N° 3648

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 décembre 2020.

RAPPORT  D’INFORMATION

 DÉPOSÉ 

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ([1])

sur le partage de la valeur au sein des entreprises et ses conséquences sur leur gouvernance, leur compétitivité et la consommation des ménages.

 

 

 

 

M. Dominique Potier et Mme Graziella Melchior,

Députés

——

 


 

La mission d’information sur le partage de la valeur au sein des entreprises et ses conséquences sur leur gouvernance, leur compétitivité et la consommation des ménages est composée de : M. Dominique Potier et Mme Graziella Melchior, corapporteurs ; Mmes Anne Blanc, Laurence Gayte, Marguerite DeprezAudebert, et M. Philippe Huppé, membres.


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SOMMAIRE

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 Pages

AVANT-PROPOS de m. Dominique POTIEr, rapporteur

AVANT-PROPOS de mME graziella melchior, rapporteure

PREMIÈre partie :  le partage de la valeur ajoutÉe : qui capte la valeur crÉÉe par l’entreprise ?

I. Le partage de la valeur ajoutÉe des entreprises : un État des lieux

A. Le partage de la valeur ajoutÉe des entreprises : de quoi parle-t-on ?

B. Le partage de la valeur entre le travail et le capital

1. Une relative stabilité du partage de la valeur en France qui ne doit pas masquer une grande hétérogénéité des situations

a. Une relative stabilité au niveau macroéconomique

b. Une grande diversité de situations au niveau microéconomique

2. Au niveau mondial, une baisse tendancielle de la part attribuée au travail ?

a. La thèse d’une baisse tendancielle de la part attribuée au travail dans le monde

b. Quatre facteurs d’explication principaux

C. le partage du profit

1. Les principaux postes de l’excédent brut d’exploitation

2. Une évolution marquée par la forte croissance des dividendes

a. Sur le temps long, une croissance des dividendes incontestable

b. Depuis 2009, un hiatus sur l’ampleur des dividendes versés

D. la dispersion des rémunérations du travail

1. La dispersion des salaires en France : les principaux constats

a. Le niveau actuel des écarts de rémunération

b. Les principales tendances de long terme

c. Les inégalités salariales sont relativement plus faibles en France qu’ailleurs

d. Les écarts varient en fonction des secteurs et de la taille de l’entreprise

2. L’envol des très hautes rémunérations dans les très grandes entreprises

a. Le décrochage des rémunérations perçues par les dirigeants du CAC 40 et du SBF 120

b. Les écarts entre la rémunération perçue par les dirigeants et celles des salariés

c. La place croissante de la part variable

d. Un phénomène mondial

II. la place des salariÉs dans le partage de la valeur : Des enjeux Économiques et sociÉtaux multiples

A. LEs enjeux Économiques

1. La question de l’attractivité

2. La question de la compétitivité et de la productivité

3. La question de la consommation des ménages

B. Les enjeux sociaux et sociétaux

1. Un enjeu de justice et de cohésion sociales

2. Un enjeu écologique

seconde PARTIE : QUELS LEVIERS ACTIONNER POUR mieux partager la valeur créÉe par l’entreprise ?

I. Franchir une nouvelle étape en matière de transparence

A. UN CADRE juridique progressivement renforcé

1. Des règles de transparence concernant les rémunérations perçues par les dirigeants des sociétés cotées

2. Les obligations introduites par la loi PACTE concernant les écarts de rémunération

3. Les informations contenues dans la déclaration de performance extrafinancière

4. Un droit à la communication pour les actionnaires de l’ensemble des entreprises

5. Un droit d’information pour le comité social et économique

B. UN CADRE QUI PRésente des faiblesses

1. Des obligations au périmètre restreint

2. Un premier bilan décevant du ratio d’équité

3. Une application contrastée des bases de données économiques et sociales

C. un cadre à parfaire

1. Assurer le respect de l’intention du législateur exprimée dans la loi PACTE : un préalable essentiel

2. Élargir le champ d’application des obligations de transparence

3. Lever le voile de la sous-traitance

4. Améliorer les bases de données économiques et sociales et construire à partir de ces dernières un indicateur du partage de la valeur

5. Faire de la question des écarts de rémunération et du partage de la valeur l’un des piliers du reporting sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE)

II. ContrÔler et limiter les dérives des rÉmunÉrations perçues par les dirigeants des grandes entreprises

A. Le say on pay : un dispositif de contrôle actionnarial

B. limiter les dÉrives liÉes aux rÉmunÉrations variables : un approfondissement encore nÉcessaire

1. Poursuivre l’encadrement des indemnités de départ et des retraites chapeau

2. Surveiller la progression des actions gratuites dans la part de la rémunération des dirigeants

3. Conditionner la rémunération variable perçue par les dirigeants à des critères extra-financiers

4. Poser un principe simple d’exemplarité : la rémunération des mandataires sociaux ne peut augmenter en cas de plan social

III. L’encadrement des écarts de rémunération en question

A. Le principe général de libre détermination des salaires

B. Des cas précis d’encadrement des rémunérations existent

1. Un encadrement de l’ordre de 1 à 20 dans les entreprises publiques

2. Des écarts limités dans l’économie sociale et solidaire (ESS)

C. La question du ratio dans le débat public

D. LEs positions des rapporteurs

1. La position de votre rapporteur M. Dominique Potier

2. La position de votre rapporteure Mme Graziella Melchior

IV. Mener une réflexion pour soutenir les bas salaires, au-delà du périmètre de l’entreprise

V. PARTAGER LA VALEUR : donner un nouvel élan aux dispositifs du partage du profit et du capital

A. UnE NOUVELLE DYNAMIQUE pour l’intéressement et la participation

1. Des dispositifs anciens, aux avantages nombreux

2. L’intéressement et la participation : des modalités de fonctionnement proches

3. Un cadre incitatif récemment rehaussé

a. La suppression partielle du forfait social

b. Le rehaussement du plafond individuel de l’intéressement

c. Une responsabilisation des partenaires sociaux

d. Des mesures de simplification nombreuses

4. La persistance d’un certain nombre de faiblesses

a. Un développement très contrasté, au désavantage des salariés des petites entreprises

b. Des dispositifs peu ancrés dans la culture des petites entreprises

c. Une complexité indéniable

d. Une répartition inégalitaire entre les salariés d’une même entreprise

e. Un manque de dynamisme de la négociation collective au niveau des branches

5. Donner un nouvel élan à la participation et à l’intéressement

a. Permettre à tous les salariés de bénéficier de la participation

b. Moderniser la formule de la participation, devenue obsolète

c. Faire de la participation et de l’intéressement un levier de réduction des inégalités

d. Supprimer le forfait social sur la participation ?

e. Lier l’intéressement aux enjeux de RSE

f. Rendre l’intéressement plus attractif pour les entreprises de l’économie sociale et solidaire

g. Réaffirmer le caractère complémentaire des primes d’intéressement et de participation par rapport au salaire

B. UN OBJECTIF AMBITIEUX EN MATIère d’actionnariat salarié

VI. Partager le pouvoir pour partager la valeur

A. La place des salariés dans le conseil d’administration s’est peu à peu renforcée

1. Une reconnaissance progressive

2. Le pouvoir et le statut des administrateurs salariés

B. franchir une nouvelle étape

1. Un bilan en demi-teinte

2. Les pistes pour aller plus loin

a. Une proposition commune : renforcer la place des administrateurs salariés dans les comités de rémunération

b. Les propositions complémentaires de votre rapporteur M. Dominique Potier : aller vers une codétermination à la française

c. Les propositions complémentaires de votre rapporteure Mme Graziella Melchior : conforter les avancées permises par la loi PACTE

Liste des propositions

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES


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   AVANT-PROPOS de m. Dominique POTIEr, rapporteur

 

En rendant visible le caractère vital de métiers mal rémunérés, l’épisode pandémique a mis en évidence notre interdépendance planétaire mais également sociale. Il nous permet d’ouvrir à nouveau un débat largement méprisé ces dernières années : l’échelle des salaires comme un choix profondément politique qui traduit l’échelle de valeur d’une société.

Cette mission d’information, menée avec la députée Graziella Melchior, a pour l’essentiel observé le cycle économique de la décennie qui suit la crise de 2008, elle peut ainsi d’autant plus éclairer nos choix pour celle ouverte en 2020 par la crise de la Covid.

Partager la valeur, une question de justice

À la pauvreté structurelle qui mine notre société s’ajoute aujourd’hui celle provoquée par la crise sanitaire : plus d’un million de personnes supplémentaires sous le seuil de pauvreté en novembre 2020.

Cette lutte contre la pauvreté est une question de justice avant d’être une question de charité. C’est celle contre les inégalités dans toutes leurs dimensions
– la France a un indice de Gini de 0,374 avant redistribution –. Il s’agit ici d’en finir avec la fiction libérale de la théorie du ruissellement. Inefficiente, cette vision d’une croissance mue par l’appât du gain est insoutenable dans un monde aux ressources finies. Les plus riches s’accaparent des biens communs au détriment de l’ensemble de la société, tandis que les plus pauvres ne sont pas en mesure de participer à la transition écologique.

Partager donc. Si la justice sociale est un sommet politique à atteindre, nous pouvons dire que nous avons exploré depuis des décennies la « face Nord », celle de l’État providence. Non sans succès puisque les inégalités primaires après redistribution sont réduites de 8,4 à 3,9 entre les 20 % des ménages les plus et les moins aisés. Un itinéraire français à l’aune des autres pays européens finement décrit par l’étude de France Stratégie récemment publiée ([2]).

L’objet de ce rapport est d’explorer « la face Sud », celle d’une réduction des inégalités à la source.

Même si tout ou presque reste à faire pour en atténuer l’effet, le déterminisme des héritages patrimoniaux et culturels comme fabrique massive des inégalités sociales en France est aujourd’hui bien documenté.

Notre mission s’est donc attachée à dresser un état des lieux d’un autre facteur, celui de la distribution des revenus primaires ([3]) : la rémunération du capital et du travail au sein de l’entreprise.

*

Un débat parlementaire engagé au début de ce quinquennat

Ce travail s’inscrit dans la lignée de l’initiative parlementaire ouverte en 2017 visant à repenser l’entreprise dans la perspective d’une société plus juste et d’une nouvelle voie européenne dans la mondialisation ([4]). Le partage de la valeur était un des neufs principes d’une réforme systémique répondant à la fois à des questions éthiques et techniques, comme en rend compte l’exposé des motifs d’une seconde proposition de loi déposée en juin 2020 :

« Limiter les écarts de salaire est constitutif du contrat social mais aussi de notre dessein économique et écologique commun. La démesure dans la concentration des richesses épuise nos vies et la planète. À l’inverse, poser une limite ouvre la voie à un rééquilibrage avec d’autres sphères de l’existence. […] Tandis que la distribution inique de la valeur produite induit une désolidarisation effective au sein de l’entreprise, le fait de poser une limite aux écarts de revenu génère une solidarité mécanique entre les dirigeants et l’ensemble des salariés reconnus comme partie constituante de celle-ci. Engager un tel changement, c’est choisir la « common decency » de Georges Orwell contre le « there is no society » de Margaret Thatcher… » ([5]).

Cette perspective, qui fait écho aux idées issues du mouvement syndical et des ONG ainsi qu’à des travaux universitaires comme ceux du cycle du Collège des Bernardins, a contribué à nourrir le rapport « Notat/Senard », et les débats législatifs de la loi PACTE en 2018.

Tous les petits pas sont bons à prendre si tant est qu’ils ne fassent pas illusion. Si nous partageons l’utilité d’expliciter la mission et la « raison d’être » de l’entreprise, il demeure que l’essentiel reste à nos yeux sa « façon de faire ». Le partage de la valeur apparaît ici comme une épreuve de vérité.

*

 

 

État des lieux

Ce rapport permet de renseigner deux réalités majeures :

– d’une part, la permanence d’une France au revenu médian net de 1 789 euros avec 80 % des travailleurs dont le salaire mensuel oscille entre le SMIC et 3 000 euros ;

– d’autre part, et sur le long cours, la grande déformation entre revenus du capital et du travail. Nous posons l’hypothèse qu’un certain capitalisme financier a non seulement capté une part exorbitante de la valeur ajoutée par les dividendes mais a aussi in fine corrompu les règles de distribution des revenus au sein du monde du travail lui-même. En témoigne notamment l’indécence des rémunérations des dirigeants dans les grandes entreprises et plus subrepticement dans l’ensemble de la société si nous pensons, à titre d’exemple, à la démesure des revenus dans certaines professions libérales.

L’analyse des données démontre en creux que l’incapacité du modèle français à réduire les inégalités ne résulte pas exclusivement de certaines rémunérations excessives au sein du monde de l’entreprise. C’est aussi la conséquence du nombre de nos concitoyens qui sont exclus des protections contractuelles : chômeurs et salariés en temps partiel subi, travailleurs pauvres et précaires dans un univers du travail fragmenté par la sous-traitance en cascade et l’uberisation. Mieux partager l’allocation de la valeur au sein de l’entreprise doit avoir comme dessein de permettre à cette dernière d’être plus inclusive. Le champ de la justice ne se limite en effet pas seulement à la question du niveau de revenu numéraire, elle passe aussi par un ensemble de droits et devoirs qu’il nous faudra avoir le courage de mettre à plat. Elle passe également par l’accès pour tous à une activité source de dignité. Champ inexploré de notre mission, le partage de la valeur est indissociable de celui du temps de travail.

Au fond, la perspective ouverte par notre rapport d’inventer des voies de prévention des inégalités à la source est à la fois humaniste et réaliste. En effet, l’effort de redistribution pour corriger imparfaitement les effets d’un mauvais partage de la valeur peut devenir un handicap à sa création.

Face au cynisme de ceux qui génèrent l’injustice – y compris par l’évasion fiscale – tout en dénonçant l’État providence, la recherche d’un nouvel équilibre entre la répartition primaire et secondaire des richesses peut devenir une façon de renouveler le contrat social en profondeur.

 

 

 

 

Partager l’avoir, partager le pouvoir : nos propositions

La « face Sud », c’est à notre sens poser des limites par la loi à l’indécence des écarts de rémunération, notamment par le mécanisme fiscal du « facteur 12 ». Qui peut en effet se prévaloir, quel que soit son mérite et son talent, de créer en un mois plus de richesses que quiconque en un an ? Nous sommes collectivement héritiers de l’œuvre de ceux qui nous ont précédés et redevables de la communauté de travail à laquelle nous appartenons : c’est ce que nous nommons notre « endettement mutuel ».

La « face Sud », c’est aussi engager un processus de transformation porté par la société elle-même. Ce dernier suppose des instruments de mesures clairs et un double mouvement de démocratisation :

 démocratisation sociétale, par la création d’un indice de partage de la valeur des entreprises, qui, à l’instar de l’empreinte carbone, donnerait un levier d’action au citoyen dans son statut de consommateur, d’épargnant mais aussi de collaborateur à l’heure où une part de la nouvelle génération vise à mettre l’humain au cœur de l’économie ;

 démocratisation à l’intérieur de l’entreprise par un rééquilibrage du dialogue social à tous les niveaux. Ce lien fondamental entre partage de l’avoir et du pouvoir a été mis en évidence par le chercheur Felix Hörisch qui a démontré que la codétermination a un fort effet égalisateur sur la répartition des revenus dans les entreprises de pays de l’UE et de l’OCDE ayant mis en œuvre ce dispositif de gouvernance ([6]). Entre l’épuisement du modèle dominant et l’expérience pionnière de l’économie sociale, la codétermination ouvre pour notre pays une voie de transition heureuse pour le partage et la création de valeurs communes.


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   AVANT-PROPOS de mME graziella melchior, rapporteure

La pandémie de la Covid-19 nous a cruellement rappelé la nécessité de réfléchir plus vite au monde que nous voulons léguer aux générations futures. La sortie de crise sera réussie si le monde d’après est différent de celui d’avant, si, en particulier notre modèle économique en sort plus vert, plus juste et plus solidaire.

Les citoyens veulent une économie plus durable et plus respectueuse de l’environnement. La loi n°2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, les mesures de rénovation énergétique et de choix d’énergie, le plan de relance qui consacre 30 milliards d’euros à la transition écologique, les propositions de la Convention citoyenne pour le climat sont autant de voies pour y parvenir. Les jeunes générations y sont particulièrement sensibles et appellent aussi à une création de valeur qui fasse sens et qui vise un impact social positif.

Les mouvements sociétaux aspirent à un monde plus juste et plus équitable. La crise sanitaire et ses conséquences économiques ont mis en évidence la présence d’inégalités encore trop importantes au sein de notre société. Inégalités face au risque d’exposition au virus, inégalités d’accès aux soins, inégalités de conditions de vie, de pouvoir d’achat, etc. Cette crise a mis également en évidence la dévalorisation salariale de certains métiers, pourtant essentiels : aides-soignants, agents d’entretien, caissiers, etc. Autant de héros, majoritairement féminins, qui ont permis à nos citoyens de continuer leur vie quotidienne malgré les mesures de confinement.

En même temps, nous avons aussi entendu que des dirigeants d’entreprise voyaient leurs revenus grimper et continuaient de recevoir des dividendes. Une attitude contestable qui mérite que l’on s’intéresse au haut de l’échelle des revenus et aux écarts de rémunérations avec le bas de l’échelle.

Depuis le début du quinquennat, pourtant, le Gouvernement a eu à cœur de refonder notre économie en y insufflant plus d’égalité. Avec des textes comme la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ([7]), et son index d’égalité entre les femmes et les hommes, et la loi PACTE ([8]) encourageant à une nouvelle gouvernance des entreprises, une meilleure répartition de la valeur et une meilleure association des salariés aux décisions, l’objectif est d’agir sur tous les plans : égalité dans l’accès à la formation, égalité des sexes, compléments de rémunération par la participation et l’intéressement.

Dans la continuité des améliorations de la loi PACTE, la mission d’information que nous avons conduite avec mon collègue Dominique Potier depuis juillet a voulu dresser un état des lieux du partage de la valeur au sein des entreprises françaises, à en étudier les effets sur la compétitivité, la gouvernance et le pouvoir d’achat, et enfin à identifier des leviers d’amélioration.

À travers les différentes auditions que nous avons menées, nous avons pu constater dans un premier temps que le partage de la valeur entre le capital et le travail en France est marquée par une relative stabilité au niveau macroéconomique, observée depuis les années 1950. Cette réalité doit cependant être nuancée si l’on se place à l’échelle microéconomique : ce partage varie beaucoup en fonction des caractéristiques des entreprises observées (taille, secteur d’activité, etc.). Plusieurs économistes ont en effet observé une déformation du partage de la valeur en faveur du capital chez les grandes entreprises.

Notre rapport affine son échelle en se positionnant au sein même de l’entreprise. Bien qu’en comparaison avec ses voisins européens, la France fasse figure de bonne élève, le constat est clair : depuis plusieurs années, les écarts salariaux entre les plus hautes et les plus basses rémunérations se sont creusés. Cela est principalement dû à l’envol des rémunérations, notamment la part variable, des dirigeants des très grandes entreprises.

Ce phénomène n’est pas récent, le droit français a très vite voulu agir en mettant en place des règles spécifiques. En 2016, avait été créé à cet effet un dispositif de contrôle actionnarial sur les politiques de rémunération des dirigeants, le « say on pay ». Ses résultats étant assez faibles, ce dispositif a été récemment renforcé par une ordonnance du Gouvernement. Allant au-delà des exigences européennes, le « say on pay » français doit encore faire ses preuves, et les effets de l’ordonnance de 2019 sont très attendus.

Malgré l’existence de ces dispositifs de contrôle, le problème des inégalités salariales est toujours d’actualité au sein de notre société. Pourtant il n’a pas sa place dans le capitalisme du XXIe siècle. Comme l’a souligné M. Bruno Le Maire, lors de la présentation du rapport « Lanxade-Perret » de 2019, « Le nouveau capitalisme, c’est un capitalisme qui est capable de tenir compte de la juste rémunération des salariés ». C’est donc avant tout un enjeu de justice sociale. Une réduction des écarts de rémunération représente également une opportunité économique, en permettant aux ménages les plus modestes de consommer plus.

Certains secteurs ont déjà fait des écarts limités un fondement même de leur politique de développement. C’est le cas notamment de l’économie sociale et solidaire. L’attribution de l’agrément entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS) est, par exemple, conditionné à une politique de partage de la valeur équitable. Le fort développement de ce secteur depuis ces dernières années illustre bien qu’il est possible de concilier performance sociale et performance économique.

Face à ces différents constats, il est nécessaire d’agir sur quatre volets :

– renforcer le plus possible la transparence sur les niveaux de rémunérations au sein de l’entreprise. Il faut en effet poursuivre l’élan apporté par la loi PACTE avec le ratio d’équité. Mon collègue et moi-même avons formulé plusieurs propositions allant en ce sens. Lever l’opacité des informations relatives au partage de la valeur au sein des entreprises est le premier pas à faire pour identifier les mauvaises pratiques et les corriger ;

– réformer les dispositifs d’intéressement et de participation pour qu’ils soient plus équitables, et plus représentatifs de la contribution des salariés, et afin de mieux les associer aux bénéfices de l’entreprise. Il faut inciter un plus grand nombre d’entreprises à mettre en place ces outils de partage de la valeur ;

– refonder la gouvernance de nos entreprises, en renforçant la place des salariés dans ses instances décisionnelles. La loi PACTE introduit déjà certaines mesures en ce sens, mais nous proposons d’aller plus loin ;

– enfin, en ce qui concerne la revalorisation des bas salaires, il est nécessaire que le dialogue social s’en empare, et l’État a un rôle pour lui donner un nouvel élan. C’est dans ce sens que le Premier ministre a organisé en octobre dernier une conférence pour le dialogue social. Cette dernière a mis en lumière la volonté des partenaires sociaux de travailler sur une meilleure reconnaissance des salariés et le renforcement de l’égalité dans le partage de la valeur.

Ce n’est qu’en agissant sur ces différents volets que nous pourrons définir une politique publique efficiente pour lutter efficacement contre les inégalités salariales. Notre société actuelle, en pleine mutation, aspire à une économie plus juste, plus équitable et surtout qui ait du sens. Les différentes propositions formulées dans ce rapport pourront alimenter les réflexions en réponse à cette aspiration.


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   PREMIÈre partie :
le partage de la valeur ajoutÉe : qui capte la valeur crÉÉe par l’entreprise ?

I.   Le partage de la valeur ajoutÉe des entreprises : un État des lieux

A.   Le partage de la valeur ajoutÉe des entreprises : de quoi parle-t-on ?

La question du partage de la valeur ajoutée est un thème classique de l’analyse économique ainsi qu’un débat récurrent dans la sphère publique et politique. Cette question renvoie d’abord au débat ancien sur la répartition de la richesse entre les facteurs de production : le travail et le capital. Les enjeux relatifs au partage de la valeur posent la question sous-jacente du juste niveau de répartition de la richesse, en fonction d’objectifs qui peuvent relever tant de l’efficacité économique que d’un certain idéal de justice sociale. Mais la dialectique entre le travail et le capital est loin d’épuiser le débat autour de la question du partage de la valeur. Ainsi, une analyse fine du partage de la valeur nécessite également d’étudier la répartition de la valeur au sein de chacune des sous catégories du capital et du travail. En effet, et pour paraphraser le rapport remis par le directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), M. Jean‑Philippe Cotis, au Président de la République en 2009 sur le partage de la valeur ajoutée ([9]), un même volume de revenus peut renvoyer à des situations très différentes. Du côté du capital, la répartition de la valeur pose la question de l’équilibre entre la part qui revient aux actionnaires, celle qui revient à l’État, aux créanciers, à l’entreprise elle-même, voire aux salariés ([10]). Du côté du travail, la répartition de la valeur mène à la question des écarts de rémunération et des inégalités salariales ; il s’agit en bref de répondre à la question suivante : de quelle façon est distribuée la valeur correspondant au travail entre les salariés ? Enfin, la question du partage de la valeur pose également en filigrane la question du partage des valeurs, au sens figuré cette fois. Ce glissement sémantique montre que la question de la répartition de la valeur doit aujourd’hui être abordée dans un contexte où la place de l’entreprise dans la cité est considérablement repensée, comme en ont fait état les récents débats législatifs autour de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « PACTE ».

Un rappel des définitions et agrégats retenus dans la comptabilité nationale est nécessaire. Selon la définition retenue par l’INSEE, la valeur ajoutée recouvre la valeur de la production, diminuée des consommations intermédiaires. À l’échelle d’un secteur ou de l’économie, la valeur ajoutée se définit comme la somme des valeurs ajoutées des agents qui la composent, soit selon la comptabilité nationale, les entreprises, les administrations publiques et les ménages. À l’échelle de l’entreprise, la valeur ajoutée correspond à la différence entre la production et les consommations intermédiaires utilisées. La valeur ajoutée ([11]) se décompose donc classiquement pour chaque entreprise en deux formes principales : la rémunération des salariés et l’excédent brut d’exploitation.

Par rémunération des salariés, la comptabilité nationale entend l’ensemble des dépenses engagées par l’employeur en lien direct ou indirect avec l’emploi de ses salariés. Au sens de la comptabilité nationale, la rémunération des salariés comprend ainsi :

– les salaires et traitements bruts ;

– les cotisations sociales patronales, effectives ou imputées ;

– les primes ;

– la rémunération des congés et des jours fériés ;

– la participation et l’intéressement ;

– les éventuels avantages en nature (chèques restaurants, logements de fonction…).

L’autre partie de la valeur ajoutée constitue le profit, ou l’excédent brut d’exploitation (EBE). L’EBE sert principalement aux usages suivants :

– le paiement des taxes assises sur l’EBE, dont l’impôt sur les sociétés ;

– le versement d’intérêts, net des intérêts reçus ;

– la distribution des dividendes, nette des dividendes perçus ([12]) ;

– diverses autres opérations (prestations sociales versées au titre des régimes d’employeurs, nettes des cotisations reçues, primes d’assurance‑dommage, nettes des indemnités reçues, autres transferts courants divers) ;

– et enfin, l’épargne, constituée des sommes restantes une fois les autres versements réalisés.

En outre, la comptabilité nationale identifie une troisième composante de la valeur ajoutée, constituée des impôts de production, nets de subvention. Cette composante est d’ampleur bien plus faible en comparaison des parts versées au travail et au profit, elle est par conséquent souvent exclue des analyses statistiques sur la question du partage de la valeur.

B.   Le partage de la valeur entre le travail et le capital

L’observation des évolutions relatives au partage de la valeur n’est pas chose aisée et fait l’objet de nombreux débats, y compris entre spécialistes et universitaires. En effet, les analyses peuvent varier considérablement selon les conventions statistiques utilisées, les périmètres retenus et les points de départ historiques choisis. Cette problématique se complexifie encore lorsqu’il s’agit d’observer cette question à l’échelle internationale et d’établir des comparaisons. Les fragilités et incertitudes méthodologiques sont nombreuses sur la question de la mesure du partage de la valeur et appellent donc à la prudence. Cette mise en garde étant formulée, un constat global n’en peut pas moins être dressé.

Les chiffres de la comptabilité nationale conduisent au constat suivant : globalement, le partage de la valeur entre le capital et le travail en France est marqué par une relative stabilité observée depuis les années 1950. À une échelle d’observation très fine, on peut noter une légère baisse de la part allouée au travail sur cette période, de l’ordre du point de pourcentage. On peut globalement indiquer que la part du capital se situe aux alentours d’un tiers et celle du travail aux alentours de deux tiers. Cette stabilité sur le temps long dissimule néanmoins des fluctuations importantes à plus court terme.

Au-delà des frontières françaises, la situation paraît assez contrastée. Un relatif consensus se dégage pour indiquer qu’on observe plutôt une tendance à la baisse de la part du travail, en particulier aux États-Unis ainsi que dans certains pays de l’Union européenne.

1.   Une relative stabilité du partage de la valeur en France qui ne doit pas masquer une grande hétérogénéité des situations

a.   Une relative stabilité au niveau macroéconomique

Partant des chiffres de la comptabilité nationale, le partage de la valeur ajoutée des sociétés non financières en France se caractérise par une relative stabilité, comme l’illustre le graphique ci-dessous. À moyen et court terme, des déformations peuvent être relevées.

graphique : Évolution de la part des salaires en pourcentage de la valeur ajoutÉe (1949  2018)

Source : à partir des données de la compatibilité nationale (INSEE)

Entre les années 1950 et 1970, le partage de la valeur est globalement stable. Le travail représente alors une part dans la valeur ajoutée légèrement plus importante qu’aujourd’hui et fluctue autour de variables situées entre 65 et 70 % de la valeur ajoutée. Ces fluctuations s’expliquent par les variations du cycle économique. Dans le rapport « Cotis », l’INSEE met ainsi en avant une corrélation positive entre la phase du cycle économique et la part de la valeur ajoutée consacrée au travail : en France, en période de crise, la part de la rémunération consacrée aux salariés tend mécaniquement à augmenter, au détriment de la part consacrée au profit. Ce mécanisme s’expliquerait par le fait que le travail s’ajuste plus lentement que le capital aux modifications du cycle économique, en raison principalement des dispositifs de protection de l’emploi et des salaires.

Dans les années 1970, le partage de la valeur se déforme en faveur du travail. Un maximum est atteint en 1981, où la part du travail atteint plus de 73 % du total de valeur ajoutée. Les salaires bruts et les cotisations sociales employeurs voient ainsi leur part augmenter considérablement, tandis que parallèlement, les marges des entreprises atteignent des niveaux historiquement bas. Consécutive au premier choc pétrolier, cette hausse paraît liée aux règles d’indexation des salaires sur les prix, dans un contexte fortement inflationniste.

À partir des années 1980, une nouvelle déformation se produit, cette fois-ci en faveur du capital et au détriment du travail. La part consacrée au travail baisse de 10 points environ. Cette déformation s’explique par les politiques économiques dites de désindexation des salaires par rapport aux prix prises dans le cadre de la stratégie économique dite de « désinflation compétitive », décidée dans le contexte du tournant de la rigueur. Dans le même temps, les profits se restaurent et la hausse des taux d’intérêt réels observée à l’époque a un impact positif sur la rémunération du capital.

Depuis la fin des années 1980, le partage de la valeur est resté globalement stable, autour de variables situées aux alentours de 65 % de la valeur ajoutée. La crise de 2008 a eu un très léger effet à la hausse sur la part du travail, qui s’explique là aussi par les aléas du cycle économique. En 2019, selon les chiffres de la comptabilité nationale, la rémunération des salariés représente 64,1 % de la valeur ajoutée.

Face à ces différents constats, il convient de souligner que la période retenue comme point de référence joue un rôle non négligeable dans les grandes tendances que l’on peut dégager : en prenant comme point de référence le début des années 1980, la part consacrée au travail enregistre une nette baisse. Toutefois, il est, selon le rapport « Cotis », « le plus souvent admis que ce point de départ ne correspondait pas à une situation d’équilibre ». En prenant comme point de référence la période précédant le choc pétrolier, le décrochement paraît plus limité.

Il convient également de souligner que la méthodologie employée par l’INSEE ne donne pas une vision complètement exhaustive de l’évolution de la part travail dans les entreprises : ces évolutions concernent les seules sociétés non financières ([13]). La valeur ajoutée produite par les ménages et les administrations publiques sont exclues du champ de l’analyse. La valeur ajoutée produite par les sociétés financières, qui représente environ 5 % de la valeur ajoutée globale est également exclue, pour des raisons de conventions statistiques ([14]). Enfin, la valeur ajoutée produite par les entreprises individuelles n’est pas comptabilisée. Ces entreprises peuvent avoir des salariés, dont les salaires seront bien inclus dans la rémunération globale du travail, mais l’essentiel de leur valeur ajoutée provient d’un revenu mixte d’exploitation qui rémunère tout à la fois le travail et le capital de l’entrepreneur.

b.   Une grande diversité de situations au niveau microéconomique

Le partage de la valeur ajoutée varie beaucoup en fonction des caractéristiques des entreprises observées. Un quart des entreprises consacre aux salaires plus de 89 % de leur valeur ajoutée. Un autre quart y consacre moins de 44 %. Cette variabilité dépend de la taille de l’entreprise, du secteur d’activité, de son degré d’exposition à la concurrence internationale, de sa position dans la chaîne de production ou encore de son ancienneté ([15]). Dans les grandes entreprises ([16]), la part salariale est inférieure de 11 points à la moyenne nationale. Dans les entreprises de taille intermédiaire ([17]), cette part s’établit en moyenne à 67 %. Cela s’expliquerait en partie par le fait que les grandes entreprises réalisent en moyenne plus de profits que les autres ; cette augmentation de la part consacrée au capital se traduisant mécaniquement par une baisse de la part attribuée au travail ([18]). Au niveau des secteurs d’activité, la part des salaires atteint ainsi 80 % dans la construction, mais seulement 30 % dans le secteur immobilier ([19]). Dans les secteurs du commerce et de l’industrie, qui représentent respectivement 18 % et 35 % de la valeur ajoutée totale, la part moyenne de la rémunération du travail est de 62 % ([20]). Ainsi, une entreprise relevant d’un secteur très industriel à forte intensité capitalistique va nécessairement moins distribuer la part de sa valeur ajoutée au travail qu’une entreprise des services où l’essentiel de la production repose sur le facteur travail.

2.   Au niveau mondial, une baisse tendancielle de la part attribuée au travail ?

a.   La thèse d’une baisse tendancielle de la part attribuée au travail dans le monde

Une littérature économique abondante dresse le constat d’une déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment du travail depuis les années 1980 - 1990 dans de nombreuses économies avancées. Certains soulignent que cette part croissante des revenus du capital constitue un facteur important d’explication de l’augmentation des inégalités de revenus, la part des revenus du capital étant croissante par rapport au niveau de revenu des ménages ([21]). De nombreux travaux universitaires et institutionnels, y compris établis par le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), s’accordent ainsi pour décrire une baisse globale de la part consacrée au travail dans les pays développés.

Dans ce contexte, la France ferait plutôt figure d’exception. Une étude récente conduite par le Trésor, considère ainsi que, globalement, « depuis le milieu des années 1990, la part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée a diminué dans la plupart des grands pays de l’OCDE, sauf au Royaume-Uni où elle augmente et en France où elle est quasi-stable ([22]) ». Une autre récente étude de l’OCDE montre un repli de la part consacrée au travail entre 1995 et 2017 dans environ la moitié́ des pays étudiés (dont l’Allemagne, le Japon et les États-Unis). L’étude souligne toutefois que la part du travail est restée globalement constante, ou a augmenté́, dans la moitié restante (notamment en France, en Italie et au Royaume-Uni).

 


graphique : variation de la part du travail hors secteur primaire

 

Source : La moyenne de l’OCDE est la moyenne pondérée par le PIB de la variation de la part du travail dans les 31 pays étudiés dans l’analyse. L’année de début correspond à la moyenne des deux années 1994-1995 pour l’Australie, la République de Corée, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, la France, le Japon, la Norvège, la Nouvelle-Zélande et la Suède, 19951996 pour l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, l’Estonie, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, Israël, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, la Slovaquie, la République tchèque, le Royaume-Uni et la Slovénie, 1997-1998 pour le Canada et 2000-2001 pour la Pologne. L’année de fin est la moyenne des années 2016-2017 pour tous les pays sauf pour les États-Unis, la France, la Norvège, la Slovaquie, le Royaume-Uni, la Slovénie et la Suède (2015-2016), pour le Canada, la Corée, Israël, le Japon et la Nouvelle-Zélande (2014-2015) et pour l’Irlande (2013-2014).

Source : base de données de l’OCDE sur les comptes nationaux, base de données STAN de l’OCDE, édition annuelle des statistiques de la population active de l’OCDE et base de données EU KLEMS.

Les biais méthodologiques de la mesure du partage de la valeur selon l’INSEE ([23])

Une récente étude de l’INSEE souligne plusieurs biais méthodologiques pouvant fausser l’analyse du partage de la valeur.

Le point de départ de l’analyse joue en effet un rôle crucial. L’exclusion du travail indépendant ([24]) et la prise en compte des revenus immobiliers du côté du capital ([25]) peuvent également influencer grandement les résultats finalement obtenus.

Une fois ces biais corrigés, les auteurs indiquent ne pas observer « de diminution structurelle de la part du travail en France » et constatent « même une légère augmentation sur les vingt dernières années. Aux ÉtatsUnis, la part du travail a certes diminué mais il ne s’agit pas d’une diminution séculaire : la part du travail ne montre aucune tendance avant 2000 mais une brutale diminution entre 2000 et 2015 ».

 

b.   Quatre facteurs d’explication principaux

De nombreux économistes mettent en avant le rôle du progrès technologique (robotisation, numérisation) et la fragmentation des chaînes de valeurs liée à la mondialisation pour expliquer la baisse tendancielle de la part de la valeur ajoutée consacrée au travail.

Les évolutions propres au monde du travail constituent un facteur d’explication supplémentaire. Ainsi, la baisse de la syndicalisation et les réformes du marché du travail ont pu conduire à affaiblir le pouvoir de négociation des salariés, au détriment de la part travail ([26]).

