N° 3834

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 février 2021

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

 

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES
ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES ([1]) ,

sur la proposition de loi n° 3721 renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles

par

M. Erwan Balanant et Mme Marie-Noëlle Battistel,

Députés

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La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de :

 

Mme Marie-Pierre Rixain, présidente ; Mme Marie‑Noëlle Battistel, Mme Fiona Lazaar, M. Gaël Le Bohec, Mme Laurence Trastour-Isnart, vice-présidents ; Mme Isabelle Florennes, Mme Sophie Panonacle, secrétaires ; Mme Emmanuelle Anthoine ; Mme Sophie Auconie ; M. Erwan Balanant ; M. Pierre Cabaré, Mme Céline Calvez ; Mme Annie Chapelier ; M. Guillaume Chiche ; Mme Bérangère Couillard ; Mme Virginie Duby-Muller ; M. Philippe Dunoyer ; Mme Laurence Gayte ; Mme Annie Genevard ; M. Guillaume Gouffier-Cha ; Mme Sonia Krimi ; M. Mustapha Laabid ; Mme Nicole Le Peih ; Mme Karine Lebon ; Mme Geneviève Levy ; Mme Brigitte Liso ; M. Thomas Mesnier ; Mme Frédérique Meunier ; Mme Cécile Muschotti ; M. Mickaël Nogal ; Mme Josy Poueyto ; Mme Isabelle Rauch ; Mme Laëtitia Romeiro Dias ; Mme Isabelle Santiago ; Mme Bénédicte Taurine ; M. Stéphane Viry.

 

 

 

 


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SOMMAIRE

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Pages

Synthèse des RECOMMANDATIONS

Introduction

I. L’ampleur des violences sexuelles INVite À poursuivre le travail de renforcement des dispositions pénales

A. un tabou social TOUJOURS difficile à appréhender

1. Les mineurs de 15 ans sont les principales victimes de violences sexuelles

2. Ces violences sont particulièrement fréquentes dans le milieu familial

3. Les conséquences physiques, physiologiques et psychologiques sont considérables

B. Le législateur a récemment renforcé l’arsenal JUDICIAIRE sanctionnant les violences sexuelles sur les mineurs et les crimes incestueux

1. Le législateur a renforcé les peines sanctionnant les violences sexuelles sur les mineurs

2. La notion d’inceste a été récemment introduite dans le code pénal

C. Il convient aujourd’hui de compléter le dispositif pénal

1. Il est nécessaire d’améliorer un droit complexe et parfois difficile à appréhender pour les victimes

2. La difficile distinction entre le consentement et le discernement du mineur de moins de 15 ans

II. La proposition de loi satisfait certaines des propositions de la delegation

A. Les travaux de la delegation sur les violences sexuelles faites aux mineurs ont conduit à des propositions précises

1. Les préconisations du rapport d’information sur le viol

2. Les travaux relatifs à la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes

B. Le dispositif porté par la proposition de loi est bienvenu mais perfectible

1. Les dispositions proposées sont de nature à clarifier le droit pénal

2. Les améliorations proposées par vos rapporteurs

Liste des personnes auditionnees

 


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  Synthèse des RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 : conduire une réflexion sur l’opportunité d’élargir la liste des auteurs mentionnés à l’article 3 relatif au viol incestueux aux cousins et cousines de la victime.

Recommandation n° 2 : aux articles 1er et 4, prévoir la possibilité que la victime soit conduite à commette l’acte sur la personne de l’auteur.

Recommandation n° 3 : insérer le terme « viol sur mineur » pour qualifier la pénétration sexuelle définie à l’article 2.

Recommandation n° 4 : insérer le terme « viol incestueux sur mineur » pour qualifier la pénétration sexuelle définie à l’article 3.

Recommandation n° 5 : assimiler la notion d’« atteinte sexuelle » retenue aux articles 1er et 4 à celles d’« agression sexuelle sur mineur » à l’article 1er, et d’« agression sexuelle incestueuse sur mineur » à l’article 4. 

Recommandation n° 6 : conduire une réflexion sur la possibilité de prendre en compte le caractère continu et préexistant d’une relation amoureuse impliquant un jeune majeur.

Recommandation n° 7 : examiner l’opportunité d’aggraver les peines prévues en cas d’inceste.

 

 


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   Introduction

 

Lors de son discours prononcé le 25 novembre 2017, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et du lancement de la grande cause du quinquennat, le Président de la République s’est fermement engagé en faveur de la lutte contre les violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs. À cette occasion, il a rappelé la nécessité de se saisir d’un « sujet de grande sensibilité où le débat de société, de conscience doit prendre toute sa place ».

 

Les violences commises sur les mineurs restent, encore aujourd’hui, une réalité trop répandue et malheureusement toujours taboue. Selon les données des enquêtes « Cadre de vie et sécurité » recueillies par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) entre 2012 et 2017, en moyenne 2,4 % de la population déclare avoir été victime de violences sexuelles avant l’âge de 15 ans. L’enquête Virage (violence et rapport de genre) conduite par l’Institut national des études démographiques (INED) permet d’appréhender de manière plus détaillée l’ampleur de ce phénomène. Ainsi, 52,7 % des actes de viol ou de tentative de viol déclarés par les femmes et 75,5 % de ceux déclarés par les hommes, ainsi que 54,9 % des autres actes d’agressions sexuelles déclarés par les femmes et 50,7 % de ceux déclarés par les hommes surviennent avant l’âge de 18 ans, ces agressions ayant principalement lieu dans l’intimité familiale ou proche.

