N° 3813

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ASSEMBLÉE   NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 janvier 2021

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DEs affaires ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 13 février 2019

sur le thème Dérèglements climatiques et conflits

et prÉsentÉ par

M. Alain DAVID et M. Frédéric PETIT

Députés

——

 

 


 


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SOMMAIRE

Pages

synthÈse des propositions ET POINTS D’attention des rapporteurs

introduction

I. des dÉrÈglements climatiques majeurs

A. la hausse des tempÉratures entraÎne la dÉsertification de certaines rÉgions

1. Une hausse globale des températures

a. Un réchauffement planétaire et qui s’accélère

b. L’effet de serre

c. Les prévisions de long terme sur la hausse des températures de surface

2. Une aggravation du phénomène de désertification

B. la montÉe du niveau de la mer menace de nombreux territoires de submersion

1. Un phénomène multifactoriel

a. La fonte des glaces

b. L’augmentation de la température de la mer (expansion thermique)

2. Une montée globale, rapide et irréversible du niveau de la mer

3. Un risque de submersion de nombreux territoires insulaires et côtiers

C. une multiplication de certains événements climatiques extrêmes

1. Des événements climatiques extrêmes plus nombreux ou plus intenses

2. Des événements climatiques extrêmes particulièrement dévastateurs dans les pays en développement

3. Des dérèglements qui affectent également la France et l’Europe

II. les consÉquences des dÉrÈglements climatiques sur les conflits

A. Une hausse des migrations dans des rÉgions dÉjà sous tension

1. Une forte progression du nombre de déplacés climatiques

2. Des dispositifs internationaux encore insuffisants

3. Un risque d’aggravation des tensions internationales

B. L’augmentation de la compÉtition pour l’accÈs aux ressources amplifie le risque de conflit

1. Une hausse du stress hydrique à l’origine de tensions

a. Une ressource en eau de plus en plus sollicitée

b. Une ressource inégalement répartie

c. Une ressource disputée

2. Une augmentation de la compétition pour l’accès à l’alimentation

a. Une insécurité alimentaire préoccupante dans de nombreuses régions du monde

b. Une insécurité alimentaire renforcée par les dérèglements climatiques

c. Une insécurité alimentaire source de tensions

3. Un impact plus diffus sur les ressources énergétiques

C. une adaptation insuffisante des armÉes et des organisations internationales aux dÉrÈglements climatiques

1. Les États-Unis pionniers en matière d’adaptation des armées aux dérèglements climatiques ()

2. La France : des actions prometteuses mais encore incomplètes qui révèlent un manque de cadre stratégique

a. La création d’un organe de réflexion : l’Observatoire « Défense et Climat »

b. L’adaptation des équipements et des infrastructures de défense aux dérèglements climatiques

i. Une nouvelle stratégie énergétique

ii. L’adaptation des équipements

iii. L’adaptation des infrastructures

c. La multiplication des opérations

d. Focus sur l’action de la France dans l’espace Indopacifique

e. Des initiatives prometteuses mais encore insuffisantes

3. Des organisations internationales qui ont mis du temps à s’intéresser à la thématique

a. L’ONU

b. L’OTAN

c. L’Union européenne

III. la diplomatie et les armÉes, acteurs clÉs de la rÉduction des risques sÉcuritaires liÉs au climat

A. mobiliser la diplomatie pour attÉnuer les dÉrÈglements climatiques et rÉduire leur impact sur les conflits

1. Atténuer les dérèglements climatiques

a. Poursuivre et renforcer l’action française et européenne lors des grandes négociations climatiques

b. Encourager la recherche et la coopération internationale sur la thématique « climat et sécurité »

2. Réduire les tensions liées aux dérèglements climatiques

a. Proposer une aide internationale aux déplacés climatiques

b. Réduire les tensions liées aux ressources naturelles

c. Intervenir plus rapidement lors des catastrophes naturelles

B. AccÉlÉrer l’adaptation des armÉes

1. Engager une réflexion stratégique de long terme sur la thématique climat et sécurité

2. Adapter l’ensemble des capacités opérationnelles aux dérèglements climatiques

a. Renforcer les capacités opérationnelles

b. Adapter les équipements aux risques climatiques

c. Adapter les infrastructures

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Liste des personnes auditionnÉes

ANNEXE 1 : RAPPORT D’un groupe de citoyens de la circonscription de frederic petit

ANNEXE 2 : Organisation de la gestion des catastrophes naturelles au bangladesh

ANNEXE 3 : le classement des pays selon leur niveau de stress hydrique (2000-2015)

ANNEXE 4 : l’INDICE de pauvretÉ en eau par État

ANNEXE 5 : la faim dans le monde

ANNEXE 6 : « les dix points clés » de la stratégie énergétique de défense (septembre 2020)

ANNEXE 7 : la prÉsence militaire française dans la zone indopacifique

ANNEXE 8 : les projets du fonds vert pour le climat


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   synthÈse des propositions ET POINTS D’attention des rapporteurs

 

 

Mobiliser la diplomatie climatique pour atténuer les dérèglements climatiques et réduire leur impact sur les conflits

 

1) Renforcer les efforts diplomatiques entrepris pour faire respecter l’Accord de Paris (COP21), en encourageant des stratégies nationales plus ambitieuses et plus concrètes ;

2) Revoir les objectifs fixés à Paris à la hausse lors des prochaines COP ;

3) Accélérer la transition énergétique de la France et de l’Union européenne pour parvenir aux objectifs de neutralité carbone affichés ;

4) Organiser une nouvelle conférence internationale de recapitalisation du Fonds vert pour le climat à Paris afin de financer des projets d’atténuation et d’adaptation aux dérèglements climatiques dans les pays en voie de développement ;

5) Renforcer le partenariat entre l’Agence française de développement (AFD) et le Fonds vert pour le climat ;

6) Utiliser la COP26 pour redéfinir les financements climat après 2020, augmenter leur montant et les orienter davantage vers les pays en développement les plus vulnérables ;

7) Promouvoir la thématique climat et sécurité au sein de toutes les organisations internationales pertinentes, et notamment au sein des organisations régionales ;

8) Soutenir la mise en œuvre de la feuille de route Changement climatique et défense proposée par le Service européen d’action extérieure (SEAE) ;

9) Organiser des sommets internationaux dédiés à la thématique et des événements parallèles (side events) lors des conférences internationales sur le climat ;

10) Maintenir une diplomatie active sur la thématique au sein du Conseil de sécurité de l’ONU et financer le développement du Mécanisme climat et sécurité ;

11) Promouvoir la thématique « climat et sécurité » au sein de l’OTAN en créant un centre de recherche dédié ;

12) Proposer un cadre juridique plus protecteur pour les déplacés climatiques ;

13) Accroître le soutien financier de la France et de l’Union européenne à la Plateforme des déplacements liés aux catastrophes (PDD) ;

14) Rechercher de nouveaux soutiens pour la PDD, dont les États-Unis ;

15) Promouvoir la création d’une enceinte politique exclusivement dédiée aux enjeux de l’eau sous l’égide des Nations unies afin de conférer une visibilité accrue aux nombreux défis sanitaires, socio-économiques et environnementaux liés aux questions hydriques ;

16) Mettre en place un ambassadeur thématique pour la ressource en eau, afin de renforcer la visibilité du sujet et d’améliorer le pilotage de la diplomatie environnementale française sur la question ([1]) ;

17) Encourager les dispositifs de coopération internationale en matière de gestion des eaux transfrontalières ;

18) Promouvoir le respect de la convention des Nations unies sur le droit de la mer ;

19) Renforcer les moyens de surveillance (bâtiments, surveillance satellitaire, oiseaux de mers équipés de balises…) ainsi que les capacités d’intervention dans les eaux sous juridiction française afin de permettre une protection adéquate de nos eaux territoriales et de nos zones économiques exclusives ([2]) ;

20) Renforcer les dispositifs d’alerte précoce, et en particulier l’initiative CREWS ;

21) Mettre en œuvre des capacités d’intervention rapide en cas de catastrophes naturelles, au niveau international et régional.

 

Accélérer l’adaptation des armées

 

22) Renforcer les moyens budgétaires et humains dédiés à l’Observatoire Défense et Climat ;

23) Intégrer pleinement la thématique climat et sécurité et climat et défense dans le prochain Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale ;

24) Institutionnaliser la réflexion stratégique sur la thématique au sein de l’état-major des armées ;

25) Renforcer l’ensemble de la gouvernance climatique au sein du ministère des armées ;

26) Adapter les moyens capacitaires des armées pour pouvoir répondre à toutes les missions et opérations, notamment en matière civilo-militaire ;

27) Multiplier les exercices militaires de secours aux populations aux niveaux interministériel, interarmées et interallié ;

28) Intégrer le lien climat et sécurité dans la formation des personnels militaires et civils du ministère des armées et dans celle des diplomates du ministère de l’Europe et des affaires étrangères ;

29) Inscrire l’adaptation aux dérèglements climatiques dans les objectifs de la politique d’innovation de défense ;

30) Utiliser les nombreux dispositifs en faveur de l’innovation et les clauses des marchés publics de l’armement pour encourager la recherche sur l’adaptation des équipements de défense aux dérèglements climatiques ;

31) Renforcer les moyens humains et financiers de la cellule écoconception de la DGA ;

32) Intégrer l’impact des dérèglements climatiques dans la cellule écoconception ou créer une cellule « climato conception » au sein de la DGA ;

33) Encourager le co-financement de nouveaux projets en matière d’adaptation des équipements de défense aux dérèglements climatiques par le Fonds Européen de Défense (FEDef) et Horizon Europe ;

34) Renforcer la coopération européenne en matière d’adaptation des équipements de défense en coordonnant de nouveaux projets au sein de l’Agence européenne de Défense (AED), de l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) et de la Coopération structurée permanente (CSP) ;

35) Évaluer la vulnérabilité de l’ensemble des infrastructures militaires aux dérèglements climatiques afin de renforcer leur résilience ;

36) Poursuivre le projet Eco-camp et la recherche sur les « camps militaires du futur ».

 

 

 

 

 


    

   introduction

 

Les dérèglements climatiques s’accélèrent : le réchauffement climatique, la montée du niveau des mers et des océans et les évènements climatiques extrêmes tels que les inondations et les cyclones tropicaux, atteignent des niveaux inégalés. La crise sanitaire n’aura eu qu’un impact très limité sur le réchauffement, comme l’ont prouvé les dernières données publiées par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et comme le démontrera prochainement le sixième rapport d’évaluation du Groupe d’Experts Intergouvernementaux sur le Climat (GIEC).

Or, les dérèglements climatiques sont décrits par le Pentagone depuis 2007 comme des « multiplicateurs de menaces », un terme repris depuis par une grande partie de la communauté scientifique et de la communauté internationale. À la date de publication du rapport, ils n’apparaissent pas directement à l’origine d’un conflit, mais renforcent en revanche indéniablement le niveau de conflictualité potentielle.

Les dérèglements climatiques provoquent en effet des migrations internes et, dans une moindre mesure, transfrontalières – des migrations dites « climatiques » – qui peuvent être sources de tensions. Selon un rapport spécial publié par le GIEC en 2019, la seule hausse du niveau de la mer pourrait déplacer 280 millions de personnes.  

De plus, ils aggravent la compétition pour l’accès à des ressources stratégiques – l’eau, la nourriture, les ressources minérales – qui représentent des enjeux de sécurité majeurs pour les communautés et pour les États. D’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la moitié de la population mondiale vivra dans une zone en situation de stress hydrique en 2025.

Ainsi, les dérèglements climatiques peuvent favoriser l’apparition de crises internes, elles-mêmes susceptibles de déboucher sur des crises régionales et internationales. Le 14 octobre 2015, quelques jours avant la COP21, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la défense, résumait ainsi la problématique lors d’une conférence internationale sur le thème « climat et défense » : « [s’il n’est] pas établi que les changements climatiques sont directement et à eux seuls responsables du déclenchement d’un conflit, il est clair qu’ils contribuent à aggraver la situation économique, sociale et politique dans certains pays ».

Vos rapporteurs présenteront en particulier le cas du Bangladesh, un pays d’Asie du Sud dans lequel ils ont eu la chance de se rendre au mois de décembre 2019. Le Bangladesh est un des pays les plus menacés par les dérèglements climatiques (élévation du niveau de la mer et salinisation des terres, aggravation des inondations, cyclones tropicaux plus intenses, etc.) et pourrait être confronté à des migrations internes et transfrontalières importantes dans les prochaines années.

Vos rapporteurs n’étudieront en revanche pas les risques de conflits en Arctique et en Antarctique, puisqu’une mission d’information dédiée aux pôles est en cours au sein de la commission des affaires étrangères.

Cette hausse de la conflictualité potentielle nécessite une adaptation de nos forces armées. Cet enjeu apparaît d’autant plus important que la France est une des premières puissances militaires européennes avec le Royaume-Uni, et que de nombreux sites et matériels militaires sont d’ores et déjà confrontés à des conditions climatiques difficiles, sur le territoire français (notamment dans les territoires ultra-marins) et dans les opérations extérieures.

Alors que les armées françaises ont longtemps marqué un retard par rapport à l’allié américain – tant en matière de réflexion stratégique que d’adaptation – elles s’intéressent aujourd’hui davantage à la thématique. Néanmoins, de nombreuses améliorations restent possibles, tant au niveau stratégique qu’opérationnel.

De même, les diplomaties climatiques française et européenne doivent être renforcées pour atténuer les dérèglements climatiques et pour limiter leur impact sur les conflits. Les dérèglements climatiques apparaissent alors comme une source de coopération internationale, et non plus seulement de tensions.

Ainsi, vos rapporteurs proposent trente-six recommandations et points d’attention très concrets à destination des diplomates et des forces armées.

Par ailleurs, ils souhaitent mettre en avant le travail réalisé par un groupe de citoyens de la 7ème circonscription des Français établis hors de France sur la thématique « climats et confits ». Ce travail très riche, réalisé à l’automne 2019 en parallèle de la rédaction du rapport, est présenté en Annexe 1.


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I.   des dÉrÈglements climatiques majeurs

A.   la hausse des tempÉratures entraÎne la dÉsertification de certaines rÉgions

1.   Une hausse globale des températures

a.   Un réchauffement planétaire et qui s’accélère

L’Organisation météorologique mondiale (OMM), agence onusienne ([3]), est chargée de calculer la température moyenne globale de surface sur la base des données de cinq sources internationales différentes ([4]).

Dans sa Déclaration sur l’état du climat mondial en 2019, l’OMM estime que la température moyenne dans le monde en 2019 était supérieure de 1,1 degré Celsius (°C) à la période de référence 1850-1900, utilisée comme estimation des niveaux préindustriels. Depuis le début des relevés thermométriques, 2019 est la seconde année la plus chaude ([5]). Les dernières moyennes quinquennales (2015-2019) et décennales (2010-2019) sont elles aussi les plus chaudes observées.

 

 

RÉchauffement en degrÉs celcius par annÉe (2016-2019) par rapport

À la pÉriode prÉindustrielle (1850-1900)

2015

2016

2017

2018

2019

+ 1,0°C

+ 1,26°C

+ 1,1°C

+ 1,0°C

+ 1,1°C

Source : OMM, Met Office, 2017, 2018, 2019, 2020.

 

 

comparaison de la température moyenne de l’air EN SURFACE enTRE 2020 (JANVIER-OCTOBRE) et la période 1981-2010

 

 

Source : Données ERA5 du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT) pour le Service Copernicus de surveillance du changement climatique, présentées dans le Rapport provisoire de l’OMM sur l’état du climat mondial en 2020.

Si la température moyenne du globe peut varier d’une année à l’autre, ces prévisions s’inscrivent dans une tendance claire au réchauffement climatique, et à l’accélération de celui-ci. Depuis le milieu des années 1970, le réchauffement de la surface terrestre s’est accentué avec une moyenne de 0,17°C de hausse par décennie. Cette accélération apparaît nettement dans le graphique ci-dessous.

 

Écart de la température annuelle moyenne à l’échelle du globe par rapport à la période pré-industrielle (1850-1900)

 

Source du graphique : Déclaration de l’OMM sur l’état du climat mondial en 2019, 2020.

 

 

D’après l’OMM, cette tendance au réchauffement se poursuivra. L’année 2020 est « en passe de devenir l’une des trois plus chaudes jamais enregistrées » (Rapport provisoire sur l’état du climat mondial en 2020, décembre 2020) et la température moyenne mondiale de chacune des cinq années s’étalant de 2020 à 2024 sera supérieure d’au moins 1°C aux niveaux préindustriels, avec une probabilité de 20 % qu’elle dépasse 1,5 °C pendant au moins une de ces années (OMM, juillet 2019).

 

PrÉvisions pour la pÉRIODE 2020-2024

 

New climate predictions assess global temperatures

 

Nb : Prévision moyenne d’ensemble pour 2020-2024 (colonne de gauche) exprimée en anomalies par rapport à la période 1981-2010 et probabilité d’être au-dessus de la moyenne (colonne de droite). Trois données climatologiques sont présentées : la température (en haut), la pression sur le niveau de la mer (au milieu) et les précipitations (en bas).

Source : Rapport de mise à jour annuelle et décennale de l’OMM sur le climat mondial pour 2020-2024, juillet 2020.

 

En France, la hausse des températures s’inscrit dans la trajectoire mondiale. En effet, la hausse moyenne de la température est de 0,1°C par décennie au cours du XXème siècle. Concrètement, cela s’est traduit par une hausse du nombre de jours où la température a dépassé 25°C en moyenne et par la diminution du nombre de jours de gel en hiver sur le territoire national.

 

 

Écart de tempÉrature annuel EN FRANCE par rapport

 À la moyenne DE la pÉriode 1961-1990

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Nb : Anomalie de la température moyenne annuelle de l’air, en surface, par rapport à la normale de référence : température moyenne en France (l’indicateur est constitué de la moyenne des températures de 30 stations météorologiques. Le zéro correspond à la moyenne de l’indicateur sur la période 1961-1990, soit 11,8 °C).

Source : Météo France.

b.   L’effet de serre

La hausse de la concentration des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère perturbe l’équilibre climatique naturel. La surface terrestre se réchauffe et cause des dégâts irréversibles.

Or, malgré une prise de conscience mondiale sur la dangerosité des émissions de GES, leur concentration dans l’atmosphère ne cesse d’augmenter comme le démontrent les deux graphiques suivants pour les émissions de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4).

 

 

évolution de la concentration atmosphérique en CO2 de 1985 à 2019

Nb : Fractions molaires moyennes du dioxyde de carbone à l’échelle du globe, en parties par million, de 1984 à 2018. La ligne rouge correspond à la moyenne mensuelle de la fraction molaire, après élimination des variations saisonnières ; les points et la ligne en vert indiquent les moyennes mensuelles.

Source : Veille de l’atmosphère globale, OMM.

 

 

 

évolution de la concentration atmosphérique en MÉTHANE de 1985 à 2019

 

 Nb : Fractions moyennes du méthane à l’échelle du globe, en parties par milliard, de 1984 à 2018. La ligne rouge correspond à la moyenne mensuelle de la fraction molaire, après élimination des variations saisonnières ; les points et la ligne en vert indiquent les moyennes mensuelles.

Source : Veille de l’atmosphère globale, OMM.

 

En 2019, les fractions molaires (mesures de la concentration) des trois principaux GES ont atteint des records : la fraction molaire moyenne s’établissant à 410,5 ± 0,2 parties par million (ppm) pour le dioxyde de carbone, 1 877 ± 2 parties par milliard (ppb) pour le méthane et 332 ± 0,1 pour le protoxyde d’azote (N2O). L’augmentation annuelle des concentrations des trois principaux GES a dépassé l’augmentation moyenne sur la dernière décennie.

Selon le bulletin de l’OMM publié le 23 novembre 2020, si la crise sanitaire a réduit l’activité économique mondiale et donc les émissions de nombreux polluants et de gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone, elle ne permettra pas de réduire la hausse de la concentration de ces gaz dans l’atmosphère. La réduction des émissions mondiales de CO2 pourrait être de l’ordre de 4,2 à 7,5 % en 2020. La concentration de CO2 dans l’atmosphère continuera toutefois à croître, même à un rythme réduit (0,08 à 0,23 ppm par an). Le Secrétaire général de l’OMM M. Petteri Talaas, résume ainsi la situation : « Nous avons franchi le seuil mondial de 400 ppm en 2015 [pour le CO2]. Et à peine quatre ans plus tard, nous avons franchi la barre des 410 ppm. Nos archives ne font mention d’aucune augmentation de la sorte. La baisse des émissions liée au confinement ne représente qu’un petit point sur la courbe à long terme. Or, nous devons aplatir cette dernière de façon durable ».

c.   Les prévisions de long terme sur la hausse des températures de surface

 

Dans le cadre de simulations réalisées par la plateforme Climeri-France ([6]), les modèles des scientifiques français prévoient désormais, pour les scénarios les plus pessimistes, un réchauffement allant de 6°C à 7°C à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle.

 

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ([7]) estimait pour sa part dans son rapport d’évaluation de 2014 (AR5) que l’augmentation moyenne de la température terrestre sur la période 2081-2100 variera de 2,6 à 4,8 °C par rapport à la période 1986-2005 pour les scénarios les moins ambitieux et de 0,3 à 1,7 °C pour les scénarios les plus ambitieux en matière de réduction des émissions.

Les divers scénarios du GIEC s’accordent tous sur le fait que la hausse globale des températures se manifestera différemment en fonction des régions. Le réchauffement moyen sera d’abord plus important au niveau de la surface des continents que des océans, et certaines régions, comme l’Arctique, se réchaufferont plus rapidement que d’autres.

 

Évolution de la température moyenne en surface (1986-2005 À 2081-2100)

 

Image

Source : Agence européenne pour l’environnement.

Les cartes ci-dessus présentent deux scénarios extrêmes du GIEC avec, à gauche, le plus faible réchauffement envisageable, et à droite, le plus fort réchauffement global. Sur les deux graphiques, on observe des disparités régionales en matière de réchauffement avec une hausse plus élevée dans les pôles et sur les continents, avec des pics en Afrique du Nord et en Afrique australe, au Moyen-Orient, en Russie et dans le nord de l’Asie, au Brésil et en Amérique du Nord.

2.   Une aggravation du phénomène de désertification

Selon l’ONU, qui organise chaque année le 17 juin une journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse, la désertification désigne « la dégradation des terres dans les zones arides, semi-arides et subhumides sèches par suite de divers facteurs, parmi lesquels les activités humaines et les variations climatiques » ([8]). Si le phénomène est d’abord causé par les activités humaines ([9]),  il est aggravé par les dérèglements climatiques.

La désertification affecte des régions diverses du globe (États-Unis, Sahel, Asie centrale, Europe, etc.) mais avec un impact différent selon le pays, en fonction des priorités politiques des autorités, des ressources dont il dispose et de l’activité économique. Ainsi, si la désertification affecte peu les habitants des États concernés aux États-Unis car l’économie américaine est plus résiliente et moins dépendante des zones se désertifiant, les habitants de la région du Lac Tchad et d’Asie centrale voient leurs moyens de subsistance davantage menacés en raison de la plus grande dépendance aux terres concernées. 

 

B.   la montÉe du niveau de la mer menace de nombreux territoires de submersion

L’observation du niveau de la mer est considérée par les scientifiques comme l’un des meilleurs indicateurs pour mesurer l’impact et l’évolution du réchauffement climatique. En effet, la hausse du niveau de la mer est corrélée avec la quasi-totalité des composantes du système climatique.

Dans son Rapport spécial sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique de septembre 2019, le GIEC constate que le niveau de la mer monte deux fois plus rapidement qu’au XXème siècle. Il pourrait avoir augmenté de plus d’un mètre à la fin du XXIème siècle, dans les pires scénarios, avec des disparités régionales.

Cette élévation résulte de deux phénomènes : la fonte des glaces et l’augmentation de la température de l’eau (processus d’expansion thermique).

1.   Un phénomène multifactoriel

La montée du niveau de la mer est une conséquence directe du réchauffement climatique qui se traduit par deux phénomènes : la fonte des glaces (a) et le réchauffement de la température des océans (b).

Depuis sa création en 1988, les travaux du GIEC ont permis d’approfondir la compréhension de ce phénomène à l’aide d’observations satellitaires et océaniques et d’une collecte de données de plus en plus élaborées. Les nouveaux modèles cernent désormais avec plus de précision la dynamique des échanges rapides océan-atmosphère et des effets de l’évolution de la fonte des glaciers sur les mers et les océans.

a.   La fonte des glaces

La fonte des glaciers d’eau douce (calottes polaires et glaciers des montagnes) et celle des banquises sont toutes les deux le résultat du réchauffement climatique, mais seules les glaces constituées d’eau douce contribuent véritablement à la montée des eaux puisqu’elles sont les seules à augmenter la masse de l’océan.

