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N° 3731

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 janvier 2021.

RAPPORT  D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES ([1])

sur les sels nitrités dans l’industrie agroalimentaire

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Richard Ramos et
Mmes Barbara Bessot-Ballot et MichÈle Crouzet,

Députés

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La mission d’information est composée de : Mme Barbara Bessot-Ballot et Michèle Crouzet, rapporteures et M. Richard Ramos, rapporteur.

 


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SOMMAIRE

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Pages

Introduction

I. E249, E250, E251, E252 : une charcuterie française pleine d’additifs controversés

A. additifs nitrés : de quoi parle-t-on ?

1. Définition des additifs nitrés

2. L’histoire des additifs nitrés dans la charcuterie ou l’imposture du « mythe des 5 000 ans »

3. Une autorisation tardive du nitrite de sodium en France

B. Le spectre du botulisme : un Épouvantail agitÉ pour effrayer les pouvoirs publics et le consommateur

C. Une utilisation de sels nitrités motivée par la volonté de produire plus aisément et à bas coût des charcuteries à l’apparence attrayante (et trompeuse !)

1. Accélérer et faciliter le processus de fabrication des charcuteries dites « crues »

2. Donner une « belle » couleur à la charcuterie cuite ou étuvée

3. Des additifs permettant une moindre rigueur dans le cadre du processus de fabrication

4. Une conservation accrue des produits

D. Un emploi des additifs nitrÉs aujourd’hui massif dans la charcuterie en France

1. Quels produits sont concernés ?

2. La filière bio et les produits sous signe de qualité et d’origine (SIQO) sont largement utilisateurs d’additifs nitrés

II. Les additifs nitrÉs : une grave menace pour la santé humaine qu’il est possible de faire cesser

A. La décision politique en matiÈre de santÉ publique : rÉsister À la pression des lobbys et s’appuyer sur la recherche scientifique

1. La stratégie politique des entreprises agroalimentaires en matière de santé publique : « jouer la montre »

2. L’expertise scientifique au service de la décision politique

B. Les additifs nitrés jouent un rôle dans l’effet promoteur des charcuteries dans le développement de cancers colorectaux

1. Un lien entre cancers colorectaux et consommation de charcuterie fait l’objet d’un consensus

a. Il est démontré scientifiquement que la consommation de charcuterie induit le cancer colorectal et est associée au cancer de l’estomac

b. Il est possible de quantifier le nombre de cancers, résultant d’une consommation excessive de charcuterie, même si cette question fait l’objet d’un débat

2. Les additifs nitrés ajoutés dans la charcuterie participent de l’effet promoteur du cancer en réagissant dans l’organisme, notamment avec le fer héminique, favorisant ainsi la formation de composés N-nitrosés (NOCs) cancérogènes

a. L’enjeu n’est pas celui des résidus de nitrites et de nitrates dans l’alimentation mais bien celui de la formation de composés N-nitrosés (NOCs) résultant du traitement de la viande avec du nitrite et de la réaction de ces composés dans l’organisme

b. Le nitrite ajouté dans la charcuterie en contact avec l’hème favorise la formation de composés N-nitrosés (NOCs) et contribue ainsi à l’effet promoteur du cancer résultant de la consommation de charcuterie

3. Ni les doses limites fixées par l’EFSA, ni celles définies par le Code des usages, ni les recommandations de Santé Publique France ne protègent efficacement la santé des consommateurs

a. Des doses journalières admissibles fixées au niveau européen fondées sur une réévaluation des risques par l’EFSA qui fait l’impasse sur la cancérogénicité des composés néoformés

b. La réduction des quantités de nitrites dans la charcuterie française repose sur la seule bonne volonté des acteurs, dans le cadre du Code des usages, ce qui constitue une responsabilité écrasante pour la profession

c. Les recommandations de Santé Publique France en matière de consommation de charcuterie sont très insuffisamment suivies par les Français

C. Le travail prÉcurseur de certains charcutiers et l’accroîssement constant de l’offre prouve qu’il est possible pour l’ensemble des acteurs du secteur, quelle que soit leur taille, de produire des charcuteries sans nitrate, ni nitrite

1. De nombreux producteurs, industriels ou artisans, produisent déjà des charcuteries de grande qualité sans recourir aux additifs nitrés

2. Renouveler les méthodes de production

a. Une viande très fraîche et d’excellente qualité

b. Mettre en œuvre des méthodes de production adaptées, potentiellement plus longues

III. La transition vers une charcuterie française sans NITRATE, NI nitrite est une exigence sanitaire et sociale, essentielle pour l’avenir des charcutiers eux-mêmes, et doit être accompagnée par les pouvoirs publics

A. La transition vers une charcuterie sans nitrate, ni nitrite est aujourd’hui impérative

1. Elle correspond à une exigence forte des consommateurs

2. Elle doit permettre aux charcutiers de se renouveler à l’heure où la consommation de produits de charcuterie est en chute

3. À la recherche du goût perdu

B. Elle constitue un enjeu social important pour assurer une alimentation saine, sÛre et durable pour tous

1. Les plus modestes consomment des quantités beaucoup plus importantes de charcuterie et sont davantage touchés par le cancer colorectal

2. Il faut empêcher le développement d’une alimentation « à deux vitesses » qui préserverait la santé des plus riches et exposerait celle des plus modestes à des substances dangereuses

C. Elle nécessite l’engagement de tous les acteurs de l’alimentation, de l’éleveur au consommateur

1. Accompagner l’élevage porcin en France pour favoriser la qualité et les circuits courts

2. Encourager l’évolution des formations, des méthodes et des outils de production des charcutiers, industriels comme artisans

3. Responsabiliser la grande distribution

4. Accompagner un changement de culture chez le consommateur et améliorer l’information qui lui est délivrée

a. Le passage à une charcuterie sans nitrite exigera un certain « changement de culture » de la part du consommateur

b. Il permettra de clarifier l’information délivrée au consommateur

D. Elle exige des décisions fortes de la part des pouvoirs publics, ainsi qu’un accompagnement des producteurs de charcuterie

Glossaire

Liste des propositions

Liste des personnes auditionnÉes

Annexe : proposition de loi n° 3683 dÉposÉe par vos rapporteurs

 


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   Introduction

« Devons-nous faciliter les opérations qui consistent en réalité à tromper l’acheteur, avec cette circonstance aggravante que le produit préconisé est toxique ? » ([2]) : la question, posée en 1935 par un toxicologue, Frédéric Bordas, chargé d’examiner la dangerosité des nitrites dans l’hypothèse d’autoriser leur utilisation dans la charcuterie, résonne avec une actualité singulière. Elle résume, plus de cent ans plus tard, les enjeux dont la mission d’information sur « l’utilisation des sels nitrités dans l’industrie agroalimentaire » a choisi de se saisir : faut-il continuer à autoriser l’utilisation de nitrites et de nitrates dans la charcuterie française alors que les alertes relatives à leur dangerosité se multiplient ? Faut-il, pour préserver la couleur rose de la charcuterie, obtenue par le biais de ces additifs douteux, continuer à faire peser un risque sur la santé d’une partie de la population ?

Composée de trois députés, M. Richard Ramos (MODEM), Mmes Barbara Bassot-Ballot (LaREM) et Michèle Crouzet (MODEM), la mission d’information n’est nullement hostile à l’industrie agroalimentaire et encore moins aux charcutiers. Vos rapporteurs sont au contraire trois amoureux de la bonne chère, des produits du terroir et d’une certaine idée française de « la bonne bouffe », trois passionnés de gastronomie, qui ont unis leurs forces pour avancer sur cette question qui ne se limite pas à un enjeu de santé publique, mais embrasse une dimension sociale, sociétale et patrimoniale importante.

La question des nitrites dans la charcuterie avait été abordée incidemment lors des auditions de la commission d’enquête sur l’alimentation industrielle conduite par la rapporteure, Mme Michèle Crouzet, en 2018 ([3]). Elle a été ensuite portée, par deux fois, sur le devant de la scène – ou plutôt de l’hémicycle du Palais Bourbon. En octobre 2019, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), M. Richard Ramos a défendu un amendement prévoyant la mise en place d’une taxe de 0,1 centime par kilo de charcuterie contenant des sels nitrités ([4]). L’amendement, adopté en commission des affaires sociales, avait été rejeté en séance, à la suite d’un massif effort de lobbying de la Fédération française des industriels charcutiers-traiteurs (FICT). Le sujet, néanmoins, avait pris une dimension publique et politique : en novembre 2019, une pétition portée par Yuka et Foodwatch mais aussi – et c’est remarquable – par la Ligue contre le cancer exigeait l’interdiction des nitrites et des nitrates ajoutés dans l’alimentation. La question fut posée une seconde fois en séance publique à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen, le 27 novembre 2019, de la proposition de loi « relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires » dont Mme Barbara Bessot-Ballot était la rapporteure. M. Richard Ramos a, une nouvelle, fois, défendu des amendements destinés à garantir un étiquetage des produits de charcuterie afin d’imposer la mention : « contient du sel nitrité » ([5]). Le Président de la commission des affaires économique, M. Roland Lescure, avait alors pris l’engagement que soit créée au sein de la commission une mission d’information destinée à permettre de faire toute la lumière sur cette question des sels nitrités. Ce fut chose faite le 3 mars 2020.

Au terme de plusieurs mois de travaux – interrompus par le premier confinement – et en ayant mené près de quarante auditions, les membres de la mission d’informations ont acquis la conviction que les pouvoirs publics ne pouvaient demeurer sans agir sur cette question des sels nitrités.

Il existe aujourd’hui une certitude scientifique : la charcuterie nitrée est cancérigène pour l’Homme. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé, en 2015, la charcuterie comme « cancérigène avéré pour l’homme » (Groupe 1) en s’appuyant sur des preuves suffisantes concernant le cancer colorectal. Avec l’alcool, la charcuterie est ainsi devenue le seul aliment consommé en France faisant l’objet d’un tel classement. L’OMS, dans une publication de 2018 ([6]), a indiqué que 3 880 cancers du côlon et 500 cancers de l’estomac étaient attribuables à la consommation de charcuterie en France en 2015. En conséquence, Santé Publique France recommande de ne pas dépasser une limite de 150 grammes de charcuterie par semaine, ce qui représente environ trois tranches de jambon blanc. Ces prescriptions sont très loin d’être respectées : 63 % des Français les dépassent, ce qui est préoccupant.

Premier constat, donc : la charcuterie est cancérogène et la plupart des Français en consomment des quantités importantes, qui excèdent largement les recommandations sanitaires.

Une fois rappelé le consensus sur le caractère cancérogène de la charcuterie, il importe de s’interroger sur les causes de celui-ci. De nombreux scientifiques incriminent, pour expliquer cette cancérogénicité, les nitrites et nitrates ajoutés dans la charcuterie comme conservateurs, fixateurs de couleur et accélérateurs de maturation. C’est le cas, notamment du président de la Ligue contre le cancer, le professeur Axel Khan, qui recommande de ne plus utiliser de nitrites et de nitrates dans la charcuterie. C’est également le cas de scientifiques renommés ayant consacré de nombreuses années à cette question et travaillé en partenariat avec les industriels. Le professeur Denis Corpet, chef de l’équipe « Aliments et cancers » qu’il a fondé à l’école vétérinaire de Toulouse en 1993, puis d’une équipe au sein du laboratoire « Toxalim » de l’INRAe (désormais dirigée par M. Fabrice Pierre) indique dans ses réponses écrites à la mission : « J’ai l’intime conviction que le nitroso-hème et les NNitro Compounds (NOC) sont les principaux acteurs de la cancérogénicité des charcuteries (…) Si on supprime les nitrites d’un jambon expérimental, on réduit très fortement la formation de nitroso-hème dans l’intestin , et aussi l’effet pro-cancer de ce jambon chez le rat ».

Ce phénomène n’est pas nié par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui dans son rôle d’évaluateur des risques, est chargée d’émettre des avis et des conseils scientifiques, notamment en matière de sécurité de l’alimentation humaine. L’agence a réévalué, en juin 2017, les niveaux de sécurité des nitrites et des nitrates ajoutés aux aliments. Cet avis précise les risques attachés à ces additifs : « Le nitrite dans les aliments (et le nitrate converti en nitrite dans le corps) peut aussi contribuer à la formation d’un groupe de composés connus sous le nom de nitrosamines, dont certains sont cancérigènes » ([7]). Pourtant, l’avis ne modifie pas
– voire élève légèrement – les doses journalières admissibles (DJA) de ces substances fixées en 1997.

Cette évaluation de l’EFSA, fréquemment citée par les défenseurs de l’utilisation des nitrites et nitrates dans la charcuterie, pose plusieurs difficultés :

– les évaluations et les DJA qui en découlent ne sont pas centrées sur l’implication des nitrites et nitrates dans la formation de composés nitrosés en présence de protéines animales (formation de nitrosamines) et/ou de fer héminique (formation de fer nitrosylé) ;

– l’EFSA souligne d’ailleurs, par la voix du professeur Maged Younes, membre du groupe scientifique de l’EFSA sur les additifs alimentaires et les sources de nutriments ajoutés aux aliments et président du groupe de travail chargé de ces travaux de réévaluation, combien les connaissances sont, en la matière, lacunaires : « (…) il existe encore des lacunes dans les connaissances qui devront être comblées par de futures recherches. En particulier, des études supplémentaires seraient nécessaires en ce qui concerne la conversion du nitrate en nitrite dans la salive humaine, la production de méthémoglobine qui en résulte et les conséquences sur la formation de nitrosamine dans les produits alimentaires auxquels des nitrites ont été ajoutés. Des données épidémiologiques supplémentaires recueillies chez l’homme seraient également utiles ».

L’invocation systématique de cette réévaluation pour appuyer une prétendue innocuité des additifs nitrés dans le cas qui intéresse la mission
– celui de la charcuterie – n’est donc pas pertinente.

Au fil des auditions, et à la lecture du rapport de l’EFSA, vos rapporteurs ont également appris que les DJA retenues ne concernaient pas les composés issus des additifs nitrés (nitrosamines, nitrosamides, Snitrosothiols, fer nitrosylé), mais seulement le nitrate et le nitrite eux-mêmes et leur risque en matière de méthémoglobinémie ([8]), l’EFSA ayant simplement considéré qu’« une augmentation du niveau de méthémoglobine est un effet pertinent pour la dérivation d’une DJA » ([9]). Plus grave : vos rapporteurs ont remarqué que le rapport en question n’avait tout simplement pas pris en compte la question du fer nitrosylé. Or, de l’avis de tous les cancérologues reçus en audition, le mécanisme de la cancérogénèse due aux charcuteries nitrées est lié, en priorité, à la nitrosylation du fer héminique. L’étude de l’exposition totale de la population aux nitrites et aux nitrates ne peut apporter qu’une réponse partielle, voire parcellaire, à la question du risque posé par la consommation des produits contenant des additifs nitrés dès lors que l’hypothèse d’un « effet cocktail » intervenant au cours de la transformation et de la digestion est avancée par des sources crédibles.

La mission note, par ailleurs, que l’EFSA elle-même pointe les limites de ces DJA en indiquant que, pour les enfants dont le régime alimentaire est riche en aliments contenant ces additifs, l’exposition globale à ces substances excède les limites considérées comme sûres. Vos rapporteurs s’étonnent que cette mention soit passée relativement inaperçue et n’ait pas conduit l’EFSA à réévaluer à la baisse les DJA pour en tenir compte.

Au cours de ses travaux, la mission a particulièrement insisté sur la dimension sociale de la question des additifs nitrés ajoutés dans la charcuterie : les catégories socio-professionnelles les plus précaires sont les plus consommatrices de charcuterie, mais aussi les plus exposées au risque de cancer colorectal. L’enjeu de la protection de la santé des plus humbles – et de celle de leurs enfants – est donc intimement lié à la question d’une éventuelle interdiction des additifs nitrés dans la charcuterie. La problématique des additifs nitrés dans la charcuterie est en passe de devenir le cas d’école d’une « alimentation à deux vitesses », dérive contre laquelle vos Rapporteurs s’élèvent fermement.

Les évolutions de l’offre de charcuterie, ainsi que les demandes des consommateurs, témoignent d’une prise de conscience grandissante du risque attaché à la consommation de nitrites et de nitrates dans la charcuterie. Le seul fait que trois ministères aient saisi l’ANSES en 2019 pour créer un groupe de travail sur les risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates souligne le fait que le statu quo n’est pas tenable. Les charcutiers eux-mêmes semblent avoir pris conscience de la situation : les dernières révisions du Code des usages de la charcuterie (2016 et 2020) entérinent des baisses importantes des quantités de nitrites et de nitrates ajoutées aux différentes recettes – ces quantités étant d’ailleurs inférieures aux normes fixées au niveau européen. Vos rapporteurs saluent chaleureusement cette démarche mais estiment que cette responsabilité, qui engage la santé des consommateurs, ne devrait pas incomber à la seule profession.

Les multiples auditions avec des acteurs de la production et de la distribution ont notamment mis en avant le phénomène de segmentation importante du marché de la charcuterie, qui s’observe sur toutes les catégories de ce marché et peut conduire la filière à « marger » sur des produits privilégiés par une frange aisée de la population, et notamment ceux sans nitrites. Portant attention aux logiques socio-économiques qui sous-tendent la consommation alimentaire, et tout particulièrement à la question du prix, la mission a acquis la conviction qu’elle représente une des limites de l’approche autorégulatrice qui prévaut actuellement.

L’équation peut être ainsi résumée : il est certain que les charcuteries sont cancérogènes et que les nitrites et nitrates ajoutées causent, ou à tout le moins, renforcent cette cancérogénicité. Or, il est parfaitement possible de produire une charcuterie de qualité sans nitrite, ni nitrates ajoutés et parfaitement sûre d’un point de vue bactériologique : par exemple, les artisans formés au sein de l’École nationale des industries du lait et de la viande (ENILV) d’Aurillac apprennent et diffusent sur le territoire depuis plus de vingt ans des méthodes de production sans nitrite tandis que depuis 2016 l’offre de produits sans nitrite par des grandes marques nationales ne cesse de croître dans les supermarchés.

L’enjeu est donc de favoriser non le développement d’une gamme de produits sans nitrite destinée à satisfaire une certaine clientèle, informée et disposée à payer plus cher pour une alimentation de qualité, mais bien d’initier et d’accompagner un changement de norme en la matière afin que tous, y compris les plus humbles, puissent accéder à une charcuterie qui ne mette pas leur santé en danger. Il ressort des travaux de la mission que la balance bénéfices-risques, principe incontournable de la politique de gestion du risque, n’est pas satisfaisante au regard, d’une part, de bénéfices largement surévalués, et d’autre part, de risques partiellement étudiés. Le « sans nitrite » ne doit être ni une niche, ni une mode : il doit devenir la norme. C’est un impératif de santé publique.

L’enjeu est trop grave pour en laisser la responsabilité aux seuls producteurs : la trajectoire de réduction, puis de disparition des nitrites et nitrates ajoutés dans la charcuterie ne peut reposer sur la seule bonne volonté des acteurs. Elle doit être non seulement définie, mais aussi accompagnée par l’État. Elle exige, en effet un changement dans les processus de fabrication, qui nécessitera des investissements, mais aussi une qualité de viande supérieure, qui implique de repenser les conditions d’élevage et les flux permettant de fournir la matière première aux charcutiers, dans le cadre de circuits nécessairement plus courts. Elle exige également un engagement de la grande distribution et, pour certains produits, un effort de pédagogie vis-à-vis du consommateur qui devra modifier ses habitudes pour tenir compte d’une date limite de consommation (DLC) plus courte – mais qui demeure comparable à celle d’autres produits alimentaires de grande consommation du quotidien – et s’habituer à la couleur naturelle de la viande cuite qu’est le jambon blanc – non pas rose mais davantage brune, grise ou beige.

Pour autant – et vos Rapporteurs souhaitent mettre en exergue ce point – la mission ne s’inscrit pas dans une démarche caricaturale de « retour en arrière » et ne préconise aucunement de faire « table rase » des progrès dont bénéficie continuellement la filière charcutière française et qui, précisément, permettent depuis quelques années aux pionniers industriels de proposer une offre de charcuterie sans nitrite, ni nitrate, grâce à une maîtrise pointue des approvisionnements, à des abattoirs et des ateliers de transformation sophistiqués et à un contrôle rigoureux de l’environnement microbiologique. Les travaux de la mission ont mis en lumière des exemples pléthoriques qui démontrent que savoir-faire traditionnels et charcuterie moderne ne sont nullement antithétiques ni incompatibles.

Derrière le simple « jambon-coquillettes » sur lequel ironisait la vice‑présidente de l’Assemblée nationale, Mme Annie Genevard, lors des débats sur le PLFSS pour 2020 ([10]), c’est donc un combat pour la santé de tous et l’accès des plus humbles à une alimentation saine qui se joue. C’est, plus largement encore, une bataille pour poser les fondations d’une alimentation du XXIème siècle plus authentique, plus simple et plus savoureuse, mais également accessible au plus grand nombre et compatible avec les principes d’une production industrielle raisonnée, qui se livre.

Vos rapporteurs ont donc déposé une proposition de loi le 14 décembre 2020 destinée à accompagner l’interdiction progressive des additifs nitrés dans la charcuterie ([11]).

Vos rapporteurs l’affirmaient au début de cette introduction : ce sont trois amateurs de « bonne bouffe », trois passionnés du terroir, trois fervents admirateurs des grands charcutiers qui tiennent la plume. Certaines auditions ont ainsi été un véritable plaisir, une occasion d’évoquer des produits authentiques et traditionnels qui font partie, à n’en pas douter, du patrimoine immatériel de la France. C’est dans ce mouvement vers une alimentation moins uniformisée et moins aseptisée, une alimentation dans laquelle le goût et le plaisir redeviendraient centraux, que s’inscrit également cette réflexion sur les nitrites et les nitrates dans la charcuterie.

Cette aspiration à une alimentation plus sûre, plus saine et plus simple trouve un écho littéraire dans le tout récent roman Nature humaine de Serge Joncour, couronné par le prix Femina. L’auteur imagine un dialogue entre Jean, un agriculteur du Lot, et Édouard un publicitaire venu mettre en scène dans l’exploitation agricole du premier des paquets de jambon sous plastique pour une publicité. La scène se déroule en 1986 :

«  Vous savez, Edouard, je vous respecte (…) mais vos histoires de jambon en plastique, ça me paraît louche.

«  Pourquoi donc ?

«  Déjà parce qu’il est rose, votre jambon. À moins d’élever le cochon avec du cassis, un jambon blanc c’est pas rose. Et puis, pour pouvoir rester des semaines comme ça dans le plastique, il doit être gavé de nitrates, de colorants et d’arômes, en fait c’est tout sauf simple, un jambon pareil, c’est tout sauf simple ([12] ) ».

Remettre un peu de bon sens dans nos assiettes, renoncer à des additifs douteux, revaloriser la profession de charcutier pour offrir à tous un produit non seulement meilleur pour la santé, mais aussi meilleur au goût, tel est le programme de ce rapport qui doit être lu à la fois comme un manifeste social, une enquête scientifique, une base solide pour un travail législatif et un voyage savoureux à travers une France qui compte, selon le mot du général de Gaulle, 246 variétés de fromages – et davantage encore de recettes de charcuteries !

 


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Quelques repères: sel, nitrate, nitrite, « sel nitrité », composés nitrosés

 

Le sel

Historiquement, les charcuteries étaient fabriquées avec de la viande et du sel. Il s’agit de la substance blanche que chacun connait et qu’on appelle « sel », « sel de mer » ou « sel de cuisine », sa dénomination chimique étant chlorure de sodium (NaCl). Encore aujourd’hui, certaines charcuteries sont obtenues par simple salage et maturation.

 

 

Le nitrate

Pour accélérer la fabrication et obtenir un rougissement plus homogène, on peut ajouter au sel un dérivé de l’azote: le nitrate (NO3). On utilise alors le nitrate de potasse, connu sous le nom nitrate de potassium (KNO3). Ce produit chimique s’appelle aussi salpêtre. Il peut être obtenu par synthèse à partir de l’azote contenu dans l’air ou dans certains végétaux.

 

 

Le nitrite

 

Un autre dérivé de l’azote donne les mêmes résultats que le nitrate, mais encore plus rapidement: le nitrite (NO2). Il peut être obtenu par synthèse chimique à partir de l’azote contenu dans l’air ou dans les végétaux. On donne la préférence au nitrite de synthèse le moins cher : le nitrite de soude (NaNO2), connu sous le nom nitrite de sodium.

 

 

Le « sel nitrité »

 

 

 

 

 

 

 

Les « composés nitrosés »

 

Le nitrite de sodium est si puissant qu’il suffit d’un gramme de poudre pour colorer plusieurs dizaines de kilos de chair. En charcuterie, il n’est jamais utilisé pur, mais uniquement sous forme de mélange, additionné à du sel de cuisine. Ce mélange s’appelle « sel au nitrite », « sel nitrité sodique » ou plus simplement « sel nitrité ». Ce « sel nitrité » contient 99,4 % de sel et 0,6 % de nitrite.

 

Le nitrite et le nitrate ne sont pas directement cancérogènes ni chez l’animal, ni chez l’homme. Mais après avoir été incorporés à la matière carnée, le nitrate et le nitrite se décomposent et donnent naissance à des radicaux libres : le monoxyde d’azote (NO) et le dioxyde d’azote (NO2). Ils s’associent avec des composants de la matière carnée en particulier avec des amines et avec le fer contenu dans les protéines de la viande. Cette réaction conduit alors à la production de certaines molécules cancérogènes que les chimistes appellent « composés nitrosés », également dénommées « composés N‑nitrosés », « nitroso-composés » ou « NOC ». Les plus connues sont le fer nitrosylé, les S-nitrosothiols, les nitrosamines et les nitrosamides.

 


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I.   E249, E250, E251, E252 : une charcuterie française pleine d’additifs controversés

A.   additifs nitrés : de quoi parle-t-on ?

1.   Définition des additifs nitrés

Les nitrites et nitrates sont, sur le plan chimique, issus de l’azote (N). Le nitrate (NO 3-) est un anion qui peut s’associer à un ou plusieurs cations. Il peut, sous l’action de certaines bactéries présentes dans le corps humain, se transformer en nitrite. Le nitrite (NO 2-) est également un anion. Il s’agit d’un oxyde d’azote connu depuis la fin du XIXème siècle. Les oxydes d’azote forment une famille de molécules versatiles, réactives, au fort pouvoir oxydant et en interconversion constante. Elles réagissent fréquemment avec les molécules biologiques. Ainsi, lorsque du nitrite est ingéré, il se transforme en d’autres oxydes d’azote. C’est précisément ce phénomène qui est au cœur des débats sur les nitrites et nitrates ajoutés dans la charcuterie ([13]).

