants transférés étaient déjà affiliés au régime général en raison dactivités professionnelles salariées antérieures ou parallèles. Interrogée par les rapporteurs, la CNAV estime pouvoir résorber ces difficultés grâce à un logiciel commun, qui ne pourra probablement pas être déployé avant 2023…

Sagissant de la simplification quaurait dû introduire lautomodulation expérimentée dans deux régions (Ile-de-France et Occitanie), force est de constater quun retard important a été pris. Engagée au 1er janvier 2018, lexpérimentation na concerné jusquici que très peu de cotisants, en raison dun mauvais calibrage initial ([9]). Pour les rapporteurs, il convient de mener cette expérimentation rapidement à son terme, afin den exploiter toutes les potentialités. Sollicitée par écrit sur ce point, la direction de la sécurité sociale a précisé aux rapporteurs quune extension de lexpérimentation en deux temps serait nécessaire préalablement à sa généralisation : dans un premier temps, il sagirait dun élargissement de 86 à 6 000 cotisants à partir de septembre 2020 puis dune extension à lensemble du territoire de lexpérimentation en 2021 avant une possible généralisation au terme de cette nouvelle phase, soit au plus tôt au 1er janvier 2022. Les rapporteurs ne peuvent donc que constater que cette expérimentation prometteuse, votée en LFSS pour 2018, finira, peut-être, par donner pleinement ses fruits en 2022. Si une partie de ce retard est directement imputable au mode de calcul des cotisations des travailleurs indépendants, il est regrettable que ces obstacles et les problèmes de dimensionnement de lexpérimentation naient pas été identifiés dès le PLFSS 2018, ce qui aurait permis de gagner au moins un an.

Sagissant danomalies identifiées autour dun double assujettissement à la contribution sociale généralisée (CSG) sur les indemnités journalières, la direction de la sécurité sociale na constaté aucun problème, même si elle a indiqué aux rapporteurs que des confusions pouvaient procéder du transfert du prélèvement des URSSAF avant la réforme du RSI aux CPAM après la réforme. Les rapporteurs sétonnent dune telle divergence, alors que le constat leur avait été remonté par des organismes de sécurité sociale ou par le HCFiPS.

2/ Les engagements du Gouvernement sur le coût de la réforme et le transfert des personnels : un bilan difficile à confirmer

Sur le plan du coût de la réforme, lévaluation initiale dun coût nul de la réforme a été confirmé par la direction de la sécurité sociale, qui confirme avoir « assuré un pilotage resserré de la réforme qui a permis de sécuriser lintégration tout en rationnalisant et maîtrisant le coût des chantiers relatifs au dé-commissionnement du système dinformation de lex-RSI et à ladaptation de celui des caisses nationales ». Les rapporteurs regrettent cependant de ne pas avoir reçu déléments plus précis permettant détayer ce constat.

Sur le plan du transfert des personnels, des situations très contrastées ont été portées à la connaissance des rapporteurs, malgré dexcellentes initiatives portées dans les organismes locaux rencontrés.


Les engagements du Gouvernement sur la question des personnels : un bilan contrasté

Lun des enjeux majeurs de la réforme était le transfert des 5 800 salariés du RSI vers le régime général, auxquels il fallait dailleurs ajouter 2 200 salariés issus des organismes assurant le versement des prestations maladie par délégation du RSI, en respectant les engagements précités.

Or, deux récits contradictoires cohabitent à ce sujet, chacun ayant dailleurs probablement sa part de vérité :

  • dun côté, la direction de la sécurité sociale et les caisses nationales et locales soulignent lattention particulière portée à ces transferts, en comparaison dautres transferts qui avaient pu avoir lieu par le passé et pointent labsence de mouvements sociaux dampleur pendant cette transition ; certains organismes, comme lURSSAF Lorraine, ont même présenté aux rapporteurs plus en détail les actions menées, comme des forums permettant daller au-devant des salariés de lex-RSI ou des « cellules mixtes » mises en place avant la fusion pour préparer lintégration ;
  • de lautre, les syndicats interrogés constatent une transition difficile, au moins pour certains salariés de lex-RSI.

