N° 3581

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 novembre 2020


RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 31 octobre 2018

sur le contrôle des exportations d’armement

et présenté par

M. Jacques MAIRE et Mme Michèle TABAROT,

Députés

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  SOMMAIRE

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Pages

Synthèse

Propositions

Introduction

Partie 1 - Le contrôle des exportations d’armement fait l’objet d’interrogations profondes

I. Les déterminants des exportations d’armement sont multiples et parfois contradictoires

A. Qu’est-ce qu’une arme ?

1. Les matériels de guerre et assimilés

2. Les biens à double usage

3. Le cas particulier des nouvelles technologies d’interception de communications et de traitement de données

4. Les possibilités de reclassement

B. Pourquoi exporte-t-on des armes ?

1. Une garantie pour notre souveraineté

2. Le développement de nos partenariats stratégiques

3. Un secteur qui irrigue l’économie française

4. La dépendance à l’export est une spécificité de notre pays

C. Pourquoi contrôle-t-on les exportations d’armement ?

1. Préserver la sécurité de nos forces et de nos alliés

2. Assurer notre supériorité technologique

3. Prévenir les conséquences humanitaires de la prolifération des armes

a. La protection des droits humains

b. Un cadre juridique protecteur en gestation

4. Des objectifs différents suivant les pays

II. Le système de contrôle administratif des exportations de matériels sensibles semble robuste dans sa construction

A. Les caractéristiques du contrôle des exportations des matériels de guerre sont des gages de qualité

1. Un régime de prohibition

2. Une instruction interministérielle

3. Un processus d’examen à plusieurs niveaux

4. La prise en compte des considérations juridiques dans l’évaluation des risques

5. Des décisions strictes

a. Les refus de licence

b. Les suspensions ou les abrogations de licences

6. Un contrôle a posteriori

B. Les biens à double usage font l’objet d’un Contrôle Largement Distinct

C. Le contrôle des exportations de matériels sensibles comporte d’importantes différences d’un pays Européen à l’autre

1. Une Europe peu rassemblée sur l’armement et son contrôle export

2. Le modèle allemand : un contrôle centré sur les enjeux économiques

3. Le modèle britannique intègre les matériels de guerre et les biens à double usage dans une même organisation

III. Les exportations de matériels sensibles font aujourd’hui l’objet d’interrogations profondes

A. le contrôle, un facteur concurrentiel important pour les industriels

1. La compétition sur le marché des armes est plus féroce que jamais

2. La concurrence se joue aussi sur le terrain réglementaire

3. Certaines contraintes qui pèsent sur les industriels peuvent, à la marge, être allégées

a. Des points de vigilance pris en compte…

b. … mais des délais d’instruction encore trop longs

B. De nouveaux risques : Évolution du débat public et judiciarisation

1. Un cadre juridique international plus contraignant

2. Une évolution du débat public au niveau européen qui se traduit différemment suivant les États membres

a. La bataille médiatique et politique : la remise en question de l’« exception française » sur les exportations d’armement ?

i. La crise yéménite révèle un décalage croissant entre la realpolitik et les attentes de l’opinion

ii. Des ONG productrices d’informations très opérationnelles et relayées par les médias

iii. Les nouveaux risques des biens à double usage

b. En Allemagne, l’ambition croissante en matière de sécurité internationale ne se traduit pas sur le plan de la politique d’armement

c. Un débat public britannique particulièrement investi sur les questions d’armement et qui confirme un désinvestissement sur la scène internationale

3. Vers l’engagement de la responsabilité de l’État et des industriels devant les juridictions ?

a. Le contentieux administratif relatif à la délivrance de la licence

i. La pression contentieuse : la licence d’exportation est-elle un acte de gouvernement insusceptible de recours ?

ii. Des obstacles encore nombreux

iii. Des conséquences juridictionnelles potentiellement lourdes en cas de licence invalidée

b. L’engagement de la responsabilité pénale des industriels

i. Un contentieux nouveau

ii. Les licences ne protègent pas les industriels

iii. Un risque réduit pour les industriels ?

c. Une dynamique contentieuse qui se développe à l’échelle européenne

Partie 2  Le contrôle des exportations d’armement doit aujourd’hui relever trois grands défis

I. Renforcer le contrôle administratif des produits sensibles

A. le contrôle a priori doit encore être amélioré

1. L’intérêt stratégique des exportations des matériels de guerre pour la BITD doit être davantage qualifié

2. Le contrôle des biens à double usage : la course contre la montre

a. L’arrangement de Wassenaar est un cadre privilégié mais la mise à jour des listes de contrôle est lente

b. La révision du règlement européen de 2009 démontre la préférence de la France pour une approche multilatérale

c. En conséquence, une gestion active de la classification nationale s’impose

3. Il est nécessaire de rapprocher le contrôle des matériels de guerre et des biens à double usage

B. Le contrôle dans la durée des contrats d’armement est difficile mais nécessaire

1. Le levier de la maintenance

2. Le contrôle de l’utilisation des matériels

3. Le partenariat entre États : un vecteur d’influence

II. Rendre possible l’intégration européenne en matière de défense et d'armEment

A. La France doit mieux pénétrer le marché européen

1. Une faible pénétration du marché européen

2. Une réorientation de long terme

B. Le développement des coopérations européennes suppose de définir des règles d’exportation communes

1. Répondre aux blocages allemands

a. Les restrictions à l’export imposées par l’Allemagne

b. La conclusion d’un nouvel accord « Debré-Schmidt » débloque potentiellement une situation dégradée avec notre principal partenaire

c. Mais un partenariat de confiance entre nos deux pays n’est pas encore acquis

2. Renforcer le cadre d’exportation européen

a. Réduire les risques de blocage de la part d’un partenaire européen

b. Ne pas créer un contrôle des exportations d’armes à l’échelle de l’UE

c. Favoriser la coopération européenne en matière d’armement par le dialogue interparlementaire

C. Les restrictions à l’export imposées par les États-Unis appellent une réponse européenne

1. La réglementation ITAR est source de contraintes

2. La réponse doit être portée à l’échelle européenne

a. Une politique essentiellement nationale

b. Vers une communauté européenne « ITAR-free » ?

III. Améliorer l’information et le pouvoir de contrôle du parlement

A. Améliorer l’information donnée au Parlement

1. La protection du secret, obstacle à l’information, est nécessaire à notre souveraineté

a. Le secret de la défense nationale

b. Le secret industriel et commercial

2. Les rapports au Parlement sur les exportations d’armement

a. Le rapport annuel sur les exportations d’armement en France n’est pas un outil de contrôle

b. Les rapports au Parlement dans les autres États européens donnent des pistes d’amélioration du rapport français

3. Un effort de transparence nécessaire vis-à-vis du Parlement

a. Un niveau d’information plus complet

b. Une information plus fréquente

B. Créer un pouvoir de contrôle du parlement

1. Le contrôle parlementaire : un enjeu démocratique

a. S’assurer de l’effectivité du contrôle et du respect de nos engagements européens et internationaux

b. Permettre un débat informé vis-à-vis de l’opinion publique

2. L’absence de modèle de référence international

a. Le contrôle a priori reste exceptionnel

i. Le Riksdag suédois est au centre de la prise de décision

ii. Le Congrès américain a la faculté (théorique) de s’opposer à certaines ventes d’armes

b. Les contrôles a posteriori prennent diverses formes

i. Le Parlement britannique exerce un contrôle structuré

ii. L’exportation d’armement mobilise les débats au Bundestag allemand

3. Pour un contrôle parlementaire responsable et équilibré

a. Les conditions d’implication des parlementaires

b. Un contrôle qui respecte l’exigence du secret

c. Un contrôle qui ne pénalise pas les industriels

4. Quelle approche pour un contrôle a posteriori en France ?

a. Un contrôle a priori qui n’est pas transposable en France

b. Un précédent national : la délégation parlementaire au renseignement

c. Quelle organisation parlementaire pour le contrôle des exportations d’armement ?

i. L’implication directe des commissions permanentes sans structure dédiée

ii. Une refonte de la délégation parlementaire au renseignement

iii. Une délégation parlementaire bicamérale ad hoc

iv. Les caractéristiques de la nouvelle délégation parlementaire en charge du contrôle des exportations d’armement et des biens à double usage

v. La base juridique et l’accès à l’information

vi. Le champ du contrôle

d. Éclairer l’opinion par un débat public enrichi

Conclusion

Examen en commission

Annexe 1 : Complément d’analyse établi sous la responsabilité de M. Jacques Maire, co-rapporteur,  à l’issue du déplacement de la mission en Égypte

Annexe 2 : Encadrés, tableaux, graphiques et cartes

Annexe 3 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs et déplacements

annexe 4 : Support visuel utilisé par vos rapporteurs à l’appui de la présentation du rapport d’information en commission


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   Synthèse

« Renforcer le contrôle parlementaire des exportations d’armement,
une contribution à l’Europe de la défense »

Le rapport propose une analyse approfondie de la question des exportations d’armement en France. S’il est attendu un jugement sur la qualité du contrôle et les perspectives concernant le rôle du Parlement, ce rapport va au-delà et développe une vision globale, française, européenne et internationale, des enjeux de cette politique publique. Il s’appuie pour cela sur un travail de 18 mois, des auditions de plus de 180 acteurs sans compter les nombreuses rencontres informelles, et des déplacements dans 4 pays.

Vos rapporteurs ont adopté une approche large des secteurs contrôlés, fondée sur le risque d’atteinte aux droits de l’Homme, pour définir le périmètre du rapport : ces secteurs contrôlés incluent les matériels de guerre, dont la vente est prohibée sauf autorisation via licence, mais également les biens à double usage, d’utilisation civile mais susceptibles de donner lieu à prolifération de matériels dangereux, également soumis à licence mais dont le principe est l’autorisation.

Il y a une spécificité française en la matière. L’importante base industrielle et technologique de défense (BITD) revêt un enjeu économique majeur, mais l’exportation d’armement est également perçue comme un instrument de la politique étrangère dans ses deux dimensions fondamentales : le maintien d’une autonomie stratégique française et européenne dans les équipements nationaux de défense et notre contribution à la sécurité internationale, permettant à nos partenaires stratégiques mais aussi aux autres États clients d’assurer leur défense.

Dans ce contexte, le contrôle de l’exportation a bien pour objectif le respect de nos engagements internationaux, car la valeur de la marque « France » est indissociable des valeurs humanistes reconnues à notre pays de par le monde. C’est pourquoi la France s’engage concrètement dans les actions de lutte contre la prolifération et de règlementation du commerce des armes. Mais le contrôle intègre d’autres dimensions aussi fondamentales, liées à la sécurité de nos forces et à notre supériorité technologique.

L’examen des processus de contrôle illustre le caractère robuste de l’organisation de l’État : l’instruction interministérielle des dossiers, l’évaluation des risques et la rigueur des décisions prises en témoignent, et notre système se compare aisément avec celui de nos partenaires étrangers. Mais le contrôle est également un élément de compétitivité dans un contexte concurrentiel renforcé. À cet égard, quelques pistes d’optimisation du dispositif français sont proposées.

Le contexte actuel est susceptible de remettre en cause le consensus français traditionnel sur l’exportation d’armements. Ceci est le résultat de plusieurs dynamiques : le conflit au Yémen, véritable catastrophe humanitaire, a entraîné une mobilisation des organisations non gouvernementales (ONG) et une couverture médiatique critique sans précédent connu. Le rapport détaille la façon dont cette pression médiatique s’exerce dans le cadre d’un partenariat bien organisé entre ONG et organes de presse. L’analyse fine des prises de position des ONG, sur une base factuelle et sans préjugé, révèle une réalité : la France est bien plus souvent ciblée que ses partenaires par les critiques des ONG, sans que sa part dans les exportations ne le justifie. D’autres facteurs renforcent cette fragilisation du consensus français, comme la montée du débat sur l’utilisation des biens à double usage, et notamment les technologies d’interception et de traitement des communications, et l’accélération forte de la judiciarisation du contrôle export.

Le contentieux monte en puissance fortement : la Position commune de l’Union européenne (UE) de 2008 et le Traité sur le commerce des armes (TCA) de 2013 sont désormais invoqués à l’appui de nombreux contentieux administratifs pour attaquer la délivrance de licences par l’État. Si le risque d’annulation semble faible à court terme en France, ces recours ont déjà donné lieu à suspension de licences au Royaume-Uni ou à annulation en Belgique. Les recours pénaux se multiplient aussi, en France comme à l’étranger, et mettent potentiellement en cause la responsabilité des entreprises aujourd’hui et celle des autorités publiques demain. La jurisprudence en France paraît assez protectrice, mais la pression contentieuse peut aussi concerner les filiales des groupes français à l’étranger. La prise de conscience des autorités politiques semble encore assez limitée à vos rapporteurs. Il est pourtant possible qu’un jour l’administration ait à rendre compte aux juges de la façon dont elle instruit l’examen de la conformité de la licence à nos engagements internationaux. Quant à l’attitude de l’immense majorité des industriels, elle dénote une forme de déni de responsabilité : ils se sentent exonérés de toute mise en cause pour exporter sous licence. L’examen détaillé des processus de mise en cause de la responsabilité de l’industriel par le juge pénal montre qu’il n’en est rien. Il faut souhaiter que ce rapport soit l’occasion d’une prise de conscience de leur part.

Face à cette mise en cause croissante, le contrôle fait face à plusieurs défis. D’abord, le contrôle des biens à double usage fait l’objet d’une course de vitesse : le régime de Wassenaar, qui l’organise, définit la liste des biens contrôlés par accord international ; sa mise à jour est dépendante des vicissitudes de la négociation. Le rythme actuel des innovations, notamment dans les technologies pouvant menacer les libertés publiques, suppose donc qu’une liste nationale complémentaire soit élaborée et mise à jour très régulièrement et complétée par un ciblage des entités clientes. De plus, un certain nombre de faits plaide pour un approfondissement du contrôle des biens à double usage dans le cadre d’un rapprochement avec certains éléments du contrôle effectué par la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) et d’un rôle accru de la direction générale de l’armement (DGA).

Enfin, les controverses concernant les armements vendus par la France concernent des contextes d’utilisation qui se développent bien après l’octroi de la licence. Les dispositifs utilisables pour suivre et faire respecter l’usage des armements dans la durée relèvent davantage de l’influence (maintenance, partenariats…) que d’outils de contrôle effectifs. Vos rapporteurs estiment que des marges de progression sont possibles pour renforcer la redevabilité des États clients, à partir du moment où les règles du jeu sont clairement définies en amont du contrat, ou dans le cadre d’autres éléments de coopération militaire de nos partenariats stratégiques. À cet égard, le « contrat de partenariat gouvernemental » (CPG) dans le domaine de l’armée de terre peut être une source d’inspiration dans certains cas limités.

Le rapport place au centre de sa réflexion la perspective française d’une plus grande intégration européenne en matière de défense et d’armement. La stratégie européenne en matière d’armement et sa dimension export sont des éléments fondamentaux de la pérennité de notre souveraineté. Vos rapporteurs défendent une approche volontariste dans le rééquilibrage difficile de nos exportations vers l’Europe, ce qui passe par le succès des instruments de coopération nouvellement créés comme le fonds européen de défense (FEDEF) et la coopération structurée permanente (CSP). La masse critique du marché de l’armement européen, offre et demande, est telle qu’elle permet d’envisager une réelle autonomie stratégique qui manque au niveau national.

Mais, aujourd’hui, les contrôles des États Membres empêchent les exportations d’équipements produits en commun et constituent de forts irritants, qui pourraient être renforcés par le Brexit. Vos rapporteurs sont donc très en faveur d’une convergence normative et des pratiques en matière de contrôle mais réfutent l’idée présente en Europe d’une communautarisation de l’octroi des licences. Cela ferait dépendre nos choix de souveraineté de positions d’États membres peu impliqués et donc peu enclins à assumer une prise de risques partagée. L’enjeu premier à cet égard est la nécessité de trouver un point d’équilibre avec l’Allemagne, notre partenaire pour les grands programmes d’avion et de char du futur. La conclusion d’un récent accord remplaçant l’accord « Debré-Schmidt » est une étape dont il faudra s’assurer de l’application. Vos rapporteurs estiment qu’il serait opportun de prolonger cette approche au niveau des États de la « Letter of Intent » (LOI). Sur le plan parlementaire, des échanges pourraient être structurés au sein de l’Assemblée parlementaire franco-allemande (APFA) et, en cas de succès, proposés aux Parlements des États de la LOI.

Les contraintes supportées par notre politique d’exportation du fait des règlementations américaines extraterritoriales, dites « ITAR » et « EAR », nécessitent une réponse européenne. Elle est possible sur le plan des stratégies d’approvisionnement au niveau français comme à l’échelon européen.

Afin de faciliter une convergence européenne d’armement et de défense, un rapprochement interparlementaire est fondamental. Les parlements nationaux de nos principaux partenaires européens disposent d’une réelle influence et sont aujourd’hui peu aidants en la matière. Afin que la coopération interparlementaire soit possible, la France doit améliorer l’information et le pouvoir de contrôle de son Parlement sur sa politique d’exportation d’armement. Aujourd’hui, le Parlement est peu impliqué. La protection du secret, essentielle en la matière, l’explique en partie. Au-delà, les échanges autour du rapport annuel sur les exportations d’armement ne constituent pas un instrument de contrôle. Les autres rapports sur le sujet, produits par notre propre gouvernement ou par d’autres États exportateurs, montrent de réelles possibilités d’amélioration.

Donner un pouvoir de contrôle au Parlement suppose d’en clarifier les objectifs. Il s’agit en premier lieu de s’assurer de l’effectivité du contrôle et du respect de nos engagements internationaux. Il faut également alimenter un débat informé vis-à-vis de l’opinion publique, qui puisse enrichir le dialogue limité entre ONG et Gouvernement. Enfin, le Parlement a un rôle concret à jouer dans l’Europe de la Défense, une priorité française de toutes les majorités. Les parlements de nos partenaires jouent un rôle réel dans les politiques d’armement nationales et dans le contrôle à l’export. Il peut exister un sentiment de défiance envers la France, notamment du fait de son statut de puissance militaire et d’une crainte du leadership qui en découlerait. L’absence d’interlocuteur parlementaire français renforce cette défiance. C’est une faiblesse pour notre pays.

Si l’on veut créer cette appropriation, il importe de donner un rôle réel aux parlementaires, tout en respectant les contraintes liées à ce secteur, et en particulier le respect du secret, sans toutefois s’interdire d’engager une réflexion sur la définition du périmètre des informations classées. Le contrôle a priori, pratiqué en Suède comme aux États-Unis, n’est pas une option pour notre pays, du fait de la séparation des pouvoirs et du rôle dévolu à l’exécutif par la Constitution.

La mise sur pied d’un contrôle a posteriori apparaît en revanche possible, en tirant les leçons des limites fortes du modèle allemand, de l’expérience britannique dont le contexte est plus proche, et de l’expérience française dans un domaine également contraint par le secret : la délégation parlementaire au renseignement (DPR).

Vos rapporteurs proposent donc la création d’une délégation parlementaire au contrôle des exportations d’armement. Celle-ci se verrait dotée d’un droit d’information, dont la solidité dépend étroitement de la base juridique retenue, et d’un droit à émettre des recommandations, confidentielles quand elles sont spécifiques à une situation. Elle pourrait en outre émettre ponctuellement des avis sur des demandes en cours d’examen. Au-delà de sa fonction de contrôle, la délégation aurait également pour mission d’enrichir le débat public à travers un rapport annuel, une contribution aux échanges sur le rapport annuel du Gouvernement au sein des commissions concernées de l’Assemblée, mais aussi l’animation d’un débat « hors-les-murs ».

Intégrer cette mission au sein de la DPR est une possibilité. Mais cela nécessite de réformer profondément cette dernière de façon à exercer deux contrôles distincts quant au cadre juridique et aux interlocuteurs. Cette complexité supplémentaire ne semble guère justifiée aux yeux de vos rapporteurs, si ce n’est d’éviter la création d’une nouvelle délégation parlementaire.

Vos rapporteurs appellent à la création rapide d’une commission de travail, si possible bicamérale. Celle-ci permettrait d’engager un travail commun entre l’Assemblée nationale et le Sénat afin d’assurer un premier suivi des exportations en vue d’enrichir le débat sur le rapport du Gouvernement en 2021, mais également de préparer le dispositif institutionnel qui sera mis en œuvre.

 


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  Propositions

Proposition n° 1 : Charger la DGA et le SBDU d’une mission de sensibilisation en matière de droits humains envers les entreprises exportatrices d’armements et de biens à double usage, en tenant compte des risques liés à leur responsabilité pénale.

Proposition n° 2 : Renforcer le contrôle des exportations sur les armes de petit calibre et les véhicules blindés légers pour lesquels le risque de détournement est plus important.

Proposition n° 3 : Dans le cadre de la CIEEMG, renforcer l’évaluation de l’impact d’une opération d’exportation sur l’autonomie d’un programme stratégique (amortissement, effort de R & D, impact budgétaire pour la France…).

Proposition n° 4 : Créer une liste nationale des biens à double usage complémentaire des listes internationales et européennes.

Proposition n° 5 : Unifier le contrôle effectué sur les exportations de matériels de maintien de l’ordre au sein de la CIBDU afin de créer un guichet administratif unique pour les entreprises actuellement concernées par les différents règlements européens.

Proposition n° 6 : Renforcer et mutualiser l’expertise technique pour l’ensemble des technologies sensibles des biens à double usage, en élargissant le rôle de la DGA dans ce domaine.

Proposition n° 7 : Sur le modèle des États-Unis, instaurer pour les biens à double usage un contrôle par client en publiant une liste d’entités soumises à contrôle renforcé.

Proposition n° 8 : Poser le principe que l’exportation d’armes de petit calibre fasse systématiquement l’objet d’une clause de non-réexportation.

Proposition n° 9 : Élargir le contrôle de la destination finale des armements vendus à l’identification du destinataire final.

Proposition n° 10 : Dans le cadre d’un dialogue politique, demander dès le début des négociations des engagements de principe du client pour garantir un usage légitime des équipements, même en l’absence de contrôle dans le contrat.

Proposition n° 11 : Dans le cadre des partenariats stratégiques, proposer aux États clients des formations au respect du cadre juridique international dès lors qu’un risque est identifié.

Proposition n° 12 : Étudier les potentialités de conclusion de contrats de partenariat gouvernemental avec des partenaires hors Union européenne en vue de renforcer notre capacité de contrôle.

Proposition n° 13 : Engager une étude sur la réorientation de la politique d’exportation de la France pour les matériels de surveillance et d’interception.

Proposition n° 14 : Sur le modèle des grands programmes d’armement européens, développer de nouveaux schémas de coopération avec certains États membres de l’UE.

Proposition n° 15 : Sur le modèle du nouvel accord franco-allemand, négocier un accord sur des règles d’exportation communes avec les six pays de la Letter Of Intent (LoI) et à l’échelle de l’UE pour les projets éligibles au FEDEF.

Proposition n° 16 : Initier un dialogue interparlementaire sur les enjeux d’exportations d’armes, notamment dans le cadre de l’assemblée parlementaire franco-allemande. Envisager par la suite de l’élargir aux pays de la Letter of Intent.

Proposition n° 17 : Encourager la création, à l’échelle européenne, de filières industrielles « ITAR-free » pour les grands programmes d’armement européens.

Proposition n° 18 : Redéfinir le périmètre du secret de la défense nationale afin de permettre une meilleure conciliation entre protection de notre souveraineté et accès à l’information.

Proposition n° 19 : Maintenir le caractère mixte du rapport annuel au Parlement, comprenant un volet soutien à l’exportation et un volet consacré au contrôle qui doit néanmoins être sensiblement développé.

Proposition n° 20 : Inclure, dans le prochain rapport au Parlement sur les exportations d’armement, des informations sur la répartition géographique des refus de licences, sur le modèle du rapport 2017.

Proposition n° 21 : S’assurer que le rapport au Parlement soit toujours au niveau de l’information la plus précise contenue dans les rapports destinés à des organisations internationales.

Proposition n° 22 : Inciter le SGDSN à dévoiler dans le rapport annuel au Parlement les éléments non sensibles des directives de haut niveau.

Proposition n° 23 : Intégrer dans le rapport annuel au Parlement l’identité des bénéficiaires des livraisons au sein de l’État client ainsi que l’utilisation finale déclarée des équipements.

Proposition n° 24 : Inclure dans le rapport annuel au Parlement des informations sur les licences modifiées, suspendues et abrogées.

Proposition n° 25 : Créer, sur le modèle de ce qui existe au Royaume-Uni, un rapport commun à l’exportation des matériels de guerre et des biens à double usage.

Proposition n° 26 : Initier, avec le soutien du SEAE, des échanges parlementaires sur les rapports aux parlements nationaux dans l’objectif d’une plus grande convergence européenne des mesures de transparence et de l’accès aux informations.

Proposition n° 27 : Instaurer un rapport au Parlement sur une base trimestrielle ou semestrielle ainsi qu’une base de données en ligne permettant d’avoir accès à des données statistiques actualisées.

Proposition  28 : Donner au Parlement les moyens de vérifier que le processus d’examen des demandes de licences permet une juste analyse des différents critères qui interviennent dans les décisions relatives aux exportations d’armement.

Proposition  29 : Donner au Parlement les moyens d’appréhender l’ensemble des déterminants des exportations d’armement.

Proposition  30 : Instituer une délégation parlementaire au contrôle des exportations d’armement et de biens à double usage, bicamérale et en format restreint.

Proposition n° 31 : Constituer, sur instruction des deux assemblées, une commission de travail, si possible bicamérale, afin d’assurer un premier suivi des exportations permettant d’enrichir le débat sur le rapport au Parlement en 2021 et de préparer le dispositif institutionnel qui sera retenu.

Proposition n° 32 : Donner, dans une première phase, une base juridique réglementaire à l’accès aux informations de la délégation parlementaire.

Proposition n° 33 : La délégation parlementaire au contrôle des exportations d’armement :

 

Proposition  34 : Valoriser et enrichir le débat sur le rapport annuel au Parlement en prévoyant :

Proposition  35 : Institutionnaliser une journée d’études permettant un débat sur les exportations d’armement avec l’ensemble des parties prenantes publiques et privées.


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   Introduction

Avec l’intervention de la coalition de pays arabes emmenée par l’Arabie saoudite dans la guerre au Yémen à partir de mars 2015, le contrôle des exportations d’armement est devenu un sujet de controverse dans l’ensemble des pays européens, et notamment en France, ce qui est apparu comme une première. Deux ans après le début de l’intervention, le Parlement européen adoptait, à une large majorité, une résolution non contraignante associant les exportations de matériels de guerre à destination de l’Arabie saoudite à une violation des règles européennes ([1]). En septembre 2018, le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires des Nations unies, M. Mark Lowcock, qualifiait la guerre au Yémen de « pire crise humanitaire au monde », provoquant un réveil de la communauté internationale sur les conséquences de cette crise qui se déroule aux confins de la péninsule arabique. En octobre de la même année, le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi conduisait plusieurs pays européens à prendre la décision de suspendre leurs exportations d’armement à destination de l’Arabie saoudite.

Malgré ces évènements, et ceux qui suivirent, la France n’a pas remis en cause le partenariat stratégique qui la lie à plusieurs pays du Golfe participant à la guerre au Yémen. C’est dans ce contexte qu’une vingtaine de députés de la majorité ont déposé, en avril 2018, une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête parlementaire sur les ventes d’armes françaises aux acteurs du conflit au Yémen ([2]).

Cette demande n’a pas prospéré mais, compte tenu de l’importance de la question soulevée, au-delà du seul cas d’espèce, la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a créé, le 14 décembre 2018, une mission d’information sur le contrôle des exportations d’armement. Vos rapporteurs ont donc reçu un mandat large, qui ne traite pas spécifiquement des exportations françaises en direction des monarchies du Golfe.

Les travaux ont été conduits, pour l’essentiel, avant le début de la pandémie mondiale de Covid-19. Cette crise devrait se traduire par une diminution des exportations d’armement de la France en 2020, mais il est difficile d’en faire le début d’une tendance à long terme. Force est de constater que, de la Méditerranée orientale à la mer de Chine, la montée des tensions internationales se poursuit. L’export devrait donc se maintenir. La France est mise au défi de protéger son industrie de défense, en particulier dans le domaine aéronautique, et de répondre à la demande de souveraineté des États clients, notamment du point de vue des transferts de technologie. Dans le même temps, notre pays doit également saisir l’opportunité que représente la priorité accordée à l’autonomie stratégique de l’Europe pour renforcer l’Europe de la défense.

Tout au long de leurs travaux, vos rapporteurs ont eu pour objectif d’identifier les conditions d’évolution du système de contrôle des exportations d’armement qui permettraient d’éclairer les débats actuels, quel que soit le contexte.

Au fur et à mesure de leurs travaux, vos rapporteurs ont décidé d’élargir le champ de leurs investigations pour y inclure non seulement les exportations d’armement mais également celles des biens à double usage, civil et militaire, comme les drones et les systèmes de cybersurveillance, qui comportent des risques absolument majeurs au regard du respect des droits humains. Ce rapport traite ainsi des exportations de ce que les anglo-saxons appellent les « matériels sensibles » au sens large. Sur ce champ ainsi délimité, vos rapporteurs ont orienté leurs interrogations dans trois grandes directions : le système de contrôle administratif, le rôle du Parlement et les restrictions à l’exportation imposées par des États étrangers. Ils ont souhaité replacer ce débat national au regard de sa contribution possible à la politique française de promotion d’une politique européenne de défense et d’armement.

La première partie de ce rapport rappelle les motifs, nombreux et complexes, qui justifient l’export et son contrôle. Ce préalable est indispensable à toute discussion sérieuse sur les exportations de matériels sensibles. Si la construction et les caractéristiques du contrôle français de l’export attestent, dans l’ensemble, de sa robustesse, le consensus français sur cette politique est de moins en moins établi. Les décisions prises dans ce cadre sont aujourd’hui contestées, ce qui donne lieu depuis quelques années à une intense bataille devant l’opinion publique et dans les prétoires. Si une dynamique similaire peut être constatée chez nos voisins européens, cette dernière n’emporte pas les mêmes conséquences en raison, notamment, de traditions différentes.

La seconde partie de ce rapport porte sur les trois grands défis que doit relever le contrôle de l’export : adapter le contrôle administratif des exportations de matériels sensibles, donner un cadre de convergence aux dynamiques du contrôle en Europe et améliorer le pouvoir d’information et de contrôle au Parlement.

L’enjeu principal pour vos rapporteurs est celui de doter le Parlement français d’un véritable pouvoir de contrôle. Alors que le débat sur ce sujet donne parfois l’impression d’un dialogue de sourd entre l’exécutif et les organisations non gouvernementales (ONG), il existe un espace politique pour que le Parlement joue un rôle de garant et d’aiguillon de la politique d’exportation de la France. Il suffit de jeter un regard sur les pays comparables à la France pour s’apercevoir qu’un rôle accru du Parlement, loin de signifier la fin des exportations d’armement, permettrait un renforcement de leur légitimité et contribuerait à accroître l’intégration européenne en matière de défense et d’armement.

Vos rapporteurs ajoutent que, au-delà de la bonne volonté individuelle des nombreuses personnes rencontrées (qu’elles en soient toutes remerciées), la rédaction de ce rapport s’est révélée fort difficile. L’information pertinente accessible sur les questions d’armement auprès des autorités publiques se limite aujourd’hui à la description des dispositifs existants. L’échange sur les contextes de ventes précis est sporadique. La capacité à partager une vision critique sur l’organisation actuelle du contrôle est peu répandue.

La raison en est simple : une partie très importante des informations est classifiée, et ne peut être partagée sans mettre en jeu la responsabilité pénale des interlocuteurs compétents. Ainsi, même dans le cadre d’une mission d’information dédiée, bien accueillie dans son principe par l’exécutif et se voulant posée, les dispositifs actuels ne permettent pas au Parlement de se forger un avis sûr à l’égard des contextes d’exportation qui font aujourd’hui débat dans l’opinion.

Le travail a néanmoins pu être mené du fait des contributions étayées émanant de nombreux experts du domaine, de chercheurs universitaires, des think tanks, de l’industrie, des ONG, d’anciens responsables publics... Certaines incertitudes subsistent et elles sont assumées par vos rapporteurs. Il n’en demeure pas moins que les propositions du rapport sont avancées sur la base d’une conviction forte assise sur des données suffisantes.


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   Partie 1 - Le contrôle des exportations d’armement fait l’objet d’interrogations profondes

Les décisions d’autoriser ou de refuser l’exportation de matériels sensibles, en particulier des armements, se fondent sur la pondération d’un grand nombre de critères, aussi bien stratégiques, diplomatiques, sécuritaires qu’économiques et humanitaires. Le système français de contrôle des exportations, qui vise à assurer une juste pondération de l’ensemble de ces critères, se caractérise par une procédure interministérielle complexe et robuste dans sa conception. Ce système est aujourd’hui interrogé, voire critiqué, compte tenu de son opacité et donc des doutes qu’il génère sur sa capacité à assurer le respect par la France de ses engagements européens et internationaux sur le plan du droit international humanitaire.

I.   Les déterminants des exportations d’armement sont multiples et parfois contradictoires

Le débat public est souvent réducteur lorsqu’il s’agit d’expliquer les ventes d’armes. D’un côté, le soutien à l’exportation serait surtout motivé par des gains financiers tandis que le contrôle aurait pour unique objectif de prévenir les atteintes aux civils. Les raisons qui justifient le soutien et le contrôle des exportations d’armement sont en réalité bien plus larges. Au préalable, il est nécessaire de circonscrire ce que l’on doit entendre lorsque l’on parle d’une « arme ».

A.   Qu’est-ce qu’une arme ?

La création d’un contrôle spécifique sur les exportations d’armement, par dérogation au principe de la liberté du commerce, se justifie par la nature spécifique de ce type de bien « conçu pour tuer ou blesser » ([3]). La définition du champ de la notion d’arme est donc critique en ce qu’elle entraîne l’application du régime de contrôle à l’exportation dont les caractéristiques seront définies plus loin.

1.   Les matériels de guerre et assimilés

En France, l’ensemble des biens à usage militaire, regroupés dans la catégorie réglementaire des « matériels de guerre et assimilés », relèvent de l’armement. L’appartenance à cette catégorie dépend des caractéristiques techniques des biens décrites dans un arrêté du 27 juin 2012 ([4]). Cet arrêté définit vingt-deux listes de matériels de guerre. À titre d’illustration, les deux premières listes (ML 1 et ML 2) regroupent les armes à canon, la sixième liste (ML 6) intègre les véhicules terrestres et leurs composants et la neuvième (ML 9) comprend les navires de guerre et leurs composants. Afin de s’assurer que l’ensemble des biens à usage militaire sont soumis à contrôle, il est prévu que le bien qui, sans pouvoir être rattaché à ces listes, a été « spécialement conçu ou modifié pour l’usage militaire », est également considéré comme un matériel de guerre et assimilé.

2.   Les biens à double usage

La notion d’« arme » intègre également tout un ensemble de biens qui peuvent à la fois être utilisés à des fins civiles ou à des fins militaires. Ces biens dits « à double usage » sont nés de la nécessité de contrôler les composants qui, sans avoir été nécessairement conçus à des fins militaires, peuvent servir à la fabrication d’armes nucléaires, biologiques ou chimiques. L’histoire a montré la forte appétence de certains États à se doter d’armes de destruction massive en pièces détachées via le recours à des réseaux d’acquisition sophistiqués, ce qui justifie la mise en place d’un contrôle en amont du cycle d’élaboration, de production et de transport de telles armes. Les biens à double usage intègrent aujourd’hui un grand nombre d’autres objets militarisables, comme les satellites et leurs principaux composants, les drones présentant certaines performances minimales d’emport et d’autonomie ou les radars et leurs principaux composants actifs.

La qualification de « bien à double usage » dépend des caractéristiques techniques décrites à l’annexe I du règlement européen du 5 mai 2009 ([5]). L’annexe I n’est que la transposition consolidée des listes des régimes internationaux spécifiques aux biens à double usage. Ces régimes sont fondés sur des accords interétatiques qui établissent des listes de produits soumis à contrôle, qui sont revues annuellement en fonction de l’évolution et de la diffusion des technologies, des besoins de sécurité des États signataires et de la progression de la maîtrise des technologies par les pays non-membres. Les quatre principaux régimes internationaux sont le groupe des fournisseurs nucléaires de 1974, le groupe Australie de 1985 sur les biens chimiques et biologiques ([6]), le régime de contrôle de la technologie des missiles de 1987 et l’arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations d’armes conventionnelles et de biens et technologies à double usage de 1995.

En pratique, il reste difficile de borner la catégorie des biens à double usage. Des biens conçus pour un usage civil peuvent être détournés à des fins militaires ou de répression interne. Certaines polémiques ont par exemple vu le jour à la suite de la vente, par la France, de camions anti-émeutes avec canons à eau à Hong-Kong, employés pour réprimer les manifestants qui protestaient contre la remise en cause de l’autonomie de la région administrative spéciale. Les caractéristiques techniques de ces véhicules ne permettent pas de les qualifier de biens à double usage soumis à contrôle.

3.   Le cas particulier des nouvelles technologies d’interception de communications et de traitement de données

De nombreuses technologies doivent désormais être reconnues comme des biens qui peuvent avoir un usage militaire ou de sécurité.

L’électronique tend à prendre une place de plus en plus importante dans la guerre de demain. Les nouveaux modes de communication et de brouillage des capacités adverses ainsi que les systèmes de traitement de données permettent de prendre les meilleures décisions dans des environnements complexes et critiques. Elles donnent un avantage militaire important. Le cœur du système SCORPION qui doit équiper l’armée de terre française consiste en un ensemble de capteurs et de capacités de communication constituant une bulle intelligente qui permet un combat collaboratif.

Les technologies de surveillance, d’interception des communications et de traitement de données peuvent par ailleurs servir à contrôler l’ensemble des échanges d’une société civile reliée par les outils numériques. Elles peuvent alors être utilisées à des fins de répression interne des populations. Ces technologies, quand elles sont exportées vers des États autoritaires, présentent des risques de détournement.

4.   Les possibilités de reclassement

Les matériels de guerre et assimilés et les biens à double usage ne sont pas des catégories totalement étanches. Un bien ou une technologie dûment reconnu comme couvert par l’une des rubriques de classement listées dans l’annexe I du règlement européen de 2009, donc classé bien à double usage, peut être néanmoins classé par une décision du ministère des Armées comme relevant de la catégorie réglementaire des matériels de guerre et assimilés s’il est établi qu’il a été spécialement conçu ou modifié pour l’usage militaire. Inversement, selon la même procédure, le ministère des Armées peut estimer qu’un bien ne relève pas de la catégorie des matériels de guerre et assimilés, auquel cas il peut être reconnu comme bien à double usage ou comme bien « non soumis » à contrôle. Les basculements de classement ne représentent que quelques cas par an.

B.   Pourquoi exporte-t-on des armes ?

1.   Une garantie pour notre souveraineté

L’autonomie stratégique, qui fait l’objet d’une large convergence de vues en France, suppose de ne pas dépendre de décisions prises par des pays tiers pour notre défense et donc pour nos équipements militaires. La souveraineté française est subordonnée à la solidité de la base industrielle et technologique de défense (BITD), dont la viabilité dépend elle-même de notre capacité à exporter les équipements militaires produits par l’industrie française. Comme le résume M. Philippe Petitcolin, président-directeur général de Safran, « il n’y a pas de souveraineté s’il n’y a pas d’industrie de défense et pas d’industrie de défense s’il n’y a pas d’exportation ».

Les grands programmes d’armement développés par notre BITD sont principalement définis pour répondre aux besoins de l’armée française. Les exportations d’armement sont avant tout justifiées, non par des intérêts commerciaux, mais par le souci d’assurer la soutenabilité budgétaire pour l’État et la viabilité économique pour nos entreprises de nos programmes d’équipement au service de la défense. Contrairement au secteur civil, les industriels de l’armement investissent rarement selon une tendance de marché. Il est difficile pour un industriel de créer un produit entièrement tourné vers l’export, ce qui suppose de se passer des subventions publiques et de s’autofinancer en intégralité ([7]).

