N° 3251
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juillet 2020
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
en conclusion des travaux du Printemps social de l’évaluation
Présenté par M. Julien Borowczyk, M. Marc Delatte, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Gilles LURTON, co-président de la Mecss, M. Thomas Mesnier, rapporteur général, M. Boris Vallaud, Mme Annie VIDAL, co-présidente de la Mecss, et M. Stéphane Viry.
Députés.
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— 1 —
SOMMAIRE
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Pages
avant-propos du rapporteur général de la commission des affaires sociales 5
avant-propos des co-présidents de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale 7
Évaluations des rapporteurs................................. 9
Exonération de cotisations sociales salariales sur les heures supplémentaires (M. Boris Vallaud) 11
La réforme de la sécurité sociale des travailleurs indépendants (M. Gilles Lurton, co-président, et M. Stéphane Viry) 21
Nouveaux modes de financement de l’hôpital (M. Julien Borowczyk, M. Marc Delatte et Mme Audrey Dufeu Schubert) 33
La mise en place du « 100 % Santé » (M. Cyrille Isaac-Sibille)................. 43
Le financement des services d’aide et d’accompagnement à domicile (Mme Agnès Firmin Le Bodo et Mme Annie Vidal, co‑présidente) 53
— 1 —
avant-propos du rapporteur général
de la commission des affaires sociales
Soucieuse de renforcer sa mission de contrôle et d’évaluation, la commission des affaires sociales a inauguré en 2019 à l’initiative de son rapporteur général d’alors, Olivier Véran, un nouveau « rendez-vous » dédié à la mise en œuvre des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), le « Printemps social de l’évaluation ». Le principe est simple : organiser annuellement une discussion à la fois dense et approfondie sur les dispositions les plus emblématiques votées par le Parlement dans le cadre des LFSS, en présence des directeurs d’administrations centrales et des branches de la sécurité sociale chargées de l’application de ces dispositions.
Ce premier exercice fut globalement un succès, salué comme tel par le Bureau de la commission : il a permis de nourrir des échanges riches et exigeants, à titre d’exemple, sur les compensations des réductions ou exonérations de cotisations ou contributions sociales, sur les mesures prises en faveur du pouvoir d’achat ou encore sur la mise en œuvre de l’article 51 de la LFSS pour 2018 créant un cadre pour des expérimentations organisationnelles dans le système de soins. Il avait également fait naître un besoin de meilleure association de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) ainsi qu’un travail plus approfondi en amont. Enfin, le Règlement de l’Assemblée nationale avait été modifié pour que le Printemps social de l’évaluation puisse faire l’objet, au même titre que son équivalent à la commission des Finances, d’un débat en séance publique en présence du Gouvernement.
L’exercice « 2020 » a été consolidé et, dans le même temps, fortement marqué par le contexte de la crise sanitaire.
La consolidation est venue des excellentes initiatives de la MECSS qui a assuré avec ses rapporteurs un suivi plus approfondi de certains articles, sans préjudice de questions plus générales posées à l’occasion des échanges avec les administrations présentes. Le rapporteur général souhaite d’ailleurs les remercier d’avoir été présentes, tout en constatant que l’évolution du format vers des échanges plus complets et plus précis sur des sujets donnés n’avait peut-être pas été complètement intégrée dans les réponses apportées.
La crise sanitaire, particulièrement critique de mars à mai, a néanmoins immanquablement bouleversé le calendrier qui se voulait moins serré et moins tardif. Elle a ainsi rendu difficile le plein déploiement de l’exercice, notamment au regard du souhait qu’il débouche sur un moment plus solennel dans l’hémicycle, en présence du Gouvernement. L’absence de ces échanges plus politiques et plus prospectifs peut d’ailleurs expliquer que la séquence n’ait pas encore apporté toutes les réponses attendues par les commissaires.
En espérant que le premier semestre 2021 permettra de mettre en place tout ce que le premier semestre 2020 a empêché, le rapporteur général estime que le Printemps social de l’évaluation s’appuie d’ores et déjà sur de solides acquis : un moment, permettant de faire le point en amont des débats de l’automne et, le cas échéant, d’en tirer les conséquences à cette occasion ; une méthode, reposant à la fois sur la vision globale du rapporteur général, sur le travail méticuleux de la MECSS sur quelques articles prédéfinis et sur la vigilance de l’ensemble des membres de la commission ; un cadre clair, celui des lois de financement de la sécurité sociale, dont l’examen justifie la singularité des compétences de la commission des affaires sociales, à la fois commission financière et commission spécialisée sur des politiques de fond qui engagent fortement notre pays en matière de solidarité, de justice ou d’efficacité économique.
Thomas MESNIER
avant-propos des co-présidents de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement
de la sécurité sociale
L’organisation en juin 2019 du nouvel exercice du Printemps social de l’évaluation, qui visait à examiner les principales dispositions des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) et à obtenir les éclairages des administrations centrales et des organismes de protection sociale sur leur mise en œuvre, a mis en évidence que certains thèmes pouvaient être opportunément abordés et examinés en amont par la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), dans la perspective de l’exercice du Printemps en 2020.
Ce nouveau rendez-vous constitue en effet l’occasion pour la MECSS de recentrer ses travaux sur son cœur de mission : le contrôle et l’évaluation des lois de financement de la sécurité sociale. L’évaluation constitue une mission essentielle du Parlement, alors qu’aux termes de l’article 24 de la Constitution, celui-ci « vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques ». L’exercice de cette mission doit lui permettre d’identifier les difficultés éventuelles dans la mise en œuvre des dispositions qu’il vote, de mesurer précisément leur efficacité, leurs incidences et leurs effets de bord, qui ne sont pas toujours anticipés ou bien appréciés dès l’origine, et le cas échant, de formuler des propositions d’amélioration et d’amender les dispositifs adoptés.
Dès l’automne dernier, en étroite concertation avec le rapporteur général, la MECSS a engagé un travail de préparation de ce Printemps, en identifiant plusieurs thèmes pouvant faire l’objet de travaux : cinq articles des dernières lois de financement de la sécurité sociale ont ainsi été retenus, pour faire l’objet de travaux par plusieurs rapporteurs membres de la MECSS. Si la crise sanitaire majeure que nous traversons a bien évidemment bouleversé l’organisation de ces travaux et le calendrier du Printemps, décalé en été, il a été décidé de maintenir ce rendez-vous, tout en prenant en compte les enjeux soulevés par la crise dans les travaux conduits. Les rapporteurs ont ainsi procédé à des auditions de différents acteurs et parties prenantes concernés par les articles choisis, puis ont présenté lors du Printemps leurs premières conclusions et ont interrogé les administrations et organismes présents sur les enjeux et difficultés qu’ils ont identifiés lors de leurs travaux.
Les évaluations conduites par les rapporteurs de la MECSS s’inscrivent dans les trois thématiques autour desquelles s’est articulé le Printemps social de l’évaluation. S’agissant du financement de la sécurité sociale, deux articles de LFSS ont donné lieu à des travaux, l’un prévoyant l’exonération des heures supplémentaires de cotisations sociales salariales (article 7 de la LFSS pour 2019), confié à M. Boris Vallaud, l’autre relatif à l’adossement du régime social des indépendants (RSI) au régime général (article 15 de la LFSS pour 2018, complété par l’article 76 de la LFSS pour 2019), pris en charge par MM. Gilles Lurton et Stéphane Viry. Il s’agit de deux réformes majeures : l’une tendait à donner du pouvoir d’achat aux salariés du secteur privé comme du secteur public à compter du 1er janvier 2019, tandis que l’autre visait à résoudre les difficultés récurrentes rencontrées par le RSI, en l’adossant au régime général par étapes, entre le 1er janvier 2018 et le 1er janvier 2020.