Selon les travaux de l’Ice Sheet Mass Balance Intercomparison Exercice (IMBIE) – une collaboration entre l’Agence spatiale européenne et la NASA – la fonte des glaces est responsable d’une élévation du niveau de la mer de 17,8 millimètres (dont environ 60 % causés par le Groenland avec 10,6 mm de contribution et 40 % par l’Antarctique avec 7,2 mm). Le Groenland et l’Antarctique ont perdu jusqu’à 6 400 milliards de tonnes de glaces entre 1992 et 2017, et la fonte s’accélère chaque année. Les glaces ont fondu six fois plus vite dans les années 2010 (475 milliards de tonnes en moyenne) que dans les années 1990 (81 milliards). En 2019, le record de 532 milliards de tonnes sur la seule calotte du Groenland a été atteint.

Selon le chercheur Andrew Sheperd, co-directeur de l’initiative IMBIE : « Aujourd’hui, les calottes glaciaires contribuent à environ un tiers de toute l’élévation du niveau de la mer (…). Si l’Antarctique et le Groenland continuent de suivre le pire scénario de réchauffement climatique, cela entraînera une élévation supplémentaire de 17 centimètres du niveau de la mer d’ici la fin du siècle [par rapport aux 53 centimètres déjà annoncés par le GIEC en 2014 dans un scénario moyen] » (communiqué de l’université de Leeds publié le 11 mars 2020).

b.   L’augmentation de la température de la mer (expansion thermique)

En raison de la grande inertie thermique des océans, ces derniers absorbent plus de 90 % de la chaleur stockée par la Terre induite par l’accroissement des concentrations de gaz à effet de serre. Cela engendre une importante expansion thermique, qui désigne le phénomène de l’augmentation du volume d’eau au fur et à mesure que la température augmente. Or, l’eau de la surface des océans (jusqu’à 20 mètres de profondeur) pourrait encore se réchauffer de 3°C d’ici 2100. De plus, la fréquence des « vagues de chaleur marine » sera, selon les scénarios, multipliée par vingt ou cinquante d’ici 2100 (GIEC, rapport spécial de 2019 précité).

Le réchauffement de la température de la mer a provoqué une augmentation de l’acidification depuis le début de la révolution industrielle (+ 30 % selon l’UNESCO). En effet, lorsque le CO2 se dissout dans l’eau de mer, il forme de l’acide carbonique, ce qui modifie les équilibres chimiques. Les ions carbonate diminuent et l’acidité de l’eau augmente (baisse du pH).  Selon Jean-Pierre Gatuso directeur de recherche sur les océans au CNRS et coauteur du rapport spécial du GIEC, « l’acidité de l’eau pourrait tripler par rapport à sa valeur préindustrielle, ce qui est gigantesque» ([10]). Or, le potentiel de croissance et de reproduction de la faune et de la flore marines est alors fortement réduit.

L’augmentation de la température de la mer participe également à la désoxygénation de l’eau. Selon le GIEC dans son rapport de 2019, les océans auraient perdu entre 0,5 et 3,3 % de l’oxygène dans les 1000 mètres supérieurs de l’océan depuis 1970. Ce phénomène pourrait causer la disparition de 15 % de la biomasse globale des animaux marins d’ici 2100 selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN). Les récifs coralliens sont particulièrement menacés.

2.   Une montée globale, rapide et irréversible du niveau de la mer

Dans son Rapport spécial sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique publié en 2019, le GIEC rappelle avec « un degré de confiance élevé » que l’élévation moyenne du niveau de la mer depuis 1970 est attribuable à l’activité humaine. Le rapport précise que le rythme de la montée du niveau de la mer augmente beaucoup plus rapidement que les prévisions des scénarios élaborés il y a une dizaine d’années. Alors que la hausse est estimée à 15 centimètres au cours du XXème siècle, le GIEC considère qu’elle s’établit à 3,6 centimètres pour la seule période 2006-2015.

Même si les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre étaient atteints, le niveau de la mer augmenterait d’environ 30 à 60 centimètres d’ici à 2100 par rapport à 2019. Si l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre se poursuit et à un rythme élevé, le niveau de la mer augmentera d’environ 60 à 110 centimètres.

3.   Un risque de submersion de nombreux territoires insulaires et côtiers

28 % de la population mondiale vit sur des zones côtières, dont 11 % à moins de dix mètres au-dessus du niveau de la mer. Les chercheurs du GIEC s’inquiètent du sort de ces populations qui devront faire face aux limites techniques des infrastructures protégeant les côtes mais aussi aux limites de l’adaptation.

Certains territoires, comme les Maldives, les Seychelles ou des îles de l’océan Pacifique sont déjà menacées de disparaître et/ou souffrent déjà de la salinisation des sols qui menace leur sécurité alimentaire.

Étude de cas : Les îles des océans Indien et Pacifique

En 2009, lors du Sommet sur le changement climatique de l’Assemblée générale de l’ONU, le président de la République des Maldives a déclaré : avec l’élévation rapide du niveau de la mer, des millions de personnes « seront tout simplement balayés ». Une des conséquences de la montée des eaux est en effet la disparition inéluctable de plusieurs îles des océans Pacifique et Indien, du fait de l’érosion ou de la submersion.

Les îles du Pacifique vivent sous la menace constante de la montée des eaux, alors qu’elles ont très peu contribué au réchauffement climatique. Pour résumer la situation, le représentant permanent des Seychelles aux Nations unies Ronny Jumeau a déclaré à la Chronique de l’ONU : « Disons que ma maison a été inondée et a subi d’importants dégâts à cause de mon voisin et que je n’y suis pour rien. Pourtant, je dois emprunter de l’argent à ce voisin et lui payer des intérêts le reste de ma vie afin de nettoyer les dégâts qu’il a causés. C’est malhonnête ».

Selon une étude du chercheur Patrick D. Nunn parue en 2016, au moins huit îles ont déjà disparu entre 2007 et 2014 en Micronésie. De même, selon Simon Albert dans une seconde étude publiée la même année, cinq îles Salomon auraient également disparu. D’autres îles du Pacifique, tels que les archipels Kiribati et Tuvalu, seraient aussi particulièrement menacées.

En 2013, une étude du CNRS menée en amont de la COP21 avait évalué l’impact potentiel de la montée des eaux sur les îles françaises. Le pire scénario prévoit la disparition totale de 12 % des îles françaises (plus de 150 îles sur 1269). La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française enregistreraient les pertes les plus importantes.

Certaines îles résisteront mieux à l’érosion que d’autres, notamment celles entourées de mangroves ou de lagunes qui absorbent la violence des vagues et piègent les sédiments (P.D. Nunn, 2016).

C.   une multiplication de certains événements climatiques extrêmes

Une conséquence majeure des dérèglements climatiques est la multiplication et l’intensification de certains événements climatiques extrêmes. Ces derniers ont toutefois des effets différenciés selon les moyens déployés par les États pour s’adapter.

1.   Des événements climatiques extrêmes plus nombreux ou plus intenses

Certains événements climatiques extrêmes sont favorisés par le changement climatique. Si les jours de forte chaleur (journées dont la température dépasse les 35°C), les incendies forestiers et les jours de fortes précipitations seraient favorisés, l’impact sur la fréquence des cyclones est toutefois plus difficile à évaluer. L’intensité (précipitations plus fortes, vents plus fort) et l’étendue géographique des cyclones augmenteront probablement selon le GIEC dans son rapport d’évaluation publié en 2013-2014 (AR5). Le GIEC constate une multiplication des cyclones tropicaux intenses (catégories 4 et 5) dans l’Atlantique Nord, depuis 1970 environ.

Le réchauffement des eaux de la mer et de l’atmosphère – qui peut alors contenir plus de vapeur d’eau – joue sur l’intensité des cyclones tropicaux et l’intensité des pluies torrentielles. De plus, la montée du niveau moyen de la mer, contribuerait également à augmenter les niveaux extrêmes liés aux houles de tempête et à renforcer les risques de submersion côtière.

Le rôle spécifique joué par le phénomène El Niño-Oscillation australe doit également être mentionné.

 

El Niño et la Niña

El Niño et La Niña sont les deux phases opposées d’un phénomène cyclique et climatique nommé El Niño-Oscillation australe (« El Niño Southern oscillation », ENSO).

Le cycle ENSO décrit les fluctuations de température entre l’océan et l’atmosphère dans le centre-est du Pacifique équatorial. La Niña est la phase froide d’ENSO et El Niño, la phase chaude. Ces fluctuations par rapport aux températures normales de surface peuvent avoir des répercussions à grande échelle non seulement sur les processus océaniques, mais aussi sur la météo et le climat mondial.

Les épisodes El Niño et La Niña durent généralement entre neuf à douze mois, mais certains événements prolongés peuvent durer des années. Bien que leur fréquence puisse être assez irrégulière, les épisodes El Niño et La Niña se produisent en moyenne tous les deux à sept ans. 

Selon une étude publiée en 2019 dans le Proceedings of the National Academy of Sciences, le réchauffement climatique amplifierait la fréquence et l’intensité des phénomènes El Niño et La Niña, menant à l’intensification des sécheresses, à l’aggravation des inondations et à la modification des modèles de cyclone.

Pour cette étude, des scientifiques chinois et américains ont analysé les données des trente-trois phases El Niño répertoriées depuis 1901. Depuis les années 1970, le réchauffement de l’océan Pacifique a déstabilisé les schémas météorologiques à l’échelle mondiale et a déclenché des phases El Niño plus à l’Ouest dans le Pacifique, dans des eaux plus chaudes.   

Cette modification de ce phénomène climatique augmente la probabilité de sécheresses graves dans des climats secs comme ceux de l’Australie ou de l’Inde, et augmente la probabilité d’inondations plus intenses dans des climats plus humides, comme au Pérou ou dans le nord-ouest du Pacifique.

2.   Des événements climatiques extrêmes particulièrement dévastateurs dans les pays en développement

Dans les régions tropicales humides et dans les pays situés à des latitudes moyennes, le GIEC anticipe une multiplication et/ou une intensification des précipitations extrêmes, accompagnées de cyclones tropicaux marqués par des vents plus forts et de fortes précipitations.

Or, les conséquences de ce type de phénomènes peuvent être importantes lorsque les pays concernés ne disposent pas de capacités d’adaptation. D’après le Rapport d’évaluation global du Bureau des Nations unies de l’UNISDR publié en 2011, la mortalité liée aux conditions météorologiques est fortement concentrée dans les pays dont le produit intérieur brut (PIB) est faible. De même, une gouvernance insuffisante aggrave sensiblement la vulnérabilité des populations aux cyclones tropicaux (Peduzzi et al., 2009). 

Ainsi, alors que seulement 15 % des cyclones tropicaux ont lieu dans le Nord de l’océan Indien (Reale et al., 2009), le Bangladesh et l’Inde concentrent 86 % de la mortalité des cyclones tropicaux (Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophes (UNISDR, 2009).

Étude de cas: le Bangladesh

Le changement climatique est devenu une menace majeure pour la population du Bangladesh. Les températures plus élevées, les fluctuations croissantes de températures et des précipitations et les événements météorologiques extrêmes ont rendu les populations locales très vulnérables (Brouwer et al. 2007 ; Peduzzi et al. 2009).

Ce pays d’Asie du Sud figure parmi les six pays les plus confrontés à des risques d’inondations (Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), 2004). En juillet 2020, des pluies intenses ont provoqué des inondations dans près d’un tiers du pays. De nombreuses digues, routes et maisons ont été endommagées. 160 millions de Bangladais auraient été touchés.

Le Bangladesh est également régulièrement confronté à des cyclones, tels que les cyclones Bhola en 1970, Gorky en 1991 et SIDR en 2007, le deuxième cyclone le plus puissant enregistré au Bangladesh depuis 1877. Ce dernier a soufflé des maisons et des écoles, détruit les récoltes de riz, déraciné des arbres et endommagé le site des Sundarbans. Selon l’ONU, il aurait provoqué la mort de 3 400 personnes.

Le pays cherche toutefois à renforcer sa résilience face aux catastrophes naturelles. En 1972, il a ainsi créé un ministère de la gestion des catastrophes et des secours (Ministry of Disaster Management and Relief). Lors de leur déplacement à Dacca, les rapporteurs ont pu rencontrer le ministre, M. Enamur Rahman. Au fil des années, plusieurs plans nationaux ont été mis en œuvre (Disaster management Act, Disaster management policy, National plan for disaster management, Standing orders on disaster, Bangladesh delta plan 2100, National adaptation plan (NAP)) et de nombreuses institutions ont été créées, au niveau central et local, présentées en Annexe 2.

Selon le ministre, ce cadre institutionnel a permis de faire baisser considérablement la mortalité liée aux événements climatiques ([11]). Près de 5 000 abris ont par exemple été construits sur les régions côtières et de nombreux volontaires ont été formés pour participer à l’alerte et à la gestion des catastrophes (55 000 sur le littoral).

3.   Des dérèglements qui affectent également la France et l’Europe

La France et l’Europe sont également concernées par des événements climatiques extrêmes, qu’il s’agisse d’inondations, de tempêtes et de cyclones (pour les territoires ultra-marins) ou de vagues de chaleur.

Il est très probable que le nombre de vagues de chaleur observées en France au XXIème siècle soit nettement supérieur au nombre observé au XXème siècle. Selon le rapport Le climat de la France au XXIème siècle, volume 4, Scénarios régionalisés publié par le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie au mois d’août 2014 , il y avait en moyenne cinq jours de vague de chaleur par an sur la période 1976-2005 ([12]). Selon les prévisions, pour la période 2021-2050, cette moyenne augmenterait de 5 à 10 jours de plus dans le sud-est de la France et de 0 à 5 jours ailleurs.

En revanche, la grande variabilité en fréquence, en intensité et localisation des tempêtes en Europe au cours du XXème siècle empêche d’établir un lien direct avec le réchauffement climatique.

 

 

 

 

 

Les conséquences pour les populations des différents dérèglements climatiques évoqués (hausse des températures et désertification de certaines zones, élévation du niveau de la mer, événements climatiques extrêmes), sont résumées dans la carte suivante. Elles sont considérables et touchent toutes les régions du monde, à des degrés divers.

 

Source : Défense et Climat : la France s’engage, ministère des armées, 2018.

II.   les consÉquences des dÉrÈglements climatiques sur les conflits

À la date de publication du rapport, on ne constate pas de conflit directement provoqué par un ou plusieurs dérèglements climatiques, même si des travaux de recherche ont essayé de quantifier le lien entre ces événements. Selon Salomon M. Hsiang, Marshall Burke et Edward Miguel qui ont publié une étude intitulée Quantifier l’influence du climat sur les conflits humains (« Quantifying the Influence of Climate on Human Conflict ») dans la revue Science en 2013, chaque déviation standard du climat vers des températures ou des précipitations plus importantes augmenterait de 4 % la fréquence des violences interpersonnelles et de 14 % les conflits entre groupes sociaux. D’autres chercheurs, comme Halvard Buhaug ([13])  ou Bruno Tertrais s’opposent à ce type de méthodologie utilisée et soulignent l’importance des facteurs anthropiques.

Les dérèglements climatiques sont toutefois décrits par la très grande majorité des scientifiques et des acteurs internationaux comme des « multiplicateurs de menace » (Pentagone, 2007). En renforçant la pression sur les ressources disponibles et en provoquant des migrations, ils révèlent et accentuent les vulnérabilités auxquelles les populations sont déjà confrontées : institutions défaillantes, inégalités sociales et d’accès aux ressources naturelles, tensions ethniques ou religieuses, criminalité, etc. Ils provoquent une hausse du niveau de conflictualité potentielle.

En outre, si aucune étude ne démontre aujourd’hui un lien direct entre un dérèglement climatique et un conflit, rien ne permet d’affirmer que cela sera toujours le cas à l’avenir, tant les dérèglements climatiques seront majeurs.

A.   Une hausse des migrations dans des rÉgions dÉjà sous tension

1.   Une forte progression du nombre de déplacés climatiques

Lorsque les conditions environnementales d’un territoire deviennent trop difficiles, que la population locale ne réussit plus à s’adapter, une partie ou la totalité de celle-ci peut décider de se déplacer vers des zones offrant ou supposées offrir de meilleures conditions de vie. 

Des populations entières pourraient ainsi être poussées à l’exil par la dégradation de leur environnement, qu’il s’agisse du dégel des sols (Alaska, Sibérie) et de la fonte des glaciers (Népal), de la désertification (Chine, Sahel), de la montée du niveau de la mer (Indonésie, Maldives, petites îles du Pacifique dont certaines en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie), des cyclones (États-Unis, Antilles), des inondations (Bangladesh, Inde) et plus généralement, par la raréfaction de certaines ressources naturelles.

Il est toutefois nécessaire de distinguer les évènements, certains ayant des conséquences directes et immédiates sur les populations concernées (catastrophes naturelles telles que les cyclones et les inondations), d’autres ayant un impact sur le plus long terme (désertification, élévation du niveau de la mer).

Plus généralement, l’utilisation de l’expression « migrant climatique » est débattue car les dérèglements climatiques constituent souvent un facteur parmi d’autres (difficultés économiques, troubles politiques, etc.) dans la décision de se déplacer. Des difficultés économiques ou des troubles politiques peuvent par exemple s’ajouter. Or, sans définition, la quantification est difficile : selon les auteurs et la méthodologie retenue, les chiffres varient fortement.

Pour l’heure, l’accueil des personnes déplacées se fait avant tout à l’intérieur des États. Il s’agit souvent de populations pauvres, vivant de l’agriculture ou de la pêche, qui cherchent un mode de vie semblable à celui qu’elles ont dû quitter et n’ont pas nécessairement l’envie ni les moyens de partir à l’étranger. D’après le Rapport mondial 2020 sur les déplacements internes de l’Internal Displacement Monitoring Center (IDMC), sur l’ensemble de l’année 2019, 1 900 désastres naturels ont provoqué le déplacement de 24,9 millions de personnes à travers 140 pays et territoires, soit trois fois le nombre de déplacés internes résultant des conflits (8,5 millions). Avec 5 millions de déplacés internes, l’Inde est le pays le plus touché, suivi par les Philippines, le Bangladesh et la Chine, qui enregistrent tous les trois plus de quatre millions de déplacés. La mousson, les inondations et les tempêtes tropicales seraient responsables des migrations internes dans ces pays.

 Au 31 décembre 2019, l’IDMC dénombrait 50,8 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays dans le monde au total, dont 45,7 millions à cause d’un conflit ou de violences, et 5,1 millions en raison de catastrophes naturelles ([14]).

personnes dÉplacÉes dans leur pays À la suite de catastrophes naturelles

Selon l’étude Groundswell : se préparer aux migrations climatiques internes publiée par la Banque mondiale en 2018, si les mesures destinées à lutter contre les dérèglements climatiques et les actions en faveur du développement demeurent insuffisantes, il y aura jusqu’à 143 millions de migrants climatiques internes d’ici 2050 dans trois régions du monde : l’Afrique subsaharienne (86 millions), l’Asie du Sud (40 millions) et l’Amérique latine (17 millions), soit 2,8 % de la population de ces régions. La Banque mondiale prévoit toutefois aussi des scénarios plus favorables si des actions sont menées en faveur du climat et du développement, mais estime que ces trois régions connaîtront au moins 31 millions de migrants climatiques internes, quelles que soient les mesures prises.

nombre de migrants climatiques en afrique subsaharienne, en asie du sud et en amÉrique latinde d’ici 2050 selon les trois scÉnarios
de la banque mondiale

Source : Rapport Groundswell : se préparer aux migrations climatiques internes, Banque mondiale, 2018.

À ces migrations internes, s’ajoutent des migrations transfrontalières. Lors de leur audition, les membres du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ont donné l’exemple de l’arrivée saisonnière en République Centrafricaine d’éleveurs venus de pays de plus en plus éloignés, en raison d’une raréfaction de l’accès à l’eau et au pâturage dans les pays sahéliens et de la région du lac Tchad, combinée à l’insécurité régionale qui contraint des éleveurs à se déplacer avec leurs animaux.

Un tiers de la population du Tuvalu (soit 3 000 personnes) se serait déjà installé en Nouvelle-Zélande.

Ces migrations commencent à être planifiées par les gouvernements. Anot Tong, président de l’archipel des Kiribati, a par exemple acquis l’île Vanua Levu aux Fidji en 2014, à 2 000 kilomètres des Kiribati. Il souhaitait ainsi garantir un refuge à sa population à moyen et long termes, mais aussi lui assurer des ressources agricoles et piscicoles ([15]). Les autorités du pays ont également développé un programme intitulé « Migrations dans la dignité » pour aider la population à postuler à des offres d’emploi dans d’autres pays.

La quantification des déplacés climatiques transfrontaliers à l’étranger reste toutefois difficile. En 2008, le HCR évaluait à au moins 250 millions le nombre de déplacés climatiques internes et transfrontaliers d’ici 2050. Le GIEC estime quant à lui que, dans l’hypothèse où le réchauffement climatique serait limité à 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle, 280 millions de personnes seraient déplacées par la seule hausse du niveau de la mer (rapport spécial du GIEC sur les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, 2019).

Ces chiffres extrêmement élevés sont favorisés par la concentration des activités et des populations sur les littoraux, qui augmente la vulnérabilité aux inondations et aux cyclones. 3,6 milliards d’habitants, soit environ 60 % de la population mondiale, vivent à moins de 60 kilomètres du littoral et cette tendance devrait s’accentuer.

2.   Des dispositifs internationaux encore insuffisants

L’accueil de millions de nouveaux déplacés est encore peu préparé par la communauté internationale. 

La convention de Genève sur les réfugiés du 28 juillet 1951 ne permet pas aux déplacés environnementaux de relever du droit d’asile car ces derniers ne sont pas persécutés ([16]). Le terme de « réfugié climatique », utilisé dans le langage courant, n’est ainsi pas reconnu par la communauté internationale.

Dans ce contexte, une initiative internationale dénommée « Nansen » a été lancée en 2012 à Genève. Elle a permis l’adoption d’un Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières en contexte de catastrophes et de changements climatiques (« Agenda de la protection ») par 109 États, dont la France, au mois d’octobre 2015. Celui-ci est présenté comme une « boite à outils », un ensemble de pratiques efficaces, devant permettre aux États de mieux prévenir les catastrophes, de mieux s’y préparer et de se coordonner au niveau régional. Lorsque les déplacements sont inévitables, des recommandations sont proposées aux États et aux organisations régionales, qui peuvent être intégrées dans leur cadre normatif. L’initiative ne promeut toutefois pas de nouvelle convention internationale contraignante sur les déplacements et n’évoque pas le terme « réfugié ».

L’initiative Nansen a été remplacée par la Plateforme des déplacements liés aux catastrophes (« Platform on disaster displacement » - PDD) en juillet 2016.

La Plateforme des déplacements liés aux catastrophes (PDD)

En décembre 2015, les parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) ont décidé lors de leur vingt et unième conférence (COP21) de créer une équipe spéciale sur les déplacements de population. La PDD a ainsi été créée au mois de mai 2016 lors du Sommet humanitaires mondial organisé à Istanbul en Turquie.

Basée à Genève, la PDD est dirigée par un groupe de pilotage composé de dix-sept États (Allemagne, Australie, Bangladesh, Brésil, Canada, Costa Rica, Fidji, France, Kenya, Madagascar, Maldives, Maroc, Mexique, Norvège, Philippines, Sénégal, Suisse) et par l’Union européenne, représentés par leurs missions permanentes. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) sont des invités permanents du groupe de pilotage, et le Bureau des Nations unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS) est membre de droit.

La PDD exerce une action de collecte de données et de plaidoyer sur les déplacements liés aux catastrophes auprès des États et des organisations internationales. Elle cherche également à rassembler des partenaires sur la thématique afin d’améliorer la coordination et de promouvoir le partage d’expérience. Enfin, elle encourage l’adoption de mesures, pour améliorer la planification des catastrophes et éviter ainsi au maximum les déplacements, pour aider les personnes touchées par une catastrophe à se mettre à l’abris et pour mieux protéger les personnes contraintes de quitter leur foyer. La plateforme ne propose toutefois pas de convention internationale contraignante.

La France a présidé le groupe de pilotage de juillet 2019 à décembre 2020, puis a été remplacée par les Fidji, tout en gardant le poste de vice-présidente. La France a axé sa présidence autour de quatre priorités : impliquer la PDD dans les processus globaux (création de deux postes de jeunes experts associés au HCR et à l’OIM pour soutenir les activités de la PDD) et régionaux (financement de projets dans les îles du Pacifique, projet de partenariat avec la CEDEAO), convaincre les États de s’impliquer dans la plateforme par des actions de plaidoyer (organisation d’évènements, création de deux « groupes d’amis » sur les déplacements climatiques à Genève et à New York) et mieux connecter la société civile et les acteurs de développement via le « comité consultatif » de la PDD.