Pour plusieurs auteurs et économistes entendus par vos rapporteurs, le développement des firmes dites « superstars » peut également être un facteur d’explication de la déformation du partage de la valeur en faveur du capital. L’expression « superstar » permet d’illustrer le phénomène selon lequel certaines grandes entreprises américaines, en particulier dans le domaine du numérique, occupent une place dominante sur le marché ([27]). Le renforcement de la concentration de certains marchés, qui a pour corollaire la réduction de la concurrence, tend à accroître la capacité de ces entreprises à réaliser des profits importants, avec un impact mécanique à la baisse sur la part de la valeur ajoutée consacrée aux salaires. À cet effet de composition s’en ajoute un autre : cette position dominante peut également avoir pour conséquence de renforcer le pouvoir de négociation de ces firmes sur le marché du travail, ce qui peut tendre à la compression des salaires ([28]).

Enfin, certains économistes avancent également que la gouvernance des entreprises peut expliquer la diminution de la part consacrée au travail. Ainsi, selon une récente étude publiée par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), « le progrès technologique n’explique pas tout » et la baisse tendancielle de la part allouée au travail peut également se comprendre au travers d’une gouvernance des entreprises de plus en plus favorable aux actionnaires et le pouvoir croissant pris par les investisseurs institutionnels ([29]). Ainsi, selon le CEPII : « la part des actions des sociétés non financières détenues par ce type d’investisseurs est passée de 40 % en 1980 à 84 % en 2015 aux ÉtatsUnis, et de 40 % en 1995 à 60 % en 2015 en Europe. Le rôle accru de ce type d’investisseurs explique la part croissante de la valeur ajoutée redistribuée aux actionnaires, et partant la part croissante des profits dans la valeur ajoutée. Ainsi, plus le rôle des investisseurs institutionnels est élevé, plus la part de la valeur ajoutée distribuée aux actionnaires et donc la part des profits augmente, et plus la part revenant au travail baisse. Ces évolutions expliquent à elles seules près de la moitié de la baisse de la part salariale en Europe et aux États-Unis depuis le début des années 1980 ». On peut toutefois relever que ce constat est dressé pour les ÉtatsUnis et l’Europe mais pas pour le cas particulier de la France. En outre, les auteurs du CEPII avancent que « [ces évolutions] peuvent également expliquer le ralentissement de l’investissement en Europe et aux ÉtatsUnis », ce qui signifie donc que les modifications de gouvernance peuvent conduire à des pratiques consistant à renforcer la part du profit versée aux actionnaires, au détriment de l’investissement.

C.   le partage du profit

1.   Les principaux postes de l’excédent brut d’exploitation

En 2019, l’EBE des sociétés non financières représente, selon les données de la comptabilité nationale, 420,6 milliards d’euros. Le premier poste concerne l’épargne brute, qui atteint 293,6 milliards d’euros, soit 69 % de l’EBE et 23,2 % de la valeur ajoutée. Avec 50 milliards d’euros, les revenus de la propriété occupent le deuxième poste, soit 12 % de l’EBE. Les revenus de la propriété correspondent globalement à deux grands types de dépenses ([30]) pour l’entreprise :

– le versement des intérêts nets, qui équivaut, en 2019, à 12,6 milliards d’euros ;

– le versement des dividendes nets, qui atteint, en 2019, 37,4 milliards d’euros.

Le troisième grand poste de dépenses concerne principalement l’impôt sur les sociétés ([31]). Avec 48,5 milliards d’euros en 2019, ce troisième poste recouvre environ 11 % de l’EBE et 3 % de la valeur ajoutée. Il faut également noter que l’EBE recouvre un certain nombre d’autres transferts et prélèvements qui occupent des parts beaucoup moins significatives que les trois postes énumérés.

 

L’épargne et la participation

Les revenus de l’épargne et de la participation sont dans le cadre comptabilité nationale comptabilisés comme des revenus du travail. Comme le soulignait le rapport « Cotis », « une ambiguïté existe pour l’épargne salariale : il s’agit d’une participation aux profits, mais qui rémunère un travail ».

Le rapport « Cotis » indiquait ainsi qu’on pouvait s’intéresser à la part de l’épargne salariale au sein d’un concept de profit brut qui inclut cette participation, mais qui exclut les impôts, charges d’intérêts et autres transferts. À l’époque le rapport concluait qu’« avec cette convention, (…) environ 7 % des profits vont actuellement aux salariés – en sus de leur salaire  , avec une forte concentration sur les grandes entreprises, contre environ 36 % aux détenteurs du capital. Le reste va à l’autofinancement de l’investissement et, éventuellement, à l’accroissement du matelas de trésorerie ».

2.   Une évolution marquée par la forte croissance des dividendes

a.   Sur le temps long, une croissance des dividendes incontestable

Concernant l’évolution dans le temps de la distribution du profit, quelques grandes tendances peuvent être identifiées. Le schéma ci-dessous fait état des principales évolutions.


graphique : composantes de l’excédent brut d’exploitation en % de l’EBE

Source : à partir des données INSEE (Les comptes de la nation en 2019, base 2014)

Du côté de l’épargne, celle-ci se contracte nettement en cas de crise économique. C’est le cas dans les années 1970. Une part croissante des investissements a alors été réalisée via l’emprunt, d’où une très nette augmentation de la part de l’EBE consacrée au versement des intérêts. L’épargne retrouve son niveau initial à la fin des années 1980. À la fin des années 1990, une nouvelle baisse s’observe. Selon le rapport « Cotis », cette baisse n’est plus imputable à la contraction des marges mais à la croissance des revenus distribués et en particulier à la croissance de la part consacrée aux dividendes. Depuis 2008, la part de l’épargne dans l’EBE regagne du terrain, traduisant le phénomène de restauration des marges des entreprises, notamment sous l’effet des mesures d’offre prises par les gouvernements successifs (pacte de responsabilité, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi).

C’est du côté des revenus de la propriété que les évolutions sont les plus marquantes. Après avoir très fortement augmenté dans les années 1970, la part des intérêts nets versés dans l’EBE a largement décru depuis le début des années 1990. Parallèlement, à partir des années 1990, la part des dividendes nets augmente considérablement.

 

Comment est déterminé le niveau des dividendes versés ?

« Les dividendes sont un revenu versé aux actionnaires, propriétaires des titres de l’entreprise cotée. À ce titre, ils disposent d’un droit de contrôle sur l’entreprise, notamment via des droits de vote en assemblée générale des actionnaires. C’est lors de cette assemblée que l’attribution et le montant des dividendes sont décidés, sur proposition du conseil d’administration (CA) de l’entreprise. Le CA est un organe collégial composé d’administrateurs nommés par les actionnaires. Sous certaines conditions, les salariés peuvent être présents au conseil, tout comme ils peuvent être actionnaires salariés et être également présents à ce titre. C’est le conseil qui nomme le directeur général de l’entreprise. Le CA participe à la définition de la stratégie de l’entreprise et à la politique de redistribution de dividendes. Le montant des dividendes tient compte en général du résultat net. Ainsi, le taux de distribution – part du résultat net distribuée en dividendes – caractérise en partie l’orientation stratégique de l’entreprise et la politique de répartition de la valeur dans l’entreprise. L’analyse de la part des dividendes dans l’évolution de la VA implique d’être contextualisée au regard de plusieurs éléments tels que le contexte macroéconomique de la période, la capacité ou le retard d’investissement du secteur, le taux de distribution de dividendes dans le secteur concerné également, la source de financement des dividendes (dette?), ou encore le rythme de l’évolution des rémunérations des salariés » ([32]).

En valeur absolue, les dividendes nets ont quadruplé entre 1993 et 2009. Les dividendes bruts atteignent des sommes encore plus importantes et ont quasiment quintuplé. Cette différence entre dividendes nets et dividendes bruts provient de la part croissante des flux financiers intragroupes.

tableau : montants des dividendes bruts et nets en milliards d’euros

Années

Montants des dividendes bruts en milliards d’euros

Montant des dividendes nets en milliards d’euros

Part dans l’EBE

des dividendes nets

1993

46,8

11,7

7 %

2005

167,7

30

10 %

2009

216,1

48,1

15,9 %

2011

194,7

41,8

12, 8 %

2014

173,4

20,4

6, 1 %

2018

195,6

33, 8

8, 8 %

2019

202,2

37,4

8 %

Source : à partir des données INSEE (Les comptes de la nation en 2019, base 2014)

L’accroissement de la part dans la valeur ajoutée et dans l’EBE des revenus nets versés aux actionnaires traduit un effet de substitution entre le financement des entreprises par l’emprunt et le financement des entreprises par fonds propres. En outre, l’évolution des dividendes est également influencée par la fiscalité du capital. Ainsi, l’augmentation des dividendes en 2019 (+ 3,4 %, après + 15,9 % en 2018) s’explique, selon l’INSEE, du fait de la fiscalité favorable à la suite de la mise en œuvre du prélèvement forfaitaire unique en 2018.

On peut également relever que le partage de la valeur ajoutée et celui du profit varie beaucoup en fonction de la taille des entreprises concernées. La question des dividendes n’échappe pas à la règle. Seule une petite et moyenne entreprise (PME) sur six distribue des dividendes. La part des grandes entreprises qui versent des dividendes est bien plus élevée, mais elle reste inférieure à 50 %. Les très grandes entreprises se détachent du lot.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’évolution du profil et du comportement des actionnaires

Concernant l’évolution du profil des actionnaires en France, les années 1990 ont été marquées par une « grande rupture », liée au rôle croissant joué par les investisseurs institutionnels états-uniens. Selon M. Tristan Auvray, maître de conférence en économie, « malgré cette rupture, l’actionnariat des grandes sociétés cotées a connu une forte stabilité dans ses niveaux de concentration depuis 2002, ce qui ne doit pas dissimuler la montée, aux côtés des actionnaires de contrôle traditionnels, de nouveaux actionnaires de contrôle (fonds souverains, hedge funds, et groupes étrangers) ([33]) ».

Le comportement des actionnaires peut jouer un rôle majeur sur le fonctionnement de l’entreprise et de l’économie dans son ensemble, en fonction de la durée de détention des dividendes et de leur réinvestissement ou non dans une activité productive. Le rapport « Notat-Senard » ([34]) relève ainsi que « la présence de fonds anglo-saxons au capital des entreprises françaises, le benchmark systématique de leurs performances financières avec celles d’entreprises soumises à ces exigences de maximisation, et le recours aux bonus en fonction de critères principalement financiers ont renforcé (…) une certaine dictature du court-terme et des résultats financiers, une prise du pouvoir par les actionnaires à partir des années 1980 ». Et le rapport de citer également un ensemble d’études tendant à prouver l’impact négatif d’un actionnariat court-termiste. À titre d’illustration, le court-termisme des actionnaires peut limiter les dépenses en recherche et développement des firmes européennes innovantes. Le droit prévoit déjà un certain nombre de règles pour favoriser l’actionnariat de long terme. Ainsi, en vertu des articles L. 225-123 et L. 225-124 du code de commerce, les actionnaires des sociétés cotées conservant leurs titres plus de deux ans disposent d’un droit de vote double. Dans ce contexte, certains préconisent d’aller plus loin, à l’image de la Fondation Jean Jaurès qui propose, pour responsabiliser les actionnaires, d’accorder un droit de vote triple pour les actions détenues depuis plus de cinq ans ([35]).

b.   Depuis 2009, un hiatus sur l’ampleur des dividendes versés

Les chiffres de la comptabilité nationale font état d’une baisse importante du montant des dividendes nets versés, après un pic atteint en 2009. Depuis 2013, les chiffres fluctuent et semblent marquer une nouvelle hausse, comme en témoigne le graphique ci-dessous.


graphique : Évolution des dividendes nets en milliard d’euros
entre 2003 et 2019

Source : à partir des données INSEE (Les comptes de la Nation en 2019, base 2014)

Mais d’autres sources aboutissent à des résultats sensiblement différents.

La Banque de France calcule un agrégat relatif aux dividendes versés aux actionnaires ([36]). Selon cet indicateur, la croissance des dividendes est régulière. Une baisse limitée est observable en 2009 et la courbe retrouve ensuite son dynamisme.

graphique : part des actionnaires dans le revenu global ([37])

Source : Banque de France

Enfin, selon Oxfam et à partir des données fournies dans la lettre Verminen « entre 2009 et 2018, les versements aux actionnaires du CAC 40 ont augmenté de 70 % », comme il en est fait état dans le graphique ci-dessous.


graphique : versements aux actionnaires indice CAC 40 (2003-2019),
en milliard €

Source : Oxfam et le Basic à partir des données de le Lettre Vernimman

Comme l’explique le rapport du Conseil national de l’information statistique (CNIS) portant sur la question du coût du capital ([38]), des différences de champ peuvent expliquer en partie ces différences de constat :

– les données relatives au CAC 40 portent sur des groupes dont la plupart sont fortement implantés à l’étranger. Le dividende versé retrace donc en partie les résultats de l’activité située hors de France, alors que les données de l’INSEE portent sur les dividendes versés par des unités légales situées en France ;

– contrairement aux données du CAC 40 et à celles de l’INSEE, les données de la Banque de France ne sont pas consolidées : elles agrègent les dividendes versés par toutes les sociétés présentes dans le champ, sans neutraliser les flux de dividendes intragroupe ;

– enfin, l’INSEE à travers les tableaux de la comptabilité nationale a une visée exhaustive et couvre donc toutes les entreprises. Les données de la Banque de France couvrent quant à elle les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 75 000 euros.

Il n’est toutefois pas certain que ces différences de champ suffisent à expliquer la divergence des résultats obtenus. Ainsi, le rapport du CNIS indique qu’il « semble peu probable que les problèmes de champ puissent à eux seuls expliquer les différences d’évolution entre la comptabilité nationale et la Banque de France ». Dans un article de la presse spécialisée, l’économiste M. Michel Husson critique ce « décalage incompréhensible » entre les différentes données obtenues ([39]). L’auteur met notamment en cause les changements de bases statistiques de l’INSEE.

Vos rapporteurs appellent donc à une standardisation des méthodes de calcul concernant le partage de la valeur ajoutée et plus particulièrement concernant la mesure des dividendes, au regard des nombreuses incertitudes encore existantes.

D.   la dispersion des rémunérations du travail

Si le partage de la valeur entre le travail et le capital est marquée par une relative stabilité, cette répartition ne dit rien de la dispersion des salaires et de son évolution au cours du temps. Ainsi, un partage de la valeur globalement stable masque des évolutions contrastées concernant la dispersion des salaires, qu’il convient d’étudier.

1.   La dispersion des salaires en France : les principaux constats

Les grandes lignes du constat sont les suivantes : globalement, si le ratio entre le salaire au-dessus duquel se trouvent les 10 % les mieux payés et le salaire au-dessous duquel se trouvent les 10 % les moins payés est de l’ordre de 3 et reste globalement stable depuis de nombreuses années, l’écart continue de se creuser au niveau des très hauts salaires. En outre, la dispersion en fonction de la taille de l’entreprise et du secteur d’activité donne des indications pertinentes.

Avant d’en venir à l’analyse, quelques précisions méthodologiques sont nécessaires. Pour l’INSEE, les écarts de rémunération sont généralement appréhendés à l’aune du salaire, net de prélèvement sociaux, qui rentre dans l’assiette de l’impôt sur le revenu. Ne sont donc pas pris en compte les revenus du capital, les stock-options, ou les montants d’épargne salariale lorsque ceux-ci ne sont pas versés immédiatement mais placés sur un plan d’épargne entreprise. Si cette convention statistique s’entend sur le plan technique, vos rapporteurs regrettent que l’outil statistique ne permette pas une prise en compte générale des revenus du capital versés pour « récompenser » un travail, car les revenus du capital peuvent atteindre des parts considérables des rémunérations perçues par un certain nombre de cadres et de dirigeants, comme développé supra.

Inégalités de revenus, inégalités salariales, de quoi parle-t-on ?

Plusieurs notions distinctes peuvent être utilisées pour mesurer les inégalités de rémunération et comprendre leur signification. Celles-ci sont exploitées et définies par l’INSEE. Il faut ainsi distinguer :

 le salaire net (de cotisations salariales, de contribution sociale généralisée [CSG] et de contribution au remboursement de la dette sociale [CRDS]), qui est le salaire perçu effectivement par le salarié avant prélèvement de l’impôt sur le revenu. Calculé à partir du salaire net fiscal, il ne comprend pas la participation et l’intéressement placés sur un plan d’épargne entreprise, car ceux-ci ne sont principalement pas imposables, mais il inclut les cotisations patronales pour complémentaires santé obligatoires. Il intègre les primes et les bonus imposables, mais pas les rémunérations en actions, qui peuvent être importantes pour les plus hauts salaires. De même, concernant les sportifs professionnels, les rémunérations en droits à l’image ne sont pas intégrées.

– Le salaire en équivalent temps plein (EQTP) est un salaire converti à un temps plein pendant toute l’année, quel que soit le volume de travail effectif. Pour un agent ayant occupé un poste de travail durant six mois à 80 % et ayant perçu au total 10 000 euros, le salaire en EQTP est de 10 000/(0,5*0,8) = 25 000 euros par an. Pour calculer le salaire moyen en EQTP ou sa distribution, tous les postes, y compris ceux à temps partiel, sont pris en compte au prorata de leur volume de travail effectif (soit 0,5*0,8 = 0,4 EQTP dans l’exemple précédent). Il faut ainsi différencier les comparaisons effectuées en fonction du salaire EQTP de celles effectuées en fonction du revenu salarial. Les comparaisons effectuées en fonction du revenu salarial ont pour base de calcul le salaire net mais le salaire n’est pas converti en équivalent temps plein. Dès lors, les évolutions mesurées en fonction du revenu salarial rendent compte des différences de rémunération liées au nombre d’heures travaillées. Le temps partiel, dont une partie importante est subie, est donc pris en compte dans cette mesure alors qu’il n’apparaît dans les évolutions mesurées en EQTP.

 le revenu d’activité, qui correspond à la moyenne mensuelle des rémunérations que retire un individu de l’ensemble de ses activités (salariées dans le secteur privé – hors secteur agricole – et dans le public, ainsi que non salariées), quel que soit le temps de travail effectué (celui-ci n’étant pas mesurable pour les activités non salariées). Il permet ainsi de tenir compte de la multiactivité. Il est net des cotisations sociales, mais intègre la CSG et la CRDS. Le revenu d’activité des non-salariés est calculé à partir du revenu professionnel imposable auquel sont réintégrés certains allégements fiscaux et cotisations sociales facultatives : bénéfice net des entrepreneurs individuels classiques, rémunérations des gérants majoritaires incluant une partie des dividendes perçus, chiffre d’affaires des micro-entrepreneurs après abattement pour frais professionnels. Le revenu d’activité des non-salariés n’est toutefois pas directement comparable à celui des salariés du privé et de la fonction publique, puisqu’il couvre une part des investissements que les non-salariés doivent entreprendre pour l’exercice de leur activité, avec la part de risque que cela comporte.

Ces notions statistiques toutes relatives à la rémunération du travail doivent être distinguées d’autres catégories plus large :

 le revenu primaire, composé des revenus du travail et des revenus du capital. La majeure partie des revenus primaires des ménages est constituée de la rémunération des salariés, laquelle comprend les salaires et les cotisations sociales. Ces revenus comprennent aussi des revenus de la propriété résultant du prêt ou de la location d’actifs financiers ou de terrains (intérêts, dividendes, revenus fonciers...).

 le revenu disponible des ménages, qui est le revenu dont disposent les ménages pour consommer ou investir, après opérations de redistribution. Il comprend l’ensemble des revenus d’activité (rémunérations salariales y compris cotisations légalement à la charge des employeurs, revenu mixte des non-salariés), des revenus de la propriété (intérêts, dividendes, revenus d’assurance-vie…) et des revenus fonciers (y compris les revenus locatifs imputés aux ménages propriétaires du logement qu’ils occupent). On y ajoute principalement les prestations sociales en espèces reçues par les ménages et on en retranche les cotisations sociales et les impôts versés.

– l’unité de consommation (UC), est une unité de mesure qui permet de relativiser le revenu du ménage suivant sa taille et sa structure par âge. Selon cette unité de mesure, pour chaque ménage fiscal, on compte le nombre d’équivalents adultes qui le composent : le premier adulte compte pour 1, les autres personnes de 14 ans et plus pour 0,5 et les personnes de moins de 14 ans pour 0,3.

La question de la répartition des salaires peut être rattachée à une interrogation plus large sur les inégalités observées au sein de la société. Ainsi, les inégalités liées au salaire contribuent à alimenter les inégalités de revenu disponible, notion la plus usitée lorsqu’il s’agit de comprendre et d’analyser l’évolution des inégalités monétaires dans leur globalité.

Ces remarques méthodologiques formulées, plusieurs constats peuvent être dressés et quelques grandes tendances dégagées.

a.   Le niveau actuel des écarts de rémunération

En 2017, le ratio des inégalités salariales sur la base du salaire en EQTP entre le premier et le dernier décile se situe globalement aux alentours de 3. Un salarié sur dix gagne moins de 1 270 € (ce qui correspond donc au premier décile dit D1) tandis qu’un salarié sur dix perçoit plus de 3 650 € (ce qui correspond au dernier décile dit D9). On peut relever que cet écart est légèrement plus élevé que celui observé dans la fonction publique, où il s’établit aux alentours de 2,4.

 

Décile, centile, millile : des conventions statistiques utiles pour mesurer les inégalités

Les déciles sont les valeurs qui partagent une distribution en dix parties égales. Ainsi, pour une distribution de salaires, le premier décile (noté généralement D1) est le salaire au-dessous duquel se situent 10 % des salaires ; le neuvième décile (noté généralement D9) est le salaire au-dessous duquel se situent 90 % des salaires. Le premier décile est, de manière équivalente, le salaire au-dessus duquel se situent 90 % des salaires ; le neuvième décile est le salaire au-dessus duquel se situent 10 % des salaires.

Les centiles permettent de décrire de manière plus précise que les déciles la distribution des revenus, en partageant cette dernière en cent parties égales. Le premier centile (C1) est le seuil de revenu en dessous duquel se situent les 1% de la population les moins rémunérés ; à l’inverse, le dernier centile (C99) est le seuil au-dessus duquel se situent les 1 % de la population les mieux lotis.

Les milliles procèdent quant à eux un partage en mille parties égales, qui permet de calculer les écarts du premier premier millile (M1) au dernier millile (M999).

Les ratios interdéciles des revenus sont utilisés pour mettre en évidence la dispersion des rémunérations perçues. La ratio D9/D1 permet d’établir l’amplitude du rapport entre le montant de la rémunération au-dessous de laquelle sont payés les 10 % de salariés les moins bien rémunérés et le montant de la rémunération au-dessus de laquelle sont payés les 10 % de salariés les mieux rémunérés. Lorsque la valeur de ce ratio diminue, cela signifie que les disparités entre le premier décile et le neuvième décile de la distribution s’amenuisent : les inégalités salariales baissent donc.

À un niveau d’analyse plus fin, les écarts sont plus marqués.

Ainsi, selon l’INSEE, l’écart entre le premier décile et le dernier centile est de 6,8. Un salarié sur dix gagne moins de 1 270 € tandis qu’un salarié sur cent perçoit plus de 8 680 €.

Au niveau du millile, l’écart est de 18. Un salarié sur dix gagne moins de 1 270 € tandis qu’un salarié sur mille perçoit plus de 22 860 € (M999).

Tableau : Distribution des salaires nets mensuels en Équivalent
temps plein (EQTP) en 2017, dans le secteur privÉ

Source : INSEE, déclarations annuelles de données sociales (DADS) et déclarations sociales nominatives (DSN).

En outre, la moitié des salariés du secteur privé et des entreprises publiques gagne 1 850 € nets par mois en équivalent temps plein. Ce salaire net médian est inférieur d’environ 20 % au salaire moyen. Sur le graphique ci-dessous, cela se traduit, d’une part, par une plus grande dispersion dans le haut de la distribution des salaires et, d’autre part, par une plus forte concentration dans le bas de la distribution. Ainsi, près de 8 salariés sur 10 ont une rémunération mensuelle comprise entre le SMIC ([40]) et 3 000 €.

Graphique : Distribution des salaires nets en EQTP en 2017

Source : Insee, déclarations annuelles de données sociales (DADS) et déclarations sociales nominatives (DSN).

Note : certaines rémunérations se situent au-dessous du Smic ; il est en effet possible de percevoir un salaire en EQTP inférieur au Smic mensuel notamment car le statut de certains salariés le permet. Cependant, l’existence de rémunérations inférieurs au Smic peut aussi provenir d’incohérences entre salaires et durées travaillées dans les déclarations administratives, qui ne peuvent être toutes redressées.

Champ : France, salariés en EQTP du privé et des entreprises publiques, y compris bénéficiaires de contrats aidés et de contrats de professionnalisation ; hors apprentis, stagiaires, salariés agricoles et salariés des particuliers employeurs.

b.   Les principales tendances de long terme

i.   Une stabilité du ratio inter-décile

Le ratio inter-décile est stable depuis une trentaine d’années. Dans les années 1960 et 1970, ce ratio avait baissé de 4 à 3, traduisant une diminution des inégalités salariales principalement liée aux revalorisations du SMIC. La dispersion des salaires en bas de l’échelle a donc eu tendance à se réduire.

ii.   Un salaire médian rattrapé par les bas salaires et distancé par les hauts

Au début des années 2000, la progression au niveau du SMIC a accentué cette tendance. Ces mécanismes ont eu pour effet un rattrapage du salaire médian par les bas salaires. En revanche du côté du haut de la distribution, les 10 % des individus les mieux rémunérés ont vu leur salaire continuer de croître plus vite que le salaire médian. Pour reprendre les mots du rapport « Cotis », sur cette période, le salaire médian est à la fois rattrapé par les plus bas salaires tout en étant distancié par les plus hauts, au niveau du centile et du millile. Ces deux tendances antagonistes ont eu pour effet d’accroître chez de nombreux salariés, y compris ceux pourtant situés en milieu de distribution, le sentiment d’une répartition de plus en plus disproportionnée des fruits de leur travail.


graphique : distribution du salaire net des temps complets du secteur privÉ de 1950 à 2006
 

Source : INSEE, DADS, séries longues

iii.   Une part croissante de la masse salariale captée par le top 1 %

Les écarts ont tendance à se creuser sur les derniers segments de la répartition des salaires. Depuis la fin des années 1990, la part de la masse salariale perçue par le top 1 % a augmenté de plus d’un point dans le secteur privé. Cette part perçue par le top 1 % était quasiment stable dans les années 1980 et 1990, après avoir fortement baissé dans les années 1970. En 2017, le top 1 % détient 8,0 % de la masse salariale du secteur privé. La hausse est tirée par les plus hautes rémunérations : la part de la masse salariale perçue dans le privé par le top 0,1 % a crû de plus de moitié en vingt ans et dépasse le seuil des 2 % de la masse salariale depuis le milieu des années 2000 (2,3 % en 2017) ([41]).

La crise de 2008 s’est globalement traduite par un ralentissement durable des salaires. Si les hautes rémunérations sont celles qui ont été le plus affectées à court-terme, elles ont ensuite bénéficié d’un regain de dynamisme plus marqué.

c.   Les inégalités salariales sont relativement plus faibles en France qu’ailleurs

Dans de nombreux pays de l’OCDE, les inégalités salariales sont sur une pente ascendante depuis le début des années 1990, et les écarts ont tendance à se creuser sur tous les segments de la distribution des salaires. À cet égard, la situation française paraît plus favorable.

Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne, publie régulièrement des données relatives aux disparités salariales dans les États membres de l’Union européenne. Ces données sont issues d’une enquête quadriennale sur la structure des salaires horaires bruts. Il ressort de cette enquête que le ratio de dispersion entre le premier décile (D1) et le dernier décile (D9) s’échelonnait, en 2014 de 2,1 en Suède à 4,7 en Pologne. Les 10 % d’individus les mieux rémunérés gagnaient donc environ deux fois plus, en Suède, et presque cinq fois plus, en Pologne, que les 10 % d’individus les moins bien rémunérés dans ces pays. De manière générale, les pays dans lesquels les plus fortes disparités salariales ont été constatées sont, dans l’ordre, la Roumanie (ratio D9/D1 : 4,6), Chypre (4,5), le Portugal (4,3), la Bulgarie (4,2) et l’Irlande (4,1).

En comparaison européenne, la France affiche donc un ratio interdécile relativement faible (de l’ordre de 2,7) se plaçant juste derrière des pays réputés très égalitaires comme la Suède (2,1), le Danemark (2,4) et la Finlande (2,4).

graphique : Ratio de dispersion d9/D1 dans les États membres de l’UE, 2014

Source : Eurostat

Pour ce qui est des écarts entre les 10 % de salaires les plus élevés et la médiane, c’est-à-dire dans le haut de la distribution, la France affiche de nouveau l’un des plus faibles ratios (1,8) aux côtés, entre autres, de la Suède et du Danemark (1,6), de la Finlande (1,7) et des Pays-Bas (1,8). Il en va de même pour la mesure des écarts dans le bas de la distribution des salaires : les écarts les plus faibles entre la médiane et les 10 % des salariés les moins bien rémunérés ont notamment été constatés en Suède (1,3), en Belgique et en Finlande (1,4), au Danemark mais aussi en France (1,5). Il convient de préciser que ces chiffres portent bien sur les inégalités salariales et non sur les inégalités de revenus, ils ne prennent donc pas en compte les mécanismes de redistribution, évoqués plus bas dans le présent rapport.

d.   Les écarts varient en fonction des secteurs et de la taille de l’entreprise

i.   Plus l’entreprise est de taille importante, plus les disparités sont fortes

Sur l’ensemble des entreprises du secteur privé, des disparités en matière d’écarts salariaux peuvent être relevées. Comme l’illustre le tableau ci-dessous, le rapport interdécile D9/D1 est d’environ 2 dans une entreprise sur deux et en moyenne de l’ordre de 3 dans les entreprises de plus de 5 000 salariés. Il en va de même pour le rapport intercentile C95/C5 plus faible pour les entreprises de 10 salariés (3,1) que pour celles de plus de 5 000 salariés (4,3). En somme, les écarts salariaux entre les individus les moins bien rémunérés et les mieux rémunérés au sein d’une même entreprise sont donc d’autant plus élevés que la taille de l’entreprise est importante. Dans l’ensemble, les petites et moyennes entreprises paraissent donc moins concernées par la problématique d’écarts de rémunération trop élevés. Ce point a été souligné par les organisations patronales lors de leur audition.

Il faut toutefois souligner que ces chiffres comportent des limites intrinsèques, puisqu’ils ne prennent en compte que le salaire et laissent donc de côté les éventuelles rémunérations annexes perçues par les salariés (intéressement et participation, actions). En outre, ils ne rendent pas non plus compte des écarts de rémunération liés aux effets interentreprises.

 


Tableau : Distribution des salaires Par TrancHe de taille d’entreprise
en 2017

Note : les salaires sont nets et en équivalent temps plein. En dessous du 5e centile, les rémunérations sont faibles, certaines d’entre elles se situant en dessous du Smic. Il est possible de percevoir un salaire en EQTP inférieur au Smic mensuel en France ; certains salariés ont un statut qui autorise une rémunération inférieure au Smic ; d’autres ont un salaire de base supérieur au SMIC sur leur temps de travail normal mais ont des temps de travail supplémentaires rémunérés à un plus faible taux de salaire. Cependant, l’existence de rémunérations inférieures au Smic peut aussi provenir de la qualité des données administratives et des traitements statistiques dans le bas de la distribution. C’est pourquoi les données détaillées ne sont publiées qu’à partir du 5e centile.

Source : Insee, Base Tous salariés (issue des déclarations annuelles de données sociales [DADS]) et déclarations sociales nominatives [DSN])

On peut également relever que, pour une même catégorie socioprofessionnelle, le salaire moyen net augmente lui aussi avec la taille de l’entreprise. Une telle augmentation salariale à mesure que la taille de l’entreprise augmente bénéficie cependant bien davantage aux cadres qu’aux employés ou aux ouvriers : si les cadres gagnent en moyenne 27 % de plus dans une entreprise de plus de 5 000 salariés que dans une petite structure de moins de 10 salariés, cette majoration salariale n’est de l’ordre que de 18 % pour les ouvriers et de 12 % pour les employés. Ces augmentations salariales, dont l’ampleur varie selon la catégorie socioprofessionnelle, le niveau d’encadrement et la taille de l’entreprise, concourent directement à l’accroissement des disparités de revenus au sein des plus grandes entreprises.

ii.   Les écarts varient selon le secteur d’activité

La dispersion des salaires nets varie légèrement d’un secteur à un autre, le rapport interdécile D9/D1 s’établissant au plus bas (aux alentours de 2,3) pour le secteur de la construction et au plus haut (aux alentours de 2,9) pour ce qui est des services et de l’industrie. Les différences sont plus notables en ce qui concerne le rapport intercentile C95/C5 qui est au minimum de l’ordre de 3,2 dans la construction et au maximum d’environ 4,1 dans les services.

 


TABLEAU : Distribution des salaires Par grand secteur en 2017

Note : les salaires sont nets et en équivalent temps plein. En dessous du 5e centile, les rémunérations sont faibles, certaines d’entre elles se situant en-dessous du Smic. Il est possible de percevoir un salaire en EQTP inférieur au Smic mensuel en France ; certains salariés ont un statut qui autorise une rémunération inférieure au Smic ; d’autres ont un salaire de base supérieur au Smic sur leur temps de travail normal mais ont des temps de travail supplémentaires rémunérés à un plus faible taux de salaire. Cependant, l’existence de rémunérations inférieures au SMIC peut aussi provenir de la qualité des données administratives et des traitements statistiques dans le bas de la distribution. C’est pourquoi les données détaillées ne sont publiées qu’à partir du 5e centile.

Source : Insee, Base Tous salariés (issue des déclarations annuelles de données sociales [DADS] et déclarations sociales nominatives [DSN].

Une approche de la question des disparités salariales par secteur privilégiant un niveau de granularité plus fin, montre que plus le nombre de cadres est élevé dans un secteur, plus les disparités salariales sont importantes.

Ainsi, si l’on se penche sur la dispersion des salaires entre branches d’activité ou regroupements de branches, on constate qu’en 2015, le rapport interdécile D9/D1 était nettement plus élevé dans les regroupements de bureaux d’études et prestations de services aux entreprises (3,6) et dans la branche culture et communication (3,5), secteurs dans lesquels la part de cadres, en équivalent temps plein, est respectivement de 55 % et 39 % des salariés. À l’inverse, on constate un resserrement de la dispersion des salaires dans les regroupements du nettoyage et de la manutention (2,1), des transports (2,2) ainsi que du bâtiment et des travaux publics (2,5) dont les cadres représentent respectivement 4 %, 7 % et 13 % en équivalent temps plein ([42]).

Le rapport « Cotis » soulignait déjà que certains secteurs concentraient les hauts salaires, au premier rang desquels le conseil, les activités financières et le commerce de gros.


Graphique : part des cadres et dispersion des salaires
dans les regroupements de branches

Lecture : la droite de tendance montre que les regroupements de branches pour lesquels la part de cadres en EQTP est élevée connaissent une forte dispersion des salaires. Ainsi, dans le regroupement de branches chimie et pharmacie, les cadres représentent 29,2 % des effectifs en EQTP et le rapport interdécile est de 3,4.

Champ : salariés du privé et des entreprises publiques ; France entière.

Source : Insee, DADS 2015 (fichier exhaustif) ; calculs Dares.

L’ensemble de ces données relatives aux inégalités salariales ne fournissent qu’une vision partielle des inégalités de rémunération. Comme cela a déjà été rappelé, elles ne permettent pas de comptabiliser les revenus sous forme d’actions perçus par un certain nombre de dirigeants. En outre, elles sont calculées en EQTP, ce qui tend à masquer les effets du temps partiel.

Ainsi, les données relatives au revenu salarial donnent un éclairage différent. Si les inégalités de salaire dans le secteur privé ont diminué depuis la fin des années 1960, celles du revenu salarial, qui intègrent la variabilité du volume de travail, ont quant à elles augmenté. À l’inverse de la mesure des inégalités salariales en EQTP, la mesure des inégalités en fonction du revenu salarial inclut la variabilité du volume de travail effectivement effectué. De fait, l’augmentation des inégalités de revenu salarial reflète l’amplification des écarts en matière de temps de travail, en raison du développement des contrats courts et de la hausse du volume des temps partiels. Elle est donc directement corrélée à la dualisation du marché du travail, qui impacte dans une plus forte proportion les femmes, les individus peu diplômés et les jeunes qui ont un revenu salarial en moyenne plus faibles que le reste de la population ([43]).

Le rapport interdécile (D9/D1) en matière de revenu salarial est ainsi de l’ordre de 15 en 2015, tous secteurs confondus. La dispersion des revenus salariaux dans le bas de la distribution (D5/D1) est presque quatre fois supérieure à celle constatée dans le haut de la distribution (D9/D5). Ces données sont toutefois à prendre avec précaution et ne doivent pas être interprétées comme donnant une indication sur le niveau de vie des Français. Le concept de revenu salarial n’inclut que les revenus salariés, à savoir celui perçu par des individus dans le cadre de contrats de travail avec des employeurs identifiés. Il n’inclut pas le chômage ou d’autres revenus sociaux, voire d’autres revenus (en cas de cumul avec une activité non salariée notamment). En outre, le champ n’est pas ici l’ensemble de la population française : il concerne uniquement les individus ayant été salariés pendant au moins une période donnée dans l’année. Il peut inclure des inactifs ou non-salariés occupant ponctuellement un emploi salarié (étudiants, femmes au foyer, retraités, par exemple) qui peuvent aussi contribuer à augmenter la proportion d’individus à très faible volume de travail.