 

Dans ce contexte, la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a constitué une avancée importante. D’une part, elle porte à 30 ans après la majorité des victimes présumées le délai de prescription des crimes sexuels commis sur des mineurs. D’autre part, elle renforce l’arsenal juridique sanctionnant les violences sexuelles sur les mineurs. Lorsque la victime présumée d’un viol est âgée de moins de 15 ans, la contrainte morale ou la surprise sont « caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ».

 

Le dispositif actuel mérite néanmoins d’être complété. Le droit en vigueur ne pose pas clairement un interdit clair et absolu concernant les relations sexuelles entre un mineur de 15 ans et un majeur. En outre, en dehors du viol et des agressions sexuelles, les atteintes sexuelles incestueuses ne sont pas distinctement prohibées.

 

Votre Délégation a donc tout naturellement été saisie de la proposition de loi n° 3721 renforçant la protection des mineurs victimes de violences sexuelles. Comptant quatre articles, ce texte instaure deux dispositifs :

 

– d’une part, une protection générale renforcée des mineurs de 15 ans face aux violences sexuelles ;

– d’autre part, un cadre pénal spécifique concernant les crimes et délits de nature incestueuse.

 

Vos rapporteurs ont ainsi souhaité analyser et compléter chacun des dispositifs proposés dans cette proposition de loi, en veillant particulièrement à nommer clairement les infractions nouvelles et à fixer le seuil de consentement. Dans cette perspective, six personnes ont été entendues au cours de deux tables rondes.

 

Au terme de leurs travaux, vos rapporteurs tiennent à souligner que cette proposition de loi constitue une avancée, renforçant à nouveau la protection des mineurs victimes de violences sexuelles à travers des signaux forts. Ils formulent plusieurs propositions de nature à en améliorer la portée.

 

Il leur semble toutefois nécessaire d’approfondir encore la répression de tous les types de violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs. Les personnes auditionnées ([2]) ont fortement insisté sur la place grandissante que prend la dimension « cyber » dans les violences sexuelles envers les mineurs.  Si ces violences peuvent avoir lieu par écrans interposés, leurs effets sont bien réels. Ainsi, la qualification de viol pour des pénétrations réalisées sur elle-même par la victime pourrait être retenue. Le code pénal ne l’empêche actuellement pas, mais il pourrait être opportun de le mentionner plus précisément.

 

 


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I.    L’ampleur des violences sexuelles INVite À poursuivre le travail de renforcement des dispositions pénales

A.    un tabou social TOUJOURS difficile à appréhender

Si les violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs constituent une réalité encore difficile à chiffrer précisément, elles apparaissent pourtant massives et concentrées dans le cercle intra-familial.

1.   Les mineurs de 15 ans sont les principales victimes de violences sexuelles

Selon les données des enquêtes « Cadre de vie et sécurité », en moyenne, entre 2012 et 2017, 2,4 % des Français déclarent avoir été victimes de violences sexuelles avant l’âge de 15 ans ([3]). Une enquête sur les viols commis à Paris en 2013 et 2014 et enregistrés par les services de police ([4]) a permis de caractériser plus spécifiquement les viols sur mineurs. Elle conclue que 75 % des viols sur mineurs sont commis dans des espaces privés ; 2 % des faits ont été commis à la suite d’une rencontre dans un lieu de nuit et 2 % des faits l’ont été à la suite d’une rencontre sur internet.

Au sens du code pénal, seuls 9 % des viols ont été commis au moyen d’une forme de violence physique destinée à imposer l’acte sexuel ; 49 % l’ont été par « contrainte ou menace » et 42 % par « surprise ». Cette dernière proportion est particulièrement importante ; la même enquête relève que pour les victimes majeures, la surprise est utilisée dans 15 % des cas. Les enquêteurs considèrent ainsi que « dans 42 % des situations, l’auteur a donc usé de stratagèmes (jeux, initiations) ou a profité de la difficulté de la victime à appréhender la situation pour agir ».

La même étude précise que 38 % des victimes étaient âgées de plus de 15 ans, 33 % avaient entre 10 et 14 ans, et 29 % avaient moins de 10 ans. En outre, 96 % des agresseurs présumés étaient des hommes et 44 % étaient eux‑mêmes mineurs. 56 % des mis en cause pour viol sur mineur étaient donc des personnes majeures.

Ces statistiques ne tenant pas compte des viols n’ayant donné lieu ni à une dénonciation, ni à une plainte, il est utile de les compléter. Ainsi, selon une enquête Ipsos ([5]) commandée par l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, 81 % des victimes de violences sexuelles le sont pour la première fois avant 18 ans et la moitié d’entre elles avant 11 ans. Les résultats de l’enquête « violences et rapports de genre » (Virage) conduite par l’INED montrent que 52,7 % des actes de viol ou de tentative de viol déclarés par les femmes et 75,5 % de ceux déclarés par les hommes, ainsi que 54,9 % des autres actes d’agressions sexuelles déclarés par les femmes et 50,7 % de ceux déclarés par les hommes, surviennent avant l’âge de 18 ans.

Le tableau suivant décrit la répartition par groupe d’âge des victimes de violences sexuelles.

RÉpartition par groupe d’Âge de victimes de violences sexuelles (hors harcÈlement ou exhibitionnisme) au cours de la vie

Selon le sexe de la personne victime, en %

Groupe d’âge

Viol et tentative de viol

Autre agression sexuelle

Femmes

Hommes

Femmes

Hommes

0 – 10 ans

27,0

34,1

23,3

20,4

11 – 14 ans

11,3

25,1

15,3

17,8

15 – 17 ans

14,4

16,3

16,3

12,5

18 – 24 ans

21,3

5,7

19,5

17,2

25 ans & +

25,8

18,8

25,0

32,0

NSP / NVPD (1)

0,3

0,0

0,6

0,1

Total

(effectif observé)

100,0

(632)

100,0

(77)

100,0

(3 422)

100,0

(567)

Champ : Femmes et hommes âgés de 25 à 69 ans vivant en France métropolitaine, en ménage ordinaire, ayant subi au moins une violence sexuelle au cours de leurs vies.

