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N° 3810

 

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 janvier 2021

 

RAPPORT  D’INFORMATION

déposé

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D’INFORMATION COMMUNE ([1]),

sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales

et présenté par

M. Xavier BRETON,
Président,

Mme Martine LEGUILLE-BALLOY et M. Alain PEREA,
Rapporteurs,

 

Députés

 

La mission d’information sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales est composée de M. Xavier Breton, président, Mme Martine Leguille-Balloy, M. Alain Perea, rapporteurs, MM. Grégory Besson-Moreau, Pierre Cordier, Raphaël Gauvain, Mme Laurence Gayte, M. Antoine Herth, Mme Sandrine Le Feur, MM. Stéphane Mazars, Paul Molac, Mme Mathilde Panot et M. Richard Ramos.

 


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  SOMMAIRE

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Pages

Avant-PROPOS............................................. 7

INTRODUCTION............................................ 11

AVANT-PROPOS

Première partie : état des lieux et évolution du phénomène d’entrave à des activités légales

I. De nombreuses activités légales font l’objet d’entraves

A. l’entrave aux activités agricoles

B. L’entrave aux activités agro-alimentaires

C. L’entrave aux activités commerciales

D. L’entrave aux activités cynégétiques

II. Des entraves qui évoluent en nombre et en nature

A. Une augmentation récente des faits d’entrave et une radicalisation des actions

B. Entraves et réseaux sociaux

C. Des entraves qui sont le fait d’associations militantes de plus en plus professionnalisées

III. Une prise de conscience des enjeux récente mais insuffisante

A. La cellule DEMETER de la gendarmerie nationale

B. les observatoires de l’agribashing du ministère de l’agriculture

Deuxième partie : un droit en vigueur permettant partiellement de sanctionner certaines entraves

I. Des sanctions pénales inscrites aujourd’hui dans différents codes

A. Le droit en vigueur sanctionne certaines entraves à des activités légales

1. L’entrave à certaines libertés fondamentales prévue à l’article 431-1 du code pénal

2. La contravention d’entrave à la chasse

3. Une discrimination peut conduire à entraver une activité économique

4. D’autres formes d’entraves sont réprimées par le droit existant

B. D’autres dispositions du code pénal peuvent servir de base juridique pour sanctionner ces entraves

1. Certaines entraves s’accompagnent de violences, de dégradations, voire de destructions

2. Certaines entraves sont constitutives d’une violation de domicile

3. Certaines entraves conduisent à diffamer les personnes qui en sont victimes

4. Certaines entraves peuvent prendre la forme de harcèlement moral

II. Malgré une dépêche adressée aux parquets, la réponse pénale apportée aux entraves est aujourd’hui trop faible

A. Un phénomène qui a donné lieu à une dépêche du ministère de la justice aux procureurs

B. Malgré quelques entraves sanctionnées, la réponse pénale reste aujourd’hui limitée et insuffisante

III. La conciliation de la répression des entraves avec les droits et libertés légaux et constitutionnels

A. Une jurisprudence particulièrement protectrice de la liberté d’expression

B. La protection des lanceurs d’alerte permet, dans certains cas, de ne pas sanctionner une personne du fait d’une infraction

Troisième partie : de nouveaux outils sont nécessaires pour améliorer la lutte contre les entraves

I. Toutes les entraves ne donnent pas lieu à un dépôt de plainte et sont alors difficiles à sanctionner

II. Certaines actions d’entraves sont en pratique difficiles à sanctionner

A. L’entrave à la chasse est difficile à sanctionner

B. L’application de l’entrave au travail est trop restrictive

C. L’intrusion dans une propriété agricole sans violation de domicile est difficile à sanctionner

D. Une extension des mobiles discriminatoires permettrait de sanctionner l’entrave à l’exercice de certaines professions

III. Les réseaux sociaux font évoluer les actions d’entrave et nécessitent de modifier les délits de diffamation collective, d’incitation à la discrimination et de harcèlement

A. Certaines actions d’entrave s’accompagnent de propos diffamatoires, souvent propagés sur les réseaux sociaux

B. La provocation à la discrimination sur les réseaux sociaux ne doit pas être possible à l’encontre de personnes pratiquant légalement une activité

Travaux des Commissions

Recommandations de la mission d’information

Liste des personnes entendues


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   AVANT-PROPOS

Nous assistons depuis quelques années à une multiplication d’actions d’entrave à des activités agricoles, cynégétiques, d’abattage ou de commerce de produits d’origine animale.

Dans nos territoires, nous constatons, avec inquiétude, une forte montée des tensions autour de ces sujets.

L’incendie d’un abattoir à Hotonnes dans le département de l’Ain en septembre 2018 témoigne de la virulence que peuvent prendre certaines actions et de la radicalisation de certains militants animalistes.

Notre responsabilité de législateur est de ne pas laisser la situation s’envenimer et dégénérer.

Dans ce contexte, cette mission d’information s’est fixée pour objectif premier d’évaluer la réalité de ces phénomènes d’entrave et l’efficacité de la réponse pénale qui leur est aujourd’hui apportée.

Je tiens tout d’abord à remercier les membres de la mission d’information, en particulier les co-rapporteurs, Mme Martine Leguille-Balloy et M. Alain Perea, pour la richesse des auditions que nous avons menées et pour la qualité de nos échanges. Permettez-moi de remercier également les administrateurs qui nous ont accompagnés avec compétence et efficacité.

Au cours de vingt-six auditions et tables rondes, nous avons entendu une soixantaine d’organisations et de personnalités diverses.

Pour mieux cerner ce phénomène d’entrave, dont les statistiques ne rendent que partiellement compte, nous avons entendu différents acteurs des secteurs qui en sont victimes : représentants des agriculteurs, des chasseurs, des abattoirs ou des commerçants de viande.

Nous avons également auditionné des procureurs, des avocats et des juristes ainsi que des représentants de la direction des affaires juridiques du ministère de l’agriculture, de l’Office français de la biodiversité, du Service central du renseignement territorial et de la direction des affaires criminelles et des grâces afin de mesurer l’efficacité de la réponse pénale et de proposer des pistes de réformes. Plusieurs associations environnementales ont également été invitées : quelques‑unes ont accepté, d’autres ont malheureusement refusé d’être auditionnées par la représentation nationale sur ce sujet. 

Comme le montre le rapport qui vous est présenté aujourd’hui, les auditions ont mis en exergue un développement des entraves exercées par des militants animalistes. Ces entraves prennent des formes nouvelles (dégradations, intrusions, utilisation malveillante des réseaux sociaux, etc).

Elles sont aussi difficiles à appréhender pour les pouvoirs publics : par conséquent, peu de plaintes sont déposées et peu de condamnations sont prononcées.

Nous avons ainsi constaté un décalage très net entre le ressenti sur le terrain et une certaine relativisation du phénomène au niveau central.

De ces constats, les co-rapporteurs tirent un certain nombre d’enseignements et formulent huit recommandations. 

Ces recommandations touchent au renforcement de l’effectivité de la réponse pénale mais également à l’évolution de l’arsenal législatif existant.

Il convient néanmoins d’insister – et j’y ai veillé au cours de nos travaux – à la juste conciliation entre, d’une part, le renforcement de la lutte contre les entraves à des activités légales, et, d’autre part, les libertés fondamentales garanties par la Constitution – je pense notamment à la liberté d’opinion et d’expression, ainsi qu’à la liberté de manifestation.

Mais cette juste conciliation doit se faire dans un cadre démocratique et nous devons rappeler qu’il n’est pas possible qu’une minorité prenne en otage, pour des raisons idéologiques, le reste de la société.

Je tiens enfin à évoquer deux évolutions qui me paraissent indispensables pour mieux lutter contre ces phénomènes d’entraves.

La première est la mise en place d’une véritable stratégie par les services de renseignement, afin de garantir une veille sur ces phénomènes, notamment sur les réseaux sociaux, et d’anticiper les velléités de passage à l’acte de mouvements animalistes. L’audition du service central du renseignement territorial était à cet égard éclairante, comme l’étaient celles des observatoires de l’agribashing ou de la cellule DEMETER.

Pour mieux appréhender l’évolution des phénomènes d’entrave et pour mieux y répondre, une stratégie de vigilance coordonnée est absolument nécessaire. Cette stratégie de vigilance doit être coordonnée entre les services chargés du renseignement, mais aussi entre les différents niveaux territoriaux (local, national et européen).

La seconde priorité qu’il est pour moi urgent d’établir est d’exprimer une véritable volonté politique de lutte contre ces actions d’entraves. 

Cela passe bien sûr par un renforcement sur le terrain des moyens pour les forces de l’ordre et pour les services d’enquête.

Il est aussi indispensable que cette volonté politique s’exprime clairement dans la politique pénale du Gouvernement.

Ce rapport et les recommandations qu’il formule nous invitent à agir en nous donnant notamment les moyens d’adapter notre droit à ce phénomène, nouveau et inquiétant, d’entraves... À nous maintenant de nous emparer de ces propositions !

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MESDAMES, MESSIEURS,

Le 28 septembre 2018, un incendie, revendiqué par une association de défense de la cause animale, a partiellement détruit un abattoir à Haut-Valromey dans le département de l’Ain, conduisant 80 employés au chômage et entraînant plusieurs millions d’euros de préjudice. La Fédération nationale bovine (FNB) avait alors publié un communiqué demandant « aux pouvoirs publics de prendre toutes les mesures pour faire en sorte que les opérateurs de la filière du bétail et des viandes puissent exercer leur métier dans un climat serein ».

Cet incident grave témoigne de la virulence, ces dernières années, d’actions militantes d’entrave à certaines activités comme l’agriculture, l’élevage, l’abattage, la transformation, le transport et le commerce de viande et de produits d’originale animale et la chasse. Plusieurs initiatives parlementaires récentes ont visé à répondre à cette évolution préoccupante. Le 24 octobre 2018, une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les activistes anti-spécistes violents et les atteintes à la « liberté alimentaire » a été déposée ([2]). Une propositions de loi a également été déposée par le sénateur Jean-Noël Cardoux sur cette question ([3]) ; elle a été rejetée dans un premier temps par la commission des Lois du Sénat, puis a ensuite été amendée et adoptée en séance publique le 1er octobre 2019.

En outre, au cours de l’examen du projet de loi portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement, le Sénat a adopté un amendement portant article additionnel créant un délit d’entrave aux activités de chasse. Cet article additionnel a été supprimé lors de la commission mixte paritaire qui s’est tenue le 25 juin 2019, notamment au motif que le phénomène d’entrave ne se cantonnait pas au seul domaine de la chasse, mais s’étendait également à d’autres activités légalement exercées. Au cours de cette commission mixte paritaire, la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Mme Yaël Braun-Pivet, s’était engagée à ce que sa commission examine un texte sur ce sujet et a proposé, préalablement, de créer une mission d’information pour en approfondir l’analyse.

C’est dans ce contexte qu’a été créée, le 1er juillet 2020, la mission d’information, commune à la commission des lois, à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et à la commission des affaires économiques, sur les moyens de juguler les entraves et obstructions opposées à l’exercice de certaines activités légales.

Au cours de vingt-six auditions et tables rondes, la mission a entendu des personnalités et organismes très divers, tels que les représentants des agriculteurs, des chasseurs, des abattoirs ou des commerçants de viande, des procureurs, des avocats et des juristes ainsi que des représentants de la direction des affaires juridiques du ministère de l’agriculture, de l’Office français de la biodiversité, du Service central du renseignement territorial et de la direction des affaires criminelles et des grâces. Enfin, si la mission d’information a invité plusieurs associations environnementales ([4]) à être entendues, celles-ci ont refusé d’être auditionnées par la représentation nationale.

Les auditions de la mission d’information ont permis de constater le développement d’entraves exercées par des militants à l’encontre de certaines activités agricoles, cynégétiques, d’abattage et de commerce de produits d’origine animale, ces entraves consistant à gêner, contraindre ou empêcher le déroulement normal d’une activité autorisée par la loi ou le règlement.

Or les formes nouvelles que prennent ces entraves, par les moyens utilisés pour les commettre et du fait d’une mobilisation accrue des réseaux sociaux, sont difficiles à appréhender pour les pouvoirs publics : les auditions de la mission d’information ont ainsi montré que peu de plaintes sont déposées et que peu de condamnations sont prononcées, les différentes infractions définies par le code pénal n’offrant qu’un arsenal incomplet pour sanctionner ces entraves.

En effet, si l’article 431-1 du code pénal sanctionne théoriquement d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice des libertés d’expression, du travail, d’association, de réunion, de manifestation ou de création artistique, ces dispositions n’ont pas, à la connaissance des rapporteurs, été utilisées pour sanctionner des exactions dans les secteurs visés par la mission d’information.

De même si l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement sanctionne d’une peine d’amende prévue pour les contraventions de 5ème classe, soit 1 500 euros « le fait, par des actes d’obstruction concertés, d’empêcher le déroulement d’un ou plusieurs actes de chasse », cette contravention n’a été prononcée que deux fois entre 2015 et 2019. Enfin, si certaines dispositions générales du code pénal (violence, menaces, dégradation de bien, violation de domicile) pourraient trouver à s’appliquer à certaines entraves, leur condition d’application ne sont pas toujours adaptées à la particularité des actions menées.

Vos rapporteurs ont ainsi documenté, par leurs travaux, les phénomènes, de plus en plus nombreux, d’entrave à des activités agricoles, agro-alimentaires, commerciales ou cynégétiques. L’évolution de ces entraves ces dernières années, ainsi qu’une analyse approfondie du cadre juridique existant, les conduit à penser que ce dernier n’est pas, ou plus, réellement adapté pour appréhender et, le cas échéant, sanctionner des entraves réalisées à l’encontre d’activités exercées de façon licite.

C’est pourquoi vos rapporteurs proposent plusieurs pistes de réforme, qui concernent principalement l’arsenal pénal permettant de sanctionner les entraves mais également l’effectivité de la réponse pénale qui leur est apportée, alors que les dépôts de plaintes sont aujourd’hui trop peu nombreux. Ces recommandations permettront, aux yeux de vos rapporteurs, de mieux lutter contre ces actions d’entrave qui constituent une atteinte à certains droits fondamentaux, tels que le droit de propriété ou la liberté d’exercer une activité autorisée par la loi.

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   Première partie : état des lieux et évolution du phénomène d’entrave à des activités légales

I.   De nombreuses activités légales font l’objet d’entraves

De très nombreuses activités légales font aujourd’hui l’objet d’entraves à leur réalisation. Comme l’a indiqué M. Pascal Bougy, avocat général de la Cour d’appel de Rennes, à la mission d’information, « le plus souvent, ces actions visent à stigmatiser des activités légales, mais que [les militants] souhaiteraient rendre illégales : organismes génétiquement modifiés (OGM), utilisation de glyphosate et autres produits phytosanitaires, activités cynégétiques, consommation de protéines d’origine animale, etc. ».

La liberté d’expression est un droit constitutionnel. Les convictions de militants écologistes, végans, welfaristes ou anti-chasse ont toute leur place dans le débat de société mais doivent s’exprimer conformément aux principes démocratiques, dans le respect des règles de la République. Le débat d’idées et la liberté d’expression participent de la démocratie mais les avancées démocratiques ne peuvent se faire en imposant des idéologies par la voie d’exactions, d’attaques, de menaces ou encore de pressions sur des activités légales. 

L’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) le confirme s’agissant des activités agricoles : « tout est prétexte à remettre en cause les activités agricoles, même si elles respectent toutes les réglementations : environnement, santé, bien-être animal ».

Si ces actions ne sont pas nouvelles, les secteurs qu’elles visent semblent avoir évolué par cycles. Ainsi, alors qu’il s’agissait principalement d’actions menées par les militants anti-OGM et anti-anabolisants dans les années 1990, de telles actions ont ensuite été menées par des militants anti-glyphosate. En parallèle, les actions réalisées par des militants de la cause animale ont eu tendance à augmenter ces dernières années. On assiste aussi aujourd’hui à une augmentation importante d’actions de collectifs de voisins d’exploitations agricoles qui s’opposent à des installations d’élevages ou d’outils de méthanisation, de traitements des sols voire au fonctionnement de l’exploitation, et ce quelquefois avec le soutien des élus locaux.

Plusieurs secteurs sont principalement visés :

 l’agriculture et l’élevage, ainsi que certaines activités de recherche associées ;

 les activités d’abattage, de transformation et de transport de viande ;

 les commerces, en particulier alimentaire ;

 les activités de loisir : chasse, corrida, cirque, etc.

A.   l’entrave aux activités agricoles

L’élevage et les productions végétales sont les principaux secteurs d’activités visés par les entraves opérées par des associations militantes.

Selon l’observatoire de l’agribashing ([5]) de Seine-Maritime, les activités d’élevage hors-sol, ainsi que l’usage de produits phytosanitaires, l’épandage de pesticides et, plus récemment, les activités de méthanisation sont les principales visées.

Plusieurs actions sont ainsi fréquemment relevées :

 tentatives d’intrusion ou intrusions au mépris des règles sanitaires et zootechniques ;

 détérioration, notamment par des tags, de biens privés ;

 échanges verbaux vifs lors de rencontres inopinées ou provoquées ;

 publication de cartographies de certains élevages dits « usines », au seul motif qu’il s’agit d’exploitations de taille importante, pouvant ensuite conduire des militants à mener des actions sur ces sites préalablement localisés ;

 prises de vues depuis l’extérieur ou l’intérieur des bâtiments, puis diffusions d’images sur les réseaux sociaux, après, généralement, un montage qui les dénature.

Comme indiqué par la cellule spécialisée de la gendarmerie nationale, DEMETER ([6]), dans sa contribution écrite adressée aux rapporteurs de la mission, « dans le monde agricole, les intrusions dans les activités d’élevage constituent les atteintes les plus préjudiciables et les plus traumatisantes pour les agriculteurs. L’objectif des activistes est d’effectuer des prises de vue qui font ensuite l’objet d’un montage et de commentaires à charge avant d’être diffusées sur Internet, le plus souvent par le biais des réseaux sociaux. Ces actions s’accompagnent parfois de " libérations " d’animaux (provoquant parfois la mort de certains d’entre eux...) générant un préjudice financier conséquent pour l’éleveur. Au-delà du " simple fait " de voir des activistes pénétrer dans leurs exploitations, les éleveurs craignent avant tout le risque sanitaire. Pour eux, le manque de connaissances de la part des activistes conduit à mettre en danger les élevages qu’ils visitent. Ils ignorent les contraintes sanitaires élevées auxquelles les éleveurs sont eux-mêmes astreints, au sein de leur propre élevage ».

