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N° 4051

______

 

ASSEMBLÉE   NATIONALE

 

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

 

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 avril 2021.

 

 

RAPPORT  D’INFORMATION

 

 

 

DÉPOSÉ

 

 

en application de l’article 145 du Règlement

 

 

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

 

 

en conclusion des travaux de la mission sur
l’allocation des travailleurs indépendants dans le contexte de la crise de la covid-19

 

 

ET PRÉSENTÉ PAR

 

 

M. Dominique DA SILVA,

 

Député.

 

——


 

 

 

 

 


–  1  –

SOMMAIRE

___

Pages

AVANT-PROPOS

introduction

I. L’ouverture de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants

A. Les textes de référence

B. L’élaboration du dispositif d’ATI

C. Le dispositif d’ATI en vigueur

1. Figurer dans la liste des activités ouvrant droit à l’ATI fixée par la loi

2. Avoir cessé l’activité de son entreprise du fait d’une liquidation judiciaire ou d’un redressement judiciaire

3. Avoir exercé une activité non salariée pendant au moins deux ans sans interruption au titre d’une seule et même entreprise

4. Avoir généré au moins 10 000 euros par an en moyenne sur les deux dernières années, au titre de l’activité non salariée, ou 7 500 euros à Mayotte

5. Disposer de ressources personnelles inférieures au montant du RSA

II. Le bilan décevant de l’ATI réinterroge le dispositif

A. Un premier bilan bien en-deçà des prévisions attendues

B. Un décalage qui ne relève pas d’un problème de mise en œuvre

C. Des conditions d’accès trop restrictives

1. Le rejet positif de l’ATI pour une reprise de droit à l’ARE

2. Les principaux motifs de rejet à l’ATI

D. Le contexte de la crise de la Covid-19 et ses effets conjoncturels sur les travailleurs indépendants

III. Le constat des personnes auditionnées et des contributions écrites confirme ces interrogations

A. Revoir les conditions d’éligibilité à l’ATI

1. La liste des activités

2. La cessation d’activité définitive et involontaire

3. La durée d’activité

4. Les revenus d’activité

5. Le niveau de ressources personnelles

B. Renforcer la diffusion de l’information

C. Reconsidérer la question du financement

D. Aider davantage en période de crise

E. Autres recommandations

IV. Quel dispositif d’ATI peut-on envisager pour demain ?

A. Les trois questions fondamentales à poser

1. À quoi doit servir l’ATI ?

2. À qui doit s’adresser l’ATI ?

3. Combien de bénéficiaires doivent être visés par l’ATI ?

B. Les cinq conditions d’éligibilité de l’ATI à réévaluer

1. La liste des activités

a. Les dirigeants égalitaires ou majoritaires de sociétés

b. Les micro-entrepreneurs

c. Les travailleurs indépendants économiquement dépendants (TIED)

d. Les créateurs d’entreprise anciennement salariés

2. La cessation d’activité définitive et involontaire

a. Les procédures de redressement ou de liquidation judiciaire

b. La notion de cessation involontaire

3. La durée d’activité

4. Les revenus d’activité

5. Le niveau de ressources personnelles

C. Le comptage des populations cibles

1. Les cessations dans le périmètre du dispositif actuel limité aux procédures judiciaires

2. Les cessations dans le périmètre d’un dispositif étendu aux liquidations amiables

Conclusion

Propositions

TRAVAUX de la commission

1. Auditions du 3 mars 2021

2. Auditions du 17 mars 2021

3. Réunion du 6 avril 2021

ANNEXE N° 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

ANNEXE N° 2 : LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES REÇUES

 


  1  

   AVANT-PROPOS

Chaque année en France, plus de 800 000 personnes se lancent dans l’entreprenariat avec un même but, la recherche d’une indépendance professionnelle dans un secteur d’activité qu’elles convoitent et dans lequel elles veulent réussir. Si bon nombre d’entre elles réussissent à développer une entreprise rentable, d’autres n’y parviennent pas et sont contraintes de cesser leur activité. Pour accompagner ce public fragilisé aux compétences indéniables, l’allocation des travailleurs indépendants (ATI) permet à ces entrepreneurs en difficulté de bénéficier d’une allocation de perte d’emploi après un échec, qui doit être vu comme une force et un atout professionnel, à condition de les aider à rebondir.

Le premier bilan de l’ATI, un an après sa mise en œuvre le 1er novembre 2019, est apparu décevant. Il était alors essentiel d’en comprendre les raisons, d’entendre les acteurs concernés par cette allocation du régime d’assurance chômage et de formuler des propositions d’évolution permettant d’atteindre les objectifs initialement fixés. Pour cela, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a souhaité tenir un cycle d’auditions consacré à l’allocation des travailleurs indépendants, mis en œuvre par le rapporteur.

Au cours de diverses tables rondes, les acteurs concernés par l’ATI ont pu énoncer leurs constats et leurs recommandations. Ces auditions nourries et argumentées et les contributions écrites récoltées ont mis en lumière la nécessité de rapporter les enjeux de cette allocation au risque de perte d’emploi des travailleurs indépendants. Cette nécessité est d’autant plus vive dans un contexte de crise économique liée à la pandémie de covid-19, dont les risques à venir en termes d’emplois sont à prévoir dès à présent.

Ce rapport ambitionne de revenir sur la genèse de l’ATI et sa mise en œuvre (I), et s’articule autour de quatre axes clés visant à faire le constat précis d’un premier bilan jugé décevant (II), à tenter d’en expliquer les raisons à travers l’éclairage des personnes auditionnées et des contributions écrites (III), à repenser les aspects paramétriques du dispositif (IV) et à formuler des pistes et des propositions d’amélioration du dispositif (V). À ce titre, le rapporteur tient à remercier l’ensemble des personnes auditionnées pour la qualité de leurs interventions, ainsi que les interlocuteurs lui ayant fait part de leurs contributions écrites.


 

 


  1  

   introduction

« Nous permettrons à tous les travailleurs d’avoir droit à l’assurancechômage. Les artisans, les commerçants indépendants, les entrepreneurs, les professions libérales, et les agriculteurs disposeront, comme les salariés, de cette protection. » : ces mots étaient inscrits dans le programme de campagne d’Emmanuel Macron. À travers cette promesse, le candidat pointait un manquement certain de notre système de protection sociale. Les 3,3 millions de travailleurs indépendants, soit 10 % de la population active française, ne bénéficient en effet d’aucune protection sociale contre le risque de perte d’emploi.

L’augmentation du nombre d’indépendants, très marquée au cours de la dernière décennie, se justifie en partie par la création du statut d’autoentrepreneur en 2009. Outre un allégement des formalités de création d’entreprise pour beaucoup de nos concitoyens, ce statut simplifié de travailleur indépendant, rebaptisé micro‑entrepreneur, a permis d’apporter une solution d’accès rapide à l’emploi face aux difficultés du marché du travail. À titre d’illustration, le nombre de demandeurs d’emploi devenus travailleurs indépendants a augmenté de 45 % entre 2003 et 2014 ([1]).

Malgré la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19, 2020 a été une année record de créations d’entreprises, avec 848 200 créations, soit 4 % de plus qu’en 2019. Cette hausse est de nouveau portée par les immatriculations d’entreprises individuelles sous le régime du micro-entrepreneur (+ 9 %), tandis que les créations d’entreprises individuelles classiques diminuent (- 13 %), et que les créations de sociétés sont stables ([2]).

Nous faisons face à deux statuts bien distincts ; le premier, celui de salarié, dispose de mesures de protection sociale solides et le second, celui de non-salarié ou assimilé salarié, dans une bien moindre mesure. En effet, aucune obligation ne contraint les indépendants à se protéger contre un risque de perte d’emploi suite à des difficultés d’ordre économique, technique ou personnel. Il existe des assurances privées facultatives contre la perte d’emploi, mais elles sont peu représentatives de la totalité des travailleurs indépendants. Elles ne couvrent que 26 500 personnes pour 25 millions d’euros de primes, soit moins de 1% des travailleurs indépendants ([3]). Il s’agit principalement de dirigeants d’entreprises et de mandataires sociaux ayant un statut assimilé salarié. Ce faible engouement semble s’expliquer par le fait que la balance bénéfice-risque n’est pas jugée satisfaisante par les entrepreneurs, notamment par les travailleurs non-salariés.

C’est pourquoi, sous l’égide du Président de la République Emmanuel Macron, le Gouvernement d’Édouard Philippe a consacré l’article 28 du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel ([4]) à la création de l’allocation pour les travailleurs indépendants, communément appelé par son acronyme l’ATI. Le Parlement, saisi de ce projet de loi, devint le lieu de vifs débats sur l’assurance chômage universelle. Mais un constat est sans appel : 86 % des Français interrogés approuvent la possibilité pour les travailleurs indépendants de toucher des allocations-chômage en cas de liquidation ou de redressement judiciaire. Cet assentiment est logiquement plus fort encore chez les indépendants, qui l’approuvent à hauteur de 91 % ([5]).

Mettre en œuvre l’ATI en France, c’est aussi répondre à des mesures de protection contre la perte d’emploi des indépendants déjà en place chez nos voisins européens. L’assurance chômage pour les travailleurs non-salariés est, selon le pays, obligatoire (Finlande, Suède, Luxembourg, Portugal) ou facultative (Danemark, Espagne). Elle est conditionnée à une durée minimale d’activité non salariée comprise entre six et vingt-quatre mois et ouvre droit à une indemnisation qui peut aller de deux à dix-huit mois, avec un taux de remplacement allant de 65 à 80 % du revenu servant de base au calcul.

Comparaisons Européennes

 

Condition d’affiliation minimale

Montant
d’indemnisation

Durée d’indemnisation

Danemark

52 semaines au cours des 3 dernières années

Fonction des périodes
travaillées

78 semaines

Espagne

12 mois de travail continu à la date de cessation d’activité

70 % de la base régulatrice moyenne au cours des 12 derniers mois

2 à 12 mois

Finlande

15 mois au cours
des 4 dernières années
et revenu mensuel
au moins égal
à 1 035 €

Régime obligatoire :
32,68 €/jour
Régime volontaire : montant de base + 45 % de la différence entre revenu de référence et l’indemnité de base jusqu’à un certain plafond (37 255 €)

500 jours

Luxembourg

6 mois + 2 ans d’affiliation
à la sécurité sociale

80 % du revenu ayant servi d’assiette de cotisation pour les 2 derniers exercices

12 mois maximum
par période de 24 mois (prolongation possible)

Portugal

24 mois
au cours des 48 mois
précédant la cessation d’activité

65 % du revenu moyen journalier

De 330 à 540 jours

(selon l’âge et de la durée d’affiliation)

Suède

6 mois (80 h/mois minimum) au cours des 12 derniers mois ou 480 h durant une période consécutive de 6 mois (50 h min/mois au cours de 12 derniers mois)

Régime obligatoire : 39 €/jour
Régime volontaire : 80 % du salaire de référence
les 200 premiers jours,
puis 70 %

300 jours
(450 jours si enfant à charge)

Source : UNEDIC – Les indépendants – ouverture à l’Assurance chômage – 6 juillet 2017.

 


  1  

I.   L’ouverture de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants

A.   Les textes de référence

L’allocation des travailleurs indépendants (ATI) a été instaurée par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, dont les dispositions ont notamment été codifiées aux articles L. 5421-2 et L. 5424-24 à L. 5424-28 du code du travail. Il s’agit d’une allocation du régime d’assurance chômage, et non du régime de solidarité, distincte de l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE). Toutefois, l’ensemble des mesures d’application de l’ATI relève du pouvoir réglementaire et est fixé par des décrets, à l’instar des décrets n° 2019-796 du 26 juillet 2019 et n° 2019-976 du 20 septembre 2019 relatif à l'allocation des travailleurs indépendants.

Les partenaires sociaux sont compétents pour déterminer, d’une part, les règles de coordination entre ARE et ATI, et, d’autre part, les règles de cumul de l’ARE avec l’ATI, via l’accord d’assurance chômage mentionné à l’article L. 5422-20 du code du travail. En période de carence, ces modalités ont été fixées par le décret n° 2019-797 du 26 juillet 2019. L’Unédic a également établi la circulaire n° 2019-13 du 1er novembre 2019 relative à l’allocation des travailleurs indépendants.

B.   L’élaboration du dispositif d’ATI

Dès 2017, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’inspection générale des finances (IGF) ont été saisies d’une mission d’expertise relative à l’ouverture de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants. Le dispositif d’ATI tel qu’il résulte de la loi a suivi les conclusions de la mission IGAS-IGF, qui avait estimé « que, compte tenu de la large population potentiellement couverte, des risques élevés d’aléa moral qui la caractérisent ainsi que de la méconnaissance des comportements de la population à assurer et des taux de sinistralité, il est nécessaire, lors de la mise en place du dispositif, de définir le risque à couvrir, et les faits générateurs associés, avec prudence – quitte à faire évoluer le dispositif au cours du temps, une fois qu’un régime aura été créé et que davantage de données auront été collectées ».

La solution retenue par le Gouvernement est finalement conforme à l’esprit de prudence de la mission IGAS-IGF qui relevait qu’au surplus, l’ATI devait « s’intégrer de façon cohérente au système de protection sociale existant, notamment dans ses interactions avec le régime d’assurance chômage des salariés et avec les minima sociaux ». Les réserves émises par la mission ont donc poussé à ce que l’étude d’impact du projet de loi verrouille les critères d’accès à l’ATI afin de réduire son champ d’application, tout en visant 29 300 potentiels bénéficiaires pour un budget de 140 millions d’euros.

C’est ainsi que les dispositions proposées ont été adoptées quasiment sans modification par le Parlement, avec pour seul assouplissement la considération comme fait générateur caractérisant une cessation d’activité involontaire et définitive, les cas de divorce ou de rupture de pacs (amendement n° 1581 déposé par le Gouvernement). La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a ainsi été promulguée le 5 septembre 2018, avec une entrée en vigueur du dispositif d’ATI au 1er novembre 2019. Enfin, le décret n° 2019-976 du 20 septembre 2019 est venu préciser les modalités d’application de l’ATI.

C.   Le dispositif d’ATI en vigueur

L’ATI est actuellement octroyée pour une durée maximale de 182 jours, soit six mois, et pour un montant journalier de 26,30 euros soit 800 euros par mois, sauf à Mayotte où il est de 19,73 euros par jour, soit 600 euros par mois. Outre l’obligation d’être inscrit à Pôle emploi à la recherche effective d’un emploi, l’octroi de l’ATI est soumis à la justification des cinq conditions d’éligibilité cumulatives ([6]) suivantes :

1.   Figurer dans la liste des activités ouvrant droit à l’ATI fixée par la loi

Pour justifier de la nature de l’activité, il faut généralement fournir un extrait Kbis ou une attestation d'inscription au répertoire des métiers ([7]).

2.   Avoir cessé l’activité de son entreprise du fait d’une liquidation judiciaire ou d’un redressement judiciaire

En cas de liquidation, l’activité doit avoir cessé après qu’une procédure a été ouverte. En cas de redressement, l’indépendant dirigeant doit avoir été remplacé sur décision du juge. Dans les deux cas, il faudra fournir la copie de la décision de justice définitive précisant les motifs de la cessation. Une simple cessation d’activité, en dehors de ces deux cas limitatifs, ne permet pas de bénéficier de l’ATI.

3.   Avoir exercé une activité non salariée pendant au moins deux ans sans interruption au titre d’une seule et même entreprise

Toute mise en sommeil durant ces deux ans ne permet pas à l’indépendant de bénéficier de l’ATI. L’extrait Kbis permet de vérifier cette condition.

4.   Avoir généré au moins 10 000 euros par an en moyenne sur les deux dernières années, au titre de l’activité non salariée, ou 7 500 euros à Mayotte

Ces revenus sont ceux issus des déclarations fiscales, sauf pour les statuts ou secteurs qui bénéficient d’un régime fiscal particulier.

5.   Disposer de ressources personnelles inférieures au montant du RSA

En 2021, le revenu de solidarité active (RSA) mensuel est de 564,78 euros. Les revenus pris en compte sont les revenus imposables de l’intéressé, et non ceux du conjoint, au cours des douze mois qui ont précédé sa demande. Les revenus d’activité en sont exclus.

II.   Le bilan décevant de l’ATI réinterroge le dispositif

A.   Un premier bilan bien en-deçà des prévisions attendues

En novembre 2020, un premier bilan de l’ATI a été dressé un an après l’entrée en vigueur du dispositif. Les chiffres communiqués par Pôle emploi font état de 2 352 demandes déposées, parmi lesquelles environ 800 dossiers ont abouti à une indemnisation.

Lors de l’audition de Pôle emploi par la commission des affaires sociales le 3 mars dernier, les chiffres réactualisés au 26 février 2021, soit 16 mois après l’entrée en vigueur du dispositif, font état de seulement 911 bénéficiaires de l’ATI, pour 3 millions d’euros de dépenses engagées à la fin de décembre 2020. Ces données, comparées aux prévisions annuelles de 29 300 bénéficiaires pour 140 millions d’euros, exposent un bilan annuel 40 fois inférieur aux prévisions.

B.   Un décalage qui ne relève pas d’un problème de mise en œuvre

Au niveau opérationnel, tout semble avoir été mis en œuvre pour faciliter l’identification et le recours des bénéficiaires potentiels de l’ATI, qui n’ont pas de démarche à accomplir et sont automatiquement détectés par Pôle emploi au moment de la demande d’allocation en ligne, notamment lors de l’inscription.

En termes de communication, un site dédié (www.chomage-independant.fr) a été mis en place par Pôle emploi pour que le grand public puisse s’informer et les indépendants vérifier leur éligibilité aux conditions d’accès.

Malgré ces efforts d’accompagnement et d’information, force est de constater, plus d’un an après l’entrée en vigueur du dispositif, la grande faiblesse de mobilisation du dispositif. Face à ce constat, il est essentiel de se concentrer sur les raisons qui ont amené à ce décalage conséquent, qui réinterroge les aspects paramétriques de l’ATI.

C.   Des conditions d’accès trop restrictives

À défaut d’un problème de mise en œuvre, l’ensemble des cinq conditions cumulatives qui encadrent l’octroi de l’ATI entraîne incontestablement l’inéligibilité de milliers d’indépendants demandeurs d’emploi. L’écart à combler entre la réalité du nombre de bénéficiaires et la prévision qui en était donnée dans le projet de loi est bien trop importante, même à considérer une meilleure diffusion de l’information auprès de tous les indépendants.

Au 26 février 2021, l’analyse des 2 196 dossiers traités par Pôle emploi depuis que l’ATI existe permet un début d’évaluation. Le rapporteur regrette toutefois que l’analyse ne soit pas davantage approfondie pour tirer tous les enseignements sur les différentes catégories d’indépendants et leurs situations propres.

Il est à noter que 682 dossiers ont nécessité une demande de pièces complémentaires, soit 21,6 % des dossiers, dont 212 ont été classés sans suite après 30 jours sans réponse.

1.   Le rejet positif de l’ATI pour une reprise de droit à l’ARE

Un des motifs de rejet est un motif positif : il correspond à un droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) plus avantageux que l’ATI. On constate que 23 % des dossiers traités sont des travailleurs indépendants qui ont été salariés au cours des trois dernières années avant leur inscription à Pôle emploi, à la suite de leur cessation d’activité. Ils peuvent, à ce titre, réactiver le solde du droit à l’ARE de leur ancien contrat de travail. C’est un aspect paramétrique important qui n’a pas été pris en compte dans l’étude d’impact pour l’évaluation du nombre potentiel de bénéficiaires. Cette statistique est très intéressante car elle montre qu’une part importante des indépendants qui deviennent demandeurs d’emploi, c’est-à-dire un quart d’entre eux, ont un droit à l’assurance chômage pour laquelle leur ancien employeur avait versé des cotisations.

Ces rejets positifs sont automatiquement détectés par Pôle emploi au moment de la demande d’allocation en ligne qui vérifie que le demandeur n’a pas un droit à une allocation-chômage qui serait plus avantageuse que l’ATI, en montant ou en durée.


 

Demandes d'allocation chômage de travailleurs indépendants au 26/02/2021

100 %

2 196

Ouverture de droit à l’ATI

41 %

911

Rejets positifs pour une reprise de droit à l’ARE

23 %

499

Rejets aux conditions d’éligibilité de l’ATI

36 %

786

Principaux motifs de rejet à l'ATI au 26/02/2021

100 %

786

Revenu d'activité inférieur à 10 000 euros par an en moyenne sur 2 ans

74 %

582

Cessations d'activité non éligibles

10 %

79

Ressources personnelles supérieures au montant du RSA

9 %

70

Dossiers antérieurs au 01/11/2019

4 %

31

Période d'activité inférieure à 2 ans

2 %

16

Autres critères de non éligibilité

1 %

8

Source : Pôle emploi / Unédic

 

 

2.   Les principaux motifs de rejet à l’ATI

Le premier motif de rejet à l’ATI concerne le seuil de revenu d’activité minimal de 10 000 euros par an en moyenne sur les deux dernières années. Ce critère d’éligibilité représente à lui seul les trois-quarts des refus d’ATI (74 %).

Le second motif de rejet (10 %) porte sur la cessation d’activité définitive et involontaire devant obligatoirement passer par une décision judiciaire de procédures collectives.

Le troisième motif de rejet (9 %) tient aux ressources personnelles de l’indépendant, qui ne doivent pas dépasser le montant mensuel du RSA.

Les autres motifs de rejet ne comptent que pour 7 %, avec notamment l’exercice d’une activité d’au moins deux ans sans interruption au sein d’une seule et même entreprise.

Ces chiffres amènent un constat sans appel : les critères d’accès à l’ATI sont trop restrictifs.

D.   Le contexte de la crise de la Covid-19 et ses effets conjoncturels sur les travailleurs indépendants

Ce premier bilan de l’ATI ne saurait être juste sans aborder les effets conjoncturels très particuliers relatifs aux mesures d’urgence prises par l’État pour permettre aux entreprises de tenir face à la pandémie : gel de la date des cessations de paiement, fonds de solidarité, prêts garantis par l’État, exonération ou report de cotisations, activité partielle.

Paradoxalement, en 2020, les procédures collectives visées par le dispositif d’ATI ont été au nombre de 27 645, en net recul de 37,5 % par rapport à 2019.

Néanmoins, en appliquant la même baisse au nombre de bénéficiaires de l’ATI prévus par l’étude d’impact, même après cela, on ne peut que constater un écart abyssal : 29 300 pondérés de 37,5 % font 18 300, alors que les demandes acceptées sont d’environ 700 dossiers d’ATI annuels, ce qui amène à seulement 4 % des prévisions.

Ce constat ne fait que confirmer l’erreur de ciblage de l’ATI. Il est d’autant plus urgent d’apporter les modifications nécessaires à l’ATI pour permettre aux bénéficiaires de demain de disposer d’une aide au rebond contre la perte de leur emploi. Car on le sait bien, ces aides exceptionnelles relatives aux mesures d’urgence ne pourront être maintenues indéfiniment et devront être suspendues dans les prochains mois.

III.   Le constat des personnes auditionnées et des contributions écrites confirme ces interrogations

A.   Revoir les conditions d’éligibilité à l’ATI

À travers les différentes données chiffrées communiquées par Pôle emploi et l’Unédic et exposées précédemment, un constat fait la quasi-unanimité des acteurs auditionnés : les critères encadrant l’octroi de l’ATI sont aujourd’hui trop restrictifs et excluent de fait de nombreux travailleurs indépendants ayant subi une perte d’emploi à la suite d’une cessation d’activité.

Tous les acteurs institutionnels et privés qui accompagnent les travailleurs non-salariés s’accordent, avec toutefois des approches différenciées, parfois opposées, sur un nécessaire assouplissement des conditions d’éligibilité à l’ATI. Mais pour l’Unédic et les partenaires sociaux, notamment l’U2P, tout élargissement pose la question du financement de l’ATI, avec la création d’une contribution le cas échéant.

1.   La liste des activités

La liste des activités donnant droit à l’ATI présente des exclusions de travailleurs non‑salariés, comme le souligne le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables (CSOEC), qui plaide pour une ouverture du dispositif aux gérants majoritaires de sociétés, aux associés uniques dentreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL) et aux associés de sociétés en nom collectif (SNC).

Un besoin de clarté apparaît quant à l’éligibilité effective à l’ATI de certains statuts juridiques d’entreprises et statuts sociaux de dirigeants, et particulièrement des micro-entrepreneurs, notamment les travailleurs indépendants économiquement dépendants (TIED), aussi appelés travailleurs de plateforme.

Pôle emploi s’appuie sur les conclusions du rapport de M. Jean-Yves Frouin sur les plateformes embauchant des travailleurs indépendants. L’une des propositions est de pouvoir considérer comme une cessation involontaire d’activité la déconnexion de ces plateformes avec un élargissement des conditions d’entrée dans l’ATI. À ce titre, dans une contribution écrite, l’U2P considère que la représentation des travailleurs de plateforme conduirait indirectement à la création d’un troisième statut, dans la mesure où jusqu’à présent, seuls les salariés peuvent se faire représenter pour négocier avec leur employeur sur certains champs ouverts à la négociation collective.

2.   La cessation d’activité définitive et involontaire

Deuxième motif de rejet de dossiers d’ATI à Pôle emploi, cette condition d’éligibilité qui s’attache à la notion de « perte involontaire d’activité » est le critère le plus difficile à appréhender pour un travailleur indépendant. C’est un des aspects paramétriques les plus importants pour pouvoir identifier le public cible des travailleurs indépendants que la mission IGAS-IGF a préconisé comme devant être des faits générateurs « stricts ».

Aujourd’hui, pour l’octroi de l’ATI, les faits générateurs d’une perte d’activité définitive et involontaire doivent être strictement extérieurs à la volonté de l’indépendant et résulter d’un redressement ou d’une liquidation judiciaires. Toutefois, comme l’a reconnu l’Unédic lors de son audition, ce paramétrage exclut un certain nombre d’indépendants, à l’image des micro-entrepreneurs qui ne peuvent justifier d’une liquidation ou d’un redressement judiciaires. Ils n’en sont pas juridiquement exclus mais, en pratique, sont peu concernés par ces procédures.

Le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC) propose d’amender ce critère pour englober la liquidation amiable et donc la cessation volontaire d’activité, dès lors qu’elle vise à anticiper un état de cessation des paiements. Le CSOEC partage cette idée de ne pas limiter aux seules situations de redressement et de liquidation judiciaires. L’Union des indépendants plaide également pour une simplification de procédure, qui serait rattachée davantage à la personne qu’à son statut de dirigeant.

Pôle emploi admet que ce type de procédure de cessation d’activité est strict et que cela pourrait expliquer le faible recours au dispositif de la part de travailleurs indépendants pour qui l’attribution de l’ATI ne compense pas les pertes au regard de ce type de procédure. A contrario, l’U2P ne partage pas le point de vue consistant à prendre en compte la liquidation amiable comme générateur de droits car « cela consisterait à indemniser un salarié privé d’emploi à la suite d’une démission motivée par le fait, par exemple, qu’il ne voulait plus travailler. En effet, la liquidation amiable concerne une entreprise qui se trouve en situation financière saine. Il serait plutôt surprenant qu’une allocation soit attribuée à une personne qui organise la cessation de son activité. » Ce critère est aussi pointé par l’Union des auto-entrepreneurs (UAE), qui préconise la mise en place d’une commission administrative chargée de constater le critère économique réel.

3.   La durée d’activité

Aucun des acteurs auditionnés n’a émis le souhait de revoir la condition minimale de deux années de durée d’activité.

4.   Les revenus d’activité

Au vu des motifs de rejet au niveau de Pôle emploi, le premier critère à assouplir semble être celui du revenu d’activité minimum de 10 000 euros par an en moyenne sur les deux dernières années.

Comme le souligne le CNGTC, cette exigence exclut du dispositif le travailleur en difficulté ayant des revenus d’activité déficitaires ou nuls depuis un an ou deux ans. Selon le CNGTC, il conviendrait d’abaisser sensiblement ce seuil minimal. Le Syndicat des indépendants (SDI), par une contribution écrite, a fait part d’une proposition d’abaisser le seuil minimal de revenu moyen d’activité à 5 000 euros par an. L’association GSC « Garantie sociale des chefs d’entreprise » relève que la majorité des entrepreneurs ont des revenus d’activité bien supérieurs à 10 000 euros annuels, à l’exception des micro-entrepreneurs qui déclarent moitié moins (5 000 euros), et juge le seuil minimal de 10 000 euros bien fondé.

5.   Le niveau de ressources personnelles

Troisième motif de rejet des dossiers d’ATI à Pôle emploi, le critère de ressources personnelles n’excédant pas le montant mensuel du RSA semble toutefois assez peu remis en cause. Seuls le CSOEC et le SDI proposent la suppression de cette condition, au-delà de cinq années d’exercice pour ce dernier interlocuteur.

B.   Renforcer la diffusion de l’information

Bien que Pôle emploi semble assurer un bon niveau de communication du dispositif ATI et une large diffusion de l’information auprès du grand public, une connaissance insuffisante du dispositif a été pointée par la plupart des acteurs, avec un constat nuancé.

Le CNGTC regrette que la mise en place de l’ATI n’ait pas été doublée d’une communication d’ampleur, à même d’atteindre les bénéficiaires potentiels : « plus généralement, la question de l’information du dirigeant sur l’ensemble des dispositifs d’aides existantes constitue un axe d’amélioration majeur pour toutes les parties prenantes et, tout particulièrement, pour les professionnels de l’accompagnement des dirigeants en difficulté. »

À ce titre, le CNGTC suggère une centralisation de l’information sur une plateforme destinée aux entrepreneurs, répertoriant notamment les différents dispositifs d’aide existants, doublée d’une campagne d’information grand public. L’association GSC appuie fermement sur un défaut d’information et plaide pour une obligation légale d’informer sur les risques et les solutions existantes à chaque étape de la vie d’un entrepreneur par les acteurs concernés, et notamment les avocats, les experts-comptables, les commissaires aux comptes, les greffes ou encore les banques.

Le CSOEC plaide également pour une meilleure information, tout en rappelant que même conseillés par leur expert-comptable, les chefs d’entreprise contractent rarement de façon volontaire une garantie contre la perte d’emploi comme la GSC. La Confédération nationale des très petites entreprises (CNTPE) pointe également un défaut de communication, relevant que la liste officielle des activités ouvrant droit à l’ATI n’est pas compréhensible et vise à mettre en avant des activités secondaires.

C.   Reconsidérer la question du financement

Pour l’Unédic et les partenaires sociaux, la question du financement d’un élargissement du dispositif d’ATI demeure un sérieux point d’achoppement, excepté peut-être pour une période de sortie de crise de la covid-19.

L’U2P, par une contribution écrite, plaide pour le maintien des critères actuels car « le risque qu’induirait un élargissement de ces critères serait d’en faire bénéficier des personnes qui exercent une activité non salariée de manière accessoire ; bien souvent en parallèle d’une activité salariée ». Pour l’U2P, « faire peser les dépenses de l’ATI sur le régime d’assurance chômage constitue un détournement du régime d’assurance chômage. Une telle allocation devrait relever du régime de solidarité. »

D.   Aider davantage en période de crise

Les aides proposées par le Gouvernement soutiennent les entreprises en difficulté, mais plusieurs propositions formulées par les acteurs auditionnés suggèrent de mettre en œuvre rapidement des mesures ATI spéciales face à la crise économique.

Le CSOEC suggère que « dès lors que la cessation d’activité provient de difficultés financières liées à la crise sanitaire, l’indemnisation chômage du dirigeant pourrait être accordée sans autre condition, sous forme de versement d’ATI, sur une durée de douze mois. »

D’autres acteurs ont également pointé la nécessité de mettre en œuvre des mesures d’accompagnement spécifiques à la crise sanitaire. Pour l’association GSC, l’ATI doit être temporairement repensée pour mieux aider les dirigeants. Dès à présent et jusqu’au 30 juin 2022, un dispositif d’urgence doit permettre une revalorisation de l’ATI à 1 000 euros au minimum pendant six mois et un accès à l’allocation pour les chefs d’entreprise cessant leur activité après un an, et non deux ans.

E.   Autres recommandations

Le CSOEC et le CNGTC proposent d’étendre la durée totale de versement à douze mois pour donner à l’entrepreneur le temps de rebondir. Le CNGTC précise quant à lui que cette durée pourrait rester de six mois, mais être renouvelable une fois.

Le Syndicat des indépendants (SDI), par une contribution écrite, a fait part au rapporteur de sa volonté de voir l’ATI portée au niveau du seuil de pauvreté, fixé à 1 069 euros en 2019.

Le CSOEC propose la création d’un fonds « catastrophes naturelles économiques » pour l’indemnisation des travailleurs indépendants subissant un événement économique exceptionnel, imprévisible et irrésistible, et extérieur à l’activité exercée.

IV.   Quel dispositif d’ATI peut-on envisager pour demain ?

Pour le rapporteur, il ne fait aucun doute que l’ATI, sur son fondement actuel, doit être une allocation-chômage de solidarité, et non une assurance chômage, dès lors qu’il n’y a pas de cotisations versées en vue d’un revenu à remplacer le cas échéant.

L’insuccès de l’ATI est dû à une inadéquation évidente entre un dispositif d’allocation-chômage de solidarité, forfaitaire et de courte durée, et des conditions d’éligibilité inspirées de l’assurance chômage visant un revenu de remplacement avec des règles d’exclusion d’un minima social. L’ATI est aujourd’hui une allocation hybride, fatalement bancale, qui s’adresse finalement à très peu de travailleurs indépendants et qui contrarie les partenaires sociaux. Le fait générateur « strict » d’une liquidation judiciaire ou un redressement avec changement de dirigeant pour justifier la perte d’activité d’un travailleur indépendant est le point de départ d’une construction erronée.

Premièrement, parce que la grande majorité des entrepreneurs parmi les plus fragiles, qui cessent définitivement leur activité pour de vraies raisons économiques « involontaires », ne passent pas par la voie judiciaire, ce qui est heureux.

Deuxièmement, parce que la situation personnelle d’un travailleur indépendant qui doit contraindre ses revenus d’activité en fonction de sa trésorerie ne peut pas être apprécié en comparaison d’un travailleur salarié, pour qui la rémunération est obligatoirement due.

Est-ce une décision « volontaire » que de vouloir cesser son activité quand un modèle économique n’est pas rentable et que vous n’avez plus les moyens d’en changer ? Faut-il nécessairement accumuler les dettes et en arriver à la cessation de paiement pour pouvoir « mériter » l’ATI ?

A.   Les trois questions fondamentales à poser

Partant du postulat précédemment évoqué, le rapporteur réinterroge les objectifs de l’ATI dont les conditions intrinsèques doivent répondre à trois questions fondamentales : l’ATI « pourquoi », « pour qui » et « pour combien de bénéficiaires ».

1.   À quoi doit servir l’ATI ?

Avec une allocation forfaitaire de 800 euros pendant six mois, la vocation de l’ATI est d’apporter un « filet de sécurité » à des travailleurs non-salariés qui, après une cessation définitive d’activité, se retrouvent en situation de grande précarité avec des ressources personnelles inférieures au montant du RSA, soit moins de 564,78 euros par mois en 2021.

À défaut d’être un revenu de remplacement, qui suppose des cotisations pour lesquelles les chefs d’entreprise sont très partagés entre la liberté de choisir de s’assurer et l’obligation ([8]), le but de l’ATI est bien le rebond d’un non-salarié devenu demandeur d’emploi qui se trouve sans ressources ou presque. C’est pourquoi l’ATI ne doit pas forcément s’attacher au revenu d’activité, mais plutôt à la réalité économique de l’activité qui précède la perte d’emploi d’un indépendant. C’est d’autant plus vrai que l’identification des revenus d’activité d’un travailleur indépendant est complexe et surtout imparfaite à partir des assiettes fiscales et sociales, comme l’a rappelé la mission IGAS-IGF dans son rapport d’octobre 2017. Selon la mission, « une autre solution pourrait être de retenir le chiffre d’affaires de l’activité pour l’ensemble des travailleurs indépendants ; cette solution, simple et facilitant la connaissance des évolutions infra-annuelles, comporte néanmoins l’inconvénient de s’écarter du niveau de revenu réel des populations concernées. Elle reste néanmoins la seule solution praticable dans le cas des microentrepreneurs. » ([9])

2.   À qui doit s’adresser l’ATI ?