Sur la thématique de l’offre de soins, Mme Audrey Dufeu Schubert, M. Julien Borowczyk et M. Marc Delatte ont mené des travaux sur la transformation du financement de notre système de santé, telle que proposée par les articles 37 et 38 de la LFSS pour 2019 : le premier article étend le dispositif de paiement à la qualité des établissements de santé tandis que le second prévoit un financement forfaitaire pour les pathologies chroniques. M. Cyrille Isaac-Sibille a quant à lui évalué la mise en œuvre du « reste à charge 0 » prévu par l’article 51 de la LFSS pour 2019, pour les soins dentaires, les aides auditives et l’optique. Dans ces trois domaines, le reste à charge après l’intervention des complémentaires santé reste particulièrement important, ce qui peut conduire les assurés à renoncer aux soins pour des raisons financières. La bonne mise en œuvre de ce dispositif constitue donc un important enjeu de santé publique.
Enfin, s’agissant des enjeux liés à l’autonomie, Mme Annie Vidal et Mme Agnès Firmin Le Bodo ont évalué les effets du financement exceptionnel de 50 millions d’euros apporté par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) aux services d’aide et d’accompagnement à domicile, en application de l’article 26 de la LFSS pour 2019, alors que la réforme du secteur de l’aide à domicile est un sujet de premier plan, notamment du fait de la situation financière dégradée de nombre de ses acteurs.
L’ensemble de ces travaux d’évaluation sont réunis dans le présent rapport d’information et ont vocation à alimenter les débats de la commission des affaires sociales lors de l’examen du prochain PLFSS, cet automne, en fournissant des éléments concrets et précis à la lumière desquels apprécier les mesures proposées par ce texte.
Annie VIDAL et Gilles LURTON
ÉVALUATIONS
DES RAPPORTEURS
— 1 —
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale
— 1 —
Notre Assemblée a adopté, au sein de la LFSS pour 2019, un dispositif d’exonération de cotisations sociales salariales sur la rémunération des heures supplémentaires. Dans la perspective de mesurer les résultats de cette désocialisation, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a confié à M. Boris Vallaud (rapporteur, Socialistes et apparentés), l’évaluation de l’article 7 de la LFSS pour 2019, portant cette exonération pour les travailleurs des secteurs privé et public.
En amont de l’audition des administrations centrales lors du Printemps de l’évaluation, le rapporteur a sollicité des organismes publics statistiques (l’INSEE, la DARES) et l’ACOSS pour établir le recours effectif aux heures supplémentaires, ainsi que le coût de cette exonération. En outre, le rapporteur a entendu les organisations patronales et syndicales, tant dans le secteur privé que dans la fonction publique, ainsi que des économistes membres d’organes indépendants tels que l’Office français de conjoncture économique (OFCE). |
LE DISPOSITIF ADOPTÉ
L’article 7 de la LFSS pour 2019 prévoyait une exonération de cotisations sociales salariales sur les heures supplémentaires et complémentaires, initialement à partir du 1er septembre 2019. Cette exonération concerne autant les salariés du régime général que ceux qui relèvent du régime agricole, ainsi que les agents de la fonction publique, qu’ils soient à temps complet ou à temps partiel. Ce champ très large des personnes concernées était équilibré par un ciblage de l’exonération sur les seules cotisations de financement de la branche assurance-vieillesse, dans la limite d’un taux de 11,31 %. En ce qui concerne les agents statutaires de fonction publique, l’exonération porte sur la cotisation au régime additionnel de la fonction publique (RAFP), au taux de 5 % de la rémunération, ensuite imputée sur la cotisation du régime d’assurance vieillesse de base.
Le dispositif s’applique à des heures supplémentaires dont la définition est désormais inscrite à l’article L. 241-17 du code de la sécurité sociale. La majoration de rémunération qui y correspond s’inscrit donc dans la limite des taux prévus par la convention ou l’accord collectif, de branche ou d’entreprise. À défaut, les taux légaux de majoration légalement applicables dans le secteur privé dont de 25 % pour les huit premières heures supplémentaires travaillées et de 50 % au-delà. Pour ce qui est des heures complémentaires, qui sont effectuées par les salariés employés à temps partiel, cette majoration est ramenée à 10 % dans la limite du dixième des heures prévues au contrat de travail et à 25 % au-delà.
S’agissant de la fonction publique, il faut noter que les contractuels qui cotisent, pour ce qui est de leur retraite complémentaire, auprès de l’IRCANTEC peuvent bénéficier d’une exonération de cotisations sociales qui peut s’élever jusqu’à 10,1 %.
La contestation sociale auquel le Gouvernement a été confronté l’a amené à anticiper l’application de cette exonération au 1er janvier 2019, dans le cadre de la loi portant mesures d’urgence économiques et sociales ([1]), pour un coût supplémentaire d’1,3 milliard d’euros. Contrairement au dispositif initial, les rémunérations au titre des heures supplémentaires ont également été exonérées d’impôt sur le revenu.
Un décret a précisé, dès le 24 janvier 2019, les modalités d’application de l’exonération et son caractère rétroactif, au 1er janvier de la même année ([2]). Il a étendu son dispositif aux salariés du régime général, du régime agricole et des régimes spéciaux et précisé que l’application de l’ensemble des exonérations de cotisations sociales et de taux réduits ne pouvait conduire à une réduction supérieure au montant des cotisations effectivement dues, soit, dans le cas général, un taux de 11,31 %.
Il a été ensuite complété par un décret pris le 25 février 2019 d’extension du dispositif aux agents publics titulaires et non titulaires des trois versants de la fonction publique ([3]). Ce décret a notamment visé à préciser les éléments de la rémunération des agents publics qui sont éligibles à l’exonération, ainsi que les modalités de calcul du montant de la réduction. Ce dernier est le produit des cotisations versées dans le cadre du RAFP ou des régimes de retraite spéciaux, dans la limite des cotisations effectivement dues. Pour rappel, ce décret a également prévu les modalités de déclaration et donc de contrôle de la bonne recension des heures supplémentaires effectuées, par le biais de :
- la mise en œuvre par l’autorité hiérarchique de moyens de contrôle permettant de comptabiliser de façon exacte les heures supplémentaires ou le temps de travail additionnel effectivement accomplis ;
- l’établissement, par l’employeur, d’un document indiquant, pour chaque agent civil, le nombre d’heures ou le temps de travail supplémentaire effectivement accomplis, ainsi que la rémunération afférente.
La rapidité de publication de ces décrets n’a toutefois pas empêché une application rétroactive des dispositions réglementaires, en raison de l’inscription précipitée dans la loi du début du dispositif au 1er janvier.
Contrairement au principe inscrit à l’article L. 131-7 du code de la sécurité sociale de compensation par l’État des allégements et exonérations, issu de la loi dite « Veil » de 1994, le dispositif, qui était initialement estimé à deux milliards d’euros en année pleine, est intégralement porté par les finances sociales.
Le rapporteur remarque à cet égard que le dispositif précédent comparable, issu de la loi dite « TEPA » ([4]), n’avait entraîné aucune exception dans le principe de la compensation à la sécurité sociale des exonérations de cotisations. Ce mécanisme laisse donc penser, dans un premier temps, au salarié, qu’il bénéficie d’un gain de pouvoir d’achat. C’est pourtant ce même salarié qui, en tant qu’affilié à la sécurité sociale, voit les ressources de cette dernière diminuer, et nécessairement, dans le même mouvement, ses droits sociaux.
Le coût de cette exonération s’élève finalement à 1,8 milliard d’euros en 2019, pour le total de 995 millions d’heures supplémentaires effectuées. Selon les réponses données par le Gouvernement au rapporteur, 12,7 millions de salariés ont effectué des heures supplémentaires ou complémentaires, ce qui représente 37 % des effectifs du secteur privé.