Plusieurs exemples récents sont caractéristiques. Ainsi, en mai 2019, l’association Direct action everywhere (DXE), accompagnée d’un député, s’est introduite dans les locaux d’une entreprise, pour y capter des images ensuite diffusées sur les réseaux sociaux, violant, ce faisant, des règles sanitaires. L’exploitant porte plainte pour trouble manifestement illicite et demande le retrait des images. En première instance le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, statuant en référé par une ordonnance du 3 octobre 2019, ne fait pas droit à la demande du dirigeant de l’entreprise. Au contraire, le tribunal lui demande de verser à l’association DXE 3 000 euros au titre de l’article 700 du code civil, considérant que l’intrusion et le tournage d’image ne constituent pas un trouble manifestement illicite. Le dirigeant de l’entreprise fait appel de la décision. Selon la cour d’appel de Rennes, dans son jugement rendu le 17 mars 2020, « si la liberté d’information est invoquée, elle ne peut, à l’évidence, en l’espèce, être opposée sérieusement au droit de propriété de l’exploitant ». Elle précise que DXE a violé le domicile de l’entreprise et a porté atteinte à son droit de propriété mais aussi que DXE a pénétré dans les locaux d’exploitation en méconnaissant les règles ou obligations sanitaires et zootechniques, l’intrusion dans de telles conditions causant nécessairement un risque sanitaire pour la population. Enfin, elle indique que « la diffusion des images obtenues par un procédé illicite à la suite de l’intrusion non autorisée dans les locaux de l’entreprise prolonge le trouble anormal, manifestement illicite causé par cette intrusion » quand bien même les images ne permettent pas d’identifier le propriétaire des locaux ni de localiser l’exploitation. Aussi, la cour a ordonné le retrait de la vidéo et interdit à toute personne l’utilisation et la diffusion des films et clichés photographiques. Le temps nécessaire à la justice entraîne cependant un préjudice, les images restant en ligne jusqu’au délibéré du référé ou de première instance et s’amplifiant en cas d’appel.

De la même manière, une société qui élève des volailles de chair, a fait l’objet d’une intrusion par l’association DXE en 2019, accompagnée d’une équipe de tournage du média Konbini, dont les images ont été diffusées sur les réseaux sociaux. Le tribunal judiciaire de Saint-Malo a ordonné, le 29 juin 2020, le retrait de la vidéo sur les mêmes motivations que la cour d’appel de Rennes.

Ces actions visent également les activités de recherche végétale. Ainsi, le groupe RAGT, auditionné par la mission d’information, a subi, à plusieurs reprises, des intrusions au sein de sa station expérimentale de Druelle en Aveyron ainsi que des destructions de parcelles, mettant à mal plusieurs mois de recherche. Au total, selon le groupe, 25 exactions ou destructions ont été commises ces vingt dernières années (épandage de sel, tentatives d’incendie, sabotage de matériel, etc.), dont une destruction d’essais de semences de tournesol non-OGM en septembre 2020. Ces entraves prennent la forme d’actions « commando », faisant intervenir plusieurs dizaines de personnes détruisant l’intégralité d’une expérimentation en une trentaine de minutes. Si le groupe RAGT dépose systématiquement plainte, aucune ne semble avoir été suivie d’effets à ce jour.

La cellule DEMETER ([7]), indique que, s’agissant des infractions « motivées par une idéologie », à distinguer des infractions de droit commun, les unités de gendarmerie ont relevé, en 2019, 49 intrusions au sein d’exploitations agricoles, principalement dans les élevages. Le plus souvent, ces infractions relèvent des violations de domicile et des destructions ou dégradations de bien d’autrui. 33 procédures judiciaires ont été initiées.

La liste, non exhaustive, des entraves relevées par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) dans les activités agricoles et d’élevage en 2019 et 2020 tend toutefois à souligner une fréquence bien plus importante de ce phénomène, au-delà des dizaines d’infractions relevées par la gendarmerie.

Exemples d’entraves relevées par la FNSEA s’agissant des activités de culture

Février 2020 : visite de RedPill (anciennement DXE), accompagnée de journalistes de France 3, chez Mme Christiane Lambert, présidente de la FNSEA ;

Mai 2020 : agression d’un agriculteur et de sa mère en raison du bruit des tracteurs ;

Juillet 2020 : intrusion dans une exploitation et installations de pancartes « stop pesticides, nous voulons des coquelicots » sur deux parcelles dans les Yvelines. Sur l’une des parcelles, un tas de ferraille et une barre métallique sont déposés, de manière à endommager le matériel agricole ;

Août 2020 : agriculteur frappé dans la Sarthe parce qu’il épandait du lisier.

Entraves relevées par la FNSEA s’agissant des activités d’élevage

Avril 2019 : intrusion dans un élevage de dindes par l’association Boucherie Abolition, qui conduit à la « libération » de 1 500 dindes, ce qui a entraîné leur mort par asphyxie. L’association a été condamnée par le tribunal d’Évreux ;

Mai 2019 : intrusion de l’association RedPill et d’un député dans un élevage porcin pour y tourner une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux ;

Juin 2019 : diffusion par RedPill de cartes des « fermes usines » centralisant les données personnelles de milliers d’éleveurs. Deux plaintes ont été déposées par la FNSEA pour violation de la législation relative aux données personnelles. Le retrait des cartes a été ordonné par le tribunal de grande instance de Rennes ;

Septembre 2019 : plusieurs intrusions de RedPill dans des élevages de la Marne, ainsi qu’une intrusion de DXE international faisant intervenir plus de 100 militants ;

Septembre 2019 : incendie de trois poulaillers dans l’Orne ;

Septembre 2019 : mise en ligne d’une carte répertoriant les acteurs du monde de l’élevage (agriculteurs, syndicats, industriels) par le groupe Boucherie Abolition ;

Octobre 2019 : campagne d’affichage anti-élevage menée par l’association 269 Life, faisant un parallèle avec l’holocauste, à Paris, Nantes et Strasbourg ;

Octobre 2019 : diffusion sur BFMTV d’une intrusion filmée dans un élevage de porcs ;

Novembre 2019 : quatre incendies de bâtiments d’élevage dans la Drôme ;

Janvier 2020 : intrusion de RedPill dans un élevage du Bas-Rhin, filmée par des journalistes de France 3 ;

Janvier 2020 : deux intrusions non revendiquées dans des élevages de la Sarthe ;

Février 2020 : intrusion de RedPill dans un élevage de Vendée ;

Août 2020 : tags sur plusieurs élevages de Loire-Atlantique par le Front de libération des animaux ;

Août 2020 : tags sur plusieurs élevages et sur une coopérative d’insémination en Charente par l’association Boucherie Abolition ;

Août 2020 : intrusion non identifiée dans un élevage de canards des Yvelines, vol de 186 canards et tag « bouffe ton propre foie » ;

Septembre 2020 : intrusion de L. 214 dans un élevage de poules de Bresse, dans l’Ain.

Ces entraves sont d’autant plus mal vécues qu’elles visent des exploitants souvent isolés, vulnérables et peu enclins à des recours voire à des dépôts de plaintes, dont l’accès à la propriété est plus facile que dans d’autres secteurs d’activité.

B.   L’entrave aux activités agro-alimentaires

Au-delà du monde agricole, ces entraves visent également des entreprises, notamment industrielles, dès lors qu’elles travaillent sur des produits animaux. Ainsi, les abattoirs et entreprises de transformation et de transport de viande sont également particulièrement visés, principalement au titre des revendications visant le bien-être animal.

S’agissant des abattoirs, ces actions prennent le plus souvent la forme d’intrusions clandestines pour y tourner des vidéos mises en ligne par la suite, après avoir fait l’objet de montages. Au-delà d’actions ponctuelles, certaines associations parviennent à s’introduire dans les locaux pour y installer des caméras qui filment, plusieurs mois durant, en toute illégalité. Par ailleurs, comme l’indique le ministère de l’agriculture et de l’alimentation, certaines directions régionales de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt ont observé une évolution des techniques employées par les militants : certaines associations se donnent ainsi pour objectif de recruter des militants, envoyés comme « stagiaires » au sein des abattoirs, pour qu’ils y opèrent une forme d’espionnage. Des alertes ont été adressées aux professionnels à ce sujet. Notons d’ailleurs que l’utilisation de ce type de stratagèmes tend aussi à se développer dans le milieu agricole.

De véritables actes criminels ont également été relevés, s’agissant notamment de l’incendie d’un abattoir dans l’Ain, en 2018, ou encore de plusieurs intrusions avec dégradations à l’intérieur d’abattoirs en 2019.

Ces entraves s’étendent aux entreprises industrielles de transformation de la viande. Ainsi, selon la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT), « les entraves sont constatées dans les entreprises de transformation comme les entreprises de charcuterie (charcuterie de porc et de volailles) », ces actes ciblant souvent des marques industrielles connues de produits finis (Herta récemment) et étant associés à la dénonciation faite d’un élevage ou d’une technique de production. Pour la FICT, ces actes « entraînent un dénigrement et une dégradation de l’image de l’entreprise dans les médias et sur les réseaux sociaux par la diffusion d’images ou de vidéos prenant la plupart du temps un cas isolé pour en tirer des généralités sur l’ensemble de l’activité ». En outre, « il est arrivé que l’entreprise de transformation mise en cause ne s’approvisionne pas dans l’élevage qui a fait l’objet de la vidéo ».

Les procédés employés font appel à l’intimidation, voire au chantage ou au dénigrement public, les auteurs d’entrave exigeant de l’entreprise et de ses salariés qu’ils prennent des engagements écrits pour éviter une dénonciation publique. Ils peuvent aussi prendre la forme de harcèlement, avec l’envoi de milliers d’emails et la réalisation de plusieurs dizaines d’appels téléphoniques, dont certains particulièrement insultants, coordonnés par des associations et mises en œuvre par leurs adhérents. Ces actions saturent les moyens de communication de l’entreprise et paralysent ainsi une partie de son activité.

Enfin, de telles entraves visent également les activités de transport d’animaux. La création d’une application « TruckAlert » par l’association Welfarm en juillet 2020, permettant à chacun de signaler les convois d’animaux circulant durant les jours de forte chaleur, ou la publication d’une vidéo sur le transport d’animaux vivants ce même mois, en témoignent. Elles peuvent être corrélées à des dégradations de matériel de transport, ou à des appels au boycott d’entreprises réalisant, parmi d’autres activités, le transport d’animaux vivants pour exercer une pression commerciale, au détriment de leurs clients.

Ceci s’illustre particulièrement dans une affaire relatée à vos rapporteurs au cours de l’une des auditions de la mission d’information : une entreprise française, exportant des œufs et poussins destinés à repeupler les foyers de chasse en Angleterre a vu ses transporteurs maritimes lui opposer un refus de contractualiser, après que ces derniers ont été menacés de voir leur réputation ternie sur la place publique par une association anti-chasse. Face à la défection progressive de tous les transporteurs maritimes, l’entreprise s’est tournée vers une autre entreprise, pourtant plus chère, pour organiser le transport des animaux. L’association a alors demandé à l’ensemble de ses militants, par le biais d’un film exploitant des images manipulées – tournées quelques jours après qu’un contrôle vétérinaire a attesté du respect de l’ensemble des normes sanitaires par l’entreprise française – d’adresser des courriers à cette autre entreprise pour demander la fin du transport des animaux concernés.

C.   L’entrave aux activités commerciales

Plusieurs catégories de commerces sont également visées par des entraves à l’exercice de leur activité :

– les commerces d’intrants nécessaires à la production végétale : produits de protection des plantes, engrais et semences ;

– les commerces de produits alimentaires, en premier lieu les boucheries-charcuteries, mais également les fromageries et poissonneries artisanales ;

– dans une moindre mesure, les boutiques vendant de la fourrure.

Les entraves prennent alors deux formes principales :

– des manifestations à proximité ou devant les commerces, faisant parfois intervenir une mise en scène macabre (déversement de faux sang) ou usant de slogans insultants (« boucher n’est pas un métier »). Les photos et vidéos de la manifestation sont ensuite relayées sur les réseaux sociaux ;

– des actes de vandalisme : tags, pose d’autocollants, bris de vitrines, etc.

La Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT) indique ainsi avoir été alertée par plusieurs de ses syndicats départementaux de la présence régulière d’activistes à proximité, parfois immédiate, des commerces alimentaires, notamment des boucheries-charcuteries. De nombreuses manifestations y sont en effet organisées, principalement le samedi, jour de forte affluence dans les commerces de centre-ville. La CFBCT indique qu’« au cours de ces manifestations, les militants se mettent en scène de manière sordide, mimant des scènes d’abattage, souillant la voie publique de colorant rouge et diffusant des cris d’animaux » et précise que « malgré la présence des forces de police, il est évident que ces manifestations sont désastreuses tant d’un point de vue économique que pour l’image des commerces visés ».

Selon la CFBCT, le nombre de commerces visés dans le cadre des journées dites « du sang versé » s’élève à une centaine, à l’appel d’associations sur les réseaux sociaux.

Les fédérations professionnelles Inaporc et Interbev le confirment : « tous les week-ends, des bouchers se font agresser physiquement, empêcher de rentrer dans leurs boutiques, etc. ».

Ainsi, le 20 janvier 2020, un jugement a été rendu par le tribunal judiciaire de Paris suite à une plainte déposée par la CFBCT. Il condamne les associations 269 Life France, 269 Life officiel et 269 Life libération animale à verser 7 500 euros au titre du préjudice moral à la CFBCT et à payer 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile : si l’affiche déposée dans la nuit du 25 au 26 septembre 2018 sur des panneaux publicitaires, murs et poteaux dans différents lieux de France, diffusant le slogan « bonjour, je suis boucher et j’adore découper des cadavres d’innocents pour votre bon plaisir », avec la mention « stop spécisme » est considérée comme « restant dans la limite de la libre critique », les campagnes consistant, pour des militants, à se placer devant des boucheries et charcuteries en arborant un t-shirt portant la mention « boucher n’est pas un métier », en portant un animal mort ou en jetant du faux sang excèdent la mesure admissible, notamment parce qu’elles s’imposent aux passants et aux clients. De ce fait, elles sont considérées comme constitutives de dénigrement et engagent la responsabilité civile des associations concernées.

D.   L’entrave aux activités cynégétiques

Les activités de chasse constituent, enfin, d’autres activités largement visées par les actes d’entrave, principalement commis par des associations de défense de la cause animale.

Ces actions sont de différentes natures et visent à empêcher la réalisation de l’acte de chasse :

– positionnement de militants sur le trajet des chasseurs pour entraver leurs actions ;

– poursuite des chasseurs, à pied ou à vélo, pour prendre des photos et vidéos, particulièrement en fin de chasse ;

– capture des chiens égarés pour les emmener à la société protectrice des animaux (SPA) ;

– guet et sit-in à la sortie du chenil ;

– messages d’alerte sur les réseaux sociaux, incitant à klaxonner ;

– messages d’insultes, de menaces et de dénigrement sur les réseaux sociaux ;

– actes de vandalismes dirigés à l’encontre d’infrastructures cynégétiques (miradors, huttes, palombières, etc.) ;

– agressions verbales ou physiques de chasseurs.

Ces actions visent l’ensemble des activités de chasse. Dans les éléments transmis à la mission, la Fédération nationale des chasseurs constate que des entraves sont recensées « dans de nombreuses régions de France, telles que la Bretagne, la Nouvelle-Aquitaine, l’Occitanie ou l’Auvergne-Rhône-Alpes » et que tous les types chasses sont aujourd’hui concernés (chasse à courre, chasse à tir, etc.). Elle précise qu’il peut s’agir « d’actes de vandalismes dirigés à l’encontre d’infrastructures cynégétiques (miradors, huttes, palombières, tonnes, etc.), mais également d’agressions verbales et/ou physiques de chasseurs, quel que soit leur âge d’ailleurs (étudiants comme personnes âgées) » et bien « d’actes malveillants ou de vandalisme, perpétrés par de courageux anonymes sur les véhicules des chasseurs en stationnement ».

De même, selon la Société de vénerie, entendue par la mission d’information, le nombre de sabotages de chasse à courre était de 40 sur la saison 2017-2018, de 220 sur la saison 2018-2019 et de 240 sur la saison 2019-2020. Huit collectifs de saboteurs seraient à l’œuvre, pour un nombre de militants estimés à 400, dont 100 constituant le « noyau dur ».

Pour les parties concernées, ces faits s’assimilent à un véritable harcèlement, parfois répété chaque week-end durant la saison de chasse, alors même que les activités de chasse sont exercées dans le respect des réglementations en vigueur.

Plusieurs faits récents précis méritent d’être relevés tant leur violence interpelle :

– agression d’un chasseur de 88 ans lors d’une battue au sanglier (Haute-Vienne – novembre 2018) ;

– agression d’un jeune chasseur, frappé et mordu à la main par trois activistes radicaux (Guingamp – novembre 2019) ;

– agression d’un équipage de chasse à courre et hospitalisation d’un homme à la suite d’une chute causée par l’emballement de son cheval, frappé à coups de bâton (Chantilly – décembre 2019) ;

– crevaisons de pneus de véhicules des équipages (Compiègne – janvier 2020)

– destruction d’une hutte de chasse par incendie (Somme – avril 2020) ;

– destruction de deux miradors de chasse à l’aide d’une tronçonneuse (Moselle – mai 2020) ;

– percussion volontaire d’un groupe de chasseurs par un automobiliste (Orvault – juin 2020).