Il faut lever l’ambiguïté politique entre la volonté de vouloir s’adresser à tous les indépendants et la réalité quantitative du public visé, qui pousse à restreindre exagérément l’accès à l’ATI, de l’aveu même du ministre délégué aux PME, M. Alain Griset, lors de son audition devant la commission des affaires sociales.

L’ATI doit pouvoir s’adresser à tous les non-salariés et les assimilés salariés ([10]), quels que soient leur statut juridique et leur activité, dès lors qu’une condition de ressources personnelles la limite aux travailleurs indépendants modestes pouvant justifier de la réalité économique de leur activité passée et de sa cessation définitive. Dans ces conditions, les justifications de revenus d’activité et de cessation d’activité exclusivement par une décision judiciaire ne sont pas des critères à retenir.

3.   Combien de bénéficiaires doivent être visés par l’ATI ?

Il est évidemment toujours difficile d’évaluer le nombre de bénéficiaires d’un dispositif, d’autant plus lorsqu’il s’adresse à des catégories de travailleurs indépendants marquées par une grande hétérogénéité de situations, de revenus et d’expositions au risque de perte d’emploi.

Le Bilan national des entreprises (BNE) des Greffes des tribunaux de commerce qui, chaque année, publie les données statistiques des défaillances d’entreprises selon le statut juridique et le motif de radiation, permet d’approcher le nombre d’entreprises individuelles et de sociétés entrant dans le champ du dispositif de l’ATI selon les références légales retenues.

Le rapporteur suggère que les données statistiques du BNE puissent également être réparties selon le statut social du dirigeant et selon le niveau de chiffre d’affaires avant leur radiation. Avec le foisonnement des statuts juridiques, fiscaux et sociaux, publier ces statistiques supplémentaires aiderait sans aucun doute les acteurs publics et privés à mieux appréhender la question cruciale de l’aide à apporter aux chefs d’entreprises en difficulté.

B.   Les cinq conditions d’éligibilité de l’ATI à réévaluer

1.   La liste des activités

En premier lieu, par souci de clarté du dispositif, il apparaîtrait plus simple d’accepter toutes les catégories de travailleurs indépendants en précisant, le cas échéant, uniquement les cas d’exclusion. Il est à noter que la liste des activités donnant droit à l’allocation des travailleurs indépendants, consultable sur le site dédié à l’ATI de Pôle emploi (www.chomage-independant.fr) ne mentionne pas les cas d’exclusion, qui existent pourtant.

Les catégories de travailleurs indépendants actuellement exclues du bénéfice de l’ATI sont :

a.   Les dirigeants égalitaires ou majoritaires de sociétés

-         Le gérant égalitaire ou majoritaire d’une société à responsabilité limitée (SARL) ;

-         L’associé unique ou gérant associé unique d’EURL ;

-         L’associé ou gérant associé d’une SNC ;

-         L’associé ou gérant d’une société en commandite simple ou par actions (SCS ou SCA).

Les exclusions de certains travailleurs non-salariés du dispositif sont antinomiques et vont à l’encontre de l’idée même d’une allocation pour travailleurs indépendants.

Quelle est la justification de ces exclusions, dès lors que la cessation d’activité est le fait d’une même décision judiciaire que pour les autres statuts ?

Même à supposer, dans le cas d’une liquidation amiable, qu’ils mettent fin à leur activité volontairement en qualité d’associé ou gérant unique, égalitaire ou majoritaire, il semble improbable qu’ils le fassent.

Si l’entreprise est viable, ce serait uniquement pour tenter de « gagner » 800 euros pendant six mois, sachant que le coût est presque équivalent à celui d’une procédure de liquidation, tous frais inclus.

Et si l’entreprise est moribonde après deux ans ou plus, il est plutôt salutaire qu’ils arrêtent définitivement leur activité avant d’en arriver à la cessation de paiement et de risquer les sanctions qui l’accompagnent. En effet, le tribunal saisi peut condamner le dirigeant à différentes sanctions : comblement de passif, faillite personnelle et interdiction de diriger selon son degré de responsabilité dans la gestion de son entreprise.

En tout état de cause, pour ceux que cela tenterait, encore faudrait-il qu’ils puissent justifier de ressources personnelles inférieures au RSA au cours des douze mois précédant leur demande d’allocation. Ce sont là de nombreuses conditions restrictives – qu’il faut pouvoir arriver à cumuler délibérément – qui ne plaident vraiment pas pour un risque d’aléa moral.

b.   Les micro-entrepreneurs

Dans les faits, comme l’a souligné l’Unédic, les micro-entrepreneurs ne sont pas juridiquement exclus de l’ATI, mais en pratique, ils sont « peu » concernés par une liquidation judiciaire alors qu’ils représentent, selon l’Insee, près de la moitié (47 %) des entreprises individuelles.

Il est à noter aussi, contrairement à des idées reçues, qu’une très grande majorité (71 %) des micro-entrepreneurs sont monoactifs. Concernant les pluriactifs, l’Insee relève que « en moyenne, 29 % des micro-entrepreneurs sont dans ce cas fin 2017, contre 9 % des non-salariés classiques » et précise que « l’activité salariée est très souvent l’activité principale : le revenu salarié équivaut à 86 % du revenu global moyen ([11]) ». Dans tous les cas, les pluriactifs qui viendraient à perdre leurs emplois relèvent de l’assurance chômage et de l’ARE, et non de l’ATI.

Enfin, il est important de préciser qu’en 2018, les micro-entrepreneurs économiquement actifs ont déclaré un revenu mensuel d’activité de 540 euros en moyenne, en comptant les revenus nuls. Il est donc statistiquement impossible pour eux de pouvoir justifier un revenu d’activité d’au moins 10 000 euros en moyenne sur deux années.

c.   Les travailleurs indépendants économiquement dépendants (TIED)

Les TIED, appelés aussi les travailleurs de plateforme, relèvent juridiquement de la catégorie du travail non-salarié. Ils connaissent un risque de perte d’emploi qui s’apparente à celui des salariés, du fait d’une possible dépendance économique à l’égard d’un donneur d’ordre, pour le compte duquel ils réalisent l’essentiel de leur activité.

Néanmoins, les conditions d’accès à l’ATI pour les TIED sont aussi limitatives que pour les micro-entrepreneurs économiquement indépendants. Dans les conditions actuelles d’octroi de l’ATI, les TIED ne sont pas vraiment des bénéficiaires de l’allocation.

d.   Les créateurs d’entreprise anciennement salariés

L’une des promesses de l’ATI est d’encourager l’entrepreneuriat, en atténuant les freins liés aux disparités de la protection contre le chômage entre salariés et travailleurs indépendants. Déjà dans les conditions actuelles de l’assurance‑chômage, tout créateur ou repreneur d’entreprise peut percevoir le solde des droits qu’il possédait au titre de son précédent emploi salarié dans un délai de trois ans à compter de la création de son entreprise.

Ce sont là de nombreux indépendants qui bénéficient en priorité de l’ARE qui, en règle générale, leur offre une meilleure allocation que l’ATI. C’est ce que confirme Pôle emploi, en indiquant que 23 % des dossiers d’ATI traités mutent l’allocation servie en ARE.

2.   La cessation d’activité définitive et involontaire

a.   Les procédures de redressement ou de liquidation judiciaire

L’obligation d’une décision judiciaire attestant la cessation d’activité est excessive et laborieuse à bien des égards. C’est une condition extrême et disproportionnée au regard de l’ATI qui, de plus, arrive tardivement pour des indépendants demandeurs d’emploi se retrouvant sans ressources ou presque. C’est aussi une condition injuste qui exclut tous les entrepreneurs cessant définitivement leur activité avant de s’endetter, alors qu’il faudrait plutôt inciter cette démarche responsable.

La double condition d’une décision judiciaire et d’un revenu minimum d’activité pourrait même à l’avenir encourager gravement la cessation de paiement et justifier la condition de revenu minimum d’activité pour pouvoir bénéficier de l’ATI. À propos de la condition exigée d’une liquidation judiciaire, il est bon de rappeler qu’un dirigeant qui maintient sa rémunération – nécessaire à l’octroi de l’ATI – sans prendre aucune mesure de restructuration, alors que les résultats de l’entreprise sont déficitaires et que le chiffre d’affaires se dégrade, s’expose à une faute de gestion et au comblement du passif qui pourrait être bien supérieur au montant de l’ATI ainsi octroyé.

b.   La notion de cessation involontaire

La notion de cessation « involontaire » tient beaucoup plus de la situation économique du travailleur indépendant et de ses ressources personnelles que d’une décision judiciaire. Dès lors que l’activité ne permet plus à un entrepreneur modeste de se rémunérer, on peut en déduire une cessation « involontaire de fait » qu’il est préférable d’accompagner pour éviter l’endettement dans l’intérêt de la collectivité et de l’économie en général.

Lever la condition d’une décision judiciaire ne présente pas un risque d’aléa moral ni d’abus ou de fraude, dès lors qu’il y a une double condition : une cessation définitive d’activité ayant eu une existence réelle de deux ans minimum et un faible niveau de ressources personnelles.

3.   La durée d’activité

La condition d’avoir exercé une activité pendant au moins deux ans sans interruption au sein d’une seule et même entreprise ne fait pas débat, excepté dans un régime dérogatoire en cas de crise majeure, comme le proposent certains acteurs.

4.   Les revenus d’activité

L’exigence d’un revenu d’activité de 10 000 euros par an sur les deux dernières années exclut du dispositif le travailleur indépendant en difficulté ayant des revenus d’activité déficitaires ou nuls depuis un ou deux ans, comme l’a très bien relevé le CNGTC. Environ 8 % des 1,83 million de non-salariés « classiques », soit 146 000 entreprises, déclarent un revenu nul ou déficitaire, car ils n’ont pas dégagé de bénéfices ou ne se sont pas versé de rémunération ([12]). C’est d’autant plus regrettable qu’ils représentent la population d’indépendants la plus exposée à une procédure de liquidation judiciaire. C’est une double peine pour ces entrepreneurs qui n’ont plus de rémunération ou qui la réduisent pour tenter de sauver leur activité et qui, pour cette juste raison, pourraient ne pas bénéficier de l’ATI.

À l’inverse, c’est encourager un entrepreneur à maintenir son revenu, quoi qu’il en coûte, jusqu’à la cessation de paiement à ses risques et périls, et pouvoir ainsi prétendre à l’ATI. Pour le rapporteur, c’est bien là que se trouve l’aléa moral. La justification d’une activité économique effective sur deux années ne doit pas prendre en compte le revenu qui en découle ; sachant qu’en cas de difficulté, son versement aggrave la dette de l’entreprise et pousse à la cessation de paiement. Il serait plus pertinent et plus juste d’établir l’effectivité d’une activité économique sur la base d’un chiffre d’affaires annuel moyen sur les deux dernières années et qui justifie d’un travail réel et régulier dans la durée.

5.   Le niveau de ressources personnelles

La condition de ressources est une condition essentielle pour éviter les effets d’aubaine. Toutefois, il conviendrait d’éviter l’effet de seuil au-dessus du RSA, qui demeure une situation de grande pauvreté et qui, pour quelques euros parfois, peut priver un entrepreneur modeste du droit à l’ATI lui permettant de mieux rebondir.

C.   Le comptage des populations cibles

Pour évaluer le plus précisément possible la cible des indépendants entrant dans le champ de l’ATI, le rapporteur s’est appuyé sur les données statistiques du BNE des Greffes des tribunaux de commerce de l’année 2020.

On dénombre 185 939 radiations de tous les statuts juridiques entrant dans le champ du dispositif d’ATI sans toutefois pouvoir retrancher — faute de statistiques plus détaillées — un nombre important de gérants majoritaires de SARL, d’associés ou de gérants uniques d’EURL qui en sont aujourd’hui exclus, sans de bonnes raisons pour le rapporteur.

En fonction d’un taux de pondération du motif de radiation, il en ressort deux bases de populations de travailleurs indépendants, l’une de 25 102 procédures de redressements et de liquidations judiciaires ; et l’autre de 58 757 dissolutions et liquidations amiables, soit un ensemble de 83 858 cessations d’activité définitives et régulières.

 

Statuts juridiques d’entreprise dans le champ de l’ATI

Statut

Radiations 2020

Société à responsabilité limitée (y compris EURL et autres statuts exclus)

SARL

79 789

Entreprise Individuelle (y compris micro-entrepreneur)

EI

58 443

Société par actions simplifiée (y compris unipersonnelle)

SAS

44 682

Exploitation agricole à responsabilité limitée

EARL

1 829

Société anonyme

SA

1 196

Total des Radiations du champ ATI

100 %

185 939

A - Redressements et liquidations judiciaires

13,5 %

25 102

B - Dissolutions / Liquidations amiables

31,6 %

58 757

Ensemble de cessations définitives et régulières (A + B)

45,1 %

83 858

Source : BNE 2020 des Greffes des tribunaux de commerce

Méthodologie de comptage

En termes de comptage, le rapporteur part du postulat que la condition de revenus d’activité n’est pas à retenir et que trois critères paramétriques suffisent à faire la démonstration de la soutenabilité de l’élargissement des populations cible du dispositif d’ATI avec la condition de cessation d’activité actuelle et d’une autre envisagée comprenant les dissolutions et liquidations amiables :

Premier critère : aucun droit à l’ARE (77 % selon le premier bilan de l’ATI de Pôle emploi) ;

Deuxième critère : durée d’activité de deux ans et plus (83 % des radiations selon le BNE 2020) ;

Troisième critère : seuil de ressources à 1 063 euros par mois (50 % des cessations), hypothèse haute du rapporteur à défaut de statistiques précises.

Le seuil de ressources équivaut au seuil de pauvreté, qui est généralement évalué à 60 % du niveau de vie médian, prenant en compte l’ensemble des revenus imposables du déclarant, y compris les revenus d’activité perçus au cours des douze mois précédant la demande de l’allocation.

Dans l’ordre, ces trois critères cumulés donnent la formule de comptage suivante :

Base de populations cibles x 0,77 x 0,83 x 0,50 = Potentiel de cessations ATI

1.   Les cessations dans le périmètre du dispositif actuel limité aux procédures judiciaires

À partir d’un nombre estimé de 25 102 procédures judiciaires en 2020, sans aucun autre retranchement, dans le périmètre très clairement assoupli du dispositif actuel, le calcul donne :

25 102 x 0,77 x 0,83 x 0,50 = 8 000 cessations dans le champ de l’ATI actuel

Un potentiel de 8 000 cessations qui, même avec des conditions d’éligibilité nettement assouplies, montre que nous sommes encore bien en-deçà de la prévision de 29 300 bénéficiaires de l’étude d’impact. Sachant d’autant plus, que la condition minimale de chiffre d’affaires qui reste à déterminer aura un impact baissier sur le nombre réel de bénéficiaires, mais qu’il est impossible à ce stade d’évaluer.

2.   Les cessations dans le périmètre d’un dispositif étendu aux liquidations amiables

Le nouveau dispositif ATI envisagé par le rapporteur consiste à ajouter aux procédures de redressements et liquidations judiciaires, les dissolutions comptant les liquidations amiables en dehors de toutes cessations temporaires et radiations d’office non régularisées ; ce nouveau calcul donne :

83 858 x 0,77 x 0,83 x 0,50 = 26 800 cessations dans le champ de l’ATI étendu

Cette estimation de 26 800 cessations dans le champ d’un dispositif d’ATI étendu aux dissolutions et liquidations amiables, avec les mêmes conditions d’éligibilité assouplies vues précédemment, est finalement plus conforme au chiffrage de l’étude d’impact, sans pour autant le dépasser. Et c’est sans compter la condition minimale de chiffre d’affaires.


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   Conclusion

Aux termes du présent rapport, le rapporteur estime que l’élargissement indispensable du dispositif d’ATI, tel qu’il est proposé, ne présente pas un risque d’accroissement au-delà des prévisions « légales » du nombre de bénéficiaires à l’ATI une fois toutes les conditions d’éligibilité remplies.

De plus, l’écart financier mensuel, inférieur à 250 euros, entre le RSA versé sans limitation de durée et l’ATI limitée à six mois avec l’obligation, sous condition de ressources, de devoir justifier une cessation d’activité qui demeure coûteuse et risquée, ne plaide vraiment pas en faveur d’un risque clair d’effets d’aubaine ni d’aléa moral.

Bien que la question du financement de l’ATI soit un point à repenser, en l’état actuel du premier bilan, le budget prévu pour l’ATI — convenu entre l’Unédic et l’État — ne souffrirait aucunement d’un élargissement du dispositif aux dissolutions, c’est-à-dire aux cessations d’activité définitives et déclarées conformes. Entre 3 millions d’euros de dépenses engagées au titre de l’ATI à fin décembre 2020 et les 140 millions d’euros annuels prévus, il y a une « sacrée » marge de manœuvre pour au moins les deux ou trois prochaines années avant de craindre une supposée insoutenabilité financière d’un dispositif qui peine à s’installer.

Enfin, concernant les micro-entrepreneurs et les travailleurs de plateforme, leurs radiations ne passent pas, en pratique, par une liquidation judiciaire ni une liquidation amiable, mais par une simple déclaration de cessation d’activité qu’il est difficile de prendre en considération à ce stade des connaissances statistiques.

Pour le rapporteur, le « million » de micro-entrepreneurs représente une large assiette sociale suffisamment pérenne et cohérente. Une faible cotisation chômage permettrait de rattacher ces entreprises individuelles « particulières » au dispositif d’ATI sans prendre le risque d’un déficit financier.


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   Propositions

Généralités

Les propositions qui suivent partent du postulat que sans cotisations versées au titre du chômage, l’ATI doit s’entendre comme une allocation de solidarité, forfaitaire et de courte durée, pour aider au rebond d’un travailleur indépendant aux ressources modestes mais aux compétences riches.

Pour illustrer ce point, on peut dire que l’ATI est aux travailleurs indépendants ce que l’ASS (allocation de solidarité spécifique) est aux salariés qui ont épuisé leurs droits au chômage et à ce titre bénéficient de la solidarité nationale.

Assouplir les conditions d’éligibilité du dispositif ATI

Le bénéfice de l’ATI est aujourd’hui nettement insuffisant pour un dispositif ancré dans la loi visant plus de 3 millions de travailleurs indépendants et largement soutenu par les Français. Il est donc urgent et nécessaire d’assouplir les conditions d’éligibilité à l’ATI sans risque d’effets d’aubaine.

Proposition n° 1

Étendre le droit à l’ATI à tous les statuts juridiques de travailleurs indépendants non-salariés et assimilés salariés, excepté pour de rares cas, en tant que de besoin, qu’il conviendrait alors d’énoncer clairement.

Proposition n° 2

Élargir la condition de cessation d’activité définitive et « involontaire » à la liquidation amiable, dès lors qu’elle vise à anticiper un état de cessation de paiement.

Un faible niveau de chiffre d’affaires, sans être nul, pouvant être compris entre 10 000 et 50 000 euros sur les deux dernières années, pourrait être un motif valable pour considérer un risque réel de cessation de paiement, ainsi qu’une réelle existence économique.

Proposition n° 3

Remplacer la condition de revenus d’activité par la justification de déclarations de résultats, de chiffre d’affaires ou de TVA, selon le régime fiscal de l’entreprise, dans les mêmes termes que ceux vus précédemment visant à prendre en compte la liquidation amiable.


Proposition n° 4

Relever le niveau de ressources au seuil de pauvreté de 1 063 euros (60 % du revenu médian) en prenant en compte l’ensemble des revenus imposables du déclarant, y compris ses revenus d’activité, perçus au cours des douze mois précédant la demande de l’allocation.

Proposition n° 5

Confondre l’ATI avec les ressources personnelles pour éviter l’effet de seuil au‑dessus du RSA et après une étude d’impact, le cas échéant, relever l’ATI au niveau du seuil de pauvreté.

Prévenir le risque d’aléa moral

Le dispositif d’ATI n’a pas vocation à encourager un créateur d’entreprise à se risquer à une cessation d’activité tous les deux ans.

Proposition n° 6

Mettre en place d’un délai de carence de cinq ans entre deux demandes d’ATI sur le même principe que le droit au chômage d’un salarié démissionnaire.

Améliorer la diffusion de l’information du dispositif

Le non-recours aux droits sociaux touche tous les publics, d’autant plus les dirigeants d’entreprise n’y étant pas coutumiers et soumis à une surabondance d’informations. La connaissance d’un dispositif comme l’ATI doit se faire auprès des bonnes personnes et surtout au bon moment.

Proposition n° 7

Systématiser l’envoi d’une notice d’information sur l’ATI à la fin d’une déclaration de cessation d’activité, dans le champ de l’ATI, en ligne ou par courrier postal le cas échéant.

Proposition n° 8

Encourager les experts-comptables et autres conseils aux entreprises à prévenir les dirigeants en grande difficulté de l’existence de l’ATI afin d’éviter un état de cessation de paiement.

Faciliter le rebond du travailleur indépendant

Pour accélérer les chances de rebond dans le temps de l’allocation de six mois, il convient de compléter le dispositif d’ATI par de nouvelles mesures d’aide à cet effet.

Proposition n° 9

Prolonger la durée de versement de l’ATI pour le temps d’une formation agréée par Pôle emploi de type POE (Préparation opérationnelle à l’emploi).

Proposition n° 10

Autoriser le cumul entre ATI et revenus d’activité professionnelle, salariée ou non, pendant la durée de six mois de l’allocation au lieu de trois mois actuellement.

Repenser le financement de l’ATI

L’idée d’un élargissement du dispositif fait craindre à l’Unédic, à tort ou à raison, un risque de dérapage financier à la charge de l’assurance chômage. Afin de lever les freins à un élargissement nécessaire et aussi par souci de cohérence avec le sens donné à l’ATI, il conviendrait de repenser son financement et son articulation avec l’ARE.

Proposition n° 11

Faire financer le dispositif d’ATI par l’État à la manière de l’ASS pour les salariés en fin de droits. Une compensation forfaitaire via la fraction de CSG que l’État verse à l’Unédic pourrait aboutir à un accord mutuel pour permettre l’élargissement du dispositif dans l’intérêt des transitions professionnelles et de l’assurance chômage, finalement.

Proposition n° 12

Étendre à cinq ans (au lieu de trois ans aujourd’hui) la durée pour un travailleur indépendant inscrit à Pôle emploi pour réactiver un droit à l’assurance chômage après la fin d’un contrat de travail.

Faciliter la liquidation amiable pour risque de cessation de paiement

Un travailleur indépendant qui se retrouve sans activité ni moyens pour la relancer, sans être en état de cessation de paiement, n’a pas d’autre solution que de faire une liquidation amiable qui s’avère complexe et coûteuse pour une personne qui n’a plus de revenu d’activité.

Proposition n° 13

Simplifier et sécuriser la liquidation amiable, dès lors qu’elle vise à anticiper un état de cessation de paiement (proposition n°2) avec la condition d’une déclaration sur l’honneur d’une reprise de dette à titre personnel, le cas échéant.

 


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TRAVAUX de la commission

1.   Auditions du 3 mars 2021

Lors de sa réunion du 3 mars 2021, la commission procède à des auditions, en visioconférence, sur l’allocation des travailleurs indépendants dans le contexte de la crise de la covid-19 (M. Dominique Da Silva, rapporteur) ([13]).

Elle entend dans un premier temps :

– Pôle emploi : Mme Misoo Yoon, directrice générale adjointe en charge de l’offre de services, Mme Élisabeth Gueguen, directrice de la réglementation et de l’indemnisation, et Mme Lucie Lourdelle, chargée de mission ;

– l’Unédic : M. Rémy Mazzocchi, directeur général adjoint, Mme Céline Jaeggy, directrice des affaires juridiques et institutionnelles, et Mme Lara Muller, directrice des études et analyses.

Mme la présidente Fadila Khattabi. La commission des affaires sociales poursuit ses travaux de suivi de la crise sanitaire, dans toutes ses dimensions, ce qui recouvre tout ce qui a trait à la surveillance de l’épidémie, à la vaccination ou, comme nous le verrons demain, à la santé psychique de la population, mais comprend aussi le champ social et de l’emploi. Nous avons ainsi auditionné Mme Élisabeth Borne, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, et Mme Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté. Nous organiserons également bientôt des auditions sur le télétravail, un sujet qui a pris de l’ampleur avec la crise sanitaire.

Dès décembre, la commission a souhaité se saisir de la question de l’allocation aux travailleurs indépendants (ATI) dans le contexte de la crise sanitaire et a décidé de procéder à des auditions, dont la préparation a été confiée à un rapporteur, M. Dominique Da Silva.

Les auditions se dérouleront en deux temps. Cet après-midi, nous nous concentrerons sur les difficultés de mise en œuvre de cette allocation. Le mercredi 17 mars, nous entendrons des représentants des travailleurs indépendants. Nous conclurons nos travaux avec l’audition du ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, M. Alain Griset.

M. Dominique Da Silva, rapporteur. Je tiens à remercier la présidente de la commission et mon groupe de m’avoir permis d’organiser et de lancer ce cycle d’auditions sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur, l’allocation des travailleurs indépendants et, au-delà de l’ATI, d’amorcer ensemble une réflexion plus globale sur le bon niveau de protection du risque chômage des indépendants.

Les travailleurs indépendants sont environ 3,2 millions de personnes exerçant une activité non salariée en France, soit un tiers de plus qu’en 2008. Cette croissance est dopée par le succès du statut de micro-entrepreneur, créé en 2009 sous le terme d’auto-entrepreneur. Il concerne désormais un travailleur français sur dix.

Le travail indépendant est marqué par de fortes disparités de revenu, mais aussi de risque face au chômage, et il recouvre une multitude de situations. Si le revenu moyen pour un salarié classique est de 3 500 euros par mois, il chute à 470 euros pour un micro‑entrepreneur. Seuls 29 % des travailleurs indépendants sont pluriactifs. Une très large majorité d’entre eux ne possède donc qu’une seule activité.

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018 a créé l’ATI, avec l’ambition portée par le candidat Emmanuel Macron, avant d’être président de la République, de sécuriser davantage les travailleurs indépendants amenés à cesser leur activité. Depuis le 1er novembre 2019, les non‑salariés peuvent bénéficier de l’ATI, pour un montant forfaitaire de 800 euros par mois, pendant six mois, avec, entre autres conditions, de ne pas percevoir de ressources personnelles supérieures au RSA. Il ne s’agit donc pas d’une aubaine pour des chefs d’entreprise mal intentionnés.

L’ATI est d’autant plus nécessaire que de nombreux indépendants exercent dans des secteurs qui ont été durement impactés par la crise que nous traversons, notamment le commerce, en dehors de l’alimentaire, le transport de personnes ou encore les arts et les spectacles. Ce sont donc de nombreux entrepreneurs qui peuvent, demain ou dans les prochains mois, se retrouver sans activité ni ressources.

Après plus d’un an de mise en œuvre, le bilan de l’ATI est étonnamment maigre. Fin 2020, seulement 800 demandes avaient abouti à une indemnisation, alors que près de 30 000 allocataires étaient attendus selon l’étude d’impact annexée au projet de loi. Notre travail de parlementaire consiste à comprendre comment un tel décalage a pu se produire et quelles sont les raisons des difficultés de mise en œuvre de cette allocation.

Nous aimerions avoir le point de vue de vos institutions respectives. Nous vous avons adressé un questionnaire qui résume nos interrogations à propos de l’ATI sur trois périodes avec, d’abord, un retour sur la phase amont de sa mise en œuvre, le bilan actuel, réactualisé avec vos derniers chiffres, et enfin, les perspectives d’amélioration et de réflexion sur le dispositif. Votre éclairage va nourrir notre réflexion sur la protection des indépendants face au chômage et pourrait nous amener vers d’autres travaux parlementaires.

Mme Misoo Yoon, directrice générale adjointe en charge de l’offre de services de Pôle emploi. En tant qu’opérateur, Pôle emploi s’est vu confier la mise en œuvre opérationnelle de l’allocation des travailleurs indépendants. Au sein de Pôle emploi, un établissement, Pôle emploi services, centralise l’instruction et le traitement des demandes, pour en faciliter au maximum le traitement administratif.

Très opérationnellement, nous avons, me semble-t-il, mis en œuvre tout ce qui était possible pour faciliter l’identification et le recours des bénéficiaires potentiels. Ils n’ont notamment pas de démarche à accomplir lorsqu’ils s’inscrivent à Pôle emploi parce que nous faisons en sorte de les détecter dans le cadre du questionnaire d’inscription en ligne. Nous leur envoyons la demande d’allocation lorsque nous faisons l’examen de leurs droits, le cas échéant. Nous opérons ainsi une détection à l’inscription. Lorsque les demandeurs d’emploi sont déjà inscrits, en cours d’accompagnement à Pôle emploi, et ne se trouvent donc pas en situation de remplir le questionnaire d’inscription, ils peuvent effectuer une demande d’allocation auprès de Pôle emploi dans les douze mois qui suivent la cessation de leur activité.

Quand nous détectons quelqu’un qui s’inscrit, nous examinons d’abord si cette personne est potentiellement éligible à l’Allocation de Retour à l’Emploi (ARE) et si celle-ci peut être supérieure en montant et en durée. Nous n’envoyons pas de questionnaire lorsque la personne peut bénéficier de l’ARE, qui est plus avantageuse. De la même manière, lorsque nous recevons une demande d’une personne déjà inscrite à Pôle emploi, nous examinons si elle peut bénéficier de l’ARE avant de lui répondre. Une fois cette vérification réalisée, un questionnaire est adressé. Il a été retravaillé afin de gommer les incompréhensions. En effet, nous avons constaté que dans certaines situations, des questions pouvaient être peu compréhensibles. Cette révision nous a d’ailleurs aussi permis de diminuer les demandes de pièces complémentaires.

Nous essayons donc d’épargner au maximum aux demandeurs d’emploi les démarches à réaliser. Nous avons également communiqué sur www.pole-emploi.fr, sur un site dédié, intitulé chomage-independant.fr, pour disposer de toutes les informations sur l’allocation et vérifier que l’on remplit les conditions d’accès. Pourtant, à date, comme vous l’indiquiez, 911 personnes ont bénéficié d’une ouverture de droits acquis, en tenant compte des deux premiers mois de 2021. Nous n’avons pas beaucoup progressé en 2021. La majorité des 1 285 dossiers que nous avons reçus ont fait l’objet d’un rejet. Pour 38 % d’entre eux, lorsque nous avons examiné les droits à l’assurance chômage, celle-ci s’avérait plus avantageuse ; nous avons donc ouvert ces droits et non ceux à l’ATI. Pour le reste des situations, on observe que, dans 74 % des cas, la condition du revenu annuel minimal d’activité, qui doit être au moins égal à 10 000 euros, n’était pas respectée ; le revenu des demandeurs est inférieur.

Je pense donc pouvoir dire que le décalage entre les projections de l’étude d’impact, qui prévoyait 30 000 bénéficiaires, ne relève pas d’un problème de mise en œuvre de l’allocation, mais d’une problématique de calibrage de cette allocation, qui peut exclure de potentiels bénéficiaires.

M. Rémy Mazzocchi, directeur général adjoint de l’Unédic. Je vous prie d’excuser l’absence de notre directeur général. Je représente aujourd’hui l’Unédic, accompagné de Mme Céline Jaeggy, directrice des affaires juridiques et institutionnelles, ainsi que de Mme Lara Muller, directrice des études et des analyses.

S’agissant des trois parties du questionnaire qui nous a été adressé, portant sur la genèse de cette allocation, le bilan à date et les perspectives d’évolution au regard de la faible mobilisation du dispositif, je souhaitais commencer par rappeler les deux rôles de l’Unédic. Le premier consiste à accompagner les négociations sur l’évolution réglementaire dans le champ de l’assurance chômage. Cette mission est normalement tenue par les partenaires sociaux, mais depuis 2019, elle est fixée par le Gouvernement. Nous assumons aussi le rôle de gestionnaire de l’indemnisation et de l’allocation des travailleurs indépendants, à savoir s’assurer que les règles sont mises en œuvre correctement, sans difficulté opérationnelle, juridique ou financière à la mise en place des différents dispositifs.

En ce qui concerne la genèse de l’ATI, cette allocation est définie par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Elle est réglementée par décret, et non par l’assurance chômage. Le détail de son montant et de sa durée ne relève donc pas du régime d’assurance chômage, que celui-ci soit piloté par les partenaires sociaux ou par l’État, comme c’est le cas aujourd’hui. L’Unédic n’est donc pas légitime pour prendre des décisions dans le champ de cette allocation.

Le régime d’assurance chômage a par contre deux missions bien spécifiques, qui sont définies dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel : la coordination entre l’Allocation de Retour à l’Emploi et cette allocation, d’une part, la fixation des règles de cumul d’une activité et d’un revenu salarial ou non salarial avec cette allocation, d’autre part.

Ainsi, cette allocation, même si elle entre dans le champ de l’assurance chômage, n’y est pas tout à fait. Elle possède un statut quelque peu hybride qui n’en fait pas une allocation relevant d’un régime assurantiel ni une allocation totalement de solidarité, puisqu’elle est conditionnée par un ensemble de critères, notamment des critères d’éligibilité et de niveau de revenu qui s’apparentent à ceux du régime assurantiel. Même si la lettre de cadrage montre une volonté présidentielle d’universaliser le droit à l’assurance chômage, on constate qu’aujourd’hui, cette allocation n’est pas de nature assurantielle.

De plus, une mission a été menée par l’Inspection générale des finances (IGF) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Ces deux inspections ont beaucoup contribué à configurer le besoin des travailleurs indépendants, en 2017 et 2018. Même l’analyse d’impact qui était jointe au dossier définissant ce dispositif résulte en grande partie des conclusions de leur rapport.

Ce dernier notait que les besoins des travailleurs indépendants sont complexes, car ils relèvent d’une hétérogénéité de statuts et de typologies de travailleurs qui sont plus ou moins indépendants. Cette classification va du dentiste indépendant au micro-entrepreneur, en passant par les travailleurs des plateformes, dont nous pouvons imaginer qu’ils sont indépendants, mais financièrement dépendants d’un ou plusieurs donneurs d’ordres. Ainsi, la situation et les besoins de ces populations ne sont pas fortement homogènes.

Il existe également une forte inégalité de revenus. Or, si nous en faisons une allocation qui relève d’un régime assurantiel, cela implique à la fois une logique contributive et une logique de revenu de remplacement, c’est-à-dire que le revenu couvert par le régime assurantiel doit être proportionnel au revenu précédemment perdu. L’allocation mise en place ne reprend pas du tout ces principes puisqu’elle est de 800 euros, quels qu’aient été les revenus des travailleurs indépendants, avec une condition restrictive à l’entrée puisqu’il faut présenter un chiffre d’affaires annuel supérieur à 10 000 euros pour en bénéficier.

Un dispositif a été mis en place, presque de manière expérimentale, pour reprendre les conclusions du rapport des inspections. Il était très prudent, car les besoins n’étaient pas clairement exprimés pour l’ensemble de la population concernée et que nous, au sein de l’Unédic, avions très peu de recul. Il s’agit d’une population que nous ne connaissons pas, car nous gérons le régime assurantiel des travailleurs salariés. Une logique de prudence a guidé l’instauration de critères à l’entrée.

Si j’en viens au bilan du dispositif final, celui-ci n’est pas une assurance. Il ne dispose pas de financement dédié. Même s’il est financé par le régime d’assurance chômage, il n’existe pas de système contributif spécifiquement ciblé sur ces travailleurs indépendants. Cette allocation repose sur l’impôt puisqu’en 2019, une partie du financement du régime d’assurance chômage a basculé sur un mode de financement par la contribution sociale généralisée (CSG) portant sur les revenus d’activité. Le régime est financé par le régime d’assurance chômage, donc sur la base du versement des revenus salariés et des revenus d’activité, mais il possède certaines caractéristiques de l’assurance, notamment sur les critères. Il faut répondre à un certain nombre de critères qui ont déjà été évoqués : avoir une ancienneté minimale dans l’activité, un revenu minimal annuel de 10 000 euros et bénéficier de ressources personnelles inférieures à l’équivalent du RSA. À ce titre, il s’agit donc davantage d’une allocation que d’un revenu de remplacement. Enfin, il existe une notion de chômage involontaire, qui résulte elle aussi du régime assurantiel. Elle est fixée par le fait de faire face à un redressement ou une liquidation judiciaire de son entreprise.

Dans l’analyse d’impact qui avait été produite, le dispositif devait concerner 30 000 indépendants, pour un impact sur les dépenses estimé à 140 millions d’euros. Aujourd’hui, nous disposons des mêmes chiffres que Pôle emploi, à savoir 900 bénéficiaires en 2020, pour environ 3 millions d’euros de dépenses.