Bien que le budget de la défense soit en hausse continue dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) pour 2019 à 2025 ([8]), le marché domestique français ne suffit pas à soutenir notre BITD. Le marché européen représente lui-même un débouché insuffisant compte tenu de la faiblesse des dépenses consenties par les États membres pour leur défense – même si les dépenses progressent à nouveau – et de la préférence de certains d’entre eux pour des armements d’origine américaine. La différence des forces en présence montre l’enjeu pour l’Europe de rester unie : les États-Unis, selon M. Antoine Bouvier, directeur de la stratégie d’Airbus, consacrent au marché de recherche et équipement de défense de l’ordre de 160 milliards d’euros par an, contre 40 milliards pour l’Europe (une dizaine de milliards pour la France et le Royaume Uni) et 150 milliards pour le reste du monde. Il est donc inévitable d’exporter vers les grands pays acheteurs qui ne disposent pas ou peu d’industrie nationale. C’est notamment le cas du Moyen-Orient. Ces chiffres démontrent l’urgence d’une approche européenne si l’on veut être moins dépendants des marchés des zones de conflits.

DÉPENSE ET INVESTISSEMENT EN MATIÈRE DE DÉFENSE AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE (2017-2018)

Source : direction internationale de la Direction Générale de l’Armement (DGA-DI)

En pratique, les industriels doivent accepter, au moment du lancement d’un programme d’armement, une marge très contrainte, inférieure à celle qu’ils peuvent espérer à l’export, du fait de l’indispensable prime de risque. Pour que l’industriel ait l’assurance de la rentabilité de son investissement, l’exportabilité du futur matériel doit être prise en compte dès la conception du programme d’armement par l’État.

En effet, l’exportation permet d’amortir les investissements et, en particulier, les coûts de recherche et développement qu’implique le développement d’armements de pointe. Il y a quelques années, de nombreuses inquiétudes portaient sur la capacité à exporter le Rafale, un avion de combat produit par Dassault. Sans les premières exportations à l’Égypte, les chaînes de production auraient certainement dû fermer, conduisant à des surcoûts importants pour l’État.

Pour l’État, l’exportation permet de réaliser des économies d’échelle sur la production des équipements militaires et, ainsi, d’en réduire le coût. M. Hervé Guillou, ancien président-directeur général de Naval Group, évalue les économies budgétaires pour la Marine française apportées par l’export à 400 millions d’euros par an, ce qui représente une corvette chaque année. L’industrie de l’armement représente, par ailleurs, plusieurs milliards d’euros de retour fiscal pour l’État.

Pour tous, l’exportation est indispensable pour permettre à la BITD de rester au meilleur état de l’art car il assure le maintien des bureaux d’études et la pérennité des savoir-faire entre les différents programmes d’armement. Dans le domaine de la défense, les compétences sont lentes à acquérir; une fois perdues, elles sont très difficiles à reconstituer. Une entreprise industrielle comme Naval Group doit entretenir près de 400 métiers et compétences différentes pour rester à la pointe de l’industrie navale, qui a atteint un haut niveau de sophistication.

Au-delà du cas français, l’export est un enjeu d’autonomie stratégique pour l’Europe.

Sans une BITD solide, l’Europe dépendra, pour ses équipements militaires, de décisions prises en dehors du continent européen. Il est donc important pour l’Union européenne (UE) de pouvoir développer les matériels dont ont besoin les forces armées sur le continent ainsi que de conserver la maîtrise des technologies et le savoir-faire associé. La part du marché européen des équipements de défense captée par les producteurs européens est aujourd’hui insuffisante pour permettre l’amortissement de l’outil industriel, ce qui rend l’exportation vers les pays tiers nécessaire. L’Europe réduirait sa dépendance à l’export si elle commençait par acheter davantage de matériel européen…

Existe-il une dépendance à l’export pour les nouvelles technologies liées aux télécommunications qui entrent dans le champ des biens à double usage ?

Les technologies de surveillance, d’interception et de traitement de données sont d’abord développées pour protéger les citoyens français, notamment contre le terrorisme. Comme les matériels de guerre, la capacité de la France à développer ses propres technologies sans dépendre de pays tiers est une question de souveraineté. Nos services de renseignement, tout particulièrement, ne doivent pas dépendre de technologies étrangères ([9]).

Selon les responsables de Thalès, le marché français, limité aux seuls ministères régaliens, est trop faible pour amortir les coûts de nos technologies de souveraineté et l’export est vital pour amortir les investissements nécessaires dans ce domaine, compte tenu de l’évolution technologique.

Comme pour les matériels de guerre et assimilés, il existerait donc une dépendance à l’export sur ces biens et technologies à double usage. Toutefois, vos rapporteurs n’ont pas eu la possibilité de mesurer l’importance des exportations de ces types de biens. En tout état de cause, au vu des discussions avec les industriels, elles ne sont que de l’ordre de quelques millions d’euros, et sont sans commune mesure avec les exportations d’armement, qui se chiffrent en milliards d’euros. En conséquence, le renoncement à l’export vers les seuls pays autoritaires pour ces biens à double usage n’aurait pas le même coût pour les finances publiques.

Mais les services concernés concèdent que ces technologies sont clés pour entraîner les États clients vers un partenariat de renseignement et, de fait, une certaine forme de dépendance entre client et fournisseur. Elles concernent aussi des États dont le partenariat peut être important en matière d’antiterrorisme. Les technologies à double usage permettent aussi d’autres ventes et ont un effet vertueux sur le maintien des savoir-faire pour des équipements militaires, par exemple dans l’optique ou l’optronique.

2.   Le développement de nos partenariats stratégiques

Les exportations d’armement s’insèrent aussi dans une logique de puissance globale. Au plan international, il n’existe pas de grande puissance qui ne soit pas exportatrice d’armement. Le pays exportateur développe un pouvoir d’influence sur des États clients qui repose sur des partenariats stratégiques globaux et durables. Comme le rappelle Mme Anne-Marie Descôtes, ambassadrice de France en Allemagne, renoncer à développer de tels partenariats, « c’est renoncer à un être un acteur stratégique international ».

Avec quelques secteurs industriels bien définis, comme le spatial et le nucléaire civil et plus récemment les grands projets culturels, l’industrie de l’armement peut être considérée comme l’un des « bras industriels » de la politique étrangère de la France.

Dans un contexte international marqué par un accroissement des conflits, des pays alliés ont des attentes importantes vis-à-vis de la France pour les aider à faire face aux nouvelles menaces. Dès lors, les exportations d’armement permettent de répondre à des préoccupations légitimes d’États qui ont un besoin d’assurer leur sécurité. La coopération de défense, qui repose en partie sur les ventes d’armes, explique ainsi une grande partie de l’influence que la France conserve dans plusieurs régions du monde.

Avec l’Inde par exemple, notre coopération remonte aux années 1950 lorsque ce pays poursuivait une politique de non-alignement. Depuis plusieurs années, la France tente de se rapprocher de ce pays capable de jouer un rôle de contrepoids face à l’influence chinoise. L’exportation du Rafale détient une place centrale dans notre partenariat stratégique avec ce pays. Au-delà du cas indien, le contrat des sous-marins nucléaires avec l’Australie donne aujourd’hui une substance à la stratégie indopacifique de la France annoncée en mai 2018. Elle est un élément complémentaire des passages de nos frégates en mer de Chine méridionale pour assurer la liberté de navigation dans cette zone de tensions croissantes.

Au Proche Orient, la France a longtemps exporté des armes à Israël au lendemain de la seconde guerre mondiale ([10]), marque de son soutien à ce jeune pays. Aujourd’hui, nos exportations vers les pays arabes relèvent de diverses logiques. Si l’Arabie saoudite apparaît comme un client important, la relation n’est pas, par exemple, de la même nature qu’avec le Qatar ou les Émirats arabes unis. Le partenariat stratégique avec les Émirats s’est notamment concrétisé par l’établissement d’une importante base militaire à Abu Dhabi. Inaugurée en 2009 par le Président Sarkozy, elle a une composante navale, aérienne et inter-armes.


 

La coopération d’armement : l’exemple de l’Égypte

La coopération d’armement entre la France et l’Égypte, qui remonte aux années 1970, s’est beaucoup renforcée ces dernières années. Alors que le marché égyptien ne représentait que quelques dizaines de millions d’euros par an entre 2004 et 2013, l’Égypte est devenue un de nos premiers clients. Les raisons en sont politiques.

La suspension des ventes d’armes américaines décidée à partir de la prise de pouvoir du général al-Sissi a conduit ce dernier à vouloir diversifier ses fournisseurs auprès des grands partenaires européens. La France a décidé de soutenir un régime clé du monde arabe, engagé dans la lutte contre le terrorisme islamique. Cette relation s’est développée sur la base de contrats sans appel d’offres à forte portée politique.

 Les principaux contrats d’armement ont concerné, successivement, des corvettes de classe Gowind, vingt-quatre avions de chasse Rafale, une frégate multi-missions (FREEM) et deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) de classe Mistral initialement destinés à la Russie. Un satellite de communication a par ailleurs été vendu à l’Égypte. Désormais, la relation d’armement repose principalement sur la maintenance des armements vendus (un contrat a récemment été signé pour le soutien de l’armement naval d’origine française en Égypte). Au-delà, la France et l’Égypte coopèrent dans le domaine de la formation et des exercices militaires conjoints (par exemple, à l’occasion de l’exercice « Cléopatra »).

Si l’Égypte a des préoccupations de sécurité légitimes en raison du risque terroriste interne et importé, de l’instabilité à sa frontière avec la Libye, de la situation au Sinaï et de ses relations dégradées avec la Turquie, compte tenu notamment de l’enjeu de l’exploitation des ressources gazières offshore en Méditerranée orientale, l’armée égyptienne est une armée de non-emploi depuis les accords de Camp David en 1979, mais dont le niveau d’équipement est un enjeu de prestige. À ce jour, les BPC vendus par la France ne sont ainsi pas équipés des systèmes d’armes et de détection prévus et ne servent que de plateformes.

3.   Un secteur qui irrigue l’économie française

Au-delà des aspects stratégiques et diplomatiques, les exportations d’armement assurent des retombées économiques importantes pour la France. Alors que notre balance commerciale reste déficitaire, elles génèrent annuellement 6 milliards d’euros d’excédent commercial. Selon la ministre des Armées, l’armement représenterait 13 % de l’emploi industriel en France, soit 200 000 emplois, directs et indirects, répartis sur les différents territoires où les industriels sont implantés.


EMPLOIS INDUSTRIELS DE DÉFENSE PAR DÉPARTEMENT

Source : ministère des armées, Rapport au Parlement 2020 sur les exportations d’armement de la France.

4.   La dépendance à l’export est une spécificité de notre pays

En France, l’exportation est fortement motivée par le besoin d’amortir la BITD ([11]), compte tenu de l’étroitesse du marché intérieur : la BITD française réalise près de 30 % de son chiffre d’affaires à l’export. De plus, la France a toujours été très soucieuse de son autonomie stratégique, contrairement au Royaume-Uni qui accepte une certaine dépendance aux matériels américains. Selon M. Benjamin Hautecouverture, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), cette forte dépendance de la BITD française à l’export conduit la France à relativiser d’autres préoccupations, notamment humanitaires. Elle constitue une vulnérabilité connue qui conduit à se demander si les procédures ne sont pas, en France, plus relâchées qu’ailleurs. Elle crée donc une exigence de vigilance particulière.

À l’inverse, un pays comme les États-Unis n’a pas de réel besoin d’exporter : les commandes publiques suffisent à amortir les programmes d’armement des industriels américains ([12]). Les États-Unis sont donc plus libres dans leur politique d’exportation que la France. De fait, pour les États-Unis, l’exportation répond moins à un objectif d’autonomie stratégique qu’à une logique d’influence sur les pays acheteurs. À titre d’exemple, lorsque la Turquie a confirmé l’achat du système de défense anti-missiles S-400 russe, les États-Unis ont suspendu l’exportation de l’avion de chasse F-35 à titre de rétorsion. La taille de leur marché intérieur, à-même de faire vivre leurs entreprises et de financer leur recherche, leur donne un avantage compétitif déterminant vis-à-vis du reste du monde.

C.   Pourquoi contrôle-t-on les exportations d’armement ?

1.   Préserver la sécurité de nos forces et de nos alliés

Le contrôle à l’export a d’abord pour objectif d’assurer la sécurité de nos forces et de nos alliés, en particulier dans les situations d’engagement opérationnel. Un projet d’exportation ne peut mettre en danger la sécurité et la préservation de la supériorité opérationnelle des forces françaises. Ceci exige d’apprécier le risque que les armes proposées à la vente puissent être retournées contre nos armées même si, dans certains cas, il est difficile d’anticiper un bouleversement qui puisse avoir de telles conséquences.

À l’inverse, l’export participe aussi à notre sécurité. La France connait la performance des équipements qu’elle vend à d’autres États, ce qui sécurise nos forces et nos alliés. En revanche, lorsqu’un État est détenteur d’armes étrangères, dont nous ignorons les caractéristiques techniques, les performances… le risque est bien supérieur en cas d’agression.

2.   Assurer notre supériorité technologique

Les exportations d’armement doivent également composer avec l’impératif de préserver nos capacités industrielles et technologiques.

De manière croissante, les États clients ont de nouvelles attentes en matière de partage industriel et de transferts de technologies. Beaucoup souhaitent développer l’emploi et les savoir-faire locaux. D’autres veulent réduire leur dépendance. Telle est la volonté de plusieurs États qui sont des clients de la France, comme la Turquie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) qui souhaitent développer leurs propres capacités industrielles et leurs propres BITD, voire même créer un secteur exportateur qui sera un futur concurrent.

Compte tenu du renforcement de la concurrence sur le marché de l’armement, il existe un risque de consentir des transferts technologiques trop importants pour emporter un contrat. Dans ce contexte, le contrôle a pour objet d’éviter de procéder à certains transferts de technologie stratégique, en particulier vers nos compétiteurs.

3.   Prévenir les conséquences humanitaires de la prolifération des armes

a.   La protection des droits humains

Le contrôle des ventes d’armes se justifie également par le souci d’éviter que celles-ci ne favorisent les atteintes aux droits humains.

D’une part, il s’agit d’éviter que le destinataire final des ventes d’armes n’en fasse un usage contestable, soit dans le cadre d’un conflit au cours duquel les belligérants s’exonèrent du droit international humanitaire, soit à des fins de répression interne de la population.

D’autre part, l’objet de ce contrôle est de prévenir la dissémination des armes et de leurs trafics qui alimentent la violence armée et portent atteinte à la sécurité des populations. Le risque principal concerne les armes classiques, notamment les armes légères et de petit calibre (850 millions seraient en circulation dans le monde) et leurs munitions.

La préservation de l’équilibre et de la stabilité régionale est donc un critère important du contrôle des exportations d’armement. Si, en théorie, un État ne doit pas vendre à des belligérants, chaque cas est étudié en propre au regard des capacités de l’équipement dont l’exportation est envisagée et des risques de non-conformité des règles d’engagement au regard du droit international humanitaire et de détournement des équipements. La décision dépend donc d’un jugement portant sur l’utilisateur final et notamment la fiabilité de son armée. Par exemple, la France ne s’interdit pas d’exporter des armes à l’Irak en guerre, un de nos partenaires dans le cadre de l’opération Chammal.

b.   Un cadre juridique protecteur en gestation

La France s’engage à respecter le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’Homme. Le code de la défense prévoit, depuis 1936, un régime de contrôle administratif des matériels de guerre et assimilés qui sanctionne pénalement les violations. Le droit national a progressivement été complété par un cadre juridique international auquel la France a largement contribué.

Mais l’approche française va au-delà de la simple conformité. La France adopte une approche militante et s’attache à jouer, dans le domaine des armes, un rôle conforme à son image traditionnelle de pays des droits de l’Homme. Cette valeur attachée à la marque « France » est importante pour notre pays, nos entreprises et le consensus national. Elle se traduit par ce qui est perçu parfois comme une attitude paradoxale, voire contradictoire : notre pays, partie prenante des puissances nucléaires, membre permanent du conseil de sécurité des Nations Unies, grand exportateur d’armes et régulièrement engagé dans des opérations militaires extérieures, se veut également le promoteur d’un commerce des armes très régulé, d’une cour pénale internationale (CPI) agissant contre les atteintes massives aux droits de l’Homme, d’une interdiction des mines anti-personnel...

Cette attitude expose et oblige la France : un écart dans l’application de ces traités serait perçu comme l’expression d’un cynisme d’État. L’attitude de la délégation française lors de la conférence annuelle des États parties au traité sur le commerce des armes (TCA) sera, par exemple, critiquée car perçue comme en retrait si nos représentants apparaissent moins activistes, comme cela a semblé être le cas lors de la dernière édition.

● La France applique, tout comme ses partenaires européens, la Position commune de l’Union européenne du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires ([13]). La Position commune liste huit critères d’examen cumulatifs pour évaluer les demandes de licences d’exportation ([14]). Elle établit une notification aux partenaires européens des décisions de refus de licences. Il s’agit de s’assurer que nos partenaires feront la même lecture d’une demande d’exportation similaire et d’éviter le risque de contournement des règles européennes.

● La France a été un des pays promoteurs du traité sur le commerce des armes (TCA) qu’elle a ratifié en vertu de la loi du 23 décembre 2013 ([15]). Le TCA, instrument international juridiquement contraignant, représente une avancée majeure sur le plan du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’Homme. Il établit les principes que les États parties s’engagent à respecter avant d’autoriser toute exportation d’armement. Le TCA porte sur le champ de l’armement conventionnel mais son champ d’application peut être élargi en fonction des évolutions technologiques dans le domaine de l’armement. Il met en place un mécanisme de suivi du respect du traité, sur une base volontaire, dans le cadre de la conférence des États parties du TCA. La France se donne pour objectif de parvenir à une meilleure universalisation de ce traité, ratifié par 105 États, mais qui déplore quelques grands absents comme les États-Unis, la Russie et la Chine.

À côté du TCA qui a une vocation de régulation du commerce, plusieurs conventions internationales encadrent l’emploi, la production et le stockage d’armes spécifiques, et comportent par ailleurs des dispositions en matière de contrôle, voire d’interdiction des exportations. Tel est notamment le cas de la convention d’Ottawa sur les mines antipersonnel de 1997 et de la convention d’Oslo sur les armes à sous-munitions de 2008.

● La France applique également les embargos sur les armes imposées par l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Union européenne (UE) ou l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Ces sanctions imposent une restriction partielle ou totale des transferts d’une ou de plusieurs catégories d’armes vers un ou plusieurs destinataires. Certains embargos, comme celui qui vise le Venezuela, intègrent également certains biens à double usage, comme les équipements, technologies et logiciels pouvant servir à la surveillance ou à l’interception des communications électroniques.

Au total, quatorze embargos sur les armes sont aujourd’hui imposés par l’ONU, vingt par l’UE et un par l’OSCE, principalement en Afrique et au Moyen-Orient. Ces organisations internationales mettent en place des comités de suivi pour en assurer le respect. En pratique, sans doute faut-il regretter les insuffisances en matière de répression des violations de certains embargos sur les armes, comme en Libye… En France, la violation d’un embargo sur les armes constitue un délit passible d’amendes et de peines d’emprisonnement.

LES EMBARGOS SUR LES ARMES EN VIGUEUR (ONU, UE ET OSCE)
AU 1er AVRIL 2020

Source : ministère des armées, Rapport au Parlement 2020 sur les exportations d’armement de la France.

● Le cadre juridique international sur les exportations de matériels sensibles comporte également quatre instruments multilatéraux qui portent spécifiquement sur les biens et technologies à double usage que le rapport a précédemment évoqués.

4.   Des objectifs différents suivant les pays

Comme pour les motifs de l’export, les raisons du contrôle ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Compte tenu de leur niveau d’engagement opérationnel, la France comme les États-Unis attachent une grande importance aux considérations relatives à la protection de la sécurité nationale.

Toutefois, compte tenu de leur faible dépendance à l’export et de leur prééminence technologique, les États-Unis sont davantage soucieux que d’autres pays de limiter les transferts de technologie, en particulier vis-à-vis de leurs compétiteurs stratégiques comme la Chine et la Russie. Ceci explique le poids de ce critère dans les décisions de refus d’autorisation aux États-Unis ainsi que le souhait de mieux contrôler les investissements étrangers dans certaines entreprises américaines afin de contrer tout « pillage » technologique.

S’agissant des considérations humanitaires, force est de constater que la France est un des rares pays à avoir ratifié tous les instruments multilatéraux qui encadrent le contrôle des exportations d’armement. Toutefois, comme nous le verrons, le poids réel de ces considérations dans les décisions d’autoriser ou de refuser une opération d’exportation est contesté.

II.   Le système de contrôle administratif des exportations de matériels sensibles semble robuste dans sa construction

Vos rapporteurs n’ont pas de raison de remettre en cause a priori la robustesse du contrôle réalisé par la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Celle-ci fait l’objet d’un consensus entre acteurs administratifs et industriels. Les caractéristiques du contrôle, la profondeur de l’instruction, son caractère interministériel, le respect du contradictoire, la fréquence des refus, implicites ou explicites, ou les conditions imposées à l’exportation, sont des garanties objectives de la qualité du système de contrôle. Toutefois, l’opacité demeure sur le processus d’examen des demandes de licences. L’exécutif est donc seul à pouvoir juger de la performance du contrôle in concreto.

A.   Les caractéristiques du contrôle des exportations des matériels de guerre sont des gages de qualité

1.   Un régime de prohibition

La fabrication et le commerce de matériels de guerre et assimilés, qui entrent dans le champ des listes militaires défini par l’arrêté du 27 juin 2012, sont soumis à un régime strict : toute activité liée à la fabrication ou au commerce des armes est interdite, sauf autorisation délivrée par l’État.

Le système d’autorisation est à deux niveaux. La fabrication ou l’exportation d’équipements militaires nécessitent une autorisation de fabrication, de commerce et d’intermédiation (AFCI). Les industriels titulaires d’une AFCI doivent ensuite obtenir une autorisation de l’État, prenant la forme d’une licence, pour exporter tout matériel de guerre et assimilés.

Cette licence est délivrée par le Premier ministre à la suite d’une instruction qui s’organise autour de la CIEEMG. Les volumes d’exportations autorisés par les licences concernent les prospects théoriques des industriels et sont donc supérieurs aux montants des livraisons de matériels.

Les réformes du contrôle

Depuis le début des années 2000, les réformes de l’organisation nationale du contrôle des exportations d’armement ont poursuivi plusieurs objectifs.

Elles se sont d’abord attachées à fluidifier le traitement des demandes d’exportation et à réduire les délais d’instruction sans atténuer la rigueur du contrôle. La réforme majeure des opérations de contrôle a eu lieu en 2014 avec le passage du contrôle de deux à une étape. Les entreprises devaient auparavant obtenir un agrément préalable puis une autorisation d’exportation de matériels de guerre. Depuis lors, les industriels demandent une licence unique qui est accordée de manière précoce, dès la phase de prospection des industriels. À côté des demandes individuelles, des autorisations globales ont été introduites pour permettre l’expédition de biens à un ou plusieurs destinataires identifiés, sans limitation de quantité ni de montant.

Par ailleurs, les procédures de contrôle des exportations d’armement ont été rapprochées à l’échelle de l’Union européenne. La transposition de la directive européenne sur les transferts intracommunautaires de 2009, dite directive TIC (1), prévoit l’harmonisation, au niveau européen, d’une liste des matériels de guerre et assimilés soumis au contrôle (military list de l’Union européenne), la certification des entreprises autorisées à exporter, la mise en place de trois types de licence (générale, globale et individuelle) et la mise en place d’un contrôle a posteriori permettant de vérifier le respect par les entreprises des autorisations délivrées par l’État et des conditions associées à ces autorisations.

(1) Directive 2009/43/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 mai 2009 simplifiant les conditions de transfert de produits liés à la défense dans la Communauté.

2.   Une instruction interministérielle

L’interministérialité, au cœur du processus de délivrance des autorisations d’exportation, est une garantie de la qualité du système de contrôle. Les autorisations d’exportation sont en effet délivrées par le Premier ministre après avis donné par la CIEEMG qui réunit tous les ministères concernés.

La CIEEMG réunit au niveau des cabinets et des services les représentants de trois ministères à voix délibérative : le ministère des Armées, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) et le ministère de l’économie et des finances. D’autres acteurs, comme les services de renseignement, peuvent y participer, mais ils n’ont qu’une voix consultative. La présidence de la CIEEMG est assurée par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) qui est l’autorité de délégation de signature du Premier ministre. Ce dernier assure également le secrétariat de la commission.

Le ministère des Armées, au travers de ses différentes directions représentées, a un rôle très important dans l’instruction des licences :

– la direction générale de l’armement (DGA) apporte une expertise technique sur les équipements militaires et la BITD française ;

– l’état-major des armées (EMA) a pour principale préoccupation la protection des forces armées, de celles de nos partenaires et du territoire national. Il apporte un éclairage sur l’emploi possible des équipements dont l’exportation est envisagée ;

– la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) apporte la composante stratégique de défense. Elle examine le partenariat stratégique qui lie la France au pays client, l’impact du projet d’exportation sur la stabilité régionale et vérifie le respect des règles internationales. Par ailleurs, la DGRIS effectue la synthèse des contributions des différentes administrations du ministère des Armées qu’elle présente au cabinet du ministre. Le cabinet arbitre la position du ministère en cas de divergence et représente le ministère à la CIEEMG.

Le MEAE, représenté par le cabinet et la direction des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement (DAS), intervient dans le processus délibératif de la CIEEMG à quatre niveaux :

– en tant que gardien des traités, le MEAE veille au respect par la France de ses engagements européens et internationaux, notamment le TCA et la Position commune de l’UE ;

– il apporte un éclairage sur la situation nationale et régionale du pays client et sur son évolution probable, en mobilisant l’ensemble des informations disponibles en source ouverte et en source fermée (directions géographiques, ambassades, services de renseignement) ;

– il met en regard la demande de licences avec la relation bilatérale avec le pays client dans son ensemble ;

– enfin, le Quai d’Orsay apporte un éclairage sur les conséquences du projet d’exportation sur les équilibres régionaux et sur les pays tiers, qu’ils soient alliés ou adversaires.

Le ministère de l’économie et des finances, qui exerce un rôle plus limité, se prononce sur la soutenabilité financière des acheteurs et sur les demandes de garanties.

La dimension interministérielle de l’instruction des demandes de licences est un gage de la rigueur du contrôle, bien qu’elle se traduise nécessairement par une certaine lourdeur. Les éléments apportés par les différents ministères à la CIEEMG recouvrent une grande diversité de sujets et de critères. Chaque demande de licence conduit l’État à s’interroger sur le type d’équipement, le destinataire, l’usage qui en sera fait, les risques liés aux matériels, les conditions financières et la solvabilité du pays acquéreur.

Tous les moyens de l’État sont sollicités pour instruire les dossiers : les compétences diplomatiques et géographiques, pour analyser la situation des pays ; les compétences industrielles et techniques, pour apprécier la nature des matériels ; les compétences militaires, pour évaluer leur usage potentiel ; les compétences juridiques, pour s’assurer du respect de nos obligations.

3.   Un processus d’examen à plusieurs niveaux

 

Les demandes d’autorisation d’exportation font l’objet d’un examen qui se déroule à trois niveaux.

Un premier contrôle administratif de recevabilité effectué par la DGA assure que les matériels entrent bien dans le champ des matériels de guerre et assimilés.

Dans un deuxième temps, les ministères à voix délibérative instruisent les dossiers et donnent leur avis sur un logiciel commun appelé SIGALE ([16]). Selon la complexité des dossiers, des réunions informelles peuvent se tenir entre les ministères afin d’avoir un débat préalable à la réunion de la CIEEMG.

Après cette phase d’instruction, la CIEEMG est amenée à donner son avis. La plupart des avis donnés par la CIEEMG sont dématérialisés. Pour traiter les demandes de licences les plus sensibles, la commission se réunit en formation plénière une fois par mois. En cas de désaccord majeur entre les ministères à voix délibérative ou compte tenu de la sensibilité d’un projet d’exportation, une réunion spéciale peut être organisée par le cabinet du Premier ministre.

Le Premier ministre prend une décision sur la base de l’avis donné par la CIEEMG. Cette décision est ensuite notifiée aux douanes pour application.

Les rapporteurs n’excluent pas que certains échanges puissent également avoir lieu entre les ministres concernés, en lien avec le président de la République, sur les enjeux politiques les plus élevés.

PROCESSUS D’INSTRUCTION D’UNE DEMANDE DE LICENCE
INDIVIDUELLE OU GLOBALE

Source : ministère des armées, Rapport au Parlement 2020 sur les exportations d’armement de la France.

 


 

L’examen des licences d’exportation : un processus « industriel » ?

Les autorités de l’État étudient 6 000 à 6 500 demandes de licence chaque année, dont 5 000 nouvelles demandes et 1 000 à 1 500 demandes modificatives. Ces demandes modificatives, qui portent le plus souvent sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) ou l’approvisionnement en munitions ou en pièces détachées, se justifient par la durée de vie limitée des licences, qui est de trois ans.

En 2018, environ 95 % des demandes de licences ont fait l’objet d’un examen dématérialisé et 5 %, soit 576 demandes de licences, ont fait l’objet d’un examen en réunion plénière de la CIEEMG. Sur ces 576 demandes, la Commission a prononcé un ajournement de 156 d’entre elles permettant un complément d’instruction par le cabinet du Premier ministre.

4.   La prise en compte des considérations juridiques dans l’évaluation des risques

Saisie d’une demande de licence, la CIEEMG pondère les différents critères qui déterminent le choix d’autoriser ou non une exportation.

Selon Mme Claire Landais, ancienne secrétaire générale pour la sécurité et la défense nationale (SGDSN), pour tout dossier d’exportation, la CIEEMG vérifie le respect par la France de ses engagements européens et internationaux. Les considérations juridiques que font valoir le MEAE agissent ainsi comme un filtre dans l’évaluation des risques à laquelle procède la CIEEMG.

S’il est facile de déterminer le respect des embargos sur les armes et les interdictions générales visant l’exportation de certains équipements militaires, la conformité d’une vente d’armes au TCA et à la Position commune est plus difficile à établir. Le MEAE se réfère à des éléments d’information de source ouverte, comme les conclusions des panels d’experts de l’ONU, de source fermée, en particulier les informations provenant des ambassades, des services de renseignement et du pays importateur, pour apprécier, équipement par équipement, le risque de violation du droit international humanitaire. Parmi les principales règles qui composent le droit international humanitaire, la DAS du MEAE évalue le respect du principe de discrimination entre les combattants et les non-combattants et, ce faisant, les allégations de ciblage de populations civiles dont serait responsable le pays importateur. La DAS s’assure également du respect du principe de proportionnalité, de façon à examiner l’avantage militaire attendu d’une attaque au regard des dommages collatéraux engendrés.

Au-delà de la conformité juridique du projet d’exportation, la protection de nos forces et de nos alliés, la stabilité régionale ou encore la préservation de nos technologies guident la décision de délivrer une licence.


Les directives de haut niveau du SGDSN

Les acteurs de la CIEEMG s’appuient sur les directives de haut niveau (DHN) élaborées dans le cadre d’un processus interministériel, sous l’égide du SGDSN. Elles ne sont pas généralisées mais servent de guide à la prise de décision.

Certaines DHN sont spécifiques à un pays et déterminent les risques qui justifient de ne pas exporter tel ou tel équipement militaire. D’autres DHN sont relatives à un équipement et distinguent les pays selon le niveau de performance auquel ils peuvent avoir accès. Certains pays ou équipements connaissent des situations évolutives qui ne font pas l’objet de DHN.

Les DHN n’ont pas de valeur contraignante, ce qui permet aux acteurs de la CIEEMG de s’en extraire au cas par cas. Ces documents, couverts par le secret de la défense nationale, sont révisés tous les deux ou trois ans.

Vos rapporteurs regrettent de ne pas avoir eu accès au contenu de l’une de ces DHN et ce, malgré leurs demandes.

Le processus d’examen des licences est l’occasion d’un débat entre les ministères et, avant cela, au sein même des ministères. Comme l’explique Mme Claire Landais, « il n’y a pas de jeu institutionnel couru d’avance ». Toutefois, compte tenu du secret qui entoure les délibérations de la CIEEMG, auxquelles vos rapporteurs n’ont pas eu accès, l’État est le seul à pouvoir juger de la qualité du processus d’examen des demandes de licences, en particulier l’examen de la conformité juridique. De là découlent les controverses sur certaines ventes d’armes autorisées par la France, qui seront évoquées plus loin.

5.   Des décisions strictes

a.   Les refus de licence

Lorsque l’analyse de risque est défavorable, l’État refuse les demandes de licence. Dans le cadre du régime de transparence prévue par la Position commune, la France notifie les décisions de refus au groupe « Exportations d’armes conventionnelles » (COARM) du Conseil de l’Union européenne, ce qui a pour effet d’obliger tout pays européen qui souhaiterait donner un avis favorable à une opération similaire, dans les trois ans qui suive une notification de refus, à consulter le pays ayant notifié le refus avant toute décision de passer outre ce précédent.

En 2019, la France a notifié 25 refus de licence, 41 demandes ont été rejetées selon la règle du refus implicite et environ 110 demandes de licence ou de modification de licence ont été retirées de l’instruction à l’initiative des demandeurs, ce qui représente un total de 186 refus. En pourcentage, les refus ont concerné 2,5 % du nombre total de dossiers, mais 20 % des dossiers les plus sensibles qui font l’objet d’un examen en formation plénière de la CIEEMG.

Cette proportion de refus peut apparaître faible, d’autant plus qu’une minorité de refus serait motivée par le respect des engagements internationaux de la France. Cela suggère, selon M. Benjamin Hautecouverture, que le critère du respect du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’Homme n’est pas déterminant dans les décisions de la CIEEMG, alors même que plusieurs pays clients de la France sont réputés commettre de telles violations.

L’administration invoque toutefois des cas où, après échanges préalables, les industriels ne déposent tout simplement pas leurs demandes de licence. Selon Mme Landais, la faiblesse du taux de refus s’explique non par le laxisme supposé du contrôle mais par le comportement d’autocensure des industriels qui, habitués au contrôle exercé par la CIEEMG, ne font pas des demandes qu’ils savent perdues d’avance.

Enfin, la CIEEMG peut accompagner l’octroi d’une licence de mesures d’atténuation des risques qui demeurent, ce que l’on appelle des « conditions ». L’administration conditionnera la licence à un niveau de performance export protégeant nos armées, à des garanties obtenues par un dialogue avec le pays importateur ou à l’accompagnement des livraisons de matériels de formations au respect du droit international humanitaire dispensées aux armées locales. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, il n’existe pas de véritable contrôle de l’utilisation finale des équipements vendus (« end-use control ») par la France aujourd’hui.

b.   Les suspensions ou les abrogations de licences

Signe de la réactivité du contrôle, l’État peut décider de réévaluer les licences octroyées en cas d’évolutions du contexte et prononcer, le cas échéant, la modification, la suspension ou l’abrogation de certaines licences. L’État peut aussi avoir recours à des moyens plus subtils, comme des menaces de suspension ou tout simplement l’ordre donné aux industriels de ne pas procéder à des livraisons, afin d’éviter un conflit diplomatique ouvert avec le pays client.

De telles décisions peuvent avoir des conséquences économiques lourdes pour l’industrie de défense. À la suite du déclenchement de la crise russo-ukrainienne en 2014, la France prend la décision de ne pas livrer deux bâtiments de projection et de commandement (BPC) à la Russie, ce qui occasionne un préjudice financier évalué à un milliard d’euros. Ces décisions sont essentielles pour notre politique étrangère : elles en expriment la cohérence. Et si elles peuvent avoir un coût pour l’exportation visée, elles ont aussi une énorme valeur pour nos partenaires concernés.

Octobre 2019 : la suspension des ventes d’armes vers la Turquie

En réponse à l’intervention turque dans le Nord-Est syrien au mois d’octobre 2019, et compte tenu de l’impossibilité d’établir un embargo européen sur les ventes d’armes vers la Turquie (du fait de l’unanimité requise), plusieurs pays européens ont pris des mesures pour restreindre leurs exportations d’armes vers la Turquie.

Certains, comme les Pays-Bas et l’Allemagne, ont annoncé arrêter la délivrance de nouvelles licences d’exportation vers la Turquie. Dans ces pays, l’instruction de nouvelles demandes est suspendue, mais les matériels couverts par des décisions d’exportation déjà autorisées pourraient encore être livrés. Par contraste, la France a décidé la suspension de l’intégralité des licences en cours de validité pour la Turquie et visant des matériels à destination du Nord-Est Syrien, soit l’équivalent de 500 licences.

Cette suspension des exportations d’armement porte un message politique fort et n’a pas d’impact majeur sur les industriels français. La Turquie représente un marché de moins de 50 millions d’euros par an en moyenne et, de ce fait, ne figure pas dans les vingt premiers clients de la France. Les exportations vers la Turquie concernent surtout des munitions, des roquettes et des missiles ainsi que des composants intégrés sur des matériels finis (la Turquie dispose de sa propre industrie de défense).

6.   Un contrôle a posteriori

Depuis 2014, un contrôle a posteriori permet de vérifier la conformité des opérations réalisées à l’export aux autorisations accordées par la CIEEMG. Il couvre notamment le respect par les industriels des conditions qui ont pu être imposées lors de la délivrance de la licence. À ce titre, le contrôle a posteriori participe à la robustesse du système de contrôle.

Le contrôle a posteriori des exportations d’armement est réalisé par des agents habilités du ministère des Armées, appartenant à la DGA et au Contrôle général des armées (CGA). Il s’exerce selon deux modalités : un contrôle sur pièces et un contrôle sur place effectué dans les locaux des titulaires des licences.

Ces contrôles donnent lieu à des procès-verbaux qui sont transmis au Comité ministériel du contrôle a posteriori (CMCAP), présidé par un membre du corps du CGA. Le président peut, après avis de ce comité, classer sans suite, émettre un rappel à loi ou mettre en demeure l’industriel de prendre les mesures d’organisation, de formation du personnel et de contrôle interne nécessaires à la correction des carences ou des défaillances constatées.

La loi prévoit une amende administrative en cas d’inexécution des mises en demeure et des sanctions pénales en cas d’infractions aux dispositions du code de la défense. Un contrôle a posteriori insatisfaisant constitue également l’un des motifs de suspension ou d’abrogation des licences délivrées aux entreprises.

Le contrôle a posteriori donne lieu à une part significative de constats de non-conformité. Entre 2014 et 2018, sur les quelque 250 procès-verbaux de contrôle sur pièces et sur place réalisés, près de 40 % ont donné lieu à un rappel à loi et plusieurs mises en demeure ont été prononcées. Dans ses réponses écrites, l’administration estime que les résultats des contrôles montrent que « la part des exportations et des transferts réalisés sans autorisation tend à se réduire d’année en année et que, dès lors, les exportations de matériels de guerre sont mieux encadrées et suivies ».

SUITES DONNÉES PAR LE CMCAP AUX PROCÈS-VERBAUX
EN 2019

Source : ministère des armées, Rapport au Parlement 2020 sur les exportations d’armement de la France.

Un des objectifs du contrôle a posteriori, jugé souvent intrusif par les entreprises, était d’inciter au développement du contrôle interne au sein des sociétés dans une logique de responsabilisation. M. Arnaud Idiard, consultant en export contrôle, constate une plus grande maturité des entreprises dans ce domaine. Alors que les entreprises avaient pour habitude de développer leurs produits sans penser aux contraintes à l’export, celles-ci ont progressivement pris conscience des risques auxquelles elles s’exposaient et de l’importance d’être plus responsables. Toutefois, M. Arnaud Idiard regrette encore un déficit de formation initiale et continue.

Les industriels deviennent ainsi eux-mêmes un maillon du contrôle du respect des conditions fixées dans les licences. Au sein de Safran Défense, par exemple, trente personnes exercent des métiers liés au contrôle export : conformité aux règles d’exportation mais aussi vérification des problèmes éthiques. Cette responsabilisation des entreprises est autant liée à des facteurs réglementaires qu’au souci que les industriels se font pour leur image de marque.

B.   Les biens à double usage font l’objet d’un Contrôle Largement Distinct

Si le contrôle des matériels de guerre et celui des biens à double usage ont de nombreux points communs, ces deux régimes sont distincts. M. Bruno Leboullenger, chef du service des biens à double usage (SBDU) au sein du ministère de l’économie et des finances, explique que le dispositif de contrôle des biens à double usage est davantage adossé aux normes internationales que l’exportation des matériels de guerre, dont le cadre est resté très national.

Comme nous l’avons vu, le champ des biens contrôlés est défini par plusieurs grands régimes internationaux, intégralement repris par le droit communautaire. Les biens soumis au contrôle peuvent être élargis, à la marge, par les États membres qui conservent une compétence pour soumettre un bien au contrôle.

