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N° 4283
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ASSEMBLÉE  NATIONALE
CONSTITUTIONÂ DUÂ 4Â OCTOBREÂ 1958
QUINZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à  la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 juin 2021.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA MISSION d’information commune ([1])
relative à la réglementation et à l’impact des différents usages du cannabis
Président
M. Robin REDA
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Rapporteur général
M. Jean-Baptiste MOREAU
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Rapporteurs thématiques
Mme Caroline JANVIER et M. Ludovic MENDES
Députés
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La mission d’information sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis est composée de : M. Robin Reda, président ; M. Jean-Baptiste Moreau, rapporteur général ; Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Philippe Latombe, M. Éric Poulliat et Mme Michèle Victory, vice-présidents, Mme Caroline Janvier et M. Ludovic Mendes, rapporteurs thématiques, MM. Ugo Bernalicis, Moetai Brotherson, François-Michel Lambert et Éric Pauget, secrétaires, Mme Bérangère Abba, M. Saïd Ahamada, Mmes Valérie Bazin-Malgras et Sylvie Charrière, MM. Rémi Delatte, Loïc Dombreval, Jean-Pierre Door, Mme Nicole Dubré-Chirat, MM. Roland Lescure, Gérard Menuel, Pierre Morel-À-L’Huissier, Xavier Paluszkiewicz, Mme George Pau-Langevin, MM. Jean-Pierre Pont et Benoit Potterie, Mmes Cathy Racon-Bouzon, Huguette Tiegna et Michèle de Vaucouleurs.
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SOMMAIRE GLOBAL
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Page
AVANT-PROPOS Robin reda, président............................5
Avant-propos de Jean-Baptiste Moreau, rapporteur général......7
Avant-propos de Ludovic Mendes, rapporteur thématique.......11
Avant-propos de Caroline Janvier, rapporteure thématique......15
RAPPORT sur l’usage thérapeutique du cannabis................17
RAPPORT sur le « chanvre bien-être »...........................87
RAPPORT sur le cannabis récréatif.............................185
EXAMEN EN COMMISSION......................................459
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA MISSION D’INFORMATION             461
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  AVANT-PROPOS de Robin Reda, PRÉSIDENT
Un débat inédit s’est invité à l’Assemblée nationale avec la création de la mission d’information commune sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis. Derrière un intitulé pouvant être jugé provocateur se trouve un débat de société qui aborde tous les pans de notre vie commune : la sécurité, la santé, l’alimentation et l’avenir de nos territoires. Car le cannabis n’est pas que de la drogue, c’est avant tout une plante dont les usages millénaires ont permis aux civilisations antiques et modernes de naviguer (cordages en chanvre), de diffuser leur savoir (manuscrits en chanvre au Moyen-Âge) ou encore d’alimenter des traités de médecine.
C’est la prise en considération de l’état d’ivresse cannabique et des dérives de l’usage de la plante, principalement par la voie fumée, qui ont dans l’Histoire contemporaine renvoyé le chanvre à une image négative et diabolisée. Sur le plan agricole et industriel, la concurrence montante du bois et des matières premières synthétiques a anesthésié peu à peu l’économie chanvrière. Cette dernière subsiste néanmoins et tend à trouver une nouvelle voie de développement à l’heure des préoccupations écologiques
Pendant près d’un an, la mission d’information commune a entendu 226 personnes au cours de 75 auditions. Elle a abordé méthodiquement les différentes thématiques liées au cannabis : thérapeutique, « bien-être » et stupéfiant. Chaque rapport d’étape a donné lieu à une validation interne des membres de la mission et à une présentation publique. Ces points d’étape furent autant de moments utiles pour expliquer avec pédagogie le travail de la mission d’information et prendre des positions affirmées sur des sujets d’actualité, comme le lancement de l’expérimentation du cannabis à usage médical ou la condamnation de la France par la CJUE pour sa rigidité face à la vente de produits non-stupéfiants à base de cannabidiol.
Un débat doit maintenant s’ouvrir hors les murs de l’Assemblée Nationale. Il touche à notre vie collective et interroge notre rapport à une substance majoritairement appréhendée sous son usage psychotrope. Le débat sur la réglementation du cannabis stupéfiant a occupé la fin de nos travaux et capté l’attention médiatique. Dans ce débat, on ne peut que regretter les incompréhensions et les raccourcis souvent liés à des abus de langage : les rapporteurs ont tenté d’y parer, et nous ne pouvons que reconnaître leur travail de pédagogie.
Au regard de nos travaux et des évolutions à l’œuvre dans d’autres pays, notre connaissance « des » cannabis et leurs différentes réglementations sont appelées à évoluer en France. C’est donc désormais à la fois une question de calendrier et de volonté politique. Ou bien nous courrons le risque de continuer de subir toutes les conséquences négatives de notre refus des réalités.
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  AVANT-PROPOS DE Jean-Baptiste-Moreau,
RAPPORTEUR GÉNÉRAL
Après plus de 18 mois d’auditions et de travaux, la mission d’information relative à la réglementation et à l’impact des différents usages du cannabis présente aujourd’hui son rapport définitif.
Collectivement et de tout bord politique, les membres de la mission ont travaillé afin d’appréhender le cannabis de la manière la plus pragmatique et dépassionnée possible, loin des postures idéologiques et dogmatiques, pour réfléchir à une évolution réglementaire qui puisse à la fois répondre à des enjeux de santé publique, sociaux, économiques et agricoles.
Le constat global sur la question du cannabis sous tous ces usages est que notre pays est à la traîne.
Si l’expérimentation du cannabis thérapeutique a enfin pu être lancée pendant que la mission poursuivait ses travaux, la question de sa pérennisation doit être largement et collectivement soutenue. Combien de patients nous ont contactés ces derniers mois, pour nous demander de pouvoir bénéficier de l’expérimentation car leurs douleurs n’étaient plus supportables ? Combien de patients souffrent encore et ne peuvent pas avoir accès à ces produits qui soulageaient un peu leurs douleurs ? Nous devons pérenniser cette expérimentation. Nous devons le faire pour eux.
Pendant de nombreux mois, nous avons également tenté d’appréhender de façon pragmatique, scientifique et médicale grâce aux multiples auditions menées, la question du cannabidiol (CBD). Ce sujet, dont les derniers rebondissements jurisprudentiels nous obligent à avancer sur le volet de la réglementation est particulièrement ardu tant le CBD est perçu par une grande partie de notre classe politique et dirigeante comme une drogue. Cette posture, à défaut d’être politique, est en réalité erronée et infondée. Grâce à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en novembre dernier, la jurisprudence européenne a dénué le CBD de caractère psychotrope. Le CBD ne présente aucun risque pour la santé publique.
Alors, combien de temps allons-nous continuer à en faire la victime collatérale du cannabis récréatif, du joint, du splif ? Nombreux sont les consommateurs qui en vantent les bienfaits, sur leur stress, leur anxiété, leurs douleurs articulaires.
Alors encore une fois, jusqu’à quand allons-nous rester dans cette posture politique qui freine aujourd’hui l’émergence d’une filière française – que tant d’agriculteurs attendent – tout en continuant de vendre des produits à base de CBD dont la teneur en THC est supérieure à celle que nous voulons instaurer et qui est pourtant légale chez nos voisins ?
Jusqu’à quand sacrifier le potentiel de NOS producteurs au détriment de nos voisins européens ? Nos producteurs sont prêts, enthousiastes, engagés.
Enfin, la question du cannabis récréatif divise et oppose les tenants d’une répression-pour-tous aux défenseurs d’une politique de santé publique. Si le débat est loin d’être tranché et que les camps s’opposent, tout laisse à penser que le sujet fera définitivement partie d’arguments politiques défendus aux prochaines échéances électorales.
J’ai eu la chance d’être nommé rapporteur général de la mission d’information pendant 18 mois et j’ai également cumulé cette fonction avec celle de rapporteur thématique sur le volet du cannabis thérapeutique.
Ainsi, concernant plus précisément le cannabis thérapeutique, le décret, prévu par l’article 43 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, devant définir les conditions de mise en œuvre de l’expérimentation du cannabis thérapeutique, a finalement été publié le 7 octobre 2020 ([2]), soit peu de temps après la publication du rapport d’étape de la mission.
Ce décret suit les lignes directrices strictes qui avaient été tracées par le CST de l’ANSM au début de l’année 2020. Il prévoit notamment que l’usage médical du cannabis sera autorisé « pour certaines indications thérapeutiques ou situations cliniques réfractaires aux traitements indiqués et accessibles ». 3 000 patients seront traités et suivis dans le cadre de cette expérimentation qui aura une durée de deux ans à compter de la première prescription, au plus tard le 31 mars 2021. Le décret précise que, afin de garantir leur qualité, leur sécurité et leur usage thérapeutique, les produits seront soumis aux référentiels pharmaceutiques et seront soumis au régime des médicaments stupéfiants, justifiant notamment l’encadrement strict des conditions de détention et de transport par les intéressés ou, en cas d’impossibilité, par leurs proches ou soignants.