De fait, outre les garanties « habituelles » tenant à la conservation de la rémunération individuelle, le Gouvernement sétait engagé à préserver la qualité et la localisation des emplois telles quelles existaient au sein du réseau « RSI ». Pour ce faire, un « accord de transition » devait faciliter le passage dun réseau à lautre, en permettant de conserver les droits issus de la convention collective du RSI. À la suite dun premier échec des négociations, des mesures de cadrage unilatérales ont été prises par le comité exécutif prévu par la loi le 12 septembre 2018 avant que de véritables accords de transition aient été signés et agréés en avril 2019, lesquels ont permis daller plus loin dans la protection des salariés que les premières mesures unilatérales. Le contenu comme la mise en œuvre des engagements gouvernementaux par ces éléments de cadrage comme par la mise en œuvre concrète dans les organismes font lobjet de lectures opposées, comme lillustre parfaitement la question des vœux daffectation : au terme du processus, environ 90 % des salariés de lex-réseau RSI auraient accepté leur 1er choix daffectation, ce que les administrations considèrent comme un succès. Certains syndicats soulignent toutefois que ce taux dacceptation doit être lu à laune de la crainte dun second choix moins satisfaisant, ou de propositions faites à quelques jours du transfert. Toujours daprès les syndicats, les motifs de refus du reliquat tenaient dabord à la nature du poste. Des problèmes de « déqualification » ont également été identifiés, y compris par des syndicats favorables à la réforme, certains cadres du RSI ne pouvant retrouver des positions équivalentes au sein du régime général, lobjet même de la réforme étant la mutualisation.

Au total, les rapporteurs estiment que ces ressentis, variables selon les syndicats et contradictoires avec ceux des administrations, sexpliquent assez facilement par le décalage entre les promesses faites et la capacité réelle à les tenir : conscientes de la difficulté de la tâche, les administrations estiment ne pas avoir démérité dans lorganisation de ce transfert périlleux. Rassurés dans un premier temps par des promesses hâtives et peut-être excessives, certains salariés, et leurs représentants, ont été déçus que ce transfert ne se passe pas aussi bien quannoncé.

Les rapporteurs retiennent néanmoins labsence de réponse convaincante apportée par les administrations lors du Printemps social de lévaluation quant à la question du manque de formation et de préparation de lintégration de ces milliers de salariés. Si le temps de préparation de la réforme a permis sur dautres points doptimiser sa mise en œuvre, il semblerait quil nait pas toujours été exploité de manière optimale pour assurer un accueil efficace de ces salariés transférés. La crise semble avoir également joué un rôle particulièrement prégnant, le télétravail ou la dispense dactivité nayant pas facilité cette mission

Indépendamment de la question des engagements du Gouvernement vis-à-vis des salariés de lex-RSI et des organismes conventionnés, les rapporteurs se sont également interrogés sur les conséquences de cette absence de mobilité géographique forcée sur la répartition des effectifs transférés.

La répartition en fonction des branches a été plutôt respectée daprès les données transmises par la direction de la sécurité sociale aux rapporteurs :

En équivalent temps plein

Branche maladie

Branche retraite

Branche
recouvrement

Plafond demploi COG

1 120

1 815

2 100

État du plafond demploi après affectation dans la branche

1 162

1 760

2 104

Écart par rapport au plafond demploi

+ 42

55

+ 4

En revanche, les constats en fonction des territoires sont plus contrastés : ainsi, la CPAM des Vosges a intégré une personne, tandis que la CPAM dIlle-et-Vilaine en a intégré 50 sans que cela ait de lien avec la proportion dassurés transférés.

Le directeur de la sécurité sociale comme le directeur de lACOSS lors du Printemps de lévaluation ont reconnu que lengagement de ne contraindre aucun agent de lex-RSI à une mobilité géographique avait pu conduire à une répartition ponctuellement inégale dans les organismes locaux. Ils estiment toutefois que ces écarts sont absorbables grâce à une politique volontariste de recrutement dans les années à venir. Prenant note de ces éléments, les rapporteurs souhaitent toutefois insister sur le caractère non négligeable de ces écarts et sur la nécessité de procéder à un diagnostic plus complet et plus fin de la répartition en ressources humaines, ainsi que des éventuels déséquilibres, issus de la réforme.

3/ La convergence des droits : un chantier à peine esquissé

Enfin, sur le plan de la convergence des droits, les réformes conduites semblent navoir queffleuré les enjeux, à la fois sur les cotisations pour lesquelles léquité des assiettes au regard des prélèvements sociaux est loin dêtre atteinte et sur la persistance de certaines différences en matière de droits.

Sur le plan des cotisations, un récent sondage demandée par la SSTI montrait que deux tiers des travailleurs indépendants attendaient des réformes profondes concernant leurs cotisations et loffre de service ([10]).