Comment l’expliquer ? Je rejoins parfaitement les constats de Pôle emploi, nous n’avons pas identifié de freins ou de difficultés opérationnels à l’entrée du dispositif. Les critères sont relativement contraignants et impactés par la crise. Pour prendre un exemple, du fait des mesures de soutien et des délais administratifs, le nombre de liquidations judiciaires a baissé de 34 % entre 2019 et 2020. La crise a un effet retardant. Les prévisions financières de l’assurance chômage expliquent qu’en 2020, une grande partie du déficit du régime est liée aux mesures de soutien, mais en 2021 et 2022, nous devrions constater des effets en termes de destruction d’emplois ou de défaillances d’entreprises beaucoup plus marqués qu’aujourd’hui au regard de l’ensemble des mesures de soutien déployées, au premier rang desquelles figure l’activité partielle. Il existe donc des critères très contraignants à l’entrée, amplifiés par l’effet de la crise.

Je voulais aussi insister sur des dispositifs ou des aides qui viennent en complément de cette allocation, qui couvrent d’autres risques des travailleurs indépendants. Nous pouvons nous interroger sur le filet de sécurité à apporter à des travailleurs indépendants. Il me semble que le moment du cycle de vie d’une entreprise joue beaucoup sur ce point. À la création de l’entreprise, les risques sont maximaux pour l’entrepreneur, puisque l’entreprise se lance, qu’il fait face à son développement et qu’il a aussi besoin de sécuriser l’entrée en activité. Un dispositif de l’assurance chômage permet aux salariés en transition professionnelle de continuer à bénéficier d’une protection contre le chômage quand ils souhaitent créer ou reprendre une entreprise. En 2019, 90 000 allocataires ont touché l’Allocation de Retour à l’Emploi pendant qu’ils percevaient ou non un revenu d’activité non salariée entrepreneuriale. Ce chiffre a énormément augmenté ces derniers temps ; le nombre d’allocations est en hausse croissante depuis 2015.

Pour le régime d’assurance chômage, ces dépenses représentent 1,45 milliard d’euros au bénéfice des entrepreneurs, qui se sécurisent par une forme de capital ou de revenu qu’ils ne peuvent se verser pendant qu’ils créent leur entreprise, sur la base de l’allocation-chômage qu’ils ont perçue. Ces dépenses ont doublé par rapport à 2015. Elles représentaient alors 720 millions d’euros, consacrés à l’utilisation de l’allocation-chômage à des fins de création ou de développement de son entreprise.

Un autre exemple est peut-être méconnu, mais je souhaite insister dessus : quand on démissionne pour créer une entreprise, si celle-ci cesse son activité dans les trois ans, on peut revenir à ses droits anciens et demander le versement de ses allocations-chômage. Je vous en parle pour deux raisons. La première est qu’en 2020, cette situation concerne plus de 350 personnes, ce qui est faible, mais correspond à un tiers des 900 bénéficiaires de l’ATI. La seconde raison est que, lorsque nous avons analysé les chiffres, nous avons constaté que la proportion de ces allocataires avait tendance à augmenter lors des crises. En 2009 et 2020, ce filet de sécurité apporté par l’assurance chômage est bien mobilisé. Cela peut expliquer que les bénéficiaires se tournent vers ces dispositifs avant de demander l’ATI, car les conditions d’indemnisation sont un peu plus favorables. Pour rappel, l’assurance chômage correspond à environ 900 euros, mais sur une durée moyenne de dix mois, rapportés aux 800 euros pendant six mois de l’ATI. La moyenne de la couverture assurantielle des régimes des salariés est légèrement plus favorable que cette allocation pour les travailleurs indépendants.

Enfin sur les perspectives d’amélioration, l’Unédic n’est pas politique et travaille pour les gouvernances ; nous n’avons pas à porter des propositions d’évolution réglementaires. Néanmoins, la question que nous semble poser la situation des travailleurs indépendants à ce stade des réflexions est celle de la finalité, du besoin que l’on souhaite couvrir.

Il me semble que nous sommes à la frontière entre deux besoins relativement différents. Souhaite-t-on étendre le régime assurantiel aux travailleurs indépendants, c’estàdire conserver un système de revenu de remplacement, dans une logique contributive, en cherchant à conserver une logique proportionnelle au revenu perdu ? Ou sommes-nous davantage dans un encouragement à la transition professionnelle à l’entrepreneuriat, au rebond ? Doit-on prévoir une allocation qui aide au rebond des travailleurs indépendants, notamment au regard de leurs différentes spécificités, au niveau sectoriel, des statuts ou des territoires ? On voit que la crise va marquer de manière différenciée les populations de travailleurs indépendants. Faut-il penser une protection qui aide à rebondir et qui favorise les transitions professionnelles ? L’allocation telle qu’elle est définie, telle qu’elle existe dans la loi, et les critères d’octroi ne nous semblent pas répondre de manière claire à cette question. Nous souhaitions la soumettre à la réflexion de cette commission.

M. le rapporteur. Je pense pour ma part que cette allocation avait un sens pour permettre à l’indépendant de rebondir. Nous ne sommes pas dans une indemnisation par rapport à un revenu passé. Il s’agit bien d’une allocation qui permet à la personne de retrouver un emploi, une formation, du temps pour rebondir. Il me semble qu’il s’agit du sens de l’ATI.

Je pense que nous sommes allés trop loin sur les critères, par méconnaissance de ce que sont la plupart des indépendants. Le revenu moyen d’un auto-entrepreneur est de 470 euros par mois. Vous imaginez que leur demander 10 000 euros par an de revenus est compliqué. Il est évident que beaucoup d’entre eux ne sont pas concernés.

Par ailleurs, cinq conditions cumulatives sont requises, ce qui est beaucoup. On demande deux années d’exercice pour une même activité, alors qu’en l’espace de deux ans, beaucoup d’indépendants ont une multitude d’activités différentes. Certaines personnes n’ont plus d’activité, mais qui ne sont pas encore en dépôt de bilan, alors qu’il faut être en faillite pour bénéficier de l’ATI, sans compter d’autres règles de non-cumul.

Quels étaient les critères qui ont permis de réaliser cette étude d’impact ? Ce chiffre de 30 000 personnes n’a pas été établi au hasard, il y a forcément eu des critères. Le décret n’en a vraisemblablement pas tenu compte. Le domaine règlementaire ne relève pas des parlementaires, mais à mon sens, il y a vraiment une interrogation sur ces critères. J’aimerais que Pôle emploi précise de façon plus détaillée quels sont les critères de refus. J’ai retenu que les revenus représentaient 74 %, ce qui est considérable. On voit que le dispositif ne répond pas à la majorité des indépendants, qui ont de faibles revenus.

Pour nombre de ces bénéficiaires, les six mois d’allocation sont déjà largement passés. Que sont-ils devenus ? Quel est le bilan ? Ont-ils retrouvé un emploi ? Avez-vous des données qui pourraient nous éclairer, afin de savoir si cette allocation répond à sa vocation ?

Mme Catherine Fabre. La faible montée en puissance de ce dispositif pose de nombreuses questions. Est-ce que ce faible nombre de bénéficiaires de l’allocation peut s’expliquer pour partie par le fait que certains qui y auraient droit ne la demandent pas ? Cette allocation est-elle connue des entrepreneurs ? Comment cette information est-elle parvenue jusqu’à eux ? Je sais que de nombreuses associations accompagnent les entrepreneurs en faillite, qui ont souvent des difficultés annexes, par exemple liées à la dépression. Ces associations pourraient orienter les entrepreneurs vers Pôle emploi pour demander cette allocation. Y a-t-il un sujet de recours ?

Ma deuxième question porte sur la comparaison avec d’autres pays européens, notamment la Suède ou la Finlande, qui disposent d’allocations de ce type, mais qui sont beaucoup plus largement ouvertes. Pourrions-nous nous inspirer de ces systèmes pour ouvrir plus largement notre allocation et comment ?

Dans le même ordre d’idée, voilà quelques années, nous avons prévu un socle social européen, qui offre aux indépendants l’accès à un filet de sécurité, au même titre que les salariés. Ce qui constitue ce socle peut-il nous orienter vers une solution différente pour élargir l’accès à ces allocations pour les indépendants ?

Mme Isabelle Valentin. La crise de la Covid a mis en évidence le statut très fragile des travailleurs indépendants. Les commerçants, les artisans, les professions libérales sont bien moins protégés. Les travailleurs non salariés ne bénéficient pas toujours des mêmes aides gouvernementales que les autres acteurs économiques, puisque le dispositif d’activité partielle de longue durée mis en place pendant la crise n’est pas ouvert aux travailleurs non salariés. Quant à l’assurance chômage à laquelle ils peuvent prétendre depuis 2019, elle est soumise à plusieurs conditions. Elle est plafonnée à 800 euros et pendant une période de 6 mois.

Les impacts d’une faillite sur la vie personnelle des indépendants sont importants. La frontière entre vie personnelle et professionnelle est fine. La disparition d’une entreprise familiale conduit bien souvent à mettre en cause tout le patrimoine financier personnel. Cette règle est injuste puisqu’ils n’ont alors commis aucune faute de gestion ni d’erreur d’appréciation. Ils sont simplement victimes de décisions administratives justifiées par la crise sanitaire.

Estimez-vous utile de faire bénéficier les dirigeants d’entreprise dont l’activité est à l’arrêt d’une indemnité partielle pour couvrir la perte de rémunération ? J’aimerais aussi connaître votre avis sur la possibilité de suspendre la caution personnelle en cas de défaillance.

M. Philippe Vigier. Je voudrais aborder particulièrement la situation de celles et ceux qui travaillent dans le domaine de l’événementiel et de la culture, qui ont subi de plein fouet la Covid, comme d’autres, mais de façon encore plus marquée, avec pratiquement une année sans activité. Il s’agit souvent de petites entreprises, de micro-entreprises, d’entreprises comptant très peu de salariés, marquées par une immense fragilité puisque les marchés se sont tout de suite refermés et les perspectives sont assez sombres, car on n’annonce pas de réouverture importante avant l’automne prochain. J’aimerais connaître précisément votre vision des choses, où nous en sommes, ainsi que les conséquences. Il appartient au législateur de réfléchir et préparer la suite. Je constate d’ailleurs dans les questions de mes prédécesseurs que certains ne sont pas couverts, notamment les dirigeants de ces micro-entreprises et petites entreprises, et plus largement les travailleurs non‑salariés. J’aimerais que vous nous donniez quelques conseils pour l’avenir, parce que dans le cadre de la réforme, même si le paritarisme est le cœur de toute évolution du régime d’assurance chômage, la vision du Parlement me semble essentielle.

Mme Valérie Six. Les indépendants sont plus de 3 millions en France et maillent notre territoire. Ils sont le socle de notre tissu économique et ont besoin de toute notre reconnaissance dans ce contexte de crise sanitaire. Sur le terrain, nous constatons les lourdeurs administratives que les indépendants rencontrent, notamment dans l’accessibilité de l’allocation des travailleurs indépendants. Comment encore simplifier les démarches ? D’ailleurs, ces démarches administratives et l’ensemble des prestations auxquelles nos citoyens peuvent prétendre leur paraissent souvent opaques. Volontairement ou involontairement, ils n’y recourent pas.

Ainsi, pouvez-vous nous transmettre le nombre d’indépendants qui ne formulent pas de demande pour percevoir les aides auxquelles ils sont pourtant éligibles ? Selon les données que vous nous avez présentées, 30 000 bénéficiaires seraient susceptibles de toucher l’allocation, alors que 900 bénéficiaires l’ont reçue. Parmi eux, 300 bénéficiaires ont préféré l’allocation-chômage, plus intéressante pour eux puisqu’ils étaient anciennement salariés.

Je remercie le rapporteur de prendre ce sujet en main, car il est nécessaire de travailler sur le non-recours, avec un grand nombre de bénéficiaires qui ne peuvent pas ou qui n’arrivent pas à obtenir l’allocation. Nous constatons aussi que cette allocation ne correspond certainement pas aux besoins de ces indépendants.

Enfin, en ce qui concerne l’activité, nous savons que la crise sanitaire va engendrer de nombreuses difficultés pour ces indépendants, avec les conséquences psychologiques résultant d’une activité qui ne sera pas pérenne. Pouvons-nous envisager d’accompagner ces personnes pour qu’elles bénéficient d’un suivi psychologique, comme d’autres catégories d’entrepreneurs, afin de surmonter ce traumatisme ?

M. Bernard Perrut. J’ai été attentif aux propos que vous avez tenus sur cette allocation pour les travailleurs indépendants, qui a été mise en œuvre le 1er novembre 2019 et sur laquelle nous avons un certain nombre d’interrogations, parce qu’elle est peu sollicitée, que les critères sont exigeants et qu’elle ne bénéficie donc pas à beaucoup de personnes. En fin d’année, seules 2 500 demandes d’ATI avaient été enregistrées par Pôle emploi et moins de 1 000 demandes avaient abouti à une indemnisation. On constate donc le mauvais fonctionnement de cette mesure.

Je voudrais revenir sur un discours d’Alain Griset, ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, qui, fin 2020, déclarait vouloir tenter d’améliorer l’accès à l’allocation-chômage des travailleurs indépendants et faire des propositions à Bruno Le Maire, au Premier ministre et au Président de la République, en s’exprimant en ces termes : « Pour l’instant, le critère générateur, c’est le dépôt de bilan. Est-ce qu’on peut en avoir un autre ? Je suis prêt à regarder cela, mais cela est difficile. » Il nous disait encore que « en dehors de la pandémie, dans une économie normale, à quel moment l’indépendant touche-t-il le chômage, qui choisit et sur quels critères ? Est-ce parce qu’il y a un secteur ou un territoire en difficulté ? Quel taux de cotisation chômage les entrepreneurs sont-ils prêts à payer ? » Reste à savoir quelles sont les réponses qui peuvent être apportées à ces différents sujets.

Devant la difficulté de bénéficier de ce dispositif, les indépendants souhaiteraient des évolutions. Cette allocation, jugée insuffisante pour répondre au contexte de la crise économique mériterait d’être revue. Ne faut-il pas revoir ce dispositif, au moins jusqu’au 30 juin 2022, comme le demandent certaines organisations ? Ne faut-il pas abaisser les conditions d’ancienneté de deux ans à un an d’exercice ? Ne faut-il pas porter le montant de l’indemnisation à 1 000 euros mensuels minimum, et ce sur une période de six mois ? Bien sûr, ces mesures exceptionnelles n’auraient pas forcément vocation à être pérennisées dans le temps, mais on voit bien que les conséquences de la crise économique brutale que nous connaissons sont tragiques. De nombreux dirigeants d’entreprise n’avaient pas anticipé une éventuelle liquidation. L’allocation, conçue en 2019, doit être repensée, à mon sens, en dispositif d’urgence, pour aider rapidement celles et ceux qui ont tout perdu pendant la crise. Nous devons être à leurs côtés.

M. Rémy Mazzocchi. Je n’ai pas de réponse sur ce qui a présidé au choix des critères qui sont définis aujourd’hui dans la loi, car l’Unédic n’a pas été associée à cette étude. Je ne saurais expliquer quelles ont été les méthodes de chiffrage ayant permis de dimensionner le dispositif pour anticiper 140 millions d’euros de dépenses et 30 000 bénéficiaires concernés. À titre d’exemple, nous avons utilisé cette analyse d’impact pour celle qui est introduite dans la trajectoire financière de l’assurance chômage, faute d’étude qui aurait été menée sur ce champ. Sur les critères, je ne sais donc pas vous répondre.

Néanmoins, je fais le lien avec l’une des dernières questions sur la manière de simplifier les démarches et de mesurer le non-recours aux droits actuels, et sur ce qu’il faudrait faire pour aider les entrepreneurs qui seront dans une situation de sortie de crise difficile, en raison de la suppression des mesures d’urgence ou des mutations économiques qui résulteront de la crise sanitaire. D’une façon mécanique, plus nous allons baisser et alléger les critères définis, en termes de conditions de ressources ou de prise en compte de niveaux de revenus, plus les entrepreneurs seront nombreux à être concernés.

En tant que gestionnaire du régime d’assurance chômage, les dépenses qui résulteraient de ces modifications, qui ne relèvent pas de l’assurance chômage puisqu’il revient au Gouvernement de prendre par décret ces mesures, sont financées par le régime d’assurance chômage, c’est-à-dire par les contributions des salariés en activité ou la CSG pour une petite partie des revenus d’activité. Aujourd’hui, plus de 80 % des recettes sont financées par des contributions prélevées sur les salaires des salariés pour lesquels le régime assurantiel s’applique.

Le Parlement joue un rôle très important car il émet un avis sur la trajectoire financière du régime d’assurance chômage. En 2020, celui-ci a enregistré un déficit de 17,5 milliards d’euros ; 10 milliards d’euros de déficit sont également attendus en 2021 à cause de l’effet ciseau, avec la baisse de l’activité partielle, que nous finançons aussi pour un tiers, également sans financement dédié.

En tant que gestionnaire, je souligne donc auprès des parlementaires que si l’on cherche à augmenter la protection des travailleurs indépendants sur un régime qui n’est pas assurantiel, la question du financement devra également se poser parce qu’actuellement, ce sont bien des financements du régime d’assurance chômage qui sont utilisés pour financer cette allocation.

Je n’interviens pas sur le fond qui, à mon avis, est partagé. Je ne fais pas de politique et je sais bien que la situation économique dans certains secteurs et pour certains entrepreneurs sera très difficile dans les mois et années qui viennent, d’où la logique de sécuriser la relance, la transition professionnelle, le rebond, notamment pour faire face aux traumatismes qui ont été évoqués. Je laisserai plutôt Pôle emploi répondre sur l’accompagnement puisqu’il est en première ligne sur le service rendu aux demandeurs d’emploi.

Le non-recours fait partie des sujets que l’assurance chômage souhaite examiner en 2020. Une étude doit être lancée. Nous n’avons pas d’analyse approfondie sur le non-recours aux droits à l’assurance chômage et à l’allocation des travailleurs indépendants. Ce sujet est bien identifié et mérite d’être analysé. Malheureusement, la crise n’a pas facilité ces travaux, notamment pour comprendre ce qui relève de la complexité, de l’absence de communication autour des dispositifs ou de la présence d’autres dispositifs qui seraient plus favorables ou activés en priorité avant de recourir à ces droits.

Mme Lara Muller, directrice des études et analyses de l’Unédic. Le champ naturel de l’assurance chômage n’inclut pas les indépendants. Néanmoins, nous nous étions penchés sur le sujet en 2017 et 2018 pour le documenter auprès des partenaires sociaux. Nous nous étions prêtés à un exercice de comparaison européenne. Les conclusions sont relativement proches de celles du rapport de l’IGAS et de l’IGF mentionné précédemment, qui comprend aussi un chapitre de comparaison européenne.

Nous avons regardé si une affiliation était requise, si elle était obligatoire ou facultative, et quelles étaient les conditions d’attribution et les populations ciblées. Nous pouvons dire que les systèmes d’assurance chômage qui existent à l’étranger sont le plus souvent facultatifs, sans adhésion obligatoire pour les indépendants. Comme chaque fois que nous nous effectuons des comparaisons internationales, nous relevons une grande diversité de cas, chacun méritant ensuite d’être remis en perspective par rapport à la réglementation, au dispositif global d’aide sociale existant, ce qui n’est pas toujours facile. Dans certains cas, ils fonctionnent de façon similaire à ce qui existe pour les salariés, dans d’autres, ils sont un peu plus éloignés. La plupart du temps, quand ils existent, ces dispositifs sont financés par des cotisations, ce qui n’est pas le cas dans le dispositif actuel. Ils sont quand même calqués sur les régimes d’assurance chômage, avec une durée d’exercice d’activité minimale requise, qui peut varier d’un à cinq ans selon les pays.

Un montant de revenu peut aussi être exigé pour l’attribution de l’allocation. Par exemple, selon les travaux que nous avions menés en 2017-2018, en Finlande, une activité d’au moins quinze mois au cours des quatre dernières années était requise, ainsi qu’un revenu mensuel au moins égal à 1 035 euros. Ce qui différencie les dispositifs selon les pays, c’est la manière dont ils ont défini la condition de cessation involontaire d’activité. Tous ne le font pas. En Suède et en Finlande, les critères d’accès à ce type d’allocation sont moins restrictifs. Les montants d’indemnisation sont également variables. En Finlande, ils dépendent de l’adhésion ou non de la personne au régime obligatoire ou à un régime volontaire en plus. Dans le cadre du régime obligatoire, le montant forfaitaire est de 39 euros par jour, ce qui correspond à un peu plus de 1 000 euros par mois. Dans le cadre d’un régime volontaire, le montant est proportionnel aux anciens revenus. Les durées varient également. Elles peuvent aller d’un an, un an et demi à deux ans.

Pour achever la comparaison, il nous manque les effectifs concernés et les dépenses engendrées, qui seraient à mettre en relation avec le nombre de chômeurs et les dépenses sociales du pays.

Mme Misoo Yoon. Je vais m’exprimer dans le même sens que M. Rémy Mazzocchi concernant la définition des critères. Je ne pourrai pas davantage vous éclairer. Même si nous avons reçu la mission qui avait calibré le dispositif et proposé des critères, nous n’en avons pas été à l’origine. Nous avons fourni quelques données, mais nous n’avons pas participé au calibrage du dispositif. Je pense que ces questions pourraient s’adresser plus utilement au ministère du Travail. Néanmoins, je vais apporter quelques éléments complémentaires sur les données elles-mêmes.

Certes, le dispositif pourrait être davantage connu. Néanmoins, nous avons mis tout en place pour repérer automatiquement les personnes lorsqu’elles s’inscrivent à Pôle emploi, à travers le questionnaire d’inscription. Sur cette base, de nous-mêmes, nous avons envoyé 6 000 courriers invitant à remplir les éléments pour bénéficier d’une ATI. Sur ces 6 000 courriers, nous avons reçu 3 200 réponses. Tout le monde ne répond donc pas et ne remplit pas la demande d’allocation. Il est possible que ces personnes identifient immédiatement qu’elles ne sont pas éligibles, mais nous n’avons pas d’éléments pour indiquer les raisons précises pour lesquelles elles n’ont pas renvoyé de courrier.

Parmi ceux qui les renvoient, nous avons enregistré des rejets, soit les 1 300 rejets que j’évoquais précédemment. 38 % sont liés au fait qu’une allocation-chômage peut être servie et de façon plus avantageuse. 74 % des rejets qui ne sont pas liés à l’allocation-chômage le sont au niveau des ressources personnelles. Ensuite, 10 % sont liés au fait que le motif de cessation d’activité n’est pas éligible, par exemple parce qu’il ne s’agit pas d’une liquidation judiciaire ou d’un redressement. 9 % des demandes sont rejetées parce que les ressources personnelles sont supérieures au plafond, alors qu’elles doivent être inférieures au niveau du RSA.

Il est donc possible de s’interroger sur le niveau de revenu qui est exigé. On peut aussi se questionner sur les motifs de cessation d’activité, qui avaient vocation à être assimilées à des pertes involontaires d’activité. La cessation d’activité doit être liée à une liquidation judiciaire ou à un redressement avec changement de dirigeant. Il est possible que ces procédures soient considérées comme lourdes et chères pour des personnes qui bénéficient potentiellement d’un revenu proche de 10 000 euros en moyenne sur les deux dernières années. Au regard de la durée de la procédure et de son coût éventuel, elles peuvent estimer qu’une allocation de 800 euros sur six mois n’est peut-être pas la meilleure réponse. Nous pouvons donc considérer que ces deux critères sont restrictifs.

Il est aussi possible que le délai d’obtention de certaines pièces soit dissuasif. Le certificat de non-recours de la décision judiciaire, qui est obligatoire, est considéré comme compliqué à obtenir et demandant du temps. Il peut s’agir de l’une des raisons pour lesquelles certains s’abstiennent et ne recourent pas à cette possibilité.

Enfin, on ne peut pas exclure que, dans certains cas, ce dispositif soit méconnu et que lors de l’inscription, nous n’ayons pas repéré la personne parce qu’elle n’a pas rempli les éléments nous permettant de la détecter. Il est aussi possible qu’elle soit déjà inscrite à Pôle emploi et ne fasse pas de demande.

Nous ne sommes donc pas en capacité de quantifier le nombre de personnes qui auraient pu percevoir cette allocation, mais qui n’en ont pas bénéficié. Au regard des conditions et de l’examen qui est fait entre le montant possible et l’allocation elle-même, il nous est difficile d’estimer la perte. Nous serions en difficulté pour vous répondre sur ces éléments.

Il pourrait toutefois être envisagé de communiquer davantage. Ce dispositif n’a pas fait l’objet d’une communication massive, comme il y a pu en avoir au niveau gouvernemental sur les mesures pour les démissionnaires, qui sont largement connues. D’ailleurs, en termes de fréquentation, nous avons très peu de visites sur le site chomage-independant.fr, qui reste assez confidentiel parce que la communication n’a pas été très forte. Nous avons enregistré environ 6 000 visites sur le site.

Sur le volet de l’accompagnement, lorsqu’une personne s’inscrit à Pôle emploi, quel que soit le motif, il est procédé à un diagnostic de sa situation et de ses besoins. Le dispositif d’accompagnement considéré comme le plus approprié lui est proposé. Nous disposons d’une palette d’accompagnement allant du moins intensif au plus intensif, ce qui permet de répondre à la diversité des besoins.

Quand une personne a vécu une expérience extrêmement difficile et nous en fait part, nous avons dans chaque agence Pôle emploi des psychologues du travail qui peuvent être mobilisés pour accompagner les personnes pour lesquelles le deuil de l’activité passée et la période s’avèrent particulièrement difficiles. Nous parlons bien de psychologues du travail. L’objectif est de pouvoir rebondir et d’arriver ensuite à se projeter dans une nouvelle activité professionnelle, de travailler sur une orientation et de capitaliser sur son expérience passée. Des psychologues du travail sont disponibles et exercent dans les agences Pôle emploi. Ils peuvent être mobilisés par les conseillers qui détectent une difficulté particulière qu’il faut surmonter et qu’il faut accompagner. Ces services renforcés permettent de répondre aux problématiques plus particulières.

J’entendais également des interrogations sur les personnes qui ont été particulièrement frappées par la crise que nous connaissons, notamment celles qui sont issues du secteur de l’événementiel. Les indépendants qui étaient dans ce secteur peuvent, le cas échéant, bénéficier de l’ATI. Les salariés issus de ces secteurs qui ont eu des difficultés particulières ont pu bénéficier eux aussi des différentes aides d’urgence à destination des demandeurs d’emploi. Je citerai évidemment les prolongations de droits qui se sont mises en place pendant le premier confinement, mais également depuis octobre et jusqu’à fin mars. Les personnes qui avaient travaillé en 2019 plus de 70 % de l’année et qui avaient eu plusieurs périodes en contrat à durée déterminée ont bénéficié d’une allocation pouvant aller jusqu’à 900 euros depuis novembre dernier. Des mesures ont donc été mises en place pour accompagner spécifiquement ceux qui ont été frappés de plein fouet par la crise que nous connaissons et qui ont du mal à retrouver un emploi.

En revanche, sur les mesures sur lesquelles vous sollicitez notre appréciation et concernant les personnes en activité, à ce stade, je ne pourrai pas vous renseigner davantage, Pôle emploi s’occupant principalement des personnes qui ont cessé leur activité.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq. Je voulais saluer le travail de l’Unédic et de Pôle emploi auprès des travailleurs indépendants. On voit bien qu’il ne s’agit pas de votre champ habituel, mais on constate un réel effort pour rendre les choses opérationnelles, ainsi qu’un effort de communication vers les travailleurs indépendants au sujet de cette allocation.

J’ai le sentiment que la question des critères d’attribution doit être examinée, mais également que la problématique se situe en amont. Quand vous expliquez que vous avez adressé des courriers à des personnes cibles et qu’il y a très peu de retours, on peut se poser la question de savoir si, pour un travailleur indépendant, il est naturel de recevoir un courrier de Pôle emploi et d’y prêter véritablement attention.

À votre connaissance, les chambres consulaires, qui sont des partenaires auprès desquels ils ont plus l’habitude de trouver des informations, ou les réseaux patronaux sont-ils un relais ? Existe-t-il une articulation entre vos actions pour encourager le recours et les leurs ? Savez-vous ce qu’ils font ?

Mme Misoo Yoon. Nous avons nous-mêmes communiqué dans nos lettres et dans nos diverses newsletters. Nous n’avons pas noué de lien avec les chambres consulaires. En revanche, je pourrai relayer la remarque auprès du ministère du Travail pour vérifier les mesures de communication mises en place pour relayer cette information concernant les travailleurs indépendants.

Je précise que les courriers ont été envoyés aux personnes qui s’inscrivaient à Pôle emploi et qui s’attendaient donc à recevoir un courrier de notre part.

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq. Parlez-vous spécifiquement des travailleurs indépendants ?

Mme Misoo Yoon. Il s’agit des personnes qui, lors de leur inscription, ont mentionné que leur motif d’inscription était lié à une cessation d’activité de leur travail indépendant. Elles sont repérées, ce qui nous permet de leur envoyer directement un courrier leur précisant qu’elles sont peut-être éligibles à l’ATI et que pour que nous examinions leur situation, elles doivent nous retourner un questionnaire. C’est à ce niveau que nous avons une véritable perte.

M. le rapporteur. Il me semble important de se demander qui nous voulons aider. Les indépendants sont une cible très importante. Certains ont les moyens de s’assurer et ils peuvent le faire. Je pense que nous parlons ici des indépendants qui n’entrent pas dans le cadre des cinq conditions cumulatives. Ces conditions sont nombreuses et je pense que cela explique le faible taux de réponse à vos courriers. Ils savent très rapidement s’ils peuvent ou non avoir droit à l’ATI.

Sur le financement, je suis d’accord avec le directeur de l’Unédic. L’allocation de solidarité spécifique est financée par l’État parce qu’elle ne rentre pas, à juste titre, dans le cadre du régime des salariés. Il faut réfléchir à ce que l’ATI soit financée de la même manière.

Je regrette de ne pas obtenir de réponse sur le bilan à l’issue de ces six mois. Il est très important de savoir s’il s’agit d’une bonne durée et quels sont les résultats. J’aimerais aussi savoir quelles sont pour vous, Pôle emploi, les adaptations nécessaires. J’ai bien compris que ce n’était pas du ressort de l’Unédic, mais j’aimerais avoir votre avis sur les défaillances et sur ce qui peut être amélioré.

Mme Misoo Yoon. Parmi les sortants de l’allocation, nous constatons que 37 % ne sont plus inscrits sur nos listes dans le mois qui suit leur sortie d’allocation. Ne plus être inscrit peut être lié à plusieurs motifs. Le plus courant est celui d’un retour à l’emploi, mais nous n’avons pas uniquement ce type de situation. Nous devrions affiner l’analyse pour vous dire exactement quel est le taux de retour à l’emploi salarié. De même, environ un sortant de l’allocation sur deux n’est plus sur les listes trois mois après la sortie d’allocation. Ce sont les données dont nous disposons, sur une population assez réduite.

Concernant les simplifications supplémentaires possibles parmi les critères, je ne reviens pas sur les conditions de revenu et la lourdeur des redressements et liquidations. Je vous signale simplement les conclusions du rapport de M. Jean-Yves Frouin sur les plateformes embauchant des travailleurs indépendants. L’une des propositions est de pouvoir considérer comme une cessation involontaire d’activité la déconnexion de ces plateformes. Nous pensons ainsi à toutes les plateformes de transport de personnes ou de livraison de repas. Certaines personnes font l’objet de déconnexion par les gestionnaires. Le rapport Frouin évoque la possibilité d’élargissement des conditions d’entrée dans l’ATI à cette déconnexion. Nous n’avons cependant pas d’étude d’impact pour identifier le nombre de personnes qui pourraient être concernées in fine. Il s’agit d’une proposition qui pourrait s’ajouter aux éléments investigués sur l’assouplissement des critères d’attribution de l’allocation.

M. Rémy Mazzocchi. Pour revenir sur le propos introductif concernant la finalité du dispositif et du rebond, il nous semble que le projet professionnel, l’accompagnement de la transition professionnelle de l’indépendant du secteur dans les mois et années qui viennent constituent une question à articuler et à coordonner avec l’allocation. La crise touche des secteurs plus que d’autres, notamment le secteur du tourisme et celui de la restauration. Il est très difficile de savoir comment vont réagir ces activités et ces entrepreneurs dans les territoires. Articuler l’allocation avec l’accompagnement d’un projet professionnel, qu’il soit de transition, de relance ou de réinvestissement, pour sécuriser la trajectoire de l’entrepreneur, nous paraît nécessaire à analyser. Cette démarche a été entreprise avec les démissionnaires. La logique de transition, de reconversion et d’accompagnement des projets professionnels, y compris ceux des entrepreneurs, nous semble une voie à explorer dans cette phase de conditionnement au revenu qui permet de rebondir.


Puis la commission entend :

– le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce : Mme Sophie Jonval, présidente, et M. Victor Geneste, membre du bureau ;

– le Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables : M. Lionel Canesi, président ;

– l’Association GSC (garantie sociale du chef d’entreprise) : M. Anthony Streicher, président.

Mme la présidente Carole Grandjean. Je me dois de vous transmettre les excuses de la présidente, Mme Fadila Khattabi, qui ne peut être présente à cette réunion.

Nous reprenons nos auditions sur l’allocation aux travailleurs indépendants (ATI) dans le contexte de la crise sanitaire. La commission a souhaité se saisir de cette question et procéder à des auditions dont la préparation a été confiée à un rapporteur, M. Dominique Da Silva.

Ces auditions se déroulent en deux temps. Cet après-midi, nous avons déjà concentré nos travaux sur les difficultés de mise en œuvre de cette allocation. À ce titre, nous venons d’entendre Pôle emploi et l’Unédic. Mercredi 17 mars, nous échangerons avec des représentants des travailleurs indépendants. Nous conclurons nos travaux par l’audition du ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, M. Alain Griset.

M. le rapporteur. Nous avons auditionné juste avant vous les deux principales institutions qui concourent à l’ATI, Pôle emploi et l’Unédic. Au nom de vos organisations, vous êtes tous des acteurs essentiels dans l’accompagnement de plus de 3 millions de travailleurs indépendants en France. Il est donc indispensable de prendre connaissance de votre expertise sur le risque chômage de ces non-salariés. Chacun sur votre périmètre de compétence, vous apportez une aide précieuse à ces travailleurs indépendants, ce qui leur permet de créer et de maintenir leur activité le plus longtemps possible. Néanmoins, malgré votre aide, certains d’entre eux n’ont pas d’autre choix que de cesser leur activité, jusqu’à passer par la voie judiciaire d’entreprise.

Jusqu’en 2019, avant la mise en œuvre de l’ATI, aucune allocation-chômage n’était accordée aux indépendants par le service public pour leur assurer une transition professionnelle et un rebond vers un nouvel emploi. Après seize mois de mise en œuvre de l’ATI, Pôle emploi vient de nous confier que seulement 911 demandes à ce jour avaient abouti à une indemnisation, contre près de 30 000 allocataires attendus selon l’étude d’impact annexée au projet de loi. Il est nécessaire d’étudier avec vous les raisons de ce décalage, de comprendre les problématiques et les freins qui pourraient être levés pour une indemnisation plus efficiente.

Avec votre audition, nous aimerions connaître le point de vue de ceux qui conseillent et accompagnent les travailleurs indépendants avant la perte de leur activité. Pour cela, nous vous avons adressé un questionnaire qui résume nos interrogations à propos de l’ATI. Pour ma part, j’insisterai sur la cible des indépendants que l’on doit indemniser à travers l’analyse des cinq conditions d’accès cumulatives et nécessaires pour bénéficier de l’ATI.

Voici donc les principaux points sur lesquels mes collègues et moi-même aimerions vous entendre dans le cadre votre audition. Vos réponses doivent nous permettre de mieux évaluer les critères et la pertinence de ces dispositions.

Mme Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Je représente la profession des greffiers des tribunaux de commerce, officiers publics et ministériels en charge de la tenue de la juridiction commerciale, de l’assistance des juges, avec un certain nombre de missions judiciaires, mais également extrajudiciaires de teneur de registres de publicité légale, dont le plus connu est le registre du commerce et des sociétés. Ces deux types de mission nous placent au contact quotidien du chef d’entreprise, qu’il soit créateur d’entreprise ou entrepreneur en difficulté.