Tableau : disperSion du revenu salarial en 2015 en euros courants

Champ : France hors Mayotte, ensemble des salariés hors salariés agricoles et apprentis stagiaires, hors salaires versés par des particuliers-employeurs

Source : Insee, panel Tous salariés

L’évolution des écarts de salaires entre les femmes et les hommes

En France, en 2019, les femmes sont en moyenne payées 25 % de moins que les hommes tous postes confondus. Les différences de postes occupés par les hommes et les femmes ainsi que les différences de volume de travail (le temps partiel étant plus important chez les femmes) sont des facteurs qui n’expliquent que partiellement les écarts de rémunération constatés. En effet, alors que le code du travail impose en France une égalité de rémunération à travail égal ou à valeur égale ([44]), un écart de 9 % entre la rémunération des femmes et des hommes subsiste, toutes choses égales par ailleurs. En d’autres termes, à poste égal, nombre d’heures égal et âge égal, les inégalités de rémunération entre femmes et hommes demeurent très significatives.

Depuis quarante ans, les écarts de salaires entre les femmes et les hommes pour un même volume de travail se réduisent. Pour les seuls salariés à temps complet, l’écart entre les salaires moyens en équivalent temps plein des femmes et des hommes atteint 16,3 % dans le secteur privé en 2017, contre 29,4 % en 1976, soit une baisse de 0,3 point par an en moyenne sur la période. La baisse constatée est en revanche moindre pour les écarts de revenu salarial ([45]) (- 0,2 point par an en moyenne sur la même période) et plus irrégulière : après une baisse de 0,5 point par an jusqu’à la fin des années 1970, l’écart de revenu salarial entre les femmes et les hommes a stagné entre 1980 et 2000. Cette stagnation peut s’expliquer par l’essor du travail à temps partiel, qui a majoritairement concerné les femmes. Depuis le début des années 2000, l’écart de revenu salarial se réduit à nouveau, de 0,4.

Deux dispositifs ont été mis en place pour pallier les écarts de rémunérations injustifiés entre femmes et hommes au sein d’une même entreprise :

– l’obligation de conclure, tous les quatre ans, un accord collectif relatif à l’égalité professionnelle entre femmes et hommes, qui comprend notamment un volet rémunération. À défaut d’accord, les entreprises doivent établir un plan d’action annuel pour redresser la situation, sous peine de pénalités financières. Cette obligation a été introduite par la loi n° 2014-873 de 4 août 2014 relative à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, puis renforcée par la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi ;

– l’obligation de mesurer ces écarts en renseignant un index (dit « index Pénicaud »), introduite par la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.  L’index Pénicaud repose sur cinq indicateurs évalués sur 100 points : écart de rémunération (40 points), écart dans les augmentations annuelles (20 points), écart dans les promotions (15 points), part de salariées augmentées au retour du congé maternité (15 points) et part des femmes dans les dix plus hauts salaires (10 points).

À noter que, pour les entreprises de 50 à 250 salariés, l’écart de promotion n’est pas à renseigner. En cas d’écarts significatifs, c’est-à-dire si la note obtenue est inférieure à 75 points, l’entreprise est tenue de les combler via l’instauration de mesures correctives, dans un délai maximum de trois ans sous peine de sanctions financières ([46]). Le contrôle de ces obligations est réalisé par l’Inspection du travail. En septembre 2019 ([47]), 83 % des entreprises de plus de 250 salariés ont atteint la note de 75/100.

Cependant et en dépit de ces avancées, il faudrait encore environ 1 000 ans pour que les écarts de salaires entre femmes et hommes soient complètement résorbés en France, selon une étude de la Confédération européenne des syndicats (CES) ([48]) d’après les données Eurostat. En effet, le rythme actuel de diminution de ces écarts est seulement de 0,1 % par an depuis 2010. Tandis que certains pays devraient avoir atteint l’égalité de rémunération entre les sexes avant la fin du siècle, à l’image du Luxembourg (en 2027), du Danemark (2061) ou de la Grèce (2034), certains autres voient leur écart salarial se creuser de nouveau comme par exemple en Bulgarie, en Pologne ou au Portugal.

Enfin, en mai 2020, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) appelle à lutter contre la précarisation du travail féminin, plus particulièrement encore dans le contexte de la crise sanitaire ([49]). Le HCE suggère notamment la revalorisation sans délai des grilles d’évaluation et des systèmes de classification des emplois majoritairement occupés par des femmes, dans les secteurs du soin, de l’enseignement et du lien social ([50]), secteurs sursollicités tout au long de la crise sanitaire. Ces secteurs très féminisés, en plus d’être peu rémunérateurs, ont la particularité de favoriser le recours au temps partiel comme mode de gestion de la main d’œuvre : il s’agit là de la « double peine » dont sont victimes de nombreuses femmes. Le HCE recommande donc également que le recours au temps partiel soit évalué par l’administration du travail, de sorte à ce que soient repérées puis sanctionnées les situations de recours abusif aux contrats de travail à temps partiel.

2.   L’envol des très hautes rémunérations dans les très grandes entreprises

a.   Le décrochage des rémunérations perçues par les dirigeants du CAC 40 et du SBF 120

Une analyse sur le temps long de la rémunération perçue par les très hauts dirigeants montre un décrochage progressif que l’on observe tout au long du XXème siècle et qui se traduit par un accroissement des écarts de rémunération au sein de ces entreprises. Les exemples sont célèbres et éloquents. Au début du XXème siècle, le banquier John Pierpont Morgan estimait qu’un dirigeant d’entreprise ne devait pas percevoir plus de 20 fois la rémunération moyenne de ses salariés. Henry Ford, figure du capitalisme industriel, avait de son côté théorisé la règle selon laquelle l’écart maximum de rémunération devait être de 1 à 40. En 1989, la rémunération perçue par Jacques Calvet, ancien président directeur général (PDG) de Peugeot, faisait scandale, alors qu’elle représentait 30 fois le salaire d’un ouvrier de ses usines.

Depuis la crise de 2008, on observe une tendance globalement à la hausse de ces rémunérations, malgré des fluctuations de court terme. Bien qu’en 2019 la rémunération totale moyenne des dirigeants du CAC 40 connaisse une baisse de 10 %, cette donnée ne doit pas éclipser le fait que la rémunération annuelle moyenne des dirigeants du CAC 40 ait connu une hausse de 27 % en neuf années pour s’établir aux alentours de 5,2 millions d’euros, soit la deuxième moyenne la plus élevée de cette décennie pour le CAC 40.


Graphique : La rÉmunÉration totale ([51]) moyenne des dirigeants du cac 40

Source : Proxinvest.

En 2018, la rémunération annuelle moyenne d’un président directeur général (PDG) du CAC 40 s’établit à 5,19 millions ([52]), un niveau record depuis la crise de 2008. En 2006, la rémunération annuelle moyenne des dirigeants du CAC 40 était de l’ordre de 5,7 millions d’euros. Le montant moyen de l’année 2018 correspond à 248 SMIC en base 39h, 138 fois le salaire brut moyen des Français et 78 fois la rémunération moyenne des salariés du CAC 40. En France, en 2018, un dirigeant du CAC 40 a gagné l’équivalent d’un SMIC annuel le 2 janvier et l’équivalent du salaire moyen d’un employé du panel le 4 janvier ([53]).

Cette tendance haussière des rémunérations des dirigeants du CAC 40 est également constatée pour les présidents exécutifs du SBF 120 ([54]). Leur rémunération annuelle totale moyenne s’élevait à 3,7 millions d’euros en 2019 contre 2,8 millions d’euros en 2010, soit une augmentation d’environ 32 % en neuf années. Il convient de noter que cette rémunération totale comprend d’un côté la part salariale (salaire fixe, variable et autre) et d’un autre côté la part actionnariale (stock-options, actions gratuites et instruments « hybrides » valorisés à la date d’une attribution), sans prise en compte des régimes de retraite supplémentaires faute de transparence suffisante.


graphique : la rÉmunÉration moyenne et mÉdiane
des prÉsidents exÉcutifs

Source : Proxinvest

b.   Les écarts entre la rémunération perçue par les dirigeants et celles des salariés

i.   Des écarts en progression

Le cabinet Proxinvest, spécialisé dans la politique de vote et d’analyse de gouvernance des sociétés cotées, établit le constat selon lequel la rémunération des dirigeants du CAC 40 augmente plus vite que celle de leurs salariés sur le long terme, mettant potentiellement à mal la cohésion sociale au sein de leurs entreprises. Ainsi, selon Proxinvest, entre 2014 et 2019, la rémunération moyenne des dirigeants a augmenté de 28 %, contre une augmentation moyenne de 17 % pour la rémunération de leurs salariés.


graphique: la rÉmunÉration moyenne des dirigeants du CAC 40
et de leurs salariÉs

Source : Proxinvest

Oxfam souligne également dans ses divers rapports cette tendance. D’après l’ONG, entre 2009 et 2018, les rémunérations des dirigeants du CAC 40 ont connu une hausse d’environ 60 %, tandis que le salaire moyen au sein de ces entreprises augmentait de 20 % et le Smic de 12 % ([55]). Il faut toutefois indiquer que la crise de 2008 a eu un impact à la baisse important sur le montant des rémunérations des dirigeants du CAC 40 et que cette forte augmentation s’explique donc en partie par un effet de rattrapage.


graphique : Évolution des rémunérations moyennes des dirigeants du panel d’oxfam France, de la moyenne des salaires de leurs salariÉs et du smic

Source : Oxfam France à partir de données entreprises (documents de référence), Base de données Orbis, INSEE

Traitement : Le Basic

ii.   Les premiers résultats du ratio d’équité

Depuis la loi PACTE, les entreprises cotées sont dans l’obligation de publier des ratios d’équité, qui présentent les écarts entre les rémunérations perçues par les dirigeants avec la moyenne et la médiane des rémunérations perçues par les salariés. Selon Proxinvest, le ratio d’équité moyen global pour les entreprises du CAC 40 s’élève en 2019 à 78. Cela signifie donc que les dirigeants du CAC 40 gagnent en moyenne 78 fois plus que le salaire moyen perçu dans l’entreprise qu’ils dirigent.

Bien que portant sur un périmètre différent, une synthèse établie par le cabinet Willis Towers Watson sur la base des informations publiées par les sociétés du SBF 120 en 2020 aboutit à des écarts moins marqués, comme il en est fait état ci‑dessous.

tableau : ratios d’ÉquitÉ moyenne et mÉdian

 

Moyenne

1er quartile

Médiane

3ème quartile

Ratio moyen (moyenne des 5 dernières années)

41/1

21/1

36/1

50/1

Ratio médian (moyenne des 5 dernières années)

56/1

29/1

50/1

68/1

Source : Cabinet Willis Towers Watson, 2020

Quoi qu’il en soit, il faut relever qu’un certain nombre de fragilités méthodologiques sont signalées concernant l’application par les entreprises des rations d’équité prévus par la loi PACTE, comme développé dans la seconde partie du présent rapport.

c.   La place croissante de la part variable

Les écarts de revenus se sont significativement creusés entre dirigeants de grandes entreprises et les salariés de leurs chaînes de production, notamment en raison de la croissance importante de la part variable. En 2019, la part fixe des rémunérations des dirigeants du SBF 120 s’établit aux alentours de 25 % tandis que celle des rémunérations des PDG du CAC 40 est d’environ 23 %. Il convient cependant de noter que cette part fixe, notamment pour les dirigeants du CAC 40, a crû de 2,5 % entre 2018 et 2019, générant ainsi un découplage avec le taux d’inflation de l’ordre de 1,1 % en 2019.

En outre, les composantes de la part variable évoluent également. Proxinvest note ainsi l’abandon des stock-options ([56]) (2,7 % du total des rémunérations) au profit des actions gratuites ([57]), assujetties à des performances de plus long terme, désormais prépondérantes dans les « packages de rémunération » (36 % du total).

d.   Un phénomène mondial


Graphique : structure de la rÉmunÉration des dirigeants du SBF 120

Source : Proxinvest

En comparaison internationale, l’écart moyen entre la rémunération des dirigeants d’entreprise et le salaire moyen dans le pays en question est 7 fois inférieur en Norvège (ratio d’environ 20) par rapport à la France (143), presque 3 fois moins élevé au Japon (58) et quasiment équivalent en Allemagne (136) ([58]).

Selon le cabinet Ethics & Boards, la moyenne des ratios d’équité publiés par les sociétés françaises reste inférieure à celle des ratios d’équité des sociétés du FTSE 100 (121/1), s’agissant du Royaume-Uni, et du S&P 100 (341/1), s’agissant des États-Unis.

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*     *

Les enjeux relatifs au partage de la valeur sont complexes et protéiformes et soumis à un certain nombre d’incertitudes méthodologiques.

Sur le fond, vos rapporteurs ont pu tirer quelques grands constats. Le partage de la valeur est certes relativement stable depuis un certain nombre d’années. Mais cette stabilité ne doit pas dissimuler deux principaux faits : d’une part, l’accroissement important des dividendes versés, au moins jusqu’à la crise de 2009 ([59]), et, d’autre part, l’évolution des dispersions salariales marquée par un décrochage des plus hauts revenus. En particulier, au sein des entreprises du CAC 40, les rémunérations versées aux mandataires sociaux augmentent de façon considérable, avec pour résultat un écart grandissant entre la rémunération perçue par les dirigeants et celle perçue par les salariés. Les propositions qui suivent dans ce rapport découlent de ce constat. Elles visent à :

– limiter les inégalités de rémunération à la source pour mieux redistribuer la richesse au sein de l’entreprise ;

– assurer un meilleur partage du profit au bénéfice des salariés.

Avant d’en venir aux principaux enjeux posés par ces questions et aux propositions, une première préconisation s’impose : il est essentiel d’améliorer la performance de l’appareil statistique et les outils d’analyse en matière de mesure du partage de la valeur. Il est à ce titre surprenant que la dernière étude de l’INSEE complète sur ce sujet date de 2009. La qualité de l’appareil statistique est un préalable à la construction de politique publique efficace. Comme le souligne l’Observatoire des inégalités, « la construction d’un appareil de mesure fiable est une tâche essentielle pour porter des jugements éclairés et bâtir des politiques publiques adaptées ». C’est plus globalement un enjeu majeur pour éclairer les citoyens et le débat public sur ces questions essentielles.

 

 

 

Proposition n° 1 : Améliorer la performance de l’appareil statistique et les outils d’analyse sur la question du partage de la valeur

Une actualisation permanente et une amélioration des données sont essentielles, en particulier sur la question des dividendes versés et des écarts de rémunération par secteurs d’activité – par métiers et par branches/filières – taille d’entreprise et bassin d’emploi, afin que le dialogue social et le débat public reposent sur la transparence et la fiabilité des données.

II.   la place des salariÉs dans le partage de la valeur : Des enjeux Économiques et sociÉtaux multiples

La place des salariés dans le partage de la valeur, qui recouvre, d’une part, leur place dans le partage du travail et, d’autre part, leur place dans le partage du profit pose des enjeux multiples, de nature économique, sociale et sociétale.

A.   LEs enjeux Économiques

1.   La question de l’attractivité

Certains acteurs auditionnés, parmi lesquels figurent les organisations patronales, rappellent ainsi que le salaire reflète les aptitudes de chacun, qui varient d’un individu à l’autre. Lorsque les compétences d’un individu sont pointues et rares, celui-ci devient difficilement substituable sur le marché du travail par un autre individu. C’est la raison pour laquelle l’entreprise tentera de le retenir par des contreparties, entre autres pécuniaires, de sorte à ne pas assister à une fuite de ce « cerveau » vers l’employeur le plus offrant. La théorie économique classique mobilise le concept de rareté, selon lequel le prix d’un bien ou d’un service baisse de façon proportionnelle à son abondance. Sur le marché du travail en l’occurrence, si l’intensité de la demande de travail (côté employeur) reflète de fortes tensions de recrutement vis-à-vis de certains profils d’individus, tandis que l’offre de travail (côté salariés) est faible en raison du peu d’individus détenteurs des compétences exigées, le prix d’acquisition de ces individus, c’est-à-dire leur salaire, sera mécaniquement plus élevé que celui d’un individu aux compétences moins recherchées, ou plus répandues.

L’âge et la catégorie professionnelle : des critères majeurs dans l’explication des écarts de rémunération en France

Au sein d’une même entreprise, deux individus pourront donc être rémunérés différemment en fonction de critères objectifs, tels que le niveau de compétence exigé pour un poste ou l’ancienneté et l’expérience. L’INSEE estime ainsi que la variabilité des salaires parmi l’ensemble de la population s’explique à 25 % par ces deux facteurs que sont l’âge et la catégorie socioprofessionnelle. Ainsi, une entreprise dans laquelle les tâches sont très spécialisées et la diversité des catégories socioprofessionnelles prononcée abritera des écarts salariaux plus significatifs qu’une entreprise aux profils moins divers. Il convient cependant de noter qu’à âge et catégorie socioprofessionnelle équivalents, deux salariés peuvent également être rémunérés différemment selon leur ancienneté sur le poste ou leur degré de responsabilité. L’INSEE parle alors d’un « effet individu » sur la fixation du montant du salaire, qui viendrait expliquer une part importante des écarts salariaux au sein d’une même entreprise. En outre, les écarts salariaux peuvent également provenir de discriminations, liées au sexe ou à l’origine ethnique par exemple, lesquelles sont bien sûr proscrites par la loi.

L’existence d’un marché international des cadres dirigeants très compétitif est également souvent mobilisé pour expliquer les rémunérations particulièrement importantes versées aux dirigeants des sociétés cotées. Celles‑ci proviendraient de l’existence d’un marché international du travail spécifique pour ce type de profil, très qualifiés et mobiles géographiquement. En présence d’un tel marché, les conseils d’administration ou de surveillance doivent de tenir compte des pratiques en vigueur à l’étranger de sorte à déterminer une juste rétribution des dirigeants mandataires sociaux et autres cadres. Ces rémunérations élevées constitueraient dès lors un facteur d’attractivité, permettant de retenir ces salariés qualifiés.

Si pour certains, les salaires et leurs perspectives d’évolution se justifient donc comme un moyen d’attirer les meilleurs profils, d’autres acteurs considèrent au contraire que des écarts de rémunération limités peuvent devenir un vecteur d’attractivité chez certaines catégories d’actifs, en « quête de sens », notamment les millenials, et renforcer la cohésion au sein de l’entreprise ainsi que l’adhésion des salariés au projet entrepreneurial. Une entreprise qui s’attache à promouvoir une politique de rémunération aux ratios plus faibles peut également s’avérer attractive pour certains individus, y compris des cadres très qualifiés. En effet et comme cela a été très régulièrement indiqué lors des auditions, le salaire n’est pas le seul vecteur d’attractivité sur le marché de l’emploi. Le cadre de travail, la démarche de responsabilité sociétale et environnementale et l’ensemble des valeurs mises en avant par l’entreprise jouent un rôle croissant en matière d’attractivité. En bref, des écarts de rémunération réduits, qui traduisent un volontarisme de l’entreprise pour réduire les inégalités, peuvent entrer dans le faisceau de critères extra-financiers attractif sur le marché du travail. Il faut par ailleurs noter qu’une telle politique de rémunération s’inscrit généralement dans un cadre plus large d’entreprises engagées dans une démarche vertueuse. Cette attention croissante portée par les salariés à des critères autres que purement financier est notamment soulignée par la MAIF, auditionnée par vos rapporteurs. La compagnie d’assurance indique ainsi : « qu’au niveau de la MAIF, nous constatons depuis plusieurs années que la rémunération n’est plus le seul critère, ou même le premier, recherché par les salariés et postulants. Ainsi, certains de nos récents recrutements ont accepté des baisses de leurs rémunérations globales au profit d’un projet collectif qui répondait à leurs valeurs. Nous mesurons ainsi que la recherche de sens devient un facteur prépondérant d’attractivité, d’autant plus auprès des jeunes générations ».

L’audition de la banque hollandaise Triodos ([60]) constitue également un exemple encourageant. La limitation des écarts de rémunération constitue l’un des principes forts de l’entreprise. Sans aller jusqu’à imposer des ratios contraignants en matière d’écarts salariaux, le ratio d’équité ([61]) de la banque s’établit aux alentours de 5 tandis que le rapport entre la plus haute et la plus basse rémunération n’excède pas un facteur 10. D’après la personne auditionnée, la banque Triodos ne rencontre aucune difficulté de recrutement, y compris pour des profils très qualifiés et recherchés tels que les économétristes et informaticiens. Le taux de turn-over de l’entreprise est d’ailleurs d’environ 10 % par an, sachant que le turnover moyen en Europe entre 2013 et 2018 est estimé à 18 % ([62]).

Le lien entre les salaires et la productivité et les facteurs d’explication de l’envol des très hautes rémunérations américaines – L’analyse de Thomas Piketty dans
Le capital au XXème siècle

« La théorie repose sur deux hypothèses. La première est que le salaire d’un salarié donné est égal à sa productivité marginale, c’est-à-dire à sa contribution individuelle à la production de l’entreprise ou de l’administration dans laquelle il travaille. La seconde est que cette productivité dépend avant tout de sa qualification, et de l’état de l’offre et de la demande de qualifications dans la société considérée. Par exemple, dans une société où très peu de salariés ont une qualification d’ingénieur (soit une « offre » faible pour cette qualification) et où la technologie en vigueur demande beaucoup d’ingénieurs (soit une « demande » forte), alors il y a toutes les chances pour que la confrontation de cette offre faible et de cette demande forte conduise à un salaire très élevé pour les ingénieurs (par comparaison aux autres salariés), et donc à une inégalité salariale importante entre les salariés les mieux payés et les autres.

« Quelles que soient ses limites et sa naïveté (en pratique, la productivité d’un salarié n’est pas une grandeur immuable et objective écrite sur son front, et les rapports de force entre groupes sociaux jouent souvent un rôle central pour fixer les salaires des uns et des autres), cette théorie simple – voire simpliste – a le mérite de mettre l’accent sur deux forces sociales et économiques qui jouent de fait un rôle fondamental dans la détermination de l’inégalité des salaires, y compris dans le cadre de théories plus sophistiquées et moins naïves : l’offre et la demande de qualifications. (…)

« L’explication qui me semble la plus convaincante pour rendre compte de l’envol des très hautes rémunérations américaines est la suivante. Tout d’abord, s’agissant des fonctions de cadres dirigeants au sein de grandes entreprises, dont nous avons vu qu’elles constituaient la grande majorité des salaires les plus élevés, l’idée même d’un fondement objectif en termes de « productivité » individuelle pour expliquer les rémunérations me semble un peu naïve. Pour les fonctions duplicables, par exemple un ouvrier ou un serveur de plus, on peut approximativement estimer la « productivité marginale » apportée par ce salarié, avec toutefois des marges d’erreur non négligeables (…). Mais s’agissant de fonctions uniques ou quasi uniques ces marges d’erreur deviennent inévitablement beaucoup plus considérables. À dire vrai, dès lors que l’on introduit l’hypothèse d’information imparfaite – éminemment justifiée dans ce contexte – dans les modèles économiques standard, c’est la notion même de « productivité marginale individuelle » qui devient mal définie et qui n’est pas loin de se transformer en une pure construction idéologique permettant de justifier un statut plus élevé. Face à cette difficulté informationnelle et cognitive, comment sont déterminées en pratique de telles rémunérations ? Elles sont généralement fixées par les supérieurs hiérarchiques, et les rémunérations supérieures sont fixées par les supérieurs eux-mêmes, ou bien par des comités de rémunérations comportant diverses personnes ayant généralement ellesmêmes des revenus comparables (en particulier des cadres dirigeants d’autres grandes sociétés). Les assemblées générales d’actionnaires jouent parfois un rôle complémentaire, mais cela ne concerne généralement qu’un petit nombre de postes de direction, et non l’ensemble des cadres supérieurs et dirigeants.

« L’impossibilité d’estimer précisément la contribution de chacun à la production de l’entreprise considérée, il est inévitable que les décisions issues de tels processus soient en grande partie arbitraires, et dépendent des rapports de force et des pouvoirs de négociation des uns et des autres. Il n’y a rien de désobligeant à supposer que les personnes se retrouvant en situation de fixer leur propre salaire ont naturellement tendance à avoir la main un peu lourde, ou tout du moins à se montrer plus optimistes que la moyenne quant à l’évaluation de leur productivité marginale ».

Source : Extrait du chapitre 9 « L’inégalité des revenus du travail », in Le capital au XXème siècle, Thomas Piketty

2.   La question de la compétitivité et de la productivité

Le lien entre inégalités salariales et productivité, est à double tranchant, selon que les « effets de tournoi » ou que les effets « du salaire juste » dominent.

Le lien entre la dispersion des salaires et le niveau de productivité des salariés : l’analyse de l’INSEE

Dans une note de 2012 intitulée « Politique salariale et performance des entreprises ([63]) », l’INSEE propose une analyse sur la question du lien entre la dispersion des salaires et le niveau de productivité des salariés.

Celle-ci rappelle l’existence de deux catégories de théories qui s’opposent.

Les premières sont les théories dites de tournoi, formalisées par les économistes Lazear et Rozen en 1981, selon lesquelles des situations où les écarts salariaux stimulent une compétition entre salariés les rend plus productifs. À l’inverse, les théories du « fair wage » établies par Akerloff et Yellen en 1988 insistent sur la démotivation possible si le salaire s’écarte d’un « juste » salaire.

L’INSEE souligne que « les travaux empiriques ne sont pas non plus univoques sur le signe de la relation entre dispersion des salaires et productivité ni sur le sens de la causalité [Lallemand, Plasman et Rycx, 2005] (…) Ainsi, les différentes théories économiques mettant en balance un lien positif ou négatif entre la dispersion des salaires et les performances ne reçoivent pas de validation empirique forte, sauf pour les employés et ouvriers qualifiés, pour lesquels la théorie du « fair wage » s’appliquerait et la coopération entraînerait une hausse de la productivité ».

Comme le montre l’étude de l’INSEE citée dans l’encadré ci-dessus, la théorie économique ne permet pas de répondre simplement à cette question, bien qu’il semble que pour les bas salaires, la diminution des inégalités a plutôt tendance à renforcer la productivité des salariés. L’idée sous-jacente est simple : des inégalités salariales limitées peuvent aussi constituer un facteur de motivation pour les salariés et donc renforcer la compétitivité des entreprises. Des écarts de rémunération élevés peuvent fragiliser l’esprit d’équipe d’individus lésés, qui ne se sentent pas rétribués à leur juste valeur.

Plusieurs entreprises qui témoignent d’écarts limités font état d’un effet positif en matière de cohésion de groupe et de productivité. La MAIF indique ainsi que « des écarts de salaires réduits et, plus globalement une politique de rémunération juste et équitable renforce la motivation de l’ensemble des collaborateurs. Cela permet également de maintenir les dirigeants au sein d’une « communauté de destin » avec leurs salariés, à la fois par le montant des rémunérations consenties et par la nature de celles-ci ».

Les très hautes rémunérations sont censées être associées à un très haut niveau de compétence, justifiant sur le plan économique les niveaux atteints. Cette thèse est remise en cause par un certain nombre d’économistes et d’études. Ainsi, selon l’économiste Gaël Giraud entendu par vos rapporteurs, « contrairement à l’opinion répandue parmi les élites françaises, un salaire élevé n’est pas synonyme d’efficacité accrue ». En outre, le graphique ci‑dessous fondé sur des résultats concernant uniquement les entreprises américaines montre qu’une rémunération élevée n’est pas systématiquement gage de meilleures performances. Issu d’une étude conduite entre 2005 et 2015 portant sur 429 grandes entreprises américaines, le graphique ci-dessous met l’accent sur la meilleure performance économique et donc le meilleur retour sur investissement des entreprises dont les dirigeants étaient pourtant payés en-deçà du salaire médian du panel.


graphique : Performances Économiques des entreprises en fonction
De la rÉmunÉration de leur dirigeant

Source : MSCI ESG Record

3.   La question de la consommation des ménages

Bien que les rapporteurs n’aient pu disposer de données empiriques quant aux potentiels effets d’une réduction des écarts salariaux sur la consommation des ménages, le raisonnement théorique keynésien de la « propension à consommer » peut-être mobilisé, même si des nuances peuvent y être apportées. D’après la théorie keynésienne, la propension à consommer d’un ménage est la part du revenu disponible que ce ménage va décider d’allouer à la consommation, au détriment de l’épargne ou de l’investissement. L’INSEE constate notamment que la propension marginale à consommer la richesse est plus importante pour les ménages modestes que pour les ménages plus aisés : en d’autres termes, si l’on octroie un euro supplémentaire à tous les ménages, la part de cet euro supplémentaire dépensée pour consommer sera supérieure chez les ménages les plus modestes. Au fur et à mesure que la richesse d’un ménage augmente, sa propension marginale à consommer décroît tandis que sa propension marginale à épargner croît.

La théorie économique permet donc raisonnablement d’envisager qu’une réduction des écarts salariaux qui se traduirait par une augmentation des bas salaires entraînerait une hausse de la consommation des ménages et bénéficierait donc de manière globale à l’économie du pays en alimentant une dynamique de demande soutenue. C’est notamment le raisonnement défendu par l’économiste Gaël Giraud et la philosophe Cécile Renouard, qui s’inscrivent en faux de la théorie du ruissellement ([64]). Il faut toutefois souligner que dans une économie ouverte, une part importante de la consommation des ménages se dirige vers des biens fabriqués à l’étranger. L’effet de la demande interne sur la production interne est donc amoindri. Pour les auteurs du « facteur 12 », une diminution des écarts salariaux, via notamment l’augmentation des rémunérations les plus basses, permettrait non seulement d’augmenter le pouvoir d’achat des ménages les moins bien lotis mais également de réduire le niveau de prestations sociales versées par l’État à ces mêmes ménages.

Malgré ces éléments, l’ensemble des études évoquées et des hypothèses formulées ne permettent pas de dire avec certitude quels sont les effets des écarts de salaires et du partage de la valeur en matière de performance économique. Vos rapporteurs déplorent l’absence d’instrument d’économétrie au service du législateur et des partenaires sociaux qui améliorerait le travail de contrôle des parlementaires et l’information des citoyens.

Partant, vos rapporteurs proposent deux grandes études portant :

– sur le lien entre performance économique et justice sociale ;

– sur l’actualisation des thèses keynésiennes à l’heure de l’anthropocène.

Dans l’hypothèse d’une réduction des inégalités et par la même d’une augmentation du pouvoir d’achat des catégories les moins favorisées, il conviendrait de mesurer si cette hausse de la consommation soutiendrait ou non une économie plus soutenable.

Proposition n° 2 : Confier à l’INSEE deux grandes études pour améliorer la connaissance sur la question du lien entre le partage de la valeur et ses effets économiques

Ces études auraient pour champ :

– le lien entre performance économique et justice sociale ;

– l’actualisation des thèses keynésiennes à l’heure de l’anthropocène.

B.   Les enjeux sociaux et sociétaux

1.   Un enjeu de justice et de cohésion sociales

Les inégalités de répartition des salaires et du partage de la valeur doivent être replacées dans le champ plus large des inégalités de revenus au sein de la société française.

Le système redistributif joue un rôle clé dans la diminution des inégalités. Ainsi, les inégalités de revenus, qu’il s’agisse de revenus du capital ou du travail, sont partiellement atténuées par la redistribution. Il en est de même pour les inégalités de patrimoine. En France, les impôts et les prestations sociales corrigent en partie les inégalités dites primaires. D’après l’INSEE, « en 2017, avant redistribution monétaire, le niveau de vie moyen des 20 % de personnes les plus aisées est de 56 130 euros par an et par unité de consommation (UC). Il est 8,4 fois supérieur au niveau de vie moyen des 20 % de personnes les plus modestes : 6 720 euros par an. Après redistribution, ce rapport est de 3,9 : le niveau de vie moyen des 20 % de personnes les plus modestes a augmenté de 72 % et celui des 20 % les plus aisées a diminué de 20 % ». Le tableau ci-dessus donne un aperçu de l’effet de la redistribution sur les revenus des ménages et leur dispersion.

 

 

 

 


tableau : Montants moyens des prÉlÈvements et prestations
par unitÉ de consommation en 2017

  1. <Q1 : 20 % des personnes les plus modestes, ... ,>Q4 : 20 % des personnes les plus aisées ; <D1 : 10  % des personnes les plus modestes,…,>D9 :10 % des personnes les plus aisées.
  2. Les cotisations sociales retenues ici sont les cotisations patronales famille car ce sont les seules non contributives. Les cotisations des micro-entrepreneurs ne sont pas incluses car ces derniers s’acquittent d’un forfait social, ce qui ne permet pas de distinguer les cotisations familiales.
  3. Allocation de soutien familial, allocation d’éducation de l’enfant handicapé, prestation partagée d’éducation de l’enfant de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), complément familial, allocation de base et prime à la naissance de la Paje et allocation de rentrée scolaire.
  4. Revenu de solidarité active, minimum vieillesse (Aspa), allocation supplémentaire d’invalidité, allocation pour adulte handicapé et son complément et garantie jeunes.

Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage dont le revenu est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante.

Lecture : les personnes situées entre le 2ème et le 3ème quintile de niveau de vie ont acquitté en moyenne 210 euros d’impôt sur le revenu par an et par unité de consommation.

Source : Insee, enquête Revenus fiscaux et sociaux 2015 (actualisée 2017) ; Insee-Drees-Cnaf, modèle Ines 2017, calculs Drees et Insee.

Le tableau ci-dessous permet également de constater que le coefficient de Gini ([65]) se réduit de façon importante après redistribution en France. Ainsi, selon les récents chiffres publiés par France Stratégie, la redistribution abaisse de 24,8 % l’indice de Gini en France ([66]). La redistribution apporte donc une réponse en matière de réduction des inégalités. Il en va de même pour le ratio interdécile D9/D1 qui diminue d’environ 45 % par rapport à son niveau initial après la redistribution. On peut noter que cette réduction est plus marquée que dans un certain nombre d’autres pays européens. Ainsi, selon France Stratégie, « l’hexagone se caractérise par un impact de la redistribution supérieur de près de 10 % à la médiane européenne ». Or, selon le FMI, une réduction supérieure à 13 points du coefficient de Gini via la redistribution provoque des effets négatifs sur le fonctionnement de l’économie. La répartition inégalitaire des revenus bruts pousse à une redistribution massive, celle-ci pouvant engendrer une « dynamique perverse  ([67]) », selon les mots de Patrick Arthus, économiste en chef de la banque Natixis ([68]).


graphique : effet de la redistribution sur les indicateurs d’inÉgalitÉs

Note : les données sur les revenus financiers et certaines prestations (allocation aux adultes handicapés, prestation d’accueil du jeune enfant, allocation d’éducation de l’enfant handicapé et allocation de soutien familial) ne sont pas disponibles avant 1996.

Lecture : en 2016, la redistribution (y compris revenus financiers et prestations hors champ) réduit l’indice de Gini de 23 %.

Champ : France métropolitaine, personnes vivant dans un ménage ordinaire dont le revenu déclaré est positif ou nul et dont la personne de référence n’est pas étudiante.

Sources : Insee-DGI, enquêtes Revenus fiscaux 1975 à 1990 ; Insee-DGI, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux rétropolées 1996 à 2004 ; Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-CCMSA, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux 2005 à 2016.

Si le système français est donc largement redistributif, l’ampleur des inégalités et de la pauvreté en France continue de constituer une préoccupation importante pour les pouvoirs publics. L’Observatoire des inégalités se fait le relai de ces préoccupations. L’observatoire souligne ainsi que 8,3 % des Français sont en dessous du seuil de pauvreté, mesuré à 50 % du revenu médian : « 5,3 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté de 50 % du niveau de vie médian en 2018, dernière année pour laquelle les données des revenus sont actuellement disponibles. Ce chiffre est en hausse de près de 350 000 personnes en cinq ans ». Concernant les inégalités de revenus, l’Observatoire des inégalités ([69]) indique les Français les 10 % les plus aisés touchent 6,7 fois plus que les 10 % les plus pauvres après impôts et prestations sociales. La France est, après la Suisse, le pays d’Europe où les riches sont les plus riches : le 1 % des plus aisés touchent au moins 7 000 euros contre 5 800 euros au Royaume-Uni par exemple. Comme le rappelle l’observatoire, les revenus du haut de l’échelle proviennent essentiellement du patrimoine (immobilier, actions, obligations, etc.).

Face à ce constat, un certain nombre de considérations peuvent porter sur le rôle du système redistributif et les leviers existants pour renforcer son efficacité, afin d’agir sur les inégalités dites secondaires.

Mais le présent rapport propose de prendre le problème sous un autre angle, en analysant les enjeux relatifs aux inégalités primaires, liées aux revenus du travail. Il s’agit non pas là d’une alternative, mais d’une piste complémentaire, qui doit se comprendre comme l’une des pièces d’une stratégie plus globale pour lutter contre les inégalités et réduire la pauvreté.

Agir sur les inégalités à la source, telles qu’elles existent au sein de l’entreprise, peut être une mesure permettant de garantir davantage de justice sociale. La fiscalité ne saurait être la seule réponse apportée aux inégalités salariales. En effet, la question posée n’est pas seulement celle de la réduction des inégalités, mais aussi celle de la dignité du travail, de sa juste rémunération et de la reconnaissance de l’utilité sociale de chacun.