(1) : NSP : ne sait pas – NVPD : ne veut pas dire.

Source : INED, enquête Virage, 2015.

Ce tableau « présente les âges [auxquels ont été subies les] violences ou [les] premières violences pour les viols, les tentatives de viol et les autres agressions sexuelles. Il souligne le poids des violences sexuelles subies aux plus jeunes âges. En effet, plus d’un quart des femmes et un tiers des hommes déclarent que les viols et tentatives de viol ont commencé avant leurs 11 ans. […] Le fait que les victimes de viols ou de tentatives de viol aient moins de 15 ans au moment des faits constitue une circonstance aggravante. C’est le cas de presque 40 % de ces actes déclarés par les femmes, et près de 60 % de ceux déclarés par des hommes, notamment en raison du poids important des violences subies dans le cadre de la famille, qui surviennent avant les 15 ans de la victime dans plus de 80 % des cas pour les femmes et 86 % pour les hommes » ([6]).

2.   Ces violences sont particulièrement fréquentes dans le milieu familial

À l’occasion d’un sondage ([7]) réalisé en 2020 pour l’association Face à l’inceste, 10 % des Français ont déclaré avoir été victimes d’inceste – ce taux n’était que de 3 % en 2009, ce qui témoigne certainement d’une forme de libération de la parole. En outre, 32 % des interrogés déclarent connaître au moins une personne victime d’inceste. Les résultats de l’enquête « violences et rapports de genre » (Virage) conduite par l’INED et présentés dans l’ouvrage collectif Violences et rapports de genre ([8]) révèlent quant à eux que, parmi les femmes et les hommes âgés de 20 à 69 ans, 2,7 % déclarent avoir subi au moins une violence sexuelle avant 18 ans dans le cadre familial ou de l’entourage proche. Ce taux atteint 4,6 % lorsque ne sont pris en compte que les femmes.

Les auteurs « sont principalement des hommes, cohabitant ou non avec l’enfant au moment des faits et ayant agi seul la plupart du temps » ([9]). Dans 20 % des cas il s’agit d’oncles. « Les beaux-pères sont également souvent désignés comme auteurs de violences sexuelles lorsque les femmes ont résidé à l’adolescence avec leur mère et leur beau-père » ([10]). Comme le rappellent les auteurs de cette enquête, les violences sexuelles familiales et para-familiales concernent tous les milieux sociaux. Même si les victimes se confient à leur entourage, peu sont celles qui ont entrepris des démarches afin de dénoncer les violences endurées, d’une part en raison de leur âge au moment des faits, d’autre part car elles sont convaincues de l’inefficacité ou de l’inutilité de la démarche judiciaire.

3.   Les conséquences physiques, physiologiques et psychologiques sont considérables

Les travaux menés sur le projet de loi n° 778 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes par la Délégation ont abordé les conséquences physiques, physiologiques et psychologiques de ces violences ([11]). Elles peuvent engendrer notamment des troubles d’amnésie traumatique qui conduisent les victimes à se protéger en occultant leurs agressions. Le rapport de la mission de consensus présidée par Mme Flavie Flament et M. Jacques Calmettes en 2017 souligne également les spécificités des crimes sexuels commis sur les mineurs. Il décrit les nombreux obstacles à la libération de la parole des enfants victimes de violences sexuelles : difficulté à comprendre la gravité des actes subis, une relation souvent complexe avec son agresseur qui peut impliquer une emprise, sociale ou sentimentale par exemple, et place l’enfant dans un conflit de loyauté qui rend la dénonciation difficile. En outre, le rapport rappelle que « dans le cas d’agressions commises au sein de la famille, d’une communauté ou d’une institution, la victime mineure est confrontée en permanence à la présence de l’agresseur et à la répétition du fait traumatique. En effet, les crimes sexuels sur mineurs sont souvent commis par un même auteur sur de nombreuses victimes et pendant plusieurs années. Le phénomène d’emprise de l’agresseur sur sa victime, et l’efficacité de sa stratégie pour la contraindre au silence, sont alors décuplés » ([12])

M. Alain Legrand, fondateur de la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales (FNACAV), lors de son audition par vos rapporteurs le 29 janvier 2021, insiste sur le fait que les violences au sein du cercle familial constituent spécifiquement une « effraction » et un « traumatisme », « sur le coup ou après coup » et ce, tout au long de la vie qui se manifeste notamment par une attitude défensive de la victime. Elles contribuent également à créer de futurs agresseurs. En outre, il rappelle que « les liens familiaux tendent à renforcer la confiance de l’enfant envers les personnes. Ils rentrent dans la catégorie des personnes a priori protectrices pour les enfants, des personnes connues pour qui il existe bien souvent un lien d’attachement au sens biologique du mot, un lien vers des personnes qui sont au plus près de lui et sont censées lui apporter une base de sécurité notamment dans les premiers temps de la vie. En ce sens, ils portent une responsabilité plus grande dans le développement de l’enfant et peuvent être considérés comme des « figures parentales » ».

Les mineurs victimes de violences sexuelles sont aussi plus susceptibles de subir à nouveau des violences selon un phénomène de « revictimation sexuelle » ([13]). Ainsi, selon les données collectées par l’ONDRP, 3,9 % des victimes durant l’enfance ont déclaré avoir subi des violences conjugales contre 1,3 % en moyenne sur l’ensemble de la population. En effet, les victimes durant l’enfance sembleraient éprouver davantage de difficultés à construire une relation de couple harmonieuse et à accorder à nouveau leur confiance. Elles peuvent aussi plus souvent subir des relations dites « toxiques ».