La France est l’État qui finance le plus la plateforme, avec un budget de 750 000 euros en 2019, auquel s’ajoutent 2,75 millions d’euros pour des projets de l’OIM et du HCR liés à la PDD en 2019 et en 2020. Elle déploie également deux équivalents temps plein, dont Patrick Auffret, délégué de la France à la PDD, auditionné par les rapporteurs.

Cette initiative se cumule avec le Mécanisme international de Varsovie sur les pertes et dommages liés aux impacts du changement climatique (WIM) de la CCNUCC. Des institutions comme le HCR et l’OIM exercent également directement une mission de plaidoyer.

Le Pacte mondial pour les migrations sûres, ordonnées et régulières (PMM, surnommé « pacte de Marrakech ») adopté par l’Assemblée générale des Nations unies au mois de décembre 2018 (A/RES73/195) a reconnu les changements climatiques, les catastrophes et la dégradation de l’environnement comme des facteurs de migration. Les États se sont engagés à prendre des mesures pour minimiser ces facteurs et mieux protéger les personnes contraintes de quitter leur foyer en raison d’une catastrophe. Ce texte n’apporte toutefois pas encore directement de protection pour les migrants climatiques.

Dans ce contexte, le 21 janvier 2020, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a rendu public un avis dans lequel il estime que les personnes qui fuient les effets du réchauffement climatique ne devraient pas être renvoyées dans leur pays si leurs droits fondamentaux sont menacés ([17]). Plus spécifiquement, cet avis innove sur trois points : il reconnaît qu’il peut y avoir une violation du droit à la vie du fait du non-accès aux ressources naturelles induites par le changement climatique, il reconnaît le changement climatique comme une menace pour les droits de l’homme et enfin, il recommande de ne pas appliquer la mention de « l’imminence du danger » lorsque le droit à la vie est menacé dans des dossiers relatifs au changement climatique. Si cet avis pourra faire jurisprudence dans d’autres affaires portées devant le Comité des droits de l’homme, il demeure toutefois non contraignant pour les États.

En complément des diverses actions institutionnelles et juridiques évoquées, des pays vulnérables s’organisent pour mieux faire entendre leur voix. Le Bangladesh a ainsi développé un « pouvoir du faible » (weak power) selon Alice Baillat, chercheuse à l’IRIS et docteure associée au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po Paris auditionnée par les rapporteurs. Selon Alice Baillat, le « pouvoir du faible » est « la capacité d’un pays comme le Bangladesh à transformer sa faiblesse, en l’occurrence sa vulnérabilité aux aléas climatiques, en levier d’action publique et en avantage comparatif pour défendre ses intérêts dans une négociation internationale marquée par des rapports de force asymétriques qui lui sont a priori défavorables. Par exemple, la vulnérabilité du Bangladesh a rapidement transformé le pays en terrain d’expérimentation et de nouveaux savoirs sur l’adaptation au changement climatique pour des acteurs étrangers et locaux (chercheurs, organisations internationales, ONG, etc.) ([18]), ce qui lui a permis de développer une expertise locale qui fait aujourd’hui figure d’exception parmi les pays les moins avancés » ([19]).

De même, l’influence diplomatique des petits États insulaires, a été amplifiée. Quarante-quatre États insulaires et côtiers se sont regroupés en 1990 au sein d’une organisation internationale appelée l’Alliance des petites États insulaires (« Alliance of small island states » - AOSIS). Ces pays participent activement aux forums internationaux sur le climat et mobilisent les ONG pour les aider dans leur plaidoyer.

3.   Un risque d’aggravation des tensions internationales

Les migrations liées aux évènements climatiques, qu’elles soient internes ou externes, pourraient être sources de tensions dans certaines régions. Ce sera très probablement le cas au Bangladesh, où les rapporteurs se sont déplacés au mois de décembre 2019.

Ce pays d’Asie du Sud se caractérise par sa forte densité de population et sa croissance démographique ([20]), ainsi que par sa grande vulnérabilité aux évènements climatiques (inondations, cyclones, sécheresse), qui seront nécessairement accentués par les dérèglements climatiques : submersion et salinisation des terres en raison de la montée du niveau de la mer, inondations provoquées par les fleuves et les rivières en raison des pluies plus intenses et de la fonte des glaces de l’Himalaya, érosion des berges des rivières en raison des changements du flux des rivières et du transport de sédiments, cyclones tropicaux intenses plus nombreux, etc. Cette vulnérabilité est renforcée par la situation géographique du pays, deltaïque et côtière, ainsi que par la faible altitude par rapport au niveau de la mer.

La carte suivante, présentée par le Centre for policy dialogue (CPD) lors de son audition montre les trajectoires des cyclones avant 2011, et notamment des cyclones SIDR en 2007 et Aila en 2009, qui ont provoqué des dégâts majeurs. Selon le CPD, un cyclone touche le pays presque chaque année, et un cyclone de grande intensité, tous les trois ans. Les zones côtières peu élevées sont les plus touchées, mais les cyclones pénètrent également à l’intérieur des terres. Or, le changement climatique devrait accroître l’intensité des cyclones, et donc les dégâts associés.

 

trajectoires des cyclones au Bangladesh jusqu’en 2011

Source : Centre for policy dialogue (CPD).

Les inondations – qu’il s’agisse de rivières en crues (« river flooding »), d’inondations « flash » ou d’inondations côtières (« tidal surge ») – devraient également être renforcées par le changement climatique. La carte ci-dessous présente les risques d’inondation. Seules les zones en vert clair ne sont pas touchées.

 

Le risque d’inondation au bangladesh

Source : Centre for policy dialogue (CPD).

Selon le CPD, si la tendance à l’accroissement de la fréquence et de l’intensité des désastres naturels se poursuit, 30 millions de foyers seront affectés par ces désastres en 2030, soit 12,5 fois plus qu’en 2015.

Dans ce contexte, un exode climatique est probable. Les migrations seraient majoritairement internes. Selon la Banque mondiale, l’exode partirait notamment des régions rizicoles du nord-est et se dirigerait vers le tronc principal du bassin du Gange.

« hotspots » d’immigration et d’émigration climatique interne probables au bangladesh en 2050

Nb : Les zones d’émigration sont présentées en bleu, et les zones d’immigration en rouge.  

Source : Source : Rapport Groundswell : se préparer aux migrations climatiques internes, Banque mondiale, 2018.  

La Banque mondiale prévoit, dans son scenario le plus pessimiste, 13,3 millions de migrants climatiques internes au Bangladesh, soit 7,53 % de la population du pays et un nombre supérieur aux autres migrations internes envisagées (évalué à 11,5 millions de personnes).

évolution du nombre de migrants climatiques internes au bangladesh selon les trois scénarios de la banque mondiale

Source : Rapport Groundswell : se préparer aux migrations climatiques internes, Banque mondiale, 2018.

Plusieurs millions de Bangladais pourraient également se tourner vers l’étranger, notamment vers l’Inde, les pays du Golfe et l’Europe. Or, les flux migratoires ont toujours été un enjeu sensible en Asie du Sud. Les 3 000 kilomètres de frontières entre le Bangladesh et l’Inde, en partie militarisés, sont déjà sources de vives tensions entre les deux pays. Un mur de séparation a d’ailleurs été construit par l’Inde sur deux tiers de la frontière pour ralentir l’immigration bangladaise.

B.   L’augmentation de la compÉtition pour l’accÈs aux ressources amplifie le risque de conflit

Les dérèglements climatiques détériorent directement certaines ressources naturelles ou rendent leur accès plus difficile : l’eau, la nourriture ou encore les ressources énergétiques sont les exemples les plus parlants. Or, la stabilité d’un pays - voire d’une région - est conditionnée par sa capacité à subvenir aux besoins fondamentaux de sa population. Les dérèglements climatiques représentent donc une source de tensions internes et interétatiques.

Pour Peter Schwartz et Doug Randall qui ont présenté un rapport au nom du Global Business Network (GBN) sur le Changement climatique et ses implications pour la sécurité nationale aux États-Unis en octobre 2003, le besoin en ressources naturelles, telles que l’eau, la nourriture et l’énergie, est à l’avenir plus susceptible d’alimenter les conflits que l’idéologie, la religion ou l’honneur national.

1.   Une hausse du stress hydrique à l’origine de tensions

a.   Une ressource en eau de plus en plus sollicitée

À l’échelle mondiale, la demande en eau augmente de manière exponentielle. D’après le Rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2019, « sous l’effet conjugué de la croissance démographique, du développement socioéconomique et de l’évolution des modes de consommation, l’utilisation de l’eau dans le monde augmente annuellement d’environ 1 % depuis les années 1980 ». Au cours du XXème siècle, alors que la population mondiale a quadruplé, la consommation d’eau a été multipliée par sept.

L’agriculture consomme aujourd’hui 69 % des ressources en eau,  l’industrie 19 % et les ménages 12 % ([21]).

La demande en eau continuera de s’accroître dans les prochaines années. D’après le rapport de l’ONU, elle « devrait continuer d’augmenter à un rythme similaire jusqu’en 2050 (soit 20 % à 30 % de plus que le niveau actuel d’utilisation) ([22]) et ce, principalement en raison de la demande croissante de l’industrie et des ménages ». La part de l’agriculture diminuera, mais elle restera le premier secteur consommateur d’eau.

Malgré une augmentation continue des besoins en eau de source, la qualité de cette dernière se dégrade. L’eau est de plus en plus polluée par les activités humaines (agricoles, industrielles, urbaines), ce qui limite son usage, sauf à mettre en danger la santé des populations. De plus, le réchauffement climatique et les précipitations plus violentes amoindrissent la ressource en eau de source dans de nombreuses régions du monde en réduisant l’évaporation ou l’évacuation de l’eau avant que celle-ci ait le temps de remplir les nappes phréatiques. Certaines nappes phréatiques se videront, d’autres deviendront inutilisables.

Dans ce contexte, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la moitié de la population mondiale vivra dans une zone en situation de stress hydrique en 2025.

b.   Une ressource inégalement répartie

La ressource potentielle en eau douce disponible au niveau mondial (5 700 mètres cubes par habitant et par an) est, en théorie, suffisante pour couvrir l’ensemble des besoins humains et des écosystèmes. Toutefois, l’OMS estime que trois personnes sur dix n’ont pas accès à une source d’eau potable sûre. La ressource en eau est inégalement répartie entre les États, les régions et les communautés.

Le calcul du « stress hydrique » permet d’appréhender les inégalités entre États. Celui-ci est défini par l’ONU comme la proportion d’eau prélevée par l’ensemble des secteurs d’activité économique, par rapport à l’ensemble des ressources en eau disponible ([23]). Son niveau varie en fonction des réserves en eau, du climat, de la pression démographique et des infrastructures disponibles pour le prélèvement de l’eau.

En 2018, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a publié un rapport intitulé Eau propre et assainissement : progrès relatifs aux niveaux de stress hydrique. Ce rapport présente un classement des pays selon leur niveau de stress hydrique (Annexe 3).

niveau de stress hydrique par pays (%) sur la période 2000-2015

Source : FAO, 2018.

Bien que le niveau moyen de stress hydrique à l’échelle mondiale ne s’élève qu’à 13 %, près de deux milliards de personnes vivent dans des pays soumis à un stress hydrique élevé et quatre milliards sont confrontées à une grave pénurie d’eau au moins une fois par an. Trente-deux pays enregistrent un stress hydrique compris entre 25 % (apparition d’un stress hydrique) et 70 %, et vingt-deux pays dépassent les 70 %, présentant un niveau de stress extrême. Parmi ces derniers, quinze pays affichent un stress hydrique de plus de 100 % et quatre d’entre eux dépassent les 1 000 % (l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis (EAU), le Koweït et la Libye). Les régions enregistrant le niveau de stress hydrique le plus élevé sont l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient, suivies de l’Asie centrale et de l’Asie du Sud.

Il est toutefois important de noter que ces chiffres dépendent en grande partie des données transmises par les États concernés à la FAO. De plus, le calcul du stress hydrique ne tient pas compte de la pénurie économique de l’eau c’est-à-dire de la situation dans laquelle l’accès à l’eau n’est pas limité par la quantité de ressources existantes mais par le manque d’infrastructures pour la collecter, la transporter et la traiter pour les activités humaines. Or, ce type d’infrastructures manque souvent en Afrique subsaharienne. De même, l’indicateur ne prend pas en compte les variations liées aux saisons.

Plus généralement, en se basant sur une moyenne annuelle, ces chiffres ont tendance à homogénéiser des situations très différentes au sein d’un même pays. En fonction du niveau d’eau disponible qui dépend du climat (certaines zones sont humides, d’autres plus sèches), de la démographie et des infrastructures de prélèvement et de traitement de l’eau, les disparités peuvent être très grandes d’une région à l’autre. Le Pérou bénéficie par exemple d’un niveau de stress hydrique faible à l’échelle nationale (3 %), mais ce dernier atteint 52 % sur la côte pacifique désertique.

Enfin, le calcul du stress hydrique ne prend pas en compte la capacité des États à s’adapter aux conditions naturelles. Les pays du Golfe, malgré des ressources en eau douce quasi inexistantes, ont par exemple développé des usines de dessalement qui permettent de répondre aux besoins de leur population en eau.

Pour compléter cet indicateur, des chercheurs du Centre for Ecology and Hydrology de Wallingford au Royaume-Uni ont donc proposé un « indice de pauvreté en eau » (Water Poverty Index). Ce dernier prend en compte non seulement la ressource disponible, mais aussi son accessibilité, la capacité des États à s’adapter par des investissements ainsi que leur capacité à préserver l’environnement. Cet indicateur, présenté à l’Annexe 4, révèle alors de fortes inégalités entre les pays développés et les pays en développement. La situation des pays africains, y compris ceux d’Afrique subsaharienne, apparaît souvent critique du fait des difficultés à mobiliser la ressource. Cet indicateur n’a toutefois pas été actualisé depuis 2002.

Dans les prochaines années, la distribution inégale de la ressource en eau continuera à être accentuée d’une part par la pression démographique à laquelle seront davantage soumis certains territoires et, d’autre part, par le réchauffement climatique : les zones arides et semi-arides, seront confrontées à une pluviométrie plus faible, au contraire des zones tempérées où les pluies seront plus intenses.

Franck Galland, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) auditionné dans le cadre du rapport, a développé le concept de « diagonale de la soif », qui s’étend de Gibraltar aux confins sino-russes, en passant par l’Afrique du Nord, le Proche et le Moyen-Orient, la péninsule indienne, une partie de l’Asie centrale et la moitié septentrionale de la Chine. D’après le chercheur, les pays situés sur cette diagonale seront confrontés dans les vingt prochaines années à la décroissance de leurs ressources en eau potable.

Dans ce contexte, dans ces aires géographiques, la compétition pour l’accès à l’eau devrait encore s’accentuer.

c.   Une ressource disputée

Des tensions ont toujours existé au niveau local pour l’accès à l’eau potable entre les groupes sociaux, les secteurs d’activité, les usages. Ces tensions pourraient cependant être renforcées par la rareté de la ressource. Aux États-Unis, c’est déjà le cas dans le bassin du Colorado, surexploité. En 2018 et 2019, des « émeutes de la soif » ont également eu lieu à Ispahan, en Iran.

Au niveau interétatique, d’après l’ONU, 153 pays se partagent 286 bassins fluviaux transfrontaliers et 592 aquifères transfrontaliers. Certains bassins transfrontaliers sont partagés par un nombre élevé d’États. Plus de neufs pays se partagent par exemple le Congo, le Niger, le Nil et le Zambèze et au moins cinq pays sont riverains du Gange-Brahmapoutre-Meghna, du Jourdain, du lac Tchad ou du Tigre-Euphrate-Chatt el Arab.

 

les bassins transfrontaliers internationaux

 

Certains États peuvent devenir des « puissances hydro-hégémoniques », c’est-à-dire, selon la définition des géographes et politologues Mark Zeitoun et Jeroen Warner (2006), des États qui possèdent suffisamment de pouvoir au sein d’un bassin versant pour assurer la direction du contrôle des ressources en eau et agir ainsi comme un leader vis-à-vis des autres pays riverains du bassin. Ce pouvoir peut être exercé de manière coercitive, avec par exemple la menace voire l’application de sanctions économiques, ou pacifiquement, en recherchant un consensus favorable dans les instances de négociation internationale ([24]).

Des pays situés en aval comme l’Afrique du Sud et l’Égypte ont ainsi cherché à contrôler l’amont. Toutefois, une position en amont est naturellement plus favorable. Un pays situé en amont d’un fleuve peut par exemple détourner son débit par l’intermédiaire d’un aménagement hydraulique (barrage, pompe, canal de détournement, etc.) ou polluer son eau, au détriment des pays situés en aval. Il risque néanmoins des représailles des autres riverains du fleuve.

Pour Alexandre Taithe, chargé de recherche à la FRS, plusieurs États situés en amont des cours d’eau prennent aujourd’hui conscience de la richesse potentielle dont ils disposent, notamment en matière d’hydroélectricité et pour leurs usages agricoles. Le chercheur parle de « réveil de l’amont » et cite plusieurs exemples dont le réveil de la Turquie par rapport à la Syrie et à l’Irak ([25]) ou encore celui de l’Éthiopie par rapport à l’Égypte et au Soudan.

Les enjeux liés au partage des eaux du Nil ont été présentés par le député Jean-François Mbaye dans son avis au nom de la commission des affaires étrangères sur la mission budgétaire Écologie, développement et mobilités durables du projet de loi de finances 2021. La mise en eau du barrage de la Renaissance à l’été 2020, construit par l’Éthiopie sur le Nil bleu, a provoqué un regain de tensions autour du bassin du Nil, partagé par onze États (le Burundi, l’Égypte, l’Érythrée, l’Éthiopie, le Kenya, l’Ouganda, la République démocratique du Congo, le Rwanda, le Soudan, le Soudan du Sud, la Tanzanie). L’Égypte, confrontée à des besoins en eau croissants ([26]) mais dépendante à 97 % des pays situés en amont, demande depuis 2015 un accord contraignant pour conserver sa part des eaux du fleuve, ce qu’elle n’a jusqu’ici pas obtenu.

En Asie, le plateau tibétain constitue le plus grand réservoir d’eau douce au monde après les deux pôles et s’avère vital pour près de deux milliards de personnes. Neuf fleuves majeurs prennent leur source au Tibet (d’Ouest en Est : le Tarim, l’Indus, le Gange, le Brahmapoutre, l’Irrawaddy, la Salouen, le Mékong, le Yangtsé et le fleuve Jaune) et desservent onze pays (la Chine, le Pakistan, l’Inde, le Népal, le Bangladesh, le Bouthan, la Birmanie, la Thaïlande, le Laos et le Cambodge, le Vietnam). Toutefois, le Tibet dépend de la Chine qui affirme sa souveraineté exclusive sur ses eaux.

Depuis sa prise de contrôle du Tibet en 1950-1951, la Chine a ainsi construit de très nombreux ouvrages hydrauliques (barrages, canaux, tunnels de transferts d’eau) pour répondre à ses besoins en eau et en énergie. Sur le cours supérieur du Mékong, le pays a construit six grands barrages, quatre autres sont en construction et quatre en projet. De même, sur le cours supérieur du Brahmapoutre en Chine, un barrage est opérationnel, trois sont en construction et onze en projet, ce qui suscite les inquiétudes de l’Inde ([27]), grand rival de la Chine dans la région.

Ces ouvrages peuvent avoir un impact important sur le débit de l’eau ou la biodiversité dans les pays situés en aval. De plus, ils retiennent les sédiments, ce qui menace les deltas à l’embouchure des fleuves.

Enfin, la pollution croissante des fleuves asiatiques se répercute d’un pays à l’autre.  Les eaux du Gange et du Brahmapoutre qui passent par la Chine et l’Inde arrivent par exemple de plus en polluées au Bangladesh.

Au Proche-Orient, le partage des eaux du Jourdain renforce régulièrement les tensions entre Israël, la Jordanie, la Syrie et les Territoires palestiniens. Au cours des dernières décennies, de nombreux ouvrages ont été construits sur le fleuve et ses affluents, et les prélèvements en eau ont augmenté. En conséquence, le niveau de la mer Morte n’a cessé de décroître : il atteint aujourd’hui 430 mètres sous le niveau de la mer.

Du fait de ces nombreuses tensions liées à l’eau, certains observateurs ont pu craindre un risque de conflit ouvert, une « guerre de l’eau ». En août 1995, lors d’une conférence à Stockholm, le vice-président de la Banque mondiale pour l’environnement et le développement durable Ismaïl Serageldin, a notamment déclaré : « les guerres de ce siècle ont été déclarées pour le pétrole, les guerres du prochain siècle auront pour objet l’eau. »

Des chercheurs de l’université de l’Oregon ont analysé 6 400 événements internationaux liés à l’eau sur une période de soixante ans, de 1948 et 2008.  La coopération prédomine dans la plupart des cas (plus de 5 000 occurrences) et les conflits se limitent le plus souvent à une simple hostilité verbale, faible ou modérée (1 080 occurrences sur 1 285 actes hostiles). Les actes hostiles grave (militaires, économiques, diplomatiques) sont très rares (76 occurrences) et concernent avant tout le Nil et le Moyen-Orient.

Un risque de « guerre de l’eau » semble peu probable à court ou moyen terme car la mobilisation de ressources alternatives (exploitation de ressources souterraines, dessalement de l’eau de mer, modification des usages…) est moins risquée et moins coûteuse pour les États.

En outre, des dispositifs de coopération existent au niveau international pour éviter les conflits.

Les dispositifs de coopération internationale

Deux conventions onusiennes encadrent le partage et la protection des eaux transfrontalières : la convention d’Helsinki sur la protection et à l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux (Commission économique pour l’Europe des Nations unies (CEE-ONU), 17 mars 1992, entrée en vigueur le 6 octobre 1996) et la convention de New York sur le droit relatif aux utilisations des cours d’eau internationaux à des fins autres que la navigation (ONU, 21 mai 1997, entrée en vigueur le 17 août 2014).  Ces textes énoncent trois grands principes : l’utilisation équitable et raisonnable de la ressource (article 5 de la convention de New York), l’obligation de ne pas causer de dommages significatifs aux autres États riverains (article 7 de la convention de New York) et une obligation générale de coopération et de règlement pacifique des différends (article 9 de la convention d’Helsinki, articles 8 et 9 de la convention de New York).

Ces textes ont favorisé la création de commissions régionales permanentes qui coordonnent les différentes politiques publiques sur un même bassin versant : Commission du bassin Okavango en Afrique australe (1994), Commission du Mékong (1995), Commission du Danube (1998). Certaines existaient déjà auparavant, telles que la Commission de l’Indus (1960) entre l’Inde et le Pakistan, ou l’Office de mise en valeur du fleuve Sénégal (1972).

Ces initiatives reçoivent le soutien des organisations internationales comme la Banque mondiale, qui participe à l’évaluation économique et au financement de projets hydrauliques, et l’ONU, via notamment le mécanisme interagence ONU Eau (UN Waters) et l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), qui dispose d’un Programme hydrologique international.

D’autres organismes tels que le Global Water Partnership (GWP) et le Conseil mondial de l’eau (CME), qui sont des réseaux et des forums d’acteurs engagés sur l’eau, contribuent également au dialogue sur le partage de la ressource en eau.

Enfin, en 2017, un « Panel mondial sur l’eau et la paix », composé d’experts de quinze pays dont la France et dont le secrétariat était assuré par le Geneva Water Hub, a présenté un rapport avec des propositions pour améliorer les pratiques de coopération sur l’eau.

Toutefois, si « une guerre de l’eau » n’est pas à craindre à court terme, les tensions liées à l’eau, désormais accentuées par les dérèglements climatiques, peuvent s’ajouter à d’autres tensions préexistantes, et renforcer alors le risque de conflictualité.

Ainsi, la communauté du renseignement américaine, dans un rapport intitulé « Global Water Security Report » commandé par la Secrétaire d’État Hillary Clinton et publié en 2012, considère que si les guerres liées à l’eau sont peu probables dans les dix années qui suivent la parution du rapport, les défis liés à l’eau (pénurie, baisse de la qualité de l’eau, inondations) augmenteront probablement le risque d’instabilité et déliquescence des États ([28]), exacerberont les tensions régionales et distrairont les pays, au point que ceux-ci seront moins impliqués sur des politiques importantes menées en coopération avec les États-Unis. La communauté du renseignement américaine prévoit également que les États-Unis seront davantage sollicités pour leur assistance et leur expertise pour résoudre les problèmes liés à l’eau.