L’IMPACT DE L’EXONÉRATION : UN EFFET COMPORTEMENTAL QUASI-NUL ; UN GAIN DE POUVOIR D’ACHAT LARGEMENT INFÉRIEUR AUX PRÉVISIONS
S’agissant de la question du pouvoir d’achat, le rapporteur souhaite rappeler, à titre liminaire, que le gain permis par l’exonération de cotisations salariale est en tous les cas illusoire, à deux titres :
- en premier lieu, l’exonération revient à baisser le salaire brut, et finalement le salaire réel, versé en échange de la réalisation des heures supplémentaires ;
- ensuite, ce « gain » immédiat s’impute, comme il a été vu, sur les ressources de la sécurité sociale, et augmente donc les ressources du salarié en baissant les droits de l’assuré, créant une illusion de gain monétaire quand il s’agit en réalité, dans le meilleur des cas, d’un jeu à somme nulle.
En définitive, l’on pourrait dire que les salariés se paient d’une certaine manière eux-mêmes leurs gains de pouvoir d’achat.
Le dispositif a par ailleurs entraîné une augmentation immédiate de pouvoir d’achat bien moindre qu’anticipé, au stade de l’étude d’impact. Alors qu’il était annoncé que cette exonération devait entraîner un gain moyen de 199 euros par an par salarié du secteur privé non agricole, celui-ci n’a été que de 138 euros, soit 70 % de la cible initiale.
Ce gain moindre de pouvoir d’achat s’explique notamment par un moindre recours que ce qui était anticipé aux heures supplémentaires elles-mêmes. Alors que la rémunération moyenne d’une heure supplémentaire est proche de ce qui avait été anticipé, les salariés ayant effectué des heures supplémentaires en ont effectué 78 en moyenne sur l’année, contre une prévision de 109 heures.
Cet écart s’est également produit dans les secteurs dont le recours aux heures supplémentaires est traditionnellement plus important. Ainsi, le gain moyen, qui avait été estimé à 250 euros par an dans le secteur de la construction ou celui des entreprises de l’information et de la communication, n’a été en réalité que de 220 euros, sur la base d’une moyenne de 121 heures supplémentaires effectuées par an. Les secteurs des industries du meuble ou des activités juridiques ont connu un écart comparable avec les prévisions initiales.
Cet écart s’est reproduit aux différents niveaux de rémunération sur lesquelles portaient les hypothèses de base, selon le tableau suivant :
Écart entre les prévisions et l’exécution de l’exonération de cotisations salariales sur les heures supplémentaires pour des rémunérations de 1 et de 1,8 SMIC
Niveau de rémunération |
Gains prévus lors de l’examen du PLFSS pour 2019 |
Gains réalisés au cours de l’année 2019 |
Base de calcul du nombre d’heures supplémentaires effectuées |
1 SMIC |
155 |
111 |
78 |
1,8 SMIC |
279 |
200 |
78 |
Source : réponses au questionnaire du rapporteur
Le recours aux heures supplémentaires lui-même varie grandement en fonction de la taille des entreprises. Ainsi que le montre le tableau ci-dessous, issu de données agrégées sur l’année 2019, la part des salariés effectuant des heures supplémentaires est la plus grande dans les PME comprenant entre 10 et 49 salariés (taux moyen de 45 % des salariés effectuant des heures supplémentaires). À l’inverse, si les salariés des entreprises de plus de 2 000 collaborateurs recourent, pour près de 40 % d’entre eux, aux heures supplémentaires, le gain moyen par salarié au sein de ces entreprises est le plus faible de toutes les tranches de taille d’entreprise (67 euros par salarié), amoindrissant encore pour les plus grandes entreprises le gain de pouvoir d’achat que pourraient espérer les salariés.
Répartition du nombre d’heures supplémentaires en fonction de la taille de l’entreprise
Tranche de taille d’entreprise |
Nombre de salariés bénéficiaires (en milliers) |
Nombre d’heures supplémentaires (en milliers) |
Nombre d’heures supplémentaires moyen par salarié |
Taux horaire moyen (en euros) |
Gain moyen par salarié (en euros) |
Part des salariés effectuant des heures supplémentaires |
0 à 9 |
2 108 |
211 012 |
100,1 |
15,6 |
177 |
31,9% |
10 à 19 |
1 334 |
153 426 |
115,0 |
16,5 |
214 |
45,5% |
20 à 49 |
1 827 |
193 116 |
105,7 |
16,9 |
202 |
44,7% |
50 à 99 |
1 217 |
97 895 |
80,5 |
14,9 |
136 |
40,8% |
100 à 249 |
1 422 |
100 442 |
70,6 |
15,5 |
124 |
36,3% |
250 à 499 |
862 |
57 668 |
66,9 |
14,5 |
109 |
34,7% |
500 à 1999 |
1 200 |
68 337 |
57,0 |
14,8 |
96 |
30,8% |
2 000 et plus |
2 755 |
112 881 |
41,0 |
14,4 |
67 |
38,6 % |
Total |
12 725 |
994 776 |
78,2 |
15,7 |
138 |
37,4 % |
Source : ACOSS- champ du régime général
Le recours supplémentaire aux heures supplémentaires contribue enfin à l’augmentation des inégalités de rémunération entre les hommes et les femmes. Dans le champ du régime général, les hommes représentent 62 % des salariés effectuant des heures supplémentaires, alors qu’ils ne représentent que 55 % des effectifs globaux. De plus, ils effectuent un bien plus grand nombre d’heures supplémentaires ou complémentaires : 91 heures en moyenne par salarié et par an pour les hommes, contre 58 pour les femmes. La rémunération moyenne de ces heures est également légèrement plus élevée. En conséquence, le gain moyen de pouvoir d’achat est plus important en moyenne pour un homme que pour une femme.
Ainsi qu’il a été vu ci-dessus, 12,7 millions de salariés ont effectué des heures supplémentaires ou complémentaires, ce qui représente 37 % des effectifs du secteur privé. S’agissant du secteur privé agricole, 32 millions d’heures supplémentaires et complémentaires ont été effectuées en 2019 par 306 000 salariés, ou 18 % des effectifs du secteur privé agricole. Le coût pour ce secteur est de 34,2 millions d’euros.
Les données fournies par la DARES laissent apparaître une légère augmentation en 2019 du recours moyen aux heures supplémentaires, concernant les salariés à temps plein travaillant dans des entreprises de plus de 10 salariés, de 40,3 heures par salarié et par an en 2018 à 42,8 heures. Cette très légère augmentation ne laisse pas d’interroger le rapporteur, dès lors que :
- le dispositif mis en place en 2007 dans le cadre de la loi dite « TEPA », qui portait certes sur un champ plus large, avait entraîné une augmentation de 29,3 heures par salarié et par an en 2007 à 38,6 heures par salarié et par an ;
- le graphique ci-dessous montre que l’effet comportemental de recours aux heures supplémentaires pourrait être de l’ordre du conjoncturel. En effet, la comparaison entre le dernier trimestre de l’année 2019 et le dernier trimestre de l’année 2018 montre même une baisse de 0,7 %.
Nombre moyen d’heures supplémentaires trimestrielles déclarées par salarié à temps complet
Champ : France (hors Mayotte), salariés des établissements d’entreprises de 10 salariés ou plus (y compris syndicats de copropriété et associations de type loi 1901 de l’action sociale)".
Source : Dares, enquête trimestrielle Acemo.
Les données concernant l’évolution des conventions collectives depuis l’application de l’exonération demeurent relativement floues à ce stade. Le rapporteur a toutefois pu analyser le secteur de l’artisanat et des entreprises de proximité, dans lequel la plupart des conventions collectives reprennent simplement les taux de majoration de rémunération inscrits dans la loi.
