N° 3789

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 janvier 2021.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

sur la protection sociale des travailleurs des plateformes numériques,

 

ET PRÉSENTÉ

par Mmes Carole GRANDJEAN et Danièle OBONO

Députées

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(1)          La composition de la commission figure au verso de la présente page.


 

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Sabine THILLAYE, présidente ; MM. Pieyre-Alexandre ANGLADE, Jean-Louis BOURLANGES, Bernard DEFLESSELLES, Mme Liliana TANGUY, vice‑présidents ; M. André CHASSAIGNE, Mme Marietta KARAMANLI, M. Christophe NAEGELEN, Mme Danièle OBONO, secrétaires ; MM. Damien ABAD, Patrice ANATO, Mme Aude BONO-VANDORME, MM. Éric BOTHOREL, Vincent BRU, Mmes Fannette CHARVIER, Yolaine de COURSON, Typhanie DEGOIS, Marguerite DEPREZ-AUDEBERT, Coralie DUBOST, Françoise DUMAS, Frédérique DUMAS, MM. Pierre-Henri DUMONT, Alexandre FRESCHI, Mmes Valérie GOMEZ-BASSAC, Carole GRANDJEAN, Christine HENNION, MM. Michel HERBILLON, Alexandre HOLROYD, Mme Caroline JANVIER, M. Christophe JERRETIE, Mme Chantal JOURDAN, M. Jérôme LAMBERT, Mmes Constance Le GRIP, Nicole Le PEIH, MM. Jean-Claude LECLABART, Patrick LOISEAU, David LORION, Ludovic MENDES, Thierry MICHELS, Jean-Baptiste MOREAU, Xavier PALUSZKIEWICZ, Damien PICHEREAU, Jean‑Pierre PONT, Didier QUENTIN, Mme Maina SAGE, MM. Benoit SIMIAN, Mme Michèle TABAROT

 


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SOMMAIRE

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 Pages

Introduction

PREMIÈRE PARTIE : L’ÉCONOMIE DES PLATEFORMES FAIT APPEL À UNE NOUVELLE CATÉGORIE DE TRAVAILLEURS dont la rÉgulation des conditions de travail fait encore dÉbat

I. MIEUX APPRÉHENDER LE PHÉNOMÈNE : L’ÉCONOMIE DES PLATEFORMES NUMÉRIQUES ET LA SITUATION DES TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES

A. LES PLATEFORMES NUMÉRIQUES SONT UN GROUPE HÉTÉROGÈNE QUI OCCUPE, A CE STADE, une place marginale dans l’Économie globale

1. Les différentes définitions des plateformes mettent en lumière la diversité de ces structures et le rôle central des plateformes des biens et services

2. La typologie des plateformes de biens et services en fonction du lieu d’exercice et des activités qu’elles proposent

a. Les services indépendants du lieu (« cloudwork ») et services dépendants du lieu (« gigwork »)

b. La différenciation par type d’activité proposée par les plateformes permet de distinguer les travailleurs vulnérables

3. La part de marché de l’industrie des plateformes est encore marginale mais en constante augmentation

B. une dÉfinition complexe des travailleurs des plateformes : des profils diversifiÉs mais des motivations communes

1. Le travailleur des plateformes : un travailleur présumé indépendant avec des particularités

a. Les définitions générales de travailleurs construites à partir des salariés, intègrent mal les travailleurs des plateformes

b. Une difficile caractérisation du travailleur des plateformes

2. Des profils différents mais une motivation majeure commune pour les travailleurs des plateformes

Les différents profils des travailleurs des plateformes

Les motivations pour s’engager dans la voie d’un travail de plateformes

3. La part du travail des plateformes dans le marché de l’emploi

II. LES ENJEUX DE LA RÉGULATION DU SECTEUR ET LA PROTECTION SOCIALE DES TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES

A. UNE Pluralité de modèles de plateformes numériques opérant sur le marché avec leurs propres spÉCIFICITÉs

B. Accompagner le développement d’une protection sociale

C. Réguler les conditions de rupture de la relation contractuelle

D. L’absence de responsabilité sociale des entreprises

E. L’influence de l’intelligence artificielle sur le travail des plateformes et l’enjeu de transparence dans la répartition des commandes et des évaluations

DEUXIÈME PARTIE : si des Évolutions ont commencÉ À voir le jour pour sÉcuriser les conditions de travail des travailleurs des plateformes, des points essentiels restent en suspens

I. des Évolutions multidimensionnelles sont en cours, qui amÉliorent et clarifient les conditions de travail des travailleurs des plateformes

A. DES Évolutions lÉgislatives : des propositions nombreuses et diversifiÉes mais peu de lÉgislations spÉcifiques effectivement mises en œuvre

1. Peu d’exemples internationaux actuellement mis en œuvre, mais les tentatives existantes démontrent la complexité d’aboutir à une législation consensuelle

2. En Europe, des législations adoptées récemment et de nombreuses propositions visant à nourrir une initiative prochaine d’encadrement au niveau européen

Dans les États membres de l’Union européenne : les exemples portugais et italien d’encadrement du travail des plateformes en vigueur et la législation allemande actuellement en préparation

Au niveau de l’Union européenne : une proposition de directive à venir, alimentée au fil du temps par des recommandations diversifiées

3. La France a pris des mesures pour encadrer les conditions de travail et avancer sur la mise en place de mesures de protection sociale

Des avancées législatives sur les conditions de travail et la protection sociale et un débat en cours sur le statut des travailleurs

Partant d’une analyse différente, le Sénat a examiné une proposition de loi plaidant pour une assimilation des travailleurs des plateformes à des salariés

B. l’augmentation du contentieux a conduit le juge À prÉciser les contours de la relation entre plateformes numÉriques et travailleurs

1. Au niveau de l’Union européenne : les éclaircissements de la Cour de justice de l’Union européenne et l’examen de la décision de la Cour suprême espagnole

La CJUE a précisé le concept de travailleur indépendant et le rôle d’intermédiation des plateformes

Le cas de l’Espagne : l’insertion du travailleur dans un service organisé est un élément décisif

2. En France : La Cour de cassation a procédé à des requalifications en se fondant sur l’existence d’un lien de subordination entre les travailleurs et les plateformes

L’arrêt Take Eat Easy : le pouvoir de contrôle et de sanction de la plateforme peut être déterminant dans la décision de requalification

L’arrêt Uber : la liberté d’exécution peut être compatible avec l’existence d’un contrat de travail si le lien de subordination est avéré

C. L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES DES PLATEFORMES ET DES TRAVAILLEURS DE PLATEFORMES pour amÉliorer les conditions de travail

1. L’amélioration des mesures assurantielles : l’exemple de Qover en Belgique

2. La question de la juste représentativité fait l’objet de nombreuses initiatives émanant de différents acteurs

Les consultations de travailleurs à l’initiative des plateformes : l’exemple d’Uber en France

Les syndicats traditionnels tentent de contribuer à la mise en place d’un dialogue social

II. Néanmoins, de nombreux points restent en suspens pour garantir une protection sociale aux travailleurs des plateformes, d’où la nÉcessite de proposer diffÉrentes pistes d’Évolution

A. DIFFÉRENTS points restent en suspens pour garantir une protection sociale efficace

1. Garantir une plus grande transparence des algorithmes utilisés par les plateformes

2. Améliorer la représentation des salariés

3. Améliorer l’accès à la protection sociale « socle », notamment pour les travailleurs les plus vulnérables

4. Accroître la responsabilité sociale des plateformes numériques est un passage obligé pour améliorer les conditions de travail

B. LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORT pour amÉliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes

1. Encourager les discussions sur le micro-travail au niveau mondial

2. Une nécessaire intervention de l’Union européenne par voie de directive

Conclusion

TRAVAUX DE LA COMMISSION

annexes

annexe  1 : Liste des personnes auditionnées par les rapporteures


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   Introduction

 

 

Mesdames, Messieurs,

La protection sociale des travailleurs des plateformes numériques concentre l’attention à la fois des experts, des médias et des pouvoirs publics que ce soit au niveau international, européen ou français. De nombreuses publications parues ces dernières années s’y intéressent et proposent des pistes d’encadrement pour ces nouvelles formes de travail.

La crise sanitaire que nous traversons a contribué à mettre en avant le rôle clé que jouent certains travailleurs des plateformes dans notre quotidien, y compris en période de confinement.

Les plateformes numériques sont des entreprises récentes, résultant de progrès techniques considérables apparus depuis la fin du XXe siècle. Ces entreprises sont issues de la révolution numérique. Elles se caractérisent et se différencient par la diversité des services qu’elles proposent, mais un élément central les unit : la simplicité avec laquelle elles permettent d’accéder à un service donné. En quelques clics, elles permettent de commander un service, que ce soit une voiture de tourisme avec chauffeur (VTC), un repas, une prestation à domicile ou une multitude de services divers et variés.

L’économie des plateformes, bien qu’elle soit en constante évolution, annonce un bouleversement à venir du marché du travail. C’est parce qu’elle est à l’avant-garde d’un changement dans le fonctionnement du marché du travail qu’elle concentre l’attention ; et c’est pourquoi, les propositions d’encadrement avancées pour permettre une sécurisation des conditions de travail des travailleurs des plateformes sont si primordiales. La réponse qui sera donnée aujourd’hui sera un outil essentiel pour réguler l’évolution du marché du travail à l’avenir.

Cette évolution du marché du travail est en cours depuis plusieurs années voire décennies, à la faveur de plusieurs phénomènes nouveaux : le développement des technologies et services numériques a rencontré une aspiration croissante des travailleurs à l’autonomie et à l’indépendance et, en parallèle, le phénomène de mondialisation qui a un impact sur l’organisation du travail et la structure de l’économie. Ce sont là trois enjeux majeurs qui doivent éclairer toute tentative de réguler le travail des plateformes.

En premier lieu, le développement des technologies numériques, et notamment les plateformes, a donné lieu à la création d’un nouveau marché d’échanges de services. Bien souvent, les plateformes couramment utilisées ne créent pas un service radicalement nouveau, mais modifient la manière d’accéder à ce service, en le facilitant considérablement. En d’autres termes, elles représentent une économie de la demande qui habitue les consommateurs à ce que leurs besoins soient immédiatement satisfaits.

L’évolution dans les pratiques de travail s’est en outre traduite depuis un certain nombre d’années par une demande croissante d’autonomie des actifs, couplée à une demande de flexibilité de l’emploi. L’autonomie que proposent les plateformes numériques représente donc un réel attrait.

De plus, la structure des plateformes et, leur mode de fonctionnement se caractérisent par leur aspect transfrontalier. Les questions en matière de droit du travail et de droit social qu’a engendré l’irruption des plateformes numériques dans le marché du travail ne se posent pas seulement en France mais, de la même manière et presque dans les mêmes termes, chez les partenaires européens, ainsi que dans le monde. Dans ce sens, une régulation efficace du travail des plateformes doit prendre en compte cette dimension transnationale.

Pour fonctionner, l’économie des plateformes, requiert également des travailleurs.

La force de travail mobilisée est très hétérogène : elle se compose de personnes en situation d’emploi qui complètent leurs revenus par ce biais et de personnes qui travaillent à temps plein à travers les plateformes. De même, si une partie de la main-d’œuvre est particulièrement visible, à savoir les chauffeurs VTC et les livreurs à vélo, les travailleurs des plateformes numériques présentent des profils différents puisque diverses activités peuvent être exercées à travers une plateforme numérique. Une catégorie de travailleurs des plateformes est a contrario peu connue, puisqu’elle est invisible : il s’agit du micro-travail ou crowdworking. Les micro-travailleurs travaillent en ligne, via des plateformes de travail, depuis leur domicile, pour des courtes et nombreuses tâches, ce qui rend leur travail difficile à mesurer.

À   ce stade, les travailleurs des plateformes constituent une petite minorité par rapport au total des actifs. Les estimations les plus prudentes les placent à environ 0,5 % des actifs, soit environ 200 000 à 300 000 travailleurs ([1]), dont environ 20 000 micro-travailleurs seulement en France ([2]). En comparaison du total des actifs, l’économie des plateformes est un phénomène marginal. Pourtant, sa croissance exponentielle et l’augmentation de sa part dans l’économie globale en font un sujet de débat partout en Europe, tant entre les acteurs du secteur, que les observateurs qu’ils soient privés ou institutionnels.

L’augmentation croissante et difficile à mesurer de cette nouvelle catégorie de travailleurs soulève des interrogations, parce qu’ils ne rentrent pas dans le modèle de travail traditionnel qu’est le salariat. Ils forment une nouvelle catégorie de travailleurs indépendants, souvent nommée « atypique ». Or, le droit du travail construit à partir du modèle du salariat et déterminé par l’existence d’un lien de subordination, peine à réguler efficacement les relations de travail entre les plateformes et les travailleurs qu’elles mobilisent, d’autant qu’est souvent remise en cause la qualité des travaux proposés ([3]).

Pourtant, ces nouvelles formes de travail soulèvent des questions sur les conditions de travail, le statut, le dialogue social et aussi, sur la protection sociale des travailleurs des plateformes.

N’étant pas salariés et ne s’acquittant pas des cotisations qui incombent aux salariés, ils ne peuvent bénéficier des avantages liés à ce statut. Or, les études tendent pourtant à montrer que les plateformes numériques exercent une forme d’autorité, dont l’intensité varie selon leur organisation interne, sur les travailleurs. Ce dernier point est d’autant plus intéressant qu’une jurisprudence récente a procédé aux États-Unis, mais aussi en Espagne et en France à des requalifications en contrats de travail de contrats de prestation de services.

Dans ce contexte, ce rapport se présente comme un état des lieux de la situation des travailleurs des plateformes en Europe, avec une attention particulière portée, d’une part, sur l’international, et, d’autre part, sur le contexte français où le débat est particulièrement avancé.

Le rapport s’attache à mieux appréhender l’économie des plateformes, en s’intéressant à la fois à leur fonctionnement qui est à l’origine de leur succès, ainsi qu’à la diversité d’acteurs qui y interviennent. De la même manière, le rapport tente de mieux cerner le profil des travailleurs des plateformes, ainsi que leurs attentes d’une meilleure régulation de leurs conditions de travail et leur protection. Ensuite, le rapport présente les différents enjeux et interrogations que soulève l’économie des plateformes. Il y a donc une volonté de comprendre le fonctionnement de cette économie pour mieux analyser les enjeux autour de celle-ci (I).

Par la suite, en tenant compte des évolutions multidimensionnelles que le rapport s’attache à analyser, parce qu’elles sont nombreuses et déterminantes, il propose un encadrement du travail des plateformes au niveau européen, qui permette d’améliorer la protection sociale des travailleurs et plus largement les conditions de travail dans l’économie des plateformes (II).

   PREMIÈRE PARTIE :
L’ÉCONOMIE DES PLATEFORMES FAIT APPEL À UNE NOUVELLE CATÉGORIE DE TRAVAILLEURS dont la rÉgulation
des conditions de travail fait encore dÉbat

Pour mieux cerner la situation actuelle des travailleurs des plateformes, il est nécessaire de mieux comprendre le phénomène des plateformes (I) et d’analyser les enjeux à prendre en compte pour réguler efficacement l’économie des plateformes (II).

I.   MIEUX APPRÉHENDER LE PHÉNOMÈNE : L’ÉCONOMIE DES PLATEFORMES NUMÉRIQUES ET LA SITUATION DES TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES

Les acteurs majeurs de l’économie des plateformes sont les plateformes numériques qui se caractérisent par leur diversité (A) et les travailleurs qu’elles mobilisent, motivés par les mêmes aspirations à l’indépendance mais dont les profils varient (B).

A.   LES PLATEFORMES NUMÉRIQUES SONT UN GROUPE HÉTÉROGÈNE QUI OCCUPE, A CE STADE, une place marginale dans l’Économie globale

De nombreuses tentatives de définir les plateformes numériques ont eu lieu dans le monde (1), les principales typologies proposées se différenciant selon le lieu d’exercice de l’activité (2). Si la part des plateformes numériques est en constante augmentation, elle reste néanmoins marginale à ce stade (3).

1.   Les différentes définitions des plateformes mettent en lumière la diversité de ces structures et le rôle central des plateformes des biens et services

Il existe de nombreuses définitions de ce que sont les plateformes, élaborées par des institutions exerçant à différentes échelles, au niveau mondial, européen et national ; en s’appuyant sur ces différentes observations, il est possible de brosser un portrait plus fin de ce que recouvre le terme.

Les plateformes numériques et leur montée en puissance résultent du développement du crowdsourcing ([4]) à savoir une évolution dans l’attribution des tâches dans le monde du travail. Si traditionnellement une tâche était assignée à chaque agent, le crowdsourcing propose, au contraire, une tâche à une multitude de travailleurs potentiels, indépendamment de leur statut, par le biais d’internet. Les plateformes recrutement ainsi indistinctement les travailleurs volontaires.

À travers cette nouvelle forme d’appel d’offres ouvert, une entreprise qui se place en situation d’intermédiaire, comme le font les plateformes « peut avoir accès à des milliers d’individus susceptibles, par exemple, de traiter d’énormes volumes de données en un temps relativement court et ne contracte aucune obligation vis-à-vis d’eux » ([5]) . Les plateformes font ainsi appel à des travailleurs indépendants, qui deviennent des prestataires. Ce faisant, les plateformes s’installent comme « un modèle d’organisation en réseau de micro-entrepreneurs indépendants mais économiquement dépendants » ([6]).

La rapidité avec laquelle les plateformes allouent le travail constitue une véritable nouveauté. Elle se couple avec leur capacité à fournir un mode de paiement pour la prestation fournie, puisqu’il n’y a pas d’échange monétaire entre le client et le prestataire de services. Une autre caractéristique est l’existence d’un mode de supervision et de contrôle de la prestation fournie faisant appel au client, elle se traduit par exemple par la possibilité de noter la qualité de la prestation reçue.

Il y a donc une série d’innovations technologiques qui ont rendu possible une intermédiation directe et rapide, dont les plateformes numériques sont les instigatrices. Ce phénomène n’est en soi pas nouveau. Il est à rapprocher de l’irruption du travail intérimaire dans les années 1970. En d’autres termes, à la relation traditionnelle entre clients et prestataires de services, s’ajoute un troisième acteur que sont les plateformes. Or, « cette « boîte noire de l’intermédiation » est un trait distinctif du travail de plateforme » ([7]).

Ainsi, l’économie collaborative consiste en « des modèles économiques où des plateformes collaboratives qui créent un marché ouvert pour l’utilisation temporaire de biens et de services souvent produits ou fournis par des personnes privées facilitent des activités » ([8]) selon la Commission européenne ; pour des spécialistes français du sujet « les plateformes sont des acteurs qui organisent, grâce aux outils numériques des marchés dits multifaces, en mettant en relation plusieurs groupes d’utilisateurs distincts mais interdépendants » ([9].

Néanmoins, malgré ces traits communs aux plateformes numériques, il convient de souligner l’hétérogénéité des plateformes qui existent et qui continuent d’être inventées. En effet, si toutes les plateformes numériques ont vocation à mettre en relations l’offre et la demande, elles ne procèdent pas de la même manière. Si certaines se limitent à une intermédiation stricte entre les échanges, d’autres ont un degré d’intervention plus élevé. Ce facteur doit être pris en compte car plus la plateforme intervient dans la relation qui se noue grâce à elle, plus elle devient prescriptrice, plus sa responsabilité à l’égard du travailleur augmente.

À leur arrivée sur le marché, les plateformes numériques se sont souvent présentées comme faisant partie de l’économie collaborative dite du partage. Or, cette classification n’est pas tout à fait exacte car la terminologie a depuis évolué. Les experts distinguent trois catégories principales au sein de cette nouvelle économie numérique : les plateformes digitales qui incluent les plateformes de référencement, les plateformes collaboratives qui répondent à une logique de pair à pair et les plateformes d’emploi sur lesquelles s’échangent des biens et services.

En d’autres termes, les plateformes d’emploi qui recoupent le concept de plateformes de biens et services développé par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) se différencient des autres plateformes « par le fait que leur rôle ne se limite pas à des fonctions de mise en relation (…). Elles sont partie prenante dans la production et la vente du produit échangé (…). Le fait de toucher une rémunération directement liée à l’échange (sous forme de commission) peut être considéré comme un indice de cette implication dans la production de valeur ajoutée » ([10]).

En rappelant que les frontières entre les différents types de plateformes peuvent être floues, la DARES propose une liste de caractéristiques et d’indices pour les identifier plus facilement.

Les caractéristiques sont :

-         une relation triangulaire ;

-         une implication de la plateforme dans la qualité ou le prix du produit échangé ;

-         une communauté unie par un lien marchand ;

-         l’appartenance à ladite communauté est régulée par la plateforme ;

Pour ce qui est des indices d’identification, il faut relever :

-         une rémunération de la plateforme directement liée aux échanges (commission) ;

-         une régulation par la plateforme de l’accès des membres en fonction de la notation ou de tout autre critère relié aux échanges.

En France, il existe deux définitions juridiques des plateformes numériques. L’article L.111-7 du code de la consommation introduit par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique précise qu’« est qualifiée d’opérateur de plateforme en ligne toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur :

  1. Le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ;
  2. Ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service ».

De plus, l’article 242 bis du code général des impôts, créé par la loi de finances pour 2017 définit les plateformes de mise en relation par voie électronique comme « les entreprises, quel que soit leur lieu d'établissement, qui mettent en relation à distance, par voie électronique, des personnes en vue de la vente d'un bien, de la fourniture d'un service ou de l'échange ou du partage d'un bien ou d'un service ».

À l’échelle de l’Union européenne, le règlement Platforms-to-Business édicte les règles applicables aux intermédiaires vis-à-vis de leurs partenaires commerciaux ([11]). Il interdit certaines pratiques déloyales (fin des suspensions de compte soudaines et inexpliquées par exemple) et promeut une plus grande transparence sur les plateformes en ligne. Les plateformes sont ainsi contraintes de publier une partie de leurs pratiques commerciales, comme par exemple les avantages qu’elles accordent à leurs produits. De plus, ce règlement prévoyait la création d’un observatoire des plateformes en ligne.

En parallèle, pour ce qui est des données personnelles, les dispositions du Règlement général sur la protection des données (RGPD) trouvent à s’appliquer.