 


B.   Le législateur a récemment renforcé l’arsenal JUDICIAIRE sanctionnant les violences sexuelles sur les mineurs et les crimes incestueux

La législation condamnant les violences sexuelles sur les mineurs a été fortement renforcée au cours des dernières années.

1.   Le législateur a renforcé les peines sanctionnant les violences sexuelles sur les mineurs

L’article 222-23 du code pénal définit le viol comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise » ([14]). L’article 222‑22 définit l’agression sexuelle comme une « atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise ».

Les quatre notions de violence, contrainte, menace ou surprise décrivent un rapport sexuel imposé et permettent ainsi de caractériser l’absence de consentement à l’acte sexuel – alors qualifié de viol ou d’agression sexuelle.

L’article 222-22-1 du code pénal, introduit en 2010 ([15]), et modifié en 2018, précise la notion de contrainte, qui peut être physique ou morale. Le même article prévoit, au deuxième alinéa, que « lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur, la contrainte morale mentionnée au premier alinéa du présent article ou la surprise mentionnée au premier alinéa de l'article 222-22 peuvent résulter de la différence d'âge existant entre la victime et l'auteur des faits et de l'autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime, cette autorité de fait pouvant être caractérisée par une différence d'âge significative entre la victime mineure et l'auteur majeur ». L’écart d’âge entre un majeur et un mineur peut donc impliquer une contrainte et conduire à caractériser un acte sexuel comme une agression sexuelle ou comme un viol s’il y a pénétration.

La loi de 2018 a complété cet article par un troisième alinéa précisant que lorsque les faits sont commis sur un mineur de 15 ans, la contrainte ou la surprise sont caractérisés par « l’abus de l’ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes ». Pour Claire Guiraud, secrétaire générale du Haut Conseil à l’Égalité, l’introduction de cet article a rendu « explicite le fait qu’en deçà de 15 ans, il y a potentiellement un abus de vulnérabilité, lié à l’âge » ([16]). Pour déterminer si un mineur de 15 ans a été contraint moralement à un rapport sexuel avec un majeur, le juge s’appuie désormais, d’une part, sur l’écart d’âge de la victime avec le majeur et s’il y a une relation d’autorité entre les deux ; d’autre part, sur le défaut de discernement de la victime découlant de sa vulnérabilité et de l’abus de celle-ci par son auteur ([17]).

La loi n° 2018-70 du 3 août 2018 a aussi renforcé les peines d’emprisonnement et d’amende en cas d’atteinte sexuelle, hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, lorsque l’acte est commis sur un mineur de 15 ans. Les peines encourues ont ainsi été augmentées : l’emprisonnement passe de cinq à sept années et l’amende de 75 000 à 100 000 euros.

En l’occurrence, le code pénal ne prévoit pas de présomption générale de culpabilité, c’est‑à‑dire le fait que tout rapport sexuel entre un majeur et un mineur de 15 ans constituerait un viol, du fait de l’absence présumée de consentement de ce dernier. La jurisprudence du Conseil constitutionnel n’admet en effet qu’à titre exceptionnel l’existence d’une présomption de culpabilité en matière répressive. Comme le rappelle le Conseil d’État, « il faut, d’une part, qu’elle ne revête pas de caractère irréfragable et, d’autre part, qu’elle assure le respect des droits de la défense, c’est-à-dire permette au mis en cause de rapporter la preuve contraire », exigences d’autant plus fortes lorsque la présomption est instituée pour un crime ([18]).

2.   La notion d’inceste a été récemment introduite dans le code pénal

Si le Conseil constitutionnel a fait de la prohibition de l’inceste une composante de l’ordre public ([19]), le crime d’inceste a été explicitement introduit dans le code pénal par la loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux. L’article 222-31-1 proposé disposait ainsi que « les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis au sein de la famille sur la personne d'un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s'il s'agit d'un concubin d'un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ».

Cependant, cet article a été abrogé par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011, le Conseil constitutionnel a en effet considéré que « s’il était loisible au législateur d’instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s’abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ».

La loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance a finalement introduit le crime d’inceste dans le code pénal.

L’article 222-31-1 du code pénal dispose ainsi que :

 « Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis sur la personne d'un mineur par :

1° Un ascendant ;

2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ;

3° Le conjoint, le concubin d'une des personnes mentionnées aux 1° et 2° ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l'une des personnes mentionnées aux mêmes 1° et 2°, s'il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait. ».

L’article 2 de la loi n°2018-70 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a modifié cet article, en lui retirant la référence restrictive à la minorité de la personne, étendant ainsi la qualification des faits aux victimes majeures.

C.    Il convient aujourd’hui de compléter le dispositif pénal

Si le législateur a renforcé l’arsenal permettant de condamner les violences sexuelles commises sur les mineurs, le droit applicable aux mineurs demeure complexe et parfois incompris. La question se pose dès lors de l’adoption d’un seuil automatique de non-consentement pour un mineur de moins de 15 ans.

1.   Il est nécessaire d’améliorer un droit complexe et parfois difficile à appréhender pour les victimes

Des affaires récentes et médiatisées ont mis en lumière les difficultés inhérentes à la mise en œuvre d’un droit particulièrement complexe s’agissant de victimes mineures au moment des faits.