Les nitrites et les nitrates sont utilisés comme additifs dans les produits alimentaires et, en particulier, dans la fabrication de charcuterie. Quatre substances sont autorisées : le nitrite de potassium (E249), le nitrite de sodium (E250), le nitrate de sodium (E251) et le nitrate de potassium (E252). En France, les plus fréquents sont le nitrite de sodium (E250) et le nitrate de potassium (E252), également appelé salpêtre. Le nitrite de sodium est surtout utilisé dans les produits cuits ou étuvés (jambon cuit, lardons, saucisses, pâté, etc). Le nitrate de potassium (ou « salpêtre ») est réservé à la fabrication des produits crus (en particulier le jambon cru et le saucisson sec).

Le règlement (CE) n° 1333/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 établit des doses maximales d’utilisation d’additifs nitrés dans les produits carnés. En France, le Code des usages de la charcuterie – auquel des développements ultérieurs sont consacrés – fixe des doses maximales inférieures à celles-ci, mais supérieures à celles en vigueur notamment au Danemark.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe les nitrates et nitrites ingérés dans des conditions favorables à la nitrosation endogène en catégorie « 2A – probablement cancérogènes chez l’homme » ([14]).

2.   L’histoire des additifs nitrés dans la charcuterie ou l’imposture du « mythe des 5 000 ans »

Les additifs nitrés sont fréquemment présentés comme faisant partie de très longue date des recettes traditionnelles françaises de charcuterie. La Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT), sur son site info-nitrites.fr, dont la mission a pu noter la partialité des informations délivrées, affirme ainsi : « Les nitrates et nitrites sont des additifs (conservateurs, nitrites E249 & E250 / nitrates E251 & E252) traditionnellement utilisés dans la fabrication des produits de charcuteries 
– qu’ils soient industriels ou artisanaux (…) La salaison remonterait à 5 000 ans puisqu’à l’époque les hommes ont constaté que la viande se conservait mieux en présence du salpêtre, également appelé nitrate. Plus tard, au début du XXème siècle, les chercheurs ont découvert qu’au contact de la viande, le nitrate se transformait lentement en nitrites et que c’était cette molécule qui permettait d’améliorer la conservation de la viande. Depuis les années 1960, les nitrites sont directement utilisés en très faible dose dans la fabrication de certains produits charcutiers ». Reprenant cette argumentation lors de son audition le 3 mars 2020, M. Bernard Vallat, président de la FICT a affirmé que les nitrites étaient un ingrédient traditionnel de la charcuterie, « depuis l’antiquité », évoquant l’utilisation du salpêtre.

L’histoire de ces additifs est, en réalité, bien plus récente, en particulier en ce qui concerne le nitrite. M. Guillaume Coudray dans son ouvrage Cochonneries. Comment la charcuterie est devenue un poison (2017) évoque une « fable des 5 000 ans » et rappelle les étapes d’une extension, fort récente, de l’utilisation de ces substances et, tout d’abord, du nitrate de potassium appelé aussi « salpêtre » : « Au contraire du pedigree idéal dont les fabricants actuels aimeraient pouvoir affubler leurs productions, le salpêtrage ne s’est propagé qu’à l’époque moderne » ([15]). Il souligne ainsi que « les premières traces de salpêtrage régulier de certains types de viandes apparaissent timidement à la fin du Moyen Âge » ([16]). La généralisation du procédé semble avoir eu lieu à partir du XVIIIème siècle, date à laquelle de plus en plus de mentions au salpêtre sont relevées dans les livres de recettes ([17]).

Jusqu’au début du XIXème siècle, seul le nitrate de potassium est ainsi utilisé. À compter de 1820, apparaît un second type de salpêtre, le nitrate de sodium, qui provient de gisements découverts en Amérique latine. Ce nitrate est utilisé comme conservateur, mais aussi pour rougir la viande afin qu’elle revête une apparence plus attirante pour le consommateur.

Le développement, d’abord aux États-Unis et, en particulier, à Chicago, à partir des années 1870, d’une industrie de la charcuterie produisant à grande échelle, à la chaîne et sans plus tenir compte du cycle des saisons – la charcuterie était, jusqu’alors, produite essentiellement en hiver et à la fin de l’automne – entraîne celui des additifs nitrés, notamment pour lutter contre la propagation de bactéries dans des usines insalubres.

Ce n’est qu’au début du XXème siècle que le nitrite de sodium, autorisé à partir de 1925 par le gouvernement américain dans les usines de charcuterie, fait son apparition. La toxicité du nitrite de sodium est alors connue de longue date. Il possède, en revanche, la même propriété de rougir la viande que le nitrate mais agit plus rapidement. C’est au titre de cette fonction colorante, qui permet un véritable gain de temps, que les additifs nitrés ont été autorisés aux États-Unis.

L’histoire des additifs nitrés, loin de s’inscrire dans une tradition charcutière millénaire est donc, en réalité, le fruit d’une histoire récente. Ils constituent le corolaire de l’industrialisation de la production charcutière. En 1971, le grand spécialiste de la charcuterie, M. René Pallu, notait ainsi que le célèbre jambon de Bayonne était traditionnellement fabriqué avec du sel simple: « Les jambons de Bayonne véritables étaient salés autrefois, uniquement au sel grené, puis maturés et séchés pendant six mois minimum dans des séchoirs naturels, installés au pied de la montagne, à quelques centaines de mètres en altitude. » Ils perdaient alors 20 à 25 % de leur poids.  L’auteur poursuit : « De nos jours, les séchoirs climatisés ont remplacé les anciens séchoirs naturels, difficiles à régler, et l’addition de salpêtre et de sucre au sel de premier frottage est devenue plus fréquente ». ([18])

3.   Une autorisation tardive du nitrite de sodium en France

Si l’utilisation du salpêtre ainsi que du traitement au bicarbonate de soude est autorisée en France à compter de 1912, le nitrite de sodium ne sera autorisé que par un arrêté du 8 décembre 1964. Cet arrêté précise que le nitrite de sodium ne peut être utilisé que sous forme de sel nitrité, tandis que l’arrêté du 15 septembre 1964 exclut le sel nitrité du tableau C des substances vénéneuses.

Extrait du journal officiel du 5 janvier 1965

Cette décision, qui fait suite à un premier refus des pouvoirs publics d’autoriser le recours à ces substances, fut prise dans un contexte de forte concurrence entre les produits des salaisonniers français, et ceux des producteurs américains et allemands, qui pouvaient recourir aux nitrites.

Le Gouvernement, suivant l’avis du Conseil supérieur d’hygiène publique refusa pendant longtemps d’autoriser ces substances, après avoir chargé le toxicologue Frédéric Bordas d’examiner la question. Son rapport, publié en 1935 dans les Annales d’hygiène publique, est sans ambiguïté : « Devons-nous faciliter les opérations qui consistent en réalité à tromper l’acheteur, avec cette circonstance aggravante que le produit préconisé est toxique ? » ([19]).

Les travaux sur cette question furent relancés au début des années 1950 par le ministère de l’agriculture qui confia la rédaction d’un rapport à deux toxicologues, Henri Cheftel et Louis Truffert, dont les conclusions furent publiées en 1955. Le principal argument que développent les deux scientifiques est d’ordre économique : il s’agit de donner aux salaisonniers et charcutiers français les mêmes conditions de production que leurs concurrents, afin de les garder d’une concurrence déloyale. La crainte de voir se développer des usages illégaux du nitrite de sodium à l’état pur justifie également cette évolution de la réglementation. Ainsi que le souligne M. Guillaume Coudray dans son ouvrage précité, « jusqu’au dernier moment, certains services du ministère de la santé maintiennent leur réticence – suscitant l’inquiétude des industriels français » ([20]). La solution retenue consiste finalement à autoriser l’utilisation de la substance, en 1964, en fixant une limite maximale de 200 mg de nitrite par kilo de produit fini.

Il est particulièrement révélateur de se reporter à l’avis donné par l’Académie de médecine en 1964, en réponse à la saisine du ministère de l’agriculture qui souhaitait favoriser la productivité des industriels français : dans son rapport officiel, l’Académie de médecine a alors noté que cette demande visait « à ne pas mettre les industriels français de la salaison et de la charcuterie en position défavorable » par rapport à la concurrence. L’Académie de médecine a alors indiqué très clairement ses réserves : « Il est évidemment regrettable que l’emploi de nitrate soit entré dans les mœurs des procédés de charcuterie. C’est une méthode que votre commission n’accepte qu’avec réticence » ([21]).

Cette histoire des évolutions de la réglementation française relative aux additifs nitrés est éclairante : perçus comme dangereux pour la santé humaine – ce dont témoignent, à chaque étape, les réticences du ministère de la santé et de l’Académie de médecine – ces additifs ont été autorisés sous la pression de producteurs industriels désireux de faire face à une concurrence étrangère devenue déloyale du fait du recours à ces substances. Le sel nitrité est alors perçu comme un accélérateur dans le processus de production et comme un produit permettant de fixer la couleur des produits. Ses propriétés conservatrices et sa vocation de garant contre le botulisme ne sont pas les arguments majeurs invoqués dans le débat.

B.   Le spectre du botulisme : un Épouvantail agitÉ pour effrayer les pouvoirs publics et le consommateur

Si, historiquement, le nitrite a été utilisé principalement pour fixer la couleur rouge de la viande et accélérer le processus de fabrication des produits, c’est aujourd’hui le risque de voir se multiplier les cas de botulisme qui est invoqué par la plupart des acteurs estimant indispensable le recours à ces additifs.

L’argument a été employé à de très nombreuses reprises au cours des auditions menées par la mission et est utilisé comme un véritable argument d’autorité destiné à disqualifier la possibilité de produire des charcuteries sans nitrite.

Les membres de la mission ne nient en rien la gravité du botulisme. Ils ont cependant acquis, au fil des auditions, la conviction que l’absence de nitrite et de nitrate dans la charcuterie ne conduirait nullement à une recrudescence du botulisme alimentaire en France, dans les conditions sanitaires actuelles et vu le haut degré d’exigence en matière d’hygiène tout au long de la chaîne de production.

Le botulisme : une affection neurologique grave

Le botulisme est une affection neurologique grave provoquée par une toxine très puissante produite par la bactérie Clostridium botulinum. Celle-ci se développe notamment dans les aliments mal conservés, et la maladie résulte en général d’une intoxication alimentaire. Si le botulisme est rare, sa mortalité reste élevée lorsque le traitement n’est pas immédiat. Sur les sept types de botulisme connus aujourd’hui, quatre peuvent affecter l’homme (les types A, B, E et, plus rarement, F).

Si la sécurité sanitaire doit évidemment demeurer une priorité pour les producteurs de charcuterie, plusieurs éléments permettent d’affirmer que la menace d’une multiplication des cas de botulisme en France est agitée comme un « chiffon rouge », sans tenir compte de la situation actuelle et des conditions de production :

1)     Historiquement, il semble que ce ne soient pas les nitrites et les nitrates qui aient entraîné une baisse du nombre de cas de botulisme en France. Le graphique ci-dessous ([22]) ne montre aucune corrélation entre l’autorisation du nitrate en 1912, puis des sels nitrités en 1965 et une baisse du nombre de cas de botulisme. En réalité, l’amélioration des conditions sanitaires et des protocoles d’hygiène dans l’ensemble de la chaîne de production, de l’abattoir à la distribution, a permis de réduire cette menace jusqu’à sa quasi-éradication.

Nombre de cas annuels de botulisme humain en France entre 1875 et 2016

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Source : Christine Rasetti-Escargueil et al. « Human Botulism in France, 1875–2016 », Toxins, mai 2020

2)     Les cas de botulisme humain recensés récemment sur le territoire national par Santé Publique France résultent pratiquement tous de charcuteries familiales ou artisanales produites dans des conditions de fabrication et d’hygiène qui ne correspondent en rien à celles mises en œuvre par les professionnels. Ainsi, sur la période 2013‑2016, seuls trente-six foyers de botulisme alimentaires ont été confirmés et deux décès ont été enregistrés en lien avec une intoxication botulique. L’aliment responsable de ces affections n’a pu être identifié que dans le cas de quinze foyers sur trente-six. Les auteurs de cette étude soulignent : « qu’il s’agissait majoritairement de produits de charcuterie de préparation familiale ou artisanale, jambon cru notamment, à l’origine de 13 foyers de botulisme de type B dont 3 étaient dus à des charcuteries importées. Des charcuteries de préparation familiale ou artisanale ont été suspectées dans 12 autres foyers » ([23]).

3)     En revanche, produite dans les conditions d’hygiène rigoureuses qui sont aujourd’hui en vigueur chez l’ensemble des producteurs français, la charcuterie sans nitrite ne pose aucun problème de sécurité sanitaire. L’exemple des jambons de Parme est fréquemment invoqué à ce sujet : depuis 1993, le consortium des jambons de Parme a formellement interdit l’utilisation de nitrite et de nitrate. Or, en vingt-huit ans, alors que les sociétés de consortium produisent entre huit et neuf millions de jambons crus chaque année, aucun cas de botulisme résultant de la consommation de ces produits n’est à déplorer ([24]). En outre, le développement depuis 2017, sur le marché français, de gammes de charcuteries sans nitrite produites par des industriels de toutes tailles n’a entraîné aucun cas de botulisme. Lors de leurs auditions, les représentants de Biocoop, Fleury-Michon et Herta ont d’ailleurs reconnu n’avoir aucun problème de botulisme sur leurs gammes sans nitrite. Même constat chez les distributeurs (voir extrait ci-dessous).

Extrait de l’audition de Mme Émilie Tafournel, directrice qualité de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD)

M. Richard Ramos. Quand je vais dans la grande distribution, chez les enseignes adhérentes de la FCD, je vois dans les rayons des produits sans sel nitrité et zéro nitrite. Est-ce que vous avez dans la remontée clients des gens qui se sont plaints d’avoir été contaminés par le botulisme ?

Mme Émilie Tafournel. Ah non, non, non ! Très clairement, nous n’avons pas de remontée de la sorte ! Et cela nous serait évidemment remonté, le consommateur et les médias auraient été alertés.

(audition du 13 novembre 2020 à 10 heures)

C.   Une utilisation de sels nitrités motivée par la volonté de produire plus aisément et à bas coût des charcuteries à l’apparence attrayante (et trompeuse !)

Si la crainte de voir reparaître le botulisme est aujourd’hui présentée comme la principale justification du recours au nitrite et au nitrate dans les charcuteries, ces additifs permettent surtout de nos jours d’accélérer le processus de fabrication, de donner une couleur jugée « attrayante » aux produits et servent de « barrière sanitaire » en cas de faille dans les protocoles d’hygiène et permettent une latitude plus importante dans l’approvisionnement (qualité, fraîcheur). Ils assurent également aux produits des dates limites de consommation (DLC) longues.

1.   Accélérer et faciliter le processus de fabrication des charcuteries dites « crues »

Le processus de fabrication des charcuteries dites « crues » (jambon de pays, saucisson etc.) est considérablement simplifié par l’ajout d’additifs nitrés. La fabrication traditionnelle de ces charcuteries présente de nombreuses contraintes, la première étant la durée de maturation de la viande. Les jambons Pata Negra espagnols, produits selon les méthodes traditionnelles, ne sont ainsi pas mis en vente avant vingt-quatre mois, tandis que le jambon de Parme italien exige une durée de maturation minimale de douze mois, laquelle peut s’étendre jusqu’à trente-six mois. Cette longue durée de maturation permet à la viande de prendre sa teinte rouge au terme d’un long processus résultant dans l’apparition d’un pigment naturel : le « zinc-protoporphyrin » (Znn-pp ou ZPP).

Le processus d’apparition du Znn-pp est le suivant : sous l’effet d’une enzyme présente dans la viande, lors de la maturation, une partie de l’élément fer contenu dans la viande (le fer héminique) est remplacée par l’élément zinc, créant ainsi le Znn-pp. L’apparition de ce pigment prend cependant du temps. Les viandes d’abord massées au sel prennent une couleur marron. Ce n’est qu’au fil des semaines, et sans aucune intervention extérieure, que la viande prend une teinte rouge. La couleur ne devient satisfaisante qu’au bout de long mois, la quantité de pigment Zn-pp, et donc l’intensité du rouge, augmentant graduellement pendant la durée de la maturation ([25]).

Le sel nitrité permet cependant de copier artificiellement ce mécanisme naturel et d’obtenir plus rapidement et plus facilement la teinte rouge souhaitée. L’obtention de cette couleur n’est plus l’aboutissement du long processus naturel conduisant à l’apparition du Zn-pp mais le résultat de l’apparition d’un autre pigment, le NO-myoglobine. Ce pigment apparait dans la viande nitrée à la faveur d’un processus accéléré : le nitrite, une fois injecté dans la viande se décompose en dégageant de l’oxyde nitrique (NO). Celui-ci se diffuse alors dans les muscles et, réagissant avec la protéine de la viande (la myoglobine), se fixe sur ses atomes de fer et créé ce nouveau pigment. Or, le pigment NO-myoglobine a une couleur rouge foncé, qui ressemble beaucoup, visuellement à celle du pigment Zn-pp. La formation de ce pigment coloré est très rapide, permettant de s’affranchir des longues durées de maturation exigées par les méthodes traditionnelles, un jambon de pays nitré pouvant être commercialisé en moins de cent jours. Les additifs nitrés jouent ainsi le rôle de formidables accélérateurs du processus de maturation ([26]).

En outre, le pigment NO-myoglobine permet d’assurer une grande stabilité de la couleur en donnant de manière systématique une coloration homogène et uniforme. Le processus traditionnel induit souvent certains « ratés », avec l’apparition sur la viande de zones de couleur sombre, ou l’obtention d’un gris-brun virant au noir ([27]). Le recours au nitrite pour les fabricants présente ainsi des avantages évidents : accélérer la fabrication du produit tout en s’assurant, à moindre frais, de la bonne présentation du produit.

2.   Donner une « belle » couleur à la charcuterie cuite ou étuvée

En ce qui concerne les charcuteries cuites ou étuvées, les nitrites présentent un autre avantage de taille pour les fabricants : ils donnent une couleur rose à des produits qui auraient, sans le recours à cette substance, un aspect bien différent. La couleur rosée du jambon de Paris, naturelle aux yeux de la grande majorité des consommateurs, ne résulte, en réalité, que de l’action des nitrites. En l’absence de nitrites, le jambon cuit ou étuvé présente une couleur proche de celle des rillettes ou encore du rôti de porc. Les jambons non nitrés mis récemment en vente présentent une couleur tirant sur le gris – il est remarquable que la marque Brocéliande vende d’ailleurs ce jambon sous le nom de « jambon gris » tandis que l’emballage du jambon « zéro nitrite » de Fleury Michon précise que le fait qu’il ait « une couleur naturelle de viande de porc cuite » est une preuve de l’absence de nitrite dans le produit.

La teinte rosée de la charcuterie nitrée cuite ou étuvée est la conséquence d’un autre pigment appelé le nitrosylhémochrome, de couleur rose, qui apparait au terme d’un nouveau processus. Il a été exposé plus haut que le nitrite, réagissant avec la protéine colorée de la viande (la myoglobine), forme un premier pigment : le NO‑myoglobine. Or, ce dernier, lorsqu’il est soumis à la chaleur, donne naissance au nitrosylhémochrome, pigment de couleur rose.

L’action des nitrites présente à cet égard de nombreux avantages pour les fabricants. La coloration nitrée est sélective, de sorte que la couenne du jambon, comme le gras des lardons, restent blanc, ce qui participe à l’agrément visuel du produit. Cette coloration est également peu chère en comparaison à d’autres colorants (piment, safran, cochenille) ([28]). La coloration rosée est aussi un argument de vente, elle rassure les consommateurs, qui y voient un gage de fraîcheur et de sécurité alimentaire. En outre, bien que trompeuse, cette coloration est aujourd’hui solidement ancrée dans l’esprit des consommateurs, si bien que la suppression des additifs nitrés fait craindre aux producteurs une diminution des ventes.

3.   Des additifs permettant une moindre rigueur dans le cadre du processus de fabrication

Les nitrites permettent de s’affranchir d’un certain nombre de contraintes, et, en particulier, d’être moins exigeant sur l’origine de la viande. En effet, lorsque sont employées des méthodes traditionnelles de fabrication, une plus grande vigilance doit être portée à la matière première. Pour les jambons de pays par exemple, la viande d’animaux relativement âgés doit être privilégiée afin que les muscles contiennent beaucoup de myoglobine, la protéine de couleur rouge de la viande. Il est ainsi stipulé dans le cahier des charges de l’appellation d’origine « Jambon noir de Bigorre » que le porc doit vivre sur un parcours à partir de l’âge de six mois, lequel « permet et oblige les porcs à une activité physique régulière, entraînant une évolution musculaire qui produit une viande (…) plus chargée en myoglobine donc plus rouge » ([29]). En revanche, lorsque des nitrites sont injectés dans la viande, une chair contenant peu de myoglobine pourra donner des résultats satisfaisants. Il est dès lors possible d’utiliser des cochons plus jeunes et moins exercés. De la même façon, la production de jambon étuvé sans nitrite exige également une plus grande attention sur l’origine de la viande.

Parole de producteur : M. Emmanuel Commault, directeur général de Cooperl

M. Emmanuel Commault. Si on encourage tout le monde à produire sans nitrite, vous allez audevant d’un risque majeur car il faut très bien maîtriser la qualité sanitaire, tout l’amont du processus qui amène au muscle de jambon ou au maigre ou au gras et cætera. Quand on travaille sur la problématique des salmonelles, on remonte avec des plans d’action jusque dans les élevages. Nous, nous pouvons le faire car nous sommes structurés en filière mais ce n’est pas le cas du charcutier du coin, qui achète sa viande en Espagne, en Allemagne, parfois en Europe de l’Est et qui ne peut pas avoir un contrôle de l’amont et ce ne serait pas sérieux de lui en demander car il n’en est pas capable.

M. Richard Ramos. Donc, le sel nitrité corrige la moindre qualité ou la faible qualité en amont ?

M. Emmanuel Commault. Évidemment ! Évidemment ! Il faut que ce soit dans des limites acceptables pour la santé humaine, avec la réglementation ou plutôt avec le Code des usages actuel, voire avec sa version améliorée sous cet aspect en janvier 2021. Mais faites attention à ne pas lever ce qui fonctionne comme une barrière sanitaire car vous porteriez alors une responsabilité majeure.

(audition du vendredi 13 novembre 2020, à 9 heures)

En deuxième lieu, les nitrites offrent des conditions de production plus souples. Les nitrites diminuent les contraintes de production dès lors qu’ils ont un effet antiseptique. En étant injecté au cœur du produit, ils permettent d’éviter le développement de bactéries qui pourraient aboutir à un produit de qualité inférieur ou même invendable. Ils permettent par exemple d’éviter la réfrigération complète des usines ou de simplifier les manipulations. De même, l’apparition du pigment Zn-pp, et donc de la couleur rouge dans les charcuteries crues traditionnelles est conditionnée à la précision des procédés, à la maîtrise des températures, de l’acidité, de l’environnement et de l’humidité. De nombreuses contraintes évitées par l’emploi de nitrites qui apportent de façon accélérée et simplifiée une couleur rouge homogène et uniforme à ces charcuteries.

4.   Une conservation accrue des produits

Les nitrites permettent, enfin, d’assurer une conservation longue des produits. Les charcuteries nitrées présentent ainsi une date limite de consommation (DLC) plus longue que celle des produits qui en sont dénués. À titre d’exemple, le jambon « zéro nitrite » produit par la marque Fleury Michon présente une DLC limitée généralement à huit jours à son arrivée en magasin – quatorze jours en sortie usine – tandis que celle-ci dépasse la vingtaine de jours pour le jambon nitré.

Les nitrites permettent également de conserver les qualités visuelles et gustatives du produit. Les nitrites ont un effet antioxygène sur les graisses qui protège les produits du rancissement. En prévenant ainsi l’apparition d’une âcreté, les nitrites prolongent la stabilité du goût du produit pendant plusieurs semaines ([30]).

Ces caractéristiques font des produits de charcuterie, et du jambon cuit en particulier, des produits de consommation que le consommateur est habitué à conserver longtemps dans son réfrigérateur et qui constituent un « fond » dans lequel il est possible de puiser à tout moment. En outre, ces caractéristiques sont particulièrement prisées par les distributeurs : les longues DLC permettent de conserver longtemps les produits nitrés en rayon, sans avoir besoin de recourir à des réassorts aussi fréquents que pour d’autres produits frais (tels les salades en sachet ou les produits laitiers).

D.   Un emploi des additifs nitrÉs aujourd’hui massif dans la charcuterie en France

1.   Quels produits sont concernés ?

Il n’existe pas – et la mission le déplore – de chiffres consolidés établis par les producteurs permettant d’évaluer le nombre de produits mis sur le marché en France et contenant des additifs à base de nitrates ou de nitrites. La FICT a également confirmé à la mission qu’il n’existait pas de statistiques permettant d’établir, famille de produits par famille de produits, le pourcentage de ces produits contenant ces additifs.

En revanche, en s’appuyant sur les données disponibles dans la base Open Food Facts qui recense plus de 732 000 produits, il est possible d’estimer le nombre de produits recélant des additifs nitrés sur l’ensemble des 19 710 produits de charcuterie référencés  ([31]) :

– 11 961 produits référencés contiennent du nitrite de sodium (E250) ;

– 2 778 produits référencés contiennent du nitrate de potassium (E252) ;

– 5 produits référencés contiennent du nitrite de potassium (E249) ;

– 294 produits référencés contiennent du nitrate de sodium (E251).

Ces chiffres permettent donc d’affirmer que l’emploi des nitrates et, bien davantage encore, des nitrites dans la charcuterie française est massif. Ainsi, 76 % environ de la charcuterie mise sur le marché dans la grande distribution contiendrait des nitrates ou des nitrites.

Mme Mathilde Touvier, directrice de recherche en épidémiologie nutritionnelle à l’Inserm, a d’ailleurs souligné lors de son audition ([32]) que le nitrite de sodium (E250) faisait partie des additifs les plus utilisés dans les produits alimentaires français, se situant en 7ème position en termes de nombre de produits concernés (voir le graphique ci-dessus, présenté lors de cette audition).