Cet enjeu trouve aujourd’hui un écho particulier au sein de la société française, dans le contexte lié à la crise de la covid-19. La crise actuelle sanitaire, économique et sociale a ravivé le débat sur la question de la trop faible rémunération d’un ensemble de profession dont la crise a démontré l’utilité sociale. Ces « premiers de cordée » sont souvent des femmes, dont le travail quotidien est d’utilité publique mais peu valorisé sur le plan financier. Un certain nombre de ces métiers sont d’ailleurs représentés au sein des entreprises du CAC 40, notamment lorsque celles-ci font appel à des sous-traitants pour le ménage (73 % des agents d’entretien sont des femmes) ou la vente (76 % de femmes) ([70]).

Le sujet du partage de la valeur est un sujet attendu par les citoyens Français. Un sondage([71]) rapporte qu’à la question de savoir quelles actions une entreprise peut entreprendre pour « améliorer les choses dans la société », 67 % des participants répondent qu’elle pourrait partager de manière plus équitable le profit entre les dirigeants, les salariés et les actionnaires. On peut en outre noter que dans une étude de 2004, le sociologue François Dubet s’intéressait au montant au‑dessus duquel les salaires mensuels étaient considérés comme « indécents » par la population française : ce plafond à ne pas dépasser était de 6 000 euros pour les ouvriers interrogés et de 10 000 euros pour les cadres et chefs d’entreprises ([72]). C’est donc ici également une question d’acceptabilité sociale. Il est possible de considérer qu’au-delà d’un certain seuil considéré comme inacceptable, le pacte social s’en retrouve fragilisé et menace de se déliter.

Par ailleurs, ces dernières années, de nouveaux débats ont émergé dans la sphère publique quant à la place de l’entreprise dans la cité au XXIème siècle. Il en est ressorti une nouvelle vision de l’entreprise, dont la « raison d’être », désormais reconnue dans le code civil depuis la loi PACTE, ne serait plus uniquement d’accroître les profits.  C’est dans ce sens que la loi PACTE a introduit la qualité de société à mission, permettant ainsi à une entreprise de déclarer sa raison d’être à travers plusieurs objectifs sociaux et environnementaux. Cette évolution législative intervient alors que 51 % des Français ([73]) considèrent qu’une entreprise doit être utile à la société dans son ensemble, bien devant ses clients (34 %), ses collaborateurs (12 %) ou ses actionnaires (3 %).

On peut enfin considérer que limiter les inégalités à la source se justifie également au regard du jeu de l’évitement fiscal des plus privilégiés. Le rôle de la fiscalité en matière de redistribution se heurte en effet au phénomène de la fraude et de l’optimisation fiscale, dont l’ampleur croit avec la taille de l’entreprise et le revenu des individus.

2.   Un enjeu écologique

Plusieurs études tendent à montrer que les écarts de revenus actuels auraient un effet potentiellement négatif sur la préservation des écosystèmes. Selon une récente étude d’Oxfam et du Stockolm Environment Institute ([74]), les 1 % les plus riches (soit environ 63 millions de personnes) émettaient deux fois plus de CO2 (15 %) que la moitié la plus pauvre de l’humanité (7 %) entre 1990 et 2015. Par ailleurs, les économistes Thomas Piketty et Lucas Chancel indiquaient en 2015 qu’à l’échelle mondiale, les 10 % des ménages les plus émetteurs sont responsables d’environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre, tandis que les 40 % les moins émetteurs représentent moins de 8 % des émissions ([75]).

 

graphique : Part des émissions cumulées et utilisation du budget carbone mondial pour limiter le réchauffement à 1,5 °C entre 1990 et 2015 par différents groupes de revenus mondiaux

Source : Oxfam et Stockolm Environment Institute

En France, l’agence de la transition écologique (ADEME) indique que l’empreinte carbone d’un ménage du décile de revenu le plus élevé est presque trois fois supérieure à celle d’un ménage du décile le moins élevé.

GRAPHIQUE : Empreinte carbone des ménages français par décile de revenu

Graphique 1

Source : ADEME, Mailliet et al. 2019, « La fiscalité carbone aux frontières ([76]) »

Le maintien d’un niveau de vie trop bas pour les ménages les plus pauvres paraît être un obstacle réel à la transition écologique et énergétique. Les individus les moins bien lotis n’ont en effet pas les moyens d’orienter leur choix de consommation selon des critères autres que le prix. Leurs achats se feront alors au détriment d’autres considérations sociales et environnementales, tels que la provenance géographique des produits, leur composition, les conditions de travail des personnes les ayant fabriqués.

Ce lien de entre les inégalités  et l’impact carbone est pris en compte dans l’Accord de Paris : « l’action et la riposte face aux changements climatiques et les effets dans les changements climatiques sont intrinsèquement liés à un accès équitable au développement durable à l’élimination de la pauvreté ([77]) ».

On peut ainsi formuler l’hypothèse qu’un encadrement des écarts de richesse permettrait ainsi une consommation plus responsable. En effet, pour Gaël Giraud et Cécile Renouard, « apprendre à partager en réduisant nos écarts de salaire est le seul moyen de construire une société résiliente ([78]) ».

Pour autant et comme tient à le souligner votre rapporteure Mme Graziella Melchior, une consommation plus durable ne dépend pas seulement du prix mais aussi de la conscience écologique, qu’il convient de développer.

Enfin et de façon plus globale, la question du partage de la valeur peut se rattacher à une interrogation plus globale sur le partage des richesses dans un monde aux ressources limitées.


—  1  —

 

   seconde PARTIE :
QUELS LEVIERS ACTIONNER POUR mieux partager la valeur créÉe par l’entreprise ?

Cette seconde partie vise à identifier les leviers mobilisables par les pouvoirs publics pour promouvoir un partage de la valeur ajoutée des entreprises équitable et réduire les inégalités de rémunération lorsque celles-ci atteignent des niveaux indécents.

I.   Franchir une nouvelle étape en matière de transparence

Depuis le début des années 2000, le législateur s’est progressivement saisi des questions relatives à la transparence des rémunérations perçues par les hauts dirigeants, dans un contexte où quelques affaires emblématiques ont suscité l’ire de nos concitoyens. Au gré d’affaires médiatisées, un cadre juridique s’est peu à peu construit dans l’objectif de moraliser la vie économique. Ce cadre a récemment été encore amendé avec la loi PACTE, qui a, pour la première fois, instauré des mesures concernant la transparence des écarts de rémunération. Malgré des améliorations notables, le cadre actuel présente des insuffisances. Vos rapporteurs formulent plusieurs propositions pour renforcer la transparence, afin d’en faire un véritable levier pour favoriser un partage de la valeur équitable au sein des entreprises.

A.   UN CADRE juridique progressivement renforcé

La transparence sur le montant des rémunérations perçues par les dirigeants et les écarts de rémunération s’est globalement améliorée ces dernières années. Le cadre juridique prévoit plusieurs règles, qui varient en fonction du type d’entreprises concernées.

1.   Des règles de transparence concernant les rémunérations perçues par les dirigeants des sociétés cotées

Les premiers jalons du régime actuel concernant la transparence des rémunérations des dirigeants des sociétés cotées ont été posées par la loi n° 2001420 relative aux nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001. Celle-ci prévoyait l’obligation pour les entreprises de faire figurer dans leur rapport annuel la rémunération totale et les avantages de toute nature versés à chaque mandataire social.  Ces obligations ont été amendées au fil des années 2000. À la suite d’un amendement introduit par les sénateurs, la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière a limité cette obligation de publicité des rémunérations versées aux dirigeants sociaux des sociétés cotées et contrôlées. À l’époque, l’arbitrage politique avait consisté à faire primer l’allègement des contraintes pesant sur les entreprises par rapport aux exigences de transparence.

Après ce premier recul, les interventions du législateur sont plutôt allées dans le sens d’un renforcement des obligations. Ainsi, la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie, dite « loi Breton », a apporté un certain nombre de clarifications bienvenues. Le champ des obligations a été précisé. Le rapport annuel doit ainsi « décrire les éléments fixes, variables et exceptionnels composant les rémunérations et avantages de toute nature versés à chaque mandataire social, ainsi que les critères en application desquels ils ont été calculés ou les circonstances en vertu desquelles ils ont été établis ». En outre, il incombe depuis lors aux commissaires aux comptes d’attester spécialement l’exactitude et la sincérité de ces informations. La loi nᵒ 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron », a quant à elle intégré les retraites chapeau ([79]) à la liste des informations obligatoires.

La rédaction actuelle de l’article L. 22-10-9 du code de commerce, reproduite dans l’encadré ci-dessous, paraît dès lors suffisamment précise et exhaustive pour assurer une vision globale de la rémunération perçue par les mandataires sociaux des sociétés cotées. Ces informations doivent obligatoirement figurer dans le rapport sur le gouvernement des entreprises, joint au rapport de gestion présenté aux actionnaires à l’occasion de l’assemblée générale et rendu public.

 

Extrait de l’article L. 22-10-9 du code de commerce

 

« Les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé présentent, de manière claire et compréhensible, au sein du rapport sur le gouvernement d’entreprise (…), s’il y a lieu, pour chaque mandataire social, y compris les mandataires sociaux dont le mandat a pris fin et ceux nouvellement nommés au cours de l’exercice écoulé, les informations suivantes :


« 1° La rémunération totale et les avantages de toute nature, en distinguant les éléments fixes, variables et exceptionnels, y compris sous forme de titres de capital, de titres de créance ou de titres donnant accès au capital ou donnant droit à l’attribution de titres de créance de la société ou des sociétés mentionnées aux articles L. 228-13 et L. 228-93, versés à raison du mandat au cours de l’exercice écoulé, ou attribués à raison du mandat au titre du même exercice, en indiquant les principales conditions d’exercice des droits, notamment le prix et la date d’exercice et toute modification de ces conditions ;


« 2° La proportion relative de la rémunération fixe et variable ;


(…)


« 4° Les engagements de toute nature pris par la société et correspondant à des éléments de rémunération, des indemnités ou des avantages dus ou susceptibles d’être dus à raison de la prise, de la cessation ou du changement des fonctions ou postérieurement à l’exercice de cellesci, notamment les engagements de retraite et autres avantages viagers, en mentionnant, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret, les modalités précises de détermination de ces engagements et l’estimation du montant des sommes susceptibles d’être versées à ce titre. »

2.   Les obligations introduites par la loi PACTE concernant les écarts de rémunération

Introduit à l’initiative d’un amendement parlementaire et faisant suite à de nombreux débats, l’article 187 de la loi PACTE instaure de nouvelles règles de transparence relatives à l’écart des rémunérations au sein des sociétés cotées. Cet article complète ainsi la liste des informations devant figurer dans le rapport du gouvernement d’entreprise, en instaurant des ratios d’équité. L’article L. 22-10-9 du code de commerce dispose que :

« [Ce rapport doit présenter], pour le président du conseil d’administration, le directeur général et chaque directeur général délégué, les ratios entre le niveau de la rémunération de chacun de ces dirigeants et,

«  d’une part, la rémunération moyenne sur une base équivalent temps plein des salariés de la société autres que les mandataires sociaux,

«  d’autre part, la rémunération médiane sur une base équivalent temps plein des salariés de la société autres que les mandataires sociaux ».

Le rapport doit rappeler la situation au cours des cinq exercices les plus récents au moins, présentés ensemble et d’une manière qui permette la comparaison.

Ces nouvelles règles assurent en partie la transposition des dispositions prévues dans la directive « droit des actionnaires », dite directive « SRD 2 ([80]) ». Le droit français est légèrement plus strict que le droit européen puisque l’obligation de publication par rapport à la médiane n’est pas prévue dans la directive. Le code de commerce reste toutefois conforme à la directive, celle-ci étant d’harmonisation minimale.

3.   Les informations contenues dans la déclaration de performance extra‑financière

On peut noter par ailleurs que dans le cadre de la déclaration de performance extra-financière, obligatoire pour les sociétés cotées mais également pour les sociétés non cotées de plus de 500 salariés réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros, des informations relatives aux rémunérations et à leurs évolutions doivent être fournies. Ainsi, l’article R. 225‑105 du code de commerce prévoit notamment que les informations de performance extra-financière doivent porter sur les rémunérations et leur évolution et les mesures prises en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ces informations viennent donc, le cas échéant, compléter le ratio d’équité et permettent également une forme de transparence sur les rémunérations perçues dans les sociétés non cotées. On notera toutefois que ce cadre est beaucoup moins précis et contraignant que celui édicté à l’article L. 22-10-9 du code de commerce.

4.   Un droit à la communication pour les actionnaires de l’ensemble des entreprises

Le droit prévoit également des modalités spécifiques d’information des actionnaires, qui valent pour les sociétés non cotées. L’article L. 225-115 du code de commerce prévoit que « tout actionnaire a droit (…) d’obtenir communication (…) du montant global, certifié exact par les commissaires aux comptes, s’il en existe, des rémunérations versées aux personnes les mieux rémunérées, le nombre de ces personnes étant de dix ou de cinq selon que l’effectif du personnel est ou non d’au moins deux cent cinquante salariés ([81]) ». Si cette obligation s’applique à l’ensemble des sociétés actionnariales, ces informations sont disponibles uniquement à la demande des actionnaires, et donc peu comparable à la publicité du rapport sur le gouvernement d’entreprise que doivent établir les sociétés cotées.

5.   Un droit d’information pour le comité social et économique

Instituée par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, la base de données économiques et sociales (BDES), prévue à l’article L. 2312-18 du code du travail, rassemble l’ensemble des informations nécessaires aux consultations et informations récurrentes que l’employeur doit mettre à disposition du comité social et économique (CSE) dans l’ensemble des entreprises de plus de 50 salariés. La BDES n’est pas rendue publique, il s’agit d’une information mise à la disposition des partenaires sociaux. La BDES poursuit trois objectifs : « contextualiser les résultats de l’entreprise et sa situation économique et sociale », « partager les orientations stratégiques de l’entreprise et la déclinaison de leurs impacts organisationnels et financiers », « présenter ses impacts sur la répartition de la valeur créée ([82]) ».

Le contenu de la BDES est en principe défini par accord collectif, à défaut, un contenu minimum est réglementé. Les utilisateurs de la BDES sont tenus, en vertu de la loi, à une obligation de discrétion à l’égard des informations contenues dans la base de données revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l’employeur. Comme le prévoit l’article L. 2312-21 du code du travail, la base de données comporte au moins les thèmes suivants : l’investissement social, l’investissement matériel et immatériel, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes au sein de l’entreprise, les fonds propres, l’endettement, l’ensemble des éléments de la rémunération des salariés et dirigeants, les activités sociales et culturelles, la rémunération des financeurs, les flux financiers à destination de l’entreprise. Le contenu de chacune de ces thématiques est précisé aux articles R. 2312-8 et R. 2312-9 du code du travail. La question des rémunérations fait donc partie intégrante des données devant être communiquées.

Plus précisément, les entreprises de moins de 300 salariés doivent communiquer les informations suivantes relatives à la rémunération des salariés et dirigeants :

– l’évolution des rémunérations salariales (frais de personnel y compris cotisations sociales, salaire de base minimum, salaire moyen ou médian, par sexe et par catégorie professionnelle) ;

– l’épargne salariale ;

– dans les sociétés anonymes, le montant global des rémunérations versées aux 5 ou 10 personnes les mieux rémunérées ([83]).

Les entreprises de plus de 300 salariés doivent transmettre les mêmes informations, avec une nouvelle obligation concernant les rémunérations accessoires (primes par sexe et par catégorie professionnelle, avantages en nature, régimes de prévoyance et de retraite complémentaire).

En cas de BDES incomplète ou non mise à jour, le CSE peut saisir le tribunal pour qu’il ordonne à l’employeur la communication des éléments manquants.

B.   UN CADRE QUI PRésente des faiblesses

Malgré les interventions successives du législateur et les différents outils de transparence existants, plusieurs limites peuvent être identifiées au cadre juridique actuel.

1.   Des obligations au périmètre restreint

Les obligations prévues à l’article L. 22-10-9 du code de commerce ne concernent que les sociétés cotées, peuvent être considérées comme insuffisantes et ne sont pas toujours bien appliquées. Certes, les informations des sociétés non cotées peuvent être obtenues par les actionnaires qui en font la demande. Mais la transparence n’a pas pour seul objet d’assurer la bonne information des actionnaires. L’ensemble des salariés de la société peuvent avoir intérêt à disposer de ces informations, droit qui ne leur est aujourd’hui pas octroyé. En outre, les mesures de transparence ont vocation à jouer un rôle performatif : des mesures de transparence accrues peuvent inciter les entreprises à s’engager vers des pratiques plus vertueuses, pour éviter l’effet de « mauvaise réputation ». Or, limiter l’information aux seuls actionnaires, qui plus est, sur demande, annule cet effet réputationnel. Restreindre l’information aux seuls actionnaires, c’est aussi se limiter à une vision de l’entreprise restrictive, dans un contexte où le législateur a pourtant cherché ces dernières années à défendre une vision plus ouverte de l’entreprise, garantissant une place à chacune de ses parties constituantes et plus largement de ses parties prenantes.

On peut, par ailleurs, regretter que les obligations prévues à l’article L. 22‑10-9 du code de commerce ne visent que les mandataires sociaux, alors que des informations publiques concernant les rémunérations perçues par le « top 10 » de l’entreprise offriraient une vision plus complète de la politique de rémunération de l’entreprise.

2.   Un premier bilan décevant du ratio d’équité

Le premier bilan que l’on peut dresser du ratio d’équité, mis en place par la loi PACTE est pour le moins décevant. Une très grande hétérogénéité règne dans l’application de ces règles nouvelles. Ainsi, comme en convient la direction générale du Trésor, « les périmètres retenus et les méthodes de calcul utilisées, ainsi que les informations données à ce propos, divergent de façon significative, ce qui réduit la comparabilité des informations publiées ». Plusieurs difficultés peuvent être relevées :

 certaines sociétés s’en tiennent strictement à la lettre de la loi et calculent les ratios d’équité uniquement au niveau de la société cotée soumise à l’obligation de publicité, tandis que d’autres sociétés prennent également en compte les salariés de leurs filiales dès lors qu’ils sont employés en France, comme y invitent les lignes directrices établies par l’AFEP-MEDEF ;

 certaines entreprises s’en tiennent à la sélection d’un échantillon significatif d’employés de la holding. Pour Oxfam, cette méthode nuit grandement à la pertinence du ratio : « les sociétés retenues sont la plupart du temps des holdings de tête de groupe. Le personnel y est généralement peu nombreux, mais avec des rémunérations souvent élevées, ce qui risque de fausser la pertinence de la comparaison ». Oxfam prend ainsi l’exemple de l’entreprise Carrefour, qui prend uniquement en compte les salariés de son siège social. Pour Oxfam, « Les données présentées sont donc largement en deçà de la réalité (…) le ratio d’équité présenté par Carrefour est 10 fois inférieur à celui que nous calculons dans notre rapport » ;

 les rémunérations des dirigeants ne sont pas prises en compte de la même façon par toutes les sociétés, en particulier en ce qui concerne les rémunérations variables et les engagements post-mandat (indemnités de départ et retraites chapeau).

3.   Une application contrastée des bases de données économiques et sociales

Les BDES, qui sont censées assurer la bonne information des instances représentatives du personnel fonctionnent de façon inégale. Le syndicat Force ouvrière dresse ainsi un constat très critique de cet outil : « la BDES, est censée contenir des informations relatives aux rémunérations des salariés et dirigeants. Or, l’obligation de mettre en place une BDES est, en pratique, peu respectée par les entreprises qui rechignent à utiliser un tel outil. Ensuite, lorsqu’elle existe, on constate que les informations que contient la BDES sont souvent peu exploitables par les représentants du personnel. Et, même lorsqu’elle est convenablement mise en place, il subsiste des limites à l’obtention de certaines informations liées à la confidentialité statistique (notamment s’il y a trop peu de personnes dans une catégorie et que cela peut amener les représentants du personnel à identifier certaines rémunérations sur le plan individuel). L’outil n’est donc manifestement pas à la hauteur des enjeux qu’il porte ». Cette appréciation semble partagée par les spécialistes, un article de doctrine soulignant ainsi que les « BDES mises en place sont pour certaines loin de toutes répondre aux exigences de contenu posées par le législateur ([84]) ».

C.   un cadre à parfaire

Face à ces insuffisances, vos rapporteurs souhaitent qu’une nouvelle ambition soit donnée en matière de transparence. Le développement de la transparence peut constituer un vecteur important de changement dans l’entreprise et répond à des attentes citoyennes fortes. Vos rapporteurs en sont convaincus : accroître la transparence sur les rémunérations constitue un premier pas vers un meilleur partage de la valeur au sein de l’entreprise. Elle pose les conditions d’un dialogue social éclairé et équilibré. La construction d’indicateurs sûrs, transparents et efficients peut en outre permettre d’orienter l’action des pouvoirs publics pour soutenir les acteurs les plus vertueux. Ces obligations renforcées ont bien sûr vocation à se conjuguer avec le respect du droit à la vie privée, la protection du secret des affaires et enfin le souci de ne pas alourdir de façon excessive la charge des petites entreprises, trois principes auxquels vos rapporteurs sont attachés.

1.   Assurer le respect de l’intention du législateur exprimée dans la loi PACTE : un préalable essentiel

Concernant le ratio d’équité, il est nécessaire d’en revenir à l’intention du législateur exprimée dans la loi PACTE, aujourd’hui dévoyée par les pratiques de certains groupes. Vos rapporteurs appellent à davantage de clarté dans les règles applicables relatives au ratio d’équité. Le périmètre concerné et les méthodes d’élaboration du ratio doivent être plus clairement définis. Comme l’indique le rapport du Haut Comité de gouvernement d’entreprise, chargé de contrôler l’application du code de gouvernance AFEP-MEDEF, « il est difficile d’avoir une analyse précise car beaucoup de sociétés n’indiquent pas la méthodologie retenue pour calculer le ratio ». Les pratiques doivent être harmonisées afin de garantir la possibilité d’effectuer des comparaisons significatives. Il est essentiel que la recommandation du Haut Comité incitant les entreprises à rendre transparente la méthodologie retenue soit respectée.

En particulier, les pratiques évoquées précédemment, consistant à s’en limiter aux rémunérations observées dans la holding doivent être écartées et l’ensemble des filiales françaises doivent être intégrées au calcul. Vos rapporteurs partagent également la recommandation émise par le cabinet Proxinvest, qui demande à ce que les sociétés assurent une communication à la fois sur le périmètre monde et le périmètre France, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Proposition n° 3 : Garantir la bonne application du ratio d’équité prévu dans la loi PACTE :

– harmoniser les pratiques pour rendre pertinentes les comparaisons entre entreprises par un organisme missionné par l’État ;

– assurer une transparence sur les méthodologies de calcul retenues en mobilisant là aussi un organisme missionné par l’État ;

– bannir les pratiques consistant à s’en tenir aux chiffres de la holding et garantir une prise en compte de l’ensemble des salariés de la société, filiales comprises ;

– prévoir une communication distincte sur le périmètre monde et le périmètre France.

2.   Élargir le champ d’application des obligations de transparence

Vos rapporteurs considèrent que les exigences en matière de transparence doivent s’étendre, car au-delà des écarts les plus indécents, la transparence sur les inégalités de rémunération peut constituer un levier de changement sociétal important pour l’ensemble du monde entrepreneurial. C’est pourquoi la communication d’informations aux actionnaires et aux partenaires sociaux, si elle est essentielle, n’est pas suffisante.

Vos rapporteurs formulent donc les propositions suivantes :

– dans les entreprises cotées soumises à l’obligation de publication du rapport sur le gouvernement d’entreprise, élargir l’obligation de publication des rémunérations perçues par les mandataires sociaux au « top 10 » de l’entreprise ;

 compléter le ratio d’équité par une transparence des écarts de rémunération au décile et au centile selon la taille des entreprises. Le ratio d’équité constitue un premier pas important renseignant sur les écarts de rémunération. Il est souhaitable d’aller plus loin, en imposant progressivement une obligation de transparence au décile et au centile, selon la taille des entreprises. Cette option avait été un temps envisagée, puis écartée dans le cadre des débats autour de la loi PACTE ([85]). Vos rapporteurs considèrent qu’elle pourrait constituer une avancée importante, dans un contexte où 70 % des Français sont favorables à une publication des écarts de rémunération par niveau au sein des entreprises ([86]) ;

 élargir les obligations de publicité concernant les écarts de rémunération au-delà des seules entreprises cotées. Si les entreprises non cotées sont certes soumises à un certain nombre d’obligations en matière de transparence, les obligations de publicité sont très limitées, ce qui a notamment pour inconvénient de ne pas permettre à l’effet réputationnel de jouer pleinement son rôle.

Votre rapporteur M. Dominique Potier souhaite dès lors que les exigences en matière de transparence s’appliquent dans l’ensemble des entreprises de plus de 50 salariés, dans l’objectif de diffuser une culture de la transparence à même de faire évoluer l’ensemble du monde économique sur la question des écarts de rémunération. La publication des écarts de rémunération au décile et celle du ratio d’équité auraient donc vocation à être mis en place dans l’ensemble des entreprises de plus de 50 salariés. L’opportunité d’instaurer de telles règles dans les entreprises de moins de 50 salariés pourrait également être étudiée, car certaines d’entre elles peuvent présenter des inégalités de rémunération importantes, notamment dans le cadre de certaines professions libérales ou start-ups. L’ensemble des entreprises concernées serait soumis à l’obligation de publication de la rémunération perçue par les mandataires sociaux.

Votre rapporteure Mme Graziella Melchior considère qu’il serait plus pertinent de retenir un seuil moins élevé, afin de ne pas imposer d’obligations disproportionnées aux petites entreprises, qui font déjà face à une charge administrative importante. Votre rapporteure est également sensible à l’argument de protection de la vie privée des chefs d’entreprises. Votre rapporteure propose donc des obligations modulables en fonction de la taille des entreprises. En premier lieu, l’obligation prévue à l’article L. 20-10-9 du code de commerce concernant les informations sur la rémunération perçue par les mandataires sociaux pourrait être étendue aux grandes entreprises non cotées, dès lors qu’elles dépassent le seuil de 5000 salariés. En deuxième lieu, la publication des ratios d’équité et des écarts de rémunération au décile pourraient s’appliquer à un nombre plus large d’entreprises. Le seuil de 500 salariés, qui correspond au seuil aujourd’hui utilisé pour soumettre les entreprises à l’obligation d’établir une déclaration de performance extra‑financière pourrait être retenu.

En outre, alors que la Présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen s’était engagée dans le cadre de son programme d’orientation à présenter dans les 100 premiers jours de son mandat « des propositions en vue de l’instauration de mesures contraignantes en matière de transparence des rémunérations ([87]) » entre les femmes et les hommes, vos rapporteurs plaident pour que cette directive européenne élargisse son champ à l’ensemble des écarts de rémunération.

Proposition n° 4 : Accroître les obligations de transparence

 dans les entreprises cotées soumises à l’obligation de publication du rapport sur le gouvernement d’entreprise, élargir l’obligation de publication des rémunérations perçues par les mandataires sociaux au « top 10 » de l’entreprise ;

– compléter le ratio d’équité par une transparence des écarts de rémunération au décile et étendre cette transparence au centile pour les sociétés de plus de 5 000 salariés ;

– plaider pour une directive européenne sur la transparence des salaires ;

Votre rapporteur M. Dominique Potier souhaite que les obligations de transparence et de publicité concernant les rémunérations et leurs écarts soient étendues à l’ensemble des entreprises de plus de 50 salariés.

Votre rapporteure Mme Graziella Melchior considère que les obligations de transparence doivent être étendues de façon modulable selon la taille des entreprises. Plus précisément : l’obligation de publication des rémunérations perçues par les mandataires sociaux pourrait être étendue aux entreprises non cotées dès lors qu’elles dépassent 5 000 salariés. Les obligations de transparence des ratios d’équité et de publication des écarts au décile auraient quant à elles vocation à s’appliquer pour l’ensemble des entreprises de plus de 500 salariés.

3.   Lever le voile de la sous-traitance

Les indications relatives aux écarts de rémunération au sein des entreprises se heurtent à une limite méthodologique importante liée à la soustraitance. Il s’agit là d’un point d’attention sur lequel souhaite insister votre rapporteur M. Dominique Potier. En effet, l’externalisation d’un certain nombre d’activités propres à l’entreprise peut tronquer les données relatives aux écarts de rémunération. L’externalisation d’activités faiblement rémunérées, comme les services de ménage par exemple, peut avoir pour effet de baisser artificiellement le niveau des inégalités de rémunération au sein de l’entreprise. Il en est de même en cas d’externalisation d’activités fortement rémunérées, comme par exemple des services financiers ou comptables. Cette difficulté prend une ampleur nouvelle lorsque l’on y intègre la problématique de la sous-traitance internationale, dans un contexte de fragmentation croissante des processus de production.

Dès lors, votre rapporteur M. Dominique Potier suggère de prendre en compte les chaînes de sous-traitance dans la mesure des écarts de rémunération, en distinguant la sous-traitance sur le territoire national et européen, afin notamment d’intégrer le phénomène dit des travailleurs détachés.

Pour distinguer les opérations ponctuelles et marginales de sous-traitance de celles structurant l’activité économique de l’entreprise, il peut être utile de s’appuyer sur la définition de l’article L. 225-102-4 du code du commerce concernant la « relation commerciale établie ».

La question de la sous-traitance tout au long de la chaîne de valeur internationale est un enjeu majeur en matière de dignité dans le travail et de prévention des nouvelles formes d’esclavage moderne. La lutte contre ces phénomènes connait un début de réponse d’une part à travers des démarches volontaires comme le commerce équitable et d’autre part des avancées législatives comme la loi sur le devoir de vigilance adoptée en 2017 et qui fait actuellement l’objet d’une discussion en vue d’une directive européenne.

L’ordre des experts comptables, auditionné par vos rapporteurs, a confirmé la faisabilité technique de cette proposition. Ainsi, le « compte comptable du PCG 611 soustraitance générale pourrait être utilisé pour identifier les soustraitants puis recenser les éléments relatifs à leurs rémunérations ».

Votre rapporteure Mme Graziella Melchior émet des réserves sur cette proposition. Selon elle, les écarts de rémunération ont bien vocation à être mesuré à l’échelle de l’entreprise définie comme entité juridique, et non pas à intégrer l’ensemble des chaînes de sous-traitance. Les entreprises sous-traitent pour se concentrer sur leur cœur de métier. Les tâches externalisées sont rémunérées à la prestation. Le donneur d’ordre n’a pas à connaître le salaire des salariés du sous‑traitant.

Proposition n° 5 (portée par M. Dominique Potier uniquement) : Lever le voile de la soustraitance en l’intégrant à la mesure des écarts de rémunération

Prendre en compte les chaînes de sous-traitance sur le territoire national et européen dans la mesure des écarts de rémunération, dès lors qu’il y a un lien commercial établi.

Ces informations auraient vocation à ouvrir la voie à une clause contractuelle obligatoire garantissant l’égalité salariale et de traitement entre salariés d’une entreprise ayant recours à la sous–traitance et les salariés des entreprises sous-traitantes ([88]).

4.   Améliorer les bases de données économiques et sociales et construire à partir de ces dernières un indicateur du partage de la valeur

Les fragilités mentionnées plus haut concernant le fonctionnement des BDES doivent donner lieu à un dialogue renouvelé entre les partenaires sociaux afin de renforcer la fiabilité de cet outil. À cet effet et comme le suggère Force ouvrière, un groupe de travail tripartite pourrait être créé, dans l’objectif d’évaluer et d’améliorer la BDES.

Les BDES constituent potentiellement une mine d’informations, qui pourrait être davantage exploitée. Vos rapporteurs suggèrent ainsi la création d’un indicateur du partage de la valeur, qui pourrait être conçu à partir des données fournies dans la BDES et qui aurait vocation à informer l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. Cette proposition est aujourd’hui formulée par la Confédération française de l’encadrement - Confédération générale des cadres (CFE‑CGC), qui indique que « cet indicateur permettrait d’avoir une vue d’ensemble sur la répartition de la valeur ajoutée et donnerait ainsi notamment des indications sur la part de la valeur ajoutée versée aux actionnaires ». Cet indicateur, qui devrait être rendu public, aurait l’avantage de présenter, d’une façon accessible à tous, les principales composantes du partage de la valeur selon les entreprises. Il pourrait également utilement éclairer les négociations entre partenaires sociaux, dans un contexte où la question du partage de la valeur paraît encore trop opaque, selon les syndicats auditionnés par vos rapporteurs. Les modalités précises relatives à la construction de cet indicateur doivent faire l’objet d’un dialogue approfondi entre les partenaires sociaux ainsi que les pouvoirs publics.

Proposition n° 6 : À partir des bases de données économiques et sociales, créer un indicateur du partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise

Cet indicateur du partage de la valeur ajoutée répondrait à la problématique actuelle concernant l’opacité des informations relatives au partage de la valeur au sein de l’entreprise. Les modalités précises relatives à la construction de cet indicateur doivent faire l’objet d’un dialogue approfondi entre les partenaires sociaux ainsi que les pouvoirs publics.

Votre rapporteur Dominique Potier considère que cet indicateur permettrait à terme de lier la croissance des dividendes à celle des salaires.  Il s’agirait également d’un instrument permettant de différencier les politiques sociales et fiscales de l’État, et de conditionner l’accès aux marchés publics.

5.   Faire de la question des écarts de rémunération et du partage de la valeur l’un des piliers du reporting sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE)

Une réflexion d’ensemble est aujourd’hui à l’œuvre autour de la question du reporting en matière de RSE. Certains parlementaires ainsi que de nombreux acteurs de la société civile cherchent à améliorer cette mesure, autour d’outils comme l’impact score, développé par le mouvement impact France ([89]), ou la certification RSE. Au niveau européen, les débats autour de la RSE et de sa mesure sont nourris, dans un contexte de révision de la taxonomie européenne et d’une nouvelle version annoncée de la directive européenne relative aux informations extra-financières.

Dans ce cadre, vos rapporteurs souhaitent que la question des écarts de rémunération et du partage de la valeur soit intégrée au sein du reporting RSE. À l’heure actuelle, les pratiques en la matière ne sont pas harmonisées. Le droit prévoit simplement que la déclaration de performance extra-financière doit intégrer la question des politiques de rémunération et leur évolution, comme en dispose l’article R. 225-105 du code de commerce. La prise en compte de ces critères dépend donc des pratiques retenues par les entreprises ainsi que par la grande diversité de labels privés existants.

Votre rapporteur M. Dominique Potier suggère que la question des écarts de rémunération et du partage de la valeur soit intégrée parmi les critères d’une certification publique nationale en matière de RSE, qu’il appelle de ses vœux ([90]). Cette norme publique prendrait la forme d’un label ou d’une notation établie sur la base d’un nombre limité de critères, indiquant les impacts sociaux et environnementaux ainsi que la qualité de la gouvernance.

La révision de la directive européenne de 2014 sur la performance extrafinancière constitue une opportunité à ne pas manquer. La Commission européenne a en effet annoncé son intention de réviser la législation européenne en la matière, faisant le constat des nombreuses lacunes quant à la présentation de l’information extra-financière par les entreprises européennes. Comme le rappelle l’Autorité des marchés financiers (AMF), cette révision « doit permettre d’apporter une information répondant aux attentes des investisseurs, des clients et fournisseurs, des entreprises, mais aussi des organisations non gouvernementales et de la société civile ([91]) ».

À ce stade, la direction générale du Trésor a indiqué à vos rapporteurs qu’« il est encore trop tôt pour énumérer les principales modifications à attendre en droit français, et notamment si la question des écarts des rémunérations sera incluse dans les obligations de reporting ». Vos rapporteurs appellent donc le Gouvernement à faire de cette question l’un des points clé des négociations à venir sur ce projet de directive.

 

 

 

 

 

 

Proposition n° 7 : Faire de la question des écarts de rémunération et du partage de la valeur l’un des piliers du reporting RSE

Le Gouvernement français doit porter cette problématique dans le cadre des négociations à venir sur le projet de révision de la directive européenne relative aux informations extra‑financière.

Votre rapporteur M. Dominique Potier souhaite que cette problématique puisse être intégrée dans le cadre d’une certification nationale en matière de RSE, qui pourrait voir le jour à titre expérimental avant l’entrée en vigueur de la nouvelle directive conçue par le législateur européen.

Ces éléments auraient ensuite vocation à orienter la commande publique vers des pratiques plus responsables.

II.   ContrÔler et limiter les dérives des rÉmunÉrations perçues par les dirigeants des grandes entreprises

Le montant des rémunérations perçues par les dirigeants des grandes entreprises atteint des niveaux sans précédent, tendance illustrée dans la première partie de ce rapport. Face à ces dérives, un certain nombre de règles ont peu à peu été posées, dans l’objectif de renforcer le contrôle des actionnaires sur le montant des rémunérations votées et de rendre dissuasive l’octroi de certaines composantes de la part variable des rémunérations des dirigeants. Sur ce plan, des perspectives d’améliorations peuvent encore être dégagées.