Le décret prévoit que le directeur général de l’ANSM arrête la liste des entreprises retenues pour participer à l’expérimentation et fournir, à titre gratuit, les médicaments dont les conditions de prescription et de délivrance sont précisées.
Les conditions de l’expérimentation ainsi définies, l’ANSM a ouvert un appel à candidatures le 19 octobre 2020 à l’issue duquel, sur la base d’un cahier des charges exigeant – respect des bonnes pratiques de culture et de fabrication, de qualité des médicaments et de sécurisation du circuit de distribution – elle a sélectionné, le 25 janvier 2021, six binômes fournisseurs-exploitants chargés de la fabrication et la distribution des médicaments qui seront disponibles sous forme d’huile, pour une administration par voie orale, ou de fleurs séchées, permettant une inhalation après vaporisation ([3]).
On ne peut que regretter la surreprésentation des entreprises étrangères faute de développement d’une filière française de production du cannabis thérapeutique.
Les patients ont par ailleurs été répartis par pathologies en cinq groupes : 750 patients dans les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies (médicamenteuses ou non) accessibles ; 500 patients dans certaines formes d’épilepsie pharmaco-résistantes ; 500 patients dans certains symptômes rebelles en oncologie, liés au cancer ou au traitement anticancéreux ; 500 patients dans les situations palliatives ; enfin, 750 patients dans la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central.
Le démarrage de la formation des professionnels de santé, la mise à disposition du registre national de suivi des patients ou encore l’approvisionnement des pharmacies, entre autres étapes importantes, ont été effectués au mois de mars. L’expérimentation a finalement débuté le 26 mars 2021 avec l’inclusion d’un premier patient au CHU de Clermont-Ferrand. Elle se poursuivra progressivement dans l’ensemble des 215 structures de référence, à savoir les services de centres hospitaliers spécialisés dans le traitement des pathologies visées par l’expérimentation, qui ont été sélectionnées par l’ANSM en lien avec les sociétés savantes concernées et se sont engagées sur la base du volontariat.
La mobilisation sur l’épidémie de la Covid-19 puis sur la vaccination a retardé la dynamique des inclusions par les services hospitaliers et les médecins généralistes, selon ce que les professionnels de santé ont indiqué à l’ANSM, mais au 21 juin 2021, 402 patients ont d’ores et déjà été inclus dans l’expérimentation (soit 144 de plus qu’en mai) : 173 patients pour des douleurs neuropathiques, 86 pour l’épilepsie, 82 souffrant de sclérose en plaques, 30 pour certains symptômes rebelles en oncologie, 24 dans les situations palliatives et 7 dans la spasticité douloureuse hors sclérose en plaques.
226 structures de référence sont à ce jour engagées dans l’expérimentation, soit plus que ce qui était initialement prévu, avec une grande majorité de médecins formés dans les services hospitaliers (188) et de pharmaciens formés (121). 89 services hospitaliers ont inclus au moins un patient, 137 n’en ont pas encore inclus. La dynamique de participation des médecins libéraux est également intéressante : 52 généralistes formés ainsi que des pharmaciens d’officine qui prennent le relais des pharmacies hospitalières : 28 % des patients ont maintenant désigné un pharmacien de ville pour délivrer les médicaments.
L’approvisionnement des médicaments par les producteurs étrangers, associés à des laboratoires pharmaceutiques français, se passe bien. Quelques problèmes d’ordre logistique constatés dans les premiers jours, mais sans conséquences cliniques sur les patients – problèmes de fuite sur certains bouchons de flacons d’huile ou d’écoulement d’huile après utilisation – ont été résolus, notamment par des mesures d’éducation pour un meilleur prélèvement de l’huile dans les flacons. Pour le moment, les médicaments dispensés sont uniquement des huiles (à base de CBD et THC), et mi-juillet seront mis à disposition des patients des fleurs, associées à un dispositif de vaporisation, sélectionné par l’ANSM suite à un appel d’offres.
Un comité de suivi de l’expérimentation, chargé de suivre le déroulé de l’expérimentation et de proposer le cas échéant des mesures d’adaptation pour améliorer le fonctionnement du projet, a été créé le 8 juin et pour 2 ans par la Directrice générale de l’ANSM. Présidé par le professeur Nicolas Authier, il compte 4 patients, 4 médecins en charge des indications de l’expérimentation, d’un médecin généraliste, d’un pharmacien d’officine et hospitalier, de 2 représentants des réseaux de vigilance de l’ANSM (Pharmaco et addictovigilance) et d’un représentant de la DGS. Il se réunira chaque mois, pendant toute la durée de l’expérimentation.
Moins de trois mois après le lancement de l’expérimentation, l’ANSM indique que les retours sont bons concernant les patients traités avec parfois une efficacité qualifiée de « magique » par certains médecins.
On ne peut que se féliciter du lancement réussi de cette expérimentation. Deux points d’attention néanmoins. Le nombre de patients concernés est d’abord encore extrêmement bas alors que les attentes sont très grandes : il faudra rapidement en augmenter le nombre et préparer la généralisation. On rappellera que l’expérimentation n’a pas pour vocation de vérifier l’efficacité du traitement mais simplement d’en sécuriser les modalités de production, de distribution et de suivi des patients.
Par ailleurs, on ne peut que regretter que ne soit toujours pas autorisée la mise en place d’une filière française du cannabis thérapeutique alors que nous disposons de toutes les compétences nécessaires que ce soit pour la production, la transformation ou la distribution.
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  AVANT-PROPOS De Ludovic Mendes, RAPPORTEUR THÉMATIQUE
Au regard de ses multiples facettes, le chanvre est une plante étonnamment peu connue. En dépit d’une histoire multiséculaire, son image reste attachée à celle, controversée, de son principe stupéfiant, le delta‑9-tetrahydrocannabinol (THC), ce qui focalise le débat public autour de son utilisation à des fins thérapeutiques ou « récréatives ». Dès lors, il n’est guère surprenant que l’usage des composantes non stupéfiantes du chanvre, parmi lesquelles on dénombre une bonne centaine de cannabinoïdes, soit difficile à appréhender de manière sereine et objective.
Présenté parfois du « cannabis légal » ou « light », le cannabidiol (CBD) est victime de son succès foudroyant auprès de consommateurs à la recherche de produits de bien-être naturels ([4]). Tout aussi soutenue avec enthousiasme que décriée par ceux qui y voient qu’un marché lucratif incontrôlé, cette molécule fait l’objet de commentaires approximatifs et souvent erronés quant à ses effets ou au régime juridique applicable.
Pour cette raison, la mission d’information a souhaité, au travers du rapport d’étape publié en février dernier sur le « chanvre bien-être », faire œuvre de pédagogie. Ses travaux ont permis de rappeler que, s’il est impossible d’extraire du CBD de manière naturelle sans conserver des traces de THC, les principes actifs de la molécule, essentiellement relaxants, n’ont aucun effet stupéfiant. S’agissant du cadre réglementaire, les parlementaires ont mis en avant l’extrême fragilité qui s’attache aux interdictions posées par l’arrêté ministériel du 22 août 1990, toujours applicable à l’heure actuelle. Ils ont appelé le Gouvernement à faire preuve d’audace en allant au-delà de ce qu’impose la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt dit « Kanavape » du 19 novembre 2020.
Plus précisément, la mission d’information a estimé qu’il était temps d’impulser la mise en place d’une filière française de production du « chanvre bien-être » en autorisant la culture et l’exploitation de la fleur de chanvre en deçà de teneurs en THC situées entre 0,6 % et 1 %, en fixant pour chaque catégorie de produits finis un seuil de THC intégrant le niveau de toxicité lié à son ingestion et en renforçant parallèlement les garanties offertes aux consommateurs en termes de contrôle des produits et de transparence des informations délivrées.
Au regard de ces préconisations, les annonces effectuées par le cabinet du Premier ministre le 25 mai dernier ([5]) sont décevantes.
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La France serait, ainsi, disposée à autoriser la culture et l’exploitation de la fleur de chanvre et à autoriser la commercialisation de produits finis contenant du CBD. Toutefois, aucun relèvement du taux de THC autorisé en culture, actuellement de 0,2 %, ne serait envisagé. Par ailleurs, selon les informations disponibles, une teneur unique en THC de 0,2 % serait appliquée aux produits finis sans qu’une distinction soit opérée selon le mode d’ingestion du produit ([6]). Enfin, la vente de fleurs resterait interdite.