La virulence de ces comportements s’est traduite par la condamnation par le tribunal correctionnel de Nice, dans une décision du 7 janvier 2021, de l’auteur d’une obstruction à une battue administrative contre des sangliers à 6 mois de prison, 1 000 euros d’amende et 7 500 euros de dommages et intérêts pour « outrages, violences et entrave à l’exercice d’une mission de service public ». De même, un homme a été condamné à 4 mois de prison ferme pour avoir menacé un chasseur avec une arme dans une décision du tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand du 6 janvier 2021.

Notons que les pressions que subissent les chasseurs peuvent également s’exercer dans la sphère professionnelle. Ainsi, des gérants d’un supermarché dans le Rhône ont dû présenter leur démission après la diffusion de photographies d’une partie de chasse en Afrique ayant provoqué une campagne de dénigrement et d’appel au boycott sur les réseaux sociaux. De même, l’enseigne Décathlon a dû faire face à une pétition rassemblant plus de 100 000 signatures demandant la fermeture de tous les espaces de ventes consacrés à la chasse dans ses magasins et appelant au boycott de l’enseigne. Des sportifs évitent également de se dire chasseur, par peur de perdre un sponsor qui subirait une campagne de boycott.

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*     *

Ces entraves entraînent des préjudices importants, matériels et moraux, ces derniers étant difficilement quantifiables pour leurs victimes.

Ainsi, les préjudices matériels peuvent être lourds, notamment dans le cas de dégradations de bâtiments ou de parcelles, qui les rendent impropres à l’activité ou à la culture pendant de longues périodes. Il en va de même s’agissant des intrusions dans des locaux en violation de normes sanitaires et zootechniques, pouvant conduire la production à être réformée. Ce préjudice économique est également élevé s’agissant des manifestations devant des commerces les jours de forte affluence.

Au-delà des dommages matériels, le préjudice moral est également très lourd. Le dénigrement dont sont l’objet les professionnels de l’agriculture, de l’élevage, ou les chasseurs entraîne une grande détresse psychologique et ces actions entretiennent un sentiment permanent d’insécurité.

Pour l’observatoire de l’agribashing d’Ille-et-Vilaine, « c’est bien le préjudice moral qui constitue la base de l’agribashing. Les intrusions dans les élevages ou entreprises agro-alimentaires sont pour la plupart constituées par la prise de vidéos/photos mettant en cause l’exploitant et sa manière de travailler ». Selon la CFBCT, il existe des « dommages psychologiques évidents par la stigmatisation constante d’une profession ou d’une filière », qui sont insuffisamment pris en compte. De même, selon la FICT, « les attaques qui impactent la réputation et l’image de l’entreprise peuvent mettre en péril la pérennité de l’entreprise et donc de ses salariés. Il ne faut pas sous-estimer le préjudice moral des salariés suite à des actes de certaines organisations (insultes, menaces, etc.) ».

La Fédération du commerce agricole et alimentaire (FC2A) résume ainsi la gravité de la situation pour les professionnels et leurs familles, mais aussi ses conséquences sur l’avenir des filières agricoles et agroalimentaires en France en proie à des difficultés de recrutement : « certains proches des victimes refusent aujourd’hui de parler de ces métiers par peur de préjudice. Ces dommages peuvent avoir des conséquences sur l’ambiance de travail, certains dénoncent leur collègue sur des mauvaises pratiques par peur de se faire dénoncer par la suite. Ces entraves peuvent être répercutées sur les familles, ainsi un sentiment d’insécurité s’installe. Des enfants peuvent se faire insulter à l’école, voire même agresser. De plus, cela véhicule une mauvaise image de l’agriculture en général, là où l’activité est indispensable à la chaîne alimentaire, là où se font ressentir des difficultés de recrutement ».

Ces dommages sont considérables et d’autant moins acceptables que leurs victimes ne font qu’exercer leur profession, dans la quasi-totalité des cas dans le respect des normes en vigueur. Quand bien même de telles actions restent isolées et minoritaires, les conséquences pour ceux qui les subissent et pour l’ensemble de la filière sont telles qu’une action déterminée pour les combattre est indispensable.

II.   Des entraves qui évoluent en nombre et en nature

Ces entraves connaissent, depuis plusieurs années, des évolutions dans leur nombre, leur nature et leurs auteurs.

A.   Une augmentation récente des faits d’entrave et une radicalisation des actions

L’évolution quantitative des entraves aux activités légales, notamment agricoles, est constatée par la majorité des personnes auditionnées par la mission.

Ainsi, selon la coordination rurale, les entraves ont augmenté de manière exponentielle dans les élevages et se sont développées dans toutes les activités agricoles.

La FNSEA le confirme : « nous constatons depuis fin 2019 […] que les actes malveillants commis à l’encontre du monde agricole évoluent et s’intensifient. […] Les atteintes aux biens, aux personnes et à l’image de l’agriculture se sont ainsi multipliées. Suite à la publication des cartes des fermes usines, les intrusions dans les exploitations et les vidéos diffusées sur le net qui en découlent se sont multipliés. Puis, outre la question de l’élevage, la question de l’utilisation des pesticides est venue elle aussi justifier la commission d’actes malveillants notamment à partir du débat sur les Zones de non-traitement (décembre 2019). Depuis les premières propositions de loi sur le bien-être animal et notamment le référendum d’initiative partagée (RIP), de plus en plus d’éleveurs sont victimes de tags sur leur exploitation. Enfin, depuis la période du confinement notamment, les violences physiques commises à l’encontre des agriculteurs par des riverains augmentent tout comme les actes de dégradation et d’entrave (morceaux de métal dans les champs, dégradation de certaines parties des engins agricoles, etc.) ».

Pour la FC2A, « ces derniers mois, le nombre de vidéos/reportages/actions menées contre le transport d’animaux vivants ne fait qu’augmenter ».

La FICT le confirme : la pression ressentie est en hausse : « depuis quelques mois, on ressent nettement une pression des organisations de protection des animaux relayées par les réseaux sociaux vers les entreprises sur la question de la bientraitance animale ».

La cellule DEMETER objective ce constat : « depuis 2018, la tendance est à l’augmentation récente du nombre d’intrusions dans les exploitations (hors période de confinement) ». Enfin, selon l’observatoire de l’agribashing de Seine-Maritime, « ce ne sont pas moins de 15 000 faits ([8]) qui ont été enregistrés au 1er novembre 2019 sur la seule zone gendarmerie pour la France toute entière. Cela correspond à plus de 2 faits par heure, pour une hausse de 1,5 % des actes d’agression envers les agriculteurs ».

Au-delà de l’évolution en nombre, la radicalisation des actions est également constatée de manière unanime. La cellule DEMETER le confirme : « il convient de mentionner que c’est surtout la radicalité des actions qui sont menées qui a fortement évolué depuis 2018, avec des actions destructrices ayant engendré des préjudices très importants. Pour donner un exemple, l’incendie des abattoirs Gessler à Haut Valromey dans l’Ain, le 28 septembre 2018 a provoqué des pertes particulièrement importantes pour l’entreprise (80 employés au chômage et plusieurs millions [d’euros] de préjudice) ».

La dépêche adressée par la directrice des affaires criminelles et des grâces aux procureurs généraux et aux procureurs de la République en février 2019, relative aux actions violentes de mouvements animalistes radicaux, résume la situation : « depuis plusieurs mois, des actions violentes sont menées à l’encontre de professionnels travaillant dans le milieu du commerce de produits issus d’espèces animales. Au cours de l’année 2018, plusieurs dégradations de commerces étaient ainsi commises dans l’agglomération lilloise et dans le sud de la France au préjudice de bouchers, de charcutiers ou de restaurateurs, ces actions s’accompagnant parfois de menaces et de comportements agressifs à l’égard des professionnels concernés. En septembre 2018, l’incendie criminel d’un abattoir (Gesler) dans l’Ain provoquait la mise au chômage technique de 80 personnes et causait un grave préjudice financier, la moitié du site ayant été détruit. Entre novembre 2018 et janvier 2019, de nombreux actes de dégradations visant des sociétés de chasse, des sites d’élevage ainsi qu’un abattoir en Seine-et-Marne étaient constatés. Ces infractions, motivées par les convictions animalistes radicales de leurs auteurs, qui portent atteinte à la liberté d’entreprendre et à la liberté du travail, génèrent un climat anxiogène au sein des professions impactées et peuvent avoir des incidences directes sur l’activité économique locale. Les signalements que vous avez adressés à ma direction révèlent une multiplication récente de tels faits qui me conduit à souligner la nécessité de porter une attention particulière au traitement judiciaire de ces actions violentes ».

B.   Entraves et réseaux sociaux

Les modalités des entraves ont évolué, en ce qu’elles mobilisent de plus en plus les réseaux sociaux, pour leur planification d’une part, et pour leur médiatisation d’autre part. Les réseaux sociaux constituent également un moyen d’entrave, lorsqu’ils sont le support de campagnes de dénigrement.

Ainsi, comme l’indique l’APCA, « il y a des entraves qui ne passent pas par des moyens physiques ».

Pour la CFBCT, « les associations appellent généralement à manifester via leurs réseaux sociaux (Vegan Impact, 269 Life France) et sollicitent la presse locale. Les réseaux sociaux sont le principal moyen de communication des activistes végans et une caisse de résonance importante pour les associations antispécistes. La communauté antispéciste militante est particulièrement active sur les réseaux sociaux. Certains militants rassemblent plusieurs milliers d’amis sur Facebook : il existe bel et bien un " réseau " antispéciste ».

La FICT le confirme : « Dès qu’une action est menée par des militants, elle est relayée rapidement sur les réseaux sociaux. L’impact peut avoir des conséquences importantes sur l’entreprise et les salariés. Sa restitution fait le buzz sur internet ; c’est une arme de communication très puissante et efficace qui fragilise les entreprises ciblées ». Pour la FC2A, « les réseaux sociaux permettent d’accélérer la diffusion des images, de la fausse information et leur interprétation négative ».

Pour Interbev, ceci doit être interprété au regard de la recherche de poids politique de ces associations, qui aspirent désormais non plus uniquement à dénoncer une exploitation individuelle, mais à peser sur la décision publique, en ayant une existence politique propre.

M. Pascal Bougy, avocat général de la Cour d’appel de Rennes, le confirme : « on se rend compte que la plupart des actions partent des réseaux sociaux ou sont relayées sur les réseaux sociaux ». Il précise : « dans les affaires les plus récentes, il ne s’agit plus de provoquer une grande manifestation en présence des médias pour faire la une du journal de 20 heures et espérer des poursuites pénales pour donner une plus grande visibilité à la cause soutenue (exemple des faucheurs volontaires), mais d’effectuer des " opérations commandos " à quelques-uns, le plus souvent pour prendre des images qui seront diffusées ensuite sur internet et reprises par les réseaux sociaux pour retourner l’opinion publique et influer sur le législateur. Les dégâts ne sont plus matériels, mais en termes d’image ».

Les réseaux sociaux contribuent également à l’incitation à la commission d’entrave, soit par des militants rassemblés par ce moyen, soit par des individus isolés « inspirés » par ce qu’ils voient circuler : ainsi, plusieurs associations relaient des incitations à manifester, à mener des campagnes de désobéissance civile, voire à tourner des vidéos clandestines, moyennant parfois rémunération. Par ailleurs, ces associations « font des émules » : les images, qui tournent en boucle, les mettent en valeur, leur donnent du crédit, et conduisent certains individus isolés à vouloir également « passer à l’acte ». L’association L. 214 a, ainsi, dû se désolidariser d’actions opérées par des militants qui se revendiquaient d’elle.

C’est pourquoi, une veille est désormais opérée sur les réseaux sociaux, par la cellule DEMETER et par les agents du renseignement territorial, pour anticiper les velléités de passage à l’acte des mouvements animalistes, mais aussi repérer la diffusion d’images malveillantes.

Aussi, le public que ces actes d’entrave touchent par les réseaux sociaux est très large, ce qui amplifie considérablement leurs conséquences. En effet, ces campagnes sur les réseaux sociaux véhiculent une image biaisée des professions et activités concernées au moyen de montages vidéos ou de mises en scène trompeuses, ce qui conduit à une manipulation de l’opinion sensible aux enjeux environnementaux.

C.   Des entraves qui sont le fait d’associations militantes de plus en plus professionnalisées

Ces entraves sont de plus en plus souvent commises par des militants appartenant à des associations militant pour le bien-être animal, avec parfois une vision anthropomorphiste des animaux, qui se professionnalisent, aux moyens financiers, humains et de communication importants.

Ces associations, bien organisées, avec une puissance d’influence importante, préméditent leurs actions et ont une bonne connaissance de leurs droits et capacité à exploiter les failles de la législation.

Peuvent notamment être recensées :

 l’association L. 214, créée en 2008 en application de la loi de 1908 relative aux associations de droit local d’Alsace-Moselle. Cette association dispose d’un budget de plus de 4 millions d’euros, venant essentiellement (pour 3 millions d’euros) des cotisations de ses adhérents. Elle emploie près de 70 salariés.

 l’association Direct action everywhere (DXE), fondée en 2013 dans la région de San Fransisco, et dont la branche française, créée en octobre 2018, est désormais dénommée RedPill. Elle s’appuie sur des manifestations publiques et des actes dits d’« open rescue », ayant pour objet de « libérer » des animaux des fermes ou abattoirs. En novembre 2020, la branche française a annoncé renoncer au tournage clandestin de vidéos ;

 l’association 269 Libération animale, créée en 2016 par scission avec l’association 269 Life. Elle revendique un certain nombre de blocages d’abattoirs en France et dans les pays frontaliers (notamment pour éviter la qualification de récidive en France), ainsi que plusieurs opérations de libérations d’animaux. L’association recherche la « confrontation ouverte et violente » avec les industries qui exploitent les animaux ([9]). En 2017, 5 des 350 membres de l’association se sont fait tatouer au fer rouge le chiffre 269. Plusieurs procès ont été intentés à l’encontre des membres de l’association, qui semblent toutefois les rechercher pour en faire une tribune permettant de prolonger leurs accusations et la défense de leur idéologie ;

– l’association Abolissons la vènerie aujourd’hui (AVA), créée en 2017 en France autour d’initiatives locales souhaitant abolir la chasse à courre. Si certaines de ses actions consistent, selon l’association, à « assurer une présence en forêt pour documenter les chasses et leurs abus, les surveiller et intervenir quand cela est possible ([10]) », vos rapporteurs considèrent que ces actions conduisent, dans les faits, à entraver la pratique de la chasse à courre, pourtant légalement exercée.

Vos rapporteurs considèrent que si certaines associations militent pour le bien-être animal, les actions d’autres associations conduisent justement à créer l’effarement et à entraîner la mort de centaines d’animaux causée par leur prétendue libération.

En outre, ces groupes semblent avoir la volonté de pousser leurs victimes à la faute, pour se positionner eux-mêmes en victimes, au côté des animaux qu’ils prétendent défendre.

S’agissant du profil des militants, s’il est variable, plusieurs points ont été relevés au cours des auditions :

 des militants de plus en plus urbains : alors que, dans les combats anti-anabolisants ou anti-OGM des années 1990, les militants étaient, pour un grand nombre, issus du monde rural, tout comme leurs cibles, les actions menées aujourd’hui le sont en grande partie par des militants issus de milieux urbains, parfois sans attache avec le monde rural. Selon M. Pascal Bougy, « ce fossé peut expliquer que le seuil de tolérance des victimes de ces actions a sensiblement baissé : ce qu’on tolérait de ses pairs, avec lesquels on était en interaction économique, on ne le tolère plus d’un groupe dans lequel on ne se reconnaît absolument pas et avec lequel on n’entretient aucun lien » ;

– des militants engagés dans une multitude de causes, notamment féministe, antinucléaire, anti-police, etc. On y retrouve également des « black blocs ».

La cellule DEMETER le résume ainsi : « les activistes qui participent à ces actions sont très hétéroclites dans leur nature. Le niveau d’étude est généralement plus élevé, avec une appartenance à des classes socio-professionnelles allant de moyenne à supérieure. Les investigations révèlent très souvent que les activistes appartiennent à plusieurs associations et modulent la radicalité de leur action en fonction des modes opératoires qu’elles adoptent. Ces associations sont généralement bien organisées et les militants particulièrement déterminés. Ils savent le plus souvent utiliser les réseaux sociaux pour relayer leurs actions, obtenir un impact médiatique fort et n’hésitent pas à se victimiser, s’ils sont appréhendés par des unités de gendarmerie ».

Il n’en demeure pas moins que certaines entraves sont également commises par des particuliers, qu’il s’agisse d’individus inspirés par les associations médiatisées, ou plus simplement de riverains agacés par les nuisances générées par une activité agricole à proximité de leur domicile. Ainsi, selon la cellule DEMETER, « certains particuliers, sans nécessairement être membres d’associations de défense de la cause animale mais néanmoins sensibles à cette dernière, se permettent de plus en plus de pénétrer sur des élevages. Ils dénoncent ce qu’ils pensent être de la maltraitance animale en prenant et communiquant des photos et courriers aux autorités locales (mairies). »

Dans les éléments transmis à vos rapporteurs, la FNSEA cite une plainte déposée en mai 2020 en Haute-Vienne par un agriculteur agressé physiquement par un voisin en raison du bruit de son tracteur ou la plainte déposée le même mois dans le Jura par un agriculteur pour des coups de fusil portés sur son tracteur en raison de travaux nocturnes, ce qui conduit à s’inquiéter des conséquences potentielles de décisions visant à généraliser les pulvérisations la nuit.

III.   Une prise de conscience des enjeux récente mais insuffisante

La prise de conscience de la gravité du phénomène a conduit à de premières initiatives des pouvoirs publics, qui ont montré une certaine efficacité mais restent encore partielles.

A.   La cellule DEMETER de la gendarmerie nationale

La cellule DEMETER a été créée par la gendarmerie nationale en octobre 2019, à l’initiative du ministre de l’intérieur M. Christophe Castaner, pour protéger le monde agricole des intrusions et agressions sur les exploitations.