En droit français, le travailleur et la plateforme sont liés par un contrat de prestation de services. Il s’agit d’une convention à travers laquelle le prestataire s’engage à fournir un service de manière indépendante et le client s’engager à verser une rémunération en contrepartie de l’exécution de cette tâche.

Des obligations naissent pour les parties lorsque le contrat est signé. Les prestataires ont une obligation de faire (réaliser la tâche) et d’informer (devoir de renseignement, de conseil et de mise en garde). Le client a quant à lui, l’obligation de payer le prix convenu pour la prestation et de fournir les moyens nécessaires à la prestation.

Ainsi, les différentes définitions présentées relèvent que les plateformes numériques occupent une place d’intermédiation particulière dans la relation entre le client et le prestataire de services. Les travaux de recherche s’interrogent particulièrement sur les plateformes de biens et services.

2.   La typologie des plateformes de biens et services en fonction du lieu d’exercice et des activités qu’elles proposent

Une fois ces premiers jalons posés, il est alors possible de s’intéresser à la typologie des plateformes de biens et services examinant la manière dont s’organisent les services qu’elles proposent (a) et en différenciant leur type d’activité (b).

a.   Les services indépendants du lieu (« cloudwork ») et services dépendants du lieu (« gigwork »)

Pour mieux comprendre l’attrait qu’exercent les plateformes de biens et services sur les travailleurs, il semble nécessaire de distinguer entre le travail indépendant du lieu d’exercice de l’activité (le « cloudwork ») et celui qui est dépendant du lieu (le « gigwork »). Ces deux catégories de travailleurs ont des besoins différents en matière de protection sociale.

Les services qui sont indépendants du lieu, dits du cloudwork, sont à ce stade moins connus en France. Ils concernent les plateformes qui offrent un travail où la prestation est entièrement faite en ligne de manière dématérialisée. De ce fait, ce travail est souvent décrit comme invisible et ne concentre pas l’attention dans le débat public.

Le cloudwork peut inclure des travailleurs hautement qualifiés comme les freelances mais également des travailleurs généralement peu qualifiés qui répondent aux offres de micro-travail. Les travailleurs peuvent tous y répondre, indépendamment de leur situation géographique. Concrètement, les tâches proposées sont en général simples, répétitives, hautement standardisées ou traitées automatiquement et faiblement rémunérées. Les tâches les plus longues et substantielles sont généralement sous-divisées en petites tâches. Il peut s’agir par exemple d’étiqueter des images ou d’écrire leur description, traduction rapide de textes ou vérification orthographique, ou bien éducation des algorithmes.

Entre les travailleurs hautement qualifiés et les micro-travailleurs, le niveau de rémunération diffère considérablement de même que, leurs besoins en termes de protection sociale.

À l’opposé de ces travailleurs considérés comme invisibles, se trouvent les travailleurs du gigwork, c’est-à-dire ceux qui entrent en contact direct avec les clients : c’est le cas des chauffeurs VTC mais aussi des services à domicile (ménage, bricolage par exemple). Comme ils sont visibles dans l’espace public et font partie du quotidien des clients, ils concentrent l’attention. Ceux qui proposent des services qui existaient déjà dans l’économie entrent en concurrence avec des travailleurs déjà installés, ce qui est par exemple le cas des chauffeurs VTC et des taxis. Ils soulèvent des questions en termes en droit de la concurrence. C’est pourquoi, les tentatives de régulation qui ont eu lieu dans le monde, en Europe et en France, ont régulièrement visé ce type de travailleurs ([12]).

Quand on s’intéresse à la régulation de ces nouvelles formes d’activité, la distinction entre cloudwork et gigwork est importante parce que ces activités doivent être régulées différemment. Si l’activité des travailleurs du cloudwork peut être encadrée à travers la négociation collective, le gigwork pose plus de difficultés. Il a lieu à deux endroits à la fois « d’abord hors-ligne où le travailleur est effectivement physiquement présent et en même temps dans la sphère numérique, où il travaille et à travers lequel il reçoit le travail » ([13]).

b.   La différenciation par type d’activité proposée par les plateformes permet de distinguer les travailleurs vulnérables

Une autre distinction importante peut être opérée selon le type d’activités proposées par les plateformes, elles attirent des profils différents.

Pour les distinguer, la DARES propose de subdiviser les plateformes de biens et services en 7 catégories :

-         les plateformes de partage qui permettent aux utilisateurs de mutualiser l’usage d’un bien (par exemple Blablacar) ;

-         les opérateurs de services organisés, où des prestations obéissant aux mêmes règles sont produites par des professionnels (par exemple Uber) ;

-         les plateformes dites de jobbing qui permettent aux particuliers de bénéficier de services à domicile (par exemple Youpijob.fr) ;

-         les coopératives électroniques qui utilisent les modes de production, de distribution et de consommation empruntés à l’économie sociale et solidaire (par exemple La Ruche Qui Dit Oui !)

-         les plateformes de marché qui sont des plateformes de (re) vente de biens physiques, neufs ou d’occasion (par exemple Price Minister, Etsy) ;

-         les plateformes de freelances qui apparient une offre et une demande de prestations de services à haute valeur ajoutée (par exemple Hopwork) ;

-         les plateformes de micro-travail qui mettent en relation à l’échelle internationale, une offre et une demande de micro-tâches dématérialisée (par exemple Amazon Mechanical Turk (AMT)).

Cette typologie permet de distinguer les plateformes de services organisés, les plateformes de jobbing et les plateformes de micro-travail. En effet, les travailleurs en situation de vulnérabilité sont particulièrement intéressés par ces tâches.

3.   La part de marché de l’industrie des plateformes est encore marginale mais en constante augmentation

En reprenant l’ensemble de ces catégories, il est possible d’estimer la part de marché que représente l’industrie des plateformes dans l’économie globale dont l’importance est croissante, induisant un réel bouleversement du marché du travail.

Au niveau mondial, en 2015, selon les estimations du cabinet PWC ([14]), l’économie des plateformes collaboratives (c’est-à-dire toutes catégories confondues) pourrait représenter jusqu’à 335 milliards de dollars à l’horizon 2025, à comparer avec les 15 milliards qu’elle représentait en 2015, ce qui équivaudrait à un taux de croissance avoisinant 35 % par an.

En 2016, le chiffre d’affaires des plateformes collaboratives était évalué à 4 milliards de dollars en Europe et on estime qu’il pourrait atteindre 83 milliards d’euros en 2025. L’augmentation du chiffre d’affaires serait donc dix fois plus rapide que celle de l’ensemble de l’économie ([15]). Dans cette configuration, les prestataires de services enregistreraient 85 % du total des transactions.

En France, le volume d’affaires de la centaine de plateformes d’emploi est estimé à 7 milliards d’euros par an ([16]). En parallèle, la création d’entreprises dans le secteur du « transport et entreposage » a augmenté de 45,8 % en 2015, dont 48,6 % pour les micro-entreprises et de 35,3 % en 2014 ; contre environ -4,7 % et 2,3 % pour l’ensemble de l’économie marchande non-agricole à la même époque ([17]). En parallèle, dans le secteur de l’hébergement touristique, il apparaît que sur la période 2015-2016, la fréquentation mesurée en nuitées par voyageur a augmenté de 29,9 % en ce qui concerne les logements particuliers loués à travers l’intermédiaire de plateformes numériques (comme Airbnb) ; il a pourtant baissé de 1,3 % pour les hébergements professionnels ([18]).

Ces estimations datant de plusieurs années, il est raisonnable de penser qu’elles sont quelque peu sous évaluées. Elles témoignent toutefois du fort potentiel de ces entreprises et de ses conséquences sur l’avenir de l’emploi indépendant.

Pour le dire autrement, au vu de ces données, l’économie des plateformes n’est pas un modèle d’organisation dominant à ce stade et ne pourra sans doute pas le devenir. En revanche, il est certain que nous avançons vers une plus grande diversité des modèles économiques et des modes d’organisation du travail, dont l’économie des plateformes est un exemple phare.

B.   une dÉfinition complexe des travailleurs des plateformes : des profils diversifiÉs mais des motivations communes

Après avoir établi plus finement les modèles des plateformes numériques et leur grande diversité, il convient d’étudier attentivement les travailleurs qu’elles attirent. Pour ce faire, nous étudions d’abord la diversité de définitions élaborées à travers le monde pour désigner ces travailleurs et leurs spécificités (1). Leurs profils et leurs motivations seront analysés par la suite (2).

1.   Le travailleur des plateformes : un travailleur présumé indépendant avec des particularités

Pour mieux appréhender les spécificités des travailleurs du numérique, il est nécessaire d’étudier d’abord ce que recouvre la notion légale de travailleur (a), pour ensuite s’intéresser aux définitions spécifiques proposées pour les travailleurs du numérique (b).

a.   Les définitions générales de travailleurs construites à partir des salariés, intègrent mal les travailleurs des plateformes

S’intéresser à la notion de travailleurs permet de mieux conceptualiser et appréhender les spécificités des travailleurs des plateformes. Au sens large, selon le Bureau International du Travail, « les personnes employées sont celles ayant travaillé pendant une durée quelconque, ne serait-ce qu'une heure, au cours d'une semaine dite de référence ». Une définition vaste qui peut recouvrir à la fois les salariés et les indépendants.

En parallèle, en droit communautaire, il n’existe pas de définition unique du travailleur, celle-ci variant selon le domaine d’activité. De plus, les termes de « travailleur » et d’« employé » peuvent avoir une signification différente selon qu'ils se réfèrent à la définition législative nationale dans chaque État membre ou à la définition de « travailleur » donnée par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). En effet, dans l'affaire dite Lawrie-Blum, jugée dans le cadre de la libre circulation des travailleurs, la Cour de Justice relève que la notion de travailleur est définie à partir de critères objectifs qui caractérisent la relation de travail. Elle estime qu’une caractéristique essentielle se trouve dans « la circonstance qu’une personne accomplit des prestations ayant une valeur économique certaine en faveur d’une autre personne et sous la direction de celle-ci, en contrepartie desquelles elle touche une rémunération » ([19]). Cette définition a également été appliquée par la Cour à la notion de salarié dans des directives européennes plus anciennes.

En vertu du droit communautaire, le critère clé pour établir l'existence d'un contrat de travail et donc la classification de salarié est celui de la subordination. La CJUE a donné une interprétation large de ce critère, qui peut aller beaucoup plus loin que celle déterminée par les législations nationales.

Ainsi, une personne peut être considérée comme un travailleur indépendant au regard du droit national et en même temps comme un travailleur ou un salarié par le droit communautaire. Il existe cependant des pays où la condition de subordination a été interprétée de manière plus large (par la loi ou la jurisprudence) que la CJUE. Il y a aussi des cas où la condition de subordination a été complétée par d'autres critères plus récents afin de déterminer le statut d'un travailleur.

Dans plusieurs pays européens, il n’existe pas de définition légale du travailleur ou du salarié. Il est souvent fait référence à l’existence d’un contrat de travail. Dans ces cas, la jurisprudence est intervenue pour préciser ces définitions : « si la rémunération n’est pas toujours considérée comme un critère essentiel pour déterminer l’existence d’un contrat de travail dans les États membres, l’autorité ou le contrôle qu’exerce l’employeur est régulièrement pris en compte » ([20]).

Or, le pouvoir de contrôle est un indice majeur de l’existence d’un lien de subordination. Ce dernier est l'un des critères clés pour déterminer l'existence d'un contrat de travail et donc d’une relation de travail. En Italie par exemple, le salarié est celui qui, en échange d’une rétribution, offre une prestation, manuelle ou intellectuelle, sous la dépendance et sous la direction de l’employeur.

D’autres critères peuvent également être pris en compte pour caractériser le statut de travail. Ainsi, en Pologne, la définition légale du travailleur en droit du travail inclut le critère de partage des risques économiques, sociaux et personnels par l'employeur, en dehors de la dimension de subordination et de contrôle, de la fourniture personnelle des services et de l'exigence de rémunération. A contrario, en Autriche, la dépendance économique est prise en compte pour déterminer le statut d'un salarié dans le droit de la sécurité sociale. Dans la même idée, en Irlande, les tribunaux évaluent la mutualité des obligations, le droit d'utiliser des substituts, le degré d'intégration sur le lieu de travail et les réalités économiques, comme critères à côté du droit de contrôle et le degré de contrôle exercé par les employeurs.

Plus généralement, nous pouvons constater que les critères utilisés pour définir le travailleur sont relativement similaires. C’est l’importance qui est donnée à certains de ceux-ci qui fonde la définition du travailleur dans l’État membre.

Par opposition, l’indépendant, dont souvent il n’existe pas de définition légale, est celui qui n’est pas salarié. Les indépendants forment ainsi une catégorie résiduelle qui comprend tous ceux qui ne remplissent pas les critères (contrat de travail, lien de subordination) pour être qualifiés de salariés. Le travail indépendant se comprend alors comme la prestation de travail exécutée en dehors du lien de subordination par rapport au donneur d’ordre.

Il existe, en parallèle, dans certains États membres, des statuts intermédiaires particuliers, entre le salarié et l’indépendant, qui incluent les travailleurs des plateformes. Les trois pays dans lequels les tiers statuts sont bien enracinés, sont le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne.

Au Royaume-Uni, le pouvoir judiciaire a mis au point un certain nombre de tests pour aider à définir quels travailleurs relèvent du statut de workers, c’est-à-dire le tiers statut entre salariés et indépendants. Or, les critères utilisés pour distinguer les workers des salariés ont des contours relativement flous : le statut est déterminé en fonction de l’intégration du travailleur à l’organisation économique. D’autres critères entrent également en ligne de compte comme par exemple le contrôle exercé par l’employeur ou encore la mutualité des obligations entre co-contractants.

Si la plasticité de ce statut permet de faire bénéficier un grand nombre de travailleurs du statut de workers et donc d’une partie des droits et garanties dont bénéficient les salariés, dans son étude comparative ([21]), le Center for European Policy Studies (CEPS) a relevé qu’elle permet également d’exclure de nombreux travailleurs du salariat, ce qui pourrait en faire un statut déprécié par rapport à celui‑ci.

En droit italien, il existe plusieurs catégories intermédiaires entre le salariat et le travail indépendant. Le premier statut tiers a été créé en 1973. Cette catégorie s’est progressivement enrichie depuis lors. À partir des années 1990, apparaît le statut de « co.co.co », c’est-à-dire de collaboration cordonnée et continue. Mais, celle-ci s’est rapidement traduite par un contournement massif du droit en vigueur, ce qui a poussé le législateur à intervenir. Ainsi, en 2015, le statut « co.co.co » devient « co.co.per » à savoir collaboration organisée par le donneur d’ordre. Concrètement, le donneur d’ordre définit l’organisation de la prestation de service, comme par exemple le lieu et la durée de la prestation. En revanche, le travailleur est autonome pour l’exécution.

L’objectif était de permettre aux travailleurs relevant du statut tiers de bénéficier des mêmes protections et garanties que les salariés. S’ils sont couverts par des conventions collectives, les travailleurs « co.co.per » peuvent même bénéficier de meilleures protections que celles accordées aux travailleurs indépendants. Comme ces derniers, les « co.co.co » et les « co.co.per » sont assurés de manière obligatoire à la sécurité sociale des indépendants, laquelle est financée à hauteur de 2/3 par le co-contractant et un tiers par le travailleur.

Comme les statuts tiers sont connus en Italie depuis 1973, il est possible de dresser un bilan de leur effectivité. Il apparaît qu’ils n’ont pas atteint leur objectif premier de simplification des relations de travail, les évolutions successives dans la législation ayant au contraire contribué à les complexifier au vu de la grande diversité de régimes existants.

En Espagne, entre les régimes traditionnels du salariat et des indépendants, la Ley del Estatuto del trabajo autónomo dite LETA a introduit un régime intermédiaire pour les travailleurs autonomes économiquement dépendants dit TRADE. Contrairement aux autres statuts, il n’est pas défini par rapport au lien de subordination entre le donneur d’ordre et le travailleur. Il s’appuie sur l’existence d’un lien de dépendance économique qui ouvre le droit à une partie des droits et garanties dont bénéficient les salariés, comme la liberté syndicale et la prévention des risques professionnels.

Il concerne les travailleurs qui tirent au moins 75 % de leur revenu d’une seule personne physique ou morale, à condition que l’activité soit effectivement exercée par le travailleur, sans possibilité de sous-traitance. Ils sont considérés comme autonomes dans leur production. Tout comme l’indépendant, il leur revient d’assumer les risques inhérents à leur activité, la rémunération résultant du travail effectué.

Ce statut a davantage abouti à complexifier le droit du travail, voire à donner une apparence de légalité à des situations d’exploitation, qu’à protéger les travailleurs vulnérables du fait de leur dépendance économique à l’égard du donneur d’ordre. Ainsi, ce statut est largement sous-utilisé et que son introduction représente jusqu’à présent un relatif échec. Peu de travailleurs de plateformes sont qualifiés de TRADE et le juge espagnol s’est jusqu’à présent montré réticent à utiliser cette qualification, lui préférant la qualification de salarié. La complexité introduite par le statut de TRADE et l’émergence du travail à travers les plateformes numériques ont conduit les juges et les experts à réclamer une clarification de la situation par le législateur.

Les États membres de l’UE font preuve d'une grande diversité dans le traitement des critères permettant de distinguer les salariés, des indépendants et tout statut intermédiaire. Cela rend d’autant plus complexe la classification du nouveau type de travailleurs que représentent les travailleurs des plateformes.

b.   Une difficile caractérisation du travailleur des plateformes

Le CEPS propose de définir le travail à travers les plateformes comme « tout travail fourni à travers, sur ou par l'intermédiaire de plateformes en ligne dans un large éventail de secteurs, où le travail peut prendre des formes variées et est fourni en échange d'une rémunération » ([22]). Ce type de travail est donc compris comme faisant partie du travail indépendant ou atypique. Le travail atypique est une forme de travail distincte du contrat de travail à temps plein à durée indéterminée avec un seul employeur.

En effet, les travailleurs des plateformes ont rarement des contrats de travail avec les plateformes et sont donc considérés comme des travailleurs indépendants dans les faits. Comme le constate l’étude, « ce travail indépendant peut être fictif ou authentique, mais il peut être difficile de les distinguer » ([23]).

Dans ce contexte, peu d’États membres ont élaboré une définition du travailleur des plateformes. Dans les pays où des statuts tiers existent, les travailleurs des plateformes sont présumés en faire partie.

Ainsi, au Royaume-Uni, si le statut de worker est né de l’intention d’étendre à certains travailleurs vulnérables une partie des protections et garanties attachées à l’emploi salarié, elle peut aujourd’hui constituer un obstacle à l’obtention de ces droits. La qualification de workers a pour le moment permis au juge britannique de ne pas examiner si le travail via les plateformes pouvait recouvrir des réalités de subordination analogues au salariat. Elle n’a pas non plus permis de savoir si le travail à travers les plateformes permet de bénéficier de droits en matière d’emploi. Il faut cependant reconnaître que ce statut garantit à ces travailleurs un minimum de droits et protections.

En Espagne, le statut de TRADE, bien qu’antérieur à l’émergence du travail à travers les plateformes, est en partie utilisé pour qualifier ce type de travail. En effet, les travailleurs des plateformes cumulent l’autonomie productive et la dépendance économique qui caractérisent les TRADE. Toutefois, l’application de ce statut au travail de plateforme n’est pas une évidence. Le juge social a par exemple préféré requalifier le travailleur directement en salarié plutôt que de reconnaître la dépendance économique caractéristique des TRADE. Néanmoins, le juge constitutionnel a estimé que l’économie des plateformes soulève des interrogations sur les catégories traditionnelles du droit du travail. Il a donc invité le législateur à préciser le cadre applicable aux travailleurs des plateformes.

En Allemagne, malgré l’existence de plusieurs statuts légaux, aucun texte actuellement en vigueur ne prévoit un statut spécifique pour les travailleurs ou des plateformes numériques. Pourtant, il y a un consensus dans le débat public sur l’inadéquation du cadre juridique actuel pour réguler efficacement l’économie des plateformes. Formellement, les travailleurs des plateformes numériques sont présentés comme des indépendants qui ne sont liés que par des relations commerciales avec la plateforme ou le donneur d'ordre/consommateur. Il n'y alors pas de contrat de travail formel et pas d'employeur identifiable.

Il n'existe pas davantage de solutions globale adoptée par la jurisprudence pour assimiler ces travailleurs à une des catégories définies par le droit du travail. C’est le résultat de plusieurs éléments : l'hétérogénéité du secteur qui couvre différents types d’activité, la diversité des relations contractuelles nouées et de la variété des structures juridiques adoptées par les plateformes. Par défaut, au contentieux, il revient au juge d'apprécier in concreto la relation de travail en fonction des circonstances particulières dans lesquelles se trouvent le travailleur, la plateforme et le donneur d'ordre/consommateur.

Plus récemment, le Portugal et l’Italie ont adopté des législations spécifiques concernant les travailleurs des plateformes, dans lesquelles ils ont apporté leur définition légale de ce que sont les travailleurs des plateformes.

Dans le cadre d’une législation spécifique sur les opérateurs VTC votée en 2018, le Portugal a adopté une définition du travail à travers les plateformes numériques pour ce secteur. Il s’agit d’une « activité de transport individuel et rémunéré de passagers dans des véhicules banalisés à partir d’une plateforme électronique » ([24]).

De même, en Italie, les travailleurs des plateformes sont considérés comme « des travailleurs indépendants effectuant des activités de livraison de biens pour le compte de tiers, dans des zones urbaines et à l’aide d’un vélo ou de véhicules moteurs (…) à travers des plateformes numériques » ([25]). Cette définition englobe donc les travailleurs du numérique visibles, à la fois les chauffeurs VTC et les coursiers, mais aussi les petits travaux de services proposés via des plateformes moins connues. Néanmoins, les termes employés, comme livraison ou encore zone urbaine, restent vagues. Ils pourraient donner lieu à un contentieux lorsqu’ils seront mis en application.

En Italie également, bien que le droit social ne fasse pas partie des compétences régionales, le Latium a adopté une loi en 2019 sur le travail à travers les plateformes. Intitulée legge a tutela dei lavoratori digitiali, elle entend leur apporter des droits et protections. Pour ce faire, le texte introduit une définition des travailleurs numériques. Ils sont entendus comme les « travailleurs qui, quels que soient le type et la durée de leur relation de travail, fournissent des activités à une plateforme qui les organise en vue d’offrir un service via une application et en déterminant le prix et les conditions de ce service » ([26]). L’étude CEPS estime que cette définition est la plus complète qui existe aujourd’hui en Europe.