Ces orientations, si elles étaient confirmées, refléteraient à la fois un manque d’ambition de la part du Gouvernement et, surtout, une absence de considération des travaux effectués par les parlementaires de manière transpartisane. On rappellera, à cet égard :
Ë—Â qu’en maintenant un taux très bas, notre pays donne indirectement un avantage concurrentiel à ses concurrents, qui pourront désormais introduire sur le marché français des produits finis contenant du CBD issu de variétés de chanvre plus riches en THC et qu’un taux de THC en culture supérieur à 0,6 % permettrait, au contraire, à la France de se positionner parmi les plus avancés au niveau européen en termes de diversité variétale ([7]) ;Â
˗ que le taux de 0,2 % retenu constitue un handicap pour les outre-mer, les contraintes climatiques de ces territoires s’accommodant peu de teneurs aussi basses ;
˗ qu’un tel seuil de THC rendra d’autant plus difficile la mise en œuvre de contrôles performants pour les fleurs en circulation, les tests de détection instantanée actuellement disponibles étant peu fiables en présence de faibles teneurs, ce qui est paradoxal au regard de l’objectif de sécurité publique affiché par le Gouvernement ;
˗ que le choix d’une teneur maximale unique dans les produits finis sans tenir compte du degré de risque toxicologique spécifique à chaque catégorie expose la France à de nouveaux risques contentieux au niveau de l’Union européenne dans la mesure où la CJUE impose aux États membres, dans son arrêt « Kanavape », de légitimer par des seules considérations de « santé publique » les éventuelles restrictions à l’importation de produits finis contenant du CBD ;
˗ que la réglementation française comporte de multiples facilités, en particulier celles liées au statut de « produit à fumer à base de plantes autres que le tabac », permettant de rassurer le consommateur quant à l’innocuité des produits au CBD, fleur comprise, auxquels il serait confronté ;
˗ que le choix opéré ne règle pas en tant que tel certaines questions connexes, mais essentielles, notamment celle de la sécurité routière, dès lors qu’il sera possible pour un consommateur de CBD d’être sanctionné au même titre qu’un fumeur de cannabis récréatif.
Le récent arrêt, en date du 23 juin dernier, de la chambre criminelle de la Cour de cassation ([8]), confirme l’extrême fragilité juridique de la position du Gouvernement sur la fleur au regard des principes posés par la jurisprudence européenne : en appliquant aux sommités florales le raisonnement tenu par la CJUE sur les produits transformés, le juge national invite les autorités françaises à prendre en considération les législations en vigueur dans les autres États membres de l’Union européenne et exclut désormais toute restriction de commercialisation qui ne serait pas fondée sur un risque de santé publique préalablement documenté.
D’un point de vue plus général, la mission d’information appelle le Gouvernement à profiter des opportunités offertes par le droit de l’Union européenne pour progresser dans la voie d’une harmonisation des réglementations applicables au CBD et essayer d’obtenir, au travers de la procédure dite des « Nouveaux aliments », un avantage comparatif pour les produits français sur le marché européen.
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  AVANT-PROPOS De Caroline Janvier,
RAPPORTEURe THÉMATIQUE
Près de six semaines après la publication du rapport d’étape consacré au cannabis récréatif, la publication du rapport final de la mission d’information commune sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis est l’occasion de revenir sur la méthode qui a été celle de la mission sur l’ensemble des thèmes traités, et en particulier sur celui du cannabis récréatif.
Loin de toutes considérations morale ou idéologique, souhaitant avoir une approche dépassionnée du dossier, l’approche a été avant tout pragmatique, avec deux questions simples : les objectifs poursuivis par la politique publique relative au cannabis sont-ils atteints ? Et n’existe-t-il pas d’autres méthodes permettant d’atteindre plus efficacement ces objectifs ?
Pour répondre à ces questions, le rapport a d’abord dressé un bilan de la politique de répression menée depuis 50 ans, bilan sécuritaire, économique et évidemment sanitaire. Le bilan est incontestablement mauvais : la lutte contre le trafic et la consommation de cannabis mobilisent énormément de ressources publiques pour un résultat au mieux incertain ; la France reste l’un des premiers pays consommateurs, en particulier chez les jeunes, et la violence liée aux trafics entrave les promesses de la République dans certains quartiers.
Partant de ce constat, le rapport s’est intéressé aux exemples étrangers : alors que la prohibition a longtemps été la règle de par le monde, les États-Unis étant porteurs de cette inefficace « guerre contre la drogue », le paysage international a profondément changé ces quinze dernières années, certains pays, et non des moindres, franchissant le pas de la légalisation. Ce détour, indispensable, par l’international a aussi permis de constater qu’il existait des modèles très différents de légalisation selon la place qui était laissée au marché (tout-puissant dans certains États américains) et à l’État (dominant au Paraguay), le Canada faisant office de dispositif intermédiaire.
Dès lors, le rapport tente d’esquisser ce que pourrait être un modèle français de légalisation du cannabis en dressant la liste des questions auxquelles devrait répondre un législateur éclairé. Il ne s’agit évidemment pas de permettre la vente de cannabis sans aucun contrôle ni d’en encourager la consommation mais bien de donner la priorité à la santé publique et de développer les actions de prévention, aujourd’hui rendues impossibles par la priorité donnée au répressif.
Loin de tout laxisme, il s’agit au contraire de proposer une légalisation encadrée pour reprendre le contrôle d’un trafic qui est aujourd’hui aux mains des réseaux mafieux. L’objectif est bien de contrôler la production (en encadrant par exemple le taux maximum de THC), la distribution (en octroyant des licences à des boutiques spécialisées) mais aussi la consommation (en interdisant strictement la vente aux mineurs et en instaurant une « loi Evin » du cannabis).
Au final, ce que propose le rapport est ni plus ni moins d’appliquer au cannabis la seule politique de santé publique qui ait fait ses preuves dans le domaine des stupéfiants, à savoir la réduction des risques.
Ce dispositif de légalisation encadrée peut bien sûr être discuté et contesté et le rapport pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses : c’est maintenant aux citoyens de se saisir de ce problème et le succès de la consultation citoyenne a montré qu’ils y étaient prêts.
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SOMMAIRE DU RAPPORT
SUR L’USAGE THÉRAPEUTIQUE DU CANNABIS
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AVANT-PROPOS de Robin Reda, PRÉSIDENT
AVANT-PROPOS DE Jean-Baptiste-Moreau,  RAPPORTEUR GÉNÉRAL
AVANT-PROPOS De Ludovic Mendes, RAPPORTEUR THÉMATIQUE
AVANT-PROPOS De Caroline Janvier, RAPPORTEURe THÉMATIQUE
I. L’usage du cannabis À des fins thÉrapeutiques se dÉveloppe dans de nombreux pays
A. le retour en grÂce du cannabis dans la pharmacopÉe internationale
1. Le déclin au cours du XXe siècle
2. Un regain certain au tournant du XXIe siècle
B. quelques éléments de comparaison internationale
1. Un pays pionnier : Israël
2. L’usage thérapeutique du cannabis sur le continent américain
a. Au Canada, un droit constitutionnel
b. État fédéral et États fédérés aux États-Unis : une situation contrastée
3. Le cannabis thérapeutique en Europe
a. Les Pays-Bas, à l’avant-garde
d. Problématiques de la prohibition : l’exemple de la Belgique
e. Quelques caractéristiques et différences entre pays européens
C. La situation du cannabis thÉrapeutique en france
b. Un usage illégal mais fréquemment pratiqué
II. Une expérimentation très attendue, qui a pris un retard fort regrettable
A. Le cadre de l’expérimentation
1. Les jalons posés par le comité
a. Le principe de l’expérimentation
c. Des propositions entérinées par l’ANSM
2. Les modalités de l’expérimentation
b. Les conditions de prescription et de délivrance
c. Les contre-indications et précautions d’emploi
d. Le suivi des patients et l’évaluation des effets indésirables
e. Le calendrier et l’évaluation de la phase expérimentale
3. Un cadre rigoureux à la hauteur de l’ambition
a. Les raisons d’un cadre strict
b. L’assentiment général quant au cadre détaillé qui a été posé
4. Des exigences qui ne divergent pas fondamentalement de ce qui se pratique à l’étranger
a. Des conditions qui se retrouvent également dans d’autres pays
B. PLus aucun retard ne doit être dÉsormais pris
1. Si la mobilisation de l’ANSM est remarquable…
a. Des travaux à marche forcée
b. Les moyens de l’ANSM renforcés malgré la crise sanitaire
2. Le lancement de l’expérimentation a pris un retard préoccupant
a. Le report annoncé en juin et ses conséquences
b. Où en est l’élaboration du décret ? Ou les lenteurs de l’interministériel
c. L’inquiétude de certaines associations de patients
b. En cas de statut particulier défini pour certains produits du cannabis thérapeutique
c. En cas d’inscription de ces produits du cannabis dans la catégorie des dispositifs médicaux
3. Étendre la formation à l’ensemble des professionnels
4. Envisager l’élargissement de l’usage du cannabis thérapeutique à d’autres indications
D. Créer les conditions de développement d’une filiÈre française
b. De nombreux acteurs français sont aujourd’hui prêts à produire
c. Organiser et réguler la production de cannabis et de médicaments à base de cannabis