Cette cellule a pour objectif de renseigner les autorités, notamment en anticipant les pics de crise et les troubles à l’ordre public, de centraliser les informations, de procéder aux rapprochements utiles, de faciliter l’emploi et l’octroi des moyens au niveau national ou encore d’orienter les actions de prévention vers les secteurs agricoles les plus affectés. Elle dispose de la participation de la sous-direction de la sécurité publique et de la sécurité routière au titre des actions de prévention, de la sous-direction de l’anticipation opérationnelle au titre du recueil et de l’exploitation du renseignement ainsi que de la sous-direction de la police judiciaire, de l’office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI) et du service central de renseignement criminel (SCRC) au titre de l’analyse des phénomènes de délinquance. En parallèle, une convention a été signée entre le ministère de l’intérieur, la FNSEA et les Jeunes agriculteurs, notamment pour instaurer un dialogue de proximité entre les forces de l’ordre et les professionnels.

La création de cette cellule a, notamment, procédé du constat que les atteintes au milieu agricole ont des répercussions directes pour la gendarmerie, avec, en particulier, un enjeu opérationnel d’ordre public. Ces attaques recouvrent également un enjeu judiciaire, et permettent à la gendarmerie de réaffirmer ses capacités judiciaires dans le traitement des phénomènes de délinquance divers en disposant d’une capacité de mobilisation de l’ensemble des moyens disponibles (observation-surveillance, criminalistique, renseignement criminel, etc.). Au niveau local, le dialogue s’établit entre les groupements de gendarmerie départementale et l’ensemble du secteur agricole (syndicats comme chambre d’agriculture).

Selon l’APCA, il existe une bonne coordination entre le monde agricole et la gendarmerie dans les territoires. La cellule DEMETER a permis d’identifier les auteurs d’entrave, rapidement dans certains cas. Le dispositif mis en place a, ainsi, trouvé une certaine efficacité par le rapprochement du monde agricole et de la gendarmerie, la situation nécessitant véritablement une prise en charge spécifique par la gendarmerie.

Plusieurs lacunes ont, toutefois, été relevées au cours des auditions :

– le dispositif est encore insuffisamment connu des auteurs d’entrave, mais également des victimes, pour être dissuasif ;

– la signature par la gendarmerie de conventions visant à mieux appréhender des actions concertées contre des exploitations agricoles est susceptible de fragiliser les procédures pénales, la défense pouvant invoquer le défaut d’impartialité des forces de l’ordre ;

– certaines professions sont à l’écart de la cellule DEMETER, comme l’a mentionné la CFBCT : « nous n’avons jamais été sollicités dans le cadre de la cellule DEMETER, ni par le ministère de l’Agriculture ». Si une rencontre a bien été organisée entre la FICT et la cellule DEMETER, la FICT souligne que l’interaction entre les deux organisations doit être améliorée. De même, les entreprises de transport ne font pas l’objet d’un suivi par la cellule DEMETER alors qu’un tel suivi permettrait d’anticiper et d’empêcher les actions d’entrave ;

­ les activités de chasse sont également à l’écart de la cellule DEMETER. Selon la Fédération nationale des chasseurs, « aucune information n’a été communiquée à la FNC sur l’opportunité de prendre en compte les entraves aux activités cynégétiques par cette cellule ». Enfin, selon la Société de vénerie, « il n’y a pas eu de contact avec DEMETER en raison que son action vers le monde de la chasse est ignorée », alors même que les actions menées par certains groupes antispécistes vis-à-vis du monde de la chasse font partie du champ de compétence de la cellule tel que décrit sur le site internet du ministère de l’intérieur ([11]).

B.   les observatoires de l’agribashing du ministère de l’agriculture

La création des observatoires de l’agribashing trouve son origine dans la prise de conscience, par le ministère de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt, du besoin d’objectiver et de caractériser ce phénomène, qui recoupe assez largement celui des entraves. Il s’agissait alors de créer des structures permettant de définir les contours de l’agribashing, son évolution dans le temps, sa matérialisation, etc. La décision, prise formellement par le ministre en avril 2019, s’est traduite par l’instauration d’observatoires départementaux entre fin 2019 et mi-2020, dont la feuille de route est la suivante :

 dresser un état des lieux exhaustif des problématiques de sécurité rencontrées ;

 coordonner des actions de prévention et d’information ;

 élaborer des solutions communes, efficaces et concertées.

Ces observatoires regroupent les services de l’État (police, gendarmerie, direction départementale des territoires et de la mer, direction départementale de la protection des populations), la chambre d’agriculture et les syndicats agricoles et professionnels. Dans certains départements, les procureurs de la République y sont associés.

Cet instrument de mesure doit, désormais, permettre de mettre en œuvre une politique publique à la hauteur des enjeux.

Toutefois, l’action des observatoires a été freinée par la mise en œuvre du confinement et, près d’un an après la création des premiers d’entre eux, le bilan est encore maigre. Il existe, aujourd’hui, un enjeu à faire vivre ces lieux de concertation et à en faire une instance de remontée d’informations, de synthèse, en capacité de fournir un premier élément de diagnostic.

Il conviendrait également d’en élargir la portée à des professions non agricoles. En effet, comme l’indique la CFBCT : « nous n’avons jamais été sollicités par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation à ce sujet. Nous souhaiterions être associés ». La FC2A indiquait également n’être « ni informée ni conviée ». De même, les entreprises de transport, également victimes d’entraves, pourraient être utilement concernées.

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Témoin du manque d’outils de remontée d’information sur les actions d’entrave et de la faiblesse de l’action de l’État en la matière, la société civile a mis en place des outils pour collecter des informations. Ainsi, en septembre 2020, la Fédération nationale des chasseurs a créé une plateforme sur son site internet destinées à collecter tous les signalements d’actes de « chasse-bashing », permettant à terme de disposer d’un état des lieux des injures, des menaces, des agressions verbales ou physiques, des actes de vandalismes et actes d’entraves à la chasse.

 


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   Deuxième partie : un droit en vigueur permettant partiellement de sanctionner certaines entraves

I.   Des sanctions pénales inscrites aujourd’hui dans différents codes

Le droit en vigueur prévoit des sanctions spécifiques à l’entrave à certaines activités. Plus généralement, il sanctionne certains comportements illégaux, tels que les violences, dégradations ou violations de domicile, qui peuvent avoir pour finalité d’entraver certaines activités légales. Il permet également de poursuivre certains auteurs d’entrave dont l’action prendrait la forme de diffamation ou de harcèlement moral.

A.   Le droit en vigueur sanctionne certaines entraves à des activités légales

1.   L’entrave à certaines libertés fondamentales prévue à l’article 431-1 du code pénal

L’article 431-1 du code pénal sanctionne d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait d’entraver, d’une manière concertée et à l’aide de menaces, l’exercice des libertés d’expression, du travail, d’association, de réunion, de manifestation ou de création artistique ([12]), ou d’entraver le déroulement des débats d’une assemblée parlementaire ou d’un organe délibérant d’une collectivité territoriale.

Ces peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, pour l’entrave réalisée d’une manière concertée lorsqu’elle l’est à l’aide de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations.

L’entrave à la liberté du travail pourrait ainsi permettre de réprimer un certain nombre d’actions menées contre des activités professionnelles : l’agriculture, l’élevage, les abattoirs ou encore les commerces de viande. Selon le professeur de droit pénal et de sciences criminelles Romain Ollard, entendu par la mission d’information, la jurisprudence permet ainsi de sanctionner toute action ou abstention qui rend plus difficile l’exercice normal du travail, sans que l’exercice de l’activité soit pour autant entièrement paralysé mais ces dispositions n’ont pas, à la connaissance des rapporteurs, été utilisées pour sanctionner des exactions dans ces secteurs d’activité alors que la direction des affaires criminelles et des grâces a invité les procureurs et procureurs généraux, par une dépêche du 22 février 2019, à des poursuites sur ce fondement ([13]).

2.   La contravention d’entrave à la chasse

S’agissant plus spécifiquement de l’entrave à des activités de chasse, le décret n° 2010-603 du 4 juin 2010 créant une contravention pour obstruction à un acte de chasse sanctionne, à l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement, « le fait, par des actes d’obstruction concertés, d’empêcher le déroulement d’un ou plusieurs actes de chasse » d’une peine d’amende prévue pour les contraventions de 5ème classe, soit 1 500 euros.

L’introduction de cette contravention dans la partie réglementaire du code de l’environnement fait notamment suite aux travaux du Sénat dans le cadre de l’examen de la loi n° 2008-1545 du 31 décembre 2008 pour l’amélioration et la simplification du droit de la chasse. La commission des affaires économiques du Sénat avait ainsi adopté un amendement visant à punir d’une amende prévue pour les contraventions de 5ème classe « le fait d’entraver ou d’empêcher le déroulement normal d’une action de chasse », mais cet ajout a été supprimé en séance publique, les contraventions ne relevant pas, en tout état de cause, du domaine de la loi tel que défini à l’article 34 de la Constitution.

3.   Une discrimination peut conduire à entraver une activité économique

En application de l’article 225-1 du code pénal, constitue une discrimination toute distinction opérée entre des personnes physiques ou morales sur le fondement d’un des mobiles limitativement énumérés par la loi ([14]). Ainsi, il ne peut être opéré de distinction entre des personnes morales sur la base, par exemple, des opinions politiques de leurs membres, ou de certains de leurs membres.

En s’appuyant sur cette définition, le 2° de l’article 225-2 du code pénal punit de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la discrimination lorsqu’elle consiste à entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque.

Le professeur de droit pénal Romain Ollard a indiqué à la mission d’information que « ce cas de discrimination a été incriminé la première fois par [l’article 32 de la] loi n° 77574 du 7 juin 1977 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, dite loi " anti-boycott ", afin de lutter contre les manœuvres de boycottage économique que certains États de la Ligue arabe imposaient à leurs cocontractants français en exigeant, par exemple, un certificat attestant du fait que les marchandises vendues n’avaient pas une origine israélienne ».

Ainsi, lorsqu’une activité économique est entravée sur un motif discriminatoire, l’auteur de cette discrimination peut être poursuivi. C’est sur ce fondement, en utilisant le motif de discrimination selon l’opinion politique, que M. Alexandre Varaut, avocat entendu par la mission d’information, a indiqué qu’étaient actuellement poursuivies des personnes ayant incité au boycott d’une entreprise sur le fondement d’opinions politiques « anti-chasse », même si ce moyen n’a pas été retenu par le juge en premier instance – ce qui semble logique dans la mesure où l’opinion politique est distincte de l’exercice d’une activité professionnelle ou de la pratique d’un loisir.

Selon le professeur Romain Ollard, la jurisprudence semble plutôt faire application de l’entrave à l’exercice d’une activité économique par une discrimination dans le cadre de relations contractuelles où un agent économique refuse de contracter avec la personne physique ou morale victime de l’infraction. Ici, l’hypothèse est selon lui différente puisque dans ce cas, « c’est un particulier ou un groupe de particuliers qui réaliserait une pratique discriminatoire – ne consistant pas en un refus de contracter – dont serait victime un agent économique. Aussi, à défaut d’un tel cadre contractuel, dans lequel un agent économique refuse d’entrer en lien commercial avec un tiers pour des raisons discriminatoires, le délit de discrimination pourrait être jugé inapplicable. En réalité, les individus entravant l’exercice d’une activité légale entendent essentiellement mener une campagne de dénigrement à l’encontre de la profession visée, sans jamais avoir entendu nouer une quelconque relation contractuelle, de sorte que ce type d’actions paraît relever davantage d’un appel à boycott de certains produits ou entreprises que d’une discrimination proprement dite consistant en un refus de contracter ».

Dès lors, la répression d’un appel au boycott discriminatoire semble plutôt se fonder sur l’alinéa 7 de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ([15]), qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23 de la même loi ([16]), provoquent à la discrimination à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Le professeur Romain Ollard a indiqué à vos rapporteurs qu’il est « admis en jurisprudence que peut être puni au titre de la provocation à la discrimination l’appel au boycott de certains exploitants ou producteurs ou même de certains produits en raison de motifs discriminatoires ». Deux conditions doivent pour cela être réunies :

– la première, relative aux moyens de provocation à la discrimination incriminés, semble remplie, car sont visés non seulement les « discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics » mais encore les provocations réalisées par « tout […] support de l’écrit » ;

– la seconde, relative aux mobiles discriminatoires énumérés, fera, selon le professeur Romain Ollard, « défaut puisque seuls sont visées les discriminations opérées à raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion de la personne ou du groupe de personnes discriminés, ce qui exclut les discriminations fondées sur la profession ou les pratiques mises en œuvre dans le cadre d’une activité professionnelle ou de loisirs ».

4.   D’autres formes d’entraves sont réprimées par le droit existant

S’agissant d’entraves spécifiques à certaines activités, l’article L. 2223-2 du code de la santé publique réprime de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer ou de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne.

De même, l’article 32 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’État punit « ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices », d’une peine d’amende prévue pour les contraventions de 5ème classe ainsi que d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux mois.

Enfin, l’article 431-22 du code pénal punit, depuis 2010, d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement ».

À cet égard, il est à noter que le Sénat avait introduit, dans le cadre de l’examen du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche, un délit, inscrit à l’article L. 763-1 du code de l’éducation, d’entrave dans un établissement d’enseignement supérieur, calqué sur celui existant pour les établissements d’enseignement scolaire. Ce délit sanctionnait d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende – cette peine étant portée à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende dès lors que l’entrave est commise en réunion – « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement supérieur sans y être habilité en vertu des dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement ». Il a toutefois été déclaré contraire à l’article 45 de la Constitution dans la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-810 DC du 21 décembre 2020, au motif qu’il ne présentait pas de lien, même indirect, avec les dispositions du projet de loi en discussion.

B.   D’autres dispositions du code pénal peuvent servir de base juridique pour sanctionner ces entraves

Si l’entrave à des activités légalement exercées ne fait pas l’objet d’une infraction générique dans le code pénal – à l’exception notable de l’entrave à certaines libertés fondamentales, dont celle du travail, prévue à l’article 431-1 du code pénal –, certains faits, dont la finalité peut être d’entraver des activités légales, constituent des délits. Ainsi, même lorsque le délit d’entrave à la liberté du travail ne serait pas constitué, il est possible de sanctionner les auteurs de certains actes accompagnant leurs actes d’obstruction.

1.   Certaines entraves s’accompagnent de violences, de dégradations, voire de destructions

Les violences commises en réunion à l’encontre de personnes exerçant leur activité sont sanctionnées :

– par l’article 222-13 du code pénal lorsque l’incapacité totale de travail n’excède pas huit jours, d’une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende ;

– par l’article 222‑12 du code pénal lorsque l’incapacité totale de travail excède huit jours, d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Les dégradations, perpétrées par exemple dans des boucheries ou dans des locaux de chasse, constituent également un délit, réprimé par l’article 322-1 du code pénal, selon lequel la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger. L’article 322-2 porte la peine à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsqu’elle est commise par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice. C’est sur le fondement de cet article qu’ont notamment été condamnés les « faucheurs » de champs de colza transgénique.

Enfin, dans les cas les plus graves, l’article 322-6 du code pénal sanctionne la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui par l’effet d’une substance explosive, d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes. Cette infraction est punie de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. Ainsi, les incendies déclenchés dans les abattoirs, boucheries ou tout autre lieu, sont sanctionnés sur le fondement de cet article ([17]).

Toutefois, sauf dans les cas où les peines encourues pour violences, dégradations et destructions sont plus élevées que celles prévues à l’article 431-1 du code pénal, de tels actes seront absorbés par la qualification, plus large, d’entrave à l’une des libertés fondamentales, si celle-ci est constituée.

En effet un juge ne peut, en application du principe constitutionnel non bis in idem, sanctionner pénalement deux fois les mêmes faits. Sauf rares exceptions, il ne peut également retenir qu’une seule qualification, quand bien même ces faits peuvent faire l’objet de plusieurs qualifications pénales. Un tel cumul n’est pas non plus possible en cas de circonstances aggravantes intégrées à certaines infractions, celles-ci ne pouvant alors être retenues comme des infractions autonomes.

En l’espèce, les coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations constituent une circonstance aggravante du délit d’entrave prévu à l’article 431-1 du code pénal et ne pourront donc être sanctionnés à ce titre si le délit d’entrave est constitué et que cette dernière qualification est retenue. Par exemple, un individu poursuivi pour un vol avec violence ne pourra pas l’être aussi pour les faits de violence commis dans le cours du vol, puisqu’ils sont déjà pris en considération dans la circonstance aggravante du délit de vol.

Ainsi, un individu ayant commis une dégradation destinée à entraver un commerçant dans l’exercice de son métier ne pourra être poursuivi pour la dégradation en elle-même au titre de l’article 322-1 du code pénal s’il est poursuivi de manière plus générale au titre de l’entrave réprimée par l’article 431-1 du code pénal.

2.   Certaines entraves sont constitutives d’une violation de domicile

Aux termes de l’article 226-4 du code pénal, l’introduction dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

La jurisprudence a précisé qu’un local industriel ou commercial peut être considéré comme un domicile, l’accès pouvant en être réglementé et subordonné à l’autorisation du propriétaire ou de l’exploitant. Ainsi, lorsque l’intrusion, en dehors de leurs horaires d’ouverture, dans une boucherie, un abattoir, ou un local de chasse est précédée de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, l’infraction de violation de domicile est constituée.

Toutefois, comme expliqué précédemment, si l’infraction de violation de domicile est constituée au même titre que celle, par exemple, d’entrave à la liberté du travail, le juge ne pourrait pas, en application du principe constitutionnel non bis in idem, sanctionner pénalement deux fois les mêmes faits.

3.   Certaines entraves conduisent à diffamer les personnes qui en sont victimes

L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définit la diffamation comme toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. La jurisprudence considère qu’une personne morale, tout comme une personne physique, peut être victime de diffamation ([18]).

L’article 32 de la même loi punit la diffamation publique, lorsqu’elle est commise par l’un des moyens – notamment les discours, tout support écrit et tout moyen de communication par voie électronique – prévus à l’article 23 de ladite loi ([19]) :

– d’une amende de 12 000 euros lorsqu’elle est commise envers des particuliers. Une telle sanction peut, dès lors, s’appliquer à des personnes à l’honneur desquelles il est porté atteinte en raison d’allégations ou d’imputations d’un fait lié, par exemple, à leur activité professionnelle ou leurs loisirs ;

– d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elle est commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou non à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap.