Or, la réforme de lassiette sociale, annoncée dans larticle 21 du projet de loi instituant un système universel de retraite pour 2022, na pu avancer en raison de la suspension de la réforme. Interrogé sur ce point lors du Printemps social de lévaluation, le directeur de la sécurité sociale a estimé que celle-ci était difficilement dissociable de la question du taux de 28,12 % de cotisations que la réforme entendait appliquer aux travailleurs non-salariés, comme à lensemble des autres assurés. Il sagit pourtant dun double enjeu essentiel pour les rapporteurs :

     un enjeu de simplification du calcul des cotisations sociales, lassiette nette actuelle étant marquée par la circularité (il faut connaître les cotisations pour connaître lassiette, et inversement) ;

     un enjeu déquité puisque les travailleurs indépendants sacquittent proportionnellement de plus de CSG et de CRDS et de moins de cotisations vieillesse que les salariés, ce qui conduit à un plus faible « retour sur prélèvement » que les salariés.

De manière plus générale, aucun travail complémentaire de la réforme du SSTI na été engagé pour faire évoluer la nature de lassiette soumise à prélèvements sociaux. En effet, lassiette de cotisations des travailleurs non-salariés en entreprise individuelle est constituée des bénéfices. Or, ces bénéfices ne correspondent pas nécessairement à léquivalent dun salaire pour un salarié (par exemple, si le bénéfice est laissé dans les comptes de lentreprise comme « réserve » pour lavenir), ce qui conduisait plusieurs organisations à proposer de revoir le contenu de lassiette des non-salariés, en vue de la rapprocher dun revenu effectivement touché par le travailleur indépendant. La direction de la sécurité sociale, sollicitée par écrit sur ce point, estime néanmoins qu« un tel mécanisme permettrait de réduire de manière très avantageuse lassiette des cotisations et de limpôt, ce qui réduirait les droits sociaux en contrepartie, notamment les droits à retraite mais également à plus court terme, les droits à indemnités journalières. » et invite les travailleurs indépendants qui souhaiteraient mieux opérer cette distinction entre bénéfices et revenus à « constituer une forme sociale juridiquement distincte de la personne physique, ce qui permet dimposer séparément les deux entités ». Les rapporteurs estiment que si ces inquiétudes méritent évidemment dêtre prises en compte, il est inhérent au statut du travailleur indépendant de choisir non seulement son mode de rémunération, mais aussi son niveau de protection sociale, quitte à en assumer les conséquences par la suite. La présidente du CPSTI, Mme Sophie Duprez, indiquait dailleurs aux rapporteurs quune éventuelle « éviction » par la distribution de dividendes plutôt que par le versement dun véritable revenu pour échapper aux prélèvements ne serait pas nécessairement avantageuse pour les travailleurs indépendants concernés et que le recours à ce procédé serait bien moins massif que craint par ladministration. En tout état de cause, les rapporteurs attendent avec impatience les conclusions du rapport du Haut conseil du financement de la protection sociale, missionné par le Gouvernement, pour faire un point technique plus complet sur ce statut, ainsi que les suites qui pourraient lui être données en LFSS.

Toujours dans lesprit de faciliter la déclaration des cotisations des travailleurs non-salariés, le faible recours à la procédure du « revenu estimé » créée dès la LFSS pour 2012, pourtant de nature à faciliter considérablement la tâche des travailleurs indépendants, interpelle. De nombreux interlocuteurs auditionnés par les rapporteurs soulignent que les majorations de retard prévues par larticle L. 131-6-2 du code de la sécurité sociale pourraient être à lorigine de ce faible recours. Cet avis nest pas partagé par la direction de la sécurité sociale qui considère que cette sanction ne saurait être dissuasive dès lors quelle na jamais été mise en œuvre depuis sa création et quelle peut être écartée en excipant que les éléments en possession du cotisant justifiaient son estimation initiale ou en demandant une remise gracieuse à lURSSAF dans les conditions de droit commun. Si les rapporteurs entendent parfaitement cette argumentation juridique, ils sinterrogent sur son appropriation par les cotisants et leurs tiers déclarants. Aussi, ils estiment nécessaire dexaminer à brève échéance, par exemple dici le prochain PLFSS, et sans nécessairement aller jusquà sa suppression totale, la piste dun assouplissement – par exemple, en laissant lURSSAF apprécier « la mauvaise foi » du cotisant. La réussite de ce dispositif intéressant passera par ailleurs nécessairement par une sensibilisation des intéressés et des tiers déclarants (experts-comptables, …) plus active à lexistence de cette procédure, comme cela a pu être fait dans le cadre exceptionnel de la crise de la COVID-19.