AVANT-PROPOS DU RAPPORTEUR GÉNÉRAL
b. L’abandon définitif de l’exclusion européenne du CBD d’origine naturelle
2. La commercialisation des fleurs de CBD peut désormais être envisagée sous conditions.
a. Le relèvement inévitable des seuils de THC dans les produits finis au CBD
b. La nécessité de fixer des seuils de THC par catégorie de produits
c. Les voies d’une harmonisation au niveau européen
b. La question de l’élévation du taux de THC autorisé en culture
c. Le déblocage des expérimentations variétales
i. Le cas particulier des fleurs des CBD
ii. L’application aux e-liquides de CBD de la réglementation relative aux produits du vapotage
ANNEXE 1 : DROIT APPLICABLE AU CBD DANS LA PLUPART DES PAYS EUROPÉENS ET AU CANADA
I. TABLEAU I : RÉGIMES D’AUTORISATION
II. TABLEAU IIÂ : SEUILS EN DELTA-9 TETRAHYDROCANNABINOL (THC)
ANNEXE 3Â : CONTRIBUTION DE M. LAMBERT
SOMMAIRE DU RAPPORT sur le cannabis récréatif
AVANT-PROPOS DU RAPPORTEUR GÉNÉRAL
SYNTHÈSE DU RAPPORT CANNABIS : LÉGALISER, ENCADRER, PROTÉGER
première partie : une politique rÉpressive en Échec, au détriment de la santé publique
A. DES forces de l’ordre mobilisÉes À l’excÈs
2. Des interpellations en grande majorité pour usage de stupéfiants
3. Des saisies importantes qui témoignent de l’ampleur des trafics
4. Un poids croissant pour les finances publiques
1. Une réponse pénale quasi-systématique
2. Des sanctions pénales qui sont de facto peu sévères
1. Une consommation française record en Europe
a. Une consommation en hausse constante depuis trente ans
b. Un accroissement des consommations problématiques
c. La consommation de cannabis des Français : un record en Europe
a. Une consommation parmi les plus importantes d’Europe
b. Pas de rajeunissement de l’âge de la première expérimentation
c. La France, championne des usages problématiques des jeunes
B. Une politique inapte à juguler les trafics de cannabis
1. L’insécurité créée par les trafics dans certains quartiers
2. Une répression à géométrie variable
A. le cannabis et les jeunes : attention danger !
a. THC et système nerveux central
b. Les différentes formes de produit
c. La composition problématique des produits
i. Des produits aujourd’hui très fortement dosés en THC
ii. Des produits souvent frelatés
iii. L’urgence du cannabis de synthèse ou néocannabinoïdes
2. Le risque avéré de troubles psychiatriques chez les plus jeunes
a. Des données statistiques préoccupantes
b. Au-delà des statistiques, une réalité médicale très concrète quant aux effets psychiatriques
3. D’autres aspects sanitaires ou sociaux non négligeables
a. Des effets certains sur la santé
i. Des risques cardiovasculaires accrus
ii. Des risques notamment associés aux modes de consommation
b. Des conséquences sociales durables et non négligeables
B. L’aporie d’une Politique de santÉ publique dans un cadre rÉpressif
1. Un corset législatif et réglementaire qui institue une politique pénale inadéquate
a. Les dispositions en vigueur dans l’esprit de la loi du 31 décembre 1970
ii. Articulation avec le volet sanitaire
b. Un cadre qui n’aide ni à la prévention ni à la prise en charge des plus vulnérables
i. Une comparaison éclairante avec les dispositions relatives à l’alcoolisme et au tabagisme
ii. La perception unanime du corps médical
iii. Le constat des acteurs de terrain
a. Une architecture institutionnelle évolutive
b. Les plans gouvernementaux de lutte contre la drogue et les conduites addictives
ii. Qu’en est-il aujourd’hui ?
a. Une évolution problématique
i. Les effets pervers du glissement progressif vers le répressif
ii. L’injonction thérapeutique, un dispositif en voie de disparition ?
b. Focus sur la prévention en milieu scolaire
i. La politique mise en œuvre
ii. Les moyens de la prévention
iii. La perception des acteurs
Deuxième partie : Succès et écueils  des expériences étrangères
2. L’option résolument prohibitionniste de la Convention de Vienne de 1961
B. Un Édifice juridique international aujourd’hui en pleine recomposition
A. Le contexte de la légalisation
1. Le contexte politique et sanitaire
B. Un modèle reposant sur un fort contrôle de l’État, de la production à la distribution
1. Une mise en œuvre retardée et difficile
2. Une production insuffisante pour assécher le marché noir
3. Une augmentation des violences dont le lien avec la réforme est difficile à établir
4. Une augmentation de la consommation à relativiser
III. Les États-Unis d’amÉrique
A. Un regard d’ensemble sur l’état de la question aux États-Unis
B. Les objectifs poursuivis par la légalisation
1. La production et la distribution
2. Un accès restreint aux produits
3. Des recettes fiscales importantes
4. Les mesures d’accompagnement
C. Un premier bilan du mouvement de légalisation aux États-Unis
1. Enjeux de santé publique et conséquences sanitaires
2. Impacts de la légalisation sur la criminalité et le marché noir
A. Le contexte de la légalisation
2. Des réseaux criminels puissants
4. Le processus politique de légalisation
B. Les objectifs de la légalisation
C. Une loi fédérale et des déclinaisons locales
1. Le socle de règles fixé par la loi fédérale
2. Des déclinaisons territoriales
3. Prévention et protection des plus jeunes
1. Évolution de la consommation de cannabis depuis la légalisation
a. Une consommation générale en légère augmentation mais une consommation quotidienne stable
2. Évolution du marché noir du cannabis depuis la légalisation
4. Des effets sur la sécurité routière qu’il est trop tôt pour mesurer
6. Contribution du cannabis non-médical à la croissance
A. La diversitÉ des lÉgislations applicables au cannabis en Europe
3. Les incertitudes entourant le projet de légalisation luxembourgeois
B. Le contre-exemple hollandais
2. Les « coffee shops » au cœur du système de distribution néerlandais
C. Le Portugal : Une dÉpÉnalisation de l’usage des drogues dans un objectif de santÉ publique
1. Le contexte de la dépénalisation
2. Le processus politique de dépénalisation
3. Une approche avant tout sanitaire
a. Dépénalisation de l’usage personnel et répression pénale en cas de trafic
4. Bilan de la dépénalisation
b. Une diminution de la consommation d’héroïne et une hausse de la consommation de cannabis
c. Un désengorgement des tribunaux
d. Des commissions de dissuasion de la toxicomanie dont les financements sont aujourd’hui menacés
e. Un refus de légaliser le cannabis
troisième partie : Quel modÈle de rÉgulation du cannabis en France ?
I. Prendre en compte l’Évolution de la sensibilitÉ des français
A. Les constats partagÉs par les citoyens
1. La perception de la dangerosité du cannabis
2. Un dispositif réglementaire jugé inefficace
3. Des politiques de prévention insuffisantes
B. la rÉvision de la rÉglementation : une demande dÉsormais fortement exprimÉe
II. reprendre le contrÔle : mÉthode et objectifs d’une sortie rÉussie de la prohibition
A. « Cannabis : ouvrons le dÉbat ! » ()
1. De plus en plus d’élus s’expriment pour lancer le débat
2. Acteurs de terrain et observateurs en faveur d’un large débat…
3. … que les citoyens plébiscitent massivement
a. Des sondages d’opinion très révélateurs
b. Sur le terrain aussi, l’exemple des habitants de Villeurbanne
B. tracer Une feuille de route
a. Réduire la délinquance dans un souci de justice sociale
c. Protéger notre jeunesse, objectif premier de santé publique
e. Éviter l’apparition d’un « Big cannabusiness »
f. Développer une nouvelle filière économique
3. Dépénalisation ou légalisation ?
III. Comment lÉgaliser ? un modÈle français À inventer
A. Comment produire en france ?
1. Quel cadre fixer à la production ?
b. Confier la production au secteur privé ?
c. Autoriser l’autoproduction ?
2. Quelques questions à privilégier en matière de production
a. Contrôler la production : une exigence de santé publique
b. Prendre en compte la dimension patrimoniale et commerciale
c. Les problématiques environnementales
d. Faut-il prévoir un taux maximum de THC ?
B. Quel circuit de distribution organiser ?
2. Quelle structure de distribution privée pour lutter contre le marché noir ?
a. Un modèle propre à réduire la consommation
b. Des conditions d’accès à la qualité de distributeur à déterminer
c. Prévoir un encadrement spécifique et rigoureux de la distribution
d. Quels produits distribuer ?