Le rapporteur ne peut donc que constater que ce dispositif semble, a minima, dépourvu de pertinence dans le secteur privé, et le sera moins encore avec la dégradation très forte de la conjoncture économique en 2020 résultant de la crise de la Covid 19 (voir supra)
UN DISPOSITIF INADAPTÉ AUX ENJEUX DE LA VALORISATION DES AGENTS DE LA FONCTION PUBLIQUE ET À LA CONJONCTURE ÉCONOMIQUE FRANÇAISE
L’extension du dispositif à l’ensemble des agents publics a entraîné, en 2019, un recours aux heures supplémentaires de 32 % des agents rémunérés au cours de l’année. Il atteint 38 % dans la fonction publique d’État et 35 % dans la fonction publique hospitalière.
Le rapporteur se fait toutefois l’écho des fortes inquiétudes des agents de la fonction publique sur les modalités de comptabilisation de ces heures supplémentaires. Il a en effet été alerté sur l’absence récurrente de leur prise en compte, et donc de la majoration salariale afférente, dans des secteurs particulièrement sollicités comme ceux de la santé, de la police et de l’enseignement. Cette situation a déjà été signalée par M. Philippe Laurent, dans son rapport sur le temps de travail dans la fonction publique, qui signalait que « l’absence de maîtrise des heures supplémentaires se traduit à l’hôpital et dans la police nationale par un stock important d’heures supplémentaires ni payées ni récupérées » ([5]). L’auteur du rapport estimait ainsi que les heures supplémentaires générées dans la police par les prolongations de services ou les retours sur repos ou les nécessités de service dans les hôpitaux, constituaient un enjeu majeur dont les administrations ne s’étaient pas pleinement saisies pour assurer leur bonne prise en compte et leur rémunération adéquate.
Il s’agit donc de s’assurer, dans l’état actuel de la législation, que chaque agent public qui effectue une heure supplémentaire puisse être indemnisé en conséquence. Il serait particulièrement inquiétant que l’État tout comme l’ensemble des organisations publiques, ne soient pas exemplaires dans la prise en compte des heures supplémentaires.
Ce recours aux heures supplémentaires est soumis à un certain nombre d’inégalités, la première d’entre elles étant entre les hommes et les femmes. Les données fournies au rapporteur pour l’année 2019 concernant les agents de l’État rémunérés par la DGFiP (Direction générale des finances publiques) dont apparaître un recours de 37 % pour les hommes contre 29 % pour les femmes. Ces données chiffrées confirment les déclarations des organisations syndicales de la fonction publique, qui avaient attiré l’attention du rapporteur sur :
- la plus grande difficulté pour les femmes de concilier le recours aux heures supplémentaires avec leur vie personnelle, entraînant nécessairement un moindre recours au dispositif d’exonération ;
- une diminution par ce biais de la part statutaire de la rémunération au profit de la part indemnitaire, qui entraîne nécessairement une plus grande inégalité entre les agents de la fonction publique.
Ces inégalités se retrouvent également en matière d’âge, puisque le recours aux heures supplémentaires augmente avec le niveau d’ancienneté. Ainsi, 18 % des moins de 30 ans en ont bénéficié contre 38 % des 45-54 ans. Ce niveau baisse ensuite pour les agents qui ont plus de 55 ans.
L’exonération de cotisations sociales salariales dans la fonction publique vient compenser, par un gain apparent de pouvoir d’achat, une politique de « gel » du point d’indice, sur lequel sont indexées les rémunérations des fonctionnaires. Ce « gel » comprime ce qui pourrait s’apparenter à une véritable augmentation des rémunérations, qui ne se fasse pas aux dépens des ressources de la sécurité sociale, pour plus de cinq millions de fonctionnaires et d’agents participant du service public depuis le 1er juillet 2010, à l’exception des années 2016 et 2017.
Le rapporteur s’inquiète également de ce que le recours aux heures supplémentaires dans la fonction publique puisse, ainsi que le lui ont signalé les organisations syndicales rencontrées, empêcher le recrutement de fonctionnaires dans des corps pourtant lourdement sollicités et subissant une situation notoire de sous-effectif. Il semble ainsi que les heures supplémentaires effectuées chaque année au sein de la fonction publique hospitalière équivalent à 50 000 ETP (équivalent temps plein). De la même manière, alors même que, dans ce domaine, la deuxième heure supplémentaire est moins bien rémunérée que la première, le volume d’heures supplémentaires effectuées au sein de l’Education nationale correspond au volume de suppression des postes. On a donc remplacé des postes d’enseignants par des heures supplémentaires. Ainsi que l’a précisé notamment la CGT, le niveau global d’heures supplémentaires effectué dans certains secteurs correspond à des besoins de création de postes permanents. La durée annuelle effective de travail serait ainsi de :
- 1 990 heures par an dans le secteur de la justice ;
- 1 825 heures par an dans le domaine des services à la personne ;
- 1 808 heures par an dans le domaine de la sécurité et de la défense.
Ces durées de travail annuelles sont bien supérieures à la limite légale du temps de travail 1 607 heures et signalent donc des besoins pressants de recrutement dans ces corps.
Au total, l’exonération de cotisations salariales sur les heures supplémentaires dans la fonction publique, en plus des problématiques de diminution des ressources de la sécurité sociale qu’elle contribue à aggraver, semble particulièrement malvenue en comparaison d’une politique résolue en faveur du gain de pouvoir d’achat dans tous les pans de la fonction publique.
Le rapporteur s’est également attaché à recueillir le point de vue d’économistes et de chercheurs sur cette mesure d’exonération, afin d’en apprécier la validité économique. Il est apparu que ce dispositif aurait pu produire un effet sur l’année 2019, qui se caractérisait en particulier par une tension de recrutement dans certains secteurs, potentiellement favorable à un plus grand recours aux heures supplémentaires. L’absence de recours supplémentaire dans le secteur privé laisse toutefois entendre que ce dispositif, même dans ces conditions, n’a pas rencontré son public.
À l’inverse, en période de forte augmentation du taux de chômage, comme la France en connaît depuis le début de la crise épidémique de la Covid, l’intérêt de cette exonération disparaît complètement. Ainsi que l’ont prouvé Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo, en analysant le dispositif mis en place en 2008 dans une période récessive pourtant moins forte que celle que traverse actuellement notre pays, aucune différence notable n’a été constatée pour la plupart des salariés. Ils notaient au contraire que la « défiscalisation des heures supplémentaires s’est essentiellement traduite par une optimisation fiscale, sans réel impact sur la durée du travail. ([6])»
Le maintien de ce dispositif semble donc parfaitement incompatible avec les enjeux liés à l’emploi des prochaines années. Le Gouvernement a mis en place, après le dispositif de prise en charge de l’activité partielle, dont le coût peut être estimé à plus de 35 milliards d’euros en prenant en compte la baisse de recettes de la sécurité sociale, un dispositif d’activité partielle de longue durée pour les entreprises qui demeurent confrontées à de graves difficultés économiques. Il serait a minima paradoxal, voire incohérent, de faire subventionner par la puissance publique, à hauteur d’1,8 milliard d’euros d’un côté et d’un montant au moins équivalent de l’autre, des dispositifs incitant à la fois à une réduction négociée du temps de travail et, dans le même temps, à une augmentation unilatérale du même temps de travail.
L’INEFFICACITÉ DU DISPOSITIF COMME SON COÛT PLAIDENT POUR SA SUPPRESSION
Le rapporteur estime, en conclusion de son étude sur l’application du dispositif d’exonération de cotisations sociales salariales voté au sein de la LFSS pour 2019, que ce dispositif s’est révélé inefficace, voire néfaste, pour un ensemble de raisons qui tiennent à :
- l’inefficacité du dispositif dans le secteur privé ;
- son coût pour les finances sociales ;
- l’illusion de gain de pouvoir d’achat qu’il entretient ;
- sa contribution à l’augmentation des inégalités et de la précarité au sein de la fonction publique ;
- son caractère néfaste en période de récession économique sur la création d’emplois.