Comme pour la provocation à la discrimination ([20]), le professeur Romain Ollard a confirmé à la mission que « seuls certains mobiles discriminatoires sont visés, qui n’incluent pas le cas où se trouve visée une profession ou une activité professionnelle ou de loisirs ».

La menace d’une diffamation, ou plus exactement la menace « de révéler ou d’imputer des faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération ([21]) », lorsque cette menace consiste à obtenir, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien, est constitutive du délit de chantage, puni, en application de l’article 312-10 du code pénal, de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. La jurisprudence semble à cet égard considérer que tout type d’engagement peut permettre de qualifier l’infraction : c’est par exemple le cas de la renonciation à une offre d’embauche en cas de pressions de la part d’un concurrent au poste, mais aussi, de certaines formes d’entrave à l’activité économique, comme la renonciation à exécuter une prestation ou à entrer en lien commercial avec un partenaire.

4.   Certaines entraves peuvent prendre la forme de harcèlement moral

L’article 222-33-2 du code pénal punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende le harcèlement moral, lorsqu’il consiste en des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de la victime susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Si cet article ne restreint pas formellement le délit aux relations de travail, il ressort de la jurisprudence que l’application faite de cet article 222-33-2 concerne des faits ayant eu lieu entre des personnes entretenant des relations professionnelles. Dès lors, cet article ne semble pas réellement permettre la sanction de faits de harcèlement réalisés par des personnes extérieures à l’entreprise.

Toutefois, hors du contexte professionnel, l’article 222-33-2-2 du même code punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le harcèlement consistant en des propos ou comportements répétés ayant plus généralement pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale, si ces faits n’ont pas causé d’incapacité totale de travail (ITT) ou si celle-ci est inférieure ou égale à huit jours. La peine est portée à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende lorsque l’ITT est supérieure à huit jours, ou bien lorsqu’ils ont été commis sur internet ou par tout support numérique ou électronique.

Cette infraction est également constituée :

– soit lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles, alors même qu’aucune d’elle n’a agi de façon répétée ;

– soit lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.

Selon le professeur Romain Ollard, ces deux manières de définir l’infraction sont particulièrement applicables en matière d’actions prenant la forme de harcèlement pratiqué contre des personnes exerçant certaines activités ou pratiquant un loisir particulier, dans la mesure où, d’une part, les membres d’un groupement ou d’un collectif peuvent être sanctionnés même si chacun n’a agi qu’une fois et, d’autre part, le harcèlement sur les réseaux sociaux, particulièrement marqué pour certains professionnels et chasseurs, peut être sanctionné même en l’absence de concertation.

Toutefois, il convient de rappeler que le délit de harcèlement ne peut être constitué que si celui-ci a pour effet ou pour objet « une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale », ce qui n’est pas toujours aisé à qualifier et qui n’est sans doute pas toujours applicable aux actions d’entrave, comme l’a souligné la direction des affaires criminelles et des grâces au cours de son audition.

II.   Malgré une dépêche adressée aux parquets, la réponse pénale apportée aux entraves est aujourd’hui trop faible

A.   Un phénomène qui a donné lieu à une dépêche du ministère de la justice aux procureurs

S’agissant des actions d’entrave violentes commises par des mouvements animalistes radicaux, la direction des affaires criminelles et des grâces a, par une dépêche du 22 février 2019 adressée aux procureurs et aux procureurs généraux, précisé les qualifications pénales pouvant être retenues et la réponse pénale qu’il convient d’apporter. Cette dépêche fait notamment suite aux actions qui se sont déroulées au cours de l’année 2018 : dégradations, parfois accompagnées de menaces et de comportements agressifs, de commerces dans l’agglomération lilloise et le sud de la France, incendie d’un abattoir dans l’Ain, dégradations visant des sociétés de chasse, des sites d’élevage et des abattoirs, etc.

Outre un renforcement de la prévention de telles actions en invitant notamment les procureurs de la République à se rapprocher des préfets pour être tenus au courant des mesures de police administrative éventuellement prises par ces derniers – notamment l’interdiction de manifestations pouvant troubler l’ordre public –, la direction des affaires criminelles et des grâces préconise d’apporter une réponse systématique et individualisée aux faits, au regard de ces infractions, qui justifient une grande réactivité de la part des parquets.

Elle rappelle également qu’il peut être envisagé de mettre en cause la responsabilité pénale des associations militantes, sur le fondement de l’article 121‑2 du code pénal, en application duquel elles peuvent, être considérées comme pénalement responsables des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.

Elle invite également à utiliser, comme peine complémentaire à l’amende, la peine d’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci, soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, en application de l’article 131-39 du code pénal. À cet égard, vos rapporteurs précisent que si, dans certains cas, cette peine peut avoir un effet dissuasif, les associations militantes réalisant des actions d’entrave utilisent, généralement, les procédures pénales pour disposer d’un écho médiatique, ce qui limite l’intérêt d’une telle peine complémentaire.

Enfin, la dépêche invite également à relever les qualifications pénales suivantes, en plus des dégradations et menaces :

– la violation de domicile, punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende en application de l’article 226-4 du code pénal. Elle rappelle par ailleurs que la jurisprudence considère que les locaux professionnels peuvent être considérés comme un domicile dès lors qu’ils sont clos et que l’accès en est réglementé ([22]). La nécessité que ces locaux soient clos pose toutefois des difficultés dans le cadre d’exploitations agricoles, nombre d’intrusions ne pouvant alors être qualifiées de violation de domicile ([23]) ;

– l’organisation d’une manifestation illicite, c’est-à-dire en l’absence de la déclaration préalable prévue à l’article L. 211-1 du code de la sécurité intérieure – ou lorsque celle-ci est incomplète ou inexacte – ou en violation d’une mesure d’interdiction, punie de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende ;

– le groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations, puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende en application de l’article 222-14-2 du code pénal ;

– le délit d’entrave à l’exercice de la liberté du travail, prévu à l’article 431‑1 du code pénal et puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende lorsqu’il est accompagné de menaces ([24]).

Recommandation n° 1 : Rappeler aux parquets, le cas échéant par une nouvelle dépêche, la nécessité de s’emparer de la qualification pénale d’entrave à la liberté du travail en plus de celles de dégradations et de menaces, aujourd’hui trop peu utilisées bien que celle-ci figure dans la dépêche du 22 février 2019 de la direction des affaires criminelles et des grâces.

B.   Malgré quelques entraves sanctionnées, la réponse pénale reste aujourd’hui limitée et insuffisante

Au cours des auditions de la mission d’information, vos rapporteurs ont eu connaissance d’un certain nombre d’actions d’entrave qui ont été poursuivies, voire condamnées, sur le fondement des articles du code pénal précédemment évoqués ([25]).

Cependant, les auditions conduites par vos rapporteurs ont montré que la réponse pénale aux actions d’entrave, malgré la dépêche de 2019 adressée aux parquets, est aujourd’hui trop faible. Interrogée en ce sens par vos rapporteurs, la direction des affaires criminelles et des grâces leur a indiqué qu’il n’y avait pas, à ce sujet, de nouvelle dépêche aux parquets en cours de préparation.

Les données apportées par la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice ont ainsi montré le faible nombre de sanctions effectivement prises contre des entraves à des activités légales. Cela s’explique tout d’abord par le faible nombre de dépôts de plaintes, comme il sera expliqué ultérieurement ([26]). À cet égard, le professeur Romain Ollard a indiqué à la mission d’information qu’il s’agissait d’une des raisons de l’ineffectivité du délit, les professionnels pouvant hésiter à déposer plainte en raison « de la publicité – nuisible pour leur activité économique – que pourraient générer les poursuites afférentes à leur affaire ».

Cela s’explique également par l’insuffisance de la réponse pénale apportée aux entraves qui font l’objet de plaintes.

S’agissant d’incriminations générales prévues par le code pénal (violences, violation de domicile, dégradations, manifestation illicite, etc.) les données dont dispose le ministère de la justice, issues du logiciel Cassiopée, ne permettent pas d’obtenir des informations pertinentes permettant d’identifier les infractions commises dans le cadre d’entraves. En effet, le logiciel Cassiopée ne répertorie pas les infractions selon leur lieu de commission (un élevage, un abattoir, etc.) ou selon l’intention de commettre une entrave accompagnant l’infraction.

S’agissant de l’orientation des procédures d’incriminations spécifiques, pour le délit d’entrave aux libertés d’expression prévu à l’article 431-1 du code pénal, plus de la moitié des affaires orientées sur le fondement de cet article – 117 sur 209 au cours de l’année 2019 – ne pouvaient être poursuivies, du fait d’une absence d’infraction, d’une infraction insuffisamment caractérisée ou de l’absence d’auteur identifié de l’infraction. Sur les 92 infractions pouvant être poursuivies, 88 ont reçu une réponse du procureur, prenant soit la forme d’alternatives aux poursuites pour 48 d’entre elles (55 % des cas), principalement des rappels à la loi ou des avertissements, soit la forme de poursuites pénales (poursuites correctionnelles dans 35 cas sur 40 ayant donné lieu à des poursuites).

Même si la direction des affaires criminelles et des grâces a indiqué qu’il convenait de manier ces données avec précaution, l’année 2019 est celle, depuis 2015, qui a connu le plus grand nombre d’affaires d’entraves aux libertés mentionnées à l’article 431-1 du code pénal. Il en est de même du nombre d’affaires pouvant être poursuivies et du nombre d’affaires ayant donné lieu à poursuites ([27]). Le tableau ci-après récapitule, depuis 2015, la structure de l’orientation des affaires pour les infractions d’entrave aux libertés sur le fondement de l’article 431-1 du code pénal.

Structure des orientations
pour les infractions d’entrave aux libertés d’expression

Entrave aux libertés d’expression

2015

2016

2017

2018

2019

Affaires orientées

52

107

60

127

209

Affaires non poursuivables

30

74

44

47

117

dont absence d’infraction

10

9

9

10

10

dont infraction insuffisamment caractérisée

10

36

19

24

51

dont défaut d’élucidation

7

27

13

13

55

Affaires poursuivables

22

33

16

80

92

Classement sans suite

3

6

4

6

4

dont préjudice ou trouble peu important causé par l’infraction

1

1

1

3

2

Réponse pénale

19

27

12

74

88

Taux de réponse pénale

86,4 %

81,8 %

75,0 %

92,5 %

95,7 %

Procédures alternatives

12

13

6

17

48

Taux de procédures alternatives

63,2 %

48,1 %

50,0 %

23,0 %

54,5 %

dont composition pénale

 

 

1

 

5

dont réparation mineure

1

 

 

 

4

dont rappel à la loi / avertissement

6

10

3

13

35

Poursuites

7

14

6

57

40

Taux de poursuites

36,8 %

51,9 %

50,0 %

77,0 %

45,5 %

dont poursuites correctionnelles

6

11

6

40

35

- Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

 

2

1

2

5

- Comparutions immédiates

 

2

 

8

4

- Convocation par officier de police judiciaire

1

1

 

26

20

- Convocation par procès-verbal

2

1

1

3

6

- Citations directes

3

5

4

1

 

dont poursuites mineures

 

3

 

16

2

dont poursuites devant le tribunal de police

 

 

 

 

3

Source : direction des affaires criminelles et des grâces.

Outre le faible nombre d’infractions pouvant être poursuivies et donnant effectivement lieu à des poursuites pénales sur le fondement de l’article 431-1 (40 en 2019), le nombre de condamnations constatées est extrêmement faible. Ainsi, entre 2015 et 2018, moins de dix condamnations par an ont été prononcées. Vingt l’ont été en 2019. Ces sanctions sont par ailleurs majoritairement prononcées pour des entraves, commises avec violences, à la liberté de réunion, qui n’entrent pas nécessairement dans le champ d’étude de la mission d’information, qui concerne l’entrave à des activités légales.

S’agissant plus précisément de l’entrave à la liberté du travail, dix-neuf condamnations ont été prononcées depuis 2015 : sept ont été prononcées en 2019 (deux entraves commises au moyen de violences ou de voies de fait et cinq au moyen de dégradations ou de destructions), trois en 2018 (entraves commises au moyen de menaces), trois en 2016 (une entrave commise au moyen de menaces et deux au moyen de violences ou de voies de fait) et six en 2015 (entraves commises au moyen de dégradations ou de destructions). Aucune condamnation n’a été prononcée en 2017.

S’agissant de la contravention d’entrave à la chasse, la réponse pénale est encore plus faible : seules deux contraventions ont été prononcées entre 2015 et 2019 sur le fondement de l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement ([28]).

Selon le professeur Romain Ollard, un des indicateurs de la faiblesse de la réponse pénale en matière d’entrave est la rareté de la jurisprudence – et son caractère relativement ancien –, en particulier s’agissant du délit d’entrave à la liberté du travail prévu à l’article 431-1 du code pénal.

Cette ineffectivité pourrait également s’expliquer par le fait que le ministère public n’engage pas systématique de poursuites, du fait de la faible gravité – du point de vue de la justice plus que de celui des victimes – des infractions, dont certaines sont peu connues. Il est vrai que le taux d’alternatives aux poursuites oscille, depuis 2015, entre 36 % et 52 %, à l’exception de l’année 2018, durant laquelle le taux de poursuite s’est élevé à 77 %. Les procureurs entendus par la mission d’information viennent toutefois nuancer cette affirmation, témoignant eux-mêmes d’un faible nombre de plaintes déposées pour des actes d’entrave à des activités légales, qui peut notamment s’expliquer par les craintes, évoquées par certains procureurs et acteurs professionnels auditionnés par la mission, qu’un procès ne constitue une tribune médiatique pour les associations attaquées ([29]). Le taux de poursuites n’est ainsi pas particulièrement faible – il est par exemple plus important que pour les infractions environnementales, qui donnent lieu à des mesures alternatives aux poursuites dans 75 % des cas – de même que le taux de réponse pénale, qui oscille, depuis 2015, entre 75 % et 95 %.

III.   La conciliation de la répression des entraves avec les droits et libertés légaux et constitutionnels

Il est fréquent que les auteurs d’actes d’entrave à des activités légales revendiquent la légitimité de leur action au nom des libertés d’expression et de manifestation, ou encore du droit à la protection des lanceurs d’alerte. La direction des affaires criminelles et des grâces a par ailleurs indiqué à la mission d’information que la répression des entraves devait s’effectuer lorsque ces dernières sont adossées à un comportement répréhensible, afin de ne pas empêcher d’apporter des critiques à des activités légales, ce qui irait à l’encontre de la liberté d’expression. Il est dès lors nécessaire de présenter le cadre, constitutionnel et légal, de ces droits et libertés souvent revendiqués par les auteurs d’entraves pour justifier leurs actions.

A.   Une jurisprudence particulièrement protectrice de la liberté d’expression

Le renforcement de la répression des entraves aux activités légales doit être concilié avec le nécessaire respect des libertés fondamentales garanties par la Constitution et plus particulièrement avec la liberté d’expression que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen décrit en son article 11 comme l’un des « droits les plus précieux de l’homme ». Ainsi, toute atteinte à cette liberté fondamentale doit être nécessaire, adaptée et proportionnée.

Or, la Cour de Cassation a adopté ces dernières années une jurisprudence particulièrement protectrice de cette liberté fondamentale. En effet, alors que traditionnellement certaines infractions dans le domaine de la presse (diffamation par exemple) n’étaient pas sanctionnées si elles étaient motivées par l’information du public, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a considéré, dans deux arrêts du 25 octobre 2016 ([30]) et du 26 février 2020 ([31]), que des infractions ne relevant pas du domaine de la presse – une escroquerie et une exhibition sexuelle – ne pouvaient donner lieu à une condamnation car celle-ci représenterait, compte tenu des circonstances de l’infraction, une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression.

Dans le premier arrêt, la Cour de cassation a ainsi considéré que si un journaliste qui avait falsifié son identité pour enquêter sur un parti politique était coupable d’escroquerie, il ne devait pas être condamné car « les agissements dénoncés [s’étaient] inscrits dans le cadre d’une enquête sérieuse, destinée à nourrir un débat d’intérêt général sur le fonctionnement d’un mouvement politique, de sorte que, eu égard au rôle des journalistes dans une société démocratique et compte tenu de la nature des agissements en cause, leur incrimination constituerait, en l’espèce, une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression ». Dans le second arrêt, la Cour a adopté la même position en considérant que l’infraction d’exhibition sexuelle commise par une militante Femen ne pouvait être condamnée car « le comportement de la prévenue s’inscri[vait] dans une démarche de protestation politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression ».

La Cour européenne des droits de l’Homme a également adopté ces dernières années une jurisprudence particulièrement protectrice de cette liberté fondamentale. Elle a ainsi pu juger, dans une décision du 11 juin 2020 ([32]), que dans une affaire concernant des personnes qui avaient appelé à boycotter des produits israéliens pour des raisons militantes, le juge interne n’avait pas établi en quoi la condamnation des requérants était nécessaire alors qu’une « motivation circonstanciée » s’imposait en cas d’atteinte à la liberté d’expression. La Cour a donc considéré qu’un appel au boycott relevait du discours politique et militant et que le juge devait procéder à un contrôle rigoureux de la nécessité de l’ingérence en démontrant, au regard du contexte, en quoi les limites admissibles de la liberté avaient été franchies.

B.   La protection des lanceurs d’alerte permet, dans certains cas, de ne pas sanctionner une personne du fait d’une infraction

Par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ([33]), dite loi « Sapin 2 », le législateur a souhaité, suivant une recommandation du Conseil d’État ([34]), inscrire dans la loi un socle commun des droits des lanceurs d’alerte et unifier les différents régimes de protection qui existaient auparavant en matière d’alerte. Ce droit découle de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, qui inclut, dans la liberté d’expression, « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».