3. Un modèle additionnel crédible : les cannabis social clubs
C. RÉdUIRE LE marchÉ noir : La question cruciale des prix et de la fiscalitÉ
1. Comment et pourquoi ajuster prix et fiscalité ?
a. Les prix comme instruments de la régulation dans une optique sanitaire
b. Pertinence d’une fiscalité évolutive et autres questions
c. Le contre-exemple américain ()
2. Le jeu de l’offre et de la demande
D. Les prioritÉs de santÉ publique
1. Faut-il une « loi Évin » du cannabis ?
2. Comment renforcer les politiques d’éducation à l’usage et de prévention chez les jeunes ?
a. Comment développer les compétences psychosociales des plus jeunes ?
3. Comment favoriser une politique de réduction des risques ?
b. Sensibiliser les parents et les adultes
c. Mieux lutter contre les consommations à risque
4. Faut-il autoriser la consommation dans la rue ?
5. Comment agir en matière de prévention routière ?
E. Repenser la question rÉpressive
1. Comment favoriser la réinsertion des petites mains du trafic ?
a. Comment valider les compétences ?
b. Faut-il amnistier et réinsérer les anciens trafiquants ?
2. Comment éviter le report des trafics sur d’autres produits ?
F. Quel dispositif institutionnel pour gÉrer la politique du cannabis ?
1. Faut-il prévoir une agence du cannabis ?
2. Quelle affectation pour les recettes fiscales issues du cannabis ?
ANNEXE 1Â : BILAN DE LA CONSULTATION citoyenne
I. Qui sont les participants à la consultation ?
A. les Citoyens ayant participé à la consultation
B. la Participation des personnes morales
C. Les participants et leur rapport à la consommation de cannabis
A. Efficacité du dispositif actuel de lutte contre le trafic et la consommation de cannabis
B. Perception du risque lié à la consommation de cannabis
C. Opinion sur les évolutions à donner en matière de consommation de cannabis
III. Vers une dépénalisation ou une légalisation du cannabis : quelles perspectives ?
A. Les raisons d’une politique de dépénalisation ou de légalisation du cannabis
B. En cas de légalisation : quelles modalités ?
V. Opinions en faveur du maintien ou du durcissement de la législation en vigueur
ANNEXE 2 : CONTRIBUTION DE M. LAMBERT
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA MISSION D’INFORMATION
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  AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT
L’Assemblée nationale a, au début de l’année 2020, constitué en son sein une mission d’information sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis. Signe de l’importance du sujet, cette mission d’information est commune à six commissions permanentes : la commission des affaires économiques, la commission des affaires sociales, la commission des lois, la commission des finances, la commission des affaires culturelles et éducatives et la commission du développement durable.
L’objectif de la mission d’information, composée d’une trentaine de parlementaires de la majorité et des différents groupes d’opposition, est de proposer un état des lieux et d’explorer les enjeux liés aux différents usages du cannabis (thérapeutique, bien-être et récréatif) et à la filière du chanvre.
Après avoir consacré ses premières auditions à un panorama général sur la situation du cannabis en France, la mission s’est concentrée sur la question du cannabis thérapeutique, sous la houlette de la rapporteure thématique Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, dont le mandat s’est malheureusement interrompu avant la publication du rapport, mais à qui je souhaite rendre hommage pour son investissement sur le sujet et sa détermination. Sans rien enlever au talent du rapporteur général, Jean-Baptiste Moreau, le présent rapport est en grande partie le sien.
Au cours de ses auditions, la mission a entendu l’ensemble des acteurs du dossier du cannabis thérapeutique : médecins, chercheurs, patients… Et, bien sûr, toutes les administrations concernées. Elle n’a néanmoins pas souhaité doublonner les travaux conduits au sein du comité spécialisé de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ni trancher des débats scientifiques qui ne relèvent pas de sa compétence.
Son objectif était double : d’une part, s’assurer que l’expérimentation, décidée à l’unanimité par le législateur, soit effectivement lancée, et dans les meilleures conditions possible, et on ne peut que regretter le retard pris, en grande partie à cause de la crise sanitaire ; d’autre part, réfléchir à la sortie de l’expérimentation et à la pérennisation du dispositif, pour sécuriser les patients et permettre le développement d’une filière française du cannabis thérapeutique.
Le rapport formule donc dix propositions que je soutiens pleinement. L’attente est immense chez les patients, tout est maintenant prêt, il est temps d’agir.
À l’issue de ce rapport d’étape, la mission d’information va poursuivre ses travaux en se concentrant, dans un premier temps, sur la filière du chanvre et le cannabis « bien-être », puis, à compter du mois novembre, sur la question du cannabis récréatif.
Ces sujets, complexes et malheureusement trop souvent polémiques, méritent que le Parlement s’en saisisse pleinement, de manière approfondie et apaisée.
Robin Reda
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L’Assemblée nationale a, au début de l’année 2020, constitué en son sein une mission d’information sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis. Signe de l’importance du sujet, cette mission d’information est commune à six commissions permanentes : la commission des affaires économiques, la commission des affaires sociales, la commission des lois, la commission des finances, la commission des affaires culturelles et éducatives et la commission du développement durable.
L’objectif de la mission d’information, composée d’une trentaine de parlementaires de la majorité et des différents groupes d’opposition, est de proposer un état des lieux et d’explorer les enjeux liés aux différents usages du cannabis (thérapeutique, bien-être et récréatif) et à la filière du chanvre.
La mission s’est d’abord concentrée sur la question du cannabis thérapeutique et le présent rapport d’étape est consacré à cet important dossier. En effet, après deux ans de travaux menés au sein de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), le Parlement a, l’an dernier, donné son feu vert au lancement d’une expérimentation sur deux ans du cannabis thérapeutique.
Ce lancement est une réponse attendue par de nombreux patients, professionnels de santé et acteurs agricoles qui y voient aussi une perspective de développement d’une filière d’avenir. Comme le montre le rapport, la France est, face à ses voisins européens, à la traîne sur la question du cannabis thérapeutique et l’ambition portée par tous et unanimement est de pouvoir accélérer la mise en place de cette expérimentation pour, à terme, la pérenniser de manière encadrée et définie.
Au cours de ses auditions, la mission a entendu l’ensemble des acteurs du dossier du cannabis thérapeutique : médecins, chercheurs, patients, agriculteurs… Et, bien sûr, toutes les administrations concernées. Elle n’a néanmoins pas souhaité doublonner les travaux conduits au sein du comité spécialisé de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ni trancher des débats scientifiques qui ne relèvent pas de sa compétence.
Son objectif était double : d’une part, s’assurer que l’expérimentation, décidée à l’unanimité par le législateur, soit effectivement lancée, dans les meilleures conditions possibles, et la mission regrette le retard pris, en grande partie à cause de la crise sanitaire ; d’autre part, réfléchir à la sortie de l’expérimentation et à la pérennisation du dispositif, pour sécuriser les patients et permettre le développement d’une filière française du cannabis thérapeutique.
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– Publier le décret permettant le lancement de l’expérimentation et éviter tout nouveau report ;
– Afin d’en garantir le déroulement impartial, renoncer à la gratuité et définir le budget nécessaire à la réalisation de l’expérimentation ;
– Stimuler le dialogue interministériel afin de permettre le développement d’une filière entièrement française du cannabis thérapeutique ;
– Inscrire dans le code de la santé publique la possibilité de produire, transporter, fabriquer, importer, exporter, détenir, offrir, céder, acquérir et employer l’ensemble de la plante de cannabis ainsi que de variétés contenant plus de 0,2 % de THC afin de permettre, dans un cadre fixé par décret, de fournir des traitements à base de cannabis aux patients souffrant d’une liste de pathologie également fixée par décret ;
– Respecter strictement les critères de l’expérimentation initialement définis par le CSST ;
– Initier dès à présent une réflexion sur le statut des différents produits du cannabis thérapeutique afin de garantir que ces traitements puissent s’inscrire dans le cadre d’un parcours permettant leur remboursement ;
– Entamer une réflexion sur l’élargissement de la possibilité de prescrire du cannabis thérapeutique dans le cadre d’autres pathologies que celles retenues pour l’expérimentation ;
– Inclure dans les orientations pluriannuelles prioritaires de développement professionnel continu la prescription du cannabis et l’accompagnement des patients et étendre à l’ensemble des personnels soignants les efforts de formation destinés actuellement aux seuls médecins ;
– Confier à un organe public la régulation du cannabis thérapeutique, chargé du contrôle de la culture, de la qualité, de la transformation et du stockage des produits ;
– Renforcer la recherche sur les effets du THC sur les facultés des consommateurs afin de développer des tests adaptés et de fixer un seuil au-dessous duquel, pour les patients consommant du cannabis dans un cadre thérapeutique légal, la conduite automobile peut être autorisée.