Ce contact quotidien s’opère à travers les 141 juridictions dans lesquelles nous exerçons nos fonctions. La profession compte 235 professionnels. 2 000 collaborateurs nous assistent dans nos missions au quotidien, que nous exerçons en métropole et dans les départements et régions d’outre-mer depuis juillet 2019.

Nous n’avons évidemment pas de mission de conseil, que nous laissons aux experts‑comptables et aux avocats. Pour autant, nous recevons les préoccupations des chefs d’entreprise, notamment ceux qui rencontrent des difficultés et qui pourraient être amenés à solliciter l’aide qui nous occupe aujourd’hui.

Je suis assistée de M. Victor Geneste, qui représente avec moi la profession. Il est greffier au tribunal de commerce du Mans et membre du bureau du Conseil national.

M. Lionel Canesi, président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables. Je représente les 21 000 experts-comptables, 130 000 salariés, 3 millions d’entreprises accompagnées et conseillées au quotidien. Pour résumer notre fonction, nous sommes des chefs d’entreprise au service des chefs d’entreprise. Notre mission a été encore plus mise en lumière depuis le début de la crise avec l’accompagnement de toutes ces entreprises, pour décrypter les différents textes, accompagner les très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) pour passer la crise. En ce moment, ce qui nous occupe, c’est préparer la reprise et faire en sorte que la relance de notre pays se passe le mieux possible.

M. Anthony Streicher, président de l’association Garantie sociale du chef d’entreprise (GSC). Cette audition est un moment charnière pour nous. Je suis un chef d’entreprise depuis un peu plus de onze ans maintenant. Je suis également président bénévole de l’association GSC, qui a été créée voilà quarante ans par des chefs d’entreprise pour construire une solution assurantielle, volontaire, libre, sur mesure pour les dirigeants d’entreprise. Cette solution porte le même nom que l’association, la Garantie sociale du chef d’entreprise.

En créant l’ATI, c’est la mission même de l’association GSC, pour laquelle elle œuvre depuis quarante ans, que vous avez gravée dans le marbre. Aujourd’hui, le chef d’entreprise a le droit d’être protégé. C’est vital. Mais comment se satisfaire d’un dispositif qui ne touche que 1 000 chefs d’entreprise sur les 33 000 éligibles, les hommes et les femmes qui sont passés par la liquidation judiciaire en 2020 ? Nous ne sommes pas sur un ciblage, mais bien sur des chiffres. Nous en tiendrons beaucoup à votre disposition si vous le souhaitez.

Mesdames et messieurs les députés, ne permettez pas qu’aux terribles conséquences d’une faillite d’entreprise on ajoute la détresse sociale, la misère et le désespoir des chefs d’entreprise. Pour comprendre cette situation tragique que nous vivons, que nous allons vivre dans les prochains mois, nous avons besoin d’une prise de position politique.

Je vais vous parler d’un exemple parmi tant d’autres. Il s’appelle Roger, il a 58 ans. C’est un dirigeant niçois d’une entreprise spécialisée dans la conception de stands pour les foires et les salons. Il a vu son activité stoppée brutalement, en mars 2020. « Si on est liquidé, j’aurai tout perdu », disait-il. Au-delà de ce qui peut arriver à son entreprise, il n’a plus les moyens de payer son loyer depuis plusieurs mois. Sa compagne est partie, usée par les insomnies, les relances d’huissier. Les heures, on ne les compte pas quand on est chef d’entreprise. Les congés, on ne les prend pas. Tous les sacrifices des dirigeants et des dirigeantes partent en fumée. On ferme le rideau, et ensuite ? Après ? Rien. Il ne se passe rien. Roger ne touchera probablement rien en sortant du tribunal de commerce. Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison que plus de 99 % de chefs d’entreprise n’avaient droit à rien avant la mise en place de l’ATI, mais aussi parce que seulement 1 % des hommes et femmes chefs d’entreprise ont anticipé une éventuelle situation catastrophique et ont mis en place un filet de sécurité. Six fois sur dix, un homme ou une femme chef d’entreprise qui sort du tribunal de commerce ne savait pas, n’avait jamais été au courant que des solutions étaient possibles en cas de défaillance d’entreprise. Nous arrivons donc à un constat dramatique.

Depuis la mise en place de l’ATI, aucune information claire n’a été diffusée de façon massive auprès des premiers concernés. Roger est parti du tribunal de commerce sans indication, sans aiguillage, sans espoir. Pas de GSC, pas d’anticipation, pas d’ATI, tout ça parce qu’il n’a pas été informé.

Aujourd’hui, des cas comme celui de Roger, je pourrais vous en citer des centaines puisque l’association GSC, depuis quarante ans, a justement été créée pour accompagner et mettre en place une solution assurantielle.

Dans beaucoup d’associations comme celle que je préside, on évoque souvent les « quatre D » : la défaillance de l’entreprise, ensuite la dépression, puis le divorce et parfois, si ce n’est pas la détresse sociale, le décès. Oui, la mort est considérée pour certains comme la seule solution qui reste en étant un moindre mal, d’où des associations comme Aide psychologique pour les entrepreneurs en souffrance aiguë (APESA).

Disons une fois pour toutes la vérité : une fois que le chef d’entreprise a baissé le rideau, plus personne ne s’intéresse à lui. On ne sait pas qui était derrière. Qui se souvient de Sophie, la fleuriste du quartier, de Mathilde, avec son magasin de vêtements dans le centre‑ville, ou de Stéphane, l’imprimeur dans la zone d’activité de la commune ? Depuis des années, les gouvernements successifs, les pouvoirs publics ont failli dans leur devoir d’information auprès des chefs d’entreprise en les laissant mourir dans l’indifférence la plus totale, dans le silence et la noirceur.

Depuis des années, les acteurs qui entourent les dirigeants ont également failli dans leur devoir de conseil. Quelques exemples pour illustrer et qui répondent aux questions que vous posez très justement. Quand vous optez à Pôle emploi pour le statut de créateur d’entreprise, on ne vous informe pas des risques et des solutions que vous pouvez mettre en place. Quand vous enregistrez votre société au greffe, on ne vous informe pas des risques et des solutions disponibles. Quand vous êtes avec votre expert‑comptable ou votre avocat, vous n’avez pas d’information sur les risques et les solutions qui s’offrent à vous. Quand vous effectuez un prêt bancaire pour votre entreprise, vous ne recevez pas d’information sur les risques sociaux. En revanche, vous recevez tous les ans un courrier de votre banque qui vous rappelle, quand vous êtes caution personnelle, la somme qu’elle va pouvoir saisir, au cas où, sur vos comptes personnels. Vous liquidez votre entreprise auprès du tribunal de commerce, vous n’avez pas le fléchage vers l’ATI.

En 2016, le candidat Emmanuel Macron promettait le chômage pour tous. Le 1er novembre 2019, le Gouvernement a mis en place l’ATI : 800 euros pendant six mois, avec des critères d’exclusion pour de nombreux indépendants. Un an après, vous l’avez déjà tous partagé, et c’est la genèse de ces tables rondes, on se demande comment il est possible que moins de 1 000 hommes et femmes chefs d’entreprise aient activé cette allocation.

La crise du covid nous oblige à trouver un système d’urgence pour répondre aux conséquences dramatiques de cette situation. Oui, l’État a su se montrer à la hauteur, avec des mesures de soutien qui ont démontré leur efficacité pour les entreprises, pas pour les chefs d’entreprise. Les fonds de solidarité servent à aider les entreprises, pas les hommes et femmes chefs d’entreprise. Il faut le dire et le savoir, dans les années 2021-2022, nous ne pourrons pas sauver toutes les entreprises. En revanche, nous avons le devoir de sauver tous les entrepreneurs.

La semaine prochaine, l’association GSC que je préside publiera, avec la société Altares, les chiffres de la perte d’emploi involontaire des dirigeants en 2020. Je peux déjà vous annoncer que les plus touchés par la perte d’emploi sont des dirigeants de PME de plus de cinquante salariés, tous seniors c’est-à-dire de plus de 50 ans, des chefs d’entreprise expérimentés, fauchés par la crise sanitaire. Ces capitaines ont tout perdu et se retrouvent sans revenu, du jour au lendemain, avec des charges familiales lourdes. La question que je vous pose et que nous nous posons tous est la suivante : comment pouvons-nous laisser faire ceci et comment peuvent-ils remplir leur frigo, payer leur loyer, assurer les études de leurs enfants ?

À l’heure où l’on recherche les bases d’un plan de relance et de résilience, de qui attend-on une résilience ? Des hommes et des femmes chefs d’entreprise qui créent de la valeur, qui vont être capables de redémarrer et d’activer la croissance de demain.

Chaque dirigeant a une obligation légale d’informer. Les tribunaux de commerce, les chambres de commerce et d’industrie, les chambres de métiers et de l’artisanat, les greffes, les avocats, l’Ordre des experts‑comptables, tout l’écosystème qui se trouve autour du chef d’entreprise a un devoir d’information sur les risques entrepreneuriaux. Je suis moi-même chef d’entreprise. C’est fantastique et j’adore cela, mais à un moment donné, pour prendre de bonnes décisions, je dois disposer de l’information. Le principal drame est que l’on n’informe pas les chefs d’entreprise de ce qu’ils ont à leur disposition et de ce qu’ils peuvent mettre en place.

Pour répondre à vos questions, en phase amont de la mise en place de l’ATI, l’association a créé d’elle-même une solution. D’autres associations se sont retrouvées autour de nous. L’ATI repose sur un bon constat, mais elle n’est pas la bonne réponse. Le besoin, nous l’avons identifié depuis quarante ans.

L’ATI n’était pas une demande des chefs d’entreprise, des indépendants et des organisations patronales. Nous avons indiqué que des solutions existaient et qu’il fallait nous laisser faire. Nous préconisions d’avancer et de communiquer davantage, mais de ne pas créer un prisme qui serait, par définition, biaisé. Nous en voyons le résultat : l’ATI a manqué sa cible. Le chef d’entreprise attend d’être informé en temps et en heure de ce qu’il risque pour faire ses choix. Ce chef d’entreprise n’est pas un indépendant dans le sens défini dans la requête de la consultation sur l’ATI.

Nous avons été consultés au sujet des critères d’éligibilité. À ce moment-là, nous avons déjà alerté que les cibles et les critères manquaient la cible. Aujourd’hui, en France, nous avons 1,2 million de chefs d’entreprise. En retirant les micro-entreprises et auto‑entrepreneurs, selon les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), plus de 800 000 chefs d’entreprise touchent en moyenne 40 000 euros par an. Nous ne répondons pas aux mêmes attentes. Il devient donc essentiel de réorienter l’ATI par rapport à ce qu’elle doit être et surtout de mettre en avant la communication avec une action cohérente sur ce point.

Les conditions actuelles de l’ATI ne sont clairement pas adaptées. L’ATI doit être vue comme un investissement pour l’avenir. Nous demandons un ciblage plus précis, qui n’a pas besoin d’être élargi. Consultez-nous, faites appel à nous sur les données dont nous disposons pour répondre aux besoins qu’ont réellement les chefs d’entreprise.

En 2020, chaque jour, 90 hommes et femmes chefs d’entreprise sont passés par la liquidation judiciaire. En 2019, qui était une bonne année économique, ce chiffre était de 140 chefs d’entreprise. Il faut s’attendre sur les années prochaines à ce que 150, 200, 300 hommes et femmes chefs d’entreprise connaissent cette situation.

Actuellement, dans son fonctionnement, l’ATI ne cible que les entreprises qui sont passées par le tribunal de commerce. Or, vous n’avez pas l’obligation de passer par le tribunal de commerce pour arrêter l’activité d’une entreprise, qui peut prendre la forme d’une fermeture sous contrainte économique. Ce sont des situations que nous savons maîtriser. Une entreprise qui sait qu’elle ne peut pas y arriver, paie ses dettes pour « finir propre » et n’a pas l’obligation de passer par le tribunal de commerce. Ainsi, une partie des entreprises sont totalement hors périmètre. Des hommes et des femmes chefs d’entreprise sont oubliés. Il existe un manque crucial d’informations sur l’ATI et les dispositifs qui peuvent être mis en place en parallèle.

Nous avons à votre disposition énormément de chiffres. J’ai une attente énorme sur votre travail, car un projet de loi pourrait changer les choses et accompagner celles et ceux qui seront en première ligne pour reconstruire la France.

Je vais terminer par un exemple positif, car j’ai été noir dans mes conclusions. J’échangeais dernièrement avec Laure, une chef d’entreprise qui a perdu son activité, mais qui avait pris une GSC. Deux ans plus tard, elle a eu le temps de se reconstruire parce qu’elle avait pris une GSC. Elle avait choisi son montant d’allocation, sa durée. Qu’a-t-elle fait ? Elle a racheté une entreprise. Elle gère maintenant une belle PME en Anjou. Elle est fière d’avoir repris cette entreprise, d’avoir recréé de l’emploi. C’est une fierté pour elle et pour moi.

Vous serez peut-être surpris, mais nous ne sommes pas là pour solliciter quelque financement que ce soit, mais pour vous demander de mieux organiser l’information afin de permettre aux hommes et femmes chefs d’entreprise, qui représentent la création de valeur de demain, de choisir en toute connaissance de cause, sans alourdir aucune charge, quelle qu’elle soit, pour l’État.

M. le rapporteur. Sachez que parmi les députés, il y a aussi des chefs d’entreprise, qui ont été indépendants, comme moi. Nous connaissons évidemment la situation, mais l’information ne peut pas être du ressort des services publics et de l’État. Je pense que vous pouvez aussi informer. Pour avoir été dans cette situation, quand on démarre une activité, volontairement, on ne s’assure pas, car on a besoin de ses économies pour lancer l’entreprise. Tout ce qu’on peut ne pas payer, on ne le paye pas. C’est aussi un retour d’expérience qu’il est important d’entendre. Une fois que l’on a réussi et que l’on commence à avoir des revenus, on peut alors consciemment s’assurer.

Il me semble important de revenir sur les critères. Je crois qu’ils sont trop durs, trop restrictifs et qu’ils ne répondent pas à la majorité des situations. Le passage par la liquidation exclut beaucoup trop d’entreprises. On sait très bien que quand on n’a plus les moyens de tenir son activité, on peut arrêter avant même d’être en cessation de paiement.

Vous avez répondu partiellement au questionnaire. Il me semble effectivement important de revenir sur la bonne cible. L’allocation, qui vient du service public, ne peut pas être une assurance. L’ATI doit offrir la possibilité d’un rebond, mais ne doit pas venir en remplacement du revenu de référence d’un chef d’entreprise. Pour cela, il convient de se tourner vers GSC ou d’autres. L’information doit provenir des experts‑comptables, du greffe et d’autres structures. Il ne revient pas forcément aux politiques d’assumer cette communication.

Il me semble essentiel de définir le rebond attendu. J’aimerais également vous entendre sur la finalité et la durée de l’aide, pour revoir les critères, sur la partie qui incombe au service public et non pour s’assurer de la pérennité d’une activité. Vous l’avez justement dit, pour éviter le drame qui peut toucher un chef d’entreprise, il faut certainement un autre dispositif que l’ATI.

M. Anthony Streicher, président de l’association GSC. Pour casser un mythe, un entrepreneur individuel qui a un revenu de 20 000 euros par an paie 50 euros par mois d’assurance, pour toucher 1 000 euros pendant un an. La question n’est pas tellement le montant de l’assurance. La donnée Insee est de 40 000 euros de revenu médian pour un chef d’entreprise. Nous sommes loin du critère de moins de 10 000 euros.

Sur la question du rebond et de la durée, la demande des chefs d’entreprise est celle d’un délai d’un an pour rebondir, recréer. Vous avez fortement raison, il ne faut pas se tromper. La revendication des organisations patronales et de nous-mêmes sur ce point est que l’ATI ne soit pas une assurance chômage pour les chefs d’entreprise. Ce sont deux choses différentes.

Pour privilégier le rebond, l’État et l’ensemble de l’écosystème ont une coresponsabilité dans le devoir d’information. Elle ne coûte rien et peut même rapporter au Gouvernement avec des taxes d’assurance qui, à moyen terme, pourraient financer l’ATI, si un plus grand nombre de chefs d’entreprise y souscrivaient.

La cible de l’ATI est partie d’un principe biaisé, celui de prévoir des garde-fous pour éviter à tout prix les effets d’aubaine. En outre, nous avons constaté lors des échanges que l’indépendant, pour ceux qui ont décidé de ces critères, était une entreprise seule, selon l’image d’Épinal d’une typologie de chef d’entreprise qui ne correspond pas à la réalité économique actuelle. Les premiers critères sont d’autant plus complexes que si un n’est pas atteint, vous n’avez pas droit à l’allocation. Il y a eu une volonté de trop délimiter et d’éliminer.

Par ailleurs, le chef d’entreprise a tellement entendu pendant cinq ou dix ans qu’il n’avait droit à rien, qu’il n’avait pas droit à Pôle emploi, qu’il devait se débrouiller seul, qu’il était un superman ou une superwoman, qu’aller constituer de lui-même un dossier auprès de Pôle emploi est un paradigme. Le nombre de dossiers reçus est l’exemple flagrant que certains, mécaniquement ou inconsciemment, ont pensé qu’ils n’avaient droit à rien et n’ont rien demandé.

Le problème ne vient donc pas uniquement des critères complexes, mais aussi d’un défaut d’information et d’une systématisation de l’information par rapport au risque entrepreneurial et aux précautions qui doivent être prises en amont.

M. le rapporteur. Vous évoquez qu’avoir une assurance chômage ne coûte pas cher. J’aimerais donc comprendre pourquoi les experts‑comptables ne proposent pas d’assurance aux chefs d’entreprise. Ils sont les mieux placés. De toute évidence, s’il est possible de s’assurer pour peu cher et bénéficier de fortes garanties, cette solution est bien meilleure que l’ATI.

M. Lionel Canesi, président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables. La principale question n’est pas une problématique d’information. Contrairement à ce que j’ai entendu, quand nous recevons des créateurs d’entreprise, quand nous accompagnons et conseillons nos clients, nous leur parlons de tous les dispositifs et de tous les risques. Un chef d’entreprise qui a un expert‑comptable sait forcément quels sont les risques en cas de problème. Nous avons également une action importante avec les tribunaux de commerce sur la prévention des difficultés des entreprises, sur la compréhension de tous les dispositifs qui existent.

La vraie question est de savoir pourquoi un chef d’entreprise ne s’assure pas sur le chômage. C’est aussi celle de l’ATI et de sa vocation. Un chef d’entreprise qui crée un projet ne pense pas que demain, il aura une défaillance, sinon, il ne ferait pas de projet. S’il a peur de prendre des risques, il est salarié, il n’est pas chef d’entreprise. Les dirigeants, les chefs d’entreprise ne souhaitent pas avoir une couverture chômage. S’ils le voulaient, les dispositifs facultatifs existent et ils y recourraient massivement. Or, ils ne le font pas et quand on leur en parle, ils n’en veulent pas.

L’ATI ne fonctionne pas parce que son champ est très restreint. Nous parlons de dirigeants salariés. Or, la plupart des dirigeants sont des non-salariés. Parmi les exclusions, on trouve les gérants majoritaires de société anonyme à responsabilité limitée, les associés uniques ou gérants uniques d’une entreprise unipersonnelle à responsabilité limités, l’associé gérant d’une société en nom collectif. Nous sommes vraiment sur le cœur du tissu économique, mais ils ne sont pas concernés.

Je pense que l’ATI a du sens. Compte tenu du contexte, on devrait permettre qu’un dirigeant qui dépose le bilan en raison du covid bénéficie d’une couverture, pour rebondir. Un fonds exceptionnel devrait aider au rebond de nos entrepreneurs, victimes d’une situation exceptionnelle, la crise du covid. Personne n’en est responsable. Elle met à mal beaucoup d’entreprises.

Je ne suis pas sûr que nous aurons une vague de dépôts de bilan comme certains oiseaux de mauvais augure l’annoncent. Je crois qu’il existe une faculté de résilience des dirigeants. Il y a aussi des aides massives de la part du Gouvernement. Même si quelques zones non couvertes subsistent, on ne peut pas dire que l’accompagnement de l’État n’est pas massif pour aider les TPE et PME.

L’ATI doit surtout aider ceux qui vont souffrir de cette crise, qui se trouvent dans des secteurs très touchés tels que l’événementiel, la culture, le tourisme. Il faut les aider à rebondir. La durée de versement l’ATI est actuellement de six mois ; il faudrait la porter à douze mois.

Nous n’avons pas vraiment de visibilité sur la sortie, malgré la campagne de vaccination. Nous ne connaissons pas l’avenir. Celui qui est capable de dire que nous allons sortir de la crise en 2021 ou 2022 possède une sacrée boule de cristal. Il faut accompagner les chefs d’entreprise. L’Ordre des experts‑comptables a justement émis une proposition en vue de la relance : disposer d’un fonds exceptionnel pour soutenir ces dirigeants qui déposent le bilan, qui partent en liquidation. Ils doivent aussi être protégés. Un dirigeant qui dépose le bilan à cause de la crise du covid ne doit pas perdre sa maison. Il est capital qu’il puisse rebondir et qu’il soit protégé sur ce plan.

J’ai aussi l’habitude de dire que de toutes les aides, il y a un oublié, le dirigeant. Le chômeur a son chômage, le salarié son activité partielle. Le dirigeant a le fonds de solidarité, qui lui permet de payer ses charges, ses frais généraux et ses emprunts, mais il n’a rien pour vivre. Il faut peut-être imaginer un dispositif, surtout si la crise se prolonge, pour accompagner nos dirigeants, dont nous aurons besoin pour la relance.

Nous informons nos clients de tous les dispositifs existants. S’ils n’en prennent pas, c’est parce qu’ils ne sont pas intéressés.

Mme Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Si les mesures préventives en France sont très peu usitées, nous ne pouvons que le regretter puisque nous disposons d’un arsenal législatif et réglementaire très performant, au regard de ce qu’en pense la Commission européenne. Malheureusement, comme le rapport de la récente mission lancée par le garde des sceaux, nous constatons un important déficit d’information, en dépit de tous les moyens mis en œuvre.

Il existe toujours un problème d’information en amont des difficultés. L’idée pour éviter tout processus liquidatif est de les prévenir. Les TPE sont celles qui sollicitent le moins les mesures préventives, alors que toute entreprise est éligible à ces mesures. La marge de progression est importante. Il n’y a cependant pas de néant total d’information dans les juridictions commerciales. La profession que je représente dispose d’un certain nombre de vecteurs de communication, notamment à travers notre site internet et Infogreffe. Ce dernier relaie vers les aides publiques et offre au chef d’entreprise son indicateur de performance. Il peut ainsi tester la viabilité de son entreprise, ce qui lui permet de se tourner vers son expert‑comptable ou son avocat pour solliciter telle et telle mesure de nature à prévenir les difficultés.

Nous diffusons également des brochures, des informations. Dans nos greffes, au quotidien, nous donnons de l’information papier, nous diffusons des communications sur les réseaux sociaux, qui sont un vecteur très important aujourd’hui. Par conséquent, de l’information, il y en a, même si nous pouvons progresser.

Je rappelle aussi que dans les greffes des tribunaux de commerce, le président du tribunal, premier interlocuteur du débiteur qui s’adresse à nous, n’a pas de rôle de conseil, de même que les greffiers des tribunaux de commerce que nous sommes. Nous laissons cette mission aux experts‑comptables et aux avocats, qui le font très bien.

Le rapport remis au ministre de la justice voilà quelques jours préconise le renforcement de l’information, des progrès en matière de pédagogie. Nous allons combler ces lacunes. Néanmoins, ces points ne sont pas inexistants.

Monsieur Streicher, vous avez mentionné APESA, qui fait aussi partie de l’accompagnement psychologique. Vous évoquiez également les « quatre D ». Nous sommes confrontés à ce drame au quotidien, au contact des chefs d’entreprise. APESA a d’ailleurs été créée par un de mes confrères. Nous en sommes fiers parce qu’il réalise un travail remarquable pour prévenir le suicide des chefs d’entreprise. Nous, greffiers, suivons une formation qui fait de nous des sentinelles pour détecter les risques suicidaires des chefs d’entreprise qui s’adressent à nous.

La difficulté est qu’il y a aussi un aspect psychologique. Quand vous êtes dans une démarche de création d’entreprise, vous êtes dans une dynamique positive. L’être humain est ainsi fait qu’il se projette dans un avenir bénéfique pour lui, il n’a pas forcément le réflexe de prévoir ce qui se passera en cas de difficulté. Je vais faire un parallèle : quand vous vous mariez, vous n’aimez pas que l’on vous dise : « Si vous divorcez, voilà ce qui va se passer ». En France, le commerce est libre. Tout le monde peut entreprendre, mais n’a pas forcément le même niveau d’information, de compétence et de connaissance.

En ce qui concerne les conditions d’accès à l’ATI, je m’associe aux réserves du président Canesi. Les chefs d’entreprise que nous rencontrons tous les jours sont généralement des travailleurs non salariés (TNS), qui ne sont donc pas éligibles à l’ATI. Ce dispositif a le mérite d’exister puisque personne auparavant ne s’était penché sur cette difficulté, qui est récurrente. Nous savons qu’un chef d’entreprise qui pousse la porte du tribunal a dans l’idée qu’il n’a droit à rien. Aujourd’hui, nous avons remédié à cette absence d’aides. Pour autant, le système est perfectible. Peut-être faudrait-il en étendre le champ en termes d’éligibilité puisque les TNS n’y ont pas accès.

De même, il pourrait être opportun de transformer la justification d’un revenu de 10 000 euros en celle d’un chiffre d’affaires. Vous pouvez avoir généré un chiffre d’affaires et ne jamais avoir touché de revenu issu de votre activité. Ce point purement comptable pourrait élargir le champ.

Ma profession peut renforcer un fléchage vers l’ATI. Nous éditons une brochure à l’endroit des chefs d’entreprise en difficulté. Nous pourrions donc rendre l’ATI visible dans nos supports de communication.

M. Victor Geneste, membre du bureau du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Je suis d’accord sur le fléchage. Les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales et un certain nombre de partenaires publics nous sollicitent fortement pour que nous donnions de l’information. Au Mans, je n’ai personnellement jamais été sollicité pour délivrer une communication sur l’ATI, on ne m’a jamais sensibilisé, alors que ce dispositif semble intéressant, au moins sur le papier.

La durée de six mois me paraît courte. Il s’agit par exemple de la durée d’une procédure de liquidation devant le tribunal de commerce. Un accompagnement d’un an me semblerait plus judicieux. Le fait de limiter cette aide à trois mois si la personne reprend un emploi salarié ou une activité d’entrepreneur peut avoir tendance à démotiver.

M. le rapporteur. Nous avons évoqué un sujet important : faut-il en arriver à la liquidation ou au redressement judiciaires ? La procédure de liquidation amiable est extrêmement lourde. Elle pourrait aussi faire l’objet d’un assouplissement et serait l’occasion de mieux informer puisque nous recherchons avant tout le rebond.

Nous ne pouvons pas garantir un revenu de référence à travers l’ATI, ce qui nécessiterait une cotisation. Peu de chefs d’entreprise souscrivent une assurance quand la situation est simple. Si je suis en situation de quasi-faillite, puis-je m’assurer et percevoir une allocation-chômage à travers la GSC ? Bon nombre de chefs d’entreprise ne commencent à y réfléchir que lorsqu’ils font face à des difficultés et n’anticipent pas suffisamment. Si cette assurance est abordable, une meilleure communication serait judicieuse, même si les experts‑comptables disent déjà communiquer.

M. Anthony Streicher, président de l’association GSC. Les chiffres que je donne sont issus des baromètres et enquêtes que nous avons menés en partenariat avec l’Ifop. Ils datent de juin 2019. Les experts‑comptables, les commissaires aux comptes et tout l’écosystème sont essentiels dans l’accompagnement.

Je suis désolé, monsieur Canesi, je n’ai rien contre l’Ordre des experts‑comptables, mais nous devons aller de l’avant et c’est en disant les choses que l’on progresse. Selon ce sondage fondé sur les questions que nous avons posées à la sortie du tribunal de commerce à des chefs d’entreprise, certains en difficulté et d’autres non, six fois sur dix, ils déclarent n’avoir reçu aucune information sur les solutions disponibles. Ce sont des faits. Peut-être votre cabinet le dit‑il, mais vous avez un rôle primordial. Dans 74 % des cas, ces mêmes chefs d’entreprise estiment que le rôle des experts‑comptables est de les accompagner. Ils soulignent tous l’importance de l’Ordre des experts‑comptables et de leur parole.

Nous ne sommes plus dans la génération d’il y a vingt ou trente ans, où le fait de faillir représentait une faute. Le chef d’entreprise est dans une aventure entrepreneuriale fantastique, mais dangereuse. En quoi le fait de le dire est-il un mal ? En quoi le fait de dire qu’une entreprise entre dans un milieu hostile et qu’il faut assurer le risque est-il un mal ? Pour un bon chef d’entreprise, évaluer et essayer d’anticiper le risque est bien souvent positif.

Un chef d’entreprise est comme un navigateur au long cours. Il a une idée, il construit un bateau, il monte dessus et part en pleine mer. Nous avons environ 3 millions de Kevin Escoffier qui partent en haute mer. Ils embarquent parfois des équipiers et font grandir leur bateau pour aller dans l’aventure. Or, Kevin Escoffier avait un radeau de survie, une balise de détresse et il a été secouru. Il n’avait pourtant pas prévu que son bateau se disloque. Il était là pour gagner.

Aujourd’hui, un chef d’entreprise peut choisir de ne pas s’assurer, mais selon nos enquêtes, l’information n’est pas donnée de façon systématique et régulière. Les chefs d’entreprise attendent pourtant beaucoup du rôle de conseil des experts‑comptables, des commissaires aux comptes, de l’ensemble de l’écosystème. Vous avez une parole et un rôle fantastique auprès des chefs d’entreprise, monsieur le président de l’Ordre des experts‑comptables, mais nous ne sommes pas encore au niveau. Il faudra forcer fortement sur la communication.

Par ailleurs, le produit assurantiel est accessible, mais il ne peut être souscrit quand la personne est déjà à la limite du dépôt de bilan. Il faut anticiper et s’inscrire en bonne santé. De nombreuses associations sont présentes pour aider un chef d’entreprise en difficulté. Nous orientons vers toutes les formations et actions ad hoc qui se déroulent avant la liquidation. Nous incitons les chefs d’entreprise à intervenir en amont, à solliciter le tribunal de commerce dès leurs premières difficultés afin de mettre en œuvre un plan de continuation et se sauver. Nous ne pouvons pas prendre la place des tribunaux de commerce ni proposer un service assurantiel quand l’entreprise est déjà en difficulté.

En 2020, les différents régimes assurantiels qui existent sur la protection du chef d’entreprise ont continué à accepter des dossiers. Le taux a été de 64 % d’acceptation. Nous ne rejetons pas les dossiers, mais la règle est d’être en bonne santé économique au démarrage.

M. Lionel Canesi, président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables. Quand quelqu’un dépose le bilan ou fait faillite, il s’agit d’un accident de vie, mais le dirigeant a du mal à comprendre pourquoi il se retrouve dans cette situation. C’est la faute des autres. Ce comportement est très humain. « Je n’ai pas été informé, je ne connais pas les dispositifs. » Je comprends ce sondage. Nous avons les mêmes discussions avec les juges des tribunaux de commerce, car le dirigeant a déposé le bilan, il ne savait pas qu’il pouvait lancer une procédure de sauvegarde ou bénéficier d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation. Il est évident que son expert‑comptable lui en a parlé, mais l’aspect psychologique de se rendre au tribunal et de déposer le bilan fait qu’il pense s’en sortir, trouver du chiffre d’affaires. Nous ne sommes pas sur la bonne analyse.

L’association GSC existe depuis quarante ans. Pourquoi le système ne fonctionne-t-il pas depuis ? Ce n’est pas un problème d’information, il y en a. Vous êtes dans les congrès, les experts‑comptables en parlent, nous faisons régulièrement des réunions avec les associations sur ce sujet. Mais le chef d’entreprise n’en voit pas l’utilité. Il pense que le marché n’y est pas. La crise du covid met en lumière un besoin parce que certains chefs d’entreprise déposent le bilan pour des raisons extérieures à leur activité, la fermeture, la crise économique actuelle. Certaines entreprises meurent, d’autres se créent. Cette concurrence est normale. Je crois donc qu’il ne faut pas se tromper de débat.

L’ATI ne fonctionne pas parce qu’elle n’a pas la bonne cible. La question est donc de savoir ce que souhaite le législateur, qui il veut protéger. L’objectif est-il la solidarité nationale pour les dirigeants qui déposent le bilan à cause d’une contrainte extérieure qu’est le covid ? Dans ce cas, il faut aménager l’ATI sur douze mois, l’ouvrir aux travailleurs non salariés, qui représentent une grande partie du tissu économique, des TPE et PME qui génèrent de l’emploi non délocalisable, qui font la vie de nos quartiers et de nos centres‑villes. Elle doit aussi prévoir moins de contraintes, car compte tenu de celles-ci, on peut déjà se féliciter que 800 dossiers aient été acceptés. Faut-il protéger tous les dirigeants avec l’équivalent du chômage, comme pour les salariés ? Je doute qu’il s’agisse de leur volonté, sinon, ils prendraient l’assurance qui existe déjà depuis quarante ans. Dire qu’ils ne souscrivent pas parce qu’ils ne sont pas informés revient à se tromper de problème.

Vous devez donc cibler qui vous souhaitez aider. L’ATI a vraiment du sens pour protéger ceux qui sont victimes de cette crise qui n’est pas de leur fait. Un chef d’entreprise qui dépose le bilan parce qu’il a commis des erreurs peut le comprendre. Là, une crise exceptionnelle vient mettre à mal une partie de l’économie. La solidarité nationale doit jouer. Elle joue pour les chômeurs et pour les salariés, elle devrait aussi jouer pour les dirigeants.

M. le rapporteur. J’entends le critère de durée. Vous êtes unanimes pour dire qu’il faudrait que l’ATI dure au moins un an. J’entends aussi la question de la justification, en privilégiant le chiffre d’affaires au revenu puisqu’on peut générer du chiffre d’affaires et ne pas se rémunérer. C’est d’ailleurs le cas de nombreux créateurs d’entreprise, qui démarrent une activité. Ils vivent sur leurs économies. Ce critère exclut beaucoup de personnes.

La question de l’assurance soulève celle de la perte involontaire d’activité. Les chefs d’entreprise n’envisagent pas de déposer le bilan et ne voient donc pas pourquoi cotiser. En revanche, arrêter son activité avant une cessation de paiement aurait le mérite d’éviter des dettes. Sécuriser le rebond avant d’arriver à la cessation de paiement serait certainement bénéfique. J’aimerais vous entendre sur ce point.

Mme Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. En France, la liberté d’entreprendre est un droit fondamental. Je ne pense pas que les chefs d’entreprise ne soient pas informés, mais quand ils créent leur entreprise, ils n’ont pas envie d’entendre des choses négatives. Ils ne pensent pas à s’assurer. Soit nous laissons le système tel qu’il est et chacun reste libre de s’assurer ou non. Soit nous faisons le choix politique et idéologique d’imposer à chaque chef d’entreprise qui crée sa structure de s’assurer. Nous aurons ainsi une assurance généralisée à tous les chefs d’entreprise, à l’image de ce qui se passe dans le monde des salariés. Il s’agit de choix profonds de société qu’il ne m’appartient pas de juger.

Il est certain qu’il faut renforcer l’information, mais nous ne pourrons pas éviter le cycle naturel de vie de l’entreprise. En France, la durée de vie moyenne d’une entreprise est de deux ans et demi. Nous sommes dans un monde concurrentiel, dans un environnement qui n’est pas statique. Nous ne pourrons pas gommer les défaillances d’entreprises, l’idée étant de les anticiper au maximum et d’éviter les processus liquidatifs. Depuis vingt-cinq ans, j’ai vu évoluer l’arsenal législatif et réglementaire dans un sens toujours plus favorable aux chefs d’entreprise. Le terme de « faillite » n’est plus employé depuis des années. Il faut dédiaboliser afin de ne pas effrayer les chefs d’entreprise. Les procédures ne servent pas uniquement à les mettre en difficulté, mais aussi à sauver l’entreprise et à assurer sa pérennité et les emplois qui peuvent y être attachés.