2.   Une augmentation de la compétition pour l’accès à l’alimentation

a.   Une insécurité alimentaire préoccupante dans de nombreuses régions du monde

Après une décennie de déclin régulier, le nombre de personnes sous-alimentées augmente à nouveau lentement depuis 2014. Selon les dernières données publiées par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, Rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde en 2020), environ 690 millions de personnes ont été touchées par la faim en 2019, soit 8,9 % de la population mondiale et 60 millions de personnes de plus qu’en 2014.

La FAO recense également le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire grave, c’est-à-dire qui ont généralement épuisé leurs réserves de nourriture et, dans les pires cas, sont restées un jour (ou plus) sans manger. 746 millions de personnes étaient dans cette situation en 2019, soit 144 millions de personnes de plus qu’en 2014 et 9,7 % de la population mondiale. Le chiffre atteint 2 milliards de personnes, si les personnes en situation d’insécurité alimentaire modérée sont ajoutées, c’est-à-dire celles qui ont réduit leur consommation alimentaire en qualité et/ou en quantité et ne sont pas certaines de pouvoir se procurer de la nourriture.

NOMBRE DE PERSONNES SOUS-ALIMENTÉES DANS le monde de 2005 à 2019

Source : Rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde en 2020, FAO, juillet 2020.

 

L’Afrique compte 250 millions de personnes sous-alimentées (+ 34 millions de 2015 à 2019), soit 19,1 % de sa population et l’Asie, 381 millions (– 7,7 millions de 2015-2019), soit 8,3% de sa population. En Amérique latine et dans les Caraïbes, 48 millions de personnes sont concernées (+ 9 millions entre 2015 et 2019), soit 7,4 % de la population.

En 2030, la FAO estime que 841 millions de personnes pourraient souffrir de la faim, soit 9,8 % de la population mondiale. La situation en Afrique subsaharienne se détériorerait, tout comme en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Amérique centrale (voir Annexe 4).

Ces chiffres ne prennent pas encore en compte l’impact de la pandémie de Covid-19. Or, d’après les projections de la FAO, cette dernière ferait basculer 83 à 132 millions de personnes en situation de sous-alimentation dès 2020.

b.   Une insécurité alimentaire renforcée par les dérèglements climatiques

Le nombre très élevé de personnes souffrant de la faim a aujourd’hui plusieurs causes, dont l’instabilité politique, les troubles sécuritaires, les facteurs économiques (chômage et perte de revenus, hausse des prix des denrées alimentaires, dépréciation de la monnaie et détérioration des termes de l’échange) et les dérèglements climatiques.

En 2018, la FAO avait d’ailleurs centré la partie thématique de son rapport annuel sur l’État de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde sur l’impact des changements climatiques. D’après ce rapport : « La variabilité́ du climat et les extrêmes climatiques figurent parmi les principaux facteurs à l’origine de la récente recrudescence de la faim dans le monde et sont l’une des causes principales des graves crises alimentaires. La nature nouvelle de la variabilité́ du climat et des extrêmes climatiques a une incidence sur toutes les dimensions de la sécurité alimentaire (disponibilité́, accès, utilisation et stabilité), ainsi que sur les autres causes sous-jacentes de la malnutrition (alimentation des enfants et soins qui leur sont apportés, services de santé et santé de l’environnement). Le risque d’insécurité́ alimentaire et de malnutrition est accru aujourd’hui car les moyens d’existence et les actifs de subsistance, surtout parmi les pauvres, sont plus exposés et plus vulnérables à la variabilité́ du climat et aux extrêmes climatiques. »

Les dérèglements climatiques ont déjà des effets très concrets, présentés par la FAO : « L’évolution du climat perturbe déjà la production des principales cultures (blé, riz et maïs) des zones tropicales et zones tempérées. Faute de stratégies d’adaptation, ce problème devrait s’aggraver à mesure que les températures augmenteront et deviendront plus extrêmes. Les catastrophes liées au climat figurent désormais à la première place des facteurs de risque, à tel point qu’elles représentent plus de 80 % des grandes catastrophes signalées au niveau international. De tous les risques naturels, ce sont les inondations, les sécheresses et les tempêtes tropicales qui ont le plus d’incidence sur la production alimentaire. Ainsi, les sécheresses sont à l’origine de plus de 80 % de l’ensemble des dommages et des pertes enregistrés dans le secteur agricole, en particulier dans les sous-secteurs de l’élevage et des cultures. Les événements climatiques extrêmes qui ont le plus de conséquences sur le sous-secteur de la pêche sont les tsunamis et les tempêtes. S’agissant des forêts, ce sont les inondations et les tempêtes qui ont les répercussions économiques les plus marquées. »

Au sein du secteur agricole, ce sont les cultures et l’élevage qui subissent le plus les dommages et les pertes provoqués par des catastrophes naturelles, dont les plus destructrices sont les sécheresses.

pertes et dommages dans le secteur agricole À la suite de catastrophes naturelles

 

En outre, l’acidification et le réchauffement des mers et des océans déplacent voire réduisent les ressources halieutiques (cf. II.C.2 exemple de l’Indopacifique), ce qui peut avoir un impact très fort sur les populations qui en dépendent.

Parmi les trente-trois pays qui ont été touchés par des crises alimentaires en 2018, la variabilité́ du climat et les phénomènes météorologiques extrêmes ont été des facteurs aggravants dans vingt-six, au même titre que les chocs économiques et les conflits, et le facteur d’insécurité́ alimentaire principal dans douze de ces vingt-six pays (OMM, 2019).

La FAO présente dans son rapport de 2020 le cas de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique centrale : « La récente augmentation de la sous-alimentation en Afrique centrale et dans certaines parties de l’Afrique de l’Est résulte de la combinaison d’une violence généralisée dans des pays comme la République centrafricaine et la Somalie, où près de la moitié de la population est sous-alimentée, et d’une baisse des rendements des cultures due à la variabilité́ du climat.

« Par exemple, dans les régions des Grands Lacs et de la Corne de l’Afrique, les faibles rendements de produits essentiels tels que le maïs, le sorgho et les arachides ont encore diminué ces dernières années. Une importante présence de personnes déplacées provenant de pays voisins a amplifié les problèmes auxquels sont déjà̀ confrontés des pays comme la République démocratique du Congo, l’Éthiopie, le Kenya et le Soudan.

« En outre, les sécheresses généralisées générées par El Niño-Oscillation australe (ENSO) ont contribué́ à accroître l’insécurité́ alimentaire observée ces dernières années dans plusieurs pays des sous-régions d’Afrique orientale et australe, notamment à Madagascar, en Afrique du Sud, en Zambie et au Zimbabwe. »

Le rapport prend également l’exemple d’Haïti : « Dans les Caraïbes, la situation la plus grave s’observe en Haïti, pays frappé par l’épuisement des ressources naturelles et par des évènements climatiques extrêmes comme des sécheresses, des inondations, des vagues de chaleur et des tremblements de terre. Ces phénomènes ont contribué à une situation économique qui est alarmante, à une pauvreté généralisée et à des niveaux élevés de sous-alimentation. Malgré quelques améliorations survenues pendant la dernière décennie, on estime qu’environ la moitié de la population reste sous-alimentée. »

c.   Une insécurité alimentaire source de tensions

Les dérèglements climatiques, lorsqu’ils ont des effets prolongés ou récurrents, réduisent la capacité des populations à faire face. Elles perdent peu à peu leurs moyens d’existence, tombent dans la pauvreté voire migrent par détresse. Dans un tel contexte, des tensions internes ou transfrontalières peuvent apparaître.

Dans son rapport de 2020, la FAO prend l’exemple de l’Afrique : « L’évolution de l’environnement et la concurrence pour des ressources clés telles que la terre et l’eau ont grandement contribué à provoquer de la violence et des conflits armés, exacerbant le cercle vicieux de la faim et de la pauvreté. Le conflit du Darfour, par exemple, est largement attribué à des situations de sécheresse prolongée. La concurrence entre les pasteurs et les agriculteurs est une source de conflits dans la Corne de l’Afrique, où la mobilité́ réduite due à la violence a modifié́ les modes de pâturage et l’accès à la terre et à l’eau. Des événements similaires ont alimenté des conflits dans d’autres parties du Sahel, par exemple au Mali, où la désertification réduit les terres agricoles disponibles. »

Le lac Tchad est également un exemple éclairant. Les dérèglements climatiques qui frappent le basin du lac Tchad ont aggravé les vulnérabilités préexistantes : ils ont bouleversé l’économie locale, renforcé la compétition pour les ressources agricoles et favorisé l’extension des groupes armés terroristes.

Étude de cas : la région du lac Tchad

Le bassin du lac Tchad, qui s’étend sur le territoire de huit États (le Cameroun, le Niger, le Nigeria, le Tchad, qui bordent le lac ; l’Algérie, la République centrafricaine, le Soudan, la Libye), couvre près 8 % du continent africain et concentre plus de 30 millions de personnes. Bien que stratégique pour la sécurité alimentaire, il est aujourd’hui confronté à une triple crise : environnementale, humanitaire et sécuritaire.

Le lac s’est longtemps asséché : sa surface a été réduite d’environ 90 % entre 1960 et 1990. La désertification, la croissance démographique et l’irrigation non contrôlée ont en effet provoqué une baisse du débit des affluents du lac, principalement des rivières Chari et Logone au sud et le Komodugu-Yobe au nord-ouest.

Cette crise environnementale a accentué la vulnérabilité des populations, déjà confrontées à un manque de gouvernance étatique et à un manque de diversification de l’économie (90 % de l’économie dépend de l’agriculture et de la pêche). Selon le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (BCAH), en 2019, 9,8 millions de personnes avaient besoin d’une aide humanitaire d’urgence et 4,1 millions de personnes souffraient d’insécurité alimentaire.

Dans ce contexte, la compétition pour l’accès aux terres fertiles et à l’eau s’est accrue, ce qui a provoqué une hausse des déplacements de populations (2,4 millions de déplacés internes et 243 000 réfugiés en 2019 selon le BCAH), ainsi qu’à des conflits agro-pastoraux. Cette situation facilite également l’extension des groupes armés terroristes. Ces derniers tirent en effet profit de ces diverses vulnérabilités en canalisant le mécontentement des populations et en leur apportant des ressources financières.

En mars 2017, le Conseil de sécurité a adopté la résolution n°2349, reconnaissant les « effets néfastes des changements climatiques et écologiques, entre autres facteurs, sur la stabilité de la région » et rappelant la nécessité que « les gouvernements et les organismes des Nations unies adoptent des stratégies appropriées d’évaluation et de gestion des risques » (S/RES/349).

Néanmoins, une étude publiée en 2019 coordonnée par Florence Sylvestre, paléoclimatologue à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), affirme que le lac Tchad ne s’assèche plus depuis vingt ans. La superficie du lac a atteint 14 000 km2 dans les années 2000, alors qu’elle avait chuté à 2 000 km2 en 1984-1985. De plus, le niveau des eaux de surface du lac augmente depuis treize ans malgré une légère diminution constatée dans le bassin du nord. Selon les chercheurs, cette observation s’explique par le stockage de 70 % de l’eau du lac dans sa nappe phréatique, qui est en constante augmentation.

La crise syrienne, qui a éclaté dans le prolongement des printemps arabe et s’est transformée en une crise régionale marquée par l’émergence de l’État islamique et l’implication de nombreux acteurs extérieurs, peine encore à trouver une solution politique. Dans ce contexte, l’existence d’un lien entre dérèglements climatiques et conflit syrien est un sujet sensible, défendu par certains responsables politiques comme l’ancien président américain Barack Obama ou l’ancien vice-président américain Al Gore. Ce lien fait toutefois l’objet d’une importante controverse scientifique.

 

Étude de cas: la sécheresse et la guerre en Syrie

Bien qu’il soit impossible d’estimer précisément son impact, la sécheresse aurait été un facteur déstabilisant en Syrie à la fin des années 2000, selon une étude publiée en 2015 dans le journal de l’Académie nationale des sciences américaines ([29]). À partir de l’hiver 2006-2007, la Syrie et le croissant fertile ont connu une sécheresse très importante durant trois années. Associée à la mauvaise gouvernance agricole du régime ([30]), cette sécheresse a entrainé des rendements agricoles faibles, et conduit environ 1,5 million de ruraux à migrer vers les périphéries urbaines (Damas, Hama, Alep).Ces bouleversements démographiques rapides ont aggravé la situation économique et sociale (chômage, corruption, inégalités, pression sur les ressources et les infrastructures, etc.) et constitué ainsi un terreau fertile pour la contestation populaire.

Cette étude, relayée dans le New-York Times, a connu un succès médiatique notable et contribué à généraliser la notion de réfugiés climatiques.

Le 20 mai 2015, le président des États-Unis Barack Obama a déclaré dans un discours à la Coast Guard Academy : « la sécheresse, les mauvaises récoltes et les prix élevés des denrées alimentaires ont contribué à alimenter les premiers troubles en Syrie, qui ont débouché sur une guerre civile au cœur du Moyen-Orient ».

Toutefois, cette clé de lecture du conflit syrien fait l’objet d’une controverse. Une étude, publiée en 2017 dans la revue Political Geography, affirme qu’il n’existe pas de preuve solide démontrant que la sécheresse syrienne de 2006 aurait été induite par les activités humaines, et que la pression migratoire liée aux sécheresses avait été largement surestimée, tout comme son rôle dans le déclenchement de la guerre civile ([31]). Cette étude a appelé les responsables politiques à la plus grande prudence à l’égard de la « sécurisation du changement climatique ».

Enfin, la compétition pour les ressources halieutiques est également source de tensions. La réduction des stocks de poissons causée par le changement climatique entraîne la perte de la principale ressource économique pour certaines populations, qui pourront alors se tourner vers d’autres activités, notamment criminelles. La piraterie pourrait être encouragée.

Les questions stratégiques qui concernent l’insécurité alimentaire doivent être liées à l’insécurité hydrique, comme le précise le Gobal Food Security Report de la communauté du renseignement américaine publié le 22 janvier 2015, trois ans après le Global Water Security Report. L’agriculture est dépendante de la ressource en eau douce dont elle est le premier consommateur (70 % et jusqu’à 80-85 % des dans les pays émergents) et inversement, elle peut contribuer à assécher celle-ci.

Or, comme le rappelait Franck Galland lors de son audition, les besoins en eau de l’agriculture vont continuer à augmenter. Les projections de la FAO sont même « vertigineuses » selon le chercheur : du fait de la croissance démographique, la production alimentaire devra augmenter de 70 % d’ici 2050 pour nourrir 9 milliards d’individus.

Ainsi, si les modes de production alimentaire ne changent pas, qu’ils consomment toujours autant d’eau, l’agriculture contribuera encore davantage à la crise de l’eau et aux tensions associées.

Par ailleurs, les scientifiques ont récemment souligné le lien entre eau, alimentation et énergie par le terme de « nexus », c’est-à-dire d’un lien intrinsèque entre ces ressources. En plus d’être extrêmement consommatrice en eau, l’agriculture moderne est également une grande consommatrice d’énergie (mécanisation).

3.   Un impact plus diffus sur les ressources énergétiques 

L’effet des dérèglements climatiques sur les ressources énergétiques est moins direct que pour l’eau ou les ressources alimentaires, puisque les ressources énergétiques sont aujourd’hui avant tout impactées par l’évolution de la consommation énergétique liée aux activités humaines.

Les dérèglements climatiques peuvent néanmoins affecter l’accès aux ressources énergétiques en provoquant des baisses voire des ruptures d’approvisionnement, d’une part, et en renforçant la compétition pour l’accès à d’autres matières premières indispensables pour la production d’énergies plus « propres », d’autre part.

Les évènements climatiques extrêmes peuvent tout d’abord couper temporairement l’accès aux ressources énergétiques, lors de la production ou du transport.

Les infrastructures de petite taille, et en particulier celles qui produisent des énergies renouvelables, sont les plus vulnérables. Nicolas Mazzucchi, chercheur à la FRS, spécialiste des questions énergétiques, a ainsi indiqué aux rapporteurs : « Les grandes unités de production d’énergie électrique, thermique, hydraulique ou nucléaire apparaissent plutôt bien protégées face aux effets des évènements extrêmes. La situation est bien plus complexe s’agissant des unités de production renouvelables de petite taille (éoliennes et panneaux solaires). Les vents violents, orages de grêle ou vents chargés de sable ou de poussière peuvent avoir des effets importants sur les infrastructures elles-mêmes, au point de les endommager gravement. »

Le géo-économiste ajoute toutefois que les grandes unités peuvent également être affectées par le réchauffement climatique lorsque celui-ci provoque des sécheresses importantes : « Parmi les grandes unités de production énergétique, les centrales nucléaires sont les plus exposées aux sécheresses de grande ampleur. La technologie des réacteurs à eau pressurisée employant l’eau comme modérateur de la réaction, les centrales ont besoin d’un accès permanent à l’eau pour leur refroidissement. Or, dans le cas des sécheresses d’ampleur, la baisse du niveau d’eau des rivières alimentant les centrales pourrait conduire à leur ralentissement temporaire - cela a déjà été le cas (…) Les barrages hydroélectriques pourraient également subir les effets d’une sécheresse exceptionnelle. Celle-ci devrait toutefois être de très grande ampleur pour avoir des effets importants. En France, il faut prendre en compte le volume des retenues d’eau des barrages : ce sont globalement de grandes unités de production. »

De même, le transport d’énergie peut être affecté par certains évènements climatiques. Pour le transport maritime, selon Nicolas Mazzucchi, « les phénomènes climatiques majeurs comme les tempêtes risquent d’avoir des effets importants étant donné la maritimisation prévisible des approvisionnements en gaz et en produits pétroliers. Le développement annoncé du GNL en Europe notamment, pour faire face au risque d’une trop grande dépendance envers la Russie, implique une plus grande sensibilité aux phénomènes maritimes. Or, la multiplication de ceux-ci peut avoir des effets importants sur les cours des hydrocarbures ainsi que sur leur disponibilité, ce qui nécessite de disposer de capacités importantes de stockage. ».

Pour le transport terrestre, « les lignes électriques sont particulièrement vulnérables à plusieurs phénomènes météorologiques extrêmes que sont les très fortes chaleurs, les vents violents et les précipitations de neige abondantes. Les oléoducs et les gazoducs peuvent quant à eux être endommagés par des variations de chaleur très importantes, notamment en cas de températures très froides ou de très fortes chaleur, si leur conception n’a pas prévu de tels scénarios. »

En parallèle, la lutte contre le réchauffement climatique, en poussant à rechercher des énergies moins émettrices de gaz à effet de serre, favorise les rivalités pour l’accès aux métaux stratégiques indispensables aux dispositifs de production de ces énergies, par exemple des « terres rares » ou des métaux comme le cuivre et le nickel ([32]). Cette thématique pourra éventuellement être développée par les députés de la commission des affaires étrangères Michel Fanget et Jérôme Lambert, dans leur rapport d’information sur les matières premières.

Lorsque la sécurité énergétique d’un État, c’est-à-dire sa capacité à assurer de manière continue et à des prix soutenables un approvisionnement suffisant en énergie primaire ou secondaire (Nicolas Mazzucchi), les tensions entre pays consommateurs et pays producteurs peuvent être renforcées. Comme pour l’eau et l’alimentation, les dérèglements climatiques agissent comme catalyseurs et révélateurs de tensions politiques et sécuritaires préexistantes.

Si les rapporteurs ont choisi de faire un point spécifique sur l’énergie, du fait de l’importance de la sécurité énergétique pour les États, ils souhaitent toutefois souligner plus généralement les risques socio-économiques provoqués par les dérèglements climatiques. Les catastrophes naturelles ont un impact sur l’approvisionnement en énergie, mais aussi sur l’ensemble des matières premières et sur les biens finis, avec un impact très fort sur l’économie et le social. Les populations sont alors appauvries, ce qui risque de déstabiliser l’ensemble de la société.

Enfin il est intéressant de noter que si les ressources naturelles (eau, alimentation, énergie, autres matières premières) deviennent plus rares ou plus difficilement accessibles à cause des dérèglements climatiques, elles seront encore plus stratégiques lors des conflits déclarés. Elles sont déjà utilisées comme des armes ou des cibles lors de ces derniers.

L’eau est un exemple souvent présenté. Dans un bassin transfrontalier, la maîtrise de l’eau en amont permet à un État de disposer d’un outil de chantage politique ou de riposte. Le régime des Talibans, hostile à Téhéran, avait fermé les grands barrages afghans construits par les Américains dans les années 1940. L’eau peut également être contaminée pour tuer une population. Dans de nombreux conflits, les installations hydrauliques sont également des objectifs tactiques majeurs. Dans la guerre contre Daesh, le contrôle des barrages a ainsi été au cœur des combats contre la coalition. Daesh avait réussi à contrôler de nombreux barrages, dont celui de Mossoul. À l’été 2014, une des premières opérations de l’US Force a consisté à soutenir les Peshmergas kurdes pour reconquérir le barrage de Mossoul ([33]).

De même, les usines de dessalement dans les pays du Golfe seraient des cibles particulièrement stratégiques. Le Qatar, qui dépend de deux usines de dessalement pour son approvisionnement en eau, est par exemple extrêmement vulnérable (F. Galland).

 

Dans un contexte où les dérèglements climatiques sont à l’origine de tensions pouvant dégénérer en conflits, les armées doivent s’adapter rapidement pour pouvoir intervenir si nécessaire. Par ailleurs, elles devront adapter leurs matériels et leurs infrastructures pour être elles-mêmes plus résilientes face aux événements climatiques.

 

 

 

C.   une adaptation insuffisante des armÉes et des organisations internationales aux dÉrÈglements climatiques

Les autorités militaires prennent traditionnellement en compte les variables environnementales et météorologiques pour leur organisation et pour s’assurer du bon déploiement de leurs forces lors des campagnes militaires. Toutefois, jusqu’à très récemment, les armées ne se préparaient pas à des dérèglements climatiques de grande ampleur.

La formation des militaires, la localisation des bases (en particulier celles situées sur les littoraux) ou encore les équipements, doivent évoluer pour répondre à des conditions climatiques plus difficiles d’une part, et pour intégrer les nouveaux risques de conflictualité liés à ces bouleversements, d’autre part.

En France, cette adaptation apparaît d’autant plus urgente que la majorité des opérations militaires extérieures a déjà lieu dans des zones géographiques fortement touchées par les dérèglements climatiques. Pourtant, la France a longtemps été retard par rapport aux avancées réalisées par son allié américain.

1.   Les États-Unis pionniers en matière d’adaptation des armées aux dérèglements climatiques ([34])  

Si les États-Unis pâtissent souvent d’une image négative en matière d’action environnementale sur la scène internationale, ils ont été précurseurs dans la prise en compte de l’impact des changements climatiques dans le milieu de la défense.

Dès le début des années 1990, dans le contexte de la fin de la Guerre froide, les autorités américaines se sont intéressées aux menaces qui pourraient remettre en cause leur position de première puissance mondiale. Plusieurs travaux de prospective financés par le Pentagone ou conduits par les académies militaires (notamment celles de l’US Navy et de l’US Army ([35])) ont identifié différents aléas (sociaux, économiques, environnementaux) susceptibles de modifier le nouvel équilibre géopolitique international et de réduire les capacités de projection de l’armée américaine. Les premiers travaux sur l’impact du réchauffement climatique ont été réalisés dans ce cadre.

Jusqu’alors, l’environnement n’était étudié que par l’intermédiaire du concept de « défense verte » (green defense), c’est-à-dire la recherche de matériaux militaires plus durables, le contrôle des émissions carbone et la prévention de la dégradation de l’environnement par les opérations militaires.

Les études sur les liens entre les dérèglements climatiques et les conflits ont également bénéficié d’un contexte politique favorable aux problématiques environnementales, avec l’élection de Bill Clinton et de son colistier Al Gore, en 1992.

À partir de 1992, le département de la Défense a institutionnalisé ces problématiques en créant des services chargés des questions environnementales et climatiques au sein du Pentagone et en les dotant de budgets spécifiques :

-         le sous-secrétariat d’État chargé des installations militaires et de l’environnement. Il devait à la fois faire respecter les normes environnementales et énergétiques dans les installations militaires, et étudier la vulnérabilité de ces dernières face aux aléas naturels ;

-         le sous-secrétariat d’État à la défense pour la sécurité environnementale, créé en 1993. Sa mission consistait, d’une part, à nettoyer les bases américaines des déchets militaires toxiques qui y étaient manipulés sans contrôle, et, d’autre part, à sensibiliser les responsables du Pentagone aux problématiques environnementales et climatiques. Il devait apporter une vision stratégique prospective. Ainsi, lors d’une conférence en 1996, la sous-secrétaire d’État S. Wassermann Goodman a défini le changement climatique comme une « menace globale », et affirmé qu’il était désormais essentiel de pouvoir « prédire » ses effets.