Sur le plan des droits, des distinctions persistent sans être toujours justifiées avec les salariés. Dans le prolongement de leur examen de larticle 76, les rapporteurs se contenteront de prendre la question des indemnités journalières comme exemple. Ainsi, les travailleurs indépendants sont soumis à un seuil de versement des indemnités, correspondant à 10 % du PASS (3 983 euros), en dessous duquel aucune prestation ne leur est versée, qui na pas déquivalent pour les salariés, à qui est appliquée une parfaite proportionnalité. De même, les conditions daffiliation préalable demeurent très différentes, puisquun travailleur indépendant doit avoir cotisé pendant un an pour avoir des indemnités journalières maladie tandis quun salarié doit avoir travaillé 150 heures dans les trois mois précédant larrêt de travail. Enfin, le plafond de remboursement est légèrement plus bas pour les travailleurs non-salariés (54,43 euros) que pour les travailleurs salariés (59,12 euros). Ces écarts ne se justifient pas par des différences de contributions, puisque les salariés ne sacquittent plus de cotisations « maladie » depuis la LFSS 2018 et que leurs employeurs en payent très peu grâce aux allègements généraux. A contrario, les travailleurs indépendants versent encore une cotisation spécifique de 0,85 %.

Limpact de la réforme du champ daffiliation de la CIPAV

Technique en apparence et située dans le prolongement dune mesure qui avait été prise en LFSS pour 2017, la réforme du champ daffiliation de la CIPAV devait avoir des conséquences importantes sur la caisse puisque 80 % des professions affiliées à cette caisse étaient ainsi transférées au régime général.

Interrogée par les rapporteurs sur les impacts de la réforme, la CIPAV a apporté les éclairages suivants aux rapporteurs :

      Tout dabord, la caisse regrette une mise en œuvre règlementaire tardive, certains décrets importants étant parus avec retard tandis que dautres sont toujours en attente (décret fixant les modalités de conversion des droits acquis à la CIPAV en points au régime général en annuité), même si elle na de fait pas retardé les transferts prévus.

      La CIPAV salue la bonne coopération avec lACOSS, tant sur les actions de communication quimpliquaient les transferts auprès des intéressés, que sur les échanges de données ou sur lexercice du droit doption.

      La diminution du nombre daffiliés à la CIPAV a été moins forte que prévue, notamment grâce :

  •  à cette coopération avec lACOSS, qui a permis didentifier davantage de micro-entrepreneurs qui, en raison de la nature de leur activité, dépendent de la caisse interprofessionnelle ;
  • à un exercice limité du droit doption pour les affiliés à la CIPAV

      Une soulte est toujours attendue par la CIPAV au 1er janvier 2022 pour compenser déventuels effets négatifs de la réforme sur son équilibre financier. Daprès les calculs de la caisse, le coût pourrait varier de 8 milliards deuros si le droit doption continuait dêtre aussi peu utilisé (pour les professions transférées, il resterait alors beaucoup de futurs pensionnés, sans flux dentrants en contrepartie, puisque ces nouveaux cotisants sont automatiquement affiliés au régime général) à 300 millions deuros sil était utilisé à plein, ce qui ne semble pas lhypothèse la plus probable.

      La CIPAV souligne linapplication du dispositif de cotisations réduites prévue par larticle 15 de la LFSS pour 2018 qui devait être ouvert aux nouveaux « entrants » ou pour ceux exerçant leur droit doption en faveur du SSTI. Cette inapplication, due semble-t-il à une politique délibérée de non-communication des URSSAF, semble motivée par le caractère potentiellement préjudiciable en termes de droits de ces cotisations réduites. Il en aurait résulté une hausse de cotisations.

Ce portrait de la réforme par la CIPAV oblige les rapporteurs à constater que ce volet, peu exposé, a été à la fois efficacement mis en œuvre, les nouvelles affiliations ayant pu avoir lieu à temps, et dans le même temps, curieusement pensée, quil sagisse de cette mesure de cotisations réduites inappliquée ou de lincertitude qui pèse encore sur le montant de la soulte qui devra être versée par le régime général à la CIPAV en 2022 pour « effacer » ce transfert vers la SSTI.

Sans partager nécessairement à ce stade le souhait de la CIPAV de revenir sur cet aspect de la réforme – qui conduirait immanquablement à une nouvelle ingénierie de transfert dont les travailleurs indépendants nont pas besoin –, les rapporteurs sinterrogent comme la caisse sur sa cohérence densemble, notamment au regard de la réforme des retraites projetée par le Gouvernement.

 


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