Le nitrite de sodium (E250) est l’un des additifs les plus fréquemment employé dans les produits alimentaires mis sur le marché français

Figure 4

Source : Eloi Chazelas et al., « Food additives: distribution and co-occurrence in 126,000 food products of the French market », Scientific Report, 4 mars 2020

Le Code des usages (voir encadré) qui fixe les recettes et les additifs autorisés pour l’ensemble des charcuteries produites en France permet de compléter ce panorama.

Le Code des usages de la charcuterie : un document de référence pour les producteurs et les administrations chargées de contrôler les produits mis sur le marché

Dans le domaine de la charcuterie, les organisations professionnelles ont publié à partir de 1968, un Code des usages de la charcuterie. Ce code des usages est un document original : il recense les bonnes pratiques de fabrication et codifie les usages de la profession. Seize familles de produits y sont classées selon leur technologie de fabrication. Pour chaque produit, une fiche détaillée décrit les dénominations de vente, le procédé de fabrication, les matières premières et ingrédients, les additifs autorisés, les caractéristiques physiques, sensorielles, chimiques, microbiologiques, spécialités et recettes régionales, etc.

Le Code des usages n’est pas de nature réglementaire. Il sert néanmoins de référence, en France, tant pour les transformateurs, organismes de contrôle, distributeurs et consommateurs. Les transformateurs de viandes, artisans et industriels, l’utilisent également pour l’autocontrôle de leurs fabrications. Les distributeurs, la restauration hors foyer et les acheteurs publics l’intègrent dans leur cahier des charges et les organismes de contrôle, en particulier la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) jugent de la conformité des produits mis en marché en se fondant sur ce code.

Il indique les quantités de nitrite et nitrate (seul ou mélangé) autorisées dans chaque famille de produits. Ainsi, à l’exclusion des tripes et du boudin blanc, le recours aux nitrites est admis pour l’ensemble des autres catégories, dans des quantités variant entre 60 et 120 milligrammes par kilo (mg/kg). Il importe de noter que le tableau cidessous, transmis à la mission par la FICT, correspond à la dernière version du Code des usages, en date de 2020, qui est encore en projet bien que son contenu ait reçu la validation de la DGCCRF. Les seuils affichés sont donc inférieurs à ceux en vigueur jusqu’à présent.

 

 

 

 

 

 

 

 

QuantitÉs de nitrite et de nitrate admises dans les diffÉrents produits de charcuterie selon le Code des usages modifiÉ en 2020

Source : document transmis par la FICT à la mission d’information

2.   La filière bio et les produits sous signe de qualité et d’origine (SIQO) sont largement utilisateurs d’additifs nitrés

Contrairement à ce que le consommateur pourrait être spontanément porté à penser, la règlementation autorise l’utilisation de nitrites dans les charcuteries issues de l’agriculture biologique. Le règlement (CE) n° 889/2008 modifié portant modalités d’application du règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil relatif à la production biologique ([33]) fixe une dose indicative d’utilisation de nitrites de 80 mg par kilo de produit et une quantité résiduelle, à ne pas dépasser, de 50 mg de nitrite par kilo de produit fini. Il précise, par ailleurs, que « cet additif ne peut être employé que s’il a été démontré à la satisfaction de l’autorité compétente qu’il n’existe aucune alternative technologique donnant les mêmes garanties sanitaires et/ou permettant de maintenir les caractéristiques propres du produit » (voir tableau extrait du règlement ci-dessous).

Des additifs autorisÉs dans les charcuteries biologiques en cas d’absence d’alternative technologique

 

Extrait de la partie A de l’annexe VIII au règlement (CE) n° 889/2008 modifié portant modalités d’application du règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil relatif à la production biologique.

À de très rares exceptions ([34]), il en va de même pour les différents produits français sous signe de qualité et d’origine (SIQO) dont les cahiers des charges admettent le recours aux additifs nitrés.

 


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II.   Les additifs nitrÉs : une grave menace pour la santé humaine qu’il est possible de faire cesser

A.   La décision politique en matiÈre de santÉ publique : rÉsister À la pression des lobbys et s’appuyer sur la recherche scientifique

1.   La stratégie politique des entreprises agroalimentaires en matière de santé publique : « jouer la montre »

Le 26 novembre 2020, la FICT a adressé une mise en demeure à Yuka, coauteur avec Foodwatch et la Ligue contre le cancer d’une pétition lancée un an plus tôt pour exiger une alimentation sans nitrite et ayant reçue plus de 320 000 signatures en janvier 2021.

Cette procédure s’inscrit dans une stratégie plus globale de tentative des acteurs de l’agroalimentaire d’influer sur les choix politiques en matière de santé publique.

Désireux de mieux comprendre cette stratégie, vos rapporteurs ont entendu, au cours de leurs auditions, MM. Daniel Benamouzig, sociologue, titulaire de la chaire « santé » à Sciences Po et directeur de recherche au CNRS et Joan Cortinas, auteurs d’une étude réalisée à la demande du ministère de la santé sur les activités politiques des acteurs du secteur agroalimentaire en France ([35]). Ils ont également reçu M. Thierry Coste, qui se définit lui-même comme « lobbyiste » et dont la FICT est l’un des clients ([36]).

L’éclairage proposé par MM. Daniel Benamouzig et Joan Cortinas a été particulièrement précieux et a permis de replacer certaines pressions, directes ou indirectes, exercées sur vos rapporteurs, dans un cadre plus général.

MM. Daniel Benamouzig et Joan Cortinas identifient ainsi trois types de stratégies mises en œuvre par les acteurs de l’agroalimentaire pour peser sur les orientations et les décisions des pouvoirs publics, afin de défendre leurs propres intérêts :

1)  Les stratégies d’ordre cognitif s’appuient sur les chercheurs, les scientifiques ou les think thanks et visent à :

La parution d’un rapport de l’Académie d’agriculture de France, le 9 novembre 2020, destiné de l’aveu même de ses auteurs à influencer le travail de la mission d’information ([37]) relève très clairement d’une telle stratégie (voir encadré).

Le rapport de l’Académie d’agriculture de France : une entreprise de falsification de la vérité scientifique qui fait honte à cette institution

L’Académie d’agriculture de France est une société savante, au statut d’établissement reconnu d’utilité publique depuis le décret du 23 août 1878. Elle est placée sous la protection du Président de la République et a pour président d’honneur le ministre de l’agriculture.

En novembre 2020, un groupe de travail constitué au sein de l’Académie d’agriculture de France a publié un rapport intitulé Impacts sur les cancers colorectaux de l’apport d’additifs nitrés (nitrates, nitrites, sel nitrité) dans les charcuteries.

Ce rapport, au mieux hors sujet et au pire volontairement partial, pose plusieurs difficultés.

Il importe d’abord de rappeler que l’Académie d’agriculture de France n’est en rien une agence habilitée à délivrer une évaluation des risques ce qu’admettent les auteurs dès l’introduction : « Ce document n’a pas pour ambition de se substituer aux évaluations des agences spécialisées dans l’évaluation des risques » (p. 11). Après la publication, la presse a révélé que ledit « rapport » n’avait, en réalité, pas été soumis au vote du bureau de l’Académie d’agriculture de France. De l’aveu même du responsable du groupe de travail, c’est indûment que ce document a été présenté comme « Rapport de l’Académie d’agriculture ». ([38])

 

Par ailleurs, la composition du groupe de travail soulève des réserves d’ordre déontologique : plusieurs membres du groupe de travail présentent des liens avec l’industrie agroalimentaire ou ont publiquement pris position sur la question des nitrites et nitrates ajoutés dans la charcuterie : c’est notamment le cas de M. Gérard Pascal, chargé de conduire ces travaux. M. Pascal a été consultant du Centre d’information des viandes (le principal organe de promotion de la filière) et vice-président à l’International Life Science Institute (ILSI), un puissant groupe d’intérêt de l’industrie agroalimentaire. Un des financeurs de l’ILSI a été le groupe BASF, premier fabricant européen de nitrite de sodium. M. Pascal publiait dès décembre 2019 un article dans le Quotidien du médecin, repris dans Les Échos ([39]), en défense des additifs nitrés. Un autre membre du groupe de travail, M. Jean de Kervasdoué, publiait dès février 2020 un article dans le journal Le Point, intitulé « Non, le jambon ne tue pas », considérant les liens entre charcuterie nitrée et cancers comme des « fake news » ([40]). Un autre membre du groupe de travail, M. JeanMarie Bourre, n’est autre que l’ancien consultant scientifique de la FICT et l’ancien directeur du « Centre d’Information sur les Charcuteries »([41]).

 

Le rapport se fonde sur la tenue d’une dizaine de réunions du groupe et sur trois auditions menées par visioconférence, ce qui est très éloigné de la lettre de mission du secrétaire perpétuel de l’Académie qui précisait que le groupe devrait mener « les auditions nécessaires de tous les acteurs compétents et représentant les différentes sensibilités scientifiques qui se sont exprimées sur le sujet ». Cette impartialité n’est que de façade : la liste des personnes auditionnées se résume aux représentants de l’institut technique du porc (IFIP), de la FICT, de la Confédération nationale des charcutiers traiteurs et traiteurs (CNCT) – c’est-à-dire de la filière – auquel s’ajoute, seul scientifique auditionné, M. Fabrice Pierre, directeur de recherche à l’INRAE, bénéficiant lui-même des financements de la FICT.

Il est particulièrement facheux qu’aucun cancérologue, ni aucun biochimiste n’ait été auditionné par le groupe de travail.

Le fond des travaux témoigne d’un parti-pris, entretenant volontiers la confusion. Ils se caractérisent par des développement excessivement longs consacrés au botulisme – qui ne correspond en rien aux objectifs fixés au groupe de travail. Le document veut faire croire que les additifs nitrés sont indispensables à la protection contre les pathogènes. Il passe sous silence la multiplicité des produits fabriqués sans additif nitré : pas un seul des fabricants de charcuterie travaillant sans additif nitré n’a été auditionné par le groupe de travail. Au lieu d’envisager sincèrement la situation actuelle de la filière charcutière et d’en accompagner la nécessaire évolution, ce vrai-faux « rapport » se présente comme un travail destiné à servir les intérêts de ceux des fabricants qui veulent pouvoir continuer à utiliser des additifs cancérogènes.

La mission d’information s’interroge sur la publication d’un tel rapport, dont le manque de sérieux et l’impartialité semble indigne d’une si éminente institution que l’Académie d’agriculture, et dont la date de publication – et la précipitation dans laquelle ces travaux paraissent avoir été menés – semble choisie pour faire peser une influence sur la présente mission d’information

2)  les stratégies de représentation d’intérêt dans le cadre desquelles il s’agit de « faire circuler des énoncés » – en écrivant aux décideurs et en entretenant des relations avec eux –, de créer des alliances – avec les organisations non gouvernementales, par exemple – et se « substituer au politique », notamment en prenant part à des activités législatives par le biais, par exemple, de la rédaction d’amendements.

Certains de vos rapporteurs ont ainsi été approchés individuellement par des représentants d’intérêts, dans le but de faire évoluer leur position sur la question des additifs nitrés ajoutés dans la charcuterie ;

3)  les stratégies d’ordre symbolique qui visent à créer un discrédit social, en discréditant des travaux de recherche et leurs auteurs ou en entreprenant des actions en justice.

La mise en demeure de la FICT correspond précisément à cette volonté de décrédibiliser une initiative citoyenne relayant une juste inquiétude des consommateurs. La réaction du professeur Axel Kahn à cette tentative d’intimidation, au moyen d’un tweet publié le 24 novembre 2020, résume clairement la situation : « La FICT a fait l’erreur de sa vie en intentant cette action. Ils sont vraiment déconnectés ! La Ligue contre le cancer veut éviter les cancers évitables, Foodwatch protège les consommateurs, Yuka les informe, leur combat est juste. Solidaires, ils ne lâcheront rien. ».

Vos rapporteurs déplorent donc l’immobilisme des organisations chargées de représenter la filière et souhaitent réaffirmer leur attachement aux professionnels de la charcuterie. L’évolution vers une production sans nitrite représente une chance de renouveau pour cette belle profession. Ils invitent donc les professionnels à s’emparer de cette opportunité non seulement avec l’objectif de préserver la santé des consommateurs mais aussi celle de renouer avec des produits plus authentiques et plus savoureux.

2.   L’expertise scientifique au service de la décision politique

Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, votre rapporteur, M. Richard Ramos avait présenté un amendement ([42]) adopté en commission des affaires sociales visant à créer, au profit de la Caisse nationale d’assurance maladie, une contribution sur les produits de charcuterie contenant des additifs nitrés fixée à 0,10 centime par kilo. Lors de la discussion en séance de cet amendement, Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé, avait justifié l’avis défavorable qu’elle émettait sur cet amendement en indiquant que les éléments scientifiques sur ce sujet n’étaient pas suffisamment étayés pour lui permettre de trancher.

L’un des principaux objectifs de la mission a donc été de déterminer si les risques pour la santé humaine résultant de l’ajout de nitrites et de nitrates dans les produits de charcuterie rendaient nécessaire une évolution réglementaire destinée à interdire ou à réduire drastiquement les quantités de ces additifs.

La mission tient à rappeler, en préambule, qu’elle ne prétend ni trancher un débat scientifique, ni y apporter des éléments nouveaux. Ce serait méconnaître la nature des rapports entre experts scientifiques et décideurs politiques en démocratie.

Si le lien entre santé publique et constitution d’une expertise scientifique est évidemment étroit ([43]), la prédominance de la décision politique ne doit en aucun cas être oubliée. Le rôle des experts scientifiques est d’éclairer cette décision en proposant une expertise indépendante, qui ne soit entachée d’aucun conflit d’intérêts. La dimension politique dépasse cette expertise pour décider, en vertu d’un principe de précaution, voire d’un principe de prévention, si des mesures conservatoires doivent être prises pour préserver la santé des consommateurs. Au-delà des mécanismes physiques et chimiques, il revient aux Représentants du peuple de tenir compte, dans leurs décisions, des enjeux sociaux ou culturels qui s’attachent à ces questions.

Un éclairage adéquat du politique exige, en outre, de la part des experts scientifiques, une certaine pédagogie. Vos rapporteurs remercient donc très chaleureusement l’ensemble des scientifiques qui sont venus exposer les enjeux attachés à la question des additifs nitrés, dans toute leur complexité, mais avec la volonté sincère d’éclairer leurs interlocuteurs.

La mission, en toute impartialité, a souhaité entendre un large panel de scientifiques appartenant à différentes spécialités, susceptibles d’apporter sur la question des nitrites et des nitrates ajoutés dans la charcuterie des éclairages complémentaires.

Elle a ainsi reçu, dans le cadre d’une table-ronde contradictoire :

– M. Axel Kahn, directeur de recherche émérite à l’INSERM et ancien directeur de l’institut Cochin, président du Comité d’éthique commun de l’INRAe, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), président de la Ligue contre le cancer ;

– M. Norbert Ifrah, cancérologue, professeur d’université, ancien chef du service d’hématologie du centre hospitalier universitaire (CHU) d’Angers, président de l’Institut national du cancer (INCa) ;

– Mme Océane Martin, maître de conférences en microbiologie clinique à l’université de Bordeaux, membre de l’unité INSERM U1053-UMR Bariton (Bordeaux Research in Transactional Oncology) ;

– M. Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition de l’Institut Pasteur de Lille et président du conseil scientifique de la FICT ;

– M. Denis Corpet, directeur de recherche émérite à l’INRAe, président du sous-groupe d’experts « mécanismes de la cancérogénèse » (Monographie « Viandes rouges et viandes transformées » du CIRC, 2015) ;

– M. Fabrice Pierre, directeur de recherche à l’INRAe, responsable de l’équipe « Prévention, promotion de la cancérogénèse par l’alimentation ».

Elle a aussi entendu, dans le cadre d’auditions individuelles ultérieures :

– Mme Dominique Parent-Massin, professeur d’université honoraire en toxicologie alimentaire et co-auteur du rapport de l’Académie d’agriculture de France précité ;

– M. Jérôme Santolini, chercheur biochimie et responsable du laboratoire Stress Oxydant et Détoxication au CEA-Saclay.

Les développements suivants prennent appui sur les informations transmises par ces scientifiques, lors de leur audition ou, par écrit, dans le prolongement de celle-ci.

Sur le fondement des informations ainsi délivrées et des études transmises, il possible d’affirmer que :

– le lien entre consommation de charcuterie et cancer fait l’objet d’un consensus scientifique, dont témoigne la classification de la viande transformée comme cancérogène pour l’homme (groupe 1) par l’Agence internationale de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2015 ;

– cette cancérogénicité est le résultat de plusieurs phénomènes combinés, dans lesquels les nitrites et les nitrates ajoutés jouent un rôle certain, en réagissant, dans l’organisme, notamment avec le fer héminique, pour former des composés NOC dont certains sont cancérogènes (nitrosamines, nitrosamides, S-nitrosothiols et fer nitrosylé) ;

– cet état des connaissances doit inciter les décideurs publics à agir en vertu d’un principe de prévention ; le cancer colorectal étant en France la deuxième cause de décès par cancer (17 117 morts par an).

B.   Les additifs nitrés jouent un rôle dans l’effet promoteur des charcuteries dans le développement de cancers colorectaux

1.   Un lien entre cancers colorectaux et consommation de charcuterie fait l’objet d’un consensus

a.   Il est démontré scientifiquement que la consommation de charcuterie induit le cancer colorectal et est associée au cancer de l’estomac

La question de la cancérogénicité de la charcuterie ne fait plus débat. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé a réuni, du 6 au 13 octobre 2015, vingt-deux experts internationaux formant un groupe de travail sur cette question. Il s’agissait de déterminer un niveau de preuve du risque de cancer associé à la consommation de viande rouge et de charcuterie. Le groupe s’est appuyé sur une revue exhaustive de l’ensemble des études disponibles sur le sujet – études épidémiologiques chez l’homme ou sur des animaux modèles ou études mécanistiques. Au terme de ces travaux, le groupe a conclu qu’il y avait suffisamment de preuves chez l’homme de la cancérogénicité des charcuteries. Le lien entre cancer colorectal et consommation de charcuterie est ainsi fermement établi. Il a également été démontré que la consommation de charcuterie était associée au cancer de l’estomac. La viande transformée a été classée comme cancérogène pour l’homme (groupe 1).

Ce classement signifie que l’on dispose d’indications suffisantes de la cancérogénicité de cet agent chez l’homme. Parmi les aliments qui sont consommées en France, la viande transformée est aujourd’hui, avec l’alcool, le seul aliment classé cancérogène par l’OMS.

Ce classement est venu confirmer les conclusions du World Cancer Research Fund (WCRF) et de l’American Institute for Cancer Research (AICR) qui classifiaient, dès 2011, la consommation de charcuterie comme augmentant de manière convaincante le risque de cancer colorectal. Cette conclusion a été reprise par ces deux instituts américains dans le cadre du Continus Update Project (CUP) de 2017 ([44]), qui estime que la consommation de charcuterie augmente le risque de :

– cancer colorectal (niveau de preuve solide et convainquant) ;

– cancers de l’estomac (non cardia), du nasopharynx, de l’œsophage (carcinome squameux), du poumon et du pancréas (niveau de preuve limité).

Le lien entre consommation de viande transformée et augmentation du risque de cancer est donc fermement établi et n’est contesté par aucun acteur.

b.   Il est possible de quantifier le nombre de cancers, résultant d’une consommation excessive de charcuterie, même si cette question fait l’objet d’un débat

La consommation de viande transformée a été associée à une légère augmentation du risque de cancer au niveau individuel, qui revêt une dimension de santé publique au niveau collectif.

Dans les études sur lesquelles se fonde la classification du CIRC, il est estimé que chaque portion de 50 grammes de viande transformée consommée quotidiennement augmente le risque de cancer colorectal de 18 % environ.

Selon les estimations les plus récentes du Global Burden of Disease (GBD) Project (fardeau mondial de la maladie), organisme de recherche universitaire indépendant, 34 000 décès par cancer par an environ dans le monde sont imputables à une alimentation riche en viandes transformées.

Selon le rapport du CIRC paru en 2018, la consommation de viandes et de charcuteries en France pour l’année 2015 contribue à près de 5 600 nouveaux cas de cancers colorectal (1,6 % de l’ensemble des cas de cancer). Celle de charcuteries contribue à plus de 4 380 cas de cancer (500 cas de cancer de l’estomac et 3 880 de cancer colorectal) (voir tableau ci-dessous extrait du rapport) ([45]).

4 380 nouveaux cas de cancer sont attribuables À la consommation
de viandes transformÉes en France en 2015

Source : CIRC, 2018

Le professeur Denis Corpet, dans ses réponses apportées par écrit à la mission d’information, apporte un éclairage concret sur ces chiffres, auxquels il donne chair : « Je vous propose de faire avec moi le calcul, très simple, de l’ordre de grandeur du nombre de décès français dus aux charcuteries : chaque jour en France on découvre 100 nouveaux cas de cancer colorectal et l’augmentation du risque lié à la consommation de charcuterie est de 10 à 20 % selon les études. Prenons le bas de cette fourchette : 10 %. Sur les 100 cas quotidien, 10 % correspondent à 10 cas par jour, soit 3 650 cas par an. On guérit, non sans mal, environ la moitié des cas. Les autres sont morts 5 ans après le début de leur cancer. Les 10 cas font donc 5 décès par jour, soit 1 800 morts par an. Des calculs plus savants donnent des résultats plus fiables et plus précis : le calcul de la fraction de risque attribuable aux charcuteries par le CIRC et l’INCa en 2018 estime que 3 880 cas de cancer colorectal par an en France sont attribuables à la consommation de charcuteries, un nombre très proche du “10 par jour” que nous estimions ci-dessus » ([46]).

Le Président de la FICT, M. Bernard Vallat, lors de la première journée d’audition menée par la mission, le mardi 3 mars 2020, a lui-même admis que la consommation excessive de charcuterie entraînait des morts (voir l’extrait de son audition ci-dessous).

Paroles de professionnels : M. Bernard Vallat, président de la FICT

M. Richard Ramos. Nous qui, encore une fois, ne sommes qu’un petit morceau de bout de France, représentant les Français qui se posent des questions, c’est le travail des députés que nous sommes… Quand on entend le Président Axel Kahn de la Ligue contre le cancer nous dire qu’il y aurait 3 000
– peut-être – cas qui pourraient être, en France, à cause du sel nitrité, ça vous évoque quoi et qu’estce que vous avez à dire quand nous on entend ça ?

M. Bernard Vallat. On conteste ce chiffre. On a nous aussi des sources, qui nous amènent à penser que ce chiffre a été probablement exagéré. Puisque d’ailleurs, le premier chiffre qui est apparu en communication, c’était 4 000, et ensuite on a vu qu’il baissait. Ça veut dire que les bases sur lesquelles il a été communiqué n’étaient peut-être pas très solides.

M. Richard Ramos. Donc vous avez dit que votre chiffre à vous, de vos sources à vous, était inférieur à ces 3000. Quel est le chiffre que vous avez, M. Vallat ?

M. Bernard Vallat. On n’a pas de chiffre, mais on a pensé que les bases…

M. Richard Ramos. Comment pouvez-vous me dire qu’il y a un chiffre de 3 000, que vos sources vous disent que le chiffre est inférieur, et après, me dire qu’il n’y a pas de chiffre ?

M. Bernard Vallat. On a constaté que le chiffre baissait.

M. Richard Ramos. Mais vous, vous avez des sources qui vous permettent de dire qu’il peut y avoir un nombre de cas réels ?

M. Bernard Vallat. Alors, il y a eu une publication de l’OMS qui indiquait qu’au-delà d’une consommation d’un certain niveau de charcuterie…

M. Richard Ramos. … 50 grammes…

M. Bernard Vallat. … le risque de déclencher un cancer colorectal était de 18 % supérieur, pour ces consommateurs qui dépassaient cette dose, par rapport à ceux qui respectaient cette dose. On est d’accord. D’ailleurs ce chiffre s’élève à 17 % pour les viandes rouges ([47]). 18 % pour les charcuteries, 17% pour les viandes rouges. Donc on a fait nos petits calculs. Et on a vu que ce chiffre nous paraissait ne pas correspondre aux données, nous, dont on disposait, sur la consommation en France. Donc on s’est permis de le contester. Nous, on suit les panels de consommateurs, Kantar, et cætera, et on a une idée relativement précise des quantités consommées par les français.

M. Richard Ramos. Donc vous êtes arrivés forcément à un résultat, un nombre de cas possibles.

M. Bernard Vallat. Non, ce sont des fourchettes.

M. Richard Ramos. Et c’était quoi la fourchette ?

M. Bernard Vallat. Nous c’était plutôt 1 200, environ.

M. Richard Ramos. D’accord. Donc la fourchette était plutôt un risque de 1 200 cancers colorectaux par an au lieu des 3 000 annoncés ?

M. Bernard Vallat. Sur la base de ces études-là, oui. Qui sont des études prises sur des cohortes, qui sont suivies.

(audition du 3 mars 2020)

2.   Les additifs nitrés ajoutés dans la charcuterie participent de l’effet promoteur du cancer en réagissant dans l’organisme, notamment avec le fer héminique, favorisant ainsi la formation de composés N-nitrosés (NOCs) cancérogènes

La cancérogénicité des charcuteries étant bien établie, l’enjeu est désormais de comprendre le mécanisme sous-jacent à cette association positive et de déterminer le rôle joué par les additifs nitrés dans ce processus.

a.   L’enjeu n’est pas celui des résidus de nitrites et de nitrates dans l’alimentation mais bien celui de la formation de composés N-nitrosés (NOCs) résultant du traitement de la viande avec du nitrite et de la réaction de ces composés dans l’organisme

D’emblée, une précision s’impose : l’enjeu n’est pas celui de la cancérogénicité des résidus de nitrates et de nitrites dans l’alimentation – ce faux problème a été souvent soulevé par les représentants d’intérêts qui ont cherché à détourner l’attention des rapporteurs de la véritable question soulevée par le traitement au sel nitrité des charcuteries.