L’article 6 de la loi dite « Sapin 2 » définit ainsi un lanceur d’alerte comme une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi :

– un crime ou un délit ;

– une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement ;

– une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général.

Ainsi, il ressort de l’article 6 de la loi dite « Sapin 2 » qu’une infraction, ou qu’une menace ou un préjudice graves sont nécessaires pour définir un lanceur d’alerte et qu’il ne peut s’agir, en tout état de cause, que d’une personne physique.

Dans le cadre professionnel, le signalement doit être réalisé conformément à la procédure inscrite à l’article 8 de la loi dite « Sapin 2 » : il doit d’abord être porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l’employeur ou d’un référent « lanceurs d’alerte ». En cas d’inaction de l’une de ces personnes dans un délai raisonnable, le lanceur d’alerte peut se tourner vers l’autorité judiciaire, l’autorité administrative ou l’ordre professionnel compétent. Si ces derniers ne traitent pas l’alerte dans un délai de trois mois, le signalement peut alors être rendu public.

En revanche, en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles, le signalement peut être directement transmis à l’autorité compétente et être rendu public : cela signifie qu’en principe, une alerte a vocation à être traitée en interne. Ce n’est qu’en cas de défaillance interne dans le recueil de cette alerte, de danger grave et imminent ou d’un risque de dommages irréversibles qu’une alerte peut être rendue publique. Tout au long de cette procédure, il est à noter que le Défenseur des droits joue un rôle d’orientation et de protection des lanceurs d’alerte.

Dès lors que la procédure légale est respectée, aucun lanceur d’alerte ne peut, du fait d’une alerte, être écarté d’un recrutement, sanctionné ou licencié ou faire l’objet de mesures discriminatoires. En cas de litige, la charge de la preuve incombe alors à la partie accusée de telles décisions, qui doit prouver que celles-ci se sont bien fondées sur des éléments objectifs.

L’article 7 de la même loi a par ailleurs inscrit, à l’article 122-9 du code pénal, un principe d’irresponsabilité pénale d’une personne qui « porte atteinte à un secret protégé par la loi, dès lors que cette divulgation est nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause, qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi et que la personne répond aux critères de définition du lanceur d’alerte » prévu par la loi dite « Sapin 2 ».

Au cours des auditions de la mission d’information, plusieurs personnes entendues, notamment des procureurs, ont souligné la nécessité de concilier la lutte contre les entraves à des activités légales avec le droit de lancer des alertes, qui peuvent également être réalisées dans un cadre légal. De la même façon, un collectif d’associations environnementales ([35]) a, dans une contribution écrite adressée à la mission d’information en lieu et place de l’audition qui leur avait été proposée, souligné que le droit d’information était pour elles une « nécessité », et qu’elles excluaient « que [leur] liberté d’informer soit restreinte par une aggravation de la répression ».

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*     *

Dès lors, il est nécessaire de concilier les libertés fondamentales garanties par la Constitution (liberté d’opinion et d’expression, liberté de manifestation) et la protection légale des lanceurs d’alerte avec la nécessité – vos rapporteurs en sont convaincus – de renforcer la lutte contre les entraves à des activités légales, que le cadre juridique existant, bien que théoriquement riche, ne permet pas d’appréhender dans bien des situations.

 


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   Troisième partie : de nouveaux outils sont nécessaires pour améliorer la lutte contre les entraves

Outre le faible nombre de dépôts de plaintes, auquel il est nécessaire de remédier afin de pouvoir apporter une réponse pénale aux entraves à l’exercice d’activités légales, il ressort des travaux de la mission d’information que le cadre juridique actuel ne couvre pas tous les phénomènes d’entrave : c’est le cas de l’entrave à la chasse, difficile à qualifier pénalement, de l’intrusion dans une propriété agricole, qui ne peut que rarement être sanctionnée au titre de la violation de domicile, ou encore des moyens permettant d’appliquer le délit d’entrave à la liberté du travail.

Il semble donc nécessaire, aux yeux de vos rapporteurs, de renforcer l’arsenal législatif à disposition du juge afin de mieux prendre en compte certains phénomènes qui n’entrent pas dans les « cases » juridiques préexistantes, tout en les conciliant avec la liberté d’opinion, d’expression et de manifestation ainsi qu’avec la protection reconnue aux lanceurs d’alerte.

En ce sens, la proposition de loi, adoptée par le Sénat le 1er octobre 2019, tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisées par la loi ([36]) contient d’utiles propositions d’évolution de la législation. Aux yeux de vos rapporteurs, des modifications, présentées dans la présente partie du rapport, méritent toutefois d’y être apportées, afin de répondre aux difficultés constitutionnelles qu’elle soulève (précision de la loi pénale, principe non bis in idem, conciliation avec la liberté d’expression et d’opinion, etc.) et d’en améliorer la rédaction dans le but de la rendre plus effective.

I.   Toutes les entraves ne donnent pas lieu à un dépôt de plainte et sont alors difficiles à sanctionner

L’ensemble des interlocuteurs auditionnés par la mission a considéré que le nombre de plaintes déposées par des victimes d’entrave était très faible par rapport au nombre d’entraves constatées. À titre d’exemple, la direction générale de la gendarmerie nationale note que sur 15 000 infractions constatées dans les exploitations agricoles en 2019, seules 49 intrusions dans des exploitations agricoles pour des motifs militants ont été dénombrées.

Plusieurs facteurs expliquent ce faible nombre de plaintes.

Tout d’abord, une défiance à l’égard des services de l’État peut freiner le dépôt de plainte. Par ailleurs, les victimes d’entraves, en particuliers les entreprises et les commerces hésitent à déposer une plainte en raison de la publicité nuisible pour leur activité économique que pourraient causer les poursuites afférentes à une affaire. Ainsi, lors de son audition, M. Fabien Castanier, délégué général de la Fédération des industriels charcutiers, traiteurs et transformateurs de viande, a indiqué qu’une plainte était une prise de risque pour une marque car cela pouvait donner une tribune médiatique supplémentaire aux responsables de ces entraves, leur permettant de dénigrer la marque.

Enfin, les personnes victimes d’entraves peuvent avoir le sentiment qu’une plainte ne donnera pas lieu à des suites judiciaires. Ainsi, le président de la Société de vénerie, M. Pierre de Roualle, a indiqué à la mission qu’au titre des incidents survenus au cours de trois saisons de chasse, moins d’une dizaine d’affaires ont été instruites alors qu’une centaine de plaintes avaient été déposées et que le sentiment général des chasseurs était que déposer plainte « ne servait à rien ».

Dans les éléments transmis à la mission, le professeur Romain Ollard, a ainsi considéré que « les autorités de poursuites, spécialement le ministère public, seraient peu enclines à engager des poursuites, s’agissant spécialement d’infractions de faible gravité, dont certaines sont peu connues, comme le délit d’entrave aux activités de chasse prévu par le code l’environnement ».

Compte tenu d’un taux de réponse pénale qui varie, depuis 2015, entre 75 % et 95 %, comme vos rapporteurs l’ont montré ([37]), vos rapporteurs invitent fortement les victimes d’entraves à déposer plainte.

Vos rapporteurs considèrent donc qu’une campagne d’information à destination des publics concernés par les entraves pour leur faire connaître les voies d’action s’offrant à eux en matière civile et pénale serait de nature à augmenter le nombre de plaintes déposées et à améliorer la réponse pénale.

Recommandation n° 2 : Charger les ministères de l’agriculture, de l’environnement et de l’intérieur de mener une campagne d’information en direction des victimes d’entrave pour leur faire connaître les recours possibles en matière civile et pénale.

Permettre le dépôt de plainte en ligne pour les victimes d’entrave constitue une autre piste de réforme. En effet, la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ([38]) prévoit la possibilité d’effectuer un dépôt de plainte en ligne. Distinct de la pré-plainte en ligne, ouverte en 2008 ([39]) et qui ne dispense pas d’un dépôt « physique » auprès du service concerné, ce dispositif prendra la forme d’un service de plainte en ligne automatisée, sans contact physique avec un policier ou un gendarme. Cependant, cette réforme n’interviendra pas avant plusieurs années, les travaux de faisabilité ne devant pas aboutir avant le mois de juin 2022.

II.   Certaines actions d’entraves sont en pratique difficiles à sanctionner

Malgré l’existence d’un cadre juridique relativement riche, les contraventions et délits présentés dans la deuxième partie du rapport soulèvent, dans bien des cas, des difficultés d’application à des phénomènes d’entrave dont la nature a évolué ces dernières années. En résultent des difficultés de qualification de l’infraction, qu’il s’agisse de la contravention d’entrave à la chasse – en outre trop peu dissuasive –, du délit d’entrave à la liberté du travail ou encore de l’intrusion dans une propriété agricole, difficilement assimilable à une violation de domicile.

A.   L’entrave à la chasse est difficile à sanctionner

Si l’entrave à un acte de chasse constitue, en application de l’article R. 428‑12-1 du code de l’environnement, une contravention de 5ème classe passible d’une amende de 1 500 euros, les auditions conduites par vos rapporteurs ont montré qu’en pratique, une telle entrave était difficile à sanctionner.

Tout d’abord, elle est limitée au moment de l’« acte de chasse », qui est défini à l’article L. 420-3 du même code comme « tout acte volontaire lié à la recherche, à la poursuite ou à l’attente du gibier ayant pour but ou pour résultat la capture ou la mort de celui-ci ». Sont ainsi exclus de la définition de l’acte de chasse le fait « [d’] achever un animal mortellement blessé ou aux abois » ainsi que la récupération des chiens perdus, qui interviennent après l’acte de chasse lui-même. Dès lors, les actions d’entraves commises à ce moment – telles que la capture et la conduite vers un refuge des chiens égarés – ne peuvent être qualifiées d’entraves à un acte de chasse.

Ensuite, la rédaction de la contravention d’entrave à un acte de chasse inscrite dans le code de l’environnement nécessite, pour que l’infraction soit qualifiée, que les actes d’obstruction menés soient « concertés ». De cette concertation découlent, selon le professeur Romain Ollard, entendu par la mission d’information, trois exigences cumulatives :

– l’acte d’obstruction doit être collectif, c’est-à-dire mené par deux personnes au moins ;

– l’acte d’obstruction fait l’objet d’une préparation antérieure à la commission de l’infraction, ce qui témoigne d’une forme de préméditation ;

– l’entrave doit s’opérer, si l’on s’en tient à la lettre de l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement, au travers de plusieurs actes d’obstruction.

La démonstration d’une concertation nécessite une enquête qui, selon les services de l’Office français de la biodiversité (OFB), est relativement complexe. Il n’est dès lors pas toujours possible de mettre en évidence le caractère concerté de l’obstruction et donc de qualifier l’infraction.

Ainsi, il ressort des informations fournies par les services de l’OFB qu’entre 2010 – date de création de la contravention d’entrave à un acte de chasse – et 2019, seules 17 contraventions d’entrave à la chasse ont été relevées par les services de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) ([40]). La direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice a, quant à elle, indiqué à vos rapporteurs qu’au cours des cinq dernières années, il n’y a eu que deux condamnations prononcées pour des actes d’entrave à un acte de chasse sur le fondement de l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement.

Ces chiffres sont toutefois à mettre au regard des actions d’entraves recensées par les fédérations de chasseurs. Ainsi, la Société de vénerie dénombre, pour la seule chasse à courre, plus de 200 actions d’entrave par an sur les saisons de chasse 2018-2019 et 2019-2020, dont les deux tiers sont, selon son président, des actions de sabotage importantes accompagnées d’une volonté de gêner l’action de chasse ([41]). Si la Société estime qu’une centaine de plaintes a été déposée lors des trois dernières saisons de chasse, seule une dizaine aurait été instruite. Elle l’explique tant par la difficulté de qualification des faits que par la mauvaise documentation de certaines plaintes (notamment l’apport de preuves) ainsi que par le faible nombre d’agents habilités à constater cette infraction.

À cet égard, l’OFB a précisé, au cours de son audition, qu’elle disposait d’un effectif de 1 800 inspecteurs de l’environnement, mais que ces derniers sont également investis d’attributions de police administrative et que leur champ de compétence (eau, espaces naturels, flore et faune sauvage, chasse, pêche, etc.) excède largement celui des entraves à des actes de chasse. À ces difficultés s’ajoutent celles liées à l’étendue des surfaces, essentiellement forestières, sur lesquelles l’infraction d’entrave à la chasse peut être commise, ce qui rend difficile sa constatation.

La Société de vénerie considère, par ailleurs, que le montant de l’amende prévue en cas d’entrave à la chasse n’est pas assez dissuasif, dans la mesure où celui-ci est, le cas échéant, pris en charge par les associations dont les personnes commettant des actes d’entrave sont souvent membres.

De son côté, la porte-parole de l’association Abolissons la vénerie aujourd’hui (AVA) estime que l’imprécision qui entoure la notion d’obstruction à un acte de chasse empêche cette contravention d’être effective, que la présence d’opposants à la chasse à courre ou de promeneurs n’empêche matériellement pas la tenue de la chasse et que, si un acte d’obstruction venait à être constaté, sa sanction serait probablement inconstitutionnelle car celle-ci irait à l’encontre de la liberté d’opinion et d’expression.

Interrogée par vos rapporteurs sur ce point, la direction des affaires criminelles et des grâces leur a indiqué qu’il n’est « pas certain que cette contravention, qui n’a jamais été examinée par le Conseil constitutionnel, soit jugée conforme aux articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui protègent la liberté de manifestation ».

Le 2° de l’article unique de la proposition de loi, adoptée par le Sénat le 1er octobre 2019, tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés ainsi qu’à la tenue des événements et à l’exercice d’activités autorisées par la loi crée un délit, puni d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 5 000 euros d’amende, pour les « actes d’obstruction ayant pour effet d’empêcher le déroulement d’activités sportives ou de loisir exercées dans un cadre légal », ce qui inclut l’entrave à des actes de chasse, qui sont des activités de loisir.

Vos rapporteurs reprennent cette proposition, qu’ils estiment de nature à améliorer la répression des entraves à des actes de chasse et, plus généralement, à des loisirs exercés de façon licite, en rendant plus dissuasives les sanctions.

Il conviendrait cependant :

– de modifier la formulation « exercées dans un cadre légal », qui laisse penser qu’il ne s’agit que des activités sportives ou de loisir dont le cadre d’exercice relève, en application de l’article 34 de la Constitution, du domaine de loi. Ainsi, pourraient utilement s’y substituer les mots « autorisées et exercées conformément à la loi ou au règlement » ;

– d’ajouter aux actes d’obstruction permettant de qualifier l’entrave les moyens de menaces et d’intrusion ;

– de préciser que les actes de menaces, d’obstruction et d’intrusion condamnables doivent avoir pour effet ou pour objet, et non pour seul effet, d’empêcher le déroulement d’activités sportives ou de loisir, afin de permettre la sanction de la mise en œuvre de procédés d’entrave, indépendamment des effets que ces derniers produisent. Du reste, cette formulation figure à l’article 222-33-2-2 du code pénal, en matière de harcèlement moral ([42]) ;

– d’abroger en conséquence, par voie réglementaire, l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement auquel est inscrite la contravention d’entrave à la chasse, qui serait incluse dans un délit au champ plus large.

Recommandation n° 3 : Introduire un nouvel alinéa à l’article 431-1 du code pénal afin de punir d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 5 000 euros d’amende les actes de menaces, d’obstruction et d’intrusion ayant pour effet ou pour objet d’empêcher le déroulement d’activités sportives ou de loisir autorisées et exercées conformément à la loi ou au règlement et abroger, en conséquence, l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement relatif à la contravention d’obstruction à un acte de chasse, qui serait rendue superfétatoire par l’introduction de ce nouveau délit.

B.   L’application de l’entrave au travail est trop restrictive

Bien que la direction des affaires criminelles et des grâces ait invité, par une dépêche du 22 février 2019, les procureurs et procureurs généraux, à notamment relever la qualifications pénale d’entrave à la liberté du travail en plus des dégradations et menaces, il est important de noter que pour être qualifiée, cette infraction prévue à l’article 431-1 du code pénal nécessite :

– qu’elle soit commise d’une manière concertée, ce qui suppose, comme pour l’actuelle contravention d’obstruction à un acte de chasse, qu’au moins deux personnes soient impliquées et qu’une forme de préméditation puisse être démontrée ;

– qu’elle soit réalisée en employant certains moyens : soit les menaces ([43]), soit les coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations ([44]).

Outre les difficultés soulevées par la concertation qui ont été évoquées pour l’entrave à la chasse ([45]), les moyens permettant de qualifier l’infraction ont tous, actuellement, un caractère plus ou moins violent, qu’il s’agisse de violences verbales ou physiques : c’est évidemment le cas des coups, violences, dégradations et destructions, mais également des menaces, écrites ou verbales, c’est-à-dire des gestes ou paroles suscitant des craintes « de telle nature qu’un homme normalement énergique qui en est l’objet soit amené à agir contre sa propre volonté et à faire ce qu’il ne veut pas faire ([46]) » et des voies de fait. En effet, si ces dernières ne nécessitent pas forcément de violences physiques, le professeur Romain Ollard a indiqué, dans sa contribution adressée à vos rapporteurs, qu’elles « impliquent des actes menaçant de nature à provoquer une vive émotion chez la victime ».

Dès lors, une certaine forme de violence, même verbale, serait nécessaire pour caractériser le délit d’entrave. Or, comme il a été exposé en première partie du présent rapport, de nombreuses entraves ne prennent plus, aujourd’hui, la forme d’actions violentes ou menaçantes. Elles n’en sont pas moins bloquantes pour l’exercice d’activités légales, qu’il s’agisse d’activités professionnelles – pour lesquelles il s’agit alors d’entraves à la liberté du travail – ou de loisir, telles que la chasse.

La proposition de loi, adoptée par le Sénat le 1er octobre 2019, tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisés par la loi entendait répondre aux difficultés soulevées par l’actuelle rédaction de l’article 431-1 du code pénal, en particulier s’agissant de l’entrave à la liberté du travail.