M. Lionel Canesi, président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables. L’assurance dispose d’un fonds catastrophes naturelles. Nous sommes dans ce cadre avec la crise du covid pour les entreprises. Faut-il le circonscrire aux seules liquidations judiciaires ? Je ne le pense pas, l’un des objectifs de notre pays étant d’assurer la relance économique. Ce fonds doit aussi être ouvert à ceux qui cessent l’activité.

La nature humaine fait que certains essaieront de détourner le système, ce que nous constatons avec l’activité partielle ou le fonds de solidarité. Certains s’amusent à utiliser le Siret d’autres entreprises. Nous devons donc prévoir des garde-fous ; sinon, les fonds ne seront pas fléchés correctement. La crise actuelle doit nous conduire à être solidaires de ceux qui en ont vraiment besoin. Il sera complexe de définir le périmètre de cette aide, qui doit faire en sorte d’éviter les effets d’aubaine.

M. Anthony Streicher, président de l’association GSC. Je suis désolé de mon côté viscéral. Je suis chef d’entreprise et j’ai parfois du mal à ne pas réagir.

Nous partageons tous le constat que l’ATI a raté sa cible. De plus, les garde-fous prévus sont dangereux, car ils excluent ceux qui ont réellement besoin de l’allocation. En revanche, je persiste : il faut systématiser l’information, la flécher, expliquer les risques et les solutions. Le chef d’entreprise doit la recevoir en amont, avant d’être en difficulté.

Dirigeant est un métier qui s’apprend. L’erreur fait partie de la vie entrepreneuriale. Il faut tirer les enseignements d’un échec pour rebondir et mieux réussir demain. Un entrepreneur est un équilibre entre 60 % de réussite et 40 % d’échec. La société a changé. Les hommes et les femmes cherchent à mieux comprendre et à anticiper les risques. Il est donc important que l’ATI soit temporairement mieux ciblée et accentuée pour aider ceux qui vont défaillir afin qu’ils rebondissent, l’ADN d’un chef d’entreprise étant de recréer autre chose.

L’ATI n’a pas vocation à être une assurance universelle pour les chefs d’entreprise. Elle n’atteint pas ceux qui arrêtent leur entreprise en amont pour ne pas créer de dettes. Nous travaillons avec les experts‑comptables pour prouver qu’il s’agit d’un réel arrêt pour contrainte économique et non de détourner ou de profiter de la loi.

Nous n’avons pas de demande de financement supplémentaire, mais les aides devraient être mieux organisées. Il faudrait notamment créer de réelles synergies, beaucoup plus automatiques, sur l’envoi des informations des tribunaux ou des experts‑comptables directement à Pôle emploi et à l’Unédic par exemple, pour que l’ATI soit plus efficace, sans avoir à construire un nouveau dossier. Comment se fait-il qu’à l’ère du digital, un chef d’entreprise doive encore monter un dossier papier ? Nous sommes à deux vitesses.

M. le rapporteur. Les réponses sont là. À nous de nous en servir pour faire évoluer l’ATI et mieux répondre à ceux qui en ont besoin.

 

 

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  1  

2.   Auditions du 17 mars 2021

Lors de sa réunion du 17  mars 2021, la commission procède à des auditions, en visioconférence, sur l’allocation des travailleurs indépendants dans le contexte de la crise de la covid-19 (M. Dominique Da Silva, rapporteur)  ([14]) .

Elle entend dans un premier temps :

Mme la présidente Fadila Khattabi. En décembre dernier, la commission a souhaité se saisir de la question de l’allocation des travailleurs indépendants (ATI) dans le contexte de la crise sanitaire. Il a été décidé que nous procéderions sous la forme d’auditions, dont la préparation a été confiée à un rapporteur, notre collègue Dominique Da Silva, que je remercie de son implication active dans le cadre de ces travaux.

Les auditions se déroulent en deux temps. Nous nous sommes concentrés voici deux semaines sur les difficultés de mise en œuvre de cette allocation. Nous avons ainsi pu échanger avec Pôle emploi, l’Unédic, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, le conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables et l’association pour la Garantie sociale des chefs d’entreprise (GSC). Nous conclurons cet après-midi nos travaux avec l’audition du ministre délégué chargé des petites et moyennes entreprises, M. Alain Griset. Pour l’heure, nous allons entendre des représentants des travailleurs indépendants.

M. Dominique Da Silva, rapporteur. Nous abordons aujourd’hui le troisième volet de notre deuxième jour d’auditions consacrées à l’ATI. Nous avons déjà auditionné le 3 mars dernier Pôle emploi et l’Unédic, ainsi que trois acteurs qui agissent en qualité de conseils auprès des indépendants, à savoir l’ordre des experts-comptables, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce et l’association GSC qui est une assurance contre la perte d’emploi pour les indépendants. Votre audition va nous permettre de confronter à vos retours d’expérience certains constats dressés par ces intervenants. Nous souhaitons bénéficier des remontées de terrain qu’ont pu vous apporter vos adhérents en votre qualité de représentants des indépendants.

L’ATI était une promesse du candidat Emmanuel Macron, consacrée dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Elle est en place depuis le 1er novembre 2019 mais Pôle emploi nous a confié lors de son audition que seize mois plus tard, seules 911 demandes avaient abouti à une indemnisation au titre de l’ATI, contre près de 30 000 allocataires attendus selon l’étude d’impact du projet de loi.

Les précédentes auditions ont mis en lumière des critères d’accessibilité bien trop restrictifs et, dans une moindre mesure, un manque de communication du dispositif auprès des indépendants. Près des trois quarts des rejets sont provoqués par l’insuffisance de revenu d’activité, dont le seuil est aujourd’hui fixé à 10 000 euros par an sur les deux dernières années. La question de l’absence de liquidation ou de redressement judiciaire se pose aussi pour un certain nombre de dossiers. Si elle était mieux évaluée, cela justifierait sans doute une condition plus adaptée permettant d’éviter la cessation de paiement et les dettes qui en découlent. Ces principales données nous amènent donc à un constat clair : l’ATI telle qu’elle est proposée aujourd’hui n’a pas atteint sa juste cible.

Nous souhaiterions donc vous entendre sur ces différentes conditions. Votre audition doit aussi nous permettre de mieux connaître les attentes des travailleurs non-salariés et d’évoquer la délicate question du financement de la protection sociale attendue par les indépendants et la manière d’y contribuer.

M. François Hurel, président de l’Union des auto-entrepreneurs et des travailleurs indépendants (UAE). L’Union des auto-entrepreneurs a été constituée en 2009 lors de la mise en place du régime. Elle compte aujourd’hui un peu plus de 400 000 adhérents et sympathisants. Nous avons bien entendu suivi et nous suivons les travaux menés autour du régime des indépendants. La question posée doit être replacée dans une double perspective.

La première perspective est la question globale de protection du travailleur indépendant aujourd’hui en France. Cette question inclut bien sûr celle du chômage mais, plus largement, elle comprend tout ce qui concerne la perte subie d’activité. L’enjeu est important et c’est la revendication première de nombre de travailleurs indépendants : bénéficier d’une prévoyance – ce qui me semble parfaitement légitime – lorsqu’ils sont confrontés à la maladie, à l’accident du travail ou à la perte économique. La question de l’assurance-chômage doit être replacée dans cette première perspective et il est important de le rappeler.

Deuxième point, cette question de l’assurance-chômage était l’objet d’une promesse de campagne. Nous l’avons tous entendue et nous l’avons même suggérée. La mise en œuvre était attendue par un certain nombre de travailleurs indépendants. Nous aurions pu imaginer que ce dispositif fonctionne nettement mieux ou largement plus au cours de la crise sanitaire que nous venons de traverser, que nous continuons de traverser, qui est extrêmement dure pour un très grand nombre d’auto-entrepreneurs et de travailleurs indépendants.

Rappelons l’historique de cette mesure, qui dépend essentiellement de son financement. La question immédiatement posée lorsque la loi a été adoptée était celle de la capacité de financement pour répondre à la mise en place de cette mesure. Les chiffres étaient notoirement bas et l’enveloppe susceptible d’être dédiée à cette allocation ne permettait pas l’accès à un très grand nombre. C’est sans doute l’explication la plus logique au fait que les critères mis en place à cette époque ont découragé le plus grand nombre, ont rendu le dispositif inaccessible à d’autres ou encore se sont montrés largement préjudiciables.

J’insiste sur ce mot « préjudiciable » puisque le premier des critères mis en avant pour bénéficier de cette mesure est la mise en liquidation personnelle et volontaire de l’entrepreneur. C’est ce point qui doit faire aujourd’hui débat puisque la mise en liquidation personnelle emporte de lourdes conséquences. C’est extraordinairement procédural et signifie qu’il faut passer par la voie judiciaire. Cela induit aussi un coût judiciaire extrêmement important et que nous avons chiffré : paradoxalement, il est quasiment équivalent au bénéfice de l’allocation. Je ne parle pas, de plus, de la conséquence à terme de la mise en liquidation ou de la liquidation personnelle d’un individu lorsqu’il s’agit d’envisager ultérieurement un rebond.

Ce premier critère est sans doute celui qui a freiné le plus grand nombre et qui a privé le plus grand nombre de l’accès à ce dispositif, alors qu’il aurait pu jouer nettement plus et mieux, pas forcément en 2019 mais à partir du premier confinement et surtout du retour à l’activité après le premier confinement. Nous avons essayé de travailler avec l’Assemblée nationale à la modification des critères, pour permettre l’accès au fonds de solidarité durant la période de confinement et, en réalité, ce mécanisme a vraiment été attendu au moment des premiers retours à l’activité des indépendants, c’est-à-dire en mai-juin-juillet et après. En effet, l’aide du fonds de solidarité était diminuée, voire supprimée, pour le plus grand nombre alors que la volumétrie du chiffre d’affaires lors du retour à l’activité était à 20, 30 ou 40 % au mieux du chiffre d’affaires passé. À cette période, il aurait donc été imaginable que le dispositif d’ATI puisse jouer.

Ce même dispositif d’ATI aurait aussi pu largement jouer depuis le début de cette année puisque, pour la plupart des indépendants, le fonds de solidarité a été supprimé à partir du 1er janvier 2021. Selon toutes nos enquêtes, un peu plus de 70 % des auto-entrepreneurs ne retrouvent pas plus de 40 % de leur chiffre d’affaires d’avant confinement. Je tiens en particulier à votre disposition une enquête réalisée en février par l’Union des autoentrepreneurs pour apprécier les conséquences et les effets du retour à l’activité.

Nous aurions pu imaginer que le dispositif ATI joue pleinement à ce moment et il n’a pas joué. La raison première en est la judiciarisation du dispositif, son coût et l’incapacité à rebondir après la mise en œuvre de cette liquidation personnelle. Nous savons tous que la liquidation a des conséquences, notamment sur les inscriptions en banque et à la Banque de France. Ce n’est pas si simple d'opter pour ce dispositif, d’autant plus qu’une radiation pure et simple et la demande du revenu de solidarité active (RSA) conduisent à des chiffres quasiment équivalents. Les indépendants s’orientent donc davantage vers une demande de RSA avec une cessation volontaire d’activité que vers une demande d’indemnisation par le dispositif d’ATI. Ce sont les retours que nous avons eus.

Je dois dire que nous avons aussi, dans un grand nombre de cas, expliqué que la liquidation personnelle n’était pas forcément la bonne solution. Ce critère d’attribution de l’ATI représente un véritable frein. Cela ne m’étonne donc pas, dans ces conditions, qu’extrêmement peu soient arrivés à bonne fin. C’est assez logique et j’aimerais d’ailleurs interroger ceux qui en ont bénéficié pour connaître le prix de la procédure qu’ils ont dû payer avant de bénéficier de cette mesure.

Parlons maintenant de demain. Nous avons plusieurs solutions et plusieurs hypothèses. Je pense d’abord qu’il faut mener une réflexion plus globale sur certaines protections sociales dont ne bénéficient pas aujourd’hui les indépendants, qui concernent toutes la prévoyance en cas de perte subie d’activité. Cette réflexion doit être menée rapidement pour trouver une solution à destination de 10 % de la population active puisque, aujourd’hui, 10 % de la population active ne bénéficie pas d’une protection sociale minimale. Il est extrêmement important que nous puissions les en faire bénéficier.

Concernant strictement l’ATI, la première réforme à conduire pour la remettre en place rapidement, sans s’attaquer à la question plus large de toute la prévoyance, consiste à en transformer les critères d’attribution et, surtout, d’en transformer un seul : laisser une commission administrative, soit à créer soit déjà en place pour d’autres aides, constater le critère économique réel de la demande et attribuer l’allocation. Cela nous semble la méthode la plus simple, la moins lourde administrativement, la moins lourde sur le plan des conséquences judiciaires et la moins pénalisante humainement, socialement ainsi que pour l’avenir et le retour à l’activité de ces indépendants – puisqu’il faut évidemment penser à leur rebond.

Nous pourrions d’ailleurs imaginer que l’attribution de cette ATI par une commission administrative soit assortie d’une cessation d’activité de l’indépendant et puisse donner lieu à un délai de carence sur une période à déterminer de deux ou trois ans par exemple ,avant de retrouver la possibilité de demander cette aide, même s’il convient que l’entrepreneur puisse redevenir actif le plus rapidement possible, soit avant le terme de l’indemnisation – six mois –, soit juste au terme de cette indemnisation. Ce délai de carence permettrait de ne pas créer un effet d’aubaine.

Je pense que ces deux points doivent être menés en parallèle : d’une part une simplification drastique des critères d’attribution de cette indemnisation, nécessaire compte tenu de l’urgence de la situation et du redémarrage extrêmement difficile de nos travailleurs indépendants après le Covid, un certain nombre d’entre eux ne retrouvant absolument pas leur chiffre d’affaires passé et leur capacité à faire face à leurs échéances exigibles avec un actif disponible extrêmement faible. D’autre part, il convient de mener une réflexion rapide sur la mise en place d’un dispositif de prévoyance du risque de maladie, d’accident du travail et de perte économique.

M. Stéphane Chevet, président de l’Union des indépendants. L’Union des indépendants, qui se distingue de la CFDT, est une plateforme de collectifs, réunissant un ensemble de partenaires et de membres privilégiés. Nous sommes une association loi 1901 avec nos propres revendications, qui peuvent parfois rejoindre celles de notre membre fondateur, la CFDT.

L’avantage d’un bilan d’ensemble est que nous sommes finalement assez d’accord les uns avec les autres, ce qui simplifie grandement la question pour les parlementaires que vous êtes.

L’Union est une plateforme qui représente tous les indépendants, quel que soit leur statut, dès l’instant où ils ne sont pas employeurs, où ils sont indépendants « en solo ». Nous accueillons aussi les « slasheurs », c’est-à-dire les salariés ayant une petite activité d’indépendant en plus de leur activité principale. Toutes les problématiques qui nous remontent de la part de ces différents indépendants sont orientées vers des préoccupations qui tournent autour des indemnités journalières de maladie, du chômage, etc. Il s'agit donc de préoccupations « classiques », d’autant plus dans une période comme celle que nous vivons actuellement. Nous voyons aussi d’autres préoccupations, plus cachées mais très prégnantes, notamment l’accès au logement puisque, que vous soyez cliqueur, codeur ou indépendant d’une plateforme de livraison de repas, votre problématique est la même lorsqu’il s’agit de se loger, d’accéder à la location ou d’accéder à la propriété. Les premières préoccupations portent d’abord sur les droits sociaux, avec l’enjeu d’un socle universel de droits qui ne soient pas rattachés au statut mais à la personne.

Dans le cadre du bilan de l’ATI sur lequel vous nous avez invités à nous exprimer, je dirais que, au-delà de ce qu’a présenté François Hurel et que je partage pleinement, il importe aussi de prendre en compte un autre aspect plus psychologique. Lors d’une cessation d’activité et dans le cas où il est nécessaire de déclencher l’ATI, l’indépendant expose environ 3 000 euros de frais et « récupère » à peu près 4 800 euros. C’est en gros une « opération blanche » financièrement, mais qui n’est absolument pas blanche d’un point de vue psychologique, puisqu'elle marque au fer rouge. Dans les remarques qui nous sont remontées, nous observons une forme de honte de l’échec, marquée par le passage au tribunal ; cette honte suit l’individu dans ses activités à venir et dans sa vie au quotidien.

Nous avions d’ailleurs, avec François Hurel, porté l’idée d’un « chapter 11 » à la française et proposé, notamment dans la période que nous avons traversée, une forme de prise en charge par l’État des dettes sociales et fiscales, de façon à montrer que la justice peut aussi protéger, et pas seulement punir. L’ATI est d’abord une punition, un aveu d’échec ; ce n’est pas seulement un droit à l’échec, c’est une sanction de l’échec.

Les critères d’éligibilité sont multiples et contraignants ; ils marquent l’échec de l’ATI. Si le nombre de demandes est très largement en deçà des attentes en termes d’allocataires, c’est d’abord pour cette raison psychologique. Ensuite, nous avons nous-mêmes évidemment conseillé de ne pas recourir à l’ATI, pour éviter d'être marqué au fer rouge lors de la reprise d’activité.

Aujourd’hui, on me fait remonter surtout l’objectif prioritaire qu'un certain nombre d’indépendants et de « slasheurs » se sont fixé depuis plusieurs mois : aller chercher de l’activité, ne pas courber le dos et ne pas recourir à l’ATI mais se battre pour faire perdurer leur activité.

Lorsque les travailleurs indépendants sont tournés vers leur activité, la difficulté avec des règles comme celles prévues pour l’ATI est qu’il n’existe ni unité de parcours ni unité de personne. C’est la raison pour laquelle, à l’Union, nous portons l’idée d’une simplification, peut-être de l’ATI mais en tout cas des différentes procédures, pour faire en sorte que les droits ne soient pas associés au statut, mais à la personne.

Cela étant, le fait de penser en termes de « simplification » peut avoir des conséquences : lorsque l’on simplifie, on a tendance à adopter une lecture simpliste. Simplifier les procédures existantes ne signifie pas forcément construire de nouveaux statuts ou de nouvelles procédures législatives, mais bien simplifier celles qui existent. Pour être très clair, la question portée depuis des mois en vue de simplifier le statut et de remettre à plat l’environnement statutaire existant nous fait peur, au sein de l’Union, et questionne beaucoup les indépendants que nous avons sollicités. Ces simplifications, pour un certain nombre d’indépendants, ne répondraient pas à la question de fond. Aucun des indépendants que nous avons interrogés ne nous a demandé une révision de son statut ; ils nous ont plutôt demandé que des fonds de relance les aident à développer leur activité. Ils ont demandé à être protégés, plutôt que de voir se mettre en place des plafonds de verre ou de voir simplifier leur environnement, alors que ce n’est pas la question aujourd’hui.

M. Jean-François Ferrando, président de la Confédération nationale des très petites entreprises. Je vous remercie de nous avoir invités pour débattre d’un sujet qui nous touche depuis longtemps et fait partie de nos revendications : le droit au chômage des dirigeants et chefs d’entreprise.

La Confédération nationale des très petites entreprises (CNTPE) n’a que quatre ans d’existence. Nous comptons aujourd’hui un peu plus de 160 000 membres, avec 450 000 inscrits sur le territoire national. Ce sont principalement des sociétés, et très peu d’auto-entreprises ; nous nous positionnons sur les entreprises de 0 à 19 salariés.

S’agissant de l’ATI, lorsque nous avons entendu les engagements du Président de la République sur la mise en place d’un « droit au chômage » des dirigeants d’entreprise – je crois que c’est le terme à utiliser car c’est l’idée initiale –, nombre de dirigeants et de chefs d’entreprise ont applaudi des deux mains, pensant pouvoir ainsi bénéficier d’une logique de protection si, par malheur, ils ne pouvaient pas mener leur projet à bien. Lorsque nous avons vu l’ATI, franchement, nous avons été très dubitatifs sur les modalités de mise en œuvre.

Je rejoins mes deux prédécesseurs, principalement en ce qui concerne la limite des 10 000 euros par an sur les deux dernières années. Pourquoi ? Tout simplement parce que lorsqu’une entreprise ne va pas bien, est en difficulté, particulièrement dans les très petites entreprises, particulièrement si elle a des salariés – et je rappelle qu’une entreprise sur deux parmi les très petites entreprises a plus d’un salarié –, il est évident que le premier qui ne se paie pas dans l’entreprise est le dirigeant. Il privilégie la rémunération de ses salariés, d’abord parce que c’est une obligation, et ensuite car la relation qu’il a avec son personnel est beaucoup plus forte que dans les grandes entreprises. Il se sent donc une responsabilité vis-à-vis de son personnel et de ses salariés. Cela signifie que, mécaniquement, le dispositif éliminait progressivement toutes les entreprises en difficulté dont le dirigeant privilégierait la rémunération des salariés. Dès le départ, ce critère nous a conduits à nous demander si l’ATI allait répondre à la difficulté et à la problématique du droit au chômage des chefs d’entreprise.

Au moment de la loi « Avenir professionnel », le nombre d’allocataires potentiels a été estimé à 29 300, soit un chiffre extrêmement précis, alors que, pendant les derniers mois, 1 285 dossiers ont été refusés, principalement parce que le critère des 10 000 euros n’était pas satisfait. Seulement 911 dossiers ont été validés, ce qui représente 3 % des allocataires potentiels de ce dispositif. Nous pouvons en conclure que c’est un échec.

Nous avons cherché à interpréter cet échec. Nous avons différents réseaux et différentes structures qui émettent des avis. Les experts-comptables expliquent que c’est lié au manque d’intérêt des dirigeants, les greffes des tribunaux évoquent un désintérêt pour ce type de solution dans le monde des entreprises, Pôle emploi considère qu’il a bien mis en œuvre sa communication.

J’ai d’ailleurs le document de Pôle emploi concernant la mise en œuvre de l’ATI ; je vous invite à le télécharger et le regarder. Je vous en lis quelques lignes : « Vous figurez dans la liste des professions éligibles à l’ATI : débitant de tabac, moniteur de ski, mandataire judiciaire, loueur de chambres meublées, conjoint collaborateur et, plus généralement, travailleur non salarié (TNS). » Sur la ligne suivante, on trouve « les mandataires d’assurance et certains dirigeants de société » et, en finissant avec les artistes-auteurs, nous trouvons le détail « œuvres artistiques, littéraires, dramatiques ou musicales ». Vous imaginez bien qu’un chef d’entreprise qui lit ce document n’a aucune envie d’en savoir plus puisque, dès ses prémisses, il a le sentiment de ne pas être éligible. Côté communication, l’ATI a donc subi des freins sur l’ensemble du parcours d’accompagnement des chefs d’entreprise.

Les premiers partenaires des TPE sont les experts-comptables. Bien évidemment, quand une entreprise ne va pas bien, qu’elle connaît des difficultés financières, l’expert-comptable lui-même n’est pas payé. Vous imaginez donc bien que, comme pour tout prestataire de services, la probabilité que l’expert-comptable mette le dossier en attente est assez importante. De plus, lorsque l’entreprise s’engage dans le processus menant au redressement ou à la liquidation judiciaire, aucune information ne lui est fournie. Lors de la création d’une entreprise, vous recevez une multitude d’informations de l’ensemble des organismes, des organisations d’État et des assurances. Toutefois, à aucun moment il ne vous est expliqué que si vous n’avez pas perçu une rémunération supérieure à 10 000 euros durant deux années consécutives, vous ne serez pas éligible à l’ATI le cas échéant. Ainsi, sur le plan de la communication et du message, à aucun moment de la vie d’une entreprise, de sa naissance à sa mort, l’ATI n’a eu de place.

Mon deuxième élément rejoint les commentaires déjà entendus sur le montant. La base est à 26,30 euros par jour pour 182 jours, soit à peu près six mois. Cela représente une moyenne de 800 euros par mois. Il faut savoir qu’un salarié percevant le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) reçoit plus de 29 euros par jour, ce qui pose pour nous la question de l’équité du droit au chômage pour les chefs d’entreprise.

Ceci résume notre bilan sur le processus de l’ATI, en ce qui concerne les critères de sélection, qui sont trop contraignants, et les sommes en jeu. Je rejoins d’ailleurs mes prédécesseurs sur cette question des sommes : 800 euros versés pendant six mois, c’est franchement trop léger et cela ne justifie pas le fait d’en parler, puisque c’est presque une aumône.

Cela état, le sujet de fond reste le financement : bien évidemment, bénéficier d’aides ou d’allocations est positif mais il faut savoir comment les financer. Aujourd’hui, le financement s'organise à travers l’Unédic, c’est-à-dire à travers le régime général des salariés. Cela peut rapidement poser un problème quant aux sommes mobilisables de manière effective dans le cadre de l’accompagnement des difficultés des chefs d’entreprise après liquidation.

La procédure de liquidation elle-même est une problématique qui ne se pose pas pour nous, puisque nos membres sont majoritairement des sociétés et passent par le tribunal de commerce. De fait, quand elles déposent le bilan, elles sont liquidées en passant par une décision de justice. La justification de ce point est donc plus facile pour les très petites entreprises.

M. Dominique Da Silva, rapporteur. Je partage nombre de vos questions, puisqu’elles sont en fait à l’origine de ce cycle d’auditions. Nous avons bien compris la problématique par rapport à la cible attendue du nombre de bénéficiaires. Je tiens toutefois à rappeler que rien n’existait avant l’ATI. Certes, ce dispositif est pour l’instant loin d’être efficient mais il faut se féliciter de son existence, même si le but est évidemment d’en faire un dispositif opérant, et non simplement une « mesurette ».

J’entends le problème du passage par la voie judiciaire dont parlait M. Hurel. Vous avez proposé une commission administrative ; je pense qu’il existe sans doute une autre manière d’envisager ce sujet, mais je rejoins aussi l’idée qu’il faut davantage se pencher sur la personne. À partir du moment où il faut satisfaire une condition de ressources personnelles, tous les autres critères n’ont pas grand intérêt. Le but est de permettre à la personne de rebondir. Si nous nous adressons à quelqu’un qui, de toute façon, n’a plus de revenu, peu importent finalement tous les autres critères. J’espère que nous pourrons évoluer sur ce sujet.

La question du financement est importante. Qui doit payer pour donner plus de droits, pour que les entrepreneurs soient mieux protégés ? Comme vous l’avez dit, l’Unédic finance aujourd’hui le dispositif à travers les cotisations que versent les employeurs pour leurs salariés. L’ATI était dotée de 140 millions d’euros et nous n’avons utilisé que 3 millions d’euros. Nous avons donc des marges de manœuvre pour améliorer la situation, mais je tiens à rappeler que, si nous voulons aller plus loin et ouvrir vraiment les droits, la question du financement se pose sans doute. J’aimerais vous entendre sur le sujet : qui doit financer concrètement cette allocation élargie et assouplie ?

Nous parlons de rebond. Je rappelle que l’ATI était plutôt conçue comme un filet de sécurité et n’a jamais été envisagée comme un revenu de remplacement. La question de la formation se pose sans doute aussi puisque, pour rebondir, il faut peut-être aussi se former à nouveau et, parfois aussi, repasser par une activité salariée.

M. Bernard Perrut. Le sujet est important car il s’agit d’une promesse de campagne. L’allocation des travailleurs indépendants a été mise en place dans le cadre de la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, en novembre 2019 et nous pensions tous qu’elle pourrait permettre aux personnes non salariées de bénéficier d’une sécurité face à la perte d’activité. Or le bilan est sévère, comme vous venez de le rappeler. Seize mois après son entrée en vigueur, l’aide mensuelle de 800 euros versée par Pôle emploi pendant six mois ne bénéficie qu’à environ mille personnes en France, alors qu’elle visait au moins 30 000 bénéficiaires, selon les estimations faites.

Il est vrai que, de l’artisan maçon au chirurgien, en passant par le livreur et beaucoup d’autres professions, la France compte plus de 3,2 millions de travailleurs indépendants. Nous constatons donc la faible mobilisation pour ce dispositif qui, du fait de critères trop stricts et inadaptés, ne répond pas aujourd’hui à cette attente. Le non-recours à l’aide n’est pas un problème de mise en œuvre de l’allocation, mais trop de conditions sont imposées : la même activité deux années consécutives, un revenu supérieur à 10 000 euros, etc. En bref, ce dispositif n’est pas intéressant en l'état.

Le ministre Alain Griset s’était exprimé à la fin de l’année dernière. J’aimerais savoir, messieurs, si vous êtes associés à la réflexion que vous avez vous‑mêmes posée et que Mme la ministre en charge de l’emploi a également posée et travaillée, puisqu’il a été expliqué que le critère générateur était le dépôt de bilan. M. Griset se disait prêt à étudier une évolution et à proposer un certain nombre de dispositions au ministre de l’économie et des finances, M. Bruno Le Maire. Il reste à savoir quelles réponses peuvent être apportées. Il faut prendre un certain nombre de mesures, en particulier dans cette période difficile, et peut-être adapter cette allocation jugée insuffisante, pour répondre au contexte de la crise économique. Ne faut-il pas revoir ce dispositif au moins jusqu’au 30 juin 2022, comme le demandent certaines organisations ? Ne faut-il pas, rapidement, adapter les conditions, qu’il s’agisse de l’ancienneté ou du montant de l‘indemnisation dans cette période bien évidemment très difficile ?

Les nouveaux dirigeants d’entreprise n’avaient pas anticipé une éventuelle liquidation. L’allocation doit être repensée en un dispositif d’urgence pour aider rapidement celles et ceux qui ont tout perdu pendant la crise. Nous devons être à leurs côtés. En tout cas, je souhaite dire combien les parlementaires, en particulier ceux du groupe Les Républicains, sont attentifs à toutes ces entreprises sur l’ensemble du territoire français.

M. Jean-Hugues Ratenon. Je vous remercie pour votre exposé sur la situation des travailleurs indépendants, que nous savons très lourdement impactés par cette crise sanitaire. Le monde de l’évènementiel, les commerçants, les artisans, la restauration, le monde de la culture ont vu leurs domaines d’expression professionnelle, personnelle et technique bouleversés, ce qui a entraîné des problèmes financiers et psychologiques. Les témoignages sont nombreux quant au fait que cette allocation des travailleurs indépendants en vigueur depuis le 1er novembre 2019 n’est pas adaptée aux besoins. Vous faites la démonstration que la situation ne s’est pas améliorée. Le dispositif n’est pas attractif, notamment du fait de son montant et de sa durée. Vous avez ainsi déjà répondu à certaines des questions que je souhaitais poser.

Vous formulez aussi des propositions. Pensez-vous que le Gouvernement est prêt à vous suivre, pour une réforme de cette allocation, mais aussi pour une protection sociale des travailleurs indépendants actuellement « abandonnés » dans notre modèle économique ? Avez-vous des informations sur la situation dans les Outre-mer ? Y faites-vous le même constat ?

M. François Hurel. Il ne faudrait surtout pas tomber dans le travers d’un raccourcissement simpliste du débat, consistant à dire que les indépendants réclament la protection sociale des salariés. Ce n’est absolument pas le cas. Les indépendants réclament de façon parfaitement légitime une protection sociale, mais pas du tout dans les mêmes conditions ni avec les mêmes droits que les salariés. En réalité, toute démarche qui consisterait à créer une assimilation au salariat aboutirait à la création d’un troisième statut à mi-chemin entre le salariat et le travail indépendant, d’une espèce de dispositif intermédiaire qui ne répondrait pas aux enjeux, car il serait soit socialement beaucoup trop coûteux, soit économiquement contraint. Je répète que les indépendants que nous connaissons à l’UAE sont très attentifs à leur position, à leur positionnement et à leur statut d’indépendants.

La question que nous posons est la suivante : s’ils désirent rester indépendants et s’ils veulent bénéficier d'une protection sociale, qui paie ? Je vais être très simpliste : celui qui paie est le consommateur final, parce que l’indépendant facture et, lorsqu’il facture, il encaisse un bénéfice ou un chiffre d’affaires en fonction duquel, selon son régime fiscal, il acquitte une cotisation sociale. Actuellement, le taux de cotisation du régime de l’assurance chômage des salariés est d’environ 4,2 % du salaire brut, payés par l’employeur. Par assimilation, nous pourrions très bien dire que le travailleur indépendant n’a qu’à payer une cotisation de 4,2 % sur le chiffre d’affaires ou le bénéfice qu’il réalise suivant les différents régimes, mais nous aboutirions, en suivant cette logique, à une augmentation du coût de la production de moins de 1 %. Le consommateur final ne serait donc pénalisé que de 1 % pour servir 4,2 % d’une cotisation chômage.

L’Union des auto-entrepreneurs a calculé que, pour mettre en place la triple prévoyance « accident du travail – maladie – prévoyance chômage » dont je parlais et qui correspond à la revendication première de tous les travailleurs indépendants, l’augmentation du coût serait en réalité aux alentours de 14 %. Aujourd’hui, le taux moyen de charges sociales sur un indépendant, auto-entrepreneur au régime micro‑entrepreneur, est de 22 %. Cela le ferait monter à 36 %, ce qui est énorme ; pour le consommateur final, cela représenterait une augmentation de 7 % du coût, ce qui est considérable. Il faudra réfléchir au dispositif, avec une progressivité des dispositifs, des délais de carence. En réalité, nous nous apercevrions que cette démarche peut parfaitement être engagée à condition d’avoir des interlocuteurs. Le problème de nos indépendants est qu’ils n’ont pas d’interlocuteur pour discuter, puisqu’ils n’appartiennent à aucune commission de négociation collective, ni de branche ni de façon globale.

La question posée à l’origine est que, si nous voulons mettre en place un dispositif d’assurance chômage comme d’autres dispositifs de prévoyance, il faut repartir du modèle de 1945, déterminer une représentativité, créer une représentation sociale et engager la négociation collective. C’est ainsi qu’il faut poser le problème en regroupant autour de la table des négociations les représentants des employeurs, les représentants des salariés et les représentants des indépendants. C’est cette problématique qu’il faut poser pour repenser tout le dispositif.

Nous nous apercevrions alors que, dans le cadre des négociations, nous pourrions disposer d’un socle minimal universel pour tout le monde, y compris les indépendants. Ensuite, la négociation de branche pourrait jouer pour certains travailleurs indépendants liés par exemple aux transports, à la livraison ou à des conditions de travail de plateforme. Nous aurions ainsi recréé un vrai dispositif de protection sociale issu de la négociation.

C’est à ce modèle qu’il faut aspirer, sinon nous serons en permanence sur des dispositifs « de sauvetage ». Le dispositif de l’ATI est effectivement bénéfique ; il a le mérite d’exister et de poser la question de la création d’une prévoyance, de sa légitimité pour tous ces travailleurs indépendants, question qui appelle évidemment une réponse positive. Maintenant, il faut s’attaquer au vrai sujet.

Le premier stade consiste à corriger les errements de l’ATI en modifiant certains critères : nous pouvons discuter du seuil des 10 000 euros et il faut impérativement discuter de la liquidation judiciaire parce que ce critère n’a pas de sens. Il faut discuter de la question du rebond, parce que la liquidation judiciaire entraîne une interdiction bancaire à la Banque de France. Comment voulez-vous rebondir, même sans être entrepreneur, en étant interdit à la Banque de France à cause d’une activité indépendante qui a échoué ? De grâce, n’additionnons pas l’échec familial à l’échec économique.

Je pense qu’il faut trouver le moyen, par un dispositif administratif un peu moins complexe, un peu plus simple, de mettre en place un système d’amortisseur social à destination de tous les indépendants qui se lancent. Rien qu’en 2020, 630 000 indépendants se sont lancés, dont un peu plus de 580 000 sont des auto‑entrepreneurs. C’est à eux qu’il faut s’adresser, pour leur offrir ce filet de sécurité et ce matelas social, avec un dispositif accessible, simple et non infamant.

Une fois les critères assouplis, nous mettrons en place un dispositif permettant de faire face à des situations catastrophiques mais, à l’avenir, il faut penser plus loin, plus fort et plus large, tout restant dans l’idée que ces travailleurs sont indépendants ; ils le souhaitent et ils disent, comme le disent les plus jeunes de nos concitoyens, que le rapport au travail a changé en France. Le rapport au lien de subordination a changé. La vraie question est qu’il faut donner à cette nouvelle forme d’activité la protection qu’elle mérite, pour que le choix ne soit plus entre le risque économique additionné au risque social, versus la protection sociale. Il faut que ce soit un vrai choix, dans lequel l’indépendance est le critère essentiel pour la définition de la forme d’activité. Il n’est pas nécessaire de bricoler, de créer de nouveaux statuts. Il faut juste clarifier la situation et, surtout, permettre que ces choix, déjà suffisamment risqués économiquement et moralement, ne soient pas en plus des choix risqués socialement. C’est sur ce sujet que nous devons travailler à l’avenir.