A.   Le say on pay : un dispositif de contrôle actionnarial

Le droit français a intégré relativement tôt des règles afin de prévoir un contrôle des actionnaires sur les politiques de rémunération des dirigeants. Ces règles ont d’abord été édictées dans le cadre du droit souple. En 2013, le code de gouvernance AFEP‑MEDEF recommandait d’en passer par une politique de vote consultatif en assemblée générale des actionnaires sur la rémunération des dirigeants, selon la pratique inspirée du droit anglo-saxon dite du « say on pay ». Ces règles sont peu à peu passées du droit souple au droit dur. Ainsi, à l’occasion de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », et dans le contexte de la polémique liée aux rémunérations perçues par M. Carlos Ghosn, les parlementaires ont permis le franchissement d’une étape importante, avec l’instauration d’un double vote ex ante et ex post en assemblée générale des actionnaires sur la rémunération des dirigeants d’entreprises cotées. Ce cadre législatif, considéré comme l’un des plus ambitieux de l’Union européenne, a constitué l’une des sources d’inspiration de la directive SRD 2.

Ce cadre a été récemment renforcé avec l’ordonnance n° 2019-1234 du 27 novembre 2019 et le décret n° 2019-1235, qui instaurent un dispositif unifié et contraignant d’encadrement des rémunérations des mandataires sociaux des sociétés cotées. Pris pour assurer la conformité du droit national aux nouvelles dispositions de la directive « SRD 2 », ce dispositif légal va au-delà des exigences minimales du droit de l’Union européenne. Les principes posés dans la loi Sapin 2 autour du vote ex ante et ex post sont conservés. Un certain nombre de précisions et de compléments sont apportés ([92]) :

– l’ensemble des mandataires sociaux sont désormais concernés par cette obligation : outre le président du conseil d’administration, le directeur général ou le directeur général délégué et les membres du directoire, l’ensemble des administrateurs sont également visés ;

– l’ordonnance prévoit expressément le fait que les versements ou engagements non conformes à la politique de rémunération approuvée par les actionnaires sont nuls (article L. 225-100 du code de commerce). En cas de vote négatif, le conseil d’administration est tenu de présenter une nouvelle politique de rémunération à la prochaine assemblée générale et la rémunération des administrateurs est suspendue dans l’intervalle ;

 les indemnités de départ et les retraites chapeau, qui faisaient par le passé l’objet de conventions réglementées (depuis la loi « Breton ») sont désormais intégrées à ce dispositif ([93]) ;

– enfin, le décret indique également que la politique de rémunération doit être conforme à l’intérêt social, contribuer à la pérennité de la société, s’inscrire dans sa stratégie commerciale et expliciter la manière dont les conditions de rémunération et d’emploi des salariés de la société sont prises en compte.

Comme le souligne la Confédération française démocratique du travail (CFDT), le say on pay « est une brique mais elle n’est pas suffisante. Les actionnaires ne représentent pas forcément tous les intérêts de toutes les parties prenantes de l’entreprise ». Votre rapporteur M. Dominique Potier souhaite formuler de profondes réserves sur l’efficacité du dispositif de say on pay pour limiter la progression des rémunérations ; le say on pay paraît davantage être un instrument de suprématie actionnariale qu’un moyen efficace pour réduire l’envolée des rémunérations. Ainsi, selon l’analyse de Christophe Clerc, avocat et auteur d’un rapport rendu à l’organisation internationale du travail (OIT) sur le gouvernement d’entreprise, « le dispositif échoue (…) à limiter la hausse continue des rémunérations des dirigeants alors même qu’il a été conçu, en partie, à cet effet ([94]) ».

En outre, ce dispositif légal, centré sur la transparence des rémunérations et le processus selon lequel elles sont déterminées, ne comprend pratiquement pas de prescription sur le contenu des rémunérations. Il est complété par les instruments de droit souple et en particulier par le code AFEP‑MEDEF, qui, dans une démarche d’autorégulation, édictent des recommandations sur le contenu des rémunérations. Il convient à ce titre de noter que les sociétés cotées ont l’obligation de se référer à un code de gouvernement d’entreprise – ou, à défaut, de s’en expliquer –, en application du principe « comply or explain ». La quasi-totalité des sociétés françaises du SBF120 se réfèrent au code AFEP-MEDEF.

B.   limiter les dÉrives liÉes aux rÉmunÉrations variables : un approfondissement encore nÉcessaire

Un certain nombre de règles sont prévues par le droit souple et le droit dur dans l’objectif de limiter certaines dérives relatives aux rémunérations perçues par les mandataires sociaux, en particulier celles liées aux rémunérations variables et exceptionnelles (stock-options, actions gratuites, indemnités de départ, retraite chapeau, jetons, bonus). Ces règles se sont peu à peu renforcées, en particulier à la suite de la crise de 2008.

1.   Poursuivre l’encadrement des indemnités de départ et des retraites chapeau 

Les indemnités de départ, ou « parachute doré » ainsi que les retraites chapeau ont fait l’objet d’un encadrement progressif, au gré des scandales médiatisés soulignant les excès de certaines rémunérations perçues et leur manque de lien avec la performance de l’entreprise. Ainsi, la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi « TEPA » a conditionné les indemnités de départ et les retraites chapeau à des objectifs de performance ([95]) fixés a priori par les conseils d’administration ou de surveillance. En outre, le 5 bis de l’article 39 du code des impôts prévoit également que les indemnités de départ et les retraites chapeau sont admises en déduction du bénéfice net dans la limite d’un seuil fixé en fonction du plafond annuel de la sécurité sociale (PASS) ([96]). La loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 a abaissé ce seuil de déductibilité de 6 à 3 PASS. Les indemnités de départ sont en outre soumises à un régime social et fiscal visant à encadrer les abus : dès lors qu’elles franchissent un seuil équivalent à 5 fois le PASS, l’article L. 136-1-1 du code de la sécurité sociale prévoit la soumission de ces indemnités, dès le premier euro, aux cotisations sociales.

Selon le cabinet Proxinvest, les indemnités de départ sont de moins en moins versées en France. Néanmoins, lorsqu’elles le sont, elles sont parmi les plus généreuses d’Europe.

Les retraites chapeau ont vu leur encadrement récemment rehaussé par ordonnance ([97]), à la suite notamment du scandale de la somme de 1,3 million d’euros versée à M. Tom Enders, ancien directeur général d’Airbus. Le texte prévoit que les droits acquis chaque année au titre d’une retraite chapeau sont désormais plafonnés à 3 % de la rémunération annuelle, leur cumul global ne pouvant excéder 30 % du revenu annuel de référence. L’ordonnance procède également à une augmentation de la taxe due sur ces contributions, qui passe de 24 à 29,7 % ([98]).

Votre rapporteur M. Dominique Potier considère qu’il est nécessaire de supprimer l’ensemble des exonérations fiscales et sociales applicables en matière d’indemnités de départ et de retraite chapeau. Pour aller plus loin, il pourrait également être envisagé la suppression pure et simple de ces dispositifs, comme le recommandait déjà le rapport de la mission d’information présenté en 2013 sur la transparence de la gouvernance des entreprises, présenté par les députés MM. Jean‑Michel Clément et Philippe Houillon.

Votre rapporteure Mme Graziella Melchior estime quant à elle que les progrès permis par la récente ordonnance prise en application de la loi PACTE constitue une avancée notable dont il faudra évaluer les effets. Un dispositif de plafonnement similaire pourrait voir le jour en matière d’indemnités de départ. La suppression des exonérations fiscales et sociales n’apparaît pas forcément appropriée car elle viserait davantage les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les PME que les sociétés cotées. Une suppression pure et simple des dispositifs paraît également trop radicale aux yeux de votre rapporteure, notamment car ces derniers ont une vocation généraliste et peuvent donc être utilisées par des PME et ETI.

 

 

 

Proposition n° 8 : Renforcer l’encadrement des retraites chapeau et des indemnités de départ

Votre rapporteur M. Dominique Potier préconise la suppression des exonérations fiscales et sociales liées à ces dispositifs, afin de sortir de l’opacité et des privilèges qui subsistent. Les règles propres aux indemnités de départ des mandataires sociaux et des dirigeants doivent être alignées sur celles définies dans le cadre des conventions collectives et des accords d’entreprises pour l’ensemble des salariés et des cadres. Un plafonnement en valeur des retraites chapeau et des indemnités de départ doit également être envisagé.

Votre rapporteure Mme Graziella Melchior préconise la mise en place d’un mécanisme de plafonnement des indemnités de départ sur le modèle de ce qui existe en matière de retraites chapeau.

2.   Surveiller la progression des actions gratuites dans la part de la rémunération des dirigeants

Sous l’effet d’une fiscalité dissuasive, la part des stock-options attribuée aux mandataires sociaux a considérablement diminué ces dernières années. Le régime fiscal prévoit en effet une triple imposition, la première s’appliquant lors de la levée de l’option, la deuxième lors de l’année de la cession de l’action et la troisième sur la plus-value tirée lors de la cession de titres ([99]). Parallèlement à la diminution des stock-options, on observe une croissance importante des actions gratuites dans la part variable de la rémunération des dirigeants.

Principales caractéristiques des actions gratuites

Contrairement aux stock-options, les actions gratuites sont, comme leur nom l’indique, données au bénéficiaire. Les actions gratuites ne présentent pas les mêmes risques que les stockoptions en matière d’instabilité financière car elles n’entraînent pas les mêmes mécanismes spéculatifs. Le système fonctionne de telle manière que la personne détentrice desdites actions ne puissent les revendre avant l’expiration d’un délai de 2 ans à partir de la date d’attribution ([100]). La fiscalité des actions gratuites comporte plusieurs régime différents en fonction de la date d’acquisition définitive des actions et de la date de la revente par le salarié.

Les actions gratuites ont été régulièrement encouragées par le législateur, en ce qu’elles apparaissent comme l’un des moyens de développement de l’actionnariat salarié. La loi Macron a réduit leur durée de conservation afin de les rendre plus attractives. Cette durée est aujourd’hui fixée à deux ans. La loi PACTE a également assoupli les conditions d’attribution gratuite des actions, en prévoyant notamment que les actions n’ayant pas encore été définitivement attribuées au terme de la période d’acquisition, ainsi que celles n’étant plus soumises à l’obligation de conservation, ne soient plus prises en compte dans les 10 % du capital social au-delà duquel il n’est plus possible de distribuer de telles actions.

Vos rapporteurs sont favorables au développement de l’actionnariat salarié (comme détaillé ci-après du présent rapport). En revanche, la masse d’actions gratuites distribuées aux mandataires sociaux paraît aujourd’hui démesurée, d’autant plus que leur distribution n’est pas toujours conditionnée à des critères de performance financiers. Dans sa nouvelle étude, le cabinet Proxinvest souligne ainsi la quasi-disparition des stocks-options et le boom des actions gratuites et de performance, souvent à l’origine des dérives du top 5 : + 51 % en 5 ans pour le SBF 120.

Vos rapporteurs appellent à surveiller cette tendance et à la modérer. Au besoin, des outils de nature fiscale pourraient être instaurés pour rendre cette distribution plus dissuasive. Il ne faudrait pas, en revanche, que de tels outils freinent le développement global de l’actionnariat salarié.

Vos rapporteurs appellent également à davantage de conditionnalité dans la distribution des actions gratuites. Tout comme les stock-options, l’attribution des actions gratuites est subordonnée dans les sociétés cotées à une attribution des mêmes instruments « au bénéfice de l’ensemble du personnel et d’au moins 90 % de l’ensemble des salariés des filiales » ou à l’existence d’un accord d’intéressement au bénéfice de ces mêmes catégories. Le rapport de la mission d’information présenté en 2013 sur la transparence de la gouvernance des entreprises par les députés Jean‑Michel Clément et Philippe Houillon, préconisait déjà d’élargir le champ de cette obligation aux grandes entreprises non cotées. Vos rapporteurs souhaitent réitérer cette proposition.

Pour approfondir cette logique, une solution pourrait être que la distribution annuelle d’actions gratuites aux dirigeants ne puisse dépasser un certain pourcentage du nombre total d’actions gratuites distribuées cette même année, comme le suggère la CFE-CGC.

Proposition n° 9 : Surveiller et encadrer la progression des actions gratuites dans la part variable perçue par les mandataires sociaux

– Élargir aux grandes entreprises non cotées l’obligation de subordonner l’attribution des actions gratuites à la mise en place des mêmes instruments au bénéfice de l’ensemble du personnel et d’au moins 90 % de l’ensemble des salariés des filiales ou à l’existence d’un accord d’intéressement ;

– Limiter la distribution annuelle d’actions gratuites aux dirigeants en pourcentage du nombre total d’actions gratuites distribuées cette même année.

3.   Conditionner la rémunération variable perçue par les dirigeants à des critères extra-financiers

La part variable de la rémunération attribuée aux mandataires sociaux reste encore trop attachée à des critères de performance court-termistes, si bien que l’intérêt des dirigeants est souvent ancré de façon excessive sur celui des actionnaires et insuffisamment sur celui des salariés et l’avenir à long terme de l’entreprise. Cette dérive observée à partir des années 1980 est l’un des symptômes d’un capitalisme excessivement financiarisé. Comme le soulignait le rapport NotatSenard, « viser le profit de court terme revient finalement à vider l’entreprise de sa substance, en faveur d’intérêts qui lui sont extérieurs, à rebours de l’intérêt collectif qui devrait être poursuivi ».

Des efforts doivent encore être fournis pour que la part variable perçue par les dirigeants soit davantage corrélée aux enjeux de long terme et extra-financiers de l’entreprise, afin que les équipes dirigeantes soient intéressées à la performance durable du groupe.

En l’état, des améliorations notables sont à constater. Alors que le sujet était quasiment absent des débats il y a une dizaine d’année, un nombre important d’entreprises prévoit une indexation de la rémunération variable en fonction des résultats de l’entreprise en matière de RSE. Cette évolution est en partie le fruit d’un cadre juridique récemment enrichi sur ce point. Depuis 2016, le code AFEP MEDEF recommande ainsi la prise en compte de critères non financiers, en prévoyant que « la rémunération de ces dirigeants doit être compétitive, adaptée à la stratégie et au contexte de l’entreprise et doit avoir notamment pour objectif de promouvoir la performance et la compétitivité de celle-ci sur le moyen et long terme en intégrant un ou plusieurs critères liés à la responsabilité sociale et environnementale ».

L’intégration de la RSE comme critère de rémunération des mandataires sociaux, une tendance européenne selon l’autorité des marchés financiers (AMF)

Le rapport annuel de l’Autorité des marchés financiers sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants des sociétés cotées fait état d’une tendance de fond observée à l’échelle européenne en matière d’intégration des critères RSE dans les codes de gouvernance des différents pays européens.

« Les révisions des codes de gouvernance afin d’inscrire ou consolider la place des enjeux RSE dans les bonnes pratiques de gouvernance se sont multipliées ces dernières années, comme en témoignent les récentes évolutions de rédaction des codes de gouvernance au Royaume-Uni (2018), en Italie (2018) ou encore en Allemagne (2019). Dans certains cas tels que celui du Luxembourg en 2017, l’évolution des dispositions du code de gouvernance concernait uniquement des sujets liés à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Au-delà d’une simple tendance, ces évolutions sont le reflet d’un véritable changement de paradigme de la gouvernance d’entreprise.

« En effet, depuis les années 1970, les mécanismes de gouvernance d’entreprise étaient largement influencés par la culture dominante, théorisée par Milton Friedman selon laquelle le seul objectif de l’entreprise est d’accroître ses profits et la rémunération de ceux qui la possèdent. Par la suite, une aspiration s’est dégagée en faveur d’une meilleure prise en compte de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, dont Edward Freeman a démontré les bénéfices dans sa théorie des parties prenantes ».

Ainsi, le guide de l’observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (ORSE), cité dans le rapport « Notat Senard », montre que les entreprises du CAC 40 ont pour la plupart intégré de tels critères en 2017. En revanche, leur intensité n’est pas toujours au rendez-vous : elle se situe ainsi entre 10 et 30 % pour 78 % des entreprises. Selon le rapport 2020 du Haut Comité de gouvernement d’entreprise ([101]), 87 % des sociétés du SBF 120 (contre 79,8 % lors de l’exercice précédent) et 31 des sociétés du CAC 40 prévoyant une partie variable font mention de critères de détermination en lien avec la RSE. Ces résultats sont en progression mais sont encore insuffisants. Le Haut Comité recommande une définition précise et lisible de ces critères RSE. Le rapport Proxinvest abonde dans le même sens en soulignant que pour être efficaces et crédibles, les critères doivent être précis, vérifiables et cohérents. Si Proxinvest relève dans sa dernière étude de bonnes pratiques chez les entreprises fournissant des indicateurs détaillés, à l’inverse, « l’usage de terme trop fourre-tout ne permettant pas de comprendre quels éléments sont pris en compte » est déploré.

Ces outils doivent être encouragés et leur lisibilité renforcée. La performance extra-financière doit prendre un poids croissant dans la rémunération variable des dirigeants. Un seuil minimal de la part variable indexée sur la performance extra-financière de l’entreprise pourrait être instauré. Vos rapporteurs considèrent qu’il est a minima nécessaire que le code AFEP-MEDEF soit revu pour contenir des recommandations plus fortes en la matière, afin que les rémunérations sous forme de bonus et d’actions gratuites soient liées à des critères qualitatifs extra‑financiers et ancrées dans le long terme.

Proposition n° 10 : Conditionner la rémunération variable perçue par des dirigeants à des critères extra-financiers

Instaurer un pourcentage minimal d’indexation de la part variable sur des critères RSE.

4.   Poser un principe simple d’exemplarité : la rémunération des mandataires sociaux ne peut augmenter en cas de plan social

Enfin, des conditions minimales d’exemplarité doivent être posées concernant la rémunération des dirigeants. Vos rapporteurs considèrent qu’il n’est pas acceptable que la rémunération, fixe ou variable, des dirigeants augmente, si dans le même temps l’entreprise procède à des plans sociaux. Proxinvest émet notamment une recommandation proche dans son rapport annuel.

Proposition n° 11 : Instaurer le principe selon lequel la rémunération des mandataires sociaux ne peut augmenter en cas de plan social

III.   L’encadrement des écarts de rémunération en question

Au-delà des outils juridiques existant pour encadrer les très hautes rémunérations, vos rapporteurs se sont interrogés au cours de leurs travaux sur la possibilité d’une instauration plus systématique d’un ratio limitant au sein de chaque entreprise les écarts de rémunération.

A.   Le principe général de libre détermination des salaires

Le cadre juridique actuel relatif aux salaires est guidé par un principe général de libre détermination par les parties. La libre détermination du salaire, déterminé par un contrat de travail, s’apparente donc à un principe général de liberté contractuelle. Cette liberté connaît toutefois des limites. Le salaire doit respecter des principes d’ordre public. Ainsi, le salaire est plafonné à la baisse par l’existence du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) ainsi que par les salaires minima prévus par les conventions et accords collectifs. En 2020, le SMIC est fixé à un taux horaire brut de 10,15 euros et à un montant mensuel brut de 1 539,42 euros. Le SMIC est en outre complété par les salaires minimum conventionnels, déterminés au niveau de chaque branche dans le cadre de la négociation collective et formalisés dans des conventions collectives. Cette procédure de négociation des salaires par les acteurs sociaux est consacrée dans notre droit depuis la loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail.

Le rôle de la négociation collective en matière de rémunération

La rémunération est un thème privilégié de la négociation collective, notamment dans le cadre des accords de classification de branches et des négociations annuelles obligatoires (NAO). Obligatoires sous peine de sanctions, ces négociations ne sont en revanche pas globalement soumises à des obligations de résultat.

Les partenaires sociaux sont soumis à une obligation de négociation sur les classifications professionnelles tous les 5 ans comme le prévoit l’article L. 2241-1 du code du travail. Ces négociations permettent d’établir les salaires minimum de branches conventionnels. La classification des emplois est déterminée par convention collective. Le plus généralement, les conventions collectives prennent en compte le poste du salarié, son expérience, s’il est cadre ou non-cadre ou encore son degré de responsabilité et d’indépendance, afin de déterminer la classification exacte de chaque salarié. Elles prévoient souvent des grilles de salaires variant en fonction du contrat de travail et de la durée du travail. Cette obligation de négocier implique l’existence d’une grille de classification, ou qu’il en soit élaboré une. Le contenu de l’obligation se limite cependant à un examen paritaire de l’état des classifications et n’emporte pas nécessairement obligation de réviser lesdites classifications.

Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives, et dans lesquelles a été désigné au moins un délégué syndical, l’employeur doit prendre l’initiative d’engager annuellement des négociations portant sur certains thèmes dont, notamment, les rémunérations et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ces thèses sont précisés aux articles L. 2242-15 à L. 2242‑16 du code du travail. Dans ce cadre, les NAO doivent notamment porter sur les salaires effectifs, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise.

 L’activité conventionnelle liée aux thèmes des salaires et de l’épargne salariale est très dynamique. En 2019 :

– Environ 420 avenants salariaux ont été signés au sein des branches professionnelles ;

– Au niveau des entreprises, 41 % des plus de 80 000 accords et avenants conclus en 2019 concernent l’épargne salariale (soit plus de 32 000 textes) qui constitue donc le premier thème de la négociation en entreprise et 22 % concernent les salaires et primes ;

– Dans les entreprises de moins de 50 salariés, le thème de l’épargne salariale est très largement majoritaire (70 % des accords conclus), devant le temps de travail (15 %) ou encore les salaires (11 %).

 Dans le cadre de ces négociations, certaines entreprises vertueuses mettent en place des politiques de rémunération visant à renforcer la transparence et à réduire les écarts de salaires. C’est notamment le cas de la MAIF, de la MACIF et de Triodos, entendus par vos rapporteurs ([102]). À titre d’illustration, la MAIF met en place un ensemble de dispositifs dans l’objectif de promouvoir l’équité salariale : augmentation générale dégressive des grilles de salaires en fonction du niveau de rémunération, fixation d’un salaire minimum 500 euros au-dessus du SMIC ainsi qu’une modération à l’égard des salaires les plus élevés.

En revanche, le droit ne prévoit pas de façon générale un plafonnement des hauts salaires. Dans le même temps, le droit ne prévoit pas non plus de plafonnement général des rémunérations perçues par les mandataires sociaux, en vertu du même principe de liberté contractuelle ainsi que des principes de liberté d’entreprise et de commerce et d’industrie.

Le principe d’un encadrement des rémunérations « par le haut » est donc peu présent dans notre droit, même si certains cas précis existent. Pour autant, l’idée d’un plafonnement des hauts salaires et de l’instauration d’un ratio d’écart des rémunérations n’est pas absente du débat public. Vos rapporteurs ont, au cours de leurs travaux, interrogé ce principe et tenter d’évaluer sa faisabilité.

B.   Des cas précis d’encadrement des rémunérations existent

Certains cas précis témoignent d’une volonté du législateur d’encadrer les rémunérations, dans un double objectif de préservation des finances publiques et de justice sociale.

1.   Un encadrement de l’ordre de 1 à 20 dans les entreprises publiques

Un encadrement des rémunérations est prévu pour les entreprises publiques. Traduisant ainsi une promesse de campagne du Président François Hollande, le décret du 26 juillet 2012 relatif au contrôle de l’État sur les rémunérations des dirigeants d’entreprises publiques a instauré un cadre spécifique en la matière. Celui‑ci prévoit un dispositif de plafonnement de la rémunération annuelle fixe et variable à 450 000 euros dans les entreprises et établissements publics pour l’ensemble des présidents du conseil d’administration, des directeurs généraux, des directeurs généraux délégués, des présidents-directeurs généraux, des présidents et membres de directoire, des présidents du conseil de surveillance, des présidents, des gérants et, d’une manière générale, des personnes qui, quel que soit leur titre, exercent des fonctions équivalentes. Ce plafond correspond à vingt fois la rémunération des 10 % des salariés les moins bien payés (le premier décile) de toutes les entreprises contrôlées par l’État. Le contrôle des rémunérations est exercé par le ministre chargé de l’économie dans les entreprises publiques, conjointement avec le ministre chargé du budget dans les établissements publics à caractère industriel et commercial. Votre rapporteur M. Dominique Potier souhaite ici réitérer sa proposition d’élargir à tous les cadres des entreprises publiques ce principe de limitation des écarts de rémunération.

2.   Des écarts limités dans l’économie sociale et solidaire (ESS)

La sphère de l’économie sociale est également irriguée par ce principe de limitation des écarts de rémunération. L’ESS porte dans ses fondements même la volonté d’assurer un partage de la valeur équitable. Ainsi, les écarts de rémunération dans l’ESS sont moindres que ceux observés dans le reste de l’économie.

Un échelle des salaires resserrée dans le secteur de l’ESS selon l’INSEE

Une enquête de l’Insee parue en 2012 ([103]) indique qu’un écart moins important, entre les plus faibles et les plus hautes rémunérations, est observé au sein de l’ESS par rapport aux entreprises du secteur privé notamment.

 

Source : Insee, 2009.

Les salariés des associations, les plus nombreux, ont globalement des revenus assez faibles et sont aussi plus souvent à temps partiel. Pour ce qui est des coopératives, des mutuelles et des fondations, les salaires sont plutôt au-dessus de la moyenne, mais la grille salariale n’en demeure pas moins resserrée. Cette dernière constatation tient potentiellement à la nature de l’organisation de certaines coopératives et mutuelles – notamment dans le secteur bancaire et assurantiel – qui concentrent parfois les activités les mieux rémunérées dans des filiales de droit privé et faussent ce faisant le calcul de l’écart entre les plus hautes et les plus faibles rémunérations.

Des règles particulières sont édictées en matière d’écart de salaires dans le cadre de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale » (« ESUS »). Créé par loi n° 2014‑856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire et récemment réformé par la loi PACTE, cet agrément, prévu à l’article L. 3332-17-1 du code du travail, garantit notamment l’accès à un certain nombre d’avantages fiscaux et peut être mobilisé dans le cadre de la commande publique. Certaines entreprises bénéficient de cet agrément de plein droit ([104]). Pour les autres, elles peuvent l’obtenir via une procédure d’agrément dont les critères d’obtention sont particulièrement exigeants. L’entreprise doit ainsi :

– poursuivre une utilité sociale à titre d’objectif principal, cet objectif devant figurer dans les statuts de l’entreprise ;

– prouver que la recherche d’utilité sociale a un impact financier sur l’entreprise ;

– avoir une politique de rémunération respectant deux conditions : la moyenne des sommes versées, y compris les primes, aux 5 salariés ou dirigeants les mieux payés ne doit pas excéder un plafond annuel fixé à 7 fois le SMIC et la rémunération versée au salarié le mieux payé ne doit pas excéder un plafond annuel fixé à 10 fois le SMIC ;

– les titres de capital de l’entreprise ne doivent pas être négociés sur un marché financier.

C.   La question du ratio dans le débat public

Bien qu’ambitieuses, ces mesures de limitation des écarts de rémunération restent limitées à des secteurs particuliers de l’économie. Or, dans ce contexte et face à la montée des écarts de rémunération, plusieurs voix s’élèvent pour proposer un plafonnement des rémunérations dans le secteur privé et la mise en place d’un ratio maximum des écarts au sein des entreprises.

Plusieurs tentatives législatives témoignent de l’intérêt croissant autour de ces problématiques. Ce principe avait un temps été envisagé par le Gouvernement en début de la précédente mandature, avant d’être écarté ([105]). Cette idée avait ensuite été avancée dans le cadre d’une proposition de loi communiste, porté par le député Gaby Charroux. Cette option a également été envisagée en droit Suisse, sous la forme d’un ratio maximal de 1 à 12, qui aurait été inscrit dans la Constitution fédérale helvétique, mais qui n’a finalement pas été retenu ([106]).

Un certain nombre d’acteurs se prononcent aujourd’hui pour l’instauration d’un tel ratio. C’est le cas de plusieurs syndicats. La Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) évoque ainsi l’idée de l’instauration d’un ratio situé entre 12 et 15 concernant les écarts de rémunération dans les entreprises, « ce dispositif n’ayant pas pour but de limiter les plus hauts salaires, mais plutôt de permettre à la moyenne de suivre la même courbe haussière que celle des dirigeants. Donc de “tirer tout le monde vers le haut”, tout en limitant les écarts injustifiables ». La CFDT se prononce également en faveur d’un ratio maximum fixé par la loi, qui aurait vocation à être précisé dans le cadre du dialogue social propre à l’entreprise et aux branches, ce cadre légal ayant vocation « à se construire et à se matérialiser par le dialogue social ». Force ouvrière estime nécessaire l’instauration d’un « cadre réglementaire contraignant, pour obliger la répartition en salaires des richesses produites ».

L’association Oxfam recommande quant à elle d’appliquer un facteur de 20 entre la rémunération la plus haute et la rémunération médiane de l’entreprise, tout en soulignant que « la question ne peut être entièrement tranchée par un seul et unique chiffre. C’est une question de démocratique : quelles inégalités pouvons-nous supporter collectivement ? ».

Le Mouvement impact France (ex Mouves) suggère quant à lui de prévoir un encadrement des rémunérations variant selon la taille des entreprises. Ce ratio pourrait ainsi être de 10 pour les entreprises de moins de 250 salariés, de 15 entre 250 et 500 salariés et enfin de 20 pour les entreprises de plus de 500 salariés.

Le cabinet Proxinvest, également entendu par vos rapporteurs, évoque un rapport de 1 à 100, qui n’aurait pas à être inscrit dans la loi mais qui devrait guider les politiques de votes des assemblées générales des actionnaires pour les sociétés cotées.

Cette question a également fait l’objet de travaux universitaires et intellectuels. Ainsi, la question d’un ratio limitant les écarts de rémunération a été défendue par M. Gaël Giraud et Mme Cécile Renouard dans leur ouvrage intitulé « Le facteur 12 ». Pour les auteurs, cette proposition répond à un double impératif d’efficacité économique et de justice sociale. Sur le plan économique, les auteurs soulignent notamment qu’une limitation des écarts de rémunération aurait un effet positif sur la demande interne. Sur le plan de la justice sociale, il s’agirait selon les auteurs, « de reconnaître qu’une société moins inégalitaire est plus démocratique et a toutes les chances d’être plus heureuse car les sentiments d’injustice et les rancœurs qui détruisent le tissu social y sont moindres. Entre un revenu-plancher qui assure les conditions d’une vie digne et un plafond au-delà duquel la fragmentation sociale domine tandis que s’épuisent les ressources planétaires, s’ouvre un espace pour le vivre ensemble (…). Ceci plaide en faveur d’une gouvernance renouvelée, ouverte et partagée, des entreprises, qui favorise la reconnaissance de leur rôle sociétal et politique, et implique une participation des salariés, et pas seulement des actionnaires, aux processus de décisions et aux orientations prises par les dirigeants. La fixation des salaires en serait un aspect important ([107]) ».

A contrario, vos rapporteurs ont pu constater au cours des auditions la grande réticence du patronat et de plusieurs think tank d’inspiration libérale autour de l’idée d’un plafonnement des rémunérations. La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) souligne un risque d’anéantissement de la volonté d’entreprendre. L’Union des entreprises de proximité (U2P) considère quant à elle que la question des écarts de salaires doit rester de la seule responsabilité des partenaires sociaux et du chef d’entreprise et que l’État ne doit pas intervenir.

La question des inégalités de rémunération au sein de l’entreprise pose de façon sous-jacente la question de la place de l’État face au fonctionnement du marché dans une économie libérale. Si vos rapporteurs partagent de nombreux constats dont il est fait état dans la première partie de ce rapport et se rejoignent sur un certain nombre de propositions, ils n’ont pas la même conception du rôle que doit jouer le législateur en matière de limitation des écarts de rémunération.

D.   LEs positions des rapporteurs

1.   La position de votre rapporteur M. Dominique Potier

Au vu du constat tiré en première partie de ce rapport sur les inégalités de rémunération et en raison de leurs conséquences économiques, sociales et écologiques, votre rapporteur M. Dominique Potier souhaite l’établissement d’un cadre légal pour limiter les écarts de salaires, dont l’ampleur fragilise le pacte social, nuit à l’efficacité économique et déséquilibre nos écosystèmes.

La transparence et les mesures visant à encadrer les parts variables perçues par les dirigeants des grandes entreprises constituent des premiers pas louables, mais qui ne permettront pas à eux seuls de réduire de façon significative les inégalités à la source qui persistent au sein de la société. Un dispositif légalement contraignant est aujourd’hui nécessaire pour permettre une véritable évolution des pratiques et assurer un rééquilibrage du partage de la valeur. La législation et la réglementation peuvent, dans certaines circonstances, faciliter et accélérer les changements culturels. Votre rapporteur appelle donc à en revenir à une forme de décence dans les écarts de rémunération.

Votre rapporteur propose ainsi de définir dans la loi un ratio maximum entre les hautes et les basses rémunérations au sein de l’entreprise. L’ampleur précise de ce ratio doit faire l’objet d’un débat parlementaire. Votre rapporteur estime en tout état de cause qu’elle doit se situer entre 10 et 20. Dans sa proposition de loi présentée sur cette question ([108]), votre rapporteur a choisi un ratio de 12, dont la symbolique est forte puisqu’il s’agit donc ici d’inscrire dans la loi le principe selon lequel nul ne mérite de percevoir en un mois plus qu’un autre membre de la même entreprise en un an. Il s’agit également d’un ratio proche du ratio maximal que l’on observe dans la fonction publique.

Ce dispositif contraignant pourrait reposer sur deux piliers, qui sont ceux retenus dans la proposition de loi évoquée :

– un dispositif incitatif fiscalement, à travers l’instauration d’un écart correspondant à douze fois la rémunération moyenne du décile de salariés disposant de la rémunération la plus faible. Au-delà de ce plafond, les sommes versées et les cotisations associées ne seraient plus déductibles de l’impôt sur les sociétés ;

– l’instauration d’un plafond en valeur absolue des rémunérations pouvant être perçues dans le secteur privé. Le montant annuel du salaire maximal appliqué dans une entreprise, en intégrant tous les éléments fixes, variables ou exceptionnels de toute nature qui la composent, ne pourrait être supérieur à vingt fois le montant annuel du SMIC.

Ce dispositif aurait ensuite vocation à se répercuter dans les chaînes de sous-traitance. Comme déjà indiqué plus haut, la sous-traitance d’activités fortement ou faiblement rémunérées peut rendre artificielle l’ampleur des écarts de rémunération au sein de l’entreprise. Dans ce cadre, il est nécessaire d’approfondir les réflexions visant à réintégrer les chaînes de sous-traitance dans le périmètre d’observation de l’entreprise.

Cette mesure présenterait un progrès en matière de justice sociale considérable. Sur le plan économique, la réduction des écarts de rémunération peut renforcer l’efficacité économique de l’entreprise. Il peut s’agir d’un vecteur puissant pour renforcer la cohésion des collaborateurs. Au niveau macroéconomique, cette mesure pourrait permettre une redistribution à la source des richesses créées par l’entreprise. Elle participerait donc à réduire les inégalités en rehaussant les revenus du travail perçus par les ménages les plus modestes. Ce serait donc une mesure en faveur du pouvoir d’achat, qui pourrait stimuler la consommation au bénéfice de l’ensemble de l’économie. En outre, le principe de non déductibilité en lien avec l’impôt sur les sociétés présenterait un gain considérable pour les finances publiques.

Au-delà de cette proposition dite du facteur 12, une modulation de l’impôt sur les sociétés en fonction du critère de RSE prenant en compte le partage de la valeur serait une innovation majeure pour une puissance publique soucieuse de prévenir les risques écologiques et sociaux.

Un autre levier est celui de la commande publique, que M. Gaël Giraud et Mme Cécile Renouard considèrent comme un véritable outil de transformation dans le partage de la valeur des entreprises : « subordonner les appels d’offres publics à un écart maximal est juridiquement beaucoup moins ̏ onéreux ̋ qu’une réécriture du code du travail et favoriserait l’accès aux marchés publics des entreprises de plus petite taille, ce qui est aussi une manière de favoriser une territorialisation plus forte de l’économie. Dans la mesure où les appels d’offres publics représentent en France 10 % environ du PIB, l’effet d’entraînement sur l’ensemble du secteur privé serait loin d’être négligeable ([109])».

Certains craignent que l’instauration d’une telle réglementation ne permette plus d’attirer des profils compétents au sein de nos entreprises. Votre rapporteur considère que cette crainte peut être fortement nuancée. D’abord, parce que la thèse d’un marché international des dirigeants et cadres d’entreprise est contestable. Ensuite, parce qu’un nombre croissant de profils peuvent être attirés par des critères extra-financiers, comme cela a été souligné à de nombreuses reprises au cours des auditions.

Concernant l’atteinte aux principes constitutionnels souvent invoqués, il faut d’abord souligner que la liberté d’entreprendre n’est ni générale, ni absolue, et que le Conseil constitutionnel admet un certain nombre d’exceptions, notamment lorsque par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ([110]) ». Au demeurant, votre rapporteur souhaite rappeler que la Représentation nationale, souveraine, dispose du pouvoir constituant. Le groupe socialiste a ainsi déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à instaurer le principe du bien commun dans la Constitution. Cet ajout pourrait conforter la constitutionnalité des propositions formulées par votre rapporteur.

Enfin, votre rapporteur souhaite souligner que cette proposition s’inscrit dans la perspective plus large défendue dans ce rapport d’un rééquilibrage du partage de la valeur. Ce rééquilibrage doit s’effectuer à charges inférieures ou égales dans l’économie des entreprises, afin de protéger leur compétitivité internationale et leur capacité d’investissement.