Tout d’abord, le c) du 1° de l’article unique de la proposition de loi étend le délit d’entrave puni par le premier alinéa de l’article 431-1 du code pénal d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende à l’exercice d’une activité commerciale, artisanale ou agricole exercée dans un cadre légal. Cette proposition du Sénat ne semble toutefois pas apporter de réelle plus-value par rapport la rédaction actuelle de cet article du code pénal, dans la mesure où :

– dans la plupart des cas, l’entrave à ces activités professionnelles constitue une entrave à la liberté du travail, déjà réprimée par l’article 431-1 du code pénal ;

– dans les rares cas où l’entrave à ces activités professionnelles ne s’apparente pas à une entrave à la liberté du travail, ces entraves peuvent alors être sanctionnées plus sévèrement soit sur le fondement du chantage (puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ([47])), soit sur le fondement d’une discrimination consistant à entraver l’exercice normal d’une activité économique (punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ([48])), si la liste des mobiles de discrimination inscrite à l’article 225-1 du code pénal est étendue à l’activité professionnelle, conformément aux recommandations du présent rapport ([49]).

Ensuite, le a) du 1° de l’article unique de la proposition de loi étend la liste des moyens par lesquels le délit d’entrave puni par le premier alinéa de l’article 431-1 du code pénal d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende peut être commis. En l’absence de menaces, les actes d’obstruction ou d’intrusion pourraient ainsi permettre de qualifier l’infraction.

L’ajout des actes d’intrusion vise un double objectif : il permettrait tout d’abord de sanctionner des phénomènes d’obstruction qui, sans être accompagnés d’une certaine forme de violence, n’en sont pas moins gênants pour les personnes qui en sont victimes. Il permettrait en outre, comme exposé ci-dessous ([50]), de répondre à la difficulté de sanctionner des entraves accompagnées d’intrusions lorsque ces dernières ne peuvent être qualifiées de violation de domicile, notamment du fait du caractère non clos des propriétés dans lesquelles il est pénétré.

Les actes d’obstruction, même s’ils peuvent parfois être difficiles à distinguer de la voie de fait, plus sévèrement réprimée – trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende – pourraient utilement être ajoutés à la liste des moyens potentiels de commission d’un délit d’entrave car ils ne présentent pas forcément de caractère violent.

Recommandation n° 4 : Modifier le premier alinéa de l’article 431-1 du code pénal afin :

– d’ajouter les actes d’intrusion et d’obstruction à la liste des moyens par lesquels peut être commis le délit d’entrave puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ;

– de supprimer la condition de concertation aujourd’hui nécessaire à la qualification du délit d’entrave, qui empêche aujourd’hui la sanction d’une action d’entrave réalisée par un individu isolé.

Par ailleurs, un jugement du tribunal de grande instance d’Évreux en date du 5 novembre 2019 a été porté, au cours des auditions, à la connaissance de vos rapporteurs. Ce jugement considère que le délit d’entrave à la liberté du travail ne peut être caractérisé que si les actions conduites sont « de nature à compromettre la poursuite des exploitations » et qu’une « simple gêne dans l’activité professionnelle est insuffisante à [le] caractériser ».

Si un simple trouble à l’activité professionnelle a pu être considéré comme insuffisant pour qualifier le délit d’entrave ([51]), le critère de compromission de la poursuite des exploitations, retenu par le tribunal d’Évreux, semble toutefois, au regard de l’analyse fournie par le professeur Romain Ollard, excessivement restrictif et contraire au principe d’interprétation stricte de la loi pénale.

C’est en effet ce que confirme la jurisprudence : ont ainsi pu être sanctionnés le fait, pour des grévistes, de se placer devant un train sur la voie pour empêcher sa circulation ([52]) ou encore le fait, pour un salarié, de participer à un barrage et de se placer devant le portail d’une centrale EDF pour en empêcher l’accès ([53]). Il ressort de cette jurisprudence qu’un empêchement à l’exercice de la liberté du travail est suffisant pour caractériser l’infraction, sans qu’il soit nécessaire que l’entrave soit de nature à compromettre durablement la poursuite de l’activité économique concernée.

C.   L’intrusion dans une propriété agricole sans violation de domicile est difficile à sanctionner

Si, comme il a été évoqué dans la deuxième partie du rapport, un local industriel ou commercial est assimilé par la jurisprudence à un domicile dans le cadre du délit de violation de domicile prévu à l’article 226-4 du code pénal, cette infraction est généralement difficile à qualifier dans le cadre d’intrusions dans des propriétés agricoles. En effet, la jurisprudence requiert, pour que puisse être qualifiée une violation de domicile dans des locaux professionnels, que ces derniers soient clos et que leur accès soit réglementé ([54]). Il en ressort :

– tout d’abord, que seuls les lieux privés peuvent faire l’objet d’une violation de domicile, et non les lieux auxquels le public a librement accès. Un commerce, à ses horaires d’ouverture, ne peut ainsi faire l’objet d’une violation de domicile, contrairement, par exemple, à un abattoir – et seulement si l’accès à celui-ci est clos ;

– ensuite, que la violation de domicile nécessite le franchissement d’une enceinte matérielle qui symbolise la limite du domicile. Si la jurisprudence a ainsi pu considérer qu’une dépendance immédiate d’une habitation, comme un jardin, pouvait être qualifiée de domicile ([55]), tel n’est pas le cas d’un terrain nu, comme peut l’être le champ d’un agriculteur, qui n’est pas une dépendance immédiate d’une habitation et qui n’est pas clos ;

– enfin, à titre de rappel, que l’introduction dans le domicile doit être réalisée par l’un des moyens prévus à l’article 226-4 du code pénal (manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte).

S’agissant des exploitations agricoles, la violation de domicile n’est donc, du fait des critères présentés ci-dessus, que rarement qualifiée dans le cas d’entraves accompagnées d’actes d’intrusions. Elle est toutefois susceptible d’être retenue en cas d’introduction dans un lieu clos, le moyen de contrainte pouvant être établi en cas d’intrusion en masse d’un groupe de personnes. De même, selon la direction des affaires criminelles et des grâces, la voie de fait peut consister en l’escalade d’un mur afin de pénétrer illicitement sur une exploitation agricole.

Si une solution pour mieux sanctionner l’intrusion dans une propriété agricole pourrait consister à modifier le délit de violation de domicile pour en faire un délit de simple introduction dans le domicile (voire dans la propriété immobilière) d’autrui, celle-ci doit cependant être écartée tant elle semble restrictive des libertés, en permettant, par exemple, la condamnation de simples promeneurs ou chasseurs.

À cet égard, une telle évolution irait certainement à l’encontre de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en matière de violation du domicile professionnel que M. Pascal Bougy, avocat général de la cour d’appel de Rennes, a portée à la connaissance de vos rapporteurs. Celle-ci semble même plus restrictive que la jurisprudence nationale, en considérant que si les locaux de professionnels libéraux ([56]) ou les sièges sociaux d’entreprises ([57]) peuvent être considérés comme des domiciles, tel n’est pas le cas de locaux industriels ou agricoles, comme une porcherie ([58]).

Dès lors, il semble préférable, en complément de la recommandation n° 3 consistant à ajouter les actes d’intrusion à la liste des moyens permettant de qualifier le délit d’entrave prévu à l’article 431-1 du code pénal ([59]), d’incriminer spécifiquement l’introduction dans certains lieux déterminés, comme cela est déjà prévu pour les établissements scolaires ([60]), les établissements pénitentiaires ([61]) ou encore les installations nucléaires ([62]). Ainsi, il serait possible de sanctionner l’introduction sans droit dans un lieu où sont exercées, de façon licite, des activités commerciales, industrielles, artisanales, agricoles ou de loisir, dans le but de troubler la tranquillité ou le déroulement normal de l’activité qui y est exercée.

Un tel délit pourrait s’accompagner de circonstances aggravantes :

– lorsque ces activités sont soumises au respect de prescriptions sanitaires prévues par le droit de l’Union européenne, la loi ou le règlement et que l’introduction dans le lieu présente un risque sanitaire pour l’homme, les animaux ou l’environnement. Serait par exemple concerné, au titre de l’obligation d’agrément sanitaire prévue par le règlement (CE) n° 853/2004 ([63]) fixant des règles spécifiques d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale, tout établissement qui prépare, transforme, manipule ou entrepose des produits d’origine animale ou des denrées en contenant et qui commercialise ces produits auprès d’autres établissements ;

– en cas d’intrusion dans le but de filmer ou de capter les paroles prononcées dans ces lieux aux fins d’espionner autrui ou l’activité d’autrui ou de rendre publiques les images ou paroles captées.

Recommandation n° 5 : Introduire, dans le code pénal, un délit punissant d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende l’introduction sans droit dans un lieu où sont exercées, de façon licite, des activités commerciales, industrielles, artisanales, agricoles ou de loisir, dans le but de troubler la tranquillité ou le déroulement normal de l’activité qui y est exercée.

Prévoir des circonstances aggravantes lorsque :

– les activités concernées sont soumises au respect de prescriptions sanitaires prévues par le droit de l’Union européenne, la loi ou le règlement et que l’introduction dans le lieu présente un risque sanitaire pour l’homme, les animaux ou l’environnement ;

– le but de l’introduction est de filmer ou capter les paroles prononcées dans ces lieux aux fins d’espionner autrui ou l’activité d’autrui ou de rendre publiques les images ou paroles captées.

D.   Une extension des mobiles discriminatoires permettrait de sanctionner l’entrave à l’exercice de certaines professions

Comme évoqué dans la deuxième partie du rapport, certaines formes d’entraves peuvent être sanctionnées au titre de la législation sur les discriminations, s’agissant notamment du 2° de l’article 225-2 du code pénal sanctionnant la discrimination lorsqu’elle consiste à entraver l’exercice normal d’une activité économique.

Toutefois, les mobiles discriminatoires prévus pour l’application de cet article, limitativement énumérés à l’article 225-1 du code pénal ([64]), ne permettent pas forcément de sanctionner des personnes entravant des activités économiques du fait même de la nature de ces activités. À ce titre, même le mobile de discrimination lié à l’opinion politique ne semble pas trouver à s’appliquer : ce mobile ne doit en effet pas s’appliquer à l’auteur de la discrimination (par exemple une personne s’opposant politiquement à l’élevage ou à l’abattage d’animaux) mais à la victime de la discrimination.

Il n’existe aujourd’hui pas, en droit, de mobile de discrimination lié à la nature de l’activité professionnelle exercée. Pourtant, de telles discriminations, qui ont été relatées à vos rapporteurs au cours des auditions, peuvent se produire : tel est par exemple le cas d’une entreprise essuyant un refus de la part d’un transporteur du fait de la nature des biens à transporter.

Dès lors, afin de permettre la sanction, pour un mobile lié à l’activité professionnelle, de discriminations lorsqu’elles conduisent à entraver l’exercice normal d’une activité économique, il conviendrait de modifier l’article 225-1 du code pénal afin d’ajouter à la liste des mobiles figurant à cet article la discrimination en raison de l’activité professionnelle.

Ce faisant, cet ajout permettrait de sanctionner aussi bien des personnes boycottant des personnes ou des entreprises en raison de la nature même de leur activité professionnelle, alors même que celle-ci est licite, que des personnes appelant au boycott, dans la mesure où cela entraverait effectivement l’activité professionnelle de l’entreprise.

L’ajout d’un mobile discriminatoire lié à l’activité professionnelle soulève toutefois des difficultés dans certaines situations : il est par exemple normal que, dans le cadre d’un recrutement, la sélection entre les candidats s’effectue en fonction de l’activité professionnelle qu’ils ont jusqu’alors exercée, qui constitue leur expérience professionnelle. Dès lors, en cas de modification de la liste des mobiles discriminatoires inscrite à l’article 225-1 du code pénal, il serait nécessaire, par coordination, d’étendre la liste des exceptions aux sanctions en matière de discrimination fixée à l’article 225-3 du même code. Comme sont aujourd’hui non constitutives d’infractions les discriminations fondées sur l’état de santé pour la prévention et la couverture du risque décès, ou encore celles fondées sur la nationalité pour le refus d’embauche découlant des dispositions statutaires de la fonction publique, il serait nécessaire de prévoir des exceptions pour les cas où l’activité professionnelle exercée constitue un motif légitime de discrimination, par exemple dans le cadre d’une embauche.

Recommandation n° 6 : À l’article 225-1 du code pénal, ajouter l’activité professionnelle à la liste des mobiles constitutifs de discriminations, afin de punir de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, en application de l’article 225-2 du même code, les discriminations entravant l’exercice d’activités économiques sur le fondement de l’activité professionnelle exercée. Modifier en conséquence l’article 225-3 dudit code, afin d’exclure du champ des infractions les cas où l’activité professionnelle exercée constitue un motif légitime de discrimination.

III.   Les réseaux sociaux font évoluer les actions d’entrave et nécessitent de modifier les délits de diffamation collective, d’incitation à la discrimination et de harcèlement

Outre la qualification de harcèlement moral, qui peut déjà trouver à s’appliquer en application de l’article 222-33-2-2 du code pénal pour des propos ou comportements répétés sur internet ou sur les réseaux sociaux ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ([65]), il est nécessaire de renforcer l’arsenal législatif pour mieux lutter contre les actions qui peuvent être menées sur internet à l’encontre des personnes réalisant des activités pourtant légales, dans le respect du cadre constitutionnel dessiné par la décision du Conseil constitutionnel n° 2020‑801 DC du 18 juin 2020 relative à la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet.

Le Conseil constitutionnel a, en effet, considéré que la régulation des contenus sur les réseaux sociaux doit, en dépit de la pertinence de son objectif, ne porter qu’une atteinte adaptée, nécessaire et proportionnée à la liberté d’expression.

Dès lors, un renforcement du cadre pénal relatif à la diffamation et à la discrimination s’avère nécessaire pour mieux répondre à l’évolution des actes d’entrave qui, bien souvent, se déroulent – ou dans certains cas se prolongent – sur les réseaux sociaux.

A.   Certaines actions d’entrave s’accompagnent de propos diffamatoires, souvent propagés sur les réseaux sociaux

Si la diffamation est définie et sanctionnée par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et que le délit de diffamation peut s’appliquer à une personne morale tout comme à une personne physique, le droit existant ne permet pas, dans de nombreux cas, de sanctionner effectivement les auteurs de diffamation à l’encontre de professionnels en raison de leur activité.

Outre les faits qui ont été signalés à vos rapporteurs au cours des auditions, le professeur Romain Ollard, également auditionné, a précisé que la jurisprudence en la matière considère en principe que les propos diffamatoires tenus à l’encontre de groupements trop larges, spécialement lorsqu’ils sont dépourvus de la personnalité morale, sont trop indéterminés dans leur contenu pour être sanctionnés. Tel est notamment le cas d’allégations ou d’imputations d’un fait portant atteinte à l’honneur de l’ensemble des membres d’une profession ([66]).

Afin qu’une diffamation puisse être reconnue à l’encontre d’un groupe, il est nécessaire que ce groupe soit précisément défini et suffisamment restreint pour que chacun de ses membres puisse se sentir individuellement diffamé : tel a pu être le cas, par exemple, de maires d’arrondissement de Paris ([67]).

De même, comme il a été évoqué dans la deuxième partie du rapport, une diffamation à l’encontre d’un groupe de personnes peut être reconnue lorsqu’elle découle d’un mobile discriminatoire limitativement énuméré par l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ([68]).

L’idée de diffamation collective, relativement ancienne, semble plutôt prospérer dans les pays dits de « common law », où l’arrêt de la Cour suprême américaine de 1952 Beauharnais v. Illinois, dans lequel le juge a considéré que la liberté d’expression ne primait pas sur un discours d’incitation à la haine raciale, en est peut-être l’exemple le plus célèbre.

Mais, même dans ces pays, il semblerait que la diffamation, si elle peut être collective, doit être conciliée avec la liberté constitutionnelle d’opinion et d’expression. Il en résulte que la diffamation doit atteindre personnellement certaines personnes, ou tout du moins viser un groupe dont certains membres sont désignés ou facilement identifiables, pour que les personnes concernées puissent intenter une action sur le fondement de la diffamation et demander, le cas échéant, une compensation ou des dommages et intérêts ([69]).

Du reste, M. Pascal Bougy a souligné auprès de la mission d’information que la jurisprudence française était particulièrement protectrice de la liberté d’expression en matière de diffamation : afin que chacun puisse s’exprimer librement, dès lors qu’il n’en découle pas d’agression pour autrui, la diffamation doit causer un préjudice personnel à certains individus pour pouvoir être qualifiée.

Malgré les limites entourant la sanction de la diffamation d’un groupe de personnes, il serait intéressant d’étendre la liste des mobiles discriminatoires sur le fondement desquels une personne ou un groupe de personne peuvent être diffamés. Une diffamation publique à l’encontre d’un groupe de personnes, même si celui-ci doit être suffisamment restreint, pourrait ainsi être reconnue lorsqu’elle se fonde sur l’activité professionnelle ou les loisirs pratiqués par ce groupe – par exemple, les employés d’un abattoir ou les adhérents d’une fédération de chasse.

La diffamation publique pouvant être commise par le biais d’internet et des réseaux sociaux, une telle modification renforcerait la lutte contre les diffamations propagées sur les réseaux sociaux que subissent les personnes exerçant certaines activités professionnelles ou pratiquant certains loisirs tels que la chasse.

Recommandation n° 7 : Sur le modèle du troisième alinéa de l’article 32 la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, introduire dans le code pénal un délit punissant d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la diffamation publique commise à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de l’activité professionnelle ou des loisirs des personnes diffamées. Procéder, en conséquence, à des modifications, par voie réglementaire, du code pénal s’agissant des contraventions d’injure et de diffamation non publique.

B.   La provocation à la discrimination sur les réseaux sociaux ne doit pas être possible à l’encontre de personnes pratiquant légalement une activité

Comme évoqué dans la deuxième partie du rapport, certaines formes d’entraves peuvent être sanctionnées au titre de la législation sur les discriminations. C’est notamment le cas de l’alinéa 7 de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse sanctionnant la provocation à la discrimination.