Alors que les exportations des matériels de guerre sont soumises à un régime de prohibition sauf autorisation, les biens à double usage sont soumis à un régime d’autorisation sauf interdiction. Cela s’explique par le très grand nombre de produits et de transactions concernés qui, pour l’essentiel, font l’objet d’un usage économique tout à fait classique. Si les décisions sont, dans les deux cas, dispensées de motivation, les motifs de refus d’exportation d’un bien à double usage sont limitativement énumérés.

Les règles du contrôle relèvent du niveau multilatéral. Elles sont transposées dans les obligations qui s’imposent aux États et aux exportateurs par le règlement européen de 2009 sur les biens à double usage. Pour autant, l’exercice du contrôle des biens à double usage n’est pas européanisé et la décision d’autoriser ou non une exportation est une compétence souveraine des États. La France a créé une chaîne de contrôle nationale distincte de celle des matériels de guerre. Le contrôle des biens à double usage se caractérise par une autorité décisionnelle propre désignée par la réglementation nationale ([17]), qui est le ministre chargé de l’industrie ([18]). Par ailleurs, une commission consultative distincte de la CIEEMG, la Commission interministérielle des biens à double usage (CIBDU) est compétente pour émettre un avis collégial sur les demandes d’exportation de biens à double usage soumis à contrôle ([19]).

Malgré cette séparation, le processus d’examen est similaire à celui de la CIEEMG. Il est jugé rigoureux par les acteurs qui en font partie. La CIBDU qui se réunit mensuellement, implique une dizaine de ministères, dont par exemple le ministère chargé de la santé qui peut apporter un éclairage dans le domaine biologique. Elle rend un avis, qui peut être assorti de conditions et de demandes d’exclusion, au ministre chargé de l’industrie. Par la nature des questions qui lui sont soumises ainsi que la sensibilité des informations qui peuvent y être échangées, les délibérations de la CIBDU sont couvertes par le secret de la défense nationale.

C.   Le contrôle des exportations de matériels sensibles comporte d’importantes différences d’un pays Européen à l’autre

1.   Une Europe peu rassemblée sur l’armement et son contrôle export

En 1995, la France et l’Allemagne ont initié, à Baden-Baden, une démarche de coopération que rallieront le Royaume-Uni et l’Italie dès 1996. Ces quatre États créent, le 12 novembre 1996, l’organisme conjoint de coopération en matière d’armement (OCCAr) dont la vocation est la gestion des programmes d’armement en coopération. L’OCCAr ne voit le jour que le 28 janvier 2001. L’OCCAr a pour objet de pallier les insuffisances des coopérations traditionnelles.

 

Mais, sans vouloir nier ces avancées institutionnelles, l’histoire de l’armement en Europe se construit surtout autour de ses programmes, qui se sont traduits souvent par des coûts importants et des échecs probants, parfois. Ces échecs peuvent s’expliquer par un partage des tâches peu efficace, les demandes beaucoup trop hétérogènes des armées clientes, mais également par la crainte d’un leadership trop fort de la France ou de l’un de ses partenaires. Les programmes européens gérés avec le soutien de l’OCCAr en ont largement été victimes, comme cela a été le cas du programme A400M. Les plus grands programmes d’armement ne rassemblent pas l’Europe, comme l’a montré l’échec de l’Eurofighter Typhoon concurrencé par le Rafale, ou les innombrables essais d’approches communes franco-anglaises dans le domaine naval s’arrêtant au stade de la planche à dessins.

 

L’Union européenne a su se rassembler prudemment, dans le domaine du contrôle à l’exportation, en adoptant une Position Commune en 2008, qui créée un cadre juridique en matière d’exportations d’armement. Ce mécanisme constitue un instrument de convergence important mais peu contraignant. La mise en œuvre de la décision du Conseil, le travail d’interprétation des critères et l’approfondissement de la coopération sur le thème du contrôle des exportations d’armement sont discutés au sein du COARM, qui est le groupe de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) qui traite de ces sujets.

 

Mais ce cadre de référence n’implique aucune convergence dans l’organisation du contrôle comme l’illustre le tableau ci-dessous, provenant d’une étude du Flemish Peace Institute, un institut de recherche rattaché au Parlement flamand. Sur la seule question du pilotage du contrôle, ce ne sont pas les mêmes administrations qui interviennent. Cette diversité d’acteurs, et donc de priorités politiques, illustre la situation actuelle.

 


ORGANISATIONS INSTITUTIONNELLES DU CONTRÔLE ADMINISTRATIF DES EXPORTATIONS D’ARMEMENT DANS LES DIFFÉRENTS PAYS EUROPÉENS

Une image contenant capture d’écran

Description générée automatiquement

Source : Flemish Peace Institute

 

2.   Le modèle allemand : un contrôle centré sur les enjeux économiques

L’organisation allemande du contrôle des exportations d’armement s’organise à trois niveaux.

Au niveau international, l’Allemagne est partie prenante, comme la France, des principaux textes qui encadrent les exportations d’armement, à savoir le TCA et la Position commune de l’UE.

Au niveau national, deux lois encadrent les exportations de matériels de guerre et les autres matériels militaires : la loi sur le contrôle des armes de guerre (KWG – KriegsWaffenKontrollGesetz) et la loi sur le commerce extérieur (AWG – AussenWirtschaftGesetz). Ces deux lois s’appliquent pour les matériels de guerre, tandis que seule la loi sur le commerce extérieur s’applique pour les autres matériels militaires. Plusieurs partis de la gauche allemande réclament une loi uniforme sur les exportations d’armes, qui détermine les critères d’attribution des licences.

Le ministère fédéral de l’économie et de l’énergie est l’autorité compétente pour octroyer les autorisations d’exportation des matériels de guerre et s’appuie sur l’expertise du ministère fédéral des affaires étrangères et du ministère fédéral de la défense. L’Office fédéral de l’économie et du contrôle des exportations (BAFA) est compétent pour définir la liste, et le cadre législatif, dont relèvent les matériels et a le pouvoir d’attribuer les licences pour les autres matériels que les matériels de guerre. Sur le plan institutionnel, la dimension économique et industrielle prime dans la délivrance des autorisations d’exportation, en décalage avec le débat public en Allemagne sur les exportations d’armes, qui porte davantage sur les considérations humanitaires. Il existe un débat sur l’opportunité de transférer cette compétence au ministère fédéral des affaires étrangères.

Comme en France, les décisions relatives aux projets d’exportation d’équipements militaires sont prises à la suite d’une évaluation approfondie. En cas de divergences d’opinion ou dans les cas les plus sensibles, le Conseil fédéral de sécurité (BSR – Bundessicherheitsrat), présidé par la chancelière allemande, décide de l’octroi ou du refus d’une autorisation d’exportation. Les décisions prises par le Conseil fédéral de sécurité sont transmises pour information au Bundestag dans un délai de deux semaines.

Enfin, au niveau politique, les exportations d’armement sont encadrées par les engagements qui figurent dans l’accord de coalition. Dans un document de référence de mars 2018, la coalition au pouvoir a confirmé l’évolution restrictive de la politique d’exportation d’armement. Elle a ainsi suspendu les exportations d’armes légères à destination des pays tiers, hors de l’UE et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), et les exportations d’armement vers les pays directement impliqués dans la guerre au Yémen.

L’Allemagne dispose d’un contrôle spécifique aux biens à double usage. Compte tenu de plusieurs plaintes d’ONG visant l’exportation de technologies de surveillance à destination de pays qui les mettent en œuvre pour réprimer leurs populations, l’Allemagne a pris les devants et mis à jour sa liste nationale pour y intégrer ces matériels. L’Allemagne porte une initiative pour élargir le champ de l’annexe I du règlement européen de 2009 sur les biens à double usage, initiative à laquelle la France s’oppose, cette dernière privilégiant l’actualisation de la liste de l’arrangement de Wassenaar.

3.   Le modèle britannique intègre les matériels de guerre et les biens à double usage dans une même organisation

Au Royaume-Uni, le contrôle sur les exportations de matériels sensibles repose principalement sur la loi sur le contrôle des exportations de 2002 (Export Control Act) et l’ordonnance sur le contrôle des exportations de 2008 (Export Control Order). Le cadre juridique intègre également, au moins jusqu’à la fin de la phase de transition du Brexit, le corpus législatif européen via une ordonnance de transposition de la législation européenne dans le droit britannique.

Le pilotage de la politique du contrôle des exportations relève du ministère du commerce extérieur (Department for International Trade – DIT), qui émet formellement les décisions d’octroi ou de refus de licences. Un service rattaché au ministère, l’Export Control Joint Unit (ECJU), coordonne le processus d’octroi des autorisations. Cette unité est mixte : elle rassemble du personnel et de l’expertise du DIT, du ministère des affaires étrangères (Foreign and Commonwealth Office – FCO) et du ministère de la défense (Ministry of Defense – MOD). Par ailleurs, l’ECJU travaille dans un cadre interministériel et s’appuie sur les contributions d’autres ministères pour nourrir l’instruction des licences.

Le contrôle exercé par l’ECJU porte sur toutes les catégories de matériels : matériels militaires et biens à double usage, y compris les équipements NRBC et les produits utilisables pour la torture ou d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.

De manière originale, sur la base de la loi sur le contrôle des exportations de 2002, le Gouvernement britannique présente au Parlement la liste des critères suivant lesquels les demandes d’exportation sont évaluées. Cette liste, qui a été mise à jour en 2014, comprend huit « critères consolidés », qui intègrent l’ensemble des règles européennes complétées par d’autres règles nationales. Ainsi, le critère 1 porte sur le respect des obligations et des engagements internationaux du Royaume-Uni (TCA, embargos, etc.) tandis que le critère 5 porte sur la préservation de la sécurité nationale du Royaume-Uni ainsi que celle des pays amis et alliés. Pour chacun des huit critères, un service est chargé d’évaluer leur respect.

L’incidence du Brexit sur le contrôle des exportations dépendra des négociations en cours entre le Royaume-Uni et l’UE pour définir leur relation future. À ce stade, la déclaration politique approuvée par les deux parties recommande la mise en place de « mécanismes appropriés de dialogue, de consultation, de coordination, d’échange d’informations et de coopération ». Par ailleurs, tout en reconnaissant l’autonomie réglementaire des deux parties à l’issue du Brexit, elle encourage « la mise en place de dispositions visant à promouvoir des approches réglementaires […] compatibles dans la mesure du possible ».

Le dispositif américain de contrôle des exportations de produits sensibles

D’une part, les produits à usage militaire listés dans la United States Munitions List (USML) sont régis par l’International Traffic in Arms Regulation (ITAR). Dès qu’un équipement intègre un composant ITAR, celui-ci est soumis à cette réglementation. L’entreprise concernée doit donc demander toutes les autorisations nécessaires auprès de l’administration américaine en cas d’exportation ou, s’il s’agit d’un composant acquis par une entreprise étrangère, de réexportation par cette dernière.

D’autre part, les biens et technologies à double usage listés dans la Commerce Control List (CCL) sont soumis à l’Export Administration Regulations (EAR). Lorsqu’un produit intègre un composant EAR, la règlementation est plus flexible pour les industriels américains et leurs clients potentiels. Dans le cadre de l’EAR, l’obtention de licences pour certains articles à destination de trente-six pays considérés comme alliés des États-Unis est simplifiée. Selon la règle de minimis, aucune licence américaine n’est nécessaire pour réexporter des produits intégrant certains composants américains si leur valeur n’excède pas un certain seuil.

Le processus américain de contrôle des produits sensibles a fait l’objet d’une réforme initiée au début des années 2010 par l’administration Obama dans le but de renforcer la sécurité des États-Unis, de recentrer les activités de contrôle sur les cas les plus sensibles, d’assurer l’interopérabilité avec les pays alliés et d’améliorer la compétitivité des industriels américains. Concrètement, il s’agissait de transférer un ensemble de matériels des catégories de l’USML régie par ITAR vers la liste CCL régie par EAR qui est moins contraignante.

L’administration Trump a poursuivi dans la même direction en révisant l’ensemble de la stratégie d’exportation des matériels militaires. Cet effort a abouti à l’Export Control Reform Act (ECRA) qui élargit le champ du contrôle afin d’y inclure des technologies « émergentes et fondamentales » jugées essentielles à la sécurité des États-Unis, comme l’intelligence artificielle, la robotique, les nanotechnologies, les biotechnologies ou les semi-conducteurs.

Aux États-Unis, le département d’État (ministère des affaires étrangères) est l’autorité compétente pour autoriser les exportations des équipements militaires soumis à ITAR, tandis que le département du Commerce est compétent pour les biens à double usage qui entrent dans le champ de l’EAR. Pour rendre leurs décisions, ces deux ministères se réfèrent aux avis qui leur sont donnés par la Defense Technology Security Administration (DTSA) qui dépend du département de la Défense. Au total, l’administration américaine traite près de 46 000 demandes de licences chaque année.

Des discussions avec la mission de défense à l’ambassade de France aux États-Unis et avec les responsables de l’administration américaine, vos rapporteurs perçoivent le processus de contrôle américain sur les matériels sensibles comme très sérieux mais aussi très bureaucratique. Toute erreur de catégorisation d’un matériel et toute demande incomplète conduisent l’industriel à reprendre le processus dès le début. Le fonctionnement en silo des administrations en charge d’ITAR et d’EAR, qui ne communiquent pas, représente une difficulté supplémentaire. Par ailleurs, le contrôle américain est très contraignant pour les États clients. D’une part, l’État acquéreur s’engage à respecter certaines conditions liées à l’utilisation des armements américains. D’autre part, les matériels qui comprennent des composants ITAR subissent de fortes contraintes à l’export.

 

III.   Les exportations de matériels sensibles font aujourd’hui l’objet d’interrogations profondes

Le contrôle export est aujourd’hui traversé de tensions. D’un côté, la concurrence internationale s’intensifie, notamment de la part d’exportateurs peu regardants, et peut mettre sous « pression de compétitivité » les contrôles nationaux. De l’autre, les risques juridiques, politiques, médiatiques et de réputation que représentent les exportations d’armement militent plutôt pour un contrôle renforcé.

A.   le contrôle, un facteur concurrentiel important pour les industriels

1.   La compétition sur le marché des armes est plus féroce que jamais

L’émergence des industries de défense dans de nombreux pays pèse sur les capacités des industriels européens à vendre des armes, bien que les industriels français semblent résister à la compétition internationale. Selon le classement annuel de l’institut de recherche sur la paix internationale de Stockholm (SIPRI) ([20]) publié en décembre 2019, le chiffre d’affaires des cent industriels les plus importants au niveau mondial ([21]) a augmenté de 47 % par rapport à 2002, pour s’établir à 420 milliards de dollars en 2018. Cette tendance est largement portée par l’augmentation des dépenses militaires à l’échelle mondiale.

LES QUINZE PRINCIPAUX BUDGETS DE DÉFENSE EN 2019

Source : International Institute for Strategic Studies (IISS)

Si l’on exclut les commandes publiques adressées aux industriels nationaux, les volumes d’exportation d’armes majeures (missiles, avions de chasse, navires de guerre) dans le monde ont augmenté de 20 % sur la période 2015-2019 par rapport à la période 2005-2009 ([22]). Les cinq plus grands pays exportateurs sont les États-Unis, la Russie, la France, l’Allemagne et la Chine, qui ont concentré trois quarts des exportations d’armes ces cinq dernières années.

PARTS DE MARCHÉ DES DIX PLUS GRANDS EXPORTATEURS D’ARMEMENT AU MONDE

Source : SIPRI.

Premier exportateur d’armes au niveau mondial, les États-Unis représentent un compétiteur traditionnel pour les acteurs français et européens. Les exportations américaines représentent un tiers des exportations d’armes dans le monde entre 2015 et 2019, une proportion en forte croissance par rapport aux années précédentes. Elles sont avant tout portées par cinq groupes d’armement : Lockheed-Martin, la division militaire de Boeing, Northrop Grumman, Raytheon et General Dynamics. En Europe, le secteur aéronautique est particulièrement vulnérable à la concurrence américaine, même si certains acteurs en Suède et en France parviennent à se maintenir. La concurrence qui existe entre le F-35 de Lockheed-Martin et le Rafale de Dassault suffit à le démontrer.

Au début des années 2000, seuls les États-Unis et les pays européens exportaient. En vingt ans, le paysage s’est beaucoup transformé, avec l’apparition d’acteurs importants en Chine et en Russie. Si l’écart se creuse avec les États-Unis, la Russie représente un cinquième du total des exportations mondiales des cinq dernières années et reste le deuxième exportateur d’armement. Parmi les industriels russes, Almaz-Antey, qui produit les systèmes de défense aérienne S-400, connaît d’importants succès. Les données fiables manquent pour apprécier le montant des exportations chinoises, mais le SIPRI estime que la Chine serait le deuxième producteur d’armement et le cinquième exportateur mondial. Dans le secteur naval en particulier, les acteurs chinois (CSIC/CSSC) et russes (OSK), qui peuvent compter sur des marchés domestiques considérables avant même d’exporter, poursuivent une stratégie expansionniste visant à inonder le marché mondial. Comme l’explique M. Hervé Guillou, ancien président-directeur général de Naval Group, le concurrent chinois produit une frégate par mois et un sous-marin tous les trois mois.

Plus largement, de nombreux pays développent une industrie de défense pour renforcer leur souveraineté et leur puissance à l’échelle internationale. Des acteurs de taille intermédiaire dans les pays développés ou émergents, comme la Corée du sud, le Japon ou la Turquie, se positionnent. Bien qu’elle continue d’importer plus qu’elle n’exporte, la Corée du sud a plus que doublé ses exportations d’armes au cours des cinq dernières années. En Turquie, l’équipementier électronique Aselsan s’est fait une place parmi les plus grands industriels de l’armement. Même certains pays qui sont notoirement des États clients lancent des programmes pour développer leur propre industrie de défense, comme l’Arabie saoudite avec la Saudi Arabian Military Industries (SAMI).

L’Europe, qui compte 27 entreprises dans le Top 100, capte 26 % des exportations d’armes sur la période 2015-2019, en hausse de neuf points par rapport à 2010-2014. Malgré ces résultats confortés par l’existence de deux compagnies « transeuropéennes », Airbus et MBDA, l’Europe reste plus divisée que jamais pour affronter la concurrence internationale. Les pays européens se livrent une compétition très dure, à commencer par la France et l’Allemagne. Les grands concurrents internationaux de l’Europe ont par ailleurs accès à tous les équipementiers européens à l’affût de toutes les opportunités pour faire affaire.

Et la France ?

D’après le SIPRI, la France représente 7,9 % des exportations de missiles, avions de chasse et navires de guerre sur la période 2015-2019, ce qui constitue un record depuis 1990. Elle devient ainsi le troisième exportateur d’armement au monde, alors qu’elle était cinquième sur la période 2010-2014, lorsque sa part de marché atteignait 4,8 %. Les résultats de la France reflètent les succès commerciaux de Dassault avec la vente du Rafale à l’Égypte, au Qatar et à l’Inde ainsi que ceux de Naval Group, avec la vente de sous-marins au Brésil et à l’Inde et de frégates à l’Égypte, la Malaisie et aux Émirats arabes unis. Par comparaison, les exportations d’armes de l’Allemagne ont également augmenté, bien que dans une moindre proportion, et celles du Royaume-Uni ont, quant à elles, beaucoup diminué.

Le SIPRI estimait, avant la crise sanitaire, que les bons résultats de la France devraient se maintenir dans les années à venir, compte tenu des commandes adressées aux industriels français. À plus long terme, et sans tenir compte des effets de la pandémie mondiale qui restent encore difficilement prévisibles, vos rapporteurs estiment que la France pourrait toutefois subir certaines déconvenues à l’export, notamment au Moyen-Orient qui représente la moitié des exportations françaises. Après un développement important de la relation d’armement avec l’Égypte, celle-ci a marqué une pause ces dernières années, pour des raisons détaillées plus loin ([23]). De même, les industriels français enregistrent des difficultés nouvelles à exporter vers l’Arabie saoudite dans un contexte où le prince héritier Mohammed ben Salmane a souhaité ne plus faire appel à l’Office français d’exportation d’armement (ODAS), qui gérait la relation d’armement avec le royaume.

2.   La concurrence se joue aussi sur le terrain réglementaire

Le poids du contrôle national a des conséquences sur la compétitivité des acteurs industriels d’un pays exportateur donné. Dans ce domaine, tous les pays ne s’appliquent pas les mêmes règles.

Les règles qui encadrent le contrôle des exportations d’armement en Chine ou en Russie sont nettement moins exigeantes que celles qui prévalent en France. Lorsque la France renonce à vendre des armes à certains pays, ce vide bénéficie à d’autres exportateurs moins regardants sur le plan du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’Homme. Même lorsque la France autorise la vente à destination de certains pays, les contraintes qui pèsent sur les industriels français sont souvent plus lourdes que celles de leurs concurrents, ce qui confère un avantage commercial à ces derniers.

Alors même que la France fait partie des pays qui ont pris le plus d’engagements internationaux, elle a l’impression d’être l’un des pays les plus critiqués au regard de sa politique d’exportation. Les administrations rencontrées ressentent une certaine exaspération à l’égard des controverses visant la France sur la base des règles et des valeurs exigeantes que cette dernière s’est engagée à respecter, alors que les pays qui ne se donnent pas la peine d’adhérer aux conventions internationales et procèdent à des ventes d’armes aux conséquences inquiétantes, en sont le plus souvent exempts. Il existerait donc deux poids, deux mesures. Cette situation de double standard s’explique en grande partie parce qu’il est plus aisé pour les opinions publiques d’interpeler leurs gouvernants dans les démocraties occidentales et en particulier en France, comme nous le verrons ultérieurement.

Certains industriels estiment que le contrôle français est trop pointilleux. La capacité des entreprises françaises à exporter dans ce contexte relèverait d’un véritable exploit. Malgré tout, la plupart des acteurs de l’armement français rencontrés par vos rapporteurs estiment que la France a trouvé le bon équilibre sur le plan du contrôle export. La rigueur du contrôle à la française se justifie par les valeurs que la France doit porter dans le monde ; elle est nécessaire pour assurer le maintien des compétences et des financements privés dans ce domaine qui souffre déjà d’un risque de réputation élevé. La rigueur du contrôle s’équilibre avec les autres avantages dont disposent les industriels français, parmi lesquels l’excellence des savoir-faire de la BITD française, l’activisme de la politique étrangère française et son implication dans les enjeux de sécurité internationaux : matériel éprouvé dans les OPEX, membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, présence dans les opérations de maintien de la paix (OMP)…

Quoi qu’il en soit, le renforcement du contrôle doit aussi veiller à la préservation de nos intérêts fondamentaux, ce qui semble passer par une discrétion concernant les mesures prises. Il aurait été décidé, dans le contexte du conflit au Yémen, d’un durcissement des conditions d’octroi des autorisations d’exportation, qu’il est toutefois impossible de vérifier compte tenu du secret des délibérations de la CIEEMG. Les délais d’instruction se seraient accrus, de même que le nombre de refus et d’ajournements.

3.   Certaines contraintes qui pèsent sur les industriels peuvent, à la marge, être allégées

Le renforcement de la concurrence internationale sur le marché de l’armement a pour effet de renforcer le pouvoir de l’État client au détriment de l’État exportateur. Cette évolution réduit la capacité de l’État exportateur à imposer ses conditions.

Mais la France, puissance démocratique et responsable, ne peut entrer dans un jeu de concurrence réglementaire « par le bas » : il mettrait à mal le consensus national sur notre politique d’exportation et, à terme, la capacité à tenir nos engagements vis-à-vis des clients.

Néanmoins, certaines optimisations sont possibles.

a.   Des points de vigilance pris en compte…

Plusieurs sujets d’inquiétude dont les industriels de l’armement ont fait part à vos rapporteurs paraissent bien pris en compte par l’administration.

Compte tenu de la sensibilité des produits concernés et du régime d’interdiction qui s’applique, le code des relations entre le public et l’administration prévoit l’absence d’obligation de motiver les décisions de rejet des demandes de licences d’exportation. Certains industriels s’en plaignent, car cette incertitude peut peser sur l’exportabilité de produits qui peuvent représenter une part importante de leur chiffre d’affaires.

Cette absence d’obligation de motivation nous semble légitime et les contraintes qu’elle fait peser bien prises en compte par la DGA. Pour éclairer les industriels en amont de l’examen de la licence, la DGA a élaboré un guide sur la recevabilité des demandes. Sur les cas complexes, cette dernière échange fortement en amont avec les industriels. De manière générale, le faible nombre des décisions de rejet montre que les industriels sont plutôt familiers des critères du contrôle. Enfin, la DGA assure le lien avec les industriels en cas de refus de licence.

Deuxièmement, le contrôle de l’export n’aurait pas suffisamment pris le virage de la révolution digitale. Les échanges entre les industriels et l’administration prendraient encore trop souvent la forme de formulaires papier ce qui, compte tenu du nombre de pièces à fournir, est lourd et peu pratique.

Toutefois, l’administration a déjà réalisé d’importants progrès sur le plan de la numérisation de l’instruction des licences. S’il comporte certaines imperfections, le logiciel SIGALE permet aux industriels de déposer et de modifier leurs demandes de licence sur une plateforme en ligne sur laquelle les ministères concernés donnent chacun leur avis. Comme nous l’avons rappelé, près de 95 % des demandes de licences sont examinées à l’occasion d’une réunion dématérialisée de la CIEEMG.

Troisièmement, l’administration ne prendrait pas suffisamment en compte la situation des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Dans le domaine du soutien aux exportations, l’État accompagne en priorité les grands contrats mais ne délaisse pas les petits et moyens. Il favorise d’autre part la prise en charge par l’entreprise « chef-de-file », souvent un ensemblier, de ses équipementiers et sous-traitants.

Mais il est vrai que le contrôle pèse spécifiquement sur les PME, qui ne disposent pas toujours des outils permettant de déposer des demandes de licences et le contrôle interne afin d’en assurer le suivi. Cela est également partiellement vrai pour les exportateurs de biens à double usage. L’effet inhibiteur du contrôle export aboutit également à des comportements d’autocensure de la part de ces entreprises, avec des effets en cascade sur l’innovation. Or, l’administration doit veiller à ce que les PME puissent prospérer, en particulier les PME critiques ([24]).

La DGA a développé de nombreux outils pour accompagner ces PME de défense, au travers d’un plan d’action spécifique, de rencontres fréquentes, d’outils de formation, d’un label « utilisé par les armées françaises » (combat-proven) et d’une convention avec le ministère des Armées pour intégrer les PME au sein des maîtres d’œuvre. Il n’en demeure pas moins que le coût du contrôle et de la réglementation pousse à la concentration et les administrations admettent qu’elle fera disparaitre de nombreux petits acteurs fragiles.

b.   … mais des délais d’instruction encore trop longs

La CIEEMG a été confrontée à un problème d’engorgement des dossiers de demandes de licences. Les industriels de l’armement jugent aujourd’hui les délais d’attente trop longs et subissent parfois les décisions d’autorisation d’exportation prises à la dernière minute. Les incertitudes générées par ces délais peuvent compliquer les procédures commerciales des industriels. En l’absence prolongée de réponse, les clients s’impatientent et l’industriel finit souvent par perdre le contrat.

Selon M. Joël Barre, délégué général pour l’armement, des efforts ont été réalisés pour réduire les délais d’instruction des licences. La création de la licence unique en 2014, la dématérialisation de l’instruction des dossiers et de l’organisation d’une grande partie des CIEEMG et la création d’une procédure d’urgence au sein du logiciel SIGALE ont permis d’améliorer la situation.

Par ailleurs, il existe une limite incompressible à la réduction des délais d’instruction. Les matériels de guerre et les biens à double usage sont des produits très sensibles, qui exigent une instruction rigoureuse. Il est important que les industriels soient conscients des contraintes propres à ce marché avant de l’investir. Au demeurant, les délais d’instruction seraient plus importants en Allemagne et aux États-Unis.

Pour autant, des marges d’amélioration existent. En 2014, un objectif interministériel avait été fixé pour réduire le délai d’instruction moyen à quarante-cinq jours, mais selon le rapport au Parlement sur les exportations d’armement, ce dernier est plus proche de cinquante jours. Il reste trop élevé.

Vos rapporteurs estiment qu’une plus grande priorisation des dossiers, en fonction de la sensibilité de la demande, pourrait permettre de générer de nouveaux gains d’efficacité et de mieux cibler le contrôle sur les vrais sujets d’exportation. Parmi les demandes soumises à la CIEEMG, l’instruction des dossiers les plus lourds nécessitera toujours du temps mais d’autres dossiers plus simples pourraient faire l’objet d’un traitement plus rapide. Vos rapporteurs ne retiennent pas la proposition consistant à restreindre le périmètre des matériels de guerre, même si certains le jugent trop large, mais appellent à un meilleur tri entre les demandes.

Par ailleurs, un certain nombre de demandes de modification de licences, qui font suite à un avenant à un contrat, exposent les industriels à des procédures de ré-instruction dont l’intérêt est parfois faible. À titre d’exemple, une demande de licence sur des pièces de rechange comme des cache-hublots ne devrait pas systématiquement justifier une ré-instruction. Vos rapporteurs considèrent que la CIEEMG devrait définir des « cas-cadre » qui permettraient, pour certaines lignes de produits dans une certaine quantité à destination de certains pays, de ne pas avoir à redemander une autorisation en cas d’avenant à un contrat.

B.   De nouveaux risques : Évolution du débat public et judiciarisation

1.   Un cadre juridique international plus contraignant

Depuis l’adoption de la Position commune de l’Union Européenne, et surtout du TCA, les critiques prennent appui, de manière croissante, non seulement sur des considérations morales, mais aussi sur des considérations juridiques pour mettre en cause la politique d’exportation d’armement.

Les ONG reprochent aux États exportateurs de manquer à leurs obligations au regard des articles 6 et 7 du TCA. En vertu de l’article 6 du TCA, un État partie ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques s’il a connaissance du fait, lors de l’autorisation, que ces armes pourraient servir à commettre des crimes de guerre, et notamment « des attaques dirigées contre des civils ». Si les conditions fixées à l’article 6 du TCA ne sont pas réunies, l’article 7 précise que l’État partie ne doit pas plus autoriser l’exportation s’il estime qu’il existe « un risque prépondérant » que les armes exportées puissent servir à commettre une violation grave du droit international humanitaire ou du droit international des droits de l’Homme ou à en faciliter la commission.


Articles 6 et 7 du traité sur le commerce des armes (TCA)

Article 6 - Interdictions

  1. Un État Partie ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques visées par l’article 2 (1) ou de biens visés par les articles 3 ou 4 qui violerait ses obligations résultant de mesures prises par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, en particulier les embargos sur les armes.
  2. Un État Partie ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques visées par l’article 2 (1) ou des biens visés par les articles 3 ou 4 qui violerait ses obligations internationales, résultant des accords internationaux pertinents auxquels il est partie, en particulier celles relatives au transfert international ou au trafic illicite d’armes classiques.
  3. Un État Partie ne doit autoriser aucun transfert d’armes classiques visées par l’article 2 (1) ou des biens visés par les articles 3 ou 4 s’il a connaissance, lors de l’autorisation, que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des Conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre tels que définis par des accords internationaux auxquels il est partie.

Article 7 - Exportation et évaluation des demandes d’exportation

  1. Si l’exportation n’est pas interdite par l’article 6, chaque État Partie exportateur, avant d’autoriser l’exportation d’armes classiques visées par l’article 2 (1) ou des biens visés par les articles 3 ou 4, relevant de sa compétence et conformément à son dispositif de contrôle national, évalue, de manière objective et non discriminatoire, en tenant compte de tout élément utile, notamment de l’information fournie par l’État importateur en application de l’article 8 (1), si l’exportation de ces armes ou biens :

a) Contribuerait ou porterait atteinte à la paix et à la sécurité ;

b) Pourrait servir à :

i) Commettre une violation grave du droit international humanitaire ou à en faciliter la commission ;

ii) Commettre une violation grave du droit international des droits de l’homme ou à en faciliter la commission ;

iii) Commettre un acte constitutif d’infraction au regard des conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme auxquels l’État exportateur est Partie, ou à en faciliter la commission ; ou

iv) Commettre un acte constitutif d’infraction au regard des conventions et protocoles internationaux relatifs à la criminalité transnationale organisée auxquels l’État exportateur est Partie, ou à en faciliter la commission.

  1. L’État Partie exportateur envisage également si des mesures pourraient être adoptées pour atténuer les risques énoncés aux alinéas a) et b) du paragraphe 1), y compris des mesures de confiance ou des programmes arrêtés conjointement par les États exportateurs et importateurs.
  2. Si, à l’issue de cette évaluation et après avoir examiné les mesures d’atténuation des risques disponibles, l’État Partie exportateur estime qu’il existe un risque prépondérant de réalisation d’une des conséquences négatives prévues au paragraphe 1, il n’autorise pas l’exportation.
  3. Lors de son évaluation, l’État Partie exportateur tient compte du risque que des armes classiques visées à l’article 2 (1) ou des biens visés aux articles 3 ou 4 puissent servir à commettre des actes graves de violence fondée sur le sexe ou des actes graves de violence contre les femmes et les enfants, ou à en faciliter la commission.
  4. Chaque État Partie exportateur prend des mesures pour s’assurer que toutes les autorisations d’exportation d’armes classiques visées par l’article 2 (1) ou de biens visés par les articles 3 ou 4 soient détaillées et délivrées préalablement à l’exportation.
  5. Chaque État Partie exportateur communique les informations appropriées concernant l’autorisation en question à l’État Partie importateur et aux États Parties de transit et de transbordement qui en font la demande, dans le respect de son droit interne, de ses pratiques ou de ses politiques.
  6. Si, après avoir accordé l’autorisation, un État Partie exportateur obtient de nouvelles informations pertinentes, il est encouragé à réexaminer son autorisation, après avoir consulté au besoin l’État importateur.

Les ONG exploitent aussi les potentialités ouvertes par l’article 2 de la Position commune de 2008, qui oblige les États membres à s’appuyer sur huit critères d’examen pour évaluer les demandes de licences. La Position commune est régulièrement invoquée pour dénoncer publiquement un projet d’exportation ou pour attaquer une autorisation d’exportation devant les juridictions (cf. infra).

Article 2 de la Position commune du Conseil du 8 décembre 2008

Article 2 - Critères

Premier critère : respect des obligations et des engagements internationaux des États membres, en particulier des sanctions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations unies ou lUnion européenne, des accords en matière, notamment, de non-proli­fération, ainsi que des autres obligations internationales.

Deuxième critère : respect des droits de lhomme dans le pays de destination finale et respect du droit humanitaire inter­national par ce pays.

Troisième critère : situation intérieure dans le pays de desti­nation finale (existence de tensions ou de conflits armés).

Quatrième critère : préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionales.

Cinquième critère : sécurité nationale des États membres et des territoires dont les relations extérieures relèvent de la responsabilité dun État membre, ainsi que celle des pays amis ou alliés.

Sixième critère : comportement du pays acheteur à légard de la communauté internationale, et notamment son attitude envers le terrorisme, la nature de ses alliances et le respect du droit international

Septième critère : existence dun risque de détournement de la technologie ou des équipements militaires dans le pays ache­teur ou de réexportation de ceux-ci dans des conditions non souhaitées.

Huitième critère : compatibilité des exportations de techno­logie ou déquipements militaires avec la capacité technique et économique du pays destinataire, compte tenu du fait quil est souhaitable que les États répondent à leurs besoins légitimes de sécurité et de défense en consacrant un minimum de ressources humaines et économiques aux armements.

On notera que la Position commune comporte des conditions d’autorisation plus précises que le TCA, telles que la prise en compte de la sécurité intérieure (3ème critère), de la stabilité régionale (4ème critère) ou encore la capacité technique ou économique du pays client (8ème critère). La Position commune a été actualisée en septembre 2019 ([25]), de manière très limitée, pour tenir compte de l’entrée en vigueur du TCA et réviser le guide d’utilisateur qui l’accompagne. Le groupe de travail sur les exportations d’armes conventionnelles (COARM) du Conseil poursuit son travail, avec notamment le lancement d’un projet sur les certifications d’utilisation finale pour les armes légères et de petit calibre (cf. infra).

Pour les ONG, les critères du TCA et de la Position commune doivent être considérés comme des absolus et ne doivent pas être mis en balance avec d’autres motifs qui justifieraient l’exportation de matériels de guerre. En d’autres termes, dès lors qu’il y a un risque de violation du droit international humanitaire ou du droit international des droits de l’Homme, les autres intérêts ne devraient plus rentrer en ligne de compte et la licence devrait être refusée.

2.   Une évolution du débat public au niveau européen qui se traduit différemment suivant les États membres

Depuis 2015, sous l’effet de la guerre au Yémen, le contexte médiatique et politique a profondément évolué. L’autorité politique est aujourd’hui régulièrement interpellée sur la conformité de la politique d’exportation d’armement aux engagements européens et internationaux. Si l’on note une dynamique au niveau européen, cette dernière semble se traduire différemment dans l’évolution du débat public suivant les pays européens exportateurs d’armement.

a.   La bataille médiatique et politique : la remise en question de l’« exception française » sur les exportations d’armement ?

i.   La crise yéménite révèle un décalage croissant entre la realpolitik et les attentes de l’opinion

La France se caractérise traditionnellement par un consensus bâti sur trois piliers : la politique étrangère de la France et la nécessité de l’exportation pour des raisons liées à l’autonomie stratégique, la confiance dans le contrôle exercé par l’État et des entreprises le plus souvent en dialogue étroit avec l’État et soucieuses de l’intérêt général, éloignées par conséquent de l’image traditionnelle des marchands de canons. Cette « exception française » semble désormais en voie de fragilisation.

En effet, s’il existe, depuis longtemps, une légitime sensibilité sur les conséquences humanitaires que peuvent avoir les exportations d’armement, plusieurs facteurs concourent aujourd’hui à un changement d’atmosphère.

Certains conflits contribuent à une fragilisation du consensus sur les exportations d’armement. La crise yéménite, en particulier son aspect humanitaire, a été amplement évoquée dans les médias. Elle a créé une émotion beaucoup plus forte que par le passé. Certes, la France n’est pas directement impliquée dans la guerre au Yémen, mais la coalition internationale conduite par l’Arabie saoudite est constituée d’États qui sont des clients de l’industrie d’armement française. Or, le décalage entre les valeurs des démocraties occidentales et celles de certains clients a nourri une interrogation, et parfois une indignation, de l’opinion publique. C’est ainsi qu’il faut comprendre les répercussions de l’affaire Khashoggi sur la politique d’exportation d’armement à destination de l’Arabie saoudite de plusieurs pays, alors même qu’il n’existe qu’un lien ténu entre l’assassinat d’un journaliste et l’interruption des ventes d’armes. Cette affaire a conduit l’Allemagne à décider la suspension des ventes d’armes à l’Arabie saoudite tandis qu’aux États-Unis elle a créé un nouvel espace politique pour que le Congrès reprenne la main sur cette question (cf. infra).

 Le monde parlementaire est désormais traversé par ces interrogations et les débats résonnent dans différentes enceintes. Ces derniers mois ont illustré ces évolutions provenant de plusieurs directions. Des propositions ont émergé récemment du Parlement français. Surtout, une récente proposition de résolution du Parlement européen ([26]) a donné lieu à un débat difficile où les positions françaises ont été défendues par des parlementaires français de la majorité et de l’opposition. Cette dernière a été adoptée le 16 septembre 2020 par 341 voix pour, 124 contre et 230 abstentions. La résolution salue les décisions de la Belgique, du Danemark, de la Finlande, de l’Allemagne, de la Grèce, de l’Italie et des Pays-Bas d’adopter des mesures de restriction de leurs exportations d’armement vers les pays qui font partie de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et sont engagés dans la guerre au Yémen. La résolution demande également une application plus stricte de la Position commune par les États membres, après que l’intense bataille menée par les députés français ait permis d’éviter de mettre la France à l’index. Leur mobilisation a permis de faire en sorte que l’intérêt croissant pour le contrôle export au niveau européen ne remette pas en cause la prérogative nationale qui prime en la matière. 

Les évolutions structurelles de nos sociétés expliquent également ce changement d’atmosphère où s’exprime une exigence sociale plus forte en matière de transparence et de contrôle. Les réseaux sociaux agissent comme une caisse de résonance sur certaines situations hier méconnues. Ils permettent à certains acteurs engagés de mobiliser l’opinion.