L’enjeu est celui de l’apparition de composés N-nitrosés (NOCs) résultant du traitement de la viande au moyen de nitrites et de nitrates, pendant le processus de fabrication et dans l’organisme au cours de la digestion. Le nitrite (NO2-) est un oxyde d’azote qui, dans un deuxième temps, se transforme en d’autres oxydes d’azote, ainsi que le rappelait M. Jérôme Santolini, chercheur en biochimie, lors de son audition ([48]). Ces molécules auront alors de multiples effets biologiques conduisant à l’oxydation, la nitrosation, ou la formation de composés N-nitrosés qui sont, eux, au cœur des processus de carcinogenèse.

b.   Le nitrite ajouté dans la charcuterie en contact avec l’hème favorise la formation de composés N-nitrosés (NOCs) et contribue ainsi à l’effet promoteur du cancer résultant de la consommation de charcuterie

Paroles de médecin : professeur Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer

M. Axel Kahn. Comment le président de la Ligue contre le cancer a-t-il été amené à se saisir de cette question de la maturation accélérée des viandes à l’aide des sels nitrités ? Au départ, de fait, nous avons été saisis par Foodwatch mais j’ai défini à la Ligue un principe qui est celui des positions et des campagnes basées sur les preuves. J’ai considéré qu’il était arrivé parfois à la Ligue de s’engager dans des campagnes qui n’étaient pas suffisamment enracinées dans des preuves scientifiques (…)

Pour répondre à la question : quel est le danger spécifique et le niveau de danger spécifique des charcuteries et de l’utilisation dans 80 % des charcuteries environ des sels nitrités comme agent promoteur de cancer, il fallait évidemment que j’ai à revoir un peu toutes les données. (…) Vous allez voir quelle est notre logique et ce qui nous a amené à aller de l’avant.

La viande est cancérogène, toutes les viandes, et le mécanisme par lequel elles le sont est un phénomène d’oxydations et de peroxydations par le fer héminique. Le fer héminique, très réactif, surtout dans son aspect ferrique, induit des oxydations et des peroxydations en particulier de la membrane nucléaire (…) Cela explique que la viande rouge soit cancérigène et qu’elle est classée catégorie 2A.

La charcuterie est classée 1. Il n’y a aucun doute : la charcuterie est plus cancérogène que la viande rouge.

Or, immédiatement, étonnement, elle est beaucoup moins rouge que la viande rouge, c’estàdire que par unité de poids, elle a moins de fer héminique. Par conséquent, la question que je me suis posée est : comment se fait-il que si la cancérogénicité de la viande est liée au fer héminique, une viande plus blanche et moins héminique soit cancérigène ?

J’ai effectivement été amené à me poser la question des nitrites, tout d’abord, est-ce qu’on a quelques éléments, même si ce n’est pas une certitude, des éléments robustes qui forment une convergence ? Quand je dis des actions basées sur les preuves, c’est des actions basées sur des arguments scientifiques robustes. Ce que je cherchais c’était à accumuler des éléments scientifiques robustes. Donc les éléments sur lesquels je me suis basé c’est une étude des NIH, aux États-Unis, sur des personnes mangeant du bacon, des femmes ménopausées, qui indiquait clairement, mais dans un contexte particulier, une implication du nitrite, de toute façon dans le bacon on en utilise toujours.

Le deuxième point est les travaux de Denis Corpet et Fabrice Pierre, que j’ai lus avec grand intérêt et sur lesquels je reviendrai car ils nous donnent d’autres indications.

Troisièmement, c’est la méta-analyse dont a parlé Monsieur Lecerf de William Cowe, parue en novembre 2019 ([49]), elle vaut ce qu’elle vaut (…). Il n’empêche qu’il y a tant d’incertitudes sur toutes les analyses observationnelles, que à partir d’analyses observationnelles, la seule possibilité d’avoir une connaissance plus robuste est la méta-analyse. Cette méta-analyse, vous en connaissez le résultat. C’était difficile car il est très difficile de faire la part de la charcuterie et la charcuterie nitritée, étant donné que l’immense majorité des charcuteries sont nitritées. Sur 17 articles qu’ils ont considérés comme utilisables, il y en a onze qui indiquent que la charcuterie nitritée est plus cancérogène chez l’homme que la charcuterie non nitritée, cinq qui disent que c’est pareil, et un qui dit que la charcuterie nitritée est moins cancérigène que la charcuterie non nitritée.

Cette méta-analyse a une énorme proportion de 11/15 confirme en effet que le fait de traiter les charcuteries aux nitrites semble être franchement corrélé à ce résultat singulier : une viande blanche est plus cancérigène qu’une viande rouge alors qu’on s’attendrait à ce que la cancérogénicité soit dépendante de la rougeur de la viande. À partir de là, j’ai regardé de plus près les résultats de 2010, de Fabrice et de Denis. Ces résultats sont extrêmement intéressants en les regardant dans le détail.

(…) Moi je suis le président de la Ligue nationale contre le cancer, mon devoir est d’essayer de tout faire pour diminuer le nombre de cancers. C’est la raison pour laquelle la ligue existe. À partir de ce moment, bien évidemment, je n’ai plus hésité. Alors comment faire ? Ce n’est plus le président de la ligue mais celui qui connait très bien l’agriculture, l’agroalimentaire, depuis des décennies et des décennies (…).

(table-ronde du 7 octobre 2020)

L’intervention du professeur Axel Kahn, retranscrite ci-dessus, résume le raisonnement scientifique adopté par vos rapporteurs et développé dans les paragraphes suivants.

L’équipe « Prévention, promotion de la cancérogénèse par l’alimentation » de l’unité mixte de recherche du centre INRAe de Toulouse (Toxalim), conduite par le professeur Denis Corpet, puis par le docteur Fabrice Pierre, a apporté la preuve expérimentale que les charcuteries nitritées, ainsi que (à un moindre degré) la viande rouge sans nitrite, sont promotrices du cancer colorectal démontrant deux mécanismes majeurs de cette toxicité des charcuteries (voir schéma ci-après) :

– les peroxydes lipidiques entraînant des aldéhydes toxiques qui sélectionnent les cellules précancéreuses dans la muqueuse intestinale. L’hème catalyse la peroxydation des lipides polyinsaturés, donnant des aldéhydes toxiques. Cette voie est pour l’instant considérée comme étant la principale promotrice de cancers colorectaux dans le cas de la viande rouge. Elle pourrait également jouer un rôle, secondaire, dans le cas de la charcuterie ;

– le nitroso-hème (fer héminique avec un NO fixé). À la suite à l’interaction avec le fer héminique([50]) ([51]), les nitrites participent à la formation de composés NOC , en particulier par les réactions de nitrosylation, avec formation de fer nitrosylé (FeNO). Cette voie est pour l’instant considérée comme étant la principale promotrice de cancers colorectaux dans le cas des charcuteries.

Les deux mÉcanismes majeurs de la toxicitÉ des charcuteries dÉmontrÉ
par l’Équipe « Toxalim » de l’INRAe(Toulouse)

Source : Nadia Bastide, Fabrice Pierre, Denis Corpet, « Heme iron from meat and risk of colorectal cancer: a meta-analysis and a review of the mechanisms involved », 2011

Ainsi que l’a exposé le professeur Norbert Ifrah, président de l’Institut national du cancer, dans ses réponses écrites, il faut noter, en complément de cette analyse, que les composés NOC (nitrosamines, nitrosamides, S-nitrosothiols et fer nitrosylé) proviennent également de la réaction du nitrite avec les produits de dégradation des acides aminés. Ils peuvent se former dans la viande au cours du processus de salaison ou dans le corps (et en particulier dans l’estomac) après ingestion de nitrates et de nitrites alimentaires. L’environnement acide de l’estomac catalyse une réduction supplémentaire pour créer des NO- et des Snitrosothiols.

Comme l’a souligné Mme Océane Martin lors de son audition et dans ses réponses écrites, un haut niveau de preuve indirecte est déjà atteint. Pour espérer atteindre un niveau de preuve supérieure, il faudrait maintenant recourir à une démonstration directe par des études cliniques en « double aveugle », contrôlées contre placebo, en testant des charcuteries avec et sans nitrite. Éthiquement, cela n’est pas envisageable puisque cela reviendrait à provoquer volontairement le cancer chez des patients. Le professeur Corpet a rappelé qu’au niveau des tests sur les modèles animaux effectués dans son laboratoire Toxalim (INRAe), les modèles de jambon nitrités s’étaient révélés plus promoteurs du cancer colorectal que les modèles de jambon non nitrité : « un modèle de jambon expérimental, traité au nitrite, favorise la cancérogénèse colorectale chez les rongeurs. Lorsqu’il est fabriqué sans nitrite, le même jambon n’a pas d’effet promoteur de la cancérogénèse ». ([52])

Parole d’expert : M. Denis Corpet

M. Denis Corpet, dans les éléments écrit qu’il a transmis à la mission, indique ainsi : « J’ai l’intime conviction que le nitroso-hème et les N-Nitroso Compounds (NOC) sont les principaux acteurs de la cancérogénicité des charcuteries. Ils sont présents dans l’intestin après consommation de charcuterie nitritée, et aussi, en moindre concentration, après consommation de viande rouge sans nitrite. Cette conviction vient d’expériences convergentes, mais indirectes, brièvement décrites cidessous. Nous n’avons pas trouvé comment faire l’expérience directe donnant la preuve irréfutable que le nitroso-hème est l’agent principal de la cancérogénicité des charcuteries. Si on supprime les nitrites d’un jambon expérimental, on réduit très fortement la formation de nitrosohème dans l’intestin, et aussi l’effet pro-cancer de ce jambon chez le rat. On peut donc choisir de supprimer l’addition de nitrite aux charcuteries: cela diminuera très probablement leur cancérogénicité pour l’Homme. Restera à bloquer dans les charcuteries la formation de peroxydes lipidiques, avec des antioxydants naturels et un conditionnement à l’abri de l’air ».

Les études évoquées par le professeur Axel Kahn ainsi que le professeur Corpet sont notamment les suivantes :

– (Santarelli et al., 2010([53]). Dans le cadre de cette étude, les chercheurs ont voulu isoler les différents facteurs susceptibles d’être responsables de la cancérogénicité des charcuteries, dont l’utilisation d’additifs nitrés. Seize combinaisons de préparation de la viande, ont été réalisées afin d’isoler chacun des facteurs. Elles ont ensuite été expérimentées sur des rats. Cette étude a mis en évidence chez le rat chimio-induit que la consommation de charcuteries nitrées augmente le nombre de cryptes aberrantes, de l’hème et la concentration de NOC fécaux, et provoque une diminution de l’oxydation des lipides fécaux et de la cytotoxicité de l’eau fécale contrairement à la charcuterie sans nitrite. Ainsi, d’après les résultats de cette publication, le couple hème/nitrites apparaît déterminant pour expliquer l’effet promoteur des charcuteries ;

 (Cross et al., 2010) ([54]). Cette étude de cohorte menée sur 7 ans au moyen d’un questionnaire permettant de connaître le type de produit carné consommé et la méthode de préparation met en évidence une association positive entre la consommation de viande transformée et le cancer colorectal. L’étude conclut que cette association peut être expliquée par le fer héminique et par les nitrites et nitrates. Concernant l’association entre la viande rouge et le cancer colorectal, l’étude souligne également le rôle des amines hétérocycliques (AHC) ;

– (Pierre et al. 2013) ([55]). Cette étude montre que chez des volontaires sains, la consommation de charcuterie augmente la présence de NOC et la lipoperoxydation dans les selles. Ces effets sont inhibés par le calcium qui agit en chélatant ([56]) le fer héminique ;

 (Bastide et al., 2015) ([57]). Les auteurs comparent expérimentalement l’effet pro-cancer du fer héminique, des amines hétérocycliques et des NOC et montrent que les groupes où la cancérogenèse est la plus élevée chez les rats sont aussi ceux où le nitroso-hème est en concentration la plus forte dans l’intestin.

 (Crowe et al., 2019) ([58]). Une revue regroupant les différentes études épidémiologiques sur les viandes nitritées a été publiée en 2019 dans Nutrients. Sur dix‑sept études épidémiologiques étudiant l’effet de la consommation de viandes nitritées sur le développement du cancer colorectal, onze études ont démontré que les viandes nitritées augmentent le risque de cancer colorectal.

Le Pr. Norbert Ifrah, dans ses réponses écrites adressées à la mission, propose les éléments de conclusion suivants : « Si la voie des nitrates/nitrites constitue bien un des mécanismes explicatifs de l’effet cancérigène des viandes rouges et charcuteries, l’interdiction de l’ajout de nitrates/nitrites dans les viandes transformées ne peut prétendre supprimer totalement l’effet cancérigène de ces produits. Les recommandations de limite de consommation doivent être rappelées à la population quelle que soit l’évolution de leur formulation ».

La suppression des nitrites et nitrates ajoutées dans la charcuterie ne mettrait pas fin, à elle seule, à la cancérogénicité des viandes transformées. Elle devrait s’accompagner de recommandations relatives aux quantités maximales devant être consommées. Elle constitue néanmoins, aux yeux de la mission, un préalable indispensable.

3.   Ni les doses limites fixées par l’EFSA, ni celles définies par le Code des usages, ni les recommandations de Santé Publique France ne protègent efficacement la santé des consommateurs

a.   Des doses journalières admissibles fixées au niveau européen fondées sur une réévaluation des risques par l’EFSA qui fait l’impasse sur la cancérogénicité des composés néoformés

L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) évalue l’innocuité des additifs alimentaires à partir d’un dossier qui doit préciser la dénomination chimique de l’additif, le processus de fabrication, les méthodes d’analyse, la réaction et le devenir de cette substance dans les denrées alimentaires, la raison pour laquelle l’additif est employé, les utilisations proposées et les données toxicologiques – notamment le métabolisme, la toxicité subchronique et chronique, le potentiel carcinogène et génotoxique. À partir de ces données, l’EFSA fixe le seuil en dessous duquel la consommation de cette substance peut être considérée comme sûre : il s’agit de la dose journalière admissible (DJA). L’EFSA étudie parallèlement, en se fondant sur les utilisations proposées pour les différents aliments, si cette DJA est susceptible d’être dépassée. Si cette DJA n’est pas dépassée, l’utilisation de l’additif alimentaire est considérée comme sûre. Si cette dernière est dépassée, la Commission européenne peut décider de restreindre ou de ne pas autoriser l’emploi de l’additif en question.

En juin 2017, l’EFSA a publié deux avis scientifiques sur la réévaluation des nitrites et des nitrates ajoutés aux aliments. Elle a estimé que les DJA fixées par l’ancien comité scientifique pour l’alimentation humaine (CSAH) de la Commission européenne en 1997 constituait une protection adéquate pour la santé humaine en ce qui concerne les nitrates, avec une DJA fixée à 3,7 milligrammes par kilogramme de poids corporel par jour (mg/kg pc/jour) et a relevé la DJA pour les nitrites à 0,07 kilogramme de poids corporel par jour (mg/kg pc/jour) contre 0,06 mg/kg pc/jour pour la DJA fixée en 1997.

Cette réévaluation, fréquemment citée par de nombreux acteurs pour convaincre de l’innocuité des additifs nitrés apparaît néanmoins insuffisante sur la cancérogénicité des produits néoformés. Le professeur Maged Younes, membre du groupe scientifique de l’EFSA sur les additifs alimentaires et les sources de nutriments ajoutés aux aliments et président du groupe de travail chargé de ces travaux de réévaluation souligne d’ailleurs lui-même les limites de la réévaluation : « (…) il existe encore des lacunes dans les connaissances qui devront être comblées par de futures recherches. En particulier, des études supplémentaires seraient nécessaires en ce qui concerne la conversion du nitrate en nitrite dans la salive humaine, la production de méthémoglobine qui en résulte et les conséquences sur la formation de nitrosamine dans les produits alimentaires auxquels des nitrites ont été ajoutés. Des données épidémiologiques supplémentaires recueillies chez l’homme seraient également utiles » ([59]).

La Commission européenne, amenée à se prononcer sur le maintien d’une législation danoise plus restrictive que la réglementation européenne en matière d’adjonction de sels nitrités dans les charcuteries, souligne d’ailleurs en creux les limites des DJA définies par l’EFSA. Dès sa décision du 25 mai 2010 relative aux dispositions nationales notifiées par le Danemark concernant l’adjonction de nitrites à certains produits à base de viande, la Commission européenne admettait « que la présence de nitrites dans les produits à base de viande peut conduire à la formation de nitrosamines, dont l’effet cancérigène est avéré. » ([60]). La position du Danemark exposée dans la décision rendue en 2018 par la Commission complète cet éclairage : « Le Danemark considère que le risque posé par l’utilisation des quantités de nitrites autorisées par le règlement (CE) no 1333/2008 renvoie en particulier à l’augmentation du risque de formation de nitrosamines. Contrairement à l’avis récent de l’EFSA, le Danemark considère que la formation de nitrosamines volatiles et non volatiles dépend de la quantité de nitrites ajoutée, alors que l’EFSA reconnaît uniquement le lien dans le second cas. Il a été prouvé scientifiquement que de nombreuses nitrosamines volatiles sont cancérigènes et génotoxiques et les études épidémiologiques les plus récentes se réfèrent au lien entre la consommation de produits à base de viande et le développement de différentes formes de cancer. Cet élément plaide pour les restrictions relatives à l’utilisation de nitrites comme additifs. Le Danemark souligne également que la marge jusqu’à la DJA n’est pas très large pour les jeunes enfants, qui sont les plus exposés aux nitrites parmi la population danoise, compte tenu des doses ingérées » ([61]). La Commission européenne, à la lumière des éléments présentés par le Danemark, a autorisé celui-ci, en 2018 et pour une nouvelle période de trois ans, à maintenir ses dispositions nationales concernant l’adjonction de nitrites.

L’ANSES saisie sur la question des risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates

Saisie par la direction générale de la santé (DGS), la direction générale de l’alimentation (DGAL) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l’ANSES a lancé, en août 2020, un appel à candidature pour un groupe de travail « Risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates ».

Ce groupe est chargé d’ici mai 2021 :

– d’établir si possible, en prenant en compte les travaux de l’EFSA sur la préservation des produits carnés contre le risque de contamination par Clostridium botulinum, les situations dans lesquelles une diminution des taux de nitrites/nitrates présents dans les denrées est susceptible d’accroître de manière significative les risques liés à la prolifération de bactéries pathogènes dans certains aliments – y compris en cas d’usage de procédés présentés par l’industrie comme un moyen de remplacement des sels nitrés ;

– de recenser les leviers d’actions permettant de diminuer l’exposition globale des consommateurs, en fonction des caractéristiques de l’exposition propres à la France, aux nitrites et nitrates par ingestion quelle que soit leur origine, et donc in fine aux nitrosamines ;

 d’évaluer si de nouvelles connaissances scientifiques, notamment en réponse aux recommandations de l’EFSA, sont susceptibles, d’une part, de lever les incertitudes sur les mécanismes de transformation des nitrates et nitrites dans l’organisme et dans les denrées alimentaires et, d’autre part, de motiver le réexamen des DJA/valeurs toxicologiques de référence (VTR) déterminées par l’EFSA ;

 d’évaluer si, depuis les publications du CIRC et de l’INCa de 2018, de nouvelles connaissances scientifiques sont susceptibles de mieux caractériser le lien entre cancérogenèse chez l’Homme et apport de fer héminique associé aux nitrites via la consommation de produits carnés. Pour ce faire, l’ANSES prendra l’attache de l’INCa, en tant que de besoin.

Les deux derniers points soulignent la conscience des ministères que les DJA de l’EFSA doivent être remises en perspective et que le statu quo n’est pas tenable.

b.   La réduction des quantités de nitrites dans la charcuterie française repose sur la seule bonne volonté des acteurs, dans le cadre du Code des usages, ce qui constitue une responsabilité écrasante pour la profession

Les principaux fabricants de jambon cuit (Herta, Cooperl, Fleury-Michon) proposent des gammes de jambon cuit sans nitrite, et continuent pourtant de « nitriter » l’essentiel de leur production, bien qu’elle soit fabriquée sur les mêmes chaînes de production. Croire que les fabricants continuent à utiliser des additifs nitrés parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement serait inexact. Si ces fabricants continuent à utiliser le nitrite, ce n’est pas parce qu’ils ne peuvent pas s’en passer : c’est parce-que le « nitritage » est avantageux.

En France, un Code des usages de la charcuterie (voir supra) fixe les quantités d’additifs pouvant être utilisées dans la confection des différentes recettes de charcuterie, à un niveau inférieur aux quantités fixées au niveau européen. Ce document, qui n’est pas de nature réglementaire, est rédigé par la profession elle‑même et soumis à la DGCCRF pour accord.

La dernière version du Code des usages, publiée en juillet 2016, prévoit une diminution de 20 % de la dose des additifs nitrés par rapport aux doses autorisées par le règlement (CE) n° 1333/2008 précité. Une nouvelle baisse de 20 % en moyenne des teneurs en nitrites a été soumise pour accord à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) le 12 décembre 2019, en concertation avec les artisans charcutiers, sur la base de travaux ayant débuté en 2018. Cette nouvelle réduction a été définie catégorie de produits par catégorie de produits en fonction de leur sensibilité aux bactéries pathogènes.

Si vos rapporteurs saluent les efforts de la profession en la matière, ils estiment néanmoins que cette responsabilité, qui engage la santé du consommateur, ne devrait pas peser sur les seuls acteurs mais faire l’objet d’un encadrement par les pouvoirs publics, garants ultimes de la sécurité des substances et produits dont la commercialisation est autorisée sur le territoire

c.   Les recommandations de Santé Publique France en matière de consommation de charcuterie sont très insuffisamment suivies par les Français

Parallèlement à ces limitations en termes de quantité de nitrites et de nitrates pouvant être utilisées pour la production de charcuteries, des recommandations nationales sont formulées pour limiter la consommation de charcuterie en général. Le quatrième Programme national nutrition santé (PNNS), élaboré dans le cadre de nouvelles recommandations alimentaires, publiées par Santé publique France en janvier 2019, incite à réduire les aliments ultra-transformés, et à limiter la consommation de viande à 500 grammes par semaine, dont 150 grammes de charcuterie au maximum.

Ces recommandations ne sont pas respectées par une majorité de la population française, ce que la mission juge très préoccupant : 63 % des personnes âgées de 18 à 54 ans dépassent les quantités de charcuterie maximales recommandées ([62]), cette proportion atteignant 70 % chez les consommateurs de sexe masculin. La consommation moyenne de charcuteries en France est de 27 grammes par jour soit 189 grammes par semaine, avec des consommations différenciées en fonction du sexe : 146 grammes par semaine en moyenne chez les femmes et 239 grammes par semaine en moyenne chez les hommes ([63]).

Expo France-Illustration charcuterie

Source : réseau NACRe de l’INRAe, à partir des chiffres de l’enquête ESTABAN de 2015

La structure de la consommation de charcuterie en France expose particulièrement les individus aux viandes nitrées, puisqu’elle est dominée par le jambon cuit (28 % des volumes achetés en 2018), les lardons, la poitrine et le bacon (13 %) et le saucisson sec et le salami (11 %) ([64]), pour la production desquels le recours aux additifs nitrés est pratiquement systématique.

Cette consommation excessive de charcuterie est d’autant plus problématique qu’elle se concentre particulièrement sur les classes sociales les plus précaires ([65]) [sur cette question des enjeux sociaux attachés à la question de la consommation de charcuterie, voir le B du III du présent rapport].

C.   Le travail prÉcurseur de certains charcutiers et l’accroîssement constant de l’offre prouve qu’il est possible pour l’ensemble des acteurs du secteur, quelle que soit leur taille, de produire des charcuteries sans nitrate, ni nitrite

1.   De nombreux producteurs, industriels ou artisans, produisent déjà des charcuteries de grande qualité sans recourir aux additifs nitrés

Si le lancement de charcuteries sans nitrite semble se multiplier dans la grande distribution (GMS) ces dernières années, celles-ci ont toujours été présentes sur le marché. Certains jambons espagnol et italien, comme le célèbre jambon de Parme, qui ne contient plus de nitrite depuis 1993 ([66]), sont fréquemment cités en exemple.

En France, le cahier des charges de certaines charcuteries sous signe de qualité et d’origine (SIQO) exclut également le recours aux nitrites et nitrates : c’est le cas des trois appellations d’origine protégée corses que sont le jambon sec de Corse, la coppa de Corse et le lonzo de Corse. C’est également le cas de deux indications géographiques protégée (IGP), le boudin blanc de Rethel et les rillettes de Tours et de six produits en Label rouge : « jambon cuit supérieur », « produits de saucisserie », « produits de saucisserie à l’ancienne », « saucisses fraîches », « chair à saucisse » et « lardons fumés supérieurs ».

La mission d’information souligne que cette capacité à produire sans nitrite n’est pas réservée aux seuls grands industriels disposant de fortes capacités d’investissement et de moyens importants en matière de recherche et développement (R&D). Les auditions ont permis de rencontrer de très petits producteurs fiers de proposer à leurs clients des produits authentiques, sans nitrite, et issus de procédés de fabrication artisanaux et exigeants. La mission d’information a également reçu les représentants de petites et moyennes entreprises (PME) et d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) ayant fait le choix de développer une gamme de charcuteries sans nitrite. C’est le cas des Salaisons du Terroir, une entreprise installée à Villers‑Bretonneux dans la Somme qui a, depuis son origine, fait le choix d’une production locale et de qualité, et qui commercialise depuis 2018 un jambon sans conservateur ni nitrite ([67]). De même, l’entreprise franc-comtoise André Bazin a lancé en janvier 2019, sous le nom de Philippe Wagner, une nouvelle gamme destinée aux circuits de la grande distribution et des grossistes, élaborée avec des ingrédients d’origine naturelle et du sel de Lorraine sans nitrite ([68]).

Les grandes marques nationales et les producteurs plus industriels se sont également emparés de la question du nitrite. Le témoignage de M. Yves Arnaud, responsable de la filière viande de l’École nationale des industries du lait et de la viande (ENILV) d’Aurillac est éclairant sur ce mouvement d’élargissement de la production sans nitrite aux différents acteurs du marché.

Paroles de professionnel : M. Yves Arnaud, responsable de la filière viande de l’ENILV d’Aurillac

 

M. Yves Arnaud. C’est un travail que nous avons entrepris il y a vingt ans. À l’époque, on était un peu à contre-courant, on nous a pris pour des hurluberlus, des arriérés, mais nous avons continué.

Notre travail consiste à accompagner des producteurs fermiers qui ont des projets d’installation d’ateliers sur leur exploitation pour passer en vente directe.

Nous avons un peu plus de 400 ateliers implantés sur le territoire dont une trentaine d’ateliers collectifs. Dès le départ nous sommes partis sur des produits de qualité pour nous démarquer : des matières premières de qualité et des technologies de qualité. Dès le départ, nous avons voulu sans aucun conservateur. C’était également compliqué et nous étions à contre-courant : mais nous avons prouvé que c’était possible avec matières premières fraîches et de qualité.