Au niveau national, la France dispose d’une définition juridique des travailleurs des plateformes à l’article L.7341-1 du code du travail. Ils sont définis comme « les travailleurs indépendants recourant, pour l’exercice de leur activité professionnelle, à une ou plusieurs plateformes, telles que définies à l’article 242 bis du code général des impôts » ([27]).

Le code du travail ([28]) pose un principe de présomption de travail indépendant pour les personnes qui seraient régulièrement immatriculées au répertoire ou registre de leur secteur (répertoire des métiers pour les artisans par exemple ou registres professionnels comme celui des transporteurs pour les conducteurs de camion), ou affiliées auprès des organismes sociaux en leur qualité de travailleur indépendant (vaut notamment pour les professions libérales). Cependant, la présomption d’indépendance peut être renversée si l’existence d’un contrat de travail peut être établie. Il faut alors démontrer que les travailleurs concernés fournissent (directement ou par personne interposée) des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions susceptibles de relever d’une subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci.

De plus, la loi du 4 août 2008 qui a créé le statut d’auto-entrepreneur, précise que le travailleur indépendant se caractérise par : la liberté d’initiative de l’auteur pour créer ou reprendre son activité, sa maîtrise de l’organisation des tâches qu’il doit effectuer ainsi que du matériel nécessaire pour y parvenir et la responsabilité de rechercher des clients et des fournisseurs. Il lui revient d’assumer concrètement les risques économiques de son activité.

Ainsi, le travailleur des plateformes dont la définition fait encore débat, a soulevé des interrogations sur la distinction entre salariés et indépendants ; d’autant plus que les définitions de travailleurs sont pour la plupart déterminées à partir du lien de subordination.

En Europe, il existe encore peu de définitions légales de ce que sont les travailleurs du numérique. Ils sont souvent considérés comme des travailleurs indépendants comme en France, ou alors comme relevant d’un tiers statut comme en Espagne ou au Royaume-Uni. Néanmoins, des définitions spécifiques ont récemment été adoptées au Portugal et en Italie dont les effets sur l’amélioration des conditions de travail de ces travailleurs ne sont pas encore connus.

2.   Des profils différents mais une motivation majeure commune pour les travailleurs des plateformes

À présent, il convient de s’intéresser aux profils diversifiés des travailleurs des plateformes numériques (a) et à leurs motivations pour entreprendre ce type de travail atypique (b).

Les différents profils des travailleurs des plateformes

L’économie des plateformes mobilise aussi bien des travailleurs hautement qualifiés capables de déployer des compétences professionnelles rares que des travailleurs peu ou pas qualifiés, qui reçoivent des rémunérations moins élevées. Ce sont ces derniers qui concentrent l’attention tant à l’échelle internationale que nationale. De ce fait, nous disposons de plus de données les concernant.

Au niveau mondial, le rapport de l’OIT ([29]) a relevé que sur la plus grande plateforme du secteur, AMT : 52 % des travailleurs résidaient en Inde et 47 % aux États-Unis, le 1 % restant résidait dans 5 autres pays. Clickworker, une autre plateforme, signalait au contraire que la plupart de ses micro-travailleurs résidaient en Europe. Ils étaient 39 % à vivre en Allemagne et 10 % au Royaume-Uni. La répartition par genre était peu équilibrée, puisqu’il s’agissait principalement d’hommes et seulement 1/3 de femmes. L’âge moyen se situait en 2017 à 33,2 ans mais pouvait varier selon les régions, la fourchette d’âge allant de 18 à 71 ans dans les pays développés.

Par ailleurs, l’OIT relevait que les micro-travailleurs avaient un niveau d’instruction relativement élevé, puisqu’en 2017, ils étaient 37 % à être diplômés d’une licence, 20 % à détenir un diplôme de troisième cycle et seulement 18 % à détenir un diplôme du secondaire.

Concernant la rémunération, elle était en moyenne très basse, puisque le salaire moyen aux États-Unis pour 1 heure de travail sur une plateforme de crowdworking est d’environ 3,30 dollars ([30]). Elle présente deux spécificités importantes : d’abord, seul le temps consacré à la réalisation effective de la tâche est pris en compte, alors que le temps passé à chercher une tâche convenable ([31]) peut être important ; de plus, toute tâche effectuée ne donne pas nécessairement lieu à rémunération. Si le client ne s’estime pas satisfait, la plateforme ne le contraint pas à rémunérer le travail malgré l’exécution. Il ne lui est pas non plus demandé de motiver sa décision.

Au niveau européen, des enseignements similaires ont été tirés des études effectuées sur les travailleurs des plateformes comme le souligne l’étude sur « la protection sociale des travailleurs dans l’économie des plateformes » commandée par la commission de l’Emploi et des Affaires sociales du Parlement européen en 2017. Il est également relevé que la moyenne d'âge des travailleurs est plutôt jeune, bien qu’il existe effectivement des travailleurs plus âgés, y compris des retraités. La répartition par genre semble égalitaire, malgré une plus forte représentation des hommes.

Concernant le niveau de diplôme, il s’avère que ceux qui travaillent en ligne (cloudwork) sont plus diplômés que la moyenne. Néanmoins, en incluant les gigworkers, le niveau moyen de diplôme se rapproche de celui de la population générale.

En France, l’Institut Montaigne, dans une étude ([32]) statistique réalisée auprès d’un panel de livreurs indépendants, a constaté que 57 % d’entre eux étaient étudiants et 80 % d’entre eux étaient célibataires principalement sans enfants. Parmi eux, 96 % étaient des hommes, âgés en moyenne de 26 ans, dont 31 ans pour les actifs et 22 ans pour les étudiants. En termes de temps d’activité, les livreurs étudiants se connectent à l’application sans une régularité avérée : ils seraient environ 69 % à se connecter d’un à trois jours par semaine et environ 18 % à se connecter moins d’un jour par semaine.

À partir de ces éléments, l’Institut Montaigne propose des hypothèses sur le profil des étudiants qui, en parallèle de leurs études, choisissent de travailler via des plateformes :

-         en partant du constant que de nombreux jeunes hommes plébiscitent l’aspect sportif et physique du travail de livraison, ils sont présentés comme des jeunes pour lesquels « la livraison à vélo peut apparaître comme un petit boulot à caractère viril, chasse gardée des hommes sportifs et ne rechignant pas à l’effort » ([33]) ;

-         le travail de livraison à travers les plateformes apparaît comme un « débouché facile » pour les jeunes étudiants aux personnalités et/ou études éloignées des interactions humaines. À ce propos, il est relevé que « la première spécialité universitaire des livreurs est ainsi et de loin, l’ingénierie et l’informatique » ([34]).

Le rapport présente les jeunes étudiants qui travaillent à travers des plateformes numériques comme des « geeks sportifs ».

Concernant la deuxième catégorie relevée, celle des jeunes actifs, elle représente 43 % des livreurs du panel. Elle doit être subdivisée en deux sous catégories d’actifs : ceux qui sont salariés (environ 38 %) et se trouvent donc dans une situation de pluriactivité ; les indépendants (62 %). Parmi ces derniers, 37 % étaient auparavant au chômage. Ce même chiffre atteint 45 % pour ceux qui travaillent exclusivement via des plateformes numériques.

Pour cette deuxième catégorie dans son ensemble, le niveau des diplômes est moins élevé. Ainsi, la moitié des répondants possède le baccalauréat comme diplôme le plus élevé, 30 % sont diplômés d’un CAP ou BEP tandis que 20 % n’ont pas de diplôme. L’étude relève également que 57 % des anciens chômeurs qui ont opté pour le travail de plateformes et plus spécifiquement la livraison, n’avaient pas le baccalauréat. Cette dernière catégorie, de même que les micro-travailleurs, sont plus dépendants que les étudiants et les salariés de leur activité à travers les plateformes, puisqu’elle est leur source principale de revenus et un levier d’insertion professionnelle avec peu d’alternatives identifiées. Comme le relève l’OIT, cette dépendance est connue des travailleurs, puisqu’ils sont au moins 32 % à indiquer qu’il s’agit effectivement de leur seule source de revenu. Néanmoins, elle est probablement sous-estimée, puisque l’analyse faite par l’OIT établit qu’en réalité ce sont 48 % des micro-travailleurs qui n’exercent aucune autre forme d’activité.

Les motivations pour s’engager dans la voie d’un travail de plateformes

S’ils exercent une diversité d’activités différentes, les motivations des travailleurs des plateformes sont en revanche semblables. En premier lieu, s’agissant principalement de personnes situées à la marge du marché du travail, la possibilité d’une rémunération rapide exerce un réel attrait. De plus, il y a une aspiration à l’autonomie et une volonté affichée d’être son « propre patron ». Par ailleurs, pour certains d’entre eux, leurs préférences et contraintes familiales font que ces travaux sont particulièrement adaptés à leur situation domestique.

Comme le soulève la DARES, les études faites aux États-Unis et en France font un constat similaire sur la situation professionnelle des travailleurs des plateformes, notamment concernant le cas des chauffeurs VTC et livreurs à vélo. Aux États-Unis, l’étude du Benenson Strategy Group ([35]) (BSG) a montré qu’avant de travailler pour Uber, 8 % d’entre eux étaient au chômage, alors que 36 % ne recherchaient pas activement un emploi. Dans le même temps, 61 % d’entre eux cumulaient cette activité avec un autre emploi. Ce constat rejoint celui des enquêtes françaises : nombreux sont les travailleurs qui entreprennent une activité de transport (notamment à travers Uber) à titre d’activité principale, après une période de chômage. Les estimations précisent que 50 % des chauffeurs d’UberX au niveau national travaillent plus de 30 heures par semaine et ils sont 71 % à en retirer leur revenu principal.

Bien souvent, « leurs caractéristiques socio-démographiques les exposent particulièrement au risque de chômage » ([36]) et de précarité. Ils voient donc le travail à travers les plateformes comme une opportunité d’accéder à des revenus. L’image qui revient souvent est celle de personnes disposant de peu de capitaux, peu diplômés, parfois en situation d’isolement, qui ont parfois une faible maîtrise du français et dont le parcours professionnel a été marqué par des épisodes de chômage, précarité et/ou de pénibilité du travail.

Ainsi, les travailleurs qui choisissent la voie d’un travail de plateformes sont souvent dans une « dynamique de choix contraints » ([37]). Autrement dit, leur choix ne porte pas sur un travail plutôt qu’un autre, mais sur l’accès à un travail en lui-même.

Le graphique ci-dessous, qui se concentre sur le cas des micro-travailleurs, présente le niveau de précarité financière par région. Dans la plupart des régions (hors Afrique), pour la majorité des micro-travailleurs, les revenus des ménages sont suffisants pour subvenir aux besoins élémentaires du foyer. En revanche, les ménages déclarant n’avoir pas assez d’économies pour faire face à une urgence dépassent les 40 % dans la plupart des régions, y compris l’Europe et Asie Centrale et l’Amérique du Nord. Plus grave encore, en Amérique du Nord près de 60 % des ménages déclarent qu’un de leurs membres est surendetté et ils sont plus de 40 % à faire le même constat en Europe et Asie centrale.

Cette même analyse est partagée tant au niveau international qu’européen et national. La Banque mondiale en 2015, l’OIT en 2016 tout comme l’Institut Montaigne et la DARES, ont relevé que cette nouvelle forme de travail offre des opportunités à des personnes exclues du marché du travail. L’étude sur les micro-travailleurs de l’OIT précise que 32 % des répondants de l’enquête ont dit avoir pour première motivation le besoin de compléter un revenu. Dans l’étude du BSG faite aux États-Unis sur les chauffeurs VTC chez Uber, 91 % d’entre eux ont été attirés par l’opportunité d’obtenir une rémunération supplémentaire.

Concernant la rémunération qu’ils perçoivent, les estimations varient amplement. Si Deliveroo a pu communiquer le chiffre de 225 euros bruts par semaine, soit 15 euros bruts pour 15 heures de travail, les estimations de l’Institut Montaigne mettent en avant un chiffre d’affaires moyen de 10 euros par heure connectée et travaillée. Sur la plateforme Uber, en se basant sur les informations échangées par les travailleurs des plateformes sur les réseaux sociaux, l’Institut Montaigne établit l’espérance de gain brut à environ 9,50 euros de l’heure. Pour une journée de travail de 7 heures 30, un livreur sur UberEats peut espérer toucher au moins 70 euros. En d’autres termes, « après acquittement des quelque 22 % de cotisations, la rémunération minimale tournerait autour de 7 ou 7,70 de l’heure…soit à peu près le niveau de 2019 du SMIC (7,72 euros net), avec des contraintes moindres » ([38]).

De plus, une grande majorité des travailleurs des plateformes sont attirés par le statut indépendant pour une flexibilité du travail. Ils pensent avoir ainsi un contrôle plus important sur leur temps de travail. L’étude BSG signale que cette raison a convaincu 85 % des chauffeurs Uber interrogés. Ils sont environ 73 % à déclarer que s’ils avaient la possibilité de choisir entre un emploi salarié classique et une activité plus flexible telle que celle proposée par Uber, ils choisiraient cette dernière option.

Les résultats français sont similaires sur ce point. La mise à distance par rapport au chef et une supervision plus lointaine sont également plébiscitées, notamment par les hommes qui auparavant occupaient des métiers dans le transport ou la logistique sans pour autant avoir bénéficié d’une sécurité de l’emploi élevée.

Enfin, chez les micro-travailleurs en particulier, au moins 22 % des personnes interrogées étaient attirées par la possibilité de travailler depuis leur domicile. Ceci s’explique du fait d’obligations liées à la prise en charge de tiers, que ce soient les enfants ou de proches en situation de handicap. Cette raison était plus souvent invoquée par les femmes du panel, 15 % d’entre elles contre seulement 5 % des hommes ([39]). Il y a aussi parmi les micro-travailleurs, des personnes souffrant elles‑mêmes de conditions de santé qui rendent difficiles l’accomplissement d’un autre type d’activités difficiles. Le micro-travail apparaît alors comme une solution pour percevoir une forme de revenu.

Ainsi, les plateformes numériques ayant émergé récemment, il est difficile d’évaluer leur part de marché dans l’économie réelle. De plus, les définir comme un ensemble homogène pose diverses difficultés. De la même manière, les types de travailleurs qu’elles mobilisent sont variés selon les profils ; certains sont hautement qualifiés et disposent de compétences rares dans le domaine numérique, qui sont fortement valorisées, alors que d’autres, en général moins diplômés, sont souvent exclus du marché traditionnel de l’emploi. Attirés par la rémunération rapide et l’autonomie promue par les plateformes, ils sont les plus nombreux à se tourner vers cette nouvelle forme de travail.

3.   La part du travail des plateformes dans le marché de l’emploi

Si le travail à travers les plateformes numériques est une réalité, il est encore difficile à comptabiliser : les différentes définitions aboutissent à un comptage différent d’une part ; et d’autre part, nombreux sont les travailleurs pluriactifs, qu’ils soient salariés par ailleurs ou qu’ils travaillent pour plusieurs plateformes. Il est donc difficile d’avoir de quantifier l’importance de ce phénomène sur le marché de l’emploi. Néanmoins, les données existantes donnent un ordre d’idée du nombre de travailleurs mobilisés.

Au niveau mondial, la Banque Mondiale a estimé que les plateformes de freelances et micro-travail avaient fait appel à environ 48 millions de travailleurs dans le monde en 2015 ([40]).

Aux États-Unis, où le travail indépendant concerne 7 % des actifs, le travail des plateformes mobiliserait moins de 2 % des travailleurs américains ([41]). En 2015, les chercheurs américains apportaient une fourchette plus précise en estimant que la proportion des travailleurs des plateformes était comprise entre 0,4 % et 1,3 % des actifs américains ([42]). En 2016, les travailleurs des plateformes aux États-Unis auraient représenté 0,5 % des actifs ([43]).

En Europe, une étude ([44]) réalisée dans 16 pays européens estime que 1,4 % de la population âgée de 16 à 74 ans travaille à travers une plateforme numérique à temps plein.

Cependant, il y a des différences notables entre les États membres : en Finlande seulement 0,6 % de la tranche d’actifs travaille à temps plein à travers les plateformes numériques, alors que ce chiffre atteint 2,7 % aux Pays-Bas.

La même étude révèle que le nombre de personnes ayant travaillé au moins une fois à travers les plateformes numériques était de moins de 6 % en Tchéquie alors qu’il atteignait environ 18 % en Espagne. En moyenne, en prenant une définition très large du travail à travers plateformes, 11 % des Européens âgés entre 16 et 74 ans ont travaillé au moins une fois à travers les plateformes numériques. En prenant une définition plus restrictive ([45]) ce chiffre baisserait à 9 %.

En France, parmi les 16 à 74 ans, 0,9 % des travailleurs travailleraient principalement à travers les plateformes. Selon les données de l’IGAS, en 2016, au moins 174 000 personnes étaient des travailleurs collaboratifs pour Airbnb, Uber ou Hopwork, dont 140 000 seraient des hôtes Airbnb. Des données plus récentes, de 2019, précisent qu’ils seraient près de 45 000 chauffeurs VTC en France, 20 000 micro-travailleurs. Au total, au moins 200 000 travailleurs utilisent une application numérique pour trouver des clients ([46]).

Si le travail des plateformes reste, à ce stade, un phénomène marginal, il semble en augmentation.

Ainsi, au vu des caractéristiques des plateformes numériques et des travailleurs qu’elles attirent, il y a une série d’enjeux spécifiques à prendre en compte pour proposer une régulation efficace de ce phénomène nouveau.

 

II.   LES ENJEUX DE LA RÉGULATION DU SECTEUR ET LA PROTECTION SOCIALE DES TRAVAILLEURS DES PLATEFORMES

Garantir une protection sociale efficace des travailleurs des plateformes numériques pose des enjeux de régulation multidimensionnels pour l’économie numérique. D’abord, parce que les plateformes numériques constituent un groupe hétérogène où se côtoient des plateformes aux dimensions et activités diverses (A). L’émergence de ces nouvelles formes d’emploi suppose d’accompagner le développement d’une protection sociale des travailleurs des plateformes (B). Cela suppose de réguler les conditions de rupture de la relation contractuelle (C). La responsabilité sociale des plateformes au niveau européen doit également être prise en compte (D), ainsi que les nouveaux enjeux que soulève l’influence de l’intelligence artificielle dans le management des travailleurs des plateformes (E).

A.   UNE Pluralité de modèles de plateformes numériques opérant sur le marché avec leurs propres spÉCIFICITÉs

L’économie des plateformes numériques regroupe des plateformes de tailles différentes et occupe donc des positions diverses sur le marché, ce qui a un impact direct sur la manière d’envisager la régulation de celles-ci.

Des grandes entreprises transnationales bien connues telles qu’AMT dans le micro-travail, ou Uber et Deliveroo dans le transport et la livraison de repas à domicile, coexistent avec des petites entreprises, souvent même des start-ups, qui opèrent à un niveau national voire local.

Les grandes plateformes, dont les activités sont transnationales, avec une direction implantée souvent aux États-Unis et des activités réparties à travers le monde, avec des milliers de travailleurs mobilisés, ne peuvent voir leurs activités efficacement régulées au niveau national. Uber, à elle seule, compte un millier de salariés. Néanmoins, l’essentiel des travailleurs de la plateforme sont indépendants et représenteraient environ un million de personnes dans le monde ([47]).

Ces plateformes soulèvent la question d’une régulation au niveau européen, voire au niveau international. Leur caractère extraterritorial peut être un obstacle important à l’application du droit national. Il peut par exemple entraver les contrôles : lorsque les URSAFF demandent des informations supplémentaires sur leurs prestataires, certaines grandes plateformes les renvoient vers leur siège social situé dans un autre pays ; d’autres transfèrent une partie de leurs activités à l’étranger, ce qui est de nature à empêcher le contrôle de la comptabilité.

Pour aboutir à un dialogue social efficace entre les plateformes numériques et les travailleurs, le déséquilibre des forces doit être pris en compte.

En parallèle, il existe des plateformes de tailles plus réduites, qui ont un chiffre d’affaires plus limité et une portée locale. Elles ne posent pas les mêmes difficultés et ne peuvent subir les mêmes contraintes au risque de perdre leur capacité d’innovation de procédés. Il y a donc un intérêt économique à permettre le développement de plateformes innovantes dans le secteur du numérique.

Aussi, les plateformes numériques prennent des formes très diverses. Dans ces conditions, les tentatives de régulation doivent le prendre en compte et différencier les plateformes en fonction de différents critères comme par exemple l’implantation géographique, la taille, l’activité ou encore les profils des travailleurs.

B.   Accompagner le développement d’une protection sociale 

Le travail à travers les plateformes, en ce qu’il a fait irruption dans un marché du travail traditionnellement scindé entre salariés et indépendants, soulève de nouvelles interrogations en matière de protection sociale.

La protection sociale est ici entendue comme l’ensemble des mécanismes de prévoyance collective, qui permettent aux individus d’affronter les conséquences financières des risques sociaux. Ces risques sont divers. Il s’agit de la vieillesse, les accidents du travail, la maladie, l’invalidité, le chômage et la maternité, entre autres. Au-delà de la protection sociale, il est nécessaire de prendre en compte les mécanismes qui permettent de sécuriser la situation professionnelle des travailleurs des plateformes, notamment l’accès à la formation et un dialogue social structuré entre les parties.

Les micro-travailleurs, reconnus comme indépendants, ont une protection sociale peu développée : par exemple AMT (leader sur ce marché), précise dans ses conditions d’utilisations, que les « prestataires indépendants » ne peuvent prétendre à aucune forme de protection sociale, y compris de base, ce qui inclut notamment la retraite ou encore l’accès à l’assurance maladie. Selon l’OIT, « les plateformes tentent ainsi de s’affranchir de l’obligation de garantir les protections habituellement prévues par le droit du travail ou les conventions collectives, dont l’accès aux prestations sociales » ([48]).