L’opacité de l’examen des licences en CIEEMG entretient la suspicion des ONG sur la hiérarchie des obligations juridiques au regard des intérêts stratégiques ou économiques. En conséquence, les ONG en sont réduites à rechercher des éléments qui prouveraient l’implication d’armements français dans la commission de crimes de guerre. Ces éléments sont repris dans les médias et alimentent encore cette suspicion.

Pour une illustration des controverses en cours, appliquée au cas égyptien, le lecteur pourra se référer au complément d’analyse établi sous la responsabilité de M. Jacques Maire, co-rapporteur, en annexe du présent rapport (annexe 1).

ii.   Des ONG productrices d’informations très opérationnelles et relayées par les médias

Au-delà de ce changement de contexte social, politique et juridique, la controverse sur les exportations d’armement de la France ne serait pas née sans la mobilisation des ONG. Celles-ci ne se limitent pas au plaidoyer militant. Plusieurs d’entre elles se donnent comme mission la récupération d’informations concernant les zones de conflits, le comportement des armées locales, l’utilisation d’armements… Les technologies leur permettent désormais, en effet, de faire récolter par les correspondants locaux des éléments d’information très précis, géolocalisés et datés.

Ces éléments permettent de construire différentes stratégies toujours plus pointues : reportages et articles de presse, interpellations de gouvernements qui n’opposent que des dénégations très générales à des allégations très étayées, supports de preuves à l’appui de contentieux… Vos rapporteurs ont pu ainsi être alimentés par des informations de première qualité. Que ces associations ([27]) en soient ici remerciées.

Les ONG affirment généralement ne pas avoir d’opposition de principe au commerce des armes, qui est une des composantes d’une nécessaire défense. Le combat que mènent ces ONG vise les exportations de matériels français que celles-ci jugent « irresponsables et illicites », car elles pourraient servir à commettre ou à faciliter des violations graves des droits de l’Homme.

Ces dernières estiment être suivies par l’opinion publique : une enquête d’opinion YouGov de mars 2018 indique à cet égard que 88 % des Français estiment que la France doit arrêter les exportations d’armes aux pays qui risquent de les utiliser contre des populations civiles. Malgré leurs stratégies médiatiques efficaces pour faire émerger une opinion critique, certains estiment que, en réalité, ce débat ne mobilise guère. Comme l’ont entendu vos rapporteurs lors d’une de leurs auditions, « ce n’est pas parce qu’on crie le plus fort qu’on est majoritaire ». Vos rapporteurs considèrent toutefois que, si les exportations d’armement n’ont pas de répercussion directe sur les citoyens dans leur vie quotidienne, elles forment un sujet d’intérêt général qui pénètre plus largement qu’hier dans l’opinion publique.

Le niveau de défiance entre l’exécutif et les ONG est aujourd’hui très élevé. Certaines administrations soupçonnent les ONG d’avoir pour objectif l’interdiction totale des ventes d’armes, voire même la disparition de notre industrie de défense. Le combat contre certaines ventes d’armes parmi les plus controversées ne serait qu’un objectif tactique permettant de mobiliser l’opinion plus facilement.

Vos rapporteurs doivent ici évoquer l’idée parfois exprimée selon laquelle la mobilisation des ONG serait révélatrice d’un complot de l’étranger. L’analyse que vos rapporteurs ont faite d’une année de communiqués de presse démontre que la France est bien suivie sur les atteintes aux droits de l’Homme et qu’elle a peut-être plus que sa part concernant les critiques sur l’armement. Néanmoins, même si certains ont pu évoquer devant vos rapporteurs la possibilité d’un jeu trouble de puissances étrangères, il ne nous semble pour autant pas déterminant dans la montée en puissance des ONG dans le débat public.

 

Les ONG ciblent-elles plus particulièrement la France ?

 

L’étude des communiqués de presse publiés en 2019 par trois des principales organisations non gouvernementales de défense des droits de l’Homme, l’anglaise « Amnesty International », l’américaine « Human Rights Watch (HRW) » et la française « Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) », permet d’examiner la question d’un éventuel traitement de défaveur réservé à la France par certaines ONG.

Premier enseignement : le sujet « armement » reste minime dans l’éventail des thématiques abordées par ces ONG, spécialisées dans les droits de l’Homme. Il représente seulement 1,4 % des communiqués de presse d’Amnesty International en 2019, 3,3 % pour HRW et moins de 1 % pour la FIDH.

Deuxième leçon : la France est davantage visée que ses homologues européens en matière de droits de l’Homme (la France représente 1 % de l’ensemble des communiqués de presse des trois ONG), mais elle reste tout de même derrière la Russie, la Turquie ou encore les États-Unis.

Troisième leçon : sur le sujet « armement », la France occupe la première place. À titre d’exemple, si un seul communiqué de presse d’Amnesty International sur cette thématique est consacré exclusivement à la France, cette dernière est mentionnée dans 6 communiqués sur 10, au côté d’autres pays exportateurs. Il en va de même pour Human Rights Watch qui mentionne la France dans 71 % de ses communiqués de presse « armement ». Au total, pour ces trois ONG, 67 % des communiqués de presse ciblés sur l’armement en 2019 mentionnaient la France, bien loin devant l’ensemble des autres pays étudiés.

En conclusion, dans le domaine de l’armement en 2019, l’attention portée par les ONG internationales à la France, en particulier sur certains conflits, peut sembler déséquilibrée. En se penchant essentiellement sur le Yémen, emblématique sur le plan humanitaire, les ONG ciblent davantage notre pays, qui n’est qu’un fournisseur très secondaire de l’Arabie Saoudite et de ses alliés en comparaison du Royaume-Uni et surtout des États-Unis. Qu’elle soit mise en cause de façon plus importante par rapport à ses concurrents occidentaux conforte chez certains le sentiment d’un traitement différencié. Sans avoir la prétention d’être exhaustive, cette analyse montre néanmoins que le Royaume-Uni et les États-Unis ne sont pas exempts de critiques de la part des ONG, à la différence de la Chine et de la Russie.

 

Les ONG sont parvenues à créer avec les médias des relations d’intérêts partagés objectifs. En effet, les médias français, y compris les plus grands quotidiens et les chaînes de service public, ont de moins en moins de capacités d’enquête autonome et dépendent des ONG pour recueillir des informations de terrain et des témoignages directs.

Ce sont donc régulièrement les mêmes ONG internationales qui sortent des informations exclusives auprès des mêmes media. Pour ne prendre qu’un exemple, la campagne média « Yémen : leur histoire, notre responsabilité » a été menée par 8 ONG yéménites et internationales ([28]) et relayée, notamment auprès des députés, par l’organisation coordinatrice d’actions collectives « Crisis Action ». Diffusée le 6 novembre 2019, cette vidéo, à laquelle Catherine Deneuve, Sophia Aram et Annie Lennox ont participé, a d’abord été vue plus de 150 000 fois sur les réseaux sociaux. Elle a été relayée par de nombreux organes de presse comme l’AFP, Loopsider, France TV, Paris Match ou encore l’Obs.

Un nouveau modèle émerge avec une organisation comme « Disclose », créée en 2018, qui se présente à la fois comme un media et une ONG. Disclose a lancé l’enquête « Made in France » en septembre 2019. Cette dernière révélait la présence de matériels militaires français au Yémen en s’appuyant sur la diffusion d’une note classifiée de la direction du renseignement militaire (DRM). Cette enquête a été soutenue et relayée par plusieurs médias francophones partenaires de Disclose, dont Konbini, Arte, la cellule investigation de Radio France, Marsactu, Puf et Rue89.

iii.   Les nouveaux risques des biens à double usage

Le risque que représente le détournement de biens à double usage à des fins militaires paraît largement sous-estimé selon vos rapporteurs. Le concept est pourtant ancien mais la réalité a beaucoup évolué. Depuis longtemps, des moteurs civils peuvent être « rétro-ingéniérés » pour équiper des équipements militaires.

Mais aujourd’hui, des objets largement distribués tels les drones civils peuvent permettre de conduire des attaques d’ampleur, comme l’a illustré le général François Lecointre, chef d’état-major des armées, lors d’une audition devant la commission des affaires étrangères en novembre 2019 : « il est extrêmement inquiétant de constater que l’attaque d’installations de la compagnie pétrolière Aramco en Arabie saoudite a possiblement été exécutée avec des drones assemblés à partir de pièces qui peuvent être achetées sur internet  drones qui ont mené une attaque sur plusieurs centaines de kilomètres, avec une précision impressionnante ».

Aujourd’hui, des appareils d’interception et des logiciels d’analyse permettent un contrôle social à grande échelle sur les populations entières d’États autoritaires. Vos rapporteurs considèrent que ces technologies peuvent parfois être plus dangereuses que les équipements militaires conventionnels. Des États autoritaires peuvent en faire aujourd’hui un usage massif, permanent et à bas bruit pour éliminer l’opposition ou contrôler une minorité. L’utilisation par ces États des technologies très pointues développées par des États occidentaux peut donc avoir des conséquences dramatiques pour les libertés démocratiques. On pourra évidemment opposer que la Chine, pourvoyeur et principal utilisateur de ces technologies, pourra pallier les refus d’exportation des Occidentaux.

Selon M. Bruno Leboullenger, chef du SBDU, certaines garanties limitent la capacité à détourner ces nouvelles technologies d’interception et de traitement de l’information à des fins de répression interne. Contrairement aux armes de petit calibre, ces technologies ne seraient pas mobiles, ce qui limite le risque de prolifération. Par ailleurs, compte tenu de leur sophistication, elles nécessiteraient une maintenance soutenue pour être utilisées dans la durée, ce qui exige de nouvelles autorisations.

Pour autant, vos rapporteurs considèrent que l’exportation de ces nouvelles technologies se caractérise par des fragilités plus importantes que celles qui pèsent sur les matériels de guerre qui passent devant la CIEEMG.

Dans ce domaine, l’innovation est rapide ce qui rend difficile d’anticiper l’application potentielle de certaines technologies. La banalisation de ces technologies et leur diffusion dans la vie civile compliquent davantage le contrôle à l’export. Le contrôle a ainsi toujours un temps de retard. M. Jean-Marie Simon, directeur général d’Atos France, explique par exemple que l’innovation dans le domaine de l’analyse des données est transversale et les technologies très diffuses. En effet, les algorithmes d’analyse des données sont assez proches quel que soit le domaine. Ce sont les données utilisées qui peuvent être différentes. Ainsi, un fournisseur de logiciels d’analyse de données financières ou commerciales pourra aisément se diversifier en appliquant ses solutions à des données personnelles permettant un contrôle des populations. On voit bien là la difficulté à contrôler un secteur aussi mouvant. Car si le secteur militaire fait l’objet d’une surveillance constante du ministère des Armées, qui en est le principal client, rien d’équivalent n’existe pour le secteur dual. Ce dernier, majoritairement civil, est caractérisé par une grande pluralité d’acteurs, dont des nouveaux entrants, comme des start-up ou des PME qui investissent de nouveaux domaines.

Enfin, le commerce des biens à double usage se fait en majorité entre entités privées, ce qui tend à mettre les États à l’écart. Contrairement aux exportations d’armement, les biens à double usage font rarement partie de la relation bilatérale. En conséquence, il n’existe pas d’environnement administratif qui permet un suivi des exportations de ce type de biens par les postes diplomatiques. Les attachés d’armement en ambassade ne suivent pas les biens à double usage qui ne font par ailleurs pas l’objet d’un soutien à l’exportation.

Par nature, le contrôle des exportations des technologies sensibles est beaucoup plus difficile que celui des matériels de guerre. La tâche du service des biens à double-usage paraîtrait impossible si ce dernier ne pouvait compter sur l’appui des services de renseignement, qui surveillent et sensibilisent les entreprises repérées qui envisageant d’exporter vers des pays sensibles.

b.   En Allemagne, l’ambition croissante en matière de sécurité internationale ne se traduit pas sur le plan de la politique d’armement

Par rapport à la France, les questions relatives aux exportations d’armement ont une place plus importante dans le débat public allemand. L’opinion publique y est historiquement marquée par un embarras sur les exportations d’armement, voire sur la nécessité d’avoir une industrie de défense. Cette attitude s’explique par le traumatisme de la seconde guerre mondiale qui continue d’alimenter un profond pacifisme au sein de la société allemande.

Mais, comme l’observe M. Nikolaus Meyer-Landrut, ancien ambassadeur d’Allemagne en France, l’Allemagne est partagée entre un plus grand appétit sur le plan stratégique et une réserve affichée sur les exportations d’armement.

Si les « dividendes de la paix » ont joué à plein en Allemagne à la fin de la guerre froide, notre grand voisin a la volonté depuis quelques années de réviser entièrement ses concepts stratégiques. Soucieuse de réduire sa dépendance à l’OTAN, l’Allemagne souhaite jouer un rôle central dans la construction d’une autonomie stratégique nationale et plus encore européenne. Elle consent désormais d’importants investissements pour moderniser son appareil militaire. Sur le plan opérationnel, la participation de soldats allemands à des opérations militaires, notamment depuis les guerres de l’ex-Yougoslavie, témoigne d’une évolution progressive.

En parallèle, la société et la gauche allemande sont de plus en plus frileuses sur les exportations d’armement. Traditionnellement, la société allemande est majoritairement hostile aux exportations d’armement, a fortiori à destination d’une partie en conflit. Le durcissement de la position du Parti social-démocrate (SPD) et le renforcement du poids des Verts ont conduit l’Allemagne à adopter une politique d’exportation d’armement plus restrictive dans le cadre du contrat de coalition.

Si les autorités allemandes donnent l’image d’une grande responsabilité, les industriels allemands réussissent à trouver certaines flexibilités malgré les contraintes nationales. En effet, malgré la suspension des exportations vers les pays « directement » impliqués dans la guerre au Yémen, les industriels allemands poursuivent, sans s’en cacher, les exportations d’armement depuis leurs filiales à l’étranger, qui échappent au contrôle national. À titre d’exemple, Rheinmetall, un industriel allemand spécialisé dans l’armement terrestre, peut continuer à exporter vers l’Arabie saoudite des armements produits depuis des usines en Italie ou en Afrique du sud.

La coalition au pouvoir peine à agir pour lutter contre ce contournement de la législation allemande. En cas de nouvelles contraintes à l’exportation qui réduiraient leur capacité à amortir les investissements, les industriels allemands menacent de délocaliser leur production, ce qui représenterait une perte pour la BITD et pour le contrôle. Comme en France, les entreprises de l’armement allemandes ont besoin d’exporter en dehors des pays de l’UE et de l’OTAN, même si cette réalité est en décalage avec ce que ressent l’opinion publique allemande…

c.   Un débat public britannique particulièrement investi sur les questions d’armement et qui confirme un désinvestissement sur la scène internationale

Au Royaume-Uni, les médias sont plus actifs qu’en France pour dénoncer les violations des droits de l’Homme, faire part de leurs soupçons de corruption dans la conclusion de contrats et critiquer la pertinence de certaines stratégies d’alliance. À l’inverse de la France, l’argument économique qui sous-tend les exportations d’armement est faiblement utilisé dans le débat public.

Au vingtième siècle, fidèle à l’attachement à sa souveraineté, le Royaume-Uni a investi fortement dans le secteur de la défense, contribuant ainsi à promouvoir les exportations d’armes. Lors de la guerre du Golfe en 1991, les soldats britanniques se sont trouvés confrontés à une armée irakienne dotée du matériel militaire britannique massivement acheté les années précédentes. Les conclusions d’une commission d’enquête parlementaire firent valoir en 1996 que les exportations d’armes n’étaient pas suffisamment contrôlées. En conséquence, le gouvernement travailliste engagea dès 1997 une réforme de l’export-contrôle. Outre la présentation de rapports annuels sur les exportations de défense, fut créé en 1999 le Committee on Arms Export Controls à la chambre des Communes.

La presse britannique, pour laquelle l’intervention en Irak en 2003 constitue une page noire de l’histoire du pays, a largement dénoncé le suivisme du Premier ministre Tony Blair vis-à-vis des États-Unis. Cette mobilisation médiatique s’est également traduite par de nombreuses manifestations citoyennes.

Cet épisode marque également un tournant dans la doctrine d’intervention du Royaume-Uni qui se montre aujourd’hui plus réticent à l’idée d’entreprendre des actions militaires à l’étranger. Bien que rien n’oblige le Gouvernement à obtenir l’autorisation du Parlement pour engager une opération extérieure, cette pratique est en passe de devenir un usage. C’est ainsi que le 29 août 2013 la Chambre des Communes a voté contre la motion gouvernementale défendant le principe d’une intervention en Syrie au côté des États-Unis.

Afin d’éviter un désaveu public et d’affirmer sa crédibilité à l’international, Teresa May décida en avril 2018, avec le soutien de son parti, d’autoriser les forces armées britanniques à conduire des frappes coordonnées contre les installations du régime de Damas sans consultation préalable du Parlement. Cette décision, largement critiquée par la classe politique, n’obtint pas non plus l’assentiment de la population. Selon un sondage YouGov, 43 % des Britanniques se déclarèrent alors contre les frappes aériennes, contre seulement 22 % de Britanniques favorables.

Selon Mme Lucie Béraud-Sudreau, chercheuse au SIPRI, les médias britanniques se sont, plus que dans d’autres États européens, clairement opposés aux exportations d’armes vers l’Arabie Saoudite, notamment à l’occasion de la vente de 72 avions Eurofighter Typhoon en 2007. Le débat public a alors davantage porté sur les droits de l’Homme et la stratégie d’alliance plutôt que sur la réglementation en matière d’exportation d’armement. Par ailleurs, bien que la décision de la Cour d’appel de Londres du 20 juin 2019, qui a jugé les ventes d’armes britanniques à l’Arabie Saoudite non conformes au droit, n’avait pas de caractère contraignant vis-à-vis du Gouvernement britannique, ce dernier a suspendu temporairement toute nouvelle licence autorisant les exportations d’armements à l’Arabie saoudite et à ses partenaires de la coalition qui pourraient être utilisés dans le cadre du conflit au Yémen.

Le désinvestissement actuel du Royaume-Uni sur la scène internationale, notamment vis-à-vis des partenaires européens, pose question pour l’avenir. En effet, la mise en œuvre du Brexit et ses conséquences en matière de défense pourraient confirmer deux caractéristiques du Royaume-Uni aujourd’hui : un État dépendant, bien plus que n’importe quel État membre, des États-Unis et qui reste à la marge de la défense européenne. Le maintien de la présence britannique au Sahel en cas de retrait des États Unis sera un test à cet égard.

3.   Vers l’engagement de la responsabilité de l’État et des industriels devant les juridictions ?

Le risque contentieux existe sur le champ d’action des armées depuis l’émergence du droit de la guerre. Il se développe dans un contexte général de judiciarisation des relations internationales, dont les diverses cours pénales internationales sont une illustration. Mais il est plus nouveau dans le domaine des exportations d’armement. Les ONG utilisent aujourd’hui l’ensemble des voies de recours possibles pour contester la validité des licences d’exportation d’armement et, dans certains cas, pour mettre en jeu la responsabilité des industriels. Ce phénomène est favorisé par le fait, qu’en France, l’accès au juge est facile et peu coûteux ([29]). Toutefois, les obstacles sont encore nombreux avant que ces recours ne prospèrent. En attendant, ils représentent un risque réputationnel important pour l’État et pour les industriels de l’armement concernés.

Cette « bataille juridictionnelle » soulève un débat sur la nature des décisions d’octroi des licences. Ces dernières doivent-elles être considérées comme des actes politiques ou des actes juridiques ? Le renforcement du cadre juridique sur les exportations d’armement contribue en effet à transformer progressivement la décision d’octroi d’une licence d’un acte de souveraineté pure à un acte qui doit respecter des critères juridiques contraignants.

Bien que celle-ci puisse évoluer à l’avenir, la jurisprudence tend toutefois à considérer que la décision d’octroi d’une licence reste un acte de gouvernement. Cette théorie jurisprudentielle, élaborée par le Conseil d’État depuis un arrêt Prince Napoléon de 1875, désigne les actes qui ne sont pas détachables de l’exercice de la souveraineté et qui, à ce titre, bénéficient d’une immunité juridictionnelle totale. Il en existe deux catégories : les actes relatifs aux rapports entre les pouvoirs publics et les actes mettant en cause la politique étrangère de la France.

La réponse à cette question – acte politique ou acte juridique – a des conséquences importantes du point de vue de la mise en place d’un contrôle sur l’octroi des licences : s’il s’agit d’un acte juridique, il doit être contrôlé par le juge ; s’il s’agit d’un acte politique, il doit faire l’objet d’un contrôle par des élus.

a.   Le contentieux administratif relatif à la délivrance de la licence

i.   La pression contentieuse : la licence d’exportation est-elle un acte de gouvernement insusceptible de recours ?

La jurisprudence française s’est construite à travers les jugements rendus par les tribunaux administratifs (TA) sur les recours des industriels contre les décisions de refus, de suspension ou d’abrogation de licences prises par l’État. Si ce type de contentieux existe toujours, on observe aujourd’hui un renversement : la pression contentieuse est désormais le fait d’ONG qui attaquent les décisions d’octroi de licences.

Deux affaires méritent d’être évoquées.

À l’été 2018, les associations Action sécurité éthique républicaines (ASER) et Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) ont introduit un recours contestant une décision implicite de refus du Premier ministre de suspendre toutes les licences d’exportation à destination des pays membres de la coalition impliquée dans la guerre au Yémen. L’ASER et l’ACAT invoquaient le fait que ces licences avaient été accordées malgré un non-respect du TCA. Le 8 juillet 2019, le TA de Paris s’est reconnu compétent en estimant qu’il s’agissait, non d’un acte de gouvernement mais d’une décision administrative, détachable de la conduite des relations diplomatiques de la France, et donc susceptible de faire l’objet d’un recours. Le TA de Paris a toutefois estimé que le TCA n’avait pas d’effet direct en droit interne et a rejeté le recours. Saisie en appel par les requérants, la cour administrative d’appel (CAA) est revenue le 26 septembre 2020 à la jurisprudence traditionnelle des actes de gouvernement et s’est déclarée incompétente. Le Conseil d’État doit désormais rendre une décision pour déterminer si, à l’instar de l’octroi, la suspension d’une licence relève aussi d’un acte insusceptible de recours.

Le 9 mai 2019, l’ACAT a déposé un référé-liberté pour contester la décision des douanes d’autoriser un navire battant pavillon saoudien à procéder au chargement et à l’exportation de matériels de guerre dans le port du Havre à destination de l’Arabie saoudite. L’ACAT avançait le fait que, compte tenu du risque d’atteinte aux civils, cette décision violait le TCA. Le TA de Paris a toutefois rejeté le recours en estimant que les conditions du référé-liberté n’étaient pas réunies, en raison de l’absence de danger imminent. En parallèle, la société civile s’est mobilisée et les bateaux n’ont finalement pas embarqué les matériels prévus, ce qui illustre la porosité entre les batailles politiques et juridictionnelles sur les exportations d’armement.

Les décisions qui portent sur les biens à double usage sont également contestables devant le juge administratif. Les contentieux sont peu nombreux : le seul recours jugé (en première instance) l’a été dans un sens favorable à l’administration.

ii.   Des obstacles encore nombreux

● Les obstacles préalables à un examen sur le fond : l’acte de gouvernement et l’effet direct

Plusieurs obstacles s’opposent encore à ce que le juge administratif examine, sur le fond, la compatibilité d’une autorisation d’exportation délivrée par l’État avec les engagements internationaux de la France.

En premier lieu, la jurisprudence sur l’acte de gouvernement interdit toujours aux juridictions de connaître des licences d’exportation.

Selon Mme Claire Legras, directrice des affaires juridiques du ministère des Armées, « on peut parier sur la permanence en droit français de la théorie des actes de gouvernement ». Les décisions récentes du Conseil d’État ont eu tendance à conforter cette jurisprudence ([30]). En dépit du précédent constitué par le jugement du TA de Paris de juillet 2019 et dans l’attente de la décision du Conseil d’État, le ministère des Armées considère que l’octroi de licences est une décision qui n’est pas détachable de la politique étrangère de la France, ce dont témoignent les critères, qui impliquent un jugement de nature politique, qui interviennent dans l’examen des demandes de licences.

En deuxième lieu, les juridictions nationales ne reconnaissent pas l’effet direct des règles européennes et internationales invoquées par les ONG. Autrement dit, le TCA et la Position commune ne sont pas directement invocables par les requérants à l’occasion d’une instance en France.

M. Joseph Breham et Mme Laurence Greig, avocats au sein du cabinet Ancile Avocats, défendent toutefois l’idée que les articles 6 et 7 du TCA sont bien d’applicabilité directe en droit français dans leur avis juridique sur les exportations d’armes dans le cadre du conflit au Yémen rendu à la demande de plusieurs ONG ([31]).

Pour rappel, plusieurs conditions doivent être réunies pour qu’un traité soit considéré d’effet direct sans mesure de transposition en droit interne. La première condition est l’entrée en vigueur du traité, qui exige un certain nombre de ratifications, ce qui est sans conteste le cas du TCA. La deuxième condition exige que les dispositions du traité soient suffisamment claires, précises et inconditionnelles et puissent se dispenser de mesures complémentaires d’application. Le débat porte surtout sur la troisième et dernière condition : les dispositions du traité doivent créer des droits pour les victimes.

Selon M. Breham et Mme Greig, l’économie générale du TCA et de la Position commune ne visent pas seulement à créer des obligations pour les États mais aussi des droits pour les victimes civiles des conflits. Toutefois, selon le ministère des Armées, les critères jurisprudentiels donnent une certaine sécurité sur le fait que ces normes européennes et internationales n’ont pas d’effet direct en droit interne. Lorsque le TCA et la Position commune ont été négociés, le Gouvernement n’avait pas pour idée qu’ils soient directement invocables par les justiciables.

Si, un jour, le juge administratif français n’appliquait plus la théorie de l’acte de gouvernement et reconnaissait l’effet direct du TCA et de la Position commune, alors ce dernier pourrait procéder à un examen sur le fond.

● Les obstacles à la condamnation de l’État dans le cadre de l’examen au fond : l’absence de preuves et la démonstration de l’infraction

Deux conditions devront alors être réunies.

D’abord, il sera nécessaire de réunir suffisamment de preuves de victimes civiles liées à l’utilisation d’armes françaises pour démontrer la culpabilité de l’État. Cet exercice est compliqué par le secret qui entoure les ventes d’armes – le type de matériel de guerre exporté à destination d’un pays particulier est une information classifiée – et la difficulté à réunir des preuves sur des théâtres de guerre.

Selon le cabinet Ancile Avocats, le TCA n’exige pas de preuve, mais un risque que les armes « pourraient servir » à commettre des crimes de guerre. Toutefois, il ne suffit sans doute pas qu’il y ait un risque que l’État client se rende coupable de crimes de guerre, encore faut-il « prouver » que ce risque concerne l’usage d’armement français.

Enfin, quand bien même les sources d’information seraient suffisantes, les requérants auront encore à démontrer que la France viole ses engagements internationaux par sa politique d’exportation. Pour les autorités françaises, ce n’est pas parce que l’État est pour l’instant protégé devant les juridictions françaises que celui-ci s’exonère du contrôle du respect de ses obligations internationales.

Les autorités font notamment valoir le fait que l’article 6 du TCA prévoit une interdiction d’exporter des armes qui pourraient servir à commettre des attaques « dirigées » contre des civils. Dans un conflit armé, les atteintes collatérales sur les civils sont fréquentes, sans que les armes ne soient nécessairement dirigées contre la population. La coalition internationale contre Daech a ainsi fait des victimes civiles, mais n’a pas « dirigé » ses armes contre des civils.

iii.   Des conséquences juridictionnelles potentiellement lourdes en cas de licence invalidée

Si l’annulation d’une licence d’exportation par un juge n’est pas un risque réel à court terme, vos rapporteurs appellent à ne pas sous-estimer les conséquences qu’une telle annulation aurait pour l’État.

Les parties lésées par l’annulation d’une licence d’exportation pourraient, dans le prolongement de l’engagement de la responsabilité administrative, rechercher la responsabilité pécuniaire de l’État. Une telle issue pourrait conduire l’État à devoir verser des dommages et intérêts d’un montant extrêmement élevé.

Bien que l’engagement de la responsabilité administrative n’entraîne pas la condamnation au pénal, vos rapporteurs estiment qu’il n’est pas impossible que la responsabilité pénale de l’émetteur de la licence soit un jour recherchée. Si un tel risque se matérialisait, il aurait alors des conséquences très fortes sur le dispositif de contrôle par le simple fait que l’émetteur de la licence, à savoir le Premier ministre, ou son délégataire, ne porterait certainement pas le même regard sur les dossiers qui lui seraient soumis. Mais nous en sommes encore très loin.

b.   L’engagement de la responsabilité pénale des industriels

Si la responsabilité de l’État ne peut – pour l’instant, à tout le moins – être engagée devant les juridictions nationales, la responsabilité pénale des industriels est également recherchée aujourd’hui.

i.   Un contentieux nouveau

Des plaintes visent des industriels au titre de leur activité d’exportateur d’armement. En France, le nombre de dossiers portés devant la justice est réduit. Au début du mois de décembre 2019, cinq informations judiciaires étaient ouvertes contre X. Aucune de ces procédures n’a donné lieu à une mise en examen.

À titre d’illustration, l’ACAT a porté plainte, le 29 juin 2016, pour complicité de crime de guerre et homicide involontaire contre l’entreprise française Exxelia Technologies à la suite d’un bombardement israélien sur la maison de la famille Shuheibar à Gaza. Les missiles employés par l’armée israélienne dans le cadre de ce bombardement étaient dotés de capteurs de provenance française. Cette plainte a été jugée recevable sur avis conforme du Parquet de Paris. L’ACAT affirme que l’entreprise pourrait s’être rendue coupable de complicité de crimes de guerre ou a minima d’homicide involontaire en vendant ces capteurs. Vos rapporteurs ne souscrivent pas à cette analyse mais mentionnent l’argumentaire des requérants afin d’alerter les industriels sur les motivations des requêtes donnant lieu à contentieux aujourd’hui.

Les plaintes des ONG visent également les producteurs de biens à double usage, en particulier les entreprises qui exportent des technologies de surveillance et d’interception des communications vers des pays sensibles. Ni le TCA ni la Position commune ne s’appliquent aux biens à double usage, mais les requérants peuvent s’appuyer sur le droit pénal national. Trois affaires sont actuellement en cours et concernent respectivement des exportations vers la Syrie, la Libye et l’Égypte. Aucune mise en examen n’a eu lieu, mais un placement en statut de témoin assisté a été prononcé.

À titre d’exemple, l’association Sherpa a déposé plainte en 2011 contre la société Amesys qui a exporté, au bénéfice du régime libyen, des matériels d’interception des communications qui auraient été détournés de leur usage légitime pour surveiller la population. Cette même société, renommée Nexa Technologies, a fait l’objet d’une nouvelle plainte pour la vente de matériel de cybersurveillance à l’État égyptien. Ces deux affaires sont en cours d’instruction.

ii.   Les licences ne protègent pas les industriels

Les industriels de l’armement savent qu’ils s’exposent à des poursuites pénales s’ils exportent en dehors du cadre tracé par l’État. En revanche, la plupart des dirigeants rencontrés par vos rapporteurs s’estiment protégés lorsqu’ils agissent sur la base d’une autorisation d’exportation. L’octroi d’une licence aurait pour effet un transfert de responsabilité vers l’État qui exonèrerait les industriels de leur propre responsabilité.

Vos rapporteurs déplorent un certain aveuglement des industriels face au risque que leur responsabilité pénale soit engagée devant les juridictions. La licence ne peut être perçue comme une garantie définitive et absolue pour les industriels. Pour le juge, l’existence d’une autorisation n’entre pas dans la démonstration de l’infraction pénale. La responsabilité pénale est personnelle et une autorisation administrative n’est pas un motif d’irresponsabilité.

iii.   Un risque réduit pour les industriels ?

Selon Mme Catherine Pignon, directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice, le risque que la responsabilité pénale des industriels de l’armement soit engagée est « réduit ». Les plaintes sont possibles, mais il est beaucoup plus difficile que les affaires prospèrent en la matière.

Certes, les requérants qui attaquent les industriels ne se heurtent pas à la théorie des actes de gouvernement ni à l’absence d’effet direct des outils conventionnels puisque la responsabilité pénale peut être engagée sur le fondement du droit français.

Toutefois, les conditions cumulatives que requière la démonstration de l’infraction pénale, qu’il s’agisse du crime de guerre ou de la complicité de crime de guerre, sont très difficiles à réunir. En effet, il ne suffit pas qu’un industriel ait exporté des matériels de guerre à un pays susceptible de commettre des crimes de guerre. Le degré de la charge probatoire est beaucoup plus élevé.

D’abord, les preuves d’un crime de guerre doivent être suffisantes. Les difficultés de l’entraide judiciaire internationale peuvent parfois être compensées par les preuves recherchées sur le terrain par les ONG. Ensuite, il est nécessaire de démontrer un lien de causalité entre la participation des matériels français et les crimes de guerre commis, ce que rend difficile la classification des informations relatives aux exportations de matériels français. Surtout, et c’est la condition la plus difficile à remplir, il faut démontrer que l’industriel avait connaissance du fait que l’arme exportée pouvait servir à commettre un crime de guerre. Il s’agit là de démontrer l’intentionnalité de l’industriel à contribuer à la commission d’un crime de guerre particulier. En d’autres termes, selon Mme Catherine Pignon, l’engagement de la responsabilité pénale de l’industriel exige un « concert frauduleux par avance » nécessairement très difficile à prouver.

La réunion de ces trois conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité pénale d’un industriel reste assez théorique dans l’état actuel de la jurisprudence.

En conclusion provisoire, vos rapporteurs ne cherchent pas à démontrer l’existence d’un risque imminent de condamnation. Toutefois, l’État comme les industriels font aujourd’hui face à des acteurs organisés engagés dans une stratégie de recherche systématique des vulnérabilités dans différents pays, alors même que les entreprises françaises sont aujourd’hui globalisées. Les exemples étrangers, comme en Belgique et au Royaume-Uni, indiquent que l’appréciation des juges pourrait aller jusqu’à la vérification du respect des traités, sans aller nécessairement jusqu’à la qualification juridique des faits.

Des réflexions supplémentaires mériteraient d’être conduites sur la recevabilité des requêtes destinées à engager la responsabilité civile des industriels, qui suppose du juge qu’il prononce le caractère illicite de la cause d’un contrat de vente d’armes. En droit civil, la nullité du contrat oblige à la remise en état ce qui, compte tenu de la nature des dommages de guerre, peut être impossible pour un industriel…

Les ONG proposent à cet égard que soit établi un cadre législatif concernant une exigence de diligence raisonnable en matière de droits humains dans le secteur de la défense.

Proposition n° 1 : Charger la DGA et le SBDU d’une mission de sensibilisation en matière de droits humains envers les entreprises exportatrices d’armements et de biens à double usage, en tenant compte des risques liés à leur responsabilité pénale.

c.   Une dynamique contentieuse qui se développe à l’échelle européenne

Si les ONG ont jusqu’ici été déboutées par le juge en France, la pression contentieuse a donné des résultats chez certains de nos voisins européens. En effet, à l’inverse de la France, les juridictions en Belgique et au Royaume-Uni ont accepté d’examiner la procédure d’octroi des autorisations d’exportation au regard du TCA et de la Position commune.

Ainsi, le 14 juin 2019, le Conseil d’État belge a donné raison à plusieurs associations ([32]) ayant déposé plainte contre les entreprises FN Herstal et CMI pour avoir « illégalement » exporté des armes vers l’Arabie Saoudite. Les requérants demandaient l’annulation de licences accordées par la région wallonne aux deux entreprises. Ces derniers faisaient valoir que l’examen de la demande de licence n’avait pas suffisamment pris en compte les critères du TCA et de la Position commune au regard, notamment, du comportement de l’État acheteur vis-à-vis du droit international humanitaire.

Le 20 juin 2019, la cour d’appel de Londres, saisie par l’association Campaign Against Arms Trade, a rendu un arrêt dans lequel elle a estimé que la vente d’armes à l’Arabie Saoudite dans le contexte du conflit au Yémen avait été entachée d’une « erreur de droit » et a invité le Gouvernement à réexaminer des licences déjà octroyées. Le Gouvernement britannique a fait appel de ce jugement tout en décidant, dans l’intervalle, de suspendre la délivrance de toutes nouvelles licences. En juillet, les autorités ont décidé de reprendre les exportations d’armement vers l’Arabie Saoudite après avoir conduit une revue de la procédure de délivrance des licences d’exportation vers ce pays et conclu à l’absence de risque évident que du matériel militaire britannique puisse servir à commettre une violation grave du droit international humanitaire.

Il est à noter que dans les deux décisions ci-dessus, les juges se sont tenus à un contrôle de la procédure d’examen de la demande de licence mais ne se sont pas prononcés, sur le fond, sur la qualité de cet examen.

Les industriels de l’armement peuvent également être attaqués en justice devant les juridictions des pays étrangers où ils sont implantés. En Italie, une plainte déposée par des ONG allemande, yéménite et italienne en avril 2018 a visé la filiale italienne de l’industriel allemand Rheinmetall pour complicité de bombardement. La plainte a été classée sans suite par le parquet de Rome.

Se rapprochant de la théorie française des actes de gouvernement, les juridictions allemandes se déclarent aujourd’hui incompétentes pour connaître des licences d’exportation, qui sont des décisions politiques sur lesquelles le Gouvernement dispose d’une grande marge d’appréciation.

Si la non-reconnaissance de l’effet direct des règles européennes et internationales constitue un obstacle aujourd’hui en France, la dynamique contentieuse qui se développe en Europe, notamment en Belgique et au Royaume-Uni, semble toutefois aller dans le sens des conclusions du Conseil sur la révision de la Position commune qui indiquent que cette dernière, même si elle n’est ni une directive, ni un règlement, est « légalement contraignante ». Le service européen pour l’action extérieure (SEAE) a bien confirmé à vos rapporteurs que la Position commune est invocable devant les juridictions internes des États membres.

 


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  Partie 2  Le contrôle des exportations d’armement doit aujourd’hui relever trois grands défis

Vos rapporteurs formulent des recommandations destinées à améliorer le contrôle administratif sur les exportations d’armement et de biens à double usage et, surtout, à faire une place à un nouvel acteur dans le système de contrôle : le Parlement. Un pouvoir d’information et de contrôle parlementaire peut notamment contribuer à la réduction de la défiance de l’opinion publique vis-à-vis de la politique d’exportation de la France. Par ailleurs, alors que de multiples programmes d’armement sont menés en coopération par les Européens, vos rapporteurs avancent des propositions pour adapter le cadre d’exportation, qui ne peut plus s’envisager dans une perspective uniquement nationale.

I.   Renforcer le contrôle administratif des produits sensibles

L’amélioration du système administratif de contrôle des exportations de matériels sensibles doit s’envisager à un double niveau : a priori, en rapprochant notamment les dispositifs de contrôle des exportations des matériels de guerre et des biens à double usage ; et a posteriori, en explorant toutes les possibilités permettant de limiter les risques que les armements vendus soient utilisés en violation du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’Homme.

A.   le contrôle a priori doit encore être amélioré

Il faut être conscient des limites inhérentes au renforcement du contrôle a priori des exportations de matériels sensibles. Même si l’État fait de la prospective avant d’autoriser une exportation, l’évaluation des risques n’aboutit jamais au « risque zéro ». Certains bouleversements difficilement prévisibles, comme une guerre ou un changement de régime, peuvent modifier l’évaluation des risques après la livraison des matériels. En conséquence, certaines décisions d’exporter qui étaient légitimes au moment de la délivrance de la licence peuvent ne plus l’être aujourd’hui. La politique d’exportation est donc nécessairement caractérisée par certains aléas. Malgré cette limite, il existe des marges de progression pour corriger certains manques du système de contrôle a priori et réduire les risques.

1.   L’intérêt stratégique des exportations des matériels de guerre pour la BITD doit être davantage qualifié

Si vos rapporteurs n’ont pas eu accès aux délibérations de la CIEEMG, malgré leurs demandes, ils s’interrogent sur les motifs qui conduisent à autoriser certaines exportations.

En effet, certaines exportations se caractérisent par un risque important sur le plan du respect du droit international humanitaire. Le risque politique d’une exportation peut même se répercuter in fine sur la relation bilatérale avec l’État client que le contrat d’armement visait initialement à conforter. Dans le cas égyptien, ce sont les petits contrats de matériel terrestre sans enjeu stratégique qui provoquent le plus de controverses.