M. Stéphane Chevet. Nous sommes dans une situation extrêmement compliquée. Nous devons réaliser le bilan d’un outil qui a été créé avant la crise du Covid, avant une crise économique et sociale majeure. Pour effectuer ce premier bilan, notre lecture intègre évidemment la notion de crise, ce qui nous fait dire que l’outil n’est pas adapté pour répondre à la crise. Évidemment qu’il n’est pas adapté puisqu’il n’a pas été créé dans cet objectif ! Ce n’est pas du tout le bon outil.

Cet outil a été créé, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, pour instaurer un filet de sécurité, la somme allouée étant de 800 euros par mois. J’ai entendu qualifier cette somme de « forme d’aumône ». Je pense qu’il faut faire attention aux jugements de valeur ; peut-être faut-il une proportionnalité, mais le problème n’est pas la somme en elle-même. Le problème est surtout de payer pour recevoir et de payer en plus pour une sanction. En fait, vous donnez de l’argent pour être sanctionné, puisque vous êtes ensuite fiché à la Banque de France afin de percevoir cette allocation, pour bénéficier de ce filet de sécurité. C’est intellectuellement une construction assez extraordinaire, et tel est le véritable problème.

Le but est évidemment de rebondir mais nous avons, les uns et les autres, un corpus intellectuel qui nous fait imaginer les indépendants sous telle ou telle forme. Or, s’il y a un « s » à la fin des indépendants, c’est bien parce que cette population est extrêmement diversifiée. Cela va du cliqueur, c’est-à-dire celui qui prend une course « Uber », au codeur, c’est-à-dire celui qui crée les algorithmes, en passant par les artisans et tous les indépendants que nous pouvons connaître. Les activités de ces indépendants sont extrêmement variées et l’incidence de la crise que nous venons de vivre est aussi extrêmement variée. Certains de nos adhérents ont explosé leur chiffre d’affaires et vont très bien. Vous avez aussi des livreurs à vélo, qui étaient parfois plus des « slasheurs » que des indépendants c’est-à-dire que certains faisaient la vaisselle dans les restaurants et, quand ils ne travaillaient pas ou parce qu’ils étaient à mi-temps ou moins, assuraient aussi des livraisons de repas. Or les restaurants ont fermé. Ils se sont retrouvés sans emploi et, dans le même temps, les algorithmes ont fait que, chez des opérateurs comme Uber, la course a été minorée de quasiment 40 %. La situation n’est donc pas la même pour tous et nous ne trouverons pas une réponse identique pour tous.

Je suis donc en plein accord avec ce que vous disiez, monsieur le rapporteur : nous sommes dans le cadre d’un filet de sécurité. Ce filet de sécurité, à notre sens, ne se trouve pas dans un processus identifié pour les indépendants. Le filet de sécurité que nous appelons de nos vœux est un socle universel de droits qui s’applique à tous les travailleurs, quel que soit leur statut, et même à toutes les personnes qui sont en situation d’être dans l’emploi.

Pourquoi ? Comme le disait François Hurel, un certain nombre de travailleurs n’ont pas du tout envie d’être salariés. Certains salariés ont aussi envie de changer de mode de vie, encore plus avec la crise sanitaire que nous venons de vivre. Les statuts professionnels se multiplieront de plus en plus : les gens passeront du statut de salarié à celui d’indépendant, d’indépendant à salarié. Lorsque j’étais plus jeune, on m’a expliqué à l’université que je devais m’habituer à ne pas être salarié d’une seule entreprise. Aujourd’hui, nous avons dépassé ce stade, puisque nous en arrivons à nous dire que nous ne serons pas des travailleurs liés à un statut. C’est pourquoi ce socle universel de droits sociaux doit être attaché à la personne, comme cela a été fait par exemple pour la formation professionnelle.

La formation est d’ailleurs aussi un vrai sujet, car un certain nombre d’indépendants n’ont pas de formation professionnelle ; c’est le cas de beaucoup d’indépendants qui sont des travailleurs intermédiés. Lorsqu’ils veulent ou doivent changer d’activité, ils n’ont pas les formations nécessaires pour le faire.

Monsieur le député Ratenon, vous avez demandé si nous avions des remontées hors métropole. Je n'ai pas de remontée particulière mais vous avez raison : a priori, l’activité indépendante est plus nombreuse dans les grandes villes que dans les territoires moins peuplés. Cela dit, l’Union vient d'achever une grande étude en lien avec la fondation Jean‑Jaurès, Les Échos et Odoxa. C’est un sondage quantitatif et qualitatif, comportant notamment toute une série de questions sur les parcours de carrière. Nous avons demandé si le fait d’être indépendant est un choix imposé, construit ou suite à une expérience professionnelle. Cela nous permettra de regarder de façon plus précise sur les territoires et de voir s’il existe des différences entre les différents territoires. Je vous invite donc à être très attentifs aux Échos et, si vous le souhaitez, nous serons à votre disposition pour présenter plus en détail les résultats de cette étude, la première étude concernant tous les travailleurs indépendants, quel que soit leur statut, y compris les « slasheurs ».

Monsieur le député Perrut, vous avez dit que le bilan est sévère. Certes mais, comme je le disais, la situation actuelle fait que le bilan est encore plus sévère, puisque l’ATI n’est pas un outil de crise. Recourir à l’ATI pendant la crise que nous avons vécue n’est pas recourir à l’outil adéquat. C’est pourquoi nous nous sommes battus, avec la collaboration de François Hurel, pour faire en sorte que les indépendants soient intégrés dans le plan de soutien dans le cadre de la crise sanitaire.

Avons-nous eu des échanges avec le ministre Alain Griset ? Oui, nous en avons eu. Ces échanges ont-ils été fructueux ? Non, par manque de transparence. Je suis désolé si ce n’est pas très consensuel. Malgré tout le respect que j’ai pour sa fonction, je dois dire que je suis extrêmement étonné des débats qui ont lieu en ce moment autour d’une possible refonte des statuts. Je ne les comprends pas et les indépendants que nous représentons ne nous demandent pas de porter ce sujet. Personne ne nous demande de changer les statuts lors des webinaires que nous organisons ou des études que nous menons avec les adhérents

J’ai de plus en tête un rapport parlementaire des sénateurs Jean-Claude Boulard et Alain Lambert sur les simplifications des normes. Depuis que j’ai lu ce rapport, j’ai une véritable appréhension face au discours de simplification. Pour moi, derrière une simplification, il existe toujours un risque de compliquer la situation. Par exemple, sur le sujet de la refonte des statuts, ce qui est évoqué serait une sorte de statut à plusieurs options, dont une option avec une couverture minimale, pouvant être assimilée à un salariat. Comme l’a dit très justement François Hurel, il s’agit clairement d’un risque de troisième statut. C’est ce que, avec Jean-Yves Frouin, nous avons combattu et nous avons clairement dit que nous ne voulions pas un troisième statut. Ce n’est ni souhaitable ni utile.

L’idée de simplification présente donc un risque d’émergence d’un troisième statut ; pire, même si les chefs d’entreprise sont généralement bienveillants et souhaitent garder leurs collaborateurs, il peut arriver que l’existence d’un tel statut, permettant d’avoir une couverture minimale de type salarial, conduise les chefs d’entreprise à inviter leurs collaborateurs à changer de statut, pour des raisons d’économies, et à passer de salarié à assimilé salarié. C’est un vrai risque, y compris un risque social, ce qui n’est à mon avis pas forcément judicieux dans la période qui s’ouvre. J’espère rapidement en discuter avec M. le ministre qui, sans doute, me rassurera.

Quoi qu’il en soit, la question de l’ATI reste aujourd’hui prégnante, puisqu’elle vise à assurer aux indépendants une protection, quel que soit leur statut. Ce mécanisme reste donc souhaitable. Le dispositif tel qu’il existe actuellement n’est pas satisfaisant puisqu’il n’est pas utilisé. Peut-être est-ce l’occasion d’ouvrir une réflexion collective sur un socle universel minimal de droits, et d’offrir un rebond vers la construction d’un autre outil.

M. Jean-François Ferrando. Les échanges avec M. Griset portent sur un mécanisme de droit au chômage pour les indépendants au sens large du terme, comprenant les TNS, mais aussi les assimilés salariés, tels que les présidents de sociétés par actions simplifiées (SAS) et d’entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL), par exemple.

S’il fallait discuter avec M. Griset du droit au chômage, la question que je lui poserais serait celle de la position de la GSC dans ce mécanisme. Qui est à l’origine de la GSC ? Qui pilote la gouvernance de cette compagnie d’assurance qu’est la GSC ? Ce sont le Mouvement des entreprises de France (Medef), la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l’Union des entreprises de proximité (U2P). M. Griset, en tant qu’ancien président de l’U2P, syndicat patronal, est forcément informé de cet état de fait.

Ceci étant dit, s’agissant de la mise en œuvre de l’ATI et de sa réforme, il faut mettre l’accent sur le fait que 140 millions d’euros ont été budgétés alors que, finalement, seulement 3 millions d’euros ont été consommés. 900 allocataires ont consommé 3 millions d’euros. Il faut d’abord expliquer comment nous sommes arrivés à ce chiffre. Ensuite, plus largement, s’agissant de l’accompagnement, le sujet de préoccupation de la CNTPE est de savoir comment, demain, nos dirigeants d’entreprise, quel que soit leur statut, pourront bénéficier d’une protection en cas d’échec. C’est là le vrai sujet de fond dont nous débattons.

Nous ne débattrons pas de savoir ce qu’est un indépendant, ou des critères qui le définissent ; ce n’est pas l’objet de la réunion d’aujourd’hui, même si la question se pose. Notre objet ce jour consiste à savoir comment répondre à la problématique de sa protection. Nous avons actuellement des TNS – je n’utilise volontairement pas le terme indépendants – et le TNS correspond à plusieurs statuts d’assimilés salariés, puisque vous n’êtes pas sans savoir que les gérants minoritaires de sociétés à responsabilité limitée (SARL) sont des assimilés salariés, comme les présidents de SAS et de sociétés par actions simplifiées unipersonnelles (SASU). Les uns et les autres ne bénéficient pas d’un droit au chômage.

La question qui se pose est de savoir si nous voulons mettre en œuvre un outil transversal pour en faire bénéficier à terme l’ensemble des chefs d’entreprise qui sont dans une logique d’échec. Rappelons qu’un patron qui monte son entreprise n’en prévoit pas la mort. Ce n’est pas dans son ADN.

Il est important d’intégrer ce critère au début : prévoyons-nous quelque chose de manière optionnelle ou obligatoire ? Je ne vous cache pas que, dans le monde de l’entreprise, prévoir une obligation sur ce type de dispositif est compliqué, d’autant plus compliqué qu’il suffit de donner le droit aux chefs d’entreprise assimilés salariés de cocher sur leur feuille de paie la case « je cotise au droit au chômage ». Nous pouvons réfléchir aux modalités de mise en œuvre de ce type de prestation. Pour un salarié, il faut cotiser pendant quatre mois, nous pouvons peut-être prévoir douze mois de cotisation obligatoire pour les dirigeants d’entreprise. J’ouvre le débat ; il peut être intéressant d’y réfléchir.

De l’autre côté, se trouvent les TNS, pour lesquels il ne faut pas oublier l’existence du contrat Madelin en cas de perte d’emploi. Un chef d’entreprise qui dispose de cette information sur la spécificité de son statut peut mettre en œuvre à titre personnel une assurance chômage se rapprochant de celle des salariés, puisque les modalités de cotisations et de distribution sont proches.

Il faut savoir comment ouvrir la possibilité d’un droit au chômage pour le chef d’entreprise, quel que soit son statut. Il est évident que la matrice de la société, sur le plan de l’emploi, change actuellement. L’effet de la crise du Covid impacte profondément notre approche de l’emploi, de manière générale. Le salariat est un bon statut mais de plus en plus de personnes réfléchissent aux différentes modalités possibles.

En ce qui concerne les outre-mer, je n’ai pas de chiffre spécifique, mais nous sommes également présents dans les Outre-mer.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie, messieurs, pour vos réponses claires, précises et franches. Vous nous avez fait part d’un certain nombre d’interrogations. Peut-être aurez-vous certaines réponses puisque nous auditionnerons le ministre M. Alain Griset à dix-sept heures ; je vous invite à suivre cette prochaine audition.

La commission procède ensuite à l’audition de M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises.

Mme la présidente Fadila Khattabi. En décembre dernier, la commission a souhaité se saisir de la question de l’allocation des travailleurs indépendants dans le contexte de la crise sanitaire. Il a été décidé que nous procéderions sous la forme d’auditions dont la préparation a été confiée à un rapporteur, notre collègue Dominique Da Silva.

Les auditions se sont déroulées en deux temps. Nous nous sommes concentrés voici deux semaines sur les difficultés de mise en œuvre de cette allocation, bien réelles au regard des différentes interventions. Nous avons ainsi pu échanger avec Pôle emploi, l’Unédic, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables et l’association GSC. Nous avons entendu en début d’après-midi les représentants des travailleurs indépendants.

Monsieur le ministre, je vous remercie de votre disponibilité pour venir conclure nos travaux sur ce sujet.

M. Dominique Da Silva, rapporteur. Nous arrivons au terme de ce cycle d’auditions de la commission des affaires sociales consacré à l’allocation des travailleurs indépendants. L’ATI est une promesse du Président Emmanuel Macron, qui a été instaurée par la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Nous pouvons, je crois, tous nous en féliciter car les travailleurs non-salariés de notre pays n’avaient jamais auparavant bénéficié de la moindre solidarité nationale contre la perte de leur emploi.

Toutefois, force est de constater que, après plus d’un an de mise en œuvre, l’ATI n’a pas du tout atteint sa cible. C’est d’ailleurs la raison qui a justifié ce cycle d’auditions. Toutes les personnes auditionnées en ont convenu unanimement.

Au dernier pointage réalisé fin février, après seize mois, Pôle emploi nous a confié n’avoir comptabilisé que 911 dossiers au titre de l’ATI, alors que l’étude d’impact du projet de loi avait évalué la cible de cette mesure à 29 300 bénéficiaires, pour un coût de 140 millions d’euros en année pleine – contre 3 millions d’euros à ce jour. Je tiens à préciser que certaines allocations ne sont pas arrivées à terme ; le produit de 900 dossiers par 4 800 euros donne un total de plus de 4 millions et il est logique que nous n’ayons pas encore atteint ce montant à ce jour. Le décalage reste tout de même plus que conséquent et appelle un constat clair : l’ATI a besoin d’être réformée et ses critères d’accessibilité doivent être assouplis avec discernement, en ayant à l’esprit le risque d’effet d’aubaine.

L’accès à l’ATI est aujourd’hui conditionné à cinq critères cumulatifs trop restrictifs, qui excluent de facto des milliers d’indépendants qui, pourtant, se retrouvent sans revenu décent après une activité professionnelle bien réelle. L’un de ces critères, la condition de revenu d’activité de 10 000 euros par an en moyenne sur les deux dernières années, est à l’origine de près des trois quarts des rejets des dossiers éligibles à l’ATI.

Cette condition est pour le moins étrange car la sagesse veut qu’un entrepreneur, avant d’en arriver à une cessation de paiement, commence par ne plus se payer. Cela a été dit lors des auditions précédentes : il puise d’abord dans ses économies ou se fait aider, quand c’est possible, par ses proches. Cela pose donc la question de l’obligation de devoir cesser son activité par une liquidation ou un redressement judiciaire, car je pense qu'il est difficilement concevable qu’un indépendant cessant son activité sans avoir créé de dettes et se retrouvant malgré tout sans revenu ne puisse pas bénéficier de l’ATI. Ne pas accepter – c’est ma proposition – la liquidation amiable comme condition est pour moi un non-sens.

Enfin, vous en conviendrez, monsieur le ministre, si nous souhaitons le rebond rapide d’un travailleur non salarié (TNS), l’accès à une formation me semble indissociable de l’ATI pour avoir un filet de sécurité efficace contre le chômage.

J’ai à cœur que l’ensemble des critiques formulées au cours de ce cycle d’auditions permette de revoir rapidement le dispositif de l’ATI ou, à tout le moins, les mesures d’application qui relèvent du pouvoir réglementaire.

Monsieur le ministre, je sais pouvoir compter sur votre expérience passée à la tête de l’Union des entreprises de proximité (U2P) ainsi que comme travailleur indépendant pour faire avancer la protection sociale des indépendants en France. Pourriez-vous nous exposer les conclusions tirées de ce premier bilan de l’ATI, statuer sur les différents constats et développer les propositions que vous comptez mettre en œuvre pour parfaire ce dispositif et répondre plus largement au besoin de protection sociale des entrepreneurs ?

M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l’Économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises. Je vous remercie de m’accueillir aujourd’hui sur un sujet difficile, important, sur lequel je pense qu'il est nécessaire d’étudier la totalité du spectre conduisant à la situation que vous avez indiquée, monsieur le rapporteur.

Je ne conteste en aucune façon vos chiffres : c’est la réalité. Peu de personnes ont bénéficié de l’ATI depuis sa mise en œuvre ; permettez-moi d’ajouter que l’ATI a été d’une certaine façon conçue pour arriver à ce résultat. Il faut regarder comment la question a été mise en œuvre ; j’utiliserai mon parcours personnel pour refaire un état des lieux de la situation des indépendants.

En remontant un peu loin dans l’histoire, la protection sociale des indépendants n’a fait que progresser depuis 1973. Avant 1973, il n’existait pas de protection sociale pour les indépendants et les indépendants eux-mêmes, année après année, souvent contre ceux qu’ils représentaient, ont souhaité qu’une protection sociale puisse être mise en œuvre. Voici encore peu de temps, parmi les professionnels libéraux, la question des indemnités journalières était en débat. Chez les artisans et les commerçants, les indemnités journalières sont récentes, avec des montants qui ne sont d’ailleurs pas identiques. De façon générale, la couverture des indépendants a donc progressé peu à peu, en fonction de l’évolution de la société, du changement de mentalité des indépendants eux-mêmes.

La question de l’assurance chômage n’avait jamais été abordée par les représentants des indépendants. Le Président de la République, lors de sa campagne, en avait fait un engagement car il était pour lui important de prévoir cette protection. Lorsqu’il a été élu, une mission a été créée pour consulter les partenaires sociaux sur la mise en œuvre de cette allocation. Les huit partenaires sociaux – cinq représentants de salariés et trois d’employeurs – se sont entendus et ont signé un accord sur les conditions de mise en œuvre, avec deux préoccupations.

La première était de considérer que cette allocation ne devait pas être adossée à une cotisation, une préoccupation mise en avant par les indépendants eux-mêmes qui considèrent que le coût de la protection sociale (assurance vieillesse, maladie) est déjà trop élevé pour beaucoup d’entre eux ; l'hypothèse de rajouter une cotisation n’était pas acceptable. Les représentants des employeurs soulignaient quant à eux que l’ATI, si elle ne correspondait pas à une cotisation, risquait de provoquer très vite une aggravation du déficit de l’Unédic. Nous avions donc parmi les partenaires sociaux ces deux préoccupations : ne pas augmenter les cotisations et ne pas favoriser un effet d’aubaine qui pourrait faire déraper la situation.

Comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, le nombre de demandes a été faible mais la crainte des partenaires sociaux était qu’il s’en présente beaucoup. S’il avait suffi de s’inscrire au répertoire des métiers, au registre du commerce pendant quelques semaines en appuyant sur un bouton, et d’arrêter au bout d’un mois ou deux, pour percevoir 800 euros pendant six mois, vous imaginez ce qui aurait pu se produire. Les partenaires sociaux ont donc voulu éviter cette situation en instaurant un délai d’inscription. En outre, comme nous constatons que la moitié de ceux qui s’inscrivent au régime de la microentreprise déclarent zéro euro, ils ont imposé un revenu minimal pour bénéficier de l’ATI. Il fallait donc répondre à ces deux contraintes : le fait de cotiser et éviter un effet d’aubaine qui aurait fait déraper le dispositif. Cela a amené les partenaires sociaux à définir des critères qui, au moins dans un premier temps, permettent d’accompagner ceux qui sont le plus en difficulté. Celui qui est en liquidation judiciaire est évidemment en difficulté mais il faut qu’il ait une durée d’activité et un revenu attestant d’une réalité de l’activité. Ce dispositif a donc été mis en place dans le cadre de la loi « Avenir professionnel » et les résultats sont ceux que vous avez indiqués.

La crise sanitaire que nous traversons depuis maintenant un an a en partie modifié le constat et je remercie les parlementaires qui ont bien voulu voter les budgets adéquats : le fonds de solidarité, créé dès le mois de mars 2020 à hauteur de 1 500 euros, a permis d’accompagner les difficultés de nombreux indépendants. Nous enregistrons d’ailleurs une baisse de 30 % des défaillances d’entreprises en 2020 par rapport à 2019. Les entreprises ont été accompagnées par le fonds de solidarité, dont certaines qui auraient peut-être dû fermer et faire appel à l’ATI, mais qui ne l’ont pas fait parce qu’elles ont bénéficié de ce soutien.

Nonobstant ces éléments, la question reste importante. Le Président de la République l’a déjà indiqué à deux reprises et il m’a demandé de travailler sur un plan pour les indépendants. Dans le cadre de ce plan, j’ai engagé depuis plusieurs mois des concertations aussi larges que possible de façon à ce que toutes les organisations concernées puissent nous dire quels sujets devraient être intégrés dans ce plan pour les indépendants. Ces sujets portent sur les statuts juridiques, la transmission d’entreprise, les conjoints, mais aussi sur la protection sociale, en particulier la question de la retraite, à laquelle je ne veux pas toucher pour des raisons que chacun comprendra, les questions liées à la maladie, au délai de carence, aux indemnités journalières, au calcul des cotisations, aux assiettes, et la question éventuelle de l’ATI. Je ne suis d'ailleurs pas certain que son intitulé soit pertinent, mais peu importe.

À la fin du mois, j’espère être en mesure de formuler des propositions au Premier ministre et au Président de la République. En fonction des décisions qui seront arbitrées, vous serez sans aucun doute vous-mêmes en situation de décider, peut-être dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) ou dans le projet de loi de finances (PLF), les dispositifs qui pourraient être mis en application. Cette question est donc tout à fait d’actualité et je vous remercie de faire en sorte que le sujet soit débattu en ce moment. Vous contribuerez sans aucun doute à nous éclairer, afin de voir dans quelle direction aller.

Voici quelques semaines, j’avais eu l’occasion d’indiquer qu'en dehors de l’ATI telle qu’elle est prévue, il me paraissait envisageable, spécifiquement pour 2021, d’avoir un dispositif d’accompagnement s’il se produisait beaucoup de défaillances. Au-delà de l’aspect financier, je pense aussi qu’il faut regarder comment permettre aux indépendants de rebondir en cas d’arrêt, comment les accompagner, peut-être en termes de formation. Créer une entreprise et devoir arrêter est, pour beaucoup, suivi du néant. Je crois que c’est notre devoir collectif de permettre à ceux qui prennent ce risque, car c’est prendre un risque que de se mettre à son compte, de trouver une autre solution en cas de difficulté, au-delà d’un accompagnement financier. La solution pourrait consister à être formé pour retrouver un emploi salarié ou recréer une autre entreprise dans une autre activité. Bien souvent, je lie la question de l’indemnité financière à la possibilité d’être accompagné, en termes de formation, pour le rebond. C’est un sujet sur lequel j’essaierai de travailler.

Nous voyons bien que la protection sociale au sens large, et spécifiquement l’ATI qui nous intéresse aujourd’hui, est un domaine totalement d’actualité pour lequel les avis sont encore très tranchés, comme je l’ai constaté lors des concertations que j’ai organisées et sûrement dans ce que vous avez pu entendre. La question des « travailleurs des plateformes », terme avec lequel je ne suis pas toujours d’accord, entre également dans ce débat. Les évolutions des mentalités, les modes d’organisation et la crise remettent ce sujet de l’ATI au cœur de l’actualité et rendent vos travaux particulièrement importants.

M. Dominique Da Silva, rapporteur. Nous notons évidemment qu’un plan est en préparation pour les indépendants.

Les critères d’application de l’ATI doivent être rapidement assouplis, me semble-t-il, puisque si nous n’avons utilisé que 3 millions d’un fonds de 140 millions, il reste de la marge sans affecter le budget des mois à venir. Au-delà de ces critères, je crois qu’il faut poser la question du financement. Il provient aujourd’hui de l’Unédic, donc des partenaires sociaux, et il ne paraît pas tout à fait logique que les cotisations que versent les employeurs pour leurs salariés financent un droit au chômage des indépendants, même si c’est actuellement vraiment à la marge. Vous l’avez dit aussi, les indépendants ne souhaitent pas de cotisation supplémentaire. Il semble donc nécessaire de penser à l’impôt. Il faut en tout cas réfléchir à une façon de contribuer à ce fonds, qui doit être élargi.

Faut-il une contribution malgré ce que vous avez dit ? Faut-il un fléchage d’une partie des cotisations sociales des indépendants, puisque les indépendants cotisent, même s’ils ne cotisent pas pour le chômage ?

Par ailleurs, je pense à titre personnel que l’ATI est une bonne disposition qu’il faut revisiter parce que, au-delà de la période que nous traversons, il me semble important d’avoir un dispositif pérenne permettant aux entrepreneurs de rebondir lorsqu’ils échouent, peut-être aussi en étant salariés. Ce dispositif doit avant tout cibler des personnes qui, après leur travail, finissent par ne plus avoir de revenus. Cela reste une solution de sauvetage, mais il faut que ce soit une véritable solution de sauvetage, et non une « mesurette ».

Mme Caroline Janvier. Monsieur le ministre, nous poursuivons aujourd’hui les travaux de suivi de la crise de la Covid-19 par la commission des affaires sociales et je souhaite saluer l’engagement de notre collègue Dominique Da Silva sur ce sujet de l’allocation des travailleurs indépendants et, plus largement, de leur protection sociale.

En France, 3,2 millions de personnes exercent une activité non salariée. Ce nombre a augmenté d’un tiers depuis 2008 grâce notamment, et il faut le saluer, au succès du statut de micro-entrepreneur.

Les travailleurs indépendants sont particulièrement vulnérables aux aléas socio-économiques et à la précarité induite par la perte d’une activité. En effet, le revenu moyen mensuel d’un micro-entrepreneur est de 470 euros, contre 2 300 euros en 2021 pour un salarié classique.

La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel de 2018 a créé l’ATI pour sécuriser davantage les travailleurs indépendants qui seraient amenés à cesser leur activité. Depuis le 1er novembre 2019, un travailleur indépendant qui perd une activité non salariée de manière involontaire et définitive peut prétendre à cette allocation, versée sans cotisation supplémentaire et d’un montant de 26,30 euros par jour, soit 800 euros par mois.

Alors que la crise frappe durablement l’activité économique de notre pays, les indépendants sont plus particulièrement vulnérables en raison des secteurs dans lesquels ils exercent : le commerce, la culture et l’événementiel, ou encore le transport de personnes. Il est plus que jamais nécessaire, dans ce contexte, d’être à la hauteur de l’ambition portée par Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle, de protéger les indépendants et d’évaluer l’efficacité de ce dispositif.

Monsieur le ministre, nous avons été surpris d’apprendre durant les travaux menés par notre collègue Dominique Da Silva que seules 800 demandes avaient abouti à une indemnisation fin 2020. Ce bilan nous interroge sur la façon dont nous pourrions mieux détecter les difficultés des indépendants et les accompagner, financièrement et moralement, pour qu’ils puissent rebondir vers une autre activité.

M. Stéphane Viry. Monsieur le ministre, au-delà de l’ATI qui est un vrai sujet, le débat de fond porte sur les travailleurs indépendants, bien au-delà des travailleurs des plateformes.

Nous croyons aux travailleurs indépendants, des hommes et des femmes entrepreneurs, qui ont pris la décision de s’installer, de se mettre à leur compte, très souvent de s’endetter, qui ont en tout état de cause pris des risques et vivent avec ces risques mais qui, par ailleurs, dégagent beaucoup de valeur économique pour le pays, produisent énormément ; nous leur devons beaucoup.

Nous voulions vous interroger sur l’ATI mais j’ai surtout noté que vous préparez, monsieur le ministre, un plan pour les indépendants. Vous consultez, depuis plusieurs mois, les indépendants et leurs représentants. Vous connaissez le sujet, monsieur le ministre, vous le connaissez même fort bien et vous avez une légitimité acquise sur ce sujet. Vous avez évoqué un plan et un calendrier : avant l’été. Je vous le dis avec sincérité, avec toute l’estime que j’ai pour vous : je reste sur ma faim, cela revient à venir en fin de quinquennat se « rattraper aux branches » ; l’ATI est pour moi un exemple frappant de la différence entre des déclarations, entre des annonces et la réalité sur le terrain, la réponse apportée à ces hommes et à ces femmes qui prennent des risques et s’engagent.

L’ATI ne fonctionne pas. Vous avez imputé l’échec aux partenaires sociaux qui auraient émis de mauvais critères, conduisant à une forme d’impasse. Je trouve que la réponse est un peu dure pour la démocratie sociale. Belle idée, mauvaise réponse, cela ne fonctionne pas alors que les situations de détresse, de désespérance se multiplient un peu partout et conduisent parfois, trop souvent, à des drames. Il est intenable, à terme, de n’avoir pas de revenu. Les restaurateurs, les gérants de discothèques, de salles de sport, de brasseries, tous les commerçants sont en difficulté.

Monsieur le ministre, puisque tout est à refaire, quel est le calendrier ? Comment procéderez-vous ? Directement ou par les partenaires sociaux ? Au-delà de l’ATI, quelle réponse spécifique apporterez-vous en 2021 à celles et ceux qui passent à travers les fonds de solidarité et les mesures économiques d’ores et déjà mises en place, dont nous saluons d’ailleurs l’existence ?

Mme Pascale Fontenel-Personne. Avant toute chose, monsieur le ministre, permettez-moi de vous remercier d’être présent à cette audition devant la commission des affaires sociales. Je voulais aussi personnellement vous remercier pour tout le travail que nous avons pu mener en commun depuis quelques mois sur l’économie touristique.

Je connais votre attachement aux petites et moyennes entreprises ainsi qu’aux travailleurs indépendants, et votre attention particulière à les accompagner jusqu’à la reprise. Alors que la crise sanitaire a renforcé les attentes des indépendants, et je pense aux guides‑conférenciers que je tiens à citer aujourd’hui, le ministère de l’Économie et des finances prépare, en matière de protection, un plan de soutien aux travailleurs indépendants dont les contours seront dévoilés à la fin du mois ou à la mi-avril. Les mesures exceptionnelles de soutien déjà mises en place ont permis en 2020 d’éviter une hausse très drastique des dépôts de bilan. Nous avons même constaté des destructions d’entreprises moins nombreuses que les années précédentes. Alors que la crise sanitaire ne fléchit toujours pas, nous pouvons malheureusement imaginer que ce ne soit qu’un potentiel report d’échéances.

Je me rends compte par ailleurs, au détour de rendez-vous réguliers que je tiens en circonscription avec des travailleurs indépendants, qu’ils sont très peu, voire trop peu, informés des aides et dispositifs de soutien mis à leur disposition. C’est vrai pour l’ATI mais également pour d’autres dispositifs, et je pense que cela tient notamment au fait qu’ils n’ont pas le même rapport à la comptabilité qu’une entreprise classique. Cela m’amène à me poser ces questions. Quid de leur accompagnement par les institutions, notamment sur ces sujets comptables ? Comment détecter précocement des signaux d’alerte relatifs à leur situation économique ?

Je sais que vous partagez cette conviction : nous ne pouvons pas attendre que les travailleurs indépendants passent la porte des tribunaux de commerce pour les aider. Ce n’est pas ma manière de voir. Aussi, pouvez-vous nous détailler les préconisations de ce futur plan et, surtout, préciser s’il viendrait en complément de l’ATI, ou s’il s’agirait de revisiter totalement cette ATI, comme le propose Dominique Da Silva ?

M. Paul Christophe. Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre présence cet après-midi et je souhaite profiter de cette occasion pour souligner votre investissement sur l’adaptation du décret relatif au fonds de solidarité qui a intégré les secteurs S1 et S1 bis.

En effet, j’ai déjà eu l’occasion d’intervenir auprès de votre ministère pour la prise en compte de catégories professionnelles qui n’étaient pas intégrées dans les listes et la réponse a été rapide et favorable. Cela concerne notamment les entreprises artisanales et commerçantes réalisant au moins 50 % de leur chiffre d’affaires par la vente de leurs produits ou services dans les foires et salons ; elles bénéficient aujourd’hui de ce fonds de solidarité.

J’aimerais vous poser une question sur le nécessaire renforcement du dispositif de l’allocation chômage des travailleurs indépendants, dite ATI. En effet, seuls 911 indépendants ont perçu l’allocation à ce jour, après plus d’un an de mise en œuvre, alors que l’impact de la crise sur les indépendants est considérable. Sur la totalité des dirigeants ayant mis la clé sous la porte, un tiers ont été éligibles à l’allocation chômage. Nous pouvons donc légitimement nous interroger sur les raisons. Est-ce un manque d’information, un dispositif insuffisant, une liste de critères trop sélective ou la conséquence de l’objectif initial, que vous nous avez rappelé, de limiter le recours à ce dispositif ?

Ainsi, l’exclusion des dirigeants non-salariés du dispositif rend le champ de l’ATI très restreint. Cette restriction est d’autant plus incomprise que l’allocation chômage est dédiée aux indépendants qui sont majoritairement non-salariés.

Monsieur le ministre, le mardi 8 décembre dernier, vous aviez annoncé l’élaboration de propositions pour tenter d’améliorer l’accès à l’allocation chômage des indépendants. Pourriez-vous nous préciser plus en détail le contenu de ces propositions et la liste de critères à mettre en place pour mieux accompagner les indépendants ?

Mme Valérie Six. L’ATI a effectivement besoin d’être réformée. Ce dispositif, un an après son entrée en vigueur, ne touche que 911 chefs d’entreprise sur 33 000 qui y avaient pourtant droit mais ont poussé la porte de Pôle emploi. Le montant de 800 euros semble insuffisant.

Les représentants des entrepreneurs demandent trois améliorations essentielles. 97 % des dirigeants estiment que les conséquences d’une perte d’activité et l’existence des dispositifs de maintien de revenu doivent être signalées dès l’étape de la création ou de la reprise d’une entreprise. Ainsi, l’information sur les risques et les solutions existantes doit devenir une obligation légale à chaque étape de la vie d’un entrepreneur, information effectuée par les acteurs concernés : avocat, expert-comptable, banquier…

Selon eux, l’ATI doit temporairement être repensée pour mieux aider les dirigeants. Elle doit devenir dès que possible un dispositif d’urgence – notre collègue Da Silva parlait même de sauvetage – en revalorisant son montant, en ouvrant davantage son accès aux chefs d’entreprise depuis plus d’un an, et non deux.

Monsieur le ministre, je connais votre implication sur le terrain. Pouvez-vous rassurer les travailleurs indépendants qui nous écoutent et indiquer dans quelle mesure le Gouvernement est prêt à accéder à ces demandes ?

Mme Jeanine Dubié. Monsieur le ministre, je veux moi aussi saluer votre engagement dans cette crise sanitaire. Je peux attester de tous les efforts que vous avez faits pour éviter qu’il ne subsiste de « trou dans la raquette ». Je vous remercie pour ce que vous avez fait pour les établissements de thermes et, surtout, pour l’écoute dont vous faites preuve.

Monsieur le ministre, depuis le 1er novembre 2019, les indépendants peuvent bénéficier de l’ATI, d’un montant de 800 euros par mois pendant six mois, mais il faut satisfaire cinq conditions cumulées et donc, forcément, restrictives. Entre autres, l’ATI est versée uniquement aux travailleurs indépendants inscrits à Pôle emploi et en recherche active d’emploi. Franchement, aujourd’hui, dans la crise que nous traversons, voilà une condition qui est difficile à remplir !

74 % des dossiers refusés le sont à cause d’un revenu inférieur à 10 000 euros par an. Est-ce finalement un bon critère ? Est-ce sur le revenu de l’indépendant qu’il faut se fonder, ou faut-il changer de critère et, comme le propose notre rapporteur, travailler sur le chiffre d’affaires plutôt que sur le revenu de la personne ?