2.   La position de votre rapporteure Mme Graziella Melchior

Votre rapporteure Mme Graziella Melchior s’inscrit dans une perspective autre, qui témoigne d’une conception différente de la place de l’État dans une économie de marché. L’État joue un rôle essentiel, qui se manifeste notamment par les mesures de transparence et de limitation de certaines dérives, évoquées plus haut dans ce rapport. Mais l’État doit rester régulateur : l’heure doit être davantage à la responsabilisation des acteurs et à la transparence plutôt qu’à la coercition. L’instauration d’un ratio légal porterait, de l’avis de votre rapporteure, une atteinte excessive à la liberté contractuelle ainsi qu’à liberté d’entreprendre, garanties par la Constitution.

Votre rapporteure a également été sensible à un certain nombre d’arguments avancés en audition en défaveur de l’instauration d’un tel ratio. En particulier, l’effet qu’une telle mesure pourrait avoir en termes d’attractivité pour notre pays paraît à ce stade trop incertain. Votre rapporteure adhère en ce sens aux avertissements formulés par la direction générale du Trésor, selon qui « il convient de souligner qu’un dispositif qui irait au-delà des “bonnes pratiques” (…) et reposerait sur des prescriptions contraignantes pour les entreprises pourrait avoir des effets défavorables sur l’attractivité des entreprises françaises pour certains personnels qualifiés, ainsi que sur l’attractivité du droit français et de la France pour les entreprises étrangères qui envisageraient de s’y implanter, en particulier dans le contexte du Brexit ».

Pour autant, votre rapporteure considère que le principe même de la définition d’un écart de rémunération au sein des entreprises ne doit pas être abandonné. Dans la continuité des ratios d’équité instaurés par la loi PACTE, deux voies complémentaires pourraient être explorées.

En premier lieu, le principe de la définition d’un ratio pourrait être formulé de façon claire et précise dans le code de gouvernance AFEP-MEDEF. L’idée serait ainsi que le code AFEP-MEDEF recommande expressément aux entreprises d’établir un ratio entre la rémunération moyenne perçu par les salariés et la rémunération des dirigeants. Ce dispositif de droit souple permettrait ainsi un prolongement ambitieux du ratio d’équité voté dans la loi PACTE. Il s’inscrirait en pleine cohérence avec le décret n° 2019-1235 précité qui prévoit notamment que la politique de rémunération des dirigeants des sociétés cotées doit expliciter la manière dont les conditions de rémunération et d’emploi des salariés de la société sont prises en compte. Il serait également proche de ce qui est prévu dans un certain nombre de codes de gouvernance européen, comme détaillé dans l’encadré ci-dessous.

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Source : rapport de l’AMF

En second lieu, la question d’un ratio d’équité mériterait d’être évoquée dans le cadre du dialogue social au sein de l’entreprise. Ainsi, il pourrait être envisagé d’ouvrir dans le cadre des négociations annuelles obligatoires, un volet relatif à la négociation d’un tel ratio. Il s’agirait là d’un complément utile aux obligations déjà prévues dans le cadre des négociations annuelles obligatoires en matière de rémunérations et de partage de la valeur ajoutée. Ces négociations pourraient être éclairées par des données sur les écarts de la rémunération et le partage de la valeur, dans la lignée des propositions émises par vos rapporteurs en matière de transparence. Votre rapporteure considère que cette obligation aurait vocation à s’appliquer aux entreprises de plus de 500 salariés, seuil cohérent avec les obligations applicables en termes de déclaration de performance extra-financière.

Votre rapporteur M. Dominique Potier n’est pas hostile aux propositions formulées par Mme Melchior, qui constituent un progrès par rapport au droit existant. Elles n’en demeurent pas moins de son point de vue insuffisantes.

Proposition n° 12 : Limiter les écarts de rémunération via un ratio d’équité

Votre rapporteur M. Dominique Potier préconise :

– l’instauration d’un dispositif incitatif fiscalement pour toutes les entreprises autour d’un ratio de 1 à 12 : la part des rémunérations (fixes et variables, salaires et charges) supérieure à 12 fois le décile le plus bas au sein l’entreprise devient non-déductible de l’impôt sur les sociétés ;

– la subordination dans les appels d’offres publics d’un écart maximal des rémunérations de 1 à 12 ;

– l’instauration d’un plafond en valeur absolue équivalent à 20 fois le SMIC ;

– l’élargissement à tous les cadres des entreprises publiques du principe de limitation des écarts de rémunérations.

Votre rapporteure Mme Graziella Melchior préconise :

– de faire du ratio un élément de la négociation collective a minima dans les entreprises de plus de 500 salariés ;

– d’instaurer le principe du ratio dans le code AFEP-MEDEF.

Ces deux dernières propositions sont partagées par votre rapporteur M. Dominique Potier qui considère qu’elles pourraient être mises en œuvre dans un premier temps et qu’à défaut d’efficacité, elles pourraient être remplacées par le dispositif légal contraignant proposé ci‑dessus.

IV.   Mener une réflexion pour soutenir les bas salaires, au-delà du périmètre de l’entreprise

L’ensemble des propositions formulées jusqu’ici par vos rapporteurs visent un rééquilibrage de la dispersion salariale et donc à poser les conditions d’un rehaussement des bas salaires. En limitant les excès des hautes rémunérations voire en instaurant, que ce soit par le droit souple, le dialogue social, ou le droit dur, un ratio en matière d’inégalités de rémunération, les entreprises devraient retrouver des marges de manœuvre pour distribuer de façon plus équitable la valeur ajoutée, au bénéfice des bas salaires.

La minimisation des écarts salariaux et de rémunération au sein des entreprises constitue une réponse importante à la question des inégalités salariales et des bas salaires. Ce levier avait d’ailleurs été mentionné par le ministre de l’économie, des finances et de la relance M. Bruno le Maire lors de son audition par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale au mois d’avril 2020, le ministre invitant les entreprises à « poursuivre cette réflexion sous la forme de la réduction des écarts salariaux à l’intérieur des entreprises », dans l’objectif de renforcer « la cohésion sociale et l’efficacité économique » de ces dernières.

Elle doit être complétée par une réflexion approfondie sur les leviers aujourd’hui identifiables pour soutenir les bas salaires et limiter les inégalités au-delà du périmètre de l’entreprise. Au niveau macro-économique, le partage de la valeur ne permet pas toujours d’assurer un niveau de vie décent à un certain nombre de travailleurs. La nécessité d’agir spécifiquement pour apporter un soutien aux bas salaires est ainsi revenue à plusieurs reprises lors des auditions conduites par vos rapporteurs. Cet enjeu se pose avec une acuité particulière dans le contexte de la crise actuelle liée à la covid-19. Celle-ci a en effet mis en exergue un certain nombre de professions mal rémunérées, malgré leur forte utilité sociale, comme l’a notamment analysé la sociologue Mme Dominique Méda. Certaines d’entre elles relevant de la sphère publique (enseignants, personnels hospitaliers notamment), mais nombre d’autres du secteur marchand (caissières, femmes de ménages notamment).

La question de la revalorisation du SMIC, au-delà de son augmentation automatique annuelle, est aujourd’hui loin de faire consensus. Si elle est réclamée par un certain nombre de syndicats, d’autres craignent qu’elle n’écarte du marché du travail les travailleurs les moins qualifiés. En outre, une revalorisation du SMIC ne permet pas d’agir sur l’ensemble de la grille salariale.

Dans un contexte où les enjeux relatifs au pouvoir d’achat ont occupé une place importante dans le débat public ces derniers mois, le Gouvernement a mis en place des primes exceptionnelles, permettant aux employeurs d’octroyer un complément de rémunération avec des avantages fiscaux associés. Il s’agit là de solutions conjoncturelles utiles en temps de crise. Toutefois, elles ne garantissent pas les mêmes droits sociaux aux travailleurs que ceux associés au salaire.

Dès lors, vos rapporteurs considèrent qu’un nouvel élan doit être donné en matière de dialogue social sur ces questions.  Sous l’impulsion de l’État, il parait nécessaire qu’une révision des classifications de branche soit engagée entre les partenaires sociaux, dans l’objectif de revaloriser les rémunérations minimales applicables à un certain nombre de professions, aujourd’hui dévalorisées. En outre, cette revalorisation passera également par deux autres leviers essentiels de l’action publique sur ces enjeux : la diminution des inégalités salariales entre les femmes et les hommes et la réduction de la précarisation de l’emploi.

Proposition n° 13 : Donner un nouvel élan au dialogue social au niveau des branches dans le sens d’une révision des classifications des rémunérations minimales applicables aux professions les plus dévalorisées

V.   PARTAGER LA VALEUR : donner un nouvel élan aux dispositifs du partage du profit et du capital

Les dispositifs visant à associer les salariés au partage du profit via l’épargne salariale ou de leur permettre d’acquérir directement des parts de capital, via l’actionnariat salarié constituent des leviers puissants pour mieux partager la valeur.

A.   UnE NOUVELLE DYNAMIQUE pour l’intéressement et la participation

1.   Des dispositifs anciens, aux avantages nombreux

Déployés à partir des années 1960, les dispositifs d’intéressement et de participation devaient constituer, dans l’esprit du général de Gaulle, l’un des principaux rouages de la politique sociale française. Ces outils présentent en effet de multiples avantages, tant du point de vue du salarié que de l’employeur :

– ils constituent un complément de revenu pour le salarié et sont donc favorables pour le pouvoir d’achat. Ils permettent notamment aux petits épargnants de se constituer un patrimoine dans des conditions avantageuses et peuvent à ce titre permettre de réduire les inégalités de détention du capital ;

 ils garantissent le développement du dialogue social et offrent les conditions d’une meilleure conciliation entre le travail et le capital au sein de l’entreprise ;

– ils permettent d’associer les salariés à la performance de l’entreprise et peuvent donc être un élément de motivation managériale ;

– enfin, ils sont également favorables au développement des capacités d’autofinancement de l’entreprise dans le cadre du développement des plans d’épargne.

2.   L’intéressement et la participation : des modalités de fonctionnement proches

Facultatif, l’intéressement, créé dès 1959, prend la forme d’une prime versée aux salariés. Comme le prévoit le code du travail, l’intéressement « a pour objet d’associer collectivement les salariés aux résultats ou aux performances de l’entreprise ». La participation, instituée en 1967, est quant à elle obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés ([111]) ayant dégagé des bénéfices supérieurs à 5 % des capitaux propres. Elle prend la forme d’une quote-part des bénéfices de l’entreprise : la réserve spéciale de participation (RSP), dont la formule de calcul est fixée par la loi.

Le dialogue social joue un rôle clé en matière d’intéressement et de participation, car l’essentiel de leurs modalités de fonctionnement sont précisées par accord ([112]). L’accord détermine ainsi notamment les règles de répartition des primes, qui peuvent prendre plusieurs formes énumérées par la loi : uniforme, proportionnelle à la durée de présence dans l’entreprise au cours de l’exercice, ou proportionnelle aux salaires. L’accord peut également retenir conjointement ces différents critères.

Les fruits de l’intéressement et de la participation peuvent être acquis directement par le salarié, ou placés dans un véhicule d’épargne salariale (PEE ou PERCO). Cette seconde option est fortement encouragée par un ensemble d’incitations fiscales. Dans ce cas, l’entreprise peut compléter les versements des salariés par des abondements complémentaires. De façon plus générale, le cadre fiscal et social de l’intéressement et de la participation présente des avantages pour le salarié et pour l’employeur. Du côté de l’employeur, les primes attribuées sont exonérées des cotisations employeurs et les sommes sont également déductibles des bases retenues pour l’assiette de l’IS ou de l’IR. Pour le salarié, les sommes investies par le salarié sur un plan d’épargne ([113]) sont exonérées d’impôt sur le revenu, en contrepartie du blocage des avoirs sur une certaine durée.

En raison notamment des avantages fiscaux et sociaux associés, l’intéressement, la participation et les abondements sont plafonnés. Un plafonnement individuel est prévu pour l’intéressement comme pour la participation. Ainsi, l’employeur ne peut verser à son employé une prime d’intéressement ou de participation dont le montant dépasserait l’équivalent de 75 % du plafond annuel de la sécurité sociale (PASS) par an – soit 30 852 euros pour l’année 2020. Un plafond collectif est également prévu pour l’intéressement, fixé à 20 % de la masse salariale brute. L’entreprise peut verser annuellement jusqu’à trois fois le montant versé par le salarié dans le plan, dans la limite d’un plafond fixé en référence au plafond annuel de la sécurité sociale (PASS) ([114]). Les versements que les salariés peuvent réaliser sur leur compte d’épargne salariale font également l’objet d’un encadrement.

3.   Un cadre incitatif récemment rehaussé

Plusieurs évolutions ont été apportées récemment par le législateur dans l’objectif de favoriser le développement de l’intéressement et de la participation. Les évolutions ont principalement consisté à accroître les incitations financières, simplifier le fonctionnement de ces dispositifs et dynamiser la négociation collective.

a.   La suppression partielle du forfait social

L’une des mesures principales en la matière a consisté à supprimer partiellement le forfait social ([115]) dû par l’employeur sur ces versements. Depuis la loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019, le forfait social a été considérablement allégé :

– il a été supprimé pour toutes les sommes versées au titre de la participation et de l’abondement pour les entreprises de moins de 50 salariés ;

– il a également été supprimé pour toutes les sommes versées au titre de l’intéressement pour l’ensemble des entreprises de moins de 250 salariés.

b.   Le rehaussement du plafond individuel de l’intéressement

Le plafond individuel applicable en matière d’intéressement a été relevé par la loi PACTE. Il est désormais limité à 75 % du PASS  contre la moitié du PASS auparavant. Dans ce cadre, on peut également noter qu’une mesure intéressante a été introduite par voie d’amendement parlementaire, afin de permettre la redistribution du reliquat de l’intéressement aux autres salariés, lorsque ce plafond individuel est atteint.

c.   Une responsabilisation des partenaires sociaux

La loi PACTE a introduit une obligation pour les branches de négocier un accord de participation, d’intéressement ou d’épargne salariale. Cette obligation doit permettre par la suite aux entreprises de moins de 50 salariés d’appliquer directement les accords de branche, sans négociation spécifique au niveau de l’entreprise. La date butoir de cette obligation, initialement fixée par la loi PACTE au 31 décembre 2019, a été décalée par le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dit projet de loi ASAP, au 31 décembre 2020. À défaut d’initiative de la partie patronale au plus tard le 31 décembre 2020, les organisations de salariés représentatives peuvent l’exiger.

d.   Des mesures de simplification nombreuses

Du côté de l’intéressement, la loi PACTE a permis la sécurisation des exonérations attachées aux primes d’intéressement à l’issue du délai total de six mois dévolu à l’administration pour contrôler le dispositif. La loi garantit également la continuité de l’accord d’intéressement en cas de rupture dans la mise en place des instances de représentation du personnel ou de modification survenue dans la situation juridique de l’entreprise. Le développement de l’intéressement de projet est également encouragé, en rendant possible sa mise en place au profit de tout ou partie des salariés d’une entreprise en raison d’un projet interne et non uniquement en raison d’un projet commun avec d’autres entreprises.

La loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 ([116]) offre quant à elle la possibilité aux employeurs d’entreprises de moins de 11 salariés, dépourvues de délégué syndical ou de de membre élu de la délégation du personnel du comité social et économique, de décider unilatéralement de la mise en place de l’intéressement ([117]).

Cette volonté de simplification s’est également poursuivie dans le cadre du projet de loi ASAP, qui a notamment ajouté un certain nombre de mesures pour rationaliser les contrôles administratifs sur les accords d’épargne salariale et a réduit la durée minimale des accords d’intéressement de 3 à 1 an.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tableau : récapitulatif sur l’intéressement et la participation

Dispositif

Obligatoire

Modalités de calcul

Plafonds

Règle de répartition

Régime socialo-fiscal

Intéressement

Non

Prévue par l’accord, la formule de l’intéressement relève de la négociation collective

Plafond individuel : 75% du plafond annuel de la sécurité sociale (PASS)

 

Plafond collectif : 20 % du total des salaires bruts versés

La répartition peut être uniforme, proportionnelle au salaire, proportionnelle à la durée de présence ou utiliser conjointement plusieurs de ces critères.

 

 

 

Exonérations de charges sociales patronales et salariales (hors CSG/CRDS) pour l’ensemble des entreprises

Soumis au forfait social pour les entreprises d’au moins 250 salariés

Exonération d’IR pour les salariés en cas d’investissement dans un plan d’épargne salariale

 

 

Participation

 

Oui, pour les entreprises d’au moins 50 salariés.

La formule de la participation est prévue par la loi. L’accord de participation peut toutefois opter pour une autre formule, à condition qu’elle soit au moins aussi avantageuse pour les salariés que la formule légale.  

Plafond individuel : 75 % du PASS

 

Pas de plafond collectif

La répartition peut être uniforme, proportionnelle au salaire, proportionnelle à la durée de présence ou utiliser conjointement plusieurs de ces critères.

Dans le cas où l’entreprise fait le choix d’une répartition proportionnelle au salaire,

la rémunération prise en compte pour le calcul est plafonnée à 3 PASS.

 

 

Soumis au forfait social pour les entreprises d’au moins 50 salariés Exonérations de charges sociales patronales et salariales (hors CSG/CRDS) pour l’ensemble des entreprises

Exonération d’IR pour les salariés en cas d’investissement dans un plan d’épargne salariale

4.   La persistance d’un certain nombre de faiblesses

Malgré les nombreuses évolutions récentes autour de ces dispositifs, vos rapporteurs n’en constatent pas moins la persistance d’un certain nombre de fragilités et d’insuffisances.

a.   Un développement très contrasté, au désavantage des salariés des petites entreprises

L’épargne salariale représente aujourd’hui des sommes significatives pour les salariés. 7 Md€ environ ont été versés au titre de la participation en 2017 à près de 5 millions de bénéficiaires, pour une somme de 1 400 € en moyenne. Du côté de l’intéressement, 9 Md€ ont été versés à un nombre équivalent de bénéficiaires, avec une moyenne de prime à 1 800 euros.

Ces ordres de grandeur masquent toutefois des réalités très contrastées en fonction des entreprises. Le constat a été dressé maintes fois : l’intéressement et la participation sont insuffisamment développés dans les petites entreprises. C’est ici l’une des faiblesses principales du dispositif. Selon la DARES, en 2017, si près de 50 % des salariés ont eu accès à un dispositif de participation, d’intéressement ou d’épargne salariale, cette proportion tombe à 11,2 % dans les entreprises de moins de dix salariés, et monte à 86,3 % dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. Le graphique ci-dessous illustre ces disparités.


graphique : ParT des salariÉs ayant accÈs À un dispositif de participation, d’intÉressement ou d’Épargne salariale en 2017 par taille d’entreprise (en % du nombre de salariÉs)

Source : Dares, enquête Acemo-Pipa et Acemo-TPE 2018.

On constate donc une insuffisante accessibilité à l’épargne salariale pour les salariés des petites entreprises. C’est là un facteur d’inégalités importantes entre les salariés ; une partie d’entre eux se voyant privés d’un complément de revenu qui peut être non négligeable, en particulier pour les bas salaires.

b.   Des dispositifs peu ancrés dans la culture des petites entreprises

Les dispositifs restent insuffisamment connus et ancrés dans la culture des petites entreprises. Vos rapporteurs ont pu constater en audition les réticences des petites entreprises face à des dispositifs considérés comme opaques, complexes et trop interventionnistes par certains chefs d’entreprises. L’U2P évoque également « un frein psychologique pour tous les chefs d’entreprise installés en nom propre, puisque dans ce cas, la rémunération de l’exploitant est le bénéfice de l’entreprise ». La complexité juridique et administrative et le manque de lisibilité fiscale peuvent décourager les dirigeants, comme le relèvent MM. Thibault Lanxade et François Perret dans leur rapport visant à établir un premier bilan de la loi PACTE sur ces thématiques.

c.   Une complexité indéniable

La loi PACTE a apporté un certain nombre de mesures de simplification bienvenues. Mais la complexité des dispositifs demeure. Les règles fiscales et sociales diffèrent selon la taille des entreprises et le type de dispositifs concernés. Elles sont en outre marquées par une instabilité certaine. La formule de calcul de la réserve spéciale participation, pourtant unanimement critiquée, est restée inchangée depuis 1967.

d.   Une répartition inégalitaire entre les salariés d’une même entreprise

La répartition des primes d’intéressement et de participation paraît trop inégalitaire. Ainsi, selon l’étude d’impact du Gouvernement annexée au projet de loi PACTE « au sein des salariés bénéficiaires, la répartition des primes de participation et d’intéressement est plus inégalitaire que celle des salaires : les 10 % des salariés les mieux rémunérés se partagent 26 % des salaires et les 10 % des salariés bénéficiant des primes les plus élevées en concentrent 37 %. La taille de l’entreprise et son secteur d’activité sont les principaux facteurs explicatifs des inégalités d’accès ». Les syndicats entendus par vos rapporteurs abondent en ce sens et déplorent cet état de fait.

e.   Un manque de dynamisme de la négociation collective au niveau des branches

Les accords de branche prévus dans la loi PACTE peinent à se déployer. Le nombre de branches ayant négocié un accord d’intéressement reste en effet très limité, avec moins de 20 branches étant parvenues à un accord, selon les informations communiquées par le Gouvernement à vos rapporteurs ([118]).

5.   Donner un nouvel élan à la participation et à l’intéressement

a.   Permettre à tous les salariés de bénéficier de la participation

Vos rapporteurs considèrent qu’un pas supplémentaire doit être franchi pour développer la participation dans les petites entreprises. Trop de salariés restent exclus de ce complément de revenu. Pour aller dans cette direction, il paraît nécessaire d’abaisser progressivement le seuil à partir duquel les entreprises sont soumises à une participation obligatoire, aujourd’hui fixé à 50 salariés. Plusieurs syndicats entendus par vos rapporteurs ont fait part de ce souhait. Ainsi, la CFDT demande la mise en place de la participation obligatoire pour les entreprises de plus de 10 salariés. La CGT évoque quant à elle le seuil de 20 salariés. FO se prononce également en faveur d’un abaissement progressif du seuil déclenchant la participation.

Cette nouvelle obligation doit nécessairement s’accompagner d’une grande pédagogie et de mesures d’accompagnement à destination des entreprises concernées. Cette réforme doit être mise en place de façon progressive, pour laisser le temps aux acteurs économiques et sociaux d’anticiper et de s’adapter. L’objectif n’est pas d’alourdir les contraintes pesant sur les petites entreprises, mais bien de soutenir les salariés de ces structures, tout en permettant à l’entreprise de développer un nouvel outil puissant en matière de management et de motivation de ses effectifs. Cette évolution, que vos rapporteurs appellent tous deux de leurs vœux, doit être conçue dans le cadre d’une stratégie globale : des obligations renforcées d’un côté, mais de puissantes mesures de simplification des procédures de l’autre, afin de ne pas alourdir excessivement la charge administrative des entreprises.

Proposition n° 14 : Permettre à tous les salariés de bénéficier de la participation

Le seuil de la participation doit être progressivement abaissé en dessous de 50 salariés. À terme, la participation doit devenir accessible à l’ensemble des salariés, quelle que soit la taille de l’entreprise. Cette mesure doit s’accompagner d’un effort en matière de simplification et d’accompagnement des petites entreprises.

b.   Moderniser la formule de la participation, devenue obsolète

La formule de la participation est restée inchangée depuis 1967. Celle-ci repose sur le calcul suivant : ½ [B – 5 %C] x S/VA, avec B est le bénéfice net de l’entreprise ; C le montant de ses capitaux propres ; S la masse salariale et VA la valeur ajoutée. La formule est donc fondée sur la moitié du revenu fiscal de référence amputé de 5 % des capitaux propres et multipliée par le quotient du salaire sur la valeur ajoutée. En résumé, cette formule consiste à attribuer aux salariés une quote‑part du bénéfice fiscal après impôts, après rémunération des capitaux propres et en proportion du poids des salaires dans la valeur ajoutée.

De l’avis d’un certain nombre d’acteurs entendus en audition et partagé par vos rapporteurs, cette formule est aujourd’hui :

– déconnectée de l’évolution des modèles économiques et de la réalité de la profitabilité des entreprises ;

– trop complexe et illisible pour les salariés.

À chaque fois que des travaux ont été menés en vue de modifier la formule, ces derniers n’ont pu être achevés, les études successives indiquant qu’un changement de formule conduirait certaines entreprises à verser plus et d’autres moins. La loi PACTE aurait pu être l’occasion de modifier cette formule, mais les mêmes blocages ont alors été identifiés. Pourtant, le statu quo ne peut plus être de mise face à une formule jugée insatisfaisante.

De nombreux acteurs demandent le remplacement de la notion de bénéfice fiscal par la notion de bénéfice comptable. Si dans les années 1960, ces deux notions étaient très proches, elles se sont peu à peu éloignées à mesure que les mesures de déduction fiscale sur l’IS se sont multipliées. Dès lors, la mesure du bénéfice fiscal tend à réduire artificiellement le bénéfice réellement obtenu par l’entreprise.

Des formules alternatives sont proposées. Ainsi, le groupe ERES, entendu par vos rapporteurs, propose de substituer à la formule actuelle la formule suivante : 1/3 B x S/VA, en remplaçant le bénéfice comptable par le bénéfice fiscal. Quant à la CFE CGC, elle propose une formule proche, qui s’écrirait
1/3 B x (S/VA) + x % des dividendes. Pour la CFE CGC, « cette nouvelle formule permettrait de partager de manière équitable la richesse créée entre les salariés, les actionnaires et les investissements nécessaires à l’entreprise (…). Cette formule permettrait également de remettre du sens dans la rémunération des parties constituantes de l’entreprise, en liant la rémunération des salariés à celles des actionnaires ». D’autres acteurs comme le cabinet Ethix proposent de supprimer le ratio d’1/2, pour permettre une augmentation des sommes versées aux salariés.

Une autre solution pourrait être de s’accorder sur une base commune : la référence au bénéfice comptable, puis de renvoyer la formule exacte aux accords de branche, afin d’adapter la formule aux spécificités propres à chaque secteur d’activité. Dans cet esprit, la CFE CGC considère qu’« il faudrait donc imaginer une formule de calcul propre à chaque secteur, qui serait négociée au niveau de chaque branche. Cela permettrait à la fois de répondre au problème d’adéquation de la formule par rapport aux contraintes d’activité des entreprises et de renforcer le dialogue social au niveau des branches sur ces sujets. Pour simplifier la négociation, une liste d’indicateurs économiques et financiers pourrait être établie, et il ne resterait plus qu’à choisir lesquels sont les mieux adaptés ».

Face à ces différentes préconisations, vos rapporteurs considèrent qu’il est temps d’acter le remplacement du bénéfice fiscal par le bénéfice comptable. Concernant la nouvelle formule à établir et l’équilibre à trouver entre ce qui relève de la loi et ce qui relève du dialogue social, vos rapporteurs préconisent une saisine rapide du conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié (COPIESAS), afin d’aboutir enfin, et dans un délai délimité, à une solution.

Proposition n° 15 : Moderniser la formule de la réserve légale de la participation, devenue obsolète

En cela, envisager le remplacement de la notion de bénéfice fiscal par la notion de bénéfice comptable et prévoir une saisine du conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié (COPIESAS) pour établir une nouvelle formule.

c.   Faire de la participation et de l’intéressement un levier de réduction des inégalités

Pour mémoire, la loi laisse une marge de manœuvre aux entreprises concernant les modalités de répartition des primes d’intéressement et de participation, qui peuvent être proportionnelles aux salaires ou égalitaires. Dans les faits, la répartition des primes a plutôt tendance à accentuer les inégalités de rémunération, comme l’ont montré les chiffres de l’étude d’impact de la loi PACTE évoqués plus haut. Vos rapporteurs estiment qu’il est essentiel qu’une répartition plus égalitaire de ces primes soient promue. La loi PACTE a permis une avancée en ce sens, en modifiant le plafond du salaire individuel utilisé comme base de calcul lorsque l’entreprise fait le choix d’une redistribution de la participation proportionnelle au salaire ([119]). Alors que ce plafond était auparavant fixé à 4 fois le PASS, celui-ci a été abaissé à 3 fois le PASS, afin de favoriser une distribution plus égalitaire de la participation. Le Gouvernement doit remettre au Parlement un rapport en 2022 sur l’opportunité d’une nouvelle réduction du plafond à 2 PASS.

Vos rapporteurs en appellent désormais aux partenaires sociaux, pour que le choix d’une répartition égalitaire des primes soit plus systématiquement retenu. Le passage d’un plafonnement à 2 PASS pourrait être envisagé de façon complémentaire.

 

 

 

 

Proposition n° 16 : Faire de l’intéressement et de la participation un levier de réduction des inégalités salariales

Le choix d’une répartition égalitaire des primes doit être plus systématiquement retenu dans le cadre des accords négociés par les partenaires sociaux. Une évolution de la loi pourrait également être envisagée pour plafonner à 2 PASS la base de calcul utilisée lorsque l’accord retient le principe d’une distribution proportionnelle au salaire.

Votre rapporteur M. Dominique Potier propose d’aller plus loin en rendant obligatoire une distribution égalitaire des primes.

d.   Supprimer le forfait social sur la participation ?

Aujourd’hui, les entreprises entre 50 et 250 salariés sont exonérées de forfait social en matière d’intéressement, mais pas en matière de participation.

Face à ce constat, une piste complémentaire en matière de simplification pourrait être d’aligner les règles d’exonération sociale entre intéressement et participation, en supprimant le forfait social sur la participation pour l’ensemble des entreprises de moins de 250 salariés, aujourd’hui fixé à 20 %.

Cette option est défendue par votre rapporteure Mme Graziella Melchior, qui estime qu’il s’agit là d’une mesure de simplification bienvenue, améliorant la lisibilité fiscale et sociale des dispositifs d’épargne salariale.

Votre rapporteur M. Dominique Potier partage également cette volonté d’encourager la participation. Il considère néanmoins que les exonérations sociales posent un problème de fond important concernant les capacités de financement de la sécurité sociale, que l’on ne saurait occulter. Votre rapporteur a identifié plus haut dans ce rapport des exonérations qui lui paraissent injustifiées concernant les indemnités de départ et les retraites complémentaires. Afin de garantir les recettes constantes de la sécurité sociale, une revue de l’ensemble des exonérations sociales et de leur pertinence pourrait être conduite.

Concernant l’effet sur les finances publiques liées à la suppression du forfait social applicable à l’épargne salariale pour les entreprises de moins de 50 salariés et aux accords d’intéressement pour les entreprises de moins de 250 salariés, l’étude d’impact annexée au projet de loi PACTE faisait état des ordres de grandeur indiqués dans le tableau ci-dessous.

 

 

 

 

 

Tableau : effet sur les finances publiques de la suppression du forfait social (taux effectif de couverture : 32 %, prime brute versée : 1 500 euros)

 

Proposition n° 17 : Simplifier les règles sociales en supprimant le forfait social dû sur les sommes versées au titre de la participation dans l’ensemble des entreprises de moins de 250 salariés

Cette règle aura pour effet d’aligner les règles sociales applicables en matière d’intéressement et de participation pour l’ensemble des entreprises de moins de 250 salariés.

Cet alignement doit se faire à périmètre constant des recettes de la sécurité sociale. Votre rapporteur M. Dominique Potier considère qu’il doit être financé par la suppression d’autres exonérations sociales injustifiées, et notamment celles sur les indemnités de départ et les retraites chapeau.

e.   Lier l’intéressement aux enjeux de RSE

L’article L. 3314-2 du code du travail prévoit que pour pouvoir bénéficier des exonérations associées, la formule de l’intéressement doit être aléatoire et liée à la performance ou aux résultats de l’entreprise ou, dans certaines conditions, d’une de ses filiales. Dans ce cadre, la formule de l’intéressement peut tout à fait inclure des objectifs de performance extra-financière. Un certain nombre d’entreprises intègrent de tels critères. C’est par exemple le cas d’EDF, qui intègre à sa formule d’intéressement cinq critères de performance, dont deux associés à des objectifs relatifs au développement durable.

Dans la pratique, les entreprises peuvent peiner toutefois à établir ces critères. Ainsi, l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES) souligne les difficultés rencontrées par les structures de l’ESS pour déterminer les critères de performance extra-financières. Selon l’UDES, les critères liés aux engagements sociétaux en faveur du développement durable restent trop flous et difficiles à discerner pour déterminer une formule de calcul satisfaisante.

Vos rapporteurs considèrent que cette possibilité doit être encouragée et les difficultés de mises en œuvre levées, à travers un accompagnement plus poussé de l’administration sur ces sujets. Il appartient également aux partenaires sociaux de négocier, notamment dans le cadre des accords de branche prévus dans la loi PACTE, de telles clauses. À l’initiative du groupe socialiste, les parlementaires ont en ce sens amendé le texte, afin de prévoir que « des critères de performance relevant de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) pourront également être intégrés à la négociation relative aux accords d’intéressement de branche ([120]) ».

Proposition n° 18 : Lier l’intéressement aux enjeux RSE

– Les formules d’intéressement devraient intégrer de façon plus systématique des critères en lien avec la performance extra-financière de l’entreprise. Pour cela, l’administration doit mieux accompagner les entreprises dans l’intégration de ces critères extra-financiers à la formule de calcul de l’intéressement.

– Les partenaires sociaux doivent se mobiliser dans le cadre des accords de branche prévus par la loi PACTE pour intégrer de tels critères. En l’absence de mobilisation, les critères de performance RSE pourraient être rendus obligatoires.

f.   Rendre l’intéressement plus attractif pour les entreprises de l’économie sociale et solidaire

Le fonctionnement actuel de l’intéressement est mal adapté au secteur de l’ESS. En particulier, les associations, non redevables de l’IS et de l’IR, ne bénéficient dès lors pas des avantages fiscaux associés à ce dispositif. Comme souligné par l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES), « la plupart des structures de l’ESS (…) ne sont pas incitées fiscalement à mettre en œuvre un système d’intéressement ».

Il conviendrait d’adopter des mesures significatives pour rendre ce dispositif plus attractif auprès des entreprises de l’ESS – en particulier celles à but non lucratif. Ainsi, des aides financières ou des exonérations spécifiques pourraient être mises en place pour les entreprises de l’ESS se dotant d’un tel dispositif, par parallélisme avec les règles applicables dans l’économie classique. En outre, la clarification des critères de performance extra-financière telle que préconisée précédemment bénéficierait particulièrement aux structures de l’ESS, qui ne poursuivent pas toutes un but lucratif.

Proposition n° 19 : Rendre l’intéressement plus attractif pour les entreprises de l’ESS

Prévoir des aides financières ou des exonérations spécifiques afin d’inciter les entreprises de l’ESS à mettre en place des accords d’intéressement.

g.   Réaffirmer le caractère complémentaire des primes d’intéressement et de participation par rapport au salaire

Lors des auditions, un certain nombre de syndicats ont exprimé leur crainte de voir les dispositifs d’épargne salariale se substituer au salaire. Selon Force ouvrière, « en 2019, la négociation sur l’épargne salariale semble s’être substituée aux négociations sur les salaires au niveau de l’entreprises (41 % des accords, contre 22 % d’accords salaires). Ce constat avait déjà été réalisé en 2018, autrement dit cette dynamique semble s’installer. Or, une telle pratique revêt un certain nombre de dangers, l’épargne salariale ne permettant pas de garantir une augmentation pérenne du pouvoir d’achat contrairement aux négociations salariales, et risquant d’engendrer des inégalités entre salariés, liées à la possibilité de déterminer des critères différenciés d’attribution ». En outre, l’épargne salariale ne garantit pas l’accès aux mêmes droits sociaux que le salaire.

Face à ces craintes, vos rapporteurs souhaitent réaffirmer le principe selon lequel l’épargne salariale est un complément du salaire, et non un substitut. L’article L. 3312-4 du code du travail prévoit d’ailleurs explicitement une interdiction de substitution entre l’intéressement et le salaire. Comme le précise le guide de l’épargne salariale publié par le ministère du travail, « le principe d’interdiction de transfert entre un élément de salaire et une prime d’intéressement vise tant à garantir les droits des salariés en matière de salaires qu’à préserver l’équilibre financier des régimes de sécurité sociale du fait des exonérations de cotisations sociales attachées à l’intéressement ».

Il s’agit donc d’assurer la bonne application de ces dispositions et de veiller à ce qu’elles soient bien respectées lors des négociations collectives.

Votre rapporteur M. Dominique Potier souhaite également souligner que le développement de l’intéressement présente des limites intrinsèques : c’est une rémunération qui est par définition aléatoire et risquée pour le salarié et qui participe à l’érosion des ressources de la sécurité sociale.

B.   UN OBJECTIF AMBITIEUX EN MATIère d’actionnariat salarié

Au cours des auditions conduites par vos rapporteurs, la question de l’actionnariat salarié est revenue à plusieurs reprises comme l’un des leviers identifiés pour mieux associer les salariés au partage de la valeur. En associant les salariés directement au capital de l’entreprise, l’actionnariat salarié est souvent vu comme un moyen efficace pour promouvoir une alliance entre le travail et le capital. L’actionnariat salarié a connu un véritable essor en France à compter des privatisations de 1986 ([121]). L’actionnariat salarié, qui peut être collectif ou ciblé, prend dans la pratique plusieurs formes. L’association des salariés au capital peut passer par des augmentations de capital réservées aux salariés adhérents aux PEE ([122]), par l’attribution d’actions gratuites, dans la limite de 10 % du capital social ([123]), ou encore, par la vente à des tarifs préférentiels via des décotes des titres. Des cas particuliers sont également prévus en matière de privatisation ou de reprise de l’entreprise. La France présente un cadre législatif globalement favorable à l’actionnariat salarié, récemment renforcé par le législateur.