Ainsi, en mai 2017, une personne âgée de 19 ans a accusé l’ex-compagnon de sa mère d’agressions sexuelles depuis ses 13 ans. Le juge d’instruction a requalifié par ordonnance les faits de viol par une personne ayant autorité sur la victime, en fait d’agression sexuelle incestueuse par personne ayant autorité sur la victime. Le 19 mars 2020, la Cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance de non-lieu partielle et renvoyé le prévenu devant le tribunal correctionnel. La partie civile a formé un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour de cassation. Selon elle, en retenant que, pour être qualifiée de viol, la pénétration vaginale subie par l’exposante devait avoir été d’une « profondeur significative », la chambre de l’instruction a violé l’article 222-23 du code pénal en lui ajoutant une condition qu’elle ne comporte pas, le premier alinéa de cet article disposant que « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. ». Le caractère volontaire de l’agression sexuelle qui dégénère en pénétration sexuelle infligée à la victime suffirait alors à caractériser l’élément intentionnel du viol.

Dans son arrêt n°20-83.273 du 14 octobre 2020, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la partie civile, rappelant que les déclarations de la victime n’étant assorties « d’aucune précision en termes d’intensité, de profondeur, de durée ou encore de mouvement, ne caractérise pas suffisamment une introduction volontaire au-delà de l’orée du vagin, suffisamment profonde pour caractériser un acte de pénétration ». Par suite, l’élément matériel et l’élément intentionnel du viol apparaissaient insuffisamment caractérisés pour entraîner une requalification juridique des faits. S’il n’y a pas de pénétration sexuelle, alors on ne peut qualifier l’acte de viol. Le juge dispose à cet effet d’une marge d’appréciation lui permettant de caractériser un acte de pénétration sexuelle. Il se fonde notamment pour cela sur la description, par le plaignant, de l’acte incriminé.

Ces difficultés témoignent de l’intérêt qu’il y aurait à simplifier et clarifier le droit relatif aux atteintes sexuelles commises à l’encontre des mineurs.

2.   La difficile distinction entre le consentement et le discernement du mineur de moins de 15 ans

Les articles 222-22, 222-2-1 et 222-23 du code pénal disposent que les agressions sexuelles et le viol supposent, outre l’élément matériel de pénétration ou d’atteinte sexuelle, la conscience d’imposer à autrui cette pénétration ou atteinte sexuelle non consentie.

Le défaut de consentement résulte de l’usage, par l’auteur, de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise. Pour les mineurs, la contrainte et la surprise peuvent résulter de l’autorité de droit ou de fait que l’auteur des faits exerce sur la victime. En outre, si la victime a moins de 15 ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de vulnérabilité de la victime, qui ne dispose pas du discernement nécessaire pour ces actes. Plusieurs affaires récentes ont illustré les limites de cette formulation.

Ainsi, par exemple, l’affaire dite « Julie », a été particulièrement médiatisée. En 2009, trois militaires majeurs de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris ont eu un rapport sexuel avec une jeune fille, âgée de 14 ans, conduisant au dépôt d’une plainte pour viol. Le 19 juillet 2019, le juge d’instruction a décidé du renvoi devant le tribunal correctionnel des trois pompiers pour atteintes sexuelles sans violence, contrainte, menace, ni surprise, considérant que le défaut de consentement apparaissait « insuffisamment caractérisé ». Cette décision a été contestée, mais dans un arrêt rendu le jeudi 12 novembre 2021, la cour d’appel de Versailles a rejeté la demande de requalification en « viol » des faits présumés ([20]).

En ce sens, imposer un interdit explicite de tout acte sexuel en deçà d’un seuil d’âge précis permettrait de clarifier le droit, écartant ainsi toute recherche du défaut ou non de consentement. Il reviendrait alors au ministère public de démontrer uniquement :

–  l’existence d’un acte de nature sexuelle ayant eu lieu entre le mis en cause majeur et la victime mineure de 15 ans ou moins ;

– la connaissance de l’auteur présumé de l’âge de la victime ;

– la volonté du mis en cause d’accomplir l’acte de nature sexuelle tout en ayant conscience de l’interdiction posée au regard de l’âge de la victime.

 


II.    La proposition de loi satisfait certaines des propositions de la delegation

A.    Les travaux de la delegation sur les violences sexuelles faites aux mineurs ont conduit à des propositions précises

Votre Délégation s’est investie à plusieurs reprises sur la question des violences sexuelles et sexistes et a apporté une attention particulière à la situation des mineurs, et notamment au cours de l’année 2018, à l’occasion d’un rapport d’information sur le viol et d’un rapport d’information sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. 

1.   Les préconisations du rapport d’information sur le viol

Le rapport d’information n° 721 sur le viol adopté le 22 février 2018 par votre Délégation (Mme Sophie Auconie et Mme Marie-Pierre Rixain, rapporteures) ([21]), a dressé un état des lieux alarmant, appelant à renforcer la législation relative au viol. Il a mis en avant des pistes d’amélioration de nature à lutter contre la culture du viol et permettant de mieux prendre en charge les victimes. Surtout, s’agissant du traitement judiciaire de ces violences, les rapporteurs y ont consacré d’importants développements relatifs aux questions particulières posées par les viols commis sur des mineurs.

Les rapporteures ont tout d’abord relevé la nécessité d’une prise en charge adaptée des victimes, saluant les programmes mis en place à cette fin, tel le programme Nénuphar s’adressant aux mineurs victimes de violences sexuelles et à leurs proches. Des guides ont été rédigés pour informer les enfants et adolescents, ainsi que leurs parents sur l’examen sur réquisition et sur les éventuels symptômes ou troubles que la jeune victime peut développer à la suite de ces violences sexuelles.

Sur le plan législatif, les rapporteures ont mené un travail de fond relatif aux délais de prescription, qu’elles proposaient de modifier (recommandation n° 23). Mme Sophie Auconie a proposé qu’aucun délai de prescription ne s’applique s’agissant des crimes sexuels sur mineurs. Mme Marie‑Pierre Rixain, de son côté, a recommandé l’allongement à 30 ans du délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur mineurs, ce délai devant courir à compter de la majorité de la victime, soit jusqu’à l’âge de 48 ans.