Nous avons aujourd’hui plus d’un an d’avance de réservation de nos structures, tant sur la partie formation qu’appui technique. Nous avons outils de transformation et les producteurs peuvent venir se faire la main pendant deux ou trois ans (…) et on les aide à s’installer lorsqu’ils sont autonomes.

Pour revenir à ce qui nous intéresse, les sels nitrités, ce qui est intéressant et qui nous a un peu surpris au départ, c’est que depuis trois ou quatre ans alors que nous avions auparavant beaucoup de producteurs fermiers et quelques petits artisans, on a vu arriver chez nous certains industriels ou des structures beaucoup plus importantes. (…) Ce qui est encourageant, c’est que quelques industriels viennent voir quelles sont nos méthodes et semblent vouloir développer (…) une partie de leur production avec ces méthodes.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Les premiers producteurs étaient des locaux, du Cantal, ils étaient contraints et forcés de venir dans un atelier aux normes sanitaires conformes à la réglementation mais ils voulaient continuer à travailler avec leurs recettes. Ils nous ont tout appris. C’est ainsi qu’on a commencé à enlever les ferments lactiques, enlever le salpêtre dans le jambon sec, enlever le sel nitrité partout. En parallèle, cela a été des analyses microbiologiques. À force de bien maîtriser les technologies, on s’est rendu compte qu’on pouvait très bien faire sans ces produits-là.

(audition du 16 juillet 2020)

L’offre industrielle s’est ainsi nettement développée au cours des trois ou quatre dernières années.

La marque Herta s’est ainsi lancée sur le marché en mars 2017, mettant en vente un jambon « conservation sans nitrite », suivi d’une gamme de plus en plus large de produits atteignant aujourd’hui trente-neuf références (knackis, jambon de volaille, lardons, saucisse de Strasbourg, etc.). Le positionnement précoce de la marque sur ce marché lui permet de revendiquer la vente d’un jambon sans nitrite sur cinq, une part de marché de 90 % sur le marché de la charcuterie sans nitrite et d’afficher un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros sur l’ensemble de ses références sans nitrite([69]). De son côté, la marque Fleury Michon, après avoir dans un premier temps proposé à la vente un produit contenant des nitrites d’origine végétale (voir encadré), a mis sur le marché une gamme de produit sans nitrite début 2019 et se félicite aujourd’hui d’un taux réachat de ses produits sans nitrite par 40 % des consommateurs ([70]).

Aucun des industriels ne semble désormais manquer à l’appel : la coopérative agricole du grand ouest Cooperl, qui détient notamment les marques Madrange et Brocéliande, a également lancé ses gammes de charcuteries sans nitrite, tout comme le fabricant Delpeyrat (groupe Maisadour) ainsi que la marque Aoste (groupe Campofrio), leader du marché du jambon cru (21 % des parts de marché en valeur), qui a annoncé en janvier 2019 la suppression du nitrite et du nitrate de la fabrication de l’ensemble de ses jambons crus ([71]).

La saga des jambons cuits sans nitrite

– novembre 2016 : Fleury Michon lance un jambon blanc sans conservateur ajouté. Si aucun sel nitrité n’a été ajouté lors de sa fabrication (via les additifs E249 ou E250), ce jambon contient cependant du nitrite d’origine végétale, obtenu par l’ajout d’un jus concentré de céleri à haute teneur en nitrate et de ferments destinés à transformer ce nitrate en nitrite. D’autres marques lancent des gammes reposant sur le même procédé, en utilisant des jus ou bouillons nitratés. Mais en septembre 2018, la Commission européenne indique que « la Commission a été alertée à propos du procédé qui consiste à employer des extraits végétaux pour servir d’additif, sans qu’ils soient identifiés comme tels », et consulte le comité d’experts concerné qui confirme que les charcuteries produites en employant cette technique ne peuvent continuer à être présentées comme « sans nitrite ajouté ». La DGCCRF demande alors aux charcutiers qui utilisent ces extraits nitratés, en étiquetant leurs produits « sans nitrites ajoutés » de signaler la présence de nitrites afin de ne pas tromper le consommateur. La plupart des fabricants (dont Fleury Michon) ont dès lors cessé de recourir à ce procédé.

– février 2017 : Herta lance « Le Bon Paris au torchon conservation sans nitrite ». La conservation repose sur des polyphénols (extraits végétaux antioxydants). Le site internet du fabriquant indique : « La mise au point de cette nouvelle recette et de ce nouveau procédé de fabrication pour le Bon Paris® Conservation sans nitrite est le fruit de cinq années d’essais et de tests réalisés par notre département R&D en collaboration avec le centre de recherche de Nestlé et des laboratoires indépendants ». Le jambon ainsi produit est de couleur rose.

– octobre 2017 : « Ensemble », marque du réseau Biocoop met en vente un jambon blanc sans sel nitrité, après avoir lancé cinq ans auparavant un rôti de porc sans sel nitrité, retiré des rayons car n’ayant pas rencontré le succès commercial escompté, à cause de sa couleur pâle.

– mai 2018 : la marque Monique Ranou (filiale charcuterie du groupe Les Mousquetaires) commercialise un jambon blanc sans nitrite.

– mars 2019 : Fleury Michon, après l’échec de 2016, lance une gamme véritablement sans nitrite, composée de cinq références, dont une de jambon bio, une de blanc de poulet et une de dinde. Ce jambon de couleur grise ou beige est étiqueté « Zéro nitrite » et le packaging met en avant le date limite de consommation plus précoce.

– octobre 2019 : Leclerc commercialise un jambon blanc sans nitrite sous la marque Tradilège.

– avril 2020 : Brocéliande (marque du groupe Cooperl) met en vente le « Jambon gris bien élevé ».

– septembre 2020 : Herta lance un jambon sans nitrite au sein de sa gamme « - 25 % de sel », démontrant ainsi la possibilité de supprimer les additifs nitrés tout en réduisant la teneur en sel.

– octobre 2020 :

- Madrange (marque du groupe Cooperl) lance à son tour une gamme de jambon blanc sans nitrite ;

- Carrefour annonce le lancement d’une gamme de charcuterie sans nitrite.

- Herta recense 39 références dans sa gamme sans nitrite.

2.   Renouveler les méthodes de production

La fabrication de charcuteries sans nitrite est donc possible et ne présente aucun danger pour la santé, les exemples susmentionnés le démontrent pleinement. Elle exige, néanmoins, un très haut degré d’exigence en matière d’hygiène et le respect de protocoles sanitaires adaptés. Certaines évolutions nécessaires induisent des coûts pour les producteurs et doivent être soutenues par les pouvoirs publics.  Plusieurs conditions, de différentes natures, doivent être réunies pour permettre une production sans nitrite garantissant le plus haut degré de sécurité sanitaire pour le consommateur :

a.   Une viande très fraîche et d’excellente qualité

L’ensemble des acteurs rencontrés par les députés au fil des auditions ont unanimement attiré l’attention sur un point : produire sans nitrite nécessite d’utiliser une matière première de qualité.

M. Yves Arnaud a ainsi insisté, lors de son audition, sur la nécessité d’utiliser une viande fraîche et locale ([72]). L’importance de la fraîcheur de la viande est donc une donnée centrale pour produire des charcuteries sans nitrite, comme l’ont admis tant les producteurs artisanaux que les groupes industriels entendus par vos rapporteurs.

Paroles de producteur : audition de M. Stéphane Malandain, président des Salaisons Roches Blanches (Seine-Maritime)

M. Stéphane Malandain. C’est très à la mode aujourd’hui de dire que l’on travaille en filière. Cela fait vingt-cinq ans que mes deux principaux éleveurs sont des Normands, les exploitations sont à trente et quarante kilomètres de l’entreprise. Donc, moi, savoir où est né le cochon, comment il a grandi, comment il a été nourri, ça fait vingt-cinq ans, il n’y a rien de nouveau. Cela doit faire un peu plus de vingt-cinq ans qu’on marque le nom, sur un peu plus de 80 % de nos emballages, des éleveurs. Cela fait vingt-cinq ans aussi qu’on ne travaille qu’en viande fraîche avec tous les problèmes que l’on peut avoir pour l’abattage et la découpe, puisqu’il y a un monopole en France sur ces métiers-là. Cela fait vingt-cinq ans aussi qu’on a mis en avant le porc fermier normand Label rouge (…) Cela fait vingt-cinq ans que l’on travaille une gamme de saucissons secs biologiques. Tout cela pour vous dire que la matière première et la qualité de la matière première, la provenance de la matière première, ce n’est pas quelque chose de nouveau chez Roches Blanches, c’est quelque chose qui a toujours été dans la philosophie de l’entreprise. Pour fabriquer un bon produit, même si on est un bon professionnel, il faut partir d’une bonne matière première.

(audition du 12 novembre 2020)

b.   Mettre en œuvre des méthodes de production adaptées, potentiellement plus longues

Les acteurs de la profession auditionnés ont également souligné que produire sans additifs nitrés nécessite de renouer avec le savoir-faire charcutier traditionnel.

Il s’agit en effet de trouver les techniques de production assurant l’équilibre entre la bonne conservation du produit, une parfaite sécurité alimentaire et une maîtrise des quantités de sel utilisés. Le professeur Denis Corpet a ainsi simplement préconisé pour écarter tout risque pour la santé humaine, et notamment de botulisme, d’augmenter le séchage des produits ou de bien garantir la chaîne du froid pendant la fabrication ([73]). À cet égard, il faut rappeler que les connaissances techniques existent déjà : pour assurer la sécurité microbiologique sans recourir aux additifs dangereux, il ne s’agit pas d’inventer de nouvelles méthodes, mais plutôt de déployer des méthodes connues, qui ont déjà fait leurs preuves chez les fabricants travaillant sans additifs, tant en France qu’à l’étranger ([74]).

Allonger la durée de séchage des charcuteries crues permet ainsi aux jambons secs et autres saucissons de présenter des garanties sanitaires irréprochables, tout en étant aussi le gage de leur qualité gustative, comme l’a rappelé M. Stéphane Malandin. En ce qui concerne les charcuteries cuites et étuvées, M. Didier Hue, dirigeant de l’entreprise Salaisons du Terroir, a expliqué privilégier notamment une cuisson plus longue de la viande, méthode également employée par l’entreprise Fleury Michon.

Paroles de producteur : M. Didier Hue, président directeur-général des Salaisons du Terroir (Somme)

M. Didier Hue. Le nitrite aide à la conservation. Moi qu’est-ce que j’ai fait ? (…) Je n’ai pas fait autre chose que ce qu’on faisait dans les années 1960 et 1970, que plus cuire la viande et la laisser refroidir plus longtemps. Dans les années 1980-1990, sous la pression des consommateurs et la guerre des prix des distributeurs (…), les transformateurs ont limité la cuisson des produits et ont mis un certain nombre d’additifs, dont le sel nitrité. Moi, j’ai dit, on va abandonner tout cela et qu’est-ce qu’on va faire ? On va cuire beaucoup plus le produit dans la marmite, donc qu’est-ce qu’on fait ? On le fait cuire, on le fait cuire, on le fait cuire, comme la rillette. Alors, effectivement, on cuit plus le produit donc économiquement et industriellement on perd du rendement.

(audition du 21 juillet 2020)

La mise en place de ces méthodes demande du temps : les ateliers et les usines, tout comme les chaînes d’approvisionnement, doivent être adaptés sinon réorganisés. La suppression des additifs nitrés demande à cet égard une concertation entre les acteurs, de l’éleveur au charcutier. Le cadre réglementaire devra lui aussi être adapté, dans le strict respect des impératifs sanitaires, à l’évolution des méthodes de production.

En outre, certains industriels, comme Herta ont fait le choix de développer des substituts aux sels nitrités destinés à permettre de conserver la couleur rose du jambon cuit, ce qui implique des coûts de recherche et développement importants et pose la question de la nature exacte de ces substituts et, comme pour toutes les substances utilisées comme additifs alimentaires dans le cadre des procédures de gestion des risques, de leur sécurité à la consommation qui doit préalablement être démontrée.

 

 


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III.   La transition vers une charcuterie française sans NITRATE, NI nitrite est une exigence sanitaire et sociale, essentielle pour l’avenir des charcutiers eux-mêmes, et doit être accompagnée par les pouvoirs publics

A.   La transition vers une charcuterie sans nitrate, ni nitrite est aujourd’hui impérative

1.   Elle correspond à une exigence forte des consommateurs

La demande des consommateurs pour des charcuteries sans additifs nitrés est, depuis quelques années, croissante. Elle s’inscrit dans un mouvement plus général des consommateurs exigeant davantage de naturalité et de transparence en matière alimentaire.

En ce qui concerne les charcuteries nitrées, les consommateurs ont été alertés en premier lieu par le classement en 2015 par le CIRC des viandes transformées parmi les produits cancérogènes pour l’homme. Les médias ont largement relayé ce classement et certains scientifiques ont alors pris la parole pour mettre en cause le sel nitrité. La diffusion de reportages grand public, comme celui de « Cash Investigation » en septembre 2016, a accéléré ce phénomène. Des associations de défense de consommateurs, comme l’UFC–Que Choisir, ont alors recommandé aux consommateurs d’éviter les aliments contenant ce conservateur et invité à une particulière vigilance concernant la consommation de ces aliments par les enfants, très exposés aux produits de charcuterie.

C’est sous la pression de ces nouvelles exigences des consommateurs que les industriels ont mis sur le marché les premiers produits de charcuterie sans nitrite, et en premier lieu la marque Herta en 2017, dont le président M. Arnaud de Belloy affirmait pourtant un an auparavant à la journaliste d’investigation, Élise Lucet, qu’il était impossible de supprimer ce conservateur.

En novembre 2019, une pétition a été lancée par Foodwatch, Yuka et la Ligue contre le cancer pour exiger une alimentation sans nitrites ajoutés, en visant tout particulièrement les viandes transformées. Un an après son lancement, en janvier 2021, la pétition affiche plus de 320 000 soutiens [voir supra].

2.   Elle doit permettre aux charcutiers de se renouveler à l’heure où la consommation de produits de charcuterie est en chute

La méfiance des consommateurs à l’égard des produits ultra-transformés se traduit depuis quelques années par une décroissance structurelle du marché de la charcuterie. Selon les données de FranceAgriMer, les ventes de charcuteries n’ont cessé d’afficher un recul en volume depuis 2015, avec une diminution des ventes de 1,4 % en 2019 (hors charcuteries de volailles). Ce recul affecte tout particulièrement les ventes de jambon qui ont baissé de 2,8 % l’année dernière ([75]) après une diminution de 2,5 % en 2018 ([76]). Elles ont ainsi chuté de plus de 11 % depuis 2014 (affichant un volume de vente annuel inférieur de 27 376 tonnes). Cette baisse affecte l’ensemble des produits de charcuterie, à l’exception des saucissons secs et salami dont les ventes ont légèrement progressé depuis 2014 (voir tableau ci-dessous).

Tableau 1 : Évolution des ventes de charcuteries en volume

Le marché français de la charcuterie connait cependant une tendance parallèle : la hausse du prix moyen d’achat par kilo. Cet indicateur montre que le prix par kilo des charcuteries a augmenté depuis 2014 avec une accélération plus marquée à partir de 2017. En 2019, ce prix moyen par kilo a connu une augmentation de 2,6 % pour l’ensemble des produits charcutiers, la hausse atteignant 3,3 % pour le jambon cuit (voir tableau ci-dessous). Ainsi, en valeur, les ventes de charcuteries se sont quasiment maintenues malgré la baisse importante de leur volume de vente (voir tableau ci-dessous).

Tableau 2 : Évolution du prix moyen par kilo des ventes de charcuterie ([77])

 

Tableau 3 : Évolution des ventes de charcuteries en valeur

Vos rapporteurs ont donc la conviction qu’un renouveau de la belle profession de charcutier passe par la valorisation de leurs produits et la montée en gamme. Le « sans nitrite » s’inscrit dans cette dynamique. Les charcuteries sans nitrite ont vu leur vente croître de 14,5 millions d’euros en 2017 à 103,3 millions d’euros en 2019 ([78]). Elles constituent ainsi un fort potentiel de croissance pour les charcutiers, tout en étant une avancée essentielle pour la santé des consommateurs.

Par ailleurs, la transition vers une charcuterie non nitrée devrait également permettre de corriger les effets pervers d’une segmentation importante des produits charcutiers. En l’absence de réglementation, la tentation est en effet forte pour la filière de capitaliser sur cette différenciation dans les rayons et de prélever ainsi des marges importantes sur la catégorie de produits « sans nitrite » qui se distingue par une élasticité-prix moindre du fait des caractéristiques sociologiques et économiques des acheteurs : pouvoir d’achat supérieur à la moyenne, inquiétude croissante (mentionnée plus haut) sur la dangerosité de ces substances.

3.   À la recherche du goût perdu

La question des nitrites dans la charcuterie est aussi une affaire de goût. Vos rapporteurs sont tous particulièrement sensibles à cette question et fervents défenseurs d’une « gastronomie de tous les jours », conforme à la définition du « repas gastronomique français » inscrit en 2010 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Ce repas gastronomique s’entend comme une pratique de « l’art du « bien manger » et du « bien boire », mettant l’accent sur la convivialité, le plaisir du goût, « l’harmonie entre l’être humain et les productions de la nature » ([79]).

La suppression des additifs nitrés permettrait de renouer avec des produits de charcuterie au goût plus authentique et à l’apparence plus conforme à leur nature. Cet enjeu est extrêmement important aux yeux de vos rapporteurs qui se sont engagés, par ailleurs, dans le cadre d’autres combats, contre l’uniformisation des goûts.

Paroles de petit artisan : Mme Noémie Calais, éleveuse de porcs noirs gascon bio dans le Gers et productrice de charcuterie fermière

 

Mme Noémie Calais. La première fois que j’ai mangé du porc noir gascon, je me suis dit que cela n’avait rien à voir avec le cochon que j’avais mangé avant : le goût est très fin, avec une longueur en bouche et une saveur qui enrobe le palais (…) Je me suis intéressée aux deux choses en parallèle : élevage en plein air et charcuterie et découpe. J’ai mis trois ans à me former (…) Après une expérience en boucherie charcuterie traditionnelle – mais avec des sels nitrités – en Alsace, je suis plutôt allée me former auprès d’éleveurs directement parce que généralement quand on travaille avec des petits éleveurs, ils ont un respect tel de leur animal, ils ont passé un an ou quatorze mois à l’élever, comme je le fais aujourd’hui, et quand on a vu cela, on n’a plus envie de mettre le moindre sel nitrité, le moindre additif, le moindre colorant dans la viande : ce serait du gâchis (…).

Je vends sur les marchés, deux fois par semaine (…) où j’ai une clientèle pour partie très rurale : pour moitié des personnes âgées et pour moitié des jeunes actifs qui travaillent plutôt à Toulouse. De la part des personnes âgées, j’ai un retour vraiment extraordinaire sur ma viande : ils me disent qu’ils arrivent enfin à retrouver, en venant chez moi, le goût du porc de leur enfance. Là, quand des vieilles dames me disent cela, je me dis que c’est bon, que c’est bon de réussir à redonner du goût, de la saveur, à ce que les gens mettent dans leur assiette (…)

(audition précitée)

Aux yeux de vos rapporteurs, il existe aujourd’hui un très important enjeu d’éducation au goût, qui revêt une dimension culturelle et patrimoniale, mais aussi sensorielle. La préservation d’une alimentation variée, reflétant la richesse et les traditions des terroirs, à rebours de la croissante uniformisation des goûts, qui se traduit par un affadissement de ceux-ci, doit être considérée comme une priorité. Cette éducation au goût doit prendre, dans les programmes scolaires, une importance plus grande, dépassant largement la « semaine du goût » créée en 1990. Elle doit non seulement permettre aux enfants de découvrir de nouveaux goûts, mais également les impliquer dans la préparation de repas afin de leur permettre de mieux comprendre d’où vient leur alimentation et de leur transmettre une certaine aisance dans la transformation de produits bruts et frais. Cette éducation, qui revêt une dimension culturelle, est également au service des politiques de santé en favorisant des réflexes sains en matière d’alimentation, de manière plus efficace et concrète que ne peuvent le faire les campagnes de communication. Enfin, elle permet d’ancrer dès le plus jeune âge l’idée que l’alimentation est liée au plaisir – celui de préparer ensemble les mets consommés, celui de les partager dans le cadre convivial d’un repas et de les savourer. Ainsi, cette éducation au goût permet de renouer, selon l’expression de Mme Barbara Bessot-Ballot, avec « une alimentation qui nourrit réellement » c’est-à-dire qui nourrit non seulement le corps, mais aussi l’esprit ainsi que le lien social et familial.

Parole de charcutier : M. Fabien Pairon, meilleur ouvrier de France en charcuterietraiteur en 2011

 

M. Fabien Pairon. Même le sel, je ne voulais pas l’utiliser comme exhausteur de goût parce que je me dis que si je suis obligé de mettre 18 grammes de sel au kilo, c’est que je ne suis pas capable d’aller chercher la saveur intrinsèque d’un produit (…). Comme disait Bernard Loiseau, « les choses, elles sont bonnes quand elles ont goût de ce qu’elles sont ». Il faut être capable d’aller chercher une saveur dans la pintade, une saveur dans le cochon, une saveur – très difficile ! – dans le lapin, et cætera. J’ai réussi à dompter un peu cela et chercher à comprendre les phénomènes et les réactions et j’ai réussi, mais je ne suis pas le seul, comme beaucoup de collègues, à travailler sans additifs alimentaires, que ce soit des produits frais, que ce soit des produits pasteurisés, que ce soit des produits fumés, que ce soit des produits salés (…)

Mme Michèle Crouzet. (…) Dans les écoles, est-ce que l’apprentissage peut se faire pour qu’on puisse, à l’avenir, avoir de plus en plus de charcuterie bien meilleure ? Les goûts sont différents d’une région à l’autre, comment peut-on les préserver ?

M. Fabien Pairon. Deux notions me viennent à l’esprit : la première, c’est l’éducation. La « semaine du goût », tout ça, c’est très bien, tout ce qui peut être fait, c’est fabuleux. Bon, je n’ai pas toujours été d’accord avec le fait que ce soit sponsorisé par des lobbies, mais, ma foi, on essaie ! Mais le goût, l’éducation à la santé, ce devrait être une heure par semaine dans les écoles primaires et maternelles, on parle quand même d’un phénomène de santé publique : on sait que ce que l’on va manger aura obligatoirement un impact sur la façon dont on va grandir et évoluer (…). Se nourrir, c’est tellement un acte important à la fois pour la santé publique, pour la culture, pour le développement. La première notion d’éducation doit venir pour moi, de la plus tendre enfance, au même titre que le sport, la culture, etc.

M. Richard Ramos. On est d’accord (…) J’ai eu un journal pendant plus de 17 ans pour apprendre aux enfants à bien manger, qui s’appelait Feuille de chou, qui tirait à plus de 600 000 exemplaires et je suis en train de dire partout que je me suis trompé : on n’éduque pas au sport, on fait du sport. Il ne faut pas penser qu’on doit se contenter d’expliquer aux enfants comment bien manger : il faut faire faire (…). Il faudrait une classe par jour à la cantine, qui mettrait les pelures au poulailler et qui utiliseraient les œufs du poulailler pour faire un gâteau le lendemain (…).

M. Fabien Pairon. Oui, je vous rejoins complètement, les enfants adorent mettre la main à la pâte, ils adorent toucher le produit (…) Toute de suite le produit sera consommé différemment et on peut leur faire manger beaucoup de choses dès l’instant où ils l’ont fait (…).

(audition du 20 novembre 2020)

B.   Elle constitue un enjeu social important pour assurer une alimentation saine, sÛre et durable pour tous

1.   Les plus modestes consomment des quantités beaucoup plus importantes de charcuterie et sont davantage touchés par le cancer colorectal

L’enjeu de santé publique que constitue la question des nitrites dans la charcuterie revêt une forte dimension sociale lorsque l’on identifie des gros consommateurs de charcuterie. Il est démontré qu’il s’agit des foyers, plus particulièrement ruraux, appartenant aux catégories sociales modestes, en particulier ouvriers et agriculteurs. Or, il est également établi qu’il existe une association forte entre statut socio-économique et pronostic des cancers colorectaux ([80]).

Si les produits de charcuterie sont présents dans la quasi-totalité des foyers français, avec pratiquement 100 % d’acheteurs pour une moyenne de 29 kilos annuels par foyer, les catégories sociales les plus fragiles sont nettement plus consommatrices. Une famille « modeste » achète en un an deux fois plus de charcuterie en libreservice qu’une famille « aisée » (26 kg contre 12 kg) Les différences sont particulièrement marquées pour le jambon cuit, les lardons, les pâtés et le saucisson sec ([81]).

La consommation de charcuterie est également différenciée selon les lieux de résidence des consommateurs : elle est davantage consommée par les ruraux que les citadins. Ainsi, « un ménage rural achète en moyenne sur un an sept kilos de charcuterie en libre-service et six kilos de produits à la coupe de plus qu’un ménage parisien » ([82]).

Un rapport d’étude de l’ANSES, plus particulièrement consacré aux conséquences des disparités socio-économiques sur les apports nutritionnels et alimentaires des enfants et des adolescents ([83]), souligne que la charcuterie fait partie des aliments dont les quantités consommées sont corrélées au niveau socioéconomique. Le rapport souligne que ce phénomène concerne particulièrement les adolescents : « Chez les adolescents, c’est essentiellement la consommation de charcuterie qui est plus élevée lorsque le niveau socio-économique est plus bas : ceux vivant dans un foyer de niveau socio-économique bas en consomment en moyenne entre 28 et 32 g/j (selon la variable de niveau socio-économique considérée) tandis que ceux vivant dans un foyer de niveau socio-économique élevé en consomment entre 22 et 25 g/j. L’écart le plus important est observé avec le niveau d’études du représentant (22 vs 29 g/j) ». Parallèlement, quand le niveau socioéconomique du foyer diminue, la consommation par les enfants et les adolescents de fruits et légumes diminue également tandis que la consommation de boissons sucrées augmente.

Les enfants de niveau socio-économique bas consomment davantage de charcuteries.