Enfin, Élisabeth Borne doit annoncer une nouvelle aide pour soutenir les travailleurs indépendants impactés par la crise sanitaire. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Marc Delatte. Monsieur le ministre, vous êtes un homme de terrain, un homme des Hauts-de-France et, dans les Hauts-de-France, on trouve des hommes de terrain. Je fus pendant vingt-huit ans médecin libéral, je connais aussi un peu le monde des indépendants. C’est un monde qui se couche tard, qui ne compte pas ses heures et qui n’a pas le droit d’être malade. Souvent, nous n’allons pas demander des aides parce que ce n’est pas dans l’esprit des indépendants de demander.

Les conseils de prud’hommes disent souvent : « Voilà, ils arrivent un peu tard. » Par exemple, je suis allé lundi à une visite de carrière à Noyant-et-Aconin. Il s’agissait d’un chef d’entreprise qui a vu son chiffre d'affaires progresser de 40 % en deux ans mais son outil de production a vieilli. Il a besoin de 7,5 millions d’euros et dispose de 5 millions d’euros. Comment fait-il pour trouver les 2,5 millions d’euros manquants ? Comment développer des mesures de prévention pour ne pas en arriver là ? Comment financer, sinon par la croissance ?

Il faut bien sûr aider les entreprises pour qu’elles sortent la tête de l’eau ; je vous félicite pour tout ce que vous accomplissez, en termes de report des charges, d’activité partielle, de fonds de solidarité, de prêt participatif. Il n’a jamais été fait autant en Europe, il faut le dire et toutes les très petites entreprises (TPE), les petites et moyennes entreprises (PME), les indépendants le partagent.

Il faut évidemment éviter les flux dans les restaurants. Comme tout le monde, j’aimerais bien aller au restaurant. Aller au cinéma me manque aussi mais ils le comprennent. Ce n’est pas simple et nous évoluons dans un monde de grande inquiétude.

Comment financer cette ATI ? Je ne vois comme solution que la croissance et il faut donc continuer à aider, ne pas ôter les aides pour ces personnes qui mettront plus de temps à s’en remettre, mais il faut aussi aider ceux qui sont en phase de croissance. Même pendant la pandémie, ils travaillent, produisent et forment. Comment aider l’ensemble de ces indépendants ?

M. Bernard Perrut. J’ai participé aux auditions, j’ai été attentif aux propos qui ont été tenus sur cette allocation pour les travailleurs indépendants. Nous avons encore un grand nombre d’interrogations, monsieur le ministre, parce que cette allocation est peu sollicitée, que les critères sont exigeants, qu’elle ne bénéficie pas à beaucoup de personnes. Seules 2 500 demandes d’ATI avaient été enregistrées par Pôle emploi, moins de mille demandes ont abouti. Vous connaissez les chiffres et nous ne pouvons qu’avoir un avis assez négatif.

Je voudrais revenir, monsieur le ministre, sur des propos que vous avez tenus le 8 décembre 2020. Vous déclariez vouloir améliorer l’accès à l’allocation chômage des travailleurs indépendants et vous disiez : « Je ferai dans les prochaines semaines des propositions à Bruno Le Maire et au Premier ministre. Il faut qu’on arrive à mettre en place une assurance chômage pour les indépendants. » Vous poursuiviez : « Pour l’instant, le critère générateur est le dépôt de bilan. Est-ce qu’on peut en avoir un autre ? Je suis prêt à regarder cela, mais c'est difficile. » Vous nous disiez encore : « En dehors de la pandémie, dans une économie normale, à quel moment l’indépendant touche-t-il le chômage ? Qui choisit, sur quels critères ? Est-ce parce qu’il y a un secteur ou un territoire en difficulté ? Quel taux de cotisation chômage les entrepreneurs sont-ils prêts à payer ? » Vous indiquiez d’ailleurs exclure que tous les salariés paient pour les indépendants.

Il reste à savoir, puisque nous avons la chance de vous compter parmi nous aujourd’hui, monsieur le ministre, quelles réponses peuvent être apportées aux interrogations que vous exprimiez et aux propositions que vous vouliez soumettre.

Devant la difficulté pour bénéficier de ce dispositif, les indépendants souhaiteraient des évolutions. Cette allocation, jugée insuffisante pour répondre au contexte de la crise économique, ne mériterait-elle pas d’être revue ? Ne faut-il pas revoir ce dispositif, au moins jusqu’au 30 juin 2022 comme le demandent certaines organisations ? Ne faut-il pas abaisser la condition d’ancienneté de deux ans à un an d’exercice ? Ne faut-il pas porter le montant de l’indemnisation à 1 000 euros mensuels sur une période de six mois ?

Bien sûr, ces mesures exceptionnelles n’auraient pas forcément vocation à être pérennisées dans le temps, mais nous voyons bien que les conséquences de la crise économique brutale que nous connaissons sont tragiques. De nombreux dirigeants d’entreprise n’avaient pas anticipé une éventuelle liquidation. L’allocation instaurée en 2019 doit à notre sens être repensée en dispositif d’urgence dans l’immédiat, pour aider rapidement celles et ceux qui ont tout perdu pendant la crise. Nous devons être à leurs côtés.

Enfin, je voudrais dire un dernier mot sur la situation de tous ceux qui travaillent dans le domaine de l’évènementiel, que j’ai reçus encore en début de semaine. Ils ont subi de plein fouet la crise sanitaire comme d’autres, mais de façon encore plus marquée, avec pratiquement une année sans activité. Il s’agit souvent de petites entreprises, de micro‑entreprises, d’entreprises comptant très peu de salariés, marquées par une immense fragilité. J’aimerais connaître, monsieur le ministre, votre vision. Où en sommes-nous ? Que pouvez-vous faire pour les aider et les sauver ?

M. Jean-Pierre Door. Monsieur le ministre, je crois que le commerce et l’artisanat ont terriblement souffert pendant cette première période de crise sanitaire. Ils ont eu l’espoir, à un moment, que tout allait s’ouvrir, que la crise était passée. Malheureusement, avec la deuxième vague, peut-être la troisième vague, nous voyons s’enfoncer les artisans et les commerçants. Beaucoup d’associations de commerçants ont développé le fameux click and collect. Ils ont essayé de se sauver avec ce système. Beaucoup de collectivités locales, de centres-villes, de villes ont aidé les commerçants en donnant un chèque de 10 euros pour 20 euros d’achats par exemple, en allant en direction des consommateurs. Nous avons aussi vu la colère des commerçants lorsque les grandes surfaces ont été ouvertes, au détriment des centres-villes. Je pense notamment aux libraires et aux médiathèques. L’aide du Gouvernement a été importante, sur les loyers, les cotisations sociales et le report des crédits. L’ATI est certainement intéressante.

En plus de l’évènementiel, j’ai aussi eu des questions qui concernent les auto-entrepreneurs comme les forains qui se posent des questions, puisqu’il n’existe plus du tout de manifestations foraines. Comment les indemniser ?

Enfin, ma dernière question est majeure : qu’envisagerons-nous de faire lorsque tous les rideaux seront fermés, lorsque tout s’effondrera ? Beaucoup s’effondreront et, si cela continue, nous risquons d’avoir des pertes nombreuses. Quelle sera la réaction de votre ministère, monsieur le ministre ?

Mme Michèle Peyron. Monsieur le ministre, je tenais également à saluer votre engagement, aussi bien en tant que président de l’U2P que, depuis quelques mois, en tant que ministre délégué aux petites et moyennes entreprises.

Aujourd’hui, je porte la question de ma collègue Nicole Trisse, députée de Moselle, qui ne peut être des nôtres. Elle écrit : « En Alsace-Moselle, nombreux sont les boulangers-pâtissiers ayant un salon de thé. Depuis plusieurs mois maintenant, la partie salon de thé est fermée au même titre que les restaurants et les cafés, ce qui fait baisser lourdement le chiffre d’affaires de l’entité. Or ils ne perçoivent que 1 500 euros du fonds de solidarité, alors qu’ils sont doublement pénalisés, par la fermeture du salon du thé qui concerne bien souvent la moitié de leur chiffre d’affaires global, mais aussi par le manque à gagner côté boulangerie-pâtisserie :il y a moins de gens de passage, donc moins de ventes. Ces petits salons de thé ne sont pas tous dans des endroits hyper touristiques, des centres-villes. Ils remplacent souvent le bistrot, le café qui n’existe plus dans nos petites villes. Ils demandent un fonds de solidarité qui puisse être à la hauteur de la perte d’affaires du salon de thé, sans tenir compte de l’aspect boulangerie-pâtisserie. Relevant du code d’activité principale exercée (APE) de boulanger, ils ne sont ni sur la liste S1 ni sur la liste S1 bis. »

Mme Josiane Corneloup. Monsieur le ministre, votre présence est l’occasion d’évoquer avec vous les nombreuses difficultés que nous rencontrons en circonscription concernant les travailleurs indépendants. Ils sont en proie à un grand désarroi aujourd’hui, alors que ce sont des personnes qui prennent des risques au quotidien.

L’impact de la crise sur les indépendants est considérable. Les entreprises doivent formaliser leurs demandes d’aide en ligne. Toutefois, si le code APE n’est pas dans cette fameuse liste S1 ou S1 bis, l’outil en ligne refuse automatiquement la demande. De très nombreuses entreprises ont ainsi été automatiquement exclues de l’attribution de ces aides. Je ne vous citerai que deux exemples.

J’ai rencontré dans ma circonscription une commerçante non sédentaire qui vend des casques de moto et des accessoires Harley-Davidson dans les salons et dans les foires. Elle a vu son code APE rejeté dans un premier temps, son activité ne faisant effectivement pas partie des activités éligibles aux aides gouvernementales. Elle n’a donc perçu aucune aide en juillet et août et n’a pu prétendre à celles d’octobre et novembre. Après être intervenue auprès de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) et de M. le préfet, le code APE a été réintégré. Il s’est avéré qu’il s’agissait d’une erreur, ce qui lui a permis d’être indemnisée pour les deux derniers mois d’octobre et novembre. Elle a alors sollicité la direction générale des finances publiques (DGFiP) aux fins de régularisation des mois de juillet et août 2020. Il a été impossible d’avoir une suite à sa demande et la DGFiP l’a orientée vers le tribunal administratif (TA). Nous connaissons tous les délais du tribunal administratif. Une procédure est à ce jour en cours. Je suis extrêmement étonnée de ce recours. Cela conduit à des délais considérables, qui mettent cette commerçante dans des difficultés très importantes.

L’autre exemple concerne un code APE qui correspond à une activité de location de machines, d’équipements et de biens matériels. Il se trouve que l’entreprise concernée loue effectivement du matériel, mais ce sont des chapiteaux destinés à des évènements. Bien évidemment, elle n’a plus aucune activité aujourd’hui. Là aussi, un véritable bras de fer s’est engagé avec les services de l’État pour que cette entreprise puisse bénéficier des aides. Nous sommes actuellement toujours dans des négociations extrêmement complexes et longues qui mettent en difficulté cette entreprise. Les conséquences sont tragiques, tant en termes financiers qu’en termes humains.

M. Alain Griset. Madame la députée Caroline Janvier, il existe effectivement 3,2 millions de travailleurs indépendants. En ce qui concerne la détection des difficultés, le Garde des Sceaux, M. Dupond-Moretti, et moi-même avons voici quelques mois demandé aux présidents des tribunaux de commerce de nous remettre un rapport « flash » sur la question des défaillances d’entreprises. Nous avons insisté pour que, dans ce rapport, un travail soit mené sur la prévention des difficultés. Plusieurs d’entre vous ont dit que, bien souvent, les travailleurs indépendants en difficulté ont tendance à ne pas agir suffisamment vite. La volonté du Gouvernement est, par l’intermédiaire des signaux faibles, à la première alerte, d’essayer de travailler pour éviter cette procédure qui les amène devant les tribunaux ce qui est pour beaucoup d’entre eux difficile à supporter. Nous souhaitons détecter très vite ces signaux faibles et regarder comment, en accompagnant les entreprises, nous pourrions éviter que cela dérive et qu’une première difficulté, souvent légère, se transforme en catastrophe humaine et financière. Des mesures dans cette direction figureront peut-être dans le travail que j’effectue actuellement.

Dans ce cadre, nous sommes aux prises avec la question de la confidentialité des dossiers. Nous faisons face à quelques sujets un peu compliqués, tels que le règlement général sur la protection des données (RGPD) et autres, mais je pense qu’il est important que nous parvenions à avancer.

J’ajoute une petite précision collective : l’esprit général du statut d’autoentrepreneur, au départ, puis de la micro-entreprise, est celui d’un statut juridique et, malheureusement, beaucoup de ceux qui utilisent ce régime fiscal et social dérogatoire pensent qu’ils sont dans un statut juridique, alors que ce n’est pas vrai. En réalité, ils sont travailleurs indépendants, et ce régime fiscal et social est un régime dérogatoire du droit commun. Beaucoup de ceux qui utilisent ce régime n’ont même pas imaginé qu’ils sont travailleurs indépendants, avec les conséquences que cela peut avoir pour eux. Je pense que nous avons un effort collectif majeur d’information à réaliser dès l’inscription, pour éviter les ambiguïtés et pour que toutes ces personnes volontaires pour entreprendre ne se retrouvent pas dans des situations parfois particulièrement difficiles.

Monsieur le député Viry, nous nous connaissons depuis longtemps et avons déjà eu l’occasion d’évoquer un certain nombre de sujets. Je rappelle d’abord pour l’ensemble des parlementaires présents les dispositifs mis en place depuis le mois de mai : le fonds de solidarité, le prêt garanti par l’État, l’activité partielle, l’exonération ou le report de cotisations.

650 000 prêts garantis par l’État (PGE) ont été mis en œuvre, pour environ 132 milliards d’euros. Avec Bruno Le Maire, nous avons, en accord avec les banques, décidé de prolonger jusqu’au 30 juin l’accès au PGE, avec maintenant deux années de différé, ce qui permet à ceux qui ont emprunté de voir l’avenir de façon un peu plus sereine. Une discussion est engagée pour essayer de prolonger les quatre années de remboursement.

Le fonds de solidarité a été mis en place au mois de mars : 1 500 euros, avec comme conditions la perte de plus de 50 % du chiffre d’affaires, avoir un revenu inférieur à 60 000 euros l’année précédente, employer moins de dix salariés et déclarer moins d’un million d’euros de chiffre d’affaires. J’ai été nommé ministre le 6 juillet et j’ai travaillé sur ce dispositif avec Bruno Le Maire. Le fonds de solidarité de 1 500 euros est passé depuis le mois de novembre à 10 000 euros pour les entreprises relevant des secteurs S1 et S1 bis et, à partir du mois de décembre, toutes les catégories les plus en difficulté bénéficient de 10 000 euros ou de 20 % du chiffre d’affaires. Depuis le mois de janvier, nous avons rajouté le dispositif dit « Frais fixes », ce qui fait que l’accompagnement des entreprises est exemplaire. Beaucoup de ceux qui sont en difficulté perçoivent plus avec le fonds de solidarité qu’ils n’auraient touché avec l’ATI.

J’accepte très naturellement vos observations. Je ne me raccroche pas aux branches. Je suis arrivé au mois de juillet, nous avons pris la situation en main très rapidement et, sur le plan des indépendants, il faut prendre le temps de la concertation, dans des secteurs où les représentants sont très nombreux. Croyez bien que nous n’allons pas perdre de temps dans ce travail. Nous ferons tous le bilan des actions menées par la France à l’occasion de cette crise et chacun constatera que nous avons sûrement été l’un des pays qui a le plus accompagné sa population, y compris et surtout les travailleurs indépendants, puisque le fonds de solidarité a été créé à l’origine spécifiquement pour les travailleurs indépendants et les plus fragiles. Ce premier fonds de solidarité de 1 500 euros a été conçu pour eux ; ceux qui n’ont pas touché 1 500 euros sont ceux qui n’avaient pas déclaré 1 500 euros. Le principe du fonds de solidarité est en effet de ne pas verser plus que ce qui avait été déclaré l’année précédente. Ceux qui avaient déclaré 300, 400 ou 500 euros ne pouvaient pas espérer toucher les 1 500 euros. Je pense que nous avons été au rendez-vous et le Gouvernement a pris l’engagement de continuer à accompagner les entreprises tant que la situation sera difficile.

Je n’ai pas du tout critiqué la décision des partenaires sociaux, monsieur le député ; j’en faisais partie. J’ai dit que la décision unanimement prise par les huit acteurs l’avait été pour éviter des effets d’aubaine et pour éviter que le dispositif ne dérape, alors qu’il n’existait pas de cotisation. C’était donc une bonne décision à l’époque, une première étape. Je considérerais comme naturel que nous puissions solliciter à nouveau les partenaires sociaux, pour que chacun refasse l’état des lieux. Personne n’avait imaginé à cette époque que nous traverserions une crise sanitaire de cette ampleur ; je crois que cela permettrait à chacun d’analyser ce qui a été fait. Je pense qu'à l’époque, il était normal de procéder ainsi mais il faut maintenant en tirer les conclusions. Nous ferons le maximum pour apporter les réponses voulues.

En ce qui concerne le calendrier, je distingue deux étapes pour les travailleurs indépendants. L’étape actuelle est une étape de crise, spécifique, que j’espère unique, qui nécessite des réponses immédiates, adaptées à la crise. Ensuite, j’espère qu’il existera toujours des travailleurs indépendants, peut-être beaucoup plus, et il faut donc que nous trouvions des mesures de long terme, qui ne sont pas des mesures liées à la crise. J’y travaille et c’est la raison pour laquelle j’évoque d’autres sujets, tels que la protection sociale, la question des statuts juridiques, le problème de la transmission, des conjoints et autres. Je ne ferai de mauvais procès à personne en rappelant ce qu’il s’est passé pour les travailleurs indépendants dans le passé. Le passé est le passé, intéressons-nous plutôt à l’avenir. Tout le monde apprécie les travailleurs indépendants. Tant mieux, et j’espère que nous aurons le soutien de tous pour un plan que je souhaite extrêmement important.

Madame la députée Fontenel-Personne, je constate comme vous, et je le regrette, que certains travailleurs indépendants ne connaissent pas tous les dispositifs. Pourtant, il existe aujourd’hui bon nombre de structures pour les renseigner – organisations consulaires, organisations professionnelles, experts-comptables, notaires – et le Gouvernement a mis en place un numéro de téléphone adapté, spécifique, auquel répondent tous les jours les agents de la DGFiP et de l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (Urssaf) pour informer les travailleurs indépendants qui auraient des questions sur les dispositifs. Nous voyons bien que, dans cette société de communication, certains travailleurs indépendants peuvent malgré tout méconnaître ou ne pas utiliser les dispositifs.

J’évoquais le fait que plus de 650 000 entreprises ont bénéficié du PGE. Pour le fonds de solidarité du mois de novembre, lorsque beaucoup d’entreprises ont été fermées, le fonds de solidarité a été ouvert dès le 4 décembre et, le 28 décembre, nous avions versé des fonds à 970 000 entreprises. Nous avons payé en trois semaines et je crois que de très nombreux entrepreneurs utilisent aujourd’hui ces outils. Le fonds de solidarité est financé, l’activité partielle est financée, l’exonération de cotisations sociales est financée. Seul le PGE devra être remboursé. Je pense que nous sommes au rendez-vous pour accompagner les entrepreneurs.

En ce qui me concerne, je suis naturellement favorable à l’accompagnement et à l’information les plus développés possibles, pour celui qui se met à son compte. Il est important que chacun sache que se mettre à son compte n’est pas un acte anodin, qu’une information soit donnée sur les conséquences de ce choix de se mettre à son compte et sur les risques encourus, même si je souhaite que nous les limitions. Nous n’arriverons néanmoins jamais à supprimer les difficultés. J’ai mentionné le travail que nous réalisons avec mon collègue, le Garde des Sceaux, sur la détection précoce des difficultés des entreprises, qui est fondamentale.

Monsieur le député Christophe, je pense qu’il restera toujours une interrogation sur le principe de cotiser ou non. Je ne sais pas à quel sondage, madame la députée Six, vous faites référence car, moi qui connais bien les indépendants, je n’en vois pas 97 % souhaitant payer des cotisations. En ce qui me concerne, dans le plan que je proposerai au Premier ministre et au Président de la République, je n’envisage pas d’augmenter les cotisations des indépendants. Je vous le dis très clairement. Nous pouvons étudier comment réallouer des cotisations dans une enveloppe globale mais, aujourd’hui, il n’est pas envisageable d’ajouter des cotisations, alors que la très grande majorité des indépendants considèrent qu’ils paient trop.

Le dispositif comporte un critère de revenu, un critère de durée, que nous pouvons examiner, ainsi que des critères sur la cause, que nous pouvons étudier aussi. Nous évoquions la faillite ; la pandémie peut-elle être une cause ? À titre personnel, je pense que oui. Pouvons-nous envisager d’autres causes ? Il est indispensable que les partenaires sociaux soient sollicités sur ce sujet.

Les travailleurs indépendants ont des représentations officielles. Il existe beaucoup d’organisations qui disent représenter des indépendants, mais il existe des organisations représentatives qui auront sûrement des propositions intéressantes sur ces sujets. En ce qui me concerne, je suis ouvert.

C’est vrai que 800 euros est une somme insuffisante, mais tout cela est relatif, cela dépend combien chacun paie et à quoi chacun a droit. Pour celui qui n’a rien payé, 800 euros représentent beaucoup. Ceux qui paient des cotisations diront : « Attendez, ils ne paient pas et reçoivent quand même 800 euros. » Ces sujets sont très compliqués et vous avez indiqué à juste titre qu’une partie non négligeable n’avait pas eu droit au fonds parce qu’ils ne répondaient pas au critère de chiffre d’affaires. Cela signifie qu’ils n’avaient pas des revenus suffisants (10 000 euros) et, néanmoins, ils espéraient avoir 800 euros par mois, donc plus que les revenus qu’ils avaient déclarés les années précédentes.

Le dispositif d’ATI prévoit des critères d’éligibilité, des critères de montants, des critères de cotisations. J’ai effectivement indiqué tout cela au mois de décembre, monsieur le député Perrut, car je crois que chacun doit bien regarder quels sont les éléments dont nous parlons au sujet de l’ATI. Il faut regarder les critères d’accès, les montants de cotisation, les niveaux de prestation. Si nous ne traitons pas l’ensemble de ces sujets, certains voudront plus, ce qui implique de payer, d’autres ne voudront pas payer et voudront moins, d’autres demanderont quels sont les critères. Je suis vraiment très intéressé par des échanges sur ces sujets, d’un point de vue technique, avec les différentes organisations et les responsables politiques, quels qu’ils soient, pour que nous soyons bien d’accord sur l’objectif, en ayant toujours à l’esprit le fait qu’il faut être attentif aux effets d’aubaine et aux enjeux de justice.

Je rappelle, monsieur le député Viry, que l’Unédic ne gère pas que les cotisations des employeurs, mais aussi de la fiscalité, des impôts. J’ai déjà entendu les représentants des syndicats de salariés demander pourquoi des droits sont ouverts, en l’absence de cotisations. La question de la cotisation se pose, mais aussi la question de la façon dont l’Unédic, financièrement, est équilibrée ou non, avec, déjà aujourd’hui, un financement pour partie par l’impôt. Ce sont des sujets qui iront d’ailleurs au-delà des travailleurs indépendants.

Madame la députée Dubié, vous imaginez bien qu'il ne m'appartient pas d’indiquer ce que la ministre Élisabeth Borne annoncera, mais je pense que la situation est effectivement particulière pendant la crise. Pendant la crise, avec Bruno Le Maire, nous essayons d’accompagner les plus fragiles et nous y parvenons globalement avec le fonds de solidarité. Il peut néanmoins exister des cas difficiles, pour lesquels nous sommes toujours à l’écoute.

Monsieur le député Delatte, lorsque nous parlons aujourd’hui de l’ATI, il faut faire de la prévention, mais il faut effectivement aussi travailler sur les entreprises qui peuvent se développer. Le plan de relance a pour objectif d’accompagner les entreprises dans leur transformation, dans l’investissement. En plus du PGE, Bruno Le Maire a annoncé le lancement des prêts participatifs à partir du 1er avril, pour 20 milliards d’euros. Nous avons également un dispositif d’avances remboursables. Notre objectif est d’accompagner toutes les entreprises qui ont des projets, afin que l’économie reprenne le plus vite possible. L’activité économique est d’ailleurs aujourd’hui supérieure à 90 %, malgré la crise sanitaire.

Monsieur le député Perrut, je vous confirme que la question de l’ATI et de la protection sociale des indépendants nécessite de bien étudier les sujets de base, d’assiette, de droits, de cotisation pour que nous ayons un dispositif équilibré. C’est très important. Mon principe, au regard de mon parcours, est celui de la concertation. Nous le faisons, mais rapidement, puisque j’ai évoqué la question en décembre et que la concertation sera pratiquement terminée le 31 mars. Nous aurons dans les prochaines semaines la possibilité de commencer à faire des propositions. Malgré cette période compliquée, nous avons donné aux organisations le temps de nous présenter des propositions et j’ai pris l’initiative d’inviter les présidents des groupes parlementaires de l’Assemblée et du Sénat pour leur proposer également de contribuer à ces propositions pour les travailleurs indépendants. Je pense que nous devons mener un travail de fond.

Vous avez aussi évoqué l’évènementiel. Je passe actuellement 90 % de mon temps à recevoir des représentants des différentes branches. Notre pays a une économie extrêmement riche, dans sa diversité. J’ai découvert, je le reconnais, la complexité de l’indoor, qui regroupe des bowlings, des salles d’escalade, des laser games. Nous sommes allés dans le détail, activité par activité, pour connaître le modèle économique et étudier les frais fixes. Je suis aussi allé récemment à Annecy et j’ai rencontré l’outdoor. J’ai rencontré les forains, les agences de voyages, les discothèques.

Avec l’évènementiel, nous avons eu un problème particulier. Lorsque nous avons reçu les représentants de l’événementiel, nous leur avons demandé quelles étaient les activités comprises dans l’événementiel. Personne n’a su nous répondre. L’évènementiel n’est pas un secteur économique en tant que tel. Ce sont de grands acteurs, avec une multitude de métiers, d’activités qui viennent ponctuellement apporter leur savoir-faire ou leur soutien aux manifestations. Nous avons essayé de regarder s’il n’existait pas un code, une référence pour faire entrer ces entreprises dans les listes S1 et S1 bis, pour les accompagner. Encore aujourd’hui, s’il reste un code inadapté, nous sommes prêts à l’intégrer, dès lors qu’il correspond à la réalité de l’activité économique touchée. Je peux vous assurer que nous avons, avec mes conseillers, accompli un travail de précision pour aller au bout de tout ce que nous pouvions et trouver tous les acteurs concernés par l’évènementiel.

Le fonds de solidarité est ouvert à tout le monde, sans exclusion. Sont prévus différents niveaux : le niveau compris entre 10 000 et 200 000 euros concerne les plus touchés, ceux qui sont fermés, ceux qui dépendent de ceux qui sont fermés ; ensuite, nous avons laissé, pour ceux qui ne font pas partir des listes S1 et S1 bis, le dispositif de base à 1 500 euros, sous la condition d’une perte du chiffre d’affaires de 50 %. Aucune activité n’est exclue du fonds de solidarité, mais elles ne sont pas toutes touchées au même niveau.

Madame la députée Corneloup, il est possible que, dans la masse de dossiers, certains posent des difficultés. Tous les jours, arrivent à mon cabinet des dossiers en difficulté. Donnez-nous les noms et nous les traiterons individuellement, puisque nous en sommes aujourd’hui à traiter des cas spécifiques, la très grande majorité étant traitée automatiquement. Les codes APE servaient à des statistiques. Ils ne constituent pas l’alpha et l'oméga ; les codes APE ne sont devenus importants que lorsque nous les avons utilisés pour mettre en place le fonds de solidarité. Il est possible que des entreprises n’aient pas le bon code. Les services de l’État ont beaucoup travaillé au niveau territorial pour être à l’écoute des entreprises. Si vous connaissez des cas litigieux, donnez-nous les noms, mon cabinet prendra contact avec eux et fera le nécessaire. Notre objectif consiste à ne laisser personne sur le bord du chemin.

Les boulangers et salons de thé, plus globalement les commerces alimentaires, font débat. Il faut d’abord leur rendre hommage car ils ont toujours été ouverts, disponibles, y compris au début, dans des conditions sanitaires difficiles, ce qui a permis aux Français de continuer à avoir une alimentation correcte. Les bouchers et les charcutiers ont bien travaillé. Les boulangers ont bien travaillé aussi, mais la partie pâtisserie a été un peu fragile parce que les Français aimaient bien préparer des gâteaux à leur domicile. Certains boulangers ont étendu leur activité en salon de thé mais ont comme code APE « boulangerie », ce qui ne relève pas du code S1 ou S1 bis. Ils peuvent bénéficier du fonds de solidarité à 1 500 euros, à la condition de perdre 50 % de leur chiffre d’affaires. S’ils ne perdent pas 50 %, je pense que chacun comprendra que nous dépensons déjà beaucoup, dans une situation financière compliquée pour l’État, et nous ne pouvons pas compenser ceux qui perdent 10 %, 20 % ou 30 %. J’ai eu effectivement hier une conférence téléphonique lors de laquelle quelqu’un m’a dit : « j’ai enregistré 48 % de perte ». Certes, mais il faut des critères et le critère a été fixé à 50 %.

Néanmoins, quand une entreprise rencontre une difficulté, nous avons demandé aux Urssaf de faire preuve de la plus grande bienveillance et d’aller jusqu’à des annulations de cotisations pour ceux rencontrant des difficultés pour payer. Même sans fonds de solidarité, ces entreprises peuvent recevoir un soutien des Urssaf mais je ne crois pas que nous puissions envisager d’abaisser le critère en dessous de 50 %.

Monsieur le député Door, des commerces de centre-ville ont effectivement été fermés au mois de novembre mais nous avions aussi fermé les mêmes activités dans la grande distribution, dans un délai de 36 heures ; en effet, les mesures ont été annoncées le jeudi soir et, le samedi après-midi, le Premier ministre annonçait les mêmes fermetures dans la grande distribution. J’ai suivi cette séquence à la minute près et cela a été quasi immédiat.

C’est le moment où nous avons fait passer le fonds de solidarité de 1 500 à 10 000 euros, parce que les professionnels rencontraient des difficultés. Pour une très grande partie d’entre eux, compenser 10 000 euros de chiffre d’affaires a permis de compenser le chiffre d’affaires. Cela ne signifie pas que c’est facile, mais nous avons essayé de mettre en place un niveau de compensation important.

J’ai reçu les forains personnellement trois fois et mon cabinet les a reçus également, encore la semaine dernière. Les forains bénéficient du fonds de solidarité, ainsi que du PGE, de l’activité partielle et de l’exonération de cotisations sociales, au prorata de ce qu’ils ont perdu. C’est vrai qu’ils ne sont pas dans les secteurs S1 et S1 bis, donc la limite de 1 500 euros s’applique. Nous travaillons avec eux pour définir la façon de les accompagner dans la reprise des activités. D’autres sujets sont importants pour les forains, en particulier la possibilité d’accéder aux villes. Je respecte les forains qui apportent beaucoup dans l’animation des villes.

Par contre, permettez-moi de dire que je ne partage pas vos prédictions sur les rideaux fermés et sur la catastrophe économique que vous annoncez. Je me démènerai pour que cela n’arrive pas et le Gouvernement est déterminé à trouver des solutions afin que cela n’arrive pas. De mars à juillet, dans mes anciennes fonctions, je travaillais avec Bruno Le Maire pour mettre en place des dispositifs pour les travailleurs indépendants. Nous pouvons ressortir les articles de presse. Dès le mois d’avril, des économistes et des journalistes nous disaient : « cela va être la catastrophe ». Au mois de mai, ils disaient : « ce sera l’apocalypse » et au mois d’août : « ce sera un tsunami ». Au mois de décembre, nous ne savions même plus s’il existerait encore une économie.

Pour l’instant, en 2020, nous avons enregistré 30 % de défaillances en moins. Pour quelle raison ? Parce que la France a accompagné les entreprises. En janvier et en février 2021, nous sommes sur la même tendance. Je ne sais pas ce qui arrivera mais je constate que, l’année dernière, lorsque l’activité a repris le 11 mai, l’activité économique avait repris tout à fait correctement durant les mois de mai, juin, juillet, août et septembre avant que le virus ne revienne. Nous n’avions pas vu d’effondrement des entreprises.

Certes, les entreprises sont plus fragiles aujourd’hui. Lorsque vous avez subi deux confinements, la situation est compliquée mais, à partir du moment où nous continuons à les accompagner, je ne pronostique pas d’effondrement, malgré les difficultés et l’accompagnement qui sera nécessaire dans certaines branches qui auront du mal à redémarrer. En tout cas, nous ferons tout ce que nous pourrons pour éviter un effondrement qui signifierait que, au lieu de 50 000 défaillances par an, soit la moyenne de la vie naturelle de l’économie, nous passions à 200 000 ou 300 000, ce qui représenterait une véritable catastrophe. Je peux vous assurer que nous essaierons de trouver toutes les solutions pour éviter cela, car j’ai une conscience profonde du fait que ces drames économiques s’accompagnent de drames personnels et familiaux. Lorsqu’un indépendant ferme son entreprise, s'y ajoutent des problèmes familiaux, de couple parfois et des problèmes individuels. Il faut collectivement que nous évitions tous ces drames. Nous essaierons de mettre en place les dispositifs nécessaires pour accompagner les plus fragiles et j’espère que la reprise économique sera suffisante pour permettre à chacun de repartir dans de bonnes conditions.

Voici les éléments que je pouvais vous donner. L’ATI est un sujet en soi, d’autant plus qu’il s’agit d’un engagement du Président de la République. Il a été mis en œuvre, dans un premier temps, dans des conditions qui n’ont pas permis à un grand nombre d’en bénéficier. Il est sûrement temps de regarder comment faire évoluer la situation. Cela pourra peut-être se faire dans le cadre général des indépendants.

En tout cas, vous serez, mesdames et messieurs les parlementaires, en situation d’aborder ces sujets, dans le cadre du PLFSS en particulier, pour que notre économie puisse bénéficier de cette myriade de travailleurs indépendants indispensables à sa vitalité, au fonctionnement des territoires, au lien social, à la formation. Lorsque je cite tous ces thèmes, vous comprenez combien je suis attaché à ce que nous trouvions des solutions adaptées en instaurant de l’équité, de la justice et, au bout du compte, la reconnaissance de tout ce qu'accomplissent ces femmes et ces hommes pour apporter leur contribution à l’économie.

J’ai bien dit « ces femmes et ces hommes » car nous travaillons aussi de façon spécifique sur la finalisation de toutes les questions relatives aux conjoints collaborateurs et sur le fait de donner autant de chances aux femmes qu’aux hommes pour créer ou reprendre des entreprises. J’y travaille avec les associations qui les représentent.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie pour ces réponses aussi claires et précises que les questions des députés. Nous avons compris que la situation évoluera en fonction de la crise sanitaire et des concertations actuellement menées.

M. Dominique Da Silva, rapporteur. Je ne vois pas l’ATI comme un revenu de remplacement et ce référentiel au revenu ne me semble donc pas bon. Pour moi, l’ATI reste une allocation, de la même façon que l’allocation de solidarité spécifique pour les salariés. Même en fin de droits, chacun doit pouvoir bénéficier d’un droit au rebond. Je pense, monsieur le ministre, qu’il faut avoir cela à l'esprit ; je crois qu’on se trompe en retenant cette logique d’un revenu de remplacement. Je le considère vraiment comme une solution pour des personnes qui ont tout perdu, à qui nous devons ce rebond, sans forcément regarder ce qui a été perçu car, comme cela a été rappelé, un indépendant commence par se serrer la ceinture et par ne pas se payer pour pouvoir tenir. En prenant comme référentiel le revenu, le juste retour pour tous ces sacrifices et toutes les économies mises dans l’entreprise, qui ont profité à l’économie, n’est pas là.

Je suis heureux d’avoir organisé ce cycle d’auditions. Vos réponses et celles de tous les intervenants ont été riches et j’ai hâte de voir les résultats des réflexions engagées, avant la fin de ce mandat je l’espère, pour que les travailleurs indépendants qui contribuent énormément à l’économie nationale puissent être justement aidés.