Néanmoins, l’enquête de l’OIT a mis en évidence un lien inverse entre la dépendance à l’égard de la plateforme et l’accès à la protection sociale : ce sont les travailleurs les plus dépendants à l’égard de ces activités de travail qui sont le moins protégés et le plus vulnérables. A contrario, ceux qui sont salariés et utilisent le travail à travers les plateformes comme un complément de revenus, bénéficient d’une forme de protection sociale. Ainsi, c’est pour les travailleurs les plus dépendants de cette forme de travail que le développement d’une protection sociale est nécessaire.

En Europe, les observations sur l’accès à la protection sociale des travailleurs sont similaires. La plupart des travailleurs des plateformes étant des travailleurs indépendants, il existe les mêmes écarts de protection sociale les salariés et eux-mêmes que ceux existant avec les autres travailleurs indépendants.

Le graphique ci-dessous présente les différents canaux d’accès à la protection sociale en Europe (que ce soit par le travail, une assurance privée ou l’État) en fonction des risques existants. L’étude démontre qu’« hormis les soins de santé (…) les autres formes de protection sociale n’étaient pas accessibles pour les travailleurs des plateformes » ([49]). Il apparaît que la grossesse fait partie des risques les moins couverts, 69,5 % des personnes interrogées n’étaient pas protégées pour ce risque.

Source : Parlement européen, Étude pour la commission EMPL, « The social protection of workers in the platform economy », 2017.

Le sujet de la protection sociale des travailleurs rejoint celui du statut des indépendants. Si de nombreux jeunes en situation de précarité choisissent de travailler sous statut indépendant, ils mésestiment parfois les conséquences de faibles cotisations sur leur avenir (pour la retraite par exemple).

Pour les plateformes, le risque existe de perdre en attractivité et de nuire ainsi aux perspectives de croissance de leur modèle entrepreneurial. Ainsi, le rapport du Parlement européen plaidait en faveur d’une mise en place d’un système de protection sociale renforcée.

En France, étant considérés comme des indépendants, les travailleurs des plateformes ont accès à la protection sociale du statut indépendant et ne cotisent pas au même niveau que les salariés – les cotisations s’élèvent à environ 22 % et les jeunes indépendants des plateformes peuvent bénéficier de l’Aide à la création ou à la reprise d’une entreprise (ACRE), soit d’allègements de charges pendant leurs trois premières années d’activité.

Si elle est moins connue et souvent caricaturée par rapport à celle des salariés, le niveau de protection sociale de base des indépendants a été jugé satisfaisant par l’IGAS dans son rapport de 2016. Elle correspond dans les faits à l’autonomie qui les caractérise et leur donne un régime de responsabilité différent.

Néanmoins, il y a un consensus pour améliorer la couverture des indépendants face à des risques importants, comme les accidents de travail, les maladies professionnelles ou encore la formation professionnelle.

Le développement d’une protection sociale est d’autant plus important pour les travailleurs des plateformes qui exercent de manière exclusive leur activité à travers une ou des plateformes et en tirent leur revenu principal. Ils ont, en général, un niveau de qualification et de revenu faible, ce qui les rend particulièrement vulnérables. De plus, en fonction de leur relation avec la plateforme, ils peuvent être dans une « zone grise » entre le droit du travail et le droit commercial.

Les travailleurs des plateformes, du fait de leur statut indépendant, n’ont pas la même protection sociale que les salariés. Contrairement aux indépendants, ils ne sont pas représentés dans une organisation professionnelle.

Le rapport de Jean-Yves Frouin commandé par le Gouvernement français sur la régulation des plateformes numériques de travail, souligne :

-         « le cas des prestations maladies en espèce, les indemnités journalières sont calculées à partir d’un revenu moyen sur trois ans, alors qu’ils connaissent souvent des parcours professionnels heurtés, contre trois à douze mois pour les salariés ;

-         en matière d’accident du travail, alors même que les activités de livraison et de transport sont accidentogènes, aucun dispositif obligatoire n’est prévu, seulement le recours facultatif et mal connu des intéressés, à une assurance volontaire (AVAT) ou privée ;

-         la complémentaire santé est accessible, mais aucune prise en charge de la moitié de la cotisation par la plateforme n’est prévue, comme cela existe pour l’employeur. » ([50]).

 

De ce fait, « le principe de neutralité de la protection sociale par rapport au statut des travailleurs aujourd’hui n’est pas atteint » ([51]).

En 2016, le rapport de l’IGAS soulevait le même point sur les accidents du travail. Il proposait que les plateformes numériques soient autorisées à contribuer sur la base du volontariat à l’assurance des accidents de travail et maladies professionnelles, ainsi qu’à la protection sociale complémentaire et supplémentaire des travailleurs.

Dans ces conditions, il semble nécessaire d’assurer la juste protection sociale, conforme à leur statut mais qui en même temps, favorise la négociation et l’accès à des couvertures négociées. En outre, « dans un contexte où les garanties sociales des travailleurs salariés et non-salariés sont de plus en plus convergentes, les principales avancées possibles concernent le rôle des plateformes vis-à-vis de leurs contributeurs indépendants et la modernisation entre les travailleurs collaboratifs et les organismes de sécurité sociale afin de fluidifier les parcours et la création d’activités » ([52]).

Le profil des travailleurs des plateformes est également caractérisé par des changements d’emploi réguliers. C’est pourquoi, en 2016, le rapport de Pascal Terrasse sur le développement de l’économie collaborative soulignait l’importance de mieux inclure les travailleurs des plateformes dans les dispositifs existants, notamment le compte personnel d’activité (CPA) et la Validation des acquis d’expérience (VAE).

Ainsi, si la protection sociale a rapidement été identifiée comme un des enjeux majeurs de la régulation du travail des plateformes numériques concernant les accidents du travail et les maladies professionnelles, cette question continue d’être au cœur des discussions. Cela démontre que la situation actuelle n’est pas encore satisfaisante et que des progrès doivent être effectués pour assurer une protection sociale efficace aux travailleurs des plateformes tout en respectant le choix du statut d’indépendant, la juste concurrence et la cohérence avec le niveau de cotisations.

C.   Réguler les conditions de rupture de la relation contractuelle

En outre, l’économie des plateformes est souvent mise en cause s’agissant de l’équilibre de la relation entre le donneur d’ordre (la plateforme) et le prestataire (le travailleur). Cette relation n’implique pas de responsabilité employeur.

En droit français, le code du commerce prévoit des dispositions concernant les pratiques restrictives de concurrence, qui trouvent à s’appliquer aux relations commerciales qu’entretiennent les travailleurs des plateformes en tant qu’indépendants et les plateformes. Il prévoit qu’un co-contractant peut demander réparation lorsque le préjudice causé par la rupture brutale de la relation commerciale est avéré, en l’absence d’un préavis transmis par écrit. Le montant de la réparation doit tenir compte de la durée de la relation commerciale et se référer aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

De plus, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations, ou en cas de force majeure, il est possible de mettre fin à la relation commerciale sans préavis.

En cas de différend, le recours en justice est introduit devant la juridiction civile ou commerciale compétente. En dehors du cas de force majeure, la jurisprudence établit que la possibilité de rompre sans préavis une relation commerciale bien installée doit être réservée aux fautes graves. Dans l’ensemble, le motif de rupture de la relation contractuelle intéresse toujours le juge. En effet, une rupture contractuelle peut, sous certaines conditions, s’apparenter à l’exercice d’un pouvoir de sanction ([53]).

Or, les travailleurs reprochent à certaines grandes plateformes la déconnexion unilatérale de leurs comptes de manière temporaire et variable, selon des griefs pas toujours bien identifiés. Ainsi, un travailleur qui serait mal évalué par les clients à travers le système de notation proposé par la plateforme, peut également voir son compte déconnecté, sans connaître le détail des évaluations. Les travailleurs peuvent donc se trouver dans une situation d’incertitude portant sur la pérennité de leur situation.

C’est pourquoi les décisions de rupture de contrat émanant des plateformes sont parfois remises en cause. Dans ces cas, les travailleurs ont été nombreux à saisir le juge, avec l’objectif de faire requalifier la relation contractuelle d’une prestation de service en un contrat de travail. Le succès de quelques-unes de ces saisines, en Californie, en France et en Europe, est une source de motivation supplémentaire pour saisir le juge pour les travailleurs.

Dans ces conditions et dans l’intérêt des deux parties, il y a un réel enjeu de clarification des contours de la relation contractuelle et en particulier les raisons qui peuvent légitiment conduire la plateforme à mettre fin à la relation.

D.   L’absence de responsabilité sociale des entreprises

L’ensemble des entreprises indépendamment de leur taille et de leur statut, sont tenues de mettre en œuvre la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Elle consiste en « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes » ([54]), souvent assimilée à « la contribution des entreprises aux enjeux de développement durable » ([55]). La responsabilité sociale pose donc aux entreprises le défi de contribuer de manière positive à la société tout en restant économiquement viables.

Le périmètre de la RSE, tel que défini par la norme standard internationale ISO 26 000, comprend sept grandes thématiques que sont : la gouvernance de l’organisation, les droits de l’homme, les relations et conditions de travail, l’environnement, la loyauté des pratiques, les questions relatives aux consommateurs, les communautés et le développement local. En reprenant ces sept champs, en l’état actuel des relations entre les plateformes numériques et les travailleurs des plateformes, la RSE n’est pas pleinement intégrée au fonctionnement de ces structures.

En étudiant la gouvernance de l’organisation, il apparaît que les travailleurs ne sont pas, en règle générale, inclus dans les réflexions. En effet, ils sont présumés indépendants et ne sont donc pas concernés. De plus, les sièges sociaux de certaines grandes plateformes sont installés dans des pays tiers alors que les travailleurs résident dans différents pays. De ce fait, leurs revendications peuvent varier en fonction de leur situation géographique, mais aussi du secteur d’activité, des conditions d’exercice et du profil des travailleurs (niveau de qualification notamment).

Concernant les relations et les conditions de travail, les attentes et revendications des travailleurs sont disparates. Une attention particulière doit être portée aux conditions d’exercice : rémunération minimale, organisation des congés ainsi que droits de retrait ou d’alerte par exemple. En tant qu’indépendants, ils ne bénéficient pas non plus de l’intéressement, ni de la participation et de l’épargne salariale. Ils ne peuvent pas non plus négocier les tarifs.

La tarification est la première des attentes, car c’est en général la plateforme qui fixe les prix. Les travailleurs des plateformes revendiquent également d’être mieux rémunérés. Concrètement, ils réclament une augmentation de la rémunération par tâche, ainsi qu’une baisse de la commission prélevée par la plateforme.

Par ailleurs, la relation de confiance entre les travailleurs et les plateformes s’est dégradée. Les enquêtes montrent une déception des travailleurs, qui attirés par l’autonomie, regrettent un environnement peu équilibré et un manque de loyauté dans les pratiques.

Du côté des micro-travailleurs, ceux-ci s’inquiètent, entre autres, du sens des tâches qu’ils effectuent, certaines n’étant pas en accord avec leur éthique personnelle. Ainsi, par exemple, assurer la modération des contenus pour les réseaux sociaux, peut-être une expérience traumatisante. Les travailleurs se trouvent exposés à des scènes d’une grande violence sans avoir reçu une préparation nécessaire.

Les travailleurs du gigwork quant à eux, remettent en cause la loyauté des pratiques des plateformes. À cet égard, les décisions d’avoir recours à des offres promotionnelles, qui de facto font baisser la rémunération des livreurs, sont vivement dénoncées sur ce segment du marché.

E.   L’influence de l’intelligence artificielle sur le travail des plateformes et l’enjeu de transparence dans la répartition des commandes et des évaluations

Le travail des plateformes soulève également des inquiétudes sur la place des algorithmes dans l’organisation du travail, concernant la répartition des commandes et des évaluations. L’influence de l’intelligence artificielle est souvent désignée par les termes management algorithmique ou encore management par algorithme. L’OIT précise qu’il s’agit de contextes de travail où « des emplois humains sont attribués, optimisés et évalués par l’intermédiaire d’algorithmes et de données suivies » ([56]) .

L’utilisation de l’intelligence artificielle facilite la rencontre entre le client et le travailleur dans les conditions fixées par la plateforme. Ainsi, dans cette économique numérique, les plateformes collectent des données à la fois sur les clients et sur les travailleurs et procèdent à un traitement des données.

Le management par algorithme se traduit par deux éléments notables : une surveillance renforcée et quotidienne de l’activité des travailleurs et une évaluation quotidienne de leurs performances (à travers les évaluations effectuées par les clients) et les taux d’acceptation ou rejets des tâches mesurés par la plateforme.

Ces évaluations prennent place dans un contexte d’interactions humaines limitées pour les travailleurs (peu de contact avec les employés des plateformes puisque tout se fait via l’interface en ligne). De même, il y a une grande opacité dans l’organisation du travail. Les algorithmes peuvent par exemple servir à inciter les travailleurs à rester connectés plus longtemps : que ce soit par un système de notification lors des heures de pointe, ou par la possibilité de fixer des objectifs monétaires pour chaque journée de travail qui sont rappelés en fin de journée.

En d’autres termes, « le management algorithmique se caractérise également par l’utilisation de nudge et sanctions pour stimuler le comportement des travailleurs » ([57]) . Par exemple, les plateformes proposent des incitations monétaires à travailler les jours de pluie pour les coursiers. Or, travailler lorsque les conditions météorologiques sont dégradées peut aboutir à une prise de risque excessive de la part des travailleurs. Par ailleurs, il y a un danger de « ludification » de l’environnement de travail, comme le relève le Conseil National français du Numérique.

Dans l’ensemble, le recours à l’intelligence artificielle tend à déshumaniser les relations commerciales des travailleurs, avec l’entreprise et les clients. La plateforme AMT, par exemple, limite les interactions entre les travailleurs et entre les travailleurs et les clients : elle rend la négociation impossible pour le travailleur.  

De plus, cette collecte quotidienne de données se fait par des processus complexes, qui génèrent une grande quantité de données et permettent un contrôle constant de l’activité des travailleurs. Elle s’assimile à une intrusion profonde voire excessive dans la vie des travailleurs, qui est inconnue à ce degré dans l’économie. L’enjeu de protection et d’accessibilité des données pour les travailleurs est posé.

Sur ce point, le RGPD prévoit une série de droits qui s’avèrent fondamentaux pour les travailleurs des plateformes : celui d’être tenu informé sur comment, pourquoi et par qui les données collectées sont traitées, le droit d’accéder à une copie intelligible des données collectées, le droit de s’opposer à la collecte des données et surtout « le droit de ne pas être soumis à des décisions prises de manière automatique, sans aucune intervention humaine, lorsque celle-ci pourrait avoir des effets légaux sur le travailleur des plateformes » ([58]) .

Ces droits ne sont pas systématiquement respectés par certaines plateformes, notamment en cas de rupture de la relation contractuelle. Ainsi, dans une affaire qui a été récemment jugée par la Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles ([59]) , les plaignants, avec l’objectif d’obtenir une requalification, demandaient à la société Uber un accès à leurs données ([60]), qui leur avait été refusé.

Cette affaire est intéressante pour saisir l’importance de cet accès pour les travailleurs des plateformes. C’est seulement en ayant accès aux éléments collectés par la plateforme, qu’ils peuvent être en mesure de faire des réclamations, soit directement à la plateforme, soit en intentant une action en justice. En l’occurrence, les plaignants demandaient l’accès à :

-         « leur temps de connexion sur l’application, afin de pouvoir calculer le temps de travail effectif et donc dans la perspective de leur plainte, de calculer le salaire qu’ils estimaient devoir recevoir ;

-         les données GPS, qui permettraient aux travailleurs de calculer les coûts intermédiaires ;

-         les données sur leurs performances, qui leur permettraient de comprendre comment leurs données sont évaluées par la plateforme ;

-         toutes les informations qui permettent de dresser un profil des travailleurs, qui permettraient de comprendre comment les données sont analysées et les tâches attribuées ;

-         le détail des évaluations des clients » ([61]) (motif possible d’exclusion de la plateforme pour les travailleurs).

Ainsi, la protection et la transparence des données sont des enjeux fondamentaux d’équilibre de la relation entre plateformes et travailleurs.

De plus, la lutte contre les discriminations en garantissant la neutralité des algorithmes est un élément important. Les algorithmes étant créés par l’intelligence humaine et comportant de nombreux biais qui peuvent avoir des effets discriminatoires. Par exemple, comme le rapporte l’OIT ([62]), les micro-travailleurs qui résident dans des pays en développement se plaignent de ne pas avoir accès à certaines tâches qui seraient exclusivement réservées aux travailleurs résidant dans des pays développés, principalement aux États-Unis.

Dès lors, le management par algorithme doit démontrer qu’il assure à la fois la protection des données des travailleurs des plateformes et qu’il prévoit des critères permettant de garantir la non-discrimination. En d’autres termes, le management algorithmique doit être fiable et inspirer une forme de confiance dans les outils numériques utilisés par la transparence et des contrôles possibles.

Les algorithmes sont le cœur de l’innovation apportée par l’économie des plateformes. Assurer leur transparence est un enjeu fondamental dans l’équilibre des rapports entre les travailleurs et les plateformes numériques. Ces dernières doivent porter la responsabilité de réfléchir sur le management algorithmique de la relation.

 


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   DEUXIÈME PARTIE :
si des Évolutions ont commencÉ À voir le jour pour sÉcuriser les conditions de travail des travailleurs des plateformes, des points essentiels
restent en suspens

L’irruption du travail des plateformes, parce qu’elle a fait l’objet d’une grande attention à la fois des experts, des médias et des pouvoirs publics, connaît une série d’évolutions visant à améliorer les conditions de travail des travailleurs (I). Néanmoins si des avancées sont constatées à différentes échelles, des points essentiels qui caractérisent le travail des plateformes, sont à ce stade, encore en suspens (II).

I.   des Évolutions multidimensionnelles sont en cours, qui amÉliorent et clarifient les conditions de travail des travailleurs des plateformes

Les conditions de travail des travailleurs des plateformes sont en cours d’amélioration que ce soit à l’échelle internationale, européenne ou nationale. Ces évolutions se manifestent par trois canaux différents mais complémentaires : par l’intervention du législateur qui, conscient de l’enjeu que représente le travail des plateformes, propose des pistes d’amélioration (A) ; du fait de l’augmentation du contentieux entre les travailleurs et les plateformes numériques, le juge européen et le juge national ayant été amenés à intervenir pour clarifier le droit (B) ; par les initiatives prises par les plateformes numériques et par les travailleurs eux-mêmes pour améliorer les conditions de travail (C).

A.   DES Évolutions lÉgislatives : des propositions nombreuses et diversifiÉes mais peu de lÉgislations spÉcifiques effectivement mises en œuvre

Aux niveaux international, européen et français, les pouvoirs publics sont intervenus pour proposer et parfois mettre en œuvre, des réglementations susceptibles d’améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes.

1.   Peu d’exemples internationaux actuellement mis en œuvre, mais les tentatives existantes démontrent la complexité d’aboutir à une législation consensuelle

 Au niveau mondial, il existe peu d’exemples de nouvelles législations en vigueur pour encadrer les conditions de travail des travailleurs.

En Californie, d’où proviennent les plus grandes plateformes opérant à ce jour, des régulations existent. D’autres États fédérés, notamment le Massachusetts, ont exprimé leur volonté de reprendre les mesures adoptées en Californie. L’idée d’une législation à l’échelle fédérale avait également été évoquée. Dans un contexte d’inégalités de revenus et de patrimoine en augmentation, qui favorisait l’émergence de la two jobs economy ([63]), le Congrès de Californie a adopté l’Assembly Bill n° 5 en 2019, entrée en vigueur le 1er janvier 2020. Proposée pour lutter contre le salariat déguisé, elle vise ouvertement les grandes plateformes numériques telles que Uber et DoorDash ainsi que Lyft (non présente en Europe). Néanmoins, elle concerne également les travailleurs d’autres secteurs comme les entreprises de nettoyage ou de transport routier.

Cette législation prévoit que les travailleurs sous le statut d’independent contractors peuvent devenir des salariés sous réserve qu’ils ne passent pas le « test ABC ». Ce test a élaboré par la Cour Suprême de Californie en 2018 ([64]) lorsqu’elle avait été saisie d’un dossier qu’elle avait décidé de requalifier à l’unanimité. Pour être qualifié d’independent contractor, le travailleur doit :

-         être indépendant dans son activité, c’est-à-dire placé en dehors du contrôle de l’entreprise ;

-         exercer une activité qui ne fait pas partie de l’activité principale de l’entreprise. Ce point concerne particulièrement les grandes plateformes numériques puisqu’il est difficile de démontrer que les travailleurs numériques qui sont chauffeurs VTC ou livreurs à vélo exercent une activité différente de l’activité principale de l’entreprise ;

-         être en mesure d’offrir ses services à d’autres employeurs.

Cette nouvelle législation devait permettre aux travailleurs des plateformes d’accumuler des droits à la retraite et aux congés payés, ainsi que d’être protégés par les dispositions du salaire minimum.

Néanmoins, les grandes plateformes concernées se sont vivement opposées à ces nouvelles dispositions, mettant en valeur le fait que ces nouvelles obligations pourraient mettre en danger la viabilité de leur fonctionnement actuel. Elles ont partiellement refusé d’appliquer ces dispositions et à l’occasion du scrutin prévu le 3 novembre 2020, elles ont soumis une proposition de référendum local dite Prop 22 ([65]), proposant que les travailleurs des plateformes concernés resteraient bien sous le statut d’independent contractors. Elle a été adoptée à 58,9 % des voix.

Cet exemple californien montre la difficulté de parvenir à une législation consensuelle et pérenne sur ce sujet.

2.   En Europe, des législations adoptées récemment et de nombreuses propositions visant à nourrir une initiative prochaine d’encadrement au niveau européen

Au cours des dernières années, le travail des plateformes a progressivement attiré l’attention des pouvoirs publics en Europe, que ce soit au niveau national ou européen. En Italie et au Portugal, des premières tentatives nationales d’encadrer le travail des plateformes sont initiées (a). En parallèle, une réflexion est engagée au niveau européen pour entreprendre une initiative sur le sujet. De nombreuses propositions pour l’alimenter continuent de voir le jour (b).

Dans les États membres de l’Union européenne : les exemples portugais et italien d’encadrement du travail des plateformes en vigueur et la législation allemande actuellement en préparation

En Italie et au Portugal, il existe quelques exemples de législations nationales et régionales visant à encadrer le travail des plateformes récemment entrées en vigueur. En Allemagne, une proposition est en cours d’élaboration.