Les premières études américaines se sont avant tout concentrées sur les centres d’intérêt du Pentagone - en particulier la zone Afrique du Nord et Moyen-Orient - avec le programme de la CIA Measurements of Earth Data For Environmental Analysis (MEDEA), un programme de déclassification des données météorologiques créé en 1992 pour une meilleure anticipation des épisodes climatiques extrêmes ([36]).

Le bureau sur la sécurité environnementale a été supprimé sous l’administration de George W. Bush., mais la réflexion lancée par le Pentagone a perduré, au sein des académies militaires des différentes armées mais aussi des think tanks influents. L’administration de Barack Obama a poursuivi les travaux sur la thématique, tant au niveau du gouvernement fédéral que du Pentagone.

Sous la présidence ouvertement climato-sceptique de Donald Trump, le changement climatique a presque entièrement disparu de la doctrine stratégique américaine (National Security Strategy) et de la doctrine de défense (National Defense Strategy). Des réglementations fédérales consacrées au changement climatique mises en place par l’administration Obama et applicables aux installations de défense ont également été supprimées (comme le Presidential Climate Action Plan mis en place en 2013 et abrogé en mars 2017). En outre, le groupe de travail de la marine américaine sur le changement climatique (Navy’s Task Force Climate Change (TFCC)) mis en place en 2009, a pris fin en août 2019.

 Toutefois, même sous l’administration de Donald Trump, le Pentagone a poursuivi la plupart de ses travaux sur les changements climatiques. De nombreux programmes sont toujours financés et les personnels mobilisés n’ont pas changé, notamment au sein de bureaux comme le Strategic Environmental Research and Development Program (SERDP) et le sous-secrétariat à la défense pour les acquisitions et le soutien. De plus, en 2019, en réponse à une exigence du Congrès américain ([37]), chaque armée a identifié et publié une liste des dix bases militaires situées sur le territoire américain qu’elle considère comme les plus exposées aux bouleversements climatiques ([38]).

2.   La France : des actions prometteuses mais encore incomplètes qui révèlent un manque de cadre stratégique

La France est déjà confrontée aux bouleversements climatiques, en particulier dans ses départements et collectivités d’outre-mer exposés à des évènements climatiques extrêmes (ouragans, incendies) et/ou à la montée du niveau de la mer. Les militaires sont de plus en plus mobilisés pour aider les 2,8 millions de citoyens résidant dans ces territoires. Ils devront adapter leur organisation, notamment leurs bases militaires, pour les rendre plus résilientes.

En outre, les forces françaises sont très souvent déployées à l’étranger dans des zones sensibles aux dérèglement climatiques. C’est par exemple le cas des opérations extérieures (OPEX) Barkhane et Chammal qui se déroulent respectivement dans la bande sahélo-saharienne et dans la zone Syro-irakienne, toutes deux soumises à une désertification qui favorise les conflits (voir supra).

Enfin, les dérèglements climatiques sont une opportunité pour les armées françaises de coopérer avec leurs homologues dans de nombreuses régions du monde. Les rapporteurs ont choisi de présenter l’exemple de la zone Indopacifique.

Si l’implication des armées françaises sur la thématique paraît indispensable, celle-ci n’est toutefois pas encore une priorité des autorités militaires, même si plusieurs initiatives encourageantes seront ici présentées.

a.   La création d’un organe de réflexion : l’Observatoire « Défense et Climat »

La France s’est intéressée tardivement au lien entre changement climatique et défense. Comme le soulignent les chercheurs Bastien Alex et Adrien Estève dans un article publié dans la Revue internationale et stratégique en 2018 ([39]) : « le pays a longtemps considéré le changement climatique comme un sujet essentiellement environnemental, voire écologique, éloigné du spectre de la défense ». Pour Bastien Alex et Adrien Estève, cette différence d’approche avec les États-Unis résultait de plusieurs facteurs :

-         un territoire plus petit que celui des États-Unis, « qui abrite une variété de climats et donc d’aléas. Or, ce sont bien souvent ces derniers qui jouent le rôle de révélateur de vulnérabilités » ;

-         « l’ambition américaine de maintenir une avance militaire par la supériorité technique » ;

-         des préoccupations différentes au début des années 1990 : « quand les États-Unis s’interrogent sur les conséquences de la disparition de l’ennemi soviétique, Français et européens se concentrent davantage sur les opportunités de coopération en matière de défense au niveau communautaire, dans un contexte de lacunes capacitaires et de contraintes budgétaires, avec en toile de fond la réunification allemande » ;

-         des think tanks plus nombreux aux États-Unis.

C’est avant tout la perspective de l’accueil de la COP21 qui a poussé les autorités françaises à s’intéresser à la thématique. En 2013, le ministère de la défense a commandé un rapport sur les conséquences des dérèglements climatiques à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), publié en juin 2014. Le 14 octobre 2015, Paris a également organisé une conférence internationale sur le thème « climat et défense : quels enjeux ? », rassemblant les ministres et représentants ministériels de trente-trois pays ainsi que des représentants de l’Organisation des Nations unies (ONU) et de l’Union africaine.  

Surtout, au mois de novembre 2016, l’Observatoire géopolitique des enjeux des changements climatiques en termes de sécurité et de défense (Observatoire « Défense et Climat ») a été créé pour une période minimale de quatre ans. Celui-ci est coordonné par l’IRIS (au moins jusqu’à la fin de l’année 2020) et rattaché à la direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des armées ([40]).

 

L’Observatoire Défense et Climat

Depuis 2016, l’Observatoire Défense et Climat s’est fixé six objectifs : 1° comprendre les corrélations entre changements climatiques et conflits, 2° prévoir les évolutions géophysiques des théâtres d’opération, 3° analyser les impacts sur le spectre des missions des armées, 4° adapter les capacités, les politiques et les doctrines, 5° anticiper les exigences et les contraintes normatives et 6° identifier les risques pesant sur la France et sur sa zone d’influence stratégique.

L’observatoire rassemble une équipe pluridisciplinaire composée de chercheurs en relations internationales, de climatologues, de militaires et d’ingénieurs de l’armement. Il coopère aussi régulièrement avec des centres de recherche étrangers tels que le Center for Climate and Security (CCS) de Washington, l’institut Clingendael de La Haye, le think tank allemand Adelphi et le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI).

L’observatoire produit principalement des rapports d’étude, des bulletins de veille stratégique et opérationnelle et des notes d’analyse. Il réalise également des interventions ponctuelles, notamment dans le cadre de séminaires.

Par ailleurs, plusieurs autres observatoires soutenus et/ou dirigés par la DGRIS tels que l’Observatoire de l’Arctique, l’Observatoire des Conflits futurs, l’Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques, ou des observatoires géographiques (Afrique, Asie du Sud, etc.) ont également vocation à travailler sur la thématique.

b.   L’adaptation des équipements et des infrastructures de défense aux dérèglements climatiques

Avant la création de l’observatoire, le ministère de la défense ([41])  concentrait son action en matière climatique sur la réduction de son empreinte environnementale, un domaine dans lequel il a depuis continué à s’impliquer.

Sur le plan de la gouvernance interne, le ministère s’est aligné sur les stratégies nationales de développement durable. Une Stratégie de Développement durable de Défense (S3D) a été formalisée en 2012 et rénovée en 2016. Cette stratégie est pilotée au plan ministériel par le haut fonctionnaire au développement durable (HFDD), qui est le directeur des patrimoines, de la mémoire et des archives (DPMA). De plus, dans le cadre de cette stratégie, l’officier général du pôle Prospective et stratégie militaire de l’État-major des armées (EMA) a été nommé officier général « développement durable » au sein de l’EMA.

Entre 2010 et 2018, le ministère des armées a ainsi réduit ses émissions de gaz à effet de serre de plus de 18 % ([42]).

Si la transition énergétique est nécessaire et doit être renforcée, elle est toutefois contrainte par la spécificité même des opérations militaires. Les objectifs d’efficacité des opérations et de sécurité des soldats primeront toujours sur l’idéal de neutralité environnementale.

 En outre, cette stratégie n’est pas suffisante. Certains dérèglements climatiques étant désormais inéluctables (voir partie I), il convient également de s’y adapter en rendant les équipements et les infrastructures militaires plus résilientes.

i.   Une nouvelle stratégie énergétique

La maîtrise de la consommation énergétique et le recours à des nouvelles sources d’énergie – notamment les énergies renouvelables – sont devenus indispensables à la sécurité énergétique, définie par le Centre interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations (CICDE) comme la « capacité à s’assurer en tout temps et en tous lieux l’alimentation en énergie des installations militaires et des systèmes d’armes déployés, même en cas de rupture des flux externalisés » ([43]).

Les armées sont tout d’abord confrontées à un impératif d’efficacité opérationnelle : elles doivent concilier la recherche de la performance opérationnelle avec la nécessité de limiter la consommation énergétique au maximum, en particulier en OPEX. En effet, les convois d’approvisionnement requièrent une organisation lourde et peuvent être attaqués, et ce d’autant plus lorsque les théâtres d’intervention sont éloignés. Selon une étude du département de la Défense des États-Unis, les convois d’approvisionnement – c’est-à-dire majoritairement des convois de ravitaillement en eau et en pétrole – ont été responsables de 10 à 12 % des victimes de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan entre 2003 et 2007. En 2007, en Afghanistan, un soldat ou un civil américain était en moyenne blessé ou tué tous les vingt-quatre convois d’approvisionnement en pétrole, et tous les trente-huit convois en Irak ([44]). Au Sahel – région dont la superficie représente dix fois celle de la France métropolitaine – les convois sont davantage épargnés, même si le Service des Essences des Armées (SEA) a été lui aussi la cible d’attaques par engins explosifs improvisés (IED) ([45]). Ainsi, la réduction de la dépendance aux énergies fossiles est devenu un impératif opérationnel en limitant le risque d’attaque de ce type de convois et les pertes humaines associées.

Certains systèmes d’armes plus économes en énergie fossile peuvent même apporter un surcroît d’efficacité opérationnelle. C’est par exemple le cas pour les moteurs hybrides (diesel/moteur électrique) des véhicules terrestres qui permettent une plus grande furtivité, un surcroît de puissance lors d’une manœuvre difficile et sont plus résilients (en cas de panne d’un des deux moteurs thermique ou électrique, par exemple).

En outre, la limitation de la consommation énergétique est un impératif budgétaire. Le  ministère des armées est le premier poste de dépense énergétique de l’État avec 840 millions d’euros en 2018, toutes énergies confondues, dont 74 % pour les carburants opérationnels ([46]). Or, ce coût pourrait s’accroître en raison de la tendance à l’augmentation de la consommation globale en énergie du ministère, les moyens déployés étant de plus en plus puissants et nombreux. De plus, la raréfaction progressive de l’offre des hydrocarbures fossiles et la forte volatilité des cours – comme l’illustre la variation des prix du pétrole au cours de la crise du Covid-19 – soulignent le besoin de diversification des approvisionnements.

Enfin, cela a été évoqué supra, les armées souhaitent aujourd’hui réduire l’empreinte environnementale de leurs activités.

Dans ce contexte, selon les chercheurs Bastien Alex et Adrien Estève, les forces armées ont construit leur doctrine énergétique autour de deux axes principaux : d’une part, la sobriété, c’est-à-dire la maîtrise de la consommation, et d’autre part, la soutenabilité, qui implique l’utilisation de nouvelles sources énergétiques ([47]). La sûreté est un troisième axe mis en valeur depuis septembre 2020.

En effet, le 25 septembre 2020, la ministre des armées Florence Parly a présenté la nouvelle Stratégie énergétique de défense du ministère, conçue par l’EMA, le SGA, la DGA et la DGRIS ([48]).  Cette stratégie s’articule autour de dix objectifs (présentés en annexe 5), résumés par le triptyque « consommer sûr, consommer mieux, consommer moins » ([49]) :

-         « Consommer sûr : sécuriser l’accès à l’énergie et renforcer la cyberdéfense des infrastructures énergétiques et la protection des données ;

-         Consommer moins : maîtriser les consommations et développer une culture de la sobriété énergétique et numérique ;

-         Consommer mieux : favoriser l’emploi de nouvelles technologies et des carburants de nouvelle génération afin d’améliorer les performances opérationnelles et la résilience énergétique des forces ([50]) ».

Le ministère souhaite réduire sa dépendance aux produits pétroliers en intégrant les nouvelles technologies et les carburants de dernière génération. D’ici 2025, il prévoit de consacrer 60 millions d’euros au développement de projets innovants en matière d’énergie.

Cette stratégie s’appuie sur une gouvernance composée de trois niveaux : un COMEX, un Comité énergie et quatre piliers thématiques (concernant l’énergie opérationnelle, l’énergie dans les infrastructures, les relations internationales et stratégiques, le capacitaire et l’innovation).

Certains des acteurs qui y participent ont évolué. En décembre 2019, la création d’une division « énergie opérationnelle » au sein de l’état-major des armées (EMA) ([51]) a renforcé l’intégration des enjeux énergétiques – à l’exclusion de l’énergie nucléaire – dans la conduite des opérations. Puis, en septembre 2020, le Service des essences des armées (SEA) est devenu le Service de l’énergie opérationnelle (SEO), sans changement de son périmètre de responsabilité.

Les acteurs opérationnels avaient déjà initié le processus de changement de leur modèle énergétique, avec par exemple le projet « Eco-camp », lancé en 2018, qui vise à renforcer l’autonomie énergétique et hydrique des camps en OPEX (optimisation de la consommation, énergies renouvelables, gestion autonome de l’eau de son forage jusqu’au traitement, etc.). L’Eco-camp sera expérimenté en opération extérieure entre 2023 et 2025. En 2028, les armées espèrent disposer d’une numérisation de ce type de camp pour permettre une planification du déploiement et la maintenance opérationnelle des camps déployés.

La France mène des efforts analogues pour repenser la sécurité énergétique opérationnelle dans un cadre interallié. Au niveau de l’OTAN, un officier français occupe la fonction de directeur-adjoint du Centre d’excellence sur la sécurité énergétique de Vilnius (ENSEC-COE), depuis sa création en 2012.

Au niveau de l’Union européenne, la France est coordonnatrice du projet Fonction opérationnelle en matière d’énergie (EOF) ([52]) dans le cadre de la Coopération Structurée Permanente (CSP) lancée en décembre 2017. Ces projets visent, d’une part, à diversifier les sources d’énergie opérationnelle des camps interalliés, et, d’autre part, à intégrer l’énergie dans la planification et la conduite des opérations communes.

De même, la France participe au forum de consultation sur l’énergie renouvelable dans le domaine de la défense et de la sécurité (« Consultation Forum for Sustainable Energy in the Defence and Security Sector », CF SEDSS) animé par l’Agence européenne de défense (AED) depuis 2015. Dans le cadre de ces travaux, la France est à l’origine du projet ENSSURE (porté par le service d’infrastructure de la défense (SID) du ministère des armées, en lien avec la direction générale de l’armement, DGA) sur l’autonomie énergétique d’un site militaire. Ce projet vise à expérimenter, sur un site militaire représentatif, la décarbonation quasi totale des besoins énergétiques, tout en préservant la capacité opérationnelle en cas de rupture d’approvisionnement électrique (liée, par exemple, aux dérèglements climatiques) ou de cyberattaque.

ii.   L’adaptation des équipements

Le développement des systèmes d’armes nécessite dix à vingt ans en moyenne, avant une éventuelle mise en service sur les théâtres d’opération. Deux objectifs sont alors prioritaires : proposer les meilleures technologies disponibles aux forces armées afin de leur garantir une supériorité opérationnelle, et éviter les situations de ruptures, c’est-à-dire le non-remplacement d’une capacité à son obsolescence.

Dans ce contexte, l’adaptation des systèmes d’armes aux dérèglements climatiques comprend à la fois la réduction de l’impact environnemental, la recherche de performance énergétique et l’adaptation aux événements climatiques eux-mêmes pour maintenir les capacités opérationnelles. Pour y parvenir, la DGA et les entreprises industrielles ont déjà commencé à orienter leurs choix capacitaires, lors de l’élaboration et de la rénovation des équipements de défense.

La DGA s’est ainsi dotée d’une cellule d’écoconception des programmes d’armement, qu’elle a présenté aux rapporteurs lors d’une audition.

La démarche d’écoconception de la DGA

Depuis le milieu des années 2000, la DGA travaille à l’identification des risques environnementaux pouvant réduire les performances opérationnelles des systèmes d’armes. Ces « aspects environnementaux significatifs » (AES) concernent trois domaines :

– le recours à des substances dangereuses durant le cycle de vie des systèmes d’armes (fabrication et maintenance), dont l’usage est de plus en plus strictement règlementé au niveau français et surtout européen, et qui génère un risque fort d’obsolescence dans les programmes ;

– la consommation énergétique et les rejets de polluants (air, eau, sol) des systèmes en utilisation ;

– le démantèlement en fin de vie et la maîtrise des pollutions associées.

Depuis 2008, une équipe dédiée à la maîtrise de l’environnement dans les opérations d’armement a été constituée. Elle est aujourd’hui composée d’une dizaine d’experts qui interviennent en support des sollicitations de la direction des opérations de la DGA (chaque « unité de management » dispose d’un expert référent).

En outre, en 2018, la DGA a élaboré une méthodologie d’écoconception spécifique, appelée « GRECO » pour « GRille d’ECOconception ». Cette dernière se détache des trois domaines d’action mentionnés supra en soutenant une démarche globale de réduction des impacts environnementaux associés au cycle de vie d’un système d’armes. L’outil est décliné en deux grilles d’évaluation complémentaires intégrées dans les cahiers des charges des marchés :  l’une évalue les pratiques de management d’une entreprise et la manière dont elle appréhende, dans son organisation, les enjeux environnementaux (grille dite « GRECO Management » ; l’autre suit les actions d’écoconception mises en place de manière opérationnelle au cours d’un marché de conception dédié (grille dite « GRECO Produit »).

Cette démarche permet de s’assurer de la conformité des équipements avec les normes en vigueur, notamment internationales (Convention relative à l’aviation civile internationale dite « Convention de Chicago » adoptée en 1944, Convention internationale pour la prévention de la pollution maritime par les navires dite « MARPOL » adoptée en 1973, etc.) et européennes (règlement (CE) n°1907/2006 REACH, règlement (CE) n°1005/2009 relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone, règlement (UE) n°517/2014 relatif aux gaz à effet de serre fluorés, etc.). Elle prend en compte le coût de l’absence de suivi en matière environnemental. À titre d’exemple, l’entrée en vigueur du règlement européen REACH (enregistrement, évaluation, autorisation des substances chimiques et restrictions applicables à ces substances) le 1er juin 2007, aurait représenté une adaptation coûteuse pour le ministère des armées, en termes budgétaire et opérationnel, comme l’a expliqué le député Jacques Marilossian dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2020 déposé au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées ([53]) .

Ainsi, pour éviter le retrait d’une technologie critique, la DGA dispose aujourd’hui d’une solide expertise en matière d’analyse des risques environnementaux. Pour chaque réglementation environnementale, elle s’attache à appliquer dans le cahier des charges des systèmes d’armes le même niveau d’exigence que pour les équipements civils équivalents, lorsque cela est compatible avec les contraintes opérationnelles. Elle considère le recours au mécanisme d’autorisation (octroyé par l’Union européenne) ou aux exemptions de défense (au niveau national) comme une solution temporaire, qui ne doit pas être privilégiée. En effet, compte tenu des caractéristiques des marchés de défense (faibles volumes de production, marchés de niche, systèmes à très longue durée de vie), le risque d’obsolescence est majeur. Appliquer les dispositions des règlementations pour le matériel civil permet d’éviter l’usage de technologies potentiellement obsolètes et donc les risques en matière d’approvisionnement, de surcoût de maintenance et, in fine, les risques portant sur les conditions d’emploi en opération.

Du côté des industries de défense, l’effort d’adaptation est conduit par un raisonnement avant tout commercial. L’exportation est souvent vitale – et plus particulièrement dans le contexte de crise économique actuel, même si l’État français a proposé des aides et passé des commandes de matériels aux industriels. Or, le marché de l’armement se caractérise par l’émergence de nouveaux concurrents (Chine, Inde, Corée du Sud, etc.). Pour conserver voire renforcer leurs parts de marché, les industries de défense françaises et européennes doivent donc innover en proposant des équipements plus performants et en réduisant le coût d’utilisation grâce à une meilleure autonomie énergétique.

L’Agence de l’innovation de défense (AID), créée en 2018 qui utilise une approche « bottom-up » pourra utilement relayer ce type d’initiatives.

Néanmoins, cet effort d’écoconception dans le développement des systèmes d’armes ne s’accompagne pas toujours d’une intégration des risques causés par les dérèglements climatiques. Des initiatives ponctuelles existent, à la suite de retours d’expérience de terrain (« RETEX »). Des hélicoptères H225M Caracal ont par exemple été rénovés pour mieux résister aux tempêtes constatées au Nord Mali et les normes OTAN de résistance à la chaleur pour les équipements électroniques ont augmenté (63°C contre 55°C auparavant). Toutefois, les dérèglements climatiques demeurent davantage considérés comme des variables d’ajustement que comme des nouvelles contraintes stratégiques destinées à révolutionner les conditions d’intervention. D’ailleurs, ils ne sont pas mentionnés dans les objectifs essentiels et les principaux enjeux du ministère des armées en matière d’innovation présentés dans le Document d’orientation de l’innovation de défense 2019 (DOID) et le Document de référence de l’orientation de l’innovation de défense 2020 (DrOID).

Dans un article publié en 2014, le chercheur Bastien Alex regrettait déjà l’absence de « climato-conception » (climate change conception([54]). Selon lui, « les modifications liées au changement climatique ne sont pour l’heure pas intégrées dans les programmes d’armement, car elles ne sont pas considérées comme structurantes en termes de contrainte d’utilisation du produit ».

Or, les dérèglements climatiques peuvent d’ores et déjà entraîner des conséquences lourdes sur les équipements militaires qui mériteraient d’être étudiées davantage. Les tenues des soldats et les matériels doivent résister à des évènements climatiques plus extrêmes telles que des pluies plus intenses ou des chaleurs très fortes, ce qui nécessiterait une adaptation plus systématique des matériaux voire aussi un processus de refroidissement pour certains matériels, notamment électroniques. La chaleur et la désertification favorisent également la présence de vents de sable, nocifs pour les équipements, comme l’a rappelé la DGA aux rapporteurs. L’acidification de la mer et l’augmentation de la salinité des eaux sont quant à elles susceptibles d’altérer les coques des bateaux, le fonctionnement des sonars et des dispositifs de communication sous-marine.

Le rapport sur la stratégie énergétique de défense rendu public en septembre 2020 démontre toutefois une conscience croissante de cet enjeu, en donnant pour sa part l’exemple des bâtiments de la marine : « L’élévation des températures et les perturbations induites pèsent à la fois sur les activités opérationnelles et sur les consommations énergétiques (besoins croissants pour la régulation thermique des équipements et des hommes). À titre d’exemple, la source froide des installations des bâtiments de la marine nationale est la mer : son réchauffement diminue le rendement des échangeurs thermiques et conduit à une détérioration des performances des matériels de climatisation ou réfrigération. Les activités de défense devront nécessairement intégrer les impacts du changement climatique ».

iii.   L’adaptation des infrastructures

L’ensemble des infrastructures militaires et des points de stationnement doivent être adaptés aux chaleurs et aux intempéries plus intenses ([55]), et les axes d’approvisionnement stratégiques doivent être maintenus, quelles que soient les conditions climatiques.

Les bases navales et aéronavales doivent faire l’objet d’un suivi particulier voire dans certains cas, être déplacées. Elles sont en effet exposées à la montée du niveau des mers et des océans ainsi qu’à des événements climatiques extrêmes plus réguliers ou plus intenses.

De même, le Centre spatial guyanais de Kourou doit faire l’objet d’un suivi spécifique car il est situé à seulement quatre kilomètres de l’océan Atlantique, dont le niveau augmente.

Dans ce contexte, en 2019, l’EMA a lancé une première analyse des risques climatiques pour les sites des forces pré-positionnées à l’étranger ([56]), en lien avec l’Observatoire Défense et Climat. Ce travail, qui a commencé par les forces françaises en Côte d’Ivoire (FFCI), consiste en la production d’une méta étude sur les impacts directs des dérèglements climatiques dans chaque site militaire, mais aussi sur leurs impacts géographiques, économiques, sociaux et sanitaires.  Cette étude comporte également des premières recommandations ([57]).