Le contrôle devrait donc être resserré sur ces matériels problématiques, parmi lesquels les armes de petit calibre ou les petits véhicules blindés. La coalition au pouvoir en Allemagne a ainsi décidé une interdiction générale sur les exportations des armes de petit calibre vers les pays hors UE et OTAN.

Proposition n° 2 : Renforcer le contrôle des exportations sur les armes de petit calibre et les véhicules blindés légers pour lesquels le risque de détournement est plus important.

Vos rapporteurs ont entendu l’objection selon laquelle, si la France se montrait réticente à exporter certains types de matériels controversés, elle en subirait les conséquences sur l’ensemble des contrats, y compris sur les contrats portant sur des grands équipements qui ont besoin d’être amortis par l’export. Cet argument « systémique » n’est pas recevable car, poussé à l’extrême, il revient à considérer que l’on ne peut rien refuser à un État client. Il est vrai qu’il est difficile de refuser à un client la vente d’un missile destiné à équiper une plateforme que ce dernier a préalablement achetée. En revanche, la France devrait pouvoir refuser de vendre des petits blindés à des États à qui elle a vendu des Rafale.

De manière générale, vos rapporteurs estiment que l’argument de l’autonomie stratégique, qui est au cœur de la politique d’exportation de la France, ne saurait valoir de la même façon pour tous les équipements. Le besoin d’amortir par l’export est différent d’un équipement à l’autre. Cette nuance n’est apparemment pas prise en compte systématiquement.

Proposition n° 3 : Dans le cadre de la CIEEMG, renforcer l’évaluation de l’impact d’une opération d’exportation sur l’autonomie d’un programme stratégique (amortissement, effort de R & D, impact budgétaire pour la France…).

2.   Le contrôle des biens à double usage : la course contre la montre

Compte tenu de la rapidité de l’innovation qui caractérise les biens à double usage, l’actualisation régulière des listes de contrôle est encore plus pressante que pour les matériels de guerre et assimilés. À titre d’illustration, dans l’affaire Amesys/Nexa Technologies, les matériels exportés vers l’Égypte n’étaient pas classés dans les biens soumis à contrôle et n’ont donc pas fait l’objet d’un contrôle par la CIBDU. Compte tenu des risques qu’elles représentent, les technologies susceptibles d’être détournées de leur usage doivent systématiquement être soumises au contrôle export lorsqu’elles sont destinées à des États sensibles.

a.   L’arrangement de Wassenaar est un cadre privilégié mais la mise à jour des listes de contrôle est lente

L’arrangement de Wassenaar est un des quatre principaux régimes multilatéraux qui encadrent l’exportation des biens à double usage. Fondé en 1995 dans la ville néerlandaise de Wassenaar, celui-ci vise à prévenir les risques liés à la prolifération des biens et technologies sensibles et de certains armements conventionnels. Quarante-deux États membres, dont les États-Unis, la Russie ou encore la Turquie, se sont engagés dans la mise en œuvre d’un contrôle des exportations de ces types de biens. Ils se réunissent chaque année à Vienne, où siège le secrétariat, pour actualiser les listes de biens contrôlés.

L’arrangement de Wassenaar a démontré une capacité relative d’adaptation à l’innovation technologique. Il couvre aujourd’hui les technologies de surveillance et d’interception des télécommunications, les logiciels d’intrusion, les technologies de sécurité informatiques et certains équipements de surveillance d’internet. Une négociation en cours, à l’initiative de l’Allemagne, la France et la Suède, pour inclure les technologies de traitement de données sur les listes de biens contrôlés vient de se conclure positivement.

b.   La révision du règlement européen de 2009 démontre la préférence de la France pour une approche multilatérale

En 2016, à la demande du Parlement européen, la Commission européenne a proposé une refonte du règlement européen sur les exportations des biens à double usage, qui a désormais plus de dix ans. Cette réforme est motivée par deux raisons.

D’abord, la Commission propose de prévenir les conséquences humanitaires liées aux exportations des technologies de cybersurveillance. En Europe, le débat s’est arrêté aux premiers scandales sur les atteintes aux droits de l’Homme liés aux exportations de matériels d’interception de données pendant les Printemps arabes. Or, ces technologies continuent de proliférer aujourd’hui, ce que favorise la difficulté du contrôle à suivre l’évolution rapide des technologies.

Ensuite, la Commission souhaite éviter que des technologies émergentes ne tombent entre les mains de nos compétiteurs stratégiques et répond ainsi à une pression exercée par les États-Unis. Les Américains ont entrepris d’identifier les technologies « critiques » et de prendre des mesures pour renforcer le contrôle, aussi bien à l’export que dans le cadre des investissements directs étrangers dans les sociétés américaines. Faute de mesure de la part de l’UE, les États-Unis pourraient prendre des mesures unilatérales et extraterritoriales à l’encontre des entreprises européennes.

Le règlement européen ne fait que transposer les listes internationales de contrôle : dans ce domaine, l’UE est « rule taker ». Or, compte tenu du nombre de membres et de son fonctionnement par consensus, l’arrangement de Wassenaar implique une certaine inertie. La liste de Wassenaar exclut notamment les technologies incluant de l’intelligence artificielle, comme les algorithmes de reconnaissance faciale ou de mouvements (qui permet de détecter le comportement des foules).

La Commission souhaite donc créer un système européen plus flexible, capable d’absorber l’évolution rapide des technologies. Elle propose d’établir à la majorité qualifiée une liste de matériels contrôlés par les États membres. Le nouveau projet de règlement a été validé par le Parlement européen. Particulièrement réticente, la France, suivie par les États membres au Conseil, craint que la réforme envisagée ait pour effet de désinvestir le régime international de contrôle, qui présente l’avantage d’engager un plus grand nombre d’États, et notamment la Russie. Par ailleurs, la France s’oppose à l’idée de transférer une nouvelle compétence à l’UE, avec passage à la majorité qualifiée et implication du Parlement européen.

Compte tenu du blocage en cours, la Commission, qui ne veut pas renoncer au projet d’une liste européenne autonome, pourrait évoluer vers un mode de décision plus respectueux de la souveraineté des États membres que la majorité qualifiée.

Vos rapporteurs comprennent les raisons du refus d’une nouvelle compétence communautaire pour adapter la liste des biens à double usage soumis à contrôle. La solution multilatérale reste préférable. Mais cette solution ne saurait avoir pour effet de laisser libre cours à des exportations préjudiciables aux droits humains. Il est donc nécessaire d’être plus dynamique dans la gestion de la « liste nationale » additionnelle.

c.   En conséquence, une gestion active de la classification nationale s’impose

Rien n’empêche la France d’élargir le champ des biens soumis à contrôle sur une base nationale sans attendre l’issue des négociations européennes et internationales. Lorsqu’un danger est identifié, les autorités peuvent directement le soumettre à contrôle.

En effet, le règlement européen du 5 mai 2009 reconnaît, à son article 8, la capacité pour les États membres d’« interdire ou soumettre à autorisation l’exportation des biens à double usage ne figurant pas sur la liste de l’annexe I pour des raisons liées à la sécurité publique ou à la sauvegarde des droits de l’homme ». La France a utilisé cet article pour soumettre à contrôle les exportations d’hélicoptères et de leurs pièces détachées vers certains pays tiers ([33]) et les exportations de gaz lacrymogènes et agents antiémeutes hors de l’UE ([34]). Pour éviter tout oubli, l’article 5 du règlement européen prévoit une « clause attrape-tout » qui dispose que des biens qui ne figurent pas dans l’annexe I peuvent être soumis à contrôle s’ils risquent de contribuer à la prolifération des armes chimiques, biologiques ou nucléaires.

De même, la France avait déjà décidé de contrôler l’exportation des satellites d’observation sur une base nationale avant l’intégration sur la liste de l’arrangement de Wassenaar.

Vos rapporteurs remarquent qu’il n’existe pas de « liste nationale » à proprement parler, mais une série d’arrêtés qui soumettent au contrôle des biens, au cas par cas. Afin d’avoir une vue d’ensemble et de s’assurer qu’il n’existe pas de faille, vos rapporteurs appellent à créer une liste nationale et à dresser, ce faisant, un bilan du champ des biens à double usage soumis à contrôle sur une base nationale. Cela permettra, si nécessaire, de compléter la classification nationale, comme l’Allemagne l’a fait ces dernières années.

Par ailleurs, les listes de contrôle sont construites sur la base de spécifications techniques et non des controverses qui portent sur l’usage des matériels. Or, il arrive que des matériels non classés de ce fait soient détournés à des fins de répression interne. Tel a été le cas par exemple des blindés légers exportés en Égypte et qui n’ont pas été contrôlés par la CIEEMG faute d’un blindage suffisant. Or, ces blindés légers n’ont pas été utilisés comme matériel de guerre ou à des fins de lutte anti-terroriste mais comme matériel de répression des manifestations. Le classement lié à la résistance d’un blindage – un blindage de 12,7 mm est classé matériel de guerre mais un blindage de 7.62 mm ne l’est pas – est inopérant. Il eut été judicieux qu’une analyse des classements CIEEMG – CIBDU mette en évidence l’absence d’exigence de licence pour ces matériels. Il aurait alors été possible de classer ces équipements dans la liste nationale des biens à double usage. Au-delà des listes internationales et européennes, un bilan du champ des biens à double usage soumis à contrôle sur une base nationale ainsi qu’une analyse croisée des classements CIEEMG – CIBDU devraient être menés afin d’aboutir à la création d’une liste nationale des biens à double usage régulièrement réactualisée.

Proposition n° 4 : Créer une liste nationale des biens à double usage complémentaire des listes internationales et européennes.

3.   Il est nécessaire de rapprocher le contrôle des matériels de guerre et des biens à double usage

Comme présenté supra, les deux principaux dispositifs de contrôle existants en France, considérés séparément, se caractérisent par leur robustesse, qui est notamment fondée sur l’interministérialité de l’instruction des demandes, la compétence des services impliqués et la qualité du dialogue avec les entreprises.

Toutefois, la fragmentation des contrôles à l’export induit des difficultés quant à la construction d’une vision transversale sur les exportations de matériels sensibles au sein de l’administration. Le manque de connaissance réciproque et d’interaction entre les dispositifs de contrôle que nous avons pu constater çà et là, au-delà des principes et des liens entre acteurs, aboutit à une fragilité du contrôle sur certains types de biens.

L’éclatement du contrôle : le cas des matériels de maintien de l’ordre

Outre les dispositifs de contrôle des exportations des biens à double usage et des matériels de guerre, le système français de contrôle des transferts des matériels sensibles inclut une multiplicité de dispositifs complexes, qui induisent un risque d’écart dans le traitement des différentes exportations.

À titre d’illustration, le contrôle des exportations des équipements de maintien de l’ordre est éclaté sur le plan de l’organisation administrative :

– s’agissant des biens et technologies susceptibles de servir au maintien de l’ordre listés par l’annexe I du règlement européen de 2009 ou des arrêtés pris sur le fondement de l’article 8 du même règlement, le contrôle relève de la CIBDU ;

– s’agissant des biens listés par les annexes II, III et IV du règlement européen « antitorture » ([35]), récemment refondu en janvier 2019, selon leur destination ou sensibilité, le contrôle est réalisé par la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI).

Le flux des biens soumis à contrôle par les douanes, de l’ordre d’une dizaine par an, est sans commune mesure avec les biens à double usage.

 

Proposition n° 5 : Unifier le contrôle effectué sur les exportations de matériels de maintien de l’ordre au sein de la CIBDU afin de créer un guichet administratif unique pour les entreprises actuellement concernées par les différents règlements européens.

Sous le quinquennat précédent, des réflexions ont été conduites pour rapprocher les dispositifs de contrôle des biens militaires et des biens à double usage. Dans un rapport d’orientation remis au Premier ministre en janvier 2014 ([36]), plusieurs experts proposaient la création d’un échelon de coordination et de pilotage général des procédures de contrôle des transferts sensibles placé auprès du Premier ministre et qui serait géré par le SGDSN. Selon les auteurs du rapport, cette nouvelle autorité aurait notamment pour mission de définir des directives stratégiques de haut niveau communes à l’ensemble des régimes de contrôle. En revanche, elle n’aurait pas été chargée de l’instruction des dossiers, qui serait restée du ressort de la CIEEMG et de la CIBDU. Les auteurs n’excluaient pas, à terme, la création d’une commission interministérielle unique ([37]).

Ce projet de réforme est resté lettre morte. D’une part, les rivalités administratives entre le SGDSN, compétent pour les matériels de guerre, et le ministère des Finances, qui exerce la tutelle du contrôle des biens à double usage, ont entravé tout rapprochement. Surtout, les industriels ont exprimé leurs craintes que ce rapprochement ne se traduise par une réglementation plus restrictive sur les biens à double usage : ces biens, en dépit de leur potentiel militaire, ont une utilisation civile souvent large et diffuse qui interdit de leur appliquer une approche prohibitive sur le mode des matériels de guerre. Selon Lucie Béraud-Sudreau ([38]), cette réforme avortée a tout de même eu pour conséquence la création, au sein de la CIBDU, d’un règlement intérieur et de plusieurs directives de haut niveau sur les sujets les plus sensibles, directives qui sont aujourd’hui totalement méconnues du SGDSN !

Vos rapporteurs estiment nécessaire de reconnaître pleinement la spécificité des deux secteurs. Ils sont conscients de la nécessité d’une approche flexible pour les biens à double usage, sous la forme d’un régime d’autorisation sauf interdiction. Ils ne proposent pas de rassembler les contrôles sous une autorité unique comme c’est le cas pour des pays aux enjeux comparables comme le Royaume-Uni ou la Suède.

Mais la porosité croissante entre matériels de guerre et biens à double usage milite pour un rapprochement des dispositifs de contrôle des exportations de matériels sensibles. Les technologies civiles évoluent aujourd’hui à une vitesse exponentielle et bien des innovations militaires trouvent désormais leur origine dans le secteur civil. De très nombreux équipements exportés contiennent des matériels de guerre et des biens à double usage et supposent, aujourd’hui, une double autorisation.

Ensuite, l’expertise technique de la CIEEMG s’appuie sur les équipes nombreuses en charge des programmes d’armement de la DGA, qui offre un support solide pour l’analyse des performances et des risques des produits proposés à l’export. Il n’existe pas de service comparable du côté de Bercy. La CIBDU s’appuie sur la direction générale des entreprises (DGE), le commissariat à l’énergie atomique (CEA), l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), la DGA et les ministères techniques pour faire face à sa mission.

Le support technique relatif aux technologies critiques mériterait d’être mieux mutualisé, car le besoin d’expertise est croissant. La loi relative à la croissance et la transformation des entreprises du 22 mai 2019, dite loi « Pacte » ([39]), et ses textes d’application très récents ([40]) renforcent les outils créés en 2014 visant à contrôler les investissements étrangers ciblant nos industries critiques. Ceci concerne au premier plan les matériels de guerre et biens à double usage.

La France n’a pas les moyens de financer un pôle de compétence propre sur les technologies sensibles comme aux États-Unis. Dans ce pays, la Defense Technology Security Administration (DTSA), qui dépend du département de la Défense, permet d’apporter une vision transversale sur les technologies émergentes, en matière d’armement et de double usage, mais aussi sur les investissements étrangers. Du fait du caractère dual croissant des équipements militaires, et sans opérer une fusion des contrôles de matériel de guerre et des biens à double usage sous une autorité unique, l’expertise technique pour les technologies sensibles devrait être mutualisée et renforcée, y compris pour le contrôle des investissements étrangers, en élargissant par exemple le rôle d’expertise technique de la DGA.

Proposition n° 6 : Renforcer et mutualiser l’expertise technique pour l’ensemble des technologies sensibles des biens à double usage en élargissant le rôle de la DGA dans ce domaine.

Par ailleurs, vos rapporteurs invitent à réfléchir à la mise en place d’un contrôle par client, qu’il soit intermédiaire, industriel, distributeur ou utilisateur final, complémentaire au contrôle par type de bien. Les États-Unis ont établi une liste d’environ 1 200 entités étrangères, mise à jour annuellement ([41]), pour lesquels toute exportation, quel que soit le type de bien, doit faire l’objet d’un contrôle systématique. Cette liste s’apparente à une solution intermédiaire avant l’embargo. En France, les services de renseignement disposent d’informations confidentielles sur les entités douteuses sur le fondement desquelles ils sont susceptibles d’alerter les entreprises qui exportent des biens sensibles. Plusieurs dirigeants d’entreprises ont fait part à vos rapporteurs de l’utilité d’une telle liste en France. Les autorités françaises devraient rendre publique une liste d’entités étrangères soumise à contrôle renforcé, ce qui permettrait de la rendre opposable et d’éviter que le système ne repose sur des alertes au cas par cas des services de renseignement.

Proposition n° 7 : Sur le modèle des États-Unis, instaurer pour les biens à double usage un contrôle par client en publiant une liste d’entités soumises à contrôle renforcé.

Vos rapporteurs ne plaident pas pour une organisation particulière de ces contrôles. Ils ont cependant constaté que le sens de l’histoire va vers le rapprochement entre technologies duales et militaires, et que plusieurs États bien positionnés ont adapté leurs contrôles en conséquence. Ils ont perçu le fait que les dangers que font porter les nouvelles technologies sur l’analyse des données sont aujourd’hui souvent plus dommageables aux droits humains que les équipements militaires. Ils estiment que les analyses réalisées par la CIEEMG, dont les travaux sont très approfondis sur le contexte géopolitique, régional et national, et la CIBDU, dont la grille de lecture est avant tout liée au risque de prolifération, doivent être beaucoup plus partagées demain, pour ces technologies à risque élevé.

Le rapprochement ou les synergies entre dispositifs de contrôle devraient être remis à l’ordre du jour, le sujet ayant pris de l’importance depuis le rapport d’orientation de janvier 2014. En tout état de cause, du point de vue du contrôle parlementaire, il importe de ne pas dissocier ces deux domaines si l’on veut instaurer une vision globale des risques pour les droits humains liés à nos exportations.

B.   Le contrôle dans la durée des contrats d’armement est difficile mais nécessaire

Le contrôle des exportations d’armement est préalable à la vente au pays acheteur. Or, les controverses se concentrent sur l’utilisation des équipements dans le temps, ce qui doit conduire à envisager des moyens de contrôle après la vente des matériels. Différentes approches, plus ou moins intrusives, existent pour améliorer le contrôle tout au long de la vie des contrats. Compte tenu de la souveraineté des pays clients et du contexte concurrentiel, l’espace pour un tel contrôle est néanmoins étroit.

1.   Le levier de la maintenance

L’État dispose de plusieurs cordes de rappel en aval de la vente de matériels de guerre. Comme on l’a vu, la CIEEMG peut décider de réévaluer les risques de violation du droit international humanitaire et peut, si elle le juge nécessaire, suspendre ou abroger les licences en cours. Ceci peut avoir pour conséquence la remise en cause des livraisons de matériels initialement prévues.

La suspension ou l’abrogation de licences est toutefois sans effet sur les matériels déjà livrés, qui ne peuvent être rapatriés. On ne peut revenir sur les livraisons de matériels d’un pays qui entre en guerre.

Les leviers d’action dont dispose l’État pour agir sur les matériels déjà livrés sont les essais et la prise en main (qui peuvent être longs sur des matériels sophistiqués), la maintenance ainsi que l’approvisionnement en munitions. Si la vente d’un matériel militaire s’accompagne généralement d’une garantie, celle-ci est souvent courte. L’industriel s’efforce de faire signer à son client dès que possible un contrat de maintien en condition opérationnelle (MCO) des équipements. L’achat de nouvelles munitions suppose aussi un nouveau contrat.

 

 La maintenance créée une continuité entre l’entreprise et le client. Plus le matériel est sophistiqué, plus celle-ci est indispensable. Nombreux sont les stocks d’équipements hors service par manque de maintenance : blindés dans les garages, avions et hélicoptères à terre, bateaux et sous-marins à quai, notamment dans les pays pauvres mais aussi dans bien des pays riches dont les armées ne sont pas opérationnelles. La maintenance est en effet d’un coût souvent très élevé et qui s’accroît avec le temps : à titre d’exemple, l’ancien chef d’état-major de la marine, l’amiral Christophe Prazuck, indiquait, lors d’une audition au Sénat en 2017, qu’en quatre ans, le coût de maintenance pour les hélicoptères Lynx était passé de 14 000 à 22 000 euros de l’heure.

Quand la maintenance est contractualisée, les conséquences sont importantes pour la relation bilatérale : le matériel est donc opérationnel, et la relation industrielle permet de s’assurer de la présence du matériel sur le territoire de l’État acheteur, et ainsi de limiter le risque de prolifération, et de connaître le degré d’utilisation des équipements vendus. Elle permet, dans certains cas, de contrôler l’emploi du matériel car l’électronique embarquée, y compris les capteurs, est dotée de mémoires dont les données sont utilisées. On peut alors imaginer une certaine porosité des informations entre entreprises et autorités des pays vendeurs.

En fonction des inquiétudes liées à l’emploi du matériel, l’État peut par ailleurs refuser, suspendre ou abroger un contrat de maintenance, toujours soumis à licence. Les conséquences opérationnelles de l’interruption de l’assistance technique ne doivent pas être sous-estimées. Les contrats de MCO sont tout aussi importants que les contrats portant sur les matériels. L’arrêt de la maintenance, sur les équipements les plus complexes, a pour effet une perte de disponibilité opérationnelle au bout de quelques jours, semaines ou de quelques mois.

La maintenance pourrait ainsi être sans aucun doute un levier très efficace pour garder une maîtrise sur les matériels déjà livrés. Toutefois, il est envisagé avec une très grande prudence. L’interruption de MCO a des conséquences politiques fortes vis-à-vis d’un pays qui a fait confiance à la France en achetant du matériel de guerre à un industriel français. Dès lors que la France refuserait la livraison d’une pièce de rechange dans un moment de besoin pressant, les industriels pourraient se voir durablement fermer l’accès au marché du pays concerné.

2.   Le contrôle de l’utilisation des matériels

Il faut distinguer deux types de contrôle a posteriori des exportations d’armement. D’une part, un État peut procéder au contrôle du respect par l’industriel des conditions d’exportation qui figurent dans la licence, par exemple des conditions de stockage ou des « verrous technologiques » destinés à empêcher le détournement des matériels. D’autre part, un État peut décider de fixer des règles d’utilisation des armements vendus et d’en assurer le respect chez le client lui-même.

Les États-Unis et le « end-use monitoring »

Seuls les États-Unis imposent des restrictions sur l’utilisation des équipements vendus dont le respect fait l’objet d’un contrôle sur le territoire de l’État client. Ce contrôle exigé par la loi s’intègre dans la pratique traditionnelle de l’extraterritorialité américaine.

Le « end-use monitoring » est mis en œuvre dans le cadre de plusieurs programmes conduits par différents départements ministériels :

– le programme « Blue Lantern » du département d’État s’applique aux contrats commerciaux (Direct Commercial Sales – DCS) des biens classés ITAR ;

– le département de la Défense a la responsabilité du programme « Golden Sentry » pour les contrats d’État à État (Foreign Military Sales – FMS) des biens classés ITAR ;

– pour les biens classés EAR, autrement dit les biens à double usage, le département du Commerce conduit également des « end-use checks ».

En pratique, l’État client doit signer, en même temps que le contrat d’armement, un certificat d’utilisation finale (« end-use certificate ») par lequel ce dernier s’engage à accepter un contrôle du respect de certaines règles d’utilisation par des officiels américains. Ce contrôle a lieu avant l’octroi de la licence (pre-licence) et après la livraison des matériels (post-shipment).

Le département d’État a réalisé plus de 500 vérifications au titre du programme « Blue Lantern » en 2018, dont environ 30 % ont mis en lumière des manquements. La plupart de ces manquements tiennent à la faible coopération des États clients, à l’absence de confirmation de la livraison des matériels ou au manque de fiabilité d’une des parties ou d’une information. La violation des règles d’utilisation des armes fait l’objet d’une investigation qui peut déboucher sur une sanction, qui peut inclure la suspension ou l’abrogation de la licence.

Si la France s’est dotée, depuis 2012, d’un contrôle a posteriori du respect des conditions d’exportation chez l’industriel, elle ne pratique pas le contrôle de l’utilisation finale des matériels de guerre et des biens à double usage.

La France se contente d’imposer dans les contrats d’armement les plus sensibles une clause de non-réexportation pour éviter la prolifération des matériels. L’État client peut revendre les matériels mais il doit, au préalable, demander la levée de la clause de non-réexportation aux autorités françaises.

Vos rapporteurs ont appris que le « end-use monitoring made in USA » pouvait aller beaucoup plus loin en contrôlant, par exemple, non seulement les stocks de matériel mais aussi la localisation de leurs lieux de déploiement à tout moment à travers des dispositifs de géolocalisation permanente des équipements, quand des vecteurs n’ont été vendus que pour une menace et donc une zone déterminée par exemple. Ce type de dispositif serait effectivement très efficace pour prévenir les détournements d’usage portant atteinte aux droits de l’Homme.

C’est pourquoi des ONG et des chercheurs, comme M. Benjamin Hautecouverture, proposent que la France impose des règles d’utilisation des armements dans le cadre des contrats de vente. La France impose déjà des restrictions d’utilisation sur les ventes de satellites d’observation. Les accords intergouvernementaux qui encadrent ces ventes imposent des restrictions comme l’interdiction de certaines prises de vue. La revente d’images à destination de pays sous embargo peut être interdite. Ces restrictions d’utilisation conduisent parfois à perdre des opportunités commerciales.

Mais le « end-use monitoring » pratiqué par les États-Unis n’est pas transposable en France. Non seulement il exige des ressources extrêmement importantes pour pratiquer des inspections régulières (les programmes américains déploient des centaines de personnels dans les différents États fédérés, les ports et les ambassades à l’étranger), mais surtout il repose sur un lien de dépendance vis-à-vis des États acheteurs que la France, compte tenu de sa place sur la scène internationale, ne peut se permettre vis-à-vis de ses propres clients. Seuls les États-Unis peuvent, par leur puissance, imposer des restrictions d’utilisation sans dégrader leur compétitivité à l’égard de clients dominés.

Vos rapporteurs estiment cependant qu’il existe certaines marges de progression.

En Europe, trois pays, la Suède, l’Allemagne et la Suisse ont récemment introduit un « end-use control » limité aux armes légères. Cette expérimentation mérite un suivi attentif, même si la France n’est plus un producteur d’armes de petit calibre, sauf pour quelques segments. Conformément à la position avancée par le Conseil de l’UE dans le cadre de la révision de la Position commune, l’exportation des armes de petit calibre devrait systématiquement faire l’objet d’une clause de non-réexportation compte tenu du risque très élevé que représente la dissémination de ce type d’armement. Cette position est soutenue par la France mais doit encore être concrétisée.

Proposition n° 8 : Poser le principe que l’exportation d’armes de petit calibre fasse systématiquement l’objet d’une clause de non-réexportation.

Par ailleurs, la France pourrait non seulement contrôler la présence des équipements vendus dans le pays client, mais également renforcer l’identification du destinataire final (armées, forces de police, etc.), afin de limiter le détournement d’usage.

Proposition n° 9 : Élargir le contrôle de la destination finale des armements vendus à l’identification du destinataire final.

L’ambiguïté de la nature du client final doit être levée dès l’origine, comme nous le montre l’exemple des blindés légers en Égypte, qui ont été achetés par une centrale d’achat du ministère de la défense pour le compte du ministère de la défense et du ministère de l’intérieur. Le ministère de l’intérieur égyptien les a utilisés pour assurer le maintien de l’ordre dans les manifestations, bien au-delà de la lutte antiterroriste. Une extension aussi mesurée du contrôle ne devrait pas nuire significativement à la compétitivité de l’industrie d’armement française.

Proposition n° 10 : Dans le cadre d’un dialogue politique, demander dès le début des négociations des engagements de principe du client pour garantir un usage légitime des équipements, même en l’absence de contrôle dans le contrat.

Ces engagements du client donneraient à la France les moyens de renforcer ses moyens de pression dans le cadre du dialogue tendu qui aura nécessairement lieu au moment où les cas d’atteinte aux droits de l’Homme avec ces équipements pourraient se produire.

3.   Le partenariat entre États : un vecteur d’influence

La France peut user de son influence pour tenter d’agir sur le comportement des États clients. Le poids de l’influence française dépend du lien de dépendance et de la qualité des relations avec chaque pays. Ce mode d’action, qui se situe davantage sur un terrain diplomatique, a pour avantage d’être faiblement intrusif.

La qualité de la coopération militaire avec l’État client peut permettre d’avoir une idée de l’emploi possible des systèmes vendus. La coopération militaire comprend les ventes d’armement mais également les mesures d’accompagnement qui favorisent un usage des armements en conformité avec les règles françaises.

Les contrats de vente peuvent en effet s’accompagner d’un partage de savoir-faire opérationnel. Ce partage prend la forme d’une information, de la formation et de la sensibilisation au respect du droit international humanitaire. À titre d’exemple, chaque année, des officiers émiriens sont formés à l’utilisation des chars Leclerc, et des officiers saoudiens sont formés à l’école de l’artillerie de Draguignan, selon les règles d’engagement françaises. La coopération militaire passe également par des échanges en matière de retour d’expérience (RETEX) sur l’emploi des équipements français.

Mais l’État acquéreur peut décider de s’écarter des règles d’engagement françaises et refuser tout échange d’information sur l’usage des équipements français. Selon l’ambassadeur de France en Égypte, M. Stéphane Romatet, il n’existe aucun dialogue avec les autorités égyptiennes sur l’usage des armements vendus par la France. Ces dernières ne comprendraient pas que la France demande un droit de regard sur ces matériels. Toute velléité de discuter représenterait même un risque d’atteinte à la confiance dans la relation de défense.

Pour autant, c’est sans doute sur ce terrain-là que la France doit le plus progresser, dans la mesure où elle ne heurte pas la souveraineté des pays clients. Plus le partenariat est fort, plus forte est l’influence. Ainsi, dans le cadre des partenariats stratégiques, dès lors qu’un risque est identifié, des mesures d’accompagnement devraient être systématiquement proposées, notamment une formation théorique et pratique des forces armées locales au respect du cadre juridique international. La France devrait aussi promouvoir des conseillers militaires français au sein des forces locales des principaux pays clients.

Proposition n° 11 : Dans le cadre des partenariats stratégiques, proposer aux États clients des formations au respect du cadre juridique international dès lors qu’un risque est identifié.

Les Émirats arabes unis (EAU) représentent un bon exemple à cet égard. Le partenariat stratégique avec ce pays comprend de très nombreuses dimensions : économiques, culturelles (avec l’antenne du musée du Louvre à Abu Dhabi), financières, énergétiques, régionales mais aussi africaines. Cette proximité s’est aussi concrétisée par l’installation d’une base militaire déjà évoquée. Ce partenariat stratégique se traduit par une plus grande proximité et une plus grande capacité d’influence dans la gestion d’une crise comme celle du Yémen qu’avec d’autres pays de la région, comme l’Arabie saoudite. Comme l’illustre la perception de ces deux acteurs par l’opinion internationale, le contrôle exercé sur les exportations au nom des droits de l’Homme et du respect des populations civiles peut aussi servir l’intérêt des clients eux-mêmes, en leur évitant la dérive de leurs actions militaires. Celles-ci finissent souvent par leur être préjudiciables, sans même évoquer l’hypothèse des forces armées qui forcent la main du politique.

Le contrat de partenariat gouvernemental (CPG) :
une solution excellente mais d’exception

Le 7 novembre 2018, la France et la Belgique ont conclu un accord relatif à la coopération dans le domaine de la mobilité́ terrestre. Ce dernier concerne un contrat d’armement d’ampleur, dans le cadre de l’acquisition par la Belgique d’une première capacité́ motorisée (programme « CaMo »). Au total, 1,5 milliard d’euros seront investis par la Belgique entre 2020 et 2030 pour acheter un système de combat intégralement calqué sur celui choisi pour le renouvellement de l’armée de terre française : le système SCORPION.

Cet accord de partenariat gouvernemental, sorte de “FMS à la française”, est particulièrement novateur. Il répond à une demande d’accompagnement étatique de la part de la Belgique. Ainsi, l’État belge confie un mandat à la France pour négocier et mettre en œuvre, avec le maître d’œuvre industriel – Nexter – le contrat « CaMo », via la DGA, qui est déjà̀ responsable du contrat français SCORPION.

La Belgique réceptionne directement les équipements, sans que ceux-ci ne transitent par l’État français à aucun moment et n’engagent sa responsabilité juridique ou financière : la réception vaut transfert direct de propriété́. La Belgique s’engage à prendre en charge tous les coûts afférents au contrat et aux éventuelles évolutions du programme dans les décennies à venir.

Cet accord présente plusieurs avantages.

Tout d’abord, il est intéressant en matière de transparence puisqu’il requiert, à l’inverse d’un contrat d’armement classique, l’approbation du Parlement ([42]) au titre de l’article 53 de la Constitution ([43]).

Deuxièmement, cet accord est avantageux d’un point de vue stratégique, puisqu’il contribue à l’établissement d’une coopération de long terme. Un contrat de partenariat gouvernemental a notamment pour objectif de faciliter la coopération opérationnelle entre armées au travers d’un rapprochement des doctrines d’emploi et une plus grande interopérabilité. Il vise également à permettre une coopération accrue en matière d’armement afin d’identifier les nouvelles opportunités et les nouveaux contrats pouvant être déclinés dans le cadre de l’accord-cadre. En effet, la conclusion de cet accord-cadre simplifie considérablement les modalités d’acquisitions de nouveaux matériels d’armement.

Troisièmement, un tel accord présente une utilité économique immédiate et incontestable puisqu’il permettra, ainsi que ses éventuelles suites, d’amortir les coûts fixes des industriels, avec des économies possibles sur les prix de série des commandes futures.

Enfin, la responsabilité de l’État n’étant pas engagée pour l’exécution du contrat et l’accord n’ayant pas d’impact sur les finances publiques, ce montage juridique permet de réduire au maximum l’exposition de l’État.

S’il se rapproche du modèle américain de FMS, des différences majeures doivent être soulignées. En particulier, la France n’accorde aucune facilité financière. De même, les armées françaises ne disposent pas des stocks abondants disponibles pour pourvoir immédiatement aux demandes des clients.

Le contrat de partenariat gouvernemental initié dans le cadre de « CaMo » est une forme de contrat d’État à État qui intéresse de très nombreux clients. Ceux-ci font appel à la France parce que ses armées utilisent le matériel visé, qui est « combat proven », et apprécieraient de bénéficier de l’appui de notre État pour obtenir des conditions compétitives avec nos industriels. Enfin, ce format éliminerait les intermédiaires de la négociation.

Pour autant, les capacités de gestion très limitées de la DGA, dont les équipes ne sont pas dimensionnées pour jouer le rôle de maîtrise d’œuvre des pays tiers, ne permettent de dupliquer cette approche que dans des conditions bien précises et limitées :

● en réponse à la demande d’un pays client considéré comme un partenaire stratégique, avec lequel nous souhaitons promouvoir une réelle interopérabilité sur le terrain ;

● pour des équipements équipant à l’identique nos forces armées, et pour des montants suffisamment substantiels.

Le contrat de partenariat gouvernemental représente toutefois un outil puissant pour le contrôle de l’utilisation des armes que nous exportons. Dans le cadre de « CaMo », l’intimité créée par ce partenariat repose de fait sur une forme d’intégration entre l’armée française et celle du client belge, comme dans le cadre d’interventions conjointes au Sahel par exemple. Mais ce caractère exceptionnel en limite le caractère reproductible.

Proposition n° 12 : Étudier les potentialités de conclusion de contrats de partenariat gouvernemental avec des partenaires hors Union européenne en vue de renforcer notre capacité de contrôle.

II.   Rendre possible l’intégration européenne en matière de défense et d'armEment

A.   La France doit mieux pénétrer le marché européen

Comme l’ont entendu vos rapporteurs à l’occasion d’une audition, « choisir ses clients est le premier sujet du contrôle export ».

1.   Une faible pénétration du marché européen

La France est vulnérable compte tenu de sa dépendance à l’export vis-à-vis de plusieurs pays sensibles. Nos dix premiers clients comptent des États comme l’Arabie saoudite, le Qatar, l’Égypte, les EAU et le Koweït. En revanche, parmi les États européens, seule la Belgique figure dans cette liste.

 

 

PRINCIPAUX CLIENTS SUR LA PÉRIODE 2010-2019

(Classement établi sur les prises de commandes)

Classement

Pays

Prises de commande 2010-2019 (en millions d’euros)

1

Inde

13 380,1

2

Qatar

11 054,2

3

Arabie saoudite

10 732,7

4

Égypte

7 686,9

5

Émirats Arabes Unis

4 736,1

6

Belgique

3 147,2

7

États-Unis

2 355,3

8

Singapour

1 868,6

9

Koweït

1 755,5

10

Malaisie

1 721,1

11

Corée du Sud

1 650,6

12

Indonésie

1 622,4

13

Russie

1 390,0

14

Espagne

1 375,2

15

Brésil

1 316,3

16

Royaume-Uni

1 261,8

17

Australie

1 181,2

18

Chine

1 159,9

19

Allemagne

1 092,3

20

Maroc

984,9

Source : tableau établi à partir des données statistiques qui figurent dans le rapport au Parlement 2020 sur les exportations d’armement de la France.

Le bilan des exportations d’armement réalisées par la France en 2018 indiquait un début d’inflexion de la politique d’exportation vers l’Europe. Cette année-là, la France avait enregistré 9,1 milliards d’euros de prises de commande, dont 25 % ont concerné des pays européens, contre 10 % environ les années précédentes. Toutefois, cette performance était largement attribuable à certains grands contrats, en particulier la coopération Capacité Motorisée (« CaMo ») avec la Belgique. Par comparaison, l’Allemagne a réalisé 4,8 milliards d’euros de prises de commandes en 2018. Si le volume des exportations allemandes est moindre que la France, environ un quart des exportations sont à destination de l’UE, soit la même proportion qu’en France. En revanche, selon le cercle de réflexion Orion animée par Mme Patricia Adam, ancienne présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, l’Allemagne déploie aujourd’hui une stratégie plus efficace que la France pour renforcer sa présence sur le marché européen. Notre pays reste notamment trop peu présent à l’est de l’Oder-Neisse.

En 2019, le bilan des prises de commandes a atteint 8,3 milliards d’euros dont la moitié pour le secteur naval (contre 10 % pour ce secteur habituellement). Si les ventes d’armes françaises baissent de 9 % par rapport à 2018, le niveau des exportations d’armement reste élevé et supérieur à la moyenne de 7 milliards d’euros au cours des dix dernières années, si l’on exclut les années exceptionnelles de 2015 et 2016 dues aux commandes successives du Rafale par l’Égypte, le Qatar et l’Inde. La crise du Covid-19 a eu pour effet de geler nombre de discussions et de projets d’exportation et d’annuler de nombreux salons d’armement, dont Eurosatory, ce qui devrait entraîner une forte chute des exportations en 2020, si l’on exclut la récente commande grecque de 18 avions de combat Rafale. Le renforcement des tensions internationales, de la Méditerranée orientale à la mer de Chine, devrait néanmoins consolider le marché de l’armement, malgré la restriction des budgets publics et une concurrence internationale accrue.

L’année dernière, la France a confirmé sa volonté de consolider la part du marché européen dans ses exportations. Le Moyen-Orient n’est plus le premier débouché des exportations françaises en 2019, même s’il représente toujours 30% des contrats et que les EAU demeurent notre deuxième partenaire. La part des achats de systèmes d’armes français par des pays de l’UE progresse encore pour atteindre 42 %. De manière inédite, la Belgique s’affirme comme le premier client de la France en 2019, la Hongrie est troisième et l’Espagne est quatrième. La réorientation des exportations françaises vers les pays européens dépend encore beaucoup de grands contrats, dont la récurrence n’est pas assurée, comme la vente des systèmes de guerre des mines marines à la Belgique, de 36 hélicoptères H225M et H145M à la Hongrie et de deux satellites de communication sécurisée à l’Espagne. Cette tendance doit donc encore se pérenniser. Elle pourrait être accélérée par la crise du Covid-19 qui renforce encore la volonté de créer une autonomie stratégique européenne, et donc une véritable Europe de la défense.

 

RÉPARTITION PAR RÉGION DES EXPORTATIONS D’ARMEMENT DE LA FRANCE SUR LA PÉRIODE 2010-2019

(prises de commandes en milliards d’euros)

Source : graphique réalisé par Les Échos sur la base des données communiquées par le ministère des Armées.