Elles ont également préconisé de consacrer le principe de non‑consentement des mineurs à un acte sexuel avec un adulte (recommandation n° 24). Certains acteurs associatifs avaient fait valoir auprès des rapporteures que, dans certains cas, les enfants et adolescents n’étaient pas suffisamment protégés.

Il est vrai que le droit pénal prend en compte l’immaturité tant physique que psychique des mineurs, retenant le critère de la différence d’âge entre la victime mineure et l’auteur, ou encore faisant de la minorité de 15 ans une circonstance aggravante du viol. Pour autant, la différence d’âge n’était pas forcément prise en compte pour permettre la condamnation en Cour d’assises d’un acte sexuel d’un adulte commis sur un mineur. Compte tenu du cadre constitutionnel, les rapporteures avaient donc recommandé d’établir « deux seuils d’âge déterminant des interdits juridiques et sociétaux clairs sur les actes sexuels entre un adulte et un enfant ». Elles avaient ainsi proposé :

– d’assimiler tout acte sexuel commis par un majeur sur un mineur de 13 ans à une agression sexuelle aggravée et, en cas de pénétration, à un viol ;

– que tout acte sexuel commis par un majeur à l’encontre d’un mineur de 13 à 15 ans soit réputé non consenti.

2.   Les travaux relatifs à la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes

Sur le fondement de ces travaux, votre Délégation a été saisie de la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, et a adopté le 19 avril 2018 le rapport d’information n° 895 et ses recommandations (M. Erwan Balanant et Mme Marie-Pierre Rixain, rapporteurs) ([22]).

Ce rapport avait permis d’aborder les dispositions pénales relatives aux violences sexuelles commises sur mineurs, mais également les moyens d’accompagner les victimes et de protéger les jeunes publics des cyberviolences à caractère sexuel (harcèlement en ligne, raids numériques, etc.), champ d’action qui mérite des développements juridiques et techniques particulièrement importants (cf. recommandations 11 à 15 du rapport).

S’agissant de la répression des violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs, la Délégation avait notamment proposé l’allongement du délai de prescription ainsi que la création d’incriminations spécifiques protégeant les mineurs de 13 ans.

a)     Modification des délais de prescription

Avant 2017, les délais de prescription de droit commun pour les crimes et délits étaient respectivement de dix ans et de trois ans, tandis qu’existait, pour les infractions sexuelles sur mineurs, un délai de prescription dérogatoire de vingt ans. La loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale avait doublé ces délais de droit commun, qui étaient passés à six ans pour les délits et vingt ans pour les crimes. Toutefois, elle avait également supprimé la spécificité des crimes sexuels contre les mineurs en maintenant le droit de prescription dérogatoire à vingt ans.

Par suite, conformément aux recommandations de la Délégation, la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 a porté le délai de prescription des crimes sexuels commis à l’encontre des mineurs de 20 à 30 ans.

b)     Proposition de créer une infraction protégeant spécifiquement les enfants de moins de 13 ans

En dessous de l’âge de 13 ans, tous les mineurs doivent impérativement être protégés contre la sexualité des adultes, qu’ils ne peuvent pas comprendre et dont ils ne peuvent pas mesurer la réalité.

Conformément aux préconisations du rapport d’information n° 721 sur le viol, les rapporteurs sur le projet de loi avaient proposé de compléter le code pénal en introduisant des infractions nouvelles posant un interdit très clair de toute relation sexuelle entre un majeur et un enfant de moins de 13 ans, la violation de cet interdit constituant un crime.

Leur proposition consistait à intégrer dans le code pénal une nouvelle infraction selon laquelle tout acte sexuel sans pénétration imposé par un majeur à un enfant de treize ans est puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende et, lorsque l’acte est commis avec pénétration, de 20 ans d’emprisonnement.

Le texte adopté n’a pas retenu cette proposition, lui préférant un dispositif d’aggravation des peines d’emprisonnement et d’amende en cas d’atteinte sexuelle sur mineur, à savoir lorsqu’un acte de pénétration a été commis par un majeur sur un mineur de 15 ans sans que la contrainte, la menace, la surprise ou la violence ait pu être prouvée. Les peines ont alors été doublées, passant de cinq à dix années d’emprisonnement et de 75 000 à 150 000 euros d’amende.

La Délégation avait salué cette avancée, tout en renouvelant très précisément sa proposition de compléter le code pénal avec deux infractions nouvelles, à savoir :

 l’une posant le principe selon lequel tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, imposé par un majeur à un mineur de treize ans serait criminalisé et puni de vingt ans de réclusion criminelle (recommandation n° 7) ;

 l’autre prévoyant que tout acte sexuel sans pénétration imposé par un majeur à un enfant de treize ans serait puni de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende (recommandation n° 8).

Si cette proposition ne s’est pas concrétisée lors de l’examen du projet de loi n° 2018-703 du 3 août 2018, la présente proposition de loi en rappelle toute l’actualité.

B.    Le dispositif porté par la proposition de loi est bienvenu mais perfectible

1.   Les dispositions proposées sont de nature à clarifier le droit pénal

Vos rapporteurs se réjouissent de l’examen de cette proposition de loi, qui vise à compléter et clarifier le droit existant s’agissant des mineurs. Ses quatre articles instaurent en effet deux dispositifs :

– une protection générale renforcée des mineurs de moins de 15 ans face aux violences sexuelles ;

– un cadre pénal spécifique concernant les crimes et délits de nature incestueuse.