Au Portugal, le législateur a entrepris en 2018 d’encadrer l’activité des sociétés de location de véhicule avec chauffeur, à travers une loi régulant les activités de transport individuel rémunérées sur les plateformes électroniques ([66]) dites « Uber ». Elle est entrée en vigueur le 1er novembre de la même année. La loi prévoit une présomption de salariat pour les chauffeurs VTC qui exercent leur activité à travers une plateforme. Elle vaut y compris si les parties ont choisi de donner une dénomination différente à leur relation.

Pour la mettre en œuvre, la loi créé les « opérateurs VTC », à savoir un nouvel acteur qui s’apparente aux porteurs salariaux et devient un intermédiaire entre les plateformes et les chauffeurs. Ce système permet aux chauffeurs VTC d’être protégés par le droit du travail et la protection sociale nationale. De la même manière, la loi s’attache à apporter des définitions aux concepts de plateformes numériques, de clients et de travailleurs des plateformes.

La loi prévoit une série d’obligations nouvelles pour les plateformes numériques du secteur des transports. Tout d’abord, elle crée une taxe de 5 % sur les marges pour les plateformes. De plus, les chauffeurs VTC ne peuvent conduire plus de 10 heures par jour et ont une obligation formation de 50 heures. Par ailleurs, leur service doit être ouvert aux personnes à mobilité réduite. Enfin, contrairement aux taxis, les VTC ne peuvent pas marauder ni emprunter les couloirs réservés aux bus.

En 2019, l’Italie, qui connaît plusieurs régimes de para-subordination, a entrepris d’encadrer le travail à travers les plateformes. Ainsi, en novembre 2019, le Parlement italien a adopté un projet de loi qui introduit un chapitre V bis dans le Code du travail. Il porte spécifiquement sur le « travail intermédié par une plateforme numérique » ([67]) et vise en particulier les plateformes de livraison, principalement de repas à domicile. Par cette disposition, l’Italie introduit un statut intermédiaire : les travailleurs qui en relèvent sont indépendants mais ont le droit à certaines protections caractéristiques du salariat. Cette loi prévoit que les travailleurs indépendants des plateformes concernées ont droit à un certain nombre de garanties portant sur la rémunération et un tarif minimal horaire qui serait fixé par négociation collective. Si un accord n’était pas possible, elle interdit explicitement la rémunération à la tâche ([68]), qui est courante dans le travail des plateformes.

De plus, elle prévoit une assurance obligatoire pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. Ce type de mesures fait partie des éléments les plus mentionnés par les travailleurs des plateformes de livraison, comme faisant actuellement défaut.

En parallèle, en mars 2019, la région du Latium a élaboré une loi régionale sur les travailleurs des plateformes et ce bien que le droit social ne fasse pas partie du champ de compétences des régions. Ce texte, outre une définition précise desdits travailleurs ([69]), inclut une série de droits et protections dont doivent pouvoir bénéficier les travailleurs de plateforme de la région.

Ces travailleurs bénéficient d’un salaire minimum établi par négociation collective, ainsi que d’assurances pour certains risques, comme les accidents du travail ou encore les dommages causés aux tiers. Elle permet également l’accès à des formations portant sur la réglementation en vigueur en matière de santé et sécurité.

La mise en œuvre récente de ces législations ne permet pas de dresser un bilan de leur application à ce stade. D’autant que la loi régionale du Latium a vu sa constitutionnalité être remise en cause par les experts. Néanmoins, l’initiative de ces lois démontre l’ambition des législateurs européens d’intervenir pour encadrer le travail des plateformes.

En Allemagne, le ministre fédéral du travail et des affaires sociales a annoncé un projet de loi sur le sujet en décembre 2020. Ce projet de loi visant à garantir un travail équitable dans l’économie des plateformes, permettrait aux travailleurs des plateformes d’accéder, entre autres, à des mécanismes de protection sociale.

Pour ce faire, plusieurs pistes sont à l’étude comme une contribution financière des plateformes à la prévoyance retraite des travailleurs, mais aussi des mécanismes portant sur les assurances en matière d’accidents du travail. Par ailleurs, il est également évoqué un encadrement des conditions contractuelles. Cela permettrait au juge de procéder à un contrôle de certaines clauses dont par exemple les retenues sur rémunération ou la clôture des comptes.

Au niveau de l’Union européenne : une proposition de directive à venir, alimentée au fil du temps par des recommandations diversifiées

Le travail des plateformes a également retenu l’attention des institutions européennes au cours des dernières années. Ainsi, tour à tour, le Conseil et le Parlement européen, à travers des parlementaires de sensibilités différentes, ont fait des recommandations et des propositions pour encadrer le travail des plateformes. Celles-ci contribuent à alimenter l’initiative sur le sujet, annoncée par la Commission européenne. Elle devrait intervenir au deuxième semestre de l’année 2021. Les négociations sur cette initiative, qui se présente à ce stade comme une directive, pourraient coïncider avec la présidence française au premier semestre 2022.

Fin 2019, le Conseil de l’Union européenne a publié une recommandation à l’attention des États membres portant sur l’accès des travailleurs salariés et non-salariés à la protection sociale. Elle fait référence au cas des travailleurs des plateformes. Partant du constant que certains travailleurs atypiques « n’ont pas suffisamment accès aux branches de la protection sociale qui sont les plus étroitement liées à la participation au marché du travail » ([70]), le Conseil fait des recommandations. Il relève que trop peu d’États membres ont entrepris des réformes en ce sens.

Le Conseil rappelle les conséquences néfastes à long terme des disparités d’accès à la protection sociale : d’un côté, ces disparités mettent en danger la santé et le bien-être des travailleurs concernés ; de l’autre, elles augmentent les inégalités, les risques de pauvreté ainsi que l’incertitude économique. Elles pourraient également limiter la croissance économique inclusive, en ce qu’elles entraîneraient un investissement sous-optimal dans le capital humain.

De même, il est rappelé que « la protection sociale est considérée comme adéquate quand elle permet aux individus de maintenir un niveau de vie décent, de compenser la perte de revenu de façon raisonnable, de vivre dans la dignité et de ne pas sombrer dans la pauvreté » ([71]). Il est donc recommandé aux États membres d’entreprendre des réformes pour fournir une protection sociale « socle » aux travailleurs salariés et non-salariés.

Le Parlement européen soutient la nécessité de réguler le travail via les plateformes au travers de résolutions sur l’emploi et les politiques sociales. Ainsi, il a adopté une résolution portant sur l’emploi et les politiques sociales de la zone euro en 2019. Il y plaide pour une action au niveau de l’Union pour « veiller à la protection sociale des travailleurs de plateforme et garantir l’ensemble de leurs droits sociaux et du travail, indépendamment de leur statut professionnel » ([72]). La résolution sur le même thème, adoptée en 2020 comporte également des références au travail des plateformes. Elle met en avant la mobilisation de ces travailleurs pendant la pandémie et notamment les périodes de confinement.

De leur côté, les parlementaires européens ont fait diverses propositions sur le sujet pour améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes.

En 2018, le député Joachim Schuster ([73]) a introduit une proposition de directive sur le travail des plateformes. Il y rappelait l’importance de clarifier, à l’échelle de l’Union, les règles régissant les plateformes numériques. Il demandait la création d’une présomption simple de salariat pour les travailleurs des plateformes qui pourrait être renversée si les plateformes, sur qui reposerait la charge de la preuve, étaient en mesure de démontrer que les travailleurs étaient en réalité des indépendants.

Par la suite, en 2019, la députée Sylvie Brunet ([74]) a travaillé sur une initiative intitulée « Conditions de travail, droits et protection sociale justes pour les travailleurs de plateformes – nouvelles formes d'emploi liées au développement numérique », qui est actuellement en attente de décision par la commission emploi du Parlement européen.

Plus récemment en novembre 2020, la députée Leila Chaibi ([75]) a proposé une directive relative aux travailleurs des plateformes numériques. Elle prévoit d’aligner les droits du travail et droits sociaux des travailleurs des plateformes sur ceux du reste des travailleurs. Concrètement, les plateformes devraient garantir l’accès des travailleurs à différents droits portant sur la formation, la rupture du contrat, la durée des congés, la rémunération (y compris les taux majorés pour les heures supplémentaires) et le droit à la déconnexion, entre autres. En outre, il incomberait aux plateformes de rendre intelligibles les algorithmes utilisés pour les travailleurs et leurs représentants.

Ces différentes prises de position, à travers l’entrée en vigueur de nouvelles législations comme au Portugal ou en Italie ou l’annonce d’une proposition de directive européenne sur le travail des plateformes, démontrent la prise de conscience collective qu’un encadrement législatif des conditions de travail est nécessaire.

Plus généralement, des discussions européennes sont engagées dans le cadre du Socle Européen des Droits Sociaux pour le salaire minimum, tout en respectant les modèles sociaux nationaux.

3.   La France a pris des mesures pour encadrer les conditions de travail et avancer sur la mise en place de mesures de protection sociale

La France a, pour sa part, a adopté des premières mesures pour encadrer le travail à travers les plateformes avec l’adoption de la loi dite Travail en 2016 et la loi pour l’orientation des mobilités (LOM) en 2018 (a). Proposant des solutions différentes, la proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques présenté en commission des affaires sociales au Sénat a été rejetée (b).

Des avancées législatives sur les conditions de travail et la protection sociale et un débat en cours sur le statut des travailleurs

En France, la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi El Kohmri, est la première à intervenir sur le sujet des travailleurs des plateformes.

Tout d’abord, la loi de 2016 apporte une reconnaissance juridique aux travailleurs des plateformes en les définissant comme des travailleurs indépendants. Ceci leur ouvre la possibilité de bénéficier des droits fondamentaux et garanties liées à la responsabilité sociale des plateformes à travers lesquelles ils exercent leur activité.

La loi et son décret d’application de mai 2017 précisent que les travailleurs qui réalisent un chiffre d’affaires au moins égal à 13 % du plafond de la sécurité sociale ([76]) sur une même plateforme, bénéficient d’une prise en charge de leurs cotisations d’assurance individuelle pour les risques accidents du travail ou de leurs cotisations à l’assurance volontaire de la sécurité sociale. Cette réforme s’est traduite par la conclusion de contrats collectifs souscrits par les plateformes auprès d’assureurs.

De plus, la loi prévoit deux droits : d’un côté, le droit à l’accès à la formation professionnelle et de l’autre, la possibilité de défendre des revendications professionnelles et par conséquent de refuser de fournir leurs services. La loi estime qu’un tel refus ne peut constituer un motif de responsabilité contractuelle ou de rupture de la relation contractuelle. Ces mesures répondent aux inquiétudes des travailleurs sur la stabilité de leur situation.

La mise en œuvre des obligations prévues par la loi Travail reste à l’heure actuelle peu documentée. En effet, comme la loi ne prévoit pas de mesures de sanctions, les mécanismes de contrôle des contrats ou de prise en charge des cotisations ne sont pas précisés.

En 2019, reprenant les dispositions prévues dans le projet de loi relatif à la liberté de choisir son avenir professionnel, la loi LOM est venue compléter ces dispositions. Elle prévoit qu’il revient à la plateforme d’abonder le compte personnel de formation du travailleur indépendant. La loi renforce également les droits et le contrôle des travailleurs du secteur de la mobilité (par exemple l’affichage du rapport prix et distance avant d’accepter la course).

De plus, la loi LOM prévoit la mise en place d’une charte de responsabilité sociale pour les plateformes sur la base du volontariat, qui précise leurs droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs. Celle-ci ne concerne que les travailleurs mentionnés à l’article L. 7342-8 du code du travail, à savoir les chauffeurs VTC et les livreurs de marchandises, qu’ils soient équipés d’un véhicule à deux ou trois roues, motorisé ou non. Cette charte doit contenir des mesures de nature à améliorer les conditions de travail, prévenir les risques professionnels ainsi que les dommages causés à des tiers.

Selon le décret d’application de la loi LOM qui concerne le travail des plateformes ([77]), cette charte devra être déposée auprès de la Direction Générale du Travail (DGT), qui pourra l’homologuer ou non. Pour obtenir l’homologation, la plateforme devra apporter plusieurs justificatifs. Il s’agit par exemple du résultat de la consultation préalable des travailleurs sur le contenu de la charte, du nombre de travailleurs consultés, ainsi que du nombre de travailleurs qui se sont exprimés. Elle devra également garantir que la relation entre le travailleur et la plateforme n’est pas exclusive. En d’autres termes, la plateforme « détermine les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixe son prix a une responsabilité sociale à l’égard des travailleurs indépendants qui y recourent » ([78]).

Néanmoins, ces premières avancées pour la protection sociale des travailleurs des plateformes connaissent plusieurs limites, à ce stade. La mise en œuvre des dispositions sur les accidents du travail et l’accès à la formation supposent qu’une demande en ce sens soit effectivement formulée par le travailleur, ce qui sans plus de régulation dans la relation travailleur/plateforme, semble peu opérationnel. De plus, ces dispositions étant conditionnées à la réalisation d’un chiffre d’affaires minimum par les plateformes, excluent certains travailleurs de ces premières avancées.

En 2020, le Gouvernement français a commandé en janvier, un rapport sur les possibles voies de régulation du travail à travers les plateformes à M. Jean-Yves Frouin. Le champ de la mission a été élargi en juillet pour inclure la protection sociale. Il a été rendu en décembre.

Dans ce rapport, qui s’intéresse en particulier au statut des travailleurs, il est suggéré d’avoir recours à un tiers, pour garantir des droits et protections aux travailleurs des plateformes. Deux voies sont principalement explorées : le portage salarial, principalement utilisé pour des travailleurs hautement qualifiés et la coopérative, plus communément répandue ([79]). Cette dernière solution retient particulièrement l’attention car certains travailleurs des plateformes, y compris en France, ont commencé à s’organiser sous cette forme.

Comme le relève le rapport lui-même, l’inconvénient de ces propositions résulte de la nécessité de trouver des voies de financement pour les coûts qu’engendrerait l’intervention de ce tiers.

À ce stade, la traduction concrète de ces propositions n’est pas encore connue, mais ce rapport doit nourrir la concertation dans le cadre de l’agenda social, lancée par le Gouvernement en décembre 2020. Elle doit permettre d’organiser le dialogue social et la construction d’un socle des droits sociaux.

Partant d’une analyse différente, le Sénat a examiné une proposition de loi plaidant pour une assimilation des travailleurs des plateformes à des salariés

S’appuyant sur une analyse différente, une proposition de loi sur le statut des travailleurs des plateformes numériques a été examinée au Sénat en mai 2020. Elle a été rejetée lors de l’examen en commission. Considérant que « les plateformes recueillent le fruit du travail tout en se dégageant de leurs responsabilités sociales et en faisant supporter les risques, économiques, mais pas seulement, aux travailleurs » ([80]), la proposition de loi salue les avancées proposées par les lois Travail et LOM mais déplore la « timidité du législateur ».

Elle estime que dans les conditions actuelles, la loi ne garantit pas des droits importants pour les travailleurs, tels le droit à la négociation collective, ainsi que l’obligation pour les plateformes de motiver la rupture du contrat commercial, ni le droit au chômage ou la couverture contre les accidents du travail.

C’est pourquoi, elle promeut l’assimilation des travailleurs des plateformes à des salariés, avec des aménagements qui permettraient de garantir l’indépendance. Les travailleurs des plateformes seraient, par exemple, soumis aux règles sur la durée maximale quotidienne et hebdomadaire de travail, mais en dehors de ces exceptions, ne seraient pas soumis aux règles relatives au temps de travail. Dans le même temps, les travailleurs seraient affiliés au régime général de la sécurité sociale. Enfin, il était proposé d’approfondir la responsabilité sociale des plateformes, à travers un mécanisme de couverture pour les maladies professionnelles.

Ainsi, la France a entériné des avancées dans la protection sociale intéressantes, tout en renforçant le statut d’indépendant des travailleurs des plateformes.

B.   l’augmentation du contentieux a conduit le juge À prÉciser les contours de la relation entre plateformes numÉriques et travailleurs

En parallèle, du fait de l’augmentation croissante du contentieux sur les relations contractuelles entre les plateformes et les travailleurs des plateformes, le juge européen (1) et le juge français (2) ont eu l’occasion de se prononcer sur ce sujet.

1.   Au niveau de l’Union européenne : les éclaircissements de la Cour de justice de l’Union européenne et l’examen de la décision de la Cour suprême espagnole

En Europe, plusieurs affaires ont amené les juges à étudier les relations contractuelles entre les plateformes et les travailleurs. D’un côté, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée à deux reprises (a) tandis qu’en dehors de la Cour de cassation française, la seule cour suprême qui a été amenée à trancher un litige sur ce thème est la Cour suprême espagnole (b).

La CJUE a précisé le concept de travailleur indépendant et le rôle d’intermédiation des plateformes

La CJUE a été saisie à deux reprises sur des affaires concernant des travailleurs indépendants. Dans ce cadre, elle a précisé sa conception de ce que représente le travail indépendant et sa conception du service fourni par une plateforme, en particulier Uber.

En avril 2020, la CJUE a reçu une demande émanant d’une juridiction britannique sur une affaire qui opposait un coursier à un donneur d’ordre, sur le fondement d’un contrat de prestation de service ([81]). Elle a, à cette occasion, précisé sa conception du travailleur indépendant.

La CJUE a ainsi estimé que le travailleur en question, qui disposait d’une série de facultés pouvant être rapprochées des travailleurs des plateformes, était indépendant. Il était par conséquent libre d’accepter ou refuser certaines tâches de son donneur d’ordre, de fixer et organiser son temps de travail et de fournir ses services à des tiers, y compris concurrents directs du donneur d’ordre.

L’ordonnance souligne que le coursier « dispose d’un droit absolu de ne pas accepter les tâches qui lui sont attribuées ; en outre il peut lui-même fixer une limite contraignante au nombre de tâches qu’il est prêt à accomplir ». Cependant, au vu des faits de l’espèce, la Cour a estimé que l’indépendance du coursier « n’apparaît pas fictive et qu’il ne semble, a priori, pas exister de lien de subordination entre lui et son employeur présumé ». Elle a par ailleurs rappelé qu’il appartenait à la juridiction britannique de procéder à la qualification du coursier.

Pour mieux comprendre l’approche choisie juge européen, il est utile de mettre en perspective cette ordonnance avec un arrêt de la CJUE de 2017 ([82]). Celui-ci portait sur le rôle d’intermédiation joué par la plateforme Uber. La CJUE avait estimé que la plateforme en question n’exerçait pas seulement un service d’intermédiation - qui est la ligne défendue par les plateformes - mais bien un service de prestation de transport. Ce point est fondamental, parce que la Cour en déduit que sans la plateforme le service en question ne pourrait exister. Elle relève que la plateforme fixe elle-même à la fois les conditions d’exercice et les tarifs. En outre, elle exerce une forme de contrôle sur la qualité des véhicules et des chauffeurs. En d’autres termes, la Cour estime qu’Uber « exerce une influence décisive sur les conditions de la prestation de tels chauffeurs ». Elle fixe le prix maximum de la course, contrôle l’interface de paiement et reverse une partie au chauffeur. Ce faisant, la Cour considère que la plateforme est au cœur de l’interaction entre le client et chauffeur.

Ces deux conceptions, à la fois du travailleur indépendant et de la place des plateformes dans sa relation triangulaire avec le client et le prestataire, sont essentielles : elles ont contribué à nourrir et le feront encore plus à l’avenir, les solutions de droit proposées par les juges nationaux saisis de contentieux sur le sujet.

Le cas de l’Espagne : l’insertion du travailleur dans un service organisé est un élément décisif

En septembre 2020, la Cour Suprême a eu à connaître d’une affaire ([83]) similaire à celle qui a été soumise à la Cour de cassation française et a donné lieu à l’arrêt Uber.

La Cour Suprême Espagnole a conclu à une requalification dans un contentieux qui opposait un livreur de plateforme, sous statut TRADE ([84]) et une plateforme numérique de livraison. Dans sa décision, le juge espagnol a insisté sur l’insertion du travailleur dans un service organisé par la plateforme ([85]). Elle a relevé le fait que la plateforme édictait des directives, contrôlait leur application et disposait également d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier. Partant de ce constant, la Cour Suprême Espagnole a estimé que dans ce cas l’indépendance du livreur n’était que fictive.

2.   En France : La Cour de cassation a procédé à des requalifications en se fondant sur l’existence d’un lien de subordination entre les travailleurs et les plateformes

La Cour de cassation française a été l’une des premières cours suprêmes au monde ([86]) à se prononcer sur des contentieux impliquant des travailleurs des plateformes numériques. Elle a même été la première à opter pour la requalification en contrat de travail en s’attachant à l’existence d’un lien de subordination entre le travailleur et la plateforme.

L’arrêt Take Eat Easy : le pouvoir de contrôle et de sanction de la plateforme peut être déterminant dans la décision de requalification

En 2018, la Cour de cassation a procédé pour la première fois à la requalification en contrat de travail d’un contrat de prestation liant un livreur à vélo et une plateforme numérique.

En l’espèce, il s’agissait d’un ancien livreur, sous le statut d’autoentrepreneur, qui effectuait des livraisons à travers la plateforme Take Eat Easy. À la suite de deux accidents de travail, il demandait sa requalification en salarié ([87]) . Par son statut, il y avait une présomption simple de non salariat, qu’il pouvait renverser à condition d’apporter des preuves suffisantes.

Avant que son dossier n’arrive à la Cour de cassation, il avait saisi les Prud’hommes, puis la Cour d’appel. Dans leurs décisions, les juges s’étaient attachés aux conditions de fait dans lesquelles le livreur exerçait son travail. Ils avaient rejeté sa demande en se fondant sur deux éléments: d’une part, la relation qui unissait le livreur à la plateforme n’était pas exclusive puisque celui-ci travaillait par ailleurs dans un théâtre ; d’autre part, le coursier était libre de choisir ses horaires de travail à travers la plateforme.

Ayant établi que l’absence d’horaires ne suffisait pas à écarter la possibilité d’une requalification et consciente du fait que le contrôle peut aujourd’hui s’exercer à distance, la Cour de cassation a choisi une autre approche.