Certains voudraient hâter le processus de réorientation de la politique d’exportation et proposent de payer le surcoût que représente le fait de renoncer immédiatement à exporter vers certains pays non démocratiques. Vos rapporteurs estiment qu’une telle solution n’est pas crédible dans le domaine de l’armement, eu égard au coût que représentent les programmes d’armement et à l’incapacité à imposer des fournisseurs européens aux États membres. Le sujet peut être étudié dans le domaine très sensible mais beaucoup plus réduit des matériels de surveillance et d’interception pour lesquels une étude sur la réorientation de la politique d’exportation de la France devrait être conduite. Non seulement les montants en jeu ne sont pas les mêmes, mais les opportunités d’export vers les pays de l’UE sont plus réduites, compte tenu du nombre de concurrents sur ce segment.

Proposition n° 13 : Engager une étude sur la réorientation de la politique d’exportation de la France pour les matériels de surveillance et d’interception.

2.   Une réorientation de long terme

La réorientation de la politique d’exportation d’armement de la France suppose, en premier lieu, que les pays européens aient davantage recours à l’achat « européen » pour répondre à leur besoin d’armement.

De plus en plus d’États membres partagent désormais l’objectif de renforcer l’autonomie stratégique européenne, ce dont témoignent les initiatives lancées ces dernières années pour renforcer l’Europe de la défense ainsi que nos récents succès dans le domaine terrestre et naval en Belgique et aux Pays-Bas.

Toutefois, la route est encore longue. L’accroissement des tensions internationales n’est pas automatiquement favorable à la coopération européenne dans ce domaine car de nombreux États membres sont soucieux de répondre aux pressions insistantes des États-Unis pour acheter leurs équipements, seul pays perçu comme capable de leur assurer une véritable protection. Ces dernières années, la Suède et la Roumanie, qui sont pourtant membre de la coopération structurée permanente (CSP), ont ainsi fait le choix d’acquérir le missile Patriot produit par l’industriel américain Raytheon plutôt que de s’équiper auprès du missilier européen MBDA.

En deuxième lieu, il faut consolider l’industrie de l’armement européenne. L’UE s’est récemment dotée de plusieurs outils, telles que la CSP et le Fonds européen de défense (FEDEF), qui encouragent les États membres à nouer des coopérations industrielles et à investir davantage dans les capacités de défense européenne. Leur mise en œuvre devrait se traduire par un accroissement des achats européens et offrir in fine aux industriels français de nouveaux marchés en Europe. Indirectement, ces initiatives soutiennent l’intégration industrielle européenne, ce qui peut rendre notre industrie plus compétitive sur le marché international. Toutefois, si la consolidation de l’industrie européenne est une priorité partagée par tous, chaque pays se montre réticent au fait de renoncer à ses champions nationaux et, ce faisant, à l’autonomie de sa BITD. Les entreprises françaises sont perçues de ce fait comme des prédateurs et doivent apprendre à partager et à coopérer avec les champions locaux.

C’est ce qu’ont bien compris les entreprises allemandes : les États européens donnent bien souvent la préférence à leur offre de coopération économique, plutôt qu’à la performance opérationnelle de nos équipements. Sur le modèle des grands programmes d’armement conduits en commun avec l’Allemagne, le système de combat aérien du futur (SCAF) et le char de combat de nouvelle génération (Main Ground Combat System – MGCS), qui seront produits en Europe et pour l’Europe, la France devrait développer de nouveaux schémas de coopération avec certains États membres. Notre pays s’appuierait sur les atouts et les domaines d’excellence français, mais devrait s’inspirer de l’exemple allemand pour renforcer son offre en matière de coopération industrielle.

Par ailleurs, le partenariat global établi avec la Belgique dans le domaine de la mobilité terrestre, qui comporte des volets dans le domaine capacitaire, opérationnel, de la formation, de l’entraînement et du MCO, crée un précédent pouvant être répliqué à d’autres partenaires et clients potentiels de la France (Luxembourg, Suisse).

Proposition n° 14 : Sur le modèle des grands programmes d’armement européens, développer de nouveaux schémas de coopération industrielle avec les États membres de l’UE.

B.   Le développement des coopérations européennes suppose de définir des règles d’exportation communes

Vos rapporteurs ont suffisamment rappelé que la décision d’autoriser ou non un projet d’exportation était un acte de souveraineté, qui engage la responsabilité de chaque État. Toutefois, au sein de l’UE, dans le cadre de laquelle se développent de nombreuses coopérations industrielles dans le domaine de l’armement, il faut veiller à ce que les décisions politiques prises par un État n’entravent pas la souveraineté d’un autre État membre. Les industriels français doivent aujourd’hui être protégés contre les restrictions à l’exportation imposées par l’Allemagne et peut-être, demain, par d’autres partenaires européens. Mais cela ne peut se faire en maintenant nos partenaires à distance. Il faut au contraire aborder ouvertement les conditions d’un cadre commun de référence sur les règles d’exportation, dans une démarche de compromis. Faute de quoi, les programmes européens d’armement ne se feront pas ou seront inexportables.

1.   Répondre aux blocages allemands

a.   Les restrictions à l’export imposées par l’Allemagne

Les accords Debré-Schmidt de 1972 ([44]) marquent le début de la coopération entre la France et l’Allemagne dans le domaine de l’armement. Dans le cadre de ces accords, chaque partie s’engageait à respecter la souveraineté nationale de l’autre partie en matière d’exportation. À son article 2, l’accord prévoyait ainsi que, sauf cas exceptionnel, « aucun des deux gouvernements n’empêchera l’autre gouvernement d’exporter ou de laisser exporter dans des pays tiers des matériels d’armement issus de développement ou de production menés en coopération ».

Toutefois, cet engagement réciproque a été progressivement remis en cause par la partie allemande. Les entreprises françaises subissent depuis de nombreuses années des restrictions d’exportation de la part de l’Allemagne, qui occasionnent des dommages économiques et industriels importants. La situation s’est encore dégradée à la suite du contrat de coalition de mars 2018 qui a durci la position allemande. L’Allemagne s’est notamment fondée sur la suspension des livraisons d’armes à destination de l’Arabie saoudite pour s’opposer à certaines exportations de pays européens, dont la France, qui comportent des composants allemands. Début 2019, l’Allemagne a ainsi bloqué l’exportation des composants allemands intégrés au missile air-air de longue portée Meteor que la société MBDA souhaitait exporter vers l’Arabie saoudite. Berlin se serait également opposé à l’exportation de plusieurs équipements aéronautiques produits par Airbus, ou associant ce dernier, dont l’avion de combat Eurofighter Typhoon et l’avion de ravitaillement A330-MRTT.

Aujourd’hui, de nombreux industriels ont le sentiment que les blocages allemands sont devenus encore plus problématiques que la réglementation américaine ITAR (cf. infra). M. Daniel Argenson, directeur de l’Office français des exportations d’armement (ODAS), explique que les restrictions sur certains composants allemands se résolvent parfois par le recours à des substituts américains.

D’une part, les industriels français éprouvent des difficultés croissantes à obtenir des licences d’exportation pour des composants allemands qui ne représentent parfois qu’une faible partie du système final de produits français, qu’il s’agisse de joints, de roulements à billes ou de boîtes de vitesse.

D’autre part, la France a pour crainte que l’Allemagne impose des restrictions d’exportation sur les programmes d’armement conduits en coopération, alors même que ceux-ci sont de plus en plus nombreux entre nos deux pays. À titre d’illustration, certains redoutent la possible réaction de l’Allemagne si la France avait le projet d’exporter le drone Patroller, dont la cellule est fournie par le constructeur allemand Stemme, à un pays tel que l’Égypte.

Les acteurs français se plaignent avant tout de l’imprévisibilité de la politique allemande de contrôle des exportations d’armement. Ils craignent que des décisions allemandes soient parfois motivées par des considérations commerciales. À titre d’exemple, l’Allemagne aurait bloqué l’exportation de pièces du Rafale après que l’Eurofighter Typhoon ait perdu la compétition en Inde.

Face à cette insécurité juridique, il existe une tentation de développer des stratégies « German-free », qui seraient délétères à l’heure où nos deux pays doivent construire ensemble l’Europe de la défense. Comme le rappelle Mme Anne-Marie Descôtes, ambassadrice de France en Allemagne, « le marché européen ne suffira pas pour rendre économiquement performants les grands projets d’équipements franco-allemands et européens, comme le char du futur ou la prochaine génération d’avion de combat : l’existence de possibilités crédibles d’export, sur la base de règles claires et prévisibles, sera une condition indispensable de la pérennité de notre industrie de défense européenne ».

b.   La conclusion d’un nouvel accord « Debré-Schmidt » débloque potentiellement une situation dégradée avec notre principal partenaire

Les échanges politiques se sont multipliés depuis 2017 pour tenter de parvenir à de nouvelles règles communes en matière d’exportations qui puissent remplacer les accords Debré-Schmidt, aujourd’hui obsolètes.

Le traité d’Aix-La-Chapelle du 22 janvier 2019 ([45]) a permis d’importants progrès dans ce domaine puisque, dans ce cadre, la France et l’Allemagne ont exprimé leur volonté politique de définir un cadre d’exportation commun. Lors du conseil des ministres franco-allemand du 16 octobre 2019, la France et l’Allemagne ont annoncé un accord juridiquement contraignant ([46]) qui repose sur la confiance mutuelle pour les programmes conduits en coopération et pour les systèmes contenant des composants de l’autre pays.

Sur le fond, cet accord comprend deux principales séries de dispositions.

S’agissant des programmes d’armement réalisés en coopération, chaque partie reconnaît à l’autre partie le droit d’exporter librement le produit final. L’article 1er de l’accord prévoit qu’« une Partie contractante ne s’oppose pas à un transfert ou à une exportation vers une tierce partie voulu par l’autre Partie contractante, sauf de façon exceptionnelle, lorsque ce transfert ou cette exportation porte atteinte à ses intérêts directs ou à sa sécurité nationale ». Lorsqu’une partie envisage, à titre exceptionnel, de bloquer un projet d’exportation, elle s’engage à informer préalablement l’autre partie et à accepter des consultations approfondies.

La question de la livraison de pièces détachées allemandes intégrées sur des matériels français est quant à elle réglée par la règle dite « de minimis ». L’article 3 de l’accord prévoit que, « dès lors que la part des produits destinés à l’intégration des industriels de l’une des Parties contractantes dans les systèmes finaux transférés ou exportés par l’autre Partie contractante demeure inférieure à un pourcentage arrêté au préalable par accord mutuel entre les Parties contractantes, la Partie contractante sollicitée délivre les autorisations d’exportation ou de transfert correspondantes sans délai, sauf de façon exceptionnelle, lorsque ce transfert ou cette exportation porte atteinte à ses intérêts directs ou à sa sécurité nationale ». L’annexe 1 prévoit que le seuil en pourcentage est fixé à 20 % de la valeur du système final qui fait l’objet d’une exportation.

c.   Mais un partenariat de confiance entre nos deux pays n’est pas encore acquis

Si la couverture médiatique de cet accord franco-allemand est restée faible en France, il a en revanche suscité un important débat en Allemagne à l’occasion duquel plusieurs critiques ont été formulées sur le fond de l’accord :

– pour une partie de la gauche allemande, cet accord n’est pas à la hauteur car il prévoit que chaque partie reconnaît à l’autre partie la liberté d’exporter au lieu de définir de véritables règles d’exportation communes, du point de vue des clients, des équipements et de leur utilisation. Pour Mme Katja Keul, députée Verts du Bundestag, la France et l’Allemagne devraient s’accorder pour ne vendre des armes qu’aux pays de l’UE, quitte à en supporter le coût financier ;

– d’autres critiques, partagées notamment par les défenseurs d’une autonomie stratégique européenne, font valoir que cet accord risque de substituer à la tentation du « German-free » une incitation pour les industriels français à développer des équipements militaires au sein desquels la proportion de composants allemands reste inférieure au seuil « de minimis » fixé à 20 %. Il s’agit d’ailleurs d’une vraie crainte des industriels allemands. Les autorités françaises sont ouvertes à l’idée de porter ce seuil à un niveau plus élevé ;

– enfin, comme l’affirme le BDSV, le groupement des industriels de l’armement allemand, certaines incertitudes doivent encore être levées sur la notion de « sécurité nationale » qui peut justifier un refus d’exportation. Le rôle du comité permanent qui, en vertu de l’article 4 de l’accord, doit permettre aux deux parties d’organiser des consultations sur toutes les questions régies par l’accord, en particulier lorsqu’une des parties envisage de bloquer un projet d’exportation, est également à bien clarifier.

La vivacité du débat allemand sur la politique d’exportation génère des inquiétudes sur la pérennité de ce nouvel accord. Celui-ci a donné lieu à une intense négociation entre les deux parties sur sa forme : international ou intergouvernemental. Alors qu’un traité international est ratifié par le Parlement, ce qui lie le Gouvernement et le Parlement, un accord intergouvernemental est moins pérenne sur les plans juridique et politique. Compte tenu de l’hostilité d’une partie de l’opinion publique allemande vis-à-vis des exportations d’armement, la France souhaitait initialement un engagement du Bundestag qui réponde à l’engagement du Gouvernement allemand. Le Gouvernement allemand a convaincu la France d’accepter un accord intergouvernemental, sous la forme d’un échange de lettres – assurant que la majorité du Bundestag soutenait cet accord. L’avenir le dira.

La délivrance des licences d’exportation d’équipements de défense est de la responsabilité du Gouvernement, en France comme en Allemagne. En effet, le gouvernement allemand n’a qu’un devoir d’information du Bundestag concernant les décisions ayant fait l’objet d’une saisine du conseil fédéral de sécurité. Ainsi, un accord intergouvernemental se révèle suffisant pour convenir de dispositions exclusivement relatives au contrôle des exportations d’armements. Ce véhicule a également permis une formalisation et une entrée en vigueur dans un délai raisonnable ([47]). Cet accord intergouvernemental constitue, enfin, un document juridiquement contraignant sur la question du contrôle des exportations de défense.

2.   Renforcer le cadre d’exportation européen

Aujourd’hui, il n’existe pas de politique européenne sur le contrôle des exportations d’armement. La Position commune de l’UE de 2008 fixe un cadre, dont la portée est limitée, au sein duquel la décision d’autoriser ou de refuser un projet d’exportation reste nationale.

Les nouvelles ambitions en matière de défense européenne créent un nouveau contexte. Les programmes de défense conduits en coopération entre plusieurs pays sont de plus en plus nombreux en Europe. La création du FEDEF, qui pourra être activé lorsqu’un projet capacitaire réuni des industriels originaires d’au moins trois pays européens, devrait contribuer encore davantage à la consolidation de l’industrie de défense européenne.

Cette interdépendance dans la conduite des programmes d’armement pourrait amener à renforcer le cadre d’exportation européen. Vos rapporteurs sont favorables à la reproduction du modèle de l’accord franco-allemand avec d’autres États membres, pour réduire les risques de blocages étrangers sur les exportations, et au rapprochement des règles européennes par le renforcement de la Position commune. En revanche, ils rejettent l’harmonisation européenne qui reviendrait à transférer la décision d’autoriser les exportations d’armement à l’UE.

a.   Réduire les risques de blocage de la part d’un partenaire européen

Au-delà du cas allemand, la France conduit des programmes en coopération avec de nombreux pays européens ce qui exige, à chaque fois, de s’entendre sur des règles d’exportation communes. La France et le Royaume-Uni se sont notamment engagés dans un processus de rationalisation du secteur des systèmes de missiles dans le cadre du groupe MBDA depuis les accords de Lancaster House de 2010. Les deux parties ont signé un accord intergouvernemental en 2015 pour ne pas bloquer l’exportation par l’autre partie des systèmes de missiles qui incluent des produits créés par MBDA.

Néanmoins, tous les programmes d’armement conduits en coopération n’ont pas fait l’objet, à ce jour, d’un accord régissant les règles d’exportation. Par exemple, pour continuer à vendre le Rafale, il est crucial que la France puisse exporter le missile air-air de longue portée Meteor, ce qui suppose de s’entendre au préalable avec le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Suède qui participent à ce programme d’armement. Afin d’éviter le blocage à l’exportation d’un partenaire européen, le nouvel accord franco-allemand « Debré-Schmidt » devrait être reproduit sur une base élargie. La France pourrait ainsi négocier un accord sur des règles d’exportation communes avec les six pays de la Letter of Intent (LoI), qui regroupe les principaux pays européens producteurs d’armement (Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni et Suède) qui se sont engagés à consolider la BITD européenne. Un accord pourrait également être envisagé à l’échelle de l’UE pour que les projets éligibles à un financement du FEDEF ne soient pas soumis à des restrictions à l’exportation de la part d’un des pays partenaires.

Proposition n° 15 : Sur le modèle du nouvel accord franco-allemand, négocier un accord sur des règles d’exportation communes avec les six pays de la Letter Of Intent (LoI) et à l’échelle de l’UE pour les projets éligibles au FEDEF.

b.   Ne pas créer un contrôle des exportations d’armes à l’échelle de l’UE

L’européanisation du contrôle des exportations d’armement est une idée récurrente dans le débat public en Allemagne, en particulier auprès du SPD et des Verts. Pour les autorités politiques allemandes, il serait en effet plus confortable que l’UE prenne la responsabilité de décisions nationales très impopulaires auprès de l’opinion publique. Par ailleurs, les Allemands sont convaincus que leur système de contrôle est plus rigoureux que celui des autres pays, bien que, comme nous l’avons vu, ce ne soit pas toujours le cas. Aussi souhaitent-ils exporter leurs contraintes à l’échelle européenne, afin de créer un « level-playing field » (une égalité des chances) entre leurs industriels et les compétiteurs européens.

Avec la création récente du FEDEF, qui ouvre le débat sur l’exportabilité des projets qui bénéficient de financements européens, la Commission européenne pourrait quant à elle promouvoir l’idée d’une décision commune sur les licences d’exportation des futurs équipements européens.

Toutefois, il n’existe pas de réelle volonté au niveau européen pour aller plus loin que le renforcement de la Position commune. De nombreux pays, dont la France, ne souhaitent pas transférer la décision d’autoriser ou de refuser un projet d’exportation à l’UE.

Comme le prévoit l’article 346 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), la production et le commerce des armes, de munitions et de matériel de guerre est une compétence nationale. Les décisions d’exportation touchent aux intérêts stratégiques profonds des États et sont au cœur de la souveraineté. Un tel transfert de compétence, qui exigerait l’unanimité, constituerait un transfert de souveraineté sans précédent puisqu’il reviendrait, pour chaque État, à accepter un droit de veto sur sa politique de défense de la part des autres États membres ou des institutions européennes. Or, de nombreux États de l’Union n’exportent pas d’armements et n’ont aucun appétit pour assumer le risque d’un tiers dont ils ne tirent aucun bénéfice direct. Une situation de blocage permanent pourrait en découler.

Pour vos rapporteurs, il revient bien à chaque État de mener une politique d’exportation d’armement responsable.

c.   Favoriser la coopération européenne en matière d’armement par le dialogue interparlementaire

Ne pas créer de contrôle des exportations à l’échelle européenne ne doit pas pour autant exclure toute discussion au sein des cadres existants.

La France appelle depuis longtemps au renforcement de l’intégration de la défense européenne et de l’armement. Nos partenaires européens expriment des réticences en la matière pour deux raisons : l’inhibition liée au parapluie américain, mais aussi la crainte de l’appétit du leadership français, tant sur le plan des programmes d’armement que sur celui des terrains de déploiement qui nous seraient propres comme l’Afrique.

Le déséquilibre quant au rôle des parlements alimente également cette distance. Alors que les parlements de nos partenaires jouent un rôle plus important que le nôtre dans le domaine de la défense et de l’armement – les Allemands ayant même une armée n’agissant que sous mandat parlementaire –, ces derniers sont par principe réticents à rentrer dans une coopération pour laquelle le rôle des parlementaires ne serait pas reconnu.

Vos rapporteurs ont pu mesurer très concrètement en Allemagne cet appétit pour rééquilibrer le dialogue entre exécutifs sur l’armement et les enjeux d’exportation par un dialogue interparlementaire. Le gouvernement français n’a d’ailleurs pas hésité à solliciter les parlementaires français pour leur demander d’intervenir auprès de leurs homologues allemands et faciliter la conclusion du nouvel accord « Debré-Schmidt ».

Vos rapporteurs ont également été interpellés par les représentants de tous les groupes politiques allemands rencontrés pour que se noue un dialogue franco-allemand dans ce domaine, dans le cadre de l’assemblée parlementaire franco-allemande. Ceux-ci attendent de cet échange que le Parlement français puisse exercer un contrôle plus réel sur la politique d’armement et d’exportation. Les députés français étant majoritairement en soutien de l’ambition française d’une autonomie stratégique européenne, le résultat pourrait ne pas être conforme à leurs attentes.

Un dialogue interparlementaire devrait être initié sur l’armement et les enjeux d’exportation, notamment dans le cadre de l’assemblée parlementaire franco-allemande. En fonction de ses résultats, l’Assemblée nationale pourrait, en coordination avec l’exécutif, proposer un dialogue interparlementaire à l’échelle des pays de la Letter of Intent (LoI).

Proposition n° 16 : Initier un dialogue interparlementaire sur les enjeux d’exportations d’armes, notamment dans le cadre de l’assemblée parlementaire franco-allemande. Envisager par la suite de l’élargir aux pays de la Letter of Intent.

C.   Les restrictions à l’export imposées par les États-Unis appellent une réponse européenne

Outre des délais de réponse courts, les industriels de l’armement ont besoin de prévisibilité pour s’inscrire dans le cycle long du développement capacitaire. Or, ces derniers sont confrontés à de fortes incertitudes liées aux contraintes imposées par les États-Unis, qui s’apparentent à un contrôle export « subi ».

1.   La réglementation ITAR est source de contraintes

L’industrie française (et européenne) est dépendante de certains composants américains qui entrent dans le champ de la réglementation ITAR, qui permet aux États-Unis d’en limiter la réexportation. Dès lors qu’un sous-ensemble entre dans le champ d’ITAR, c’est l’intégralité du produit qui est soumis au contrôle américain. De ce fait, ITAR est une manifestation des pratiques traditionnelles de l’extraterritorialité américaine. La réglementation EAR pour les biens à double usage est aussi, dans une moindre mesure, source de contraintes pour les industriels, ainsi que la fréquence des reclassements de composants de la liste ITAR vers EAR et inversement.

Selon la mission de défense de l’ambassade de France aux États-Unis, il est difficile de démontrer que les États-Unis font une application de la réglementation ITAR destinée à biaiser la concurrence en leur faveur. Les Américains appliquent des restrictions similaires à l’exportation de leurs propres équipements vis-à-vis des entreprises américaines, qui sont les premières soumises au contrôle. ITAR est avant tout utilisé à des fins de sécurité nationale, ce qui inclue des considérations larges comme la lutte contre la prolifération, la protection des pays alliés, la préservation des équilibres régionaux et le maintien de la supériorité technologique américaine. Néanmoins, sous couvert de protéger la sécurité nationale, les États-Unis ne sont pas toujours dénués d’arrière-pensées commerciales.

La réglementation ITAR n’a cependant pas un effet univoque sur les industriels. Elle crée un marché réservé aux États-Unis et à leurs alliés, auxquels les produits français peuvent prendre part. Certaines entreprises françaises créent ainsi des lignes de produits développées en coopération transatlantique et réservés à ce marché. Inversement, pour certaines entreprises, en particulier des équipementiers, la réglementation ITAR représente une opportunité de niche pour proposer aux ensembliers des composants « ITAR-free » à destination de certains pays qui ne sont pas des alliés des États-Unis.

Néanmoins, pour la plupart des industriels, notamment les grands ensembliers, ITAR représente davantage un risque qu’une opportunité à l’export. De nombreux matériels militaires français restent « itarisés » compte tenu du fait que les États-Unis, par leur puissance industrielle et technologique, sont souvent les seuls fournisseurs pour des composants nécessaires à la fabrication d’équipements.

L’actualité de certains contrats de vente à l’export a mis en exergue la sensibilité extrême aux risques de blocage induits par la réglementation ITAR, comme le blocage américain à l’export des missiles de croisière SCALP à l’Égypte en 2016. Ce blocage à l’export a mis en évidence le fait que l’extraterritorialité américaine pouvait être une entrave à l’exportation d’un système d’armes comme le Rafale, lui-même « ITAR-free », dès lors que certains de ses équipements étaient « itarisés ». Au total, ITAR décrédibilise l’industrie de défense française et européenne auprès des clients qui seront tentés d’acheter des matériels russes ou chinois pour être réellement débarrassés des contraintes américaines.

Le blocage américain à l’export du missile SCALP à l’Égypte

Le caractère « ITAR-free » du Rafale est une des principales raisons pour laquelle l’Égypte, qui souhaitait réduire sa dépendance à l’armement américain, a acheté l’avion de chasse français. Si elle n’est pas une contrainte forte sur le Rafale, ITAR s’applique toutefois aux missiles qui peuvent équiper cette plateforme. Or, l’export de ces missiles conditionne l’intérêt même du Rafale.

Aussi la presse relève le fait que les Égyptiens auraient très mal vécu le blocage américain en 2016 sur l’exportation du missile SCALP qui a été vendu pour équiper le Rafale. Fin 2018, alors même qu’une commande supplémentaire de douze Rafale était attendue, l’Égypte a fait l’acquisition de chasseurs russes en rappelant que les équipements du Rafale avaient des contraintes au regard de la réglementation ITAR. L’entreprise exportatrice MBDA a vécu ce blocage comme un choc et en a tiré les conséquences en adaptant sa production pour l’avenir.

Afin d’exporter à nouveau le Rafale, les mêmes articles de presse indiquent que la France devra exporter le missile air-air de longue portée Meteor vers l’Égypte, mais à condition, à nouveau, de ne pas être bloquée par les États-Unis ou par un des partenaires européens avec lesquels ce programme d’armement a été conduit.

2.   La réponse doit être portée à l’échelle européenne

a.   Une politique essentiellement nationale

Nombre d’industriels ont aujourd’hui appris à intégrer la contrainte ITAR dans leur organisation. Dès le début des années 2000, ils ont pris conscience de leur vulnérabilité et ont mis en place une capacité de contrôle des acquisitions. Selon M. Denis Gandelot, ancien directeur du contrôle des exportations chez Safran, les industriels ont ainsi grandement réduit leur degré de dépendance aux composants américains classés ITAR. L’État, actionnaire de plusieurs industriels de l’armement, a également fortement incité à réduire l’exposition à ITAR ([48]).

Cependant, d’autres acteurs industriels ont réagi très tardivement. Ils ont continué à acheter des composants américains pour maximiser leurs marges sans se soucier du risque représenté par ITAR. Ces derniers ont fait le pari que l’État financerait la « désitarisation » de leurs produits, par la recherche de substituts aux composants américains.

Aujourd’hui, l’État promeut une politique « ITAR-free » dans la conception des nouveaux produits, qui coûte moins cher que de « désitariser » des produits anciens. Des solutions « insensibles » sont recherchées lors du lancement de tout nouveau programme d’armement, comme pour le missile MICA NG lancé en 2018. En pratique, tous les nouveaux matériels ne peuvent être « ITAR-free ». La DGA peut accepter d’intégrer un composant ITAR selon son caractère plus ou moins critique et l’existence ou non d’une solution de rechange.

Le plan annoncé par la ministre des Armées en 2018 destiné à désensibiliser l’industrie d’armement française à la contrainte ITAR ne semble pas avoir reçu de réelle traduction. Le « plan de relance » annoncé par le Gouvernement au début du mois de septembre en réponse aux conséquences économiques de la crise sanitaire devrait déboucher sur des appels d’offre auxquels certaines PME de défense pourront répondre pour réduire leur dépendance à ITAR.

Comme l’explique Mme Claire Landais, il n’existe toutefois pas de grande politique de désensibilisation au niveau national compte tenu de la difficulté induite par l’évolutivité des listes américaines de contrôle. L’administration américaine est en effet libre de réviser à tout moment le champ de la réglementation ITAR et, au besoin, de requalifier un bien pour l’assujettir au contrôle américain. Or, il est impossible dans la plupart des cas de mener une politique « US-free » car certains produits sont introuvables hors des États-Unis. L’État peut réduire les risques, mais sans toutefois les supprimer complètement.

b.   Vers une communauté européenne « ITAR-free » ?

L’investissement nécessaire pour disposer de filières industrielles stables, pérennes et suffisamment autonomes, est inatteignable au niveau national et doit être relayé par une action à l’échelle européenne.

L’UE a démontré sa capacité à construire une filière industrielle ayant permis le développement du système de radionavigation Galileo, qui contribue à l’autonomie stratégique européenne. Les initiatives récentes lancées par l’UE, comme la CSP et le FEDEF, représentent des opportunités pour développer en Europe des technologies qui, aujourd’hui, n’existent pas en dehors des États-Unis.

La création d’une « supply chain » à l’échelle européenne suppose des investissements majeurs dont le retour ne se matérialisera qu’à long terme. L’européanisation des chaînes de production de l’armement, qui sont aujourd’hui essentiellement nationales, représente un changement majeur, même s’il pourrait être accéléré sous l’effet de la pandémie mondiale et de la prise de conscience de la priorité à accorder à l’autonomie stratégique européenne.

Elle suppose que les pays partenaires partagent les mêmes enjeux de souveraineté et agissent pour les préserver, notamment lors du choix des industriels et des solutions technologiques. La France n’est pas la seule à considérer que l’extraterritorialité américaine est démesurée et à souhaiter développer une souveraineté européenne sur les programmes d’armements. Mais dans les faits, la France est souvent toute seule, par exemple sur le projet de la CSP qui porte sur la « désitarisation ».

Ensuite, l’européanisation de la politique « ITAR-free » exige une confiance dans la stabilité des chaînes d’approvisionnement. Dans ce domaine, les États ne peuvent accepter d’être dépendants des décisions d’autres États, ce qui oblige à maintenir une partie de l’expertise sur le territoire national.

Enfin, vos rapporteurs soulignent que cette politique d’affranchissement européen ne sera pas sans incidence sur la relation plus globale avec les États-Unis. Ces derniers attendent de l’Europe qu’elle continue à acheter du matériel américain, qui est perçu à Washington comme la contrepartie de la garantie de sécurité apportée par les États-Unis dans le cadre de l’OTAN.

Proposition n° 17 : Encourager la création, à l’échelle européenne, de filières industrielles « ITAR-free » pour les grands programmes d’armement européens.

III.   Améliorer l’information et le pouvoir de contrôle du parlement

Vos rapporteurs ont exposé la tendance à la judiciarisation du contrôle des exportations d’armement qui se manifeste par la multiplication des recours. Or, l’exportation d’armes est une décision fondamentalement politique. Les États démocratiques doivent garder une liberté d’action dans la conduite des relations internationales et ne sauraient la perdre au profit d’acteurs privés, qu’il s’agisse des industriels ou des ONG, face à un monde qui ne désarme pas.

Dès lors, répondre aux interrogations profondes dont fait l’objet le contrôle des exportations d’armement suppose une plus grande appropriation de cette politique publique par les parlementaires dont le rôle est d’exercer un contrôle de nature politique. Alors qu’il existe une érosion du consensus national sur les exportations d’armement, faire jouer son rôle au Parlement est nécessaire pour s’assurer du respect par la France de ses obligations internationales et pour renforcer la légitimité de cette politique publique aux yeux de l’opinion publique.

Par comparaison avec ses principaux voisins, la France accuse un réel retard sur le plan de l’association du Parlement aux questions d’exportation d’armement. Ceci tient avant tout à la nature de la Ve République, qui fait du Parlement un acteur secondaire sur les questions de défense et de diplomatie, mais aussi à l’importance des exportations d’armement dans la place que la France se donne dans le monde. Ce manque d’implication du Parlement français dans la politique d’exportation d’armement constitue d’ailleurs un frein à la convergence européenne en matière de contrôle à l’export.

Vos rapporteurs estiment, qu’aujourd’hui, les conditions peuvent être réunies pour franchir un cap concret, et symboliquement très important, vers une information de qualité et la création d’un contrôle parlementaire.

A.   Améliorer l’information donnée au Parlement

L’information du Parlement se limite à un rapport annuel du Gouvernement sur la politique d’exportation de la France. Ce rapport annuel, critiqué par les ONG, n’est pas réellement approprié par les parlementaires, sauf au moment du débat qui suit la présentation du rapport devant la commission de la défense. Il ne permet pas une information réelle du Parlement, au-delà d’une approche statistique et des informations générales qu’il contient. Il doit ainsi faire l’objet de plusieurs améliorations, quitte à mieux définir le périmètre du secret de la défense nationale qui fait parfois l’objet d’une interprétation inutilement extensive.

1.   La protection du secret, obstacle à l’information, est nécessaire à notre souveraineté

a.   Le secret de la défense nationale

Certains domaines de l’action publique doivent être protégés et sont couverts, pour cela, par le secret de la défense nationale. Cette confidentialité est un outil de souveraineté. Le SGDSN est chargé de s’assurer du respect du secret de la défense nationale en France.

La protection du secret concerne toutes les informations dont la divulgation est de nature à porter atteinte à la défense et à la sécurité nationales. S’agissant des exportations d’armement, le secret se justifie par la sensibilité des informations relatives aux caractéristiques techniques des systèmes d’armes et aux relations diplomatiques que la France entretient avec des États étrangers. Leur compromission pourrait notamment porter un préjudice important à la France sur le plan de la supériorité militaire, de la conduite des relations diplomatiques et de la relation avec l’État partenaire.

Tout en comprenant ces considérations, vos rapporteurs ont pu regretter une interprétation parfois trop extensive du secret de la défense nationale qui les a empêchés d’avoir accès à des informations qui ne semblent pourtant pas répondre à la définition ici exposée. Ces derniers appellent donc à une clarification du périmètre du secret-défense afin de faciliter l’accès à certaines données lorsque la publicité ne remet pas en cause les intérêts de la Nation.

Proposition n° 18 : Redéfinir le périmètre du secret de la défense nationale afin de permettre une meilleure conciliation entre protection de la souveraineté et accès à l’information.

b.   Le secret industriel et commercial

De même, les informations relatives aux exportations d’armement sont sensibles sur le plan commercial et leur divulgation pourrait nuire aux intérêts commerciaux des industriels.

La confidentialité répond à un souhait exprimé par les clients, qui demandent l’introduction de clauses de confidentialité dans les contrats d’armement. Pour les États acheteurs, il ne s’agit pas que d’une question d’image, mais surtout de supériorité militaire. Ces derniers ne souhaitent pas que leurs ennemis potentiels connaissent les équipements dont ils se sont dotés car ces informations peuvent servir à la préparation de scénarios d’attaque.

Aussi, la publicité d’un certain nombre d’informations est susceptible de mettre les industriels dans l’embarras vis-à-vis de leurs clients. À titre d’exemple, lors des « Scorpene Leaks », lors desquels des informations relatives aux plans des sous-marins de classe Scorpene ont fuité, les Indiens qui ont acheté cet équipement se sont plaints auprès de Naval Group qui a dû adapter les équipements et fait face à d’importants coûts supplémentaires de ce fait. À terme, la publicité peut miner la confiance dans les entreprises françaises.

Au-delà du dommage causé aux clients, les informations peuvent donner un avantage aux concurrents, qui peuvent alors suivre les prospects commerciaux et les paramètres de l’offre des industriels français. L’information donnée au Parlement est particulièrement analysée par nos concurrents, alors même que cette source d’information n’a aucune symétrie dans les pays non démocratiques.

En conséquence, l’amélioration de l’information et la mise en place d’un contrôle parlementaire devront nécessairement tenir compte de l’exigence de confidentialité propre à ce domaine sensible.

2.   Les rapports au Parlement sur les exportations d’armement

a.   Le rapport annuel sur les exportations d’armement en France n’est pas un outil de contrôle

Dès juin 1991, le Conseil européen avait appelé les États membres à renforcer les échanges d’informations sur les exportations d’armement. En 1992, les Nations unies ont créé un registre des armes classiques qui instaure une première obligation de « reporting » des opérations d’exportation. Le rapport aux Nations unies a, en outre, rapidement été complété par un rapport annuel confidentiel, à l’adresse du Conseil européen. C’est dans ce contexte que la loi de programmation militaire pour les années 1997 à 2002 ([49]) instaure un rapport au Parlement, qui a été publié pour la première fois en 1999.

Depuis lors, le ministère des Armées publie ce rapport chaque année pour rendre compte des exportations d’armement de l’année écoulée ([50]). La loi de programmation militaire pour 2014 à 2019, portée alors par le ministre de la Défense, M. Jean-Yves Le Drian, a posé le principe de la publication du rapport au plus tard le 1er juin de chaque année.

Mis à part la première édition ([51]), tous les rapports au Parlement couvrent simultanément le soutien et le contrôle des exportations d’armement de la France.

Certains avancent que ce traitement commun du soutien et du contrôle a pour effet de brouiller le message destiné à la représentation nationale. Toutefois, recentrer le rapport sur le contrôle ne donnerait à voir qu’une vision restrictive des exportations d’armement, à savoir les raisons pour lesquelles la France refuse de vendre des armes. Évoquer le soutien et le contrôle permet de saisir l’ensemble des déterminants des exportations d’armement, y compris le contexte politique bilatéral, régional et global. Le débat public a besoin de traiter ces questions politiques. En témoigne la pauvreté du débat parlementaire en Allemagne, où l’information est limitée aux seuls aspects techniques et économiques.

Proposition n° 19 : Maintenir le caractère mixte du rapport annuel au Parlement, comprenant un volet soutien à l’exportation et un volet consacré au contrôle qui doit néanmoins être sensiblement développé.

Le rapport couvre quatre domaines : la politique d’exportation de la France, l’encadrement et l’organisation du contrôle des exportations des matériels de guerre, le marché mondial de l’armement et enfin la démarche de soutien aux exportations mise en œuvre par le ministère des Armées.

Les annexes du rapport comprennent des bilans statistiques des exportations de l’année écoulée. Elles font notamment apparaître trois types d’informations – le nombre et les montants des licences, les prises de commandes et les livraisons de matériels – à chaque fois compilées par pays et par catégorie de matériel de guerre, avec des éléments de comparaison avec les années précédentes.

Puisque « les Français ont besoin de transparence » comme l’indique la ministre des Armées, Mme Florence Parly, dans son éditorial, le rapport au Parlement 2019 comprend certaines évolutions destinées à le rendre plus didactique. Les fondements de notre politique d’exportation sont précisés et les principes d’instruction des demandes de licences sont décrits plus en détail. Par ailleurs, le rapport comprend des études de cas, des exemples et la présentation de certains contrats passés en 2018 pour donner plus d’illustrations. Vos rapporteurs considèrent que ces évolutions permettent des illustrations intéressantes mais sont en large partie de pure forme et ne se traduisent pas par une plus grande transparence vis-à-vis de la représentation nationale.

Selon le ministère des Armées, le rapport au Parlement est devenu plus complet et plus informatif avec les années. M. Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), estime plutôt que le rapport a perdu en précision avec le temps. De fait, jusqu’au rapport 2007, les statistiques précisaient les armées destinataires (interarmées, terre, mer, air) des pays clients. Par ailleurs, le tableau du registre des Nations unies sur les armes classiques, présent dans les premiers rapports, a disparu du rapport 2005. Enfin, le rapport 2017 présentait encore la répartition géographique des refus notifiés par la France au COARM : cette information, pourtant utile, a disparu des versions les plus récentes du rapport au Parlement sur les exportations d’armement.

Proposition n° 20 : Inclure, dans le prochain rapport au Parlement sur les exportations d’armement, des informations sur la répartition géographique des refus de licences, sur le modèle du rapport 2017.

b.   Les rapports au Parlement dans les autres États européens donnent des pistes d’amélioration du rapport français

Les rapports aux Parlements nationaux sur les exportations d’armement sont une pratique généralisée en Europe. Ces rapports comprennent des données statistiques sur les exportations d’armement. Toutefois, la nature, la qualité et la précision des informations communiquées demeurent très variables et reflètent la différence entre les dialogues entretenus avec les divers parlements.

Le ministère des Armées estime que les éléments statistiques présentés par la France sont plus précis que ceux qui figurent dans les rapports des autres États européens. Si M. Jean-Pierre Maulny partage cet avis, certains aspects des rapports réalisés par nos voisins européens peuvent fournir des pistes d’amélioration intéressantes pour le rapport français.

Le Royaume-Uni produit, en plus d’un rapport annuel qui dresse un bilan macroscopique des exportations d’armement, des rapports trimestriels qui détaillent pays par pays toutes les licences accordées au cours du dernier trimestre écoulé. Le nombre et les montants des licences sont présentés par catégorie de la military list. En revanche, contrairement à la France, les rapports britanniques portent sur les matériels de guerre ainsi que sur les biens à double usage. Des détails sur l’utilisation finale des matériels autorisés à l’exportation sont parfois fournis.