Selon la DGRIS, « les Armées ont une approche de maîtrise des risques et de protection de l’environnement concernant leurs emprises, y compris en métropole. Elles développent leurs capacités propres d’analyse des vulnérabilités climatiques en s’appuyant sur une méthodologie déjà éprouvée dans le monde civil. »

Cette démarche d’évaluation devait aboutir à une première cartographie des risques pour les forces prépositionnées à l’étranger en 2020, puis à une cartographie pour les forces de souveraineté situées dans les départements et collectivités d’outre-mer en 2022. Elle a toutefois été freinée par la crise sanitaire ([58]).

Lorsqu’elle sera achevée, elle pourra déboucher sur de nouveaux protocoles, mis en œuvre par le service d’infrastructure de la défense (SID) et l’EMA.

c.   La multiplication des opérations

Tel que défini par l’Ambition 2030 de la Loi de programmation militaire 2019-2025, notre modèle d’armée « doit permettre d’atteindre les effets militaires recherchés sur la totalité du spectre des menaces et des engagements possibles, y compris les plus critiques, mais le modèle restera dynamique pour s’adapter à l’évolution des conflits » ([59]).

Si l’on ne constate pas, à ce jour, de conflit directement causé par un dérèglement climatique, ces dérèglements contribuent à augmenter les tensions dans certaines régions, et donc à favoriser in fine les conflits. Les moyens matériels et humains des armées doivent ainsi être dimensionnés pour faire face à la hausse potentielle du nombre d’opérations militaires ou au renforcement de celles qui sont déjà déployées.

Dans son rapport d’étude n°6 consacré au Sahel publié au mois de mai 2018, l’Observatoire Défense et Climat prend l’exemple du Niger. D’ici 2050, la hausse estimée des températures de l’ordre de 2,5°C, la réduction de 20 % de la durée de la saison des pluies et l’augmentation des épisodes extrêmes (inondations, fortes chaleurs) provoqueront une baisse des rendements agricoles et un assèchement important du fleuve Niger, alors que même que le pays connaît une forte croissance démographique. Ce contexte favorisera la survenue de crises alimentaires, auxquelles le gouvernement nigérien ne pourra pas nécessairement faire face. Cette situation pourrait être source de tensions, avec des groupes criminels et terroristes tentant de profiter de la situation. La France devrait alors déployer plus de troupes, pour lutter contre ces groupes mais aussi pour protéger les expatriés employés dans le secteur minier (uranium).

De plus, les dérèglements climatiques nécessiteront davantage d’opérations civilo-militaires pour porter secours aux populations. Les armées doivent s’y préparer dans un cadre interarmées, interministériel et interallié.

Sur le territoire national, les armées sont déjà régulièrement mobilisées pour ce type d’opérations. Elles se coordonnent alors avec d’autres acteurs (sécurité civile, sécurité intérieure, opérateurs d’importance vitale (OIV), partenaires internationaux) pour aider la population sinistrée (opérations de sécurisation, d’acheminement de fret humanitaire, d’assistance à la population, etc.). L’opération interministérielle Héphaïstos mobilise, par exemple, chaque été les forces armées aux côtés des pompiers pour lutter contre les feux de forêt dans vingt-trois département du Sud de la France. De même, les armées ont été mobilisées à la suite de la tempête Alex qui a provoqué des pertes humaines et matérielles importantes dans les Alpes-Maritimes le 2 octobre 2020.

Les territoires ultramarins apparaissent particulièrement vulnérables. L’opération militaire qui a fait suite à l’ouragan Irma, survenu au mois de septembre 2017 dans les Antilles, s’est ainsi apparentée, en termes d’engagement logistique et humain, à une opération sur un théâtre extérieur (OPEX) : 2 500 militaires déployés, mise en place d’un point aérien (Casa, A310, A340, A400M), déploiement d’hélicoptères lourds (Puma, Caïman) et de 1 000 tonnes de fret humanitaire par deux frégates de surveillance et un Bâtiment de Projection et de Commandement (BPC). Dans le cadre d’un engagement des forces déjà soutenu et d’un budget limité, ce type d’engagement exceptionnel implique mécaniquement une diminution des moyens disponibles pour d’autres opérations.

Ainsi, ces nouvelles missions civilo-humanitaires appellent à une évolution du format des forces armées et de leurs capacités. Le rétablissement en urgence des services essentiels (eau courante, électricité, moyens sanitaires) nécessite des compétences propres, détenues par des corps spécialisés, comme les corps du génie militaire ou le service de santé des armées, qu’il convient de renforcer. Ces missions requièrent également des capacités et des équipements spécifiques. À titre d’exemple, le BPC s’est révélé un outil particulièrement polyvalent au cours de l’opération IRMA, alors même qu’il n’avait pas été conçu pour les opérations civilo-humanitaires ([60]).

En outre, toute l’importance des hélicoptères, dont le parc est pourtant vieillissant, a pu être mesurée au cours de l’opération Irma, comme chaque année au cours de l’opération Héphaïstos. Ils constituent souvent les seuls outils capables de s’affranchir des aéroports et d’acheminer l’aide humanitaire d’urgence.

Enfin, l’évolution du modèle des forces armées répond également à la question de l’acceptation sociale des opérations, par la population nationale comme par celle des théâtres d’intervention. Pour la population française, il s’agit de répondre aux exigences d’une société de plus en plus sensible aux enjeux climatiques et de faire accepter les trajectoires budgétaires du ministère des armées. Dans les théâtres d’intervention, une meilleure prise en compte des vulnérabilités climatiques par les armées conduirait à une meilleure acceptation de la force par les populations locales. Au Sahel par exemple, la situation sécuritaire ne pourra être stabilisée durablement sans prise en compte des défis économiques, institutionnels, sanitaires et climatiques auxquels la région est confrontée. Il est donc nécessaire de croiser les actions des acteurs institutionnels pour une sortie de crise pérenne : c’est l’esprit de l’approche « 3 D » (Défense, Diplomatie et Développement) développée conjointement par le ministère des armées, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) et son opérateur, l’Agence française de développement (AFD).

d.   Focus sur l’action de la France dans l’espace Indopacifique

La zone Indopacifique, centrée autour des océans Pacifique, Indien et Austral, s’étend des côtes de l’Afrique de l’Est aux rivages américains du Pacifique oriental. La France y est géographiquement très présente avec ses territoires d’outre-mer (îles de Mayotte et de La Réunion, îles Éparses et terres australes et antarctiques françaises, Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna  Polynésie française, îlot de Clipperton ([61])). 93 % de la zone économique exclusive française est située dans les océans Indien et Pacifique (9 millions de km²).

Or, l’espace Indopacifique est un enjeu majeur en matière de changement climatique, en raison d’une part de l’importance des émissions de gaz à effet de serre dans cette zone, devenue le centre de gravité de l’économie mondiale (60 % de la population mondiale, un tiers du commerce international), et d’autre part, de la grande vulnérabilité aux évènements climatiques des pays qui en font partie. En Asie-Océanie, entre 230 et 240 millions de personnes vivent sur un territoire situé entre 0 et 5 mètres au-dessus du niveau des océans. La montée du niveau de la mer comme l’intensification des cyclones tropicaux et leur extension géographique, pourraient rendre inhabitables de nombreuses régions (voir I. B et I.C).

Dans ce contexte, de nouvelles tensions liées aux éventuels déplacés climatiques pourraient survenir, qu’il s’agisse de déplacés internes ou transfrontaliers. De même, les rivalités liées au manque de ressources pourraient être accentuées, et ce d’autant plus que ces ressources sont également impactées par les dérèglements climatiques. La quantité et la répartition des ressources halieutiques sont par exemple affectées par l’évolution des températures océaniques, l’acidification et l’évolution des courants marins ([62]). Les tensions qui existent déjà pour le contrôle des ressources halieutiques dans la zone Indopacifique (par exemple en mer de Chine, entre l’Inde et le Sri Lanka ou en Polynésie française), pourraient être exacerbées. Or, les puissances régionales ont augmenté leurs capacités militaires, notamment en haute mer ([63]).

Dans son discours prononcé sur la base navale de Garden Island en Australie le 2 mai 2018, le président de la République a présenté la stratégie française dans la zone Indopacifique. Parmi les objectifs énoncés figurent l’implication de la France dans le règlement des crises régionales, le renforcement et le développement de partenariats stratégiques dans la région et l’engagement en faveur de la promotion des biens communs, dont le climat et l’environnement.

Cette stratégie a ensuite été déclinée dans deux documents du ministère de l’Europe et des affaires étrangères : le Livre Blanc Asie-Océanie horizon 2030, vers un espace asiatique Indo-pacifique inclusif, publié en 2018, et la Stratégie française dans l’Indopacifique : pour un espace Indopacifique inclusif, publiée en 2019. Ces rapports évoquent toutefois très peu les enjeux environnementaux.

Pour sa part, le ministère des armées a publié en 2018 un document général intitulé Défense et climat – la France s’engage, dans lequel quelques actions dans l’espace Indopacifique sont présentées, ainsi que deux rapports spécifiques sur la zone en 2019 :  La Stratégie de défense française dans l’Indopacifique et La France et la sécurité en Indopacifique. Ce dernier texte présente les principaux enjeux en matière de sécurité environnementale en Indopacifique.

les enjeux de la sÉcuritÉ environnementale en indopacifique
selon le ministÈre des armÉes

Nb : Cette carte ne présente pas la côte orientale du Pacifique, ni une partie de l’Antarctique. Le Chili contribue également aux études de sécurité environnementale. Les côtes de l’Alaska, d’Amérique centrale et une partie des côtes chiliennes sont aussi vulnérables à la montée des eaux.

Source : « La France et la sécurité en Indopacifique » ministère des armées, 2019.

Le rapport précise : « Les sécheresses, les crues et la montée des eaux, l’érosion des sols ne sont pas que des événements naturels. Ce sont aussi des événements militaires. Ils redessinent les cartes, créent des tensions, déplacent des populations.

« L’augmentation en fréquence et en intensité des phénomènes climatiques extrêmes, la diminution des ressources halieutiques et le stress hydrique altèrent la résilience des États, génèrent de nouveaux trafics illicites et induisent des risques sanitaires à grande échelle. En engendrant de nouvelles failles, ils amènent de nouveaux conflits. La zone Indopacifique est particulièrement concernée. »

Pour obtenir plus de précisions sur les actions menées par les armées françaises, les rapporteurs ont organisé une audition de la DGRIS et de l’état-major de la marine.

Les armées françaises, dont la présence dans l’espace Indopacifique est présentée à l’Annexe 7, sont tout d’abord mobilisées pour le secours aux populations dans le cadre des catastrophes naturelles. Entre 2007 et 2018, elles sont intervenues dix-huit fois dans le Pacifique dans le cadre d’opérations humanitaires, sur les territoires français ou en soutien à des pays régionaux affectés : quatorze fois en raison d’épisodes cycloniques et quatre fois lors d’inondations (DGRIS, 2018).

La déclaration Franz (France, Australie, Nouvelle-Zélande) permet une action coordonnée des trois partenaires en cas de catastrophe naturelle, et sur demande du pays considéré, par l’emploi des moyens civils et militaires. La France a ainsi participé à une trentaine d’opérations humanitaires dans le Pacifique Sud ces vingt-cinq dernières années dans le cadre de cette coopération trilatérale (Fidji, Vanuatu, îles Salomon, Niue, Papouasie Nouvelle-Guinée, Tonga, Tuvalu, îles Cook).

En outre, pour entraîner les forces régionales au secours des populations et à l’assistance humanitaire médicale, des simulations et des exercices militaires multilatéraux sont également organisés (Southern Katipo, Croix du Sud, Tropic Twilight, etc.). Dans le cadre de sa présidence de l’Indian Ocean Naval Symposium (IONS), la France prévoit d’organiser un exercice avec l’Inde et d’associer éventuellement le Bangladesh.

Par ailleurs, en parallèle de sa fonction de « secouriste », la Marine se positionne également en gendarme de la haute-mer contre toutes sortes d’abus et de trafic (pollution, pêche illégale, etc.)

D’autres enceintes de coopération auxquelles la France participe comprennent également une dimension « sécurité environnementale » au sens large :

-         le Forum des îles du Pacifique (FIP) ([64]) : l’article premier de la Déclaration de Boe de septembre 2018 définit le changement climatique comme la plus grande menace sécuritaire de la région ;

-         le Pacific Environmental Security Forum (PESF) organisé par le commandement des forces armées américaines dans le Pacifique (US INDOPACOM), auquel la France a été invitée en 2019 ;

-         la coopération bilatérale franco-australienne : une cartographie commune des risques environnementaux et climatiques dans l’océan Indien a été établie (incluant l’Antarctique) ;

-         l’Observatoire Défense et Climat a assuré le pilotage d’un rapport sur les  conséquences des dérèglements climatiques en matière de défense et de  sécurité dans le Pacifique Sud,  dans le cadre de la réunion des ministres de défense du Pacifique (South Pacific Defence Ministers’ Meeting, SPDMM) ([65]).

L’étude du South Pacific Defence Ministers’ Meeting (SPDMM)

En 2017, la France a proposé de coordonner la réalisation d’un rapport du SPDMM sur les enjeux de sécurité du changement climatique dans le Pacifique Sud à l’horizon 2030.

Pour rédiger ce texte, l’Observatoire Défense et Climat a reçu des contributions des armées australienne, chilienne, fidjienne, néo-zélandaise, de Papouasie Nouvelle-Guinée, ainsi que du département du changement climatique des îles Tonga. Il a également lui-même réalisé une première contribution, présentée au mois de décembre 2018 dans son rapport d’étude n°7.

Le rapport final du SPDMM, présenté le 9 mai 2019 à Nadi aux Fidji, décrit tout d’abord les principaux dérèglements climatiques auxquels seront confrontés les États du Pacifique Sud d’ici 2030. Il se concentre ensuite sur trois enjeux prioritaires : la vulnérabilité des infrastructures critiques, les opérations humanitaires à la suite de catastrophes et la surveillance des espaces maritimes (trafics dont la pêche illégale, immigration irrégulière). Enfin, il propose dix recommandations.

Les travaux du SPDMM se poursuivent désormais au sein du groupe de travail sur la défense et le climat, créé à l’initiative de Nouvelle-Zélande. En 2020, ces travaux ont essentiellement porté sur le suivi de la première recommandation, destinée à encourager le partage de connaissances et de meilleures pratiques en la matière.

Toutefois, ces partenariats, à l’exception du dernier projet, abordent encore peu les risques de tensions sécuritaires liés aux dérèglements climatiques. Les armées en sont conscientes et indiquent vouloir renforcer leur action sur la thématique.

L’étude du lien « climat et sécurité » dans l’espace Indopacifique est en revanche très suivi par l’Observatoire Défense et Climat dans ses travaux.

e.   Des initiatives prometteuses mais encore insuffisantes

 Jusqu’à présent, l’analyse des risques sécuritaires liés aux dérèglements climatiques reste un sujet d’experts et de chercheurs qui mobilise peu les décideurs militaires.

Si la création de l’Observatoire Défense et Climat demeure une avancée majeure, ce dernier est éloigné des acteurs opérationnels – même si l’EMA est représentée au sein du comité de pilotage – ce qui freine la prise de conscience des armées. L’observatoire a été confié de 2016 à 2020 à un institut de recherche externe, l’IRIS, et la DGRIS, auquel l’observatoire est rattaché, reste une direction récente qui peine encore à trouver sa place face aux acteurs plus opérationnels du ministère ([66]).

Plus généralement, il n’existe pas de cadre prospectif stratégique institutionnalisé sur la thématique. L’EMA considère la question climatique comme une variable opérationnelle et non comme une variable stratégique majeure.

En outre, c’est avant tout le lien entre climat et défense qui est aujourd’hui traité, bien que plus celui entre climat et sécurité.

Les documents stratégiques évoquent d’ailleurs très peu les risques sécuritaires liés aux dérèglements climatiques. Si la Revue Stratégique de défense et de sécurité nationale publiée en octobre 2017 classe les dérèglements climatiques comme l’un des cinq facteurs d’aggravation des crises – aux côtés des pressions démographiques et migratoires, des risques sanitaires, des rivalités énergétiques et de la criminalité organisée –, elle n’en détaille pas les conséquences pour les forces armées françaises. Dans son document La France et la sécurité en Indopacifique, le ministère des armées n’évoque pas l’enjeu climatique dans les « défis sécuritaires majeurs en Indopacifique », même s’il dédie une page au thème « la sécurité environnementale : une responsabilité collective ».

Pour développer un cadre stratégique, la France n’a pendant longtemps pendant pas pu s’appuyer sur l’action des organisations internationales, même si certaines sont aujourd’hui beaucoup plus impliquées.

3.   Des organisations internationales qui ont mis du temps à s’intéresser à la thématique

La mobilisation des organisations internationales sur la thématique a été tardive et demeure encore inégale selon les institutions étudiées.

a.   L’ONU

Au cours de la dernière décennie, le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) a entamé une réflexion profonde sur le lien entre les dérèglements climatiques et les conflits.

En juillet 2011, la présidence allemande du Conseil de sécurité a notamment pris l’initiative de convoquer un débat ouvert sur l’impact du changement climatique sur le maintien de la paix et de la sécurité internationales. Dans le cadre de ce débat, le Conseil de sécurité est convenu d’une déclaration de son président (S / PRST / 2011/15), dans laquelle il reconnaît que « les effets négatifs possibles du changement climatique peuvent, à long terme, aggraver certaines menaces existantes pesant sur la paix et la sécurité internationales ».

Le Conseil a également reconnu les effets néfastes du changement climatique sur la stabilité de plusieurs régions du monde (la Corne de l’Afrique, le Sahel, le lac Tchad, le Darfour) ou pays (le Mali, la Somalie) dans plusieurs résolutions.

Toutefois, le CSNU n’est pas parvenu à voter une résolution générale en la matière du fait des positions russe et américaine ([67]).

Pour sa part, l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) a adopté le 3 juin 2009 la résolution 63/281 sur les changements climatiques et leurs répercussions éventuelles sur la sécurité, proposée par plusieurs petits États insulaires du Pacifique. Toutefois, les débats ont mis en lumière la difficile articulation des différents organes de l’ONU face aux problèmes de sécurité engendrés par les dérèglements climatiques. En particulier, les délégations ont montré des divergences sur le rôle que doit jouer le Conseil de sécurité.

Enfin, le Secrétariat général de Nations unies (SGNU) a publié en septembre 2009 un rapport intitulé Les changements climatiques et leurs répercussions éventuelles sur la sécurité (A/64/350) et missionné progressivement plusieurs institutions sur la thématique : le Département des affaires politiques et de consolidation de la paix (DPPA), le Bureau de coordination des affaires humanitaires (BCAH) et le Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophes (UNISDR). Le Secrétariat général s’appuie également sur l’action des agences et des programmes spécialisés de l’ONU sur le climat (CCNUCC, OMM, GIEC), l’environnement (Programme des Nations unies sur l’environnement PNUE), le développement (Programme des Nations unies pour le développement PNUD), l’agriculture (FAO, Programme alimentaire mondial PAM), la lutte contre la désertification (Convention des Nations unies contre la désertification CNULD), les migrations (HCR et OIM) et la santé (Organisation mondiale de la santé OMS).

Le Mécanisme sur le climat et la sécurité, créé en 2018, pourrait contribuer à mieux coordonner le travail de ces différents acteurs. 

Le Mécanisme sur le climat et la sécurité

Le Mécanisme sur le climat et la sécurité (Climate Security Mechanism, CSM) a été créé en octobre 2018, avec le soutien du gouvernement suédois et était composé de cinq personnes au moment de son audition par les rapporteurs (mai 2020).  Il rassemble des agents du PNUD, du PNUE et du DPPA.

Sa mission principale est de promouvoir le traitement du lien entre les changements climatiques, la paix et la sécurité, auprès agences onusiennes et de l’ensemble de la communauté internationale. Le CSM a créé une « communauté de pratique » avec vingt-cinq entités onusiennes (dont la FAO, le HCR et l’UNISDR) et la Banque mondiale. Il constitue un point de référence stratégique sur la thématique.

Le CSM organise également des événements sur la thématique (par exemple un événément parallèle lors  du Sommet sur l’action climatique de l’ONU en septembre 2019) et produit des documents de référence. Ses membres ont ainsi rédigé une Boîte à outils sur la sécurité climatique (« Climate Security Toolbox »), c’est-à-dire un guide pratique pour une analyse systématique des risques sécuritaires liés au climat.

Plusieurs pays financent le CSM, dont l’Allemagne, la Norvège et la Suède. La France n’en fait pas partie.

Une initiative étatique peut également être mentionnée : le Groupe des amis du climat et de la sécurité, composé d’une cinquantaine de pays (dont la France) et créé par l’Allemagne et Nauru en 2018. Ce groupe souhaite notamment obtenir des soutiens pour la déclaration adoptée le 25 septembre 2019 par ses membres qui appelle le secrétaire général des Nations unies à produire un rapport biannuel sur les conséquences du changement climatique sur la paix et la sécurité internationale, sur différentes périodes (immédiates, 5, 10, 20, 50 ans) et pour toutes les régions du monde, dans le but de prévenir les conflits (stress tests basés sur les prévisions des impacts du changement climatique). Ce rapport fournirait des recommandations d’action. Pour obtenir ce rapport biannuel, une résolution doit être adoptée à l’Assemblée générale des Nations unies donnant mandat au secrétaire général pour élaborer ce rapport.

La France soutient également l’idée d’un renforcement des capacités du secrétariat des Nations unies en matière d’analyse climatique (meilleure formation des experts, des responsables du département des opérations de maintien de la paix (DOMP) et du département de l’appui aux missions (DAP), de l’unité de médiation du département des affaires politiques et de consolidation de la paix (DPPA), des représentants spéciaux et des résidents coordinateurs) sur les implications du changement climatique pour la paix et la sécurité internationales.

Il est toutefois nécessaire de rappeler que jusqu’ici, l’ONU adopte souvent une approche de la sécurité climatique basée avant tout sur les populations et le développement, au détriment d’une approche incluant la défense.

b.   L’OTAN

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) n’a pas développé de réelle prospective stratégique sur le lien entre les dérèglements climatiques et les conflits - l’organisation concentre plutôt son action sur la sécurité énergétique et l’optimisation des équipements militaires, consensuelles. Les positions climato-sceptiques de certains États membres ont pu freiner la coopération atlantique sur la thématique.

c.   L’Union européenne

Cette difficulté a également été rencontrée au niveau européen, même si celle-ci s’intéresse désormais plus directement à la sécurité climatique. Le 22 juin 2018, Federica Mogherini qui occupait alors le poste de Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, avait organisé une conférence sur le thème Climat, paix et sécurité : le temps de l’action, mais celle-ci était avant tout centrée sur la sécurité humaine et le développement, plutôt que sur la sécurité nationale et internationale.

Les 28 et 29 août 2019, une rencontre informelle entre les ministres de la Défense des pays européens a porté notamment sur les conséquences des changements climatiques en matière de défense et de sécurité.  Le volet identification des risques climatiques a toutefois davantage été traité que le volet prospection stratégique.

Une nouvelle dynamique a toutefois été lancée en 2020. Le Haut Représentant Josep Borell a en effet présenté le 11 décembre 2020 la feuille de route Changement climatique et défense (« Climate change and defence roadmap ») ([68]) du Service européen d’action extérieure (SEAE). La feuille de route doit permettre d’intégrer le changement climatique dans les actions européennes en matière de défense – notamment au sein de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) – tout en contribuant plus largement au nexus climat et sécurité. Le SEAE propose ainsi des actions autour de trois axes stratégiques ([69])  :

-         une dimension opérationnelle : une amélioration de la connaissance et de la prévision ainsi qu’une meilleure intégration du changement climatique et des aspects environnementaux dans la planification et la mise en œuvre des missions et des opérations civiles et militaires de la PSDC ;

-         un développement capacitaire permettant de s’assurer que les équipements militaires resteront efficaces dans des conditions météorologiques extrêmes et seront plus économes en énergie, que les infrastructures seront plus résilientes, et que l’impact environnemental du secteur de la défense sera réduit ;

-         le renforcement du multilatéralisme et des partenariats sur le lien changement climatique et défense.

Selon Josep Borell, les progrès seront examinés chaque année lors d’événements annuels avec les parties prenantes concernées. De plus, une revue intermédiaire de la feuille de route sera organisée d’ici 2025, avant une revue générale d’ici 2030.

 

Enfin, après avoir présenté les actions des organisations internationales, les rapporteurs souhaitent mettre en valeur deux autres instances actives sur la thématique :

-         la Planetary Security Initiative (PSI), lancée en 2015 par le ministère des affaires étrangères néerlandais, réunit chaque année (à l’exception de l’année 2020) autour d’une conférence des représentants des gouvernements, des organisations internationales (OSCE, OTAN, UE, Banque mondiale), des ONG et des chercheurs (Clingendael Institute, Adelphi, Center for Climate and Security, Hague Centre for Strategic Studies, Institute for Envrironmental Security, Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), Observatoire Défense et Climat, etc.) ;

-         le Conseil militaire international sur la sécurité et le climat (International Military Council on Climate and Security, IMCCS) créé en 2019, est un réseau de responsables militaires de nombreux pays qui produit un rapport annuel sur le climat et la sécurité et fait des propositions.