Source : avis de l’ANSES 2012 précité, page 40

De manière plus générale, la troisième étude individuelle nationale des consommations alimentaires (INCA3) publiée par l’ANSES en juin 2017 ([84]), souligne des disparités importantes de comportements alimentaires en fonction du sexe, de l’âge mais aussi du niveau socio-économique. L’ANSES déplore que les recommandations qu’elle formule en matière d’alimentation et d’activité ne soient pas suffisamment suivies et précise que « les efforts mis en œuvre dans le cadre de la politique nutritionnelle nationale doivent donc être renforcés, notamment à destination des catégories sociales les moins favorisées. Ces efforts doivent porter à la fois sur l’amélioration de l’alimentation d’un point de vue nutritionnel et sur la promotion de l’activité physique ».

2.   Il faut empêcher le développement d’une alimentation « à deux vitesses » qui préserverait la santé des plus riches et exposerait celle des plus modestes à des substances dangereuses

L’enjeu attaché à la question des additifs nitrés dans la charcuterie rejoint donc non seulement celui d’une alimentation non seulement saine, sûre et durable mais aussi – vos rapporteurs aiment à le rappeler – accessible à tous, ainsi que l’a souhaité le législateur dans le cadre de la loi dite « Egalim » de 2018 ([85]).

Les membres de la mission considèrent que cette dimension doit être essentielle dans la réflexion menée sur l’évolution de la réglementation relative aux additifs nitrés. Le développement d’une gamme de charcuteries sans nitrite, plus chère que les produits équivalents contenant ces additifs, contribuerait au développement d’une alimentation « à deux vitesses », offrant aux ménages les plus aisés une alimentation saine et exposant la santé des classes modestes et moyennes à des substances nocives.

Les auditions des producteurs industriels et des distributeurs ont trop souvent donné le sentiment que les gammes de produits sans nitrite étaient destinées à satisfaire une catégorie de consommateurs exigeants, sensibilisés aux questions sanitaires et dotés d’un fort pouvoir d’achat. La question des nitrites dans la charcuterie ne peut, en aucun cas, constituer un simple élément d’une stratégie commerciale et marketing : elle est une question éthique, de santé publique et sociale majeure et doit être considérée comme telle, à la fois par les pouvoirs publics et les acteurs de l’ensemble de la filière.

Il s’agit de garantir l’accès à des produits plus sains à l’ensemble des consommateurs, en particulier les plus modestes. Cette transition exige des efforts, dont vos Rapporteurs prennent pleinement la mesure, de la part de l’ensemble de la chaîne alimentaire, des éleveurs aux consommateurs, en passant par les transformateurs et les distributeurs. Il revient à l’État, garant de l’intérêt général, de fixer les étapes et les modalités de cette transition et d’en assurer l’accompagnement adapté.

C.   Elle nécessite l’engagement de tous les acteurs de l’alimentation, de l’éleveur au consommateur

1.   Accompagner l’élevage porcin en France pour favoriser la qualité et les circuits courts

L’ensemble des producteurs entendus par la mission d’information ont souligné l’importance centrale de la qualité de la matière première, ainsi que la nécessité de disposer d’une viande d’une grande fraîcheur.

La question de la proximité géographique entre élevages et transformateurs, ainsi que celle de la montée en gamme, sont donc centrales. Le plan de filière publié par Inaporc en 2017 lie d’ailleurs ces deux enjeux, proposant « d’encourager à partir de démarches officielles de qualité ou de démarches privées, une identification des produits et filières régionales notamment pour les régions à faible densité porcine qui représentent 25 % de la production française soit 5,5 à 6 millions de porcs produits par an. Ces territoires produisent par ailleurs 42 % de la charcuterie en France » ([86]).

La montée en gamme de la filière doit se poursuivre, ainsi que le prévoit également le plan de filière, au moyen d’un développement des élevages sous signes officiels de qualité que sont les AOP-races locales, l’agriculture biologique (AB), le Label rouge et les indications géographiques protégées (IGP), mais également via le développement de charte collective visant à mettre en place des normes d’élevage plus exigeantes. Cette montée en gamme s’inscrit dans une démarche globale et tient notamment aux conditions d’élevage des animaux – conditions de vie, alimentation, recours aux antibiotiques. 95 % des porcs sont aujourd’hui élevés en France dans des bâtiments et sur caillebotis.

La fraîcheur de la viande tient également à la répartition géographique des abattoirs sur le territoire. Vos rapporteurs sont particulièrement attentifs à cet enjeu et déplorent la réduction du nombre d’abattoirs de taille intermédiaire ainsi que la concentration des abattoirs dans les mains d’un faible nombre d’acteurs, qui s’apparente à une situation de quasi-monopole dans certaines régions. Cette situation regrettable doit évoluer pour permettre une véritable relocalisation des filières agricoles et alimentaires. Ainsi que le soulignait le rapport de la commission d’enquête sur les abattoirs : « la répartition territoriale des abattoirs et le maintien de petits abattoirs publics constituent un enjeu économique et territorial d’importance non sans lien, via la question du transport, avec le bien-être animal » ([87]).

2.   Encourager l’évolution des formations, des méthodes et des outils de production des charcutiers, industriels comme artisans

Comme vos rapporteurs l’ont déjà souligné à plusieurs reprises, la généralisation de la charcuterie sans additifs nitrés nécessitera des évolutions importantes de la part des transformateurs.

La première étape de cette mutation consiste en une adaptation des formations dispensées aux charcutiers. Il est indispensable de développer des enseignements permettant de garantir la sécurité sanitaire des produits sans recours aux additifs nitrés. Cette évolution constitue un véritable changement de paradigme, qu’illustre cette remarque de M. Stéphane Malandain, lors de son audition : « si j’avais rendu une copie en 1982 sans mentionner [le sel nitrité], j’aurais eu zéro » ([88]). .Rappelons que le nitrite de sodium n’avait alors même pas été autorisé depuis 20 ans, ce qui illustre la rapidité avec laquelle l’ensemble des filières concernées s’est approprié cet additif.

Dans un deuxième temps, cette mutation exige une adaptation des processus de fabrication, notamment au travers de protocoles d’hygiène renforcés, de temps de cuisson ou de séchage plus longs pouvant rendre nécessaires une évolution des outils de transformation. Dans le cas de Fleury Michon, par exemple, la DLC raccourcie du jambon « Zéro nitrite » oblige à produire tous les jours, en moindre quantité, en commençant par ce produit pour éviter les risques de contamination croisée. Une augmentation des coûts de production, variables en fonction des entreprises et de leur organisation, peut ainsi être constatée.

Certains producteurs, pour éviter le raccourcissement de la DLC et conserver une couleur rose, ont également eu à investir dans la recherche et le développement de substituts aux nitrites. C’est notamment le cas du leader du marché, Herta. Vos rapporteurs rappellent qu’il est essentiel que les substituts utilisés, comme tous les additifs, présentent toutes les garanties de leur absence d’effets néfastes sur la santé du consommateur. Ils soulignent l’importance, au sein de la filière, d’organiser le partage des connaissances et des avancées techniques en la matière afin de garantir une offre française de charcuterie aussi respectueuse que possible de la santé du consommateur. Ils notent qu’en matière de sécurité microbiologique, les agences sanitaires ont identifié des alternatives satisfaisantes aux additifs nitrés, par exemple les sorbates (couramment utilisés dans les produits laitiers). L’Agence française de sécurité sanitaire des aliments(AFSSA) indiquait ainsi, dans son avis de 2005 : « Le sorbate de potassium est inhibiteur à 2,6g/kg et peut être utilisé à la place des nitrites dans les aliments » ([89]). Il en va de même des anti-oxydants phénoliques ([90]).

Le programme de recherche ADDUITS, qui pourrait bénéficier d’une ouverture à des parties prenantes publiques et à des experts indépendants, devrait néanmoins permettre des avancées (voir encadré).

Le programme de recherche ADDUITS, dont le postulat de base peut être discuté, devrait permettre certaines avancées

Lancé en février 2018, le programme de recherche ADDUITS associe la FICT, l’Institut du porc (IFIP), l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAe) et l’association pour le développement de l’industrie de la viande (ADIV).

Il est financé pour une durée de quatre ans par 24 entreprises charcutières. Il a pour ambition d’identifier des solutions concrètes, utilisables par tous les transformateurs et éprouvées expérimentalement pour réduire, voire éliminer le risque de cancer colorectal lié à une forte consommation de produits charcuterie et salaison.

Les objectifs du projet sont :

– d’identifier les mécanismes majeurs à l’origine de composés nitrosés (NOCs) ;

– de renforcer les connaissances sur les facteurs d’apparition du cancer colorectal associé à la consommation de produits de charcuterie ;

– de neutraliser les NOCs et l’oxydation des lipides par des agents anti-NOCs comme les extraits végétaux ou des antioxydants ;

– et de proposer une prévention ciblée via une reconception de certains produits charcutiers.

On peut néanmoins s’interroger sur la pertinence de la démarche ADDUITS, dans la mesure où ses concepteurs partent du postulat que l’additif nitré doit être employé, et se proposent 1) de toujours mieux comprendre pourquoi il est nocif ; 2) de trouver une technique pour éventuellement minimiser cette nocivité en neutralisant l’effet des composés nitrosés.

Ce programme de recherche industrielle apparaît ainsi postuler que les additifs nitrés sont indispensables à la fabrication des charcuteries, alors qu’il s’agit aujourd’hui d’accompagner les fabricants pour qu’ils emploient les techniques existantes afin de s’en passer.

Enfin, les caractéristiques des charcuteries sans nitrite peuvent entraîner une augmentation plus indirectes des coûts pour les producteurs :

– l’absence de conservateur, en sus du sel, peut entraîner davantage de pertes de produit, du fait de leur dégradation plus rapide ;

– il a été indiqué à vos rapporteurs que le sel nitrité contribuait à donner une meilleure tenue au produit. Dans le cas du jambon cuit, par exemple, cette fragilité légèrement accrue peut entraîner une augmentation du nombre de tranches non vendables, pour des questions d’aspect ;

– enfin, le sel nitrité contribue à la rétention d’eau à hauteur de 5 % et sa suppression entraînera une baisse de rendement matière que vos rapporteurs mentionnent ici tout en considérant qu’il est difficile de déplorer ce phénomène dans la mesure où vendre un jambon plus lourd parce que gorgé d’eau au consommateur ne saurait, en aucun cas, être recommandé ([91]).

3.   Responsabiliser la grande distribution

Une triple responsabilité incombe à la grande distribution (GMS) dans la conduite de cette transition vers une charcuterie sans nitrite :

– il lui revient, dans le cadre des cahiers des charges de sa production de marque distributeur (MDD) de porter des objectifs ambitieux en matière de développement des gammes sans nitrite ;

– il apparaît, en outre, essentiel que la GMS valorise et encourage, dans le cadre notamment des négociations commerciales annuelles, les efforts de ses fournisseurs pour proposer des produits sans additifs nitrés au consommateur ;

– elle assume, enfin, une mission importante de pédagogie vis-à-vis du consommateur, notamment par la mise en valeur dans ses rayons des produits sans nitrite mais aussi par des efforts de communication au sujet de ceux-ci, afin notamment d’accompagner un « changement de culture » de la part du consommateur (voir infra).

Parole de distributeur : M. Pierrick de Ronne, président de Biocoop

M. Pierrick de Ronne. Pour être très clair, Biocoop souhaite retirer les sels nitrités dans la charcuterie d’ici deux à trois ans (…) Notre objectif est que d’ici mars 2021, 45 % de nos références soient sans sel nitrité et on vise 100 % d’ici 2022. C’est possible parce que, au sein de la coopérative BIO DIRECT, on a pu faire cette recherche et développement et, maintenant, on a une connaissance plus importante des process de fabrication, de la formation de la filière et cela nous permet d’aller voir les autres fournisseurs, les autres salaisons, et de venir avec quelque chose d’un peu plus construit et plus « accompagnant » pour développer des gammes sans nitrite chez ces autres fournisseurs (…) Notre ambition c’est de rester un acteur de la distribution influent. L’influence passe aussi par ces engagements-là : montrer que c’est possible (…) Je conclurai sur le fait qu’on a vocation à être rattrapés, c’est le jeu de tous les pionniers, on veut être rattrapé. On fait des choses et si cela passe dans le domaine public, eh bien tant mieux ! C’est notre vocation et notre politique.

(audition du vendredi 27 novembre 2020)

4.   Accompagner un changement de culture chez le consommateur et améliorer l’information qui lui est délivrée

a.   Le passage à une charcuterie sans nitrite exigera un certain « changement de culture » de la part du consommateur

Enfin, c’est un certain « changement de culture » qui doit être accompagné chez le consommateur vis-à-vis duquel un effort de communication doit être organisé sur plusieurs plans :

– la question du prix, qui est celle, plus largement, de la question du « prix juste », au cœur de la montée en gamme de l’alimentation française et que des évolutions législatives récentes s’attachent à favoriser. Elle réside dans la recherche d’un équilibre entre accessibilité des plus humbles à une alimentation de qualité et une juste rémunération du travail des producteurs, en particulier l’amont agricole de la filière. Il importe ainsi tout à la fois de créer des conditions dans lesquelles chacun puisse accéder à des produits alimentaires sains et véritablement nourrissants, mais aussi de rappeler aux consommateurs qu’une alimentation satisfaisante a un coût. Il n’est pas inutile, en la matière, de rappeler, comme l’a fait M. David Garbous lors de son audition ([92]), qu’une alimentation « bas de gamme » recèle de nombreux coûts cachés payés par la collectivité, notamment environnementaux (pollution due aux méthodes de production ou aux transports), de santé publique (soin des pathologies résultant de la « malbouffe ») et sociaux (rémunération des producteurs au-dessous des coûts de production). La « guerre des prix » que se livrent depuis des années les enseignes de la grande distribution a ainsi habitué le consommateur à des prix alimentaires faibles qui recouvrent, en réalité, de nombreux dysfonctionnements préjudiciables à l’ensemble de la société ;

– la question de l’apparence des produits, qu’illustre en particulier la couleur rose de l’emblématique jambon cuit. La généralisation de la charcuterie sans nitrite implique l’assimilation par les consommateurs que la couleur rose de certains produits de charcuterie, à laquelle ils sont habitués depuis l’enfance, résulte de l’utilisation d’additifs chimiques et n’est en rien naturelle. Une évolution des sensibilités en la matière semble déjà amorcée, comme l’ont souligné de nombreux producteurs et distributeurs entendus par vos rapporteurs dans le cadre de leurs auditions ;

– la question de la gestion domestique des stocks alimentaires, enfin, qui résulte de la réduction de la DLC qu’entraîne la renonciation aux additifs nitrés. Certains produits de charcuterie (en particulier, le jambon cuit) sont souvent considérés comme des « fonds de frigo », longtemps conservés et pouvant être utilisés à tout moment. Une charcuterie sans nitrite en fera parfois des produits plus fragiles, devant être consommés dans des délais plus courts, qui s’apparentent à ceux d’autres produits carnés frais, ce qui implique un certain changement de comportement de la part du consommateur, en particulier pour le jambon cuit. À l’inverse, les produits de salaison (saucisson sec, jambon cru ou sec, …), même lorsqu’ils sont fabriqués sans additifs nitrés, ont de longues durées de conservation. Un « blister » de jambon cru sans additif nitré dispose ainsi d’une DLC dépassant souvent six semaines.

b.   Il permettra de clarifier l’information délivrée au consommateur

i.   L’information relative à la présence et aux risques résultant de la présence de nitrate et de nitrite dans la charcuterie est aujourd’hui insuffisamment lisible

L’étiquetage des produits de charcuterie contenant des nitrites et nitrates ajoutés est aujourd’hui peu lisible et crée une nouvelle inégalité entre les consommateurs informés et sensibles aux enjeux de santé public et le reste de la population. En ce qui concerne les denrées alimentaires préemballées, la présence d’additifs doit être mentionnée sur le produit mais est signalée le plus souvent par les codes E249, E250, E251 ou E252. Par ailleurs, pour les denrées alimentaires emballées directement par le client ou à sa demande au moment de l’achat, qui correspondent à l’essentiel des courses effectuées en boucherie ou en charcuterie, l’information du consommateur sur la présence d’additif n’est pas obligatoire.

ii.   Nutri-Score et additifs nitrés : une information contradictoire susceptible de créer une confusion dans l’esprit du consommateur

Les charcuteries sans additifs nitrés présentent aujourd’hui un classement Nutri-Score inférieur à celui de leurs équivalents nitrés. Ce système d’étiquetage facultatif, présent sur la face avant des produits pré-emballés, catégorise les produits selon un classement à cinq niveaux, allant de A à E et du vert au rouge, établi en fonction de la valeur nutritionnelle du produit alimentaire. Le classement prend en compte, pour 100 grammes de produits, les nutriments dont la consommation excessive nuit à la santé (tels que le sel, le sucre, les acides gras saturés) et les nutriments positifs (les protéines, les fibres et les quantités de fruits, légumes et légumineuses incorporées dans la recette). Le Nutri‑Score fournit ainsi au consommateur une information lisible et facilement compréhensible sur la qualité nutritionnelle de leurs achats.

Cependant, pour l’heure, le Nutri-Score ne tient pas compte de la présence d’additifs. Ainsi, par exemple, les jambons blancs sans nitrite mis sur le marché, dont la teneur en sel peut être plus élevée, sont classés dans la catégorie C alors que leurs équivalents produits avec du sel nitrité peuvent prétendre à un classement dans la catégorie B.

Les charcuteries sans sel nitrité sont ainsi pénalisées aux yeux des consommateurs alors même qu’elles visent à leur offrir les meilleures garanties sanitaires et de qualité. Interdire l’usage de sel nitrité dans les charcuteries permettrait, dans un souci de lisibilité du Nutri-Score, de mettre sur un pied d’égalité les gammes de produits de charcuterie.

D.   Elle exige des décisions fortes de la part des pouvoirs publics, ainsi qu’un accompagnement des producteurs de charcuterie

La mission d’information considère comme indispensable l’interdiction de l’utilisation des nitrites dans la fabrication de charcuterie dans un délai permettant l’adaptation de la filière et en tenant compte des contraintes techniques propres à chaque spécialité. Ainsi, les produits de salaison non traités thermiquement pourraient, dans un délai de deux ans, être produits sans recours aux additifs nitrés, comme en témoigne le fait qu’Aoste, leader du marché du jambon sec, ait renoncé aux additifs nitrés dès 2019. Cette interdiction pourrait être étendue aux autres charcuteries, faisant l’objet d’un traitement thermique, dont l’emblématique jambon blanc, d’ici 2025.

Proposition n° 1 : Interdire l’utilisation des additifs nitrés dans la charcuterie à compter du 1er janvier 2023 pour les produits à base de viande non traités thermiquement (produits salés ou saumurés crus et les produits à base de viande traditionnels en salaison sèche et autres produits saumurés de manière traditionnelle) et à compter du 1er janvier 2025 pour l’ensemble des produits de charcuterie.

Cette interdiction, qui exige une véritable transition de la filière, doit être accompagnée par les pouvoirs publics, notamment sur le plan financier. Vos rapporteurs préconisent la mise en place d’un fonds destiné à soutenir l’effort d’adaptation de leur outil de production des transformateurs, en particulier des structures artisanales et de petites tailles.

Proposition n° 2 : Accompagner cette transition par la mise en place d’un fonds public destiné à soutenir l’adaptation des outils de production des transformateurs, en particulier artisans, très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME).

Un dispositif transitoire pourrait être envisagé pour permettre une suppression progressive des additifs nitrés dans les produits de charcuterie. Vos rapporteurs suggèrent ainsi de :

– limiter la dose d’additifs nitrés pour les produits de salaison et pour les produits de charcuterie, sur le modèle danois ;

– de prévoir une entrée en vigueur plus précoce de cette réglementation dans les services de restauration collective scolaires, hospitaliers, carcéraux et médico-sociaux ;

– de mettre en place un étiquetage clair et plus lisible indiquant la présence d’additifs nitrés dans les produits de charcuterie ;

– de mettre en place un message à caractère sanitaire dans les messages publicitaires en faveur des produits de charcuterie et de salaisons fabriqués en ajoutant des additifs nitrés.

Proposition n° 3 : Prévoir pendant la période transitoire précédant l’entrée en vigueur de l’interdiction générale des additifs nitrés une limitation des quantités d’additifs nitrés pouvant être ajoutés dans les produits de charcuterie, en s’inspirant de l’exemple danois qui limite cette quantité à 60 milligrammes par kilogramme (mg/kg).

 

Proposition n° 4 : Prévoir une entrée en vigueur plus précoce de cette interdiction dans la restauration collective scolaire, hospitalière, carcérale et médico-sociale.

 

Proposition n ° 5 : Apposer une mention sur les étiquetages des produits de charcuterie indiquant clairement, le cas échéant, que des additifs nitrés ont été utilisés pour leur fabrication et que l’utilisation de ces additifs est associée à un effet promoteur du cancer colorectal.

 

Proposition n° 6 : Mettre en place un message à caractère sanitaire dans les messages publicitaires en faveur des produits de charcuterie et de salaisons fabriqués en ajoutant des additifs nitrés.

 

Proposition n° 7 : Considérer dès maintenant prioritairement la question des additifs nitrés, lors de la révision et ou l’adoption de cahiers des charges de filières sous SIQO concernées.

 

Enfin, plus largement, vos rapporteurs préconisent la mise en œuvre d’une stratégie nationale d’éducation au goût dans les écoles maternelles, primaires et dans les collèges, destinée à la sensibilisation précoce des enfants aux enjeux attachés à l’alimentation, qu’ils soient de santé publique, environnementaux ou culturels.

 

Proposition n° 8 : Développer une stratégie nationale d’éducation au goût dans les écoles maternelles, primaires et les collèges

 

 


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Glossaire

Cancérigène/cancérogène.

Les deux termes sont synonymes. Dans le cadre du présent rapport, le terme « cancérogène » a été utilisé de préférence mais l’adjectif « cancérigène » est également cité, notamment pour respecter l’exacte formulation employée par les personnes auditionnées lorsque leurs propos sont cités.

Code d’usage/Règlement/Loi.

Un code des usages est un document de nature non réglementaire, issu d’une concertation entre les acteurs (producteurs, instituts techniques, etc.) et approuvé par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Il sert de référence, notamment pour les contrôles, aux transformateurs, aux organismes de contrôle, aux distributeurs et aux consommateurs. Le code des usages de la charcuterie fixe notamment les limites nutritionnelles en matière grasse et lipides pour plusieurs familles de produits, les restrictions de l’emploi d’additifs pour les produits supérieurs ainsi que des nitrites et nitrates pour toutes les dénominations et traduit les évolutions réglementaires sur l’étiquetage et les additifs. Édité pour la première fois en 1968, le code des usages de la charcuterie a notamment été révisé en 2016 et 2020. D’autres secteurs alimentaires sont régulés par un tel document, par exemple le code des usages des viandes et abats de boucherie marinée ou le code des usages de la viennoiserie artisanale.

Un acte réglementaire (décrets, arrêtés, délibérations des assemblées des collectivités locales) est un acte administratif unilatéral (AAU) par lequel le pouvoir exécutif modifie l’ordonnancement juridique, en fixant de nouvelles règles juridiques créant des droits et obligations ou modifiant des normes existantes. Cet acte a une portée générale et impersonnelle. Les décrets sont l’œuvre du Président de la République ou du Premier ministre. Les arrêtés ont pour auteur les ministres, les préfets, les maires, les présidents de conseil départemental ou régional.

La loi, votée par le Parlement, est un acte juridique de portée générale et obligatoire. La loi s’impose à tous et tous les autres actes juridiques doivent la respecter. Elle s’inscrit dans le respect de la Constitution et des grands principes républicains. L’article 34 de la Constitution distingue le domaine de la loi, votée par le Parlement, et celui du règlement, placé entièrement dans les mains du pouvoir exécutif (art. 37 de la Constitution).

Danger/Risque.

Un danger est une source potentielle de dommage, de préjudice ou d’effet nocif à l’égard d’une personne ou d’une chose. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) indique ainsi, sur son site internet, que « divers dangers (microorganismes pathogènes, substances chimiques ou agents physiques) sont susceptibles d’affecter la santé de l’Homme, des animaux ou même des végétaux ».

Un risque, selon la définition de l’EFSA, est la probabilité que survienne un danger qui entraîne un préjudice. M. Jérôme Santolini, lors de son audition par la mission d’information a souhaité préciser cette définition pour souligner que le risque sanitaire n’était pas seulement une probabilité d’exposition mais la combinaison de deux dimensions que sont l’exposition et la dangerosité intrinsèque de la substance considérée.

Précaution/prévention.

La prévention correspond à des risques connus pouvant être plus ou moins réduits, tandis que la précaution est de mise dans les situations où subsistent des incertitudes quant à l’existence et à l’ampleur d’un risque dont les effets pourraient être graves et irréversibles.

Le principe de précaution est inscrit, en droit français, à l’article 5 de la Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle. L’article 5 dispose : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ». Ce principe de précaution trouve également une application en matière de santé publique, comme dans le cas, par exemple, du bisphénol A, un perturbateur endocrinien suspecté de provoquer des troubles de la reproduction et d’avoir des effets cancérogènes. La fabrication et la commercialisation de biberons contenant cette substance est interdite en France depuis le 1er janvier 2011 par la loi du 30 juin 2010 et en Europe depuis le 1er mars 2011. Une loi adoptée en octobre 2011 étend cette interdiction de fabrication et de commercialisation du bisphénol A à l’ensemble des conditionnements d’usage alimentaire depuis le 1er janvier 2015.

La prévention consiste à agir pour limiter des risques clairement identifiés et dont la gravité a pu être évaluée. La politique de prévention des risques routiers constitue un exemple emblématique de ce type de démarche.

 

Morbidité/mortalité.

Pour une population donnée, on utilise la notion de taux de morbidité, qui indique le nombre de personnes atteintes d’une affection précise pendant une période donnée. Ce taux s’exprime en nombre de sujets atteints par unité de population (1 000 ou 10 000, ou plus habituellement 100 000 habitants).

La mortalité s’exprime, quant à elle, à travers un pourcentage, le taux de mortalité, qui est le nombre annuel de décès dus à une cause donnée, rapporté au nombre d’habitants de la zone considérée.

Rapport parlementaire/rapport d’expertise sanitaire.

Rapport parlementaire. Les députés, désignés par le peuple français au suffrage universel direct, assument, aux termes de l’article 24 de la Constitution du 4 octobre 1958, outre la mission de voter la loi, celle de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques. Dans ce cadre sont notamment créées des missions d’information qui, au terme de leurs travaux, remettent un rapport destiné à éclairer le Gouvernement, le Parlement et les citoyens sur un thème donné. Ces rapports constituent un socle pour l’action publique et une solide base pour le travail législatif du Parlement et du Gouvernement.