Le Royaume-Uni : un modèle de transparence ?

Dans ses réponses écrites, l’ambassade de France à Londres observe que « l’ensemble de ces documents fournit ainsi une vision assez détaillée et précise sur les exportations réalisées par le Royaume-Uni. Au-delà de ces rapports, si un parlementaire souhaite accéder à plus d’éléments concernant un dossier en particulier, il peut le faire par le biais des demandes dites « Freedom of Information Act » qui permettent de saisir une administration publique et de demander l’accès à certaines informations. »

Cet avis est partagé par Lucie Béraud-Sudreau qui juge que « le niveau de transparence [est] plus élevé qu’en France : il y a plus de détails et les informations sont plus régulières. Les ONG peuvent faire un usage de ces données pour transmettre l’information au public de manière plus simple. Ainsi, Campaign Against the Arms Trade (CAAT) [la principale ONG britannique dans ce domaine] permet au grand public de faire des recherches sur son site à partir des données du Gouvernement ([52]). Nous n’avons pas l’équivalent en France. »

L’Allemagne réalise un rapport annuel qui reprend dans le corps du texte les mêmes domaines que le rapport au Parlement français. Les éléments statistiques rapportés diffèrent toutefois : par exemple, les bilans des prises de commande et des livraisons ne sont pas présentés dans le rapport allemand. Celui-ci comprend en revanche des informations détaillées sur les livraisons de munitions pour armes légères et petits calibres et rappelle le tableau du registre des Nations unies.

Le rapport en Italie n’indique pas non plus les prises de commandes mais a pour spécificité de présenter un instantané complet des autorisations délivrées – y figurent notamment toutes les licences individuelles octroyées – et des livraisons effectuées. Long de plusieurs centaines de pages, le rapport italien a pour effet de noyer l’information, ce qui rend son utilisation malaisée.

3.   Un effort de transparence nécessaire vis-à-vis du Parlement

Vos rapporteurs considèrent qu’il est nécessaire d’apporter des améliorations au rapport au Parlement. En l’état actuel, la faiblesse des informations communiquées par l’exécutif jette un doute sur la robustesse du système de contrôle. Par ailleurs, le rapport n’a pas permis une réelle appropriation du sujet par les parlementaires, ce qui est une condition nécessaire pour renforcer l’adhésion autour de la politique de contrôle des exportations d’armement de la France.

a.   Un niveau d’information plus complet

Vos rapporteurs sont conscients du fait qu’une transparence totale sur les exportations d’armement n’apparaît pas réaliste. Pour autant, ces derniers considèrent que la classification par le secret de la défense nationale d’un grand nombre d’informations ne se justifie pas au regard de la protection de nos intérêts souverains. La classification d’un document est généralement de la responsabilité de son émetteur. C’est pourquoi certains n’hésitent pas à classifier des informations de diverse nature, soit par excès de prudence, soit pour attirer l’attention du lecteur.

Dans le cadre du rapport annuel au Parlement, l’exécutif pourrait recentrer le champ du secret de la défense nationale à ce qui le justifie réellement ([53]), afin de permettre, ici aussi, une meilleure conciliation entre la protection de la souveraineté et la nécessité de favoriser le débat sur cette question d’intérêt général.

Dès lors, plusieurs améliorations du rapport au Parlement peuvent être envisagées tout en veillant au maintien de la confidentialité des contrats.

D’abord, vos rapporteurs regrettent le manque d’informations plus détaillées sur les matériels vendus par la France, en particulier les types d’équipements et les quantités. En effet, le rapport au Parlement présente les statistiques sur les exportations d’armement suivant les vingt-deux catégories de la liste militaire française, ce qui ne permet pas de connaître avec exactitude la nature des matériels exportés. Le rapport au Parlement donne par ailleurs le montant en euros des exportations par pays sans préciser les quantités de matériels exportés.

Vos rapporteurs comprennent que la protection du secret commercial puisse limiter la précision des informations communiquées. Néanmoins, ces derniers se félicitent d’avoir été entendus par l’exécutif sur une de leurs propositions sur ce sujet avant même la publication de leur rapport : pour la première fois, le rapport au Parlement 2020 sur les exportations d’armement comprend le tableau du rapport que la France remet annuellement au titre de l’article 13 du TCA, qui renseigne les types et les quantités d’équipements vendus. Il était en effet singulier que des rapports publics, mais difficiles à trouver, soient adressés à des organisations internationales mais pas aux parlementaires nationaux. Pour l’avenir, vos rapporteurs invitent à suivre un principe simple :

Proposition n° 21 : S’assurer que le rapport au Parlement soit toujours au niveau de l’information la plus précise contenue dans les rapports destinés à des organisations internationales.

Ensuite, le rapport au Parlement ne donne pas d’information substantielle sur le processus de raisonnement suivi par la CIEEMG pour octroyer ou refuser une licence. Vos rapporteurs estiment que, parmi les informations à verser au débat public, la priorité est de fournir des éléments supplémentaires sur la politique d’exportation de la France. Ceci suppose d’ouvrir les directives de haut niveau du SGDSN, à l’exclusion de certains éléments qui relèvent légitimement du secret de la défense nationale. Afin de mieux appréhender les fondamentaux des relations d’armement à l’échelle bilatérale ou régionale, le SGDSN pourrait dévoiler, dans le cadre du rapport annuel au Parlement, les éléments des directives de haut niveau qui portent notamment sur la nature du partenariat avec tel pays ou sur les actions des armées de l’État client, tout en maintenant le secret sur les paragraphes politiquement trop sensibles ou portant sur des caractéristiques techniques ou opérationnelles.

Proposition n° 22 : Inciter le SGDSN à dévoiler dans le rapport annuel au Parlement les éléments non sensibles des directives de haut niveau.

En outre, comme le font notamment remarquer les ONG, le rapport au Parlement indique l’identité de l’État client mais ne précise ni les bénéficiaires des livraisons (forces armées, police, industriels étrangers, etc.), ni l’utilisation finale des équipements (défense du territoire, maintien de l’ordre, lutte contre le terrorisme, etc.). Les rapports espagnols et, dans certains cas, britanniques, fournissent de telles précisions. Vos rapporteurs peinent à comprendre les raisons pour lesquelles les informations portant sur les bénéficiaires, qui figuraient dans le rapport au Parlement jusqu’en 2007, n’y figurent plus.

Proposition n° 23 : Intégrer dans le rapport annuel au Parlement l’identité des bénéficiaires des livraisons au sein de l’État client ainsi que l’utilisation finale déclarée des équipements.

Le rapport au Parlement, qui comprend des informations sur le nombre de demandes de licences refusées et sur les critères de refus, pourrait aussi donner des informations sur les licences modifiées, suspendues et abrogées.

Proposition n° 24 : Inclure dans le rapport annuel au Parlement des informations sur les licences modifiées, suspendues et abrogées.

Par ailleurs, les biens et les technologies à double usage, qui sont pourtant de plus en plus présents dans les armements, ne sont pas traités par le rapport au Parlement et ne font pas l’objet d’un rapport particulier. Le service des biens à double usage est pourtant tenu de réaliser un rapport d’activité à part qui est classifié en « diffusion restreinte ». De très faibles informations issues de ce rapport sont jointes au rapport annuel sur les exportations d’armement.

Proposition n° 25 : Créer, sur le modèle de ce qui existe au Royaume-Uni, un rapport commun à l’exportation des matériels de guerre et des biens à double usage.

Enfin, vos rapporteurs regrettent le manque d’harmonisation et d’articulation entre le rapport au Parlement et les mesures de transparence qui existent au niveau international.

Le principe de la publicité de certains échanges d’informations entre États sur les exportations d’armement existe depuis la création, en 1992, du registre des armes classiques des Nations unies ([54]). Depuis trente ans, les mesures de transparence se sont multipliées à l’échelle internationale, notamment au sein du Conseil de l’UE ([55]) et du secrétariat du TCA, ce qui nourrit une base de données importante sur les transferts d’armes dans le monde, et notamment ceux de la France. En revanche, l’arrangement de Wassenaar ne prévoit pas de mesure de publicité sur les informations données par les États.

Vos rapporteurs regrettent l’absence de convergence des mesures de transparence à l’échelle internationale. Tous ces rapports obéissent à des référentiels différents, ce qui ne favorise pas toute vision de synthèse. Avec le soutien du service européen d’action extérieure (SEAE), un échange, associant les parlementaires, pourrait être entrepris sur les rapports annuels des différents pays aux Parlements et aux institutions européennes. Cet échange pourrait mener à des recommandations afin de renforcer une convergence européenne en matière d’informations.

Proposition n° 26 : Avec le soutien du SEAE, initier des échanges parlementaires sur les rapports aux parlements nationaux dans l’objectif d’une plus grande convergence européenne des mesures de transparence et de l’accès aux informations.

Le SEAE a indiqué à vos rapporteurs qu’il assurerait volontiers le secrétariat (et le financement) de ce qui pourrait être une initiative française inattendue mais très bien perçue.

b.   Une information plus fréquente

Le rapport au Parlement sur les exportations d’armement est présenté une fois par an, parfois en retard par rapport à la date du 1er juin. Vos rapporteurs proposent des modalités d’information plus fréquentes. La France pourrait s’inspirer du Royaume-Uni qui publie, en plus du rapport annuel, un rapport trimestriel qui s’accompagne d’une base de données en ligne, qui est publique, et qui reprend l’ensemble des statistiques fournis à la représentation nationale ([56]) . Cela permettrait une meilleure information sans encombrer les services par des demandes factuelles.

Proposition n° 27 : Instaurer un rapport au Parlement sur une base trimestrielle ou semestrielle ainsi qu’une base de données en ligne permettant d’avoir accès à des données statistiques actualisées.

B.   Créer un pouvoir de contrôle du parlement

À l’heure actuelle, le Parlement est informé, de manière limitée, mais ne dispose pas d’un réel pouvoir de contrôle sur les exportations d’armement de la France. Pour combler ce vide, vos rapporteurs proposent la création d’un organe parlementaire chargé du contrôle des exportations d’armement.

Dans l’esprit de vos rapporteurs, cet organe n’interviendrait pas dans le processus d’autorisation des exportations, mais contrôlerait, a posteriori, les grands choix de la politique d’exportation de la France tout en ayant un pouvoir d’avis et de recommandation. L’effectivité du contrôle suppose que les membres de cet organe puissent travailler tout en préservant la confidentialité des informations partagées, ce qui n’empêche pas de prévoir des modalités de restitution devant l’opinion publique. Les Parlements étrangers, mais aussi les précédents existant dans notre pays pour le contrôle de la politique du renseignement, permettent d’aider à définir les nouveaux outils qui peuvent être reconnus au Parlement français.

1.   Le contrôle parlementaire : un enjeu démocratique

a.   S’assurer de l’effectivité du contrôle et du respect de nos engagements européens et internationaux

Sous la Vème République, le Gouvernement considère qu’il est légitime qu’une partie de l’activité de l’exécutif, lorsqu’elle touche aux domaines de la politique étrangère et de la défense, soit tenue secrète, y compris aux yeux du Parlement. Cette règle n’a pour l’instant connu qu’une seule exception très encadrée, dans le champ restreint du renseignement, avec la création de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) en 2007.

Vos rapporteurs considèrent que l’opacité actuelle alimente les controverses sur la politique d’exportation de la France. Dans notre pays, l’exécutif est juge et partie de la qualité du processus d’examen des demandes de licences, notamment quant à l’examen rigoureux du respect du droit international humanitaire. Cette situation n’est pas à la hauteur d’une démocratie mature organisant un contrôle de l’action publique.

Dans son rôle constitutionnel de contrôle de l’action du Gouvernement, le Parlement doit pouvoir s’assurer de la qualité du processus d’examen des demandes de licences.

Proposition  28 : Donner au Parlement les moyens de vérifier que le processus d’examen des demandes de licences permet une juste analyse des différents critères qui interviennent dans les décisions relatives aux exportations d’armement.

Cette exigence est partiellement remplie concernant la compréhension théorique du système de contrôle lui-même, mais ne l’est pas quand naît un débat sur une situation particulière.

Pourtant, cette demande est d’autant plus légitime que le contrôle du juge est quasi-inexistant, et encore pour un certain temps. Le contrôle parlementaire ne remplacerait certainement pas celui du juge. Il n’empêcherait d’ailleurs pas la pression à la judiciarisation. Mais une gouvernance partagée permettrait à l’acteur indépendant qu’est le Parlement, incarnant l’intérêt national, de se faire une opinion informée et d’émettre des préconisations. Faire remonter au sommet de la chaîne de commandement les attentes, les « seuils de tolérance » de la population et, à un terme possible, les juges, serait une corde de rappel d’un pouvoir politique dépendant de sa seule administration. Les services concernés sont constitués de personnes très professionnelles et totalement engagées au service de la France. Ils peuvent avoir le sentiment que leur organisation est l’une des meilleures en Europe et que tout regard extérieur mettrait en cause son agilité, donc sa performance.

Pour les raisons évoquées plus tôt, la France paierait plus cher que ses compétiteurs toute mise en évidence que ses engagements européens et internationaux n’aient pas été respectés du fait d’un contrôle défaillant.

b.   Permettre un débat informé vis-à-vis de l’opinion publique

Aujourd’hui, il n’y a pas de relais entre les acteurs de la politique d’exportation d’armement et l’opinion publique, pourtant de plus en plus soucieuse de ces questions. Entre un pouvoir exécutif qui décide et des ONG qui critiquent, il existe un espace pour permettre à la représentation nationale de s’affirmer et de faire le lien avec l’opinion publique. C’est bien le rôle du Parlement, qui doit être le lieu où les points de vue s’expriment sur la base d’une réelle appropriation des acteurs.

Il ne suffit pas que le Parlement contrôle l’exécutif ; encore faut-il qu’il en rende compte auprès de l’opinion publique. Ce faisant, le Parlement doit avoir un rôle pour relayer les inquiétudes relatives aux atteintes aux droits de l’Homme susceptibles d’être commises à l’aide de matériels militaires français. En laisser le monopole aux ONG et aux médias est un aveu de faiblesse de notre démocratie.

Afin de pouvoir répondre aux interrogations de l’opinion publique, le Parlement devrait avoir les moyens d’appréhender les différents déterminants du commerce des armes, y compris les enjeux de souveraineté et de préservation de la BITD.

Proposition  29 : Donner au Parlement les moyens d’appréhender l’ensemble des déterminants des exportations d’armement.

Par ailleurs, le travail d’auditions mené par vos rapporteurs a montré que, dans de nombreuses circonstances et y compris sur des sujets liés à l’actualité récente, le Gouvernement avait durci sa politique d’octroi de licences pour tenir compte de risques en matière de droits de l’Homme. Ces actions importantes ne sont pas rendues publiques pour ne pas aggraver encore une relation avec le client déjà sous tension. La « performance du contrôle » est alors totalement méconnue de l’opinion. Que des parlementaires puissent interroger et être informés de ces évolutions, sans toutefois pouvoir en rendre compte pour un pays en particulier, créerait une forme de saine redevabilité.

En réalité, il faut bien constater que la représentation nationale est d’ores et déjà sous pression, et qu’elle l’est d’autant plus qu’elle ne peut répondre aux inquiétudes exprimées. La crainte d’être exposée ne saurait justifier le maintien d’un rôle marginal du Parlement dans ce domaine. Il faut faire le pari que le Parlement saura, par la qualité du contrôle et le dialogue avec la société civile, consolider le consensus national sur la politique d’exportation de la France. Mais le Parlement ne peut pour autant être le garant de la politique d’exportation d’armement et n’a pas à endosser une responsabilité qui revient à l’exécutif.

2.   L’absence de modèle de référence international

a.   Le contrôle a priori reste exceptionnel

Largement dépendante des traditions politiques nationales, l’implication des Parlements nationaux est très variable d’une démocratie à l’autre. Certains Parlements interviennent a priori, au sein du processus d’examen des demandes d’autorisations d’exportation.

i.   Le Riksdag suédois est au centre de la prise de décision

Premier Parlement à avoir obtenu un rapport du Gouvernement sur les exportations d’armement en 1985, le Riksdag suédois comprend en son sein un Conseil du contrôle des exportations (EKR). Le contrôle des ventes d’armes est assuré en premier lieu par une agence administrative ([57]). Cette dernière peut se tourner vers l’EKR lorsqu’un cas de figure n’a pas déjà été précédemment tranché par une autorité politique, par exemple si le projet d’exportation concerne un pays nouvellement client de la Suède ou un équipement sensible.

En pratique, l’EKR se prononce sur une faible proportion de dossiers, de l’ordre de quelques dizaines chaque année. Dans l’immense majorité des cas, les avis donnés par les parlementaires font figure de décisions finales.

Tous les groupes politiques sont représentés au sein de l’EKR dont les réunions se tiennent à huis clos. Selon Lucie Béraud-Sudreau, le fonctionnement de l’EKR favoriserait la création d’un consensus politique sur la question des ventes d’armes et aurait pour effet de légitimer le processus de contrôle ([58]).

ii.   Le Congrès américain a la faculté (théorique) de s’opposer à certaines ventes d’armes

Le Congrès américain n’est pas co-décisionnaire, comme peut l’être le Parlement suédois, mais il a le pouvoir de s’opposer à certains projets d’exportation.

L’administration américaine a pour obligation de notifier au Congrès les licences dont les montants dépassent un certain seuil, ce qui représente entre 200 et 300 licences chaque année (environ 10 % du total) ([59]). La Chambre des représentants et le Sénat ont la possibilité de voter une résolution commune ayant pour effet de bloquer une ou plusieurs demandes de licences, dans les quinze jours pour les ventes d’armes à destination des pays alliés (« OTAN+5 » ([60])) et dans les trente jours pour les pays tiers. Le Président des États-Unis peut toutefois y opposer son veto, qui ne peut être dépassé qu’à la majorité qualifiée des deux tiers. À la connaissance de vos rapporteurs, aucune résolution commune n’a prospéré.

Juin 2019 : le réveil du Congrès américain ?

Faiblement utilisée par le passé, cette procédure permettant au Congrès de s’opposer à certaines ventes d’armes a été réactivée à l’occasion des débats sur les exportations à destination de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.

Les États-Unis sont le premier exportateur de matériels militaires vers l’Arabie saoudite. Pour éviter qu’un débat ne se tienne au Congrès, dans le contexte qui a suivi l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi le 2 octobre 2018, l’administration Trump a fait application, début 2019, d’une procédure d’urgence afin de contourner la procédure de notification au Congrès.

Soucieux de défendre son rôle institutionnel, le Congrès a tout de même voté, en juin 2019, une résolution commune et bipartisane visant à bloquer trois demandes de licences relatives à des projets d’exportation d’armes vers l’Arabie Saoudite compte tenu de fortes inquiétudes sur le plan du respect du droit international humanitaire. Le président Trump a toutefois opposé son veto, conduisant à l’échec de cette résolution commune.

Malgré cet échec, certains jugent ce précédent important pour l’avenir. Au-delà des considérations partisanes, le Congrès a démontré sa capacité à peser vis-à-vis de l’exécutif, conduisant à un changement dans la nature du débat, qui est passé d’un débat portant sur une politique publique à un débat sur l’équilibre des pouvoirs.

La faculté donnée au Congrès de s’opposer à un projet de vente d’armes reste théorique, mais les moyens de pression du Congrès sont considérables. Ces moyens de pression sont essentiellement centralisés auprès des présidents et des premiers représentants de l’opposition des commissions concernées. Avant même la notification d’une licence, un dialogue s’engage avec le Congrès, qui peut inciter l’administration à ne pas autoriser certaines ventes difficiles à justifier, à renégocier tout ou partie des contrats ou encore à négocier l’inclusion de conditions additionnelles au sein des licences qui seront soumises au « end-use control ».

Le droit (très peu exercé) dont dispose tout parlementaire de demander la tenue en urgence d’un débat public qui devra se tenir dans les quinze jours suivant la notification est un moyen de pression considérable sur l’exécutif, compte tenu des répercussions que ce débat peut avoir sur la relation avec l’État client. L’administration américaine a donc intérêt à coopérer avec le Congrès.

b.   Les contrôles a posteriori prennent diverses formes

i.   Le Parlement britannique exerce un contrôle structuré

À la fin des années 1990, le Royaume-Uni a décidé la création d’un rapport annuel au Parlement et d’un comité parlementaire, appelé Committee on Arms Export Controls (CAEC), qui réunit des parlementaires issus des quatre commissions compétentes de la chambre des Communes sur la question des exportations d’armement ([61]).

Ce comité, compétent pour les matériels de guerre aussi bien que pour les biens à double usage, examine le rapport annuel du Gouvernement et rédige un contre-rapport qui comprend des questions et des recommandations auxquelles le Gouvernement doit répondre dans les deux mois. Pour réaliser ce contre-rapport, le comité fait appel à des contributions écrites et auditionne des décideurs, des industriels et des personnalités issues de la société civile.

Selon Mme Lucie Béraud-Sudreau et M. Fabian Hamilton, un parlementaire britannique qui a siégé au sein du CAEC, la qualité du travail réalisé par le comité dépend largement de l’implication du président et du niveau d’investissement des parlementaires qui en sont membres. Le comité a obtenu une extension du champ des informations fournies par l’exécutif : le rapport annuel au Parlement a ainsi été complété par la publication trimestrielle de données statistiques commentées. Par ailleurs, les rapports du comité permettent aux parlementaires de s’exprimer régulièrement sur la compatibilité des licences d’exportation avec le respect des droits humains et, de cette manière, d’évoquer l’exportation d’armes vers certains pays autoritaires ([62]). Selon un ancien président du CAEC, le comité aurait ainsi obtenu la révocation de plusieurs licences lors des Printemps arabes ainsi que le lancement d’une « review » de la politique d’exportation du Royaume-Uni pour les équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne.

ii.   L’exportation d’armement mobilise les débats au Bundestag allemand

Le Bundestag dispose d’un pouvoir d’information ex post qui s’exerce sous deux formes. Le Parlement est destinataire d’un rapport semestriel rédigé par le Gouvernement. Par ailleurs, quand le Conseil fédéral de sécurité ([63]) se réunit sur les demandes les plus sensibles, l’exécutif allemand notifie au Bundestag dans les quinze jours les autorisations d’exportations accordées.

Les parlementaires allemands se saisissent largement de cette information pour exercer leur compétence de contrôle dans ce domaine auquel l’opinion est très sensible. Contrairement au modèle britannique, le Bundestag ne dispose pas d’organe de contrôle en propre : les discussions se tiennent à huis clos au sein de la seule commission des affaires économiques et de l’énergie, ce qui est révélateur de la nature d’un débat allemand davantage centré sur les enjeux industriels que les enjeux de défense et de géopolitique.

S’agissant des pouvoirs de contrôle, les parlementaires allemands font un usage important des questions écrites au Gouvernement (70 questions écrites sur ce sujet au premier semestre 2019). Les réponses sont publiées, même si leur contenu est parfois limité compte tenu de l’exigence de protection du secret de la défense nationale et du secret commercial sur les contrats en cours. Par ailleurs, des motions parlementaires non contraignantes, initiées par l’opposition, sont régulièrement discutées au Bundestag, avant d’être le plus souvent rejetées par la majorité.

Les débats au Bundestag n’approfondissent pas les enjeux de fond, produisent peu d’effet sur l’octroi des licences et relèvent davantage de l’affichage de positions de principe politiques que d’un souci d’assurer un contrôle efficace des exportations d’armement.

3.   Pour un contrôle parlementaire responsable et équilibré

a.   Les conditions d’implication des parlementaires

Dans les faits, les parlementaires s’intéressent faiblement aux questions d’exportation d’armement. En théorie, l’exécutif fait valoir que rien n’empêcherait, à l’heure actuelle, les parlementaires d’utiliser des moyens de contrôle existants – questions écrites et orales, auditions de ministres, rapports de contrôle – pour interroger la politique d’exportation de la France. En réalité, vos rapporteurs ont indiqué en introduction que les conditions d’élaboration de ce rapport démontrent que le cadre existant ne permet cependant aucun contrôle réel.

Les conditions d’implication des parlementaires ne sont ainsi pas réunies. Leur rôle aujourd’hui est limité à l’écoute de la parole gouvernementale, ce qui explique le manque d’engagement par les parlementaires. Ces derniers font l’objet de nombreuses sollicitations et n’ont pas le temps nécessaire pour s’investir dans un domaine sauf s’ils peuvent avoir une maîtrise du sujet et apporter une véritable contribution. Sans investissement, ni appropriation des parlementaires, cette politique publique ne sera défendue que par un cercle toujours plus restreint de parlementaires. C’est ce qu’il convient de réexaminer.

b.   Un contrôle qui respecte l’exigence du secret

La création d’un contrôle parlementaire ne doit pas mettre en péril le secret légitime qui entoure les exportations d’armement. Or, le Parlement est le lieu du débat public par excellence, ce qui suscite des inquiétudes. Un contrôle parlementaire responsable suppose que seul un nombre restreint d’élus soient autorisés à connaître des informations confidentielles utiles à l’exercice de leur mission. Ces parlementaires seront tenus au respect du secret.

Cette configuration limite toutefois la possibilité pour les parlementaires de rendre compte de la réalité de leur contrôle devant l’opinion publique. Or, ils doivent pouvoir montrer qu’ils sont en mesure d’avoir un dialogue exigeant avec l’exécutif sur les exportations d’armement. Afin que le contrôle parlementaire puisse être valorisé auprès de l’opinion publique, une communication, qui respecte la confidentialité des informations, devra être faite, notamment à l’occasion des débats parlementaires sur le rapport au Parlement.

c.   Un contrôle qui ne pénalise pas les industriels

S’il doit servir d’aiguillon à la politique de contrôle des exportations de la France, le contrôle parlementaire ne doit pas avoir pour effet de rajouter une étape bureaucratique au sein du processus de contrôle. Surtout, il ne doit pas introduire de l’instabilité dans le système de contrôle : l’image d’une France stable et fiable sur la durée est essentielle, alors même que les contrats d’armement s’étalent parfois sur plusieurs décennies.

De nombreux exemples étrangers, comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, montrent que l’existence d’un contrôle parlementaire n’a pas pour effet d’entraver les exportations d’armement. Même en Suède, pays jugé plutôt responsable sur le plan des ventes d’armes, l’industrie de défense s’accommode d’un contrôle parlementaire très fort.

4.   Quelle approche pour un contrôle a posteriori en France ?

a.   Un contrôle a priori qui n’est pas transposable en France

Vos rapporteurs considèrent qu’il n’est ni souhaitable ni possible d’introduire en France un contrôle parlementaire a priori sur le processus d’octroi des licences, que ce contrôle prenne la forme d’une présence parlementaire à la CIEEMG ou d’un organe parlementaire qui contrôlerait, avant même la délivrance des licences, l’évaluation des risques à laquelle procède la CIEEMG.

Un tel contrôle a priori aboutirait à ajouter une étape bureaucratique supplémentaire dans un processus de contrôle déjà très lourd.

D’un point de vue pratique, le contrôle des 6 500 demandes de licences examinées chaque année représenterait une masse de travail difficile à absorber pour le Parlement. Cette difficulté pourrait certes être dépassée, non pas en fixant des seuils de notification sur le modèle américain, mais en concentrant le contrôle sur les dossiers qui font l’objet d’une réunion plénière de la CIEEMG, voire d’une instruction complémentaire par le cabinet du Premier ministre.

Au demeurant, le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs interdit de mettre les parlementaires en situation de codécision dans ce domaine qui relève de la compétence du pouvoir exécutif. Le Gouvernement disposant de l’administration en vertu de l’article 21 de la Constitution, le Conseil constitutionnel limite la capacité de contrôle du Parlement à l’évaluation a posteriori des politiques publiques au sens large, tout en interdisant le contrôle du processus décisionnel de l’administration. Le principe de la séparation des pouvoirs est susceptible d’une interprétation d’autant plus stricte que l’article 21 de la Constitution confie expressément au Premier ministre la responsabilité de la défense nationale.

À la connaissance de vos rapporteurs, il n’existe pas de jurisprudence constitutionnelle précise sur ce sujet. En revanche, en Allemagne, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a jugé en 2014 que le Parlement devait être informé des exportations d’armement, dans la limite de la protection du secret défense et du secret commercial, mais que la décision d’autoriser ou non une exportation était une compétence exclusive de l’exécutif. Il existe toutefois, en France, une jurisprudence du Conseil constitutionnel dans le domaine connexe du contrôle parlementaire du renseignement. Le Conseil constitutionnel interdit au Parlement de connaître des opérations de renseignement en cours ([64]).

Vos rapporteurs estiment cependant que ces limites à la capacité d’intervention dans le contrôle a priori ne sont pas incompatibles avec le droit, pour les parlementaires, de pouvoir échanger sur des sujets en cours.

b.   Un précédent national : la délégation parlementaire au renseignement

Engagement du président de la République Nicolas Sarkozy, la délégation parlementaire au renseignement (DPR) a été créée par la loi du 9 octobre 2007 ([65]). Bicamérale, elle est composée de quatre députés et quatre sénateurs.

Dotée à l’origine d’un simple rôle de suivi de l’activité générale et des moyens des services spécialisés de renseignement, la DPR s’est vu reconnaître, à l’occasion de la loi de programmation militaire pour 2014-2019, une véritable mission de contrôle et d’évaluation de la politique de renseignement.

Le contrôle exercé par la DPR comporte une limite importante imposée par le Conseil constitutionnel : il ne peut porter sur les opérations en cours ([66]). L’interdiction de connaître des opérations en cours comporte une exception, en matière financière. La DPR dispose d’une commission de vérification des fonds spéciaux (CVFS). Composée de deux députés et de deux sénateurs, membres de la DPR, la CVFS réalise un contrôle sur l’utilisation des fonds spéciaux et dispose, sous cet angle exclusivement, d’un droit de regard sur les opérations en cours.

Chaque année, la DPR rend un rapport confidentiel et un rapport public expurgé des éléments couverts par le secret de la défense nationale, dans lesquels elle fait état de ses observations et recommandations.

Selon Mme Yaël Braun-Pivet, membre de droit de la DPR en sa qualité de présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, la création de la DPR représente une « belle victoire parlementaire ». Malgré la faiblesse de ses moyens administratifs, elle travaille dans un climat de confiance avec les services de renseignement et ses recommandations sont plutôt suivies.

Néanmoins, l’efficacité du contrôle réalisé par la DPR se heurte à la difficulté de l’accès à l’information. En mai 2018, plusieurs sénateurs membres de la DPR ont proposé d’élargir le champ de l’information auquel la DPR a accès. Le Gouvernement s’est opposé à cette initiative en affirmant qu’elle était contraire à la séparation des pouvoirs et à la nécessité de garantir la sécurité des agents. Le débat a été renvoyé à la révision de la loi sur le renseignement prévue en 2021.

La DPR peut-elle étendre ses compétences au contrôle des exportations d’armement ? Comme le renseignement, les opérations d’exportation d’armement se caractérisent par la complexité des dossiers, le nécessaire respect du secret-défense et l’indispensable confiance qui doit s’établir entre les différents acteurs. Le cas de la DPR permet à ce titre d’anticiper les difficultés auxquelles une délégation parlementaire au contrôle des exportations d’armement pourrait se heurter, notamment sur le plan de l’accès à l’information.

Toutefois, plusieurs différences essentielles apparaissent. Le renseignement n’est pas un sujet de controverse pour l’opinion publique qui tend à voir l’action des services de renseignement comme un « mal nécessaire ». La DPR n’a donc pas la même nécessité de communiquer sur son travail, qui reste d’ailleurs totalement inconnu. Par ailleurs, le contrôle des exportations d’armement suppose de s’intéresser aux licences d’exportation en vigueur, à la différence de la DPR qui n’exerce pas de contrôle sur les opérations en cours. Entre les licences d’exportation et les opérations de renseignement, il existe en effet une différence objective liée à la très longue durée dans laquelle s’inscrivent les contrats d’armement.

Vos rapporteurs observent que, sur le fond, ces deux politiques publiques ne se ressemblent pas. Les enjeux diffèrent fortement, ainsi que les acteurs. Le ministère de l’Europe et des affaires étrangères est au cœur de la politique d’exportation alors qu’il est absent de la politique de renseignement. Les exportations d’armement ne sont pas une priorité des services de renseignement, si ce n’est sous l’angle de la contre-prolifération, selon M. Bernard Emié, directeur général de la DGSE.

Il n’est donc pas possible d’élargir le champ de compétence de la DPR pour y intégrer le contrôle des exportations d’armement sans une refonte profonde de cette dernière, ce qui peut entrainer certaines résistances des parties prenantes.

Les différences de fond qui existent entre ces deux activités de contrôle nécessitent donc d’envisager d’autres hypothèses afin de permettre l’instauration d’un contrôle parlementaire sur les exportations d’armement.

Une alternative : créer une autorité administrative indépendante ?

Vos rapporteurs ont examiné l’hypothèse de la création d’une autorité administrative indépendante (AAI) compétente pour contrôler le processus d’octroi ou de refus de licences.

Cette AAI pourrait s’inspirer de la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) qui a été créée par loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. La CNCTR exerce un contrôle a priori en autorisant ou en refusant les interceptions de sécurité (écoutes, géolocalisations, intrusions informatiques, etc.) mises en œuvre par les services de renseignement, au regard de l’impératif de protection de la vie privée.

Cette formule présente plusieurs avantages :

– la composition d’une AAI permet de réunir des personnalités variées à même de croiser les différentes perspectives que suppose l’exercice du contrôle des exportations d’armement ;

– la création d’une AAI est compatible avec une forme de contrôle parlementaire, certes plus distendu, par la nomination de parlementaires dans le collège de l’AAI, le contrôle sur la nomination des présidents des AAI prévu par l’article 13 de la Constitution et la possibilité d’auditionner ces derniers ;

– enfin, compte tenu de ses moyens administratifs, une AAI serait capable de mener une activité plus exhaustive que le Parlement.

Vos rapporteurs relèvent toutefois que la décision d’autoriser ou non un projet d’exportation est un acte éminemment politique. Ces derniers ne sont donc pas favorables à l’idée de créer une AAI dans laquelle le politique ne serait qu’une des parties prenantes. Cela dépossèderait de fait le Parlement de sa responsabilité politique, du point de vue des commissions concernées mais aussi de l’opinion.

c.   Quelle organisation parlementaire pour le contrôle des exportations d’armement ?

La création d’un contrôle parlementaire a posteriori sur les exportations d’armement peut prendre différentes formes.

i.   L’implication directe des commissions permanentes sans structure dédiée

On pourrait imaginer faire exercer ce contrôle directement par les commissions parlementaires permanentes. Des rapporteurs issus de plusieurs commissions et travaillant ensemble sous le sceau du secret de la défense nationale pourraient exercer un contrôle de la politique d’exportation de la France. Cette option a le mérite de se faire à structure constante et de renforcer les commissions permanentes. Mais elle ne garantirait sans doute pas la maîtrise technique et l’implication dans la durée de quelques parlementaires, condition d’un dialogue de confiance et d’un contrôle de qualité. En effet, un contrôle parlementaire sur les exportations d’armement ne sera opérationnel que s’il repose sur une expertise et une méthode de travail propre, en lien avec l’exécutif, comme cela se passe pour la DPR. C’est la raison pour laquelle vos rapporteurs considèrent cette solution comme inopérante.

ii.   Une refonte de la délégation parlementaire au renseignement

Une deuxième possibilité serait de faire évoluer la DPR vers une délégation parlementaire au renseignement et au contrôle des exportations d’armement et des biens à double usage. Cette délégation parlementaire refondée serait composée de deux formations distinctes qui travailleraient indépendamment. Si cette option permet l’instauration d’un contrôle parlementaire sans augmenter le nombre de délégations, elle nécessite une base législative permettant de réviser l’article 6 nonies de l’ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958.

Vos rapporteurs considèrent que cette solution est envisageable mais elle nécessite de faire évoluer une structure qui a déjà sa propre dynamique. La lourdeur et la complexité de cette solution la rendent difficile à mettre en œuvre.

iii.   Une délégation parlementaire bicamérale ad hoc

Les temps ne sont probablement pas à la création de nouvelles délégations parlementaires de contrôle. Lors de la discussion sur le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE), la représentation nationale s’était opposée à la création d’une délégation parlementaire au renseignement d’intérêt économique. Vos rapporteurs considèrent que, dans le cas présent et pour toutes les raisons invoquées précédemment, cette réticence mérite d’être dépassée.

Une délégation parlementaire ad hoc en charge du contrôle des exportations d’armement pourrait être créée par une simple décision en conférence des présidents ([67]) et par des dispositions équivalentes du côté du Sénat.

Cette troisième solution a le mérite de la simplicité et de la rapidité. Elle est donc l’option privilégiée par vos rapporteurs.

iv.   Les caractéristiques de la nouvelle délégation parlementaire en charge du contrôle des exportations d’armement et des biens à double usage

Les développements qui suivent, relatifs à la « délégation parlementaire », concernent son organisation générique, qu’elle prenne la forme d’une délégation ad hoc ou d’une refonte de la DPR.

Compte tenu du besoin de consensus politique, la délégation parlementaire devrait être bicamérale. La présence du Sénat et de l’Assemblée nationale renforce le poids du contrôle. Cette configuration permet également une unité de représentation et de débat qui limite les risques de dissonance entre les parties prenantes.

Le format serait restreint compte tenu de l’exigence de confidentialité, de responsabilité et de confiance dans les relations avec l’administration dans ce domaine sensible. Il devrait associer majorité et opposition de chacune des deux chambres du Sénat et de l’Assemblée. Vos rapporteurs proposent que les présidents des commissions en charge des questions de défense et d’affaires étrangères du Sénat et de l’Assemblée nationale soient membres de droit. La délégation serait aussi composée de deux parlementaires issus de chacune des commissions concernées.

Compte tenu de la complexité des sujets à traiter pour la mise au point de la structure retenue, vos rapporteurs proposent d’engager les premiers travaux sans délai sous la forme d’une commission de travail, si possible mandatée par les deux assemblées.

Proposition  30 : Instituer une délégation parlementaire au contrôle des exportations d’armement et de biens à double usage, bicamérale et en format restreint.

Proposition  31 : Constituer, sur instruction des deux assemblées, une commission de travail, si possible bicamérale, afin d’assurer un premier suivi des exportations permettant d’enrichir le débat sur le rapport au Parlement en 2021 et de préparer le dispositif institutionnel qui sera retenu.

v.   La base juridique et l’accès à l’information

La DPR a été créée par la loi en 2007 pour plusieurs raisons. D’une part, alors que les Gouvernements précédents avaient été réticents vis-à-vis de ce projet, la création de la DPR était un engagement politique du président Sarkozy. D’autre part, certaines caractéristiques de la DPR, en particulier l’autorisation de ses membres à connaître d’informations classifiées, justifiaient le passage par la loi.

En effet, l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires fait du secret « concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure et extérieure de l’État » une exception au pouvoir de communication et d’investigation des commissions parlementaires. Seule une base législative peut autoriser des parlementaires à avoir accès ès qualités (c’est-à-dire sans habilitation) à l’information classifiée utile à l’exercice de leurs missions. C’est le cas des membres de la DPR ainsi que des parlementaires qui siègent à la CNCTR et la commission du secret de la défense nationale (CSDN).

L’argument opposé pour ne pas autoriser l’accès aux informations classifiées concernant les exportations d’armement repose sur le fait que les exceptions législatives ne concernent que la protection des libertés individuelles. Cet argument ne tient que dans le cas de la CNCTR.

À défaut d’une loi, peut-on imaginer d’autres solutions pour permettre l’accès des parlementaires à l’information classifiée ?

Solution collective, un décret pourrait habiliter des parlementaires ou, alternativement, modifier les règles relatives aux personnes pouvant accéder aux informations classifiées.

Solution individuelle, la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), en charge de la protection du « secret-défense », pourrait accorder aux parlementaires de la délégation un certificat de sécurité (secret-défense) pour la durée de leur mission, accompagné d’un engagement de responsabilité signé par le parlementaire.

Ces solutions sont à expertiser du point de vue de la question de la séparation des pouvoirs précédemment évoquée.

À défaut, la délégation n’aurait accès à un partage des informations confidentielles qu’au cas par cas (sans que l’on puisse procéder à une déclassification formelle, qui est alors valable pour tous). C’est la pratique de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale à laquelle le Gouvernement peut, selon une pratique coutumière, communiquer des informations classifiées. Mais il ne le fait qu’à la marge, ce qui tend à montrer que, sans base juridique, l’accès à l’information classifiée est très limité.