Il conviendra en cohérence, à l’occasion de l’examen du PLFSS pour 2021, de supprimer cette exonération. Il faudra en effet lui préférer une véritable politique de gain de pouvoir d’achat pour les salariés et les agents de la fonction publique, reposant notamment sur une meilleure répartition des salaires au sein des entreprises pour les premiers et une augmentation de la rémunération statutaire comme des recrutements pour les seconds.
Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale
Deux ans et demi après l’adoption d’un article « fleuve » réformant la protection sociale des travailleurs indépendants, la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) a confié le soin à M. Gilles Lurton (co-président de la MECSS et rapporteur, Les Républicains) et à M. Stéphane Viry (rapporteur, Les Républicains) de faire le point sur la mise en œuvre de cette réforme aussi vaste que risquée, consistant notamment à ce que le premier régime de sécurité sociale, le régime général (28 millions de cotisants en 2017), « absorbe » le deuxième, celui des artisans-commerçants affiliés au régime social des indépendants (RSI) (2,8 millions de cotisants et 6,6 millions de ressortissants en 2017).
Dans le souci d’une approche globale des enjeux liés au rapprochement des régimes de sécurité sociale des travailleurs indépendants et des salariés, la MECSS a entendu évaluer non seulement l’article 15 de la LFSS pour 2018 relatif à la fin du RSI et à l’adossement du régime des artisans-commerçants au régime général mais aussi l’article 76 de la LFSS pour 2019 qui a organisé la convergence des règles en matière d’indemnités journalières maladie-maternité.
Une série d’auditions a été menée préalablement à celle des administrations centrales lors du Printemps de l’évaluation. Elle a permis de rencontrer notamment les organisations patronales les plus représentatives, les syndicats représentant les salariés de l’ex-RSI, la présidente du Conseil de la protection sociale des travailleurs indépendants (CPSTI), le président du Haut conseil au financement de la protection sociale (HCFiPS) dont les travaux sont tournés depuis plusieurs mois vers la question des travailleurs indépendants ainsi que plusieurs directeurs de caisses locales de sécurité sociale, au cœur de la mise en œuvre de la réforme. |
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LES DISPOSITIFS ADOPTÉS
L’article 15 de la LFSS pour 2018 portait en réalité une triple réforme : une réforme de l’organisation de la sécurité sociale, une réforme de son périmètre et une expérimentation d’un nouveau mode de déclaration et de paiement des cotisations. S’y est ajoutée dans la foulée l’esquisse d’une réforme des droits, placée sous le sceau de la convergence, avec l’article 76 de la LFSS pour 2019.
1/ Une réforme de l’organisation de la sécurité sociale des travailleurs indépendants : l’adossement au régime général
L’aspect le plus important de la réforme consistait à supprimer le RSI, au profit d’un adossement au sein du régime général pour les trois risques qui étaient couverts auparavant par l’interlocuteur social unique (ISU).
Les affiliés étaient transférés au régime général selon un calendrier échelonné, reproduit ci-dessous.
L’adossement ne s’est pas traduit seulement par une intégration, mais aussi par la création d’une gouvernance spécifique, incarnée par le CPSTI, chargé de veiller à la préservation des spécificités des règles « de fond » applicables aux travailleurs indépendants, et qui n’étaient pas modifiées en tant que telles par la réforme. Le Conseil est notamment chargé de déterminer les orientations générales relatives à l’action sanitaire et sociale de manière autonome par rapport à celle conduite par les caisses du régime général, et de gérer les régimes complémentaires de retraite, le régime invalidité-décès des travailleurs indépendants ainsi que les réserves de ces régimes.
Calendrier de mise en œuvre de la réforme
Source : dossier de presse du Gouvernement, 6 janvier 2020
2/ Une réforme du périmètre de la protection sociale des travailleurs non-salariés
L’adossement a été accompagné d’une mesure moins visible de périmètre puisque la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (CIPAV) a vu son champ d’affiliation réduit à un « cœur » d’une vingtaine de professions libérales, alors qu’elle accueillait jusqu’ici l’ensemble des professionnels libéraux, y compris en statut de micro-entrepreneur, qui ne relevaient pas d’autres caisses.
Là encore, cette évolution avait été échelonnée sur deux ans puisqu’au 1er janvier 2018 étaient transférés les nouveaux micro-entrepreneurs et au 1er janvier 2019 les autres professionnels libéraux, sous réserve de l’exercice de leur droit d’option ouvert pendant une durée de 5 ans, soit jusqu’au 1er janvier 2023.
3/ L’esquisse d’une réforme du paiement des cotisations : l’expérimentation de l’auto-modulation des prélèvements
Le XVII de l’article 15 avait également prévu l’expérimentation d’un dispositif permettant de proposer aux travailleurs indépendants d’acquitter leurs cotisations et contributions sociales sur une base mensuelle ou trimestrielle à partir des informations qu’ils communiquaient sur leur activité et leurs revenus sur la même période. Initialement prévue jusqu’au 30 juin 2019, l’expérimentation a été reconduite par l’article 22 de la LFSS pour 2019, puis par l’article 19 de la LFSS pour 2020, jusqu’au 31 décembre 2020.
4/ L’esquisse d’une réforme de la convergence des droits : le rapprochement des indemnités journalières maladie-maternité
L’article 76 de la LFSS pour 2019 a permis de faire converger certaines règles applicables aux travailleurs indépendants vers les règles applicables aux salariés en matière de prestations en espèces. Le dispositif recouvre en réalité deux mesures distinctes.
Cet article simplifie les conditions d’ouverture du droit aux indemnités journalières maladie et maternité pour les travailleurs indépendants en supprimant la condition d’être à jour des cotisations annuelles pour bénéficier du versement des indemnités journalières maladie et maternité, pour les arrêts de travail débutant après le 1er janvier 2019.
Jusqu’alors, l’article L. 622-3 du code de la sécurité sociale prévoyait une condition propre aux travailleurs indépendants pour bénéficier de ces indemnités journalières, selon laquelle l’assuré doit « être à jour de ses cotisations annuelles » à la date du constat médical de l’incapacité de travail. Lorsque des majorations de retard de versement des cotisations restaient dues, le bénéfice des indemnités journalières était suspendu dans l’attente du paiement des sommes par l’assuré, le privant ainsi de ses droits.
Désormais, comme pour les salariés, seules deux conditions s’appliquent aux indépendants pour pouvoir bénéficier du règlement des indemnités journalières au titre de l’assurance maladie et maternité :
– l’affiliation au régime d’assurance maladie-maternité depuis une durée minimale ;
– le paiement d’un montant minimal de cotisations.
Pour maintenir l’incitation au versement des cotisations par les indépendants, l’article 76 prévoit toutefois que les indemnités journalières sont calculées sur la base des revenus sur lesquels l’assuré aura effectivement payé ses cotisations. Cette disposition s’appliquera à compter du 1er janvier 2020.
Par ailleurs, aux termes de l’article 76, la pension de vieillesse pour inaptitude au travail se substitue désormais automatiquement à la pension d’invalidité des travailleurs indépendants à l’atteinte de l’âge légal de départ à la retraite, comme pour les travailleurs salariés.
Le décret n° 2019-529 du 27 mai 2019 relatif à l’amélioration de la protection sociale au titre de la maladie et de la maternité des travailleurs indépendants a permis de préciser les conditions de mise en œuvre de cet article mais aussi de prendre des mesures autonomes.
Il a ainsi modifié l’article D. 613-16 du code de la sécurité sociale ([7]), en réaffirmant la condition d’affiliation depuis au moins un an à la date du constat médical de l’incapacité de travail. Il a également défini le revenu pris en compte pour le calcul de cette prestation en modifiant à compter du 1er janvier 2020 l’article D. 613-21 du code de la sécurité sociale ([8]) : lorsque l’ensemble des cotisations dues n’aura pas été acquitté, les indemnités journalières seront rapportées au montant des cotisations effectivement acquittées.