L’actionnariat salarié est encouragé par un ensemble d’avantages accordés aux entreprises ainsi qu’aux salariés. Via l’actionnariat salarié, le salarié acquiert des actions dans des conditions préférentielles, qu’il s’agisse du rabais sur les prix, de l’abondement ou des avantages fiscaux. En particulier, les titres d’actions dont le salarié fait l’acquisition peuvent être placés, dans le respect de certains plafonds, sur des plans d’épargne salariale ([124]), ce qui permet de bénéficier des avantages fiscaux associés. Dans ce cas-là et comme dans le cas de la participation et de l’intéressement, l’entreprise peut également abonder ces versements. Ces abondements sont majorés par rapport aux abondements « classiques » possibles dans le cadre de la participation et de l’intéressement. L’abondement de l’employeur dans un PEE peut être majoré de 80 % en cas d’acquisition par le salarié d’actions ou de certificats d’investissement émis par l’entreprise (les sommes versées sont alors bloquées pour 5 ans – le salarié ne peut pas arbitrer avec les autres supports d’investissement du PEE).

Un objectif ambitieux de 10 % d’actionnariat salarié dans l’ensemble des entreprises françaises d’ici 2030 a été annoncé par le Gouvernement. Plusieurs récentes évolutions ont contribué à renforcer le caractère incitatif du cadre fiscal et social de l’actionnariat salarié et assoupli un certain nombre de règles. Le forfait social dû par l’employeur des entreprises de plus de 50 salariés au titre des sommes versées sur l’abondement de la contribution des salariés à l’acquisition de titres de l’entreprise a été abaissé de 20 à 10 % par la loi PACTE. À la suite de l’adoption d’un amendement parlementaire, le projet de loi de finances pour l’année 2021 prévoit la suppression pleine et entière de cette contribution ([125]), de façon temporaire toutefois, jusqu’au 31 décembre 2022 ([126]). Dans le cadre de la loi PACTE, le législateur a également introduit la possibilité d’un abondement unilatéral sur un support d’investissement en actionnariat salarié dans un plan d’épargne entreprise (PEE) : l’obligation pour un employé d’effectuer un versement est supprimée. Les décotes maximales applicables aux opérations réalisées dans les plans d’épargne salariale sont passées de 20 à 30 %. Enfin, le projet de loi de finances pour 2021 ([127]) prévoit également des dispositions pour encourager le versement des actions gratuites dans les ETI en alignant en partie le régime fiscal applicable sur celui des PME. La contribution spécifique de 20 % à la charge de l’employeur est désormais supprimée pour les ETI qui n’ont procédé à aucun versement de dividende depuis leur création, comme devrait ainsi en disposer l’article L. 137-13 du code de la sécurité de la sécurité sociale si le texte est voté en l’état.

Aujourd’hui, la France est pionnière en matière d’actionnariat salarié. Selon les chiffres du groupe ERES, près de 3 entreprises cotées sur 4 proposent un actionnariat salarié collectif (contre moins d’une entreprise européenne sur deux), 40 % des salariés actionnaires européens sont français, les salariés actionnaires français détiennent près de 4 % du capital des entreprises cotées (contre moins de 2 % au niveau européen). Mais seules les très grandes entreprises sont concernées. 64 % des PME françaises non cotées proposent au moins un dispositif de partage du profit mais 4 % seulement ont ouvert le capital à leurs salariés. Les mesures récemment votées doivent permettre de favoriser le développement de l’actionnariat salarié dans les petites entreprises, avec notamment pour objectif de renforcer la fidélisation des salariés et de faciliter les transmissions éventuelles.

Si l’actionnariat salarié présente un certain nombre d’avantages, son développement n’est pas exempt de risques, notamment mis en avant par les syndicats.

Pour certains, l’actionnariat salarié est un outil efficace pour dépasser l’opposition entre travail et capital et présente un certain nombre d’avantages pour les salariés comme pour l’entreprise. Pour les salariés, des offres avantageuses y sont associées dans le cadre de l’épargne salariale. C’est donc pour les salariés l’occasion de réaliser un bon placement pour leur épargne, dans des conditions avantageuses. C’est également l’occasion d’être mieux associés aux instances de gouvernance de l’entreprise, dans les conditions détaillées ci-après. Pour les entreprises, c’est un outil pour protéger le capital et pour renforcer l’implication des salariés. Une étude conduite en 2010 par la DARES indiquait ainsi que la mise en place de l’actionnariat salarié pouvait entrainer une baisse de 26 % de l’absentéisme dans les entreprises.

De l’autre côté, l’actionnariat salarié peut présenter un certain nombre de risques pour les salariés, soulignés les syndicats. Ces derniers, sans s’opposer frontalement à ce type de dispositif, soulignent que l’actionnariat salarié présente un caractère risqué, qui doit inciter à une forme de prudence. En effet, dans le cadre de l’actionnariat salarié, les revenus du travail ainsi que le patrimoine des salariés sont soumis aux aléas conjoncturels rencontrés par l’entreprise.

Vos rapporteurs considèrent que l’actionnariat salarié doit être accompagné par des efforts en matière de formation et de sensibilisation des salariés quant à la gestion de leur épargne.

En outre, plusieurs acteurs soulignent que l’actionnariat salarié doit se traduire par une place accrue des salariés dans les instances de gouvernance de l’entreprise. Vos rapporteurs adhèrent largement à cette recommandation. En effet, l’actionnariat salarié implique dans certains cas une participation des salariés actionnaires aux instances de gouvernance de l’entreprise. Cette participation est prévue dans le droit depuis la loi n° 2001-152 du 19 février 2001 relative à l’épargne salariale et a été rehaussée par le législateur à l’occasion de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale. L’article L. 225-23 du code de commerce ([128]) prévoit ainsi que l’assemblée générale des sociétés cotées dont les salariés détiennent plus de 3 % du capital ([129]) désigne « un ou plusieurs » administrateurs parmi les actionnaires salariés ([130]).

Enfin, plusieurs modèles entrepreneuriaux permettent d’envisager une autre conception de la répartition entre le travail et le capital et de la place des salariés dans les entreprises. Dans ce cadre, le modèle de la coopérative a fait ses preuves et doit continuer d’être promu. D’autres modèles moins développés, doivent également être encouragés. C’est le cas de la société anonyme à participation ouvrière (SAPO), à laquelle votre rapporteur M. Dominique Potier attache une importance particulière.

Rappel sur les principes de fonctionnement des sociétés coopératives de production (SCOP)

Prévues et définies par la loi n° 78-763 du 19 juillet 1978 portant statut des sociétés coopératives de production, les SCOP reposent sur un modèle particulier en termes de partage de la valeur. Les salariés-associés d’une SCOP détiennent 65 % des droits de vote au conseil d’administration selon le principe 1 salarié équivaut à 1 vote, sans que soit pris en compte le montant du capital social détenu par chacun. Il s’agit donc d’un dispositif où les salariés sont actionnaires majoritaires. Les bénéfices d’une SCOP sont redistribués de 3 manières :

– une part va à l’ensemble des salariés, sous forme de participation et d’intéressement (en général entre 40 % et 45 % et obligatoirement au moins 25 % du bénéfice) ;

– une part est destinée aux salariés-associés sous forme de dividendes (en général entre 10 % et 15 % et obligatoirement inférieure à la part « salariés » et la part « réserves ») ;

– une part est réservée aux réserves de l’entreprise (en général entre 40 % et 45 %, et au minimum 15 % des bénéfices).

En 2019, 63 000 salariés travaillaient au sein d’un société coopérative de production (SCOP).

Forme particulière de société anonyme, la SAPO a été introduite en droit français par la loi du 26 avril 1917 sur les sociétés anonymes à participation ouvrière, alors portée par Aristide Briand. La SAPO présente un modèle actionnarial original. Elle comporte ainsi deux types d’actions : des actions du capital, représentatives des apports effectués, et des actions de travail, qui sont la propriété exclusivement collective des salariés regroupés en une société coopérative de main d’œuvre (SCMO) et qui ne sont pas la contrepartie d’un apport. La SAPO présente donc un modèle d’association du capital et du travail qui doit retenir l’attention. L’article L. 225-261 du code de commerce rappelle le caractère collectif de la propriété des actions de travail, les modalités de liquidation des droits en cas de départ de la société, ainsi que les conditions d’attribution des dividendes. L’article L. 225-268 du même code définit les règles de composition du conseil d’administration.

Votre rapporteur M. Dominique Potier considère qu’il est aujourd’hui souhaitable de développer cette forme juridique d’entreprise, qui s’inscrit dans le sens d’une participation accrue des travailleurs aux fruits de leur travail. Il s’agit là d’une voie originale qui peut pleinement contribuer à parvenir à l’objectif de 10 % d’actionnariat salarié fixé par le Gouvernement. Elle peut être particulièrement appropriée pour faciliter les reprises d’entreprise. Malgré les nombreux avantages qu’elle présente, la SAPO rencontre pour le moment un succès limité en France, il en existe ainsi moins d’une dizaine.

De récentes évolutions ont pu être apportées dans la loi PACTE, à l’initiative de votre rapporteur M. Dominique Potier ([131]).

Le régime de la SAPO doit encore être encouragé. Des mesures d’incitation de nature fiscale pourrait être envisagées. Ainsi, dans le cadre d’une transmission, les dirigeants de PME pourraient être exonérés des droits de mutation et de taxation à la plus-value, dans le cas où sont créées des actions du travail. La taxation du dividende de l’action du travail pourrait être alignée sur l’action du capital ([132]). Enfin, les SAPO doivent gagner en visibilité. Pour cela, il paraîtrait pertinent d’inciter les administrateurs judiciaires et les tribunaux de commerce à préconiser cette forme de société lors de la reprise d’une activité.

Proposition n° 20 (proposition portée uniquement par M. Dominique Potier) : Encourager le développement des sociétés anonymes à participation ouvrière (SAPO)

– développer des incitations fiscales à même de favoriser le développement des SAPO ;

– accroître la visibilité de cette forme entrepreneuriale innovante, en particulier en incitant les administrateurs judiciaires et les tribunaux de commerce à préconiser cette forme de société lors de la reprise d’une activité.

VI.   Partager le pouvoir pour partager la valeur

La question du partage de la valeur ne va pas sans approfondir celle du partage du pouvoir. La place des salariés dans la gouvernance des entreprises est susceptible de favoriser un rééquilibrage du partage de la valeur et d’améliorer les décisions prises par l’entreprise. Dès lors, vos rapporteurs formulent plusieurs propositions pour mieux associer les salariés au processus décisionnel.

Dans ce cadre, vos rapporteurs ont choisi de porter leur attention sur la place des salariés dans les conseils d’administration (CA), thème largement revenu au cours des auditions conduites. En effet, le conseil d’administration joue un rôle clé dans les décisions qui concernent l’avenir de l’entreprise. Comme le prévoit l’article L. 225-35 du code de commerce, ce dernier « détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre. Sous réserve des pouvoirs expressément attribués aux assemblées d’actionnaires et dans la limite de l’objet social, il se saisit de toute question intéressant la bonne marche de la société et règle par ses délibérations les affaires qui la concernent ». Concrètement, le conseil d’administration constitue l’instance qui définit et arrête les décisions relatives à la stratégie de la société. Il est composé d’administrateurs, choisis par l’assemblée générale des actionnaires.

Du point de vue de vos rapporteurs, la présence des administrateurs salariés au sein des conseils d’administration se justifie pour au moins quatre raisons :

– elle donne aux salariés la possibilité de participer aux choix stratégiques de l’entreprise ;

– elle permet au conseil d’administration d’être éclairé par des informations complémentaires, issues d’une compréhension concrète du fonctionnement interne de l’entreprise ;

– elle peut inciter l’entreprise à mieux prendre en compte les variables non financières ;

– elle doit renforcer la mobilisation des salariés.

Ces avantages sont ainsi synthétisés dans le rapport Notat-Senard : « les salariés dans ces conseils apportent une contribution précieuse par leur compréhension de l’intérieur, leur connaissance des métiers, de l’histoire de l’entreprise et par leur attachement à sa continuité. La recherche économique montre que cette présence a un impact positif sur l’innovation. Les salariés doivent également être reconnus comme partie constituante de l’entreprise, car ils investissent dans l’entreprise par leur travail et subissent les risques de son activité ». Ces dernières années ont été marquées par une prise de conscience progressive autour de ces enjeux, qui s’est traduite par l’instauration de nouvelles règles par le législateur. Néanmoins, des marges d’amélioration paraissent encore identifiables.

A.   La place des salariés dans le conseil d’administration s’est peu à peu renforcée

1.   Une reconnaissance progressive

Évoquée dès 1909 par Jean Jaurès dans le cadre des projets de nationalisation, la question de la place des salariés au sein des instances décisionnelles de l’entreprise a fait son chemin au cours du XXème siècle. C’est à l’occasion du mouvement de privatisation du début des années 1980 que la question est véritablement inscrite à l’ordre du jour. En 1983, la représentation des salariés est généralisée pour les entreprises publiques. Ce principe a ensuite été progressivement étendu au secteur privé.

Actuellement, les salariés disposent de voie d’accès au conseil d’administration par trois moyens distincts :

 l’actionnariat salarié ; les salariés sont dans ce cas représentés au CA non pas en tant que salariés, mais en tant qu’actionnaires ;

– les membres nommés par le comité social et économique (CSE) en vertu de l’article L. 2312-72 du code du travail ; dans ce cas, les membres disposent d’un droit d’information et sont soumis à l’obligation de discrétion, mais leur rôle est consultatif ;

– les administrateurs salariés, qui constituent la forme la plus aboutie de participation des salariés au conseil d’administration.

Outre les dispositions particulières concernant les entreprises publiques qui n’ont pas été approfondies par vos rapporteurs, deux dispositions distinctes dans le code du travail concernent les administrateurs salariés.

La première, prévue à l’article L. 225-27 du code du travail ([133]) prévoit ainsi la présence des administrateurs salariés à titre facultatif. Plus précisément, l’article dispose que les statuts de toute société anonyme peuvent prévoir la présence d’administrateurs salariés au sein de leur conseil. Dans ce cas, les administrateurs salariés ne peuvent représenter plus d’un tiers du total du conseil et plus de quatre administrateurs salariés ([134]). Les mêmes règles sont prévues concernant les sociétés fonctionnant avec un comité de surveillance, à l’article L. 225-79 du code de commerce ([135]).

La seconde, introduite plus tardivement à l’occasion de la loi n° 2013504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, en cohérence avec l’accord national interprofessionnel (ANI), est obligatoire, au-delà du dépassement de certains seuils. Cette obligation a peu à peu été renforcée.

La loi n° 2013-504 avait ainsi prévu une obligation de présence d’au moins un administrateur salarié pour les entreprises comptant plus de 5 000 salariés en France, ou 10 000 dans le monde. Au-delà de 12 membres au conseil d’administration, 2 administrateurs salariés devaient être nommés. La loi n° 2015‑994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite loi « Rebsamen », a étendu le champ de ces obligations en les rendant applicables pour l’ensemble des entreprises de plus de 1 000 salariés en France, ou 5 000 dans le monde.

Une nouvelle étape a été récemment franchie dans le cadre de la loi PACTE. 2 administrateurs salariés sont désormais nécessaires, dès lors que le conseil d’administration de l’entreprise dépasse les 8 membres, et non plus 12. En outre, la loi a également cherché à étendre la réforme à un certain nombre d’entreprises qui en étaient jusqu’ici exclues. Ainsi, de nouvelles règles sont prévues pour les organismes régis par le code de la mutualité ainsi que pour les sociétés‑mères holdings, lorsque celles-ci sont cotées.

2.   Le pouvoir et le statut des administrateurs salariés

Les administrateurs salariés disposent juridiquement des mêmes pouvoirs que les autres administrateurs. L’administrateur salarié peut être élu ou désigné, selon une procédure précisée à l’article L. 225-27-1 du code de commerce. Il doit faire partie de l’entreprise depuis au moins 2 ans, dans l’une ou l’autre des filiales du groupe.

Les administrateurs salariés bénéficient d’un statut à même de leur garantir un certain nombre de droits, afin qu’ils soient en mesure d’effectuer correctement leur mandat. L’administrateur salarié bénéficie dans ce cadre du statut de salarié protégé. En vertu de l’article L. 2411-17 du code du travail, le licenciement d’un administrateur salarié nécessite l’accord de l’inspection du travail. En revanche, aux termes de l’article L. 225‑30 du code de commerce, leur mandat d’administrateur est incompatible avec celui de délégué syndical, de délégué du personnel ou de membre du comité d’entreprise ou du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Les administrateurs salariés disposent du temps de travail nécessaire à l’exercice de leur mission et bénéficient, à leur demande et à la charge de la société, d’une formation adaptée à l’exercice de leur mandat (articles L. 225-30‑1 et L. 225‑30-2 du code de commerce). La loi PACTE a augmenté le nombre d’heures minimum de formation par an, de 20 à 40 heures (article L. 225-30-2 du code de commerce). Une partie de ce temps de formation doit être effectuée au sein de la société ou d’une société qu’elle contrôle ou qui est contrôlée par elle.

B.   franchir une nouvelle étape

Vos rapporteurs sont tous deux convaincus que la place des administrateurs salariés est essentielle pour favoriser un partage de la valeur équilibré et promouvoir une meilleure gouvernance de l’entreprise. Le bilan actuel est mitigé et appelle à de nouvelles évolutions.

1.   Un bilan en demi-teinte

Les évolutions législatives intervenues ces dernières années ont conduit à renforcer progressivement leur place. Selon le rapport de suivi de la loi PACTE, élaboré par France Stratégie, alors que les administrateurs salariés représentaient en 2013 2,5 % des mandats du SBF 120, « au 30 juin 2019, ils représentent 8,2 % des mandats du SBF 120, et un an après la loi PACTE, au 30 avril 2020, 8,8 %. Si l’on cumule les mandats de représentants des salariés (nommés ou élus) et ceux de représentants des salariés actionnaires (élus en AG), afin de mesurer la représentation totale des salariés dans les conseils du SBF 120, celle-ci s’établit à 10,7 % des mandats, au 30 avril 2020 ».


graphique : Les mandats des reprÉsentants des salariÉs et des salariÉs actionnaires

Source : Ethics & Boards, 30 avril 2020.

Concernant la mise en œuvre des obligations nouvelles prévues dans loi PACTE – en particulier, l’obligation de 2 administrateurs salariés dès lors que le conseil d’administration dépasse les 8 membres – il est encore un peu tôt pour en présenter un bilan exhaustif. D’après les chiffres France Stratégie, « au 30 avril 2020, parmi les 102 sociétés du SBF 120 soumises à la loi PACTE, 50, soit 49 %, sont conformes pour le nombre de représentants des salariés dans le conseil. Les 52 restantes ne le sont pas encore ». Il importe donc d’effectuer un suivi attentif de la bonne mise en œuvre de ces obligations nouvelles. Des éventuelles stratégies de contournement, qui consisteraient à baisser le nombre d’administrateurs à 8 pour éviter la présence de deux administrateurs salariés ne sont pour l’heure pas observées, mais doivent être surveillées.

Dans la pratique, il semble que la parité des pouvoirs entre les administrateurs salariés et les autres administrateurs reste encore trop théorique. Selon la fondation Jean Jaurès, « Il serait (…) bien naïf de penser que les représentants salariés sont associés aux décisions les plus sensibles ». Deux principales raisons peuvent être identifiées. En premier lieu, certaines décisions peuvent être dans les faits discutées en amont, lors de réunions informelles auxquelles les administrateurs salariés ne participent pas forcément. En deuxième lieu, les administrateurs salariés sont insuffisamment représentés dans les comités qui émanent du conseil d’administration, et en particulier au sein du comité des rémunérations. Si le code de gouvernance AFEP-MEDEF exige qu’un administrateur salarié en soit membre, cette recommandation paraît très peu suivie d’effet. Le rapport du Haut Comité de gouvernement d’entreprise, chargé de vérifier la bonne application du code, souligne ainsi que « pour l’exercice 2019, 49 sociétés du SBF 120 (contre 47 en 2018) et 22 sociétés du CAC 40 (comme en 2018) respectent cette recommandation » et le Haut Comité de conclure : « Ces proportions restent faibles et continuent donc d’être un sujet de préoccupation du Haut Comité ».


tableau : prÉsence d’un administrateur salariÉ au comitÉ
des rÉmunÉrations

 

Source : Rapport annuel 2020 du Haut Comité de gouvernement d’entreprises

2.   Les pistes pour aller plus loin

a.   Une proposition commune : renforcer la place des administrateurs salariés dans les comités de rémunération

Vos rapporteurs souhaitent tous deux que la place des administrateurs salariés dans les comités de rémunération soit revalorisée. Les résultats actuels sont largement en deçà des attentes et des obligations auxquelles les entreprises ont elles‑mêmes souscrit dans le cadre du code AFEP-MEDEF. À défaut d’une meilleure application de ce code, un cadre davantage contraignant pourrait être envisagé.

Proposition n° 21 : Renforcer la place des administrateurs salariés dans les comités de rémunération

– garantir la bonne application du code AFEP-MEDEF, qui prévoit la présence d’un administrateur salarié par comité de rémunération ;

– à défaut, envisager un passage du droit souple au droit dur en reconnaissant légalement les comités de rémunération et en prévoyant expressément la présence d’administrateurs salariés en leur sein

b.   Les propositions complémentaires de votre rapporteur M. Dominique Potier : aller vers une codétermination à la française

Votre rapporteur M. Dominique Potier considère que les évolutions portées dans la loi PACTE en matière de présence des administrateurs au sein des conseils d’administration constituent un premier pas, encore insuffisant. Votre rapporteur estime qu’un changement d’échelle doit s’opérer pour construire un véritable modèle de codétermination à la française.

Ce modèle est porté depuis plusieurs années déjà par un certain nombre d’acteurs du monde économique, syndical et intellectuel. Cette codétermination à la française s’inscrirait dans le prolongement de principes anciens, déjà affirmés dans le cadre du programme du Conseil national de la Résistance, qui prévoyait « le droit d’accès, dans le cadre de l’entreprise, aux fonctions de direction et d’administration, pour les ouvriers possédant les qualifications nécessaires, et la participation des travailleurs à la direction de l’économie ». La Constitution du 27 octobre 1946
– toujours partie intégrante de notre bloc de constitutionnalité – affirme que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Certes, cette codétermination existe déjà partiellement dans le cadre des instances représentatives du personnel, qui jouent un rôle essentiel au sein des entreprises françaises et donnent vie au dialogue social. Mais la codétermination ne saurait être complète sans être étendue au conseil d’administration. Il s’agit ici de donner corps à la vision renouvelée de l’entreprise du XXIème siècle, qui doit permettre au salarié de retrouver ses lettres de noblesse comme partie constituante de l’entreprise. Vision d’autant plus renouvelée de l’entreprise pour M. Olivier Favereau et M. Beaudoin Roger que la notion de codétermination mobilise la notion de « commun » dans la mesure où actionnaires et salariés coopèrent autour d’un « futur inconnu » pour le rendre plus désirable ([136]).

Ce lien fondamental entre partage de l’avoir et du pouvoir a été mis en évidence par le chercheur Felix Hörisch, qui a démontré que la codétermination a un fort effet égalisateur sur la répartition des revenus dans les entreprises de pays de l’UE et de l’OCDE ayant mis en œuvre ce dispositif de gouvernance ([137]).

Votre rapporteur a eu l’occasion de défendre un modèle nouveau de codétermination à la française, dans le cadre de de la proposition de loi « entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances » ([138]), dont il a été rapporteur. Les travaux conduits dans le cadre de la présente mission d’information ont conforté votre rapporteur dans les propositions alors formulées. En particulier, le monde syndical s’exprime aujourd’hui majoritairement en faveur d’une augmentation du nombre d’administrateurs salariés. Votre rapporteur considère ainsi qu’il est nécessaire :

 d’abaisser à 500 salariés en France le seuil à partir duquel l’obligation de nommer des administrateurs salariés est prévue ;

 d’accroître la part des administrateurs salariés au conseil de l’entreprise de façon proportionnelle à sa taille. Votre rapporteur propose l’application de la règle suivante : 2 administrateurs salariés pour les entreprises de moins de 500 salariés, un tiers dans les entreprises de plus de 1 000 salariés et la moitié dans celles de plus de 5 000 salariés ;

– de mettre fin à l’incompatibilité de principe entre le mandat d’administrateur et les mandats électifs ou syndicaux ;

– d’étendre le principe des administrateurs salariés aux sociétés par actions simplifiées, pour le moment exclues de ce dispositif sans que cette différence de traitement ne paraisse justifiée.

La codétermination, un modèle européen ([139])

C’est en Allemagne que naît, dès la fin de la deuxième guerre mondiale, un système complet et généralisé de codétermination, système selon lequel les salariés participent pleinement, au côté des autres parties prenantes, aux décisions déterminantes pour l’avenir de l’entreprise. Selon l’analyse donnée par M. Christophe Clerc, ce modèle « puise son origine dans de multiples sources, liées aux revendications des syndicats, à l’adhésion de l’Union démocrate-chrétienne allemande au principe des nationalisations, à l’influence de la doctrine sociale de l’Église, ainsi qu’à la vigueur de l’occupation, qui fait craindre aux dirigeants un démantèlement de l’industrie lourde ». Les premières lois sont votées en 1951 et 1952 puis complétées dans les années 1970. La codétermination s’applique aux conseils de surveillance ainsi qu’aux conseils d’entreprises.

À partir des années 1970, plusieurs pays européens mettent en place un tel régime : aux Pays-Bas en 1971, en Norvège en 1972, au Danemark et en Suède en 1973, au Luxembourg en 1974, au Portugal en 1976 et en 1979, et en Irlande en 1977. En Autriche, le système, qui existe depuis 1947, est renforcé en 1974. Dans les années 1990, après la chute du Mur, ce sont les pays d’Europe centrale qui rejoindront le mouvement, l’influence prépondérante en matière de droit des sociétés étant alors l’Allemagne.

Toujours selon M. Christophe Clerc, aujourd’hui dix-huit pays sur vingt-huit appliquent un système plus ou moins étendu de codétermination, « ce qui en fait véritablement le mode normal de gouvernement d’entreprise dans l’Union européenne. Dans les sociétés privées , c’est le seuil du tiers qui apparaît comme la norme en Europe ». Le tableau ci-dessous répertorie les différentes règles observées.

Une image contenant table

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Proposition n° 22 (portée uniquement par M. Dominique Potier) : Aller vers une codétermination à la française

– instaurer la règle suivante : 2 administrateurs salariés pour les entreprises de moins de 500 salariés, un tiers dans les entreprises de plus de 1 000 salariés et la moitié dans celles de plus de 5 000 salariés ;

– mettre fin à l’incompatibilité de principe entre le mandat d’administrateur et les mandats électifs ou syndicaux ;

– étendre le principe des administrateurs salariés aux sociétés par actions simplifiées.

c.   Les propositions complémentaires de votre rapporteure Mme Graziella Melchior : conforter les avancées permises par la loi PACTE

Votre rapporteure Mme Graziella Melchior se félicite des évolutions portées dans la loi PACTE pour revaloriser le rôle des administrateurs salariés. Elle considère qu’il convient désormais de laisser le temps à la loi de produire ses effets en matière de gouvernance et de partage de la valeur. À moyen terme, le passage à 3 administrateurs salariés pourrait être envisagé, dans la lignée des recommandations faites dans le rapport Notat-Senard. Conformément aux dispositions votées dans la loi PACTE, le Gouvernement devra remettre au Parlement avant le mois de mai 2022 un rapport « évaluant les effets économiques et managériaux de la présence d’administrateurs représentant les salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance des sociétés concernées, l’opportunité d’une extension de cette disposition à trois administrateurs lorsque ces conseils comportent plus de douze membres et la pertinence d’intégrer dans ce panel un administrateur représentant les salariés des filiales situées en dehors du territoire national, lorsque la société réalise une part significative de son activité à l’international ». Votre rapporteure sera particulièrement attentive aux conclusions de ce rapport. Il conviendra alors de décider d’un nouveau changement législatif afin d’accroître le nombre d’administrateurs salariés au sein des conseils d’administration. En attendant, il convient de garantir une certaine stabilité du droit et de laisser le temps aux entreprises de s’adapter.

Le modèle de la codétermination, tel que promu par M. Dominique Potier ne convainc pas Mme Graziella Melchior, qui considère que les contraintes imposées seraient disproportionnées et que le modèle allemand tient aussi aux spécificités du droit des sociétés allemandes dualiste et non moniste ; le rôle d’un conseil de surveillance étant différent de celui d’un conseil d’administration.


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   Liste des propositions

 

Proposition n° 1 : Améliorer la performance de l’appareil statistique et les outils d’analyse sur la question du partage de la valeur

Une actualisation permanente et une amélioration des données sont essentielles, en particulier sur la question des dividendes versés et des écarts de rémunération par secteurs d’activité – par métiers et par branches/filières – taille d’entreprise et bassin d’emploi, afin que le dialogue social et le débat public reposent sur la transparence et la fiabilité des données.

 

Proposition n° 2 : Confier à l’INSEE deux grandes études pour améliorer la connaissance sur la question des effets économiques sur le partage de la valeur

Ces études auraient pour champ :

– le lien entre performance économique et justice sociale ;

– l’actualisation des thèses keynésiennes à l’heure de l’anthropocène.

 

Proposition n° 3 : Garantir la bonne application du ratio d’équité prévu dans la loi PACTE

– harmoniser les pratiques pour rendre pertinentes les comparaisons entre entreprises par un organisme missionné par l’État ;

– assurer une transparence sur les méthodologies de calcul retenues en mobilisant là aussi un organisme missionné par l’État ;

– bannir les pratiques consistant à s’en tenir aux chiffres de la holding et garantir une prise en compte de l’ensemble des salariés de la société, filiales comprises ;

– prévoir une communication distincte sur le périmètre monde et le périmètre France.

 

 

 

 

Proposition n° 4 : Accroître les obligations de transparence

 dans les entreprises cotées soumises à l’obligation de publication du rapport sur le gouvernement d’entreprise, élargir l’obligation de publication des rémunérations perçues par les mandataires sociaux au « top 10 » de l’entreprise ;

– compléter le ratio d’équité par une transparence des écarts de rémunération au décile et étendre cette transparence au centile pour les sociétés de plus de 5 000 salariés ; lorsque la société est constituée d’une société mère et de plusieurs filiales, veiller à ce que cette obligation s’applique à l’ensemble du groupe ;

– plaider pour une directive européenne sur la transparence des salaires.

Votre rapporteur M. Dominique Potier souhaite que les obligations de transparence et de publicité concernant les rémunérations et leurs écarts soient étendues à l’ensemble des entreprises de plus de 50 salariés.

Votre rapporteure Mme Graziella Melchior considère que les obligations de transparence doivent être étendues de façon modulable selon la taille des entreprises. Plus précisément : l’obligation de publication des rémunérations perçues par les mandataires sociaux pourrait être étendue aux entreprises non cotées dès lors qu’elles dépassent 5 000 salariés. Les obligations de transparence des ratios d’équité et de publication des écarts au décile auraient quant à elles vocation à s’appliquer pour l’ensemble des entreprises de plus de 500 salariés.

 

Proposition n° 5 (portée uniquement par M. Dominique Potier) : Lever le voile de la soustraitance en l’intégrant à la mesure des écarts de rémunération

Prendre en compte les chaînes de sous-traitance sur le territoire national et européen dans la mesure des écarts de rémunération, dès lors qu’il y a un lien commercial établi.

Ces informations auraient vocation à ouvrir la voie à une clause contractuelle obligatoire garantissant l’égalité salariale et de traitement entre salariés d’une entreprise ayant recours à la sous–traitance et les salariés des entreprises sous-traitantes ([140]).

 

 

 

 

 

 

Proposition n° 6 : À partir des bases de données économiques et sociales, créer un indicateur du partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise

Cet indicateur du partage de la valeur ajoutée répondrait à la problématique actuelle concernant l’opacité des informations relatives au partage de la valeur au sein de l’entreprise. Les modalités précises relatives à la construction de cet indicateur doivent faire l’objet d’un dialogue approfondi entre les partenaires sociaux ainsi que les pouvoirs publics.

Votre rapporteur Dominique Potier considère que cet indicateur permettrait à terme de lier la croissance des dividendes à celle des salaires.  Il s’agirait également d’un instrument permettant de différencier les politiques sociales et fiscales de l’État, et de conditionner l’accès aux marchés publics.

 

Proposition n° 7 : Faire de la question des écarts de rémunération et du partage de la valeur l’un des piliers du reporting RSE

Le Gouvernement français doit porter cette problématique dans le cadre des négociations à venir sur le projet de révision de la directive européenne relative aux informations extra-financière.

Votre rapporteur M. Dominique Potier souhaite que cette problématique puisse être intégrée dans le cadre d’une certification nationale en matière de RSE, qui pourrait voir le jour à titre expérimental avant l’entrée en vigueur de la nouvelle directive conçue par le législateur européen.

Ces éléments auraient ensuite vocation à orienter la commande publique vers des pratiques plus responsables.

 

Proposition n° 8 : Renforcer l’encadrement des retraites chapeau et des indemnités de départ

Votre rapporteur M. Dominique Potier préconise la suppression des exonérations fiscales et sociales liées à ces dispositifs, afin de sortir de l’opacité et des privilèges qui subsistent. Les règles propres aux indemnités de départ des mandataires sociaux et des dirigeants doivent être alignées sur celles définies dans le cadre des conventions collectives et des accords d’entreprises pour l’ensemble des salariés et des cadres. Un plafonnement en valeur des retraites chapeau et des indemnités de départ doit également être envisagé.

Votre rapporteure Mme Graziella Melchior préconise la mise en place d’un mécanisme de plafonnement des indemnités de départ sur le modèle de ce qui existe en matière de retraites chapeau.

 

 

 

Proposition n° 9 : Surveiller et encadrer la progression des actions gratuites dans la part variable perçue par les mandataires sociaux

– élargir aux grandes entreprises non cotées l’obligation de subordonner l’attribution des actions gratuites à la mise en place des mêmes instruments au bénéfice de l’ensemble du personnel et d’au moins 90 % de l’ensemble des salariés des filiales ou à l’existence d’un accord d’intéressement ;

– limiter la distribution annuelle d’actions gratuites aux dirigeants en pourcentage du nombre total d’actions gratuites distribuées cette même année.

 

Proposition n° 10 : Conditionner la rémunération variable perçue par des dirigeants à des critères extra-financiers

Instaurer un pourcentage minimal d’indexation de la part variable sur des critères RSE.

 

Proposition n° 11 : Instaurer le principe selon lequel la rémunération des mandataires sociaux ne peut augmenter en cas de plan social

 

Proposition n° 12 : Limiter les écarts de rémunération via un ratio d’équité

Votre rapporteur M. Dominique Potier préconise :

– l’instauration d’un dispositif incitatif fiscalement pour toutes les entreprises autour d’un ratio de 1 à 12 : la part des rémunérations (fixes et variables, salaires et charges) supérieure à 12 fois le décile le plus bas au sein l’entreprise devient non-déductible de l’impôt sur les sociétés ;

– la subordination aux appels d’offres publics d’un écart maximal des rémunérations de 1 à 12 ;

– l’instauration d’un plafond en valeur absolue équivalent à 20 fois le SMIC ;

– l’élargissement à tous les cadres des entreprises publiques le principe de limitation des écarts de rémunérations.

Votre rapporteure Mme Graziella Melchior préconise :

– de faire du ratio un élément de la négociation collective a minima dans les entreprises de plus de 500 salariés ;

– d’instaurer le principe du ratio dans le code AFEP-MEDEF.

Ces deux dernières propositions sont partagées par votre rapporteur M. Dominique Potier qui considère qu’elles pourraient être mises en œuvre dans un premier temps et qu’à défaut d’efficacité, elles pourraient être remplacées par le dispositif légal contraignant proposé ci‑dessus.

 

 

Proposition n° 13 : Donner un nouvel élan au dialogue social au niveau des branches dans le sens d’une révision des classifications des rémunérations minimales applicables aux professions les plus dévalorisées

 

Proposition n° 14 : Permettre à tous les salariés de bénéficier de la participation

Le seuil de la participation doit être progressivement abaissé en dessous de 50 salariés. À terme, la participation doit devenir accessible à l’ensemble des salariés, quelle que soit la taille de l’entreprise. Cette mesure doit s’accompagner d’un effort en matière de simplification et d’accompagnement des petites entreprises.

 

Proposition n° 15 : Moderniser la formule de la réserve légale de la participation, devenue obsolète

En cela, envisager le remplacement de la notion de bénéfice fiscal par la notion de bénéfice comptable et prévoir une saisine du conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié (COPIESAS) pour établir une nouvelle formule.

 

Proposition n° 16 : Faire de l’intéressement et de la participation un levier de réduction des inégalités salariales

Le choix d’une répartition égalitaire des primes doit être plus systématiquement retenu dans le cadre des accords négociés par les partenaires sociaux. Une évolution de la loi pourrait également être envisagée pour plafonner à 2 PASS la base de calcul utilisée lorsque l’accord retient le principe d’une distribution proportionnelle au salaire.