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3.   Réunion du 6 avril 2021

Lors de sa réunion du 6 avril 2021, la commission examine le rapport d’information sur l’allocation des travailleurs indépendants dans le contexte de la crise de la covid-19 (M. Dominique Da Silva, rapporteur). ([15])

Mme la présidente Fadila Khattabi. Dans le cadre des travaux de suivi de la crise sanitaire et sociale dans toutes ses dimensions, notre commission s’est saisie de l’importante question de l’allocation des travailleurs indépendants (ATI) pendant la crise. Elle a procédé à un cycle d’auditions au cours du mois de mars, dont la préparation a été confiée au rapporteur Dominique Da Silva, que je remercie pour son implication et la qualité du travail mené.

M. Da Silva présente aujourd’hui les conclusions de ces travaux et les propositions qu’il formule pour remédier aux difficultés rencontrées dans la mise en place de cette nouvelle allocation, instaurée le 1er novembre 2019. Les différentes auditions ont permis d’entendre, notamment, Pôle emploi, l’Unédic, les représentants des travailleurs indépendants et le ministre chargé des petites et moyennes entreprises. Elles ont mis en évidence un nombre de bénéficiaires effectifs de cette allocation très en deçà des prévisions initiales et des critères d’éligibilité probablement trop restrictifs.

M. le rapporteur Dominique Da Silva. Qui sont les travailleurs indépendants ? Ce sont 3,3 millions d’entrepreneurs, soit 10 % de la population active, qui n’ont aucune protection sociale au titre du chômage. Il existe deux statuts : un statut de travailleur salarié, bien protégé, et un statut de travailleur non salarié ou assimilé salarié, c’est-à-dire, en fait, des salariés qui ont une protection sociale sans assurance chômage.

Plus de 800 000 entreprises sont créées chaque année et 2020 a été une année record, avec plus de 848 000 créations d’entreprises, soit 4 % de plus qu’en 2019. C’est un paradoxe, mais c’est un fait.

L’ATI fait suite à une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron. Elle est entrée en vigueur le 1er novembre 2019, en application de la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel. À l’époque, un sondage BVA-La Tribune stipulait que 86 % des Français et 91 % des indépendants approuvaient cette allocation chômage pour les indépendants. Elle est déjà en place dans six autres pays européens : le Danemark, l’Espagne, la Finlande, le Luxembourg, le Portugal et la Suède.

L’élaboration du dispositif est fondée sur une mission de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des finances (IGF), qui a établi un rapport en octobre 2017, portant sur ce qui était alors appelé l’ouverture de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants. La mission rappelait en conclusion la nécessité de définir le risque à assurer avec prudence, quitte à faire évoluer le dispositif dans le temps une fois que davantage de données auraient été collectées. Nous disposons maintenant de ces données et nous pouvons avoir une autre analyse.

Le Gouvernement avait retenu un texte assez conforme à l’esprit de prudence de la mission. L’étude d’impact du dispositif prévoyait pourtant 29 300 bénéficiaires potentiels et un coût de 140 millions d’euros, avec des mesures jugées assez restrictives.

Le dispositif en vigueur consiste en une allocation de 800 euros par mois pendant six mois, sous condition de cinq critères d’éligibilité cumulatifs : figurer dans une liste d’activités qui donnent droit à l’ATI ; avoir cessé son activité suite à une liquidation judiciaire ou à un redressement judiciaire ; avoir exercé son activité pendant au moins deux ans sans interruption et au titre d’une seule et même entreprise ; avoir généré au moins 10 000 euros de revenu d’activité par an au titre de l’activité non salariée ; disposer de ressources personnelles inférieures au montant du revenu de solidarité active (RSA).

Un premier bilan, un an après la mise en place de l’allocation, a montré qu’environ 800 dossiers, sur 2 352 demandes déposées, avaient abouti au versement de l’allocation en novembre 2020. Lors de son audition, Pôle emploi nous avait donné le chiffre de 911 bénéficiaires, correspondant à 3 millions d’euros engagés à la fin de l’année 2020. Seize mois après l’entrée en vigueur du dispositif, le bilan est donc très maigre, comparé aux près de 30 000 bénéficiaires attendus, pour un coût prévu de 140 millions d’euros.

D’où provient ce décalage ? Ce n’est pas un problème de mise en œuvre puisque Pôle emploi semble avoir fait le nécessaire. Il existe un site dédié et une recherche sur Google avec les mots-clés « allocation indépendants » ou « chômage indépendants » renvoie ce site en première page. La communication sur Internet est donc bien présente. Pôle emploi s’engage à détecter les publics dès leur inscription. Il existe également des questionnaires et je pense que nous ne pouvons pas incriminer un problème de mise en œuvre.

La difficulté provient des conditions d’accès, bien trop restrictives. Nous constatons d’abord une cause de rejet positive : celle qui donne droit à l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE). En effet, un certain nombre d’entrepreneurs ont été salariés au cours des trois dernières années et peuvent donc se saisir des droits liés à leur ancien contrat de travail. Cela montre aussi que beaucoup d’entreprises ne passent pas le cap des trois ans puisque cette situation concerne 23 % des dossiers, donc un nombre assez significatif.

Les motifs de rejet de l’allocation des travailleurs indépendants sont les suivants : le seuil de revenu d’activité minimal de 10 000 euros en moyenne par an, qui explique 74 % des refus ; la cessation d’activité par procédure judiciaire, liquidation judiciaire ou redressement judiciaire, pour 10 % des cas ; les ressources personnelles supérieures au RSA, dans 9 % des cas. Les autres critères ne motivent le rejet que pour 7 % des dossiers et ne sont pas essentiels.

Comme je l’ai dit, 2020 est une année paradoxale puisque nous recensons un net recul, de 37,5 %, des procédures collectives par rapport à 2019, selon les chiffres du bilan national des greffes de tribunaux de commerce, avec 27 645 procédures, contre 44 000 environ l’année précédente. Les raisons en sont les aides de l’État – les mesures d’urgence et de soutien – mais aussi, comme cela m’a été rapporté par un président de tribunal de commerce, le fait que les créanciers, notamment les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF), n’assignent pas. Il est logique, en cette période, de ne pas aggraver la situation des gens et cela explique ce décalage.

Toutefois, en appliquant ce même taux de 37,5 % au bilan de l’ATI, nous constatons que nous ne sommes en fait qu’à 4 % des prévisions. La crise n’explique donc pas ce bilan. Les personnes auditionnées sont unanimes pour souligner que les critères d’éligibilité sont trop restrictifs.

Pour l’Unédic et les partenaires sociaux, la question de l’élargissement pose la question du financement. Leur point de vue est donc un peu différent. Cette ligne de fracture est nette, entre les partenaires sociaux qui gèrent l’assurance chômage autour de la table de l’Unédic et tous les autres acteurs qui accompagnent les chefs d’entreprise au quotidien, sans être concernés par le financement. Les positions des uns et des autres sont clairement différentes, tout simplement parce que certains sont chargés du financement et les autres non.

La liste des activités devrait être étendue. Il faudrait ouvrir le dispositif aux associés ; en effet, un certain nombre de dirigeants d’entreprise sont actuellement exclus du dispositif et, notamment, les associés, les gérants majoritaires, c’est-à-dire les principaux dirigeants des sociétés anonymes à responsabilité limitée (SARL) et des entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL). Ils n’ont pas droit à l’ATI même s’ils remplissent les conditions. Les micro-entrepreneurs ne sont pas exclus a priori du dispositif mais n’y ont pas accès en pratique puisqu’ils ne passent pas par une liquidation judiciaire.

En ce qui concerne les travailleurs des plateformes, la possibilité de considérer comme une cessation involontaire d’activité la déconnexion d’une plateforme est évoquée, avec le risque de tomber dans une forme d’intermittence en cas de déconnexions assez régulières. L’Union des entreprises de proximité (U2P) considère cela comme la création d’un troisième statut, dans sa contribution écrite.

S’agissant de la cessation d’activité définitive et dite « involontaire », le conseil des greffiers des tribunaux de commerce propose d’englober dans ce critère la liquidation amiable, idée que partagent les experts-comptables et l’Union des indépendants. Je soutiens également cette proposition. L’U2P ne la partage pas mais est à la table de l’assurance chômage qui finance le dispositif et peut craindre que cet élargissement mette à mal le financement.

La durée minimale d’activité, fixée à deux ans, ne fait pas débat. Il faut effectivement que l’activité ait une réalité dans le temps. Par contre, la question des revenus d’activité constitue un vrai sujet. Les greffiers des tribunaux de commerce considèrent qu’un abaissement du seuil serait bienvenu, tandis que le Syndicat des indépendants (SDI) propose de l’abaisser à 5 000 euros.

La condition de ressources personnelles est peu remise en cause. Les experts-comptables et le SDI proposent la suppression de cette condition, éventuellement au-delà de cinq ans, mais cette question n’a pas été énormément discutée.

Beaucoup d’acteurs partagent le constat de la nécessité d’un renforcement de l’information, avec des nuances. Le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, au cœur du système, suggère la centralisation de l’information sur une plateforme. L’Association de la garantie sociale des chefs d’entreprise (GSC) souhaite que soit instaurée une obligation légale d’informer à différentes étapes de la vie de l’entreprise.

La question du financement est un point d’achoppement pour l’Unédic et les partenaires sociaux qui redoutent l’élargissement du champ de l’allocation. Pour l’U2P, l’ATI devrait relever du régime de solidarité, un point que je partage évidemment. Compte tenu des modalités du dispositif, c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui.

Beaucoup sont favorables à des aides supplémentaires en période de crise, notamment les experts-comptables. Si une cessation d’activité est liée à la crise sanitaire, ils souhaitent que l’allocation soit prolongée durant douze mois. La GSC propose aussi un dispositif d’urgence jusqu’en juin 2022. Les autres recommandations reprennent le prolongement du versement à douze mois et l’augmentation de l’ATI au seuil de pauvreté de 1 069 euros.

L’ATI doit, je pense, être assumée comme une allocation chômage de solidarité, et non comme une assurance chômage, puisqu’il n’existe pas de cotisation. Il semble donc assez logique que ce soit une allocation forfaitaire.

Il faut s’entendre sur le rôle de l’ATI qui, à mon avis, sert à aider au rebond d’un travailleur modeste ayant perdu son outil de travail et son activité. Elle doit s’adresser à tous les travailleurs qui sont dans cette situation, quel que soit leur statut, ce qui n’est pas le cas actuellement. Il faut définir plus précisément à qui s’adresse l’ATI et combien de bénéficiaires seraient visés. Il m’apparaît que nous sommes loin d’atteindre le niveau des 29 300 bénéficiaires envisagés au départ, même en élargissant le dispositif.

Il faut réévaluer les cinq conditions, et d’abord la liste des activités. Certains travailleurs indépendants ont été exclus sans raison valable. Entre une entreprise individuelle et un gérant majoritaire, je ne vois pas quelle est la différence, dès lors qu’une cessation d’activité se produit via une liquidation judiciaire. Pourtant, l’un a droit à l’ATI et pas l’autre ; cela me semble assez cocasse.

Alors que les micro-entrepreneurs ne sont pas exclus sur le papier, nous savons bien qu’ils ne passent pas par la liquidation judiciaire pour arrêter leur activité. Ils ont donc en théorie droit à l’ATI mais n’y ont pas droit dans les faits.

Il faut aussi lever le doute concernant les pluriactifs : une très large majorité des micro-entrepreneurs – 71 % – sont des monoactifs et n’ont que leur activité d’indépendant, mais 29 % sont également salariés. Pour ces personnes, l’INSEE indique que la part salariée prend très largement le dessus. Si un pluriactif venait à se trouver sans emploi, il bénéficierait de toute façon de l’ARE, et non de l’ATI. Cette crainte de voir des gens demander l’ATI alors qu’ils tirent l’essentiel de leurs revenus de leur salaire n’a donc pas lieu d’être.

Le dispositif exige une cessation d’activité par liquidation judiciaire ou redressement judiciaire, ce qui est trop laborieux, trop lent ; d’une certaine façon, c’est aussi encourager la cessation d’activité pour avoir droit à l’allocation chômage. C’est un effet quelque peu pervers. Celui qui arrête son activité en limitant ses revenus pour ne pas créer de dettes est exclu de l’allocation des travailleurs indépendants, alors que celui qui se rémunère et fait faillite peut y prétendre. Je pense que c’est un non-sens, qu’il faut lever.

Pour moi, la notion de cessation involontaire d’activité est un point à redéfinir. Si un modèle économique n’est plus efficient et que la personne n’a pas les moyens de rebondir, il est de toute façon préférable d’arrêter, et d’arrêter sans créer de dettes. Je pense aussi qu’il est normal d’aider la personne à rebondir et de lui accorder l’allocation des travailleurs indépendants. Cette exigence d’un revenu d’activité d’au moins 10 000 euros est donc presque un non-sens, puisqu’elle oblige à creuser la dette. Au final, comme une liquidation judiciaire est exigée, des revenus qui viennent payer le travailleur sont des dettes qu’il faut assumer. Tout ceci est assez contradictoire.

La condition portant sur les ressources personnelles est essentielle pour éviter les effets d’aubaine. Nous voulons aider des travailleurs qui se retrouvent dans une situation difficile et c’est cet élément qui, de mon point de vue, est le critère important à apprécier au plus juste. Pour autant, je pense qu’il est bon d’éviter un effet de seuil au-dessus du RSA.

En reprenant le bilan national des entreprises (BNE) publié tous les ans par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, nous avons le détail – même s’il manque de précision – par statut juridique et nous pouvons en déduire approximativement le public-cible des travailleurs qui pourraient être concernés par l’ATI.

Dans le champ des redressements et des liquidations judiciaires, nous arrivons d’après mes calculs à 25 102 bénéficiaire potentiels. Il faut ensuite appliquer les critères, dont le droit à l’ARE ; celui-ci concerne 23 % des entrepreneurs qui sont d’anciens salariés et peuvent bénéficier de l’allocation de retour à l’emploi. Bon nombre d’entreprises n’atteignent même pas les deux ans d’activité ; j’évalue à partir des éléments du BNE leur nombre à 17 %. En partant de l’hypothèse haute selon laquelle un entrepreneur sur deux a moins de 10 000 euros de revenus la dernière année avant la liquidation de son entreprise, j’en arrive à des résultats qui me semblent assez cohérents et sont très en-deçà des prévisions de l’étude d’impact. J’arrive en effet à 8 000 cessations d’activité dans le champ des procédures judiciaires et à 26 800 dans le champ plus étendu des dissolutions judiciaires, ou liquidations, ce qui reste inférieur à la cible initiale de 29 300. Il faut y ajouter des critères que je ne peux pas évaluer précisément sur la réalité économique de l’entreprise.

L’élargissement de l’ATI au-delà des procédures judiciaires, en évitant de passer par la condition d’un revenu minimal, mais plutôt par une preuve de l’existence d’activité, ne fait donc pas craindre une explosion du nombre de bénéficiaires. En tout cas, entre le RSA sans limite de durée et une ATI limitée à six mois pour 250 euros de plus, je pense que l’effet d’aubaine éventuel n’est pas avec l’ATI mais plutôt du côté du RSA.

Je pense donc que nous pouvons élargir l’ATI et je formule plusieurs propositions. En premier lieu, je propose de l’élargir à tous les statuts de travailleur indépendant non-salarié et assimilé salarié, excepté de rares cas à préciser. Le site de Pôle emploi est peu lisible et je suggère plutôt d’accepter a priori tous les indépendants en précisant quels sont les cas non acceptés. En deuxième lieu, je propose d’élargir la condition de cessation d’activité involontaire et définitive à la liquidation amiable, dès lors qu’elle vise vraiment à anticiper un état de cessation de paiement. En troisième lieu, je propose que nous nous basions sur le chiffre d’affaires des deux dernières années, en considérant que, entre 10 000 et 50 000 euros de chiffre d’affaires, l’entreprise est en grande difficulté pour dégager un revenu correct. La personne qui arrête son activité avec un tel chiffre d’affaires peut donc être considérée comme quelqu’un qui anticipe une cessation de paiements. Je suggère de remplacer la condition de revenu d’activité par une condition de chiffre d’affaires, avec plusieurs possibilités : la déclaration de résultats que toutes les entreprises n’ont pas ou la déclaration de chiffre d’affaires des micro-entrepreneurs ou les déclarations de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). La plupart des entreprises doivent faire une déclaration de TVA à partir de laquelle il est possible de retrouver le chiffre d’affaires réalisé.

En quatrième lieu, je propose de relever le niveau de ressources au seuil de pauvreté, en prenant en compte l’ensemble des revenus en présence. Aujourd’hui, le seuil est fixé au RSA, en prenant en compte uniquement les revenus autres que les revenus d’activité. Je propose de remonter la limite à 1 000 euros mais en comptant tous les revenus sur les douze derniers mois avant la cessation définitive d’activité.

Ma cinquième proposition est destinée à prévenir un risque moral, pour ne pas encourager les cessations tous les deux ans. Je propose un délai de carence de cinq ans, comme c’est le cas pour accorder le droit au chômage à un salarié démissionnaire.

S’agissant de la diffusion de l’information sur le dispositif, je propose que les entrepreneurs soient informés du dispositif dès la déclaration de cessation d’activité. Il faut également informer tous ceux qui accompagnent le chef d’entreprise – experts-comptables, conseils… – de l’existence de l’ATI en cas de risque de cessation d’activité.

Je suggère également que l’ATI soit prolongée en cas de formation agréée par Pôle emploi, notamment en cas de préparation opérationnelle à l’emploi. Cela permettrait de former un entrepreneur qui a perdu son activité pour qu’il puisse rebondir dans un travail de salarié.

Je propose aussi d’autoriser le cumul avec l’allocation pendant la durée de six mois de l’allocation, et non pendant trois mois comme actuellement.

Il faut repenser le financement. C’est la principale question pour les partenaires sociaux et l’Unédic. Je crois que l’État devrait entièrement prendre en charge l’ATI et la sortir de l’assurance chômage. Cela pourrait se faire à travers la compensation de la contribution sociale généralisée (CSG), puisque l’État a reversé une partie de la CSG à l’Unédic justement pour prendre en charge cette allocation chômage, du fait qu’il n’existe pas de cotisation. L’Unédic juge que la compensation n’a de toute façon pas été totale en intégrant l’ATI mais, à travers cette fraction de CSG, nous pourrions sans doute permettre aux deux parties de s’entendre.

L’ATI est pour les travailleurs indépendants ce que l’allocation de solidarité spécifique (ASS) est pour les salariés en fin de droits. Nous pourrions donc étendre à cinq ans la durée durant laquelle un travailleur indépendant peut réactiver des droits. Avec trois ans, nous avons vu que 23 % des gens peuvent réactiver leurs droits et je pense que, en allongeant le délai à cinq ans, plus de personnes pourraient récupérer des droits. Il s’agirait en fait de s’accorder sur la franchise de deux ans.

Enfin, ma dernière proposition est de simplifier et de sécuriser les liquidations amiables, dès lors qu’elles visent à anticiper un état de cessation de paiements. Lorsqu’une entreprise a très peu de chiffre d’affaires et que le salarié ne peut plus en tirer un revenu, je pense qu’il faut faire en sorte que la liquidation amiable puisse se faire à moindre coût, avec simplement une déclaration sur l’honneur de reprise de dettes à titre personnel, s’il existait des dettes cachées. C’est la seule façon de rendre le système simple et rapide.

M. Stéphane Viry. Je salue le travail effectué par notre collègue Dominique Da Silva et surtout l’intérêt de mettre ce sujet au cœur des débats de notre commission. Nous ne pouvons concevoir un centre-ville sans vitalité et ce sont notamment les commerçants, les travailleurs indépendants qui font la vitalité d’un centre-ville. C’est dire que ce sujet est majeur.

La question du rebond de ces commerçants ou de ces travailleurs lorsqu’ils rencontrent des difficultés s’impose et je suis de ceux qui considèrent qu’il faut davantage raisonner en fonds exceptionnel qu’en système d’assurance chômage. À mon avis, celui-ci n’est pas le bon mécanisme intellectuel.

Il faut le dire : l’ATI ne marche pas car les critères sont trop restrictifs et ne correspondent pas aux situations que vivent les commerçants ou les travailleurs. Les critères ne correspondent pas aux besoins et le champ d’application est trop restreint. L’ATI est donc mal ciblée.

Comment réinventer l’ATI, plutôt que de chercher à la modifier un peu ? Je pense qu’un faux message a été adressé aux travailleurs indépendants ; le message politique ne s’est pas traduit dans les faits par un dispositif à la hauteur des enjeux et des besoins. Le dire n'est pas critiquer, c’est simplement reconnaître qu’il faut remettre l’ouvrage sur le métier.

Je considère que la crise sanitaire que subissent les travailleurs indépendants aura des conséquences majeures. Ils rencontrent des difficultés qui ne résultent pas de leurs choix de gestion, mais de décisions administratives extérieures. Je ne conçois pas un instant que l’État ne soit pas au rendez-vous pour répondre.

Cher collègue, vous faites treize propositions que je peux comprendre sur le fond ; toutefois, je crois qu’il vaut mieux remettre complètement à plat le dispositif plutôt que de chercher à « bricoler » des aménagements. Ne pensez-vous pas qu’il faut mettre davantage d’argent public sur la table ? C’est une question de solidarité nationale. Ne faudrait-il donc pas passer par la voix législative, plutôt par les partenaires sociaux ? Nous ne sommes pas dans un concept d’assurance chômage mais dans une autre réponse, sociétale.

Je sais que le Gouvernement travaille à un plan de relance pour les indépendants. Je considère que ce plan de relance doit être à court terme, et non à moyen terme. Ne faudrait-il pas travailler davantage par des propositions de loi que le Gouvernement ou vous-même, cher collègue, pourriez entreprendre à partir de vos travaux ?

Voici mes remarques suite à la présentation de votre travail que je salue mais dont je considère qu’il mérite une réponse plus musclée.

Mme Isabelle Valentin. La crise du covid-19 a mis en exergue le statut très fragile de nos travailleurs indépendants, qu’il s’agisse des commerçants, des professions libérales ou des artisans. Ils sont nettement moins protégés que les autres acteurs économiques et ne bénéficient pas tous des mêmes aides gouvernementales.

Le dispositif d’activité partielle de longue durée mis en place pendant la crise ne leur est pas ouvert. L’assurance chômage à laquelle ils peuvent prétendre est soumise à des conditions très restrictives et est plafonnée à 800 euros durant six mois.

Avec le confinement et la troisième fermeture administrative, j’ai constaté dans ma circonscription que beaucoup d’entre eux étaient désespérés. Les associés et les gérants sont totalement exclus de ces aides et se retrouvent depuis plus d’un an sans revenu pour certains. C’est très injuste car ils n’ont pas commis de faute de gestion ni de faute d’appréciation dans la gestion de leur commerce. Ils sont simplement victimes de décisions administratives justifiées par une crise sanitaire. Les demandes d’inscription au RSA d’artisans et de commerçants se multiplient.

L’ATI élargi à tous les statuts juridiques de travailleur indépendant n’est peut-être pas la meilleure solution pour leur permettre de traverser cette mauvaise passe. Elle me semble un peu compliquée, assez longue à mettre en place et je rejoins l’avis de mon collègue Stéphane Viry. Je pense qu’il faudrait faire bénéficier nos dirigeants d’entreprise d’une indemnité pour couvrir leur perte de rémunération. Cette indemnité serait une aide complémentaire du fonds de solidarité qui sert, de son côté, à payer les frais généraux et l’entité.

M. Bernard Perrut. Les travailleurs indépendants sont nombreux en France : 3,2 millions de personnes ont une activité non salariée. Cela recouvre une multitude de situations sur le territoire et une grande disparité de revenus. Nous voyons avec la crise sanitaire combien ces indépendants sont vulnérables.

Vous avez eu le mérite, monsieur le rapporteur, de faire un bilan de l’allocation des travailleurs indépendants et vous nous avez associés à des auditions. Nous avons vu combien le nombre de bénéficiaires était décevant, en raison de la méconnaissance de cette allocation et, surtout, de conditions trop restrictives ainsi que d’une certaine inadaptation de ce dispositif. Votre rapport d’information documente très bien les défauts d’un dispositif qui mélange les mécanismes de l’assurance chômage avec les règles des minima sociaux.

Vous proposez de modifier le dispositif afin de l’élargir et nous ne pouvons qu’approuver. Au terme de l’élargissement que vous proposez, à combien de personnes estimez-vous que l’ATI pourrait bénéficier et pour quel budget ? Craignez-vous un effet d’aubaine, crainte qui fut d’ailleurs la raison de ces restrictions ?

Comment revoir les critères générateurs ? Vous évoquez les liquidations à l’amiable. Connaissez-vous le nombre d’entreprises concernées ? Lors de vos auditions, des solutions de remplacement crédibles ont-elles été présentées ?

Enfin, vous proposez de faire financer le dispositif de l’ATI par l’État, à la manière de l’allocation spécifique de solidarité. Ce sujet a-t-il été évoqué avec des représentants du Gouvernement ? Peuvent-ils vous suivre dans cette démarche ? En un mot, une proposition de loi a-t-elle des chances d’aboutir ? Arriverons-nous à un résultat, dans l’intérêt de tous ces commerçants, artisans et indépendants ?

Le ministre Alain Griset avait dit en décembre dernier que la situation évoluerait. Rien n’a été fait. Peut-être, monsieur le rapporteur, la solution est-elle entre vos mains.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. Je félicite notre collègue Dominique Da Silva pour la qualité de son rapport et des auditions qu’il a organisées, sur une thématique qui concerne 3,2 millions de nos concitoyens, soit un travailleur sur dix. Ces travailleurs non-salariés ne peuvent pas prétendre aux allocations chômage en cas d’échec de leur activité professionnelle. S’ils travaillent bien souvent dans des secteurs fortement impactés par les conséquences de la crise actuelle, ils ne bénéficient pourtant pas toujours des mêmes aides gouvernementales que les autres acteurs économiques.

Seize mois après son entrée en vigueur, vous dressez un bilan inquiétant de l’efficacité de ce dispositif d’ATI. Seuls 900 bénéficiaires de l’ATI sont aujourd’hui recensés, alors que les prévisions faisaient état de près de 30 000 bénéficiaires annuels.

Vous indiquez que le premier motif de rejet de l’ATI est le seuil de revenu d’activité d’au moins 10 000 euros par an, en moyenne sur les deux dernières années. Vous proposez de remplacer ce critère par une justification de déclaration de résultat, de chiffre d’affaires ou de TVA selon le régime fiscal de l’entreprise.

Si nous parvenons à l’objectif d’assouplir les conditions d’accès à l’ATI, pourriez-vous nous indiquer comment éviter le risque d’effet d’aubaine que pourrait engendrer une telle modification ? Avez-vous fait une étude d’impact sur les mesures que vous proposez ? Surtout, avez-vous une idée de la rapidité et de l’effectivité de ces mesures ?

M. le rapporteur Dominique Da Silva. Pour répondre à Stéphane Viry, je crois que j’ai dit considérer l’ATI comme une allocation chômage de solidarité. Il ne s’agit pas d’une assurance chômage et je plaide effectivement pour qu’elle ne dépende plus de l’Unédic ou des partenaires sociaux en charge de l’assurance chômage. Je pense que c’est le point faible de l’ATI : avoir demandé au départ aux partenaires sociaux chargés de l’assurance chômage pour les salariés de trouver une solution pour les travailleurs indépendants qui ne cotisent pas. La gêne et l’envie de restreindre au maximum les critères de ces partenaires sociaux sont donc compréhensibles, justement pour garder la primauté d’un financement plutôt alloué aux salariés.

Je pense pourtant que l’ATI a tout son sens, même après la crise. Nous pouvons évidemment nous entendre sur des mesures d’urgence liées à la crise dont la durée sera limitée. Toutefois, au-delà de cette période compliquée, si nous voulons faire vivre une allocation chômage pour les indépendants, il faut que ce dispositif existe en dehors de ces conditions extrêmes.

Une proposition de loi me satisferait évidemment pleinement. Il faut que ce soit l’État qui s’occupe de ce dispositif. Je pense que nous n’avons objectivement pas à craindre un financement compliqué puisque, sur 140 millions d’euros prévus annuellement, nous n’en avons dépensé que 3 millions après quatorze mois. Cela laisse tout de même de la marge et nous pouvons donc assouplir ces critères. Je pense que nous n’aurons pas de problème de débordement après l’assouplissement.

Je ne crains pas les effets d’aubaine. Je pense que nous n’avons pas considéré ce qu’est un entrepreneur. Si quelqu’un cherche vraiment l’aubaine, elle se trouve plutôt dans le RSA, qui est accordé sans limite de durée. Dès lors que nous sommes plutôt dans l’idée du besoin d’un rebond, de redynamiser quelqu’un qui a traversé une période assez compliquée, je crois qu’il faut pour faciliter la vie aux entrepreneurs leur assurer cette allocation de courte durée, mais en accompagnant vraiment le rebond, avec la possibilité d’une formation pour aider à retravailler, éventuellement en cumulant les deux.

Je l’ai précisé : si aujourd’hui nous n’avons pas beaucoup de défaillances, c’est parce que les URSSAF n’assignent plus les entreprises. Lorsque la situation redeviendra normale, nous pouvons craindre de nombreuses cessations d’activité. Nous avons donc tout intérêt à corriger le tir dès aujourd’hui et à permettre le rebond de chefs d’entreprise qui, demain, pourront être en difficulté. Nous espérons pouvoir, à la fin de cette année, passer à autre chose et revivre normalement, mais des entreprises auront tout de même des difficultés à repartir avec très peu de trésorerie.

 Isabelle Valentin propose une indemnité sur le modèle de l’activité partielle des salariés, au lieu de l’ATI. Pour répondre dans l’urgence, nous pouvons le faire sous forme d’une telle indemnité, mais l’ATI a pour moi vocation à durer au-delà de cette crise. Que faire lorsqu’une entreprise se trompe de marché, qu’elle ne réussit pas dans ce qu’elle avait pensé être une source de revenus et constate qu’elle est obligée d’arrêter ? Devons-nous attendre qu’elle cesse de payer ses fournisseurs, ce qui est actuellement la condition pour avoir droit à l’allocation ? Je trouve que ce n’est pas respectueux vis-à-vis de ceux qui font tout pour ne pas arriver à cet état de cessation de paiements. Celui qui en arrive à la cessation de paiements a droit à l’allocation, alors que ceux qui prennent aussi des risques parce qu’ils ne veulent pas s’endetter n’auraient droit à rien.

Pour répondre à Bernard Perrut, j’ai essayé dans le rapport d’esquisser les contours d’une évaluation du nombre de bénéficiaires. Nous manquons clairement d’éléments statistiques. Nous avons pris en compte pour l’ATI un certain nombre de critères liés au statut juridique et social du dirigeant, qui ne ressortent pas dans les statistiques de cessation d’activité. Nous avons donc du mal à déterminer ce chiffre. J’ai pris une fourchette beaucoup plus large pour essayer de m’en approcher.

Selon moi, la condition qui permet véritablement d’éviter l’effet d’aubaine est la condition de ressources. Il faut que le chef d’entreprise prouve qu’il a effectivement travaillé pendant deux ans. Je tiens à dire qu’un chef d’entreprise peut travailler et ne pas gagner d’argent ; beaucoup d’entrepreneurs vivent sur leurs économies, veulent réussir et ne se rémunèrent pas pendant un temps. Quand les difficultés arrivent, la situation est simple pour un salarié, puisque l’entreprise lui doit son salaire mais, pour un travailleur indépendant, son salaire est en fait sa dette. Il faut donc en gros pousser la dette au maximum pour avoir droit à une allocation. Ce n’est pas logique et il faut donc prendre en compte le chiffre d’affaires de l’activité pour démontrer que l’activité est réelle, que les personnes ont travaillé, ont facturé, ont payé de la TVA depuis deux ans, de façon régulière. Si cette condition est vérifiée, l’indépendant devrait avoir droit à l’ATI.

Le budget est aujourd’hui de 3 millions d’euros pour 900 bénéficiaires environ, alors que le crédit alloué est de 140 millions d’euros par an depuis bientôt deux ans. Nous serions donc à 280 millions d’euros si nous étions au maximum des prévisions. Nous sommes très loin du compte. Nous pourrions donc très clairement élargir les critères et si, dans deux ans, nous nous apercevons que le financement risque de devenir compliqué, il sera toujours temps de revoir quelques-uns de ces critères.

Je tiens à préciser que nous avons une assiette sociale assez cohérente en ce qui concerne les micro-entrepreneurs. Près de deux millions de micro-entrepreneurs pourraient disposer de l’ATI avec une très faible cotisation. Nous pourrions ainsi imaginer un financement supplémentaire qui serait sans doute accepté par ces entrepreneurs car ils savent que le risque est bien plus fort pour eux que pour des entreprises installées. Je pense en particulier aux travailleurs des plateformes pour lesquels il faut sans doute un mécanisme très différent.

Mme la présidente Fadila Khattabi. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour le travail que vous avez mené sur ce sujet de l’ATI. Il nous a permis de revenir sur la situation difficile que traversent bon nombre de travailleurs indépendants et d’étudier la façon dont nous pourrions les accompagner.

La commission autorise, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

 


 

 


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   ANNEXE N° 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

(par ordre chronologique)

 

       Tables rondes concernant les difficultés de mise en œuvre de l’ATI :

- Première table ronde :

Pôle EmploiMme Misoo Yoon, directrice générale adjointe en charge de loffre de service, Mme Élisabeth Gueguen, directrice en charge de la réglementation et de lindemnisation, et Mme Lucie Lourdelle, chargée de mission au sein de la direction de la réglementation et de lindemnisation

- Unédic : M. Rémy Mazzocchi, directeur général adjoint, Mme Céline Jaeggy, directrice des affaires juridiques, Mme Lara Muller, directrice des études et des analyses

- Seconde table ronde :

Association Garantie sociale des entrepreneurs (GSC)M. Anthony Streicher, président, et Mme Elodie Warnery, directrice générale

Conseil supérieur de lOrdre des experts-comptablesM. Lionel Canesi, président, M. Valentin Guenanen, directeur de cabinet, et M. Olivier Salamito, secrétaire général

Conseil national des greffiers des tribunaux de commerceMme Sophie Jonval, présidente, M. Victor Geneste, membre du Bureau, et M. Ildo Mpindi, juriste

       Table ronde réunissant des représentants nationaux des travailleurs indépendants :

- Union des auto-entrepreneurs et des travailleurs indépendants – M. François Hurel, président

- Union des indépendants – M. Stéphane Chevet, président

Confédération nationale des très petites entreprises – M. Jean-François Ferrando, président

       M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'Économie, des finances et de la relance, chargé des Petites et moyennes entreprises


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   ANNEXE N° 2 :
LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES REÇUES

 

     Union des entreprises de proximité (U2P)

     Syndicats des Indépendants (SDI)

     Pôle Emploi

     Unédic

     Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables (CSOEP)

     Association GSC

     Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC)

 

    


([1])  France Stratégie, Dix ans de transitions professionnelles : un éclairage sur le marché du travail français, mars 2016.

([2])  Insee Première, Un nouveau record de créations d’entreprises en 2020 malgré la crise sanitaire, n°1837, février 2021.

([3])  Rapport sur l’ouverture de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants, établi par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale des finances (IGF), octobre 2017, p. 10.

([4]) Devenu l’article 51 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel.

([5]) Sondage réalisé par BVA pour La Tribune en novembre 2019.

([6])  Pôle emploi - https://chomage-independant.fr/conditions

([7])  https://chomage-independant.fr/download/1

([8])  Sondage Ifop pour l’association GSC, juin 2019.

([9])  Rapport sur l’ouverture de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants, p. 53

([10])  Le statut d’assimilé-salarié bénéficie de la même protection sociale qu’un salarié sous contrat de travail, à l’exception de l’assurance chômage, sauf en de rares exceptions sous certaines conditions.

([11])  Insee Références, Emploi et revenus des indépendants, édition 2020

([12])  Insee Première, Les revenus d’activité des non-salariés en 2018, édition 2020

([13])  https://videos.assemblee-nationale.fr/video.10422519_603f941bd34cc.commission-des-affaires-sociales--auditions-sur-l-allocation-des-travailleurs-independants-dans-le--3-mars-2021

([14])  https://videos.assemblee-nationale.fr/video.10510581_60520aa4ba548.commission-des-affaires-sociales--allocation-des-travailleurs-independants-dans-le-contexte-de-la-c-17-mars-2021

([15])  https://videos.assemblee-nationale.fr/video.10613728_606c787b5e208.commission-des-affaires-sociales--allocation-des-travailleurs-independants-dans-le-contexte-de-la-c-6-avril-2021