En effet, la plateforme Take Eat Easy se caractérisait par un système de sanctions développé y compris en cas de connexion partielle, l’existence d’une surveillance et un dispositif de conservation des données du client de nature à empêcher le coursier d’avoir sa propre clientèle. De plus, la plateforme, était à l’initiative de l’inscription du travailleur comme autoentrepreneur et le matériel de travail était en partie imposé.

Rappelons qu’en droit français, la qualification de salarié repose sur des éléments objectifs comme le fait d’être soumis au pouvoir de donner des ordres, au pouvoir de contrôle et au pouvoir de sanction de l’employeur.

En l’espèce, la Cour de cassation a estimé qu’il existait un lien de subordination. Le coursier faisait partie d’un service pleinement organisé par la plateforme et faisait l’objet d’un contrôle constant dans l’exécution. Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de procéder à une requalification en contrat de travail.

L’arrêt Uber : la liberté d’exécution peut être compatible avec l’existence d’un contrat de travail si le lien de subordination est avéré

Dans une affaire sensiblement différente où la plateforme n’exerçait pas un pouvoir de contrôle aussi manifeste, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée en faveur d’une requalification en contrat de travail. En l’espèce, le chauffeur VTC qui utilisait la plateforme Uber se connectait à l’application quand il le souhaitait, sans devoir réserver son tour et pour la durée de son choix. Il était également libre d’accepter ou de refuser une course et même d’annuler une course qu’il aurait préalablement acceptée.

Dans ce contexte, la question qui se posait à la Cour d’appel était de déterminer si la liberté totale dont bénéficiait le chauffeur VTC était compatible avec l’existence d’un contrat de travail.

La Cour d’appel a suivi un raisonnement double : d’un côté, elle a recherché les indices d’une éventuelle subordination, par exemple des éléments qui relèveraient du pouvoir de direction, de contrôle et sanction du donneur d’ordre ; d’autre part, elle a cherché à caractériser la dépendance économique du chauffeur à l’égard de la plateforme, pour mettre en évidence que son statut d’indépendant était en réalité fictif.

Face à cette décision, la société Uber a décidé de se pourvoir en cassation, en soutenant que la liberté dont bénéficiait le chauffeur de se connecter, d’accepter une course et d’exercer une autre activité, étaient exclusives de tout lien de subordination.

La Cour de cassation a choisi d’approuver le raisonnement de la Cour d’appel. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur des éléments qui lui ont semblé caractériser le lien de subordination : la plateforme donne des directives au chauffeur (par exemple en termes d’itinéraire), contrôle le fonctionnement de l’application et exerce un pouvoir de sanction prenant la forme de déconnexions temporaires ou d’une suppression de compte. De plus, en dépit des libertés dans l’exécution, dès lors qu’il se connecte à la plateforme, le chauffeur VTC intègre un service organisé par celle-ci.

Ainsi, les différentes décisions de justice rendues sur le sujet, bien qu’elles aient été rendues à différentes échelles, relèvent les mêmes caractéristiques de la relation entre les plateformes et les travailleurs. La plateforme y joue un rôle clé, puisqu’elle organise le service proposé, comme le soulignent la Cour de cassation et la CJUE. En outre, en fonction de l’organisation de la plateforme, il peut arriver que le travailleur, même s’il dispose de nombreuses libertés dans l’exécution du service, travaille dans des conditions qui démontrent l’existence de fait d’un lien de subordination.

C.   L’ÉVOLUTION DES PRATIQUES DES PLATEFORMES ET DES TRAVAILLEURS DE PLATEFORMES pour amÉliorer les conditions de travail

En parallèle, d’intéressantes évolutions et expérimentations sont à relever sur la protection sociale (1) mais aussi sur le dialogue social (2) à l’initiative des acteurs du secteur.

1.   L’amélioration des mesures assurantielles : l’exemple de Qover en Belgique

Parmi les nouvelles pratiques émanant des acteurs des plateformes numériques pour améliorer les conditions de travail, il convient de relever l’exemple des mesures assurantielles.

Les travailleurs des plateformes, principalement ceux qui exercent dans les secteurs du transport ou de la livraison, connaissent des risques d’accidents du travail qui semblent être élevés ([88]) du fait même de leur activité. Or, du fait de leur statut, leur protection sur ce point est limitée.

Partant de ce constat, différentes initiatives ont été lancées en Europe pour pallier ce besoin, en proposant des systèmes assurantiels privés facultatifs. Par exemple, la start-up belge Qover, s’est installée comme un nouvel interlocuteur dans la mise en place de mesures assurantielles dans la gig economy. Concrètement, elle propose des produits d’assurance non-vie à la demande, qu’elle met en place pour les assureurs. De leur côté, ces derniers portent les risques et gèrent les sinistres. Qover a notamment collaboré avec l’assureur Axa et une plateforme de livraison installée dans le marché, Deliveroo.

Ce type d’initiative permet d’assurer une forme de protection sociale privée, en réponse à leur statut d’indépendant qui prévoit de moindres cotisations et charges.

2.   La question de la juste représentativité fait l’objet de nombreuses initiatives émanant de différents acteurs

De la même manière, la question du dialogue social et de la juste représentativité des travailleurs, demandée à la fois par les plateformes et surtout par les travailleurs eux-mêmes, a donné lieu à des initiatives des plateformes (a), des syndicats traditionnels (b) et des travailleurs (c).

Les consultations de travailleurs à l’initiative des plateformes : l’exemple d’Uber en France

En lien avec les évolutions législatives en cours en France et la possible mise en place d’une charte sociale par les plateformes, des premières expérimentations sont en cours pour améliorer le dialogue social.

Dans ce cadre, la plateforme Uber a par exemple organisé des consultations internes ([89]) en 2019-2020, auxquelles ont participé plus de 13 000 coursiers sur les conditions de travail et la protection sociale. Selon les chiffres communiqués par la plateforme, 77 % se sont déclarés satisfaits, contre 63 % lors de la consultation précédente.

Le questionnaire de la première consultation apporte également des informations sur les souhaits des travailleurs de la plateforme.

Ainsi, s’agissant des services que les coursiers souhaiteraient voir l’application développer, ils sont par exemple 28 % à souhaiter transporter des enfants et 13 % à transporter des clients avec leurs animaux de compagnie. L’idée de proposer un service de moto avec chauffeur est également évoquée.

De même, les travailleurs ont apporté des suggestions sur la manière dont ils souhaitent que les courses soient réparties : au-delà de la proximité, 43 % des répondants souhaitent que la note du chauffeur soit prise en compte et ils sont 44 % à appuyer l’idée que les clients puissent faire appel à une option « chauffeur favori ».

De plus, les inquiétudes des travailleurs de la plateforme sur lesquelles ils souhaitent voir cette dernière les accompagner, sont aussi évoquées : le soutien financier en cas de baisse d’activité, davantage de protection en termes de santé (à travers une mutuelle par exemple) ainsi que l’accès à un mécanisme de protection contre le chômage ou la possibilité de « préparer la retraite ».

Les syndicats traditionnels tentent de contribuer à la mise en place d’un dialogue social

Les syndicats traditionnels, de leur côté, tentent d’apporter des réponses innovantes à ce besoin de construire un dialogue social. S’ils n’ont pas la compétence pour représenter les travailleurs indépendants, ils suivent activement le sujet, que ce soit au niveau national ou européen.

Partant du constat que « certaines plateformes réinventent les relations sociales d’avant l’OIT, ses conventions et sa Déclaration de Philadelphie qui affirme avec force que le travail n’est pas une marchandise » ([90]), l’Institut Syndical européen a mené une étude sur le travail des plateformes. Il rappelle que l’économie des plateformes est à la fois source d’opportunités et de risques d’un point de vue syndical. Il est ainsi évoqué les opportunités de travail qu’offrent ces plateformes à des travailleurs traditionnellement exclus du marché du travail. Cependant, en même temps il dénonce : « l’irresponsabilité organisée des entrepreneurs, la disparition de l’employeur, la négation des relations collectives, l’inapplicabilité des conventions collectives, d’interdiction de négociation sur les prix au nom de la lutte contre les cartels » ([91]).

Les syndicats portent donc un regard attentif sur l’évolution de l’économie des plateformes, comme en témoignent, entre autres, les résolutions prises par la Confédération européenne des syndicats prises dès 2017 ([92]). Elles appellent la Commission européenne à se saisir activement du sujet.

De la même manière, il apparaît que, progressivement, les grandes centrales syndicales se sont ouvertes aux travailleurs indépendants. Certains d’entre eux se tournent vers elles pour s’informer sur leurs droits, que ce soit au niveau européen ou français. Dans ce cadre, certains syndicats ont modifié leur statut pour leur permettre de représenter des indépendants et/ou créé de structures ad hoc, par exemple la CFDT avec Union.

En Allemagne, le syndicat IG Metall ([93]) s’est ouvert aux travailleurs indépendants en 2015. Il a créé une plateforme collaborative nouvelle avec l’objectif d’améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes. Cette dernière, intitulée Fair Crowd Watch, s’inspire de ce qui avait été tenté dès 2008 aux États-Unis avec une plateforme nommée Turkopticon. Sur cette plateforme, les micro-travailleurs pouvaient à leur tour noter le donneur d’ordre (à travers des questions comme « pensez-vous que la rémunération est juste ? » ou encore « le donneur d’ordre est-il équitable ? »). Par la suite, dans une version améliorée du dispositif, ils notaient la tâche, en donnant le montant la rémunération, si elle était effectivement payée ou non, afin de laisser les autres micro-travailleurs décider par eux avec une information plus objective.

Selon l’IGAS, « ce détournement de l’ensemble des codes de « l’ubérisation » (systèmes de notation, commentaires, profils utilisateurs, classements, jusqu’à l’ergonomie et le graphisme...) est prometteur » ([94]). D’une part, il permet de fédérer une communauté de travailleurs ([95]). De l’autre, il permet aux organisations syndicales traditionnelles de retourner « le rôle de tiers de confiance propre aux plateformes au profit des contributeurs et ce grâce à une infrastructure d’intelligence collective caractéristique de l’économie numérique » ([96]).

Dans les mêmes temps, les travailleurs des plateformes eux-mêmes ont entrepris d’organiser leur représentation. Ainsi, il existe en Europe et en France des groupes de livreurs, qui ont d’abord tenté de s’organiser comme branches de syndicats traditionnels. Ils ont ensuite décidé de créer des collectifs autonomes. C’est le cas par exemple, du Collectif des livreurs autonomes de Paris (CLAP 75), qui a pour vocation de défendre les droits et conditions de travail des livreurs comme Deliveroo, Foodora, Stuart ou encore Uber. Né en 2017 à la suite d’une augmentation tarifaire annoncée par les plateformes, ce collectif se positionne en défense d’une meilleure rémunération pour les livreurs, ainsi qu’une amélioration des conditions de travail, principalement de santé et de sécurité. Il ambitionne de devenir un syndicat à part entière.

Le travail des plateformes connaît des évolutions à l’initiative des acteurs du secteur eux-mêmes. Elles portent sur les enjeux identifiés, à savoir le besoin d’accroître la protection sociale, mais aussi d’instaurer un véritable dialogue social.

II.   Néanmoins, de nombreux points restent en suspens pour garantir une protection sociale aux travailleurs des plateformes, d’où la nÉcessite de proposer diffÉrentes pistes d’Évolution

Le travail des plateformes a ainsi connu d’importantes évolutions ces dernières années. L’intervention du juge a permis d’en préciser les contours. Les évolutions législatives ont permis de clarifier le statut des travailleurs ainsi que des avancées en matière de protection sociale. Les initiatives des acteurs eux-mêmes font avancer l’instauration d’un dialogue social. Cependant, des progrès sont encore possibles tant au niveau international qu’européen et c’est dans cette perspective, que s’inscrit ce rapport pour effectuer des recommandations en ce sens.

A.   DIFFÉRENTS points restent en suspens pour garantir une protection sociale efficace

Dans l’objectif d’améliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes, différents points nécessitent d’être pris en compte tant au niveau international qu’européen. Il s’agit principalement de la place de l’intelligence artificielle et de la transparence des algorithmes (1), de la représentation des salariés (2), de la garantie d’une protection sociale « socle » pour les travailleurs des plateformes (3) et de l’approfondissement de la responsabilité sociale des entreprises (4).

1.   Garantir une plus grande transparence des algorithmes utilisés par les plateformes

Une transparence des algorithmes est essentielle pour garantir des relations entre les plateformes et les travailleurs qui soient basées sur une entente éclairée. En l’absence de transparence, la relation serait déséquilibrée.

En Europe, à travers le RGPD, chaque citoyen dispose de droits garantis face à la collecte des données qu’effectuent les entreprises du numérique. En faisant valoir ces droits auprès des plateformes et si nécessaire du juge, les travailleurs peuvent avoir accès à ces informations ([97]) qui deviennent indispensables en cas de litige avec la plateforme.

Néanmoins, la manière dont ces données sont traitées et utilisées par les algorithmes font l’objet d’une grande opacité, dénoncée par les travailleurs des plateformes, qu’ils soient micro-travailleurs ou gigworkers.

Les micro-travailleurs s’inquiètent de la transparence des algorithmes d’attribution des tâches, parce qu’ils consacrent une grande partie de leur temps à chercher des tâches disponibles et décemment rémunérées ([98]). Or, ceux qui sont installés ailleurs qu’aux États-Unis, dénoncent un accès limité aux tâches qui rémunèrent le mieux. Ils constatent que les meilleures tâches sont attribuées aux micro-travailleurs américains, alors qu’ils s’estiment en mesure de les remplir également.

De leur côté, les gigworkers s’inquiètent également de cette opacité dénonçant une menace à la stabilité de leur situation. Les livreurs à vélo, plus que les chauffeurs VTC, parviennent à comprendre comment fonctionnent les algorithmes d’attribution des commandes, mais les plateformes de livraison les changent rapidement afin que les livreurs ne puissent pas anticiper les agissements de la plateforme. Les gigworkers estiment que des livreurs peuvent être exclus par les plateformes pour cette raison.

Ainsi, les rapporteures considèrent qu’il doit être possible de favoriser une plus grande transparence du black box que représentent les algorithmes, pour éviter les biais et éventuels effets de discriminations, tout en respectant le secret des affaires et les droits de propriété intellectuelle des plateformes. Des mécanismes qui assurent la transparence des paramètres pris en compte dans les algorithmes apparaissent nécessaires. À terme, ces outils numériques doivent faire preuve de pondération et de neutralité pour éviter la discrimination. Une piste de solution serait en ce sens de mettre en œuvre des mécanismes d’audit et de contrôle, qui permettraient à des autorités indépendantes compétentes de vérifier comment sont construits les algorithmes. Il s’agit là d’un point qui dépasse largement la seule question du travail des plateformes.

De la même manière, pour favoriser la neutralité des algorithmes et limiter les discriminations, le Défenseur des droits français et la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) ont proposé de « renforcer les obligations légales en matière d’information, de transparence et d’explicabilité des algorithmes à l’égard des usagers et des personnes concernées » ([99]).

2.   Améliorer la représentation des salariés

Il y a une réelle volonté des parties d’instaurer un dialogue social structuré et efficace. Néanmoins, que ce soit au niveau international ou européen (au niveau national il pourrait être prochainement mis en place), il doit encore voir le jour.

Il s’agit d’un point fondamental parce qu’un des éléments du débat est le déséquilibre dans la relation qui lie les plateformes et les travailleurs alors que ceux-ci sont légalement des travailleurs indépendants. Dans ces conditions, il est nécessaire de prévoir des mécanismes pour équilibrer la relation entre les travailleurs et les plateformes. Pour ce faire, l’instauration d’un dialogue social semble nécessaire tant pour les micro-travailleurs que pour les gigworkers.

3.   Améliorer l’accès à la protection sociale « socle », notamment pour les travailleurs les plus vulnérables

De plus, si au niveau national des premières avancées législatives ont permis d’améliorer l’accès à la protection sociale pour les travailleurs des plateformes, des progrès importants restent à faire. Ils concernent principalement deux catégories : les micro-travailleurs et les gigworkers pour qui le travail à travers les plateformes représente la source principale de revenus.

D’un côté, les micro-travailleurs sont dans une situation de vulnérabilité particulière parce que dépendants économiquement de ces tâches, faiblement rémunérées et sans la certitude d’être effectivement payés pour leurs services.

De l’autre, se trouvent les gigworkers, pour qui le travail de plateformes constitue le revenu principal. Il s’agit en particulier de ceux qui se sont tournés vers les plateformes parce qu’ils sont exclus du marché de l’emploi, ce qui les place également dans une situation de grande dépendance économique vis-à-vis de ces revenus. Pour ces personnes, assurer une protection sociale « socle » suppose nécessairement un engagement RSE de la plateforme. À cet égard, les discussions engagées en France pour organiser les conditions d’un dialogue social et d’un socle de protection sociale sont très attendues.

Une solution à l’échelle européenne, qui tiendrait compte des différents modèles sociaux nationaux, serait dans ce cadre bienvenue puisqu’elle serait source de stabilité et de pérennité pour les plateformes installées en Europe et en même temps, pour les travailleurs.

4.   Accroître la responsabilité sociale des plateformes numériques est un passage obligé pour améliorer les conditions de travail

Pour assurer ce type de protection sociale, il convient d’agir sur la responsabilité sociale des plateformes. Les détracteurs de l’économie de plateformes évoquent souvent le fait que cette économie se fonderait sur un contournement du droit fiscal ou social dans le seul but de chercher à engendrer des bénéfices.

Or, en renforçant, à l’échelle internationale et européenne, les conditions de travail offertes par les plateformes, l’amélioration serait considérable. Mais surtout, l’innovation qu’apportent les plateformes pourrait continuer de se développer tout en garantissant le respect des droits des travailleurs mobilisés, sans nuire à la viabilité de leur modèle.

Sur ce point, il a été par exemple proposé par le Conseil National français du Numérique d’établir une déclaration éthique obligatoire. Elle permettrait de donner un score aux plateformes à partir de critères simples qui pourraient être : la rémunération et le temps de travail, la santé et la sécurité au travail, les relations avec les travailleurs et le dialogue social, ainsi que l’éthique numérique. Le Conseil national du numérique estime que cette proposition serait facile à mettre en œuvre. Elle aiderait également les travailleurs à choisir la plateforme pour laquelle ils souhaitent travailler.

De manière générale, en posant des obligations claires et équitables en matière de responsabilité sociale des entreprises du numérique, celles-ci pourraient se développer dans un cadre juridique stable et dans un contexte qui permette de garantir des conditions de vie décentes aux travailleurs qu’elles mobilisent.

B.   LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORT pour amÉliorer les conditions de travail des travailleurs des plateformes

Partant de ces constats et des conséquences de la nature transfrontalière des plateformes, ce rapport plaide pour une intervention à l’échelle internationale pour ce qui est du micro-travail (1) et une initiative de nature à encadrer le travail des plateformes dans l’Union européenne (2).

1.   Encourager les discussions sur le micro-travail au niveau mondial

Si le micro-travail se présente encore comme une forme marginale de travail, qui ne concernerait qu’un petit nombre de travailleurs, ce sujet doit néanmoins attirer notre attention.

En effet, les conséquences du numérique sur le travail se retrouvent dans le micro-travail. Ce dernier doit donc être pensé comme un des visages futurs du travail. Le micro-travail attirera à l’avenir de plus en plus de travailleurs. Or, il s’agit souvent de travailleurs vulnérables, exclus du marché du travail du fait de manque de qualifications, de parcours atypiques, de vulnérabilités, ou même de discriminations. Ils sont donc particulièrement dépendants des tâches qui leur sont confiées via les plateformes de micro-travail.

Mais surtout, le micro-travail se présente comme un phénomène transnational et, par cette nature même, il ne peut être efficacement régulé à l’échelle nationale. Il convient donc de réfléchir à des manières pour l’encadrer au niveau européen et international.

Pour ce faire, il apparaît nécessaire d’abord de mieux comprendre ce phénomène : si des études existent, notamment celle de l’OIT sur les micro-travailleurs à l’échelle mondiale, il serait utile et important de disposer de plus de données quantitatives sur les micro-travailleurs en Europe.

En parallèle, s’entendre sur un cadre juridique pour réguler a minima certaines pratiques du micro-travail, semble important. La rémunération proposée inquiète les observateurs : elle est particulièrement faible et n’est pas garantie, même si le travail est effectivement exécuté.

Sur ce point, des négociations pourraient être entreprises au niveau de l’Organisation de Coopération et de Développements Économiques (OCDE) et de l’OIT. Au niveau de l’Union européenne, la proposition de directive sur les salaires minimums adéquats concerne également les travailleurs des plateformes. Son application contribuera à améliorer le quotidien de ces travailleurs en Europe.

2.   Une nécessaire intervention de l’Union européenne par voie de directive

S’agissant du travail à travers les plateformes numériques, une intervention de l’Union européenne semble nécessaire. La directive semble l’outil le plus opportun pour mettre en place un cadre juridique clair et stable au sein de l’Union. Elle compléterait un arsenal législatif européen déjà existant qui garantit des droits et protections aux travailleurs, principalement salariés. Ce nouveau cadre juridique proposerait des règles nouvelles pour les travailleurs atypiques, dont font partie les travailleurs des plateformes.

Plusieurs éléments fondent cette préconisation.

En premier lieu, la dimension transnationale des plus grandes plateformes les oblige à se plier à des cadres juridiques différents. Dans ces conditions, un cadre juridique européen qui poserait des règles communes permettrait de clarifier et stabiliser le fonctionnement de ce secteur. Ces nouvelles règles ne nuiraient pas pour autant à l’innovation qu’apportent les plateformes.

De plus, cette intervention permettrait de mieux répondre à l’hétérogénéité des plateformes. Ce sont souvent les plus grandes plateformes comme Uber ou Deliveroo qui sont évoquées dans le débat public. Pourtant, il existe aussi des moyennes et petites structures, qui doivent également être encadrées. Néanmoins, elles ne peuvent se plier aux mêmes règles que les plus grandes. Une directive qui distinguerait entre les différentes catégories de plateformes serait en ce sens bienvenue.

En second lieu, une intervention par voie de directive se justifie parce que les États membres ainsi que les institutions de l’UE doivent promouvoir « l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social… » ([100]). Une telle directive participerait également à la concrétisation du socle européen des droits sociaux et à ce titre s’inscrirait pleinement dans l’agenda social de l’Union européenne.