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  INTRODUCTION
Ce lancement est une réponse attendue par de nombreux patients, professionnels de santé et acteurs agricoles qui y voient aussi une perspective de développement d’une filière d’avenir. Face à ses voisins européens, La France est à la traîne sur la question du cannabis thérapeutique et l’ambition portée par tous et unanimement est de pouvoir accélérer la mise en place de cette expérimentation pour, à terme, la pérenniser de manière encadrée et définie.
L’objectif de l’expérimentation du cannabis thérapeutique est de pouvoir disposer d’une photographie complète des données scientifiques disponibles afin de définir les modalités strictes de prescription et de distribution de produits médicaux avec une exigence de qualité particulière.
Le rapport présente ainsi l’expérimentation telle qu’envisagée par l’ANSM avec un cadre strict et défini : liste des pathologies concernées par l’expérimentation, nombre de patients bénéficiant de cette expérimentation, modalités de distribution des produits.
L’objectif affiché de ce rapport est de sécuriser le dispositif afin de pouvoir avancer rapidement sur cette question, d’autant que des produits à base de cannabis ont déjà fait l’objet d’autorisations de mise sur le marché en France, mais qui, faute de consensus, ne sont pas distribués, mettant ainsi les patients qui pourraient en bénéficier, dans l’obligation de devoir se fournir sur des marchés étrangers, ou devant renoncer à l’accès à ces produits.
De plus, si ce rapport évoque les avancées que l’expérimentation permettra pour les patients qui en bénéficieront, il est également question d’avancer, accompagner et structurer le développement d’une filière nationale avec un programme ambitieux, offrant de nombreux débouchés pour nos agriculteurs et pour nos territoires.
La France est aujourd’hui sur la deuxième marche du podium des producteurs mondiaux de chanvre et l’expérimentation s’inscrit ainsi dans un objectif de souveraineté nationale sur un marché en plein essor.
La volonté affichée de ce rapport est de pouvoir aller vite : le premier levier à débloquer est ainsi de procéder à la publication du décret afin que l’expérimentation puisse commencer effectivement dès le 1er janvier 2021.
Le présent rapport, et les dix propositions qu’il formule, a été adopté à l’unanimité par la mission d’information.
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I.  L’usage du cannabis À des fins thÉrapeutiques se dÉveloppe dans de nombreux pays
L’usage thérapeutique du cannabis a connu un lent déclin au long du XXe siècle. Politiques prohibitionnistes et évolution de la médecine l’ont fait progressivement disparaître de la pharmacopée de nombreux pays. Ses propriétés médicinales sont désormais reconsidérées et se développent de manière parfois très importante.
A.  le retour en grÂce du cannabis dans la pharmacopÉe internationale
Utilisé pendant des milliers d’années à des fins thérapeutiques pour ses propriétés antiémétiques, antiépileptiques, antispastiques, antalgiques, anxiolytiques ou antihypertensives ([9]), le cannabis – ruderalids, sativa ou indica – est l’une des plantes les plus anciennes de la pharmacopée, dont la première preuve d’utilisation date de 2 800 avant JC dans un traité de médecine traditionnelle chinoise.
1.  Le déclin au cours du XXe siècle
L’âge d’or de l’utilisation thérapeutique du cannabis a été le XIXe siècle, où il était alors largement prescrit aux patients atteints de diverses pathologies – rage, rhumatisme, épilepsie, tétanos – ainsi que dans la prise en charge de la douleur. Cela étant, les innovations apportées par l’industrie pharmaceutique au début du XXe siècle, concomitantes des politiques menées en France et dans le monde pour lutter contre l’usage des drogues, ont amorcé le déclin des prescriptions.
En effet, la difficulté des chercheurs à isoler les principes actifs du cannabis rendait leur dosage impossible et entraînait, consécutivement, une instabilité des préparations et un rôle thérapeutique incertain. Les médecins privilégièrent dès cette époque les nouvelles modalités – la voie injectable, qui ne pouvait être envisagée du fait de la non-solubilité des extraits de cannabis – et les nouveaux médicaments à leur disposition, à base de molécules stables aux effets cliniquement prouvés – aspirine, barbituriques, dérivés opiacés – tout en écartant les produits d’origine naturelle.
Par ailleurs, l’influence croissante de la politique prohibitionniste américaine, dont l’objectif d’interdiction du commerce et de la consommation des drogues s’est imposé au niveau international, a également contribué à ce déclin. Si, à la différence de l’opium, le cannabis n’est pas, au début du XXe siècle, au centre des préoccupations car peu consommé, il n’en subit pas moins les effets des positions adoptées lors de la Conférence de Shanghai en 1909, qui pose le principe d’un meilleur contrôle international de l’économie de l’opium, et de celle de La Haye (1912), qui encadre la production, la vente et la consommation des opiacés.
Aujourd’hui encore, la réglementation internationale actuelle repose sur trois conventions : la convention unique sur les stupéfiants de 1961, qui a interdit tout usage du cannabis à des fins autres que médicales et scientifiques ([10]), la convention sur les substances psychotropes de 1971 et la convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988. Ces textes constituent toujours les fondements des politiques prohibitionnistes en vigueur dans la plupart des pays.
2.  Un regain certain au tournant du XXIe siècle
Cela étant, dans de nombreux pays, depuis les années 1990, un profond mouvement de réintroduction de l’usage thérapeutique du cannabis est à l’œuvre : aujourd’hui, les investissements et recherches de l’industrie pharmaceutique se développent considérablement, des essais cliniques sont menés, des évolutions réglementaires sont introduites et des autorisations sont données de la part des autorités sanitaires permettant aux médecins de prescrire du cannabis pour diverses pathologies, malgré les incertitudes scientifiques non encore levées. En 2015, à la demande de la Croatie et de la République tchèque, le cannabis a été intégré dans le programme de travail de la pharmacopée européenne. Des dizaines de milliers de patients sont aujourd’hui traités par cannabis dans le monde.
Force est de rappeler que la littérature internationale montre encore aujourd’hui une réelle perplexité quant aux effets thérapeutiques du cannabis, comme le met en évidence le tableau reproduit ci-dessous. Pour autant, des médicaments sont de nouveau fabriqués depuis les années 1980 avec des extraits cannabinoïdes ([11]). À ce jour, quatre médicaments à base de dérivés phyto-cannabinoïdes bénéficient d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le monde :
– le Cesamet® (nabilone) depuis 1982, prescrit en cas de nausée, vomissement, cachexie sous chimiothérapie ou trithérapie ;
– le Marinol® (dronabinol) depuis 1985, prescrit en cas de nausée, vomissement, cachexie sous chimiothérapie ou trithérapie et douleurs réfractaires ;
– le Sativex® (nabiximols) depuis 2010, contre la douleur et la spasticité dans la sclérose en plaques, SEP ;
– l’Epidiolex® (cannabidiol) depuis 2018, en cas d’épilepsie réfractaire chez l’enfant ([12]).
RÉsumÉ des donnÉes scientifiques sur l’usage mÉdical
du cannabis et des cannabinoïdes ([13])
Maladie/symptômes |
Produits testés |
Validité des données |
Limites |
Nausées et vomissements associés à une chimiothérapie anticancéreuse |
Cannabinoïdes |
Faible |
Peu d’études évaluent des antiémétiques plus récents et plus efficaces. Les nouveaux protocoles de chimiothérapie causent moins de nausées. |
Stimulant de l’appétit chez les patients atteints de cachexie liée au sida |
Dronabinol/ |
Faible |
Le nombre de cas liés au sida est désormais plus limité. Il existe peu de preuves de leur utilisation pour stimuler l’appétit chez les personnes atteintes d’autres affections. |
Spasme musculaire chez les patients atteints de sclérose en plaques |
Nabiximols |
Modérée |
Les patients font état de réduction, mais l’influence est plus limitée sur les évaluations des cliniciens. |
DCNC, y compris douleurs neuropathiques |
Cannabis et cannabinoïdes |
Modérée |
Effet faible (mais statistiquement significatif) par rapport au placebo. |
Soins palliatifs en cas de cancer |
Cannabinoïdes |
Insuffisante |
Des essais plus vastes et mieux conçus sont nécessaires |
Épilepsie infantile réfractaire |
CBD |
Modérée |
Données montrant l’utilisation dans un traitement d’appoint chez les personnes atteintes du syndrome de Dravet ou du syndrome de Lennox-Gastaut. D’autres études sont nécessaires pour évaluer la posologie, les interactions et l’utilisation chez les personnes atteintes d’autres formes d’épilepsie. |
Autres usages médicaux, comme les troubles du sommeil, les troubles de l’anxiété, la dépression, les troubles neurodégénératifs et les maladies inflammatoires de l’intestin |
Cannabis ou cannabinoïdes |
Insuffisante |
Données montrant des effets à court terme pour certaines pathologies (p. ex. troubles du sommeil), mais des essais plus vastes et mieux conçus sont nécessaires avec un suivi plus long. |
Récemment, l’Organisation mondiale de la santé, OMS, a en outre affirmé de nouvelles positions. La réunion de juin 2018 de son comité d’experts de la pharmacodépendance a conclu qu’il y avait suffisamment de données disponibles pour procéder à un examen critique des plantes et résines de cannabis, des extraits et teintures de cannabis ainsi que du delta-9-THC, ce qui n’avait jamais été fait. Elle a notamment recommandé que les préparations considérées comme étant du cannabidiol (CBD) ne soient pas inscrites aux tableaux des conventions internationales relatives au contrôle des drogues et jugé prometteuses certaines indications thérapeutiques.