Un rapport d’expertise sanitaire est une synthèse de connaissances, élaborée à l’intention des pouvoirs publics, dans le but de garantir la sécurité sanitaire. Il est élaboré par des agences habilitées à délivrer une expertise sanitaire, notamment l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) ou Santé Publique France. Il est rédigé par des experts scientifiques au terme d’un processus contradictoire et répond à un certain nombre d’exigences déontologiques, notamment celles d’impartialité, de transparence et de pluralité. L’impartialité des experts est notamment garantie par une déclaration publique d’intérêts (DPI) qui mentionne les liens d’intérêts de toute nature, directs ou indirects, que le déclarant a eus avec des organismes publics ou privés intervenant dans le champ de compétences de l’agence ou de l’instance collégiale dont il est membre, afin d’éviter les conflits d’intérêts.

 

 


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   Liste des propositions

Proposition n° 1 : Interdire l’utilisation des additifs nitrés dans la charcuterie à compter du 1er janvier 2023 pour les produits à base de viande non traités thermiquement (produits salés ou saumurés crus et les produits à base de viande traditionnels en salaison sèche et autres produits saumurés de manière traditionnelle) et à compter du 1er janvier 2025 pour l’ensemble des produits de charcuterie.

 

Proposition n° 2 : Accompagner cette transition par la mise en place d’un fonds public destiné à soutenir l’adaptation des outils de production des transformateurs, en particulier artisans, très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME).

 

Proposition n° 3 : Prévoir pendant la période transitoire précédant l’entrée en vigueur de l’interdiction générale des additifs nitrés une limitation des quantités d’additifs nitrés pouvant être ajoutés dans les produits de charcuterie, en s’inspirant de l’exemple danois qui limite cette quantité à 60 milligrammes par kilogramme (mg/kg).

 

Proposition n° 4 : Prévoir une entrée en vigueur plus précoce de cette interdiction dans la restauration collective scolaire, hospitalière, carcérale et médico-sociale.

 

Proposition n ° 5 : Apposer une mention sur les étiquetages des produits de charcuterie indiquant clairement, le cas échéant, que des additifs nitrés ont été utilisés pour leur fabrication et que l’utilisation de ces additifs est associée à un effet promoteur du cancer colorectal.

 

Proposition n° 6 : Mettre en place un message à caractère sanitaire dans les messages publicitaires en faveur des produits de charcuterie et de salaisons fabriqués en ajoutant des additifs nitrés.

 

Proposition n° 7 : Considérer dès maintenant prioritairement la question des additifs nitrés, lors de la révision et ou l’adoption de cahiers des charges de filières sous SIQO concernées.

 

Proposition n° 8 : Développer une stratégie nationale d’éducation au goût dans les écoles maternelles, primaires et les collèges

 

 


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Liste des personnes auditionnÉes

(par ordre chronologique)

 

ANIA *

M. Antoine Quentin, directeur

Mme Victoire Perrin, responsable des affaires publiques

Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT) *

M. Bernard Vallat, président

M. Fabien Castanier, délégué général

M. Thierry Gregori, directeur des affaires scientifiques et réglementaires

Société André Bazin

M. Guillaume Wagner, directeur général adjoint

M. Mathieu Boisson, directeur développement produit

HERTA *

M. Arnaud de Belloy, président-directeur général

Mme Laurence Enault, directeur R&D

M. Fabio Brusa, responsable communication externe

École nationale des industries du lait et des viandes (ENILV) d’Aurillac

M. Yves Arnaud, professeur de transformation de la viande

Mme Noémie Calais, éleveuse et productrice de charcuteries fermières (Gers)

Salaisons du Terroir (Somme)

M. Didier Hue, président-directeur général

Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF)

Mme Virginie Beaumeunier, directrice générale

M. Emmanuel Koen, adjoint au sous-directeur

Mme Zoé Bedouin-Ben Aya, inspectrice

Lobbying et Stratégies *

M. Thierry Coste, président de Lobbying et Stratégies

M. Adrien van de Wiele, adjoint du président

Super U *

Mme Sylvie Vaissaire, directrice qualité

M. Marc Gunther, directeur conception production produits U

M. Philippe Gigleux, chargé de mission auprès de la présidence

Les Mousquetaires *

M. Frédéric Thuillier, directeur des affaires publiques du Groupement Les Mousquetaires

M. Christophe Bonno, directeur relations institutionnelles agricoles du Groupement

Direction générale de la santé (DGS)

M. Jean-Christophe Comboroure, chef du bureau Alimentation et Nutrition

Mme Isabelle de Guido, adjointe au Chef du bureau Alimentation et Nutrition

Mme Mélanie Picherot, chargée du dossier « Sécurité sanitaire des aliments »

Foodwatch France *

Mme Karine Jacquemart, directrice

M. Camille Dorioz, responsable de campagnes

M. Guillaume Coudray, auteur et réalisateur de films documentaires

Fleury Michon *

M. Billy Salha, directeur général

Mme Barbara Bidan, directrice santé et alimentation durable

E. Leclerc *

Mme Laetitia Magré, vice-présidente du Mouvement E.Leclerc et présidente de la commission Qualité et développement durable

M. Frédéric Gheeraert, directeur général de la Scamark

M. Alex Joannis, directeur général de Kermené

M. Alexandre Tuaillon, chargé de mission auprès du président du Mouvement E.Leclerc

Table ronde réunissant des scientifiques :

M. Axel Kahn, directeur de recherche émérite à l’INSERM et ancien directeur de l’institut Cochin, président du comité d’éthique commun de l’INRAe, du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER), président de la Ligue contre le cancer.

M. Norbert Ifrah, cancérologue, professeur d’université, ancien chef du service d’hématologie du centre hospitalier universitaire (CHU) d’Angers, président de l’Institut national du cancer (INCa) ;

Mme Océane Martin, maître de conférences en microbiologie clinique à l’université de Bordeaux, membre de l’unité INSERM U1053-UMR Bariton (Bordeaux Research in Transactional Oncology) ;

M. Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition de l’Institut Pasteur de Lille et président du conseil scientifique de la FICT ;

M. Denis Corpet, directeur de recherche émérite à l’INRAe), président du sous-groupe d’experts « mécanismes de la cancérogénèse » (Monographie « Viandes rouges et viandes transformées » du CIRC, 2015) ;

M. Fabrice Pierre, directeur de recherche à l’INRAe, responsable de l’équipe « Prévention, promotion de la cancérogénèse par l’alimentation »

Sciences Po

M. Daniel Benamouzig, sociologue, titulaire de la chaire « santé » à Sciences Po et directeur de recherche au CNRS

M. Joan Cortinas Munoz, chercheur au Centre de sociologie des organisations (CSO) de Sciences Po

Salaisons Roches Blanches

M. Stéphane Malandain, président-directeur général

Institut national de l’origine et de la qualité (INAO)

Mme Marie Guittard, directrice générale

Cooperl

M. Emmanuel Commault, directeur général

Fédération du commerce et de la distribution (FCD) *

Mme Émilie Tafournel, directrice qualité

M. Hugues Beyler, directeur « agriculture et filières »

Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES)

M. Gérard Lasfargues, directeur général délégué, Pôle Sciences pour l’expertise

M. Matthieu Schuler, directeur de l’évaluation des risques

Mme Irène Margaritis, Chef de l’unité de l’évaluation des risques liés à la nutrition

Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) *

M. Jérôme Santolini, chercheur en biochimie, responsable du laboratoire « Stress oxydant et détoxication »

Ministère de l’agriculture et de l’alimentation

M. Julien Denormandie, ministre de l’agriculture et de l’alimentation

UFC-Que Choisir

M. Olivier Andrault, chargé de mission alimentation et nutrition

Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN)

Mme Mathilde Touvier, directrice

École hôtelière de Lausanne (EHL)

M. Fabien Pairon, Senior Lecturer Practical Arts

M. David Garbous, ancien directeur marketing et communication de Fleury Michon

INAPORC *

M. Guillaume Roué, président

M. Didier Delzescaux, directeur

M. Fabien Verliat, chargé de mission R&D

Mme Dominique Parent-Massin, professeur d’université honoraire en toxicologie alimentaire, présidente d’honneur de la Société française de toxicologie

Réseau français des instituts techniques de l’agro-alimentaire (ACTIA)

M. Didier Majou, directeur général

M. Pierre Degonde, directeur du cabinet de conseil Euralia *

SYNPA (Syndicat national des producteurs d’additifs et ingrédients) *

Mme Mélanie Le Plaine-Mileur, secrétaire générale

Mme Véronique Zuliani, présidente du groupe de travail « microorganismes »

BIOCOOP *

M. Pierrick De Ronne, président

Mme Hélène Person, responsable marques et innovation de l’offre

YUKA

M. Benoît Martin, cofondateur

Confédération nationale des charcutiers traiteurs et traiteurs (CNCT) *

M. Joël Mauvigney, président

Mme Élisabeth de Castro, déléguée générale

 

 

 

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le répertoire AGORA des représentants d’intérêts de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui vise à fournir une information aux citoyens sur les relations entre les représentants d’intérêts et les responsables publics lorsque sont prises des décisions publiques.

 


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Annexe : proposition de loi n° 3683 dÉposÉe par vos rapporteurs

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N° 3683

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 décembre 2020.

PROPOSITION DE LOI

relative à l’interdiction progressive des additifs nitrés
dans les produits de charcuterie,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

 

M. Richard RAMOS, Mme Barbara BESSOT BALLOT, Mme Michèle CROUZET et les membres du groupe Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés (1),

députés.

____________________________________

(1)    Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Erwan Balanant, Géraldine Bannier, Jean‑Noël Barrot, Stéphane Baudu, Justine Benin, Philippe Berta, Christophe Blanchet, Philippe Bolo, Jean‑Louis Bourlanges, Blandine Brocard, Vincent Bru, David Corceiro, Michèle Crouzet, Jean‑Pierre Cubertafon, Marguerite Deprez‑Audebert, Bruno Duvergé, Nadia Essayan, Michel Fanget, Yannick Favennec‑Bécot, Isabelle Florennes, Pascale Fontenel‑Personne, Bruno Fuchs, Laurent Garcia, Luc Geismar, Perrine Goulet, Brahim Hammouche, Cyrille Isaac‑Sibille, Élodie Jacquier‑Laforge, Christophe Jerretie, Bruno Joncour, Sandrine Josso, Jean‑Luc Lagleize, Fabien Lainé, Mohamed Laqhila, Florence Lasserre‑David, Philippe Latombe, Patrick Loiseau, Aude Luquet, Max Mathiasin, Jean‑Paul Mattei, Sophie Mette, Philippe Michel‑Kleisbauer, Patrick Mignola, Bruno Millienne, Jimmy Pahun, Frédéric Petit, Maud Petit, Josy Poueyto, François Pupponi, Richard Ramos, Marielle de Sarnez, Sabine Thillaye, Frédérique Tuffnell, Nicolas Turquois, Michèle de Vaucouleurs, Laurence Vichnievsky, Philippe Vigier, Sylvain Waserman.

 

 

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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis de nombreuses années, les réactions chimiques entre les additifs nitrés et les composants de la matière carnée (en particulier le fer) présents dans les produits de salaison et de charcuterie, sont pointées du doigt à cause des risques de cancer.

Les additifs nitrés sont des conservateurs chimiques qui possèdent plusieurs fonctions. Ils sont employés dans les salaisons et la charcuterie parce qu’ils accélèrent et simplifient la fabrication et parce qu’ils allongent la durée de conservation, facilitant ainsi la commercialisation. Ils constituent un moyen rapide et peu onéreux pour donner aux charcuteries et aux salaisons une couleur appétissante. Ils peuvent aussi permettre de recourir à des matières premières de moindre qualité ‑ par exemple, utiliser des viandes dont la qualité bactériologique n’est pas optimale.

L’ensemble de ces avantages technologiques fait qu’aujourd’hui, la majorité des charcuteries et salaisons consommées en France sont traitées par additif nitré. Le plus utilisé est le « sel nitrité » : il s’agit d’un mélange de 99,4 % de sel de cuisine et de 0,6 % de pur nitrite de sodium (E250). L’autre additif nitré abondamment utilisé est le nitrate de potassium (E252). Enfin, certains procédés permettent de générer du nitrite à partir d’extraits végétaux à haute teneur en nitrate. Tous les additifs nitrés agissent d’une façon similaire sur la viande, et tous ont le même impact sur la santé humaine : en réagissant avec les composants de la viande, les additifs nitrés accentuent le pouvoir cancérogène de la matière carnée.

Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) classe la charcuterie et les salaisons comme cancérogènes avéré (groupe 1 : « cancérogènes certains pour l’homme »). Décidé en 2015, ce classement signifie que les scientifiques disposent de preuves certaines de la cancérogénicité pour l’homme. Les charcuteries et salaisons représentent, avec l’alcool, le seul groupe d’aliments qui est classé dans cette catégorie. Le rapport final du CIRC, publié en 2018 ([93]), n’a fait que confirmer les conclusions du World Cancer Research Fund (WCRF) et de l’American Institute for Cancer Research (AICR) qui alertaient dès 2007 sur la consommation de charcuterie comme augmentant nettement le risque de cancer ([94]).

Selon le CIRC, la consommation de charcuteries et salaisons contribue en France à plus de 4 380 cas de cancer (500 cas de cancer de l’estomac et 3 880 de cancer colorectal) ([95]). L’OMS considère que chaque portion de 50 grammes de charcuterie consommée tous les jours augmente le risque de cancer colorectal de 18 %. Les résultats expérimentaux conduits par l’INRAE ont montré que les charcuteries nitrées ont un effet cancérogène spécifique, que n’ont pas les charcuteries fabriquées sans additif nitré ([96]). La mission d’information sur l’utilisation des sels nitrités a auditionné le professeur Denis Corpet (INRAE), qui présidait l’équipe consacrée aux mécanismes de la cancérogénèse lors de l’évaluation du CIRC. Après avoir rappelé le poids du cancer colorectal en France, il a fermement recommandé qu’il soit mis fin à l’emploi des additifs nitrés, qu’il a décrit comme un « poison »  ([97])  auquel les fabricants de charcuterie devaient renoncer. En 2019, dans un échange avec le commissaire européen à la santé et à l’alimentation, le professeur Corpet rappelait les travaux conduits par son équipe sur des animaux de laboratoire : « un modèle de jambon expérimental, traité au nitrite, favorise la cancérogénèse colorectale chez les rongeurs. Lorsqu’il est fabriqué sans nitrite, le même jambon n’a pas d’effet promoteur de la cancérogénèse  ([98]) ». D. Corpet concluait : « L’addition de nitrites dans des aliments tels que le jambon ou le bacon occupe une place centrale dans le risque de cancer. C’est pourquoi les produits carnés qui contiennent ces additifs sont significativement plus dangereux que les autres charcuteries ([99])  ».

La cancérogénicité des charcuteries nitrées est liée à la présence de fer héminique et à la transformation des additifs nitrés au cours du processus de production et au cours de la digestion. Les additifs nitrés réagissent avec les composants de la viande et avec des produits de dégradation, entraînant l’apparition de composés dits « NOC » : nitrosamines, nitrosamides, Snitrosothiols et fer nitrosylé. Le fer nitrosylé (FeNO), en particulier, résulte de la rencontre (via une réaction de nitrosylation ([100]) ) entre, d’un côté, le monoxyde d’azote (NO) issu de l’additif nitré, et de l’autre côté, le fer héminique naturellement présent dans la matière carnée. L’environnement acide de l’estomac catalyse une réduction supplémentaire pour créer du NO et des S‑nitrosothiols. Lors de son audition devant la mission d’information sur l’utilisation des sels nitrités, le professeur Axel Kahn, généticien et président de la Ligue contre le Cancer, a résumé l’état des connaissances sur l’effet cancérogéne de la charcuterie après qu’elle a subi un traitement nitré : « Le grand phénomène chimique de la charcuterie nitritée est la formation de nitroso‑hème ferreux, incroyablement stable et qui résiste à la cuisson. ([101]) » Au cours de la digestion, le nitroso‑hème « produit une cascade de produits de dégradation au contact direct de la muqueuse intestinale, en particulier de la muqueuse colique. C’est ce qui explique le caractére très spécifique de la cancérogénicité des produits nitrités ([102]). »

La dangerosité des viandes nitrées a été reconnue par la Commission européenne, qui a accepté que le Danemark ne transpose pas la directive 2006/52/CE en droit national en ce qui concerne l’utilisation de nitrites dans certains produits à base de viande et que ce pays maintienne la législation nationale en vigueur à cet égard, plus restrictive en la matière. La Commission admettait ainsi, dès 2010 : « qu’il est reconnu que la présence de nitrites dans les produits à base de viande peut conduire à la formation de nitrosamines, dont l’effet cancérigène est avéré » ([103]). Les résultats de la dernière étude de référence (la méta‑analyse de Crowe, Eliott et Green de 2019) ne laissent pas de place au doute : sur 17 publications étudiant l’effet spécifique des additifs nitrés, 5 (cinq) concluent que les charcuteries nitrées et non nitrées sont aussi dangereuses les unes que les autres. Une seule étude conclut que les charcuteries nitrées sont moins dangereuses. Et 11 (onze) concluent que les charcuteries nitrées sont plus cancérogènes que les charcuteries n’ayant pas subi de traitement nitré ([104]).

Les consommateurs français sont d’autant plus exposés aux risques que leur consommation de charcuterie excède largement les recommandations formulées par Santé Publique France : 63 % des personnes âgées de 18 à 54 ans dépassent les quantités de charcuterie maximales recommandées  ([105]). Par ailleurs, on sait qu’une famille modeste achète en un an deux fois plus de charcuterie en libre‑service qu’une famille aisée  ([106]) . Il y a quelques décennies, les pauvres mangeaient des légumes et les riches de la viande, cette tendance s’est donc inversée. Qui plus est, les foyers modestes mangent de la charcuterie de moindre qualité : d’après TNS, en 2007, 40 % du jambon cuit et plus de 50 % du jambon cru achetés en libre‑service en grande distribution l’ont été sous forme de produits « économiques » (hard discount, marques « premiers prix » des hypermarchés et des supermarchés). Il faut donc conduire à une modification des procédés employés pour fabriquer l’ensemble des charcuteries et salaisons ; nous ne pouvons accepter que la suppression des additifs cancérogènes ne concerne qu’une fraction du marché, par exemple une gamme « premium » réservée aux plus aisés.

À l’Assemblée nationale, différentes actions ont été menées pour interdire ces additifs dans les produits de charcuterie : l’idée d’une taxe a été défendue dans l’hémicycle, puis celle d’un étiquetage spécifique. Plus récemment, une mission d’information de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a été créée pour faire toute la lumière sur la dangerosité de ces substances. Menée par Richard Ramos, député du Loiret, Barbara Bessot‑Ballot, députée de la Haute‑Saône, et Michèle Crouzet, députée de l’Yonne, cette mission a entendu de très nombreux acteurs, notamment des scientifiques, des petits artisans, des grandes entreprises agroindustrielles, des distributeurs, des institutionnels, des lobbyistes ou encore des associations de défense des consommateurs pour comprendre les raisons pour lesquelles les additifs nitrés étaient utilisés dans la charcuterie et les risques pour la santé humaine attachés à ces produits.

La mission a acquis la conviction que le législateur devait agir pour une réduction, puis une suppression rapide de ces additifs nitrés dans les produits de charcuterie. Cette conviction relative à la dangerosité de ces substances pour la santé humaine est renforcée par deux éléments importants :

– les additifs nitrés sont présentés comme un indispensable rempart contre le botulisme. En réalité, l’évolution des conditions sanitaires et des règles d’hygiène tout au long de la chaîne de production, de l’abattoir à la distribution, contribuent à une garantie contre cette bactérie. Depuis 2017, l’offre de jambon sans nitrite n’a cessé de croître, les produits ont été consommés par plusieurs millions de Français et aucun cas de botulisme n’est à déplorer. De manière générale, les cas de botulisme recensés en France au cours des dernières années ont été provoqués par des conserves ou des charcuteries familiales ou mal fabriquées, réalisées dans des conditions d’hygiène et de sécurité alimentaire défaillantes, qui ne sont pas comparables avec l’exigence sanitaire appliquée par les professionnels de la filière française ([107]) ;

– il est aujourd’hui tout à fait possible de réaliser l’ensemble des produits de charcuterie sans recourir aux additifs nitrés. Une majorité de producteurs industriels français – Herta, Fleury Michon, Brocéliande, Madrange (groupe Cooperl), Salaisons Roches Blanches, André Bazin, les marques distributeurs des différentes enseignes – ont mis au cours des trois dernières années des produits sans nitrite sur le marché. Certains producteurs artisanaux, comme Mme Noémie Calais ou encore la Maison Verot, n’ont cessé de le faire, comme en témoigne, par exemple, les formations dispensées depuis plus de vingt ans au sein de l’École nationale des industries du lait et de la viande (ENILV) d’Aurillac qui ont conduit à la création de plus de 400 ateliers artisanaux de transformation utilisant des méthodes traditionnelles de fabrication de charcuterie sans nitrite sur l’ensemble du territoire français. Le distributeur Biocoop s’est d’ailleurs engagé à proposer à ses clients un rayon charcuterie totalement exempt d’additifs nitrés d’ici 2022, tant en ce qui concerne les produits de marque distributeur (MDD) que ceux des marques nationales ([108]).

Considérant ainsi que les additifs nitrés font peser sur la santé humaine des risques d’une importance capitale, alors même qu’ils ne sont pas indispensables pour garantir la nonrésurgence du botulisme en France et qu’il est aujourd’hui possible, pour l’ensemble des acteurs de la filière, de produire une charcuterie exempte de ces additifs dangereux, les auteurs de cette proposition de loi souhaitent interdire progressivement le recours au nitrite et nitrate ajoutés dans les viandes transformées.

L’article 1er interdit les additifs nitrés pour les produits de salaison – les produits à base de viande non traités thermiquement (produits salés ou saumurés crus) et les produits à base de viande traditionnels en salaison sèche et autres produits saumurés de manière traditionnelle – à compter du 1er janvier 2023. Il faut souligner que nombre de ces produits sont d’ores et déjà fabriqués sans additifs nitrés, comme le jambon de Parme, preuve que les acteurs agroalimentaires peuvent s’en passer. Plusieurs fabricants de jambon de Bayonne ont déjà recommencé à produire suivant le procédé de fabrication authentique. Le leader du marché du jambon sec, Aoste (21 % des parts de marché français en valeur) a d’ailleurs annoncé en 2019 qu’il renonçait aux additifs nitrés pour une part croissante de ses produits. Le groupe Delpeyrat, acteur majeur de l’industrie du jambon, va dans le même sens. Cet article interdit également les additifs nitrés pour tous les autres produits de charcuterie, c’estàdire les produits de charcuterie traités thermiquement (andouilles, andouillettes, boudins blancs et noirs, charcuteries pâtissières, jambons, lardons, pâtés, terrines, rillettes, saucisses, saucissons, tripes, etc) à compter du 1er janvier 2025.

L’article 2 prévoit une limitation de la dose d’additifs nitrés pour les produits de salaison et pour les produits de charcuterie durant la période transitoire.

L’article 3 prévoit une suspension de la consommation de produits de salaison et produits de charcuteries fabriqués en employant une quantité de nitrite supérieure à 60 mg/kg ou de nitrate supérieure à 120 mg/kg dans les services de restauration collectives scolaires, pénitentiaires, hospitalières et médicosociales à compter du 1er septembre 2022.

L’article 4 qui modifie le code de la consommation prévoit explicitement que les agents la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont habilités à rechercher et constater les infractions ou les manquements aux dispositions de la présente proposition de loi. Dès lors, ces agents peuvent enjoindre les professionnels de cesser tout agissement illicite (article L. 521‑2), l’autorité administrative peut ordonner par arrêté la suspension de la mise sur le marché, le retrait, le rappel et la destruction des produits litigieux (article L. 521‑7) et, enfin, il est possible de sanctionner pénalement la violation des interdictions prévues dans la proposition de loi en application de l’article L. 532‑3 du code de la consommation qui dispose : « Le fait de ne pas exécuter les mesures ordonnées en application des articles L. 5214 à L. 52116 et L. 52119 à L. 52122 est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 15 000 euros. Le montant de l’amende peut être porté à 30 000 euros lorsque les produits ou services concernés par ces mesures présentent ou sont susceptibles de présenter un danger pour la santé publique ou la sécurité des consommateurs ». Ainsi la non‑exécution des mesures ordonnées dans le cadre de l’article L. 521‑7 serait punie de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 euros puisque les produits concernés seraient susceptibles de présenter un danger pour la santé publique ou la sécurité des consommateurs.

L’article 5 prévoit la mise en place d’un étiquetage spécifique pour les produits de salaison et les produits de charcuterie contenant des additifs nitrés.

L’article 6 prévoit la mise en place d’un message à caractère sanitaire dans les messages publicitaires en faveur des produits de charcuterie et de salaisons fabriqués en ajoutant des additifs nitrés.

L’article 7 vise à mettre en place un fonds permettant aux artisans charcutierstraiteurs et boucherscharcutiers de financer la mise en œuvre de procédés de fabrication adéquats et l’adaptation de leurs outils de production afin de permettre la production de charcuterie sans additif nitré. En effet, contrairement aux grandes entreprises de l’agroalimentaire, les petits artisans n’ont pas toujours les ressources nécessaires pour financer leur formation et la mise aux normes de leur outil de production. L’État doit donc appuyer financièrement cette transition afin de garantir des produits de charcuterie sans additifs nitrés et ainsi moins dangereux pour la santé humaine.

L’article 8 prévoit que les conséquences financières résultant de la mise en place du fonds créé par l’article 7 sont compensées par la création de taxes prévues aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Telles sont les mesures proposées par les auteurs du présent texte, qui doivent permettre d’accompagner la transition indispensable de l’ensemble de la filière française productrice de charcuterie vers des produits plus respectueux de la santé du consommateur.


PROPOSITION DE LOI

Article 1er

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\D39DA0AA.tmpI. – Le titre II du livre III de la première partie du code de la santé publique est complété par un chapitre II ter ainsi rédigé :

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\C4158E48.tmp« Chapitre II ter

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\C9363396.tmp« Interdiction des charcuteries contenant des nitrites ou nitrates ajoutés

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\123B5C14.tmp« Art. L. 132215. – I. – La production, hors celle réalisée à des fins d’exportation, l’importation ou la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de produits à base de viande non traités thermiquement (produits salés ou saumurés crus) et de produits à base de viande traditionnels en salaison sèche et autres produits saumurés de manière traditionnelle fabriqués en utilisant du nitrite de potassium (E249), du nitrite de sodium (E250), du nitrate de sodium (E251) ou du nitrate de potassium (E252) est interdite à compter du 1er janvier 2023. L’utilisation d’extraits végétaux riches en nitrates pour servir d’additif, qu’ils soient ou qu’ils ne soient pas identifiés comme tels, est également prohibée, dans les mêmes conditions, à compter de ladite date.