 

 

 

Si l’implication des acteurs est croissante sur les thématiques climat et sécurité et surtout sécurité et défense, elle apparaît toutefois largement insuffisante au regard des enjeux évoqués. Les dérèglements climatiques sont un multiplicateur et un accélérateur de menaces qu’il convient de traiter avec les outils diplomatiques et militaires disponibles.

 


III.   la diplomatie et les armÉes, acteurs clÉs de la rÉduction des risques sÉcuritaires liÉs au climat

A.   mobiliser la diplomatie pour attÉnuer les dÉrÈglements climatiques et rÉduire leur impact sur les conflits

Les diplomaties française et européenne doivent poursuivre deux objectifs complémentaires : atténuer les dérèglements climatiques lorsque cela est possible et limiter leur impact lorsqu’ils ne peuvent plus être empêchés.

1.   Atténuer les dérèglements climatiques

a.   Poursuivre et renforcer l’action française et européenne lors des grandes négociations climatiques

L’Accord de Paris, approuvé le 12 décembre 2015 par l’ensemble des 195 délégations présentes à la vingt et unième conférence des parties (COP21) de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), est entré en vigueur le 4 novembre 2016. Il constitue le seul accord universel sur le climat doté d’un objectif chiffré : contenir d’ici 2010 la hausse de la température planétaire nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, en essayant de la limiter à 1,5°C.

Toutefois, cinq ans après la signature de cet accord historique, la trajectoire fixée n’est pas respectée par la communauté internationale, comme en témoignent les chiffres présentés dans la première partie du rapport.

Lors de la table ronde sur les suites de l’Accord de Paris organisée le 9 décembre 2020 à la commission des affaires étrangères, M. Nick Bridge, envoyé spécial sur le climat du ministère des affaires étrangères britannique, a présenté plusieurs objectifs de la vingt-sixième conférence des parties de la CCNUCC  (COP26), organisée à Glasgow en novembre 2021 ([70]). Parmi ces derniers figurent l’obtention de contributions déterminées au niveau national (CDN) ([71])  plus ambitieuses d’ici 2030 ainsi que la présentation de plans nationaux sur la neutralité carbone plus convaincants. Selon le diplomate, les plans nationaux en la matière se limitent encore souvent à de grandes annonces, sans traduction concrète dans les cadres juridiques nationaux. Ainsi, la COP26 pourrait être l’occasion d’obtenir des « plans structurés et complets » (« structured detailed plans ») sur la neutralité carbone.

Recommandation n° 1 : Renforcer les efforts diplomatiques entrepris pour faire respecter l’Accord de Paris (COP21), en encourageant des stratégies nationales plus ambitieuses et plus concrètes.

L’esprit de l’Accord de Paris suppose de revoir régulièrement à la hausse les objectifs fixés, de les considérer comme une étape et non comme un aboutissement. Cette dynamique a pu sembler brisée, notamment lors des COP de Katowice en 2018 (COP24) et de Madrid en 2019 (COP25) qui n’ont obtenu aucune avancée sensible, dans un contexte marqué par le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris le 1er juin 2017. Or, cette situation alimente les discours fatalistes et favorise ainsi peu à peu un « cercle vicieux de l’inaction ».

Recommandation n° 2 : Revoir les objectifs fixés à Paris à la hausse lors des prochaines COP.

Le contexte international apparaît favorable au renforcement des objectifs climatiques. Joe Biden, le nouveau président américain a signé le premier jour de son mandat, le 20 janvier 2021, le décret prononçant le retour de son pays dans l’accord de Paris et annoncé souhaiter faire atteindre à son pays la neutralité carbone d’ici 2050. De même, l’Union européenne, le Japon et la Corée du Sud se sont engagés pour une neutralité carbone d’ici 2050 et la Chine d’ici 2060.

Pour atteindre cette neutralité carbone en 2050, le Conseil européen des 10 et 11 décembre 2020 a approuvé l’objectif consistant en une réduction nette des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990 (contre 40 % auparavant).

Plus généralement, de nombreux États comptent sur la transition écologique pour sortir de la crise économique provoquée par la pandémie et investissent donc massivement pour y parvenir (« relance verte »). La France consacre par exemple 30 milliards d’euros à la transition écologique dans le plan de relance (100 milliards d’euros) présenté le 3 septembre 2020. Pour sa part, la Commission européenne a proposé un Pacte vert européen (« Green Deal »), doté de 1 000 milliards d’euros sur dix ans.

Si ces initiatives en faveur de la transition écologique sont indispensables, elles doivent être pérennisées et renforcées, aux niveaux français comme européen.  À l’échelon européen, il apparaît par exemple indispensable d’organiser un mécanisme de compensation carbone aux frontières extérieures. Le Conseil européen du 10 et 11 décembre a invité la Commission à faire une proposition en la matière.

Recommandation n° 3 : Accélérer la transition énergétique de la France et de l’Union européenne pour parvenir aux objectifs de neutralité carbone affichés.

De même, la transition écologique des États en développement, qui sont souvent les plus touchés par les dérèglements climatiques, doit être favorisée. Or, ceux-ci confrontés à une baisse des recettes et des financements publics et privés et à une dégradation de leur note souveraine.

Le Fonds vert pour le climat (« Green Climate Fund »), principal instrument de financement multilatéral de la CCNUCC et de l’Accord de Paris, peut être mobilisé mais reste encore faiblement doté. Créé en 2010 lors de la COP16 à Cancún, il est devenu opérationnel en 2015, après une première capitalisation de 7,2 milliards de dollars en 2014. Au mois d’octobre 2019, à la suite d’une conférence organisée à Paris, le Fonds vert a bénéficié d’une seconde recapitalisation par trente-et-un pays  ([72]) à hauteur de 10 milliards de dollars pour la période 2020-2023 ([73]).

Ces sommes apparaissent toutefois largement insuffisantes pour favoriser l’atténuation comme l’adaptation aux dérèglements climatiques dans les pays pauvres ([74]). Dans ce contexte, une nouvelle conférence internationale de recapitalisation du fonds pourrait être organisée à Paris dans les prochains mois. Les contributions devront alors être beaucoup plus élevées qu’en 2014 et en 2019 et de nouveaux bailleurs, tels que les États-Unis qui n’avaient pas participé à la recapitalisation du fonds en 2019, devront être sollicités.

Recommandation n° 4 : Organiser une nouvelle conférence internationale de recapitalisation du Fonds vert pour le climat à Paris afin de financer des projets d’atténuation et d’adaptation aux dérèglements climatiques dans les pays en voie de développement.

En 2020, l’Agence française de développement (AFD) finançait cinq projets en partenariat avec le Fonds vert, pour un total de 395 millions de dollars. Ce partenariat pourrait également être encore renforcé.

Recommandation n° 5 : Renforcer le partenariat entre l’Agence française de développement (AFD) et le Fonds vert pour le climat.

Enfin, lors de la COP15 organisée à Copenhague en 2009, les pays développés ont promis d’attribuer conjointement chaque année 100 milliards de dollars de financements publics et privés aux pays en développement d’ici 2020 pour les aider à s’adapter aux dérèglements climatiques et à réduire leurs émissions. Selon le rapport Financement pour le climat fourni et mobilisé par les pays développés en 2013-2018 publié par l’OCDE au mois de novembre 2020, ces financements atteignaient 78,9 milliards de dollars en 2018 (64,3 milliards de dollars de financements publics en incluant les crédits à l’exportation et 14,6 milliards de financements privés). Toutefois, selon une autre méthodologie d’évaluation utilisée par OXFAM dans son rapport 2020 : les vrais chiffres des financements climats, ces chiffres seraient surestimés. Selon l’ONG, la valeur réelle du soutien public serait de 19 à 22,5 milliards de dollars en 2017-2018, le reste correspondant à des remboursements de prêts ou diverses autres surestimations, notamment lorsque l’action climatique n’est qu’une partie d’un projet de développement plus large mais que ce dernier est comptabilisé en entier. En outre, OXFAM relève que seul un cinquième des financements climat publics bilatéraux déclarés a été alloué aux pays les moins avancés (PMA) et seuls 3 % aux petits États insulaires en développement (PEID).

Il conviendrait d’augmenter les financements climat, tout en adoptant des normes de comptabilisation plus exigeantes. Une réflexion pourrait être engagée pour distinguer voire soustraire du décompte final les financements sous forme de prêts et ceux qui ne concernent que marginalement le climat, et privilégier les subventions directes. En outre, un mécanisme pourrait être créé pour flécher un pourcentage minimum des financements vers les pays les plus vulnérables, en particulier les PMA et les PEID.

Recommandation n° 6 : Utiliser la COP26 pour redéfinir les financements climat après 2020, augmenter leur montant et les orienter davantage vers les pays en développement les plus vulnérables.

 

b.   Encourager la recherche et la coopération internationale sur la thématique « climat et sécurité »

La thématique « climat et sécurité » demeure peu traitée par les organisations internationales, que ce soit à l’échelle mondiale ou régionale. La France pourrait utiliser ses réseaux diplomatique et militaire pour renforcer la coopération internationale sur la thématique.

Dans l’espace Indopacifique, la France doit poursuivre le partage d’informations, d’analyses et de bonnes pratiques avec les pays de la région, dans un cadre bilatéral et multilatéral. Elle peut alors notamment utiliser le Forum des îles du Pacifique (FIP), le Pacific Environmental Security Forum (PESF), le groupe de travail défense et climat du South Pacific Defence Ministers’ Meeting (SPDMM), le West Pacific Naval Symposium. La France pourrait aussi utiliser son nouveau statut de « partenaire du développement » à l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) ([75]).

Recommandation n° 7  : Promouvoir la thématique climat et sécurité au sein de toutes les organisations internationales pertinentes, et notamment au sein des organisations régionales.

Au niveau européen, la France doit travailler activement avec le Service européen d’action extérieure (SEAE) sur la thématique, en particulier pour la mise en œuvre de la feuille de route Changement climatique et défense.

Recommandation n° 8 : Soutenir la mise en œuvre de la feuille de route Changement climatique et défense proposée par le Service européen d’action extérieure (SEAE).

La France doit également promouvoir la tenue d’événements internationaux dédiés à la thématique et d’évènements parallèles (side events) lors des grandes conférences internationales sur le climat, et notamment des COP. Le 14 octobre 2015, avant la COP21, elle avait par exemple organisé une conférence internationale sur le thème « climat et défense : quels enjeux ? ».

Recommandation n° 9 : Organiser des sommets internationaux dédiés à la thématique et des événements parallèles (side events) lors des conférences internationales sur le climat.

La France doit également poursuivre son action à l’ONU en continuant à défendre l’élaboration d’un rapport biannuel analysant les risques des dérèglements climatiques pour la paix et la sécurité internationales et en intégrant la thématique aux travaux du Conseil de sécurité, dès que nécessaire. La France doit continuer à défendre l’inclusion de la thématique dans les résolutions et déclarations présidentielles du Conseil de sécurité spécifiques à un pays ou une région, et pourrait aussi plaider en faveur d’une résolution générale établissant le lien entre sécurité et climat ([76]).

Les rapporteurs proposent également que la France finance le Mécanisme climat et sécurité, en prenant exemple sur la Suède et les Pays-Bas.

Recommandation n° 10  : Maintenir une diplomatie active sur la thématique au sein du Conseil de sécurité de l’ONU et financer le développement du Mécanisme climat et sécurité.

Enfin, l’OTAN pourrait créer un centre de recherche et d’analyse dédié à la thématique « climat et sécurité », avec l’aide de la France.

Recommandation n° 11  : Promouvoir la thématique « climat et sécurité » au sein de l’OTAN en créant un centre de recherche dédié.

 

2.   Réduire les tensions liées aux dérèglements climatiques

a.   Proposer une aide internationale aux déplacés climatiques

Les déplacés climatiques ne bénéficient pas, à ce jour, d’une protection internationale spécifique (cf. partie II. A)). La diplomatie française pourrait être davantage mobilisée sur la thématique, en plaidant par exemple en faveur d’un système de protection régional.

Recommandation n°12  : Proposer un cadre juridique plus protecteur pour les déplacés climatiques.

Si la France est aujourd’hui le pays le plus impliqué dans la Plateforme des déplacements liés aux catastrophes (PDD), cette dernière requiert des ressources financières, matérielles et humaines plus importantes pour développer ses activités. La France, l’Union européenne, mais aussi de nouveaux bailleurs tels que les États-Unis, pourraient y contribuer.

Recommandation n° 13 : Accroître le soutien financier de la France et de l’Union européenne à la Plateforme des déplacements liés aux catastrophes (PDD).

Recommandation n° 14 : Rechercher de nouveaux soutiens pour la PDD, dont les États-Unis.

b.   Réduire les tensions liées aux ressources naturelles

Les dérèglements climatiques peuvent réduire l’accès aux ressources naturelles, qu’il s’agisse de l’eau, des ressources agricoles ou d’autres matières premières telles que les ressources énergétiques (cf. partie II A) et B). Ils peuvent alors créer des tensions, qui peuvent dégénérer en conflits lorsqu’elles s’accumulent avec des tensions politiques et sécuritaires préexistantes.

La communauté internationale peut contribuer à réduire ces tensions par l’intermédiaire de l’aide au développement pour aider les populations à être plus résilientes face aux dérèglements climatiques, de l’aide humanitaire en dernier recours, mais aussi en encourageant la collaboration entre les États qui partagent des ressources.

Dans son avis budgétaire sur la mission budgétaire Écologie, développement et mobilités durables du PLF 2021, présenté à la commission des affaires étrangères le 14 octobre 2020, le député Jean-François Mbaye a déjà avancé plusieurs propositions sur la géopolitique de l’eau. Les rapporteurs souhaitent en reprendre deux :

Recommandation n° 15 : Promouvoir la création d’une enceinte politique exclusivement dédiée aux enjeux de l’eau sous l’égide des Nations unies afin de conférer une visibilité accrue aux nombreux défis sanitaires, socio-économiques et environnementaux liés aux questions hydriques.

Recommandation n° 16  : Mettre en place un ambassadeur thématique pour la ressource en eau, afin de renforcer la visibilité du sujet et d’améliorer le pilotage de la diplomatie environnementale française sur la question.  

De même, les dispositifs de coopération régionale tels que les commissions régionales permanentes qui encadrent la gestion de l’eau dans un bassin transfrontalier doivent être encouragés par la diplomatie française et le SEAE, dès que possible.

Recommandation n°17  : Encourager les dispositifs de coopération internationale en matière de gestion des eaux transfrontalières.

Pour les ressources alimentaires comme pour les ressources énergétiques, qui sont liées à un territoire national (à l’exception des zones internationales comme la haute mer), il apparaît nécessaire de faire respecter la souveraineté de l’État concerné, tout en apportant une assistance aux autres États qui manquent de ressources, lorsque cela est nécessaire.

Dans l’espace Indopacifique, la zone économique exclusive (ZEE)  des pays n’est pas toujours respectée, en violation de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer signée en 1982 à Montego Bay et entrée en vigueur en 1994 ([77]). Les ressources halieutiques de la Polynésie française sont par exemple régulièrement pillées par des navires étrangers. De même, en mer de Chine, les ressources énergétiques et halieutiques font l’objet de nombreuses convoitises et les limites des ZEE ne sont pas toujours prises en compte.

Recommandation n°18  : Promouvoir le respect de la convention des Nations unies sur le droit de la mer.

Dans le cas de la France, une proposition du rapport d’information Mers et océans : quelle stratégie pour la France ?, présenté par les députés de la commission des affaires étrangères Jean-Luc Mélenchon et Joachim Son-Forget au mois de juin 2019, est reprise dans le cadre du présent rapport :

Recommandation n°19 : Renforcer les moyens de surveillance (bâtiments, surveillance satelittaire, oiseaux de mers équipés de balises…) ainsi que les capacités d’intervention dans les eaux sous juridiction française afin de permettre une protection adéquate de nos eaux territoriales et de nos zones économiques exclusives.

Plus généralement, pour anticiper les tensions liées aux ressources naturelles, il conviendrait de renforcer les dispositifs d’alerte précoce.

La France a lancé l’initiative multi-bailleurs CREWS (« Climate Risk and Early Warning Systems ») à l’occasion de le COP21. Cette initiative, qui vise à améliorer les systèmes d’alerte précoce dans les PMA et les PEID face aux événements climatiques extrêmes ([78]), pourrait être renforcée.

Recommandation n° 20  : Renforcer les dispositifs d’alerte précoce, et en particulier l’initiative CREWS.

c.   Intervenir plus rapidement lors des catastrophes naturelles

Une partie des financements climat doit permettre aux États en développement de mieux rester aux événements naturels. Néanmoins, en cas de catastrophe d’ampleur, les pays en développement comme les pays développés sollicitent parfois l’aide d’autres États. Sans cette aide, les conséquences pour les populations seraient plus importantes, avec des risques de tensions internes et externes.

Au niveau régional et international, la réactivité de ce type d’opération d’assistance pourrait être augmentée par une meilleure organisation et une meilleure collaboration entre les pays.

Recommandation n° 21  : Mettre en œuvre des capacités d’intervention rapide en cas de catastrophe naturelle, au niveau international et régional.

 

Les députés de la commission des affaires étrangères Bernard Deflesselles et Nicole Le Peih actualiseront prochainement leur rapport d’information sur la diplomatie climatique publié en novembre 2018. Ils pourront ainsi éventuellement compléter la présente liste de propositions et de points d’attention.

 

B.   AccÉlÉrer l’adaptation des armÉes

1.   Engager une réflexion stratégique de long terme sur la thématique climat et sécurité

L’Observatoire Défense et Climat est devenu une source indispensable de recherche, d’analyse et de partenariat sur la thématique. À la date d’écriture du rapport, le ministère des armées prévoyait de le reconduire pour la période 2021-2024. Un appel d’offres était en cours, mais le prestataire n’était pas encore désigné.

Toutefois, les moyens qui lui seront alloués seront sans doute encore insuffisants. Dans le projet de loi de finances pour 2021, l’action Prospective de défense du programme n° 144 Environnement et prospective de la politique de défense disposait d’un budget important : 1,5 milliard d’euros en autorisations d’engagement (AE) et 1,2 milliard d’euros en crédits de paiement (CP). Pourtant, sur ce montant, seuls 8,9 millions en AE et 9,3 millions d’euros en CP étaient destinés à la sous-action « analyse stratégique » qui finance la recherche stratégique, c’est-à-dire les nombreux observatoires, les études de prospectives et les frais de consultants. Ce budget pour la recherche stratégique, partagé entre de nombreux acteurs, apparaît très faible.

Or, compte tenu de l’importance des enjeux, il apparaît urgent d’augmenter les moyens dont dispose l’Observatoire Défense et Climat, afin d’augmenter les travaux et des partenariats sur la thématique. Une augmentation des moyens permettrait notamment suivi plus large ([79]) et la réalisation plus systématique d’études de terrain, essentielles pour s’adapter aux besoins opérationnels.

À moyen terme, la question de l’internationalisation de cet observatoire au sein du ministère des armées pourrait également se poser, avec par exemple un département ou un bureau dédié au sein de la DGRIS (dans le service des affaires de sécurité internationales ou la direction Stratégie de défense, prospective et contre prolifération).

Recommandation n° 22  : Renforcer les moyens budgétaires et humains dédiés à l’Observatoire Défense et Climat.

Si l’existence d’un tel centre de recherche et d’analyse est indispensable, elle n’est toutefois pas suffisante. Seule une réflexion stratégique prospective au plus haut niveau permettra de construire un modèle d’armées adapté aux risques sécuritaires posés par les dérèglements climatiques.

Les rapporteurs considèrent que cette réflexion doit ainsi être intégrée et détaillée au sein du prochain Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale (LBDSN), ce qui n’a jusqu’ici pas été le cas. Elle pourra ensuite être déclinée dans la prochaine loi de programmation militaire.

Cette réflexion doit aussi être institutionnalisée au sein de l’État-major des armées (EMA), avec d’une part, la création d’un ou plusieurs postes dédiés, et d’autre part, la mobilisation du « groupe d’anticipation stratégique » (GAS) sur la thématique. Cette réflexion doit alors être distinguée de la politique ministérielle de développement durable.

Recommandation n° 23 : Intégrer pleinement la thématique climat et sécurité et climat et défense dans le prochain Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Recommandation n° 24 : Institutionnaliser la réflexion stratégique sur la thématique au sein de l’état-major des armées.

Plus généralement, il apparaît nécessaire de renforcer la gouvernance climatique du ministère des armées dans son ensemble, ce qui pourrait donner lieu, à moyen ou long termes, à la création d’une direction générale spécialisée – en s’inspirant par exemple de la direction générale du numérique et des systèmes d’information et de communication (DGNUM).

Pour porter la thématique au niveau du cabinet de la ministre des armées, un poste de conseiller spécialisé sur le climat et ses enjeux en matière de sécurité et de défense serait également pertinent.

Recommandation n° 25 : Renforcer l’ensemble de la gouvernance climatique au sein du ministère des armées.

2.   Adapter l’ensemble des capacités opérationnelles aux dérèglements climatiques

Au niveau opérationnel, les dérèglements climatiques nécessitent d’adapter l’ensemble des moyens matériels et humains afin de faire face, d’une part, à la hausse probable du nombre des opérations, et d’autre part, aux dérèglements climatiques eux-mêmes.

a.   Renforcer les capacités opérationnelles

Les dérèglements climatiques entraînent déjà une hausse des missions et des opérations civilo-militaires pour secourir les populations. Ils favorisent également une hausse des conflits, et donc potentiellement des interventions militaires « classiques ». Les moyens matériels et humains des armées françaises doivent donc être dimensionnés pour répondre à ces nouveaux besoins.

Recommandation n° 26 : Adapter les moyens capacitaires des armées pour pouvoir répondre à toutes les missions et opérations, notamment en matière civilo-militaire.

Pour être réactives, les armées doivent également multiplier les exercices de secours aux populations, au niveau français, dans les cadres interministériel et interarmées, et au niveau interallié.

Recommandation n° 27 : Multiplier les exercices militaires de secours aux populations aux niveaux interministériel, interarmées et interallié.

Enfin, pour renforcer l’efficacité en opération, il apparaît nécessaire d’intégrer le lien climat et sécurité dès la formation des personnels militaires et des personnels civils du ministère des armées. Cette recommandation pourrait également s’étendre à la formation des diplomates à l’Institut diplomatique et consulaire (IDC).

Recommandation n° 28 : Intégrer le lien climat et sécurité dans la formation des personnels militaires et civils du ministère des armées et dans celle des diplomates du ministère de l’Europe et des affaires étrangères.

b.   Adapter les équipements aux risques climatiques

L’adaptation des équipements de défense aux dérèglements climatiques nécessite un cadre stratégique. Celui-ci pourrait être défini par la direction générale de l’armement (DGA) en partenariat avec l’Agence pour l’innovation de défense (AID).

Les nombreux dispositifs créés pour encourager l’innovation de défense – dont le dernier exemple est le fonds d’investissement DefInnov – devront alors être mobilisés. De même, les clauses des marchés publics de l’armement pourraient encourager encore davantage les innovations en matière d’adaptation aux dérèglements climatiques.

Recommandation n° 29 : Inscrire l’adaptation aux dérèglements climatiques dans les objectifs de la politique d’innovation de défense.

Recommandation n° 30 : Utiliser les nombreux dispositifs en faveur de l’innovation et les clauses des marchés publics de l’armement pour encourager la recherche sur l’adaptation des équipements de défense aux dérèglements climatiques.

Un savoir-faire existe déjà en matière de renforcement de la performance énergétique des équipements et de respect des nouvelles normes environnementales, porté par la cellule écoconception. Les rapporteurs considèrent que ce travail indispensable doit être facilité par des moyens budgétaires et humains plus importants.

Il apparaît toutefois également nécessaire de développer une véritable capacité de climato conception, au-delà de l’écoconception. Une cellule dédiée pourrait être créée à cette fin.

Recommandation n° 31 : Renforcer les moyens humains et financiers de la cellule écoconception de la DGA.

Recommandation n° 32 : Intégrer l’impact des dérèglements climatiques dans la cellule écoconception ou créer une cellule « climato conception » au sein de la DGA.

Ces différentes propositions permettront de renforcer l’intégration des risques climatiques dans l’ensemble de la base industrielle technologique et de défense (BITD).