Dans « l’esprit » de la réforme, le décret a également procédé à deux modifications indépendantes de la lettre de l’article 76 :
il a aligné la durée réglementaire d’indemnisation du congé maternité des travailleuses indépendantes sur celles des salariés, soit 112 jours au lieu de 74 jours précédemment pour le premier ou le deuxième enfant ;
il a permis le fractionnement des 30 jours supplémentaires d’indemnisation dont peut bénéficier la travailleuse indépendance en cas d’état pathologique dû à la grossesse ou à l’accouchement attesté par un certificat médical.
LES OBJECTIFS POURSUIVIS PAR CES MESURES
Plusieurs séries d’engagements ou d’objectifs sous-tendaient ainsi l’ensemble de ces dispositifs :
l’amélioration de la qualité de service était évidemment au cœur de la réforme, après des années de dysfonctionnements au sein du RSI ;
le respect des spécificités des travailleurs indépendants dans cette nouvelle organisation ;
le Gouvernement avait estimé dans son étude d’impact que la réforme se ferait à coût nul ;
il s’est également engagé à ce que le transfert des personnels de l’ex-RSI se fasse dans les meilleures conditions possibles, et notamment sur le plan de la mobilité géographique ;
la convergence des indemnités journalières, adoptée en cours de discussion du PLFSS 2019, visait manifestement plus d’équité entre travailleurs indépendants et salariés.
LES CONSTATS ET INTERROGATIONS DES RAPPORTEURS DE LA MECSS
Un message de satisfaction globale se dégage au sujet de cette réforme, venant à la fois des intéressés mais aussi des organismes locaux de sécurité sociale. Pour les rapporteurs, les clés de ce relatif succès tiennent à deux années très utiles de transition et à une certaine modestie vis-à-vis des changements informatiques, les outils ayant été maintenus et améliorés plutôt que remplacés, contrairement à ce qui s’était produit pour la création du RSI en 2008. La gouvernance, incarnée par le CPSTI, semble également donner pleine satisfaction en tant qu’elle permet de veiller aux spécificités des travailleurs indépendants au sein du régime général et de prendre des initiatives fortes les concernant : ainsi, le CPSTI a mis en place une aide spécifique directe pendant la crise financée sur les réserves de l’ex-RSI, pour un montant total d’un milliard d’euros.
Cette relative réussite a été également étayée par ces chiffres issus du dossier de presse du 6 janvier 2020 et qui ont été repris par le directeur de la sécurité sociale au moment du Printemps de l’évaluation.
Les chiffres cités par le Gouvernement dans son dossier de presse du 6 janvier 2020 Hausse de 14,18 points du taux d’appels téléphoniques « décrochés » par rapport à 2017 (92,5 %) ; Baisse de 17 % des réclamations par rapport à 2017 ; 90 % des demandes de délais de paiement traitées dans les 15 jours mi-2019 ; – 1,7 jour de règlement des indemnités journalières par rapport à 2019 ; – 1,2 jour de traitement des feuilles de soins par rapport à 2019 ; + 6,36 points de pensions versées dans les délais par rapport à 2018 (74 %). 7 indépendants sur 10 considèrent que la réforme du RSI est prioritaire avec des attentes fortes sur la simplification de la gestion au quotidien de leur protection sociale. |
Les rapporteurs souhaitent apporter un nécessaire tempérament de méthode : la réforme n’est véritablement achevée que depuis le 1er janvier 2020, et nécessitera, compte tenu à la fois de ce facteur temporel et de sa nature multidimensionnelle une vigilance maintenue dans les années à venir.
Par ailleurs, ils souhaitent attirer l’attention sur plusieurs points plus précis.
1/ L’amélioration du service aux assurés : un objectif globalement atteint, qui doit inciter à revoir à la hausse les ambitions initiales
Premier paradoxe de la réforme, celle-ci a remplacé de fait un interlocuteur, le RSI, qui pour être dysfonctionnel n’en était pas moins unique, en multiples guichets, correspondant aux différentes branches/réseaux de la sécurité sociale (URSSAF, CPAM, CARSAT). Si chacun de ces réseaux semble avoir correctement intégré ces nouvelles fonctions, la réforme ne peut être considérée totalement comme un progrès sans qu’un travail complémentaire d’organisation soit conduit autour de l’accès à cette nouvelle organisation.
L’outil de cette offre complémentaire existe et consiste dans les « accueils communs », expérimentés avec succès en Gironde, qui devraient intégrer :
l’ensemble de l’offre « sécurité sociale » (y compris sur le champ « famille ») mais aussi d’autres partenaires (service des impôts, Pôle emploi, chambres consulaires) ;
une offre en accueil physique et en e-services.
Le réseau « URSSAF » qui devait porter la généralisation de ce dispositif (au moins un accueil par région, complété par des accueils intermittents dans chaque département) semble avoir été fortement entravé dans sa démarche par la crise sanitaire et a de fait pris un certain retard. Le directeur de l’ACOSS, auditionné lors du Printemps social de l’évaluation, estime néanmoins qu’il sera possible de déployer ce réseau à relativement brève échéance, une fois la crise passée. La direction de la sécurité sociale a précisé par écrit aux rapporteurs que ce déploiement généralisé pourrait être atteint à la fin octobre 2020. Les rapporteurs prennent acte de ce « rendez-vous » et ne manqueront pas de réinterroger le Gouvernement à cette échéance.
Sur le plan de l’assurance retraite, un régime complémentaire spécifique coexiste encore avec le régime de base commun avec les salariés du secteur privé. Cette coexistence a pour miroir « technique » celle de deux systèmes d’information, celui de l’ex-RSI « Azur » et celui de la CNAV, ce qui complique encore le travail des agents des CARSAT, pas toujours formés à utiliser « Azur », et le bon traitement des dossiers. Plus difficiles à gérer en raison de la nécessaire reconstitution des carrières, les prestations vieillesse semblent donc avoir été les plus difficiles à transférer au nouveau réseau, même si aucune hausse particulière des délais de traitement n’est à constater. Ceci étant, cette complexité par les systèmes d’information est en partie compensée par le fait que nombre des travailleurs indépendants transférés étaient déjà affiliés au régime général en raison d’activités professionnelles salariées antérieures ou parallèles. Interrogée par les rapporteurs, la CNAV estime pouvoir résorber ces difficultés grâce à un logiciel commun, qui ne pourra probablement pas être déployé avant 2023…
S’agissant de la simplification qu’aurait dû introduire l’automodulation expérimentée dans deux régions (Ile-de-France et Occitanie), force est de constater qu’un retard important a été pris. Engagée au 1er janvier 2018, l’expérimentation n’a concerné jusqu’ici que très peu de cotisants, en raison d’un mauvais calibrage initial ([9]). Pour les rapporteurs, il convient de mener cette expérimentation rapidement à son terme, afin d’en exploiter toutes les potentialités. Sollicitée par écrit sur ce point, la direction de la sécurité sociale a précisé aux rapporteurs qu’une extension de l’expérimentation en deux temps serait nécessaire préalablement à sa généralisation : dans un premier temps, il s’agirait d’un élargissement de 86 à 6 000 cotisants à partir de septembre 2020 puis d’une extension à l’ensemble du territoire de l’expérimentation en 2021 avant une possible généralisation au terme de cette nouvelle phase, soit au plus tôt au 1er janvier 2022. Les rapporteurs ne peuvent donc que constater que cette expérimentation prometteuse, votée en LFSS pour 2018, finira, peut-être, par donner pleinement ses fruits en 2022. Si une partie de ce retard est directement imputable au mode de calcul des cotisations des travailleurs indépendants, il est regrettable que ces obstacles et les problèmes de dimensionnement de l’expérimentation n’aient pas été identifiés dès le PLFSS 2018, ce qui aurait permis de gagner au moins un an.