EXTRAITS DU 40E RAPPORT DU COMITÉ OMS D’EXPERTS DE LA PHARMACODÉPENDANCE ([14])
Cannabidiol (CBD)
Aucun cas d’abus ou de dépendance n’a été rapporté en relation avec l’utilisation de CBD pur et aucun problème de santé publique n’y a été associé.
Les applications thérapeutiques du CBD font l’objet de recherches pour diverses utilisations cliniques. Dans ce domaine, la recherche est la plus avancée dans le traitement de l’épilepsie. Lors d’essais cliniques, un produit à base de CBD pur a démontré son efficacité pour le traitement de certaines formes d’épilepsie, comme le syndrome de Lennox-Gastaut et le syndrome de Dravet, qui résistent souvent à d’autres formes de médication. Depuis la réunion du comité, un produit à base de CBD pur a reçu de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis une autorisation de mise sur le marché.
Le cannabidiol (CBD) n’est pas spécifiquement inscrit dans les tableaux des conventions internationales des Nations Unies relatives au contrôle des drogues de 1961, 1971 ou 1988. Toutefois, s’il est préparé sous forme d’extrait ou de teinture de cannabis, il est inscrit au tableau I de la convention unique sur les stupéfiants de 1961.
Rien n’indique que le CBD en tant que substance soit susceptible de donner lieu à des abus ou des effets nocifs similaires à ceux des substances inscrites dans les conventions de 1961 ou de 1971, comme le cannabis ou le THC, respectivement.
Le comité a recommandé que les préparations considérées comme étant du CBD pur ne soient pas inscrites à un tableau.
Plante et résine de cannabis
Le comité a étudié les informations concernant les indications thérapeutiques du cannabis et les recherches en cours sur ses applications médicales possibles. Plusieurs pays autorisent l’utilisation du cannabis pour le traitement d’affections médicales comme les douleurs dorsales, les troubles du sommeil, la dépression, les douleurs post-traumatiques et la sclérose multiple en plaques. Les recherches sur les applications médicales potentielles du cannabis se poursuivent.
Extraits et teintures de cannabis
(…) Parmi les substances qui ne sont pas psychoactives, dans les préparations dérivées des extraits ou teintures de cannabis, certaines, à l’instar du cannabidiol, ont des indications thérapeutiques prometteuses.
Cette évolution générale se produit parallèlement aux pratiques individuelles qui, malgré les interdictions et les risques de poursuites pénales toujours en vigueur, se développent également et fortement, portées par d’innombrables associations de patients exigeant qu’on entende leur demande, lorsque la médecine conventionnelle est impuissante à soulager leur souffrance, depuis parfois de nombreuses années.
B.  quelques éléments de comparaison internationale
Une cinquantaine de pays, ayant des approches très diverses, notamment en termes de réglementation, d’indications thérapeutiques ou de modalités d’accès, ont aujourd’hui autorisé l’usage médical du cannabis.
1.  Un pays pionnier : Israël
Parmi les pays qui ont franchi le pas et se sont intéressés au cannabis thérapeutique, Israël fait partie des pionniers. Il y a maintenant près de soixante ans que les travaux du professeur Raphaël Mechoulam lui ont notamment permis, en 1964, d’isoler les principes actifs du THC et d’ouvrir la voie des recherches sur l’usage médical du cannabis, qu’il continue d’explorer aujourd’hui encore. Si cela ne s’est pas fait sans heurts ([15]), dès 1995, cependant, des enfants sous chimiothérapie pouvaient être accompagnés pour soulager les effets secondaires de leurs traitements ([16]).
Un regard rétrospectif permet de constater qu’une approche globale a été mise en œuvre par Israël qui lui a sans doute permis peu à peu d’occuper aujourd’hui une position remarquable.
C’est notamment le cas en ce qui concerne les patients, qui sont aujourd’hui plus de 45 000 à utiliser le cannabis dont l’usage thérapeutique est autorisé depuis maintenant plus de dix ans dans le cadre de nombreuses pathologies : oncologie – le cannabis est aujourd’hui le médicament le plus répandu chez les cancéreux (plus de 10 000 patients atteints de cancer s’en voient prescrire chaque année par les oncologues ([17])) – gastroentérologie, douleurs, maladies infectieuses, neurologie (sclérose en plaques), soins palliatifs et psychiatrie (troubles de stress post-traumatique), notamment.
Depuis les premières recherches et autorisations données au début des années 2000, la politique du ministère de la santé israélien a continûment été de faciliter l’accès aux médicaments à base de cannabis, en ce qui concerne les prescriptions – autorisées depuis quelques années aux généralistes ([18]) – la distribution – désormais permise à toute pharmacie ([19]) – ou encore l’accessibilité ([20]) : une réforme intervenue en 2019 a par exemple plafonné le tarif des consultations des médecins autorisés à le prescrire et forfaitisé le coût mensuel, quels que soient les besoins, pour les usages pédiatrique et oncologique.
C’est aussi le cas en ce qui concerne la gouvernance du dispositif institutionnel, une agence israélienne du cannabis médical étant chargée depuis 2008 de l’approvisionnement des produits sur la base de critères de qualité standardisés par le ministère de la santé ([21]), lequel pilote par ailleurs des recherches publiques spécifiques : ainsi, en 2017, les ministères de l’agriculture et de la santé ont-ils annoncé un budget de 2,1 millions de dollars de recherches réalisées par des hôpitaux, des universités, des instituts de recherches et des entreprises pharmaceutiques ([22]).
Des essais cliniques sont menés sur diverses pathologies, par exemple sur l’autisme depuis la fin de 2019 ([23]). Par ailleurs, l’agence a également édité en 2016, dans le cadre de la réforme de la médicalisation, un guide à l’attention des médecins prescrivant du cannabis et que des formations universitaires commencent à apparaître, destinées notamment à former les diplômés à de nouvelles professions dans le domaine du cannabis médical ([24]).
En effet, la dimension économique et industrielle est le troisième volet de la politique d’Israël en matière de cannabis thérapeutique, qui illustre son ambition claire de se positionner comme l’un des leaders mondiaux du secteur : plusieurs centaines d’agriculteurs, plusieurs dizaines de firmes – 68 recensées en 2018 ([25]) – sont d’ores et déjà actifs, sans oublier les manifestations professionnelles internationales telles que Cannatech, qui attire des centaines de participants du monde entier chaque année. Les perspectives du marché mondial du cannabis thérapeutique sont telles – estimées selon certaines sources à quelque 50 milliards de dollars annuels à l’horizon 2025 ([26]) – que le pays entend profiter de son positionnement actuel. En ce sens, les financements publics de la recherche visent entre autres à attirer des investissements privés qui pour soutenir les futures exportations, qui devraient démarrer incessamment ([27]), cependant qu’Israël est devenu au premier trimestre de cette année le premier pays importateur de cannabis à usage médical, devant l’Allemagne ([28]), témoignant ainsi de l’importance d’ores et déjà acquise.
2.  L’usage thérapeutique du cannabis sur le continent américain
Les pratiques en matière de cannabis thérapeutique sont diverses en Amérique du Nord. Si elles sont impulsées sous l’égide de la jurisprudence de la Cour fédérale au Canada, elles relèvent plus des États fédérés aux États-Unis.
a. Â Au Canada, un droit constitutionnel
Au Canada, la justice a reconnu un droit constitutionnel aux patients et imposé de lever les obstacles à l’usage médical du cannabis.
i.  L’origine jurisprudentielle de l’évolution du cadre légal
Ce sont avant tout des décisions de justice qui ont permis de lever les obstacles à l’utilisation thérapeutique du cannabis au Canada. À partir de la fin des années 1990, des patients ont en effet formé des recours contre l’interdiction générale alors en vigueur s’appliquant à l’accès au cannabis : « les patients prétendaient que les interdictions prévues par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS) les contraignaient à choisir entre leur liberté et l’accès à des médicaments nécessaires, souvent fournis par des clubs compassion et des dispensaires médicaux qui ont vu le jour pour soutenir la consommation du cannabis à des fins thérapeutiques » ([29]).