Toutefois, les mobiles discriminatoires prévus pour l’application de la provocation à la discrimination sont limitativement énumérés par la loi ([70]) et ne permettent pas de sanctionner des personnes appelant à discriminer du fait même de la nature des activités professionnelles ou de loisir de ceux qui sont visés.

Comme pour l’entrave fondée sur une discrimination ([71]), il n’existe pas, aujourd’hui, de mobile de discrimination lié à la nature de l’activité professionnelle exercée ou aux loisirs pratiqués. Il n’est pourtant pas impossible d’appeler à la discrimination ou au boycott, en particulier sur les réseaux sociaux ou par email, sur le fondement de l’activité professionnelle exercé ou du loisir pratiqué par une personne. Vos rapporteurs ont ainsi entendu, au cours de leurs auditions des exemples d’entreprises ou de particuliers, éleveurs, agriculteurs, chasseurs, etc. victimes de telles actions.

Dès lors, afin de permettre la sanction, pour un mobile lié à l’activité professionnelle ou aux loisirs, de provocations à la discrimination, il conviendrait de modifier l’alinéa 7 de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse afin d’ajouter à la liste des mobiles figurant à cet article, la discrimination en raison de l’activité professionnelle ou des loisirs.

Interrogée sur la pertinence d’une évolution de cet article 24, la direction des affaires criminelles et des grâces a tenu à préciser que cet article ne réprimait l’appel à la provocation que de certains crimes et délits limitativement énumérés, car toute extension soulèverait « la question des équilibres à trouver afin de ne pas porter atteinte de façon disproportionnée à la liberté d’expression ».

Toutefois, il apparaît à vos rapporteurs que ces ajouts, qui faciliteraient la sanction de personnes appelant au boycott, permettraient de mieux lutter contre les appels à l’entrave qui peuvent être émis sur les réseaux sociaux par des membres ou des sympathisants d’associations et de collectifs, l’infraction de provocation à la discrimination étant applicable aux contenus publiés sur internet et sur les réseaux sociaux.

Recommandation n° 8 : Sur le modèle du septième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, introduire dans le code pénal un délit punissant d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la provocation à la discrimination à l’encontre d’une personne sur le fondement de son activité professionnelle ou de ses loisirs.

 


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   Travaux des Commissions

Lors de leur réunion du mardi 26 janvier 2021, la commission des Lois, la commission des Affaires économiques et la commission du Développement durable ont examiné ce rapport d’information et en ont autorisé la publication.

Ces débats ne font pas l’objet d’un compte rendu. Ils sont accessibles sur le portail vidéo du site de l’Assemblée à l’adresse suivante :

http://assnat.fr/5NldmQ

  

 


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   Recommandations de la mission d’information

Vos rapporteurs recommandent, en premier lieu, de modifier la rédaction de l’article 431-1 du code pénal relatif au délit d’entrave. En la matière, vos rapporteurs préconisent :

– d’y introduire un nouvel alinéa visant à punir d’une peine de six mois d’emprisonnement et de 5 000 euros d’amende les actes de menaces, d’obstruction et d’intrusion ayant pour effet ou pour objet d’empêcher le déroulement d’activités sportives ou de loisir autorisées et exercées conformément à la loi ou au règlement. Ils proposent, en conséquence, d’abroger l’article R. 428-12-1 du code de l’environnement relatif à la contravention d’obstruction à un acte de chasse, qui serait satisfaite par l’introduction de ce nouveau délit (recommandation  3) ;

– d’ajouter les actes d’intrusion et d’obstruction à la liste des moyens par lesquels le délit d’entrave puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende peut être commis (recommandation  4) ;

– de supprimer la condition de concertation aujourd’hui nécessaire à la qualification du délit d’entrave, qui empêche actuellement la sanction d’une action d’entrave réalisée par un individu isolé (recommandation  4).

En deuxième lieu, vos rapporteurs recommandent d’introduire, dans le code pénal, un délit punissant d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende l’introduction sans droit dans un lieu où sont exercées, de façon licite, des activités commerciales, industrielles, artisanales, agricoles ou de loisir, dans le but de troubler la tranquillité ou le déroulement normal de l’activité qui y est exercée. Cela faciliterait la qualification pénale d’actes d’intrusion dans certains établissements professionnels, en particulier agricoles, pour lesquels une infraction de violation de domicile ne peut être qualifiée du fait du caractère non clos de la propriété (recommandation  5).

Ce délit pourrait être accompagné de circonstances aggravantes :

– lorsque les activités concernées sont soumises au respect de prescriptions sanitaires prévues par le droit de l’Union européenne, la loi ou le règlement et que l’introduction dans le lieu présente un risque sanitaire pour l’homme, les animaux ou l’environnement (recommandation  5) ;

– lorsque le but de l’introduction est de filmer ou capter les paroles prononcées dans ces lieux aux fins d’espionner autrui ou l’activité d’autrui ou de rendre publiques les images ou paroles captées (recommandation  5).

En troisième lieu, vos rapporteurs considèrent que certaines actions d’entrave prennent une forme s’apparentant à une discrimination, dont le mobile serait l’activité professionnelle ou de loisir pourtant pratiquée de façon licite. Ce phénomène s’étend également sur les réseaux sociaux, ou les diffamations et les incitations à la discrimination se multiplient envers les agriculteurs, les éleveurs, les commerçants ou les chasseurs. C’est pourquoi vos rapporteurs recommandent :

– d’ajouter, à l’article 225-1 du code pénal, l’activité professionnelle à la liste des mobiles constitutifs de discriminations, afin de punir de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, en application de l’article 225-2 du même code, les discriminations entravant l’exercice d’activités économiques sur le fondement de l’activité professionnelle exercée. Cela nécessiterait toutefois de modifier en conséquence l’article 225-3 dudit code, afin d’exclure du champ des infractions les cas où l’activité professionnelle exercée constitue un motif légitime de discrimination (recommandation  6) ;

– d’introduire, dans le code pénal, un délit punissant d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la diffamation publique commise à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de l’activité professionnelle ou des loisirs des personnes diffamées. Il conviendrait, en conséquence, de procéder à des modifications, par voie réglementaire, du code pénal s’agissant des contraventions d’injure et de diffamation non publique (recommandation  7) ;

– d’introduire, dans le code pénal, un délit punissant d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la provocation à la discrimination à l’encontre d’une personne sur le fondement de son activité professionnelle ou de ses loisirs (recommandation  8).

En quatrième lieu, afin d’améliorer l’effectivité de la réponse pénale, vos rapporteurs recommandent de rappeler aux parquets, le cas échéant par une nouvelle dépêche, la nécessité de s’emparer de la qualification pénale d’entrave à la liberté du travail en plus de celles de dégradations et de menaces, aujourd’hui trop peu utilisées bien que celle-ci figure dans la dépêche du 22 février 2019 de la direction des affaires criminelles et des grâces (recommandation n° 1).

En dernier lieu, vos rapporteurs rappellent qu’aujourd’hui, de nombreuses entraves ne donnent pas lieu à un dépôt de plainte, alors que cette étape est impérative pour que les parquets en aient connaissance et engagent des poursuites. Aussi, ils recommandent de charger les ministères de l’agriculture, de l’environnement et de l’intérieur de mener une campagne d’information en direction des professionnels pour leur faire connaître les voies d’actions s’offrant à eux, tant en matière civile et pénale (recommandation  2).

 

 


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   Liste des personnes entendues

(par ordre chronologique)

   M. le Général de division Jean-Philippe Lecouffe, sous-directeur de la police judiciaire

   M. le Colonel Bertrand Pallot, chargé de mission à la direction des opérations et emploi

   M. Gilbert Guignan, secrétaire adjoint et président de la chambre régionale d’agriculture Auvergne-Rhône-Alpes

   M. Enzo Reulet, chargé d’affaires publiques

   M. Thomas Charat, président de la commission « Droit et entreprise »

   M. Étienne Lesage, membre de la commission « Liberté et droits de l’Homme »

   M. Frédéric Puigserver, directeur du service des affaires juridiques

   M. Paul Rapion, directeur adjoint départemental des territoires et de la mer d’Ille-et-Vilaine

   M. Sébastien Loret, commissaire de police, chef du service régional du renseignement territorial de Normandie

   M. le Colonel Alain Vaillant, officier adjoint territorial pour la région de gendarmerie de Normandie

   M. Étienne Thieffry, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Dieppe

   Mme Hélène Dal Corso, cheffe de la sécurité sanitaire des aliments à la direction départementale de la protection des populations de la Seine-Maritime

   Mme Élodie Lecaplain-Sharma, directrice adjointe de cabinet, directrice des sécurités à la préfecture de la Seine-Maritime

   M. Jean-Claude San Miguel, président

   M. Willy Schraen, président

   M. Nicolas Rivet, directeur général

   M. Jean-Michel Dapvril, directeur délégué en charge du juridique

   M. Thierry Coste, conseiller politique

   Mme Louison Camus, responsable juridique

   M. Didier Delzescaux, directeur

   M. Mathieu Pecqueur, directeur général

   M. Étienne Gangneron, vice-président

   Mme Clémence Artus, juriste

   M. Guillaume Cabot, agriculteur et membre du conseil d’administration

   M. Romain Fontaine, chef du service syndical

   M. Alexandre Armel, secrétaire général

   M. Christian Reynaud, trésorier

   M. Éric Maillaud, procureur de Clermont-Ferrand

   M. Rémi Coutin, procureur de Chartres

   M. Jean-Raymond Dumas, trésorier

   M. Victor Martinet, responsable

   M. Hugues Beyler, directeur « Agriculture »

   Mme Cécile Rognoni, directrice des affaires publiques

   Mme Marie-Sophie Curtelet, secrétaire générale

   M. Gérard Poyer, président

   M. Benoît Fradin, membre

   M. Bernard Vallat, président

   M. Fabien Castanier, délégué général

   M. Pierre de Roualle, président

   M. Laurent Facques, responsable communication Picardie

   M. Christophe Joubert, responsable de l’animalerie centrale

   M. Nicolas Bureau, responsable des affaires publiques

   Mme Léa Le Faucheur, porte‑parole

   Mme Charlotte Crépon, directrice de la police et du permis de chasser

   Mme Marion, Brulez chef du service police judiciaire

   M. Marc Michelot, chargé de mission sur la police administrative

   Mme Lucile Rolland, cheffe

   M. Olivier Métivet, commissaire divisionnaire

   M. Olivier Caracotch, adjoint au directeur

   Mme Mathilde Barrachat, rédactrice au bureau de la législation pénale spécialisée

   M. Claude Tabel, président du directoire et président de l’Union française des semenciers (UFS)

 

 

 


([1]) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

([2]) Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur les activistes anti-spécistes violents et sur les atteintes à la « liberté alimentaire » (XVème législature, n° 1343, 24 octobre 2018).

([3]) Proposition de loi présentée par M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues, tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisés par la loi (n° 23 (2018-2019), 9 octobre 2018).

([4]) France nature environnement, Greenpeace et WWF France.

([5]) Voir le A du IV de la présente partie du rapport.

([6]) Voir le A du IV de la présente partie du rapport.

([7]) Voir le A du IV de la présente partie du rapport.

([8]) Ensemble des infractions commises dans des exploitations agricoles, qu’elles soient liées ou non à l’activité agricole.

([9]) Audrey Garric, « 269 Life, les enragés de la protection animale », Le Monde, 27 avril 2017

([10]) Site internet d’AVA : https://ava-france.org/notreaction/.

([11]) https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-ministres-de-l-Interieur/Archives-Christophe-Castaner/Dossiers-de-presse/Presentation-de-DEMETER-la-cellule-nationale-de-suivi-des-atteintes-au-monde-agricole

([12]) Ou de la liberté de diffusion de la création artistique.

([13]) Voir le A du II de la présente partie du rapport.

([14]) L’origine, le sexe, la situation de famille, la grossesse, l’apparence physique, la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur, le patronyme, le lieu de résidence, l’état de santé, la perte d’autonomie, le handicap, les caractéristiques génétiques, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’âge, les opinions politiques, les activités syndicales, la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée d’une personne physique ou des membres ou de certains membres d’une personne morale.

([15]) Cass. crim. 22 mai 2012, Bull. n° 131 ; Cass. crim. 20 octobre 2015, Bull. n° 227 ; CEDH, 11 juin 2020, Baldassi c/ France, §81.

([16])C’est-à-dire par « des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ».

([17]) Le 8 avril 2019, le Tribunal correctionnel de Lille a condamné à une peine de 6 mois et 10 ans d’emprisonnement deux militants antispécistes sur ce fondement, pour avoir dégradé et incendié plusieurs boucheries.

([18]) Cass. crim. 3 janvier 2006, Bull. n° 1.

([19]) C’est-à-dire par « des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ».

([20]) Voir le 3 du A du I de la présente partie.

([21]) Article 312-10 du code pénal.

([22]) Cass. crim, 23 mai 1995, Bull. n° 193.

([23]) Les difficultés de qualification des intrusions dans les propriétés agricoles, et, plus généralement, de certaines actions d’entrave, sont exposées dans le B du II de la troisième partie du présent rapport.

([24]) Pour rappel, la peine est portée à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende lorsque l’entrave s’accompagne de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations.

([25]) Voir le I de la présente partie du rapport.

([26]) Voir le I de la troisième partie du rapport.

([27]) À l’exception de l’année 2018, durant laquelle le taux de poursuite s’est élevé à 77 %.

([28]) Voir le A du II de la troisième partie du rapport.

([29]) Voir le I de la troisième partie du rapport.

([30])  Crim. 26 oct. 2016, n° 15-83.774, AJ pénal 2017. 38, obs. N. Verly.

([31])  Crim. 26 févr. 2020, n° 19-81.827, D. actu.

([32])  CEDH, 11 juin 2020, Baldassi et autres c/. France, n° 15271/16.

([33]) La commission des lois a créé, mercredi 16 décembre 2020, une mission d’évaluation de cette loi, pour laquelle ont été nommés rapporteurs les députés MM. Raphaël Gauvain et Olivier Marleix.

([34]) Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger, étude du Conseil d’État adoptée le 25 février 2016.

([35]) France nature environnement, Greenpeace et WWF France.

([36]) Proposition de loi n° 2279, adoptée par le Sénat le 1er octobre 2019 et enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 octobre 2019, tendant à réprimer les entraves à l’exercice des libertés ainsi qu’à la tenue des évènements et à l’exercice d’activités autorisées par la loi 

([37]) Voir le tableau du B du II de la deuxième partie du rapport.

([38])  Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

([39]) Décret n° 2008-1109 du 29 octobre 2008.

([40]) L’ONCFS et l’Agence française pour la biodiversité ont fusionné, au 1er janvier 2020, au sein de l’Office français de la biodiversité.

([41]) Le tiers restant consistant en de simples actions d’observations par des saboteurs isolés.

([42]) Voir le 4 du B du I de la deuxième partie du rapport.

([43]) Elle est alors punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

([44]) Elle est alors punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

([45]) Voir le 1 du présent B.

([46]) Cass. crim. 5 février 1957, Bull. n° 116.

([47]) Article 312-10 du code pénal.

([48]) Article 225-2 du code pénal.

([49]) Voir le D du présent II.

([50]) Voir le 3 du présent B.

([51]) De tels troubles peuvent néanmoins conduire à une réparation, devant la juridiction civile, du préjudice subi par la perte d’exploitation résultant de ces troubles.

([52]) Cass. crim. 29 octobre 1964, Bull. n° 312.

([53]) Cass. crim. 15 mars 2011, Dr. social 2011, 733, obs. F. Duquesne.

([54]) Cass. crim. 23 mai 1995, Dr. pén. 1995, comm. 220, obs. M. Véron ;

([55]) Cass. crim. 19 juin 1957, Bull. n° 513.

([56]) CEDH, 16 décembre 1992, Niemietz c/ Allemagne, n° 13710/88.

([57]) CEDH, 16 avril 2002, Sté Colas Est et a. c/ France, n° 37971/97.

([58]) CEDH 6 sept. 2005, Leveau et Fillon c/ France, n° 63512/00.

([59]) Voir le 2 du présent B.

([60]) L’article 431-22 du code pénal punit, depuis 2010, d’un an d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes, dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement ».

([61]) L’article 434-35-1 du code pénal punit, depuis 2003, d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait de pénétrer dans un établissement pénitentiaire ou d’en escalader l’enceinte sans y être habilité en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ou y avoir été autorisé par les autorités compétentes ».

([62]) L’article L. 1333-13-12 du code de la défense punit, depuis 2016, d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait de s’introduire, sans autorisation de l’autorité compétente, à l’intérieur des locaux et des terrains clos délimités pour assurer la protection des installations nucléaires intéressant la dissuasion mentionnées à l’article L. 1411-1 [du même code] ou des établissements ou des installations abritant des matières nucléaires dont la détention est soumise à l’autorisation mentionnée à l’article L. 13332 [dudit code] ».

([63]) Règlement (CE) n° 853/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 fixant des règles spécifiques d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale.

([64]) L’origine, le sexe, la situation de famille, la grossesse, l’apparence physique, la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur, le patronyme, le lieu de résidence, l’état de santé, la perte d’autonomie, le handicap, les caractéristiques génétiques, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’âge, les opinions politiques, les activités syndicales, la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée d’une personne physique ou des membres ou de certains membres d’une personne morale.

([65]) Comme expliqué au 4 du B du I de la deuxième partie du rapport, cette infraction est également constituée lorsque ces propos ou comportements sont imposés de façon concertée à une même victime par plusieurs personnes alors même qu’aucune d’elle n’a pas agi de façon répétée ou lorsque ces propos ou comportements sont imposés à une même victime, successivement, par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition.

([66]) Cass. crim. 16 septembre 2003, Bull. n° 161, DP 2004, comm. 2.

([67]) Cass. crim. 28 octobre 1953, D. 1954, 243.

([68]) L’origine, l’appartenance ou non à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou le handicap.

([69]) Bou Malhabc. Diffusion Métromédia CMR inc., Cour d’appel du Québec, 500-09-011219-011, 24 mars 2003.

([70]) L’origine ou de l’appartenance ou non à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

([71]) Voir le D du II de la présente partie du rapport.