Son article 1er définit une infraction, délictuelle, dite « d’atteinte sexuelle » commise par un majeur sur un mineur de 15 ans, sans condition de violence, contrainte, menace ou encore surprise. Ce délit serait puni de 10 ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. Il remplacerait la rédaction actuelle de l’article 227-25 du code pénal, qui aggrave les peines, en prévoyant que « hors le cas de viol ou de toute autre agression sexuelle, le fait, par un majeur, d'exercer une atteinte sexuelle sur un mineur de 15 ans est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende. ».

Son article 2 institue une infraction criminelle, de « pénétration sexuelle » commise par un majeur sur mineur de 15 ans.

Les articles 3 et 4 portent sur les infractions sexuelles de nature incestueuse en distinguant les situations de « pénétration sexuelle », sans condition de violence, contrainte, menace ou encore surprise (article 3) de celle « d’atteinte sexuelle » (article 4). Ces dispositions protègent l’ensemble des mineurs, avec un seuil d’âge proposé à 18 ans.

Ce faisant la proposition de loi prévoit :

– deux crimes punis d’une peine de 20 ans de réclusion (juridiction et prescription) : la « pénétration sexuelle » par un majeur à l’encontre d’un mineur de 15 ans (article 2) ; et la « pénétration sexuelle » par un majeur à l’encontre d’un mineur de 18 ans lorsque ces faits constituent un inceste (article 3).

– deux délits : appelés dans les deux cas « atteinte sexuelle », qui s’appliquent aux faits commis à l’encontre de mineurs de 15 ans (article 1er) ou, dans les cas incestueux, de 18 ans (article 4).

Conformément aux dispositions en vigueur dans le code pénal, le projet de loi limite la qualification d’inceste aux personnes suivantes :

- aux ascendants, frères, sœurs, oncles, tantes, neveux, nièces ;

- au conjoint, concubin (ou à la personne liée par un pacte civil de solidarité) de l’ascendant, du frère, de la sœur, de l’oncle, de la tante, du neveu et de la nièce de la victime, lorsque celui-ci exerce sur le mineur une autorité de droit ou de fait. Les collatéraux et leurs conjoints sont donc bien pris en compte.

Ne sont en revanche pas inclus le grand-oncle ou la grand-tante ou les cousins au premier degré de la victime.

Vos rapporteurs considèrent qu’il serait opportun de mener une réflexion sur l’opportunité de prendre en compte les cousins et cousines, afin de compléter la liste des membres de la famille pouvant se rendre coupables d’inceste.

Recommandation n° 1 : conduire une réflexion sur l’opportunité d’élargir la liste des auteurs mentionnés à l’article 3 relatif au viol incestueux aux cousins et cousines de la victime.

2.   Les améliorations proposées par vos rapporteurs

a)     La qualification des faits

Ce dispositif constitue une avancée dans la mesure où sont levés les conditions de violence, contrainte, menace ou de surprise. En définissant des infractions autonomes, il pose des interdits très clairs.

Afin de prendre en compte la multiplicité des situations d’agressions sexuelles subies par les mineurs, vos rapporteurs considèrent qu’il conviendrait de compléter les articles 1er et 4 en prévoyant la possibilité que la victime soit conduite à commette l’acte sur la personne de l’auteur ([23]).

Par ailleurs, vos rapporteurs considèrent que le choix de ne pas qualifier de « viols » l’acte de pénétration pose question, le fait même de mettre le bon mot sur l’acte subi par la victime pouvant bien souvent l’aider à affronter sa souffrance.

Les auditions conduites par vos rapporteurs ont montré que mentionner explicitement la seule notion de « viol » pourrait entrer en contradiction avec le dispositif proposé. L’article 222-23 du code pénal prévoit en effet que ce crime est caractérisé en cas de contrainte, surprise, menace ou de violence. Or, les articles 2 et 3 lèvent la nécessité de vérifier cette condition. En conséquence, afin de ne pas créer une seconde définition divergente du viol, vos rapporteurs proposent de définir la pénétration commise sur mineur décrite à l’article 2 de « viol sur mineur ». Cette rédaction permettrait de rappeler la spécificité de ces crimes de viol commis sur mineurs, dont le régime juridique serait alors clairement distinct de la définition prévue à l’article 222-23 du code pénal.

De même, la notion d’inceste doit elle aussi apparaitre dans l’incrimination. Vos rapporteurs proposent ainsi de qualifier l’incrimination décrite à l’article 3 de « viol incestueux sur mineur ».

Enfin, la notion « d’atteinte sexuelle » retenue aux article 1er et 4 de la proposition de loi correspond à une notion générique, qui existe dans le code pénal mais dont la distinction avec la notion, plus grave, d’agression sexuelle tient à la prise en compte du critère de violence, contrainte, menace ou surprise, condition qui n’est plus recherchée dans le dispositif proposé. Compte tenu de la gravité particulière de ces actes lorsqu’ils sont commis sur des mineurs et de la spécificité de l’infraction créée par ce texte, vos rapporteurs proposent d’assimiler la notion d’« atteinte sexuelle », lorsqu’elle est commise à l’encontre de mineurs, à celles d’« agression sexuelle sur mineur » à l’article 1er, et d’« agression sexuelle incestueuse sur mineur » à l’article 4.  

Recommandation n° 2 : aux articles 1er et 4, prévoir la possibilité que la victime soit conduite à commette l’acte sur la personne de l’auteur.

Recommandation n° 3 : insérer le terme « viol sur mineur » pour qualifier la pénétration sexuelle définie à l’article 2.

Recommandation n° 4 : insérer le terme « viol incestueux sur mineur » pour qualifier la pénétration sexuelle définie à l’article 3.