Pour ce faire, l’article 153 (2) (b) TFUE précise que le Parlement européen et le Conseil peuvent arrêter « par voie de directives, des prescriptions minimales applicables progressivement » dans les domaines définis au paragraphe 1 du même article, parmi lesquels figurent « les conditions de travail, la sécurité sociale et la protection sociale des travailleurs, la protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail, l’information et la consultation des travailleurs ».

La proposition de directive respecterait les principes de subsidiarité et de proportionnalité.

Au vu de la nature transnationale des plateformes, il est impossible d’apporter des réponses satisfaisantes au niveau national. De plus, la mise en place de systèmes de protection nationaux risquerait d’accroître les différences entre les États membres. Si l’on devait rester à des systèmes nationaux, il existe un risque de concurrence sur le plan social. Dès lors, au regard du principe de subsidiarité, l’intervention par voie de directive est justifiée.

De la même manière, la directive ne serait pas contraire au principe de proportionnalité. Elle viendrait soutenir et compléter l’action des États membres, en se concentrant sur des prescriptions minimales. De plus, sa mise en œuvre pourrait être progressive.

Cette proposition de directive devrait principalement porter sur les niveaux de rémunérations des travailleurs des plateformes et sur l’accès à la protection sociale « socle » pour les catégories les plus vulnérables. Sur ce point, des données supplémentaires sont nécessaires pour mieux évaluer les risques d’accident du travail et de maladies professionnelles.

Pour assurer l’effectivité des mesures décidées, plusieurs acteurs pourraient intervenir. Une instance de contrôle, de régulation et de médiation permettrait, par exemple, de régler à l’amiable certains différents. De son côté, l’autorité européenne du travail, récemment créée, pourrait intervenir. Elle pourrait se saisir du sujet et organiser la coordination des actions nationales, à la fois en matière d’information et de contrôle des droits. Si nécessaire, elle pourrait décider des sanctions appropriées à travers les systèmes d’inspections nationaux.


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   Conclusion

L’économie des plateformes numériques, bien qu’elle ne représente encore qu’une faible proportion de l’économie globale, est susceptible d’apporter des bouleversements majeurs dans la structure du marché du travail.

Les acteurs principaux de cette économie, les plateformes numériques elles‑mêmes mais également les travailleurs, ont fait l’objet de nombreuses analyses.

Les plateformes numériques sont souvent traitées comme un groupe homogène qui se résume aux grandes plateformes de livraison et de transport. Or, elles forment un écosystème complexe avec des structures de tailles différentes et proposant des services variés. Une régulation efficace doit tenir compte de cette diversité.

Les travailleurs des plateformes sont également un groupe hétérogène, tant au niveau de diplôme qu’au niveau de la rémunération. Cependant, ils affichent des motivations comparables pour travailler à travers les plateformes : la facilité d’accéder à ce type d’emploi, la rémunération rapide proposée et la forte autonomie promue par les plateformes. Une attention particulière doit être accordée aux micro-travailleurs, ainsi qu’aux gigworkers qui sont les travailleurs les plus vulnérables du secteur. Ils sont parfois exclus du marché du travail et de ce fait, sont plus dépendants des revenus obtenus à travers les plateformes.

Ainsi, pour réguler efficacement les interactions entre ces acteurs, certains sujets appellent particulièrement l’attention : la diversité des plateformes et les différents services proposés, la nécessité d’une protection sociale « socle », l’encadrement des relations contractuelles entre les parties, l’absence de responsabilité sociale des plateformes et la promotion de la transparence des algorithmes utilisés.

Conscient de ces enjeux, le législateur est intervenu pour encadrer le travail à travers les plateformes, en Californie, au Portugal, en Italie et en France. Ces évolutions législatives ont permis d’améliorer, au moins partiellement, les conditions de travail.

En parallèle, les différentes décisions de justice rendues sur la relation entre les travailleurs et les plateformes numériques, ont permis de délimiter les contours de cette relation : si les travailleurs des plateformes sont en général des indépendants, le lien qui les unit aux plateformes soulève des difficultés selon la nature de la relation (système de contrôle et de sanction par exemple). Il semble donc nécessaire d’encadrer davantage les conditions de travail des travailleurs des plateformes.

Par ailleurs, les acteurs du secteur ont pris des initiatives pour faire évoluer les conditions de travail. Elles portent sur la mise en place de mesures assurantielles et la structuration d’un dialogue social.

Il y a donc une prise de conscience collective des enjeux que soulève le travail des plateformes.

Dans ce contexte, une réflexion doit être engagée sur le fonctionnement des algorithmes utilisés par les plateformes, mais aussi sur la mise en place de nouveaux modes de représentation des travailleurs, d’avancées en matière de protection sociale et de mesures relatives à la responsabilité sociale des entreprises. Pour ce faire, le rapport propose deux volets d’action : encourager des discussions et avancées au niveau mondial sur le micro-travail compte tenu des problématiques transfrontalières posées en matière de décence des conditions de travail ; proposer au niveau européen, par voie de directive, un cadre commun pour réguler le travail à travers les plateformes.

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le mercredi 20 janvier 2020, sous la présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

Mme Danièle Obono, rapporteure. Nous vous présentons aujourd’hui le fruit de notre réflexion sur la protection sociale des travailleurs des plateformes numériques en Europe. La crise sanitaire qui se déroule dans le monde et en Europe depuis plus d’un an maintenant, a révélé le caractère stratégique de l’économie numérique, et en particulier de ses plateformes. Leur modèle technologique, économique et social a fait l’objet de nombreuses analyses en Europe et dans le monde. L’organisation internationale du travail (OIT), le Centre d’études des politiques publiques européennes (CEPS), des syndicats européens, et en France l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), l’Institut Montaigne, la Fondation Jean Jaurès, la Direction de la recherche, des Études et des Statistiques (DARES), pour ne citer que quelques exemples, ont tous publié des rapports sur le sujet. Ce sujet concentre l’attention dans le débat public.

Pour autant, nos travaux relèvent que peu de réponses concrètes sont actuellement mises en œuvre, que ce soit à travers de nouvelles législations ou d’initiatives des acteurs eux-mêmes.

Notre rapport se présente comme un état des lieux des connaissances relatif à l’économie des plateformes et son organisation. La réalisation d’un tel état des lieux importe car nous nous sommes rendu compte, au fil des auditions, que cette question est rarement appréhendée sous cet angle dans le débat public. Les acteurs du secteur, qu’il s’agisse des travailleurs ou des plateformes, sont souvent appréhendés de manière superficielle.

Les plateformes, par exemple, sont souvent perçues comme un groupe homogène, représenté par de grandes plateformes transnationales comme Uber et Deliveroo. Dans les faits, elles constituent un écosystème plus complexe, qui regroupe effectivement de grandes plateformes organisant entièrement le service proposé, mais aussi des petites et moyennes structures de portée locale.

De la même manière, parmi ces travailleurs, certains sont visibles car ils font partie de notre quotidien. C’est le cas des chauffeurs VTC, des coursiers, et de ceux qui effectuent des prestations à domicile (des tâches manuelles de bricolage, de jardinage…). Toutefois, il y a aussi des travailleurs invisibles : il s’agit de celles et ceux qui travaillent exclusivement en ligne.

Parmi eux, il y a des travailleurs hautement qualifiés et bien rémunérés qui ont des compétences rares et valorisées sur le marché. Toutefois, il y a également des micro-travailleurs, qui interviennent en ligne, mais qui sont faiblement rémunérés : la rémunération est en moyenne de 3,30 dollars de l’heure sans aucune forme de protection sociale. Ceux-ci effectuent en général des tâches simples, répétitives. Il peut s’agir de comparer deux images, ou encore d’évaluer si un commentaire laissé à propos d’un restaurant est pertinent ou non.

Nous notons néanmoins qu’une part importante de ces travailleurs est peu diplômée et souvent exclue du marché du travail traditionnel. Pour eux, la priorité est avant tout d’accéder à un emploi. Ils se tournent alors vers le travail des plateformes, précaire à certains égards, mais qui constitue une source de revenus non négligeable.

Si leurs profils et les travaux effectués sont divers, les travailleurs de ces plateformes ont des motivations similaires : ils sont attirés par l’obtention rapide d’une rémunération et par l’autonomie promue par les plateformes.

Ces différentes catégories de travailleurs ont des besoins divers en matière de protection sociale. Certains et certaines de ces travailleurs, souvent salariés par ailleurs, utilisent les plateformes pour compléter leurs revenus. Pour d’autres, en revanche, ces plateformes constituent leur source de revenus principale, que ce soit en travaillant à travers une ou plusieurs d’entre-elles. Les plus vulnérables, c’est-à-dire celles et ceux qui dépendent financièrement de ce travail, requièrent en particulier notre attention.

Légalement considérés comme des travailleurs indépendants en France, ou assimilés à des statuts tiers en Espagne, en Italie ou au Royaume-Uni, leur statut soulève des interrogations en Europe et au-delà, au niveau international. En effet, en fonction de l’organisation du service par la plateforme, leurs conditions de travail peuvent différer de ce qui est attendu pour des indépendants. On aboutit alors à des situations de « salariat déguisé ».

Je voulais donner un exemple des témoignages qui illustrent la manière dont ces travailleurs et travailleuses ont développé ce discours revendicatif. Jérôme Pimot, un ancien livreur ayant participé l’organisation d’un collectif pour revendiquer une meilleure protection sociale, m’a ainsi expliqué la situation suivante : « Les conditions de travail étaient telles que nous faisions un travail dangereux avec une protection sociale équivalente à celle d’un graphiste, d’un comptable ou d’un petit artisan. Nous devions nous déplacer le plus vite possible, que ce soit à Paris ou dans d’autres centres urbains. Nous étions payés à « brûler des feux rouges » avec une protection sociale inexistante. Je travaille dans les mêmes conditions qu’un salarié. Les plateformes tentent de faire croire que je suis indépendant alors que chacune des 30 pages de mon contrat commercial contient un élément subordonnant »

Dans ce cadre, certains travailleurs ont saisi la justice pour demander des requalifications en contrat de travail, qui ont pu être accordées. C’est le cas en France et en Espagne par exemple. Les décisions de requalification ont motivé d’autres travailleurs et travailleuses de ces plateformes à entreprendre des démarches similaires. Il faut aussi rappeler que le souhait du salariat n’est pas l’option recherchée par tous ces travailleurs. Néanmoins, la nécessité et l’exigence d’avoir une meilleure protection est une demande constante.

Du déséquilibre de la relation et de l’incertitude sur le statut découle la nécessité d’apporter une régulation efficace du secteur, particulièrement en matière de protection sociale. Pour ce faire, il faut prendre en compte une série d’enjeux différents. Tout d’abord, l’hétérogénéité des plateformes car, en fonction de leur taille mais aussi des activités qu’elles proposent, les enjeux diffèrent. Ainsi, une plateforme qui encadrerait strictement la relation avec un travailleur ou une travailleuse pose une problématique différente à celle d’une petite entreprise qui n’organiserait pas l’ensemble de la relation.

Il est également nécessaire d’accompagner le développement d’une protection sociale adaptée. Le risque accident du travail et maladies professionnelles par exemple est peu pris en compte, alors que ces travailleurs y sont, pour certains, particulièrement exposés.

Par ailleurs, il convient de réguler les conditions de la rupture contractuelle. C’est un enjeu sensible pour le juge. Si la rupture de la relation contractuelle s’assimile à un pouvoir de sanction, alors la demande de requalification se trouve justifiée. Il y a également l’enjeu de remédier à l’absence de responsabilité sociale qui avait cours pour ces entreprises. Enfin, la question de la transparence des algorithmes utilisés m’a particulièrement interpellé. Les plateformes collectent massivement des données, à la fois sur les travailleurs et travailleuses mais aussi sur les clients et les clientes. Pourtant, une grande opacité continue de régner sur le fonctionnement des algorithmes. Or, pour limiter les biais qu’ils contiennent et donc les risques de discrimination, il semble nécessaire de mieux les encadrer. Ce dernier point fait partie d’un débat plus large sur la régulation de l’intelligence artificielle qui a lieu en France et en Europe.

Mme Carole Grandjean, rapporteure. Au cours de nos travaux, nous avons constaté des évolutions dans les pratiques de cette nouvelle économie numérique du fait d’une prise de conscience collective qu’une régulation sur les conditions de travail est nécessaire. Que ce soit par l’intervention du législateur ou à travers des initiatives des acteurs du secteur eux-mêmes, des améliorations sur les conditions de travail voient le jour.

Le législateur est par exemple intervenu au Portugal pour encadrer spécifiquement les conditions de travail des chauffeurs VTC en 2018 et en Italie en 2018 et 2019 avec l’introduction de mesures concernant les coursiers. Ces dispositions permettent d’ouvrir de nouveaux droits et apportent des garanties aux travailleurs. De la même manière en France, la loi Travail et la loi LOM ont apporté des avancées en matière de protection sociale avec par exemple la mise en place d’une forme de « droit de grève » pour les travailleurs des plateformes. Des initiatives législatives sont également engagées en Espagne et en Allemagne.

Au niveau européen, des voix s’élèvent pour demander une régulation du travail à travers les plateformes. Le Conseil, relevant que trop peu d’États membres ont entrepris des mesures de régulation, plaide pour un accès renforcé de ces travailleurs à la protection sociale. Il rappelle les conséquences néfastes de ce manque de protection sociale : outre les effets sur la santé, il accroît le risque de pauvreté et d’incertitude économique. De son côté, dans ses résolutions sur l’emploi et les politiques sociales dans la zone euro en 2019 et 2020 le Parlement européen s’est dit en faveur d’une régulation. Il y a une volonté transpartisane au niveau européen de réguler ce type de travail. Elle a été entendue par la Commission européenne, qui devrait proposer cette année une initiative sur le sujet, comme nous l’ont confirmé les auditions menées.

Dans le même temps, les initiatives des acteurs du secteur ont contribué à améliorer les conditions de travail. En témoignent par exemple la mise en place de partenariats assurantiels entre les plateformes et les assureurs, qui permettent de couvrir les risques comme les accidents du travail. Elles correspondent bien au statut indépendant des travailleurs mobilisés.

De la même manière, il existe une volonté de toutes les parties d’organiser un dialogue social. Par exemple, les consultations faites auprès des travailleurs par Uber en 2019 et 2020 en France constituent un premier pas en ce sens. Selon les données communiquées par Uber, les inquiétudes des travailleurs de la plateforme sur lesquelles ils souhaitent être accompagnés portent sur : le soutien financier en cas de baisse d’activité, davantage de protection en termes de santé ainsi que l’accès à un mécanisme de protection contre le chômage ou la possibilité de mieux préparer leur retraite. Les travailleurs ont, quant à eux, pris l’initiative de s’organiser en collectifs pour défendre leurs revendications. De leur côté les syndicats traditionnels ont entrepris de s’ouvrir pour accueillir ces travailleurs, comme l’a fait par exemple le syndicat allemand IG Metall. Inspiré d’une expérience américaine, il a créé une plateforme collaborative nommée Fair crowd watch où les travailleurs peuvent noter les clients et les tâches effectuées, pour aider les autres travailleurs à choisir pour quelle plateforme ils souhaitent travailler.

En parallèle, l’accroissement des contentieux entre travailleurs et plateformes, a conduit le juge à préciser les contours de cette relation. Si les arrêts Take Eat Easy et Uber de la Cour de cassation française sont souvent évoqués dans le débat public, d’autres cours dans le monde ont eu à connaître de ce type de contentieux. En Californie, le juge a mis au point un test dit « ABC » pour vérifier que le travailleur est effectivement un independent contractor. Pour cela, il doit : être placé en dehors du contrôle de l’entreprise, effectuer une activité différente de l’activité principale de l’entreprise et être en mesure d’offrir ses services à d’autres employeurs. En Espagne, dans une affaire dite Glovo, la Cour Suprême a procédé à une requalification en contrat de travail en insistant sur la place du travailleur dans un service pleinement organisé par la plateforme.

Ainsi, des progrès sont encore possibles et nécessaires, notamment sur la transparence des algorithmes, la représentation des salariés, la garantie d’une protection sociale « socle » pour les travailleurs et l’approfondissement d’une responsabilité sociale des entreprises.

Il nous semble que le caractère transnational de ce phénomène rend inefficace toute tentative de régulation exclusivement nationale. Partant de ce constat, nous effectuons deux recommandations au niveau international et européen. La première concerne le micro-travail, dont l’importance continue de croître. Nous suggérons que des négociations internationales, que ce soit à l’OCDE ou au niveau de l’OIT, soient entreprises pour améliorer les conditions de travail de ces travailleurs, particulièrement vulnérables. Un des premiers pas en ce sens serait de mieux appréhender l’importance de ce phénomène en Europe et en France, les études actuelles restant imprécises. Ensuite, il serait possible de s’entendre sur un cadre juridique pour réguler a minima les pratiques les plus critiquées du micro-travail. La seconde recommandation concerne le travail à travers les plateformes dans son ensemble. Nous plaidons pour une directive européenne sur ce sujet, dans le respect de nos différents modèles sociaux. Il s’agit de clarifier les règles applicables et stabiliser le fonctionnement de ce secteur en Europe sans pour autant nuire à l’innovation qu’apportent les plateformes. Ces mesures permettraient en outre de concrétiser le socle européen des droits sociaux.

Pour la mise en œuvre, plusieurs acteurs différents pourraient intervenir. La mise en place d’une instance de contrôle, de régulation et de médiation - suggérée lors des auditions - faciliterait la résolution à l’amiable de certains différents. De plus, l’Autorité européenne du travail créée récemment, pourrait organiser la coordination des actions nationales. Elle informerait les travailleurs de leurs droits et contrôlerait leur respect.

Ainsi, le travail à travers les plateformes, en ce qu’il préfigure ce que pourrait être le marché du travail de demain, appelle notre attention. Nos travaux nous conduisent à penser qu’une régulation efficace ne peut être exclusivement nationale et doit s’appuyer sur des négociations internationales et des mesures décidées à l’échelle européenne.

 

L’exposé des rapporteures a été suivi d’un débat.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Plusieurs questions me viennent à l’esprit s’agissant du rapport présenté. Quelle est la signification du terme « plateforme » ? Comment peut-on définir un « travailleur de plateforme » ? À travers vos explications, je comprends qu’il s’agirait d’un travailleur indépendant soumis à une certaine forme d’autorité. Dans cette configuration, il est nécessaire de prévoir une protection particulière, notamment dans le cas du micro-travail.

Ces plateformes agissent dans un cadre international et européen. Il me semble donc opportun de proposer l’adoption d’une directive européenne sur le sujet. Une proposition devrait avoir lieu à l’échelon européen au cours du second semestre 2021. Je pense que vous devriez suivre ce dossier avec attention ce qui permettrait à la commission des affaires européennes de faire de nouvelles propositions. C’est un travail sur le long terme qui s’inscrit, en outre, dans les priorités de la présidence portugaise.

M. Thierry Michels. Notre groupe partage les conclusions de votre rapport, reflet d’un travail transpartisan, sur un sujet qui est apparu majeur pendant la crise sanitaire. Je suis sensible à vos propositions relatives à la sécurité et à santé au travail, d’autant plus que nous allons examiner une proposition de loi relative au renforcement de la santé au travail, portée par nos collègues Charlotte Lecoq et Carole Grandjean. Nous pourrions nous inspirer de ces travaux pour voir comment, au niveau européen, nous pouvons porter des améliorations. La nature transfrontalière et immatérielle de ces plateformes appelle en effet à une réponse européenne coordonnée.

Afin de garantir une protection sociale efficace aux travailleurs des plateformes, le renforcement de la transparence des algorithmes est une condition indispensable pour permettre aux travailleurs de pouvoir se défendre en cas de litige, mais aussi pour éviter les éventuels biais et effets de discrimination. Les données de ces plateformes font pourtant l’objet d’une grande opacité. Afin de faire valoir les droits de ces travailleurs, il faudrait leur donner accès à ces informations, notamment les critères de notations et l’impact de ces notes sur les mises en relation avec les clients. Ces outils de contrôle engendrent le risque, pour les travailleurs, de devenir l’exécutant d’un robot et de ces algorithmes. Vous proposez donc de travailler à des règles qui permettent de limiter les risques de ce management algorithmique.

Vous mentionnez la création d’un mécanisme d’audit permettant à des autorités indépendantes de vérifier la construction de ces algorithmes et leur mise en œuvre. Pouvez-vous nous en dire plus sur les modalités de sa mise en œuvre concrète ?

Mme Liliana Tanguy. La problématique de votre rapport est très actuelle, puisque la présidence portugaise a annoncé avoir parmi ses priorités l’Europe sociale, notamment pour converger vers un revenu minimum au niveau européen. Vous avez évoqué le fait qu’il fallait un socle commun en termes de protection sociale mais également de revenu. Comment pensez-vous que l’on puisse parvenir à ce socle commun, étant donné qu’il existe des différences salariales entre États et que les systèmes de sécurité sociale nationaux restent très variés ? Comment pensez-vous que cette directive pourrait amener les différents États membres à s’accorder sur ce socle commun ?

Mme la Présidente Sabine Thillaye. L’influence des algorithmes et leur pression sur les travailleurs sont des sujets centraux. Il sera très difficile pour le législateur de s’opposer à la puissance de l’intelligence artificielle. Il existe un besoin de transparence mais, dans la pratique, avez-vous une idée de la manière dont le législateur pourrait procéder ?

Mme Carole Grandjean, rapporteure. La question des algorithmes a fait l’objet de discussions entre nous et avec les personnes auditionnées. Cela a en effet un impact direct sur les conditions de travail et il n’y a pas, à ce stade, de véritable transparence. Nous pouvons comprendre que, le travailleur étant indépendant, celui-ci ne puisse pas avoir accès à toutes les informations de la plateforme. Toutefois, dans la mesure où cela a un impact sur ses conditions de travail et régit les relations qu’il peut avoir avec la plateforme, cela pose un véritable problème. Ce phénomène a également une incidence sur la manière dont les travailleurs peuvent accéder aux offres de travail.

À l’heure actuelle, une démarche contentieuse permet d’accéder à certaines informations. Mais un accès sans contentieux paraît être la base d’une relation de travail plus équilibrée. La transparence est également une condition du libre choix de la part du travailleur par rapport à la plateforme. Il nous paraît donc nécessaire que l’Union européenne impose aux plateformes la fixation d’indicateurs qui rendent lisibles les caractéristiques des algorithmes. Certaines plateformes, lorsqu’elles ont appris que des travailleurs avaient compris les effets de certains paramètres sur leurs conditions de travail, changent les algorithmes pour que les travailleurs ne puissent pas suivre la manière dont les algorithmes agissent.