S’agissant d’anomalies identifiées autour d’un double assujettissement à la contribution sociale généralisée (CSG) sur les indemnités journalières, la direction de la sécurité sociale n’a constaté aucun problème, même si elle a indiqué aux rapporteurs que des confusions pouvaient procéder du transfert du prélèvement des URSSAF avant la réforme du RSI aux CPAM après la réforme. Les rapporteurs s’étonnent d’une telle divergence, alors que le constat leur avait été remonté par des organismes de sécurité sociale ou par le HCFiPS.
2/ Les engagements du Gouvernement sur le coût de la réforme et le transfert des personnels : un bilan difficile à confirmer
Sur le plan du coût de la réforme, l’évaluation initiale d’un coût nul de la réforme a été confirmé par la direction de la sécurité sociale, qui confirme avoir « assuré un pilotage resserré de la réforme qui a permis de sécuriser l’intégration tout en rationnalisant et maîtrisant le coût des chantiers relatifs au dé-commissionnement du système d’information de l’ex-RSI et à l’adaptation de celui des caisses nationales ». Les rapporteurs regrettent cependant de ne pas avoir reçu d’éléments plus précis permettant d’étayer ce constat.
Sur le plan du transfert des personnels, des situations très contrastées ont été portées à la connaissance des rapporteurs, malgré d’excellentes initiatives portées dans les organismes locaux rencontrés.
Les engagements du Gouvernement sur la question des personnels : un bilan contrasté L’un des enjeux majeurs de la réforme était le transfert des 5 800 salariés du RSI vers le régime général, auxquels il fallait d’ailleurs ajouter 2 200 salariés issus des organismes assurant le versement des prestations maladie par délégation du RSI, en respectant les engagements précités. Or, deux récits contradictoires cohabitent à ce sujet, chacun ayant d’ailleurs probablement sa part de vérité :
De fait, outre les garanties « habituelles » tenant à la conservation de la rémunération individuelle, le Gouvernement s’était engagé à préserver la qualité et la localisation des emplois telles qu’elles existaient au sein du réseau « RSI ». Pour ce faire, un « accord de transition » devait faciliter le passage d’un réseau à l’autre, en permettant de conserver les droits issus de la convention collective du RSI. À la suite d’un premier échec des négociations, des mesures de cadrage unilatérales ont été prises par le comité exécutif prévu par la loi le 12 septembre 2018 avant que de véritables accords de transition aient été signés et agréés en avril 2019, lesquels ont permis d’aller plus loin dans la protection des salariés que les premières mesures unilatérales. Le contenu comme la mise en œuvre des engagements gouvernementaux par ces éléments de cadrage comme par la mise en œuvre concrète dans les organismes font l’objet de lectures opposées, comme l’illustre parfaitement la question des vœux d’affectation : au terme du processus, environ 90 % des salariés de l’ex-réseau RSI auraient accepté leur 1er choix d’affectation, ce que les administrations considèrent comme un succès. Certains syndicats soulignent toutefois que ce taux d’acceptation doit être lu à l’aune de la crainte d’un second choix moins satisfaisant, ou de propositions faites à quelques jours du transfert. Toujours d’après les syndicats, les motifs de refus du reliquat tenaient d’abord à la nature du poste. Des problèmes de « déqualification » ont également été identifiés, y compris par des syndicats favorables à la réforme, certains cadres du RSI ne pouvant retrouver des positions équivalentes au sein du régime général, l’objet même de la réforme étant la mutualisation. Au total, les rapporteurs estiment que ces ressentis, variables selon les syndicats et contradictoires avec ceux des administrations, s’expliquent assez facilement par le décalage entre les promesses faites et la capacité réelle à les tenir : conscientes de la difficulté de la tâche, les administrations estiment ne pas avoir démérité dans l’organisation de ce transfert périlleux. Rassurés dans un premier temps par des promesses hâtives et peut-être excessives, certains salariés, et leurs représentants, ont été déçus que ce transfert ne se passe pas aussi bien qu’annoncé. Les rapporteurs retiennent néanmoins l’absence de réponse convaincante apportée par les administrations lors du Printemps social de l’évaluation quant à la question du manque de formation et de préparation de l’intégration de ces milliers de salariés. Si le temps de préparation de la réforme a permis sur d’autres points d’optimiser sa mise en œuvre, il semblerait qu’il n’ait pas toujours été exploité de manière optimale pour assurer un accueil efficace de ces salariés transférés. La crise semble avoir également joué un rôle particulièrement prégnant, le télétravail ou la dispense d’activité n’ayant pas facilité cette mission |
Indépendamment de la question des engagements du Gouvernement vis-à-vis des salariés de l’ex-RSI et des organismes conventionnés, les rapporteurs se sont également interrogés sur les conséquences de cette absence de mobilité géographique forcée sur la répartition des effectifs transférés.
La répartition en fonction des branches a été plutôt respectée d’après les données transmises par la direction de la sécurité sociale aux rapporteurs :
En équivalent temps plein |
Branche maladie |
Branche retraite |
Branche |
Plafond d’emploi COG |
1 120 |
1 815 |
2 100 |
État du plafond d’emploi après affectation dans la branche |
1 162 |
1 760 |
2 104 |
Écart par rapport au plafond d’emploi |
+ 42 |
– 55 |
+ 4 |
En revanche, les constats en fonction des territoires sont plus contrastés : ainsi, la CPAM des Vosges a intégré une personne, tandis que la CPAM d’Ille-et-Vilaine en a intégré 50 sans que cela ait de lien avec la proportion d’assurés transférés.
Le directeur de la sécurité sociale comme le directeur de l’ACOSS lors du Printemps de l’évaluation ont reconnu que l’engagement de ne contraindre aucun agent de l’ex-RSI à une mobilité géographique avait pu conduire à une répartition ponctuellement inégale dans les organismes locaux. Ils estiment toutefois que ces écarts sont absorbables grâce à une politique volontariste de recrutement dans les années à venir. Prenant note de ces éléments, les rapporteurs souhaitent toutefois insister sur le caractère non négligeable de ces écarts et sur la nécessité de procéder à un diagnostic plus complet et plus fin de la répartition en ressources humaines, ainsi que des éventuels déséquilibres, issus de la réforme.
3/ La convergence des droits : un chantier à peine esquissé
Enfin, sur le plan de la convergence des droits, les réformes conduites semblent n’avoir qu’effleuré les enjeux, à la fois sur les cotisations pour lesquelles l’équité des assiettes au regard des prélèvements sociaux est loin d’être atteinte et sur la persistance de certaines différences en matière de droits.
Sur le plan des cotisations, un récent sondage demandée par la SSTI montrait que deux tiers des travailleurs indépendants attendaient des réformes profondes concernant leurs cotisations et l’offre de service ([10]).
Or, la réforme de l’assiette sociale, annoncée dans l’article 21 du projet de loi instituant un système universel de retraite pour 2022, n’a pu avancer en raison de la suspension de la réforme. Interrogé sur ce point lors du Printemps social de l’évaluation, le directeur de la sécurité sociale a estimé que celle-ci était difficilement dissociable de la question du taux de 28,12 % de cotisations que la réforme entendait appliquer aux travailleurs non-salariés, comme à l’ensemble des autres assurés. Il s’agit pourtant d’un double enjeu essentiel pour les rapporteurs :
un enjeu de simplification du calcul des cotisations sociales, l’assiette nette actuelle étant marquée par la circularité (il faut connaître les cotisations pour connaître l’assiette, et inversement) ;
un enjeu d’équité puisque les travailleurs indépendants s’acquittent proportionnellement de plus de CSG et de CRDS et de moins de cotisations vieillesse que les salariés, ce qui conduit à un plus faible « retour sur prélèvement » que les salariés.