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\4EC05F42.tmp« II. – La production, hors celle réalisée à des fins d’exportation, l’importation ou la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de produits de charcuterie à base de viande traités thermiquement fabriqués en utilisant du nitrite de potassium (E249), du nitrite de sodium (E250), du nitrate de sodium (E251) ou du nitrate de potassium (E252) est interdite à compter du 1er janvier 2025. L’utilisation d’extraits végétaux riche en nitrates pour servir d’additif, qu’ils soient ou qu’ils ne soient pas identifiés comme tels, est également prohibée, dans les mêmes conditions, à compter de ladite date.

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\E3C400A0.tmpII. – Avant le 1er janvier 2025, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les conséquences économiques pour la filière de l’interdiction de l’utilisation du nitrite de potassium (E249), du nitrite de sodium (E250), du nitrate de sodium (E251), du nitrate de potassium (E252) et des extraits végétaux riche en nitrates destinés à servir d’additif, dans la production de charcuterie.

Article 2

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\4FB74FAE.tmpI. – Jusqu’au 1er janvier 2023, la quantité ajoutée de nitrite de potassium (E249), nitrite de sodium (E250), nitrate de sodium (E251) et nitrate de potassium (E252), utilisée dans les produits à base de viande non traités thermiquement (produits salés ou saumurés crus) et de produits à base de viande traditionnels en salaison sèche et autres produits saumurés de manière traditionnelle mis sur le marché en France, qu’ils soient produits sur le territoire national ou importés, est limitée à la dose maximale de 60 mg/kg au total pour les nitrite de potassium et nitrite de sodium, et 120 mg/kg au total pour les nitrate de sodium et nitrate de potassium. Un décret fixe les exceptions à ces doses maximales en tenant notamment compte d’éventuelles impossibilités techniques ou de risques avérés pour la santé humaine ne pouvant être maîtrisés par d’autres moyens.

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\90CF87EC.tmpII. – Jusqu’au 1er janvier 2025, la quantité ajoutée de nitrite de potassium (E249), nitrite de sodium (E250), nitrate de sodium (E251), nitrate de potassium (E252) et nitrite obtenu à partir d’extraits végétaux riche en nitrates, utilisée dans les produits de produits de charcuterie à base de viande traités thermiquement mis sur le marché en France, qu’ils soient produits sur le territoire national ou importés, est limitée à la dose maximale de 60 mg/kg au total pour les nitrite de potassium et nitrite de sodium, et 120 mg/kg au total pour les nitrate de sodium et nitrate de potassium. Un décret fixe les exceptions à ces doses maximales, en tenant notamment compte d’éventuelles impossibilités techniques ou de risques avérés pour la santé humaine ne pouvant être maîtrisés par d’autres moyens.

Article 3

À compter du 1er septembre 2022 et jusqu’à l’entrée en vigueur des interdictions prévues à l’article 1er, la consommation de produits de charcuterie fabriqués en utilisant du nitrite de potassium (E249), du nitrite de sodium (E250), du nitrate de sodium (E251) ou du nitrate de potassium (E252) ou du nitrite obtenu à partir d’extraits végétaux riche en nitrates et contenant une quantité de ces additifs supérieure à 60 mg/kg pour les nitrite de potassium et nitrite de sodium, et 120 mg/kg pour les nitrate de sodium et nitrate de potassium est suspendue dans les services de restauration collective scolaires, hospitalière, pénitentiaires et du secteur médico‑social.

Article 4

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\1D92F0DA.tmpL’article L. 511‑13 du code de la consommation est complété par un 7° ainsi rédigé :

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\9A58BDF8.tmp« 7° Du chapitre II ter du titre II du livre III de la première partie du code de la santé publique et aux textes pris pour son application ».

Article 5

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\9F33EEC6.tmpI. – Jusqu’au 1er janvier 2023, l’étiquetage des produits à base de viande non traités thermiquement (produits salés ou saumurés crus) et de produits à base de viande traditionnels en salaison sèche et autres produits saumurés de manière traditionnelle contenant du nitrite de potassium (E249), du nitrite de sodium (E250), du nitrate de sodium (E251), du nitrate de potassium (E252) ou du nitrite ajouté au moyen d’extraits végétaux riches en nitrate comporte, mise en évidence, la mention : « contient des nitrites ou des nitrates ajoutés et qui peuvent favoriser les cancers colorectaux » et indique la quantité ajoutée d’additifs nitrités ou nitratés, le cas échéant.

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\C8812EC4.tmpII. – Jusqu’au 1er janvier 2025, l’étiquetage des produits de charcuterie à base de viande traités thermiquement contenant du nitrite de potassium (E249), du nitrite de sodium (E250), du nitrate de sodium (E251), du nitrate de potassium (E252) ou du nitrite ajouté au moyen d’extraits végétaux riche en nitrates comporte, mise en évidence, la mention : « contient des nitrites ou des nitrates ajoutés et qui peuvent favoriser les cancers colorectaux » et indique la quantité ajoutée d’additifs nitrités ou nitratés, le cas échéant.

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\A10FB572.tmpIII. – Un décret précise les modalités d’application du présent article.

Article 6

Jusqu’à l’entrée en vigueur des interdictions prévues à l’article 1er de la présente loi, les messages publicitaires en faveur des produits de charcuterie fabriqués en ajoutant du nitrite de potassium (E249), du nitrite de sodium (E250), du nitrate de sodium (E251), du nitrate de potassium (E252) ou du nitrite obtenu à partir d’extraits végétaux riches en nitrate contiennent une information à caractère sanitaire, dans des conditions fixées par décret. Dans le cas des messages publicitaires télévisés ou radiodiffusés, cette obligation ne s’applique qu’aux messages émis et diffusés à partir du territoire français et reçus sur ce territoire. La même obligation d’information s’impose à toute promotion, destinée au public, par voie d’imprimés et de publications périodiques édités par les producteurs ou distributeurs de ces produits. »

Article 7

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\E79D2650.tmpL’État confie à l’Agence de services et de paiement la gestion des aides qu’il apporte aux opérations visant à permettre le financement de la mise au point de procédés adéquats et le financement de l’acquisition ou de l’adaptation d’outils permettant la production de charcuterie sans recours aux additifs E249, E250, E251 et E252, ni au nitrite obtenu à partir d’extraits végétaux riches en nitrate. Ces aides sont attribuées aux entreprises de charcuterie‑traiteur et de boucherie‑charcuterie et bénéficient en priorité aux microentreprises et aux petites et moyennes entreprises au sens de l’article 51 de la loi n° 2008‑776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.

C:\Users\dboucher\AppData\Local\Microsoft\Windows\INetCache\Content.MSO\F21C70DE.tmpUn décret précise les modalités d’application du présent article.

Article 8

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

 


([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

([2]) Frédéric Bordas, Les nitrites dans les saumures, Annales d’hygiène publique, industrielle et sociale, 13 février 1935

([3]) Rapport d’enquête de Mme Michèle Crouzet sur l’alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l’émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance, 28 septembre 2018 (n° 1266)

([4]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2296/AN/705

([5]) http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2441/AN/26

([6]) Consultable en ligne : https://gco.iarc.fr/includes/PAF/PAF_FR_report.pdf

([7]) Résumé de l’évaluation de l’EFSA en 2017, consultable en ligne : https://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/corporate_publications/files/nitrates-nitrites-170614-FR.pdf

([8]) La méthémoglobinémie, parfois appelée « maladie du bébé bleu », est une intoxication aiguë causée par la capacité réduite du sang à transporter l’oxygène lorsque de l’oxyde nitrique (NO) issu du nitrite ou du nitrate est présent en quantité excessive dans le sang. La chair change de couleur, la peau et les muqueuses prennent une teinte bleutée – le terme technique est cyanose (de cyan, bleu). La méthémoglobinémie entraîne une insuffisance respiratoire qui est souvent fatale. Cette maladie n’a aucun rapport avec le cancer.

([9]) EFSA Panel on Food Additives and Nutrient Sources added to Food, Scientific Opinion on the re-evaluation of potassium nitrite (E 249) and sodium nitrite (E 250) as food additives. EFSA Journal 2017;15(6):4786, p.1, consultable en ligne : https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2903/j.efsa.2017.4786

([10]) Voir compte-rendu de la séance du jeudi 24 octobre 2019, disponible en ligne : https://www.assemblee-nationale.fr/15/cri/2019-2020/20200039.asp  

([11]) Proposition de loi relative à l’interdiction progressive des additifs nitrés dans les produits de charcuterie (n° 3683), figurant en annexe au présent rapport et disponible en ligne : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3683_proposition‑loi#

([12]) Serge Joncour, Nature humaine, Paris, Flammarion, 2020, p. 254

([13]) Voir l’audition de M. Jérôme Santolini, chercheur en biochimie, responsable du laboratoire « Stress oxydant et détoxication » au CEA de Saclay, le 19 novembre 2020

([14]) Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), 2015

([15]) Guillaume Coudray, Cochonneries. Comment la charcuterie est devenue un poison, La Découverte, 2017, p. 44

([16]) Guillaume Coudray, op cit., p. 45

([17]) Klaus Lauer, « The history of nitrite in human nutrition: A contribution from German cookery books », Journal of Clinical Epidemiology, Volume 44, Issue 3, 1991, pp. 261 à 264

([18]) René Pallu , La charcuterie en France, Tome 1, Généralités, charcuteries crue, 1971, pages 339-341

([19]) Frédéric Bordas, « Les nitrites dans les saumures », Annales d’hygiène publique, industrielle et sociale, tome XIII, février 1935.

([20]) Guillaume Coudray, op. cit. p. 101.

([21]) Bulletin de l’Académie nationale de médecine, Rapport au sujet de l’emploi du sel nitrité, séance du 23 juin 1964, 128ème année, 3ème série, Tome 148, n° 21-22, p. 438-440

([22]) Qui figure d’ailleurs également dans le rapport de l’Académie d’agriculture de novembre 2020, qui fait l’objet de critiques de la mission dans la deuxième partie du présent rapport.

([23]) Christelle Mazuet, Nathalie Jourdan-Da Silva, Christine Legeay, Jean Sautereau, Michel R. Popof, « Le botulisme humain en France, 2013-2015 », octobre 2017, consultable en ligne : file:///C:/Users/dboucher/AppData/Local/Temp/41414_13651-ps.pdf  

([24]) Voir : Guillaume Coudray, Cochonneries. Comment la charcuterie est devenue un poison, chapitre 9, La Découverte, 2016

([25]) Jun-ichi Wakamatsu et al., « Direct demonstration of the presence of zinc in the acetone-extractable red pigment from Parma ham », Meat Science, n° 76, 2007 p. 385-387 ; Christina E. Adamsen et al., « Changes in Zn-porphyrin and proteinous pigments in italian dry-cured ham during processing and maturation », Meat Science, n° 74, 2006 p. 379

([26]) Christina E. Adamsen et al., « Zn-porphyrin formation in cured meat products: Effect of added salt and nitrite », Meat Science, n° 72, 2006 p. 676

([27]) R. Pallu, La Charcuterie en France. Tome III : Techniques nouvelles ou inédites, salaison au sel nitrité, Ed. Pallu, Paris, 1965, p. 82-83

([28]) Guillaume Coudray, Cochonneries. Comment la charcuterie est devenue un poison, chapitre 1, Les additifs miracles, 2016

([29]) Cahier des charges de l’appellation d’origine «Jambon noir de Bigorre» homologué par l’arrêté du 16 décembre 2015, JORF du 26 décembre 2015

([30]) J. Sindelar et T. Houser, « Alternative curing systems » dans R. Tarté (dir.), Ingredients in Meat Products: Properties, Functionality and Applications, Springer Science+Business Media, 2009, p. 380.

([31]) Cette catégorie regroupe : les terrines de bison, les terrines de boudin, les terrines de sanglier, la coppa, les terrines de poulet, les andouilles, les terrines de campagne, les saucissons, les terrines de canard, les jambons, les terrines de foie, les terrines de faisan, la porchetta, les rillettes de viande, les terrines de volailles, les charcuteries à teneur réduite en sel, les terrines de lapin, les rillettes pur porc, les saucisses, les mousses salées, les boudins, les charcuteries à cuire, les charcuteries cuites, les fricadelles, les terrines au bleu d’Auvergne, les terrines au Roquefort, les terrines de cerf et les terrines de chevreuil.

([32]) Audition de Mme Mathilde Touvier, directrice de l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (EREN), le 20 novembre 2020

([33]) Consultable en ligne : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:02008R0889-20200107&from=FR

([34]) Trois AOP (le jambon sec de Corse ; la coppa de Corse et le lonzo de Corse), deux IGP (boudin blanc de Rethel et les rillettes de Tours) et six produits en Label Rouge (le Label rouge Jambon cuit supérieur ; le Label rouge « produits de saucisserie » ; le Label rouge « produits de saucisserie à l’ancienne » ; le Label rouge « saucisses fraîche » : le Label rouge « chair à saucisse » et le Label rouge « lardons fumés supérieurs »), sur les 45 cahiers des charges existant pour des produits de charcuterie et de salaison

([35]) Daniel Benamouzig et Joan Cortinas, « Les stratégies politiques des entreprises en santé publique : le cas de l’agroalimentaire en France », Revue française des affaires sociales, 2019/3, p. 189 à 208

([36]) Audition de M. Thierry Coste, le 9 septembre 2020

([37]) Audition de Mme Parent-Massin, le 26 novembre 2020

([38]) « Dure bataille pour libérer la charcuterie des nitrites cancérigènes », Reporterre, 19 décembre 2020.

([39]) Gérard Pascal, « Nitrite dans l’alimentation : revenons à la science », Les Échos, 12 décembre 2019, consultable en ligne : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-nitrite-dans-lalimentation-revenons-a-la-science-1155892.

([40]) Jean de Kervasdoué, « Non le jambon ne tue pas », Le Point, 20 février 2020. L’article commence par cette présentation : « CHRONIQUE. L’économiste de la santé décrypte une fake news qui a fait beaucoup de bruit : les liens entre cancers et charcuteries contenant des nitrites. ».

([41]) « Nitrites : ce que cache le « coup de pression » des industriels de la charcuterie à Yuka », Marianne, 17 décembre 2021.

([42]) L’amendement est consultable en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2296/CION-SOC/AS95

([43]) Didier Tabuteau, « L’expert et les politiques de santé publique », Tribunes de la santé, été 2010

([44]) https://www.wcrf.org/dietandcancer/exposures/meat-fish-dairy

([45]) Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), « Les cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France métropolitaine », 2018, consultable en ligne : https://gco.iarc.fr/includes/PAF/PAF_FR_report.pdf

([46]) Voir aussi l’audition de M. Denis Corpet et de plusieurs autres scientifiques, le 7 octobre 2020

([47]) Il faut noter, en réalité, que l’OMS dans sa communication d’octobre 2015 précise que les études disponibles ont permis de calculer que chaque portion de 50 grammes de viande transformée consommée tous les jours augmente le risque de cancer colorectal de 18 % environ, les données des mêmes études laissant penser que le risque de cancer colorectal pourrait augmenter de 17 % pour chaque portion de 100 grammes ( et non pas 50g) de viande rouge consommée par jour.

([48]) Audition de M. Jérôme Santolini, chercheur en biochimie, responsable du laboratoire « Stress oxydant et détoxication » au CEA de Saclay, le 19 novembre 2020

([49]) William Crowe , Christopher Elliott, Brian Green, « A Review of the In Vivo Evidence Investigating the Role of Nitrite Exposure from Processed Meat Consumption in the Development of Colorectal Cancer », Nutrients, 2019, Novembre, 5, 11.

([50]) Bastide NM, Pierre FH, Corpet DE. Heme iron from meat and risk of colorectal cancer: a meta-analysis and a review of the mechanisms involved. Cancer Prev Res (Phila). 2011 Feb; 4(2): 177-84

([51]) Cross AJ, Pollock JR, Bingham SA. Haem, not protein or inorganic iron, is responsible for endogenous intestinal N-nitrosation arising from red meat. Cancer Res.2003 May 15; 63(10): 2358-60

([52]) Lettre de D. Corpet à M. Andriukaitis, Commissaire européen à la santé et à la sécurité alimentaire, 7 février 2019

([53]) Santarelli et al. « Meat processing and colon carcinogenesis : cooked, nitrite-treated, and oxidized high‑heme cured meat promotes mucin-depleted foci in rats ». Cancer prev Res, 2010 3(7) : 852-64

([54]) Amanda Cross et al. « A large prospective study of meat consumption and colorectal cancer risk : an investigation of potential mechanisms underlying this association », Cancer Res, 2010. 70(6) : 2406-14.

([55]) Fabrice Pierre et al. « Calcium and α-tocopherol suppress cured-meat promotion of chemically induced colon carcinogenesis in rats and reduce associated biomarkers in human volonteers ». Am J Clin Nutr, 2013, 98(5) : 1255-62. Réseau NACRe 07

([56]) Complexation d’un ion ou d’un atome métallique par un ligand

([57]) Bastide et al. « A central role for Heme iron in colon carcinogenesis associated with meat intake ». Cancer Res, 2015, 75(5): 870-879.

([58]) William Crowe et al., « A Review of the In Vivo Evidence Investigating the Role of Nitrite Exposure from Processed Meat Consumption in the Development of Colorectal Cancer », Nutrients, nov. 2019.

([59]) Communiqué de presse de l’EFSA du 15 juin 2017, consultable en ligne : https://www.efsa.europa.eu/fr/press/news/170615-0

([60]) Décision de la commission du 25 mai 2010 relative aux dispositions nationales notifiées par le Danemark concernant l’adjonction de nitrites à certains produits à base de viande (point 7)

([61]) Décision (UE) 2018/702 de la commission du 8 mai 2018 relative aux dispositions nationales notifiées par le Danemark concernant l’adjonction de nitrites à certains produits à base de viande (point 39)

([62]) Torres MJ, Salanave B, Verdot C, Deschamps V. Adéquation aux nouvelles recommandations alimentaires des adultes âgés de 18 à 54 ans vivant en France. Étude Esteban 2014-2016. Volet Nutrition – Surveillance épidémiologique. Saint-Maurice : Santé publique France ; 2019. 8 p

([63]) Étude individuelle nationale des consommations alimentaires 3 (INCA 3), 2014

([64]) FranceAgriMer, La consommation des produits carnés en 2018, octobre 2019, consultable en ligne : https://www.franceagrimer.fr/fam/content/download/62489/document/STA-VIA-Consommation%20des%20produits%20carn%C3%A9s%20en%202018.pdf?version=4

([65]) Recours et Hebel, 2006 ; Nelson et al., 2007, Darmon et Drewnowski, 2008, Pilgrim et al., 2012

([66]) Depuis 1993, le Consortium du jambon de Parme s’engage à n’utiliser aucun additif alimentaire (nitrite, nitrate, colorant, arôme artificiel...) dans l’élaboration de son produit. Il regroupe aujourd’hui 156 producteurs.

([67]) Audition de M. Didier Hue, président des Salaisons du Terroir

([68]) Audition de MM. Guillaume Wagner et Mathieu Boisson, le 4 mars 2020

([69]) Audition de M. Arnaud de Belloy, PDG d’Herta, de Mme Laurence Enault, directrice recherche et développement d’Herta et de M. Fabio Brusa, directeur des affaires publiques et européennes du groupe Nestlé France, le 4 mars 2020

([70]) Audition de M. Billy Saha, directeur général de Fleury Michon, et de Mme Barbara Bidan, directrice santé et alimentation durable et directrice des affaires publiques de Fleury Michon, le 6 octobre 2020

([71]) Laurence Girard, « Quand le jambon d’Aoste revendique le 100 % « made in France » et le 0 % nitrites », Le Monde, 25 janvier 2019

([72]) Audition de M. Yves Arnaud, le 16 juillet 2020

([73]) Audition du professeur Corpet, 7 octobre 2020

([74]) Voir par exemple, sur la méthode employée en Italie: Giovanni Parolari, « Review : achievements, needs and perspectives in dry-cured ham technology : the exemple of Parma ham », Food Science and Technology International, vol. 2, n° 2, 1996. Ou bien, sur les méthodes mises au point en Allemagne : Alexander Beck et al., « Herstellung von Öko-Fleischund Öko-Wurstwaren ohne oder mit reduziertem Einsatz von Pökelstoffen », Forschungsinstitut für biologischen Landbau (FiBL), 2008

([75]) FranceAgriMer, « Consommation de produits carnés en 2019 », septembre 2020, consultable en ligne : https://www.franceagrimer.fr/fam/content/download/64994/document/STA-VIA-Consommation%20des%20produits%20carn%C3%A9s%20en%202019.pdf?version=1

([76]) FranceAgriMer, « Consommation de produits carnés en 2018 », octobre 2019, consultable en ligne : https://www.franceagrimer.fr/fam/content/download/62489/document/STA-VIA-Consommation%20des%20produits%20carn%C3%A9s%20en%202018.pdf?version=4

([77]) La dernière colonne à droite du tableau doit être lue comme montrant l’évolution du prix moyen par kilo entre 2018 et 2019.

([78]) Bruno Declairieux, « La chasse aux nitrites est-elle un coup marketing ? », Capital, 24 avril 2020

([79]) Description du repas gastronomique des Français sur le site de l’UNESCO ( https://ich.unesco.org/fr/RL/le-repas-gastronomique-des-francais-00437)

([80]) Emmanuel Mitry et Bernard Rachet, « Pronostic des cancers colorectaux et inégalités socio-économiques », Gastroentérologie clinique et biologique, vol. 30, n° 4, 2006

([81]) Vincent Legendre, « Les consommateurs de porc frais et de charcuterie : qui sont-ils ? Éclairage sociologique », TechniPorc, volume 31, n° 4, 2018

([82]) Idem

([83]) Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation,de l’environnement et du travail relatif aux disparités socioéconomiques et aux apports nutritionnels et alimentaires des enfants et adolescents, 17 décembre 2012, précité, consultable en ligne : https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2012sa0085Ra.pdf

([84]) Consultable en ligne : https://www.anses.fr/fr/system/files/NUT2014SA0234Ra.pdf

([85]) Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous

([86]) Il s’agit de l’objectif n° 4 du plan de la filière porcine française, « développer des filières régionales » : approche territoriale. Le plan de filière est consultable en ligne :  http://www.cliaa.com/plan-filiere/planfiliere_porcin_inaporc.pdf

([87]) Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur les conditions d’abattage des animaux de boucherie dans les abattoirs français par M. Olivier Falorni (président) et M. Jean-Yves Caullet (rapporteur), députés, déposé le 20 septembre 2016 et consultable en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-enq/r4038-ti.asp

([88]) Audition de M. Stéphane Malandain, président des salaisons Roches Blanches, audition du 12 novembre 2020

([89]) AFSSA, Avis du 21 mars 2005, saisine n°2004-SA-0183

([90]) AFSSA, id.

([91]) Ces coûts indirects ont notamment été mis en avant lors de l’audition de M. Pierrick de Ronne, président de Biocoop, le 27 novembre 2020.

([92]) Audition de M. David Garbous, ancien directeur marketing et communication du groupe Fleury Michon, le 26 novembre 2020

([93]) IARC, Red meat and processed meat, IARC monographs on the evaluation of caricinogenic risks to humans, volume 114, IARC, 2018.

([94]) World Cancer Research Fund. Food, Nutrition, Physical Activity, and the Prevention of Cancer : A Global Perspective 2007.

([95])  Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), Les cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France métropolitaine , 2018, consultable en ligne :  https ://gco.iarc.fr/includes/PAF/PAF_FR_report.pdf

([96]) Raphaelle Santarelli et al., ‘Meat‑processing and colon carcinogenesis : cooked, nitrite‑treated, and oxidized high‑heme cured meat promotes mucin‑depleted foci in rats’, Cancer Prevention Research, n° 3, 2010.

([97]) Audition publique du professeur D. Corpet, le 7 octobre 2020 par la mission d’information sur l’utilisation des sels nitrités.

([98]) Lettre de D. Corpet à M. Andriukaitis, Commissaire européen à la santé et à la sécurité alimentaire, 7 février 2019.

([99]) Idem.

([100]) Bastide NM, Pierre FH, Corpet DE. Heme iron from meat and risk of colorectal cancer : a meta‑analysis and a review of the mechanisms involved. Cancer Prevention Research, 2011 Feb ; 4(2).

([101]) Audition publique du professeur A. Kahn, le 7 octobre 2020 par la mission d’information sur l’utilisation des sels nitrités. Eléments repris dans Le Quotidien du Médecin, 20 novembre 2020

([102]) Axel Kahn, Le Quotidien du Médecin, 20 novembre 2020.

([103]) Décision de la commission du 25 mai 2010 relative aux dispositions nationales notifiées par le Danemark concernant l’adjonction de nitrites à certains produits à base de viande, paragraphe 7.

([104]) W.Crowe, C.T. Elliott, B. D. Green, A Review of the In Vivo Evidence Investigating the Role of Nitrite Exposure from Processed Meat Consumption in the Development of Colorectal Cancer, Nutrients, 2019, 201, 11, 2673.

([105]) Torres MJ, Salanave B, Verdot C, Deschamps V. Adéquation aux nouvelles recommandations alimentaires des adultes âgés de 18 à 54 ans vivant en France. Étude Esteban 2014‑2016. Volet Nutrition ‑ Surveillance épidémiologique. Saint‑Maurice : Santé publique France ; 2019.

([106]) TechniPorc ‑ la revue technique de l’IFIP, Vol. 31, n°°4, 2008.

([107]) Christelle Mazuet, Nathalie Jourdan‑Da Silva, Christine Legeay, Jean Sautereau, Michel R. Popof, Le botulisme humain en France, 2013‑2015, octobre 2017, consultable en ligne : file :///C :/Users/dboucher/AppData/Local/Temp/41414_13651‑ps.pdf.

([108]) Audition publique de M. Pierrick de Ronne, président de Biocoop et de Mme Hélène Person, responsable innovation et Marques chez Biocoop, le 27 novembre 2020 par la mission d’information sur l’utilisation des sels nitrités.