L’absence de dispositif juridique constitue donc un handicap certain pour le fonctionnement de la délégation parlementaire. On peut certes espérer que le cadre d’une délégation parlementaire restreinte, beaucoup plus confidentiel que celui d’une commission permanente, faciliterait le partage d’information par les autorités. Les membres de la délégation seraient alors tenus à la confidentialité sur les informations partagées. Notons que cette exigence a été totalement respectée par les parlementaires membres de la DPR et de la CNCTR dans le passé.

Une base juridique est donc importante pour assurer un cadre d’échange d’informations régulier et spécifique. Aux vues des contraintes que pose le cadre de l’ordonnance du 17 novembre 1958 sur l’accès à l’information des parlementaires dans ce domaine, vos rapporteurs estiment qu’une première étape, règlementaire, serait déjà très importante, en facilitant l’accès aux informations pertinentes. Perpétuer la démarche de fond engagée par cette mission d’information à travers un cadre règlementaire intégré au sein du code de la défense serait un réel progrès institutionnel et opérationnel. À terme, un support législatif constituerait le cadre juridique nécessaire à un partage d’informations classifiées avec le Parlement.

Proposition n° 32 : Donner, dans une première phase, une base juridique réglementaire à l’accès aux informations de la délégation parlementaire.

vi.   Le champ du contrôle

Le champ du contrôle de la délégation parlementaire ainsi créée porterait sur la politique nationale de contrôle des exportations d’armement et de biens à double usage. Ce contrôle a posteriori, de nature générale, n’aurait pas vocation à couvrir l’ensemble des dossiers qui font l’objet d’examens en CIEEMG et en CIBDU, mais permettrait, sur une base régulière, d’aborder les dossiers importants du moment et la situation dans les zones les plus sensibles.

Au-delà des échanges oraux, afin d’assurer un contrôle efficace, les membres de la délégation parlementaire devraient pouvoir demander à consulter les licences d’exportation, les demandes ayant fait l’objet d’un refus explicite ou implicite ou d’un retrait de l’instruction, les avis rendus par la CIEEMG, les directives de haut niveau du SGDSN et de la CIBDU, les procès-verbaux des contrôles transmis au CMCAP et, le cas échéant, les rapports des inspections compétentes dans ce domaine. L’administration aurait la possibilité de refuser la consultation de dispositions très sensibles ou d’en purger les éléments transmis.

La délégation parlementaire pourrait procéder à des auditions des membres du Gouvernement et de la haute administration concernés : Premier ministre, ministres à la tête des ministères à voix délibérative à la CIEEMG et à la CIBDU ou leurs représentants, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, le chef d’état-major des armées, le directeur général de l’armement, le directeur général de la sécurité extérieure et le directeur du renseignement militaire. Ces auditions pourraient avoir lieu sur une base trimestrielle ou ponctuellement sur demande liée à une actualité qui le justifierait.

Sur la base des travaux ainsi conduits, la délégation parlementaire pourrait, sur des dossiers spécifiques, formuler des observations et des recommandations au Gouvernement qui resteraient confidentielles. Elle pourrait également faire des recommandations publiques relatives à l’organisation du contrôle en général.

La nouvelle représentation parlementaire devrait aussi publier un rapport d’activité annuel, assorti des recommandations à caractère général. Ce point de vue parlementaire pourrait également porter sur le rapport annuel du Gouvernement concernant les activités de la CIEEMG et de la CIBDU.

 

 

Proposition n° 33 : La délégation parlementaire en charge du contrôle des exportations d’armement et des biens à double usage :

  • exercerait un contrôle a posteriori sur certaines demandes d’exportation d’armement et de biens à double usage faisant l’objet d’un examen en CIEEMG et en CIBDU ;
  • devrait pouvoir demander à consulter les licences d’exportation, les demandes ayant fait l’objet d’un refus explicite ou implicite ou d’un retrait de l’instruction, les avis rendus par la CIEEMG, les directives de haut niveau du SGDSN et de la CIBDU, les procès-verbaux des contrôles transmis au CMCAP et, le cas échéant, les rapports des inspections compétentes dans ce domaine ;
  • procéderait à des auditions des membres du Gouvernement et de la haute administration concernés ou de leurs représentants sur une base trimestrielle ;
  • pourrait transmettre au Gouvernement des observations et des recommandations qui resteraient confidentielles ;
  • publierait un rapport d’activité annuel assorti de commentaires sur le rapport annuel au Parlement et de recommandations à caractère général.

d.   Éclairer l’opinion par un débat public enrichi

Le rapport au Parlement fait l’objet d’une très faible valorisation : depuis 2012, le ministre chargé de la défense présente le rapport sur les exportations d’armement devant la commission de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale. Le débat se tient à huis clos, même s’il fait l’objet d’un compte rendu public expurgé des données jugées confidentielles. On peut regretter que ce débat, au-delà de la présentation par le ministre, se concentre essentiellement sur l’évocation des controverses du moment par certaines oppositions, sur la base d’informations des ONG. Cet aspect du contrôle est certes totalement légitime mais le débat gagnerait à être plus approfondi.

C’est pourquoi vos rapporteurs proposent que ce débat soit alimenté et enrichi par la présentation du rapport annuel de la nouvelle délégation parlementaire aux exportations d’armement. Cela permettrait de mettre en valeur les travaux menés par cette délégation, mais aussi d’apporter un point de vue parlementaire construit et indépendant. On peut espérer que cela permettra une meilleure interactivité et un approfondissement des enjeux et des questionnements par les participants.

Vos rapporteurs proposent également que le rapport soit présenté à l’occasion d’une réunion commune de la commission de la défense et de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Ces deux commissions, comme les ministères dont elles assurent le contrôle, ont des perspectives différentes et complémentaires sur les exportations d’armement. Dès lors que le rapport porte aussi bien sur le soutien que sur le contrôle, il est important de présenter ce rapport devant des parlementaires à même d’apprécier l’ensemble des motifs qui justifient les exportations d’armement ou leur refus. Ce débat mériterait de se tenir en public puisqu’il porte sur un rapport qui est lui-même public.

Vos rapporteurs proposent, si la nouvelle formule rencontre de l’intérêt, de prévoir ultérieurement un débat en séance publique de l’Assemblée nationale (et du Sénat), afin de permettre au Gouvernement d’expliquer la stratégie d’exportation de la France et d’engager un débat contradictoire avec l’ensemble des parlementaires devant l’opinion publique.

 

Proposition  34 : Valoriser et enrichir le débat sur le rapport annuel au Parlement en prévoyant :

 

Le rapport annuel au Parlement devrait également faire l’objet d’un débat « hors les murs » permettant l’échange avec l’ensemble des parties prenantes publiques et privées sous la forme d’une journée d’études. Ainsi, pourrait se tenir, en dehors de l’enceinte parlementaire, une journée d’études ouverte qui puisse réunir les parties concernées – État, parlementaires, ONG, chercheurs, industriels – pour mettre en débat et en perspective le rapport au Parlement et le débat parlementaire sur les exportations d’armement. L’IRIS organisait, par le passé, une réunion spécifique sur le rapport au Parlement et des sujets connexes, qui se tenait dans un cadre privé. Il serait utile de ressusciter cette initiative qui pourrait, comme c’était le cas pour l’IRIS, bénéficier d’un financement de la part de l’État et des industriels.

 

Proposition  35 : Institutionnaliser une journée d’études permettant un débat sur les exportations d’armement avec l’ensemble des parties prenantes publiques et privées.

    


    

    

   Conclusion

Au cours des dernières années, le débat sur le contrôle des exportations d’armement a changé de nature à la faveur d’un changement de contexte technologique, médiatique, politique et juridique qui met en lumière les risques que représentent les exportations sur le plan de la violation des droits humains.

À l’issue de leurs travaux, vos rapporteurs concluent à la robustesse du système de contrôle français et estiment nécessaire de le renforcer, notamment dans le domaine des biens à double usage. Ils font plusieurs propositions à ce sujet.

Vos rapporteurs proposent également la mise en place d’un contrôle parlementaire dans des conditions extrêmement encadrées. Il ne s’agit pas seulement d’une exigence démocratique. C’est aussi une démarche de convergence avec nos partenaires européens, dans le respect de nos spécificités, qui est indispensable si l’on veut construire ensemble cette Europe de la défense et de l’armement si nécessaire aujourd’hui.


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   Examen en commission

Au cours de sa séance du mercredi 18 novembre 2020, la commission examine le présent rapport.

L’enregistrement de cette séance est accessible sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

http://assnat.fr/2nsx96

La commission autorise le dépôt du rapport d’information sur le contrôle des exportations d’armement en vue de sa publication.

 

 

 

 


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   Annexe 1 : Complément d’analyse établi sous la responsabilité de M. Jacques Maire, co-rapporteur,
à l’issue du déplacement de la mission en Égypte

Le cas égyptien : les controverses et risques juridiques concernent peu
le volet stratégique du partenariat

L’Égypte se trouve accusée de nombreux abus sur le plan des droits de l’Homme depuis le retour d’un régime militaire en 2013. Les ONG font état d’un nombre de prisonniers politiques compris entre 80 000 et 90 000 personnes, sans compter le nombre de personnes en situation de détention provisoire quasi-permanente. Ces dernières dénoncent le recours à des mesures liberticides sans fondement juridique pour traquer les opposants de toutes obédiences, comme le repérage sur les réseaux sociaux qui conduit au blocage de sites internet, au gel des avoirs des individus et associations, aux interdictions de voyager, à l’interdiction des réunions, voire même à l’emprisonnement ou la disparition.

Ce contexte alimente les critiques sur les exportations d’armement français vers l’Égypte compte tenu du détournement potentiel de ces matériels à des fins de répression interne. Les polémiques concernent peu les grands contrats stratégiques qui font l’objet d’un soutien à l’exportation, comme les navires et les avions de combat que la France a vendu à l’Égypte, mais se concentrent sur des petits contrats dans le secteur terrestre et les biens à double usage.

Les exportations d’armement vers l’Égypte font l’objet d’une triple mise en cause par les ONG.

Des matériels français destinés à la lutte antiterroriste seraient en réalité utilisés pour des opérations de maintien de l’ordre, lors desquelles des violences sont commises contre les manifestants. Les ONG visent en particulier la vente de véhicules blindés Sherpa et de camions MIDS produits par Renault Truck Defense qui ont été vus dans les rues du Caire au moment des manifestations de 2013.

Deuxièmement, certains matériels français seraient utilisés à l’occasion d’opérations antiterroristes dans le Sinaï et participeraient à la commission de crimes de masse dans cette région (disparitions forcées, arrestations massives, attaques indiscriminées contre les civils, etc.). Au-delà du cas de ces mêmes véhicules blindés Sherpa et camions MIDS, Human Rights Watch évoque des fusils de précision de marque française et même les BPC Mistral utilisés comme plateforme pour les hélicoptères de combat.

Troisièmement, l’Égypte emploierait à des fins de restrictions des libertés démocratiques (blocages de sites internet, mises sous écoute, etc.) des matériels de surveillance, d’interception et d’analyse des communications vendus par la France. L’entreprise française Nexa Technologies, anciennement Amesys, a notamment été mise en cause devant la justice pour la vente de matériels d’interception sur l’Internet à l’Égypte.

Des échanges et de la mission effectuée en Égypte, votre rapporteur garde le sentiment que les équipements d’envergure acquis par l’Égypte n’ont qu’un lointain rapport avec les besoins pressants d’une armée dont la vocation est la défense du territoire national.

Par ailleurs, les exportations ayant entraîné les risques les plus forts n’ont pas fait l’objet de contrôles par la CIBDU ou la CIEEMG : c’est le cas des matériels de surveillance (ce type de matériel n’était pas classé à l’époque) et des blindés légers de type MIDS dont le blindage résistant au calibre 7,62 mm n’est pas suffisant pour entrer dans la classification des matériels de guerre. Cela suppose une adaptation du contrôle qui est abordée dans la deuxième partie du rapport.

Ces achats posent également question sur le plan de la solvabilité de l’État client, alors que le huitième critère de la Position commune de 2008 prévoit que les exportations de matériels militaires doivent être compatibles avec la capacité économique du pays destinataire, « compte tenu du fait qu’il est souhaitable que les États répondent à leurs besoins légitimes de sécurité et de défense en consacrant un minimum de ressources humaines et économiques aux armements ». Aujourd’hui, l’Égypte n’a pas accès aux financements internationaux du fait de sa très grande fragilité financière. Le pays ne parvient pas à subvenir aux besoins sociaux immenses de sa jeune population. Il est certain que l’arbitrage financier massif fait par l’Égypte en faveur de l’appareil militaire ne favorise pas l’avenir de la jeunesse et in fine la lutte contre le terrorisme, au cœur de notre partenariat.

Au-delà de la France, de nombreux pays de l’Union européenne exportent vers l’Égypte, comme la Belgique, l’Italie, la République tchèque ou l’Allemagne, qui a vendu des sous-marins à l’Égypte.

Sur le long terme, l’évolution du débat public est susceptible de remettre en cause la fiabilité de l’offre française aux yeux de l’Égypte. La capacité à honorer nos engagements et à maintenir notre partenariat dans le futur pourrait dépendre du débat politique dans notre pays et de sa prise en compte par l’exécutif. En témoignent les conséquences de la rencontre entre les chefs d’État français et égyptien le 28 janvier 2019. Lors de la conférence de presse conjointe, le président français a évoqué son inquiétude à l’égard du respect des droits de l’Homme en Égypte. Depuis lors, l’Égypte n’a pas conclu de nouveaux contrats avec la France.

 

 

 


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Annexe 2 : Encadrés, tableaux, graphiques et cartes

 

Page 27 Tableau : « Dépense et investissement en matière de défense au sein de l’Union européenne (2017-2018) »

 

Page 28  Encadré : « Existe-il une dépendance à l’export pour les nouvelles technologies liées aux télécommunications qui entrent dans le champ des biens à double usage ? »

 

Page 30 Encadré : « La coopération d’armement : l’exemple de l’Égypte »

 

Page 31 Carte : « Emplois industriels de défense par département »

 

Page 35 Carte : « Les embargos sur les armes en vigueur (ONU, UE et OSCE) au 1e avril 2020 »

 

Page 37 Encadré : « Les réformes du contrôle »

 

Page 40 Graphique : « Processus d’instruction d’une demande de licence individuelle ou globale »

 

Page 41  Encadré : « L’examen des licences d’exportation : un processus « industriel » ? »

 

Page 42 Encadré : « Les directives de haut niveau du SGDSN »

 

Page 43  Encadré : « Octobre 2019 : la suspension des ventes d’armes vers la Turquie »

 

Page 45 Graphique : « Suites données par le CMCAP aux procès-verbaux en 2019 »

 

Page 48 Tableau : « Organisations institutionnelles du contrôle administratif des exportations d’armement dans les différents pays européens »

 

Page 50 Encadré : « Le dispositif américain de contrôle des exportations de produits sensibles »

 

Page 52 Graphique : « Les quinze principaux budgets de défense en 2019 »

 

Page 53 Graphique : « Parts de marchés des dix plus grands exportateurs d’armement au monde »

 

Page 54 Encadré : « Et la France ? » (part de la France dans les exportations d’armement dans le monde)

 

Page 59 Encadré : « Articles 6 et 7 du traité sur le commerce des armes (TCA) »

 

Page 60 Encadré : « Article 2 de la Position commune du Conseil du 8 décembre 2008 »

 

Page 64 Encadré : « Les ONG ciblent-elles plus particulièrement la France ? »

 

Page 84 Encadré : « L’éclatement du contrôle : le cas des matériels de maintien de l’ordre »

 

Page 88 Encadré : « Les États-Unis et le « end-use monitoring » »

 

Page 92 Encadré : « Le contrat de partenariat gouvernemental (CPG) : une solution excellente mais d’exception »

 

Page 94 Tableau : « Principaux clients sur la période 2010-2019 »

 

Page 95 Graphique : « Répartition par région des exportations d’armement de la France sur la période 2010-2019 »

 

Page 105 Encadré : « Le blocage américain à l’export du missile SCALP à l’Égypte »

 

Page 112 Encadré : « Le Royaume-Uni : un modèle de transparence ? »

 

Page 119 Encadré : « Juin 2019 : le réveil du Congrès américain ? »

 

Page 125 Encadré : « Une alternative : créer une autorité administrative indépendante ? »

 

 

 

 

 


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  Annexe 3 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteurs et déplacements

 

Auditions à Paris

M. Geoffroy Elias, responsable des programmes Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT-France) ;

Mme Lucile Grosjean, référente plaidoyer crises humanitaires et conflits d’Action contre la faim (ACF-France) ;

M. Benoît Muracciole, président d’Action Sécurité Éthique Républicaines (ASER), Mme Leila Le Boucher, vice-présidente, M. Christophe Saint-Martin, administrateur, et M. Matteo Bonaglia, avocat ;

M. Guillaume Tournier, vice-président de l’Alliance Internationale pour la Défense des Droits et des Libertés (AIDL), et Mme Jimy Boulos, interprète ;

M. Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes et justice internationale d’Amnesty International ;

Mme Fanny Petitbon, responsable plaidoyer de Care France ;

Mme Leslie Piquemal, responsable plaidoyer du Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS) ;

Mme Béatrice Godefroy, directrice du programme Europe du Center for Civilians in Conflict (CIVIC) ;

M. Dan Mahanty, directeur du programme États-Unis de l’organisation Center for Civilians in Conflict (CIVIC) ;

M. Antoine Madelin, directeur plaidoyer international de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), et Mme Anissa Daboussi, cheffe de projet ;

M. Baptiste Chapuis, chargé de plaidoyer désarmement et protection des civils de Handicap international ;

Mme Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch ;

M. Amr Magdi Refaei, chercheur Égypte de Human Rights Watch ;

M. Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements, et M. Tony Fortin, chargé d’études ;

M. Sylvain Biville, directeur France de Crisis Action, et Mme Racha Mouawieh, responsable des campagnes et du plaidoyer ;

Mme Julie Tenenbaum, conseillère juridique du Comité international de la Croix Rouge (CICR), et M. Raphaël Goncalves Alves, conseiller juridique ;

Mme Aurélie Leroyer, responsable desk Yémen de Médecins du monde

 

M. Jean-Claude Cousseran, ancien ambassadeur et ancien directeur général de la DGSE ;

M. Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense, spécialiste des questions stratégiques internationales ;

Mme Patricia Adam, présidente du cercle de réflexion Orion - Observatoire de défense de la Fondation Jean Jaurès et ancienne présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale ;

M. Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) ;

M. Benjamin Hautecouverture, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) ;

M. Denis Gandelot, consultant pour l’Agence pour la diffusion de l’information technologique (ADIT) et ancien directeur du contrôle des exportations de Safran ;

M. Arnaud Idiart, consultant en export-control ;

M. Patrice Sartre, conseiller conformité pour le Groupement des Industries Françaises de Défense et de Sécurité Terrestres et Aéroterrestres (GICAT) ;

M. Joseph Breham et Mme Laurence Greig, avocats du cabinet Ancile avocat ;

Mme Lucie Béraud-Sudreau, chercheuse à l’International Institute for Strategic Studies (IISS).

 

 

Armement terrestre

Groupement des Industries Françaises de Défense et de Sécurité Terrestres et Aéroterrestres (GICAT) : M. Jean-Marc Duquesne, délégué général ;

Arquus : M. Hervé Desmeulles, officier de sécurité central et administrateur du contrôle des exportations, et M. Pierre-Antoine Rouquette, chef de la cellule contrôle ;

Nexter : M. Arnaud Sainte Claire Deville, directeur des relations institutionnelles France et Europe.

 

Armement naval

Groupement des Industries de Construction et Activités Navales (GICAN) : M. François Lambert, délégué général, M. Jean-Marie Dumon, délégué à la défense et à la sécurité, M. Jacques Orjubin, délégué communication et relations publiques ;

Naval group : M. Hervé Guillou, président-directeur général, M. Fabien Menant, directeur du cabinet du président et directeur des affaires publiques et relations internationales, et M. Maxence Brischoux, adjoint au directeur des affaires européennes et relations internationales ;

ALSEAMAR : M. François-Xavier de Cointet, directeur.

 

Armement aéronautique

Safran : M. Philippe Petitcolin, directeur général, M. Martin Sion, président de Safran Electronics & Defense, et M. William Kurtz, conseiller militaire ;

Dassault Aviation : M. Éric Trappier, président-directeur général ;

Airbus : M. Antoine Bouvier, directeur de la stratégie, fusions et acquisitions, affaires publiques, M. Philippe Coq, secrétaire permanent des affaires publiques, et Mme Annick Perrimond du Breuil, directrice des relations avec le Parlement.

 

Électronique, télécommunications et autres

Sofema : M. Guillaume Giscard d’Estaing, président-directeur général ;

Thalès : M. Patrice Caine, président-directeur général, M. Marc Darmon, directeur général adjoint systèmes d’information et communication sécurisés, Mme Marion Paradas, vice-présidente des relations internationales, Mme Peggy Nahmany, directrice de la communication, Mme Isabelle Caputo, directrice des relations parlementaires et politiques ;

Atos : M. Jean-Marie Simon, directeur général d’Atos France et M. Philippe Duluc, directeur technique big data ;

Office français d’exportation d’armements (ODAS) : M. Daniel Argenson, directeur, M. Roland Codde, directeur technique des programmes, et M. Daniel Thuiller, directeur des opérations et de la qualité.

 

 

Présidence de la République

Secrétariat Général : M. Emmanuel Bonne, conseiller diplomatique, et M. Etienne de Gonneville, conseiller affaires stratégiques ;

Chef de l’État-Major particulier du président de la République : Amiral Jean-Philippe Rolland ;

État-Major particulier : Colonel Pierre Réal.

 

Premier Ministre

Cabinet : M. Benoit Ribadeau-Dumas, ancien directeur, M. Nicolas Revel, actuel directeur, M. Emmanuel Lenain, puis M. Bertrand Lortholary, conseillers diplomatiques, M. Stephen Marchisio, conseiller affaires stratégiques, puis Mme Christile Drulhe, conseillère affaires étrangères.

Cabinet militaire : Colonel Géraud Laborie, conseiller « Air ».

Secrétariat général pour la défense et la sécurité nationale : Mme Claire Landais, secrétaire générale, Général Le Pelletier de Woillemont, secrétaire général adjoint, M. Jean-Hugues Simon-Michel, directeur des affaires internationales, stratégiques et technologiques, M. Bertrand Le Meur, directeur adjoint des affaires internationales, stratégiques et technologiques, M. Gwénaël Jézéquel, conseiller relations institutionnelles et communication, M. Amaury Rezard, conseiller juridique, et Colonel Pierre Vaysse, sous-directeur des exportations de matériels de guerre.

 

Ministère de la Justice

Direction des affaires criminelles et des grâces : Mme Catherine Pignon, directrice, M. Arnaud Faugère, chef du bureau de la lutte contre la criminalité organisée, le terrorisme et le blanchiment, et M. Pierre Grignon, inspecteur principal des douanes et droits indirects.

 

Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères

Cabinet : M. Nicolas Roche, directeur, M. Luis Vassy, directeur adjoint, et M. Simon de Galbert, conseiller affaires stratégiques ;

Direction des affaires stratégiques, de sécurité et du désarmement : M. David Bertolotti, directeur, et Mme Caroline Timon, rédactrice ;

Direction des affaires juridiques : M. François Alabrune, directeur, et M. Nicolas Eybalin, sous-directeur du droit international public.

 

Ministère des Armées

Mme Florence Parly, ministre ;

Cabinet : M. Martin Briens, directeur, M. Hervé Grandjean, conseiller pour les affaires industrielles, et Mme Animya N’tchandy, conseillère parlementaire ;

Direction générale de l’armement : M. Joël Barre, directeur général, M. Thierry Carlier, directeur du développement international, et M. Robin Jaulmes, conseiller du délégué ;

État-major des armées : Colonel Jean-Christophe Leroux, chef de la maîtrise des armements ;

Direction générale des relations internationales et de la stratégie : M. Guillaume Schlumberger, directeur stratégie de défense, prospective et contre prolifération, et M. Étienne Paris, délégué contrôle export ;

Direction générale de la sécurité extérieure : M. Bernard Emié, directeur ;

Direction du renseignement militaire : Contre-amiral Patrick Zimmermann, sous-directeur exploitation ;

Direction des affaires juridiques : Mme Claire Legras, directrice.

 

Ministère de l’Économie et des Finances

Service des biens à double usage : M. Bruno Leboullenger, chef du service.

 

Ministère de l’Intérieur

M. Laurent Nuñez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur ;

Direction Générale de la Sécurité Intérieure.

 

Parlement

Délégation parlementaire au renseignement : Mme Yaël Braun-Pivet, membre de droit ;

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat : M. Christian Cambon, président ;

Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale : Mme Françoise Dumas, présidente ;

Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement : M. Jean-Michel Clément, membre.

 

Ambassade d’Allemagne en France

Son Exc. M. Nikolaus Meyer-Landrut, ambassadeur, M. Juergen Scheller, chef adjoint des services affaires économiques, financières, agricoles et scientifiques, et capitaine de vaisseau Bernd Kuhbier.

 

*

Déplacements

 

Son Exc. M. Stéphane Romatet, ambassadeur, et M. Mohammed Khallouk, attaché d’armement ;

M. Kamel Amer, président de la commission de la défense du Parlement égyptien ;

M. Karim Darwish, président de la commission des affaires étrangères du Parlement égyptien ;

M. Halim Assem, homme d’affaires franco-égyptien ;

Des représentants de la société civile ;

Industriels français en Égypte : Thalès, Dassault Aviation, Naval Group.

 

 

Représentation permanente de la France

M. Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l’Union européenne, et Mme Claire Raulin, représentante permanente de la France au comité politique et de sécurité (COPS).

Conseil de l’Union européenne

Secrétariat général, Affaires étrangères, élargissement et protection civile : M. Kimmo Peippo, chef de l’unité « Sécurité », et Mme Ilze Ozola-Ozolina Poulain, administrateur politique « non-prolifération, désarmement, commerce des armes et biens à double usage ».

Service européen pour l’action extérieure

M. Pawel Herczynski, directeur exécutif pour la PSDC et la réaction aux crises, M. Jacek Bylica, envoyé spécial pour le désarmement et la non-prolifération et chef de la division « Désarmement, non-prolifération et contrôle des exportations d’armement », M. Eran Nagan, président du groupe « Exportations d’armes conventionnelles » (COARM), M. Frank Meeussen, président adjoint du COARM, et Mme Michela Pavoncello, chargée des relations parlementaires.

Commission européenne

Direction générale du commerce : M. Denis Redonnet, directeur « OMC, questions juridiques et commerce des biens », et M. Stéphane Chardon, coordonnateur des politiques - contrôle des exportations des biens à double usage.

 

Chercheurs

M. Luc Mampaey, directeur du Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP), et M. Yannick Quéau, directeur adjoint.

 

 

Ambassade de France : Son Exc. Mme Anne-Marie Descôtes, ambassadrice, M. Guillaume Ollagnier, ministre conseiller, M. François Devoto, premier secrétaire ;

Bundestag : M. Jürgen Hardt, député CDU, M. Henning Speck, conseiller sécurité nationale du groupe parlementaire CDU/CSU, M. Nils Schmid, député SPD, Mme Sandra Weeser, députée FDP, et Mme Katja Keul, députée Verts ;

 

Ministère fédéral des affaires étrangères : Mme Julia Monar, directrice pour le contrôle des exportations ;

 

Ministère fédéral de l’économie et de l’énergie : Mme Christina Decker, sous-directrice du contrôle des exportations d’armement ;

 

Groupement des Industries Allemandes de Sécurité et Défense (BDSV) : M. Hans Christoph Atzpodien, président-directeur général ;

 

Chercheurs : M. Christian Mölling et M. Torben Schütz, spécialistes des questions d’armement au Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik (DGAP).

 

 

 

Ambassade de France : M. Philippe Étienne, ambassadeur de France aux États-Unis, M. Nicolas Tessaud, attaché de défense adjoint armement, et M. Matthieu Fernandez, chargé de mission politique commerciale ;

 

Département du Commerce : M. Cordell Hull, directeur par interim du Bureau de l’industrie et de la sécurité ;

 

Département de la Défense : M. Michael Laychak, directeur adjoint de la Defense Technology Security Administration ;

 

Département d’État : M. Michael Braswell, membre du bureau des affaires politiques et militaires ;

 

Congrès : M. Paul Kerr, chercheur au Congressional Research Services (CRS) ; M. Rob Hunter, M. Edmund Rice et Mme Jessica Steffens, staffers auprès du président et du représentant de l’opposition des commissions des affaires étrangères du Sénat et de la Chambre des représentants.

 

 

Contributions écrites

Ambassade de France au Royaume-Uni.

 

 

 

 

 

 

 


   annexe 4 : Support visuel utilisé par vos rapporteurs à l’appui de la présentation du rapport d’information en commission

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 


([1]) Résolution du Parlement européen du 30 novembre 2017 sur la situation au Yémen (2017/2849[RSP]).

([2]) Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur le respect des engagements internationaux de la France au regard des autorisations d’exportations d’armes, munitions, formations, services et assistance accordés ces trois dernières années aux belligérants du conflit au Yémen, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 6 avril 2018.

([3]) Article 132-75 du code pénal.

([4]) Arrêté du 27 juin 2012 relatif à la liste des matériels de guerre et matériels assimilés soumis à une autorisation préalable d’exportation et des produits liés à la défense soumis à une autorisation préalable de transfert.

([5]) Règlement 428/2009 du Conseil du 5 mai 2009 instituant un régime communautaire de contrôle des exportations, des transferts, du courtage et du transit de biens à double usage.

([6]) À ce régime s’ajoutent, dans le même registre, les biens et règles propres à la convention internationale sur les armes chimiques de 1993 et la convention sur les armes biologiques et les toxines de 1972.

([7]) Il existe certaines exceptions. Par exemple, Nexter a produit le canon Caesar et Naval Group a réalisé la corvette de classe Gowind en autofinancement.

([8]) Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

([9])  Le débat qui entoure le recours par plusieurs services de police et de renseignement d’un outil de traitement de données développé par la société américaine Palantir permet d’illustrer l’importance de ne pas dépendre de services étrangers et de développer des outils souverains. Le marché initié après les attentats du Bataclan a été récemment renouvelé avec cette entreprise. Les services ont confirmé à vos rapporteurs les précautions prises pour que le logiciel utilisé ne soit pas pénétré, mais on ne peut que regretter l’absence d’alternative nationale pour un outil antiterroriste majeur. En 2019, deux groupements ont été mis en compétition : Thalès avec Sopra Steria, et Atos en association avec Capgemini. L’un d’entre eux sera retenu pour déployer la plateforme « Artemis » à partir de 2021.

([10]) Les avions de chasse Mirage III de Dassault joueront un rôle important dans la survie de l’État d’Israël.

([11]) Cette idée est développée dans l’article de Lucie Béraud-Sudreau et de Hugo Meijer, intitulé « Enjeux stratégiques et économiques des politiques d’exportation », paru en 2016 dans la Revue internationale de politique comparée.

([12]) L’export représente seulement 15 % du chiffre d’affaires de la BITD américaine.

([13]) La Position commune de 2008 reprend les dispositions du code de conduite de l’UE en matière d’exportation des produits liés à la défense, qui était issu d’une initiative franco-britannique en 1998.

([14]) La Position commune s’accompagne d’un guide d’utilisation pour orienter l’examen des demandes de licences d’exportation.

([15]) Loi n° 2013-1202 du 23 décembre 2013 autorisant la ratification du traité sur le commerce des armes.

([16]) Système d’information, de gestion et d’administration des licences d’exportation (SIGALE).

([17]) Décret n° 2001-1192 du 13 décembre 2001 relatif au contrôle à l’exportation, à l’importation et au transfert de biens et technologies à double usage.

([18]) En l’occurrence, le ministre de l’Économie et des finances.

([19]) Décret n° 2010-294 du 18 mars 2010 portant création d’une commission interministérielle des biens à double usage.

([20])  Aude Fleurant, Alexandra Kuimova, Diego Lopes da Silva, Nan Tian, Pieter D. Wezeman, Siemon T. Wezeman, « The SIPRI Top 100 Arms producing and Military Services Companies », décembre 2019.

([21])  Chine exceptée, faute de données fiables.

([22])  Pieter D. Wezeman, Aude Fleurant, Alexandra Kuimova, Diego Lopes da Silva, Nan Tian et Siemon T. Wezeman, « Trends in international arms transfers, 2019 », SIPRI Fact Sheet, mars 2020.

([23]) Voir l’annexe 1 : Complément d’analyse établi sous la responsabilité de M. Jacques Maire, co-rapporteur, à l’issue du déplacement de la mission en Égypte.  

([24]) Ces PME « critiques » représentent 500 PME sur les 5 000 que compte l’écosystème de défense.

([25])  Décision (PESC) 2019/1560 modifiant la position commune du Conseil du 8 décembre 2008.

([26])  Proposition de résolution du Parlement sur les exportations d’armement et la mise en œuvre de la Position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008.

([27]) Parmi lesquelles Crisis Action, Action contre la faim (ACF), Care France, Amnesty International, Action Sécurité Éthique Républicaines (ASER), Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), l’Observatoire des armements, Center for civilians in conflict (CIVIC), Handicap International, Cairo Institute for Human Rights Studies (CIHRS), Human Rights Watch (HRW) et Alliance internationale pour la défense des libertés (AIDL).

([28])  Actions contre la Faim, Avaaz, FIDH, Medecins du Monde, Mwatana for Human Rights, Oxfam, Saferworld et War Child.

([29])  Par comparaison, le droit allemand ne reconnaît pas de droit à agir des ONG sur les licences d’exportation, ce qui limite le nombre de contentieux. Seuls les industriels, qui sont directement concernés, peuvent contester une décision de refus ou de suspension de licences.

([30]) En 2019, le Conseil État a estimé que le refus de rapatrier un ressortissant mineur depuis le nord-est syrien relevait d’un acte de gouvernement. La juridiction administrative suprême a également considéré, l’année dernière, que la cession de six zodiacs à la marine libyenne était constitutive d’un acte de gouvernement, quand bien même il ne s’agissait pas de la cession de matériel militaire.

([31]) Joseph Breham et Laurence Greig, « Les transferts d’armes de la France dans le cadre du conflit au Yémen, à compter d’avril 2015 jusqu’à la période actuelle », Ancile Avocats, 16 mars 2018.

([32])  La Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie et la Ligue des Droits Humains, soutenues par Amnesty International.

([33]) Arrêté du 31 juillet 2014 relatif aux exportations d’hélicoptères et de leurs pièces détachées vers les pays tiers.

([34]) Arrêté du 31 juillet 2014 relatif aux exportations de gaz lacrymogènes et agents antiémeute vers les pays tiers.

([35])  Règlement (UE) 2019/125 du Parlement européen et du Conseil du 16 janvier 2019 concernant le commerce de certains biens susceptibles d'être utilisés en vue d'infliger la peine capitale, la torture ou d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

([36])  Rapport d’orientation sur le rapprochement des dispositifs de contrôle des transferts des technologies civiles et militaires sensibles, janvier 2014, non public.

([37]) En Suède et au Royaume-Uni, le contrôle des exportations des différentes catégories de matériels sensibles relève d’une même agence tout en faisant l’objet d’une instruction interministérielle.

([38]) Lucie Béraud-Sudreau, « Support or control ? The politics of arms sales in France and Sweden (1990-2015) », thèse de doctorat en science politique soutenue le 26 juin 2017, p. 611.

([39]) Loi n°2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

([40]) Le décret n° 2019-1590 du 31 décembre 2019 et l'arrêté du même jour permettent au gouvernement de bloquer une acquisition si la prise de participation envisagée par un investisseur étranger porte sur au moins 25 % du capital d'une entreprise française. Les activités contrôlées concernent notamment les matériels de guerre et assimilés, les biens et technologies à double usage, la sécurité des systèmes d'information, la cryptologie, l'interception des correspondances ou la détection à distance des conversations ou la captation de données informatiques. Les technologies critiques sont la cybersécurité, l'intelligence artificielle, la robotique, la fabrication additive, les semi-conducteurs, les technologies quantiques et le stockage d'énergie.

([41]) 200 entités nouvelles ont été inscrites sur cette liste en 2019, dont le groupe chinois Huawei.  

([42]) Loi n° 2019-551 du 3 juin 2019 autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique relatif à leur coopération dans le domaine de la mobilité terrestre. Publiée au Journal Officiel du 4 juin 2019.

([43]) En vertu de l’article 53 de la Constitution, « les traités de paix, les traités de commerce, les traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, ceux qui engagent les finances de l'État, ceux qui modifient des dispositions de nature législative, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes, ceux qui comportent cession, échange ou adjonction de territoire, ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu'en vertu d'une loi ».  

([44]) Accord entre le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne et le Gouvernement de la République française sur les exportations vers les pays tiers des matériels d’armement, développés et/ou produits en coopération, signé à Bonn le 7 décembre 1971 et à Paris, le 7 février 1972.

([45]) Traité entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, signé à Aix-la-Chapelle, le 22 janvier 2019.

([46]) Décret n° 2019-1168 du 13 novembre 2019 portant publication de l’accord sous forme d’échange de lettre entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérale d’Allemagne relatif au contrôle des exportations en matière de défense (ensemble une annexe), signées à Paris le 23 octobre 2019.

([47])  Les derniers documents signés dans ce domaine entre la France et l’Allemagne, les accords Debré-Schmidt, n’ayant jamais été ratifié depuis 1972.

([48]) En Allemagne, l’État n’est pas actionnaire des industriels de l’armement allemands, de sorte que les choix de produire « ITAR-free » relèvent essentiellement de choix privés.

([49]) Loi n° 96-589 du 2 juillet 1996 relative à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002.

([50]) À une exception près, en 2003, lors de laquelle le rapport n’est pas paru.

([51]) Dans cette première édition, le rapport au Parlement ne portait que sur le soutien aux exportations.

([52]) Le lien vers l’outil de recherche de CAAT est le suivant : https://www.caat.org.uk/resources/export-licences.

([53]) La délimitation du secret de la défense nationale est elle-même une information protégée.

([54]) Les éléments sont consultables sur le site du Bureau des affaires du désarmement des Nations unies.

([55]) Ces échanges ont lieu au sein du groupe « Exportations d’armes conventionnelles » (COARM).

([56]) La base de données des exportations britanniques est accessible via le lien suivant : https://www.exportcontroldb.trade.gov.uk/sdb2/fox/sdb/.

([57]) Dénommée l’Inspection pour les produits stratégiques (ISP). Aucun ministère n’est représenté au sein de l’ISP car ces derniers sont porteurs de conflits d’intérêts, aux yeux des Suédois !

([58]) Lucie Béraud-Sudreau, Samuel B. H. Faure, Michael Sladeczek, « Réguler le commerce des armes par le Parlement et l’opinion publique. Comparaison du contrôle des exportations d’armement en Allemagne, France, Royaume-Uni et Suède », Politique européenne, 2015/2 (n°48), pages 82-121. URL : https ://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2015-2-page-82.htm.

([59]) L’ONG Center for Civilians in Conflict (CIVIC) défend un abaissement du seuil de notification afin de pouvoir mieux cibler les contrats à hauts risques.

([60]) Il s’agit des pays de l’OTAN et de l’Australie, Israël, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée. Les seuils de notification des autorisations d’exportation vers ces pays alliés sont plus élevés que pour les pays tiers.

([61]) Les quatre commissions parlementaires sont la commission de la défense, la commission des affaires étrangères, la commission du commerce international et la commission du développement international.

([62]) Le 14 décembre 2016, les présidents de la commission du développement international et du CAEC ont publié une lettre adressée au ministre des affaires étrangères, M. Boris Johnson, appelant le Gouvernement à revoir sa position sur les exportations d’armes vers l’Arabie Saoudite dans le contexte du conflit au Yémen. Lien : https://www.parliament.uk/documents/commons-committees/Arms-export-controls/161214-IDC-and-CAE-%20to-FCO-regarding-UK-arms-sales-to-Saudi%20Arabia.pdf.

([63]) Le Conseil fédéral de sécurité est présidé par la chancelière allemande et réuni les ministres compétents.

([64]) Décision n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001.

([65]) Loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007 portant création d’une délégation parlementaire au renseignement.

([66]) La DPR peut toutefois connaître des activités opérationnelles achevées.

([67]) Comme l’ont été, par exemple, la délégation aux outre-mer et la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.