De manière plus générale, aucun travail complémentaire de la réforme du SSTI n’a été engagé pour faire évoluer la nature de l’assiette soumise à prélèvements sociaux. En effet, l’assiette de cotisations des travailleurs non-salariés en entreprise individuelle est constituée des bénéfices. Or, ces bénéfices ne correspondent pas nécessairement à l’équivalent d’un salaire pour un salarié (par exemple, si le bénéfice est laissé dans les comptes de l’entreprise comme « réserve » pour l’avenir), ce qui conduisait plusieurs organisations à proposer de revoir le contenu de l’assiette des non-salariés, en vue de la rapprocher d’un revenu effectivement touché par le travailleur indépendant. La direction de la sécurité sociale, sollicitée par écrit sur ce point, estime néanmoins qu’« un tel mécanisme permettrait de réduire de manière très avantageuse l’assiette des cotisations et de l’impôt, ce qui réduirait les droits sociaux en contrepartie, notamment les droits à retraite mais également à plus court terme, les droits à indemnités journalières. » et invite les travailleurs indépendants qui souhaiteraient mieux opérer cette distinction entre bénéfices et revenus à « constituer une forme sociale juridiquement distincte de la personne physique, ce qui permet d’imposer séparément les deux entités ». Les rapporteurs estiment que si ces inquiétudes méritent évidemment d’être prises en compte, il est inhérent au statut du travailleur indépendant de choisir non seulement son mode de rémunération, mais aussi son niveau de protection sociale, quitte à en assumer les conséquences par la suite. La présidente du CPSTI, Mme Sophie Duprez, indiquait d’ailleurs aux rapporteurs qu’une éventuelle « éviction » par la distribution de dividendes plutôt que par le versement d’un véritable revenu pour échapper aux prélèvements ne serait pas nécessairement avantageuse pour les travailleurs indépendants concernés et que le recours à ce procédé serait bien moins massif que craint par l’administration. En tout état de cause, les rapporteurs attendent avec impatience les conclusions du rapport du Haut conseil du financement de la protection sociale, missionné par le Gouvernement, pour faire un point technique plus complet sur ce statut, ainsi que les suites qui pourraient lui être données en LFSS.
Toujours dans l’esprit de faciliter la déclaration des cotisations des travailleurs non-salariés, le faible recours à la procédure du « revenu estimé » créée dès la LFSS pour 2012, pourtant de nature à faciliter considérablement la tâche des travailleurs indépendants, interpelle. De nombreux interlocuteurs auditionnés par les rapporteurs soulignent que les majorations de retard prévues par l’article L. 131-6-2 du code de la sécurité sociale pourraient être à l’origine de ce faible recours. Cet avis n’est pas partagé par la direction de la sécurité sociale qui considère que cette sanction ne saurait être dissuasive dès lors qu’elle n’a jamais été mise en œuvre depuis sa création et qu’elle peut être écartée en excipant que les éléments en possession du cotisant justifiaient son estimation initiale ou en demandant une remise gracieuse à l’URSSAF dans les conditions de droit commun. Si les rapporteurs entendent parfaitement cette argumentation juridique, ils s’interrogent sur son appropriation par les cotisants et leurs tiers déclarants. Aussi, ils estiment nécessaire d’examiner à brève échéance, par exemple d’ici le prochain PLFSS, et sans nécessairement aller jusqu’à sa suppression totale, la piste d’un assouplissement – par exemple, en laissant l’URSSAF apprécier « la mauvaise foi » du cotisant. La réussite de ce dispositif intéressant passera par ailleurs nécessairement par une sensibilisation des intéressés et des tiers déclarants (experts-comptables, …) plus active à l’existence de cette procédure, comme cela a pu être fait dans le cadre exceptionnel de la crise de la COVID-19.
Sur le plan des droits, des distinctions persistent sans être toujours justifiées avec les salariés. Dans le prolongement de leur examen de l’article 76, les rapporteurs se contenteront de prendre la question des indemnités journalières comme exemple. Ainsi, les travailleurs indépendants sont soumis à un seuil de versement des indemnités, correspondant à 10 % du PASS (3 983 euros), en dessous duquel aucune prestation ne leur est versée, qui n’a pas d’équivalent pour les salariés, à qui est appliquée une parfaite proportionnalité. De même, les conditions d’affiliation préalable demeurent très différentes, puisqu’un travailleur indépendant doit avoir cotisé pendant un an pour avoir des indemnités journalières maladie tandis qu’un salarié doit avoir travaillé 150 heures dans les trois mois précédant l’arrêt de travail. Enfin, le plafond de remboursement est légèrement plus bas pour les travailleurs non-salariés (54,43 euros) que pour les travailleurs salariés (59,12 euros). Ces écarts ne se justifient pas par des différences de contributions, puisque les salariés ne s’acquittent plus de cotisations « maladie » depuis la LFSS 2018 et que leurs employeurs en payent très peu grâce aux allègements généraux. A contrario, les travailleurs indépendants versent encore une cotisation spécifique de 0,85 %.
L’impact de la réforme du champ d’affiliation de la CIPAV Technique en apparence et située dans le prolongement d’une mesure qui avait été prise en LFSS pour 2017, la réforme du champ d’affiliation de la CIPAV devait avoir des conséquences importantes sur la caisse puisque 80 % des professions affiliées à cette caisse étaient ainsi transférées au régime général. Interrogée par les rapporteurs sur les impacts de la réforme, la CIPAV a apporté les éclairages suivants aux rapporteurs : Tout d’abord, la caisse regrette une mise en œuvre règlementaire tardive, certains décrets importants étant parus avec retard tandis que d’autres sont toujours en attente (décret fixant les modalités de conversion des droits acquis à la CIPAV en points au régime général en annuité), même si elle n’a de fait pas retardé les transferts prévus. La CIPAV salue la bonne coopération avec l’ACOSS, tant sur les actions de communication qu’impliquaient les transferts auprès des intéressés, que sur les échanges de données ou sur l’exercice du droit d’option. La diminution du nombre d’affiliés à la CIPAV a été moins forte que prévue, notamment grâce :
Une soulte est toujours attendue par la CIPAV au 1er janvier 2022 pour compenser d’éventuels effets négatifs de la réforme sur son équilibre financier. D’après les calculs de la caisse, le coût pourrait varier de 8 milliards d’euros si le droit d’option continuait d’être aussi peu utilisé (pour les professions transférées, il resterait alors beaucoup de futurs pensionnés, sans flux d’entrants en contrepartie, puisque ces nouveaux cotisants sont automatiquement affiliés au régime général) à 300 millions d’euros s’il était utilisé à plein, ce qui ne semble pas l’hypothèse la plus probable. La CIPAV souligne l’inapplication du dispositif de cotisations réduites prévue par l’article 15 de la LFSS pour 2018 qui devait être ouvert aux nouveaux « entrants » ou pour ceux exerçant leur droit d’option en faveur du SSTI. Cette inapplication, due semble-t-il à une politique délibérée de non-communication des URSSAF, semble motivée par le caractère potentiellement préjudiciable en termes de droits de ces cotisations réduites. Il en aurait résulté une hausse de cotisations. Ce portrait de la réforme par la CIPAV oblige les rapporteurs à constater que ce volet, peu exposé, a été à la fois efficacement mis en œuvre, les nouvelles affiliations ayant pu avoir lieu à temps, et dans le même temps, curieusement pensée, qu’il s’agisse de cette mesure de cotisations réduites inappliquée ou de l’incertitude qui pèse encore sur le montant de la soulte qui devra être versée par le régime général à la CIPAV en 2022 pour « effacer » ce transfert vers la SSTI. Sans partager nécessairement à ce stade le souhait de la CIPAV de revenir sur cet aspect de la réforme – qui conduirait immanquablement à une nouvelle ingénierie de transfert dont les travailleurs indépendants n’ont pas besoin –, les rapporteurs s’interrogent comme la caisse sur sa cohérence d’ensemble, notamment au regard de la réforme des retraites projetée par le Gouvernement. |
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