Recommandation n° 5 : assimiler la notion d’« atteinte sexuelle » retenue aux articles 1er et 4 à celles d’« agression sexuelle sur mineur » à l’article 1er, et d’« agression sexuelle incestueuse sur mineur » à l’article 4. 

b)     Les seuils d’âge retenus

S’agissant du seuil d’âge des victimes, celui retenu dans les cas d’atteinte sexuelle (article 1er) et de pénétration sexuelle (article 2) est de 15 ans, ce qui va au-delà des préconisations de la Délégation. Vos rapporteurs soutiennent ce choix et considèrent que ce seuil traduit désormais un consensus social : il s’agit bel et bien de considérer qu’avant cet âge il ne saurait y avoir de consentement en matière sexuelle.

Enfin, se pose la question de la criminalisation « par effet de seuil d’âge » de relations sexuelles intervenant dans le cadre d’une relation préexistante entre un mineur de 15 ans et une personne atteignant l’âge de la majorité. Vos rapporteurs considèrent qu’il conviendra de faire preuve de vigilance sur cette question afin prendre en compte le caractère continu et préexistant de leur relation amoureuse.

Recommandation n° 6 : conduire une réflexion sur la possibilité de prendre en compte le caractère continu et préexistant d’une relation amoureuse impliquant un jeune majeur.

c) Répression de ces crimes et délits

Enfin, la proposition de loi ne traite pas de la question de l’articulation entre les articles 3 et 4, relatifs à l’inceste, et les dispositions introduites en 2016 prévoyant une surqualification d’inceste.

Vos rapporteurs tiennent à souligner qu’en l’état du texte, les dispositions relatives à la circonstance aggravante d’inceste ne s’appliqueraient plus que pour les auteurs mineurs.

 

Recommandation n° 7: examiner l’opportunité d’aggraver les peines prévues en cas d’inceste.

 

 

 


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   Liste des personnes auditionnees

Ces tables rondes ont été organisées par visioconférence le vendredi 29 janvier 2021.

 

Table ronde n° 1 : état des lieux des violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs

● Mme Odile Naudin, conseillère auprès de la Défenseure des enfants, journaliste experte sur les thématiques jeunesse et numérique, membre du conseil d’administration de la Fondation pour l’enfance ;

● M. Patrick Loiseleur, vice-président de l’association Face à l'inceste ;

● M. Alain Legrand, président de la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d'auteurs de violences conjugales et familiales.

 

Table ronde n° 2 : Examen des enjeux juridiques

● M. Olivier Christen, Directeur des affaires criminelles et des grâces ;

● Mme Christine Desnoyer, Maître de conférences à l’université de Lille, spécialiste du droit de la famille et de l'enfant ;

● Me Pascal Cussigh, avocat au barreau de Paris, secrétaire de la fédération d’association « Collectif pour l’enfance ».

 

 


([1]) La composition de la Délégation figure au verso de la présente page.

([2])  Notamment Odile Naudin, conseillère auprès de la défenseure des enfants.

([3]) Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), Note n° 47 (juin 2020), « Les victimes de violences sexuelles durant l’enfance sont davantage victimes à l’âge adulte ».

([4]) Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), Grand angle n° 37 (janvier 2016), « Les viols commis à Paris en 2013 et 2014 et enregistrés par les services de police ».

([5]) Sondage Ipsos « Les Français face à l’inceste »,  Ipsos  (2020)

https://facealinceste.fr/upload/media/documents/0001/02/9b09b6479dc5cc783ff3ebfb07769e5911e173b8.pdf [URL consultée le 01 février 2021]

([6]) Document de présentation de l’enquête Virage et premiers résultats sur les violences sexuelles, Ined, Janvier 2017.

https://virage.site.ined.fr/fichier/s_rubrique/20838/doc.travail_2017_229_violences.sexuelles_enquete.virage_1.fr.fr.pdf  [URL consultée le 01 février 2021].

([7]) Sondage Ipsos « Les Français face à l’inceste » ; réalisé en ligne les 4 et 5 novembre 2020 auprès d’un panel de 1 033 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française.

https://facealinceste.fr/upload/media/documents/0001/02/9b09b6479dc5cc783ff3ebfb07769e5911e173b8.pdf

[URL consultée le 01 février 2021]

([8])  Violences et rapports de genre, BROWN Elisabeth et al, Ined éditions (2020), p 163

([9]) Ibid, p 165

([10]) Ibid, p 166

([11]) Rapport d’information n°895 de M. Erwan Balanat et Mme Marie-Pierre Rixain fait au nom de la Délégation aux droits des femmes, adopté le 18 avril 2018.

([12])  Rapport d’information n°721, op. cit.

([13])  Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, « Les victimes de violences sexuelles durant l’enfance sont davantage victimes à l’âge adulte », juin 2020.

([14])  Tel que modifié par la loi n°2018-70 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

([15]) Loi n° 2010‑121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux.

([16])  « Violences sexuelles : le projet de loi Schiappa va-t-il assez loin ? La polémique en quatre questions », Jean-Loup Adenor et Carine Janin, OuestFrance.fr, publié le 16 mai 2018 [URL consultée le 01 février 2021]

([17]) Rapport d’évaluation de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, Alexandra Louis, 2020  

([18]) Avis du Conseil d’État, Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes commises contre les mineurs et les majeurs (2018)

([19]) Décision n°99-419 DC du 9 novembre 1999

([20]) Pompiers poursuivis pour « atteinte sexuelle » : la requalification en « viol » rejetée en appel.  Le Monde avec AFP, 12 novembre 2020.

 

([21]) Op cit

([22]) Op. cit

([23])  Le code pénal prévoit cette possibilité en matière de viol, l’article 222-23 prenant en compte les situations d’actes commis par la victime « sur la personne de l’auteur ».