En ce qui concerne le socle social, si nous arrivons à travailler sur un revenu commun et à trouver un moyen de représenter les travailleurs des plateformes dans une forme de dialogue social, nous pouvons trouver des ajustements pour leur permettre de bénéficier d’une juste rémunération. Il nous paraît indispensable d’apporter une couverture sociale, notamment en cas d’accident du travail, mais aussi d’autres risques, tels que la vieillesse et la santé.

Mme Danièle Obono, rapporteure. La question des algorithmes nous a effectivement interpellées. Il ne faut pas omettre l’aspect lié aux risques psychosociaux que ces algorithmes créent. Dans toute relation managériale, il faut porter une attention particulière à ces risques. Même en dehors de l’économie des plateformes, l’utilisation de l’intelligence artificielle et des algorithmes est aussi répandue dans des formes de travail plus traditionnelles. Les plateformes emploient peu de personnes en France et dans l’Union européenne mais la prise en compte de la question des algorithmes a un impact beaucoup plus large, dans d’autres secteurs.

De ce point de vue, il existe déjà des encadrements. Il faut se demander comment mettre en œuvre de nécessaires renforcements de cet encadrement. Le règlement général de protection des données (RGPD) devrait servir à cela. L’instance de contrôle que nous proposons de créer doit permettre de réfléchir à cette question. La transparence des algorithmes est également une condition pour que d’autres acteurs numériques puissent corriger les biais qui existent dans les plateformes dominantes. La transparence est donc bénéfique à la fois pour les travailleurs et pour les plateformes.

Concernant la question du socle minimum de revenu, le fait de la considérer sous l’angle de la protection sociale aide à définir une orientation commune au niveau européen. Cela donne un contenu plus simple à envisager que la seule question de la rémunération qui dépend du niveau de vie des différents Etats. Le travail autour d’une directive permettrait d’alimenter le socle social, d’autant plus que cela se base sur des exemples nationaux. À ce titre, la France est l’un des Etats où il y a eu le plus de jurisprudences et de réflexions sur ce sujet, avec l’Espagne et l’Italie. À partir de ces expériences nationales, les débats européens peuvent avancer. Nous insistons dans notre rapport d’information sur le fait qu’une directive est nécessaire, mais cela ne doit pas se faire aux dépens du niveau national. De ce point de vue, le rôle de la France est majeur.

Mme la Présidente Sabine Thillaye. Je suppose que vous avez pris connaissance du rapport remis au Premier ministre par M. Jean-Yves Frouin qui a écarté, comme vous, l’idée d’un statut spécifique pour les travailleurs des plateformes. Pourriez-vous en développer les raisons ?

Mme Carole Grandjean, rapporteure. La raison en est simple. Les travailleurs des plateformes eux-mêmes ne le souhaitent pas, même s’il est naturellement difficile de généraliser leur position compte tenu des fortes disparités de profils et d’environnement de travail, sans parler de l’absence de représentation. Néanmoins, ce que nous avons compris, c’est qu’ils sont attachés à leur autonomie dans l’organisation de leur travail et de leurs missions ainsi qu’à leurs conditions de rémunérations. Le statut d’indépendant, dans ces conditions, leur convient, même s’ils ont besoin de protection sociale en cas de maladie ou en prévision de la vieillesse. Notre idée est donc de renforcer l’engagement et la responsabilité sociale des entreprises vis-à-vis des travailleurs et de trouver un meilleur équilibre plutôt que de créer de toutes pièces un nouveau statut.

Mme Danièle Obono, rapporteure. Les comparaisons internationales, notamment avec l’Italie, montrent par ailleurs qu’un statut spécifique ne résout pas véritablement les difficultés que rencontrent les travailleurs des plateformes. Au final, les statuts existants nous paraissent suffisants. Ainsi, le statut d’indépendant, en France, satisfait à la volonté d’autonomie des travailleurs et correspond à l’image qu’ils se font de leur activité. La question qui se pose est celle de l’amélioration de ce statut d’indépendant mais c’est un débat plus large. L’autre statut qui existe est celui du salariat puisque nombre de travailleurs des plateformes ont été requalifiés en salariés compte tenu du lien de subordination existant avec leur employeur. En réalité, derrière une technologie innovante, des algorithmes et de l’immatériel, les services fournis par les plateformes sont tout à fait traditionnels et le sont par des travailleurs bien réels.

Mme Liliana Tanguy. Ne craignez-vous pas qu’en renforçant la protection des travailleurs des plateformes, les groupes auxquels ils appartiennent préfèrent délocaliser cette activité hors de l’Union européenne afin d’en réduire le coût ?

Mme Carole Grandjean, rapporteure. La protection sociale fait partie de l’histoire et de la culture française et européenne. Malgré les conséquences qu’elle peut avoir en termes de délocalisation, il me semble important de la réaffirmer et de rappeler que lorsqu’une entreprise est implantée sur un territoire, elle doit en respecter le droit.

Mme Danièle Obono, rapporteure. Nous avons évoqué le sujet avec l’OIT et cette question des délocalisations alimente la réflexion au niveau international. Beaucoup d’observateurs pensent que les plateformes ont intérêt à un cadre régulé qui les préserve de contentieux qui se multiplient. En outre, il faut garder à l’esprit qu’il y a différents types de travailleurs sur les plateformes. Ainsi ceux qui sont hautement qualifiés par exemple ne sont pas réellement concernés par le risque de délocalisation. S’agissant des travailleurs non qualifiés, nombre d’entre eux – chauffeurs, livreurs etc. – ne sont pas « délocalisables » compte tenu de la nature de leur activité. Enfin, il faut se féliciter que dans les pays voisins de l’Union européenne, comme les pays du Maghreb, le niveau de protection sociale et des salaires augmente, ce qui limite l’intérêt de la délocalisation.

 

La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport en vue de sa publication.

 

 

 


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   annexes


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   annexe n° 1 :
Liste des personnes auditionnées par les rapporteures

 

M. Cyril Cosme, Directeur du Bureau France.

 

M. Nicolas Schmit, Commissaire européen à l’Emploi, aux Affaires sociales et à l’Insertion

M. Joost Korte, Directeur Général de l’Emploi, Affaires sociales et Insertion à la Commission européenne (DG EMPL).

 

Mme Françoise Salomon, rapporteure de l’arrêt Take Eat Easy, 2018

Mme Marie-Anne Valéry, rapporteure de l’arrêt Uber, 2020

 

Mme Sophie Thiéry, Directrice exécutif

 

Mme Sophie Baron, adjointe à la sous-directrice des relations individuelles et collectives du travail

Mme Émilie Saussine, cheffe du bureau des relations individuelles du travail

Mme Lucile Castex- Chauve, cheffe de la Mission Études, Europe et International.

 

Mme Lauranne Poulain, Déléguée au Numérique Responsable des Relations Institutionnelles

M. Jean-Baptiste Achard, Co-fondateur de la start-up Staff Me qui adhère à Syntec Numérique

 

M. Charles de Froment, Consultant et fondateur du cabinet de conseil Pergamon

 

Mme Sarah Abdelnour, Docteure en sociologie et Maîtresse de conférences à l’Université Paris-Dauphine

Mme Barbara Gomes, Docteure en Droit privé et Maîtresse de conférences à l’Université Polytechnique Hauts de France

M. Emilien Julliard, Docteur en sociologie et post-doctorant à l’Université Paris‑Dauphine

 

 

 


([1]) Nicolas Amar et Louis-Charles Viossat, IGAS, « Les plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale », Mai 2016.

([2]) Sarah Abdelnour, Le 1, « Les nouveaux prolétaires du web », septembre 2019.

([3])  L’Organisation Internationale du Travail (OIT) définit un travail décent comme « un travail productif, qui garantit une égalité des chances et de traitement aux femmes et aux hommes. Il est convenablement rémunéré, s’exerce dans des bonnes conditions de sécurité et permet aux familles de bénéficier d’une protection sociale ; il offre aux travailleurs la possibilité de s’épanouir et leur permet d’exprimer leurs préoccupations, de s’organiser collectivement et de prendre part à ses décisions qui influent sur leur vie professionnelle ».

([4])  Terme crée par Jeff Howe, journaliste américain au magazine Wired, comme le relève l’OIT en 2018 dans une étude approfondie consacrée aux « plateformes de travail numérique et l’avenir du travail ».

([5]) Nicolas Amar et Louis-Charles Viossat, IGAS, « Les plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale », Mai 2016.

([6]) David Ménascé, Institut de l’Entreprise, « Travail à la demande : quel modèle social ? », juin 2016.

([7]) Center for European Policy Studies, « Etude visant à rassembler des éléments sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes », Décembre 2019.

([8])  Commission européenne, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions « Un agenda européen pour l’économie collaborative », juin 2016.

([9]) Florian Forestier, Franck Bonot, Odile Chagny et Mathias Dufour, « Désubériser reprendre le contrôle », éditions du Faubourg 2020. 

([10])  Olivia Montel, Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), Document d’études « L’économie des plateformes : enjeux pour la croissance, le travail, l’emploi et les politiques publiques », Numéro 213, Août 2017.

([11]) Les plateformes avaient jusqu’au 12 juillet 2020 pour se mettre en conformité avec ces règles. A ce stade, il est trop tôt pour évaluer l’efficacité de ces règles. 

([12])  Voir infra la législation sur les chauffeurs VTC adoptée au Portugal par exemple.

([13])  Martin Risak, Friedrich Ebert Stiftung, “Fair working conditions for platform workers: Possible Regulatory Approaches at the EU Level”, Janvier 2018.

([14])  PWC, Communiqué de presse « Le marché mondial de l’économie collaborative devrait atteindre près de 335 milliards de dollars d’ici à 2025 contre 15 milliards en 2014 », Mai 2015.

([15]) PWC, Communiqué de presse « Economie collaborative : prévision de 83 milliards d’euros de chiffres d’affaires en Europe d’ici 2025 », Septembre 2016.

([16]) Nicolas Amar et Louis-Charles Viossat, IGAS, « Les plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale », Mai 2016.

([17])  Bonnetête Félix et Rousseau Sylvie, « Les créations d’entreprise en 2015 : net repli de l’immatriculation des micro-entrepreneurs », Insee Première n° 1583, 2016.

([18]) Franceschi Paul, « Les logements touristiques de particuliers proposés par Internet », Insee, Analyses n° 33, 2017. 

([19])  CJCE, Question préjudicielle, Deborah Lawrie-Blum c/ Land Baden-Württemberg, 1986, Affaire 66/85.

([20])  Center for European Policy Studies, « Etude visant à rassembler des éléments sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes », Décembre 2019.

([21])  Center for European Policy Studies, « Etude visant à rassembler des éléments sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes », Décembre 2019.

([22]) Center for European Policy Studies, « Etude visant à rassembler des éléments sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes », Décembre 2019.

([23]) Idem

([24]) Voir la Lei n° 45/2018 de 10 de agosto sobre o Regime jurídico da atividade de transporte individual e remunerado de passageiros em veículos descaracterizados a partir de plataforma eletrónica.

([25])  Conseil national du numérique, « Travail à l’ère des plateformes », Juillet 2020.

([26])  Région du Latium, Legge a tutela dei lavoratori digitali, mars 2019.

([27])  Voir infra la définition des plateformes donnée par le Code général des impôts.

([28]) A l’article L.8221-6. 

([29]) Organisation internationale du travail, « Les plateformes de travail numérique et l’avenir du travail : Pour un travail décent dans le monde en ligne », septembre 2019. 

([30]) Idem

([31]) Pour choisir les tâches qu’ils souhaitent effectuer, les micro-travailleurs se fondent en général sur la rémunération et le temps nécessaire pour accomplir la tâche. 

([32]) Institut Montaigne, « Travailleurs des plateformes : liberté oui, protection aussi », avril 2019. 

([33])  Idem

([34])  Institut Montaigne, « Travailleurs des plateformes : liberté oui, protection aussi », avril 2019.

([35])  Comme le relèvent Jonathan Hall et Alan Krueger dans “An Analysis of Labor Market for Uber’s Driver Partners in the United States”, janvier 2015.

([36]) Olivia Montel, Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), Document d’études « L’économie des plateformes : enjeux pour la croissance, le travail, l’emploi et les politiques publiques », Numéro 213, Août 2017.

([37]) Idem

([38]) Institut Montaigne, « Travailleurs des plateformes : liberté oui, protection aussi », avril 2019.

([39])  Selon l’Organisation internationale du travail, « Les plateformes de travail numérique et l’avenir du travail : Pour un travail décent dans le monde en ligne », septembre 2019.

([40])  Olivia Montel, Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), Document d’études « L’économie des plateformes : enjeux pour la croissance, le travail, l’emploi et les politiques publiques », Numéro 213, Août 2017.

([41])  Chiffres communiqués par l’OIT à la mission d’information.

([42]) Seth D. Harris et Alan B. Krueger, “A proposal for Modernizing Labor Laws for Twenty-First-Century Work: The ‘Independent Worker’”, Working Paper, The Hamilton project, décembre 2015.

([43]) Lawrence F. Katz, Alan B. Krueger, “The Rise and Nature of Alternative Work Arrangements in the United States, 1995-2015”, 2016. 

([44]) Maria Cesira Urzi Brancati, Annarosa Pesole et Enrique Fernandez Macias, Commission européenne, Joint Research Center Science por policy report, « New evidence on platform workers in Europe: Results from the second COLLEEM survey”, Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2020.  

([45])  C’est-à-dire qui exclut les travailleurs qui auraient travaillé moins d’une fois par mois.

([46]) Sarah Abdelnour, Le 1, « Les nouveaux prolétaires du web », septembre 2019.

([47])  Olivia Montel, Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), Document d’études « L’économie des plateformes : enjeux pour la croissance, le travail, l’emploi et les politiques publiques », Numéro 213, Août 2017.

([48]) Organisation internationale du travail, « Les plateformes de travail numérique et l’avenir du travail : Pour un travail décent dans le monde en ligne », septembre 2019.

([49])  Parlement européen, Etude pour la commission EMPL, « The social protection of workers in the platform economy », 2017.

([50])  Jean-Yves Frouin, « Réguler les plateformes numériques de travail », novembre 2020.

([51]) Idem

([52])  Nicolas Amar et Louis-Charles Viossat, IGAS, « Les plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale », Mai 2016.

([53])  Le pouvoir de contrôle et de sanction fait partie des indices démontrant l’existence d’un lien de subordination juridique entre la plateforme numérique et le travailleur. Si le lien de subordination est avéré, alors le juge peut requalifier la rupture de la relation contractuelle en licenciement. La relation commerciale devient alors un contrat de travail.

([54]) Communication de la Commission européenne au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions, « Responsabilité sociale des entreprises : Une nouvelle stratégie pour la période 2011‑2014 ».

([55]) Idem

([56])  Comme le relève le Conseil National français du Numérique, « Travail à l’ère des plateformes », Juillet 2020.

([57]) Center for European Policy Studies, « Reflection paper 2 : The GDPR and its potential role for the (data) protection of platform workers » dans l’« Etude visant à rassembler des éléments sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes », Décembre 2019.

([58])  Center for European Policy Studies, « Reflection paper 2 : The GDPR and its potential role for the (data) protection of platform workers » dans l’« Etude visant à rassembler des éléments sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes », Décembre 2019.

([59])  Cour d’appel d’Angleterre et du Pays de Galles, Uber BV & Ors v Aslam & Ors [2018] EWCA Civ 2748 (19 December 2018).

([60])  Garanti par l’article 15 du RGDP qui porte sur le droit d’accès de la personne concernée.

([61])  Center for European Policy Studies, « Reflection paper 2 : The GDPR and its potential role for the (data) protection of platform workers » dans l’« Etude visant à rassembler des éléments sur les conditions de travail des travailleurs des plateformes », Décembre 2019.

([62])  Organisation internationale du travail, « Les plateformes de travail numérique et l’avenir du travail : Pour un travail décent dans le monde en ligne », septembre 2019.

([63])  Une économie où deux emplois sont nécessaires pour atteindre un niveau de vie décent.

([64])  Cour Suprême de l’État de Californie, Dynamex operations West v. Superior Court, 4 Cal.5th 903, 30 avril 2018.

([65])  Il faut relever que la campagne en faveur de la Prop 22 a levé plus de 200 millions de dollars de la part des plateformes concernées, ce qui en fait l’initiative la plus chère jamais portée en Californie et vient souligner d’une part la croissance exponentielle du secteur, ainsi que l’importance de l’enjeu derrière le statut des travailleurs des plateformes.

([66])  Voir la Lei n° 45/2018 de 10 de agosto sobre o Regime jurídico da atividade de transporte individual e remunerado de passageiros em veículos descaracterizados a partir de plataforma eletrónica.

([67])  Tel que le relève le Conseil national du numérique, « Travail à l’ère des plateformes », Juillet 2020.

([68])  C’est-à-dire une rémunération qui ne tient pas compte du temps de travail effectif, qui inclut parfois le temps passé à chercher une tâche ou à attendre un client qui peut représenter une grande partie du temps de travail total, mais seulement le temps pendant lequel la tâche a été réalisée.

([69])  Voir supra la partie définition des travailleurs des plateformes.

([70]) Recommandation du Conseil du 8 novembre 2019 relative à l’accès des travailleurs salariés et non-salariés à la protection sociale.

([71]) Idem

([72])  Résolution du Parlement européen du 10 octobre 2019 sur l’emploi et les politiques sociales de la zone euro.

([73])  Membre du Groupe Socialistes et Démocrates.

([74])  Membre du Groupe Renew Europe.

([75])  Groupe gauche unitaire européenne/ Gauche verte nordique.

([76]) Équivalent à 5 348 euros en 2020. 

([77])  Décret n° 2020-1284 du 22 octobre 2020 relatif aux modalités d'application de la responsabilité sociale des plateformes de mise en relation par voie électronique.

([78]) Idem

([79])  Relevons que ce choix a notamment été fait par des anciens livreurs, qui ont décidé de s’associer localement pour créer des coopératives, c’est par exemple le cas des coursiers bordelais ou des coursiers nantais. Ces derniers se décrivent sur leur site comme « une alternative crédible d’une part aux services de livraison polluants et encombrants qui doivent être autant que possibles bannis des centres villes et d’autre part aux modèles de livraison via plates-formes numériques et autoentrepreneurs « uberisés » qui précarisent le métier de coursier autant qu’elles rognent sur la qualité de service ». Le rapport de Jérôme Giusti et Thomas Thevenoud pour la Fondation Jaurès, « Pour travailler à l’âge du numérique, défendons la coopérative ! » publié en 2020 explore notamment cette option. Elle avait également été évoquée par le rapport du Comité Economique et Social (CESE) rendu en 2017 sur « Les nouvelles formes du travail indépendant ».

([80])  Sénat, rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi relative au statut des travailleurs des plateformes numériques, Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure.

([81])  Ordonnance B/Yodel Delivery Network (C-692/19) dans laquelle il était question de savoir si la directive 2003/88 du 4 novembre 2003 portant sur certains aspects de l’aménagement du temps de travail devait être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’un coursier, sous statut d’entrepreneur indépendant, lié à un donneur d’ordre par un contrat de prestation de service, soit qualifié de travailleur au sens de la directive alors qu’il disposait d’une série de facultés notables des indépendants.

([82])  CJUE, Arrêt du 20 décembre 2017, Asociacion Profesional Elite Taxi, n° C-434/15.

([83])  Tribunal Suprême Espagnol, Chambre social, Recours en cassation pour l’unification de la doctrine, Décision n° 805/2020, qui déclare l’existence d’une relation de travail entre la plateforme Glovo et un livreur.

([84]) Voir supra la partie sur les statuts tiers dont le cas espagnol.

([85])  L’arrêt Elite Taxi de la CJUE mentionné plus haut revient également sur la place qu’occupe le travailleur dans un service organisé par la plateforme.

([86]) Seul le Tribunal Suprême Brésilien avait eu à connaître d’un contentieux sur le sujet et il choisit en février 2020 de se prononcer contre la requalification en contrat de travail.

([87])  Rappelons que l’entreprise avait depuis lors fait faillite, il s’agissait pour lui que ses demandes soient inscrites au passif de la plateforme en cours de liquidation judiciaire.

([88])  Il n’existe pas, à notre connaissance, de données spécifiques sur ce point.

([89])  Uber, Le blog des chauffeurs, « Consultation des chauffeurs : ce qui a été mis en place en 2019 » de janvier 2020 ainsi que « Consultation 2020 – Les résultats et nos engagements » de juin 2020.

([90])  Isabelle Daugareilh, Christophe Degryse et Philippe Pochet, Institut Syndical européen, « Économie de plateforme et droit social : enjeux prospectifs et approche juridique comparative », 2019.

([91]) Idem

([92])  Voir par exemple la Résolution CES : Affronter les nouveaux défis numériques, novembre 2017.

([93])  IG Metall représentait traditionnellement les ouvriers de l'industrie métallurgique, du textile et de l'habillement, du bois et du plastique.

([94])  Nicolas Amar et Louis-Charles Viossat, IGAS, « Les plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale », Mai 2016.

([95])  Rappelons qu’un des obstacles pour la création de communautés de travailleurs, est que du fait de leur statut d’indépendant, toute entente entre eux sur les prix appliqués peut être assimilée à un cartel et donc une distorsion de concurrence au sens du droit européen. Soulignons que la Commission européenne est informée de ce point et a communiqué sur le fait que ces actions ne seraient pas sanctionnées et au contraire, pourraient faire l’objet d’une exception dans la directive à venir sur le travail des plateformes.

([96])  Nicolas Amar et Louis-Charles Viossat, IGAS, « Les plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale », Mai 2016.

([97])  Voir supra le cas de l’affaire portée devant une juridiction anglaise qui illustre l’importance d’un accès effectif à leurs données pour les travailleurs des plateformes.

([98]) Pour rappel, les tâches commencent pour rappel à 0,05 dollars sur AMT.

([99])  Défenseur des Droits en partenariat avec la CNIL, « Algorithmes : prévenir l’automatisation des discriminations », mai 2020.

([100])  Comme le prévoit l’article 151 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).