Plusieurs décisions de la Cour fédérale du Canada ayant confirmé que l’accès au cannabis à des fins médicales était un droit constitutionnel ([30]), le gouvernement canadien a été contraint de réviser la législation. Les modifications sont entrées en vigueur à partir de 2001 avec un « Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales », révisé à plusieurs reprises depuis lors, pour passer d’un modèle d’exemption individuelle qui autorisait les patients à posséder du cannabis pour leur usage personnel à un système de production autorisée.
Le 17 octobre 2018, est entré en vigueur une nouvelle loi qui légalise et réglemente la production, la distribution, la vente et la possession, y compris pour des usages récréatifs. Désormais, sous réserve d’éventuelles restrictions provinciales et territoriales, les personnes majeures peuvent légalement cultiver à des fins personnelles jusqu’à quatre plants de cannabis par résidence à partir de graines ou de semis de source autorisée et à fabriquer chez eux des produits de cannabis, comme des aliments ou des boissons, dans la mesure où aucun solvant organique n’est utilisé pour créer des produits concentrés.
ii.  Une utilisation encadrée
Initialement, l’utilisation thérapeutique du cannabis était conditionnée à l’obtention d’une prescription par un professionnel de santé, précisant la posologie autorisée ainsi que la durée d’autorisation, limitée à un an : la décision de prescription était laissée à la discrétion du praticien, Santé Canada n’ayant pas défini d’indication thérapeutique en la matière.
Le cannabis étant désormais légalisé, la détention d’une ordonnance médicale n’est plus obligatoire. La relation entre le médecin et son patient prime, et si tous deux estiment que l’usage du cannabis à des fins médicales est la meilleure option, un document médical est remis par le médecin au patient, qui l’autorise à se fournir directement auprès d’un vendeur autorisé par le gouvernement fédéral. ([31]) Les patients peuvent aussi s’inscrire auprès de Santé Canada afin de pouvoir en produire une quantité limitée pour leurs propres besoins médicaux ou désigner une personne qu’ils chargent d’en produire pour leur compte. ([32]) En fonction de l’âge légal dans leur province ou territoire, ils sont également en mesure d’acheter du cannabis dans les points de vente au détail ou sur les sites de vente en ligne provinciaux ou territoriaux autorisés.
Santé Canada a posé diverses règles d’utilisation, notamment quant à la quantité que les patients peuvent produire, définie dans leur prescription. Des recommandations sont également fournies en matière de sécurité et de réduction du risque d’accès par des personnes non autorisées. Les personnes mineures doivent obtenir le cannabis thérapeutique correspondant à leur prescription médicale via un producteur autorisé ou un adulte qu’ils ont chargé de leur production personnelle.
b.  État fédéral et États fédérés aux États-Unis : une situation contrastée
Le cadre juridique est complexe aux États-Unis. Si le cannabis reste une drogue interdite au niveau fédéral depuis la fin des années 1930 ([33]), un processus de légalisation s’est néanmoins engagé depuis près d’un quart de siècle au niveau fédéré, après que la Californie, qui représente le marché le plus important, a initié le mouvement en 1996.
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Quelque 33 États ont à ce jour légalisé l’usage thérapeutique du cannabis ([34]) inhalé ou certains cannabinoïdes extraits ou de synthèse : 15 d’entre eux – Alaska, Arizona, Arkansas, Californie, Colorado, Dakota du Nord, Floride, Massachusetts, Michigan, Missouri, Montana, Nevada, Oklahoma, Oregon et Washington – l’ont légalisé par référendum, et 18 par voie législative : Connecticut, Delaware, Hawaii, Illinois, Louisiane, Maine, Maryland, Minnesota, New Hampshire, New Jersey, New York, Nouveau Mexique, Ohio, Pennsylvanie, Rhode Island, Vermont, Virginie Occidentale et Utah ([35]). La possession de tels médicaments est conditionnée dans ces États à une prescription médicale. Elle est illégale dans les autres.
Parallèlement, les échelons administratifs locaux – villes et comtés – ont la possibilité de légiférer dans leur ressort. La capitale de la Californie, Sacramento, a ainsi régulé la vente du cannabis thérapeutique en 2010 et sa culture et sa fabrication en 2014, avant qu’un référendum en 2016 fixe le cadre général au niveau de l’État.
Dans le même temps, au niveau fédéral, la Food and Drug Administration (FDA), a autorisé la mise sur le marché de plusieurs médicaments contenant du cannabis : l’Épidyolex contenant du CBD pour le traitement de l’épilepsie infantile, le Marinol et le Syndros contenant du THC pour le traitement de l’anorexie des patients atteints du sida ([36]).
Carte des États ayant lÉgalisÉ le cannabis ([37])
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Il appartient aux législations des États fédérés de déterminer les pathologies pour lesquelles l’usage du cannabis est admissible. Ainsi, la Californie reconnaît-elle aujourd’hui le sida, l’anorexie, l’arthrite, la cachexie, le cancer, les douleurs chroniques, le glaucome, la migraine, les nausées sévères, les spasmes musculaires persistants – y compris associés à la sclérose en plaques – , les convulsions – y compris associées à l’épilepsie – , et tout autre symptôme médical chronique ou persistant qui limite considérablement la capacité à mener une ou plusieurs activités majeures de la vie ou qui peut nuire gravement à la sécurité ou à la santé physique ou mentale ([38]). D’autres États ont des pratiques proches de celles en vigueur au Canada et autorisent l’usage médical pour toute raison approuvée par un médecin. Des différences existent également quant au type de cannabis autorisé, aux modes d’obtention, etc. ([39]).
Cela étant, de nombreuses recherches ont lieu, tant au niveau fédéral que fédéré, quant à l’efficacité thérapeutique du cannabis compte tenu des incertitudes scientifiques. À cet égard, les académies américaines de médecine, de science et d’ingénierie ont formulé en janvier 2017 des recommandations sur l’intérêt de l’utilisation du cannabis thérapeutique par pathologies. Après analyse de la littérature scientifique disponible – plus de 10 000 articles revus – elles ont notamment conclu que des preuves décisives ou importantes de l’efficacité du cannabis existaient pour les traitements des douleurs chroniques de l’adulte, des nausées et vomissements induits par la chimiothérapie et l’amélioration des symptômes de spasticité due à la sclérose en plaques.
Un point sur l’expérience menée par l’Uruguay
En décembre 2013, l’Uruguay a été le premier pays au monde à légaliser la culture et la vente de marijuana pour tous les usages, récréatifs, médicinaux, cosmétiques ou à des fins de recherche du cannabis. La loi avait pour objectif de « contrer les conséquences sanitaires, sociales et économiques dévastatrices de l’utilisation problématique de substances psychoactives, et réduire l’incidence du narcotrafic et du crime organisé. » ([40]). Elle a été suivie de la mise en place d’un dispositif officiel de distribution sous le contrôle de l’Institut de régulation et de contrôle du cannabis, Ircca, articulé sur l’enregistrement des consommateurs et l’habilitation des pharmacies comme points de vente ([41]), mécanisme destiné à assécher les réseaux de dealers.
Jusqu’à récemment, la dimension thérapeutique avait relativement peu progressé, dans la mesure où un seul médicament, très onéreux et non remboursé par la sécurité sociale, avait été autorisé, alors même que le cadre légal permettait depuis 2015 aux médecins de prescrire des produits contenant du cannabis.
Dernièrement toutefois, une nouvelle loi ([42]) a été adoptée, qui déclare « d’intérêt public les actions tendant à protéger, promouvoir et améliorer la santé publique moyennant des produits de qualité contrôlée et accessibles, à base de cannabis ou cannabinoïdes, ainsi que le conseil médical et l’information sur les bénéfices et risques de son utilisation. ». Délivrés exclusivement sur prescription médicale, les produits dispensés pourront être de toute nature ([43]), et leur qualité sera contrôlée. Un « Programme national d’accès au cannabis médicinal et thérapeutique » est créé à cette fin et le remboursement des médicaments à base de cannabis est désormais prévu. Aucune disposition de la loi ne restreint l’usage du cannabis thérapeutique à des pathologies déterminées.
3.  Le cannabis thérapeutique en Europe
Les pratiques des pays européens en matière de cannabis thérapeutique sont extrêmement variées, que ce soit en termes de modalités de prescription, de pathologies concernées, ou de types de produits autorisés ([44]). Comme le souligne une étude de l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies ([45]), « il est clair qu’aucun cadre réglementaire standard applicable aux préparations et produits à base de cannabis et de cannabinoïdes n’a été élaboré et que les approches adoptées varient considérablement d’un pays à l’autre, en fonction de divers facteurs historiques et culturels. Dans la plupart des pays, l’approvisionnement en produits et en préparations à base de cannabis et de cannabinoïdes à des fins médicales a évolué au fil du temps, souvent en réponse à la demande des patients ou selon le développement des produits et la situation continue de se modifier rapidement ».
L’Usage thÉrapeutique du cannabis en Europe