Cette politique doit s’inscrire dans un cadre européen, afin de maintenir une capacité d’innovation civilo-militaire européenne et de préserver ainsi notre autonomie stratégique. Le Fonds européen de défense (FEDef) ([80]) et Horizon Europe, le programme-cadre de l’Union européenne pour la recherche et l’innovation pour la période 2021-2027, pourraient financer des projets en matière d’adaptation des équipements aux dérèglements climatiques. De même, l’Agence européenne de défense (AED), l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) et la coopération structurée permanente (CSP), pourraient être mobilisées.

Recommandation n° 33  : Encourager le co-financement de nouveaux projets en matière d’adaptation des équipements de défense aux dérèglements climatiques par le Fonds européen de défense (FEDef) et Horizon 2020.

Recommandation n° 34  : Renforcer la coopération européenne en matière d’adaptation des équipements de défense en coordonnant de nouveaux projets au sein de l’Agence européenne de Défense (AED), de l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR) et de la coopération structurée permanente (CSP).

 

c.   Adapter les infrastructures

Une évaluation de la vulnérabilité climatique des sites des forces pré-positionnées à l’étranger est en cours, et une autre est en préparation pour les forces de souveraineté situées dans les territoires ultra-marins. Il est indispensable que la méthode d’évaluation choisie, si elle s’avère efficace, soit ensuite utilisée pour évaluer systématiquement et régulièrement l’ensemble des bases militaires, y compris en métropole.

Une fois l’évaluation d’un site achevée, des mesures devront être prises par l’EMA et le service d’infrastructure de la défense (SID) pour le rendre plus résilient.

Les bases navales et aéronavales, particulièrement vulnérables aux dérèglements climatiques, devront être traitées en priorité.

En parallèle, il est également indispensable de financer des projets du type Eco-camp, afin de rendre les camps militaires plus résistants face au changement climatique.

Recommandation n° 35  : Évaluer la vulnérabilité de l’ensemble des infrastructures militaires aux dérèglements climatiques afin de renforcer leur résilience.

Recommandation n° 36 : Poursuivre le projet Eco-camp et la recherche sur les « camps militaires du futur ».

 

 

 


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   TRAVAUX DE LA COMMISSION

Au cours de sa réunion du 27 janvier 2021, la commission des affaires étrangères examine le présent rapport.

L’enregistrement de cette séance est accessible sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

http://assnat.fr/03sGFb

La commission autorise le dépôt du rapport d’information sur les dérèglements climatiques et les conflits en vue de sa publication.

 


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   Liste des personnes auditionnÉes

 

 

 

Déplacement au Bangladesh (9 – 12 décembre 2019)

Dacca :

Cox’s Bazar :

 

 


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   ANNEXE 1 : RAPPORT D’un groupe de citoyens de la circonscription de frederic petit

 

Un groupe de citoyens de la circonscription du rapporteur Frédéric Petit (7ème circonscription des Français établis hors de France) a réalisé une contribution sur la thématique « climats et conflits ». Cette dernière a été décomposée en six sous-thématiques qui ont fait l’objet de réunions bimensuelles en visioconférence, d’octobre à novembre 2019. Chaque sous-thématique a fait l’objet de propositions.

Ce travail citoyen et bénévole très riche (soixante-deux pages) est présenté sur le site Internet : http://frederic-petit.eu/mission-dereglements-climatiques-et-conflit-le-groupe-de-travail-citoyen-prend-la-parole/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


ANNEXE 2 : Organisation de la gestion des catastrophes naturelles au bangladesh

 

Source : Document présenté aux rapporteurs par l’équipe du Secrétaire d’État pour la Gestion des catastrophes et des Secours du Bangladesh, décembre 2019.


   ANNEXE 3 : le classement des pays selon leur niveau de stress hydrique (2000-2015)

Source : Rapport « Eau propre et assainissement : progrès relatifs aux niveaux de stress hydrique », FAO, p.23, 2018.

   ANNEXE 4 : l’INDICE de pauvretÉ en eau par État

 

 

 

 


   ANNEXE 5 : la faim dans le monde

 

   Nombre de personnes sous-alimentées dans le monde sur la période 2005-2019 et prévisions pour l’année 2030 

 

Nb : * Valeurs issues de projections. ** Les projections allant jusqu’en 2030 ne reflètent pas l’impact potentiel de la pandémie de covid-19.

Source : Rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde en 2020, p.11, FAO, juillet 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Prévalence de la sous-alimentation dans le monde sur la période 2005-2019 et prévisions pour l’année 2030

 

 

 

 

Nb : * Valeurs issues de projections. ** Les projections allant jusqu’en 2030 ne reflètent pas l’impact potentiel de la pandémie de covid-19.

Source : Rapport sur l’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde en 2020, p.9, FAO, juillet 2020.

 

 

   ANNEXE 6 : « les dix points clés » de la stratégie énergétique de défense (septembre 2020)

Source : « Stratégie énergétique de défense », Dossier de presse, septembre 2020.

   ANNEXE 7 : la prÉsence militaire française dans la zone indopacifique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : « Stratégie française dans l’Indopacifique : pour un espace Indopacifique inclusif », ministère de l’Europe et des affaires étrangères, 2019.

 

Source : « La France et la sécurité en Indopacifique » ministère des armées, 2018.

 

 

   ANNEXE 8 : les projets du fonds vert pour le climat

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Document de communication sur les projets du Fonds vert transmis par M. Glemarec aux députés de la commission des affaires étrangères en amont de la table ronde du 9 décembre 2020.


([1]) Les recommandations n° 15 et n° 16 sont reprises de l’avis budgétaire du député Jean-François Mbaye sur la mission budgétaire « Écologie, développement et mobilités durables » du projet de loi de finances pour 2021, présenté à la commission des affaires étrangères le 14 octobre 2020.

([2]) La recommandation n° 19 est reprise du rapport d’information « Mers et océans : quelle stratégie pour la France ? », présenté par les députés Jean-Luc Mélenchon et Joachim Son-Forget à la commission des affaires étrangères le 19 juin 2019.

([3])  L’OMM est une institution des Nations unies spécialisée dans la météorologie (le temps et le climat), l’hydrologie opérationnelle et les sciences géophysiques connexes. Elle compte 193 États membres et constitue, avec le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), un des deux organes fondateurs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

([4])  Le Centre Hadley du Service météorologique britannique (données HadCRUT), l’Administration américaine pour les océans et l’atmosphère (NOAA, données NOAAGlobalTemp)), l’Institut Goddard d’études spatiales (GISS, données GISTEMP) de l’Administration américaine pour l’aéronautique et l’espace (NASA), le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT, données ERA) pour le Service Copernicus de surveillance du changement et le Service météorologique japonais (données JRA).

([5]) L’année 2016, caractérisée par un épisode El Niño exceptionnel, est l’année la plus chaude enregistrée. 

([6])  Infrastructure nationale de modélisation du climat qui unit les forces du CEA, du CNRS et de Météo-France, avec le soutien de la Sorbonne Université, de l’IRD et du Cerfacs dans le cadre du sixième rapport d’évaluation du GIEC, dont la publication est prévue pour 2021.

([7]) Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est un organisme intergouvernemental créé en 1988 par l’OMM et le PNUE. Il regroupe aujourd’hui 195 États. Les rapports du GIEC fournissent un état des lieux régulier des connaissances sur l’ampleur des dérèglements climatiques, leurs causes et leurs impacts, à partir de travaux menés dans des laboratoires de nombreux pays. Cinq rapports d’évaluation ont été publiés entre 1990 et 2014, et en mai 2017, le GIEC a défini le plan d’un sixième rapport d’évaluation, qui sera publié entre 2021 et 2022 (AR6). Le GIEC produit également des rapports spéciaux. La gouvernance du GIEC est assurée par les États membres qui acceptent ses rapports dans des réunions plénières annuelles ou biannuelles. La liaison entre le GIEC et les États est assurée par un point focal national. En France, cette mission est exercée par l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC).

([8]) https://www.un.org/fr/observances/desertification-day

([9]) Au Sahel, la désertification est par exemple favorisée par le surpâturage, le déboisement et l’agriculture.

([10]) Article « Un rapport spécial du GIEC pour une alerte générale », Libération, 25 septembre 2019.

([11])  Selon les chiffres fournis par le ministre, le cyclone Bulbul de 2019 aurait provoqué la mort de 9 personnes contre 3 406 personnes pour le cyclone SIDR en 2007, 138 868 personnes pour le cyclone Gorky en 1991 et 1 million de personnes pour le cyclone Bhola en 1970.

([12])  Les vagues de chaleur sont définies ici comme cinq jours consécutifs avec une température maximale supérieure de cinq degrés à la normale 1976-2005.

([13]) Harvard Buhaug et al., « One effect to rule them all ?A comment on climate change and conflict », Climatic Change, vol. 127, Springer, décembre 2014.

([14]) Ce bilan prend en compte tous les déplacés internes (en 2019 et les années précédentes) qui, au 31 décembre 2019, n’avaient pas pu retourner dans leur lieu de résidence initial.

([15])  La réduction de la surface des terres, la salinisation des sols et la mortalité accrue des coraux ont réduit les ressources alimentaires des îles Kiribati.

([16])  D’après l’article 1er de la convention de Genève, le terme de réfugié s’applique à toute personne « qui craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

([17])  Le Comité des droits de l’homme avait été saisi en 2016 d’une demande d’arbitrage par Ioane Teitiota, un habitant des îles Kiribati qui avait déposé une demande d’asile en Nouvelle-Zélande en 2007 mais avait vu celle-ci rejetée en 2010 au motif que sa vie n’était pas directement menacée. Il avait ensuite été expulsé en 2015. D’après le plaignant, la Nouvelle-Zélande le privait alors de son droit à la vie reconnu par l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966). Le Comité des droits de l’homme, qui est chargé de surveiller l’application de ce pacte, a finalement rejeté la demande de M. Teitiota compte-tenu des mesures prises par les îles Kiribati pour lutter contre les effets des dérèglements climatiques.

([18]) Ce groupe d’experts, qui compte par exemple le scientifique et auteur du GIEC Saleemul Huq, a exercé selon Alice Baillat une influence importante sur la conception des politiques climatiques du pays. La chercheuse soulignait toutefois lors de son audition le fait que ces experts sont aujourd’hui souvent en fin de carrière. Leur renouvellement est indispensable si le Bangladesh souhaite continuer à agir sur la thématique et a exercé son « pouvoir du faible ».

([19])  Article « La diplomatie climatique du Bangladesh : le « weak power » en action », 17 juillet 2017, site Internet de l’IRIS.

([20])  La population du pays était estimée à 163 millions d’habitants en 2017 et pourrait atteindre 177 à 196 millions d’habitants en 2050 selon la Banque mondiale. La densité de population était estimée à 1 252 personnes par kilomètres carré en 2016 (Banque mondiale) et 20 000 personnes dans la capitale, Dacca (Walter, 2015).

([21]) Le rapport utilise les chiffres de la base de données AQUASTAT de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

([22]) Le rapport utilise ici l’étude de P. Burek et  al.. Water Futures and Solution: Fast Track Initiative (Final Report), Institut international d’analyse appliquée des systèmes (IIASA), 2016.

([23])  Le « débit écologique inversé », c’est-à-dire les besoins en eau de l’environnement, est au préalable déduit des ressources disponibles.

([24])  David Blanchon, Géopolitique de l’eau, éditions Le cavalier bleu (2019), p.73.

([25])  La Turquie contrôle 98 % du débit de l’Euphrate et 45% de celui du Tigre.

([26]) L’augmentation des besoins en eau résulte de la très forte croissance démographique (la population égyptienne est passé de 90 millions d’habitants en 2013 à 100 millions en 2020 et pourrait atteindre 120 millions en 2030), de la pollution des eaux du Nil et de la réduction des surfaces agricoles utiles en raison de l’accélération de l’érosion et de l’extension des activités humaines.

([27]) Dans son dernier livre blanc, l’état-major indien indique se préparer à une intervention sur le Brahmapoutre.

([28]) Selon le rapport, le Yémen pourrait disparaitre à cause d’un manque d’eau et d’infrastructures vitales.

([29])  Colin P. Kelley, Shahrzad Mohtadi, Mark A. Cane, Richard Seager, and Yochanan Kushnir, Climate change in the Fertile Crescent and implications of the recent Syrian drought, PNAS, 2015.

([30]) Francesco Femia et Caitlin Werell, dirigeants du Center for Climate and Security ont mis en évidence la mauvaise gestion de la crise agricole par le gouvernement syrien qui, d’une part, a subventionné pendant des années des cultures très consommatrices en eau et, d’autre part, n’a pas su gérer la crise alimentaire lorsqu’elle est survenue (Werell, 2012).

([31])  Selby, Jan, Dahi, Omar S, Fröhlich, Christiane and Hulme, Mike, Climate change and the Syrian civil war revisited, Political Geography, 2017.

([32]) Pour un mégawatt (MW) d’énergie éolienne, il faut, par exemple, une  tonne de cuivre et 650 kilogrammes de nickel.

([33])  David Blanchon, Géopolitique de l’eau, p. 117.

([34]) Cet historique a été présenté aux rapporteurs par Adrien Estève, docteur associé au Centre de Recherches Internationales de  Sciences Po Paris (CERI), dans le cadre de son audition. Il figure aussi dans l’article « Les acteurs de la défense face au changement climatique : itinéraire d’une nouvelle contrainte stratégique en France et aux États-Unis », publié en 2018 dans la Revue internationale et stratégique (n°109) par Adrien Estève et Bastien Alex, chercheur à l’IRIS, également auditionné dans le cadre du rapport.

([35]) En 1990, deux rapports ont été publiés : « Le changement climatique global : les implications pour la Marine américaine » (Global Climate Change : Implications for the United States Navy) par le Naval War College et « L’armée et l’environnement » (The Army and the Environment) par l’Army War College.

([36])  Ce programme a été arrêté en 2001, avant d’être relancé par l’administration Obama de 2010 à 2015.

([37]) Le « Fiscal Year 2018 National Defense Authorization Act, section 335 » imposait au secrétaire d’État à la défense de transmettre au Congrès un rapport sur la vulnérabilité des installations militaires américaines et les besoins du commandant des forces combattantes. Ce rapport devait contenir une liste des dix sites militaires les plus vulnérables, pour chaque armée (Army, Air Force, Navy et Marine Corps).

([38])  Parmi les bases militaires vulnérables figure la base aéronavale de Norfolk, dans l’État de Virginie. Située au bord de l’eau, elle est confrontée à une dizaine d’inondations chaque année. Elle est en cours de rénovation pour être mieux protégée. Les pontons ont par exemple été remontés.

([39]) Voir page 56, note de bas de page n°1.

([40]) La DGRIS a été créée en 2015 pour remplacer la délégation aux affaires stratégiques (DAS). Elle est rattachée directement à la ministre des armées et dispose de deux missions : piloter l’action internationale et organiser la réflexion stratégique et prospective du ministère des armées. Pour y parvenir, la DGRIS associe l’État-major des armées (EMA), la direction générale de l’armement (DGA) et le secrétariat général pour l’administration (SGA).

([41])  De 1969 à 2017, le ministère était appelé « ministère de la défense », avant de prendre le nom de « ministère des armées ».

([42])  « Environnement : quand le kaki vire au vert », Journal de la Défense, 2020.

([43]) Paul Kaeser, « La sécurité énergétique des armées françaises. Le soutien pétrolier à l’heure de la transition », Focus stratégique, IFRI, 2016.

([44])  Army Environmental Policy Institute (AEPI), rapport « Sustain the Mission Project: Casualty Factors for Fuel and Water Resupply Convoys », septembre 2009.

([45])  Le 23 janvier 2020, au Mali, un IED a notamment blessé deux militaires français du SEA.

([46]) La consommation énergétique des infrastructures de défense, principalement en électricité et en gaz, représente 220 millions d’euros par an.

([47])  Article mentionné page 56, note de bas de page n°1.

([48]) Pour définir cette stratégie, ces différentes instances ont participé à un groupe de travail ministériel « énergie », lancé par la ministre des armées en septembre 2019.

([49]) Stratégie énergétique de défense, dossier de presse, septembre 2020. 

([50]) À Marseille, le centre d’expertise pétrolière interarmées étudie des solutions de carburant alternatif. Il a notamment conduit une étude qui a permis au SEA de publier une certification pour le carburéacteur qui permet l’utilisation de composés synthétiques pour les aéronefs de l’État.

([51])  Arrêté du 27 décembre 2019 portant organisation de l’état-major des armées (EMA), Article 17.

([52]) La Belgique, l’Espagne et l’Italie participent à ce projet.

([53]) Avis M. Jacques Marilossian au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées sur les crédits relatifs à la préparation et à l’emploi des forces navales de la mission « Défense » du projet de loi de finance pour 2020, présenté le 23 octobre 2019. La marine nationale a été contrainte de mettre en œuvre un programme de remotorisation de ses missiles surface-air Aster et antinavires Exocet, pour un coût total estimé à 480 millions d’euros en 2019. Le député précise : « Pourtant, une exemption est prévue par le droit environnemental européen pour les activités de défense, mais les obligations réglementaires pesant sur les fournisseurs de MBDA, la chaîne industrielle n’a pas réussi à conserver une filière d’approvisionnement dérogatoire pour la défense. »

 

([54])  Bastien ALEX, "La défense face aux défis du dérèglement climatique", CERISCOPE Environnement, 2014.

([55]) Aux États-Unis, la base aérienne de Tyndall a par exemple subi des dommages matériels très importants lors du passage de l’ouragan Michael en octobre 2018.

([56]) Certaines installations comportent ou hébergent des secteurs dont la sensibilité exige que cette analyse des risques et les recommandations qui en découlent soient menées par le ministère des armées.

([57]) Elle ne fait pas de distinction par type d’armée, comme l’ont fait les États-Unis.

([58]) Fin 2020, la crise sanitaire avait empêché les travaux d’analyse sur les sites situés au Gabon, à Djibouti et aux Émirats Arabes Unis (EAU).  

([59])  Loi n°2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, chapitre XI, article 65.

([60])  Le BPC a assuré le transport du fret humanitaire et des engins lourds de reconstruction du Génie militaire et de la sécurité civile en s’affranchissant des infrastructures portuaires endommagées. Par ailleurs, il a offert un soutien médical précieux, avec à son bord deux blocs opératoires et plus de 70 lits médicalisés et une plateforme hélicoptère.

([61]) 1,5 million de Français résident dans l’espace indopacifique ainsi que 7 000 militaires en mission composant les forces françaises prépositionnées (4 100 dans l’océan Indien, 2 900 dans le Pacifique).

([62])  Les thonidés devraient notamment migrer vers le Pacifique oriental et la Polynésie française. Si cette évolution semble favorable à la Polynésie française en termes de ressources halieutiques, cette collectivité d’outre-mer craint une augmentation de la pêche illégale. Elle fait déjà face à de nombreuses incursions de navires étrangers dans sa zone économique exclusive (ZEE) et ne dispose pas de moyens de surveillance suffisants.

([63]) La zone compte sept des dix plus importants budgets de défense au monde (États-Unis, Chine, Arabie Saoudite, Inde, France, Japon et Corée du Sud).  

([64])  Le Forum du Pacifique Sud a été créé en 1971 puis rebaptisé Forum des îles du Pacifique en 2000. Principale organisation intergouvernementale en Océanie, il compte dix-huit membres de plein exercice, dont seize États indépendants (Australie, Iles Cook, Fidji, Kiribati, Iles Marshall, États fédérés de Micronésie, Nauru, Niue, Nouvelle-Zélande, Palau, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Iles Salomon, Samoa, Tonga, Tuvalu et Vanuatu) et deux territoires associés (la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française).

([65])  Cette réunion regroupe l’Australie, le Chili, la France, les Fidji, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et les Tonga.

([66])  La DGRIS reste avant tout considérée comme une interface avec le monde académique et la société civile.

([67]) Le vote d’une résolution générale reste tributaire de la position des membres permanents. Or, la délégation russe se montre généralement réticente sur le sujet, considérant que le CSNU empiète sur les fonctions et pouvoirs de l’AGNU et du Conseil économique et social (CES) en traitant une question qui ne relève traditionnellement pas de son ressort. La position chinoise, plus nuancée, semble évoluer vers une reconnaissance du rôle du CSNU sur les risques sécuritaires liés au climat. La France, comme le SGNU, considère que le CSNU n’empiète pas sur les prérogatives des autres institutions en affirmant sa responsabilité, mais l’évolution de la position américaine avec l’élection de Donald Trump posait une sérieuse limite à cette ambition.

 

([68]) Dans ses conclusions du 17 juin 2020 sur la sécurité et la défense, le Conseil a invité le Haut représentant à proposer, avec la Commission européenne et l’Agence européenne de défense (AED), et en étroite concertation avec les États membres, un ensemble d’actions à court, moyen et long termes pour aborder les liens entre défense et changement climatique, au sein du nexus climat et sécurité.

([69]) Cette feuille de route est présentée à l’adresse : https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-12741-2020-INIT/en/pdf.

([70]) La COP26 devait initialement être organisées en novembre 2020 mais a été décalée en raison de la crise sanitaire.

([71]) Les parties de l’accord de Paris doivent transmettre tous les cinq ans leur CDN au secrétariat de la CCNUCC (2020, 2025, 2030, etc.). Selon l’Accord de Paris, la dernière CDN doit « [représenter] une progression par rapport à la CDN antérieure et [correspondre] à son niveau d’ambition le plus élevé possible » (article 4.3). De plus, les CDN doivent être traduites concrètement par des « mesures internes pour l’atténuation en vue de réaliser les objectifs desdites contributions » (article 4.2).

([72])  Les principaux contributeurs étaient le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, le Japon et la Suède. La France a doublé sa participation, passant de 750 millions d’euros en 2014 à 1,5 milliard d’euros en 2019.

([73])  Ces chiffres ont été fournis par M. Yannick Glemarec, directeur exécutif du Fonds vert pour le climat, lors de la table ronde du 9 décembre 2020, organisée par la commission des affaires étrangères.

([74])  Le Fonds vert doit attribuer environ 50% de ses fonds à des projets d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et 50 % à des projets d’adaptation aux impacts des changements climatiques. Sur la part de 50 % des crédits dédiés à l’adaptation, au moins la moitié doit être attribuée aux États les plus vulnérables. Le détail des projets approuvés par le Fonds vert est présenté à l’annexe 7 du rapport.

([75])  La France dispose de ce statut depuis la réunion annuelle des ministres des Affaires étrangères des États membres de l’ASEAN qui s’est tenue le 9 septembre 2020. Elle pourrait aussi accélérer son rapprochement avec l’ASEAN Defence’s Ministers’ Meeting plus (ADMM+), enceinte de coopération entre les ministères de la défense des pays de l’ASEAN et des pays « plus » partenaires, afin de renforcer la coopération sur la thématique « climat et sécurité ».

([76])  La France fera toutefois sans doute face à de nombreuses oppositions. La thématique a jusqu’ici souffert des positions climato-sceptiques de certains membres du Conseil de sécurité ainsi que des remises en cause du multilatéralisme. De plus, certains États, dont la Russie, avance un argument institutionnel : la thématique du changement climatique ne relèverait pas de la responsabilité du Conseil de sécurité mais serait un sujet réservé à l’Assemblée générale, au Conseil économique et social et à la CCNUCC.

([77])  Selon l’article 56 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, un État côtier a « des droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu’en ce qui concerne d’autres activités tendant à l’exploration et à l’exploitation de la zone à des fins économiques, telles que la production d’énergie à partir de l’eau, des courants et des vents ». La ZEE s’étend jusqu’à « 200 nautiques [soit 370,4 km] des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale » (article 57).

([78]) Ils concernent des projets nationaux ou régionaux dans 44 pays, aux Caraïbes, dans le Pacifique, en Afrique et en Asie. Ces systèmes d’alerte précoce indiquent par exemple aux agriculteurs du Burkina Faso quand les épisodes de sécheresse ou de fortes pluies sont à prévoir, afin de les guider dans les mesures de sauvegarde à prendre, ou dans les périodes de semis.

([79])  Pour l’heure, la prospective de l’Observatoire Défense et Climat s’est surtout concentrée sur certaines régions (Afrique du Nord, Corne de l’Afrique, Sahel, Pacifique).

([80]) Dans le domaine de l’énergie, la France a proposé à la Commission européenne de mobiliser le Fonds européen de défense sur trois thématiques afin d’adapter les équipements de défense aux conséquences des dérèglements climatiques : 1° la génération du froid (climatisation) dans les véhicules et les camps en OPEX grâce à la récupération de chaleur, 2° l’autonomie énergétique des camps, avec l’étude des énergies alternatives (hydrogène, solaire, etc.) et l’optimisation énergétique du réseau électrique, 3° l’adaptation des batteries au cadre militaire. Ces sujets sont en cours d’examen dans le cadre des discussions entre la Commission européenne et les États membres pour l’établissement du futur programme de travail du Fonds européen de défense.