Votre rapporteur M. Dominique Potier propose d’aller plus loin en rendant obligatoire une distribution égalitaire des primes.

 

Proposition n° 17 : Simplifier les règles sociales en supprimant le forfait social dû sur les sommes versées au titre de la participation dans l’ensemble des entreprises de moins de 250 salariés

Cette règle aura pour effet d’aligner les règles sociales applicables en matière d’intéressement et de participation pour l’ensemble des entreprises de moins de 250 salariés.

Cet alignement doit se faire à périmètre constant des recettes de la sécurité sociale. Votre rapporteur M. Dominique Potier considère qu’il doit être financé par la suppression d’autres exonérations sociales injustifiées, et notamment celles sur les indemnités de départ et les retraites chapeau.

 

Proposition n° 18 : Lier l’intéressement aux enjeux RSE

– Les formules d’intéressement devraient intégrer de façon plus systématique des critères en lien avec la performance extra-financière de l’entreprise. Pour cela, l’administration doit mieux accompagner les entreprises dans l’intégration de ces critères extra-financiers à la formule de calcul de l’intéressement.

– Les partenaires sociaux doivent se mobiliser dans le cadre des accords de branche prévus par la loi PACTE pour intégrer de tels critères. En l’absence de mobilisation, les critères de performance RSE pourraient être rendus obligatoires.

 

Proposition n° 19 : Rendre l’intéressement plus attractif pour les entreprises de l’ESS

Prévoir des aides financières ou des exonérations spécifiques afin d’inciter les entreprises de l’ESS à mettre en place des accords d’intéressement.

 

Proposition n° 20 (portée uniquement par M. Dominique Potier) : Encourager le développement des sociétés anonymes à participation ouvrière

– développer des incitations fiscales à même de favoriser le développement des SAPO ;

– accroître la visibilité de cette forme entrepreneuriale innovante, en particulier en incitant les administrateurs judiciaires et les tribunaux de commerce à préconiser cette forme de société lors de la reprise d’une activité.

 

Proposition n° 21 : Renforcer la place des administrateurs salariés dans les comités de rémunération

– garantir la bonne application du code AFEP-MEDEF, qui prévoit la présence d’un administrateur salarié par comité de rémunération ;

– à défaut, envisager un passage du droit souple au droit dur en reconnaissant légalement les comités de rémunération et en prévoyant expressément la présence d’administrateurs salariés en leur sein.

 

Proposition n° 22 (portée uniquement par M. Dominique Potier) : Aller vers une codétermination à la française

– instaurer la règle suivante : 2 administrateurs salariés pour les entreprises de moins de 500 salariés, un tiers dans les entreprises de plus de 1 000 salariés et la moitié dans celles de plus de 5 000 salariés ;

– mettre fin à l’incompatibilité de principe entre le mandat d’administrateur et les mandats électifs ou syndicaux ;

– étendre le principe des administrateurs salariés aux sociétés par actions simplifiées.


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   LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(par ordre chronologique)

 

M. Gaël Giraud, économiste, co-auteur du « Le facteur 12. Pourquoi il faut plafonner les revenus »

M. François Perret et M. Thibault Lanxade nommés, par le ministre de l’économie, des finances et de la relance, ambassadeurs à l’intéressement et à la participation

Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

M. Sébastien Roux, chef du département des études économiques

M. Olivier Simon, chef de la division synthèse conjoncturelle

M. Fabien Guggemos, chef de la division salaire et revenu d’activité

OXFAM France *

Mme Caroline Avan, chargée de plaidoyer industries extractives, justice fiscale et inégalités

M. Quentin Parrinello, chargé de plaidoyer justice fiscale et inégalités

SYNOPIA *

M. Alexandre Malafaye, président

Mme Joséphine Staron, vice-présidente

M. Jean-Claude Mailly, vice-président

ERES

M. Jérome Dedeyan, dirigeant fondateur

M. Philippe Steiner, sociologue

Observatoire des inégalités

M. Louis Maurin, directeur

M. Philippe Askenazy, économiste

 

 

Table ronde sur l’économie sociale et solidaire (ESS), en présence de :

M. Jérôme Saddier, président d’ESS France et de Mme Marthe Corpet, responsable des affaires juridiques

Mme Christiane Demontès, ancienne sénatrice et membre du conseil d’orientation du Labo de l’ESS

Mme Eva Sadoun, président de LITA.co et co-présidente du Mouvement impact France

M. Sébastien Darrigand, directeur général l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES) *

Audition commune :

Mouvement des entreprises de France (MEDEF) *

M. Christophe Beaux, directeur général

Mme Christine Lepage, responsable du pôle économie et directrice des affaires internationales

M. François Gonord, directeur financement des entreprises et petites et moyennes entreprises

M. Guillaume Leblanc, responsable du pôle influence et directeur des affaires publiques

Association française des entreprises privées (AFEP) *

Mme Stéphanie Robert, directrice

Mme Laetitia de La Rocque, directrice des affaires fiscales

Fondation Jean Jaurès

M. Pierre Victoria, directeur de développement durable à Veolia, ancien député, et co-auteur du rapport « entreprises engagées : comment concilier l’entreprise et les citoyens » de la Fondation Jean Jaurès

Audition commune :

Ordre des experts comptables

M. Patrick Bordas, vice-président du Conseil supérieur de l’ordre des experts‑comptables (CSOEC)

M. François Jegard, président des comités mécénat et responsabilité sociétale des entreprises (RSE)

Mme Emilie Damloup, chargée de mission

Mme Xénia Arrignon, consultante en affaires publiques

Compta durable

M. Hervé Gbego, président

Audition commune :

Confédération des PME (CPME) *

Mme Stéphanie Pauzat, vice-présidente

M. Lionel Vignaud, responsable des affaires économiques

Mme Sandrine Bourgogne, secrétaire générale

Union des entreprises de proximité (U2P) *

M. Laurent Munerot, président

M. Pierre Burban, vice-président

Mme Thérèse Note, responsable des relations parlementaires

Audition commune :

Direction générale du Trésor

M. Pierre-Emmanuel Beluche, chef de bureau finance durable, droit des sociétés, comptabilité et gouvernance des entreprises (Finent3)

M. Julien Bracq, adjoint au chef du bureau finance durable, droit des sociétés, comptabilité et gouvernance des entreprises (Finent3)

M. Timothée Huré, adjoint au chef de bureau épargne et marché financier (Finent1)

Mme Éléonore Trigano, cheffe de bureau évaluation des politiques sociales et de l’emploi (Polsoc4)

M. Cyprien Batut, adjoint à la cheffe de bureau évaluation des politiques sociales et de l’emploi (Polsoc4)

Direction générale du travail

Mme Maroussia Outters-Perehinec, cheffe du bureau de la durée et des revenus du travail (RT3)

Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques

M. Karl Even, chef du département des salaires et des conventions salariales

Institut Montaigne

Mme Clémence Alméras, chargée d’étude, Institut Montaigne

M. Christian Nouel, avocat et partner, Gide Loyrette Nouel

M. François-Xavier Albouy, directeur de recherche de la chaire « transitions démographiques, transitions économiques »

M. Stanislas Pottier, directeur de l’investissement responsable, Amundi

M. François Ewald, délégué général, comité Médicis

Table ronde des syndicats :

Force Ouvrière (FO)

Mme Karen Gournay, chargée de la négociation collective et des rémunérations

Mme Alexia Weissenbacher, assistante confédérale

Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

Mme Raphaëlle Bertholon, secrétaire nationale à l’économie

Confédération française démocratique du travail (CFDT)

Mme Anne-Juliette Lecourt, secrétaire confédérale

Confédération générale du travail (CGT)

M. Fabrice Angei, secrétaire confédéral

M. Fabrice Pruvost, conseiller confédéral

Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)

M. Denis Jeambrun, responsable aéronautique et défense, fédération métallurgie

Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

M. Mathieu Plane, directeur adjoint du département Analyse et prévision

TRIODOS

M. Pierre Aeby, directeur non exécutif

Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)

M. Alexander Hijzen, direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales

M. Cyrille Schwellnus, direction des affaires économiques – analyses des politiques structurelles, marché du travail et réformes sociales

PROXINVEST

M. Loïc Dessaint, directeur général

Groupe MAIF *

M. Pascal Demurger, directeur général

 

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

 


([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

([2]) https://www.strategie.gouv.fr/publications/inegalites-primaires-redistribution-france-se-situe-europe

([3]) Hors patrimoine mobilier

([4]) Proposition de loi du 6 décembre 2017 « Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances »

([5]) Proposition de loi 16 juin 2020 « Pour une limite décente des écarts de revenus »

([6]) Felix Hörisch, The Macro-economic Effect of Codetermination on Income Equality, Mannheim, 2012

([7]) Loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel

([8]) Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi « PACTE »

([9]) « Partage de la valeur ajoutée, partage des profits et écarts de rémunérations en France », mission présidée par Jean‑Philippe Cotis, directeur général de l’INSEE, rapport remis en mai 2009 au Président de la République

([10]) Via principalement les dispositifs d’épargne salariale

([11]) Il s’agit ici de la valeur ajoutée brute, la valeur ajoutée nette étant calculée en retranchant à la valeur ajoutée brute le coût d’amortissement du capital.

([12]) Les dividendes constituent un revenu de la propriété pour les actionnaires qui ont mis des capitaux à la disposition d’une société. Comme l’indique le rapport « Cotis » : « La comptabilité nationale retient une définition assez large des dividendes : il peut s’agir de tout produit financier lié à une participation dans une entreprise assujettie à l’impôt sur les sociétés (IS). Ainsi, dès lors qu’une filiale d’entreprise assujettie à l’IS distribue un revenu à son entreprise mère, ce flux financier est classé avec les dividendes ».

([13]) C’est-à-dire l’ensemble des unités institutionnelles produisant des biens et des services marchands non financiers, et dont les opérations de répartition et les opérations financières sont séparées de celles de leurs propriétaires

([14]) Selon les explications du rapport « Cotis » : « S’agissant des banques, la valeur ajoutée correspond essentiellement aux commissions facturées aux clients et aux marges sur les opérations de gestion des dépôts ou d’octroi de crédits. Or les résultats des banques ont aussi bénéficié du développement d’autres activités financières, par exemple les plus-values liées à la détention de titres. En comptabilité nationale, ces opérations figurent dans le compte financier mais pas dans la valeur ajoutée. Elles ont permis d’accroître la rémunération des salariés à un rythme plus élevé que la croissance de la valeur ajoutée stricto sensu, sans qu’on puisse interpréter ce phénomène comme un signal d’une politique plus favorable aux salariés. Des problèmes de même nature se posent pour les sociétés d’assurance ».

([15]) Les entreprises qui viennent de se créer dégagent peu de bénéfices et la majeure partie de leur production sert à rémunérer le personnel, après quoi leur marge remonte et la part de cette rémunération décroît.

([16]) Définies comme les entreprises comptant plus de 5000 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1,5 milliard d’euros

([17]) Définies comme les entreprises comptant entre 250 et 5 000 salariés et dont le chiffre d’affaires est compris 50 millions et 1,5 milliard d’euros

([18]) Le rapport « Cotis », dont sont issues ces données, reste prudent quant aux leçons que l’on peut tirer de ces chiffres : « Ce constat n’empêche évidemment pas que le salaire « superbrut » soit plus faible dans les PME que dans les grandes entreprises, lesquelles bénéficient d’une valeur ajoutée par employé sensiblement plus forte. De manière générale, la part des salaires dans la valeur ajoutée ne permet aucune conclusion définitive sur la « générosité » des rémunérations dans telle ou telle entreprise. Pour le dire, il faudrait pouvoir connaître la structure de la main-d’œuvre et le caractère plus ou moins capitalistique de son activité ».

([19]) Ce résultat s’explique par la forte proportion de sociétés sans salariés dans ce secteur.

([20]) L’ensemble de ces ordres de grandeur sont issus du rapport « Cotis ».

([21]) Selon la note Trésor-Eco n° 210 « Mondialisation, croissance et inégalités : implications pour la politique économique » : « cette hausse des inégalités de revenus [dans de nombreux pays avancés] reflète également la baisse tendancielle de la part des revenus du travail dans la valeur ajoutée dans la majorité des pays (mais pas en France), au bénéfice du capital, dont les revenus bénéficient principalement aux ménages aisés ».

([22]) Note Trésor-Eco n° 234, « l’évolution de la part du travail dans la valeur ajoutée des pays avancés »

([23]) « La part du travail sur le long terme : un déclin ? », G. Cette, L. Koehl et Th. Philippon, 2019, Économie et Statistique, n°510-511-512

([24]) La prise en compte des indépendants revêt en tout cas une importance particulière lorsque la part des travailleurs indépendants varie au fil du temps ou selon les pays.

([25]) La note précise : « La bonne façon de comptabiliser les revenus immobiliers dépend en fait de la question que l’on se pose. Les revenus immobiliers sont en effet une forme de revenu du capital et ont par conséquent des effets de redistribution importants au sein d’une génération et entre différentes générations. Si on veut observer la dynamique de l’inégalité des richesses, il faut clairement inclure le capital immobilier. En revanche, si l’on veut comprendre l’impact de la technologie, des échanges commerciaux ou du pouvoir de marché, il faut prendre soin d’ôter de la mesure les revenus du capital tirés de l’immobilier résidentiel. Les théories mentionnées précédemment mettent l’accent sur l’évolution du capital productif et montrent comment la valeur ajoutée se partage entre rémunération du travail et profits. Pour évaluer l’impact de l’automatisation, de l’intelligence artificielle, des échanges commerciaux, de la syndicalisation, des loyers oligopolistiques ou du pouvoir de monopsone, nous devons donc utiliser une mesure des revenus du capital excluant les revenus immobiliers ».

([26]) Ces mécanismes ont notamment été étudiés par les économistes Olivier Blanchard et Francesco Giavazzi en 2003, ainsi que par Philippe Askénazy en 2018.

([27]) C’est notamment le cas des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple)

([28]) Pour une analyse détaillée de ce phénomène, consulter la note n° 216 de février 2018 du Trésor intitulée « La déformation du partage de la valeur ajoutée aux États-Unis » ainsi que l’étude : « Concentrating on the Fall of the Labor Share » de David Autor et al., publiée en janvier 2017.

([29]) Les investisseurs institutionnels regroupent l’ensemble des intermédiaires financiers non bancaires : organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPVCM), sociétés d’assurance, fonds de pension.

([30]) Il s’agit là des deux postes principaux liés aux revenus de la propriété. D’autres revenus occupent une place plus marginale (bénéfices réinvestis d’investissement direct à l’étranger et d’autres revenus d’investissements, loyers des terrains et gisements).

([31]) Il faut noter qu’en comptabilité nationale, la notion utilisée est celle d’impôt sur le revenu, cette notion comprend l’impôt sur les sociétés, y compris les majorations et frais de poursuite. Elle comprend également la taxe à 3 % sur les dividendes (sur la période 2012-2017) et la contribution sociale sur les bénéfices. Pour des raisons de simplification et de lisibilité, vos rapporteurs ont retenu le terme d’impôt sur les sociétés.

([32]) Source : Extrait du rapport « le partage de la valeur ajoutée » présenté en 2019 par la CFE-CGC, la CFDT, la CGT le MEDEF, l’U2P et la CMPE

([33]) Revue d’économie financière, 2018, « L’évolution de l’actionnariat en France : 1977-2017 », n° 130, p. 73‑98

([34]) « L’entreprise, objet d’intérêt collectif », rapport remis au Gouvernement par Mme Nicole Notat et M. Jean‑Dominique Senard le 9 mars 2018

([35]) Cette proposition figure également dans la proposition de loi n° 476 « Entreprises nouvelles et nouvelles gouvernances » du groupe socialiste.

([36]) Ces données ne sont pas calculées à partir des données de la comptabilité nationale mais à partir du fichier Fiben.

([37]) Comme indiqué dans le document de méthodologie de la Banque de France intitulé « la situation des entreprises en France en 2018 », la Banque de France retient cette définition du revenu global : Valeur ajoutée + Subventions d’exploitation + Charges à répartir + Autres produits d’exploitation – Autres charges d’exploitation + Opérations hors exploitation.

([38]) https://www.cnis.fr/wp-content/uploads/2017/10/RAP_2015_139_cout-du-capital.pdf

([39]) « Où sont passés les dividendes ? » Michel Husson, article paru dans la revue Alternatives économiques, octobre 2018

([40]) En 2017, la valeur du SMIC mensuel est de 1 152 €, nets de contributions et de cotisations sociales.

([41]) Source : INSEE première n° 1800 mai 2020

([42]) https://dares.travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/2018-035v2.pdf

([43]) Les femmes perçoivent un revenu salarial inférieur de 24 % à celui des hommes. Le revenu salarial augmente avec le niveau de diplôme. Ainsi, les salariés diplômés de l’enseignement supérieur long ont un revenu salarial 2,5 fois supérieur à celui des non‑diplômés. Cela correspond surtout à des différences en matière de salaire en EQTP et, dans une moindre mesure, à des disparités de volume de travail. Le revenu salarial augmente avec l’âge : celui des moins de 25 ans est en moyenne inférieur de 71 % à celui des 50‑54 ans.

([44]) Le code du travail contient une obligation spécifique faite à l’entreprise d’assurer la même rémunération à une salariée et à un salarié pour un même travail ou un travail à valeur égale (cf. article L.3221-2 du code du travail).

([45]) Somme des salaires nets perçus sur une année par un individu. Le calcul du revenu salarial prend en compte la quotité du temps de travail et le nombre de jours travaillés en tant que salarié.

([46]) La pénalité financière est fixée par la DIRECCTE et ne peut excéder 1 % de la masse salariale (article L. 1142-10 du code du travail).

([47]) Somme des salaires nets perçus sur une année par un individu. Le calcul du revenu salarial prend en compte la quotité du temps de travail et le nombre de jours travaillés en tant que salarié.

([48]) https://www.etuc.org/fr/pressrelease/lecart-salarial-hommes-femmes-en-europe-ne-disparaitra-pas-avant-2104

([49]) HCE, « Femmes providentielles mais femmes invisibles, sous-payées, surchargées », 13 mai 2020.

([50]) Selon l’OCDE, à l’échelle mondiale, les femmes représentent 70 % du personnel médical et de soutien, 85 % du personnel infirmier des hôpitaux et elles assument, partout dans le monde, 90 % des soins de longue durée, 67 % du personnel d’entretien dans les lieux publics et privés.

([51]) Il convient de noter que cette rémunération totale comprend d’un côté la part salariale (salaire fixe, variable et autre) et d’un autre côté la part actionnariale (stock-options, actions gratuites et instruments « hybrides » valorisés à la date d’une attribution), sans prise en compte des régimes de retraite supplémentaires faute de transparence suffisante.

([52]) Selon le cabinet de conseil Proxinvest, spécialisé dans la politique de vote et d’analyse de gouvernance des sociétés cotées

([53]) D’après le rapport Oxfam de juin 2020 « Des profits sans lendemain ? »

([54]) Le SBF 120 est un indice boursier français sur la bourse de Paris, qui compte les 120 valeurs les plus liquides du marché primaire et secondaire français. Il est composé de l’indice CAC 40 auquel est rajouté le SBF 80 c’est à dire les 80 valeurs les plus liquides cotés parmi les 250 entreprises françaises à la capitalisation boursière les plus importantes (SBF 250).

([55]) Oxfam France et Basic, « CAC 40, des profits sans lendemain ? », juin 2020

([56]) La souscription et l’achat d’actions par les salariés, également dénommées stock-options ou « options sur actions », représentent les facultés offertes par une entreprise à tout ou partie du personnel salarié et aux mandataires sociaux dirigeants de souscrire ou d’acheter des actions, dans un certain délai et à un prix fixé par avance.

([57]) L’attribution d’actions gratuites est l’opération par laquelle une entreprise donne ses propres actions à ses salariés ou à ses dirigeants.

([58]) La comparaison est réalisée à partir de l’écart moyen entre la rémunération des PDG et le salaire moyen dans le pays, soit 143 en France (écart entre les rémunérations des PDG du CAC 40 et le salaire moyen français en 2016 = rémunération moyenne des PDG en 2016 d’après les données publiées par les entreprises du CAC 40 / PIB par habitant calculé par l’INSEE en 2016 = 4 531 485 euros / 31 740 euros = 143).

([59]) Le hiatus observé après la crise de 2009 est détaillé plus-haut dans le rapport.

([60]) Cette banque se concentre autour de deux activités principales : elle se charge d’une part de la collecte des dépôts d’épargnants souhaitant investir dans des projets durables dans les domaines sociaux, culturels et environnementaux et elle gère d’autre part des fonds de l’Investissement socialement responsable (ISR) ainsi que des fonds à thèmes (fonds verts, microfinance, etc.).

(2) Il s’agit du rapport en le plus haut salaire en EQTP et le salaire médian en EQTP.

([62]) Selon l’étude « Preparing for take-off » du cabinet Hay Group

([63]) Ceci-Renaud N., Cottet V., « Politique salariale et performance des entreprises », Insee-Références Emploi et Salaires, édition 2012

([64]) Théorie selon laquelle, sauf destruction ou thésaurisation (accumulation de monnaie), les revenus des individus les plus riches sont in fine réinjectés dans l’économie, soit par le biais de leur consommation, soit par celui de l’investissement (notamment via l’épargne), contribuant ainsi, directement ou indirectement, à l’activité économique générale et à l’emploi dans le reste de la société.

([65]) L’indice (ou coefficient) de Gini est un indicateur synthétique permettant de rendre compte du niveau d’inégalité pour une variable et sur une population donnée. Il varie entre 0 (égalité parfaite) et 1 (inégalité extrême).

([66]) « Inégalités primaires, redistribution : comment la France se situe en Europe », France Stratégie, décembre 2020, n° 97

([67]) Pour Patrick Arthus, cette dynamique perverse peut se décomposer en quatre étape : premièrement un taux d’emploi faible et un taux de chômage structurel élevé, deuxièmement, des inégalités de revenus avant distribution élevées, troisièmement des politiques de redistribution puissantes, qui se traduisent, quatrièmement, par une pression fiscale et sociale élevée sur les entreprises.

([68]) https://www.lesechos.fr/2018/06/inegalites-pourquoi-la-depense-sociale-ne-suffit-pas-996724

([69]) Rapport sur les inégalités édition 2019, de l’Observatoire des inégalités

([70]) « Il faut revaloriser les emplois et carrières à prédominance féminine », tribune signée par un ensemble d’universitaires et de syndicats, parue dans le journal Le Monde, le 18 avril 2020

([71]) Sondage réalisé par Elabe pour l’institut de l’entreprise, « À quoi servent les entreprises ? », janvier 2018, cité dans le rapport de Mme Nicole Notat et M. Jean-Dominique Senard du 9 mars 2018.

([72]) Jean Gadrey, « Les riches ne connaissent pas la crise », Revue Projet, 2/2011 (n° 321), p. 28-35.

([73]) Sont ici à distinguer les émissions directes (émises au moment de la consommation), des émissions indirectes (émises lors de la production du bien ou service consommé), des émissions grises (induites par l’ensemble des activités en amont de la chaîne de valeur), et celles des Administrations Publiques (APU). Les empreintes sont calculées par ménage pour prendre en compte les effets de composition au sein du foyer.

([74]) https://www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2020/09/Resume-Rapport-Oxfam-Combattre-Inegalites-Emissions-CO2.pdf

([75]) Chancel Lucas et Piketty Thomas, « Carbon and Inequality: From Kyoto to Paris. Trends in the Global Inegality of Carbon Emissions (1998–2013) & Prospects for an Equitable Adaptation Fund », Paris school of economics

([76]) Sont ici à distinguer les émissions directes (émises au moment de la consommation), des émissions indirectes (émises lors de la production du bien ou service consommé), des émissions grises (induites par l’ensemble des activités en amont de la chaîne de valeur), et celles des Administrations Publiques (APU). Les empreintes sont calculées par ménage pour prendre en compte les effets de composition au sein du foyer.

([77]) Guivarch, Céline, et Nicolas Taconet. « Inégalités mondiales et changement climatique », Revue de l’OFCE, vol. 165, no. 1, 2020, pp. 35-70

([78]) Gaël Giraud et Cécile Renouard, Facteur 12, version actualisée de 2017

([79]) Les retraites chapeau sont versées par une entreprise en supplément des retraites de base et complémentaires à des salariés ou dirigeants, en application de dispositions contractuelles.

([80]) Directive (UE) 2017/828 du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2017 modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE)

([81]) On notera par ailleurs que seuil de 250 salariés a été rehaussé par la loi PACTE. Ce rehaussement traduit plus une harmonisation de forme qu’une volonté de fond, puisqu’il s’insère dans le cadre plus large des mesures d’harmonisation des seuils applicables aux entreprises, dans un objectif de simplification. Il était auparavant fixé à 200 salariés.

([82]) Comme le prévoit la circulaire de la direction générale du travail du 18 mars 2014.

([83]) 5 pour les entreprises de moins de 250 salariés, 10 pour les entreprises de plus de 250 salariés

([84]) La Semaine Juridique Edition Générale n° 38, 17 Septembre 2018, doctr. 966

([85]) Elle avait notamment fait l’objet d’un amendement déposé par votre rapporteur M. Dominique Potier : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/1237/AN/1689 

([86]) Selon une étude citée dans le rapport Oxfam de 2018 : https://www.oxfamfrance.org/wp‑content/uploads/2018/10/oxfam‑etude-harris-transparence-ecarts-salaires.pdf

([87]) https://op.europa.eu/fr/publication-detail/-/publication/43a17056-ebf1-11e9-9c4e-01aa75ed71a1

([88]) En référence à la proposition de loi n° 2954 « Femmes de ménage : encadrer la sous-traitance, cesser la maltraitance » enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 mai 2020

([89]) https://impactfrance.eco/engagements/

([90]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2355_proposition-loi

([91]) https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/consultations-publiques/lamf-repond-la-consultation-publique-europeenne-sur-la-revue-de-la-directive-extra-financiere

([92]) On peut également relever que l’ordonnance prévoit également la possibilité pour le conseil d’administration de déroger temporairement à cette politique en cas de « circonstances exceptionnelles » si cela est nécessaire pour garantir la pérennité de la société.

([93]) Comme le précise le rapport au Président de la République établi sur ladite ordonnance : contrairement à la directive qui fait couvrir à la politique de rémunération l’intégralité des rémunérations versées par la société, le droit français existant présente la spécificité de connaitre deux dispositifs distincts : l’un concernant les rémunérations en cours de fonction, l’autre, reposant sur la procédure des conventions réglementées, concernant les engagements permettant de rémunérer un dirigeant au moment d’un changement de fonction ou de son départ, ou postérieurement à ce dernier. Pour respecter l’habilitation et mettre en place un dispositif « unifié », l’ordonnance fusionne les deux dispositifs dans le dispositif unique et contraignant de la politique de rémunération.

([94]) Structure et diversité des modèles actuels de gouvernement d’entreprise, Christophe Clerc, rapport rendu pour l’OIT en octobre 2020

([95]) Articles L. 225-42-1 et L. 225-90-1 du code de commerce

([96]) Le plafond annuel de la sécurité sociale (PASS) est utilisé comme base de calcul de certaines prestations sociales. Il peut également servir de fondement à l’application de règles sociales et fiscales. Il est réactualisé chaque année par les pouvoirs publics. En 2020, il s’élève à 41 136 euros.

([97]) Ordonnance n° 2019-697 du 3 juillet 2019 relative aux régimes professionnels de retraite supplémentaire

([98]) Cette ordonnance s’inscrit dans la continuité d’un certain nombre d’évolutions législatives récentes. La loi « Macron », qui avait ainsi prévu que ces retraites ne pouvaient augmenter de plus de 3 % par an pour un certain nombre de dirigeants (président, directeur général, directeurs généraux délégués). Le code de bonne conduite Afep-Medef prévoyait déjà quant à lui un plafond des retraites chapeaux à 45 % du salaire.

([99]) https://www.impots.gouv.fr/portail/particulier/lactionnariat-salarie

([100]) Comme le précise le site internet Service public : « Le salarié bénéficiaire ne devient pas immédiatement propriétaire des actions. Il faut obligatoirement qu’un temps s’écoule entre la date d’attribution des actions et la date où le salarié bénéficiaire devient propriétaire. Ce temps est appelé période d’acquisition. L’entreprise fixe la durée de la période d’acquisition, mais en respectant la durée légale minimale d’un an (sauf en cas d’invalidité du salarié). L’entreprise peut aussi fixer librement une période de conservation des actions. Le salarié ne peut pas vendre les actions avant la fin de cette période, même s’il est devenu propriétaire suite à la fin de la période d’acquisition. Le cumul de la période d’acquisition et de la période de conservation ne peut pas être inférieur à 2 ans ».

([101]) Constitué lors de la révision du code AFEP MEDEF de 2013, le Haut Comité de gouvernement d’entreprise a pour mission de contrôler l’application dudit code et de formuler des recommandations.

([102]) La MACIF a quant à elle contribué par écrit.

([103]) INSEE PREMIÈRE, no 1390, paru le : 08/02/2012

([104]) C’est le cas des structures d’insertion par l’activité économique, des régies de quartier, des entreprises adaptées ainsi que des organismes financiers solidaires. Plusieurs organismes de financement contribuant au financement des entreprises de l’ESS sont aussi considérés comme disposant de l’agrément ESUS de plein droit.

([105]) https://www.lemonde.fr/politique/article/2013/05/25/salaire-des-patrons-la-promesse-de-hollande-qui-a-fait-long-feu_3417014_823448.html

([106]) Le 21 mars 2011, une initiative populaire fédérale proposée par la Jeunesse socialiste suisse a été déposée devant la Chancellerie fédérale suisse avec le soutien de 113 000 citoyens. Elle proposait d’insérer dans la Constitution fédérale helvétique une disposition interdisant, dans une même entreprise, que le salaire le plus élevé puisse être plus de douze fois supérieur au salaire le plus bas. Soumise au vote des citoyens le 24 novembre 2013, cette initiative a cependant été refusée par 65,3 % des suffrages exprimés.

([107]) « Limiter les écarts de rémunération, un enjeu d’efficacité économique et de justice écologique et sociale » Gaël Giraud et Cécile Renouard, article publié par la fondation Nicolas Hulot, novembre 2013

([108]) Proposition de loi nº 3094 pour une limite décente des écarts de revenu enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 16 juin 2020 et présentée par M. Dominique Potier, M. Boris Vallaud, Mme Valérie Rabault, Mme Marie-Noëlle Battistel et les membres du groupe socialistes et apparentés  

([109]) Gaël Giraud et Cécile Renouard, « Le Facteur 12 : Pourquoi il faut plafonner les revenus », Carnets Nord, 2017, p. 23

([110]) Décision n° 2000-439 DC du 16 janvier 2001, Loi relative à l’archéologie préventive.

([111]) Depuis le 1er janvier 2020, les entreprises qui atteignent le seuil de 50 salariés ne sont assujetties à la participation qu’à l’issue d’une période de 5 années civiles consécutives passées à ce même seuil. Les modalités de calcul des effectifs ont également été modifiées et sont prévues à l’article L. 130-1 du code de la sécurité sociale.

([112]) Les accords d’intéressement et de participation peuvent être conclus au niveau de l’entreprise, du groupe, ou de la branche. Dans le cas où un accord est conclu au niveau de la branche, un accord d’entreprise reste nécessaire pour les entreprises relevant de cette branche qui comptent plus de 50 salariés. En cas d’absence d’accord, un régime d’autorité, moins favorable pour l’entreprise et les salariés s’applique.

([113]) Ces sommes sont limitées à un montant égal aux trois quarts du plafond annuel moyen retenu pour le calcul des cotisations de sécurité sociale. (75 % du PASS pour l’exonération d’IR pour le salarié)

([114]) 8 % du PASS pour un plan d’épargne d’entreprise ; 16 % du PASS pour un plan d’épargne pour la retraite collectif. En outre, afin de dynamiser l’actionnariat salarié, un abondement supplémentaire peut être effectué par l’entreprise à concurrence du montant investi par le salarié en actions et certificats d’investissement de son entreprise, dans la limite d’une majoration de 80 % du plafond mentionné ci-dessus.

([115]) Créé en 2008, le forfait social est une contribution à la charge de l’employeur. Elle est prélevée sur les rémunérations ou gains exonérés de cotisations de sécurité sociale mais assujettis à la contribution sociale généralisée (CSG). Son taux de droit commun est de 20 %.

([116]) Loi relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume‑Uni de l’Union européenne

([117]) Cette possibilité n’est ouverte que si l’entreprise n’est couverte par aucun accord d’intéressement depuis au moins 5 ans article 18 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020). Le dispositif ainsi mis en place pourra également avoir une durée (inférieure à celle habituellement requise de trois ans. Le renouvellement de ce dispositif impliquerait en revanche sa négociation dans les formes habituellement prescrites.

([118]) Dont notamment : Négoce de l’ameublement ; Banques ; UCANSS (Union nationale des caisses de sécurité sociale) ; Bâtiments et Travaux Publics ; Travaux Publics ; Détaillants de la chaussure ; Industrie alimentaire ; Importation‑exportation ; Commerce et réparation des tracteurs et matériels agricoles ; Commerces et services de l’audiovisuel, de l’électronique et de l’équipement ménager ; Cosmétique et esthétique parfumerie ; Exploitations frigorifiques

([119]) Cette modification a été apportée au texte à la suite d’un amendement porté par la rapporteure Mme Coralie Dubost.

([120]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/1088/CSPACTE/2174

([121]) Les ordonnances de 1986 ont ainsi prévu que 10 % des titres seraient réservés aux salariés, avec une décote pouvant aller jusqu’à 20 %, des délais de paiement et des perspectives de distributions d’actions gratuites. Toujours en vigueur, ce dispositif est un vecteur important de l’actionnariat salarié.

([122]) Cette décision est prise en assemblée générale des actionnaires. L’augmentation est ouverte à tous, sous réserve de critères d’ancienneté.

([123]) Dans les cas où cette attribution concerne l’ensemble des salariés, les sommes correspondantes peuvent être placées dans un plan d’épargne retraite.

([124]) À noter que les actions gratuites peuvent également être détenues via un PEE, dans la limite de 7,5 % du plafond annuel de la sécurité sociale (PASS).

([125]) Il s’agit donc de supprimer le forfait social dû  par l’employeur des entreprises de plus de 50 salariés au titre des sommes versées sur l’abondement sur la contribution des salariés à l’acquisition de titres de l’entreprise.

([126]) Amendement présenté par la députée Cendra Motin

([127]) À la suite d’un amendement porté par le député Éric Bothorel

([128]) Les mêmes dispositions pour les sociétés dotées d’un conseil de surveillance sont prévues à l’article L. 223-71 du code de commerce.

([129]) Elle imposait, lorsque l’actionnariat salarié, dont elle définissait le périmètre, représentait 5 % du capital (seuil qui sera abaissé à 3 % par l’article 217 de la loi du 17 janvier 2002).

([130]) Généralement parmi les salariés qui composent le conseil de surveillance du FCPE qui gère les actions des salariés.

([131]) Deux amendements identiques ont été portés par les députés Dominique Potier, du groupe socialiste, et Hubert Julien‑Laferrière, du groupe LaREM. Les amendements ont procédé à des ajustements techniques et juridiques : l’ensemble des salariés sont visés et non plus uniquement les ouvriers, une certification de la régularité de la distribution des dividendes au profit des salariés par un commissaire aux comptes a été introduite et enfin une précision a été apportée pour clarifier la possibilité pour les DAPO de fonctionner de façon duale avec un conseil de surveillance.

([132]) À l’heure actuelle, les dividendes du travail sont taxés au même titre que les traitements et salaires.

([133]) Qui a repris les dispositions de l’ordonnance n° 86-1135 du 21 octobre 1986 modifiant la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales.

([134]) Ce dispositif facultatif n’est plus possible depuis la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi pour les sociétés qui entrent dans le champ d’application de l’article 225-27-1 du code de commerce, exception faite des sociétés qui auraient antérieurement à cette loi choisi cette possibilité.

([135]) Pour mémoire, le droit des sociétés prévoit deux possibilités d’organisation pour les sociétés anonymes, celle‑ci peuvent être constituer sous la forme dite « moniste », avec un conseil d’administration, ou sous la forme dite dualiste, moins répandue, avec un directoire qui exerce les fonctions d’exécution et un conseil de surveillance, chargé des missions de contrôle.

([136]) « Penser l’entreprise. Nouvel horizon du politique », Olivier Favereau et Beaudoin Roger, Collège des Bernardins, 2015

([137]) Felix Hörisch, The Macro-economic Effect of Codetermination on Income Equality, Mannheim, 2012

([138]) Proposition de loi n° 476 Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernance, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 décembre 2017 et présentée par M. Olivier Faure, M. Dominique Potier, M. Boris Vallaud et les membres du groupe nouvelle gauche et apparentés

([139]) Les informations contenues dans cet encadré sont tirées de l’article de Christophe Clerc, « La codétermination : un modèle européen ? », paru dans la « revue d’économie financière », 2018/2 n° 130.

([140]) En référence à la proposition de loi n° 2954 « Femmes de ménage : encadrer la sous-traitance, cesser la maltraitance » enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 mai 2020